L'Art profane à l'église  

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{{Template}} L'Art profane à l'église (1908, English Profane art in the church) is a documentary work by Gustave-Joseph Witkowski published in two volumes by Jean Schemit. There is a volume for 'France' and one for 'Etranger'.

Contents

References

  • L'art chrétien ; ses licences ; complément de l'art profane à l'Eglise. France et étranger. Paris Jean Schemit 1912. In-8°, XXII-160 pages
  • L'art profane à l'église; ses licences symboliques, satiriques et fantaisistes. Contribution à l'étude archéologique et artistique des édifices religieux (1908) [1]

See also

Full text volume 1 (France)[2]

L'ART PROFANE A L'ÉGLISE



LIBRAIRIE DE L'ART FRANÇAIS.


Docteur G.-J. WITKOWSKI


L'ART PROFANE A L'EGLISE

SES LICENCES SYMBOLIQUES, SATIRIQUES ET FANTAISISTES

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE ARCHÉOLOGIQUE ET ARTISTIQUE DES ÉDIFICES RELIGIEUX

FRANCE


Ouvrage illustré de 636 gravures, avec le concours de G. -A. Payraud



PARIS

Jean SGHEMIT, Libraire

52, RUE LAFFITTE, 52

1908


AVERTISSEMENT


Quand nous voyons les galeries nationales reconnaître la nécessité d'un « Musée secret », nous ne saurions approuver l'exposition injus- tifiable d'objets plus que déplacés dans une église.

Chanoine Achille Lamure, 1879.


Nous renvoyons nos lecteurs à TAvertissement des Seins à Véglise. D'ailleurs, il appartient surtout à ce nouveau volume qui, à Forigine, devait faire partie de la même publication, sous le titre du Nu à Véglise. Mais l'abondance des matières nous a obligé à séparer cette étude de la précédente, et, si nous avons modifié le premier titre, trouvé trop cru^ notre programme est resté le même.

Ce volume est donc le complément de V Iconographie reli- gieuse traitée dans nos Seins à Véglise *. Là, nous avons envi- sagé les manifestations du nu dans l'art cbrétien, à un point de vue général. Ici, nous nous occupons principalement des nucla exposés dans les édifices religieux et que les guides, les archéologues ou les critiques d'art, trop collet-monté, « qui parlent proprement et ennuyeusement », disait La Bruyère,


4. Et, par suite, se rattache à nos précédents travaux qui comprennent une dou- zaine de volumes in-8, sur l'Anatomic et la Physiologie humaines, considérées par leur côté anecdotique, littéraire et artistique.


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A V I : i{ i' 1 s s I : M I : > r


passent sous silence dans leurs descriptions, forcément incom- plètes, soit par hypocrisie, soit par esprit mercantile : il ne faut pas nuire à la vente d'ouvrages écrits avec Tencre de la « Petite Vertu ».

Pour ne citer (pi un exemple, voyez le résultat de pareille restriction mentale : combien de curieux des choses de l'art ont visité Saint-Pierre de Rome sans avoir rien compris aux piliers du baldaquin ! Ils en trouveront la clef dans notre excursion à l'étranger .

Nous nous attachons donc à combler ces lacunes regretta- bles et à parfaire Féducalion artistique des trop nombreuses victimes de la censure a fulbertine ».

Nous avons recours à la documentation par l'image, et nous en usons jusqu'à l'abus, persuadé que la vue d'une gravure est une leçon de choses autrement éloquente que le plus brillant morceau de littérature descriptive. Les orthodoxes nous sau- ront gré de n'avoir pas hésité à reproduire les illustrations les plus libres qu'ils rencontrent chaque jour sur les murs des temples du Seigneur, et, pour ce devoir accompli, nous n'atten- dons d'eux ni indulgence ni « indulgences ».

Quelque attentive qu'ait été notre recherche, nous ne sau- rions affirmer qu'elle n'ait rien laissé échapper de ce qui subsiste, surtout à l'étranger, où des chercheurs, amis des beaux-arts, seront plus à même que nous de grossir notre collection. Mais qu'ils se hâtent, carie fléau de la pudibonderie envahit le monde entier et aura tôt accompli son œuvre dévastatrice.

Déjà beaucoup de ces aimables témoins de la franchise et de la jovialité de nos pères, « qui traitaient avec Dieu à la bonne gauloise », selon l'expression familière à saint François de Sales, ont disparu par l'effet du temps, d'accidents div-ers et des passions des hommes. Nous avons à compter avec


AVERTISSEMENT


III


le vandalisme des huguenots, des révolutionnaires et du clergé catholique, lui-même, qui a détruit bon nombre de curiosités archéologiques, de plein gré et, parfois, sur la décision des conciles. La religion, en effet, fut maintes fois iconoclaste, et ce n'est pas sans raison que Goysevox Ta représentée, parmi les figures allégoriques du tombeau de Mazarin foulant aux pieds les attributs des Arts.

Nous l'avons dit et le répétons : nous ne faisons pas seule- ment œuvre d'historien anecdotier ; nous prétendons servir la morale, en signalant ces tares du culte extérieur au souve- rain Pontife et en l'aidant à assainir les maisons de Dieu, dont saint Pierre lui a transmis les clefs. Nous nous approprie- rons les paroles de saint Cyrille, qui dénonçait les mœurs des Manichéens: (( Je vous parle ainsi, je fouille dans les ordures de ces impies, afin de vous apprendre à ne vous en pas souiller ; je dévoile ces blessures hideuses, pour vous en garan- tir vous-mêmes ».

Et à ce propos, nous renouvelons toutes nos excuses aux chastes Ligues contre « la licence des rues » et contre « les nudités dans Part ». Nous les prions de nous pardonner de marcher sur leurs plates-bandes — oh ! combien plates ! — et d'explorer un terrain qu'elles ont fort négligé.

Mais nous ne saurions souffrir que les édifices d'où partent ces bataillons de croisés pour l'épuration des mœ^urs offrent des tableaux qu'ils qualifieraient de scandaleux, s'ils les avaient jamais aperçus eux-mêmes. A moins cependant que de tels tableaux ne les réjouissent, diront les malintentionnés : entre les goûts, la conduite et les principes de ces parangons de la vertu, de ces fervents gy mnophobes, il y a un étrange désaccord.

Devons-nous rappeler la navrante défaillance d'un marguil-

1. Louvre, salle des sculptures modernes, n" 231.


IV


A V K II 1 I S S M E N T


lit'i'. le c'oinic (le \..., (jiii se laissa chouoir en posture inélé- i^aiile dans une vespasienne des Champs-Elysées?

Il nous serait facile de citer d'autres fougueux et intré- j)idcs champions de la vertu et de l'honneur, convaincus des pires turpitudes ; mais nous craindrions de nous enliser dans le marécage de la politique qui salit tout ce qu'elle touche.

Kn ce qui nous concerne, nous ne faisons partie d'aucune Ligue, sainte ou profane. Nous écrivons sur tout sujet en parfaite indépendance, sans autre guide que notre conscience et l'amour de la vérité ; aussi ne pouvons-nous mieux terminer ce court préambule qu'en répétant la déclaration pleine de franchise d'Henry d'Andely : « Véritez est, et je le dis. »

.V. B. — Nous avons mis à contribution la science et l'amabilité de M. G. Enlarti arch(olop:ue émérite et directeur du Musée de sculpture comparée du Trocadéro, (jui a bien voulu nous communiquer un certain nombre de documents inédits; nous lui en exprimons notre vive gratitude, ainsi qu'au statuaire distingué, M. le vicomte du Passage.


L'ART PROFANE A L'ÉGLISE


LIVRE PREMIER


SUR L'ART RELIGIEUX


Caractères généraux de l'iconographie mystique. — Les peintures et les sculptures des églises étaient, dans les siècles de ferveur, les plus puissants auxiliaires de la prédication. C'est par elles que la religion s'adressait aux foules. Le vitrail traduisait en flamboyantes images les enseignements de la foi, que le ciseau, de son côté, éternisait en d'immortelles attitudes. « Les peintures des temples, écrit un vieil auteur, sont le livre des illétrés. Pour autres choses ne sont faites les y mages, fors seulement pour montrer aux simples gens, qui ne sevent pas Tescripture, ce qu'ils doivent croire ». Saint Grégoire disait de même que Ja peinture est, pour les igno- rants, ce qu'est l'écriture pour les savants. Six siècles plus tard, le synode d'Arras (1025) déclarait aussi que ce que les illettrés ne peuvent saisir par Fécriture ou la parole doit être enseigné par la peinture.

Villon prête le même sentiment à sa mère, dans la strophe bien connue :

Femme je suis, pauvrette et ancienne, Qui riens ne scay, oncques lettres ne leuz. Au moustier voy, dont je suis paroissienne, Paradis painct où sont harpes et luz Et un enfer où dampnés sont boulluz, Lung me faict pour, l'autre joye et liesse.

î/art profane. — I. 4


l'art imiokam: a i/i-:(;lise


Utasse Marcadé, ollicier de Gorbie, exprime une idée analogue au sujet des

Exemples, histoires, pointures Faictes ès moustiei's, ès palais

pour ceux

Qui point n'entendent Tescripture.

Quant aux sculptures des ég-lises, David d'Angers n'a-t-il pas déclaré qu'elles étaient « les archives du peuple ignorant » ? On les a appelées « la Bible du pauvre ». Et tout le monde connaît les admirables développements de Victor Hugo sur la cathédrale consi- dérée comme expression et comme symbole de la pensée religieuse ou même laïque. Il est clair que les « ymaigiers » et les <( voirriers » se proposaient, avant tout, d'enseigner. De là cette profusion de scènes historiées, dites « histoires », sur les porches, les chapiteaux, les l^oiseries, les verrières et les murailles des monuments. Les artistes de l'époque romano-byzantine ou monacale, puis ceux de l'époque ogivale, — depuis la période épiscopale jusqu'à la période laïque, — fixaient dans la pierre ou retraçaient sur le verre les vérités immuables du dogme ou les grands événements de l'histoire sacerdotale. <( Et quelles âmes ils avaient, ces artistes ! s'écrie l'auteur de la Ca^/ieV/ra/e; car, nous le savons, ils ne besognaient que lorsqu'ils étaient en état de grâce. Pour élever cette splendide basilique, la pureté fut requise même des manœuvres. » Le fait est attesté, selon cet écrivain, par « des documents authentiques, des pièces certaines ». Il nous paraît néanmoins fort douteux, même pour l'époque où les maîtres ès arts étaient des moines et des ecclé- siastiques de complexion assez peu mystique, il est vrai*. Dès le ix^ siècle, en eilet, les mœurs du clergé et des monastères laissaient passablement à désirer. C'est un historien dévoué au Saint-Siège, le cardinal Baronius, qui Tartirme:

L'h]<,dise romaine, écrit-il, était transformée en une courtisane éhonlée, couverte de soie et de pierreries, qui se prostituait publiquement pour de l'or. Le palais de Latran était devenu une ignoble taverne, où les

1. Au xv« siècle, cependant, en Allemagne, les francs-maçons étaient tenus de communier, sous peine d'exclusion de la corporation. De même au pays où fleurit l'oranger, ainsi que l'hyperbole, la communion fut longtemps obligatoire pour les laïques : ainsi, à la porte de San Giovanni lîattista, à Turin, on voit encore le carcan que l'on passait au cou de ceux qui n'avaient pas fait leurs pâqucs.


SUR L ART RELIGIEUX


ecclésiastiques de toutes les nations allaient disputer aux filles d'amour le prix de la débauche.

Trois siècles plus tard, le mal qui auparavant sévissait surtout à Rome a gagné toute la chrétienté. Honorius, prêtre d'Autun, nous fait une vive peinture de la décadence et de la corruption des mœurs ecclésiastiques, tout au moins du clergé régulier :

Reg^ardez ces moines : la fourbe et l'hypocrisie s'abritent sous leurs capuces ; le froc couvre tous les vices, la gourmandise, la cupidité, Tavarice et la sodomie.

Quant aux recluses des monastères, il les compare à autant « de Phrynés et de Messalines qui ne se prosternent plus devant le Christ, mais devant une idole de Priape ! » On voit que ce sacerdote n'est pas tendre pour ses frères en capuchon, non plus que pour ses sœurs en cornette.

Mais revenons à nos... agneaux sans tache, les francs-maçons d'antan ; aussi bien nous continuerons à vider la poubelle des méfaits relatifs aux mœurs cléricales un peu plus loin. Remarquons d'ailleurs que Loris Huysmans contredit lui-même son affirmation précédente par un détail qu'il nous fournit. Ne nous apprend-il pas que les moines, écrivains ou copistes, remerciaient Dieu, leur besogne achevée, — chose louable, en vérité, — mais qu'ils de- mandaient aussi une récompense pour leur peine. « L'un demandait qu'il lui soit donné du vin et du meilleur, et un autre pulchra puella, une belle fille ». Nous voilà loin, bien loin, il nous semble, de la pureté de mœurs des simples manœuvres.

Dès le xiiie siècle, qui est par excellence le siècle des cathédrales, l'élément ecclésiastique et monacal est absorbé par l'élément laïque dans la construction des édifices religieux. Et ce n'est point non plus parmi ces artistes vaniteux qu il faut chercher des croyants modestes et sincères. Ils sont la proie de toutes les passions humaines, qui parfois les poussent jusqu'au véritable forfait. On peut emprunter à une époque un peu postérieure un exemple frap- pant de cet état d'esprit qui régnait déjà chez ces artisans au xiii*' siècle. Nous savons qu'au xv" siècle, la rose d'une croisée de l'église Saint-Ouen, à Rouen, fut exécutée par l\( apprentif » d'un maître maçon, Alexandre de Berneval, et jugée supérieure au modèle de l'architecte ; celui-ci en conçut une telle jalousie contre


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l/ A R T P R () K ANE A I. ' É (', I. î S R


SOU habile rival, ({u'il n'hésita pas à le luer. Pour ce crime il fut pendu haut et court, niais les relig-ieux de Tabbaye obtinrent qu'on leur rendît son corps et ils l'ensevelirent (( honorablement » dans leur é-lise.

Une rivalité aussi haineuse n'est pas rare non plus chez les peintres. C'est pour se défendre contre elle que Giovanni Porde- none, mortel ennemi du Titien et célèbre par ses « raccourcis ter- ribles », tandis qu'il travaillait aux fresques de Santo Stephano, à Venise, était revêtu d'une cotte de mailles et armé d'une épée et de son poig-nard. Faut-il rappeler la jalousie du Florentin Torrig-iani qui, dans une querelle d'art, brisa le nez de Michel-Ange, et la violence d'Alonzo Gano qui, pas plus que Buonarroti, ne souffrait de discussion sur sa supériorité, blessa en duel le peintre don Sébastian de Llanô y Valdès qui la contestait? De même, les élèves de Raphaël, au dire de Benvenuto Gellini, voulaient tuer Rosso dei Rossi, parce qu'il avait décrié les œuvres de leur maître. Ajoutons le cas d'Antoine de Messine, qui dérobe à Van Eyck le secret de la peinture k l'huile et le confie k Dominique Beccafumi, l'un de ses élèves, qui l'assassine pour en être le seul possesseur. Enfin n'a-t-on pas attribué la mort du Dominiquin k un empoison- nement perpétré k Naples par les élèves du Garavage, — Ribera, Gorenzio, Gorracciolo, — « véritable association de bandits et de coupe-jarrets », faction féroce qui ne reculait devant aucun moyen pour éloigner les rivaux, les grands maîtres romains, comme le Guide ?

Voilà bien râme de l'artiste dans toute sa laideur : geniis^ irri- tahilc vatum! Pour un Fra Angelico, de Fiesole, dont le pinceau se refusait k reproduire l'image d'Iscariote et qui peignait la cruci- fixion k genoux, les larmes aux yeux, — ce qui, soit dit en passant, devait nuire au choix des couleurs, — combien de Gellini* pour- raient répéter ce propos mercantile du maître florentin, truculent et inverti : « Je travaille pour qui me paie ou me fait manger ? »

i. L'une des liguriiics du piédcsLal de Persée, à Florence (%. des Seins à

Vt'HUse), celle de Zens, porte une inscription latine qui rappelle que Benvenuto « s'en remettait volontiers ù son escopettc et à son épée pour avoir raison de ses adversaires ». Il avait, dit A. Dumas, le poignard aussi légei* que le ciseau. On connaît la haine que, par opposition d'art, il vouait à Baccio Bandinelli, dont il était jaloux. Peu d'artistes ont eu la modestie d'André Orcagna qui signait ses tableaux, sculplor, et ses sculptures, piclor.


SUR l'art religieux


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Il y a d^ailleurs g-énéralement peu de rapport entre la vie et les œuvres de ces artistes. Le Pérugin était athée et ne s'en cachait pas, rappelle Fauteur du Lys rouge. Gomme Gaton^ qui avait des mœurs de catin, Joachim Patenier, d'après W. Bûrger, était « or- durier » et mena une vie crapuleuse ; pourtant presque toutes ses compositions sont des tableaux de sainteté. Jean Gossart, qui se spécialisa dans les sujets relig-ieux, parce qu'il était incapable de faire le nu, « était adonné à de honteuses débauches ». Le moine Filippo Lippi n'a-t-il pas aussi fait ses preuves de libertinage*, comme tant d'autres? Santerre, par exemple, dont le pinceau délicat caressa tant de torses de Madeleines^ repenties ou non, était grand amateur du nu en peinture aussi bien qu'en nature. « Il n'avait pas de valets, écrivait Mme la duchesse d'Orléans, plus connue sous le nom moins officiel de Princesse palatine ; mais il se faisait servir par des jeunes filles qui riial^illaient et le déshabillaient. » Pour égayer sa philosophie, dit un critique d'art, il avait formé une académie de jeunes filles auxquelles il enseignait son art, et elles lui servaient de modèles.

Nous trouvons encore une preuve du caractère licencieux des ar- tistes dans certains sol^riquets méprisants qu'ils infligeaient à leurs camarades d'atelier, surtout à Rome, pendant la Festa del Batte- simsL : tels, le peintre Razzi, qui signait Sodona, surnommé le Sodoma^ et le verrier de Connet, appelé ainsi, dit Bernard de Palissy, « parce qu'il avait l'haleine punaise ». A rapprocher, le surnom de Gh... donné à Patenier en raison du monogramme qui lui servait de sig-nature au bas de ses paysages : un petit homme accroupi par nécessité.

Artistes et symbolisme. — Gontrairement à une idée assez ré- pandue, l'esprit religieux est très souvent étranger aux manifesta- tions de l'art chrétien : nous aurons maintes fois l'occasion de le constater. Que d'imaginatifs en état de grâce, atteints de « symbou- lisme » chronique, croient découvrir des symboles dans tous les dévergondages apocalyptiques des artistes : têtes grimaçantes dites « rageurs », animaux hideux, chimères fantastiques, guivres, et jusque dans leurs conceptions humoristiques et obscènes les plus

4. Les Seins h iéçflise, p. 379.


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t/aRT PROK AM-: A l/ l'X. f. 1 S K


caractérisées ! A (juoi hon se torturer rimagination pour expliquer p.'ir (le savantes et obscures interprétations beaucoup de ces bam- boches (l'atelier, de ces jeux d'écolier, chez qui le rapin a des sou- l)resauts et des réveils in;ittendus ?

Certes, le langage sacerdotal du moyen âge, le symbolisme qui disparaît à peu près au xv siècle, a son importance et sa place dans de multiples allégories pieuses ou morales, analogues aux paraboles évangéliques ; mais gardons-nous de généraliser, et ne nous bor- nons pas à déclarer que la clef du symbole nous échappe et nous échappera toujours, pour nous éviter de rechercher une explication plus naturelle de certaines fantaisies artistiques plus ou moins licen- cieuses*. Saint Bernard, qui devait s y connaître en logogriphes de ce genre, ne s'y est certes pas trompé, et dans sa fameuse phi- lippique contre les moines de Gluny, il stigmatise énergiquement (( ces ridicules monstruosités et ces prodiges de difformités ». Avant lui, saint Nil écrivait: <( C'est une puérilité d'amuser ainsi les yeux des fidèles. » Aussi nous étonnons-nous quelque peu qu'un auteur aussi lucide et pénétrant que celui de la Cathédrale, mais imbu d'une religiosité ancestrale d'origine hollandaise, voie dans les tours et les clochers de la cathédrale de Chartres deux bras munis de leurs mains jointes, avec leurs dix doigts^, et reconnaisse dans les gargouilles, simples gouttières décoratives, (( des créatures

1. Parmi ces symbolistes incorrigibles et abstrus, en dehors de nos virtuoses contemporains, l'abbé Auber et Mme Félicie d'Auzac, citons deux modèles du genre : Guillaume Durand, évcque de Mende, au xiir siècle, qui élucubra le Hationiil, et Fortunat Amalaire. Ce dernier s'ingénie à démontrer — ce qui est vrai pour le mezzin, cloche vivante appelant les fidèles à la mosquée — que le corps de la cloche désigne la bouche du prédicateur, et le marteau, sa langue. De plus sensuels y trouvent l'image des deux sources de la vie, le phallus procréateur et le sein vivi- liant ! Pourquoi pas ?

C est avoir de bons yeux que de voir tout cela.

Rien ne déconcerte ces hardis commentateurs, dont les élucubrations confinent parfois à la démence, tel ce Gobineau de Montluisant, gentilhomme chartrain, grand amateur de science hermétique, cité par de Saint-Foix, et pour qui les figures hiéroglyphiques du portail de Notre-Dame « dévoilent tous les secrets de l'Alchy- mie ». Le Père éternel étendant les bras et tenant un ange dans chaque main repré- sente, d'après cet halluciné, le soufre incombustible et le mercure de vie; les Vierfjes siufes ne sont autres que les vrais « Philosophes Ghymistes, amis de la Nature, qui reçoivent du Ciel la matière pi'opre à faire de l or ; les Vierges folles désignent « cette foule innombrable d'opérations fausses des Souffleurs et des Charla- tans », etc.

2. D'aucuns, de mauvais esprits assurément, en font l image d'éteignoirs étouftant la lumière du progrès !


SUR L ART RELIGIEUX


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hybrides matérialisant les vices vomis, reje- tés du sanctuaire, rap- pelant au passant qui les voit exprimer k pleine gueule les lies des g-outtières, qu'hors de TEg-lise ce ne sont que gémonies de l'es- prit et des cloaques d'âmes ».

Ce sont là raffine- ments d'écrivains qui ne correspondent k rien de précis. En vé- rité, dans ces époques où déjà le zèle reli- gieux se refroidissait, les artistes s'ingé- niaient surtout k provoquer la curiosité ou l'étonnement, et ils se souciaient assez peu d'éveiller d'autres sentiments plus pro- fonds dans l'esprit des hommes.

Thèmes de prédilection. — Les sources où puisait l'art chrétien au moyen âge n'étaient ni très abondantes ni très riches. Aussi trou- vons-nous de fréquentes redites dans la décoration de nos cathédra- les^ d'autant plus que le nombre des (( tailleurs d'ymages », « mais- tres huchiers » et « peintres verryers » a toujours été assez restreint.

Les thèmes favoris de ces artisans sont empruntés aux deux Testaments, les mamelles de l'Eglise, et k Ui Vie des Saints. Ils choi- sissaient de préférence les sujets qui se prêtaient le mieux k l'exhi- bition du nu : Adam et Eve avant le péché, la chaste Suzanne et les vieux messieurs « qui ont encore du goût pour la réalité », l'adultère Bethsabée (fig. 1) \ l'impudique Putiphar, les prostituées patriotiques Judith et Dalila^ etc.

1. On rencontre, surtout au vertueux pays des « homosexuels », des Belhsahées habillées, prenant un simple bain de pieds dans une fontaine (fig\ 2). La vue de ces mollets suffit pour allumer les convoitises de l'inflammable David,



V\'^. 1. — Tirée du Livre d' Heures du chancelier Perrcnot, 1531.


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i/art i'ROfam: a l'église



Les portails des ép;-lises des xi*' et xii*' siècles sont décorés de scènes du Jugement dernier où les nudités du monde entier se sont donné rendez-vous, à l'exception toutefois de celles de Tenfance

et de la vieillesse, dont les acadé- mies ne sont pas assez suggestives*. Nous ne voyons plus que corps en- tièrement dévêtus, qui sortent du tombeau ou subissent divers sup- plices : des serpents et des crapauds dévorent les mamelles et les parties génitales des luxurieuses ; des dé- mons nus, poilus, crochus et cornus dévident les boyaux des réprouvés sur un treuil ou les précipitent à coup de fourches, soit dans la gueule du monstre Léviathan, qui vomit des flammes, soit dans des chau- dières incandescentes et bouillantes.

r 1^-. z.

Ile, maledicti, in ignem seternuin ! Un distique expressif de Vincent de Beauvais résume toutes les variétés des peines éternelles :

Nix, nox, vox, lacrymœ, sulphur, sitis, œstus ; Maliens et slridor, spes perdita, vincula^ vermes.

Tels sont les tableaux des châtiments épouvantables des damnés, qui devaient frapper les esprits d\me terreur salutaire et inspirer rhorreur du péché :

Saillez tout nus, vieux, jeunes et charnus,

Bossus, tortus, serpens diaboliques !

Ces diableries jaillies d'une foi qui n'est plus la nôtre, terriûantes autrefois, cocasses aujourd'hui, naïves bagatelles de la porte occi- dentale, qui font la parade devant « l'Opéra du pauvre » et où r « Auguste », le comique de « la Divine Comédie », paraît sous la

\. Habituellement, les élus, les justes, appelés à jouir de la béatitude éternelle, sont habillés, bien (pi'Honorius d'Autun, comme le fait remarquer E. Mâle, ait dit qu'ils « ne seront revêtus que de leur innocence et de la splendeur de leur beauté ». Il est vrai que, dans V Apocalypse, il est écrit : « Celui qui vaincra sera vêtu de vête- ments blancs ».

^. Mérimée compare la richesse sculpturale de l'extérieur d'une église, par rapport à celle de l'intérieur, « à ce que l'ouverture est à un opéra » ; les détails les plus


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forme d'un diablotin facétieux et tricheur, qui donne le coup de pouce à la balance avec laquelle saint Michel, le « psychopompe »,



Fig. 3. — Kalc-Bawani-Parvati, épouse de Siva. Tirée du Panthéon indou.


pèse les âmes, se retrouvent encore à l'intérieur, dans les scènes infernales narrées sur les chapiteaux, les verrières ou les stalles. On sait que le Diable, tiré de la théogonie hindoue (fig. 3), ne fait

riches sont réservés pour le chœur, les sujets ridicules ou obscènes s'étalent sur les stylobates, les archivoltes, les pieds-droits, etc.


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l/ \R T PROF A m : a I/ÉGI.ISE



Fig-, 4. — Jésus cl Jean, j^ar Cesarc da Scsto.


son apparition dans l'art religieux qu'a- près le viir siècle ; mais il triomphe surtout au xiye siè- cle, en compagnie de Renart et de la Mort. Quelle trou- vaille, quelle for- tune pour rÉglise que ce fabuleux ange du mal, cet esprit des ténèbres capable d'inspirer une si vive terreur aux bienheureux (( pauvres d'esprit », aux « poires tapées » par le clergé. C'est, dit un calembour di-


sur Pierre que l'Eglise est construite ; mais Satan en est la clef de voûte et celle du collre-fort des fidèles. Dans tout cela, le Christ et Dieu le Père surtout n'ont plus qu'un rôle secondaire ; retirez Beel- zébuth et l'Eglise s'écroule aussitôt. Mais le clergé peut être tranquille ; la marmite infernale continuera à faire bouillir la sienne à perpétuité.

Le Nouveau Testament fournit moins de prétextes au nu que l'Ancien ; il n'offre guère que le sein de la Vierge, la nudité du Sauveur flagellé



Mni rMirirorf ai«-i«<Mffliiiiifiiiiiiiiiinii (itiiM;aiiwiiiaw^ ig. 5. — La V lergc et Jcsus, j)ar C'.csarc da Scsto.


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sur le chemin de la croix, et surtout celle de l'enfance de Jésus (fîg-. 4), quand « la bouche encore blanche de lait », le santisslmo Bambino tripatouille la poitrine maternelle (fig-. o), évoquant à l'esprit ces vers de l'auteur du Myosotis :

Où vont ces doigts curieux ?

— Puisque j'en tiens un. Madone,

Laissez-moi prendre les deux !

Mais nos artistes ne se bornent pas à cette source. Après les contes de nourrices des Ecritures, les légendes « dorées » des hag-io-



Fiy. 0.— D'après Ilaiis Burgkmaicr (xvi").

graphes, — saint Sébastien, côté des hommes, sainte Madeleine, for ever! côté des dames galantes, — les « maistres habiles » in-


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i/aUT PROFAM-: A l/Éf.LlSE


lerprétaient les lé^^endes, les chansons de gestes, les grandes épo- pées — amours de Pyranie et de Tliisbé ou de Lancelot et de Gene- viève — et aussi les fabliaux, que l'abbé de Clairvaux, peu clair- voyant, appelle des « inep- ties », lui qui, jDourtant, croyait aux récits bibli- ques î

Parmi les scènes sati- riques et immodestes des contes que les trouvères colportaient au nord de la France et les troubadours, au midi, le Lai cVAristote (fîg-. 6, ci-dessus p. 11, et 7)^ dont Henry d'Andely est l'ingénieux auteur, jouit de la plus grande vogue. On représente la chevauchée de la cour- tisane Phyllis, d'autres écrivent l'indienne Gam- paspe, ou encore Gléo- phile, voire Roxane, sur le dos du prince des phi- losophes, Aristote, qui consent à se laisser mettre un bât sur l'échiné et un mors à la bou- che. On nous rappellerait ainsi la toute-puissance de la femme sur l'homme lorsqu'il s'abandonne à ses sens et à sa passion, rendant vaine la prédiction de la Genèse : <( Tu seras sous la domination de l'homme. » La « gente demoiselle » qui dompta le grave et austère Stagirique et, comme Gircé, changea ses amants en pour- ceaux, se promenait dans « le vergier, en pure chemise » ; elle est même souvent reproduite en cet accoutrement tout intime. Alexandre, à la fenêtre de son palais, éclate de rire à la vue de sa favorite sur l'échiné encore souple de son précepteur, qui s'excuse par cet argument ad homincm : « Si un vieillard peut être amené à une telle extravagance, quel délire pareille passion doit-elle



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inspirera un jeune homme? » La morale du Lai est plus naïve:

Ainsi va qui amors maine Pucelle plus blanche que laine. Mestre musars me soutient Ainsi va qui mors maine Et ainsi qui les maintient.

Le conte fait passer le précepte, assure notre bon La Fontaine, qui a fait ses preuves.

Virg-ile aussi, le prince des poètes latins, aux mœurs pures, paraît souvent en posture analogue, — dans un panier, — joué et mystifié par une courtisane. C'est partout et toujours, d'après de Gaumont, la mise en œuvre de la Ballade sur la qualité des femmes du Plai- sant — Boutehors d'oisiveté :

Si femme veut, un homme studieux Du tout fera et rendra imbecille, Veu qu'elle a peu faire croire à ses dieux Samson, David, Salomon et Virgile.

Un manuscrit du xui'^ siècle, de la bibliothèque de Berne, fait allusion à ces moralités qui mettent en garde contre les séductions féminines :

Par femme fut adam déçu

Et viRGiLK moquez en feu (fut) ;

DAVID en fit faux jugement

Et SALOMON faulx testament;

YPocRAs en fut enerbez,

SAMSON, le fort, deshonoré.

Femme chevaucha aristote

11 n'est rien que femme n'assote.

Autrement dit^ méditons et suivons le conseil d'un Père de rÉglise : « Il faut se méfier du devant d'une vache, du derrière d'un cheval et de tous les côtés d'une femme. »

Le même enseignement emblématique est donné à la cathédrale de Chartres par la figuration de la Luxure^ sous les traits d'une cour- tisane qui, comme Frosine, « connaît l'art de traire les hommes ». Elle tient le sceptre de sa toute-puissance charnelle d'une main, et, de l'autre, le miroir de la coquetterie, tandis qu'un coquebin qui aspire à être « déniaisé » la couvre de caresses.


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l/AKT PROFANE A i/ÉG1.1SI:


Une autre le^oii de morale était donnée par la parabole des Dix Vierges, communément représentée sur les ventaux des porches pour exalter la sag-esse des femmes. Les lig-ures des cinq Vierges folles allégorisent les diverses espèces de concupiscence des cinq sens. A Chartres, cet enseignement s'imposait sans doute particu- lièrement au sexe féminin, car on retrouve jusqu'à trois fois la représentation de cette parabole à la cathédrale. La sensuelle Renaissance, en dépit du texte biblique habillera — c'est une façon de parler — ses Vierges folles en bacchantes, « aiïichant les postures les moins équivoques jusque sur les sièges réservés aux pontifes» ; tandis que, dans l'art roman et le gothique, elles sont tou- jours drapées ; tout au plus, à Chartres, par exemple, leur robe accuse-t-elle les formes, en signe de leur mondanité. Quant aux Vierges sages, elles sont vêtues comme des religieuses.

Mais ce sont là des figures <( de fortune » ou allégoriques, dont le sens est facile à saisir. Il n'en est pas de même pour la plupart des représentations plastiques dans nos églises, et dont le caractère énigmatique laisse le champ libre aux explications les plus saugre- nues. On se plaît à reconnaître à des sculpteurs plutôt naïfs une admirable subtilité. Mais c'est de leur propre subtilité que nos écrivains modernes gratifient les vieux praticiens ; et si ces images en sculpture sont souvent d'un sens mystérieux, n'est-ce point qu'elles ne contenaient pas de sens précis et n'étaient, en somme, que de purs motifs de décoration ? Comme Ta fort bien dit Hugo, à part les sujets imposés de la théologie chrétienne dont nous avons parlé, ce qui a guidé les artistes du livre architectural, c'est « la fantaisie et le caprice ». Et ils ne se gênaient pas pour faire des « niches » aux clercs exégètes préposés à leur surveillance.

Sans doute, et nous ne songeons nullement à le nier, la s} mbo- lique se manifeste dans certains traits de l'art chrétien : c'est ainsi que le Sauveur nous apparaît sous la forme d'un agneau, en sou- venir du jour oii le précurseur le baptisa et le désigna à la foule : « Ecce agniis Dei ! » (Voici l'agneau de Dieuî) Nous trouvons aussi sur nos cathédrales l'image symbolique de divers Vices opposés aux Vertus correspondantes : la Colère est personnifiée par un lion à l'épaisse crinière ; le Libertinage^ par un bouc à longue


1. MaLLliicu, ch. xxv.


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barbe ; la Luxure^ par une femme qui tire la langue ou montre ses seins, etc. ; mais, à coté de ces figurations nettes, classiques, pour ainsi dire, combien de dévergondages, d'obscurités, véritables hié- roglyphes qui attendent et attendront longtemps leur Ghampollion ! Or, ce qu'on peut expliquer de plusieurs manières, pense Voltaire, ne mérite d'être expliqué d'aucune. Si vous passez près de l'église Notre-Dame de l'Epine, dans la Marne, vous verrez à Fextérieur, au niveau de l'abside, le lieu d'élection où se cachent les honteux obscena — derrière contre derrière — une bonne femme, à demi accroupie*, qui relève sa jupe pour satisfaire un petit besoin. Devons-nous chercher là une intention symbolique, et devons-nous en chercher aussi chez Marcus Guerards, de l^ruges, au xvi*- siècle, qui se plaisait à placer en évidence dans tous ses paysages une petite femme « occupée à pisser » ? De même Breughel, disposait souvent des personnages « accroupis » dans ses compositions burlesques. Ce sont là des bizarreries inexplicables et que nous rencontrerons en grand nombre, chemin faisant.

Dès la période romano-byzantine, les créations du paganisme s'infiltrent, par la loi de transition, dans l'art chrétien ; leurs nudités mêmes y voisinent avec les sujets religieux; d'où la profusion de chimères, marmousets, coquecigrues grimaçants, sphinx, grif- fons, néréides ou femmes poissons, sirènes ou femmes oiseaux, atlantes ou télamons, harpies, mélusines moitié femmes et ser- pents, et d'autres animaux fantastiques empruntés aux Bestiaires du temps, dont les pieux enlumineurs peupleront leurs vignettes décoratives. La néréide au buste féminin terminé par une queue unique ou double,

Desinil in piscem millier formosa superiie,

et dont on ne peut dire qu'elle n'est ni chair ni poisson, est toujours confondue avec la sirène. Elle figure souvent sur les murs des édi- fices religieux, surtout dans les baptistères et les églises des pays maritimes. Entre temps, la néréide personnifie la Volupté quand elle tient un miroir, et la Relie/ion si elle a un poisson^ à la main,

1. D"" IIabhan, Chron. média.

2. Quand clic tient un couteau, d'un côté, et un poisson, d'un autre, qu'elle va découper par tranches, elle inditjue que « la cruauté accompagne la débauche » ; assise sur le dos d'un centaure, elle personnifie le comble du libertinage.


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i/aut p 110 fa m-: a l'église


remblème familier aux premiers chrétiens pour indiquer Jésus ; nous savons qu'ils avaient trouvé dans les cinq lettres du mot grec poisson, ixeri, les initiales des cinq mots suivants :

Jésus Chrisliis Dei Filins Salvalor

La Renaissance reprendra les mythes de la Grèce et les mariera avec les licences bibliques, en accentuant les dangereuses séductions du nu, le plus actif des aphrodisiaques ; « elle symbolisera même la Vertu par des formes sensuelles », écrit Tabbé Grosnier.

Quand la surface à illustrer était trop étendue, après avoir épuisé la série des événements ordinaires, les tailleurs « d'hystoires », sous peine de se répéter, comme à Ghartres, égayaient leur œuvre, à l'exemple des sermonnaires, par des épisodes plaisants.

Ainsi s'entremêlent à Rouen, au portail des Libraires, les sujets chrétiens et les Métamorphoses d'Ovide ; arlequinade bigarrée, macédoine disparate du sacré et du profane, auxquelles s'applique ce qu'Isidore de Séville disait de sa bibliothèque : Sunt hic plura sacra y sunt et mundalia plura.

L'esprit satirique si goûté de nos pères, surtout quand il était relevé de bon sel gaulois, se donnait libre carrière dans les sculptures des édifices religieux. Ges soties de la pierre et du bois prenaient comme objectif les scènes familières ; elles représentaient les corps de métier et les diverses professions : sur les culots des miséricordes d'Amiens, par exemple, se coudoient la Femme galante ou la Mondaine, tenant en main « une demoiselle », c'est-à-dire un miroir, la Sage-femme, avertissement des dangers de l'inconduite et le ménage se disputant la culotte, mise en action du fabliau de Sir Hains et dame Anieuse ou du strugcjle for life de la vie conjugale.

Le clergé lui-même, régulier autant que séculier, n'était pas épargné dans ces parodies ; des renards travestis en moines prê- chent des poules sans défiance ; des évêques, des abbés coiffés de leur mitre — et qu'on ne vienne pas dire qu'il s'agit du bonnet des prêtres juifs, la présence assez fréquente de la crosse épiscopale ou abbatiale le démentirait — marchent entête de la théorie des damnés, liés par une corde ou enchaînés et entraînés par des démons gogue- nards. Les épiscopes rossés et « passés à tabac » par les flics infernaux avec une furia sans égale sur les tympans des portails


SUR L ART RELIGIEUX


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sacrés étaient crossés d'importance par la muse populaire ; témoin ce quatrain entre mille :

Au temps passé du siècle d'or, Crosses de bois, évêques d'or ; Maintenant, changeant les lois^ Grosses d'or, évêques de bois.

Rarement, le saint pontife figure dans le cortèg-e des condamnés, et pourtant les tarés ne manquent pas chez les tiarés d'antan ; mais le peuple, encore moins respectueux que les artistes, n'éparg-nait pas le grand chef de la Chrétienté : « On chantait, en France, dit Viollet-le-Duc, avant et depuis Philippe le Bel : Je me f... du pape; c'est le refrain d'un ancien fabliau. » D'autre part, les libres prêcheurs, imagiers du verbe, n'étaient pas moins hardis que les imagiers de la pierre pour flétrir du haut de la chaire les mœurs détestables des ecclésiastiques de tout rang, depuis le simple diacre jusqu'au vaniteux prélat. Lisez plutôt ce passage d'une des boutades de Pasquin et Marforio :

Je souhaite un peu d'instruction aux cardinaux et la haine des goûts infâmes ! Je voudrais que les évêques apprissent à lire et à préférer leurs devoirs aux plaisirs et à la domination temporelle. Quant aux prêtres, je leur donnerais des femmes pour les forcer à quitter leurs concubines, et je donnerais des concubines aux moines, afin de les empêcher d'être les maris de toutes les femmes et les femmes de tous les maris.

Il est vrai que nous sommes en Italie, la patrie des Ganymèdes. Mais des vices et des défauts identiques se retrouvent dans les autres pays. Il est non moins curieux de voir le même écrivain public, Pasquin, sous Paul III, « de lubrique mémoire », jouer dans une intention satirique avec les noms des ordres religieux : il appelle les Carmes, les Charnels ; les Dominicains, les Démonicaiiis ; les Franciscains, les Fraudiscains ; et les autres ordres à l'avenant, les Servîtes, les BénébibiteSy les Caprutiens, etc. Mgr Fagnani, l'un des familiers de Donna Olimpia, — l'intrigante belle-sœur d'Innocent X, — n'y voyant plus d'un œil et à peine de l'autre, disait que « Dieu lui avait fait une grande grâce en lui ôtant la vue, parce qu'ainsi il ne pouvait voir les fourberies des frati ».

Bien avant, sous Henri III, où l'on portait les manteaux courts,


Ii*ART PROFANE. — I.


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L ' A R T I» Il F A N E A L Ua , \A S E



doncques qu'il y a de cardinaux en cour, autant d'estalons pour les dames. »


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Dans la chronique scandaleuse du xviii^ siècle, oii la « fureur d'érotisme », selon l'énerg-ique expression de Brunetière, des romanciers et des artistes ne connaissait pas de bornes, nous trou- vons une aventure analog-ue à celle qui est satirisée sur un vitrail ancien (fig. 8), attribuée au cardinal Dubois *. L'escalade amoureuse aurait eu lieu au domicile de 1' « abbé », au parc de Saint-James.

Autres temps, mêmes mœurs, avec cette différence, toutefois, qu'au xx^ siècle on s'attache surtout à sauver les apparences. N'avons-nous pas eu récemment (1907) un représentant du Saint- Sièg-e, Monsignorc M..., qui a flirtait, papillonnait et g-audriolait » ; avons-nous oublié la fugue tragico-comique de l'abbé peu ga- lant D..., qui mit k mal une institutrice laïque, puis l'abandonna au milieu « de la rue », ainsi que le produit de leur conjonction charnelle ? Est-il nécessaire de rappeler les exploits de ce curé qui transforma son presbytère en maison d'accouchement ? Et combien d'autres, qui ont eu l'habileté d'éviter les poursuites judiciaires et le scandale public ! Car tout est là, comme le donne à entendre l'aveu cynique d'un de ces don Juan en rabat devant le tribunal : « Personne ne me pardonnera, non pas d'avoir fauté, mais de m^être laissé prendre. »

Sans tenir compte de ces exceptions, les mères chrétiennes con- tinueront à suivre le conseil de Mgr Dupanloup : « Elevez vos filles sur les g-enoux de l'Eglise ! » Ceci dit pour l'édification des mœurs cléricales k toutes les époques, fermons la parenthèse.

Entre temps, l'irrévérence des artistes s'attaquait aux saints eux- mêmes, alignés et figés au fond de leurs niches dans une immobi- lité hiératique, la figure empreinte de la sérénité impassible des justes.

Ces facéties figuratives dans la décoration des églises répon- daient exactement à la partie comique de nos Mystères. Elles étaient un repos pour l'esprit. Le grotesque, qui apparaît surtout aux époques de décadence et dont le moyen âge fit un véritable abus en peuplant les édifices refigieux d'être fantastiques et de monstres hybrides, tenait, nous venons de le dire, l'emploi de ces clow^ns burlesques qui servent k égayer les intermèdes des jeux du cirque. Dans sa recherche de la note drolatique, le ciseau en


1. Vie privée du cardinal Dubois.


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i/art profane a l'église


folle or^ie parcourait allègrement toutes les gammes de la licence, depuis la joyeuseté la plus anodine jusqu'à l'obscénité la plus crue.

Tandis que, dans les lettres et les arts, le trivial coudoie l'idéal, les gens d'église eux-mêmes, quelque peu maltraités par les trou-



Fij;-. 9.


vères, recherchent cependant leurs contes de haulte gresse. L'auteur de VOblat nous donne la clef de ce contraste. Après avoir raconté la Passion de saint Gandolphe^ une des pièces du théâtre de la moniale Hrotsvitha, qui vivait au siècle, et l'incident des « fuites sonores » — et cela sans arrêt — dont fut incommodée, tant qu'elle vécut, la femme dissolue — transformée en déesse Crépita — de ce prince sanctifié, Huysmans ajoute :

Remarquez d'ailleurs que les plaisanteries scatologiques sont encore chères aux gens d'église *, et c'est assez naturel ; les autres, celles sur

1. Ces plaisanteries de ^oût douteux, se rencontrent eflectivement dans les scènes des diableries. En France, nous verrons un démon jouer le rôle de « petit vent du Nord » et rafraîchir le visaj^c de sa victime, en l'éventant avec une fuite de gaz mal odorant : au Cnmpo Snnlo, de Pise, le supplice d'un damné consiste à être cmbrené par un diable. Rappelons en quelle circonstance une peine stercoraire analogue fut infligée à des humains. L'épouse de Frédéric lîarberousse visitait en curieuse Milan ; les habitants, par haine de ce monarque, lirent subir à l impcratrice un sanglant allront. « Hz la mirent sur une mulle, luy faisant tourner la teste vers la ([ueuc. huiuclle ilz lui baillèrent en la main, au lieu de la bride. Et ainsi par moc- querie l'envoyèrent par vne aultre porte. Gjcsar ayant juste indignation de ceste injure, les assiégea et pressa fort de se rendre, comme ja il avoit souvent fait autre- fois, pource qu ilz ne pouvoicnt endurer ne paix ne guerre. Après qu'ilz furent


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les femmes, qui délectent les laïques, aux fins de repas, entre hommes, leur sont interdites ; ils se rattrapent donc sur celles-là qui ne sont ni plus malpropres, ni plus sottes, d'ailleurs ; et elles ont au moins cet avantage d'être innocentes.

D'où l'explication de la profusion de marmousets accroupis, des deux sexes, dans tous les coins de nos vieilles cathédrales ; ce sont autant de petits saints Gandolphes.

Le grotesque de la sculpture médiévale atteignait parfois au cynisme des farcissures à l'usage des mystères liturgiques. Est-il, par exemple, un langage plus grossier que celui de ce personnage d'une Passion qui s'écrie devant Jésus crucifié :

Poy, palhart, poy ! Crachez-lui trestous au visage, Se vous pouvez, ou à la nage (fesses), Et lui faictes montrer le c...

OMNES TIRANI.

Bé, bé, bé, bé.

MALQUE.

J'ai appétit D'arregarder s'il porte brayes. Et n'as ja besoing que tu n'ayes ; Je crois que ta chair est retraite.

GIRG.

Il fait beau voir besoigne fête. Gualans, monstrons lui tous le c...

MALBEC.

Arregarde : il est velu ; Jésus, arregarde la lune.

rcnduz, ilz les receut à ceste condition, que ceux qui vouldroient vivre, tircroyent avec les dentz une figue du dcrrier de la mullc (fig. D), autrement qu'ilz seroyent incontinent mis à mort. Plusieurs aymercnt mieux mourir que de solTrir ceste igno- minie : les autres désirans de vivre feirent ce qu'on leur commandoit. Delà est venue une mocquerie injurieuse qui est entre les Italiens de monstrer un doigt entre deux autres, et dire : Voilà la fi(fue ».

Galiotto, plus humain, après la victoire de Gascina, pour humilier les prisonniers pisans, se contenta de les forcer à baiser le derrière de la fameuse statue de Marsocco, l'un des ornements de la place du Grand-Duc, à Florence.

Montfaucon, dans son Antiquilé expliquée, relate une « peine établie pour les adultères, en certains pays », qui s'appliquait à la même région anatomique : « G'étoit de leur arracher tout le poil de l'anus ; cela s'appeloit TcapàtiXiAo;, mot grec qui exprime cette opération »,


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l'art profane a l'église


MALKGORGP;.

Arregarde si le mien fume ; N'est-ce pas la gorj^e d'un four?

PRIMELLE.

Par mon âme, tu es bien lour ;

Que ne descends-tu pour nous battre.

Dans un autre Mystère, un ange lance au Très-Haut cette verte apostrophe :

Père Eternel, vous avez tort,

Et devriez avoir vergogne ;

Votre fils bien-aimé est mort,

Et vous dormez comme un ivrogne !

Et gardons-nous bien d'oublier que ces farces avaient pour public et pour interprètes des ecclésiastiques aussi bien que des laïques. Ce n'est certes pas le côté le moins piquant de ces représentations dramatiques.

Tolérance du nu à l'église. — Le nu, à la condition qu'il ne soit pas cynique, est le nerf de l'art, a fort bien dit Grimoûard de Saint Laurent, et Tommaseo, Tennemi des nudités immodestes, reconnaît, avec non moins de justesse, qu'une femme nue peut être plus pudique qu'une religieuse couverte de sa guimpe. On ne saurait donc exclure le nu des temples qui donnent asile aux manifestations de Fart.

D'ailleurs, les artistes consciencieux ne commencent-ils pas les esquisses de leurs œuvres profanes ou sacrées en représentant leurs personnages sans vêtements, comme le prouvent de nombreux croquis de maîtres (lig. JO, U). Aussi peut-on dire que tous les tableaux religieux de valeur ont été primitivement des nudités plas- tiques absolues.

Bien que le pape S. Damase ait dit que la nudité ne convenait qu'aux idoles, elle s'étale souvent dans les églises où, emblémati- quement, elle signifie « damnation et misère ».

Le moyen âge considérait la forme humaine comme obscène et pensait avec Brunetière que « la nature est immorale, foncière- ment immorale » ; aussi, sauf exceptions assez nombreuses, les imagiers évitaient-ils de représenter de vraies nudités, et même


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d'accuser les formes féminines sous le voile des vêtements. Ils les esquissaient discrètement^ et Huysmans a pu faire observer avec raison que « le corsage enfantin des Vierg-es renfle à peine ».

Mais l'Eglise n'a jamais prononcé de proscription absolue contre



Fig-. 10, 11. — Détail principal de la Transfiffiirnlion, d'après un dessin de Raphaël.


l'état de nature ; le pourrait-elle d'ailleurs ? Gomment représenter autrement Adam et Ève avant la pomme? Est-il possible d'éviter les académies dans la figuration de certains martyres? Celui de saint Sébastien ffig. 12), par exemple, ou encore de saint Laurent, de sainte Agathe, de sainte Agnès, de sainte Christine (fig. 13), etc. Et les ressuscités, les damnés du Jugement universel, où prendront- ils de quoi se vêtir ? On nous répondra que les élus, au sortir de leurs sépulcres, ont bien trouvé un « complet », fourni sans doute par la Belle Jardinière , assise à la droite du Juge suprême ; mais ce sont des privilégiés.


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L ART PROFANE A L EGLISE


L'ànie elle-même, en iconographie sacrée, ne prend-elle pas toujours la figure d'un enfant nu, in sexué, qui sort de la bouche ou



ivoire, attribuée à Fig- 13. — Le martyr de sainte Christine K

Jean Cousin.


de l'anus d'un défunt et qui est recueillie par un ange ou un dé- mon, selon l'état de grâce ou de péché du moribond ?

Et les tableaux de la Vierge nourrice ne sont-ils pas autant d'images de seins tétés ? Quant à son divin nourrisson, s'est-il jamais gêné pour pétrir la mamelle maternelle et se montrer dans une nudité absolue, couvert seulement de son prépuce^, bien que

1. (Communiqué par le D' Cabanes.

2. Le D"" Aimé (iuinard, qui a étudié le « Prépuce dans l'art » {Chron. med.), ne connaît que sept exceptions, dont la Viercfe el V Enfant adoré par les saints (Louvre n" il'y.lli), du peintre de Cadorc ; une Sainte Famille (n° l.îiTlJ), du même et la Belle Jardinière (Louvre, n" 1.490), du peintre d'Urbin, où Jésus est nettement circoncis.


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la circoncision Tait privé de « l'anneau d'alliance » d'Abraham ? Que les doux antisémites, ces « apaches pieux », selon le cruel sobriquet que leur infligea l'abbé Gardet, curé de Sainte-Glotilde, se souviennent de ce baptême au sécateur pour tempérer leur zèle et qu'ils se g-ardent bien d'écouter des fanatiques comme le P. Doré, qui, à propos de la croisade grotesque des inventaires, s'écriait : « Le temps n'est plus k la tisane, il est au sang ! » L'Ecriture ne dit-elle pas : Non occides ?

Mais revenons à ce que Ricord appelait avec esprit et irré- vérence « la couronne d'épines », de Jésus. Geiler de Kaisersberg, qui vivait du temps d'Eberhard de Bavière, explique à sa façon, dans un de ses sermons k la cathédrale de Strasbourg, la cause de la persistance du prépuce divin dans les œuvres d'art :

Ce qui est indécent dans l'homme, la nature Ta placé dans les endroits secrets de son corps; aujourd'hui, quand les tailleurs d'images représen- tent Jésus, on pense à la porliuncula ; il faut qu'il ait la portiuncula, comme disent les béguines. Essayez d'offrir à un couvent de femmes un enfant Jésus qui en soit privé, il sera refusé net.

Le concile de Trente, effrayé par les clameurs de la Réforme, donna des ordres sévères pour proscrire des églises et chapelles les sujets deshonnêtes; mais ce moment d'émoi passé, les freins se sont détendus et on revint de plus belle aux anciens errements.

Gependant k chaque crise de pudicité des conciles effarés ou de certains pontifes microcéphales, comme Pie V *, que d'œuvres artis- tiques k sujets égrillards ont été perdues ! Sans compter l'hécatombe due aux iconoclastes byzantins, dont l'exemple fut trop souvent suivi par la suite. Ges fréquents ressauts de vandalisme rappelaient le fanatisme aveugle des premiers chrétiens, brisant tous les objets du culte païen.

L'Eglise, dit Jean de Bonnefon, a donné l'exemple des peintures et des sculptures les plus échevelées dans la nudité. 11 est facile de prouver, contre tous les conciles du monde, que la vraie piété, celle de nos pères,

Les artistes ont laissé le prépuce par décence et tradition, mais non parce qu'ils copiaient leurs modèles qui étaient de jeunes chrétiens. On sait que l'abbaye de Charroux prétendait posséder dans ses précieuses reliques, le saint prépuce « authen- tique » de Notre-Sei^neur.

1. Ce pape lit draper les anges du Vatican qui soutiennent les portraits des papes.


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l'art I» ho fa m-: a l'ét. lise


ne s'elFraya jamais des choses naturelles vues au naturel, et qu'il faut être tombé dans l'imbécillité sénile pour voir Tobscénité derrière la beauté*.

Nous pensons, avec E. Bayard, en présence de ces œuvres exé- cutées avec tant de liberté sous les yeux amusés des moines et des prêtres, que les religieux d'antan avaient la conscience plus éclectique et une idée plus large de leur sacerdoce.

Mais voyez la peine que les artistes sont obligés de prendre, dans les tableaux religieux de commande, pour masquer les organes générateurs, au lieu de les abriter sous leur voile pileux naturel : d'abord, ils les épilent, même avant le péché, alors que nos pre- miers parents ignoraient « la pudorité » ; puis ils les affublent d'in- solites feuilles de vigne se mariant à l'ormeau, de figuier ou de banane ^ ; passe encore pour le feuillage du chêne qui abrite les glands. Souvent même, comme les chastes Teutons, ils les empri- sonnent dans de laids suspensoirs qui éveillent de coupables curio- sités. Tous ces masques de convention avaient l'avantage de tirer d'embarras les artistes soucieux de traduire avec exactitude le passage de la Genèse où il est écrit qu'Adam fut créé « mâle et femelle » ; car s'il est parfaitement avéré que l'hermaphrodisme est commun aux deux sexes jusqu'à l'âge de trois mois dans la vie intra-utérine, comment représenter le premier homme avec les organes masculins et féminins?

Mais puisque les tableaux religieux appartiennent au domaine de la fiction, ne serait-il pas plus logique, sinon plus décent, de sup- primer les organes de ces personnages irréels, au lieu de les parer

1. « Il faut se convaincre, dit l'auteur de la Cathédrale, qu'il existe un nu lubrique et un nu chaste, et que, par conséquent, tous les tableaux où s'aflirment des nudités, ne sont pas à honnir. Il est nécessaire d'exhiber les vices et de les décrire pour en susciter le déj;oût et en suggérer l'horreur... C'est la méthode de la théologie sculp- turale, et c'est là la raison d'être de ces statues, de ces groupes qui alarment encore la scandaleuse pudeur de nos momiers. Elles abondent, ces images choisies des stupres, à Saint-Benoît-sur-Loire, à la cathédrahî de Reims, au Mans, dans la crypte de Bourges, partout où se dressent des églises ; et celles où nous n'en voyons pas sont celles qui n'en ont plus, car le bégueulisme qui sévit plus spécialement dans les époques impures les a brisées à coups de pierres, détruites au nom d'une morale opposée à celle qu'enseignaient les saints, au moyen âge ! »

2. A Madère, on croit que « le fruit défendu » était la banane. Est-ce en raison de la forme du fruit, l'image de la virilité, ou de la largeur des feuilles, plus aptes à servir de premiers vêtements ? Est-ce encore parce que, à la coupe, paraît-il, on découvre dans ce fruit la figure du Christ en croix ? Mais il faut, sans doute, avoir les yeux de la foi.


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de feuilles, comme font les cuisinières pour les cailles bardées de lard ?

Et pourtant, pourquoi roug-ir d'organes naturels connus de tous, et à quoi bon les cacher hypocritement ? « Rien n'est plus chaste que le nu » ; l'obscénité réside dans l'intention du regard. Le Coran a raison : « Etre nu n'est pas inconvenant, c'est celui qui regarde des nudités qui commet le péché. »

Les auteurs inspirés de la Bible, les Pères de l'Eglise, les premiers champions de la théologie, les primitifs de l'art chrétien, comme plus tard les prédicateurs osés du xvi^ siècle, ne se gênaient pas pour exprimer librement leurs pensées ; ils n'y mettaient aucune des formes exigées de nos jours par les raffinements de la civilisation et surtout par l'invasion de la pudibonderie outrée d'outre-Manche ; car, s'il existe une supériorité des Anglo-Saxons sur les Gallo-Ro- mains, c'est assurément dans leur hypocrisie religieuse qu'elle réside. Aussi les premières manifestations de l'énergie chrétienne passent- elles, à nos yeux pervertis et brouillés par la chassie de la pudeur, pour des grands écarts de langage, des gaillardises malvenues.

L'abbé Auber, dans son étude sur le Symbolisme, rappelle l'histoire des anus d'or citée au premier livre des Rois: les Philistins, atteints d'une affection intestinale, imprécise, mais pénible et tenace, obtinrent leur guérison en offrant en sacrifice la partie où ils souffraient.

L'ex-corroyeur saint Paul, dans son Epître aux Corinthiens, a plus d'une fois recours au style énergique pour expliquer le mystère de l'incarnation du Verbe; saint Augustin, au Sermon II, de virgi- nitate Mariœ, écrit crûment : « Intumescunt ubera Virginis et intacta manent genilalia matris. » Un passage scriptural du Père Jean Ghrysostome n'est pas moins explicite ; voici en quels termes, aussi expressifs que laconiques, il s'étonne de la naissance humaine du Fils de Dieu : « Patri œqualem per Virginem venisse vulvam^. »

Même réalisme en art : les premiers artistes chrétiens, toujours d'après l'abbé Auber, ne s'embarrassaient pas de voiles ; les murs des catacombes reproduisent les Prophètes dans une complète nudité. Que de sarcophages de chrétiens, ornés de bacchanales païennes et de sujets profanes ou religieux, agrémentés de personnages nus (fig. 14).


1. Ilomil. II, in cap. I, Matth., n« 2.


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l'art profane a i/égi.ise


La statuaire de la période gothique n'admettait le nu que pour les ressuscites, les réprouvés et les démons. Mais, limitée par la qualité, elle s'est rattrapée sur la quantité, et elle a couvert les portails des cathédrales de ces académies audacieuses.

L'art roman n'est pas exempt des mêmes excès, loin de là ; et sa grossièreté maladroite frise souvent l'obscénité. Ce défaut tient à



Fig. 14. — Jésus descendu aux enfers et ressuscité, sous la figure de Jonas englouti par le monstre marin et rejeté sur le rivage. (Bas-relief de sarcophage)


une certaine gaucherie dans le maniement du ciseau ou du pinceau et à une certaine naïveté. C'est ce que Mérimée appelle complai- samment « la bonhomie innocente » des sculpteurs des xii® et xiii^ siècles, « qui n'entendaient pas malice^ quand ils représentaient un péché tout crûment, comme il se fait » ; apparemment, ils igno- raient la fo-orme de Brid'oison.

Au xvi*' siècle, l'art se matérialise et s'humanise sous le souffle de la Renaissance ; les sujets chrétiens eux-mêmes sont tout pénétrés de ce néo-paganisme. Les témoignages de ce christianisme plus qu'aimable sont encore assez nombreux, surtout dans les églises de la sensuelle Italie, qui « accommodait, dit Taine, la religion aux douceurs voluptueuses de ses mœurs et de ses sonnets » . Les artistes ne tenaient aucun compte du milieu où leurs œuvres devaient être exposées et s'abandonnaient à tous les caprices de leur inspiration, Michel-Ange, Paul Véronèse, Zuccato n'hésitaient pas à placer aux côtés du Rédempteur des figures académiques, sans nul rapport avec le thème traité ; les Guerchin, les Guide, les Titien et tant d'autres

1. Pour les premiers chrétiens, l'histoire de Jonas exprimait l'emblème delà résur- rection, c'est pourquoi ils la faisaient graver sur leurs tombeaux.


SUR l'art religieux


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ne craignaient pas de parer leurs saintes des attributs de la beauté, avec ses g-racieuses, mais impures rondeurs. Ce n'étaient plus ces raides et piteuses figures byzantines qu'on voit encore dans les peintures de San Clémente, les plus vieilles de Rome, et où la poi- trine d'une vierge « tombe comme celle d'une bête à lait ».

Le nu atteignit alors son apogée ; la plus belle couleur est celle de la chair, comme la forme la plus pure est celle de la nature sans voiles. En ramenant le goût à l'imitation de l'antiquité, la Renais- sance a donné une nouvelle vie aux fictions les moins chastes de la mythologie qui s'épanouirent en pleine lumière. Aussi trouvons- nous dans les œuvres les plus religieuses des maîtres de ce temps un mélange de piété chrétienne et d'impudeur naïve qui semble provenir d'une inspiration toute païenne.

Si Fra Angelico peignait ses tableaux d'autel à genoux, aux pieds du Seigneur, le moine Lippi les peint, nous le savons, aux genoux d'une novice vicieuse qui lui servait de modèle pour ses Vierges. C'est lui qui le premier — ô profanation ! — ose donner à la Mère de Jésus les traits de sa maîtresse. Paul Véronèse, dans ses Noces de Cana, au lieu de s'inspirer du récit de l'Evangile, fera figurer à la table du Seigneur le maître des poètes licencieux qui visait pour- tant au chapeau de cardinal, l'Arétin, ses amis, peintres comme lui, travestis en musiciens*, et les courtisanes les plus renommées. Andréa del Sarto, a pour peindre la Vierge immaculée, dit l'abbé Gareiso, la représentait sous la figure de sa femme, et de sa femme enceinte ! « Quel art avili, corrompu et corrupteur que cet art de la Renaissance ! » s'écrie notre aristarque ensoutanné. Mais alors que dira ce moraliste tonsuré, du xviii^' siècle, le siècle des abbés de ruelle et des estampes spintriennes ? Son sosie, le demi converti Huysmans, va répondre à sa place avec sa franchise brutale : « Le xviii*^ siècle, dira-t-il^ fut une époque de bedon et de bidet, et, dès qu'il voulut toucher au culte, il lit d'un bénitier une cuvette. » Watteau lui-même, le peintre des pastorales galantes, sacrifie dis- crètement au goût du jour : regardez de près V Embarquement pour Cythère^ et vous verrez, dissimulée dans le feuillage de droite, l'image d'un Priape monstrueux.

1. Titien joue du violoncelle, Tintoret du violon, le Bassan de la flûte et Paul Véronèse de la viole.


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r/ART PROFANE A i/kOLISE


Mais, j^râce à l'ardeur de la « Ligue contre le nu dans Fart », déjà nommée, toutes les turpitudes artistiques disparaîtront bientôt des églises et même des musées : plus d'Eves épilées, de Dalilas en buste bimamelonné, de Madeleines revêtues uniquement de leurs blonds cheveux ; (( la religion et les convenances s'y opposent éga- lement », disait déjà Stendhal pressentant ce syndicat de marchands de confection. Dorénavant, les nudités chrétiennes porteront le froc et la cagoule. Une ère nouvelle va s'ouvrir pour l'art religieux, et nous en avons déjà un avant-goût dans la froide nudité des murs du Sacré-C(eur, « dont les murailles, écrit l'enfant de chœur terrible Iluymans, sont des moellons de vanité scellés par un ciment d'or- gueil, des murs où l'on voit des noms de commerçants connus, affichés en bonne place, tels que des réclames ». Plus de sculpteurs, plus d'artistes peintres ; les maçons et les badigeonneurs suffisent ! Aussi pouvons-nous conclure, avec le même « mystique-ficateur », mort en odeur de sainteté, que «l'art chrétien ne produit plus que de débiles images de pieusarderie », dont les ateliers encombrent le quartier Saint-Sulpice. Et pour peu que la nouvelle Ligue des « chands d'habits » et des « chienlits » en question prospère, nous verrons bientôt toutes ces boutiques fermées... pour cause d'agran- dissement.


LIVRE II


LICENCES ARTISTIQUES DES ÉGLISES DE FRANCE

I. — SEINE* PARIS

Notre-Dame. — Extérieur. — Façade occidentale. L'observateur attentif remarque tout d'abord, sur le portail central de <( la reine de nos cathédrales », des ligures, les unes monstrueuses, les autres angéliques, qui symbolisent l'antagonisme du Bien et du Mal dans les bas-reliefs et pendentifs des rinceaux du tympan où se tiennent les assises du Jugement universel. Le clou de ces excentricités licencieuses, que Ton s'étonne de rencontrer au seuil d'un lieu saint, se trouve à la droite du spectateur, entre les six cordons et au bas de la voussure (fîg. 15). Voici les Tourments des damnés^ où les mauvais sujets des deux sexes sont emportés, puis entassés par d'affreux démons pour être bouillis dans une chaudière sur laquelle grimpent des crapauds ou rampent des serpents. Au voisinage de ce groupe dantesque, la saisissante image de la Chevauchée de la

1. En raison de l'abondance des documents, nous serons brefs dans nos commen- taires ; d'ailleurs nos images en diront plus et mieux que nos explications, et, pour éviter de trop fréquentes répétitions des termes descriptifs, nous aurons souvent recours au style nègre ou télégraphique : la concision n'exclue pas l'exactitude. Nous avons suivi dans une classification toute artificielle Tordre alphabétique des départements, sauf pour celui de la Seine, mis hors série et en première place : à tout seigneur, tout honneur.


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l'art profane a l'église


Mort ^, où celle-ci, les yeux bandés par le destin, en fourche « un cheval pâle » et porte en croupe un cadavre, TAntechrist, a-t-on dit, dont les org-anes génitaux sont hypertrophiés. A coté, la témé- raire Chevauchée de la Guerre ^, d'après la vision de saint Jean ;



Fig. i:;. — Pendentifs du xiw siècle.


« c'est un de ces cavaliers qui s'appellent Guerre ou Famine, en- voyés pour dépeupler le monde ».

On a cherché à expliquer de telles représentations : dans ces temps de mœurs simples, a-t-on dit, elles ne constituaient pas plus une indécence que le pieux usage observé par les matrones ro-

1. Appelée à tort le Démon de la Luxure. On y a vu aussi une scène de sodomie, mais il s'agit bien de la Camarde dont parle \ Apocalypse suivie de VEnfer, elle sème l'épouvante sur son passage.

2. Pour certains, c'est VOrf/ueil, vice contraire à la sixième vertu, V Humililé, placée au-dessus.


sr.;iNE


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Fis-. 16.


maines les plus chastes de porter au cou un phallus d'or, ou encore que cette coutume chère aux Egyptiens de faire du <( chib » un objet de parure.

A la zone inférieure du Jugement sculpté sur le tympan grouil- lent, comme à l'habitude, des académies de l'un et l'autre sexe, sous forme de ressuscités et de damnés. Pour rappeler la faute première d'Ève, c'est une femme ^<^2i qui marche à la tête du cortège des ré- prouvés ; elle est suivie d'un évêque mitré, d'un roi couronné, de dames galantes ou de qualité coiffées de toques, etc., qui sont tout éberlués de se voir à la géhenne.

Portail Nord ou « Porte de la Vierge ». Le démon tentateur est figuré par la lamie, vampire mi-serpent mi-femme. Ce démon féminin au sourire malin offre à Adam

les pommes de son torse plus savoureuses que celles de l'arbre autour duquel est enlacée sa queue frétillante.

Un bas-relief allégorique qui n'aurait pas été déplacé dans la dé- coration d'un temple païen occupe le tym- pan d'une des petites ogives de l'arcature du stylobate, au côté droit de la porte d'entrée: en face de la Mer, figurée par un person- nage nu, monté sur un cétacé, et une femme assise, dont le torse, sans draperie, a beau- coup souffert, on voit la Terre (Gg. 16), per- sonnifiée par une créature puissante. Elle est assise et tient à la main gauche un chêne chargé de glands ; à la droite, une haute plante herbacée sortant d'un vase. Une jeune fille, la Race humaine *, est agenouillée de- vant sa mère et semble saisir sa mamelle droite pour y puiser la vie. Ce curieux tableautin lapidaire est, par malheur, fort endommagé. Nous en dirons autant d'une figure voi- sine de femme nue (fig. 17), qu'il nous est impossible d'identifier.



Fig. 17.


1. Cf. Ann. archéol., t. IX. i/aut rUOI'ANK, — I.


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i/aht phofane a l 'église


La même « porte » est encore décorée du Zodiaque^, qui rappelait la brièveté de la vie. Au douzième Signe, Cérès y est remplacée par Marie, la Vien/c ; le Verseau est un personnage nu, assis sur la queue



d'un monstre marin . A chacun de ces signes répondent deux bas-reliefs rappelant les divers travaux des mois ou des saisons. Le Taureau (Avril ou le Printemps) est figuré par un personnage à deux têtes. Lune de personnage qui dort {V Hiver), l'autre de personnage éveillé (VEté) : une moitié du corps est vêtue, l'autre nue. Au signe estival de VEcrevisse (Juin ou l'Eté), un jeune homme complètement déshabillé se dispose à prendre le frais ou un bain (fîg. 18) ; d'autre part, un paysan nu jusqu'à la ceinture indique la moisson d\Août (fig. 19). A ï Automne correspond un vigneron dans une cuve cer- clée.

Sur le trumeau du portail Sud ou « Baie de saint Marcel » , neu- vième évêque de Paris, un dragon s'échappe de la sépulture d^une adultère, enveloppée de son linceul : avertissement à l'adresse des

1. Auzone en a réuni les douze signes dans ce distique mnémonique :

Sunt Aries, Taiirm, Gemini, Cancer, Léo, Virçjo, Lihraqne, Scorpiiis, Arcilenens, Caper, Amphora, Pinces.

N'cst-il pas pi(iuanL de voir adopter par les chrcLicns des constellations qui, comme les mois de l'année et les jours de la semaine, portent les noms des divinités du paj;anisme ?


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épouses infidèles. Rappelons que, suivant une légende dont les hagiographes ont abusé, saint Marcel délivra la ville d'un serpent, venu d'un bois voisin, qui s'était introduit dans la fosse d'une dame de haute naissance pour lui dévorer les seins et les parties sexuelles, châtiment réservé aux personnes impures et luxurieuses ou aux mauvaises nourrices qui ont refusé leur lait k l'enfant sans mère. Cette interprétation est en rapport avec le récit d'une vision qu'eut, au xii*^ siècle, le frère Albéric. Il vit des serpents téter la poitrine des femmes « qui avaient refusé de donner leur sein aux orphelins ou qui feignaient de les allaiter », quie dare ad bihendum mamillas noliierunt, aut dare se jingentes non dederunt... C'était un pressant appel aux devoirs de la maternité, lancé par un précur- seur de Rousseau et du professeur Pinard.

La Luxure est figurée à la même façade^ sur un second bas-relief qui a été « restauré » ou mieux « gargoté » par Soufïïot. Cette Luxure tient une balance ; est-ce pour indiquer qu'elle vend ses charmes ? Ne serait-ce pas plutôt l'une des vertus cardinales, la Justice ?

Nous trouvons un autre motif décoratif ayant un rapport indirect avec le péché de la chair ^ dans la statue du personnage qui joue du violon et semble chanter Land' rire t te, Land' rira ! En effet, Lenoir et d'autres critiques d'art y voient Chilpéric"^, le mallieureux époux de Frédégonde qui le fit assassiner, au retour de la chasse, le jour où, occupée à sa toilette et distraite, elle donna à son mari le nom de son amant, Landri, maire du palais. Des archéologues plus avisés veulent que ces statues représentent, non pas les rois de France, mais les ancêtres du Christ, les reines et les rois d'Israël. Dans ce cas, le violoneux serait un de ces derniers, le roi David, par exemple.

Ne quittons pas la façade principale sans jeter un regard de compassion sur Adam et Eve, plongés dans la douleur. Complète- ment nus, comme leurs innombrables congénères, ils s'en distin- guent toutefois par leur profonde indifférence aux lois de la bien- séance ; ils sont si haut perchés ! Ni l'un ni l'autre ne songe à porter

1. Au cours de notre description des licences artisticiues, nous nous permettrons de consigner en notes certains faits licencieux dont les édifices relif?ieux ont été le théâtre, ou qui se rapportent au clergé. Ces l'écits, pensons-nous, auront l'avantage de diversifier le sujet et d'atténuer la monotonie dun l'roid inventaire; ils compléteront en outre nos Seins à VEfjUse.

2. (( Tenant un violon, dit Lenoir, pour exprimer ses talents en poésie. »


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î/Ain- PROFANE A i/kGLISE



Fi'^. 20.

« Porte des Martyrs ou de saint Etienne ». du tympan , ce diacre prêche FEvang-ile au peuple ; au milieu de l'assistance se détache un groupe de trois personna- ges attentifsffig*. 20), dont une femme qui donne le sein à son enfant debout.

Môme façade, di- vers médaillons en quatre feuilles 5 scul- ptés vers 1257, sont consacrés k des lé- gendes historiques et religieuses ; Tun d'eux, au côté droit de la porte du tran- sept, reproduit le Supplice de Véchelle (fig. 21) infligé aux


une main pudique où il convient, après le pé- ché : le premier hom- me, en signe d'afflic- tion, soutient sa tête de la droite et la gauche glisse le long de la cuisse ; la première femme, également, pose la main droite sur la joue et « laisse tom- ber son bras gauche, avec un geste de dé- sespoir ».

Façade méridionale. Dans la zone inférieure



Fii>-. 21.


SETNE


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Fi^-. 22.


blasphémateurs et aux « folles femmes » *. Celle qui est liée aux échelons, sous la garde de deux archers, porte sur la poitrine un écriteau fort endommagé par le temps. Plus tard, les femmes de mauvaise vie seront fouet- tées « espoustées »^ disait-on dans le peuple, au pilori des halles par le bourreau, comme le rappelle cette invective que le sieur Berthod, auteur des Bues de Paris (1650), met dans la bouche d'un de ses personnages :

Chacun t'a veu, vieux cû pourry, Donner le fouet au pilory.

Un auteur à double vue a prétendu découvrir dans les encadrements inférieurs de ces bas- reliefs des enfants luttant contre des monstres. V'f Nous aurions selon lui, dans ce tableau, un symbole de la lutte incessante des hommes contre les vices ! Pour nous, qui sommes moins sagaces, nous ne voyons là que de simples motifs de décoration. Un homme, par exemple, s'amuse avec son chien, paisible animal do- mestique et qui n'a rien de monstrueux, sinon son mode d'inter- prétation.

Avant de pénétrer à l'intérieur du monument, signalons encore au dehors deux animaux fantastiques munis de mamelles ; l'un près du cadran de l'horloge (côté Sud), l'autre à l'angle d'une des tours, appuyé sur la balustrade (fig. 22) ; enfin, à l'abside ou dans son voisinage, plusieurs retombées des gables des chapelles et des grands pinacles, qui portent des sculptures décolletées par l'un ou l'autre bout. (fig. 23-26).

Intérieur. — A l'entrée, au coin de l'escalier de la tour Nord, est scellée dans le mur une pierre tombale d'un effet saisissant (fig. 27); elle provient de la sépulture d'Etienne Yver, décédé le 24 février 1 467. Etienne Yver était chanoine de Notre-Dame, et non pas conseiller au Parlement, comme le dit par erreur Yiollet-le-Duc. Avant 1762, ce cénotaphe occupait la chapelle Saint-Nicolas, devenue depuis la


1. L'échelle patibulaire, qui s'élevait à ranglc de la rue du Temple et de la rue des îlaudriettes, avait 50 pieds de haut ; celle de l'évêque se trouvait place du parvis.


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i/aiit profane a i/église


chapelle de la Pénitence. La partie supérieure, non reproduite ici, est réservée au Jugcmcnl universel; en dessous, nous voyons le chanoine qui sort nu comme un Yver de son tombeau, au jour de la Résurrection. Au devant du sépulcre est couché le cadavre du



mort, sans linceul, et livré en pâture à de gros et longs vers. Est- en raison du nom du chanoine ou pour mieux frapper Fimagmati^



Fig. 27.


1, 2. —


Reproduites par Viollet-le-Duc.


s E 1 N I :


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du public que Tartiste, par une macabre fantai- sie, a exagéré outre me- sure la grosseur de ces insectes? Cet homme a les cheveux courts et joint pudiquement les mains sur le pubis, en guise de feuille de vigne. Le res- suscité suppliant est as- sisté de saint Etienne, qui tient un livre, et de saint Jean l'Evangéliste, qui porte une coupe rem- plie de serpents, allusion au poison changé en rep- tiles.

Il existait à Notre- Dame un autre monu- ment analogue, actuelle- ment au Louvre, et pro- venant du cimetière des Innocents (fîg. 28).

C'était un cadavre dé- charné, en albâtre et do-



Fif;. :28. — D après A. Lenoir


ré, tenant une javeline de la main droite et appuyant la gauche sur un bouclier où était gravé ce quatrain :

Il n'est vivant, tant soit plein d art, Ne de force pour résistance, Que je ne frappe de mon dart, Pour bailler aux vers leur pitance.

Le jour de la Toussaint, on découvrait cette élïïgie funèbre, appelée \r Mort-Saini-Innoccnt ^.

i. Lenoir, le directeur du Musée des Monninens frunçois, où cette sépulture avait été d'abord transportée, y a ajouté une épitaphe, en bouts riniés, provenant de la Tombc-Issoire. Ce fabricant de postiches maquillait avec la même ardeur dépourvue de tout scrupule aussi bien les monuments historiques ou privés que leurs ins- criptions :


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r/Airr i» no F a ne a i/i':olisi:


Chœur*. Une des <( ysloires, en personnages de pierre, dorez et bien peints », de la clôture, rappelle l'entrevue de Joachim et d'Anne sous la Porte dorée, où doit être conçue la Vierge, coram populo

[i\g. 29). Pour entrer en matière, et en guise de bagatelle de la porte, le vieux Philémon saisit à pleine main la mamelle gauche de la Beaucis évangélique, au point d'en faire saillir le mamelon, fortement accusé par l'imagier, avec intention sym- bolique sans doute.



Fis-. 29.


Fig. 30.


Même geste expressif à la Visitation. Elisabeth met la main sur la poitrine de sa cousine et « s'émerveille, dit E. Mâle, de sentir son sein gonflé ». Pour une vierge, il y avait de quoi s'étonner.

Transept. Côté droit. Au-dessous delà statue - de la Vierge cou-


pensci


Bonnes gens vous devez... Qu'on doit son temps bien dis... Car la mort homme ne dé... porte Témoing' niaistre Jeiian de la... ^ Conciliateur pour le... Au Chastelet et sous des... ^ L'un des eschuiers en sa...

r. • 1' . • cour

De Pans, sous d autrui en...

Lequel en terre cy... ^^^^^^ Gist comme la mort re...


Et laissa ce monde hi... Mil quatre cent quarante... En novembre neufvième... Si priés Dieu que tout le... De ses péchés pardon lui... Et le puisse veoir en... La sus en son glorieux... ^^^^^^ Où il domine, vit et... Et qu il nous veuille si bien... (jujpc Qu en la fin nous y puistcon...


deux jour face


1. En mars 1711, on opéra des fouilles dans le chœur, pour y ériger l'autel du « V(cu de Louis XllI », et l'on découvrit plusieurs autels élevés à Jupiter, sous Tibère, ornés des figures nues de lovis, venvs, esvs ou mars. Lenoir raconte qu'un mystificateur transforma la première lettre de lovis et en fit lovis. Aussitôt « un fanatique » composa un mémoire pour démontrer que ce monument avait été érigé à l'un des rois de France !

2. Cette statue et le chapiteau historié proviennent de l'église Saint-Aignan au Cloître.


SEINE


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ronnée, sur le chapiteau est sculptée une Eve qui finit en queue de poisson.

Trésor. Le couvercle d'un coffret en argent (xii^ siècle), dit « de Saint-Thomas Becket », porte un motif qui représente une nymphe matant deux chimères (fig-. 30) : le Bien maîtrisant le Mal ?

Aux décorations fixes des édifices religieux, les pompes funèbres



Fiji-. 31.


et autres cérémonies imposantes ajoutent, parfois, des ornements complémentaires plus ou moins (( catholiques ». Telle la scène mythologique figurant un fleuve des Enfers (fig. 31) :

El Tavare Achéron ne lâche point sa proie,

placée en avant du catafalque d'Elisabeth, Thérèse de Lorraine, reine de Sardaigne, àTéglise métropolitaine, le 22 septembre 1741.


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t/art phofank a r/ÉGT.isr:


De même, lors de la féte de la Raison célébrée à Notre-Dame le 10 novembre 17!)3, la déesse républicaine fut représentée, non pas au moyen du métal ou du marbre, mais elle apparut en chair et en os sous les traits gracieux et les formes potelées de Mlle Mail- lard, actrice de l'Opéra*.

Saint-André des Arts '-. — En 1325, d'après un opuscule versifié sur les Eçjliscs de Paris, elle s'appelait Saint-Andrieu des Ars (Arcs) et était une succursale du Pré aux clercs, « ce joli rendez- vous d'amour », si Ton en croit ce passag-e, où la raison est peut-être subordonnée à la rime et les deux ne valent pas plus Tune que l'autre :

Après est Saint-Andrieu-des-Ars Ou mainte dame de leur ars Ont maintes fois lancée [sic) ot trait Et maint homme a eutz atrait.

Le Vieil rapporte qu'à la chapelle de Monsieur le Curé, Héron composa un « vitreau » représentant la désobéissance de nos pre- miers parents, dont le costume fut modifié par une fabrique timorée :

L'Adam et l'Eve sont d'un dessin fort élégant. Des paroissiens plus scrupuleux que le peintre les ont défigurés par des feuillages peints à l'huile qu'ils ont fait serpenter autour des corps nuds de ces deux figures.

Chapelle Saint- Augustin. Monument funéraire en marbre de Jacques de Thou, actuellement au Louvre (fig. 32). Les caria- tides assises sur le sarcophage et le buste féminin qui sert de prie- Dieu sont dépouillés de draperies. Les statues agenouillées de ses deux femmes, Marie de Barbançon-Gané, la première en titre, et Gasparde de la Ghastre, étaient posées de chaque côté de l'efligie du

1. Autre nudité profanatrice d'ordre privé, consignée dans le Journal de Barbier (juillet 1722) : « Il arrive à présent des choses extraordinaires. La semaine dernière,

on trouva un des autels des côtés de la nef de Noire-Dame, tout rempli de ; on

avoit fait des ordures sur le dernier Evangile. On a béni la chapelle. Il faut que des gens aient bien le diable au corps pour faire pareille chose : ils ne sont pas pris. >►

Cloître Notre-Dame. — Silué près de la cathédrale, il servait d'habitation aux chanoines de la métropolitaine. Les statuts capitulaires, d'après Ilollbauer, défen- daient de laisser passer la nuit dans la maison claustrale à aucune femme, religieuse ou autre, à l'exception de la mère, d'une sœur, d'une parente au troisième degré, ou « d'une femme de haut rang qu'on ne peut éconduire sans scandale » : vel nisi aliquœ maçfnalie mulicres qine sine scandalo evilare non possnnl. Le dernier article, par son élasticité, se prétait aux « accommodements avec le ciel ».

2. Pour les églises et chapelles de Paris, disparues ou existantes, nous suivrons l'ordre alphabétique.


SEINE 43



Vig. 32. — J.-A. de Thou et ses deux femmes.

Des cariatides semblables se retrouvent sur le sarcophage de Jacques de Souvré, commandeur de Malte, 1760 (iig. 33).


Saint- Augustin. — Comme toute église moderne, celle-ci se distingue par Tabsence abso- lue de nudités. Même le Christ, à son baptême (^pein- ture de Bouguereau, chapelle Saint-Joseph), a la précau- tion de s'envelopper d'un peignoir de bains.


Saint-Barthélemy. — Au

XII siècle, cette église s'ap- pelait le « Moustier » Saint- Bertremiex ; elle fut sup- primée sous la Révolution, et l'on établit sur son em- placement le théâtre de la Cité, puis le Prado, alias « Gloserie des lilas » : Ha- bent sua fata basilicœ.



Fig. 33.


M


r/.\RT PROFANE A l/ÉdIJSi:



La Peste de Milan, en 1576 (fig-. 34), bas-relief inachevé, auquel travaillait Fuj^et quand la mort vint le surprendre, était destiné à l'abbé de la Chambre, curé de cette église. Aux pieds du saint évéque



Fig. 34.

Charles Borromée, une mère expire, les mamelles encore gonflées de lait. Au fond, un jeune époux assiste à l'agonie de wsa femme qui se tord, toute nue, sur sa couche, en proie aux dernières convulsions*.

Saint -Benoit. — Possédait un groupe curieux de la Trinité (fîg-. 35). Le Père, coiffé de la triple tiare, soutient sur son g-iron son Fils absolument nu, tandis que le Saint - Eprit placé entre eux sort de la bouche de rÉternel sous la forme

1. C'est à la porte de cette église, « car il n'osoit pas y entrer », que. chaque jour, après avoir lu le Psautier, le « bon roi » Robert II, le Dévot, excommunié par (Iréj^oire V pour avoir épousé sa cousine Bcrthc, venait faire ses oraisons. C'est là aussi, selon la légende, (ju'Abbon, abbé de Fleuri, suivi de deux femmes du palais, apporta au roi, sur un plat en vermeil, le fruit des entrailles de la reine. le rejeton incestueux et monstrueux ayant un corps d enfant, un cou et une tête d'oie. Terrible punition de la désobéissance aux décrets de l'Église. On sait que l'interdit du pape et ses conséquences obligèrent le roi à répudier sa seconde femme et cousine, après plusieurs années d'hésitation, pour en prendre une troisième, l aitière et « inconstante Constance », comme l'appelait le bon roi trop débonnaire. Depuis,


Fig. 3."). — D'après Millin.


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d'une colombe et simule une barbe de patriarche. Semblable représentation décore le portail méridional de la cathédrale de Senlis : une colombe remplace aussi la barbe de Dieu qui tient la croix où est étendu le Christ.

Bonshommes de Chaillot*. — Sur le fronton du portail, on re- marquait, d'après l'auteur des Antiquités nationales^ trois petites fig-ures nues, <( qui n'avoient guère la mine catholique ». Celle du haut représentait un garçonnet <( gros, gras et riant » ; son pied droit reposait sur une tète de mort et sa main droite s'appuyait sur un bouclier portant une croix enlacée d'une couronne d'épines. Les petits personnages des angles à l'air mélancolique étaient « mai- gres et tristes », et tenaient à la main une tête de mort qu'ils consi- déraient comme Ilamlet débitant son fameux monologue : To be or not to hc... Dulaure voit dans ces personnages des divinités païennes qui ornaient autrefois l'hôtel de Bretagne. « Ce ne seroit

la reine Berthe, sous le nom de « reine Pédauque », aux pieds palmés (.1), figure sur plusieurs portails d'édifices religieux, entre autres à l'abbaye de Sainte-Bénigne, à Dijon, où les deux elïigies se font pendant. Son exemple est comme une menace de la colère divine — n'oublions pas que le Père Eternel, comme le Père Ducliène, est souvent en colère — contre ceux qui tentent de braver le pouvoir spirituel et temporel de l'Eglise.

1. Surnom des Minimes de Saint-François-de-Paul, J. Laflittc rapporte une aventure où furent mêlés nos Minimes et le fameux Paul de Gondi, plus tard cardinal de Betz, qui relate ainsi l'événement dans ses Mémoires : « C'était en 1642, en plein été, il faisait une chaleur étoulîante. La duchesse de Vendôme — de la famille de Henri IV — pour éviter les ardeurs du soleil, rentrait de nuit à Paris en compagnie de Turennc, jeune encore, du spirituel Voiture et dudit Paul de Gondi. Le carrosse suivait le chemin le long- de la Seine lorsciue, arrivés au bas des coteaux de Passy, les gens de l'escorte aperçurent dans le vague de l'obscurité, sur les bords du fleuve, un groupement d'ombres suspectes. Les bouillants compagnons de la duchesse mettent aussitôt l'épée à la main et s'avancent impétueusement ; mais à mesure qu'ils approchent, ils voient se jeter à leurs pieds des êtres dévêtus qui leur crient grâce en ces termes : « Bons seigneurs, nous sommes de pauvres religieux qui ne faisons de mal à personne, nous venons simplement de nous rafraîchir, vu la grande chaleur qu'il fait, en prenant un bain de santé dans la rivière. »

Si leur règle, fort sévère, défendait de changer d'habit, ce fait prouve qu'elle n'interdisait pas la propreté corporelle. Les chroniqueurs du temps sont peut-être trop sévères à leur égard, quand ils les accusent de « sentir l'huile rance » ; ils oublient l'incident du bain in niiliiralibiis, dont ces bonshommes étaient coutu- miers, car leur monastère s'étendait jusqu'aux bords de la Seine. Admettons, si vous le voulez, que leurs libations étaient aussi copieuses à l'extérieur qu'à l'intérieur.

(a) Pour d'autres, cette figure serait celle de Bertrade ou Berthe au grand pied, femme de Pépin d'IIéristal. L'ingénieux Père Mabillon croit (lu'elle représente sainte Clotilde, et que le pied d'oie est l'emblème de sa grandeur, les oies ayant sauvé le Capitole ! Mais voilà qui est plus tort : le subtil antiquaire l'abbé Lebœuf pense qu'il s'ag-it de la reine de Saba, Regina austri ; le pied de palmipède rappellerait sa g'rande passion pour les bains !


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L A R r I' R l' A N E A L ' É G L 1 S E


pas la première fois que la dévote ignorance auroit fait de sem- blables bévues », assure-t-il. L'allégorie serait-elle si dilficile à dé- chillVer et ne signifierait-elle pas la sérénité de la Foi et la terreur des pécheurs devant la Mort ?

La peinture d'un des vitraux du réfectoire des Minimes nous paraît aussi digne d'être notée. Au dire de Lenoir, elle représente- rait une scène diabolique de derrière les fagots : un démon « faisait à des hommes ce qui excita la colère de la divinité contre les habi- tants de Sodome » ! Sublime et expressive leçon de choses! s'excla- meront les fervents défenseurs de la symbolique religieuse, qui aiment à voir mettre les points sur les i. Mais nous ne devons accepter que sous la plus grande réserve les interprétations de cette sorte, dont une étude approfondie des monuments religieux démontre le plus souvent la fausseté ^

Capucines"^. — Ce couvent fut fondé par Marie de Luxembourg, en exécution des dernières volontés de Louise de Lorraine, veuve de Henri 111, qui j eut sa sépulture, et sur laquelle nous allons revenir. En 1686, quand Louis XIV fît construire la place Ven- dôme, le couvent fut transporté un peu plus loin. La façade de l'église constituait alors la perspective d'une des ouvertures de cette place. Le couvent et l'église furent désaffectés pendant la Révo- lution ; on y établit la fabrique aux assignats. Après la tourmente révolutionnaire, l'immeuble fut vendu aux enchères publiques. D'après le D^" Max Billard-^, l'acquéreur y éleva l'un de ces édicules humanitaires « que la pruderie française baptise aujourd'hui d'un nom d'outre-Manche », et où « toute une population se livra tran- quillement k l'antithèse de la soif et de la faim ». En 1806, à l'ou- verture de la rue de la Paix, l'édicule disparut à son tour; mais, en vidant la fosse, on fut stupéfait d'y découvrir une plaque de marbre noir portant cette inscription :

CY GIST LOUYSE DE LORRAINE ROYNE DE FRANCE ET DE POLOGNE

1. A Berlin, l'accusation (riiomoscxualité est devenue courante, comme ici celle de vendu à l'ctranj^er enti-e gens qui ne sont jias du même avis.

2. Cf. II. lioHinKii, les l'^fflises et Monualéres de Paris.

3. I.es Tombeaux des liais sous la Terreur, 1907.


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Un caveau funéraire transformé en fosse d'aisance î Le cercueil d une reine recouvert pendant des années d'ordures humaines au lieu de fleurs et de couronnes ! Eloquente image de la vanité des grandeurs de ce monde et réaliste accomplissement de la prophétie : Pulvis es^ et in pulverem reverteris! que, pour la circonstance, on peut traduire librement: Tu es poudrette et tu redeviendras poudrette*.

Carmes (de la place Maubert) — La Vierge y était représentée portant sur son sein l'enfant Jésus et tenant à chaque main un vase de cristal. L'un contenait un peu de son lait, garanti pur, et l'autre, des cheveux authentiques du Christ.

Sainte-Catherine du Val-des-Escoliers ou de la Culture. — Dé- molie, en 1783, pour faire place à un marché, rue Saint- Antoine.

Chapelle du cardinal de Birague. On y voyait deux fameux tom- beaux dus au ciseau de Germain Pilon, celui du chancelier René de Birague ^ et celui de sa femme, Valentine Balbiani (lîg. 37, 38) ^.

1. Rappelons un détail rétrospectif relatif à l'absence de vespasiennes à la lin du xve siècle, et qui ne manque pas de piquant. A l'entrée de la reine Anne deBrctajjne (1491), « on poussa l'attention, raconte de Saint-Foix, jusqu'à placer, de distance en distance, de petites troupes de dix ou douze personnes, avec des pots de chambre pour les dames et demoiselles du cortc^^e ([ui se trouveraient pressées de quelque besoin ». Tels sont les précurseurs lointains des colonnes Rambuteau élevées à la satisfaction des nécessités tpii ne connaissent pas de loi.

'1. Carmélites. — Cet ordre possédait deux couvents à Paris. Celui de la rue Saint-Jac(iues, n° 284, (jui fut le refuge de Louise de la Vallière, sous le nom de sœur Louise de la Miséricorde. Elle y servit de directrice de conscience à sa collègue la Montespan, dès (pie la veuve du podagre prit sa place. Celle-ci se retira quelque temps aux Filles de la Miséricorde, rue MoulTelard. (il. Quanta la Fontanges, après avoir traversé en coup de vent la couche royale, elle vint échouer dans une autre maison close, à l'Abbaye de Port- Royal, qui deviendra la Maternité. Coïncidence curieuse, c'est aux suites d'une maternité qu elle y succcuiiba. « blessée au service du roi », écrit Mme de Sévigné. Rue Saint-Jacques, paraît-il, l'impudique lille du Régent, la duchesse de Rerry, y édifia ses nouvelles compagnes par l'apparence d'un repentir sincère.

Le second couvent était situé rue Chapon, — nom ai)proprié à un monastère ; — mais son église s'ouvrait sur la rue Trousse-Nonnain, « qu'un sentiment de convenance morale, dit l'abbé Pascal, lit changer en celui de Trace-Nonain, qui ne signifie rien et dont on a tiré le vocable actuel de Transnonain, lequel dit trop ou trop peu. Pour un semblable motif, la rue du Pet devint celle du Grand-Hurleur et la rue de la Pute-y-muse celle du Petit-Musc. Ajoutons que la Chapelle et le Collège de Tournai se trouvaient dans la rue Bordellc, repaire de « filles ivrognesses de leur corps »,

3. Cet intrigant Italien passe pour l'un des plus actifs et cruels organisateurs de la Saint-Rarthélcmy ; devenu veuf, il fut promu, par Grégoire XIII, à la dignité cardinalice : au chapeau rouge, le prix du sang.

4, Fn 178;), ces mausolées, réunis en un seul, furent reconsiruits à Saint-Louis des



.Tésuitcs, dans la première chapelle, à main droite. Mntilés en 1793. Lenuir essaya de les reconstitner au Musée des PeliLs-Auyustius.


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Fig. 38. — Tombeau de Mme de Birague, d'après les Anliquilez, Chroniques et Singularitez de Paris.


(( L'elïîg-ie d'icelle dame est tout de blanc albâtre, appuiée sur son coude, » et tient un livre k la main. Un chien est couché à ses côtés au lieu de l'être à ses pieds où la place est occupée par un génie nu en bronze. Celui-ci porte une plaque de marbre noir sur laquelle est écrit : morte n'est point qui vit au ciel, et, au bas de cette même fi- gure, on lit encore : qui bien AIME tard oublie. Au-dcs- sous du personnage princi- pal, un bas-relief nous révèle son cadavre presque nu (fig. 37). Le Louvre a re- cueilli cette œuvre précieuse. On pouvait voir au Musée des Monuments français, Y« archétype » de ce monument exécuté par le même sculpteur : c'était la reproduction d'un corps de femme morte d'étisie. Le choix du modèle n'était guère flatteur pour le sujet.

Célestins. — Cette église était une véritable nécropole abritant de nombreux mausolées. En face de l'autel, dans la chapelle d'Orléans, on conservait le cœur et les entrailles de trois princes, qui n'en eurent guère de leur vivant : le lâche et perfide Henri II, le séditieux François, duc d'Anjou, et le sanguinaire Charles IX ^. Ces viscères étaient contenus dans une urne en bronze doré, dont les pieds, formés par des dauphins, sont soutenus par trois figures féminines, œuvres de Germain Pilon, et que l'on a considérées comme les trois Vertus théologales ou comme les Trois Grâces (fig. 39). Sculptées dans le même bloc de marbre, elles tiennent

1. Dans les sépultures funéraires, on avait coutume de coucher un lévrier, l'emblème de la Fidélité, aux pieds des dames, et un lion, le symbole de la Puissance, aux pieds de l'homme. Quelles ironies ! Il est vrai que, pour la symbolique chrétienne, le chien est le symbole de V Envie, comme le coq, qui domine le clocher du village, est celui de la Colère,

2. Tout d'abord, le monument ne contenait que le cœur de Henri II, ainsi que Tindiquait ce distique, inscrit sur l'une des faces :

HIC COR DEPOSUIT REGIS CATHARINA MARITI in CMPIENS PROPRIO CONDERE POSSE SINU.


l'art PROFANE. — I.


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i/ art profane a i/ église


Fig-. :v.).


leurs mains enlacées et reposent toutes trois sur un socle orné de petits Cupidons nus et de chimères aux ang-les. Ces élégantes allé- gories sacro-païennes, où Ton a cru retrouver les traits de Catherine de Médicis, de la mar- quise d'Etampes et de Mme de Villeroi, hien que « légères et court vêtues », comme Pé- rette portant son pot au lait, ont une mine relativement décente, Gratiœ décentes. Une seule, la Charité, laisse son torse à décou- vert, mais ses fonctions nourricières l'y au- torisent: les nudités ne sont pas qu'agréables, il y en a d'utiles. Ce curieux reliquaire est actuellement au Louvre.

Le cœur de François 11, digne fils de sa mère Catherine, avait une urne k part. Le même Campo santo possédait aussi une urne qui contenait le cœur de la brute connue sous le nom d'Anne de Montmorency.

Renée d'Orléans, fdle de François d'Or- léans, duc de Longueville, petite-fille de Dunois, morte en 1515, à l'âge de huit ans, était étendue sur son tombeau, les j)ieds posés sur une levrette, l'emblème de la Fidélité (k huit ans !), selon la formule de la statuaire (funéraire fig. 40). La face principale est ornée des Vertus cardinales ;Vune d'elles, la Force, usant de son privilège traditionnel, exhibe k nu non seulement les saillies de ses biceps, mais aussi celles d'un torse d'une robuste santé. Pour Lenoir, qui a reconstitué et truqué ce fragile monument en albâtre détruit k la Révolution, aujourd'hui à Saint-Denis, les figurines décoratives des niches seraient autant de sujets tirés du martyrologe, de sorte que la Force deviendrait une Sainte Agathe, cambrant sa poitrine juvénile devant les tenailles du bourreau.

La sépulture de Louis Potier, marquis de Gèvres, placée près de la grille du chœur, oiTrait k la curiosité un bas-relief en bronze



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d'un caractère assez profane. Une Renommée à moitié nue annon- çait, urhi et orhi, les exploits du marquis ; un génie entièrement



Fig. 40.


nu le couronnait, tandis que les impitoyables Parques^ nues, elles aussi, tranchaient ses jours. Auprès de ces filles du Styx, la Fermeté, non moins deshabillée, soutenait le défunt.

La Fortune renversée (fig-. 41), chef-d'œuvre de Jean Cousin, était couchée au-dessous de l'amiral Philippe de Chabot ; elle lui sourit encore et charme la solitude du vieux loup de mer.

Les ang-les du tombeau d'Henri Chabot de Rohan (fig. 42) étaient occupés par quatre génies du sexe féminin, aux mamelles exubérantes ; ils éteignaient « le flambeau de la Vie ». Un cartouche portait les armoiries de famille composées de trois chabots ou poissons et de deux Hercules armés de leurs massues et de leurs attributs virils (fig. 43).

En face de ce sépulcre s'élevait celui de Timoléon de Cossé, comte de Brissac, moins bien partagé que son voisin. Sur un pié- destal de marbre noir, deux génies, sans ailes ni draperies, mais dont le sexe masculin était fortement modelé, s'appuyaient sur un bouclier qui ne dissimulait aucun détail de leur nudité.



Fig. 42.


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Chartreuse de Paris^ — Fort beau lutrin, historié par JuUence sculpteur provençal ; le piédestal était occupé par les trois Vertus théologales^ dont l'une, la Charité^ tenait au sein un orphelin nu,



Fig. 43.


tandis qu'à ses pieds s'ébattaient deux autres enfançons, également dévêtus.

Sur une pierre tombale (fig-. 44), le chevalier Pierre de Navarre est enfermé dans son armure recouverte d'une courte tunique. Celle-ci s'écarte vers le bas et découvre immodestement la volumi- neuse « braguette » destinée à protéger « paquet et baston de ma- riage » Il avait suivi le conseil que dame de Merveille donne à son seigneur et maître, d'après Ral^elais :

Celle qui vit son mari tout armé

Fors la braguette aller à l'escarmouche,

Luy dict : « Amy, de peur qu'on ne vous touche,

Armez cela qui est le plus aimé -^. »

1. Chartreux. — L'entrée de ce monastère était interdite aux femmes, » pour ce que tel objet est nuisible à ceux qui font profession de s'esloigner des allechemens de la chair et de tous les plaisirs que l'homme peut recevoir par les sens extérieurs de ce monde ».

2. Cambry (an ni) parle d'un matamore armé qui décore la devanture d'une maison de Quimper et « porte un de ces étuis insolens et menteurs que nos pères étalaient, en forme de priape. au défaut de la cuirasse et des cuissarts ».

3. Quatrain cité par A. Le Double, dans la Chrori. méd.


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L A R T P R ( > F A N E A


EGLISE


Le tombier eut pu rabattre les pans (le la tunique pour ménager la pudeur (les visiteurs qui feignent d'en avoir en public ; mais ce détail de costume ne choquait nullement nos aïeux, dignes descendants des Gaulois et des Francs

Hôtel des Clunisiens. — L'hôtel de Gluny, sans être un édifice religieux proprement dit, dépendait de Labbaye de Cluny^ en Saône-et-Loire, et ser- vait de pied-à-terre aux abbés de cette puissante congrégation

Pour entrer dans leur a Palais des Thermes » , les abbés de Gluny passaient sous des gargouilles en posture émi-

1. D'autre part, les armures de femmes, d'a- près Dulaure, portaient au même endroit une cavité pour recevoir une éponge qui leur servait d'urinoir et de serviette périodique à l'occasion. Il paraît que la Pucelle était indemne de ces in- convénients. Elle ne l'ut pas réglée et possédait une vessie complaisante ; ce n'est pas à elle qu'on eût appliqué le terme de mépris qui accueille les nouveau-nées à leur naissance chez nos bons villageois : « Encore une pisseuse ! » (a) Ce qui n empécha pas l'excellente « cavalère » de Fig-. 44. se blesser « in inferiorihus de eqiiitando »,

d'après le récit du chanoine Jean Monnet. 2. C'est là que se déroula un incident historique, d'ordre intime des moins édifiants. En 1515, François I"" fait habiter l'Hôtel par Marie, sœur de Henri VHI, veuve de Louis XII, qui, désirant jouir des privilèges et bénéfices royaux, simula une grossesse, à l'aide « de linges et de drapeaux », puis s'adressa au comte de Sull'olk, qui l'avait accompagnée depuis son départ d'Angleterre, pour l'aider à réaliser au naturel son subterfuge. Mais Louise de Savoie, mère de François I"', « qui savait ce que c'était que de faire des enfants », déjoua cette intrigue et fit surprendre, flngranle deliclo, dans la chambre des Abbés, le couple anglais, par son fils, accompagné de l'évêque de Coutances. François I" les obligea à se marier, séance tenante, puis les renvoya en Angleterre. On lit, dans VEpislre de la Roipie Marie, à son père, à la date de mars 1515, l'épisode résumé en ce distique aussi expressif que laconique :

Ung accident douloureux et divers Que ne pourrois raconter en dix vers.

Cette aventure scandaleuse se passait à la période de l'abbatiat de Geofï'roy d'Amboise (Cf. Ch. Normand, Vllôiel de Cluny).

{a) La Japonaise du grand monde dit : « J'ai eu un fils et deux <l('cepli<mx (filles) ; pour les Célestes, le fds est un diamant et la fille une tuile.



s El NI-:


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nemment postérieure, (ûg. 45-47), visibles encore, bien qu'un peu frustes, rue du Sommerard.



Fig". 4.J. — V^ue du côté du square.



Fi'f^. 40. — Vue du côté Fi^. 47. — Vue de face,

du boulevard Saint-Michel, Dénaturée par Ch. Normand.


Saint-Côme et Saint-Damien. — Cette église était placée sous le vocable de deux médecins martyrs, au coin de la rue de la Harpe et des Cordeliers, près de l'Ecole de Médecine, de la rue du Fouarre. Au cimetière de cette paroisse, on lisait l'épitaphe plaisante de François Trouillac, qui avait une corne au milieu du front :

Dans ce petit endroit à part, Gît un très-singulier Gornard ; Gar il l'étoit sans avoir femme : Passants, priez Dieu pour son âme

1. Les Cordeliers. — Pierre de l Estoile rapporte, dans ses Mémoires-Journniix, un fait ([ui se serait passé, en 1577, dans ce couvent. On retrouve des détails analogues dans plusieurs Mirncles du moyen âge ; mais laissons la parole à notre vieux chro- niqueur et rapportons-nous-en à sa ^•éracité : << Une fille fort belle, déguisée en homme, et qui se faisoit appeler Anloine, fut découverte et prise dans le Couvent des Cordeliers. Elle servoit, cntr'autres, Frère Jucqiies lîevf'on, ({u'on appeloit l'enfant de Paris, et le Cordelicr aux belles mains. Ces liévérends Pères disoient tous qu'ils croyoient (pie c'étoit un vrai gardon : on s'en rapporta à leur conscience. Quant à cette fille-garçon, elle en fut ([uilte j)our le lV>uet, ([ui fut grand dommage à la chas- teté de cette honnête personne, ([ui se disoit mariée, et qui, par dévotion, avoit servi dix ou douze ans ces bons Ueligieux, sans jamais avoir été intéressée en son honneur. »


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i/aht pu (M- a ne a I. Ér. i-isi:


Sainte-Elisabeth. — Abside. Côté droit. L'un des cent panneaux sculptés, j^rovenant d'Arras, interprète la Descente de Jésus aux limbes. A l'entrée se pressent les âmes des justes, aux poitrines nues ; non loin se tiennent aux aguets des démons et des monstres ailés : Tune de ces horreurs a le buste d'une femme et la tête d'un singe, peut-être par allusion satirique à l'esprit d'imitation ou à la malignité du sexe faible ? Ce ouistiti ou plutôt cette guenon menace, du poing, l'âme féminine que protège le Sauveur.

Le panneau où se déroule la scène du Ser- pent d'airain montre une femme dont un ser- pent dévore le sein (hg. 48) ; celui de la Naissance d'Isaac présente Sarah couchée, à demi vêtue, sous une riche tente.

Côté gauche. Autre petit bas-relief en bois : la Première institution du mariage^ c'est-à-dire l'union, par le Créateur, d'une Eve rondelette et grassouillette, tournée de face, à un Adam vigoureux, du côté pile, alors que le fruit conjugal leur était interdit. Etrange contradiction î

Signalons encore le Jugement dernier, peinture murale de Roger Adolphe (1844), un flagorneur féministe qui ne place qu'une seule femme au nombre des damnés ! Cette réprouvée, quoique vêtue d'une robe bleue, laisse une partie de sa poitrine à découvert et, pour mieux l'étaler, elle s'agenouille de face, les traits contractés par la douleur, tandis qu'un serpent l'enlace de ses anneaux.

Saint-Etienne du Mont. — Troisième du nom : d'abord, Saint- Pierre et Saint-Paul, puis Sainte-Geneviève. Ce fut Marguerite de Valois, la répudiée du Vert Galant (159Î)), qui posa la première pierre du grand portail, en 1610. Deux anges, déchus sans doute, soutiennent au-dessus de la grande rosace les armes de la iîlle de Catherine de Médicis*.

Les originales tourelles ou tournées en culs-de-lampe du chœur

1. Le jour de la consécration de l'église, faite par Jean-François de Gondy, arche- vêque de Paris, le Hli février 16:20, survint un accident étrange, dont le souvenir est



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sont réunies par le magnifique jubé de Biart père, œuvre unique en son genre. Sur les frontons des portes latérales sont assis deux « jeunes hommes », à physionomie et formes féminines (fig. 49), dont la partie inférieure du corps est seule drapée. « Ils écoutent l'Evangile que l'on chante, écrit l'abbé J. Perdrau ; leur figure rayonne de joie et de bonheur. » Mais ils nous paraissent plutôt adorer le crucifix placé au centre du jubé ^ L'admirable chaire sculptée par Claude

gravé en lettres d'or sur une plaque de marbre noir placée sous la grosse tour, au collatéral nord de l'église. Fig. 49.

PENDANT MÎS CKUIMONIKS DK LA UKOICACE, DEUX FILLES DE LA l'AUOISSE TOMMÈRENT DV HAUVLT DES GALLEUIES Dl' r.()l-:vu, AVEC l'aPPVY ET DEVX DES DALLVSTUES, QUI KVRENT MIRACVLEVSEMENT PHÉSEUVÉES, COMME LES ASSISTANTS; NE s'ÉTANT RENCONTRÉ PERSONNE SOVnS LES RVINES, VEV l'aFFLI ENCE DV PEVPLE QVI ASSISTOIENT AVS DITES CÉlUMONIES.

Ce jour-là, on put voir, par suite de cette culbute providentielle, le mot l'indique du moins, deux « lunes » en plein midi. Ce prétendu miracle est consigné sur la plaque commémorative dont nous venons de parler, mais on s'est bien gardé de mentionner, et pour cause, les écroulements de clochers sur les iîdèlcs et surtout l'assassinat de Mgr Sibour par le prêtre Verger, durant la neuvaine de Sainte- Geneviève, le l> janvier 18;)7. A quoi pensait donc la Vierge de Nanterre ? Il est vrai que le corps de la protectrice de Paris, à qui Trochu avait eu la malencontreuse inspiration de recommander la A ille assiégée par les Allemands, a été brûlé en place de Grève, l'an 1793, et ses cendres jetées au vent. Sa châsse n'en continue pas moins à chasser maladies et mauvais destin.

De même à Rome, en 1854, Pie IX se rendit à Sainte-Agnès-hors-dcs-murs ; le planclier s'écroula et il n'y eut aucune victime. Ce « prodige » est, paraît-il, l'occasion d'une fête anniversaire, célébrée « par toute la catholicité ». Mais on oublie que Paul V, en présidant à la translation des reliques de la vierge martyre, dans la même église, y contracta la maladie dont il mourut. N'est-ce pas Pic de laMirandole qui avance : Philosophia vevilnlem quœrit^ Theolocfia invenit, Religio possidet ? (La Philosophie cherche la vérité, la Théologie l'a trouvée, la Religion en fait son domaine ?) Amen.

On vit plus fort à Rouen, pendant l'une des prédications de saint Mellon. Un jeune homme nommé Proicordius, monté sur un toit pour écouter l'orateur sacré, fit une chute et se tua, dit la légende. Le saint le ressuscita illico, subilo, presto et, par reconnaissance, la famille de Pra'cordius lui fit don d'un terrain sur lequel est actuellement construite la cathédrale de Rouen. Mais nous ne sommes malheureu- sement plus au temps où l'on gagnait de si belles récompenses à rappeler à la vie un blessé tombé en syncope.

D'ailleurs, de nos jours, de semblables miracles s'observent communément. On lit dans un journal du 21 octobre 1907 cette Nouvelle en trois lignes : « Léger sans doute, chançard à coup sûr, le couvreur Dufour, de Saint-Germain, tombe d'un toit (16 mètres) et, gaillard, se relève indemne. »

1. A l'entrée de la chapelle Sainte-Anne, 26, rue de Lille, fondée pour les Théatins, par Anne d'Autriche, on voit, assis sur une nuée, un personnage du même genre, le



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i/art profane a [/église


Lestocart est soutenue par un Samson nu, assis sur un lion, double emblème de' la Force ; selon Sauvai, « il la porte bien ». De plus,

elle est ornée des Vertus en statuettes : la Charité, comme toujours, tient un petit abandonné au sein.

Les corps latéraux des orgues (lîg-. 50) sont suppor- tés par des cariatides fémi- nines absolument nues et qui se terminent en orne- ments agrémentés de feuilles d'acanthe et de fruits.

Chapelle des Fonts bap- tismaux. Médaillon de mar- bre, avec le sujet, ressassé depuis des siècles, de Jésus allaité par sa mère. Mais ce poncif se recommande à l'attention par un sein vir- ginal fort saillant. « Il est étonnant ! » dirait Gali- paux. Un peu plus loin, l'Anne d'une Naissance de la Vierge est couchée au fond du tableau, le torse nu ; au premier plan, une forte nourrice tire l'un de ses ballons mammaires pour en gaver la petite Marie.

Chapelle de Saint-Bernard. Par galanterie, le pinceau flatteur de Tauteur d'un Jugement dernier, école de Jean Cousin, s'est refusé à placer des femmes en enfer. On en voit seulement quelques-unes, à la poitrine nue et mamelonnée, dans le Purgatoire, comme si le beau sexe ne commettait que des péchés véniels, alors qu'il est responsable de tous les péchés capitaux, y compris les crimes et délits commis par les trop faibles hommes*. Cette toile est en

buste nu et le visage elîéniiné, encadré d'une longue chevelure à la raie médiane, ni homme ni l'cnmie, une tanle d'Auvergne.

1. UEccléstHsliqne (v. I>3), moins galant, dit : « La l'emnie a été le principe du péché, et c'est par elle que nous mourons tous (v. 1^ et 13). Ne demeurez point au milieu des femmes ; car, comme le vei- s'engendre dans les vêtements, ainsi l'ini- quité de l'homme vient de la l'emme ».



Fig. :iO.


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contradiction avec le principe du « Cherchez la Femme » qui, selon un policier renommé, devait diriger les recherches dans toute affaire criminelle.

Chapelle des Martyrs du mont Ararat. Une fresque curieuse : les Dix mille chevaliers du Christ^ « qui eurent tous les costes de lances percés ». Ces chevaliers ne portent qu'une légère draperie autour des reins ; celui qui marche en tête a la figure et les seins d une femme.

Chapelle du sépulcre. La Peste ^ signée Jouvenet, avec le groupe classique de la mère, victime du fléau, son enfant suspendu au sein.

Bas côté droit. Chapelle sans vocable. Groupe, en phitre, de la Charité^ par C. R. Laitié (Salon de 1824). Nous retrouverons cette allégorie, due au même ciseau, au fronton de Notre-Dame de Lo- rette. C'est, disait-on dans les ateliers, le « laitier » des sacristies.

N'oublions pas le vitrail du Christ au pressoir, où le Seigneur est dépourvu de tout lange. Cet ex-dono, symbolique du fruit de la vigne, a été offert par Jean le Juge, qui cumulait Toffice de mar- guillier et de marchand de vins*.

1. Ce don de reconnaissance professionnelle peut être rapproche de l'inscription équivoque d'un ancien rôtisseur — qui avait surtout rôti le balai — sur l'un des vitraux d'une abbaye :

Accordez-lui, Seigneur, tout autant de pardons Qu'il a fiché de lardons. ■

Relevons, à titre de curiosité, l'inscription emphatique qui avait été gravée sur le tombeau du chirurgien Nicolas Thognet, mort en 1()42 et enterré derrière la chaire de cette église :

Passant, qui que tu sois, arrête et cons^idère,

Qui gist sous ce tombeau : Tu sauras que tiiognet, par un secret mystère, Ce monde abandonna jtour en prendre un plus beau. Son art et son savoir garantissaient les hommes.

Bien souvent, de mourir. Mortels, pensez à vous, dans le siècle où nous sommes ; Puisque thognet n'est plus, qui pourra vous guérir?

Si l'Ours de la Fable eût été chargé de rédiger une épitaphe, il n'eût pas dit autre chose.

Rappelons entin, avec de Saint-Foix, une ancienne coutume matrimoniale oû le clergé tenait... un beau rôle. Les nouveaux mariés ne pouvaient se mettre au lit avant qu'il n'eût été béni par le curé de la paroisse. Se chargeait-il aussi des der- nières recommandations à la mariée sur la perte de... ses illusions ? C'était le « droit divin du Seigneur » réservé aux ecclésiastiques, appelé « les plats de noces », c'est- à-dire assurer le dîner des curés, pour ce jour, en argent ou en espèces. Or, le curé


no


L A HT PROFANE A L ET. LISE



Saint-Eustache. — Toute une demi-ceinture de gargouilles simu- lant de gracieux et profanes torses fé- minins, entoureTex- térieur de l'abside (%• 31).

Au portail Nord, on est accueilli par

une avenante figurine (fig. 52), qui porte allègrement un tronçon de colonne, à la façon d'une guitare, la Force sans doute, une des Vertus cardinales, en costume de lutteuse antique.

A peine a-t-on franchi cette porte, l'œil est attiré du côté d'un superbe bénitier en marbre, sculpté par E. Bion (1834), orné de sujets nus, des deux sexes, blottis au-dessous de la coquille. Le groupe principal figure Alexandre VI distribuant l'eau bénite ; deux anges drapés jusqu'au col soutiennent le pape qui, du pied, écrase V « Infâme », le Démon et non pas l'Eglise; un lecteur de Voltaire pourrait s'y tromper (fig. 53).

Chapelle de Sainte-Madeleine. Une chatoyante peinture, naguère recouverte d'un badigeon, montre à nu le buste de la pénitente à la chevelure ondée et aux yeux sujets aux ondées.

Chapelle du Sacré-Cœur (6 travée). Au bas d'un tableau en l'honneur de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, on voit aux côtés de Clément Xlll et de Marguerite Alacoque Mgr de Belzunce, évêque de Marseille, consacrant sa ville épiscopale à cette pratique religieuse, pour obtenir la cessation de la peste. Comme dans toutes

de Saint-Etienne-du-Mont s étant plaint que le nommé Michau, un de ses paroissien.^, l'avait fait attendre jusqu'à minuit pour « la bénédiction du lit nuptial », l'évêque de Paris, Pierre de Gondi, ordonna qu'à l'avenir cette cérémonie aurait lieu dans la journée, avant le souper de noces.

Les curés de Picardie étaient plus exigeants ; ils prétendaient que les nouveaux mariés ne pouvaient, sans leur permission, passer ensemble les trois premières nuits de leurs noces. Cet abus fut réprimé par arrêt du Parlement, en date du \\) mars 1409, portant : Défenses à VEvêque d'Amiens et niix Curés de la dite ville, de prendre ni exiijer argent des nouveaux mariés, ])our leur permettre de coucher avec leurs femmes la première, la seconde et la troisième nuit de leurs noces, et fut dit que chacun desdils liabilans ])ourroil coucher avec son épousée sans la permis- sion de VEvêque et de ses Officiers.



Fig. 53, — BéniUcr tic Sainl-Eustaohe.


0)2


L ART PROFANE A r. EfiLISE


les représentations de ce fléau, une jeune mère, les seins complète- ment découverts, meurt de désespoir près du cadavre de son enfant. Les deux jmg-les extrêmes de la montre des g-randes orgues sont

flanqués de pilastres, couron- nés par des néréides qui for- ment cariatides ; de nombreux dauphins surmontent Tonta- blement ; seule, Aphrodite manque à ce milieu sous-marin et quasi païen.

Un détail décoratif, perché au sommet d'un pilastre exté- rieur des Chapelles du Nord, offusque la pudeur des prati- quants doués d'une bonne vue, ce qui est rare d'ailleurs*. Aux côtés d'un génie, absolument nu, qui croise les cuisses pour Fii... -li. cacher ce que ses voisins mon-

trent sans façon, se prélassent deux torses humains terminés en gracieuses arabesques et fiers de produire en public les attributs de leur virilité (fîg. 54)^.

1. La gravure donnée par Lenoir, dans la SlalisLique Monumentale de P.iris. t. II, pl. XIII, est quelque peu fantaisiste.

2. A cette église, se rattache le souvenir d'un épisode plaisant, (jue nous rappor- terons plus en détail dans notre étude sur VEffliae et le Théâtre ; il est relatif à Jean de l'Espine, dit Pont-A liais, l'un des baladins ou « gargouilles vivantes » en renom sous François I<". Un jour, il battait le tambour près de l'église, pour annoncer un nouveau spectacle. Le curé Lecoq était en chaire ; impatienté par le bruit de la peau d'âne qui couvrait sa voix, Lecoq hérisse sa crête et court interpeller le comédien : '( Qui vous fait si hardi de jouer pendant ([ue je prêche, clame le calotin hors de lui ? — Qui vous a fait si hardi de ])rêcher tandis que je tambourine, riposte le cabotin, sur un ton gouailleur ? » Le curé, furieux de se voir le jouet d un bateleur, crève sa caisse. Pont-Allais coifle aussitôt le prêtre de l'instrument éventré et le pousse dans l'église, au milieu des éclats de rire de la foule et des paroissiens (fig. Ij.'i).

Plus tard, un autre clérical mélophobe, Mgr du Belloy, proscrira la musique des églises de son diocèse « comme étant un usage trop profane et inconvenant au culte divin » ! Kt cependant le musicien Rameau était inhumé dans la chapelle de Sainte- Cécile et, depuis, des messes en musique fameuses sont célébrées, plusieurs fois l'an, avec l'aide d'artistes lyriques des deux sexes.

Avant le point final de ce hors-d'nnn re, livrons aux méditations des chercheurs de midi à (juatoi'/e heures, un nouvel exemple de choc en retour du « Doigt de Dieu » : lîadigon, l'architecte des Halles centrales, fut frappé d'insolation mortelle devant le portail du Midi, dont il dirigeait les travaux de restauration.



SEINE


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Fi^-. 55. — Tirée des lUies de Paris, par Louis Lurine.


Les Filles du Saint-Sacrement. — LSs Filles-Dieu. — Les Filles Pénitentes ^

1. Les Filles du Saint-Sacrement. — C.e couvent était voisin de Saint-Sulpicc. Anne d'Autriche, un cicr^^e à la main, y vint pour expier, oflicicllemcnt, les outrafics faits au Saint-Sacrement pendant la f;uerre ci^ile, ({u'ellc avait contribué à soulever, et, oilicieusement, pour s'y faire pardonner son ilirt avec le séduisant Buckingham. « Il était d usaji'e dans ce couvent, dit Franz de Licnhart, (ju'une religieuse répétât, chaque jour, cette cérémonie et fit amende honorable au milieu du chœur, moitié nue, la corde au covi et une torche à la main ». La croix et « la bannière », rien ne manquait à ce ])i([uant spectacle.

Les Filles-Dieu. — Fondées en 1:220 comme Les Filles du Sauveur. « pour retirer des pécheresses qui, toute leur vie, avoient abusé de leur corps ». Ne pas confondre ces chairs à plaisir avec :

Les Filles Pénitentes. — Instituées par un cordelier, elles ne furent établies qu'en 4497. On ne pouvait faire partie de cette congrégation qu'avec un certificat de mau- vaise vie et mœurs et de défloration, condition sine qua non exigée par les statuts c[uc dressa Jean-Simon de Champigny, évoque de Paris : « On ne recevra aucune Religieuse malgré elle. Aucune qui n'ait mené, au moins pendant quelque temps, une vie dissolue ; et pour (pie celles (pii se présenteront ne puissent pas tromper à cet égard, elles seront visitées en présence des Mercs, sous-Meres et discretLes, par des


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L'y\HT PROFANE A l/ÉflLlSK


Abbaye de Sainte-Geneviève'. — Les chapiteaux de la nef de l'égalise abbatiale qui précéda le Panthéon étaient décorés de



Fig. 57.

Matrones nommées exprès, et qui feront serment sur les saints Evangiles de faire bon et loyal rapport.

« Alin d'empêcher les filles d'aller se prostituer pour être reçues, celles qu'on aura une fois visitées et refusées seront exclues pour toujours.

« En outre, les postulantes seront obligées de jurer, sous peine de leur damnation éternelle, entre les mains de leur Confesseur et de six Religieuses, qu'elles ne s'étoient pas prostituées à dessein d'entrer un jour dans cette Congrégation : et on les avertira que si l'on vient à découvrir qu'elles s'étoient laissées corrompre à cette intention, elles ne seront plus réputées Religieuses de ce Monastère, fussent-elles Professes, et quelques vœux qu'elles aient faits.

« Pour que les femmes de mauvaise vie n'attendent pas trop longtemps à se convertir, dans l'espérance que la porte leur sera toujours ouverte, on n'en recevra aucune au-dessus de l'âge de trente ans ».

1. C'est dans cette abbaye que se retira le fils du Régent, en expiation des péchés de son père et de sa sœur, après avoir mutilé la Léda du Corrège tableau acquis par le grand Frédéric et restauré par Schcssinger.


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Fig. 58


d'Adam.


sculptures, aussi grossières de composition que d'exécution. Ainsi, parmi les signes du zodiaque, on remarquait le nu absolu du Verseau [\erse eau) (fig. 56); celui des Gémeaux qui, pour cacher leur devant, accentuent le coté opposé (fig. 57), et la Vierge qui, dans la même intention,


met en évidence ses roton- dités antérieures et postérieures (%.58).

L'attitude de nos premiers parents n'était pas moins sin- gulière. A la Naissance d'Eve (fîg. 59), on se demande ce que fait la main droite de la nouveau-née, au moment où l'Eternel s'apprête à la pré- senter à Adam, en prononçant ces mots, écrits au fond : ecce vm, par analogie à I'ecce iiomo, appliqué plus tard au (( double

Sur le tableau du Péché originel, les mamelles d'Eve ont une

exubérance extraordinaire, et le plus surprenant est l'ustensile,

— .^--^ - 2:alette, assiette ou dis-

^^^^^'^


que, employé par les cou- pables pour cacher leur nudité (fig. 60).

Dans une chapelle si- tuée k droite de l'autel s'élevait le tombeau du cardinal François de La Rochefoucauld ; la queue de son manteau était por- tée par un jouvenceau caudataire, sans costume. « Je suis étonné, dit de Saint-Foix au sujet du marbre de Philippe Buvster, que l'extravagante imagination qui a créé ce page, au lieu de le laisser à moitié nud, ne lui ait pas donné la livrée ».

li AUT PROFANE. — I. 5



Fie-. 59


G G


L A UT l'HOFAM-: A I> EGLISE



Notons encore un groupe bizarre, pres- que funambulesque, qui égayait une fres- que, le Portement de croix (fig. Gl), et ornait la chapelle de cette Abbaye royale : le Rédemp- teur semblait s'ap- pliquer à donner une claque sur le ii8- 6^- fessier nu d'un de

ses bourreaux ; à moins qu'il ne cherchât à y attraper une mouche.

Saint-Germain l'Auxerrois. — Bien des nudités réelles ont défilé dans cette église, qui fut long- temps le baptistère des cam- pagnes avoisinanles :

Alors qu'elle était dans la cam- paf^ne, dit Tabbé Lebœuf, et qu'elle n'était pas resserrée dans une cité dont les murs impéné- trables étaient solidement entre- tenus, la Seine y avait été con- duite facilement, et elle y formait un bassin pour y donner le bap- tême par triple immersion.

Extérieur . — Sous le por- che, adossée à un pilier, se dissimule Marie V Egyptienne (fîg. ()2), la pénitente des dé- serts de la Palestine, vêtue seulement de sa chevelure dorée et portant trois pains pour sa nourriture. Certes, pendant les dix-sept années qu'elle fit (( folie de son corps », elle coûtait plus cher à entretenir. On voyait encore au xvin^ siècle, dans la chapelle con- sacrée à la sainte, une moitié de vitrage, où elle était représentée sur le pont d'un bateau, troussée jusqu'aux g-enoux, devant le ba-



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telier, avec cette légende explicative : comme la sainte offrit son CORPS AU BATELIER POUR SON PASSAGE. Jusqu'alors, le clcrgé du lieu n'avait pas été choqué de cette image ; mais, en 1760, le curé fit enlever ces « vitres ridicules », suivant l'expression du pudique Sauvai. Nul n'ignore que l'Egyptienne se donna à tout l'équipage pour payer son parcours jusqu'à Jérusalem : la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a ^

Le portail central est égayé d'une diablerie (fig. 63) qui n'était pas déplacée à la porte d'une collégiale où Charles le Sage avait fait inhumer son fou, Grand Johan : un démon piétine et tourmente de sa fourche, dans la chaudière à bouillie humaine, trois person- nages dont Tun est mitré, fréquente et sanglante allu- sion aux mœurs des prélats ou tout au moins des abbés. Ses compagnons semblent être un prince et un riche bourgeois, le gratin de la société civile. Ce- pendant, un bon diable leur apporte une Gigolette, pour leur tenir compagnie, et met la « poupoule



Fig. 62.


Ce


au pot.

groupe de damnés faisait partie du Jugement enlevé en 1745.

L'extérieur de l'église est peuplé de tout un monde d'êtres chimériques et drolatiques : un sauvage, en sauvage, sort de la gueule d'un hippopotame ; une truie allaite sa nombreuse progéniture ; une femme nue, aux mamelles opulentes, enfourche et dompte un fauve ré- calcitrant ; un bélier saillit une brebis ; etc.

Intérieur. — Transept. Aire du bras droit. Un bénitier sculpté en 1844 par François Goulfroy, d'après la libre composition de la prude anglo-saxonne, Mme de Lamartine, est surmonté d un groupe de trois garçonnets nus, au pied de la croix (fig. 64). Une réplique de ce curieux monument se trouve au Musée de Dijon (N^ 1034), pays natal du sculpteur.

1. Saint François de Paulc, pour traverser le détroit de Messine, eutrecours à un expédient plus honnête. Ne pouvant payer sa place dans le bateau de passage, il étendit son manteau sur la mer, en saisit un coin pour servir de voile et se confia à Zéphyr qui lui fut favorable. Fait attribué aussi à Saint Raymond de Pennafort.



Fig. (ilî.


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i/art profane a i/ église


Chapelle de la Vierge. Sous un épais badig-eon, étendu vraisem- blablement sur les ordres du même abbé « ennemi des réalités »,

on a découvert une fresque du XVI siècle, la Résurrection au jour du Jug-ement universel. Dans leur émoi, réveillés en sursaut par les sept trompettes angéliques, les morts de l'un et l'autre sexe ont oublié leurs linceuls au fond des sépulcres. De là le coup de ripolin.

Chapelle Saint -Landry. Une peinture historique de grandes dimensions, raconte la famine qui



alïligea Paris.


sous le règne de


Clovis II. Saint Landry, après avoir donné tous ses biens, livra même les vases sacrés, pour nourrir le peuple ; la pestiférée de rigueur (fîg. 65), tenant son enfant mourant, est placée sous la protection du saint.



Au-dessous se déroule la frise peinte par Guichard (1843), la Translation des restes de saint Landry. Dans le cortège, on reconnaît l'auteur de la dé- coration, Ingres, le chanteur Nourrit qui se tua dans un accès de délire, à Naples, et d'autres contemporains du peintre ^


1. En 150o, le curé de Saint-Germain l'Auxerrois souleva une véritable émeu- te,en refusant d'enterrer une marchande delà rue de l'Arhre-Sec, avant « qu'on

ne lui eût montré, ou à rEvêque,lc testament qu'elle avoit fait ». C'était un droit que s'était arroge le clergé de punir ainsi ceux « qui n'avoicnt pas fait un legs à l'Eglise ».


Fig. Go.


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Saint-Germain des Prés. — Transept. Avant la Révolution, s'éle- vait dans la partie gauche le tombeau de Casimir, roi de Pologne, sculpté par les frères de Marsy. Les angles étaient occupés par des captifs enchaînés à des trophées d'armes (%. 6G,67). Parmi ces captifs figurait une femme montrant ses seins. Au dire de Gourajod,



Fig. G6. Fig. 07. Fig. 08.


la provenance des N^^ 196 et 197 de la Sculpture moderne, du Lou- vre, est attribuée inexactement à ce mausolée, reproduit dans V His- toire de Saint-Germain des Prés, de dom Bouilkird.

On y voyait aussi le tombeau de Guillaume Douglas, gravé dans la Statistique Monumentale de Paris, par Lenoir. Ce monu- ment offrait dans son ornementation une particularité prêtant à l'équivoque : V Hercule de ses armoiries (fîg. 68), quoique muni d'un brayer de feuillage, tenait sa massue verticalement, au devant

Le droit de « bénédicLion du lit nuptial », dont nous avons parlé, et bien d'autres abus lucratifs prouvent que le « spirituel » n'a jamais dédaigné le « temporel », et que Vauri sacra famés, de Virgile, s'applique avant tout aux choses sacrées. • Le clergé de la même paroisse ne lit pas tant de dilïicultés pour recevoir les corps de Gabrielle d'Estrées, marquise de Monceau, et du quatrième enfant royal, dont elle était grosse. Elle mourut au moment où Brûlant de Sillery s'occupait, à Rome, de la dissolution du mariage d'Henri IV avec Marguerite, dont elle devait prendre la place. Coïncidence fâcheuse qui fit prendre un accident tocologique pour un empoisonnement ; de là cette mordante épitaphe :

Cy-gît Madame la Marquise, D'un esprit plus grossier que fin, Qui mourut pour trop s'être enquise Qui seroit Monsieur le Dauphin.


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i>'art profane a i/éoijse


de son pubis ; de sorte que cet attribut simule un énorme phallus et accentue ce qu'il doit cacher.

Gilles Corrozet décrit, dans ses Antiqiiitez de Paris (1580), le tombeau de Chilperic, fils de Glotaire. Le quatrième roi de France tenait le sceptre royal d'une main, et, de l'autre, « sa gorge, comme



Fig. 69. Fig-. 70. Fig. 71.


tesmoignant la trahison de la paillarde de Frédégonde, sa femme qui le fît occire par son adultère ». La « paillarde » était « ensé- pulturée » vers le maître-autel et sa victime gisait dans le premier chœur, côté septentrionnal

Le même auteur a vu dans cet édifice abbatial, jadis un temple dédié à Isis^ la statue de cette déesse. « Elle estoit maigre, haute droite, nuë, sinon avec quelque figure de linge entassé autour ses membres ; elle estoit située contre la muraille du costé septen- trional, au droit où est le crucifix de l'Eglise » .

Saints-Gervais et Protais. — Chœur. La seule église de Paris dont les stalles sont ornées de sujets profanes, reproduisant des scènes de la vie journalière : scènes professionnelles ou familières, parfois comiques ou libertines. Troche pense que ces motifs variés permettaient aux ecclésiastiques de reconnaître la sellette qui leur était assignée. Ils servaient plutôt à les distraire et offrent surtout un témoignage durable de l'humeur joviale des maîtres huchiers.

1 . Sa pierre tombale, en mosaïque de marbre sertie de filets de cuivre, est à Saint-Denis : les extrémités, visage, mains, pieds, manquent ; elles étaient sans doute lamées de cuivre ou d'argent ?


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Hautes-formes. Côté de l'Epître. 8" stalle. Une néréide peigne ses longs cheveux et se mire dans un miroir : emblème de la Vo- lupté [iig. 69).

10*' stalle. Un chien couché lève la cuisse et se pourléche : cynisme de la Luxure. Mutilé, en 1793^ par des sans-culottes trop scrupuleux (fig. 70).

12^ stalle. Homme nu enfourchant un tonneau, à la façon de Bacchus : V Intempérance . C'est sans doute la figure 71 qui a été abominablement endommagée.

Basses-formes du même côté. 3*" stalle. Un galant, la tete cou-



verte d un capuce (fig. 72) — et non un fou — folâtre avec une ribaude ou une rebelle. Ce groupe symbolise-t-il la Luxure ou est- il consacré à la corporation des Madelonettes non repenties? « Triste allégorie, soupire Tarchéologue morose susnommé, mon- trant le dénùment des vertus et la bassesse des habitudes. » Ré-


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i/aUT 1>H0KANK A f/ÉGLlSi:


lïexion à laquelle Champflcury répond : « Je crains bien que Fauteur de cette interprétation ne soit souvent irrité par la vue de sem- blables sujets dans les cathédrales. »

Sous une miséricorde voisine, un gracieux et potelé Ciipidon

p sommeille, accoudé sur une tête de mort : svmbole de Vlllusion et de la Réalité (fig. 73).

Côté de TEvan- gile. 6"^ stalle. Une



femme est repré- sentée nue dans un bain ; le mari ou l'amant s'apprête à entrer dans la même baignoire, mais ne lui caresse pas en- core le menton, comme le veut Troche. Pour la morale du saint lieu où ce tableau de mœurs est exposé, nous admettrons qu'il s'ag-it sim- plement d'une scène d'inté- rieur bourgeois ^ Un rabot imbécile a déchiqueté les chairs féminines ; nous les reconstituons tant bien que mal (hg. 74), en suivant leur silhouette imprécise. Selon Champfleury, nous aurions là une de ces scènes qu'ollVaient journellement quelques étuves mal famées, à la fin du xv*^' siècle : « Ces maisons de baigneurs, dit-il, sont signalées par les anciens chroniqueurs comme des lieux de rendez-vous, de tout point semblables à ceux qui

4. M. G. Durand, dans son admirable monograpliic de la Cathédrale d'Amiens, décrit ce culot de sellette et dit, à tort, qu'elle représente « toute une famille, père, mère, enfants entièrement nus, dans une baiiinoirc de bois ».



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existent encore actuellement k Berne ». Longtemps, en effet, dans les bains publics, à Bade, par exemple^ les deux sexes étaient confon- dus. (( Lesbaings (de Bade), écrit Sébastian Munster, en 1555, qui sont es maisons privées, sont bien agencez et poliz et sont communs tant aux femmes qu'aux hommes... En tout le monde, il n'y a baings si propres pour rendre les femmes fertiles que ceulz cy ».

Les sellettes ou miséri- cordes, à charnières, des stalles du chœur servaient de sièges; leur face inférieure, taillée en culs-de-lampe, était souvent ornementée, et les artistes réser- vaient à cette partie, peu expo- sée aux regards, les scènes les plus libres, voire scatologiques. C'est ainsi qu à la septième stalle, un individu sans gêne pousse l'oubli des convenances ^'ig- 77.

jusqu'à s'arrêter devant la porte

d'une maison habitée pour satisfaire dame nature : « Nécessité fait gens mesprendre »j a dit Villon. A la fenêtre du rez-de-chaussée sur- git un voisin mécontent, qui tenait peut-être un bâton ou un balai menaçant^ mais a un pudique ciseau a profondément labouré cette naïve et grossière composition », que nous avons quelque peu res- taurée. 11 nous semble que les partisans les plus convaincus de la symbolique auraient peine à en tirer une signification acceptable. Quant à nous, privé du sens dédouble vue, notre faible perspicacité ne voit là qu'une plaisanterie dans le mauvais goût de l'époque une pure ou plutôt une impure fantaisie d'ornementation (fîg. 77).

Clôturons ce copieux inventaire par l'examen de la huitième stalle, le clou de la série. Le long d^un lit est étendue une femme

1. Comme les corps de métiers figuraient souvent sur ces stalles, on a cru recon- naître dans ce motif une baraque d'écrivain public. Mais il s'agit vi*aisemblablement d'un portier qui proteste contre l'incongruité d'un passant, ou la vengeance dun locataire auquel on a donné congé. Tel ce voyageur facétieux qui, renvoyé d'une hôtellerie « parce qu'il fumait et crachait trop», déposa, avant de partir, un copieux souvenir au beau milieu de la chambre et dit au maître d'hôtel, en sortant : « Soyez satisfait, je vous ai laissé un locataire qui fume et ne crache pas ! »



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l/.\UT PROFANE A i/kC.LISE


nue, la cuisse droite fléchie sur la gauche, dans l'attitude de la clystérisation ; devant elle, un personnage coiffé d'un béret, un apo- thicaire apparemment^, met un genou en terre pour remplir... son ministère. Cette scène réaliste, surtout en ce qui concerne le torse de la femme, a été dété- riorée par un protestataire convaincu, mais non de son imbécillité (fîg. 78).

Les vitraux de la chapelle du chevet, attribués à Ro- bert Pinaigrier^, relataient les scènes de la vie de la Vierge. Chacune déciles était accompagnée d'un quatrain en langage naïf ; voici celui de Y Annonciation :

Un angel de Dieu lui nonça

Et pour vérité prononça

Que de l'Esprit elle estoit pleine,

Par quoy fut son an hors de peine.

« Hors de peine » signifie sans doute débarrassée des incommo- dités mensuelles du sexe, pendant une année, ou de son faix, au bout de cette époque ?

Le délicat Sauvai trouve encore ici l'occasion de protester contre <( le ridicule » de ces inscriptions :

Pour voir merveille singulière, il faut aller à Saint-Gervais, et là, contempler attentivement la vie de la Vierge, peinte sur les vitres de sa chapelle, avec celle de sainte Elisabeth, par un vitrier et un peintre du siècle passé, car on peut dire, avec grande raison, que cela passe le ridicule.

Rappelons, enfin, un exemple typique d'incohérence et d'into- lérance religieuses. Prosper Joliot de Crébillon, auteur dramatique mort en 1762, fut inhumé dans cette église, et Louis XV chargea

1. Le cicérone de rcndroit a décide qu'il s'agissait d'un sculpteur, mais le lit bien indiqué au chevet, muni de son traversin, et la position classique des membres infé- rieurs nous font persister dans notre hypothèse.

2. Cf. Ottik, le Vitrail.



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Jean Lemoine de lui élever un mausolée à ses frais. Le sculpteur représenta Melpomène en pleurs, appuyée sur le buste de ce poète tragique; mais le curé de Ja paroisse s'opposa à l'érection de ce groupe funéraire, « di- sant qu'un monument pro- fane ne devoit point entrer dans son église, et qu'il l'ad- mettroit volontiers dans le temple du Seigneur, si l'ar- tiste vouloit supprimer la figure de Melpomène ! » Or, une statue antique de cette muse de la tragédie orne les galeries du Vatican ! Ce que l'Eglise permet au delà des Alpes^ elle le défend en de- çà ! Ainsi ce pieux irréduc- tible, plus papiste que le pape, admet le corps de l'au- teur dramatique, et lance l'anathème sur la Muse qui l'inspirait !

Grands-Augustins. — Le

tombeau de Le Clerc de Lesseville était dominé par une allégorie, la Religion qu'aucun attribut ne carac- térisait. Cette figure avait le ' sein nu et désignait, de la main, le ciel, séjour des bienheureux et des pauvres d'esprit.

Une stalle du chœur était réservée au Dauphin et se distinguait des autres par un dais terminé en couronne ; deux cariatides fémi- nines, au buste nu, ornaient ses accotoirs.

Sur la chaire, sculptée par Germain Pilon en 1588, d'autres



1. Millin, loc. cit., t. VI, p. d;


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i/art profane a l'église


cariatides, supportant la corniche, encadraient latéralement trois beaux bas-reliefs. Pour Millin, ces statuettes figuraient non pas des anges, mais « des femmes ailées, dont la gorge est nue et bien marquée ». Le tableau du milieu était consacré à saint Paul, prê- chant au peuple. Le premier rang des auditeurs est occupé par quatre femmes, dont Tune a la poitrine découverte (fig. 79). Sur un autre bas-relief, Jésus, au puits de Jacob, s'entretient et flirte « galamment » avec la Samaritaine.

Le baron de Guilhermy a décrit et reproduit, dans les Annales d'archéologie^ un curieux pilastre qui faisait partie de la décoration d'une chapelle de cette église, où Philippe de Gomines avait son tombeau. Ge pilastre, qui orne actuellement la cour des Beaux- Arts, retrace « les triomphes de l'Amour sur la fragilité humaine ». Nous y voyons Adam et Eve ; Hercule, nu, se consumant sur un brasier, au mont yEtha ; Aristote scellé et Virgile en corbeille, sous le joug des courtisanes. Gupidon paraît dans sa gloire, sur un autel où il reçoit les hommages des hommes et des femmes qui recon- naissent

Qu'amors vainc tout et tout vaincra Tant com cis siècles durera.

Saint-Hilaire*. — Saint-Honoré ^

Église des Innocents. — Dès le xm siècle, à l'angle de la rue Saint-Denis et de la rue aux Fers, une fontaine, dite des Innocents, était appuyée contre l'église de même nom. Vers 1550, cette fontaine

1. De Saint-Foix raconte qu'en 1513, cette église fut « profanée et ensanglantée >» par deux peintres, au sujet d'une querelle d'art. Ils en vinrent aux mains à propos d'un tableau qui représentait Adam et Eve dans le paradis terrestre.

« L'enfant, disoit l'un, quand il est sorti du corps de la mère, y reste encore attaché par un assemblage de vaisseaux que l'on coupe et qu'on noue le plus près du ventre qu'il est possible ; et c'est ce qui fait ce trou qu'on appelle le nombril : or, Adam et Eve n'ayant point eu de mère, il faut être aussi sot que vous l'êtes, pour les avoir représentés avec un nombril... » La critique était juste et plutôt hilare — étant donné le vocable du milieu — qu'injurieuse et dramatique.

2. Moustier-Sainl-Hounoiiré-aus-porciaus, supprimé en 1740, — Le jour des funé- railles du cardinal Dubois, pourvoyeur des menus-plaisirs du Régent, on attacha à la grille de l'église cette méchante épitaphc :

Rome rougit d'avoir rougi Le maquereau qui gît ici.

L'ami de Mme de Tencin, ex-chanoinesse aux Jacobines de Montargis, eut d'ailleurs une mauvaise presse et fut assaisonné non seulement à la maître d'hôtel, mais sur-


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fut reconstruite^ par^Pierre Lescot, abbé deJGluny, et Jean Goujon.



Fis-. 80.



Fig. 81.

et consacrée aux « Nymphes des fontaines » [Fontium nymphis). En 1786, l'église et son charnier ayant été supprimés pour Tétablis-


tout à la sauce piquante. Dans l'ordre iconographique, faut-il rappeler à son sujet cette estampe où Innocent XIII, en cuisinier, fricassait à la poêle un maquereau pour le métamorphoser en rouget ? La plus osée de ces satires graphiques représen- tait Emilie, célèbre danseuse de l'Opéra, assise sous un dais, les jupes relevées et « se trouvant dans une crise à laquelle son sexe est périodiquement sujet >>. L'abbé s'agenouillait à ses pieds et présentait sa calotte, dont la teinte noire devenait rouge. On lisait au-dessus du trône cette inscription latine : Ex vulvâ rubescit. Et dans les carrefours on célébrait cette promotion par des couplets cinglants, sur l'air des Mirlitons :

Qui t'a fait celte teinture ? Dit à Dubois Isabeau ; Dis-moi donc, je te conjure, Qui t'a rougi ton chapeau ? C'est le Mirliton, etc.

Cette petite collégiale qui a laissé son nom à Tune des rues les plus importantes de Paris, comme le rappelle de Guilhermy, avait une enceinte particulière, devenue lui i)assagc public appelé le Cloître. « Une maison de débauche souillait, il n'y a pas longtemps, les derniers débris de l'église ; elle s'était logée entre les murs d'une chapelle, qui avait servi de sépulture au cardinal Dubois ». Croisez et Multipliez !


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L AKT PROFAM-: A L EGLISE


sèment du marché aux Herbes, la fontaine se dressa au milieu de ce marché. Pajou restitua les quatre nymphes élancées des pilastres, popularisées par la gravure, et dont une seule avait le torse nu, comme Tune des Grâces de l'urne funéraire de Henri H. Quant aux bas-reliefs de Jean Goujon, aujourd'hui au Louvre, ils représentaient la Seine et la Marne opérant leurs jonctions et des Nymphes voguant sur des coquilles traînées par des monstres marins. Ces figures, toutes privées de voiles, en mitoyenneté avec une église, devaient blesser bien des regards tartuffîens (fig. 80, 81). Dans le charnier se trouvait une tombe « merveilleuse » mirabilem tomham, d'une <( dame de Paris », dont Pierre de Limoges vante la dévotion et qui, « par un singulier scrupule d'humilité, s'était fait peintre entiè- rement nue sur sa pierre funèbre », avec une inscription dont il cite ces deux vers :

Propler peccata mea sic oro spoliata' Sicque fui naia, sic surgere nuda parafa.

Une épigramme vise un cas analogue attribué à l'avarice :

Par testament, dame Denise, Quoiqu'elle possédât un ample revenu, Ordonna que son corps fût inhumé tout nu.

Pour épargner une chemise.

Nous avons décrit, à Notre-Dame, l'effigie de la Mort -Saint- Inno- cent^ que l'on découvrait au peuple à la Toussaint (fîg. 28).

Couvent des Jacobins*. — Un vitrail y célébrait la victoire de saint Thomas d'Aquin sur la chair et la luxure. Ce saint « pour- suivait avec un tison ardent une femme mi-vêtue, pleine d'attraits », que ses frères avaient introduite dans sa chambre.

Sur plusieurs stalles du chœur étaient sculptées des figures grotesques, dont quelques-unes inconvenantes et nullement allégo- riques ; elles exprimaient crûment ce qu'elles voulaient dire.

Saint-Jacques du Haut-Pas. — Chapelle de Saint-Pierre. Nous y trouvons une toile du xvii^ siècle, où la Charité allaite un baby, tandis que deux autres jouent à ses pieds: sujet aussi banal que rebattu.

4. De la rue Saint-Jaeques ou couvent des Dominicains.


s EirsE


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Chœur. Tableau, signé Bouselier: Saint Philippe baptise V Eu- nuque de la reine de Candace, sur le chemin de Jérusalem à Gaza. Par sa position agenouillée, l'eunuque semble s'efforcer de cacher ce dont il a été privé.

Saint- Jacques la Boucherie — Un bas-relief en marbre (fig. 82), placé aujourd'hui dans le collatéral nord de l'église abba-



tiale de Saint-Denis, près du mausolée de Louis XII, provient de Saint-Jacques la Boucherie et matérialise V Assomption. La Vierge a, pour tout vêtement, une écharpe transparente qui vole au vent. Elle est entourée de quatre anges musiciens ; mais eux sont dé- cemment habillés.

Le comte de Montalembert n'accepte pas cette interprétation et

1. Jean Ferncl, médecin de Catherine de Mcdicis, fut inhumé dans cette église. Un vitrail de la cathédrale de Beauvais représente saint Luc, le patron des méde- cins et des apothicaires, sous ses traits. Nous savons qu'il guérit la reine de sa sté- rilité, après neuf ans de mariage ; mais elle rattrapa le temps perdu et eut consécu- tivement cinq garçons et cinq filles, dont chaque naissance rapportait dix mille écus à Fernel. Il ne fut pas seulement un bon médecin, mais aussi le modèle des maris : il ne survécut que quelques semaines à la mort de sa femme. Gomme on ne meurt pas d'amour à moins qu'on ne se suicide, — en l'espèce, cette fin ne serait pas impos- sible — il peut y avoir, comme le suppose le D' Cabanés, une simple coïncidence et Guy Patin, qui critique la faiblesse de son confrère, en serait pour ses frais d'éloquence.


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i/auT PROFANK a I/ÉGLISK


propose de voir dans ce tableau marmoréen V Ascension de Marie- Madeleine^ morte à la Sainte-Baume, en Provence. Mais Didron admet notre façon de voir, et la représentation de la mort de la Vierge Marie, sur la partie inférieure du bas-relief, confirme tout à fait cette opinion.

L'auteur des Essais historiques sur Paris va encore nous fournir un document précieux :

En 1443, un certain Charles de Tarenne et ses frères cédèrent à la Fabrique de Saint-Jacques la Boucherie un tapis de laine appelé le Dieu d'Amour, h plusieurs personnages, pour en jouir eux et leurs successeurs, au prolit de ladite Fabrique. On exposoit dans les grandes Fêtes, à la vue des Fidèles, ce tapis profane. Nos Eglises, même aujourd'hui, sont quelquefois ornées de tapisseries dont les sujets ne sont pas plus chrétiens.

Saint-Jean-Baptiste de Belleville. — Dans une grande machine moderne, sans valeur artistique: Jésus retirant Adam et Eve des limbes^ la première femme s'efforce de cacher ou de soutenir ses mamelles à l'aide de ses bras croisés, le premier corset improvisé.

Église des Jésuites. — Ces RR. PP., en l'année 16S3, y expo- sèrent Y Enigme infâme^ « où l'on voyait toutes les divinités du paganisme, Jupiter, Vénus, Cupidon, etc., en costume olympien, à côté de Jésus, de la Vierge et des Saints. »

Saint-Joseph. — Chapelle des Fonts-baptismaux. Un tableau sur cuivre, du xvii^ siècle, représente Hérodiade tenant la tête de saint Jean-Baptiste ; la mère de Salomé a la gorge et les bras nus ; voilà une toile dont l'accès serait interdit dans la pudique Amérique *.

1. On sait que le Conseil d'administration du Metropolitan Opéra de New-York vient d'apposer son veto à la représentation de la Salomé, de Richard Strauss. Cette œuvre lyrique nous a été donnée au Châtelet, et, certes, elle n'avait rien de choquant, sauf le costume trop collet monté d'Hérodiade. Quant à sa fille, on ne voyait même pas la peau de ses épaules ; et la danseuse, substituée à la cantatrice, était la moins lascive de notre corps de ballet. Elle n'en faisait pas partie d'ailleurs.

Plus puritaines encore, les autorités de Wilmington (Delaware), le lendemain de la première représentation de l'œuvre « immorale », ont ordonné l'arrestation du directeur, du régisseur de l'Opéra et aussi de miss Annie Gordon (Salomé), ainsi que de miss Hélène Yeamons, qui tenait le même rôle pour la partie dansée. Et l'oncle Sam se dit libre ! Ceci se passait non au temps des capucinades, mais au xx^ siècle, le 22 mai lUOT.


SËÏNË


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Saint-Laurent. — Le long de la corniche court, au milieu d'ara- besques et de branchag-es feuillus, une multitude de petits animaux fantastiques. On discerne au milieu d'eux un g-amin indiscipliné qui présente la partie la plus charnue de son individu à un vieux péda- gogue armé d'un énorme martinet*. Ce magister est le symbole frappant de la Grammaire^ représentée un fouet de la main droite, et souvent, dans la gauche, un scalpel pour couper le filet des en- fants. Cette allégorie réaliste nous remet en mémoire la méthode singulière employée par le cardinal Fleury à l'égard de Louis XV, quand il ne savait pas ses leçons : il faisait fouetter jusqu'au sang un petit rustre remplaçant son élève en vivante eiïîgie.

Saint-Leu et Saint-Gilles ^. — Au milieu d un médaillon de vitrail, Salomé, le buste nu, se livrait à la danse en présence d'Hérode. Cette scène chorégraphique est souvent reproduite sur les édifices religieux de la Normandie, où sans doute les baladines dansaient sur les mains, car la fille d'Hérodiade paraît habituelle- ment dans cette posture.

Une peinture sur verre du xv^ siècle, reproduite par Lenoir et représentant V Annonciation^ ^ était placée au-dessus de la porte de la sacristie. La Vierge lit ses Heures en présence de Gabriel, qui vient tenir la chandelle de cire et lui annoncer sa conception, non par le cygne, comme pour Léda, mais par le pigeon, du bec duquel émane un rayon <( pyramidal », comme le miracle. Ce rayon va droit à Foreille de Marie, pour y déposer un embryon de Jésuculus, déjà muni de sa croix. Cette naïve enluminure est l'interprétation de la Première joie du cantique des Cinq joies de la Vierge^ de l'arche- vêque de Cantorbéry, Thomas Becket :

Gaude, Virgo, mater Christi, Quœ per aurem concepisti.

Gahriele nuntio,

Ave Maria ! *

1. Et cependant saint Bernard considère les pasteurs, les éducateurs de l'esprit, comme autant de mères charitables des âmes qu'ils dirigent : « Ils doivent, ccrit-il, tendre la mamelle, pour les nourrir, plutôt que la main, pour les frapper ; leur sein, ajoutc-t-il, doit plutôt s'enfler de lait que de colère ».

2. Dépendant du monastère de Saint-Magloire. On n'y recevait que les fdles dû- ment dissolues et après avoir été visitées par des matrones*

3. V. notre Obstétrique dans les beaux-arts.

4. La seconde joie est d'accoucher sans douleur :

l'art profane. — I. 6


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L'ART PROFANE A l'ÉGLISK


Sitôt qu'eut parlé Gabriel, La Vierg-e conçut TEternel, Par une divine merveille. L'Archange ainsi le lui prédit, Et de là peut-être a-t-on dit : Faire des enfans par Toreille.

Ainsi s'exprime Ting-énue Ag-nès en présence du Seigneur de la Souche.

Une verrière, dont le sujet est analog-ue à celui que nous venons de décrire, existe au Musée de Gluny.

Abbaye de Longchamp*.

Gaude, quia Deo plena Peperisti, sine pœna, Cum pudoris lilio; Ave Maria !

i. Ce monastère fut fondé en 1260 par la pieuse Isabelle, sœur de saint Louis dont la sépulture produisit, comme toujours, des miracles qui, aidés de belles fêtes en musique, attiraient, chaque année, durant la semaine sainte, une foule con- sidérable. Il était de mode et de bon ton d'assister aux Ténèbres de l'Abbaye, VHippique de nos jours. En 1727, raconte Laffîtte, une chanteuse de l'Opéra, Mlle Le Maure, s'y retira et tout Paris courut l'entendre chanter les offices du Ven- dredi saint; la vogue continua pendant plusieurs années avec d'autres cantatrices de théâtre, Mlle Fel, par exemple. « On tomba dans l'exagération, et les Ténèbres de Lonchamp étant devenus un véritable spectacle, l'archevêque de Paris fît fermer la chapelle ».

Ainsi le pieux usage des concerts spirituels produisit de vrais pèlerinages mon- dains, et peu à peu la promenade de Longchamp, le vendredi saint, devint une brillante exposition printanière de modes féminines.

Au xviiie siècle, cette abbaye était, tout à la fois, un couvent cloîtré de l'Ordre de Saint-François, une maison de retraite ouverte aux vieilles repenties comme aux jeunes pécheresses, enfin « un pensionnat discret pour les témoignages vivants d'unions passagères ou coupables ». Parmi les dames pensionnaires, en février 1768, nous relevons le nom de Mlle Le Chat de La Chevalerie, dix-huit ans, créole, atteinte de « vapeurs hystériques ». Pour en prévenir les accès, elle prend des bains de lait et couche toutes les nuits avec la demoiselle Aber, « qui a soin de la réveiller, quand elle s'aperçoit qu'elle fait des rêves affligeants ». Au début, la règle obligeait les religieuses à coucher au dortoir ; de son lit, l'abbesse devait voir tous les autres lits « sans aucun obstacle ». Plus tard, chaque religieuse eut sa chambre. Cf. Notes secrètes sur l'Abhaïe de Longchamp, en et G. Duchesne, Hisl. de l'Abbaye

royale de Longchamp, de 12o5 à 1789 (1906).

Autre pensionnaire : Mlle Daugon, nièce de ce Printems qui, de soldat, devint peu à peu un charlatan célèbre, opérant des cures comme notre zouave Jacob. C'est du même Printems dont il est question dans les Mémoires secrets, au sujet d'une grossesse de la Reine :

18 décembre 1778. En attendant que la reine accouche, on s'entretient de son accoucheur Verniont, qu'on est toujours fâché de voir chargé de cet emploi.

On assure que S. M., pour s'amuser, a envoyé chez un charlatan, nommé Printems, qui, par les urines, prétend reconnoître si une femme grosse aura un garçon ou une fille. On lui a caché


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Saint-Louis des Invalides. — Au fond de la cour d'honneur de l'Hôtel des Invalides, s'ouvre le portail de l'ég-lise consacrée sous l'invocation de saint Louis. Au-dessus de ce chef-d'œuvre, d'ordre composite, le fronton est occupé, d'un côté de l'horloge, par le



Fig-, 83.

Temps, et, de l'autre, par une femme entourée d'angelots et mon- trant sa poitrine nue (lig. 83).

Au sanctuaire du Dôme, parmi les figures allégoriques, la Charité avec ses riches mamelles, toujours pleines d'un lait généreux.

quelle était la personne qui le consultait. Après son examen, il a répondu que ce seroit un mâle ; alors on lui a déclaré qu'il auroit le Gordon Noir s il avoit pronostiqué juste.

Cet ordre était de circonstance pour un accouchement.

Mais revenons à nos pensionnaires et continuons la présentation. Voici Mlle Liège, dix-neuf ans, fille d'un apothicaire, qui, pendant dix-huit mois, autorisa un jeune peintre, Descan, à installer son atelier dans sa cellule.

Cet émule de Filippo Lippi peignit tous les jolis minois du couvent et tourna la tête à bon nombre de ces recluses pour rire.

Terminons par une pécheresse de marque, la reine Margot, à laquelle Henri IV, après son divorce, fit don du château de Madrid et qui venait à l'abbaye de Long- champ, voisine, demander l'absolution de ses coups de canif au contrat conjugal. « Ah ! s'écrie fauteur cVUiicoin de Piiris, elle dut faire subir à son aumônier, saint Vincent de Paul, de bien cruelles épreuves. On possède de lui une lettre virulente où, pour soulager son cœur, il flétrit avec indignation la dépravation des habitants de fabbaye de Longchamp ». Moyen détourné pour faire comprendre à sa souve- raine qu'il n'était pas sa dupe.


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t/art profane a L'église


Saint-Louis en l'Ile. — La porte de cette église, rue St-Louis-

en-l'Ile, 21, est agrémentée d'un fronton où deux amours païens, en costume de l'emploi, tiennent une guirlande de feuillage, dans le goût du XVII siècle.

Madelonnettes *.

Sainte-Marguerite. — Der- rière l'autel, les débris du tombeau d'Antoine Favet, dont l'effigie a disparu. Il ne reste que la table de marbre noir sur laquelle la statue du person- nage était couchée et qui est supj)ortée par quatre anges de marbre blanc, agenouillés. M. deGuilhermy raconte, dans son Itinéraire archéologique de Paris, que ce monument fut enterré dans le sol du chœur, vers 1737, « à cause de la nudité des anges ^. »

1. Situées rue des. Fontaines; elles servaient d'asile aux prostituées repentantes. Les plus ferventes étaient admises à prononcer leurs vœux; celles dont la vocation était moins assurée restaient dans la maison sous le nom de sœurs de Sainte-Marthe : les autres repenties vivaient chrétiennement au dehors. Anne d'Autriche, une quasi Madeleine couronnée, assista à la première messe célébrée dans l'église de cette communauté, le 22 mars 1648.

De maison de refuge, le couvent des Madelonnettes devint une maison de correc- tion, où les mères faisaient enfermer leurs filles qui se conduisaient mal. A partir de 93, le couvent servit de prison, puis il fut démoli en 186G, lors du percement de la rue Turbigo.

2. Que peut contenir le verre de l'apôtre? Du sang de l'hémorroïsse ?

3. Le Journal de Barbier, à la date de juin 1725, rapporte un miracle qui se serait passé dans cette église, la guérison d'une métrorragie prolongée : « Dans le faubourg Saint-Antoine, paroisse de Sainte-Marguerite, il y a la femme d'un ébéniste, âgée de quaranque-cinq ans, laquelle étoit paralytique, ne pouvant même marcher dans sa chambre. Elle étoit incommodée depuis longtemps et elle avoit, par-dessus le mar- ché, une perte de sang qui lui duroit depuis sept ans. Cette femme avoit la foi à l'Evangile et une véritable, comme on va voir. Elle avoit envie depuis longtemps de se faire porter dans la rue, le jour de la grande Fête-Dieu, et de se prosterner devant le Saint-Sacrement pour lui demander sa guérison ; elle avoit communiqué son des-



Fig. Si. — Fac-similé d'un ivoire sculpté, d'une époque reculée. Reproduite par Rigollot, dans son Hist. des Arts du dessin-.


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Sainte-Marie des BatignoUes. — Une mesquine toile de Jean Courbe^ dont personne ne conteste l'infériorité, montre les Ames sauvées du purgatoire^ sous Taspect d'hommes et de femmes en costume de réprouvés, qui mijotent à petit feu dans leur jus, atten- dant l'heure de la délivrance. Regardons et passons,

Sainte-Marie l'Égyptienne. — Cette ég-lisette, démolie en 1792, a donné son nom à la rue de la Jussienne, par corruption. Un vitrail rappelait encore la façon dont Marie l'Egyptienne paya le prix de son passage pour se rendre à Jérusalem. Elle répondit aux mari- niers qui réclamaient leur dû: Non haheo, fratres^ aliud naulum, sed pro naulo corpus haheatis meum... Sicque sumpserunt me et corpus meum nauli gratia habuerunt.

sein à son confesseur. Le prêtre, qui n'avoit pas tant de foi qu'elle, l'en avoit détour- née. Enfin, sans rien dire davantage, elle s'est fait descendre à la porte, et lorsque le dais a été près d'elle, elle s'est jetée par terre, elle s'est traînée de force sur ses mains jusque sous le dais, en disant tout haut les paroles du paralytique de l'Evan- gile : (( Seigneur, tu peux me (fuérir si tu le veux ». Gela a causé de l'émotion ; on lui avoit même un peu déchiré ses habits pour la retenir, croyant que c'étoit une femme folle, mais elle s'est relevée sur-le-champ, et à la vue de tout le monde, elle a suivi la procession et conduit le Saint-Sacrement à l'église comme les autres. »

C'est le pendant de « l'hémorroïsse » dont les bourrelets, fluants depuis douze ans, disparurent des qu'elle eut touché la tunique de .Jésus à Génésai'eth (fig. 84). Ici, le flux de sang a changé de source, sinon de région.

Pour ce miracle du faubourg Saint-Antoine, l'autorité ecclésiastique dressa un pro- cès-verbal de la guérison miraculeuse, et le plus curieux, c'est que, parmi les témoins, figure Voltaire, amusé d'ailleurs et sceptique, ainsi qu'on peut le voir par sa lettre du 20 août 172;j à la présidente de Bernièrcs : « Au reste, ne croyez pas que je me borne à faire jouer des tragédies ou des comédies. Je sers Dieu et le diable assez passablement. J'ai dans le monde un petit vernis de dévotion que le miracle du fau- bourg Saint-Antoine m'a donné. La femme au miracle est venue ce malin chambre. Le cardinal de Noailles a fait un beau mandement à l'occasion di ..c, et, pour comble d'honneur ou de ridicule, je suis cité dans ce mandemeu„. On m'a invité en cérémonie à assister au Te Deum qui sera chanté à Notre-Dame en actions de grâce de la guérison de madame La Fosse. M, l'abbé Couet, grand vicaire de Son Eminence, m'a envoyé aujourd'hui le mandement. Je lui ai envoyé une Marianne avec ces petits vers ci :

Vous m'envoyez un mandement,

Recevez une tragédie,

Afin que mutuellement

Nous nous donnions la comédie. »

Mais, nous nous demandons comment les apôtres et les « témoins » ont constaté la guérison de ces cas spéciaux : est-ce après examen de visu ou de taclu ? Parbleu ! S'il se fût agi du défiant saint Thomas, il n'eût pas hésité à fourrer le doigt dans la plaie ; mais Jésus? mais Voltaire? Cruelle énigme ! N'est-il pas plus logique de pen- ser qu'il s'est produit dans ces deux cas similaires ce qui se voit chaque jour, sans intervention divine ni médicale, un arrêt momentané ou définitif du flux hémor- rhoïdaire ou utérin ?


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[/art profane a l'église



Sur le vitrail qui fut enlevé en 1660, par ordre de la police, à la demande du curé de Saint- Eustache, on vo^^ait un seul ba- telier, devant qui la future sainte se tenait troussée jusqu'aux ge- noux et, en bas, cette inscription :

COMMENT la SAINTE OFFRIT SON BEAU CORPS AU BATELIER POUR PAYER SON

PASSAGE. C'est la répétition du vitrail et de la légende de Saint- Germain l'Auxerrois.

D'après M. de Rochegude, « les jeunes filles qui craignaient d'être enceintes venaient y prier. )^

Marie-Madeleine. — Extérieur. Le Temple de la Gloire^ imaginé =g par Napoléon^ transformé sous la /àp Restauration en église, offre à notre admiration le magnifique fronton de Le Maire (fîg. 85). C'est le Jugement dernier, sous une forme modernisée. A la droite du Christ se tiennent les élus, pro- tégés par VAnge des Miséricordes ; V Innocence^ soutenue par la Foi et V Espérance^ devant la Charité la poitrine découverte — son em- blème. A la gauche du Rédemp- teur, les pécheurs précipités dans les ténèbres éternelles par VAnge des Vengeances ; en tête, Marie- Madeleine, agenouillée et toujours larmoyante, le torse nu.

Une centaine d'anges ou de gracieux cupidons ornent la frise, parée de guirlandes fleuries. Ne


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sont-ils pas de circonstance sur un édifice consacré k la pécheresse de Magdala ?

Sous les colonnades latérales, de pauvres statues sans expression de sainte Agnès, par Duseigneur, et de sainte Agathe, de Dantan jeune, sévèrement drapées, ne rappellent en rien le genre de leur



Fig. 86. — Non Occides.


martyre et pourraient servir de passe-partout à la représentation de n'importe quelle nimbée: conceptions précieuses d'ailleurs pour Fart industriel.

Les magnifiques portes de bronze, malheureusement inachevées, ciselées par Triqueti (1841), ont quatre fois la surface des fameuses portes du baptistère de Florence et deux fois celle de la porte de Saint-Pierre de Rome. Les sculptures figurent les dix commande- ments de Dieu, par l'interprétation de divers sujets de l'Ecriture. L'imposte contient les deax premiers commandements : (Tu n'auras pas d'autre Dieu devant moi. — Tu ne prendras pas en vain le nom du Seigneur, ton Dieu.)


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l'art profane a l'église


Le vantail gauche nous oiïre, de haut en bas, les tableaux sui- vants :

Troisième commandement : (Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat.) Une femme et un homme, absolument nus, observent le repos du septième jour, étendus côte à côte sur le sol.

Quatrième commandement : (Honore ton père et ta mère pour que tu vives longtemps sur la terre.) Noé maudit Cham qui a re-



Fig. 87. — D'après la photogi'aphie de M. E. Alg-et


gardé ce que la Genèse appelle « la honte de son père », laquelle (( honte » est d'ailleurs invisible sur ce tableau de bronze.

Cinquième commandement: (Tu ne tueras pas.) Deux femmes nues, la mère et l'épouse, celle-ci serrant deux enfants sur son sein, sont agenouillées auprès du cadavre d'Abel (fîg. 86).


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Sixième commandement : (Tu ne commettras point d'adultère. Non msechabcris. ) Nathan dénonce le crime de David et de Bethsabée, assis l'un près de 1 autre, le torse nu, et montre le châtiment : le ca- davre de leur enfant. [Dixit auiem Nathan ad David : tu es ille vir qui fecisti hanc rem.) Un second tableau forme l'arrière-plan de la composition et interprète le début du discours de Nathan : (Il y avait deux hommes dans une ville^ dont l'un était riche et dont l'autre était pauvre, etc.) On y voit une pauvresse, le buste dévêtu, portant son rejeton sur une épaule à la façon des Egyptiennes (fîg-. 87).

Vantail de droite. Septième commandement: (Tu ne déroberas point.) A Favant-scène sont agenouillés un homme et une femme dépourvus de tout vêtement. C'est la légende d'Acham, lapidé (( parce qu'il a dérobé quelque chose de l'anathème. >)

Huitième commandement : (Tu ne porteras point de faux témoi- gnage contre ton prochain.) Incident de Suzanne faussement ac- cusée par les vieillards libidineux. Tous les personnages de ce tableau sont chastement vêtus.

Neuvième commandement : (Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain.) Texte à ressorts élastiques qui autorisait l'artiste à faire jaillir de son ciseau une page à la Fragonard, mais il s'y est refusé et s'est contenté de coucher dans le même lit un couple illé- gitime, fort pudiquement drapé. Il s'agit d'Abimélech, qui a enlevé Sarah, la croyant sœur et non épouse d'Abraham ^

Dixième commandement : (Tu ne désireras ni son champ, ni sa maison, ni rien qui lui appartienne. Au premier plan, Naboth nu se tord dans les convulsions de l'agonie.

Jézabel, d'après le conseil d'Achab, pour posséder son champ, a fait condamner Naboth à être lapidé, sur la déposition de faux témoins. Les chiens se repaissent des chairs pantelantes du cadavre ; ils s'apprêtent ensuite à poursuivre et à « lécher le sang » delà mère d'Athalie, « que des chiens dévorants se disputaient entre eux ».

Au second plan, scène épisodique de remplissage : une mère, accroupie sur le sol, tient deux enfants dans son giron et laisse voir sa mamelle droite.

Intérieur. — Du portail, passons au maître autel. « Ce sont, dit

1. Au lieu de punir Abraham, réternel Père coupe-toujours infligea à l'épouse et aux servantes pour tout faire d'Abimclec un châtiment vaginal : il leur sutura l'em- pire du milieu, « occlusit vulvas », dit la Genèse XX.


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t/art profane a l'égi.isi:


l'abbé Pochon, des g-uirlandes de fleurs et de fruits se nouant à des têtes de béliers », comme sur la table antique des sacrifices. Mais, d'après cet auteur, la foi chrétienne n'a pas lieu de s'offenser d'une telle décoration: en restant dans la note de l'édifice païen, le ciseau de l'artiste a traduit, à la fois, « et un symbole et cette pensée vraie, qu'exalte, aux jours des solennités eucharistiques, en langage du paganisme, le chant liturgique de l'Eglise :

Noviim Pasca, Novœ Legis Phase Vêtus terminât. »

L'autel est couronné en guise de rétable, et décoré d'un groupe, en marbre, de grandes proportions, qui représente, non V Assomption^ mais le Ravissement de sainte Marie Madeleine^ au moment où, dans une extase divine, la pénitente se croyait enlevée par les anges, du haut du mont Pilon. Contrairement à son accoutrement traditionnel, consistant en une riche toison d'or, elle est entièrement drapée, ainsi que les trois séraphins qui l'enlèvent.

A la voûte hémisphérique de l'abside se développe V Histoire du Christianisme^ depuis l'infâme Constantin. On y reconnaît avec étonnement Frédéric Barberousse excommunié par Alexandre III ; le tragediànte Napoléon, peu tendre pour Pie VII qu'il traita de comediànte ; Henri IV, le renégat vert galant, et jusqu'au Juif errant! Dans cette vaste machine qui remplaça Y Assomption de la sainte, que Paul Delaroche voulait peindre, la blonde Madeleine* apparaît d'abord, pieusement agenouillée à la droite du Christ; puis on la voit portée sur un nuage au-dessous duquel trois anges élèvent un cartel, avec cette inscription : dilexit mvltvm (Elle a beaucoup aimé). Madeleine est revêtue des belles draperies des élus.

Tympan de la troisième chapelle, côté droit : Sainte Marie Made- leine, visitée par les anges, tableau d'Abel de Pujol. La sœur de Lazare, représentée presque nue, est à demi couchée au fond de sa thébaïde de la Sainte-Baume.

Terminons par une peinture, V Annonciation, dans une église gothique, qui provenait de la Madeleine et figura à l'Exposition des Primitifs français, en 1904 : Sabaoth envoie vers l'oreille de la Vierge, à genoux, un rayon qui contient un foetus, L'érudit D"" Bou-


1. En hébreu, ce mot signifie blond.


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gon explique subtilement ce mode de conception^ « par le message de Fange Gabriel, qui s'adressa à la Vierge, en lui parlant, sans avoir d'autres rapports avec elle. »


Sainte-Marine. — On y voyait la statue singulière d un moine, assis, jouant le rôle d'un père nourricier qui tenait dans ses bras un enfant au maillot. Cette figure se rapportait directe- ment à la légende de sainte Marine. On sait que celle- ci, ne voulant pas se séparer de son père, un Grec con- verti, entra sous des habits d'homme dans le même mo- nastère que lui, et prit le nom de frère Marin. Après la mort de son père, le seul dépositaire de son secret, elle fut accusée par la fille d'un gentilhomme qui avait failli et lui attribuait l'enfant qu'elle mit au monde. Plain- te fut portée à Fabbé, qui la chassa du couvent. Pendant trois ans, elle resta à la porte du monastère avec l'enfant, vivant tous deux de la charité publique. Après sa mort, les frères du cou- vent reconnurent son véri- table sexe*.


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Fig-. 88-93. — D'après Millin.


Mathurins. — Cette église s'élevait autrefois dans la section des Thermes de Julien. Plusieurs sculptures de ses crédences étaient pittoresques (fig. 88-93). Une femme (N« 2), Mme Putiphar peut-

1. Si nous en croyons le narre de Saint- Foix, c'est dans cette église qu'on mariait, de gré ou de force, les couples pris en flagrant délit d'amours illicites, ainsi que les filles mères à qui l'on passait au doigt une alliance de paille.


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l'art PROFAISE A l'ÉGLISE


être, fait violence à un Joseph complètement dévêtu. L'enfant nu, sur un âne (N» 3), pourrait représenter symboliquement l'Amour et son pouvoir de rendre imbéciles ceux qu'il tient sous son empire. Le vieillard du N*' 4 arrose un morceau de viande k la broche, dont un g-amin, caché sous la table, goûte la sauce. Détail de mœurs moins jovial que le suivant, décrit par Millin, qui s'étonne de le rencontrer dans le lieu saint: « Un fabricant de parchemin à qui le diable montre le c...^ »

Un tableau réaliste exposait les divers supplices que les Africains faisaient subir aux chrétiens; Vun d'eux, est suspendu « tout nud, écrit encore Millin, sur de larges crochets de fer, attachés au mur d'une prison, qui lui entrent de toutes parts dans le corps. »

Saint-Médard — Rien d'intéressant pour nous dans ce monu- ment de la rue MouiFetard, sinon un vieux vitrail où l'on voit sortir des Limbes, délivrés par Jésus, plusieurs personnages nus et dodus des deux sexes, précédés d'Adam et d'Eve.

Chapelle des Ménétriers ou Saint-Julien des Ménestriers. —

Ancienne paroisse des Dieux et de la Danse, qui existait près des rues Rambuteau et Saint-Martin (fîg. 94). Le portail était

1. Champfleury, loc. cit.

2. A la porte de l'église, dans le square contigu où se dresse une statue représen- tant une paysanne qui interrompt son pénible labeur pour allaiter son lieu, existait le cimetière, fameux par les miracles opérés sur le tombeau du diacre Paris, mort en 1730. Les excentricités et les momcrics des^convulsionnaires devinrent indécentes et cruelles ; dans leurs réunions, au dire d'un ecclésiastique documenté, on alliait ce que la religion a de plus sacré avec ce que la débauche a de plus grossier. « Les filles et les femmes, écrit Henri Martin, excellaient surtout à faire des gambades, des cul- butes et des jeux de souplesse ». Celle-ci, après s'être attaché les jupes restait les pieds en haut et la tête en bas ; celle-là, se couchait sur le dos et étendait sur son ventre une planche où se plaçaient « plus de vingt hommes », ce qui nous paraît diflicile. Les unes s'élançaient en l'air et retombaient sur le sol, sans s'occuper du désordre de leurs vêtements ; à d'autres « ayant le sein couvert, on tordait les ma- melles avec des pinces, jusqu'au point de fausser les branches ». telle cette protes- tante de la secte méthodiste, citée par Hecquet, qui, dans son délire religieux, se coupa le nez, les oreilles et les mamelles, pour se préserver de la perdition. C'est dans le même but que le bigot duc de Mazarin voulait faire arracher toutes les dents aux petites nièces du cardinal de Mazarin, les filles d'Horfense de Mancini, son épouse. Cette folie de clownerie mystique dura deux années, après lesquelles l'archevêque Vintimillc du Luc se décida à faire fermer le cimetière de Saint-jMédard. Un jansé- niste dépité au un simple plaisant écrivit sur la porte le distique si souvent cité :

De par le roi, défense à Dieu De faire miracle en ce lieu.


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Fig-. 94. — D'après Millin.


décoré des figures des deux patrons des Ménestriers, saint Julien le Pauvre et saint Genès, placées aux deux côtés du Seig-neur. Saint Genès tenait un violon, d'une main, et, de l'autre, un archet; c'était le patron en second, ancien mime romain, converti au chris- tianisme et martyrisé sous Dioctétien*.


1. Le patron en chef, Julien ou le Cocu imaginaire, dut sa vocation à un


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i/art profane a i/églisk


Sur un corbeau de bois était sculpté V Enfer, figuré par trois damnés (lîg. 95), dont une impudique récalcitrante — la « mar- mite )) lui est pourtant familière — qui tient à montrer sa nudité le plus bas possible.

Saint-Merry.— Théodore Ghasseriau (1843) a traité, en cinq peintures murales, la vie de Marie l'Eg-yptienne. Son timide pinceau a né- cessairement ignoré Tincident scabreux de la passe contre passe, où la fille d'Eve « livre son corps au batelier ». Même dans le désert, où elle vivait en costume de Vénus, le peintre puritain la couvre du manteau de Zozime !

Autre sujet graveleux dans la même note grave : la vie de sainte Marie-Madeleine, encore une fille de joie repentie qui avait trop pris à la lettre le principe évangélique <( Aimez-vous les uns les autres », figure au premier vitrail du côté gauche de la nef. On la voit ravie à la terre par des Anges qui « chaque jour l'emportaient au ciel »^ tandis qu'elle « en- tendait, des oreilles du corps, les concerts glorieux des légions célestes », comme le r;ipporte la Légende Doj^ce.

Restons dans l'atmosphère cantharidienne de la prostitution : à la seconde fenêtre du côté droit de la nef brille le vitrail de la légende de la jeune vierge Sainte Agnès qui, mira- culeusement voilée de ses cheveux, est conduite au lupanar.

Enfin, à la troisième verrière, côté gauche du chœur, l'Attentat à la chasteté de Joseph, d'une composition ultra-chaste.

Le quartier, où abondaient les femmes de mauvaise vie, se prê- tait à ces réminiscences folichonnes

cflroyablc forfait qui fut la conséquence d'une singulière méprise. Au retour d'un long voyage, rentrant chez lui, au milieu de la nuit, il trouve dans le lit conjugal une femme et un homme endormis ; pensant à une infidélité de son épouse, il vit rouge et jaune tout à la fois et massacra le malheureux couple. Mais il s'aperçut bientôt que ses victimes étaient son père et sa mère, recueillis par sa femme pendant son absence. C'est pour expier son crime involontaire qu'il se voua aux bonnes œuvres, ce qui, par la suite, lui valut d'être sanctifié. 1. En 1387, rapporte de Saint-Foix, le prévôt de Paris rendit une Ordonnance qui



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Abbaye de Montmartre ^

Saint-Nicolas des Champs. — Extérieur. — L'un des panneaux de la porte méridionale est chargé de « feuillomes», dit Sauvai, où se jouent des oiseaux et qui encadrent un buste de femme (fig. 96), dont les membres se terminent en gracieuses arabesques ; cette fantaisie décorative est due au ciseau de Golo.

Intérieur. — Chapelle Saint-Louis. Un tableau représente Louis IX et sa pieuse compagne sortant d'une église, où ils pas-

chassait ces débauchées de la rue Brisemiche ou Baillehoë, à la requête du curé de Saint-Merry « et attendu l'indécence de leur domicile si près d'une Eglise et d'un Chapitre ». Des bourgeois de la paroisse s'opposèrent à l'exécution de cette ordon- nance. Le curé se vengea de l'un d'eux : il obtint que ce paroissien fît amende hono- rable, à la porte de l'église, pour avoir mangé de la chair le Vendredi.

De toutes les rues affectées aux femmes publiques, cette rue et la rue Tire-Boudin, anciennement Tire-V.., étaient les plus famées ou « femmées ». On raconte que Marie-Stuart, passant par cette dernière voie, en demanda le nom, ne pouvant le prononcer en présence d'une honnête femme, on substitua au nom obscène le mot de Boudin. Cette rue fut, plus tard, appelée rue Marie-Stuart, en souvenir de l'incident.

Une chanson, tirée du recueil Maurepas, reproduite par Pierre Pic dans ses joyeuses Heures libres et intitulée la Bulle de Clément XII, rappelle qu'on voulut amputer le nom de l'abbé de Margon, lequel s'appelait Guillaume Plantevit de la Pause :

Ou qu'au moins il (le pape) métamorphose Le Plantevit en Plantechose.

Le cardinal de Bonnechose, paraît-il, fit, dans son nom patronymique, proprio motu, « une substitution analogue ».

Un autre ecclésiastique, à nom équivoque, l'abbé Pucelle, conseiller au Parle- ment et que le roi exila de Paris, donna lieu à une autre chanson légère, consignée dans le Journal de Barbier.

Le roi pour plaire à Fleury

Et à sa séquelle Vient d'exiler de Paris

Le zélé Pucelle. Le peuple va murmurer

Et les filles vont crier :

« Rendez-nous Pucelle ! O gué !

Rendez-nous Pucelle ! »

1. Au siège de Paris, en lo90, Henri IV établit sur la butte Montmartre son quartier général : avant de faire la conquête de la Ville, le Vert Calant entreprit celle de l'abbesse du monastère voisin, la belle Marie de Beauvilliers. A sa pre- mière visite, il s'étonna que le nombre des directeurs fût moindre que celui des religieuses. « Vous avez raison, Sire, répondit l'abbesse, mais il faut bien quelques religieuses pour les survenants ».

Dans l'abbaye Montmartroise, une image de Jésus passait pour « rabonnir » les mauvais maris. On rapporte qu'une femme qui avait prié là fut exaucée au delà de ses désirs : à peine eut-elle demandé l'heureuse amélioration de son mari, que celui- ci mourut. « Que la bonté du saint est grande, clama-t-elle I II me donne plus que je ne lui demande ! »


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L ART PROFANK A


EGLISE


saient la plus grande partie de leur temps ; une mendiante, assise

sur les marches du porche, tend une main et, de Tautre, tient par la taille un g-arçonnet debout qui lui vide goulûment le sein droit.

Evohé ! L'autel de la cha- pelle, dite de TAg-neau, à cause de celui qui sert de pied k la croix du tabernacle, provient de l'ancienne église de Saint- Benoît, changée en théâtre, puis en Glôserie des lilas, et était celui de saint Bacchus (Bacque), dont l'église célèbre la fête le 7 octobre.

Près de la sacristie, à la voûte d'une chapelle assez sombre, nous avons découvert une fresque fruste, qui ne tar- dera pas à disparaître complè- tement : une sainte auréolée, la Vierge ou l'Eglise, donne le sein à un agneau (fig. 97). Depuis le jour où le précurseur baptisa Jésus en le désignant à la foule : « Voici l'agneau de Dieu ! » Agnus Dei qui tollit peccata mundi^ le Christ a été représenté allégoriquement sous l'aspect de ce doux quadrupède. Quoi qu'il en soit, nous laissons à des hagiographes plus autorisés le soin d'expliquer cette gracieuse image.

Piganiol de la Force, parle de plusieurs marbres funéraires qui ont disparu, entre autres celui de Jean Martineau, mort en 1662, à l'âge de cinquante-deux ans. Son épitaphe se terminait par ces mots : Hune docti suum défient doetoreniy niusœ parentem^ virtutes alumnum^ virgines de nique prototypum. (Les savants pleurent en lui leur



Fig. 96.



Fis?. 9"


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maître, les muses leur mère^ les vertus leur nourrisson, enfin les VIERGES leur prototype.) Ce vieux Jean d'Arc est bien différent de la fille de Jephté qui, avant que son père l'immolât pour accomplir le vœu qu'il avait fait, lui demandait un répit de deux mois pour « aller sur les montagnes pleurer, avec ses jeunes amies, sa mort prochaine sans avoir perdu sa virginité. » (Les Juges^ ch. ii, v. 36 à 39). C'était chez les Israélites une marque de réprobation de mourir célibataire, quand on avait l'âge du mariage *.

Saint-Nicolas du Chardonnet^. — Chapelle des morts. Compo- sition banale, du xviii^ siècle : les Ames du Purgatoire. Le peintre a placé au premier plan un couple de femmes et un couple d'hommes, vêtus de flammes. Il a voulu montrer, en traitant de même façon les deux sexes, qu'ils ne valent pas mieux l'un que l'autre et méritent les mêmes peines.

Au-dessous de cette moralité se déroulent, sur les frises de la chapelle, quatre bas-reliefs en plâtre^ d'après les originaux en bronze de Jacques Sarrazin, qui décoraient le tombeau d'Henri de Bourbon Condé, à l'église des Jésuites. Ils représentaient, selon les idées de Pétrarque, les triomphes de la Religion ou de Y Eternité^ du Temps, de la Gloire ou de la Renommée et de la MorO. Arrêtons- nous à la représentation du quatrième bas-relief, celle qui a trait au Triomphe de la Mort; elle nous offre la camarde sur un char

1. Autrefois, le 6 décembre, fête de saint Nicolas, les enfants de chœur de Notre- Dame se rendaient à Saint-Nicolas des Champs pour y célébrer le patron des jeunes g-arçons. Chemin faisant, ils disaient des facéties et en faisaient aussi, si bien qu'en 1525, après les excès qui s'y commirent, cet usage fut remplacé par un salut, que le chapitre de Notre-Dame allait chanter à Saint-Nicolas des Champs.

D'autre part, Gilles Gorrozet, dans ses Antiquitez de Par/s, raconte qu'en 1569 furent baptisés à cette paroisse quatre enfants d'un aide-maçon, nés vivants, avec un cinquième mort, et en 1570, le 21 juillet, deux enfants jumeaux « n'ayant qu'un corps, les pieds de l'un sous les aisselles de l'autre », monstre encore mis au monde par la femme d'un maçon.

