Traité clinique et thérapeutique de l’hystérie d’après l’enseignement de la Salpêtrière  

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Traité clinique et thérapeutique de l’hystérie d’après l’enseignement de la Salpêtrière[1] (Paris 1891) by Georges Gilles de la Tourette

Full text

TRAITE

CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

DE L'HYSTÉRIE


DU MÊME AUTEUR


L'hypnotisme et les états analogues au point de vue médico- légal, Préface de M. le prof. Brouardel. In-8° de 583 pages. Paris, Pion et G ie , 1887; 2 e édit., 1889.

Sœur Jeanne des Anges, supérieure des Ursulines de Loudun; autobiogra- phie d'une hystérique possédée, d'après le manuscrit inédit de la Bibliothèque de Tours; Préface de M. le prof. Charcot. In-8° de 321 p. et reprod. autographiques (avec M. le D r G. Légué). Paris, Delahaye et Lecrosuier, 1886.

Théophraste Renaudot, d'après des documents inédits. — Un Essai de

faculté libre au dix-septième Siècle; les Consultations charitables, la Gazette, etc. In-8° de 316 p. Paris, Pion et C ie , 1884.

Études cliniques et physiologiques sur la marche. — La marche dans les maladies du système nerveux étudiée par la méthode des empreintes. In-8° de 78 p. avec 31 fig. Paris, Delahaye et Lecrosnier, 1886.

Étude sur une affection nerveuse caractérisée par de l'incoor- dination motrice accompagnée d'écholalie et de coprolalie.

(Jumping, La ta h, Myriachit, maladie des tics convulsifs, maladie de Gilles de la Tourette.) ln-8° de 68 p. Delahaye et Lecrosnier, 1885.

La nutrition dans l'hystérie. In-8° de 116 pages. Paris, Lecrosnier et Babé, 1890 (avec M. H. Cathelineau).

Des attaques de sommeil hystérique. In-8° de 52 p. Paris, Delahaye et Lecrosnier, 1888.

Considérations sur les ecchymoses spontanées et sur l'état mental des hystériques. In-8° de 24 p. Nouv. lconogr. de la Salp., 1890.

De la superposition des troubles de la sensibilité et des spasmes de la face et du cou chez les hystériques. In-8° de 40 p. ld., 1889.

Contribution à l'étude des troubles trophiques dans l'hystérie (avec M. Dutil).ln-8° de 32 p. lbid., 1886.

Contribution à l'étude des bâillements hystériques (avec MM. Huet

et Guinon). Nouv. Icon., 1890. — L'attitude et la marche dans l'hémiplégie hysté- rique. Id., 1888. — L'hystérie dans l'armée allemande, lbid., 1890. — Cinq cas de maladie de Friedreich (avec MM. Blocq et Huet). lbid., 1888. — Contribution à l'étude de la nutrition dans l'état normal et dans la fièvre du goitre exophtalmique (avec M. Cathelineau). lbid., 1889.

Notes sur quelques paroxysmes hystériques peu connus : attaques à forme de névralgie faciale, de vertige de Ménière.

Progrès médical, 1891. — Le sang dans l'hystérie normale (avec M. H. Catheli- neau). lbid.

La lésion médullaire de l'ostéite déformante de Paget (avec M. Marinesco), 1894.

La traduction allemande du premier volume du Traité de l'hystérie devait être faite « sans adjonctions, ni annotations, ni ratures » . Cet engagement n'ayant pas été tenu, l'auteur ne se déclare responsable que des seules opinions émises dans l édition française.


TRAITE

CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

DE L'HYSTÉRIE


L'ENSEIGNEMENT DE LA SALPÊTRIÈRE


PAR LE DOCTEUR

iy GILLES DE LA TOURETTE

PROFESSEUR AGRÉGÉ A LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS

MÉDECIN DES HOPITAUX

ANCIEN CHEF DE CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTEME NERVEUX A LA SALPÊTRIÈRE

ANCIEN PRÉPARATEUR DU COURS DE MÉDECINE LÉGALE

LAURÉAT DE L'iNSTITUT, DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE, DE LA SOCIÉTÉ DE BIOLOGIE

ET DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE


PREFACE DE M. LE P r J.-M. CHARCOT

« En une seule chose ne céderay-je à personne, en la recherche de la vérité. « 

ïhéophraste Renaudot.


SECONDE PARTIE

HYSTÉRIE PAROXYSTIQUE

avec 63 figures dans le texte et un portrait à l'eau-forte du professeur Charcot

II


PARIS

LIBRAIRIE PLON

E. PLON, NOURRIT et C% IMPRIMEURS-ÉDITEURS

RUE GARANCIÈRE, 10

1895

Tous droits réservés


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TRAITE

CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

DE LHYSTÉRIE


TROISIEME PARTIE

PARALYSIES ET CONTRACTURES HYSTÉRIQUES.


CHAPITRE DOUZIEME

PARALYSIES ET CONTRACTURES DES MUSCLES DE LA TÊTE ET DU TRONC.

Considérations générales sur les paralysies et contractures hystériques. — Hippocrate. — Littré et les miracles opérés sur le tombeau de Louis IX. Ch. Lepois, Sydenham, Carré de Monigeron, Pomme. — Période inter- médiaire : Brodie, Laycock, Macario, Landouzy, Valentiner, Mes- net, etc. — Le livre de Briquet, 1859. — Charcot (1870) et l'École de la Salpêtrière, P. Bicher.

Étiologie générale des paralysies et contractures. — Cause réelle : diathèse d'amyosthénie et de contracture. — Causes occasionnelles : Influence des paroxysmes convulsifs, des émotions morales, etc. ■ — - Le traumatisme et les paralysies psychiques. Maladies infectieuses, etc. Apc Sexe. — Diffé- rentes localisations.

Paralysies et contractures des muscles de la face. — Historique : Brodie, Todd, Briquet. — Charcot. — ■ Brissaud, P. Marie et la découverte du spasme glosso-labié ; Gilles de la Tourette. — La paralysie faciale hysté- rique est contestable. — Réaction. La paralysie faciale existe : Chante- messe, Ballet, Charcot, Kœnig. — C'est une paralysie systématique : Ba- binski. — Gilles de la Tourette : paralysie associée h des spasmes et alter- nante. Superposition des troubles de sensibilité. — Age; sexe; fréquence. — Association avec une hémiplégie ou une monoplégie du même côté ou du côté opposé.

Contractures de la face bilatérales ou généralisées. — Hémiplégie faciale ou hémicontracture? — Contracture limitée; trismus.

Description de V hémispasme glosso-labié : Variétés. — Evolution, diagnos- tic, pronostic.

m. i


2 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Description de la paralysie faciale : Sa rareté ; son association avec le

spasme; évolution; diagnostic; pronostic. Paralysies hystériques des muscles du cou. Rareté du toiticolis paralytique .

— Fréquence des contractures des muscles du cou; torticolis spasmodi-

que : description, diagnostic, pronostic. Un cas de paralysie hystérique du grand dentelé. Les contractures des muscles du tronc et la scoliose hystérique. Duret, Gran-

cher, Hallion, Vie. — Etiologie : traumatisme, âge, sexe. Description,

évolution, pronostic, diagnostic. Contractures des muscles de la paroi antérieure de V abdomen .


Dans la première partie de cet ouvrage (t. I, ch. x), nous avons vu qu'au nombre des stigmates hystériques perma- nents il fallait compter la diathèse d'amyosthénie et la diathèse de contracture. C'est à l'exaltation de ces deux diatbèses que sont dues les paralysies et les contractures, qui occupent une si large place dans la pathologie de la névrose.

Nous n'étudierons que les manifestations qui portent sur les muscles de la face, du tronc et des membres, les trou- bles de l'appareil moteur des yeux ayant déjà été décrits. Quant aux paralysies et contractures des muscles de la vie de relation : estomac, intestin, vessie, leur description trou- vera sa place dans les chapitres spéciaux que nous consa- crerons à l'étude des déterminations de l'hystérie sur les divers appareils de la vie organique.

En ce qui regarde les altérations de nutrition : œdème, atrophie musculaire, etc., qui coïncident si fréquemment avec les paralysies et les contractures, elles ont été décrites dans l'étude d'ensemble que nous avons consacrée aux troubles trophiques.

Avant d'aller plus loin, il est encore nécessaire de dire que la diathèse d'amyosthénie et la diathèse de contrac- ture sont très fréquemment associées ; que tel muscle frappé la veille de paralysie pourra être contracture le lendemain, ce qui nous conduira le plus souvent à réunir dans un même paragraphe, au point de vue étiologique par exemple, les manifestations des deux diathèses sur divers groupes musculaires, tout en faisant ressortir les particu-


DE L'HYSTERIE.


larités inhérentes à chacune d'elles. Nous aurons pour souci constant d'éviter les redites.



L'histoire de la paralysie hystérique remonte à la plus haute antiquité. On en trouve, en effet, un exemple incon- testable dans les œuvres du père de la médecine.

« Celle qui, dit Hippoçrate (1) , à la suite d une toux courte et sans importance, éprouva une paralysie du membre supé- rieur droit et du membre inférieur gauche, n'offrit aucune altération, rien à la face, rien dans l'intelligence; et encore la paralysie ne fut-elle pas intense ; cette femme commença à aller mieux le vingtième jour. Le mieux coïncida à peu près avec l'éruption des règles, qui apparaissaient alors pour la première fois peut-être, car c'était une jeune fille. »

Après le témoignage d'Hippocrate, les documents les plus anciens que nous possédions ont été rassemblés dans un curieux travail de Littré (2) où, à côté de faits de para- lysie, se trouvent également des exemples de contracture. Il s'agit de cures merveilleuses opérées sur le tombeau de Louis IX, à Saint-Denis, vers la fin du treizième siècle.

G est d'abord le cas d'une femme Emmelot, de Chau- mont, qui fut prise subitement, la nuit, d'une paralysie complète d'un des membres inférieurs. Rien qu'à la des- cription de sa démarche on reconnaîtra sans peine une paralysie flasque.

« Elle s'en fut au tombeau « avec deux potences sous ses deux aisselles, tirant après soy son pied envers, ainsi que la plante estoit tournée par dessus et le col du pied vers terre, si que les potences avec l'autre pied la soutenoient toute ; il sembloit que traisnat après elle la cuisse et la jambe aussi comme s'ils fussent liez et non pas conjoints à l'autre corps. »

On ne doutera plus de la nature de la paralysie lorsqu'on

(1) IIihpograte, trad. Littré, Des épidémies, liv. II, § 8.

(2) Littré. Un fragment de médecine rétrospective. La Philosophie posi- tive, 1869, t. V. — Ghargot, De la contracture hystérique. Revue photo- graphique des hôpitaux de Paris, 1871, p. 195.


4 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

saura que le membre impotent était anesthésique. La piqûre n'était pas sentie, et pour mieux s'assurer « si ladite Emmelot avoit perdu le sentiment des membres dessus dicts , celles qui estoient là meirent le pié malade au feu et lui demandèrent ce qu'il en estoit, si elle sentoit la chaleur du feu, mais elle respondit qu'elle n'en sentoit rien » .

Emmelot fit plusieurs visites sans succès au tombeau, mais un jour elle s'en revint subitement guérie. Peut-être existait-il chez elle un certain degré de contracture, cepen- dant les phénomènes paralytiques étaient prédominants.

Par contre, les deux autres faits que rapporte Littré appar- tiennent à la contracture hystérique.

Une religieuse des Filles-Dieu avait le bras senestre tout contracture « et avecques le pié, la jambe senestre furent si retirez qu'elle ne pouvoit mettre lors les doigts du pied senestre quand elle alloit. »

Elle s'en fut au tombeau de Louis IX, et étant là « en grande dévotion et en oraison elle sentit ses reins et ses hanches defroissier et sentit adonques douleur en ses membres ; mais tantost après se sentit allégiée et délivrée de cette contracture et du bras et de la jambe et de la cuisse senestre » .

Jehanne de Sarris, qui « avoit les jambes et les pies roides » et engourdis, guérit de la même façon.

La paralysie hystérique ne pouvait échapper à la sagacité dont Charles Lepois, de Pont-à-Mousson, donna tant de preuves dans l'étude de la névrose, au commencement du dix-septième siècle. « Cujuscommutationem, dit-il (1), cum paralysis sive successionem paralysis, cessantibus hystericis symptomatis annotarunt viri magni... Quemadmodum ex solutione hystericorum, seu potiùs degeneratione in para- lysim nostra hœc de fomite causa hystericorum affectuum sententia confirmationem capere potest. »

Vers la même époque, Roderic a Castro (2), quoique moins

(1) Caroli Pisonis selectionum observalionum, etc., t. I, p. 13, sect. II, par. II, cap. vu.

(2) Cité par Landouzy, op. cit., p. 104.


DE L'HYSTERIE. 5

explicite, désigne en ces termes la paralysie et la contrac- ture hystériques : « In hystericis adest crurum segnities infirmitas et contractio. »

Sydenham n'insiste guère sur la paralysie hystérique, cependant il note de la façon la plus précise l'hémiplégie qui succède à l'apoplexie hystérique.

« Quand cette maladie attaque le cerveau, dit-il (1), elle produit quelquefois une apoplexie entièrement semblable à l'apoplexie ordinaire et qui se termine de même par une hémiplégie. »

Mais c'est dans l'admirable ouvrage de Carré de Mont- geron (2) qu'on retrouve les exemples les plus remarquables de paralysie et de contracture affectant presque tous les types que nous aurons à décrire.

Marie-Anne Gouronneau, la demoiselle Goirin, Margue- rite-Françoise Duchesne, sont hémiplégiques. De même Philippe Sergent, — car Carré de Montgeron a vu l'hysté- rie masculine, — présente une hémiplégie droite avec œdème bleu et atrophie musculaire. Jeanne Augier est atteinte d'une paraplégie avec anesthésie, qui dure vingt et un ans et guérit sur le tombeau de M. Rousse. La demoi- selle Hardouin est en même temps hémiplégique gauche et paraplégique.

Au point de vue de la contracture, Marie- Jeanne Four- croy a servi de type de description à tous les auteurs qui se sont occupés du pied bot hystérique.

On trouve aussi dans ce merveilleux recueil l'association, ou mieux la succession de la paralysie et de la contracture chez le même sujet. La demoiselle Frapart fut d'abord atteinte, consécutivement à une attaque, d'une hémiplégie gauche qui fut remplacée par une hémicontracture avec atrophie des muscles du membre inférieur.

« Bientôt la main gauche de la malade se ferme malgré elle, en sorte qu'elle ne peut l'ouvrir qu'à l'aide de la droite et que, dès qu'elle en lâche les doigts, ils se précipi-

(1) Svdenuam, trad. Jault, op. cit., p. 477.

(2) La vérité des miracles. Cologne, 1747.


6 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

tent dans la paume de la main, où ils font entrer leurs ongles : bientôt le genou ne peut plus être ployé; il ne reste de mouvements qu'à la hanche, qui ne traîne qu'avec peine une jambe impotente et dont la paralysie est si com- plète qu'on aperçoit sensiblement que ses chairs se dépé- rissent, se sèchent et diminuent ainsi que celles de sa main, quoiqu'elle soit toujours enflée par l'eau qui la gon- fle » (œdème avec atrophie musculaire).

Nous ne saurions insister davantage sur ces faits si inté- ressants. Nous aurons l'occasion de reparler de quelques- uns d'entre eux ; plusieurs autres ont déjà été analysés dans le chapitre consacré aux troubles trophiques.

On trouve dans le livre de Pomme (1), qui eut tant de vogue à la fin du siècle dernier et au commencement du dix-neuvième, un certain nombre d'exemples de paralysie et de contracture hystériques.

C'est d'abord le cas de la citoyenne de R..., âgée de dix-huit ans, qui, à la suite « d'évanouissements convulsifs avec perte de connaissance qui revenaient périodique- ment » , fut frappée d hémiplégie droite. Les convulsions disparurent avec la paralysie.

Puis viennent deux exemples de contracture. La mar- quise de Bezons a le membre inférieur droit contracture, anesthésique et atrophié (t. I, p. 280 et suiv.). « L'insen- sibilité (de la jambe) et son raccourcissement annonçaient, dit-il (p. 284), un état de crispation peu commun. ...J'exa- minai de plus près cette jambe; je la vis atrophiée de même que la cuisse, et, en cherchant la cause de sonrac- courcissement, je la trouvai dans la contraction des mus- cles des lombes et dans celle des muscles quarrés, grand oblique, petit oblique et transverse qui, par les efforts du racornissement le plus complet, avaient élevé les os des isles jusqu'à la hauteur des fauses côtes. » Madame de B... guérit complètement et subitement de sa « paralysie spas- modique » .

(1) Pomme, Traité des affections vaporeuses des deux sexes, 6 e éclit. , t. II, an VII, p. 108.


DE L'HYSTERIE.


Le cas de madame L..., sujette à des attaques convul- sives qui survenaient tous les lundis à six heures du soir, est entièrement comparable au précédent. Il existait une contracture du membre inférieur droit qui guérit, elle aussi, d'une façon subite (t. I, p. 293).


Les faits que nous venons de signaler sont épars dans les anciens auteurs, et nulle part, au commencement de ce siècle, on ne trouve une vue d'ensemble sur les troubles de la motilité liés à la névrose. Aussi Macario, qui du reste ne brille pas par l'érudition, semble-t-il véritablement découvrir, en 1844, les paralysies hystériques.

« Chaque jour, dit-il (1), on découvre de nouveaux phé- nomènes, quelquefois si apparents qu'on a lieu de s'éton- ner qu'ils n'aient pas été observés plus tôt. Parmi ceux-ci on doit ranger la paralysie hystérique. Je ne sache pas qu'aucun auteur en ait traité d'une manière spéciale. » « Les suites fâcheuses de l'hystérie, dit Georget, sont des tics convulsifs permanents, des rétractions spasmodiques de quelques parties, des accès de suffocation, des paraly- sies partielles, le plus souvent incomplètes, des sens ou des mouvements volontaires, etc. » Et voilà tout. La paralysie hystérique mérite cependant de fixer l'attention des médecins. Pourquoi les auteurs l'ont-ils négligée entiè- rement, ou n'en ont-ils parlé que d'une manière vague et passagère? C'est pour combler cette lacune que je me suis décidé à publier le résultai de mes observations sur ce nouveau point de pathologie. »■

Il étudiera donc ces paralysies avec son maître Piorry (2), « qui en a fait mention dans quelques conférences sur l'hystérie qu'il a eu la bonté de faire à sa prière devant ses élèves, à l'hôpital de la Pitié » .