2. Bd Saint-Germain, 3'J.

3. « Ce dernier morceau a ceci de particulièrement intéressant qu'il fut la der- nière œuvre de Jacques Sarhazin, qui l'exécuta, disent les Mémoires de l'Académie de peinture, mourant lui-môme et en s'inspirant de ses propres soufl'rances pour tra- duire son allégorie. Il se rapporte donc aux environs de l'année IGGO, date de la mort de l'artiste. Voyez, pour la description de ces bas-reliefs, les Mémoires de V Académie royale de peinture et de sculpture, tome I, page 124, et le Musée des Monuments français, de Lenoir, tome V, page 87 ». {Invent. gén. des richesses d'art de la France).


l'art profane. — I.


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t/aht i'rofam: a i/ église


traîné par des taureaux furieux, écrasant aveug-lement les humains,

enfants et vieillards, pontifes et rois ; telle TuUie écrasait jadis le corps de son père (fig. 98, 99).

Transept. Côté droit. Cha- pelle . de la Communion. Dans une toile de Técole ita- lienne^ le riche Job — le pa- tron des jobards — qui s'est dépouillé de ses biens et de ses vêtements, croupit sur son fu- mier, où il prend un bain de purin, en présence de sa femme, accompag-née d'une servante.

Bas côté droit. Chapelle Saint- Victor : tableau représentant le



Fig. 99.



Fig. 100.


Martyj'e de saint Adrien. Le torturé est nUj étendu sur une roue.

Notre-Dame des Blancs-Manteaux. —

Chapelle Sainte-Anne. La Madeleine es- suie les pieds du Christ avec ses longs cheveux et les parfume de nard, toujours sans s^occuper des seins qu'elle découvre, en déplaçant leur voile capillaire naturel.

Notre-Dame de Lorette. — Aux angles du fronton s'élèvent les trois vertus théo- logales, la Foi^ V Espérance et, au pinacle, la Charité (fîg. 100), avec un sein gonflé de lait, sur lequel somnole un nourrisson rassasié. Cette laitière symbolique est, nous le savons, de Laitié.

Passons sous la colonnade du temple grec, par le portail de droite qui nous introduit dans un vaste et élégant boudoir. A gauche^ dans une pénombre discrète se cache un tableau de Roger Adolphe, le


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Baptême d'une Péruvienne par saint François Solano ; le torse de la catéchumène, à demi agenouillée, est absolument nu et orné des agréments saillants de son sexe.

Panthéon. — Primitivement, église Sainte-Geneviève, élevée à la suite d'un vœu à la patronne de Paris par Louis XV, le Bien-Aimé et surtout le Bien- Aimant, protecteur de la Du Barry et d'une foule d'autres pécheresses non repenties. Cette égUse, désaffectée pendant la Révolution, fut rendue au culte sous Napoléon P'", tout en restant destinée « aux grands hommes. » Elle ne fut plus qu'un temple chrétien sous Louis XVIII, lepoussah qui aspirait ses prises de tabac sur le sein de la Gaïva : Ludovicus XV dicavit, Ludovicus XVIII restituit. En 1830, avec Louis-Philippe, elle rede- vient le Panthéon des hommes illustres, pour reprendre son caractère religieux en décembre 1851 , après les Te Deum chantés dans toutes les églises de l'Empire, en l'honneur de Tamant de Marguerite Bellanger, d'Eugénie Fiocre et autres baladines du grand écart. La troisième République transforma de nouveau l'église en W estminster, à l'occasion des funérailles de Victor-Hugo (1885), mais elle conserva la croix et plaça à l'entrée du monument consacré aux génies de la France, \q Penseur 101) absolument nu, de Rodin, qui fut démoli, une nuit, vraisemblablement par un apache ultramontain ; il ne mé- ritait

Ni cet excès d'honneur ni cette indignité

Sous le péristyle, le cadre du milieu est occupé par un des bas- reliefs de Nanteuil : la Patrie montre le séjour de l'Immortalité à

1. Celte statue représente Thomme des premiers âj>es qui se dégag'e à peine de l'animalité, mais purifié par la première réflexion, éclairé par la première lueur de la pensée qui s'éycille en lui. Le ^ros public y voit la représentation de Sparlacus qui a brisé ses entraves ou d'Ugolin rongeant son poing, avant de se décider à imiter Saturne. Certains loustics malveillants, pour qui toute œuvre d'art est à la fois « dieu, table ou cuvette », en font l'image du Constipé, et Ton peut dire que ce bloc, non enfariné, dernier mot de l'art, s'il n'est pas sur la selle ne cesse d'être sur la sellette :

Sifflets de sots sont fanfares de gloire \



100


i/art profam: a l'église


l'un de ses fils, qui meurt pour elle. D'un côté, la Vc'rifé accourt,

dans la splendeur de sa nudité, te-


nant un miroir à la main droite et élevant, de l'autre, un flambeau (fig. 102).

Saint-Paul. — C'est dans cette église, édifiée en 1431 *, que Henri III fit élever des tombeaux, sur le même modèle, à ses mignons Quelus, Mau- giron et Saint-Mégrin (fig. 103). Rappelons que les deux premiers



Fig. 102.

étourneaux furent tués en duel, à l'entrée de la rue desTournelles, et le dernier, « qui passoit, dit l'Etoile, pour être le mignon de la duchesse de Guise », fut assassiné, la même année (1578), par le duc de Ma- yenne, beau-frère de cette princesse. Dès que la nou- velle de l'assassinat de Guise, k Blois (1588), sur l'ordre de Henri III, parvint à Paris, le peuple, excité par les pré- dicateurs, saccagea les mau- solées des favoris de ce prince, disant : « Il n'appartient pas à ces méchans, morts en reniant Dieu, et mignons du Tyran, d'avoir si


Fig-. 103.


1. L'c'glise Saint-Paul et Saint-Louis fut élevée par les Jésuites en 1623.


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beaux monumens dans l'Eglise. » Ces tombeaux de marbre noir étaient surmontés d'une statue agenouillée représentant chacun des jeunes favoris du sérail royal. Les quatre faces étaient cou- vertes d'épitaphes, en français et en latin, plus laudatives les unes que les autres ; nous n'en reproduirons qu'une, celle de Maugiron ou Maugeron :

La Déesse Cyprine avoit conçu des Cieux, En ce siècle dernier, un enfant dont la vue De flammes et d'éclairs étoit si bien pourvue, Qu'Amour, son fils aîné, en devint envieux. Chagrin contre son frère, et jaloux de ses yeux, Le gauche lui creva * ; mais sa main fut déçue ; Car l'autre qui étoit d'une lumière aiguë, Blessoit plus que devant les hommes et les Dieux. Il vientj en soupirant, s'en complaindre à sa mère ; Sa mere s'en moqua ; lui, tout plein de colère, La Parque supplia de lui donner confort. La Parque, comme Amour, en devint amoureuse ; Ainsi Maugiron gît sous cette tombe ombreuse. Et vaincu par l'Amour, et vaincu par la Mort.

Si, avec de Saint-Foix, nous nous étonnons de rencontrer les Parques^ V Amour et Vénus dans une Eglise, nous ne serons pas moins surpris d'apprendre qu'il s'est trouvé un prélat, Arnault de Sorbin, évêque de Nevers, pour louer ces jeunes débauchés du haut de la chaire et exalter leurs vertus dans des Oraisons funèbres lar- gement apologétiques.

Les Lacédémoniens étaient plus discrets et n'accordaient l'hon- neur de l'épitaphe qu'aux guerriers tués sur le champ de bataille ou aux femmes mortes en travail d'enfant.

La Chronique Scandaleuse de Claude Le Petit (1668) donne ce dizain sur le « Jacquemard » qui se dressait au haut de Saint-Paul.


Passons, et d'un crayon fidelle Peignons à la postérité Ce Gaudenot - emmaillotté, Qui fait là-haut la sentinelle : Que les Dames ont mis ton nom,


Jacquemard, dans un beau renom, Et qu'elles aiment à l'entendre ; Non pas qu'il soit si doux qu'on dit, Mais à cause qu'il se peut prendre, Par métaphore, pour un ...


1. A l'âge de 16 ans, nouveau Goclès, il perdit un œil au siège d'Issoire.

2. Du latin gaude nos.


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I. AKT PUOFAiN K A EG F.IS


Petits- Augustins. — N est-il pas piquant de voir, dans la cour de l'école des Beaux-Arts, la façade du château d'Anet (fig. 104, lOo),

ornée du chiffre de Diane de Poitiers et des figures de divini- tés païennes, recouvrir le portail de l'ancienne église qui sert actuel- lement de Musée? Sic transit gloria Dei.

Petits-Pères. — Le

plafond de la biblio- thèque du couvent des Augustins, de la place des Victoires, était or- né d'une peinture à fresque, exécutée en dix-huit heures par le virtuose Napolitain Paul Mattei. Le sujet de cette composition était la Religion ac- compagnée de la Véri- té. Quelle ironie ! La Vérité^ un fouet à la main, portait sur la poitrine un soleil dont les rayons éclatants aveuglaient V Erreur ou V Hérésie, blottie dans un coin du ta- bleau.

Nous voyons encore une Vérité au transept ; d'une main, elle tient un miroir et, de l'autre, étouffe le serpent de la Calomnie ; mais elle est drapée, ce qui est un contresens allégorique.



4. Le bas-relief placé sous TAmour est de Jean Goujon; il décorait aussi la fon- taine des Innocents (fig. 81).


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Saint-Philippe du Roule. — A l'époque de la Renaissance, nombre de peintres, suivant l'exemple de Filippo Lippi, prenaient leurs épouses ou leurs maîtresses pour modèles des Vénus et des Vierges ; de même, l'artiste moderne qui a exécuté l'une des fresques de la chapelle de la Vierg-e Marie a donné aux femmes de la Bible les traits profanes de Marie de Grandfort et ceux de Marie Garcia, l'une des amies intimes d'Arsène Houssaye.

A la sacristie du parloir, se voit le Martyre de sainte Agathe qui consiste, nous le sax ons, dans l'extraction des seins.


Saint-Pierre de Montmartre. — Des esprits mal intentionnés ou insuffisamment documentés voient un religieux en association cul- tuelle avec un cochon, dans le motif anodin d'un chapiteau placé près de la sacristie, et où figure un personnage barbu qui relève


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i/art profane a l'église


la queue d'un bouc (fîg-. 106). Est-ce réelle- ment Tallégorie dune forme spéciale du péché de luxure ?

Port-Royal. — L'églisette de cette ancienne abbaye des bernardines, où régnaient au début des mœurs déréglées, a été construite par Le- pautre en 1640 et sert de chapelle aux pen- sionnaires de la Maternité. Elle renfermait au- trefois la sépulture de la Fontanges, Fune des étoiles filantes du ciel de lit du roi Soleil ; mais son tombeau fut détruit en 1710, lors du pillage de l'abbaye par les jésuites triomphants.



Fig. 107.


A défaut du portrait de la fille de Philippe de Ghampaigne* , qui ornait ce coquet édifice, nous avons celui d'une élève de la Mater- nité, Mlle Lafont, peint par elle-même. Elle s'est représentée en ange gardien des petits enfants (fig. 107). Une future sage-femme, transformée en messagère céleste, en créature spirituelle, avec des ailes dans le dos, ce n'est vraiment pas chose banale, mais cette peinture symbolique^ nous le craignons, peut évoquer la boutade peu élégante de Pascal : « Qui veut faire Fange fait la bête ». Est-ce pour rappeler que les « faiseuses d'anges » ne sont pas rares dans la corporation des tireuses de cordon ?

1. Ce tableau représente la guérison miraculeuse de la fille du peintre et a été transporté au Louvre.



SEINE


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Chapelle du Collège des Quatre-Nations (Institut). — A la mort de Mazarin, fondateur de cette Chapelle, un inconnu traça sur la porte du château de Vincennes, alors habité par le cardinal, cette ultime mazarinade :

Vous qui passez près de ce lieu

Venez jeter, au nom de Dieu,

A Mazarin, de l'eau bénite ;

Il en donna tant à la Cour

Que c'est bien le moins qu'il mérite

Que Ton lui en donne à son tour.

Dans les derniers temps de sa vie, alors que ses jambes enflées étaient enveloppées dans de la fiente de cheval, les onze médecins qui se réunirent en consultation pour combattre son extrême fai- blesse décidèrent de le mettre au régime du lait de femme *. Une nourrice au cardinal Mazarin, retombé en enfance !

Ses cendres furent transportées dans la chapelle de son Collège, dont le tableau d'autel était une Circoncision^ de Véronèse. Coyze- vox, avec la collaboration d'Etienne Le Hongre et de Jean Tuby, lui éleva un tombeau décent, actuellement au Louvre (N'^ 552). La Prudence, la Paix ou Y Abondance et la Fidélité le sein droit dé- gagé, figures en bronze, sont assises au-dessous du sarcophage ; deux hauts-reliefs, en marbre, la Religion et la Charité, — celle-ci, contre son habitude, cache ses seins, — servaient de support aux armoiries du prélat placées au faîte du monument.

De nos jours, la statue qui tire le plus l'œil sous la coupole de l'Institut, est celle du mécréant Voltaire, que Pigalle a eu la malen- contreuse idée de représenter en Vérité octogénaire ^. A part ce marbre, nous n'avons pas d'autre nudité à y signaler que « le nu » des discours académiques, consigné par Musset.

Saint-Roch. — Chœur. Une Charité allaitant un orphelin, par René Charpentier, ne présente rien autre de saillant que ses seins.

1. Gui Patin, Lettres du 25 février 1661 à Falconet.

2. V. Les Seins h Véfflise, fîg. 257. — « Nu ou vêtu, disait le spirituel Ecorché, il ne m'importe. Je n'inspirerai pas d'idées malhonnêtes aux dames, de quelque façon qu'on me présente à elles. » A propos de ce Napoléon de la plume, mis en Apollon comme le Napoléon du sabre, au Musée Brea, de Milan, rappelons, avec Mme de Boi^ne, que, dans une réunion des grands dignitaires qui voulaient élever une statue au nouvel empereur, on discutait sur le costume. L'amiral de Bruix, impatienté des flagorneries qu'il entendait depuis deux heures, s'écria : « Faites-le tout nu, vous aurez plus de facilité à lui baiser le derrière ! »


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r/AUT l'HOFAM-: A t/ÉGLIvSK


Nef. Un bas-relief de la chaire, sculpté par Delaperclie Constant, ligure la IVr//^ cléricale, c'est-à-dire surcharg"ée de draperies, tenant l'Evangile, d'une main, et un miroir — aux alouettes — de l'autre.

Transept, bras droit. Le Miracle des Ardents, par Doyen : une jeune femme, la poitrine nue, les traits décomposés, est étendue sur un grabat, tandis qu'un enfant cherche à la tirer de son état coma- teux.

Chapelle Sainte-Suzanne. Tableau de Ilerbsthroffer, Sainte- Suzanne chez les Infidèles: une orientale, au sein l^runi, est age- nouillée la tête voilée, mais le torse découvert.

Parmi les marbres provenant du Musée des Monuments français, se trouvait le mausolée de Mignard. C'est de ce dernier qu'on a dé- taché, comme le remarque Viollet-le-Duc, la statue de la fille du peintre Mme de Feuquières, qui a été placée, sous le nom de la Madeleine, dans le Calvaire, au pied de la croix*.

1. Mme de Montesson qui a fait sa Maintenon en épousant son amant, le duc d'Orléans, avec l'agrément de Louis XV, et fut incarcérée, en 17'J3, sous le nom de veuve d'Orléans, a été inhumée à Saint-Roch, en 1806. Auparavant son corps y fut exposé pendant huit jours. Au moment où le cercueil de Mme de Montesson disparaissait dans son caveau, celui de Mlle Marquise, la première maîtresse du duc, entrait dans l'église, transformée ainsi en sérail ducal posthume.

La tragédienne Adrienne Lecouvreur, en 1730, et la danseuse de l'Opéra, Adrienne Ghameroy, en 1802, furent moins heureuses que ces grandes favorites ; elles ne purent même pas recevoir à 'Saint-Roch les dernières bénédictions de l'Eglise. Le clergé se refusa à admettre dans le saint lieu des « femmes de théâti^e ». Voltaire prit la défense de la première et Ronaparte celle de la seconde ; dans les deux circonstances les rieurs ne furent pas du côté de l'Eglise. Le premier Consul exigea de l'archevêque que l'églisier intolérant, Mardhuel, fût condamné à trois mois de retraite. Voici l'article du Moniteur relatif à cette punition. On y reconnaîtra, observe E. Fournicr à qui nous empruntons les détails de ce récit, la grille du lion: « Le curé de Saint-Roch, dans un moment de déraison, a refusé de prier pour Mlle Ghameroy, et de l'admettre dans l'église. Un de ses collègues, homme raison- nable, instruit de la véritable morale de l'évangile, a reçu le convoi dans l'église de Saint-Thomas, où le service s'est fait avec toutes les solennités ordinaires ». « L'archevêque de Paris a ordonné trois mois de retraite au curé de Saint-Roch, afin qu'il puisse se souvenir que Jésus-Ghrist commande de prier même pour ses ennemis, et que, rappelé à ses devoirs parla méditation, il apprenne que toutes ces pratiques superstitieuses, conservées par quckiues rituels, et qui, nées dans des temps d'ignorance, ou créées par des cerveaux échaultés, dégradaient la religion par leurs niaiseries, ont été proscrites par le Concoj'dat et la loi du 18 germinal ».

Le comédien Dazincourt obtint d'un desservant des Filles-Saint-Thomas, succur- sale de Saint-Roch, qu'il ouvrît ses portes à la pauvre danseuse, dît l'ollice pour elle et l'accompagnât jusqu'au cimetière Montmartre.

N'est-ce pas le cas de répéter, avec l'auteur de Psyché :

Et dans tous les climats on n'a que trop d'exemples Qu'il est, ainsi qu'ailleurs, des méchants dans les temples ?

Allusion à un curé de Paris qui dit en chaire de paix et de charité (juc Molière


SEINE


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Sacré-Cœur. — Chapelle des Jésuites. Il y a surcharg-e de do- rures et d'ornements, comme dans tous les oratoires de ces R. P. On y voit un groupe, en pierre, représentant une Indienne convertie qui vient « se faire humecter la nuque », — suivant l'expression de l'irrévérend Père Huysmans — par saint François-Xavier. La catéchumène est nue, mais d'une nudité strictement religieuse; au- cune saillie ne décèle son sexe : les seins et même les mamelons font défaut. C'est ainsi que les amis de la Vérité copient la Nature. De pareilles hérésies artistiques évoquent le souvenir des icono- clastes qui « ôtèrent le bout des seins, effacèrent le nombril, épilè- rent les aisselles et le pubis ; » leurs mains vandales indiquaient ainsi le « chemin de la concupiscence ».

Nous savons que la chapelle Saint-Luc, conformément à son anagramme, est concédée à !'« Association des médecins chré- tiens » qui sont assurés de mourir en odeur de sainteté.

Hôtel de Sens


était « un démon vêtu de chair, un libertin, un impie dij^nc d'être brûlé publi- quement ».

Nous reviendrons en détail sur ce sujet, dans notre étude sur YEglise et le Théâtre. Contentons-nous, ici, de rappeler la fin de la célèbre Lecouvreur. Elle mourut dans des « convulsions horribles », après quelques jours de maladie et des alternatives de mieux et de mal, ce qui lui permit de reparaître sur la scène presque jusqu'au dernier jour. A son autopsie, on trouva « les entrailles j^angrenées ». Peut- être était-ce la suite d'une appendicite ? Quoi qu'il en soit, la rumeur publique accusa sa rivale, la vindicative duchesse de Bouillon, de l'avoir fait empoisonner par un lavement. D'où cette mauvaise plaisanterie qu'Adrienne prit un « bouillon d'onze heures » dans un « bouillon pointu » î

Ajoutons qu'en 1773, le clergé de la même paroisse ne fit aucune difficulté pour y laisser inhumer l'auteur de la Métromanie et de bien des chansons licencieuses, Alexis Piron, notre petit Arétion Dijonnais. On lui éleva même un monument, sculpté par Caftieri et orné de son buste, en terre cuite, et portant, paraît-il, cette épitaphe satirique :

Ci-gît qui ne fut rien, Pas même académicien.

1. Cet hôtel sis rue du Figuier, fut longtemps la résidence des archevêques de Sens; de là son nom. La reine « Margot » — une femme de sens s'il en fut — s'y fixa quand, à son retour d'Auvergne, Henri IV « la chassa honteusement du Louvre, à cause de ses désordres », écrit l'austère Sauvai. Un satirique alla plus loin et vrilla sur sa porte ce quatrain peu courtois :

Comme royne, elle devoit être Dedans la royale maison ;

Mais comme p , c'est raison

Qu'elle soit au logis d'un prêtre.

Marguerite de Valois y séjourna jusqu'au i5 avril 1606, époque à laquelle son page


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l'art profane a l'églisk


Église du Sépulcre. — Cet édifice existait dans le quartier des Lombards. Des « bamboches m nus, accroupis, supportaient une pyramide qui dominait l'oj^ive du portail et constituaient la seule légèreté à reprocher à ce saint lieu, qui péchait plutôt par excès de réserve. En effet, à la croix du sépulcre, près du grand autel, était attaché un Christ qui, au lieu d'être nu, suivant la tradition, était revêtu d'une longue tunique à manches. Millin rappelle à ce propos que les Capucins habillaient aussi Jésus et les saints avec le cos- tume de leur ordre, et il cite une épigramme intéressante sur un Christ déguisé en Jésuite :

De ces moines audacieux,

Vous voyez l'impudence extrême:

lis vous ont habillé comme eux.

Mon Dieu, de peur qu'on ne vous aime.

Saint-Séverin — Millin signale à l'abside une statue de la Vierge « grossièrement femme », due au ciseau de ce même Bridan (( dont V Assomption, ajoute l'auteur des Antiquités nationales, tout à la fois fade et charnue, souille encore le maître autel de la basilique de Chartres ».

Nous ne connaissons pas d'église plus pudique, à Paris. Ainsi, Adam et Eve, de V. Mottez, après la chute... sur Therbette, sont affublés d'un fagot de feuillage touffu pour cacher leur nudité ; les Charités de Jules Richomme, de Jobbé Duval et celle de V. Mottez, dans son Apothéose de saint François de Sales, sont hermétiquement drapées et ne montrent pas le moindre bout de sein, contrairement à la tradition ; la Madeleine au désert, signée Murât, est vêtue comme une Vierge avant l'allaitement de Jésus ; le Christ du Baptême de Notre-Seigneur, par Paul Flandrin, est recouvert d'un

Julien, qu'elle aimait, fut tué dans son carrosse par un rival, le comte Vermond. En 1760, cet hôtel princier devint un hôtel meublé et des niessa^^eries d'où partait la fameuse diligence de Lyon.

1, Le presbytère est construit sur l'emplacement de l'ancien charnier de l'église, où eut lieu un événement chirurgical important. Au mois de janvier 1474, en présence de Louis XI, la première opération de la pierre y fut pratiquée par Germain Collot, sur un « franc-archicr » de Meudon, condamné à être pendu pour vol, et que ce mal importunait depuis longtemps (fig-. 108).

« Après qu'on eut examiné et travaillé, on remit les entrailles dedans le corps dudit Franc- Archier, qui fut recousu, et par l'Ordonnance du Roi très bien pansé, et tellement qu'en quinze jours il fut guéri, et eut rémission de ses crimes sans dépens, et il lui fut même donné de l'argent. » (Les Chroniques de Louis XI.)


SEI?sE


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peig-noir blanc ; le tableau de Gérôme, les Pestiférés de Marseille^ ne renferme, à l'opposé de tous les sujets semblables, aucune



Fig-. 108. — Rivoulon j)inx. et lilh.


mère dépoitraillée ; enfin. Chapelle de Saint-Louis, une toile signée Leloir (1854), montée sur châssis mobile, recouvre chastement les nudités d une fresque, très détériorée, représentant un Jugement dernier et datant de la fin du xv*^ siècle, où l'on était moins pudibond, tout en ayant plus de foi que de nos jours.

Église de la Sorbonne. — Le somptueux mausolée de Richelieu, par Girardon, d'après le dessin de Le Brun, présente un dévelop-


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i/art profane a l'église



Viir. 109.


pement tel qu'il remplit à moitié l'édilice où il est exposé ; de là cette

épigramme :

Pourquoi lit-il bastir ce lieu, Moitié pour luy, moitié pour Dieu ? Est-ce afin que chacun contemple Son bon ménaj;e ou son orgueil ? Ou n'est-ce point pour lui le Temple Aussi bien comme le Cercueil ?

La tête du cardinal s'appuie sur \a Religion ; V Histoire^ en larmes, sous les traits d'une de ses nièces, la duchesse d^Aig-uillon (fig-. 109), est affaissée à ses pieds. Les deux allé- gories sont convenable- ment drapées. Aux côtés de l'efïigie, s'ébattent deux « amours » , suivant l'expression et Timpression du sacristain cicérone, mais en réalité ce sont des génies, cachant leur sexe ; l'un pleure et l'autre présente les armes du prélat amiral

Vis-à-vis de ce précieux monument, se dresse, dans sa majestueuse nudité, choquante pour l'œil louche des faux dévots, mais d'une belle allure artistique, la statue d'un Christ à la colonne.

A la chapelle voisine, au-dessus de Notre-Seigneur étendu sur son sépulcre, on lit cette inscription laconique : ego. Le 3ioi est ce- pendant haïssable, rabâche la Sagesse des Nations. Les parois sont

1. Le cardinal avait une autre nièce, moins vertueuse que la principale auxi- liaire de saint Vincent de Paul, Mme de Combalet, dont la %ure ne paraît pas ici, et pour cause, mais qu'il voulut remarier, après son veuvage, avec le comte de Soissons. C'est encore de Saint-Foix qui nous fournira les détails de cet échec matrimonial : « Le gentilhomme, chargé de proposer ce mariage, reçut pour récompense un soufllet, et pensa s'attirer un traitement encore plus désagréable. Le comte de Soissons déclara qu'il n'épouserait jamais les restes de ce galeux de Combalet. Le cardinal voulut prouver au prince que la jeune veuve était encore vierge. Le principal argument dont il se servit fut l'anagramme tirée du nom de sa nièce, qui s'appelait marie de vignerots, où l'on trouve ces mots : vierge

DE SON MARI. »

Le prince ne se laissa point persuader par cet argument spécieux; un examen, anah)gue à celui (jue la duchesse de lîeaufort fit subir à Jeanne d'Arc eût été plus j)robant.


SEINE


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badigeonnées de fresques quelconques, allégories de la Foi^ de V Es- pérance et de V Humilité,

Près de l'entrée, du côté droit, s'élève le mausolée du duc de



110.


Richelieu, « riiomme le plus libertin de son époque », j)ar Ramey. Le maréchal, renommé surtout par ses exploits galants, — ce qui lui valut le titre de « favori de Mars, de Tamour et de la for- tune, » — est à demi couché aux pieds de la Foi qui lui tâte le pouls ; le corps du « Père la maraude », sauf le buste, est recou- vert d'un suaire.


Saint-Sulpice ^ — Sous le péristile, cinq bas-reliefs, dont chacun nous offre des enfants aussi nus que s'ils venaient de naître. Dans chaque tableau, les garçonnets sont groupés auprès d'une femme assise. Trois de ces figures féminines, la Foi (fig. 110), V Espérance (fig. 111) et la Charité (fig. 112) ont des mamelles saillantes.

1. M. Laiiguct de Gcrgy, curé de Saint-Sulpicc, avait une sinj^ulièrc manière de forcer la « charité » de ses paroissiens, pour l'aider à subvenir à l'entretien de ses pauvres et de son église. Il lui arrivait, par exemple, lorsqu'il était invité quelque part, d' « emprunter » son couvert d'argent, après le repas, non sans avertir l'ampliytrion sur le ton de la plaisanterie. Un matin, il se présenta chez une riche mondaine qui lui refusa les dons sollicités; avisant un vase de nuit en argent, il confisqua ce meuble intime et le mit sous sa soutane. « Mais, lui demanda sa parois- sienne interloquée, (piel emploi comptez-vous faire de ce vase à l'église ? — Il servira. Madame, à former les fesses de ma Vierge. » Ce fut, en eiï'et, avec les couverts, la


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t/art profane a l'éolisr



vaisselle et aussi les secours accaparés de la sorte, qu'il fit fondre une superbe Vierge en argent.

Rappelons que le curé de Saint-Sulpice était le frère de Mgr Languct, cvêque de Soissons, qui passait pour avoir « chevauché » la Cavoy. C'est lui l'auteur de la Vie de Marguerile-Mnrie Alacoqiie, émule de sainte Thérèse : « 11 fait tenir, dit Barbier (1730), des discours très tendres à la religieuse du couvent de la Visitation, Sainte-Marie de Parois-lc-Monial. en Gliarolais, et à Jésus-Christ, avec des expres- sions trop vives, et que les lecteurs ont tournées à mal ». Le nom plaisant de la sainte a, en efïet, « occasionné cent contes plus ridicules les uns que les autres sur M. rêvê(iue de Soissons, tant en prose qu'en vers ».


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A l'intérieur, nous trouvons une autre C harité-nourvice^ qui couronne Fabat-voix de la chair.

Pendant la Révolution, Alexandre Lenoir trouva, dans la sacristie



Fig-. 114.


de Saint-Sulpice, un bas-relief antique (fig. 113), actuellement au Musée du Louvre *.

Saint-Symphorien de la Chartre ^.

1. Avant 1847, époque où Visconti exécuta la fontaine de la place Saint-Sulpice, les paroissiens, au sortir de IV'f^lise, rencontraient sur l'ancien monument, au lieu des quatre prédicateurs français, des bas-reliefs à sujets et nudités mythologiques, sculptés par Espercieux, tel celui où Cérès enseicfne l Agriculture h Triplomène{i\'^A\^).

2, Cet édifice du culte était appelé, au xviii° siècle, Chapelle Saint-Luc située dans la Cité (Quai Napoléon). Sur une pierre tumulairc, recouvrant les restes de Garnier de Saint-Lazare, personnage fort considéré, et d'Agnès, sa femme, on lisait cette ins-

l'art profane. — L 8


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i/art profane a l'église


Saint-Thomas d'Aquin. — Nef, bas coté droit. La Mort de Saphire, en présence de saint Pierre, toile de M. F. Picot (salon de 1819). L'épouse d'Ananie, frappée de mort avec son époux pour avoir menti à saint Pierre, tombe foudroyée par un châtiment du ciel, la chemise ouverte. C'est sans doute cette ouverture impudique qui a fait enlever le tableau de la rig"oriste et sévère église Saint- Séverin, où il avait orné d'abord l'une des chapelles.

La Trinité. — Tableau de Lefrançais (1877) : Adam et Eve chas- sés de V Eden^ qu'ils avaient pris pour le bois de Bag-neux, ont d'autres préoccupations que celle de cacher leur sexe ; ils laissent ce soin au vent et aux végétaux de la route. Le pubis d'Eve se trouve ainsi protégé par la feuille d'un figuier complaisant ; celui d'Adam l'est par la chevelure de son épouse qu'il suit — le code civil n'exis- tait pas encore. Adam se cache la tête dans ses mains et la pre- mière femme s'efforce seulement de couvrir ses seins, sans s'occu- per du reste.

Citons encore comme modèle de pudicité artistique, la Théologie et la Chasteté, peinture sur fond or, par Félix Barrias. La seconde vertu est si chaste que, non contente d'être couverte des pieds à la tête d'une robe et d'un voile bleu, qui cachent son sein, elle ramène encore sur lui les plis d'un manteau jaunâtre. Cet accoutrement eût été admis à la cour de Charles V, qui ne souffrit « femmes de sa cour cousues en leurs robes estrainte ne trop grans collez » . Cette « sainterie » est le dernier cri de la pudeur moderne-style, en pein- ture religieuse.

Val-de-Grâce. — Extérieur.

Le dôme oriental du sombre Val-de-Grâce,

imité de celui de Saint-Pierre de Rome, est peuplé d'anges adultes, ailés, qui n'ont pour tout vêtement qu'une légère draperie autour

cription sibylline: vos qvi alez par cest movstiez priez por lame de garniez tesavl. SI EN coRCE je svis VOS E SI coN .TE svi Roiz SI coN, quc Tauteup du Théâtre des Anliquilez de Paris traduit ainsi : « Vous qui venez en cette église, priez pour l'âme de Garnicr Tcsaul. Si à présent je suis nud, vous serez un jour de mesme, roys et comtes. » L'abbé Pascal pense qu'on pourrait beaucoup mieux traduire la fin de la sorte : « Vous serez aussi comme je suis et les rois aussi. »


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des reins; à cette hauteur, ils se soucient peu de leur juvénile impudeur.

Au fronton, nous voyons deux renommées séparées par l'horloge



Fig. Ho.

(fîg. \ 15); Tune d'elles donne de l'air à son torse suffisamment ma- melonné.

Sur l'attique du portail, on lit cette inscription, en rapport avec le vœu royal, d'ordre tocolog-ique, dont nous parlons plus loin : iesv NASCEiNTi viRGiNiQ MATRi, et qui Serait mieux placé à la porte de la Maternité voisine.

Intérieur. — Le baldaquin de l'autel est aussi une mesquine imitation de celui de Saint-Pierre, à l'exception toutefois des piliers indécents, que nous décrirons aux églises de la Ville Eternelle.

Nef. Troisième arcade, g-auche. Une Charité, en bas-relief, qui fait pendant à la Foi, se g-arde bien de cacher son sein, crainte de se singulariser, et l'abandonne à un petit affamé nu ; de plus, elle porte un cœur de la main gauche. Seconde arcade, à droite^ autre bas-relief: la Bénignité s'accouple avec la Bonté; elle tient son sein de la main droite et élève une étoile de la gauche.

Donc cette abbaye fut fondée par Anne d'Autriche, en accomplis- sement d'un vœu et pour rendre grâces à Dieu de sa grossesse inattendue, après vingt-deux années de stérilité. Mignard fut chargé de décorer la coupole construite par Mansard. Molière célébra en vers pompeux* et pompiers, contre son habitude, le chef-d'œuvre de son ami et les « grands ornements

Qu'enfante un beau génie en ses accouchements. »

1. Mlle Ghéron opposa au poème, platement dithyrambique de Molière, une piquante réplique : La Coupe du Val-de-Grâce.


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L^ART PROPAKR a L ÉGLlSR


Il nous indique la façon dont le grand artiste a su faire valoir le nud, tout en le voilant :

Il nous enseigne aussi les belles draperies, De grands plis bien jetés suffisamment nourries. Dont Tornement aux yeux doit conserver le nu. Mais qui, pour le marquer, soit un peu retenu, Qui ne s'y colle point, mais en suive la grâce, Et, sans la serrer trop, la caresse et Tembrasse*.


1. On sait que la reine mère, confite en dévotion, finit, après avoir été en mal d'enfant, par se faire affilier à la congrégation de l'Immaculée-Gonception de la Vierge : mais où sont les flirts d'antan avec le séduisant Buckingham et le fidèle Mazarin ? La Chronique Scandaleuse, de Claude Le Petit, y fait une double et cruelle allusion :

CXVI CXVII

Ce Dôme avec cette coupelle Qu'elle fasse ! Il ne m'en chaut gueres :

S'esleve bien haut dans les Cicux ; Chacun fait ce qu'il veut chez soy ;

Pense-t-il nous crever les yeux, Ce sont les affaires du Roy,

Faisant en l'air la girondelle ? Et ce ne sont pas nos affaires :

La Marna de nostre Louis Qu'elle fasse aller son Couvent

Veut par des exccz inoûis Jusques à ces Moulins à vent !

Immortaliser ses soLtises ; On ne perd point sa renommée

Et montrer aux Saints triomphans, Dans de si pieuses amours ;

Qu'elle sçait faire des Eglises L'Eglise l a toujours aymée.

Aussi riches que des Enfans. Elle la veut aymer toujours.

Le galaût cardinal de Richelieu fut moins heureux que son successeur. Sa flamme fut méprisée et il apprit, aux dépens de son amour-propre, ce qu'il en coûte d'aimer une reine : Cupidon caresse et blesse.

Le comte Henri de Loménie rapporte, dans ses Mémoires, cette anecdote qui dut se passer, d'après A. Fidal, vers 1624 ; Richelieu avait 38 ans, Anne d'Autriche 24. « Le Cardinal estoit éperduement amoureux, et ne s'en cachoit point, d'une grande Princesse ; le respect que je dois à sa mémoire m'empêche de la nommer. Le Cardinal avoit eu la pensée de mettre un terme à sa stérilité, mais on l'en remercia civilement, dit la chronique d'où je tire ce fait. La princesse et sa confidente (Mme de Chevreuse) avaient en ce temps-là l'esprit tourné à la joye, pour le moins autant qu'à l'intrigue ; un jour qu'elles causoient ensemble et qu'elles ne pensoient qu'à rire aux dépens de l'amoureux Cardinal : « 11 est passionnément épris, dit la « confidente, je ne sçachc rien qu'il ne fasse pour plaire à Vostre Majesté : voulez- << vous que je vous l'envoyé un soir dans vostre chambre, vestu en baladin, que je « l'oblige ainsi à danser une sarabande, le voulez-vous ? il y viendra ! — Quelle folie ! « dit la Princesse. »

« Elle estoit jeune, elle estoit femme, elle estoit vive et gaye ; l'idée d'un pareil spectacle luy parut divertissante : elle prit au mot sa confidente, qui fut du mesme pas trouver le Cardinal. Ce grand ministre, quoiqu'il eust dans la teste toutes les affaires de l'Europe, ne laissoit pas en même temps de livrer son cœur à l'amour: il accepta ce singulier rendez-vous. Il se croyoit déjà maistre de sa conqueste, mais il en arriva autrement.

« Bocan, qui estoit le Baptiste d'alors et joiioit admirablement du violon, fut appellé : on lui recommanda le secret. De tels secrets se gardent-ils ? C'est donc de luy qu'on a tout sceu. Richelieu estoit vestu d'un pantalon de velours vert, il avoit à ses jarretières des sonnettes d'argent: il tenoit en main des castagnettes, et dansa la sarabande que joua Bocan. Les spectatrices et le violon estoient cachez, avec Vauthier et Beringhcn, derrière un paravant d'où l'on voyoit les gestes du danseur.


»


SEINE


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Saint- Victor

Saint- Vincent-de-Paur^. — Nef. Le long de la frise défile un interminable monôme de saints personnages, peints par Fra Hippolyte Flandrin ^. Le quatrième de la théorie sanctifiée, en partant du maître-autel, représente Sainte Agathe qui porte ses seins sur un plateau (fîg-. 116). Plus loin, la courtisane Thaïs se dépouille avec modes- tie de ses vêtements et de ses parures, qu'elle jette dans un brasier, séduite par celui qu'elle voulait séduire.

La Visitation. — Le château de Ghaillot, construit par Catherine de Médicis, devint la propriété du spirituel et vaillant maréchal de Bassompierre. En 1651, Henriette

On rioit à gorge déployée, et qui pourroit s'en empescher, puisqu'a- près cinquante ans j'en ris encore moi-mesme ?

(( On fit retirer Bocan et la déclaration amoureuse fut faite dans toutes les formes La Princesse la traita toujours de pantalonade, et ses dédains, assaisonnez du sel de la plaisanterie, aigrirent tellement le prélat orgueilleux que, depuis, son amour se changea en haine. La Princesse ne paya que trop cher le plaisir qu'elle a voit eu de voir pj... hq

danser une Eminence. »

Autre écho de chronique scandaleuse, mais du .whi"^ siècle. La Vie privée du cardinal Dubois rapporte un singulier incident de la cérémonie du sacre de S. A. R. le duc d'Orléans, en 1720. Celui-ci, armé de sa lorgnette, comme au théâtre, ne cessa d'observer l'archevêque de Cambrai qui officiait. Avec son fils, le duc de Chartres, le duc d'Orléans riait ouvertement de l'embarras et de la peine qu'éprouvait le prélat à se prosterner devant l'autel. Ce dernier, en eflct, comme le raconte notre auteur anonyme, « était tourmenté d'une diurie pour laquelle le Père Sébastien, célèbre mécanicien de l'Académie des Sciences, avait été chargé de lui faire un urinai à ressort renfermant une éponge. Le cardinal de Rohan, consécrateur, ne fut, sans doute, pas assez expéditif, car le nouvel archevêque rentrant au Palais-Royal fut obligé de changer de vêtement, en jurant contre l'urinai qui, malgré le ressort, avait tout laissé répandre ».

1. Le cardinal de Lorraine, celui qui maria l'une de ses bâtardes au fameux Le Besme (Dianowitz), en récompense du meurtre de Coligny, fut enterré dans le chœur de l'église de cette abbaye, quoique ou parce que « prédicateur boute-feu, cornet de guerre, de supplices et de tueries », comme dit Bayle. Le même écrivain ajoute que ce prélat « se vautrait dans les voluptés » et que « son luxe, sa pompe, sa bonne chère, ses amourettes, ne souiTraient point d'interruption ». Autrefois l'église ne servait-elle pas de lieu d'asile aux criminels ?

2. Avant l'œuvre de saint Vincent de Paul, à Paris, rue Saint-Landry, les enfants trouvés se vendaient pour vingt sols la pièce. On les donnait par charité aux nouvelles accouchées, d'après Larousse, « qui avaient besoin de ces innocentes créatures pour leur faire sucer un lait corrompu », office réservé, de nos jours, aux petits chiens.

3. Les murs de cette église, dit l'auteur de VOblat, sont (( recouverts avec les banales images de cette pieuse leucorrhée de la peinture que fut Flandrin ».



118


l'art P R f) F A N 10 A L ' É T. 1. 1 S K


d'Angleterre l'acquit des héritiers du maréchal et en fit le couvent des dames Visitandines. Celles-ci respectèrent les peintures pro- fanes, dont le bon vivant et rabelaisien seigneur avait enjolivé les lambris de ses fastueux appartements. L'attitude de ces moniales fut analogue à celle des dames de Saint-Paul, à Parme, à l'égard des décorations païennes du Gorrège, et ne mérite que des félicitations.

Le chœur des filles de la Visitation de Sainte-Marie fut établi dans le local où était mort, en 1578, Quélus, un des mignons de Henri III, lardé de dix-neuf coups d'épée.

Par la suite, l'église du couvent a été convertie en un temple protestant, donnant rue Saint- Antoine. Le fronton, depuis 1873, est orné d'une Charité due au ciseau de HioUe. Cette figure est, certes, la plus chaste de toutes celles qui personnifient cette vertu théolo- gale : le corsage est hermétiquement fermé et cependant un orphelin tette avidement cette étoffe; telle la pudicité d'une nurse d'Albion, dans l'exercice de ses fonctions.


BANLIEUE DE PARIS

Arcueil-Cachan. — Sur les chapiteaux de la nef se déroule la farandole des Singes et de la Folie ; moralité philosophique sous une forme burlesque : le singe symbolisait l'amour « venerreuse ».

Charenton *.

Choisy. — L'une des deux chapelles de cette église de l'arron- dissement de Sceaux était ornée d'un tableau d'autel de Carie Vanloo, où l'on voyait sainte Clotilde, sous les traits de Mme de Pompadour, favorite de Louis XV, aux genoux de saint Martin. Le peintre n'avait pas été autorisé à donner au nimbé le visage du (( Bien-aimé ».

1. Morus, cx-ministre de la relij^ion réformée, à Middelbourf^-, en Zélande, se convertit au catholicisme romain et vint prêcher à Charenton. « Ses prêches étaient si courus qu'on l'appelait le Minisire à cinq broches, parce que les rôtisseurs de la localité en mettaient autant (ils faisaient le maximum) le jour qu'il devait prêcher, au lieu qu'ils n'en mettaient que deux ou trois quand quelque autre ministre du


SEINE


119


Saint-Denis. Cathédrale. — Cette vieille église abbatiale, sans cesse rafistolée, ratatouillée et tripatouillée, n'a conservé que le



Fvs. 116 a.


1 1^.


116 h.


Fig-. 116 c.


souvenir des splendeurs architecturales et ornementales de Sug-er. Quantum mutata ab illa! Nombre de sépultures proviennent d'autres églises, Gélestins, Jacobins, etc.; toutes sont vides; la plupart sont truquées et l'authenticité de leurs effigies est loin d'être assurée. Les stalles elles-mêmes sont étrangères au monument ; ce sont celles de Saint-Lucien, près Beauvais, et celles du château de Gaillon*. A force de démolitions, de réfections et de restaurations


culte prêchait ». Ses ennemis l'accusèrent d'avoir « engossé » la femme de chambre de Mme de Saumaire et lui décochèrent ce distique acéré :

Gain ex concubilu gravidatn te, Pontia, Mari,

Quis bene moratam morigeramque neget?

(En te voyant enceinte pour avoir couché avec Gallus Morus,

Qui viendrait nier, ô Pontia, que tu sois pourvue, farcie même de bonne mor...ale?)

La Chronique Scandaleuse renchérit et, plus que le latin, dans ses mots brave l'honnêteté :


Que dit-on du Seigneur Morus ? N'évang-élisera-t-il plus ? Le renvoyez-vous en Hollande ? Que l adage est bien avéré, Lorsque l'on va trop à l'offrande. Que I on l'ait tomber le Curé 1 En effect, belles Réformées. Vous l'auriez encor pour pasteur,


S'il eut esté moins bon ,

Et s'il vous avoit moins aimées. Il a fait de si grands efforts Pour vos âmes et pour vos corps, Qu'il en court de rumeurs mauvaises. Mais, quoy qu'on louche ses débits. Il peut bien prescher dans vos chaises. Puisqu'il a couché dans vos lits.


1. Les six stalles de Saint-Lucien n'ofl'rent aucune ornementation intéressante ; celles, plus nombreuses, en marquetterie d'une exquise délicatesse, qui proviennent de la chapelle du château bâti et décoré pour le cardinal Georges d'Amboise, sont au contraire couvertes de motifs religieux ou profanes des plus pittoresques(fig-. 116 a — 116 k).


120


i/art profane a l'église



Fig. 14G e.


122


l'art profank a l'église


amputé d'une tour, en est arrivé à être comparé par Didron à un



Fig. 116 i.


Panthéon charivarique. « L'intérieur de Saint-Denis n'offre plus, disait déjà en 1847 le comte de Montalembert, qu'un effroyable



Fig. 116 j.


Fiy. i[6k.


g-âchis de monuments, de débris de tous les temps, de tous les genres, confondus dans un désordre sans nom ; ce n'est plus qu'un


SEINE


123


véritable musée de bric-à-brac, où fourmillent des anachronismes innombrables. » C'est encore, au temps présent, un vaste entrepôt de sculptures funéraires, une mag-nifîque boutique de brocanteur, un vrai capharnaûm.

Extérieu7\ — Gambry (An III) donne la description d'un motif



Fig-. 117. Fig. 118.


curieux (un arbre de Jessé ?), dont il n'indique pas la place et qui a dû disparaître lors de la réfection des sculptures des portails, au xixe siècle ?

Abraham, le père des croyans, couché sur le dos, lance une liqueur féconde qui procrée deux enfans ; de ces enfans, des jets de la même rosée produisent des hommes qui, par le même procédé, donnent la vie à ces millions d'individus dont, suivant la fable des Juifs, tous les mortels sont descendus.

Portail Nord. En tête des signes du zodiaque figure l'allégorie de l'année qui s'achève et celle qui commence (fig. 1 17) : un personnage à demi vêtu, pourvu de deux têtes, dont Tune barbue et l'autre imberbe, est debout entre deux maisonnettes. De sa main gauche, située du côté de la tête barbue, ce personnage pousse à l'intérieur d'un des édicules un petit vieillard nu — l'an passé — tandis que sa main droite, du côté de la jeune tête, ouvre la porte de l'autre retraite à un adolescent plein de vie, qui symbolise l'an nouveau. Même portail, une figure énigmatique de femme nue (fig. 118), pour laquelle nous donnons notre langue au chat. La signification d'un groupe voisin de deux personnages qui se battent ou se lutinent (fig. 119) nous échappe pareillement : Luxure? Colère ?

Portail du milieu. Sur une des nervures du côté droit, la peine de


124


l'art profane a r/ÉGLISE



Fig-. 11!).


121). Encore à déchiffrer. Intérieur. -


la Luxure est personniGée par un démon qui étreint amoureu- sement une impudique sans voiles.

Portail Sud. Les médaillons des piliers se terminent, en haut, d'un côté, par un homme ; de l'autre, par une femme, nus tous deux et couchés dans l'attitude du sommeil (fîg. 120,


une enig-me


En


péné-



trant dans la basilique, nous devons notre première visite, par droit d'ancienneté, au tombeau de son fondateur, Dagobert, mort en 638 à l'Abbaye même (fig*. 122). Le grand bas-relief, en trois zones (fîg. 123), qui occupe la surface de ce monument, a pour sujet la vision d'un vieil anachorète de Sicile, un illuminé, du nom de Jean. 11 avait rêvé que des diables ligottaient le roi sur un esquif et le conduisaient « aux manoirs de Vulcain », en le rouant de coups. Dagobert invoquait le secours des bienheureux saints Denis, Maurice et Martin qui accoururent illico, délivrèrent le prisonnier et le conduisirent, sans culotte* ni chemise, au sein d'Abraham. L'illustration commence par le bas, et un arbre de convention sépare chaque incident. Au compartiment supérieur, l'âme du roi, vêtue d'une couronne, est portée sur une nappe, à la façon de Sancho, par saint Denis et saint Martin. Ces tableaux étaient accompagnés de légendes explicatives, relevées par Monfaucon :


120, 121,


1. Quoi qu'en dise la chanson populaire, Dagobert n'avait pas de culotte, tout au plus portait-il des caleçons, femoralia vel feminalia, des Francs.



Fîg. 122,


126


l'art profane a l'église


A la bande inférieure : saint dénis révèle a jean anachorète que l'ame de dagobert est ainsi tourmentée.

A la bande moyenne : l'ame de dagobert est délivrée par les

MÉRITES de saint DENIS, SAINT MARTIN ET SAINT MAURICE.

A la bande supérieure : les trois saints tiennent l'ame de dagobert

DANS UN drap ET PRIENT ABRAHAM DE LA RECEVOIR DANS SON SEIN.

On remarquera les mamelles pendantes et les masques caractéris- tiques de certains démons et aussi l'absence des sexes chez tous les personnages nus ; cette émasculation sculpturale est-elle primitive ou consécutive ? Seul un de ces mufles diaboliques, placé au pubis, tire la langue et prête à Féquivoque.

Lors de la reconstitution des tombeaux de Saint-Denis, des res- taurateurs sans scrupule baptisèrent à nouveau les statues déca- pitées, et, non contents de leur imposer une fausse identité, ils leur appliquèrent des têtes étrangères. v( Et l'on vit, dit Viollet-le- Duc, chez tous les mouleurs de Paris, une certaine Nanthilde *, femme de Dagobert, à laquelle on avait adapté la tête d'un jeune prince »

Même interversion de sexe sur un Crucifiement du xiv^ siècle, d'après Didron : on avait transformé un saint Jean en une Marie- Madeleine.

1. On sait que Nantcchildc ou Nanthilde était une relif^icuse qui mit la tête, sinon « la culotte », de Dag-obert à l'envers, un jour que, dissimulé derrière un rideau, le roi mélomane et philogyne fut charmé par le son mélodieux de sa voix. Il en devint épcrdument amoureux et répudia incontinent sa léj^itime épouse pour s'unir à cette séduisante nonette.

Mais il faut en rabattre avec la légende et la chanson populaires du « bon roi » Dagobert. Ce fut, au contraire, un prince cruel — digne fils de sa mère Frédégonde — et un polisson qui eut jusqu'à trois femmes à la fois « à titre de Reines » — Nanthilde, Vulfégondc et Berthilde. Pour réaliser son idéal, il pensait sans doute, comme un psychologue de notre connaissance, que, ne pouvant rencontrer chez une seule femme la trinité de la perfection féminine (la satisfaction des sens, du cœur et de l'esprit), il était nécessaire d'en prendre trois, possédant Tun de ces desiderata. Pourtant, l'eflcrvescence de son tempérament était telle qu'à l'exemple du « sage » Salomon, il s'ort'rit vm supplément de concubines sans compter. Ce qui ne l'empêcha pas d'être mis au rang des Saints, pour avoir fondé l'abbaye de Saint- Denis et fait de nombreuses aumônes aux églises — après les avoir pillées — « en satisfaction de ses péchés » et en expiation de ses crimes, à l'exemple de Constan- tin ou autres criminels de marque, sanctifiés. C'est ainsi, comme l'a dit Jeanne de Matel, qu'on gagne le ciel en se perdant.

2. Cependant le D"" Max Billard admet qu'en août 1793, les vandales révolution- naires « brisèrent la statue du roi, mais respectèrent celles de Nanthilde et de son fils Clovis II » ? Lenoir assure, au contraire, que les deux dernières effigies « ont été brisées ».


SEINE


127



Fig. 123. — Détails de la Vision.


A Saint-Denis, au dire de cet archéologue émérite, les sexes jouent de malheur ; l'architecte Debret avait fait sculpter, sur le tympan de la porte centrale, de la barbe au menton de la Vierge !


128


l'art profane a l'église


Autre maquillage audacieux : Selon Viollet-le-Duc, Alexandre Lenoir avait reconstitué le tombeau d'Héloïse et d'Abélard « avec des morceaux d'une arcature de Téglise de Saint-Denis, des bas- reliefs provenant des monuments de Philippe et de Louis, frère et fds de saint Louis, des rosaces appartenant à la chapelle démolie de Saint-Germain-des-Prés et de deux statues du xiv^ siècle de personnages inconnus ».

En 1586, Gorrozet sig-nale, derrière le chœur, une cuve « de pierre roug^e, jaspe ou porphire, où Dagobert se baignoit. Mainte- nant, elle sert à faire l'eau benoiste, les vieilles de Pasques et de Penthecouste ».

Fermons cette parenthèse et reprenons notre tournée.

Le tombeau de Philippe le Bel rappelle ses méfaits et les mé- comptes de ses fils

Tombeau de Louis, duc d^Orléans 1407), de Valentine de Milan, son épouse 1408;, et de ses fils. Ving-quatre niches de son socle abritent des statuettes d'apôtres et de saints, parmi lesquels saint Sébastien, complètement nu, et la Madeleine. Cette pécheresse fig-ure ici à titre de pleurnicheuse, en mémoire de l'em- blème choisi par l'inconsolable épouse du frère de Charles VI, qui

1. Ce fut un faux monnayeur et un imitateur de l'Inquisition : il fit brûler les Templiers pour s'approprier leurs richesses, mais il lui sera beaucoup pardonné, parce qu'il eut l'audace de se payer la tête de Boniface VIII et des noblaillons de l'époque. Quant à ses trois fils ou les trois maris marris, ils furent tous corniculés par leurs épouses Marguerite, Jeanne et Blanche. Cette dernière, entre autres, fut convaincue d'adultère avec les deux frères, Philippe et Gauthier de Launoy qui « eurent les parties, dont ils avoient commis le crime, arrachées, la peau éraflée », puis furent traînés, les chairs pantelantes, dans une prairie fraîchement fauchée et finalement décapités. Jeanne fut absoute ; mais on enferma ses belles-sœurs, Blanche et Marguerite de Bourgogne, au Château-Gaillard, en Normandie, où Louis le Ilutin lit étrangler la dernière. Mezeray dit avec un « linceuil » ; une tradition plus répandue veut que ce soit avec ses cheveux, mais Godefroy, de Paris, dans sa chronique rimée sur Philippe le Bel, penche pour la noyade ;

Furent menées à val Sainne,

A Andeli par bonne estrainne (escorte),

De tout noble atour despoillées

Et puis rasées et roognées.

Le mausolée de ce souverain cornu nous remet en mémoire la lin tragique de son petit-iils, Charles le Mauvais, roi de Navarre. Comme ce prince dépérissait, son médecin, à bout de l'cmèdes, ordonna que le malade fût enveloppé et cousu dans un drap imprégné d'eau-dc-vie. La personne chargée de ce soin avait la tête légère : une fois sa couture terminée, elle ne trouva rien de mieux pour rompre le 111 que d'en approcher une lumière. Le drap prit feu avec le fil, ce qui délivra le patient de toute maladie.


SEINE


129


consistait en un arrosoir versant des larmes entre deux S — ini- tiales de Souci et de Soupir — avec cette lugubre devise, écrite sur les tentures noires de ses appartements :

RIEN NE m'est PLUS PLUS NE m'est rien.

Elle ne survécut d'ailleurs que quelques mois à sa douleur : fait assez rare pour être consigné.

Tous les ana racontent que Thierry de Héry, visitant l'église abbatiale de Saint-Denis, commença par le mausolée de Charles VIII



Fig. 124.

i/art profane. — I. 9


130


i/aut profane a église



(f 1498). Il se mit à genoux auprès du monument, plongé dans une profonde méditation. Son entourage, surpris de voir rendre à Char- les VIII le culte réservé aux saints, lui en fit lobservation : « Ce n'est pas une méprise, répondit lléry, ce prince a apporté en France une maladie qui a fait ma fortune et, par reconnaissance, j'adresse à Dieu des prières pour le salut de son âme. »

Nous avons déjà décrit le sarcophage de Renée de Longue ville (f 1515), à son passage aux Célestins ; nous en donnons ici une représentation plus conforme au monument — factice en grande partie — édifié à Saint-Denis (fig. 124).

Les images d'Anne de Bretagne (f 1514) (fig. 125), de Claude de France (f 1524) (fig. 126) et de Catherine de Médicis (f 1580)


SEINE


131



Fig'. 127. — Statue funéraire de François I".


(%. 128) sont couchées, dans toute la nudité de la mort, aux côtés de leurs époux respectifs, Louis XII (f 1515), François



Fig. 128. — D'après la photographie de Neurdein.


132


l'art profane a i/église


(f 1547) (fig. 127)1 et Henri II (f 15o9) (%. 129)2. Cette inno^ vation artistique remonte aux enfants de Jacques Cœur qui, en 1457,



Fi^-. 129.

son tombeau. Nous connaissons la « gisante » du charnier des Innocents ; d'autres effigies similaires se rencontreront en province.

1. « Dessus le licL funeral, dit Gorrozet, sont les deux cfTigies estandues de leur long-, comme corps trcspassez, nuds et descharncz. »

2. Louvre, n" 254. Maquette en terre cuite de la figure de Henri II, pour son mausolée. C'est la copie d'une statue gisante d'un tombeau ou d'un Christ mort, par Germain Pilon (n° 349).


SEINE


133



Examinons en détail ces superbes sépultures. Au-dessous des « prians », couverts de riches vêtements, la mort apparaît, « dans sa plus dou- loureuse réalité », sur les statues en pied de Louis XII et d'Anne de Bre- tag"ne (fîg. 125). Ces statues semblent prises sur le vif, ou plutôt sur le mort. Le sculpteur Jean Juste eut la cons- cience de pousser le réalisme jusqu'à tracer les incisions Fig. 130. et les sutures de

l'abdomen, nécessi- tées par l'embaumement des deux corps. Aux ang-les du soubassement de leur tombeau, se tiennent assises quatre (( figures de fortune », les Vertus car- dinales^ en marbre, cortège habituel des Fig. 131. princes défunts. La Force ^ dont le torse

souvent nu et flanqué de robustes mamelles, est ici couverte d'une peau de lion et d'une draperie transparente si collante que toutes les saillies et dépressions du torse y sont visibles ; mais la Justice a pris le costume traditionnel de sa voisine : elle porte la poignée d'un glaive, de la main droite, et s'appuie, de la gauche, sur une boule (fig. 130). La Tempérance tient une horloge et une bride pour maîtriser les passions, mais elle ne prêche pas d'exemple en montrant son sein droit à découvert (fîg. 131) ^

1. Avant la construction de ce magnifique mausolée, on lisait cette épitaphe, gravée sur la première sépulture d'Anne de Bretagne :

Terre, Monde et Çiel ont divisé Madame

Anne, qui fut des Roys Cliarles et Louis la femme.

La Terre a pris le corps qui gist sous cette lame,



134


l'art profane a i/église


C'est près de ce mausolée qu'est placée V Assomption provenant de Saint-Jacques-la-Boucherie (fîg. 82).

Les représentations gisantes, à l'état de mort, d'Henri II et de



Fii--. 132, 132 bis.


Catherine, jeune et séduisante, semblent sommeiller. Germain Pilon se conforma à l'usage qui, dès le xvi^ siècle, voulait qu'on plaçât TelRgie de la femme même survivante auprès de celle de son époux défunt. C'est ainsi que l'image d'Isabeau de Bavière fut représentée à côté de celle de Charles VI, mort dix ans avant elle. Il en est de même, dans le cas qui nous occupe, pour Catherine


Le Monde aussi retient sa renommée, et famé Perdurable à jamais sans estre blasme-Dame, Et le Ciel, pour sa part, a voulu prendre l'âme.


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135


de Médicis, qui survécut trente ans à Henri II. Debout, les Vertus cardinales, en bronze, occupent les angles du tombeau, mais seules



Fi^. 133.

la Tempérance (fig*. 132) et la Force (fîg. 132 bis) qui lui tourne le dos, toutes deux privées de leurs attributs, montrent à nu la plus grande partie de leur poitrine. La première mêlait de l'eau avec le vin, mais les vases ayant disparu, son geste est assez incompréhen-



Fig-. 134.

sible, elle semble exécuter un pas de danse et symboliser VInsouciance


136


l'art profane a l'église


Quatre bas-reliefs, encastrés au stylobate, personnifient la Foi (fîg. 1-i3), y Espérance [ivj;. 134), la C/iaW/e (fig-. 135) et la Pi/ie ou



Fig. 435.


les Bonnes Œuvres (fig. 136). Ces allégories ont toutes le buste nu; seule la Charité se dépouille de son dernier voile, pour en couvrir un miséreux, et apparaît dans le costume de la Vérité. Cette vertu théolog-ale ose très rarement en France se présenter sous cet aspect.



Fig. 136.


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Quoique ce monument dût être élevé dans une chapelle attenant à l'église de Saint-Denis, dit M. Rigol- lot, l'artiste ne s'était pas fait scru- pule de placer dans ces bas-reliefs des figures nues. A la vérité, elles sont loin d'être indécentes, car l'in- décence ne consiste que dans l'action ou rintention, mais elles prouvent qu'alors, à l'imitation peut-être de ce qui se passait en Italie, on ne pensait pas qu'il fût nécessaire d'in- terdire aux artistes les moyens de faire valoir toutes les ressources que peut leur fournir la reproduction des formes de la nature humaine, repro- duction qui est le véritable but de leurs elForts.

Aux angles du piédestal qui supporte la colonne funéraire de François II, se tiennent debout trois g-énies funèbres qui éteignent le flambeau de la vie. « Ces gra- cieux enfants, dit Ch. Fichot, ont leurs larmes mêlées de sou- rires ; de légères draperies voilent, sans les cacher, les contours de leurs corps. « 

L'urne sépulcrale en marbre blanc qui renfermait le cœur de François I*^^" (fîg. 137)* est décorée de quatre bas-reliefs allégorisant les arts et les sciences (la Pein- ture^ la Sculpture, Y Architecture et la Géométrie), que le prince avait protégés à sa manière^. A l'un d'eux, Cupidon paraît aux



Fiff. 13 i


1. Du xiii' au xve siècle, les dépouilles royales étaient partagées en trois lots — les entrailles, le cœur et le corps — et occupaient des sépultures difï'érentes.

2. La passion du prince pour les arts libéraux, dit Rigollot, avait fait choisir au statuaire ces sujets profanes et emblématiques, « au lieu de reproductions pieuses.»


138


l'art profane a l'éc.lise


côtés de sa mère. La présence de Cypris, est-elle une allusion à la vie et à la fin vénériennes du galant monarque, qui lui valurent cette épitaphe trop connue :

En quinze cent quarante-sept François mourut à Rambouillet De la vérole qu'il avait ?*


Finissons-en avec le cœur léger de ce prince-chevalier qui con- fondait dans la même étreinte les belles-lettres — souvent pour



Fig-. 138. ■ Fig-. 139.


les étouffer — et les belles. L'urne de ce « faux bonhomme », due au ciseau de P. Bontemps et destinée à l'Abbaye de Haute- Bruyère, est surmontée de deux génies de la Mort, sans draperies, adossés à une pomme de pin, qui remplace le cœur de moineau primitif: un artichaut symbolique eut été plus justifié. Ce vase arrondi repose sur un piédestal en marbre à quatre faces, ornées chacune d'un médaillon circulaire qui allégorise V Astronomie, la Musique (fîg. 138), la Poésie (fîg. 139) et la Poésie lyrique, motifs agrémentés de moult savoureuses nudités.

Pourtant des images de sainteté n'eussent pas été choquantes pour la mémoire de cet intellectuel, de ce François-le-bas-bleu qui, en 1534, sortit de Notre-Dame à la tête d'une procession, pour allumer le bûcher de six hérétiques et attendre la lin du supplice, les mains jointes — « le pauvre homme ! »

1. On connaît moins l'épitaphe courtisanesque composée par Melin de Saint- Gclais, pour le cœur d'un monarque qui en avait si peu. Ces vers, plats comme


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139


Quant au magnifique tombeau de ce monarque, en plus des gisants complètement dévêtus, son riche plafond est décoré de bas- reliefs qui représentent, aux quatre coins, les Evangélistes, dont



Fig. 141.

deux (fig. 140^ 141) ont la poitrine en partie découverte ; saint Jean a une figure et un sein de femme. Aux côtés de ces écrivains sacrés se tiennent, debout, quatre génies de la Mort, porteurs de draperies inutiles ; il en est un qui tourne le dos et montre effrontément ses formes (fig. 143) ; un autre, placé de profil, se croit auto- risé à ne rien cacher, parce qu'il est muni d'ai- les angéliques (fig. 142).

Au fond de la crypte sont reléguées les statues de Louis XVI et de Marie- Antoinette en prière (fig. 144). L' (( Autrichienne » porte, dans son lugubre buen retiro, un corsage suffisamment ouvert,



des tœnias, sans rime ni raison, sont indignes de celui qui a été surnommé TOvide français :

Que tient enclos le marbre que je voi? Le grand François, incomparable roi Comme eut tel prince un si court monument ? De lui n'y a que le cœur seulement. Donc ici n'est pas tout ce grand vainqueur ? Il est tout, car il était tout cœur.

Oui, mellifique flagorneur ; la preuve de sa chevaleresque magnanimité : l'auto-


140


l'art profane a l'église


comme au temps de ses frivolités. Ces malheureux priants sont des « laissés pour compte » : ils étaient destinés à orner un monu- ment que les événements politiques empêchèrent de leur élever.



da-fé d'Etienne Dolet, l'érudit typographe, une des gloires de la Renaissance, qu'il laissa brûler comme helvétique sur la place Maubert ! Et nos expulsés s'étonnent de l'acharnement que l'on met à les conspuer; mais, comme Louis XYl, vous êtes des victimes expiatoires qui payez pour tous les forfaits accumulés durant des siècles par l'intolérance religieuse. Le frère Jean, l'auteur de VOhlnt, oblat lui-même, vous le dira mieux que nous : « Nous réclamons aujourd'hui la liberté et nous ne l'avons jamais accordée aux autres ! Si demain le vent tournait, si c'était un des tristes légumes récoltés dans nos potagers catholiques, qui supplantait Waldcck, nous serions encore plus intolérants que lui et nous le rendrions presque sympathique ! Nous avons embêté tout le monde, alors que nous disposions d'un soupçon d'autorité, on nous le rend; toit se paie ; i.e moment de l'écuéaîvce est venu. » C'était écrit : Celui qui sème le vent récolte la tempête.


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C'est aussi à Saint-Denis que devait figurer le tombeau de Marie Leczinska, qui ne fut jamais exécuté. Un groupe important de oe mausolée est actuellement au Musée du Louvre (fîg-. 145); il représente la reine^ sous l'appa- rence d'une Charité^ protégeant un orphelin et tenant à la main un médaillon où est sculpté le portrait de son père, le roi de Pologne.

Le Trésor de Saint-Denis* pos- sédait (4*^ armoire) une améthyste, sur laquelle était gravée la figure d'Apollon, le sosie de saint Etienne dans le polythéisme chrétien, et (6^ armoire) un précieux vase d'agathe ^, où Ptolémée Phila- delphe, roi d'Egypte, fît graver une des fêtes célébrées en l'hon- neur de Dionysos. Sur le pied de ce vase, offert par le roi Charles III, dit le Simple, et qui servit autre- fois de calice, on lisait ce distique, en latin de sacristie :

Hos vas, Chris te, tihi mente dicavit Tertius in Francos regniine Karlus.



Fi^. 145.


Extra-cathedra. Au Louvre, parmi les débris provenant des chantiers de Saint-Denis, on remar- que un bas-relief en marbre, Y Empire du Temps sur le Monde (fîg. 146), qui décorait vraisemblablement un mausolée détruit. Nous retrouverons un motif analogue dans une mosaïque de la cathédrale de Sienne.

Le centre de la seconde cour de l'Ecole des Beaux-Arts est


1. Cf. Le Trésor de V Abbaye roy. de St-Denis, 1736.

2. Reproduit par Dulaure, dans son Hist. de Paris, a Les bas-reliefs, dit cet auteur, représentent tous les objets nécessaires aux fêtes de Bacchus Géphalen. »


142


l'art profane a l'ÉGLIvSE


occupé par une vasque, en pierre de liais, de grandes dimensions, datant de la iin du xiii« siècle et qui primitivement servait de lavabo



Fii>-. 146.


aux moines de l'Abbaye de Saint-Denis ; c'est tout ce qui reste de ce monastère. Le pourtour de la vasque est orné de vingt-huit mas- carons (fig. 147-161) représentant des divinités païennes, entre- mêlées aux images des éléments et à celles des vices : iVPrrER, ivno,

HERCULES, SILVANVS, FAVNVS, DLVNA^ NEPTVNVS^ GERES, BACVS, PAN,

VEiNVS^ PARIS, TiiETis, EBRiETAS, ctc. La figure d'Aplirodite — proh pudor! — est seule mutilée, et cependant la vasque avait été com- posée et exécutée par un moine de Saint-Denis ; mais combien d'iconoclastes sont plus papalins que le pape ! Le nom de la BACCHANTE couronuéc de lierre a aussi été effacé


Sceaux. — Le Baptême du Christ, dû au ciseau de Tubj, sert

1. Loiifitcmps, les clefs en arj;cnt de Saint-Denis étaient appliquées sur le visage de ceux qui étaient mordus par des chiens enraf,'-és. Ce premier Institut antirabique opérait autant de cures que le nôtre, pour la bonne raison que la mortalité des rabiques, vaccinés ou non, n'a pas sensiblement varié :

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient mordus.


SEINE


143


de rétable au maître-autel de l'église paroissiale. Ce groupe en marbre décorait la chapelle du château du duc du Maine. Jésus et le précurseur, tous deux convenablement drapés, sont placés sur



Venvs ivno hercvles THETIS



Fig-. 147 à 101.


les deux rives opposées du Jourdain. Ce fleuve, qui passe entre les deux personnages, est un peu étriqué ; il a bien vingt centimètres de large. Toute immersion est impossible dans ce fdet d'eau, aussi saint Jean se contente-t-il de vider sur la tête du Messie l'eau conte- nue dans une coquille. C'est d'ailleurs une entorse fréquente que


144


l'art profane a l'église


Tart chrétien donne allègrement au texte du Nouveau-Testament*.


ViNCENNEs. 1» Sainte-Chapelle du Château. — La voussure du

portail est peuplée d'ang-es, de forme singulière, dont le corps est em- plumé à la façon des serins.

Au côté gauche de la nef, une verrière aux couleurs éclatantes, représente, non pas le Purgatoire^ comme le suppose l'auteur que nous venons de citer, ni le Jugement dernier^ comme le pensait Viollet- le-Duc, mais la 12*^ Vision de TApo- calypse, celle de rOiiuer^ure du cin- quième sceau ^ quand Tapôtre aper- çoit (( sous l'autel, les âmes des saints mis à mort pour la parole de Dieu». E. Lemarchand "2 propose avec justesse d'intituler cette scène :



162.


Tableau des saints martyrs (fig. 162) :

Parmi ces glorieux martyrs de la foi, dit Olivier Merson, on n'est pas médiocrement étonné de reconnaître la moins convertie des pécheresses. Diane de Poitiers (fig. 163), ni confuse de sa nudité, ni surprise de se voir en une telle assem- blée. Son royal amant aura-t-il exigé du peintre cette hardiesse ?

Tout de même, les personnages voisins^ qui sont habillés, tournent le dos à la courtisane repentante. Le ruban bleu passé dans ses cheveux leur paraît être sans doute un vê- tement insuffisant. Ou bien n'osent-ils élever les yeux sur les charmes réservés à leur

1. Qu'on pardonne à notre esprit scrutateur deux questions peut-être indiscrètes. Pourquoi, d'une part, la Vierge n'a-t-elle pas reçu le baptême, le premier des sept sacrements de l'Elglise, celui qui elTace le péché originel, et comment se fait-il, d'autre part, qu'aucune fête catholique ne commémore le baptême du Christ... sauf la Circoncision, qui célèbre le baptême juif de Jésus ?

2. Le Château royal de Vincennes (1907).



SEINË


145



Fig. 164.


Roi ? « Elle tient les bras serrés contre sa poitrine et semble demander de sortir de ce séjour de douleur, où quelques faiblesses la retiennent, pour entrer dans la demeure des bienheureux. »

La favorite, à laquelle s'applique si bien l'alexandrin de Musset :

Où le père a passé passera bien l'enfant,

était âgée de 46 ans, quand Jean Cousin fît ce portrait qui^ suivant la tradition, était d'une ressemblance frappante. Ce tableau occupe le bas du vitrail, à droite ; un homme qui se désha- bille (fîg-. 164). est représenté sur le panneau opposé ; au-dessus et entre ces deux académies évoluent d'autres nudités, dans l'attitude d\( ho- rizontales» (fîg. 165).

En outre, Henri II, costumé décemment, est agenouillé dans le

soubassement du vitrail, où est rappelée la 8® Vision. Les bordures ainsi que les voûtes portent en- trelacés des H de celui qui règne et des croissants de celle qui gouverne « Le tout, observe, E. Lemarchand, avait été ainsi placé sans respect sous les yeux

mêmes de la reine, qui ne devait Fig. 165. ^ .

être que médiocrement flattée^ à

la vue de cette profusion des attributs et du portrait de sa rivale. »

Toutefois, les artistes ont omis, suivant leur coutume peu galante

à l'égard de la reine, d'opposer Junon à la déesse de la chasse,

figurée en personne ou indiquée par ses attributs. Mais Catherine

avait confiance en son étoile et dans la vertu de ses amulettes ;

adonnée à toutes les pratiques de l'astrologie et de la divination,

elle portait sur sa poitrine un talisman précieux pour la réussite

de ses entreprises : la peau d'un jeune enfant égorgé. Ce fut ce

1. La bibliothèque de Parme possède les Heures, peu édifiantes, de Henri II chaque page est historiée du croissant de la reine de la main gauche.



l'art profane. — I.


10


146


l'art profane a l'église


talisman sans doute qui finalement la fit triompher de sa rivale. 2^ Minimes. — Jean Cousin, le Michel-Ang-e français a adouci »,



Fig. j66. — D'après Pierre de Jocle.


selon l'expression de Lecoy de la Marche, — tandis que le florentin Bandinelli en était l'exagération, — exécuta pour la chapelle de cette Abl^aye son tumultueux et pittoresque Jurjcrncnt dernier. Ce tableau, d'un puissant réalisme, et qui est une des plus anciennes


SEINE


147


peintures à l'huile conservées, se trouve actuellement au Louvre.

C'est la composition de ce g-enre qui mobilise le plus de per- sonnages ; il y en a au moins douze cents et presque tous dépouillés



Fiy. I(i7.


de leurs vêtements ; les org-anes sexuels ne sont franchement indiqués que sur deux damnés (fig. 166^ 168). Quant aux femmes qui exhibent leurs mamelles, elles ne sont pas plus nombreuses. C'est dire que les deux sexes se présentent surtout de profil ou de


148


l'art profane a l'é'glise


dos : les croupes sont tolérées par toutes les censures, civiles ou



Fig. 1G8.


pêle-mêle, dans la barque à Garon, pécheurs et pécheresses (jui opposent vainement la plus vive résistance. Les suppôts de Satan se disposent à leur faire passer le fleuve infernal, aux eaux noirâtres et boueuses — la contre-partie de « rembarquement à


SEINE


149


Gythère )> — pour les livrer aux flammes dévorantes. Légère réminiscence du Jugement^ de la Sixtine.

Gà et là, au milieu des plus terribles supplices, surgissent des diableries du dernier g-rotesque. Telles les peines réservées aux luxurieux, dont les démons brûlent et les serpents déchirent —



Fi^-. IG'J.


comme chez le Biagio, de Michel-Ange — les organes par où ils ont péché : Tun de ces impudiques serait Léon X, qui succomba à une maladie vénérienne, malgré les soins de son chirurgien Jacobus Brixianus (fîg. 167, 109). Un autre ophidien diabolique enlace une luxurieuse et lui ronge les lèvres, qui ont donné ou reçu des baisers illégitimes (fîg. I(i8)^ Un réprouvé, convaincu du vice a iergo^ subit la question de l'eau par Torifîce incriminé (fîg. 168). Enfin deux facétieux diablotins, méditant sur la Chézonomie, en posture colprique, étalent leur effronterie ordurière coram populo : l'un s'apprête à embrenner quelque damné (fîg. 170) et l'autre, à tête

1. Depuis la Ge/ièic, le serpent a toujours joué un rôle important dans la vie de la femme, comme le rappelle une chanson du Recueil Maurepas :

Le serpent jadis a scduit, Aujourd'hui, que de serpentaux

De l'aveu de la Sainte Eglise, Cachés sous la l'orme virile,

Ève avec l aniGrce d'un l'ruit, Inventent des pièges nouveaux

Par l'eiret de sa gourmandise. Pour tromper le sexe fragile.


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l'art profane a l'ét. lise


d'oiseau de proie, lance in petto et à toute volée une pétarade bien sentie (fîg. 171), rappelant le personnage ^^^^ de Breugcl qui, perché aussi sur une construction, « déverse son... mépris sur les Orgueilleux ».



Fig'. 170, 171,


Fig. 172.


IL — AIN

Ambronay. — Au tympan du portail, le Jugement de rig-ueur, le « Jour du Seigneur * », avec ses nudités traditionnelles, dont plu- sieurs sortent du poncif habituel; par exemple, ce galant époux qui aide sa jeune femme à sortir de son sépulcre (fîg. 172).

Brou. Notre-Dame. — Cette magnifique église gothique fut élevée par Marguerite d'Autriche pour accomplir un vœu de sa mère, Marguerite de Bourbon, lors d'une grave maladie de son mari. Marguerite d'Autriche fut poursuivie ]oar la malchance : fiancée, une première fois, à Charles Vlll, le dauphin la « plaqua » pour Anne de Bretagne; fiancée, une seconde fois, à Jean de Cas- tille, elle part de Belgique et se rend en Espagne; son vaisseau faillit sombrer dans la Manche. C'est alors qu'elle attacha à son bras son coffret k bijoux, pour être identifiée en cas de naufrage, et qu'elle composa son épitaphe si connue :

Cy gît Margot, la gente demoiselle, Qu'eut deux marys et si mourut pucelle.

1. Isaïe, chap. XIII. Voicy le jour du Seigneur viendra cruel et plein d'indi- gnation... pour mettre la terre en désert et pour extirper hors d'icelle les pécheurs.


AIN


151



Elle devint veuve au bout d'un an de mariage, puis épousa Phi- libert le Beau, duc de Savoie, qui mourut trois ans après. En venant de Belgique, pour activer les travaux d'une église voti^-e, elle se blessa au pied avec un éclat de verre; la gangrène s'y mit et on lui en fit l'amputation. Afin qu'elle pût supporter Topé- ration, les médecins lui administrèrent de l'opium à dose trop forte; « l'effet en fut si considérable qu'elle s'en- dormit pour toujours ».

Son mausolée occupe le sanctuaire de l'église qui fut la cause indirecte de sa mort. La gisante a les cheveux dénoués et les pieds découverts ; le gauche porte la trace de la blessure mortelle. La jambe du même coté manque à la statue de la table supérieure, comme pour rappeler la terrible opération, à moins que ce ne soit une rupture accidentelle du marbre.

Sa devise énigmatique, sorte de réplique à ses mal- heurs, est inscrite sur la frise du monument funèbre :

FORTViM:, INFORTVNE, FORT ViMO.

A côté de sa sépulture est celle de son mari, le beau Philibert ; mais le gisant est nu — l)eauté oblige — et son tombier, Conrad Meyt, a choisi avec intention un marbre blanc sillonné de veines et de plaques livides qui contribuent à lui donner l'aspect cadavérique. Le monument est surmonté d'une profusion de petits Amours et, autour de l'éiïlgie du prince se tiennent debout six gracieux Génies^ dont la nudité masque celle du personnage principal. En 1832^ d'après M. E. Charvet, les séminaristes mutilèrent (( les petits culs nus païens, aux ailes écourtées, qui montrent tout aux fidèles et au maître-autel ». Ces angelots indécents ont été restaurés depuis.

Au porche, curieuse statue de .Sai/i^^i/ic/rc, suffisamment désha- billé ; c'est le portrait, fait par lui-même, d'André Colomban, l'un des habiles « tailleurs d'ymaiges » de l'époque.

Signalons aussi une statue de Sainte Agathe (fig. 173), tenant en main les tenailles destinées à lui arracher les mamelles.

Les miséricordes portent des sculptures, dont plusieurs offrent un sujet plutôt vif. Le R. P. Pacifique Rousselet, dans sa monographie de cette église (1826), en élude la description :


Le dessous des sièges est orné de petites figures grotesques, dont les


152


l'art profane a l'église


idées sont souvent très plaisantes, mais que nous n'entreprendrons pas ici de décrire, parce que la plupart de ces fii^ures de caprice sont, ou bizarres ou inintelligibles.


III. — AISNE


Laon. 1« Saint-Eugène et Saint-Médard. — Portail. L'inévitable

Jugement avec damnés et démons variés. Plusieurs personnages nus, sans signification symbolique évi- dente, se jouent k travers les mé- andres des arabesques et des feuil- lages des chapiteaux (fig. 174).



Fis.


Fis. 175.


La Dialectique^ assise et drapée, a la taille ceinturée par un ser- pent qui remplace Fhameçon symbolique, attribut habituel de la figure.

Une femme-gargouille, échevelée, se fait remarquer par sa nudité absolue et l'adiposité de ses mamelles (fig. 175).

2° Saint-Martin. — Nef. Dans un pilier est encastré un bas-relief, oii la Vierge, assise, donne le sein à Jésus. Devant elle est agenouillé un abbé, que saint Pierre, son patron, présente à la nourrice divine. Au-dessous de cette scène familiale, un cadavre dévoré de vers gît dans son cercueil. C'est celui de Fabbé Petrus de Ponte, vêtu seulement de sa mître, avec cette inscription :

Vermihus hic donor, Et sic ostendere conor Qualiter hic ponor : Ponitur omnis honor.


AISNE


153


Traduction de H. Havard, à qui nous empruntons ces détails : (( Je suis, ici, livré aux vers et ainsi me voilà réduit à être l'exemple de ce que l'on est dans le tombeau: là, il n'y a plus d'honneurs. »



3° Saint-Quentin. — Un vitrail, du xvi^ siècle, expose sainte Barbe presque nue, d'abord attachée par les pieds, la tête en bas, subissant la flag-ellation (fîg. 176), puis

assise, pour l'extraction des seins (fig-. 177).


4^ Saint- Vincent. — Eton- nante verrière de la Fécondi- té, qui orna longtemps l'une des fenêtres de l'église (fig. 178)* ; d'après un dessin de Langlois, communiqué par M. Deglatigny, de Rouen. Fig-. ITG.


Fil.-. 17^



Fi«-. 178.


1. Nous avons légèrement estompé le réalisme précis et vigoureux de cette figure, exposée durant des siècles aux yeux des fidèles.


154


l'art profane a l'égmse


Charly. — Signalons, avec l'abbé Lenoir,deux peintures murales



Fig-. 179.


du sanctuaire, interprétant les passages suivants du chap. XII, de V Apocalypse :

1. Il parut encore un grand prodige dans le ciel : c'était une femme, revêtue de soleil, qui avait la lune sous les pieds, et sur la tête une cou- ronne de douze étoiles. — 2. Elle était enceinte et elle criait étant en travail et sentant les douleurs de Tenfantement. — 4. Un dragon s'arrêta devant la femme qui devait enfanter, afin que, lorsqu'elle aurait enfanté, il pût dévorer son fils. — o. Et elle mit au monde un enfant mâle, qui devait gouverner toutes les nations.

Ces tableaux sont une copie fidèle des fresques de Saint-Savin, en Poitou, publiées par Mérimée.

Jlmigny. — Une peinture murale symbolise la Volupté (fig. 179), sous la forme d'une néréide qui, de la main gauche, tient un pois- son et, de l'autre, offre sa mamelle à un animal fantastique, un lubrique prêt à succomber à la tentation de la chair : la luxure ani- malise l'homme. A moins que ce ne soit l'image du Christianisme convertissant V Hérésie ; avec le symbolisme, il est toujours prudent de se ménager une porte de sortie.

Urcel. — Nous voyons sur les bas-relief des néréides (fig. 180), et des griffons (fig. 181) qui dévorent les seins d'une femme de mau- vaise vie ; rôle réservé, ailleurs, aux reptiles. C'est le châtiment ordinaire de la Lubricité ^ .


1. En signalant à l'entrée de l'église de Bourg-Argental, à la limite de l'Ardèche,


A I s > E


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Saiat-Yved-de-Braisne. — Portail. Autre amusant et pittoresque Jugement : dans une chaudière, chaufiee par des flammes qui s'échappent de la bouche du monstre infernal, SIX damnés, dont une femme, mijotent dans leur jus. A côté, le Christ délivre des Limbes^après avoir ligotté le Cerbère qui en défend

l'entrée, un groupe d'âmes nues, toutes masculines.

A cette ég-lise appartenait la Luxure^ dévorée par des crapauds, exposée au Musée de Soissons.



Fk-. 180.


IV. ~ ALLIER

Moulins. 1« Cathédrale — Les gargouilles ofTrent une étonnante variété de formes bizarres, dont plusieurs frisent l'obscénité.

Portail. Au tympan de la grande baie, le Jugement ; peinture moderne (1872), donc pudique, par Charles Lameire. Les sept péchés capitaux sont enchaînés du côté de l'Enfer, V Avarice est seule repré- sentée par un personnage entièrement nu, tandis que la Luxure^ simplement échevelée, tourne le dos. Au-dessous^ à la zone de la Résurrection, Archembaud I"', le sire de Bourbon, soulève sa pierre tombale. A côté, une mère élève son enfant hors de son sépulcre et nous offre le portrait de la femme et de la progéniture du peintre.

Bas-côté droit. Une réplique, en bronze, du Saint Pierre qui fut élevé par Léon L^' dans la basilique vaticane. De même qu'à Rome, une indulgence de cinquante jours est attachée à la pratique pieuse, mais malpropre et dangereuse, qu'elle appelle : c'est-à-dire le sali- vage de son pied droit par des bouches de tuberculeux, d'avariés, etc.

rallégoric analogue d'une femme nue enlacée par deux serpents, Touchard Lafosse ajoute, à tort : « L'artiste, sans doute, inspire par les souvenirs de la statuaire allégorique des anciens, a-t-il prétendu représenter la Religion, atteinte au cœur par l'Hérésie et le Péché ? »

1. En 1687, d'après Touchard-Lafosse, les maisons des Carmes, Augustins, Jacobins, Cordeliers et Minimes, « qui n'étaient pas au coin du quai », revendiquèrent le droit de donner la bénédiction aux femmes pour leurs relevées de couche, mais l'official continua à réserver ce monopole productif de la purification des nouvelles accouchées à leurs concurrents, les chanoines de Notre-Dame.


156


l'art profane a l'église


Chapelle Saint-Louis. Encore une sépulture (1557) recouverte d'un corps en putréfaction, rongé par les vers, d'une elFrayante vérité. Cette image de la destruction était encore plus terrifiante, quand elle était peinte et recouverte des teintes livides de la putridité. On lit ce distique latin :

Olim formoso fueram qui corpore putri Nuïic sum : tu simili corpore, lector, eris,

que M L. Du Broc de Segange traduit et versifie de la sorte :

Autrefois beau de corps, aujourd'hui pourriture, Ton corps aussi, lecteur, aura même aventure ^

Sur un vitrail qui raconte la Légende de sainte Barbe on distingue nettement les scènes de sa flagellation et du tenaillement mammaire. Une autre « mosaïque » de verre représente V Eglise souffrante et triomphante : un grand nombre de chrétiens, suppliciés, sont fouettés de verges ou crucifiés.

Bas côté gauche. Chapelle de Marie-Madeleine. Toute la partie inférieure de la verrière qui se rapportait à la vie de la pénitente a été brisée. Dans les meneaux supérieurs, la pécheresse administre le baptême par immersion ; elle est entourée de plusieurs catéchumènes qui attendent leur tour. A la pointe de l'ogive, était dépeinte l'une des sept ascensions quotidiennes effectuées par Madeleine sur l'aile des zéphyrs angéliques, du haut du mont Pilon (lou san pieroun), près de la grotte de Sainte-Baume ^.

1. A moins que le « lecteur » ne confie au feu du four crématoire le soin de purifier sa « chère guenille ».

2. « Gomme pour aller chanter les sept heures canoniques à leur chœur », dit saint François de Sales, dans son Traité de l'amour de Dieu.

3. A 26 kilomètres de Briynolles (Var). Baume, en provençal signifie caverne, où elle s'était retirée pour pleurer sur ses péchés de jeunesse. Il ne reste plus que les mollets de la sainte, recouverts par les longues tresses de ses cheveux, ses seuls vêtements, comme le rappellent ces vers d'un vieux poète méridional, Balthasar de la Barle, valet de chambre du cardinal de Bourbon :

Jamay per mauvais temps que jessa, ni fredura, Aultre abit non avia que la sion cabellura Que como un mantel d'or, tant crains bels et blonds La combi-ia de la testa fine al bas des talions.

Traduction du charabia provençal :

Jamais ni par le plus mauvais temps ni par la froidure, Elle n avait d'autre habit que sa chevelure

Qui, comme un manteau d or, tant ses cheveux étaient beaux et blonds, La couvrait de la tête jusqu'au bas des talons.

Nous savons que Pétrarque a aussi chanté cette légende.


ALLIER


157


La fabrique de la cathédrale a exposé au Musée de l'art rétro-



Fig-. 182. — Tirée de la Loire historique.


spectif, un triptyque du xv^ siècle où la reine Blanche était portrai- turée dans un décolleté superlatif.

2^ Chapelle du Lycée*. — Notons simplement une fresque prétentieuse représentant une Charité assez banale, pour nous arrêter à l'imposant et luxueux tombeau de Henri II, duc de Mont- morency (fig". 182). Sur le sarcophage de marbre noir est à demi

1. Ancienne chapelle du couvent de la Visitation.


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l'art phokane a i/ église


couchée la fig-ure du maréchal, accoutré à la romaine. Le jeune époux détourne la tète d'un air d'ennui, à côté de sa femme, assise, qui lui tourne le dos, mais paraît plongée dans la désolation. Ce g-roupe symbolise un mauvais ménage. On sait que Henri de Montmorency n'était pas un modèle de tendresse et de fidélité conju- gales. Une telle épigramme sur un monument funéraire est d'autant plus piquante que ce tombeau fut élevé par les soins de la veuve du duc, la princesse des Ursins*.

Quatre statues rappellent les vertus du défunt : la Charité - et la Force, sous les traits à' Hercule'^ (fîg. 183), aux deux cotés du socle ; la Religion et la Bravoure^ personnifiée par le dieu Mars^ placées dans les entre-colon- nements. Une urne cinéraire, enguirlandée de feuillage par deux anges, domine le tombeau dans une niche. « Une licence artistique, raconte Touchard-Lafosse, plus naturelle que Taccoutrement de Montmorency à la romaine et du dieu Mars en paladin français, avait d'abord offert les deux célestes figures entiè- rement nues ; la duchesse exigea que le sculpteur modifiât par un bout de draperie cette exactitude trop essentiellement académique. »

Agonges. Sainte-Marie. — Le Bulletin Monumental donne la description et les figures rabelaisiennes de bas-reliefs sculptés aux intersections du transept et de la nef, mais de signification obscure. Ces images macaroniques étaient au goût du jour.

Première nervure : un homme, complètement nu, est accroupi, les

1. La tolérance et la douce résignation de celle qui devint sœur Marie-Félicie, aux Visitandines, s'expliquèrent, pour les âmes simples, ])ar ce fait surprenant qu'à l'ouverture de son corps, à la place du fiel, la vésicule biliaire contenait de l'eau de roche ! C est clair.

2. La bourse, que tient cette tigurc allégorique et les objets précieux qui s'en échappent font allusion au désintéressement de la veuve : elle se ruina, paraît-il, pour élever ce moniunent.

3. Pour certains fanatiques à vue étroite, la massue du vainqueur des Amazones,

Hercule promenant réternelle justice,

Sous son manteau sanglant, taillé dans un lion,

ferait allusion à celle de Boehm, l'une des brutes qui se distinguèrent par leur cruauté, durant les massacres de la Saint-Barthélemy.



ALLIER


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mains sur les genoux, dans l'attitude de la déféca- tion (fîg. 184) ; un personnag-e nu, couché, appuyé sur le coude droit, lève en Tair le bras et la jambe gauches.

Troisième nervure : un homme renversé sur le dos, bras et jambes en arrière.

Quatrième nervure : nouvelle reproduction du personnage accroupi.

BoLRiîON - l'Archambald*. — Sainte - Chapelle du palais. — Détruite par « les Omar de 93 ». Sur la façade s'offraient deux figures en relief d'Adam et d'Eve, tout nus, et que Praxitèle, selon l'expression d'Aubery, eût avouées pour son chef-d'œuvre. « Les cheveux de la première femme descendaient jusqu'à ses pieds, sans cacher assez une minutieuse exactitude des formes. »

Montluçon'^. — Saim-Gilbert^.

1. Nous savons que Mme de ^Laintcnon mourut à Bourbon à râf{C de soixante-six ans. Ses entrailles, suivant sa recommandation, lurent portées à la communauté de Saint-Joseph; mais le père gardien des Capucins de Bourbon, raconte Ghaix, incom- modé par leur odeur, les lit jeter aux chiens. Un des amis de sa rivale supplantée, Mme de Montespan, apprenant le cas qui avait été l'ait de ces entrailles, s'écria : « Est-ce qu'elle en avait ! »

2. Rappelons une coutume bizarre, établie autrefois dans cette localité, mais sans aucun rapport avec la relifiion ; tout au plus oIVre-t-elle quelque analoj;ie avec une peine de l'enfer, où la réj^ion anatomique sacro-coxyfi:iennc est en jeu. Jusqu'au milieu du xvi« siècle, le seij^neur de Montluçon prélevait une amende non seulement sur les femmes qui battaient leurs maris, — et ce n'était pas, paraît-il, le moindre de ses prolits, tant étaient débonnaires les époux montluçonnais, — mais encore quatre deniers des lilles publiques, pour chacun de leurs actes de prostitution. p]lles pouvaient se libérer de ce droit d'entrée, en elTectuant, unum homhiim, sur le pont vieux, (jui vraisemblablement élait dépourvu de parapet. C'est ainsi que les « filles folles de leur corps » pom aient faire << la bombe » à bon compte.

A ce titre, Montluçon eût pu disputer son qualificatif à Romilly-la-Puthen.

3. Abbaye. — On lit dans Y Ancien Bourbonnais : « Les femmes qui ne pouvaient pas avoir d'enfants se rendaient à l'abbaye et y restaient neuf jours, se livrant à des exercices de piété. Cha(iue jour de la neuvaine, on les étendait sur une f^rande pierre placée dans l'éfilise et on les recouvrait d'une espèce de linceul (un drap de lit sans doute). Il était rare, dit-on, qu'après s'être soumises à ces pratiques reli- gieuses, les femmes stériles ne devinssent pas ensuite d'une étonnante fécondité ». Surtout à l'époque du dernier abbé, le mondain Beaupoil de Saint-Aulaire. Est-il utile de rappeler que le premier abbé commanditaire de Saint-Gilbert fut Guillaume II, de Saint-Avit ? Sous de pareils auspices, la guérison de la stérilité était assurée et aussi parccquc sa meilleure cure est le changement de milieu.



160


l'art profane a l'église


GnANTELLE-LE-CnATEAU. — Chapelle désaffectée. Chapiteaux cu- rieux décrits par l'auteur de la Loire liistoriquc :

Ici, c'est une femme nue, couchée sur un lit de fleurs aux larges pétales ; là, c'est un forgeron qui frappe sur son enclume ; plus loin, un homme qui carillonne sur deux cloches ; allégories dont on ne peut que soupçonner le sens : peut-être la nonchalance des grands s'enivrant de jouissances, tandis que le peuple travaille et que la servilité proclame le mérite de cette prétendue grandeur qui languit dans le repos.

Sauvigny*. — Alexandre Dumas signale une nervure ogivale



représentant une femme nue « d'une délicatesse de formes presque grecque », qui se roule et joue avec une chimère. Notre puissant Imaginatif y voit le symbole de l'intelligence de l'artiste aux prises avec son caprice. Soit.

Sur une des colonnes octogones de la nef, on s'étonne de ren- contrer, à côté des signes du zodiaque et des travaux correspon- dant à chaque mois, des personnages nus, d'une nature toute mythologique, cyclopes, néréides, satyres, etc., (fig. 184 bis).

Verneuil. — Agnès Sorel, la belle Bourbonnaise, laissa son cœur à l'église et aussi une bannière, que la béate négligence des dé- votes de la localité aida à se détruire 2.


1, La comtesse Hermeni^harde, épouse du sire de Bourbon, enthousiasmée des sermons de saint Odile, s'éprit passionément du prédicateur et lui dit qu'elle dési- rait « dormir » avec lui. Le saint homme fit mine d'accepter et se rendit dans la chambre de 1' « honneste » dame. Quand elle fut couchée, « il se jeta sur un grand feu embrazé, disant : Voicij mon lict », et il s'étendit sur les charbons ardents sans être brûlé « soit en sa personne ou vestemens. » La Madeleine repentante olTrit de précieux ex-volo à l'église Saint-Pierre de l'abbaye de Sauvigny, mais elle se garda îîien de donner l'exemple d'Anne de France, duchesse de Bourbon, qui prit contre l'empire des passions une précaution « que nous nous abstenons de citer », dit Tou- chard Lafosse.

2. VEunnuE. — Dulaure prétend qu'il y eût une chapelle dédiée à saint Faustin, « dont la statue aurait été l'objet d'un hommage étrangement païen ».


ALPES-MARITIMES


AUBE


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V. — ALPES-MARITIMES

Nice. 1° Vieille Cathédrale. — Une peinture retrace le Supplice de sainte Barbara (Barbe) ou de sainte Calliope ; la martyre est ligottée à un arbre, des bour- reaux lui brûlent les seins.

2° Notre-Dame-du-Vœu. — Le fronton porte une inscription digne d'un temple à' Aphrodite : GRATiARVM MATRi. A la mère des Grâces !


VI. — AUBE

Troyes. 1« Saint-Jean. — Sept remarquables bas- reliefs, datant de la Renaissance (1530), surmontent Fautel du Saint-Sacrement. « Le plus surprenant par la foug-ue et l'originalité de la composition », la Restitution des trente deniei^s par Judas, attribué à Jacques Juliot, nous offre un groupe intéressant (fîg. 185). Une mère, dans un costume d'une grande ri- chesse, assiste avec curiosité à la scène de la restitution, tout en donnant le sein à son enfant. Ce même personnage se retrouve, bien que moins luxueusement paré^ sur deux bas-reliefs de Saint-Nizier et de Saint-André, qui semblent avoir été ciselés par le même artiste. Dans le bas-relief de Saint- Jean, le grand prêtre s'appuie sur une table^ dont la paroi latérale est décorée d'un Mercure, d'une Vénus et d'une autre déesse, aussi nus qu'il convient à des habitants de l'Olympe.

Une Visitation en marbre exagère la saillie des seins et de l'ab- domen de la Vierge, plena gratia, bien qu'elle ne fût qu'au troi- sième mois, époque où la grossesse n^est pas encore visible.

La porte de l'orgue est couverte de personnages et d'animaux fantastiques; l'un d'eux (fîg. 186) montre complaisamment ce qu'il devrait cacher.



i/art profane. — I.


11


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i/art profane a i/écii.ise


2" Saint-Maclou. — Pierre tombale unique en son genre : Tabdomen cFun cadavre décharné est ouvert et, dans sa cavité, sont gravées les

circonvolutions de l'intestin grêle (fîg. 187); c'est du nu et demi.


3^ La Madeleine. — Sur les

combles, un animal fantastique muni de mamelles féminines. Au Jubé, une Charité qui ne se lasse pas d'allaiter debout.



Fis. 186.


4" Saint-Martin-ès- Vignes. — Chapelle de Sainte-Jule. Un des tableaux du vitrail reproduit la torture de la martyre. « Entièrement nue, dit Le Glert, elle est attachée horizon- ^^^v-^^ talement par les pieds et par les mains à



Fia-, m bis.


Fis-. 187.


deux chevalets, au-dessus d'un brasier allumé sous son ventre. » Au bas du vitrail, cette inscription :

EXERÇANT CHARITÉ EN TORMENTE ON LA MISE POVR LVI FAIRE QVITTER SON DIEV ET SON ÉGLISE

5^ Saint-Nicolas. — Bas-relief plaisant où des fous tous nus se livrent à des excentricités plutôt sales que salées (fîg. 187 bis).

6° Saint-Pantaléon. — Kœchlin et Marquet de Vasselot, dans la Sculpture à Troyes et la Champagne méridionale ^ au XVI"^ siècle, reproduisent une Charité, de Dominique, qui est curieuse par l'atti- tude penchée du nourrisson, porté sur le bras gauche; c'est une trouvaille exquise (fîg. 188).

Les Vertus théologales, en bronze, décorent la chaire. L'inépui-


AUBE


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sable Charité j fig-ure encore sous deux aspects. Dans l'une de ces représentations, elle allaite un enfant au sein g-auche ; dans l'autre, elle abrite un garçonnet sous son manteau.

7° Saint-Pierre. — Haut-relief de la tour méridionale : Samson (fig. 189) ter- rasse un lion sans mâchoire d'âne, la



Fi«-. 189.


Fis-. 188.


sienne semble suffire . Le juge des Hébreux est absolument


nu ;



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i/art profane a l'église


s*' Saint-Urbain. — Portail. Bas-relief satirique rappelant au mauvais riche, à l'évêque prévaricateur et au tyran de ses sujets, l'égalité dans l'api^lication des arrêts de la justice divine (fig-. 190).

Nombreuses gargouilles d'une variété surprenante ; l'une à l'ab- side représente une belle femme nue (lig. 191). Avant le xiii^ siècle, ces gouttières consistaient seulement en buste; puis, on figura des corps entiers, surtout à l'époque de la Renaissance.

NoGENT-suR- Seine. — Lenoir décrit, dans son Musée des Augus- iins^ un fragment du monument exécuté sur les dessins de Philibert de Lorme (fîg. 192) et qui servait de clôture à la cour sur laquelle s'ouvrait cette ancienne église. On y voyait quatre niches garnies des ligures en marbre de Bacchus enfant, de Diane ^ de Vénus et de Cérôs.

Les chiffres de Diane y sont encor tracés, comme sur les églises de Magny, Gisors, etc.

Le Paraclet. — C'est dans ce monastère, fondé par Abélard, que mourut et fut enterré l'amant d'Héloïse, châtié et châtré par Fulbert- Bartholo, qui, en la circonstance, se conduisit comme un vulgaire coupeur de bourses. Le mausolée de l'émasculé passa ensuite à l'église de Nogent-sur-Seine ; puis, en 93, à l'Elysée du Musée des Monuments français, où Lenoir le maquilla et d'où il fut transféré au Père-Lachaise. L'épouse d'Abélard, Louise ou Héloïse, lui sur- vécut vingt ans^ selon la règle ; la figure de sa statue a été modelée sur le médaillon sculpté à la façade de la maison de son oncle, au cloître Notre-Dame, non loin de la u Motte-aux-Papelards )), où le personnel de la Métropolitaine « s'esbaudissait ».

BouiLLY-RoNCENAY. — Du rétable (xvi siècle) nous avons détaché un détail relatif à la vie de saint Laurent : des diables et diablesses en costume de l'emploi se jouent au bas de l'arbre où le saint s'est réfugié (fîg. 192 bis).

RosNAY. — Plusieurs des chapiteaux de l'église basse sont histo- riés d'animaux fantastiques et de personnages nus. Celui de la



figure 192 ter semble personnifier le Mal ou le Vice vaincu par le Bien ou la Vertu,


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i/art profane a f/église


YII.


AUDE


Conques. — Portail. Jugement fort bien conservé, où g-rouille une nombreuse troupe de personnages ligu- ant les démons et les péchés capitaux

iig. 193, 194).

LiMoux. Notre-Dame. — Chapelle près de Limoux, remplie à' ex-voto en cire*.



de mor


Narbonne. Saint-Genès. — Grégoire de Tours, raconte Saintyves, signale une peinture représentant le divin crucifié, sans autre vêtement qu'une ceinture. Cette nudité excita le scandale parmi les fidèles. Un prêtre, du nom de Basile, vit en songe le sauveur qui lui ordonna de le faire couvrir d'un voile. Deux fois il négligea cet avis ; mais à la troi- sième, l'image le roua de coups et le menaça t. 11 se décida à raconter ses songes à l'évêque qui fît voiler

la peinture d'une draperie, qu'on soulevait movennant salaire. L'au-


Fie-. 192 hi&



192 1er


teur des Saints successeurs des Dieux cite d'autres exemples de représentations du Christ in naturalibus.

\. Au milieu du chœur est un puils qui j^ucrit toutes les maladies ; il porte cette inscriptiou : Oinnis qui bibiL hnnc ar/n.Tm, si fidem addil, salmis erit, que les libres peuseurs de la localité traduisout aiusi : « Croyez cela et buvez de l'eau ».

2. Fi^-. 194. — Détails reproduits par P. Vitry, Dociim. de seul, du moyen âge.


AVEYRON


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VIII. — AVEYRON

Rodez. Cathédrale. — Façade occidentale. Au bas de la tour nord-ouest, d'une fenêtre aveu- gle sort une fig-ure symbolique (fîg. 195j, que nous emprun- tons à la monographie de M. Bion de Marlavagne et à la- quelle M. de Gaujal, dans ses Etudes historiques sur le Rou- ergue, consacre plusieurs pages. Pour cet éminent historien, qui d'ailleurs donne son opinion comme une simple hypothèse, nous aurions là une représen- tation de Ruth, la fameuse divinité érotique desRuthenois.

M. I^ion de Marlavagne n'est pas satisfait de Ticonographie de la chaire à prêcher, en marbre et plâtre :

\J Hérésie, dit-il, que la chaire de Vérité est censée écraser, me paraît étrangement figurée par un personnage aux formes athlétiques et du sexe masculin. Il porte aisément son faix ; il le porterait double au besoin. Surtout, je ne le trouve pas sufTisamment vetu pour les yeux trop rap- prochés des fidèles. Et la statue de la Vérité, faite de plâtre et placée en triomphatrice au sommet de Tabat-voix, peut-on voir rien de plus maigre, de plus sec et de plus insignifiant !

De même, l'ironiste Mérimée trouve cette statue « hautement » symbolique: « Elle est laide et ridicule, dit-il^ comme la Vérité théologique elle-même. »

Les stalles du chœur sont richement décorées. Les sujets de leurs patiences sont tirés du règne végétal ou animal. « L'homme, dit M. Bion de Marlavagne, paraît, deux ou trois fois, en des situations plus ou moins extraordinaires et qui font penser à ce que les archéologues nomment des ohscena, si familiers aux huchiers flamands. » Les défenseurs de l'Eglise les excusent et en font autant de symboles de la Luxure, grâce aux « accommodements avec le ciel ».



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l'art profane a i/éclise


ViLLEFRANcriE-DK-RouERGiii:. Notre-Danie. — Chœur. Curieuses slalles qui abritent les chanoines des courants d'air et de l'humidité. Les sujets traités sur ces sièges sont empruntés à la zoolog-ie et oifrent un sens symbolique, ou bien ce sont des scènes familières, ou encore des tableaux fantastiques dans lesquels diables, satyres et



Fig. 19G. Fig. 197.


silènes tiennent une grande place. « Pourquoi, dit l'évêque Pierre Chrysostome, de Ravenne, ces dragons^ ces masques affreux et toutes ces diableries, sinon pour faire peur aux enfants, faire rire les libertins et gémir les gens de bon sens sur le mélange impie de nos saintes cérémonies avec des extravagances païennes? » L'ico- nographie sacrée s'identifiait avec les cérémonies de l'Eglise et ne choquait nullement les fidèles.

Relevons encore les motifs singuliers dissimulés sous les miséri- cordes par les huchiers et ymagiers médiévaux, travaillant sous la direction d'André Sulpice, à qui sont dues, non seulement les stalles de Rodez, mais aussi celles de l'abbaye de Loc-Dieu et de la Chartreuse.

Une néréide (fig. 196), symbole de la coquetterie et de la séduc- tion, élève dans ses mains un miroir et un peigne^. L'abbé Lafon^ voit, à tort, dans ce dernier objet, une flûte de Pan et considère cette image comme celle de la fée Mélusine.

Le Sagittaire avec son arc tendu, est l'emblème de la Colère^

1. Les dents du peigne sont horizontales et non verticales. On trouve un peigne semblable sur une plaque de cheminée, d'art lorrain du xw' siècle, dans les galeries du Trocadéro.

2. Historique du chœur et iconologie des stalles de N.-D. de Villefraiiche, 1889.


AVEYRON


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de la force brutale ou rappelle simplement le signe du zodiaque.



Fig'. 198. 199.


cruche dans la baig-noire où se trouve sa maîtresse, vêtue seulement d'un bonnet à cornes du matin.

Homme et femme, à corps d'animal, enlacés par leur cou, long-, mince et flexible (fig. 198). Ce serait, d'après le même auteur, l'imag-e de V Impureté, qui fait descendre l'homme au rang des bêtes.

Obscenum. Un singe ou un chien lubrique (fîg. 199). Interprètes



de symboles pieux, qu'en dites- vous ? Représentation éhontée de la Luxure? D'accord. Or, les yeux indulgents de l'abbé Lafon n'y voient qu' «un singe faisant des tours de souplesse et d'agilité, la tête recourbée entre ses jambes de devant ». Nous persistons à y décou- vrir une image de ï Onanisme ; c'est un sosie d'Onan-outan.

Ejusdem farinx. Un orang-outan, à poils, courtise une femme, à l'état de nature (fig. 200). Le susdit abbé pense que le bâton de l'homme indique à la femme qu'elle sera châtiée par le complice même de son libertinage. Avertissement inutile pour l'un comme pour Tautre sexe : chassez la nature, elle revient au galop.


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i/art profane a i/ kg lise


Une joyeuseté ancestrale, pour finir sur la note gaie. Un quadru- mane insufïïe du vent dans l'empire d'Eole d'un de ses semblables, par l'orifice qu'en arg-ot de coulisses on appelle le trou du soufïleur (fig. 201)*. Le commentateur, déjà nommé, trouve dans cette scène burlesque une satire contre les alchimistes souffleurs, infatigables chercheurs de la pierre philosophale. Ne cherche-t-il pas, à son tour, la petite bête? Quid petis?Et pourquoi, en poussant l'analogie à l'absurde, ne serait-ce pas une allusion à la voie que prenait l'esprit prophétique de la Pythie de Delphes? Nous savons que, pour rendre ses oracles, elle s'asseyait sur un trépied muni d'une em- bouchure, « de façon que l'esprit du dieu dont elle allait être possédée pût s'introduire aisément », et se viscerihus merr/it, dit Lucain.

Rodez. Cathédrale. — Stalles. Néréide qui, comme à Ville- franche, tient un miroir et un démêloir que l'abbé Lafon^ un mélomane sans doute, persiste à confondre avec une flûte de Pan.

Sujet excentrique. Un homme découvre son postérieur en passant la tête entre les jambes. Qu^est-ce à dire : la double face de la Duplicité? ou une grossière caricature?

Encore un singe qui montre son derrière glabre, mais se cache la figure.

Existe-t-il un rapport entre ces facéties et « les similitudes », dont Jésus, selon Matthieu, faisait un fréquent emploi dans ses sermons, (( parce qu'en voyant ils ne voient point et qu'en entendant, ils n'entendent et ne comprennent point » ?

Loc-DiEU. Abbaye. — Comme celles de la Chartreuse de Saint- Sauveur, les belles stalles de cette abbaye n'offrent aucune image risquée. La nature vivante est même complètement exclue de l'ornementation; c'est que le couvent appartenait à l'ordre des Bernardins, et nous n'ignorons pas que saint Bernard avait proscrit des églises les figures grimaçantes et les représentations animales. (( A quoi bon, écrit-il en 1125 à l'abbé Guillaume, tous ces monstres grotesques sculptés ou peints dans nos églises ? Que

1. Parfois, un sinj^e spinlricii sonne de la tronipcUc par le même orifice ; il indique symboliquement qu'il ne faut pas souffler ou trompeter plus haut que... Tembouchure.


AVEYRON


BASSES-ALPES


150UCIIES-DU-RII0NE


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sig^nilîent ces singes immondes, ces lions furieux, ces centaures monstreux? Que signifient ces quadrupèdes à queue de serpent?... »

IX. — BASSES-ALPES

Riez. Saint-Maxime. — Durant les trois jours de la Pentecôte, on célèbre le « Guet » ou encore le « Pet de Saint-Maxime

X. — BOUGHES-DU-RHONE

Marseille. 1^ Cathédrale. — Toutes les âmes du tableau où Ton voit Jésus descendant aux Limbes sont pieusement et piteusement habillées, bien qu'elles soient entourées de flammes purificatrices.

2^ Saint-Joseph. — Ghœur. Deux anges qui devraient être insexués sont munis de copieuses mamelles ; sans les ailes, on les prendrait pour de plantureuses nourrices. Autre toile figurant encore la Descente aux Limbes^ où les âmes sont nues. Gontraire- ment à la flagornerie habituelle des peintres de « sainteries », un seul homme figure au milieu de cinq femmes, qui implorent la Vierge et non Jésus.

3« Saint- Vincent-de-Paul. — Actuellement (1905), la façade principale est dépourvue de sculptures, faute de ressources ; le trésor du Vatican ne pourrait-il venir en aide à cette misérable fabrique ? A Tintérieur est exposé le modèle en plâtre de cet édifice, avec les détails d'une riche ornementation sculpturale. On distingue, au portail, un diable qui précipite une damnée nue dans la gueule du monstre infernal. Au-dessous, surgissent les ressuscités, enve-

1. C'est une « bravade » ou combat simulé entre les Chrétiens et les Sarrasins, combat qui se termine })ar la défaite de ces derniers, enfermés dans un fort, pris et détruit le troisième jour. Mais c'est surtout un prétexte à pétarades de poudre brûlée aux moineaux, à banquets et beuveries pantagruéliques. Après la fête, on se rend à Saint-Maxime pour remercier le patron de la ville de ce que personne n'ait été blessé, au cours de la lutte fictive. « Dans l'église, dit P. Hugo, le commandant de la « bravade » désigne son successeur pour l'année suivante, en plaçant son chapeau sur la tète de celui qu'il juge le plus digne. (]clui-ci, en signe d'acceptation, « lâche son pet» : il lire un coup de fusil dans l'église où il vient d'être proclamé élu. »


172


l'art profane a l'église


loppés de leur suaire; seule une impudique ou une linotte a oublié — mot, vous le savez, que le sexe léger prononce le plus souvent — son voile.

Sur les vantaux en bronze de la porte principale figurent des animaux connus, symbolisant un défaut ou un sentiment. Ainsi, en regard du Chien, un os à la gueule, on lit feritas et à côté du Mouton, IMBECILL1TAS — sovez donc bon! opprobrium^ est le lot du Cochon, le fidèle compagnon de saint Antoine, et Dolor accompagne le Chameau. Au-dessus de ce « vaisseau du désert », — curieux rapprochement — figure la Volupté^ céleste sans doute, car elle est habillée et tient une croix d une main et un bouclier de Tautre.

4*^ Saint-Sauveur. — Le président Charles de Brosses a remar- qué dans une chapelle de cette église, un bas-relief antique datant, selon son expression, « du bon temps des Romains », et dont il donne la description qui pourrait bien être celle de l'image princi- pale du sarcophage d'Aix :

11 représente une noce ; du moins y remarquai-je une femme voilée, à demi-couchée sur un lit, faisant de son mieux la mijaurée ; une autre femme près d'elle paroît l'exhorter au martyre, et Tépoux, debout, tout nu près du lit, a l'air ennuyé de ces simagrées.

S*' Saint- Victor. — Le Musée possède un sarcophage en marbre provenant de cette église souterraine ; c'était celui d^une jeune fille JVLIA QviNTiNA, OÙ était renfermé le corps de saint Mauront, évêque de Marseille. On y voit Bacchus et Silène nus, traînés dans un char par un centaure et une centauresse qui tient « le symbole de la fécondité », dit Millin ; le vainqueur de l'Inde est suivi par Ariadne dans un second char (Voir pl. xxvii, n^ 3. Voyage dans le Midi de la France.)

Aix. 1° Saint-Sauveur. — Façade. Parmi les Sibylles, la Simmé- rienne, celle qui prédit l'allaitement de Jésus par sa mère, devait tenir un biberon qui a disparu.

Collatéral de droite. Chapelle en contre-bas du sol, dédiée autrefois aux saints médecins Cosme et Damien. D'après là Monographie


4. Sur l'airain, on a grave : imdecimtas et opprohum.


BOUCHES-DU -RHONE


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religieuse de la ville d'Aix, par M. Honoré Gibert, à laquelle nous empruntons les détails qui suivent, le chanoine Honoré de Pinchinat fut enterré dans cette chapelle en 1541 ; son tombeau était agré- menté d'un bas-relief antique, analogue à ceux qui ornent les sarcophag-es des premiers chrétiens, représentant les Amours de Léda, que nous retrouverons sur la porte de Saint-Pierre de Rome. En 93, ce tableau lapidaire important fut transporté à la Maison commune de Marseille.

Au Musée, ce bas-relief est étiqueté: Motif votif d'une femme, de ses trois enfants et de sa famille, à Vénus et Mars. Pour Millin, la « femme » serait Léda qui vient d'accoucher de trois enfants Pollux, Castor et Hélène ou Glytemnestre ; un personnage nu, pris pour Mars, serait Tyndare, Tépoux de Léda, et Vénus, dans le même appareil, assisterait à l'enfantement qu'elle a provoqué, en poussant dans les bras de Léda le cygne allier que, changée en aigle, elle feignait de poursuivre. Ge bas-relief était peut-être destiné au sarcophage d'une femme morte en donnant le jour à trois jumeaux? (V. pl. xxxvii, n« 1.)

2^ Sainte-Madeleine. — Nef latérale. Une Annonciation flamande, du xv*^ siècle: L'Eternel « souffle une haleine dorée », où sont enclos Jésus et la croix, sur la future mère du Messie. Nous avons vu la même im.age à Saint-Leu de Paris.

3^ L'Observance. — Rien autre k signaler dans cette église, aujourd'hui détruite, que le vocable d'une chapelle, dite des Gaillards !

Lambesc. — A la porte, un jaquemart facétieux, composé d'un rustre qui « aime bien » sa femme, puisqu'il la « châtie bien », avec un bâton, à chaque heure d'horloge ; mais la rusée commère se baisse pour éviter le coup qui porte sur le timbre.

Arles. Cloître Saint-Trophime. — Au magnifique portail qu'Emeric David appelle poétiquement « le dernier soupir de l'art grec », nn Jugement dernier avec damnés peu ou pas vêtus, entraînés vers le séjour du désespoir et, en bas-relief, une scène de carnage, dont il nous est difficile de préciser la signification (fig. 202).


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I/ART PROFANE A t/ KG LISE



Chapiteaux symboliques : un lion, c'est-à-dire la Religion ou V Eglise militante^ terrasse une femme nue, V Idolâtrie ou V Hérésie (fig-. 203) ; le châtiment de la Lubricité (fîg. 204) ; une néréide, la



Fig-. 203. Fig-. 204.


Volupté ou le Christianisme^ tient d'une main^ un poisson (l'indica- tion de son habitat aquatique ou Jésus), et, de l'autre, relève sa queue, en guise d'éventail ou d'une traîne de robe.

Au haut d'une corniche, petite cariatide orig-inale : une femme courbée à la renverse, comme Salomé, fait un support de son ventre.

Le sommet d'une colonne est occupé par un médaillon formé d'arabesques, qui s'enchevêtrent autour d'une femme nue, dont le sexe est souligné (fig. 205). Autres bas-reliefs allégoriques : le Massacre des Innocents 206), où Millin voit « le tourment de deux damnés ». Cybèle ou Cércs, un petit Bacchus à ses pieds, presse contre ses mamelles, qu'elle tient de chaque main, deux enfants placés la tète en bas (fig. 207).


BOUCIIES-DU-RIIONE 175


Mont-Majour. — Une console est occupée par une tête de Saturne^ dévorant un de ses enfants (fig-. 208).



Fig. 205. Fig-. 200. Fig. 207.


Pennes. — A l'extérieur de Téglise paroissiale de ce village, écrit M. Charles Vincens, on a vu, durant des siècles, un bas-relief représentant Cyhèle^ avec son inscription Mat ri Deum. « Ce curieux morceau a disparu vers 1610 seulement ; mais il est gravé dans le Recueil de Grosson (page 20). » Le même auteur signale, dans la nef, une statue en marbre de Sainte Anne, grossièrement sculptée, datant de mccccxxxvi : elle tient sur ses genoux la vierge Marie allaitant Jésus (fig. 208). Nous retrouverons bientôt une représen- tation analogue. M. Vincens en cite deux autres identiques sur des vitraux d'églises, de Mezières-en-Brenne (Indre) et de Saint- Etienne de Beauvais.

XI. — CALVADOS. 1

Caen 2. 1« Saint-Pierre. — Nef. Le premier pilier, à gauche en entrant, supporte un petit bonhomme impudent (hg. 209j, qui met en action la chanson populaire :

Quand j'étais petit je n'étais pas f];rand. Je montrais mon nu à tous les passants.

1. M. de Gaumont a donné, sans autre indication, la description du bénitier « d'une église du Calvados », qui n'est qu'une Vierge-nourrice décapitée (fig. 210).

2. L'hôpital de la Sainte-Trinité de cette ville s'appelait primitivement hôpital du Nombril-Dieu et devait probablement son nom à la possession d'une fausse relique apportée par un croisé crédule. On sait aussi que Saint-Germain-des-Prés, de Paris, s'appelait, mais symboliquement, «le nombril de la Gaule chrétienne ».


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l'art profane a l'église


Que signifie cette attitude accroupie? Chi lo sa? L'Humilité? Les visiteurs sont surpris de la présence de pareilles inconvenan-



Fig. 208. Fig. 209. Fig. 210.


Pour M. Georges Lanquest, Texplication en est simple et, «bien que cela puisse étonner, dit-il, elle est tout à la louange de nos aïeux, dont la foi était vive... Toutes, ajoute le même auteur, semblent fuir le saint lieu. Les maîtres sculpteurs du moyen âge donnaient libre cours à leur talent, pour représenter de cette manière le vice fuyant devant le Seigneur ». Nous ne comprenons pas bien cette façon de « fuir le saint lieu » en s'y réfugiant ; il le fuirait encore mieux s'il évitait d'y paraître

1. Nous nous sommes plusieurs fois expliqué sur ce dévergondage du ciseau jovial et grivois des imagiers d'antan, nous y reviendrons encore, avec de nou- veaux documents. Ces petites « horreurs » de sans-culottes, spéciales à Tépoque romane et à la première période de l'époque ogivale, sont encore fréquentes au temps de la Renaissance, où s'associent fraternellement dans l'art le sacré et le profane. Elles peuvent avoir un caractère symbolique quand elles font partie d'un groupe, d'une série, d'un tableau ; par exemple, l'antagonisme du Vice et de la Vertu, la lutte des deux principes du Bien et du Mal, TOrmazd et l'Ahriman, dans la religion de Zoroastre, qui régissent le monde ; mais ces marmousets isolés, tapis dans un coin obscur pour mieux y étaler leur cynisme et leur trivialité, nous font l'effet de charges d'atelier, de mauvais goût, dont les artistes ont été de tout temps si friands. Combien de ces turpitudes ne trouve-t-on pas en dehors des édifices religieux ? Pour ne parler que de Caen, citons au Musée des antiquaires un spécimen en bois, des mieux consei'vés, et dans l'hôtel de Than, qui remonte au XVI' siècle, à l'angle nord du pignon, un autre, en pierre, difficile à dénicher et ignoré même des voisins. Une femme est postée, le dos tourné au cours d'eau


CALVAt)OS


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Mais revenons à la nef principale de notre église. Le chapiteau du second pilier, proche de celui dont nous venons de parler, est orné de plusieurs sujets « qui, dit Louis Enault, indiquent chez leur auteur un sentiment beaucoup plus pitto- resque que religieux ». Ils ont été com- plètement retouchés au xv*^ siècle. On voit Aristote avilir sa dignité d'homme et sa qualité de philosophe en se laissant chevaucher par la maîtresse d'Alexandre ; Virgile, amoureux transi, à qui la fille de « l'empereur de Rome, qu'il a priée d'a- mours », monte le coup de la corbeille, la perfide le retient en suspens sous ses fenêtres; Tristan de Léonois. qui traverse la mer sur « le pont de l'épée » et vole à la délivrance de sa maîtresse ; enfin, Lancelot du Lac, qui subit l'épreuve de la charrette « ignominieuse », k Rome, pour retrouver son âme sœur, la reine Genèvre.Ges épisodes galants, tirés des fabliaux, des Romans de la Rose et de la Table Ronde^ figurent souvent sur les édifices religieux. Ils servaient, nous le savons, à mettre les hommes en garde contre l'influence funeste du beau sexe, en rappelant l'humiliation, les ridicules et les dangers auxquels exposent les intrigues de l'amour.

devenu boulevard qui baignait les murs de cet hôtel ; elle est accroupie, les jupes relevées, dans l'attitude d'une personne qui satisfait un besoin naturel, à l'exemple de cette efîrontéc qui « trousse haut sa cote » dans la cour d'honneur du château de La Rochefoucauld, en Angoumois. Gomme l'hôtel de ^^alois ou d'Escovillc (la Bourse actuelle) occupait la rive opposée à celle où se dressait l'hôtel de Than, des archéologues avisés ont vu, dans cette figure, l'expression grotesque d'une l'ivalitc d'architectes. Selon eux, les deux hôtels auraient été commencés ensemble — chose d'ailleurs inexacte — et le constructeur de l'hôtel de Than, ayant le premier terminé son œuvre, aurait placé et orienté ce personnage burlesque, pour tourner en dérision son rival. Mais, en vérité, nous n'avons là qu'une gaminerie scatologique, dans le goût du jour, destinée à réjouir l'artiste et les badauds.

Notons, d'autre part, qu'on peut voir encore une leçon de morale à côté d'une scène dévergondée, sur les murs de l'hôtel de NoUent ou Tour des Gens d'Ai^mes, datant du xv" siècle. Chaque médaillon porte un visage d'homme entre deux têtes de femmes, à l'exception de la Pudicité, qui n'a point de tête d'homme en regard et dont la légende, écrite avec quelques lettres à l'envers, est ainsi combinée pour dérouter et amuser le public : avaiciA vincit mhroma, Pudicitia vincit amorem Mais, non loin de ce précepte illustré pour l'édification, un médaillon de la façade donne la figure d'une femme qui olï'rc le sein à deux nourrissons adultes (fig. 211).

Pour en finir avec ces images burlesques de Caen, rappelons que l'hôtel de Valois, bien que situé en face même de l'église Saint-Pierre, se singularisa, comme son voisin, en érigeant à son faîte un majestueux phallus.



l'art profane. — I.


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l'art profane a i/église


La leçon de morale qui ressort de telles « histoires » est renforcée encore par Tautorité des personnages choisis comme héros de ces mésaventures : le doux Virgile, le grave Hippocrate et le sage Aristote, qui

Par femmes furent surmontés Deçeus, vaincus et affolés.

Une des miséricordes de la cathédrale de Rouen rappelait aussi le Lai Aristote ; mais le cardinal Cambacérès, qui n'entendait pas la plaisanterie, Fa fait supprimer. Ce rigide prélat a cependant respecté le même sujet au portail de la Calende ; ne l'a-t-il pas remarqué ou bien l'a-t-il jugé d'une façon plus convenable?

Une dernière remarque, avant de quitter Saint-Pierre: les chapelles absidiales sont ornées de médaillons mythologiques.

2^ Saint-Nicolas. — Désaffectée depuis 93, elle sert de magasin à fourrages ; c est dire que le seul monument d'architecture normande intact à Gaen est voué tôt ou tard au feu. A l'extérieur de l'abside, un modillon porte un personnage nu qui se présente de pile et dont la téte disparaît dans la gueule d'un monstre : Saturne ou Léviatan ?

Cette vieille église est entourée de gargouilles sans ornementa- tion, mais d'une simplicité de facture qui les a fait prendre, peut- être à faux, pour de monstrueux phallus.

3" Saint-Etienne et 4« Sainte-Trinité. — Guillaume-le-Conqué- rant épousa, contre l'aveu du pape, nul ne Pignore, Mathilde (( l'idole de son àme », déjà en puissance de mari. En expiation de cet adultère, il fit construire la première église, sous le vocable d'ABBAYE-AUX-HoMMEs, et SOU épousc, la bigame bigote, fonda la seconde ou Abbaye-aux-Dames. Ces deux édifices perpétuent donc le souvenir et le mauvais exemple d'une violente entorse donnée aux bonnes mœurs et aux lois civiles et religieuses.

Mentionnons, parmi les motifs sculptés sur les miséricordes de Saint-Etienne : (Stalles hautes, côté de l'Evangile), n^ 1, Per- sonnage nu, couché ; n^ 9, Mercure^ nu, le pétase sur la tête^ les ailes aux pieds, tenant le caducée et la bourse; n° 11, Bacchus enfant, nu, avec ceinture de pampres, un cruchon d'une main et une coupe de l'autre ; n° 20, Harpie (Stalles basses) ; n^ 6 Cupidon


CALVADOS


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ailé, bandant son arc ; n^ 9, Zeus^ brandissant la foudre et couché sur une nuée; n^ 11, Personnag-e nu auprès duquel est un vase; n*^ 18, Néréide; n^ 21, Buste de Cérès, d'un faire charmant, une faucille à la main et une gerbe de blé dans Fautre ; n° 24, Néréide et son miroir, la Séduction.

Mme de Genlis a signalé, dans cette église, un curieux et très beau tableau d'une Sainte-Famille ^ dont les figures de saint Joseph, de la Vierge et de Jésus étaient des portraits de Henri IV, de Gabrielle d'Estrées et du duc de Vendôme, leur fruit ; singulière Sainte Famille!

Une statue équestre d'un saint Martin décapité offre comme particularité le développement exagéré des organes du cheval entier (fîg. 212) ; un pareil lieu, il nous semble, eut exigé plus de retenue dans la « fo-orme ».

5 Saint-Ouen. — Pierre tombale du vicaire Prévost : au fronton, deux femmes nues, ailées, sont assises et tiennent une couronne d'une main, une lanterne de l'autre. Au-dessous de l'effigie du per- sonnage, placée entre les deux figures angéliques, on avait gravé un sonnet, aujourd'hui elfacé par le temps et que M. Paulain Car- bonnier* a reslitué en grande partie :

Passant qui que lu sois, tu rappelleras Les vertus de celui dont tu vois ici l'ombre. N'oublie pas môme un jour, en vivant dans le monde Combien triste la mort et triste le trépas.

Sois vaillant, sois g-aillard, avant que tu sois bas, Sois puissant^ sois encore un Grésus en richesse, Sois môme un Salomon en vertu en sa<;esse Tout cela de mourir ne t'empeschera pas.

Mourir c'est un tribut que les princes et rois Doivent tous à la mort, en ce monde une fois Et n'y a nul ça bas que le sort en exempte.

Bernardin Le Prévost qui repose en ce [lieu Ce prestre tant zélé au service de Dieu En la lleur de ses ans en a payé la rente.


1. A notre tour, nous nous sommes permis de remplacer, par des mots en italiques, ceux qui manquent.


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i/art profane a l'église



Il est mort en 1631, à trente ans


l'âge de



Fis


i3.


G« Musée. —

Deux tableaux, à sujets religieux, nous intéressent surtout par la bi- zarrerie de leur composition. D'a- bord, le Baptême de Jésus-Christ par Zustris Lambertus (xvi^ siècle), provenant d'une église démolie. Entre deux groupes de personnages habillés, et non loin de Jésus dévêtu, une femme complètement nue, « prend des poses sur un rocher )> (fig. 213). Attend-elle le baptême ou est-ce encore une figure allé- gorique ? Tout en dénouant sa longue chevelure, elle fixe avec curiosité le Saint-Esprit qui voltige au-dessus du Seigneur *.

Ensuite, la Tentation de saint Antoine, magnifique peinture de Paul Véronèse, mais non moins étrange. Nous en empruntons la description à Louis Enault :

Le diable a renversé le saint, et il Fassomme avec un pied de cheval, dont il est armé, tandis qu'une femme cherche à Tinduire en tentation. Le moment est assez mal choisi ; on ne peut pas faire deux choses à la fois, et, pendant qu'on est assommé, il est bien difficile de penser à mal, quand môme on le voudrait, ce qui n'est pas le cas du saint personnage. La femme est une de ces natures blondes qu'a si souvent caressées Tamoureux pinceau de Véronèse ; le tableau, qui semble aujourd'hui un peu foncé de ton, est d'une violence de mouvement et d'un charme de couleur inexprimables.


'1, Une miniature d'un manuscrit delà Bibliothèque nationale (n" 7013), donnant Une Irndiicfj'uii (le l'Apocnli/pse, montre une scène d'immersion plus piquante (fij;-. 213 bis). Il s'aj^it du baptême, dans une cuve, d'une l'emme nue — Sainte Madeleine, d'après M. Paulin Paris — par saint Jean. Sept hommes cherchent à voir la catéchumène ù travers les joints des portes et le trou de la serrure. « Celui qui a le moins de chance de réussir, dit L. Maeterlinck, s'arrache les cheveux ; un autre s'exhausse sur un de ses compagnons. »


CALVADOS


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La créature tentatrice qui semble crier au saint ermite : « TAmour ou la Vie ! » lui offre voluptueusement sa mamelle gauche.



Fig-. 213 bis.


Bayeux. Cathédrale. — Le Jugement réglementaii-e du por- tail est conçu selon l'ordonnance habituelle ; le nu s'y manifeste plutôt prou que peu.

A la porte d'Artenai, la clef de voûte en rosace est formée de sept corps nus rapportés à la même tête grimaçante, constituant ainsi un monstre contraire à la bête à sept têtes de V Apocalypse. C'est la fantaisie extravagante d'un artiste en belle humeur (fîg. 214).

La Tapisserie de Bayeux^ appelée primitivement Toilette du duc Guillaume^, broderie attribuée à la reine Mathilde, est actuellement à la Bibliothèque de la ville. Ses soixante-dix-neuf tableaux, ins-

1. Le Père Doni Bernard de Montfaucon, religieux bénédictin de la Congrégation de Saint-Maur, en a inséré la copie dans i>es Monuments de la Monarchie française, mais il a supprimé les... détails intéressants.


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l'art profane a l'église


pirés du Roman de la Rose, sur une long-ueur de 70 mètres et une hauteur de 0,50 cent., dont IG cent. 1/3 réservés aux bordures supé- rieure et inférieure, développe Thistoire delà conquête d'Angleterre par Guillaume le Bâtard. Primitivement, cette imagerie devait

servir d'ornement au tombeau



FiK. 214. Fio-. 215.


Saint-Etienne de Caen; elle décora ensuite la nef de la cathédrale de Bayeux, où on l'exposait certains jours de l'année : a le jour et par les octaves des reliques ».

Sur cette précieuse étoffe figure une seule femme, dame ^lfgiva (fig. 215). « Le Normand vainqueur^ dit Henri Bouchot, a voulu que la Saxonne fût dans une posture humiliée : on l'expose en l'ac- cointance d'un homme d'église, on la désigne aux moqueries. » Cet épisode, intercalé dans une bataille, porte en légende explicative : VBi viNVS CLERicvs ET J5LFGIVA, qui n'explique rien. Aussi donne-t-elle lieu aux interprétations les plus contradictoires. Tel soupçonne « un flirt criminel » ; un autre distingue « les signes de respect » dans l'attitude des personnages; un troisième y découvre <( une grande familiarité ». Pour M. Thierry, nous avons là un clerc qui vient commander à une entrepreneuse la tapisserie épique de Bayeux ; enfin de Roujou et Mainquet pensent que cette personne énigma- tique est la fille de Guillaume, Aele, Aeliza, devenue Aelfgiva, à qui un clerc annonce la promesse de mariage faite par Harold. En fait, rien d'indécent: la dame, habillée, se tient sous un portique ; le clerc, la main gauche sur la hanche, étend le bras droit, dont


CALVADOS


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la main se trouve à la hauteur de la figure de la belle inconnue.

Notons pourtant qu'au-dessous de cette scène, qui fait peut-être allusion à un acte de violence contre une personne placée sous la protection du duc de Normandie, attentat qui aurait été la cause déterminante de l'expédition, on voit une petite figure nue, dans une posture analogue à celle du clerc. M. Fowke en conclut, d'après Jules Comte, que l'entretien des deux interlocuteurs, représenté plus haut, prit une tournure que l'artiste ne peut traduire, et qu'il laisse deviner dans cet ohsceniim (fig. 215). M. Fowke pense que son hypothèse est confirmée par ce fait que le pigeonnier placé près du clerc est un emblème éroti- que. Mais c'est donner trop d'importance à des éléments fortuits de cette représen- tation, dus à la libre imagination de l'ar- tiste, et il n'est pas sûr qu'on doive éta- blir un rapport entre les deux zones de la tapisserie. Ajoutons que ces nudités (fig. 216-218), rappellent, selon d'autres auteurs, les violences que la guerre entraîne à sa suite ; d'autres encore, dont M. Fowke déjà nommé, croient à une allusion aux Anglo-Saxons (( appelés subitement aux armes, obligés de se lever tout à coup et de quitter leurs épouses éplorées ». Enfin, le D^" Yvon, de Paris, n'hésite pas à reconnaître, dans ce groupe ultra sympathique, Eve et Adam ; celui-ci, « dans un état qui ne laisse aucun doute sur ses intentions! Quot capita^ tôt sensus.

Personnellement, nous ne voyons là que des vignettes sous forme de polissonneries dans le goût de l'époque ; l'une




1, Notre confrère fait suivre son diagnostic iconographique imprévu, dans la Chronique médicale, de remarques dépourvues de circonlocutions : « Je ne sais si les artistes étaient documentés sur les dimensions extraordinaires du pénis de notre premier père ; ou bien était-il de semblable développement au siècle, date à laquelle on rapporte cette tapisserie ? Ou bien encore les lilles d'Ève prenaient- elles leurs désirs pour la réalité ? Si Ton adopte Tune ou l'autre des deux pre- mières hypothèses, nous sommes bien moins avantagés. » QunJitum mutali siimns... Si, par contre, on se range à la dernière hypothèse, cela donne une singulière idée des appétits féminins à cette époque. »


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l'art profane a l'église


d'elles (fîg-. 218) généralement expurg-ée, est en pleine éj aculation * .



Fig. 219. — Tirée des Religions de l'antiquité, par Creuzer, 1841. Vol. II, pl. 8G, I. — V. aussi VExpédition d'Egypte, t. II, pl. 8G.

Ne leur attribuons donc pas plus de signification qu'aux ani- maux domestiques, sauvages ou fabuleux, répandus à profusion sur les doubles bordures. En dépit des symbolistes, nous per- sistons à penser que, sur cette tapisserie de haute lisse et aussi de haute licence, Tartiste a cherché avant tout la variété dans ses illustrations secondaires. Relevons, en dernier lieu, un détail anatomo-physiologique du sujet principal : Guillaume envoie des émissaires au comte de Ponthieu pour le prier de relâcher Harold; l'un de leurs coursiers est trop visiblement un cheval entier (fîg. 220).

Beaumais. — La corniche, d'après de Caumont, est supportée par des corbeaux variés, « parmi lesquels on distingue des obscena et autres figures singulières ».

Falaise. Saint- Gervais. — Marmouset, à mamelles saillantes, sous une console (fig. 221).

1. M. Jules Comte n'a pas reproduit cette phase de l'acte vénérien, contrairement à M. Jubinal et aux photoj^ravures de MM. Neurdcin frères. Cette figuration de Tactc ^énésique est fréquente sur les murailles des temples égyptiens et surtout des tombeaux des rois de Tlièbes, mais sous forme symbolique (fig-. :219). Les peintures du V* tombeau montrent trois de ces ligures ; elles lancent des jets de liqueur séminale, marqués par une trajectoire de globules rouges ; un petit être humain termine chaque jet fécondant.


CALVADOS CANTAL 185


LoECHES. — Tableau de Rubens : Elie clans le désert. Le maître



flamand a donné au prophète les traits du Vert Galant, qu'on ne s'attend guère à rencontrer dans le désert.

Thaon. — Une des plus anciennes églises de Normandie. «. Le pourtour de la nef, dit M. G. Lanquest, est agrémenté de gros- sières figures d'une naïveté plus ou moins indécente. »

XII. — GANTAL

AuRiLLAC. Couvent de Saint-Géraud. — L'abbé Charles, de Saint- Nectaire, qui mourut en 1560 prieur de ce couvent, avait fait peindre sur les murs d'un « cabinet particulier du jardin des figures nues, représentant les deux sexes dans les postures les plus indé- centes ». Gelles qui existent encore, dans certaines régions du dé- partement auvergnat, nous donnent une idée des anciennes peintures murales de cette abbaye de Thélème.

Saignes. — Groupe d'une console extérieure de l'abside, en l'honneur du culte phallique (fîg. 222), ou rendant sensible par l'image, dans un but d'encouragement à la reproduction, le Crescite et multiplicamini des Ecritures, ou encore la personnification du péché de la chair.


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l\\rt profane a i/kc. lise


Ydes. — Représentation supra réaliste de la Luxure (fig. 223) à moins que ce ne soit encore un hommage rendu à la reproduction, suivant les « voies » du Seigneur. Cette sculpture occupe le cha-



communiqué par M. Artus (1905). Fig. 223. — Communiqué par M. Artus (190o)^

piteau d'un pilier de l'abside, à l'extérieur ; elle est donc exposée, comme la précédente, à la vue des fidèles et des passants ; et cepen- dant nous sommes dans un pays de dévots, dont la Croix est le journal officiel. Pas de bégueulerie, comme la Mère Ancjot, les des- cendants des Arvernes !

XIII. — CHARENTE

Angoulê.me. Cathédrale Saint-Pierre. — « Toutes ces pierres parlent, écrit Michon ; ces chapiteaux déroulent ou une légende ou un trait moral ; jusqu'aux modillons qui étalent, sans gêne, des images trop naïves. »

Portail. Bas-relief de la Charité qui se dépouille pour les indi- gents, comme sur le mausolée de Catherine de Médicis, à Saint- Denis, et encore dans la cathédrale d'Amiens.

Nef. A l'un des modillons de l'entablement, une femme nue, la Luxure^ est en quête d'aventure.

Barret. — Nef. Au second chapiteau de gauche, toujours pour

\. Nous avons supprimé le centre, non de gravité, mais de légèreté, et pourtant il est IVanchemcnt tracé sur Toriginal de l'édifice du culte.


CHARENTE


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tirer une moralité d'une immoralité, et, ici, pour inspirer l'horreur de la fornication, s'étale <( une obscénité honteuse », dit Michon : l'amour impudique, en opposition à deux colombes qui s'aiment d'amour tendre et s'entre-becquettent, symbolisant l'amour pudique.



Fig. 224. Fi g. 225.


Bassac. — Un Bacchus couronné de pampres, dont l'intention caustique est évidente, orne la stalle du prieur.

CiiALLiGiNAc. — Chapiteau avec truie qui tile et allaite deux petits porcelets dévorants, emblème de la Maternité et aussi de la Gour- mandise.

CiiATiGNAC. — Toujours d'après Michon, entre le chœur et l'abside, un très joli chapiteau symbolique et diabolique. Une femme, nue jusqu'à la ceinture, cherche un refuge auprès d'un ange ; elle est poursuivie par un ribaud. Mais un démon saisit ce dernier de sa griffe et dévore une des mains du concupiscent.

Pl'yperoux. — Scènes extravagantes historiant divers chapiteaux du transept. Pile N.-O. Deux personnages nus (fîg. 224); l'un a la main gauche dévorée par un monstre, et, de la droite, il s'accroche au jarret de sa ou son complice, aux prises avec un second monstre. Le châtiment de VImpudicité ?

Pile du S.-E. Un homme nu (fîg. 225), dont le tronc est seul apparent, se voit sur le point d'être dévoré par deux monstres mono- céphales.


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l'art profane a l'église



Pile du N.-E. Une femme nue (fig. 226) semble avoir les mains et les jambes liées; mais, (( par un sentiment d'exquise délica- tesse )), l'imagier l'a placée la tête en bas j)our cacher sa nudité. Qui de nous s'en serait jamais douté ? Les pudibonds ont des trou- vailles inéluctables !


CONFOLENS ^.


Fie-. 226.


Saint-Gubardeaux. — Nef, côté Sud. Un des modillons porte, de même, une femme nue, placée la tête en bas et te- nant ses pieds avec les mains. On y voit aussi un homme, pareillement nu, dont la face et le bras sont appuyés sur la hanche dans une torsion bizarre.



Fig. 221


GHARENTE-INFERIEURE

Aulnay et SouiLLAc. Saint-Pierre. — Au sommet d'un pilier, orné d'animaux enchevêtrés, apparaît un homme nu, vêtu d^un veston ouvert, et dévoré par des oiseaux de proie (fig. 227).

Saimes. 1" Sainte-Marie-des-Dames.

— Détail horrifique de porte romane (fig. 228), difficile à expliquer convena- blement : un monstre ailé dévore les organes d'un pécheur libidineux.

1. Les idées rcli^ioso-superstiticuses sont très répandues dans les campagnes de VAngoumois, mais l'arrondissement de Confolens l'emporte j^,. ^ de beaucoup sur le reste du pays. Les cultiva-

• leurs ne connaissent d'autres médecins que les

saints, dont chacun a une spécialité : sainte Anne, par exemple, donne du lait aux



CHARENTE- INFÉRIEURE


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Au-dessus du portail, une large frise est occupée par une multi- tude de personnages nus, des deux sexes. « II est d'autres sujets, dit de Gaumont, que je ne tenterai pas de décrire, tels que ceux représentés sur deux chapiteaux voisins et dont la simplicité des mœurs d'alors explique seule la présence sur une église ^. »

2^ Saint-Eutrope. — La Volupté^ personnifiée par une néréide, occupe Fun des chapiteaux.

Naillé. — Une Assomption^ en carton pierre, masque le vitrail du fond de l'abside. « Ce groupe, dit J. Lacurie (1851), ne devrait pas figurer dans le saint lieu ; rien de plus inconvenant que la pose de cette Vierge et des anges qui la soutiennent. »

XV. — CHER

Bourges. 1« Cathédrale Saint-Etienne. — Certains détails du portail Saint-Guillaume, qui abonde en gracieux motifs, lui donnent un air de « sensualisme païen » .

Les an^es des voussures sont des femmes savoureuses, aux cheveux mousseux, à la fig-ure souriante et presque provocante. Prenant des poses théâtrales en de coquettes tuniques échancrées au col et fendues sur les côtés pour laisser voir les épaules grasses et les cuisses charnues, ces femmes cherchent à plaire, n'ont de l'ange que les ailes. Sur les culs-de- lampe des pieds-droits, des enfants nus et potelés jouent avec de grandes lleurs ou des oiseaux : et ce sont déjà des amours de Fragonard ou de Watteau^..

nourrices et aux bêtes. Quand les paysans ignorent la nature d'une maladie, une commère coupe une étoile en petits morceaux qu'elle jette dans un vase plein d'eau, après avoir attribué à chacun d'eux le nom d'un saint en vof<ue dans le pays ; le chifl'on qui, le premier, tombe au fond du vase indi({ue le nom du saint j;uérisseur.

1. N'imitons pas la réserve du célèbre archéoloj;ue, sans quoi, à force d' « expur- ger » et de censurer il n'y a plus d'histoire de l'art possible. On sait que, pour la

ville de Saintes, le dimanche des Rameaux était « la fête des p » ; le prêtre

bénissait des phallus que les femmes portaient comme un talisman en vue d'assurer leur fécondité. Même usage, d'après Dulaure, à Saint-Jcan-d'Angély : des gâteaux phalliques, nommés corpus Chrisli, étaient portés processionnellement à la Fête- Dieu. Au xviii^ siècle, de semblables gâteaux étaient encore confectionnés dans le Bas-Limousin, surtout à Brive, plus digne que son homonyme du sobriquet de « la Gaillarde ». En Auvergne, à Clermont-Feri^and, on préférait les gâteaux appelés miches, ayant la forme de l'organe féminin. Déjà au vi" siècle, Johannes Bruerinus Campégius critique cette coutume des c... suci'és.

±, André Darty, la Cuthédrale et la ballerine. i


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i/aRT l'UOKAM-: A L'ÉflLISE


Parmi les épisodes de la Genèse, Tivresse de Noé (IX, 22 ), sui- vant le mot de Victor Huii^o, est sculptée « en toutes lettres », c'est-à-dire dans sa crudité absolue, comme à Albi et àPise.

Grand portail. Selon la tradition médiévale, les phases du ./«-



Fi^-. iLi\). — Clichc de A. (iiraudon.


gemeiit se déroulent sur le tympan en trois tableaux de plein relief, qui sortent de la banalité conventionnelle et sont considérés comme le chef-d'œuvre du genre. C'est une page inoubliable. Dans le bou- leversement cosmique de la Résurrection, les personnages sont (( tous nus, à l'exception d'un éveque », dit M. Maie. Les peines de TEnfer sont figurées par une chaudière, où d'horribles démons, à la physionomie goguenarde, poussent et harponnent les recrues


CHER


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(fîg. 229, 230). La marmite infernale, chaullee par des flammes qui s'échappent de la bouche du Léviathan et où sont précipités deux mitrés, sans vêtements, n'est encore occupée que par un moine et une damnée ; un crapaud dévore la langue du tonsuré qui person-



Fig. 1:230. — Cliché de A. GiraudDii.


nifie la Médisance^ et un autre monstrueux batracien suce le sein de sa voisine, châtiment de la Luxure. Les mitrés sont vraisem- blablement des abbés ou des prieurs qui, avec la représentation satirique du religieux, rappellent les dissensions du clergé séculier et du clergé régulier.

Les suppôts de Satan, qui devraient être des anges selon Mat-


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i/art profane a l'église


thieu*, se distinguent par leurs mufles ricanants et Taspect mon- streux de leurs corps. Sur l'ombilic, le périnée ou la poitrine, ils portent des gueules dévorantes, d'affreuses têtes de vautour ou de Gorgone. A l'exemple du D^' Félix Regnault, nous rattacherons ces êtres étrangement bicéphales aux monstres des inclusions fœtales, bien que l'embryologie n'ait rien à voir dans ces gausseries sati- riques, où la verve « endiablée » de l'artiste, oublieux du thème général qui vise au tragique, a répandu plus d'humour que de foi. « Ces diables, écrit encore A. Darty,sont comiques et obscènes. »

Tous ont des exagérations formidables de sexes. Ce ne sont pas des diables, mais des boucs en folie, des faunes lubriques, des satyres en rut...

Et ces diables, comiques et obscènes, font les pitres. L'un d'eux — comme un athlète qui soulève des poids — brandit, à bout de bras, un moine nu ; un autre, de sa queue terminée en mâchoire, mord la cuisse d'un réprouvé. Certains précipitent, jambes en l'air, dans la chaudière un évêque. D'autres, narquois, attisent le feu.

Nous verrons encore, sur plusieurs vitraux, de telles personnifi- cations des vices, à la fois ridicules et hideuses. On cherchait ainsi, comme nous l'avons dit, à frapper fortement l'imagination du peuple, afin de lui inspirer une plus grande aversion du péché.

Des sujets si importants pour la morale publique, écrit le chanoine Rouvelot, pouvaient-ils être mieux placés que dans la décoration des temples, élevés en l'honneur de la divinité, et destinés à être l'école de la vertu et de la piété?

Façade. Premier portique, côté droit. Martyre de saint Etienne : Saûl garde les vêtements de ceux qui lapident le saint et se sont deshabillés pour avoir les mouvements plus libres.

Second portique, du même côté : Baptême de Léocade, gouver- neur des Gaules et de son fils Ludre, par saint Ursin. Les deux néophytes sont plongés nus dans la cuve baptismale.

La tour Nord, la plus élevée, s'appelle la tour neuve ou de beurre, parce qu'elle fut bâtie avec les deniers des fidèles, désireux d'obte- nir de Pie III la permission d^user de beurre et de lait en carême.

1. Chap. xm, 41. Le Fils de riiommc enverra ses anges, qui ôteront de son royaume tous les scandales et ceux qui font Viniquitc.

42. Et ils les jcticront dans la fournaise ardente ; c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincenienls de dents.


CHER


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L'archevêque autorisa, proprio motii^ l'usage du fromage. De plus, chaque père de famille était tenu de donner à l'église cinq de- niers pour la reconstruction de la tour ; c'était une dîme obligatoire, mais non laïque. Ces tolérances furent renouvelées pour sept ans par Urbain VIII.

Galeries. Les chapiteaux qui couronnent les colonnes des gale- ries et leurs bases étaient couverts de figurines burlesques. Durant la tourmente révolutionnaire, un membre du district — c'était un maçon ou mieux un goujat — obtint la destruction de ces sculp- tures « comme fanatiques et contre-révolutionnaires ». Et pourtant ces figurines avaient trouvé grâce devant le rigorisme des calvi- nistes qui occupèrent la ville durant trois mois, en 1562 ; ce qui donna lieu à cet adage populaire :

En mil cinq cent soixante-et-deux Bourges n'avait ni prêtres ni gueux.

Chœur. Mausolée du duc Jean. A ses pieds, au lieu du lion qu'on trouve ordinairement sur les sépultures masculines, on voit une ourse, couchée et enchaînée, en l'honneur de sa femme Oursine. Le même animal figurait dans ses armes, avec cette devise : Oursine le tems vinra. allusion à son espoir de porter, un jour, la couronne royale. Car, comme il le rappela dans l'épitaphe qu'il composa lui- même pour être gravée sur son tombeau, il était

grand de race et d'apparence,

Fils, frère et oncle de roys de France...

A Pâques, avant matines, a lieu la procession du Saint-Sacre- ment, dite des trois Maries, bien que celles-ci n'y figurent plus ; cette procession fut fondé en 1524 par un chanoine de Bourges, Jean de Laubespine. Les trois derniers chanoines étaient obligés d'y assister « habillés en filles, pour représenter, dit l'acte, les trois Maries venues au tombeau de Jésus-Christ, de grand matin, le jour de la Résurrection ».

Sous une galerie qui conduit à la crypte existe un ornement des plus étranges : un cul-de-lampe (fig. 231) exhibe la région sacrée d'une Vénus callipyge ou d'un homosexuel fessu d'outre-Rhin.


1. De telles incongruités ne sont pas rares. On en trouve de semblables à

Examinons en détail les curieuses verrières du xiii^ siècle. A l'abside, voici Lazare et le mauvais riche, celui-ci jeté nu, tète en bas, dans les flammes éternelles; puis, le Jugement universel: un



Fig. 231. Fig. 232. Fig. 233.


démon enfourne dans la gueule du Léviathan deux damnées en costume d'Eve (fig. 236). Au voisinage, les Ressuscites des deux sexes sortent, sans linceul, de leurs tombes. Au bas de V Apoca- lypse^ le sacrement du Baptême par immersion donné k plusieurs

Fig. 234.

convertis qui se suivent en file indienne. Au sommet (fig. 237), notre Mère la sainte Eglise, portant découverts ses seins devant lesquels deux personnages fléchissent respectueusement le genou. « Ce

riIôtcl-de-Villc de Noyon (fig. 232, 233) ; à rhôtel Lallemand, à Bourges, dont le moulage est au Trocadéro ; dans Tune des retombées des fenêtres du château de Blois ; à Metz, parmi les sculptures de la tour Desch (fig. 234). L'hôtel de la Trémoille, à Paris, ofï'rait aussi sur la façade intérieure, réédifiée dans la cour de l'Ecole des Beaux-Arts, des ligurines sans vergogne (fig. 23o). Nous pouvons ajouter ces exemples à ceux déjà signalés à Gaen. Etait-ce pour justifier leur titre de « maîtres des pierres vives » que les sculpteurs s'appliquaient à communiquer une telle vivacité à des gaillardises de cet acabit ?



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sont ses fils, disent S. Clément et A. Guitard, qu'elle couronne dans le ciel, après les avoir nourris sur la terre du lait de la grâce et de la vérité. » Les deux mamelles sont les deux Testaments où



Fij>-. 23r,. Fig. 237.


gesse éternelle^ dont les mamelles nourrissent les âmes chré- tiennes de la parole divine.

Chapelle absidiale. Nous retrouvons la légende, trop souvent contée de Marie rEgijptienne ; ici, la pénitente est rencontrée nue, par Zozime : (( Je suis, lui dit-elle, une pécheresse à qui la pudeur ne permet pas d'approcher de vous. Si vous désirez me parler, jetez- moi votre manteau ». Naguère, elle se contentait du mouchoir.

Vitrail de Saint-Pierre et Saint-Paul : le premier baptise le cen- tenier Corneille, avec un grand nombre de soldats romains ; mais l'espace manquant à Fartiste, le centenier, sous les formes fémi- nines, occupe seul la cuve baptismale (fig. 238).

Vitrail de Saint-Martin. Le saint exorcise un démoniaque (fig. 239) en fermant avec ses doigts la bouche du névrosé, pour contraindre le démon à sortir par « la voie qui convient le mieux à l'esprit im- monde ». Fortunat raconte le fait avec la liberté que lui permet le latin :

Nec tamen oh digilos cxire par ora liceret. Fœda ministerii fœdus^ vesiigia linquens^


190


t/art profanr a l'église



Sordidus egrediliir, quti sordidus est via

[fluxus,

7\ile lier arrcptum, sic decel ire viatorl

Sur l'un des vitraux de la grande nef, actuellement au Musée du Tro- cadéro, on voyait sainte Cécile, re- cevant le baptême, plong-ée dans une cuve jusqu'au nombril, selon le rite grec.



Fig. 238.


Fi-. 239.


2« Petite Maison des Sœurs Bleues. — Où, dit-on, est né Louis XI, (( le Prudent ».

Emile Deschanel raconte, dans Par Monts et Vaux^ qu'il a vu au plafond de l'oratoire, droit devant l'autel, « un joli gamin qui pisse dans un sabot. Ici, la sœur bleue qui me servait de cicérone devint rouge, comme il convenait, et baissa un œil ».

BouRG-DE-DiEu. Abbaye ^

La Ghatelette (Canton de S'-Amand). — Autre saint ithy phalli- que, le premier abbé de Landevenec (480), et qui dut à la similitude de son nom Guignolé ou Guignolet avec le mot latin gigncrc^ engendrer, les vertus de Priape. Les femmes stériles absorbaient les raclures de sa braguette magique, constituée par une longue cheville en bois, qui traversait sa statue et que l'on poussait à coups de maillet quand son extrémité était usée. Un archevêque de Bourges supprima le culte d'un pareil saint, mais celui-ci a toujours ses dévotes. 11 existait aussi, près de Brest, une chapelle consacrée à ce sanctifié, descendant direct du dieu des jardins.

GiiALivOY-MiLOi\. — Nef. Le côté droit est décoré d une immense fresque qui représente une mappemonde d^environ six mètres de


1. On y adorait saint Qucrlichon ou Grcluchon, dont VApologie pour Hérodole rappelle les attributions : « Ce saint se vante d'engrosser autant de femmes qu'il en vient , pourveu que pendant le temps de leur neuvaine, ne laillcnt à s'cstendrc par dévotion sur la benoistc idole qui est gisante de plat, et non i)oint debout comme les autres. Outre cela, il est requis que chascun jour elles boivent un certain breuvage meslé de la poudre raclée de ([uelquc endroit d'icellc, et mcs- mcmcnt du plus dcshonnestc à nommer. »


CHER


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diamètre, sur laquelle a été tracée l'histoire des générations hu- maines, depuis Adam. « En beau- mmassms^^"'^^!^^'^^^"'^'^^ coup d'endroits, écrit Fabbé Le- B^^^^^^^^^Çt^^^^^^^^^fe^



noir, les souvenirs mythologiques sont mêlés aux souvenirs bibli- ques, ce qui rend ce travail fort curieux. » Eve, séduite par l'es- prit infernal, fuit le Créateur, après le péché ; elle est nue, mais son corps est sans chef, pour rendre sensible sans doute que la pre- mière femme a perdu la tête. Adam, qui la suit^ a une tête


v-( d^animal immonde », un co-

chon vraisemblablement, si l'on s'en rapporte à cet alexandrin : Tout homme a dans le cœur un cochon qui sommeille.

Mehun. Notre-Dame. — « Eglise sans vitres », dit l'auteur duLu- trin vivant, et qui

A pour clergé le plus gueux des chapitres.

Elle offre, paraît-il, quelques détails curieux de sculpture, (( mais, ajoute Touchard-Lafosse, ils sont de nature à faire baisser les yeux pudiques ».


Tulle. Cloître. — Détruit en 1827. Les chapiteaux étaient cou- verts de monstres bizarres, entremêlés de personnages nus (fig. 240), dont la signification intriguait et égarait l'esprit observateur.

Beaulieu. — Portail. Bas-relief du Jugement dernier — mais pas le dernier pour nous — avec ses nudités qui s'agitent selon la for- mule orthodoxe.

XVI. — GORREZE. and the rest

XVII. — COTE-D'OR


Dijon. 1« Saint-Michel. — Portail. Samblin a orné le tympan d^un bas-relief comprenant une quarantaine de personnages nus,


198


i/art profane a l'église


comme il convient dans la représentation du sujet qui est encore le Jugement dernier.

Entre les battants de la même porte centrale, une colonne, do-



Fig-. 241.


minée par une console, en forme de chapiteau luxueusement et luxurieusement fouillé (fig-. 241), sert de piédestal à la statue de saint Michel, qui vraisemblablement a remplacé celle de Marie, la- quelle d'ailleurs n'était pas à sa place, en raison des sujets profanes du voisinag-e. En effet, les scènes païennes de ce support, formant dais, y sont associées aux récits de l'Ancien et du Nouveau Testa- ment, les unes du côté g-auche et les autres du côté droit. Au milieu de cette alliance disparate, on reconnaît, dans leur majestueuse nudité, Jupiter et Ganyniède^ Mercure^ Hercule,


COTE- d'or


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Nessus et Déjanire, Léda et le Cygne, Apollon qui pince de la lyre, Venus occupée à sa toilette, en compagnie de Cupidon, etc.

Tout ce monde de la Fable repose sur des têtes d'ang-es, k moins que ce ne soient des têtes d'a- mours ; au xvi^ siècle, la contu- sion est fort pos- sible.



Fig. 2i



Fii--. 2i


2o Cathédrale.

— Le tombeau de Joannes Du

Berbisey (1720) est orné de deux statues allégo- riques, la Foi et la Justice, qui sont assises de chaque côté du sarcophage. La dernière (fig. 242) soulève son voile pour regarder l'effigie du défunt, sculptée près d'elle et découvre en entier son


sein droit ; on l'a comparée à Messaline :

C'est Vénus, tout entière à sa proie attachée.


3^ Notre-Dame*. — (Place Renan). — Deux larges corniches de la façade sont formées, chacune, d'une vingtaine de gargouilles volumineuses et grotesques. La plus falote est une femme nue, renversée sur le dos d'un démon; elle jette l'eau par la bouche (fîg. 243). Ces hideuses conceptions sont l'emblème des esprits malins qui s'évadent des rçurs sacrés ; elles dépeignent encore, d'après l'abbé Bourassé, « l'alfreuse misère de ceux que l'Eglise a rejelés de son sein ».

Les tombeaux des ducs de Bourgogne, Jean sans Peur et

1. A l'origine, les letes des Fous et de l'Ane répondaient, selon A. Henry, à la double mission qu'eut le Christianisme d'abaisser l'orgueil et de relever l'humilité; mais, plus tard, elles déf^énèrent en saturnales. Leurs extrava|^ances indécentes commençaient à la cathédrale et de là se répandaient dans la ville. Interdites à plusieurs reprises par l'Eglise, elles se perpétuèrent en dernier lieu à Dijon. Les obscénités dont étaient couvertes le « Guidon de l'infanterie dijonnoise » (fii;'. i247) et les médaillons, en bois sculpté, empruntés à la ceinture de la « Mère Folle « 


200


l'art profane a l'église


Philippe le Hardi, placés vers 1450 dans le chœur de la Chartreuse de Ghampmol et actuellement au Musée, sont décorés, chacun, de 16 statuettes de (( plorants », officiers laïques ou ecclésiastiques



Fig. 244-24G.


des défunts, costumés en moines pour le cortège des funérailles. Le docteur Gabanès, dans une étude sur le mouchoir k travers les- siècles, en sig^nale deux qui se moucheraient, Tun dans son man- teau, l'autre avec ses doigts. Ce dernier ne se pince-t-il pas le nez, pour indiquer qu'il est incommodé par Todeur cadavérique am- biante, comme le font k la cathédrale de Bâle les soldats de Dio- clétien enterrant le corps de saint Vincent et ne semble-t-il pas dire comme TOurs de la fable : (( Otons-nous, car il sent » ? L'auteur de VOblat, parmi ces faux cloîtriers, n'en voit qu'un qui se mouche et un autre qui se cure les oreilles Ne serait-ce pas plutôt une façon (( ondoyante et diverse » d'exprimer leur chagrin de commande?

(lig-. 248-254) donneront une légère idée des scènes échevelées qui accompagnaient ces mascarades mystico-satiriques et surtout satyriques.

1. Notule pour rire, sur la diversité des interprétations documentaires. En grou- pant trois de ces ligures de douleur (lîg. 244-24(1), on obtient un trio des plus folâtres, analogue au Petit vent du Nord. Le in'emicr semble dire : « Dieu que ça sent mauvais ! » ; le second proteste : « Ce n'est pas moi, c'est lui ! » et le voisin avoue humblement : « Ça m'a z-échappé ! »


COTE-D OR


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4« Hôpital du Saint-Esprit



Fia-. 24


Beaune. Hôtel-Dieu (1445). — Le sujet du fameux rétable de l'Hôtel-Dieu est un Jugement universel attribué à Roger Van der Weyden. En l'an XI de la République, les sœurs de l'hospice,


1. La fondation de cet asile et de celui de Rome, sous le même vocable, a été d'inspiration divine. Elle est due à la licence des mœurs romaines à cette époque. Il y est fait net- tement allusion dans une miniature d'un manuscrit appar- tenant à l'hôpital de la Charité, à Dijon (fig-. 255). On y voit des femmes ou fdles dénaturées, et on lit au bas, en caractères gothiques : « Gomment les doloreuses pécheresses, après leur enfantement, cuidant éviter la honte du monde sans penser en Dieu, ne en leur ames par l'admonestement des dyables, getoient leurs enfans sans baptisme en la rivière du Tibre, à Rome ».

Pendant une grave maladie d'Innocent III, un ange lui ap- parut et lui annonça que s'il voulait être guéri, il devait faire pêcher du poisson dans le Tibre « en près une abbaye de nonnes ». Aussitôt dit, aussitôt fait : les serviteurs du pape lancent leurs filets à l'endroit indiqué et « ne prindrent que petis enfans que on avoit getté ». Le pape « moult espouvanté » se mit en oraison pour demander au ciel de l'inspirer sur ce qu'il devait faire. Un ange lui ordonna de






Fig. 248-2:


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i/aut profane a l'église


religieuses de Tordre du Saint-Esprit, manquèrent à ce point d'esprit par sainteté, qu'elles firent odieusement détruire ce chef-d'œuvre.

Elles s'en remirent à un badigeonneur du nom de Bertrand Chevaux, qui couvrit les élus de robes brunes et voila de flam- mes les nudités des ré- prouvés. On a heureuse- ment pu restaurer en grande partie cette pré- cieuse composition, telle que le maître l'avait con- çue.

Ce tableau se compose de sept cases : en bas et à gauche les bienheureux « pauvres d'esprit » en- tièrement nus (fîg. 25G- 258) ; à droite, les ré- prouvés (fig. 259-261); au-dessus, le Juge et ses Assesseurs qui, moins intéressants pour notre sujet, ne figurent pas dans nos gravures. Le compartiment du milieu^ le quatrième, est oc- cupé par un saint Michel, de grandes dimensions, pesant les âmes (fig. 262). On voit une femme sur le plateau des élus et un homme sur celui des réprouvés. Pour établir un juste équilibre, l'artiste a placé, au-dessous de la première, un bienheureux qui remercie le Justicier céleste et, au-dessous du second, une condam- née qui implore en vain sa réhabilitation. D'ailleurs, dans chaque compartiment, pour ne pas faire de jaloux, les sexes ont été égali-

monter sur sa mule, d'aller au lieu où les eufatns avaient été péchés et d'édifier un hôpital pour recevoir les nouveau-nés délaissés, à l'endroit où sa monture s'agenouillerait. Saint Vincent de Paul n'a rien inventé.

Voici pour l'hôpital du Saint-Esprit de Rome. Quant à celui de Dijon il serait dû à un vœu fait par le duc de Bourgogne, Eudes III, pendant une violente tempête lorsqu'il partit pour la Terre Sainte ; mais Peignot a démontré que ce départ à Jérusalem appartient à Hugues III, l'ondateur de la Sainte-Chapelle de Dijon, en 117i, et nullement à Eudes III, son iils, fondateur de l'hôpital de la même ville, en 1204.



COTE - d'or


203



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i/art profane a l'église


ses. La partie du tableau qui représente l'exode des élus au céleste séjour n'a d'autre intérêt que la nudité absolue des personnages, contraire à la tradition de l'art chrétien ; quant à la marche des

pécheurs vers l'abî- me, elle ofFre de cu- rieuses particulari- tés.

5*^ Compartiment {ûg. 2o9). Un hom- me courbé se mord la main gauche et se tire l'oreille, de l'autre main ; une jeune hlle se tord les mains ; et un voisin envoie sa malédic- tion ou sa supplique au Juge suprême.

6«(Fig. 260). Un homme s'accroche à la chevelure d'une femme qui tombe aux enfers ; un autre damné regarde avec effroi le gouffre infernal, et une femme, placée en avant, l'étreint avec la force du désespoir, tandis qu'un pécheur couché lui saisit les cheveux.

7^ (Fig. 261). Un réprouvé, les poings crispés, entraîne une femme dans sa chute ; une autre condamnée se cramponne au mollet et aux cheveux de ses voisins. Au-dessus du groupe qui dégringole vers l'abîme, un couple le suit et roule la tête la première; l'homme est saisi par un autre qui tire la langue, en disparaissant dans les flammes vengeresses.

Brétinières. — Cette église est placée sous le vocable de saint Phal, qui avait aussi une chapelle près de Leuglay, réputée par son pèlerinage des femmes stériles et construite sur l'emplacement d'un temple de Bacchus où l'on adorait le phallus, d'où le nom du saint dispensateur de la fécondité.



Fig. 262.


COTE- d'or


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Sémur. — Millin donne le dessin d'un motif qui historiait l'une des verrières de cet édifice (fig-. 263). L'artiste a vraisem- blablement voulu représenter un vendan- geur nu, contrairement à celui qui figure sur la porte de la Vierge, à Paris, et foulant le raisin dans la cuve. Il est possible encore que nous ayons simplement sous les yeux un personnage du sexe féminin prenant un bain, ou attendant le baptême par immersion. Le champ aux conjectures est ouvert ^ .



Fig. 263.


XVIII.


GOTES-DU-NORD 2


AvAUGOUR. — Sur une petite porte sculptée donnant dans la nef, du côté du Midi, Cupidon est placé entre un homme et une femme, ses victimes habituelles. Mais, ici, ce sont elles qui prennent leur revanche : ces personnages, armés d'un arc, décochent à leur tour une flèche au dieu malin.

Beauport. Abbaye. — Les peintures de la salle des Dames avaient pour sujets des chasses et des bergeries ; celles de la chambre du Prieur représentaient Gléopâtre, des amours poursuivant un papillon et divers paysages.

Berheï. N.-D. de Confort. — Dans la corniche, une femme (( d^un orgueilleux embonpoint », pieds et poings liés^ tourne sur elle-même ; et^ quand elle se présente au retour, ce n'est plus qu'un maigre squelette. M. de Penguern en fait Timage de la transfor- mation qui attend la riche et grosse Bretagne sous la domination

1. Eurêka ! L'atlas du Voy. dans les dép. du midi de la France nous donne la clef de cet hiéroglyphe. C'est un ouvrier foulon, placé entre un cardeur et un coupeur de drap. Une autre méprise est souvent commise au sujet des bas-reliefs du portail, où Ton croit voir la danse de Salomé, ventre en l'air, tête et extrémités à terre. Or, il s'agit de l'assassinat de Dalmace par son gendre, le duc Robert, qui édifia le monument en expiation de son crime : sa victime tombe à la renserve, en posture habituelle à la danseuse..

2. Nous empruntons la plupart des détails concernant ce département à l'un de ses historiens, Benjamin JoUivet, de Guingamp.


206


i/arï profanh a i/kglise


étrang-cre. N'est-ce pas plutôt celle de notre destinée ou de la fra- g'ilité des charmes corporels de la femme ?

Au rétable, contre Tautel, Tallégorie semble plus transparente:

Deux statues principales figurent 1M/î- nonciation. A gauche, du côté breton, la sainte Vierge, à genoux devant un pupitre, a les traits et le costume de la duchesse Anne. Devant elle, ce personnage age- nouillé est sans doute Fange Gabriel ; d'où vient donc cpi'il porte le manteau royal, la robe, les cheveux longs et bouclés de Louis XII, et qu'au lieu du lys symbo- lique, il présente à la Vierge une que- nouille ? C'est que le duché tombait en quenouille : la bonne duchesse ne laissait pas ce second fils qui, aux termes de son contrat de mariage, devait continuer la dynastie bretonne.

GoATilUEL. Chapelle de Saint-Gildas.

— Le Pardon a lieu le dernier dimanche de septembre ; on Tappelle le « Pardon des Poires » ; ce vocable ne pourrait-il servir de terme générique à tous les Pardons?

DiNAN. 1« Saint-Sauveur. — Queue de voûte, sous forme d'une monstruosité monopode et sans bras (fig-. 264). Nous rencontrons aussi la Luxure avec deux crapauds suspendus à ses mamelles. Gette ég-lise renferme encore des bas-reliefs à sujets païens, les Amours de Psyché, par exemple.

2^ Saint-Malo. — On y remarque, comme dans le précédent édifice gothique, un singulier mélange de sacré et de grotesque ; quelques sculptures ont même un caractère netteme)it licencieux.

Lantic. N.-D.-de-la-Cour*.

1. Le Pardon a lieu le 15 août, mais les marins s'y rendent en toute saison, et le ])lus communément << i)icds nus, la chemise flottant sur le pantalon », dans le mutisme le plus abs(^lu.



COTES-DU -NORD


207


Erquy. Saint-Pierre et Saint-Paul. — 11 existe, paraît-il, sur la porte de cette église^ maçonnée dans le mur, une pierre, provenant d'un temple romain, dont la surface intérieure représente la louve allaitant Rémus et Romulus. On signale encore, à la porte Nord, un bénitier qui serait, suivant Baudouin, une ancienne cuvette de sacri- fices.

Le Favuet. Chapelle Saint-Fiacre. — Jubé en bois sculpté couvert de peintures, avec pendentifs se terminant par des animaux à formes étranges ou des personnages dans des attitudes extrava- gantes.

Léhon. Abbaye K — Moncontour. Saint-Mathurin — Plerneuc — Plumaudan \ — Qlintin. Notre-Dame ou Saint -Thurian ^ — Sainte-Croix. Abbaye ^

Perros-Guirec. — On voit ça et là dans cette église^ toujours d'après M. Jollivet, « des figures d'une indécence inexplicable en

4. Une sorte de servitude pesait autrefois sur les nouveaux mariés de la paroisse. « Ils étaient tenus de venir à cheval, le jour de la seconde fête de la Pentecôte, rompre une perche contre l'écusson du monastère, ce qui s'appelait courir la quintaine. Gela fait, le marié prenait sa femme par la main et la conduisait devant le père prieur. Là, elle devait danser en chantant les paroles suivantes :

Si je suis mariée, vous le savez bien ;

Si je suis à malaise, vous n'en savez rien ;

Ma chanson est dite, je ne vous dois plus rien.

Le sénéchal, qui assistait à la cérémonie avec les autres officiers, répliquait : « Vous devez encore à Monseigneur honneur, respect et l'accolée. » La nouvelle mariée se jetait alors au cou du révérend père prieur et l'embrassait.

2. A ce pèlerinage, comme à Aurai et à Guingamp, les femmes font plusieurs fois le tour de l'église, « sur les genoux nus ».

3. Cette commune a conservé jusqu'en 1830 le plus scandaleux héritage des fêtes druidiques. <( Des danses d'une lasciveté dont notre plume n'oserait reproduire les particularités dégoûtantes qui nous ont été racontées, écrit notre pudique cicé- rone, s'exécutaient publiquement à côté de l'église. »

4. Une vieille statue de sainte Agathe — actuellement au musée de Dinan — était invoquée par les mères pour être bonnes nourrices.

5. Son trésor possède un fragment de la ceinture de la ^'ierg•e ; cette relique sert aux femmes grosses « pour en estre ceintes avec révérance et obtenir un facile et heureux accouchement ».

G. Henri, comte de Pcnthièvre, qui avait posé la première pierre de cette abbaye, en chassa les religieux établis par son père et les remplaça « par des filles perdues, à la tête desquelles il mit sa propre concubine ». L'écho de cette maison close, ajoute sans malice notre mentor, « a une grande puissance de reproduction ».


208


l'art profane a l'église


pareil lieu » ; mais ces excentricités artistiques étaient de mise à cette époque.


Trédaniel. Chapelle Notre-Dame-du-Haut. — Entre autres sta- tues, fort peu remarquables au point de vue de l'art, M. Jollivet



Fig-. 265. Fig-. 2GG.


commère de saint Mammès — montrant ses intestins qui s'échap- pent de son abdomen entr'ouvert et qu'elle retient entre ses bras. Les personnes qui l'invoquent pour une maladie d'entrailles se for- ment une ceinture de cierg-es, qu'elles brûlent ensuite aux pieds de la sainte.

Tregueux. Chapelle de Sainte-Marie. — Elle renferme un tableau représentant la Vierge, qui tient son fils dans ses bras et porte sur la poitrine un soleil de justice.

Près d'elle, un homme vêtu d'une robe blanche que recouvre un man- teau noir, montre deux cicatrices qu'il porte au sein ; de sa bouche sort une flamme, avec ces mots : Maria^adjuva me ! Un ange, dans l'attitude de l'étonnement, occupait le haut du tableau qui rappelle le fait suivant : Un templier de la Porte-Alain, blessé mortellement en duel dans l'allée de la Ville-Bougault, se traîna jusqu'à la Chapelle, invoqua la Vierg-e et fut guéri presque aussitôt.

Tréguier. Cathédrale. — Certains culots de miséricordes sont particulièrement obscènes et défient toute description (fig*. 265-266). Ces sculptures, d'un réalisme forcené et visible dans le chœur, ont été exécutées avec autant d'audace que d'habibilité ; les moins osés


COTES-DU-?< ORD CRËUSÉ 209


de ces culs-de-lampe représentent, soit un impudent personnage qui montre sa région fessière à nu, soit un autre cynique qui pra- tique sur lui-même le toucher rectal. Après de telles exhibitions il n'y a plus qu'à tirer l'échelle ou mieux le rideau. Pour ne pas blesser le regard des infidèles, peu familiarisé avec des images qui ne se trouvent qu'à l'église, nous avons dû laisser incomplets les dessins exécutés par Darcel, en septembre 1850, et qui nous ont été commu- niqués par M. D..., archéologue distingué de Rouen. C'est sous les auspices de figures si peu édifiantes que Renan remplissait ses premiers devoirs religieux; peut-être contribuèrent-elles à jeter le premier trouble dans ses croyances ?

XIX. — CREUSE

Fresselines. — Le 21 octobre 1906 a eu lieu Tinauguration du monument sculpté par Rodin, à la mémoire de Maurice Rollinat ; le curé de la paroisse a permis d'appliquer contre le mur extérieur de sa paroisse ce bas-relief profane, eu égard à l'amabilité de l'auteur des Névroses, qui tenait l'harmonium^ le dimanche, à la grand' messe. Echange de bons procédés.

XX. — DEUX-SÈVRES

GouRGE. — Le même sujet se déroule sur trois modillons, au- dessous de l'entablement qui règne sur la porte principale. Nous empruntons à l'abbé Auber la description de ces reliefs, dont se régalent les yeux libidineux :

Celui du mifieu, composé de deux objets réunis, ne laisse aucun doute quant à sa signification dissolue, « partes uiriusque sexus coeiintes ; les deux autres, de chaque côté, sont un homme et une femme grimaçant à loisir, et dont le sentiment ainsi rendu ne reste pas étranger à cette vilenie.

Melle. Saint-Hilaire. — En plus de la Luxure, dont les seins sont tétés par d'immondes batraciens, on s'étonne de rencontrer, dans un édifice religieux, des personnages et des scènes mytholo-

l'art profane. — I. 14


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i/art profaM': a i/églisi-:


giques. Cette circonstance a fait croire, mais à tort, qu'il avait été construit avec les débris d'un temple païen.

PartiikiNAY-le-Vieux. — Praiiecq. — Sur archivoltes : Mélusinc, moitié femme et moitié serpent, particulière au Poitou ; symbole de la Volupté, au même titre que la femme à queue de poisson, tenant un peig-ne d'une main, et un miroir de l'autre. Cette fée poitevine était reg-ardée comme la tige de la maison de Lusignan et la fondatrice des anciens monuments du Poitou.

Saint-Jouin. — Figure allégorique analogue à celle de Melle, mais les ci-devant têtards tétant sont ici remplacés par des serpents, comme au portail de beaucoup d'églises byzantines.

Saint-Maixent — Nous venons d'expliquer pourquoi les Mclu- sines abondent sur certains blasons et les monuments poitevins ; ici, un pilier adossé au clocher en porte deux, à queues fourchues. D'après M. Robuchon, l'auteur des Paysages du Poitou^ où se trouve la figure de cette curiosité archéologique, dans les anciens titres de l'Abbaye, ce pilier porte le nom impropre de « pilier des Sibylles ».

Oyron. — Cette ancienne collégiale possédait d'élégantes et remarquables boiseries, mais une partie de ses stalles a été cédée à l'église de Bressuire. « Leurs miséricordes, écrit M. Jules Robu- chon, sont ornées de personnages grotesques et parfois fort indé- cents » ; ce sont de petits chefs-d'œuvre libertins de la Renaissance.

Le tombeau de Claude Goufïier, appuyé à la muraille, est orné d'une statue, représentant un cadavre étendu sur un linceul*.

Saint-Loup (sur le Thouet) — Restes du château que fît construire, sous Louis XIII, le cardinal d'Escoubleau de Sourdis.

Le galant prélat avait voulu que le plan figurât un H, initiale d'une cousine appelée Henriette, et qui ne lui était pas seulement unie, si l'on en croit la chronique scandaleuse, par les liens de la parenté. Du reste,

1. Reproduite dans les Mémoires de la Société des anliqiiuires de l'Ouest, 1839.

2. Sous la Révolution, cette commune reçut le nom de Voltaire : la lamille de l'auteur de la Piicelle, Arouet, était originaire de Saint-Loup.


DEUX-SÈVRES


— DORDOGNE


DOL'RS


^11


Sourdis^ qui cumulait les fonctions d'amiral avec celles d'archevêque de Bordeaux, ne se piquait pas d'une retenue trop grande, et ses héritiers durent faire gratter, par respect pour la pudeur et pour sa mémoire, les peintures dont il avait fait couvrir les murs des escaliers.

Saint-Pompain. — D'après l'abbé Auber, on voit deux femmes se livrant séparément à « des lubricités dég-oûtantes ». Ces déver- gondages solitaires qui, par opposition à un roman de mauvaises mœurs trop connu, pourraient être intitulés : Charlotte s'amuse^ se passent au-dessous de trois zones arrondies en ogives et cou- ronnent l'entrée occidentale.

XXI. — DORDOGNE

Gadouin. Abbaye. — Le Lai cVAristote et le Lai de Virgile, qui ridiculisent les passions érotiques chez les vieillards, décorent, l'un, une clef de voûte et Tautre, le chapiteau d'un pilier.

XXII. — DOUBS

Besançon. 1« Cathédrale Saint-Etienne. — Tombeau de Ferry Garondolet, orné de génies, de chimères et de néréides. L'abbé de Montbenoit, le corps allongé, est accoudé sur le sarcophage. On voit, au-dessous, son cadavre nu et dévoré par les vers.

2« Sainte-Marie-Madeleine*.

MoNïBENon\ — Deux sculptures des stalles célèbrent les amours de Samson et Dalila ainsi que celles d'Aristote et Campaspe ; mais ici, la courtisane moralisatrice est habillée à la mode du xvi^ siècle ; elle n'a plus de fouet, et c'est avec un bâton qu'elle dirige sa mon- ture.

Sur un accoudoir, deux mégères se crêpent énergiquement le chignon, unguibus et rostro ; ce groupe mouvementé symbolise la Colère.

1. On célébrait, le jour de Pâques, une « Bcr^erette », ccst-à-dire une féte rcli- jiieusc accompagnée de chants et de danses, divertissements justifiés par le vocable de l'église.


212


L ART PROFANE A L ÉGLISE


XXIII. — EURE


EvREUx. Cathédrale. — Grilles en bois sculpté, de la Renais- sance, avec la tête élé- gante de Z)fa/ie, la jeune et belle déesse, et le front armé de cornes du / upiter Amman, qui forment la clôture des chapelles (L. Enault).


Bourg - Aciiard. — Chœur. Fragment d'ac-



Fii;-. i^G7


Fiff. 268 \


et de face (fîg-.268) : sujet assez clair pour et de commentaire.

Sur une autre stalle se manifeste encore dans toute sa hardiesse la fan- taisie réaliste des huchiers flamands (fig. 269). Une jouvencelle semble se dé- lecter des excréta de son élu, et démontrer que


cotoir de stalle, vu de trois quarts (fig. 267) se passer de description



Dessin de Lanelois.


Dans l'objet aimé tout vous devient aimable.

A moins que ce ne soit la figure d'une damnée, subissant le châti- ment diabolique que nous retrouverons au Campo Santo de Pise.


Conçues. Sainte-Foix. — Sur un vitrail du chœur, saint Bernard reçoit un jet de lait de la Vierge nourrice. Cette scène est la repro- duction de la gravure de Dirck Van Staren (1524).

Autre verrière curieuse : le Triomphe de la Vie r (je. Marie est


1 . Dessin communiqué par J. Adelinc.

2. Dessin dû à lobli^eunce de M. Deglatigny.


EURE


213


assise sur un char, accompagnée des sept Vertus ; en arrière, sui- vent des captives, les mains liées ; Vénus est à leur tête !

Toujours sur les vitraux du chœur : Martyre de sainte Foy .

'2^ Fenêtre. La sainte, nue jusqu^à la ceinture, est frappée de verges par un bourreau dans le palais de Dacien. Au bas, cette inscription en charabia de sacristie :

LE SENATEUR LIVRE ENTRE LES MAINS DE DACIEN PREVOST QUI SEVERTI COMPRENDRE LA FAIRE AVOUER SES DIEUX^ MAIS ELLE AlS (sic) RIEN NE LES PRISE DONC LA FAICT BATRE NUD.

3^ Fenêtre. Sainte Foy, toujours le torse nu, est attachée à une colonne. Deux bourreaux lui tenaillent les mamelles, en présence de Dacien :

VOIANT QUA SON DIEU NE RENONCE CONVERTISSANS PLUSIEURS PAR SON PRECHER LES MAMELLES SONT A FOY TENAILLEZ DONT SA FORCE EN RIEN NE DLMINUE.

4^ Fenêtre. Sainte Foy, dépouillée de ses vêtements, est plongée dans une chaudière d'où un ange la retire. Autre inscription plus claire, mais versifiée en vers de onze et neuf pieds qui auraient besoin d'un coup de lime :

DACIANUS PAR SES MECHANS TOURMENS EN UNG VAISSEAU PL AIN DUILLE ET PLOMB DEDANS LAISSER MAIS SAINCTE FOY VEULT CONTRAINDRE LA FAICT PLONGER. LANGE VINT TOUT ESTAINDRE.

Saint Caprius est suspendu nu à une potence, en la présence de sainte Foy ; on lui déchire les chairs avec des ongles de fer.

Les hagiographes sont en désaccord sur la nature du supplice de cette vierge. Nous en avons cette version assez différente :

On la despouillast devant le monde, afin qu'ayant honte de sa nudité, elle peust estre distraite de son bon propos. Incontinent les bourreaux la despouillerent, mais tant s'en faut que pour telle ignominie elle perdist sa constance et fermeté d'esprit que plutôt elle fut confirmée et corro- borée pourquoy le lieutenant advisa de la tourmenter tant plus et commanda qu'on la mist sur un gril.


214


i/art profane a i/église



Notons encore les particularités plastiques d'un vitrail de la nef, la Manne. Plusieurs femmes ramassent à terre la nourriture mira- culeuse ; Tune déciles, assez puissante, dé- couvre en se baissant de plantureux appas. « Un lourdaud mal avisé, dit L. Ottin, crut voir une idécence là où il n'y en a pas » et insista pour qu'on enlevât ce vitrail; mais, heureusement, la fabrique recula devant la dépense.

Au second plan, en haut et à droite de ce vitrail, une femme toute nue, dont la présence ne s'explique guère, se sauve sans demander son reste, évoquant ce distique :

Malo me Galatea petit lasciva puella Et fugit ad salices et se cupit ante videri.

C'est la copie du soldat nu, vu de dos, qui « grimpe » à la hâte sur le rivage, dans le carton de Michel-Ange, les Florentins surpris par les Pisans, au moment où ils se baignaient dans l'Arno. On sait que, par la vérité de ses mouvements, cette mâle académie a fait donner le nom de Grimpeurs à la célèbre composition (fîg. 270).

Ecouis. Ancienne collégiale. — Une statue, en liais, de Marie V Egyptienne, au transept méridional, frappe l'œil du visiteur et étonne par son étrangeté : à l'exception de ses extrémités, elle est entièrement couverte de ses cheveux qui dessinent ses formes (fig- 27d).

Gaillon. — Nous avons décrit^ un bas-relief qui formait la frise de la salle de bains du magnifique château érigé pour le cardinal Georges d'Amboise, ministre de Uouis XII, premier du nom. Les dé- l^iy- -"i'

1. Fragment de la Guerre de Pise, d'après la f;ravurc de Marc Antoine. i2. Reprodnite par M. Force, curé de Bourniainville. Les Seins ;) l'église, iij;-. 56.



EURE


215


tails, d'une légèreté savoureuse, ne manquent pas dans cette demeure qui a abrité un grave prélat : consoles ornées de néréides et sur lesquelles se déroulent des scènes assez vives, celles, par exemple, où une ribaude pince le menton d'un galant, à ses genoux, pendant que Fesprit du mal, placé derrière celui-ci, l'incite à pour- suivre l'aventure, etc.

Dans sa vieillesse, le prélat, comme le diable, se fît ermite et entra dans un monastère sous le nom de frère Jean, celui que prendra plus tard Joris Huys- mans. Pendant sa dernière maladie, il ne cessait de répéter à l'infirmier qui le soignait : « Frère Jean,

que n'ai-je été toute ma vie frère Jean ! »

Fig. 272.