(1) Macario, De la paralysie hystérique. Ann. médieo-psych., t. III, 1844, p. 62.

(2) Piorry, Clinique médicale de la Pitié, 1843.


8 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Il comprend dans sa description l'anesthésie hysté- rique ou paralysie du sentiment et l'amyosthénie ou para- lysie des mouvements, les deux (anervie hystérique) « se montrant très souvent réunies; c'est même l'espèce de paralysie qui frappe de préférence les hystériques » ; il en rapporte alors cinq observations.

Sans remonter au siècle précédent, Macario eût pu trou- ver des indications précieuses dans Brodie (1), qu'il ne connaît pas, dans Wilson (2), dans Laycock (3), mais leurs ouvrages, dit Landouzy (4), renfermaient « des do- cuments trop abrégés et trop peu précis pour éclairer suffi- samment les pathologistes » .

A partir de 1840-1846, la paralysie hystérique est simultanément étudiée dans tous les pays, par Gendrin (5), Hellft (6), Mesnet (7), Todd(8), qui donne une description remarquable de l'hémiplégie hystérique, Turck, Romberg, ,Valentiner (9), Rustegho (10), Duchenne de Boulogne (11), qui fait l'étude des réactions électriques des muscles para- lysés.

Mais parmi tous ces travaux, il faut faire une place à part aux chapitres que Briquet, après avoir inspiré le mémoire de Leroy, d'Etiolles (12), consacre en 1859 à la Contracture et surtout à la paralysie hystérique.

On peut dire que jusqu'à la période contemporaine qui commence avec les recherches de Charcot et de son Ecole, les pages que Briquet affecte à l'étude de cette question,

(1) BnODiE, op. cit., l re édit., 1837.

(2) Wilson, Gazette médicale, janvier 1839.

(3) Laycock, A treatise of nervous diseases of wonien. Londres, 1840.

(4) Landouzy, op. cit., 1846, p. 103.

(5) Gendrin, Maladies hystériques. Bull, de l'Ac. de méd., 1846, t. XI, p. 1367.

(6) Hellft, Paralysis hysterica. Casper's Wochens., n° 52, 1848.

(7) Mesnet, Etude des paralysies hystériques. Th. Paris, 1857.

(8) Todd, Clinical lect. on paralysis, 2 e édit. Londres, 1856, p. 20.

(9) Valiîntiner, Die Hystérie und ihre Heilung, 1852.

(10) PiUSTEGHO, Essai sur les paralysies hystériques. Th. Paris, 1859.

(11) Duchenne, de Boulogne, De l'électrisation localisée, l rc édit., 1855.

(12) Leroy, d'Etiolles, Des paralysies des membres inférieurs . Paris, 1857.


DE L'HYSTERIE. 9

sont encore ce qu'il y a de meilleur à consulter. Nous n'exceptons pas même le travail fort consciencieux de M. Lebreton (l), dans lequel on retrouve encore la divi- sion de Piorry et de Macario, en paralysies du mouve- ment et de la sensibilité.

Entre la publication du livre de Briquet (1859) et de la thèse de Lebreton (1868), de nombreux travaux avaient vu le jour. Nous nous contenterons de citer les mémoires de Franque (2), important pour l'étude de la contracture, de Bénédikt (3), de Pipet (4), de Jaccoud (5), d'Axenfeld (6), de Crolas (7), de Lasègue (8), de Hélot (9), etc. Nous en passons, car nous avons hâte d'arriver aux études de Char- cot, qui devaient révolutionner la science sur ce point par- ticulier.

Depuis 1870, Gharcot a, pour ainsi dire, fait sien le sujet qui nous occupe. Les paralysies et les contractures dérivent des deux variétés de stigmates permanents qu'il a étudiés sous le nom de diathèse de contracture et d'amyosthénie. Il a montré l'influence du traumatisme, découvert le spasme glosso- labié, les anesthésies en segments géométriques superposées aux troubles de la motilité; établi la réalité des troubles trophiques, étudié l'astasie-abasie et inspiré à ses élèves et collaborateurs de nombreux travaux dont le dernier et le plus complet, dû à M. Paul Richer, résume pour ainsi dire, en y ajou-

(1) Lebreton, Des différentes variétés de la paralysie hystérique. Thèse Paris, 1868.

(2) H. Franque, Ueber hysterische Krœmpfe und hysterische Laehmun- gen. Munich, 1862.

(3) Benedikt, Ueber lœhmungartige Stôrungen der Motilitaet ohne eigentliche Paralyse. Wieji. med. Wochens. 1862.

(4) Pipet, De la paralysie hystérique. Th. Paris, 1862.

(5) Jaccoud, Les paraplégies et Uataxie du mouvement. Paris, 1864.

(6) Axenfeld, Traité des névroses, in Pathologie de Requin, 1863.

(7) Crolas, Coxalgie hystérique. Th. Montpellier, 1865.

(8) Lasègue, De l'anesthésie et de l'ataxie du mouvement. Arch. g en. de méd., 1864, VI* série, t. III, p. 385.

(9) Helot, Etude sur quelques cas d'hémiplégie hystérique. Th. Paris, 1870.


]0 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

tant une note personnelle de grande valeur, l'enseigne- ment de l'École de la Salpêtrière (1).


La cause directe de la paralysie ou de la contracture hystérique réside dans les diatbèses d'amyosthénie et de contracture que nous avons déjà étudiées (t. I, ch. x). Lorsque ces stigmates existent chez un sujet, ils sortiront presque infailliblement un jour ou l'autre leurs effets, sous l'action des causes occasionnelles que nous avons si sou- vent mentionnées en tête des chapitres consacrés à l'étude des diverses manifestations hystériques.

Les paroxysmes convulsifs ont une influence considéra- ble sur l'apparition des paralvsies et contractures, comme sur nombre d'autres déterminations de la névrose. C'est un fait noté par tous les anciens auteurs. Dans Carré de Montgeron et dans Pomme, c'est presque toujours à la suite d'une attaque qualifiée de convulsive ou d'apoplec- tique que l'on voit survenir ces manifestations.

Il faut bien savoir, du reste, qu'au moment où va éclater l'attaque il se produit une exaltation très marquée de tous les stigmates permanents dont le sujet est actuellement porteur. C'est un point sur lequel insiste avec juste raison M. Paul Richer :

« Parmi les signes nombreux, dit-il (2), qui font prévoir l'éclosion de la grande attaque convulsive, un des plus constants est l'aggravation momentanée des symptômes permanents. C'est ainsi que l'anesthésie, si elle existait auparavant, s'accuse davantage, devient rebelle aux agents œsthésiogènes; si elle n'occupait que la moitié du corps, elle se généralise. Il en est de même de l'amyosthénie qui existe fréquemment parmi les symptômes permanents de l'hystérie. Pendant les quelques jours qui précèdent les grandes attaques, la faiblesse musculaire augmente et la

(1) Paul PiiCHEn, Paralysies et contractures hystériques, in-8°, 1892.

(2) P Richeh, Paralysies et contractures hystériques, op. cit., p. 7.


DE L'HYSTÉRIE. 11

paralysie, parfois complète, remplace l'amyosthénie... » Cet affaiblissement musculaire s'accompagne d'une exal- tation très marquée des réflexes tendineux, parfois même, mais plus rarement, de la trépidation épileptoïde parle soulèvement de la pointe du pied et même de soubresauts et de secousses spontanées.

« En présence de ces caractères, qui font rentrer les paralysies qui précèdent l'attaque dans le groupe des paralysies spasmodiques, c'est-à-dire avec tendance à la contracture, nous ne serons pas surpris de rencontrer parmi ces prodromes de l'attaque hystérique, à côté de la paralysie, la contracture...

« Ces troubles moteurs qui précèdent la grande attaque n'ont qu'une durée éphémère, quelques heures, quelques jours au plus, puis contracture ou paralysie; ils dispa- raissent dans le tumulte des convulsions de la grande attaque hystérique. »

Mais, l'attaque terminée, paralysie et contracture peuvent rester comme témoins de l'orage qui vient de passer.

La forme des attaques n'influence pas d'une manière générale la forme qu'affecteront les troubles de la moti- lité.

« Il n'existe pas, dit M. P. Richer [op. cit., p. 9), de relation entre les caractères de la crise hystérique et les troubles de la motilité qui lui succèdent. Et la violence des convul- sions, qui d'après certains auteurs pourrait provoquer une dépense exagérée de force musculaire et favoriser ainsi le développement de la paralysie, ne peut rien faire prévoir sur la nature des troubles moteurs qui suivront. C'est ainsi qu'à la suite de crises remarquables par un développement exagéré de forces musculaires, on peut voir survenir des contractures permanentes, de même que les attaques de léthargie peuvent être indistinctement suivies de paralysie ou de contracture. »

Notons, cependant, que les crises de léthargie ou d'apo- plexie hystérique dont parle P. Richer sont plus que toutes les autres fréquemment suivies de la forme hémiplégique


12 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

de la paralysie (1). C'est un fait que l'on retrouve con- stamment dans les observations si précises de Carré de Montgeron : chez les demoiselles Stapart, Marguerite- Françoise Duchesne, Marie-Anne Couronneau.

« Au mois de février 1730, Philippe Sergent tombe dans une foiblesse où il reste sans aucune connoissance depuis six heures du matin jusqu'au soir. Au sortir de cette attaque de léthargie, tout son côté droit paroît comme mort. La cuisse, la jambe et le bras deviennent tout bleuâtres. Dès ce moment, il perd toute sensibilité dans ses membres, et s'il est encore resté quelque mouvement dans le bras et dans la main, il a été si foible qu'il ne lui étoitpas possible de porter sa main jusqu'à sa bouche. A l'égard de la main et de la jambe, elles n'étoient plus qu'un poids inutile dont il ne pouvoit tirer aucun service. »

Cette opinion trouve sa confirmation dans les faits exposés dans les thèses d'Hélot et d'Achard {op. cil.), dans nombre d'observations de Charcot, dont nous repar- lerons en traitant plus particulièrement de l'hémiplégie hystérique. Qu'il nous suffise de savoir, pour le moment, que les attaques des divers ordres sont les agents provo- cateurs les plus actifs des paralysies et des contractures, surtout sous leur forme plus ou moins généralisée, hémi- plégique ou paraplégique, les paralysies ou contractures, partielles ou monoplégiques relevant surtout du trau- matisme.

Briquet avait noté cette puissance spéciale qu'ont les crises de provoquer l'apparition des troubles de motilité, mais il s'élevait aussi contre l'exagération qui avait été faite, à son époque, de cette donnée étiologique.

« Les circonstances, dit-il {op. cit., p. 442), à la suite des- quelles apparaît la paralysie ont été généralement assez mal appréciées. M. Piorry, et après lui M. Macario, M. Gen- drin, M. Landouzy et M. Leroy (d'Étiolles), ont pensé qu'elle succédait contaminent aux attaques convulsives des

(1) Comby, Apoplexie hystérique avec hémiplégie cjauche survenue pour la première fois à la suite d 'une fulquration. Soc. méd. des hop., mai 1894.


DE L'HYSTERIE. 13

hystériques. . . D'après mes observations, la paralysie hysté- rique ne s'est produite après des attaques hystériques que chez la moitié, des malades : chez l'autre moitié, elle s'était développée sur des femmes qui n'avaient pas encore eu d'attaques ou qui n'en avaient plus depuis longtemps. »

C'est déjà un facteur étiologique important que celui qui produit la moitié des cas de paralysie, d'autant que Briquet ajoute : « Enfin j'ai constaté que les malades, qui, au lieu d'avoir des attaques avec convulsions en avaient avec sim- ple sommeil, avec coma, avec léthargie ou avec syncope, étaient aussi sujettes que les autres à la paralysie hysté- rique. » Ce en quoi, comme nous le voyons, il corrobore ce que nous disions de l'apparition de l'hémiplégie à la suite des attaques d'apoplexie hystérique.

Quant aux contractures, il n'est pas moins explicite. « Le plus ordinairement, dit-il (op. cit., p. 435), la contrac- ture arrive chez des sujets déjà atteints de l'hystérie depuis un temps plus ou moins long et paraît à la suite des convulsions. »

On trouvera de nombreux exemples de contractures, dé- veloppées dans ces conditions, dans la thèse de Voulet(l).

Les émotions morales vives sont des facteurs étiologiques de même importance.

« Une de mes malades, dit Briquet (op. cit., p. 444), reçoit à Timproviste la nouvelle de la mort de sa mère ; à l'instant ses jambes tremblent, fléchissent sous elle, et on la relève paraplégique. Chez une jeune fille qui montaitle soir un escalier non éclairé, un homme déguisé se précipite sur elle ; dans son effroi elle chancelle, tombe, et on la rap- porte paralytique dans sa chambre. »

M. Charcot cite le fait d'un jeune garçon de douze ans qui éprouva, un jour de distribution de prix, une très forte émotion au moment où il devait réciter une pièce de vers devant ses supérieurs. Dans la journée il se plaignit de

(1) Voulet, De la contracture hystérique. Th. Paris, 1872, p. 21. Voir aussi la 47 e obs. de Briquet, p. 437. Hémiplégie avec contracture survenue à la suite d'une attaque délirante; l'observ. VIII de Voulet, etc.


14 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

vives douleurs de tête : le lendemain il était dans limpos- sibilité de faire un pas.

Nous verrons bientôt, en parlant du traumatisme , que l'émotion qui l'accompagne fréquemment joue un rôle considérable dans l'apparition des paralysies et contrac- tures auxquelles il donne si souvent naissance.

Il n'est pas nécessaire, du reste, que l'émotion se formule toujours par une action extérieure, car M. Féré a rap- porté un cas de paraplégie survenu à la suite d'un rêve de course prolongée.

Ces faits rentrent dans la catégorie de ces « paralysies singulières, dit Charcot(l), qui ont été désignées sous le nom de paralysies psychiques, paralysies dépendant d'une idée (P. dépendent on idea), paralysies par imagination (P. durch Einbildung). Je ne dis pas, ajoute-t-il, paraly- sies imaginaires ; car, en somme, ces impuissances motrices développées par le fait d'un trouble psychique sont objec- tivement tout aussi réelles que celles qui dépendent d'une lésion organique ; elles s'en rapprochent même par un grand nombre de caractères communs qui rendent souvent le diagnostic très difficile. Depuis fort longtemps connues, ces paralysies ont été pour la première fois étudiées d'une façon méthodique et systématique en 1869, par M. le pro- fesseur Russell Reynolds (2), dans un excellent travail où sont traités leur étiologie, leurs caractères cliniques, ainsi que les moyens de traitement qu'il faut leur appliquer » .

Et, comme argument à l'appui de sa démonstration, M. Charcot étudie les paralysies psychiques expérimentales, celles que l'on peut produire chez les individus hystériques plongés dans la phase somnambulique du grand hypno- tisme et qui offrent des caractères cliniques identiques aux paralysies nées spontanément sous l'influence d'une émotion morale ou de toute autre cause (3).

(1) Charcot, Leç. sur les maladies du système nerveux, t. III, p. 335.

(2) R. Reynolds, Remarks on paralysis and other disorders of motion and sensation dépendent on idea. British. med. Journal, nov. 1869.

(3) Voy. P. Righer et Gilles de la Tourette : Sur les caractères clini-


DE L'HYSTERIE. 15

Ajoutons que les émotions morales vives produisent bien moins souvent la contracture que la paralysie.


Un facteur étiologique important des manifestations que nous étudions n'est autre que le traumatisme , qui agit surtout dans la genèse des phénomènes d'hystérie locale revêtant la l'orme de monoplégies ou de contractures mono- plégiques.

C'est à Brodie que revient le mérite d'avoir bien dé- montré, dès 1837, l'influence du traumatisme sur la pro- duction de la contracture en particulier.

« Il arrive, dit-il [op. cit., p. 38), que des symptômes d'hystérie locale semblent se rattacher à quelque trauma- tisme accidentel le plus souvent très léger. On est exposé alors à commettre de grandes erreurs.

« Une jeune femme se pince ou se pique le doigt.

Bientôt après elle se plaint de douleurs partant du doigt et s'étendant le long de la main et de l'avant-bras. Il s'ensuit même quelquefois une action convulsive des muscles du bras ou une contracture des muscles fléchisseurs de ce seg- ment, de façon que lavant-bras est maintenu en flexion au moins pendant le veille, car ce spasme cède en général pendant le sommeil.

«. Mais ces symptômes, qui chez les sujets hystériques reconnaissent un traumatisme local, ont souvent des effets bien plus variés que ceux que je viens de décrire.

« Comme exemple, je vous citerai le cas suivant : Une jeune fille de onze à douze ans se piqua l'index de la main gauche avec la pointe d'une paire de ciseaux. Il s'ensuivit immédiatement de la douleur sur le trajet du nerf médian, et le lendemain l'avant-bras était fléchi à angle droit sur le bras. Au bout de quelques jours, tous les muscles de la

i/ues des paralysies psychiques expérimentales . Soc. debiol., 1894 — Lépine, Sur la pathogénie des paralysies hystériques. Lyon médical, 5 août 1894, n° 21, p. 461.


16 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

main et de l'avant-bras étaient le siège de mouvements spasmodiques violents qui donnaient lieu à des convulsions étranges de la main et de l'avant-bras. Il s'y adjoignit des nausées et des vomissements, et pendant deux jours l'estomac rejetait immédiatement tout ce qu'on y introdui- sait. Petit à petit les autres membres furent atteints à leur tour, et il devint impossible à la malade de marcher ou même de se tenirdebout. Quelquefois même, le diaphragme était pris et la suffocation était imminente; ou bien la mâchoire inférieure était retirée par la contraction du masséter, il y avait parfois aussi de l'opisthotonos ...»