GisoRS. — Substitution artistique piquante : M. Lucien Magne * a établi que la Vierge du vitrail de la Circoncision et la sainte Eli- sabeth du vitrail de la Visitation, sont calquées sur la figure des gravures du maître au Dé : Psyché offrant des cadeaux à ses sœurs et Psyché^ prête à se i^enrjer de ses sœurs. Le savant architecte cite d'autres exemples d'emprunts et de travestissements analogues, par ailleurs fréquents, où le sacré se substitue au profane, et inver- sement.

LouviERS. Saint-Pierre. — Amusante figurine qui décore une culée d'arc-boutant (xv siècle). Sujet: moinillon rappelant saint Antoine et son fidèle compagnon (fig. 272), mais satirisant le dévergon- dage monastique de l'époque.

Pont-de-l'Arciie. — A la façade principale s'affichent, sans le moindre décorum, Adam et Eve, mais si frustes et si maltraités par le temps qu'ils en sont méconnaissables. Néanmoins, vers 1860, assure notre érudit confrère P. Nourry, une main pieuse, bien connue de la localité, trouvant la tenue du premier homme encore trop indécente, mutila, une nuit, k coups de marteau (( toute la partie sous-ombilicale » d'Adam, celle par où il avait péché. Ce qui prouve que le chanoine Fulbert, d'érotique mémoire, n'a pas cessé de faire école.

1. Les Vitraux de Montmorency et d'Ecoiien.



216


l'art profane a i/ église


Prieuré des deux amants. — Situé à une lieu de Pont-de-l'Arche et à quatre lieues de Rouen. Cette appellation est susceptible d'in- terprétations contradictoires. Est-ce une allusion aux deux amants mystiques, Jésus et Madeleine, qui figurent sur le portail, côte k côte? Les religieuses ne considèrent-elles pas Jésus comme leur époux divin?

Si cette appellation avait été donnée à l'abbaye voisine de Bon- Port, dont le prieur fut Philippe Desportes qui y mourut en 1606, nous serions moins embarrassé pour en trouver la clef. On sait que ce religieux, auteur de poésies légères, eut pour nymphe Egérie et maîtresse Diane de Gossé-Brissac, laquelle fut surprise et tuée par son mari^ dans une autre intrigue.

De Saint-Foix donne une origine légendaire de ce vocable*.

TiLLiÈRES. — Chœur. Queue de voûte ornementée d^un homme et d'une femme nus, Adam et Eve (fig. 273)?

Chapelle des fonts baptismaux. Le plafond, en pierre, est enjolivé

1. Un riche seigneur du Vexin normand s'efforçait de faire parler de lui par des excentricités journalières. Par exemple, il réunissait, au mois de juin, tous les couples disposés à se marier et, après avoir banqueté avec eux, prescrivait aux uns « de passer la première nuit de leurs noces au haut d'un arbre et d'y consommer leur mariage » ; à d'autres, « de le consommer dans la rivière d'Andelle, où ils se baigneroicnt pendant deux heures, nuds en chemise, etc. ». Un jeune homme lui demanda la main de sa nièce ; il l'accorda, à la condition « qu'il la porleroit, sans se reposer, jusqu'au sommet d'une montagne qu'on voyoit des fenêtres de son château ». L'amoureux porte donc sa bien-aiméc vers l'endroit indiqué. D'abord « son fardeau le soutient », puis il chancelle, tombe et expire, comme le soldat de Marathon. Sa liancée ne lui survécut pas longtemps et, dit un touchant poème de Ducis,

Lui mourut de fatig'ue, elle de sa douleur.

Le châtelain facétievix, en expiation de ce double malheur, fonda sur la montagne meurtrière une chapelle, où les deux amants furent réunis dans le même tombeau. Plus tard, la chapelle devint un i)rieuré. Cette aventure tragique fut l'objet d'un lai de Marie de France, « la Sapho du moyen âge ».

Autre cloche du monastère. Selon inie légende diiVérente, cette abbaye aurait été fondée par la « dévote Aimeline », en 10:50. Une anecdote singulière, que raconte H. de Jolimont, se rapporte à l'une de ses abbesses, Anne de Souvré, de 1630 à IO.tI. « En 1800, on découvrit dans un caveau de l'église qu'on démolissait un cercueil en plomb, où l'on trouva, dans un état de conservation parfaite, le corps d'Anne de Souvré... On jeta le corps dans une fosse, au fond de laquelle le hasard voulut que le cadavre restât debout. Cette circonstance, la fraîcheur étonnante de cette momie, frappèrent tellement les spectateurs tiu'ils crièrent au miracle... Chacun voulut avoir des reliques de la sainte. On arracha son voile, sa robe et 3us(iu'}\ son dernier vêtement ; son corps fut abandonné dans un étal de nudité complète. »


EURE EURE-ET-LOIR 217


de motifs païens, sjlvains, chimères, etc. Mais ne dit-on pas la



Fig-. 273. Fig. 274.


Verneuil. — Une Vierge immaculée porte sur son abdomen be- donnant un petit Jésus sculpté.

XXIV. — EURE-ET-LOIR

Chartres. 1" Cathédrale. — Extérieur. — Portail occidental. La première des statues, en commençant par la g-auche, est celle d'un monarque dont la tête a été remplacée par celle d'une femme ; d'où l'absence des saillies caractéristiques du sexe féminin sur cette statue primitivement masculine. Par contre, la reine qui occupe le dernier rang- a le bedon d'une femme enceinte (fig. 274).

Ces effigies figées du xii^ siècle, sont séparées par des colonnettes couvertes de rinceaux en volutes, finement ciselés, qu'escaladent des adolescents franchement dévêtus (fig. 275).


218


t/art profane a t/ église


Porche sejîtenirional. Création du Soleil et de la Lune ou du Jour et de la Nuit (fîg. 27()), figurés par un homme nu muni d iin flambeau, qui conduit par la main une femme, égale- ment dévêtue. Celle-ci tient sous le bras un disque lunaire; ses yeux sont voilés par les bandeaux de sa chevelure pour indiquer quelle reçoit la lumière du Soleil. Rappelons une l'ois de plus la bévue de la Genèse qui crée la Lumière trois jours avant le Soleil, d'où elle émane.

Un sacristain, plus convaincu que réfléchi, avait imaginé de coller sur la partie non circoncise du Christ une bande de papier jaune qui, con- trairement à ses intentions, attirait le re- gard et provoquait les quolibets. Le curé, plus avisé, fit cesser le scandale en sup- primant la cause. Suhlata causa^...

Même porche. La Charité donne son manteau à un indigent presque nu et se découvre le sein et la jambe du côté gauche. A côté, la Crédulité est accom- pagnée d'un lapin. Déjà?

Le porche méridional est ornementé de (( Péchés incarnés en de minuscules grou- pes », écrit l'auteur de La Cathédrale. « La Luxure^ ajoute-t-il, est une belle sans voiles, dont un jouvenceau caresse le sein. » N'a-t-il pas confondu ce groupe avec celui de notre figure 278 ? Plusieurs élus, deux rois vêtus de leur couronne (fig. 277) et une dame en peau (fig. 278), sont accompagnés de personnages drapés, des patriarches ? Du côté opposé, brelan de démons qui font le diable à quatre pour entraîner de haute lutte des


Fia-. 275.



276.


1. Déjà, en 1830, un collègue charLraia de la même école restaurait à sa manière les tableaux de sainteté, si nous en croyons le récit de Ferd. Artaria : « J'admirais à Chartres (ville près de Paris) ini superbe tableau du Bourdon dans réi^lise canoniale de Saint-André. Le sacristain qui venait de le découvrir nous faisait rcmarcjucr toutes les fif^urcs. Mon compaj^non, peintre de l'Académie, dé- plorait un accident arrivé au cou d'une belle figure de femme sur le devant, c'était un trou près de la gorj^c. — Oh ! ce ne sera rien, dit notre cicérone; mon intention est d'y coller une pelure d'oif;non qui sera de la couleur, et il n'y paraîtra plus. Gardez-vous bien, barliare ! lui cria mon artiste, de porter une main ignorante sur ce chef-d'œuvre, laissez-le avec son trou. Le tableau brille aujourd'hui dans le Musée français. »


EURE-ET-LOIR


219



Fig. 277.


réprouvés rébarbatifs (fig. 279, 280), sans compter la théorie clas- sique et résignée d'abbés, d'évêques, de monarques, de nobles et de moniaux des deux sexes.

Les sculptures, symbolisant les Vertus et les Vices, ont un air de parenté avec les figures analogues peintes sur la rosace de Notre-Dame de Paris. A Chartres, la Folie (fîg. 281) est une femme à moitié nue, brandissant une massue — qui deviendra bientôt marotte — et mangeant une pierre pour les uns, du fromage pour les autres. Les vêtements delà Démence à Notre-Dame, sont moins en désordre et ne décou- vrent que son sein droit (fîg. 282)*.

Toujours au flanc méridio- nal, deux figu- res grotesques font saillie sur le mur : une truie qui file et un âne qui j oue de la har- pe, dit (( Tâne qui vielle ».

La tête et les tettes de la truie ont disparu sous les coups d'un mar- teau imbécile.

Plus loin, aux côtes de la dernière fenêtre, deux statues très expressives rappellent, mais dans une attitude plus discrète, les luxurieux de la cathédrale de Baie : une paroissienne debout^ les mains jointes, la hanche provocante et le regard en coulisse, jette le trouble dans les méditations d'un jeune clerc en oraison.

Intérieur. — Chapelle des fonts baptismaux. A l'entrée, dans un coin sombre, on découvre un centaure, arc et flèche en main, qui porte sur sa croupe un personnage nu, une nymphe peut-être, dont il est difïîcile de distinguer le sexe et le rôle. Le même groupe my-



Fig. 27<J.


Fig. 281.


Fig. 282.


1. Fauris de Saint- Vincent s'appuie sur ce passage : /f/nem nec iiihnm neque gladiiim insano confidas, pour croire que ce Fou porte une torche allumée, d'une main, et, de l'autre, une trompette en forme de cor.


220


l'art profane a i/eglise



thique apparaît en pleine lumière, à la façade occidentale, au milieu d'enroulements et

de rinceaux, sur Tune des colon- nettes engagées dans les ébrase- ments. Nous le retrouverons à l'intérieur.

Chœur. Sur le pourtour se dé- roule une galerie de reliefs en mar- bre. Le plus im- portant de ces tableaux marmo- réens, par la sai- sissante expres- sion des physio- nomies, par le mouvement et la fougue des attitudes, est celui qui a trait au Massacre des Innocents (fîg. 283);- François Marchand sculpsit. Une mère, terrassée par un soldat d'Hérode^ se montre de face, la poitrine entièrement découverte, et repousse la lance qui va percer le flanc de son enfant. La Femme adultère de Jean Dieu, dit Sablon (1681), est d'une facture plus délicate; la chemise est en- tr'ouverte sur les seins nettement modelés sous leur voile léger (fîg. 284). Non loin de la Ghananéenne, la Magdaléenne s'affaisse aux pieds du Rédempteur, dans son décolleté tradionnel.

Au milieu d'un fouillis d'arabesques d'une variété infinie, qui s'enroulent sur les pilastres et colonnettes du chœur, se dessine une multitude d'êtres chimériques (fig. 285) et d'animaux fantastiques. On distingue, entre autres, un centaure en bonne fortune (fîg. 286), chevauché par une nymphe qui lui caresse la barbiche, symbolisant l'entente cordiale et corporelle ; deux personnages impudiques sin- gulièrement enchevêtrés qui se diposent à faire une partie de footing ; et un jeune gars nu, qui passe sa main sous sa cuisse pour cacher


Fie-. 284,


EURE-ET-LOIR


221



^ ou prendre ses organes (fîg-. 288). ^ Ce bonhomme solitaire est une représentation allég-orique de l'o-



Fiff. 285.


Fij>-. 28G.


Fi.i^. 287.


nanisme ou de la pudeur, selon la disposition symboliste de l'œil qui le considère. Les moulag-es de ces tableautins de morale religieuse en action sont visibles au Trocadéro.

Arrêtons-nous, un instant^ devant quelques vitraux. Voici l'âme de saint



Fiff. 288,



Fig. 289. Fig-. 290.

Martin qui resplendit sous la forme d'un adulte tout en chair et mitré (fig. 289) ; puis le Christ baptisé, avec des seins de femme


222


i/art profam; a i/église



(fîg". 290) et dont la nudité inférieure est voilée par les ondulations du Jourdain qui paraît sourdre de son nombril ; enfin, les idoles égyptiennes (lîg-. 291) qui font des sauts de clowns ou de carpes en tombant de leurs pié- destaux . L'anatomie de ces figures est fort remarquable ; elle est exécutée, « sinon avec une parfaite exactitude, au moins avec une sing-ulière apparence de vérité ».

Au bas du viti'ail consacré à la vie de saint Georges, le corps du Christ apparaît encore absolument nu et insexué, lardé d'un cercle d'épées. Par contre, le trésor possède le voile de la Vierge, qui lui servit à cacher la nudité de son fils. Cette relique s'appelle à Chartres, la santa camisia ou « chemise de la Vierge », vénérée parles Chartrains, comme la «. tutelle » de leur ville.

Notre-Dame du Piller ou la Vierge noire est Tobjet de la dé- votion d'un grand nombre de pèlerins. Sur le bras gauche elle porte Jésus, en petit négrillon habillé, et k la main droite tient une poire, l'emblème de la crédulité. Primitivement, la colonne de pierre qui sert de support à ce groupe était « cavée » des coups de langue et de dents de ses fougueux adorateurs, comme le pied de saint Pierre, à Rome, ou le genou d'Hercule que les païens ado- raient en Sicile : mais, pour la préserver de l'usure des baisers trop ardents, elle fut entourée d'une boiserie en 1831, et cessa d'être un perpétuel danger de contamination.

Un souvenir rétrospectif, pour finir. Aux fêtes décadaires, lors de la transformation de la cathédrale en temple de la Raison, le superbe groupe de V Assomption, chef d'œuvre de Bridan, orné d'anges-femmes sommairement drapés, subit une mascarade qui le sauva d'une destruction certaine. L'architecte Morin eut l'ingénieuse idée de placer une pique dans la main de la Vierge, un bonnet phrygien sur la tête et de travestir ainsi Marie en Mariane, déesse de la Liberté ! Pour tout dire, ses formes plantureuses plaidèrent aussi en sa faveur auprès des robespierrots sans-culottes.


EURE-ET-LOIR


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2° Saint- Aignan. — Dans une chapelle obscure, propice aux méditations sur l'amour divin et humain, nous avons découvert ou plutôt deviné une Madeleine aux pieds du Christ (fig-. 292). La pécheresse repentante est vêtue d'un manteau bleu, ouvert sur la poitrine rebelle d'où s'échappent et pointent deux formidables seins coniques, en pains de sucre^ seule partie de la toile mise en pleine lumière.

S Saint-Martin-au-Val. — L'abbé Glerval signale divers piliers du chœur terminés par des chapiteaux couverts de sculptures à sujets fantastiques (xiii^ siècle). 11 signale aussi deux colonnes de la crypte, qui sont couronnées de chapiteaux en marbre gris ; sur l'un est figurée une scène de panique et de terreur ; sur Tautre, « une scène d'amour ».

Anet. Chapelle du Château. — A la mort de Henri II, Diane de Poitiers fit remettre k la pleutre Catherine les cadeaux, parures et pierreries donnés par son amant Puis elle se retira dans son château d'Anet, autre cadeau royal et le plus beau ; elle y mourut peu après. Au lieu d'aller rejoindre à Rouen son légitime époux de Brezé, elle se lit enterrer dans la chapelle de sa propriété, sans doute en application de sa devise favorite : Tant gratc chèvre que mal gistc ; laquelle devint plus tard ; (( J'y suis, j'y reste ! »

Son corps, selon ses dernières volontés, fut exposé dans l'église des Filles-Pénitentes, avant d'être inhumé à Anet. La « vieille haquenée » mourut à 66 ans, en 1566 ; elle montait encore à cheval, par ostentation, dans les dernières années de sa vie, et se cassa une jambe sur le pavé d'Orléans^.

d. Juste retour des choses cridi-ljas : Diane, du vivant de son amant, consentait à le ijrêter à sa rivale et Tenvc^yait coucher chez la reine ; mais après, les rôles sont intervertis : Catherine, à son tour, envoie Diane coucher à Anet.

t. Il n'y a pas que les femmes ([ui chevauchent sur le tard. Un de nos clients, à quatre-vin^ t-quinze ans, avait la même manie d'équitation ; il montait à cheval — monter est le mot car il j^ravissait les échelons d'un escabeau sjîécial pour se mettre en selle — et, le plus souvent, la promenade équestre se terminait par une chute. A la dernière, il ramassa une fracture de côte et une pneumonie, dont il revint. Maurice Raynaud, appelé en consultation, n'en revenait pas et de fait il mourut quelques jours après d'une anj-ine de pt)itrine. Or le mot d'ordre donné à la domesticité de notre écuyer quasi centenaire était chut ! svu' ces chutes d'amour- propre. On devait les attribuer à des dégringolades dans l'escalier, dont nous n'étions pas dupe.


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i/art profane a l'église


Voici, d'après Brès, la description du tombeau de Diane, tel qu'il existait au Musée des Monuments français, salle d'introduction

(fig-. 293). A Anet, Diane est ag-enouillée devant un prie-Dieu, qui a disparu. Auprès d'elle, un Cupidon écrit « un poulet » ou célè- bre les amours de Diane, et un chien — lequel de ses deux préférés Procion ou Syrius? — garde le flam- beau de la Fidélité, dont il est lui-même le symbole. Quelle ironie ! La « mie )> de François P^' et de Henri II, « fidèle » à son mari de Brézé ! C'est roide I La sta- tue est placée sur un céno- taphe de marbre noir porté par quatre bustes de Sphinx aux mamelles saillantes ; le tout repose sur un piédestal supporté par quatre nymphes ou « figures de feu » dra- pées, en bois et sculptées par Germain Pilon ; elles soutenaient autrefois la châsse de sainte Geneviève. Les quatre faces du pié- destal sont décorées d'émaux remarquables. Sur celui du devant, saint Thomas, Tincrédule, est représenté sous les traits de Fran- çois P^". A la face opposée est le portrait de l'amiral Chabot ; pour- quoi pas celui d'Henri II ? Le monument porte cette laconique inscription : diane de poitiers, morte en 1566

1. Elle en méritait une plus éloquente, comme celle de la comtesse de Boufflers, qui fut, sous la Régence, l'idole du prince de Gonti :

Ci-gît dans une paix profonde Qui, pour plus grande sûreté

Cette << dame de volupté » Fit son paradis de ce monde.

Une médaille, Trappée par la Ville de Lyon en son honneur, la représente dans son véritable rôle de courtisane : à l'avers, sa ligure avec cette inscription diana Dvx vALENTiNOuvM CLARissiMA ; au rcvcrs, OMMVM vicTOKEM vici, J'ul vaïncu le vainqueur de tous (Henri II). Tous, sans compter Montgomcry.



Fig. 293. — D'après A. Lenoir,


EURE-ET-LOIR


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Fig-. 204


CriATEAUDUN. Saiïlt-Valérien. — Sur les vitraux qui éclairent et enluminent le chevet, sainte Anne porte sur le ventre le tronc nu de la Vierge, issante d'une gloire rayonnante (lig. 294). « Elle est à l'état de jeune fille adulte et nubile. La poitrine est parfaitement formée et les lignes accentuées du ventre semblent faire croire que, déjà, la prophétie d'Isaïe : Ecce virgo concipiet et pariet filium^ est en voie de réalisation. » L'abbé Metais, l'auteur de cette description, a vu une statue en bois, provenant de l'église de Boissy-le- Sec, remarquable par les mêmes particularités symboliques.

Outre qu'on n'est pas habitué à voir la Vierge décolletée jusqu'au pubis, cette verrière ofTre une autre sin- gularité peu commune. Le fond est occupé par la Porte-Dorée, où se

fit la conjonction prolifique de Joachim et Anne, coram populo. Or, au-dessus de cette accolade virgilienne et évangélique, s'étale une scène de débauche que la plume de l'abbé Metais « se refuse à décrire » (fig. 295) ; mais le crayon de notre dessinateur, habitué à reproduire nûment la Vérité, l'a reconstituée fidèlement.

Un second vitrail est consacré à la Naissance de la Vierge. Elle se montre ici absolument nue et prenant son premier bain, mais sans qu'on puisse noter un développement exagéré ou, si Ton pré- fère, symbolique des seins et du ventre. Au pied du lit, une nourrice donne le sein à la Vierge, toujours nue, qui le prend goulûment, à deux menottes et fait envie à un enfant plus âgé.

Une verrière de Cour-sur-Loire (Loir-et-Cher) présente, avec cette dernière, la plus grande analogie.



Fig. 295.


L ART PROFANE.


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l'art profane a l'église


Coulombs (près Nogent-le-Roi). Abbaye ^

XXV. — FINISTÈRE

QuiMPER. Eglise du Gueodet ou Notre-Dame-de-la-Cité. — Le plus ancien temple du chef- lieu possède une Vierge noire, dont les seins brunis, selon une réflexion enfantine, doivent fournir du chocolat à Jésus.

Les boiseries du cœur (5ic), écrit Gambry, commissaire de la République (An III), est un monument de patience et de singularité. C'est un amas d'ornements légers, de pendentifs représentant des anges ou des hommes occupés des plus sales fonctions de Finfirmité humaine. Elle a pour ornement la tête de Méduse et toutes les bambochades du gothique le plus reculé.

D'un autre côté, Hercule étouffe Antée et tue l'Hydre de Lerne ; Zcus brandit la foudre ; Léda est « indécemment » caressée par le cyg-ne olympien et des satyres se mêlent aux rois mages en adora- tion.

Rrest. Notre-Dame-des-Anges. — Un charmant tableau, dit J. Ronnassieu, orne la chapelle du baron Menu de Menil, où il fut placé en 1856. Sous la forme de la Vierge entourée de deux anges, sont peints trois portraits de la même famille : ceux de la baronne Menu de Menil et de ses deux filles, qui furent toutes enlevées en même temps par une cruelle épidémie.

1. On y adore ou l'on y adorait le saint prépuce, ainsi qu'à Puy-en-Velay, à l'abbaye de Saint-Sauveur-de-Gharroux, à Saint-Jean-de-Latran de Rome, à Angers, à Amiens, à l'abbaye de Saint-Corneille, à Ilildeshcim, à Ghâlons-sur-Marne, à Metz, etc. ; il n'y a pas que les pains qui ont profité d'une multiplication miracu- leuse et ce n'est pas sans raison que Grégoire XIII a placé la Circoncision en tête du calendrier. Timide réminiscence du culte phallique, cette précieuse relique avait le don de guérir la stérilité — conjointement avec les moines — et d'assurer un heureux accouchement. En 1422, d'après l'auteur de Le Prêtre el le Sorcier ,\\ewvi\ , roi d'Angleterre et quasi roi de France, pria les religieux de Goulombs d'envoyer leur joyau à Londres, auprès de sa femme Gatherine de France, grosse de son premier enfant. On le fit baiser et caresser à la reine qui accoucha heureusement d'un fils, nommé depuis Henri VI. Gette amulette n'eut certes pas été prisée à Pegli, où les femmes, assure Daniel Stern, « ont le renom d'une extraordinaire fécondité »; renom consacré par le proverbe génois, E jigge de Pegli fan due voile alV iinno : elles accouchent deux fois fan.


FINISTÈRE


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Gambry, commissaire du, Finistère, pour la conservation des mo-



Fig. 296, 297. — Reproduites par la Revue de l'Art chrétien.


numents An (III); raconte, dans l'un de ses rapports, l'anecdote suivante :

Maurepas, dans sa tournée des ports, se rendit à Brest; les Jésuites, instruits qu'il n'était pas favorablemenl prévenu en leur faveur, jaloux politiquement de convaincre le peuple qu'ils étaient bien à la cour du ministre, imaginèrent de lui demander un tableau pour le maître-autel de leur église ; il ne put le refuser. Les Jésuites satisfaits se retirèrent, en s'applaudissant d'avoir forcé leur ennemi à donner un témoignage public de considération pour leur ordre. Le ministre, à Paris, fait part à Boucher de son embarras et de l'obligation d'acquitter sa parole. Boucher imagine de peindre une Annoncialîon, dans laquelle la Vierge môme était un accessoire ; le dos de l'ange très nu, très prononcé, devenait l'objet principal du tableau, il réveillait des idées jésuitiques, rappelait les cent mille épigrammes faites sur le goût de ces bons pères. L'ouvrage, ainsi conçu, fut exécuté et parvint à Brest. Il était annoncé, toute la ville alla le voir; les Jésuites hésitaient, mais, sans manquer à un homme puissant, comment ne pas se parer de ses dons ? Ils exposèrent à la véné- ration publique, sur le maître-autel de leur église, le présent perfide du ministre ; il y resta jusqu'à la destruction de l'ordre.

Lors de la vente des meubles et immeubles des Jésuites, un com- missaire de la marine acheta le tableau pour couvrir le plafond de son salon et, plus puritain que les disciples de Loyola, « fit mettre à l'ange une culotte de goudron».

FouESNANT. — Sur dcs chapiteaux romans sont sculptées des femmes nues (fig. 297), sous formes de cariatides ou d'impu- diques accroupies dajis l'attitude humiliante de la défécation.


228


t/aRT propane a r/ÉGLlSE


MoRLAix*. Notre -Dame-du-Mur. — Depuis la démolition de cet édi- fice (1805), la statue de sa patronne occupe une chapelle de Tancien cimetière, près de l'église Saint-Matthieu. Elle re- présente celle qui fut conçue, puis conçut sans péché et « bénie entre toutes les fem- mes », dans un état de gros- sesse avancée. Le ventre de l'Immaculée, rapporte notre confrère Félix Regnault, s'ou- vre à certains jours, le 25 août et à la fête du saint ; il contient un Jésus en bois. Rappelons, à ce propos, que le directeur du journal la Calotte fut condamné à trois mois de prison, en fé- vrier 1899, — Loubcto régnante^ — pour avoir jDublié une repré- sentation analogue, où la Mère de Jésus était figurée en ronde bosse ; et pourtant que d'images similaires ornent nos édifices du culte !

2^ Saint-Melaine. — Les sablières de la toiture sont sculptées de moines, dans les attitudes les plus grotesques; Tun d'eux, sym- bolisant la Paî^esse et V Ignorance, la bouche bée, l'air béat et bêta, tient un livre k l'envers. Il n'y a rien de lubrique^ en apparence, mais la fainéantise étant la mère dè tous les vices, y compris Lim- pudicité, c'est à ce titre que cette satire rentre dans notre galerie d'images licencieuses.

Relecq. Abbaye^.

Penmarck. — Un corbeau historié symbolise soit l'amour filial, si c'est un fils qui embrasse sa mère ; soit l'amour conjugal, s'il s'agit de

1. A réj>lisc Sainl-Jcan-du-Doigt, district de Morlaix, il est interdit aux jeunes filles de danser aux pardons, parce que la tête du précurseur a été le prix d'une danseuse, la Salomé.

2 Les naïfs pèlerins qui vont à la chapelle invoquer saint Benoît, apportent à



FINISTÈRE


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deux époux tendrement enlacés ; soit l'amour passionnel, — et, par suite, la Luxure — si Ton y voit deux tourtereaux partis pour la grande passion (fîg-. 298).

RoCHE-MoRiCE. — Sur un pilier, u certaines figures, dit Max Radi- guet, se livrent, avec un débraillé moins impudent que burlesque aux exigences infimes de l'humaine nature », commentaire figuré de la maxime humanitaire : « Nécessité ne connaît pas de loi ».

Landeriseaii. — Le même auteur signale à notre attention, dans cette église placée sous l'invocation de Gantorbery, plusieurs sculp- tures assez frustes « d'une orthodoxie suspecte )>.

GuiMiLiAU. — Son Calvaire (1581) est orné d'un groupe qui rappelle la légende locale de Gatel-Gollet (Gatherine perdue), damnée pour avoir caché, à confesse, un péché mortel et qui revint, l'année 1560, confier sa faute à ses parents et connaissances, en ces termes traduits du breton :

Voici ma main, cause de mon malheur, Ma main qui a fait le péché, Et voici ma langue détestable ! Et ma lanj^ue qui Ta nié.

La pécheresse est représentée dans le costume de VEve primitive. Elle est aux prises avec deux démons qui la précipitent dans la gueule du dragon infernal.

Lambader. — Sculpture en bois: un martyr est étendu, tandis que le bourreau lui arrache l'intestin et Tenroule sur une sorte de broche. Son âme nue, portant le sexe masculin, ce qui est contraire aux canons de l'iconographie religieuse, est conduite au ciel par deux anges (fîg. 299).

RoscoFF. — Deux bas-reliefs curieux du xiv siècle : V Annonciation (fîg. 300), oùlesseinsdelaViergesontànu, pendant que Dieu, le Père, lui soufïle le Saint-Esprit dans l'oreille — c'est par là qu'on faisait les enfants — et la Naissance de Jésus. Ici, la Vierge est assise dans

roflrandc des poules blanches pour les desservants, et de l'avoine dans un bonnet pour leur propre repas sans doute.


230


l'art profane a i/église


un lit et, sur la poitrine découverte, le bambino, en nudité absolue, promène sa main frôleuse.



Fig. 299.


RosGRAND. Chapelle. — Les panneaux inférieurs de son élé- gant jubé, en bois ajouré de la Renaissance, sont, au dire de

Ghaix, chargés de bas-reliefs qui figu- rent alternativement des sujets sacrés et mythiques.

Trémalo. Chapelle. — La Chronique médicale^ sous la signature G.-R. Da- limier, mentionne la représentation très nette y d'un chat en train de lécher un phallus », sur la corniche de la nef du côté gauche. Cei animal est perdu « au milieu des têtes d'anges joufflus chantant ore rotundo^ des colombes célestes et des autres accessoires ordi- naires de la décoration religieuse ». L'auteur ignore si cette « troublante allégorie » symbolise un acte naturel, une perversion... ou une perversité ; il donne vraiment sa langue au chat. Bien qu'il existe une étroite affinité entre cet animal et le phallus, il peut se faire que ce chat ne soit qu'un chien qui dévore un os à ou sans moelle.



Fig-. 300.


GARD


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XXVI. — GARD

NÎMES ^. — A défaut de licences artistiques dans les églises nî- moises qui, sous l'incessante surveillance huguenote, observaient



Fig-. 300 bis. — Ornement d'une majuscule. Tirée du Droit canonique (1400) t. V, fol. 1.

la plus rigoureuse austérité dans le choix de leurs décorations, nous n'aurons à signaler qu'un attribut religieux, mais païen, — le phal- lus, — second symbole de Mendès, qui devint l'emblème de la gé- nération On en trouve plusieurs représentations sculptées aux

1. A rintérieur de la cathédrale de Saint-Castor, on remarque une étrange dispa- rate : la sépulture d'un orateur sacré, Esprit Fléchier, et le cénotaphe d'un poète galant trop fleuri, le cardinal François de Bernis, à qui « la stérile abondance » de ses petits vers valut le surnom de Babel la bonqiielière. Cet abbé, « bien joufflu, bien frais, bien poupin, dit Marmontel, en compagnie de Gentil-Bernard, amusa de ses jolis vers les joyeux soupers de Paris ». Il s'attira les bonnes grâces de Mme de Pompadour, en chantant les Petits trous... de sa joue, façonnés par l'Amour, qui la prend pour Psyché :

Sur ses appas, il demeure aLtaché.

Autre contraste : la Maison Carrée, ce bijou de temple païen devint, en 1G72, l'église des religieux Augustins jusqu'en 1789.

2. Dans nos Seins ;i l'église, nous avons reproduit celui qui se trouvait au-dessus d'un four de Pompéi, que Pansa louait à la ville. A l'entour de cette enseigne par- lante, on lit encore cette inscription énigmatique : nu; iiahitat félicitas. Des anti- quaires ont prétendu que l'ornement et la devise indiquaient la forme du pain. Mais, en raison du relâchement des mœurs dans l'antiquité, n'est-il pas plus logique d'y voir une allusion â la fkmcité que procure l'acte générateur ?

Si l'image phallique s'explique sur des monuments romains , nous ne


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l'art profane a I/ÉGLISE


Arènes — sanctifiées par le sang- des martyrs chrétiens et dont la construction est attribuée à Antonin le Pieux*. Le plus curieux de ces attributs du dieu Priape est celui qui, en dépit du décorum,



Fig. 301. Fig. 301 his.


décore Tun des pilastres voisins de la porte occidentale, à côté du bas-relief qui représente Rémus et Romulus allaités par la louve. 11 est triple et ailé, à pieds de cerf ; le phallus de la queue est sur- monté par une femme qui est debout. Elle tient de chaque main une rêne avec laquelle elle modère et conduit, de la droite, le priape de devant, et> de la g-auche, celui qui lui sert de support. Maucombe, en 1801, àdiXi^V Histoire des antiquités de Nîmes, déshabille com- plètement la femme et lui met une verge à la main gauche (fig. 301) ; tandis que Menard et Perrot, en 1829, dans la seconde édition du même opuscule la couvre d'une stosa. Ces derniers auteurs ontajouté une sonnette (fig. 301 bis) qui, dans la première édition, ne figure que sur un autre phallus triple, ailé aussi, mais becqueté par des oiseaux. Maucombe en reproduit et décrit un troisième, double, sur le linteau des vomitoires du second rang, à côté de la porte mé- ridionale. La femme qui domine cette trinité ithyphallique sym- bolise l'empire de son sexe sur les trois périodes de la vie génitale

comprenons pas sa présence dans le frontispice d'un manuscrit — le n" 4014 de la Bibliotlicque nationale — mentionné par L. Maeterlinck, et qui contient les Epilres de Clément IV. Cette illustration représente une femme décochant une flèche à un phallus volant, muni d'ailes et de pattes d'oiseau, avec un grelot au cou (fig-. 300i)/{>).

1. D'ai)rés Millin, ce signe indiquait le lieu de la forniciilion^ du mot latin fornis qui signilic une arcade.


GARD GERS


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de riiomme. Cette image allégorique correspond, dans nos temples chétiens, à celle d'Aristote chevauché par Lampsaque . Un autre phallus, gravé sur le Pont du Gard, est si détérioré qu'on le prend pour un lièvre couru par des chiens. Ces emblèmes sacrés incitaient à la repopulation, au Crescite et multiplicamini. Ils servaient d'en- seignement populaire, comme ceux de nos cathédrales, et l'on ne voyait aucun dérèglement dans ces dessins emblématiques. En France, ils étaient très nombreux dans le midi, et, encore de nos jours, on retrouve son image vivante dans le geste^ que l'on pour- rait qualifier de « gesticule ))j familier aux Marseillais

GuNAULT. — Sous le tailloir d'un des nombreux chapiteaux sculp- tés, une néréide offre à un batelier, dans sa barque, l'un des pois- sons qu'elle tient.

XXVII. — GERS

Aucii. Sainte-Marie Cathédrale. — Nous avons déjà parlé d'un maniaque ou fanatique qui, en 1840, s'enferma dans l'église et passa la nuit à émasculer les angelots et marmousets sculptés sur les remarquables boiseries du chœur, « chef-d'œuvre de délicatesse et d'érudition ». Les sujets éclectiques de ces exquises sculptures sont empruntés aux deux Testaments, à la mythologie, aux récits légendaires et historiques^ et au symbolisme. Le profane et le sacré s'y mélangent sans le moindre choc : M. G. Durand signale sur une des miséricordes des stalles plusieurs femmes nues dans un bain.

Sur deux des accoudoirs (fîg. 302), une ribaude, qui y met des formeSy fait de l'œil mais non pas « à l'œ^il » — car la femme est un éternel vide-gousset — à un vieux gentleman ridé qui a le sac, « l'argument irrésistible » auprès du sexe.

Le bord supérieur d'un autre accoudoir offre un détail inexpli- cable (fig. 302 bis) : un ange ou un malin esprit prend plaisir à s'étirer les mamelles déjà phénoménales.

Chapelle de Sainte-Catherine. Troisième vitrail, à droite. Deux femmes attirent le regard : l'une en costume de Vérité, VHé-

1. Parmi les signes usités dans les couvents de Carmélites pour faciliter la pra- tique du silence, on demande d'aller à << Toffice d'humilité », en plaçant la main sur la poitrine et en renversant le pouce (A. Sallé, 1906).


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l'art profane a l'éclise


résie, et Pautre la Religion ^ tenant un cierge et un saint Sacre- ment ((ig-. 302 ter). Dans VAllas monoijraphir/uc de Sainte-Marie



Fig. 302. Fig. 302 bis.


d'Auch (in-fol. 1857), 1



abbé Ganeto a ajouté des ailes à V Hérésie et drapé le petit cavalier, du haut ; quel est celui des deux documents — laïque ou ecclésiastique — qui est conforme à la vérité ?

Chapelle du Pur- gatoire. Sur une ver- rière d'Arnaud de Moles l'esprit tenta- teur est matérialisé par le buste gracieux d'une jeune femme.

Chapelle de Sainte- Anne. Troisième vi- trail, à droite. Autre nudité féminine, mais complète (fig. 303). Fig-. 303.



302 ter'.


1. D'après les Monuments de la France, par Laborde.


GIRONDE


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XXVIII. — GIRONDE

Bordeaux. 1« Sainte-Croix. * — Cette église dépendait d'une abbaye de bénédictins. Le portail s'ouvre au milieu d'un avant-


Fig-. o02 bis. — D'après un croquis de M. E. Pigancau, professeur à FEcole des Beaux-Arts de Bordeaux.

corps, dont les deux côtés sont fermés et jDortent une arcade aveugle. Sur chacune sont sculptés cinq groupes ; ceux de la Luxure (fîg. 303 /> /s) sont à la gauche du spectateur et, à droite, ceux de V Avarice. La femme aux reptiles, image des peines éter- nelles réservées à la Lubricité, est donc répétée cinq fois (fig. 304-306). Contrairement aux représentations similaires, elle est, chaque fois, vêtue scrupuleusement des pieds à la tête. Son corsage s'entr'ouve seulement pour laisser passer ses seins, auxquels s'attachent des serpents ou des crapauds. On ne peut rencontrer à' Impudicité minaudière d'un costume plus décent. La tête repose sur un oreiller, pour rappeler que la position sociale du personnage est l'horizontale. Dans quatre de ces groupes, un démon nu couvre la femme de caresses. Seule, celle qui occupe le haut du cintre est sans diable tentateur, comme si le tailleur d'images avait prévu

\. Millin a décrit le tombeau de riiypochondriaque Montaigne, atteint de néphro- phobic. dont l'épitaphe fait allusion à la lithiase rénale et aux coliques néphrétiques qui le torturèrent si longtemps et si cruellement, surtout au moral. Dans une autre inscription en grec, on est quelque peu surpris de relever un calembour MON OANE MONÏANOS (Qui que tu sois qui demande mon nom en disant est-u. mort moistaigke?)


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l'art profane a l'église


qu'un tel groupe vu d'en bas pourrait prêter à une malicieuse interprétation. Ce qui n'a pas manqué de se produire au sujet de

l'arcature de V Avarice, où les cinq dam- nés sont des hommes, avec la sacoche au cou, tourmentés par autant de dé- mons nus. Précisément le groupe du milieu de la courbe a longtemps été considéré comme la mise en pratique du péché que commettent ceux qui fleurettent sur les bords de la Sprée, et par suite on a vu dans l'édifice un temple païen d'une divinité génératrice. Or ces sculptures sont orthodoxes et conformes à l'esprit de la symbolique chrétienne. Elles se retrouvent fré- quemment dans les églises romanes : la Luxure^ en raison des images sug- gestives qu'elle inspirait aux artistes à l'âme



•v^. 304. D'après le Biillel. monum.


une


et un peu « pour donner salutaire pensée d'humilité par le souvenir de ses faiblesses », et Y Avarice, pour inviter les fidèles à donner leur argent à TEglise.

Est-ce de cette église qu'il s'agit dans l'his- toriette racontée par Langlois, k propos de certains vices, « figu- rés parfois d'une ma- nière non moins infâ- me que ces vices eux- mêmes » ?



Fig. 305. — D'après Cahier. Mél. crnrchéol



D'après Cahier


Entre autres exem- ples, Talma me racon- tait, un jour, qu'un ar- chitecte résidant à Bordeaux, M. Gorcelles, Tavait mené voir le portail d'une des églises de cette ville, où le sculpteur avait représenté, sans le


GIRONDE


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moindre voile, de honteuses horreurs, dont le nom seul est un outrage à l'humanité.

De bien gros mots pour des images ; qu'eût-il dit de la réalité ?

2^ Saint- André. Cathédrale. — Au portail central figure une Aphrodite ^ k côté d'un autel où brûlent deux cœurs ; allégorie païenne qui semble se rapporter au second mariage de Henri IV.

Sur une console sculptée en contre- fort (fîg. 307), les seins d'une réprou- vée, nue jusqu'à la ceinture, sont dé- vorés par deux dragons ailés, à tête et à queue de serpent : toujours le sup- plice des luxurieuses.

Un bas-relief pris pour V Enlèvement de Ganyniède représente Jésus, le jour de sa résurrection, sortant de son sé- pulcre, assis sur un aigle, à la façon de Zeus. Le Dante n'appelle-t-il pas qui a été crucifié pour nous sur la croix » ?

summo Giove

Che fortin Terra per noi crocifisso.

Dans le même ordre d'idées, un poète du xvi" siècle, comme le rappelle l'abbé Auber, écrivit à propos de la Gène :

7\im Chrisliis sociis Bacchum Cererenique minisirai. (En ce moment, le Christ donne à ses amis Bacchus et Gèrès).

3« Saint-Seurin. — Emplacement au moins curieux pour un édifice religieux : sur les allées d'Amour et la place du Prado, nom qui évoque l'ancienne salle de danse des étudiants de Paris, cons- truite dans une église de la Cité.

Quelques incongruités sont déposées sur les stalles. Deux garçons dans une position singulière, analogue au groupe de Bourg-Achard, près de Rouen ; un homme, V Hérésie, souille de ses ordures le globe



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i/art profank a l'église


du inonde (la Papauté ?), surmonté d une croix (fig-. 307 a), paraphrase de ce passage de saint Paul : « Je méprise toute chose



Fif>-. 307 .T.


Fij^-. 307 h.


comme des ordures )> ; un monstre ailé mord un fuyard à la partie la plus charnue de son individu (fig. 307 h) ; luxurieux dévêtu qui



Fi^•. 307 c


lutine une femme vêtue d'un bonnet (fig. 307 c) ; un impudique prend en brouette une femme dont le buste s'appuie sur une roue et le train postérieur nu repose sur les épaules de son partenaire, sujet qui, d'après l'abbé Cirot de la Ville, indiquerait <( Entraîne- ment de la luxure et de la vie humaine, appelée par l'apotre saint Jacques une roue » (fîg*. 307 d) ; un personnage tire une brouette sur laquelle repose le tonneau abdominal d'un cent kilos (tîg. 307 e) ;


GIRONDE


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enfin, un personnage, dont la partie postérieure est nue, s'apprête à couver les œufs d'une poule, celle-ci se hérisse et paraît fort irritée (fig. 307 /*).



Dans la crypte, cénotaphe élevé en l'honneur de saint Fort. En raison de son nom et de la nigauderie humaine, le jour de la fête du saint, au joli mois de Mai, les mères et les nourrices couchent leurs avortons sur son tombeau, dans l'espoir de leur assurer la force physique et la santé. Beaucoup de ces chétives créatures demeurent ainsi quelque temps dans une atmosphère d'une extrême fraîcheur et y contractent des affections de l'appareil respiratoire.

4" Saint-Macaire. — Chapiteau occupé par deux bonshommes nus, qui en lapident un troisième, saint Etienne, accroupi et muni d'un ventre phénoménal.

Un tableau du Jugement universel offre, en dehors des nudités conventionnelles, une particularité étrange : au milieu, un lit rouge où gît un personnage, mains jointes, vêtu de blanc et l'abdomen encore très gonflé. Le Bulletin monumental pense qu'il figure « les justes ou les femmes enceintes (vœ autem prsegnantihus... in illis diebus, Matth. xxiv, 19), qui ne sont pas encore morts à Fheure ou le Jugement dernier sera sur le point de commencer » ? Pourquoi ne serait-ce pas le « lit de justice » du Juge suprême ?

Bazas. Notre- Dame-dou-Mercadil (du Petit-Marché). — Plusieurs modillons portent des obscénités. Les scènes du Jugement sont variées et quelques-unes à caractère funambulesque.


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l'art profane a l'église


Berson. — Un cul-de -lampe de Textrémité d'une cimaise présente un homme nu, accroupi, tournant son... verso au public. Une ceinture à larg-e plaque sangle ses reins et il exhibe tranquillement de volumineux organes génitaux. Au point de vue symbolique, les parties sexuelles figurent la luxure et la concupiscence de la chair, d'après Mgr Barbier de Montault ; on y applique, comme punition, des reptiles et des crapauds. C'est là, on le sait, Fexpli- cation de ces multiples obscena. Nous persistons néanmoins k croire que le remède, c'est-à-dire l'enseignement oculaire sous cette forme est pire que le mal.

BuDO. — Côté Sud du portail, encore une luxurieuse nue, mordue par un serpent ; elle est, en plus, tripatouillée par deux démons ricanants.

Gastelviel. — A l'arcature de droite des portes aveugles, qui accompagnent les portes principales, deux femmes velues ont aussi les seins dévorés par des ophidiens. L'une d'elles repousse le reptile tortionnaire avec la main.

IzON. Saint-Sulpice. — Autre image moralisatrice de la femme aux serpents, qui lui enserrent le cou et les jambes. Voyez Laocoon.

Le Blanc. Saint-Génitour ^

LuGANAC. — Sur l'un des corbeaux qui soutiennent la corniche de l'abside j un homme, la tête en bas, n^offre pas de costume à décrire, mais étale impudemment des formes exagérées. A côté, figure un personnage dont la tête et le corps sont cachés sous un voile épais, qui laisse à découvert les membres inférieurs et les organes génitaux. Autant d'homoncules qui montrent leur « prus- sien » à tous les passants et s'en « Molke ».

1. Les saints ^guérisseurs soignent généralement les maladies auxquelles leur nom semble se rapporter; c'est la médecine des signatures. Par exception, celui qui mieux que tout autre paraissait destiné, de par son nom, à la guérison des maladies génitales, s'occupe ici de la vision ! Le vantail gauche de la porte d'entrée est percé, à un mètre environ du sol, d'un trou, où les gogos, bigots et cagots idiots passent l'index pour chercher un remède pour les maux d'yeux. A quoi bon? Ils n'en seront pas moins aveugles et continueront à se mettre le doigt dans l'œil.


GIRONDE


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Paillet. — Une fenêtre est couverte de figures peinturlurées fort peu décentes, représentant des personnages des deux sexes. Des obscena^ ni plus ni moins édifiants, s^observent aussi à Puch, Saint- Martin-de-Lescas, Aillas, Montpainblanc, Haux, etc.

Pertignas. Saint- Vincent. — Deux personnages nus et une tête de loup occupent deux des modillons qui soutiennent la corniche, au- dessus du portail.

Saint-Hilaire-de-la-Noaille. — On rencontre encore sur le cha- piteau qui couronne l'un des piliers de la nef, deux serpents mordant les mamelles d'une pécheresse lubrique ; passé le temps où ces mêmes seins auraient damné des saints.

Targon. — A l'une des archivoltes du portail, le même symbole est personnifié par une réprouvée, montée à califourchon sur les épaules d'un démon narquois, qui lui serre les jambes et emporte la fêtarde à la taverne infernale. Un horrible crapaud se cramponne, avec ses pattes, au bas-ventre de la voluptueuse. Cette fréquente exhibition de la Luxure et de son châtiment sur les édifices religieux de la Gironde, indique-t-elle que le péché de la chair était parti- culier aux Girondins et Girondines ?

Villeneuve d'Ornon. — Abside. L'un des modillons extérieurs de la corniche porte une femme nue, accroupie, et un personnage masculin dans une posture analogue ; les organes de la génération sont nettement accusés de part et d'autre.

XXIX. — HAUTE-GARONNE

Toulouse. Saint-Sernin. — Portail méridional, dit des Sept péchés capitaux^ parce qu'il est enjolivé de bas-reliefs embléma- tiques de la punition des ces péchés. La femme aux reptiles (fig. 308) est assise, nue, les mamelles pendantes, entre deux compagnes debout et vêtues.

On peut voir au Musée une allégorie analogue, sur un bas- relief de granit^ qui décorait autrefois le portail dune vieille


l'art profane. — I.


16


l'art profane a l'église


chapelle des Pyrénées (fîg-. 309). M. du Mège découvre dans ce motif une femme « qui donne au moment même le jour à un

serpent, lequel s'attache à la mamelle gauche de sa mère ». Pour nous, il s'agit encore de la Lu- xure ; mais le sculpteur a eu l'ingénieuse idée de faire sortir le reptile in- fernal de la « nature » même de la femme, l'an- tre de la fornication, la source du péché de la chair, comme l'exprime amèrement et cynique- ment cet alexandrin^ qui n'est pas de papillottes, mis dans la bouche d'un misanthrope désabusé :

L'amitié n'est qu'un mot et Tamour n'est qu'un trou !



Fig". 308.



Fia-. 309.



Fig. 310.


Au même Musée et à celui du Trocadéro, chapiteaux jumeaux du xii^ siècle, provenant du cloître de l'ancienne abbaye de la Daurade ou Dalbade, et reproduit par M. G. Enlart, dans son Manuel Archéologie (fig. 310) : des êtres fantastiques, mais gra-


HAUTE-GARONNE


243


cieux, s'ébattent à travers un lacis de rinceaux et d'arabesques capri- cieuses.

Il nous faut mentionner une curiosité archéologique mise arbi- trairement sous séquestre et sous scellés. Nous voulons parler de deux gargouilles de la chapelle du Lycée, dont les sujets érotiques — lune d'elles représente une scène de viol — ont été masqués aux regards des élèves par une armature en zinc, les engainant hermétiquement et qui coûta 300 francs. S'il est prudent de veiller à ce que rien ne vienne souiller l'innocence de l'enfance, comme le veut l'austère Juvénal : Maxima debetur puero reverentia, précepte versifié en contradiction avec ce qui se passe dans les dortoirs, il n'est pas moins excessif de priver les amateurs d'art de la vue de ces gargouilles qui, en raison de leur intérêt archéo- logique, devraient être démaillotées et placées au Musée.

Rue des Lois, même ville, à la porte d'une

T, 1 ,1 n photoaraphie personnelle,

maison particulière se dressent deux gargolles, en ^

guise de bornes, tirées du cloître de l'église des Jacobins incendiée

en 1870. L'une d'elles, décrite par le D^Sécheyron dans la Chonique

médicale^ arrête le regard par sa singularité (hg. 311) :

Cette pierre sculptée représente un dragon en voie d'accouchement. La vulve est entr ouverte largement ; la déflexion de la tête se fait et la bouche, le menton apparaissent à l'extérieur ; les joues, les lèvres sont tuméfiées.

Des varices abdominales profondes sillonnent l'abdomen, de la vulve à la région thoracique du monstre.

Le mouvement convulsif tourmenté de la tête exprime bien Tangoisse et les cris de la fin de la période de dilatation vulvaire.



311. — D'après une


Larboust. Saint- Aventin. — Un chapiteau, agrémenté du Noli me tangerc, c^est-à-dire de l'apparition de Jésus à Marie-Madeleine au jardin de Gethsémani, — lequel est figuré par un simple pal- mier, — a donné lieu à une erreur d'interprétation des plus naïves. Un ecclésiastique, auteur d'un opuscule daté de 1850, a vu dans cette scène — avec les yeux de la foi — la Naissance de saint


244


i/art profane a l'église


Aven tin ; il a pris le Christ pour la mère du saint, et la femme nimbée qui est ag-enouillée à ses pieds pour une pieuse matrone faisant prendre à la parturiente un bain de pieds dans de l'eau bénite, afin d'activer la délivrance ! Le plus curieux est que cette interprétation a été souvent reproduite par plusieurs écrivains qui ont donné la description de ce chapiteau *.

Gaillac-Toulza. — A l'un des chapiteaux du portail (xiiie siècle), saint Laurent, sur le gril, expose sa nudité complète, comme à Gênes; deux anges, nus aussi, recueillent Tâme du martyr sous la forme d'un enfant asexué.

Gazaux-de-Larbousï. — Du côté de l'épître, un buste de jeune femme nue, dont la chevelure couvre seulement les épaules, est dans Fattitude de la prière. Le fond noir semé de fleurettes blanches, fait ressortir l'éclat de cette nudité insolite. M. B. Ber- nard pense que le peintre de Gazaux a voulu représenter Eve assis- tant à l'entrée triomphale de la Vierge dans le ciel. Mais il est possible que nous ayons sous les yeux Marie-Madeleine, dans son accoutrement professionnel et habituel, « en peau » selon la formule des grands couturiers ?

Sur les ordres d'un prêtre ultra-pudibond, « qu'effrayait quelques nudités », dit Stéphen Liégard, on a couvert d'un badigeon épais et détruit les fresques naïves qui décoraient les murs de l'abside. Gardons-nous de « faire trop l'ange », crainte de donner raison à Fauteur des Provinciales. Les puritains oublient que c'est à une indécence qu'ils doivent leur sortie du néant.

Les peintures latérales, échappées au badigeonnage de ce cler- gyman^ contiennent pourtant plusieurs détails intéressants. D'abord la Naissance d'Eve, Adam, 6 TupoTOTuXao-TOv;, plongé dans le sommeil anesthésique par « l'Ancien des Jours », 6 TcàXaioç tcov 7i|j.£pà)v, étale ses organes que personne ne pense à couvrir d'un manteau, comme il fut fait pour ceux de Noé. C'est qu'alors, ces organes n'étaient qu'urinaires : erat autem uterque nudus... et non eru- bescebant. Mais, à son réveil quelle surprise, si l'on en croit le quatrain peu courtois d'Alphonse Karr :

1. Cf. J. de Lauriere et B. Bernard, V Eglise de St-Aventin.


HAUTE-GARONNE


245


A son réveil, d'Eden le premier hôte, A ses côtés, en place de sa côte, Vit la chair de sa chair et les os de ses os. Et son premier sommeil fut son dernier repos.

Impression que la sagesse des nations a con- densée depuis dans ce dicton sévère, mais juste : (( Qui femme a, g-uerre a ».

Puis, la Chute originelle (fîg". 312). L'esprit tentateur est représenté, comme à Notre-Dame de Paris, par une lamie au buste de jeune femme nue. Mais la partie inférieure du corps est une queue de serpent qui s'achève par une tête de drag-on. Dans le mouvement d'Eve, qui tend la pomme de discorde, « le temps, ayant un peu noirci la peinture, observe S. Liégard, on ne sait trop où va s'égarer la main de notre adorable aïeule. Ilonni soit... »

Enfin, le Jugement dernier (fîg. 313). Le Christ est assis sur un arc-en-ciel ; de sa plaie hypogastrique



Fig. 313.


droite émane un rayon fulgurant qui éclaire la poitrine nue de sa mère suppliante, agenouillée à sa droite. Le peintre décorateur B. Bernard, qui a fait une étude particulière de ces fresques, voit, au contraire, dans ce rayon lumineux, un jet de lait, que la Mère



2^46


l'art profane a t/éolise



Fig. 313 bis.

des masques gri- maçants et im- mondes.

4, Cette scène nous rappelle un chant po- pulaire que nos aïeux chantaient pendant leurs veillées de fa- mille ; nous sommes heureux d'en donner ici un couplet, parce qu'il nous semble avoir quelque rapport avec la scène que nous venons de dé- crire et qu'il n'a peut- être pas été étranger à sa composition :

Amiga de Diou, qu'ès en Mostra ta papa à tou fil, Fay que 11 sian toutjour Et no nos metta en exil. Se vesen le grand péril En que l'ennemi mettuts Garda nos donc. Verges En disen : Ave Maria.


du Sauveur, « par un geste aussi touchant que naïf », fait jaillir de son sein maternel sur la plaie béante (( du cœur » de son divin fils. Nul n'ignore que les peintres, comme les poètes, sont des imaginatifs. La Vierge ne presse pas ses mamelles ; elle se contente de les « montrer » à son divin fds, pour lui rappeler qu'elles l'ont allaité

Tous les justes, dans l'attitude de la prière, aux pieds du Christ, sont complètement nus, ce qui est plutôt rare. Quant aux réprouvés, ils sont traînés par les pieds ou emportés dans des hottes vers le gouffre ardent de l'Hadès, in ignem œternum, par d'impitoyables démons dont les or- ganes sexuels sont remplacés par



lliîip


los cels, fidels,


nos a ; humil,


Fig. 314.

Amie de Dieu, qui es dans les cieux,

Montre ta mamelle à ton fils,

Fais que nous lui soyons toujours fidèles

Et qu'il ne nous mette pas en exil.

Tu vois le grand péril

Dans lequel l'ennemi nous a exposés ;

Garde-nous donc, Vierge humble,

Quand nous disons : Ave Maria.


HAUTE-GARONNE


HAUTE-LOIRE


247


GoM3iiNGES. Saint-Bertrand. — Nous n'avons à relever dans l'ancienne cathédrale, sur l'un des pinacles des stalles, qu'un seul motif d'ordre profane : une académie féminine vue de face (%. 313 bis).

XXX. — HAUTE-LOIRE

PuY. Notre-Dame. — Cette cathédrale est construite sur une voûte gigantesque, au haut du mont Anis. On j pénètre, après avoir gravi un escalier de cent cinquante marches, par a le nom- bril » et les « deux oreilles », c'est-à-dire par le centre et les côtés.

Un bas-relief symbolique, engagé dans le mur oriental (fig. 314), a été considéré comme un fragment de décoration d'un temple consacré à Diane, qui était élevé au mont Anis. Mais M. Francisque Mandet, auteur d'une intéressante monographie de Notre-Dame-du- Puy, à laquelle nous empruntons le document figuré, a péremp- toirement démontré que ce symbole n'a jamais été païen. Donnons- en d'abord la description : du dos d'un lion, sort une tête d'âne sauvage qui suce le trayon d'une mamelle suspendue au-dessus d'elle ; et la queue du fauve est terminée par une tête vipérine qui suce une seconde mamelle. Le lion serait la Religion^ ou mieux Jésus-Christ (Il a triomphé le lion de la tribu de Juda, dit V Apo- calypse^ V, 5). L'onagre figurerait les Juifs et la queue du lion, les Chrétiens, qui puisent la nourriture divine aux sources de l'Ancien et du Nouveau Testament. Les deux peuples sortent du même sein et s'allaitent à une mamelle céleste. Vraisemblablement, ce bas- relief et d'autres analogues ont pour origine l'église latine bâtie par saint Scutaire, vers 550.

Deux néréides décorent le linteau du portail ; elles tiennent un poisson à la main. A l'intérieur, nous trouvons encore une « Sy- rène » se tenant la queue.

On voit sortir par la région ombilicale d'une Vierge noire, enceinte, la tête fœtale d'un petit Jésus. Cette virginale négresse en gestation est toute qualifiée pour exaucer les dévotes stériles, avides du développement global et progressif de leur abdomen; mais elles préfèrent invoquer saint Fontin, dont une lettre a été pudique- ment retournée à leur intention.


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l'art profane a l'église


Brioude. Saint-Julien. — « Comme le vocabulaire latin, dit F. de Lanoye, le ciseau du sculpteur religieux bravait alors l'hon- nêteté, et certains bas-reliefs allégoriques de Saint-Julien sont d'un symbolisme trop crû pour être relaté. » Tant pis pour nous.

Un chapiteau (fi g. 315) porte desa sirènes » aux doubles queues enlacées et formant un gracieux motif d'ornementation. Un autre (fîg. 316) nous montre un homme et une femme complètement nus ; ils sont séparés par un centaure qui leur tient une jambe et leur mord la main. A quelle pensée pieuse ou satirique ces inspirations favorites du moyen âge répondent-elles? Est-ce l'image de la Tentation? La clef allégorique nous échappe. La figure 317 est plus claire : il s'agit de l'enlèvement de deux âmes par un ange et un démon.




Fig. 316.


Fig. 317.


CiiASES. Sainte -Marie. — Fresque pas banale du Jugement ; cu- rieuse surtout par le bloc des religieuses de Chases, dont le diable a fait un paquet qu'il traîne après lui, liées par une corde, comme un fagot destiné à alimenter les flammes éternelles. Des diablotins se gaudissent, chacun portant sur ses épaules une religieuse à cali- fourchon. Le plus singulier est de voir les recluses prédestinées, le corps entièrement nu, la tête seule couverte d'un voile noir, « sym-


HAUTE-LOIRE


249



318.


bole de la vie cachée en Jésus-Christ », dit l'abbé Aubert, à qui nous empruntons ces détails, et les religieuses damnées, nues aussi, mais la tête découverte et les cheveux épars comme des vierges folles.

SoLiGNAC. Abbaye. — De nombreuses sculp- tures, — sermons pour les yeux, — destinées à inspirer Thorreur des vices, « d'autant plus dangereux, écrit Mérimée, qu'ils sont d'ordi- naire plus secrets », ont été mutilées par les sectaires de la Révolution ou les fanatiques de la dévotion ; l'intolérance est le trait d'union des extrêmes.

Le Monestier. — Après le Pèsement des âmes, le diable, sous la forme d'une truie, em- porte une pécheresse au gouffre (fîg. 318), tandis que le justicier, préposé aux poids et mesures, saint Michel, barbu ici, semble dire: (( Enlevé, c'est pesé ! » Le démon, pense Ghampfleury, incline et détourne la tête pour regarder si l'ange qui pèse deux autres âmes ne cherche pas à le tromper.

GiiAisE-DiEU. Couvent. — Au milieu des ruines de ce monu- ment, on distingue encore l'ébauche de peintures murales, remon- tant au XV siècle et représentant la Danse des morts, dont nous avons signalé la première manifestation au charnier des Innocents. Adam et Eve, en costume paradisiaque, ouvrent la danse, en com- pagnie du serpent muni d'une tête de mort. « Les squelettes, dit M. Léon Giron, y sont d'une bouffonnerie et d'une extravagance formidables ; d'un cynisme de nudité et de contorsion atroce ; ce- pendant, tout le long, ils ont des pitiés et des délicatesses quand il s'agit des femmes... ; ils cachent leurs anatomies trop crues. » Un groupe satirique amuse le regard et mérite d'être signalé ; c'est celui de la Veuve escortée de ses deux martyrs ou maris^ — deux synony- mes, — qui, paraît-il, u rient à gorge déployée


», les inconscients !


Ghapteuil. Saint-Julien. — Lemoyne François peignit, pour ce prieuré, une Assomption où il représenta la Vierge sous les traits


250


i/art profane a l'église


de sa mère. La madone, en efYet, n'a rien d'ang-élique : c'est une bonne bourgeoise qui prend ses aises pour poser; elle est commo- dément assise et des angelots mythologiques, rappelant les amours de Boucher, lui servent de petit banc. En 1736, raconte M. Léon Giron, Fauteur de ce tableau écrivit : <( pour que soit lacérée ou brûlée la Vierge Marie, dont Tévêque de la Roche- Aymon a fait don au prieuré, en 1718 ». Il prétend « qu'il fut sacrilège de portraire sa mère et que, pour ce, sa mère souffre dans les flammes du Pur- gatoire... » Le malheureux était atteint du délire de la persécution : il se figurait avoir offensé le cardinal de Fleury, et, pour échapper aux archers imaginaires du ministre de Louis XV, cet ancêtre de Gribouille se perça le flanc.

Valprivas. Chapelle du Château. — Une fresque de la Renais- sance, interprétant la Résurrection^ « dont les pudeurs modernes ont pieusement gratté ou frotté les nus les plus offensants », a été reconstituée par M. Léon Giron, archéologue distingué, notre guide dans cette description.

Le groupe principal, sur le premier plan, se compose de trois femmes, les trois Grâces^ « à la chevelure luxuriante, au corps voilé d'une gaze faisant valoir mieux encore les nus et les reliefs ». Deux se montrent de face et une de pile. De tous côtés surgissent du sol des squelettes avec les divers degrés de la décomposition. « Çà et là se rencontrent des naïvetés de posture qui frisent la gaieté. Par exemple, une plantureuse jeune fille ramène pudique- ment son linceul par-dessus sa tête, mais découvre ailleurs d'au- tant », à la façon des baigneuses orientales qui, en cas d'alerte, couvrent l'accessoire et négligent le principal: de tout temps, la femme de tout pays et en toute circonstance n'a-t-elle pas une ten- dance marquée à placer l'utile et le futile sur le même plan ?

XXXL — HAUTE-MARNE*

Ghaumont. Saint- Jean-Baptiste. — Le Bulletin monumental si- gnale plusieurs colonnettes dont les chapiteaux sont ornés de (( nudités indécentes » ; un point et virgule, c'est tout.

1. Différentes cérémonies semi-religieuses et semi-burlesques, remontant au moyen âge, se prolongèrent très tard en Champagne, telles la Fêle des Fous, le


HAUTE-MARNE


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Langres. Cathédrale. — Statuette en ivoire de saint Mammès, retenant ses intestins qui s'échappent par une large plaie abdomi- nale, pour rappeler sans doute qu'il furent dévidés sur un treuil. Nous reproduisons la photographie communiquée à la Chronique médicale^ par le D^' Pignerol (%. 319).

Une sculpture du xii*' siècle montre V Eglise allai- tant deux colombes^ par opposition aux serpents qui sucent les mamelles des mauvaises mères, comme nous le reverrons bientôt à l'octogone de Montmorillon.

Le péristyle du chœur, orné de têtes de béliers, provient d'un temple païen. En outre, derrière le maître-autel, il existe une colonne sur laquelle était posée la statue de Jupiter- Ammon (P. Hugo) ; nouvel exemple de la promiscuité de Tart païen et du chrétien.

Vassy. — Les Voyages de l'ancienne France, de Taylor, reproduisent un chapiteau de cette église, où le buste tentateur et prometteur d'une femme nue se détache d'or- nements décoratifs.

XXXII. — HAUTES-ALPES

Embrun. Notre-Dame. — Extérieur. — Portail. Chapiteau du pied droit de gauche : néréide tenant entre ses mains sa double queue.

Au porche, un personnage nu embrasse des pieds et des mains quatre colonnettes dont la réunion forme la colonne de gauche.

D'après A. Montémont, on y vénérait le phallus du bienheureux saint Foutin, dont le toucher rendait fécondes les femmes stériles. Elles faisaient des libations de vin à cette image obscène ; le vin reçu dans un vase s'y aigrissait, devenait le « saint vinaigre » et servait à un usage assez étrange, que l'auteur auquel nous em- pruntons ce renseignement, se refuse de préciser, « par respect

Convoi de Carême-Prenanl, la Diablerie de Chaumont, la Flagellation de l' Alléluia — sous forme de toupie que les enfants de chœur chassaient à coups de fouet de la cathédrale de Langres, — etc.



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l'art profane a l'église


pour les dames »... qui cependant en étaient les zélatrices et les seules bénéficiaires.

Intérieur. — Plusieurs figures humaines, nues et accroupies, font l'office de cariatides qui soutiennent les orgues de cette ancienne cathédrale.

Chapelle des Ames du purgatoire. Figurines, placées sur des pilastres, de Sainte Agathe, les seins coupés, et d'une autre martyre (Sainte Apolline ?) tenant une pince qui lui a labouré les chairs.

Autel de Saint-François. Sur le troisième panneau représentant la vie du saint, on le voit nu, couché sur des brindilles enflammées, en présence d'une femme qui, dit J. Roman, « le regarde avec étonnement ». Au second plan, le saint, toujours nu, est couché sur un fagot d'épines et converse avec un démon sous la figure d'un satyre.

Les Grottes. — Nous ignorons l'origine de ce nom, d'autant plus singulier que l'église des Grottes se trouve ainsi placée dans l'ar- rondissement dont le vocable. Embrun, rappelle le vieux mot français embrené.

Guillestre. — D'après M. J. Roman, les culs-de-lampe sou- tenant les nervures du portail montrent les culi de Guillestrois et Guillestroises guillerets, <( grotesques accroupis et relevant leurs jupes ».

L'Argentière. — Ghœur. Peintures murales des Vertus et des Péchés capitaux, avec leur punition. La Luxure est à cheval sur un bouc, vêtue d'une robe noire, à crevés blancs, très échancrée sur la poitrine ; satisfaite de son décolleté irrésistible, elle se mire dans un miroir qu^elle tient d'une main, et, de l'autre, soulève sa robe et montre sa jambe, au-dessus du genou. La coquette semble dire, comme Mlle de Montpensier dans ses Mémoires : « J'ai la jambe droite et le pied bien faits ». Au tableau inférieur un démon brûle avec une torche les organes d'un luxurieux pendu à une double potence.

Nevaciie. — Façade, côté droit, au bas du clocher. Débris d'une ancienne peinture du Jugement ; on y voit encore la Luxure vêtue


IIAUTES-ALPES


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de noir et relevant sa jupe comme la précédente, mais couchée sur un porc.

Planpinet. — Nef, côté droit. Martyre de saint Mammès, dépouillé de vêtements et étendu sur le sol ; des bourreaux enroulent ses entrailles sur un treuil, tandis que son âme s'envole sous la forme d'un angelot nu.

Saint-Martin-de-Quevrières. — 1« Chapelle de Saint-Hippolyte- du-Bouchier. — M. J. Roman, dans ÏInventaire des richesses d'art de la France, considère les peintures murales du chœur comme étant du même artiste que le tableau des Vices et des Vertus, à la façade de l'église de l'Argentière.

Ce peintre a signé son œuvre à l'Argentière : g. con. Ce nom est évidemment incomplet, et, faute de documents, il est difficile de le réta- blir avec certitude. Peut-être s'agit-il de Giovanni da Goni. La signature de la chapelle de Saint-Hippolyte offre une légère variante ; mais c'est bien le même artiste italien qui est l'auteur des peintures qui décorent ces deux monuments.

2° La Vachette ou La Petite Vachette, placée sous le vocable de saint Roch. Sur la façade, un bas -relief représente une vache, les mamelles gorgées, avec la date de 1634, tandis que, sur la porte on lit 1621. Vachette et Bouchier, deux noms qui vont bien ensemble.

Les Vigneaux. — La façade latérale droite du chœur est décorée de peintures murales relatives aux Sept Péchés capitaux. La Luxure, montée sur un bouc, est vêtue d'une robe bleue et blanche, la taille ceinte d'une ceinture dorée ; elle tient à la main un miroir et relève sa jupe au-dessus du genou.

Chorges. — Le portail est orné de bas-reliefs tirés d'un temple de Diane : Funion des éléments chrétien et païen.


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l'art profane a l'église


XXXIII. — HAUTE-VIENNE*



Fig. 320. — Hercule, Antée et l'Hydre de Lerne.


Limoges. 1° Saint-Etienne. Cathédrale. — Un magnifique jubé (1534) est orné de chimères et d'amours, avec les attributs de leur

sexe. Au soubassement, six bas-reliefs racontent les Travaux d'Hercule (fig. 320^ 321), symbole de la. Force, l'une des Vertus cardinales. Les pendentifs portent d'au- tres Vertus : la Charité donne sa mamelle droite à un in- digent : la Justice et la Pru- dence ont le torse nu et les seins proéminents.

A propos de la représen- tation du héros de la mytho- logie grecque sur un monument chrétien, l'abbé Auber fait observer que, loin de rejeter tous les types du paganisme, la religion catho- lique en adopta plusieurs comme allégories concernant la conduite de la vie ; tels, le labyrinthe, la fable de Dédale et d'Icare, et les tra- vaux d'Hercule. Ce dernier mythe rappellerait aux chré- tiens les luttes incessantes du combat de la vie. Mais que signifie la figuration d'Hercule à côté de Déjanire et de Nessus, le plus heureux des trois ? Est-ce un ensei- gnement destiné à inspirer l'horreur de l'adultère ou à l'encou- rager ?

1. Le département des Hautes-Pyrénées ne nous oflre qu'une particularité anec- dotique. Les supérieurs de l'abbaye de Saint-Savin étaient renommés pour leur g'alanterie ; aux processions, l'abbé remerciait d'un baiser la plus jolie fille d'Ar- gelès qui lui ofTrait un bouquet. C'était alors le paradis des femmes ; elles avaient le droit au vote et étaient électives : un précédent en faveur des suffrageLLes.



321. — Hercule, Déjanire et le Centaure Nessus.


HAUTE-VIENNE HERAULT


255


Fig. 322.


A la clôture du chœur est adossé le mausolée de Jean de Langeât, agrémenté de seize bas-reliefs, les Visions de F Apocalypse, avec les nudités qu'elles comj)ortent. La statue en bronze de l'évêque, serviteur des canons de PEglise, a ' ~" servi à la fonte des canons de la Révolution.

2^ Saint-Martial. — Un vitrail de cette ancienne abbaye caricaturait Jeanne d'Albret, prêchant dans une chaire de la Réforme. Il portait cette légende satirique :

Mal sont les gens endoctrinés Quand par femmes sont sermonnés.

Ce fait d'observation est surtout d'ordre social : riiomme a toujours eu la faiblesse d'abdiquer devant « la chair », fût-elle celle d'une catholique, d'une juive ou d'une huguenote : la peau, voilà le princi- pal oripeau, le talisman suprême de « l'éternelle constipée », du sexe cagneux et hargneux, de la belle et bête moitié du genre humain.


Fig. 323.


Saint-Junien-les-Gombes 1.


XXXIV. — HÉRAULT

Béziers. 1° Couvent de la Merci. — A l'époque de la Renaissance, les montants des fenêtres de ce couvent revêtirent la forme de caria- tides, à peu près nues (fig. 322,323). Il en est de même pour l'Hôtel Laborde, à Toulouse, et pour la Maison des nourrices, à Narbonne.

2<^ Saint-Aphrodise

1. Les jeunes filles de la Haute-Vienne qui désirent un époux de choix invoquent, à l'église de ce pays, saint Eutrope. Après une procession, elles attachent à une croix ad hoc la jarretière de laine qu'elles portent à la jambe gauche. Cette croix est toujours couverte de ces ex-voto. Ce n'est pas dans ce département que les jeunes ïilles imiteront celles de la Lorraine, pour qui le noir était la couleur de la robe de noce.

2. Ce nom du patron de la ville, qui arriva à Béziers monté sur un chameau, pourrait bien avoir une origine païenne. Ne rappelle-t-il pas celui de la déesse de l'Amour ? Et la monture en vénération, qui fut conservée jusqu'à la Révolution


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l'art profane a l'église


Pezenas. Pénitents noirs*.

XXXV. — ILLE-ET-VILAINE

Rennes. 1« Saint-Yves. — Actuellement église de l'hôpital. Dans la nef, parmi des monstres, des caricatures et cent fantaisies bizarres, (( on distingue, dit Mérimée, un marmouset tournant le dos, pour ne pas dire plus, à l'autel. Quelles gens étaient donc les sculpteurs — et nous pourrions ajouter leurs conducteurs et censeurs écclésias- tiques — pour qu'on leur permît de semblables impertinences » ?

â*' Saint-Melaine. — Cloître de l'hospice. Sous l'abaque d'une colonne se carre une néréide, être séduisant et malfaisant, allégorie de la nature féminine.

Les arcades du cloître de l'ancienne maison conventuelle des Bé- nédictins sont décorées de bustes suggestifs dans le style du xYii*^ siècle. De remarquables boiseries de la chapelle, alias réfec- toire, sont aussi à considérer ; elles furent exécutées sous la direction de l'un des moines Dom Quinquet.

3« Abbaye Saint-Georges ^.

4« Château de Vitrié l

par l'entretien successif d'un animal de même nature promené en cérémonie par la ville, le jour de la fête du saint, est précisément le surnom vulgaire donné aux prêtresses de carrefour du culte d'Aphrodite. Simple coïncidence, peut-être, mais qui méritait une mention.

1. Par une ironie du sort, dont les édifices religieux nous ont fourni de nombreux exemples, cette ancienne chapelle, fondée en 1559 et vendue aux enchères en 93, est devenue le théâtre actuel de la ville, où l'auteur de Tartuffe fit ses débuts.

2. Une caserne du même vocable y est installée. Si l'on en croit le récit d'Aug. Moutié, l'abbesse de l'endroit exerçait des droits assez bizarres. Tous les mariés de l'année étaient tenus, le jour de la mi-carême, de parcourir à cheval le champ de foire, en criant : « Gare la chevauchée de Madame Abbesse ! »

De plus, chaque premier dimanche de carême, les nouvelles mariées se rendaient à l'église de Saint-Hélier, dépendant de l'abbaye, et là, devant la foule, elles devaient sauter par dessus une pierre, d'environ un pied de haut, en chantant ce couplet :

Je suis mariée, Si je suis heureuse,

Vous le savez bien; Vous n'en savez rien!

3. D'après le même auteur, dans l'ancienne chapelle affectée au culte protestant et détruite à la Révolution, étaient inscrits en lettres d'or les dix commandements de Dieu. Un seul resta lisible, longtemps après les autres; c'était le sixième :

TV NE PAILLARDERAS POINT.


ILLE-ET-VILAINE INDRE 257


Montfort-sur-Meu. Saint-Nicolas

XXXVl. — INDRE

Ardentes. — Une luxurieuse, que deux diables hideux retiennent par les bras tandis qu'un serpent et un crapaud sucent ses deux seins, occupe un chapiteau de la petite porte septentrionale.

Déols^.

La Châtre. Fontaine de la Font^.

XXXVII. — INDRE-ET-LOIRE

Tours, i"" Cathédrale Saint- Gatien. — Sur le tombeau des deux enfants de Charles VIII et d'Anne deBretag-ne, provenant de l'église Saint-Martin, se développent des arabesques autour de figurines rappelant divers épisodes des fables d'Hercule et de Samson, tels que la lutte avec l'hydre de Lerne et Antée, et la fameuse coupe de cheveux par Dalila '^

1. On racontait que, sous Charles V, le commandant anglais du château enleva une jeune villageoise dont il s'était épris. Celle-ci invoqua saint Nicolas et mit son honneur sous la protection du patron des mariniers. Selon la chronique, elle fut aussitôt métamorphosée en canne, s'élança dans un étang- et échappa ainsi à son ravisseur.

En souvenir de ce « miracle de la canne », ou plutôt du canard, une canne sau- vag-e, suivie de onze cannetons, venait entendre la grand'messe, tous les ans, au 9 mai, et, à son départ, elle abandonnait un de ses petits au saint protecteur. Mais les Calvinistes s'avisèrent d'assaisonner la canne et sa progéniture aux petits oignons et mirent lin au miracle. La raison finit toujours par avoir raison.

2. L'église était celle d'une puissante abbaye, dont la générosité et les immenses richesses lui valurent le nom de Mamelle de Saint-Pierre.

3. Elle est ornée d'une statue de sainte, devant laquelle les femmes en couches font brûler des chandelles pour une heureuse délivrance, tandis que tant d'autres en mouchent pour être délivrées de ce souci.

4. Notons deux incidents rétrospectifs, relatifs à Saint-Maurice, premier vocable de l'église métropolitaine. Elle fut détruite en .^61 par un incendie qu'un poète tourangeau, Olivier Cherreau, attribue, dit Touchard Lafosse, à la colère divine. Il raconte que le fils du roi, ayant voulu posséder la femme d'un certain Eviliacarie, celui-ci se réfugia avec elle dans l'église.

Et qu'ils commirent tant de sales voluptés, Qu'on croit que le feu prist pour leurs charnalités.

C'est devant cette belle cathédrale qu'Henri IV s'exclamait : « Ventre Saint-Gris ! Il n'y manque qu'un étui ! » Seconde anecdote : Il arriva à l'évôque Brice une aventure pénible. Une femme,

i/art profane. — I. 17


258


l'art profane a l'église


2« Saint-Martin*.

RicnErjEU. — Lors de sa visite au château du cardinal, sorte de Vatican français par sa collection d'antiques, la Fontaine vit quatre Vénus ^ « une entre autres divinement belle » ; mais il y avait aussi trois chapelles, et ce n'était pas trop pour un tel cardinal.

Dans l'une de celles qui sont en haut, je trouvai l'original de cette dondon que notre cousin a fait mettre sur la cheminée de la salle. C'est une Madeleine du Titien, grosse et grasse, et fort agréable : comme aux premiers jours de sa pénitence, auparavant que le jeûne eût commencé d'empiéter sur elle. Il me semble que je n'ai point parlé trop dévotement de la Madeleine ; aussi n'est-ce pas mon fait que de raisonner sur des matières spirituelles, j'y ai eu mauvaise grâce toute ma vie.

Loches. — Ville située près de Fromenteau, lieu de naissance d'Agnès Sorelle ou Seurette, petite fille de Marie de Jouy, dite la Demoiselle de Fromenteau^ la Belle Agnès^ la Belle des belles^ enfin la Damoy selle de Baulté, quand Charles VII lui eut fait don de la maison royale de Beauté-sur-Marne ^. Elle mourut, à quarante

qui s'occupait de son linge et depuis peu était entrée en religion, accoucha d'un enfant dont il fut accusé d'être le père. Brice, pour se disculper, fit apporter le nouveau-né, le corps du délit, qui n'avait que trente jours, et comme la vérité sort de la bouche de l'enfant, il lui dit : « Je t'adjure, si je t'ai engendré, de le crier en présence de tous. — Tu n'es pas mon père », clame aussitôt l'enfant, sans barguigner. Mais comme il ne voulait pas demander à l'oracle le nom du coupable, on le traita de magie ; tout au plus était-ce un subterfuge de ventriloquie. Alors pour mieux convaincre ses ennemis, il mit des charbons ardents dans sa robe et les porta, sans la brûler, jusqu'au tombeau de saint Martin : « De même, dit-il, que vous voyez mon vêtement préservé de l'atteinte du feu, de même mon corps est resté pur de tout commerce avec les femmes ». Un morceau d'amiante suffirait pour accomplir ce prétendu miracle ! (Cf. S. Bellanger, la Touraine.)

1. Sainte-Geneviève avait la spécialité de chasser du corps des possédés le démon qui n'existe que dans l'imagination des nigauds et des bigots. Elle guérit ainsi miraculeusement, dans cette église, un des chantres saisi tout à coup de l'esprit malin. « Le démon, d'après le « narré » d'une vieille chronique, avoit souhaité de sortir par l'œil, mais Geneviève voulut l'humilier en le jetant dehors par un endroit tout opposé. » Et voilà ce que nos ancêtres naïfs croyaient béatement. Nous devons malheureusement reconnaître que beaucoup de nos contemporains sont encore tout proches d'eux sur ce point.

2. Jean Ghartier prétend que le monarque n'avait pour Agnès qu'un amour platonique « agnélique». Les gens de cour lui assurèrent « par serment », répète-t-il naïvement, que « oncqucs ne la virent toucher par le Roy au-dessous du menton ». En public, c'est possible ; mais quand la fantaisie prenait au lioy [de faire une excursion aux pays-bas de Gythère, il n'invitait pas ses courtisans à l'accompagner dans son voyage d'agrément. Monstrelet veut bien reconnaître qu'Agnès joua le rôle de la Touchet de Charles IX, mais que Charles VII n'eut pour elle «qu'une galanterie


INDRE-ET-LOIRE


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ans, au château du Manoir, sis au Mesnil, près de Loches.

Le cœur et les entrailles d'Agnès furent inhumés à Féglise de



Fi^-. 324. — Tirée de la Touraine ancienne et moderne.


Jumièges^ chapelle de la Vierge, et son corps fut placé dans un mausolée de marbre noir, au milieu du chœur de l'église collégiale de Loches (fîg. 324) Son effigie, en marbre blanc, était couchée, la tête sur un oreiller^ tenu par deux anges, les pieds appuyés sur deux agnelets, symbole de sa bonté et rappelant son prénom.

Nous passons deux inscriptions écrites en latin avec toute l'em- phase du temps, au frontispice du tombeau et sur une table de

d'amusement ». Or, à ce jeu d'enfant, il eut d'elle quatre filles (les quatre filles Aimons), et la dernière, qui vécut six mois, fut cause du décès de sa mère, morte au champ d'honneur ou du déshonneur. Rappelons que Jacques Cœur, l'exécuteur testamentaire d'Agnès, fut accusé, bien à tort, de l'avoir empoisonnée. Celle qui « ne fut touchée au-dessous du menton » a simplement été victime d'un accident puerpéral ; ce sont d'ailleurs les risques des « belles charnures ».

1. Un autre mausolée a été consacré à sa mémoire, dans l'église de la Guierche. M. de Groy l'a reproduit dans Y Artiste, 1831.


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l'art profane a l'église


marbre placée deriière la tête de la statue, ainsi que les vers acrostiches, plutôt curieux par leur forme que par leur fond, gravés sur une plaque de cuivre du côté du sanctuaire.

A peine Louis XI eut-il succédé k son père, que les chanoines de Loches, pris d'un tardif scrupule en apparence, mais en réalité par vile flatterie, supplièrent le roi, qui, dauphin, avait giflé la favorite, de faire transférer le tombeau dans une chapelle latérale. Louis XI, toujours malicieux, parut les approuver et leur répondit : « J'y consens, mais il faut rendre auparavant tout ce que vous tenez de la générosité d'Agnès ». Les tonsurés, comprenant l'apologue, n'insis- tèrent plus, mais la race des sacrés peladés est tenace, et ils renou- velèrent leur demande sous les règnes suivants, jusqu'à Louis XV, qui écrivit en marge de leur requête : « Néant ; laisser ce tombeau où il est ». Enfin Tabbé Baraudin obtint de Louis XVI, cette permission.

A la Révolution, ce mausolée fut détruit. Par la suite, on rassem- bla les débris, et le monument restauré fut placé dans la tour d'Agnès, au château de Loches *.

1. Le général de division Pommereul, préfet d'Indre-et-Loire, fit ajouter deux nouvelles inscriptions, dont l'une, quelque peu satirique, et l'autre, franchement « satyrique ». Voici la première :

Les chanoines de Loches, enrichis de ses dons, demandèren A Louis XI d'éloigner son tombeau de leur choeur.

J'y consens, dit-il, mais rendez la dot. Le tombeau y resta.

Un archevêque de Tottrs, moins juste, le fit reléguer dans une chapelle. a la revolution, il fut détruit.

Des HOMMES sensibles recueillirent les restes d'Agnès,

ET le GÉNÉRAL DE PoMMEREUL, PRÉFET d'InDRE-ET-LoIRE, RELEVA LE MAUSOLÉE DE LA SEULE MAITRESSE DE NOS ROIS QUI AIT BIEN MÉRITÉ DE LA PATRIE, EN METTANT POUR PRIX A SES FAVEURS l'eXPULSION

DES Anglais hors de sa France. Sa restauration eut lieu l'an 180G, Lemaistre

ÉTANT sous-préfet.

La seconde se composait du quatrain dont François I" honora la mémoire d'Ag-nès ;

Gentille Agnès, plus de los tu mérite La cause étant de France recouvrer. Que ce que peut dedans un cloistre ouvrer Close nonain ou bien dévot hermite.

François I".

Dans le tympan du fronton de la porte d'entrée était gravé : Je suis Agnès, vive France et l'Amour !


INDRE-ET-LOIRE


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A Ghinon, Jeanne d'Arc envoya chercher l'épée de Gharlemagne, qui se trouvait à l'église de Sainte-Gatherine-de-Fier-Bois. Tou- chard Lafosse raconte que, dans la marche du cortèg-e royal vers Reims, Jeanne la brisa sur le dos de certains g-entilhommes qui se gaudissaient avec des ribaudes. « Jeanne, lui dit Gharles VII à cette occasion, il fallait prendre un bâton et ne pas compromettre cette bonne épée qui vous est venue d'une manière si merveilleuse. » A ce compte, elle eut dû commencer par bâtonner l'amant de la belle Agnès. Ainsi Joyeuse devint gêneuse.

L'Eglise collégiale de Notre-Dame, située dans l'intérieur du château, renferme un autel antique, en pierre, de forme circulaire, qui a été renversé et dont on a creusé le dessus pour faire un bénitier. 11 est orné dans son pourtour de diverses sculptures où Ton peut distinguer un guerrier nu dans l'attitude du combat (Ghalmel et Richard).

PocÉ. — Moult joyeusetés s'émancipent sur les stalles qui pro- viennent de l'abbaye de Fontaines-les-Blanches. M. A. Gobeau * décrit le motif de la seconde : « Un triboulet, à la face réjouie, recevant dans un vase en forme de pichet l'urine que sa génisse lui fournit abondamment ». La stalle qui fait suite est mutilée ; la décoration nous échappe. On ne distingue plus que deux jambes, seul vestige d'un tableau qui aura peut-être paru trop vif à quelque cornichon confît- dans le vinaigre de la dévotion. L'auteur qui nous fournit ces détails et les suivants a vu un curé du voisinage se chauffer avec l'une des miséricordes de même provenance, qu'il prenait pour une bûche — reflet de son image — tandis que du haut de sa chaire il tonnait et détonnait contre les cambrioleurs de la Réforme et de la Révolution ! L'éternelle méprise de la paille et de la... bûche.

NoiSAY. — Les stalles viennent aussi du même couvent de cisterciens, ordre cependant ennemi des images.

La 2^ stalle à gauche du chœur montre une femme nue, assise sur un monstre et le terrassant avec une massue : le Vice vaincu par la Vertu ou l'image de l'empire de la femme qui jugule le démon, lui- même.


1. Réun. des Soc. des Beaux-Arts dép.


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l'art profane a l'église


3*^ stalle. Un homme sauvag-e, couvert de poils, tenant une massue

de la dextre et un blason de la se- nestre, est à cheval sur un monstre féminin à quatre pieds et à ailes éployées.

4*^ stalle. Animal fantastique fe- melle, sans pieds, ailes étendues.

5*^ stalle. Enfant ailé, assis sur un coussin, « dans une posture indé- cente )), tenant de la main gauche une g-rappe de raisin qu'il dévore. «. N'y aurait-il pas lieu de voir dans ce sujet, se demande l'auteur précité, la traduction de la maxime des moralistes médié- vaux : In vino voluptas ? »

Chapelle collégiale DE N.-D. -de-Bon-Désir. — Entre Tours et Amboise, raconte Amelot de la Houssaie dans ses Mémoires^ on voyait un tombeau

Sur lequel est couchée une femme toute nue, en marbre blanc, que Ton dit être la représentation de Marie Gaudin, épouse de Babou de la Bourdaisière, fille d'un maire de Tours, a tenue pour la plus belle femme de son temps ».

Dans la même église est le sépulcre de Notre Seigneur, en pierre, où Marie Gaudin et ses trois filles, toutes d'une extrême beauté, représentent la Vierge et les trois Maries. L'une de ses petites-filles, Françoise Babou, épousa Antoine d'Estrées, qui prophétisa que sa maison deviendrait « un

séminaire de p ». En effet, sa femme et leur fille, Gabrielie, le furent

à rideaux ouverts. La mère fut assassinée à Issoire, en Auvergne, dans une sédition contre son galant, le marquis dAlegre-Meillan. « Comme elle avoit mené une vie assez mauvoise, dit V Histoire des amours de Henri IV^ il étoit juste qu'elle en souffrît quelque punition : on lui trouva le poil des parties secrètes entrelacé de non-pareils de toutes couleurs ! »

Amboise. 1« Chapelle du Château. — Au-dessus de Tautel, un singe embouche la trompette par Tanus et en fait un instrument à vents.

2" Chapelle Saint-Hubert. — Léon Palustre décrit, dans la crypte, une statue de femme nue, couchée sur un monument funé-



INDRE-ET-LOIRE


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raire (fig*. 325), comme les cadavres sur les dalles de la Morgue ; de là le nom de \r Femme noyée, sous lequel on la désig-ne dans le pays. Ne serait-ce pas la Marie Gaudin dont vient de parler Amelot de la Houssaie ?



Fig-. C2G. — Tirée de la Tourniiie ancienne et moderne.


3*^ Saint-Florentin. — Autre confusion possible. Stanislas Bel- lang-er place dans cette église le bizarre tombeau de la famille de la Bourdaisière (fîg. 326), signalé par Amelot. C'est un sarcophage sur lequel le Christ mort est étendu, complètement nu. Au-dessous du Rédempteur, une ouverture ménagée sur le devant laisse voir une sainte Madeleine à demi-drapée. Autour du tombeau se groupent sept personnages peints, en costume oriental, trois hommes et quatre femmes. Joseph d'Arimathie, Nicomède et saint Jean sont les portraits de François I"" et des deux fils, Jacques et Philibert de Jean Babou de la Bourdaisière, pour lequel ce tombeau en terre cuite fut exécuté, et dont le divin Sauveur


1. Le premier, doyen de Saint-Martin; le second, évcque d'Angoulôme.


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l'art profane a l'église


alYecte les traits. Les quatre femmes comprennent la Vierge, dont la figm^e a été modelée sur celle de Marie Gaudin, épouse

de Babou, Tune des maîtresses du ^ roi, et les saintes femmes fidèlement représentées par les trois filles de cette dame, qui lui succédèrent dans les bonnes grâces du galant mo- narque*. Gabrielle d'Estrées, née au château delà Bourdaisière, était aussi de la même famille quasi-royale.

XXXVIII. — ISÈRE

Saint-Antoine. Abbaye. — L'abbé P. Brune a décrit, d'après Dom H. Dijon, les peintures murales et ta- pisseries de cette église. A la se- conde chapelle de gauche, il men- tionne une fresque représentant la Vierge et saint Jean aux pieds d'un Christ imberbe, entièrement nu et asexué (fig. 327).

Une tapisserie d'Aubusson reproduit, dans tous ses détails réalistes, la scène obscène de Mme Putiphar « en punezie de luxe », suivant une expression pittoresque du moyen âge. Mais y a-t-il lieu de s^étonner de l'exibition de telles images dans un si célèbre édifice religieux, quand, au chef-lieu de ce département, il existe un bas- relief en pierre qui donne la représentation d'un duo d'amour où le rôle actif et passif de chaque personnage est nette- ment déterminé. Ce curieux document est, il est vrai, peu connu des Grenoblois qui ne partagent pas encore les goûts de la belli- queuse Germanie, où la chair à canon tend à devenir la chair à plaisir.

1. Une composition analogue se trouve à Naples, chapelle du Saint-Sépulcre, dans l'église Sainte-Marie de Montoliveto ; plusieurs personnages en terre cuite, de Modanino, ollrent un intérêt artistique et historique : Nicodème est le portrait du littérateur Pontanus ; Joseph d'Arimathie est celui du poète Sannazar ; saint Jean et une autre figure retracent les traits du roi Alphonse II et de son fils Fernando.



ISÈRE JURA LANDES 265


Un des curés de celte église abbatiale, non choqué de la tenue impudique de Fépouse égyptienne, trouva inconvenante celle des anges de bronze du maître-autel et leur fît limer les seins.

IzEAux. Couvent d'Arménie *.


XXXIX. — JURA

Saint-Claude. Abbaye. — Les accoudoirs et miséricordes des stalles, dus au ciseau de Jean de Vitry, sont couverts de sujets fan- tastiques, monstres, personnages capricieux, dans des postures extravagantes, voire obscènes.

POLIGNY 2. — FeRNEY


XL. — LANDES

Dax. 1^ Cathédrale. — Portail. L'éternel et Universel Jugement ^ avec les nudités que comportent ses diverses phases, marquées de détails spéciaux. Dans le groupe des bienheureux, on distingue une femme enceinte. Aurions-nous là un symbole destiné à glorifier la

1. De 1800 à 1828, ce couvent fut occupé par un prêtre non concordataire qui y établit un schisme, où la dépravation et la simonie s'y épanouissaient en pleine floraison. Entre autres histoires de haut goût et authentiques que l'on attribue à cet ecclésiastique, on rapporte qu'il faisait baiser aux fidèles le bras de sainte Béatrice ; or ce membre devenait vivant certains jours, à la tombée de la nuit, et il paraîtrait que les fidèles posaient leurs lèvres sur le haut de la cuisse du rusé compère, lequel du reste termina son odyssée devant le tribunal correctionnel de Saint-Marcellin, qui le condamna à deux ans de prison pour avoir vendu des places au paradis.

2. Au xvie siècle, les femmes stériles venaient offrir des sacrifices à un saint que, « par décence », M. A. Montemont, qui nous fournit ce détail, « ne veut pas nommer ».

3. A l'entrée de son château, l'auteur de la Henriade, que des gens de mauvaise foi traitent d'athée, fit élever une églisette qui porte encore cette inscription :

DEO

EREXIT VOLTAIRE MDCCLXI

qu'Arsène Houssaye appelle « une impertinence » et qui est, au contraire, comme l'observe E. Deschanel, une profession de foi déiste. Voltaire l'explique ainsi : « L'église que j'ai fait bâtir est la seule de l'univers en l'honneur de Dieu. L'Angle- terre a des églises bâties à saint Paul, la France à sainte Geneviève, mais pas une à Dieu. »

J'unis le protestant avec ma sainte Eglise.


266


l'art profane a l'église


grossesse légitime? Le côté Sud, réservé aux réprouvés, est rempli de reptiles et de crapauds, caractérisant le démon, qusercns quem dcvoret^. Un serpent croque les mamelles d'une femme; un autre ophidien s'acharne à ses parties, appelées d'abord sacrées, puis hon- teuses.

2" Saint-Paul-lès-Dax. — Un chapiteau porte un trompe-l'œil : trois hommes tiennent deux femmes par les cheveux, et, d'après Léo, Drouyn, sont disposés de telle sorte que, de loin, on les prend pour des feuilles, imitant assez bien l'acanthe du chapiteau corinthien.

Sur un autre chapiteau, datant aussi de la fin du xii*^ siècle, figurait un homme assis, tenant dans ses bras une femme, dont il caressait tendrement le menton ; mais ce motif a été relégué dans un coin de la sacristie comme inconvenant. Et pourtant, cette scène d'accord parfait n'est-il pas le symbole de la Paix du ménage ou tout au moins la mise en pratique du précepte évangélique : Aimez-vous les uns les autres ? Pour ces raisons de haute moralité, nous protestons contre un semblable ostracisme.


XLL — LOIRE

Feurs. — Une table de granit, encastrée dans le chevet de l'église, porte une inscription latine dont voici le sens : « Les maîtres char- pentiers ont élevé à leurs frais ce monument au dieu Sylvain ». Divinité des forêts et des champs, chez les Latins, qui répond au Pan ithyphallique des Grecs !

Bourg- Argental. — A Feutrée principale, encore et toujours la Luxure^ aux prises avec des serpents qui lui happent les mamelles.

Gharlieu. Abbaye. — Porche. Sur le pied-droit du côté gauche de la porte, figure une moralité analogue, mais d'un réalisme inexorable, Impureté^ personnifiée par le cadavre décharné

1. Saint Pierre, EpUres, 1,5, 8.


d'une femme, couchée dans son sépulcre, au milieu des débris de son suaire, se débat contre un serpent qui dévore sa vulve et un énorme crapaud suspen- du à son mamelon g-auche (%■ 328). ^

A l'intérieur, sur les cha- piteaux des bas colés, on remarque : Daniel, nu, entre deux lions ; vm Centaure luttant avec un personnage monté sur un animal indé- terminé et une u sirène » à double queue.

Ambierle. Saint-Martin.

— A l'extérieur. Un joueur de cornemuse et une mère folle, en posture un peu leste et équivoque, ornent chacun un contrefort (De Caumont).

Transept. Sur la joue d'une des stalles mutilées, un sauvage, sa femme et son enfant, en sauvages.

Nef. Vitrail de saint Ilip- polyte de Thorzie nu, écar- telé par quatre chevaux.


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l'art profane a l'église


XLII. — LOIRE-INFÉRIEURE

Nantes. Saint-Pierre. — Ainsi qu'en témoig^ne une inscription fixée derrière la porte, la cathédrale fut édifiée en :

L'an mil quatre cent trente-quatre A my avril, sans moult rabattre, Au portail de cette église Fut la première pierre assise.

Nous pouvons ajouter ce vers, digne des précédents :

Et la dernière n'est pas mise,

car l'église n'est pas encore terminée. La fameuse foi qui élevait les cathédrales a manqué de souffle, comme à Saint-Denis, Beauvais, Gorbie, etc.

Aux angles du tombeau de François 11, duc de Bretagne, et de Marguerite de Foix, sa seconde femme, les quatre Vertus cardinales se tiennent debout. C'est la Justice, sous les traits de la fille des défunts, Anne de Bretagne ; puis la Force, la Prudence et la Sagesse qui a un double visage déjeune femme et de vieillard. La Force porte sur chaque sein un soleil, la source de toutes les forces vives et créatrices de la Nature (fig. 329).

Les quatre coins du tombeau de Lamoricière sont occupés par la Foi] V Histoire, la Charité (fig. 329 bis) allaitant un enfant aban- donné et la Force « qui prime le droit » (fig. 329 ter). Celle-ci symbolise encore le Courage militaire sous la figure d'un guerrier. Ce dieu Mars, assis à côté de la Vertu nourricière chrétienne, évoque à l'esprit léger le groupe classique de nos jardins publics : le militaire et la bonne d'enfants. La seconde allégorie est aussi appelée la Méditation, bien que le général fit preuve du contraire en mettant son épée au service de l'Empire (1860) qui l'avait proscrit au coup d'Etat. Il est vrai que c'était en qualité de soldat du pape ; aussi, après sa mort, le pontife reconnaissant envoya-t-il à sa veuve, en guise de consolations, un cadeau dont nous vous

1. Reproduite dans VIconographie de Mgr Barbier de Montault.



Fig. 329*.


LOIRE-INFÉRIEURE


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donnons en mille à deviner la nature : un squelette, qu'il baptisa du nom de Christophe, signifiant porte-Christ en g-rec. Les échos



Fig. 329 bis et ter.


de Nantes retentissent encore des gorges chaudes que firent, au sujet de cet incident macabre, les petites feuilles locales.

â*' Saint-Nicolas. — Les autels du transept sont ornés de toiles signées par Elie Delaunay : à droite, 5am^ Vincent de Paul, portrait de l'auteur; à gauche, le Sacré Cœur, « où le peintre s'est inspiré du type de Jupiter Olympien pour reproduire les traits du Christ déifié », dit l'auteur de Nantes illustré.

3° Ancienne Synagogue *.

1. D'après le même auteur, une maison reconstruite rué de la Juiverie, en face le passage Bouchaud, a passe pour une synagogue servant aux juifs du temps où ils étaient parques dans ce ghetto.

« Deux bas-reliefs l'ornent encore. L'un d'eux représente le buste d'une femme, chauve derrière la tète et les cheveux du front ramenés en avant (fig. 331). Au- dessus (fig. 330), dans un triangle, ces deux lettres —, restées longtemps une énigme


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l'art profane a l'église



(( Qun'renda est.



« Expecto donec vcni t. Fii>-. 330-331.


4« Saint-Clément


Ghateaubriant. La Trinité ^.


et qui signifient tout bonnement a super o au-dessous, ces deux mots qui complètent le sens QV/KRENDA BST, cc qui doit se lire comme suit : A supero quserenda est (Il faut la cher- cher auprès de Dieu). 11 s'agit évidemment de l'Occasion, dont le bas-relief reproduit la figure bien connue. Le second représente un homme assis, dans l'attitude de la douleur ou de l'at- tente, il tient une tortue à la main. Au bas, cette légende: Expeclo donec uen./a< (j'attends qu'il vienne). Ceux qui voyaient là quand même une ancienne synagogue trouvaient dans cette inscription une allusion au Messie. Il n'était sans doute cas que de l'Occasion qui figurait déjà dans le bas-relief supérieur. »

Abstraction faite des deux lettres extrêmes A-0, alpha et oméga, qui, chez les anciens, symbolisent l'éternité, ces bas-reliefs n'ont d'ailleurs rien de spécialement hébraïques.

1. Une table de marbre, appliquée à l'autel de la Vierge, en 1674, y fut mise en expiation d'une profanation qui, dit Touchard Lafosse, « commise en présence du modèle de toute pureté, prouve que les passions peuvent s'af- franchir quelquefois du frein le plus sacré >>.

2. C'est dans cette église que, en 1537, Jean de Laval éleva un magnifique tombeau à son épouse Françoise de Foix, à qui ce prétendu Otello aurait ouvert les veines, pour la punir de la passion qu'elle avait inspirée à Fran- çois I«^ L'épitaphe, composée par Clément Marot, s'inscrit en faux contre la légende de ce seigneur saigneur :


PEU DE TELLES

Sous ce tombeau gît Françoise de Foix,

De qui tout bien tout chacun souloit dire :

En le disant, onc une seule voix

Ne s'avança d'y vouloir contredire :

De grant beauté, de grâce qui attire,

De bon savoir, d'intelligence prompte,

De biens, d'honneur, et mieux que ne raconte,

Dieu éternel richement l'étofTa.

O viateur, pour fabréger le compte,

Çy gît uncq rien là où tout triompha.


Par contre, la même localité offre un exemple peu ordinaire d'amour conjugal : le retour inespéré de Geolï'roy IV, baron de Chateaubriand, fait prisonnier en Terre- Sainte avec saint Louis, causa une telle surprise à son épouse qu'elle mourut en l'embrassant. Nous devons à la mémoire de la baronne de voir dans cette surprise un ellet de la joie, bien que le contraire soit fort possible.


LOIRE-INFÉRIEURE


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Fig. 332.



Le Pallet*.

GuÉRANDE. Saint- Aubin. — Très curieux chapiteaux historiés, les


Fig. 334.

uns avec phallus, dans toute leur crudité ; les autres, ornés de scènes lég^endaires ou sym- boliques, dont le sens nous échappe. Telle est, par exemple, la scène tragique développée en haut d'un pilier (fig. 332- 334).

Le Bourg-de-Batz. Saint- Génolé. — Une des clefs de voûte du collatéral Nord porte un damné, déchiré par sept diablotins hideux, — images des sept péchés capitaux, —



Fig. 335.


qui lui arrachent la langue et lui ouvrent une fenêtre abdominale pour l'étriper (fig. 335).

1. La patrie d'Abélard Béranger, où Iléloïse mit au monde le fruit de leur amour, contrarié par les ciseaux de l'oncle Fulbert. Ce fruit défendu devint le chanoine Pierre Astralable, de Nantes. Coïncidence singulière : notre Père la Pudeur, le Fulbert contemporain delà licence publique, est l'homonyme de la victime du chanoine de Paris.


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l'art profane a l'église


XLIII. - LOIRET

Orléans, Cathédrale. — La Chronique médicale a donné la description de deux groupes placés sous forme de gargouilles au-



Fig. 336.


dessus d'un portail latéral, rappelant le péché de la chair et les conséquences qu'il entraîne :

L'un de ces groupes représente un singe accouplé avec une femme, et l'autre représente la même femme en position obstétricale, accouchant d'un singe, placé entre ses jambes et relié à la vulve par le cordon ombi- lical. Ces groupes sont très visibles, demi grandeur naturelle, et se remarquent à première vue, pour qui examine la cathédrale au point de vue artistique.

M. G.,

Interne des Hôpitaux.

2o Saint-Michel *. — 3« Hospice Saint- Antoine^.

BiGNON. — Peinture sur une poutre (fîg. 336), à intention scato- logique ; fesses et fèces rien ne manque à cette sorte de capucinade peu délicate, dont nous ne saisissons pas la portée moralisatrice ou satirique.

Saint-Benoit-sur-Loire. Sainte-Marie. — Façade. Bas-relief de la Louve allaitant Re'mus et Romulus. Parvis : chapiteaux, avec la

1. Cette église devint une salle de spectacles sous la Révolution, et est restée telle depuis. La façade du théâtre d'Orléans, sur la place de l'Etape, est monu- mentale ; elle est ornée de quatre statues de saintes exécutées par Hubert, et qui, selon M. Vergnaud Romagnesi, ont été transformées en muses.

2. Jusqu'en 1675, les pourceaux de cet hospice eurent le privilèj^e de parcourir librement la ville, sans gardien ; de là le dicton : « Libre comme les pourceaux de Saint-Antoine ». Notons qu'à Saint-Denis figure la sépulture de « Philippus Rex, filius Ludovici Grossi », qui fut victime d'un de ces anciens compagnons d'Ulysse, « à l'occasion d'un pourceau qui se mit entre les jambes de son cheval ».


LOIRET


273


punition de Y Impureté et la Tentation de nos premiers parents, Adam est revêtu d'une sorte de chlamyde, aux côtés d'Eve nue, pour indiquer son degré de culpabilité moindre dans leur désobéissance au Père Eternel. Cet épisode biblique, interprété d'une façon peu commune, « se trouve accolé, dit l'abbé Auber, à une scène de tentation d'un autre genre ; deux personnes, entièrement nues, en font tous les frais : le dessinateur expose au regard l'action même de l'adultère D'après d'autres commentateurs, ce groupe exprimerait les fornications de Babylone, <( qui a enivré toutes les nations du vin de colère de ses pros- titutions » {Apoc.^ ch. XVIII, V. 3).

Un chapiteau porte encore un monstre nu, à tête humaine (fîg. 337), sans autre signification que son aspect caricatural. On voit, enfin, au haut d'une colonne^ Saint Martin offrir un morceau d'étoffe à un chemineau complè- tement nu, et la Tentation de saint Benoît^ qui se roule sur des orties, comme dérivatif anaphrodisiaque énergique.

Le trésor possède un chapelet donné à l'abbaye par une reine de la main gauche, la Montespan ou la Maintenon ; Tun des quatre mé- daillons qui en font le prix renferme la Vierge allaitant son divin nourrisson ^.



ViLLEREAU. — L'élégant portail de cette église, qui attend son achèvement depuis le xvi*^ siècle, est orné de deux bustes, en bas- reliefs, de Gabrielle d'Estrées et d'Henri IV. Ce couple galant à la porte d'un édifice religieux fait l'effet d'une gageure ; il est vrai que le Christ a dit : « Aimez-vous les uns les autres ! »

Saint-Brisson-sur-Loire. Saint-Brice. — Un chapiteau de Tinté-


1. Marchand, Souvenirs historiques de l'ancienne abbaye de Sainl-Benoit-sur- Loire, pl. X ; in-8°, Orléans, 1838.

2. Le cardinal OdcL de Ghâtillon, qui se faisait appeler Tabbé de Saint-Benoît, lit beaucoup trop parler de lui. Pie IV le dégrada, ce qui ne l'empêcha pas de se présenter à l'autel en habit de cardinal, pour épouser Elisabeth de Ilauteville. Charles IX l'envoya en ambassade près de la reine Elisabeth, dénommée « la reine- vierge », bien qu'elle eût une jolie collection d'amants, dont Odet de Ghâtillon fit partie. Mais il eut une lin tragique : son gendre, un de ses valets de chambre qui avait épousé sa fille naturelle, l'empoisonna et joua le rôle du doigt de Dieu.


L ART PROFANE.


I.


18


274


l'art profane a l'église


chrétiens.


rieur figure VIchtus symbolique des premiers

la forme d'un Christ, dont le tronc se termine par une queue de poisson. Le Ré- dempteur tient,

en outre, un poisson à chaque main.


sous



SuLLY-suR-LoiRE. Saint-Ithier. — Chœur. Bas côté droit. Sur les vi- traux, le Miracle de saint Jacques ou la Servante d'auberge amou- reuse, pendant de la Pie voleuse. La servante, éprise d^un jeune pèlerin qui la dédaig-ne, cherche à le perdre en l'accusant d'avoir volé un couvert d'argent qu'elle cache dans sa valise. On le pend, mais saint Jacques de Compostelle intervient assez à temps pour le sauver. Le dernier panneau représente, d'après M. Edmond Michel, Une femme nue brûlée vive ; c'est le supplice de la servante.

Monta RGis. La Madeleine. — A l'un des pilastres du bas côté septentrional, une gargouille, sous figure de femme, les cheveux épars, nue jusqu'à la ceinture et le reste du corps emprisonné dans une gaine, où la date 1554 est inscrite.

Pannes. Saint-Pierre-lès-liens. — Sur l'un des culs-de-lampe des collatéraux, la Lubricité (fig. 338) est symbolisée par un per- sonnage chimérique, « obscène, ailé, tenant une torche allumée dans les mains », le feu de la concupiscence.


Bellegarde. Notre-Dame. — Chapiteau du portail. Deux hommes nus passent la tête sous leurs jambes (fig. 339). Chapelle de Saint- Eli, tableau Sainte-Marie V Egyptienne^ qui reçoit la communion de Zozime.


Bromeilles. — Un cul-de-lampe du dernier arc doubleau de la nef, côté gauche, représente une femme nue et agenouillée (fig. 340).

Ghatillon-sur-Loing. Saint-Pierre et Saint-Paul. — Chapelle des


LOIRET


275



Fig. 341.


Fonts. Baptême de Clovis, Desgardes invenit et fecit (1679). La pudicité de ce peintre ne recule pas devant une erreur liturgique ; il montre le roi, à genoux, le corps nu, mais ceint d^un linge de baptisé par infusion, au lieu de l'être par immer- sion. Il craint encore moins de violer la vérité historique, en fai- sant assister à cette cérémonie le duc et la du- chesse deChâtil- lon, Christian de

Mecklembourg et Isabelle de Montmorency, reconnus par l'abbé Patroni. Que d'anachronismes, bon Dieu, sont commis en ton nom !

GouRTENAY. Saliit-Pierre. — Chapelle de Sainte-Madeleine. On est quelque peu surpris de rencontrer au-dessus de l'autel une copie de la Madeleine du Titien ex dono « offert^ dit une inscrip- tion ambiguë sur une cartouche du cadre, par MM. Peradon frères, en souvenir de leur mère ».

Thorailles. Saint-Jean-Baptiste. — Sur un cul-de-lampe, un homme montre le sien, en se jetant dans la coquille d'un co- limaçon (fîg. 341). Est-ce un encouragement à la vie contempla- tive?

Ferrières. — Chœur. Tombeau de Louis de Blanchefort, abomi- nablement mutilé. L'effigie du personnage a disparu et les sta- tuettes des sept Vertus ont été décapitées : en 93, on a commencé par guillotiner les statues. Les autres mutilations sont attribuées, par M. E. Michel ^, aux gens superstitieux de la contrée u qui bri- sent des morceaux et les emportent pour se guérir du mal de dents ».


1. Les Seins h l'éçjlise, fi;^-. 215.

2. Gazette des Beaux-Arts^ 1883, tome xxyiii, p. 22u.


^76


l'art profané a i/église


Nous donnons (fig. 342), la Conception de la Vierge^ sous la

Porte Dorée, où Joachim prend le sein d'Anne. C'est un fragment de vitrail de l'Abbaye de Ferrières, reproduit en entier par A. Demmin, dans son Ency- clopédie des Beaux-Arts plastiques.


XLIV. — LOIR-ET-CHER


ROMORANTIN*.


CouR-SLR-LoiR. — Olivier Merson donne la description d'une curieuse verrière de cette église :

Jésus enfant, vers quatre ans à peu près, debout, complètement nu, entre les genoux de sa mère, bénit la troupe des apôtres et de ses pro- ches, enfants eux aussi, dans le môme état d'absolue nudité. Le nom de chacun est inscrit sur le nimbe qui encadre la tête, nimbe jaune, seule coloration apportant quelque variété à toutes ces chairs enfantines. Ce sujet étrange — nulle part ne s'en rencontre la répétition — contient certainement, croyons-nous, une leçon mystique. Mais laquelle ? Il nous est impossible de la dégager.

Et si cette « leçon mystique » était une simple « mystifica- tion » du peintre vitrier, tout s'expliquerait?

Les Guéreïs. Saint- Jacques. — Une fresque du xii^ siècle expose

1. Au lieu dit le Carroi doré se trouve l'hôtel Saint-Pol, où François I" reçut le malencontreux tison de la main de Montgomery, le père de celui qui creva l'œil de Henri II. Sur chacun des piliers en bois de la porte, sont sculptés deux bas-reliefs, dont M. Lov. Scrib a donné la description et commu- niqué le dessin à la Réunion des Sociéiéa des Beaux-Arts dépiirlemen taux . Notre croquis ne donne qu'une faible et insuffisante idée de la singularité de ces repré- sentations qui sont de véritables caricatures religieuses. L'une de ces sculptures nous montre saint Michel terrassant le démon, qui apparaît sous la forme d'un homme nu, avec une tête de cochon (iig. 343). L'autre sculpture nous offre une Annoncinlion (lig. 344) ultra-comique. A la place habituelle de l'Eternel, une tête diabolique et ricanante domine la scène, entre deux canards qui soutiennent les draperies relevées d'un baldaquin de lit, abritant la Vierge et Gabriel, lequel lui tourne le dos. Marie porte un corsage collant qui accuse la saillie de ses mamelles et elle appuie la main gauche sur un meuble qui a l'apparence d'un bidet.



LOIR-ET-CHER


277


une damnée nue, qui se débat contre un volumineux serpent, at- taché à son sein droit.



Fig. 343. Fij;'. 344.


Vendôme. La Trinité. — Le Bulletin monumental ^ rappelle que le chœur fut décoré, k la fin du xv*" siècle, de stalles, dont les orne- ments sont (( une œuvre admirable de verve burlesque ou pieuse, dans le choix des sujets )>. Ces stalles, vendues en 1792 comme bois à brûler, furent achetées par un prêtre constitutionnel, le curé de Luna}^ petite paroisse du Perche, qui les plaça dans son église.

Sur une miséricorde, un animal fantastique montre les témoins de sa sexualité, dissimulés sous la forme d'une langue qui semble appartenir à une figure tracée sur son train postérieur (fîg. 344 bis).

Un vitrail de l'abside, côté droit, représentait un abbé mitré in naturalihus ; ce prieur a dû se contenter d'un simple in partibus par ordre de l'évêque qui lui fit ajouter un caleçon de bains. Et cependant cette église abbatiale est classée parmi les monuments historiques ; il y a donc là un attentat, un outrage à la majesté souveraine de l'art, que nous dénonçons k Qui de droit.


1. T. IV, p. 277.


278


L ART PROFANE A l'ÉGLTSE


Saint- AiGNAN. — Un chapiteau (%. 345) est entouré d'un groupe de femmes dont le rôle est indéterminé ; ce sont des cariatides pour rire.



Fig-. 344 Jbis. Fig. 345». Fig. 346.


XLV. — LOT

Gardailhac. — Luxurieuse entre deux dragons ailés, qui lui mordillent et titillent désagréablement les seins.

FiGEAc. Abbaye ^.

XLVL — LOT-ET-GARONNE

Agen. Saint-Caprais. — A la chapelle du cloître, un centaure lance une flèche contre une harpie ; on voit aussi une néréide à double queue (fîg. 346). Autant de figures de l'incarnation symbo- lique du démon.

La Plume. — Gomme le sabre de M. Prudhomme, qui servait à défendre ou à attaquer les institutions, la néréide personnifie le Vice (fig. 347) ou la Vertu (fig. 348), selon que son buste est à nu ou moulé dans un corsage. L'église de la Plume possède ces deux

1. Reproduite par le Bullet. monum.

2. De Saint-Foix raconte le curieux cérémonial observé à la première Entrée de l'Abbé dans sa ville de Figeac : Le Seigneur de Montbrun et de la Roque, habillé en Arlequin et une jambe nue, est obligé de le conduire jusqu'à la porte de son Abbaye, tenant sa jument par la bride ; ensuite l'Abbé et l'Arlequin dînent ensemble, comme compère et compagnon.


LOT-ET-GARONNE LOZERE


279


variétés. La Volupté presse ou offre ses seins; son antagoniste a les mains jointes, dans l'attitude de la prière ; c'est, paraît-il, l'image



Fig. 347. Fig. 348.


de la régénération baptismale* ; mais rien n'est moins certain qu'une telle interprétation.

XLVII. — LOZÈRE

Langogne. — Au haut d'un pilier, un personnage nu, le Bien (?) est assis entre deux dragons, le Mal (?), qu'il caresse et dont il arrive à se faire lécher, en signe de soumission. D'autres chapiteaux sont occupés par des chimères^ centaures et autres animaux fantas- tiques.

Sainte-Énimie^.

XLYIII. — MAINE-ET-LOIRE

Angers. 1^ Cathédrale. — Transept Nord. Groupe réaliste sculpté sur deux modillons : un évêque ou abbé, en belle humeur, reluque une ribaude, la Luxure, qui soulève sa robe pour aguicher le galant épiscope. Ce spectacle voluptueux le trouble au point de faire perdre l'équilibre à sa mitre, qui tombe à la renverse.

1. Bul. mon., t. xxn, p. 125.

2. La belle et vertueuse Eniniie, fille de Clotaire II, ne voulait d'autre époux que Jésus ; mais son père étant décidé à la marier, elle pria Dieu de la défigurer — que n'imitait-elle sainte Lucie, qui s'arracha les yeux pour le même motif ? Un eczéma généralisé couvrit aussitôt tout son corps, mais une révélation lui apprit qu'elle trouverait la guérison dans les eaux d'une source jaillissante à l'en- droit où se tr(juve Sainte-Enimie. La princesse fut guérie, mais chaque fois qu'elle s'éloignait de cette fontaine miraculeuse, la maladie de peau récidivait. Elle fonda un monastère qui subit quelques vicissitudes après sa mort ; les religieuses de ce couvent menaient une vie si déréglée que l'évcquc de Mende les chassa et les remplaça par des bénédictins.


280


I/ART PROFANE A l'ÉGLISE


Le tombeau de Jean Olivier, évêque d'Angers, mort en 1540, auteur du poème latin de la Pandore^ est orné de bas-reliefs sur

lesquels se coudoient, dans une promiscuité curieuse, mais peu catholique, Alexandre et Sémira- mis, Romulus et Rhéa, Hercule et Gléopâtre, etc. ; nouveaux exemples de l'intrusion du paga- nisme dans Fart chrétien. 11 est vrai, nous le savons, qu'on peut voir dans Hercule la personnifi- cation de la Force ^ Tune des vertus cardinales.

Un médaillon de la Rose, de Robin d'Angers, reproduit des scènes de la Résurrection, où s'é- tirent des femmes nues, à côté d'un pape — parfaitement — d'un évêque et d'autres tonsurés, en costume de ressuscités (fîg. 349).

Une verrière de la nef, chaudement enluminée, déroule la passion de sainte Catherine d'Alexandrie. On arrache les seins de la martyre avec des crocs rougis au feu ; puis elle est fouettée, toute nue : ses cheveux en sont verts de peur.

Les Ponts-de-Cé. Saint-Maurille. — Les stalles proviennent de l'église prieurale de la Haie-aux-Bons-Hommes-lès-Angers. Parmi les sujets plaisants sculptés sur les miséricordes, notons (la onzième du côté de Lépître) une nonnain voilée « velée », la bouche fermée par un cadenas. Dans le pays, on appelle cette bamboche, sainte Babille. C'est une satire contre Pincontinance verbale féminine :

Rien ne pèse tant qu'un secret

Le porter loin est difficile aux dames.

On voit aussi un centaure muni d'un bouclier et des monstres aquatiques, à tête humaine, de Pun ou l'autre sexe.

Les tapisseries de la cathédrale interprètent les scènes deï Apoca- lypse. La 12® pièce montre la Mort sur un « cheval pâle ». Son squelette décharné est enveloppé d'un suaire flottant ; elle tient un



MAINE-ET-LOIRE


281


glaive pour frapper tous les hommes, par l'épée, la famine, la maladie et les bêtes sauvages.

A la 24^ pièce, auprès de saint Jean, une demi-douzaine d'hom- mes nus succombent, pour avoir bu des eaux amères changées en absinthe.

2^ Saint-Nicolas. — Le Musée du Mans a hérité, de cette église détruite, un cha- piteau singulier (fîg. 350) qui symbolise V Antagonisme du Bien et du Mal ou V Im- pureté. Il représente une fîUe d'Eve vêtue, qui laisse passer sous sa guimpe, deux vi- goureuses mamelles, auxquelles s^attachent un serpent et un animal à forme de crapaud

monstrueux. On remarque, en plus, que l'aumônière de V Avarice est attachée au cou de ce personnage, qui paraît ainsi symboliser à la fois plusieurs péchés capitaux.

3" Saint-Serge. — Sur une clef de voûte est sculpté et enluminé un sujet énigmati que. C'est un personnage barbu et chevelu, comme le Père Eternel, qui tient un corps nu sur chacun de ses bras ?

Beaufort-en-Vallée. — Un tableau de Y Annonciation^ par Antoine Talcourt, passe pour représenter la Vierge sous les traits de Mme de Montespan. Et pourquoi pas ? n'ont-elles pas eu Tune et l'autre de nombreux enfants ? D'ailleurs, l'épouse morganatique de Louis XIV ne rougissait pas d'afficher son effigie en lieu saint; elle était même coutumière du fait. Nous la retrouverons au maître-autel de la chapelle du palais de Fontainebleau, en l'une des Vertus théologales, ni plus ni moins. D'après M. Joseph Denais l'ange Gabriel est représenté par le duc du Maine. M. le vicaire A. Delepine a bien voulu nous confirmer Fexistence de cette toile curieuse ; mais elle n'a jamais été photographiée ni reproduite.

GuNAULT. 1° Eglise paroissiale. — Plusieurs représentations de

4. Rapport à \a Réunion des Sociétés des Benux-Arls ; Interm. des chercheurs et des curieux; Chron. méd.



282


l'art profane a T/ÉfiLISE


néréides, symbole de l'âme chrétienne purifiée par le sacrement du baptême (lig. 351-352) ; un pécheur ou un passager, dans une



Fig. 351.

barque, reçoit un poisson de l'une d'elles. Ces monstres marins décorent fréquemment les édifices religieux du Poitou.

Sur des peintures mu- rales, sont figurées les Sibylles , prophétesses païennes qui passent pour avoir annoncé la Conception, la Nativité^ etc. La Gimmérienne (du Pont-Euxin) tient un cor- net ou biberon et prédit V Allaitement de Jésus par



Fift". 353.


Marie^ comme l'un des


Fie-. 354.


quatrains des anciens li- vres d'Heures le rappelle en un style naïf:

Sibile Cyemeria,

Aag^ée de x v i i j ans, a dit

Que la Vierge alectera

Son enfant sans nul contredit.

2^^ Cloître de Saint- Aubin. — Détails de sculpture à allure ultra- réaliste. Un centaure, qui tire de l'arc, est doté d'organes virils hypertrophiés (fîg. 333), et un oiseau fantastique, à tête humaine coiffée d'une couronne, reçoit les caresses d'une courtisane (fîg. 354).


MAINE-ET-LOIRE


283


L'EsviÈRE. — Une peinture du xv^ siècle, rappelle YHistoire de VAbbesse, l'un des « Miracles de Notre-Dame « :

Comme une abbesse fut vers l'évesque accusée,

Par la Vierge Marie d'enfant fut délivrée.

L'ange porta l'enfant au boys à ung bermite.

Lequel enfant fut depuis esvesque de très grand mérite.

Saumur. 1° Notre -Dame -de - Nantilly

2« Notre-Dame-des-Ardillers ^.

Puy-Notre-Dame^.


XLIX. — MANCHE

Mont-Saint-Miciiel^. Abbaye. — Bas-relief du xyi*", Jésus retire les âmes des Limbes (fîg-. 355). En tête, apparaissent Eve et Adam, celui-ci avec une barbe de patriarche ; dans un coin, une âme fémi- nine, capiteuse, se déchire le sein droit, tandis que, du côté opposé, Satan tire la langue de rage et de dépit.

1. Sur un pilier est gravée, en creux, l'cpitaphe, composée par le bon roi René d'Anjou, pour sa nourrice, dame Thicphaine : la reconnaissance du ventre.

2. Aliénait à la communauté de Fontevrault, dont Gabrielle de Rochechouart, une des sœurs de Mme de Montespan, était abbesse. A l'automne de sa vie, l'ex- favorite, comme le diable, se fit ermite, et vint se retirer dans une maison- nette appelée le Jagueneau, qu'elle fit construire au fond du jardin de cette communauté. Ses chemises, ses draps, étaient de toile écrue et grossière; elle portait des jarretières et une ceinture, en guise de corset, hérissées de pointes de 1er; les grains du rosaire remplaçaient les perles de ses riches colliers.

3. L'église de cette commune possédait une ceinture de la Vierge qui jouissait d'une grande réputation auprès des femmes enceintes. Elles s'en faisaient ceindre pour obtenir une heureuse délivrance ; aussi, dit Bodin, « c'est une espèce de lanière assez malpropre ». Anne d'Autriche l'utilisa à Saint-Germain lors de ses grossesses miraculeuses; mais, depuis, elle a perdu son prestige. Sic transit...

4. Au temps où le Mont-Saint-Michel était consacré à Bélénus, l'un des quatre grands dieux des Gaulois, il y avait là un collège de druidcsses. Elles vendaient aux marins des flèches destinées à calmer l'orage, à la condition qu'elles fussent lancées par un adulte de vingt et un ans, possesseur de sa virginité — ce qui était bien difficile à vérifier. Après la traversée, à l'arrivée du vaisseau au port, le jeune



284


l'art profane a l'église


Urville. — Chapiteau occupé par un centaure qui décoche une



BouTTEviLLE. — Chapiteaux avec chimères et serpent bicéphale, dévorant les entrailles d'un homme emprisonné dans ses chaînes.

Mamtinvast (%. 356). — Tollevast (%. 357). — Saint-Marcou (^§•.358). — Modillons couverts de fantaisies outrancières symboli- sant, si l'on veut, la Luxure. La figure 357, avec la bouche de travers qui hurle de douleur, semble dépeindre une scène d'accouchement, la conséquence du péché de la chair. Les artistes simplistes et inha- biles des siècles de foi, nous le répétons, à défaut d'art, frappaient fort et montraient le vice dans toute sa laideur, pour en inspirer l'horreur. Mais ne dépassaient-ils pas le but dans certains de ces tableaux moralisateurs que la morale réprouve ?

Que doit-on penser d'un contraste aussi frappant? se demande Th. du Moncel, dans le Bulletin monumental. Nos ancêtres voulaient-ils, en retraçant matériellement sous les yeux ces obscénités, montrer la laideur des passions auxquelles Thomme est en proie et la turpitude d'une chair corrompue ? Ou bien ne voulaient-ils pas plutôt, en mettant au dernier deg-ré de la bassesse les jouissances qu'ils regardaient comme les plus vives en ce monde, faire ressortir celles que l'on goûte auprès de Dieu ?

Saint-Lo. — En façade, divers sujets libres. Ici, un maître d'école frappe, de la main, le derrière mis à nu d'un écolier indiscipliné,

Jean d'Arc portait des oirrandcs aux druidesses et réservait sa virginité pour l'une d'elles, avec qui il allait se baigner. « Le lendemain, raconte de Saint-Foix, l'auteur de ce récit, en s'en retournant, il s'attachoit sur les épaules autant de coquilles qu'il s'étoit initié de fois pendant la nuit. »

4. Fleproduite par le Bullet. monum.

2. Reproduite par le Bullet. monum.


MANGUE


285


« qu'il tient adenté, dit M. Dubosq, sur ses genoux » ; là, une maîtresse d'école inflige la même punition à une fillette dont les saillies géminées sont des plus potelées; plus loin, un monsieur et une dame « se disent des mots d'a- mour » ; un peu partout, des figures burlesques, piquées de quelques obscénités. Plusieurs de ces représentations ont été mutilées par les Calvinistes en 1562.

L. — MARNE

Reims. 1^ Cathédrale. — Portail principal. Sur l'aire du tympan est détaillé \q Jugement universel, mais peu nuement : les diables seuls sont dévêtus. Où Gambry, le président du district de Quimperlé (An III), a-t-il vu « la sodomie représentée par quarante statues dans la plus infâme attitude » ? On se le demande. Les damnés enchaînés, à la tête desquels marchent un roi, un évêque mitré et crossé, suivis d'un moine, sont tous costumés. Quant aux réprouvés, qui cuisent dans la marmite infer- nale, on n'aperçoit que leurs têtes microscopiques. Un groupe à part évolue sur un cordon de la voussure : trois âmes incombus- tibles, qui sont encore dans les flammes du Purgatoire, marmottent leurs oraisons (fig. 359).

Cette réserve dans le costume disparaît avec l'histoire du dernier jour du monde, décrite dans V Apocalypse et développée sur l'arcade de droite (fîg. 359 bis) où paraissent, au naturel, des personnages à cheval et à genoux. En tête de la cavalcade, nous retrouvons la Chevauchée de la Mort, les yeux bandés, telle qu'elle caracole à Notre-Dame de Paris. Mais ici son coursier « pâle » semble moins fougueux ; il paraît épuisé de porter en croupe un cadavre renversé sur une autre victime, que la camarde empoigne et entraîne par la mamelle.

Outre ces personnages apocalyptiques sans voiles^ nous avons encore à l'extérieur une néréide-gargouille qui se presse le sein (fîg. 360).

La Visitation est figurée sur le grand portail par deux matrones enceintes, vêtues à la romaine. La grossesse de la Vierge, contrai-



286


l'art profane a l'église


rement à l'Ecriture, est beaucoup plus visible que celle de sa cou- sine Elisabeth, en avance de six mois.



Fig. 359 bis.


Le portail de gauche offre seulement deux ou trois motifs légers. A la console d'une statue hiératique et congelée de sainte ou de reine, une femme assise, une impudique, découvre la naissance de ses cuisses (lig. 3G0 Lis), En face, entre les cordons de la voussure, un habitant de Jérusalem jette les vêtements dont il s'est dépouillé


MARNE


287



Fis-. 3G0.



3G0 bis.


sur le passage de Jésus (fîg-. 361), tan- dis qu'un autre, dé- vêtu aussi, grimpe à un palmier pour en abattre les ra- meaux. Ce grimpeur pourrait bien être le publicain Zachée qui, au passage du fils de Dieu par Jéricho, avant d'arriver à Jérusalem, monta sur un sycomore pour le voir passer.

La pudicité artistique de cette cathédrale est telle que, même nos premiers parents réfugiés au-dessus de la chaire ont revêtu un « incomplet » sur mesure, comme ceux de sainte Gudulle, à Bruxelles. Adam et Eve, comme Vénus ou la Vérité, habillés sont méconnaissables.

Eve paraît encore vêtue au transept Nord, à droite de la grande

rose ; elle tient dans ses bras le dé- mon, symbolisé par un animal fan- tastique.

A peine découvre-t-on sur le tympan de la porte septentrionale, au milieu d'arabesques élégantes finement fouillées, un a petit bon- homme » isolé, tout nu, et au croi- sillon Sud, la Afws/^îie, complètement deshabillée, qui tinte une clochette.

On cite encore, comme une auda- cieuse exhibition artistique pour l'é- poque, la poitrine nue de l'ange qui, au grand portail, chasse Adam de FEden. Ces créatures séraphiques n'ont commencé à se dévêtir qu'a- près le moyen âge.

Pourtant, la Résurrcctioiiy au transept Nord, se hasarde à sortir des sépulcres quelques torses nus ; mais vous n'y rencontrerez aucune



Fis-. 361.


288


l'art profane a l'église


femme, k moins qu'on ne considère comme telles les deux ressus- cités qui ont conservé leur suaire (fig-. 362).



Fig. 362.


Par contre, saint Rémy, le patron de Téglise suivante, s'est ré- servé le privilège de la nudité, si l'on s'en rapporte à l'épître que François Maucroix, chanoine de Reims, adresse à M. Gassandre, pour lui donner « des nouvelles de piété ».

On voit à nu, dans cette ville, Le corps entier de saint Rémy, Qui de Dieu fut si bon ami. Chacun le voit, chacun l'admire : D'aise, à Tentour, chacun respire, Et n'est si méchant à le voir, Qui ne sente un peu s'éxnouvoir.

Pour mémoire, car nous n'avons pas eu l'heur de découvrir cette curiosité : il existe, assure Jean d'Orsay, une pierre de la cathédrale, sur laquelle Jésus s'est reposé et qui garde encore l'empreinte de cette inoubliable station. Nous avons vu, en Orient, beaucoup d'em- preintes des pieds de Mahomet, mais jamais celle du siège du Pro- phète ; pour Reims, « le siège est fait ».

Chapelle du Sainct-Laicty on conservait^ autrefois, une poudre blanche provenant de la Grotte du lait, de Bethléem, où la Vierge se cacha, au début de sa fuite en Egypte.

2" Saint-Rémy. — Une des dix tapisseries anciennes de la plus


3t A R N r:


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vieille ég-lise de Reims, célèbre le Baptême de Clovis. Clotilde, habillée^ est agenouillée à côté de son époux, exposé, nu, dans une cuve trop courte, une véritable cuvette. Au-dessous, cette légende, en caractères gothiques, explique la scène balnéaire :

A Sainct Rémy Clovis requert baptehme

Et se repet d'avoir sans liiy vescu ;

Dieu tout puissant luy transmet le sainct cresme,

Semblablement des fleurs de lys léscu.

Même sujet traité dans la Chapelle des Fonts-Raptismaux, sur le rétable, enluminé, connu sous le nom des Trois Baptêmes, et exé- cuté, en 1610, par Nicolas Jacques. On y voit, au centre, le baptême de Jésus par Jean-Raptiste ; de chaque côté, le baptême de Cons- tantin, par Jules II, et celui de Clovis, par saint Rémy. Ce roi, com- plètement nu, est à genoux dans une cuve ; autour de lui se groupent son épouse, Clotilde, et ses sœurs, Lantilde et Albolède.

Quelques tapisseries rapportent les miracles de saint Rémy ; entre autres, la guérison d'une cécité par le lait de femme. Le futur évêque, que sa mère, sainte Célinie, allaite, rend la vue à saint Montain, comme l'explique le quatrain, placé au bas de ce tableau :

Le Créateur à ce cas entendit L'enfant Rémy print du lait qu'il tetoit Et d'icelui claire veue rendit A saint Montain qu'alors aveugle étoit.

Sur Tune des dalles provenant du sanctuaire de saint Nicaise, détruit en 93, et qui pavent la Chapelle consacrée à saint Eloi, nous avons décrit sommairement la nudité biblique de Suzanne au bain. Une tapisserie de la cathédrale nous montre encore la « chaste » baigneuse, en Vérité^ sortant d'une cuve cylindrique, comme d'un puits. On lit au-dessous cette légende :

Les luxurieux viellars virent De son deshoneur la requirent Susanne au baing toute seulet Mais elle refusa leur requeste.

Dans son étude du magnifique pavé de mosaïque qui couvrait le chœur de Saint-Rémy, M. Tarbé décrit, au côté droit du chœur, un carré où étaient dessinés les quatre fleuves du Paradis — Tigris, Euphrates, Jehan et Phison — figurés par des personnages nus,


l'art profane. — I.


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l'art profane a l'église


versant Teau d'urnes placées sous leurs bras, et occupant les quatre angles. Au milieu paraissait une femme nue, assise sur un dauphin, tenant une rame et accompag-née de cette inscription : Terra. Marc.

Philippe le Bel battait franchement de la fausse monnaie, pour arrondir sa liste civile ; Louis XIV arrivait au même résultat, sous le couvert de la religion. Une lettre du roi, en date du 9 février 1G90, ordonne aux évêques de retrancher de leurs églises, non pas les tableaux licencieux, mais « les orfèvreries et les argen- teries non nécessaires pour faire le service divin, avec la décence convenable ». Il fallut bien se résigner et envoyer à la monnaie tous les objets votifs ou cultuels, en métal précieux ; une partie fut ré- servée à l'achat d'un Soleil, emblème du Roi, pour le maître-autel. Louis XV suivit le même mauvais exemple et les pillages des sans- culottes ne firent qu'achever ceux de la Royauté : la lie et l'élite se confondent souvent.

3^ Saint-Nicaise. — Le tombeau païen de Join, qui était conservé dans cette église avant sa démolition, a été transporté à la Cathé- drale.

({ Sur son portail, écrit le brouillon et bouillant rapporteur Cambry, l'onanisme étoit indiqué d'une manière extravagante. Un diable ailé tient les mains d'une femme coupable, l'entraîne ; un diablotin désigne la partie coupable, dans la position d'Hans- carvel. »

Giialons-sur-Marne. Notre-Dame-de-l'Epine. — « Les saletés et les lubricités, d'après Didron aîné, grondent à l'abside », le siège de prédilection des figurines dévergondées. Une paysanne, à demi accroupie, se trousse avec vivacité, nous dirions avec pétulance si nous l'osions, pour satisfaire un pressant besoin. Est-ce un symbole, un enseignement hygiénique, une leçon morale ou un caprice de sculpteur ?

Un de nos confrères nous a signalé une gravelure analogue, tapie au chevet d'une église bretonne; mais, ici, la femme, pour dissimu- ler son attitude insolite, fait exécuter k son enfant le même acte naturel, de sorte que les deux jets se confondent en un seul et les lois de la bienséance semblent être respectées.

Mais revenons à Notre-Dame-de-l'Epine. En dehors de Torne-


31 A R N È


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mentation éhontée des consoles et des gargouilles, où sont exposées des caricatures désordonnées, qui ont la prétention de personnifier et de flétrir les vices, Didron décrit la Luxure^ sous figure d'une femme âgée de 25 à 30 ans :



Elle est toute débraillée, levant hon- teusement sa jupe sans la moindre pudeur. Par sa tournure, par les mines de son visage, par toute son attitude, elle fait à tous les passants des provo- cations les moins équivoques, mais des y, provocations si grossières que je ne puis en parler 1.

S'agit-il de la vive et grotesque <( pisseuse », qui se soulage au chevet ? Nous ne savons exactement.

Au buffet d'orgues tout Tarrière-corps est occupé par les douze apôtres, et l'avant-corps par sept dee principaux dieux du paga- nisme, placés bien en évidence. Apollon^ travesti en femme, porte un soleil ; sa sœur Diane, dont les jambes sont nues, tient le crois- sant lunaire ; « elle a la poitrine saillante et un peu molle, comme si elle avait nourri plusieurs enfants » ; Mars, en suisse d'église, casqué, cuirassé et armé d'une hallebarde ; Mercure, en blouse ; Sa- turne, les vêtements troués ; Jupiter, couronné et cuirassé aussi, tenant ses foudres à la main ; Vénus, assez rustique, « forte et grasse », les reins cachés par un (utu ; « mais il faut le dire à son honneur, ce court jupon l'embarrasse, et, de la main gauche, elle le relève tant qu'elle peut » ; pour se donner une contenance, elle s'appuie sur la tète de son fîls Cupidon ! On sait qu'à l'origine du catholicisme, l'Est de la Gaule était couvert d'autels païens et cel- tiques, dont le Musée de sculpture comparée nous offre un curieux spécimen (fig. 3()3) ; rien d'étonnant qu'à l'époque de transition entre les deux cultes, il se soit opéré une fusion dont la tradition régionale a longtemps subi l'influence.


JouY. — Nous avons reproduit, d'après Didron 2, dans l'un de nos

t. xxiy, p. 314.


1. Annules archéol.,

2. Ann. archéol. 188


29^


l\rt proPanë a l^églîsë


volumes traitant deV Histoire des accouchements^ un vitrail qui ornait l'église de cette commune et montrait une Vierge, sur le ventre de laquelle était peint le petit Jésus entouré d'une gloire et évoquant le refrain : « Par où donc qu'il est entré ? » ainsi que le vieux cantique :

Pareillement la pucelle eust enfant, Sans fraction ne aucune ouverture.

Hans-le-Grand (Arr^ de S'^-Menehould). — Figures singu- lières, attachées aux piliers, près des portes latérales et au-dessus des chapiteaux ; un démon trapu et grimaçant tient sur la main un corps humain, enlacé par un serpent qui lui mord une cuisse

Vitry-en-Pertiiois ou Vitry-le-Brulé 2.

LI. MEURTHE-ET-MOSELLE

Nancy. Notre-Dame-de-Bon-Secours. — Chœur. Tombeau de Stanislas P% roi de Pologne (fig. 364), premier monument qu'il ait fait élever en Lorraine (1738) et son dernier asile (1766). Nancy fut le Versailles de ce prince, nec pluribus impar par la bonté, non par la vanité. Sur le socle de ce mausolée, la Charité^ accablée de dou- leur, abandonne néanmoins ses seins aux miséreux, comme pis- aller, et fait pendant à la Lorraine^ à genoux.

Vis-à-vis s'élève le tombeau de la reine (fig. 365), Catherine Opalinska(1747); la Charité, les seins nus, est aussi sculptée dans le soubassement, mais en bas-relief.

2*' Saint-Nicolas-du-Port. — Le trésor de cette église possède un

1. Cr. Bull, moniiin.

2. Louis le Jeune, dit le Pieux, en H44, transforma cette église en four créma- toire, bien que Rome soit ennemie de l'incinération. Il y fit rôtir cinq cents Champenois qui s'étaient réfugiés sous la protection de la maison de Dieu. En expiation de cet abominable crime, l'évéque Lombard lui rasa... le menton. Ah ! mais ! La punition des princes est toujours douce. C'est ainsi que, plus tard, en expiation de la Saint-Barthélcmy, Catherine de Médicis enverra, pour elle, à Jérusalem, un pèlerin qui devra faire le trajet à pied, en reculant d'un pas tous les trois pas.

A partir du terrible châtiment capillaire de Louis le Pieu, le peuple aussi cessa de porter la barbe, par servilité et esprit d'imitation, jusqu'à François I".


MEURT II E-ET-MOSELLE


293



Fiir. 3(Ki.


reliquaire couvert de sujets païens. On y voit, entre autres motifs, une Bacchante nue, le thyrse à la main ; une Gentauresse qui allaite son enfant et deux grands camées avec la figure de Vénus (fîg. 366) et celle de Tempereur Hadrien.

LoNGUYON. Eglise de la collégiale. — Un tableau, sans valeur artistique, représente le Martyre de sainte Agathe, à qui on enleva un ou deux seins ; les hagiographes ne sont pas d'accord sur le nombre.

TouL. Saint-Étienne. Cathédrale. — Une des gargouilles du cloître revêt la forme d'une femme, complètement nue et qui ne manque pas d' « estomac » (fig. 367).


PONT-A-MoUSSON


1. Signalons la maison dite des Sept péchés cnpilaux, où certains vices sont représentes vicieusement : « Une place à arcades, dit V. Hugo, où se trouve la


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l'art profane a l'église


LU. — MEUSE


Bar-le-Duc. Saint-Pierre. —



fransept. A l'extrémité méridio- nale surgit la Mort, statue d'un réalisme saisissant (fîg-. 368). Cette singulière compo- sition, due au ciseau de Ligier Richier (xiv siècle), se trou- vait autrefois dans l'église col- légiale de Saint-Maxe et ornait le mausolée de René de Ghâ- lons prince d'Orange, lequel, blessé mortellement au siège de Saint-Didier, manifesta le désir macabre « qu'on fît sa portraiture fidèle, non comme



Fig. 366, Fig, 367.

il étoit en ce moment, mais comme il seroit trois ans après son trespas ». Et de fait, l'artiste choisi par sa veuve, Anne de Lor- raine, a suivi scrupuleusement la volonté du défunt. 11 l'a représenté sous l'aspect d'un cadavre décharné, en complète décomposition, les os couverts de lambeaux de chairs pendantes et gluantes, la poitrine et le ventre défoncés, laissant voir les organes internes ratatinés tout grouillants de vers ; ce cadavre est donc plus nu que s'il était recouvert de sa peau.

maison des Sept péchés capilaux, dont la façade est ornée d'anciennes sculpturer exécutées avec une liberté et une naïveté qui eflarouchcront aujourd'hui nos décorateurs. »


!\I E U s E


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Saint-Mtiiiel. Saint-Michel. — De l'école du même statuaire lorrain, un groupe en pierre, d'un travail gracieux, représente la banale mais iné- puisable Charité [û^. 369).

C'est dans l'église Saint-Etienne que se trouve le fameux Sépulcre^ sculpté par Ligier Richier. Parmi les treize figures qui le composent, on re- marque au fond du groupe deux soldats qui jouent aux dés ; ce seraient les portraits de deux habi- tants de la ville : l'un, un usurier qui aurait fait saisir les meubles du sculpteur et l'autre le sergent de justice chargé d'opérer la saisie.



LUI,


MORBIHAN


Fie-. 3G9.


Malestroit. Saint-Gil- les. — Une singulière acrobatie évolue au porche (fig. 370). Est-ce une Sa- lomé serpentine, une an- cêtre de la Loïe-Fûller ou une simple fantaisie dé- corative ? Nous donnons et tirons notre langue aux symbolistes.

Ploermel. Saint-Armel.

Les sculptures de la



Fig. 368.

façade latérale sont remarquables par la finesse de leur exécution et la bizarrerie de leur conception. Telles: une truie, les mamelles ballantes, joue de la cornemuse ; une mégère, non contente de porter la culotte, arrache le bonnet de son époux, et, d'autre part, un savetier coud la bouche de sa douce moitié, avec son alêne, pour immobiliser sa langue vipérine.

Saint-Fiacre. Chapelle. — De nombreux détails, à sujets variés, couvrent l'admirable jubé, en bois (1440), et la frise qui surmonte la


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l'art profane a l'église


claire-voie. Ceux de gauche, au dire de Joanne, sont trop cyniques



Fig. 370. Fig-. 370 his et ter.


Un loup, vêtu en moine et prêchant dans une chaire au pied de la- quelle se tient un renard qui engage des poules à venir écouter le loup. Plus loin, le renard prend la fuite, poursuivi par les poules qui le piquent du bec. Le renard mort, les poules en font curée.

Les pendentifs du côté du chœur comprennent des personnages burlesques, à postures bizarres, qui supportent des sujets allégo- riques, d'après M. Gayot-Délandre. Ce second tableau, par exemple, personnifie la Gourmandise sous la figure d'un gros homme repu, assis, les poings sur ses genoux, faisant d'affreuses contorsions pour restituer son superflu.

Kereintrecii-Lorient. — A l'extérieur, une représentation de la Luxure (fîg. 370 bis) nous avait été décrite avec plusieurs ma- melles, comme Diane d'Ephèse, mais nous ne voyons rien de semblable sur le croquis communiqué par notre obligeant confrère CouUoch, exerçant dans la localité et qui en ignorait l'existence. Les seins sont à nu ; à gauche, un bras de libertin sans doute cherche à les atteindre et, à droite, au bas, un serpent s'abreuve à une coupe. Une autre statue de la même série des Vices, le Mensonge ou la Dissimulation (fig. 370 ter)^ porte un masque abaissé et exhibe une tétasse gauche munie d'un large halo. Est-ce pour indi-


M O R B T H A N


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quer la perfidie féminine qui attire Thomme par ses charmes^ puis ne cesse de l'asservir et de le trahir ? La pie, son attribut, manque.

LIV. — NIÈVRE

Nevers. 1« Cathédrale. Saint-Gyr. petit saint Cyr « au naturel » est monté sur un sanglier (fig-. 371). Ce motif repose sur une légende renouvelée du songe de Gharlemagne, et dont Michel Gotignon fait de Charles le Chauve le héros.

Dormant, le dit Charles le Çhauve, et pensant être à la chasse tout seul en des l3ois,il lui sembla voir un g-rand sanglier furieux et fort échauffé, venant droit à lui pour l'offenser, dont ayant grand' peur, et s'étant mis à prier Dieu, s'ap- parut à lui un enfant nud, qui lui dit que s'il vouloit lui donner un voile pour se couvrir, il le délivreroit du mal et de la mort que cette féroce bète lui alloit porter. Ce que lui ayant promis, cetui enfant prit le dit sanglier, monta dessus, lui mena et lui fit tuer de son épée.

Saint liierome dit au roi que l'enfant était saint Cyr et que le voile réclamé était la restitution des biens confisqués à l'évêché de Nevers, en vertu du précepte évangélique revisé : « Il faut prendre à César ce qui appartient à César Les diverses phases de cette légende sont développées sur l'un des piliers.

Les précieuses tapisseries de la cathédrale, commandées et offertes par Marie d'Albret, racontent le martyre subi à Tarse par saint Cyr et sa mère, sainte Juliette, patrons du diocèse (fig. 372). Le juge Alexandre fit couper la langue à saint Cyr par son médecin, et il continua à parler ; puis on précipita la mère et l'enfant, tous deux nus, dans une chaudière de poix, de résine et de soufre. Marie d'AIbret, ayant eu à se plaindre de messieurs du Chapitre, se vengea d'eux, comme plus tard Michel-Ange le fera pour l'un de ses critiques,


— Armoiries du Chapitre : le



Fij^. 371.


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l'art profane a l'église


dans son Jugement dernier. Elle fit donner aux bourreaux la figure des chanoines et suspendre les tapisseries au-dessus de leurs sièges.


v/y/yyyy//y/^/////y//z/y//////y/////////y///y//^////////////^^^^^



Fig-. 372. — D'après la mono.graphic de l'abbé Crosnier (1854).


Nous reproduisons la partie concernant la première phase du

supplice : SAINCT cire et SATNCTE JVLTTTE sont 3IIS DEDANT VN GRAND CIIAVDIERE PLEINE DE SOFFRE ET PLOMP AV DESSOVS DE LAQVELLE SOR- TENT ENTIERS. Ensuite, le prévost Alexandre « fait traverser du hault jusques en bas sainct Cire de troys grands clous esgus, puis crue-


NIÈVRE


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lement le cier par le corps )>. Est-ce en large ou en long-, comme l'indique une illustration de Lucas Granach, pour le Symbole des



Fig-. 373. — Reproduite dans les Grands illnslrnlenrs, par îlirlh.

apôtres, par Luther (fîg-. 373)? Enfin, ils eurent « la teste trancher ».

L'une des cariatides dressées contre chaque meneau de la galerie supérieure représente un personnage, dans un état de nudité absolue, entre deux miséreux, couverts de haillons, dont l'un foule aux pieds un diadème. Sans doute pour indiquer le mépris des biens de la terre? La parole est à la symbolique de l'art chrétien. « Cependant, si, dans les statues d'hommes, dit Tabbé Crosnier, on découvre quelques


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i/art profane a l'église


nudités, il n'en est pas de même dans celles de femmes ; pour elles on a su observer les règles de la plus rigoureuse décence. » Elles tiennent trop aux biens de ce monde, pour se dépouiller de leurs vaines parures et renoncer aux artifices de la mode.

2^ Saint-Pierre. — L'un des quatre édifices religieux de France où l'on rencontre la statue de la reine pédauque^ pattée comme une oie. Ce phénomène figure encore à Saint-Bénigne, de Dijon, à Saint-Pourçain, en Auvergne, et k l'AmuYE de Nesle, dans la Brie. Les uns y voient, nous le savons, Glotilde, épouse de Clovis ; les autres, Berthe « aux grans piés », femme de Pépin le Bref et mère de Gharlemagne ; d'autres, enfin, la cousine Berthe du roi Robert. D'ailleurs, toute femme qui court, a la démarche d'une oie.

3° Notre-Dame-de-la- Visitation. — Affectée à la communauté des Visitandines, où le spirituel jésuite Gresset place les aventures de son « fameux » perroquet Vert-Vert^. Ge sont les mêmes religieuses

1. A Nevers donc, chez les Visitandines Vivoit, naguère, un perroquet fameux.

On connaît la suite de l'aventure. La renommée du loquace ^'ert-Vert étant arrivée jusqu'à Nantes, à la maison mère de la Visitation, les « Révérendes Mères » décidèrent de le l'aire venir, « pour un temps », auprès d'elles.

Désir de fille est un feu qui dévore, Désir de nonne est cent fois pire encore.

Bref le bel oiseau « part, est parti ». Lanel"

Portoit aussi deux nymphes, trois dragons, Une nourrice, un moine, deux gascons. Ce n étoit plus paroles d'Evangile Qu il entendoit chez nos douces vestales ;

Mais des « gros mots » de corps de garde de dragons,

Bien vite il sut jurer et maugréer. Mieux qu'un diable au fond d'un bénitier.

Arrive à Nantes, la tourière, qu'il mordait de bonne sorte « on ne sait pas bien où » l'emporta au couvent, où il débita son chapelet de gros mots, « en roulant les yeux d'un air de jeune carme ».

A ce début, la S(eur Saint-Augustin,

D'un air sucré, voulant le faire taire

En lui disant : « Fi donc, mon très cher frère! »

Le très cher frère, indocile et mutin

Vous la rima très richement en tain.

Il continua à

Jurer, sacrer d une voix dissolue Les B, les F, voltigeoient sur son bec.

Faisant passer tout l'enfer en revue ; Les jeunes sœurs crurent qu'il parloit grec.

Mais les nonnettcs finirent par comprendre ce jargon diabolique et prirent la


NIÈVRE


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que Picard prit pour héroïnes, dans son grivois poème lyrique, les Visitandines.

4^ Saint-Sauveur (Ancien prieuré). — Parmi les bas-reliefs d'une sépulture, on voyait un ange porter au ciel une fille de Gharle- magne, qui mourut à Nevers ; mais laquelle des deux? Est-ce, Emma, celle qui aima — c'est un moyen mnémonique — et enleva le docte Eginhard sur ses épaules, épisode renouvelé, mais en sens inverse, delà chevauchée de Gampaspe sur Aristote, et qui servit de trame à un opéra-comique, la Neige ? Nous trouverons en Alle-

fuitc, en faisant « mille sij^nes de croix »>. On se hâte de retourner à Nevers ce Vert-Vert « si prôné ». A sa première demeure, on le mit en pénitence, en quarantaine.

Il oublia les dragons et le moine

Et redevint plus dévôt qu'un chanoine.

Sa conversion fut célébrée par une telle profusion de friandises et de dragées qu'il eût une indigestion mortelle :

Il expira dans le sein du plaisir.

A l'apparition du poème badin de Vcrt-VerL, une seule personne ne se mit pas du coté des rieurs, ce fut la supérieure de la Visitation qui, usant et abusant de l'autorité de son fils, alors ministre, obtint des Jésuites « une punition exemplaire du scandale que l'auteur avoit causé, par la publication de cet ouvrage ». Gresset fut envoyé en disgrâce, de Tours à La Flèche. C'est dans la même ville que le Père Bougeant fut exilé, pour son AmusemenL philosophique siu' le Iniir/age des bêles et qu'il mourut de chagrin ; pareil sort eût été réservé au jeune Gresset, s'il avait été engagé par ses vœux.

Qui ne connaît la relation de son voyage, non d'agrément, à La Flèche, adressée à Mme Du Perche, en prose coupée de rimes joyeuses? Son unique consolation fut un vieux cordelier qui revenait des eaux de Bourbonne pour se faire enterrer à La Flèche :

Attendu la paralysie, Sur la piteuse haquenée,

Il ne pouvoit chevaucher aisément ; Que le diable avoit condamnée

Mais à l'aide d'un cabestan A remporter le révéi*end.

Nous le guindions artistement

« Quoique le bon pafe/' n'eût plus que les facultés de l'âme, il tâchoit encore d'être drôle, et me contoit de la meilleure foi du monde toutes ses histoires : je vous les dirois bien, mais je ne me charge point de les écrire. Il est ici le geôlier de trente-quatre nonnes qui le font enrager, à ce qu'il m'assura, mais je brise sur cet article.

Attaquez-vous par quelque raillerie L'amour-propre s'en vengera ;

Un régiment d'infanterie, Dévotement il rugira,

Mars ne fera qu'en rire, il s'en amusera : Et bientôt il vous poursuivra

Mais si, par malheur, votre muse Jusqu'à La Flèche, et par delà... »

A draper les nonnes s'amuse,

Pour une plaisanterie anodine, il apprit aux dépens de sa liberté que chez le dévot

Le miel est sur sa lèvre et le fiel dans son cœur. Mais nous voilà bien loin du département de la Nièvre.


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i/aRT PR0FAN1-: A l'ÉGLISE


magne, à Ing-elheim, sous l'orgue, un cénotaphe de cette intrépide amoureuse.

5« Saint-Martini

CosNE. Saint-Aignan. — L'abside et le portail sont ornés de sujets astronomiques ou païens.

Salxt-Réverien. Couvent. — Le prieur Michel de Chery fut aussi condamné pour le dérèglement de ses mœurs. On lui attribue une frasque ou plutôt une fresque peinte dans le logement du prieur et qui représentait une femme sans tête, avec cette inscription, « dictée sans doute, remarque malicieusement Touchard Lafosse, par une longue expérience : Tout en est bon ». Nous retrouvons la même ironie dans nos aphorismes modernes : « L'homme pense et la femme dépense » — (( L^homme raisonne et la femme résonne », avec un accent aigu, toujours très aigu.

Semelay. — Il est peu d'églises où la Luxure^ naturelle ou contre nature, ait plus de répétitions. La « femme déchirée par les reptiles » y est deux fois figurée ; en outre, sur un chapiteau du chœur, sont gravés « les épouvantables et dégoûtants détails de la sodomie ». Erreur probable, comme pour tous les autres sujets anti- physiques de ce genre que nous avons pu contrôler de visu.

La CriARiTÉ-suR-LoiRE. — Nous retrouvons encore une repré- sentation de la Luxure ou de Y Impureté^ demi-nue, à qui des rep- tiles dévorent les seins.

Les chapiteaux de la « lille aînée de Cluny » sont curieusement historiés. U Envie et la Calomnie y sont personnifiées sous une forme originale ; l'abbé Grosnier en a donné une bonne description.

Le Di' Glatard (Oran) signale dans la Chron. inécL, à côté du por- tail en ruines de l'église abbatiale, un pignon portant à son faîte

1. Au xiie siècle, Tabbé de ce couvent lut condamné pour simonie à une prison perpétuelle, et il subit sa peine dans les cachots de Toflicialité. Il se rendit aussi coupable d'adultère ; mais, pour répo({ue, ce n'était ([u'unc broutille, un péché mignon.

L'un des chapiteaux de l'église était charj^é de dindons, enlacés par des serpents ; cette image passait pour une satire contre le clergé séculier.


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« un g-aillard accroupi le dos au pu- blic, ses rotondités postérieures dû- ment à découvert, vient a23parem- ment de laisser choir son bol fécal sur le pavé de la rue ; l'acte est terminé, car déjà le brave homme, d'une main leste^ s'apprête à... pan- ser sa blessure ». Nous connaissions ce petit personnage (( fîantant )),dont la tête a disparu, circonstance atté- nuante de son incong-ruité. Il se sert de l'essuie-main gauche des fellahs et ne s'attarde pas à rechercher, comme ce sybarite de Gargantua qui

Tousiours laisse aux couillons esmorches Qui son ord c. de papier torche,

(( un cachelet de velours d'une da- moiselle et le trouvoy bon, car la moUice de sa soye me causoit au fondement une volupté bien grande » .

Glamecy. Saint-Martin. — Gette église, que François I'^^" comparait non à un oratoire mais à une « belle ratoire », possède une statue, bien embarrassante, de Sainte Geneviève (fîg. 374), due au ciseau d'Etex. Elle fut offerte par TEtat, sur l'interven- tion de Dupin aîné, originaire d'Ar- mes, petit bourg près de Glamecy. Le corsage moule étroitement la poi- trine bombée de la patronne de Paris et des Rosières de Nanterre. Il en accuse tous les détails, et les seins sont aussi visibles que s'ils étaient à nu. Si bien que Tabbé Guillaumet, offusqué de la vigueur



Fig. 374 his. — D'après une photographie communiquce par M. Guerrier, professeur au collège.


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l'art profane a i/église


de ces protubérances pectorales, avisa un moyen renouvelé de Falloux, ministre pudibond, de falote mémoire ; il lit recouvrir la statue immodeste d'une chemise !

Le bruit de cette mascarade se répandit bientôt en ville, et les

I ~ ~ 5 . . " - ^ — - - - ■ • — ^=7^'



Fig-. 375, 37G.


narquois et sceptiques compatriotes de Claude Tillier affluèrent au- tour de la statue. Le pauvre curé coupa court à ce scandale en reléguant le marbre impudique, quoique complètement « chemisé » ou u en bannière », dans un coin du presbytère. Après la mort du digne saint homme, vers 1886, la Pucelle de Lutèce sortit de sa retraite et reparut, le fuseau en main, dans une chapelle qu'elle n'a plus quittée depuis, les seins, toujours en bataille^ pointés, comme les yeux de l'illuminée, vers les cieux.

Le curé de la localité montra, en la circonstance, plus d'esprit de tolérance que la femme de Constantin^ qui fît enfoncer une statue de Vénus dans le sol et planter une croix au-dessus de la déesse. Il n'était pas non plus de l'école de pudibonderie de l'amiral de Cuver- ville, qui fit raser, à la proue d\in navire, les proéminences égril- lardes de deux naïades en bois sculpté, dans la crainte qu'elles ne fissent loucher le pilote et ne lui donnassent des distractions péril- leuses.

Saint-Parize-le-Ciiatel. — Les chapiteaux des piliers de la grande nef sont ornés de remarquables sculptures représentant les péchés capitaux, sans oublier le VI, le plus capiteux.

Dans la crypte, classée parmi les monuments historiques, spé- cimen curieux de la plus ancienne époque romane (xi*^ siècle), nous


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trouvons, à côté du dieu Pan^ installé devant une chaudière, ima^e de la Gourmandise^ une néréide, Y Impureté^ et des figures bizarres, dans des postures acrobatiques. Un g-rotesque, le Cidipe (fig*. 375) que nous re verrons k Sens, s^abrite sous son pied gigantesque, en guise de parasol ; un autre, le Manicora (fig. 876), le corps en arc et la jambe passée par-dessus la tête, cherche k embrasser son talon. Malgré notre bonne volonté k satisfaire les symbolistes, nous livrons ces rébus k leur sagacité. Nous ne voyons Ik que caprices d'artiste, empruntant ses sujets aux phénomènes décrits et figurés dans les Bestiaires, Images du monde et autres encyclopédies moyenâgeuses.

Pèlerinagk de la Reclesne. — D'après le D Félix Regnault, la Vierge de ce pèlerinage est invoquée par les femmes enceintes pour obtenir un heureux accouchement*.

On y disait la messe, et le prêtre, entr'ouvrant la statue, montrait l'Enfant Jésus clans le ventre de sa mère, puis la refermait en récitant des prières. L'autorité ecclésiastique a interdit ce pèlerinage et a fait cercler de fer la statue.

Cette interdiction fut, paraît-il, lancée k la suite d'un sacrilège commis sur cette sacrée effigie : un mauvais plaisant, avait remplacé le divin fœtus par un polichinelle !

Quand une ville ou commune était frappée d'interdit, les images extérieures de la Vierge et de Jésus étaient couvertes de bure noire ; seuls les péchés capitaux restaient découverts, pendant toute la durée de Texcommunication.

Varzy. Saint-Pierre. — Cette église paroissiale possède un pré- cieux tableau votif, que Tévêque de Dinteville fit exécuter, dans la première moitié du xvi*^ siècle^ par Bernard Van Orle}^ ou son élève, Van Cocyen^, en hommage k sainte Eugénie, sous forme de trip- tyque, dont les panneaux retracent Faccusation, le supplice et la glorification de la vierge martyre. Rappelons l'anecdote. L'an 261, Eugénie, fille de Philippe, préfet d'Alexandrie, sous l'empereur Galien, se retira dans un couvent de moines et devint abbé des

1. Chron. médic. D"" Van de Lanoitte (de Verviers). — D Bidault, Superstitions médicales du Morvan, Thèse, Paris 1899.

2. Cf. Emile Boisseau, Varzy, son histoire, ses monuments, ses célébrités, 1905.


l'art profane. — L


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Esséens. Son incognito fut respecté jusqu'au jour où elle fut accusée de tentative de viol par une riche patricienne, Mélanthia, nouvelle

Mme Putiphar transie, qui s'était éjDrise de 1' « abbé » Eugène et se vengeait de sa résistance. La pré- venue fut conduite devant le pré- fet ; pour sa défense, elle imita Phryné, ouvrant son vêtement, découvrit son sein virginal qui établissait la nature de son sexe et fournissait la preuve irrécusable de son innocence ; puis elle tomba dans les bras de son juge, lequel n'était autre que son père !

Cette scène de l'accusation fait l'objet du volet gauche (fîg. 377). Nous ne reproduisons que les principaux personnages du premier plan, le juge entre l'accusa- trice et la sainte qui se justifie.

Un pudique vandale, sous la Restauration, « restaura » le tableau à sa façon et barbouilla les seins d'Eugénie : « Cachez, cachez ce sein... » Pouah !



Fig. 377.


Marsy. — Un buste de femme nue, dont nous ignorons la signi- fication, orne l'un des modillons de l'abside ; c'est vraisemblable- ment une des multiples formes licencieuses de la Luxure.


LV. — NORD

Lille, l*' Saint- André. — La chaire fut exécutée par Jean Da- nezan, pour le Couvent des Carmes chaussés, de Lille. Suivons la description, que l'abbé J. Dewez donne de sa chaire de Vérité, la- quelle ne fut jamais mieux nommée qu'ici. Nous allons en juger par le nombre des Vérités qu'elle renferme. A Labat-voix, une pre- mière Vérité^ ailée, le torse nu, soulève, avec ses épaules, — ses mains sont occupées k tenir une trompette et une croix, — le voile de V Erreur.

La montée est garnie par une seconde Vérité naturelle^ « d'ordre


NORD


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inférieur », occupant, pour cette raison, un panneau inférieur; elle est entourée de livres. Une troisième Vérité théologique ou surna-



Fig'. o78. — D'après Milliii.

turelle, « d'ordre supérieur », est disposée dans Taire d'un panneau supérieur.

Ge n'est pas tout. La cuve ou tribune, que Firrévérencieux Huysmans appelait « le coquetier », porte a les fruits de la Vérité », c'est-à-dire la Foi, brandissant la croix, V Espérance^ appuyée sur son ancre, et la Charité^ tétée. Cette dernière, a placée, comme il convenait, dans le panneau du milieu, donne sans compter de sa


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vie à deux enfants », au risque d'oflenser les regards pudibonds.

A la même époque, Jean Danezan exécuta, pour orner la cour de l'abbaye d'Hasnon, un Milon de Crotonc, en costume d'athlète, dévoré par un lion.

2" Les Dominicains. — Mausolée du fîls d'Elisabeth de Lorraine Lillebonne, par Louis de Melun (fig-. 378) : deux figures sont assises sur le socle ; l'une, la main sur le sein, absorbée dans la lecture, paraît être V Histoire, et l'autre, la mamelle à nu, la Gloire.

ValencieiNNES. Saint-Géry. — Plusieurs panneaux en bois sculpté, provenant de l'Abbaye de Vicoigne, retracent la vie de saint Norbert. Un de ces panneaux nous offre la représentation allégorique de la ré- ception de la grâce par le saint nimbé, sous forme d'une double douche, dont un jet part du flanc du Rédempteur, en croix, et l'autre jet gicle du sein de la Vierge Marie.

Gamdral 1« Saint-Aubert. — En 1806, Alexandre Lenoir a publié un mémoire où il reconnaît les douze travaux d'Hercule dans les scènes qui illustrent les signes du zodiaque de cette église.

Cette cathédrale a subi plusieurs vicissitudes. Transformée en caserne de la Fraternité, les propos de corps de garde ont retenti sous ses voûtes sacrées ; puis elle est devenue un Musée. A ce titre, elle reçut V Ensevelisse ment du Christ^ par Rubens, provenant des Capucins, et garda ce tableau quand elle fut rendue au culte. Le corps du Christ était entièrement « nud, disent les Mémoires chronologiques^ mais comme les tableaux qui sont dans les églises ne sont pas là pour scandaliser, on y lit cacher par un aultre peintre ce qui ne pouvoit pas être vu ni découvert ». Rubens, à l'exemple de Michel -Ange, subit son Daniel de Volterre.

Le jubé, en marbre, fourmille de nudités. D'abord celles des sujets religieux, traités sur les bas-reliefs, la Femme cfuérie d'une perte de sang ; Jésus délivrant un possédé, complètement nu ; la Résurrection de la fille de Jaïre, en costume de ressuscitée ; la Guérison du paralytique, recouvrant ses mouvements, mais non ses vêtements ; Jésus endormi dans la barque, à côté d'un homme nu, en manœuvres, qui maintient une vergue brisée par la tempête.


NORD


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En sus, pullule, au milieu des enroulements décoratifs, un monde de personnages ailés et nus, angelots ou cupidons, d'autant que certains ont un carquois au dos. On voit encore des Génies des deux sexes et de petits Bacchus,à cheval sur les volutes capricieuses des frises, se jouant au voisinage de chimères et de chevaux marins. Autant de figurines capiteuses, imprégnées du sensualisme de la Renaissance. Des panneaux en bois sculpté du xvii^ siècle se rapportent à la vie de saint Aubert et à celle de saint Augustin. Sur l'un des pan- neaux relatifs à ce dernier, se dessinent à Tarrière-plan deux figures de femmes ; Tune, drapée, porte un masque devant son visage, et l'autre, nue, est en partie cachée par sa camarade de dé- bauche ; elles évoquent le passé orageux de Tévêque d'Hippone.

2"" Abbaye de Saint-Sépulcre. — Tous ses tableaux ont été trans- portés à Saint- Aubert, sous la Révolution. On y trouva une Didon sur son bûcher. 11 paraît que les murs du réfectoire étaient couverts de peintures, mais aucune à sujet religieux.

DuNKERQUE. Saint-Eloi. — Les culots des miséricordes sont ornés de curieuses sculptures où s'allient des détails burlesques ou gros- siers qui alternent avec des scènes familières et religieuses.

BouRBouRG. Abbaye de Bénédictines. — En 1782, Marie-Antoinette prit la qualité de première chanoinesse de ce Chapitre. Ses sous- ordres se distinguaient par un cordon jaune, auquel était suspendue une croix émaillée, portant, k Tavers, l'image de la Vierge, et, au revers, le portrait de la reine, dans son décolleté ordinaire. Le duc de Nivernais, que Marie-Antoinette avait chargé de donner une légende à cette croix, s'en acquitta galamment : « Mettez, dit-il, autour de l'image de la Vierge, ave maria, et en exergue, du coté de la reine,

GRATIA PLENA. ))


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t/art profane a i/éc.i.ise


LVI. — OISE

Beauvais*. 1« Saint-Étienne. — Ex- térieur. — La façade crevassée de ce temple se distingue des autres édifices religieux par l'absence absolue des scènes « vieux jeu » du Jucjcînent. Le manque de place a seul empêché le dé- veloppement des divers registres de ce ponsif peu émouvant.

Quelques gargouilles vétustés, effri- tées et mutilées par le givre, la grêle et la pluie, accrochent encore leurs débris au pourtour de l'abside et exhi- bent les vigoureux organes d'animaux

1. C'est précisément dans la ville dont Gauchon, l'un des plus acharnés bourreaux de Jeanne d'Arc, fut l'évcque, qu'une autre Jeanne racheta cette trahison épiscopale par la défaite des Bourguignons, alliés des grods, ex-amis du mitz'é. Louis XI célébra cette résistance héroïque en instituant une procession qui longtemps eut lieu le 27 juin, et où les femmes avaient le pas sur les homrnes, ce qui ne changeait rien d'ailleurs au protocole de leurs privilèges séculaires.

Les Génoises, en 1301, voulurent aussi se croiser pour aider à conquérir les Lieux Saints, et l'arsenal de leur ville a longtemps conservé leurs cuirasses, dont le bombement intérieur était si prononcé qu'il suggéra au président de Brosses des réflexions qu'Alexandre Dumas se refuse à transcrire. Mais au moment de s'embar- quer, le pape les invita à se contenter de prêter leur aide à l'armement.

Une miniature d'un manuscrit français du xii" siècle, reproduite par d'Agin- court, dans YHisioire de l'ArL par les monuments (fig. 378 his), retrace un combat de cavaliers en présence de femmes qui « monstrerent leur cliarz toutes nues » à leurs époux en fuite. Elles leur signifient que « se ils valoient encore entrer en leurs ventres », il leur fallait retourner en arrière sus à l'ennemi ; ce que les fuyards firent aussitôt et « leurs anemis arcsterent ». Nous ne savons à quel épisode fait allusion cette scène cavalière. Il nous faut remonter dans l'antiquité pour retrouver de tels dragons de vertu. Tandis que les Lacédémoniens allaient mettre le siège devant Messène, l'armée de cette ville vint faire celui de Lacédémone, mais ils furent vaillamment repoussés par les femmes. « Ge que sçachants, dit Brantôme, les Lacédémoniens rebroussèrent chemin et tournèrent vers leur ville ; mais de loin ils découvrent leurs femmes toutes en armes et leur racontèrent leur fortune, dont ils se mirent de joie à les baiser, embrasser et carresser, de telle sorte que, perdant toute honte, et sans avoir la patience d'oster les armes, iiy eux ny elles, leur firent cela bra\ cment en mesme place qu'ils les rencontrèrent ; en mémoire de quoy ils firent bastir un temple à Vénus, qu'ils appelèrent Vénus V armée, au contraire de tous les autres, qui la peignent toute nue. »

Une autre version, de couleur locale non moins a Ivo, rapporte qu'en allant com- battre les Mcsséniens, les Spartiates firent vœu de ne retourner dans leurs foyers



01 s K


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Intérieur. — A la troisième travée de la nef, sainte Wilg-eforte, en croix et couronnée d'un diadème, attire tout d'abord l'attention. Longtemps, on l'a jDrise pour un Christ habillé, à la mode d'Italie



ou d'Espag-ne ; la confusion était d'autant plus excusable que la nimbée est barbue. Le culte de cette femme à barbe était très répandu au moyen âg-e, mais aujourd'hui la crucifiée n'est g-uère vénérée qu'à Beauvais, en Portug-al, son pays d'origine, en Suisse et en Bohême sous les noms de Liberata, Ontcomera, sainte Souci et sainte Affligée. Les docteurs Le Double et Iloussay, de Pontlevoy,

qu'après la défaite de leurs eunemis. Gomme la guerre se prolongeait bien au delà de leurs prévisions, dans la crainte que la race des guerriers ne s'éteignît avec eux, et jaloux de remplir leur ^ œu s(jlennel de chasteté temporaire, tout en prévenant la ruine de la république, ils renvoyèrent les nouvelles recrues, avec procurations et blancs-seings, pour les remplacer dignement auprès de leurs femmes. Les fruits de ce croisement patriotique — tout aussi édifiant que la croisade des Génoises — furent appelés parlhenii.


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ont communiqué Timag-e de cette vierge à la Chronique médicale, à laquelle nous l'empruntons (lig. 379). Elle était, disent les hagio- graplies, fille d'un roi de Portugal; de là sa couronne. Ayant fait vœu de chasteté, elle refusa d'épouser Amare, nom prometteur cependant, roi de Sicile, agréé par son père. Afin d'éloigner ce prétendu, en le rebutant, la sainte pria Dieu de la défigurer ; sa prière fut exaucée, et une longue barbe hirsute lui poussa incon- tinent. Son père, pour la punir, la fit rouer de coups et crucifier. On l'appelle encore sainte Libérale, « libérée » de tout hymen; par analogie, les femmes du peuple l'invoquent, sous le nom de sainte Débarras, pour les u débarrasser » de leurs maris insuppor- tables, même par la mort. Le crédit de ce culte homicide a beau- coup baissé depuis le rétablissement du divorce. Entre temps, cette barbe miraculeuse a eu bien des vicissitudes. En 1832, on jugea convenable de la raser, puis elle repoussa. En 1899, Huysmans, qui avait vu cette statue, la décrit dans En Boute : « Avec des cheveux de femme lui tombant jusqu'à la ceinture, un masque pareil à un loup lui couvrant le haut de la face, une barbe de sapeur, une gorg-e plate et un ventre d'une personne enceinte de plusieurs mois ».

Cette (( barbacole » faisait vis-à-vis à sainte Angadresme, la patronne de la ville, autre androphobe qui, pour éloigner les galants, obtint du ciel que son beau visage fût rongé par un horrible ulcère. Deux ans plus tard, le sceptique croyant retourne à Beauvais et constate que sainte Angadresme a disparu ^ et que sa voisine a perdu son masque et sa longue barbe.

Vue ainsi, avec son ventre météorisé et sa gorge nulle, elle répugne... Je me demande quel est le merlan de sacristie qui s'est ainsi permis de gâcher une statue du xvi° siècle et de passer sa barbe à la tondeuse et je finis par apprendre que le clergé de Saint-Etienne, choqué de voir cette effigie, désignée dans un guide sous le titre de a Christ hermaphrodite», a jugé prudent de lui donner un sexe.

Sur les miséricordes des stalles abondent des figures grimaçantes et satiriques, surtout aux dépens des « porte-capuchons » d'antan, si sujets à caution, et des grenouilles de bénitier, leurs complices.

1. Son image existe sur une maison de la rue Saint-Jean, à l'angle de la rue Louis-Graves, construite sur l'emplacement d'une boulangerie où s'accomplit le miracle de la braise ardente ; mais le visage de cette figurine est net de tout ulcère.


OISE


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Chapelle Saint-Eustache. Une Immaculée Conception, reflet de la naïveté de nos pères aux époques de ferveur et de foi, montre Marie, dans le ventre d'Anne, recevant les hommages du Père Eternel mitré, du roi David et tutti quanti.

Chapelle Saint-Claude. Décorée d'un vitrail par Engrand Le Prince, qui a placé son portrait, pour signature, et celui de plusieurs rois, saint Louis, Louis XI, François I"\sur la ramure fleurie de V Arbre de Jessc, au rang des ancêtres de la Vierge, malgré le vieux pro- verbe qui nie le droit divin : « Majesté n'est que de Dieu ».

La verrière moins remarquable de la chapelle voisine offre ce- pendant une particularité curieuse. Au panneau inférieur, du côté droit, figurait sans doute un sujet profane, à en juger par les trois Génies nus, munis de feuilles de vignes rapportées, qui se jouent au-dessus d'un abbé en prières — portrait moderne du curé de la ca- thédrale — substitué au motif prohibé ou détruit accidentellement,

2^ Saint-Pierre ou Haute-Œuvre*. — Là aussi, mais sur Paire du tympan, s'épanouissent les branches d'un Arbre de Jessé, se rap- portant encore à la généalogie de la maison royale de France.

Il nous reste à signaler l'horloge monumentale, aux cinquante- deux cadrans, qui, à midi précis, met en mouvement une multitude de petites marionnettes. Ces pantins mécaniques jouent une pan- tomime, le Jugement dernier. Entre autres personnages de ce Guignol séraphique, on distingue du côté des élus, la Vertu, drapée, accompagnée d'un ange jouant du rebec, et, du côté des réprou- vés, le Vice, sous la figure d'un homme nu qui se cache le bout... du nez ; il est poussé en enfer par le trident d'un démon. « Cette sorte de Mystère, joué par des automates, dit M. Alexis Martin, nous paraît aussi déplacée aujourd'hui dans une catliédrale que le serait sur la scène du Théâtre Français une des pièces que jouaient jadis les confrères de la Passion à Saint-Maur.

3^ Basse-Œuvre. — Très ancienne église qui précède la cathé-

1. Saluons, en passant, dans la rose du midi, au milieu des prophètes, le portrait de notre confrère Jean-François Fernel, médecin de Henri II, né à Mont-Didier, près de Beauvais. Il prophétisa, en ell'et, que le l'oi, atteint d'hypospadias, aurait des héritiers et après des conseils et des soins intelligents donnés aux époux. Fernel « fit des enfans à la reine »,


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drale. Notons trois statuettes nues, placées au-dessus de l'arcade principale.



Fig-. 380.


4*^ Évêché. — Détails des élégantes peintures qui décorent les voûtes de la salle basse (xiv^ siècle) : un concert de « syrènes », jouant de divers instruments, se détache sur un fond roug-e (fîg. 380).

Saint-Lucien. Abbaye. — A un quart de lieue de Beauvais. Les stalles de cette abbaye, actuellement à Saint-Denis, contenaient des bizarreries, (( qu'aucune expression ne permet ni d'indiquer ni de voiler », écrit un archéologue réservé. Mentionnons, entre autres, des scènes où étaient figurés des invertis : les travaux d'Hercule ; le diable battant sa femme ; une mère fouettant son enfant et se bouchant le nez, et mille autres tableaux boulFons, grotesques et rabelaisiens, auxquels, dit-on, Gallot a emprunté les extravagances de la Tentation de saint Antoine^ et qui a inspiré à Sedaine son cantique singulier. « Sous la forme de Proserpine, dit Cambry, mollement étendu sur un lit de r(ipos, Satan offre ses charmes au saint ermite qui les dédaigne ». Un démon, dans une singulière posture, écrase Festomac de ce pieux cénobite ; il le tire par la barbe, le piétine brutalement et l'oblige à sentir l'exécrable odeur qu'il exhale par <( le trou du souffleur ». Nous verrons une scène analogue à VEnfer^ de Pise, avec cette différence que le produit expulsé n'est pas de nature gazeuse.


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Que pensent les profonds symbolistes de ces représentations impétueuses ? Quant à nous, esprit terre-à-terre, nous n'y voyons que d'égrillardes et scatologiques facéties de huchiers en belle humeur, dans le haut g-oùt de l'époque.

Ces extravagances s'accordaient parfaitement avec celles des cérémonies burlesques de la Fête de VAne^ célébrée, dès le ix*^ siècle, à Beauvais, avec plus de solennité qu'en aucune autre ville de France

GoMPiÈGNE. l^' Saint- Antoine. — Dévastée et démolie pendant la tourmente révolutionnaire. Dans la chapelle Notre-Dame, l'une des dalles portait la maligne épitaphe, en vers plats, du célibataire (( Pierre le Flamment, aux pieds plats » :

Drappier,

Bon marchand, loyaux et entier Qui sans faire usure, sans diffame Et si n'eut oncque, point de femme.

2« Saint-Jacques 2.

1. Pour commencer cette parodie liturj^ique, on menait en grande pompe à la cathédrale Saint-Pierre là plus jolie fille de la commune, montée sur un âne et allaitant un poupart. Elle ligurait la Sainte Vierge se rendant en Egypte. A la fin de la messe, au lieu de VILe missa est, le prêtre se mettait à braire par trois fois et la foule au lieu du Deo gratins, répondait par trois hin-han bien martelés et assour- dissants. Cette fête, dégénérée en mascarade, avait, à son origine, un caractère essentiellement religieux. Tandis que le bœuf, l'un des premiers amis de Jésus, avait depuis longtemps reçu sa récompense en restant attaché à l'apôtre saint Jean, dont il était en quelque sorte devenu l'emblème, le pauvre âne qui, lui aussi, avait réchaufl'é l'établc où Jésus naquit, qui l'avait ensuite porté en Egypte, puis à Jéinisalcm, lors de l'entrée triomphale du Chinst, était cependant resté dans l'oubli. Ce n'est que sur le tard qu'on pensera à lui rendre justice. Selon la tradition chrétienne, l'âne aurait traversé la mer à sabot sec, après la capture de Jésus, et serait venu mourir près de AY'rone. Plusieurs siècles après que ce pieux mensonge se fut répandu, on établit à Notre-Dame-les-Orgues une procession bisannuelle, où l'on promenait ses os, enfermés dans un rcli(piaire qui présentait la forme d'âne. Telle est l'origine étrange et étrangère de cette fête qui, en France, de\'int un prétexte de plus â libations publiques.

2. Un tableau votif rappelle le célèbre vœu de Louis XIII, qui plaça le Royaume de France sous la protection de la Vierge, en reconnaissance de la grossesse inespé- rée de la reine, après une stérilité de vingt-deux ans. On sait que cet acte de foi, renouvelé dans toutes les églises où Anne d'Autriche avait fait des dévotions à ce sujet, et elles sont légion, — comme quoi les voyages ne développent pas que l'in- telligence, — fut accompli sur le conseil du père Joseph, l'Eminencc grise, dont le roi disait : « Je ne sais personne au monde qui soit capable de faire la barbe à ce capucin, quoi qu'il y ait bonne prise ». Cf. Lcfebvrc Saint-Ogau, l Oise,


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Chantilly. Chapelle. — Aux baies Nord et Sud, deux étince- lantes verrières, datées de 1544, et provenant de la chapelle du château d'Ecouen, repro- duisent les effigies des enfants d'Anne de Mont- morency et de Madeleine de Savoie. Sur Tune, les cinq garçons sous la pro- tection de saint Jean TEvangéliste ; sur l'au-


tre, les cinq filles, der- rière lesquelles se tient sainte Agathe portant un de ses seins entre des cisailles (fîg. 380 Z>fsi).



Fig. 380 bis.


Fit2-. 380 tej^


Mello. — De gTacieuses sculptures sur bois ornent le dossier du banc-d'œuvre et représentent les trois Vertus théologales, le torse nu, à l'exemple de V Espérance (fig. 380 ter).

Saint-Martin-aux-Bois. — L'église abbatiale, devenue paroissiale depuis la destruction du monastère, possède encore ses curieuses stalles du chœur, exécutées vers la fin du xv^ siècle. Elles sont chargées d'une profusion de sculptures délicates et peuvent rivaliser, par la variété et l'exécution, avec celles d'Amiens. Plusieurs ont été dépouillées de leurs accoudoirs ou de leurs miséricordes historiés. Le chanoine Morel, auteur d'une intéressante monographie (1907) que nous allons mettre à contribution — ainsi que celle du cha- noine Barraud, publiée en 1851 — attribue ce vandalisme à quelque amateur peu scrupuleux. Pourquoi pas k des accès de pudicité ? De semblables exemples ne sont pas rares. Quoi qu'il en soit, hâtons- nous de relever les plus suggestifs de ces groupes hétéroclites, avant qu'ils aient disparu ou soient détériorés.

Accoudoirs. « Un quadrupède à face humaine, remarquable par son cou démesurément long qu'il passe entre ses jambes pour atteindre sa queue qui est courte, mais bien fournie (La Luxure). »


1. Cf. Olivier Merson, les Vitraux.


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Cette fîg-ure offre une certaine analogie avec celle que nous avons reproduite à Notre-Dame de Villefranche-de-Rouerge (fîg-. 169) et vraisemblablement ce n'est pas sa queue que Tanimal cherche à atteindre, il la chercherait de côté ; d'ailleurs sa sig-nifîcation allé- gorique serait la même.

Un motif analogue se retrouve sur une miséricorde, mais il s'agit d'un monstre marin, bipède qui « passe son long cou entre ses jambes et s'apprête à saisir sa queue de sa gueule ».

Du côté de Tépître, nous voyons, d'une part, un quadrupède à pied fourchu, et, d'autre part, un monstre, coiffés d'un capuce, sym- bolisant le Vice. Est-ce une allusion au dévergondage des religieux de r Abbaye? C'est bien possible : « Auxvii*^ siècle, note le chanoine Morel, la ferveur était loin de régner parmi les chanoines réguliers de Saint- Augustin ».

Une truie joue de la cornemuse, tandis que ses petits sont pendus à ses mamelles, restaurant-concert symbolisant les joies de la famille. Moins optimiste, l'abbé Barraud voit dans ce tableau de famille « la Dégradation ».

Miséricordes. « Deux sculpteurs, l'un, homme, l'autre animal ou démon, achèvent une statue de femme », dit le chanoine Barraud. C'est Fébauche d'une Tentation^ ajoute son collègue Morel. Ne serait-ce pas simplement un hommage rendu à la sculpture ou à la corporation des tailleurs d'images ?

Un condamné à la peine du fouet est fustigé par deux hommes. (Le châtiment du péché.) Villon, pour s'être gaussé de la Sorbonne, subit cette peine :

J'en fus batu, comme à ru telles, Tout nud, jà ne le quiers celer.

« Le diable entraîne une femme qui essaie vainement de se déga- ger de ses liens ». (La Servitude du Vice).

« Une villageoise au maintien simple et modeste s'occupe à filer avec la quenouille et le fuseau, tandis qu'un singe dressé devant elle la contemple avec attention ». (La Séduction).

Une néréide, emblème de la Volupté.

« Une fille, en habits de religieuse », d'après l'abbé Barraud^ armée d'une scie, coupe le diable par le milieu du corps. Le démon, vaincu et plein de rage d'avoir trouvé son maître, grimace d'hor*


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ribles contorsions. Une des stalles de Corbeil retrace un groupe analogue (fig. 381) : la femme, fortement décolletée, se contente de

scier la tête à l'Esprit du mal. C'est l'allégorie de la puissance de la « fai- ble » Femme, qui arrive à maîtriser le démon lui- même par sa ténacité, sa perfidie et sa perversité.