Nous avons tenu à citer dans son entier ce passage de Brodie, car il contient tous les éléments d'appréciation du traumatisme comme agent provocateur des paralysies ou des contractures. Son action est beaucoup moins locale qu'on ne pourrait le supposer. C'est, en effet, en impres- sionnant le cerveau qu'il agit, et, s'il produit des contrac- tures, des paralysies au point où il a porté, on peut aussi le voir déterminer à distance, comme dans la deuxième obser- vation de Brodie, des phénomènes généraux ou généralisés.

C'est un fait sur lequel Charcot a beaucoup insisté, dès 1878 (1), dans une leçon faite à la Salpétrière, où il reproduisait les cas de Brodie. Depuis, il est revenu à maintes reprises sur cette question (2).

Apropos d'une malade qui, à la suite d'un traumatisme, fut atteinte d'une monoplégie brachiale gauche, notre maître analysait en ces termes les effets du choc nerveux : « Les troubles sensitifs et moteurs, dit-il (p. 402), sur lesquels j'appelle ici votre attention et qui se produisent sur les membres soumis à une contusion, n'appartiennent pas, tant s'en faut, en propre aux sujets hystériques. Chez ces sujets-là, sans doute, ils se produisent sous l'influence

(1) Charcot, De l influence des lésions traumatiaues sur le développe- ment des phénomènes d' hystérie locale. Progrès médical , n° 18, 4 mai 1878, p. 335.

(2) Leçons sur les maladies du système nerveux, t. III, 20 e -25 e leçons et Appendice.


DE L'HYSTERIE. 17


des chocs en apparence les plus légers, et ils acquièrent faci- lement un développement considérable, hors de toute pro- position avec l'intensité de la cause traumatique. Mais on les retrouve, en dehors de l'hystérie, à peu près nécessairement chez un individu quelconque à la suite dune contusion, pour peu que celle-ci ait un intensité notable. C'est ainsi que, sous l'influence du choc produit, par exemple, sur l'a- vant-bras par la pénétration d'une balle de fusil, le membre tout entier peut se montrer parésié, insensible pendant une période de temps plus ou moins longue. Une simple con- tusion sans plaie suffit, d'ailleurs, pour déterminer des phénomènes du même genre (1). On peut avancer, je crois, d'une façon très générale que plus la contusion est légère et moins le sujet est névropathe, moins il est hystérique, si l'on peut ainsi parler, plus les accidents parétiques et sen- soriels sont légers, concrets et fugaces. »

En résumé, un traumatisme local chez un individu sain détermine des troubles de motilité et de sensibilité qui disparaissent bientôt. Chez un hystérique, ce même choc met en œuvre la diathèse d'amyosthénie ou de contrac- ture, et la paralysie, flasque ou spasmodique, se trouve constituée à l'état plus ou moins permanent. Mais le plus souvent, entre le choc local et l'apparition du trouble de la motilité il y a un intervalle, une période de préparation, de méditation, comme l'appelle Charcot, purement psychique, pendant laquelle le choc local cède la place au choc ner- veux, à l'ébranlement psychique qu'il a déterminé. C'est pendant cette période que le sujet, par un phénomène d'auto-suggestion qui a sa source dans la sensation réelle d'impuissance et d'engourdissement du membre trauma- tisé, fixe lui-même en l'amplifiant singulièrement l'action du traumatisme.

Les exemples abondent de cette période de méditation.

Une jeune fille tombe de sa hauteur et se heurte la main contre un tabouret. Il s'ensuit un peu de douleur et de

(1) 0. Berceii, Berl. klln. Wochens., p. 234, 1871.

III. 2


18 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

gonflement. Ce n'est que trois jours plus tard que les doigts se contracturent en flexion (1).

Nous n'en rapporterons pas d'autres, car nous avons déjà étudié ces faits à propos de l'état mental des hysté- riques (t. I. p. 520) et au cours de la discussion à laquelle nous nous sommes livré au sujet de la névrose traumatique.

Nous reviendrons, du reste, quelque peu sur cette ques- tion en traitant des monoplégies brachiales en particulier.

Le traumatisme peut cependant agir instantanément, mais le cas est plus rare. Une femme donne un soufflet avec le revers de la main à son enfant qui crie. Sa main retombe paralysée. C'est là un exemple de la mise en œuvre directe de la diathèse d'amyosthénie (2).

Nous ne dirons qu'un mot de l'influence des maladies infectieuses ; par la débilitation générale qu'elles entraînent, par l'immobilité à laquelle elles condamnent le malade pendant la convalescence en particulier, elles sont suscep- tibles de favoriser l'apparition des accidents que nous étudions. Nous n'avons rien à ajouter, du reste, à ce que nous en avons déjà dit, comme agents provocateurs des accidents hystériques (t. I, p. 91). Nous insisterons seu- lement un peu plus loin sur le rôle particulier que semblent jouer parfois la syphilis ou certaines maladies organiques pour fixer la forme des paralysies et contractures.

Ajoutons, pour terminer ces considérations générales, que les paralysies et les contractures hystériques s'accom- pagnent assez souvent de troubles trophiques : œdème, rétractions fibro-tendineuses, atrophie musculaire, que, du reste, nous avons déjà étudiés.


Les paralysies et contractures hystériques ne sont pas rares chez les enfants. A. Clopatt (3) en a rapporté un

(1) Gharcot, Progrès médical, 1878, op. cit.

(2) Charcot, Leç. du mardi, 17 janvier 1888, p. 111.

(3) A. Clopatt, Etudes sur l'hystérie infantile. Helsingfors, 1888.


DE L'HYSTERIE. 19


assez grand nombre d'observations tant personnelles qu'empruntées à différents auteurs. Peut-être la contracture serait-elle plus fréquente que la paralysie.

Ces manifestations ne sont pas fréquentes avant dix ans. Schmidt (1) cite un cas de contracture en flexion des membres inférieurs chez une fillette de neuf ans. Clopatt rapporte lui-même un cas d'hémiplégie gauche chez une jeune fille de dix ans. Jules Simon (2) signale un fait, qui doit être rapporté à l'abasie, chez un garçon de neuf ans et demi.

D'autre part, on peut voir la paralysie ou la contracture persister, sinon débuter, à soixante ans ou même dans un âge plus avancé. Mais il n'est pas douteux que ces manifes- tations ont leur maximum de fréquence de quinze à vingt- cinq ans, époque de la plus grande floraison des accidents hystériques. Ces limites doivent être un peu reculées pour l'homme, à cause de l'influence provocatrice si considérable du traumatisme.

Il est difficile de dire si les hommes sont plus souvent atteints que les femmes et vice versa; les dernières statis- tiques que nous possédons sont vieilles de dix ans ; elles datent d'une époque où l'hystérie masculine et l'influence du traumatisme étaient presque complètement inconnues des observateurs.


Quelles sont les variétés de paralysies ou de contrac- tures le plus fréquemment observées?

Pour les contractures, nous ne possédons aucune donnée statistique précise. Il n'en est pas tout à fait de même en ce qui regarde les paralysies. Sur ce point, en effet, Lan- drouzy [op. cit.,]). 105) s'exprime ainsi :

« Sur quarante-six cas que nous avons recueillis tou-

(1) Schmidt, Ueber Hystérie bei Kindern. Jahresber. fur Kinderheilk., t. XV, 1888, p. 13.

(2) J. Simon, Fausse paraplégie et troubles musculaires d'origine hysté- rique chez les jeunes garçons Progrès médical, n° 1, 6 janvier 1894.


20 TRAITE CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

chant la paralysie hystérique et qui viennent de vingt-six auteurs différents, nous en trouvons trois de paralysie générale du mouvement et du sentiment; deux de para- lysie générale du sentiment, sans perte du mouvement ; huit d'hémiplégie complète du côté gauche; six d'hémi- plégie complète sans désignation du côté affecté; neuf de paraplégie; dix-neuf de paralysie partielle : amaurose,

surdité, aphonie, dysphagie, dysurie, etc »

On peut, à l'aide des relevés de Briquet [op. cit., p. 445), dresser le tableau suivant :

Paralysie des muscles principaux du tronc et des quatre

membres 6

— des deux membres du côté gauche ... 46 des deux membres du côté droit 14

— des deux membres supérieurs seuls ... 5

— du membre supérieur gauche seul. ... 7

— du membre supérieur droit seul 2

— des deux membres inférieurs 18

— du membre inférieur gauche 4

— des pieds et des mains 2

de la face 6

du larynx à

— du diaphragme 2

115

Briquet estime que ces résultats concordent assez bien avec ceux rapportés par Landouzy, et il ajoute :

« On voit, d'après ce tableau : 1° que l'affaiblissement des muscles de l'un des côtés du corps, l'hémiplégie hys- térique, est extrêmement commune, puisqu'on la trouve chez la sixième partie des hystériques; 2° qu'elle est trois fois plus fréquente à gauche qu'à droite ; 3° que la para- lysie est cinq fois plus fréquente aux membres inférieurs qu'aux supérieurs ; qu'enfin elle attaque très rarement les muscles de la face. »

Nous donnons ces statistiques pour ce qu'elles valent,


DE L'HYSTÉRIE. 21

vu les dates auxquelles elles ont été publiées. Nous bor- nons là ces considérations générales (1). Nous les précise- rons et nous les compléterons en traitant de chacune des variétés de la paralysie et de la contracture hystérique, pour ce qui regarde en particulier révolution et le pro- nostic, qui sont variables suivant les formes observées.


Nous avons dit en tête de ce chapitre que, malgré l'apparence contraire, rien n'était plus rapproché de la paralysie que la contracture, et inversement. Cette vérité ne saurait trouver meilleure application qu'à propos des troubles de la motilité des muscles de la face, par lesquels nous commencerons notre description, renvoyant pour les affections hystériques des muscles oculaires au cha- pitre ix du premier volume, qui. a été consacré à leur étude.

L'évolution historique des troubles de la motilité des muscles de la face est très importante à considérer. La question va sans cesse se poser de savoir s'il s'agit de paralysie ou de contracture. La discussion commence avec Brodie et se continue jusqu'à nos jours.

Brodie semble, en effet, être un des premiers auteurs qui aient noté l'existence de ces phénomènes, et, bien qu'il ne prononce pas le nom d'hystérie, il n'a pas paru douteux à Charcot (2) que sa description s'appliquât à la névrose, dans la circonstance. On remarquera, en lisant le passage suivant, cette particularité que d'emblée il rectifie le dia- gnostic en attribuant au spasme ce qui avait été mis au compte de la paralysie.

« Je fus un jour, dit-il (3), consulté par une dame qui

(1) Bastia^', Lectures on the nervous forms of hysterical or functional paralysis. The Lancet, 1891, t. II, p. 129, 301.

(2) Charcot, Spasme glosso-labié unilatéral des hystériques. Diagnostic entre V hémiplégie capsulaire et V hémiplégie hystérique. Sem. méd., 2 fé- vrier 1887, p. 37.

(3) Brodie, op. cit., trad. franc., p. 15.


22 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

se plaignait de douleurs dans la tête et qui présentait une déviation latérale de la bouche ; on croyait à une paralysie des muscles d'un côté de la face. Mais je constatai immé- diatement l'existence de mouvements spasmodiques con- tinus dans la joue et les paupières, du côté vers lequel s'était faite la déviation de la bouche ; et, en faisant un examen plus minutieux, j'acquis la conviction que cette déviation était due non pas à la paralysie des muscles du côté opposé, mais à l'état spasmodique des muscles du même côté. »

En 1856, dans une leçon sur la paralysie hystérique, Todd (1) s'exprimait ainsi : « L'étendue de la paralysie des membres alors qu'il n'y en a pas dans la face est un argument en faveur de la nature hystérique de l'affection : car, bien que la paralysie hystérique puisse occuper toutes les parties du tronc et des extrémités, très rarement, jamais peut-être, elle n'occupe la face. »

Pour corroborer son opinion sur la rareté de la paralysie faciale, Todd rapporte un cas d'hémiplégie où certaines particularités pouvaient faire pencher le diagnostic du côté de l'hystérie ; mais la présence" de la paralysie faciale lui permit d'affirmer l'origine organique de l'affection. L'au- topsie qu'il eut occasion de pratiquer, deux mois après, lui donna complètement raison.

C'est cette rareté de la paralysie faciale qu'affirmeront plus tard Althaus (2), Weir Mitchell (3) et Charcot; mais n'anticipons pas.

En 1857, Mesnet {op. cit.) ne signale pas la paralysie faciale, bien qu'à la rigueur on puisse en trouver un exemple dans sa première observation, où elle coïncidait avec une hémiplégie.

En 1859, Briquet s'exprime en ces termes {op. cit.,

(1) Todd, Clinical lectures on paraly.iis, certain diseases of the brain. Londres, 2° édit., 1856, p. 20. Lect. XIII : On hemiplegia, p. 277.

(2j Atuaus, cité par ILysse, Handbuch der Pathologie, etc., 2 lc Aufl. Erlangen, 1869.

(3) W. Mitchell, Lectures on diseases of nervous System especially in vjomen. Philadelphia, 1885, p. 25.


DE L'HYSTERIE. 23

p. 460) : « La paralysie des muscles de la face n'est jamais isolée; on la voit toujours réunie avec une paralysie étendue des membres, dont elle ne paraît être en quelque sorte que le complément ; elle est toujours consécutive à celle-ci.

« Elle est constamment unilatérale et située le plus ordinairement du même côté que la paralysie des mem- bres. On la reconnaît à une déviation de la bouche qui se manifeste soit quand la malade veut faire jouer les mus- cles de la face , soit même quand ces muscles sont au repos. Elle s'accompagne constamment de l'anesthésie de la peau et de celle des sens du même côté. Elle est ordi- nairement de peu de durée, car c'est lune des paralysies qui se dissipent le plus promptement. »

Au cours d'une leçon faite en juin 1870(1), M. Charcot, établissant le diagnostic entre l'hémiplégie organique et l'hémiplégie hystérique, faisait remarquer l'absence de ce symptôme dans le cas qu'il étudiait. Il rappelait à ce pro- pos les opinions de Todd, d'Althaus et de Hasse.

Cette opinion sur la rareté de la paralysie faciale devait cependant trouver des contradicteurs. Lebreton (2) admet l'existence de la paralvsie, bien que l'observation qu'il donne, et dans laquelle il y avait participation de l'orbi- culaire, soit très sujette à discussion, ainsi que nous l'avons établi (t. I, p. 416). Dans un cas analogue de Gabbet (3), l'orbiculaire était également pris.

Pipet {op. cit., 1862) admet la paralysie faciale, mais formule certaines restrictions importantes que nous retrou- verons plus tard.

Hélot {op. cit., 1870) la constate dans trois cas en coïn- cidence avec l'hémiplégie hystérique.

En 1884, Kalkoff (4), dans sa thèse inaugurale, soutient

(1) Charcot, Leç. sur les maladies du sy st. nerveux, t. I, l re édit., 1873, 3 e édit., 1877, p. 351.

(2) Lebreton, op. cit., 1868, obs. XVI, p. 147.

(3) Gabbet. British. med. Joum., vol. III, p. 943, nov. 1882.

(4) Kalkoff, Beitràge zur differential Diagnose der hysterischen u. der Kapsulàren Hemianesthésie. Inaug . Dissert. Halle, 1884


24 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

que la paralysie faciale existe et que même elle est beau- coup moins rare qu'on ne l'admet généralement. Seelig- miïller (1), la même année, publie l'observation d'une femme de vingt-quatre ans atteinte d'hémiplégie gauche et de paralysie faciale droite.

Mais la plupart de ces faits , en particulier celui de Kalkoff, où il est dit que la langue était fortement tirée vers la gauche et comme coudée en son milieu, sont sus- ceptibles d'une autre interprétation que celle relevant de la paralysie.

En résumé, en 1887, deux opinions contradictoires avaient cours au sujet de l'existence de la paralysie faciale hystérique. Dans l'une, qui avait pour elle l'autorité de Todd, d'Althaus, de Hasse et de Charcot, cette paralysie était très rare, si tant est qu'elle existât. Dans l'autre, au contraire, soutenue incidemment par Briquet, Pipet, Lebreton, Kalkoff, la paralysie faciale, quoique relative- ment rare, existait réellement.

C'est alors que M. Charcot (2) et deux de ses élèves, MM. Brissaud et P. Marie (3), interprétant le fait de Brodie et aussi celui de Kalkoff, apportant, en outre, de nombreuses observations personnelles, découvraient l'exis- tence d'une contracture de la langue et des muscles de la face qu'ils dénommèrent spasme glosso-labié des hystériques, celui-ci coexistant le plus souvent avec une hémiplégie. Les conclusions du mémoire de MM. Brissaud et P. Marie étaient les suivantes (p. 131) :

« Dans l'hémiplégie hystérique , il peut exister une déviation de la face très analogue, dès le premier abord, à l'hémiplégie faciale des hémiplégies organiques.

« Cette déviation de la face, dans la première, se dis- tingue de la seconde par les caractères suivants :

(1) Seeligmulleb, Deut. med. Wochenscluift,n 42, 1884.

(2) Charcot, Spasme glosso-labié,... op. cit. Sem. méd., 1887. — Leçons du mardi, 1887-88, p. 296, 318, 414. Jd., 1888-89, p. 262.

(3) Beissaud et Marik, De la déviation faciale dans l'hémiplégie hysté- rique. Progrès médical, 1887, p. 84, 128.


DE L'HYSTÉRIE. 25

« État de contraction spasmodique de la musculature d'un côté de la bouche portant presque exclusivement sur une seule lèvre, la supérieure ou l'inférieure, et s'accompa- gnant de secousses généralement très accentuées.

« Dans Vacte de souffler, il y a issue de l'air non pas du côté que l'on soupçonnerait être paralysé, mais du côté où existe l'état de contraction spasmodique.

« Déviation excessive de la langue, grâce à laquelle cet organe peut prendre les positions les plus bizarres : cette déviation a lieu du côté où existe l'état de contraction spasmodique et se montre le plus souvent même sans que la langue soit tirée, parle seul fait d'ouvrir la bouche ; fré- quemment elle persiste un certain temps après la paralysie des membres. »

A cette époque (novembre 1887), prenant à la Salpê- trière nos fonctions de chef de clinique, nous fûmes con- duit à étudier le spasme glosso-labié des hystériques, et des recherches auxquelles nous nous livrâmes et qui por- tèrent sur dix cas de spasmes de la langue, des muscles de la face et du cou, comprenant l'orbiculaire des paupières, nous pûmes établir ce fait important que toujours des troubles de sensibilité, anesthésie ou hyperesthésie, se superposaient à ces divers spasmes. Nous montrions, par l'étude minutieuse de ces troubles de sensibilité, que le spasme dit glosso-labié s'étendait fréquemment au peaucier du cou, d'où le nom de spasme glosso-labio-^eaucz'er qui méritait de lui être attribué dans la majorité des cas (1). Pour être juste, il faut rappeler que Briquet avait déjà vu l'anesthésie coexister avec ce qu'il appelait la paralysie faciale hystérique, dans l'ignorance où il était du spasme glosso-labié.

Sous l'influence de ces divers travaux, émanés de la Salpêtrière, on put croire un instant que la paralysie faciale hystérique devait être rayée du cadre nosologique ;

(1) Gilles de la Tourette, De la superposition des troubles de la sensibi- lité et des spasmes de la face et du cou chez les hystériques. Nouv. Icon. de la Salp., 1889, p. 107, 170.


26 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

que toutes les observations qui en avaient été publiées devaient rentrer dans le cadre du spasme glosso-labié dont on retrouvait, dans les temps passés, des représentations figurées (1). Cette période de la question est marquée par la thèse inaugurale d'un élève de M. Charcot, M. R. Belin(2), auquel nous communiquions de nombreux documents.

Mais une réaction ne tardait pas à suivre cette décou- verte, cette affirmation peut-être trop absolue dune réalité clinique.

En Italie, Lombroso, en 1886 et en 1888, dans ho speri- mentale, tient pour la paralysie faciale ; mais le diagnostic avec le spasme glosso-labié, qu'il signale cependant, ne pouvait être établi à ce moment, vu la trop récente décou- verte de ce dernier, que sur des bases peu solides.

Dans la séance du 24 octobre 1890, M. Chantemesse présentait h la Société médicale des hôpitaux de Paris trois malades atteints de paralysie faciale hystérique.

Admettant l'existence, indéniable, du reste, du spasme glosso-labié, il dit qu'il ne faut pas pour cela rejeter la paralysie faciale, dont il donne la description suivante :

« Localement, il s'agit d'une parésie plus ou moins accentuée portant sur les muscles du domaine du facial inférieur. L'orbiculaire des paupières et le muscle de Hor- ner sont parfaitement respectés. C'est, comme on le voit, une paralysie analogue à celle qu'on nomme paralysie fa- ciale centrale : du côté malade, la commissure est légère- ment abaissée, les rides de la joue effacées et diminuées, l'aile du nez tombante. Si le malade essaye d'attirer en arrière les commissures labiales, les dents étant serrées, la commissure du côté atteint s'écarte peu et contraste par sa faible contraction avec celle du côté opposé. La faiblesse des buccinateurs s'observe, et aussi celle de l'élé-

(1) Charcot et Paul Richer, Le Mascaron grotesque de l 'église Santa Maria Formosa a Venise et V hémispasme glosso-labié hystérique. Nouv Icon. delà Salp., 1884. p. 87.

(2) R. Reli>", Déviation de la face dans l hémiplégie hystérique et dans Vhémiplégie organique. Hémispasme glosso-labié des hystériques. Thèse Paris, 1888


DE L'HYSTÉRIE. 27

vateur de la lèvre supérieure. Parfois, non toujours, la langue est attirée du côté malade. Toutes les réactions électriques sont normales.

« La parésie siège indifféremment à droite ou à gauche, mais, phénomène tout particulier, elle est souvent bilaté- rale avec prédominance d'un côté. Le malade présente alors un masque facial qui lui donne un air d'hébétude. »

Gomme symptôme concomitant, on note l'existence d'une monoplégie brachiale ou d'une hémiplégie du même côté, ou du côté opposé à la paralysie de la face. Locale- ment, il existe de l'anesthésie sensitivo-sensorielle qui s'étend au bras ou au côté paralysé. Le mode d'apparition est brusque, et dès le début l'affection présente son maximum d'intensité; elle décroît ensuite peu à peu et guérit.

Dans la même séance, M. G. Ballet, rappelant une communication antérieure (1), et M. Féré appuyèrent les propositions de M. Chantemesse. A l'aide d'appareils spé- ciaux, M. Féré (2) avait constaté chez certains hystériques une diminution considérable de l'énergie motrice des deux moitiés de la langue, mais surtout du côté où prédomi- naient les troubles sensitivo-sensoriels.

Le 14 novembre 1890, M. Ballet présentait à la Société médicale, des hôpitaux un nouveau malade chez lequel on notait, mais plus marqués encore, les troubles observés par M. Chantemesse sur ses sujets. La paralysie était limitée au facial inférieur, moins accentuée que la para- lysie faciale ordinaire centrale ou périphérique; elle variait d'intensité d'un jour à l'autre. Il ajoutait que la contracti- lité électrique faradique et galvanique des muscles parais- sait au moins diminuée, fait que notait aussi M. Pitres (3)

(1) G. Ballet, Soc. méd. des hôp., février 1888, et: De l'cphtalmoplégie externe dans V hystérie et le goitre exophtalmique . Rev. de méd., 1888.

(2) FÉRÉ, Note sur V exploration des mouvements de la langue. C. Jî. Soc. de biologie, 1889, p. 278. — Etude physiologique de quelques troubles d'articulation. Nouv. Icon. de la Salp., 1890, p. 168.

(3) Pitres, Des troubles trophiques dans l'hystérie. Progrès méd., n° 8, 21 février 1891, obs. IV, p. 148.


28 TRAITÉ CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

dans un cas analogue. La face était seule touchée, à l'ex- clusion des membres ; l'anesthésie se superposait à la para- lysie.

M. Ballet montra son malade à M. Charcot, qui, recon- naissant l'existence d'une paralysie faciale vraie , en fit l'objet d'une leçon (1) dans laquelle, insistant sur le dia- gnostic avec la paralysie faciale organique d'origine cen- trale, il disait :

« Veuillez remarquer que, quant à présent, la paralysie du facial inférieur chez un hystérique semble se distin- guer par quelques caractères de celle que l'on rencontre dans l'hémiplégie organique correspondante. Tout d'abord elle est en général très peu accentuée. De plus, elle paraît toujours s'accompagner danesthésie des parties para- lysées, ainsi que M. Gilles de la Tourette l'avait déjà remarqué pour les spasmes. Enfin plusieurs fois on a pu l'observer isolée, en dehors ds toute paralysie notoire des membres, circonstance peu fréquente dans l'histoire de l'hémiplégie faciale capsulaire et qui, dans la catégorie des paralysies corticales, n'est représentée que par quel- ques cas assez rares. »

Dès lors les faits se multiplièrent, sans être fréquents toutefois. M. Ballet lisait à la Société médicale des hôpitavx, le 5 janvier 1891, l'histoire d'un cas de paralysie faciale observé par M. Boinet, de Montpellier. M. Pitres rappor- tait dans le Progrès médical (op. cit.) une observation de paralysie faciale à laquelle nous Amenons de faire allusion à propos des réactions électriques. Un fait de MM. Descroi- zilles et Pasquier (2) est relatif à une fillette de neuf ans et demi; ici lhyperesthésie remplaçait l'anesthésie. Ces tra- vaux sont résumés dans la thèse de M. Decoux (3), faite sous l'inspiration de M. Ballet. Notons encore une observa-

(1) Charcot, A propos d'un cas d'hystérie masculine, paralysie dissociée du facial inférieur d'origine hystérique; cumul de facteurs étioloc/iques ; traumatisme, alcoolisme, hérédité nerveuse. Arch. de Neurologie, op. cit., juillet 1891.

(2) Soc. méd. des hop., juin 1891.

(3) Decoux, De la paralysie faciale hystérique . Th. Paris, juillet 1891.


DE L'HYSTERIE. 29

tion rapportée par Tournant(l), où la paralysie était alterne. Mais si l'existence de la paralysie faciale hystérique paraissait désormais indéniable, l'ère des discussions n'était cependant pas close.

Kœnig publiait en effet un mémoire (2) qu'il terminait par les conclusions suivantes :

u . .. 1° La paralysie faciale hystérique pure, incontes- table, non accompagnée de spasmes, est très rare ;

« 2° La paralysie faciale hystérique unie à un spasme dans certains groupes musculaires, notamment dans ceux du côté opposé de la face, est un fait un peu plus fré- quent ; la présence d'un spasme doit faire mettre en doute l'existence de troubles parétiques, si la force des muscles n'est pas véritablement diminuée ;

« 3° L'assertion de Charcot : que les troubles parétiques sont légers et qu'ils s'accompagnent de troubles de la sensibilité, est confirmée par les faits que j'ai observés ;

« 4° Dans l'hémispasme glosso-labié, le type Brissaud- Maire ne se retrouve pas toujours dans son intégrité; il se trouve aussi sous forme fruste. »

Le travail de Kœnig présenté à la Société psychiatrique de Berlin (3), le 9 mai 1892, où il fut l'objet de critiques de Remak et d'Oppenheimsur lesquelles il serait oiseux d'insister, renfermait une grande part de vérité.

On le vit bien lors des communications de M. Ballet (4) et de M. Babinski (5), sous l'influence desquelles la ques- tion entra dans une nouvelle phase à la fois clinique et théorique.

(1) Tournant, Sur un cas de paralysie alterne hystérique simulant le syndrome de Millard-Gubler. Th. Paris, mars 1892. A rapprocher des cas étudiés, t. I, p. 402 et suiv. — Voy. aussi Gotjraud et Martin-Durr, Syn- drome hystérique simulateur d'une lésion protubérantielle. Arch. g en. de méd., mars 1892.

(2) Koenig, Ueber functionnellen Stôrungenim Bereiche des Facialis und Hypoglossus speciell bei funclionnelle Hémiplégie. Neurol. Centr., 1 er juin, 15 juin, 1 er juillet 1892.

(3) Deutsche med. Wochens., n° 4, 3 octobre 1892.

(4) Ballet, Soc. méd. des hop., 14 octobre 1892.

(5) Babinski, Soc. méd. des hôp., 28 octobre 1892.


30 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

M. Babinski étudiant (1), le 8 juillet 1892, un malade atteint d'astasie-abasie, proposait d'attribuer la qualifica- tion de systématiques (2) aux troubles dans lesquels les fonctions motrices sont conservées pour tous les mouve- ments, sauf pour ceux nécessaires par exemple à la station verticale ou à la marche. Par analogie, on pouvait appli- quer cette dénomination à la paralysie des muscles de la face.

Cette dissociation des fonctions motrices existait chez la malade de M. Ballet; les muscles de la face se contrac- taient bien lorsque le sujet riait ou pleurait, mais ils cessaient complètement d'obéir à la volonté lorsque cette femme voulait exécuter des mouvements unilatéraux, comme ceux de relever ou d'abaisser la commissure labiale droite.

« 1° Au repos, dit M. Ballet, il n'y a pas trace d'asy- métrie; rien ne révèle un trouble notable de la motilité de l'un ou de l'autre côté ;

« 2° Lorsqu'on commande à la malade de relever ou d'abaisser la commissure droite, de la porter en dehors, elle exécute ces divers mouvements sans difficulté ni consciente ni apparente. Mais lorsque cette femme parle, tandis que la joue et la commissure gauche exécutent les mouvements qu'exige la prononciation des diverses syl- labes, la commissure droite est immobile, la joue flasque se tend parfois sous l'influence de la propulsion de la colonne d'air, si bien que la malade, à droite, fume la pipe en parlant.

« Nous avons, ajoutait M. Ballet, affaire ici à une paralysie faciale qui se manifeste seulement à l'occasion des mouvements que nécessite la parole. En d'autres termes, c'est une paralysie nettement systématisée. »

Chez un malade de M. Babinski (3) la paralysie était

(1) Babinski, Soc. mécl. des hop., 8 juillet 1892.

(2) Ozanok, Contrib. à l'étude des paralysies dites systématiques. Thèse Paris, 1893-94.

(3) Babinski, Soc. méd. des hèp. } 28 octobre 1892.


DE L'HYSTERIE. 31

systématisée dune autre façon. Lorsque le malade par- lait ou sifflait, les deux côtés de la face fonctionnaient à peu de chose près de la même manière. Au contraire, les mouvements d'élévation de la commissure droite étaient abolis.

Il faut tenir compte aussi, dans l'interprétation de ces paralysies dites systématiques, de ce fait que la muscula- ture de la face est assez complexe. Dans le cas de Charcot- Ballet(l), la paralysie était dissociée, le grand zygomatique et le buccinateur étant seuls pris.

Rappelons encore que M. Pipet (op. cit.,, 1862) avait déjà remarqué que la paralysie faciale d'origine hysté- rique était rare, toujours légère, et qu'elle se manifestait surtout dans certains mouvements.

M. Babinski notait en outre que, dans certains cas, la paralysie s'accompagnait du spasme des muscles de la face du côté opposé à la paralysie ; que cette paralysie s'associait avec un spasme de la langue. Il insistait encore avec M. Ballet sur la mobilité de ces paralvsies, très mar- quées un jour, très atténuées le lendemain, pouvant se modifier non seulement quant à leur intensité, mais en- core quant à leur modalité.

En résumé, ces auteurs en arrivaient aux conclusions que nous avions déjà formulées en 1891 (t. I, p. 431), quand, après avoir étudié les affections hystériques des muscles oculaires, nous disions :

« De cette longue discussion nous conclurons que, à l'instar de ce qui se passe pour les autres muscles de la face, les muscles de l'appareil de la vision sont frappés de contractures dans des proportions telles qu'il est à se demander si l'on doit admettre leurs paralysies. Celles-ci, lorsqu'elles existent, — outre les phénomènes presque constants d'amblyopie qu'elles partagent avec les con- tractures, — s'accompagnent encore plus fréquemment de spasmes secondaires que les paralysies organiques;

(1) Arch. Neurologie, 1891, op. cit.


32 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

elles sont, de plus, associées et très fréquemment alter- nantes (1). »


La paralysie faciale et le spasme glosso-labié semblent être surtout l'apanage des adultes hommes et femmes. Sur vingt-huit cas de paralysie faciale dont M. Gasnier (2) donne le résumé, on trouve une observation relative à une fillette de neuf ans et demi (3) et un fait se rapportant à un sujet de soixante ans, la moyenne d'âge étant de trente-cinq ans environ. Ces vingt-huit cas comprennent seize hommes et douze femmes.

Le spasme glosso-labié est certainement beaucoup plus fréquent que la paralysie hystérique de la face, qui est rare, sans que nous puissions donner une statistique pré- cise élucidant ce point de vue particulier.

Les causes de ces manifestations hystériques se confon- dent, en général, avec celles de l'hémiplégie, qu'elles accompagnent si fréquemment. Deux fois on a pu incri- miner le traumatisme. Dans le cas de Pitres [op. cit.), la paralysie faciale droite était apparue chez une femme de quarante-six ans après un coup qui lui avait été porté sur la partie droite du visage; il est vrai qu'elle était alors en pleine attaque convulsive, ce qui a une grande importance étiologique. A noter qu'il y avait eu coïncidence d'un blé- pharospasme droit et qu'avec la paralysie il avait incontes- tablement existé de la contracture des masséters, la malade ayant présenté de la difficulté à ouvrir la bouche.

Chez le malade de Charcot-Ballet, où la paralysie dis-

(i) L'obs. I de FkrÉ, Contribution à la pathologie des spasmes fonction- nels du cou. Bévue de med., n° 9, 10 septembre 1894, corrobore notre opi- nion.

(2) Gasnier, Étude sur la paralysie faciale hystérique. Th. Paris, mars 1893.

(3) Descroizilles et Pasquier, Paralysie faciale hystérique. Le Bulletin médical, n° 46, j>. 553, 1891. Soc. méd. des hàp., juin 1891, op. cit. Voir aussi Strassmann, Ein Fall von hysterischer Aphasie bei einem Knaben com- binirt mit facial Paralysie, Trismus und Spasmus. Deut. med. Wochens., 6 mars 1890.


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sociée était bornée au buccinateur et au grand zygoma- tique, le malade, pendant une attaque convulsive, s'était violemment heurté le menton. Dans ces deux cas donc, le traumatisme avait localisé la manifestation dont l'immi- nence avait été créée par une attaque. De plus, il n'existait ni hémiplégie ni monoplégie, à l'inverse de ce que l'on observe dans la très grande majorité des faits. Citons encore une observation de Charcot (1) dans laquelle le spasme glosso -labié coexistait avec une paraplégie, les membres supérieurs étant indemnes.



Fig. 39. — Paralysie faciale hystérique à gauche coïncidant avec un spasme glosso-labié à droite. La malade tire la langue afin de mettre en relief l'héinispasme glosso-labié. (P. Richer.)

La paralysie ou le spasme glosso-labié siègent presque toujours du même côté que la paralysie hémiplégique ou monoplégique. A cela il y a des exceptions dont nous avons nous-même observé des exemples. Il faut tenir compte aussi, dans l'interprétation objective des phénomènes observés, que souvent la paralysie s'accompagne d'un

(1) Guaiicot, Leç. sur les mal. du syst. nerveux, t. III, op. cit. Appen- dice, obs. de Le Log..., et Gilles de la Tourette, Sur la superposition des troubles de sensibilité', obs. IV, op. cit.


34 TRAITÉ CLINIQUE ET TH ÉPAPEUTIQUE

spasme des muscles du côté opposé et vice versa, à l'instar de ce qui se passe pour les muscles de l'œil (fig. 39).