Senlis. — La Trinité est sculptée au portail méridional, sous la figure de l'Eternel, assis et te- nant la croix sur laquelle est étendu Jésus ; une colombe semble sortir de la bouche de Dieu le Père comme d'un pigeonnier, et remplace sa barbe. Un appréciait beaucoup, mais à tort paraît-il, une statue en ronde- bosse, selon les uns ; sculptée sur une pierre tombale, selon les autres, et qui représentait une noble dame morte pendant l'opération césarienne ; Fenfant sortait par la plaie béante. Cette curiosité archéologique était encore visible en 1803 ; aujourd'hui, personne ne sait ce qu'elle est devenue, ni au Musée, ni à TEvêché, où elle avait été reléguée comme indécente. Que voulez-vous, il est des gens si pudibonds, dans le monde où l'on prie, qu'ils ne peuvent traverser une gorge de montagnes sans se couvrir les yeux. Les édifices reli- gieux ont toujours eu quatre grands ennemis destructeurs : le temps, les embellisseurs, le vandalisme révolutionnaire et huguenot et l'hypocrisie des molusques des bancs d'œuvre, des « merlans de sacristie », pour nous servir de la pittoresque et caustique expres- sion d'Huysmans.

Adam et Eve dominent la façade, avec la main disposée en feuille de vigne ; mais, par suite de la vétusté de ces statues, couvertes de mousse, le pubis désuet semble velu, et le geste pudique devient



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381 bis.


impudique ; Adam paraît « se muser » ou « vuider le superflu de sa boisson » en temps de pluie.

Marseille-le-Petit. Saint-Gucuphat. — Le D^* André, de Dijon, décrit dans la Chronique médi- cale un petit bonhomme accroupi qui se trouve à l'intersection des nervures d'une voûte ogivale, (( culotte baissée, entre les pieds duquel existe le produit d'une sérieuse exonération intestinale » . Le vocable du lieu se prête admirablement à cette caricature d un acte naturel, et ce n'est pas le cas de dire avec Horace : N^oii erat hic locus. « Le goût du curé, ajoute notre confrère, avait cru rehausser le mérite de cette déco- ration par une enluminure qui exagérait encore ce que la sculpture gothique a de réalisme. » La nature artistique du séculier le poussait à faire de la couleur locale en rapport avec le style flamboyant et les Secula Seculorum de l'ambiance. Y aurait-il pas confusion de ce petit sans-culotte avec un motif d'allure analogue qui nous a été signalé à Montreuil-sur-Mer (fig. 383 bis) ? Ces vues coprologiques de fesses et de fèces étaient d'ailleurs un thème favori des imagiers religieux d'antan : Usée decies repetita placebit.

Un autre motif inconvenant, mais de tout autre ordre, décore une voûte de cette église (fig. 381 bis) ; c'est un buste féminin, « opulent en tétasses avalées, pendantes plus que d'une vache allaitant son veau », pour employer le style imagé de Brantôme. Ce buste luxuriant de luxurieuse symbolise la Lubricité., à moins qu'il ne soit l'emblème d'un corps de métier admis autrefois dans les sanctuaires, celui des Madeleines non repenties.

MoNTATAiRE. Greil. — A Tcutrée des églises paroissiales de ces communes subsistent encore les vestiges d'une cheminée qui ser- vait à chaulFer l'eau du baptême, où le catéchumène — nu comme un vers de Goppée — subissait une triple immersion en l'honneur


320


l'art profane a l'église


de la sainte Trinité : spectacle suggestif dont le clergé se rinçait l'œil d'aise, en présence de jeunes et jolies néophytes qui se rin- çaient le corps et l'âme.

Chapelle des Fonts baptismaux. Sainte Anney la Vierge et Jésus. Groupe en bois, rappelant la Sainte Anne de Léonard de Vinci (Louvre) ; la grand'mère de Jésus tient dans ses bras sa fille qui porte le divin Bamhino.

Rue Saint-Pierre. — Dans une notice sur cette église, par M. l'abbé Godo, curé de la paroisse, nous relevons un détail intéres- sant. Un des chapiteaux du portail est couvert d'un bas-relief figurant un homme à genoux qui se débat contre deux serpents. M. l'abbé se demande si cette scène ne fait pas allusion à la légende relative à la fondation de l'église :

Un des anciens seigneurs de Gourlieu, s'étant un jour endormi sous un chêne de la forêt, se trouva assaiUi par deux énormes vipères ; dans ce moment critique, il fît vœu, si Dieu lui conservait la vie, de bâtir au même endroit une église.

Ces vipères nous font assez l'effet de « couleuvres » que la tra- dition voudrait bien nous faire avaler. Il est très probable que nous sommes simplement en présence du châtiment de la Luxure et que « l'homme » en question est plutôt une femme, dont les attributs éminemment caractéristiques ont été ravagés par le temps.

NOYON



1. A la cathédrale, il y avait un caveau phonocamptique sous le chœur, pour ren- forcer la voix des chantres ; de même sous les degrés des théâtres grecs, on plaçait des vases, echea, d'airain ou de terre, pour amplifier la voix des acteurs. C'est une des nombreuses analogies qui existent entre l'Eglise et le Théâtre.

La connaissance d'une incongruité (fig. 382), à l'intérieur de la tourelle de l'es- calier de l'Hôtel de Ville, nous avait fait croire que nous en trouverions de similaires dans les édifices religieux de la localité, mais notre conjecture était fausse. De telles scènes peuvent d'ailleurs avoir disparu. Pour M. Raguenet, ce chienlit que nous représentons, était destiné à perpétuer le souvenir des facéties gaillardes d'un boulVon célèbre à cette époque. Ce n'est pas notre avis, il nous paraît difficile de mettre un nom sous cette Folie scatophile ; nous n'y voyons (pi'une grasse plaisanterie accommodée au goût relevé de l'époque.


OISE ORNE


321


Glermont. 1« Saint-Samson*. — â'^ Couvent de Saint- Andr é

Remerangle^. Saintines ^^

LVII. — ORNE

MoRTAGNE. Notre-Dame. — Vitraux enluminés, interprétant la parabole de V Enfant pi^odigue^ en deux tableaux^ avec cette lé- gende explicite :

Un home deux enfans avoit Quand il eut a son manyment

Auquel le jeune demanda Or et argent à toutes mains

Le bien qui lui appartenoit II vesqut prodigalement

Pour a par soi tost le vouloit Son bien despensant folement

Et son pere luy accorda. Avec ribaud et putain.

1. Statue ancienne, probablement tombale, représentant un cadavre nu, encadré d'une inscription latine en caractères f^othiques, dont voici la traduction : « Qui que tu sois ici, tu tomberas dans la mort ; ainsi regarde et pleure. Je suis ce que tu seras, un peu de cendre. Prie pour moi, je te le demande ». Ces inscriptions man- quent toujours de sel, à l'encontre du singulier hiéroglyphe rapporté par B. des Accords. Un saint abbé, voulant graver plus vivement dans la mémoire de ses moines ce sage précepte : Hahe morlem prse oculis, fit peindre sur les murs du cloître un abbé mort, au milieu d'un pré, avec un lis fiché au derrière : abé mort

EN PRÉ AV CV LYS.

2. Démoli en 1793. On lisait cette épitaphe originale, à l'entrée de l'église :

SOVnS CE HENICTIER, REMPLIE d'hVMIMTÉ,

EN SON PARTICVLIER, AVTANT QUE DE CHASTETE,

CY GIST MARIE GAVLTIEK, ORNEE DE SA VIRGINITE.

NEE DE FRANÇOIS GAVLTIER EN HIVER COMME EN ETE,

DES TAILLES JADIS GREFFIER, REQVIESCAT IN PAGE, MORTE EN FÉVRIER, 151)2, AMEN.

3. L'église est dédiée à Notre-Dame, mais elle a un second patron, saint Gengoul (Gangulfus), qui fut assassiné dans son château d'Avaux, en Bassigny, l'an 760, à l'instigation de son épouse, dont il avait découvert l'inconduitc ; nous en repar- lerons à propos d'un bas-relief de Saint-Vulfran, d'Abbeville. Aussi est-il habi- tuellement vénéré comme patron des mal mariés. A Remerangle, on l'invoquait surtout pour les boiteux et les enfants « noués » ou en retard pour la marche. Les parents apportaient une paire de bas de laine remplis de blé qu'ils oll'raicnt au saint guérisseur. Après avoir touché ses reliques, on mettait ces bas à l'enfant, qui les conservait pendant neuf jours et marchait au bout de ce temps, assure la chronique oisillonnaise. Nous avons dit qu'il devait sa réputation de rebouteur à l'analogie de son nom avec « genou ». Cf. A. Debauvc et E. Roussel, Hist. du dép. de l'Oise. V. p. 20, le châtiment crépitant de Mme Gang-olfe.

4. Possédait une fontaine dont les eaux passaient pour avoir la propriété de guérir l'épilepsie ; les garçons et les filles atteints de cette maladie tenace se bai- gnaient en commun dans la piscine sacrée et assistaient ensuite à une messe de minuit, dite pour eux, à l'église de ce village, voisin de Compiègne. Bien entendu, le haut et le petit mal suivaient leur cours et se compliquaient même, durant le pèlerinag'e, de secousses épileptiformes qui contribuaient à l'agrément, sinon à l'utilité du voyage.

l'art PROFANE. — L 21


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l'art profane a l'église


Saint-Gauburge. Prieuré. — Le serpent de la Tentation d'Eve a eu la fantaisie de prendre la tête et le torse d'une femme séduisante.

Passe encore s'il se fut ag-i de tenter Adam ; mais, pour séduire sa compagne, une figure d'adoles- cent eût été plus logique, à moins que ce monstre femelle ne fut déjà l'emblème de Tamour sa- phique ?

MoiMGAROULT. — Tout Commentaire est inutile sur le détail folichon de l'entablement, que re- produit notre figure 383, d'après un dessin de T. Thérond ; nous nous rapportons à la jugeote de nos lecteurs pour en découvrir la signification, qui n'a rien de spécialement mystique.

Notre-Dame-sur-l'Eau (xi« siècle)

Ceïon. — Cette église renferme une statue de Sainte Venice ou Venise, antique Vénus gallo-romaine, d'après P. Saintyves, dans laquelle on s'imagine reconnaître sainte Véronique ; « son corps est nu en grande partie : un ruban est passé autour de ses reins, et les malades qui viennent implorer la sainte, pour faire revenir^ leurs époques, le mettent au même endroit ». A Nogent-le-Rotrou, ajoute l'auteur des Saints successeurs des Dieux, la même Vénus est invo- quée pour excès ou insuffisance des menstrues et, suivant les cas, les dévotes attachent à sa statue un ruban blanc ou rouge, « le blanc pour ralentir ou arrêter, le rouge pour hâter ou rappeler » .

LVIII. — PAS-DE-CALAIS Boulogne. Notre-Dame ^.

1. On lit, sur la pierre tombale d'une dame de qualité qui est couchée, les mains jointes, cette épitaphe où les vers se sont mis et qui fut composée par son époux « inconsolable », selon la formule consacrée des premiers mois du veuvage :

Passant, ce marbre ne regarde, Ma cendre n'est sous ce tombeau. Car mon cher mary me la g'arde Et son cœur en est le vaisseau.

2. Entre les mille et une cures miraculeuses opérées par la patronne de ce sanc- tuaire, nous épinglons la suivante : En 1632, Isabelle Mennin, femme de Jacques



PAS-DE-CALAIS


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Arras. Cathédrale. — Tableau de la Vierge remplissant du lait de sa mamelle l'encrier de saint Bernard *. La même légende do- rée et brodée est traitée d'une façon identique dans une église de Calais

Les gargouilles des soubassements figurent des pestiférés, atteints du mal des Ardents ; « les uns se tordent et blasphèment, les autres s'adressent à Dieu avec confiance ».

Montreuil-sur-Mer. Saint-Saulve. — Possède plusieurs tableaux de Jean Joseph Dumonts, « ceux qui étaient considérés comme des plus remarquables », dit M, l'abbé Robart, président de l'Académie d'Arras, — les croûtes — « trop encombrants ont été cédés à Saint- Acheul d'Amiens ». Parmi les premiers, nous voyons une Adora- tion des Bergers signée : peint par j.j. dumonts, peintre ordinaire... EN 1762. Deux mots — du roy — sont restés effacés depuis la Révolution. Ceux qui ignorent cette particularité se disent : « A la bonne heure, voilà un artiste peu « ordinaire », qui connaît son mérite et se rend justice.

Nef. Côté de l'Evangile. D'après la description de M. Charles Henneguiez, un ceps de vigne forme la frise de l'entablement. Au milieu du feuillage, on distingue une arbalète etun oiseau (de Cypris?) accompagnés d'une cartouche portant cette devise, en caractères go- thiques : p. AMOVR. On la retrouve, avec l'arbalète, sur tous les or- nements de la chapelle de la Vierge. Les gens graves pensent qu'il s'agit des attributs de la devise des arbalétriers de Montreuil ; les

Brifl'ault, de la basse ville de Boiirj^Of>ne, venait, d'accoucher d'un enfant « qui n'avoit ni mouvement, ni respiration, ni aucun sij^ne de vie ». Après une heure d'attente, la saj^e-femme eut « l'inspiration » de faire ini vœu à Notre-Dame de Boulogne, vœu ratifié par la mère désolée ; aussitôt l'enfant « ouvrit les yeux, pleura, donna toutes les mitres marques de la vie ». Aujourd'hui nos tocologues en veston ou en jupon obtiennent le même résultat, et plus rapidement, à l'aide d' « inspirations » directes, avec un tube ad hoc. ou indirectes, par pressions rythmiques du thorax. Par ailleurs, les ecclésiastiques sont poussés, malgré eux, à faire à jet continu de l'exercice illégal de la médecine, en raison de la crédulité de leurs ouailles, qui voient une analogie providentielle entre les mots curés et cures. Ainsi, l'abbé X. est médecin de l'âme dans le département des Vosges et méde- cin du corps à Paris, rue Saint-Charles, MU, mais sans diplôme. Or,'pour cette infrac- tion à la loi, l'abbé cumulard vient d'être condamné (2G octobre 1907) à 100 fr, d'amende et à 100 fr. de dommages-intérêts envers le syndicat des médecins, partie civile.

1. Anec. hisl. et relig. sur les Seins et l'Allaitement, p. 120.

2. Ibid., p. 121.


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i/art profane a l'églisr


badins y voient les attributs et la devise du culte de Cupidon, que Jésus a christianisés dans son précepte de fraternité : « Aimez- vous les uns les autres ».

Du haut d'un chapiteau, un monstre diabolique (fîg-. 383 bis) lance à Fesprit reli- gieux un défi bien senti sous forme d'un copieux flux al- vin, à l'exemple de son col- lègue du Campo-Santo de Pise. Passe encore dans le pays du macaroni, mais, en France, à la chose nous pré- férons le mot, si bien que le geste de mépris du Malin sera paraphrasé plus tard par Gambronne dans un mot historique... jamais pronon- cé. En tout cas, le grenadier héroïque ne l'a eu que sur les lèvres, car, à Nantes, où ce patriote se retira, il épousa une Anglaise.



Fi^. 383 ter.


Sur un autre chapiteau, un immense serpent ou dragon engloutit une femme cynocéphale (fig. 383 ter). Cette image allégorise la Luxure ou le désir désordonné des plaisirs charnels qui abaissent l'espèce humaine au niveau de l'animalité ; « c'est pourquoi, écrit



PAS-DE-CALAIS


325


Clément d'Alexandrie, quand les païens racontaient les désordres

de l'Olympe, ils représentaient les dieux métamorphosés en vils animaux ». Tout en médi- tant cet enseignement moral, si



Fig-. 383 quarte.


Fig. 383 q II in que.


un chercheur attentif et perçant examine de près cette figure quasi anodine, il y découvrira un spectacle propre k offusquer une âme pudique. En effet, les contours de la tête du monstre continuent ceux de la femme et dessinent ses hanches ; les branches de Fangle des mâchoires tracent les plis des aines ; son œil, ses paupières et les bourrelets qui les en- veloppent simulent tous les détails constitutifs des organes génitaux externes de la femme, tels que clitoris et son capuchon, petites et grandes lèvres et orifice vaginal. Et que nos confrères, membres de l'Association catholique des médecins de



Fis-. 383 sexto.


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l'art profane a i/ÉCxLISE


France et de Navarre ne voient pas là une simple vue de l'esprit : nous avions dessiné de mémoire ce document précieux (fig. 383 quarte) ; mais la copie que nous en donnons (fîg-. 383 ter) et qui a été prise de visu par Tun de nos maîtres en archéologie est encore plus démonstrative.

Bétiiune *. Saint-Vaast. — Chapelle, dite de la maison de charité. Vestibule. Un tableau représente sainte Wilgeforte, la vierge à barbe déjà rencontrée à Beauvais. On lui donne encore le nom de Wilforte ou Milforte, FM étant un W retourné, et elle est invoquée ici contre les maladies des enfants, bien qu'elle n'ait jamais voulu en avoir ; c'est la logique de la superstition.

Saint-Omer. l*' Notre-Dame. — Ex-voto, offert par Syderack de Lallaing, doyen de cette cathédrale, mort en 1533 : le sujet du bas- relief, reproduit par le Magasin pittoresque, est le martyre des trois jeunes hommes nus, dans la fournaise ; l'un des martyrs s'appelait Syderack, comme le défunt.

On remarque encore une statue colossale et du plus grossier travail, célèbre, dans le pays, sous le nom du Grand dieu de Thé' rouanne (fîg. 383 quinque). C'est un groupe en pierre du xiii® siècle qui représente un colossal Christ, sorte de gynécomaste monstrueux, assis entre une Vierge et un saint Jean agenouillés ; il décorait le portail de l'église de Thérouanne et fut offert à Notre-Dame Audo- maroise par Charles-Quint quand ce souverain fît raser cette ville.

2° Musée. — Un ornement lapidaire qui provient de l'église Saint-Bertin (fîg. 383 sexto), par sa clarté et sa vivacité, se passe de tout commentaire.

Lens. — Les reliques de saint Vulgan, moine anglais, sont invo- quées pour la guérison de coliques, gravelles et l'accélération de l'accouchement ; son pouvoir s'étend sur toute la région abdomi- nale. Sa statue est des plus grotesques ; c'est celle d'un gros rustre,

1. Les tourelles du befl'roi sont ornées de gargouilles représentant des animaux fantastiques, avec ligures humaines. « L'une d'elles, dit M. Achmct d'IIéricourt, est disparue, c'était un priape. » Il serait pourtant de circonstance en notre siècle de joie, succédant aux siècles de foi.


PAS-DE-CALAIS


327


la fîg^ure rubicoade, vêtu d'une courte blouse du pays ou bourgeron ; l'abdomen ouvert laisse voir son contenu, tel aussi saint Mammès, martyr de Langres^ qui pratique dans la même spécialité.



¥'v^. 384. — Tympan de la porte centrale


Auxy-le-Ghateau. — Clef pendante sous forme d'un pendu décharné, s'accrochant à la corde par les mains.


Marquise. — Sur un culot de retombée de voûte, des fous lutinent une femme coiffée du bonnet de la folie ; ils farfouillent ses dessous haut la main et la main haute.


LIX. — PUY-DE-DOME


Glermont-Ferrand. 1« Notre-Dame-du-Port. — Façade méri- dionale. Portail principal (xi siècle). Le /i/^emenMu tympan a été composé par VioUet-le-Duc (fig-. 384) ; les tourments des damnés sont des plus pittoresques et plusieurs torses féminins y brillent par leurs protubérances, bosses de la maternité et de la lubricité.

Portail Nord. A la balustrade, au-dessous de la grande rosace, sont découpées des fantaisies grotesques, voire licencieuses. Au-dessus d'une corniche, soutenue par des modillons à têtes grimaçantes, les

1. Ce dessin est reproduit en entier dans les œuvres de ViolIct-le-Duc.


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l'art PROFA^•E A t/ÉGLISE


écoliers de lenclroit se montrent en ricanant deux singes dans une

attitude équivoque, sym- bolisant lo. Luxure . AYdini le xi*^ siècle, la figure humaine était rarement représentée.

Sur une autre façade apparaît le fameux porc, dont la réputation mal- saine nous dispense d'en dire plus long.

Ces bizarres caprices de la statuaire religieuse rappelleraient, d'après M. de Cumont, les pro- cessions bouffonnes et les mascarades en usage à la Fête des Fous, que Gler- mont a célébrées long- temps après sa suppres- sion dans les autres dio- cèses. Cependant, nous retrouvons des singeries, moins obcènes il est vrai, à Arcueil Cachan, qui a ignoré cette Fête.

Gà et là se dessine une silhouette originale de gargouille, celle, par exemple, qui est formée de mamelles et dont le surmoulage est au Trocadéro.

Chœur. Chapiteaux historiés^ à nuls autres pareils. La Tentation se passe aux pieds d'un plant de vigne et le fruit défendu est une grappe de raisin ; Eve a les seins en besace d'une Vénus hottentote. L'Expulsion du Paradis (fig. 385), surtout, est impayable : tandis que l'ange exterminateur saisit Adam parla barbiche, pour procéder à son expulsion, manu militari^ le premier homme, au paroxysme de la colère, empoigne par les cheveux et piétine Eve, affalée à ses genoux. Celle-ci, de désespoir, s'arrache toute la partie de la che- velure qui reste libre. Il y a dans cette scène une brutalité excessive, qui jette peut-être un jour sur la façon cavalière dont étaient traitées les femmes au pays de la « bourrée » et de la (( volée ».

Nous trouvons encore, au haut des piliers du chœur, un centaure



PUY-DE-DOME


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en pet-en-Fair ; un personnage nu qui en étrangle un autre avec une corde, et une femme nue, la Colère, au. milieu de farouches guerriers, les génies du Bien et du Mal, Elle tient un glaive à deux tranchants dont la pointe semble s'enfoncer entre ses mamelles (fîg. 386). On lit sous le tail- loir correspondant : iras occidit.

La crypte renferme des fresques d'une conception non moins étrange.

Terminons par le Jacquemart, enlevé aux habitants d^Issoire pendant les guerres de religion, qui est orné de di- vinités païennes, Mars, Faunus, Tem- pus, etc.



Fif>-. 386.


2*' Saint-Nectaire. — Se recommande à notre attention par des hommes nus, montés sur des lions. Quant k la signification de ces dompteurs de l'école de Bidel, bernique.


IssoiRE. — Les signes du Zodiaque étalent sur les murs de



l'église des détails ultra-réalistes (fig.387-389)^ Les gémeaux, entre tous, se distinguent par l'exhibition d'une virilité que nos vigou- reux et robustes Auvergnats ne trouvent pas exagérée.


1. Les figures 387 à 390 ont été reproduites par Mallay, dans les Eglises romaines.


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i/art profane a l'église


Les motifs des fonts baptismaux n'ont rien à envier, dans la note libertine, à ceux du voisinage. Citons, à titre de mémorandum, une néréide dégingandée (fîg. 390), qui fait le grand écart à la façon des célébrités chorégraphiques du Moulin-Rouge.

Saint-Léonard. — Les stalles, d'un travail des plus curieux (xvii^), « offrent, dit Mérimée dans son Voyage en Auvergne (1838), une suite y.jo de fantaisies très bizarres et souvent obscènes ».

On y remarque un moine étreignant « fort amoureusement » une religieuse, et un porc, prêchant devant des oies ou des ouailles, allusion satirique à Calvin et à Luther, élevés sur les genoux de l'Eglise, ou à un moine libre prêcheur.

Plus je vois d'exemples de ces bouffonneries sacrilèges, conclut Fau- teur de Colomba, plus l'explication me semble difficile. La critique se déchaînait alors contre les mœurs du clergé, et quelle bonhomie ou quelle indifférence ne lui faut-il pas supposer pour qu'il admît sans scrupule les traits les plus satiriques dirigés contre lui-même.

ViG-LE-CoMTE. Cordeliers. — La chapelle de ce couvent contenait le tombeau de Jeanne de Bourbon, comtesse de Bourgogne et d'Auverg-ne, qui avait épousé son maître queux, la Pause. Elle mourut en 1511, pendant une absence de son mari. Celui-ci, à son retour, fait ouvrir la tombe où le cadavre est putréfié et ordonne qu^on représente en cet état le corps de sa femme adorée.

La statue existe, et je doute que nulle part on voie rien de plus hideux et de plus dégoûtant. Sur la tête de Jeanne est un suaire qui, tombant des deux côtés du corps, vient se croiser au bas de l'aine et qui laisse le buste entièrement nu. On la voit avec ses yeux creux et ses joues enfoncées. Des vers sont représentés sur le corps ; déjà le sternum est percé; une des mamelles et le bras droit sont rongés en partie, des intestins...*

Cette pierre tombale, supportant la statue de Jeanne, nue et décharnée est au Louvre (fig. 391). Nous avons déjà consigné une fantaisie macabre de cet acabit.



i. Cf. hWuvergnc.


PUY-DE-DOME


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Ghambon. — Un chapiteau de la nef porte un bas-relief, au thème équivoque. Pour Fabbé Groizet, il s'agirait cFune Circoncision ; on y trouverait plutôt, dit d'autre part M. Mallay, « une peinture obscène ».

Devine, si tu peux, et choisis, si tu l'oses.

Au cimetière de ce village, dans une chapelle funéraire, communément dési- gnée sous le nom de Baptistère, M. le pro- fesseur Dourif a décrit — est-ce le motif en litige ? — un chapiteau grossièrement sculpté par un artisan qui ignorait les convenances et les lois des proportions:

La Vierge mère y est représentée, assise ou assoupie, levant les bras en signe de frayeur, tandis que son fils, placé devant elle, sur ses genoux, exhibe un membre qui se dresse ver- ticalement, d'une longueur démesurée, ce qui a pu induire en erreur un badigeonneur naïf, qui y a appliqué une couche de couleur verte, ainsi que j'ai pu le constater, il y a bien des années. L'opérateur, agenouillé au-devant du patient, tient de la main gauche Textrémité du membre et brandit de la main droite un instrument dont les dimensions sont bien faites pour terrifier la mère. {Chron. méd.)

Orcival. — Trois chapiteaux de la crypte montrent des singes dans des atti- tudes lascives, comme à Glermont-Fer- rand; mais une main chaste les a énergiquement martelés.



Fig-. 391. — Statue funéraire Jeanne de Bourbon (1521).


MozAT. — Un centaure et sa centauresse font bon ménage sous labaque d'un chapiteau roman ; illustrations d'ailleurs convenables, quoique mythiques.


Lempde. — Sa petite église romane n'est remarquable que par deux modillons licencieux, exposés à l'extérieur de l'abside^ le lieu


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i/art profane a l'église


de refuge des ohscena. Mérimée n'en ose donner la description qu'en latin. Le premier représente :

Homunculus, tonso capile, nudo corpore, lOuçaXXov prœ cjrandem ostentat manibusque tractât.

Senex quidam sedens, promissâ harhà venerandus^ muliehrem annulum ante pedes in imâ mutuli ^^modillon) parte exsculptum malleo ohtiindit.

Prospère Mérimée fait suivre son rapport de ces réflexions judi- cieuses : (( Je ne sais si dans ces sculptures quelqu'un ne verra pas une allusion mystique. Ce sont, à mon avis, de très grossières plai- santeries, et le vieillard du second modillon me paraît jouer le rôle du chien du jardinier. »

Ennezat. — Ici encore, Mérimée dans ses rapports officiels a recours à la périphrase latine, pour décrire les deux modillons qui soutiennent la corniche de la nef.

Ëtenim, licet curatus Enneziacensis, niutulos istos casto malleo nuper ohtriverit, quidquid priscus artifex, homo nequam, turpe finxerit nimîs plané liquet. In primo mutiilo puerum vel puellam nates osten- dentem aspicies ' in secundo verum, monachum, quem facile togà, cucullo, imo tonsura noveris^ in dunes residentem, nudam mulierem amplexum. Illa capite demisso ante pedes monachi, crurihus in altum elevatis, poplitibusque humeris viri innixis, se mediam lamhenti prœhet.

Y a-t-il là, se demande Mérimée, quelque allusion aux turpitudes d'un chanoine de l'ancienne collégiale^ ou bien n'est-ce qu'une po- lissonnerie du sculpteur? (( En vérité, plus je vois de semblables ordures, moins leur présence dans une église me paraît explicable ».

LX. — PYRÉNÉES-ORIENTALES

Serrabone. — Une femme à genoux entre deux animaux chimé- riques (fîg. 392) fait vis-à-vis à un homme nu, à genoux aussi, un arc à la main. La signification de cette scène obscure nous échappe: le Bien ou la Religion triomphant du Mal ou de V Hérésie ?


PYRÉNÉES-ORIÈJ^TALËS 333


Elne. — Sur un pilier du cloître, Martyre de sainte Eulalie, flagellée, nue, par deux bourreaux, et Crucifixion de sainte Julie ^ dans le même appareil.



Fig. 392. Fig-. 393. — Reproduite par Wright.


LXI. — RHONE

Lyon. 1« Cathédrale Saint- Jean ^ — Façade. Scène de sorcellerie (fig*. 393) : une sorcière, nue, se rend au Sabbat, assise sur un bouc, un chat à la main. A moins que ce ne soit le groupe symbolique delà Vertu domptant le Vice; ou qu'il ne s'agisse, chat compris, de l'allé- gorie de la Luxure. Le champ est ouvert à toutes les conjectures; c'est là l'avantage de la symbolique.

Portail Central, côté droit. D'après la Genèse (III, 21), « Un ange couvre la nudité d'Adam et Eve » : habituellement, Adam se charge lui-même de ce soin, mais ici, c'est l'ange qui présente aux coupables deux costumes de chauffeurs, en peaux de bêtes.

Les bas-reliefs du côté gauche, où se déroulent les turpitudes des filles de Loth sont plus curieux. Le ciseau du sculpteur n'a fait qu'ébaucher les scènes trop vives, par respect pour la pudeur. Telles: [Jy- assise), l'Inceste de la fille aînée de Lot {Gen. XIX, 33), la plus scabreuse; (8*^), la fille aînée de Lot, déjà dans un état de grossesse avancée, engage sa sœur à suivre son exemple [Gen. XIX, 34); (7^), Inceste de la cadette [Gen. XIX, 35), qui s'empresse de mettre à profit les instructions de son aînée. Le flou voulu de ces tableaux lapidaires, pris pour le résultat de mutila- tions, a fait accuser de vandalisme successivement divers chapitres,


1. L. Bc'giile, la Cathédrale de Lyon.


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l'art profane a l'église


à la conscience timorée, et, en dernier lieu, le cardinal Fesch et Mgr Gaston de Pins. Il est donc injuste de les mettre dans le même (( sac » que les parpaillots et les révolution- naires d^antan.

Portail méridional. 11 est couvert de né- réides enchanteresses, plus connues sous leur fausse qualification de sirènes : « la seraine port semblance de feme de si al nomvril, et la partie d'aval est oisel »*. Une de ces am- phibies allaite son petit, tandis que, dans ce tableau de famille où règne l'accord parfait, le père racle de la viole. Une seconde femme poisson joue de l'orgue, à côté de deux autres femelles aquatiques qui font des grâces en relevant leur queue.

Autres médaillons quatre-feuilles. Deux lutteurs, entièrement nus, personnifient sans doute la saison caniculaire; des amoureux, le faucon au poing, devisent sous un chêne; un lièvre, animal dont l'antiquité avait fait l'attribut de Vénus, est couché auprès d'Adam et Eve, symbolisant la passion de la chair ou la fécondité : Crescite et multiplie amiiii. Le même rongeur paraît encore de ce côté. Quatre lièvres sont disposés en trompe-rœil, de telle sorte que chacun d'eux semble avoir ses deux longues oreilles, tandis qull n'y en a que quatre pour le groupe (fig. 394).

Au-dessous des consoles de la façade, V Amour ]OMe de la vielle, à cheval sur un lièvre. Un galant damoiseau, pour obtenir « le don d'amoureuse mercy », olFre sa bourse — palper contre palper — à une jeune oiselle qui tient un écureuil sous le bras, image de la légèreté féminine ; enfin la Grammaire, l'un des arts libéraux du moyen âge, est personnifiée par une leçon de fustigation sur la mappemonde humaine.

Le portail occidental n'est pas moins joyeusement illustré. Un homme résiste aux entreprises libidineuses et contre nature d'un « homosexuel » ; l'un et l'autre n'ont que les épaules couvertes. Les enfants, tout nus, de saint Nicolas sont mis dans un saloir « comme

1. hlin;i(je du monde la décrit ainsi :



Autres i a c'ont de pucelles Testes et cors, duscju'as mamelles ;


Detrez (derrière), poisson, eles d'oisials Et est lor chans molt dous et biais.


RHONE


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viande de porc ». Un jeune godelureau caresse le menton de sa mie qui, de la main gauche, se presse le cœur ou le sein corres- pondant. Autre scène virgilienne (fîg. 395) : un beau vilain et une



Fig-. 393. Fig. 39G.


jolie vilaine se livrent aux petites amusettes, avant le grand jeu. La jeune allumeuse tient un écureuil, petit animal « rongeur » et turbulent, Temblème de V Inconstance, et sa victime affolée porte un oiseau qui pourrait bien être un serin jaune. Un clerc entrepre- nant, lutine une donzelle qui se défend mollement. Le « clou », pour finir: une impudique couronnée attire par la main un jouvenceau entièrement nu ; l'aventure frigorifique de Mme Putipliar ?

2" La Charité. — Vitrail. Les affamés des provinces voisines, secourus à Lyon, en 1S31. Au premier plan, une jeune fille se déchire la poitrine de ses ongles.

S*' Saint-Martin-d'Aunay. Presbytère. — Tympan de la porte. Un bas-relief (fîg. 396), de caractère antique bien qu'il ne date que des restaurations (184S-50) de cette vieille église, représente l'un des miracles de saint Martin, patron de l'église. Ce saint prêche aux païens la religion du Christ et les engage à détruire un arbre dédié au culte des idoles. Les incrédules y consentent, à la condition que le saint se mettra du côté de l'arbre, lorsque, à demi scié, il sera près de tomber à terre. Saint Martin accepte l'épreuve. On coupe l'arbre qui semble devoir l'écraser, quand, par un signe de croix, saint


336


l'art profane a i/égltse



Martin le rejette du côté opposé.. A la suite de ce prodige, les païens demandent le baptême. Une verrière de la cathédrale de Bourges, consacrée à ce saint, et une tapisserie de la cathédrale d'Angers célèbrent la même légende. On lit au-des- sous de cette dernière curiosité, en caractères gothiques :

Gomment aulcuns pa- yens avoient dédie au diable un arbre de pin, pourquoy sainct Martin se submist de le recep- voir tout côpé, luy estant lié, mais en faisant le seig-ne de la croix, le dit arbre retovrna sur y cevlx payens et les op- pressa griefvement.

Autrefois était en- gagé dans le mur ex- térieur de la façade de cette église, au-dessus de la porte principale, un bas-relief païen transféré au Musée de sculpture : Dédicace aux Mères Augustes, par Phlégon médecin.

4° Abbaye des Dames bénédictines de Saint-Pierre. — Occupée par le Palais des Arts. Certaines parties ont conservé leur riche décoration de la fin du xvu^' siècle, par exemple l'escalier d'hon- neur et l'ancien réfectoire où figure une Charité^ au sein découvert, entourée de petits miséreux, et l'admirable groupe de Thomas Blanchet (vers 1681) qui représente — non la Tempérance^ comme l'indique le catalogue officiel — mais la Vertu ^ debout entre deux femmes assises. L'une de ces dernières est la Tempérance. Elle tient entre ses mains un mors, symbole de son pouvoir modérateur sur les passions. Les deux figures sont strictement vêtues ; seule la Vertu est nue jusqu'à la ceinture (fîg. 397) !

Dans la galerie qui conduit au réfectoire, un bas-relief, en terre cuite, de l'école de Donatello, où sont représentés, selon le cata- logue, des Enfants musiciens (fîg. 398), nous paraît provenir d^un



Fis. 398.


RHONE


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édifice religieux, et c'est à ce titre que nous le faisons figurer ici. « Celui de droite joue d'un instrument à archet, violetta di hraccio Les deux petites lanières qui sont dans les mains du second sem- blent indiquer des petites cymbales ou un genre de castagnettes. » Nous y voyons seulement un ange jouant de la viole et un char- meur de serpents. Le costume de ce dernier est au moins bizarre, son torse est couvert d'une casaque et le bas des jambes est enve- loppé dans des chausses ornées qui laissent les orteils à nu ; le reste du corps est découvert, sans en excepter les organes géni- taux.

5° Saint-Irénée ^

Ganoiies ^.

ViLLEFRANciiE. Notre-Dame-des-Marais. — Derrière la chapelle absidiale se dissimulent des sculptures, honteuses de leur mise im- modeste-^.

LXIL — SAONE-ET-LOIRE

Giialon-sur-Saone. Musée. — Peinture de l'école lombarde (xve siècle), qui a dû appartenir à une église : Sainte Agathe^ tient ses seins coupés sur un plat.

AuTUN. 1« Cathédrale. Saint-Lazare. — Façade occidentale. Tym- pan de la porte centrale. Les phases de l'inévitable, mais étrange

1. Les gens du peuple, raconte Millin, en raison de la liaison de ces deux mots qui produit, à la prononciation, lirenée entrent dans ce temple en se tenant le nez — > comme le pleurant de Dijon — pour le préserver de quelque espièglerie du sort.

2. Durant les tumultueux inventaires, les ouailles de l'abbé Pourxet commirent une grave irrévérence envers le saint lieu et l'autorité, en faisant prendre au maire, M. Escudier (2 mars 1U07), un bain de siège réfrigérant dans le bénitier de l'ég-lise.

3. En 15G6, le clocher brûla par rimprud,ence d un plombier qui, séance tenante, subit la peine du talion : la population exaspérée et peu charitable quoique dé- vote, lit un autodafé du malheureux ouvrier, devant l'église en flammes. Pour mémoire encore, rappelons une antique coutume contre laquelle se seraient élevés nos galants et véhéments féministes. A la fondation de cette ville, au xi" siècle, Humbert IV, sire du Breugnon, pour y attirer des habitants, leur accordait, entre autres privilèges, celui qui permettait aux maris de battre leurs épouses jusqu'à la première efl'usion de sang, pourvu que la mort ne s'ensuivît pas. Depuis, les mœurs se sont adoucies, pour le sexe faible : ce sont les maris qui sont battus et contents.


l'art profane. — I.


22


338 i/art profane a l église



Fig-. 399. — Reproduite par M. P. Vitry, dans les Docum. de sculpt. du moyen âge.


Jugement., découvert sous un enduit de plâtre^ appliqué sur les ordres d'un tonsuré qui avait la vocation de la maçonnerie.

Soyez plutôt maçon si c'est votre métier. Ce faux franc-maçon, choqué par les nudités du portail, n'osa pas


SAONE-ET-LOIRE


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les détruire ; mais il les emmura comme autant d'hérétiques. En effet, ce poème en pierre, surtout dans la partie qui représente le Pèsement des âmes et les tourments infernaux, fourmille de détails fantastiques. Plusieurs pécheresses char- nelles ont les mamelles dévorées par des serpents. Nous ne décrirons pas ces extravaganza^ débordant de verve et d'inspiration, l'examen de leur dessin (fîg". 399) sera plus explicite que toute description ; et il ne donnera encore qu'une faible idée de l'audacieuse et orig-inale conception de son auteur, Gislbertus ou Gilbert, qui Ta sig-née.

Ces nudités, écrit Lenient, que le Chris- tianisme avait d'abord sévèrement pros- crites comme un héritage du sensuaHsme — Reproduite par Vitry

. • < 1 . Doc. de sculp.

païen, reparaissaient la non plus pour eni- ^

vrer Thomme du spectacle de sa propre image, mais pour lui rappeler cette grande loi de misère et d'égalité que Job avait proclamée et qu'Eustache Deschamps célébrait en beaux vers, avant Malherbe :

Vilment estes conçus, D'où vient ce nom villains, qui le cœur blesce ; Vous estes tous d une pel (peau) revestus.

... Ce n'est pas une satire, mais plutôt une terrible leçon dont l'auteur a résumé le sens dans ce vers, d'une harmonie presque infernale :

Terreal hic terror c/uos terreus alligal error.

D'autres scènes, non moins variées (fîg. 400), enjolivent les cha- piteaux et font de cette cathédrale un musée de sculpture rétro- spective*.

1, On y remarque la chapelle où le tortillard Talleyrand-Péri^ord débuta comme évêque d'Autun, avant de revêtir Thabit d'arlequin ou de diplomate (de diplos, double), qui lui permit de servir tous les gouvernemenls. Son titre de prince de Béncvcnt ne l'autorisait-il pas à observer d'où souniait le ^ eut ? Avant cette girouette diplomatique, l'épiscopat d'Autun avait eu l'abbé Roquette qui aurait servi de modèle à Molière, comme le rappelle cette épigrammc :

RoqueUe dans son temps, Talleyrand dans le nôtre, Furent les évèques d'Autun, Tartulle est le portrait de l'un : Ail ! si Molière eût connu l'autre !



340


i/aRT PftOFyVNE A l/lUiLISE


2*^ Saint-Martin. — Fut bâtie par Brunehaut, vraisemblable- ment en expiation de ses crimes. On y voit le tombeau de cette reine, assassinée par Frédégonde, qui la fît attacher toute nue k la queue d'un cheval indompté après avoir fait étrangler sa S(eur^ la douce Galswinthe, seconde femme de Ghilpéric F^', roi de Neustrie, pour prendre sa place dans le lit a De Monsieur Ghilpéric » !

Jean Petit, abbé de Saint-Martin, était sculpté sur son tombeau, « tout nud, dit de Saint-Foix, et la mitre hors de la tête, pour signifier qu'on lui avoit ôté cette Abbaje, et qu'il ne l'avoit plus lorsqu'il mourut ».

LXIIl. — SARTRE 1

Mans. 1» Cathédrale Saint- Julien. — Les chapiteaux sont cou- verts de figures monstrueuses, chimères, mascarons grimaçants et aussi de caricatures satiriques dirigées parle clergé séculier contre le clergé régulier. D'après l'abbé Auber, à l'un des contreforts méridio- naux, se tiennent, « dans une attitude qui défie toute description, une femme et un homme encapuchonnés, qui très certainement n'y sont, et toujours en dehors de l'église, que pour stigmatiser ces chiens et ces impudiques abominables que saint Jean ordonne d'en chasser comme autant d'idolâtres et d'empoisonneurs ». Get ecclé- siastique veut sans doute parler d'une gargouille analogue k celle de l'Hôtel de Gluny et qui fait gémir les convenances : un moine et une religieuse sont en tête-à-téte-bêche ; celle-ci présente un orifice par lequel elle fait pipi quand il pleut et des pets de nonne quand il vente.

Le socle de l'ancien modèle du mausolée de Guillaume du Bellay, gouverneur du Piémont, seigneur de Langey, l'ami de Rabelais, « sépulture eslevée en marbre, k Saint-Julien du Mans », dit Bran-

1. Menu hors-d'œuvre : Parmi les détails donnes par Dureau-Delamalle, membre de l'Institut, sur les mœurs des habitants du nord de la Sarthe, nous relevons leur goût pour les jeux de mots. « Voici un de leurs calcml)ours favoris, digne de Bru- net. — Quel est le lieu où il y a le plus de chats sans poils ? — L'Eglise, parce que toutes les bonnes femmes ont des chapelets (pour les lecteurs du Pèlerin : chats- pelés). Pour avoir des souliers parfaits, il faut que l'empeigne soit de gosier de musicien, qui ne boit jamais l'eau ; la semelle, de langue de femme qui ne s'use jamais, et qu'ils soient cousus avec du lil de rancune de prêtre parce que ça dure toujours... » Et cependant le Christ ne conseille-t-il pas de tendre l'autre joue quand on a reçu un soufflet ?


SARÏIIE


341


tome, était couvert, sur les néréides (fig-. 401) qui ont monument revu et expurgé par un Daniel de Volterre du ciseau. Une réplique du premier état attribué à Ger- main Pilon, avec la collabo- ration de Bontemps et Perret, se trouve au Trocadéro

La cathédrale possède de nombreux vitraux peints (xii^ siècle) dont deux seu- lement rentrent dans notre programme : Saint Eloy domptant le démon (fig.


trois faces apparentes, de tritons et de disparu, en partie^ dans le nouveau



Fig. 401. 401 bis) par son mufle bourgeonné, comme celui d un buffle, k l'aide d un torche-nez qui sert aux chevaux vicieux pendant leur ferrage, et Sa//i^/fz//e Al baptisant le Defensor (fîg. 401 ter). Remarquez le développement des seins aréolés du roi, la nudité de la catéchumène qui attend son tour de bain et l 'attitude des assistants qui reluquent avec curio- sité, convoitise ou admi- ration ces tableaux reli-

1. Avant 1770, on voyait à la porte occidentale la pierre nu Init^ formée de deux grandes tables en calcaire, superposées, sans pied. P]n 142G, cette pierre servit de billot pour les exécu- tions ordonnées par SuH"olk,qui fit trancher la tête à plusieurs courageux citoyens.


342


i/art profane a t/éoltse


gieux vivants. L'un d'eux semble repi-arrler le spectacle au travers



de ses doigts, comme la Vergognosa de Pise. Mais que tient donc le monarque de sa sénextre ?

2° Notre-Dame-de-la-Couture. — Portail. Suivant le canon ar- chitectonique des cathédrales, le Jugement abonde en damnés dé- vêtus. Nous rencontrons là encore la dispute traditionnelle de Fâme litigieuse^ entre le démon et saint Michel.


SARTIIE


343


3^ Musée. — Une Luxure provenant d'un édifice religieux dé- truit se présente sous la figure consacrée d'une femme nue, dont les seins et les organes cou- pables sont dévorés par des crapauds et des serpents.


La Ferté-Bernard. Notre-Dame-des-Malais.

— Statues emblématiques des quatre tempé- raments, admis par la médecine de nos pères : le sanguin, le lym^Dhatique, le nerveux et le bileux. Il y paraît aussi un buste de Gléopâtre, avec cette inscription énigmatique : espoir en DIEV !



Fi^. 402. — Reproduite par le Ballet, monum.


Bessé. Les Calmudes. — On admirait un marbre des Trois Grâces portant le cœur du fondateur de cette église, détruite en 1785. L'évêque du Mans, M. de Grimaldi, dit-on, fit enlever ces Charités antiques, devenues impudiques. Elles auraient été enfouies dans un puits, où, comme on le sait, réside souvent la Vérité, antagoniste de la Religion. C'est de là qu'un architecte les aurait retirées pour les offrir à la Ville. Ce monument serait de Germain Pilon, natif de Loué commune voisine de Bessé. Il était peut-être le modèle du groupe que Catherine de Médicis lui commanda pour le cœur de Henri IL


SiLLÉ. — Son Jugement n'offre à considérer qu'une femme nue (fig. 402), une ressuscitée, assise, médusée, devant un séraphin, en houppelande, qui lui joue un air de trompette.


LXIV. — SEINE-ET-MARNE

MelUiN. lo Notre-Dame. — C'est à cette église que fut d'abord offert le fameux ex-voto peint par Fouquet, où la Vierge, entourée de Cupidons ou d'angelots nus, est montrée la poitrine nue sous les traits d'Agnès Sorel Ce précieux tableau de sainteté ou plutôt

1. Anec. hist. et rel. sur les Seins, lig-. liO his.


344


i/art profane a l'église


de « sein tété » se trouve au Musée d'Anvers. N'est-ce pas en



Fig. 403-408.


l'honneur de la portraiture de cette demi-Yierg-e, que Charles Vil, son fervent adorateur, composa cette galante devise?

Icy dessoubz des belles gist Teslite, Car de louange sa beaulté plus mérite Estant cause de France recouvrer Qui tout cela que en cloistre peult ouvrer Glose nonnain ny en désert hermite.

Nous savons que Fouquet a reproduit le portrait de « la dame de Beauté » (sur Marne), dans plusieurs de ses compositions religieu- ses, Y Adoration des bergers^ V Annonciation, etc. C'est un récidi- viste d'attentat k la pudeur et aux bonnes mœurs, par le pinceau.

3^ Saint-Sauveur. — La flag-ornerie du prieur de cette Abbaye prodigua sur les voûtes de son église, sous forme de fresques gros- sières (lig-. 403-408), les armes parlantes et attributs de Diane de Poitiers. Tantôt, le croissant est seul (fîg-. 405), circonscrivant une lîgure de Phëbé, d'Hécate ou de Lucine ; tantôt, plusieurs croissants sont entrelacés, avec ou sans cœur (fîg-. 403,408). Une femme nue (fig*. 404), les cheveux épars, un éventail démesuré à la main, est couchée dans la concavité d'un croissant monstre ; est-ce encore une Diane ou la Luxure ? C'est tout un, il est vrai. Un buste de roi ou de reine de la main gauche, sur un écusson, avec un cœur en- flammé dans le champ. A côté, les ébats d'un dauphin semblent


SEINE-ET-MARNE


345



Fit


t09.


rappeler les amours de Henri II, avant qu'il ne montât sur le trône. G. Leroy rapporte que Gelot, auteur de la Vraye et par f aide science des armoii^ieSj, a reconnu dans ce cétacé un bar, qui représentait Diane « parce qu'il fraye et décharge sa portée trois fois l'an » ; allégorie invraisemblable de l'amour fécond. Mais que signifie cette levrette qui redresse la queue devant un coq, lequel redresse sa crête ? Est-ce le symbole de la vigilance de Y Eglise en présence de V Hérésie aggressive, ou l'image du jeune roi du peuple gaulois, en coquetterie avec une levrette fringante et aguichante ? Ce serait du dernier galant.

Comme le fait judi- cieusement remarquer M. Leroy, dans l'église paroissiale qui a été substituée à la collé- giale, (( c'est partout la glorification de l'a- dultère royal ». Nous retrouverons d'autres exemples de cette apo- logie scandaleuse à Anet, Poitiers, Ecouen, Fontainebleau, Vin- cennes, etc.



Fig-, 411.


3^ Saint-Aspais. — Le rétable de pierre est illustré d'Amours qui se poursuivent et se lutinent.


GiiAMPEALX. Saint-Martin. — Sur les stalles du chœur sont sculptés des sujets religieux, fantaisistes et satiriques. Tels^ une (f sirène » (fig. 409) ; une nymphe enrubannée, organes et seins ac- cusés (fig. 410), et VAmour^ ou plus exactement sa mère, tenant un arc et une flèche (fig. 411). On voit aussi un renard qui prêche les oies et un petit rustre qui s'applique à lancer un jet juvénile sur un


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T/ART PROFANE A i/ÉGLISI:


van (fîg-. 412). Un aiilciir délicat trouve cette dernière scène a dégoû- tante ». Rien de plus simple cependant; cet acte naturel est un



Fi-. bis.


proverbe en action, avec calembour : « Petite pluie abat grand vent ». Enfin, sur une miséricorde s'étalent deux personnages nus dont la signification nous échappe (fig. ii2 his).




Fiix. 4] 3415.


Barbeau. Abbaye. — Multitude d'ornements disparates, où le sacré se mêlait au profane. On y voyait des saints évoluer au milieu d'Amours, de nymphes et de satyres (fig. 413,415) ; et, sur le grand autel, la peinture d'une femme riue, entre deux hommes sans costume, pouvant à la rigueur symboliser la Lubricité. L'amant tentateur cherche k détourner de ses de- voirs une épouse hésitante (fig. 413).

Otiiis. — Son coquet portail est surchargé de figurines et bas- reliefs où dominent les académies, mais ces motifs sacro-profanes ont beaucoup souffert des ravages du temps.

1. D'après lu photographie de M. F. MarLiii-Saboii.


SEINE-EÏ-M ARNE


347



Fi^. 416.

Fontainebleau. Palais. — La Chapelle de la Trinité a conservé, pour le tableau d'autel, une Charité (fîg-. 416) représentée sous les traits de Mme de Montespan allaitant un orphelin. Ce tableau était


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i/art profane a i/ église



bien la note spirito-sensuelle des autres peintures décoratives de la chapelle, composées dans le goût de la Renaissance. On en jugera par une partie de la voûte (fîg. 417), où le nu est prodigué, sans la


SEINE-ET-M ARNE


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moindre retenue ni discrétion imposées par le voisinage de l'autel ^

Lagny. — Bas-relief en albâtre, ï Annonciation. La Vierge, à ge- noux, lit ses Heures à l'Introït ; Gabriel, vêtu à la mode du temps, déroule un phylactère. En haut, le Père Eternel ouvre la bouche, d'où sort le pigeon procréateur, Toiseau de Vénus.

Ghelles^. — Saint-Fiacre — Provins^.

Le Lis. Abbaye des filles de l'ordre de Cîteaux "\

1. On en trouvera tons les détails dans le magnifique ouvrage de M. Rodolphe Penor, le Palais de Fontainebleau, chez Eggimann, édit., boni. St-Germain, lOG.

2. « Elle a passé le pont de Gournai, elle a sa honte bue », se disait d'une femme aux mœurs légères. Ce dicton venait de la vie déréglée des religieuses de Chelles, qui passaient le pont pour rendre visite aux moines du prieuré de Gournai-sur-Marne.

3. Nef. Une grosse et ronde pierre miraculeuse, « s'amollit comme la cire » pour recevoir l'empreinte du fessier de saint Fiacre. Cette pierre de taille préserve de la taille ceux qui ont la pierre. Mais c'est surtout une pierre précieuse pour la guérison des hémorroïdes ; il sullit de s'y asseoir. La gogotte Anne d'Autriche lit un pèlerinage à cette église, dans l'espoir que saint Fiacre combattrait sa stéri- lité ; mais son voyage et ses prières furent vains. D'ailleurs l'épouse trop crédule de Louis XIII s'adressait mal : ce saint misogyne ne voulut jamais recevoir de femme en son ermitage, de son vivant, ni dans sa chapelle, après sa mort. Il par- tageait vraisemblablement la manière de voir de Jean de Meung, le continuateur du Roman de la Rose^ plutôt « rosse » à l'égard des femmes de son temps, qu'il invective de la sorte :

Toutes, vous êtes ou vous iïites, De t'ait ou de volonté, putes.

4. En dehors de la Fêle des Fous, de celle des Innocenls et de l'A/ie, qui furent célébrées à Provins jusqu'au xvu" siècle, et qui étaient communes à beaucoup d'autres localités, les i>anse.s de saint Quiriace et de saint Thibaud étaient fort en honneur dans cette ville. Pour la première, où l'on se faisait des pintes de bon sang et où l'on vidait quantité de pintes de vin, oirertcs par le chapitre, nous avons des détails précis : « Le jour de la nativité de la Vierge, le vicaire perpétuel de Saint-Quiriace choisissait une des plus jolies filles de la paroisse ; elle occupait, habillée en blanc, une place distinguée dans le chœur. Il la saluait, en chantant l'antienne Ave, Reçfina. Après l'antienne, il la prenait par la main et, couvert de sa chape, il la conduisait devant le portail de l'église ; et là, il commençait à danser avec elle. Cette danse était suivie de scandales, de dissolutions, qui déterminèrent, en 1710, le chapitre à l'abolir. »

5. L'église de ce monastère, à une demi-lieue de Melun, possédait le cilice et la discipline qui servirent à saint Louis, pour mortifier sa chair.

La chronique scandaleuse raconte que le Vert-Galant — lequel n'embrassa pas que le catholicisme — allait souvent visiter l'abbaye et surtout l'abbesse du Lis, Catherine de la Trémouille. « Il demanda un jour à cette dernière combien de religieuses habitaient le Lis, et combien elles avaient de directeurs ? L'abbesse satisfit à ces deux demandes. Henri IV lui témoigna sa surprise de ce que le nombre des religieuses excédait celui des directeurs. Votre étonnement est assez juste, répondit ingénument fabbesse ; mais Votre Majesté ne sait pas qu'il en faut quelques-unes pour les survenans : ce qui ne pourrait s'arranger si chacune avait le sien. » Cf. Remarques de Duchat sur le chap. viii de la confession de Sanci, Journal de Henri III, tome v, pag. 276 et 277.


330


t/aut profane a 1/ église


LXV. — SEINE-ET-OISE

Versailles. 1^ Notre-Dame*. — A l'un des piliers est fixé un grand médaillon de marbre, qui représente une savoureuse Marie-Made- leine, en peau, jusqu'à la taille. Elle amène sur ses formes potelées le voile de son abondante chevelure. Jamais ciseau de sculpteur ne modela des contours plus voluptueux.

On y remarque un tableau de Jean Restout^ Saint Vincent de Paul prêchant ; le peintre figure parmi les auditeurs, du côté gauche. Immédiatement au-dessous du prédicateur s'offre, de face, le corsage béant et fort bien garni d'une gracieuse et grassouillette paroissienne, sans doute Mlle Legras — la bien nommée — coadjutrice du vaillant propagandiste ? Rien n'indique d'ailleurs qu'il y ait ici une allusion à la scène du fameux sermon dont parle Mme de Genlis :

Lorsqu'il lit entourer sa chaire par les nourrices des enfants trouvés, tenant ces pauvres enfants dans leurs bras, qui, se mettant à crier, inspi- rèrent au saint le plus beau de tous les mouvements d'éloquence, quand s'interrompant lui-même et s'adressant aux clames qui l'écoutaient, il leur dit : « Entendez-vous, Mesdames, les gémissements de ces innocentes créatures. C'est vous qu'elles implorent... »

L'institutrice des enfants du duc d'Orléans s'étonnait que la pein- ture n'ait pas traité ce sujet de tableau, et elle fut doublement écoutée. En effet, le peintre d'histoire Delaroche y est revenu et il a fort bien rendu les détails émouvants d'une telle prédication (fig.418). Mlle Legras figure toujours au premier rang des auditrices, dans son décolleté habituel. Gomme elle tourne le dos au public, elle se présente au prédicateur par son coté le plus attrayant, mais le moins modeste, et oblige l'orateur sacré à promener ses regards sur des organes lactescents, qui sont du reste l'objet de son prône. Tout auprès d'elle, une nourrice allaite son nourrisson, mais la tête du bébé cache la « tette » de la mercenaire, la décence est rigoureuse- ment observée. Rappelons que Mlle Legras fut la fondatrice des Sœurs de charité^ les admirables zélatrices de l'œuvre des Enfants trouvés.

A Saint-Séverin, de Paris, M. Jules Richomme, chargé de la dé- coration de la Ghapelle de Saint-Yincent-de-Paul, reproduit la


1. Rue de la Paroisse.


SEINE-ET-OISE


351


même scène dans une peinture murale : le saint prononce devant les



Fig. 418.

dames de la cour le célèbre sermon qui décida de la fondation de son œuvre.

2« Saint-Louis. Cathédrale. — Bas-coté droit. Chapelle des Fonts baptismaux : Saint Rémi baptisant Clovis^ par de Villers (1842).

Chapelle de Saint-Louis : Mai^tyre de sainte Agnès^ toile de l'école française (1730). La vierge, entourée de ses bourreaux, est nue, jus- qu'au milieu du corps à peine pubère, à en juger

Par un sein tout mignon qui ne fait que de naître.


Sacristie. Copie ou répétition d'un tableau de Mignard, placé au


332


i/art profane a l'égltse


Louvre, Le Grand Dauphin (Louis de France) et sa famille. La Dau- plîine, assise, tient près d'elle le duc de Berry « presque entière- ment nu », dit M. Clément de Ris; dans les airs, deux amours sou- tiennent un rideau et répandent des Heurs.

Encore un Saint Vincent de Paul prêchant, à Saini-Etienne-du- Mont, par Noël Hallé (1761). 11 fallait s'attendre à rencontrer à Versailles l'image de ce philanthrope, fondateur des Lazaristes qui desservaient les églises de cette ville.

Les vitraux de la cathédrale interprètent V Annonciation et Y Assomption, de A. Deveria, plus connu par ses estampes extra- lubriques. Ce qui prouve une fois de plus que la foi n'est pas né- cessaire pour concevoir et exécuter des tableaux religieux. Jules Romain, qui dessina les estampes des fameux sonnets de l'Arétin, le Gorrège et le Titien qui, « de la même main libertine, souple et caressante, écrit Brunetière, peignaient la nudité d^une courtisane ou une Madone d'une Assomption », et bien d'autres encore, en sont autant d'exemples frappants.

3« Chapelle du Château. — Le tableau de Santerre, Sainte Thé- rèse en méditation, célèbre le triomphe de l'amour immatériel, dont était torturée la vibrante extatique. Cette toile parut dangereuse à quelques personnes susceptibles, et d'Argenville confirme les pro- pos rabelaisiens que tenait le comte de Caylus sur <( des prêtres effrayés qui refusaient de dire la messe k cette chapelle ». La pre- mière fois que le sensuel Louis XIV vit cette peinture pimentée^ il s'écria enthousiasmé : « Voilà qui est beau ! J'entends qu'on donne une pension à Santerre ».

Les Vertus, en bas-reliefs^ surmontent les arcades de chaque travée. Au premier étage, le corsage largement dégraffé de la Charité attire particulièrement le regard.

Le bulFet d'orgues est soutenu par des cariatides féminines, aux seins nus et émoustillants.

D'autres grandes figures de femmes, au torse entièrement décou- vert (fîg. 419), occupent les écoinçons du vestibule de cette cha- pelle-boudoir, que Voltaire ajopelait le colifichet fastueux.

Le plafond de l'arcade qui conduit de la cour de la Chapelle dans les jardins était couvert de peintures. En 1729, sur les conseils de


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l'évêque de Fréjus, Hercule de Fleur j, Louis XV fît décorer ce plafond par Lemoine, qui ne Tétait que de nom. Celui-ci, par une allusion flatteuse au prénom du cardinal, son protecteur, y représenta l'apothéose à' Hercule. Mais, pour se faire pardonner le rapprochement implicite qu'il établissait entre un prince de l'Eglise et un demi-dieu de la fable, il nomma son tableau, le Triomphe de l'Honneur, conduit par la Vertu à l'Immortalité.

GoRBEiL. Saint-Spire. — Quelques-uns des sièges canoniques des stalles portaient des motifs de sculpture assez plaisants (fig. 420- 431).

1. Calvin porte le monde catholique sur son derrière.

2. La Mère Folle ^ entourée de nombreux enfants, comme la mère Gigogne, tient sa ma- rotte, d'une main, et, de l'autre, offre son sein à qui veut y puiser. Moralité grotesque et philosophique, paraphrase figurée du verset de l'Ecriture : Stultorum numerus est infinitus. Les médecins de l'âme et du corps le savent mieux que tous. L'auteur des Antiquités nationales, à qui nous em2:)runtons ces dessins, y voit à tort « un homme avec un habit de moine et des oreilles d'âne et rit de fouler aux pieds des autres personnages habillés comme lui, mais qui ont l'air très tristes ».

3. Deux hommes semblent jouer au « pet-en-gueule » qui

1. L'auteur anonyme de la Vie du Cai^dinnl Dubois, au sujet de ce jeu, raconte un incident comique, que nous citons sous toutes réserves : « L'Abbé fournit au Prince, malgré lui, peu de temps après, une semblable occasion de rire. Car S. A. U. ayant vu ses })agcs jouer à un jeu d'enfant que l'on nomme pet-en-ffueule, voulut s'en amuser lui-même. L'Abbé fut chargé, selon sa coutume, de préparer cette orgie et d'amener des femmes disposées par état à se prêter aux fantaisies les plus bizarres. Il ne prévit pas que le Prince ne voudrait être que spectateur, et n'invita avec lui t[u\ui page et deux femmes. Après les compliments d'usage, le Duc d'Orléans proposa le jeu dont il voulait voir la répétition, et ordonna à TAbbé et au page déjouer à. pel-en-gueule a\ec les deux autres convives qui, pour rendre la fête complète, n'avaient gardé aucun vêtement. L'Abbé refusa pendant longtemps de se prêter à ce caprice ; mais le maître insista et l'Abbé prit place dans ce lubrique quatuor, que le pinceau de Clinchtell a reproduit tant de fois. Ses reins

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était fort en honneur à la fin du xviir siècle. Nous savons même, par un dessin de Saint-Biaise {Touî^ du monde, 1856), que ce jeu constituait un divertissement très goûté au camp de Sjordalen^ en Norvège. Deux sol- dats entrelacés forment un ensemble fantas- tique, une sorte de quadrupède qui change de pattes à chaque culbute (fîg. 432). D'après Dulaure, on pouvait voir à Verberie, près de Gompiègne, un jeu à peu près semblable; c'était le jeu des tomber eaux, q\i on nomma plus tard àessautriaux.C^ divertissement subsista en France jusqu'à l'époque de Charles VI*.

Sur notre miséricorde, les formes du per- sonnage antérieur sont si accusées qu'il paraît entièrement nu.






Fig. 420-425.


usés se refusaient au travail pénible auquel sont condamnés ceux dont le dos serti de théâtre pour ce ridicule jeu. Ses plaintes et ses juremens amusèrent autant lej Prince que la bizarrerie des postures. »

1. « L'adresse du sautriau consistait à entrelacer sa tête, ses bras et ses jambes! de manière que son corps prît la forme d'une boule ; il se précipitait ainsi du haut] de la montaj^ne, et se trouvait sur ses pieds au bas de cette même montagne ; quelquefois le jeu du sautriau se faisait à deux personnes; alors les deux sautriaux plaçaient chacun sa tête entre les jambes de l'auli^e, s'entrelaçaient les bras et formaient ainsi la boule. »


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N*^ 4. L'Evêque des Fous, prosterné, tient une marotte en guise de crosse.

5. Un homme nu, dont les organes sont mis en évidence, est dévoré par un griffon. C'est, si Ton veut, la punition de la Luxure.



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Fig. 426-431


0. Les rats de riJeVes/e rongent de toutes parts le monde ca- tholique ou la papauté.

10. Un apothicaire triture une mirobolante panacée dans son mortier.

12. Le diable dompté par la Femme : une courtisane tient sous sa puissance, non pas un singe, comme le veut Millin, mais le démon, à qui elle scie la tête. Ce n'est pas non plus une scène de sorcellerie, ainsi que l'indique Thomas Wright, en reproduisant la figure de Millin. Sur un accoudoir d'une stalle d'Amiens, la femme, armée d'un grand coutelas, fait à Satan une large entaille dans le dos, tandis qu'à Saint-Martin-aux-Bois (Oise), elle scie en deux le corps du démon. Moins sanguinaire, sur l'une des stalles de l'église de risle-Adam, elle traîne le diable par une corde attachée au cou (fîg. 438 ter).

Les montants des sièges des officiants, côté de l'épître (fig. 433- 436), sont ornés d'arabesques et enjolivés d'amours ailés, munis de leurs attributs païens, bandeau^ arc et flèches. On y voit aussi un



Fi g. 433-430.


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cartel, formé d un cœur appuyé sur un carquois et un arc, entre- croisés, et d'autres « emblèmes amoureux ». Ces ornements profanes datent nécessaire- ment de la Renaissance.

Montmorency. — Chœur. Patience, de la même époque vouée au culte du nu : buste de femme (la Lubricité) ag-rémenté de deux mamelles attrayantes, les armes les plus meurtrières de la femme, de vrais boulets de canon, destinés au massacre des têtes et des cœurs (fig-. 437). Faut-il que le sexe fort soit faible pour subordonner sa vie à quelques livres de chair, plus ou moins fraîche !

Nef. Une verrière donne le portrait d'Anne de Montmorency, — homme brave, non brave homme, — d'après le magnifique émail de Léonard Limosin, exposé au Louvre, galerie d'Apollon ; mais le (( vitrier » s'est gardé de reproduire le satyre et la nymphe, nus, qui, dans l'émail, agrémentent la bordure de l'encadrement, et c'est dommage.

EcouEN. Chapelle du Château. — Ancienne demeure du conné- table Anne de Montmorency, dont le prénom pourrait s'écrire avec un seul n, car cette brute guerrière, cette béate bête fauve ne savait ni lire ni écrire

■J . « G'étoit un vrai cacique, dit l'abbé de Longucrne, et capitaine des sauvages, dur, barbare, prenant plaisir à rabrouer tout le monde, se croyant grand capitaine et ne rétant point; toujours battu et souvent prisonnier. Il avoit communiqué son orgueil à ses fils. Son papisme ne l'avoit pas empêché de s'unir aux Goligny, t[uand il y avoit trouvé son compte. » Du vivant de Henri II, en compagnie du duc et du cardinal de Guise, il était très assidu à la « basse-cour » de Diane de Poitiers ; « ils alloient comme poussins sans ailes et à la suite de la poule » ; mais ces vils courtisans lui tournèrent le dos dès que la « cocotte » eut perdu ses œufs d'or. Ce reître ne justifiait guère la devise qu'il avait choisie : Aplnnos ; mais, par contre, il ne pouvait mieux choisir pour retraite que le château (.VEcouen.

Nécessairement très dévot, il disait ses « Pater » tous les matins et jeûnait tous les vendredis. Ce pieux despote « appelait ânes, veaux et sots », assure Brantôme, les gens de justice qui ne partageaient pas sa manière expéditive de juger. Ce capitaine « brûle-blanc », surnom qu'on lui donnait et qu'il méritait plus que celui de « Gaton de la Gour », que quelques écrix ains courtisans lui décernèrent, était d'avis de convertir les Huguenots à coups d'arquebuse. Envoyé à Bordeaux pour la pacification de, la ville, il fit pendre un Bordelais, de dix en dix maisons. Parmi



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l'art profane a l'église


Sa fastueuse demeure, aussi luxueuse que luxurieuse, par les décorations et objets d'art qu'il y avait accumulés, répondait à son

esprit brutal et à ses mœurs de corps de garde. » Lorsque les jeunes filles de la Légion d'honneur vinrent habiter le château, raconte le chanoine A. Gallet, on dut, par décence, dérober à leurs yeux certains décors : on recouvrit de boiseries légères les frises des grandes salles, les poutres des plafonds et les trumeaux des cheminées. » Toujours la (( Précaution inutile » du Barbier de Séville : les oiselles qui en pensent plus qu'on ne pense et ne tiennent, qu'en public, les regards et les jupes baissés sont légion.

A Ecouen donc, les vitraux de la chapelle elle-même, peints en grisaille, (( étaient impudents à faire rougir Rabelais », écrit Michelet. Ils glorifient les amours de Psyché^ d'après le récit des IV<^ et V« livres de VAne mort, d'Apulée, et d'après les cartons de Raphaël. Pour Didron, ces vitraux profanes se trouvaient dans la galerie qui conduisait à la chapelle, a C'était, on en conviendra, ajoute cet archéologue émérite, une assez singulière antichambre de chapelle, un porche d'église passablement étrange que ce mariage de l'âme et de la volupté ».

Nous avons vu, à Chantilly, une Sainte Agathe qui tient son sein coupé au bout des cisailles ; cette peinture provient d'une autre verrière de la chapelle d'Ecouen.

Sur un panneau des boiseries de ce même sanctuaire était sculptée

les condamnes se trouvait un magistrat, Lestonat. Sa femme, jeune et belle, vint implorer la grâce de son mari. Le « Gaton de la Cour » lui donna à entendre qu'il la lui accorderait en échange de son honneur, et rendez-vous fut pris pour la soirée. Apres avoir passé la nuit avec cette résignée, il lui montra, sous ses fenêtres, le corps de son époux qui se balançait à une potence. L'elVusion de sang, malgré le précepte de l'Ecriture : « Tu ne tueras pas » a toujours été juxtaposé à l'infusion de la grâce : saint Paul essorille Malchus ; Jules II veut être représenté sur son tombeau une hache â la main ; saint Hippolyte tient une épée et saint Michel ne quitte son glaive flamboyant que pour prendre une pique.



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une fig-ure décolletée, avec frisettes ou « anglaises », d'un sexe équivoque, qui peut tout aussi bien représenter Saint Jean VEvan- géliste^ avec son aig-le, comme celui du tombeau de François P^", que Léda^ avec son cygne altier (fig. 437 bis). Les quatre Evangélistes d'Ecouen, compris ce saint Jean rédig-eant le pathos de V Apocalypse dans l'île de Pathmos, sont maintenant exposés au Musée de Chantilly.

Un somptueux mausolée d'Anne de Montmorency et de son épouse, Madeleine de Savoie, dû au ciseau de Barthélémy Prieur, ornait, avant 93, l'église Saint-Martin, de Montmorency ; quelques débris sont venus échouer au Louvre, la statue de la Foi, par exemple, qui tient une croix d'une main, et, de l'autre, un cœur ailé.

Dans l'ég-lise des Gélestins de Paris, s'élevait un autre monument funéraire, renfermant le cœur du connétable. Ce monument avait la forme d'une colonne supportant une urne ; on voyait devant le piédestal trois statues en bronze, la Paix, la Justice et V Abondance. Que peut-on demander de plus ironique * ?

L'Isle-Adam. — Une diablerie audacieuse se détache des vous- sures du portail (fîg-. 438 j. Ce motif paraît allég-oriser la Luxure^

1. Voici enfin IV-pitaphc, sorte de gageure, longue et boursouflée, que Amadys Jamyn composa pour le connétable :

CY-UESSOUS GIST UN COEUR PLEIN DE VAILLANCE, UN COEUU d'honneur, UN CœUR QUI TOUT SAVOIT ; CœUR DE VERTU, QUI MILLE CCEURS AVOIT ; CœUR DE TROIS ROIS, ET DE TOUTE LA FRANCE ; CY GIST CE COEUR QUI FUT NOSTRE ASSURANCE, CœUR QUI DE COEUR DE JUSTICE VIVOIT, COEUR QUI DE FOKCi: i;T Dl" CONSEIL SERVOIT, COEUR QUE LE CIIÎL IlO.NdliA I)i;S l'eNFANCE, COEUR NON JAMAIS M TROP HAUT, NI REMIS, LE COEt:R DES SIENS, l'eFFROY DES ENNEMIS, COEUR QUI FUT COEUR DU ROI HENRY SON MAISTRE, ROY QUI VOULUT Qu'irN SEPULCHRE COMMUN LES ENFERMAST APRES LA MORT, POUR ESTRE COMME EN VIVANT, DEUX MESMES CœURS EN UN.

C'est là, certes, une épitaphe ({ui ne manque pas de coeur; le mot y est répété à profusion, à défaut de la chose.

Sur une autre épitaphe, non moins dithyrambique, le même poète flagorneur se demande

POI RQI OI GIST ce GRAND COEUR EN SI PETIT ESPACE.

Parce que « ce grand cœur » n'existait pas, tout simplement.


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l'art profap^e a l'église


particulièrement la variété lapsus linc/uœ, prise au sens littéral, « faute échappée k la langue ». Cette image esbrouffe tellement l'œil des jiassants, qu'un industriel de l'endroit s'amuse, paraît-il, à fixer sur un « instantané » l'expression diverse de leur ahurissement. On j voit les lèvres pincées ou en chose de poule du sexe gourmé qui pervertit les hommes et les bouches gélasines des joyeux dont les com- missures s'étendent aux oreilles.

De pareilles compositions sont rares dans les églises contemporaines ; ce groupe, à intention moralisatrice, est l'unique spécimen du genre, du mauvais, dirait un des « pieux imbéciles » stigmatisés, à juste titre, par Iluysmans. L'ar- tiste, pensons-nous, n'y a pas mis de malice ; c'est une inadvertance de composition, comme celle que présente le Diderot assis et incliné du boulevard Saint-Germain : il semble se soulever pour se soulager.

Cette église possède une dizaine de stalles du j^,. xv° siècle, provenant de Saint-Seurin, de Bor-

deaux. Sur leurs miséricordes, les huchiers se sont plu à découper des scènes professionnelles, familières, burlesques et satiriques. Nous y retrouvons la moralité d'Aristote, chevauchée par Campaspe, et se rendant à quatre pattes, au palais d'Alexandre (lig. 438 his). L'abbé L. Marsaux, à qui les anciens fal)liaux sont apparemment peu familiers, donne de cette scène l'interprétation suivante : « Une religieuse est à cheval sur un moine, et un jeune clerc éclate de rire en regardant cette étrange chevauchée. » La sagesse des nations n'a-t-elle pas raison de dire qu'on n'est jamais trahi que par les siens? Ce commentaire a le tort d'être inexact et de méconnaître la charmante leçon de morale enclose dans le Lai d'Aristote. Rappelons à l'ignorant auteur, la sage con- clusion de ce récit, imaginé au xiii*' siècle par Henri d'Andely :

Amors vainc tout et tout vaincra Tant com cis siècles durera.



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C'est la même leçon qu'ont voulu nous donner les tailleurs d'images, en s'inspirant de cette œuvre fameuse.



Fig-. 438 bis et ter. — D'après les photographies de M. F. Martiii-Sabou.


Groslay. Saint-Martin. — Eglise remarquable par ses verrières. L'une rappelle Tépreuve acceptée par saint Martin, lors de la chute du chêne consacré aux idoles. Le saint est couché au pied de l'arbre qui doit l'écraser, selon toutes les prévisions des païens. Au-dessous, cette inscription : Cornent sainct Martin se mist souhs rieuse.

Une autre verrière, la dernière, est consacrée à la légende de Sainte Barbe. Le premier compartiment expose la sainte fouettée et subissant l'ablation des seins ; image pieuse soulignée de ce quatrain, boiteux par excès de pieds :

Elle est mise à nu et fouettée cruellement Avec des nerfs de hœuf, la terre est rouge de son sang. Sa guérison miraculeuse irrite le juge inhumain, Il ordonne aux bourreaux de lui couper les seins.

Dans le second panneau, le corps de la sainte, complètement dépouillé de ses vêtements, est étendu sur un lit d'épées nues, en faisceau :

Pour la vaincre, on Vétend sur des épées nues, Lui déchire les flancs avec des pointes aiguës.

Saint-Gloud*. — Après la mort de Henri III (1589), assassiné

1. M. de Mcnorval, dans Parts depuis ses origines, raconte la singulière façon dont huit ligueurs et ligueuses fêtèrent « dignement » l'anniversaire de la Saint- Barthélemy, le 24 août 158S : « Ils s'embarquèrent sur la galiote, à Passy ; on les vit


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l'art profane a l'église


à Saint-Cloud par le fanatique Jacques Clément, son cœur fut recueilli dans l'église de cette localité et son corps fut transporté à

Compiègne, puis à Saint-Denis (1610). En 1635, Jean Pageot et non Barthélémy Prieur, aux frais du duc d'Epernon, — fidèle serviteur du roi, — tailla, dans un seul bloc de marbre Campan Isabelle, une colonne « avec la verge torse » et terminée par un chapiteau (fîg. 439). Ce nouveau monument commémoratif était orné de branches de lierre, de palmes, de chiffres enlacés et couron- nés ; il était surmonté d'une urne, des- tinée à recevoir le cœur du roi. Le piédestal était rehaussé de deux bas- reliefs, l'un mythologique, représentant Apollon et Marsyas (fig. 439) ; l'autre symbolique, la Mort et la Résurrection (fig. 440), attribué à Jean Goujon. L'œuvre de Pageot resta pendant deux siècles dans l'église paroissiale de Saint- Cloud^ puis figura au Musée des Monu- ments français^ où Lenoir la restaura. A l'urne, détruite, fut substitué un Génie de la mort, entièrement nu, et, vraisemblablement, les bas-reliefs remplacèrent ceux qui avaient été brisés.

Aujourd'hui, la colonne funéraire de Henri III est à Saint-Denis, et une urne moderne a remplacé le Génie immodeste ^

débarquer au bas de Saiat-Cloud, j^ravir la côte et, arrivés devant Féglisc, s'étendre à terre afin de racler le sol de leur langue sur le lieu du supplice et de rapporter avec eux quelques parcelles des cendres du saint martyr. A leur retour, la Seine, subitement agitée, se souleva, envahit la liarque et tous furent noyés près du couvent des Bonshommes, sans que les reli([ues qu'ils rapportaient de leur saint aient eu la vertu de les sauver du naufrage. »

Le ciel a sans doute châtié les ligueuses pour s'être trop « étendues » dans les parages de Montretout. De nos jours, on \'a aussi en pèlerinage à Saint-Cloud, mais les couples joyeux n'ont plus la mine ascétique et renfrognée des fanatiques d'antan; ils « s'étendent » sur l'herbe du parc, non pour la manger, mais pour s'y rouler et y jouer... du mirliton. Autres temps, autres mœurs 1

1. En 1631, Golnitz a décrit le premier « repositoire » du cœur de Henri III : Au sommet étaient entrelacées deux couronnes — Gaule et Pologne — et portaient



Fi^


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l'une des sculptures rappelle le fabliau de Sir Hains et de dame Anieuse ou. Ennuyeuse (fîg. 441). A la suite de discussions perpé- tuelles, le ménag-e mal assorti décide que le mari pendra sa culotte à

cette inscription : Manet ultima cœlo. A la base, on lisait cette cpitaphc, en latin :

I). O. M.

A l'éternelle mémoire de Henri III, roi de France et de Polop;ne.

Arréte-toi, voyag'cur, et plains le sort des Rois.

Sous ce marbre est caché le cœur d un roi,

Qui donna des lois aux Gaulois et aux Sarmates :

Un sicaire, vêtu d'un capuchon de moine, l'a mis là.

"Va-t'en, voyag'cur, et plains le sort des Rois :

Que ce que tu lui auras souhaité t'arrive.


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l'art profane a i/église


un arbre de la cour et que les époux lutteront à qui l'emportera ou plutôt la portera. Contrairement à la réalité, la culotte reste au chef constitutionnel de la communauté, qui



règne, mais ne gouverne pas ; aussi la femme continuera-t-elle, au moral s'entend, à être culottée^ comme les vieilles pipes juteuses. Les deux champions semblent complètement nus ; mais à y regarder de près, assure l'abbé L. Marsaux, la femme porte une jupe col- lante, indiquée par quelques hachures.


p-„. Ce débat de la culotte conjugale est d'un

très mauvais enseignement pour la femme, naturellement insubordonnée et qui manque complètement d'esprit de suite, surtout en ce qui concerne celle de son mari, comme la Genèse et le Gode civil l'y obligent : loin de là, au lieu de le suivre, elle s'applique à le poursuivre, selon la fine pointe de feu d'un auteur misogyne. Nous préférons la sanction des coutumes que Millin a observées dans le Midi de la France, vers 1810 : à Saint-Julien, en Ghampsaur, on promenait sur un àne, la face tour- née du côté de la croupe, la femme qui avait battu son mari et on lui essuyait les lèvres avec la queue du quadrupède ; à Gap, on ridiculisait de la même façon le Jocrisse, le (( tate-poule », qui s'était laissé rouer de coups par sa douce et rouée moitié, jalouse de lui faire Suivre Vévangile des quenouilles.


Triel. — Une verrière célèbre les divers épisodes de la vie de saint Nicolas. Le saint, à sa naissance, debout et nu dans un bassin, est entouré de femmes qui se préparent à faire sa première toilette : il se tint ainsi (( droict » deux heures, les mains jointes. Si « l'u- sage de la raison lui fut avancé », comme le veut l'un de ses historio- graphes, on ne peut pas dire qu'il fut aussi favorisé en ce qui touche le sentiment de la pudeur. En effet, devant trois dames, le petit en nageur « joignist » les mains, au lieu d'imiter l'attitude modeste de la Vénus de Médicis.

Ghapelle Saint -Jacques. Un vitrail rappelle la légende des Pèlerins de Saint-Jacques^ à Toulouse. Nous connaissons l'anec- dote : Une fille d'auberge se venge du dédain d'un jeune voyageur,


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en introduisant une tasse d'argent dans le sac de celui-ci et en Taccusant de vol, com- me pour Benjamin. On voit la jeune ma- ritorne qui cherche à entraîner vers elle l'é- mule du Joseph bibli- que. Au-dessous, se lit cette inscription explicative :

Cornent la chamlyriere par niiyt ainsi/ que Les pèlerins dornioient niisl une lace D'argent en sa malette du filz car il N'avoit pas voulu faire... sa volunté.

Mantes. Notre-Dame. — Gargouille, sous forme d'une femme qui semble habillée et dont la poitrine est à l'air (iig. 442). Elle tient à la main un vase percé ; est-ce le vase myrrhophore de Marie- Madeleine ou un tonnelet de Danaïde, par lequel l'eau s'écoule?

Chapelle Saint-Etienne. Tombeau, en pierre, de Lagarde, com- tesse de Mantes et de Melun, reproduit par Millin (fig. 443). Au chevet, deux angelots portent un encensoir et, aux pieds, deux autres angelots se prennent à la gorge (fîg. 444)*. Est-ce une allu- sion au désaccord du ménage de la défunte ? Au centre d'une des faces de ce mausolée, on voit un bas-relief singulier. Une femme, assise à côté d'un roi, dans une attitude conciliante, foule aux pieds un enfant nu : le Jugement de Salomon"!

Gassicourt. — Les sujets convenables de plusieurs miséricordes se rencontrent ailleurs, mais il en est de malpropres qui sont propres à cette église : le Jeu de Collin-Maillard, entre trois femmes nues (fîg. 444 bis); la Putifar, en costume de put... ifar (fîg. 444 ter) et un joyeux Buveur (fîg. 444 quarte) dont la braguette

1. Aux pieds de lîaoul III le Vaillant, couché sur sa sépulture du xt" siècle, église Saint-Pierre, de Montdidier, il y a combat entre un lion et un chien, les deux animaux emblématiques, couchés aux pieds de l'homme et de la femme, dans les sépultures. Cette lutte est le symbole du désaccord conjugal ; mais est-ce bien le cas de l'appliquer ici ?



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exagère le relief des org-anes qu'elle cache ; ce dipsomane semble blasphémer le dernier mot du Rédempteur, Sitio !



Fig. 443, 444.


Fontenay-lès-Louyres. — Une miséricorde iporie une Su zaïiîie au bain entre deux vieux juges patineurs, contrairement au récit de la Bible, qui en fait des « voyeurs ».



Fig. 444 Lia, ter cL quarte. — D'après les photographies de 'SI. F. Marlin-Sabon.


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LouvECiENNES. — L'ég-lise est citée pour ses pendentifs, de la forme la plus originale, et pour son maître-autel, dont le caractère jDrofane et élégant évoque le souvenir de la du Barry, cette alouette victime de l'ingrat Zamore, dont l'âme était aussi noire que le visage.

Saint-Ouen-l' Aumône. — On remarque une statuette de la Vierge enceinte, sculptée dans un tronc de noyer. La statue peut s'ouvrir, et l'enfant Jésus apparaît. Gomme le fait remarquer le D^" Boucha- court, nous avons là un curieux exemple de grossesse ectopique : le Bambino occupe la poitrine de sa mère et non son abdomen !

On y débite des Cordons de saint Joseph aux femmes grosses ; nous en avons donné le dessin dans notre Histoire des accou- chements.

Sainï-Germain-en-Laye. Chapelle du Château. — Dans la sa- cristie, écrit Dulaure. un tableau du Gorrège représentait une Vierge allaitant son divin enfant ; un autre bambin soufflait le feu d'un réchaud sur lequel était placé « un vase de lait ». A quoi cet historien extra-lucide a-t-il pu reconnaître que le contenu du vase était du lait ?

PoissY. Église paroissiale. — Selon une tradition erronée, cet édifice aurait été construit sur l'emplacement du château oii saint Louis vit le jour. Le maître-autel occuperait la place même du lit de la reine Blanche ; voilà pourquoi, dit-on dans le monde des cré- dules dévots, l'église n^est pas orientée selon l'usage courant, de rOuest à l'Est. Mais Louis IX naquit à Neuville-en-Hez, dans le Beauvoisis ; à Poissy, il fut simplement baptisé, et c'est en souvenir de cet événement qu'il signait parfois « Louis de Poissy » ou « Seigneur de Poissy » ; son extrême piété lui faisant considérer le baptême comme le véritable début de la vie^, et, par suite, Poissy comme sa ville natale. D'où l'erreur et la légende. Une des vitres de la Ghapelle Saint-Louis représente Taccouchement de la reine Blanche. On y lit cette inscription, que Dulaure ne fait remonter qu'au xvi^ siècle, en lui enlevant toute valeur historique :

Saint Louis fut un enfant de Poissy, Et baptisé en la présente église ; Les fonts en sont gardés encore ici, Et ho)iorés comme relique exquise.


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l'art PROFAM-: A l'ÉGLISE


Dans la même Chapelle^ sont conservés des fragments, reliés par du plâtre, des fonts baptismaux de saint Louis. Avant la découverte de la quinine, on attribuait k la raclure de ces fonts la vertu fébri- fuge ; aussi ont-ils été si consciencieuse- ment raclés qu'il n'en reste plus que des débris informes.

Montfort-l'Amaury. — Un buste de femme nue décore le tympan du portail. ï^jH- L'un des superbes vitraux du xv^ siècle

expose une Circoncision ultra-réaliste. D'autre part, M. Ottin si- gnale, k la vingt-septième fenêtre, une verrière assez singulière. Cet auteur en ignore le sujet, mais il s'agit évidemment d'une nais- sance. Au fond, l'accouchée est dans son lit; k droite, une femme chauffe du linge k une cheminée ; sur le premier plan, on procède au bain du nouveau-né. « A cette place, dit l'auteur du Vitrail^ se trouve une figure de femme k moitié nue qui est de toute beauté. »

Borax. — Sur la vitre enluminée du Christ aux limbes, l'Enfer est dessiné d une façon quelque peu burlesque (fîg. 445). Adam et Eve, par droit protocalaire^ figurent en tête des libérés, dans le cos- tume qu'ils avaient avant la faute.

Etampes. Saint-Basile. — Pour voiler les nudités d'une peinture remontant au xi*^ siècle, qui représentait le Jugement universel, un émule de Basile, croyant plaire k son saint patron, imagina de re- couvrir le tableau d'une couche de plâtre, dont on ne l'a que récem- ment débarrassé.

PoNToisE^ Saint-Maclou ^.

1. Par un règlement de Saint-Louis, dit la Récolte de Vermile^ les religieuses de Pontoise devaient être saignées six fois par an, aux époques suivantes: Noël, le mercredi des Cendres, Pâques, Saint-Pierre, la mi-Août, la Toussaint. « Il faut avouer que de faire saigner des religieuses au commencement et à la fin du carême, c'était prendre assez mal son temps. » Cet usage était en vigueur dans tous les couvents, soit d'hommes soit de femmes ; il devait servir à réprimer Taiguillon de la chair; aussi l'appelait-on Minulio monnchi.

2. Une cloche, destinée à donner l'alarme en cas d'incendie, était enfermée dans la tour de cet édifice; on y lisait un vers latin, fameux par son harmonie imitative :

Undn, iindn, unda, unda, unda, undu, iinda ; accurrite cives.

Nous ne savons quel observateur irrespectueux a trouvé que toutes les cloches des églises, appelant leslidèles, disaient : din-clon, diii-don.



SÊINE-KT-OISÉ


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GoiGNiÈRES. — Sur la verrière qui éclaire le maître-autel, du côté de l'Evangile, se déroule la vie de Suzanne (fig. 445 bis). On la voit d'abord nue, au bain, et de face, avec les formes opulentes des Fla-



Fi^-. 44o hia.


mandes de Rubens, puis au moment où on lui applique injustement la peine du fouet(fîg-. 445 ter).

Au dehors, sur l'un des flancs, est sculptée une figure, dans une nudité complète (fig. 445 gwar^e), qu'il nous est difficile d'identifier.

Bellay. — On a reproché à Santerre l'exagération du nu de la Madeleine au désert qui décore cette église ; « ce peintre, observe un de ces critiques, s'est toujours fait remarquer par le décolletage des femmes qu'il dessinait ». C'était, vous le savez, un artiste gym- nophile.

L'église de Magny possède aussi du même peintre une Madeleine en pleurs.


L ART PROFANE. — I.


24


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i/aRT profane a l/ÉfiLISK



Fig. 445 ter. Fig-. 445 quarte.

LXVI. — SEINE-INFÉRIEURE

Rouen. 1° Cathédrale. — Extérieur^. — L'Adam de cette tour n'est pas banal ; il tient, de sa droite, une pomme, et, de la g-auche, nous écrit le D"" P. Nourj, « son pénis en érection » (fig-. 446). A côté, Eve cache timidement sa nudité avec une touffe de feuillage. Ces statues sont de grandeur naturelle et très haut placées ; elles ont été effritées par la pluie. L'usure du temps a laissé en évidence les pétioles des feuilles obturatrices qui donnent le change aux tou- ristes et piquent leur curiosité.

A Tune des voussures du grand portail, le même confrère érudit, a signalé k la Chronique médicale une statuette de cardinal qui, tourné de dos, « expulse le superflu de sa boisson ».

1. La tour de droite, dite de Beurre, est sans clocher et a la forme d'une longue motte de beurre ; son surnom ne vient d'ailleurs pas de cette analogie, mais du fait qu'elle fut édifiée, en grande partie, avec les aumônes résultant de la dispense accordée par Innocent VIII de faire usage du beurre et du lait pendant le carême: impôt indirect sur la gourmandise des paroissiens.


SEINE-INFÉRIEURE


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Fis-. 44G.



Au-dessus du petit portail de gauche, une danse de Salomé, ren- versée sur les mains.

Cour d'Albane. Un homme nu étreint une gargouille (447). Portail latéral Sud ou de la Galende. Les gravures en quatre- feuilles des soubassements n'ont rien de gra- veleux ni même d'intéressant. Il s'agit de l'histoire de Job, de Jacob^ de Joseph et de Judith ; puis de la parabole du mauvais riche, enfin de la vie de saint Romain et de celle de saint Ouen. Ces scènes, « d'une cer- taine monotomie », ont été décrites par Joly, 1882, puis récemment par Mlle Louise Pillion, avec des photogravures, où l'on ne voit rien de distinct. C'est beaucoup trop d'honneur que ces auteurs leur ont fait. Adeline ne s'est occupé que de la porte Nord, un peu moins caduque et moins radoteuse. Seules les j)inacles de ces piles méridionales de médail- lons offrent de ci, de là quelques licences, mais avec quelle discré- tion ! Voici une « Jongleresse dansant sur la tcte », qui, pour nous, est une autre danse acrobatique de la fille d'Hérodiade ; or, les jambes de la danseuse, levées en l'air, n'en sont pas moins recou- vertes de sa robe. Mlle Louise Pillion, de ce côté de la cathédrale rothomagienne, voit beaucoup de variations du « thème bien connu de la Conversation amoureuse », de Tentente cordiale ou des jeux (( d'enfants » qui commencent par des enfantillages.

Au-dessus de la pile médiane, relative k V Histoire de Jacob y on aperçoit une femme, la Luxure (?), étendue à l'oriental, le haut de la poitrine à nu. Mlle Pillion trouve ce motif, « pour déplacé qu'il soit ici... d'une discrétion infinie». L'obscurité nous emjDêche de distinguer les « amoureux » avec lesquels elle a « le geste vif » et fait la « conversation ». Par exemple, le sujet du pinacle qui domine VHistoire du mauvais ricJie^ au contrefort de gauche, est plus éclairé, et nous regrettons de ne pas partager l'interprétation de l'auteur précité. « Voici, dit Mlle Pillion, une figure de femme


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l'art rROFANK A T/KGLISE


d'une fatuité et d'une suffisance impayables, à qui deux complai- sants, dont l'un porte une robe courte et l'autre semble plus sommai- rement vêtu, font des courbettes intéressées. » Nous voyons dans cette image l'allégorie de TEglise, personnifiée par une jeune femme



Fig-. 448. Fig. 449.


d'une attitude et d'une tenue irréprochables, qui accepte, sans pré- férence marquée, les hommages du riche et du pauvre, un loqueteux minable. L'imagination féminine est connue pour sa vivacité.

Mlle Pillion signale encore, au pinacle d'une pile consacrée à Joseph, une troisième « Conversation amoureuse »; mais sa figure 16, tirée de la Revue d^Art^ ne montre que du noir, tout se passe dans l'obscurité la plus absolue, comme il convient pour les mystères de l'alcove : un dessin net eût été préférable.

Quant aux histoires bibliques, elles ne présentent que la nudité classique de Job, sur son fumier, occupé à racler, avec un tesson de vase, la vermine qui grouille au creux de ses ulcères. Inutile de faire remarquer que la tentative de séduction de Joseph par Mme Putiphar passe inaperçue. Mais celle de saint Romain, au con- trefort de droite, va nous dédommager de cette déconvenue. Un premier bas-relief représente Pévêque, non pas dans son confession- nal, mais dans un édicule de convention, vers lequel s'avance le démon sous forme d'une « Vénus » nue, qui se dit dépouillée de tout par des voleurs et sollicite son hospitalité (fîg. 448). Au second


s E I N E - I N F É RI E U R E


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médaillon, le saint reçoit la tentatrice qui « dilate ses cheveux » pour mieux exercer l'empire de ses charmes. Le troisième a trait à l'intervention de Tang-e, qui chasse l'impudique (fig-. 449) et protège le vertueux Romain.

Avant de quitter le portail de la Calende, signalons le bas-relief du tympan (fîg. 450), où Jésus, à sa des- cente aux Limbes, reçoit Eve si fami- lièrement dans ses bras.

Portail Nord ou des Libraires (Libra- tiers). Tympan. Au registre inférieur, le Réveil des morts, où grouillent de nombreux personnae-es des deux sexes, , F^^' r~

A o 'la i\ormiindie, par laylor.

demi nus, qui se dépêtrent de leur lin- ceul et s'efforcent de sortir de leur dernière demeure. Au-dessus, les Elus et les Réprouvés ; parmi ces derniers, un mitré et un tonsuré attirent principalement l'attention ^ La présence de ces dignitaires ecclésiastiques rappelle la répartie fameuse de Mlle de Fontanges, assistant au sacre de sa sœur, nommée Abbesse de Chelles. Tout le gratin de la ville et de la cour était réuni ; l'éclat de la cérémonie, le clinquant des costumes, l'enivrement de l'encens et de la musique provoquèrent cette exclamation d'une assistante, voisine de la favorite qui succéda à la Montespan : « On se croirait au paradis ! — Vous voyez bien que non, répondit celle-ci^ car si nous étions au ciel, il n'y aurait pas autant d'évêques. Ils semblent mieux à leur place en enfer. »

Les soubassements sont, comme ceux de la porte Sud, couverts de médaillons. Les illustrations se rapportent au récit biblique de la Création^ jusqu'à Abel, ou sont fantaisistes. A la première série, Mlle Pillion rattache un quatre-feuilles qui représente une femme nue tenant un jeune enfant, placée dans un tonneau défoncé, où un personnage, en robe, mais de sexe indéterminé, verse de l'eau (fîg. 451). M. Enlart en fait une Scène cVétuve. Mlle Pillion y voit

1. L'archevêque Maurice, eu 1231, dans un concile provincial qui eut lieu à Rouen, s'occupa du relâchement des mœurs cléricales ; entre autres dispositions qui y furent arrêtées, il fut décidé que « les concubines des prêtres seront amenées le dimanche dans l'église et là, tondues devant le peuple ».



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l'art profane a l'église


Eve prenant « le bain de raccouchée » ou une scène relative à Tun des Miracles de Notre-Dame, la Mère meurtrière de son enfant^ qui le noie, par mégarde, en prenant son bain, après l'accouche-



Fig. 451. Fig. 452.


ment. Mais notre critique oublie la présence du troisième person- nage, à sexe imprécis, qui aurait empêché l'accident de se produire. Essayons à notre tour d'identifier cette image : Nous pensons qu'il s'agit simplement d^une scène d'intérieur, analogue à celle qui existe au Musée d'Antiquités de Rouen (fig. 489) ; le nombre des personnages, leurs attitudes et jusqu'aux ustensiles sont les mêmes.

Un autre tableau (fig. 452), où nous voyons encore une scène familiale, et qui montre une mère au lit, allaitant son enfant, tandis que le père prépare une écuelle de soupe pour son épouse, représenterait Eve allaitant son premier enfant, et Adam tournant la bouillie, comme Joseph le fera plus tard pour Jésus. Mais le nourrisson, ici, est amplement pourvu de sa nourriture naturelle, et si « bouillie » il y a, elle est pour sa mère ou pour l'époux, à moins qu'elle ne soit pour les chats, auxquels nous donnons volontiers notre langue.

Passons aux sujets fantaisistes jDrofanes où l'élément grotesque domine. Le sculpteur qui paraît s'être portraicturé dans le mé- daillon où vague l'imagination hésitante de Mlle Pillion, entre un bouclier, un marteau de forgeron ou de tailleur de pierre, etc., a


SÏ]INE-1NFÉRIEURE


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puisé ses sources iconographiques dans les Métamorphoses d'Ovide et les encyclopédies d'antan, les Merveilles cVYnde^ les Images et le Miroir du monde, les Bestiaires, la Somme des vices et des vertus^ complété par frère Lorens, le Livre des merveilles^ le De naturis



Y\^. 453. Fig. 454.


rerum, de Mandeville. le Spéculum salvationis^ etc., qui reprodui- sent des êtres et animaux chimériques, de transition, empruntant leurs traits à l'humanité et à l'animalité ou aux conceptions mythi- ques, et dérivent, pour la plupart, des malformations congénitales, anencéphalie, cyclopédie, monopédie, etc., comme nous l'avons établi ailleurs

Les sujets graves sont réservés au portail de la Galende, à part les « Conversations amoureuses », qui n'ont d'ailleurs de subversif que le nom. Ceux du portail des Libraires sont plus amusants et certains même graveleux. Par exemple, un homme nu, à tête d'a- nimal, recouvert d'un manteau k capuce"^ (fîg. 453) "^; un bouc habillé en moine ; un âne à tête de capucin ; un centaure, dont la croupe, les organes et la tête paraissent être ceux d'un moine (Qg. 454) ; une centauresse, tenant une fleur, le torse drapé, sauf les mamelles (fîg. 453); une néréide, avec les attributs de la coquetterie, miroir et peigne ; Hercule étouilant le lion de Némée (fîg. 456), etc. Une

1. HisL. des nccoiichemeiils^ au chapitre des Munslruosilés.

2. Nous savons que le capuchon n'était pas la caractéristique exclusive des moniaux.

3. Les figures 453 à 45G sont tirées des Scalpl. grolesq. et symb.de Rouen et de ses environs, par Jules Adeline.


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l'art profane a l'église


fine satire conlre la Faculté mérite une mention spéciale, bien qu'elle n'ait aucun rapport avec la théologie : un mire ou médecin, dont le corps significatif se termine en oie, avec des pattes et une queue

de fauve, examine gravement un urinai (%. 457). N'ou- blions pas la Gram-




maire ^ la férule en main, pour ses démonstrations a posteriori. Cette fi- gure de rhétorique se retrouve gravée sur toutes les cathé- drales et ne devrait ^- pas être orthodoxe :

r ig". -ioo. -«•

le pape Grégoire n'a t-il pas blâmé saint Didier, évêque de Vienne^ de ce qu'il étudie la grammaire, « laquelle, dit-il, ne sert qu'à égarer les âmes et à ébranler la foi » ?

Terminons cette série par un tableau, dont nous contestons à

Mlle Pillion l'étiquette qu'elle y accroche, (fig. 458 ).



Fig. 457,


Fia-. 458.


Ce critique d'art découvre le /oizr, sous les traits de l'enfant nu, du


SEINE- INFÉRIEURE


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sexe « mâle )),etla Nuit, dans la femme qui étend son manteau protecteur. Mais il n'est tenu aucun compte du geste du bambin, qui empoigne la mamelle gauche de la femme, et s'applique exclu- sivement à la Charité ou à la Maternité.



nous interdit de révoquer en doute le pressentiment que manifeste cet auteur sur « son symbolisme insolite et invraisemblable ». Cette gracieuse et peu commune allégorie de la première vertu théologale, qui contient en germe toutes les autres, se retrouve sur l'une des miséricordes du chœur.

Intérieur. — On observe, de même, la plus grande variété dans les sculptures des stalles, offertes par le cardinal d'Estouteville, en 1435. A côté des leçons d'histoire religieuse ou de morale, que se plaisent souvent à donner les tailleurs d'images, figurent des scènes fami- lières ou professionnelles, des êtres fabuleux, mais point de ta- bleaux licencieux. Langlois en soupçonne un pourtant dans l'image d' (( un homme nu couché, la tête coiffée d'un drap qui couvre une partie de son corps (fig. 459) ». Moins clairvoyant, nous voyons là un ressuscité, enveloppé de son suaire et se disposant à paraître de- vant le tribunid suprême. Toutefois, certains sujets traités sur plu- sieurs miséricordes ne sont pas des plus édifiants et rentrent dans la catégorie dite des « mauvais sujets ». Une Lucrèce, par exemple, se défend énergiquement contre les privautés d'un soudard ; elle lui enlève son sabre et l'en menace (fig. 460). La chaufferette d'une jeune poissonnière est capable d'allumer bien des convoitises (fig. 461) ^ Une mère ou une institutrice'^ corrige une fille, déjà

1. Les collèges de Paris avaient encore au milieu du xvii* siècle des pères Ibuet- teurs dits « foûette-cu ».

2. Les ligures 452 à 461, gravées par E. Langlois, sont tirées des Stalles de la cathédrale de Rouen, par J, Adeline (1838).


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l'art profane a i/église


nubile, à en juger par le développement de la partie fustigée, à tour de bras (fig. 4()2). Echange de caresses amènes entre un lion à



Fig-. 463.


Fig. 404.


tête dliomme et une lionne à tête féminine (fig. 463). Harpie ou Sirène, à queue et à pattes d'oie, tenant un cœur à la main, (fig. 464) ; des esprits subtils, des chercheurs de c{uintessence et de petite bête



Fig-. 465.


Fig. 466.


Fig. 467,


ont vu, dans cette figure, la reine Pédauquc, mais bien à tort, se- lon nous. Une chimère mamelue, à corps de lionne (fig. 465), qui ouvre des bras prometteurs à la volupté de passage. Chimère ailée ou Mélusine, finissant en queue de serpent (fig. 466). Une série de numéros satiriques sur la faiblesse de Thomme, d'actualité éternelle : d abord, un chat jouant avec une souris, comme la coquette féline avec le cœur d'un amant; puis, un époux « chauffe la couche » les jambes nues, se roulant aux pieds de sa mégère c[ui lui tient la dragée haute. Un autre couple, du même ordre, place un « père la ruelle » sous la puissance de sa dame « J'ordonne » (fig. 467) ; il est age- nouillé devant la poitrine tentatrice, tandis que la bonne âme lui piétine les mains pour Tempêcher de se relever. Enfin, le triomphe de la Femme sur l'Homme s'affirme plus que jamais dans le motif tiré du Lai d'Aristote, si souvent raconté sur les édifices du culte (fig. 468). Campasque, qui chevauche le philosophe, est ici coiffée du hennin : elle a la gorge découverte suivant la mode des courtisanes, sous Charles VI :


SEINE-INFÉRIEURE


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Adonc que par dessus monta

Et vainquit des maistres le maistre.

Dans cette scène équestre, répétée sur le portail de la Galeiide,où la femme, en cheveux, tient un mors, d'une main, et un fouet,



Fig. 408. Fig'. iGU.


Xantippe; mais la première interprétation est beaucoup plus satisfaisante.

Sur un chapiteau qui couronne une colonne de la première cha- pelle, à droite, on se réjouit à la vue d'un groupe en liesse où nous discernons une double satire contre la fidélité des femmes et le dé- vergondage des moines (fig. 409). La femme sert de trait d'union illégitime entre son époux et son ami, le clerc ou le laïque. Le collet relevé de sa moitié empêche «. le plus heureux des trois » de voir les œillades ribolantes que ses perfides compagnons échan- gent à ses dépens. A moins qu'il ne s'agisse du trio traditionnel des vignerons lurons si commun en Bourgogne.

La Chapelle du petit saint Romain renferme le tombeau de Louis de Brézé, grand sénéchal de Normandie, époux honoraire de Diane de Poitiers (fig. 470). « Celle-ci n'était pas, écrit Brantôme, de ces veuves hypocrites et marmiteuses qui s'enterrent avec le défunt )) ; c'est sur son ordre que fut élevé ce mausolée, d'après les dessins de Jean Cousin. La figure nue du sénéchal, couchée sur le sarcophage de marbre noir, est attribuée à Jean Goujon ; son bras droit ballant sort des attitudes conventionnelles des effigies mortuaires et contribue à accentuer le réalisme macabre du ca- davre, dans un état voisin de la putréfaction. A ses côtés^ deux statues en albâtre : à gauche, Diane, en habits de veuve, est age- nouillée; à droite, une femme richement parée, porte un enfant nu, du sexe masculin, sur les bras. Les uns y ont vu le jeune Brézé


380


L ART PROFANE A [/ÉGLISE


dans les bras de sa nourrice; les autres, Diane présentant leur fils au défunt, mais deux filles seulement naquirent de leur mariage.



Fig. 470.

Nous avons simplement sous les yeux la Vierge et son divin fils, comme en fait foi, d'ailleurs, la prière inscrite en regard : Suspice preces, Virgo benigna (Reçois mes prières, Vierg-e bénigne).

On lit aussi sur le monument une inscription de quatre vers la- tins, dont nous allons donner la traduction; ils semblent sortir de la bouche de la veuve « inconsolable », qui garda le deuil, nous venons de le dire, et le cœur de son époux, à Anet, toute sa vie :


SKlNE-IiNFÉRTEURE


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« Diane de Poitiers, désolée de ta mort, Louis de Brézé, t'a élevé ce sépulcre. Jadis, ton inséparable et très fidèle épouse, ce qu'elle te fut au lit, in tiialamo, elle te le sera au tombeau, in tvmvlo



La duchesse de Yalentinois disait vrai, remarque le spirituel auteur du Précis de V Histoire de Rouen, elle fut aussi fidèle dans un cas que dans l'autre. Gela se trouva tout à fait vrai, comme l'observe encore le malicieux Père Pommeraye, puisque « la fidèle épouse », — les femmes ne doutent de rien — se fit enterrer à Anet et non à Rouen, avec une levrette aux pieds, Temblème de la fidélité. Le « chef-de-l'œuvre » ou couronnement est une figure féminine, la Vertu, sans doute, dont les attributs rappellent les différentes vertus particulières, Prudence, Justice, Force d'âme, Pa- tience, Tempérance, etc. : un serpent est enroulé autour de son bras, un buisson d'épines lui sert de siège, elle porte un frein à la bou- che et est appuyée sur un glaive. A l'entablement, une inscription se rapporte à cette figure ailée : in virtuïe tabernaculum ejus. (Dans la Vertu est son tabernacle).

Même chapelle, à côté de ce tombeau, celui, non moins fastueux, des deux cardinaux d^Amboise, l'oncle et le neveu. Dans le soubas- sement sont creusées des niches, occupées par des moines en prière; par contre, les frises sont surchargées d'Amours (fig. 471-475), qui font un contraste bizarre avec la destination du monument sur lequel ils s'ébattent, au milieu d'une profusion outrée d'arabesques, de pilastres et autres motifs d'ornementation.

1. Sans préjudice d'une longue épitaphe où sont énuniérés tous ses titres sauf un : le mari de Diane de Poitiers. Rappelons, pour rendre hommage à la vérité et à la demi-consLance de Diane, qu'elle ne devint la maîtresse de Henri II que huit ou neuf ans après la mort de son mari. Peu de femmes attendent si long-temps. Bien plus elle porta toujours son deuil et le fit même porter à son amant, dont les cou- leurs devinrent le noir et le blanc.


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l'art profank a l'église



Ces aimables détails font regretter la décision prise par les cha- noines, en 1769, de supprimer, à Texception des tombeaux des

Amboise et des Brézé, « toutes les statues tumu- laires ou représentations qui ne seroient pas décen- tes ».


2** Saint-Jean. — Ancienne ég-lise paroissiale, détruite. Près de la sacristie, on re- marquait un curieux vitrail, la Conception de saint Ro- main. Son père, Benoit, conseiller de Clotaire II, et sa mère. Félicité, étaient assis dans un lit, entière- ment nus, suivant l'usage qui dura jusqu'au milieu du xvi^ siècle*. La conception était figurée par une étoile qui brillait sur la couverture en contact avec le ventre de la femme.

Rappelons la légende de cette naissance miraculeu- se : la mère du futur évêque de Rouen, Félicité, était stérile, et son mari Béné- dictus s'en désolait. Une nuit, il s'entendit appeler



par son nom ; un ange lui révéla que son épouse, malgré son âge avancé, deviendrait mère: « Que l'enfant soit». Et l'enfant fut! Avait-on pas vu déjà reverdir la verge d'Aaron ?

1. Ilarlette, la fille du Pelletier de Falaise, mère de Guillaume le Conquérant, couchait, paraît-il, avec sa chemise ; mais quand le duc Robert, son époux, vint la rejoindre, « tute se pout abanduner » à Robert et, crainte que ce qui touchait à ses pieds ne souillât les lèvres du duc, elle la déchira (E.-II. Langlois).


s El NE- IN FÉ RI EU RE


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Les bordures de cette vitre, déjà singulière par son motif princi- pal, étaient ornées de médaillons où l'on distinguait, non sans sur- prise, les figures de Mars^ Jupiter^ Vénus, etc., et pour qu'on n'eût



Fiy. 47(). F\y;. 477.


aucun doute sur leur identité, la ligure de chaque déité était accom- pagnée de son nom. Langlois trouve cette « intrusion idolâtrique » toute naturelle et fait suivre sa description de cette réflexion :

D'abord, dans un temple chrétien, rinscription de ces noms n'a rien, après tout, de plus extraordinaire ici que leur amal<,^ame dans notre calendrier, avec les noms de nos saints et ceux de nos plus augustes fêtes. Quoi de plus étrani^e, par exemple, grâce aux transmissions païennes, que le contraste suivant : Die Veneris ; Festivitas immaculatœ conceptionis healic Mariœ virginis ?

E. de la Querière cite une inscription qui existait au bas d'une vitre, donnée par Louis Daré Aigre, lieutenant général du balli de


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l'art profané: a i/kglisi:


Rouen, et qui se terminait par ce calembour, sans respect pour le saint lieu :

Fut du Bailly Général Lieutenant,

Or priez Dieu qu'au Ciel soit lieutenant.

Chapelle de la Conception. Au-dessus de l'autel, on voyait deux « voirières », dont Lang-lois nous a transmis le dessin, gravé par H. Brevière (iig. 476, 477). Ces vitraux racontent la légende d'un chanoine de la cathédrale coupable d'adultère. Tandis qu'il traversait la Seine pour rentrer au chapitre, des démons l'assail- lirent et s'efforcèrent de faire chavirer sa barque. Les vagues, soule- vées par un énorme soufflet, engloutissent le pécheur « par péché desvoié », cam uxore alteriiis. Sa « concubine », assise au seuil de sa demeure, est la spectatrice éplorée de cet épouvantable châ- timent. On racontait encore que l'âme du chanoine était depuis trois jours en Enfer, lorsque la Vierge Marie descendit l'en retirer, parce que, au moment de sa mort, le coupable repentant avait récité les Heures canoniales de Notre-Dame.

Au-dessous de cette verrière, on lit le quatrain suivant :

Corne ung Clercs en mortel pechié En aourant de Jhesus la M ère Au fond de lunde orrible et fîere Fut par les faulz maulvaiz neiié.

Le second vitrail met en présence la Vierge et le diable, se dis- putant l'âme nue du chanoine déconfit. Le démon ne craint pas d'appliquer ses griffes sur le ventre de Marie pour la repousser. Suit l'inscription explicative :

Cornent la benoiste Marie En contre Satan qui la herd, Débattit de lame du Cler Et la reprint en sa ballie.

Gaultier de Goinsy, prieur de l'abbaye de Saint-Médard, vers 1219, a versifié les détails de ce conte, dans ses Mii^acles de Notre-Dame.

Le jour de la fête patronale de la paroisse, le trésorier chargé de la décoration de l'église acceptait toutes les tapisseries qu'on lui confiait, sans s'occuper des sujets qui y étaient représentés. Mais beaucoup étaient trop libres et nécessitèrent une décision du chapitre


SKINE-IN FÉRIKURE


385


qui, d'abord, restreignit la décoration au chœur et à la nef, puis n'accepta plus que les tapisseries à motifs religieux. Nous emprun- tons à la curieuse monographie que E. de la Querière a écrite sur ce sujet le passage relatif à cette im- portante délibération : *



Reproduite par Wright.


Au jour et feste de Saint Jean-Baptiste, il y avoit beaucoup d'excez, tant en depences que en la profanation de réghse de Dieu, causée par la curiosité de plu- sieurs personnes, lesquelz, au lieu de prier Dieu et de se rendre devotz et attentifz au divin service, se comportoient indignement et s'arrestoient à contempler les tapisseries pour la pluspart deshonnestes et profanes, ce qui faisoit contre Thonneur et révérence de la maison de Dieu... Les ditz thesauriers auroient arresté, d'un commun accord, que ne sera tendu ou tapissé en la dite église que le cœur et la nef seullement, et sans qu'il s'y retreuve aucune histoire prophane ou lascive qui puisse aporter scandale, mauvaise édification ou murmure entre le peuple...

3^ Saint-Ouen. — Dans la tour intérieure de cette « merveille » de Rouen, triomphe de l'architecture ogivale, « une nonnaine, écrit le D Noury dans la Chron. méd.^ étale sa copieuse poitrine aux yeux d'un gros moine lubrique ».

Pour excuser les clercs, moines, chanoines, etc., si cruellement attaqués par les sermonnaires, les littérateurs et les artistes médié- vaux, les âmes simples et portées à l'indulgence pour les fautes du clergé insinuèrent qu'il peut y avoir confusion entre les religieux et les laïques, parce que tous les hommes, à cette époque, portaient indistinctement le capuchon. Mais que diront-ils, ces pieux apolo- gistes, de cette sculpture et des verrières de Saint-Jean, non moins significatives ? Que penseront-ils encore de cette irrévérencieuse caricature, gravée sur une miséricorde (fîg. 478), où l'enchevêtrement à béchevet de quatre personnages, dont une femme et un monial, forme un trompe-l'œil bizarre ? Le crâne rasé du régulier n'est-il pas assez caractéristique ?

Les tonsurés et les « capucés » n'étaient pas non plus ménagés par les enlumineurs des lettrines de manuscrits, missels, etc,

1. En date du D avril 1612.

î/art profane. — l. 2S


386 i/art profane a l'église



FiK. 47!».

Signalons enfin la présence hétéroclyte des Sibylles, prophétesses de l'antiquité païenne, qui rendaient des oracles à double sens,


SEINE-INFÉRIEURE


387


OÙ Ton trouvait tout ce qu'on désirait, même la venue du Messie !

4« Saint-Maclou. — Nous connaissons * la fontaine accotée à ce bijou gothique. Deux en- fants nus servant de support à un centre décoratif, fournis- saient l'eau qu^ils dirigeaient avec vig-ueur et sûreté, en s'ai- dant des deux mains, comme l'indique la gravure de H. Langlois (fîg. 479).

Avant cette fontaine, dit encore le D"" Noury, il avait été question d'en élever une, dont un dessin curieux existe aux archives mu- nicipales, sorte de colonne flan- quée de consoles, ornée du mouton héraldique couché et portant une statue de la Vierge... aspergeant le Démon, représenté sous forme d'un singe grimaçant. A Tancienne Fontaine Saint-Vincent (qui n'existe plus), quatre animaux, symbolisant les quatre évangélistes, déversaient « au naturel )) l'eau dans le bassin de la rue Haranguerie.

Façade occidentale. La Porte des Fonts est couverte d'une riche ornementation, digne du ciseau de Jean Goujon, mais dont les motifs ne sont pas toujours orthodoxes. Tels, les amours, les nymphes ^ et les satyres franchement ithyphalliques (fig. 480) du panneau inférieur, où les symbolistes, cherchant midi à quatorze heures, perdront leur latin.

De même, au transept septentrional, nous relevons parmi les sujets décoratifs, un amour se couvrant la figure d'un masque et des torses féminins à poitrine débordante.

Sur une verrière, les deux larrons du Crucifiement sont entière- ment nus — la Vierge n'avait qu'un voile pour son Fils — et (( quoique ce vitrail soit très haut situé, ajoute notre confrère rouennais, leurs organes génitaux sont visibles ».

1. Les Seins à llù/lise (fig, 70).

2. Suite de la parabole du Bon Pasteur, le mercenaire prend la fuite entre deux nymphes.



388


l'art profane a l'église


5" Saint-Patrice. — Le regard est sollicité par un vitrail emblé- matique, le Triomphe de la loi de grâce, où les vertus mystiques,



Fig. 481-484.


V Amour et V Obédience traînent le char de la Foi, qui écrase le prince des ténèbres (lig-. 481-484).

Autre vitrail allégorique, le Triomphe du Christ (fig. 483-488). Nos premiers parents sont auprès du pommier édenique, ce qui est assez banal ; mais ce qui l'est moins, c'est l'image d'Eve, grassette, présentée de dos, et exhibant, sans le moindre voile, deux énormes rainettes postérieures. A propos de cette anatomie michelangesque et quelque peu symbolique, observons que l'arbre du fruit défendu ne pouvait être ni un pommier, ni un j^oirier, puisque ces arbres ne se trouvent pas dans les pays torrides, mais plutôt un bananier ou un figuier, dont les produits peuvent, de plus, être considérés comme des symboles delà génération. Notre choix, vous le savez, se fixe sur le « fruit » de la conception.

La queue du serpent tentateur sort du nombril de l'ange des ténèbres et figure, au dire d'Ottin, <( une sorte de phallus canin », tandis que la tête et le corps du reptile passent par l'orifice opposé.

Avec le Diable, les ennemis du Christ sont le Péché, la Mort et la Chair. La Mort, fille du Péché, est une femme nue, dont le linceul


s E I N i: - 1 N F É R I E U R E


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lég-er voltige autour d'elle ; la faux terrifiante est devenue entre ses mains une élégante javeline. Quant à la Chair, les yeux fermés,



Fig. 485-488.


pour indiquer Taveuglement des sens, et enchaînée à la Mort, elle est représentée à peine décolletée !

6^ Saint- Vincent — Tapisseries. Cette église paroissiale possé- dait quarante-six pièces de haute lisse (1600) ; quarante-deux ont disparu et ont été reconstituées. L'une de celles que l'église a conservées met en scène trois épisodes du Martyre de saint Vincent, expliqués par ces rimes de sacristie :

De fers rougis au feu ils touchent ses mamelles Et bruslent ses costez de flammes fort cruelles

Il est tiré de fer, en sa foy très constant. Puis en prison obscure est remis à l'instant.

On encheine ses pieds et tout nu on le traine Sur taicts de pots cassés pour redoubler sa peine.

Tapisserie offerte par Nicolas Thiaut (1612), la Nativité de la Vierge, accompagnée de ce distique latin :

Anna jacens casto fiidit de viscère natam, Quœ tenero riililans vibrât ah ore faces.


1. Cf. Monographie par P. Baudry.


390


t/art profane a i/ église


Un médecin, revêtu d'une robe fourrée^ tâlait le pouls de la par- turiente.

Vitraux restaurés. Saint Vincent y paraît plusieurs fois, dans un état de nudité complète, pour subir les phases de son long et cruel martyre.

Mais la plus curieuse des verrières est la troisième du second collatéral Sud du chœur. C'est un sujet allégorique, à la g-loire de Marie immaculée, figuré par trois vastes compositions ou chars de triomphe qui défilaient par la ville à diverses manifestations civiles ou religieuses. Au registre supérieur, on voit le cortège de VEtat d'innocence ; à l'intermédiaire, le Règne du péché et de la. mort ; à l'inférieur, la Glorification de la Vierge.

Adam et Eve, k l'étage supérieur, personnifient V Innocence ; ils paraissent en peau naturelle et sont montés sur un char, traîné par la Foi et la Force ; V Espérance , la Prudence^ la Charité et la Sagesse ferment la marche. L'image de la Justice orne la bannière déployée qu'Adam tient à la main.

A l'étage moyen, Adam et Eve sont détrônés ; ils s'efforcent, les mains chargées de chaînes, de dissimuler leur nudité. Les sept Péchés capitaux, comme au-dessus les sept Vertus, ont ici leurs représentants, mais dans un cortège de femmes, accompagnées d'animaux qui caractérisent la nature de leur vice représentatif. La Gourmandise, par exemple, enfourche un pourceau ; la Crédulité est accompagnée d'un lapin, « ce qui tendrait à démontrer, observe M. Ottin, que l'expression vulgaire poser un lapin est assez ancienne ». Toutes les personnifications féminines, à l'exception de la Douleur et du Travail, qui traînent le char du Mal, sont élégam- ment costumées et n'ont de nu que la tête ; c'est, du reste, la seule partie que montre la Luxure. Le dessin de cette magistrale compo- sition est attribué à Albert Durer, et certainement elle est digne de lui, mais l'essieu du char d'Adam porte une autre signature, difficile à reconstituer, dont le prénom est Jehan.

Au vitrail de saint Jean-Baptiste, première verrière du second collatéral Nord du chœur, Paul Baudry relève une inadvertance du peintre. Le j^récurseur a pour attribut un agneau et proclame la venue du Rédempteur par ces paroles, retracées sur un phylactère: Ecce anus Dei. Anus pour Agnus!


SEINE-TNFÉRIEURE


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Au bas d\m des vitraux des fenêtres inférieures du chevet, où le peintre distrait a couronné le Rédempteur d'un nimbe non cru-



Fiy-. 489. des canlons suisses (1548).

cifère, le donateur est représenté k l'état de cadavre, déjà décomposé.

La même particularité s'observe sur Tun des vitraux de l'église Saint-Patrice.

7° Sainte-Groix-Saint-Ouen. — Démolie en 1793. Sur le vitrail

de Y Aiinonciaiion^ Mercure venait offrir à la plus belle — pulchrœ — une pomme, comme Paris le fît pour Vénus, au mont Ida.

8« Sainte-Groix-des-Pelletiers. — Supprimée en 1791 ; le por- tail seul existe encore dans la rue du même nom.

La Chapelle du Verbe incarné fut bâtie par un Espagnol, Delos Ang-elos, originaire du Mexique. C'est dans cette chapelle qu'un tableau représentait, selon une vieille chronique, le miracle de l'image de Notre-Dame de la Guadeloupe, auquel cet hidalgo se trouva mêlé. Or, que représentait ce tableau? Etait-ce Phistoire rapportée par J.-B. Renoult^ au sujet d'une vache qui accoucha d'une image de la Madone? « La vache parla, écrit ce moine renégat, le bouvier étonné la frappa ; le coup fut si violent qu'elle fît une fausse couche ». Le lieu est devenu le rendez-vous de nombreux pèlerinages.

9** Les Filles-Notre-Dame. — Un bas-relief (fîg. 489) provenant


392


t/art profane a l'église


de cet ancien couvent, qui existait dans la rue du même nom, aujourd'hui rue des Arpents, se trouve au Musée des antiquités de Rouen (Galerie Cochet, n** 108) ; il représente une scène balnéaire



Fig. 491.

familiale, qui semble copiée sur le quatre- feuilles du portail de la Galande, et où se baig-ne une mère en compagnie de sa fille. Un fac-similé d'une ancienne gravure (fig-. 490) montre le même usage, en Suisse. Jusqu^au xv^ siècle, en France, en invitant à dîner, on offrait un bain avant le repas, l'apéritif hygiénique de nos pères. La maîtresse de la maison parta- geait le sien avec la personne qu'elle



désirait


10^ Saint-LÔ. — Une gargouille de ce prieuré disparu, jetait l'eau par les seins (fig. 491) ; deux autres gouttières gothiques portaient Adam et Eve nus : l'eau s'écoulait logiquement par les organes géni- taux (fig. 492), tandis qu'à l'hôtel de Gluny, àParis,les eaux s'échap- paient par l'orifice postérieur. L'existence de ces deux gargouilles normandes, « aussi originales qu'indécentes », a été affirmée par Dulaure, dans ses Environs de Paris. Les religieux les ont fait supprimer.

Dieppe. Saint-Jacques. — Une gargouille, au buste de néréide, laissait écouler l'eau par ses mamelons; un triton, à barbe épaisse, lui tenait compagnie. Si les sculpteurs ont quelque peu abusé des fontaines ubérales, ils ont, par contre, été assez sobres de gargouilles


SEINE-INFÉRIEURE


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à mamelles perforées, ce qui rend ces dernières d'autant plus inté- ressantes.

Un bas-relief (fîg. 493,494), qui décore la frise du Trésor de la



Fig-. 493. Fig. 494.

paroisse, sous la voûte de la contre-allée du chœur, a fort intrig-ué L. Vitet, en raison des nombreux personnages des deux sexes, com- plètement nus, qui s'y trouvent. Or, ces académies n'ont rien de canoniques : l'artiste a voulu représenter des sauvages, indigènes des pays explorés, vers 1530, par les Dieppois, c'est-à-dire la Guinée (1364), les Grandes-Indes (1498), Terre-Neuve (1508), etc. Ces groupes n'ont aucune corrélation entre eux ; ils offrent diverses images des mœurs et coutumes de ces primitifs.

Meulers*.

Offranviele. — Sacristie. Sur l'un des panneaux (xvi*" siècle), est figurée une femme ailée (un ange?), tirant une autre femme nue (une âme?) d'une barque (à Garon?); il nous est difficile d'inter- préter le sens de cette scène énigmatique.

Une verrière ressasse la légende d'Adam et Eve, depuis leur création jusqu'à leur prévarication. « Le nu, dit Vitet, est supé-

1. Une des rares églises, en France, où persiste encore l'ancienne coutume liturgique et pudique de la séparation des sexes : côté des dames, côté des hommes, comme aux enterrements et aux W.-G.


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l'art profane a i/i':r.LiRE


rieurement étudié et d'un style qui rappelle Técole de Michel- Ang-e » . Rappelons que c'est la création de Thomme et de la femme qui inau- ^ura la série des nus dans Tart chrétien.



Fig. 495^


Gauderec-en-Gaux. Notre-Dame. — L'abbé Sauvag-e ne peut identifier les personnages, « à peu près nus », groupés sous le porche de droite. Pour nous prononcer, atten- [.j^^ dons jusqu'à plus ample 7 . " "| informé. Mais à quoi sert | | t la symbolique, si ses ini- ^ 1 tiés n'y voient que du "\_4, ' Y flou?

Autrefois, il existait - ^'^Jc^^^ilili^SlS^

un jubé fort remarquable ^„ . ^ , ,.

^ tij^. 490. — D après Adeline.

surmonté d'un crucifix singulier, au pied duquel s'agenouillait Adam, « sans autre vête- ment, dit l'abbé Gochet, qu'une ceinture de feuilles de vigne, et tenant, de la main droite, une coupe dans laquelle il recevait le sang qui tombait des plaies du Sauveur. Sublime allégorie de la Rédemption du monde ! »

La tribune de l'orgue, qui date de la Renaissance, est couverte de cariatides grimaçantes, de génies « vêtus seulement de chaus- sures et qui se livrent à la danse », de chimères et de « vrais amours », dit encore l'abbé Sauvage.

Portail septentrional. Au haut d'une colonne, un personnage nu, muni d'ailes membraneuses, armé d'une massue hérissée de pointes, est poursuivi par un monstre menaçant. Est-ce un épisode de la lutte entre les bons et les mauvais anges ?

Ghapelle Notre-Dame. Vitrail du Martyre de sainte Catherine, où la sainte est fustigée, dépouillée de ses vêtements.


Gauderec-lès-Elreuf. — Fragment de sculpture obscène, prove- nant de Pancienne église (fig. 495) ; il représente une sorte de Bac- chus ithyphallique, à moins qu'il ne personnifie la Luxure ? En Normandie et en Bretagne, le culte du phallus était très répandu et


1. Tirée des SculpLiircs grotesques, par Adclinc.


SEINE-IINFÉRIEIJRE


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Ton en trouve de nombreux vestig'es sur les monuments civils ou religieux : telle la sculpture sur bois, visible dans la salle des Pas- Perdus du Palais de Justice de Rouen (fîg-. 496).

Hameau du Genetey. Chapelle de Saint-Gourgon ou Gordon, Gauteleu. — Lieu de pèlerinages ou assemblées, très fréquenté en- core au milieu du xix^ siècle. On y vendait des amu- lettes en verre émaillé, figurant des organes génitaux des deux sexes ; « filles et garçons s'en paraient, dit Alfred Darcet^ en intervertissant les sexes ». On ap- pelait ces amulettes falotes et phalliques des Saint- Gordon*. Nous en avons vu une grande variété dans la curieuse collection de M. Deglatigny, archéologue distingué, de Rouen. Un spécimen de ces porte- bonheur est exposé dans une vitrine du Musée lapidaire de la même ville (fîg. 497).

Saint-Martin de Bosciikrville. Ab- baye de Saint-Georges. — Sur un corbeau de Tabside se cache un as- cendant de la famille Sans-Gêne ou une croupe ancestrale de la vertueuse patrie des Krupp (fîg. 498), qui, malgré la difficulté du tour de force, montre ses deux « visages » et ses quatre « joues ». Un symbofiste convaincu y verrait les deux faces de la Duplicité^ de Y Hypocrisie et de la Pru- dence ou encore la Luxure, etc. ; c'était, vraisemblablement, un simple jeu de tailleur d'images, sans autre conséquence.

Salomé exécute sa danse, la tête en bas (fig. 499), sous le tailloir d'un chapiteau ; sa jambe droite, fléchie, met en évidence les organes secrets^ visibles seulement aux invités d'Hérode.

Taylor donne le motif d^un autre chapiteau (fig. 500), mais sans explication.



Fii;-. 497.


Fi^-. 498. D'api'ès Adcline.


1. Dans la forèL de Bois-Guillaume se rendaient autrefois les femmes atteintes de maladies de matrice ou de stérilité ; elles en rapportaient un pain d'une forme bizarre qu'elles comparaient à une paire de ciseaux, mais qui n'était qu'un phallus, dont les deux testicules étaient perforés, ce qui lui donnait l'air de ciseaux. (D' P. Noury, Chron. méd.).


390


f/art profane a l'église


Selon une communication personnelle du D P. Noury, on peut juger, d'après la sculpture d'un chapiteau de- la salle capitulaire,



Fig. 499. Fig. 500.


Vesly a relevé de ce bas-relief un très intéressant dessin, que les amateurs germaniques d'attraits callipyges pourront consulter au Musée des antiques, dont il est le conservateur. M. Deville, dans son Ahhaye de Boschcrville, l'a signalé, mais sans aucune figuration. Au premier acte, le diable poilu tapote la croupe d'une femme à poil; au second, il pratique le coït, more canino ou germanico. On peut y voir l'image des deux étapes de la Luxure : séduction et possession. Etranges tableaux où les préceptes de morale s'appuient sur des scènes scandaleuses !

Fécamp. 1*^ Église paroissiale. — Sur le dossier d'une des stalles du chœur, le Christ voilé cache sa nudité sous une draperie transpa- rente. La réputation de cette sculpture est exagérée, au dire de M. Bouet ; il convient de l'admirer avec les yeux de la foi.

2« Abbaye de la Sainte-Trinité. — Chapelle des fonts baptis- maux. On remarque deux statues, en pierre, voilées et destinées à rappeler les mutilations — excision du nez et des lèvres — que se firent les recluses pour échapper aux outrages de la soldatesque normande. Les Skopzy, dans un but de chasteté analogue, se cou- pent, suivant le sexe, les seins ou les organes génitaux.


SEliN E- INFÉRIEURE


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Petit-Quevilly. — La Fuite en Egypte (xii*^ siècle) est peinte en fresque sur la voûte du chœur. Joseph, le résigné, chargé de son baluchon, marche devant l'âne, qui porte la Vierg-e, allaitant son divin fîls. Ce cortège est contraire aux mœurs orientales, où l'homme se prélasse sur le baudet, tandis que l'épouse suit ou précède la monture, k pied, charg-ée de sa progéniture et des hardes de la communauté.

GouviLLE. — Dans les ruines de l'église rustique de ce pays, situé près de Gaillj, se trouvait une statue de la Vierge qui donnait le mauvais exemple aux mères, en présentant un biberon k Jésus. Encore un détail en contradiction avec la tradition : Marie, le modèle des mères nourrices, passe ainsi k Tétat de nourrice sèche.

BoLBEC. — En face du perron de l'église, Diane chasseresse « k la pose et aux contours les plus gracieux », dit A. Fromentin, domine une fontaine, un chef-d'œuvre de la statuaire française. Le paga- nisme voisine avec le christianisme, qui en émane.

MoMiviLLiERS. — Une sculpture (fig. 501), d'après un dessin de Fragonard, représente un personnage dévoré par une louve ou une chienne affamée, sorte de bête du Gévaudan alors inconnue. La victime tient entre ses mains un phylactère, sur lequel sont tracés des caractères illisibles, qui auraient pu donner la clef de ce rébus. Symbolistes k la rescousse ! Est-ce la Religion dévorée par V Hérésie ? On peut, sur ce sujet, épilog-uer k perdre haleine. Rappelons toutefois un épisode qui s'y rapporte peut-être : Guil- laume II, comte de Nevers, revint « seul et nud » d'Orient, puis se fît chartreux ; il mourut dévoré par un chien ; a comme un chien, il le méritait », ajoute une vieille et sévère chronique.

FoNTENELLE OU Saint-Waindrille. Abbaye. — Dans les vastes ruines de cette antique église abbatiale, E. Langlois, en 1827, a découvert



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l/Airr PROFANE A l'ÉGLISK


une fresque (fig. 1)02) sur les murs de la chapelle de Saint-Sébas- tien. C'est, dit-il, le martyre d'une jeune vierge, attachée à un arbre, et entièrement dépouillée de ses vêtements ; elle souffre, avec rési- gnation, les tortures que lui font endu- rer deux bourreaux, armés de lampes ar- dentes. (( On ne pourrait sans frémir et sans blesser la pudeur, ajoute-t il, décrire l'horrible manière dont un des satellites remplit son cruel emploi ». Langlois préfère en donner le dessin, que nous lui em- pruntons. Si l'ar- tiste pouvait lire cette description, il serait bien surpris d'être accusé de « blesser la pudeur », lui qui a voulu, au contraire, faire jouer à l'une des lampes le rôle de feuille de vigne.

Une autre peinture murale, chapelle de Saint-Laurent, reproduite par le même auteur, présente une particularité curieuse dans sa composition. Le jeune Saûl, qui préside au supplice, n'a pour tout costume que de longues chausses noires. 11 est assis sur un trône recouvert des vêtements du martyr. Or, on observe que celui-ci, tombant sous les coups de ses bourreaux, n'en est pas moins tout habillé. A moins que Saûl, gêné par la chaleur, n'ait fait un coussin de ses propres habits.

Le lavabo, contigu à la porte du réfectoire du cloître, est orné de délicates sculptur'fes décoratives. Son fronton fleuronné comprend un sujet, « dont la bizarrerie donne lieu de prêter au sculpteur des intentions malicieuses » à l'adresse des moines (fîg. 503), pense Langlois. Il voit un trait satirique d'abord dans la coiffure du prin- cipal personnage, son capuchon ou carapoue serait muni de deux oreilles d'âne ; puis, dans le gobelet qu'il tient à la main gauche ;



SEINE-INFÉRIEURE


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enfin, dans l'instrument (la marotte ou le maillet dit hutinet des tonneliers *) porté par l'autre main.



Fig. 502.


Ce symbole de Tintempérance et de la folie renferme un sens grave : n'était-il point ici pour rappeler aux bénédictins, au moment du repas, la leçon que leur patriarche leur donne dans sa règle au chapitre De mensurâ potiis, en les invitant à se contenter d'une légère portion de vin : Quia, inquit, viiium apostataj^e facit etiam sapientes ? Peut-être le passage suivant de TKcriture oiïVirait-il encore un rapport plus intime avec ce bas-relief : Luxuriosa res vinum, et Lumulluosa ebrietas : qui- cumque his deleclatur^ non crit supiens (Prov. XX, 3,1.)

Un tel sujet, placé au-dessus d'une fontaine, voulait-il dire aux moines, enclins à (( humer le piot » et à préférer les préceptes d'Epicure à ceux de l'Ecriture, qu'ils devaient mettre de l'eau dans leur vin, au moral comme au physique, ou bien était-il sim-

1. Dans un Psalleriiim manuscrit provenant de l'Abbaye de Corbie. une initiale peinte donne la figure du Fol ou de V Athée (fig. 504). C'est une des plus anciennes représentations connues de ce personnage : il tient une marotte, et non un hiiLinet, terminée par une tête de satyre et porte une bonle ou une pierre à la bouche, en blasphémant le Seigneiu* (jui se montre pour le confondre. M. HigoUot, à qui nous empruntons ces détails, signale une autre miniature d'un Fou qui porte une hou- lette. Chez ce dernier, le manteau entr'ouvert laisse voir toute sa nudité. Ce genre d'indécence a longtemps caractérisé la figure du Fou ; tel est, par exemple, celui du célèbre jeu de cartes attribué à Charles VI.


400


i/art profank a 1/ 10(1 m si:


IDlement décoratif ou encore une rémi- niscence de la fête burlesque des Fous ?

Caillolville. Notre-Dame. — A cinq cents pas de l'Abbaye précédente, fut élevée cette célèbre église, dont il ne reste que des débris. Elle était ornée de tant de peintures ou sculptures, que « tous les saints du paradis, disait-on, s'y trouvaient réunis » .

On n'y rencontre plus que des débris horriblement mutilés ; les Anglo- Saxons, hommes d'ordre et pratiques qui ne laissent rien tramer, ont ramassé, depuis longtemps, tout ce qui avait quelque valeur archéologique. Langlois cependant a trouvé sous l'herbe une image expressive, unique en son genre, des peines infligées aux luxurieux * (hg. 505).

Ce sont deux torses, nus et de sexe différent, accolés de la plus étrange ' manière, et dont les bras sont singulièrement renversés. Des serpents qui traversent leurs chairs, les enlacent de leurs hideux replis ; les uns leur mordent les mamelles^ les autres les déchirent plus étrangement encore, mais d'une façon fort propre à donner au peuple une leçon de continence.

Nous verrons, à la Chapelle Sixtine, un ennemi de Michel-Ange, mis par lui au premier rang des damnés, tourmenté de la même façon.

Un siècle après, Jérémie Drexelius, dans son livre De /Eternitatc considerationes, publie une estampe où les réprouvés sont dévorés par des reptiles. « J'avouerai, ajoute Langlois qui nous fournit ce renseignement, que ce jésuite paraît donner à cette image un sens purement allégorique, en ne parlant dans son texte que de verrues conscientm ».

Cousin, dans son Jugement des Minimes, peint deux exemples de cette pénalité des luxurieux (fîg. 166-167.)

1. Dans la religion de Mahomet, d'après Roland, le même supplice serait réservé aux avaricieux : « Le souverain juge, au dernier jour, attachera autour de celui qui n'aura point fait l'aumône un effroyable serpent, dont le dard piquera sans cesse sa main avare, qui ne s'ouvrit point pour les malheureux ».



SËiNE-lNFÉRIEUtlE:


40i


Sur l'emplacement de l'église s'élève un petit calvaire dominé par un groupe sympathique (fîg. 506), provenant de l'ancien édifice.



Fig. 505. Fig-. 506.


Il effectue la conjonction décente, sous la Porte-Dorée, de Joachim et Anne, qui se tiennent chastement enlacés, comme l'indique un couplet du vieux noël, Noble fleur de la vigne :

Joachim s'est trouvé Son ancienne épousée

A la porte Dorée, De qui vient la lig^née

En la bouche a baisé De ce précieux fruit.

A quelques pas de là, se trouve la Fontaine de Notre-Dame de Caillouville (fig. 507). Un hangar abritait les trois statues grossières de sainte Radegonde, de saint Clair et de Notre-Dame-des-Neiges. Cette piscine miraculeuse n'a encore rien perdu de sa réputation, à en juger par la foule de pèlerins qui y afflue tous les premiers ven- dredis de mai ; les douches ne peuvent, en effet, que leur être salu- taires.

JuMiÈGES. — De l'Abbaye royale, dont l'un des abbés, Filibert, fut accusé d'avoir eu « des liaisons scandaleuses » avec l'abbesse de Pavilly, il ne reste que les ruines de l'église.

A l'extérieur, d'après C. Deshayes, des décorations « bizarres et ridicules» étaient encore intactes, en janvier 1823 ; mais, chaque jour, les cambrioleurs d'Albion y opèrent sans conscience des rafles


l'art profane. — I.


26


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l'art profane a l'église


consciencieuses. L une des consoles des croisées ogivales, au Midi du chœur, portait un petit singe allaité par une guenon. Ce tableau



Fig. 507.


du devoir maternel avait pour pendant un cochon habillé en traî- neur de sabre tenant le gobelet de Tébriété avec Fun de ses pieds de devant. La première croisée, au Nord, oilVait un lion (( semblant


SEINE-INFERIEURE


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étreindre une femme nue sous lui », et, en face^ un bélier libidi- neux couché sur un singe. Du même côté, toujours à la console d'une croisée^ un quadrumane faisait le simulacre de jouer du vio- lon sur un soufflet, avec des pincettes en guise d'archet. Un pro- fond « symbolard » verra dans cette caricature la critique des souffleurs hermétiques.

Le sujet d'un des vitraux, Suzanne surprise au bain, « quoi- que exécuté d'une manière très g-racieuse, passe, dit le même auteur, pour être trop libre, en raison de l'endroit où il se trouve ». Mais certains habitués du lieu, personnages de marque, ne devaient pas partager cet avis ; Charles VII, par exemple, qui fut l'hôte du mo- nastère de Jumièges, alors que son Agnès habitait le manoir du Mesnil *.

En souvenir des bonnes nuits passées au monastère, Agnès Sorel voulut que son cœur et ses entrailles fussent envoyés à Jumièges, où ils furent placés, au milieu de la chapelle de la Vierge, dans un monument en marbre noir, surmonté de sa statue en marbre blanc. Elle était représentée à genoux et offrait son cœur à la dis- pensatrice des grâces célestes. Ce cénotaphe fut détruit par les Cal- vinistes, au xvi^ siècle ^.

Harfleur. Saint-Martin. — L'élément païen se mêle encore à l'élément chrétien, dans les parties décoratives du buffet de l'orgue Louis XIII. Les statues, d'après l'abbé Cochet, paraissent représen- ter des saints, et au-dessus de ces figures religieuses sont surper-

1. On voit encore la porte par laquelle la favorite passait pour visiter son royal amant. Le propriétaire, M. Caumont, vers 1829, a commémoré la tradition de cette aventure clandestine dans un distique mirlitonesque :

Ag'nès par cette porte arrivait au manoir ; Un page la guidait vers le royal dortoir.

Il y avait, en elTct, une Suite des dames au-dessus de la buanderie. De même, à l'Abbaye de Beauport, commune de Kérity, canton de Paimpol, la même salle existait et sur les panneaux étaient peintes des bergeries, A la suite de l'inconduite des moines de Jumièges et des scandales qu'ils produisirent, le cardinal de Bourbon, archevêque de Rouen, se vit obligé de réformer les statuts, en 1574 ; il défendit « de laisser coucher aucune femme à l'intérieur du monastère, à moins que ce ne fût celle d'un conseiller et que son mari ne fût avec elle». L'entrée resta donc interdite aux femmes, « même pendant les vendanges ». Adieu « paniers », vendanges sont faites !

2. Il portait quatre épitaphes dont deux en vers latins, semblables à celles du mausolée de Loches, qui contenait son corps, et deux en français, écho lointain des


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l'art mOFANL A i/kOLISL


posés deux chars, l'un traîné par des chevaux marins, comme celui de Neptune ; l'autre, par des colombes, les oiseaux de Vénus,

Gravi lle. — Nous empruntons à la description des Eglises de V arrondissement du Hâvre, par le même abbé, celle de plusieurs chapiteaux de cette Abbaye. Au 9*^, sous des volutes où des oiseaux se jouent, on distingue une forme humaine, habillée en femme, qui se termine par une tête d'oiseau, de linotte ? « C'est, pour l'abbé, une des plus singulières fantaisies de ce temple », bien naturelle pour nous.

Le 10^ porte un personnage qui tient un instrument de musique, d'une main, et, de l'autre, « flatte une jouvencelle qui retire sa tête en arrière » ; l'accord n'est pas encore parfait, mais « Tout arrive », disait le clopinant Talleyrand, et « Tout s'arrange », ajoute Gapus.


touchantes élégies païennes de Propercc, mais en style emphatique de l'époque :

ELLE n'est plus CETTE BEAUTE RAVISSANTE QUE LES DEUX ASTRES BRILLANTS DU JOUR ET DE LA NUIT VRENOIENT TLAISIR A ECLAIRER TOUR A TOUR.

ALECTO CETTE FURIE AVEUOLE l'a PERCEE DE SES TRAITS. IRIS l'a VUE SUCCOMBER : IRIS LUI A REFUSÉ LE TRIBUT DE SES LARMES. LA TERRE .lALOUSE DE POSSEDER CE RICHE DEPOT NOUS LE RAVIT POUR TOUJOURS...

MORT CRUELLE ! TU NOUS l'aS ENLEVEE DANS LE PRINTEMPS DE SON AGE ! CETTE ROSE NAISSANTE TROP TOT, HELAS ! S EST EVANOUIE...

PLEUREZ BOSQUETS FLEURIS ! EN PERDANT LA MAITRESSE DE VOS BOCAGES, VOUS PERDEZ VOTRE PLUS BEL ORNEMENT.

A Jumiêges, on célébrait la Procession du Loup vert, cérémonie mi-profane mi-sacrée, où se chantaient des rondes, avec accompagnement du ménétrier, dans le goût de la suivante, riche en licences de toute sorte :


/"• Couplet

Voici la Saint-Jean, L'heureuse journée Que nos amoureux Vont à l'assemblée.

5« Couplet

Que nos amoureux Vont à l'assemblée Le mien y sera J'en suis assurée.


3" Couplet

Le mien y sera J'en suis assurée Il m'a apporté Ceinture dorée.

4« Couplet

Il m'a apporté Ceinture dorée Je voudrais, ma foi. Qu'elle fût brûlée.


S* Couplet

Je voudrais, ma foi. Qu'elle fût brûlée. Et moi dans mon lit Avec lui couchée.

6« Couplet

Et moi dans mon lit Avec lui couchée De l'attendre ici Je suis ennuyée.


Ces versiculets anachréontiques avaient pour refrain :

Marchons, joli cœur, La lune est levée.

Mais, curieux contraste, pendant le souper maigre qui suivait les chants, il était interdit de risquer un mot « gras », sans quoi le Loup agitait ses sonnettes et le contrevenant récitait un Pater nosler.


SEINE-INFÉRIEURE


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Au 11% un bréphophage, — Saturne, Hérode ou Lucifer, — tient dans sa bouche le corps d'un enfant nu.

Le Fontenay. — Aux angles extérieurs de cette antique chapelle, se dresse une statuette nue qui s'appuie à un arbre. « Est-ce Adam et Eve ? Est-ce Pimage de Phomme qui entre nu dans le monde et en sort sans rien em- porter ? » demande le même ecclésiastique.

Boos. — Une miséricorde est illustrée par Pallégorie de la Puissance de la Femme (fîg. 507 bis) : un démon féminin, presque nu, dompte le démon infernal et trompette iirbi et orbi son triomphe.

LXVIL - SOMME

Amiens. 1" Cathédrale. — Extérieur. — Façade principale. Por- tail du Sauveur. Au « grand jour d'épouvante », au Jugement so- lennel, les ressuscités sortent, sans linceul, de leurs sépulcres (( la différence des sexes marquée », constate M. Durand ; puis, les réprouvés sont poussés vers la Bocca d'inferno. Ces derniers sont aussi à l'état de pure nature et montrent leurs parties « textuelles » , comme nous disait un client de Seine-et-Oise. « Les hommes nus, pensait Livie, ne sont que des statues pour des femmes chastes » ; les fidèles des deux sexes ne doivent donc pas s'en choquer.

Un évêque ou un abbé, seul, est reconnaissable à sa crosse ; mais il porte la tête nue, sans doute pour éviter d'induire les apologistes religieux à considérer sa mitre comme la coiffure du grand-prêtre juif, ce que ceux-ci ne manquent jamais de faire, quand ils trou- vent un personnage mitré parmi les damnés. Mais, ici, les défen- seurs de la « mitraille » oublient l'argument humain du poète :

Car pour être dévot on n'en est pas moins homme,

et ils en seront pour leurs frais d'imagination. La « chaire » est faible, chacun sait ça.



406


t/art profane a i/église



Fig. 508.


Fis. 509.


Remarquons, en tête et en queue du défilé des condamnés, les deux enjôleuses qui caressent, Tune, le menton (fig. 508), l'autre,

les fesses de son voisin (fîg-. 509) ; elles se sou- cient peu du Lasciate ogni speranza^ voi chentrate, du Dante.

Les peines de l'Enfer se continuent, à droite, sur les sommiers des pieds-droits du portail, par opposition aux joies du Paradis, développées du côté opposé. Le pre- mier groupe, voisin de la porte (fig. 510^, comprend un avare qui plie sous le poids du sac d'écus suspendu à son cou, et de deux impudiques, dont Tune subit les cajoleries d'un diable, laid comme un singe, à la barbe de son mari marri, placé der- rière. Au second compar- timent, deux damnés, par leurs postures équivoques (fîg". 511), passent géné- ralement pour renouveler l'une des scènes qui atti- rèrent le feu du ciel sur les villes de la Pentapole et excitèrent la risée mondiale au détriment de nos voisins de Berlin, la Sodome moderne. Pour l'amour à l'envers »,



Rivoire,


. 510.

en effet.


Fig. 511.

ces réprouvés « font


Sens devant derrière, sens dessus dessous,

selon le refrain du pot-pourri de Loth, par Sedaine^ et tout comme un couple de cuirassiers blancs. A. Gilbert admet « les postures


s M 31 E


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indécentes », mais non le prétendu vice allemand du Grand Fré- déric que Voltaire surnomma Monseigneur Luc^ et nous sommes absolument de son avis.

Les deux hommes placés ici ne se trouvent dans cette posture cynique que par suite de Tag-g^lomération spontanée des réprouvés poussés vers l'abîme et de Tattitude comprimée dans laquelle les tiennent deux dé- mens, dont l'un, armé d'un bâton, se met à genoux sur son dos. La nudité des personnages et leur posture ont seules fait imaginer une action qui ne pouvait véritablement trouver place sur le frontispice d'un temple, où tout doit contribuer à l'édification des fidèles.

M. Durand pense aussi comme nous : un démon, écrit-il, tient son genou sur l'échiné d'un patient — le passif — jeté à terre et qui vomit un crapaud ; un autre damné — l'actif — est tiré par un croc et cherche à se raccrocher à celui qui est tombé à quatre pattes devant lui.

3*^ Compartiment. Autre groupe de réprouvés, dans la chaudière bouillante ; au contraire de ceux de Bourges qui pi-ennent leurs peines en riant, ceux-ci (( croient que c'est arrivé » et donnent les marques du plus profond repentir.

4*^ Compartiment. Un coursier fougueux, equus palUdus, est monté à poil par une femme dans le même état, la Mort. Celle-ci, les yeux bandés, enfonce son glaive dans le corps d'un personnage également nu, qu'elle porte en croupe et en fait sortir les intestins.

S*' Compartiment. Le cavalier de Y Apocalypse^ nu aussi, monté sur un cheval noir, equus niger, tient une balance de la main droite.

6^' Compartiment. Un autre cavalier apocalyptique est armé d'un arc.

Au trumeau du même portail, sous la statue de Zacharie *, se trouve un bas-relief en quatre-feuilles, le Triomphe de r Impiété (fîg.512) qui, nue, s échappe d'une amphore élevée entre le ciel et la terre par deux femmes ailées ; d'aucuns disent, mais sous toutes réserves, la Vérité sortant de son puits. A côté, un demi-quatre-feuilles figure la Discorde, où. mari et femme en viennent aux mains, après s'être jeté quenouille et pot-au-feu à la ligure. Ce n'était déjà plus le temps oii le chevalier de la Tour T^andri ^ disait que le

1. L'allégorie sous-jaccntc se rapporterait à un passage du V« chapitre du livre de ce petit prophète juif.

2. Conseils d'un père à ses filles, 4372.


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l'art profane a l'église


(( maître », le mari, devait avoir sm^ sa conjointe « le haut parler ». Façade Méridionale. Sur une pierre d'un talus pratiqué sous ce

portail, d'après A. Gilbert, on a cru reconnaître dans une petite figure nue tombant à la renverse, celle du seigneur d'Angilvin, que son neveu, des- hérité au profit du Chapitre, tua, en l'an 850, au moment où il entrait à l'église.

Le même auteur raconte que, quelques années avant 1789, sur le mur antérieur des cha- pelles, deux niches, restées vides depuis, abritaient les statues d'Adam et Eve; mais, en raison de leur nudité, le Chapitre les fît déguerpir. Intérieur. — La cuve de la chaire est soutenue par les trois Grâces théologales, la Foi, V Espérance et la Charité. Cette dernière est fort occupée à supporter son faix et à allaiter un orphelin suspendu à son sein droit, par la force du vide, comme une grosse ventouse.

L'ange qui surmonte l'abat-voix montre le ciel, de la main droite, et, de la gauche, tient le livre des Evangiles, sur lequel sont inscrites, en lettres d'or, ces paroles immodestes : hoc fac et VIVES (Faites ceci et vous vivrez), qui font allusion à la beauté de Toeuvre, au dire de l'architecte Christophe et du sculpteur Jean Dupuis, qui l'ont conçue et exécutée.

Clôture du chœur. L'un des treize bas-reliefs enluminés, où se développe l'histoire de saint Firmin, représente le baptême, par im- mersion, d'Attile (lîg. 513), fille du sénateur Faustinien, et des Amiénois convertis. Ce tableau en marbre, mutilé à la Révolution, est accompagné de ce quatrain, en style et caractères gothiques :

Faustinien, la noble Attile Baptisa avec trois fois mille. Fème Agrippin, famille, enfans Pour ung jour la foy confessans.



s M M E


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La « noble » Attile, entièrement nue, plong-ée à mi-corps dans la cuve baptismale, domi- ne la scène. Elle est as- sistée du saint Evêque* et reste impassible, les mains jointes, en pré- sence des nombreuses personnes qui se dés- habillent complètement les hommes à droite et les femmes à gauche. Ses compagnes , qui tiennent ses vêtements, ont « des robes pro- fondément décolletées et collantes », observe M. Durand.

Derrière le sanctuai- re, h' Enfant pleureur (fîg. 514)



génie ou amour


les


uns.


[inge pour pour les autres, la meilleure œuvre de Basset, dont le mérite a d'ailleurs été quelque peu surfait, or- nait le monument funéraire du chanoine Guillin-Lucas. La tête de mort sur laquelle s'accoude le petit Jean qui pleure est l'emblème de la futilité des grandeurs de ce monde. Le mausolée de Warin de Gondrecourt, à


Saint-Mihiel.


Saint-


Michel, est aussi orné d un enfant nu, qui tient, de chaque main^ une tête de

1. Saint Firmin verse de l'eau sur la tête de la néophyte ; c'est un anachronisme commis par le restaurateur du bras de l'épiscope, amputé en 93.


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l'art profane a i/ église


mort, mais il sourit comme Jean qui rit et semble jouer aux boules. Sacristie de la Chapelle Saint-Firmin*. Une autre figure symbo-



lique du même genre accompagne l'épitaphe du chanoine Jean Pecquet de Dourier (1729). Un enfant nu, en relief, à demi couché, tient une coquille, d'une main, et, de l'autre, un chalumeau de paille d'où sortent des bulles de savon; gracieuse allégorie de la fragilité de la vie et de la frivolité des plaisirs terrestres.

Chœur. Avant de nous occuper, en détail, de l'imagerie des stalles, hâtons-nous de relever deux gracieuses figures décoratives, sculptées sur les boiseries du chœur (fig. 515 et bis)^ datant du xvi« siècle, et, à l'extrémité orientale, du côté droit, V Humilité de Joseph (fig. 516). La Vierge, selon saint Mathieu, relève son fiancé qui, conduit par un ange, vient lui demander pardon des soupçons in- jurieux que sa grossesse prématurée lui a fait concevoir. Avant d'apprendre par l'ange, dans son sommeil, l'intervention prolifique du Saint-Esprit, le (( Taciturne » avait résolu de s'éloigner, prétextant un voyage. C'est ce qu'expliquent le bâton et la besace, sculptés à ses pieds sur ce bas-relief.

Cent vingt stalles, qui remontent aussi à l'époque où les mys- tiques médiévaux le cèdent aux naturalistes de la Renaissance, sont historiées d'environ quatre cents motifs variés. Les chanoines Jourdain et Duval en ont donné une description détaillée, que nous mettrons largement à contribution. Ces sujets, à part un Centaure ailé et Hercule terrassant r hydre, d'origine mythologique, ont


1. La première de la nef derrière la chaire.


SOMME


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été tirés, en grande partie, des Testaments et sont aussi des scènes empruntées à la vie de famille ou de corporation. Les fabliaux ont encore fourni divers motifs ; c'est ainsi que Tun des panneaux des stalles basses, côté de la nef, entre Job sur son fumier et Jésus ensei- gnant dans le temple, le Lai cVA- ristote se présente sous un aspect unique : le philosophe et la courti- sane à califourchon sont, Tun et l'au- tre, sans le moindre voile (fig. 517). Telle est peut-être la seule licence que se soit permise la fantaisie des huchiers picards, sous la direction de Jean Turpin.

Certaines figurines, surtout celles taillées dans les sellettes, ont ce- pendant une certaine liberté d'allure qui frise Timmodestie ; mais elles ont pour excuse qu'elles représentent les Vices. Elles concourent avec d'autres bizarreries, saupoudrées de sel gaulois, à donner à l'ensemble une de ces notes comiques si ap- préciées en France à toute époque.

Le motif d'un accoudoir des stalles



Fi}


.16.


basses, côté Nord, a été mutilé peut-être à cause de sa lubricité ; il n'en reste qu'une main et deux jambes. Pourtant, M. Georges Durand, dans sa monumentale monographie de la cathédrale d'Amiens, signale un certain nombre de sculptures peu pudiques d'hommes ^ et de femmes « de vie dissolute », etc., qui

Fiff 517 .

ont été respectées ; nous y reviendrons à la clôture de notre méticuleux inventaire.

Mais reprenons notre sélection de nuda^ dans la liste fournie par les deux chanoines susnommés.



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l'art profane a l'église



D'abord, un choix parmi les épisodes bibliques, où les mamelles sont de jeu. Moïse sauvé des eaux: la fille de Pharaon, sans le savoir, confie Moïse à sa propre mère, en qualité de nourrice ; l'enfant s'accroche au sein mater- nel, doublement attiré par la voie lactée et la voix du sang-, dirait Dennery. Samson et Dalila: le hé- ros Chevelu dort sur le giron de sa perfide maî- tresse, qui lui passe la main dans les cheveux, avant de les couper. Massacre des Innocents : des soldats romains arrachent les nouveau-nés aux mamelles de leurs mères.

Passons aux sujets divers. Le Suicide^ personnifié par une déses- pérée qui se perce le sein ; il s'agit, paraît-il, du suicide de Marquette Chavate, en 1491, dont le corps fut « condempné » à être mis dans un sac et pendu à une potence.

La Mondaine^ à la gorge nue, caresse un lapin, l'emblème de la lubricité et de la fécondité.

Les Sodomites (fig. 518). Deux invertis ou homosexuels, sont tenus enbrassés par l'esprit du mal. Ils sont enlacés de telle sorte que les deux jambes visibles semblent appartenir aux trois uranistes.

h'OEuvre de chair. Une <( fillette » ou une femme galante, dont la robe accuse les rotondités et dessine la taille, aguiche un galant, à l'affût sur l'accoudoir de la stalle voisine. Ils ont le diable au corps en attendant le jour de l'expiation, où le diable aura leurs corps et leurs âmes.

La Meraleresse ou Sage-femme, les manches retroussées pour la facilité de son office, porte le nouveau-né vagissant, qu'elle vient de tirer du... néant.

La Chienne en parade^ satire de la courtisane parée, se dresse sur ses pattes, affublée d'un chapeau et d'un manteau; elle étale ses mamelles gonflées par les suites de son libertinage.


s INI 1\I K


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Le Culte de la volupté (fig-. 519). Deux ribauds supplient Fidole de leur âme, les mains jointes, de partag-er « son cœur et le reste ». Ils sont enchaînés à leur passion par une chaîne de fleurs.

Groupe de la Danse. Ronde grotesque de quatre hommes bouffis, enlacés, qui ont oublié de se vêtir.

La Courtisane. « La surveillance des conducteurs ecclésiastiques de l'œuvre est en défaut, écrivent, en rougissant, les deux chanoines précités. C'est tout ce que nous avons à dire en présence de ce personnage qui ne nous offre pas de costume à décrire. » Notons pourtant que FEglise, non contente d'offrir le droit d'asile aux cri- minels, étendait sa protection aux filles publiques, qui longtemps formèrent une corporation et célébraient solennellement la fête canonique de leur patronne, Marie-Madeleine. Par suite, rien de plus naturel que de voir l'une d'elles figurer sur les œuvres de « hucherie » des cathédrales. Nous savons que Blanche de Gastille, s'étant vue obligée de donner le baiser de paix à une courtisane, sa voisine, dont la taille était entourée d'une ceinture dorée — ce qui explique le dicton, Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée — publia un édit qui interdît l'usage de ces ceintures à toutes autres qu'aux dames de qualité.

D'autres sujets, où « le suave et le grossier se coudoient », sont répandus dans l'ornementation générale des stalles et donnent lieu à des scènes pleines d'animation et de désinvolture ; nous en em- pruntons la description à l'important travail de M. G. Durand.

Appuie-mains. Accoudoirs. Aux étuves. Une dame, à sa sortie du bain, s'essuie les jambes, d'une main, « tandis qu'elle paraît éprouver beaucoup de plaisir à palper sa poitrine, de l'autre ».

Domination féminine. Une douce épouse « qui aime bien et châtie bien » son mari, à coups de quenouille. Jean Beleth, chanoine d'Amiens, rappelle dans son Rational une coutume qui autorisait les femmes, une fois par an, le mardi de Pâques, à fouetter leurs maris. Dans d'autres localités, au contraire, à Villefranche-sur- Saône, par exemple, en 1373, les maris avaient obtenu du pape Grégoire XI et Edouard sire de Beaujeu la permission de fouetter leurs femmes jusqu'au sang « toutefois qu'ils en auraient envie » et de promener tout nus les adultères dans la ville.

Folie. Un enfant nu, à quatre pattes, frappe avec un fouet sur


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l'art profane a l'église


le derrière d'un fou, placé dans la même attitude et vêtu seulement de son capuce à longues oreilles (lig. 520 bis).

Groupes (jrotcsqucs animalesqiics. Un faune à double tête humaine (( fait un g-este que l'honnêteté ne permet pas de décrire » ; un ani-



Fig. 520 his.

mal fantastique mord le derrière d'un marmouset entièrement nu ; un enfant également nu souffle avec un cornet dans le derrière d'un animal, à pattes de chien et à tête de fou coiffé d^un chaperon, à grelot; enfin, deux femmes nues et coucliées tiennent une écharpe qui sort des jeux d'un bucrâne ou têtes de bœuf décharnées.

Pendentifs et culs-de-lampe. Homosexualité . Un homme nu, à la tête diabolique et aux « mamelles luxurieusement pendantes », est enlacé par deux adolescents ; « ils font, avec des hommes entière- ment nus, placés à côté d^eux et tournés vers l'intérieur des stalles, des gestes qu'il faut renoncer à décrire ». C'est sans doute la scène complétée de nos Sodomites. Du même cercle vicieux : deux débau- chés obèses, « aux visages lippus et sensuels », serrent de près un troisième personnage à ventre de Silène qui « se défend contre les entreprises lubriques » de ses compagnons.

Lubricité. Tandis qu'une « fillette » se mire dans un miroir, son galant de passage tient derrière elle une tête de mort, l'image de la brièveté des charmes féminins et de l'existence, ou encore un aver- tissement des dangers du libertinage :

Il n'est fîsicien ne mire Tant saiche les aultres guérir Quy à ce myrouer ne se mire Et que tous ne l'aillent mourir.

Autre représentation de la séduction : un jeune vilain tient par la


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taille une jolie vilaine qui lève la main pour frapper son séducteur ou simuler la résistance.

Un troisième et dernier tableau de la Luxure montre une « ma- querelle » accompagnée de deux, de ses pensionnaires ; l'une, la plus déshabillée, joue la dévotion ou Tingénuité, en joignant les mains ; sa compag-ne, à courte jupe, l'asticote et soulève son man- teau. Un fou grimace et ricane derrière ce groupe lubrique.

Devant toutes ces croustillantes jovialités, nous nous demandons, avec M. G. Durand, « s'il faut plus admirer l'habileté de l'artiste que blâmer son audace ». Mais nous ne voyons pas bien comment de telles polissonneries tapies dans des stalles réservées exclusi- vement au clergé pouvaient servir à moraliser, instruire ou affiner l'esprit du peuple, comme on s'est plu tant de fois k le répéter. Tout au pluSj ces illustrations plastiques pouvaient-elles piquer la curiosité des ecclésiastiques ou les faire communier avec l'art, en ap- préciant la dextérité et la désinvolture du ciseau. Ces motifs de sculpture n'étaient, en somme, que des motifs à décoration, des jeux d'écoliers ou d'artistes contraires à l'édification des fidèles.

Chapelle Saint-Quentin. Un vitrail raconte la Vie de saint Léo- nard. A la seconde baie, trois panneaux nous intéressent : la Reine, dans son lit, souffre des douleurs de Tenfantement ; saint Léonard visite la Reine après sa délivrance, et le Roi remercie le saint docteur d'avoir guéri sa femme en couches.

On remarquait, d'après Gilbert, une ancienne peinture repré- sentant la caricature d'un cochon revêtu d'une chape et d'un âne couvert d'une robe de cordelier, emblèmes de la gourrnandise et de l'ignorance du clergé régulier.

Chapelle Saint-Charles-Borromée. J. Obry a décrit un singulier bas-relief qui décorait la clôture de cette chapelle. Il contenait les douze signes du Zodiaque, accompagnés de vers latins en l'honneur de Marie ; la Vierge était représentée au milieu^ la poitrine décou- verte, et disant à son fils : Fili mi, respice ubera quse succisti ? (Mon fils, considère les mamelles que tu as sucées*.)

Chapelle de l'Annonciation. Un tableau, relatif à la Tentation de saint Antoine^ montrait trois cochons irrévérencieux, revêtus de chapes.


1. Zacharie, V. 6 à 'J.


41G


t/art profane a i/écltse


Un groupe en marl)re de V Annonciation orne le rétable de l'autel ; sur le socle, on s'étonne de cette inscription k calembour: pièce sans PRIS, VIERGE ET iNiÈRE SANS TACHE, qui indique le «prix» de l'œuvre et le nom du donateur Antoine Pièce.

Chapelle de Tlncarnation. On y lisait des inscriptions à double

sens, m^'stico-érotique, dus à l'imagination des « Mais- tres de la confrérie de N.- D.-du-Puy ». Telles : Ida pulchra est arnica mea (Mon amie est toute belle) ; Veni^ sponsa mea, vcni coronahcris (Venez, mon épouse, venez recevoir la couronne). Sur le socle même de V Assomption de la Vierge, le donateur Michel, maistre de ladite confrérie, en 1678, avait fait graver ces mots : miciiel martin a compagne marie ; son épouse s'appelait Marie.

Chapelle de Saint-Etienne. Autres invocations sentencieuses et équivoques, qui n'auraient pas été déplacées dans un temple d'Aphrodite: fort est la mort. L'amour est sa victoire; ou bien, son service est si doux qu'il n'est qu'amour et joye ; ou encore, sous une Assomption, tableau d'autel, Fulcitc me florihus, quia aînore langueo (Couvrez-moi de fleurs, parce que je languis d'amour), inscription qui serait à sa place sur la tombe de la « Dame aux camé- lias » ou toute autre dvcteriade. Nous savons que ces phrases sacro-profanes étaient les refrains des palinods, ou poésies en l'honneur de la Vierge.

Chapelle de Saint-Salve. Ici, le Crucifix a la grecque, c'est-à-dire en robe de chambre, comme le Volto Santo de Lucques, pèche par excès de réserve et est en contradiction avec les saintes Ecritures ; il n'est tenu aucun compte de l'incident de la Passion,o\i les centurions se disputent aux dés la robe de Jésus.

2^ Saint-Rémy. — Ancienne chapelle du Couvent des Cordeliers. Le mausolée de Nicolas de Lannoy, gouverneur du comte d'Eu, et de Madeleine Maturel, son épouse, se signale par la magnificence de ses marbres multicolores. De plus, il offre une particularité curieuse : les effigies des deux époux, en marbre blanc, couchées sur <( le lict funéral », sont nues (fîg. 520) et de grandeur naturelle,



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ainsi qu'on l'observe sur plusieurs sépultures de Saint-Denis. En 1703, Devermont, dans son Voyage pittoresque à Amiens^ décrit sur les côtés du tom- beau les quatre Vertus cardi- nales, en marbre blanc.

3« Saint-Leu

4« Ursulines^.

GoNTY. — Les consoles des fenêtres sont formées de figu- res grotesques.

Poix. — Les pendentifs des clefs de voûte sont ornés d'images éclectiques, profanes et sacrées, de quoi satisfaire tous les goûts, vils ou no- bles, civils ou religieux.

Abbeville. Saint-Vulfran. — Extérieur. — Porte centrale. Haut- relief: Jésus^ dépouille de sa robe que Ton tire au sort, est complè- tement nu, comme le texte l'exige.

A. Gilbert ignore la signification « d'une paire de forces », sculptée au-devant du socle de la statue de saint Pierre. Ces ciseaux



1. Le jour de Pâques, la principale fête de l'Eglise, en 1581, le clocher fut renversé par un orage et ccrabouilla une soixantaine d'ouailles. De même à la dernière éruption du Vésuve , de 1906 , une centaine de fidèles, réfugiés dans l'église voisine de Saint-Joseph, furent ensevelis sous ses murs. Devons-nous voir là autant d'elTets de l'action du doigt de la Providence, que les bien pensants invoquent à tout propos contre leurs contradicteurs ?

2. Débris de mosaïque, à sujets peu catholiques (fîg. 521), trouvés dans le jardin du monastère, en 1839, et qu'on peut voir au Musée de la Ville. Saint Bernard condamnait les pavements historiés ; il se scandalisait « de voir marcher et cracher sur les visages des anges et des saints. Peut-on penser qu'il se fût moins indigné, quoique pour d'autres raisons, contre une mosaïque à représentation aussi païenne que celle dont il est ici question ? C'est après l'avoir vue qu'Eudes Uigaud, archevêque de Rouen (1230-1235), infligea un blâme sévère à Fabbé cister- cien de Beaubcc, pour avoir orné le pavement de son église de figures qu'il trouva « indécentes et diaboliques »>.

l'art profane. — I. 27


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t/art profane a l'église


ne peuvent avoir rien de commun avec ceux de Fulbert, il nous semble, et doivent figurer l'attribut de la puissante corporation des

tondeurs de drap.

Au-dessus de la corniche, dans la plate- bande régnante sous des bas-reliefs où des génies à cheval se livrent des com- bats, est sculpté le refrain, avec un jeu de mot de la lin, du palinod d'un riche mar- chand, N. Amourette:

Vierge aulx humains la Porte d'amour estes.

Cette devise est répétée sur la plate- bande d'une autre porte et sur le revers des mêmes vantaux, à l'intérieur.

Porte latérale droite. La statue la plus curieuse est celle de la Vierge galamment parée et portant son divin fils, sous la forme d'un grossier poupart (fig. 522). Son costume, d'après M. Rigollot*, est celui « d'une courtisane, tant elle est habillée avec magnificence, surchargée d'orne- ments et de colifichets, tant il y a d'in- décence dans sa mise. » Cette pimpante statue, aux riches atours, était primitive- ment dorée, ce qui ajoutait à son carac- tère profane. Savonarole adressait le même reproche aux artistes de Florence : « Voi fate parer la Vergine Maria vestita corne una mcretrice », comme une entremetteuse ! Et ce n'est pas de cette figure sensuelle que saint Thomas eût pu dire que « jamais aucun homme ne l'avait regardée avec les yeux de la concupiscence ». Les petits personnages qui sont aux pieds de la Vierge figureraient le Martyre de sainte Catherine. Des balances, attribut des épiciers et merciers, dont la confrérie était placée sous Pinvocation de Marie, sont sculptées sur le socle, comme les ciseaux près de saint Pierre.

1. Hist. des arts du dessin, 2 vol. 18G4.



SOMME


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M. Em. Delignières* voit la Charité dans ce haut-relief du XYi*^ siècle. Le groupe de la Sainte Viei^ge, sans Jésus, avec la Voca- tion religieuse de sainte Catherine, qui repousse un prétendant en costume de pèlerin, occuperaient le côté opposé (droit) de la voussure.

Intérieur. — Poncifs ordinaires : la Charité, un sein découvert, haut-relief en pierre du xvi^ siècle, et le Jugement universel, peinture du xv*' siècle, sur fond doré, à trois compartiments. On y retrouve les scènes classiques où les démons poussent, avec leur fourche, les réprouvés dans la gueule enflammée du dragon infernal.

Tableau du xvi*' siècle, le Martyre de saint Eustache. Le saint, sa femme et ses enfants, à mi-corps et nus, sont debout dans un bœuf d'airain, sous lequel le feu est entretenu par des bourreaux.

Chapelle Saint-Luc. Bas-relief reproduit dans l'église Saint- Paul de la même ville : saint Gengoul ou Gengoulph s'assure de l'infidélité de sa femme par le « Jugement de Dieu » ; il l'invite à plonger le bras dans le bassin d'une fontaine, lui donnant l'assu- rance qu elle l'en retirerait intact, « si elle était sans coulpe ». L'épouse coupable n'eût pas plutôt suivi ce conseil, que l'eau entra en ébullition et lui ht éprouver de vives souffrances. C'est ce que le sculpteur a exprimé, en enveloppant le bras de flammes qui jaillissent de la fontaine. Ce Gengoul fut tué, dit-on, l'an 760, par le séducteur de sa femme, dans son château d'Avaux.

Bas-côté droit. Dans l'ancienne Chapelle de Notre-Dame-des Merciers, se lit l'épitaphe du curé-doyen de l'église, mort le l(i oc- tobre 1860, à 69 ans et 9 mois ; elle est accompagnée n de deux bouts rimés étranges, qui ont sans doute la prétention d'être des vers », observe un Guide, peu indulgent, de la région.

Un curieux bas-relief encadre l'épitaplie de « noble homme » Briet de Neuvillette et « dame » Belle, son épouse; c'est encore un Enfant qui souffle des bulles de savon, à demi couché, accoudé sur une tête de mort. Eloquent symbole de la vanité de la vie et de la fragilité de nos joies. Cette œuvre délicate est attribuée à Nicolas Blasset.

L'un des fascicules de la Réunion des Sociétés des beaux-arts^ re-

1. Hisl. et descri'p. de l'égl. de Saint-Vulfran. E. Pion, édit. 1890.

2. 1901, planche XXII, p. 280.


420 l'art profane a l'église


produit une peinture sur verre, de 152o, montrant un Jésus, bien potelé, dans une nudité absolue ; ce qui explique sa réclusion dans le grenier du presbytère. La bordure de ce tableau diaphane est, en

outre, agrémentée d'anges ou amours nus, munis de boucliers et de lances, et de gracieux bustes féminins « au naturel » , d'ordre décoratif*.

Saint-Riquier en Pontiiieu. Abbaye. — Portail. D'un côté, la statue de Louis XII, qui, trop vieux, épousa Marie d'Angleterre, trop jeune^ et mourut à la tâche ; de l'autre, celle de son succes- seur François le roi du bon plaisir et surtout du plaisir, lequel succomba à une maladie des organes, par où il avait le plus péché charnellement. La décoration des chapiteaux de la nef offre plusieurs figures chimériques et « quelques scènes fort grotesques ».

MoNTDiDiER. Saint-Sépulcre. — Près des fonts baptismaux, à côté du tombeau de Pontus de Belleforière^ gouverneur de Gorbie, on remarque celui des trois frères de Soyecourt, QUI décédèrent,

hélas ! EN FLEUR d'aGE, l'uN APRÈS l'aUTRE A MARIER.

Nesle. — Des figures grotesques d'évêques, de moines et des médaillons gardés par des animaux immondes décorent les chapi- teaux du chœur ^.

Gorbie. — Un des vitraux relatifs à la Légende de sainte Collette^ patronne de l'église, dépeint une vision de cette jeune « vergo- gneuse ». Etant en oraison, elle invoqua la glorieuse Vierge Marie

1. Rappelons que c'est à Abbe ville, où le roi très chrétien voua son royaume à la Vierge, en 1637, que se perpétra, avec la complicité du clergé et du tribunal de l'endroit, et aussi avec celle du Parlement de Paris, l'assassinat juridique du jeune chevalier de La Barre. Il subit la question ordinaire et extraordinaire; il eut la langue et la main droite coupées, à la porte de l'église Saint-Vuli'ran, puis fut décapité et brûlé sur un bûcher. Et cela dans la seconde moitié du xvm'^ siècle, en 1766, sous le puritain Louis XV, dit le Trop Aimé,

2. Cf. J. Garnier, 1839.



s M M E


421


afin, « qu'elle fût intercesseresse par devers son cher Enfant qu'il lui plût avoir pitié de son pauvre peuple ». Marie lui apparut et lui présenta « un beau plat tout plein de petites piécettes de chair^ comme d'un innocent. Et lui fut répondu : « Gomment requerrai-je mon Enfant pour ceux qui tous les jours le depiecent par les horri- bles péchés et offenses qu'ils font contre lui, plus menu que n'est la chair en ce plat détranchée ». En effet, la Vierge présente sur un plateau le corps nu de Jésus, coupé en petits morceaux (fîg-. 523). On doit voir là, paraît-il, une image vivante du schisme qui dé- membrait alors l'Eglise. Mais un visiteur, non prévenu, pense iné- vitablement à l'ogresse du Petit Poucet, venant d'accommoder ses filles aux petits oignons.

C'est le même sujet qui était reproduit sur un tableau de Saint- Gilles, k Abbeville.

Douai. Musée. — Sépulcre de Gharles II de Lallaing ; le gisant est couché tout nu sur son tombeau, tenant d'une main un débris de linceul pour voiler son sexe. Ce monument provient du couvent des Prés.

RoYE. Saint-Pierre. — Les vitraux datent du xv^ siècle et repré- sentent, en grande partie, les sacres de Glovis, de Gharlemagne et de Louis IX. Sur l'une de ces verrières, qui a trait au Jugement dernier, plusieurs diables truculents emportent des damnés dans des brouettes. Il semble que l'invention de ce véhicule ne revienne pas entièrement à Pascal*.

MoLLïEN-ViDAME. — Un chapiteau est illustré d'une sculpture qui paraît tout d'abord peu conforme à la vérité et semble représenter la Femme domptée par le démon (fîg. 523 bis). Goncep- tion en opposition complète avec l'exégèse de l'iconographie reli- gieuse quand elle met en conflit le démon et la femme, hors les

1. On le retrouve dans un vieux manuscrit de la Bibliothèque de Saint-Omer, où il est poussé par un diable à jambe de bois, et dans le Mystère de YEmpereur Justinien au Liban, cité par Du Mcrilet Mœterlinck ; le diable s'exprime ainsi :

Ma brouette vueil mener là

Si que dedans le (Justinien) jetterons

Et en enfer l'entraînerons

Sans plus attendre.


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l'art profane a l'église


scènes infernales où les damnés ont toujours le dessous. Mais la lecture attentive de ce tableau satirique nous en fait bientôt décou-



vrir la finesse et la subtilité : n'indique-t-il pas que la femme, dans tous ses actes, n'a d'autre conducteur que l'Esprit du mal et de malice ? Enseignement philosophique plus conforme à la réalité.

Sélincourt. — Le Musée Napoléon, à Amiens, possède une statue de la triple Hécate, qui provient de l'ancienne Abbaye de Selin- court. Que faisait dans un édifice chrétien cette trinité infernale, qui avait la mission d'appeler les Furies vengeresses pour saisir les coupables? Le personnel de l'Empyrée catholique — dont le rôle principal est de punir — n'a-t-il pas à la disposition de sa justice implacable assez de Pères Fouettards?

Saint-Acheul*. — Saiint-Valery-sur-Somme. Chapelle des Marins"^.

1. Il était d'usage, dans réglisc de cette commune près d'Amiens, de ceindre la taille des femmes enceintes, au dernier mois de leur grossesse, avec la ceinture de sainte Marguerite, patronne de la fécondation, non parce qu'elle prêcha d'exemple, puisqu'elle resta vierge, mais en vertu de son expulsion du corps d'un dragon. Similiii simitibus curanliir.

2. Au-dessous de cette chapelle existe une fontaine, dite de la Fidélité, parce que les amants venaient y boire à la même coupe et s'y jurer « un amour éternel». Serait-ce de cette coutume naïve que vient l'origine du dicton : « Bois de l'eau et compte dessus ? »


TARN


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LXVIII. — TARN

Albi. Sainte-Cécile. — Dès le porche paraît un marmouset du sexe féminin, Tallég-orie de la Luxure, qui présente sa mamelle allumeuse, au plus offrant chérisseur (fîg-. 324).

Les statues et bas-reliefs du portail ont été affreusement mutilés par le marteau du vandalisme huguenot. Ils étaient très remarquables par la beauté de l'exécution et l'originalité des détails. Le comique s'y alliait au sérieux, le profane au sacré, assure le Bulletin monumental : (( On trouvera sur ce sujet des détails fort pi- quants, dans un manuscrit de 1684, déposé à la Bibliothèque d^Albi, Description naïve de Sainte-Cécile ^.

A la voûte de la neuvième travée, en partant du clocher, une Charité, datant du xvi siècle, porte un vêtement de religieuse, une couronne de reine et donne libéralement ses seins à deux petits abandonnés.

Chapelle de la Sainte-Croix. Grande machine bariolée, fresque monstre de 15 mètres de hauteur sur 16 de large ; c^est le Jugement universel, exécuté sur les ordres du cardinal Jouffroy. La partie centrale fut mutilée en 1700, pour placer des orgues, soutenues par des Termes à gaine flottante.

En haut, défilé des prévenus (fig. 525), conduits au tribunal de la Cour sans appel, par un ange à trompette ; ils ont tous, ouvert sur la poitrine, le grand livre de leur vie ^. La pesée des âmes est confiée au comptable saint Michel, successeur, en psycostasie, de FAnubis égyptien. « Tous ces personnages sont nus, dit Chapuy, et le pinceau n^a déguisé aucune forme, n'a même négligé aucun

1. Ce manuscrit a disparu, mais la copie eu a été publiée par M. Eugène Dauriac, chez Jouaust, en 1867, sous le titre : Description naïve et sensible de la fameuse église Sainte-Cécile d'Albi. Le faut-il dire? nous n'y avons rien trouvé de « piquant » que le titre.

2. Dans la vision du soldat Er l'Arménien, racontée par Plotin, les bons allaient à droite du Rédempteur, avec un écriteau sur la poitrine ; les mauvais, à gauche, et portaient l'écriteau sur le dos.



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l'art profane a i/ église



détail )K Ce drame humani- taire est, en eiïet, le triomphe de la nudité, car tous les per- sonnag-es figurés, sauf Tanf^e, sont dévêtus. Rien de plus na- turel que de couvrir le nu de la muraille par du nu, in nudo pariete pimjere.

A chaque tourment corres- pond un cartouche qui en donne la description :

« S'ensuivent les pênes des dampnes selon les sept pèches mortels en dessus pinctes. »

LA PEINE DES ORGUEILLEUS ET ORGUEILLEUSES.

LES ORGUEILLEUS ET ORGUEILLEUSES SONT PENDUS SUR DES ROUES SITUEES EN UNE MONTAIGNE EN MANIERE DE MOLINS CONTINUELLEMENT EN GRANDE IMPETUOSITE TORNANS.

LA PEINE DES ENVIEUX ET ENVIEUSES

LES ENVIEUX ET ENVIEUSES SONT EN UNG FLEUVE CONGELE, PLONGES JUSQUES AU NOMBRIL ET PAR DESSUS LES FRAPPE UNG VENT MOULT FROIT ET QUANT VEULENT ICELLUY VENT EVITER SE PLONGENT DANS LADICTE GLACE. '

LA PEINE DES YREUS ET YREUSES.

LES YREUS ET LES YREUSES SONT EN UNE CAVE OBSCURE PLEINE d'eSTAUX ET DE BOTICQUES ET BANCS COME EN UNE BOCHERIE ESQUIELE SONT DEMONS ARMES DE COSTEAUX TRANCHANS POUR LES PUNIR DE LEUR FELONIE.


TARN


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LA l'KINE DES AVARICIEUS ET AVARICIEUSES .

LES AVARICIEUS ET AVARICIEUSES SONT EN UNG LIEU PLEIN DE GRANDES CHAUDIERES PLEINES DE DIVERS METAULS FONDUS ET BOULHANS DU FEU d'eNFER, ET AU DEDANS DES DICTES CHAUDIERES SONT PLONGES LES AVARICIEUS ET AVARICIEUSES POUR LES SAOULER DE LEUR AVARICE.



LA PEINE DES GLOTONS ET GLOTES.

LES GLOTONS ET GLOTES SONT EN UNE VALLEE OU A UNG FLEUVE ORT ET PUANT AU RIVAIGE DUQUIEL A TAREES GARNIES DE TOUALLES TRES ORDES ET DESIIONETES OU LES GLOTONS ET GLOTES SONT REPUS DE CRAPAULS ET ABREUVES DE LEAUE PUANCTE DUDICT FLEUVE.

LA PEINE DES LUXURIEUS ET LUXURIEUSES (lig. 527).

LES LUXURIEUS ET LUXURIEUSES SONT EN UNE CIIAMPAIGNE PLEINE DE PUYS PROFONDS PLEINS DE FEU ET DE SOULFRE GECTANS FUMEES HORRIBLES ET PUANTES ESQUIELLES LES LUXURIEUS ET LUXURIEUSES SONT LOGES POUR EN ESCIIAUFFER DU TOUT LEUR PUANTE LUXURE.

LA PEINE DES PIGRES ET PIGRESSES. LES PIGRES ET PIGRESSES SONT EN UNG LIEU DENFER ESQVIEL A GRANDE QUANTITE DE SERPENS GROS ET MENUS POUR TORMENTER ET NAURER DE MORSEURES ET NAU- REURES LES DICTS PIGRES ET PIGRESSES.

Lescl'RE. — Portail. Sur un chapiteau est tracée une scène licen- cieuse : tandis qu'un homme s'entretient avec une femme, un diable couronné lui en présente une autre, dépouillée de ses vête- ments. L'abbé Drosnier reconnaît là un symbole des tentations mauvaises et des désirs adultères. On y peut voir aussi une satire contre certains souverains qui, comme Henri VIII d'Angleterre, usaient et abusaient du divorce.


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l'art profane a l'église


LXIX. — TARN-ET-GARONNE

MoissAC. Saint-Pierre. — Portail méridional. Le Tourment des Luxurieux (lig. 528), hardiment taillé dans la pierre, provoque un frisson d'horreur et donne la chair de poule. Une pécheresse nue,



Fig. 528.


au corps décharné, dont un énorme crapaud et des serpents dévo- rent les organes génitaux et les mamelles flétries, s'arrache les che- veux, de souffrance et de désespoir.

Femmes libertines,

Changez vos fleurs en pleurs, vos roses en épines.


TARN -ET- GARONNE


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Auprès de l'impudique, un abominable démon tient en réserve plusieurs de ces animaux immondes, prêts k s'élancer sur la mal- heureuse suppliciée.

Au-dessus et en regard de ce tableau fantastique figurent d'autres

diableries, non moins

pittoresques et saisissan-



Fig. 529. Fig. 530.


nition de V Avarice (fig. 529). Impudicité et Avarice, deux péchés dont saint Paul défendait aux Ephésiens même de prononcer le nom : Omnis immunditia aut avaritia, nec nominctur in vobis.

Le bas-relief voisin, la Visitation (fig. 530), nous offre plusieurs particularités iconographiques d'un autre ordre. Pour M. Ernest Rupin, la Vierge serait à notre gauche et viendrait annoncer à sa cousine Elisabeth la grande nouvelle.


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l'art profane a l'église


Comme toutes les femmes, elle sait que les seins subissent pendant la grossesse des modifications qui les préparent aux fonctions de l'allaite- ment. Pour faire part du bonheur qui lui est arrivé, elle lève une main, tout en soulevant la guimpe qui lui cache le sein gauche ; elle le met légèrement à découvert pour qu'Elisabeth puisse constater l'état dans lequel elle se trouve, en voyant que les glandes mammaires ont commencé à se tuméfier. Elisabeth a tout de suite compris, elle lève la main droite...