Le début de ces manifestations, comme celui des para- lysies des membres qu'elles accompagnent, est le plus souvent brusque. D'autres fois il est plus lent, et on peut même noter certaines douleurs locales prémonitoires comme dans un cas de Lombroso (1). Lorsque les phéno- mènes sont légers, il peut s'écouler un certain temps avant que l'attention du malade soit attirée de ce côté. Dans une observation de Ballet il est dit : « Le malade ignore l'époque à laquelle remonte sa paralysie. H y a dix mois, paraît-il, que sa femme avait remarqué une certaine déformation de son visage, qui lui paraissait plus gros d'un côté. » On peut, on le comprend, observer tous les inter- médiaires.


La description des contractures et des paralysies des muscles de la face est difficile, étant donnée, comme nous l'avons vu, la complexité si fréquente de ces phénomènes. Nous allons, à l'instar de M. Paul Richer, établir plusieurs types, nous basant tant sur les faits rapportés par les auteurs que sur ceux que nous avons nous-même observés, étudiant à part, autant qu'il nous sera possible, la contrac- ture et la paralysie.

La contracture des muscles de la face est uni ou bilaté- rale, elle est généralisée ou localisée à certains muscles ; elle intéresse ou non, comme dans le spasme glosso-labié, le muscle lingual.

La contracture bilatérale ou totale des muscles de la face doit être fort rare. Delprat(2) en a observé un exemple chez une jeune fille de dix-sept ans. L'orbiculaire n'était pas pris, il n y avait pas de blépharospasme. En somme, son cas rappelait les faits que nous allons décrire d'hémispasme

(1) Cité par Gasnier, op. cit., p. 56.

(2) Delprat, Un cas de contracture faciale bilatérale hystérique. Nouv. Icon. de la Salp., 1892, p. 38.


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glosso-labié avec contracture associée du côté opposé au spasme qui, chez sa malade, prédominait surtout à droite. Il existait des secousses cloniques dans les muscles atteints, comme cela est de règle pour toutes les con- tractures de la face. La langue était indemne. La malade était hémianestbésique gauche , y compris la face ; il n'est pas parlé des troubles de la sensibilité à droite; elle guérit assez rapidement. Mais, nous le répétons, ce cas de



Fig. 40. — Contracture hystérique du côté droit de la face. (P. Richer.)

contracture dite bilatérale ne va pas au delà du spasme ordinaire avec contracture associée du côté opposé.

M. Paul Richer nous a communiqué un fait très intéres- sant de contracture de tous les muscles de la face du côté droit, y compris l'orbiculaire (l). Ce spasme intense défor- mait complètement la physionomie, tout le côté gauche étant tiré à droite et en bas par la contracture (fig. 40), qui paraissait être sous la dépendance d'une zone hys- térogène siégeant au niveau du globe de l'œil droit, dont

(i) Gilles de la Tourette, Sur la superposition des troubles de sensibi- lité, op. cit., obs. V, p. 174.


36 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

la compression faisait cesser le spasme. Celui-ci était donc tonique et pouvait être intermittent. Une zone d'anesthésie s'étendait à toute la moitié droite du visage, du cou et de la partie supérieure de la poitrine jusqu'aux limites infé- rieures d'insertion du peaucier. En un mot, elle se super- posait à la contracture des muscles sous-jacents. La guéri- son ne tarda pas à survenir.

M. boulet {op. cit., p. 35) cite un cas où la contracture devait intéresser toute la moitié gauche de la face. Mais il est sobre de détails :

«Chez une malade, dit-il, dont M. Ollivier nous a remis l'observation, la contracture de la moitié gauche de la face, survenue à la suite d'une émotion vive, s'accompa- gna d'une amaurose de l'œil gauche. La contracture guérit au bout de huit jours et la malade recouvra la vue, mais imparfaitement, car elle est moins bonne que du côté opposé. »

Si des contractures généralisées nous passons aux con- tractures localisées, nous devons étudier le irismus dû à la contracture des masséters. Celui-ci, fréquent pendant la période tonique de l'attaque, est rare à l'état permanent. Il accompagnerait généralement alors d'autres contrac- tures des muscles de la face, du cou ou des membres.

M. Voulet cite deux cas de contracture isolée des mas- séters sommairement indiqués par Landouzy et un cas de Delacour présenté à la Société de chirurgie. Dans ce der- nier, le trismus, qui s'accompagnait d'aphonie, dura trois jours et guérit à la suite d'une chloroformisation (1).

M. P. Richer {op. cit., p. 189) a vu survenir cette con- tracture à la suite d'un léger traumatisme de la région, ou bien en coïncidence avec une affection dentaire. Sa sympto- matologie est trop connue pour que nous insistions. Si ce trismus persistait trop longtemps, on serait obligé d'avoir

(1) Voulet, op. cit., p. 35.


DE L'HYSTÉRIE. 37

recours à l'alimentation artificielle. Nous connaissons, en effet, un cas où le trismus persista près de trois mois : heu- reusement qu'il manquait plusieurs dents incisives et canines et que la nutrition put se faire par cette voie; néanmoins la malade maigrit fort (l).



Fig. 41. — Hémispasme glqsso-labio-peaucier hystérique. (P. R.)


L 'hémispasme glosso-labié, qui est la plus commune des contractures localisées des muscles de la face, est variable d'intensité : on pourrait considérer des cas frustes et des cas très accentués entre lesquels les cas moyens repré- sentent la majorité en clinique (fig. 41).

Le spasme envahit donc les lèvres supérieure et infé-

(1) Voir Preston, Hyslerical lockjaw. Journ. of americ. med. Assoc. Chicago, 1894, t. XXII, p. 121.


38 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

rieure d'un côté et aussi la langue, soit dans une de ses moitiés, soit dans sa totalité. L'orbiculaire de l'œil est presque toujours respecté; par contre, ainsi que nous l'avons nous-même établi, le spasme affecte très fréquem- ment le peaucier du cou, d'où le nom de spasme glosso- labio-peaucter que nous avons proposé de lui donner (1). Transitoirement, dit P. Richer (2), les autres muscles du cou peuvent être envahis.

Généralement, le spasme siège du même côté que l'hé- miplégie, mais il peut aussi occuper le côté opposé (3).

Dans les cas moyens, la déformation que le spasme imprime au visage dans l'état de repos est généralement peu accentuée; par contraste, toutefois, il semblerait que le côté sain soit paralysé. C'est à l'occasion des mouve- ments que l'altération des traits s'accentue et que se pro- duit l'horrible grimace si bien fixée dans la pierre par le sculpteur du mascaron de Santa Maria Formosa.

« Au repos, — dit Paul Richer, toujours si précis dans ses descriptions morphologiques, — la bouche est légère- ment déviée, le sillon naso-Iabial est plus profond, et, ainsi que M. Charcot l'a bien indiqué (-4), le sourcil du même côté est abaissé.

« A l'aile du nez, aux lèvres, au menton, on observe parfois de petites secousses musculaires rapides, intermit- tentes, qui suffisent pour révéler la nature spasmodique de la déviation, en même temps que l'on constate que, du côté opposé, il n'y a pas trace de paralysie, que les plis ne sont point effacés et que les téguments n'ont point subi l'affais- sement caractéristique. »

Cela sans préjudice, bien entendu, des cas complexes, et nous ajouterons très fréquents, que nous retrouverons

(1) Gilles de la Tourette, De la superposition des troubles de sensibi- lité et des spasmes, op. cit.

(2) P. Richer, Paralysies et contractures hystériques, op. cit., p. 185.

(3) Obs. I, de Brissaud et Marie, De la déviation faciale dans l'hémi- plégie hystérique, op. cit.

(4) Charcot, Sur un cas d'hystérie simulatrice du syndrome de Weber. Arch. de Neur., n° 63, 1891, p. 338, op. cit.


DE L'HYSTERIE. 39


en décrivant la paralysie faciale, où le spasme se combine si souvent avec l'amyosthénie.

« Mais si l'on vient à commander quelques mouve- ments au malade, comme d'ouvrir la bouche, de rire, de tirer la langue, c'est alors que l'on voit le spasme appa- raître dans toute son intensité et s'étendre même parfois à des régions jusque-là indemnes, ou tout au moins qui paraissaient l'être, comme l'œil, le front, ou bien aussi la région cervicale (fig. 39).

« Les déformations qui résultent de ces divers mouve- ments peuvent être ainsi notées :

« Quand la bouche s'ouvre, l'ouverture en est beaucoup plus large du côté du spasme et de forme irrégulière. Le sillon naso-labial s'accuse. Dans le rire, les dents se découvrent beaucoup plus du côté contracture que du côté sain. Dans l'action de souffler, l'issue de l'air ne se fait point du côté qui semble paralysé, comme cela a lieu dans le cas de paralysie véritable où le malade fume la pipe, mais, au contraire, l'air s'échappe avec bruit par le côté contracture, qui s'ouvre davantage.

« Reste la protrusion de la langue, dont les caractères ont une importance capitale Quand on dit au sujet de tirer la langue, il ne le fait qu'au prix des plus grandes difficultés, et la pointe de l'organe est fortement déviée du côté contracture. Dans certains cas, cette déviation de la langue est telle que, retournée en crochet (fig. 39), elle ne peut plus sortir de la cavité buccale et vient buter contre la face interne des joues. C'est là un signe absolu- ment typique et sur lequel M. Charcot a particulièrement insisté : « La langue est déviée d'une manière excessive, convulsive en quelque sorte. » Enfin, dans les cas très accentués, on voit, à l'occasion de ces divers mouvements, le spasme envahir les paupières, qui se plissent convulsive- ment, l'œil se ferme, le sourcil se baisse, le front est sillonné de rides verticales. Des plis transversaux se des- sinent sur le nez du côté contracture, en même temps que l'aile du nez du même côté se relève et que la joue se


40 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

gonfle. Parfois même la tête tout entière s'incline sur l'épaule sous l'influence d'un spasme des muscles du cou et particulièrement du peaucier, dont le bord antérieur se dessine sous la peau (fig. 41). »

Il nous faut compléter cette description si précise de M. Paul Richer en donnant quelques développements aux phénomènes qui se passent du côté de la langue. D'abord il est des cas, rares à la vérité, dans lesquels la langue seule semble contracturée et est déviée dans des positions variables.

Briquet a parlé en quelques mots, mais.

Le pronostic est variable : généralement passagère, la paralysie durait depuis trois ans dans le cas de Charcot- Ballet et semblait ne pas tendre vers la guérison (1).

(1) Voir encore Huet, Hysterische faciale Parese. An. in Neurol. Cen-' tralb., 15 septembre 1890, p. 565. — Siredey, Tabès et hystérie, hémi-


46 TRAITÉ CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE


Les paralysies hystériques des muscles du cou ne sont pas fréquentes.

M. P. Richer cite un seul exemple, lequel lui est per- sonnel, de « torticolis paralytique-» . « Dans cette forme du torticolis, qui est la plus rare, dit-il [op. cit., p. 197), la tête est inclinée du côté opposé aux muscles qui sont le siège de la paralysie. A première vue, on pourrait croire à un torticolis dû à la contracture, car l'immobilité de la tête paraît complète et l'attitude peut fort bien ne guère différer dans les deux cas. Ce n'est alors qu'en prenant la tête entre les mains qu'on constate qu'elle se laisse facile- ment déplacer, ramener à la situation droite pour retomber dans son attitude vicieuse aussitôt qu'elle est abandonnée ; les parties molles du cou ont conservé leur souplesse ; on n'observe rien de semblable à la saillie ferme et élastique d'un muscle contracture. »

Dans le cas qu'il a observé (op. cit., p. 30, obs. I) chez une femme de vingt-sept ans, M. P. Richer dit que la para- lysie qui se montrait d'une façon intermittente , à la suite d'attaques convulsives, paraissait siéger à la fois dans le sterno-mastoïdien et le trapèze du même côté. La tête se trouvait entraînée latéralement (sans rotation) par la tonicité des mêmes muscles demeurés sains, de l'autre côté où elle arrivait jusqu'au contact avec l'épaule. On pouvait aisément se rendre compte de l'absence de con-

spasme glosso-labié du côté gauche simulant une paralysie faciale inférieure droite chez un tabétique. Soc. me'd. des hôp., 6 nov. 1891. — Rendu, Hysté- rie chez un saturnin. Hémiplégie droite incomplète, hémianesthésie, hémi- spasme facial. Soc. méd. des hôp., 4 déc. 1891. — Lawson, Hysterical facial paralysis. Anal, in Neur. Centralb., n° 1, 1891, p. 20. — OManoff, Asymétrie faciale pour la paralysie ou la contracture de la face. Soc. de Biologie, 19 déc. 1891. — Debove, Note sur V hémispasme et l'hémiplégie hystérique. Soc. méd. des hôp., 22 juin 1892. — Remak, Zur Semiotik der hysterischen Deviationen der Zunges und des Geschichtes. Berl. klin. Wochens., 3 août 1892. — Ghouppe, De la paralysie faciale hystérique. Bull, méd., 13 sept. 1893, n° 73.


DE L'HYSTERIE. 47

tracture ; la tête se laissait déplacer facilement ; il n'y avait aucune saillie tendineuse ou musculaire du côté où la tête était entrainée.

« Cette paralysie, ajoute-t-il, était transitoire. Elle se reproduisit à plusieurs reprises chez notre malade pendant le temps qu'elle fut soumise à notre observation. La malade était prévenue par une sensation d'engourdis- sement et de faiblesse dans le côté gauche du cou, puis, au bout de peu d'instants, la tête retombait brusquement sur l'épaule droite : le torticolis était constitué. Plusieurs fois, nous avons vu ce torticolis se produire sous nos yeux par une sorte de transfert pendant que, sous l'influence de la faradisation du bras gauche, la paralysie dont ce bras était atteint s'amendait. Nous avons toujours eu raison facilement de cette paralysie du cou par la faradisation des muscles sterno-mastoïdien et trapèze du côté paralysé. Quelquefois même, quelques instants d'électrisation ont suffi pour rendre au cou toute la liberté de ses mouve- ments. »

Nous ajouterons que la malade était hémianesthésique gauche et que, par conséquent, la peau qui recouvrait les muscles de ce côté devait participer à la perte de sensibi- lité. Le diagnostic, dans ce cas, n'offrait aucune difficulté.




La contracture des muscles du cou semble être beaucoup plus fréquente que leur paralysie. Nous avons dit, en trai- tant de l'hémispasme glosso-labié, comment la recherche des troubles de la sensibilité cutanée et profonde nous avait conduit à reconnaître l'association si fréquente de la contracture du peaucier à l'hémispasme, qui , de ce fait, méritait souvent le nom de spasme glosso-labio-/?eai/«er. Dans ces cas, Fanesthésie s'étend jusqu'aux limites clavi- culaires du peaucier et sert puissamment à révéler cette contracture. Celle-ci, en effet, n'apparaît pas toujours d'emblée; elle veut être cherchée et devient surtout appa-


48 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

rente lorsqu'on provoque une grimace, lorsqu'on fait tirer la langue. On voit la peau du cou se tendre à l'occasion de ces mouvements provoqués alors que, du côté opposé, la région garde son aspect normal.

Parfois, avec la contracture du peaucier coïncide celle du chef supérieur du trapèze, qui forme une corde tendue sous la peau : la tète s'incline sur le cou du côté du spasme, sans rotation (fig. 41)(1).

Cette contracture de la portion cervicale du trapèze et la déviation qu'elle entraîne nous conduisent à traiter du torticolis hystérique spasmodique, dans lequel un ou plu- sieurs muscles du cou sont atteints, soit isolément, soit concurremment.

Ce torticolis par contracture est connu depuis fort longtemps.

« Dans les ouvrages relatifs aux possessions , disent Bourneville et Sollier (2), on rencontre parfois des exem- ples de torticolis spasmodique. « Lors cet esprit print le métayer — qui l'injuriait — par la teste, laquelle il lui tordit en telle sorte que le devant estoit droitement der- rière ; dont il ne mourut pas toutefois, mais vesquit depuis longtemps ayant le col tors et renversé... (3). »

Il semble que, dans ce cas, la contracture ait persisté longtemps.

Briquet mentionne ainsi qu'il suit la contracture du sterno-mastoïdien : « Elle maintient la tête tournée et inclinée du côté contracture [op. cit., p. 436) . »

En 1872, Voulet s'exprime en ces termes {op. cit., p. 36) : « Nous ne possédons aucun cas de contracture limitée soit au muscle sterno-mastoïdien seul , soit à ce muscle et aux autres muscles de la partie latérale corres- pondante du cou. »

(1, Charcot et P. Richer, Le spasme glosso-labié et le Mascaron grotes- que... Obs. de Clav., op. cit.

(2) Bourneville et Sollier, Deux nouvelles observations d'hystérie mâle. Arch. de Neurologie, oct. 1891, n° 66. Note de la page 391.

(3) Taillepied, Traité de F apparition des esprits, p. 128-130. Sans indi- cation de date.


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M. P. Richer est plus explicite lorsqu'il traite du torti- colis par contracture :

« L'attitude vicieuse de la tête, dit-il, est maintenue par la contracture d'un ou plusieurs muscles du cou. On comprend que cette attitude varie suivant les muscles atteints : sterno - mastoïdien , trapèze, splénius , com- plexus, etc. Dans le plus grand nombre des cas, plusieurs muscles d'un même côté sont contractures à la fois , la tête est inclinée latéralement sur l'épaule, la face plus ou moins tournée du côté opposé. Lorsque le torticolis est



Fig. 43. — Torticolis hystérique par contracture. (P. Richer.)

très intense, la tête est en contact avec l'épaule, qui est elle-même soulevée : la raideur des muscles est telle qu'il est impossible de passer la main entre les deux parties (fig. 43). »

Cette association de la contracture de divers muscles est, en effet, plus fréquente que la contracture isolée d'un muscle. M. P. Richer en a rapporté un bel exemple dans lequel il y avait augmentation du diamètre transversai du cou accompagnée d'un renversement exagéré de la tête en arrière. Cette extension de la tête et du cou était telle que, pour regarder en face, le malade était obligé d'incliner fortement le tronc en avant : « Il y avait, dans ce cas, contracture des muscles de la nuque et gonflement


50 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

avec durcissement du corps charnu du sterno-mastoï- dien (1). »

Nous avons, cependant, observé un cas où la contrac- ture était limitée au sterno-mastoïdien gauche et même n'intéressait que son seul chef claviculaire (2).

Une malade de vingt-six ans, hémianesthésique droite, se met dans une violente colère pendant laquelle elle


içs* ME ^



  • ° MARI 1 1921

Fia. 44. — Transfert de l'anesthésie qui vient se superposer à une contracture du sterno mastoïdien gauche. (G T.).

tourne violemment la tète à gauche. Aussitôt elle sent son cou se contracturer de ce côté. C'est un exemple à ajouter à ceux bien connus de la mise en œuvre de la contracture à l'occasion d'un mouvement brusque. Le chef clavicu- laire fait une forte saillie sous la peau sous forme d'une

(1) P. Richer, Gonflement du cou chez une hystérique. Nouv. Icon. de la Salp., t. II, 1889, p. 17.

(2) Gilles de la Tourette, De la superposition, etc., obs. IX.


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corde rigide. La tête est légèrement inclinée à gauche sans rotation. Phénomène important et qui relève de la loi de la superposition des troubles de la sensibilité et de la contracture, sur toute l'étendue et dans les limites exactes de cette corde, en haut jusqu'à l'apophyse mastoïde et un peu au-dessus, en bas jusqu'à la clavicule, et un peu au-dessous existe une zone d'anesthésie. Dans les limites



Fig. 45. — Transfert de l'anesthésie qni vient se superposer à la contracture de la portion cervicale du trapèze gauche. (G. T.)

d'une même zone à droite (côté hémianesthésique), il s'est fait un transfert de la sensibilité (fig. -44).

La malade, étant plongée dans le sommeil hypnotique, nous pouvons faire disparaître la contracture. Au réveil, la sensibilité a reparu à gauche dans la zone susindiquée et le côté droit du cou est redevenu, comme toute la partie droite du corps, totalement anesthésique.

Une autre de nos malades (obs. X), âgée de dix-neuf


52 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

ans, myopathique héréditaire, et de plus hystérique avec hémianesthésie droite, était sujette à de fréquentes con- tractures des muscles du cou siégeant toujours à gauche et dont l'apparition était, phénomène particulier, toujours précédée de douleurs vives in situ. Le plus souvent, le sterno-mastoïdien et le trapèze étaient envahis et l'anes- thésie siégeait alors dans leur domaine. Une fois la portion cervicale du trapèze se contractura seule, l'anesthésie revêtit alors la forme dune bande exactement limitée à cette partie contracturée (fig. 45). Comme dans le cas précédent, il se fit un transfert de la sensibilité du côté opposé habituellement anesthésique.




«Le début du torticolis, dit M. Paul Richer, comme celui de la contracture en général, est brusque ou graduel. Il est très fréquemment un des apanages de l'hystérie infantile ; lorsqu'il ne se prolonge pas, sa véritable nature est souvent méconnue. En effet, la contracture qui entre- tient le torticolis revêt plusieurs formes : c'est la contrac- ture permanente qui persiste pendant des mois et ne dis- paraît que lentement, à la suite d'un traitement approprié; ou bien le torticolis , et cette forme est particulière à l'enfance, cède brusquement, au bout de quelques jours, pour reparaître plus tard sous le même aspect, céder de nouveau, et ainsi de suite pendant un temps plus ou moins long : c'est le torticolis à répétition (comme dans notre obs. X). Nous en avons observé deux remarquables exem- ples. Il s'agissait dans les deux cas de deux petites filles chez lesquelles cet accident spasmodique se reproduisait tous les mois et durait de sept à huit jours chaque fois. Chez l'une d'elles, âgée de quatorze ans, le torticolis coïn- cidait avec l'époque des règles ; l'autre, âgée de douze ans, n'était pas encore réglée. »

M. Jules Voisin (1) a aussi publié un cas de torticolis

(i) J. Voisin, Torticolis intermittent. Semaine médicale, 19 juillet 1893, p. 350.


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intermittent chez une jeune fille de dix-huit ans, présen- tant cette particularité que, la nuit qui précédait l'appari- tion du torticolis, la malade, très agitée, rêvait tout haut, se plaignant de souffrir du cou. A son réveil, on trouvait une contracture douloureuse du sterno-cléido-mastoïdien gauche que l'hypnotisme faisait disparaître.

Enfin, M. P. Richer a observé une forme de torticolis qui mériterait de prendre place parmi les spasmes ryth- miques. La contracture ne se produisait que dans certaines conditions déterminées. Dans le décubitus dorsal, les mouvements du cou possédaient toute leur liberté ; la malade soulevait la tête, l'inclinait de côté et d'autre.

« Mais aussitôt qu elle s'asseyait, dès que les épaules quittaient l'oreiller, la tête s'inclinait sur l'épaule et s'y trouvait maintenue par une contracture énergique tant que attitude verticale du tronc persistait. Cette contracture disparaissait soudainement si la malade reprenait la posi- tion du décubitus dorsal, pour reparaître dans les con- ditions que nous avons dites. Ce singulier accident se reproduisit à deux reprises chez notre malade, mais ne se prolongea pas chaque fois au delà d'une journée. »

Non seulement le torticolis peut être du à l'associa- tion de la contracture des divers muscles du cou, mais il peut encore coïncider avec la contracture du membre supérieur, ainsi que le même auteur en a figuré un exemple (fig. 46, 47).

D'après ce que nous avons dit au courant de notre des- cription, le pronostic du torticolis est très variable; il peut durer de quelques jours à plusieurs mois, à des années peut-être.

Son diagnostic est en général facile, si l'on se reporte aux troubles de sensibilité locale qui l'accompagnent si géné- ralement. Il est rare, du reste, qu'il n'existe pas d'autres manifestations hystériques concomitantes (1). Dans les cas douteux, le chloroforme lèverait tous les doutes en

(1) De Renzi, Spasmo isterico dello sterno cleido mastoideo ; anosmia; emicorea postemipleçica. Riforma medica, 9 et 10 mars 1894.


54 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

faisant disparaître la contracture ou en permettant de constater les lésions du torticolis d'origine osseuse ou arti- culaire.

Sous le nom de torticolis mental, M. Brissaud (1) a dé- crit certains spasmes des muscles du cou souvent associés à des spasmes des muscles de la face dont l'étude, dit-il,



Fig. 46. — Contracture hystérique Fig. 47. — Contracture hystérique du cou et du membre supérieur du cou et du membre supérieur

droit. (P. Richer.) droit. (Même maladie que fig. 46.)

(P. Richer.)

a été « singulièrement négligée par les classiques... Ici, sans aucun doute, l'état morbide n'est ni dans les muscles ni dans les nerfs; il est dans l'esprit même » . Ces spasmes, toujours intermittents, pourraient être à la rigueur con- fondus avec certains spasmes rythmiques d'origine hysté-

(1) Rrissaud, Tics et spasmes clonicjues de la face Journ. de me'd et de chir. prat., janvier J 894, p. 49


DE L'HYSTERIE.


rique. Mais, outre que le rythme n'existe pas à propre- ment parler, tout stigmate fait défaut, à moins que l'hys- térie ne s'associe avec la forme particulière de la dégé- nérescence mentale qui tient ces manifestations sous sa dépendance.


Les contractures des muscles du tronc ont été l'objet de nombreux travaux pendant ces dernières années, à l'in- verse de leurs paralysies, dont nous ne connaissons qu'un exemple rapporté par M. Verhoogen (l).

Il s'agit d'une paralysie du grand dentelé gauche qui avait été précédée d une paralysie (ou d'une contracture) du membre supérieur du même côté. « Lorsque les bras sont pendants, est-il dit dans l'observation, le scapulum s'écarte du tronc, et dans l'espace qu'il laisse libre on peut, en refoulant la peau, introduire toute la main. L'angle inférieur de l'omoplate est plus rapproché de la ligne mé- diane que celui du côté sain. L'élévation verticale du bras test impossible et la malade ne peut dépasser la ligne hori- zontale, ce qui lui permet toutefois d'atteindre le vertex avec la paume de la main. » Le membre supérieur gauche était hypoesthésique; dans la région du grand dentelé l'anesthésie était absolue. Les réactions électriques étaient demeurées normales sans modification qualitative de la formule. L'auteur n'ayant pu suivre la malade, laquelle était âgée de trente-trois ans, ne fournit aucun renseigne- ment sur l'évolution de cette paralysie dont le diagnostic était facile, étant donnés les troubles locaux de sensibilité.

Briquet consacre à peine quelques mots aux contractures des muscles du tronc. Quand la contracture « intéresse un muscle du tronc, dit-il {pp. cit., p. 336), elle amène une déviation permanente... Un effet analogue se pro- duit après la contracture des muscles abdominaux d'un côté, »

(1) R. Verhoogen, Monoplégie hystérique du grand dentelé Bévue neurol., n° 20, p. 554, 1893.


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M. H. Duret (1) nous semble être un des premiers auteurs qui aient, sous le nom de cypho-scoliose hystérique, rapporté nettement à la névrose un cas de déformation de la région lombaire que nous analyserons bientôt.

En 1892, un ancien interne de M. Gharcot,M. Hallion(2), consacrait sa thèse inaugurale aux déviations vertébrales névropathiques. Étudiant la scoliose par contracture, il dit « qu'il s'agit toujours ou presque toujours de contrac- tures hystériques » . Suivant lui, Duchenne, de Boulogne, aurait observé de semblables manifestations sans men- tionner l'hystérie, qui du reste était discutable dans ses faits. Par contre, l'action de la névrose était évidente dans un cas de Landry (3), de Grancher (4) et dans celui de Duret. Il rapporte en outre un cas douteux (obs. VIII, p. 74) qui lui a été communiqué par M. Souques.

Cette question de la scoliose hystérique prend encore plus de consistance dans la thèse de Vie (5), qui, outre les cas de Duret et de Landry, attribue à la névrose un fait de Landois (6) et donne lui-même la relation de deux cas personnels observés dans le service de M. Lanne- longue, auxquels il faut joindre une nouvelle observation (obs. IV) qui lui a été communiquée par M. Grancher.

Peut-être faut-il ranger dans la même catégorie certains cas, au moins, de von Winiwarter (7) qui, chez des mineurs de dix-huit à vingt-cinq ans, a observé des faits de scoliose qu'il attribue à un excès de fatigue et de surmenage por-

(1) H. Duret, Déformation delà région lombaire de nature neuro-muscu- laire; cypho-scoliose hystérique. Nouv. Iconog. de la Salpétrière, 1888,

p. 191.

(2) Hallion, Des déviations vertébrales névropathiques. Th. Paris, 1892.

(3) Landry, Recherches sur les causes et les indications curatives des maladies nerveuses. Moniteur des hop., 2 juillet 1855.

(4) Grancher, in thèse Besson, Etude sur les déviations de la taille d'origine réflexe. Th. Paris, 1888.

(5) Vie, De la scoliose hystérique. Th. Paris, 1892.

(6) Landois, Rapport des déviations du rachis avec la névropathic héré- ditaire. Th. Paris, 1889-1890.

(7) Von Winiwarter, Un cas de cypho-scoliose d'origine névropathique Ann. delà Soc de méd. et de chir. de Liège, 1891.


DE L'HYSTERIE.


tant sur des sujets mal nourris et placés dans de mauvaises conditions hygiéniques.

Nous avons déjà eu l'occasion de traiter en partie cette question de la scoliose en décrivant le pseudo-mal de Pott hystérique (t. I, p. 285 et suiv.) . Nous nous conten- terons donc d'insister particulièrement sur les déviations par contracture de la colonne vertébrale, en rappelant que, à l'instar des faits que nous avons étudiés, ces dévia- tions sont le plus souvent confondues avec le mal de Pott d'origine organique.


Le cas de Duret a trait à un homme de vingt-trois ans ; celui de Landry à une fille de dix-huit ans ; les cas de Grancher, Landois et Vie, à des enfants du sexe féminin respectivement âgées de trois ans et demi, huit ans, onze ans et douze ans et demi (deux cas). Il y aurait donc pré- dominance chez les sujets jeunes, en particulier chez les filles.

L'étiologie est variable : chute sur le flanc droit dans les deux cas de Vie, chute sur les reins dans le cas de Grancher-Besson, attaques dans un autre cas de Grancher, exposition au froid après la danse dans le cas de Landry ; coïncidence avec une paraplégie accompagnée de para- lysie vésicale dans les cas de Duret. Ce sont là les causes ordinaires des diverses manifestations hystériques de cet ordre avec prédominance du traumatisme.

Le début peut être subit ou lent ; on note dans la plu part des observations des douleurs in situ ou irradiant dans les membres inférieurs, dues très probablement à l'existence d'une zone hyperesthésique-hystérogène cu- tanée superposée à la déviation comme dans le pseudo- mal de Pott hystérique.

Au point de vue de la déformation, il s'agit de scoliose, ou le plus souvent de cypho-scoliose. Dans le premier cas, les apophyses épineuses, au lieu de faire saillie, sont atténuées ; dans le second, au contraire, elles sont très


58 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

accentuées. Qu'il s'agisse de scoliose ou de cypho- scoliose, la déviation porte toujours principalement sur la région lombaire.

Dans les cas de scoliose simple, l'aspect clinique serait le suivant :

« Ce qui frappe le plus, dit M. Vie {op. cit., p. 49), dans l'examen d'une jeune fille atteinte de scoliose hysté- rique , outre la déviation elle-même, c'est la raideur générale qui semble l'avoir envahie tout entière. Elle marche très gênée, la tête immobile, les jambes légère- ment fléchies, le tronc incliné du côté contracture, et il y a là une concavité, un creux tels dans l'hypocondre, qu'il semble que les fausses côtes touchent la crête iliaque du bassin. Les épaules ne sont plus sur le même plan; elles suivent l'inclinaison du tronc. On ne voit point sur le rachis de saillie des apophyses épineuses; à peine quel- quefois, au commencement de la courbure, les pressent- on. Pour se rendre bien compte de la déviation, il faut chercher une à une toutes les vertèbres et les marquer tour à tour. On constate ainsi que la colonne vertébrale décrit une courbe allant des dernières vertèbres dorsales au sacrum, courbure dont la convexité est indifférem- ment à droite ou à gauche. Cette courbure dorso-lombaire est unique ou quelquefois accompagnée d'une légère courbure de compensation des dernières vertèbres cervi- cales et des premières dorsales. Il est à remarquer que la scoliose hystérique est une déviation lombaire presque exclusivement. »

Voilà pour la scoliose simple ; quant à la cypho-scoliose, M. Duret la décrit ainsi qu'il suit chez son malade, qui, avons-nous dit, était atteint en outre d'une paraplégie in- complète avec paralysie (ou contracture) de la vessie et du rectum. Un jour, à l'inverse de ce qui existait dans le cas précédent, on remarqua une saillie anormale très étendue de la région lombaire qui fit penser à un mal de Pott.

« Le malade a de la peine à se tenir debout, il ne peut


DE L'HYSTERIE. 59

se redresser complètement. Le tronc est incliné en avant comme fléchi brusquement au niveau des lombes ; il semble s'enfoncer dans le bassin lorsqu'on regarde le dos du patient : les rebords des os iliaques sont très saillants et ils débordent de deux ou trois travers de doigt la ligne qui dessine les contours du torse ; les cuisses sont un peu fléchies sur le bassin et les jambes sur les cuisses.

« La saillie postérieure correspond exactement à la région lombaire; elle est à grande courbure, polytuber- culeuse ; elle présente une concavité dirigée à gauche, c'est donc une cypho-scoliose. La flèche abaissée de son maximum de courbure sur la ligne axiale de la colonne vertébrale est de deux centimètres et demi environ. Dans la région dorsale, la crête des apophyses épineuses s'en- fonce profondément entre les saillies des muscles des gouttières vertébrales, et les bords spinaux des omoplates sont presque au contact sur la ligne médiane. L'épaule gauche paraît abaissée.

« Lorsqu'on dirige maintenant son examen vers la. face antérieure du corps, on voit qu'il existe, à l'abdomen, une dépression extrêmement profonde transversale , passant par l'ombilic : cette dépression est produite par une inclinaison forcée et des plus remarquables de la cage thoracique,qui s'est considérablement rapprochée du bassin.

« Le malade marche très difficilement, à demi-fléchi ; il lui est tout à fait impossible de se redresser. La flexion exa- gérée du torse en avant sur la colonne lombaire manque de lui faire perdre l'équilibre, et on est obligé de le sou- tenir un peu sous les bras. »

L'absence de douleurs soit spontanées, soit à la pres- sion, au niveau de la région lombaire, jointe à la forme si spéciale de la gibbosité, firent penser, avons-nous dit, à un mal de Pott qui eût légitimement expliqué la paraplégie. Le malade fut chloroformé, et alors toutes les déviations indiquées disparurent et ne se reproduisirent ultérieu- rement que d'une façon incomplète. La chloroformisa- tion avait démontré que c'était bien une contracture et


60 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

non une paralysie qui existait dans ce cas si complexe.

Du reste, après avoir discuté le diagnostic, M. Duret arrive à cette conclusion « qu'il s'agissait d'une contrac- ture hystérique des muscles du plan profond de la région abdominale postérieure, c'est-à-dire du carré des lombes et du proas iliaque produisant la cypho-scoliose lom- baire » .

C'est aussi de contracture qu'il s'agissait dans les autres cas rapportés par les divers auteurs que nous avons nom- més.

Pour M. Hallion, les muscles intéressés le plus souvent seraient les « muscles purement fléchisseurs latéraux de la colonne lombaire, c'est-à-dire le carré des lombes et peut-être les intertransversaires » .

Le même auteur cite, en outre, une observation de Pra- vaz qu'il rapporte à l'hystérie (op. cit., p. 44). La contrac- ture avait là un siège différent.