Nous voyons la scène d'une façon inverse. La Vierge serait à notre droite, dans Tattitude d'une personne qui rend une visite : elle salue^ sa cousine en inclinant la tête et en levant la main droite. Marie ne peut manifester son étonnement de voir Elisabeth dans une position intéressante, puisqu'elle avait été prévenue par l'ange de cet état de grossesse avancée : Et hic menses sextus est un. Celle des deux qui doit être surprise, et de la visite et de la nouvelle, c'est Elisabeth ; elle manifeste nettement ce sentiment en levant la tête et (( une main », la droite. La gauche est-elle réellement occupée à écarter la guimpe pour découvrir son sein nu? C'est possible. Mais Elisabeth est chez elle, occupée vraisem- blablement à sa toilette au moment de la visite imprévue ; elle se hâte d^ajuster sa guimpe. Il se pourrait que le sein ne fût pas à nu et accusât sa saillie sous le corsage collant, pour exprimer l'état de grossesse avancée. Ce à quoi ne pouvait prétendre le sein de Marie, laquelle venait seulement d'être « obombrée » par le céleste tour- tereau. De plus, le corps de Marie est plus fluet, ses vêtements dessinent les mêmes plis entre les cuisses qu'à V Annonciation voisine, tandis que ces plis n'existent pas du côté d'Elisabeth, ce qui semblerait indiquer que son ventre, quoique plat relativement, est plus développé que celui de Marie; enfin, la Vierge, d'après nous, porte le même collier de perles sur les deux tableaux lapidaires.

LXX. — . VAR

La Sainte-Baume. — La montagne et la grotte de ce nom se

1. Luc, I, 40. Etant entrée dans la maison de Zacharie, elle salua Elisabeth.

41. Et aussitôt qu'Elisabeth eût entendu la salutation de Marie, le petit enfant tressaillit dans son sein. (Les mouvements du petit Jean étaient en retard de un mois et demi sur la règle).

2. 43. Elisabeth est surprise, et d'où vient que la mère démon Seigneur vienne me visiter ?


VAR


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trouvent à deux heures de Saint-Maximin, entre Aix et Toulon. C'est dans cette caverne qu'une légende complaisante fait vivre Marie-Madeleine pendant 32 années.

Prenant, avec plaisir, dans l'ardeur qui la brûle Le fouet pour discipline et la croix pour férule*.

Or, la sainte n'est jamais venue en France et a subi le martyre à Ephèse. Nous avons sig-nalé à Moulins un vitrail qui perpétue le souvenir de ce pieux mensonge provençal, que le crédule saint François de Sale accepte et donne pour véridique.

Revenons à la sacrée grotte, en mettant à contribution les détails fournis par Ghaix :

Aujourd'hui une statue de marbre, à demi couchée, dans l'attitude de la componction et appuyée sur son bras droit, près d'un crâne et d'une croix, occupe ce réduit, protégé par une barrière qui ne s'ouvre qu'aux fidèles déchaussés. Cette statue, ouvrage de Houdon, enlevée au tombeau de Valbelle à Montrieux, a remplacé la statue primitive (1618).

Le mont Pilon, que la sainte extatique gravissait sept fois par jour, pour effectuer ses ascensions, sans le moindre aéroplane, est situé sur la montagne de la Sainte-Baume, à quatre-vingts mètres de la grotte, où la demi-vierge noyait, dans « l'eau de la résipis- cence » tous les feux impurs de son âme. Il existe sur le Pilon un monument du xiii siècle consacré à Marie-Madeleine. Au sommet d'un pilier octogone, elle est représentée au naturel, emportée par quatre anges.

Saint-Maximin. — C'est le temple de la Vénus chrétienne, Marie- Madeleine, dont on montre le chef chevelu. Elle y est représentée sous toutes les formes dans plusieurs toiles : Noli me tangere, copie

1. Cette prose rimée est tirée de la Madelaine au désert de la sainte Baume, poème chrétien et << spirituel » — c'est rauteur, le père Pierre de S. Louis, qui l'assure. Ce carme lyrique y chante « luie dame de marque, la grande pénitente, la plus amoureuse entre toutes les femmes » qui « le tint en travail »,

Pendant neuf fois neuf mois, portée en mon cerveau.

Nous y relevons un vers amusant, à écho : la pieuse naïade, submergée par le torrent de ses larmes, « se fond et se confond» aux pieds du Crucifi.xet se demande :

Qui fut cause des maux qui me sont survenus ?

Vénus, répond l'Echo.


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l'art profane a l'église


d'après une des tapisseries de Raphaël ; Sainte-Madeleine à la Sainte-Baume ; Sainte Madeleine repentante renonce à toutes les vanités de la vie, réplique du tableau de Le Brun (Louvre). Sans compter les peintures murales du xvii*^ siècle, en grande partie détruites, qui ornent l'intérieur et Textérieur de la Chapelle Saint- Sidoine. Nous allions oublier un vitrail qui rappelle encore l'une des ascensions de cette accapareuse.

M. L. Rostan décrit une peinture sur bois (xvu^ siècle) des plus suggestives : Saint Sébastien, « entièrement dépouillé de ses vête- ments », est attaché à un arbre et transpercé de flèches. « Cette peinture, d'une exécution très inférieure, recouvre la grande figure du xv^ siècle qui y était représentée. » L'auteur de la composition primitive aurait été le prieur du couvent des dominicains de Saint- Maximin, André Abellon. Rien d'étonnant que le saint le plus nu de tous figure dans l'église consacrée principalement à la sainte la moins habillée.

Aux stalles, statuettes des Vertus cardinales et théologales, dont la Foi qui

... vient couver l'œuf qu'on a vu TErreur pondre,

et la Charité, sous les traits d'une jeune beauté allaitant un enfant qu'elle presse dans ses bras.

La Tempérance devrait écraser une coupe sous son pied^ mais elle en tient une à la main, comme le ferait V Ivresse.

Sur un médaillon, le dominicain Vincent Funel, du couvent de Saint-Maximin, a sculpté l'écusson symbolique des religieux de son ordre : un chien qui porte dans sa gueule un flambeau et roule dans ses pattes le globe terrestre. Allusion au rêve prophétique fait par la mère de saint Dominique, pendant sa grossesse. Cette image était l'emblème de ce pourvoyeur bancal et féroce de J'Inquisition, l'émule des Torquemada et des Ximenès, d'exécrable mémoire.

Est-ce pour se placer sous la protection de cette sainte forni- catrice que les comtesses de Provence se faisaient porter à Brignoles, à l'époque de leurs couches ; d'oii le surnom de Ville des enfants donné à cette sous-préfecture du Var ?


VAUCLUSE


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LXXI. — VAUCLUSE

Avignon. 1^ Saint-Pierre. — Au-dessus du confessionnal, une toile de G. Grève, la Sainte Famille, sainte Agathe et sainte Margue- rite. Celle-ci, la protectrice des femmes en couches parce qu'elle est sortie saine et sauve des flancs du dragon qui l'avait happée, reçoit une couronne offerte par Jésus ; sainte Agathe prend, d'une main, la palme du martyre, offerte par la Vierge, et^ de l'autre, porte ses seins sur un plat.

Sacristie. Une des nervures de la voûte se termine par un monstre jouant de la vielle.

2« Cordeliers*.

3^ Célestins. — Dans une salle de ce monastère, le président Charles de Brosses a vu un tableau peint « en détrempe », par le bon roi René d'Anjou, fondateur des Célestins. Il représentait la maîtresse du roi quelques jours après sa mort. Celui-ci, pour la peindre^ avait fait ouvrir son tombeau. « C'est, dit de Brosses, un grand squelette debout^ coiffé à l'antique, à moitié couvert de son suaire, dont les vers rongent le corps défiguré d'une manière affreuse. » Nous connaissons déjà plusieurs exemples de ces pein- tures macabres, plutôt propres à éteindre qu'à entretenir la passion.

Carpentras. Chapelle de l'HÔtel-Dieu. — Le sarcophage du tom- beau de Mgr d'Inguimbert porte la Science, debout, et la Charité, assise, celle-ci donne le sein à un orphelin, selon son habitude.

Cadenet. — Les fonts baptimaux, où Félicien David fut fait chré- tien, sont constitués par une vasque antique^ en marbre blanc, ornée de plusieurs figures profanes ; on y distingue entre autres personnages, d'après M. G. Courtet, Ariane abandonnée ou une bac- chante.

1. Epitaplie, composée par François I", pour la belle Laure de Noves, et gravée sur le tombeau que ce roi avait l'ait érijj;er dans l'église des Gordeliers :

En petit lieu comprins vous pouvez voir O gentille Aure, étant tant estimée.

Ce qui comprend beaucoup par renommée, Qui te pourra louer qu'en se taisant ?

Plume, labeur, la langue et le savoir Car la parole est toujours réprimée

Furent vaincus par l'amant de l'aimée. Quand le sujet surmonte le disant.


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L ART PROFANE A l'ÉGLISE


LXXII. —VENDÉE

Angles. — Au sommet du pignon de la façade, un ours porte la croix sur son dos. On appelle cette étrange figure allégorique « la Bête qui mange la beauté des filles d'Angles », d'après une légende locale à laquelle elle a donné lieu.

La Pommeraie-sur-Sêvre. — Mgr Barbier de Montault a publié, en 1888; une étude sur une fresque importante de l'église de cette commune, traitant des Sept péchés capitaux^ Luxure comprise.

Les Fonïenelles. — Sur la corniche extérieure de l'église en ruines, on distinguait naguère la silhouette d'un majestueux phallus.

Saint-Florent. — a La blessure mortelle du marquis de Bon- champs, dit Stendhal, a permis à David de le représenter à demi nu, sur son tombeau. »

Benêt. — Chapiteau roman historié de deux néréides tenant chacune un poisson.

Fontenay-le-Gomte. Abbaye *.

1. Rabelais passa quelque temps dans ce couvent; l'éternel railleur fut oblige de le quitter après un tour ou mieux « une niche » de sa sorte. Le jour de la fête de l'Abbaye, on accourait de tous côtés aux pieds de la statue de Saint François, placée dans une chapelle sombre. Rabelais ne s'avisa-t-il pas, à la faveur de cette obscurité relative, de dénicher le saint et de prendre sa place. Mais il ne put longtemps jouer son rôle ni tenir son sérieux ; malgré lui, il esquissa quelques mouvements intempestifs... qui firent crier au miracle les naïfs adorateurs. Un de ses collègues, plus avisé, s'aperçut de la supercherie, dénicha, à son tour, l'imposteur. Rabelais fut « saisi, dépouillé de ses habits, et tous les frères, armés de leurs cordons à nœuds, le fouettèrent jusqu'au sang ». Puis il fut jeté dans Vin pace, d'où le tira l'intervention du savant Tiraqueau. A la suite de ce sacrilège, Rabelais passa à l'Abbaye de Saint-Benoît, sise à trois kilomètres de Poitiers, dont la magnifique église gothique, devenue paroissiale, était flanquée de cinq clochers, portant quatre cents cloches et faisait de Saint-Benoît « la ville sonnante » par excellence.


VIENNE


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LXXIII. — VIENNE

Poitiers. 1« Cathédrale Saint-Pierre*. — Une des niches des vous- sures abrite un singulier bas-relief : le Père Joseph, TEminence grise, tient une branche de lis, d'où s'échappe un petit Jésus. Le symbole ne manque pas de grâce, mais cette gestation hétéroclite éveille l'idée du vilain nom donné par les anciens au pistil de cette fleur. En sus, on se demande pourquoi les symbolistes ont choisi pour emblème de la pureté, et non de la fécondité, une fleur — présentée par l'archange Gabriel à Marie — qui porte six étamines ou organes mâles ?

M. Ch. de Ghergé insiste sur le bon goût des sculptures variées qui décorent la corbeille des chapiteaux, dans les bas-côtés, et sur les mille formes singulières imposées aux modillons par le symbo- lisme religieux ou, souvent aussi, par le caprice de l'imagier. « Il faut bien se garder, ajoute-t-il, de voir avec les yeux de ces ultras qui se chargeraient de trouver des intentions symboliques jusque dans une toile d'araignée et qui seraient de force à écrire des volumes pour le prouver. »

Sous le tailloir de l'un de ces chapiteaux, deux serpents déchirent la gorge d'une chimère à tête humaine, et, au pendentif de l'une des miséricordes du chœur, la Séduction^ sous forme d'une néréide, se mire et s'admire dans un miroir, qu'elle tient d'une main, tandis que, de l'autre, elle relève élégamment l'extrémité de sa queue, comme une jupe. Ces « sirènes », vous le savez, abondent dans le Poitou et sont considérées comme autant de représentations de la fée Mélusine, l'aïeule légendaire et la protectrice de la maison de Lusignan. Le grave lexicographe Marie-Nicolas Bouillet trace ainsi le portrait de cet être fantastique : « Magicienne célèbre qui était, dit-on, changée tous les samedis en serpent. Son mari l'ayant aperçue dans sa métamorphose, l'enferma dans un souterrain de son château de Lusignan. elle y doit vivre encore! [sic). »

1. Une flèche s'élevait majestueusement au-dessus de la nef et contenait de petites cloches qui étaient mises en branle, seulement quand « il advenoit tems de tonnerre ». Or, cette flèche fut précisément atteinte et endommagée par la foudre, en 1713, pui«  démolie quelques années après. Un paratonnerre, en dépit de « la faillite de la science», eût été plus eflicace que l'airain sacré.


l'art profane. — I.


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l'art profane a l'église


L'abbé Auber, dans sa monographie de cet édifice, signale quel- ques obscena dont il ne donne pas les détails.

2« Notre-Dame-la-Grande. — Un des bas-reliefs de la façade a trait à un miracle attribué à saint Nicolas, évêque de Myre, le pre- mier patron de l'église. Trois jeunes clercs, se rendant à Athènes, s'arrêtèrent dans une hôtellerie pour y passer la nuit. Pendant leur sommeil, l'aubergiste les égorgea, découpa leurs membres, les sala et les mélangea avec du poisson. Nicolas vint à passer au même lieu ; on lui servit, en guise de poisson, la chair des malheureux écoliers ; il s'en aperçut et le tavernier scélérat avoua son crime. Les trois jeunes gens, rappelés à la vie, après une prière du saint, se dressèrent soudain et sautèrent hors du charnier. C'est cette résur- rection miraculeuse que rappellent les trois jeunes gens nus, sculp- tés sur la façade de l'édifice.

Un autre miracle ravit à saint Nicolas le patronage de son église qui passa à « la reine des cieux ». Voici en quelle circonstance :

Epris d'une vive passion pour une femme de mauvaise vie, un jeune « nepveu de Tabbé de ladite église » mourut auprès d'elle de douleur et de repentir. Son corps fut enseveli, sans prières, en terre profane. Peu de jours après, un beau rosier couvert de fleurs s'éleva sur sa tombe et causa une surprise et une admiration générales. On s'empressa d'exhumer le cadavre et on lui trouva dans la bouche un petit billet portant le nom de Mairie.

On lui rendit alors les honneurs funèbres dus aux bons chrétiens, et il eut une sépulture plus convenable;

Une colonnette placée en dehors du chœur, du côté droit, en entrant, porte un écusson représentant un cœur d'où s'échappe un arbrisseau fleuri. Cette petite colonne s'élève, dit-on, sur la tombe de ce martyr d'amour et de repentir. Les femmes, toujours si com- patissantes pour les tendres erreurs, manquent rarement de baiser avec dévotion ce cœur, emblème de foi et de constance. C'est en souvenir de ce miracle accompli par la Vierge, que l'église lui fut définitivement consacrée.

Chapelle Sainte-Anne. JJn Arbre de Jessé, dû à l'habile ciseau du P. Besny, existait autrefois dans l'Abbaye de la Trinité, où il avait été figuré en mémoire de Marie d'Amboise, abbesse de la Trinité,


VIENNE


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morte le 8 février 1537. Le sculpteur, quoique religieux, a observé l'esthétique libertine de la Renaissance et a, d'après M. Ch. de Gherg-é, « exagéré les détails anatomiques » ; autrement dit, les saillies charnelles des deux sexes

Par contre, dans la fresque antique dé- corant la voûte du maître-autel, recou- verte^ jusqu'en 1852, d'un épais badigeon, on voit un grand nombre d'âmes sup- pliantes sous la forme de figures nues, mais asexuées.

3« Sainte-Radégonde — Les modillons de la corniche qui court autour de l'église et au-dessous des fenêtres sont sculptés de figures humaines ou animales dont plusieurs, assure Millin, sont fort curieuses :

Du côté de la porte d'entrée, le dernier modillon, à droite du specta-

1. Dans la première moitié du xvi'^ siècle, le nu artistique et humain fut l'élément décoratif par excellence ; aussi vit-on défiler au milieu du cortège de Charles-Quint, à son entrée à Anvers, une troupe de « pucelettes » vêtues de leur peau satinée et, parmi les réjouissances qui célébrèrent Tentrée de Henri II à Blois, « des courtisans conduire à travers la ville des bo'uls sur lesquels il y avait des femmes entièrement nues ». Voilez-vous la face, adoptes de Tartull'e !

2. La patronne de Poitiers était une reine de France, ni plus ni moins, l'épouse honoraire de Glotaire. Un jour, pour échapper aux désirs de celui-ci, elle se sauva dans un champ qu'un laboureur ensemençait ; aussitôt le blé poussa à hauteur de femme et la déroba aux yeux de son ardent mari. C'est en raison de l'ancienne qualité royale de la sainte que la superstitieuse Anne d'Autriche, toujours en quête d'intervention du ciel dans ses affaires privées, s'adressa à l'intercession de Radégonde pour guérir son fils, Louis XIV. En témoignage de reconnaissance, après la guérison obtenue, une lampe d'argent devait brûler à perpétuité dans la crypte de l'église, devant l'autel de la sainte doctoresse.

Le roi soleil voua son premier Dauphin à la même nimbée ; il fit don à l'église d'un poupon en vermeil, de grandeur naturelle, qui fut placé dans une niche, creusée h l'intérieur d'un pilier, à droite du sanctuaire. Du côté opposé figurait, comme ex-voto, un tableau offert par la princesse de Conti, lors de la naissance de son fils. La princesse était représentée plaçant son enfant sous la protection de la sainte.

Les religieuses de Sainte-Croix possèdent une croix de fer, que sainte Radégonde faisait rougir au feu et appliquait, par mortification, sur son squelette plutôt que sur sa chair, amaigrie par les macérations et les jeûnes excessifs. Nous en emprun- tons le dessin et la description à l'auteur qui nous a fourni la plupart de nos docu- ments sur la capitale du Poitou. Cette croix (fig. 531), de folie j)lutôt que de sagesse, a quatre branches et mesure environ douze centimètres de hauteur. Elle est percée de trous inégaux qui servaient vraisemblablement à fixer des pointes desti- nées à pénétrer dans les chairs.



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L^ART PROl^ANË A l'ÊGLISE


leur qui vient du côté du chœur, représente un homme accroupi qui montre le derrière à l'assemblée des fidèles, et il met môme la main sur ses fesses, pour qu'on ne se trompe pas sur son intention. La septième de la même rangée de gauche à droite, en venant de l'autel vers la porte, représente un homme accroupi comme pour faire des saletés dans l'église.

Millin signale un troisième sans-culotte accroupi sur l'un des modillons, dans la rangée gauche en venant du chœur, qui, comme ses voisins, « montre des choses que partout on doit cacher ».

Le même auteur décrit au portail un singe, qui fait peut-être double emploi avec celui de Saint-Hilaire, de la variété dite des Onan-outangs : « figuré dans l'attitude de commettre, de la manière la plus lascive, l'action qui attira sur Onan la punition du ciel ».

Dans la crypte, le tombeau de sainte Radégonde, éclairé par une forêt de cierges, opère des cures merveilleuses, comme le témoignent (( les mamelles, les bras, les pieds, les petits enfans de cire » qui y sont suspendus.

A la chapelle du Pas de Dieu^ la même sainte, couverte d'un voile noir, à la mode milanaise, est agenouillée devant le Christ debout et qui « montre son front avec le doigt » : Je sais tout !

4^ Les Augustins. — D'après M. Ch. de Ghergé, la chaire à prê- cher reposait sur les épaules d'un Samson colossal et nu que, par malice, on attribuait comme directeur de conscience à ceux qui ne confiaient cette direction à personne. « C'est un pénitent du père Samson aux Augustins », signifiait un indévot qui se « dirige » lui-même.

5" Saint-Simplicien ^

fio Saint-Hilaire. — En mai, 1843, M. de La Liborlière a donné la description d'un obscenum, sculpté sur un chapiteau de la nef; mais cette curiosité archéologique a disparu, depuis, sous les coups

1. Cette église, démolie, était l'objet d'un pèlerinage mystico-pathologique. Le saint avait été décapité dans un pré voisin et sa forte tête y avait creusé un trou. Le jour de la fêle du saint, les migraineux et tous les pèlerins atteints d'alTections cérébrales, aliénation comprise, venaient « mettre la tête au trou ». En réalité, nous avons encore ici un exemple de l'application de la médecine des signatures. Simplicien, en vertu de son nom, devait guérir les simples d'esprit, auxquels le paradis est réservé.


VIENNE


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d'un marteau effarouché et discret. Nul ne sait ce qu'elle est devenue. Il s'ag-it sans doute de la fîg-ure grotesque dont parle Millin : « On y voyoit, entre autres, dit-il, un singe commettant le même crime qui causa la mort d'Onan. »

Au Musée des Antiquités de l'Ouest (n«^ 1 à 4), il reste, d'un ancien tombeau provenant de cette église, un fragment, en « cal- caire fétide ))j sur lequel sont figurées des chèvres qui broutent. Le moindre frottement dégage de l'hydrogène sulfuré, dont l'odeur a fait donner à ces débris le nom de « pierre puante ».

Selon les anciens Guides, écrit M. Ch. de Ghergé, ce tombeau avait contenu les restes d'un grand coupable, d'un trois fois réprouvé ; et, lors- que le démon le quitta pour courir à d'autres victimes, sur la tombe même il fit...

Ce qu'il fit, le latin oserait vous le dire ; Moins brave, le français s'y refuse tout nel ; Mais, entre nous, sachez — et cela doit suffire Pour aider votre flair — que le mot rime en... et.

7^ Abbaye de Sainte-Croix ou les Hospitalières. — D'un mauso- lée en marbre, consacré à une abbesse de la famille de Montaut- Navaille, il ne reste qu'un fragment qui sert, paraît-il, de table de dissection à l'Ecole de médecine. Ex morte mors et non vita^.

8« Montierneuf ou Moustier neuf — 9« Rue Neuve ^.

1. Cette abbaye possédait, cotnnic tant d'autres, un morceau de la croix du Sauveur, précieuse relique qui était portée aux Rogulions par le clergé de Sainte- Radégondc.

C'était au chanoine le plus récemment nommé qu'était attribué l'honneur de le porter, et, pour ce fait, il était obligé d'avoir les jambes et les pieds nus pendant toute la durée de la procession ; seulement, dans les églises où s'arrêtait le cortège, on lui présentait des pantoufles, et, par une sorte de compensation pleinement justifiée, en rentrant à l'abbaye pour y mettre son précieux dépôt, il recevait des religieuses une paire de bas de soie noire.

2. Parmi les ofïiciers séculiers, figurait le barbier qui, à certaines époques de l'année, pratiquait sur les religieux une saignée préventive contre la concupiscence. Il devait ainsi « affaiblir le moine », minuere monacuîn.

3. S'élève une petite pyramide dont la base contient un bas-relief mutilé, où l'on distingue encore un évéque, un enfant et un baquet. Ce monument fut élevé en souvenir d'un miracle opéré par l'évôque saint liilaire. Nous laissons la parole à un ancien annaliste du Poitou, Bouchet.

« Le lendemain, ou deux jours après, saint liilaire alla visiter les églises de la cité, et, en allant par les rues, estoit suiuy de tant de peuple, qu'à peine on le pouvoit voir, car il n'alloit sur mulle ne chenal.

« Et une femme, qui lors demeuroit en vne maison, à présent assise deuant les


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l'art profane a l'église


Saint-Savin. — La seule église romane qui ait conservé les fresques murales dont elle est entièrement parée. Partout ailleurs, les peintures analogues qui avaient échappé aux fureurs iconoclastes des parpaillots et au vandalisme des carmagnoles ont disparu sous un badigeon monochrome, couleur ventre de biche ou cuisse de nymphe émue.

Narthex. Seconde travée, rangée supérieure. La Création du ciel et de la terre offre une particularité qui a fort embarrassé Prosper Mérimée, dans sa Notice sur les peintures de cette église (1845). Les deux figures nues d'Adam et d'Eve, de la composition centrale (fig. 523) « ont l'une et l'autre une barbe nais- sante au menton » ; Mérimée attribue cette singularité à un « repen- tir » du peintre, dont une retouche à la détrempe aurait été effacée parle temps. Ayant d'abord placé Adam à la gauche de l'Eternel, Tartiste aurait voulu le mettre en lieu plus honorable et aurait fait alors de sa première figure, non plus Adam, mais sa compagne. En vérité, l'explication n^est pas là. Si Mérimée avait étudié plus atten- tivement ce tableau, il aurait constaté que, là encore, suivant l'habi- tude des imagiers, plusieurs faits distincts se confondaient faute d'espace et empiétaient les uns sur les autres.

Nous voyons, de gauche à droite^ un premier groupe, non re- produit sur notre figure, le Père Eternel crée Adam du limon de la terre ; second groupe (fig. 532), le Créateur anime Adam et lui souhaite la bienvenue, en lui prenant le menton ; troisième groupe, nos premiers parents sont aux pieds de l'arbre de la science du Bien

grands Escolles, et maison commune des Seigneurs de la Ville, sçachant qu'il passoit douant saditte maison, ainsi qu'elle baignoit vn sien petit enfant de laict, le laissa en la baignouëre, par l'ardent désir qu'elle auoit de voir S. Hilaire.

« Et au retour, qui fut incontinent, trouua son enfant noyé et mort.

« Quoy voyant s'escria à liante voix, en disant : « Ha ! mon Dieu ! faut-il que je perde mon enfant pour auoir faict un bien ! » Et en vue rage de deuil print son îils mort entre ses bras, couuert d'un petit linge, et le porta après S. Ililaire, auquel, ainsi qu'il arriuoit à son logis, déclara le cas et accident, le priant en grande foy et espérance qu'il priast Dieu que son enfant receust la vie.

(( Sainct Hilaire, voyant la douleur de la panure mère, qui n'auoit que cet enfant et sa très-grande foy, et aussi que l'enfant estoit mort pour la grande alTection que la mère auoit eue de le voir, se mit en oraison, où il fut assez longuement en pleurs et larmes, prosterné contre terre.

«Et luy, qui estoit d'ancien aage, ne se leva jamais que Dieu n'eust, à sa prière, l'enfant ressuscité, lequel il bailla à sa mère tout vif, et prenant le laict de sa mammelle deuant tout le peuple, dont chacun par esbahissement rendit grâces à Dieu et à sainct Hilaire. »


VIENNE


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et du Mal. Adam tourne le dos au serpent tentateur qui, debout sur sa queue, vient facilement à bout de la gourmandise et de la curiosité d'Eve. De sorte que le groupe du milieu, qui a tant intri-



Fig. bMK


gué Mérimée, montre le Seigneur entre deux Adam barbus et non entre Adam et Eve barbus. Ce dessin est très chaste: Adam est asexué et privé de nombril, comme sa compagne; de même, saint Savin, représenté plus loin, prêt à subir son martyre, est dépourvu de la dépression ombilicale ; ce n'est donc pas dans une intention tocologique que l'artiste a supprimé la cicatrice abdominale de nos premiers parents.

Beaucoup moins réservée est une autre fresque de la nef qui traite d'une façon ultra-réaliste l'Ivresse de Noé (fîg. 533). Le pa- triarche, contrairement au texte biblique, est couché sur un matelas, recouvert d^un drap bariolé ; son vêtement est écarté par le bas et laisse voir des organes monstrueux. Notre figure n'exagère rien ; elle est calquée fidèlement sur le document officiel. Cham, qui sera maudit pour avoir regardé « la honte de son père », fait au

1. Les figures 523 à 525, 532-534, sont tirées de la Notice sur les peintures de l'église Saint-Savin, par M. Prosper Mérimée. Gr. in-fol. Imprimerie Nationale, 1845.


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l'art profane a l'église


dormeur le geste de mépris italien : il lui montre les cornes, tandis qu'un groupe de femmes (fîg. 534), l'épouse de Noé et ses trois brus, assistent en curieuses à cette scène scandaleuse. Quatre siècles plus tard, la Vergognosa^ de Benozzo Gozzoli, au Campo Santo de Pise, portera la main k ses yeux devant le même spectacle, mais elle écartera les doigts, écarquillera les yeux et tendra le cou pour n'en rien perdre.

On conserve dans cette église de village une autre curiosité non moins étrange : un orgue du moj^en âge, dont les pédales met- tent en branle la mâ- choire inférieure de têtes grimaçantes et fantastiques, peintes, qui tirent la langue aux fidèles.

MONTMORILLON.

Deux impudiques, lai- des et nues, cherchent à détacher de leurs seins, des serpents et des crapauds qui les sucent (fig. 535, 536). Nous ne savons pour- quoi dom Martin et d'autres ont vu dans ces châtiments de la Luxure et des Mauvaises Mères les images de Diane ou d'Isis. N'avons-nous pas maintes fois rencontré l'analogie de ces figures symboliques sur plusieurs portails ? Mais combien l'art d'interpréter les allégories est ondoyant et divers î Pour dom Martin, les serpents qu^allaite la figure où il voit l'image de la Lune serait le symbole « du renouvellement de cette planète » et établirait que l'octogone de Montmorillon était un temple consacré à la Lune par les Gaulois, Millin, de son côté, admet que la femme qui allaite deux crapauds rappelle les représentations d'Isis allaitant deux crocodiles. Or, les



Fi^-. 533.


Fiiî. 534.


VIENNE


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tableaux de V Annonciation et de la Visitation, inconnus au temps de Martin, prouvent l'orig-ine chrétienne de ce temple. Mais le profond Siauve d'Utrecht n^en persiste pas moins à défendre le celticisme de ces allé- gories et à les grouper dans la re- présentation d'un mariage ; n'est-ce pas après tout celui de la Vierge et du Saint-Esprit ? Enfin , pour A . Lenoir ces figures symbolisent la Nature heureuse ou malheureuse, le Bien et le Mal. Que de conjectures diva- gantes pour un sujet si simple !

Pairon (Canton de Gharroux). — Indicateur archéologique des can- tons de Givrai et de C harroux (Ciyrai, 1886, in-4«, page 70, pl. 20, fig. 1) donne une interprétation unique en son genre, mais plus conforme à la réalité, de la Désobéissance de nos premiers parents (fig. ^3Qhis) goûtant au « fruit défendu », sous l'instiga-



Fii>-. 535.


Fif>-. 536.


tion du serpent Satan qui domine cette scène paradisiaque. Ce bas-relief expressif du xiii^ siècle s'étale sur un chapiteau, en plein chœur de l'église ! D'aussi vives attractions illustrées nous expliquent la ferveur de la foi des fidèles d'antan : ils accouraient en foule au temple qui leur procurait de telles distractions.


LXXIV. — VOSGES


Saint-Dié. Cathédrale. — Un chapiteau des piliers de la nef est historié d'une néréide à deux queues (fig. 537) ; représentation allé- gorique de la Volupté, toujours prête à faire le grand écart. Mais son aspect peu attrayant aura de la peine à charmer qui que ce soit. Nous retrouverons la même figure en Suisse, et avec des mamelles hypertrophiées, non atrophiées comme ici, ce qui est un pudique


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f/art profane a l'églisp:



contresens iconographique : chez les bipèdes, les mamelles fémi- nines sont les principaux agents de la séduction.

Remiremont. Chapelle de Sainte-Sa- bine*.

Haillinville ^.

V03IÉC0URT^.

1. Le 29 août de chaque année, les garçons et les filles qui s'étaient fiancés, écoutaient la messe, et, après la cérémonie se rendaient à la fontaine d'é- preuve; elle devait décider de l'innocence des jeunes Fig. 537, filles et, par suite, de leur sort conjugal. Les jeunes

gens enlevaient adroitement les épingles de leurs préférées et les jetaient dans l'eau fatidique. Les épingles appartenant aux jeunes filles vertueuses devaient surnager. Bien entendu, toutes les candidates au prix de vertu ne se munissaient ce jour solennel que d'épingles légères, spécialement truquées pour la circonstance; sans quoi, les lois de la pesanteur eussent été fatales à la réputation et au bonheur des plus innocentes.

2. Suivant un ancien usage, l'accouchée choisit une remplaçante pour la représenter au baptême de son fieu et précède la sage-femme portant le nouveau-né, le parrain et la marraine. Malgré le nom de voite fâme (sale femme) qu'on donne à la remplaçante, celle-ci est lièrc de sa charge ; sa démarche est grave, presque solennelle ; elle porte une serviette sur le bras, comme un maître- d'hôtel, et une cruche d'eau à la main, l'image de sa suffisance.

3. Du temps où l'on croyait encore au sabbat, vers 1630, l'un des curés de ce village, Cordet, « faisait la guerre aux mauvaises mœurs, tonnait contre elles du haut de la chaire et chassait sans pitié de son église les hommes et les



VOSGES


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MoYENMouTiER *. — Neufchateau. Cordeliers ^.


LXXV. — YONNE

AuxERRE. 1*^ Saint- Etienne. — Portail gauche. Quatre bas-reliefs du soubassement détaillent les péripéties de la parabole de V En- fant prodigue; l'un de ces tableaux (fîg". 538) nous le montre dans une étuve malfamée, en compagnie d'une follieuse, « nue comme quand on sort du ventre de sa mère », selon l'expression choisie de Mme de Sévigné, qu'il caresse à pleines mains et embrasse à pleine bouche. A lui les plaisirs, les folles ivresses !

Dans le voisinage, une néréide allaite son petit emmailloté et on voit V Impureté (fîg. 539), sym- bolisée par une femme drapée, dont deux dragons dévorent les mamelles.

L'aventure de David et Bethsabée se déroule sur le soubassement de la porte centrale et se retrouve, avec variantes, sous des arcades

femmes sig-nalés par leur immoralité ». Une Madeleine éhontée, Cathelinotte, à qui « il ne fut pas pardonné parce qu'elle avait beaucoup aimé », fut expulsée par le sévère sacerdote. Elle se vengea en l'accusant de l'avoir conduite au sabbat. Le malheureux innocent fut soumis à la question, puis brûlé « comme sorcier », en 1632. Voilà une belle erreur judiciaire à l'actif du bras séculier, éclairé parla grâce.

1. En 1572, un tribunal composé « du maire, des échevins et des bonshommes du ban de Moyenmoutier, réunis sous les yeux de l'abbé », condamna un porc à être pendu pour avoir dévoré un enfant ! Rapprochons de cette incroyable sentence l'excommunication lancée contre les rats par l'évcque d'Autun. Chasse- neuz, qui devint président au Parlement de Provence, prit la défense des rongeurs. « Il remontra, dit de Thon, que le terme qui leur avoit été donné pour comparoître, étoit trop court, d'autant plus qu'il y avoit pour eux du danger à se mettre en chemin, tous les chats des villages voisins étant aux aguets pour les saisir. »

« Il obtint, ajoute de Saint-Foix, qu'ils seroient cités de nouveau, avec un plus long délai pour comparoir ».

2. A l'époque du sanguinaire duc de Lorraine Charles II, un des seigneurs du lieu, « pour éviter la souillure des vilains », demanda et obtint que son cercueil fût encastré dans le chapiteau d'un des pilastres.



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l'art profane a l'église


trilobées du soubassement de la porte de droite. Bien que ces bas- reliefs soient horriblement mutilés, on devine encore la silhouette de Mme Urie, le torse nu, assise sur un tertre d'où coule une



Fig. 539. Fig. 540.


source, à côté du roi David, debout, qui lui passe le bras g-auche autour du cou et, de l'autre main, lui tripote le sein droit (fig*. 540). Le Père Ghatenier, dominicain, qui prêchait, vers 1717, à Saint- Germain-l'Auxerrois, rappelait, dans le langage naïf et imagé de l'époque, l'aventure du roi d'Israël : « David était un paresseux qui ne se levait qu'à midi; Dieu le punit. Il alla sur la terrasse, à peine, éveillé ; de là , il vit une grosse vilaine qui n'était pas couverte : c'était Bethsabée qui s'éloignait. Il alla à elle et fît le péché. » Un siècle avant, le carme Pierre de Saint-Louis, auteur du poème de la Madelaine au désert^ écrivait que « le cruel David », ce propre à rien!

Osa faire ravir celle qui le ravit,

et que Dieu lui pardonna

Son rapt, son adultère et son assassinat.

Transept Sud. Deux consoles où sont sculptés des groupes qui rappellent le péché de Luxure. D'abord, une jeune sorcière nue se rend au sabbat sur un bouc (lîg. 541) ; puis un galant, coiffé d'un chaperon, prend des privautés avec une dame de qualité ou une


YONNE


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béguine, qui se défend mollement (fig. 542). Wright a relevé une scène analogue sur une miséricorde (flg. 543) ; mais, ici, la Lucrèce repousse avec énergie les entreprises d'un franc-archer, franc-tireur.



Fig-. 541.


Fig. 542.


Ces deux derniers motifs égrillards ont évidemment un air de famille. Celui d'Auxerre a été baptisé par les habitants le Jeu de la pelote^.

A Elis, la Vénus Pandemos ou populaire était figurée, ^^Ci comme notre sorcière bourgui- gnonne, nue et assise sur un bouc. Par contre, une minia- ture d'un manuscrit du xiv siè- cle (Bibl. nat. MSS. fr. N«70dl, 33) donne à la « Léclierie » ou « Luxure » l'apparence d'une dame galante, sévère- ment habillée, chevauchant une chèvre et portant au poing l'oiseau de Vénus.

Un quatrain accompagne cette gracieuse enluminure :

leo aime tant mon chetif corps Que la fine me donne ieo fors Il me semble une noble vie La plésance de lécherie.

Nombreuses sont les représentations de V Impureté^ dans cette



Fiii-. 543.


1. Il existait autrefois une coutume de jouer à la pelote dans la nef, qui cessa vers 1538.


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T/ART PROFANE A l'ÉGLISE


cathédrale. Sus à l'éternel féminin î Nous savons qu^elles étaient destinées à faire prendre ce vice en horreur. Devons-nous en con- clure que la paillardise était le péché mignon des Auxerrois ou que ces tableaux licencieux accusaient le libertinage ou simplement la fantaisie des clercs chargés de diriger et de surveiller les ima- giers ?

Sur un vitrail est peinte la Dialectique ^ sous la ligure a de rhé- torique » d'une femme entourée d^un serpent, image des ruses et subtilités du sophisme. On a pris à tort cette allégorie pour celle de la Luxure ; ce qui explique Terreur, c'est qu'elle n'a ni les cheveux roulés — l'indice du syllogisme — ni en main, l'hameçon des ar- guments captieux. A Chartres, les sciences et les lettres sont re- présentées par de grands hommes de l'antiquité : le mathématicien Pythagore personnifie V Arithmétique ^ le philosophe Aristote la Logique^ l'éloquent Gicéron la Rhétorique^ l'astronome Claude Ptolémée V Astronomie.

Sur une autre verrière se déroulaient les épisodes de la vie de Marie l'Egyptienne, si souvent associée à la pécheresse de Béthanie, autre Vénus Pandemos de la mythologie chrétienne. Mais les piques des partisans de « la vache k Collas », en 1562, mutilèrent les pan- neaux relatant les exploits mondains de l'Egyptienne « folle de son corps » et sa façon économique de payer son voyage maritime*. Rappelons en passant que cette pénitente dépourvue de vêtements fut choisie pour patronne par les drapiers ! Est-ce en souvenir du manteau que Zosime lui jeta sur les épaules, à leur première entrevue ?

2^ Saint-Pierre. — Admirable avant-portail de l'abbaye Saint- Père ou Saint-Pierre, qui sert d'entrée k la cour précédant le portail proprement dit de l'ancienne église abbatiale. Ce chef-d'œuvre de la Renaissance est couronné d'un fronton où sont sculptés deux personnages accoudés, dont une femme, sceres (Cérès), avec son

1. Avant de quitter Saint-Etienne, rappelons que c'est dans cette cathédrale que Saint-Louis épousa, en 1-2-3-4, Marguerite de Provence, et lui passa au doif^t l'anneau nuptial, où il avait fait graver l'expression de ses trois amours : dieu, Fkancr, MAïuiuKiuTF, cu lui disaut : « Hors cet annel il n'est point d'amour. » Le Musée de l'OtTicialité croit posséder la seule image véritable de Louis IX. Or, Notre- Dame de Paris a la même prétention ; ce serait le personnage agenouillé au-dessus de la Porte rouge.


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attribut ordinaire, une corne d'abondance, pleine de fruits et d'épis de blé, et un homme, nocz (Noé), qui tient, d'une main, une cor> beille de raisin, et, de l'autre, s'appuie sur un vase de vin.

Dans une chapelle du fond, une curieuse Descente de croix ^ dp



Fig. 544. . Fij^-. 545^


l'école de Rubens : au premier plan, à droite, une femme allaite un enfant. Elle est étendue à terre, la tête appuyée sur les g^enoux d'une autre femme assise qui pleure à chaudes larmes. Une réminiscence de l'admirable Elévation de la croix du maître flamand, qui a placé au premier plan du volet g-auclie de ce triptyque, les Saintes femmes éplorées, une mère mamelue, agénouillée, gavant son nourrisson du contenu de ses robustes appas.

Bas-côtés de la nef, à droite, 6^ pilier. Deux personnages tiennent des instruments de musique et figurent le bon et le mauvais génie. Dans un angle, une femme modestement vêtue, paraît être sur ses gardes, tandis que, dans l'angle opposé, une femme nue est au pouvoir d'un démon, a dont les formes lubriques, dit Fabbé Grosnier, indiquent Y Impureté ». Ce sont, assure le même auteur, les résultats de la musique profane qui seraient indiqués dans ce groupe.

Chapelle de la Vierge. Une fort belle clé, avec pendentif, repré- sente le signe du Verseau, sous la forme d'un jeune homme à peine vêtu, tenant un long vase d'où s'échappe de l'eau (il verse-eau) ; nous connaissons le calembour.

Sens. 1« Saint-Etienne. Cathédrale. — Extérieur. — Les nom-

1. Tirée du De naliiris rerum de Mandeville et reproduite par Maeterlinck.


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i/art profane a i/éolisk


breuses sculptures de la façade principale, même les Vertus en op- position aux Vices, ont été toutes mutilées parles pics du fanatisme huguenot ou révolutionnaire. On distingue encore, au-dessous de la Dialectique^ un type de ces êtres fabuleux, les Sciopodes ou Scino- podes (lig. 544-545), qui n'avaient qu'un pied, mais gigantesque, avec lequel ils dépassaient le vent et dont ils se servaient, au besoin, en guise de parasol. Le Sciopode peut être considéré comme le prototype de l' Anglo-Saxon.

Intérieur'. — Les néréides abondent ; nous en avons compté qua- tre au voisinage du transept. Toutes n'ont pas en mains le miroir et le peigne traditionnels ; l'une se présente de revers, une autre allaite son petit.

L'angle du transept septentrional et de la nef est occupé par un trio de bons compagnons nus, dits les Trois vignerons, sans doute en raison du costume primitif de ceux qui, à défaut de pressoir, écrasaient le raisin dans les cuves.

Abside. Chapelle Sainte-Colombe. Tombeau du Dauphin % fils de Louis XV et de la Dauphine, Marie- Josephe de Saxe^ morte deux ans après son époux. Ce mausolée, des père et mère de Louis XVI, dû au ciseau de Guillaume Coustou, encombra le sanctuaire jus- qu'en 1850. Bernardin de Saint-Pierre, le peintre de la nature, jugea sévèrement ce monument pompeux et maniéré, où l'afféterie le dis- pute à la mignardise du style ; critique que l'on peut adresser à presque toutes les conceptions emphatiques de ce genre :

La première chose qu'on y cherche tout d'abord, c'est la ressemblance du Dauphin et de la Dauphine, à la mémoire desquels le monument a été élevé : il n'y en a pas seulement les médaillons.

On y voit le Temps avec sa faux, V Hymen avec des urnes, V Amour conjugal dont la sculpture fait un être distinct de VHymen ; la Religion, V Art, V Immortalité ; enfm, toutes les idées rebattues de l'allégorie qui est souvent, pour le dire en passant, le génie de ceux qui n'en ont pas. Pour achever d'en éclaircir le sujet, il y a de longues inscriptions latines, assez étrangères à la mémoire du Prince qui en est l'objet. Voilà, en vérité, un beau monument national !

Des inscriptions latines pour un peuple français et des symboles païens pour une cathédrale.

1. Il avait exprimé le désir d'être enterré dans le diocèse où il mourrait ; or, il décéda à Fontainebleau, qui fait partie du diocèse de Sens.


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La Religion est entièrement drapée ; sa voisine, V Immortalité, qui tient la balance de la Justice, exhibe son sein droit en entier (fig. 546). A l'autre extrémité, le Temps et Y Amour, ou le Génie de la Mort qui éteint le flambeau de la



Dans un coin de la même chapelle, sont déposés les bas-reliefs qui décoraient le tombeau du chancelier Duprat, saccagé pendant la Révolution. Les sujets de ces tableaux ont trait à divers épisodes de la vie du personnage, notamment son entrée solennelle à Paris, comme légat, en 1530, et son entrée, non moins solennelle, à Sens, comme archevêque, « où il n'osa jamais mettre le pied », écrit Tun de ses successeurs, l'archevêque Gondrin. Effectivement, l'odieux et cupide prélat fut imposé par François P^, dont il était le minis- tre servile. Mais il fut repoussé par le Chapitre et ne fit son entrée épiscopale à Sens, qu'après sa mort, en 1536, pour y être enseveli.

Au-dessous d'un entablement qui supportait l'ardent persécuteur des réformés, agenouillé, s'élevait le sarcophage sur lequel il était étendu, à l'état de mort. Cette statue existe encore au Musée de l'Archevêché^ mais mutilée. Elle représente « un corps mort^


l'art profane. I.


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i/art profane a l'église


couché et gisant sur la pierre, vrai modèle et parfaite imitation du sort humiliant que la nature destine à chaque individu, parais- sant rongé de vers et n'offrant qu'un spectacle décharné et un tableau dégoûtant, mais vrai, dans toutes ses parties ». Nous n'avons pas vu les traces des vers, mais l'incision et les su- tures abdominales de l'embaumement, comme celles de Louis XII, à Saint-Denis. Duprat est nu, la bouche ouverte, couché sur son suaire ; il en ramène un pli de la main gauche, pour couvrir son (( humanité ». Son corps grassouillet et efféminé ne rappelle en rien ce « gros homme à l'obésité robuste », que décrit E. Vaudin, et ne répond pas à l'épitaphe ironique que lui consacra le huguenot Théodore de Bèze :

HIC JACET AMPLISSLMUS.

(Ci-gît le tout-puissant). Jeu de mot latin que l'auteur des Noëls bourguignons traduisit par ce « plat » distique :

Gy-gît, couché tout plat,

Le puissant chancelier Duprat.

Aux angles de ce superbe mausolée, dont Gaignières nous a laissé le dessin, reproduit par Montaiglon, se dressaient les quatre Vertus cardinales qui ont disparu : en avant, la Force et la Prudence ; en arrière, la Justice et la Tempérance.

Millin décrit, chapelle Saint-Nicolas, près de la nef, un groupe en demi-relief sculpté par Gois ; il représente le protecteur des amants dont on contrarie les projets d'union légitime, offrant un sac d'argent à un vieillard pour l'aider à marier sa fille qui l'accom- pagne : Gupidon, vous le savez, est cupide; c'est là son moindre défaut.

Parmi les curiosités du trésor, qu'il suffise de citer, d'après Millin, d'abord « une belle sardonyx représentant la dispute entre Neptune et Minerve pour savoir lequel des deux donnera son nom à la ville de Gécrops, et qui était regardée comme les figures d'Adam et Eve » ; ensuite, un coffre d'ivoire où sont sculptées Fhistoire de Joseph et celle de David. On y voit, sous une forme naturaliste peu conforme au texte, l'épisode de la caverne d'Engaddi dans laquelle David s'était réfugié. <( Saiil y entra pour satisfaire un besoin de la nature. David aurait pu le tuer; mais il n'eut garde de souiller ses mains dans le sang de l'oint de l'Eternel et il se


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contenta de se g-lisser doucement derrière lui et découper le bout de son manteau, pour lui prouver qu'il aurait attenté à ses jours s'il en avait eu le dessein. » Mais la scène où Saiil viole coram populo les dix femmes toutes nues de David n'a pas été représentée.

Avant de quitter la cathédrale, mentionnons le vitrail de Saint-Ro- main, sur lequel Jean Cousin a composé un Jugement dernier^ où il a placé un pape aux enfers, par application de ce passage des Ecritures : ^^ Les premiers seront les derniers et les derniers les premiers ». Ce détail mal interprété a suffi aux protestants pour consi- dérer le peintre bourg-uig-non comme un de leurs coreligionnaires*.

2*^ Palais synodal. Officialité. — Ce monument, flanqué sur la droite de la cathédrale, était habité, avant la séparation de l'Eglise et de l'Etat, par l'archevêque et sa famille. Ce fut entre les murs d'un des in pace de l'édifice qu'on enferma le doux Abélard, et dans la salle synodale que le tribunal ecclésiastique condamna sa doctrine sur la Trinité. L'infortuné théologien avait conformé ses principes à ses actes et démontré au moins la réalité de la trinité familiale, en faisant un enfant à Héloïse. Mais l'austère saint Bernard veillait et fît condamner sa doctrine en i 140.

La façade continue donc celle de la cathédrale ; sa corniche est agrémentée d'une rangée de gargouilles, dont plusieurs se disputent le record de l'obscénité. Celles qui existent actuellement sont des reproductions exécutées sous la direction de Viollet-le-Duc et réta- blies, à l'exception de deux, dans leur état primitif. Les originaux sont conservés au Musée archéologique religieux, établi dans le rez-de-chaussée de TOfficialité, à l'endroit même où se donnait la question.

La plus stupéfîante de ces gargouilles' est la onzième (fîg. 548), celle qui occupe Fextrémité droite de cette façade, au septième pi- lier. Elle a la forme d'une chimère cornue, munie d'un phallus dé-

1. Relevons sur rune des cloclies, àiic Savinienne, cette hérésie scientifique, vers latin d'un mauvais quatrain qui y est gravé :

OJjscurir nii])is tonilrii ventofiqiie repello La tempête et les vents n oirensent ce climat.

Le contraire est la vérité, ainsi qu'en témoignent les clochers de cathédrales qui tous ont été foudroyés et incendiés plusieurs fois par le feu du ciel, avant la pose des paratonnerres.


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L ART PROFANE A L EGLISE



mesuré ; l'envergure de ce puissant organe laisse à Tœil qui le considère pour la première fois un inoubliable souvenir : c'est plus que roide ! Le conservateur du Musée de la ville, un confrère affable et érudit, nous assurait que la gar- gouille remplacée était en état, non seulement d'érection, mais d'éjacu- lation, et offrait un magna mousseux caractéristique. Or, il s'agit seule- ment d'un épais pinceau de poils qui, vu de loin, peut expliquer la méprise. Devons-nous voir dans cette figure expressive une allégorie de la Luxure ? C'est probable. Pour le custode de l'archevêché, il n'y a pas de doute : ces onze gargouilles per- sonnifient les péchés capitaux, bien que le nombre de ceux-ci soit de sept. Celle qui nous occupe a la forme d'un animal fantastique, pour rappeler que la lubricité conduit l'homme à la bestialité*.

Quoi qu'il en soit, revenons à notre chimère : avec ses pattes de devant, crispées aux commissures labiales, cette figure fantastique semble bien dévorée par le feu de la concupiscence, et son état physiologique s'explique, ou du moins s'expliquait, par le voisinage d'une autre gargouille (fig. 549) représentant une femme nue, mame- lue, assise et les cuisses écartées. Ici, Viollet-le-Duc a reculé devant la reproduction d'un tel réalisme ; il n'a pas osé reproduire une «na- ture » fouillée profondément et encadrée de ses ornements pileux, comme on le constate sur l'original, au palais synodal ^. Et pourtant, cette cynique impudique joint les mains dans l'attitude de la prière ! Nous livrons les données de ce petit problème archéolo- gique aux OEdipes de la symbolique chrétienne. Admettons, jusqu'à plus ample informé, que ce couple de monolithes symbolise VImpu-


Fig. 548.


Fig-. 549.


1. Elle se tire violemment les deux coins de la gueule, comme certains personnages lubriques sur un pendentif des stalles d'Amiens et sur une miséricorde des stalles de Mortain.

2. Pour corser le réalisme de cette femme de Sens, on avait coloré en carmin rorifice vulvaire.


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dicité. Mais pourquoi les mains jointes ? Une luxurieuse repentie ?

La g-arg-ouille suivante, la neuvième (fi^. 550), représenterait, pour tous les Sénonais qui nous en ont parlé, une variété de V Im- pureté^ dite tête-bêche. Sur cette in- terprétation, il y a unanimité. Or, un examen attentif de son double, au Musée de rOfficialité, nous permet de la réha- biliter. C'est un démon emportant, par les pieds, un avare qui se cramponne à sa sacoche farcie, dont les courroies lui entourent le cou. Les mauvaises langues devront donc en rabattre : nous sommes, sans aucun doute, en présence de l'image de V Avarice.

Les autres gargouilles n'ont rien de particulier, à part la quatrième (fîg. 551) : une tête d'enfant émerge de son périnée, à la façon dune femme en couches. Effectivement, les traits de la parturiente sont convulsés par l'acuité de la douleur ; la bouche, béante comme une gueule de brochet, semble hurler ; la main droite se crispe sur la poitrine, tandis que la gauche s'accroche à la fesse correspondante. Est-ce encore une Luxure et ses conséquences?

Au-dessous de cette corniche, nous signalerons de plus deux ou trois chimères (fîg. 552) dont le buste est uniquement constitué par des seins d'un développement prodigieux et auquel un tuyau de décharge sert de gaine.

Pour compléter notre inspection extérieure, ajoutons que, sur le mur opposé donnant sur les jardins de l'archevêché, on distingue un petit solitaire qui se présente franchement de face et ne dissimule rien de sa nudité, comme son sosie d'une des retombées de Notre-Dame de Paris. Enfin, au Musée de TOfficialité, nous avons vu une an- cienne gargouille qui n'a pas été refaite à neuf, en raison, sans



Fig-. 550.


Fk-. 551.


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l'art profane a i/église



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le


doute, de son immodestie. C'est le dcbellare superhos, la contre partie de celle qui semble atteinte du délire érotique. Celle-ci (tig 553) exprimerait plutôt le désespoir de V Impuis- sance, impotcntia et frigiditas si souvent invoquées, devant la Cour de Rome, pour la nullité du mariage, avec Tappui de l'argument irrésistible de Basile.

La bibliothèque de la ville possède un ancien diptyque en ivoire, qui ap- partenait au trésor de la cathédrale et servait de couverture kV Office de la Cir- concision, fort mal nommé, d'après Didron, laMessede VAne (%.554, 555). C'est un manuscrit du xiii^ siècle, avec la musique de la cérémonie sacro- profane.

L'ensemble de la composition figure Triojnphe de Bacchus Helios, sortant de TOcéan pour éclairer

le monde et présider aux vendanges. D'un côté, Bacchus est traîné dans un char par un centaure et une centauresse au torse opulent. Le dieu est suivi d'un cortège de divinités marines. On voit, en outre, trois hom- mes nus fouler du raisin dans la cuve. Sur l'autre plaque, le char de Diane- Lune est traîné par des hœuîs.Aphroditey {igure, à sa naissance, dans une coquille, entourée d'Am- phitrite et de monstres aquatiques. Un triton entre deux néréides est pourvu de pinces d'écre-

Fig. 554, 555.



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visse sur la tête, attribut des divinités de la mer pris communé- ment pour des cornes.

Le jour de la fête des Fous^, le char du Triomphe de Bacchus partait de Tég-lise même, traîné par un centaure et une centauresse. Le dieu était nu, en compag-nie de Pan, et semblait sortir du sein des eaux, sur lesquelles s'ébattaient les déités aquatiques et autres dieux et déesses de l'Olympe, Vénus, etc. A l'office, composé par Pierre de Gorbeil, archevêque de Sens, qui mourut en 1222, on poussait l'exclamation de joie consacrée dans les Bacchanales : Evohé ! Evohé !

3*^ Saint-Savinien. — La plus vieille ég-lise de Sens, fermée au public, est réservée aux religieuses du couvent y attenant. Dans la crypte, où fut haché saint Savinien, la pierre du milieu de l'autel est encore teinte du sang desséché du martyr, ce qui semblait miraculeux à la tourière qui nous accompagnait, mais le sang animal, bipède ou quadrupède^ n'est pas rare, et la crédulité aidant... Une petite sta- tuette, la seule de l'endroit, croyons-nous, a frappé nos regards, dans une chapelle latérale : un séduisant Saint Sébastien, en chair peinturlurée, et tout nu, selon son habitude, sauf la bande pelvienne de rigueur, mais ici réduite à sa plus simple expression. Cet Antinous, capiteux et dodu, doit donner des distractions et peut- être des regrets aux recluses à imagination vive.

Saint-Didier. — Par contre, cette églisette en forme de grange abrite une Mairie V Egyptienne, portant ses trois pains, vêtue, au lieu de ses cheveux, d'un froc de moine, celui de Zosime sans doute et coiffée d'une cornette de religieuse !

ViLLENEUVE-suR- Yonne. Notre-Dame ^. — On regarde avec intérêt^ dit l'abbé V. Horson, les gargouilles qui vomissent les eaux plu-

1. L'un des actes des conciles qui se tinrent dans la seconde moitié du xv siècle donne une idée des abus qui se commettaient au voisinage même du sanctuaire, lors de ces saturnales chrétiennes ; nh iino... Il ordonne de ne jeter sur « le préchante des foux », aux vêpres du dimanche de la Circoncision, que trois seaux d'eau au plus et défend « de conduire des hommes nus le lendemain de Noël dans l'église ; il faut seulement les mener au puits du cloître et ne jeter sur eux qu'un seau d'eau, sans leur faire de mal »,

2, Notice historique, chez J. Deroye, édit. à Sens.


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l'art profane a l'église


viales sur le pavé et sur la tête des passants ; elles sont remarqua- bles « moins par leur bizarrerie que parleur originalité et la vigueur de leur attitude ». Qu'est-ce à dire? Est-ce une réplique des vigou- reuses, mais sans vergogne, gargouilles de la cathédrale de Sens ? Et cependant elles semblent avoir été respectées, comme celles de Saint-Etienne, quand « la bande des Marseillais passa dévastant, brisant tout ce qui offensait ses regards ». A défaut d'images hiéra- tiques, les porches sont ornés des chiffres de Henri II et des trois croissants enlacés, mais peu orthodoxes, de sa favorite. Toutefois « la bande » phocéenne eut la galanterie de respecter Técu de France, accosté des emblèmes de Diane de Poitiers, alors que l'é- difice religieux, en les exposant complaisamment, consacrait le principe de l'adultère. Les chiffres des deux amants s'entrelacent encore à l'intérieur.

Dans la seconde chapelle Nord, sur la pierre tombale du chanoine maistre Estienne Dubour, est gravée, en creux, l'effigie de cette (( discrète personne », qui écarte son suaire et se montre à demi-nu, rongé par les vers.

Vézelay. — Portail principal. Encore et toujours le Jugement avec les académies de rigueur, la facétieuse tricherie de Satan au pèsement des âmes, et le passage à tabac des réprouvés, précipités dans les flammes : thèmes fertiles en nudités tolérées.

Porte latérale de gauche : un centaure, symbole de la force bru- tale et de la vengeance, ou le Sagittaire, qui doit au voisinage de la Vierge, dans le zodiaque, d'avoir été souvent accaparé par l'art chrétien.

Intérieur. A gauche, en entrant, 3^ pilier (face Est). Tentation de Saint Benoît : un diable lui présente un camarade, sous les espèces d'une « femme folle de son corps ».

Tribune du . narthex. Première galerie, à gauche, 1^^" pilier: l'Adultère de Bethsahée. Seconde galerie, à gauche, 3*^ pilier : des néréides, emblèmes de la Volupté. Seconde galerie de droite, 10 pilier : médaillons dont Avril, personnifié par une femme nue, couronnée de fleurs, allégorie des plaisirs.

Nef. A gauche, en entrant, 7^ pilier (face Nord). Sainte Eugénie, habillée en moine, est accusée par une femme dépitée de lui avoir fait subir les derniers outrages. La sainte travestie, pour prouver


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son innocence déchire son habit et montre ses seins au juge. Nous avons vu une représentation picturale de cette pieuse légende à Varzy. Passons sous silence les Adam et Eve qui s'offrent sous toutes les faces et les piles dans leur costume primitif ; (( ils sont trop », comme à Waterloo.

Nef. A droite, en entrant, 2^' pilier (face Sud). Une femme déchire ses mamelles de ses propres mains ; un serpent^ entrelacé autour de ses jambes, lui dévore les entrailles ou peut-être la mamelle gauche, disparue (fig. 556). Cette éche- velée, qui symbolise la Luxure assouvie, a pour voisin un homme nu, sa victime, qu'elle a grisée puis désespérée (fig. 557). Ses cheveux se dressent sur sa tête ; il tire la langue, comme il arrive souvent dans les figures emblématiques de la Luhi^icité et se perce le flanc par désespoir d'amour. Ce tableau moral montre où conduit le dérè- glement des sens dans les unions illégitimes. Voici le commentaire du Père Cahier :

L'homme qui se tord en enfonçant avec furie un glaive dans son propre ventre porte un appendice bestial. Représentation de la colère poussée jusqu'au désespoir qui enjjendre le suicide. Le vis-à-vis qu'on lui donne annonce que l'appétit concupiscible exalte aisément « Tappétit irascible».

La Luxure reparaît encore sur un chapiteau (fig. 558) sous un aspect moins rébarbatif.



Fig. 557.


AvALLON. — Entre autres fantaisies décoratives du portail, une Salomé exécute la danse du ventre, la tête en bas (fig. 559), et adapte la courbe de son abdomen à celle de l'arc qui l'abrite.


Chatel Censoir. — Chapiteaux du xi® siècle fort curieux.


4.58


l'art profane a l'ÉCxLISE



porc, enlève par les pieds une pécheresse qu'un saint Michel barbu vient de lui abandonner.



Fig-. 560. Fig. 561.


Voutenay. — Uég-lise de cette commune possède une statue en bois, primitivement polychromée, de la Vierge mère (fig. 561), dont les seins émergent du corsage par des fentes appropriées ; c'est une des rares manifestations de l'art, où les deux mamelles virginales sont visibles ; la projection du ventre en avant par Ten- sellure vertébrale est un indice de Tancienneté de cette très curieuse


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CORSE


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statuette. Le Bulletin archéologique (1903) en donne une hélio- gravure, d'après une photographie communiquée par M. Tabbé F. Poulaine.

LXXVI. — CORSE

Suivons Fauteur de Colomba^ en tournée d'inspection monumen- tale, dans l'ancienne île des Génois, et tirons de son rapport admi- nistratif les détails documentaires qui nous intéressent.

Garbim. Saint-Jean-Baptiste et San-Quilico. — Ce pays fut le chef-lieu de la secte religieuse, les Giovannali, appelés ainsi, peut- être à cause du vocable de cette église, où ils se rassemblaient. Ces phalanstériens ne reconnaissaient que l'Evangile de saint Jean ; ils mettaient tout en commun, — terre, biens et femmes. « La nuit, ils se réunissaient dans leurs églises et, après l'office, les lumières s'éteignaient et ils se livraient à des orgies monstrueu- ses ; accusation banale contre toutes les sectes secrètes, et les pre- miers chrétiens n'y échappèrent pas plus que les autres. » Mais ces précurseurs des Mormons et des Doukhobors de Saskatchewan furent exterminés par la soldatesque papale expédiée d^ Avignon.

Nebbio. Saint-MicheL — Sur le linteau de la porte occidentale, un buste, de sexe indéterminé, entre deux paons. Les oiseaux de Junon picorent les oreilles du personnage et l'invitent au péché d'orgueil. Comme dit Joseph de Maistre : « le cœur fait des contes à l'esprit qui les croit ». Ces oiseaux, observe le Père Cahier en parlant d'autres volatiles corrupteurs, deviennent bien vite serpents et, pour avoir accueilli la sollicitation au plaisir, on se trouve précipité bientôt dans le vice^ puis dans le crime.

Remarquons, d'abord, écrit notre sympathique inspecteur, robscénité de quelques figures, fait qui n'est pas rare sur le continent, mais qui me surprend en Corse, pays grave, s'il en fut, où Ton ne rit guère, et quelle qu'en soit la cause, assurément très chaste. Par exemple, un modillon de l'arcature du côté Nord représente un homme tenant un oliphant, de la main gauche, et de la droite, une espèce de coutelas. Islius membrum femine longius evadit. Plus loin un homme, sur une des consoles de la façade, au-dessous de l'archivolte de droite, clunibus insidens, ingentern lÔuipaXXov prœtendit. Cherche là-dedans, qui voudra, une allusion mystique.


l'art profane a l'église


Mais parfaitement, répondront sans hésiter les symbolistes en- durcis, ces figures, qui nous paraissent des bambochades, allégori- sent la Luxure ^

Gervione. Chapelle Santa- Cristina. — Quand elle subit son mar- tyre, la sainte, avant d'être percée de deux flèches, fut exposée aux morsures de deux serpents lancés contre elle, mais qui ne lui firent aucun mal. Ils lui léchèrent les pieds, en sig-ne de soumission et se suspendirent à ses seins comme deux enfants qu'on allaite. Méri- mée cite ce passage des Acta sanctorum :

Jiilianus misit super eam duos aspides... et currentes duo serpentes conligaverunt pedes ejus, et lingehant vestigia ejus ; et duo aspides currentes suspenderunt se ad mamillas ejus, velut infantes lactantes, et non nocuerunt eam.

Or, par une exception architectonique cette églisette a deux ab- sides ; Mérimée, qui s'improvise à son tour symboliste, se demande si cette singularité est destinée à rappeler les deux flèches meur- trières ou les deux serpents fort civils. Il est probable qu'il ne s^agit là que d'une coïncidence fortuite, mais avec les architectes ou les artistes qui jouent du symbolisme à outrance, tout est possible. Jusqu'à plus ample informé, laissons la solution avec un pied en l'air.

LXXVIl. — ALGÉRIE

Gherchill (Arrond* d'Alger). — Une mosaïque (fîg. 562), re- montant au v*^ siècle, a été découverte dans les fouilles de la basili- que. Le cardinal Lavigerie a cru y reconnaître l'image de sainte Perpétue, qui appartenait à une bonne famille de Garthage. Elle est nue^ des bracelets encerclent son bras droit et ses poignets ; à son

1. A la critique sévère de l'abbé Brantôme, qui vitupère, « telles peintures et tableaux portent plus de nuisance à une âme fragile qu'on ne pense », opposons la sage réplique de l'auteur sceptique de la Pucelle, dans sa défense des libres-prê- cheurs médiévaux, ces peintres réalistes du langage : « Ces images nous paraissent licencieuses et révoltantes, elles n'étaient alors que naïves... Quand la luxure est condamnée, c'est avec des termes peu propres, mais ce n'est jamais ni pour exciter la volupté ni pour faire la moindre plaisanterie. Cette haute antiquité n'a rien ni de Martial, ni de Catulle, ni de Pétrone. »


ALGÉRIE


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COU, elle porte un riche collier. Mais, comme Pélagie d'Antioche^ Salomé, Thaïs et Marie-Madeleine, la sainte a renoncé aux pompes du monde, et nous voyons dans sa main, remplaçant le miroir de la séduction, la palme des martyrs et des justes. Quand le proconsul d'Afrique la livra au bourreau, elle avait un enfant à la mamelle, et si le portrait de la mosaïque est fidèle, nous pouvons ajouter que rien ne manquait à la mère pour nourrir sa progéniture.



Fig-. 562. — Reproduite dans V Archéologie chrétienne, par M. A. Peroté.


ADDENDA


Nudités à Notre-Dame (p. 31). — La chaire repousse la chair; pourtant les épaules nues et les « développements alpestres » brillent souvent de tout leur éclat sous les voûtes des cathédrales : il y a des accommodements avec le ciel. Le peu g-alant capitaine Coignet a confié^ en toute sincérité, à ses naïfs Cahiers les impres- sions qu'il éprouva à la vue de tant de charmes exhibés lors du sacre de Marie-Louise.

Voilà le costume des dames : des robes décolletées par derrière jusqu'au milieu du dos. Et par devant Ton voyait la moitié de leurs poitrines, leurs épaules découvertes, leurs bras nus. Et des colliers ! et des brace- lets ! et des boucles d'oreilles ! Ce n'était que rubis, perles et diamants. C'est là qu'il fallait voir des peaux de toutes nuances, des peaux huileuses, des peaux mulâtresses, des peaux jaunes et des peaux de satin ; les vieilles avaient des salières pour contenir leurs provisions d'odeurs. Je puis dire que je n'avais jamais vu de si près les belles clames de Paris, la moitié à découvert. Ça n'est pas beau.

Saint-Germain-rAuxerrois (p. 66). — En 1665, Anne d'Autriche fît exposer dans son église paroissiale, pendant trois neuvaines, l'un des métacarpes de sainte Reine qu'elle destinait à l'hôpital d'Alise. La reine désirait faire bénéfîcier tout d'abord les Parisiens des cures opérées par la sainte, dont la spécialité, qu'elle partageait avec Job, assure Huysmans, était la guérison des maladies secrètes, — ainsi appelées, nous l'avons expliqué ailleurs, parce qu'elles sécrètent. L'auteur de Ti^ois Eglises et Trois Primitifs nous dit le comment et le pourquoi de ce privilège, en s'appuyant sur la glose d'un vieil auteur « au nom prédestiné de Méat » ; la similitude de forme du métacarpe et de l'organe malade n'y est pour rien.


4G4


l'art profane a L'Kfl lise


Deux contraires, raconte-l-il clans la Fille héroïque, ne se sauroient soullrir clans un mesme sujet, et ils sont tellement opposez cju'ils se persécutent continuellement et ne cessent jamais leur combat qu'après que l'un d'eux a obtenu la victoire sur son ennemy. C'est pourquoy je cesse mon étonnement quand je considère l'opposition qu'il y a entre la chasteté et ce vilain vice. Sainte Reine, qui avait eu très ^rand soin de conserver sa pureté pendant sa vie, n'a pas voulu, après sa mort, que les impurs s'approchassent de sa fontaine sans estre nestoyez de leurs ordures. De là vient que, quand ils boivent de cette eau avec confiance, ils s'en retournent avec joye de ce qu'ils sont délivrez de ces maux estranges qui, sans ce divin remède, dureraient aussi longtemps que leur vie.

La fontaine miraculeuse coule toujours à Alise * — cet écoulement est-il symbolique ? — et a sans doute conservé son pouvoir curatif à l'usage des civils et militaires qui ne coulent pas des jours heu- reux, blessés plus ou moins profondément par les coups de pied de Vénus. Huysmans se demande si les éclopés d'Eros qui vinrent implorer la sainte à Saint-Germain-l'Auxerrois g-uérirent ; mais certainement, grâce à l'expectation qui fait la nique aux théra- peutes, à moins de complications que ces savants terre à terre pince-sans-rire ne peuvent non plus empêcher.

Saints-Gervais-et-Protais (p. 73). — Les figures 625 et 626, qui rappellent la promiscuité des deux sexes dans les bains publics de Bade, sont les extrémités d'une ancienne gravure dont nous avons reproduit la partie médiane à la figure 120 de nos Seins dans U His- toire.

Troyes. 9** Musée (p. 164). — Le docteur Louis Guillaume y signale la présence d'un fragment de gargouille qui provient vrai- semblablement d'une église et figure la Luxure sous la forme d' « une femme accroupie : « de ses mains passées sous les cuisses, elle écarte ses grandes lèvres ». (Chron. méd.)

Beaune. Hôpital (p. 204). — L'inégalité de hauteur des deux plateaux de la balance divine provoque des interprétations contra- dictoires, suivant Toeil qui l'examine (fig. 262). Le féministe,

1. Alisk a ]tour anagramme Sai-ie : cette circonstance est-elle fortuite ou a-t-elle une signilication dans le choix de la localité ?


Adden t)A


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pour qui la Femme est une plaine de Vertus, y voit l'apothéose de son idole, son élévation au royaume des bienheureux ; au contraire, le



Fig. 625.


misogyne, qui La connaît dans les coins, en fait l'image de la légèreté féminine. Choisissez.

Grâce, près Guinguamp (Gôtes-du-Nord). — Le môme confrère décrit dans l'église de ce village : « Tout autour de la nef, à l'union de la voûte et des piliers, une longue file de petits anges, légèrement accroupis, le corps incliné en avant, et accolés les uns aux autres dans cette position, offrent un spectacle qu'il est difficile d'inter- préter autrement que par une vaste scène de pédérastie simultanée,


l'art profane. — I.


30


466


i/art profane a l'église


chacun des acteurs étant à la fois actif et passif ! « Vous savez ce que nous pensons de ces « gentillesses », de ces groupes de croupes,



Fig-. 626.


de ces sarabandes ou monômes d'homoncules : nombre de ces motifs sont indignes de leur mauvaise réputation.

Chartres. Cathédrale (p. 222). — La figure 627 montre, en Marianne, Marie de V Assomption sculptée par Bridan, telle qu'elle fut travestie aux fêtes décadaires, lors de la transformation de la cathédrale en temple de la Raison ; une nouvelle et éphémère con- grégation laïque des Marianistes.

Lenoir, à la même époque agitée^ sauva la statue du cardinal


ADDENDA


467



Fig-. f)27,


Dubois, transférée de l'ég-lise Saint-Honoré qui contenait son mausolée à Saint-Roch, en grattant simplement les inscriptions. La statue du surintendant des plaisirs du Régent et de l'amant de


468


L'ART PROFANE A i/ÉGLTSE


Mme de Tencin^, chargée par lui d'organiser à Saint-Gloud la fête des Flag-ellants, n'était pas à sa place dans un temple chrétien.

Verteuil (Gironde) (p. 241). — Le Lai d'Aristote est répété à satiété sur les stalles et chapiteaux de cette ég-lise (fîg. 628-630) ; dans quel but moralisateur ? nous l'ignorons. Peut- être pour inciter les femmes, déjà trop enclines à la domination, de prendre la direction spirituelle de leurs époux et de les engager dans la voie du Seigneur ?

Mealx (Seine-et-Marne) (p. 250).— Dom Toussaint Du Plessis, dans son Histoire de V Eglise de Meaux (1731), traite sans ménagement Pierre Jan- vier, fils et petit-fils de médecins de Meaux (1618-1689), mort curé de Saint-Thibaut, « proche l'Abbaïe de Saint-Faron ». Son mali- cieux biographe assure qu' « il crevait de vanité, se croyant le plus grand poète de son temps ». A dire vrai, ce « prêtre mordant et médisant » aspirait à la place de chanoine de la cathédrale et ne put jamais l'obtenir; il se vengeait en lardant de traits barbelés

1. Cette intrigante et sensuelle Claudine de Tencin lit ses premières armes au monastère de Monfleury, près Grenoble ; un jour, de son abdomen le « mont fleurit » et fructifia, au point de nécessiter un éloignement définitif de cette «maison de plaisance », nous allions dire de tolérance.

De tels incidents tocologiques n'étaient pas rares dans ces maisons closes, au xvHi" siècle. Saint Simon narre qu'à Nemours Anne de Beauvillier, abbesse de la Joye, — titre oblige, — feint d'être indisposée et de ne pouvoir difl'ércr son départ pour les eaux, propres à l'hydropisic ; mais elle ne se presse pas assez et accouche à Versailles. D'un autre côté. Madame, mère du Régent, en raconte de « bien drôles » sur les aventures clandestines qu'elle tient de sa tante l'abbesse et elle conclut que « toutes les maisons religieuses sont tellement remplies de débauches et de vices qu'on frémit rien que d'y penser ».

Rome lit donc de la défroquée Claudine une chanoinesse et lui interdit le mariage; « au lieu d'un mari, dit Robert de Beauplan, elle prit cent amants et la morale fut sauve. Un de ses fruits fut d'Alembcrt qu'à l'exemple du « rétréci »



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469


les évêques de Meaux et les «  quatrains dont sont « farcis » vés à l'abbaye voisine. Voici pour lui :

Ci-g"ist le bon Prêtre Janvier Des Nouvellistes le premier. Pasteur, ou perpétuel Vicaire, Sçavant et curieux Antiquaire, D'Almanachs agréable Auteur, Entre les Peintres inventeur, L'ennemi déclaré des Moines,


religieux de tous ordres», dans des ses sept in-folio manuscrits, conser- l'épitaphe facétieuse qu'il composa


L'Antagoniste des Chanoines,

Le fléau des Bénédictins,

Le bon ami des Capucins,

Le plus fécond de tous les Poètes.

Si de ses bons amis vous êtes.

Faites en son nom un Rondeau,

Et priez Dieu sur son tombeau.


On ne sait ce qu'on doit le plus critiquer de sa sincérité ou de son outrecuidance.


Chaumont (Haute-Marne) (p. 230). — Dans les Diableries de cette localité, la procession sortait de Tég-lise Saint-Jean, précédée des reliquaires ; entre autres, la chemise de Notre-Dame-de-la-Ghâtre. Moyennant douze sols de location, on prêtait cette chemise aux femmes en couches pour les aider dans le travail.

Montpellier (Hérault). Musée (p. 255). — Un tableau de l'école lombarde, du xv® siècle, représente Sainte Agathe qui porte sur un plat ses seins coupés.

On voit aussi un tableau de Charles de La Fosse représentant Aristote amoureux, et qui rappelle les bas-reliefs souvent sculptés sur les édifices religieux. Ici, la courtisane moralisatrice qui mène cavalièrement le philosophe à quatre pattes, le fouet en main, est entièrement nue, sa suivante ou chambrière éclaire la marche triom- phale à Laide d'un flambeau.

Rousseau, elle fit porter aux Enfants trouvés. Elle passa en coup de vent dans le lit du Régent pour tomber dans celui de son valet ; Philippe d'Orléans n'aimait pas

« les p qui parlent d'alîaires entre deux draps ».

Aussi bien les trop libres allures de la famille de Tencin a plus d'une fois défrayé les échos de la chronique scandaleuse. Ainsi le cardinal ultramontain de Tencin, frère de cette Claudine — Messaline, fut surpris, à Lyon, par le maréchal de Richelieu « en son palais archiépiscopal, en train de faire danser et chanter devant lui une lille demi-nue, pour consoler sa vieillesse ». Et Voltaire raconte une manie singulière d'une sœur de Mme de Tencin, Mme de Groslée : celle « de manier les tétons à toutes les filles qu'on lui présente ; c'est un honneur qu'elle leur fait... » (Cf. Robert de Beauplan, Une femme d'intrigues et de lettres au XVIII^ ysiècle. In Revue du temps présent).


470


T/ART PROFANE A l'ÉGLISE


Ciialons-sur-Marnf-: (Marne) Cathédrale (p. 290). — De naïves verrières du xv^ siècle nous montrent « au naturel » Adam (fig. 031 ) et



Fig. 631. Fig. G32.


et nourrissant son « fruit » (fig*. 632), tandis qu'Adam gagne son pain à la sueur de son front, Adam incipit laborare. Les jets de la fontaine (fîg". 633) indiquent les quatre fleuves du paradis ; mais que signifie cette fleurette au-dessous d'Adam ? Qu'il a sa fleur de virginité ?

TouL (Meurthe-et-Moselle) (p. 293). — Le docteur Louis Guillaume mentionne (in Chron. méd.), à l'extérieur de la cathédrale, mais de souvenir, « une scène entre une nonne et un moine qui, dit-on, figure le démon de la concupiscence. Je l'ai vue étant très jeune ; mais je n'ai pu distinguer si ce qu'il exhibait était une bouteille à ventre arrondi, ou si l'artiste avait plaisamment donné cette forme aux parties génitales ». Donc, sous toutes réserves.

Sainï-Martin-aux-Bois (Oise) (p. 316). — M. Martin-Sabon nous a montré une reproduction photographique d'une miséricorde de cette église, portant une scène sculptée d'amour a prussien » à trois personnages ; mais ils sont hachés au point qu'il est bien diflîcile de


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préciser le sujet. L'acharnement mis à sa destruction plaide en faveur de cette interprétation a posteriori.

Lyon (Rhône). Cathédrale Saint- Jean (p. 333). — Le motif de sor- cellerie reproduit sur la façade prin- cipale (fig-. 393) se retrouve, légère- ment modifié, dans les Danses du Sabbat (fig-. G34) décrites et illustrées par Pierre de Lang-re, conseiller du roi et juge au parlement de Bordeaux, chargé d'instruire, en 1609, le procès contre les sorciers du Labourd, dis- trict des provinces basques. Nous lui empruntons les détails de sa légende : A, Satan avec cinq cornes, celle du milieu allumée, assis entre la reine du Sabbat (B) et sa favorite ; G, Une sorcière présente un enfant pour le sacrifice ; D, Sorcières et démons à table ; E, Sorciers et sorcières non initiés ; F, Après la panse vient la danse; II, Ronde de filles et de femmes se tournant le dos; I, Chaudron pour la confection des philtres ; K, Chevauchée des sorcières arrivant au Sabbat à califourchon sur des balais ou des boucs et amenant des enfants pour les offrir à Satan ; L, Grands sei- gneurs et grandes dames masquées traitant les affaires du Sabbat ; M, Enfants prenant soin des crapauds.



Fig. 633.


Maçon (Saône-et-Loire). Saint-Pierre (p. 337). — Lire dans nos Gayetez d'Esculape, p. 151, le bon tour joué à un petit-fîls d'apothi- caire par le Chapitre, auquel ce personnage fut imposé comme chanoine, bien que son aïeul ait exercé la profession d'apothicaire. « Le jour où il prit possession de son canonicat, on vit, au-dessus de la stalle qu'il devait occuper, un écusson représentant deux seringues en sautoir, avec cette devise : J'entre dans tous les corps. »

La question à Tordre du jour ou mieux du soir — nous voulons


472


l'art profane a l'église


parler des chapeaux au théâtre — nous remet en mémoire une coutume des Màconnàises, vers 1807, que nos Parisiennes empa- nachées comme des corbillards feraient bien d'imiter. Millin



Fig. 634.


raconte qu'en entrant à l'église, « toutes ôtoient avec dévotion et tenoient à la main » le petit chapeau de feutre qu'elles portaient sur le côté droit de la tête, au-dessus d'un petit bonnet. Allons, pauvres ilotes conjugales, un bon mouvement, mettez vos chapeaux sur les genoux, à l'exemple de vos prétendus tyrans domestiques ; vous n'en resterez pas moins « les plus beaux modèles qui sont à l'in- térieur », selon la formule des chapeauteuses qui se payent votre téte.

Aix-les-Bains (Savoie). Abbaye d'Hautecombe (p. 343). — Un groupe de toute beauté, une Pieta (fig. 635), analogue à celle de Michel-Ange, montre Jésus sur les genoux de sa mère^ à l'état de


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473


mort apparente, dans l'attente du troisième jour de la Résurrection. Sa nudité absolue a éveillé la susceptibilité hypocrite d'un banc d'acéphales de sacristie qui n'admettent la conjonction humaine que



lorsqu'elle a été autorisée par un abdomen municipal ceint d'une écharpe tricolore ; tant il est vrai que « la pudeur, comme le dit Byron en reprenant le mot de Voltaire, s'est enfuie des cœurs et s'est réfugiée sur les lèvres ». Et combien est judicieuse la réflexion de Mme de Tencin, femme de sens et de bon sens : « On fait beaucoup de fautes en conduite parce qu'on ne croie jamais le monde assez bête, aussi bête qu'il est ! »


474


i/aRT PROFA^E A i/éGLISE


Presles (Seine-et-Oise) * (p. 364). — A propos du débat de la culotte ou de la chausse (fîg. 442), l'abbé Marsaux qui se refuse k voir une femme nue sculptée dans un sanctuaire, a découvert, avec les yeux de la foi, sur le corps de la belliqueuse mégère, des mouchetures qui indiqueraient une vestiture primitive. Or, sur la photographie bien nette que nous avons sous les yeux, nous ne voyons rien de semblable : la femme est nue et munie seulement d'une étroite bande d'étoffe à la taille. Cette draperie pudique est d'ailleurs un anachronisme, si Ton se reporte au temps où le linge de corps était un luxe inoui — témoin les deux chemises de toile qu'on reprocha si incongrûment à la gorrière Isabeau de Bavière. On couchait alors dans le simple appareil ; rien donc de plus natu- rel qu'au saut du lit la lutte pour la suprématie matrimoniale s'effectuât in naturalihus.

Troyes (p. 161 et 464). Moutier-en-der. — Le trésor de ce mo- nastère possédait un reliquaire qui était fermé par deux tablettes d'ivoire plus anciennes (fîg. 636 et 637); elles représentaient des prêtresses païennes dans l'exercice de leurs fonctions sacerdotales. Aux pieds des autels s'élèvent, d'un côté, un pin chargé de ses pommes et, de l'autre, un chêne, arbre consacré à Zeus de Dodone ou prophétique ; à l'une des branches du pin sont suspendus des crotales dont jouaient les prêtresses de Gybèle. Sont-ce des plaques se rattachant à un Nicomaque et à un Symmaque fameux, tel le pape de ce dernier nom, du v^' siècle? N'étant que docteur en mé- decine et non en théologie, nous ne pouvons mieux éclairer notre lanterne.

Dijon (p. 199). — En 1839, Victor-Hugo vit au Musée les tom- beaux des ducs de Bourgogne que l'évêque de Boisville avait refusé de garder à Notre-Dame, en 1820, comme trop encombrants. 11 compta sur celui de Philippe-le-Hardi quarante statuettes d'albâtre

1. D'Orléans de la Mothc (1683-1774), évcquc d'Aniicns (p. 405), dont Tcsprit égalait l'humilité, <\ son arrivée dans son diocèse reçut la visite d'un certain nombre de personnages du pays qui, tout en causant, s'approchèrent de la cheminée et relevèrent les basques de leurs habits pour se chaulTer plus à l'aise. Cette attitude inconvenante lui déplut ; il en témoigna son sentiment par cette observation : « Je savais que les Picards avaient la tête chaude, mais je ne savais pas qu'ils eussent le derrière froid ». (Ch. Rozan. Petites ignorances histor. et liltér.)


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475



avec l'ong-le ; un autre moine se mouche avec ses doig-ts. — Fi donc! semble dire un religieux à côté de lui ». Le tombeau de Jean sans Peur et de sa femme Marguerite de Bavière n'était orné que de trente-neuf figurines ; la quarantième était remplacée « par un moine en redingote, le plus plaisant du monde. Qui est-ce mon- sieur? » Hugo rappelle que François F'^ se fit ouvrir ce tombeau et y trouva Jean sans Peur, le crâne largement entaillé par le coup de hache de Tanneguy-Duchâtel sur le pont de Montereau. Comme il s'étonnait de la grandeur du trou : (( Sire, lui dit le prieur des


476


i/art profane a l'église


Chartreux qui l accompag'nait, c'est par ce trou que les Ang'lais sont entrés en France ».

LoDÈvE (Hérault) (p. 255). — En 1573, les calvinistes traînèrent le corps de Tévêque Fulcrand par la ville, puis le brûlèrent. On montre dans une châsse vitrée la partie du ventre de ce saint qui échappa à la rag-e de ces furieux ; on y voit encore les impressions de la corde avec laquelle il fut traîné dans les rues ; mais quelle rég-ion abdominale est exposée, Tinférieure avec ses accessoires ?

Verdun (Meuse) (p. 294). — Le trésor du chapitre prétend pos- séder du lait non pasteurisé de la Vierge : (( Mais un chanoine, homme habile et savant, écrivent les deux bénédictins de Saint- Maur dans leur Voyage^ nous dit que c'étoit du lait de vache, béni en l'honneur de la Vierg-e par le pape Eugène III ; le lait de la Vierge que Ton montre en quelques églises pourroit bien être de cette nature. » Nul doute à cet égard pour les « hommes de peu de foi », mais d'un peu de réflexion.

Meaux (p. 343 et 468). — La cathédrale, au dire des mêmes bénédictins voyageurs, est redevable de sa perfection à la reine Jeanne de Navarre ; ne pas confondre avec Jeanne d'Albret. Le buste de la reine de Navarre est sculpté sur la clef de voûte, et tous les jours, à la messe, on lui donnait trois coups d'encensoir; cette marque de reconnaissance est-elle toujours observée ?

Nemours (Seine-et-Marne). — Complément de la note 1, p. 468. La jeune et belle Beauvilliers, abbesse de la Joie, « qui ne respirait que la joie et le plaisir », dit F.-V. Toussaint annoté par P. Fould, ne devint pas la maîtresse d'Henri IV, pendant le siège de Paris, comme l'insinue la mauvaise langue de Sauvai. Elle n'était pas encore abbesse de Montmartre, mais elle en était aussi digne que la Fillon qui visera plus tard la direction spirituelle de cette abbaye, perdue au milieu des moulins par-dessus lesquels furent jetés tant de bonnets et de cornettes : « Et pourquoi pas, disait non sans raison cette courtisane de haute marque, mon compère Dubois est bien cardinal ? » Mme de Beauvilliers était éprise du


ADDE^ DA


477


beau Séffiir, Jean Isaac^ autre Vert- Galant^ qui la charmait des accords de son luth, au point qu'il eût ses entrées au couvent et collabora à la confection du petit Amphion que nous avons vu naître à Versailles. Ce mal d^aventure qui creva si inopinément fît enfermer la pauvre abbesse et « elle n'emporta de son abbaye que le portrait du beau Mousquetaire qu'elle avait fait peindre en sainte Cécile jouant du luth ! »

Garpentras fp. 431). — Le trésor possède un clou de Notre-Sei- gneur, le même qui servit de frein au cheval de Gonstantin ; en rhonneur de cette précieuse relique^ le sceau du chapitre porte la figure de ce clou recourbé en fer à cheval. Ges bons religieux ignorent que le fer à cheval cloué sur les maisons contre les mau- vaises influences, — pratique en honneur dans quelques districts ruraux de la pudique Albion — dérive de l'image de l'organe d'une vache, d'une jument ou d'une chamelle, talisman naturel que les Arabes d'Afrique ont l'habitude de clouer à la porte de leur tente.

AuxERRE (p. 443). — Au sujet du tableau licencieux de V Enfant prodigue qui figure k hauteur d'yeux sur le portail de Saint-Etienne, rappelons que les tableaux descriptifs des sermonnaires d^antan n'étaient pas moins dévergondés. En 1600, lisons-nous dans V His- toire de la ville de Lille ^ le prédicateur Père Bosquier, de l'ordre de Saint-François, en la province de Flandre, « ne le cedoit point aux autres en comique le plus bas et le plus grossier » ; il ne se gê- nait pas pour traiter de porcs et de porchers ses auditeurs bénévols. Au récit de la parabole en question, il disait qu'après avoir dépensé tout son bien en folles orgies « Il alla chercher un maître pour y servir de vagao, de maquereau et de corrupteur aux autres comme docte et bien expérimenté en cet art... Il avoit dissipé en ses excès toute sa chevance, tout fut perdu pour lui, non par naufrage, non par maladie, mais 7)ivendo luxuriose, menant une vie bestiale avec ses p »

Sens. (p. 447). — Dans la cathédrale de Saint-Etienne, où « tout est par paire, où tous les contrastes se mêlent et s'y résolvent en

1. Cf. Richard Pag-ne Knight. La théologie mystique des anciens.


478


i/art profane a i/église


harmonies », selon l'expression lyrique de notre plus g-rand poète, il paraîtrait que le bas-relief du mausolée de Duprat, prélat qualifié par Beaucaire de bipcdum omnium nequissimus^ représentant son entrée à Sens, reproduit la cérémonie telle qu'elle a été effectuée, mais en guise de funérailles et à l'état de mort. « On mit, dit Hugo, le cadavre à cheval, mains jointes, mitre en tête, chape sur le dos et on le promena ainsi processionnellement par la ville, sous un dais porté par quatre chanoines et on entrevoit derrière l'ar- chevêque l'homme qui le soutenait pendant la chevauchée ». C'est la première fois que nous rencontrons cette explication ; sort-elle de l'imagination du poète? Tout de même, la sévère définition des cardinaux qui tiennent des abbayes « en Commende », exprimée par les moines de Padoue, trouve son application k notre person- nage avide de biens temporels : Animal rubrum, omnium Benefi- cioj^umcapax, rapax, vorax ; Qi 'ûs ajoutaient cette invective au sujet de l'inanité des signes d'autorité, mitre et crosse, que ces commen- dataires insatiables arborent dans leurs armoiries : Mitralia et Pediala in Ahbate Commendatario, sicut genitalia in mulo.

Terminons notre recherche par un ciboire en vermeil du trésor, tragique témoignage de l'influence néfaste du sexe féminin. <( Par moments, dit Hugo, dans les reflets dorés de cette orfèvrerie exquise, on croit voir trembler la flamme d'un bûcher ». En effet, cette gracieuse coupe fut volée en 1531 par un jeune fou de dix- neuf ans, nommé Jean Pagnat. u 11 y avait une aventure d'amour au fond de ce vol ». Le jeune homme, déjà consumé par un feu in- térieur, fut brûlé vif devant le portail d'un édifice religieux dont toutes les pierres crient sans cesse, avec le baptiste : Filioli^ dili- gitc invicem. Chérissez- vous les uns les autres ! Sublime précepte que la lâche veulerie et le féroce égoïsme ont changé en cette rosserie : Rasez-vous les uns les autres !


ORDRE DES MATIÈRES


Avertissement I

LIVRE PREMIER Sur l'art religieux


Caractères généraux de l'icono^n'aphie mystique 1

Artistes et symbolisme 5

Thèmes de prédilection 7

Tolérance du nu à l'église 22


LIVRE II Licences artistiques des églises de France


1. —


Seine


31


XI. —


Calvados.


175




31


XII. —


Cantal ....


185



Banlieue de Paris


118


XIII. —


Charente.


186


II. —


Ain


150


XIV. —


Charente-Inférieure


188


III. —


Aisne


152


XV. —


Cher


189


IV. —


Allier


155


XVI. —


Corrèze ....


197


V. —


Alpes-Maritimes .


161


XVII. —


Côte-d'Or . . .


197


VI. —



161


XVIII. —


Côtes-du-Nord .


205


VII. -


Aude


166


XIX. —


Creuse ....


209


VIII. —


Aveyron . . . .


167


XX. —


Deux-Sèvres


209


IX. —


Basses-Alpes .


171


XXI. —


Dordogne .


211


X. —


Bouches-du-Rhône .


171


XXII. —


Doubs ....


211


480


ORDRE DES AfATIKRES


XXIII. —


l^]ure ....


212


LI. —


Meurthe-Moselle .


292


XXIV. —


h]ure-et-Loir.


217


LU.


Meuse ....


294


XXV. —


Finistère.


226


LUI. —


Morbihan .


295


XXVI. —


Gard ....


231


LIV. —


Nièvre.


297


XXVII. —


Gers ....


233


LV. —


Nord ....


306


XXVIII. —


Gironde .


235


LVI. —


Oise ....


310


XXIX. —


Haute-Garonne .


241


LVII. —


Orne ....


321


XXX. —


Haute-Loire.


247


LVIII. —


Pas-de-Calais.


322


XXXI. —


Haute-Marne


250


LIX. —


Puy-de-Dôme.


327


XXXII. —


Hautes-Alpes


251


LX. —


Pyrénées- Orient.


332


XXXIII. —


Haute- Vienne .


254


LXI. —


Rhône.


333


XXXIV. —


Hérault .


255


LXH. —


?aône-et-Loire


337


XXXV. —


Ille-et-Vilaine .


256


LXIII. —


Sarthe.


340


XXXVI. —


Indre.


257


LXIV. —


Seine-et-Marne .


343


XXXVII. —


Indre-et-Loire .


257


LXV. —


Seine-et-Oise .


350


XXXVIII. —


Isère ....


264


LXVI. —


Seine-Inférieure .


370


XXXIX. —


Jura ....


265


LXVII. —


Somme


405


XL. —


Landes .


265


LXVHI. —


Tarn ....


423


XLI. —


Loire.


266


LXIX. —


Tarn-et-Garonne .


426


XLII. —


Loire -Inférieure


268


LXX. —


Var . . . .


428


XLIII. —


Loiret


272


LXXI. —


Vaucluse .


431


XLIV. —


Loir-et-Cher.


276


LXXII. —


Vendée ...


432


XLV. —


Lot ... .


278


LXXIH. —


Vienne


433


XLVI. —


Lot-et-Garonne .


278


LXXIV. —


Vosges


441


XLVII. —


Lozère


279


LXXV. —


Yonne.


443


XLVIII. —


Maine-et-Loire .


279


LXXVI. —


Corse ....


459


XLIX. —


Manche .


283


LXXVH. —


Algérie


460


L. —


Marne


285





Addenda 463


LA ROCHE-SUll-YON, IMPHIMEKIE CENTRALE DE l'ouEST, 56-00, RUE DE SAUMUH.

Full text volume 2 (Etranger)[3]

L'ART PROFANE A L'ÉGLISE


Ll Bit Al RIE DE UA1\T FRANÇAIS


Docteur G.-J. WITKOWSKI


L'ART PROFANE A L'EGLISE

SES LICENCES SYMBOLIQUES, SATIRIQUES ET FANTAISISTES


CONTRIBUTION A L'ÉTUDE ARCHÉOLOGIQUE ET ARTISTIQUE DES ÉDIFICES RELIGIEUX

ÉTRANGER


Quvrage illustré de 534 gravures, avec le concours de G. -A. Payraud



PARIS

Jean SGHEMIT, Libraire

52, RUE LAFFITTE, 52


1908


Digitized by the Internet Archive in 2013


http://archive.org/details/lartprofanelglis02witk


AVERTISSEMENT


r


Nu comme un mur d'église A. de Musset.


Ce nouvel ouvrage est le complément naturel de notre Art profane à l'église . Là, nous examinions les images licen- cieuses que contiennent les édifices religieux de France ; ici, nous étudierons les représentations légères et piquantes des églises de l'étranger.

Loin de nous la prétention de donner un catalogue de tous les monuments qui pourraient intéresser notre sujet. Beaucoup n'ont pas été reproduits et nous n'avons pu toujours aller en prendre directement connaissance. Un rat de bibliothèque n'est pas un pigeon voyageur et l'on ne saurait pourvoir à tout.

D'ailleurs les documents sont innombrables ; il est pratique- ment impossible d'en dresser une liste complète. Gomme les églises de France, celles de l'étranger ont été hospitalières aux conceptions les plus profanes et souvent les plus risquées. Autrefois, on ne s'effarouchait pas plus des images que des mots. C'est avec la même désinvolture que sermonnaires et a ymaigiers » ont mêlé le sérieux et le frivole, « passant du


Il


A V E R T I S s E M E M T


grave au doux, du plaisant au sévère ». Les uns et les autres ont eu La même tendance à envelopper de formes plaisantes le sévère enseignement qu'ils voulaient distribuer. Le profane s'alliait naturellement au sacré, et Ton n'en trouverait pas de meilleur exemple que dans ces anciennes parodies liturgiques, au cours desquelles les hosannah et les évohé se croisaient allègrement sous les voûtes des cathédrales.

Et n'allez pas croire que ces libertés qu'on prenait au vieux temps aient nui le moins du monde à la ferveur religieuse et à l'observance des pratiques. Les « honnestes dames » qui faisaient leurs délices des licences des prédicateurs ou des artistes assis lai eut à trois messes par jour. Que leur foi devait être profonde î En tout cas. ce n'est pas à nos snobinettes à en médire, elles qui ne se montrent plus à l'église qu'aux ma- riages et aux enterrements. Conjonctures également tristes. Puisse notre livre leur apprendre qu'il est possible encore, à l'église, de s'échauffer les yeux à de vifs tableaux !

Mais non, elles s'indigneraient sans nul doute : la pudibon- derie a remplacé aujourd'hui la pudeur. La saine plaisanterie gauloise qui s'esclafait publiquement paraît grossière à nos mijaurées. La gaudriole ne leur agrée que dans le privé. Fini le temps de rire en chœur. On affecte l'amour des idées aus- tères et des livres qui distillent Lennui. Mais on n'en est pas meilleur, au contraire, et nous pensons plus que jamais que le « vieux jeu » avait du bon. Il était plus gai au moins, et c'est pourquoi il nous plaît singulièrement de réunir encore en ce volume quelques-unes des productions les plus intéressantes de la bonne jovialité d'autrefois.

P. -S. — « Le lecteur français veut être respecté » : il entend qu'on ne lui cèle pas la vérité en la maquillant ou en l'enguirlan- dant de Heurs de rhétorique au point de l'étouffer. A cet effet,


AVERTISSEMENT


III


tout notre « respect » lui est acquis et nous ne saurions prendre de meilleur guide que le Président de la Société des Gens de Lettres. Dégagé de tout dogme religieux, il doit mettre toute son espérance en la raison , en la liberté, en l éducation pro- gressive du peuple : « Personnellement, ajoute M. Georges Lecomte, j'ai toujours défendu la littérature de vérité. C'est cette littérature-là que j'essaie de pratiquer selon mes forces. Je la défendrai toujours ». Bravissimo î On ne saurait mieux dire ni mieux penser.


L'ART PROFANE A L'ÉGLISE


LICENCES ARTISTIQUES


I

ALLEMAGNE — ALSACE- LORRAINE 1


Aix-la-Chapelle. Cathédrale. — Avant Frédéric Barberousse, un sarcophage romain en marbre de Paros servait de sépulture à



Fig. 1. — Sujet principal.


Charlemagne. Le plus intéressant de ses bas-reliefs met en scène Y Enlèvement de Proserpine (fîg\ 1-3) : la fille de Déméter-Cérès est entraînée sur le char du dieu des enfers sous la conduite d'Hermès- Mercure. Pluton et son épouse symbolisent les ténèbres, et le rapt de Proserpine est l'allégorie du passage de la vie à la mort. Mercure figure ici en qualité de messager des dieux ; entre temps, ce facto-

4. Nous avons suivi l'ordre alphabétique pour les nations et les villes.

l'art profane. — II. i


2


l'art profane a l'église


tum de l'Olympe, cet ange mythique ailé — ange en grec signifie messager — dont les archanges Gabriel et Michel se partagèrent la



Fig. 2, 3.


Motifs latéraux.


charge, aidait à retirer les âmes des corps et faisait l'office d'accoucheur.

Le cercueil tout païen est actuellement enfermé dans une vitrine. C'est Othon III qui, selon la légende, le substitua en l'an 1001, au trône de marbre sur lequel on trouva assis l'empereur « à la barbe fleurie 1 », qui, paraît-il ne portait que la moustache ou était rasé. Encore un exem- ple de la fusion du paganisme et du chris- tianisme, si fréquente au moyen âge. Il n'était pas rare de voir ciselés sur certains reliquaires les figures de Vénus et de Bacchus (fig. 4), compagnons inséparables de la vie joyeuse.

Un ambon en bois du xi e siècle, couvert d'incrustations en cuivre



Fig.


1. Le siège de Charlemagne, d'après Xavier Marmier, se compose de quatre lames de marbre de Carrare : le dossier, les accoudoirs et le siège. Celui-ci repose sur un massif en maçonnerie qui laisse un espace vide où se glissent les rhumatisants superstitieux, prenant la chaise impériale pour une niche du Saint-aux-reins. « On les entretient dans cette erreur, parce que c'est le prolit particulier du sacristain, qui nous faisait des railleries sur ces pauvres gens dont il prend l'argent. »

Aussi bien les chanoines de l'endroit tiennent à leurs prérogatives pécuniaires ; depuis Louis XI, les rois de France, à la veille de leur sacre, étaient tenus de faire déposer le linceul de leur prédécesseur sur le tombeau de Charlemagne. Pourtant ses ossements firent une éclipse assez prolongée : ils disparurent au seixième siècle et ne furent retrouvés — sans garantie de leur authenticité — qu'en 1843. Ce qui n'empêcha les chanoines, au dire de Gaston Paris, à chaque nouveau règne, « de faire renouveler la rente de quatre mille livres tournois que Louis XI avait constituée à leur prolit. » N'est-ce pas du temporel et du casuel que vit le spirituel ?


ALLEMAGNE


ALSACE-LORRAINE


3


rouge comprend plusieurs panneaux où sont sculptées des femmes nues 1 .

Sur le corps de la chaire sont incrustées quatre plaques d'ivoire,

curieusement composées et habilement



Fig. 5. Fig. 6. Fig. 7.


d'autres. L'une montre saint Georges, combattant l'ennemi ter- restre ; la seconde, saint Michel le protecteur de l'humanité, por- tant sur ses épaules deux figurines nues de sexe différent (fig. 6) et terrassant Satan, l'ennemi céleste. E. Forster 2 voit, dans l'al- légorie figurée par le satyre, la danseuse et l'essaim des amours qui s'agitent autour d'elle (fig. 5), la double représentation de Y Eglise militante caractérisée par le vaisseau qu'elle soutient d'une main, et de YEglise triomphante qui élève un temple. Le symbolisme de la dernière plaque (fig. 7) est plus obscur. Nous reconnaissons facilement Aphrodite portée par un monstre marin, en compagnie

1. On en trouvera le dessin dans VHist. de l'art en tableaux, de E. Secmann ; n° 148, iîg - . 5, et dans la Messe, de Ch. Rohault de Fleury, Pl. clxxxviii, 19.

2. Hist. de l'art en Allem., t. a, p. 353.


4


i/AUT PROFANl: A L'ÉGLtSE


d'amours, d'un triton et d'une néréide; elle allégorise le paganisme

« avec ses désirs charnels ».

Il ne serait cependant pas impossible, quoique ce fût un fait étrange et peut-être unique, de rencontrer dans la naissance de Vénus le symbole d'un mystère chrétien. Nous voyons souvent le soleil et la lune dans des représentations chrétiennes, nous y voyons Tellus et l'Océan ; nous y rencontrons aussi la visite de Jupiter à Sémélé et à Danaé comme symbole de l'immaculée conception. La naissance de Vénus de l'écume de la mer, une naissance sans conception, pourrait bien avoir été prise pour le sym- bole de la naissance du Christ qui, par la seule volonté du Tout-Puissant, est né de la Vierge éternelle.

Parmi les reliques plus ou moins authentiques que le clergé de Notre-Dame exhibe à l'admiration des fidèles, il nous faut men- tionner les langes purs, langes radieux ! du divin poupon et le drap qui ceignait les reins du Christ sur la croix. Or, vous le savez, les légionnaires romains se gardaient bien de donner du linge aux suppliciés, puisque eux-mêmes en étaient privés. Si, d'autre part, on admet la tradition selon laquelle la Vierge détacha le voile qui enveloppait sa tête pour en couvrir son divin Fils, comment un voile transparent a-t-il pu devenir un « drap » 1 ?

Nous continuerons à signaler, chemin faisant, les tableaux reli-

1. On montre anssi une relique anatomique, le bras de saint Charlemagne qui, d'après le récit de Sophie Gay, serait une jambe. Lors de la visite de l'empereur à la cathédrale d'Aix-la-Chapelle, ce bras fixait particulièrement son attention ; il demanda à Corvisart à quelle partie de ce bras formidable appartenait ce grand os conservé sous verre depuis tant d'années. « A cette question, Corvisart sourit et garde le silence ; mais, interrogé de nouveau, il répond à voix basse que cet os est un tibia, qu'il appartenait peut-être à la jambe de Charlemagne, mais qu'il n'a jamais l'ait partie d'aucun bras. — Eh bien, gardez cette découverte pour vous, dit, l'empereur, il faut respecter tous les prestiges. » A cette époque, la porte de l'armoire de l'cr qui contenait les reliques de la cathédrale était murée et on ne les montrait au peuple que tous les sept ans.

Dans la première moitié du xvm e siècle, on montrait donc les reliques tous les sept ans et du haut d'un clocher, suivant le récit du baron Pollnitz ; de sorte que les pèlerins, couverts de leurs coquilles d'huitres et munis de leur gourde — attributs parlants — ne voyaient absolument rien de ces merveilles; ils pèlerinaient pour le roi de Prusse. La montre de chaque pièce était accompagnée d'une « procla- mation » faite par un prêtre. Citons celle de la plus précieuse des reliques, « la che- mise » que portait la Vierge à la naissance de Jésus : « On vous montrera le linge, le saint vêtement, duquel la Sainte Vierge Marie de Dieu étoit vêtue en la nuit de la sainte Nativité de Notre Seigneur, lorsqu'elle enfanta de Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme ; c'est pourquoi, prions Dieu que nous puissions regarder cette sainte Hclique d'une telle manière, que l'honneur et la gloire de Dieu en soit augmentés et que nous puissions obtenir sa grâce et sa sainte bénédiction. »


ALLEMAGNE A LS A CE- L RR A IN E


5


gieux des Musées qui, le plus souvent, proviennent d'anciennes églises. A ce titre, ils peuvent revendiquer leur place dans notre inventaire. Par ailleurs, les édifices du culte ne sont-ils pas aussi, pour la plupart, de véritables musées de l'art chrétien ?

Nous ne voyons à la ga- lerie de l'ancienne capitale de l'empire de Charlemagne que les Damnés de Rubens, tableau où 'le maître fla- mand s'est plu, selon son ha- bitude, à peindre des chairs Fig. 7 bis. féminines abondantes et redondantes.

Augsrourg. 1° Cathédrale. — Un des bas-reliefs d'une porte d'airain donne une représentation de la Naissance d'Eve, unique par Fétrangeté de son anachronisme : la Vierge Marie crée la première femme et la tire elle-même du thorax d'Adam. Cette scène obstétricale n'est pas banale : la Vierge transformée en sage- femme ! A Florence, ce sont deux angelots qui remplissent cet office (fîg. 7 his).

2° Saint- Alrich et Sainte-Afra. — Sur le portail en bronze est sculpté un centaure qui vise un lion avec son arc 1 ; sans doute une figure du Sagittaire, le neuvième signe du Zodiaque ?

Kotzebue, en 1806, a remarqué dans cette église catholique, adossée à un temple protestant, un Jugement dernier d'une ima- gination singulière. C'est d'ailleurs le sujet qui permettait le mieux aux artistes de se livrer à leur fantaisie et de se laisser entraîner par elle jusqu'aux dernières limites de l'extravagance ; tels les Juge- ments de Michel-Ange — le plus fameux de tous — à la Sixtine, de Signorelli à Orviéto, de Pontorme à Florence, de Lucas de Leyde et de Bosch en Hollande, de Jean Cousin au Louvre, etc.

1. Cf. Bull, mon., t. 20, p. 545.



l'art profane a l'église


Voici les réflexions que le tableau licencieux d'Augsbourg suggéra au célèbre littérateur allemand :

Pour exprimer, par une allégorie, que le péché de la chair mérite l'Enfer, on voit, entre autres, dans ce tableau une espèce de Laocoon serré dans les replis d'un serpent qui le mord impitoyablement à l'endroit qui, dans sa vie, lui procurait les plaisirs charnels ; un diable porte sur ses épaules une jolie femme, quoique damnée, et pour prouver que c'est par l'abus de ses charmes qu'elle a mérité l'Enfer, ce démon impur a sa griffe enfoncée précisément dans l'endroit qui donnait libéralement aux mortels les plus vives jouissances.

Ce châtiment de la lubricité dont Kotzebue est surpris revient fréquemment dans l'exposition des scènes d'horreur des tourments infernaux.

Ironie du sort ! Un ancien couvent, de- venu la Galerie de peinture d'Augsbourg, abrite le portrait d'une comédienne qui eut de nombreux adorateurs, Mlle Mars, peinte par Gérard. Cette Madeleine non repentie disait, en montrant ses dia- mants : « Ah ! si nos bijoux étaient indiscrets ! »

Bamberg. Cathédrale. — Portail. Nos premiers parents dissimulent leur sexe et en chassent les mou- ches à l'aide d'un grossier éventail à manche, dont les cuisinières se servent pour activer le feu (fîg. 8).

Chœur. Tombeau de Clément II (fîg. 9). Les quatre faces de cet élégant mausolée sont consacrées aux Vertus cardinales. La Force en lutte avec un lion n'a que les bras nus, bien que la symbolique chrétienne paganisée et sensualisée par la Renaissance Pautorisât a découvrir amplement son torse. Par contre, la Prudence (fig. 11) peu prude dévoile en grande partie son buste ; elle tient par la gorge un dragon, succédané du serpent, « le plus rusé des animaux », au dire de la Genèse. La Justice, comme la Force, n'a de nu que ses bras séculiers. Quant à la Tempérance (fîg. 10) au torse nu, qui opère et semble encourager le coupage des vins trop généreux, le tombier lui a réservé deux figures, « comme s'il avait fallu, écrit



ALLEMAGN E


ALSACE-LORRAINE


7


Cahier *, insister sur une vertu, en certains lieux plus difficile ». Un personnage nu, un fleuve antique, assis sur un rocher, verse à flots



Fig. 9.


l'eau de son urne et désigne du doigt ce breuvage comme plus salu- taire encore.

Trésor. Le diptyque en ivoire servant de couverture à un évangé- liaire manuscrit, offert par Henri II au chapitre de la cathédrale et actuellement à la bibliothèque de Munich, présente une riche et curieuse ornementation. Au-dessus de la Crucifixion, sujet prin- cipal, paraissent Apollon, le dieu du soleil, sur son char à quatre chevaux, et Diane, la déesse de la lune, dans un quadrige traîné par


1. Mél. d'Archéologie.


s


l'art profane a l'église


quatre bœufs. Au-dessous sont représentées trois figures allégoriques dont deux personnifient la Terre et la Mer avec ses pinces d'écre-



visse sur la tête 1 . Celle-ci (fig. 12), au lieu d'enfants comme dans un diptyque du trésor du roi de Bavière (fig. 13), allaite un serpent 2 . Une figure énigmatique — l'Eglise ou la Religion triomphante ? — se place entre Tellus et l'Océan.



Fig. 12.


Fis. 13.


Bas-Ingeliieim. — A l'ancienne chapelle du palais consacrée au culte protestant, une pierre tumulaire sous l'orgue rappelle Emma, fille de Gharlemagne, qui s'éprit d'Eginhard, le sécrétaire de son père, et s'enfuit dTngelheim avec lui : vous n'ignorez pas qu'elle

1. Dans l'Art profane à Véylise, en France, p. 455, c'est par erreur que nous avons signalé cet attribut maritime sur le diptyque de Sens.

2. D'Agincourt reproduit deux autres emblèmes de la Terre tirés d'Exultets du xi* siècle. Sur l'un (fig. 14), toujours placée au-dessous du Fils de l'homme, la bonne Mère, comme la Nature à Ephèse, donne son lait à des animaux, un cerf et une vache. D'une main, elle tient une corne d'abondance; de l'autre, elle paraît repousser un personnage assis et dans l'attitude de la tristesse. Sur le second emblème (tig. 15), la Terre allaite une génisse et un serpent pour indiquer qu'elle nourrit indistincte- ment le bon et le méchant.


ALLEMAGNE


ALSACE- LORRAINE


9


l'enleva sur ses épaules pour ne laisser dans la neige que l'empreinte de ses petits pas *.



Fig. 14. Fig. 15.


Breitenau. Eglise conventuelle. — Les impostes des piliers du chœur sont ornées de sculptures pittoresques; l'une d'elles repré- sente un duel à la lance entre un centaure et une centauresse



Fig. 16.


Brunswick. Eglise des Frères. — Portail. La statue en gaine d'une femme nue (fîg. 17) tire une épée et porte au niveau du pubis une tête de Cupidon, accompagnée des attributs du petit dieu malin. Eros figure trop souvent dans les temples chrétiens, devenus à la Renaissance des sanctuaires d'une religion sensuelle, pour que nous nous étonnions outre mesure de le rencontrer ici. D'ailleurs, l'oiseau de Cypris, la colombe, n'est-il pas devenu le Saint-Esprit qui féconde la Vierge 2 ? Milazzo, en Sicile, n'a-t il pas un monti-

1. L'Art profane à l'église, en France, p. 301.

2. Dans la Haute-Bretagne, suivant Saintyves, un sanctuaire de Vénus est dé- nommé au ix e siècle Sanctse Veneris ; plus tard, par analogie phonétique, il passe au nom de Saint-Venier.


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l'art profane a l'église


cule jadis consacré à Aphrodite qui porte une chapelle dédiée au Saint-Esprit 1 ? Rien n'est changé que le nom.



Fig. 17 bis. — Reproduite par P. Saintyves, Fig. 17. dans les Saints successeurs des dieux.


vierges. Le tombeau de la martyre portait cette épitaphe : sancta vrsvla, xi. m. v. Au lieu de lire: XI Martyres Virgines, les com- pagnes d'Ursule, un chroniqueur médiéval, Sigebert, rapporta : XI Millia Virgines ; de là l'erreur propagée par la suite 2 . Les reliques de ces vierges sont conservées dans des châsses vitrées et celles que l'humidité altère « sont remplacées par d'autres, toutes les fois qu'elles sont pourries », assure un voyageur digne de foi.

De tous côtés apparaissent des figures grimaçantes de diables, de monstres, de moines, etc.; « représentation des mauvais esprits que l'Eglise tient enfermés dans ses murs et soumet à son empire ».

2° Saint-Géréon. — Sur les stalles capitulaires sont sculptées

1. D'après cet auteur et A. Gayet, les Grecs, récemment convertis et imbus des légendes mythiques de l'Egypte qui attribuaient la naissance de Sésostris à l'inter- vention d'Ammon sous la figure d'un épervicr, rapportaient la naissance de Jésus au Saint-Esprit sous forme de faucon, tel que le représente la ligure 17 bis, tirée d'une église copte chrétienne.

± Les armes de la ville sont d'argent à onze flammes de gueules, en mémoires des vierges martyres.


ALLEMAGNE


ALSACE- LORRAINE


] 1


une grande femme sans voiles 1 , difficile à identifier, et une néréide au buste nu, les deux mains sur les hanches 2 .

3° Musée Waltraf-Richartz. — Cette Galerie possède deux tableaux d'église intéressants : la Vision de saint Bernard (fîg. 18), par



Marienlebens, où la Vierge prend son sein pour en faire jaillir du lait, et le Jugement suprême, de Stephan Lochner (fig. 19, 20), qui donne un développement important au côté bouffon et satirique de sa composition. Si beaucoup de religieux se dirigent vers le Paradis, par contre, du côté de l'Enfer, Satan et ses suppôts agrippent et agriffent nombre de désespérés, parmi lesquels on distingue des personnages de marque, un roi, une dame galante coiffée de ses cornettes, en compagnie d'un pape, d'un cardinal, d'un archevêque et d'un moine. Cet adipeux tonsuré sachant que où il y a de la géhenne il n'y a pas de plaisir, est celui qui oppose la plus vive résistance.

1. Ann. d'Arch., t. 9, p. 183.

2. J. Gaihabaud, VArchitect. du V e au XVII e , t. 4.


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l'art profane a l'église


On compte une centaine de damnés et d'élus sans costume ; mais tous, sauf un homme et une femme mis en Purgatoire, se montrent de



Fig. 19.


dos. De légères draperies voilent sans la cacher la nudité des rares personnages qui se risquent de face.

4° Eglise des Macchabées. — Un crucifix portait une « réchauf- fante », et cette perruque avait ceci de miraculeux : les pèlerins en coupaient chacun une longue mèche et la coiffure postiche ne dimi- nuait jamais ! Enfoncée la pilocarpine !

5° Chartreux. — Ces religieux disaient posséder la robe de Jésus, que Y hémorroïsse toucha ; aussi, d'après Reiskius, les femmes de Cologne incommodées par des pertes utérines portaient-elles du vin aux chartreux pour y faire tremper une partie de la relique, puis le buvaient en guise d'antihémorragique.


ALLEMAGNE —


ALSACE -LORRAINE


13


Dantzig. Sainte-Marie. — La perle de l'église est un triptyque de la chapelle Sainte-Dorothée, attribué à Memling ou encore à Roger



Vander Weyden ; il a pour sujet le Jugement universel. La scène représente un cimetière borné, au fond, par une mer orageuse; on se croirait sur une plage d'un « petit trou pas cher ». Les morts sortent de leurs sépulcres, avec le geste et l'expression de la crainte ou de l'espoir, les bras levés, mais sans suaire. Du côté de l'Enfer, des démons épouvantables précipitent dans les flammes éternelles les réprouvés qui se tordent les mains de désespoir. L'un se déchire le visage, un autre s'arrache les cheveux, un troisième joint les mains dans l'attitude de la prière trop tardive. Les élus semblent pris de compassion et émus pour les damnés, alors que leur physio- nomie habituelle exprime une indifférence marquée à l'égard des pécheurs.

Sur le fameux Crucifix de Dantzig, il y a une légende lugubre, racontée, dans la langue des dieux, par Léon Duplessis 1 .


1. Rev. du Temps présent, 2 février 1908.


1 1


l'art profane a l'église


Vers l'an quinze cent trois, si j'ai digne mémoire, Un sculpteur appelé, je crois, maître Gaspard S'illustrait à Dantzig en exerçant son art.

Le Sénat le chargea de sculpter une croix qui devait orner la cathédrale.

Il cherchait, sans trouver, le modèle idéal D'un heau christ expirant sur le gibet fatal, Qui fût en même temps sublime et réaliste.

Son apprenti Frédéric, « le cœur plein de pitié », lui proposa de l'aider.

M 'aider, toi, mon garçon! Ah quel orgueil t'égare. Je vous offre ma chair sanglante pour modèle ; Sculptez-en dans l'ivoire une image immortelle.

Le statuaire accepta l'holocauste du pauvre Frédéric et le crucifia; son œuvre terminée, il la remit au Sénat.

Puis, on trouva son corps pendu dans une lande.

Fig. 21. Dresde. Musée. — Notons, parmi les toiles

qui ont trait aux religions chrétienne et païenne : une Madeleine de Franceschini, sans autre vêtement que sa luxuriante chevelure; un Saint Sébastien banderillé, de Lotto, cible vivante à qui l'extrémité empennée d'une flèche sert de feuille de vigne (fig. 21), et Y Enlèvement de Ganymède, épisode mythologique interprété par le pinceau réaliste de Rembrandt (fig. 22). Le maître hollandais a physiologiquement rendu le senti- ment de la peur par Pun des effets réflexes familiers aux conscrits impressionnables. Un autre flux, l'alvin, est de règle en pareil cas, et si Ton en croit Tallemant des Réaux, le « panache blanc » du vaillant Béarnais fut souvent un pan de sa chemise : « Quand on lui venoit dire : Voilà Pennemi! il lui prenoit toujours une espèce de dévoyement et que tournant cela en raillerie, il disoit : « Je vais faire bon pour eux ».

Ganymède, écrit une plume pudibonde, est un hideux marmot enlevé du sein de quelque nourrice flamande. Son visage fait une affreuse gri- mace. Suspendu au bec de l'aigle, il se tortille comme un ver, et dans la



ALLEMAGNE


ALSACE-LORRAINE


15


peur qui l'oppresse, il laisse Bref, le peintre a poussé à bout l'imitation

de la réalité.



Fio- 9->


A quoi bon ces réticences pour exprimer un acte naturel dont le délicat auteur des Plaideurs a tiré un si piquant effet, en désignant les deux petits chiens qui « ont pissé partout » ? Qui nous délivrera du pharisaïsme littéraire et artistique 1 !

1. N'cst-il pas légèrement écœurant, par exemple, de voir des critiques drama-


l'art profane a l'église


Erfurt. Cathédrale. — Contre la façade Sud-Est, s'élève le monument funèbre du comte Louis de Gleichen qui, marié avec la comtesse Orlamùnde, partit pour la Palestine à la suite de Louis le Saint, y fut fait prisonnier, puis vendu comme esclave au sultan d'Egypte. Celui-ci l'envoya au Caire, où il épousa la fille du sultan Meleck-Sela. Cet acte de bigamie fut autorisé par le pape Grégoire IX qui baptisa la seconde femme du comte. Il est représenté entre ses deux épouses qui vécurent en bonne intelligence, si nous en croyons cette inscription « touchante » :

Mes deux femmes s'aimaient comme deux sœurs, et m'aimaient comme leur époux. L'une me suivit et renonça au Coran, l'autre ne voulut pas me quitter à mon arrivée. Pendant notre vie, nous partagions tous trois la même couche, et maintenant une même tombe nous réunit.

tiques non sans valeur, passant pour des esprits libéraux, réclamer à grands cris le rétablissement de la censure, alors que le public seul a le droit et le devoir de l'exercer ? Ne l'a-t-il pas fait d'ailleurs avec beaucoup de mesure en plusieurs circonstances qu'il est inutile de rappeler ici ? Ce qui ne manque pas d'ajouter quelque piquant à l'affaire, c'est que nos moralistes, si prompts à s'effaroucher, n'éprouvent toutefois aucune gêne devant les péripéties scabreuses de pièces dans le genre de N'avez-vous rien a déclarer y des Passagères, etc. Ils ne nous passent aucun détail et paraissent s'y complaire ; ils soulèvent le coin du rideau tombé pour surprendre les secrets d'alcôve... et encore, s'il y avait une alcôve ! Cependant ces paladins de sacristie, « à pudeur d'hermine », partent en guerre contre l'immo- ralité révoltante du répertoire de la Comédie Française ! L'un d'eux n'a-t-il pas reçu, à l'en croire, une missive d'une vigilante mère qui s'indigne de ne plus pouvoir mener sa fille, demi-oiselle ne partageant certes pas l'opinion de son oiselle maternelle, à ce théâtre pervers. Excellente mesure, et grand bien leur fasse à toutes deux, mère et fille, si toutefois elles existent ailleurs que dans l'imagination de notre plumitif bien pensant. Tel autre confie au papier, de sa belle plume d'oie blanche, que le libertinage de nos spectacles nous attire le mépris et le dégoût de l'étranger. Ignorc-t-on que la principale clientèle de nos music-halls et de nos théâtres, â côté, est constituée par ces cosmopolites dont les mœurs n'ont rien de supérieur aux nôtres ? Sufïira-t-il d'être étranger, même Allemand, pour être vertueux du coup (a)?

(a) La natalité an pays des homosexuels comprend le quart d'enfants naturels. A ces indices de turpitude, les Allemands opposent des exemples contrastants d'une pudibonderie outrée. Même après son décès, l'empereur Maximilien voulut qu'on respectât sa pudicité : « il ordonna dit Montaigne, par paroles expresses de son testament, qu'on luy attachast des calessons quand il seroit mort. Il debvoit adiouster, par codicille, que celuy qui les'luy monte roit eust les yeulx bande/. » De nos jours à Diïsseldorll, les élèves de l'Ecole des Beaux-Arts doivent se contenter de modèles d'hommes pour leurs études, — à l'Ecole de Paris, jusqu'en 1885, le sexe masculin avait seul le privilège de se découvrir pour poser l'ensemble, — et quand l'impératrice visite une exposition de peinture, comme à Barmen, on retire les « femmes nues ». Pas de femmes ! c'est la consigne du comte, KUno de Molke ; pour lui, « une femme est une fosse d'aisance ». Ces « précautions inutiles » ne sont-elles pas pour beaucoup dans le développement des goûts de la noblesse tudesque, révélés par les tribunaux de Berlin, — le comte d'Eulenbourg, par exemple, a pris trop à la lettre le précepte de saint Paul : Qnod rectum est lenete, — goûts peu ragoûtants en concordance avec les scandales d'une autre nation non moins pudique (Albion, d';ill)iis blanc, vocable oblige), dénoncés naguère par la Pall Mail Gazette? Mais nous n'avons rien à enviera nos voisins : on peut opposer à notre unique Jeanne d'Arc une légion de Messalines et encore plus de Tartuffes; demande/, à l'immaculé Père la Pudeur, combien il a de loups dans sa bérengerie.


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Egstersteine 1 . Grottes. — On a trouvé dans ces cavernes des sculptures peintes que certains archéologues considèrent comme des débris du paganisme des Ghérusques ou des Saxons; mais^ pour Forster, il n'y a aucun doute sur leur origine chrétienne (fîg. 23),



Fig. 23. — Fragment de devant d'autel.


elles remonteraient à l'an 1098. Au-dessous d'une Passion naïve- ment expressive se trouve le groupe de la Prière et de Y Espérance, personnifiées par un homme entièrement nu et une femme qui ne l'est qu'en partie. « A l'aide du dragon, observe le même savant, on aurait pu donner satisfaction au sentiment de la pudeur, comme on l'a fait pour l'homme. »

Certes, on parle assez mal de nous au delà des frontières ; mais quoi de moins significatif, en somme, et surtout quoi de plus humain ? Ce sont là de bons procédés qu'on échange entre voisins, et nous ne sommes pas nous-mêmes en reste de semblables gentillesses. L'ivrogne français se console de sa démarche titubante en convenant de bonne grâce qu'il est « saoul comme un Polonais ». Et n'appelons- nous pas « mal de Naples » cette même avarie que les Napolitains stigmatisent de « mal français » ?

Mais, pour en revenir à nos critiques scrupuleux, qu'ils nous permettent de leur conseiller plus de tolérance. Laissons à chacun le choix de son plat, pimenté ou sucré, et le plaisir de s'en repaître à son aise. Eh! Messieurs, si les représentations lestes vous déplaisent, allégez-les encore de votre présence. Nul n'y contredira, car nul n'y perdra, sauf peut-être vous. Rien ne vous oblige à pénétrer dans les « mauvais » théâtres, à affronter ces « foyers » de perdition. Mais reconnaissez à chacun l'usage de la liberté qu'on vous laisse ; qu'il soit permis à tous d'entendre et d'écrire au besoin des pièces immorales, comme de lire ou de composer de méchants comptes rendus. Ce dont vous êtes persuadés, n'est-ce pas? La liberté doit être complète dans la mesure où elle ne gêne personne. On ne saurait trop s'élever contre la moindre exhibition extérieure de nature à offenser les regards ; mais pourquoi divulguer ce qui se passe à huis clos, ce qu'on ne va voir qu'à bon escient? N'y aurait-il pas quelque impudence et quelque duplicité à se plaindre d'un plaisir qu'on a cherché ? Et surtout, croyez-nous, critiques critiquables, quand vous voudrez prêcher, choisissez un peu mieux vos exemples. Amen !

i. Près de Horn.


l'art profane. — II.


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L*ART propane a l'église


Forstenfeldt. Abbaye

Freiberg 1 . Cathédrale. — Un motif allé- gorique sur la porte d'or, porta aurea, mon- tre une femme nue, vue de face, aux ma- melles puissantes, dont le dos et le haut des cuisses sont seuls drapés (fig. 24). Sa signification nous échappe.

GORZE 3 .

Halberstadt. Notre-Dame. — Au milieu d'arabesques et de décorations qui enjolivent les parois du chœur, au-dessus de Marie et de Jésus, s'ébat une centauresse avec ses deux petits ; l'un deux tend à son frère de lait la mamelle opposée (Gg. 25).

Hall. Saint-Martin. — Une peinture retrace le Supplice de sainte Catherine (fig. 26). La martyre est nue, attachée à un poteau par les cheveux, et deux bourreaux la flagellent avec ardeur.

Hildesheim. 1° Cathédrale. — Les fonts en bronze du xm e siècle

1. Ce monastère, comme d'autres, dut son érection à un crime passionnel; cette histoire dramatique vaut d'être contée. Louis le Sévère, duc de Bavière, pendant une courte absence, confia la garde de son épouse Jeanne à sa tante. La duchesse chargea un messager de porter une lettre à son mari et une autre au ministre du duc; mais L'écervelé se méprit et intervertit les missives. Louis trouva que sa femme « parloit trop obligeamment à un sujet : il en conçut une jalousie qui dégénéra en fureur ». Il pressa son retour et massacra successivement son favori, le portier du château et la tante de Jeanne; à son épouse, il lit trancher la tète. La nuit qui suivit ces forfaits, les cheveux de Louis blanchirent, bien qu'il n'eût que vingt-huit ans. Le meurtrier vit dans cette transformation subite un avertissement du ciel en faveur de l'innocence de sa femme: il alla, à pied, demander au pape l'absolution de ses crimes et l'obtint à la condition de faire bâtir une église et de fonder un monastère â Forstenfeldt. Comme quoi le lâche et stupide « Tue-la » était mis en pratique bien avant Dumas.

2. Le même document est attribué â la cathédrale de Fribourg ; voir bibliothèque des Arts décoratifs : Eglises de l'Allemagne, du moyen âge.

3. Au xvi e siècle, raconte Malte-Brun, Guillaume Farel, célèbre prédicateur réformé, interrompit, le jour de Noël, un cordelier au milieu d'un sermon sur V Immaculée Conception. Les femmes catholiques qui remplissaient l'église se jetèrent sur le mécréant, lui arrachèrent la barbe et les cheveux; elles commençaient à le deshabiller quand intervinrent les soldats protestants de Guillaume de Fûrstenberg, dont les troupes occupaient la ville.



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sont supportés par trois hommes nus ; chacun d'eux tient un vase renversé d'où l'eau s'écoule.



Fig. 25. Fig. 26.


2° Saint-Michel. — De curieuses figures en stuc (xi e siècle), les Huit Béatitudes, historient la balustrade du transept Nord.

Karlsruiie. Musée. — A voir : le sein de la Sainte Ursule par Nuovelone (fig. 27) et l'embarras à' Adam et Eve congédiés du Paradis, tableau de Van der Werff, qui ne savent comment cacher leur nudité ; dans leur confusion et le doute, ils s'abstiennent.

Lubeck. Sainte-Marie. — L'auteur humoriste de De Tout assure que le bon larron de la Crucifixion de Grunewald est un vieillard qui porte pour tout vêtement un suspensoir. C'est encore trop, pensons-nous, car si la tradition veut que Marie ait gazé la nudité de Jésus avec son voile transparent, elle ne souffle mot de celle des deux larrons.

Pour Oscar Gomettant, de toutes les curiosités que renferme cette église, la plus divertissante est la Ronde des Morts qui décore la chapelle des trépassés. D'ordinaire, les squelettes des Danses ma- cabres étalent avec cynisme « la nudité suprême qui aurait dû rester


L'ART PfcOFAfl E A L 'ÉGLISE


vêtue de terre », dit Michelet ; mais ceux de Lùbeck sont pleins de vie et amusent par leur esprit satirique. Ces joyeux ébats d'outre- tombe nous remettent en mémoire la pièce de vers du grand ura-



niste 1 Frédéric, sur la Mort, qui se termine par ce quatrain philoso- phico-physiologique :

Mille chemins nous sont ouverts

Pour quitter ce triste univers ;

Mais la nature, si féconde,

N'en fît qu'un pour entrer au monde.

1. Son ami Voltaire avait donné au précurseur des homosexuels le surnom de Luc, le patron des amateurs de l'amour à l'envers : « Quand Sa Majesté, dit Voltaire, était habillée et bottée, le stoïque donnait quelques moments à la secte d'Epicure : elle faisait venir deux ou trois favoris, soit lieutenants de son régiment, soit pages, soit heiduques ou jeunes cadets. On prenait le café. Celui à qui on jetait le mouchoir restait un demi-quart d'heure tète à tête. Les choses n'allaient pas jusqu'aux dernières extrémités, attendu que le prince, du vivant de son père, avait été fort maltraité dans ses amours de passades et non moins mal £uéri. Il ne pouvait jouer le premier rôle, il fallait se contenter des seconds. Ces amusements étant finis, les affaires d'Etat prenaient la pluce. »


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Magdebourg. Cathédrale. — Un groupe hétérogène intrigue fort les touristes ; il se compose d'un aigle ou d'un corbeau, d'un singe jouant de la musique et d'une femme nue, mafïlue, mamelue et fessue chevauchant un bouc (fîg. 28). Un symboliste attardé a découvert Neptune dans le singe, Jupiter dans l'aigle et Vénus dans l'écuyère qui est une sorcière habituée à enfour- cher des escouvelles, des ramons, des balais ou des boucs. Elle se rend au Brocken, où une tradition populaire fait rassembler les sabba- tières pendant la nuit de Walpurgie, du 30 avril au 1 er mai. N'oublions pas non plus que la Luxure est souvent personnifiée de la sorte. Fig. 28.

Maniieim. Eglise des Jésuites. — Ecoutons Gérard de Nerval :

Je n'oserais affirmer que le portail ne soit pas orné de divinités mytho- logiques ; peut-être aussi sont-ce de simples allégories chrétiennes, mais alors la Foi ressemblerait à Minerve, et la Charité à Vénus. Du reste, le théâtre est situé tout en face, et ses muses classiques paraissent être de la même époque et des mêmes sculpteurs.

Mayence. Cathédrale. — Les dames, d'après Malte-Brun, ont érigé en 1842 un monument à la mémoire de leur chantre de prédi- lection, le ménestrel Henri de Meissen, dit Frauenlob (chanteur des femmes), mort en 1318. Un chroniqueur contemporain, Albert de Strasbourg, raconte que, de sa maison jusqu'à son dernier asile, il fut porté par des femmes qui poussèrent de grandes lamentations, à cause des louanges infinies qu'il avait décernées, dans ses poésies, au sexe féminin sur ses vertus. De plus, il fut versé sur sa tombe une telle quantité de vin qu'il se répandit dans tout le cloître. Les Françaises ne s'emballèrent pas de la sorte aux obsèques de Legouvé, l'auteur du Mérite des Femmes ; elles se contentèrent de lui rendre la pareille, sans métaphore, en le couvrant de couronnes et de fleurs. Le monument, œuvre de Schwanthaler, est constitué par une femme déposant une couronne sur un cercueil. L'heureux Frauenlob avait déjà un mausolée dans le même Munster ; il con- siste en un portail gothique, avec le buste du ménestrel, au centre,



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et, au-dessous, un haut-relief où de zélés prosélytes, du sexe dit faible, portent un cercueil sur lequel est déposé une couronne.

Les stalles du chœur sont admirablement sculptées de sujets fan- taisistes où l'élément profane domine ; les spécimens des figures 2H bis et 29 n'en donnent qu'une faible idée.



Metz *. 1° Saint-Etienne 2 . — Extérieur. — Nous n'avons à men- tionner qu'une femme nue, mutilée, repoussant un serpent qui lui

1. Dans ses impressions de voyage en Gaule, vers l'an 417, Claudius Rutilius Numatianus, préfet de Rome, reconnaît qu'à Metz le nombre des divinités locales, de peuplades, de tribus, de familles, est incalculable : « Vous concevez qu'il doit exister une lutte acharnée entre tous les chefs réunis à Metz ; c'est à qui brisera ou transformera le plus d'images adoptées par une religion qui n'est pas la sienne. Ces jours derniers, je vis à l'angle d'une rue trente ou quarante personnes age- nouillées devant un buste de femme, représentée voilée et mamelle pendante (fig. bis) : c'étaient des chrétiens et des païens mêlés ensemble et adorant, les uns, une certaine Vierge qu'ils appellent Maria, les autres, une déesse Maire (fig. 30) génératrice ou nourricière ; quelques-uns Isis, la messagère des songes heureux. »

2. Cf. C. Begin, Ilist. de la cathéd. de Metz (1840).


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dévore les seins. Cette image de la Luxure occupe le tympan de la porte d'entrée de la cathédrale, qui donne sur la place Saint-Etienne.



Fig\ 29 bis. Fig\ 30.


Intérieur. — Au-dessus des arcades de la nef planent des modil- lons à figures grotesques et quelques-unes immodestes qui mettent en gaîté les visiteurs non recueillis. Mais c'est surtout le jubé qui attirera notre attention ; les nudités y pullulaient. A la balustrade de la galerie supérieure, entre les pilastres et sur des cartouches for- més de branchages entrelacés, étaient interprétés plusieurs traits croustillants de l'Ancien Testament, entre autres « les obscénités de Sodome et de Gomorrhe, les crimes de bestialité punis par le feu du ciel ».

Les arcades latérales présentaient une profusion de sculptures allégoriques, où les sujets de l'histoire sainte se mêlaient aux fictions de l'antiquité.

A côté d'une nymphe messagère des songes et d'Apollon dieu-lyre, paraissaient les têtes de nos vieux patriarches et Y Enlèvement de Dêja- nire. Les luttes amoureuses des satyres et des faunes servaient de pen- dants aux exploits du jeune David ; les cyclopes se trouvaient associés au géant Goliath et à saint Christophe; partout enfin les légendes sacrées étaient mêlées aux traditions profanes.


Du côté de la chapelle Saint-Michel, un pilastre offrait en saillie


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dans son socle une statuette d'Orphée, haute de 32 cent. ; le tendre et inconsolable époux d'Euridice, qui fut déchiré parles Bacchantes, était nu et jouait de la lyre.

Le socle des pilastres, du côté gauche, près de la porte du chœur, était orné de figurines de mêmes dimensions : un berger nu, vu de face, tenait de sa main droite une corne à bouquin et, de sa gauche, une torche enflammée, et la Folie, nue aussi, était assise sur une pierre, une marotte à la main gauche et une massue dans l'autre ; a l'extrémité d'une draperie légère passait sous ses fesses et venait se replier sur son bras gauche ».

Vers la même porte, mais au socle des jambages du côté opposé, « un ange femelle, nu et accroupi, les ailes étendues, les cuisses élargies de manière à montrer ses parties sexuelles », portait un cartouche avec le millésime 1522, date de la construction du jubé. Au-dessous de cette figure angélique, Samson, entièrement nu, terrassait un lion. En regard de l'amant de Dalila se dressait « une jeune fille toute nue, vue de face, tenant un long serpent dans ses mains, comme si elle eût voulu se faire mordre le sein. » Etait-ce Gléopâtre ou le symbole de la Prudence? se demande G. Bégin; il se pourrait que ce fût la punition de la Lubricité ou YHygie gallo- romaine (fig. 30 bis et ter).

Du côté de l'Epître, sur deux pilastres contigus, on voyait deux amours nus ; l'un, debout sur une sphère, avec un arc détendu, venait de décocher une flèche à son voisin.

La face du jubé qui regardait la chapelle de Notre-Dame était agrémentée de sujets non moins curieux. Sur un médaillon était sculpté un personnage nu, assis, des pampres à ses pieds ; il montrait un autre médaillon où figurait Hermès sans draperie pareillement. « C'était évidemment le dieu de la Santé ; il avait guéri le person- nage qui le désignait comme son sauveur et qui s'applaudissait d'avoir fait choix d'un tel médecin. » L'impudent messager de l'Olympe, métamorphosé en Esculape se retrouvait sur divers piliers en d'autres postures, mais toujours avec le même costume primitif, tantôt son caducée en main, tantôt terrassant un dragon ailé.

Sur la face tournée du côté de la chapelle Saint-Nicolas, David chaussé, pour tout vêtement, d'une paire de brodequins qui montent au genou, était accoudé à l'un des piliers ; Neptume, le trident en


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main, contemplait le roi des Juifs. Un peu plus loin, le dieu de la mer était traîné par un cheval marin et accompagné damours.

Au-dessous d'un sphinx à tête de bélier et d'un énorme singe, la tête appuyée sur un sceptre qu'il tenait en main, on voyait Apollon nu et à cheval, deux piques à la main droite et sa lyre en bandoullière. Vis-à-vis se livrait le combat du centaure



Fig. 30 bis.


Fis. 30 ter


et du lapithe qui se disputaient une femme nue couchée sur le dos, les cheveux épars et faisant de vains efforts pour échapper aux étreintes du monstre. Le peuple, simpliste et ignorant, prétendait qu'on avait voulu figurer le diable enlevant une femme à son mari.


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Au-dessus d'Adam et Eve « paraissant embarrassés de leur nu- dité », Cupidon, appuyé sur son arc, les ailes déployées, retenait par un ruban un petit chien, le symbole de la Fidélité qui jure entre les mains du volage enfant de Cypris. Ces images étaient surmontées de la figure d'un jeune homme nu, « occupé à s'habiller », et de deux amours, dont l'un était assis sur des brasiers ardents, tandis que l'autre bandait son arc et préparait ses flèches.

Terminons la description de cette galerie émoustillante où se mêlent à l'envi « les divinités de l'Olympe avec les sanctifications de la Bible, les héros d'Homère avec ceux de l'Evangile », par une figure en pierre d'Isis, mesurant 43 cent, de haut sur 29 de large et qui provenait du vieux cloître. La saillie de ce haut-relief était de 18 cent. ; il représentait un buste nu de femme, mais si maigre, que, pour nous servir d'une expression imagée de l'abbé Brantôme, <( elle ne pouvoit rien monstrer que le bastiment » ; sa tête était couverte d'un voile. « Deux mamelles sèches pendaient à sa poi- trine » comme celles des Dianes d'Ephèse. La peau était colorée en rouge et la draperie qui contournait la taille en noir: le rouge dans les mystères d'Eleusis signifiait, paraît-il, l'innocence, et le manteau noir indiquait « la messagère des songes heureux ».

Une statue analogue existait à Saint-Germain-des-Prés et à Saint- Etienne de Lyon.

L'Isis de Metz a donné lieu à une légende accréditée, non seule- ment par le vulgaire, mais par le chapitre messin lui-même ; laissons la parole à Bégin :

Certaine jeune femme extrêmement belle, idolâtre de ses charmes, fut frappée par où elle avait péché. Dieu la rendit aussi laide qu'elle avait été jolie, et lorsqu'elle mourut, elle voulut qu'en mémoire de cette punition, et par acte d'humilité chrétienne, on sculptât sur son tombeau, d'une manière exacte, l'image qu'elle présentait alors. Ainsi se trouvaient con- firmées les paroles du sage : Vana est pulchritudo ; millier timens Deum ipsa laudabitur.

On appela la jeune résignée la Rechigna; mais son histoire est un conte fait à plaisir et n'a pas la saveur de celle de la Vergognosa qui nous attend à Pise.

Sur les boiseries des stalles, saint Clément, le premier évêque de Metz, terrasse le Graouilli et l'enchaîne avec son étole. C'est une


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légende mystique et romantique souvent utilisée par les hagiogra-



Fig. 31.

phes et qu'ils appliquent aux épiscopes sans histoire ; seule la forme du monstre varie.

On voit encore une scène du Déluge « palpitante d'émotion » : une



Fig. 32.


mère échevelée, presque nue, est assise sur un arbre et allaite le fruit de ses entrailles quand, patatras, l'arbre se brise et entraîne la malheureuse famille dans les flots.

Le long de la rampe de la chaire est sculpté un loup prêchant des brebis séduites par ses paroles. A Amiens, le prédicateur est un renard 1 dont le capuce est rempli de poulettes; il cherche à attirer celles qui picorent au bas de sa chaire.

Abside. La frise des chapelles du chevet est décorée de trois tableautins bizarres, au milieu de feuillages entrelacés. Le premier (fig. 31) est un sujet « érotique » ; le second (fig. 32) offre les sym- boles de la force brutale, c'est-à-dire un lion, un taureau et Hercule nu armé de sa massue ; le dernier motif (fig. 33) donne « l'image des plaisirs sensuels », l'ivresse du vin et des belles.

1. La queue de cet animal servait autrefois de goupillon ; en vieux français, goupil signilie renard.


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Sur l'un des vitraux échappés au vandalisme révolutionnaire et conservés par le chapitre Ggure Yichnou, sous l'incarnation de la Trimourti indoue 1 , couché sur une feuille de lotos et bercé par les



Fig. 33.


ondes lactées primitives. Près de lui, deux têtes de femmes, celles vraisemblablement de Lakchmi et de sa rivale Mohanimaïa, ont fait considérer ces diverses figures, propres aux mythes indous, comme emblèmes des anciennes confréries de la Mère folle. Mais, à Chartres, au-dessus de la grande porte, ne trouve-t-on pas aussi plusieurs scènes copiées dans la mythologie indienne?

Une autre verrière, toujours d'après le même auteur, représentait au milieu d'une rosace ïloni, la source de tout, la demeure éter- nelle du Lincfam, phalle adoré sur les bords du Gange : « le Lingam, naît dans un triangle, qui lui-même est sorti du lotos ou padma ».

Ces ornements mythiques d'une église carlovingienne n'ont pas lieu de nous surprendre, quand on songe aux emprunts faits par le dogme et la liturgie catholiques au bouddhisme — Jean de Saint-Saba ne s'est-il pas occupé à christianiser le Bouddha ? — et à la fré- quence du mélange de l'élément païen et de l'élément chrétien dans l'art, dès le début du moyen âge, où la fusion du mysticisme et de l'érotisme, de la foi et de la joie, existait déjà, à l'état latent, dans les esprits.

Munich. Musée. — Rubens, dans son Massacre des Innocents, trouve une heureuse occasion d'exposer un nombre respectable de gorges gonflées de lait. De même, ses Jugements derniers (fig. 34, pl. 1 et 35) ne sont que des œuvres de chairs, où domine le nu féminin ;

1. Brah ma créateur, Vichnou conservateur et Civil destructeur: les trois énergies de la nature.


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véritable avalanche de gros flocons neigeux qui roulent clans l'abîme. Cette interprétation ultra-réaliste du maître flamand n'a rien de



Fig. 35.


commun avec celle de Michel-Ange; elle s'en distingue surtout par letohu-bohu désordonné et fantastique, ce que les Italiens appellent, à l'adresse de G. Mazzuola, « una stupcnda furia di pcnello », une étonnante furie de pinceau. Le style, c'est l'homme, aussi bien en peinture qu'en littérature : Rubens, en raison de son caractère géné-


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reux et chevaleresque, a laissé à l'âpre Buonarroti le côté terrible de cette page religieuse et n'en a gardé que le « côté consolant »,

selon la remarque de H. Durand. Ces amas d'académies sont traités avec ' une ampleur, une exubé- rance de fougue et une maestria qui trahissent la touche du maître.

C'est trop de graisse humaine éta- lée, grognonne le D r Emile Laurent, que toutes ces brutales visions du stupre, écroulements formidables de ventres et de fesses, grappes dé- nouées de mamelles et de hanches, dos annelés de plis gras, vautrements presque obscènes de génisses mame- lues, avec une lumière crue éclairant Fig. 36. leurs seins et leurs cuisses.

Dans l'un de ces tableaux vivants (fig. 35), une des ressuscitées, assise et sans voiles, les mains croisées sur la poitrine, attire l'œil ; c'est le portrait d'Hélène Fourment, seconde femme de Rubens. Sa carnation capiteuse resplendit souvent dans son œuvre; ce qui n'empêcha pas cette prude « poseuse », à la mort de son mari, de vouloir brûler plusieurs de ses tableaux qu elle trouvait indécents, elle qui étala si complaisamment sur ses toiles sa gorge opulente et cette saillie qu'en équitation on qualifie d'arrière-train !

Le peintre s'est aussi portraituré et s'elface modestement derrière son épouse. Ce tableau avait été demandé par Wolfgang-Guil- laume, duc de Neubourg, pour décorer l'église des Jésuites de cette ville. Tout de même, l'art et la littérature doivent beaucoup aux disciples de Loyola, aussi bien qu'à Alexandre VI : Rubens, le Voltaire de la peinture, est un élève des Jésuites, comme l'auteur de la Puce lie, et Borgia délivra Florence du farouche iconoclaste Savonarole.

Nuremberg. l°Saint-Sebald. — Ce temple protestant, contrairement à, la règle inflexible du puritanisme calviniste, est un véritable musée : bas-reliefs, peintures, ornements y foisonnent et récréent la vue et l'es- prit. Il contient la merveille de l'art nurembergeois : le tombeau et la



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châsse de saint Sébald 1 , en airain, œuvre du maître fondeur Pierre Vischer. Cette châsse, supportée par des escargots pour rappeler le silence de la tombe, offre une bigarrure choquante de figurines my- thiques et chrétiennes, vêtues ou non (fig. 36). Des apôtres, des pères

de l'Eglise et des anges se mêlent



Thésée, qui occupent avec des harpies les piliers des angles (fîg. 37). Les petits Cupidons qui jouent avec des animaux ou des instruments sont nus et s'ingénient à mettre en évidence leurs organes procréateurs (fîg. 38).

Les figures nues, assises au pied du tombeau, ont la vigueur des créa- tions de Michel-Ange ; et les sirènes aux formes fuyantes qui soutiennent des candélabres, aux quatre angles (fig. 39) semblent avoir été posées là par la main aristocratique du Primatice. Mélange naïf et charmant du spiritualisme chrétien et de la mythologie païenne, de la religion de la souffrance et de la religion de la joie.

La chapelle de Lœffelhalz renferme une cuve colossale en fonte, où aurait été baptisé à sa naissance Pempereur Wenceslas, qui, à l'exemple de Constantin VI Copronyme, salit Peau baptismale.

A l'extérieur, vers l'Anschreibthûre, porte donnant accès dans le

1. Ce saint patron de Nuremberg 1 serait le fils d'un roi de Danemark. A la suite d'une scène de jalousie, selon les uns, pressé par le désir de vouer son existence à Dieu, selon d'autres, il aurait abandonné sa femme, le jour de ses noces, et serait venu prêcher l'Evangile dans la contrée de Nuremberg, où il mourut en 801.


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l'art profane a l'église


collatéral Nord, on aperçoit une sculpture de personnage nu, vu de dos, couvert de crapauds et de serpents qui lui déchirent les

chairs ; c'est la sanction pénale de la Lu.rure.

Au portail des Trois Maries, le torse découvert de Marie-Madeleine fait une saillie dont la proéminence surprend et étonne l'œil de l'igno- rant 1 .

2° Fontaine de la Vertu. — Ce

monument hydraulique, élevé sur la place de l'église Saint-Laurent, revêt un caractère religieux grâce aux sept Vertus qui en forment l'or- nementation. Nos lecteurs connais- sent de longue date ces figures al- légoriques qui versent des filets d'eau par leurs seins 2 . Les deux jets qui s'échappent des mamelles de la Charité seraient plus volumineux que ceux de ses voisines : « Ils vont Fig. 39. nourrir comme d'un lait substantiel

les deux enfants qu'elle tient près d'elle », écrit un auteur d'ailleurs mal renseigné, car il n'a vu que trois Vertus, les théologales.

3° Musée. — René Mélinette décrit, dans ses Instantanés d'Alle- magne, un Jugement « rempli de cocasseries » :

Un de ces diables, muni de deux ailes rondes de papillon, vole et montre son train de derrière osseux ; entre ses jambes on aperçoit sa tête ren- versée, ses yeux ronds et ses oreilles de chauve-souris. Et que fait-il ? Eh ! bien !... — C'est le supplice ad vitam œternam infligé à l'évêque qui se trouve au-dessous de lui, — ce diable... pète sans cesse au nez du prélat.

1. Bibl. des Arts déc. Eglises 51, n° 2.

2. V. nos Anec. hist. et relig. sur les seins (fig. 5).



Planche I.



Fig. 34, page 28. — Phot. V A. Bruckmann


ALLEMAGNE — ALSACE-LO ÎIRAIN E


33


D'autres artistes ont été plus loin en matérialisant des scènes analogues. Mais ce personnage impétueux qui, comme le couple des diablotins de Cousin 1 , évoque à l'esprit léger l'encouragement d'Arrie à son époux : Pœte non dolet, n'est-il pas le démon, au geste non moins pétulant, de la /-fflSè cathédrale de Strasbourg ? Quoi qu'il en soit, il n'a certes W U rien de commun avec Mme du Plessis, sœur du cardinal de Richelieu, qui croyait avoir en verre « ce qu'il faut pour s'as- seoir » et demeurait debout crainte de se casser, ni avec le péripatéticien Métroclès, lequel se croyait déshonoré parce qu'un lapsus recti, lui avait échappé en pré- sence de ses disciples. Vous savez comment le stoï- ^fisÉB^à cien Gratès « lui osta ce scrupule », à l'aide d'ar- guments ad hominem : « se mettant à peter à l'en- vuy avecques luy », dit Montaigne 2 .



Fie:. 40.



Ratisbonne. Cathédrale. — Un archéologue allemand, M. Rolle, a vu un moine embrassant une religieuse dans une sculpture de la Visitation, où Marie et Elisabeth se congratulent de leur passage à l'état sphéroïdal.

2° Saint-Jacques (Schottenkirche). — « Elle a au portail Nord des sculptures singulières » , assure Bsedeker ; la néréide de la figure 40 est sans doute l'une de ces singularités artistiques.

Rosiieim. — L'entablement d'un pilier de cette église est agré- menté d'un obscenum de petite dimension, mais de grande licence.

Sciileswig. Cathédrale. — Au maître-autel est représentée une Eve (fig. 41), statue en bois de Hans Bruggemann (1520). Pour


1. L'Arl profane à Véçjlise, France, fig. 170, 171.

2. Cf. Pierre Pic, Pilules apéritives à Vexlrait de Montaigne.


ART PROFANE.


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L'ART PROFANE A L EGLISE


mieux cacher sa nudité, le sculpteur ne se contenta pas d'une seule feuille de vigne, il en fît un paquet sous forme de rondelles et fixa le tout à l'aide d'un gros clou (fîg*. 42). C'est peut-être une addition



Fig. 42. Fig. 43.


Soest. Sainte-Marie-des-Prés (Wiesenkirche). — A l'un des vitraux, sur la table de la sainte Cène, au lieu de l'agneau pascal, il y a une tête de cochon et un superbe jambon de Westphalie,

Jambons crossoient de tous côtés, Ainsi que s'ils étoient plantés.

Accessoires qui donnent à cette solennité une couleur locale toute spéciale et rappellent les 12 preux de la Table-Ronde... de Liebenberg.

On remarque encore des sculptures sur bois se rapportant à la Passion, « mais d'un tel réalisme, dit Malte-Brun, que nous ne pou- vons entrer ici dans aucun détail à leur sujet ».

Strasbourg. 1° Notre-Dame. — Extérieur. — Exposition des sept péchés capitaux, dont le plus capiteux, Luxuria, attire spécialement le regard.

Au tympan se trouve une représentation de nos premiers parents en costume paradisiaque; Adam ne cache rien, mais il tient la main de son épouse et lui forme un écran naturel. Quel est ce petit per- sonnage nu qui, à l'ouverture de la gueule du Léviathan, appuie sa main gauche sur la tête d'Eve?

Sur la corniche du Sud-Ouest est taillé le Sabbat : les esprits infernaux enlèvent les sorcières dans les airs. A la frise extérieure un diable traîne par les pieds un damné, le mauvais riche (fîg. 43),


ALLEMAGNE ALSACE-LORRAINE


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tandis qu'un autre approche son siège du visage de ce patient et, ore rotundo, s'apprête à l'embrener, après lui avoir donné un soufflet. Cette incongruité, que nous avons déjà rencontrée dans un coin de la Tentation de saint Antoine, par Ca\lot,se retrouvera au Campo Santo de Pise. Elle est souvent mentionnée dans les supplices de l'Enfer; un manuscrit du xn e siècle, les Visions de Fulbert, y fait allusion :

Quidam (dœmones) fœtidum stercus in os projecerunl, Et quidam in faciem ejus comminxerunt...

(Quelques-uns (des démons) évacuèrent dans sa bouche un excré- ment fétide; quelques-autres lui urinèrent sur la figure).

Dans le voisinage, un groupe non sympathique (fig. 44) allégorise la lune rousse matrimoniale ou « la lutte pour la vie conjugale » : un personnage nu, le mari, est terrassé par sa douce et faible moitié. Ce niais porte une grosse pierre pour établir que la force physique est asservie par le pouvoir psychique, ou plutôt sensuel, et qu'à l'exemple d'Hercule, il lui faut filer doux aux pieds de son Omphale courroucée. C'est une variante de « la dispute de la culotte », si souvent reproduite sur les stalles. Moralité sociale à rebours, en révolte avec la loi civile et religieuse qui impose à la femme mariée l'obéissance passive, et dangereux enseignement pour un sexe déjà trop enclin à l'esprit d'imitation.

Intérieur. — Nef. Le bas-relief d'un des chapiteaux des grands piliers reproduit une procession satirique où I on distingue un pourceau porteur d'un bénitier, suivi d'ânes revêtus d'habits sacer- dotaux et de singes munis de divers attributs de la religion, ainsi qu'un renard enfermé dans une châsse. C'est la Procession du Renard ou de la Fête de l'Ane (fig. 45).

Un autre chapiteau est occupé par une néréide à qui le petit caresse familièrement le sein (fig. 46).

A l'étage supérieur de la nef, coté droit, une verrière très déla- brée symbolise la Lutte des douze Vices et des douze Vertus présidée par Ezéchiel et Aristote dont la logique était celle de la scolastique médiévale.



FU


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L*ART PROFANE A [/ ÉGLISE


De « plaisantes figures » couvraient autrefois l'appui-main de la rampe et la porte de la chaire à prêcher, chef-d'œuvre de la



Fi^-. i.'i. — Tirée d'un mss. (n° 5055 f° 40), de la Bib. de l'Arsenal.


sculpture ogivale fleurie. En fait de sujets profanes, il ne reste plus aujourd'hui, au pied de la chaire, que les portraits de Jean Ham- merer, le sculpteur qui l'exécuta en 1486, et de sa femme.

En 1698, Misson vit sur le « pulpitre » de la cathédrale un bas- relief inoui : « une nonne, écrit-il, est couchée auprès d'un moine qui


ALLEMAGNE


ALSACE-L0RRAI1NE


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tient son bréviaire ouvert, d'une main, et passe l'autre sous la jupe de la religieuse (fig. 47) 1 ». Cette idylle profano-sacrée est un reflet des mœurs monacales d'antan et en même temps la mise en pratique du précepte évangélique : Aimez-vous les uns les autres. Mais il est pro- bable que cette représentation a disparu : les œuvres d'art des édifices religieux, depuis la



Fie. 46.



Fig. 47. — D'après le manuscrit précité.


1. Y a-t-il lieu de se scandaliser de la présence de telles images au sein même du sanctuaire, si l'on songe à celles que les missels et autres livres de piété exposaient sous les yeux des fidèles ? Nous avons donné un avant-goût de cette iconographie épicéc dans nos Seins à l'église : nous n'ajouterons à ces spécimens pimentés que quelques enluminures détachées au hasard de la Bible moralisée, à l'usage de Charles V (Bibl. nat. Mss français, 166) (fig. 47 bis — 47 quinque).


38


l'a ht profane a l'église



Fig. 47 quarte. — P. lxhi. « ... Signifie que par

ivresse personne est appareillé à tout vice, et Fi 8- ^ quinque. — P. xli. « Un des

La foule de damnation lui est due et à son fils d'Israël surpris dans le tabernacle

père et à ceux qui ne les ont corrigés à qui ils avec une mauvaise femme, sont percés

appartiennent. » l° us deux par un des fils d'Eléazar (a).


(<■/) Le gaillard et paillard d'Absalon commit un décuple inceste à meilleur compte, quand il s'empara des dix femmes de son père David et les viola les unes après les autres, en présence de toute la ville {Samuel u-xvi, 22).


ALLEMAGNE —


ALSACE-LORRAINE


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Réforme, ont été soigneusement expurgées par les censures ecclésiastiques.

L'Art monumental reproduit, sans explication, une sculpture de



Fig. 48.


la même église (fig. 48) ; un saint nimbé, nu, est entouré d'animaux fantastiques. Le Père Allegranza, dominicain, le grand maître des symbolistes, eût pu seul expliquer ce groupe, mais il est mort !

La fameuse horloge de la cathédrale est peuplée de divinités mythiques, sans draperies, comme il convient aux habitants de l'Olympe : Apollon et Diane symbolisent le Soleil et la Lune ; Vénus trône parmi les divinités auxquelles chaque jour de la semaine est consacré.

2° Saint-Thomas. — Ce temple protestant, contrairement au dogme réformé, est orné du mausolée de Maurice de Saxe, dû au ciseau de Pigalle sous l'inspiration de l'abbé Gougenot (fig. 49). Le maréchal appartenant à la religion réformée ne put être enterré à Saint-Denis.

Voici le détail du monument. En avant, Hercule, sans autre vête- ment que la peau du lion de Némée sur les épaules, prend l'attitude


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L A RT PROFAN E A L*ÉG LISE


de la Désolation ; plus loin, la France, sein gauche dévoilé, cherche à empêcher le héros de descendre dans la tombe ouverte à ses pieds,



Fig. 49.


et, en même temps, repousse la Mort qui attend sa victime, le sablier vide à la main. Au second plan, Eros, par lequel le vain- queur de Fontenoy fut maintes fois subjugué, pleure comme le fils d'Alcmène et éteint son flambeau. Des puritains refusent de voir le


ALLEMAGNE A L S ACE - L R R A IN E


41


fils de Cypris profaner un temple luthérien et en .font le Génie de la guerre ; mais alors il ferait double emploi avec la larmoyante victime de Déjanire.

Le petit Génie qui est à côté du maréchal, dit de Saint-Foy, m'a paru équivoque. On ne sait si c'est le Génie particulier du Héros, le Génie de la Guerre, ou le Génie de l'Amour. Comme, par l'emblème d'Hercule ou de la Force, l'Artiste avoit figuré la force prodigieuse et le courage du Maréchal, il a sans doute voulu exprimer, par l'emblème de l'Amour, son penchant à la galanterie; mais des Critiques judicieux lui ayant repréfenté qu'un pareil symbole seroit déplacé dans un ouvrage destiné pour une Eglise, il a ôté tous les attributs qui caractérisoient l'Amour, et en a fait un Génie qu'on ne devine plus.

Un peintre, à qui Gabrielle d'Estrées avait commandé un portrait d'Henri IV, fut plus explicite :


il peignit le brave vert galant tenant son casque qu'un Amour, sous les traits de la favorite, entourait de laurier, avec cette inscription : Addit fortibus alas. C'est vraisemblablement la même idée qu'a voulu in- terpréter le ciseau de Pigalle.

A gauche sont rangés les emblèmes des puissances vaincues par le maréchal dans les guerres de Flandre : Yaiglc d'Autriche, le lion de Hollande et le léopard d'Angleterre.

Le sarcophage d'Adaloch, qui eut un court pontificat, est enjolivé de sculptures gothiques (fig. 42), où nous relevons la Mer (fig. 50), sous les traits d'une femme nue à cheval sur un monstre marin, et la Terre (fig. 51), sous la figure d'un personnage nu, couvert de poils, avec un appendice caudal et des pieds de bouc; il tient des serpents que la même allégorie, mais féminine, allaite à Bamberg.

Stuttgart. Musée. — Signalons d'abord une Eve de Van Dyck, « violemment colorée, dit le D r E. Laurent, effet de la honte ou de la pudeur sans doute de se voir toute nue avec un ventre de femme hydropique » ; ensuite, une Madeleine éplorée de Rubens, chargée d'une poitrine qui déborde et déferle sous ses doigts occupés mais en vain à la contenir.



Fh>\ 50, 51.


12


l'art profane a l'église


Trêves 1 . 1° Saint-Pierre. — L'auteur des Instantanés d'Allemagne se réjouit de voir dans cette cathédrale une religion « plantureuse » ; des statues « bien nourries » ; des anges joufflus aux « petites cuisses grassouillettes » , on dirait des Amours, et la taille de la Vierge, serrée à « faire saillir les chairs en bourrelets » .

Les panneaux de la chaire de Vérité expliquent les Sept Œuvres de miséricorde corporelle.

— « J'avais faim, et vous m'avez donné à manger. J'avais soif, » etc. — Ces affamés n'ont pas l'air de trop souffrir. « Nudus eram, dit l'un, j'étais nu, et vous m'avez vêtu. » Et on voit s'avancer un mendiant robuste et plutôt gras, à qui une personne charitable essaye d'enfiler une chemise. Derrière lui, sa femme, nature forte et rebondie, attend patiem- ment que ce soit son tour de recevoir la chemise. Pour le moment, elle n'en a pas ni quoi que ce soit qui en tienne lieu.

C'est de l'art bien humain, bien charnel, rien d'ascétique et de triste, mais de la vie^ de la santé. Et tout cela, d'autre part, porte la marque du xvn e siècle.

Trésor de la cathédrale. En dehors du divin clou — le « clou » de cette inestimable collection, — l une des pièces importantes, par son ancienneté sinon par sa facture, est un ivoire roman du xi° siècle qui décore un manuscrit des prophètes de l'Ancien Testa- ment. Sur cette plaque, deux motifs superposés sont sculptés en vigoureux relief : la Vierge et LEnfant-Dieu reçus au temple de Jérusalem par Siméon ; et, au-dessus, le Baptême du Christ (fîg. 51 bis), où les personnages ressemblent à des caricatures. Le Sauveur est absolument nu, aséxué ; les eaux du Jourdain, formées de celles qui sortent des urnes du Jor et du Dan, ceux-ci sans le moindre costume, montent en arrière de Jésus et le submergent. Saint Jean, sous les traits d'un patriarche, de sa droite, lui fait subir la triple immersion du baptême primitif, mais ne le baptise pas par

1. L'évêque Rustique de Trêves, jaloux de saint Goar qui avait acquis la réputa- tation de faire des miracles, le manda auprès de lui pour qu'il donnât une preuve publique de sa vertu miraculeuse. Rustique ordonna au saint de faire dire à un enfant trouvé, qu'il lui désigna le nom de son père. Aussitôt la vérité sortit de la bouche de l'enfance dans ces mots articulés distinctement : « L'évêque Rustique est mon père ». L'histoire ne dit point si le prélat considéra cette réponse comme surnaturelle ou naturelle. Cette légende a servi à d'autres saints.

La cathédrale de Trêves, comme l'église d'Argentcuil, possède une tunique sans couture de Jésus, tissée de lils élastiques de la Vierge, apparemment, s'il est vrai que ce vêtement se soit élargi au fur et à mesure de la croissance du Seigneur !


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infusion, comme le veulent L. Palustre et X. Barbier de Montault, ce qui serait contraire au texte. Deux anges tendent une draperie



Fig. 51 bis.


pour essuyer le seigneur à la sortie du bain et un troisième barbu tient sa tunique.

2° Saint-Mathias. — Trésor. Les émaux et plaques filigranées qui encadrent le tableau du xm e siècle où est exposée la vraie croix portent de nombreux ornements païens. Sur un camée, on distingue le buste d'un empereur romain, Commode vraisemblablement; dans un autre, Didron reconnaît Romulus apprivoisant l'aigle de Rome et X. Barbier de Montault, Ganymède abreuvant l'aigle de Zeus. Des intailles montrent l'Abondance ou Cérès tenant des épis et la corne d'Amalthée, en compagnie d'Arès, d'Hermès et d'Eros nu, une coupe à la main ; on y voit encore un cheval marin, monté par un triton, évoluer au milieu d'apôtres, de saints et d'anges thuriféraires.

Ulm. Cathédrale. — Aux stalles du chœur, en style renaissance, menuisées et sculptées vers 1469 par Georgius Surblin ou Syrlin, sont accrochées quelques indécences et grossièretés qui font des


1 1


l'art profane a l'église


grimaces ou sont parfois inconvenantes. Mais elles sont plus rares que sur nos miséricordes de France, celles d'Amiens, par exemple. En Allemagne, la qualité le cède à la quantité : ainsi, une femme échevelée lève ses jupons et un petit homme grotesque commet une « salauderie ».

Si, au xn° siècle, l'austère défenseur de la règle cistérienne, saint Bernard 1 , se récriait déjà contre les tendances libertines de l'art laïque qui succédait à celui des moines et substituait l'allégorie satirique au symbolisme religieux, qu'aurait-il dit des caprices des décorations ornementales des siècles suivants?

A côté de ce dévergondage excessif du ciseau, de nombreuses ligures en bois de femmes et d'hommes sont séparées dans le chœur, comme au temps de la primitive Eglise, et forment une étrange dis- parate. Le sexe féminin s'aligne sur trois rangs, à gauche ou au Sud et le sexe masculin, sur trois rangs, à droite ou au Nord. En regard des philosophes sont placées les Sibylles ; les Prophètes font face aux illustres juives, et les Apôtres aux Saintes. Tout de même une exception est faite en faveur des médecins, les saints Luc et Corne : ces privilégiés voisinent avec sainte Madeleine. La pécheresse démoniaque, possédée de sept démons, y est désignée sous le quali- ficatif de Fœcunda, qui n'est pas latin, mais est mis là pour fecunda.

Indiquons une autre particularité qui ne plaide pas en faveur de la modestie des artisans d'autrefois, quoi qu'en dise la tradition : le sculpteur, une verge en main, s'est placé à la tête des philosophes pour les diriger et a mis sa femme, arrogante, à la suite des saintes femmes pour les surveiller.

Wechselburg (Saxe). — Les chapiteaux de l'église du monastère d'augustins de Zschillen, fondé en 1 174 par Dedo le Gras, sont ornés de figurines grotesques. Dedo, le dodu, y fut enterré avec son épouse, après une mort singulière : désirant suivre Henri VI dans son expédition en Italie, il voulut se débarrasser de sa corpulence et se laissa enlever, par le médecin du couvent, charcutier à ses heures,

1. « Dans les cloîtres, s'écrie ce saint, à quoi servent ces monstruosités ridicules, ces admirables difformités?... Grand Dieu! si l'on n'est pas honteux de tant de futilités, comment du moins ne pas regretter tant de dépenses ! »


ALLEMAGNE —


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la graisse qui le gênait : Dedo perdit sa panne et la vie en même temps 1 .



Fig. 54. Fig. 55. Fig. 55 bis.


1. Nous rassemblons ici divers documents figurés qui appartiennent à des édifices religieux de l'Allemagne, mais dont nous ne pouvons autrement désigner l'identité. Tels : une gargouille (fig. 52) provenant d'une église Wende et reproduite par Grand Garteret dans ses Images galantes — elle jette l'eau par la fente équivoque d'une tire-lire — et plusieurs motifs détachés de vitraux, une famille de satyres (fig. 53), une cariatide à buste suggestif (fig. 54), un évêque qui est accompagné d'une oie (le démon) et porte un calice d'où surgit, non la couleuvre symbolisant le poison versé à saint Jean, mais une femme nue, la croix à la main (fig. 55). Notons enfin, les armes sépulcrales d'un évêque agrémentées de deux chimères mamclues (fig. 55 bis).


II


AMÉRIQUE


New-Hampshire. Eglise de Mitcheldever. — Mausolée dû au ciseau de Flaxman, élevé par le baronet sir Francis Baring à son



Fig. 56.


épouse. On remarque un bas-relief (fig. 56) où le nu domine ; c'est


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l'art profane a l'église


une allégorie, Que votre règne arrive, tirée du Pater et qui fait pendant à un autre tableau emblématique, Délivrez- nous du mal.

Sarayacu (Pérou). Eglise des Franciscains 1 . Guzco. Monastère de Santa-Clara 2 .


1. M. Paul Marcoy, dans le Tour du Monde de 1 865, nous donne deux représen- tations intéressantes de la femme de Sarayacu : l'une la montre dans son intérieur, vêtue seulement de son pagne ; l'autre, en costume d'église, la poitrine cachée par une mante, à la mode espagnole, qui, de plus, lui encapuchonné la tète.

Le même voyageur, en 1863, fut témoin d'une scène étrange et qui pourrait s'intituler le saphisme au monastère. Une religieuse, avec sa guitare, vint chanter une chanson d'amour, devant une cellule, dans une attitude extatique, les yeux langoureux. Une religieuse sortit d'une cellule voisine, courut sur la virtuose, s'em- para de sa guitare et la lui cassa sur la tête, puis lui infligea « cette correction manuelle dont la seule menace fait frémir les petits enfants » : la femme ou la morue, n'est bonne que battue, dit la sagesse des nations. Aux cris de la victime, l'abbesse accourut et eut toutes les peines du monde à l'arracher aux mains de son bour- reau. M. Paul Marcoy eut bientôt l'explication de cette voie de fait : la nonne dilet- tante s'était attiré cette correction pour avoir donné une sérénade à l'amie de cette rivale vindicative.

A Curzo également, il vit le Seigneur des tremblements de terre, dont les mem- bres mus par des ressorts tremblent pendant les processions, la tète couverte d'une chevelure noire d'extraordinaire longueur provenant d'une pécheresse que ses excès conduisirent prématurément au tombeau. Le père de cette Madeleine, un intendant de police, fit don au chapitre de la cathédrale des cheveux de sa fille, « tant pour racheter les fautes de la pauvre enfant que pour remplacer l'ancienne chevelure du Christ que les vers avaient rongés ».


III


ANGLETERRE — ECOSSE — IRLANDE — ISLANDE


On donne le nom de Shelah-na-Gig ou Julie-la-Giddy (fille publique) a des figures obscènes que Ton rencontre encore, mais



Fig. 57. Fig. 58*.


rarement en France ; et qui ornaient de nombreuses églises d'outre- Manche; elles servaient, comme le phallus, d'images protectrices contre le mauvais œil.

La figure 57 provient d'une vieille église d'Irlande et est visible au musée de Dublin. La figure 58 a été trouvée dans une église à Rochestone, comté de Tipperoy; elle était placée en haut du cintre de la porte d'entrée et a été reproduite par Richard Payne Knight ; enfin, la figure 59, plus fruste et plus grossière que les autres, est

1. Le contrôle de cette nudité étant impossible, nous avons fait disparaître les traces du « foyer de l'amour » ou du « passage du désir »> ; équivalents de rigueur dans le monde qui se qualifie modestement de « grand ».


l'art profane. — II.


4


50


i/ART PROFANE A L * É G L 1 S E


originaire d'une église du comté de Gavan et se voit au Musée de la Société des Antiquaires de Dublin.



Fig. 59. Fig. 00. — D'après Gorter. Fig. 00 bis.


Cambridge. Collège de Saint- Jean. — Mausolée de William Ashton. Le défunt est richement costumé à la partie supérieure du monu- ment; mais, à la partie inférieure, ce n'est plus qu'un affreux cadavre nu et décharné, rongé par les vers. La nudité des effigies est l'em- blème de l'humilité.

Canterbury. Cathédrale. — A l'un des chapiteaux des arcatures fausses, on remarque une femme nue k coté d'un animal fantas- tique.

Ely. Cathédrale. — Deux personnes jouent à saute-mouton sur une miséricorde (fig. 60) ; des polissonneries sont sculptées à d'autres stalles, par exemple la Tentation (fîg. 60 bis), où le démon préside aux ententes cordiales.

Gillingham. — Sur un vitrail, le corps virginal de sainte Agnès est couvert d'un vêtement par un ange. Il n'est donc pas tenu compte ici de la légende qui attribue ce rôle à la pousse miraculeuse de sa chevelure.

Grenjadarstadur. — Dans ce temple d'Islande, une tapisserie au métier du xm siècle raconte la vie d'un évêque. Deux de ces épisodes (fig. 61 , 62) sont identiques à ceux qui sont attribués k saint Romain, sur des quatre-feuilles de la cathédrale de Rouen, et se rapportent à


ANGLETERRE — ECOSSE — IRLANDE — ISLANDE 51


la tentation du saint par le démon, sous les apparences d'une ribaude en costume d'Eve.



Fis. (il '.


Fig. 62*.


Hertford. Cathédrale. — Sous une sellette du chœur un cordon- nier ou un vilain, et non « un moine paillard », comme on Ta écrit à tort, puisqu'il n'a pas la robe à capuce, prend ou essaie la chaus- sure d'une ménagère et glisse son autre main plus haut qu'il ne convient. Le galant déconfit reçoit à la tête, non « une écuelle d'eau en guise de douche réfrigérante », mais une assiette, un plat ou le couvercle d'une marmite (fig. 63).

Londres. 1° Westminster. — Tombeau de Gray. Le sculpteur a représenté la muse de Gray en demi-relief, de grandeur naturelle, Fig. 63. — Reproduite tenant contre son sein le buste en médaillon pai ^ n S ht '

du poète. (( Cette figure accroupie, dit Mme de Genlis, a beaucoup de grâce, mais cette composition profane est bien peu convenable pour un tombeau, et sans convenance. »

Qu'eût dit la prude institutrice des enfants du duc d'Orléans en présence du tombeau d'Isabelle, fille du comte de Glocester et veuve du fameux Warwick, qui voulut que sa statue destinée à son tom- beau fut exactement nue : grande preuve alors d'humilité ?



1, 2. Reproduites par A. Demmin, loc. cil.


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l A RT PftÔl AN 1-: A l' ÉGLISE


Le tombeau d'Elisabeth Warren, ciselé par Westmacott, est une statue de jeune fïlle à demi-nue et accroupie, comme la Madeleine de Canova. Le sculpteur s'est appliqué à imiter la grosse toile d'une



Fig. 64.


chemise « de laquelle on compterait les fils ». Singularité puérile qui rappelle le Christ sous le suaire et le Péché dans le filet de la chapelle délia Pietra de Sangri, à Naples.

2° Saint-Paul. — Rien d'impudique à blâmer dans cet édifice, mais sur le piédestal du monument de Thomas Dundas — qui prit à la France les îles des Indes Orientales — se dresse une allégorie impudente et immodeste : Y Angleterre défend la Liberté contre la Rébellion et la Fraude, à la façon de Robert-Macaire. Un comble !

3° South Kensington. Muséum. — Une moquerie plaisante, relevée sur une miséricorde provenant d'une église de France, montre un franc-archer en bonne ou plutôt en mauvaise fortune chiffonnant le corsage d'une Lucrèce qui file et fait filer son agresseur après une défense héroïque 1 .

Le Musée possède le dessin du tombeau de Gaston de Foix (fig. (ii) qui devait être exécuté par Agostino Busti dans une église

1. L'Arl profane à l'Eglise, en France, lig. 543.


ANGLETERRE ÉCOSSE IRLANDE ISLANDE 53


de Ravenne, où « le Foudre d'Italie » fut tué. Ce monument gran- diose était orné de plusieurs figures de femmes complètement nues. Milan possède de nombreux fragments de ce tombeau, provenant de l'ancien couvent de San Marto ; la bibliothèque Ambroisienne en a recueilli dix-sept, au musée archéologique ; diverses parties se trouvent à Castellazzo-Arconate, à Turin, et dans d'autres localités.

Parmi les tableaux religieux, le National Gallery possède une Annonciation naturaliste de Fra Filippo Lippi, peinte pour Gosme de Médicis. Cette composition se distingue de ses congénères par la direction logique que prend l'oiseau de Cypris : il gagne un autre conduit que l'auditif pour féconder la Vierge (fig. 64 bis).



Fig-. fii bis.


Ludlow. — Wright a donné le dessin d'une diablerie sculptée sous une sellette de stalle : une cabaretière vient de mourir ; le diable l'emporte, toute nue, sur ses épaules « jambe de-ci, jambe de-là », la tête renversée en arrière ; puis, au son de la cornemuse écossaise, précipite la marchande de bière, fraudeuse et libidineuse, dans l'Enfer (fig. 65).

Northampton. Saint-Pierre. — Un auteur y signale de nombreux « emblèmes profanes et indécents ».

Norwich. Saint-Jean-Madder-Market. — Un panneau de la clôture du chœur montre le Supplice de sainte Agathe : le sein gauche de la


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l'art profane a l'église


martyre est pris dans des tenailles. A l'église de Wiggenhall, comté de Norfolk, la même vierge a le couteau sur la poitrine à nu.



Fig. 65.


Oxford. — Dans les créneaux des cloches de Magdalen-Gollege se cache une statue de la Luxure (fig. 66), dont nous avons atté- nué les détails inférieurs ; elle est conçue dans le même esprit, mais plus libertin, que la fontaine de Jean Bologne (Musée de Douai) (fig- 67).

Sherrorne. (Comté de Dorset). — Une stalle de la cathédrale indique comment on corrigeait et corrige encore en Angleterre les écoliers paresseux (fig. 68) ; ce choc choquant n'est pas shocking pour John Bull, qui se refuse à prononcer le mot culotte, mais non à déboutonner la chose ni exhiber la saillie charnue appelée mappe- monde par les géographes, verso par les bibliophiles, revers par les numismates, arrière-garde au régiment, culasse par les armuriers, gras-double par les charcutiers, lune par les astronomes, cupidon ou krupp (prononcez croupe) en Allemagne, prussien en France, enfin la dix-septième lettre de l'alphabet dans les couvents 1 .

Sommerset. 1° East-Brent. — Sur les miséricordes sont sculptées des représentations satiriques et caricaturales, surtout contre le

1. Marie de Médicis fut, un jour, indignée de voir Henri IV fouetter le dauphin ; elle lui dit: » Vous ne traiteriez pas ainsi vos bâtards. — Pour mes bâtards, répondit le Vert-Galant, on les pourra fouetter s'ils font les sots ; mais lui, il n'aura per- sonne qui le fouette ».


ANGLETERRE ÉCOSSE IRLANDE


SLANDE


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clergé régulier. On y voit un renard-capucin pendu par une oie (ouaille), tandis que deux renardeaux glapissent au bas du gibet ; un

autre renard-abbé, coiiïe de la mitre et la crosse en patte ; un troisième renard enchaîné, tenant un sac d'argent, au milieu d'oies, de grues et de bé- casses ; un singe avec une hallebarde de suisse ; un second quadrumane



Fig. 66.


Fia:. 67.


Fig. 68.


en prière, un hibou perché sur la tête, etc. (J. Mason Neale et Benj-Webb).

2° Eglise de Nailsea. — Les mêmes auteurs indiquent, mais sans le moindre détail, une sculpture « des plus grossières », sur le nord de l'arc de triomphe de cet édifice religieux.

Stamfort. Entre autres sujets peu convenables qui historient les culots des stalles, on remarque le baptême d'un chien.


Stevington. — Sur une stalle (fig. 68 bis), une Victime de la dyspepsie s'apprête à restituer le trop-plein stomacal : c'est la punition de la Gourmandise. Sursum cordai


Tewksbury. — Comme à Cambridge pour le tombeau de Wiliam Ashton, celui de lord Abbat offre les mêmes particularités : le


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l'art profane a l'église


défunt est somptueusement habillé sur l'entablement et paraît au soubassement à l'état d'horrible squelette couvert de vers.



Fig. 68 bis. Fig. 69.


Wellingborougii. — Augustin Filon, dans la Caricature en An- gleterre, parle d'un bas-relief de cette église qui représente une jeune cabaretière (aleivifc) grassouillette et appétissante.

Elle est habillée avec une certaine recherche... Son corsage s'échancre très bas sur la poitrine ; un petit treillis formé de cordons entre-croisés s'oppose à l'invasion d'une main brutale, sans refuser le passage à un doigt indiscret: demi-précaution pour une demi-vertu. Le costume dit les mœurs. Quand on a vu ce corsage, on sait ce qui se passait dans les ale- houses, même sans lire les vers de Skelton à clame Elinour.

Mais un proverbe anglais dit : « Sein découvert ne met pas le cœur à nu ». Aussi, comme le rappelle Georges Duval, Au temps de Shakespeare, à la cour d'Elisabeth, il était d'usage que les vierges aient le sein nu. La reine elle-même observera cette coutume à l'âge de 70 ans, ainsi qu'en témoigne Hentzer qui la vit à Green- wich « le sein découvert, comme toutes les dames anglaises jusqu'à ce qu'elles se marient » .

Wells. Cathédrale. — A signaler une néréide peu commune, elle tient un lion de la main droite et relève sa queue de la gauche (fig. 69) : le symbole de la toute-puissance des charmes féminins?

Nous n'insisterons pas sur la sortie des tombeaux ; les ressuscités, hommes et femmes à l'état de nature, sont isolés ou groupés sous diverses arcades gothiques. Le motif en est banal, quoique vif


ANGLETERRE ÉCOSSE IRLANDE ISLANDE 57


(fig. 70, 71) ; l'un d'eux étend la main qui ne cache rien : tenons lui compte de l'intention (%. 72).



Fig. 70. Fig. 71. Fig. 72.


Winchester 1 .

Worcester. 1° Cathédrale. — Tombeau de la comtesse de Salis- bury, en l'honneur de qui Edouard III institua l'ordre de la Jarre- tière. On voit des anges ou des amours qui jettent sur le sarcophage des jarretières, comme d'autres effeuillent des roses. « Il est inutile de remarquer, d'après Mme de Genlis, combien il est ridicule de rappeler sur une tombe une anecdote de ce genre 2 ».

L'ordre du Collier — devenu l'Annonciade sous le pieux Amé VII

1. Le comte Goodwin, vers 1043, sur la foi de l'abbé Robert, appelé en Angleterre par Edouard le Confesseur, accusa la reine Emme, mère d'Edouard, « d'un com- merce scandaleux » avec Alwin, évêque de Winchester. La reine démontra son innocence par l'épreuve du feu : les yeux bandés, elle marcha sans éprouver la moindre douleur sur douze socs de charrues rougis au feu ou seulement rougis à la peinture, car le jugement de Dieu, en l'espèce, nous paraît être une couleur. Néanmoins, le roi se déclara convaincu et demanda pardon; il consentit, en expia- tion, à recevoir le fouet avec la discipline, de la main de l'évêque injustement accusé.

2. Rappelons, en passant, un des nombreux illogïsmes des mœurs britanniques : le mot pantalon est schocking, improper, chacun sait ça, et la jarretière qui est au-dessous ne l'est pas ! Le pantalon n'existe même pas dans le vocabulaire Anglais; les Ecossais ont fait mieux, ils l'ont supprimé,


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L'A K t PROFANE A L ÉGLISE


— a aussi une origine amoureuse, ce qui ne l'empêche pas d'être porté en l'église de Westminster par des princes d'Albion. Cet

ordre vient d'un bracelet qu'une dame avait tressé avec ses cheveux pour Amé V, en lacs d'amour ; il portait cette devise passionnée : f. e. r. t. (Frappez, Entrez, Rompez Tout).

Sur une autre sépulture est sculp- tée en bas-relief la Naissance d'Eve (fig. 73). Adam accouche debout et son corps à deux troncs simule un monstre dicéphale, variété des mé- Fig. 73. lionides, genre Rita-Cristina.

2° Great-Malvern. — Une miséricorde du chœur dissimule dans son ombre le groupe burlesque et inconvenant d'un personnage qui souffle au derrière d'un diable ; de même les Scythes soufflaient



Fig. 73 bis. Fïg. 73 ter.


dans l'anus des cavales pendant qu'on les trayait. Cette grossièreté ne nous est pas inconnue et vous savez que des esprits subtils y ont découvert une satire à l'adresse des « souffleurs », des hermétiques chercheurs de la pierre philosophale (fig. 73 his). Mais nous diront- ils pourquoi les beignets soufflés ont été gratifiés du vocable mondain « vent d'ange », vulgo « pet de nonne » ?

Sous une sellette voisine, un malade et son médecin semblent trinquer à leur santé, l'un avec un pot de tisane et l'autre avec un urinai ; à moins qu'il n'y ait qu'une simple coïncidence dans le geste élévateur, en quel cas la facétie ne serait plus qu'une simple image d'un trait de mœurs (fig. 73 ter).



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Nicosie (Chypre). Sainte -Catherine. — Détail du portail Nord : une néréide tient deux poissons à la place des extrémités de sa queue bifide, attitude ordinaire de cette ligure allégorique (fig. 74).

Benisouef (Égypte). Couvent St- Antoine. — La boiserie qui ferme le sanctuaire de l'église grecque et les murailles du couvent sont ornées de plusieurs tableaux sans perspec- tive ; l'un des saints du schisme, Barsoum le Nu, y est représenté au naturel, en justification de son qua- lificatif.

Avant le protectorat anglais, on rencontrait dans les villages des bords du Nil des Sainlons absolument dévêtus, ermites vénérés de la population, surtout des femmes qui désiraient être fécondées.



IV


AUSTRO-HONGRIE. — ÏYROL


Vienne. 1° Eglise de la Cour. — Tombeau d'une archiduchesse, sœur de Joseph II. Un génie, les ailes repliées et appuyé sur un lion, pleure « la Grandeur et la Beauté moissonnées dans leur fleur ». Sa nudité est absolue, sauf une feuille de vigne qui l'accentue encore ; Ganova en a fait une sorte d'Amour adolescent « pleurant sa pre- mière défaite ».

2° Belvédère. — Peinture religieuse de Jean Van Eyk (1452) où le nu abonde : le sein droit de la Vierge tout entier est dévoilé, comme le torse du Bambino ; à côté d'eux, Adam et Eve, en peau naturelle, grignotent la pomme fatale qu'ils tiennent d'une main, tandis que l'autre leur sert de pagne.