« Il s'agit, dit-il, d'une contracture du trapèze du côté droit, ayant déterminé une double inflexion du rachis avec courbure principale supérieure à convexité tournée à droite. La hanche gauche était fort saillante et, par suite de l'inclinaison totale du tronc à droite, paraissait plus élevée que la droite... Mais le phénomène le plus remar- quable était l'élévation extrême de l'omoplate droite avec rotation de cet os autour de son angle interne et supérieur, de telle sorte que l'angle inférieur s'était porté fortement en dehors et en arrière. La portion cervicale était dure et douloureuse au palper. La difformité était excessive et pouvait en imposer pour une scoliose des plus sévères ; mais la maladie , apparue rapidement à la suite d'une émotion morale, guérit tout à coup, près d'une année plus tard ; les interventions thérapeutiques paraissent n'avoir eu, dans ce résultat, qu'une part minime, quoi qu'en pense l'auteur. »

La durée de ces contractures est variable. La déforma- tion arriverait presque d'emblée à son summum et persis- terait, d'après Vie, entre un et huit mois ; mais il n'y a là


DE L'HYSTÉRIE. 61

rien de fixe, car nous l'avons vue durer un an dans le cas de Pravaz ; nul doute qu'elle ne puisse persister encore plus longtemps.

La scoliose hystérique est sujette à récidives; dans la première observation de Vie, la malade guérit, puis une nouvelle chute sur le côté droit ramena la contracture. Ce côté devint le siège d'une courbure à convexité gauche.

Le diagnostic, avons-nous dit, devra surtout être fait avec le mal de Pott ; nous en avons déjà donné les élé- ments (t. I, p. 285). Dans presque tous les cas, du reste, la chloroformisation s'imposera, d'autant que souvent elle a paru hâter la guérison (cas de Vie et de Duret).


Pour en terminer avec les contractures des muscles du tronc, nous signalerons celles qui atteignent les muscles de la paroi abdominale antérieure. Elles paraissent assez rares. Malaspina en a rapporté récemment un cas que nous n'avons pu consulter (I).

Nous en avons observé un exemple avec M. Le Pileur, médecin de Saint-Lazare. Une dame de trente-huit ans, hystérique confirmée, souffrait d'une ovarie droite vio- lente. La région iliaque droite était tendue, mais ni le palper ni le toucher vaginal ne révélaient l'existence d'une affection organique. Cependant, plusieurs chirurgiens furent appelés et conclurent à des affections variées des annexes de l'utérus, l'ovaire ou la trompe droite en parti- culier, dont ils proposèrent l'ablation. Notre maître, M. le professeur Le Dentu, fut convié à examiner la malade : nous pratiquâmes avec lui et M. Le Pileur la chloroformi- sation, qui rendit immédiatement sa souplesse à la paroi abdominale. Il s'agissait d'une contracture musculaire avec superposition d'une zone hyperesthésique. L'année sui- vante nous revîmes la même dame qui, cette fois, était

(1) Malaspixa, Dl uno caso di contrattura isterica délie pareti abdomi- nali. Gaz. med. di Pavia, 1892, t. I, p. 123-128.


62 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE DE L'HYSTÉRIE.

atteinte de scoliose lombaire avec coxalgie hystérique que la chloroformisation fit encore une fois disparaître, au moins momentanément.

Il faut donc se tenir en garde contre la possibilité de la contracture des muscles de la paroi abdominale d'autant que, jointe à des troubles hyperesthésiques, elle pourrait faire penser à une affection organique du petit bassin et entraîner une intervention chirurgicale de tout point intempestive, pour ne pas dire davantage.

Rappelons que bien plus souvent que des contractures ou spasmes toniques permanents des muscles abdominaux, dont nous dirons encore quelques mots en traitant de la tympanite et des fausses tumeurs du ventre d'origine hystérique, il existe des spasmes cloniques que Ion observe surtout pendant l'attaque. Ils affectent fréquemment une allure rythmique (1).

(1) Legnani, Spasini clonici dei retti addominali d'indole isterica. Arcli al. di clin. med. Milan, 1893, t. XXXII, p. 566.


CHAPITRE TREIZIEME

PARALYSIES ET CONTRACTURES DES MEMBRES

Division générale du sujet.

L'hémiplégie hystérique. Historique : Sydenliam, Carré de Montgeron.

Période moderne. — Statistique. — Etiologie. Age. — Modes de début.

Description. — Attitude et marche. — Todd. — Evolution. — Récidives.

— Pronostic. — Diagnostic. — Forme hémiplégique de la contracture.

— Description. — Peut simuler l'hémiplégie spasmodique infantile.

Les monoplkgies hystériques flasques. M. brachiale : Etiologie. Trauma- tisme; période de méditation. — Distribution de l'anesthésie; troubles trophiques. — Evolution. Pronostic. Diagnostic.

Monoplégie crurale flasque. Sa rareté. — Simule une affection spinale.

— Contractures du membre supérieur. Variétés d'attitude. Pronostic. — Contractures du membre inférieur. — Les diverses variétés du pied bot hystérique.

Les paraplégies hystériques. — Flasques; avec contracture. — Etiologie. — Description : Troubles de sensibilité. Troubles vésicaux et rectaux. Trou- bles trophiques. Eschares sacrées. — Évolution.

Paraplégie avec contracture. Attitudes.

Diagnostic général des paraplégies hystériques flasques et des contractures des membres inférieurs .

Le pseudo-tabes hystérique. Historique. — Etiologie. Age, sexe. — Trou- bles sensitifs; vésicaux; réflexes rotuliens. — Pronostic. Diagnostic. — Associations hystéro-tabétiques.

Paralysies et contractures généralisées aux quatre membres. — Histo- rique. — Etiologie. — Modes de début. — Description. — Durée. — Pro- nostic. — Diagnostic.

Contractures généralisées a forme paroxystique ou tétanie hystérique. Historique : Dance, Corvisart, Trousseau. — Description. Excitabilité exagérée des muscles et des nerfs : Formes. — Raymond et la nature hystérique de la tétanie essentielle. — Forme épidémique. — Pronostic. Diagnostic. — Rareté en France de la tétanie non hystérique.

L'astasie-abasie. — Le mémoire de P. Blocq, 1888. Charcot et P. Richer, 1883. — Jaccoud, 1864 ; W. Mitchell, 1885, etc. — Etiologie. Age. Sexe. Début subit ou progressif. — Description : diverses formes : Astasie-abasie paralytique; choréiforme; trépidante. — Le spasme salta- toire. — Évolution. Pronostic. Diagnostic. — Interprétation. — Phéno- mènes analogues du côté des membres supérieurs .

La paralysie des membres affecte la forme d'hémiplégie, de monoplégie, de paraplégie, de quadriplégie. De même,


64 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

la contracture est limitée ou généralisée à un ou plusieurs membres. En dehors de ces types tranchés, on peut ob- server toutes les combinaisons topographiques. De plus, les associations soit contemporaines, soit successives de la paralysie et de la contracture sont choses assez fré- quentes.

Nous commencerons notre exposé par l'étude de Y hémi- plégie hystérique.

Nous avons dit, dans nos considérations générales, que Sydenham l'avait nettement signalée comme conséquence de l'attaque à forme apoplectique. Nous rappellerons en- core que, parmi les observations rapportées par Carré de Montgeron, celles de la demoiselle Goirin, de M. Fr. Du- chesne, de M. A. Couronneau , de Marguerite Thibaut, sont relatives à l'hémiplégie hystérique qui, pendant la période moderne, a inspiré nombre d'importants mémoires parmi lesquels nous citerons ceux de Hélot (1), de Des- brosse (2) , de Bardonnet (3) , la thèse d'Achard et les mémoires de Debove, que nous avons analysés en traitant de l'attaque de sommeil.

Charcot et son École n'ont pas manqué d'étudier cette question, à laquelle nous avons apporté nous-même notre contribution (4) . Ces travaux et nombre d'autres seront utilisés chemin faisant.

L'hémiplégie est une forme fréquente de la paralysie hystérique. Sur quarante-six cas tant personnels qu'em- pruntés à divers auteurs, Landouzy (op. cit., p. 105) note huit cas d'hémiplégie complète du côté gauche et six d'hémiplégie complète sans désignation du côté affecté.

Sur cent quinze cas de paralysie que comprend la statis- tique déjà citée de Briquet, il y avait quarante-six cas d'hé-

(1) Hélot, Etude sur quelques cas d'hémiplégie hystérique. Th. Paris, 1870.

(2) Desbrosse, De Vaneslhésie dans l'hémiplégie hystérique. Th. Paris, 1876.

(3) Bardonnet, De l'hémiplégie hystérique. Th. Lyon, 1893-94.

(4) Gilles de la Tourette, L'attitude et la ma?-che dans l'hémiplégie hystérique. Nouv. Icon. de la Salp., t. I, p. 1, 1888.


DE L'HYSTÉRIE. 65

miplégie gauche et quatorze cas d'hémiplégie droite. On voit par là la fréquence de l'hémiplégie comparativement aux autres paralysies et sa prédominance à gauche, d'après Briquet. Ces chiffres sont à rapprocher de ceux indiqués par le même auteur en ce qui concerne l'anesthésie et de sa prédominance également, sous forme d'hémianesthésie gauche (voir t. I, p. 154).

Il y a là, d'ailleurs, plus qu'une coïncidence, car l'hé- mianesthésie et l'hémiplégie coexistent le plus souvent, et, en approfondissant davantage, on peut dire que ce sont deux stigmates permanents (l'anesthésie et l'amyosthénie) qui se superposent suivant une règle qui, en matière d'hystérie, comporte peu d'exceptions. Si l'hémiplégie se localise particulièrement sur le côté qui, bien souvent, était déjà anesthésique, c'est qu'il existait, là aussi, un état amyosthénique dont la paralysie n'est, en somme, que l'exagération.


L'hémiplégie hystérique peut se montrer à tous les âges. Clopatt (1) en a rapporté deux cas chez des fillettes de dix et onze ans observées dans le service du professeur Grancher. En regard de ces faits, citons le cas de Marie- Anne Gouronneau, qui fut, à l'âge de soixante-sept ans, frappée d'une hémiplégie gauche dont la nature hystérique n'est pas discutable (2) . En général, c'est d'adultes hommes ou femmes qu'il s'agit, sans qu'on puisse exactement éta- blir la prédominance d'un sexe sur l'autre.

Les causes sont variables : Charcot (3), Pitres (4) l'ont vue survenir à la suite d'une violente émotion morale.


(1) Clopatt, Etude sur l'hystérie infantile, op. cit., obs. XIV et XV.

(2) Gilles de la Tourette, Le miracle opéré sur Marie-Anne Couronneau le 13 juin 1731. Nouv. Icon. de la Salp., t. II, 1889, p. 241. — Ferrand, Hémiplégie hystérique à soixante-cinq ans. Soc. méd. des hop., 16 juin 1893.

(3) Guarcot, Hémiplégie hystérique. Progrès médical, n° 11, 15 mars 1884, p. 205.

(4) Pitres, Leçons clin, sur l'hystérie, t. I, obs. I, p. 434.


(3(J TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Mais l'influence des attaques est prédominante, en parti- culier, comme l'avait déjà montré Sydenham, la (orme apoplectique du paroxysme. Au sortir de l'attaque, le ma- lade se trouve hémiplégique ou ne tarde pas à le devenir si la paralysie doit se montrer.

Il est curieux de signaler que Briquet n'avait pas noté cette influence de l'attaque apoplectique que l'on retrouve mentionnée par tous les auteurs, depuis Sydenham et Carré de Montgeron. Pour lui, l'hémiplégie survient à la suite des causes les plus variables :

«Je l'ai vue, dit-il (op. cit., p. 461), se produire à la suite de violents chagrins chez six femmes, après des émo- tions vives chez cinq, après une affection aiguë suivie de délire chez quatre, lors de la convalescence d'une fièvre typhoïde chez deux; à la suite d'une syncope, d'une attaque de choléra, de la frayeur, de la magnétisation, chacune chez une malade. On voit que dans tous ces cas la paralysie a succédé à une grande perturbation du sys- tème nerveux. »

Étant donné que l'hémiplégie se montre si fréquemment à la suite d'une attaque apoplectique, on ne s'étonnera pas que son début soit souvent rapide, quoi qu'en dise Briquet.

« Chez quarante-deux malades, dit cet auteur, la para- lysie s'était faite assez promptement; elle avait été presque instantanée dans les trois quarts des cas. Le début s'était annoncé par une hyperesthésie du côté qui devait être paralysé chez trois malades, par de la chorée chez deux autres et par un tremblement des membres chez deux. Chez trente-deux malades la paralysie s'était produite d'une manière tellement lente que le début en avait été ina- perçu. »


Dans l'hémiplégie, la paralysie porte, d'après la défini- tion même, à la fois sur le membre supérieur et sur le membre inférieur. Elle intéresse à la fois tous les muscles sans exception, bien que Charcot l'ait vue une fois prédo-


DE L'HYSTERIE. 67

miner sur les extenseurs du membre inférieur paralysé (1). Elle existe aussi assez fréquemment sur la face (2), soit sous forme de spasme glosso-labié, soit sous forme beau- coup plus rare de paralysie vraie avec ou sans spasmes associés. Le spasme facial peut siéger du côté opposé à l'hémiplégie. Nous retrouverons ces faits, dont nous avons déjà parlé, en traitant du diagnostic.

Dans la très grande majorité des cas, l'hémianesthésie sous forme sensitivo-sensorielle, avec perte du sens muscu- laire, se superpose à l'anesthésie. Rarement on note l'hy- peresthésie, qui existait cependant dans un cas de Char- cot (3), mais sous forme de zones hyperesthésiques , reconnaissant pour cause des circonstances toutes particu- lières relatives à l'action d'un traumatisme in situ.

Il existe divers degrés de cette manifestation qui vont de l'hémiparésie à la paralysie complète des deux mem- bres. Dans la forme moyenne on note, à l'inverse de l'hémiplégie organique, que le membre inférieur est tou- jours plus complètement envahi que le membre supérieur. Marie-Fr. Duchesne, dont l'histoire a été rapportée par Carré de Montgeron, faisait toutefois exception à cette règle que confirmait, par contre, Marie-Anne Gouronneau. Alors, en effet, que le membre supérieur conserve encore une certaine puissance appréciable au dynamo- mètre , une certaine liberté des mouvements dont le malade se sert, par exemple, pour aider la progression, à l'aide d'une béquille placée sous l'aisselle, la résolution du membre inférieur peut être telle que ses muscles aient perdu toute tonicité et qu'il ne soit plus qu'une masse flasque, une sorte dejambe de polichinelle. En même temps on noterait parfois une laxité de ses articulations suscep- tible d'entraîner des déformations signalées par Briquet.

(1) Charcot, Hémiplégie hystérique par fulguration ; steppage, paralysie accentuée sur les extenseurs. Semaine méd., 2 déc. 1891, p. 473.

(2) Bisciioff, Ein Fall von hysterischer Apoplexie ; Hémiplégie mit Facialislàhmung . Wien. klin. Wochens . , 3 mai 1894.

(3) Charcot, Leçons du mardi, 1888-89, p. 261.


68 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

«Dans un cas, dit-il [op. cit., p. 4-62), il s'est fait, à raison de l'affaiblisse- ment musculaire, une luxation du ge- nou, le fémur porté en dedans; chez deux autres malades, j'ai vu la luxa- tion tibio-tarsienne en dedans ; quand les malades marchaient, le pied se dé- jetait de telle façon que la plante du pied se dirigeait en dedans; les liga- ments s'allongent, l'articulation tibio- tarsienne devient plus lâche, et il se fait des luxations de cette articulation qui se réduisent avec la plus grande facilité, mais qui se reproduisent au moindre mouvement; le pied se tourne spontanément en dedans par son pro- pre poids. Enfin, j'ai vu une fois une luxation scapulo-humérale se repro-

| § duire de la même manière. » .S= Ces luxations doivent être cependant très rares, car nous ne les avons jamais

, vues signalées en dehors des obser- vations rapportées par Briquet, même dans les cas où la paralysie s'accom- pagnait d'atrophie musculaire, phéno- mène assez fréquent que nous avons étudié, pour n'y plus revenir, au cha- pitre des troubles trophiques (1).

l Par contre, on note très souvent

' l'extrême flaccidité du membre infé- rieur que nous avons nous-même figu- rée (fig. -48, 49) (2). Elle occasionne

(1) Rekdu, Atrophie musculaire clans l'hémi- plégie hystérique. Journ. de mécl. et de chir. prat., 1894, p. 81.

(2) Gilles de la Tourette, L'altitude et la | marche dans l'hémiplégie hystérique. Nouv. Icon.,


DE L'HYSTÉRIE. 69

une démarche spéciale que Todd (1) a remarquablement décrite dans le passage suivant, qui mérite d'être rap- porté dans son entier :

« Je désire, dit-il dans ses Leçons, appeler particulière- ment votre attention sur le caractère spécial des mouve- ments de la jambe paralysée lorsque la malade marche, lequel, dans mon opinion, est caractéristique de l'affection hystérique. Si vous considérez une personne souffrant dune hémiplégie ordinaire sous la dépendance de quelque lésion organique du cerveau, vous vous apercevrez que, en marchant, elle a une allure particulière pour porter en avant la jambe paralysée ; elle porte d'abord le tronc du côté opposé à la paralysie et appuie tout le poids du corps sur le membre sain; alors, par une action de circumduc- tion, elle porte en avant la jambe paralysée, faisant dé- crire au pied un arc de cercle. Notre malade, au contraire, ne marche pas de cette façon ; elle traîne après elle (drags) le membre paralysé, comme s'il s'agissait d'une pièce de matière inanimée, et ne se sert d'aucun acte de circum- duction, ne fait aucun effort d'aucune sorte pour le déta- cher du sol; pendant qu'elle marche, le pied balaye (sweeps) le sol. Cela, je pense, est caractéristique de la paralysie hystérique. »

Nous devons cependant ajouter, ainsi que nous l'avons établi dans notre thèse inaugurale (2), que, pendant la pre- mière période de l'hémiplégie organique, le membre infé- rieur, alors flasque, balaye le sol comme dans l'hémiplégie hystérique. Mais cette période est de très courte durée, car la dégénérescence du faisceau pyramidal, quijne tarde pas à survenir, provoque la contracture. De plus, tant que l'hémiplégie est flasque, le malade, à l'inverse de l'hysté- rique, ne songe guère à marcher, confiné qu'il est au

1888, t. I, pi. I, et Le miracle opéré, ibid., t. II, 1889, pi. XL, reprodui- sant la figure de Carré de Montgeron.