En visitant les églises viennoises, nous avons trouvé beaucoup d'ornements de mauvais goût, mais, pas la moindre nudité, à l'ex- ception toutefois de celle, bien anodine, que nous venons de signa- ler. Dans cette ville ultra-catholique, la censure administrative y est très sévère, excessive même. Si la pudeur est une vertu chez la femme et son plus bel ornement, dans l'administration elle frise souvent le ridicule. Ainsi un correspondant du Temps raconte qu'en août 1907, les autorités préposées à la pudeur publique ont interdit à la devanture des libraires et papetiers toutes les nudités, mêmes artistiques! Défense d'exhiber la Petite plisse de Rubens, 1 que tout le monde peut admirer, couleur en plus, au Musée, et les Filles de Leucippe du même peintre !

I. V. nos Seins et l'Allaitement dans l'Histoire, fig. 135.


02


l\\rt profane a l église


L'autorité viennoise entend sans cloute marquer à Castor et Pollux sa désapprobation. Nous ne saurions le lui reprocher. 11 est fâcheux seule- ment que Rubens soit atteint par contre- coup. Il n'est pour rien dans l'acte lui- même. Son rôle s'est borné à raconter, le plus loyalement qu'il a pu, ce déplo- rable attentat aux mœurs. Tout au plus pourrait-on lui reprocher d'avoir plaidé pour les divins ravisseurs les circons- tances atténuantes, par la manière dont il a exposé le corps du délit... Après tout, cette aventure s'est terminée par un double mariage mythique. Voilà ce que les autorités viennoises ne devraient pas oublier.



Fi


. T.'i. — D'après von Hamnier-

Piïrgs tall , Fu n dçj ruhe n des Orients, vol. VI, p. 26 1 .


Et cette toile appartient à la Pina- cothèque de Munich, où elle est visible. Voilà donc le maître anver- sois et son modèle favori, Hélène Fourment, convaincus de por- nographie ! Ces pudiques ronds de cuir viennois, ces fanfarons de vertu, émules de notre sot Sosthène de La Rochefoucauld, tiennent-ils tant à rappeler que les Austro- Hongrois ont du sang d'Ostrogoth dans les veines? La pudeur et la chasteté sont des sentiments contre nature ; ils n'ont été imaginés que par les lai- drons : Casta est quam nemo rogavit (Celle qui est chaste est celle que personne n'a sollicitée), dit fort bien Russy-Rabutin.

3° Saint-Etienne 2 .


Egra (Rohême). — Sur un chapiteau de cette église, les deux sexes exposent les organes réputés souverains contre les maléfices (fig. 75). Quelques esprits pointilleux et fervents de Tau delà assurent y reconnaître une audacieuse figuration de nos premiers parents, mais il est plus logique de rapprocher ces images chrétiennes des priapes, phallus et Shclah-na-Gig protecteurs reproduits sur les anciens édifices civils et religieux.

1. Bien que les yeux chassieux des chastes aient la berlue, nous avons expurgé à leur intention le réalisme trop criard de ces images religieuses.

t. Le pavé de la cathédrale viennoise est jonché de tombes. A celle de l'empe- reur Frédéric II, sur son sceptre se lisent les cinq lettres initiales A. E. I. O. V. de la célèbre devise de la maison d'Autriche : Austrise Est Impernre Orbi Universo.


AUSTRO-HONGRIE — TYROL


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Brixen (Tyrol). — Misson a vu dans l'église de cette ville un tableau curieux : Jésus fait couler dans un grand bassin le sang de son côté, ouvert par la lance de Longin; la Vierge presse ses mamelles et le lait qui en jaillit tombe dans le même récipient. Le trop-plein s'écoule dans un second bassin et se perd au fond d'un gouffre de flammes, où les âmes du Purgatoire des deux sexes, en bustes nus, « s'empressent à recevoir cette précieuse liqueur qui les console et les rafraîchit ».

Au bas de cette vieille peinture on lit une inscription, en latin de sacristie :

l)um fluit e Christi henedicto Vulnere sanguis, Et dum Virgineum lac pia Virgo premit,

Lac fluit et sanguis, sanguis conjungitur et lac, Et sit Fons vitœ, Fons et Origo boni.

(Tandis que le sang- s'écoule de la blessure bénie du Christ et que la Vierge sainte presse son sein virginal, le lait et le sang jaillissent et se mélangent, et deviennent la Fontaine de vie, la Fontaine et la Source du bien).

Trente 1 . — Prague 2 .

1. Le même voyageur rapporte les deux derniers vers d'une épitaphe qu'il a lue dans l'église Saint-Marc. C'est une jeune femme débonnaire, Dorothée Tonna, qui s'adresse à son mari :

Immatura péri ; sed tu diuturnior, annos Vive meos, Conjux optime, vive tuos.

(Je suis morte prématurément ; mais toi, mon excellent époux, vis plus longtemps, vis mes années, vis les tiennes.)

2. Entre les multiples statues qui ornent le pont de la Moldau, celle de saint Jean Népomucène, le patron révéré de la Bohême, est l'objet d'un culte tout particulier. Tandis qu'il était aumônier de l'épouse de Wenceslas l'Ivrogne, cet alcoolique le lit précipiter dans le fleuve, parce qu'il refusa de violer le secret de la confession, en lui dénonçant les fautes dont la reine s'accusait. Hippolyte Durand a vu de pauvres gens s'agenouiller devant le saint et a remarqué qu'ils se relevaient plus « sereins » ...On le serait à moins.


V


BELGIQUE


Aerschot. — Une miséricorde, d'après Maeterlinck, porte deux femmes nues qui fondent Tune sur l'autre, la lance en arrêt; elles « chevauchent sur des hommes qui rampent sur les genoux et les mains ».

Alost. Saint-Martin. — Cette église possède un tableau historico- allégorique de Rubens, la Peste d' 'Alost (fig. 76), qui ne manque pas de valeur, quoique peint en huit jours. Nous y voyons saint Roch envoyé par le Christ au secours des pestiférés qui l'implorent. La femme dépoitraillée qui, dans tous les thèmes semblables, étale ses mamelles au premier plan, est ici reléguée au second; elle use large- ment de ce privilège, bien qu'elle n'ait pas, comme à l'ordinaire et pour excuse, un enfant auprès d'elle et qu'elle soit entourée d'hommes. Pour un tableau d'autel, ce nu est excessif; Rubens n'est- il pas coutumier de ces libertés 1 ?

Anvers. 1° Notre-Dame 2 . — Transept Sud. Inutile d'appeler l'at- tention du visiteur sur la Descente de Croix de Rubens, la plus

1. Dans les Flandres, autrefois, la pudibonderie de l'école Bérengér était inconnue. Ognie de Luxembourg-, épouse de Baudoin à la belle barbe, fière et heureuse d'être devenue enceinte dans un âge fort avancé, lit dresser une tente au milieu de la grande place d'Arras pour y faire ses couches, coram populo, en présence de toutes les femmes de la ville. Par contre, si les princesses d'antan manquaient de décorum, les dames flamandes, contemporaines de Victor Hugo, — est-ce par pudeur ? — manquaient de propreté : « elles consacrent, écrit-il, vingt-quatre heures de la journée à laver leur maison et la vingt-cinquième à se laver elles-mêmes ». De fait, le « brillant belge » n'est renommé que pour faire reluire les culs des chaudrons.

2. Ironique et juste retour des choses d'ici-bas : le Christ en bronze qui domine l'entrée du grand portail provient de la fonte (1G35) des débris de la statue du duc d'Albc, — de albus, blanc! Cette effigie du cruel général catholique qui institua le Tribunal des troubles fut traînée la corde au cou à travers les rues de la ville, en

l'art profane. — II. f o


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i/art profane a l'église


fameuse de ses conceptions religieuses. Le volet gauche de ce ma- gnifique et grandiose triptyque est occupé par la Visitation : Isabelle Brandt y représente la Vierge au terme d'une grossesse qui, selon saint Luc 1 , ne fait que commencer; la personne qui porte une corbeille serait le portrait de sa fille.

Transept Nord. L : 'Erection de la Croix est un autre triptyque du même maître qui fait pendant au précédent. Le sujet du volet gauche représente les Disciples et les Saintes femmes ; au premier plan, une mère à genou donne le sein à son enfant (fig. 77). Elle fait partie d'un groupe d'autres femmes « effrayées à la vue d'une vieille qui vient de sortir du tombeau », dit un critique d'art; mais nous nous permettrons de censurer ce censeur : la « vieille » en question est comprise dans le groupe des femmes éplorées devant le terrible spectacle de la Crucifixion -. Sur le volet droit est peint le Crucifiement des larrons, dont les bassins sont voilés contraire- ment à la tradition 3 .

Victor Hugo, lors de son voyage en Belgique, à la date du 22 août 1837, se plaint du doyen de la cathédrale, un certain M. Lawez, qui a fait couvrir d une serge, « sous prétexte d'indé-

1574, puis brisée, huit ans avant la mort de ce valet du bourreau Philippe II, prince que l'on n'a jamais vu rire, qui se plaisait seulement aux spectacles éclairés par les flammes des autodafé et préférait régner sur des cadavres plutôt que sur des hérétiques. Tels sont les sentiments et les goûts qu'inspira le fanatisme religieux à ce condottière scélérat du catholicisme.

1. V. nos Accouchements dans les Beaux-Arts, fig. 12.

2. Ce musée chrétien ne se contente pas de donner des distractions profanes aux yeux des fidèles, il réjouit encore leurs oreilles — surtout les vendredis, jours de marché — par son carillon de quatre-vingt-dix-neuf clochettes qui « jouent, dit Conty, tous les airs possibles depuis l'opéra jusqu'aux ariettes les plus légères ». De plus, les dimanches et jours de fêtes, à 10 heures, on y exécute les messes des grands compositeurs de musique religieuse.

3. Relevons l'inscription de la tombe du peintre-forgeron Quentin Metzys qui fut enterré aux pieds de la cathédrale, proche du grand portail : connvuialis amor de mvlcibre fecit apellem, (D'un forgeron l'amour conjugal lit un Apelle.) Cette cu- rieuse épitaphe fait allusion à son mariage. Quentin, vous le savez, fut d'abord maréchal et martela de feuillages le puits placé près de cette église, mais il ne put obtenir la main de la fdle d'un peintre qu'à la condition de remplacer le marteau et l'enclume par le pinceau. L'auteur du Voyage de Brabant (16 ( J8) — un pédant — à qui nous empruntons ces détails, ergote sur le sens de l'inscription funéraire : « Connubialis amor, est L'amour d'un mari pour sa femme, ou d'une femme pour son mari (chose qui passe pour être fort rare). Or, Quentin étant amoureux d'une fille, qui n'étoit pas encore sa femme, on ne peut pas appeler son amour d'alors connu- bialis amor. Il aimoit pour se marier; mais on ne pouvoit pas dire alors qu'il fût amoureux et marié. » La même particularité s'applique à l'ex-chaudronnier Antoine Solari, dit le Zingaro.



cence », un Jugement demie?' de Backers, son meilleur tableau. « Impossible, écrit-il. de faire lever cette serge. Voilà un stupide


L'ART PROFANÉ A l'ÉGLISE


doyen, n'est-ce pas? » Encore un « pauvre d'esprit » qui se croyait « bien pensant » !

2° Saint-Paul. — Transept. Admirons d'abord, une Flagel- lation de Rubens, dont le Christ et l'un de ses bourreaux sont presque nus (fig*. 77 bis) ; puis, dans le bas-côté du sud, les Sept œuvres de miséricorde 1 de Téniers le Vieux, où une mère abreuve son enfant à son sein.

3° Saint- Jacques. — Expo- sition permanente de peinture et de sculpture. Chapelle de la Sainte-Trinité. Saint Pierre trouve dans le corps d'un pois- son (d'Avril) la pièce du tribut.

Chapelle de Rubens. Là re- pose le grand artiste aux côtés de ses deux femmes Isabelle Brandt et Hélène Fourment. Le maître de l'école flamande Fl 8'- 7 ~- a fait revivre ses deux meil-

leurs modèles dans le tableau d'autel, ex-voto de famille, la Vierge et l'Enfant Jésus, accom- pagnés des saints-. Isabelle paraît sous la ligure de Marie ou de Marthe, et Hélène en Madeleine, fortement dégraffée. Mlle Lun- den :< serait l'une des deux autres saintes placées derrière la Vierge ou la Vierge elle-même ; saint Jérôme aurait les traits du père de

1 . Les Sept œuvres de miséricorde spirituelle et les Sept œuvres de miséricorde corporelle sont énumérées en deux hexamètres mnémoniques :

Consule, Carpe, Dure, Solare, Remilte, Fer, Ora, Visito, Poto, Cibo, Redimo, Tego, ColliffO, Condo.

2. Les Seins dans V Histoire, fig. 13G.

3. Dont le portrait a une réputation universelle, sous le nom de Chapeau de paille (Londres).



BELGIQUE


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Rubens et saint Georges ceux du peintre ; enfin, on a reconnu dans le Temps, son grand-père, et sous les ailes d'un ange, son plus jeune fils.

L'autel est dominé par une Mater dolorosa en marbre de Luc Fayd'herbe, portant fixé dans le sein gauche un petit sabre qui se tient horizontalement.

Chapelle Sainte- Anne. Une mère penchée sur un berceau donne le sein à son nouveau- né.

Chapelle Saint- Charles - Borromée. Jacques Joardens le Vieux (1655) montre le saint aux pestiférés de Milan ; sur le premier plan, on aper- çoit le groupe inévitable de l'enfant pendu au sein de sa mère expirante.

Chapelle de la Visitation. Peinture de Victor Wolfvœt, Fig. 17 bis.

qui a trait à la rencontre des

deux cousines enceintes. Ici, l'artiste a donné a sa Vierge les traits d'Hélène Fourment ; il devait bien cette compensation à celle qui avait été représentée en pécheresse, par son époux, dans sa chapelle mortuaire.

Chapelle Saiut- Antoine. Tableau d'autel, la Tentation du saint ermite, où Martin de Vos le Vieux s'est donné le malin plaisir de figurer l'esprit des ténèbres sous les traits gracieux de son épouse, Jeanne Leboucq, avec un décolleté de circonstance. En arrière de saint Antoine, un démon porte un collier de quatre œufs d'autruche dont la forme et la couleur simulent deux paires de mamelles et lui donnent l'aspect d'une caricature de Diane d'Ephèse, multi- mammée.

Chapelle Saint-Pierre et Saint-Paul. Un Jugement universel, triptyque de Bernard van Orlay, offre le spectacle savoureux de séduisantes damnées en peau. Sur l'un des volets figurent sainte



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l'art profane a l'église


Catherine et Mme Rockox, femme du bourgmestre donateur et descendante de la Mère Gigogne, avec ses onze filles 1 .

4° Saint- André. — \J Ange gardien d'Erasme Quellyn le Vieux, élevé de Rubens, protège son pupille contre les séductions du monde. La Volupté sous les dehors d'une mondaine le tire par le bras, tandis que l'Amour tend son arc et s'apprête à lui décocher une flèche ardente.

5° Saint- Walbur gis. — Abraham Golnitz, dans son Voyage en Belgique et en France (1631), raconte qu'un priape figurait sur la porte d'entrée de la clôture de cette église, détruit sans doute depuis.

D'après cet auteur, a certaines fêtes, les Anversoises enguirlan- daient de fleurs ces attributs de la fécondité ; nous savons que Priape et le dieu Mutinus eurent pour successeurs saint Foutin, corruption de Fotinus, premier évêque de Lyon, saint Greluchon, etc.; de même Esculape fut remplacé par saint Luc, Lucine par sainte Marguerite, etc.

6° Musée 2 . — Il possède un second Jugement de Bernard van Orley ; les nudités y sont encore en nombre respectable et les sexes, au milieu de la vallée de Josaphat, se coudoient dans une promis- cuité confuse. Ce sujet est fort répandu dans les Pays-Bas : c'était alors la coutume de placer un Jugement dernier dans la salle du tribunal, comme naguère en France, un Ecce Homo.

Bruges. 1° Cathédrale Saint-Sauveur. — Bas côté sud. Dans le Martyre de saint Hippolyte, triptyque de Dierick Bouts, le saint, dépourvu de draperie, est étendu sur le sol; à ses membres sont attelés quatre vigoureux chevaux pour l'écarteler.

1. Avant de quitter Saint-Jacques, relevons une malice flamande anticléricale qui termine l'épitaphe du richissime Corneille Van Landschodt :

Men windt den hemel met geicelt,

Of /s te koop door kracht van gelt.

On obtient le ciel avec des dons

Et on le garde par la puissance de l'argent.

2. Le Musée de peinture occupe un ancien couvent de franciscains et le Musée moderne est établi dans la partie de ce couvent dont l'entrée est rue de Vénus.


BELGIQUE


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Pourtour du chœur. Peinture d'un primitif : La Vierge Bernard, en « tête à tette » sans doute ?

Le mausolée de Charles le Téméraire et de sa fille est d'écus des duchés, comtés et seigneuries apportés en dot par la princesse, victime d'une chute de cheval. Ces blasons sont soutenus par des figu- rines féminines dont plusieurs ont le buste dépouillé de tout vête- ment (fig. 78).

Les miséricordes des stalles, comme celles de la cathédrale d'Amiens, sont sculptées de sujets sacrés et profanes où l'histoire se mêle au symbole, à la satire et à la fantaisie.


et saint couvert



Fi<


Fig. 78 bis. — Groupe

reproduit par La Belgique illustrée.


2° Notre-Dame. —

Les sculptures y sont plus remarquables que les tableaux ; au premier rang figure le groupe de Michel-Ange qui décore l'autel de la chapelle du Saint- Sacrement et représente la Vierge et Jésus (fig. 78 bis). Le Bambino a grandi et est sevré depuis longtemps comme l'indique la fibule qui ferme le corsage virginal, mais il n'a pas perdu Fhabitude du nu absolu. Rubens risque la même audace dans un tableau du musée de Bruxelles, où Jésus adolescent ne porte pas encore de tunique.


3° Académie des Beaux-Arts. — Le Jugement dernier du primitif Jean Provost fourmille de bizarreries. D'abord, le Christ justicier (fig. 79), buste nu, semble se presser la mamelle droite, mais en réalité il montre sa plaie à la Vierge qui, comme dans le Christ voulant foudroyer le monde 1 de Rubens, lui présente le sein qui


1. Anect. hist. et relig. sur les seins, fig. 87 bis. « On peut tout critiquer dans ce

5*


72


l'art profane a l'église


L'a nourri. Quelques esprits pieux protestent eontre cette exhi- bition du sein virginal ; ils oublient les paroles de saint Bernard :

Mater ostendit filio pectus et ubera ; filius ostendit pat ri la tus et vu hier a.

Au-dessous vaguent les élus et les réprouvés en nombre très restreint, une douzaine au plus : c'est le Jugement qui en contient le moins. Il est vrai que les échevins de l'hôtel- de-ville dont le tableau de Provost ornait la grande salle, chargèrent Pierre Pourbus, le Da- niel de Volterre flamand, d'effacer un char entraînant des ecclé- siastiques nus vers l'Enfer. Du côté des bienheureux, nous remar- quons un groupe charmant formé par une reine et un ange qui lui




Fig. 80.


Fie-. 81.


retire sa robe et sa couronne (fîg. 80 j. Du côté des damnés, notons le groupe terrifiant, constitué par une impure agenouillée s'arrachant


tableau, écrit E. Fromentin, le Christ qui n'est que ridicule, le saint François qui n'est qu'un moine épouvanté, la Vierge qui ressemble à une Hécube sous les traits de la plantureuse beauté d'Hélène Fourmcnt... et pourtant je ne erois pas qu'on ait trouvé beaucoup d'ell'ets pathétiques de eette vigueur et de cette nouveauté. »


15 E L G I Q U E


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les cheveux de désespoir et un monstre infernal qui la saisit et l'attire dans le gouffre en feu (fig. 81).

Pourbus a aussi son Jugement mais, pour satisfaire la gravité des municipes il n'a fait figurer parmi les damnés aucun per- sonnage de marque ; tous symbolisent les péchés ca- pitaux.

4° Hôpital. — Le pan- neau de gauche d'un dip- tyque de H ans Memling est occupé par la Vierge et l'en- fant Jésus. Une main sacri- lège a mutilé l'image du Bamhino et en a fait un petit Abélard. Comme quoi la Pudeur n'est pas seule- ment fille de la Laideur, mais aussi de la Bêtise.

Bruxelles. 1° Saint-Jac- ques. — Dans une Sainte Famille de Rubens, on re- lève une singularité de com- position : nous y voyons symétriquement disposés deux enfants nus (Jésus et saint Jean), deux femmes (la Vierge et sainte Elisa- beth), deux vieillards (Joseph et Zaccharie), ce dernier offre à Jésus une branche de pommier portant deux pommes ; enfin, deux lapins et un mouton à côté de la seconde toison du petit Jean (fig. 81 bis). Mais la Vierge rompt cette curieuse dualité en ne mon- trant qu'un sein, le gauche. Réveil a gravé ce curieux tableau dans son Musée de sculpture et de peinture 1 .



2° Sainte-Gudule et Saint-Michel.


La chaire, dite de Vérité.


était destinée aux Jésuites de Louvain ; elle abrite la Mort poursui-


1. Tome I, pl. 2. Eggimann, édit.


71


L*ART PROFANE À L ÉfiLlSE


vant Adam et Eve qui, particularité curieuse, sont habillés. Ève emmitouflée tient à la main une pomme encore intacte. « L'En-



F,%. 81 ter.

semble, dit V. Hugo, ami de l'antithèse, est prodigieusement rococo et prodigieusement beau. »

Autre détail intéressant : le corsage de la Charité qui orne le mausolée du chanoine Triest est hermétiquement fermé. De nu, il y a : l'enfant sur ses genoux qui, nouveau Tantale, en est réduit à téter son pouce ; un autre orphelin à qui elle offre un bol de lait et la Vertu, dont le torse est entièrement découvert (fîg. 81 ter). L'ar- tiste qui, contrairement à la tradition artistique de toutes les écoles, surtout de l'école italienne, a vêtu la Charité, semble avoir voulu


BELGIQUE


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exprimer, à l'aide du pinceau, l'idée qu'on se fait de cette Vertu et de sa discrétion :

Quanto si monstra men, tanlo è piu hella.

(Elle est d'autant plus belle qu'elle se montre moins 1 .)


3° Notre-Dame-de-la-Chapelle -. —

Chapelle de la Vierge. Monument des Spinola : le buste de l'un d'eux surmonte une pyramide à laquelle s'adosse le groupe principal (fig. 81 quarte). Le Temps se dispose à re- mettre à la Renommée le médaillon du second Spinola, que la Mort, blottie entre ses jambes s'efforce a retenir. Le personnage agenouillé est Albertine Isabelle, l'épouse d'Hya- cinthe, qui a élevé ce monument à sa glorification ; « elle semble, dit Edouard Fétis, prier Dieu de donner un heureux dénouement à ce duel allégorique », assez obscur.

4° Musée royal. — La Légende de Marie-Madeleine , triptyque de J. Gossaert, dit Mabuse % « le premier de l'école flamande, écrit J. Wau- ters, qui osa substituer aux modestes



Fig. 81 quarte.


1. Quant au monument en marbre exécuté par Guillaume Geefs à la mémoire du comte Frédéric de Mérode, tué en 1830 au combat de Berchem et dont les armes de la famille sont accompagnées de cette fiére devise : « Plus d'honneur que d'honneurs », il évoque à l'esprit le souvenir profane de la ballerine parisienne, doublement belge et par droit de naissance et par droit de conquête, qui semble avoir retourné à son profit cette fière devise.

2. Une dalle en marbre noir indique l'endroit où reposent les restes de Jean- Baptiste Rousseau, mort en exil, « dûment convaincu d'avoir composé des vers impurs, satiriques et diffamatoires », et qui eut pour épitaphicr 'e licencieux Piron :

Ci-gît l'illustre et malheureux Rousseau,

Le Brabant fut sa tombe et Paris son berceau.

Voici l'abrégé de sa vie

Qui fut trop courte de moitié :

Il fut trente ans digne d'envie

Et trente ans digne de pitié.

3. Attribué aussi à Van Goninxlo, de l'école néerlandaise.


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l'art profane a l'église


patronnes mystiquement encapuchonnées de l'école gothique les saintes aux mythologiques nudités plantureusement étalées ». Au



Fig. 82.


panneau central, la pécheresse baise les pieds du Christ, sous la table de Simon le pharisien, et les oint de parfums. Pour accomplir cet acte d'humilité, elle est obligée de prendre une attitude qu'un des convives montre du doigt, en riant, à son voisin (fïg. 82). Le volet droit rappelle l'ascension — sur l'aile des anges — de la patronne des filles repenties, vêtue seulement de sa blonde chevelure.

Le Christ du Saint François sauvant le monde 1 , par Rubens, n'est autre que l'Appolon Pythien du Gouvernement de la reine du même artiste.

Enghikn. Eglise des Capucines. — Le tombeau en albâtre de Guillaume de Croy, archevêque de Tolède, mort à Worms en 1521,


1. Anect. hist. et relief., %. 87 bis.


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est chargé, sur le socle, de nudités mythologiques (fig. 83) et, au fronton, de nudités chrétiennes du Jugement universel (fig. 84).



Fig. 83. — Motifs du soubassement.


Gand. l°Saint-Bavon '. — La chaire, chef-d'œuvre de Laurent Del-



Fig. 84.

vaux (1745), est d'un style moins austère que celle de la cathédrale de Bruxelles. Nous y voyons le Paganisme, vieillard nu qui som-

1. En 4G03, la foudre abattit la flèche de la tour, mais l'esprit religieux, dans sa lucidité et son équité habituelles, se refusa à accuser le feu du ciel et s'en prit à deux « sorcières » qui, sans même avoir quitté leurs demeures, — l'une habitait Bruxelles et l'autre Harlebeke, — furent convaincues d'avoir incendié la flèche, « par l'inter- médiaire de Satan », et furent brûlées vives.


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i/art profane a l'église


meille au pied d'un arbre (fig. 84 his): près de lui, la Vérité soigneu- sement drapée, conformément à la symbolique chrétienne, le réveille



Fig. 84 bis. Fig. 8a.


par ces paroles de saint Paul : Surge qui dormis, et exsurge a mortuis et illuminabit te Chrislus x .

A gauche de l'autel s'élève le remarquable mausolée de l'évêque Albert-Eugène d'Allamont, par Jean Delcourt. Le prélat est age- nouillé aux pieds de la Vierge qui porte Jésus nu. Derrière lui, le Génie de la Mort, sous les traits d'une femme a la poitrine dévoilée (fig. 85), s'avance, un glaive à la main, pour exécuter la fatale sen- tence. Ce personnage allégorique fait double emploi avec le squelette en cuivre doré qui émerge du sarcophage.

Le mausolée d'Antoine Triest, par Jérôme Duquesnay, qui occupe le côté opposé du maître-autel passe pour le chef-d'œuvre de la sculpture en Belgique. Le prélat est couché sur un sarcophage entre la Vierge et Jésus-Christ nu, les reins drapés, appuyé sur la croix; six angelots pudibonds, munis de draperies protectrices, complètent l'ornementation de ce groupe. Rien de plus décent, et pourtant l'artiste qui l'a conyue n'était qu'un malpropre uraniste pris en fia- grand délit dans la cathédrale même, en 1054 : il fut condamné à


1. Cf. II. Hymans, Garni el Tournai; H. Laurcns, édit.


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être étranglé puis brûlé. En Italie, où il avait contracté ce que nous avons appelé le « vice a tergo », il empoisonna son frère Francisco Flamingo, François le Flamand, — auteur du Manneken-Pis de Bruxelles et des ornements principaux du baldaquin de Saint-Pierre de Rome, — qui l'avait chassé à cause de sa dépravation. Un argu- ment de plus en faveur de notre thèse où nous soutenons qu'il n'est pas nécessaire d'avoir la foi ni d'être inspiré du ciel pour imaginer des « bondieuseries » sublimes ; le talent suffît.

Le retable de V Adoration de V Agneau mystique par Jean et Hubert van Eyck et la Conversion de Saint Bavon de Rubens (fig. 86) sont les deux joyaux de la cathédrale.

Le polyptyque des frères van Eyck nous intéresse surtout par ses volets où le caractère réaliste du nu d'Adam et d'Eve a été forte- ment souligné. Celle-ci a le ventre proéminent, conformément à la mode du xv e siècle. Jehan de Meung disait avec raison « qu'on ne cognoit souvent les vuides des enceintes », et l'auteur de la Sorcière, à propos de ce chef-d'œuvre, remarque aussi que « toutes les vierges paraissent enceintes ». Il en est de même des Eves de Hans Mem- ling, d'Albert Durer, de Lucas Kranach et d'autres primitifs.

En 1781, Joseph II — le bien nommé — fut choqué de la nudité de nos premiers parents et obligea la fabrique à faire disparaître de la cathédrale ces volets scandaleux. Il estimait que ces peintures étaient une sorte d'outrage public à la pudeur. Elles furent retirées et soigneusement cachées à l'évêché de Gand. Mais, en 1861, le Musée de Bruxelles les exposa de nouveau. Les volets de la cathé- drale ne sont donc qu'une copie moderne des originaux.

Dans sa Conversion, saint Bavon, sous les traits de Rubens, quitte, après une jeunesse orageuse, la carrière des armes pour la vie monastique : quand il se fait vieux, le diable se fait pieux. Parmi les miséreux auxquels le converti vient de distribuer tous ses biens, on remarque deux mères, aux seins nus; l'une, de profil,, allaite son nouveau-né ; l'autre tourne le dos au public (fig. 86).

Du côté opposé a ce groupe, la plus décolletée des deux dames — les épouses du peintre — détache une chaîne d'or de son cou pour suivre l'exemple du saint ; ce serait Hélène Fourment, sa seconde femme. Primitivement, ce chef-d'œuvre décorait le grand autel, mais on ne sait pourquoi il fut relégué dans la chapelle étroite et sombre de Saint-Sébastien.


80


l'art profAni; a l'églisë


Dans Tune des chapelles qui entourent le chœur est accroché une toile de Luc d'Heere : la Reine de Saba devant Salomon. Le peintre



Fig. 86.


flagorneur a donné au roi d'Israël, dont la sagesse et l'équité restèrent légendaires dans tout l'Orient , les traits du dément cagot Philippe II, petit-fils de Jeanne la Folle.

2° Saint- Jacques. — Contre le dernier pilier de la nef un monu- ment fut élevé par le Colle gium mediconun à la mémoire de l'accou- cheur Jean Palfyn, de Courtray, l'inventeur du forceps. La Science en pleurs, unique figure de ce maigre mausolée, ne manque pas de charme ; elle est dans la posture d'une femme à terme, surprise par le travail d'accouchement :une Science en douleiu^s (fig. 87). Un autre monument plus important est consacré au même tocologue sur l'une des places de la ville ; on y voit sculpté l'instrument — déjà avec les deux courbures — auquel il dut sa célébrité ; mais il l'acheta à Ileister qui l'avait dérobé aux Chamberlen.


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3° Saint-Michel. — L'Invention de la croix, de Paelinck, relate l'expérience décisive imaginée par Hélène pour reconnaître la vraie croix parmi les trois trouvées — ou mieux truquées par des juifs



habiles — à Jérusalem. Elle touche avec chacune d'elles le sein dune jeune moribonde et sa guérison subite fait reconnaître la croix du Sauveur.

Cette église possède le Supplice de sainte Barbara (fig. 88), par don Antonio Van Den Heuvel : les bourreaux s'apprêtent à brûler les seins de la suppliciée.

L'Annonciation, le chef-d'œuvre d'André Lens et les tribulations qu'il occasionna à son auteur nous fourniront les faits et mots comiques de la fin. La scène ne comprend comme toujours que deux personnages, mais que de transformations pudiques ils eurent à subir! Tout d'abord le clergé se scandalisa de la Vierge, « dont on devinait un peu trop les formes », et de l'archange Gabriel qui « montrait fort indécemment une épaule et un genou presque nus ». L'artiste se soumit à la censure ecclésiastique : il chargea de drape- ries le messager céleste et aplatit les f. .. ormes virginales. Mais ce ne fut pas tout, un membre delà confrérie de la Sainte-Vierge, lequel, dans ses prières, recommandait le peintre à Gabriel « pour qu'il con-


h ART PROFANE.


— II.


82


l'art profane a l'église


duise son pinceau dans un travail qui le regarde de si près », lui adressa cet ultimatum : « Messieurs les ecclésiastiques veuillent (sic) faire ôter le tableau de l'église, parce que l'archange n'a pas d'ailes ; ils citent un texte de saint Ambroise qui prouve sans réplique que Gabriel a toujours été représenté avec des ailes ». Et le peintre tou- jours docile « retripatouilla» sa toile et mit des ailes d'oie à l'archange 1 . Ceci se passait au commencement du dix-huitième siècle, en 1810.

4° Les Béguines 2 . — 5° Saint-Nicolas 8 . — 6° Hôpital de Biloque*. 7° Couvent Saint-Laurent :i .

1. La Belg. illust. A Wagener el P. Frédéricq,

2. Anon, en son Voyage de Flandres, signale dans cette église la présence d'un crucifix miraculeux à la bouche ouverte et en donne l'explication : « Une Béguine fort affligée de ce que toutes ses compagnes s'étoient allées divertir un jour de Carnaval, et l'avoient laissée seule, alla faire ses condoléances au Crucifix. Le Crucifix lui répondit: Ne l'afflige pas, ma Fille, demain tu te réjouiras avec moi: Tu seras à mes noces éternelles. En ell'et, la Béguine mourut le lendemain, et le Crucifix est demeuré la bouche ouverte. » Après un tel récit, nous n'avons pas autre chose à faire.

3. L'un des piliers de la nef porte un tableau de famille qui pourrait servir d'em- blème à la ligue Piou, société d'encouragement à la reproduction de l'espèce humaine, peu humaine, aussi sale et puante au moral qu'au physique : pour ne parler que de la fraîcheur de son haleine, sur dix individus neuf et demi ont une bouche d'égout. Cette enseigne de sage-femme représente Minjou Olivier (le daim) et sa femme Amelbergc Slangen (la dinde), entourés de leurs trente-et-un enfants ! Toute cette lapincrie fut heureusement enlevée en 152(i, par une épidémie de suette. Le bel exemple à donner aux prolétaires, déjà trop enclins à l'imprévoyance et à satisfaire les mauvais penchants de leur égoïsme coupable ! La conscience défend à tout hon- nête homme de tirer du néant un être dont il ne peut assurer l'existence ni le bon- heur.

Cette église est célèbre dans les annales judiciaires par un procès que son clergé eût à soutenir contre celui de Sainte-Pharailde et qui dura cent-cinqante ans. Seule la plume satirique de l'auteur du Lutrin eût pu nous dire tout « le fiel distillé par les gens d'église », en la circonstance, et justifier son alexandrin fameux :

Tant do fiel entre-t-il dans l'âme d'un dévôt !

4. Nous avons vu à Saint-Bavon l'esprit religieux couper les ailes au génie de l'art ; ici, durant un siècle, il a tenu la science anatomique sous le boisseau. Au dix- septième siècle, l'abbesse et les religieuses qui desservaient l'hôpital s'opposèrent judiciairement à l'érection d'une école d'anatomie, au nom « des bonnes mœurs » ! La Révolution balaya ces benoîtes bêtes à bon Dieu, puis installa des salles de dissection.

5. Cet ancien hospice contenait le mausolée de Wenemaer, couché tout armé aux côtés de son épouse drapée d'un suaire ; il étreignait de la dexte sa longue épéc sur laquelle était gravée son altière devise que contredisaient sa mort et son sépulcre en pays ennemi : Horrebanl dudum me cernere nudum. (Depuis longtemps ils fris- sonnaient de me voir nue.) C'était la seule nudité qu'on rencontrait dans cet édifice. Jacques I er , roi d'Angleterre, ne pouvait pas en dire autant, lui qui tremblait à la vue d'une épée nue, non pas par pudeur — Albion n'en était pas encore là — mais par crainte.


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83



Giieel. Sainte-Dymphe 1 .

Liège. Saint Jacques. — Les stalles du chœur de la « merveille » de Liège sont couvertes d'animaux où dominent les sing-es et les chats en attitudes variées. Les chats sont les plus nombreux, « soit que ce fût l'animal favori des moines, dit N isard, soit que ce fût leur emblème; dans ce cas, il fallait que ces saints personnages fussent bien absorbés par la contemplation pour ne pas voir et sentir sous leurs

mains leurs ironiques cari- ■■jH^^^^^H catures ». I BBl Bfl W^^ ^^ ap Bi ^

Est-ce une allusion à la Fig. 88.

mine chafouine, au carac- tère félin, c'est-à-dire à l'audace et à la ruse du clergé régulier d'antan ou à son dévergondage comparable à celui des matous?

Loevain. 1° Saint-Pierre. — Pourtour du chœur. Le Martyre de saint Erasme, par Dierick Bouts; deux bourreaux, précurseurs de la laparotomie, lui dévident les intestins sur un treuil. Ce tableau de circonstance ornait la chapelle des Chirurgiens.

2° Saint-Michel, ex-église des Jésuites. — La chaire était décorée,

1. Comme sainte Barbe, cette vierge tut décapitée par son père, roi d'Irlande, pour avoir résisté à ses poursuites incestueuses. Une sainte étêtée, quelle aubaine pour le clergé ! Il en fit aussitôt la patronne des aliénés et cette nouvelle « recette de bonne femme » fit des cures aussi prodigieuses que ses recettes. L'affluence des déséquilibrés fut telle que les babitants en tirent leurs commensaux, au point que, constate une circulaire du bailli, en 1754, «on ne peut plus faire de distinction entre un homme fou et un homme raisonnable ». Pinel connaissait-il cette institution quand il substitua des mesures de douceur aux violences et aux entraves dont étaient victimes les aliénés ?


SI


l'art profane a l'église


comme celle de Sainte-Gudule, du premier homme et de sa com- pagne. Près d'Adam se tenaient un lion, un aigle et un cheval, symbolisant la force, le courage et l'activité; par opposition, Eve était escortée d'un paon, d'un singe et d'un perroquet, images emblé- matiques de la vanité, de l'esprit d'imitation et de la loquacité.

Mons. Sainte-Matrice 1 .

Nivelles. Sainte-Gertrude. — Au bas de la chaire, on remarque le groupe en marbre du flirt évangélique du Sauveur et de la Sama- ritaine, décolletée « en demi-peau ».

Une curieuse statuette de sainte Gertrude est placée dans le chœur des Vénérables; les bords de sa tunique sont grignotés par des souris. C'est une allusion à la principale prérogative de la nimbée : elle protège, non pas les rongeurs, mais leurs victimes. Des bâtons enluminés de ses couleurs font une rude concurrence à la mort-aux- rats et se débitent à l'ombre du sanctuaire.

A l'intérieur de l'une des tourelles est disposé un oratoire, dit Trou de la sainte ; les pèlerins s'évertuent à traverser l'espace très étroit ménagé entre la muraille et un pilier. Ce passage est aussi une épreuve de vertu pour le sexe sujet aux hydropisies de neuf mois ; un ventre en gestation ne peut s'y engager. A cette pierre de touche de nitouches, nous préférons le toucher moins aléatoire de l'homme de l'art. « Les profondes empreintes laissées sur la pierre par les genoux des pénitentes, dit M. Xavier Olin, témoigneraient de la vertu des paroissiennes. » Dans une mosquée du Caire, les

1. D'après la Chronique médicale, M. Alfred Ilarou rapporte qu'au hameau de Mons, aux environs de Visé (Liège), s'élève cette petite chapelle. « Les femmes qui souffrent de cet organe vont implorer leur guérison par l'intercession de la sainte, qu'on chercherait en vain dans le calendrier. En guise d'ex-voto, elles piquent sur une pelote ou mieux sur un morceau de bois fendu, qui paraît être du liège, des épingles auxquelles sont attachés des morceaux de leur chemise, coupés à l'endroit correspondant à la partie malade du corps. Ces morceaux de chemise varient entre deux ou trois millimètres carrés. Traitement facile à suivre, même en voyage. » Cf. Rev. des Irndit. popul. janv., 11)07.

A Nogcnt-le-Rotrou, suivant A. Morin et P. Saintyves, sainte Venice ou Venise,. — « antique Vénus gallo-romaine dont le nom s'est déformé et a fini par justifier les dévotes qui l'invoquaient pour faire revenir leurs époques » — favorise les avances ou les retards et guérit les maladies de matrice. Les femmes attachent à sa statue un ruban blanc pour arrêter les règles et les pertes, ou un ruban rouge pour provoquer les époques. La même sainte a des vertus analogues à Ceton dans l'Orne.


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croyants qui passent entre deux colonnes très rapprochées ont leur place assurée au paradis de Mahomet 1 .

Ostende. — 0. Le Roy raconte qu'il a vu sur un tombeau construit à la porte d'une église, est-ce Saint-Pierre et Saint-Paul ? en mémoire d'un ancien curé de cette ville, une geôle en fer, imitée de la grant geôle qui figurait le Purgatoire dans les mystères. « C'est ici un Purgatoire aussi au milieu duquel le curé, de grandeur naturelle, et quelques autres âmes, tous entourés de flammes, soupirent après l'heure qui doit les réunir à Dieu. » Dans la plupart des églises et des cimetières de Bel- gique, des représentations analogues sont figurées sur les murs pour inspirer la crainte du péché, et aussi pour empêcher d'y dé- poser des ordures.

Oudenberg. Chapelle du Vieux-Mont 2 .

Tongres (Limbourg). — Le trésor possède un diptyque, en ivoire, sur lequel la Terre est personnifiée par une femme qui allaite un serpent (fig. 89).

1. A l'extérieur de la tour, Jean de Nivelles, bardé d'une armure de cuivre doré, frappe automatiquement l'heure. Pour faire mentir le dicton populaire, on avait placé un chien à ses pieds, mais une tempête l'emporta et depuis, le fugitif continue à courir même quand on ne l'appelle pas.

2. Au carnaval, les autorités ecclésiastiques et communales, suivies de la foule, se réunissent dans cette chapelle. Après les litanies de la Vierge, on oll're un vin d'honneur au curé, au bourgmestre et aux échevins dans des coupes d'argent pleines de « jus divin » où frétillent, non des serpents comme pour saint Jean, mais des goujons vivants qu'ils avalent A. M. D. G. Les fidèles se contentent d'avaler les couleuvres traditionnelles. Le cardinal Simon de Brie, pape sous le nom de Martin IV, et gastronome renommé, était friand des anguilles du lac de Bolsema, en Toscane; il les faisait mettre toutes vives dans le vin blanc et doux de Vernaccia, puis acco- moder en matelote. Tandis que les pauvrettes, recherchées pour la délicatesse de leur chair, mouraient à petit feu, enivrées du nectar véronais, le prélat s'écriait en se pourléchant les lèvres : « Combien nous souffrons pour la sainte Eglise! »

Ebbe la sauta chiesa in le sue braccia : Dal torso fui, e purga per digiuno L'Anguille di Bolsena e la Vernaccia.

Purg., ch. xxiv.



86


L ART PROFANE A L ÉGLISE


Tournai. Notre-Dame. — Extérieur. — On distingue plusieurs nudités importantes, sans compter Adam et Eve hors concours, parmi la profusion de sculptures qui ouvrent le portique d'entrée.



Fig. 90. Fig. 91.


Intérieur. — La Délivrance des âmes du Purgatoire, de Rubens, est une composition pleine de hardiesses autorisées et même exigées par le sujet. La toile mal éclairée et détériorée par l'humidité per- met à peine de deviner sur le premier plan, qui occupe presque tout le tableau, la silhouette de deux hommes et de trois femmes, dont l'inévitable Hélène Fourment, sans la moindre draperie, entraînés par des anges vers le Père, le Fils, le Saint-Esprit et la Vierge réunis au sommet,

Les fameuses tapisseries conservées à la cathédrale 1 et fabriquées à Arras en 1402 comprennent quatorze tableaux de la Légende de saint Piat et de saint Eleuthère. Nous reproduisons les scènes qui se rapportent à notre sujet :

VI tableau (fig. 90) : Saint Piat confère le baptême à Ilireneus,


1. Vasseur-Delmée, edit. ; Tournay et L. Quarre, édit., Lille.


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père ou aïeul de saint Eleuthère, à sa femme et à son fils, « les premiers baptisés de tous les Tournisiens ».

VII e tableau (fig. 91) : Saint Eleuthère baptise quatre païens à



Fig. 92.


Blandain, où se sont retirés les chrétiens fuyant la persécution ; la jeune femme paraît inquiète des gestes de son compagnon de cuve.

Le XI e tableau est renouvelé d une scène biblique : Blanda, la fille du tribun qui commandait à Tournay, éprise de saint Eleu- thère, cherche a le séduire ; mais il lui abandonne seulement son manteau, comme Joseph. Blanda, remplie de confusion et de dépit, mourut peu après. L'évêque débonnaire promit au père de la jeune toquée de la ressusciter s'il s'engageait à se convertir à la vraie foi, et, sur sa promesse, saint Eleuthère fit sortir Blanda de son tombeau; c'est l'objet du XII e tableau (fig. 92).

XIII e tableau (fig. 93) : Baptême de Blanda ; la mère de l'évêque lui sert de marraine.

Dans un bas-relief de chapiteau où s'ouvre la gueule du Lévia- than pour engloutir un réprouvé, Maeterlinck croit rencontrer le


88


l'art profane a l'église


mythe de Saturne dévorant ses enfants ; et comme ce symbole « fait partie de toute une suite de figures retraçant la légende de Frédé-



Fig. 93.


gonde », V.-L. Cloquet 1 pense que c'est la reine scélérate qui est ici figurée sous les traits de la proie du démon.

Walcourt. — Au Martyre de saint Quentin (xvi e siècle), pan- neau mutilé du jubé, le supplicié n'est vêtu que d'un suspensoir.

Ypres. Saint-Martin. — A la chapelle des Ames du Purgatoire, existait un tableau d'autel de Mathieu Van Brée représentant, d'après A. Van den Peereboom, « un bel ange qui délivre des flammes une âme figurée par une jeune fille, plus belle encore ». Ce tableau a disparu ; « il donnait peut-être aux jeunes imaginations, observe le même auteur, une idée trop peu effrayante du Purga- toire ».


4. Tournai et Tournaisis, p. 181.


VI


ESPAGNE — PORTUGAL 1


Le nu est relativement rare dans les tableaux de lTbérie ; l'Inqui- sition 2 ne veillait pas seulement au « maintien de l'orthodoxie »,nos lecteurs ne l'ignorent pas 3 , mais aussi à « la décence dans les pein- tures sacrées » : en 1618, Pacheco, le beau-père de Velasquez, était chargé de ce soin. Déjà, en 1576, dans le contrat que le Mudo fît avec le prieur de l'Escorial pour la livraison d'un certain nombre de tableaux de sainteté, le peintre s'engageait à ne mettre dans ses œuvres aucune « figure déshonnête ». Aussi, comme l'observe justement Viardot, les peintres espagnols se sont-ils surtout appli- qués à exécuter des têtes et des draperies.

Cependant, un des derniers et des meilleurs clients de Rubens fut Philippe IV d'Espagne, qui commanda au maître flamand une série de peintures sur le thème des Métamorphoses d'Ovide, pour son pavillon de chasse de Torre de la Parada. Le propre frère du roi, le cardinal-infant don Fernando, était chargé de hâter l'achève- ment du travail. Après avoir reçu vingt-cinq tableaux, Philippe IV, raconte un rédacteur anonyme du Temps, en demanda dix-huit autres.

1. En Portugal, nous n'avons à mentionner qu'un seul tableau, placé dans la sacristie de la Miséricorde de Vizeu, et dont nous ignorons le sujet : plusieurs personnages nus, conduits par des soldats au haut d'une montagne, sont précipités dans l'abîme.

2. Dans la salle des treize tribunaux du saint office institués en Espagne, étaient représentés des tenailles entre un gril et un bûcher ; on lisait au-dessous de ces instruments et appareils de supplices trois mots emprunts d'une ironie amère : justice, charité, miséricorde, que la fumisterie nationale a remplacé, en France, par ces équi- valents : LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ !

3. Les Seins à l'Église.


90


l'art profane a l'église


La merveille de cette seconde collection expédiée d'Anvers à Madrid fut le Jugement de Paris. Don Fernando écrivait au roi : « C'est sans doute, au dire de tous les peintres, la meilleure œuvre de Rubens. Je ne lui reproche qu'un défaut, mais à propos duquel je n'ai pu obtenir satis- faction, c'est l'excessive nudité des trois déesses, à quoi l'artiste a répondu que celait là que se voyait le mérite de la peinture. » Et le cardinal a joutait sans y entendre aucunement malice : « La Vénus placée au milieu est le portrait fort ressemblant de la femme du peintre, la plus belle de toutes les dames d'Anvers. »

Barcelone. 1° Cathédrale. — Sculpture inexplicable sur une stalle du chœur : deux personnages jouent au cerf-volant (fîg. 94) et ont



Fig. 94. Fig\ 94 bis.


mais non moins dévêtu (fig. 94 bis) : deux nymphes — la Luxure? — caressent la figure hirsute du Vice.

2° Couvent des Capucins. — Sous les superbes ombrages de ses vastes jardins comparés aux bosquets de Paphos, à défaut de satyres et de nymphes, on rencontrait des groupes de capucins à longue barbe et une fontaine d'une Madeleine d'où l'eau jaillissait par les yeux, pour rappeler les torrents de larmes répandues par la cour- tisane repentie. On voyait aussi des jets d'eau s'écouler des stigmates d'un grand saint François.

Burgos. Cathédrale. — Un Santo Christo singulier : les pieds, les mains, le cou et les épaules sont recouverts de peau humaine, le reste est en bois ; en sus, le Christ porte une petite jupe à la grecque, sorte de tutu.


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Dans une chapelle sombre, un tableau d'autel de Fra Diego de Leyva, moine chartreux, a pour sujet le Martyre de sainte Casilda x à qui le bourreau vient d'amputer les deux seins qui gisent à terre : le sang jaillit de la double plaie circulaire. Le réalisme de la peinture espagnole apparaît ici dans toute son horreur.

La Chronique médicale cite plusieurs exemples d'hypertrichose dans l'art réunis à la cathédrale, à la chapelle du connétable Pedro de Hernandez de Velasco, comte de Haro, qui renferme son tom- beau et celui de sa femme, Mencia de Mendoza. L'écu armoriai du comte est maintenu par deux hommes velus, armés l'un d'un sabre, l'autre d'une massue; en regard, on voit le blason de la comtesse soutenu par deux femmes vêtues d'un court manteau. « Le visage, les mains et la partie supérieure des seins sont normaux, mais le reste du corps est couvert de longs poils. Si les hommes velus sont relativement fréquents dans l'art, surtout comme supports d'ar- moiries, il n'en est pas de même des femmes velues, dont la repré- sentation doit être rare. »

A propos des actes naturels dans Fart, le même périodique men- tionne sur l'une des stalles du chœur les figures, en marquetterie, de deux anges ailés, « fièrement campés de part et d'autre d'une large vasque, ils lancent en l'air les deux paraboles élégantes de leur jet d'urine qui va retomber dans la vasque. » Ces marquetteries sont du xv e siècle, par Philippe Vigarni ». L' Enlèvement d'Europe, du même artiste, est le motif d'ornementation d'une autre stalle.

L'Art ornemental 2 a reproduit plusieurs croquis de H. Regnault, d'après les sculptures fantaisistes, chimères et nudités, de cette cathédrale.

La scène de la Circoncision, en figures de grandeur naturelle, est blottie dans une niche profonde ; on y assiste à tous les détails de cette délicate opération.

Ajoutons enfin à notre inventaire une Nativité, reproduite dans le Répertoire de peinture de L. Reinach, p. 88, où la Vierge, age- nouillée devant Jésus avec une sage-femme, présente encore un ventre de femme à terme, selon la mode de l'époque; les hommes portaient des chausses collantes et des manteaux si courts qu'ils


1. Anec. hist. et rel. sur les seins.

2. N° du 11 avril 1885.


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l'art profane a l'église


découvraient « médias nates et membrum et genitalia ». De même à l'église conventuelle de Kaisheim, dans une Présentation au Temple (v. même recueil, p. \ 15), Marie paraît avoir une grossesse gémellaire avancée.

Burjazot 1 .


Escurial. San Lorenzo. — Pour la première fois, au V e siècle, on expose le Christ en croix; jusque-là, la cru- cifixion était considérée comme infamante et réser- vée aux vils esclaves. D'ail- leurs, ces figurations sont rares jusqu'au x c siècle ; mais alors, le Christ était toujours revêtu d'une robe. Aux xi c et xii c siècles, le nu fait son apparition dans la représentation du Sauveur. Un tablier s'étend de la ceinture au milieu des cuisses ; peu à peu ce voile se raccourcit, et au xv c siècle il est réduit à une bande d'étoffe. Et cependant, d'après saint Athanase, saint Ambroise, saint Augustin et d'autres Pères de l'Eglise, le Christ, comme tous les crucifiés, fut cloué sur la croix dans une nudité absolue. La tradition, aidée de la pudeur chrétienne, admit, nous le savons, que Marie détacha son voile pour couvrir la nudité de son divin fils ; mais Renan n'admet pas la présence de la Vierge au pied delà croix. Les Christ complètement nus ne sont pas très rares 2 . M. Rigol-

1. Dans l'église de ce bourg- voisin de Madrid se trouve le tombeau de Françoise l'Advenant, fameuse comédienne « morte en sainte, dit un de ses panégyristes, après avoir vécu en épicurienne », Galipaux écrirait enceinte. La fin de son épitaphe en latin rappelle la condition de cette belle et infortunée courtisane : Jadis l'idole des

imoui's, elle n'est aujourd'hui que cendre et que poussière... En Espagne, les

femmes galantes se faisaient enterrer en habit de carmélite et les hommes avec celui de franciscain, tant il est vrai que l'habit ne fait pas le moine. Pierre le Cruel ordonna qu'à sa mort on le revêtît de cet habit, pour en imposer à saint Pierre, le portier du paradis.

2. Nous avons reproduit une peinture murale de l'église abbatiale de Saint-Antoine, en Viennois, in L'Art profane à l'Eglise, en France, fig. 327.



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lot, dans son Hist. des arts du dessin, reproduit un diptyque, en ivoire, de style romano-chrétien, dont une feuille représente le Baptême de Jésus (fig. 95). Le Seigneur est figuré en Apollon qui avait le privilège d'une éternelle jeunesse. D'autre part, Tévêque Grégoire de Tours, annaliste cré- dule, mais digne de foi pour ce qu'il a vu, raconte que l'image d'un crucifix parla tout à coup à un prêtre, nommé Bazilei, et lui or- donna de le faire couvrir, « parce qu'il était indécent de le voir tout nud ».

Michel- Ange, l'ami de l'art et de la vérité, représenta le Christ d'après la version des auteurs mys- tiques. Benvenuto Gellini suivit son exemple et tailla dans un seul bloc de marbre le crucifix dont le grand duc Don Francesco, à la mort du duc Gosme, fit hommage à Philippe II ; mais le roi d'Es- pagne « n'osa le regarder ainsi et s'empressa de le couvrir d'un voile », puis l'offrit au chapitre de San Lorenzo. On fixa une draperie en étoffe aux hanches ; cette pré- caution ne suffît pas : on le relégua derrière l'autel, bien que l'ambassa- deur de Toscane eût fait espérer à

son prince qu'il occuperait la place la plus importante de l'église 1 . Dans la reproduction de ce chef-d'œuvre (fig. 96), Pion a supprimé les organes sexuels — la pudeur a des raisons qu'ignore la raison — son document est donc inexact. Sur l'original, le prépuce est conservé, malgré la circoncision; mais, en cela, l'artiste florentin est



Fis


1. Pion. Benvenuto Cellini.


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l'aiit profane a l'église


d'accord avec les textes du théologien que M. J. de Bonnefon cite dans ses Cas de conscience modernes :

Jacques de Voragine, dans sa treizième légende, affirme que Noire- Seigneur, avant de monter au ciel, a ce qui manquait « pour entrer com- plet clans le royaume du Père ».

Saint Athanase, homme fort respectable dans le recul du temps, croit aussi que Jésus-Christ ressuscita tout entier.

Le jésuite Suarez, en une thèse copieuse, prouve que Notre-Seigneur « a maintenant dans le ciel l'objet du litige ».

Le débat a fait couler des Ilots de discussion. On a publié à Rome une « Narration critique et historique de la relique très précieuse... »

L'auteur assure que « l'absence de cette partie infiniment petite ne nuit pas à l'intégrité rayonnante du corps de Jésus ».

Parmi les peintures de la voûte du grand escalier, à l'angle Sud- Ouest, plusieurs des Vertus cardinales se font remarquer par la nudité et l'opulence de leurs seins (Pl. I, fîg. 97)

Le Noli me tangerc du Corrège, que l'on admire au Musée de Madrid, figurait au monastère de Philippe II, « où, dit Viardot, il était enseveli sous un ignoble badigeonnage, dont quelques moines imbéciles, sous prétexte de voiler des nudités innocentes, l'avaient outrageusement barbouillé. . . L'attitude du Sauveur, auquel le peintre a mis une bêche à la main pour justifier sa nudité presque complète, est vraiment admirable. »

Ce Musée possède en outre une Tentation de saint Antoine, sorte de parodie du Jugement de Paris, dont Quentin Metzys ou Massys a peint les personnages, et Joachim le paysage.

Trois jeunes beautés, écrit L. Maeterlinck 2 , vêtues à la dernière mode d'Anvers, ont entrepris la séduction d'un saint anachorète. Elles s'appro- chent souriantes, et d'un air candide, Tune d'elles lui tend une pomme, allusion visible au premier péché. Le démon, sous les traits d'une vieille proxénète outrageusement décolletée, rit d'avance du succès de sa ruse. Un singe, une des incarnations favorites du démon au moyen âge, tire à la capuce de l'ermite pour l'empêcher de se détourner à la vue de ses jolies séductrices. M. H. Hymans dit que : « Metzys n'a rien fait de plus beau, de plus délicat, ni de plus chaste », quoique le sujet doive se ranger dans la catégorie des compositions satiriques plutôt scabreuses.

1. D'après VHistoria, del monaslerio de S. Lorenzo del Escoria.1, par D. Antonio Rotondo ; D. Euserbio Aj-nado, édit., Madrid, 2 e édit., 1863. ± Le Genre salir, duns lu peint, flam.


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Toujours au même Musée, Y Assomption de la Madeleine du Titien qui, au dire du Tintoret, peignait avec de la chair broyée, provient aussi de l'Escorial 1 .

Girone. Cloître de la Cathédrale. — Épisode caricatural d'un Jugement où une damnée est enlevée par un démon auquel elle oppose la plus vive résistance (fig\ 98) ; situa- tion pénible, en effet, pour le sexe habitué à donner et non à recevoir des ordres, qui, dans l'enfer conjugal a toujours le dernier mot et désormais est obligé de se soumettre aux « con- cessions à perpétuité. »

Grenade. Cathédrale. — Cet édifice abrite le tombeau des abominables Ferdinand et Isabelle qui, pour s'assurer le ciel où les criminels sont reçus à bras ouverts, établirent l'Inquisition. La garde des ossements de ces époux assortis est confiée a des harpies mythologiques qui occupent les extrémités du monument, en regard de figures chrétiennes de saints préposés au môme emploi. Pour de tels personnages, on ne

pouvait choisir de plus vils gardiens que ces chiennes voraces, filles de Zeus et d'Héra, monstres ailés au visage de femme, au corps de vautour et aux griffes crochues.

Madrid. 1° Prado. — Nous connaissons le tableau où Murillo a peint saint Bernard dans sa cellule, agenouillé aux pieds de la Vierge qui lui apparaît au milieu d'un nuage et lui lance au visage une douche de son lait 2 .

2° Notre-Dame d'AtOCha (Notre-Dame-du-Buisson). — Lantier,

1. Est-il utile de rappeler clans quelles circonstances le cruel dévot Philippe II éleva le monastère de San-Lorenzo près de Madrid ? Au siège de Saint-Quentin, le féroce roi catholique, qui pensait, comme le fait dire Shakespeare à l'un de ses personnages, que « le monde est une huître qu'il faut ouvrir avec un couteau », avait endommagé l'église de Saint-Laurent ; en expiation, il fit vœu de faire consacrer au saint un mo- nument auquel il donnerait la forme d'un gril, l'instrument de son supplice.

2. Anec. hist. et reliy. lig. 52.



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l'art profane a l'église


en 183"), vit dans la chapelle de la Vierge un curieux ex-voto, sous forme de tableau représentant une scène de flagrant délit d'adul- tère. Voici l'anecdote. Un hidalgo surprend sa femme avec son amant qui s'évade prestement par la fenêtre; l'Othello espagnol retourne sa fureur contre son épouse agenouillée et s'apprête à la larder de son épée, quand soudain il éprouve un vertige indéfinis- sable qui paralyse ses mouvements ; puis revenu à la réalité, il fait grâce à la coupable. Il lui demande à quel saint puissant elle s'est recommandée : « A Notre-Dame d'Atocha, lui fut-il répondu, j'ai fait vœu d'aller à Madrid visiter son église. — Allez accomplir votre vœu, madame, je ne m'y oppose pas. »

Saragosse. Nuestra-Senora-del-Pilar. — Une Vierge enceinte, avec l'enfant Jésus dans le ventre, a été sculptée sur une stalle de cette basilique par Giovanni Morelo, de Florence, en 1542 *.

De Saint-Foix décrit, dans la cathédrale de Saragosse, le tom- beau d'un fameux inquisiteur : « Il y a, dit-il, six colonnes sur ce sépulcre, et à chacune de ces colonnes un Maure nu, attaché et qu'il paroît qu'on va brûler. Si jamais le bourreau, dans quelque pays étoit assez riche pour se faire élever un mausolée, celui-là pourroit lui servir de modèle. »

Séville. 1° Cathédrale. — Près de la porte de la Lonja se trouve la fameuse Génération de Louis Vargas ; le chapitre, peu soucieux des probabilités historiques, mais essentiellement pudibond, y fit voiler la poitrine d'Eve I

Ce tableau, dit Desbarolles, fait dans la manière de Raphaël, a acquis auprès des étrangers une certaine célébrité, par un mot de Perez de Alesco incessamment répété par les guides. Il dit, en le regardant, que la jambe d'Adam seule valait beaucoup mieux que tout le saint Christophe colossal peint à fresque, à quelques pas plus loin.

Le devant d'autel de la chapelle de Azulejos n'est autre qu'une peinture décorative, Y Annonciation, sur faïence, par Niculoso Fran- cisco. Ce médaillon est soutenu par deux centauresses à torses nus, suffisamment capitonnés (fîg. 99).

1. Document communiqué à la Chron. médic. par M. Pluyctte, de Marseille.


ESPAGNE — PORTUGAL 97


Le superbe mausolée où repose Maria Padilla, la favorite de Pierre le Cruel, évoque les nudités que cette beauté se plaisait a exposer aux yeux émerillonnés des g-ens de cour quand, en leur présence, elle prenait un bain dont chacun devait boire'une tasse.



Fig. 99.

2° La Giralda. — Ce « clocher de la cathédrale » est une tour à caractère religieux et satirique surmontée d'une girouette symbo- lisée par une statue de la Foi. De fait, on ne pouvait trouver une figure plus piquante de Y Abjuration, et quand la nouvelle reine d'Espagne, Pépouse d'Alphonse XIII, passera en vue de cette anti- thèse artistique, elle songera à sa conversion et à celle d'Henri IV, pour qui le royaume de France valait bien une messe.

3° Musée. — Les Ames du Purgatoire d'Alonso Gano sont autant d'académies à mi-corps, enveloppées de flammes. Au premier plan du Jugement universel de Martin de Vos, une des nombreuses dam- nées privée de son corset retient, avec peine, ses mamelles exubé- rantes et croulantes.

4° Eglise de l'Université. — Le tombeau de Don Pedro Enriquez est couvert de nudités.

8° Couvent de la Caritad 1 .

1. Un rideau voile une toile célèbre de Valdes Léal, le Triomphe de la Mort : les cadavres grouillent de vers et le réalisme macabre est à ce point repoussant que Murillo, à la vue de ce. charnier, s'écria : « Il faut se boucher le nez ! »


i/art profane. — IL


7


Os


l'art profane a l'église


Tolède. Cathédrale. — La façade est percée de trois portes dites de VEnfer, du Pardon et du Jugement, en raison des sujets qui y sont sculptés.

Parmi les curieuses incrustations des stalles, les impudents Manncken-Pis foisonnent ; le plus fameux de tous, celui de Bruxelles, est-il leur ancêtre ou un de leurs descendants ? Toutefois, la domination espa- gnole dans les Flandres ne semble pas étrangère à ces si- militudes.

Contraste décevant : à côté de ces actes naturels ruisse-



Fig. 101.

lants d'inouisme qui donnent une image joyeuse de la vie, Pépitaphe inscrite sur le tombeau du cardinal Porto Carrero nous rappelle son inanité: Hic jacet pulvis, cinis et nihil.

Un panneau des armoires de la salle capitulaire est orné d'un buste de femme nue (fig. 100). Enfin, le curieux heurtoir de la porte des Lions ou de l'Alegria, qui conduit au cloître de la cathé- drale, est formé de deux torses de néréides aux seins lourds (fig. 101).


Valence. Cathédrale


1. A la fête de la Vierge, le 15 août, l'église devenait une véritable cage à serins; honni soit... Nous voulons dire qu'on y lâchait une multitude de canaris, à la queue


ESPAGNE — PORTUGAL


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Yust. Monastère dit de Saint-Just \ — A l'ombre duquel le bou- limique, emphysémateux, prognate, hémorroïdaire, goutteux, ar- tério-scléreux et surtout cagot Charles Quint vint se retirer et finir ses jours, en exhalant, de sa bouche de brochet, dans un souffle ultime et infect des adénoïdiens, son âme catholique, apostolique et romaine.

On vit longtemps dans la Chapelle de l'Empereur la gracieuse statue de la Vierge à la cruche, dont l'origine légendaire vaut d'être contée. Vers 1780, d'après le récit de L. Lurine et A. Brot, un jeune gentilhomme du voisinage, don Manuel, sculpteur amateur, rencontra une ravissante paysanne, Marica, qui venait de remplir sa cruche à la rivière ; il s'en éprit aussitôt. La jeune fille, surprise

desquels était attachée une banderolle de papier doré ; la galanterie espagnole exigeait que ces volatils emblématiques lussent attrapés par les gens de tout âge au cœur jeune et offerts à leur enamorada. Bien qu'un nonce ait défendu aux hommes, sous peine d'excommunication, d'offrir de l'eau bénite à l'église parce qu'ils en pro- fitaient pour glisser des billets doux, le rigorisme du clergé n'était qu'apparent et, comme dans tous les pays méridionaux, le sensualisme faisait bon ménage avec le mysticisme ; le culte de la religion était intimement lié à celui de Vénus. Et cette tolérance se conçoit d'autant mieux tra la la los montes que les premiers auteurs comiques de l'Iberie, sont des prêtres : Lopes de Vega. avec ses dix-huit mille pièces, et Caldcron, chanoine de Tolède, auteur de plus de sept cents. N'oublions pas non plus que le patron de Valence est Vincent Fcrrier, prédicateur facétieux à qui La Fontaine a emprunté le calendrier des vieillards et dont la saveur pimentée de ses sermones sanctine le cédait en rien à celle du Décamëron. Nous avons rapporté son apologue pour inciter les épouses négligentes à remplir leurs devoirs conjugaux (les Seins à l'Église, p. 189).

Ecoutez cet autre sermon sur le maquillage et la parure des femmes. « N'est-ce pas faire l'œuvre du démon que de vouloir changer, comme font les femmes en se peignant le visage, ce que Dieu a créé? Sentez-vous, mesdames, quel alîront c'est pour Dieu ? Corrigeriez- vous le tableau d'un habile peintre ? Dieu n'a pas besoin qu'on lui montre à peindre, il en sait bien autant que vous. Il vous a donné un sein rond et volumineux, et vous voulez vous faire une petite gorge ; il vous a donné de petits yeux, et vous en voulez de grands ; vous êtes nées avec des cheveux noirs, et vous les changez en crins roux, comme la queue d'un bœuf. Aussi qu'arrive-t-il ? quand vous priez Dieu, il détourne la tête et prend vos ligures pour des têtes de diables ; et si vous disiez : « Seigneur, je suis votre créature ; il vous répondrait : vous mentez, je ne vous connais pas. » Entre temps, il recommande aux dames de porter du linge blanc, ne vir senlial malum odorem. Il appelle les moines grossos poveos... ; on n'est jamais trahi que par les siens.

1. Les auteurs des Couvents racontent encore qu'un jour, les franciscains de Saint-Yust apprirent que Mata-Florida, ancienne religieuse de la communauté de Huelgas, ballerine célèbre du théâtre del Principe à Madrid, était de passage dans les environs du monastère pour se rendre à Lisbonne, où l'appelait une fantaisie royale ; ils la prièrent de venir danser dans leur réfectoire ; ce qu'elle fit delà meilleure grâce du monde (fig. 101 bis). MM. Bérenger, G. Lecomte, A. Brisson et autres che- valiers de la triste ligure, ne criez pas au scandale et souvenez-vous que l'abbaye de Chelles vit danser la Camargo et la Sallé.


ioo


l/ART PROFANE A [/ÉGLISE


de cette rencontre, se sentit défaillir... lit une chute sur l'herbette et sa cruche se brisa. Les familles des deux amoureux s'opposèrent à cette mésalliance. De chagrin, don Manuel devint fou et aveugle ;



Fig-. 10 i bis.


mais il finit par obtenir de son père, grand d'Espagne, que Marica lui servit de compagne et de guide. 11 tailla dans le marbre une statue de la Vierge à la cruche et lui donna les traits de sa bien aimée ; puis, il attendit qu'elle s'animât et vécût comme la Galatée de Pygmalion. Afin de réaliser son rêve, Marica imagina de prendre la place de la statue ; don Manuel saisit son ciseau pour corriger un défaut de grain qu'il croyait sentir au sein de son idole, mais celle-ci épouvantée arrêta la main de l'artiste... « Enfin, s'écria-t-il, elle a remué, elle vit ! » L'émotion fut si vive que le pauvre insensé revint à la raison. On attribua cette miraculeuse cure à l'intervention de la Vierge de la Pitié. Quelques années plus tard, Marica mourut ; Manuel se retira chez les franciscains de Saint-Yust et leur fit don de sa statue, aux pieds de laquelle il passa le reste de ses jours.

Canaries. Santa-Cruz de Ténériffe. — Pendant la messe de


ESPAGNE PORTUGAL 101


minuit, à Noël, la paroi abdominale d'une statue en bois de la Vierge à terme, s'ouvre à deux volets, comme ceux d'un diptyque, et Marie accouche, à minuit sonnant, du divin Bambino par l'opé- ration césarienne.

La statue richement parée, dit un témoin oculaire, est placée sur un autel. Quand l'heure de l'accouchement est arrivée, un prêtre s'en approche et, après force génuflexions, il introduit ses mains sous la robe, ouvre les deux portes ménagées dans le ventre et en retire à la grande joie des as- sistants, un joli bébé rose.


7'


VII


HOLLANDE


Bois-le-Duc. Cathédrale Saint-Jean. — Nef. Aux arcs-boutants « une armée de créatures humaines et animales, parmi lesquelles des monstres alternent avec des hommes livrés à différentes sortes de vices ».

Genoels-Elderen (Limbourg). Saint-Mar- tin. — Un diptyque du ix e siècle conservé dans cette église porte une Visitation cu- rieuse surtout par les attitudes de la Vierge et de sainte Elisabeth ; celle-ci, comme une sage-femme, pratique sur sa cousine le pal- per abdominal (fîg. 102).

Gouda. La grande église {Groote Kerke). Fig m _ ReproduitedgLns — Quoique consacrée au culte protestant, cet YEncycl. des Beaux-Arts,

M-r. ,1 t , • . pur A. Denimin.

îiice possède encore de précieuses verrières 1 .

L'une allégorise la Liberté de conscience : dans un char traîné par

Y Amour, la Justice, la Confiance, etc., et qui écrase sous ses roues

un vieillard, personnifiant la Tyrannie, sont assises deux femmes,

la Conscience vêtue en guerrière et la Foi nue. Une inscription tenue

par deux cupidons explique cette allégorie.

Une autre verrière a pour sujet la Prise de Damiette ; Mars et

Neptune y figurent.

Leyde. Musée. — Un ancien triptyque d'église par Lucas de Leyde, 1, Cf. Odin, le Vitrail,



101


l'art profane a l'église


consacré au Jugement dernier, au Paradis et à Y Enfer, est un des rares tableaux de nu de l'école hollandaise.

Losdun. — Misson a vu dans l'église de ce village les deux plateaux qui continrent les 365 enfants de la comtesse de Henneberg, fille de Florent IV, comte de Plollande. On connaît l'anecdote : le ciel punit la noble dame d'avoir reproché à une malheureuse femme sa fécon- dité, laquelle lui souhaita autant d'enfants qu'il y a de jours dans Tannée 1 , et la comtesse accoucha de cette formidable portée. Mais ses rejetons naquirent, furent baptisés et moururent le même jour. L'inscription de l'église nomme l'évêque Guillaume sufFragant de Trêves, — précurseur du baron de Crac — qui a baptisé les 365 « poissons d'Avril ». Au-dessus de l'inscription mensongère se lisent ces vers :

En tibi monstrosum nimis et memorahile factum Quale nec a mundi conditione datum.

(Voici un fait trop monstrueux et mémorable, en dehors de toute loi naturelle.) Et au-dessous :

Hœc lege, mox animo stupefactus lector ahihit. (Lis cela et bientôt le lecteur stupéfait s'en ira.)

Nos aïeux étaient si crédules en matière de merveilleux qu'on leur servit plusieurs fois cette légende puérile; ainsi Marc Gremerius raconte sérieusement qu'une noble Polonaise, femme du comte de Virboslaùs, accoucha de 36 enfants à la suite d'une semblable impré- cation : le gogotisme est contagieux.

Maestricht. — L'auteur du Voyage d'Allemagne relate que « chez les religieuses joignant la grande place, il y a un Crucifix qui, dit- on, ne peut être peint : l'Italie n'en a pas de plus curieux ». Est-ce à dire qu'il ne peut être « décrit », à cause de sa nudité choquante ?

1. Une autre version raconte que la comtesse reprocha à la pauvre femme ses deux enfants jumeaux, comme ne pouvant pas être du même père ; un troisième ajoute que parmi les 3G5 enfants de la comtesse, « outre les mâles et les. femelles, il y eut des hermaphrodites. »


HOLLANDE


105


Saardam. Eglise du Taureau. — Le vocable de cette église réfor- mée s'explique par un tableau placé au fond du chœur et que nous avons reproduit dans notre Histoire des Accouchements 1 . On y voit un taureau furieux qui, sur ses cornes, enlève une femme grosse : au même instant, la femme accouche et retombe avec le nouveau-né. L'enfant aurait vécu un mois et la mère serait morte au bout de trente-six heures ; ce fait divers paraît plus véridique que le pré- cédent.


1. Fig. 128.


VIII


ITALIE


Amalfi. Cathédrale Saint- André. — A la nef, deux sarcophages antiques sont couverts de sculptures qui traitent des sujets du paganisme : YEnlè- vement de Proserpine, les Noces de Pelée et de Thétis ou de Thésée et d'Ariane.

Vallée d'Aoste. Cloître de la collégiale de Saint-Ours 1 . — Le chapiteau historié qui a le plus frappé M. Edouard Aubert est celui où l'évêque Plocéan est entraîné dans les flammes de l'Enfer par les démons, vengeurs de son apostasie

Aquila. Couvent de Santa Maria di Colle magnio. — Kuter, moine célestin, élève de Rubens, décora la chapelle de Saint-Célestin de peintures fantastiques qui se rapportent à la vie de ce pape.

Fi S- 103.

Arezzo. — A l'intérieur de l'église, un colossal Cupidon (fig. 103) sculpté par Pierre délia Francesca, vêtu de son bandeau, dirige ses flèches sans le secours de son arc dans le tas de fidèles qui se prosternent au pied des autels. Cet impu- dique enfant de Cypris s'est-il blotti sous les voûtes sacrées pour



1. Qualificatif curieux, à rapprocher de celui qui est donné aux églises, en Sicile : les chanoines sortis du chapitre de la cathédrale étaient appelés, paraît-il, dans les anciennes chartes, frères-utérins de cette église-mère.


108


l'art profane a l'église


rappeler la vision de saint Dominique qui vit un diablotin assis sur le sein d'une jeune fille nue, d'où il dardait des flèches à pointes de feu contre ceux qui l'appétaient ?



Fig. 104.


Assise. — Giotto, dans l'allégorie de la Pénitence (fîg. 104), place encore un Cupidon, son carquois en bandoulière et dont l'arc vient de faire une victime ; mais il le transforme en esprit du mal, avec des griffes de vautour 1 .

Le sacré couvent « renferme autant de merveilles que de pierres » ; c'est la folie de l'art chrétien qui célèbre « la folie de la croix », pour nous servir d'une expression ironique de Bossuet, à propos de de François d'Assises. Ce ne sont que décors et ornements peints, sculptés ou burinés.

Valéry signale le manque de tenue du personnage qui représente la reine de Chypre, Hécube de Lusignan, sur son vaste mausolée : « sa statue assise a une jambe en l'air, passée sur le genou de l'autre, posture fort singulière pour une femme, pour une reine et pour une statue d'église, et dont le lion rugissant, au-dessus du lit dont deux anges soulèvent la draperie, paraît horriblement choqué. »

1. Rappelons une circonstance mystérieuse de la naissance de saint François, en nous appuyant sur l'autorité du R. P. Arsène de Chalet.

Sa mère, Pica, était en proie à de terribles soufïranccs, sans pouvoir enfanter, lorsqu'un pèlerin de passade, après avoir reçu son aumône, fit cette prédiction : « La mère ne sera délivrée que dans une é table et l'enfant ne verra le jour que sur la paille ». Aussitôt, la patiente fut installée sur une botte de paille dans une étable du voisinage et mit au monde son iils qui naquit comme Jésus. L'étable a été convertie en chapelle San Francesco il Piccolo (Saint-François-le-Petit).


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Bergame. — 1° Santa Maria Maggiore. — Chapelle Colleoni. Le sarcophage de ce prototype des condottières « qui vendaient leur force comme les avocats leur éloquence, sans se soucier de la cause », est entouré d'une frise d'amours dansant



Fiy. 105. Fig. 106.


2° Oratorio Suardi. — Une importante fresque de Lorenzo Lotto raconte la Vie de sainte Barbe. Sur le premier plan, on conduit la vierge au bourreau (fig. 105) ; dans le fond, le tortionnaire lui arrache les seins (fig. 106), et, après son supplice, un ange la couvre d'une draperie.

Bologne. 1° Cathédrale Saint-Pierre. — Portail central. Entre autres superbes figures de Jacopo délia Quercia, qui a puisé ses thèmes dans les récits mythologiques et bibliques, notons une Eve naissante et dodue, d'une grâce incomparable.

Au haut du sanctuaire se trouve V Annonciation, fresque de Louis Garrache, son dernier ouvrage; l'attitude de l'archange Gabriel dans cette situation intéressante est équivoque : il semble avancer les mains sur le corsage de la Vierge pour lui découvrir la gorge.

1. Les Seins à l'église, fig. 61.


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l'art profane a l'église


2° San Petronio. — A la façade, un bas-relief d'un réalisme em- poignant dans un sujet banal par lui-même, représente Joseph laissant son manteau aux mains de la Putiphar. C'est une touchante et dramatique allusion à une vive affection contrariée de la belle artiste, Properzia de Rossi, peintre, sculpteur, graveur et musicien, pour un cruel Bolonais. Aux quatre cordes de son arc, elle voulut ajouter celle de Gupidon, et mal lui en prit. La pauvre dédaignée, après avoir ciselé son chef-d'œuvre, où les traits des protagonistes de l'aventure ont été fidèlement reproduits, se désespéra et mourut de chagrin ou mieux de poison en 1530.

Un magnifique bas-relief de Jacopo délia Quercia montre Eve longtemps après le péché et cependant complètement nue ; deux enfants nus aussi lui grimpent aux jambes, tandis qu'elle file sur un fuseau. Le chef de la première communauté bêche dans le voisinage, en costume d'Adam 1 .

Evoquons deux souvenirs qui appartiennent au domaine, de l'art. Le cardinal Gastaldi offrit de terminer à ses frais la façade de S. Pétrone, à la condition d'y faire sculpter ses armoiries ; la fabrique, par dignité, refusa cette proposition. Une telle recherche de réclame vaniteuse n'est pas rare chez le haut clergé; nous ne citerons, d'après F. de Guilhermy, qu'un exemple, celui du cardinal de Noailles. Dans la rose du transept méridional de Notre-Dame de Paris, il substitua ses armoiries à la figure du Christ placée au centre de l'armée triomphante des apôtres et des martyrs.

Le second incident se rapporte à la statue colossale de Jules II, en bronze, par Michel-Ange, qui, avec le Moïse, devait faire partie de son somptueux mausolée et vint échouer devant le portail de S. Pé- trone, où elle fut brisée plus tard et remplacée par un monument païen, la fontaine de Neptune dont il est question plus loin. Il est vrai que la première statue représentait plutôt un Jupiter tonnant qui menace, qu'un pontife qui bénit : Michel-Ange avait demandé au fougueux pontife s'il devait lui mettre un livre dans la main gauche : « Non, répondit-il, en contradiction avec le précepte évan- gélique, donne-moi une épée; je ne suis point un écolier ». Une fourche eût suffi à l'ancien valet de ferme; la caque sent toujours le poisson.

1. Hisl. de l'art en tableaux, t. I., pl. m., fig. 8.


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3° Saint-Paul. — Le Guerchin exprime le Purgatoire — invention du pape Grégoire dit le Grand — par des âmes nues qui rissolent au milieu d'un feu temporel et invoquent la clémence du ciel élevant vers lui leurs bras suppliants (1563).

4° San Michèle in BOSCO. — On conserve à la chapelle du légat une copie en plâtre de la Justice, l'une des statues en marbre du mausolée de Paul III à Saint-Pierre de Rome. Cette figure, dans son premier état, était entièrement nue, mais une fausse pudeur l'a couverte d'une draperie en étoffe, comme la sainte Geneviève de Clamecy, tandis que le Bernin a passé à l'original une chemise en métal.

5° San ROCCO. — Chapelle de l'Oratoire. Dans une peinture du Guerchin représentant saint Roch soupçonné d'espionnage, le pré- venu est conduit par un soldat, « à grands coups de pieds dans le c, » écrit de Lalande en toutes lettres. « Cette idée est basse, mais parfai- tement rendue dans le tableau », ajoute ce voyageur.

6° Mendicanti di Dentro l . — Il est rare que les artistes nous fassent assister à la fameuse scène de jalousie de saint Joseph — c'est une « scène » de ménage qui n'est pas « a faire » . Une toile d'Alessandro Tiarini nous procure cette surprise : la Vierge est dans un état de grossesse avancée ; l'abstrus, énigmatique, ténébreux, résigné, mé- lancolique époux in partibus sort de son ombre et de sa réserve ordinaires, puis se jette aux pieds de son épouse — d'autres disent sa ûancée — et lui demande pardon, comme à Notre-Dame de Paris, de l'avoir soupçonnée d'infidélité. Tous les mêmes ! Marie lui montre le ciel pour lui rappeler que ce miracle a été accompli par l'intervention du Saint-Esprit. « Cinq ou six petits anges derrière Joseph, écrit le président de Brosses, rient sous cape et se le montrent l'un à l'autre, pendant qu'un autre ange plus grand et d'un âge rai- sonnable leur fait signe de se taire, de peur que Joseph ne s'en aperçoive. »

Sachetti,dans sa soixante-quinzième Nouvelle, raconte que Giotto, accompagné de plusieurs amis, entra un jour à l'église Saint-Marc.


1. Les mendiants du dedans de la ville.


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L ART PROFANE A L ÉGLISE


Devant une Sainte Famille, l'un des compagnons du maître florentin lui demande pourquoi on peignait saint Joseph — et non la Vierge comme M. Rio le rapporte dans son étude de la Poésie chrétienne — avec un air maussade ? Giotto répondit que c'était avec raison : Che vede prègna la moglie, e non sa di cui. (Parce qu'il voit sa femme enceinte et ne sait pas qui en est cause).

7° Chapelle des Ecoles de l'Université. — Le Gesi y a représenté la Religion « par une figure de femme toute nue, assure de Lalande, sous un voile d'une transparence sans égale ». Rubens, dans le Triomphe de la Religion (Louvre), supprime toute gaze ; il est vrai qu'il ne s'agit pas ici d'un tableau d'autel.

8° Fontaine de Neptune. — A Rologne, la dévotion est telle qu'on rencontre à chaque pas des images de la Madone entourées de veil- leuses allumées, et jusque dans la loge où se distribue les billets de la Comédie. H y en a à la tête du lit de toutes les Rolonaises : elles tirent le rideau quand « on se prépare à FofFenser », assure un voyageur documenté 1 .

9° Monastère de Saint-Benoit 2 .

Rrescia. 1° Dôme vieux. — Ce monument, l'un des plus anciens de l'Italie, a été longtemps considéré comme un temple païen, en raison des nombreux emblèmes idolâtres que l'on y trouva et dont la destruction fut stupidement décidée, les 19 avril et 25 mai 1456, par le conseil de la ville. (Valéry).

1. Rien donc d'étonnant qu'ait été dédiée à l'archevêque de Milan, légat de Bologne, saint Charles Borroméc, la fontaine mythologique de la place du Géant, dominée par le groupe de Neptune et de quatre néréides qui se pressent les ma- melles d'où jaillissent des jets d'eau. « Le Neptune est nu, observe encore cet indis- cret de Lalande, et les parties que la pudeur oblige de cacher y sont si marquées que souvent les mères, en passant dans la place, avertissent leurs fdles de détourner les yeux. »

2. Les moines de l'abbaye avaient abandonné la forte somme pour la construction de la cathédrale, à la charge d'une piteuse redevance. Voici en quoi elle consistait : au banquet de la fête patronale de l'abbaye, le censitaire se présentait au réfec- toire porteur d'une écuelle couverte, garnie d'une poularde au riz. Arrivé en pré- sence de l'abbé, il levait le couvercle et passait l'écuelle sous son nez, puis se retirait avec la poule dont il ne devait à l'abbé que le fumet.


Planche III.



Page 126. — La Nuit Phot. Brogi.


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2° Couvent de Sainte- Julie. — Didier, le dernier roi des Lom- bards, donna à sa fille Ansberg, abbesse du couvent, une croix qui est le principal joyau de la Bibliothèque de la ville. Elle est enri- chie de camées représentant Pégase, les neuf Muses, les trois Grâces, « et d'autres sujets mythologiques qui ne sont pas tous fort décents ».

Casstno. Couvent de Saint -Benoît

(Mont Gassin) *. — Que vient faire dans un édifice religieux — usine de pieux mensonges — une Vérité de Luca Gio- darno, qui n'a, au dire de Taine, que ses cheveux blonds pour tout vête- Fig. 107.

ment ? Une autre figure allégorique

du même peintre, la Bonté, passe pour le portrait de sa femme.

Gastelfranco. Cathédrale. — La sacristie est ornée de fresques peintes par Véronèse et provenant de la villa Soranza ; on y remar- que la Justice, la Prudence, le Temps et la Renommée, avec un cortège d'amours.

Certaldo. San Michèle e Giacomo. — Le tombeau de Boccace fut érigé en 1503 dans cette église de son pays natal; mais, en 1783, le monument fut détruit et les ossements dispersés : il était sur- monté de la statue du poète tenant son peu orthodoxe Décaméron !

Gome. San Fedele. — Une figure de femme, munie dune cein- ture de feuillage qui ne cache rien, prend une pose acrobatique au sommet d'un arc brisé (fig. 107). Elle rappelle la Shelah-na-Girj des anciennes églises irlandaises.

1. Vasari, à l'exemple de beaucoup de ses collègues, ne négligeait aucune occasion de se distraire et ne cherchait guère ses inspirations dans la foi religieuse, comme le veulent les pieux admirateurs du passé, qui prennent leurs désirs pour des réalités.

Donc, en peignant dans ce couvent le Festin d'Assuërus, le facétieux peintre joua le tour à un moine d'esquisser sa trogne rubiconde sur un vase de cristal plein d'eau, avec la déformation accusée des traits due à la réflexion des images sur les miroirs convexes.

Par ailleurs, nous connaissons le débraillé des miniatures qui enluminent les an- l'art profane. — II. 8



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l'art profane a l'église


Gortone. Le Dôme. — « Paganisme immortel, es-tu mort ? » s'écrie Sainte-Beuve. Non, il n'est pas mort, répond G. Vanor, puisque ce sont justement les églises catholiques qui se sont im- posé de le perpétuer dans leurs propres sanctuaires :

Santa Anastasia de Rome, n'est-elle pas établie sur douze colonnes provenant du temple de Neptune Palatin? Dans la chapelle dômale de Cortone, un sarcophage antique n'olfre-t-il pas, en bas-relief, le combat des Centaures et des Lapithes ? Hier, à Sienne, nous contemplions l'aven- ture de Neptune et de la Naïade, dans le transept de la cathédrale, et les ligures mythologiques ornant le candélabre qui supporte le bénitier sculpté... Et encore à Rome, dans la basilique Ghigi, les mosaïques de la coupole figurent Jupiter, Diane et Mercure, gravitant comme des pla- nètes autour de Jéhovah !... Non, il n'est pas mort le paganisme qui revêt ainsi de sa sensualité les basiliques chrétiennes, il s'immortalise encore dans les offices du culte qui le remplaça.

Ferrare 1° Cathédrale. — L'abside est décorée du Jugement der- nier, œuvre capitale de Sebastiano Filippi, dit le Bastianino (1577). Cette fresque inspirée de Michel-Ange, contient aussi un trait sati- rique. L'une des damnées, saisie par les démons, serait la belle Livia Grazzioli qui, après lui avoir promis de l'épouser, lui préféra Stefano Correggiari : la donna è mobile. A côté de l'inconstante, on lit sur un cartel :

nul (lum) mal (um) tmp (unitum).

En revanche, la femme qui la remplaça figure au milieu des élus et foudroie de son mépris la dédaigneuse Livia. Filippi, d'après Gustave Gruyer, s'est placé avec elle à la droite de son patron qui tient à la main les flèches de son martyre, et c'est sa mère que Pon voit à la gauche de saint Sébastien, s'il faut en croire M. G. Boari.

2° Saint-Benoît. — Chapelle de Saint-Jean-Baptiste. Le tableau d'autel est de Bononi : Salomé y paraît outrageusement décolletée, moins cependant que celle de Henri Regnault qui, elle, est complè-

ciens missels. La bibliothèque du couvent du Mont-Cassin possède un psautier dont les majuscules de chaque psaume sont ornées de fleurs et de feuillages; parfois l'ar- tiste a joint à ces lettres enjolivées des rébus, où les notes de la gamme forment une partie du texte, par exemple cette jolie devise: sol la speranza mi fa trion va re. (L'espérance seule me fait triompher.)


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tement « débustée ». Ce serait le portrait de la maîtresse du duc Alphonse, lequel figure à côté d'elle sous les traits d'Hérode.

3° Sainte-Madeleine. — Un tableau, où la pécheresse repentante portait le costume en satin de peau de son premier métier, a été un peu gâté, au dire de Lalande, par le scrupule d'un archevêque de Bologne, « qui a voulu faire descendre les cheveux sur la gorge de la belle pénitente ».

4° Couvent des Bénédictins K

5° Sainte-Marie del Valdo. — La plus ancienne église de Ferrare contient, entre autres tableaux remarquables, celui du Carpi, le A/ïrac/e de saint Antoine, qui fait justifier une femme par l'enfant dont elle vient d'accoucher, et la superbe composition de Dosso Dossi, Saint Jean V Evangélistc contemplant la femme mystérieuse de son Apo- calypse. Ce personnage a été singulièrement gâté par un présomp- tueux restaurateur ou gâte-sauce boulonais qui l'a enveloppé d'une draperie verte. « Indépendamment du souvenir d'un tel affront, dit ingénuement Mme Ginevra G., qu'un ferrarais ne se serait point permis, nous avons la douleur de ne plus admirer ces excellentes proportions, ces formes si nobles dont la beauté des mains et des pieds peut faire présumer la pérfection. »

6° Séminaire. — Le plafond d'une petite pièce du rez-de-chaussée servant de classe était décoré de figures et d'arabesques du Garofolo ; elles sont à peu près cachées par le barbouillage pudique d'un badi- geonneur sans scrupule, et il ne reste d'une figure de femme, au dire de Valéry, que la tête et la main.

Florence. 1° Le Dôme. Santa Maria del Fiore. — Extérieur. — Le portail Nord en bronze, profondément fouillé par le ciseau de Niccolo Aretino, est fleuri d'arabesques et de volutes qui encadrent

1. Vestibule du réfectoire. Dans son Paradis, Benedetto da Garafolo a placé l'Arioste, son ami, avec sa belle barbe noire, entre sainte Catherine et saint Sébastien, l'Adonis chrétien. Le chantre de Roland furieux lui disait, en plaisantant : « Met- tez-moi dans ce Paradis-là, parce qu'il n'y a pas apparence que je sois dans l'autre. »


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i/art profané a l'église


de gracieux médaillons, où sont ciselées de nombreuses figures nues, quelques-unes dans des attitudes équivoques (fig. 108) 1 .

D'autres figures décoratives couvrent le portail Sud ; on y re- marque un jouvenceau, cravaté d'une vipère, et une jouvencelle qui passent leurs têtes à travers des lucarnes orne- mentées et se lancent des œillades en- flammées. Ce groupe est un diminutif du fameux duo de la Luxure que nous trouverons à la cathédrale de Baie, mais d'un caractère licencieux moins ^^^^ Êb^ ^^Ml expressif.



Fis. 108.


Fiff. 109.



Toujours au dehors, sur le côté méridional de l'abside, deux modillons où sont sculptées des académies émergeant de feuillages touffus (fig. 109, 110). Dans l'embrasure de la porte de la Man- dorla, à la partie supérieure des pieds droits, l'œil pénétrant recon- naît encore quelques détails légers (fig. 110 bis, ter, quarte).

Intérieur. — Sur la concavité de la double coupole se développe le Jugement dernier de Vasari et de Frédéric Zuccari. Trois cents figures, environ, peintes à fresques et tirées de la Divine Comédie, animent cet immense panorama. Pour éviter l'injure des travestisse- ments après coup, les artistes ont pris soin — sans souci de la vrai-


1. Reproduit par VHist. de l'art en tableaux.


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semblance — de vêtir tous les personnages, même Apollon, à l'exception toutefois des ressuscités de la zone inférieure, où ils forment une masse circulaire de nudités profanes et esquissent des « écartements monstrueux ».



Fig. 110 bis. Fig. 110 1er. Fig 110 quarte.


Un des rares tableaux égarés dans ce vaste désert est accroché au côté gauche de la nef, c'est le portrait en pied du Dante Alighieri, peint sur bois par Domenico di Michelino, sur l'ordre de la Répu- blique florentine. Le second plan, à droite, est occupé par une vue de Florence en 1465. A gauche se déroulent les épisodes de la Divine Comédie : Y Enfer, « où est laissé toute espérance » ; le Pur- gatoire et le Paradis, remplis de pécheurs et d'élus sans costume. Dans le groupe des damnés qui se dirigent vers les cercles infer- naux, les femmes, contrairement à la galanterie habituelle des artistes, paraissent en plus grand nombre, et ce n'est que justice : Saint Paul ne dit-il pas que la femme a perdu le monde? Nous pou- vons même ajouter qu'elle continue k le perdre.

Naguère, derrière le grand autel se dressait le groupe colossal d'Adam et Eve (fîg. 111) par Baccio Bandinelli. Mais ce marbre, après avoir pendant plus d'un siècle servi de retable au maître- autel de la cathédrale, fut conspué par Cosme III et relégué dans la cour du Musée municipal, à cause de son réalisme violent. En effet, les organes saillants d'Adam sont ombragés de leur toison naturelle, mais Eve est épilée, rien ne dissimule sa nudité; elle


l'art profane a l'église


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écarte, au contraire, les mains de son tronc et sa riche nature semble solliciter l'admiration des visiteurs. Anomalie curieuse : la



compagne d'Adam est de plus grande taille que lui; est-ce pour indiquer la prépondérance conjugale de la femme?

Encore un méfait de la pudicité dont fut victime le premier homme. L'Eglise des Saints- Apôtres, dont la fondation a été attri- buée à Charlemagne, contenait une Conception, le chef-d'œuvre de Vasari ; or, assure Valéry, « elle a reçu quelque dommage d'un méchant peintre chargé de donner plus de pudeur à la figure d'Adam. »

Dix gracieux et vivants bas-reliefs exécutés de 1431 à 1440 par Donatello et Luca délia Robbia, et qui étaient destinés à l'orne- mentation de la tribune des orgues sont exposés au Musée du Dôme.


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C'est une bande de fillettes couvertes de draperies transparentes et de garçonnets à peu près nus, mais pudiques, qui chantent et dansent avec entrain. En face d'eux un groupe de génies entraînés par l'exemple déploient encore plus d'ardeur dans leurs évolutions chorégraphiques. Cette bacchanale chrétienne est trop connue pour être reproduite ici 1 .

2° Baptistère. — Ce vaste monument, qui était primitivement la cathédrale, le duomo, abrite aussi les mânes de tristes personnages, comme le scandaleux Balthasar Coscia, devenu pape sous le nom de Jean XXIII. L'ancien pirate repose en paix à l ombre d'un mau- solée dû au ciseau de Donatello, sous la protection des Vertus théo- logales dont la plus auguste — la Charité — offre ses mamelles géné- reuses.

Sur un autel se dresse une hideuse statue en bois, du même artiste; elle représente la Madeleine vieillie, émaciée, vêtue de ses

1. On s'étonne de rencontrer au milieu d'une net d'église une statue de Donatello représentant Pog'gïo Bracciolini, autrement dit le Poyge, auteur de contes ultra licencieux, quoique secrétaire du Concile qui lit brûler Jérôme de Prague ; mais de telles surprises sont fréquentes en Italie. Il est d'ailleurs en fort mauvaise com- pagnie, celle du condottiere anglais Jean Aucud, fameux par sa cruauté et dont Paolo Uccello a sculpté le tombeau. Voici un de ses exploits : Pendant le sac de Faenza, voyant deux officiers, dans un couvent, se disputer une jeune et belle religieuse, il ne trouva rien de plus ingénieux pour trancher le différent, que d'égorger la pauvre nonnette.

Avant de quitter le Dôme, rappelons un usage qui dura jusqu'à la fin du dix- huitième siècle : les bagasscs ou femmes de mauvaise vie étaient tenues d'assister au sermon prêché à la cathédrale, la cinquième semaine du carême ; « ce sermon, dit Valéry, était destiné à peindre l'ignominie de leur état et à les en faire sortir ». Les repenties, touchées par la grâce ou la rente viagère, étaient admises dans le Conservatoire délie mal murite, asile placé sous l'invocation de Marie-Madeleine. Les courtisanes, en Italie, eurent leurs jours de grandeur et de décadence. Ainsi, le Sénat vénitien, qui les avaient chassées, les rappelèrent vers le milieu du dix- huitième siècle par un décret, où elles étaient qualiliées de noslro bene marite me- retrici. On leur accorda une indemnité et une dotation, mais elles furent parquées dans des maisons appelées cvi.se nunpane, d'où la dénomination injurieuse de cai\un- pana. En 1806, la police française lit moucher les deux chandelles allumées la nuit à leur fenêtre, comme une enseigne lumineuse. Il va sans dire que ces luminaires profanes n'avaient rien de commun avec les deux lumières qui brillaient et brillent encore au dehors de Saint-Marc, pour rappeler aux juges l'erreur commise sur un boulanger, accusé d'assassinat parce qu'il avait eu le tort de ramasser et de garder le fourreau d'un poignard trouvé sur un cadavre. L'austère cour d'Autriche qui, à Schœnbrùnn, banissait de la vue de Marie-Louise les animaux mâles, supprima les tilles publiques de Venise, en 181-') ; et comme cet ostracisme pudibond coïncidait avec la restitution et la réinstallation â la cathédrale des fameux chevaux de bronze, les Vénitiens murmuraient qu'en leur rendant leurs chevaux on aurait aussi bien fait de leur bisser leurs vacche.


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l'art profane a l'église


cheveux. C'est une œuvre d'un réalisme dont la violence n'a rien à enviera celle de sa congénère de l'église de la Sainte-Trinité (fig. 137).



Fig. 112. — Porte Est.


Un ruban, revenez-y de coquetterie surannée, enserre la taille de cette ruine sans parvenir à la dessiner, en raison de sa maigreur squelettique.

A la sortie, nous avons tout le loisir d'admirer les mille détails délicieusement fouillés des trois célèbres portails en bronze, surtout celui de l'Est, chef-d'œuvre d'orfèvrerie, ciselé par Ghiberti, et nommé « la porte du Paradis » depuis que Michel-Ange l'avait déclaré digne de fermer l'entrée de l'Eden. Les bas-reliefs de cette merveille sculpturale qui, à notre point de vue spécial, attirent le plus l'attention sont : la Naissance cVEve (fig. 7 bis), que des ange- lots aident à sortir du flanc d'Adam; la Tentation, où un séraphin ingénieux et prévoyant voile du bout de son aile les organes du premier homme, et ï Ivresse de Noé (fig. 1J2), avant que l'un de ses fils ne couvre sa nudité.


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Dans les magnifiques encadrements de la porte Sud, où Ghiberti s'est portraituré avec sa tête chauve, on remarque une Caritas dans le simple appareil (fig. 113) et un



Fig. 113. Fig-. 114.


d'une main, la mâchoire d'àne qui lui servit à combattre les Philis- tins et ébranle, de l'autre, la colonne du palais dont les ruines vont l'ensevelir. On se demande à quoi sert l'ample draperie qui flotte derrière lui.

3° Campanile. — De même, Caïn se sert d'une peau de bête pour


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l'art profane a l'église


couvrir seulement son dos; aussi sa nudité antérieure a-t-elle été sérieusement endommagée par un adepte de Savonarole (fïg*. 115).

La Création d'Eve (fig. 116) et Y Ivresse de Noé (fig. 117) dessi- nent encore des nudités un peu crues.

Donatello a gratifié son David des traits de Zuccone, l'homme le plus laid de Florence ; il consi- dérait cette caricature comme son chef-d'œuvre.

4° Opéra del Duomo. — h Œu- vre de la Cathédrale, située der- rière l'abside du Dôme, conserve les documents figurés et plasti- ques qui ont trait à l'histoire de Santa Maria del Fiore et de son Baptistère.

Aux murs de l'escalier sont fixés les vingt-quatre bas-reliefs imaginés et exécutés par Baccio Bandinelli et Giovanni Lorenzo, pour le chœur de l'église; mais, à cause de la trop grande liberté d'allure des sujets traités, ils ont été relégués au Musée du Dôme. Nous reproduisons le plus expressif (fig. 118); ab uno disce omnes.

On voit dans la première salle trois chapiteaux enjolivés de néréides au buste nu, — tre capitclli di pietra serena, — et dans la seconde, les Cantoria, pleins de fougue et de sans-gêne, de Dona- tello, déjà décrits.

5° Annonciade 1 . — 6° Congrégation 2 .

7° Santa Croce. — A l'entrée de ce Panthéon florentin s'élève le

1. Dans r Adoration des Mncjes d'André del Sarto, la figure tournée vers le specta- teur est celle de Sansovino,ct le personnage qui s'appuie sur son épaule est le peintre lui-même. Les fresques de Sainte-Marie-Nouvelle sont aussi remplies de portraits.

2. Le facétieux Piovano Arlotto ou Mainardi a été inhumé en 1480 dans cette église qui existait Via San Gallo ; « sa plaque funéraire, dit de Lalande, portait une épitaphe plaisante, dans le goût du personnage ».



Fig. 115.


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Fig. 117.


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colossal mausolée de Michel-Ange, orné de trois statues de Ber- nardo Rossellini : Y Architecture, la Peinture et la Sculpture (fig. 119). Celle-ci est la seule qui a le buste en partie découvert; elle tient une figurine d'homme nu, sans bras, mais muni d'organes vigoureux et ombragés de poils.

Vis-à-vis, est érigé le tombeau de Galilée 1 par J. Foggini ; il est sur- monté de la Géométrie boutonnée et de Y Astronomie « dépectorée » (fig. 120). La favorite de Galileo



Galilei montre son hémisphère mammaire droit à nu et tient de l'autre côté le dessin de la sphère solaire, une quasi variante de la Comparaison de Lawrence.

Vous savez que longtemps la sépulture ecclésiastique fut refusée à Galilée, en qualité d'hérétique. D'abord inhumé place Saint-Marc,

1. En 1815, tous les papiers enlevés à l'Italie lui furent restitués, à l'exception du procès de Galilée. Quelle est la main pieuse qui a fait disparaître ce dossier, inté- ressant à plus d'un titre? Is fecit cui prodest.


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à la porte du noviciat des Dominicains, on toléra dans la suite le dépôt de ses os à l'intérieur de Santa-Croca, mais sans le moindre apparat, jusqu'à ce que l'érection de son monument funèbre fut enfin au- torisée. Le même hommage tardif a été rendu au Dante, exilé de Flo- rence : le portrait de Fauteur réha- bilité de la Divine Comédie figure à la cathédrale, par suite d'un décret de la République qui annonçait, en même temps, l'élévation d\m mau- solée expiatoire, resté à l'état de projet.

Dans le tableau d'autel de la cha- pelle Zanchini, Agnolo Alloio, dit le vieux Brozini, a peint la Délivrance des âmes par le Christ.

Il y a là, écrit Maximilien Misson en 1688, je ne sçay combien d'âmes femelles qui sont bien gaillardes pour un tableau d'autel. On dit mesme que celle qui figure rwe estoit le vrai portrait de la maîtresse du peintre, et que celui-ci se seroit représenté au côté droit du ta- bleau, regardant la première femme.

Ce tableau de famille, de la main gauche, a disparu de l'église Sainte-Croix.

Chapelle Bardi. Une fresque de Giotto montre saint François d'Assise qui se dépouille de ses vêtements et renonce à l'héritage paternel.

Sur un vitrail de la quatrième fenêtre, relatif au martyre de Sanc- tus Sigismond, rex Burgundiœ, un homme nu occupe une tribune.

Nous aurons à signaler le tombeau de l'Arétin, le poète et habile historien chaste, pour rappeler la méprise commise par Mme de Staël qui le confondit avec son cynique homonyme, lequel se vantait d'avoir deux plumes, l'une d'or et l'autre de fer 1 .



1. Le tombeau de Pierre Arétin est à Venise dans l'église de Saint-Luc, dont


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l'art profane a l'église


Terminons cette ronde funèbre par un détail décoratif de la sépul- ture de saint Antonin ; il nous fournira la note facétieuse, le mot de la fin. Nous résumons le récit de « deux gentilhommes suédois » (1764). L'une des peintures qui ornent la chapelle funéraire d'Anto- nin représente un de ses miracles. Cet archevêque tient une balance dont l'un des plateaux est occupé par un panier de fruit, l'autre par un papier sur lequel est écrit deo grattas. A coté, on voit un villageois « dans un stupide étonnement ». Ce paysan vient d'apporter à saint Antonin un panier de fruits et, pour tout paiement, l'auréolé le gratifie d'un Deo gratias. Le rustre mystifié objecte que ce grattas est une maigre rémunération ; pour lui en faire apprécier la valeur, saint Antonin demande une balance et montre que le poids de son Deo gratias l'emporte sur celui des fruits. Et voilà comme une mystification devint un mystique miracle.

8° San Lorenzo. — Le Saint-Denis de Florence. Chapelle-mau- solée des Médicis à la Nouvelle Sacristie. A droite s'élève le tombeau de Julien II de Médicis 1516), troisième fils de Laurent I er le Magnifique, duc de Nemours, frère de Léon X, représenté assis, en général des Etats de l'Eglise, le bâton de commandement à la main; tête énergique de condottiere. Il paraît presque nu, le torse emprisonné dans une cuirasse en peau qui accuse ses formes athlé- tiques et dessine la saillie des mamelons. Le Jour (fig. 125) et la Nuit (fig. 122, 123 et Pl. III) sont à demi couchés sur le sarcophage à volutes trop étroit. Pour la statue de la Nuit^ qui seule est terminée, Michel-Ange s'est surpassé ; il lui a prodigué toute la puissance et l'originalité de son génie. Elle est musclée en Hercule, même au repos, comme toutes les conceptions de Buonarroti ; sa nudité est absolue. « Elle semble s'assoupir, dit Paul de Musset, dans une atti-

l'anagramme convient à limpudicité de ses vers. Jean de la Faye rapporte l'épitaphe qui fut faite à cet écrivain, vénal, vénéneux et vénérien, lequel devint évèquc de Nocera — encore un nom prédestiné, de nocere, (nuire) :

Condit Arelini cineres lapis iste sepultos, Morlales atro qui sale perfricuil. Intaclus Deus est illi : causamque rogatus Hanc dédit; Ille, inquit, non mihi nolus erat.

Le temps par qui tout se consume, Des Monarques, de qui la gloire

Sous cette pierre a mis le corps Est vivante après le trépas ;

De l'Arétin, de qui la plume Et s il n'a pas contre Dieu même

Blessa les vivants et les morts ; Vomi quelque horrible blasphème,

Son encre ternit la mémoire C'est qu'il ne le connaissait pas.


ITA LIE


127


tude qu'un être humain ne saurait garder plus de cinq minutes, sous peine d'avoir des crampes intolérables dans tous les membres ». Un



Fig. 121. — Le Crépuscule. Etat de projet. La planche V donne l'état d'exécution.

poète contemporain de Michel-Ange, Jean Strozzi, y inscrivit un quatrain dont voici une traduction versifiée :

Ta vois, ici, doucement sommeiller La Nuit, qu'un Ange en la pierre a formée ; Puisqu'elle dort, c'est qu'elle est animée : N'en cloute pas ; tu n'as qu'à l'éveiller.



Fig. 122. — La Nuit. Etat de projet.


Le sculpteur florentin répondit par un quatrain plein d'amertume, où il fait allusion à l'oppression de la liberté anéantie avec la répu-


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l'art profane a l'église


blique par Alexandre de Médicis (la crainte de représailles l'empêcha d'achever son œuvre) :

J'aime à dormir, je ne regrette pas D'être de pierre, en ces jours d'injustice, Voir et sentir, ce serait un supplice : Epargne-moi, de grâce, parle bas !



Fig. 123, 124. — La Nuit et l'Aurore. Etat d'exécution.


C'était la consigne de l'Italie opprimée : à Naples, le Mazaniello de la Muette de Portici chante : « Pêcheur, parle bas » ; à Venise, dans Haydé, on répète en sourdine : « Chantez-y, mais n'y parlez pas! »

En face de Julien, son neveu Laurent (f 1519), duc d'Urbin, le père de la cruelle et peu scrupuleuse Catherine de Médicis, domine aussi son tombeau. Par opposition à son oncle, qui exprime la vie active, combative, militante ou V Action, Laurent allégorise la vie contem- plative et méditative ou la Pensée 1 . Il paraît plongé dans une pro-

4. Rachel et Lia du tombeau de Jules II représentent aussi la vie active et la vie contemplative.


Planche IV.



Page 130. — h' Aurore. Phot. Brogi.


Planche V.



Page 130. -


Le Crépuscule. Phot. Brogi.


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P29


fonde rêverie, ce qui lui a valu le surnom de il Pcnsiero ou Pen- sieroso, le Penseur. Mais cette attitude,

Où Michel-Ange a fait le marbre de Carrare Penser sur un tombeau,



Fig. 125. — Le Jour.

n'est nullement en rapport avec le caractère du personnage ; il cache sa tragique et laide figure de violent débauché sous la visière de son



Fig\ 12G. — L'Aurore. Etat de projet.


casque, comme s'il méditait un mauvais coup. L'expression de cette statue est-elle pour quelque chose dans le choix de la sépulture d'Alexandre, assassiné en 1537 ? On sait qu'il repose aux côtés de Laurent dans le même sarcophage décoré aussi de deux figures l'art profane. — II. 9


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l'art profane a l'église


symboliques : le Crépuscule (fig. 121 et pl. V) et Y Aurore (fig. 12G et pl. IV), groupe qui, avec celui du Jour et de la Nuit, personnifie les phases fugitives de la destinée humaine.

Charles-Quint, dit-on, s'étonna de ne pas voir Y Aurore se lever et parler, tant elle est vivante. A l'exemple de son antagoniste, le



Crépuscule, sa nudité est complète ; la taille seule est enrubannée d'une ceinture de Vénus. Les mamelles de la Nuit sont gonflées outre mesure et prêtes à éclater ; elles offrent une autre particularité curieuse : leurs mamelons sont en érection, comme hypertrophiés, et ceinturés d'une aréole hoursoufïlée, tandis que les bouts de seins de Y Aurore, sa voisine, sommeillent et saillent à peine. Aussi, les pudibondes miss appellent-elles la première Horror, et dans les ateliers, célèbre-t-on la beauté « tétonique » de l'une et titanique de l'autre. Ces détails anatomiques sont en contradiction avec le symbolisme du repos et du réveil de la Nature exprimé par ces deux figures féminines.

Les têtes du Jour et du Crépuscule sont à peine ébauchées, la première surtout ; mais, par contre, leurs organes génitaux sont ter- minés et vigoureusement accusés. Aucune feuille de vigne ne les recouvre, et nous sommes dans une chapelle, tandis qu'à l'Académie des Beaux- Arts, la copie en plâtre en est munie î

Pourtant, à Saint-Laurent, Y Aurore fut longtemps affublée d'une draperie en métal, comme on le voit sur la figure 124 ; mais on a fini par reconnaître que cet écran protecteur n'avait rien à cacher et il


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fut dévissé vers 18(35. Quant à la Nuit, Michel-Ange a été au-devant des desiderata des Pères la Pudeur transalpins en plaçant au bon endroit, comme sauvegarde de la chasteté des touristes, un hibou, l'oiseau consacré à Pallas, déesse de la sagesse.

La même chapelle funéraire renferme une Madone inachevée, de Buonarroti (fig. 128); cette sublime ébauche est placée entre les patrons des Médicis, saint Cosme (iig. 127) et saint Damien ( fig 129). Au petit Jésus rien ne manque que la pudeur; sa posture est aussi forcée qu'immodeste ; on peut le prendre, observe Alexandre Dumas, pour Bacchus, Apollon ou Hercule, comme sa mère pour Sémélé, Latone ou Alcmène. Le Bamhino est posé de telle façon qu'il lui est bien difficile de saisir le sein de Marie sans risquer un torticolis et un détour de reins. Ce sans-gêne de Jésus est en rapport avec celui de sa mère qui ne craint pas de sortir sa mamelle en présence de deux saints, aux yeux indiscrètement fixés sur elles; il est vrai que ce sont les patrons des médecins 1 .

9° San Marco. — Le Saint Sébastien de Fra Bartolomeo fut envoyé par les moines de ce couvent à François I er , grand amateur de chair fraîche, parce que les Florentines s'accusaient à confesse de contempler avec trop de concupiscence cette captivante académie. Vous rappelez-vous la genèse de ce chef-d'œuvre ? Après sa con- version, opérée par Savonarole, le F rate ne peignit que des sujets religieux, à personnages strictement drapés ; aussi Paccusa-t-on de ne pouvoir faire le nu. Son Saint Sébastien, œuvre qui parle aux sens et ne jaillit pas de la foi 2 , répondit à cette critique. Nul n'ignore que, chez les Romains, les criminels et les martyrs chrétiens étaient dépouillés de leurs vêtements avant de subir leur supplice.

En raison de sa nudité, Sébastien est le saint préféré des artistes

1. L'Arétin, comme Colleoni à Venise, se décerna, par testament, une statue qui fut placée dans le cloître de Saint-Laurent.

2. « C'est, dit Libri, un préjugé fort répandu que les grands artistes n'avaient si bien traité des sujets de dévotion que parce qu'ils étaient eux-mêmes éminemment reli- gieux. » Nombreux, en effet, sont les exemples qui s'inscrivent en faux contre la dépendance de la foi et de l'art. Ainsi le Fraie, moine dominicain, tout pieux qu'il était, a rarement pu exprimer le sentiment chrétien, tandis que le sceptique Giotto, l'irréligieux Pérugin, le libertin Mariotto Albertinclli, etc.. y réussissaient à mer- veille. Giotto, qui vivait au milieu des moines d'Assise, les visait malicieusement dans sa chanson contre l'hypocrisie des imposteurs ; elle se terminait par cette pointe à leur adresse : « Va, ma chanson, si tu rencontres un de ces cafards, parais à ses yeux pour le convertir, et, s'il résiste, sois assez hardie pour le confondre. »


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l'art profane a l'église


et du public, en Italie ; chaque édifice religieux, chaque musée ou galerie, vous le savez, en possède au moins un.

Aux lunettes de la cour qui sert de vestibule figure Saint Philippe



Fig. 130.


Benizzi donnant sa chemise à un lépreux nu, peint par Gôme Rosselli.

10° Santa Maria del Carminé 1 . — Chapelle Brancacci : Adam et Eve, que Raphaël copia servilement pour les loges du Vatican. Ces fresques de Masaccio — qui, à l'exemple du Giotto, s'est lancé dans le nu réel et animé, — sont de remarquables académies, poussées à un naturalisme saisissant.

Même chapelle : le jeune homme complètement nu qui vient d'être rappelé à la vie et occupe le milieu du tableau de Saint Piéride ressuscitant Eutychus (fig. 130) a été terminé par Filippo Lippi, sur l'esquisse laissée par Masaccio. L'anatomie des catéchumènes dévêtus de Saint Pierre baptisant, de ce dernier peintre, est sur- prenante d'exactitude ; le personnage grelottant de froid est univer- sellement connu.

i. Boccace fait rencontrer dans cette église, après la peste de 1348, les jeunes flo- rentines qui se rendirent à la villa Palmieri, sur la route de Fiezole, pour se distraire en se racontant les Nouvelles du Dëcamêron, publié en 1352. L'auteur de cette œuvre licencieuse, mais puissante, a son tombeau dans l'église de Santa Maria Novella de la même ville.


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11° Santa Maria Novella. — Michel-Ange avait pour cette église une prédilection telle qu'il l'appelait sa fiancée, son épouse — la sua sposa.

De vastes fresques des frères Orcagna décorent la chapelle des Strozzi. A gauche, le Jugement dernier; au fond, le Paradis d'An- dréa; à droite, les cercles de Y Enfer dantesque par Bernardo. L'un des damnés est l'huissier qui avait saisi les meubles du peintre ; il est reconnaissable à « l'exploit » piqué sur son bonnet.

Cette dernière composition est la moins bonne et la moins bien conservée des fresques ; il y a un pullulement de nudités qui sont détériorées par le temps et par l'humidité, au point d'être méconnais- sables, et c'est dommage, en raison de l'originalité et de l'imagina- tion d'une foule de détails amusants. On y voit des luxurieuses dé- vorées par des serpents et d'autres pécheresses avec la tête à l'envers ; représentation du moral par le physique qui justifie notre réflexion sur le manque de jugement du beau sexe : l'homme raisonne et la femme résonne, avec un accent aigu, très aigu.

Dans la Nativité de saint Jean-Baptiste par Ghirlandajo, une nourrice (fig. 131) offre le sein au futur précurseur. « L'artiste, dit le D r Bouchacourt, a donné a la femme qui s'avance au-devant de l'accouchée un ventre énorme et une attitude lordosique qui font penser à la grossesse. Il s'agit sans doute d'un effet voulu d'oppo- sition. » La jeune dame en visite ne nous paraît pas enceinte ; l'ampleur quelque peu exagérée de la moitié inférieure de son corps tient au vêtement lâche, sans manches, en étoffe épaisse et roide qui recouvre sa robe ; sa poitrine n'est pas celle d'une femme grosse, non plus que sa taille qui est fine, à en juger par la convergence de la ligne nettement tracée du corsage (fig. 132). Quant à la lordose nous ne la remarquons pas : la tête est bien dans l'axe de la base de sustentation. Le personnage qui pourrait donner lieu à cette mé- prise serait plutôt la servante, chargée de fruits, avec sa jupe bouf- fante (fig. 133).

Une fresque du sanctuaire, la Visitation, reproduirait le portrait profane, mais charmant, de la belle Ginevra de Benci, à ses dix-huit printemps.

Au fond du chœur, au-dessous d'une fenêtre dominée par le Couronnement de la Vierge, on reconnaît aussi les portraits de Jean


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l'art profane a l'église


Tornabuoni et de sa jeune épouse, Francesca Pitti, morte en couches à la suite d'une opération césarienne. Un important bas-relief en



Fig. 131.


Fiff. 132.


Fig. 133.


marbre au Bargello de Florence (fig. 134), par Verrochio, perpétue le souvenir de ce dramatique événement. Une servante près de l'agonisante s'arrache les cheveux de désespoir, il ne lui en reste plus sur le sommet du crâne ; la nourrice assise à ses pieds en a complètement perdu la tête, mais nous la lui avons restituée.

Les deux cloîtres attenant à l'église [Chiostro verde et Chriostro grande) ainsi que la chapelle des Espagnols sont ornés de fresques mutilées par le temps. Elles sont consacrées à la glorification de saint Dominique et de sa secte: les Dominicains [domini canes) symbo- lisés sous forme de chiens en lutte victorieuse avec des loups hérétiques.

C'est une multitude extraordinaire de personnages sacrés et profanes, le Christ, les Apôtres, les Docteurs, le Pape, l'Empereur, les Sciences


ITALIE


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avec leurs plus illustres représentants, Pythagore, aussi bien que saint Denis l'aréopagite. Cicéron et Jean Damascène, Tubalcain et Zénon d'Elée, Justinien et Clément V, les hérétiques Arius, Sabellius, en com-



Fig. 134. — Moitié droite du bas-relief.


pagnie d'Averrhoës, une foule d'hommes et de femmes célèbres, Pétrarque, dit-on, et Laure, Philippe le Bel et Boccace. C'est presque une cohue, tant les ligures y sont multipliées

Des peintures sont aussi consacrées à l'histoire de la Création ; la plus remarquable est celle qui retrace l'épisode biblique des Sacrifices de Caïn et cVAbel, l'image de la fraternité familiale; elle porte pour légende ce vers latin :

SACRVM PINGVE DABO NON MACRVM SACRIFICABO,

qui se lit des deux côtés et offre un sens différent ; le bon s'applique à Abel et le mauvais à son frère. Ceux-ci sont représentés aux extrémités du vers qui les concerne.

12° Or San Michel. — Tabernacle de la Vierge. Curieuse Charité par Orcagna (fîg. 135). La « Mère de toutes les Vertus », d'après saint Thomas d'Aquin, est couronnée d'un cercle à fleurons d'où


1. Un mois en Italie.


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l'art profane a l'église


s'échappe une gerbe de feu; sa mamelle gauche, à laquelle puise un orphelin avide, sort d'une fente de son corsage décemment fermé au col. D'une main, cette bonne mère adoptive aide son nourrisson à



Fig. 135. Fig. 136. Fig. 136 bis.


vider son sein, et, de l'autre, elle lève un cœur enflammé. C'est bien la Charité chrétienne qui, seule, associe l'amour maternel à l'amour universel.

Au même tabernacle, Y Incrédulité de saint Thomas groupe en marbre par Andréa del Verocchio (fig. 136) ; le Christ montre la cicatrice de sa plaie à l'incrédule apôtre, et, à travers une fente de sa tunique, comme la Vertu précitée, il découvre un sein aussi déve- loppé que celui d'une femme.

13° San Spirito. — Sacristie. Les chapiteaux de l'autel sont his- toriés par Antonio Pollajuolo de quatre hommes nus, d'une ana- tomie parfaite, traînant des guirlandes.

Chaque accotoir des stalles du chœur est orné à son sommet du même motif fantaisiste : un buste nu chargé d'une formidable paire de mamelles (fig. 136 bis).

14° Santa Trinita. — Saint Barthélémy en peinture, sans la moindre étoffe sur le corps, s'apprête à être disséqué vif par quatre bourreaux transformés en carabins, armés de scalpels et de cisailles.


ITA LIE


137


Les organes sexuels ont déjà disparu. C'est une façon comme une autre de les voiler, par respect pour la pudeur alarmée ; pourtant

des touffes pileuses sont en- core visibles au pubis.

Sur un autel de marbre blanc se dresse une statue en bois de Marie-Madeleine , par Desid. da Settignano (fig. 137); lex-enjôleuse n'a plus rien de la femme. Elle tient a la main le vase de parfums qui la distingue de son émule, Marie l'Egyp-



Fis:. 137.


Fig. 138.


tienne, autre lille publique devenue pudique. Gomme pour cette dernière entôleuse, ses cheveux lui servent de robe; un cordon enserre sa taille et dessine un corsage et une jupe, mais sans autres on- dulations que celles de son système capillaire.

15° Musée Uffizi. — Arrétons-nous devant deux tableaux d'église : la Descente du Sauveur aux Limbes, par A. Bronzino, délicieuse


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l'art propane a l'église


composition où le Christ donne le ton de la nudité, et la Vierge dans sa gloire (fig. 138), avec une sainte Madeleine dénudée qui pourrait bien être le portrait de la donatrice de cet ex-voto, commandé à Carlo Caliari. Pourquoi tant de ligures nues, se demande M. Romain- Roland ? Vasari va lui répondre : « per monstrare maggiormente, ï arte sua essere grandissima ».

Sous forme de borne, un priape colossal en marbre blanc, d'un mètre de hauteur sur 0.30 cent, de diamètre, se dissimule dans le coin d'une des salles. De Lalande raconte que, vers 1750, on en trou- va quatorze, de toutes dimensions, dans les fouilles d'un couvent de religieuses. « Les mauvais plaisans, ajoute le narrateur, disoient que ces bonnes Dames ne pouvoient trouver une plus belle occasion de planter des bornes autour du couvent. »

En mémoire de la religion des païens, citons une Bacchanale (n° 216) attribuée à Rubens, où s'affiche, au milieu des prêtresses qui célèbrent les mystères de Dionysos, un membre actif de la nombreuse famille flamande des Mannekcn-Pis.

16° Palais Pitti 1 .

17° Académie des Beaux-Arts. — Gabriele Castagnola a fixé sur la toile les amours de Filippo Lippi et de la monaca Buti (fîg*. 139); il en a été longuement question dans nos Seins à l'église.

Fiesole. 1° Couvent de la Badia. — Les murs du réfectoire ont été couverts de fresques grotesques par Jean da San Giovanni.

2° San Ansano. — En 1795, cette église fut achetée par le chanoine Bandini, qui la convertit en Musée et la légua à la commune de Fiesole. Elle donne asile maintenant au Triomphe de V Amour et au Triomphe de la Chasteté :

Sur un socle doré placé à l'arrière d'un char, la Chasteté debout, vêtue

1. La Madone de Raphaël, dite du Grund-Duc, parce que Ferdinand III, duc de Toscane, s'en rendit acquéreur, était un objet de vénération de sa part ; elle l'accom- pagnait dans tous ses voyages. Présentement, elle est placée au même palais dans la chambre à coucher du Grand-Duc. « La duchesse actuelle, dit un autour en 18G2, attri- bue à son intercession la naissance du prince héritier. » De même que notre superstitieuse impératrice Eugénie attribuait celle du Prince impérial à une méchante statue de la Vierge d'un couvent de religieuses, à Saint-Mandé,


I TA L I E


139


d'une robe de bure semée de chardons d'or, tient une palme. A ses pieds, Eros est enchaîné par deux femmes, tandis qu'une troisième bande son arc et qu'une quatrième accourt apportant d'autres liens. Au char sont



Fig. 139.


attelées les licornes symboliques de la pureté, conduites par des femmes à peine voilées de tuniques transparentes que soulève le vent ; l'une d'elles marche en avant avec la bannière de la pureté, une hermine déta- chée sur un fond rouge.

Foligni. Cathédrale. — Parmi les corps momifiés, comme ceux de l'église Saint-Michel de Bordeaux et ceux du vestibule de Saint- Nicolas à Toulouse, on en exhibe un qui porte l'étiquette de sainte Messaline et évoque à l'esprit le souvenir de la reine Claude, qui aima trop les prunes-Monsieur et en mourut.

Gaete. Cathédrale Saint-Erasme. — Le Musée de Naples possède un vase en marbre, « dans lequel on pourroit mettre quelques ton- neaux d'eau » et sur lequel l'Athénien Scalpion a sculpté Y Educa- tion de Bacchus (fig. 140). Longtemps ce vase a servi de fonts


140


l'art profane a l'église


baptismaux dans la cathédrale de Gaète. En 1671, le marquis de



Fig. 140.


Seignelay signale au même endroit la présence de cette cuve païenne et de Lalande en donne la description :

C'est un vase porté par quatre lions de marbre avec bas-reliefs repré- sentant Ino, femme d'Athamas, roi de Thèbes, qui cache un de ses enfants dans son sein pour le garantir de la fureur d'Athamas, tandis que des Faunes, des Satyres et des Bacchantes dansent autour d'elle.

Cet enfant n'est autre que « le petit Bacchus, tout frais émoulu de la cuisse de Jupiter » et qui est remis par Mercure à Ino.

Le même voyageur note, en face de l'autel du Saint-Sacrement, un monument symbolique, encore d'origine païenne, qui paraît se rapporter à Esculape.


ÎTALIË


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C'est la statue de marbre d'un vieillard, qui met le pieds sur un petit chien ; sous le chien, il y a une teste de mort ; un serpent dont la queue est posée sur le chien, s'entortille entre les jambes du vieillard et s'appuye sur la teste de ce vieillard, lequel a un aigle sur la sienne.

Garignano. — La Chartreuse est intéressante parles fresques de Daniel Crespi, qui ont trait à la vie de saint Bruno. L'un de ces chefs- d'œuvre montre, dans la première lunette à droite, le docteur Didier, de Paris, sortant de son cercueil ; il annonce à ceux qui prient pour lui sa propre damnation : Justo judicio damnatus sum. Sans doute pour avoir exercé sa coupable industrie.

Gènes. — Un voyageur vertueux, M. Bordes, dans une lettre en prose et en vers datée du 30 août \ 755, se plaint qu'à Gênes partout où il passe « en ville, à la campagne, dans les édifices publics ou privés, civils ou religieux », il vit dans une atmosphère d'impudi- cité..., « le pauvre homme » !

La chaleur du climat répand ici un air de nudité auquel ma pudeur a peine à s'accoutumer ; statues, peintures, jusqu'aux pieds des autels, semblent être dessinées par l'Arétin. Ils ont rendu la nature comme ils la voyoient : elle est presque sans voiles, surtout dans les campagnes.

Sur ces bords règne la nature,

Dans son antique pureté,

Sans corset, jupon ni chaussure.

Du beau sexe, pendant l'été,

Une simple chemise est l'unique parure.

Sous ce tissu grossier, llottent à l'aventure,

Au gré d'un zéphir désœuvré,

Qui, je crois, très peu s'en soucie,

Deux tétons tremblants, ballottants,

Qu'à leur libre arbitre on confie,

Vont sans cesse s'entre-choquant.

La très exacte modestie,

Sur la ceinture étend un tablier

Qu'elle laisse, il est vrai, tailler

Par les mains de l'économie.

Ainsi, sans atours superflus,

Tout semblable à celui des ondes,

On les voit promener le flux et le reflux

De leurs fesses vagabondes.


142


I, AMI PROPANE A L ÉGLISE


Ne nous étonnons donc pas si, dans un milieu aussi libre, nous

rencontrons encore des documents échappés à la vigilance des censures ecclésiastiques qui en ont tant détruit depuis le Concile de Trente. A Gênes, les églises sont ornées avec soin, sinon avec goût; elles ressemblent plutôt à des boudoirs qu'à des sanctuaires. Par- tout, des adolescents sculptés ou peints, parce qu'ils ont des ailes dans le dos, se croient autorisés à montrer ce qui se cache en bonne compagnie.

1° San Ambrogio. — C'est l'église des Jésuites ; elle est décorée à l'excès comme toutes celles du même ordre :

Ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales.

On ne voit sur les frises que des amours d'anges, de grande taille et du sexe féminin, à en juger par le développement de leur poi- trine ; mais ils sont d'ordre décoratif, les ailes leur servent de bras et le corps se termine en gracieuses arabesques. Un groupe de quatre grands séraphins en pied sont préposés à la garde de la cha- pelle du fond. Cette orgie d'ornementation nuit au caractère reli- gieux de l'édifice. Non loin de là, une Charité chrétienne (fig. 141), se tient debout et porte un orphelin sur le bras droit. Les seins sont nus, selon la tradition italienne, et un cœur est sculpté au-dessous de la mamelle gauche: ce viscère symbolise la bonté. De sa main libre, elle prend celle d'un second enfant nu, qu'elle dirige et protège.

2° San Lorenzo. — La façade se compose d'assises alternatives de marbre noir et blanc qui rappellent les raies de l'instrument de supplice du patron de cette cathédrale. Au tympan du principal portail, le martyr est figuré dans une nudité complète, couché sur un gril et placé de champ, face au public, pour mieux se montrer. C'est dans un pareil costume qu'une composition de Baccio Bandi- nelli représente le saint et ses bourreaux (fig. 142). La draperie



ITALIE


143


dont on l'affuble ordinairement est d'ailleurs superflue, puisque le feu commence son œuvre destructive par elle.

La partie supérieure d'un des pieds droits de ce portail est occupé



Fig. 142.


par un groupe allégorique assez singulier : une reine assise, Y Eglise, au port majestueux, couronnée d'un diadème et le torse nu, presse contre ses seins gonflés de lait la Bible et l'Evangile, sous la figure de deux vieillards barbus qui s'y rassasient en conscience et les saisissent à pleines mains (fig. 143).

L'entrée de la chapelle de saint Jean-Baptiste qui renferme les reliques du Précurseur est formellement interdite aux femmes, en souvenir d'une de leurs semblables qui demanda sa mort. Seule, Eve, accompagnée d'Adam, y est admise, mais en marbre. Matteo Givitali a fait de la première femme désobéissante et gourmande une séduisante Vénus de Médicis, grassouillette et rondelette, qui tient, comme la divinité païenne, une main sur l'un de ses seins, et l'autre main, mais munie de la feuille de vigne réglementaire, sur la région pubienne.

Chapelle Saint-Pierre. — Du côté droit de l'autel, un bas-reliet en marbre ciselé, par Guillaume délia Porta (1532), symbolise la Foi par deux femmes au sein découvert, qui ont le bras levé à la façon des Bacchantes et semblent esquisser un pas de deux. Elles


144


l'art profane a l'église


sont séparées par un couple d'amours ou de génies qui s'accoudent sur une tête de mort surmontée d'un sablier et d'une croix ailée 1 .

3° Santa Maria in Carignano. —

A l'intérieur de cette réduction de Saint-Pierre de Rome telle que l'avaient conçue Bramante et Michel- Ange, au-dessus du portail on a ac- croché un vaste tableau allégorique dont il nous a été impossible de con- naître ni le sujet, ni le peintre : dans le charabia du sacristain nous avons cru entendre Finale, la Fin, le Juge- ment dernier ? Mais, vraisemblable- ment, il s'agit de la Chute des anges rebelles ou de la Descente de Jésus aux limbes. Quoi qu'il en soit, cette page magistrale est animée d'une multitude de nudités au milieu desquelles évolue le Christ.

Des quatre colossales statues en marbre d'un seul bloc qui s'adossent aux piliers de la coupole, deux surtout nous intéressent : le Saint Barthélémy de David, aux chairs pantelantes, absolument nu ét défaillant au pied d'un arbre où sa main droite est liée, et le

1. On conserve précieusement dans la sacristie le bassin d'émeraude ou mieux de verre qui aurait fait partie des présents offerts à Salomon par la reine de Saba ; naguère, il ne fallait rien moins qu'un décret du Sénat pour contempler cette fameuse mystification mystique. « C'était l'arche sainte des dévots et des dévotes du pays où fïorissait le sigisbe ou patito, ou encore « l'ami de la maison », comme l'écrit le mauvais rimailleur A. Montemont, en 1827.

De la scandaleuse chronique

S'il fallait croire les récits,

Cette précieuse relique,

Sur la fidélité dont la femme se pique.

A détrompé bien des maris,

Qui furent bien marris.

L'authenticité de ce Sacro Calino n'est pas mieux établie que celle du vase d'al- bâtre qui passait à l'abbaye de Port-Royal pour avoir servi aux noces de Gana...rd ; le premier aurait aussi servi à notre Seigneur pour la Cène.

Autre curiosité de nature toute spéciale, fort appréciée dans la haute société de nos voisins d'outre-Reins. L'église métropolitaine de Saint-Laurent renferme la sépul- ture de Jacques Bonfadio, littérateur, qui occupait une chaire de philosophie et fut condamné au bûcher, en 1559, pour vice a lergo.



Fig. 143.


Planche VI.



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4° Campo SantO. — Chapelle des suffrages. Les figures d'Adam (fig. 147), par Orengo, et d'Eve (fîg. 146), par Villa, offrent des parti-

1. Pour traiter le même sujet (fig. 145), Coudray s'est manifestement inspiré de l'œuvre du puissant créateur de Milon de Crolone et celui-ci a pris pour modèle le Saint-Sébastien de l'église de ce nom, tableau remarquable de Jean-Baptiste Castello.


LART PROFANE. — II.


1U


146


L*ART PROFANE A L'ÉGLISE


cularités curieuses : la suppression de la cicatrice ombilicale et la substitution des feuilles de bananier aux feuilles de vigne, en guise



Fig. 146. Fig. 147.


de pagne. Il est rare de rencontrer le premier couple humain aussi expressif de geste et d'attitude. L'un, vigoureux, mais triste et son- geur, furieux de son sort, s'appuie sur une sorte d'alpenstock et murmure : « Seulement par ma faute, ici règne la mort ». L'autre, gracieuse et inconsciente de son péché originel, est toute prête à recommencer; car la femme peut être bourrelée de coton ou de crin, mais jamais de remords.


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On est attiré à la sépulture de la famille Coniugi Repello par un groupe poignant, en marbre ; c'est le portrait d une jeune mère



Fig. us 1 .


hurlant de douleur à la pensée qu'il lui faut abandonner son nou- veau-né pendu à son sein.

Le thème de la décoration du monument Celle, le Drame éternel (fig. 148), n'est pas moins saisissant. La Mort, spectre terrible et

1. Il suffît de supprimer sur la ligure le voile transparent de la Vie pour recons- tituer le modèle primitif.


148


l'art profane a l'église


rigide, attire à elle la Vie, resplendissante de jeunesse et de beauté. L'antithèse est frappante; déjà le squelette inexorable enveloppe sa proie du linceul dont elle est vêtue. Le sculpteur Monteverde mo- dela tout d'abord son éloquente allégorie, en laissant nue l'exquise figure de la Vie ; mais la famille pria l'artiste de modifier sa con- ception première et d'atténuer sa nudité. Le statuaire accéda à ce désir pudique et drapa le modèle définitif de sa vivante poésie. Cet admirable groupe en bronze se détache sur une plaque en marbre jaune de Sienne, au-dessus d'une urne de marbre rouge très rare.

San Giminiano. Saint- Augustin. — Rien de plus admirable que la fresque où la Vierge écarte son manteau et ouvre son corsage pour faire contempler la chaste splendeur de ses seins nus. C'est d'ailleurs la seule peinture où la « reine des anges » exhibe ainsi sa poitrine entière 1 . « Le Dante s'agenouilla devant elle, dit Jean de Bonnefon, et la piété d'un Dante vaut celle d'un sacristain ».

Le D r Van de Lanoitte signale à la Galerie Brera de Milan une composition analogue : « Une Madone, par Cesare da Sesto, repré- sente Jésus pressant les deux seins de la Vierge entre ses mains; les pommes de vie sont à nu dans la tunique entr'ouverte, Jésus regarde du côté du spectateur. »

Guigliano 2 . — Lecce. San-Oronzo 3 . — Lodi. Cathédrale*.

1. V. Les Seins k l'Eglise, fig. 211.

2. En Gampanie, on célèbre la fête populaire du « Vol des anges ». Un câble en fer est tendu entre le clocher et une haute maison voisine ; des enfants nus, munis d'ailes, sont attachés au lil conducteur à l'aide d'une poulie et ils traversent ainsi l'espace, en glissant à une trentaine de mètres de hauteur.

3. Ce martyr sous Néron est. d'après Jean Hatzfeld, un saint des plus susceptibles; il punit sévèrement ceux qui essaient de se soustraire à sa tutelle. Une dame Lucre/.ia était accouchée d'un garçon ; elle refusa de l'appeler Oronzo ; c'était, disait- elle, un nom d'âne [ronzino) et non d'homme. Toute la nuit l'enfant pleura comme s'il souffrait d'un mal invisible ; le lendemain, sa mère s'approcha du berceau et s'aperçut avec stupeur evolulis ejus pannis, que le garçon était dévirilisé et trans- formé en lille ; si bien que pour lui avoir refusé le nom d'Oronzo elle dut lui donner celui de Roza. La vengeance du saint fut encore plus terrible : la fdlette mourut trois jours après. Nos saints en France sont plus pitoyables envers les enfantelets : Nicolas en ressuscita trois qui avaient été coupés en morceaux et salés par le méchant aubergiste.

4. On montre ou du moins on montrait une maison, la chambre et même le lit, où une belle boulangère mit dans le pétrin pour le reste de ses jours notre galant François I er . Vers 1764, cette maison était encore habitée par un boulanger et


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Lorette. Santa Casa. — Cette église possède plus de trois cents vases décorés par Raphaël 1 et confectionnés pour le duc d'Urbain, qui en fit don à la pharmacie de la Santa Casa ; les sujets de ces peintures sont empruntés aux légendes bibliques et mythiques.

Dans le nombre, dit Kotzebue, il y en a qui me paraissent très équivo- ques et que je ne crois pas avoir été traitées par Raphaël : par exemple, l'union d'Europe avec le Taureau, qui est clans le fait une peinture très lascive. Il y a aussi une Vénus sans voile et d'autres qui sont peintes d'une manière si peu décente que je m'étonne que la Sainte Vierge n'ait pas jeté ce présent à la tête de celui qui le lui faisait.

Entre autres ex-voto de prix adressés à la Madone, Fauteur d'un Voyage en Italie (1698) s'étend sur la description d'un ange en or, « lequel tient un cœur plus gros qu'un œuf, tout couvert de dia- mants 2 ».

occupait un angle de la place de l'église. C'est le cas de reprendre en chœur le couplet parodié de Rigoletto :

Souvent femme avarie, Bien fol est qui s'y fie !

1. Ces vases de l'apothicairerie ne sont pas du peintre d'Urbin mais de Tadeo Zuccari ou d'un Raphaël Ciarla.

2. « Le Jésuite Anglois qui nous a conduits, nous a appris que c'estoit un présent de la reine d'Angleterre. Ce R. P. nous a dit aussi une grande nouvelle dont vous deviez bien, ce me semble, nous mander quelque chose. Il assure que cette prin- cesse est grosse, et il ajoute qu'on ne peut pas douter que ce ne soit par miracle, puisque on a calculé que L'instant mesme auquel le présent est entré, a esté le mo- ment heureux auquel elle a conçu.

« Voici des vers qu'il a faits sur cela, et dont il a bien voulu me donner copie. Il introduit l'Ange parlant à la Madone, et la Madone luy répondant. Nous n'en reproduirons que la traduction :

(L'Ange). Bien vous soit, puissante Madone. Vous voyez un Ange du Ciel, qui vient vous pré- senter une très humble requeste. Marie, Reine d'Angleterre, est dans une affliction inconcevable de n'avoir point d'enl'ans. Elle vous salue avec toute humilité, et vous supplie d'agréer le pré- sent et les vœux qu'elle vous adresse. Soyez touchée de compassion pour Elle, û Sainte et pitoyable Vierge ; et faites en sorte, je vous en conjure, que ses entrailles altérées et un peu négligées puissent être fécondement arrosées, afin qu'elle conçoive, et qu'Elle engendre bien- tost selon son souhait. Cela est nécessaire non seulement pour sa consolation, mais aussi pour le bien des Etats dont Elle est Reine ; et pour l'affermissement de la Religion Catholique qui est présentement chanchellante en ce Pays-là.

(La Madone.) Oui-da, cher Gabriel, j'accepte volontiers le présent de la Reine d'Angleterre, et j'exauce ses vœux. Elle aura des Enfans, je te le promets. Au moment que je te parle, la chose se fait : Jaques embrasse Marie, Marie embrasse Jaques et Marie conçoit.

(L'Ange). Mais, ô bénigne Madone, c'est un Fils que la Reine demande à Votre Majesté céleste ; car il y a déjà deux Filles du Roy qui sont capables d'hériter : (la Princesse d'Orange et la Princesse de Danemark). Accordez donc un Fils au vœux de Marie.

(La Madone). Oui, mon Enfant, la Reine aura un Fils. Croi-moy, l'affaire est déjà faite. Cet heureux Héritier sera l'honneur et l'appuy de la Couronne et de la Religion. Adieu ; Va-t-en en paix.

(L'Ange). O joye inexprimable ! ô sujet d'éternelles acclamations ! La REINE MARIE exauce la Reine Marie. O bonheur ! ô félicité ! Alleluïah ! Alleluïah ! Alleluïah !


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l'art profane a l'église


A midi, l'église est close et les pèlerins qui arrivent après la fer- meture en sont réduits à rendre leur hommage aux portes en bronze



Fig-, 149.


massif. Le panneau inférieur qui est à la portée de ceux qui sont à genoux, représente en haut-relief le meurtre d'Abel. Son corps étendu est « absolument nud » et sa partie antérieure est en saillie des deux tiers, mais, à force de baisers fervents, elle est presque effacée, la région pénienne comprise.

Lucques. San Martino. — A l'autel de saint Régule figure un important bas-relief, de la fin du xv e siècle, qui représente le Mar- tyre de saint Sébastien (fig. 149). Le supplicié est complètement nu, malgré la présence d'une spectatrice en marbre et des fidèles en chair et en os.

Il existe dans la nef une statue du même saint par Givitali ; cette figure marmoréenne, à intention pudique, porte un suspensoir qui accuse les formes (fig. 150), et comme toujours le remède est pire que le mal.

Le soubassement du tombeau d'Haria del Garreto est entouré d'une chaîne de cupidons reliés par des guirlandes de fruits et de fleurs ; l'un d'eux se distingue par son sans-gêne : il relève la dra- perie destinée à cacher sa nudité principale (fig. 151).

On est encore surpris de rencontrer dans un édifice religieux un sarcophage où Bacchus, sous la conduite de l'Amour, est traîné sur un char par des centaures, et suivi d'une joyeuse escorte de faunes


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151


et de bacchantes : touchant accord du paganisme et du christianis- me. N'avons-nous pas à Milan l'église Saint-Satyre ?

Clôturons notre inventaire par une Crucifixion d'où Nicodème a exclu toute nudité, à l'exception des mains et du visage, les pieds eux-mêmes ont des chaussures et le corps est recouvert d'une ample robe de chambre, avec sa



Fig. 150.


Fia:. 151.


Fie;. 152.


cordelière (fîg. 152). Cette peinture, bizarre par son excès de pudi- cité, orne la chapelle du Volto Santo.

Maistoue. 1° Santa Barbara. — Son trésor possède un bassin d'argent attribué à l'interverti Benvenuto Cellini ; sainte Barbe occupe le centre et est entourée de voluptueuses ciselures célébrant les noces d'Amphitrite.

2° Saint-Maurice. — Cette église qui, par courtisannerie, substi- tua, pendant quelques années, à son vocable celui de Napoléon, montra plus de goût dans le choix de ses peintures. On y remarque surtout une Annonciation de Louis Carrache : « l'ange, observe Valéry, a toutefois un certain air malin, et presque peu décent, qui étonne chez ce grand maître ».

Milan. 1° Le Dôme. — Extérieur. — Au milieu du fouillis luxu- riant et luxurieux des sculptures qui décorent la façade de cette « gigantesque concrétion de stalactites », de ce « glacier aux milles


152


l'art profane a l'église


aiguilles », de cette « montagne de marbre taillée à jour », sur la porta maygiorc, Eve à sa naissance, du sculpteur Vismara (fïg. 153), se distingue par ses formes admirablement modelées. Non loin d'elle, l'impudique Putiphar de Barthélémy Ribossi, cho- que les filles d'Albion effarées par le négligé de sa toilette, aussi bien que par la poitrine monstrueuse de la suivante de Judith. Que d'outrages à la pudeur dans ces fioritures bibliques.

Un détail de sculpture de la même porte montre une Lamie (fig. 153 bis) au buste robuste

Et du plus friand embonpoint.

Au-dessus de la cimaise, des caria- tides herculéennes (fig. 154) posent pour le torse, comme en un temple païen, et ne supportent que de maigres pilastres.



Fig. 153.


Fie. 153 bis


Parmi le monde de statues — on en compte 6716 — qui peuplent l'extérieur de la cathédrale, et dont plusieurs sont dignes de figurer dans un musée, deux couples d'Adam et Ève, dus au ciseau de Christophe Solari, un maître de la Renaissance, dominent les sa- cristies. « Eve, dit Théophile Gautier, est d'une grâce charmante et sensuelle, qui étonne un peu dans un pareil endroit. Du reste, elle est fort belle, et les oiseaux du ciel ne paraissent nullement scan- dalisés de son vêtement paradisiaque. »


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153


Saint Georges casqué (fïg\ 155) porte la lance crucifère et plane dans l'air (cimasa dcl Gugliotto Ornodeo) en tenue un peu cavalière.

Ne quittons pas le faîte du dôme hérissé de sa myriade de flèches empalant autant de statues sans caresser du regard gouille façonnée en « sirène » (fîg. 156).


une charmante gar-


Autres i a c'ont de puceles Testes et cors dusqu'à mamelles.



Fia-, il


Fi^-. 155.


dit l' Image du monde; la nôtre porte une conque marine par laquelle s'écoulent les eaux pluviales.

Signalons, enfin, sur les contreforts des bas-côtés et de l'abside quelques-unes de ces innombrables statues qui se distinguent par leurs contorsions extravagantes, leur nudité ou leurs attitudes pro- vocantes. Tels, un Milon de Grotone dans la pose classique bien connue; des suppliciés pendus par les mains ou par les pieds, et puis « des jeunes filles court vêtues, dit A. Lance, qui sourient aux passants; des vierges folles du xvn° siècle, dont la robe chiffonnée se relève à point pour laisser voir à tout le monde le bas d'une jambe qu elle devrait cacher dans un tel lieu ».


154


l'art profane a l'église


Intérieur. — Entre le premier et le second pilier de gauche, en IS.'iO, étaient placés les fonts où s'administrait le baptême selon le rit ambroisien, c'est-à-dire par l'immer- sion de la tête de l'enfant. La cuve est une antique baignoire qui provient des thermes de Maximien. Des ligures de plâtre y ont été ajoutées pour aug- menter la pompe d'une cérémonie de baptême, et ont longtemps contribué à accuser le caractère profane de cet acces- soire liturgique.

Transept, bras droit. La statue « toute robée » de Saint Barthélémy (fïg. 157), sous l'aspect d'un écorché qui se drape



Fis-. 157.


dans sa peau, porte ce vers prétentieux sur le piédestal : Non me Praxitèles. sed Marcus finxit Agratus

(Ce n'est point Praxitèles, mais Marco Agrati qui m'a sculpté); réflexion vaniteuse quijure dans l'église d'un saint dont la devise était Humilitas et que rend superflue la médiocrité d'une œuvre dont la place est mieux indiquée dans un amphithéâtre d'école de médecine.

De superbes bas-reliefs enjolivent le pourtour du chœur. Celui qui nous a le plus frappé est la Descente de Croix, à cause du torse nu de Marie-Madeleine et surtout du volume des seins que l'opulente chevelure de la pécheresse caresse de ses mèches soyeuses, sans parvenir à les recouvrir. Le nombre est assez considérable de Madeleines repenties pourvues de mamelles aussi puissantes ; ces organes semblent n'avoir pas souffert des privations et mortifications de la vie ascétique. Cette image marmoréenne, très attirante, mais peu conforme à la réalité, nous remet en mémoire un passage des


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sermons du libre-prêcheur Michel Menot sur cette sainte qu'il dépeint « demi-nue, quasi nuda, n'ayant que son corset ou sa cotte simple, et léchant les pieds du Christ, comme une chienne, ut c articula ».

Tombeau de saint Pierre, martyr (1338). Une Charité offre son sein gauche à un marmot; un autre bambin qui vient de s'y rassasier le caresse de la joue et de la main.

Arrêt facultatif: le sarcophage de saint Charles Borromée est gardé par deux douzaines d'angelots nus et autant de cariatides des deux sexes, en gaine, les hommes pourvus de leurs attributs virils et les femmes ornées de leurs seins. La devise de l'illustre prélat est semée sur les murs de son sanctuaire souterrain et contraste avec la richesse des habits pontificaux, enrichis de pierreries, qui enve- loppent le cadavre de l'archevêque dont la tête mitrée repose sur un coussin d'or, dans un sarcophage de cristal de roche.

Arrêt obligatoire : contemplons l'un des plus beaux monuments sculpturaux de Milan — Michel-Ange en a conçu le dessin — le mausolée de Médicis dit Mcdichino, oncle de S. Charles Borromée (fîg. 158). Aux côtés du guerrier sont assis Y Héroïsme militaire et la Paix, le torse nu ; la corniche supporte la Prudence et la Renommée, drapées.

Près de la sacristie, dans l'obscurité de la galerie, on a peine à distinguer une effigie de la Vierge dite del Parto (des accouche- ments) ; elle est invoquée par les Italiennes prolifiques ou qui aspirent à le devenir, « dont le nombre y est quelquefois assez con- sidérable », assure Ferd. Artaria. Dans la mythologie chrétienne, cette Madone joue le rôle de Lucine et protège les femmes en couches. En Calabre, à Monte Giordano, par exemple, elle serait sans emploi: les accouchements s'y effectuent tuto 9 cito et jucunde, à en croire un dicton populaire qui avait cours en 1785 : « Une servante calabraise aime mieux accoucher que faire sa lessive ».

L'auteur d'Un mois en Italie, s'apprètant à faire l'ascension du Dôme, est surpris de lire dès les premières marches des inscriptions officielles inspirées par les mauvaises habitudes du pays :

« Son pregati, per ordine superiore, di non... nè sporcare, nelle « scale », ou bien encore : « è vietato spandere acqua »... Pas n'est besoin de dictionnaire pour traduire cela. Il est juste d'ajouter qu'il y a


156


l'art profane a l'église


environ cinq cents marches à gravir, et que toute patience a des bornes. L'avertissement, répété de palier en palier, n'est pas sans motif, car je me rappelle les choses blessantes pour la vue et pour l'odorat, qui cons- tellent les marches du Campanile de Venise. A la cathédrale de Milan, des cabinets ad hoc, placés de distance en distance, enlèvent toute excuse aux contrevenants.

En raison de l'obscurité des nefs, le même avis pourrait être affiché sur les piliers, si nous en croyons Alphonse Karr (1877) :

Pendant qu'on dit la messe à un autel, bien loin de là, dans les autres parties de l'église, on se promène, on cause, on rit. J'ai vu, de mes yeux vu, une mère portant un petit enfant qui pleurait, mettre son enfant, accroupi, derrière une des cinquante-deux énormes colonnes de granit gris et rose, qui soutiennent la voûte et le relever soulagé... Il y avait si loin pour sortir. J'ai vu une autre mère calmer les cris de son enfant, en se dégrafFant le corsage et en se tenant debout, car les sièges manquent.

2° Sant'Ambrogio. — Sur la petite porte du clocher de cette basilique, un bas-relief antique reproduit une Bacchanale enfantine (pl. VI, fîg*. 159, 160). Près du chœur, une plaque de marbre romain porte la sculpture d'Hercule, tenant un lionceau par la queue (fig. 161) 1 .

D'autres figurines profanes de satyres et de nymphes vêtues de l'air du temps concourent à l'ornementation de divers pilastres et de sépultures, entre autres celle de Pietro Gandido Decembrio (xv c siècle).

Un serpent d'airain qui s'enroule autour d'une colonne de marbre, placée dans le chœur, a donné lieu, d'après Fauteur des Délices d'Italie, à des interprétations variées : « Les uns veulent que ce soit une figure du serpent d'Esculape ; d'autres prétendent que c'est le serpent que Moyse éleva dans le désert. Et ce qu'il y a de plus fâcheux en cela, c'est la coutume superstitieuse que les nourrices delà ville ont d'y porter leurs enfants malades, le Mardi de Pâques. » Ce reptile a-t-il quelque rapport avec le dragon infernal, figuré sur les sceaux de saint Ambroise (fig. 163) et qui engloutit les pécheurs après leur mort, tandis que de leur vivant ceux-ci subissent la peine du fouet, Parme de combat de l'archevêque (fig. 162) ? C'est

1. Tirées de Monumenti delV imp. R. Basilicn di Sant'Ambi'ogio, in Milano, (1824), par le doct. G. Ferrario.


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l'image du régime pénitentiaire de la religion catholique, qui règne par la terreur des foudres de l'Eglise et celles des flammes de



Fitr. 158.


l'Enfer. Cette répression justifierait, d'après Pierre Véron, la modi- fication du nom d'une des vertus théologales : Fouet^ Espérance et Charité. Il s'agit peut-être d'un monstre, d'une tarasque dont le saint aurait délivré la ville; haut fait que les hagiographes, gens de peu d'imagination, prêtent volontiers à leurs héros sans histoire et


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l'art profane a i/église


qu'ils empruntent à la fable : Apollon vainqueur du serpent Python, Hercule assomant l'hydre de Lerne, etc.

Une mosaïque assez singulière du chœur de la basilique reproduit



saint Ambroise qui s'endort debout en disant la messe ; un sacristain lui frappe sur l'épaule pour le réveiller et lui montrer les paroissiens qui attendent bouche bée. Qu'un prêtre endorme ses ouailles au sermon, rien de plus naturel et le fait est arrivé à Fénelon, mais que les ronrons d'un ecclésiastique l'endorment lui- même c'est un comble. L'artiste eût pu choisir pour thème un épisode plus édifiant de la vie du saint ; comme quoi la malice des rapins ne perd jamais ses droits.

Chapelle sainte Catherine. La voûte qui recouvre la statue en marbre de la sainte est ornée de figures païennes d'Herculanum : « l'une de ces figures, dit Valéry, porte sur sa tête un agneau, et, dans cette bizarre peinture, l'agneau des bacchanales a pu souvent être pris pour l'agneau pascal » .

3° San Costanza hors des murs. — Une niche située en arrière de l'autel abritait un vase antique en porphyre, sur lequel se déroulait la vie fabuleuse de Bacchus, agrémentée de la représenta- tion orgiaque de bacchantes, insuffisamment couvertes de peaux de tigres.


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4° Santa Maria délie Grazie. — Chapelle du Rosaire. Une pein- ture représente le Purgatoire, au fond d'un puits; la Vierge y puise des âmes dévêtues, avec un chapelet, à la façon des chaînes à pots utilisés dans les sâkiyés d'Egypte.

A côté de cette église, au réfectoire d'un couvent de jacobins on admire les débris de la célèbre Cène de Léonard de Vinci, exécutée à l'huile sur la muraille même. La main de saint Jean, d'après Adisson, qui fait sans doute confusion avec le tableau suivant, serait atteinte de polydactylie ; elle aurait six doigts. Cette anomalie congénitale est aussi attribuée à Tune des figures, la femme à droite des Noces de Cana, fresque de Caliste Piazza au réfectoire des Célestins 1 qui sert aujourd'hui de caserne militaire.

Les moines épicuriens et vandales, pour empêcher leurs plats de se refroidir, ouvrirent une porte au beau milieu de la Cène et ampu- tèrent les pieds de Jésus qui dit : « L'un de vous va me trahir » ; paroles prophétiques applicables à l'abbé jacobin goulu, qui mutila le Seigneur.

C'est pour la chapelle Sainte-Marthe du cloître de cette église que François I er commanda, en 1515, le tombeau de Gaston de Foix tué à la bataille de Ravenne, en 1512. Ce monument n'a jamais été terminé: ses fragments sont dispersés en diverses collections.

Un tombeau antique très joli, dit un voyageur, est infixé dans le mur ; à la partie supérieure de ce monument, on a sculpté en bas-relief une danse des Trois Grâces, toutes nues, dont deux portent distinctement et fort en grand le caractère de leur sexe, et l'autre, pour l'honneur du pays et le goût des fantasques, se présente dans l'attitude ultramontaine.

Ces divinités païennes, certes, n'étaient pas trop déplacées dans une dépendance d'une église consacrée à Sainte-Marie-des- Grâces.

De Lalande a remarqué aussi ce monument funéraire et en a donné une description analogue, en 1769; mais, depuis, le couvent a dû être détruit ou transformé.

5° San Maurizio. Eglise del Monastero Maggiore. — Des tableaux

1. De même la main du buveur qui tient le verre du Bon Bock, de Courbet, paraît avoir huit doiyts, par suite de la réverbération de la main dans le marbre de la table.


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l'art profane a l'église


de Luini détaillent les différentes phases du Martyre de sainte Catherine. Frère Bandello, dans sa quatrième Nouvelle, dit que le



Fig. 1G4.


peintre, à la scène de la décollation, fît le portrait de la comtesse de Cellanti, fameuse Messaline de l'époque et singulier modèle pour une peinture religieuse, à moins qu'il ne s'agisse d'un enseigne- ment moral indiquant le châtiment mérité par une telle incon- duite.

Dans le chœur, une Sainte Agathe (fig. 164), fresque de G. -A. Beltraffio, porte ses deux seins sur un plat, bien qu'un seul fût coupé.

6° San Satyro. — A l'abside, une peinture de Comerio a pour sujet Massazio plongeant son couteau clans le sein de la Vierge, « d'où sortit un flot de sang », assure une véridique légende.

La frise inférieure du Baptistère est occupée par un groupe de petits amours entremêlés de têtes colossales, parmi lesquelles on prétend reconnaître Bramante et le sculpteur Ambroise Foppa,dit le Garadosso, qui ont élevé et décoré cet édifice.


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7° Musée Brera. — Le Mariage de la Vierge (lo Sposalizio) de Raphaël, peint pour la chapelle Albrizini de l'église des franciscains de Gitta delCastello (fîg. 164 bis), offre certaine particularité pudique



Fig. 164 bis.


d'attitude, en dehors de la symétrie singulière des groupes disposés de chaque côté du grand prêtre : à sa gauche, six rivaux de Joseph et à sa droite, six compagnes de Marie. Remarquez, côté des hom- mes, l'artifice qu'emploie le Sanzio pour cacher... les inconvénients de la mode des hauts-de-chausses par un geste — certes le geste est beau — du bras gauche du jeune amoureux transi placé au premier rang. C'est le prétendant de beaucoup le plus séduisant de tous ; mais, le galant n'avait pas en sa possession la braguette, nous vou- lons dire la baguette ou la verge fleurie du Taciturne et, en sus, Fin- décence de son costume ne pouvait que lui nuire aux yeux de la vierge des vierges.

Modène. Santo Pietro. — Cette église fut élevée sur l'emplace- ment d'un temple dédié à Jupiter; il reste de l'ancien édifice érigé sous Trajan la corniche et la frise de la façade où sont représentés des génies ailés, montés sur des chevaux marins.


Montefiascone. San Flaviano. — La chapelle souterraine ren-

l'art profane. — II. 11


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l'art profane a l'église



ferme le tombeau de Pévêque d'Augsbourg, Jean Fûgger (fîg. 165). On sait que le saint homme eut une fin assez semblable à celle du duc Georges de Glarence, auquel son frère Edouard IV, avait laissé le choix de son sup- plice et demanda à être noyé dans un tonneau de malvoisie. De même Becri-Mustapha, favori d'Amurath IV, au xvn e siècle, fut enterré entre deux tonneaux. Quant à Régulus, nul n'ignore qu'il subit aussi son supplice dans un tonneau, mais hérissé de pointes de fer.

Notre prélat, aussi grand amateur des vignes du Seigneur que des canons de l'Eglise, se faisait précéder à chaque étape par son domestique chargé de lui signaler les auberges pourvues des meilleurs crus. Le saïs dégustateur traçait le mot est sur la porte des hôtelleries de choix. A Montefîascosne ou mont des flacons, le valet fut si satisfait du Moscatello qu'il écrivit trois fois sur Yosteria privilégiée le mot conventionnel est (Il y en a). Jean Fùggerfut enchanté du flair de son expert; mais, si copieuses furent ses liba- tions qu'il en mourut. Le larbin et rat de cave traça sur la pierre tombale de l'Eminence, où deux coupes sont sculptées de chaque côté de ses lèvres, cette épitaphe plaisante :

Propter riimium est, est, Dominus meus morluus est!

(C'est par excès d'EST, est, que Monseigneur Ci est!) 1 Le meil- leur muscat de Montefiascone s'appelle encore Est.

Epilogue de cette beuverie tragique : le valet de chambre, à la mémoire de son maître, fit une fondation annuelle de deux barils de Moscatello qui, à la Pentecôte, étaient répandus sur la tombe du


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1. L'inscription n'est pas aussi nette; les lettres sont à moitié effacées et mal

gravées :

est. est. est. pu e {pr opter) miv (nimium)

est. hic 10 (Jonnnes) n (de) fvg (Fuggeris) d (Dominus)

MEVS MORTYVS EST


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prélat allemand. Ces libations, analogues à celles que les anciens faisaient en l'honneur des dieux, furent exécutées jusqu'à l'épisco- pat du cardinal Barbarigo qui les convertit en distribution de pain aux pauvres.

Monza. Cathédrale. — Le trésor conserve précieusement, à côté du peigne et de l'éventail de Théodelinde, une riche allégorie, offerte à la basilique par cette reine des Lombards ; elle représente une poule avec huit poussins en or, symbolisant les provinces de la Lombardie : Milan, Mantoue, Bergame, Brescia, Crémone, Corne, Pavie et Sondrio.

Naples. 1° San Gennaro. Cathédrale 1 . — Substitution fréquente en Italie : la cuve baptismale est d'origine païenne ; c'est un antique autel de Bacchus décoré de thyrses, masques, etc., attributs du dieu de la treille et dont la place est indiquée dans un Musée.

Une Madeleine agenouillée est armée d'une discipline et d'un crucifix ; mais, en souvenir de son ancienne profession, ses deux seins s'échappent de son corsage : chassez le naturel...

Chapelle de la Vierge. Notre-Dame des Sept Douleurs porte un cœur au milieu de la poitrine; trois poignards en argent sont enfoncés dans chaque sein, comme de grosses épingles à chapeaux dans des pelotes.

1. Trois fois par an — le premier samedi de mai, le 1!) sept, et le 16 déc. — a lieu le miracle thaumaturgique de la liquéfaction du sang- de saint Janvier, tour de passe-passe que nos illusionnistes laïques pourraient facilement renouveler. Quand le miracle tarde trop, les assistants crient au saint : Fa miracolo! Et, dans leur fureur, « l'accablent de sottises malpropres », sans respect pour le saint lieu. Mais des hurlements de joie accueillent la liquéfaction du précieux liquide; les femmes sur- tout poussent des cris perçants — c'est le femineus ululatus de Virgile — en dépit du précepte de S. Paul : Millier taceat in ecclesia (I, aux Corinthiens).

En 1780, un miracle identique se voyait à la cathédrale d'Avellino : une fiole du sang de saint Laurent se liquéfiait pendant huit jours du mois d'août; à Bisseglia, le sang de saint Pantaléon offrait le même prodige. Mais, déjà, du temps d'Horace (Sat. 5, L. 1), une supercherie analogue s'opérait dans une ville voisine de Naples :

De hinc Gna.Ua (n), nymphis

Iratis exstructa, dédit risusque jocosque ; Dum flamma sine, thura liquescere limine sacvo Persuadere cupit. Credat Judieus Apelln, Non ego.

(Gnatie, petite ville bâtie en dépit des Nymphes, nous amusa. On voulut nous persuader que l'encens s'y brûlait sur l'autel, sans feu. Qu'on le fasse accroire au Juif Apella, je ne le crois point.)

a) Aujourd'hui Anasso, à 37 milles de Dari, sur les côtes de la Pouille.


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L ART PROFANÉ! A L* ÉGLISE


Parmi les nombreux ex-voto accrochés à la muraille saillent en ronde bosse plusieurs mamelles de carton pâte colorié; on dirait Tétai d'un tripier.

Chapelle Saint-Janvier. A l'un des angles de la coupole, une pein-



Fig. 166.


ture du Dominiquin (fîg. 166) retrace l'enlèvement du saint au ciel; au-dessous figurent les allégories de la Foi, Y Espérance et la Charité, le buste découvert, à la mode italienne.

2° Santa Anna de' Lombardi. Monte Oliveto. — La chapelle du Saint Sépulcre renferme un énorme groupe en terre cuite par Guido Mazzoni, le Christ au tombeau. Le Seigneur est entouré de six figures agenouillées qui sont des portraits de contemporains de l'artiste mort en 1518 : Sannazar représente Joseph d'Arimathie ; Pontanus, Nicodème; Alphonse II, saint Jean, et le fils d'Alphonse, le prince Ferdinand (fîg. 166 bis). Ces travestissements de personnages


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connus devaient nuire au caractère mystique de l'œuvre; ils éveil- laient plutôt la curiosité que le sentiment religieux.

Sur un sarcophage de pierre, couronné d'un petit Bacchus, est



Fig. 166 bis.


gravé un distique composé par le roi Alphonse-le-Magnanime, en l'honneur d'un mignon qui s'appelait Massimo, mot qui signifie très grand :

Qui fuit Alphonsi quondam pars maxima Régis, Maximus, hâc tenui mine tumulatur humo.

Celui qui fut jadis une très grande part du roi Alphonse. Très grand lui-même, occupe maintenant une place bien petite sous cette

[terre.


1 G G l'art profane a l'église


3° Saint-Dominique. — Le tombeau du cardinal Hector Caraffa, observe Fulchiron, présente un étrang-e contraste entre la qualité du défunt et ses ornements, tous mythologiques; « anomalie inexcu- sable, puisqu'ils furent exécutés du vivant de ce mondain prélat ».

4° Madona Dell' Arco. — Les murs de Sainte- Anastasie, église d'un village à trois lieues de Naples, sont couverts d'ex-voto. Une de ces images votives montre une dame sur laquelle des médecins en costume Louis XV pratiquent l'opération césarienne ; une autre est le portrait d'une forte commère qui a passé la quarantaine, mais n'avait pas encore l'âge de raison, à en juger par cette inscription naïve : Je me débattais, depuis trois jours, dans les douleurs d'un accouchement impossible, quand je me vouai à la Vierge, qui me sauva... après une difficile opération. « La réticence à son prix », remarque judicieusement Marcellin Pellet : nous ne pouvons que partager son opinion.

Cette Santissima guérisseuse, après l'intervention médicale, a trouvé à Pompéi une sérieuse rivale qui, à en juger par les marques de reconnaissance, tableautins en argent ou en carton enluminé des murailles du chœur, semblerait accaparer la spécialité des seins cancéreux. Ce privilège devrait appartenir de droit à l'église Saint- Louis {di Palazzo) de la même ville, qui possède deux fioles de lait — non baptisé ni stérilisé — de la Vierge.

5° Santa Maria di Donna Regina. — Une Vierge enceinte porte l'image du Bambino nu, peinte sur le ventre. A la bonne heure, le clergé napolitain ne craint pas d'apprendre à la jeunesse que les enfants ne viennent pas sous les feuilles des choux; si encore on lui disait qu'ils se font souvent sous les feuilles des arbres, de préférence les chênes, on se rapprocherait de la réalité. Au pays de la chou- croute, les bébés sont apportés par des cigognes ; la religion et le nationalisme tudesques se refusent à profaner un comestible qui appartient aux crucifères, dont les pétales sont en croix, et qui, surtout, est un mets national.

6° San Paolo Maggiore. — Construit sur l'emplacement d'un temple (Apollon ou Castor et Pollux) ou d'un théâtre. C'est là, si l'on en croit Sénèque et Tacite, que Néron fit ses débuts d'histrion:


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« Ce monstre s'essayait en province avant de s'avilir aux yeux du peuple romain. » La seconde cour présenterait encore l'un des murs de ce théâtre ; mais, d'après Fulchiron, il ne reste plus de son orne-



Fig. 167.


mentation primitive que les deux colonnes flanquées de chaque côté de la porte et les statues mutilées des fils de Léda et du cygne olympien , gardées, malgré leur origine païenne, dans un sanctuaire chrétien (fig. 167).

Sacristie Un tableau de Solimène, les Vertus théologales (fig. 168), représente la Charité, comme toujours, les seins nus ; à l'un d'eux est attaché une grosse sangsue d'orphelin.

Les Charités en peinture, en sculpture et même en nature, abon-


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l'art profane a l'église


dent à Naples ; il n est pas rare de voir aux portes des églises, comme le montre une gravure du Tour du Monde (fig. 169) \ des



Fig\ 168.


tableaux vivants composés d une miséreuse, la poitrine nue, entourée



Fig. 169.


denfants déguenillés et allaitant le dernier né — qui ne sera pas le dernier — c'est une Charité demandant la charité.


1. 1801, 2» sem. p. 196.


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7° San Pietro in Macello. — Plafonds enluminés par Mattia Pretti, plus connu sous le nom de Calabrèse : d'un côté, la décapitation



Fig. 170.


d'une martyre ; de l'autre, son enlèvement au ciel par des anges (fig-. 170). La sainte a la poitrine nue durant son ascension; mais, pour son supplice elle est à peine décolletée, ce qui a dû gêner l'office du bourreau.

8° Sannazaro 1 . — Eglise célèbre par le tombeau en marbre de Jacques Sannazar, l'auteur du poème des Couches de la Vierge [De

i. Construite sur remplacement de la Villa Mergelina, olï'erte par Frédéric, roi de Naples, au poète qui, à l'exemple de son ami Jovianus Pontanus, prit le nom d'Actius Sincerus ; ce lieu de délices ayant été saccagé par Philbert, prince d'Orange, Sannazar le fit démolir complètement et abandonna le terrain aux reli- gieux servites.


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l'art profane a l'église


partu Virginis), auxquelles assiste par licence poétique Junon- Lucine, la patronne des sages-femmes. En l'honneur de cet ouvrage qu'il composa sur remplacement de l'édifice religieux, on a joint au vocable de l'église celui de Sainte-Marie del Parto. On y lit une épitaphe latine du cardinal Bombo :

Da sacro cineri flores : hic ille Marconi Sincerus, musû proximus et tumulo.

Elle invite à répandre des fleurs sur les cendres de ce poète « qui n'est pas moins près de Virgile par son talent que par le lieu de sa sépulture ».

Autre licence, mais celle-ci artistique : son sarcophage (fig. 171) disposé derrière le chœur, porte le buste du « Virgile chrétien » en compagnie des hôtes qui hantaient l'imagination du poète, faunes, nymphes, satyres et bergers, lesquels s'ébattent au soubassement. Neptune y figure aussi pour rappeler que Sannazar a, le premier, composé des églogues sur les poissons et réhabilité la mer que Xercès fit fouetter. Apollon et Minerve concouraient à la garde et à la décoration de ce monument : les religieux servites, comme tous les gens de robe, scrupuleux protecteurs de la Vérité, mais surtout pour sauver les apparences, présentent ces déités païennes sous les noms israélites de David et Judith gravés sur leur socle : une variante du poulet subversif baptisé carpe. On raconte, il est vrai, que ce pieux mensonge fut imaginé à la suite de la menace d'un vice-roi, qui voulait envoyer à Madrid ces statues inconvenantes. C'est pourtant l'un de ces gouverneurs espagnols qui construisit le Château-Neuf, à l'aide d'un impôt prélevé sur les filles de joie. De plus, pour en perpétuer le souvenir, il fît tracer un « ovale allongé » caractéristique sur le parement de toutes les pierres du bastion qui faisait face au port.

Autre curiosité artistique: première chapelle, adroite, l'archange saint Michel, sous les traits de Diomède Caraffa, évêque d'Ariano, mort en 1550, terrasse le démon qui est le portrait d'une belle Napolitaine peinte sans voiles, Vittoria Avalos, laquelle poursuivait l'austère prélat de ses assiduités. L'émule de Joseph, par allusion au nom de son adoratrice transie, écrivit au bas du tableau cette leçon de morale : Fecit victoriam alléluia! Le vertueux épiscope ne


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trouva pas d'autre moyen de se débarrasser d'une aussi pressante séductrice. Cette singulière peinture de Léonard de Pistoie a donné



Fig. 171. Fig\ 172.


9° Cappella Sansevero. Santa Maria délia Pieta de Sangri. —

Cette église renferme le tombeau des ancêtres du prince Raymond de Sansevero et autres œuvres, plus curieuses par l'habileté du sculpteur que par leur valeur artistique ; ce sont jeux de patience ou tours de force de praticiens. Tels, un Christ en marbre, recouvert d'un linceul quasi transparent par Giuseppe Sammartino (1753) ; le Disinganno, le Désenchantement ou le Vice détrompé ou encore le Vicieux désabusé, exécuté par Francesco Queirolo, et la Pudeur due à l'habile ciseau d'Antonio Conradini de Venise (1752).

Le Vicieux désabusé (fîg. 172) est le portrait d'Antonio di Sangro, le père du prince Raymond. Pris dans les mailles d'un filet, — celui des vices, — il cherche à s'en dégager avec l'aide de la Raison, allusion à la conduite de ce prince qui, après la mort de sa femme,


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l'art profane a l'église


se livra à une vie désordonnée pompes et à ses œuvres, se fît (



Fig. 173.


qu'elle n'avait de sévère que le 10° Sainte-Croix al Mercato 1 .


puis, renonçant au monde, à ses

rmite. Le filet ciselé dans Je même bloc de marbre est à jour et touche à peine à la statue.

Gecilia Gaetani, mère du prince Raymond, allégorise la Pudeur (fig. 173). Cette singulière figure est recouverte d'un voile très léger qui accuse toutes les formes du corps, de sorte que l'effigie de la princesse paraît plus que nue. « Tout ce que je blâme, dit Kot- zebue, c'est que l'on donne le nom de la Pudeur à une statue plus nue qu'une danseuse de l'Opéra, de Paris : la Volupté coquette, voilà comme je la nommerais, car ces charmes ne me semblent si mal cachés que pour attirer et séduire. » Mais c'est en réalité une Madeleine repentie, avee le vase de nard à ses pieds. La con- duite légère des membres de cette famille indique tout au moins nom.


1. On voyait encore en 1835, « exposée à toutes les saletés d'une sacristie napo- litaine », dit Valéry, une petite colonne de porphyre qui avait été élevée à l'endroit où Conradin l'ut exécuté sur l'ordre de Charles d'Anjou. L'impératrice d'Allemagne, Marguerite, accourue pour racheter la vie de son fils, arriva trop tard : le premier régicide commis en Europe était consommé. Avec la rançon qu'elle destinait au rachat de la vie de son lils, elle fonda le monastère del Carminé dont l'église conserve les restes de Conradin ; la statue de la mère y est élevée et la représente une bourse à la main. Sur la colonnette commémorative, on lisait cette pitoyable, mais peu pitoyable, plaisanterie :

Asturis unync leo pullum rapiens aquilinum J/ic deplumavit, acephalumquc dédit.

Asturis désigne Jean Frangipani, le lâche seigneur d'Astura qui livra Conradin ; le


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11° Cloître de l'église Saint-Martin. — Ce couvent des chartreux possède entre autres tableaux de prix un Saint Laurent du Titien, et le fameux Ecce Homo de Michel- Ange, d'une vérité telle que, suivant



une légende fort répandue, mais sans fondement, ce Christ fut peint d'après nature sur un paysan que Buonarroti assassina, « après l'avoir lié à un poteau ».

Orvieto. Dôme. — Extérieur. — Les fameux bas-reliefs du sou- bassement dus au ciseau de Nicolas Pisan et inspirés des Ecritures, ont pour thème la Création de l'Homme et de la Femme et le Juge- ment universel. Celui-ci comprend deux tableaux tumultueux — la Résurrection et les Damnés — où les nudités ne sont pas ménagées. Les réprouvés évoluent sur deux zones superposées : au premier étage (fîg. 174), ils se dirigent en monôme vers l'Enfer ; au rez-de- chaussée (fig. 175), ils sont aux prises avec les tortionnaires infer- naux. Du côté opposé, c'est la marche à l'étoile des élus.

Intérieur. — Chapelle de la Madone de Saint-Brice (San-Brizio). Les peintures de Benozzo Gozzoli offrent une bizarre disparate de sujets païens (fig. 176, 177) et chrétiens ; des divinités mythiques y coudoient des saints et des poètes anciens, Cicéron, Ovide, Horace,

lion, /eo, figurait dans les armes de France. Rappelons encore à ce sujet un fait intéressant bien qu'il sorte de notre cadre ; mais nous ne sommes pas à une digres- sion près. Le bourreau qui exécuta le jeune prince fut poignardé par un de ses acolytes, « pour anéantir le vil ministre qui avait versé le sang- d'un roi ! »


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l'art profane a l'église



Sénèque, Dante, Virgile, dans les scènes tirées de leurs œuvres. Cet artiste plein de verve et de fougue, que nous retrouverons a Pise,



Fig. 176, 177. — Fresques de Signorelli, d'après d'Agincourt.


nous montre Orphée et Eurydice, Y Enlèvement de Proserpinc, Persée et Andromède, le Combat d'Hercule et des centaures, la


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Descente d'Enée aux enfers, qu'un tombeau d'é- vêque a fort endommagé ; sans compter Diane, Pallas, Vénus « et de lascives nudités », dont le clergé de l'église a dû cacher quelques parties par les ornements d'une boiserie, au dire de F. de Mercey.

Les remarquables fresques sur bois, où Luca Signorelli (1499) a traité le Jugement dernier, couvrent les deux parois latérales de la chapelle et se divisent en quatre compartiments.

Ganova, pour son groupe de Y Amour et Psyché, sest inspiré de deux ligures qui ressuscitent.



Fig. 179.



Fig. 178.


Il n'y a peut-être pas au monde, dit J. de Bonnefon, d'étude de nu plus puissante que celle où s'est employé Signorelli dans son Entrée des


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l'art profane a l église


élus. Il y a là des femmes aux seins dégradés, des anatomies de moines extravagantes dans leurs chairs graisseuses. Certain danseur napolitain



Fig. 180. — Groupe placé en dehors du tableau principal des Damnés.

(lig. 178) campé au premier plan, révèle son origine par la coiffure, seule pièce du costume qu'il ait conservée... La Résurrection de la chair ménage des surprises aux alarmes faciles de la pudeur moderne. Les squelettes même ont l'impudeur du geste, comme certain page vêtu ou plutôt aggravé d'un étrange maillot.

Les Damnés (fig. 179) offrent aussi de nombreux points de com- paraison avec ceux de Michel- Ange. Vous savez 1 que Signorelli s'est offert le malin plaisir de peindre une maîtresse infidèle, Luca, toute nue, terrifiée par un démon qui l'emporte au noir séjour sur ses ailes de chauve-souris. Isolons de cette originale et terrible composition deux autres groupes où les démons maltraitent des pécheurs (fig. 180, 181) et surtout des pécheresses récalcitrantes, qui ont fini par


1. Les Seins d;tns l'Histoire, fig. 130.


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trouver leurs maîtres (fig. 182). Les agents de Lucifer, comme ceux

de Lépine, ne connaissent, en fait de galanterie, que « le passage à tabac ».

Padoue. 1° Saint- Antoine l . —

La maigreur et la nudité de la façade de cette basilique jurent



Fig. 181,


Fie-. 182.


avec l'abondance, la richesse et le décolleté de sa décoration intérieure qui rehausse sa splendeur architecturale.

Le tombeau du général vénitien Contarini est surmonté dune figure allégorique, la Tempérance (fig. 183), qui baisse modeste- ment les yeux, mais découvre sa jambe et sa poitrine. Sur un autre mausolée, un squelette ailé sonne de la trompette.


1. Sur les parois de cette basilique se déroulent les incidents de la vie du saint; il va sans dire que ces motifs n'ont rien de commun avec les illustrations du Grand Saint Antoine de Padoue par Ernest d'Hervilly, qui reflètent l'humour du texte versifie, dont voici un échantillon :

En tétant, il fermait ses yeux, oui, tout l'indique ! Et lorsque sa nounou laissait un peu trop voir Son biberon de chair, alors bébé pudique, Il lui disait tout bas : « Prenez-moi ce mouchoir. »

A défaut d'épisodes traités trop décemment au dôme padouan pour être repro- duits, contentons-nous de donner la scène de la Tentation (fig. 182 bis), interprétée avec le brio et la verve du crayon de W. Busch.

i/art profane. — II. 12


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L A HT PROFANE A L ÉGLISE


Derrière le sanctuaire, une toile de premier ordre de Tiepolo, le Martyre de sainte Agathe, montre un bourreau qui lui arrache le sein gauche.



Fig\ 182 bis. — Soudain, sur ses genoux, elle étala ses grâces. Fig\ 183.


Le D r H. Bazalgette, dans la Chronique médicale, attire l'attention sur l'autopsie d'un avare, l'un des hauts-reliefs en marbre blanc de la Chapelle du saint :

Le cadavre, des plus cachectiques, est couché sur une table ; il pré- sente une longue incision thoracique traversant obliquement la ligne médio-sternale. Le médecin, placé à sa gauche, a encore les doigts dans la plaie et paraît tout étonné de la découverte qu'il vient de faire : au lieu du cœur qu'il cherchait, il a trouvé une pierre, de forme quelconque, qu'un groupe d'assistants considère avec surprise et effroi, dans une cassette à moitié remplie de pièces d'argent.

Et saint Antoine apparaît sur la droite du tableau et semble démontrer à la foule la véracité du vieil adage :

A la place du cœur, V avare a un caillou !

Entre autres richesses artistiques figure dans le chœur, à côté de l'autel, un candélabre en bronze, haut de 3 m. 60, ciselé par Riccio (1507). Il est couvert d'une foule de motifs bibliques (fig. 184) et païens où dominent les torses féminins, bien que cet appareil soit


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destiné à porter le cierge pascal. De même, le porte-encens du trésor est orné de néréides à double queue *.

2° Eremitani (Ermites). — Des fresques de Mantegna ont pour sujet les sept planètes qui règlent les sept âges de l'homme ; Vénus y préside à l'Adolescence — Ado- lescentia dominât Venus per annos sep te m. Mercure, d'après Valéry, serait habillé en moine, un livre à la main !

3° Madonna dell' Arena. —

Giotto, le restaurateur de la pein- ture, s'éloigne quelque peu de la donnée dantesque dans son Juge- ment dernier. Cette page, a la fois sublime et malicieuse, fourmille de détails inimaginables; nous en dé- tachons les plus pittoresques. Les lubriques sont accrochés par où ils ont commis le péché de fornication (fig. 185); l'un de ces luxurieux est abeilardisé (fig. 186) ; une pécheresse sollicite la bénédiction d'un évêque simoniaque, tant il est vrai que l'Enfer est pavé de bonnes intentions et qu'avec lui il y a aussi des accomodements (fig. 187) ; l'Avarice, personnifiée par un vieux fesse-mathieu qui a le sac, est entôlée par l'Avarie, qui lui fait de l'œil, mais non à

1. La sacristie possède un vase d'argent doré, servant à la confirmation, qui est couvert de figures profanes. A l'archevêché se trouve le portrait de Pétrarque, qui se convertit comme Boccace et fut pourvu d'un canonicat : tout en invoquant Dieu et sa muse, il partagea son temps entre les devoirs de son bénéfice et les tendres souvenirs de sa Laure. « Rendons grâces au clergé padouan, écrit Ducos, d'avoir inauguré l'image d'un prêtre moins connu peut-être par sa dévotion que par la mon- danité de ses amours. » D'ailleurs, la vertu n'était pas la marque distinctive du clergé de l'époque : Balthazar Gastiglione nous a laissé de ses désordres une fidèle peinture. Par exemple, ce colloque d'un religieux de Padoue et de son évêque. Les cinq religieuses d'un couvent que le moine dirigeait se trouvèrent enceintes. « Que répondrai-jc à Dieu, disait le prélat, au jour du jugement pour excuser mon défaut de surveillance ? — Monseigneur, répliqua le religieux, vous citerez l'Evangile : Domine quinque talenta tradidisti nuhi ; ecce alia quinque superlucrutus sum. »



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l'art profané A L'ÉGLISË


l'œil (fig. 188), l'amour vénérien est vénal, pas d'argent, pas de

cuisse ; plus loin, une autre variété de supplice de la Lubri- cité (fig. 189); une scène de jiu-jitsu (%. 190), etc.

Par contre, au- dessous de ces ima- ges grotesques ou « giottesques », les Vertus et les Vices sont peints en ca- maïeu avec une ré- serve exagérée et qui rappelle que trop souvent l'hy- pocrisie prend le masque de la pu- deur. LaColère, par exemple (fîg. 191), ouvre son corsage pour se déchirer la poitrine, mais celle-ci est aussi plate qu'une latte, et, par une anomalie non moins rare en Italie, la Charité ferme hermétiquement son corsage ; elle se con- tente comme attribut de tenir un cœur à la main.

A la chapelle de Scro- vegni, Giotto représente Anne, déjà grosse, lors de sa rencontre avec Joachim sous la porte dorée.



Fie. 185.



Fig. 186.


4° Santa Giustina. —


Hieronymus Campagnola a peint, sur les pilastres du cloître du Monastère Majeur dont Sainte-Justine dépendait, des arabesques analogues à celles des Loges vaticanes, qui sont peuplées à profusion d'êtres fictifs du monde mythologique, tels que satyres, faunes, nymphes, bacchantes, driades, cupidons, néréides, sirènes, chimères, etc., traités surtout au point de vue dé-

Fig. 189. — Le moine et la petite bête qui monte, qui monte...

coratif et où les mamelles jouent un rôle important. A part le déjà vu, comme les trois Grâces (fig. 191 a), les prisonniers de guerre, la Force hypermamelée (fig. 191 etc., certains motifs se distinguent par leur originalité propre : la Fortune nue., sur une boule, se laisse guider au gré des vents à l'aide d'une voile (fig. 191 c) ; deux serpents tettent un animal fantastique à double corps (fig. 191 d) ; deux tiges verdoyantes sortent des mamelons d'une nymphe (fig. 191 g) ; au-dessous d'elle, les organes d'un amour servent de support à un ruban qui les traverse ; une nymphe fait gicler son lait dans une coupe tenue par un petit satyre (fig. 191 e) ; un amour callipyge, bien râblé, se montre assis de dos entre deux chimères mamelues et semble parodier, a posteriori, la Comparaison de Lawrence (fig. 191 f) ; etc. Çà et là sont piquées des maximes dans le goût de la suivante : obseqvivm a.micos veritas odivm parit (la flatterie engendre les amis, et la vérité, la haine).

5° Scuola del SantO {Confrérie de St-Antoine). — Voisine de la cathédrale, elle offre de curieuses fresques que Valéry attribue à l'école du Titien et qui ont trait à la vie du saint.


Deux surtout sont admirables ; elles rappellent en même temps les vio-


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lences jalouses des maris de cette époque et la commisération de sain



Fig. 191 c. Fig. 191 d.


Antoine pour les femmes : Tune représente la femme que son mari a


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l'art profane a l'église


poignardée, et qui est rendue à la vie par le saint; dans l'autre,, une mère, aussi fort suspecte à son époux, est justifiée par l'enfant dont elle vient d'accoucher, qui reconnaît son vrai père.



Fig. 191 e. Fig\ 191 /'.


Parme. 1° Le Dôme. — Plusieurs hauts-reliefs décoratifs à carac- tère profane (fig. 192, 193) ont été reproduits dans les Noces de Philippe V et d'Elisabeth Farnèse, régente de France, qui furent célébrées à cette cathédrale en 1727.

Les parois de la coupole sont couvertes de la large et merveilleuse Assomption de la Vierge, «la reine des fresques », peinte en trompe- l'œil par le Corrège ; on n'y distingue plus qu'une multitude de jambes nues d'une étourdissante virtuosité (fig. 194), dont plusieurs trahissent leur sexe. Le motif de la figure 195, par exemple, pour- rait servir de pendant aux Hasards heureux de l'Escarpolette par Fragonard : le volatil céleste et si leste montre son périnée à vol d'oiseau, région anatomique que le langage raffiné du xvn e siècle appelait « le raphé » *.

Ces jambes appartiennent à des anges « purs et radieux » , ou mieux à des cupidons qui s'élèvent d'un vol rapide, et rappellent, sans la justifier, la question gouailleuse prêtée à un marguillier scandalisé par tant d'audacieux raccourcis et la hardiesse de leur nudité : « Est-ce un plat de grenouilles — un guazzetto di rane — que vous

4. Louis XIV, disait le galant Mercure, « a une petite tumeur à côté du raphé »; autrement dit une fistule à l'anus.


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avez voulu peindre ? » demanda-t-il au peintre de la grâce et de la volupté. Il paraît que cette raillerie déplacée blessa l'artiste au point de le faire renoncer à la moitié de son œuvre.



Fig. 191 g. Fig. 194 h.


Dans cette Assomption, remarque M. Armengaud, comme pour varier l'impression, le Corrège s'est laissé aller a l'enjouement de son génie. Laissons parler l'auteur des Galeries publiques de VEu- rope :

Parmi ses Trois Vertus théologales des pendentifs, la Charité, conçue d'une façon toute profane, est lorgnée en quelque sorte par un petit ange indiscret à tête d'Amour. Et dans un coin de la voûte même, l'artiste, qui avait à se plaindre du prieur, a placé, droit en regard du poste ordinaire de celui-ci, une ligure singulièrement jetée et dont l'aspect ne peut être


18(i


h ART PROFANE A L ÉGLISE


qu'une malicieuse ironie 195). Vengeance bien innocente, à coup sûr, et souriante pour ainsi dire, comme tout ce qui émane de ce souriant

esprit, qui n'a jamais connu la colère, qui a donné môme je ne sais quoi de tendre et de doux à la douleur et à la mort elle-même.

A la zone inférieure de la coupole sont groupés les Patriarches, les Apôtres et les Saints, émerveillés, bouche bée, dans l'attitude de la vénération ; plusieurs adultes nus allument des torches et jouent de divers instruments (fîg. 196). Aux quatre pendentifs, en dehors de cette foule d'éphèbes et de person- nages célestes, se tiennent les quatre saints protecteurs de la ville : saint Hilaire (fig\ 197), saint



Fig. 192.



Bernard (fîg. 198, pl. VII), saint Thomas (fîg-. 199) et saint Jean (fîg. 200), qui forment quatre groupes à part, entourés de figures


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angéliques, quelques-unes franchement sexuées, à cheval, assises ou couchées sur des nues et sans le moindre voile.

Cette Assomption fut fatale au Corrège : en portant le prix de son



Fig. 194.


travail, en monnaie de billon, dans un grand sac, il contracta une pneumonie dont il mourut.

A l'autel d'une chapelle, une Sainte Famille du Corrège montre un saint Jérôme et une Madeleine à peine drapés ; Jésus badine avec l'ondoyante chevelure de la pécheresse. De nombreuses copies ont été faites de ce chef-d'œuvre, mais aucune n'a pu saisir le sourire enchanteur de Madeleine transformé en grimace.

2° Baptistère. — Au tympan du grand portail est fixée une singulière représentation du Jugement damier, avec moult nudités dans des


188


l'art profane a l'église



Fig. 196.


TTALIË


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La voûte est couverte de fresques, où Diane et Apollon figurent



Fig. 197. — Saint Hilaire.


à côté des prophètes, des évangélistes et des apôtres; Valéry y lut le Spiritus intùs alit, du VI e livre de Y Enéide.

3° San Giovanni Evangelista. — Les bénédictins, en 1520, char- gèrent le Corrège d'illustrer leur sombre coupole ; l'émule de Raphaël y célébra une vision de saint Jean, la poétique Glorification


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l'art profane a l église


du Christ. Le sauveur est entouré des onze propagateurs de la foi 1 et d'anges gigantesques. « Ces enfants qui se jouent au milieu des



Fig. 199. — Saint Thomas.


nuages, ces ligures, écrit le président Charles de Brosses, sont dessinées d'une hardiesse inouïe et plafonnent d'une manière si vraie, si perspective, qu'assurément il ne s'est jamais rien fait d'égal en ce genre. » Le Corrège, ajoute notre spirituel touriste, ne s'est guère


1. Les sujets des pendentifs représentent chacun un Evangéliste et un Docteur de l'Eglise : saint Jean et saint Augustin, saint Matthieu et sjaint Jérôme, saint Marc et saint Grégoire, saint Luc et saint Ambroise.


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inquiété de suivre la tradition ; « il n'a pas craint de représenter plusieurs des Apôtres nus », comme des dieux de FEmpyrée, par



Fig. 200. — Saint Jean.


opposition aux Evangélistes et aux saints protecteurs de FEglise qui occupent les pendentifs de la cathédrale. Là, ils sont si soigneuse- ment habillés qu'on a signalé « l'ampleur olympienne » de leurs draperies ; saint Thomas est même botté.

Cette église, comme la précédente, possède une Sainte Agathe, au début de son supplice (fig. 201), mais cette œuvre est du Parmesan.


192


i/art profane a l'églisë


4° Couvent de Saint- Jean l'Evangéliste. — Au carrefour des corri- dors de ce cloître, on a placé quatre statues de Begarelli, d'après les



Fig. 201.


dessins du Corrège. Près de la Vierge se tient Jésus, une palme à la main, et « dans une complète nudité, quoique sa taille annonce qu'il est sorti de la première enfance » .

5° Couvent de Saint-Paul. — On admire, en cet ancien monastère de religieuses soumises à l'ordre de saint Benoît, la « Chambre » des fresques du Corrège. Ce sont les mieux conservées de toutes celles


Planche VII.



Fig. 198, page 186. - Phot. Ed. Alinabi.


ITÀLIÉ


193


qu'a conçues l'élégant peintre de la vérité. Elles ont été exécutées de 1518 à 1520, sur les désirs de l'abbesse Jeanne de Plaisance, une mondaine — mais non une nonaria 1 — en cornette, pour orner la



Fig. 202.

voûte d'une salle principale du couvent, oratoire, boudoir ou réfec- toire. La voûte figure une treille couverte de feuillages, de fleurs et de fruits ; elle est divisée en plusieurs secteurs percés de quatre fausses ouvertures ovales, où s'ébattent des enfants nus — les célèbres Putti del Correggio (fig. 202, 203). Au-dessous de ces médaillons folâtres, la base de la voûte est ceinte de seize lunettes, semi-circulaires, feintes, simulant des niches où s'abritent des personnages de la fable : les trois Grâces (fîg. 203, 204) sans voiles, les Parques drapées et ailées, la Fortune, Endymion (fîg. 205), Adonis, Minerve, Vesta allaitant Zeus, des vestales sacrifiant à leur divinité, enfin Junon (fîg. 206), en costume de Vénus. Elle subit le châtiment que lui valut son complot avec Neptune pour détrôner son époux. Jupiter, dans son juste courroux, fît suspendre la traîtresse à une chaîne d'or,


1. Prostituée qui, du temps de Perse, ouvrait sa maison à 3 heures après midi. l'art profane. — II. 13


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l'art profane a l'église


avec une enclume attachée aux pieds. Quant à Aphrodite, elle brille par son absence ; elle n'eût cependant pas augmenté le scandale de



Fig. 203.


ces inconvenances mythiques, bien que ces nudités ne relèvent que du goût et de l'art. « C'est, dit Gustave Planche, la mythologie païenne prise du côté gracieux, mais non du côté lascif. »

La plus piquante de ces peintures est isolée sur la cheminée ; c'est la figure de Diane, en char traîné par deux biches blanches. La déesse de la chasse est suffisamment décolletée (fig. 207) et paraît sous les traits de l'abbesse elle-même. Nous ne savons si son favori Endymion est aussi un portrait; en tous cas, il apparaît abso- lument nu.


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A la clef de voûte, une crosse, insigne religieux de l'abbesse, est juxtaposée à trois croissants enchevêtrés, les attributs de Diane :



Fi g. 204. Fig\ 205.


En agissant ainsi, cette religieuse faisait acte d'indépendance à la barbe d'un évêque tatillon et maussade qui voulait imposer son autorité à la réfractaire. Celle-ci ne se contenta pas de railler le prélat avec ses peintures anti-orthodoxes ; elle y mêla des inscriptions ironiques, en grec et en latin, à son adresse. La victime mitrée, criblée des flèches de la Diane monacale, en appela au pape, et l'abbesse, qui n'avait avec Jeanne d'Arc rien autre de commun que le prénom, fut obligée de fermer son couvent; nous allions dire son <( salon », sa maison d'illusion, son bateau de fleurs. « La place d'abbesse, disait la babillarde Sévigné, est toute propre aux vocations un peu équivoques ; on y accorde la gloire et les plaisirs. »

Ces peintures justifient la suave allégresse du nom de famille du Gorrège, Allegri.


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l'art profané a l'église


()° Galerie des Arts. — Un curieux tableau du Corrège montre le Christ sous l'aspect dun Adonis, complètement nu (fig. 208 bis).



Fig. 207. Fig. 208,


Pavie. Gertosa (Chartreuse) 1 . — Nous retrouvons, une fois de plus, sur la façade de cette coquette église, qui tient le record de l'orne- mentation, les promiscuités de l'art païen et de l'art chrétien ; des nudités de l'Olympe prennent contact avec la Vierge et les saints.

La Charité du tombeau de saint Augustin ne livre qu'un sein à deux affamés ; aussi se le disputent-ils avec acharnement.

1. Dans nos Seins h l'Eglise, p. 1, nous avons parlé de l'ex-voto vu à la cathédrale de Pavie et figurant un moine augustin sur une jument, montée par un « coquin de mulet ». Nous retrouvons dans la Vie privée du cardinal Dubois un fait ana- logue à cette bambochade, mais où le frocard a changé de monture et se trouve en danger de panache :

« Le P. Joseph, ce Capucin si célèbre sous Louis XIII, servait au siège de la Rochelle en qualité d'Aide-de-Camp au Cardinal de Richelieu, et portait ses ordres dans l'armée. Comme il se plaignait toujours de l'indolence et de la paresse des chevaux que lui donnaient les écuyers du Cardinal, ils lui en choisirent un des plus


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Pelio. — Peintures remarquables de Fiammenghino ayant trait au Jugement universel et à Y Enfer.



Fig. 208 bis. Fig. 209. Fig. 210.


des miséricordes du chœur, des centaures lutinent des nymphes plus nues qu'émues (fig. 209, 210).

Mentionnons un charmant bas-relief où sont figurés à mi-corps, mais bien en formes, nos premiers parents: le trop débonnaire Adam console Eve, au lieu de la houspiller vertement, après la faute.

2° Saint-André et Saint-Bernard. — D'un des bas-reliefs de Duci, 1461, où se déroulent les épisodes de la vie de saint Bernard, nous détachons divers motifs a nudités (fîg. 211, bis, ter).

Pise. 1° Le Dôme. — En faisant la part de l'exagération permise à un versificateur, l'impression rimée de Bordes sur cette cathédrale (août 1755) nous donnera un avant-goût des curiosités artistiques réunies dans ce groupe d'édifices, unique au monde, qui comprend

vifs et entier, pour une revue. Le Capucin y parut à la tête du camp, revêtu de l'habit de son ordre, et monté sur ce coursier fougueux. Un Ollieier général qui se trouvait auprès de lui, avait une jument qui lit naître les plus vifs désirs à la mon- ture du Capucin. Ce cheval entier saisit l'instant oi'i son cavalier, distrait par la diversité des objets, laissait négligemment flotter les rênes. Il s'élance et renverse avec ses pieds l'Officier général, qui n'eut pas le tems de se reconnaître: et malgré les saccades redoublées du Capucin, les cris et les huées des spectateurs, il couvrit cette jument. Les Jésuites, qui n'aimaient pas le P. Joseph, le firent peindre et graver dans ce moment de crise, où il fut obligé d'attendre sur sa monture que le coursier eût assouvi sa passion, et d'en suivre malgré lui tous les mouvemens. »


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l'art profane a l'église


le Dôme, le Baptistère, le Campanile 1 et le Campo-Santo, au milieu d'une solitude imposante qui gagnerait cependant à être piquée de quelques arbres :

Ici, dans sa gloire niché,

L'Eternel tendrement penché,

Darde un rayon droit comme un cierge ;

L'Esprit-Saint, sur le bout perché,

S'amuse à becqueter la Vierge.

En faveur des humbles élus,

Les saintes vont, troussant leurs cottes,

Et le malin petit Jésus,

Montrant ses appas ingénus,

Fait rouler l'œil à la dévote

Qui se trouble dans ses Acjnus.

Offrant leurs attraits sans mistère,

Ici, des anges féminins,

A la barbe de Dieu, le père,

Lui débauchent d'honnêtes saints.

douce indulgence du pape !

Partout, son empire bénin

M'offre les temples de Priape,

Peints des crayons de l'Arétin,

En voyant plus d'une Madonne,

L'Amour même s'y méprendroiL

Et le petit Dieu s'écrieroit :

« Ah ! voilà maman en personne ! »

Que d'appas ! quels traits ! quel regard !

Cet oiseau, qui sur elle tombe,

Ah ! je le vois, c'est la colombe,

Qui va s'atteler à son char.

Là. sous la chaire évangélique,

Brille, en marbre, un grouppe à l'antique

Figurant, dit-on, les vertus;

Et ce sont, le pourrez-vous croire?

Trois nymphes étalant leurs c...

Et le reste, à tout l'auditoire.

Aucune décoration extérieure ne répond à notre programme ; cherchons à l'intérieur. Ici nous n'avons que l'embarras du choix.

1. Celle tour penchée — une tour de force — n'offre rien de remarquable pour nous que sou inclinaison. Elle nous fait souvenir d'un mauvais « tour », pardon, que nous avons joué, par ordre supérieur, à l'un des édifices religieux de Paris, à la construction duquel nous avons participé en qualité de chef d'atelier, avant d'embrasser la carrière paternelle. Nous avons hâte d'en décharger notre conscience.


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Les clôtures du chœur sont couvertes de bas-reliefs profondément et dextrement fouillés. Tout d'abord l'attention se porte sur la mise en



scène mouvementée d'un Jugement dernier où grouille tout un monde de l'autre monde, démons et damnés parés du nu inhérent à ce thème traditionnel.

Au voisinage du maître-autel est accrochée une portraicture de la benoîte Sainte Catherine d'Andréa del Sarto ; c'est le portrait profane de l'épouse du peintre, « une femme sans honneur, dit Sterne, dont il fut le jouet ». De même, au cloître del'Annunziata, à Florence, la Madona del Sacco est l'image de cette indigne Lucrezia

Chaque fois qu'il s'agissait de glisser dans les fondations une pierre de taille avec tare, fil, délit, etc., nous avions ordre de retenir à un déjeuner prolongé et copieu- sement arrosé, l'inspecteur de la Ville. Ne vous étonnez donc pas si, un jour ou l'autre, l'une des tours de cette église prend les airs penchés du campanile pisan. Me:i maximn culpa! En tout cas, on ne pourra pas appliquer à ce monument ce que saint Matthieu dit de la fondation de l'Eglise : « Elle n'a point été renversée parce qu'elle avait été bâtie sur le roc. » Moralité : le constructeur fut décoré.


200


l'art profane a l'église


et la Madona délia scdia (la Vierge à la chaise), de Raphaël, est le portrait de sa maîtresse ; une laide figure ne serait pas un attrait

pour la dévotion. Dame Marie Pétel, la fille d'A- lexandre Dumas, retirée au couvent des dames de l'Assomption, à Passy, a peint, pour la chapelle de ce buen retiro, son épicurien de père sous les traits d'un capucin... de l'abbaye de Thélème, sans doute.

La lampe monumentale suspendue dans la nef et dont les oscillations mi- rent, dit la chronique, Galilée sur la voie de la théorie du pendule sup- porte quatre adolescents nus et bien râblés. Ces éphèbes en bronze jouent le rôle d'atlantes et sont les motifs principaux de la décoration (fig. 212). L'un des chapiteaux du chœur est occupé, d'un côté, par un triton, une néréide et leur petit; de l'autre, par des groupes d'amours déplumés qui s'ébattent au-dessus de masques de satyres (fig. 213), tous personnages de la fable qui n'ont rien à voir avec la religion catholique.

Transept, aile droite. Chapelle de Saint-Renier [San Reniero) patron de Pise la Morte. Une niche abrite « une statue de Mars, dit Baedeker, vénéré sous le nom de saint Ephèse » (fig. 214). Ce saint, dont la vie est peinte à fresques au Campo Santo, était un général romain qui reçut de l'archange saint Michel l'étendard de la victoire



Vu


\\ I hi


1. Tandis que l'inclinaison du Campanile lui permettait d'étudier les lois de la chute des corps.


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pour la guerre contre les infidèles. Il porte une sorte de caleçon de bain et des molletières ; tout le reste est nu.

Aile gauche. En arrière de la chapelle du Saint-Sacrement (Santissi-



Fig. 211 ter.


îuo) se cache, comme en pénitence, la Tentation d'Eve par Mosca. « Le sculpteur, dit le président de Brosses, a donné très hors de propos une tête de femme au tentateur, puisque de toutes les têtes qu'il pouvait lui donner, celle-ci était la moins capable de tenter notre première mère. » L'observation est juste et s'applique à tous les artistes — Raphaël compris — qui sont tombés dans cet erre- ment. En se baissant pour atteindre une branche de pommier destinée à ombrager sa nudité, Eve accuse ses formes postérieures et, n'était le milieu où elle se trouve, pourrait être prise pour une Vénus callipyge, draperie en moins. M. Muntz lui trouve un air de famille avec la Vénus de Médicis et y voit une copie de cet antique faite par Jean de Pise (fig. 215). Effectivement, Eve comme x\phrodite porte la main droite à distance de son sein,

Con Valtro il dolce porno ricoprissi

(De l'autre main couvrait la pomme si douce de sa poitrine) ; et de la gauche, si cuopre le parti onde la Donna arrossi, quando si scuo-


202


I, ' A R I P RO F A N E A L ' ÉGLI S E


prono, ce qu'elle fait sans y toucher non plus. Gomme la Vénus



Fig. 212.


accroupie du Vatican, elle se penche et avance un peu le genou droit pour se mieux cacher.

Même chapelle^ une niche est occupée par la statue d'une martyre dont la poitrine est découverte (fig-. 216). Liée à un poteau, elle fixe le ciel, sa récompense espérée ; on voit à ses pieds une grosse pierre entourée d'un cordage. Ces détails sont insuffisants pour déceler la personnalité de la sainte. Est-ce sainte Christine avec la meule qu'on


I T A L 1 E


203


lui attacha au cou pour la précipiter dans un lac, après lui avoir tenaillé les seins qui sont intacts sur l'effigie?

Revenons à la nef et arrêtons-nous devant l'admirable mausolée du cardinal Scipionis qui est orné des figures de la Foi et de la Charité. Le sein gauche de celle-ci est saisi à deux mains par un petit goulu tout nu et trop dodu pour un miséreux.

Le tombeau de l'empereur Henri VII, qui dit-on, fut empoisonné avec une hostie, n'existe plus. Ce fâcheux accident provoquait trop de JÈipjî) commentaires désobligeants sur le clergé d'alors.


Fis. 213.




215.


Fig. 216.


Abside. Le Sacrifice d'Abraham peint par Razzi, le Sodona. Isaac est entièrement nu, comme il convient à toute victime expiatoire; le jeune Israélite est agenouillé et se présente de face, de manière à montrer que le peintre a oublié de le circoncire.

Nef latérale droite. La Soumission de Richard Cœur-de-Lion, a


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l'art profane a l'église



gauche, et laisse pendre du côté opposé une colossale mamelle gorgée de lait; une jeune fille, en chemise, s'appuie sur la tête de son exubérante mère. Jamais un peintre de la chair, sans en excepter Rubens, n'a tracé une tétasse de ce volume ; il est vrai que cette nourrice hors concours allégorise la Ville de Pise. Elle figure aussi au Muséum sur une toile de Salimben, avec les mêmes appas rebon- dissants de vache laitière ; et nous la retrouverons encore, mais plus étique, dans la chaire du Baptistère.

Vis-à-vis, sur le mur de la nef latérale gauche, un tableau dont nous ignorons le sujet représente un saint à qui les mères demandent de bénir leur multiple progéniture ; Tune d'elles lui désigne trois enfants dans le même berceau et en tient un quatrième, qu elle allaite sur ses genoux. L'attitude de ce bambin vorace est des plus expressives ; de ses jambes, il s'arc-boute sur le giron maternel, tandis que de ses mains crispées il s'accroche au sein maternel et le


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ventouse de sa bouche avide. Il est difficile de montrer plus d'appétit pour le lait et la chair (fig\ 218).

2° Baptistère. — Une néréide à queue double sculptée sur l'un des modillons rappelle que Pise, bien qu'à environ dix kilomètres de la mer, fut une des premières villes maritimes de l'Italie, la rivale de Gènes et de Venise. Il est vrai que cet emblème aquatique est aussi familier aux baptistères.

Le fameuse chaire, pulpito ou pergamo, en marbre, sculptée par



Fis. 218.


Fi£. 219.


Giovanni Pisano après la défaite de la Méloria (1311), occupait pri- mitivement la nef centrale du Dôme, mais elle fut en partie détruite par la chute de la toiture lors de l'incendie du 15 octobre 1596. Quelques fragments ont pu être sauvés, les statuettes des angles entre autres, et figurent dans la chaire actuelle du Baptistère recons- truite en 1607. La restauration en a été opérée par Fontana, profes- seur à l'Académie de Pise, et est exposée au Museo civico établi dans l'ancien couvent de Saint-François.


•20 G


l'art profane a i/ église


Quatre des colonnes sont formées de cariatides supportant les chapiteaux ; Tune de ces colonnes, la plus curieuse, groupe à sa base les vertus cardinales païennes qui supportent la première des vertus



théologales chrétiennes, la Charité (fig. 219). Celle-ci personnifie encore Pise qui abandonne son sein à ses enfants. Cette tendre mère en porte deux sur les bras ; l'un, prend la maigre mamelle qui sort par l'ouverture pratiquée au corsage maternel, et l'autre, prend... un temps de repos l . Tandis qu'elle remplit sa noble fonction, deux aiglons, perchés sur ses épaules, — l'emblème de la force et du cou- rage, — lui inspirent des sentiments généreux (fig. 220).

Rien déplus tragique, écrit M. Paul Bourget 2 , de plus douloureux que la figure dans laquelle l'artiste a incarné sa cité, atteinte déjà. C'est une grande et maigre femme, voûtée, déformée, presque bossue. De sa poi- trine rentrée jaillissent deux seins très petits auxquels sont suspendus deux nourrissons maigres comme elle et qui sucent, de leurs bouches alFa-

1. Le rédacteur en chef du Bulletin monumental (tome VII), se trompe double- ment en prenant cette allégorie pour la Fortune et en lui découvrant « deux seins d'une fécondité inégale, qui sortent de sa robe ».

± Eludes et Portraits.


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niées, le lait trop rare de ses mamelles appauvries. Elle n'est plus jeune. Elle a suffi déjà à d'épuisantes tâches. Elle a un peu de ventre sous sa robe, et son masque, d'une austérité comme pétrie d'amertume, trahit plus d'ardeur que d'espérance, plus de courage que de foi : « Ah ! » sem- ble-t-elle dire de sa bouche sévère : « je veux vivre, vivre pour vous, mes enfants, car si je meurs, je sais que vous mourrez... » Les quatre statues sculptées sur son piédestal ne lui sont de rien...

La vieille et méchante Justice , avec ses plateaux inégaux, son épée au fourreau, occupe le devant de ce piédestal, à côté de la Prudence, jeune, souriante et couronnée de fleurs. En arrière se dissimulent la Force, abondamment chevelue, mais drapée contrai- rement à la tradition, et la Tempérance (fig. 219), la plus jeune de toutes, par contre, absolument nue. Son attitude est aussi celle de la Venus de Médicis, comme l'Eve-Pandore du Dôme, pourtant avec cette différence, observe de Gaumont, qui à tort y voit Limage de la Vérité, « que les mains sont collées au corps et ne cachent pas même le signe du sexe visiblement accusé ». L'aigle qui sépare ces deux dernières ligures et fixe la Tempérance évoque Laventure de Zeus et d'Hébé. « G est une grosse nature, écrit Didron, et qui a beaucoup trop mangé : seins et ventre de nourrice, gras et mous tout à la fois. » Mais quelle singulière idée de personnifier de la sorte une Vertu qui, ici, inspire les désirs et les passions au lieu de les modérer? Elle a d'ailleurs conscience de l'incorrection de sa tenue et cache sa nudité dans l'ombre de la chaire.

Autres contrastes. D'abord, au pilier central s'adossent les trois Grâces, mais strictement drapées et prises dans l'acception antique de leur nom ; ensuite, sur le socle, l'un des bas-reliefs allégorise la Grammaire, Grammalica (fig. 221), sous la figure d'une mère spirituelle qui donne le sein à deux enfants assis sur ses genoux. Nous avons vu au portail occidental de la cathédrale de Chartres le même Art libéral présenter à un écolier un livre, d'une main, et une verge, de l'autre, selon la formule pédagogique consacrée.

Une des colonnes latérales en marbre de couleur repose sur le dos d'une lionne ; un lionceau se pend à ses mamelles. On peut voir dans ce groupe une image animalisée de la Caritas.

La galerie supérieure de la chair est chargée de cinq bas-reliefs en albâtre transparent où se déroulent les péripéties d'un Jugement dernier des plus mouvementés, qui retracent le désespoir des


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l'art profane a l'église


damnés. Cette cohue d'agités est parée du nu bisexuel de rigueur. Dans la Présentation au temple, autre sujet de ces bas-reliefs, on



Fig. 222. Fig\ 223. Fig. 224.


reconnaît un groupe (fig. 223) emprunté à l'un des motifs d'une scène bachique reproduite sur un vase grec du Campo-Santo (fig. 222). Çà et là s'étalent encore des nudités plus ou moins crues : un personnage nu, indéterminé (fîg. 225), émasculé par une main pieuse, et Hercule (fig. 226) qui exhibe du haut d'un chapiteau ses attributs virils. Ses formes expriment la robustesse et la force, mais par leur exagération elles justifient la critique de Léonard de Vinci : « Cet étalage de muscles, de veines, de tendons, écrit-il, font ressembler ces œuvres plus à un sac de noix qu'à une surface humaine, plus à un paquet de raves qu'à un nu musculeux. » Le modèle de ce héros fabuleux se trouve au Campo-Santo ; c'est un antique trouvé à Carthage. Le vainqueur du lion de Némée a une lionne à ses pieds et tient un lionceau dans sa main droite. Leratouilly a reproduit la statuette de l'époux de Déjanire au Baptistère, mais sous une forme inexacte et expurgée (fîg. 224): il en fait un saint Elie 1 ou un soprano de la Sixtine !

1. La iillc de l'émir Yacoub s'étant éprise de lui « n'épargne rien pour lui faire partager sa chaleur. Alors il se met à penser en son cœur et à se dire : « Gomment me sauver de cette fille? » Une pensée lui vint soudain. Il coupa sa virilité, la mit


Planche VIII.



Fig. 266, page 236. — La Justice.


Planche IX.



Fig. 267, page 236.


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209



Fi*. 22;


Alphonse Dantier, auteur des Monastères bénédictins d'Italie (1866), s'emballe, comme tant d'autres, sur « ces artistes de lecole pisane, — Nicolas et Jean de Pise — si in- telligents, si religieux, si profondément péné- trés du véritable esprit chrétien », et attribue leur mérite à leur foi. Or, en fait d'esprit chrétien c'est surtout l'esprit d'imitation qui déborde dans cette œuvre de chaire. Aux réminiscences déjà signalées, notons, avec M. L. Palustre de Montifaut, les autres per- sonnages que Nicolas a tirés de l'antique : à la Nativité, la figure de la chaste Marie est celle de l'impudique Phèdre et Joseph res- semble à un devin ; dans Y Adoration des mages, un des rois a les traits et les cheveux d'un Apollon, etc.

A l'époque où le baptême par immersion était en vigueur, le Baptistère abrita bien d'autres nudités, mais en chair et en os. Vers 1830, un touriste signale, au milieu du Baptistère, huit « bénitiers » dont quatre pour l'église romaine et quatre en forme de cuve, pour le rit grec catholique 1 .



22G.


3° Gampo-SantO. — Fondé par l'archevêque Ubaldo qui fit trans-


dans une serviette, la porta à la lille de Culain et lui dit : « Tiens, voilà celui de mes membres que tu as désiré, prends-le et laisse-moi partir. » P. Saintyves, Les Saints successeurs des Dieux.

1. L'écho du Baptistère est renommé ; des guides en vivent et pour ces fervents du superlatif sa cause est stupendissima. Nous avons eu la curiosité de l'interroger : à Sacrement, il a répondu Ment; à Ouailles, Oies ; à Vertu, il nous a semblé entendre Turlututu ; à grUndlich, sérieux, comme les Allemands se disent, l'écho a articulé godiches, etc.


I, ART PROFANE.


II.


14


210


l'art profane a l'église


porter du Mont-Calvaire cinquante-trois navires de terre sainte, pour



Fig. 227.


y inhumer les grands hommes de Pise. Cette terre avait, paraît-il, la propriété de consumer les corps en 24 heures ; mais il est probable



qu'elle devait cette particularité « miraculeuse » à une supercherie, c'est-à-dire à l'addition d une certaine quantité de chaux.


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Le mur sud de cet élégant cloître est le plus intéressant à notre point de vue, en raison des fresques réalistes qui l'enluminent.



Fig. 230. Fig. 231.



L'épouvantable Triomphe de la Mort, attribué à tort à Andréa Orcagna, est « un fantastique mélange de gestes impudiques, dit Jean de Bonnefon, accomplis par des monstres imaginaires sur des femmes imaginées ». Cette bizarre et saisissante Danse macabre est une Moralité mise en peinture, avec une hardiesse de conception et une brutalité d'émotion, sincère sans doute, mais hors de toutes pro- portions. Le pittoresque voire le burlesque malicieux tempèrent la note tragique de cette dispute entre les anges et les démons des âmes fauchées par la Mort (fig. 227-231). La verve satirique de l'artiste, comme dans tous les sujets analogues du moyen âge, s'exerce volontiers aux dépens des religieux de tout ordre : les démons aggrippent donc de préférence les âmes des moines ; d'un autre côté, une religieuse serre contre sa poitrine une bourse bien garnie et indique par là que le vœu de pauvreté n'était pas toujours scrupuleu- sement observé. On assiste, en outre, à des spectacles moins tour- mentés : des biches quittent les forêts et viennent d'elles-mêmes offrir


212


l'art profane a l'église


le lait de leurs mamelles aux ermites solitaires, un avant-goût de l'Age d'or (fig. 232).



Fie-. 233.


Dans les épisodes diaboliques du Jugement dernier, mêmes espiègleries. Un diable traîne par les cheveux un moine qui cherche à se faufiler parmi les élus. U Enfer (fig. 233) déroule des horreurs


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213


conformes à la conception dantesque : du gouffre infernal surgit un Lucifer monstrueux 1 , qui dévore par ses trois bouches les pécheurs



et, de préférence, les pécheresses grassouillettes, plus tendres sous la dent. Il serait trop long de décrire toutes les tortures réservées aux péchés capitaux et fixées dans le sauvage cauchemar de cette peinture murale. Notre reproduction est assez nette pour qu'on saisisse tous les détails de cette indescriptible confusion : les héré- tiques à la broche ; les schismatiques — le mot schisme signifie division — fendus ou divisés « du menton jusque là d'où les vents s'échappent », selon l'expression de Dante ; les menteuses ont la langue arrachée; les luxurieuses, les seins et les organes de la géné- ration dévorés par des serpents; enfin, le gourmand, à qui un diable impétueux, pétillant et pétulant (fig. 234) sert, in gola, un plat tout chaud de sa composition, dont le fumet n'a rien de commun avec l'odeur de sainteté. Commode et sainte Catherine de Ricci s'en délectent ; le peintre de Y Enfer esquisse la chose ; Cambronne exclame le mot; il inspire Swift pour son Art de méditer sur les garde robes ; Lulli en note plaisamment la tonalité chez Mlle de

t. L'imperator del doloroso regno

I)a ogni bocca dirompea co' denti Un peccatore a guisa di maciulla.

Le maître du douloureux empire, dans chacune de ses bouches, broyant avec ses dents un pécheur.


214


l'art profane a l église


Montpensier; Mme de Prie en paraphe et apostille les placets 1 , et, naguère, le chanoine Trille en enfume et parfume le jardin de M. Des- mars, secrétaire général de la préfecture du Gers. Cousin, dans son Jugement des minimes, et Callot, dans sa Tentation de saint Antoine, placent des démons en posture du dieu Grepitus, de la déesse Cloacine ou du « pétomane », mais ils visent dans le vide. Déjà, en France, nous avons reproduit 2 un châtiment semblable sculpté sur l'un des culots de l'église du Bourg- Achard. Le Seigneur, vous ne l'ignorez pas, infligea une punition analogue au fougueux Ezéchiel, en lui ordonnant de manger, pendant trente jours, des tartines de ses excréments étendus sur du pain d'orge, de millet et de froment. Le prophète hébreu, ne connaissant pas encore la sagesse du proverbe latin Stercus suum cuique benè olet, réclama à Qui de droit et sa peine fut commuée en fiente de bœuf, pétrie avec du pain.

Ne quittons pas cette matière malodorante qui a fait l'objet d'un poème didactique en quatre chants, la Chézonomie de Remard, et un précis de Coprologie par le D r R. Gaultier (1907), sans rappeler la vengeance que Frédéric Barberousse tira des Milanais, après la « mocquerie » faite à Fimpératrice 3 .

Stephan Lochner, dans son Jugement dernier, du Musée de Cologne, a imaginé, comme à Pise, une Bastille infernale, divisée en multiples cellules. Mais toutes ces navrantes compositions ont été dépassées par les visions de sainte Françoise Romaine, morte en 1400. Cette visionnaire, dont Fauteur De Tout a retracé l'histoire, a imaginé un Lucifer sous l'aspect d'un formidable « lion d'airain rougi au feu, dont la mâchoire est armée de lames de faulx et dont le ventre est un nid de reptiles». Ecoutez les tourments raffinés qu'elle a dépeints pour chaque faute :

Les bonnets de flammes, les lacs de plomb fondu, les infusions bouil- lantes de fiel, de poix et de soufre, les appareils pour crever les yeux et pour retirer la cervelle par une oreille défilent; c'est un code effrayant de supplices ; en somme, l'Enfer, tel que se le figure le Moyen Age, a trouvé en cette étonnante visionnaire son plus grand peintre ; et Ton

1. On remit un placet à la marquise et il lui fut recommandé comme fort tou- chant. « Aussi me touchera-t-il, » répondit la favorite. Et elle envoya la supplique au petit réduit, où Alceste envoie le sonnet d'Oronte.

"2. L'Art profane a l'Église, en France, %. 2G9.

3. Ibid, fig. 9.


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pourrait presque ajouter le seul, car les imagiers des cathédrales qui trai- tèrent les mômes sujets n'ont guère inventé que des croquemitaines plus ou moins enfantins et des monstres surtout comiques.

Sur le mur Nord se développent des scènes bibliques. Adam et Eve, parPietro diPuccio (vers 1390), évoluent dans le même tableau



depuis leur création jusques et après leur expulsion du jardin des Hespérides juives. Leurs épisodes se confondent et profilent la silhouette d'une dizaine de corps nus, qui ne sont autres que nos premiers parents tirés à plusieurs exemplaires. Adam est si potelé, si dodu que, sa tête barbue à part, — son sexe étant dissimulé par des attitudes préméditées, — on le prendrait pour sa compagne. Le peintre a-t-il interprété à la lettre la Genèse — ce serait le seul dans

1. Un proverbe génois dit : Mare senza pesce, monti senza legno, uomini senza- fede, donne senza vergogna. Ce qui signifie : mer sans poisson, montagnes sans bois, hommes sans foi, femmes sans vergogne. Suivant Alexandre Dumas, le pro- verbe serait pisan et non génois : « Bridoison, ajoute-t-il, dit avec beaucoup de jus- tesse qu'on ne se dit pas de ces choses-là à soi-même; et jamais un Génois n'a passé pour être plus bête que Bridoison. »


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l'art profane a l'église


ce cas — en lui donnant les formes efféminées d'un hermaphro- dite ? En outre, et ce détail nous paraît excessif, le front d'Adam est déjà orné d'une paire de cornes!

h' Ivresse de Noé, par Benozzo Gozzoli, offre un détail plus piquant : le patriarche s'est endormi dans les vignes du Seigneur, sans prendre la précaution d'en cueillir quelques feuilles pour cou- vrir sa nudité ; « près de lui, écrit le narquois président de Brosses, passe une jeune fille (fig. 235) qui se bouche les yeux avec la main, mais écarte les doigts de toute sa force, pour ne point voir ». Cette malicieuse effrontée, une bru de Noé peut-être, qui « risque un œil » et l'écarquille, a reçu le sobriquet de Vcrgognosa, la Pudique ! et a donné lieu au dicton ironique qui s'applique à une prude hypocrite : « Corne la Vergognosa di Campo-Santo 1 . » Ce Gozolli qui gaze si peu ses fresques est pourtant le disciple de l'exta- tique Fra Angelico, lequel peignait ses sainteries à genoux.

Autre plaisanterie, signalée par Ghaix : « Un élève du Giotto a représenté les Pères du désert, sujet austère, s'il en fut; mais cepen- dant, au milieu de ces fronts austères, voyez-vous cette jolie fille souriant sous le capuchon — nous allions dire sous le domino — d'un moine ? »

La Naissance cfEsaii et de Jacob, du même Gozzoli, présente aussi une particularité d'un naturalisme suraigu, mais d'ordre obstétrical: « les eaux de la cuvette, observe Jean de Bonnefon, sont traitées avec un affreux détail » .

Relevons une dernière espièglerie sur la fresque du Jugement universel : le peintre, embarrassé du sort de Salomon, semble s'être inspiré du « jugement » de ce sage : il le place moitié du côté des élus et moitié du côté des réprouvés, demeurant entre deux selles le cul à terre.

Parmi les motifs des sculptures et tombeaux de la galerie à jour qui enveloppe le terrain rapporté de Jérusalem, nous signalerons ceux qui présentent un caractère profane ou païen :

Sur un fût de colonne, un vase de marbre 1 ciselé de scènes bachiques auxquelles, nous l'avons dit, Nicolas Pisano a emprunté quelques figures pour sa Présentation au Temple, l'un des plus jolis bas-reliefs de la chaire du Baptistère.


1. N" 52.


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Un sarcophage couvert de centaures et de bacchantes, et surmonté du buste d'Isotta de Rimini, femme de Sigismond Malatesta de Rimini.

Le mausolée du comte Mastriani que son épouse « inconsolable »


ET LEVTERIAE CLYTORIS ET SVIS



Fig. 237.


lui fit élever ou mieux éleva à elle-même, car le motif principal de ce monument est la statue de sa femme éplorée, dite V Inconsolabile (fïg. 236), par Bartolini, où, en signe de deuil, elle exhibe son buste et ses seins à nu Les véritables veuves « inconsolables » ne se voyaient guère qu'au Malabar ; là, elles accompagnaient le corps de leurs maris sur le bûcher.

La comtesse Béatrice *, mère de la comtesse Mathilde, cette « héroïne orthodoxe », cette « amie des papes », que nous retrouve- rons à Saint-Pierre de Rome, repose dans une sépulture dont les bas-reliefs racontent l'aventure de Phèdre et d'Hippolyte complète- ment nu. Est-ce le motif de son exclusion de la cathédrale ?

Le long de ces galeries, on rencontre encore de nombreux mo- numents funèbres, sarcophages ou urnes mortuaires des Grecs et des Romains que les chrétiens utilisèrent pour les sépultures, mal- gré les scènes païennes qui les ornent. Rappelons, à titre de curiosité, l'épisode singulièrement profane retracé sur l'urne de Livilla Harmonia, « femme d'une pudicité incomparable », dit l'inscription (fig. 237) 2 . L'émule de Lucrèce est représentée nue,

1. Monumentu sepulchrali de la Toscane, pl. xli.

2. Reproduite pur Montfaucon, dans YAntiq. expliq., t. V, 90 pl. LXXIII. Voici


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l'art profane a l'église




Fig. 241.


l'inscription qui célèbre la pureté liliale et « la modestie singulière » de l'héroïne :

DUS MANIB. LIVILLAE HARMONIAE TI H VHTI AN AE PUDICITIAE INCOMPARABILIS MODESTIAE SINUULARIS SACRUM.


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ampo


subir les derniers outrages. Cette urne, qui ne figure pas au C Santo, renfermait aussi les cendres de Leuteria Clytoris et celles des siens, — nom plus propre à une prêtresse de Lesbos qu'à une chrétienne. Les an- ciens s'appliquaient a écarter toute idée trop funèbre, même dans les ima- ges consacrées à un mort ; ils leur don- naient une forme aimable.

Les monuments tumulaires du Campo Santo exposent de préférence des Fi<>. 242.

scènes païennes (fîg. 238, 239, 240), où

s'ébattent tritons, néréides, ménades et amours ; Bacchus et Vénus



Fig. 243.

n'ont-ils pas le même cri de ralliement : Bibite ! Certains sont



Fig. 244.


220


i/art profane a i/église


décorés de Y Enlèvement de Proserpine ou d'Europe (fig. 241) ; d'autres racontent le mythe de Diane et Endymion, d Ariane



et Bacchus (fig. 242), d'Adonis et Vénus (Tig. 243), de Y Amour et Psyché (fig\ 244, 245), etc. Cette dernière fiction et celle de


XXV.



Méléagre rappelaient allégoriquement l'immortalité, l'espérance dune vie future.


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Sur le sarcophage de l'évêque Ricci, on reconnaît les inséparables Grâces « qui dansent » (fig. 246). Une urne sépulcrale en marbre, provenant de l'église Saint-Zénon, représente un cortège nuptial ;



les extrémités sont occupées par Castor et Pollux, avec figures emblématiques à leurs pieds (fig. 247).

D'autres sépultures essentiellement chrétiennes présentent des motifs non moins suggestifs (fig. 248, 249) ; plusieurs sont emprun- tés à l'Ancien et au Nouveau Testament. Daniel, par exemple, est sculpté nu entre deux lions, et un bas-relief attribué à Buffalmacco nous montre la Madeleine quelque peu décolletée, soutenant le Christ entièrement dévêtu (fig. 250). Le Rédempteur apparaît aussi sous la figure d'Orphée, le chantre de Thrace qui charmait les bêtes, comparaison peu flatteuse pour les auditeurs de Jésus. Parmi les thèmes funéraires préférés des premiers décorateurs chrétiens, empruntés à la tradition païenne, citons encore Jonas nu, dévoré parla baleine, un gros « poisson d'avril », l'image de la résurrec- tion à l'usage des Janots, et le gracieux symbole de Psyché, autre image « du bonheur qui récompensera les épreuves d'ici-bas ». La figure 245 représente l'un des motifs qui décorent les urnes sépul-


222


L'ART PRO P A N E A L * É G L I S E


craies trouvées dans les catacombes de Saint-Urbain, à Rome, IV e siècle. Clôturons ici cette trop longue énumération,

Le reste ne vaut pas l'honneur d'être nommé,



4° San Stefano ai Gavalieri. — Aux murs de cette église sont fixés des trophées turcs conquis à Lépante, d'où se dégagent des torses nus de négresses aux seins d'ébène.

Le tableau du second autel, côté gauche, a pour sujet la Nativité de Jésus, par Al. Allori (1564). Au-dessus de la Vierge en adoration devant son divin rejeton — quem genuit adoravit — voltige, en cercle, une nuée d'enfants sans ailes, mais non sans sexe (fig. 251); ils le montrent même ouvertement, moins pudiques que le petit Sauveur qui, pour le moment, sauve au moins les apparences, grâce à un étroit bandage ombilical, lequel d'ailleurs ne cache rien.


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PiSTOJA. — 1° Saint-Jacques. Cathédrale. — Plusieurs panneaux en argent de l'ancien autel et d'un rétable, exécutés en 1287, avaient été dérobés en 1293 par Vanni Fuci, « un voleur qui y gagna



Fig. 251.


l'honneur d'un tiercet dans Y Enfer du Dante». Il est vrai que ce méfait lui coûta la vie, car il fut bel et bien branché. Les panneaux furent restaurés en 1316. Le bas-relief du panneau placé sur la partie antérieure de l'autel représente Adam et Eve à leur naissance ; maître Pietro de Florence qui le fabriqua, ne pouvant faire autre- ment que de représenter nus nos premiers parents, « dut éprouver quelque résistance de la part des maîtres de Fceuvre effarouchés, car ces derniers firent venir un orfèvre de Sienne pro decidendo questionem vestimentorum, pour décider de la question des vête- ments 1 ».

Des dragons-femmes ailés, la poitrine chargée de fortes mamelles, supportent la chaire du prédicateur.

Plaisance. 1° Santo Justo. — Des cariatides soutiennent l'atti- que de sa façade, comme pour un temple païen.

Entre autres sculptures, cette église possède le gigantesque mausolée de Marguerite d'Autriche, décoré de colossales figures dues au ciseau de Giacinto. Les vastes dimensions de cet appareil sépulcral sont en rapport avec la haute stature et les formes viriles de cette princesse qui portait une barbe de sapeur et avait l'audace


1. Cf. Gaz. des Beaux-Arts.


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l'art profané a l'églisë


et l'énergie d'un homme résolu. Pétrarque parle 1 d'une virago sem- blable, Marie de Pouzzoles, qui n'avait de fille que le sexe.

2° Santa Maria di Campagna. — Pordenone peupla la voûte de la lanterne de gracieux chérubins, de Prophètes, de Sibylles et d'Apôtres, en contemplation devant le Créateur qui rayonne dans une gloire soutenue par des anges. « Par une inconvenance quïl faut bien avouer, dit Fulchiron, et qui n'ôte rien au mérite intrin- sèque de l'exécution, à tous ces emblèmes du christianisme, Porde- none mêla des bacchanales et des fables mythologiques ».

3° Santo Francesco 2 .

Poggibonsi. Santa Maria Assunta di Callori ou Cellole. — Cette vieille église qui date du x e siècle offre à l'abside de « curieux cha- piteaux et de singuliers ornements », dit un Guide peu explicite.

Possagno. — Lieu de naissance de Canova. Le restaurateur de la sculpture italienne destinait à l'église de son village sa Made- leine 3 , munie d une draperie bizarre qui rappelle le tablier de cuir des hôtes de la Morgue et met à découvert la partie postérieure. Mais, par suite d'événements « extraordinaires », dit Réveil, cette statue passa entre les mains de divers collectionneurs 4 .

Prato. Sainte-Marguerite. — C'est sous les voûtes de ce couvent, dont le peintre Fra Filippo Lippi fut nommé chapelain, que s'ébaucha l'intrigue passionnelle de cet artiste avec son modèle, la chaste nonnette Lucrezzia Butti s , qui se termina par la naissance

1. V« livre, 4 e lettre.

2. Fut dédiée temporairement à Napoléon, en l'honneur de celui qui retint Pie VII captif à Fontainebleau! Mais, à la chute de l'Empire, on réintégra l'ancien patron dans ses droits, en vertu du principe primordial de la politique : Ote-toi de là que je m'y mette.

3. Les Seins h V Église, fig\ 216 bis.

4. Jean Lombard assure qu'autrefois filles et garçons ne consentaient à subir les liens du mariage qu'après une union libre, un essai loyal de deux ou trois années ; l'évêque de cette région s'opposa en vain à une coutume aussi scandaleuse, mais qui offrait l'avantage d'empêcher toute tromperie sur la marchandise.

Notons encore un usage bizarre dont nous ignorons l'origine : les femmes seules, assure Valéry, ont le privilège d'entrer dans l'église par la grande porte.

5. Les Seins à l'Église, fig. 263, 264.


Planche X.



Page 248. -


Mausolée d'Innocent XII. Phot. Anderson.


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de Filippino. Gabriele Castagnola fît de cette aventure le sujet d'un tableau exposé à l'Académie des Beaux-Arts de Florence (fig. 139).

Ràvenne. 1° Cathédrale. — L'auteur des Délices de V Italie décrit un jubé singulier en marbre blanc et de forme cylindrique, com- parable à une ménagerie : « Il y a six espèces d'étages qui sont chargez d'animaux différens ; au premier ce sont six brebis, au second six paons, au troisième six cerfs, au quatrième six colombes, au sixième six poissons. » C'est un évêque répondant au doux nom d'Agnellus, — celui d'un quadrupède, — qui l'a fait édifier :

SERVVS TVVS AGNELLVS EPISCOPVS HVNC PYRGVM FECIT.

2° Baptistère. — La chapelle Sainte- Justine renferme un vase orné de sujets bachiques.

3° San Vitale. — A l'abside, précieuses mosaïques où le Christ trône au-dessus de Justinien, flanqué de l'impératrice Theodora, « l'ancienne sauteuse, la prostituée du cirque », écrit Taine, « appor- tant des offrandes avec ses femmes, comme elle, toutes jaspées d'or et couturées de perles ». Le fourreau hiératique, qui emprisonne cette Messaline à la façon d'une châsse, n'empêche pas l'esprit prévenu de songer à l'impudicité de la courtisane, et sa présence au sein d'un édifice religieux choquerait partout ailleurs qu'en Italie, où de semblables disparates sont communes. Les gorges de toutes les ruspente libertines, comme celle des dévotes, au pays où fleurit et surtout fructifie l'oranger, sont sanctifiées par la croix :

Car, de l'amour à la dévotion, Il n'est qu'un pas : l'un et l'autre est faiblesse.

Sur ce chapitre, nous n'avons rien a envier à l'Italie : ne vîmes- nous pas la vénérable dame Farcy, d'hospitalière et folichonne mémoire, mourir en odeur de sainteté ?

Non loin du chevet, un bas-relief antique détaché d'un temple de Neptune figure ce dieu de la mer, sur son trône, entouré de génies 1 .

i. L'accès de la chapelle Sancia Sanctorum est interdit aux femmes, à cause d'un puits qui renferme les corps de plusieurs martyrs. Nous ne sommes plus à Possagno.

On voit à l'entrée de cette église les tombeaux « des Nourrices et des Nourriciers des empereurs Arcadius et Honorius, à côté de ceux de ces princes ».

L ART PROFANE. — II. 15


226


l'art profane a l'église


4° Chapelle du Collège. — Autrefois, église de S. Romuald. Au réfectoire, les Noces de Cana, de Longhi père et fils : le voile qui couvre modestement la femme placée près du Sauveur fut ajouté

par la fille de Longhi, sur les instances du scrupuleux légat de Ravenne, saint Charles Borromée.

Reggio. Dôme. — Sous le por- tail, deux statues colossales « naï- vement belles », dit Paul de Musset, d'Adam et d'Eve par Clément, de Reggio.

La Peste (fig. 252), le meilleur tableau de Camille Procaccini, actuellement à Dresde, fut de- mandé au peintre par le chanoine Brami pour la cathédrale de Reg- gio, où il devait faire pendant à Y Aumône de saint Roch, par An- nibal Carrache.

Mais, raconte Réveil, n'ayant pu obtenir la permission d'y faire inscrire son nom comme donataire, il changea leur destination et les donna à la confrérie de Saint-Roch.

Dans ces représentations de scènes pestilentielles, nous le répé- tons, le premier plan est généralement occupé par le cadavre d une mère-nourrice dépoitraillée. On ignore la ville où le peintre a situé le fléau : Rimini, Rome, Césène, Aquapendente, autant de loca- lités qui virent saint Roch soigner les pestiférés ?

Rimini. Saint François ( Tempio dci Malatestiano). — Mausolée de Pandolphe Malatesta, le brave général vénitien, ou mieux le bravo qui fît empoisonner ses deux premières femmes et étrangler la troisième sous prétexte d'infidélité :

Il est question, dit Kotzebue, dans une inscription, des cornes qu'il portait, où il est dit malignement que bien d'autres en portent sans se



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227-


venger. Folkmann entre là-dessus dans une sainte colère et dit que de semblables observations sont bien peu décentes dans une église 1 .

Ce qui est « bien peu décent », c'est l'hospitalité accordée à ce terrible Barbe-Bleue voyant tout en jaune; mais, nous ne l'ignorons



Fig. 253. Fig. 254.


pas, le clergé italien est coutumier de ces sortes de faiblesses. A tout péché miséricorde ! Suivons le conseil de Dante : « Regardons et passons ». Aussi bien, c'est dans l'histoire de cette famille Malatesta que le chantre de Y Enfer - puisa la touchante aventure de Françoise de Rimini 7 épouse du « dix-cornes » Lanciotto Malatesta, et dont

1. A San Vital de Ravenne est l'antithèse de cette horreur funéraire : la tombe d'Isaac Arménien, exarque de Ravenne (-j- 641), élevée par sa femme, qui, dans une inscription pleine de tendresse, compare son veuvage à celui de la tourterelle. E. Lami a relevé au cimetière de Robermont (Belgique) une épitaphe rédigée par une autre variété de veuve « inconsolable » qui ne demande qu'à être consolée : Mon cher époux. Prie Dieu de m'envoyer quelqu'un pour sécher les larmes que tu m'as fait verser.

2. V Chant.


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L ART PROFANE A L EGLISE


les amours avec son beau-frère Paolo Malatesta furent immortalisées par le poète.

Première chapelle, à droite. Les Vertus sculptées portent des

draperies collantes et transpa- rentes qui révèlent toutes leurs formes. La Tempérance (fîg. 253) est la plus court vêtue par en haut.

Troisième chapelle, même cô- té. Sur de curieux bas-reliefs qui datent du xv c siècle, les figures planétaires sont étrangement as- sociées au culte catholique. Ces Signes du Zodiaque offrent di- verses particularités : les Ju- meaux sont deux jumelles ; la chèvre du Capricorne a des ma- melles boursouflées outre mesure (fîg. 254), et la jeune nymphe qui tient la Balance est bien lé- gèrement drapée (fîg. 255), sur- tout pour représenter le mois d'octobre, époque où les jours sont égaux aux nuits — image des plateaux — et où la tempé- rature laisse plutôt à désirer. Mais le sexe qui porte des corsets et fait porter des cornes n'étoufîe-t-il pas de chaleur en toute saison : les jeunes, parce qu elles sont trop serrées; les mûres, pour la même cause, et, ajoutons, les bouffées congestives du retour d âge ?



Fii>-. 255.


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ROME A. — ÉGLISES

1° Saint-Pierre. — Ce Sanctum Sanctorum de la chrétienté — l'apothéose monumentale du Christianisme, d'aucuns insinuent de la Crédulité — est un merveilleux musée d'art mi-païen, mi-chré- tien. C'est la fête des yeux plutôt que de l'âme, où l'esprit est porté à la curiosité et peu à la prière, bien que les lettres de ce mot soient aussi celles du vocable de la basilique 1 , comme Amor est l'anagramme de Roma 2 , la ville œcuménique, ce qui justifie l'union si fréquente de l'élément païen et de l'élément chrétien dans Fart; et saint Paul n'a-t-il pas dit : « La fin de la Foi, c'est l'amour? »

De loin, la silhouette de Saint-Pierre produit, comme les pyramides, un effet « pyramidal » ; mais, de près, l'impression est moins grandiose.

Sous le spacieux portique caracole Constantin l'Apostat, un mal- propre païen devenu chrétien par dépit, après l'absolution de ses crimes que lui refusaient les prêtres de sa religion. C'est lui qui posa la première pierre de l'auguste temple du Seigneur.

Avant de franchir le seuil de cette merveille architecturale, exa- minez de près, de très près, la porte en bronze très ouvragée du milieu*, celle qui est réservée au pape et fut exécutée sous Eugène IV, en 1447, par Filarèteet Simone : vous y découvrirez au milieu d'élé- gants et ingénieux enroulements de rinceaux qui encadrent des bas-reliefs à thèmes religieux, — les cadres nous font oublier les tableaux, — une profusion de sujets suspects (fig-. 256-260), tirés, en grande partie, des Métamorphoses d'Ovide: tels, Mars et Vénus,

1. Le vrai nom de Pierre était Simon, mais avec lui Jésus n'eût pu commettre le calembour sur lequel repose l'Eglise : Petrus es, etc.

2. Son étymologie est Rumma, dans le sens de mamelle féconde.

3. La porte de droite, la porte sainte ou jubilaire est dorée et murée; le pape l'ouvre à coups de marteau tous les vingt-cinq ans, soit quatre années par siècle.

Autrefois, la porte de gauche était interdite aux femmes, comme rentrée de la Confession de saint Pierre; puis, on se contenta de séparer les sexes seulement aux prédications du Carême.


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l'art profane a l'église


Jupiter et Ganymède, Phrixus et Hellé sur le bélier, la Chèvre Amalthée perdant son lait, Hercule au berceau étouffant des dra-



Fig. 250. Fig. 257.


gons, Y Enlèvement de Déjanire, Europe et le Taureau, Léda et le Cygne, la Conquête de la Toison d'or, etc. Dans ces habiles et



Fig. 258.


riches ciselures d'airain les nudités abondent, et l'on a pu dire que les mythes les plus voluptueux du paganisme président à l'accès du plus vénérable des sanctuaires chrétiens. « On ne se scandalise point à Rome, dit Corinne à lord Nelvil, des images du paganisme, quand les beaux-arts les ont consacrées. » Mais ici, ce n'est pas le cas, et ces figures semblent d'autant plus déplacées qu'au point de vue artistique elles ne peuvent soutenir la comparaison avec les


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portes de Ghiberti, à Florence Rome que nous rencontrerons, l'antiquité païenne et de la Renaissance fraternisant avec le Christ et les Apôtres ».

Tenez-vous à connaître l'im- pression produite par ces bor- dures hétéroclites sur l'un de



C'est surtout dans les églises de l chaque pas, « les splendeurs de



Fk-. 260.


« ceux qui ont au front le signe des appelés », suivant la fine pointe de l'auteur du Fils de Giboyer ? Ecoutez le pieux men- songe de F abbé Rolland : « La grande porte de la basilique, écrit ce sacerdote, est enrichie de bas-reliefs que je ne prends pas le temps d'admirer . » Telle est la précision que I on rencontre trop souvent dans les documents « expurgés » par les ecclésiastiques, en histoire comme en art 1 . Le peu curieux séculier serait sans doute tombé en admiration devant les portes d'argent massif qu'Honorius fit placer à la basilique. Malheureusement, les Sarrasins, en envahisseurs pra- tiques, les emportèrent dans leurs impedimenta, comme les Teutons, autres gens d'ordre qui ne laissent rien traîner que leurs sabres, firent

1. De même, le baron de Mengin — Fondragon, à la vue de ces bas-reliefs, est frappé, subito, non d'admiration, mais d'amnésie: « Suivant Mme de Staël, narre-t-il, il s'en trouverait représentant les métamorphoses des dieux ; je ne m'en souviens pas ». C'est encore lui qui, au lieu de nommer la victime du vin de Montefiascone, l'évêque Fûgger, émule de Perkeo, le fou du palatin Charles-Philippe qui « buvait quinze doubles bouteilles du Rhin par jour », dit Hugo, le désigne sous la vague dénomination d' « un Allemand ». Certains esprits, dits par euphémisme bien pen- sants, ont, vous le savez, la mentalité de la femme : par horreur de la vérité, ils éliminent instinctivement de leur substance grise tout ce qui les gêne.


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Fig. 261*. — Un des médaillons des contre-pilastres, sous les arcades.

ment reproduits dans l'église de Saint-Stanislas à Malatycze, au fond de la sainte Russie-Blanche, dans l'ancien palatinat de Mstis-

1. Vraisemblablement effigfe de Boniface VIII (1294-1303) qui était « chauve et imberbe », au dire de son médecin.


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law, grand-duché de Lithuanie, qui fut élevée en 1794 par Siestzen- cewicz, archevêque de Mohilew, sur le modèle de Saint-Pierre de Rome, réduit au huitième ; c'est peu probable.

Soulevons le lourd et crasseux cuir qui ferme l'une des portes réservées au public. A peine entré dans le prodigieux et prestigieux temple du Catholicisme, terribilissima fabrica, selon l'énergique langage de Vasari, on est littéralement pétrifié d'admiration; — il n'y a pas d'autre expression ; d'ailleurs le nom de l'Apôtre se prête volontiers au jeu de mots. L'effet est absolument magique, c'est un éblouissement; touristes et pèlerins éprouvent une sorte de vertige, de coup de foudre, à la vue de cette architecture titanesque, qui donne comme le sentiment de « la folie de l'énorme », suivant Zola, ou de la folie des grandeurs, dirons-nous. Peu à peu l'étonnement se dissipe, le charme cesse d'opérer, puis l'œil ravi se reprend et s'habitue à cette munificence. Enfin, l'accoutumance met au point l'impression première de la somptuosité qui se transforme en celle d'une simplicité grandiose, spirituellement exprimée par cette bou- tade du président de Brosses : « Rien ne m'a tant surpris, écrit-il, à la vue de la plus belle chose qu'il y ait dans l'univers, que de n'avoir aucune surprise. »

Mais de quelque côté que le regard se porte, il ne perçoit que des nudités d'art ; « les marbres blancs éclatent en belles chairs opu- lentes » sur les murs des chapelles, aux frises de la nef et surtout devant les mausolées de ce Campo santo pontifical. Tous les anges sont sexués (fig. 261) comme de simples mortels: voici, par exemple, dans la décoration de la mosaïque de la grande coupole, une femme entièrement en peau ; mais, pour être autorisée à se montrer ainsi, elle s'est fait ajouter deux ailes angéliques, qui d'ailleurs ne cachent rien.

En assistant au service funèbre de Léon XII, dans la chapelle du chœur, Stendhal est surpris et distrait par l'ornementation de la voûte :

On dirait qu'elle a été ornée par un sculpteur grec, tant on y aperçoit de figures nues qui se détachent en blanc sur un fond d'or... Ce contre- sens nous a poursuivi tout le temps des obsèques.

Quant aux sépultures papales, Zola qui, à défaut du culte de la religion, avait celui de la vérité, n'imitera pas le silence prudent


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i/art profane a l'église


de l'abbé Rolland, l'émule de Conrart, et il nous dira nettement son opinion :

... Ah î ces tombeaux des Papes, à Saint-Pierre, dans leur insolente glorification, dans leur énormité charnelle et luxueuse, défiant la mort, mettant sur cette terre l'immortalité ! Ce sont des papes de bronze, déme- surés, ce sont des figures allégoriques, des anges équivoques, beaux comme des belles filles, des femmes désirables, avec des hanches et des gorges de déesses.

Certes, le luxe funéraire de ses vicaires surprendrait fort le modeste Galiléen, s'il revenait parmi nous, et le faste de leurs monu- ments, qui ne rappelle pas moins le néant des grandeurs humaines, est loin d'inspirer le respect que l'on éprouve devant la simple pierre tombale du cardinal Barberini — le neveu d'Urbain VIII — à la Chapelle des Capucins, où se lit cette épitaphe sublime d'humi- lité et de concision : me jacet pvlvis, cinis et nihil. Ce n'était pas l'avis du vaniteux Jules II qui fît reconstruire Saint-Pierre pour y placer à l'aise et en bonne place son vaste monument, resté à l'état de projet.

Nous négligerons beaucoup des cent trente sépulcres pontificaux que renferme cette nécropole, et, pour ceux des pontifes ou autres personnages célèbres qui retiendront notre attention, nous suivrons l'ordre chronologique, ne varictur; mais, d'après notre programme, nous ne relèverons que les détails artistiques se rapportant au nu, de préférence à celui de « Péternel féminin », quelque peu maltraité par la princesse Palatine qui ne voit dans une belle femme qu'un « moulin à m ».

Tombeau de Paul II (-j- 1471) Sur ce monument président en gracieux bas-reliefs la Foi, Y Espérance et la Charité strictement drapées. Celle-ci tient sur ses genoux un enfant nu, rassasié, et ne montre que son sein gauche à travers une fente discrète de son cor- sage ; mais ce morceau de chair qui émerge du vêtement paraît plus indécent qu'un buste entièrement nu.

Chapelle du Saint-Sacrement. Les mêmes Vertus théologales se

1. Ce fat, qui se fardait à l'exemple d'une vieille garde et couvrait sa tiare de pierres précieuses, comme Otero sa poitrine, se croyait, par sa belle stature, l'Apollon de la papauté et voulait prendre le nom de Formosus, ce nom cependant ne porta pas bonheur à Formoso (891-896), qui fut jeté dans le Tibre; pourquoi ne prenait-il celui de Gonon II, que le premier en titre (086-687) avait à peine défloré ?


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la Théologie (fîg. 264), Y Arithmétique (fîg. 262), Y Astrologie, la Dialectique, la Rhétorique avec ses fleurs ^fig. 263), la Grammaire



et la Musique (fîg. 262). Les Vertus encadrent l'effigie de l'ancien professeur franciscain : la Charité assise à la tête du pontife dé- couvre son sein gauche, auquel s'abreuve un garçonnet tout nu; à la jambe gauche de cette Vertu s'accroche une petite fille également nue qui paraît pleurer ; « est-elle jalouse de la nourriture que le petit goulu prendrait trop largement et trop longuement » ? se demande Didron. La Théologie (fîg. 264) est plus singulière : elle


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l'art profane a l'église


porte un carquois rempli de flèches, à la façon de Diane chasseresse. Quel rapport cette divinité peut-elle avoir avec la doctrine théo- logique qui n'a de logique que le nom?

Ces figures de femmes demi-nues sont dues à l'habile et patient ciseau d'Antonio Pollajuolo (1493), qui mit dix années à les modeler. (( Aucun artiste, dit Fauteur de Borne, à cette époque n'aurait su tra- duire avec des nuances si délicates la séduction d'un jeune corps de femme, l'attrait voluptueux d'un sein qui se dévoile, de deux bras nus qui se tendent. » C'est la première tentative de la fusion de l'art païen et de l'art chrétien.

A l'abside, le mausolée de Paul III (f 1549) (fïg. 265), chef- d'œuvre du Milanais Guglielmo délia Porta (1550), est le plus beau des sépulcres de la nécropole pontificale. Il fut commandé à l'artiste par le cardinal Alexandre Farnèse, neveu du défunt. L'effigie du pontife, en bronze, placée sur un haut piédestal, semble bénir la Prudence et la Justice (Pl. VIII) 1 , étendues à ses pieds dans une pose accoudée, analogue à celle des allégories de la chapelle des Médicis. La première passe pour le portrait de la mère du pape, Giovanna Gaetani da Sermoneta, apparentée à Boniface VIII, et la seconde, pour celui de sa nièce 2 . La Prudence, un miroir à la main, portant la coiffure des Parques vétustés du palais Pitti, est une matrone sur le retour, à la gorge desséchée ; et cependant, la vieille coquette montre son torse nu, nombril compris. Cette tenue incon- venante étonne, vu l'âge critique du personnage, et choque d'autant plus que sa « luxuriante et voluptueuse » voisine, radieuse de jeu- nesse et de beauté, tient pudiquement voilés des charmes beaucoup moins contestables. A l'origine, il est vrai, le torse de cette délicieuse beauté était nu aussi (Pl. IX); mais, en 1595, le cardinal Edoardo Farnèse, scandalisé d'une telle impudeur, invita Theodoro délia Porta, fils de Guglielmo, en dépit des franchises de l'art et de la tolérance de ses prédécesseurs, à cacher la gorge et les flancs de la belle impudique, sous l'affreux cilice de pénitence en bronze, qu elle conserve depuis. Guglielmo délia Porta eut son camiciàio ou

1. Le monument primitif comprenait deux autres statues, V Abondance et la Dou- ceur ou la Charité, qui sont exposées dans les galeries du palais Farnèse.

2. Une autre tradition, tout aussi contestable, en fait le portrait de Julie Farnèse, la sœur de Paul [II, la célèbre Guilia, la Bella « qui passait, dit M. Paléologue, pour la plus voluptueuse créature de son temps, et qui fut la maîtresse en titre d'Alexandre VI, la fiancée du Christ, comme on la surnommait au Vatican. »


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chemisier, comme Michel-Ange, son brachettone ou culottier.



Fig. 265.


Une des statues qui, à Rome, ont le plus « agréé » Montaigne dans


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L ART PROFANE A LÉGL1SE


son voyage en Italie (1580-158 i ), c'est « la belle famé qui est aus pieds du Pape Poitiers, en la nouvelle Eglise de Saint Pierre. » La <( belle famé » était la Justice qui n'avait pas encore été maquillée.

« Ce passage de la sculpture naturelle à la sculpture décente, écrit Taine à propos de cette profanation, marque le changement qui sépare la Renaissance du Jésuitisme. » Edmond About s'élève avec non moins d'énergie contre un pareil vandalisme :

L'artiste les avait faites toutes nues, écrit l'auteur de Rome contempo- raine, considérant qu'on ne doit aux morts que la vérité. L'hypocrisie moderne les a habillées, drapées, étoffées, comme si une belle statue pouvait être un objet de scandale. En revanche, on permet à des hommes, vraiment nus, de se baigner dans le Tibre ou même dans le bassin de la fontaine Pauline *.

Pour atténuer la stupidité de cet attentat cardinalice contre l'art, on fit courir une singulière légende. On raconta qu'un bouillant Espagnol devint amoureux de la Justice, comme aux temps fabu- leux Pygmalion le fut de sa Galathée, « et à tel point qu'il se cacha dans un coin de l'église et quand il fut seul satisfit sa passion ; il fut

1. L'Italie n'a pas le monopole de ce contraste de pudicité. Albion sur ce terrain est sa rivale, si nous en croyons les Propos de table de Victor Hugo, recueillis par Richard Lesclide : « On connaît la pruderie anglaise. Elle va jusqu'à nier certains mots, entre autres ceux de culotte et de pantalon, la négation du mot entraînant la négation de la chose. Si quelques Anglais se résignent à revêtir des inexpressibles, c'est par une timidité condamnable: les Ecossais l'entendent bien mieux. Aussi, dans les îles de la Manche où le cant règne et gouverne, on se croirait déshonore si l'on portait un caleçon. Même au bain, surtout au bain. D'ailleurs on ne vend pas de caleçons à Jersey. On est réduit à se baigner dans le costume primitif que notre père Adam avait adopté — avant la pomme.

Victor Hugo avait dû se conformer à l'usage du pays. Une fois, il se baignait avec quelques amis sur la plage de Jersey ; ces messieurs s'aperçurent qu'ils étaient observés. Un groupe de jeunes misses, rassemblées sur une éminence voisine, bra- quait sur eux des lorgnettes de spectacle et semblait discuter avec animation.

— Que peuvent-elles regarder ainsi ? se demandèrent-ils.

Un des leurs, qui ne se baignait pas, revint sur ses pas et se rapprocha de ces demoiselles. Bien qu'il n'eût pas été présenté, une jeune fille passant sur cette forma- lité lui demanda lequel des baigneurs était M. V. Hugo. Le poète lui fut désigné. Elle poussa un soupir de satisfaction.

— Mais nô, dit-elle, il n'était pas bossu.

— Alors miss, c'est sa bosse que vous regardiez?

— Certainement, dit-elle.

Et M me Drouet qui raconte cette aventure, ajoute :

— J'aime à le croire. »

Les journaux de l'Empire, par application du principe favori de Basile, assuraient que l'auteur de Napoléon le Petit était aussi contrefait que son esprit et qu'il était bossu comme son Quasimodo; en idéalisant ce monstre de laideur, il cédait à un sentiment d'intérêt personnel.


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surpris en cette posture et condamné au feu » . Les vers se sont mis dans ce vieux thème, cher à nos ciceroni aux abois; voici, par exemple, le récit du fantaisiste et bachique rimeur de la Rome ridicule :

LI

Mais drapons un peu les statues

Qui parent ce large bassin,

Il semble à veoir que le farcin

Les ait de gales revêtues ;

N'en déplaise aux restaurateurs,

Leurs bras nouveaux, leurs pieds menteurs,

Méritent bien un coup de berne ;

Ils l'auront, et sans nul répit,

En deut la sculpture moderne

Crever de honte et de dépit.

LU

Je sçay bien ce que pour sa gloire Ses partisans m'allégueront ; Je sçay bien qu'ils se targueront D'une infâme et nouvelle histoire : Ils voudront ramener au jour De l'espagnol outré d'amour La bizarre et lubrique flame, Qui par de violents efforts N'en brûla seulement pas l'ame, Mais en fit consumer le corps.

lui

Toutes fois, pour une figure,

Elle ne s'en sauvera pas,

Encore que par ses appas

L'art ait suborné la nature ;

Et puis, avec sa nudité,

Ce marbre étoit trop alfetté

Pour le remettre en évidence ;

Il fut aux regards trop fatal,

C'est pourquoi l'honneste prudence

L'a fait enfroquer de métal.

Kotzebue attribue à un froid Anglais cet attentat à la pudeur commis sur un marbre, et ajoute : « les goûts sont différens; quant


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l'art profane a l'église


à moi, je n'aurais pas été séduit par cette femme lourde, eût-elle été vivante ». Tout de même, les Teutonnes n'ont pas l'apparence d'avoir la taille de sylphide.

Cette aventure apocryphe et qui nous paraît inventée à plaisir, a

du reste défrayé la chronique scan- daleuse d'autres sanctuaires : déjà Valère Maxime la sert à propos de la Vénus de Gnide. L/auteur de Sur la Pierre blanche rappelle et détaille l'incident : « Les prê- tresses du temple, écrit-il, trou- vèrent un matin sur la déesse les vestiges de l'offense qu'un jeune impie lui infligea comme à Saint- Pierre de Rome. » Mais dans tous ces récits, nous ne voyons, selon l'expression de Juvénal, que des contes « dignes des enfants qui ne payent encore rien aux bains ».

Tombeau de Grégoire XIII ("j* 1 585). Aux pieds de Hugo Buon- compagno — l'immortel réforma- teur du calendrier Julien, dont il respecta les appellations païennes — se tiennent debout la Foi et la Sagesse. Celle-ci, sous la figure de Minerve casquée (fig. 268), la mamelle droite au vent 1 , soulève la draperie qui couvre le sarco- phage.

Pour célébrer l'abominable massacre de la Saint-Barthélemy — en dépit du précepte évangélique, Ecclesia non sitit sanguinem, — ce successeur de Pie V, qui n'était « bon compagnon » que de nom, ne se contenta pas de commander trois tableaux qui représen- taient la tentative d'assassinat de Coligny par Maurevert, le meurtre

1. La fille de Jupiter du tombeau de Léon XI (1605) a le torse moulé dans une cuirasse en peau, qui accuse démesurément ses robustes mamelles; cette seconde peau donne l'illusion de la chair sous-jacente. Il n'occupa que ving t-six jours le trône pontifical; son monument est couvert de fleurs et porte cette inscription concise : Sic Florui, imitée du célèbre alexandrin de Malherbe :

Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses.



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de l'amiral jeté en chemise à travers la fenêtre par l'Allemand Besme, et Charles IX glorifiant au Parlement les atrocités commises par les



Kg. 269.


sicaires des Guises 1 , il lit aussi frapper une médaille commémora- tive de cet horrible attentat (fig. 269) 2 . De tels actes ne protestent- ils pas contre la présence de la Sagesse sur la sépulture de celui qui Ta si peu honorée? Trop souvent le miel des paroles de l'Evan- gile se transforme en fiel dans les actes de ses apôtres.

Dans son ouvrage sur le Vatican, Fontana donne, par erreur, une autre représentation du tombeau de ce pape (fig. 270) ; ce second mausolée s'impose par sa masse et le nombre de ses statues, dont nous n'avons pas reproduit celles qui occupent les niches latérales, et il serait à désirer que son goût répondît à sa munificence. Le pontife, qu'il serait facile d'identifier par ses armes, est toujours dans

1. Ces tableaux de Vasari tachent encore la Salle royale, où se font les réceptions publiques. « Ainsi, dit Stendhal, il existe en Europe un lieu où le meurtre est publiquement honoré. »

2. Sur le revers, un ange exterminateur tient, d'une main, une croix en forme de poignard et, de l'autre, une épée qui lui sert à larder les hérétiques; en exergue,

VGONOTTORVM STRAGES 1572.


l'art profane. — II.


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l'attitude de la bénédiction, mais à ses pieds sont assises la Paix et la Charité, celle-ci découvrant tout le côté gauche de sa poitrine.


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meilleur ouvrage du Bernin, selon les uns; « un chef-d'œuvre de mauvais goût » , au dire de Stendhal ; « c'est du Rubens en sculpture » , clame l'abbé Boulfroy. Mais où Louis Viardot a-t-il vu « deux grosses et nommasses figures allégoriques pressant leurs mamelles flamandes pour jeter sur le corps du pape le lait de la Justice et de la Charité ? » Zola place, a tort, Barberini entre la Prudence et la Religion ; il


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confond avec Paul III, le pontife d'en face. La tenue de ces statues nous a semblé, bien au contraire, plus convenable que celle de leurs voisines; on ne peut guère leur reprocher que leurs formes opulentes et sensuelles 1 , qui étaient si appréciées de la Renaissance italienne 1 . Le corsage de la Charité, naguère entièrement ouvert (fig. 271), est maintenant fermé sur des appas maternels de tout repos, et qui, grâce au plastron de bronze interposé, ne servent plus de moelleux oreillers au petit déshérité qu'elle porte sur le bras.

A la nef méridionale, le dessus de la petite porte de sortie est occupé par le tombeau macabre et prétentieux d'Alexandre VII ("J* 1667) (fig. 272); c'est une œuvre du Bernin, l'ennemi de la simplicité. Un squelette de bronze doré soulève les plis de son suaire en marbre jaune, et tend un sablier au pontife pour l'avertir que l'heure suprême est sonnée. De chaque côté se tiennent, debout, la Charité, de Giuseppe Mazzoli, et la Vérité, de Giulio Gartari. « La Carita, » dit de Lalande, en 1765, « tient son enfant qui s'est endormi en tétant et qui lui presse le sein en s'appuyant dessus. » A notre époque de haute moralité, la poitrine de cette Vertu a été couverte du « mouchoir » de Tartufe. « La Vérité, » ajoute le même écrivain, « a coutume d'être représentée toute nue; le Bernin l'avoit fait, à l'exception d'un rideau jaune dont elle étoit ingénieusement voilée ; mais elle étoit si belle et si frappante qu'il en résulta des inconvénients, et le pape Odescalchi, Innocent XI, y fit faire une draperie de bronze peinte en blanc. » La Vérité à l'Eglise est toujours habillée, au physique et au moral. Quoi qu'il en soit, le buste de cette statue est encore nu et le mamelon droit est toujours visible, bien que les seins se dissimulent sous un éventail de rayons solaires plaqués sur la poitrine. Le second plan est occupé par la Prudence et la Justice.

Au superbe mausolée de la comtesse Mathilde de Tuscie (1115), « la bonne amie de Grégoire VII », dit la mauvaise langue de Mis- son, exécuté aussi par le cavalière Bernini, qui fît apporter de Man- toue les ossements de la comtesse, un bas-relief la représente, le

1. Et, en particulier, de notre pontife; à la villa Borghèse, sur le piédestal de l'indécent mais charmant groupe du Bernin, Daphné poursuivie pur Apollon, il écri- vit, quand il n'était que cardinal, ce singulier distique :

Quisquis amans sequitur fuffitivœ gaudia forma' Fronde manus implet, baccas seu carpit amaras.


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torse nu, aux pieds du pape, la tiare coiffant son sein gauche et



Fig. 212. — Monument d'Alexandre VII, tel qu'il existait avant son habillage moderne. Tirée du Templi Vaticani historia, de Fontana.


le manteau pontifical sur l'autre bras. // manto le scende confusa- mente dalle spalle, e, al disotto délie mammelle rilevate si aggro-


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viglia in malo modo perdendo la linon \ La comtesse portait mora- lement la tiare, nous allions dire la culotte Quant à Hildebrand Grégoire VII (-J- 1085), il repose en paix sous le dôme de Salerne.

Antithèse piquante, ironie du contraste : cette ardente catholi- que, appelée la Jeanne d'Arc de la Papauté, est ensevelie a coté de l'abjecte Christine de Suède (fig\ 273), qui abdiqua, abjura — nom oblige — et fît assassiner sous ses yeux son favori Mo- naldeschi. Une recrue dont l'Eglise n'a certes pas à se féliciter ; mais qu'importe, l'ombre de Constantin ne couvre- t-elle pas tous les cri- minels de haute mar- que? 3 .

La Charité du tom- beau de Clément V, EmilioAltieri(f 1676), presse, de la main droite, sa mamelle gé- néreuse, et, de l'autre, tient un cœur ailé (fig. 274).

Innocent XII, Antonio Pignatelli (-j- 1720), est placé entre une



1. Cf. S. Fraschetti, Bernini.

2. Cette souveraine de Toscane, « l'héroïque amazone de la foi, » se sépara de ses deux époux — dont l'un était bossu — parce qu'ils n'étaient pas assez dévoués au Vatican, et fît don au Saint-Siège de ses E tats, compris... Corneto.

3. De même, la cruelle Brunehaut, inhumée à Notre-Dame d'Autun, fit bâtir trois abbayes en expiation de ses crimes :

Saint-Martin, Saint-Jean, Saint-Andochc Sont trois saints lieux où l'on connoist Qu'elle est exempte de reproche.


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sur sa gorge encore gonflée de lait, et craint de troubler la méri- dienne du petit repu (Pl. X).

Avant de terminer notre tour de l'Elysée pontifical, arrêtons-nous devant le sépulcre emphatique de Clément XIII (-j- 1769) (fîg. 276), dû au ciseau efféminé de Canova (1795); le temps de signaler la nudité absolue, à part un léger chiffon égaré sur la cuisse gauche, du Génie de la mort, en Apollon, qui s'abandonne a sa douleur, appuyé sur le flambeau renversé de la vie, et il s'y abîme au point de ne pas s'apercevoir qu'il éteint sa torche dans la crinière du lion, au risque de la flamber. Nous retrouverons le même Génie, endormi, muni seulement d'une feuille de vigne, sur le tombeau du restau- rateur de la sculpture en Italie 1 . « La chair, » aimait-il à répéter, (( plaît à tout le monde. »

Pour mémoire : Mgr Barbier de Montault, dans son Iconoçj?*aphie chrétienne, reproduit une figure curieuse du Christ, relevée sur le


1. Nous n'avons rencontré qu'une seule fois, — sur le monument de Barbedienne, au Père Lachaise, — un Génie de la Mort du sexe féminin.


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Boni-


laconique « parvint



Fig. 2:


Fig. 278.


sarcophage de Junius Bassius (iv e siècle), à Saint-Pierre de Rome : le Sauveur pose les pieds sur le Firmament, représenté sous la forme allégorique d'un torse nu déjeune femme (fig-. 277).

Ce préfet de Rome tient compagnie, dans la crypte, face VIII, qui, selon l'oraison funèbre aussi qu'ironique due au docte Ivigné, au pontificat comme un renard ; régna comme un lion, et creva comme un chien ». En sus, cette épitaphe justifie les vers satiriques du Dante sur ce sacré personnage, quand il fait dire à saint Pierre que son cimetière est devenu « un cloa- que de sang et d'infection », cloaca ciel sanguc c délia puzza.

A l'orée du dix-septième siècle, son tombeau existait encore dans une chapelle qu'il s'était réservée ; la chronique de frère François Pépin assure qu'une figure de la Vierge, en marbre blanc, placée sur ce mausolée, « fut trouvée noire le lendemain, et qu'on ne put jamais lui faire reprendre sa première couleur ». Un solide badigeon sufïisait pour établir ce miracle.

Au chevet ou tribune, la chaire en bois du prince des Apôtres n'est autre que la chaise curule ou gestatoire du sénateur Pudens, l'hôte au nom plein d'euphonie et prédestiné de saint Pierre. Un trône de bronze lui sert de reliquaire, de gaine protectrice; le tout est supporté par quatre gigantesques et, ajoute Armengaud, « ridi- cules » Docteurs de l'Eglise. Le siège du premier pontife de la chré- tienté est plaqué de lamelles d'ivoire, où sont ciselés dix-huit motifs ayant trait aux travaux d'Hercule ! Nous savons bien qu'on peut, à la rigueur, considérer ce personnage fabuleux comme une allégorie d'une des Vertus cardinales, la Force; mais la présence de l'amant d'Omphale dans un sanctuaire et surtout en cos- tume de lutteur est quelque peu surprenante. Cette circonstance a contribué à accréditer la légende qui voit dans la célèbre statue en bronze de saint Pierre (fig. 278), assis sur son trône, un Jupiter


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antique transformé en saint et dont le pied droit, usé par les baisers 1 comme Tétait celui d'Hercule d'Agripente, est devenu un actif agent de contamination-. Une pareille croyance vient sans doute de ce que le bronze utilisé pour la figure du premier apôtre provenait d'un Marc-Aurèle ou d'un Jupiter Capitolin, fondu par ordre de saint Léon ' : c'est un ex-voto offert par ce pontife au portier qui tient en main les clefs du ciel, pour le remercier de sa protection lors de l'invasion des Barbares. Une auréole plane horizontalement au-dessus de sa tête et fait l'effet d'un petit parasol en bronze doré.

Le Journal Illustré, en 1866, a reconstitué la prétendue statue primitive de saint Pierre : le nimbe est supprimé; la foudre rem- place les clefs dans la main droite, et l'autre main tient un sceptre. D'ailleurs, ce fétiche subit un travestissement aux grandes solen- nités : il est revêtu des ornements pontificaux, et nous ne sommes pas seuls à penser qu'en affublant cette pieuse image d'un pareil travestissement, à l'exemple du Manneken-Pis, on la couvre surtout de ridicule. C'est tout au moins l'impression éprouvée par KauiT- mann, en 4865 :

Pour la première fois depuis que je suis à Rome, j'ai vu dans cette solennité la statue de saint Pierre habillée en pape. Vous savez que la

1. Cette sorte de soul kiss, baiser prolongé où l'on donne toute son âme, fait fureur, en ce moment, à New-York; miss Maud Adams, au dire de Stéphane Lauzanne, arrive à faire durer le sien 1 minute et 47 secondes : c'est, jusqu'à nouvel ordre, le plus long- baiser du monde. L'usure du pied de saint Pierre est l'empreinte profonde de la bêtise humaine. D'autres églises, Saint-Séverin, par exemple, possèdent une réplique de ce fétiche; mais, malgré les cinquante jours d'indulgences accordées par Léon XIII à chaque soul kiss pédieux, aucune n'a le succès de l'original : c'est le seul qui fasse recette... de bonne femme.

2. Ajoutons aux maladies précitées, le lupus, la coqueluche, la rougeole, la scarla- tine, la variole, la grippe, les oreillons et toutes les maladies contagieuses, notam- ment l'angine de Vincent. De nos jours, à Saint-Pierre, comme dans les églises d'Italie, il est défendu de cracher par terre; pourquoi ne pas étendre l'interdiction jusqu'à l'orteil d'airain, analogue à celui de Pyrrhus qui guérissait les douleurs de rate, et ne pas lui appliquer la devise que les bébés anglo-saxons arborent sur les rubans de leurs chapeaux : Kiss me not (ne m'embrassez pas). Par ailleurs, Innocent X, — que Dieu bénisse! — en 1050, défendait de priser à l'intérieur de la Basilique la poudre de tabac, dite santu croce, du nom du cardinal qui l'importa en Italie, ou cristerium nasi chez les apothicaires, parce que les éternuements trou- blaient la majesté du lieu ; mais un priseur endurci, Benoît XIII, abolit cette décision prohibitive en 1715.

3. Après la conversion de Constantin, dans les temples transformés, les prêtres substituaient saint Pierre à Jupiter, Marie à Vénus ou Cybèle, saint Martin à Mars, etc.; et les édifices religieux renfermaient beaucoup d'ornements profanes. Marangoni, en 1744, a publié un volume in-4° sur ce sujet : Délie cose gentilesche e profane trasportale ad uso e ornamento délie chiese.


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statue est assise, et comme on n'avait pas pu la séparer du siège où elle repose, on avait jeté sur les épaules et attaché sur la poitrine du saint une



Fig. 279. — Cuve du bénitier. Fig. 280. — Base du bénitier.


large chape qui recouvrait tout à la fois le corps et le fauteuil. La main droite sortait de l'étoffe et portait à l'un des doigts un anneau à large chaton.

La tête noire de saint Pierre était coiffée de la tiare blanche. Vous con- naissez la forme disgracieuse de cet énorme bonnet, et je n'ose pas rendre l'effet que produisait cette espèce de marmite renversée sur une tête charmante de Marc-Aurèle à la barbe frisée.

Il est vrai que la même basilique abrite les ossements d'une reine désexuée, Christine;, qui s habillait en homme; ce costume, paraît- il, lui plaisait plus que celui de son sexe 1 .

Les bénitiers, à l'entrée de la nef, sont supportés par des anges

1. Cette virago dépourvue de sens moral, en dépit de l'assassinat de son amant, eut l'audace d'écrire, parmi les aphorismes de ses Ouvrages de loisir : « Les princes doivent punir en princes et non pas en bourreaux! » Ecoutez ce que dit Mme de Motteville de cette goton, ou, plus galamment, de cette « princesse gothique » : « Elle juroit le nom de Dieu, et son libertinage s'étoit répandu de son esprit dans ses actions. En présence de toute la Cour, elle appuioit les jambes sur des sièges aussi haut que celui où elle étoit assise et les laissait voir trop librement. » Telles les phaïnoméridcs montraient la cuisse en marchant.


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l'art profane a l'église


sans draperie, à taille d'adultes; ils ont remplacé les néréides et les

satyres qui remplissaient le même office au xvi° siècle (fig. 279, 280).

Mais tout ce que nous venons de voir n'est que de la gnognote en comparaison du « clou » phé- noménal, auquel la cathédrale du Christianisme sert d'écrin et que nous avons réservé pour la <( bonne bouche ». Nous voulons parler des tableaux en marbre de Y Accouchement qui décorent le baldaquin ou cihorium de Saint- Pierre (1633) (fig. 281), l'œuvre sans goût, au style redondant et rococo du cavalier Bernin, le co- lossal et burlesque chapeau chi- nois à quatre manches, chargé de remplacer le baldaquin, d'une élé- gante simplicité, élevé sous Paul V par Camillo Borghèse (fîg. 282).

Tout d'abord, passons condam- nation sur l'acte de vandalisme commis par Urbain VIII, Barbe- rini, de complicité avec l'artiste. N'ont-ils pas dépouillé le Panthéon païen de la superbe charpente



Fig. 28 J


de bronze qui soutenait la toiture de son portique pour en tirer les colonnes torses du catafalque chrétien ? C'est encore, comme au portail principal, la fusion et la confusion du paganisme et du catholicisme. Pasquin a fait justice de ce cambriolage audacieux et a piqué au dos du pontife, pour l'éternité, ses épigrammes au trait acéré : « Urbain déshabille Flavien pour vêtir saint Pierre » ; et cette autre pasquinade non moins piquante :

Quod non fecerunt Barbari, Fecerunt Barberini.

C'est le même Urbain VIII qui, s'inspirant des paroles bibliques :


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Trente (Sess. xxv), « pour bannir de toute maison chrétienne toute représentation obscène, lascive, immodeste » ; à l'exception de Saint- Pierre apparemment.

Quant aux scènes obstétricales, si elles ne représentent pas, comme on l'a soutenu, l'accouchement de la papesse Jeanne, elles


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Fig. 283.

offrent l'exemple d'une fantaisie artistique fort étrange, — dont les guides imprimés ou ambulants ne souillent mot, — obscénité qui s'étale en pleine basilique, sur les piliers du baldaquin de la Con-


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fession ou tombeau de saint-Pierre, aux côtés du maître-autel, où le pape seul officie 1 et qui est en quelque sorte la paraphrase marmo- réenne du Monstra te esse mat rem.

Ces piliers reposent sur quatre grands piédestaux de marbre blanc décorés exclusivement aux armes d'Ur- bain VIII (fig. 283) -. L'écusson, à chaque piédestal, occupe les deux côtés extérieurs ; soit en tout huitécussons ou tableaux, ex- primant, sur une physionomie de femme, les diverses périodes d'un accouchement.

L'écu est bombé en haut, où il repré- sente la poitrine avec deux abeilles dont les têtes correspondent aux mamelons ; au-dessous saille l'abdomen avec une troisième abeille sur le nombril.

La voussure abdominale varie suivant les phases de l'accouchement : elle s'af- faisse, à mesure que le ventre tend à se décharger de son fardeau. Fi 8- 284.

L'écu est sommé d'une tête de femme, de grandeur naturelle, au-dessus de laquelle s'entre-croisent les clefs pontificales surmontées de la tiare.

A chaque crise, l'expression de la figure se modifie. La scène débute sur la face du piédestal antérieur de gauche ; la figure de la femme commence à se contracter; sur la seconde et les suivantes, jusqu'à la septième, les traits sont de plus en plus convulsés.

En même temps augmente le désordre de la chevelure ; les yeux, qui expriment d'abord une souffrance supportable, deviennent

1. Au dix-septième siècle, en communiant sous les deux espèces, il aspirait le sang divin avec une canule d'or, comme un cocktail.

2. Cette figure est une sorte de schéma, dont le mascaron, à la bouche fermée par la membrane hymen, appartient au premier écusson, c'est-à-dire au début de l'accouchement, et la tête de parturiente, en pleines douleurs, est celle du quatrième écu. La femme du premier écusson a la bouche fermée et la physionomie quasi sou- riante; en outre, la tiare sous laquelle elle s'abrite est la seule qui porte, en bas et au milieu, un visage féminin amène, esquissant aussi un gracieux sourire (fig. 284). La fig. 285 (Pl. XII) représente les têtes de femme et de satyre du sixième tableau to- cologique qui correspond à la face méridionale du troisième pilier. La canne d'un imbécile ou d'un pudibond, ce qui est tout un, a brisé la partie saillante du clitoris recouvert de son capuchon, depuis notre description dans la Chron. médicale.



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hagards ; la bouche, fermée au début, s'ouvre, crie, hurle; c'est d'un réalisme pénétrant, et certainement Zola ignorait cette curio- sité archéologique, sans quoi il n'eût pas manqué de nous la servir dans Rome. Il eût été au moins piquant de voir le chef du natura- lisme littéraire en présence d'une manifestation suraiguë du natura- lisme artistique.

Le calme revient momentanément dans l'intervalle des douleurs, mais le visage reste toujours endolori, comme hébété, médusé; puis, les douleurs reprennent plus intenses, la ligure se contracte, elle fait peur; c'est la phase même que nous reproduisons (fîg. 283).

Enfin, voici la délivrance : le ventre s'est affaissé et la tête de la mère disparaît, pour faire place à une évangélique figure d'enfant, aux cheveux bouclés, qui sourit sous les insignes pontificaux, immuables ; cette dernière transformation occupe la face occidentale du piédestal antérieur de droite (Pl. XI).

« Cette mise en scène, » dit Giornale araldico (1893), « est vrai- ment un signe du temps : elle prouve dans quels abîmes profonds tombe l'art quand il cesse d'être chrétien et ne va chercher son inspiration que dans le naturalisme des païens. »

Mais ce n'est pas tout. Au-dessous de l'écusson du pape, auquel l'artiste a donné la forme d'un torse de femme en gestation, se trouve une tête de satyre dont la partie inférieure représente les organes génitaux externes de la femme, avec les détails anatomiques les plus complets et variables suivant les phases de l'accouche- ment. Chaque fente palpébrale, très allongée — sans globe oculaire — dessine le pli de l'aine correspondante.

La bouche, toujours ouverte et sans langue, est l'orifice vulvaire, muni, sur la première face, de caroncules myrtiformes, débris de la membrane hymen; la lèvre inférieure de la bouche simule la fosse naviculaire ; les petites et les grandes lèvres vulvaires sont nette- ment indiquées et béantes ; l'orifice vaginal est surmonté de la lèvre supérieure du satyre, figurant le bulbe du vagin; puis, au-dessus, le lobule du nez, fortement accentué, représente un clitoris en érection, bien que ce ne soit pas le cas; enfin, la moustache tombante de chaque côté ombrage les grandes lèvres, comme les poils du pubis 1 .

1. Le statuaire et céramiste Jean Garries s'est-il inspiré de cette fantaisie érotique du Bcrnin, en décorant la porte de son atelier, de la rue Boissonnadc, d'une compo-


Planche XI.



Fig. 284, page 264. - Phot. Moscioni.


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Cette conformation pileuse représente ce que, du temps de l'abbé Brantôme, on appelait des « moustaches de Sarrasin » ; et elle jouis- sait d'une réputation certainement usurpée, mais consignée dans un dicton populaire : « Chemin jonchu et c... velu sont fort propres pour chevau- cher. >>

Ces derniers détails pornographiques échappèrent à la perspicacité de Mgr Bar- bier de Montault, Fauteur du Traité cf Ico- nographie chrétienne ; de quel opprobre eût-il couvert Fauteur s'il les avait remar- qués! Nous pouvons nous en faire une idée, par sa critique de la conception de Fécu d'armoiries pontificales en gésine, dont nous venons de par- ler : « Bernin », dit-il, « a été ignoble quand, à la confession de Saint-Pierre, à Rome, il a donné à Fécusson d'Urbain VIII la forme du ventre d'une femme qui accouche, surmontant Fécusson d'une tête de femme, qui traduit dans ses traits toutes les douleurs de l'enfantement, et, après la délivrance, la remplaçant par une tête d'ange 1 . »

Certes, il a fallu au Bernin, auteur de ces obsccna, un talent pro- digieux, pour dissimuler de pareilles énormités dans un tel lieu et à Fendroit le plus fréquenté 2 . Il n'en est pas moins vrai que ce tour de force ou mieux de « passe-passe » artistique n'a rien de symbolique ni de philosophique : c'est une gageure habile, une polissonnerie d'ate- lier, analogue à l'espièglerie de Sansovino, qui cisela dans les admi- rables portes de bronze de la sacristie de Saint-Marc, à Venise, outre son portrait, ceux du voluptueux Titien et du licencieux Arétin.

Maintes fois, nous avons rappelé que les artistes de la Renais-

sition ultra-naturaliste analogue ? Au milieu, la figure de « la Princesse » est représentée sous les traits d'une jeune femme semblant sortir d'un antre, formé par la bouche d'une chimère qui rappelle la nature de la femme. A rapprocher de la tête satyrique et lubrique du Bernin celle d'une chimère, mais convenable, tracée dans un feuillage, à l'église de Mezin (Lot-et-Garonne) (fig. 287).

1. Revue de l'art chrétien.

2. L'habileté de l'artiste est telle qu'avant notre passage dans la Ville Eternelle, nous priâmes un client, parti en voyage de noces à Rome, de nous relever un croquis de ces scènes gynécologiques ; or, quoique prévenu, il n'y vit que du marbre et nous écrivit que nous avions été « berniné ».

l'art profane. — II. 17



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sance plaçaient volontiers dans les monuments sacrés les éléments les plus profanes. Alors, la capiteuse Violente posait indifférem- ment pour les vierges ou les demi-vierges, pour la Sancta Barbara de son père, Palma Vecchi, ou pour les Vénus du Titien, son amant passionné.

Est-ce à dire, comme l'assurent certains esprits « bien pensants », mais au jugement faussé par le dogme, que les artistes qui ont con- tribué à la décoration des églises étaient tous inspirés par le feu sacré de la foi, « imprégnés de l'esprit du catholicisme », et qu'ils ne « besognaient, d'après l'auteur de La Cathédrale, que lorsqu'ils étaient en état de grâce » ? Certes, en dehors des moines qui, jus- qu'au xm e siècle, s'occupaient seuls des beaux-arts, nous connais- sons quelques peintres pudiques à l'excès, tels PAlbane, le bien nommé; Murillo, à la suite d'une hernie produite par une chute d'un échafaudage, dans le couvent de los Capuschinos, à Cadix, où il peignait au maître-autel le Mariage de sainte Catherine, préféra la mort à la honte de se montrer au médecin ; Augustin Carrache qui se retira au couvent des capucins de Parme ; le moine toscan Mino da Turita, célèbre en mosaïque; Baccio délia Porta, devenu Fra Bartholomeo ou le Frate, que l'éloquence brûlante de l'illuminé Savonarole — dont le bûcher illumina Florence — entraîna dans l'ordre des dominicains; Alonzo Cano, qui exerça le sacerdoce pen- dant de longues années; le Père Pozzi, jésuite; Philippe de Cham- pagne, qui ne peignit jamais le nu. ni ne travailla jamais le dimanche ; André Pozzo, d'une extrême piété, ce qui ne Ta pas empêché de peindre le théâtre de Vienne ; le R. P. Besson que Pie X appelait la monachella (lapetite religieuse) ; Charles-Marie Dulac, qui devint franciscain « dans les moelles » ; Léopold Robert 1 , etc. Il en est même qui ont poussé le mysticisme jusqu'à l'extase : Luis de Vargas, le plus ancien des peintres andalous, par esprit de macération, se couchait dans un cercueil des heures entières; Vincent Joanes, comme Overbeck,

1. Le Musée de Nantes possède ses Baigneuses de Vlsola di Sora, la seule fois que son pinceau rigoriste se soit égaré sur le nu; aussi, écrivait-il, le 12 septembre 1827, à M. Marcotte d'Argcnteuil, cette lettre pour se justifier : « Quelques personnes ont trouvé dans ce tableau, destiné à M. Marcotte aîné, un peu de liberté. Ce n'a été nullement mon intention. Cependant, pour ne pas l'aire toujours des figures vêtues de la tête aux pieds, j'ai peint deux jeunes fdles qui se déshabillent pour se baigner. Je les ai supposées dans un endroit entièrement retiré, où elles ne doivent craindre aucun regard curieux. »


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communiait avant de se mettre au travail; le Guide, dit L. Viardot, « croyait que les anges venaient le visiter et le soutenir dans ses travaux » ; mais, entre temps, il peignait la déesse de la beauté, en compagnie d'Adonis ou de Mars 1 . Le chaste pinceau de Gaudenzio se consacra entièrement aux sujets religieux, d'où son surnom de « très pieux » qui jure avec l'étymologie folichonne de son nom. Arrê- tons-nous au plus convaincu, au plus vertueux de tous, à Fra Gio Angelico, « le peintre des anges » qui, selon la pittoresque expres- sion de G. Vanor, « célébrait le saint sacrifice de la fresque ». Il peignait à genoux et faisait sa prière avant de prendre sa palette ; quand il lui arrivait de représenter un crucifix, il répandait des larmes sur les souffrances endurées par le Rédempteur. Un jour, il s'endort devant un tableau de la Vierge et, à son réveil, trouve la tête de Marie terminée « par un ange » : il voit un miracle dans ce qui n'était apparemment qu'une mystification d'un collègue habile à manier le pinceau.

Quant aux peintres peu « catholiques » qui ont décoré les « Mai- sons de prières » et qui, comme Van Dyck, ne demandaient à la peinture religieuse que des « satisfactions d'ordre temporel », la liste en serait trop longue à dresser 2 . Contentons-nous de men- tionner les deux plus célèbres : Raphaël qui peignit les premiers sujets mythologiques, ami de l'Arioste « son impudique inspirateur et son complice en libertinage 1 », fut victime de l'amour, comme

1. Gomme Giotto, c'était un joyeux à ses heures : il se vengea des critiques du cardinal Pamphile — qui devint Innocent X dont Velasquez nous a transmis la trogne rabelaisienne — en donnant ses traits à Lucifer que terrasse saint Michel, dans son tableau de Santo Arcangelo. Pour se justifier de cette satire, le Guide disait que ce n'était pas au peintre qu'il fallait s'en prendre, mais à la laideur du prélat.

2. Nous faut-il rappeler les gaillardises dont Alexandre VI chargea le Pinturicchio de couvrir les murs du château Saint-Ange et du palais pontifical ; les exploits amoureux et les profanations du carme Lippi ; l'épicurisme du moine Sébastien del Piombo, dont la devise était : Bene vivere et lœtari; le vice a lergo de Benvenuto Cellini qui, en sa qualité de sculpteur, « travaillait dans la glaise » ; les estampes licencieuses de Jules Romain pour illustrer les sonnets de l'Arétin; les compagnons de la Truelle, société de gens de belle et joyeuse humeur, dont lit partie le suave Andréa del Sarte ; le pinceau libertin du Corrège, qui peignait indifféremment la nudité d'une courtisane ou la draperie d'une Immaculée Conception; l'impudicité du Titien qui représentait sa femme toute nue, en Vénus ou en Vierge, suivant les exigences des commandes, ce qui faisait dire à de Lalande : « Rien ne prouve mieux que tous les déguisements réussissent à une jolie femme » ; l'inconscience de Deveria, trop connu par ses dessins lubriques, qui pourtant dessina les vitraux de la cathédrale de Versailles; l'irrévérence de Watteau qui s'amusait à peindre le curé de Nogent en Gilles, etc. ?

3. Gabourit, Eludes, p. 218.


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Giorgion; et Michel- Ange qui, non dépourvu de convictions religieuses, travaillait de préférence dans le nu et aima à la folie, d'un amour plato- nique, il est vrai, la célèbre marquise de Pescaire, Vittoria Golonna. « Le Christianisme », dit Daniel Stern, « ne paraît pas avoir exercé d'influence sur son génie. Dans aucune des compositions de Buonar- roti, je ne reconnais la moindre trace de l'inspiration évangélique. » Mais où placer le Bernin qui, durant son voyage en France, tous les matins, allait « faire son bonjour », c'est-à-dire communier aux P.P. de l'Oratoire, composa, sur les instances du cardinal Antonio Barberini, des « onestes comédies», qui n'ont jamais été publiées, et imagina les piliers du baldaquin 1 ? L'artiste suit le goût de son siècle, « Faites », ditM e Barboux, « de Watteau, de Fragonard, de Boucher, les contemporains de Gimabué, de Fra Beato Angelico, de Simone Memmi, ils peindront des madones entre deux saints », au lieu de galants entre deux seins. Les artistes travaillent pour l'art et aussi pour l'argent ; leur maxime est celle du vénal Gommines : « Où est le profit, là est l'honneur ».

Certes non, le génie n'a rien de commun avec les convictions religieuses; si elles sont sincères, elles lui couperont les ailes : à son lit de mort, le Pérugin, désabusé, refuse les secours de la religion 2 , tandis que les papes Paul VI et Pie V, éclairés par TEsprit-Saint, se scandalisent des « audaces lascives » du Jugement dernier et cou- vrent de pudiques et stupides retouches « la plus prodigieuse con- ception, a dit Emile Ollivier, du plus prodigieux des maîtres du grand art » .

Pour Brunetière, dans toute forme ou toute espèce d'art, il y a comme un principe ou un germe secret d'immoralité. « L'art purifie tout ce qu'il touche », dit le même critique, et, affirment certains esthéticiens, « d'une obscénité même il en ferait un objet d'admi- ration ; quelques-uns ne disent-ils pas un moyen de purification » ?

1. La piété de l'architecte San Micheli était extrême, au dire de Vasari, il n'en- treprenait aucun ouvrage important sans faire chanter une messe solennelle, ce qui ne l'empêcha pas de détourner de ses devoirs la femme d'un sculpteur de Monte- fiascone, laquelle eut une fille d'origine douteuse.

2. « Le Pérugin était athée et ne s'en cachait pas », dit Chouette dans le Lys rouge d'Anatole France, et de nombreux manuscrits laissés par Léonard de Vinci renferment des hardiesses qui sentent diablement le fagot; de même, Alonzo Cano, à son lit de mort, jeta au nez du moine qui l'assistait le crucifix mis sous ses yeux parce qu'il était trop grossièrement sculpté.


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Fermons cette trop longue parenthèse et revenons à Urbain VIII. Ses compromettants et délictueux écussons ont donné lieu à des interprétations contradictoires. Pour les symbolistes, il en serait de ces savoureuses images de parturition comme de certains textes religieux qui, d'après Lintilhac, n'offrent qu'un sens grossier au commun des fidèles, tandis que les initiés en trouvent un second, occulte et supérieur.

Un de nos confrères du Havre, voit tout « avec l'œil simple et non l'œil mauvais 1 ». (Une pierre, à propos de Saint-Pierre, dans notre jardin.) Mais il n'a rien vu au Baldaquin, ce qui impliquerait que « l'œil mauvais » a parfois du bon et qu'en l'espèce, il a mieux vu que « l'œil simple », adapté surtout pour regarder vers l'au delà ou pour les vues de l'esprit. Par contre, notre honoré confrère, éclairé de la grâce, ne voit dans la Bible que symboles, figures, allégories, même quand il est dit qu'Adam fut créé « mâle et femelle » ; que le Créateur fît « la lumière » trois jours avant le Soleil, d'où elle émane ; que Josué arrête un astre immobile, etc., etc. L'œil « simple », c'est-à-dire orthodoxe de notre confrère havrais n'aperçoit aussi qu'un symbole dans l'écusson en litige, et il l'explique à sa façon, car l'avantage des œuvres dites symboliques est de susciter autant d'interprétations différentes que de jugements : quoi obscena tôt sensus.

Quelle a donc pu être l'intention du Bernin, son idée de derrière la tête? Pour notre Champollion de la Seine-Inférieure, c'est aussi (( simple » que sa vue :

Comparer la papauté à une femme qui enfante dans la douleur des âmes à Dieu, c'est pour un pape, comme c'est au reste pour l'Eglise, une gestation et un enfantement bien douloureux parfois. Que de tristesses, que d'oppositions, que de luttes, que de souifrances n'endurent pas le pape et l'Eglise, pour mettre au monde des enfants de la grâce, suivant les expressions sacrées !

1. Non, nous n'avons pas « l'œil mauvais » ni le « mauvais œil »; n'étant, ni apo- logiste ni détracteur de parti pris, nous donnons notre avis en toute franchise — « Je ne le donne pas pour bon, mais pour mien », dirons-nous avec l'auteur des Essais. Notre ligne de conduite est celle d'Erasme : Admonere voluimus, non mordere ; prodesse, non lœdere ; considère moribus hominiim, non ojficere. Que voulez-vous, mon cher confrère, il n'est pas donné à tout le monde d'envisager les choses avec un œil serein. « Heureux, dit l'Evangile, ceux qui ont des yeux pour ne point voir » ; nous ne sommes malheureusement pas de ceux-là ; aussi le royaume des cieux ne sera-t-il pas notre lot, mais le royaume des taupes.


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Oui, c'est pour lui et pour Elle une gestation et un enfantement, parfois singulièrement douloureux.

L'Eglise est une mère, et c'est encore l'expression consacrée, et qu'elle affirme sans cesse ; quoi donc d'étonnant que l'artiste l'ait personnifiée dans une femme, et qu'il l'ait revêtue des insignes pontificaux, puisque sur terre le pape l'incarne et la personnifie 1 .

En raison de son élasticité, le symbolisme a des grâces d'état, sinon des états de grâce; il s'accommode à toutes les sauces, tant il est vrai qu'il y a des accommodements avec le ciel. Credo quia absurdum, telle est la consigne de tous ceux qui ont le don de double vue ou sont atteints de diplopie mystique et de la maladie incurable de foi? Quelles que soient, du reste, les explications de ce symbole obscur, nous n'en persistons pas moins à protester, non contre son esprit, mais contre le cynisme de sa forme imagée et contre cette parodie du symbolisme.

Un autre de nos sympathiques confrères, le D 1 ' H. Vig-ouroux, a communiqué à son frère, l'abbé Vigouroux, qui était à Rome, les détails ci-dessus, détachés de notre manuscrit en faveur des lecteurs de la Chronique médicale; voici sa réponse :

... Je lui avais remis le numéro de la Chronique médicale renfermant l'article du D r Witkowski, et il m'écrit ce qui suit:

a Le dessin donné par la Chronique médicale est exact, mais il faut être médecin pour voir dans ces écussons ce qu'on y a vu. Je les avais aperçus souvent, puisqu'ils sont au tombeau même de saint Pierre et de saint Paul, et seulement à un mètre et quelque au-dessus du sol, et tout le monde les voit ; mais certainement personne ne se doute de rien, s'il n'est prévenu. Quand j'y suis allé, il y avait des hommes et des femmes adossés contre ces écussons, pour entendre la messe qu'on disait vis-à- vis, et ils n'y voyaient pas autre chose qu'un écusson quelconque. Du reste, le Guide Bœdeker, dont se servent presque tous les voyageurs, n'en parle pas : « Sous la coupole, dit-il, est un baldaquin précieux, mais sans goût, supporté par quatre colonnes torses richement dorées ; il a été fait en 1633, sous Urbain VIII, d'après le Bernin, avec du métal enlevé au Panthéon. Sa hauteur avec la croix est de 29 mètres, et il pèse 6305 kilogrammes. » Et c'est tout. Il ne parle même pas des écussons

1. Renchérissons : l'Eglise n'est pas seulement une « mère », qui chaque jour dans le baptême enfante des fils à Dieu; une « épouse », comme le veut l'Evangile: une « veuve », une « fille » pour le psalmiste ; mais les livres saints la comparent encore à une « courtisane », car elle appelle toutes les nations à elle et ne rejette pas ceux qui se réfugient dans son sein ; nous n'avons donc que l'embarras du choix.


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qui sont sur les piédestaux de marbre soutenant les colonnes torses en marbre. »

Mon frère ajoute qu'il veut en parler au pape de ma part, quoique les diverses phases de l'accouchement soient si dissimulées, que personne ne peut rien y voir, à moins d'être médecin.

Je lui ai répondu que je croyais qu'il était bon que le Pape apprît la chose, et que, par conséquent, il lui remît le n° de la Chronique médicale qui en parle.

Quand j'aurai la réponse, je m'empresserai de vous la communi- quer.

D r H. Vigouroux.

Nous attendons depuis 1903 et attendrons longtemps sous Forme le résultat de la démarche, dont a bien voulu se charger, sur l'invi- tation obligeante de son frère, M. l'abbé Vigouroux.

Reconnaissons pourtant qu'un vent de purification a maintes fois soufflé de la Ville Sainte sur l'iconographie religieuse. Léon XIII, au déclin de sa vie, prit Paul IV pour modèle et ordonna « une sévère inspection des églises, pour que soient détruites ou corrigées toutes les peintures dévêtues ou trop peu vêtues. De même, Pie X n'a-t-il pas décidé qu'on enlèverait de Saint-Pierre « toutes les statues qui ne répondent point à son idéal »? Les iconoclastes auraient de la besogne, remarque avec beaucoup de sens et d'esprit le D r Cabanès.

En présence des obscénités qui pullulent encore dans les saints lieux, on se demande à quoi ont servi les objurgations des Pères de l'Eglise et les décrets du Concile de Trente qui, dans sa xxvn e ses- sion, décida « d'éviter toutes les peintures lascives dans le sanc- tuaire ».

Saint Charles, rappelle M. Jean de Bonnefon, défend d'introduire dans les jardins et dans les maisons, les images qui peuvent offenser les yeux pudiques. Saint Augustin déclame contre les tableaux légers, et saint Chrysostome affirme que le démon est présent dans toute nudité.

Le cardinal Gousset menace des foudres de l'Eglise les artistes et les collectionneurs qui ne respectent pas les lois de la pudeur. Mais, par un accident de logique, il tolère la nudité expressive chez les enfants, les génies et les anges, même dans les églises.

Tout cela n'est que verbiage, et si l'on est excommunié pour vivre parmi les nudités, le pape et tous les cardinaux sont les premiers excom- muniés de l'Eglise. Les galeries et les jardins du Vatican sont encombrés des dieux antiques et païens les plus nus, s'il y a un degré dans le nu.


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Après ces multiples veto sur le dévêtu dans l'art chrétien, nous sommes étonné d'avoir pu en recueillir la matière de deux gros volumes.

Mais nous n'en avons pas fini avec les écussons subversifs et la femme échevelée qui les décore et les anime. Il y a des légendes sur leur genèse : le professeur d'obstétrique à Rome, G. EmilioCuratulo, a publié deux versions dans son intéressante étude IJArte di Juno Lucina in Roma : où l'auteur nous cite trop souvent 1 , ce dont nous le remercions sincèrement. Les huit écussons sont photogravés dans ce travail, mais ils ne donnent qu'une faible idée de la réalité . L'expression de la ligure féminine manque de netteté, et les détails significatifs des mascarons ont disparu à peu près complètement ; c'est grand dom- mage. R. Moscioni a reproduit dans la perfection le quatrième et le dernier écusson (Pl. XI et XII); malheureusement, la partie infé- rieure des masques satyriques a été supprimée par pudeur, et c'est la partie la plus saisissante de l'écu; nos croquis relevés sur place nous ont permis de rétablir la vérité.

D'après Hare, qui n'y va pas par quatre chemins, le Bernin aurait célébré, dans ce monument, l'heureux accouchement d'une nièce d'Urbain VIII. Ce serait, il nous semble, donner une bien grande importance à un événement des plus banals.

Selon un autre « roman de chez la portière » , le Bernin nourris- sait une folle passion pour une nièce du pape ; mais celui-ci refusa d'allier à un homme d'une extraction commune une jeune fille appartenant à l'une des familles les plus nobles de Rome. Les amants passèrent outre, espérant forcer la main à Urbain VIII; mais quand l'union libre porta ses fruits, le pontife renouvela son refus de la légitimer. « Voulant se venger du dédain de son ami, le pape, et, en même temps, infliger un affront à cette famille patricienne, il sculpta, à l'insu d'Urbain VIII et sur ses armes, ces bas-reliefs qui commémorent l'inconduite de sa nièce. » A l'insu du pape qui dis- cutait les plans des travaux et surveillait leur exécution, voilà qui

1. Nous ne pouvons adresser le même compliment à plusieurs de nos confrères de France et surtout d'Allemagne qui, émules de Bertrand, se gorgent des marrons tirés du feu par Raton, dont ils semblent ignorer l'existence; bien mieux, l'un de ces forbans exotiques a le cynisme d'imprimer sur sa contrefaçon tudesque, où le nom seul de l'auteur est changé : « Le droit de reproduction dans des langues étrangères est interdit ! »


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nous paraît fort! De plus, cette vengeance cPécus, peu généreuse pour celle qui lui sacrifiait si bénévolement son honneur, eût singu- lièrement abaissé le caractère chevaleresque du cavalière. C'eût été cracher en l'air.

Le docteur P. Nourry, de Rouen, a recueilli de M. Lamberto Lelli une troisième variante. Voici le potin en question :

Pendant qu'Urbain commandait au grand architecte le baldaquin, il arriva qu'un neveu du pape, probablement Taddeo, plus tard cardinal, généralissime de l'Eglise et prince de Palestine, devint amoureux de la sœur d'un élève du Bernin et la rendit mère.

A la suite de ce malheur domestique, le frère de la jeune fille ne trouva rien de mieux que d'implorer son Maître, pour qu'il intercédât auprès du pape et que tout fût réparé par un mariage.

Le Bernin, confiant et sincère, pensant qu'entre les enfants du Christ, on ne pouvait se prévaloir de la différence de castes, se rendit chez le pape pour obtenir justice.

Urbain, non seulement repoussa la demande, mais railla l'artiste de sa grossière prétention : « Comment, Bernin, dit-il, avez-vous pu avoir une telle idée ! Le neveu du pape épouser la sœur d'un sculpteur ; non seulement il n'en faut plus parler, mais il faut empêcher que cette femme n'importune mon neveu. »

L'artiste retourna à ses travaux, indigné, la conscience révoltée, et quand il vit les larmes de la malheureuse mère et qu'il entendit les vagis- sements du nouveau-né, il fit ce serment solennel : « Le Pape ne veut pas reconnaître son propre sang! le fils d'un des siens! C'est, bien. Il aura sous les yeux, pendant toute sa vie, près de l'autel où il dit la messe, au milieu de l'église d'où sort la parole chrétienne, les victimes innocentes : la mère et l'enfant, à l'acte même de leur martyre. »

Si non è vero... Cette version obstétricale attribue à un élève du Bernin la mésaventure que la première accordait au maître. Sur un canevas aussi fantaisiste, il est d'ailleurs facile de broder des varia- tions à l'infini. Nous ne pouvons admettre que l'intention du Bernin fût de <( berner » — qu'on nous passe l'expression — celui qui était et est resté son protecteur et ami. « Tout ça, voyez-vous, » comme dit un personnage de comédie, « c'est des histoires de femmes, » des contes de mère l'oie. A notre avis, on doit considérer cette concep- tion — c'est le mot — comme étant à la fois sérieuse et badine, ce qui s'accorde assez bien avec le caractère du Bernin, quelque peu mystique, mais non ennemi de la plaisanterie, et avec celui d'Ur- bain VIII, esprit indépendant et vaniteux, — onus et honor, — sen-


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sible à la réclame, se moquant du qu'en dira-t-on, mais détestant surtout l'hypocrisie ; aussi, précurseur de notre confrère Combes, supprima-t-il l'ordre des Jésuites qui, souvent supprimé, a toujours reparu, comme le chiendent.

Avant tout, le Bernin, persona gratissima au Vatican, favori de plusieurs papes, voulut flatter la vanité de son protecteur et repro- duire sur les huit faces des piliers visibles au public les armes du pontife, avec ses trois abeilles, — symbole heureux, au dire de Cha- teaubriand, — placées aux deux saillies des mamelons et à la dépres- sion ombilicale. Mais il lui fallait diversifier l'uniformité des huit tableaux ; or, il remarqua que l'écu ressemblait à un torse de femme ; de là, l'idée de symboliser la plus belle œuvre du Créateur, « l'œuvre de chair ». Pour animer ce torse et, avec la vie, lui don- ner une variété agréable, il ajouta au sommet une figure féminine expressive et, en bas, les organes générateurs, dissimulés sous la forme ornementale, où il déploya toutes les ressources de son talent et de son ingéniosité.

Risquons, si vous le permettez, une seconde hypothèse; aussi bien, quand on prend du symbole, on n'en saurait trop prendre. Ces écus tourmentés n'allégorisent-ils pas encore les terribles épreuves subies par l'Eglise militante ou Sion qui, reprenant pour elle le « Tu enfanteras dans la douleur » de la Genèse, aboutit, sous la pro- tection de la tiare, au triomphe de la béatitude céleste, à l'Eglise triomphante ou Jérusalem, personnifiée dans le dernier écu par la tête du bébé angélique, souriant et cravaté d'ailes? Cette fois, notre confrère du Havre voudra-t-il reconnaître que nous n'avons plus « l'œil mauvais »? Mais nous nous apercevons, qu'à notre tour, nous pontifions et pataugeons dans le symbolisme. Quoi qu'il en soit, nous avons voulu démontrer, contrairement aux légendes répan- dues, le caractère bénin et non malin de l'œuvre énigmatique du Bernin; et puis, nous sommes fort aise d'établir, une fois de plus, jusqu'où peut aller l'exagération dans la voie du symbolisme à ou- trance 1 .

Un dernier mot — pour rire — sur le baldaquin de St-Pierre : à

4. Depuis notre communication à la Chronique Médicale et qui fut une véritable révélation pour nombre de voyageurs laïques ou ecclésiastiques, la première ques- tion qui se pose au touriste retour de la Ville Eternelle est celle-ci : « Avez-vous vu l'écu d'Urbain VIII ? » Honni soit...


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l'exemple de Michel -Ange, le Bernin s'est payé la tête de son rival Borromini, qui ne ratifiait pas les éloges pompeux décernés à l'auteur de ce monument quelque peu « pompier » dans son ensemble, mais d'un rococo « ronflant » et magnifique. Le vindicatif et présomptueux sculpteur, aussi confit en dévotion qu'en malice, y ficha la figure de son Zoïle, sous la forme d'une tête d'âne qui ouvre la bouche et enfle les naseaux pour braire 1 . Et de fait, les colonnes torses du bal- daquin semblent elles-mêmes se « tordre », se « gondoler », se « tir- bouchonner », qu'on nous passe ce jargon populaire, mais expressif, et prendre part à cette hilarité asine, à cette mordante épigramme. Il y a, vous le voyez, sur ces fameux piliers, ample matière à se désopiler la rate; à moins que ce maître Aliboron, au lieu d'être une mystification, ne soit encore un symbole mystique et mystérieux ; nous laissons aux graves « bien pensants », les seuls qui possèdent l'esprit sain illuminé par la grâce, le soin de le dégager.

La malignité publique vengea, à son tour, Borromini, quand le Bernin, d'accord avec le cambrioleur mitré Urbain VIII, défigura le Panthéon d'Agrippa, en le flanquant de deux campaniles hétéroclites qu'on appela « les oreilles d'àne du Bernin ». Gomme quoi l'on est toujours l'âne de quelqu'un. Et pourtant, Homère compare Ajax à ce noble animal et Jésus en fait son fidèle compagnon, depuis sa naissance jusqu'à son entrée à Jérusalem, où la monture partage le triomphe du cavalier divin 2 . Mais bernique ! Ces pigeonniers baroques, qui blessaient tout sentiment de l'art, ont disparu; ils existaient encore en 1725, date de la publication du volume auquel nous em- pruntons la gravure reproduite figure 287 his.

1. Nouveau Samson, il voulut assommer sous le ridicule d'une mâchoire d'âne son téméraire rival, trait barbelé et satirique, avant-coureur de l'amère réflexion d'Hugo : « Souvent les hommes braient et les bêtes parlent ». Mais cette curiosité n'est mentionnée que par Valéry et Fulchiron; quant à nous, nous n'avons pu décou- vrir aucune tête d'âne nrayant ou broutant les feuillages et les chardons — em- blème de la pénitence — qui enguirlandent ces fûts dorés et richement ouvragés, chefs-d'œuvre de mauvais goût, d'un style maniéré qui tourmente la logique et le bon sens.

2. Le panégyrique de l'âne n'est plus à faire ; Daniel, Ileinsius, G. Agrippa, Mathieu Gesner, Bufl'on, etc., ont lièrement célébré ses qualités. N'est-ce pas par l'intervention d'une ânesse que Balaam fut converti? Résultat que n'a pas toujours obtenu l'éloquence sacrée des aigles de Meaux ou d'ailleurs. Quoi qu'il en soit, ce modeste quadrupède fut bien la première et la dernière monture du Sauveur, et pourtant, à la cathédrale du Puy, une fresque représente le Christ, dans son Entrée h Jérusalem, monté sur un cheval blanc!


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Misson, à la fin du XVII e siècle, descendit dans les caveaux de la basilique, sous la chapelle où repose le corps de saint Pierre, et nous



Fig. 287 bis.


en compte une bonne, comme disait de Yillemessant ; nous lui lais- sons la parole et la responsabilité de sa glose :

J'ay remarqué à l'entrée de ces grottes, une bulle gravée en marbre, par laquelle il est défendu aux femmes d'y entrer qu'une seule fois Tan, sçavoir le Lundy de la Pentecoste ; et aux hommes de s'y présenter ce jour-là, sur peine d'excommunication contre les uns et contre les autres. Ces lieux sont obscurs ; le sacristain nous a dit qu'une avanture galante avoit donné lieu à ce règlement

1. Ne quittons pas l'auguste temple de la Foi sans consigner diverses remarques, les unes, d'ordre subjectif, les autres, d'ordre objectif, qui s'y rapportent.

Au dehors de la basilique, les deux bras (a) de la colonnade du Bernin embras- sent un obélisque d'Héliopolis dominé par une croix, — celle de la chrétienté ou la croix de vie d'Isis, le symbole de l'organe mâle de la génération (b), — et flanqué

a) Les anencéphales qui fourrent la symbolique partout, en dépit des intentions des maîtres de la pierre vive, et ont découvert que les tours d'une cathédrale représentent, selon l'exégèse envisagée, les prédicateurs ou Marie et l'Eglise; les quatre murs, les évangélistes ou les vertus cardinales; le toit, la charité, etc., voient, dans les bras du portique du Bernin, deux membres tendus qui invitent les fidèles à se réfugier sur le sein de l'Eglise, comme le déclare la prose rimée d'Edm. Lafond :

Les colonnades circulaires Du temple universel semblent des bras ouverts Pour embrasser le monde, ('•teindre l'univers,

Sous ses portiques séculaires.

Ces bras symboliques élaient plus complets avant la destruction de la partie antérieure qui fermait leur courbe et pouvait à la rigueur figurer les mains (fig. 2S7 ter), (b) Une légende universellement admise, et que nous espérons détruire, veut que, lors de


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Fig. 287 1er.


de deux fontaines géantes qui déploient leur panache d'argent et « lancent jour et nuit un double torrent », lequel, au dire de l'abbé Boulfroy, serait l'emblème « du jaillissement éternel de la grâce » ! Vous ne vous en doutiez pas.

A l'intérieur, près de chaque confessionnal cosmopolite se dressent de longues baguettes en osier, semblables à celles qui servent à conduire les dindons et les oies. Elles sont, ici, à l'usage des ouailles, autre espèce de « troupeau », confié à Pierre par le Christ (S. Jean, xxi. 17), qui viennent « s'écheniller la conscience ». Avec l'absolution, le pénitent agenouillé en reçoit du pasteur un coup sur la tête. C'était une coutume romaine pour affranchir un esclave. A Lorette, les jésuites péni- tenciers passent la matinée en faction près de leur guérite, c'est-à-dire à la porte du tribunal delà pénitence; ils frappent la tête de ceux qui n'ont que des péchés véniels et désirent quarante jours d'indulgences : leurs houssines ou lignes à péchés sont noires et non blanches. Ainsi s'accomplit le jeu de mot de Jésus à deux de ses apôtres : « De pêcheurs de poissons je ferai de vous des pêcheurs d'hommes . »

l'érection de cet obélisque sur l'ordre de Sixte-Quint, — qui défendit, sous peine de mort, de pousser aucun cri pendant cette délicate opération confiée à l'architecte Fontana, — les cordes des cabestans « se détendirent sous le poids de l'immense monolithe », écrit l'abbé A. Boulfroy (1890). Acqua aile corde! De l'eau aux cordes! clame tout à coup le marin Bresca. de San- Remo, troublant le trémolo de l'orchestre qui devait, comme au théâtre, souligner cette scène palpitante. « Le bourreau saisit le coupable, répète comme tant d'autres G. de Léris (1889) pour le pendre. » Mais Fontana, « averti par ce cri, a compris que les cordes trop tendues (plus haut elles étaient détendues) vont se rompre ; il les fait couvrir d'eau, elles se resserrent (!) ; un dernier effort, et l'obélisque est sur son piédestal ». L'érection du monument qui dépare notre place de la Concorde n'a pas causé tant d'émoi. Bref, reconnaissant envers celui qui a sauvé son œuvre, Fontana implore la grâce du bavard, l'obtient, et Bresca emporte, en outre, à San Remo le privilège de la fourniture exclusive des palmes à la ville et aux églises de Rome, le jour des Rameaux ; privilège conservé depuis par les descendants du marin désobéissant. De


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Vatican. — L/horrible presbytère de Saint-Pierre, comparé par Zola à une « verrue immense », peut l'être aussi à un fruit savou- reux qui, sous une laide enveloppe, cache une chair délicieuse.

Le motif central de l'escalier, scala reggia, qui conduit aux salles principales, comprend l'écu d'Alexandre VII soutenu par deux Renommées (fig. 288). C'est encore une œuvre du Bernin. L'une de ces Renommées étale sa mamelle et sa cuisse droites, sans la moindre mousseline; elle est d'ailleurs encouragée dans cette tenue immo- deste par le mauvais exemple des figures du voisinage.

Nous ferons une sélection restreinte parmi les nudités que nous rencontrerons sur notre passage ; elles sont trop, comme k Waterloo.

A. Bibliothèque Vaticane. — On ne voit aucun livre dans cette bibliothèque, et cependant ses curiosités bibliographiques sont aussi célèbres que ses richesses artistiques ; cela tient k ce que les manuscrits et les livres sont rangés dans des armoires dont les portes se dissimulent sous la décoration générale. Mais nous n'y trouvons rien k relever; passons.

B. Musée Chrétien. — Cette annexe de la Bibliothèque, fondée par Benoit XIV, nous offrira une large compensation k la pénurie précédente. Ici, le Guide du chanoine X. Barbier de Montault, en main, nous n'avons que l'embarras du choix.

103. Femme agenouillée et nue devant un homme à cheval.

même, à Venise, l'église des Gesnati avait le monopole de la fourniture des torches pour les enterrements.

Mais revenons à l'ascension du monument égyptien et marquons ensemble les contradictions de ses historiographes. Avec M. de Léris, les cordes trop tendues .se resserrent sous l'influencé de l'humidité libératrice; tandis que l'abbé Boulfroy voit, après le mouillage, l'obélisque « qui commençait à fléchir, remonter de lui-même par le seul ellét de la tension des cordes ». Nous pourrions relever les mêmes erreurs chez tous ceux qui ont copié, plus ou moins mal, les uns sur les autres, cette historiette que nous déclarons apocryphe. En effet, ces narrateurs ou mieux ces copisles crédules — ils sont légion — oublient la notion élémentaire de physique qui fait fonctionner l'hygromètre de Saussure : la sécheresse resserre et raccourcit le cheveu; au con- traire, celui-ci s'allonge sous l'influence de l'humidité atmosphérique. En mouillant les cordes, patatras; elles s'allongent, comme le nez de nos narrateurs devant cette démonstration scienti- fique, et leur légende tombe à terre. Nous pouvons donc conclure que leur raisonnement tiré par les cheveux ne tient qu'à l'un deux, celui de Saussure, G. Q. F. D.

Aussi bien, la raison du prétendu privilège s'explique logiquement par des circonstances toutes naturelles : le terrain et l'exposition de San Remo étant reconnus comme des plus favo- rables à la culture du palmier, la famille Bresca en fit sa spécialité sur une large échelle et accapara la plus grande partie de la vente civile et religueuse à Rome. Curieuse coïncidence : Itemo est l'anagramme de Rome. Quant à Sixte-Quint, il pouvait à juste titre revendiquer le surnom d'Egyptien, en raison de la manie, du délire des hauteurs, qui le possédait d'ériger des obélisques aux quatre coins de la Ville Eternelle, par vanité, pour attacher son nom à l'érection de monolithes monstrueusement phalliques qui n'ont de « bel » que l'adjectif contenu dans leur nom.


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118. Femme demi-nue.

127. Les Trois Grâces nues et les bras entrelacés; émail vert qui a pour légende : gelasia decori comasia pie tezes et mvltis annis vi v ati s.

242. Ongles de fer, à cinq ou sept crochets, pour déchirer les chairs, provenant de la catacombe de S. Sébastien hors-les-murs, et qui ont servi au supplice des premiers chrétiens.

244. Fouets, en chaînes de fer terminées par des balles de plomb. Sainte Bibiane fut fouettée, nue, avec un pareil instrument de sup- plice .

243. Deux pinces de fer à dents de scie pour l'extraction des seins et des fesses.

600. Peinture sur bois et à fond d'or : la Vierge allaitant l'enfant Jésus.

Ce sujet, écrit notre cicérone, est assez commun dans les églises de Rome. Peut-être le motif en a-t-il été suggéré par ces paroles de la liturgie :

O glorwsa Virginum, Qui te creavit parvulum Lactenle pulris uhere *.

Salle des tableaux du moyen âge. IV e armoire. N° 4. La Reine des Vierges (xv e siècle). La Vierge est entourée de plusieurs saintes, entre autres sainte Madeleine, myrrhophore., dont les longs cheveux couvrent la nudité, et sainte Agathe, tenant dans un linge ses mamelles coupées 2 ... En bas, cadavre rongé parles vers, les cra- pauds, les serpents et les lézards.

VI e armoire. N° 1. Légende de sainte Marguerite. Attachée, les bras en croix, nue jusqu'à la ceinture, elle est déchirée avec des

1. Ou l'idée en est prise de l'Evangile : Bealus venter qui te porlavit et ubera quœ suxisti (S. Luc, xi, 27) et de la liturgie, qui dit dans un répons de l'octave de Noël : « Beata viscera Mariœ Virginis quœ porlaverunt seterni Patris Filium et beata ubera quœ lactaverunt Christum Dominum ». La Liturgie applique également à la Vierge ces paroles du Cantique des Cantiques : « Exullabiinus et lœtabimur in le, memores uberum tuorum super vinum ». — « Fasciculus myrrhœ dileetns meus mihi, inter ubera mea commorabitur ».

2. « Ei mamilla abscinditur. Quo in vulnere Quintianum apellans virgo : Crudelis, inquit, tyranne, non te pudet amputare in femina, quod ipse in maire suxisti? Mox conjecta in vincula, sequenti nocte a sene quodam, qui se Christi aposlolum esse dicebat, sanata est. » (Brev. Rom.)


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ongles de fer; puis, complètement dépouillée de ses vêtements, elle est mise dans une chaudière que Ton chauffe avec du bois.

XI e armoire. N° 1. Légende de saint Nicolas. Dès sa naissance, il sort, par excès de pudeur, de l'eau dans laquelle des femmes veulent procéder à sa première toilette.

G.-D. Chambres Borgia. — Situées au premier étage du palais, elles furent construites en 1494 par Alexandre VI, qui y mourut. Jules II, son successeur, déclare, à son avènement, qu'il a horreur d'habiter les appartements du père de César et de Lucrèce, et redoute d'avoir sous les yeux, peinte par le Pinturicchio, « l'image de ce marrane, de ce juif, de ce circoncis », comme il le dit à Paride de Grassis, le maître des cérémonies pontificales, « afin de n'avoir pas à se rappeler sa mémoire exécrable et scélérate »*. On n'est jamais trahi que par les siens. Ce souverain pontife habita donc les « Chambres de Raphaël » du second étage.

Des peintures païennes et chrétiennes, avec encadrements d'hydres, de néréides et de sphinx, se partagent la décoration de ces salles. Dans l'une des Chambres, Alexandre VI s'était fait peindre, sous le costume d'un des rois mages, agenouillé devant la Vierge, en gésine, représentée sous les traits de la belle blonde Julie Farnèse, trop connue pour ses aventures galantes 2 .

Salle de Léon X. Les dieux et les déesses de l'Olympe apparaissent sur des chars traînés par des animaux symboliques, par les nymphes de Diane ou les oiseaux de Cypris.

Salle des Sibylles. Les Jours de la Semaine y sont figurés dans de petits médaillons circulaires par les sept planètes. A côté du bel Apollon, sur un bige traîné par deux dragons, « qui », dit Armen- gaud, « resplendit dans le monde, comme le Pape entouré de cardi- naux et prélats de sa cour », Jupiter conduit un char traîné par deux aigles, et la voluptueuse Vénus met en valeur sa nudité triom-

1. Cf. Ch. Yriarte, Autour du Concile.

2. C'était l'usage d'introduire dans les scènes religieuses des personnages dont la vie n'avait rien d'édifiant. Ainsi, Léonard, pour ses madones, a pris pour modèles Cecilia Gallerani, maîtresse de Ludovic le Mote et Caterina di San Celso, « la cour- tisane poétesse et danseuse qui charma Louis XII » ; dans la Dispute de sainte Ca- therine, du Pinturicchio, l'héroïne n'est autre que Lucrèce Borgia, à quinze ans, et un tableau d'autel d'Angelo Bonzini, Jésus délivrant les A mes, dévoile, sous la l'orme d'Eve, les charmes secrets de la femme du peintre qui, lui, s'est représenté en Adam.

l'art profane. — IL 18


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pale (fig. 288). Le Vatican a même un culte particulier pour « la mère des plaisirs et des amours »; ses galeries hospitalières, la



Fig. 288. — Vendredi, par Raphaël.


Bibiblioteca maja entre autres 1 , abritent plusieurs effigies de la déesse, toujours sans le moindre voile.

Salle des Saints. Vis-à-vis d'un jeune Saint Sébastien — l'Apol- lon chrétien — qui se contente d'un mouchoir étroit pour couvrir sa nudité, Sainte Julienne, mariée contre son gré à un gouverneur idolâtre, est saisie parles bourreaux qui lui arrachent ses vêtements. Certains auteurs croient reconnaître, dans cette composition, l'his- toire de la chaste Suzanne, combien chaste ici par rapport aux mœurs du temps : sa robe bleue, qu'elle commençait à retirer quand les vieillards impatients la saisissent, ne découvre qu'une faible partie de sa poitrine recouverte d'une chemisette !

Les peintres du plafond de cette salle servent de thème flagor- neur à la glorification d'Alexandre VI et établissent par un mythe égyptien l'origine divine du taureau des Borgia ! « Ce taureau, d'après Schmarzow et Steinmann, est le bœuf Apis, et ce dernier une incar-

1. Venus se présente de face sur son char. P. Lctarouilly, le Vatican, t. m, pl. 10 et 11.


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nation mystique d'Osiris et de sa sœur et épouse Isis desquels date le commencement de la civilisation. Isis, de son côté, se trouve identifiée à la Io des Grecs qui, transformée en vache, fut amenée jusqu'en Egypte ». Tous les épisodes mythiques de la vie d'Osiris et de la fiction de Io, que Zeus confie à Héra, alternent avec des peintures religieuses ; cependant, la résurrection du dieu dont Isis a reconstitué les membres épars n'est pas traitée avec la franchise physiologico-anatomique de Fart égyptien, tel que ce personnage ithyphallique est représenté au temple d'Abydos.

E. Salle de bains du cardinal da Bibbiena. — Ce secrétaire de Léon Xet auteur de la pièce ultra-graveleuse la Calandra fit peindre par Raphaël, dans son ritiro intime, une série de fresques mytho- logiques dont nous ne pouvons donner que la liste, au moins celle des compositions principales : le Combat de la Nature contre la Beauté et V Amour, Vénus porte la main gauche sur sa poitrine qui saigne d'une blessure ; la Naissance de Vénus, la déesse vue de dos se tord les cheveux; Vénus et Cupidon, assis sur des dauphins; Vénus retire de son pied une épine (fresque enlevée) ; Vénus et Adonis ou Ariadne et Bacchus, un homme et une femme s'embras- sent sous un arbre ; Pan et Syrinx ou Jupiter et Antiope, une bai- gneuse peigne sa chevelure et se tourne du côté d'un homme caché dans le feuillage ; la Création d'Erechtéc ou Vulcain et Minerve, etc. Autant de chefs-d'œuvre qui prouvent par leur variété que les fabri- cants habituels des tableaux de piété ne peignaient pas uniquement avec des préoccupations religieuses et dans l'illumination de la foi. Mais la nigauderie et le bigotisme de vertueux pontifes les ont fait recouvrir d'un badigeon ou même détruire, reprochant au peintre de la Transfiguration d'avoir souillé son pinceau au service d'un des cardinaux les plus païens et les plus spirituels — pris dans le sens temporel ou mondain — du xvi e siècle. L'un de ces tiarés, au crâne lézardé et a la cervelle ratatinée, Benoît XIII, ne voulait-il pas, lui aussi, faire effacer les peintures du divin Sanzio, au Vatican, pour y placer les faits et gestes édifiants de deux nouveaux saints obscurs qu'il venait de canoniser? Cette bête à bon Dieu, ce béat benêt de Benoît qualifiait les chefs-d'œuvre raphaéliques de por- cher ia, une cochonnerie, au dire de l'abbé Richard.


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C'est encore la sotte pudeur qui. en 1826, a fait expulser du Vatican plusieurs toiles dont l'Académie de Saint-Luc a hérité. Telles, les Trois Grâces, de Palma le Vieux; Bethsabée,de Palma le Jeune; la For- tune, du Guide (fîg. 289) ; Lucrèce, du Guido Cagnacci, et Diane découvrant la gros- sesse de Calisto, du Titien. Mais dans leur nouvelle instal- lation, plusieurs de ces splen- dides incarnations de la chair tombèrent du Charybde pon- tifical en un Scylla municipal et furent soumises à la for- malité puérile et vénale du rideau. Proh pudor ! Malgré cet ostracisme, le Vatican abrite encore assez d'œuvres charnel- les pour défrayer nos descrip- tions indiscrètes.


F. Arabesques de Raphaël.

— Ce sont les décorations des pilastres de la galerie du second étage que Giovanni da Udine, inspiré par le génie du maître des maîtres, a diversifié à l'infini ; on donne à ces motifs le nom de grotesques, parce qu'ils ornaient surtout les grottes. Ces multiples sujets déco- ratifs, où le nu domine, n'ont, à part leur grâce, aucune relation entre eux; ils se succèdent au gré du caprice de l'artiste et sont encadrés d'arabesques variées. Nous y trouvons des satyres, des néréides, des naïades, des centauresses, des nymphes, des syl- phides, des amours, des gnomes, des psylles, des goules, des monstres marins ; on y reconnaît aussi Diane d'Ephèse, la charité païenne (fîg. 293), et la Caritas chrétienne (%. 291, 292). Tout ce monde s'agite au milieu d'un gracieux fouillis de rosaces, de branchages, de feuillages, émaillés de fleurs et couverts de fruits où voltigent des insectes et des oiseaux de Vénus.

G. Loges de Raphaël. — Les petites coupoles des voûtes sont ornées de nombreuses peintures dont les sujets sont, pour la plu-



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part, tirés de l'Ancien Testament ; aussi, appelle-t-on cette suite de tableaux religieux la Bible de Raphaël. Certains offrent les désha-



Fig. 291.

billés traditionnels, tels : la Présentation d'Eve à Adam (fig. 304), où la compagne du premier homme ne cache que ses seins, en croi- sant les bras sur sa poitrine, ce qui est un anachronisme, — la pudeur


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l'art profane a l'église


était inconnue avant « le fruit défendu »*; — le Péché originel, Bethsabée au hain-, le Déluge, etc.



H. Salle des Saints des Chambres de Grégoire XIII. — L une est



Fig. 295. Fig\ 296. Fig. 297.


1. La Bible ne spécifie pas, mais il est évident qu'il s'agit du fruit de la con- ception.

2. Réveil, tome xv, pl. 44.


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au premier étage des Loges, et l'autre au second. Saint Jacques Majeur tient une statuette d'une Diane d'Ephèse, dont les nombreuses



Fig. 298. Fig\ 299.


mamelles signifient la Bonté ; on y lit cette inscription chrétienne : Quœrite Dominum in bonitate.

I. Pinacothèque. Galerie de tableaux.

— La plus haute conception du génie de Raphaël et, en même temps, son chant du cygne, la Trans figuration, nous intéresse par l'épisode du jeune possédé que les apôtres se déclarent incapables de guérir. Sa mère les con- jure, à genoux, de faire de l'exercice illégal de la médecine; la moitié de son torse est à nu ; elle tourne le dos aux spectateurs et, par suite, réserve la vue de son sein gauche aux seuls colla- borateurs du Christ, qui peuvent en jouir tout à leur aise.

Les Vertus théologales du Sanzio faisaient partie de la fameuse Déposition de la Croix de Saint-François des Pères conventuels de Pérouse, actuellement au palais Borghèse. La Charité (fïg. 302), au corsage boutonné, est assaillie par cinq orphelins qui se disputent ses mamelons, déjà pris d'assaut par deux petits gloutons qui « y sont et y restent », selon la fîère devise du vainqueur d'un autre mamelon de Malakofi". Chaque Vertu est assistée de deux génies ou



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/art profane a l'église


amours, munis d'ailes et de vêtements; toutefois, ceux qui accom- pagnent la Charité pudique ne voilent rien.



Fig. 301.

J. Chambres de Raphaël (Stanze). — Chambre de la Segnatura. Des scènes mythologiques et bibliques de la voûte symbolisent avec les larges peintures des parois et les ligures allégoriques du sou- bassement les quatre directions suivies par l'homme dans la vie intellectuelle. A l'un des angles de la voûte est représenté le Supplice de Marsyas, par Raphaël (fig. 302 bis). Apollon nu, vu de dos, fait écor- cher le jeune joueur de flûte pour le punir de sa témérité 1 . Aux soubas-


1. Que penser de ce dieu de l'harmonie qui puise l'inspiration poétique dans un tel spectacle; n'est-ce pas l'image allégorique la plus frappante de l'envie féroce des


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sements, parmi les fresques de Pierino del Vaga, la Philosophie se fait remarquer par son siège en marbre reposant sur des Dianes



Fig. 302. — Reproduction par Armengaud clans les Galeries de l'Europe.


d'Ephèse, aux multiples mamelles. Les couleurs de sa tunique rap- pellent les quatre éléments : le bleu (l'Air), le rouge (le Feu), le vert avec des poissons (l'Eau), le bitume avec des fleurs (la Terre) 1 .

Chambre de VIncendio. U Incendie del Borgo Vecchio montre des hommes entièrement nus; entre autres, un groupe évoque le souvenir d'Enée portant son père Anchise, et suivie de sa femme, après l'incendie de Troie. Cet embrasement est si peu terrible que personne ne se presse de fuir. Les femmes qui perdent la tête dans le danger et en toute occasion, sont échevelées, il est vrai,

artistes, invidin artificum, dont beaucoup n'ont pas reculé devant le crime pour se défaire d'un rival gênant, ou soustraire à un camarade un secret de métier, comme André del Castagno qui assassina Dominique afin de posséder seul le secret de la peinture à l'huile?

1. Cette chambre pourrai! encore s'appeler apollinaire, en raison de la triple représentation du frère de Diane. Nous connaissons l'Apollon de VEcorchemenl ; voici celui du Parnasse qui joue du violon, comme les chérubins, dans un bois d'oliviers : primitivement, il pinçait de la lyre, jugée, dit-on, trop païenne et sup- primée par Raphaël, bien que le bourreau de Marsyas tienne cet instrument et que VEcole d'Athènes de la même salle soit l'apologie et l'apothéose des philosophes du paganisme. Enfin, au fond de cette peinture murale se dresse un immense portique décoré des statues de Minerve et d'Apollon nu et la harpe à la main, réminiscence d'un des captifs du mausolée de Jules II, par Michel-Ange.


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mais elles ont pris le temps de se vêtir ; quelques-unes seulement sont a demi nues. La délicatesse de Raphaël — par opposition à la



Fig. 302 bis

fougue de Michel-Ange — évite les effets de la plastique dans les tableaux religieux. Pourtant, au premier plan, une jeune femme, qui se montre de dos et porte un vase sur ses cheveux, qu'elle avait pris le temps de tresser, est connue « pour ses formes majestueuses si accusées par le mouvement des draperies (fig. 302 ter) ».

A droite de cette fameuse fresque, vers la partie supérieure du volet de la fenêtre, se trouve un détail d'ornementation singulier, constitué par un corps féminin irréel, muni de seins et d'organes accusés (fig. 303). Nous avons rencontré une chimère identique sur la sculpture de Bernardo Scultati et Giovanni di Knibe, à Santa Maria dell' Anima.

Au plafond, entre autres motifs symboliques, conçus et exécutés dans ses ovales à fond d'or par le Pérugin, mais que nul n'a encore


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pu expliquer, nous attirerons l'attention sur celui qui, en attendant mieux, a été appelé Le Christ en gloire. Nous avons supprimé la



Fig-. 302 ter. — Reproduite par Armengaud dans les Galeries de l'Europe.

nichée d'angelots ou de chérubins qui volettent dans les espaces vides. Le Rédempteur, qui semble jouer ici le rôle de Juge suprême aux assises du Jugement dernier, est placé entre la Justice ou saint Michel et une pécheresse repentie, dont la mise et l'attitude sont celles de la Madeleine ; si ce n'est elle, c'est assurément une de ses consœurs en libertinage (fig. 303 bis). Certains « explicateurs » ont découvert la Foi dans ce personnage énigmatique.

Salle de Constantin. Des figures symboliques décorent les murs des Stanze et sont le complément des Vertus, Allégories et Em- blèmes que Sixte V fît peindre dans la Bibliothèque. Ici, nous voyons la Justice (fîg. 304) et la Charité (fig. 304 bis), aux côtés d'Urbain I er ; elles ont été peintes à l'huile par Jules Romain, d'après les cartons de Raphaël. Les seins de la Carita sont occupés par deux nour- rissons avides, munis de caleçons de bain ; la Giustizia n'a que le sein droit à nu ; elle appuie la main gauche sur

Une autruche pesante au long cou dégarni.


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l'art profane a l'église


A quoi rime ce rapprochement de la Justice et de l'oiseau chameau des Turcs, renommé par sa bêtise et sa gloutonnerie; l'emblème



Fig. 303. Fig. 303 bis.


Autre bizarre conception du même peintre : Y Innocence (fîg\ 305) qui assiste Léon I er avec la Vérité toute nue (Pl. XIII), porte un corset à losanges ajourés qui mettent seins et mamelons en évidence. Etrange costume pour une figure qui personnifie laPudicité. Sa sœur de Pise, la Vergonosa, offre une particularité aussi peu logique : elle se cache la figure avec les doigts écartés. Relevons au passage une singularité de la symbolique : la colombe est à la fois l'emblème de Y Innocence et celle de son contraire, la Lubricitél

Aux côtés de Clément I er , la Modération (fig. 306 bis) montre son sein droit et la Bonté (fig. 306) découvre franchement son sein gauche, organe qui n'a aucun rapport symbolique avec la douceur d'âme, à moins qu'il ne soit gonflé de lait, il caractérise alors la Charité. Peut-être cette Vertu indique-t-elle ainsi la région qui abrite le cœur?

Barbier de Montault signale encore la Substance (Substantia), sous les traits d'une femme « dont le principal attribut est le lait de son sein qui nourrit l'enfant » .


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K. Antiques, a. Le Nouveau-Bras. — Nudités remarquables, mais en nombre restreint, tout au plus une quarantaine de marbres : Ulysse au milieu des sirènes; Diane apercevant Endymion en- dormi; le Faune à l'enfant; le Faune au repos; Vénus Anadyo- mène. Une mosaïque, qui occu-



Fig. 304. — D'après Armengaud.


Fig. 304 bis.


pait le milieu de l'abside, reproduit une Nature sous la forme de Diane d'Ephèse, dont les multiples mamelles fécondent les plantes et les animaux. Notons encore, mais comme exception, une Pudi- cité; celle-ci, rara avis, strictement habillée.

b. Musée Chiaramonti. — Autres divinités dévêtues : Torse d'Hébé; autel en marbre pentélique avec une Vénus et des scènes bachiques; Faune dansant; Nymphe allaitant Jupiter enfant; la Vénus du Vatican 1 , dont les vêtements retenus au-dessous du pubis

1. Les Seins à l'église, fig. 119.


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ne demandent qu'à tomber; Cupidon adulte, dit « le bandeur d'arc », par Praxitèle, chef-d'œuvre qui, sur le témoignage de Pline, inspira



Fig. 305. — L'Innoccnza.

une passion analogue à celle de la Venus de Cnide; Hyacinthe aimé d'Apollon et changé en fleur; la Volupté qui aguiche les libi- dineux en relevant ses jupes, d'une main, tandis que, de l'autre, elle tient, comme Marie-Madeleine, un vase de parfums enivrants.


C. Musée Pie-Glémentin. — Après un court arrêt devant les


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Commode, tous in naturalibus, poursuivons notre inventaire dans la galerie la plus importante des déités païennes, dont les voûtes sont couvertes d'académies. Voici Apollon du Belvédère; Antinous;


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le Torse du Belvédère ; Laocoon et ses deux fils, enlacés par des serpents; le Triomphe de Bacchus ; Ariane abandonnée dans l'île de



Fig. 306 bis.


Naxos (fig. 307), le sein gauche à l'air, prise long-temps pour Cléo- pâtre; Vénus accroupie 1 , vêtue seulement du bracelet des dames romaines, mais dans une si pudique attitude qu'elle défie toute indis- crétion.

Admirons encore les bas-reliefs du Triomphe de Bacchus et d'Ariane et du Triomphe de Junon; Vénus, copie, dit-on, de la

1. Les Seins à l'église, lig. 118.


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Vénus de Cnicle, recouverte dune draperie (en fer-blanc) moderne ; Diane cVEphèse ; Actions de grâces à Esculape 1 ; Vénus et Apollon;



Fig. 307.


Chèvre allaitant son chevreau (fig. 308); le Discobole se préparant, puis lançant son disque ; les deux Pugilateurs, de Canova ; le Persée, l'amant d'Andromède; Apollon Sauroctone (tueur de lézards), et bien d'autres statues ou bas-reliefs mythiques hors série (fig. 309, 310).

Nous avons tenu en réserve le plus curieux des bibelots : le bronze célèbre représentant l'organe de la génération, dressé sur la crête


1. Les Seins à l'église, fig. 1. l'aht profane. — II.


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d'un coq. On lit sur le piédestal cette inscription : Egjttiû xo<tjjiou, le Sauveur du monde !

d. Musée Grégorien. —

Parmi les antiquités étrus- ques, un vase peint à plu- sieurs couleurs développe les différents incidents de Y Enfance de Bacchus : Mercure apporte le dieu du vin à Silène et trois jeunes nymphes offrent leurs ma- melles au nouveau-né, qui ne sait à quel sein se vouer.

Fi - 308 - 12° Jardins du Vatican.

— Pendant son séjour à Rome, en 1671, le marquis de Seignelay s'étonne de trouver au « petit jardin » plusieurs figures de Vénus, qu'on ne pouvait confondre avec la Vierge. Il vit dans une niche une Vénus avec un petit Amour auprès d'elle ; dans une autre niche, une seconde Vénus, appelée la a Honteuse », de se trouver dans pareil lieu, sans doute. Mais le Vati- can, vous l'avez vu, four- mille de pareilles sur- prises.

De Lalande, un siècle plus tard, note avec non moins d'étonnement, dans le petit pavillon ou

Casin bâti par Jules II, au milieu de la cour Ovale, « une cuvette avec des enfants qui pissent continuellement, dont les jets se croisent ; cette polissonnerie n'a aucun mérite du côté de l'art. » Enfoncé le Manneken-Pis bruxellois, savez-vous ?



Fis. 309.


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Jules Gourdault, dans l'Italie, ne donne qu'une appréciation générale, mais elle a son prix :

La fameuse Villa Pia (Casino ciel Papa), le Casin de Pie IV (1560), est bien drôle, et, malgré son nom, elle n'a rien de pie. C'est le seul juge-



ment que je trouve à porter sur ce nec plus ultra de débauche architec- turale. Faites-y deux tours, je vous prie, et dites-moi par quel effort d'imagination, vous vous représentez le saint Pontife lisant son bréviaire dans ce huen retiro anacréontique, où de chaque feston de verdure, de chaque rocaille, de chaque chant d'oiseau s'exhalent un mystérieux fris- sonnement de volupté et les plus pénétrants parfums aphrodisiaques.

Aussi, est-ce dans ce bosquet que, selon Bœdeker, le pape donne parfois audience aux dames.

Enfin, nous empruntons à Ch. Yriarte le dessin de la Vigne du pape Jules du jardin pontifical (fîg. 311). C'est un portique cou- ronné d'une balustrade soutenue par une dizaine de cariatides à gaine, portant un torse féminin richement meublé et découvert jus- qu'au pubis inclusivement, ce qui n'est pas positivement un signe de pudicité.

On conçoit que dans ce milieu paradisiaque, les papes refusent, comme l'a fait Pie IX, « le prisonnier du Vatican », sous couleur


L^ART PROFANE A 1/ ÉGLISE


de protestation, de sortir du palais pontifical et de mourir dans ce cachot enchanteur, sur la paille humide dont on a vendu des échan-



Fig. 311.


tillons. Qu'ils continuent donc à suivre l'exemple de cette dame de volupté, citée par Brantôme, qui, pour plus grande sûreté, fit son paradis en ce monde : c'est autant de pris.

Les palais où les pontifes avaient l'habitude de faire leur retraite estivale étaient décorés de statues et de tableaux qui n'avaient bien souvent que des rapports fort éloignés avec la religion. En 1765, raconte de Lalande, le Pape avait coutume de prendre le café dans un Casin du palais de Monte Cavallo : « Il y a, dans le jardin, une fontaine où une femme assise donne à téter et un Adrien nu, dans un bosquet. »

La Villa di papa Giulio appartenant à Jules III, dont la chape était couverte de nudités des deux sexes, comme on le voit sur une de ses médailles (fig. 312) et mieux sur son buste, à Florence 1 . Cette villa est ornée d'un grand nombre de peintures païennes représentant silènes, satyres, Vénus et autres déités de l'Olympe.

Aux voûtes, des rondes de nymphes, la Grossesse de Calypso,


1. Les Seins à l'église, fîg. 52, 53.


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des bacchanales voisinent avec les Vertus théologales, la croix et le calice du saint sacrifice de la messe (fîg\ 313).

Mais c'est assez prendre l'air des jardins pontificaux, retournons



au palais vaticanal par l'escalier royal, sous l'œil des Renommées dégingandées et dégrafées que nous connaissons. Au premier étage, avant de pénétrer dans la célèbre chapelle Sixtine, visitons, en coup de vent, sa voisine de face, la chapelle Pauline, construite sous Paul III, le glouton qui mourut subitement après avoir mangé deux melons à son dîner.

13°. Chapelle Pauline. — Tout en jetant un rapide coup d'œil sur la fresque du Crucifiement de Saint Piewc 1 , nous y remarquerons que le martyr est crucifié la tête en bas, sur sa demande, se trou- vant indigne de prendre l'attitude du Sauveur... et des larrons. En outre, Michel-Ange Ta représenté dans un état de nudité absolue ; il a, du reste, supprimé tout accessoire, maison, arbre, etc., pour concentrer tout l'intérêt sur le protagoniste de cette scène tra- gique. On pourra constater aussi que les organes, très réduits sui- vant l'esthétique michelangesque, ne suivent pas les lois de la pesanteur: mais c'est un peu chercher la petite bête ou midi à 6 heures et demie (fig. 313 bis)~.

1. Les Seins à l'église, fig\ 38 bis.

2. Aux figures d'hommes de Canova et d'Angclica Kautt'mann, on peut aussi reprocher quelque chose de trop efféminé. Cette dernière, lors de l'exposition d'un de ses tableaux représentant une académie masculine, demandait à l'un des visiteurs ce qu'il en pensait : « Que vous seriez bien lâchée, lui répondit-on, si M.L..., — avec qui elle devait se marier, — ressemblait à votre personnage ».


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l'art profane a l 'église


14° Chapelle Sixtine. — Cette salle, dont Sixte IV a choisi rem- placement et à laquelle il a laissé son nom, serait mieux appelée Michelangcsque, car elle renferme les principales œuvres picturales



Fig. 313 bis. — Reproduite par Armengaud, dans les Galeries publiques d'Europe.


de Buonarroti, Vuom di quattr aime, l'homme aux quatre âmes, selon l'heureuse expression de Pindmonte : architecte, sculpteur, peintre, poète, sans compter Famé qu'il réservait au culte de Vit- toria Colonna. A l'appel de Jules II (-J- 1513), successeur et neveu de Sixte IV, il enlumine la voûte de fresques dont le sujet est em- prunté à la Genèse, et, vingt ans plus tard, il applique au mur de l'autel les académies musclées de son Jugement dernier, projeté par


TTALTE


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Clément VII (f 1534), exécuté sous Paul III 1 (f 1549) et découvert le jour de Noël, en 1541.

Les nudités bibliques des compartiments de la voûte ont leur



Fig. 314.

importance, et par la qualité et parle nombre; elles sont noblement artistiques et nullement sensuelles. Bien que ce génie fût un chaste, son pinceau les recherchait au lieu de les éviter; « il revêtit de muscles ses pensées sans se douter de l'inconvenance de ses nudités » , dit Cartier. Ne nous étonnons donc pas d'en rencontrer autant :

1. Théophile Gautier commet donc un anachronisme, en attribuant à Jules II un honneur qui revient plutôt à ses successeurs :

Il ployait Michel-Ange avec son bras de fer,

Et, le voyant trembler, sachant qu'il n'était qu'homme,

Au dôme colossal de Saint-Pierre de Rome

Le traînait, en jurant, allumer son enter.


2%


L ART PROFANE A L ÉGLISE



l'art et la vérité avant tout ; peu lui importaient les scrupules des coccinelles attardées. Chaque tableau biblique du plafond est encadré

d'une architecture en trompe-l'œil : aux angles, sont assises des figures nues, sous forme de statues, que Vasari appelle des Ignudi.

Nous reproduisons celle qui oc- cupe l'angle supérieur droit de la Naissance d'Eve ; elle correspond à la Sibylle de Gumes, Cumana, « aux seins pendants et lourds » (flg. 314). Cet adolescent tient un sac de glands significatifs : des feuilles de chêne accompagnées de glands, d'après le chanoine Morel, seraient l'image des avantages que l'on trouve au service du Seigneur.

Parmi les épisodes de l'Ancien Testament, plusieurs attireront et retiendront notre at- tention ;

La Création du soleil et de la lune (fîg. 315). L'attitude du person- nage qui fuit, le Génie du Cliaos, chassé par le Tout-Puissant, et dont la draperie col- lante accuse les ro- tondités postérieures, donne lieu a une équi- voque : pour les esprits enclins à la malice, il semble personnifier l'astre lunaire.

La Naissance d'Eve (fig. 316). La compagne d'Adam fait son entrée sensationnelle dans le monde par le flanc gauche de son époux 1 , plongé dans un profond sommeil quasi anesthésique, imposé



Fig. 316.


1. Les flagorneurs « fuministes » se refusent ù voir Eve sortie de la côle d'un homme : « Ce sexe enchanteur, susurrent ces idéalistes, est émané, comme les fleurs,


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par le chirurgien céleste. Ignorant le péché, nos premiers parents sont apudiques, aussi ne s'occupent-ils pas de cacher leur nudité ;



Fig. 317.


Michel-Ange s'est bien gardé de commettre la faute de Raphaël. Adam et Eve mangent du fruit défendu et sont chassés du Paradis



Fig. 318.


(fig. 317). Le démon tentateur prend ici la forme d'une femme chevelue — ce qui est un contre sens sur lequel nous nous sommes suffisamment expliqué. Les cuisses de cette lamie finissent en queue

d'un rayon céleste » ; mais les contempteurs du sexe qui nous mène par le bout du nez et de ses nénets ripostent : « comme le gratte-cul de la rose et la chenille du papillon ».


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de serpent et s'enroulent autour de l'arbre de la science du bien et du mal.



Fig. 320.


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étaient delà pudeur. Mais, par contre, Buonarroti, dans Y Expulsion du Paradis, toujours fidèle au texte, transforme leurs corps en ceps de vigne.

Le Déluge. Les nombreux fugitifs sont tous strictement nus,



Fig. 323. — ' Sibylle Delphica.


pour indiquer qu'ils ont été surpris durant leur sommeil par l'en- vahissement des eaux, « quand toutes les fontaines du grand abîme furent rompues et les bondes des cieux furent ouvertes ». La femme affalée au premier plan (fig. 318) est la seule peut-être qui a du linge, mais elle l'emploie à se couvrir la tête.

U Ivresse do Noc (fig. 319). Par une contradiction choquante, les enfants du patriarche montrent sur eux-mêmes ce qu'ils veulent cacher sur leur père : la poutre et la paille.

Les intervalles des tableaux de l'Ancien Testament sont occupés par des scènes diverses, tel le Bonheur conjugal (fîg. 320) où se traduit surtout le bonheur d'un petit polisson qui fourrage le


lTALLË 301


corsage maternel. Mais c'est principalement dans le voisinage des



pendentifs consacrés aux colossales figures des Prophètes 1 (fig. 321,

1. Sous Ezéchiel, on voit, d'un côté, une femme au terme de sa grossesse, plongée dans le sommeil (fig. 320 bis), et, de l'autre, la même femme éveillée, devenue mère et portant son enfant.


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322) cl des Sibylles (fig. 323) que se réfugie le nu, à la retombée des arcs de la voûte et sur les cariatides couchées ou debout de la cor- niche. Tous ces motifs dévêtus se présentent sous les aspects les plus variés : Michel- Ange, vous le savez, s'efforçait de « ne jamais faire le même contour ». Delà, certaines attitudes forcées de « corps convulsés », que nous rencontrerons surtout dans le Jugement et qui rappellent parfois les contorsions de clowns, maillot bas.

Le Jugement dernier (fig. 324) *. Cette immense cataracte de damnés, suivant l'expression imagée d'Emilio Castelar, qui tombent blessés par l'implacable sentence du Juge incorruptible; ces gigan- tesques tableaux vivants, agités par le souffle d une inspiration tumultueuse, où l'on reconnaît le lion à sa griffe, ex unge leonem, devraient être accompagnés, au dire d'Huysmans, du Dies irœ, « l'hymne désespérée du moyen âge ». Pour Delacroix, cette con- ception de trois cents figures titaniques, qui matérialisent le récit dantesque, « c'est la fête de la chair! » D'autres voient, comme dans la Divine Comédie, la fusion du paganisme et du christianisme, de Zeus-Jésus tonnant et de Garon « aux yeux de braise », tous deux courroucés, aux deux extrémités de la puissante et immortelle page. Le Christ fulmine contre les damnés la terrible excommunication : Recedite a me, maledicti 9 ...

Quelques mitro ou microcéphales touchés de la grâce y décou- vrent, celui-ci, « une leçon de gymnastique » ; celui-là, « une col- lection de grenouilles » ; cet autre, « une scandaleuse peinture » ou encore « des ordures irréprochables pour l'art, non pour la religion ». L'un de ces sacristes effarés place le Jugement de Fra Angelico, dont le pinceau était un goupillon, bien au-dessus de toutes les composi- tions similaires : « le bienheureux de Fiesole, exulte cet exalté, a surpassé tous les autres et s'est surpassé lui-même ». Comme chez Nicolet! « Dans ce fouillis de raccourcis audacieux, clame Simond, dos et visage, bras et jambes se confondent; c'est un véritable pou- ding de ressuscités Nous préférons le jugement de l'abbé Boulfroy :

1. Cette planche, gravée au trait par Thomas Piroli, reproduit les personnages sous leur aspect actuel, c'est-à-dire expurgés par l'Anastasie pontificale. Les figures 325, 32G, 327 et 328, d'après une très ancienne gravure, rétablissent, en quatre zones sensiblement parallèles, les personnages à leur premier état sans draperies. Nous attirerons, plus loin, l'attention sur les parties qui ont été postérieurement et plus particulièrement recouvertes.

2. Joignons à ces critiques sévères et injustes celle, non moins dure, mais plus


TALIE


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« C'est le produit d'une imagination fantastique en proie à un délire sublime ». Facile è il criticar, difficile Varie.

Que les dévots, mitrésou non, que les béats — dont l'anagramme est bêtas — s'acharnent contre ce chef-d'œuvre, rien de plus natu- rel; la cour des miracles des papes, « la sentine », disait Pétrarque, si indulgente pour les simonies et les saturnales de certains d'entre eux, à quelques exceptions près 1 , a toujours redouté l'éclat de la lumière, aussi bien le rayonnement des belles-lettres que celui des beaux-arts, mais que « le divin » — nous dirons l'arlequin — Arétin, poète lubrique par excellence, condottiere de la plume, fasse chorus avec ces noirs Zoïles et s'encapuchonne, pour la circonstance, dans le puritanisme exclusif de la règle cistercienne, voilà ce qui provoque le bon sens, voilà le comble du cynisme et de l'impudence ! L'auteur et, selon la judicieuse remarque de M. Romain Rolland, le modèle de VHypocrite, écrivit donc à Michel-Ange une lettre perfide qu'il publia quatre ans après l'achèvement de la fresque, en novembre 1545. 11 était, en effet, peu satisfait du maître florentin qui avait eu le tort de ne tenir aucun compte d'une esquisse envoyée par lui pour le Jugement, et surtout de ne pas le combler de cadeaux, à l'exemple du Titien 2 .

impartiale de Sigalon qui a fait du Jugement une excellente copie, exposée à l'Ecole des Beaux-Arts : « Maintenant que je contemple à l'aise l'immense tableau de Michel- Ange... je trouve qu'il porte un caractère frappant de hâte... Avant la fin de l'œuvre, l'impatience avait gagné l'ouvrier. Beaucoup de figures du dernier plan ne sont que des ébauches ; pour se distraire et s'exciter à finir, l'artiste a eu recours à la fantaisie. La fresque de la chapelle Sixtine... est moitié une œuvre d'art, moitié une caricature. Il est évident que ces scènes, qui dépassent quelquefois les limites du ridicule, ces poses grotesques ou obscènes, indiquent la lassitude du sujet et la nécessité de rester dans l'actualité pour achever l'œuvre au moyen d'une inspiration factice. Ces hommes qui grimacent, ces figures qui se tordent, ce sont des ennemis des envieux auxquels Michel-Ange a imposé la vengeance de ses pinceaux, comme autrefois le Dante leur avait imposé celle de sa plume... Michel- Ange avait com- mencé un tableau, il a signé un pamphlet. »

Poujoulat, Toscane ei Rome, lettre 28. Cf.

î. Toutefois, rendons aux Césars du Vatican ce qui est aux Césars du Vatican, rendons justice au zèle artistique des papes qui, depuis Clément XII jusqu'à Pie VII, travaillèrent à Faccroisement des collections et principalement à Clément XIV, lequel installa le Museo Pio Clementino, avec la galerie organisée par Pie VI.

2. Vous trouverez cette lettre in extenso dans le Michel-Ange de M. Romain Rol- land ; nous n'en extrairons que les passages les plus suggestifs.

« Dans une si haute histoire, vous montrez les anges et les saints, ceux-ci sans aucune honnêteté terrestre, ceux-là privés de tout ornement. Voyez les Gentils : quand ils sculptent, je ne dis pas Diane vêtue, mais Vénus nue, ils la font recouvrir avec la main les parties qui ne doivent pas se découvrir : et voici qu'un chrétien


30 4


l'art profane a l'église


Trop de gens « renfrognez et contristez » ont suivi l'exemple de cet ex-larbin d'Agostini Chigi à qui il vola une tasse d'argent 1 , de ce vil contempteur, dont « la plume endiablée crache et éclabousse », comme celle de Giboyer. Ces gens d'esprit borné voient dans la robuste conception michelangesque, d'une réalité si saisissante et si tragique, un impudent outrage public à la pudeur et se récrient, en se signant, contre ce « chaos », cet « abus du nu ». Certes, une pareille conception n'est pas immaculée; elle a ses taches, comme le soleil, et d'Agincourt donne la note juste en appliquant à ce « pin- trissime », pittorissimo , ce que Voltaire pense d'Homère qui som- meille quelquefois :

Plein de beautés et de défauts, Le vieil Homère a mon estime, Il est, comme tous ses héros ; Trop souvent outré, mais sublime.

Que si jamais la chaste nudité de l'art fut obligatoire, c'est bien dans la scène de la résurrection : les morts ne peuvent sortir de leurs tombes en habit de cérémonie. Il faut que les croyants en fassent leur deuil et qu'ils se résignent à comparoir devant le tribunal suprême sans la moindre liquette ou bavette, et Murillo, lui-même, qui, vous le savez, préféra la mort à la honte de se découvrir devant

estimant l'art plus que la foi, tient pour un spectacle royal de ne pas observer une semblable décence envers les martyrs et les vierges, aussi bien que le geste de faire saisir un homme par les parties génitales, — tant qu'une maison de débauches fermerait les yeux pour ne le point voir ! C'est dans une salle de bains voluptueux, non dans le chœur souverain, qu'un tel style était à sa place.

« Ce serait un moindre crime de ne pas croire, que d'attenter ainsi à la foi chez autrui. Mais, jusqu'à présent, l'excellence de ses impudentes merveilles n'est point restée impunie, puisqu'elles ont fait le miracle de tuer votre gloire. Aussi, ressus- citez votre nom, en faisant des flammes de feu avec les parties honteuses des damnés, et des rayons de soleil avec celles des bienheureux, ou bien imitez la modestie des Florentins, qui cachent sous des feuilles d'or le ventre de leur beau Colosse : et pourtant il est placé sur une place publique et non en un lieu sacré. Que Dieu vous le pardonne i »

A l'accusation d'impiété, l'Are tin-Basile ajoute celle de vol, lui reprochant d'avoir gardé « le trésor » laissé par Jules II pour l'érection de son mausolée inachevé ; bien mieux, il ramasse dans la boue la calomnie répandue contre les mœurs anti- physiques de Michel-Ange, et insinue que Gherardo Perini et Tommaso dei Cava- lieri, « seuls peuvent disposer de lui ».

1. Ce chaste incontinent qui aimait la vertu chez les autres, ce « fléau des princes » ne chantait les louanges du Seigneur ou des seigneurs qu'après les avoir fait « chanter » ; il se vautrait indistinctement dans la dévotion ou dans l'abjection, selon l'occasion et le profit.


Fig. 32o. — Premier élat. Zone I


Fig. 326. — Zone II.


Fig. 327. — Zone III. Fig. 328. — Zone IV.


ÏTÀ LIÉ


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un médecin, sera bien déçu quand il verra que son sacrifice pudique était inutile. Aussi le thème du Jugement dernier.

Jour grand, où Ton verra le fils Naistre aussi tost comme le père,

est-il naturellement fertile en nudités : élus et réprouvés ne seront parés que de leur peau jusqu'à la consommation des siècles.

D'ailleurs, le nu de Michel- Ange n'est pas inspiré par le désir malsain de flatter les sens ; nous connaissons l'immuabilité de ses principes artistiques sur ce sujet. C'est aussi l'avis de Stendhal :

Une seule figure nue s'adresse presque sûrement à ce qu'il y a de plus tendre et de plus délicat dans l'âme ; une collection de beaucoup de figures nues a quelque chose de choquant et de grossier. Le premier aspect du Jugement dernier a excité chez moi un sentiment pareil à celui qui saisit Catherine II le jour qu'elle monta au trône, lorsqu'en entrant dans les casernes du régiment des gardes, tous les soldats à demi vêtus se pressaient autour d'elle. Mais ce sentiment qui a quelque chose de machinal, disparaît bien vite, parce que l'esprit avertit qu'il est impos- sible que l'action se passe autrement.

Pour la composition de son poème, Michel-Ange s'est inspiré de la Divine Comédie, œuvre de vengeance que Dante, le poète gibelin, écrivit de « sa plume taillée avec son épée », dit A. Dumas. Puis, il s'est efforcé de varier les attitudes et d'éviter les sentiers battus ; aussi, comme dans certaines de ses œuvres de sculpture, la crainte de la banalité, des répétitions et des réminiscences le fait-elle sou- vent tomber dans la recherche de la singularité. • Mais déjà, selon la remarque d'E. Castelar, la réaction commen- çait contre la Renaissance ; « l'hypocrisie allait reprendre le suaire du moyen âge pour ensevelir de nouveau la nature ». La papauté passa de la parole à l'action, comme l'Arsinoé de Molière,

Elle fait des tableaux couvrir les nudités, Mais elle a de l'amour pour les réalités,

et plusieurs de ses représentants firent subir au chef-d'œuvre de Buonarroti les derniers outrages. Dès lors, ces figures athlétiques devinrent aptes à chanter dans la même chapelle, en perdant les signes extérieurs de la virilité 1 .


1. Il est au moins curieux de constater que c'est précisément dans la chapelle du l'art profane. — II. 20


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l'art profane a lég lise


Paul III (-j- 1549) eut un instant l'idée de faire couvrir d'un badi- geon le Jugement dernier, sur les insinuations répétées de son maître de cérémonies, messer Biagio ou Biazzo da Gesena, qui décla-



Fig. 329, 330. — Détails du Jugement, d'après l'œuvre originale de Michel-Ange.


rait l'œuvre digne de figurer dans une étuve ou dans une hôtellerie, opéra da stufe o d'osteria. Michel- Ange se vengea de son mordant critique en le plaçant au premier rang des démons (fîg. 330), sous la forme de Minos — stravi Minos orribilmente e ringhia, selon la fiction dantesque. Il le peignit avec les oreilles d'âne de Midas et un serpent qui lui dévore l'appendice « par où il a péché 1 ». Gomme le

Vatican, qui contient le plus de nudités, que se réunissent les interprètes des sublimes inspirations de Palestrina, manifestation vivante de l'art musical, lesquels précisément sont privés de leur sexe parce que le rituel prohibe les voix de femme à Saint-Pierre. Mais il paraît que le recrutement de ce bataillon de sopràni, qui ont la ressource après la perte de leur voix de se faire gardien de sérail, devient de plus en plus difficile. Autrefois, à Rome, on voyait à la porte des barbiers, Alexandre Dumas le raconte, des écritaux avec cette inscription illustrée d'un rasoir : « Ici, on perfectionne les garçons » ; euphémisme ignoré de nos « coupeurs » de chats.

1. Un moine visionnaire, sous Charles le Chauve, eut la révélation qu'une bête immonde rongeait la même partie du corps de Charlemagne, en punition de son libertinage honteux.


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307


juge des enfers, le chef du protocole pontifical assigue leur place aux réprouvés que Caron, « le nocher du marais livide », chasse de sa barque à coups d'aviron, après le passage du Styx. Le camérier déconfit supplia Paul III d'intervenir, mais le pontife lui répondit avec esprit que, s'il était souverain maître sur le ciel et sur la terre, et si son pouvoir s'étendait au Purgatoire, il ne pouvait rien en Enfer. Toutefois, le pape engagea Michel- Ange à retirer du gouffre infernal le malheureux cardinal qui était devenu l'objet de la risée publique. Mais Buonarroti refusa net en s'excusant par cette fine réplique : In In fer no nu lia redemptio (dans l'Enfer, il n'est pas de rédemption). Par contre, il fait figurer son ami le Tasse parmi les élus.

Ce mode de vengeance n'est nouveau ni dans les arts ni dans les lettres. Dante en a usé largement avec ses ennemis, que son immor- telle épopée chrétienne a cloués au pilori de l'histoire.

Autres espiègleries. En l'an 1329, maître Pierre de Cunerys ou Cugnières, avocat du roi Philippe de Valois, plaida contre les pri- vilèges de l'Eglise, tendant à lui ôter la justice temporelle. Les ecclésiastes l'appelèrent, par dérision, « du Gu ignet » et donnèrent son nom à « une petite et laide figure qui est à un coing du jubé de Nostre-Dame 1 et n'est aucun réputé avoir veu ceste Eglise s'il n'a vue ceste grimace ».

Nous savons comment Andréa Orcagna, poète, sculpteur, peintre et architecte, tira vengeance d'un huissier sans entrailles, qui avait saisi ses meubles, en lepiloriant dans son tableau de Y Enfer. Le même peintre, ainsi que Giotto, dans leurs tableaux de Santa-Croce, à Florence, se payèrent la tête de Cecio d'Ascoli qui s'était permis de critiquer Dante, leur inspirateur et ami.

Lucas Signorelli s'est aussi vengé d'une infidèle en la représen- tant nue, en proie à un démon qui remporte à tire d'aile sur son épaule. Ce groupe, que Michel-Ange a imité, est encore emprunté à

1. A la cathédrale de Sens, cette figure est appelée Jean du Cognot. Sa légende a été chansonnée par le cabaretier Bruand, Sénonais, qui la grava, paroles et musique, avec illustration, sur une pierre lithographique, conservée au Musée. Voici le premier couplet de cette chanson :

Or sous Philippe de Valois, L'intègre Pierre de Cugnières, Avocat, défenseur des lois Et des coutumes séculières, Au nom du roi s'est insurgé Contre les princes du clergé.


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i/ART PROFANE A L* ÉGLISE


l'Homère du moyen âge : « Et je vis venir derrière nous un diable noir. Ah ! comme il me semblait terrible. Les ailes étendues et le pied léger, il emportait fièrement un pécheur sur son épaule pointue et le tenait fortement attaché par les nerfs des pieds. »

A la Badia de Fiesole, ancienne cathédrale de cette ville, on voyait un tableau de Gio da San Giovani représentant le Christ dans le désert : des anges, parmi lesquels il en était du sexe féminin, s'ef- forçaient de chasser le démon ; le peintre avait donné à ce dernier les traits d'un moine de l'abbaye qui lui avait servi du vin piqué, tandis qu'il peignait sa toile.

L'église des Capucins, à Rome, possède un Saint Michel sur soie du Guide, qui, pour se venger des critiques du cardinal Pamfili, futur Innocent X, à la face rubiconde et bourgeonnée, horrible compagnon dont le nez trognonne, que Vélasquez a enluminé de son pinceau puissant et original, représenta le prélat sous les traits hideux de Satan. Pour se justifier, le Guide attribuait cette ressem- blance au hasard ; simple coïncidence, disait-il, imputable à l'extrême laideur du cardinal.

Dernier exemple de représailles d'artiste. Léonard de Vinci passait parfois des journées entières devant sa Cène sans y toucher. Le prieur du couvent auquel la fresque était destinée s'impatientait de cette façon de travailler et se plaignit au duc. Léonard répondit : « Je n'ai plus que deux figures à peindre, le Christ et Judas ; je ne savais comment les représenter ; pour Judas, je n'hésite plus, je lui donnerai la figure du prieur. » Et le duc se mit à rire.

Paul IV qui, cardinal, contribua activement à l'établissement de l'Inquisition, osa le premier porter une main sacrilège sur la fresque de Buonarroti ; il lui fit dire qu'il trouvait ses figures trop nues et qu'il fallait les modifier. « Au lieu de s'occuper de quelques indé- cences de mes peintures, répondit fièrement Michel-Ange, le Pape ferait bien mieux de songer à détruire les désordres qui régnent dans le monde. » Le pape, blessé, voulut faire piquer la muraille profanée de la chapelle, ou tout au moins faire recouvrir la fresque incriminée d'un enduit. Daniello Ricciarelli, autrement dit Volterre, élève de Michel-Ange, pour sauver de la destruction l'œuvre de son maître, accepta, en 1555, la tâche ingrate de couvrir de draperies quelques pubis subversifs. On l'appela le Bracchettone ou Braghet-


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tone, c'est-à-dire « Gulottier », et ce surnom lui est resté. C'est ainsi qu'une culotte est devenue une robe de Nessus.

Salvator Rosa, dans sa troisième satire, a consacré à cet incident grotesque des vers qui ne manquent pas de piquant 1 . Il fut d'ailleurs un de ceux qui blâmèrent « les tragiques fantaisies » de Michel- Ange. Vint ensuite Pie V (-J- 1572), qui trouva à son tour que cette peinture murale n'était pas morale, et chargea Girolamo da Fano, — Stendhal nomme Dominique Carnevale, barbouilleur de Modène, — d'ajouter de nouveaux linges pour couvrir les nudités dont la pudeur de l'Arétin avait été blessée !

Clément VIII (*J- 1605), animé du même zèle destructeur, eût sacrifié la fresque en entier, sans la protestation de l'Académie de Saint-Luc. Enfin, Clément XIII trouva encore des coins de chair à vêtir et confia ce travail de confection au pinceau maladroit de Ste- phano Pozzi. L'abbé Richard, dans son Voyage en Italie, raconte qu'il vit « de très médiocres artistes occupés à recouvrir de draperies les plus belles figures nues du tableau et du plafond. »

Depuis, l'œuvre de destruction du vandalisme pontifical a été con- tinuée par le temps, l'humidité, l'explosion de la poudrière du château Saint-Ange, mais surtout par la fumée des cierges ou de l'encens 2 , et aussi par un raccord d'architecture qui a supprimé la partie supérieure centrale, réservée primitivement au Père éternel et au Saint-Esprit. La fresque ainsi détériorée, défigurée et obscurcie, par « les outrages conjurés des événements et des hommes », n'est plus qu'une vaste « croûte » de noir de fumée. En cet état négatif, il est à l'abri de nouveaux accès de pudibonderie du Saint-Siège. Un « accommodement » a d'ailleurs tourné la difficulté au Vatican : selon la formule tartufienne, on cache ces seins artificiels, que l'on ne saurait voir, avec une tapisserie représentant Y Annonciation de la Vierge, par le Baroche. Tous les dimanches, cette immense

1. K pur era un error si brulto, e grande, Che Daniele di poi fece da sarto

In quel Giudizio a lavorar mutande.

2. « Il y a telle grande fête, dit un auteur, où il se brûle à Saint-Pierre pour plus de 14.000 écus romains (60.000 fr.) de bougies, dans un seul jour. » Mais, quoique fassent les adorateurs de l'agneau pascal, aussi bien que ceux du veau d'or ou de la vache à Colas, ils n'y verront pas plus clair dans les mystères de la religion et ils n'en continueront pas moins à éclairer le culte : c'est le plus clair de l'affaire.


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l'art profane a l'église


draperie est clouée au-dessus de l'autel, à la messe papale 1 . Ingres, en 1827, a exposé un tableautin de valeur qui donne une idée de cette cérémonie. C'est précisément cette toile qu'une détraquée vient de mutiler.



IX


RESURRECTION.


ENFER


Fig. 330 bis. — Schéma des 4 zones et des 10 groupes du Jugement dernier. 1. Cf. Stendhal, Promenades dans Rome,


ITA ME


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Entre temps, nous avons omis de parler d'Adrien VI (J 522-1523), dont le règne fut si court, heureusement pour les amis des arts. Mais rendons à Adrien ce qui est a Adrien, il ne perdra rien pour attendre.



Fig-. 331. — Zone l re .


Ce barbare iconoclaste l'antithèse de son prédécesseur Léon X, après avoir mutilé ou anéanti de nombreux antiques, en marmottant entre deux patenôtres: « Sunt idola antiquorum, » voulait détruire aussi le plafond de la Sixtine. Il croyait entrer, disait-il, en pénétrant dans la chapelle, dans l'étuve d'un baigneur. Qu'eût dit et qu'eût fait cet ostrogoth, ce fossile, s'il avait vécu assez de temps pour voir le Jugement dernier, le finis coronat opus de ladite chapelle ? Bone De us !

Passons maintenant à l'examen des détails, qui laissent moins à désirer que l'ensemble et l'unité du tableau. Pour plus de clarté, nous avons divisé la planche de Thomas Piroli (fig-. 324) en 7 groupes (fig. 254 à 260), procédant de haut en bas et de la gauche du lecteur à sa droite. On établira facilement les comparaisons avec les quatre zones de la vieille estampe (fig. 325 à 328).

Première Zone (fig. 325 et 331). — Deux groupes d'anges, avec les instruments de la Passion : la croix, la colonne de la flagella- tion, etc.

Groupe I (fig. 331) une seule draperie intempestive a été ajoutée à l'ange qui se présente de face sur la grande branche de la croix.

Groupe II. L'ange qui de face embrasse la colonne se montrait aussi à pubis découvert. Les fessiers très développés de son voisin


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l'art profane a l'église


étaient recouverts dune draperie transparente qui dessinait ces rotondités comme au naturel.

Deuxième Zone (fig. 326, 332, 333). — Le Christ (fig. 332,



Gr. IV) châtiant les réprouvés était primitivement nu, en Jupiter Olympien, ou en Apollon vengeur, et les chairs de la Vierge rayon- naient comme celles d'une Vénus antique. Michel-Ange consentit à revêtir Marie d'une robe et lit flotter un léger voile sur le bassin de son Fils, le Rédempteur tonitruant dont on cherche les foudres. Il est entouré, principalement du côté gauche (fig*. 333), des Apôtres, des Prophètes, des saints martyrs et des élus. Ces personnages ont été costumés après coup, selon la mode vaticane. On reconnaît facilement saint Pierre à ses clefs, au voisinage de Moïse, et le vieillard Enoch; tous montraient leur sexe.

Le haut de la cuisse gauche de saint Barthélémy, placé au-des-


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sous et à la gauche du Christ, tenant sa peau disséquée, a été enve- loppé d'une bande protectrice.



Fig. 333. — Zone 2% côté droit.


Adam (fig. 332, Gr. III), taillé en Hercule, accompagné d'Abel, se présentait sans la moindre feuille de vigne ; un misérable cor- recteur dissimula « son impureté » sous le bout de la queue d'une peau de lion, ce qui l'assimile encore davantage au héros de la fable. Sur ce colosse on peut remarquer avec quel soin Buonarroti


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l'art profane a l'église


réduisait les organes de la génération à leur plus simple expres- sion, au lieu de les conformer à la taille du personnage. De ce côté, Adam-Hercule a été traité comme un petit Jésus.

D'autre part, le retoucheur a barbouillé la fesse droite du martyr qui tient sa croix et tourne le dos à Adam.

Le Groupe III (fîg. 332) semble réservé au sexe féminin — côté des dames ; — il comprend les pécheresses repenties et les âmes confites en dévotion, filles de joie ou de foi. Chose incroyable, ce groupe n'a eu à subir aucune modification de la part des tailleurs... d'images et pourtant son centre est occupé par une femme tout à fait nue. En haut du même groupe, l'une des deux femmes âgées a la poitrine découverte ; plus bas, Eve reçoit dans son giron et ras- sure une des sœurs d'Abel, dont l'épouvante contraste avec la figure souriante de sa mère : la seule du tableau qui ait le sourire. Toujours zone 2 e (fîg. 333). « Côté des hommes », des bienheureux; tous ceux qui sont de face ont été recouverts par ordre papal. Au- dessus de l'admirable figure qui est appuyée sur la croix (fîg. 333, G. V) et semble représenter saint André, bien que l'instrument de son supplice ne soit pas en X, deux personnages paraissent s'em- brasser — des parents, des époux ou des amis qui se reconnaissent après tant de siècles de séparation. Mais des esprits malinten- tionnés y virent tout autre chose, par exemple des coupables enti- chés du « péché philosophique 1 ». « Il était naturel, dit Stendhal, que des prêtres du xv e siècle blâmassent ce transport et soupçon- nassent un motif honteux. »

La draperie de saint André, retenue par une cordelette, faisait défaut a l'origine, comme pour toutes les figures qui se présentent de face.

Dans le Groupe V, de la figure 333, saint Sébastien, ses flèches

1. On lit dans le Journal de Barbier, octobre 1720 : » On me compioit, ces jours ci, en me parlant du général d'Uxelles, qu'il avoit toujours été fort entiché du péché philosophique. (Ce genre n'a pas laissé d'avoir des grands hommes pour amis). Qu'un jour, ils étoicnt trois en partie de débauche, et que le deuxième, qui n'étoit pas de ce goût-là, le fronda fort, et ne vouloit pas croire qu'il y eût des

b « Pardonnez-moi monsieur, lui dit le tiers, il y en a si bien, qu'il y en a

« môme de trois sortes : il y a de riches b , comme M. le maréchal d'Uxelles ;

« il y a de pauvres b comme moi, et il y a de sots b comme vous. » En

sorte qu'il eut son paquet pour avoir méprisé le parti des deux autres ; et cette histoire aura ici sa place par récréation, à cause du bon mot. » C'est au même titre que nous risquons cette citation, reproduite par Pic, dans ses Heures libres.


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en main, se fait remarquer par une facture au-dessus de tout éloge. A l'origine, il était complètement nu, comme ses voisins et ne sem-



Fig\ 334. — Zone 3 e , côté gauche.


blait en éprouver aucune gêne : n'a-t-il pas l'habitude de « poser pour le torse », à la façon d'Apollon ? Combien dut-il être importuné par l'addition de l'étoffe imposée !

A sa droite, on signale une étrange distraction de Michel-Ange, où la cléricature mal disposée vit encore une scène renouvelée de Sodome (fîg. 338). Primitivement, saint Biaise, porteur de ses peignes de fer, se penchait sur sainte Catherine, entièrement nue ; celle-ci tenait la roue, armée de rasoirs, de son supplice et se retour- nait vivement vers lui. Daniel de Volterre se chargea de modifier l'attitude équivoque du saint frôleur : la tête de l'innocent incriminé regarda dès lors vers le Sauveur et la sainte fut vêtue plus conve- nablement. Voilà comment au Vatican se tripatouillent les œuvres d'art !

Troisième Zone (fîg. 327, 334, 335). — Les sept anges, sans ailes (fîg. 334, Gr. VII), donnent, au son des trompettes, le signal du réveil des trépassés. L'un d'eux accuse son sexe féminin par des mamelles exubérantes ; des autres, un seul, campé en avers, mon-


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L'ART PROFANE A l/ÉGLlSE


trait ses organes (le comptable qui tient le plus petit grand-livre des élus), on les lui a cachés.

Les prévenus (fig. 334, Gr. VI) qui viennent de ressusciter s'en-



Fig. 335. — Zone 3 e , côté droit.


traînent pour monter au tribunal suprême ; tous ont eu à subir le travestissement pudique ; même celui qui tourne son côté pile, généralement toléré, n'a pas échappé à la distribution des voiles.

Le plus terrible des groupes (fig. 335, Gr. VIII) est celui des damnés qui personnifient les péchés capitaux. Ces impudents réprouvés, toute honte bue, ne cachaient rien de leur turpitude cor- porelle. U Avarice, la tête en bas, les clefs de ses coffres pendantes, et ceux qui se montrent de dos, sauvent maintenant les apparences ou mieux les réalités à l'aide d'écrans en étoffes qui écartent les rayons visuels.

Les badigeonneurs ont masqué en partie la punition du vice a tcrgo, le long de la bordure (fig. 335, 339).

Emporté par son sujet, dit Stendhal, l'imagination égarée par huit ans de méditations continues sur un jour si horrible pour un croyant, Michel-


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Ange, élevé à la dignité de prédicateur, et ne songeant plus qu'à son salut, a voulu punir de la manière la plus frappante le vice alors le plus à la mode. L'horreur de ce supplice me semble arriver au vrai sublime du genre.



Fig. 330. — Zone 4 e , côté gauche.


Le peintre de la chair musclée a mis ici, on peut le dire, les poings sur les i, more canino (fig*. 339).

Quatrième Zone (fig-. 328, 336, 337). — Au son des trompettes à' Aida, les morts sortent de leur sommeil (Gr. IX). Vers la droite (fîg. 336), une série de pécheurs s'échappent, en rampant, de la caverne infernale, où tentent de les attirer des démons avant le jugement. L'un d'eux, ignorant les règles les plus élémentaires de la pudeur, a été muni de sa compresse protectrice des bonnes mœurs. Il en est de même d'autres ressuscités que les anges dispu- tent aux démons; chacun a son cache-sexe.

Michel-Ange s'est représenté lui-même, à gauche du tableau, sous les traits du moine qui montre le ciel.

Au côté opposé (fîg. 337, G. X), le vieux Garon, demonio conocchi di bragia, nocher des enfers païens, conduit dans sa barque sur le Styx les damnés après avoir donné l'obole qu'il était d'usage de mettre dans la bouche des cadavres avant de les ensevelir ; ils sont nus comme les démons qui les accompagnent.


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l'art profane a l'église


Buonarroti a placé sur les bords du Styx — où devaient errer cent ans, avant d'entrer aux Enfers, ceux qui n'avaient pas reçu



les honneurs de la sépulture — son détracteur messer Biaggio, tout près de la tête grimaçante d'Ugolin, rongeant le crâne de son bourreau — d'après la version du Dante — et au-dessous du châ- timent infligé au vice contre nature. Le serpent qui le mord cruel- lement « indique », d'après Stendhal, « le chemin qui l'a conduit en enfer ». Inutile de faire remarquer que, depuis les rapiécetages pon- tificaux, l'ophidien ne mord plus que le vide. Ce critique, d'une sévérité excessive, se demande si le nom de ce grand-maître des cérémonies pourrait donner la clef « de l'action » de saint Biaise ?

3° Sainte-Agnès. — Cette église a été édifiée sur l'emplacement d'un ancien cirque, où sainte Agnès a subi son supplice. Le martyre de cette vierge a inspiré au Dominiquin une de ses plus belles toiles ; elle est aujourd'hui au Musée de Bologne. « On se sent frémir, écrit Paul Musset, en voyant le geste furieux de ce bourreau qui enfonce le poignard dans le sein virginal d'une enfant de seize ans ! » Une autre tradition veut que l'église fut construite sur le terrain môme du lupanar, où le préfet Sinfronius fit conduire la jeune fille. Dans l'une des chambres souterraines, pavée de débris de mosaïques, on a établi une chapelle dont l'autel est orné d'un


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admirable bas-relief d'Alexandre Algardi. Agnès est représentée nue, entre deux « grands coquins de houzards », dit le président de



Fig\ 338. — Sébastien, sainte Catherine et saint Biaise, d'après la fresque originale.

Brosses, « avec de petits seins naissants, tout un corps plein de morbidezza et très palpable », au moment où elle fut couverte miraculeusement d'une longue chevelure qui poussa en un instant et lui fît « un vêtement de miséricorde ». Au dire de Lalande, le mouvement de pudeur qui la porte à croiser les bras pour cacher sa gorge en rend le tour très gracieux. « Ce n'est point du marbre, conclut le premier voyageur, mais de la chair molle et flexible sous les doigts. »

Une statue antique représentant un Apollon a été convertie par Paolo Campi en Santo Sebastiano ; il n'y a pas que les personnes qui opèrent des conversions.

4° Saint- André (San Andréa délia Valle.) — Autour des quatre Evangélistes, du Dominiquin, « s'étalent », dit Taine, de superbes


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L'ART PROFANE A L'ÉGLISE


femmes allégoriques ; lune, poitrine et jambes découvertes, lève ses bras nus vers le ciel. « On ne peut rien voir de plus agréable,



Fig. 339. — Châtiment de la Sodomie, conçue par Michel-Ange; avant sa restauration.

s'exclame, d'autre part, de Lalande, que la femme que saint François- Xavier baptise dans l'un des tableaux du Baciccio, des côtés. »

Pie II y est enterré entre la Charité, dont le buste est découvert jusqu'au pubis (fig. 340), et la Foi, au torse nu, mais masculin; représentation singulièrement rare.

5° SS. -Apôtres (SS. Apostoli) 1 . — Au-dessus de l'entrée de la sacristie est placé le tombeau de Clément XIV, sculpté par Ganova :

1. Valéry rappelle un jeu grossier qui eut lieu jusqu'au xvi e siècle dans cette église, le 1 er mai, jour de la fête de S. Philippe, son patron. On suspendait, par une corde, un porc et l'on jetait du haut de la voûte des potées d'eau à ceux qui essayaient de s'emparer de l'animal.


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la Clémence ou la Douceur assise à côté d'un agneau, et la Modération ou la Tempérance éplorée (fîg. 341) ornent ce monu-



Fig-. 340. Fig. 341.


ment. Celle-ci est strictement drapée, mais l'étoffe est si collante qu'elle accuse les formes au lieu de les dissimuler. Le temple d'Apollon qui fut consacré au culte des SS. Apôtres en avait vu bien d'autres avant sa transformation !

6° Saint-Bernard. — Des écus à forme de torse féminin, comme ceux d'Urbain VIII, se rencontrent sur les sépultures de certains personnages de marque. Ici, la tiare est remplacée par un casque de chevalier et des rosaces sont substituées aux abeilles pontificales ; de plus, les régions thoracique et abdominale sont séparées par une ceinture de Vénus.

Le tombeau de Gatherina Nobilis Sforza est décoré d'un écusson semblable : la poitrine et le ventre bombent sous l'étranglement d'une sangle qui les sépare, et l'écu est sommé d'une tête de femme. Est-ce encore le symbole de la papauté ou de l'Eglise en gésine, très honoré confrère navrais ? Il se pourrait que ce fût une allusion au trait d'héroïsme que Catherine accomplit à Rimini, quand elle

l'art profane. — II. 21


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L * A R T PROFANE A L ÉG LISE


obtint des conjurés la permission d'entrer dans la ville pour don- ner l'ordre de capituler à ses partisans. Mais une fois dans la place, elle releva la tête et opposa la plus vive résistance aux révoltés qui



Fig. 341 bis.


la menaçaient de tuer ses enfants retenus en otages. Elle leur répondit, en frappant sur son ventre, « qu'il lui restait encore de quoi en faire d'autres ».

7° Sainte-Cécile (Santa Cecilia in Transtevere). — On y admire l'étonnante statue de la patronne des musiciens, représentée mou- rante, par Stefano Maderno, son chef-d'œuvre exécuté sur nature, tel que le corps de la martyre fut trouvé à l'ouverture de son cercueil au xvi e siècle (fig-. 341 his). « Au mérite d'une admirable pose et de l'expression, dit Fulchiron, elle joint, au plus haut degré la souplesse du marbre ; il semble transparent, et les vêtements, d'une extrême légèreté, dissimulent à peine des formes que leur beauté rend trop séduisantes peut-être. » On voit encore la salle de bains où le préfet Almachus tenta de faire asphyxier la jeune vierge et où le bourreau essaya de lui trancher la tête après trois reprises vaines.

Mentionnons à la nef le tombeau du cardinal Sfondrati, auteur d'un poème profane intitulé V Enlèvement d'Hélène, et dont le second fils, venu au monde par l'opération césarienne, porta la tiare neuf mois — la durée d'une gestation — sous le nom de Grégoire XIV.

8° Saint-Charles (San Carlo A' Catinari.) — Sur les pendentifs du dôme, le Dominiquin a peint en fresque les Vertus cardinales : la Force, la Prudence, la Tempérance et la Justice. Au-dessous de cette dernière se trouve une femme qui exprime le lait de ses mamelles. Elle symbolise sans doute la Charité ou mieux la Prodi-


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(/alité, car c'est du lait répandu en pure perte, à moins qu'il ne serve à tracer la voie lactée, à la façon d'Héra.

9° Saint-Clément (San Clémente). — Près du grand autel, le sarco- phage du cardinal Roverella est historié de faunes et autres créatures fabuleuses; au voisinage, sur la mosaïque absidiale, de jeunes tritons chevauchent des dauphins et des pâtres traient des brebis.

Dans la crypte, du milieu d'un bassin émerge le groupe en pierre du dieu oriental Mithra, immolant le taureau 1 . Maintes fois nous avons observé cette union surprenante de l'élément païen et de l'élément chrétien. Combien d'édifices religieux, en Italie, ont été construits avec des matériaux provenant de monuments du paga- nisme. Les pierres du Golisée n'ont-elles pas servi à l'édification de de San Agostino, et le Panthéon, le temple païen de toutes les idoles, na-t-il pas été converti en église de tous les saints ? Gomme le certifie Athanase, bibliothécaire de Boniface IV ? cité par Saint- Yves, « les temples païens furent accommodés au culte chrétien ».

Une peinture de la même crypte montre une mère qui présente son fils à saint Biaise et frappe sa poitrine à nu, en signe de douleur 2 .

10° Sainte-Croix de Jérusalem (Santa- Croce in Gerusalemme) . — A la voûte de l'abside, une vaste fresque du xv e siècle rappelle les

1. Une importation de l'Asie fut le culte de Mithra. Les monuments mithria- ques représentent tous un sujet semblable : l'immolation, par un homme portant un costume asiatique, d'un taureau mutile par un scorpion et dont un serpent vient lécher le sang. Ces monuments singuliers ne sont pas rares dans les collections de Rome... C'est pendant les III e et IV e siècles de l'Empire que paraît s'être propagé le culte de Mithra, culte accompagné de mystères homicides remplacés ensuite par des représentations où le meurtre était simulé. Cette époque était à la fois sceptique et inquiète, incrédule et superstitieuse; elle cherchait le surnaturel dans l'inconnu. On se sentait entraîné vers les cultes les plus étranges par le besoin religieux qui remuait sourdement les âmes... et par l'attente d'une foi nouvelle que le christia- nisme allait apporter. Telle était la cause de cette extension des cultes impudiques de l'Orient, dans une société dont elle hâtait la chute...

(Ampère, l'Empire romain, à Rome.)

2. Confrérie de la Mort. — En 1764, « deux gentilshommes suédois » décrivent une singulière galerie souterraine. Les murs étaient revêtus de papier rouge; les bases et les chapiteaux des pilastres étaient formés de tètes de mort qui contenaient des lumières vascillantes et constituaient l'unique éclairage de la galerie. Des niches étaient occupées par des squelettes, parmi lesquels on remarquait celui de la belle Paule, couverte de sa longue chevelure rousse. On voyait sur la poitrine de cette beauté, émule de Lucrèce, le coup de poignard qui fut la récompense de sa vertu.


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l'art profane a l'église


divers épisodes qui se rapportent à la Découverte de la vraie croix (fîg. 341 ter). La mère de Constantin est en prière devant celle des



Fig. 31 1;. fer.


trois croix qui a rappelé à la vie une femme morte, en costume de ressuscitée. La « vraie » était pourtant bien facile à distinguer de celles des deux larrons puisqu'elle est en tau — et aussi en toc — sur la composition.

11° Saint-Etienne le Rond (San Stefano Rotondo). — Tempesta et Pomerancio se sont plu à reproduire avec un réalisme brutal et « sans aucun ménagement » les scènes d'horreur des supplices subis par les martyrs, depuis Hérode jusqu'à Dioclétien. A signaler parti- culièrement : Agathe, « dont je ne veux pas nommer le supplice », écrit un narrateur tartuffien ; Marguerite, étendue et déchirée sur son chevalet, sans autre vêtement que « celui de l'honneur et de la force » (Prov., xxx); Bibiane, nue, liée à une colonne et flagellée jusqu'à ce que mort s'en suive; Blandine, vêtue de son réseau, à la


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merci d'un aurochs furieux; enfin, sainte Eulalie, couverte de ses cheveux et « du manteau de pourpre de son sang » .

12° Saint-Eusèbe (San Eusebio x ).

13° Eglise du Gesu. — Transept, bras gauche. La Religion terrasse Y Hérésie qui, dans son désarroi, laisse dévaler de son corsage le sein gauche en entier. Les murs de cette église sont couverts d'anges femelles, por- teurs de mamelles volumineuses.

1 4° Saint-Grégoire (San Gregorio). — En Italie, la courtisane et la dame de qualité jouissaient des mêmes privilèges, parce qu elles recherchaient les qualités du cœur et de l'esprit et observaient en public la plus grande réserve. Il n'est donc pas étonnant que, sous Jules II, l'Aspasie du siècle, la jeune et séduisante Imperia (fig. 342), ait eu son tombeau dans une église. On y lisait une inscription tombale, imitée de l'antiquité, en l'honneur de ses charmes : imperia,

CORTISANA ROM AN A, QU/E DIGNA TANTO NOMINE, RARZE ENTER HOMINES FORMEE SPECIMEN DEDIT, VIXIT ANNOS XXVI, DIES XII, OBIIT 1511, DIE 15 AVGVSTI.

(Imperia, courtisane romaine, digne d'un si grand nom, donna aux hommes l'exemple d'une beauté accomplie, vécut vingt-six ans, douze jours et mourut en 1511, le 15 août 3 .)

La fille d'Imperia, aussi belle, mais plus vertueuse que sa mère, eut une fin tragique qui la plaça entre Porcia et Lucrèce. Stendhal nous raconte que « plutôt que de céder au cardinal Petrucci, qui l'avait entraînée dans une de ces maisons où Lovelace conduit

1. Une grenouille et un lézard se jouent clans les volutes d'un chapiteau de la nei*. D'après Winckelmann, il fut tiré du portique d'Octavie — lille de Messaline et épouse de Néron — bâti par Sauras et Batracus, noms latins de ces animaux repré- sentés comme signatures de ces artistes.

2. Médaille que l'on suppose représenter Imperia. Reproduite par Roscœ, in Vie de Léon X et E. Rodocanachi, in Courtisanes et Bouffons.

3. Fulchiron place, à tort, le tombeau de cette horizontale de marque à Santa Maria in Doininica ou délia Navicella et la fait vivre sous le pontificat de Léon X, dont l'exaltation fut célébrée deux ans après la mort de l'enchanteresse.



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l'art profane a l'église



15° Saint-Jean-de-Latran (San Giovanni in Laterino). — La métropole de Rome fut construite sur l'emplacement du palais de Plautius Lateranus, exilé par Claude pour avoir flirté de trop près avec sa volage épouse, Messaline. La basilique a conservé le nom du galant, de sorte que le vocable de la maison de Dieu, la première de la chrétienté — Mater et caput ecclesiarum urbis et orbis — évoque le souvenir folichon d'un sénateur libertin et d'une gourgandine couronnée. Autre contraste de l'ironie du sort, toujours, à propos de l'origine de ce monument : c'est Constantin, personnage d une immoralité non douteuse, qui l'éleva. Ne vous étonnez donc pas d'apprendre bientôt que le Vert-Galant fut chanoine de cette basi- lique 1 .

1. Bizarre contradiction : en 1762, le curé de \abasilica Constantina fit un service pour Grébillon, qui venait de mourir; or, l'autorité ecclésiastique le condamna à une amende de 300 livres et à trois mois de séminaire, pour avoir admis les comé- diens dans son église, où on leur refusait le mariage; « singulière façon de les moraliser », répéterons-nous après Diderot.


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Mausolée de Clément VIII. L'écu de ce pontife ressemble à celui d'Urbain VIII : il est sommé de deux têtes d'angelots, cravatés de



Fig. 344 1 .


leurs ailes rabattues, et se termine par deux masques de satyres, mais cette fois sans intention licencieuse.

1. Tirée de La patriarcale hasilica Laleranense, par Filippo Gerardi ; 2 vol. in-fol. 1832.


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l'art profane a l'église


Chapelle et sépulture de Clément XII. Ce Corsini fut le dernier pontife enterré dans cette basilique. Son admirable sarcophage, éclairé par la coupole, est, paraît-il, une baignoire antique provenant

du Panthéon. Plusieurs des



Fig. 345. Fig. 346.

figures allégoriques qui font partie de cette sépulture ont le torse nu (fig. 343).

Un autre mausolée, celui du cardinal Julio Aquœviva 1 , est embelli d'une femme nue, parée d'un léger voile sur le pubis et la jambe droite ; elle tient une coupe d'une main et un vase de l'autre, comme la Tempérance. Cette figure symbolique se retrouve un peu plus loin (fig. 344) ; elle est destinée à inspirer la sobriété dans l'usage des aliments et des boissons ; mais ne craint-elle pas, par sa nudité, d'éveiller d'autres désirs non moins coupables ?

Un groupe remarquable est adossé à Tune des colonnes de la nef et représente le Déluge (fig. 345) : un époux désespéré soutient le cadavre de sa compagne, dont le sein rigide d'une fermeté marmo- réenne se refuse à suivre les lois de la pesanteur.

Le trésor conserve le linge qui couvrit la nudité du Sauveur sur la croix, c'est-à-dire le voile même de la Vierge ! Mais les voiles portés par les femmes en Orient sont transparents et ne cachent rien. Au surplus, le geste maternel est contesté par Renan. Néanmoins,


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ce voile protecteur existe en double à Chartres ; quelle est la contre- façon ?

En outre, Latran, comme l'église de Saint-Marc, d'après Mgr Barbier de Montault, possède une cassette d'ivoire, sculptée de per- sonnages profanes, en relief.

Quoique l'iconographie en soit complètement profane, des reliques y sont conservées. Les sujets, empruntés aux romans de chevalerie, repré- sentent pour la plupart des scènes d'amour et autorisent à supposer que, dans le principe, ces coffrets servirent à renfermer les présents de mariage.

Au cloître de Saint- Jean-de-Latran, on conserve un siège de porphyre rouge (fig. 346), avec ouverture circulaire, en usage dans les bains anciens et qui provient des thermes de Caracalla. Ce siège servait au pontife dans la prise de possession ; on l'appelait sella stercoraria, soit en raison de sa forme de chaise percée, soit par allégorie pour rappeler pendant cette cérémonie pompeuse les misères humaines. Peut-être aussi était-ce une allusion aux paroles du psal- miste : De stercore érige ns pauperem.

Plusieurs auteurs, qui s'inspirent les uns des autres, font remonter l'usage de ce siège pontifical à l'accouchement de la papesse Jeanne — de fictive mémoire, — afin qu'un examen in corpore vili du nouvel élu empêchât toute supercherie. M. Chevreau, au xviii siècle, se donna beaucoup de peine pour démontrer que la légende attachée à cette chaise percée n'avait aucun fondement.

Une épigramme de Jean Pannonius, évêque des cinq églises en Pannonie, explique, avec la liberté que tolère le latin, pourquoi l'usage de cette épreuve a cessé :

Non poterat quisquam reservantes /Ethera claves.

Non exploratis sumere testiculis. Cur iqitur noslro mos hic nunc tempore cessai ? Anle probat quod se quilibet esse marem.

Les petits Enfans qu'ils font, Sont preuves assez réelles, Que les Saints Pères ne sont Ni coquatres, ni femmelles.

Pasquin a brodé des variantes falotes sur le même thème, à l'adresse de Paul II et d'Innocent VIII.


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l'art prof aise a l'église


Dans une salle de l'ancien palais épiscopal attaché au flanc droit de la basilique, on a reconstitué une immense mosaïque découverte aux thermes de Caracalla. On y voit une trentaine de figures entiè- rement nues des vainqueurs aux jeux olympiques, gladiateurs ou conducteurs de chars.

Un portique a trois arceaux, construit par Sixte-Quint, abrite la statue en bronze de Henri IV qui fut élevée parles soins du chapitre, en mémoire des bienfaits du sceptique et bambocheur Béarnais. C'est au même pontife que l'on doit l'érection singulière, devant l'ex-domicile des papes, d'une obélisque consacrée au dieu Ammon- Ra par Thoutmosis dans le temple de Thèbes 1 .

16° Saint-Louis-des-Français. — L'auteur du Nu dans Fart chrétien demande, avec Erasme, à propos de la fresque du Domini- quin (fîg. 347), quelle raison peut pousser un artiste à montrer dans un tableau ce que I on cache partout ailleurs, « par une honte bien entendue ? » Il ne s'explique pas comment les draperies de l'ange qui couronne sainte Cécile et saint Valérien, au moment où ils consacrent leur virginité au Seigneur, « peuvent bien demeurer suspendues » ? Le même critique oppose à cette fresque de Saint- Louis-des-Français, l'ange de la chapelle Sainte- Cécile, à Bologne, dont le Dominiquin, selon lui, n'aurait fait que s'inspirer (fîg. 348). Mais c'est précisément pour ne pas imiter l'élève, peu connu, de Francia que le Dominiquin a déshabillé son ange, un peu selon la

1. Chapelle des Jésuites. — Duclos, secrétaire perpétuel de l'Académie française, assista, en 1791, à la dévotion des Carnvites, imaginée par le jésuite Caravita. On distribua des disciplines aux fidèles rangés en file indienne et, après une courte allocution, les deux seuls cierges qui éclairaient la chapelle furent placés sous l'autel; puis, au milieu de la plus profonde obscurité, on entendit un bruit analogue au roulement lointain du tonnerre, bruit d'ouragan produit par la grêle des coups redoublés des flagellants. Dans la semaine sainte, un jour était réservé aux femmes pour se fustiger, « avec la différence qu'elles font sur leurs fesses ce que les hommes exécutent sur leurs épaules. J'ignore quels péchés elles prétendent expier par là, mais ce ne doit pas être un préservatif contre l'aiguillon de la chair, si Ton en croit l'auteur du traité, De usu flagri in re venereâ. »

Le même auteur raconte les exploits du P. Pépé, un jésuite thaumaturge dont le P. Roch, dominicain, fut le successeur; il vendait des papiers bénits de sa main,- qui avaient la vertu de faire pondre les poules auxquelles on les faisait avaler.

S. Laurens in Palisperna. — Dans cet ancien temple de Junon Lucine. au dire de Du Val (1656), on y montrait une pierre portant des trous multiples produits par les larmes de saint Pierre, en contrition d'avoir renié le Sauveur, comme ce dernier, du reste, avait renié sa mère à Cana. Tout de même, reconnaissons que cette pierre était aussi « tendre » que le prince des apôtres.


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coutume de ces habitants du ciel. Ce censeur rigoriste et gymno- phobe se garde bien de se plaindre des mille et une draperies péri- néales ajoutées aux figures du Jugement de Michel-Ange. Il ne se



demande pas non plus « comment elles peuvent se tenir ainsi suspen- dues ». Le séraphin incriminé n'est pourtant pas trop immodeste, en comparaison de maintes représentations du Christ, son divin maître ; mais, nous l'avons dit, l'esprit d'intolérance, quoique « bien pensant », raisonne souvent comme un tambour.

C'est dans la première chapelle, a gauche, de cette église que Chateaubriand, en novembre 1803, inhuma Pauline de Montmorin, comtesse de Beaumont, à qui le style de Fauteur du Génie du Christianisme faisait éprouver une espèce de frémissement d'amour: « Il joue, disait cette pauvre phtisique exaltée, du clavecin sur toutes mes fibres ! » Au-dessous d'un bas-relief ciselé dans la dalle funèbre et qui représente la jeune extatique étendue sur sa couche d'agonie, on lit cette épitaphe réclame :

D. 0. M.

APRÈS AVOIR VU PERIR TOUTE SA FAMILLE, SON PÈRE, SA MÈRE, SES DEUX FRÈRES ET SA SOEUR,

PAULINE DE MONTMORIN

CONSUMÉE D'UNE MALADIE DE LANGUEUR, EST VENUE MOURIR SUR CETTE TERRE ETRANGERE. F. A. DE CHATEAUBRIAND A ÉLEVÉ CE MONUMENT A SA MEMOIRE !


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l'art profane a l'église


N'est-ce pas plutôt à sa propre mémoire qu'il a élevé ce monument? C'est du moins l'avis de M. Paléologue : « Quel besoin avait-il de se nommer dans l'épitaphe ? Tout l'orgueil, tout l'égoïsme du person- nage s'étale sur cette plaque de marbre. » Ne pourrait-on pas repro- cher un travers analogue à Lamartine au sujet de Graziella ? L'orgueil étouffe la passion.

Le tombeau du cardinal de Bernis, — qui a un cénotaphe en France, — est enjolivé d'un bas-relief où un Génie présente à la Religion, un rouleau en forme de papyrus. Que contient ce rou- leau; les œuvres du cardinal ou les poésies légères de l'abbé, favori de Mme de Pompadour, qui lui valurent le surnom, décerné par Voltaire, de Babet la Bouquetière 1 ^.

17° Sainte -Marie-de-la-Paix. — L'une des chapelles est ornée de la fameuse fresque des quatre Sibylles que Raphaël exécuta sur la prière d'Agostino Chigi, l'amant d'Imperia. Cette idole de Rome et du banquier des papes figure sous les traits de la Pîwygienne, comme déjà dans la fresque du Parnasse et dans celle d'Héliodore.

18° Sainte-Marie-des-Allemands (Germanorum) ou Des-âmes-du-

Purgatoire (délie Anime). — Au chœur, les Vertus théologales et cardinales, compris la Justice et son autruche, assistent Adrien VI sur son tombeau. Mais par quelle inadvertance une nudité, la Foi (fig. 349), qui porte la croix et « la bannière », domine-t-elle le monu- ment du plus grand ennemi du nu artistique ? Si bien qu'à sa mort, considérée par le peuple romain comme une délivrance, on eût pu compléter ainsi l'inscription écrite sur la porte de son méde- cin : a Au libérateur de la patrie... et de l'Art ».

19° Sainte-Marie-des-Anges. — Cette basilique est une des salles des thermes de Dioclétien, « comme l'indiquent encore suffisamment les peintures obscènes de la voûte, cachées par un badigeon », dit J.-B. Huysmans (1857).

1. Saint-Marc. — L'auteur de Y Itinéraire d'un voyage en Italie (1819) a assiste' à un sermon sur la Conception, prêché par un moine polysarcique qui joignait la mimique au verbe. « Il arrondissait ses bras en avant de son ventre, et désignait l'ampleur qu'avait dû prendre celui de la Vierge, à mesure qu'elle avançait dans sa grossesse. » Dans le même ordre d'idées, n'avons-nous pas la Vie de la Vierge, ab ovo, par Marie d'Agreda, dont un des chapitres porte pour titre : « Ce qui arriva à la Vierge pen- dant neuf mois qu'elle l'ut dans le sein de sa mère? »


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20° Sainte-Marie-du-Peuplier 1 . {Madonna del Popolo). — De Lalande signale la légèreté des huit tableaux de Tattique où figurent l'histoire à' Adam et Eve et les Quatre Saisons : « Tous ces sujets, dit-il, sont très nuds et rendus de la manière la plus indécente. » Et ce voyageur n'est pas un hypocrite pudibond, loin de là. Effec- tivement, vous pouvez constater sur la figure 350 la tenue immo- deste d'Adam, assis les jambes écartées à côté d'Eve, et, à la première fenêtre de la nef, en pendant à la Naissance d'Eve, vous distinguerez un autre Adam irascible qui réprimande vertement sa compagne, au sujet de sa désobéissance et lui inflige la première raclée (fig. 351). Quant aux Quatre Saisons, de Lalande doit confondre avec les Jours de la Semaine que nous allons décrire.

Chapelle Ghigi (fig. 350). Raphaël a peint sur les parois de la coupole les sept jours de la semaine, présidés par le Créateur et personnifiés par Jupiter (fig. 352), Mars (fig. 353), Mercure (fig. 354), Saturne (fig. 355), Diane (fig. 356), Apollon (fig. 357) et Vénus, celle-ci en compagnie de l'Amour (fig. 358). Ces antiques symboles cosmologiques sont adaptés au dogme chrétien grâce à la présence d'anges, en nombre égal, qui semblent communiquer à chacun d'eux, observe M. Paléologue, « l'impulsion de Dieu. »

Ne quittons pas cette merveilleuse chapelle sans mentionner une singularité dont la signification nous échappe : une femme nue saisit le glaive brandi par un enfant qui menace un homme nu, en fuite (fig. 359).

Chœur, côté gauche. Le tombeau du cardinal Ascanio Sforza, par Andréa Sansovino, porte plusieurs statues allégoriques de Vertus « pas bégueules », comme l'était Mme Ango, montrant au moins un sein en entier (fig. 360, 361 ethis). Les angles du sarcophage sont occupés par des chimères chargées de puissantes mamelles.

Du côté opposé, le mausolée élevé par Jules II au cardinal Jérôme Bassus (Hieronymo ou Girolamo Basso) est agrémenté de torses plus ou moins découverts d'autres vertueuses allégories (fig. 362). Au milieu du soubassement, deux génies décoratifs, en bas-reliefs, s'appliquent à exhiber leurs organes génitaux.

La sépulture d'un autre cardinal, Giovanni de Castro, est ornée, entre autres allégories, d'une banale Charité (fig. 363), dont le buste

1. Et non du Peuple, parce qu'elle l'ut établie, comme la place du même nom, sur l'emplacement d'un bois de peupliers.



Fig. 350. — Chapelle Chigiana,


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Fig. 351. Fig. 352. — Giove.


Au xvii siècle, existait encore dans cette église le tombeau de Julie, concubine du pape Alexandre Vï. Ce monument portait ses armes en marbre, écartelées avec celles des Borgia ; on y lisait cette inscription :

D. 0. M.

JULI^î VAMJCCIyK, MATRI, DUC1SSARUM FERRARLE ET URBIN1, FILIORUM ALEXANDRI SEXTI, PAP^E, VIXIT G6 2 .

1. Ceux qui font venir la syphilis d'Egypte invoquent l'inscription que porte un cénotaphe érigé dans cette église à la mémoire d'un noble romain, mort de la peste inguinaria sur la terre des Pharaons en 1485, six ans avant le retour de Colomb du nouveau monde. La voici : Marco Antonii equitis romani filio ex nohili Albertonum familia, corpore animoque insignî, qui annum agens XXX peste inguinaria interiit nnno salutis christianse M. CCC. LXXXV, die XXII. Julii, hseredes B. M. P. Mais l'ulcération des ganglions de l'aine s'observe surtout dans la peste et accompagne « comme son ombre », disait Ricord, le chancre mou qui n'est pas syphilitique.

Autre curiosité médicale. L'épitaphc d'une pierre sépulcrale indique que le gisant a succombé aux suites de la morsure d'un chat enragé et comporte une moralité : Hospes disce novum mortis genns, improba felis Dum trahitur, digitum mordet et intereo.

2. Leur tille, Lucrèce Borgia, sœur de César, surnommée la Messaline du moyen


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L*ART PROFANE A l'éGLISF


21° Sainte-Marie in Cosmedin ( Sainte- Marie-d u-Soleil)* . 22° Sainte-Marie-de-la-Minerve. {Santa Maria sopra Minerva)



Fie-. 353. — Marte.


Fig\ 354. — Mèrcurio.


Léon X ne pouvait choisir pour ses cendres un asile dont le vocable mi-chrétien, mi-païen, répondît mieux aux goûts artistiques du

âge, faisait l'intérim de son père, au Vatican, en cas d'absence. Son épitaphe, contrairement à l'usage, est dépourvue de louanges dithyrambiques :

Hoc tumulo dormit Lucretia nomine, sed re Thaïs, Alexandri /Ma, sponsa, nurus.

(Dans ce tombeau repose Lucrèce, par le nom, mais en réalité Thaïs, fille, épouse et bru d'Alexandre.)

1. Remarquable par son mufle de satyre en marbre veiné, connu sous le nom de Bocca délia verita. Une ancienne tradition veut que l'on prête serment en intro- duisant la main dans la bouche du masque. Depuis, les mères et les nourrices racontent aux enfants que s'ils passent la main par la bouche de la Vérité, après avoir fait un mensonge, ils ne pourront plus la retirer ; c'est ainsi que l'on fait mentir la bouche de la vérité.

2. Ou mieux Sur 3fmerue, parce que cet édifice, la seule église gothique de Rome, fut élevé sur l'emplacement d'un temple dédié à Minerve, par Pompée.


Planche XI IL



Page 284. — Phot. Andersox.


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pontife qui a contribué, pour une si grande part, à paganiser l'art chrétien.

Sous le vestibule latéral, la face principale du tombeau de Gio-



Tig. 355. — Saturno. Fig. 356. — Diana.


vanni Arberini (fig. 364) montre Hercule, avec l'attribut bien évident de la virilité ; le fils de Jupiter et d'Alcmène étouffe le lion de Némée.

L'une des statues qui décorent la sépulture d'Astorgio Agnense, se fait remarquer par son déshabillé presque complet (fig. 365) ; la bégueulerie en art, à l'époque où cette figure fut sculptée, était alors inconnue. L'observation s'applique encore au Saint Sébastien de Michel Maini de Fiesole, au torse d'Apollon, qui porte une dra- perie pour la forme (fig. 366).

Au maître-autel, une sculpture d'un caractère tourmenté, modelée par Michel-Ange représente le Christ tenant sa croix. Une draperie de fer-blanc, confectionnée par un chaudronnier intrépide, voile aujourd'hui la nudité du Rédempteur. On a même muni d'une chaussure de bronze le pied droit, qui s'avance et que les pèlerins,

l'art profane. — II. 22


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l'art profane a l'église


peu dégoûtés, couvrent de leur salive, comme l'orteil de saint Pierre. C'est apparemment pour le protéger de l'usure qu'on l'a recouvert ainsi.

Cependant, le Saint André de Michel Maini a conservé sa nudité,



Fig. 357. — Apollo.


« ce qui était, écrit M. Paléologue, une audacieuse innovation pour l'époque, 1480 ».

Il est question du Christ précité dans une lettre qu'Alexandre Lenoir adressait, le 18 thermidor, an x, au Ministre de l'Intérieur, (( sur les objets demandés pour l'église de Choisy » :

Citoyen Ministre,

Par votre lettre en date du 16 du courant 1 , vous m'invitez à vous faire connaître si Ton peut mettre à la disposition du curé de Choisy un Christ en marbre, réclamé par cette commune.

J'ai l'honneur de vous observer, Citoyen Ministre : 1° que cette statue, représentant une figure nue, peut être utile pour l'étude du dessin, puis- qu'elle met en évidence toutes les formes du corps humain ; 2° qu'elle est


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la seule copie qui soit en France de ce chef-d'œuvre de la main de Michel-Ange, qui se voit à Rome, dans l'église dite de la Minerve.

J'ai fait connaître ces observations au citoyen Ameilhon, membre de

Tlnstitut, qui s'est chargé de cette réclamation au nom de la commune de Ghoisy, en l'invitant de proposer à la place les objets suivants qui ne sont d'aucune utilité pour les arts, dont le déplacement ne peut nuire à la collection que j'ai formée dans le Musée des Monuments français, savoir : une statue en marbre de saint Louis, patron de l'église de Ghoisy ; une idem de saint Maurice et une statue de la Vierge (en pierre).

J'attendrai votre adhésion, Citoyen Ministre, pour remet- tre ces ob- jets aux personnes chargées de cette opération au nom de la commune précitée.



Salut et respect.


Lenoir.




Fig. 300.


Fig. 364 .


23°. Sainte-Marie-de-la- Victoire 1


Fig. 301 bis. Une chapelle du transept.


1. La façade fut élevée aux frais du cardinal Scipion Borghèse comme prix de


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l'art profane a l'église


« parée comme un boudoir » abrite dans son cadre élégant le fameux groupe d'autel 1 , où Bernin fait revivre la psycho-névrosée sainte Thérèse (Pl. XIV), en extase de l'amour divin ou du divin amour. C'est une des plus vivantes imitations de la nature que ciseau de sculpteur ait jamais rendu : le marbre semble respirer ou mieux soupirer, car « la vie de cette vierge, suivant Diderot, se trouve résumée tout entière dans ce mot : amour! » Passion qu'Esquirol qualifie scientifiquement d'érotomanie ou folie de l'amour chaste 2 .

Un ange touche de la flèche emblématique le sein de la vierge d'Avila, dont les prunelles chavirent dans le blanc. Le Bernin tra- duisit fidèlement la vision que la sainte, alors âgée de 44 ans, décrit dans sa Vie, lorsqu'elle reçut au monastère de l'Incarnation une faveur si extraordinaire que l'Eglise fête sous le vocable de la Transverbération du cœur de sainte Thérèse :

Voici une vision dont le Seigneur daigna me favoriser à diverses re- prises. J'apercevais près de moi, du côté gauche, un ange sous une forme corporelle... Il n'était point grand, mais petit et très beau; à son visage enflammé, on reconnaissait un de ces esprits d'une très haute hiérarchie, qui ne sont, ce semble, que flamme et amour. Il était apparemment de ceux qu'on nomme chérubins... Je voyais dans les mains de cet ange un long dard qui était d'or et dont la pointe en fer avait à l'extrémité un peu de feu. De temps en temps il le plongeait au travers de mon cœur, l'enfonçait jusqu'aux entrailles ; en le retirant il semblait me les emporter avec ce dard, et me laissait si embrasée d'amour de Dieu que la violence de ce feu me faisait jeter des cris ; mais des cris mêlés d'une si extrême joie, que je ne pouvais désirer d'être délivrée d'une douleur si agréable...

Tous les écrivains voyageurs ont décrit ce chef-d'œuvre et s'accordent à lui trouver un caractère ultra-voluptueux ; ils le citent

Y Hermaphrodite trouve dans le jardin voisin des Pères carmélites. Ceux-ci, pense Valéry, embarrassés sans doute d'une telle statue, la cédèrent au cardinal pour la galerie de son palais où elle figure encore aujourd'hui. 1. Les Seins à Vêglise, fig\ 219.

2 En peinture, YExtase de sainte Micheline, par Boroccio, est aussi un chef- d'œuvre ; mais on ne peut pas en dire autant de la suite de pâmoisons maniérées de Sainte Catherine, la fille de saint Dominique, que le Sodona a représentée dans Tune de ses fresques. On cite aussi un admirable tableautin du Dominiquin montrant sainte Catherine de Sienne en pâmoison extatique, soutenue par deux anges jouant le rôle de carabins, tandis que le Christ, en dépit de toutes les règles de l'antisepsie, lui tire le cœur de la poitrine à travers son habit de jacobine.


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l'art profane a l'église


comme l'exemple le plus frappant de la fusion du mysticisme et de l'érotisme. « Quand la figure de la sainte serait nue », dit de Lalande,



Fig. 364.


Fig. 363.


« elle ne serait pas plus licencieuse ; le sculpteur y a mis une expression que le papier ne peut souffrir. »


Que ces âmes trop sensibles, écrit à son tour Dupaty, qui craignent tout ce qui rappelle l'amour, n'entrent jamais dans l'église de la Victoire, elles y verraient la statue de sainte Thérèse. La Vierge est à moitié couchée ; tout son corps s'abandonne... son regard, ses traits, surtout ses mains et ses pieds languissent... Ma pensée commence à rougir; détournons-la.


M. Paléologue dépeint l'extase quasi-lubrique de la vierge d'Avila avec exac- titude :

La sainte est dans son habit de carmélite, pâmée, tombant à la renverse, sa bouche entr- ouverte, les yeux mourants et presque fermés ; elle n'en peut plus, l'ange s'approche d'elle, tenant en main un dard dontil la menace d'un air riant et un peu malin.



Fig. 36^


Fis-. 366.


C'est la paraphrase de l'exclamation malicieuse échappée au


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président de Brosses : « Si c'est ici l'amour divin, je le connais! » Alphonse Karr, dans son jugement sur la sainte hallucinée, garde



Fig. 368.

moins de courtoisie et le tableau marmoréen, avec la bouche de la vierge en chose de poule, ne lui suggère qu'une réflexion mordante :

Sainte Thérèse, cette Sapho chrétienne, physiquement amoureuse du Christ, prétendait être descendue dans l'Enfer et disait, dans une de ses élucubrations érotiques : « On n'y aime pas et ça pue. »

Ce chef-d'œuvre de la statuaire laisse à Fauteur satirique des Guêpes une impression si fugitive que, dans ses Notes de Voyage, il Taccroche aux murs d'une église de Venise !


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l'art profane a l'église


Plus précis, le chef du naturalisme, Zola, aveugle admirateur de cet artiste « puissant et exquis », auquel il reconnaît « une verve toujours prête, une ingéniosité sans cesse en éveil, une fécondité pleine de grâce et de magnificence », — mais qui vise trop souvent à la recherche de l'effet tourmenté, du théâtral boursouflé, — charge un de ses personnages de Rome, Narcisse, d'exprimer son enthou- siasme sur ce merveilleux tableau vivant, que le cavalier Bernin fit jaillir du marbre :

Ah ! cette sainte Thérèse, le ciel ouvert, le frisson que la jouissance divine peut mettre dans le corps de la femme, la volupté de la foi poussée jusqu'au spasme, la créature perdant le souffle, mourant de plaisir aux bras de son Dieu !... J'ai passé devant elle des heures et des heures sans jamais épuiser l'infini précieux et dévorant du symbole.

Moins emballé, M. Paléologue, déjà nommé, nous fournit la note juste sur cette merveille d'expression :

Nul doute sur ce sujet. Ce n'est pas à une scène de cloître ou d'oratoire, c'est à une scène d'alcôve que Bernin nous fait assister. Les mouvements secrets dont cette belle créature exténuée semble tressaillir encore n'ont rien de mystique. Ce n'est pas une visionnaire en extase que nous avons sous les yeux ; c'est une jeune mondaine qui défaille aux bras de son amant 1 .

L'extraordinaire est qu'on s'y soit mépris d'abord, et qu'une œuvre aussi profane ait pu être considérée comme l'expression suprême du sen- timent religieux. Dans ce marbre tout frémissant de vie sensuelle, on ne voyait que le spectacle d'une âme absorbée en Dieu, au point que, vers 1750, un prêtre écrivait tranquillement : « L'expression de cette statue démontre la vérité de cette pensée de saint Augustin : Irrequietum est cor nostrum donec requiescat in te. »

Le mysticisme prête a ce genre de malentendus. C'est ainsi que le Cantique des Cantiques a été considéré comme un dialogue entre Jésus et son Eglise, et que cette pastorale passionnée, ce poème brûlant n'est, pour Athanase, « qu'un hymne en l'honneur de l'incar- nation du Verbe ». Or, cette œuvre « inspirée » est, nous Lavons

1. En effet, le réalisme de cette scène délirante prête à l'équivoque et suggère de malicieuses interprétations. Ce groupe érotico-éthéré pourrait tout aussi bien s'inti- tuler Y Amour et Psyché, et cette épouse de Jésus transportée au septième ciel, évoque le souvenir d abbesses émancipées, telles Jeanne de Parme et Louise Hollan- dine, abbesse de Maubuisson qui, raconte Madame, dans une lettre de 1716, avait eu tant de bâtards qu'elle ne jurait que « par ce ventre qui a porté quatorze en- fants ! »


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démontré ailleurs, un drame satirique et amoureux. « Il est de viles décences », a dit J.-J. Rousseau, surtout dans la Bible, ajouterons- nous ; comment voulez-vous que des gens dont le jugement est obnubilé par la discipline du dogme qui interdit de raisonner, voient juste?

Pour conclure, la Sainte Thérèse du Bernin, hypnotisée par son Gupidon angélique, est l'image de la religion mondaine, fortement imprégnée de sensualisme.

Quant à la question de savoir si la vierge d'Avila fut une « grande hystérique », il n'y a pas le moindre doute à cet égard, et le D r Cabanès, notre maître Trublet en compilation, se donne beau- coup de mal pour prouver le contraire 1 .

Il nous semble que c'est en pure perte, et nous allons donner nos raisons. Tout d'abord, c'est de grand cœur et au pas accéléré que nous nous rangeons dans le parti de ceux que notre aimable confrère traite généreusement de « cliniciens à courte vue ». Sans doute, sainte Thérèse ne souffrit pas exclusivement d'hystéro-épilepsie, caractérisée par des crises d'hystérie 2 les plus nettes, avec perte du sentiment, sommeil profond, douleurs excessives, angoisses, délire et convulsions successives se prolongeant parfois quatre jours. Son cas est beaucoup plus complexe ; mais nous ne pouvons garder aucun doute sur la nature du mal essentiel dont elle fut atteinte. Exami- nons ce cas pathologique en détail.

Après ces « effroyables crises » J sa langue, écrit-elle, était en lambeaux, à force de l'avoir mordue ; ses « nerfs se contractaient tellement, qu'elle était ramassée en peloton » ; ses os « se séparent et demeurent déboîtés » ; ses mains sont si roides qu'elle ne peut « les joindre; il m'en reste », ajoute-t-elle, « jusqu'au jour suivant une douleur aussi violente que si mon corps eût été disloqué ».

1. Les Indiscrétions de l'Histoire, 4 e série. Notre cher confrère paraît donner rai- son à J.-K. Huysmans, ce plaisant déséquilibré qui s'évada du naturalisme pour sombrer dans le mysticisme et croyait enfermer les détracteurs du satanisme, des succubes ou du miracle dans ce dilemme : une femme est-elle possédée parce qu'elle est hystérique ou est-elle hystérique parce qu'elle est possédée? Personne, constate triomphalement l'auteur de VOblat, parmi les scientifiques n'a répondu à la question; « seule l'Eglise peut répondre, dit-il, la science pas ». La science répond à de pareilles billevesées par un haussement d'épaule et le conseil de consulter un aliéniste; quant à l'Eglise, qui vit dans le bleu, elle ne peut renier ses conceptions irréelles.

2. Pour le D r Bernheim, de Nancy, il n'y a pas d'hystérie, mais des crises hystériques.


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Elle se plaint d'une contracture qui l'empêche de rien avaler. N'était-ce point la douleur spécifique du spasme œsophagien, que le langage populaire a si bien caractérisé depuis par l'appellation de la boule? La chose existait déjà bien que le terme fût ignoré. Rien n'achèvera mieux de nous convaincre que l'examen des autres maux dont souffre la sainte. Pendant vingt années consécutives, nous la voyons incommodée tous les matins par des pituites nerveuses ; elle restituait ses aliments, « qu'elle ne pouvait, nous dit-elle, gar- der que l'après-midi ». Chacune de ses crises était suivie d'un « tor- rent de larmes » ; ce qui ne l'empêchait pas, dans les intervalles, d'être aussi larmoyante que Madeleine.

Mais ce n'est pas tout : durant trois longs mois, sans répit, « des pieds à la tête, elle éprouve une égale torture ». Elle est atteinte d'une hypéresthésie cutanée qui lui rend insupportable le contact le plus léger d'une main. On ne pouvait « la remuer qu'à l'aide d'un drap ».

Survient ensuite une paralysie qui l'accable au moins trois années. C'est alors qu'elle se décide sur le tard à demander sa guérison à saint Joseph qui, paraît-il, ne lui refuse jamais rien. Elle implore aussi Marie-Madeleine, « la glorieuse amante de Jésus-Christ ». Par un vrai phénomène d'auto-suggestion, dans sa confiance en ses appuis suprêmes, elle finit par marcher; elle est apparemment guérie.

N'avons-nous pas ici un cas assez clair d'hystérie épileptiforme ? D'autant que ces troubles physiques se compliquaient chez Thérèse de dérangements psychiques. Elle est sujette à la lévitation; comme Marie-Madeleine., elle sent son corps flotter et voler dans l'espace ; elle souffre d'hallucinations de la vue et de l'ouïe. Le Seigneur lui apparaît; elle tombe en extase; elle est ravie. « Je ne veux plus, lui susurre une voix divine, que tu converses avec les hommes, mais avec les anges. »

Nous ne pensons certes pas, cher confrère, que « sainteté soit synonyme d'hystérie » ; mais vous conviendrez qu'elle se tra- duit maintes fois sous des formes qui sont de simples variétés de la folie mystique, dont les manifestations relèvent exclusivement de la médecine mentale 1 . La folie érotique, surtout à forme hallucina-

4. Tels encore les cas des grandes amoureuses extatiques, Catherine de Sienne, Catherine de Ricci (fig. 368), sainte Chantai, Marguerite-Marie Alacoque, etc.


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toire, s'associe souvent au délire religieux, selon l'enseignement du professeur Bail.

Ajoutons que sainte Thérèse était atteinte de chloro-anémie con- stitutionnelle, aggravée par les jeûnes, les veilles et les macérations pieuses; elle était minée par le paludisme. Et si nous rappelons que son père, confit en dévotion, lui laissait une hérédité plutôt chargée, nous aurons tous les éléments nécessaires pour expliquer la psychose protéique et les séraphiques ardeurs de notre brillant sujet. Elle est le portrait vivant, ressemblance garantie, que Gharcot a tracé de main de maître de la grande hystérie.

L'ambition de notre bienheureuse qui a imaginé l'adoration d'un viscère était « de se consumer en la présence du Seigneur comme un cierge ardent, afin de lui rendre amour pour amour », écrit-elle dans son Mémoire. Plus loin, elle raconte qu'un jour, en temps de carnaval, elle se déguise pour assister à une soirée ; mais au retourelle s'administre, pour expier « son grand péché », de sanglants coups de discipline sur le corps. « Le soir, ajoute-t-elle, quand je quittais ces maudites livrées de Satan, mon souverain Maître se présentait à moi comme il était à sa flagellation... », donc in puris naturalibus. « Je t'ai choisie pour mon épouse, lui disait le Seigneur, et nous nous sommes promis la fidélité lorsque tu m'as fait vœu de chasteté. » Sa mère veut la marier, Jésus intervient et lui fait une scène de jalousie : « Si tu me fais ce mépris, lui dit-il, je t'abandonne pour jamais. » Crainte de rupture avec son céleste époux, elle renonce à tous les partis excepté un : elle prend celui d'entrer au couvent de la Visitation de Paray. « C'est ici, lui signifia son divin amant, que je te veux ! » Et elle se « donna » à Jésus qui lui avait déclaré, à vingt ans : « Je serai pour toi l'amant le plus tendre » ; qui lui disait à sa prise d'habit : « C'est aujourd'hui le jour de nos fiançailles... Jusqu'ici je n'ai été que ton fiancé ; à partir de ce jour je veux être ton époux ! » Un dernier extrait, pour finir comme tout par une chanson : « Le Cœur adorable de mon Jésus me fut présenté plus brillant qu'un soleil. Il était au milieu des flammes de son pur amour, envi- ronné de séraphins (ou mieux de cupidons) qui chantaient d'un concert admirable :

L'amour triomphe, l'amour jouit, L'amour du saint Cœur réjouit ! »

En l'espèce, il nous paraît difficile d'établir la limite qui sépare l'amour divin de l'amour humain. Au surplus, consultez son Mémoire et aussi Y Histoire de cette sainte par Mgr Em. Bougaud. Le même auteur a écrit Y Histoire de sainte Chantai, où il raconte ce trait dégoûtant de son héroïne, dont tout le bonheur consistait à poser ses lèvres sur les ulcères les plus repoussants, tel le lys sort parfois du fumier : « Un jour qu'elle soignait une moribonde atteinte d'un cancer à l'estomac et qui ne pouvait rien garder, elle nettoya le vomissement de cette malade avec sa langue... » Pouah ! Après tout, n'a-t-on pas glorifié les poux de saint Labre ? C'est dans l'ordre ou, si vous préférez, dans les ordres.

Parmi les exemples de macérations écœurantes, relevons les austérités que s'im- posaient d'autres douces toquées qui se rabaissaient à l'état de l'animal herbivore : sainte Marie d'Alexandrie ne mangeait qu'une feuille de chou crue — comme une lapine — chaque diman che ; Catherine de Cordoue, assure le « docteur de l'Eglise » sainte Thérèse, se réduisit à paître l'herbe comme les bêtes et, durant le carême, elle ne se permettait pas de s'appuyer sur ses mains pour brouter avec plus de fatigue ; enfin, les carmélites réformées, entre autres extravagances mystiques, se nourrissaient, les unes, de glands, les autres se contentaient de feuilles de vignes — rien des statues.


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La vierge d'Avila est donc une hystérique de la plus belle eau bénite qui soit, et, pour finir par un mot plaisant, au risque de passer, après cette palabre, pour un Joseph Prudhomme, un père Grandet, voire un Homais renforcé d'un Bonneau de Molinchard, permettez-nous de piquer sur son cas particulier l'étiquette néolo- gique d ' hys térésie .

24° Sainte-Marie de l'Ara Gœli (Santa Maria in Ara Cœli). — Cet édifice occupe l'emplacement du temple de Jupiter Gapitolin, et la troisième colonne à gauche de la nef porte encore une inscription qui trahit son origine profane : a cvbigvlo avgvstorvm. Ce monolithe viendrait donc de la chambre à coucher impériale du palais des Césars ! Un autre vestige de l'antiquité se retrouve dans une singu- lière cérémonie mystico-païenne célébrée dans ce temple chrétien et décrite par l'auteur du Voyage dans l'Italie méridionale (1843) :

Tous les ans, le jour de YEpiphanie, et du haut de l'escalier de l'Ara Gœli, on montre au peuple agenouillé sur les marches et la place le Santissimo Bambino, qui, depuis la fête de Noël, est exposé dans une crèche, ainsi que les figures de l'empereur Auguste et de la Sibylle de Gumes A sa vue, les Romains baisent la terre, se frappent la poitrine, et leur émotion va jusqu'aux larmes.

Que fait Auguste à côté de Jésus se demande Fulchiron ; Jean de la Faye va lui répondre. Cette église doit son vocable à un petit autel placé du côté de l'Evangile, qui aurait été consacré à Dieu par Auguste. Voici dans quelle circonstance :

Ce prince, ayant consulté l'Oracle de Delphes pour savoir qui gouver- neroit l'Empire après lui, fut longtemps sans avoir de réponse. Enfin, après plusieurs instances, l'Oracle déclara que l'Enfant Hébreu, Fils de Dieu, lui ayant ôté la parole, il n'avoit plus rien à révéler et que l'Empe- reur eût à se retirer. Auguste, dit-on, ayant trouvé ce langage conforme aux Prophéties des Sibylles, bâtit aussitôt un autel au Capitole en l'hon- neur de l'Enfant Hébreu dont lui avoit parlé l'Oracle, et appela cet autel Ara primogeniti Dei.

Depuis 1870, le Bambino boude dans son oratoire et ne sort plus de sa crèche.

1. Cette somnambule extralucide passe pour avoir annoncé la venue du Messie ; mais vous n'ignorez pas que cette prédiction a été, par fraude pieuse, interpolée dans les vers sibyllins à la fin du premier siècle de notre ère.


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Tombeau d'Honorius III. Le soubassement est occupé par trois génies ; celui qui occupe le centre se dresse de face et étale nette-



Fig. 369. Fig. 370.


Chapelle Savelli (xm e siècle). Un sarcophage orné de satyres et de bacchantes célébrant une fête de Bacchus renferme les restes du père et de la mère du pape Honorius IV.

Gregorovius a relevé cette inscription sur la sépulture du sénateur Petrus Jacobus Ginna.

HIC CORPVS LINQVENS ANIMA REPETIVIT OLYMPVM

Et sur le tombeau de Paolo Boccapaduli (xv e siècle), ce distique :

JVPITER HVNC PRIMVM SACRIS PREFECERAT I ILLVM NVNC SVPERI GAVDENT ASTRA TENERE POLI

L'alliance de l'élément païen et de l'élément chrétien est naturelle à cette époque où les poètes appelaient Dieu, Jupiter ; le Christ, Esculape; Marie, Diane, etc. Erasme ne comparait-il pas Jules II à Zeus ? Comme plus tard Voltaire donnera à Catherine les noms de Sémiramis ou de Minerve du Nord, de Sœur d'Apollon, etc.

L'auteur d'Un mois en Italie constate dans la Communion de saint Jérôme du Dominiquin la « bizarrerie » de, la nudité absolue


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du Père de l'Eglise, au milieu de personnages richement vêtus de costumes sacerdotaux. Ce contraste jurait tellement à côté de la pudique Transfiguration de Raphaël que les moines de l'Ara Cœli reléguèrent dans un coin le tableau du Dominiquin ; ils l'offrirent même au Poussin comme une toile qu'il pourrait recouvrir !

25° Sainte-Marie-du-Transtevère (Santa Maria in Transtevcre.) — Les colonnes coniques de la nef du premier sanctuaire de Rome qui fut élevé à la Vierge, proviennent en grande partie d'un temple d'Isis et de Sérapis dont les têtes ornent les chapiteaux païens. Harpocrate, fils d'Isis, le dieu grec du silence, y figure à côté des divinités égyptiennes. Nouvel exemple de la fusion du paganisme et du christianisme dans le domaine de l'art chrétien.

26° Sainte-Marie Majeure (Basilica Liheriana). — Les colonnes de cette basilique, « la plus grande » des églises de Rome dédiées à la Vierge, sont tirées du temple païen de Junon Lucine, la protec- trice des femmes en couches.

Sépulture de Clément IV. Le pape pontifie du haut de son mau- solée et donne sa bénédiction urbi et orbi, assisté de la Foi et de la Charité, dont le sein dodu gave un gamin goulu tout nu.

Tombeau de Sixte-Quint. L'ancien gardien de moutons, qui n'avait pas dû acquérir des goûts artistiques très prononcés dans la société de ces doux quadrupèdes, voulait faire enlever du Vatican le Laocoon et Y Apollon, à cause de leur mise négligée 1 . En revanche, ce vaniteux parvenu atteint de « la maladie de la pierre » multi- pliait ses armes parlantes sur les monuments qu'il édifiait sans cesse : un lion tenant dans sa griffe trois poires — de bon chrétien sans doute. Rappelons une réflexion quelque peu libre du pâtre de Montalte au sujet du calvinisme : « On ne fait pas l'amour dans cette religion », disait-il, « elle ne durera pas ». L'expression

1. Dans le grand hall de l'école de Danbury, du Connecticut, les étudiants et étudiantes yankees, sur leurs économies, avaient élevé une réplique en marbre de VApollon du Belvédère, le même qui échappa à l'ostracisme du faux bancal Sixte-Quint. Mais les membres du conseil scolaire, en tournée d'inspection, firent revêtir le dieu nu du Vatican d'un maillot de canotier moderne (fig. 370). Et sa chlamyde, portée négligemment sur le bras, « prit l'apparence, dit René Bures, d'une serviette mouillée qu'il emporterait dans sa cabine après le bain. » Apollon en caleçon, quelle leçon de ridicule !


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italienne est plus énergique, non si chiava in questa religione, et choquerait partout ailleurs qu'au beau pays « des priapées et des son-



Fig. 371. Fig. 372.


nets de dévotion, où le si résonne » et où l'on voit du sang- sous la peau des femmes, mais non du lait comme sous celle des Françaises, au dire du Bernin. Pourtant, une boutade de Luther ne dit-elle pas : « Celui qui n'aime ni le vin, ni les femmes, ni le chant, celui-là est un sot et le sera sa vie durant » ?

A la chapelle du tombeau de Clément VIII, deux adultes nus, en marbre, se font remarquer par leur mauvaise tenue : ils écartent leurs cuisses et semblent vouloir montrer leur sexe ou s'apprêter à satisfaire quelque besoin pressant.

La Charité (fig-. 371) du mausolée de Clément IX se distingue de ses congénères, répandues à profusion sur les monuments funèbres, par un geste qui, pour être naturel de la part d'une nourrice, est rare- ment figuré ; elle prend sa mamelle pour l'offrir à son nourrisson adoptif.

IL nous reste à visiter les tombeaux des cardinaux Santorio et Caesari Raspono. Au fronton du premier, l'un des angles est occupé par une Charité (fig. 372) qui abandonne son sein gauche à un


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l'art profane a l'église


petit miséreux et, de la main droite, lève un cœur. Sursum corda !



Fig. 373.


L'autre sépulcre est orné d'un gracieux groupe de la Renommée, au sein nu, accompagnant le Temps (fig. 373).

La princesse Pauline Borghèse, sœur de Bonaparte, qui était à ses yeux « la plus belle et la meilleure créature » de son temps, est enterrée dans la chapelle de la famille Borghèse ; mais on s'est bien gardé de décorer son tombeau de la statue, sculptée d'après


Planche XIV.



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nature par Canova, qui alarme la pudeur et « rappelle tout ce que les poètes prêtent d'attraits à la mère de l'Amour ». « C'est de la



Fig-. 373 bis. — Caricature de l'auteur des Tetoniana. Tirée du Rictus.


Viande ! » disait en français un Romain, avec un accent passionné, à l'auteur anonyme de Y Itinéraire d'un voyage en Italie.

27° Saint-Martin. — A noter un curieux tableau de Gavalucci, le Purgatoire. Parmi les âmes purifiées que les anges tirent des flammes, une femme se distingue par sa nudité, bien qu'elle tienne ses bras croisés sur les seins, en attendant sa délivrance. « Pourquoi, se demande Kotzebue, fallait-il qu'elle restât si longtemps dans le purgatoire ? Qu'a-t-elle pu faire autre chose qu'aimer ? » Or, comme le chante Béranger, pas le sénateur :


Dieu lui-même ordonne qu'on aime, Je vous le dis, en vérité. l'art profane. — II.


23


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l'art profane a l'église


28° Saint-Nicolas-en-prison (San Nicolo in carccre). — Les



colonnes de la nef furent empruntées, selon la coutume antique, au temple de Juno Sospita.

La prison à laquelle cette basilique doit son vocable est celle qui fut le théâtre, sous Glaudius le Décemvir, d'un trait de tendresse filiale maintes fois rapporté sous le titre de Cai'itas Romana (fïg. 373 bis 1 ). Pline (vu, 36) fait nourrir par sa fille le père con- damné à mourir de faim pour trahison, et Valère Maxime (iv, liv. 5) veut que ce soit la mère prisonnière qui profita de ce touchant

1. Anecd. hist. sur les seins et V allai t., fig. 31.


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dévouement filial. Ce cachot se montre encore sous le maître-autel, et Kotzebue y a vu des traces d'une ancienne peinture relatant ce fait.

29° Panthéon. — Ce temple « de tous les dieux » que le servile Agrippa éleva à la gloire de son beau-père Auguste, a été con- verti en église et consacré à « tous les saints » par Boniface IV : c'est ce qui le sauva de la destruction (fig. 287 bis). Là reposent les cendres de Raphaël près de sa fiancée, Maria di Bibiena, laquelle, dit l'abbé Boulfroy, le pré- céda de trois mois dans la tombe : assertion que con- tredit la toile de Rodolfo Morgari, exposée à l'Aca- démie des Beaux-Arts de Florence, et qui représente le « divin», Y «immortel » Sanzio mou- rant (fig. 373 ter),



Fis. 3:



Fis. 375


30° Saint-Paul hors des murs. — Le tabernacle ou ciborium, qui date du xm c siècle, porte une représentation curieuse d'Eve et du serpent tentateur à tête de canard (fig. 374) ; est-ce une ironie picturale relative à la véracité de la légende biblique ?

Des motifs hétéroclites, piqués çà et là au milieu d'un gracieux entrelacement d'arabesques, de feuillages et de volutes, décorent les tympans entre les archivoltes des arcades du cloître. Nous reprodui- sons les plus fantaisistes de ces figures : trois visages portant la même couronne (fig. 375) l , sorte à' Hécate à « trois tètes dans le même bonnet », et un petit Hercule nu (fig. 376), avec une « nature »

1. La Trinité chrétienne a exercé la fantaisie des artistes en France et à l'étranger. Nous connaissons une peinture de la cathédrale de Saint-Pol de Léon (Finistère) (fig. 375 bis) ; à l'abbaye de Saint-Emilion, un tableau qui représentait l'allégorie de la Trinité sous forme de trois hommes avec un seul front ; en Angleterre, à la cathédrale de Chichester, une sculpture d'une double Trinité avec trois paires d'yeux (fig. 375 ter) ; enfin, à saint Mary's de Faversham, le même mystère est sculpté sous la figure d'un Zeus à quatre yeux (fig. 375 quarte).


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i/art PROFANE a l'église


féminine, qui étouffe les deux serpents envoyés par Junon pour le punir de son origine adultérine 1 .



Fig. 375 bis. Fig. 375 quarte.


31° Pères Pénitenciers (Padri Penitenzieri). — Ce palais délabré, devenu couvent, fut construit pour le cardinal Domenico délia Rovere, au xv e siècle. Le Pinturicchio, l'un des hôtes du prélat, orna de peintures la demeure de son Mécène. Seules, les trois salles du premier étage, d'après G. Lafenestre et E. Richtenberger, ont conservé les traces de ses décorations : le plafond de la seconde « renferme des personnages fantastiques et des animaux fabuleux », et à celui de la troisième sont représentés « des épisodes de la légende, des animaux marins, combats ou scènes amoureuses, des sirènes nageant, des nymphes montées sur des dauphins, des amazones, etc. »

32° Saint-Pierre-aux-Liens (San Petro in Vincoli). — Sur le monument commémoratif de Jules II, inhumé à Saint-Pierre de

1. Dans l'église de la Piazza Sciarra ou Corso, pendant la semaine sainte, un sermon était exclusivement réservé aux femmes qui s'étaient écartées du droit chemin ; les coupables se trahissaient par leurs larmes de repentir et bien peu des représentantes du sexe que Milton appelle « un beau défaut de la nature », fair defecto of nature, sortaient les yeux secs.


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Rome, sont ciselés des bas-reliefs Mme de Genlis, puisqu'ils représentent les divinités du paganisme ». Pendant ses excursions en Italie, la pruderie de ce délicat bas-bleu a souvent eu l'occasion d'être effarou- chée par une pareille promiscuité.

Ce mausolée devait être « une montagne d'ar- chitecture 1 » ; il compre- nait plus de quarante statues, sans compter les bas-reliefs en bronze ;


fort déplacés là, au dire de



Fig. 377. — Reproduite par A. Demmin, in Encyclopédie des Beaux-Arts plastiques.


Fig. 376.

mais son édification fut interrompue par la reconstruction de


1. Voici la description que Condivi donne de ce tombeau ; elle est conforme au dessin à exécuter, laissé par Michel-Ange (fig. 380, 381). Sur chacune des quatre faces devaient figurer quatre esclaves enchaînés à des Ternes placés en arrière d'eux. Entre les esclaves, des niches auraient abrité des Victoires terrassant à leurs pieds des prisonniers abattus. Au-dessus d'une corniche qui aurait terminé cette décoration, Michel-Ange disposait huit figures assises, deux sur chaque face, qui auraient représenté des Prophètes et des Vertus. La Prudence tenait un miroir et le Moïse était au nombre de ces statues. Du sarcophage placé au milieu de ces figures s'élevait une pyramide dont le sommet supportait un ange chargé, comme Atlas, d'un globe sur ses épaules. De ce gigantesque projet, il ne reste à l'état d'exécution que Moïse, l'une des Victoires et deux Captifs. (Cf. d'Agincourt, Hist. de l'Art par les Monuments).


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l'art profane a l'église


Saint- Pierre, et, dans la suite, il fut réduit à sa plus simple expression



Fig. 378. Fig. 378 bis.


(fig. 377). Tous les arts libéraux, la Peinture, la Sculpture et Y Architecture y étaient représentés comme des captifs tombés en esclavage après la mort de Jules II 1 .

1. Rappelons que la statue en bronze de ce bouillant pontife, destinée à son fas- tueux monument, fut brisée à Bologne (p. 110). Nous savons qu'il voulut être représenté une épéc et non un livre à la main :

Eh quoi ! Mathan, d'un prêtre est-ce là le langage ?

De tout temps, d'ailleurs, le sabre et le goupillon ne furent-ils pas deux inséparables,


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Parmi ses richesses, le Louvre possède deux prisonniers nus (fîg*. 378 et bis), l'un endormi, l'autre éveillé, qui occupaient les pilastres du soubassement 1 . Ils furent donnés à François I er par Robert Strozzi, et plus tard le connétable de Montmorency les offrit au cardinal de Richelieu pour orner son château; ce qui n'empêcha pas ce prélat peu reconnaissant de lui faire trancher la tête.

Le monument actuel est toujours do- miné par le fameux Moïse, en Jupiter olympien, avec cornes et barbe de bouc, à qui il ne manque que la parole ; mais les captifs sont remplacés par des statues de femmes drapées, sculptées par Rafaele Montelupo, élève de Buonarroti; elles représentent la Vie active.

Nous relevons, sans plus insister, un des détails décoratifs et incongrus du soubassement (fîg-. 379).

en dépit des maximes évangéliques : « Celui qui frappe de l'épée mourra par l'épée » et Ecclesia abhorret a sanguine ? Pour respecter ce précepte chrétien, le fameux évêque Odon, frère utérin de Guillaume le Bâtard, prit part à la conquête d'Angle- terre en assommant les Anglais à coups de massue. L'Inquisition aussi, se gardait de répandre le sang, elle brûlait les hérétiques; de même, les Frères de Moravie, une secte des Anabaptistes, se conformaient au texte de l'Évangile en faisant chatouiller le coupable jusqu'à ce qu'il mourût. Jules II n'avait pas ce scrupule et ne visait d'autre modèle que saint Paul qui essorilla Malchus. Que les pourfendeurs religieux méditent cette réflexion du roi Jacques: « On a bien vu Notre-Scigneur battre des gens pour les chasser du temple, mais on ne trouve nulle part qu'il en ait maltraité pour les y faire entrer. » La conduite de trop de pontifes, qui devraient prêcher d'exemple, est en contradiction avec les livres saints : Sixte-Quint approuvait le régicide et Grégoire XIII glorifiait le massacre de la Saint-Barthélemy que ce dévot dévoyé, ce rat raté d'église, Joris Huysmans, appelle allègrement « une partie de chasse » et considère 157:2 « comme une date glorieuse ». Aussi, ne nous étonnons pas de voir ces oiseaux de paradis, qui suent le sang et l'hypocrisie, cloués au pilori de l'histoire par l'éclat et la vigueur du verbe de notre chantre national, — ne pas con- fondre avec notre « chantre mou ». François Coppée :

Boniface a des fils de ses nièces ; Urbain Fait saigner et mourir cinq prêtres dans leur bain ; Borgia dans Gomorrhe y serait une tache ; Grégoire tient la torche et Sixte tient la hache ; Félix est un désastre et Simplicius ment; Cet Innocent brûlait les hommes, ce Clément Les massacrait, ce Pie est un vendeur du Temple, Jule est l'épouvantail comme Christ est l'exemple

1. Raphaël semble s'être inspiré de l'attitude de ce dernier pour V Apollon qu'il a placé dans son Ecole d'Athènes, au Vatican.



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l'art profane a l'église


On voit encore dans cette église un singulier tableau en mosaïque



Fig. 380. — - Projet de Michel-Ange, pour la sépulture de Jules II. Moitié gauche de Tune des faces.

représentant Saint Sébastien, le nimbé voué au nu, affublé d'une longue robe comme une Vierge byzantine.


33° Saint-Pierre du Mont (San Pietro in Montorio). —


Première


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chapelle, du côté droit. La Flagellation (fig. 38 ibis), peinture à l'huile



Fig. 381. — Moitié droite de la même face.

de Sebastiano del Piombo, d'après le dessin de Michel-Ange, qui a dû y donner aussi quelques coups de pinceau, des coups de maître. L/un des deux bourreaux (celui de droite) frappant le divin Flagellé avec des lanières, serait son portrait. On reconnaît l'intervention de Buonarroti à l'exagération du nu, qui rappelle celle de ses person-


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i/art profane a l'église


nages athlétiques du Jugement de la Sixtine : la draperie du Ré- dempteur est réduite à sa plus simple expression; quant aux caleçons blancs des deux exécuteurs du premier plan, il est visible, surtout



en considérant la peinture, qu'ils ont été ajoutés après coup par quelque Volterre complaisant. Nous avons fait pointiller les voiles supplémentaires dont l'éclatante blancheur jure avec la teinte foncée des personnages, due à la peinture qui a noirci, en raison de l'inexpérience de Sebastiano Luciani, qui tentait, pour la première fois, l'emploi des couleurs à l'huile sur l'enduit des murs.

Quatrième chapelle. Des enfants entièrement nus soutiennent deux à deux la corniche de la balustrade. « Cette balustrade, dit de Lalande, conviendrait mieux dans un jardin que dans une église, où elle est un peu indécente. »

Première chapelle à gauche. Deux anciens tombeaux vides sont ornés de bas-reliefs singuliers. Sur l'un, on voit « les danses et les jeux obscènes » des faunes, des satyres, des bacchantes; puis, la cérémonie des cendres et la mort au milieu de ses nombreuses victimes. L'autre représente la désobéissance d'Eve et le Jugement


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dernier; les ressuscités forment des groupes bien divertissants, paraît-il : « Je les examine souvent, dit un moine cicérone à l'auteur de V Itinéraire d'un Voyage en Italie, et ne m'en approche jamais sans y découvrir de nouvelles facéties, plus burlesques les unes que les autres, un peu trop libres peut-être pour un temple catho- lique et pour des capucins. » Bah ! les bons frocards d'antan n'avaient pas froid aux yeux ; n'avaient-ils pas adopté pour juron per Dio Bacco, parce que les peines contre les blasphémateurs les empêchaient de jurer per Dio. Nous savons que Benoît XIV, affolé dans sa jeunesse par Mme Dubocage, avait toujours à la bouche le mot le moins honnête de sa langue, et celui de sa contre-partie.

34° Le Saint Escalier (Scala Santa). — Sur la paroi de droite et en haut du prétendu escalier de Pilate 1 , dont les pèlerins des deux sexes — les dames au risque de montrer leurs dessous 2 — gra- vissent les vingt-huit marches 3 , à la façon des culs-de-jatte et aussi de César quand il montait l'escalier de Jupiter Gapitolin, un tableau représente Eve sortant d une côte « superflue 4 » d'Adam. Celui-ci est couché sur le côté gauche et tourne le dos au public, pour dissi- muler sa nudité antérieure. De plus, le peintre pusillanime a pris la

1. Cet escalier de Pilate a servi longtemps dans les représentations théâtrales de la Passion ; de là sa réputation usurpée.

2. Un éditeur d'art nous contait qu'à sa visite dans cette église, une agenouillée ambulante tomba à la renverse, en découvrant son architecture inférieure ; sa femme, simple curieuse, se précipita à son secours et gravit, pedibus cum jambis, les sacrés degrés. Mais un prêtre la réprimanda vivement de la profanation qu'elle venait de commettre. L'interlocutrice reprit sans désemparer qu'il fallait être un sérénissime — ou serinissime — imbécile pour ne pas aider à se relever une femme « qui tombe ». Un autre jour, à Rome, la même personne se vit fermer la porte d'une église, parce qu'elle était en costume de cycliste, mais le bedeau lui insinua un « accommodement avec le ciel » : celui de louer une jupe à son épouse. La propo- sition fut acceptée et une fois dans la place, au beau milieu de l'édifice religieux, la travestie retira la jupe de location, en disant d'un ton narquois au sacristain ébaubi : « Maintenant que je suis entrée dans la place, je sors de vos hardes. »

Les Flamands qui, assure Nisard, se servent des prêtres, mais ne les servent pas, gravissent d'une façon analogue la montagne sainte de Ghevremont, près de Chau- fontaine, pour adorer la Vierge dans une chapelle : « les uns les pieds nus, les autres avec des pois dans leurs souliers, ce qui est l'épreuve intermédiaire entre monter nu-pieds et monter en souliers ; quelques-uns, les plus zélés, à genoux. »

3. A chaque marche, à chaque roulis de hanche, à chaque tangage de croupes, on gagne neuf années d'indulgences.

4. Bossuet assure « qu'en prévision de la naissance d'Ève, l'Eternel avait donné à Adam une côte superflue dans le côté » et l'aigle de Meaux ajoute, en s'adressant dédaigneusement à la plus belle moitié du genre humain, qu'elle doit sans cesse se souvenir de son origine, c'est-à-dire « qu'elle vient d'un os surnuméraire ».


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l'art profane a l'église


précaution de cacher les organes prohibés par un petit nuage, qui sort... on ne sait d'où. Eve se contente de croiser les bras pour cacher ses seins au Créateur, mais elle ne peut dissimuler son ventre aussi développé que celui d'une femme à terme.

35° Sainte Sabine. —

Mausolée du cardinal Monti del Pozzo. Autour du sarco- phage se tiennent la Vierge



Fig. 382.


Fie. 383.


portant Jésus tout nu, deux saintes et les Vertus cardinales : la Prudence découvre son torse et une partie de l'abdomen pour se faire piquer la mamelle droite par un serpent (fig. 382),

Qui déchire son sein, qui dévore son flanc.

36° Santo Stefano Rotondo. — Sur les parois de ce temple antique qui date du v° siècle, Pomarancio, pour les figures, et Matteo di Sienna, pour les paysages, représentèrent dans une suite de trente-


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deux fresques mouvementées et tourmentées, les horribles tortures appliquées aux martyrs dépouillés de leurs vêtements.

37° Trinité du Mont. — Les matériaux de cette belle église furent tirés des Thermes qui portent le nom du plus acharné persécuteur des chrétiens : « Quel triomphe, exclame Ampère, et quelle noble vengeance du Christianisme ! »

La Descente de Croix est des plus... décentes; c'est à ce titre que nous en parlons. Elle est due au pinceau-goupillon de Daniel Ric- ciarelli, plus connu ou trop connu sous le nom de Daniel de Volterre et le surnom de Bracchetone, sa « culotte » de Nessus. Les quatre femmes de face, inclinées, ne montrent absolument rien de leur gorge. Comparez cette composition avec celle de Rubens 1 et vous vous rendrez compte de la distance qui sépare le peintre de la chair de celui de la chaire.

IL — PALAIS ET VILLAS

Nous visiterons seulement les édifices privés qui ont appartenu à de hauts dignitaires de l'Eglise.

Villa Albani. — Cette villa, sur le point de disparaître, fut fondée par le cardinal Alexandre Albani, grand amateur d'art antique. Napoléon I er cambriola trois cents des meilleures statues qui furent restituées en 1815, et que le cardinal Joseph Albani vendit au Musée de Berlin, à l'exception du célèbre bas-relief d'Antinous, pour couvrir les frais du transport !

Après avoir traversé la sala ovale du Casino, où se trouve Y Amour bandant son arc^ on arrive à la galleria grande dont le plafond peint à fresque par Raphaël Mengs représente, dans le champ du milieu, Apollon et les Muses de grandeur naturelle. « Le Sanzio, disait Winckelmann, n'a rien produit qui puisse y être comparé. » Vous êtes orfèvre, Monsieur Josse ! Ce lourd critique brandebourgeois, l'ami d'Alexandre Albani, ne pouvait juger autre- ment l'œuvre d'un compatriote qu'il écrase sous le pavé de l'ours.

1. Réveil, tom. xi, 793.


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l'art profane a l'église


Villa Borghèse. — Commencée par le cardinal Dezza, elle fut terminée sous le pontificat de Paul V par son neveu le cardinal Scipion. Avant d'être une galerie de peinture et de sculpture, elle fut la demeure d'un prélat, et I on y pouvait déjà contempler les toiles et les statues les plus suggestives, entre autres : Jupiter et Danaé, un des meilleurs tableaux du Corrège ; Y Aurore, du Guerchin ; Vénus et V Amour, de Lucas Cranach ; Y Amour sacre et V Amour profane, du Titien ; Léda (fig. 383) ; les statues colossales de Jupiter, Apollon, Julie et Sabine ; la Dispute d'Apollon et d'Hercule, par Domenico des Angelis, à la voûte de la première salle; la Naissance de Vénus, fresque de Gaetano Lopis, à la voûte de la troisième salle; etc. Cet édifice n'a donc pas changé de destination; il n'a fait qu'étendre son hospitalité à Fart profane.

Palais du cardinal Cesi 1 .

La Famésine. — Cette demeure de plaisance, édifiée par le ban- quier des papes, Augustin Chigi, devint la propriété des Farnèse. On y admire encore les douze fresques où le pinceau magique de Raphaël développe les différentes phases des Noces de Psyché, et où le maître des maîtres prouve que la foi n'est pour rien dans les manifestations artistiques de la peinture religieuse. Il ne serait pas question, ici, de ce palais, si l'amphitryon n'avait souvent réuni et « régalé » Léon X et divers cardinaux, en noble compagnie des nudités de l'Olympe, à la tête desquelles brillent les Trois Grâces, une brune, une blonde, une châtaine, à qui l'amour fait admirer Psyché dont il est épris (fig. 384).

Palais Farnèse. — Ce palais fut construit en face de la Famésine sur la rive opposée du Tibre, par le cardinal Alexandre Farnèse, qui devint pape sous le nom de Paul III. Les fresques lascives d'Annibal Carrache, son chef-d'œuvre, dont le Triomphe de Bacchus et d'Ariane occupe le centre, se déployaient à l'aise sur les murs de ce palais, sans crainte de faire rougir davantage la pourpre cardi- nalice. Les amours mythiques étaient célébrées sur les parois de la

1. L'auteur des Délices d'Italie y a « admiré » une sculpture antique représentant Junon, dite Y Amazone parce qu'elle a une mamelle coupée. Nous ne connaissons aucune figure d'Amazones offrant la section mammaire à laquelle cette peuplade fabuleuse devrait son nom.


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galerie des fêtes 1 . Il suffit de considérer les sujets d'ornementation



Fig. 385.


de la chape de ce pontife 2 pour avoir la mesure de son libéralisme artistique et de sa moralité.

Cet édifice n'a pas, non plus, beaucoup changé en devenant un Musée national, où Ton rencontre, par exemple, Apollon et les Trois Grâces qui ont des draperies sous la main, mais se gardent bien de s'en servir, à la satisfaction des amis des beaux-arts.

Palais Spada. — Il fut élevé pour le cardinal Gapo di Ferro sous le pontificat de Paul III et décoré par le cardinal Spada. On y

1. La chaste plume de Du Pays proteste contre les sujets de ces peintures: « C'est un des caractères de l'époque où elles furent exécutées que ce goût prédominant pour la mythologie, mais il ne justifie pas (pour parler le langage énergique de La Bruyère), ces saletés des dieux peints pour les princes de l'Eglise. » Et le cha- noine de Bléser ajoute : « C'est une des plus belles œuvres de la Renaissance, mais il est bien permis d'affirmer sans témérité que de pareils scandales ne s'étaleront plus jamais dans la demeure de ceux auxquels il a été dit d'être la lumière et le sel du monde. »

2. Les Seins et l'Allaitement à l'Eglise, fig. 1.


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admire la Mort de Didon du Guerchin ; la poitrine de l'héroïne apparaît en entier sous la draperie qui recouvre le reste du corps.

Palais Barberini. — Date de l'exaltation du cardinal Maffeo Barberini, devenu pape sous le nom d'Urbain VIII, dont nous con- naissons les armes parlantes. Ce palais est situé sur l'emplacement du cirque de la courtisane Flora et est fameux par les fêtes noc- turnes qu'on y donnait. Il ne déroge donc pas en abritant dans ses galeries des toiles telles que les Bacchanales de PAlbane, écho lointain des orgies qui se passaient au même lieu, et la Fornarina 1 , la robuste maîtresse du divin Sanzio, lequel postulait, comme l'Arétin, au chapeau de cardinal.

Palais Rospigliosi. — Construit par Je cardinal Scipion Borghèse, neveu de Paul V, cet édifice devint plus tard la propriété du cardinal de Mazarin. Actuellement, il donne asile au Temple de Vénus par Claude Lorrain, et à la sensuelle Léda du Corrège. On y voit aussi Vénus et V Amour du Dominiquin, à côté du Péché originel, interprété par le même pinceau mi-païen, mi-chrétien. Le jardin est rempli de marbres antiques : Y Enlèvement de Proser- pine, Méléagre et le sanglier., etc. Benoît XIV avait l'habitude d'y prendre son café ; de là le nom de Coffee House donné à ce buen retiro par les touristes d'outre-Manche.

Palais Gorsini. — Il dut sa magnificence à Clément XII qui l'acheta pour son neveu, le cardinal Neri Corsini. Sous ses lambris mourut Christine de Suède, la célèbre Messaline repentie. Ce palais est aujourd'hui un Musée et renferme bon nombre de nudités pictu- rales ou marmoréennes.

Nous en dirons autant du Quirinal construit par Grégoire XIII pour servir de palais pontifical d'été, où réside en ce moment le terrible « geôlier » de la papauté, le roi d'Italie, et du Palais Doria qui appartint à Innocent X. Le portrait de ce pontife, avec son nez enluminé, « piquante parure », y figure en bonne place, à côté de sa belle-sœur, donna Olimpia Panfili par le Bernin.Que si l'existence de la papesse Jeanne est douteuse, celle de la papesse occulte Olimpia est des plus authentiques : cette intrigante gouverna l'Eglise pendant dix ans.

1. Curios. méd. littèr. et art. sur les seins, fig. 60.


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Salerne. Cathédrale 1 .

San Salvi. Monastère. — Dans la Cène peinte en fresque sur les murs du réfectoire de ce couvent, un grand cœur renversé est représenté au-dessus de la tête du Christ ; l'usure du temps a estompé la silhouette de ce viscère, que des gens malintentionnés prennent pour la partie inférieure d'autres organes, sculptés en profusion sur les ruines de Pompéi.

Sienne. 1° Dôme. — Une « orgie » de sculptures et de mosaïques, écrit un voyageur ; la façade, comme le reste, est « d une richesse étourdissante ». De chaque côté de cette façade s'élèvent deux colonnes corinthiennes surmontées de femmes dévêtues, les mains liées derrière le dos. « L'artiste », dit Taine, « pour atteindre au mouvement vrai, ne craint pas de gâter un peu le sein. » Ne confond-il pas avec les ligatures des figures du bénitier disposé à l'entrée (fig. 385) ?

La cuve baptismale de ce singulier monument est l'œuvre de Giacomo délia Quercia ; son pilier de support est constitué par un candélabre antique orné de plusieurs femmes nues, ligottées comme celles de la façade, ce qui les empêche de se protéger contre les regards indiscrets. Elles ont à leurs pieds des têtes d'angelots ou d'amour qui agrémentent aussi le haut du pourtour de la cuve.

Une chaire octogone en marbre blanc de Niccolo Pisano et son fils Giovanni, est soutenue par des lionnes qui tiennent un anneau dans leur gueule ou sont tétées par leurs petits. Du corps de ces fauves s'élèvent huit colonnettes sur lesquelles sont assises autant de femmes portant, chacune, un enfant qui leur parle à l'oreille.

Les mosaïques du pavé offrent des dessins remarquables et com-

i. Sous les portiques de l'atrium qui précède cet édifice, l'attention est attirée par un sarcophage antique enjolivé du combat des Centaures et des Lapithes; au-dessus de cette sculpture païenne, en 1427, on a gravé une croix et le nom d'un juris- consulte de Salerne, Benoît Le Rond, versé dans la science des lois et du droit, à la façon de Robert Macaire : « cette malle doit être à moi ». L'épitaphe de cet avocat, habitué à jongler avec le pour et le contre, établit son droit à l'inviolabilité de sa sépulture :

Quod tumnlum fuit sibi concession,

Nec potiiil alteri concedi et in eo non débet alius sepeliri.


« Il craignait sans doute, remarque judicieusement sinon juridiquement M. Lucien du Bois, que quelque jour on ne lui rendît la pareille. »

l'art profane. — II. 24


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L ART PROFANE A L ÉGLISE


prennent quelques nudités « qui mettent les curieuses dans un assez grand embarras », assure un observateur digne de foi. Effective- ment, dans la belle composition du Pinturicchio, le Triomphe de la Vertu (fîg. 386), qui a un air de famille avec Y Empire du Temps sur le Monde 1 de la basilique de Saint- Denis, on remarque un mécontent de son sort montrant le poing à la Fortune. Celle-ci, à l aide d'une voile,



Fis-. 385.


Fie. 386.


se dirige où souffle le vent, se tenant en équilibre un pied sur l'avant d'une barque désemparée et l'autre sur un globe, « pour montrer, dit M. Lucien Bégule 2 , son peu de stabilité ».

La frise est ornée des bustes de tous les papes ; on y voyait autrefois, paraît-il, celui de la papesse Jeanne, inventée par les Réformés et métamorphosée en pape Zacharie, vers 1600.

Chapelle des Chigi. La Marie-Madeleine du Bernin se tient debout et est presque nue (fig. 387). Elle était destinée à représenter une Andromède ou une Niobé, à l'exemple de Martial, pour qui le

i. L'Art profane a l'église, en France, %.146 . .... ± Les Incrustations décoratives des cathédrales de Lyon et de Vienne; Picard, edit.


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sixième signe du zodiaque, celui de la Vierge, était Diane, Dea Virgo. Cette Madeleine est trop jeune pour une pénitente ; à cet âge,



Fig. 387. Fig. 388.


elle pratiquait encore la devise que prendra plus tard Mlle Cerny : « Aimez-moi les uns les autres ».

Chapelle de Saint-Jean. Sur un pilastre en forme d'ara ou autel païen sont retracés les divers incidents de Y Enlèvement de Proser- pine (fig. 388).

Le plafond de la sacristie ou plutôt de la bibliothèque (libreria) est couvert de scènes mythiques. Au milieu de cette salle a long- temps figuré le célèbre groupe en marbre des Trois Grâces (fig. 389), attribué à Phidias et trouvé à Rome au xv c siècle 1 . Il est assez endommagé ; la Grâce du milieu a perdu la tête. Pie II, amateur passionné d'art antique envoya ce groupe de croupes à sa ville natale « pour y perpétuer sa mémoire ». Depuis la Renaissance,

1. Ces trois déités païennes qui personnifiaient ce qu'il y a de plus séduisant dans la beauté physique et morale, — de là le nom de Charités qui leur était encore donné, — devinrent avec le Christianisme les Vertus théologales. Leurs images con- tinuèrent à être très répandues chez le peuple, comme dans l'antiquité, mais elles changèrent de nom : en Belgique, ainsi qu'au nord de la France, elles devinrent des Trois Pucelles, et dans le Midi, les Trois Nourrices ; à Narbonne, il existait une auberge à cette enseigne et Rabelais, puis Molière, y logèrent.


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l'art profane a l'église


les filles d'Aphrodite « faisaient l'admiration des fidèles et des infi-



Fig. 389.


dèles » ; elles étalaient leurs charmes au beau milieu de l'église, jusqu'au jour où l'archevêque François Piccolomini les relégua à la sacristie. Mais Pie IX, à son passage en 1857, choqué de la présence


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dans le saint lieu de cette sculpture païenne, qui pourtant, objec- terait Galino, était en état de grâces — la fit déposer à ÏOpera del Duomo, au voisinage de la cathédrale . Raphaël et Ganova, dit-on, se sont inspirés de ce chef-d'œuvre de l'antiquité pour traiter le même sujet ; ce fut d'ailleurs le premier tableau mythologique du peintre d'Urbin. C'est donc en présence de ces beautés dévêtues que, naguère, le prêtre se préparait à célébrer le sacrifice de la messe.

Sur la voûte du Baptistère jetons un regard sympathique à la Vérité qui, un miroir à la main, découvre sa poitrine d'où émerge une tête de profil : comme la Prudence, cette allégorie a deux visages oppo- sés, le passé et l'avenir.

2° Saint-Dominique. — Chapelle Sainte-Catherine. Superbe dal- lage sur lequel Orphée tout nu charme les animaux et les visiteurs.

3° Palais public. — A la chapelle située au premier étage, on trouve, « en bizarre compagnie », saint Christophe et Cicéron, Caton et Mars, Jupiter et Judas; enfin, Apollon catéchisé par saint Am- broise. Aux pans de voûte, parmi les Vertus peintes par Taddeo Bartholi, la Charité se fait remarquer par son absence presque complète de voiles.

Soriano 1 .

Subiacco. Saint-Benoît (San Benedetto). — Chapelle de la Vierge. Un ermite, suivant la description de X. Barbier de Montault, n'a d'autre vêtement que sa barbe et ses cheveux, d'une longueur déme- surée. Tandis qu'il récite son chapelet, un ange tutélaire lui apporte un pain et un vase plein d'eau.

Tortone. Cathédrale. — Jules Lecomte, dans ses Voyages çà et là (1859), raconte plaisamment qu'il a vu sur les bas-reliefs d'un beau

1. Un portrait de saint Dominique est le but d'un pèlerinage annuel pour les femmes qui prétendent être tourmentées de l'esprit malin. Pour beaucoup, c'est un prétexte à ballade ou à rendez-vous et l'occasion de se faire payer par leur époux une paire de souliers des dimanches, sans lesquels il ne serait pas séant de se pré- senter devant le saint guérisseur. Certaines pèlerines ont des motifs spéciaux ; ainsi l'une d'elles, vers 1777, confia à Henri Swinburne qu'ayant été mariée contre son gré à un gardien de chèvres, « qui puoit, à renverser, l'odeur de son troupeau et de ses fromages », jouait la possédée afin de le dégoûter d'elle.


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l'art profane a l'église


sarcophage antique Castor et Pollux et la Chute de Phaéton, deux sujets d'une mythologie assez imprévue dans un temple chrétien

Ceci me rappelle qu'à Cologne, dans les caveaux du dôme, on voit la châsse des trois mages, Gaspard, Melchior et Balthazar, toute constellée de pierreries de second ordre : topazes, améthystes, chrysoprases, grenats, adamantoïdes, — plus, de quelques pierres dures : cornalines, aigues-marines, onyx, camées... Or, parmi ces dernières, beaucoup sont gravées, et il ne faut pas précisément de loupe pour reconnaître que plus d'une offre des sujets d'un paganisme si outré, que leur place serait plutôt dans le musée secret de Naples que sur un reliquaire des hauts temps du christianisme...

Un habitant auquel je fais remarquer l'inconvenance de bas-reliefs mythologiques dans un temple catholique, me répond :

« — Ne faites pas attention, nous sommes ici dans un pays de rizières...

» — Eh bien ! quel rapport y a-t-il ?... » — On y riz de tout ! »

Et comme cette ineptie ne me fit pas rire... mon homme, croyant bien s'excuser, ajouta :

« Je vous dis ça, monsieur, parce que vous êtes Français, le pays des farceurs, et que j'ai pensé que ça vous ferait plaisir à entendre ! »

Trévise. Saint-Nicolas (San Niccolo). — Mausolée du comte Agostino Onigo. Trois génies porteurs de cornes d'abondance décorent l'entablement. Celui du milieu est absolument dévêtu, à part une étroite banderole qui flotte autour de son corps sans en rien cacher, mais sa tenue choque peut-être moins que celle de deux autres : ils portent une courte chemisette plaquée sur leurs organes dont ils accusent le relief.

Turin. — Les églises de l'ancienne capitale du royaume laissèrent à M. Bordes, en août 1755, à peu près la même impression que celle des autres villes importantes de l'Italie septentrionale 1 .


1. A Gênes, entre autres, dit-il,

On ne voit que dans l'Italie Tous ces temples que la folie Ridiculement décora, Vous diriez qu'on y sacrifie Au joli dieu de l'Opéra.

O Vénus ! sous le nom de Vierge, J'y vais révérer tes contours ; Mille anges, sont autant d'amours, Leurs flambeaux sont changés en cierge.


Tout est marbre et pierre de prix ; Colonne, statue ou peinture, Tout feston, guirlande, dorure, Tout pompon, jusqu'aux crucifix.

Dans ces régions si charmantes, Il manque pourtant un grand point : Les églises sont très galantes, Et les femmes ne le sont point...


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1° Saint- Jean-l'Evangéliste. Cathédrale l . — Le chœur est rehaussé de fresques remarquables ; Tune d'elles représente les Sibylles. Le corsage largement échancré de la cartomancienne de Samos laisse voir un de ses seins.

2° Sainte-Christine. — Cette église des carmélites déchaussées possède une statue de Sainte Thérèse par Legros. La vierge d'Avila est en extase comme celle du Bernin; mais, ici, la visionnaire pâmée ouvre ses vêtements pour découvrir au céleste amant son cœur en même temps que son sein. Cette allégorie profane de l'amour divin était d'abord placée à l'extérieur, où elle a été remplacée par une réplique.

Un voyageur signale, en outre, au maître-autel un tableau d'une étrange composition : il représenterait l'enfant Jésus tirant comme Cupidon une flèche qui va percer le cœur de sainte Thérèse. Le Bamhino est aux côtes de la Vierge et de saint Joseph, qui semblent admirer son adresse. Y a-t-il confusion dans l'esprit de notre tou- riste avec la statue de l'extatique 2 ?

3° Saint-Esprit {Santo Spirito) \ — 4° Eglise des Jésuites (San S a lu tare) 1 *.

Venise. 1° Saint-Marc. — Extérieur*. — Ce vieil édifice « d'un

1. Près de la porte principale, un collier de fer est fixé à un poteau, sorte de pilori religieux, où l'on exposait autrefois ceux qui refusaient de faire leurs pàques.

2. Valéry place cette peinture à l'église Saint-Philippe-de-Neri et signale à Saint- Charles-Borromée saint Joseph tenant l'Enfant Jésus, qui blesse d'un trait le cœur de saint-Augustin à la façon du petit archer Eros.

3. C'est dans cette église que J.-J. Rousseau abjura le calvinisme en 1728 ; le phi- losophe de Genève, partisan des Confessions, ne pouvait conserver une religion qui ne les admet pas.

4. Elle possède un carillon de dix cloches, qui fait entendre, comme en Belgique, des airs profanes : c'est une rareté en Italie.

5. Tout d'abord on se demande ce que signifient au milieu d'une façade d'église ces quatre Chevaux de hronze doré qui sont en cuivre et traînent un quadrige — le seul qui soit parvenu jusqu'à nous. Cet attelage décorait primitivement l'arc de triomphe d'un empereur romain, Néron ou Trajan ; puis il fut roulé à l'hippodrome de Constantinople, d'où il vint relayer à Venise jusqu'au jour où Napoléon « l'em- prunta » pour orner l'arc de triomphe du Carrousel; enfin, la Restauration le restitua à Venise, où il fut remisé définitivement.

Sur la façade est raconté l'enlèvement du corps de saint Marc, apporté d'Alexan- drie entre deux pièces de lard, comme un sandwich, pour faciliter son passage à la douane des turcs qui ont horreur du porc. On y voit l'air déconfit des infidèles bernés et la mine narquoise et exhilarante des chrétiens malicieux qui leur ont joué le tour.


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l'art profane a l'église


g-oût misérable », dit de Brosses, a cinq dômes, et non sept, comme le veut le spirituel président qui les compare à des « chaudières »,

parce qu'ils sont revêtus à l'intérieur d'un parement de mosaïques à fond d'or. Nos ingénieux symbolistes peu- vent y voir l'image des chau- dières de l'enfer; mais, dans l'esprit du critique susnom- mé, il ne s'agit que de vul- gaires chaudrons 1 .

Entre autres hors-d'œu- vre incrustés sur la façade principale, on reconnaît no- tamment Gérés en char traî- né par des hippogriffes, un flambeau dans chaque main pour rechercher sa fille, et diverses représentations d'Hercule. Ici, le fils de Ju- piter porte les dépouilles de la biche aux cornes d'or et foule aux pieds l'hydre de Lerne ; là, il charge ses épaules du sanglier d'Erymanthe et terrasse le dragon des Hespérides. « Ne trouvez-vous pas très comique, demande Ad. Lance, de rencontrer dans l'ornementation d'une église chrétienne du moyen âge toutes ces images damnables des faux dieux du paganisme ? »

Les arcs et les coupoles deYatrium sont surchargés de décorations en mosaïques, dont les sujets, tirés des épisodes de l'Ancien Testa- ment (fîg\ 390, 391), sont rendus dans un style d'un réalisme affo- lant.

Sur la voûte du porche de Saint-Marc, écrit Taine, des mosaïques in-

1. La symbolomanic a tout idéalisé : pour saint Mcliton, le nez est l'emblème de la discrétion; la bouebe celui de la tentation; les ongles, c'est la perfection des vertus; les mamelles, la doctrine évangélique; le ventre, l'avarice; les entrailles repré- sentent les préceptes de N.-S. ; le buste et les reins, les pensées de luxure, etc.; le même dément voyait dans la charrue l'image de la croix !



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nombrables étalent des corps réels et roides, des Eves grêles,, à la poitrine tombante, des Adams maigres qui sont des ouvriers déshabillés, vingt



Fig. 391. — Bibere papaliLer !


scènes bibliques d'une indécence aussi naïve et d ; une maladresse aussi enfantine que les enluminures des plus vieux missels.

En effet, nulle part les représentations d'Adam et de sa compagne ne sont plus fréquentes qu'à V enise, tant sur les édifices civils (fig. 392 ) que religieux. Nulle part, aussi, nos premiers parents n'ont été figu- rés d'une façon plus réaliste. L'artiste qui a imaginé ceux du porche a peut-être pris trop à la lettre les livres sacrés. Leurs organes sexuels sont fortement accusés et ombragés d'un taillis pubien des plus touffus ; quant aux seins d'Eve, ils ne nous ont pas paru « grêles », bien au contraire.

Une autre mosaïque commente et met en pratique, sur fond d'or, le précepte du psalmiste : Crcscitc et multiplie amini. Dans un premier tableau, « l'œuvre de chair » est figurée par un homme couché auprès d'une femme dont il caresse les seins ; puis, vient l'accou- chement dans tous ses détails. Mais le tableau le plus cru et aussi le plus cocasse est sans contredit celuide la Circoncision (fig. 392 bis) : Jésus est représenté à l'âge adulte et ithyphallique, comme Osiris (fig. 392 a) et autres divinités égyptiennes (fig. 392 b, c) ;


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l'art profane a l'église


le grand prêtre coupe ostensiblement le prépuce volumineux qui tombe à terre ! Flac !

Façade occidentale. Sur les archivoltes qui encadrent le tympan



Fig. 392 ». Fig. 392 bis.


de la porte sont sculptés des sujets d'une signification obscure. Une femme nue enfourche un dragon, dont la queue est terminée par une tête qui lui mord un sein. Elle est placée en regard d'un homme à moitié déshabillé qui chevauche sur un second dragon , dont il tient la queue entre les dents : la Terre et Y Océan ? D'autre part, l'un des douze mois de Tannée, Décembre, accompagné des signes du Zodiaque, est personnifié par une femme nue, à tête d'oiseau, à queue de poisson et dont un animal fantastique dévore les seins.

Entre les arcades, six bas-reliefs sont encastrés dans la muraille : la Vierge y paraît sous la protection de deux Hercules nus ; l'un porte le sanglier d'Erymanthe, l'autre la biche Arcadienne.

1. Eve, aux flancs robustes, d'Antonio Rizzo; clic fait pendant à Adam sur le revers de la Porta délia Caria, à Venise.


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Dans les retombées des arcades, des esclaves dévêtus jouent le



Fig. 392 a. — La Résurrection d'Osiris. Bas-relief du temple de Denderah. Tirée de la Mission de l'Expédition d'Egypte.

rôle de gargouilles et portent sur les épaules des vases penchés auxquels s'ajustent les gouttières.

Intérieur. — L'arcade de la porte est occupée par un Jugement



dernier qui est une composition d'Antonio Zanchi reproduite en mosaïque par Pietro Spagna (1680). Les pécheurs sont refoulés par les anges exterminateurs vers la gueule du monstre infernal, vorat, urit et agit Avernus. En tête du groupe figure une femme nue, couchée sur le dos et munie d'une paire de mamelles monstrueuses (fig. 393) ; elle résiste avec énergie aux démons qui l'attirent vers le gouffre. Cette cohue de damnés se termine par une autre commère

1. Bas-relief du temple d'Ermcnt. T. 1, pl. 97.


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l'art profane a l'église


aux chairs non moins rebondies, dont le buste seul émerge surmonté de deux globes charnus de dimensions extravagantes.

Toutes ces singularités justifient la comparaison de la cathédrale



Fig. 393.


de Saint-Marc par Théophile Gautier à une grande bible d'or, historiée, enluminée, fleuronnée, ou à un missel du moyen âge sur une grande échelle.

Une des bizarreries de ce vaisseau byzantin est la belle porte en bronze, à côté de l'autel, ciselée par Sansovino qui a buriné sa figure, ainsi que les portraits du Titien et de l'Arétin — l'un le peintre, l'autre l'écrivain de la chair — mêlés aux évangélistes et aux prophètes. Quelle antithèse ! Une véritable gasconnade italienne.

A la gauche du sanctuaire, une large toile de Biscaino Bartolomeo présente Jésus devant les pharisiens qui espèrent le mettre dans l'embarras, en lui posant ce dilemne, à propos de la Femme adultère :

Et nous dis lequel debvons faire : Ou la punir (la lapider), selon la loy Ou luy pardonner, selon toy.

Jésus se baisse et trace du doigt sur le sable ces mots : « Terre, terre, écrivez que ces hommes sont réprouvés ». Au premier plan de ces « sépulcres blanchis », la coupable d'une grande beauté


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expose à tous les regards plongeurs, en s'inclinant avec respect devant son protecteur, la rotondité complète de son sein droit. Chapelle Zeno. Le monument funéraire du cardinal de ce nom



Fis. 394.


Fig. 395.


est orné de bustes franchement féminins en bas-reliefs (fig. 394) et de statues dont une nymphe presque nue (fig. 395) qui, comme la Bettina de Gœthe, semble préférer la danse à la marche.

Campanile. La Loggetta, bijou marmoréen ciselé par Sansovino, s'élevait au pied du clocher de Saint-Marc qui vient de s'effondrer ; on y remarquait, non sans surprise, quatre statues de bronze, la Paix, Apollon, Mercure et Pallas. Ces chefs-d'œuvre de la statuaire du xvi c siècle, qui occupaient les niches des trumeaux, n'étaient pas, que nous sachions, des divinités chrétiennes (fig. 395 bis à 399).

Ces disparates se retrouvent encore au palais des Doges dans l'escalier des Géants, où Mars et Neptune, qui lui ont donné leur nom, ont pour vis-à-vis Adam et Eve chefs-d'œuvre d'Ant. Rizzo (1462). Eve tient la pomme de la main droite et voile, de la gauche, « le jardin du péché », avec une attitude et un geste de coquetterie pudique.


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L ART PROFANE A L É G LISE


Mais revenons, avec Ad. Lance, aux pierres précieuses de la Loggctta :

Les grands bas-reliefs de l'attique sont les plus charmantes composi-



Fig. 395 bis. — Reproduite par Armengaud, dans les Galeries de l'Europe.


tions qu'on puisse voir. Je me souviens surtout de celui du milieu : Venise sous les traits de la Justice, assise sur deux lions et accompagnée de deux vieux fleuves à longue barbe étendus à ses pieds, lesquels arro- sent la terre de l'eau qui s'écoule à flots de leurs urnes renversées. Celui de droite représente Vénus à peine formée de l'écume de la mer et déjà courtisée par l'Amour (fig. 398). Une magnifique petite grille à deux vantaux, fondue en bronze vers le milieu du xvm e siècle par Antonio Gai, ferme la balustrade d'enceinte de la Logette (fig. 396, 397).

2° Carmes. Monastère. — Michel Sobleo ou Desubleo, né en Flandre, décora plusieurs églises de Venise; sa composition la plus estimée est la Suzanne surprise au bain (fig. 400), qu'il peignit pour le couvent des carmes. Suzanne vient de sortir du bassin.


3° Saint-Etienne (San Stephano). —


Ornementation curieuse à


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l'entablement du sarcophage de Jacopo Suriano : deux robustes gaillards de génies, en bas-reliefs, tiennent d une main l'épitaphe

du défunt, et, de l'autre, le



396. — Motif principal du vantail gauche Fig. 397. — Motif qui surmontait

de la grille. le vantail droit.


ornés, par Niccoletto Roccatagliata, d'enfants nus, amours, génies ou anges sans ailes ad libitum.

Dans le couvent auquel appartenait l'église et qui a été trans- formé depuis en caserne d'artillerie, le marquis de Seignelay a vu un tableau qui représentait « La Femme prise en adultère », de Roche-Marcou : thème émoustillant et favori des moniaux.

C'est au fond du réfectoire de ce couvent que se trouvait la gigan- tesque composition des Noces de Cana, par Paul Véronèse. D'après une tradition écrite., conservée dans le susdit couvent, raconte


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L ? ART profane a L'ÉGLISE


M. Villot, cité par M. Bourrand, auteur de V Histoire de ï Art chrétien, un grand nombre des personnages de ce tableau sont les



Fig. 398. — Bas-relief du soubassement (Campanile).


portraits de célèbres contemporains du maître vénitien : l'époux, assis à gauche, représenterait don Alphonse d'Avalos et la jeune épouse, placée près de lui, Eléonore d'Autriche, reine de France.

François I er , coiffé d'une façon bizarre, est assis à ses côtés ; vient en- suite Marie, reine d'Angleterre, vêtue d'une robe jaune. Soliman I er , empereur des Turcs, est près d'un prince nègre qui parle à un de ses serviteurs ; plus loin, Victoire Golonna, marquise de Pescaire, tient un cure-dents. A l'angle de la table, l'empereur Charles V. vu de profil, porte la décoration de la Toison d'Or.

Paul Véronèse, nous le savons, s'est représenté avec les plus célèbres peintres de l'époque dans le groupe des musiciens : il est en blanc et joue de la viole comme Tintoret, placé derrière lui; Titien racle de la basse qui, par synonymie, eût dû échoir à Bassan, muni d'une flûte ; enfin, Benedetto Galiari tient une coupe de vin et boit à la santé de ses bruyants compagnons 1 .

5° Grands- Augustins. — De Lalande y signale la présence d'un tombeau antique surmonté d'un groupe des Trois Grâces, « dont

1. Sur un des pilastres de Saint-Georges-Majeur, une inscription, rapportée par Valéry, accorde « le pardon absolu de tous les crimes à celui qui visitera cette église » ; c'est un encouragement au crime, comme la suppression de la peine de mort.


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deux, vues par-devant, montrent distinctement et fort en grand le



Fig\ 399*. Fig. 400.


caractère de leur sexe ». Nous n'avons pu découvrir cette église qui doit être détruite.

6° Saint-Jean-Chrysostome. — Au maître-autel, est accroché l'un des premiers et des meilleurs tableaux de Sébastien del Piombo, où figurent trois saintes, Catherine, Agnès et Madeleine, à côté de quatre saints. « Un fait bien caractéristique pour ce peintre, dit un critique d'art, c'est qu'on reconnaît immédiatement qu'il a voulu représenter la beauté sensuelle, surtout dans les saintes. Elles ont conscience de leurs charmes et elles se présentent de façon à rendre encore plus attrayantes leurs formes arrondies. »

7° Saint- Jean et Saint-Paul (San Zampolo). — Cette église est la plus importante de Venise, après Saint-Marc; l'œil est surpris et fatigué de la multiplicité et de la richesse de ses décorations. C'est le Saint- Denis des doges. Voici d'abord le tombeau de Marc-Antoine Braga-


1. Statue placée à gauche de la porte d'entrée du Campanile. l'art profane. — II.


2:;


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L * A R T PROFANE A LÉGL1SE


din, mort en 1571, qui fut écorché vif sur Tordre de Mustafa, comme



Fig. 401.

l'indique une statue d'un naturalisme excessif au-dessus du monu- ment.

Sur le bas-relief du mausolée du doge Giovanni Mocenigo sont sculptés une femme et un homme nus.

Dans le chœur, le tombeau monumental du doge Andréa Vendra-



min, banni de Venise pour faux, a été exécuté par Alessandro Leo- pardi. Il est terminé par un motif bizarre : deux néréides ailées et à queue double tiennent un médaillon où figure un Gupidon dé- plumé (fîg. 401). Atravers le fouillis d'ornements qui l'enrichissent, on distingue des enfants enfourchant des dauphins et d'autres sujets profanes « n'ayant pour tout attrait », dit l'auteur des Pierres de Venise, « que la grossièreté de leur expression et l'absurdité de leurs costumes, souvent d'une obscénité de détails repoussants. » Au- dessous du sarcophage, des figurines vêtues comme « des déesses païennes » personnifient les Vertus; l'une d'elles porte une draperie qui découvre la plus grande partie de son torse.

Le mausolée du doge Valiero et de son épouse qui, contre l'usage,


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fut couronnée de la corne ducale, comprend une trentaine de sta-



Fig. 403.


tues. L'une d'elles, la Charité de P. Baratta, « d'une suavité ravis- sante », allaite un orphelin et offre des fruits à d'autres enfants. A la porte de cette église s'élève la fameuse statue de Bartolomeo



Fig. 404. Fig. 405. Fig. 405 his.


8° Saint-Job. (San Giohhe). — Au tympan de la porte de la Schola Lombardcsca^ Job, agenouillé, est sculpté en bas-relief. Il paraît complètement nu en dépit d'une mince draperie qui entoure son bassin (fig. 402).

9° Sainte-Marie-des-Miracles (Dei Miracolï). — A noter plusieurs motifs d'ornementation : deux néréides tentatrices entre deux hommes


1. Les Seins h l'église, fig-, 61.


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l'art PROFANE a i/église


personnifient la Luxure (fig. 403) ; sur divers pilastres, un génie, sans ailes, mais non sans sexe, fait rofïice de cariatide (fig. 404) ; une gracieuse centauresse se complaît à cambrer son torse pour en faire saillir les rotondités (fig. 405); et nos premiers parents se tiennent sous l'arbre du bien et du mal, qui est ici figuré par un palmier (fig. 405 bis).

10° Santa Maria dei Scalzi. — Ancienne église des Gordeliers qu'Alphonse Karr a dû confondre avec une autre, dans cette note de voyage :

Eglise boudoir, où la Vierge ressemble à Vénus, où les anges sont des Amours, et les saintes, de charmantes divinités païennes. H y a surtout un groupe en marbre, où Ton voit l'ange transver héraut le cœur de la sainte.

Il y a évidemment confusion avec le chef-d'œuvre du Bernin, que nous avons signalé à Rome.

1 1° Sainte-Marie-de-la-Santé {Délia Salute). — Cet édifice est situé à l'extrémité Est du Grand-Canal; son extérieur, avec sa population de statues, a été décrit par la plume spirituelle et sensuelle de Théophile Gautier :

Les coupoles blanches sont d'une courbe très gracieuse et s'arron- dissent dans l'azur comme des seins pleins de lait. Une Eve, fort jolie, en costume du temps, nous souriait tous les matins, du haut d'une corniche, sous un rayon de soleil rose, qui teignait son marbre d'une rougeur pudique. La religion n'est pas farouche en Italie et elle accepte volon- tiers la nudité sanctifiée par l'art.

Le maître-autel est décoré d'un important tableau en marbre qui se rapporte à l'édification de l'église ; il représente Venise implorant la Vierge, pour obtenir de son Fils la délivrance de la Peste (1731). Vers la gauche, le fléau fuit devant un ange qui le poursuit, la torche à la main. De nos jours, pour conjurer une épidémie, l'in- tercession, au lieu d'être divine, est administrative et s'adresse au Conseil d'hygiène 1 .

1. A côté de cette église, Giacarelli a sculpté sa Minerve assise sur un lion qui décore l'attiquc de l'Académie des Beaux-Arts. « C'est une grosse fdle plastronnée, d'appas robustes », et qui n'a rien de la sobre élégance de celle qui sortit tout armée du cerveau de Zeus.


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12° Sainte-Marie-glorieuse-des-Frères (Dei Frari Franciscains). — Tombeau du Titien, mort de la peste à 99 ans (fig. 405 ter). Le



Fig. 405 1er. — Erigé en 1852.


maître vénitien, assis à côté d'un Eros de la Mort, soulève le voile de l'image de Saïs ; il est entouré de quatre statues légèrement dévê- tues qui personnifient la Xylographie, la Peinture, V Architecture et la Sculpture. Cette description empruntée à un auteur ne répond pas à notre figure .

Mausolée de Canova, principis sculptorum œtatis suse. Ce monu- ment a été exécuté par ses élèves, d'après le modèle que l'artiste avait composé pour un tombeau du Titien. Un génie ailé qui sym-


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l'art profane a l'église


bolise la Fragilité de la vie, s'appuie sur une torche qu'il éteint. Ce << grand jeune homme en costume d'Adamite, dit Ad. Lance, qu'un simple mortel ne se permettrait pas devant des dames », est le frère de celui qui pleure sur le tombeau de Clément XIII, à Saint-Pierre de Rome. Or, ce dernier mausolée est de tous ceux de la basilique le seul que décrive Une Chrétienne à Rome et qu'elle qualifie avec emphase de « chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre ». Cette préférence serait-elle due au prestige de la mâle académie qui décore ce monument maniéré?

La sépulture de Benedetto Pe- saro est couronné par la statue du guerrier, en costume d'amiral. Il est placé entre Hercule (fig. 406) et Mars (fig. 407), tous deux en costume olympien 1 .



Fig. 406.



407.


13° Sainte-Marie-Majeure. — Eglise supprimée. Charles Blanc y signale un ex-voto où le Padouan avait représenté un miracle de la Vierge en faveur d'une dame qui accoucha pendant une traversée périlleuse. « On y remarque, non sans quelque surprise, une figure de femme assise avec grâce sur un cheval blanc et vêtue en satin rayé qui plaisait tant à Giorgione ; le tableau est signé : Opus Varo- tari ».


14° Eglise de l'île Saint-Michel. — Elle fut bâtie avec les deniers de Marguerite Emiliani de Vérone, pécheresse qui renonça à Eros et à ses pompes... après fortune faite. Le nombre des courtisanes était considérable à Venise, ville où Ton se « gondole » sans cesse

1. Les réflexions de l'auteur des Guêpes sur cette église lyrique nous fourniront la note pittoresque. « Une des plus pauvres au dehors et des plus riches au dedans, le contraire du sexe féminin. J'y tombe bien, on y chante un opéra. Au milieu, un amphithéâtre d'une dizaine de rangs, de magnifiques stalles chargées de sculptures et de mosaïques. Au-dessus des stalles, l'orgue et un orchestre nombreux de musi- ciens et un nombre suffisant de chanteurs, premiers sujets et chœurs, tandis que, à un autel loin de là, un prêtre susurre des paroles latines. Après l'Evangile, la musique est devenue dansante (1877). »


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391


et dont le carnaval était quasi perpétuel : ruspente et ruspanti sui- vaient à la lettre le précepte évangélique qui recommande d'aimer son prochain comme soi-même.

15° Saint-Roch (San Rocco). — On y admire de nombreuses pein- tures murales du Tintoret, le premier peintre vénitien qui paganisa l'art chrétien et interpréta l'histoire sainte d'une façon naturaliste. Au premier étage, se trouve la Piscine Probatique ou Miraculeuse, « tableau, écrit une plume austère, qui est composé avec toute l'extravagance et l'indécence possible », où le Christ est entouré de femmes nues. L'une d'elles, complètement dépouillée de ses vête- ments, prend son bain dans un baquet; une autre lève la chemise de sa compagne pour mieux montrer a Jésus le mal qui lui ronge le haut de la cuisse. C'est ici que « la pudeur de la bedeaudaille se met à braire », pour employer une expression chère à frère Jean Jean Huysmans.

16° Saint-Sauveur (San Salvator). — Le tombeau du sénateur André Delphin et de sa femme est orné des bustes en marbre des deux personnages. Celui de l'épouse est fortement décolleté et exhibe deux grosses mamelles qui débordent du corsage trop étroit.

Le monument du Doge Francesco Veniero est dominé par une Pieta en marbre où le corps du Rédempteur est exposé sans le plus petit voile. Aux deux extrémités du sarcophage se tiennent la Charité, le corsage hermétiquement clos, et la Foi dont le manteau laisse à découvert toute la région abdominale (fîg. 408).

16° Séminaire patriarcal (Seminario patriarcale). — Une salle sert d'exposition à l'ancienne galerie Manfredini ; elle possède un des principaux tableaux du Giorgione, Apollon et Daphné, tous deux en costume mythique.

17° Saint-Sébastien. — On peut l'appeler l'église de Paul Véro- nèse ; les tableaux de cet artiste y sont nombreux, et l'on y voit son tombeau. Dans le Martyre de saint Marc et saint Marcellin encou- ragés par saint Sébastien, il a donné ses traits à ce dernier et a représenté sa femme à la fleur de l'âge. Sa Piscine Probatique


302


l'art profane a l'église


grouille de nudités élégantes ; mais, le saint Jérôme de l'église Saint- André, à l'extrémité de Venise, est •egardé comme son plus beau nu.



Fis. 4(


Fier. 409.


18° Eglise de Tolentini. — Le mausolée bizarre de François Morosini n'a de maurose que le nom du défunt ; « la figure du Temps, enchaîné, dit Valéry, le nu de ce squelette, l'ensemble, les détails de la composition tiennent vraiment du délire ».


19° Saint-Zacharie. — La sépulture d'Alessandro Vittoria a été exécutée en marbre par l'artiste lui-même, qui vivens vivos duxit e marmore vultus. Deux cariatides légèrement drapées tiennent com- pagnie au buste du sculpteur (fîg. 409) l .

1. Alphonse Karr parle, dans ses Notes de voyage, d'une église des Jésuites, à Venise, que nous n'avons pu découvrir. « Une chapelle à gauche en entrant, écrit-il, au-dessus du portrait de saint Ignace, présente une statue, de marbré blanc, de la Vierge-Mère, dont la robe collante révèle et exhibe toutes les formes,


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393


20° Palais ducal. — Dans le Jugement dernier de Palma jeune, on distingue parmi les damnés « une jolie personne dont les blondes et fraîches carnations sont livrées aux griffes des diables ».

Vérone. 1° Sainte-Anastasie.

— Le bénitier est creusé dans un chapiteau provenant d'un temple païen et supporté par un nain bossu, du statuaire Gabriel Caliari, père de Paul Véronèse.

2° Grande délia Scala. — Le

sarcophage de Gan Martino II est le premier qui ait été orné d'une Vertu cardinale, la Force.

La tombe de Gan Signorio, qui fut deux fois fratricide, porte l'image de cinq Vertus : la Foi, la Charité, la Prudence^ la Justice et la Force ! Et voilà comment les monuments funéraires écrivent Thistoire.



10.



Fie. 411.


3° Sainte-Marie -Antique. (Santa Maria Antica). — Au tombeau des Scaliger, une Charité inépuisable prodigue le lait de ses seins à une multitude de petits affamés.

4° Santa Maria in Organo. — En considérant les boiseries sculp- tées de la sacristie, le regard est particulièrement attiré vers une néréide à double queue ; les bras sont remplacés par des ailes.

5° Saint-Zénon-le- Grand (San Zeno Maggiore). — Un chapiteau antique sert aussi de bénitier.

Les portes en bronze du portail sont décorées de représentations naïves empruntées à la Bible et à l'Evangile. Ces grossiers bas- reliefs intéressent par leur caractère grotesque. Sur les vantaux

tous les détails du corps avec plus de précision, de franchise et de nudité qu'il ne semble convenir à une vierge tant soit peu chaste et honnête. »


394


l'art profane a l'église


sont sculptées deux femmes au buste nu, dont la signification nous échappe (la Mer et la Terre?). Elles allaitent, la première, deux poissons (fig. 410) et, la seconde, deux enfants (fig\ 411).

Au-dessus du portail, les statues des fondatrices de l'église, la mère, l'épouse et Ermengarde, une des filles de Gharlemagne, sont devenues les trois vertus théologales : Fides, Spes, Caritas.

Viterbe. Saint-Ange in Spata. — Sur la façade, un sarcophage romain orné d'une chasse au sanglier contenait le corps de la belle Galliana, l'Hélène du xn° siècle qui alluma la guerre entre Rome et Yiterbe. On rapporte qu'après leur défaite, les galants Romains demandèrent et obtinrent de voir une dernière fois avant leur départ Galiana; la superbe créature se montra à Tune des fenêtres de l'ancienne porte Saint- Antoine.

Volterre. Cathédrale 1 .

SICILE

Un terme dénominatif quelque peu singulier vaut la peine d'être consigné : les cathédrales, en Sicile, sont appelées Matrices, le nom de l'organe de la conception.

Presque toutes les églises siciliennes, comme celles de Belgique, exhibent une image terrifiante en relief ou peinturlurée des damnés qui se tordent au milieu des flammes vengeresses.

Gatane. Cathédrale Sainte -Agathe. — Du 3 au 5 février, à la fête de la patronne de la ville, à qui Quintianus fit tenailler les seins (fig. 412 bis), le reliquaire en argent de la vierge martyre est promené à travers les rues principales par des habitants revêtus d'aubes blanches. Les femmes attachent leurs mantes devant le visage, à

1. Saint-Germain Leduc raconte, en 1830, que l'on y guérissait les morsures des chiens enragés par l'attouchement d'un clou de la vraie croix. De temps immémo- rial ce remède était usité en Toscane ; mais il faut tout dire pour expliquer ses succès : avant d'appliquer la sainte relique sur la blessure, on la chauffait au rouge et, de la sorte, elle agissait comme un vulgaire cautère. Le remède était plus efficace que notre sérum antirabique, mais à la condition d être appliqué immédiatement. Par ailleurs, un simple clou à bateau eût suffi.


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395


la façon des musulmanes ; mais sous ce masque improvisé, elles laissent un œil découvert pour intriguer les hommes à loisir.

Gomme Didon, remarque A. Dumas, la sainte compâtit aux maux



Fig. 411 bis. — Buste de sainte Agathe, reproduit par F. de Roberto in Catania.


qu'elle a soufferts et tous les seins malades de l'Italie viennent implorer son intervention miraculeuse pour leur guérison. Une pro- fusion d'ex-voto mamelliformes en argent, en marbre et en cire sont autant de témoignages de son pouvoir sanitaire (fig. 411 bis et ter).

De curieux bas-reliefs en chêne datant du xv c siècle tapissent le sanctuaire. Ils développent toute l'histoire de la sainte, depuis le moment où, refusant d'épouser Quintianus, elle est frappée de barres de fer, brûlée par des torches ardentes et a les seins coupés que saint Pierre lui réapplique dans sa prison, jusqu'à celui où son


396


l'art profane a l'église


corps fut rapporté de Constantinople. Suivons toujours les bas- reliefs dans la description qu'en donne Fauteur du Speronare :

On voit la sainte apparaître à Guilbert et lui ordonner d'aller chercher



Fig. 411 ter.


son corps à Byzance. Guilbert obéit et trouve son tombeau. Embarrassé alors pour emporter cette précieuse relique, il coupe le cadavre par mor- ceaux et en met un morceau dans le carquois de chacun de ses soldats, et le rapporte ainsi jusqu'à Gatane sans qu'il s'en égare autre chose qu'un sein, qui heureusement est retrouvé et rapporté par une petite fille, de sorte que la bienheureuse Agathe, à la honte des infidèles, se retrouve au grand complet.

A la porte septentrionale, la base des pilastres est ornée de motifs païens ou s'ébattent dans des poses lascives des néréides, des tritons et autres monstres marins qui constituent le cortège d'Amphitrite (fig. 411 quarte).

Cet auteur parle encore d'une église de la même ville, mais sans


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397


autrement la désigner, où il vit, couchés au pied des fonts baptis- maux, deux lions gothiques supportant une centauresse, qui repré- sente les armes de la ville. Il paraît que toutes les statues de ces animaux fabuleux , trouvées dans les fouilles , appartien- nent au sexe masculin ; le musée ne possède qu'une seule centauresse. Cette figure n'existait que sur les bas-reliefs ou les médailles.


Girgenti. — C'est dans cette ville que s'élevait le temple de Junon-Lucine, où se trouvait le fameux tableau que Zeuxis exécu- Fig m quRrte

ta, en choisissant pour

modèles, les cinq plus belles filles d'Acragas ; d'autres placent ce chef-d'œuvre dans le temple du cap Lacinium 1 .

Cathédrale. — A la porte de la sacristie est déposé un ancien sarcophage en marbre, qui a servi de cuve baptismale; il est orné de bas-reliefs représentant les aventures d'Hippolyte. Sur une des faces, Phèdre en proie aux tourments de l'amour reçoit des conso- lations de sa nourrice, tandis que des jeunes filles jouent du luth et qu'Eros décoche ses flèches. Il nous est difficile de dégager de cette image païenne le rapport qui existe entre elle et le premier des sacrements de l'Eglise.



Messine. Saint-François-d' Assise. — Derrière le maître-autel de cette cathédrale, est aussi exposé un sarcophage antique, orné de bas-reliefs se rapportant à Y Enlèvement de Proserpine. De même à la cathédrale Saint-Mathieu de Salerne, on voit au côté droit de la


1. Les Seins à l'église, fig. 16.


398


l'art profane a l'église


nef deux sarcophages ornés de scènes bachiques qui servent de

sépultures a des évéques.

Monréal. — Saint-Pierre

Nouvelle (Pietro Novelli). — Dans un tableau de la Fuite en Egypte, on remarque sur le seuil de sa porte une femme, le sein droit ballant, qui offre l'hospitalité à la sainte famille.

Palerme. lo Compagnia di San Lorenzo. — On y trouve une Charité richement capi- tonnée (fîg. 412) ; elle possède, selon la locution euphémique et restrictive du Fils de Gi- boyer, « de ces attraits péris- sables qui prêtent une grâce de plus à la vertu » . Son buste est entièrement découvert ; elle presse un sein gonflé de lait, tandis que F autre sert d'oreil- ler à un marmot de passage gavé outre mesure qui jouit d'un dolce far niente absolu et profite d'une existence ouatée de tout repos, mais combien éphémère. Ce groupe plein de charme et de vie se distingue encore de ses congénères par un détail réaliste amusant ; nous voulons parler de la solution de continuité — le clair de lune — que présente la culotte du gamin impatient et affamé qui réclame son tour. C'est à travers de semblables ouvertures ménagées par les haillons de Diogène que Platon disait apercevoir... son orgueil 1 .

1. De nos jours, en France, le dernier cri de la statuaire pour l'image de la Char* rilé est de la représenter vêtue, dans toute la rigueur du puritanisme. Voyez le monument élevé au docteur Roussel, au dos de la Maternité. Par contre, il présente une innovation que nous n'avons jamais rencontrée ailleurs : au lieu de la marmaille



Fis. 412.


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399


2° Couvent des Capucins. — Ses caveaux jouissent de la pro- priété de momifier les cadavres. Leur dessèchement s'opère dans



Fig. 412 bis. — Supplice de sainte Agathe, d'après la gravure de Iluberti.

quatre caveaux appelés pourrissoirs qui contiennent chacun trois ou quatre corps. Le personnage soumis à cette opération, homme ou femme, laïque ou religieux, est entièrement nu et attaché sur une espèce de grille de fer, sous laquelle coule un ruisseau d'eau vive. Le corps met environ six mois à se dessécher, après quoi il est habillé selon sa condition et placé dans des galeries spéciales. On y voit surtout de nombreux capucins revêtus de leur robe de bure et, sous des cloches à melon, des femmes en parure de bal et des jeunes filles en robe blanche, avec leurs couronnes de vierges. Ces catacombes modernes décrites par Alexandre Dumas ont sans doute cessé d'exis- ter : les itinéraires récents de la Sicile n'en soufflent mot.

masculine qui grouille communément aux pieds de la première des Vertus, on ne voit qu'une jeune pucelle d'une dizaine d'années, absolument nue.


VIII RUSSIE


Saint-Pétersbourg. Saint-Isaac. — Les Russes, selon la remarque de Viardot, sont des « iconoclastes à demi ». Le Synode n'autorisa

qu'à l'extérieur de cette église impériale une ornementation avec des statues d'an- ges en tout semblable à celle de la coupole du Yal-de-Grâce. Aucune image plastique ne décore donc l'intérieur ; le « nu » des murailles y est absolu ; c'est le seul qu'on y observe.

Lubocknia. — L'église de cette ancienne ville polonaise possède un bas-relief re- marquable par ses nudités séraphiques : des anges « très mâles » et d'autres « vi- siblement femelles » poursuivent un lièvre à la chasse.

Moscou. L'Annonciation. — L'une des trois cathédrales de cette ville où s'élevaient « quarante fois quarante églises ». On rencontre, non sans surprise, dans une fresque du Paradis, saint Pierre et saint Nicolas voisinant avec Anacharsis, Socrate, Aristote, Pto- lemée, Ménandre, poète comique grec, auteur de comédies imitées par Térence. « Les Chrétiens grecs, dit Viardot, se montraient cer- tainement, il y a quatre siècles, plus tolérants que ceux de l'Eglise apostolique et romaine. »



Nowgorod. Sainte-Sophie. — L'une des portes est illustrée d'une Naissance d'Eve (fig. 413) peu banale. Le Créateur tocologue


Russie


— SL'ÈDE


401



x

SUÈDE


Pénurie de documents : une seule figure sculpturale d'un Christ nu, mais asexué, est reproduite sans autre indication d'origine dans Y Histoire de l'Art par les Monuments (fîg\ 415).

1. Cette posture obstétricale est fréquente dans les théogonies grecque et indoue. Sur un bas-relief trouvé à Sanghao (Musée de Lahore) et reproduit par M. A. Tou- cher, auteur de Sur la frontière Indo-Afghane, Maya accouche, dans la même attitude, de Bouddha qui sort de la hanche droite de sa mère ; celle-ci s'appuie, d'un côté, sur sa sœur Mahaprajapate et s'accroche, de l'autre, à une branche d'arbre (fig. 414).


l'art profane. II.


26


XI


SUISSE


Andernach. — Félix Regamey a rencontré à la porte d une com- munauté religieuse un Christ sur la croix, mais non crucifié, <( comme je n'en ai vu nulle part ailleurs », dit Fauteur D'Aix en Aix (fig. 416). Un pagne ne recouvre que le recto de son périnée, le verso reste exposé aux regards indiscrets et aux intempéries des saisons.

Bale. 1° Cathédrale. — Extérieur. Façade occidentale. Deux statues colossales adossées aux contreforts symbolisent la Luxure ou la Mondanité (fîg\ 417, 418), sous les figures d'un riche libertin ganté, qui, du haut de son pilier, répond à Fœil aguichant d'une dame galante. Cette beauté facile « à l'air canaille et drôle », suivant l'ex- pression d'Anatole France, lui découvre son sein droit par la fente de son vêtement : elle « fait de l'œil et du sein ». Le dos du débauché est nu et couvert de reptiles (fig. 419) qui expriment son caractère diabolique. Il en est de même de l'élégant gentilhomme qui accom- pagne les Vierges folles sur les portails latéraux de cet édifice. Cette tentation terrestre est plus compréhensible que celle du serpent édénique : la fille d'Eve, ici, offre à croquer une pomme charnelle. Remarquez le jet de flammes qui sort de la gueule du monstre infernal, placé à ses pieds, et consume les organes des jouissances sensuelles.

La Luxure est aussi allégorisée sur la porte Louis XII du Châ- teau de Blois ; mais, en Loir-et-Cher, l'agent provocateur est un moine qui présente les armes de Vénus devant une jeune béguine, comme un érotomane de la variété dite exhibitionniste. Quant au groupe de


SUISSE


403


Baie, c'est le triomphe de l'amour profane aux portes du temple de l'amour divin 1 .

Sur la façade principale ; d'après V. Hugo, il y a quatre curieuses sta- tues de femmes : « deux femmes saintes qui rêvent et qui lisent ; deux fem- mes folles, à peine vêtues, montrant leurs belles épaules de Suissesses fermes et grasses, se raillant et s'in- juriant avec de grands éclats de rire des deux côtés du portail gothique. Cette façon de représenter le diable est neuve et spirituelle. » Les stalles attirent aussi l'attention de notre poète: (( Ces petits édifices en bois ciselé sont pour moi des livres très amusants à lire ; chaque stalle est un chapitre. La grande boiserie d'Amiens est l'Iliade de ces épopées. »

Intérieur. A l'extrémité orientale des bas-côtés, une table en pierre qui a fait partie d'un autel de Saint- Vincent, rappelle par ses bas-reliefs le supplice que ce martyr subit en


Espagne, sous Dioclétien


fig. 420-



422). Le corps du saint fouetté, brûlé d'abord par des torches ardentes (fig. 420), puis sur le gril (fig. 421), est nu; mais le sculpteur a évité de le présenter de face et pour cause.

Une néréide (fig. 423) réfugiée sur le tailloir d'un chapiteau allaite son petit qui tient un poisson a la main. Ce jouet enfantin, ou cet accessoire, rappelle simplement


Fia:. 416.


L. Dans un édilice religieux de Great Malvern, en Angleterre, existe un autre groupe de la Lubricité qui abaisse l'humanité au rang de l'animalité (fig. 419 bis) : une femme de mauvaise vie, louvète ou méchinc, sous forme de chatte bipède, ron- ronne ses conditions d'entrée en jouissance, de palper l'espèce femelle, selon le terme de J.-B. Rousseau, contre le palper d'espèces sonnantes.


404


l'art profane a l'église


l'origine aquatique de ces êtres fantastiques. Mais les symbolistes y




Fig. 417. Fig. 418. Fig. 419.

voient une image de la rapidité fugitive du plaisir qui ne laisse, après lui, que remords ou peines ! La même explication s'applique

à Foiseau qui remplace parfois le poisson dans ces scènes (fig. 426), et qui, comme le poisson, échappe si facilement.

D'après le Bulletin Monumental, les stalles du chœur offrent « des scènes satiriques de la vie monas- Fig. 419 bis. tique ». Bien que le capuchon n'ap-

partienne pas exclusivement aux moniaux, nous devons reconnaître que les réguliers ont long- temps eu « une mauvaise presse » graphique ou figurée.



SUISSE


405


2° Saint-Jean. — Décrochons deux des tableaux à fresques de la



Fig. 420. Fig. 421*.


Danse des Morts (fig. 424, 425) qui enluminait le mur du cimetière de cette église, comme celui du Charnier des Innocents de Paris.



Fig. 422. Fig. 423.

Ils sont accompagnés de quatrains gouailleurs, relevés d'une pointe de libertinage.


1. Les cartes postales de Bâle, qui reproduisent ces bas-reliefs, ont le tort de les donner pour les Martyres de Saint-Laurent et de Saint-Vincent.


406


l'art profane a l'église



Fig. 424. Fig. 425.


LA MORT AU MEDECIN (fig. 424).

Des morts, dont vos talents ont peuplé mon empire, Mon squelette mouvant vous offre tous les traits ; Leur corps du corps humain vous apprit les secrets : Quelque jour sur le vôtre on pourra s'en instruire.

RÉPONSE DU MÉDECIN.

Les deux sexes chez moi venaient avec mystère M'apporter certaine eau qui m'apprenait leur mal ; Qui voudra voir la mienne, et me tirer d'affaire ? — Hélas ! il est trop tard : voici l'instant fatal.

LA MORT A L'ABBESSE (fig. 425).

Dites-nous, Dame Abbesse, honneur du monastère, D'où vient cet embonpoint qui semble vous gêner ?

Je ne veux rien imaginer : Mais enfin pour jamais je vais vous en défaire.

RÉPONSE DE L'ABBESSE.

Au pied du saint autel, dans un pieux accord, Les vierges du Seigneur et moi-même à leur tête, Nous chantions tous les jours les hymnes du Prophète. Oh l si ces chants divins pouvaient fléchir la mort !


SUISSE


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Cette Danse macabre, qui date du milieu du xv e siècle, est faus- sement attribuée à Holbein, né à la fin de ce siècle.


Frirourg. Cathédrale. — Sous l'abaque d'un chapiteau, une néréide allaite encore son rejeton qui, ici, tient un oiseau (fig. 426). D'après



Fig. 426. Fig. 427.


le Père Cahier, ce groupe familial personnifie les dangers de la vie mondaine, c'est-à-dire tous les genres de séduction. Nous persistons à considérer le poisson précité et le volatile — une mouette sans doute — comme des jouets de l'enfance appropriés au caractère maritime des personnages.

Saint-Gall. Monastère. — A la bibliothèque on conserve précieu- sement un diptyque en ivoire, habilement fouillé par le moine Tuotilon qui possédait tous les talents, au point que le roi Charles maudissait ceux qui l'avaient tonsuré. Le motif n'est pas nouveau, mais il offre de curieux détails, surtout des figures de la mythologie romaine. Le Sauveur, pour indiquer qu'il est Y Alpha et XOméga y le maître du Ciel, de la Terre et de la Mer, est placé au-dessous d'Apollon-Soleil et de Diane-Lune; mais, il domine une femme assise, Tellus, qui allaite un nourrisson avide (fig. 427), en face d'un vieillard barbu, l'Océan, lequel s'appuie sur un monstre marin et tient une urne renversée.

Hindelbanck. — Le tombeau de Mme Langhans (fig. 428) imaginé et exécuté par I. Nahl dans l'église paroissiale de cette localité,


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l'art profane a l'église



Fig. 428. — Le jour de la Résurrection.

offre un caractère d'une puissante originalité. La pierre tombale se brise au Jour de la Résurrection, et une mère, vraisemblablement


SUISSE


409


morte en couches, s'échappe par la fente du sépulcre avec son nouveau-né. C'est une lugubre, mais heureuse trouvaille.



1. En 1479, l'évêque de Lausanne et son chapitre citèrent devant leur tribunal les hannetons qui faisaient de grands ravages. Nécessairement, les inculpés firent défaut et un jugement les condamna à l'excommunication majeure et au bannissement du diocèse.

Ces hannetons — nous parlons de l'épiscope et de sa séquelle — n'ont rien


110


l'art profane a l'église


Locarno. La Madona del Sasso. — En quittant cette église de la Suisse italienne, G. Vanor tombe sur un moine « qui adapte à sa hampe un étendard représentant deux esclaves, un homme et une femme, nus ; depuis trois siècles, on quête pour leur rançon, bien que l'esclavage soit supprimé; mais les dons enrichissent la commu- nauté ». C'est ce qu'en correctionnelle on qualifie d'abus de confiance.

La Maloja. — Le peintre Giovanni Segantini est mort en 1891) près de la Maloja. Ses admirateurs ont commandé au sculpteur Leonardo Bistolfî un monument (fîg. 429) qu'ils destinent au tombeau du peintre voué à l'interprétation des cimes et des glaciers, mais le curé de la modeste commune refuse d'admettre dans son cimetière une allégorie dont la nudité lui paraît déplacée sur une tombe chrétienne.

Sion 1 .

innové : le 7 fév. 1314, un autre bras séculier confirma la décision du comté de Valois qui avait condamné un taureau homicide à être pendu. Plus tard, en 1522, le grand vicaire d'Autun intenta un procès aux rats qui ravageaient les campagnes; comme les hannetons de Lausanne, ils furent assignés à comparoir et excommuniés par contumace. Chassenée, qui devint premier président du Parlement de Provence, fut constitué d'office leur défenseur. Comme quoi les confits en dévotion le sont également en bêtise.

1. Autrefois, dans la capitale du Valais, un débiteur insolvable était obligé de s'asseoir — podice nudo et coram populo — trois fois de suite sur une borne en forme de phallus antique et placée devant le palais épiscopal.


XII


TURQUIE


Mont-Atiios. 1° Couvent de Saint-Grégoire. — Dans la chapelle funéraire de ce couvent, le Libertin, au lieu d'être représenté avec un serpent qui lui dévore les organes coupables, est figuré pendu la tète en bas comme un porc à l'étal d'un charcutier; deux diables sont occupés à lui couper les parties naturelles, « dont il a trop souvent abusé », écrit Didron aîné, à qui nous empruntons ce docu- ment.

2° Couvent de Coutloumous 1 . — Les moines du mont Athos ont mutilé la Babylone, « la grande prostituée », « la cité de Satan », peinte sur le mur du porche de l'église principale. La mère « des fornications et des abominations » de la terre, tirée de la description de Y Apocalypse et qui personnifie Babylone, est représentée par une courtisane assise sur une bête à sept têtes. « Moines, ils ont eu peur de sa beauté et de sa nudité ; ils lui ont crevé les yeux, barbouillé la figure et arraché les seins, que le peintre, moine aussi, avait un peu trop mis en évidence 2 . »

1. Près de Kares.

2. Ne quittons pas la patrie de Mahomet sans constater, une fois de plus, qu'en Orient comme en Occident l'érotisme frôle parfois de très près le mysticisme : c'est précisément à l'époque du Ramadan ou Ramazan, consacrée au jeûne, que paraît en scène le cynique Karagueuz, descendant de Priape, précédé de son monstrueux phallus.


ADDENDA


I. — L'ART PROFANE A L'ÉGLISE. EN FRANGE


Paris. Notre-Dame (p. 36). — Pour notre confrère rouennais P. Noury, à l'imagination vive et pleine d'imprévu, le groupe occupant le premier plan du tympan de la porte Saint-Etienne (fig. 20) représenterait un ménage à quatre : « la Vierge est arro- gante, l'archange cherche le moyen de tout arranger, Joseph boude et songe à la fuite ». Mais, où l'aviateur Gabriel a-t-il mis ses ailes?

Essommes (Aisne) (p. 154). — Les trente-huit stalles de cette curieuse église du xm c siècle sont richement sculptées d'ara- besques et de motifs capricieux, grotesques ou fantastiques, qui valent bien quelques mots de description. Nous suivrons celle qu'en a donnée A. Barbey (1873), et nous ne retiendrons que les numéros les plus pittoresques qui enjolivent et égayent les dos- siers des stalles et leurs miséricordes.

N° 6. Monstre bipède, pansu, la tête tournée en arrière et « pa- raissant se dévorer lui-même ». Ne serait-ce pas plutôt l'image de

Y Onanisme? — N° 11. GrhTon ailé et mamelé. — N° 29. Génie caché derrière un bouclier et armé de sa fronde (la Calomnie). — N° 30. Enfant assis, les yeux bandés, tenant une bouteille :

Y Ivrognerie qui obnubile le jugement. — N° 32. Cupidon porte son carquois en bandoulière et tire de Tare. — N° 33. Femme nue, couverte seulement d'une légère draperie ; elle fouette deux monstres.

Les hauts dossiers offrent des tableaux décoratifs qui n'ont aucune signification corrélative avec les sculptures des sellettes. — N° 5. Homme et femme entièrement nus, assis dos à dos et se frappant de verges. — N° 6. Cupidon et mascaron, entre deux amours en


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l'art profane a l'église


cariatides : au sommet, cœur percé d une flèche. — N° 8. Autre Cupidon, aux ailes éployées, entre deux sphinx. — N° 13. Caria- tides ailées et cornues, accostées de deux têtes d'amours. — N° 14. Deux néréides dont les queues se mêlent à des feuillages enroulés. — N° 17. Homme et femme nus jusqu'à la ceinture; le reste se perd dans des feuillages. — N° 25. Tête d'amour sur une colonne; au- dessous, une femme en cariatide se coupe les seins avec une serpe ; à ses côtés, deux griffons ailés la fixent d'un air féroce. — N° 32. Cariatide féminine. — N° 37. Autre cariatide et monstre qua- drupède à mamelles pendantes.

Dans ce symbolisme « un peu grivois », l'abbé Poquet (1842) voit « une espèce de scène mythologique, où l'amour, sous différents attributs, semble jouer le principal rôle. C'est Cupidon qui, les yeux bandés, tend son arc et décoche ses traits, ou bien semble, avec un petit air riant et malin, offrir et distribuer ses faveurs; il est entremêlé de guerriers, de religieux, d'hommes, de femmes, de monstres fantastiques. Ne pourrait-on pas voir dans cette repré- sentation allégorique à caractère profane un enseignement frappant sur l'origine et les suites malheureuses, déshonorantes du péché de luxure? » Jeu de dame damne.

Semur (Côte-d'Or) (p. 205). Notre-Dame. — D'après le Père Cahier, la scène du banquet au portail représenterait le festin donné par le roi Gundaforus à saint Thomas, et le personnage qui semble tomber à la renverse ne serait autre que la bayadère de la légende.

Chartres (Eure-et-Loir) (p. 217, fig. 274). Cathédrale. — Les trois premières statues de la baie de gauche foulent aux pieds d'inex- plicables êtres. Le roi, hermaphrodite par sa tête de reine, « marche sur un homme nu enlacé de serpents » ; le souverain voisin « pèse sur une femme qui saisit, d'une main, la queue d'un reptile et ca- resse, de l'autre, la tresse de ses cheveux » ; enfin,, la reine bedon- nante a pour piédestal « deux dragons, une guenuche, un crapaud, un chien et un basilic a visage de singe ». La Lubricité châtiée par la ménagerie infernale.

Brétigny (Eure-et-Loir) (p. 225). — Une source qui passe sous l'église est réputée contre la rage et les épidémies. Au grand scan-


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claie du curé, dit E. Lami, on vit un jour ce quatrain gravé sur la pierre par un éthylique impénitent :

De ta vertu, fontaine, Je serais plus certain, Pour soulager ma peine, Si tu coulais du vin.

Le malade guéri se rendait à la chapelle « des balances » ; il se plaçait dans Fun des plateaux et mettait, dans l'autre, un poids équivalent au sien d'objets qui restaient la propriété de l'église.

Folgoat (Finistère) (p. 226). — Un bas-relief de l'église repré- sente un sujet des plus banals, reproduit à Pencran et sur la porte de la chapelle de la Fontaine-Blanche, à Landerneau : la Vierge, couchée dans un lit, présente aux mages l'Enfant Jésus qu'elle tient par le bras, tandis que Joseph, rêveur comme toujours, joue près de la couche avec le gland de l'oreiller. Or, un avocat en renom de Brest, M. Gilbert de Villeneuve, dans son Itinéraire du Finistère, donne cette interprétation ultra-fantaisiste : « Le Père éternel y remplit les fonctions de chirurgien. Jésus sort du sein de la mère par les pieds, accouchement contre nature dont le Nouveau Testament a omis de faire mention. D'une main, Dieu le père tient un des pieds du Sauveur, qui lui-même saisit la queue du Saint-Esprit ; Fane et le bœuf ont la tête dans une auge, et saint Joseph est là comme il est représenté partout, avec une physionomie bonasse ». Ce chat fourré se fourre le doigt dans l'œil et nous espérons qu'il interprète avec plus de clairvoyance les articles du Code que les sculptures. Mais pourquoi se moquer de celui qui se trompe? Errare humanum est. Seuls, ceux qui ne font rien ne se trompent jamais, et « Qui n'a pas son coin d'ignorance grossière? » dit Hugo.

D'ailleurs, en Bretagne, on ne manque pas d'imagination; ainsi, à Saint-Pol-de-Léon (Finistère), assure H. du Cleuziou, le jeudi de la semaine des Quatre-Temps de l'hiver, les habitants soupent deux fois en mémoire d'une envie de femme grosse qu'eût autrefois la Sainte Vierge. Détail tocologique généralement ignoré ; mais les Bretons, confits dans le vinaigre de la dévotion, sont mieux rensei- gnés que quiconque sur les faits et gestes célestes, grâce à un « fil spécial », un fil de la Vierge.


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L ART PROFANE A L ÉGLISE


Landivisiau (Finistère). Saint-Thuriaff. — Des cariatides (fig. 505), autrefois adossées à la paroisse, maintenant dans l'ossuaire voisin, ont été prises pour des Vénus, des démons, des reines Cathe-


rine. H. du Cleuziou y voit, X±. : <j




Fie-. 50;


Fig. 506.


l'homme placé entre le Vice, en costume espagnol, et la Vertu, coiffée à la bretonne ; pourquoi pas Hercule entre la Volupté et la Vertu ? Le champ des conjectures reste toujours ouvert :

Devine, si tu peux, et choisis, si tu l'oses.

Saint-Laurent-du-Pouldour (Finistère). — Au voisinage de la chapelle se trouve une fontaine sacrée (fig*. 506), où les femmes reçoivent une douche sur la poitrine, en invoquant saint Laurent pour qu'il les guérisse de leurs maux et les préserve des maladies, sauf la bêtise. Les ablutions des hommes in naturalibus se font dès l'aurore.

Saint-Paulien (Haute-Loire) (p. 247). — H. Malègue (1866) signale un fragment étrange incrusté dans le mur septentrional de l'église paroissiale : une statue priapique, « phallus immonde qui donne une idée de l'abrutissement du polythéisme de la décadence », vitupère ce rigide critique, lequel oublie que c'est par ce canal qu'il sortit du néant.


Planche XV.



Page 422. — Petite pluie abat grand vent.


ADDEN t>A


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Saint-Léonard (Haute-Vienne) (p. 254). — Curieuses stalles décrites dans Y Histoire monumentale du Limousin.



Fig. 507.


Chinon (Indre-et-Loire) (p. 257). Saint-Mesme. — Peintures murales, d'après un croquis à la plume du comte de Galembert : le Crucifiement (fig. 507), traité d'une manière mystique, et le Jugement dernier, côté des damnés (fig. 508). Le Sauveur est placé entre Marie-Madeleine et Marie l'Egyptienne ; ces saintes qui détiennent le « ricord » de la débauche, expliquent chacune la pensée de l'auteur par une légende versifiée.

En 1851, cette chapelle servait de débarras à l'école de Frères.

Blois (Loir-et-Cher). — Ajoutons aux exemples d'incongruités sculpturales, civiles et religieuses, exposées en public et citées page 194, deux ornements bien connus de l'aile Louis XII du château de Blois. L'un, dans l'escalier d'honneur, est la Correction mater-

l'art profane. — II. 27


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l'art profane a l' église


nellc sans étrivières (lig. 509) et l'autre, un culot (fig. S 10),



Fig. 508.


qui, comme la Chouette de Germinal, montre le... portrait de la belle fille de la Palestine : « Elle ressemble, écrit cette plume pétu-



Fig. 509 et 510. — Communiquées par le D l Le Double.


lante, met verloff, à un cul comme deux gouttes d'eau ; elle est toute bistournée ».

Nous connaissons la fessée pédagogique du minster de Som- merset (fig. 68), et qui est analogue à celle d'une patience de la cathédrale de Rouen. Cette correction n'est pas nouvelle, Plaute dit déjà d'un pédagogue qui menace un écolier de lui « zébrer le cuir» : Fieret corium tam maculosum quam nutricis pallium (Aussi maculé de bleus que le tablier d'une nourrice).


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Vendôme. La Trinité (page 277). — Nous avons accusé, a tort, un vitrail de l'abside d'avoir été expurgé par ordre épiscopal ; mais il



Fig. 51 j.


s'agit tout simplement d'un saint Sébastien nu, dont la région pel- vienne est voilée d'une bande d'étoffe. Toutes nos excuses.

Reims (Marne) (p. 285). — Au-dessus des anciennes portes de « la cathédrale des cathédrales », dans l'espace ogival qui contenait cinq bas-reliefs, entre le second (la Résurrection) et le quatrième (le Paradis et Y Enfer), se trouvaient les Vertus opposées aux Vices. Ceux-ci ont été mutilés par le chapitre avant la tourmente révolu- tionnaire ; ils représentaient « des scènes de sodomie ou le dernier acte des amours de Loth et ses filles » : L'Amour a vaincu Loth, mots de consonnance malencontreuse de la tragédie lyrique de Jephté, par l'abbé Pellegrin « qui dînait de l'autel et soupait du théâtre ».

Epernay (Marne). — Une verrière raconte l'ivresse de Noé aussi crûment que le font les motifs sculptés blottis dans la voussure du calvaire de Guimiliau, en Bretagne : le patriarche grisé par la fleur de Bacchus, flore Libcri, « repose dans une posture plus qu'indécente qui motive de la part de ses fils un geste étonné ». Même scène tirée de la Bible, « le livre le plus frivole des livres sérieux », à la Martyre, à Pencran et aux églises du Léon.


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l'art profane a i/ église


Abbaye de Notre-Dame- de -l'Epine (Marne). — Gargouilles particulièrement curieuses ; celles de l'abside personnifient les péchés



Fig. 512.

capitaux : « la Luxure, écrit Fauteur du Rhin, jolie paysanne beau- coup trop retroussée, a dû bien faire rêver les pauvres moines ».

Saint-Mihiel (Meuse). — La figure 511 représente le Sépulcre sculpté par Ligier-Richier et décrit p. 295.

Douai (Nord) (p. 306). Musée. — Une sculpture peinte, du treizième siècle (fig. 512), en commémoration de la Fête des Fous, provient d un ancien édifice religieux picard ; Nous sommes sept, sous-entendu « fols », dit ce rébus lapidaire, compris le specta- teur.

Villefr anche (Rhône). Notre-Dame-des-Marais (p. 337). — Parmi les gargouilles du xiu c siècle, qui allégorisent les sept péchés capitaux, celle qui a le plus grand succès de curiosité est la Luxure (fig. 513). Dans la localité, on l'appelle Le bouc et la nonne, bien que le personnage féminin et passif ait plutôt l'apparence d'une bergère ; mais, moines et nonnes se trouvent souvent au fond


A DDENDA


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des satires médiévales, et il y a une légende versifiée sur ce vieux cabri scabreux que propage une carte postale :

Pour calmer ses ardeurs, ne trouvant pas un homme, C'est au beau bouc barbu qu'elle a donné la pomme.

Le D r J. Gruzu a eu l'amabilité de nous communiquer la reproduc- tion de cette joyeuseté ecclésiale, refusée par l'austère Chronique



Fig. 513.


médicale, « crainte d'encourir les foudres de M. Bérenger 1 » ! Trop souvent, on a découvert des attitudes équivoques où il n'en existe pas l'ombre, comme le motif d'un chapiteau de la cathédrale de Brioude, qui représente un ange serrant de près l'âme d'un élu ;

1. Autres signes des temps. Le « Comité de rédaction » de la Presse médicale refuse l'autorisation d'insérer une analyse de nos Seins à l'église, parle D r Martinet, sous le fallacieux prétexte que le sujet était paramédical, alors que le professeur Doléris présentait le même ouvrage à l'Académie de médecine. Enfin, le Correspon- dant médical ne consent à risquer qu'un compte rendu écourté de notre Art profane à l'Eglise, en France, et se garde d'en reproduire la moindre illustration sous les menaces de docteurs (en théologie) de boycotter les spécialités préconisées par ce périodique, s'il ne mettait pas une sourdine à l'éloge d' œuvres en contradiction avec le dogme — telle la Folie de Jésus — et s'il ne couvrait d'un voile épais ses reproduc- tions de nudités artistiques, choquantes pour ces Tartuffes qui eussent pu servir de modèles à Gutherius, auteur de YEloge de la, bêtise. C'est ainsi qu'au xx e siècle l'émancipation de l'esprit nouveau est encore maîtrisé par la terreur noire et que la presse médicale, en particulier, est à la merci d'une bande occulte de révérends conFrères au regard oblique, à l'échiné cyphosique, aux genoux calleux, aux che- veux et aux pieds plats, à la boîte crânienne fissurée de microcéphale, qui (au mépris de la physiologie) croient ou feignent de croire, avec Agnès, qu'une femme peut être « fécondée par l'oreille » à l'aide d'un oiseau de paradis ; qu'elle est encore vierge après avoir accouché de quatre ou cinq enfants, et qu'eux-mêmes, à la façon des cucurbitacés, sont venus au monde sous des gourdes !


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l'art profane a l'église


ce n'est pas un Azazel. Quant à notre bouc, il ne laisse aucun doute sur ses intentions.

M eaux (Seine-et-Marne) (p. 343). Cathédrale. — Au curieux tympan du grand portail, la reine Jeanne, une cathédrale à la main, se présente à la porte du paradis. « Saint Pierre, raconte Hugo, la lui ouvre à deux battants ; son beau mari Philippe la suit la tête basse ; la reine semble dire : « Bah ! laissez-le entrer par-dessus le marché. »

Ghampeaux. Saint-Martin (p. 315). — Pour montrer qu'il n'y a rien d'exagéré dans notre figure 412, nous donnons une photogra- vure de cette sedicula d'après la photographie de M. F. Martin-Sabon (Pl. XV).

Presles (Seine-et-Oise) (p. 363). — De même, la photogravure de lasubsellia ornée du Conflit de la culotte (Pl. XVI) convaincranos lecteurs que la « jupe collante », entrevue par l'abbé Marsaux pour atténuer la légèreté de ce motif religieux, est une vue de l'esprit ; les hachures qu'il signale sont purement subjectives (fig. 441).

Rouen (Seine-Inférieure) (p. 370). Cathédrale. — Notre érudit confrère P. Noury nous transmet deux documents précieux, à classer parmi les obscena. Dans un coin sombre, sous le palier de l'entrée du Trésor, se cache un Onan à tête de porc ; en plein jour, il faut une lumière pour le dénicher. A l'entrée de la Bibliothèque, au niveau du linteau, côté gauche, au bas de l'ogive en feuillages qui encadre le tympan de la porte, se trouve « une vulve entr 'ou- verte qui fait pendant à un phallus très fruste ; les petites lèvres, le clitoris et son capuchon sont très visibles, l'hymen paraît intact et imperforé ».

En examinant à un fort grossissement les détails de la carte pos- tale communiquée par notre aimable confrère, nous distinguons les contours de deux quadrupèdes à mufle humain; l'image vulvaire qui baille proviendrait, nous semble-t-il, de l'usure, par vétuseté, du dos d'un de ces animaux fantastiques.

Saint-Ouen (page 3). — Réhabilitons Alexandre de Berneval, qui


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passe pour avoir assassiné par envie son « apprentif », sorti vain- queur du concours institué pour la rose d'une croisée de cette église ; on dit avoir trouvé la preuve que ce maître maçon fut victime d'une calomnie, d'un canard à la rouennaise.

Saint-Florentin (Yonne) (p. 443). — Deux figures d'anges adultes de l'époque Louis XIII choquent les yeux pudibonds par leur nudité et leur attitude équivoque ; ils sont étendus sur les grilles qui ferment les deux côtés du chœur, « comme sur une couche de mollesse ».

Sens (p. 451). Palais Synodal. — Il est bien évident, comme le veut M. Deroye, qu'Abeilard, étant mort en 1142, n'a pas pu être enfermé dans les cachots de l'Officialité construite en 1231, mais bien dans l'édifice où saint Bernard, en 1140, obtint une seconde condamnation de sa doctrine. En outre, il est entendu que l'arche- vêque de Sens et sa famille n'habitaient pas le palais synodal, mais Farchevêché qui y est contigu et donne sur la même cour; sommes- nous assez précis, cette fois?

II. — L'ART PROFANE A L'ÉGLISE. ÉTRANGER

Allemagne. — Aix-la-Chapelle. Cathédrale (p. 1). — Descrip- tion du sarcophage de Charlemagne (fig. 1), par V. Hugo : « A l'ex- trémité de la composition, quatre chevaux frénétiques, à la fois infernaux et divins, conduits par Mercure, entraînent vers un gouffre entr'ouvert dans la plinthe un char sur lequel crie, lutte et se tord avec désespoir Proserpine saisie par Pluton. La main robuste du dieu presse la gorge demi- nue de la jeune fille qui se renverse en arrière et dont la tête échevelée rencontre la figure droite et impas- sible de Minerve casquée. Pluton emporte la Proserpine à laquelle Minerve, la conseillère,, parle bas à l'oreille. L'Amour, souriant, est assis sur le char, entre les jambes colossales de Pluton. Derrière Proserpine, se débat, selon les lignes les plus fières et les plus sculpturales, le groupe des nymphes et des furies. Les compagnes de Proserpine s'efforcent d'arrêter un char attelé de deux dragons


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l'art profane a l'église


ailés et ignivomes, qui est là comme une voiture de suite. Une des jeunes déesses, qui a saisi hardiment un dragon par les ailes, lui



Fig. 514.


fait pousser des cris de douleur. Ce bas-relief est un poème. C'est de la sculpture violente, vigoureuse, exorbitante, superbe, un peu emphatique, comme en faisait la Rome païenne, comme en eût fait Rubens. Ce cercueil, avant d'être le sarcophage de Charlemagne, avait été, dit-on, le sarcophage d'Auguste. »

Merserourg. — Un pendant au mot historique de Charles IX à Montfaucon : « L'odeur d'un ennemi mort est toujours bonne ».


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L'empereur Henri IV, en visitant l'église, s'arrêta devant le tombeau de Rodolphe, son compétiteur; un courtisan lui conseilla de détruire

ce monument « trop su- perbe pour un rebelle », le monarque lui répondit finement : « Plut à Dieu que tous mes ennemis fussent aussi pompeuse- ment enterrés ! »


Munich (p. 29). Musée. — Nous donnons en en- tier le Jugement dernier de Rubens, gravé par Réveil (fîg. r> 1 4 ) , dont nous n'avions reproduit qu'un groupe (fîg. 35).



Fig. 515. — Un mari aux prises avec un serpent à sornettes. Symbole du pugilat conjugal, moral et physique.


Angleterre. — Beverley (p. 49). — Déjà du temps de Montaigne, les bonnes femmes étaient plutôt rares : « Il n'en est pas à dou- zaines, disait l'auteur des Essais, et notamment aux debvoirs de mariage ». De tout temps, en effet, les femmes ont provoqué la lutte et changé le ménage en mé- nagerie, pour disputer la suprématie au sexe « no- ble ». N'avons-nous pas vu lord Byron, battu et con- tent, prendre pour de tendres caresses les raclées de sa bien- aimée Margherita Gogni, au

nom prédestiné ? Aussi, l'image de cet abus de pouvoir, de ce jiu-jitsu matrimonial, est-il souvent reproduit sur les édifices civils et religieux sous les aspects les plus variés. La reine de Chypre, Catherine Cornaro, après son abdication, se retira à Asolo; elle eut la malice de se faire peindre à cheval sur son mari,



4 2 G


l'art profane a l'église


bridé à la façon d'Aristote. Sur une indulgence de la cathédrale de Rouen, le philosophe est remplacé par un lion, sa barbe et sa che-



Fig. 517. Fig. 518.


velure sont transformées en crinière. Dans le minster de Be- verley, le mari marche à la baguette (fig. 515), et, à la cathédrale, de Ripon, l'épouse altière se fait rouler en chariot par son époux débonnaire, pour le mieux « rouler » (fig. 516). Pourtant, il nous faut trouver l'exception qui confirme la règle, et voilà le minster de York qui nous la fournira : c'est la revanche d'un mari contre une ména- gère oisive et coquette (fig. 517).

Boston. — Le renard mitré, allégorisant l'hypocrisie et la ruse épiscopales, se rencontre fréquemment en Angleterre ; nous en avons cité plusieurs représentations à Sommerset (p. 54). A Boston, le renard rusé attire une poulette pour la plumer (fig. 518) ; Nantwich, nous offre un renard capucin, au retour d'une chasse fructueuse (fig. 5J9) ; mais, à Sherborne, les rôles sont intervertis et les oies révoltées par les abus procèdent à l'exécution du canidé déconfit (fig. 520),

Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris.

Londres. Westminster Abbey. — Sur une miséricorde, la Luxure est représentée par une courtisane, une vide-bourses, qui débat le prix de ses faveurs et cote sa cotte (fig. 521).


A D D E N U A


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Fia:. 519.



Northamptonshire. Rothwell (p. 53). — Un dragon allégorise prosaïquement la Médi- sance (fîg. 522).

Oxford (p. 54). 1° New Collège. — Deux person- nages à béchevet, analo- gues à ceux de la cathé- drale de Rouen, forment un groupe de quatre per- sonnes (fîg. 523).

2° Chapelle des Trépas- sés. — Un Diogène sans gêne qui étale son c...y- nisme : un anus Dei (iig. 524).


Fie;. 520.



Fig. 521 .


Isle of Thanet. Eglise Sainte -Marie. — Une

sculpture symbolise la Vanité (fîg. 525) \ portant la coiffure à cornes ; les genoux du démon simulent les seins de la coquette.




Fig\ 522.


Fis-. 524,


Belgique. — Gand (p. 77). — Alphonse Karr a vu dans une des


1. Tindall Wildridg-e, dans The Grotesque in church art, a reproduit tous ces ornements d'édifices religieux, ainsi qu'une centauresse qui allaite son petit (fig. 526).


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l'art profane a l'église


églises de la ville le portrait de Sainte Ayaya, peu connue en France, où elle a pour concurrent saint Yves. « Elle a pour état et pour



Fij;-. 525. Fig. 526.


le tronc qui est à ses pieds, des offrandes convenables. — Elle est représentée, sur le tableau, entourée de sacs à procédures, et de papiers timbrés, assignations, déboutés, commandements, juge- ments, procès- verbaux de saisie et de carence, etc. — J'avais vu souvent des saints représentés avec les instruments de leur martyre ; le peintre ingénieux a préféré entourer sainte Ayaya des instruments de martyre de ceux qui ont recours à son intervention ; de même que le nom de la sainte semble un mot imitatif des doléances des plaideurs. Je suppose que si deux adversaires recom- mandent également leur affaire à la sainte, c'est celui qui dépose l'offrande la plus forte qui gagne le procès. »

Dans l'Avertissement de notre premier volume, nous engagions les archéologues et les amis des arts, des autres nations, à compléter nos recherches documentaires à l'étranger. Nous avons la satisfac- tion d'apprendre que M. L. Maeterlinck, conservateur du Musée des Beaux-Arts de Gand, a répondu à notre appel et va publier une étude sur les miséricordes satiriques et licencieuses de la Belgique qui servira de complément à nos notes trop clairsemées sur la Flandre. On y trouvera, à côté des proverbes et dictons flamands, des moralités à forme inattendue, mais vive, voire grivoise; telle cette Lucrèce qui, pour refroidir les ardeurs d'un galant qui la poursuit, le phallus en main, verse dans ses chausses une cruche


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deau, en guise de douche anaphrodisiaque. Une autre, pour affirmer la toute -puissance féminine, a fixé une corde à la corde sensible de son époux et l'entraîne tout penaud où bon lui semble : une variante gaillarde du lai d'Aristote. La satire des tournois est figurée notam- ment par un groupe de femmes nues chevauchant des hommes et rompant des lances entre elles ; les scènes scatologiques sont natu- rellement nombreuses, ainsi que les satires les plus risquées sur les moines, les juifs et les démons. Ces miséricordes, absolument igno- rées en France et même en Belgique, sont très artistiquement ciselées ; elles comportent un plaisir et un enseignement comme tout tableau pictural ou sculptural d'ordre religieux.

Liège (p. 83). Musée. — D'après une communication de M. Albin Body à la Chron. méd., dans le tableau de Weenix, Lazare et le mauvais riche, un gamin, par signe de mépris, urine sur le dos du miséreux.

Tournai. Notre-Dame (p. 86). — Le D r Desmons signale au même journal une particularité de YEcce Aomo, attribué à Pourbus : « Un des personnages, pour insulter Jésus, lui tend le poing, en donnant à ses doigts une disposition obscène dont la signification est bien connue ».

Espagne. — Barcelone (p. 90). Cathédrale. — Dans le cloître, au milieu d'un bassin, s'élève une colonne sur laquelle est perché un saint Georges à cheval, ou plutôt à jument, si l'on en juge par la courbe d'un filet d'eau qui s'échappe sous la queue du coursier.

Escurial (p. 92). San Lorenzo. — L'église des Hiéronymites forme le manche du gril que représente l'ensemble du colossal mo- nastère de granit élevé par Philippe IL

Le sarcophage le plus intéressant du Panthéon de « la huitième merveille du monde » est celui de Charles-Quint, avec couvercle formé d'une glace sans tain. Le souverain qui fit trembler l'Europe apparaît dans toute sa hideuse nudité, sans l'ombre de majesté ; « un coin de linceul est relevé sur le ventre » . Le pudique et fanatique san- guinaire Philippe II, ce sinistre Scapin qui couvrait ses fourberies politiques du masque de la religion, a voulu, comme Pierre le Cruel, que sa nudité fût recouverte d'un costume de franciscain, pour


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l'art profane a l église


en imposer à saint Pierre, usage assez répandu et imité des Athé- niens qui voulaient être enterrés en habits d'initiés ou d'hiérophantes.

P. Imbert (1875) raconte qu'il s'était muni d'une autorisation du roi pour visiter le musée ; le prêtre auquel il la présenta répondit avec impertinence : « Le roi!... Qu'est-ce que ça nous fait, le roi?... Nous allons d'abord déjeuner et bien déjeuner, puis nous vous ouvrirons parce que cela nous plaît. Quant a la recommandation de notre cher monarque, vous devinez a quel usage je la destine ! » Cette galerie artistique contient, entre autres tableaux de maître, une Sainte Famille, de Ribera, remarquable par son coloris brillant et surtout par la jeunesse et la physionomie joviale de saint Joseph qui montre ses dents en souriant; Arachné, de Luca Giordano, représentée par une femme se métamorphosant en araignée, et un rétable de Bosch, où se débride la fantaisie souvent extravagante du peintre : on y voit des hommes à corps de crapaud, des gre- nouilles à tête de femme, « et beaucoup d'autres choses infiniment plus surprenantes que ma plume se refuse à détailler ».

Teruel. San Pedro. — Dans cette église d'Aragon, furent en- terrés les Roméo et Juliette de l'Espagne. Quand, cinq siècles plus tard, on exhuma leurs dépouilles pour les transporter dans le cloître, on vit avec stupeur, d'après P. Imbert, qui raconte la légende 1 , leurs squelettes enlacés, comme pour une valse macabre! Sur leur pierre sépulcrale, on lit : Ici sont déposés les corps des célèbres amants de Teruel : Don Juan Diego Martinez de Marcilla et Dona Isabcl de Segura, morts en /2/7. Ils ont été placés en ce lieu en 1708.

Gastel-Branco. — Lors du siège de cette ville portugaise, les habitants, exaspérés de voir que saint Antoine laissait les Espagnols la bombarder, détruisirent toutes les images de leur patron ; ils abattirent le chef de la plus révérée et le remplacèrent par celui de saint François. De même, à Naples, saint Janvier ayant cessé de plaire -, on substitua pour un temps à son effigie celle de saint Antoine de Padoue.

1. L'Espagne, splendeurs et misères.

2. Quand le miracle de la liquéfaction de son sang' Larde trop, les lidèles, nous le


A DDENDA


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Italie. — Florence 1 . Santa Croce (p. 122.) — Machiavel, pré- curseur de rantimilitarisme, tient une balance où le poids d'un rouleau de papier l'emporte de beaucoup sur celui d'une épée, indi- quant par là que la gloire des lettres l'emporte sur celle des armes : Arma cédant scripturis.

San Giovanino. — Cette église et son couvent furent fondés par le grand sculpteur FAmmanato, à l'âge du ramollissement général, en expiation des nudités commises par son ciseau, qui pourtant n'avaient pas choqué Florence, qualifiée de sobria e pudica par Dante .

San Lorenzo (p. 126). — Près de la porte du cloître, une fresque du Bronzino représente la grillade de saint Laurent. Les plus belles Florentines contemporaines du peintre figurent au premier plan et s'occupent peu du saint ; mais ce n'est certes pas par pudeur qu'elles lui tournent le dos : ces caillettes sont occupées à caqueter entre elles et à coqueter avec les spectateurs, « auxquels elles font des agaceries ».

Chapelle des Médicis. La turgescence des seins de la Nuit (p. 130), ne semble pas être en rapport avec le défaut d'activité de cette allégorie. De même, le naturalisme de Buonarroti a reculé devant l'expression adéquate de la vie dans toutes les parties du Jour, qui tourne, il est vrai, le dos pour dissimuler en partie sa virilité ; quant au Crépuscule, tous ses organes, vus de face, sont au repos et s'harmonisent avec la signification de la figure allégorique.

savons, montrent le poing an buste du thaumaturge et le traitent de figlio di putana. En 1791, pendant l'occupation des Français, comme le miracle tardait, M. d'Avarey envoya dire au chanoine qui tenait le reliquaire attaché à son cou, qu'il serait pendu haut et court si la liquéfaction ne s'opérait pas, et illico le tonsuré cria : Il miracolo è fatto ! Ordre à Dieu, de faire miracle en ce lieu ; c'est la contre-partie de la défense du cimetière de Saint-Médard.

A l'église du couvent des Jacobins de Saint-Maximin, dans le Var, il existait une fiole de sang- du Seigneur recueilli par Marie-Madeleine aux pieds de la croix. Tous les ans, le Vendredi saint, « on voit ». assure le marquis de Marveil (1043), « que cette phiolc boust comme si elle estoit sur le feu ! » Encore un tour à la Robert- Houdin qui se payait la « phiole » des crédules.

1. A l'église de l'Annonciade, le tableau de la Vierge était recouvert de cinq rideaux ; on saluait leur ouverture par des acclamations enthousiastes, dont le délire allait crescendo.


432


l'art profane a l'église


Santa Maria Novella (p. 133). — Une des fresques de Vasari retrace l'image de la Laure de Pétrarque, avec une flamme sur le sein, dans le groupe des Voluptés assises.

San Spirito (p. 136). — La première église du Saint-Esprit fut détruite par un incendie dû aux langues de feu d'un mystère, la Descente du Saint-Esprit sur les Apôtres, qui y fut représenté en 1471, en l'honneur de Galeas Sforza, duc de Milan. « La multitude, raconte Machiavel, ne manqua point d'attribuer ce funeste événe- ment à la colère du ciel, indigné de l'excessive licence des mœurs florentines. » Le licencieux auteur de la Mandragore s'emporte avec un zèle aussi comique que catholique sur la conduite scanda- leuse des courtisans de Sforza qui, pendant tout le carême, avaient fait usage de chair intus et extra : belle chair et bonne chère ne vont-elles pas toujours de pair à compagnon?

Chapelle Cavalcanti, la Madeleine au jardin, du Bronzino, est le portrait d'une grande dame florentine, l'une des maîtresses du don Juan Pierre Bonaventuri, le mari de Bianca Gapello, dont l'un des parents assassina ce coureur d'aventures ; il y a des noms prédestinés.

Académie des Beaux-Arts. — Ce musée, enrichi des dépouilles des couvents, possède un tableau de sœur Plantilla Nelli (xv e siècle) qui montre le Christ mort, entouré de saintes femmes et des saints en pleurs. Ses seuls modèles étant des religieuses de son couvent, les personnages masculins ont une physionomie et des formes féminines.

Milan (p. 156). Couvent des Jacobins 1 . — Pendant la campagne d'Italie, on y avait enfermé des prisonniers de guerre gardés par des hussards du 6 e régiment. Ces vaillants et intelligents cavaliers firent une cible delà Cène et exercèrent leur adresse au tir du pistolet sur ses personnages ; Simond y a constaté les empreintes de balles. Même stupidité sous la révolution, quand les Napolitains occupèrent le Vatican, au nombre de trois mille, sous la conduite de Rutfo, Culo et Fra Diavolo : les chambres de Raphaël leur servirent de cabinets non inodores.

1. Certains discal des Dominicains.


Planche XVI.



Page 422. — Le débat de la culotte.


Addenda


433


Rome 1 . Chambres de Raphaël (p. 276). — Dans un coin de V École d'Athènes, au-dessous du bel Apollon nu, comme motif de décora- tion, on surprend un triton en bonne fortune (fîg. 527).

Saint-Pierre-aux-Liens(p . 350 ) .

— Tandis que saint Ambroise, par crainte de répandre du sang-, s'armait d'une simple discipline lors de son apparition à cheval dans une bataille, Jules II, pour son mausolée, voulut que Michel- Ange le représentât avec une épée à la main. Il pouvait ainsi symboliser la nation germanique et matamore, raillée par Schiller : « Toujours la main sur son épée, un bruit de feuilles l'effrayant ».

Sardaigne. Osilo. — En 1855, Edmond Delessert vit dans la chambre du curé de cette ville deux lits, l'un pour lui, l'autre pour sa servante, afin de mieux opérer sa conversion apparemment. En outre, cet ecclésiastique du dernier bateau alliait l'esprit d'industrie productive et reproductive à ses saintes fonctions : « il tirait bon parti d'un étalon noir en sa possession et dont il vendait les saillies ». Que pensent de ce papelard paillard et roublard les « ganaches de sacristie », — selon une invective cinglante de Joris Huysmans,

— à la bouche bée en valves de moule ?

1. Rappelons la supercherie qui contribua à l'exaltation du cardinal Jean de Médicis, procédé analogue à celui qui réussira par la suite au béquillard Sixte-Quint. Le cardinal se fit porter à Rome en litière, « à cause d'un abcès qu'il avoit à l'endroit que la pudeur défend de nommer », dit le pudique de Varillas. A peine installé dans la salle du Conclave, l'abcès lisluleux s'ouvrit spontanément et le pus répandit « une telle puanteur »> que les Cardinaux, trompés par le rapport des médecins « corrompus » déclarant que ses jours étaient comptés, n'opposèrent aucun obstacle à son élection. Il prit le nom de Léon, en souvenir d'un songe qu'eût sa mère pen- dant qu'elle le portait dans son sein : elle rêva qu'elle accouchait d'un lion — en latin leo — doux comme un agneau, sur le maître-autel de l'église de la Reparata. Le Pape-Soleil, comme plus tard le Roi-Soleil, fut donc affligé d'une vulgaire fistule, à l'anus; et, après avoir empoisonné son entourage, le cardinal Petruccy passe pour avoir tenté de faire empoisonner ce tiaré à l'aide des pansements faits par Vercelly opérateur taré.



Fig. 527.


l'art profane. — IL


28


POST-SCRIPTUM


FRANCE


Evreux (Eure). Cathédrale (p.



Fig. 528.


4). — La figure 528 complète le groupe dont fait partie le « Grimpeur » des Florentins surpris par les Pisans (fig. 270).

Toulouse (Haute-Garonne).


C



'ig. 529. — Vénus Fig. 530. — Bacchus et son pigeon 1 . en casse-noisettes.


Musée (p. 242). — Le châtiment de la Luxure (fig. 309) peut être envisagée par les croyants, ou mieux les crédules, pour atténuer l'immodestie de cette sculpture religieuse, comme une figuration du songe de Clytemnestre qui vit, durant son sommeil troublé par le remords, un serpent sortir de son sein et s'attacher à sa mamelle ; mais, au lieu de lait, le reptile vengeur n'en tirait que du sang.

ï. La colombe et la panthère symbolisent à la fois la chasteté et la luxure.


436


l'art profane a l'église


Amiens (Somme) (p. 405). Couvent des Prémontés (Lycée actuel). — D'un recueil de dessins où M. de la Faye a reproduit un nombre



Fig. 531.


considérable de détails provenant de ce monastère, nous avons tiré les croquis de deux bibelots hétéroclites à sujet profane (fig-. 529, 530), qui décèlent le caractère épicurien des goûts artistiques de ces réguliers. Trahit sua quemque

ÉTRANGER

Italie. — Bologne. Mendicanti di Dentro (p. 111). — Un tableau de Cavedone représente un miracle singulier de saint Eloi : le saint prend par le nez le diable sous la figure d'une femme. Une verrière de la cathédrale du Mans (fig. 401 bis, p. 341) traite le môme sujet; mais, dans la Sarthe, la femme est remplacée par son Sosie l'esprit malin.


POST-SCRIPTUM


437


Florence (p. 115). Saints- Apôtres. — Une Conception, Y œuvre maîtresse de Vasa«ri, a été gâtée par un méchant barbouilleur, « chargé de donner plus de pudeur à la figure d'Adam ».


Pise (p. 197). Sainte-Marie del Carminé. — A Y Ascension du



Fig. 532, 533. Fig. 534.


C7iWs£,par Alexandre Allori,le peintre a inscrit dans la gueule d'un chien cet avis impertinent à l'adresse de ses critiques : Si latrabis, latraho. Si tu aboies, j'aboierai.

Rome. Chapelle sixtine (p. 299). — Ajoutons aux peintures de Michel-Ange celles du pendentif du prophète Ezéchiel (fîg. 531). Il est entouré d'une femme à terme et d'adultes qui s'efforcent, dans des poses acrobatiques, à démasquer leur nudité la plus intime.

Nous donnons (fîg. 532, 533) le fac-similé d'études, faites par Buonarroti, de deux personnages qu'il est facile d'identifier sur sa fresque du Jugement dernier* (fig. 326 et 322, fig. 327 et 334), (p. 302, 312, 315). La figure 534 représente le supplice de saint André, par le même maître florentin; le martyr est absolument nu.

Sainte-Marie-de-la- Victoire. — A propos de la paralysie hystéri- que de sainte Thérèse, guérie par saint Joseph, nous avons omis l'observation personnelle d'une cure similaire, que l'on attribuera si l'on veut à l'intervention du même saint, notre patron, mais, que la logique rapporte à la secousse psychique produite par la brusquerie


438


l'art profamî a l'église


de notre intervention. Faisant, un jour, l'intérim de l'interne de garde à l'hôpital de la Charité, on apporta sur un brancard une jeune blonde qui venait de tomber paralysée dans la rue, à la vue d'un accident de voiture. La paraplégique mise au lit, nous rejetâ- mes vivement les couvertures pour examiner les membres inférieurs. Soudain, la révolte de la pudeur chez cette névrosée fut si violente, que la paralytique sauta du lit, s'habilla à la hâte et partit sans demander son reste. Ces guérisons miraculeuses ne sont pas rares à Lourdes sous l'influence de l'exaltation de la foi.


SUPPLÉMENT AUX ERRATA DE L'ETRANGER


Page 255, ligne 87, au lieu de fig. 285 (Pl. XII), 6 e tableau, face méridionale du 3 e pilier, lisez : fig. 284 (Pl. XI), 4 e tableau, face orientale du 2 e pilier.

Page 256, ligne 15, au lieu de (PL XI), lisez : Pl. XII).

Pl. XI, au lieu de fig. 284, p. 264, lisez: fig. 285, p. 255.

Pl. XII. au lieu de fig. 285, p. 264, lisez : fig. 286. p. 256 el 264.


438


l'art profane a l'église


de notre intervention. Faisant, un jour, l'intérim de l'interne de garde à l'hôpital de In Charité, on apporta sur un brancard une jeune blond. <|in venail de tomber paralysée dans la rue, à la vue d'un accid ;nl d voiture La paraplégique mise au lit, nous rejetâ- itl ic >u\ ertures pour examiner les membres inférieurs. • in, hi révolte de la pudeur chez cette névrosée fut si violente, que la paralytique sauta du lit, s'habilla à la hâte et partit sans demande] ion rente, (les guérisons miraculeuses ne sont pas rares à Lourdes sous l'influence de l'exaltation de la foi.

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CORRIGBNDA ET OBSERYÀTIONES QUIDAM


I. — L'Art profane à l'Eglise. France


Page


3,


ligne 18,


au lieu de


Loris,


lisez Joris.



10,



20,



di,


— divin.



16,



18,



mundalia,


— mundana.



24,



2,



insexué,


— asexué.



98,



2,



Pardon,


— Paradis.



99,



35,



ou cuvette,


— et cuvette.



112,



9



demande,


— demanda.



131,



4,



Neurdein,


— Giraudon.



149,



15,



embrenner,


— embrener.



180,



~,



Pas de bégueulerie,


— Pas bégueules, com- me la mère Angol.



.197,



31,



Samblin,


— Hugues Sambin.



199,



13,



Joannes du Berbisey ,


— Etienne Barbisey.



199,



28,


M. Krau, de Flavigny-sur-Ozerain nous fait observer que le tombeau de Jean fut achevé en 1411 et celui de






Philippe


en 1470.




201,



2,


au Lieu de


1U5,


lisez [4443-4454).



204,



33,



Brétinières,


— Brétenières.



204,



34,



Phal,


— Fidolus.



240,



33,



pour les.


— aux.



264,



23,



exibition,


— exhibition.



319,



21,


lisez : N'y


aurait-il pas confusion entre ce petit sans-






culotte et un motif.




323,



21,


au lieu de


une cartouche


lisez un cartouche.



324,


à Fig. 383 bis, ajoutez V. p. 319.




364,


au lieu de Fig. i42, lisez Fig. 4 il .




395, ligne


5,


au lieu de


Gauteleu,


— Gauteleu {dont V ori-








gine est Chante








loup.



395,



H,



Gordon et Gourgon,


— Gorgon.



474,



29, M. Krau


assure que, contrairement a l'assertion de






V. Hugo


, les tombeaux ne furent jamais transportés à


Notre-Dame.

II. — L'Art profane à l'Eglise. Etranger

Page 94, ligne 16, au lieu de Pl. I, lisez Pl. II.

— 215, la note 1 se rapportc.au premier chiffre 1 de la page 216.

— 216, ligne 14, au lieu de Gozolli, lisez Gozzoli.

— 217, — 1, — et surmonté, — est surmonté.

— 244, — 4, supprimez le premier chiffre 1 relatif à la note.

— 311, — 15, — Fig. 254 à 260 — Fig. 331 à 337.

— 400, — 1, au lieu de VIII, lisez IX.


ORDRE DES MATIÈRES


Avertissement i

I. — Allemagne. Alsace-Lorraine 1 423

II. — Amérique * 47

III. — Angleterre. Ecosse. Irlande. Islande 49 425

IV. — Austro-Hongrie. Tyrol 61

V. — Belgique 65 427

VI. — Espagne. Portugal 89 429

VII. — Hollande 104

VIII. — Italie 108 431

IX. — Russie 400

X. — Suède 401

XL — Suisse 402

XII. — Turquie 411

Addenda 413

Post-Scriptum 435

GoRRIGENDA 439


LA ROCIIË-SUR-YON, IMPRIMERIE CENTRALE DË l/o-UEST, 50-60, RUE DE SAUMUR.

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