(1) Todd, Clinical lectures on paralysis, 2 e édit. Londres, 1856, p. 20.

[2) Gilles de la Tourette, Études cliniques et physiologiques sur la marche. La marche dans les maladies du système nerveux étudiée par la méthode des empreintes. Th. Paris, 1886.


70 TRAITÉ CLI1MQUE ET THERAPEUTIQUE

lit par suite du violent choc cérébral qu'il a subi (]). « Ce que l'on peut affirmer, écrivions-nous encore (2), c'est que le type de marche décrit par Todd est caractéris- tique de l'hémiplégie flasque, et voilà tout. Mais ce que l'on doit ajouter immédiatement c'est que, lorsqu'on voit chez un adulte une hémiplégie rester flasque pendant des mois et des années, il y a un certain nombre de chances pour qu'elle soit d'origine hystérique.

« Ce qui est vraiment spécial à l'hystérie et ce qu'a merveilleusement vu Todd, c'est cette paralysie si absolue, si totale du membre, véritable « pièce de matière inani- mée » , suivant sa propre expression. »

Ajoutons que dans le cas de Charcot (op. cit.), où la paralysie prédominait sur les extenseurs du membre infé- rieur, le malade steppait; mais ce cas doit être considéré comme tout à fait exceptionnel.

Puisque nous parlions de contracture secondaire, il est intéressant de savoir quel est l'état des réflexes dans l'hé- miplégie hystérique. Nous ne saurions mieux faire que de citer l'opinion de notre maître lui-même :

« Quant aux réflexes tendineux, dit Charcot (3), ils ne sont pas exagérés comme dans les hémiplégies vulgaires ; tout au contraire, ils sont moins accentués du côté para- lysé que du côté sain; nous avons donc affaire (dans ce cas particulier), non pas à une paralysie spasmodique, mais à une paralysie flasque, quoique non flaccide. »

A propos d'une observation d'hémiplégie qu'il rapporte, Pitres (4) dit encore : « Les réflexes tendineux sont con- servés sans exagération ni affaiblissement. »

(1) Voir aussi Charcot, De la démarche chez les hémiplégiques. Gaz. des hop., 1891, p. 159.

(2) Gilles de la Tourette, L'attitude et la marche Nouv. Icon. de la

Salp., 1888, op. cit., p. 11.

(3) Charcot, De l'hémiplégie hystérique, op. cit. Progrès médical, n° 11, 15 mars 1884.

(4) Pitres, Leçons cliniques sur l'hystérie, t. I, p. 439, op. cit. — Voir aussi P. Marie et Souza Leite, Contribution à l'étude de la paralysie hysté- rique sans contracture. Rev. de méd., 1885, p. 421.


DE L'HYSTERIE. 71

En résumé, dans l'hémiplégie hystérique les réflexes tendineux, rotuliens en particulier, ne sont généralement pas altérés. 11 faut tenir compte cependant, pour ne pas s'y tromper , de ce fait que le côté paralysé peut être atteint de tremblement, en particulier de ce tremblement à grandes oscillations qui, siégeant sur le membre infé- rieur, est susceptible alors de simuler la trépidation épi- leptoïde; mais ce sont là des faits rares.

La marche et X évolution de l'hémiplégie hystérique sont variables. Nous mettons de côté les cas où il existe seule- ment de l'hémiparésie avec anesthésie, où les malades ont la simple conscience que les membres du côté gauche, par exemple, sont plus lourds, plus inhabiles que ceux du côté droit.

Dans la forme ordinaire et à plus forte raison lorsque la paralysie est très accentuée, l'hémiplégie constitue une infirmité très gênante, même lorsque, ce qui est la règle, le membre supérieur, toujours moins envahi, peut aider encore à la progression en favorisant l'usage d'une bé- quille, par exemple. Cependant, même dans ces cas sé- vères, l'hémiplégie, comme dans l'observation de Marie- Anne Couronneau, qui guérit subitement, après huit mois de maladie, sur le tombeau de M. Rousse, peut dispa- raître presque instantanément — à moins qu'il n'existe de l'atrophie musculaire — sous l'influence d'une violente émotion, par exemple.

« En effet, dit Briquet (op. cit., p. 461), l'hémiplégie est fortement influencée par les affections morales ; ainsi, dit-il, j'ai vu la femme d'un ouvrier, qui était hémiplé- gique depuis plusieurs mois et qui ne pouvait pas sortir de sa chambre. En juin 1848, au moment de l'insurrection de Paris, elle se leva et suivit son mari partout où il avait été pendant les trois jours que dura l'insurrection, et quand tout fut apaisé dans la ville, elle retomba hémiplé- giée comme avant, avec des douleurs violentes. »

A ce dernier point de vue, il convient en effet d'a- jouter à ce que nous avons dit que quelquefois les membres


7-2 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

paralysés sont le siège de douleurs soit spontanées, soit provoquées, coïncidant ou non avec des douleurs de tête plus ou moins vives. On les retrouve également dans d'autres localisations de la paralysie hystérique. Mais les douleurs locales, en particulier, doivent rentrer dans la catégorie des faits exceptionnels, à moins qu'il n'existe de l'hyperesthé- sie, ce qui d'ailleurs ne s'observe que très rarement.

L'hémiplégie hystérique a donc une évolution variable qui peut aller de quelques semaines à plusieurs mois ou années. Briquet avait remarqué qu'elle était sujette aux récidives (1). Cela se comprend, si l'on se souvient combien l'hémianesthésie est tenace ; or, d'après la loi que nous avons si souvent invoquée, l'anesthésie appelle l'amyo- sthénie, qui en s'accentuant produit la paralysie. Peu tenace chez les enfants, où elle est rare, l'hémiplégie indi- que chez les adultes une tendance aux manifestations sévères de la névrose; aussi s'étonnera-t-on de voir Bri- quet écrire à propos du pronostic de cette paralysie : « L'hémiplégie hystérique n'a point ordinairement de gravité; presque toujours les malades guérissent soit spon- tanément, soit à la suite d'un traitement convenable. »


Le diagnostic différentiel entre l'hémiplégie hystérique et l'hémiplégie organique mérite d'être pris en considéra- tion. Charcot (2), qui en a fait l'objet d'une étude appro- fondie, rapporte un cas dans lequel le diagnostic ne laissa pas que d'offrir certaines difficultés, et celles-ci se mon- treront tout particulièrement lorsque l'hémiplégie qu'on soupçonne être d'origine organique sera accompagnée d'hémianesthésie sensitivo-sensorielle.

On sait en effet (3) que l'hémianesthésie même accom-

(1) Schlapobf.rski, Uebe- recidivirende Làhmunaen bei der Hystérie, Inaug. Dissert. Berlin, 1893. (An. in New. Centr., 15 janvier 1894.)

(2) Charcot, Leçons du mardi, 1887-88, p. 287, 566, 586.

(3) Voir t. I, p. 218. — Ferrier, De i hémianesthésic cérébrale. Semaine méd.y 1887, p. 476, op. cit. — Dejerime, Sur un cas d'hémianesthésie. Arch. de physiol., 1890, n° 3, op. cit.


DE L'HYSTERIE. 73

pagnée de rétrécissement du champ visuel n'est pas tou- jours d'origine hystérique, qu'elle peut être liée à des lésions soit capsulaires, soit corticales (1). Cependant sa rareté dans ces derniers cas et sa fréquence dans l'hystérie sont une présomption très importante, lorsqu'elle existe, en faveur de la névrose. Il conviendrait cependant, si l'on veut s'éviter de cruels mécomptes, de ne pas imiter l'exemple de Th. Diller (2) qui, parce qu'il constatait quelques perversions de la sensibilité au niveau du membre supérieur droit d'une femme hémiplégique, conclut à l'hystérie, alors que l'autopsie lui fournit bientôt l'occa- sion de reconnaître l'existence d'un ramollissement aigu du cerveau.

Il existe d'ailleurs bien d'autres caractères différentiels, en dehors de ceux que l'on pourrait tirer de l'existence des troubles de sensibilité. La paralysie faciale dans l'hé- miplégie organique siège du même côté que l'hémiplégie. Elle peut siéger du côté opposé dans l'hémiplégie hysté- rique, et de plus c'est presque toujours d'un spasme et non d'une paralysie qu'il s'agit.

Alors que, nous le répétons, les réflexes tendineux res- tent normaux dans l'hémiplégie hystérique, ils ne tardent pas à s'exagérer dans l'hémiplégie organique et vont fré- quemment jusqu'à la trépidation épileptoide. A la vérité on peut observer quelquefois de la contracture avec l'hémi-

(1) Allen Starr et Ch. Mac Burney, Traumatic hœmorrhage from a vein of the pia mater; compression of Broca's circonvolution and of the senso- motor area of the cortex; aphasia, partial right hemipleqia and hemianes- thesia; trephining removal of clôt; recovery. Brain, 1891. — Reymond, He'mianesthésie sans hémiplégie par lésion delà capsule interne. Soc. anat., 15 janvier 1892. — Brown, Hemianesthesia and ataxy from lésion in the Pons Varolii. The Lancet, 1893, t. II, p. 1437. — Dejerine, Sur un cas d' hémiplégie avec he'mianesthésie de la sensibilité générale et perte du sens musculaire par lésion cérébrale corticale. Rev. neurol., 15 mars 1893, p. 50.

(2) Théod. Diller, A case of acute softening of the brain presenting hys- lerical symptoms and simulating hysteria. Medic. Record., 28 avril 1894, p. 520. — Rendu, Apoplexie hystérique; difficultés du diagnostic différen- tiel entre cette apoplexie et l' hémiplégie cérébrale. Sem. méd., n° 49, 29 août 1894, p. 389.


74 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

plégie hystérique, ainsi que Fallot (l) en a rapporté un exemple, mais c'est là une contracture brutale sans exagé- ration prémonitoire des réflexes , et qui ne ressemble en rien aux phénomènes liés à la dégénérescence du faisceau pyramidal (2).

Le diagnostic ne présente donc pas, en général, de diffi- cultés; il faudra toutefois penser à l'association possible de l'hystérie avec une hémiplégie organique, ainsi que M. Babinski(3) en a rapporté un exemple.


La forme hémiplégique de la contracture est aussi rare que la forme hémiplégique de la paralysie est fréquente.

Briquet, qui est aussi peu explicite que possible au sujet des contractures, donne cependant l'observation d'une femme de trente-sept ans [op. cit., p. 437) qui sortit d'une attaque délirante de quarante-huit heures de durée avec une contracture du côté gauche. Les membres supérieur et inférieur frappés d'anesthésie étaient le siège de crises douloureuses qui persistaient déjà depuis dix-huit mois au moment de l'observation.

Voulet [op. cit., p. 60) a relevé « dix cas de contracture hémiplégique; sept fois elle siégeait à gauche, trois fois à droite. Dans cinq cas, la contracture frappa simultanément les membres d'un même côté. Dans deux cas elle atteignit d'abord le membre inférieur, puis le membre supérieur. Dans les trois autres cas il n'a rien été dit du mode d'in- vasion. »

M. Charcot (4) a observé un cas d'hémicontracture à

(1) Fallot, Un cas d'hémiplégie hystérique avec contracture et atrophie musculaire. Marseille médical, 1892.

(2) Ghilarddcci, Contribution au diagnostic différentiel entre l'hystérie et les maladies organiques du cerveau. Arch. de Neurol., novembre 1892, janvier 1893, obs. VI, p. 51. — Glynn, Hysterical hemiplegia simulating cérébral hemorrhage cured in a few days by massage and farad isation. Liverpool medic ,-chirurg . Journ., t. XIII, 1893, p. 430.

(3) Soc. méd. des hôp., 11 nov. 1892.

(4) Leçons du mardi, 1888-89, p. 347.


DE L'HYSTÉRIE. 75

forme douloureuse ; M. P. Richer rapporte également un exemple de cette manifestation {pp. cit., p. 169, note). Enfin M. Bardol (1) a décrit, chez deux enfants de trois ans et demi et de douze ans et demi, une forme parti- culière de contracture pouvant simuler l'hémiplégie spas- modique infantile.

Les causes de l'hémicontracture sont variables : attaque délirante dans le cas de Briquet ; séjour sur la terre humide (Charcot) ; émotion vive (Bardol, F e obs.; émotion vive et traumatisme, 2 e obs.). Dans ce dernier cas, il y eut d'abord hémiplégie flasque, puis hémicontracture.

L'attitude est à considérer au membre supérieur et au membre inférieur.

Voulet a donné une bonne description de l'attitude du membre supérieur. Il distingue deux formes : un type de flexion le plus fréquent : un type d'extension qui est très rare.

Dans la première forme, « le bras dans l'adduction est appliqué sur la partie latérale et un peu antérieure du thorax ; \ avant-bras, d'ordinaire dans la supination, est fléchi à angle droit sur le bras et repose par son bord cubital sur la base du thorax ; la main est fortement fléchie à angle droit sur l'avant-bras; les doigts sontaussi énergique- ment fléchis sur la paume de la main, et le plus souvent le pouce est dans l'adduction recouvert par les autres doigts. Nous devons dire toutefois que, chez une de nos malades, le poignet était étendu presque à angle droit sur l'avant-bras; quant aux doigts, ils présentaient la déformation que nous venons d'indiquer » .

Chez le malade de M. Charcot, les doigts étaient en extension, serrés les uns contre les autres, la main déviée en totalité vers le bord cubital, l'avant-bras appliqué contre le tronc.

« Dans la seconde forme, tout le membre supérieur est

(lj Bardol, De l'hystérie simulatrice des maladies organiques de V encé- phale chez les enfants. Nouv. Icon. de la Salp., obs. I, p. 349, 1891 : obs. II, 1892.


76 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

dans l'extension et d'habitude allongé le long du tronc. La main est un peu fléchie sur lavant-bras et dans la pro- nation forcée, de telle sorte que la paume regarde direc- tement en dehors et un peu en haut ; les doigts sont eux- mêmes fléchis légèrement vers la paume de la main. »

Les articulations de l'épaule, du coude, du poignet et des doigts sont d'habitude extrêmement rigides. Les efforts faits pour redresser le membre sont souvent dou- loureux.

Quant au membre inférieur, il est tantôt dans l'extension simple, tantôt dans l'extension avec rotation en dedans : « La hanche, le genou, le pied sont rigides et ne peuvent être fléchis; le membre, dans son ensemble, ne peut être porté en dehors : la rotule vient appuyer sur la face in- terne du genou de la jambe saine. En raison de la con- tracture des muscles de la hanche et d'une légère élévation du bassin de ce côté, le membre contracture paraît un peu plus court que le membre sain.

« Le pied a l'attitude du pied bot varus équin ; le talon est plus élevé ; la face dorsale du pied est renversée en dehors ; la face plantaire devenue concave regarde en dedans et en haut; le pied repose sur le bord externe. En général, les orteils sont fléchis plus ou moins fortement. La malléole interne est effacée et l'externe est très proé- minente. ■>■)

Cette description répond à la majorité des cas, mais elle ne saurait les comprendre tous, car les attitudes sont très variables. C'est ainsi que chez le premier malade de Bardol le bras, tordu par la contracture, venait se fixer derrière le tronc.

La forme hémiplégique de la contracture s'accompagne généralement d'hémianesthésie sensitivo-sensorielle. Mais, plus souvent que dans l'hémiplégie paralytique, on note de lhyperesthésie parfois douloureuse, soit sous forme dimi- diée, soit sous forme de plaques disséminées (Charcot).

L'hémicontracture est généralement moins tenace que l'hémiplégie : elle durait cependant depuis dix-huit mois


DE L'HYSTÉRIE. 11

dans le cas de Briquet. Elle a de la tendance à se déplacer, à passer du côté opposé, à se transformer en monoplégie flasque ou spasmodique, en hémiplégie. Elle est très influencée par les attaques et s'accompagne, du reste, très fréquemment d'autres manifestations hystériques.

Son diagnostic n'est généralement pas difficile. On ne pourrait guère la confondre qu'avec la contracture récente des hémiplégiques (I). Mais, à l'inverse de celle-ci, même lorsqu'elle succède à une hémiplégie hystérique, elle atteint son maximum d'emblée et s'accompagne presque toujours de troubles de sensibilité, en particulier d'hyper- esthésie. De plus, il n'existe pas cette prédominance sur le membre supérieur qu'on observe dans l'hémiplégie orga- nique : ici la contracture siège également sur les deux membres, ou alors il s'agit de monocontractures qui inté- ressent exclusivement, ou le membre supérieur, ou le mem- bre inférieur.

Chez les enfants, le diagnostic pourrait présenter plus de difficultés. Le premier malade de M. Bardol était atteint d'hémichorée antérieurement à la contracture, qui, chez le second, s'accompagnait d'atrophie musculaire. De plus, le même auteur rapporte deux observations, l'une de Bouchut, l'autre de Gairdner, qu'il attribue à l'hystérie et dans lesquelles il avait existé de l'hémiatbétose. Il faudra, dans tous ces cas, tenir un compte exact de la succession des accidents, rechercher les stigmates, qui font souvent défaut chez les enfants , l'état des réflexes rotuliens , considérer l'habitus général du malade, etc. C'est dire qu'il y a autant de diagnostics à établir qu'il existe de cas particuliers.

Étudions maintenant les troubles de motilité qui por-

(1) Buzzard, On the simulation of hysteria by organic diseases ofnervous System. Brain, part. I, 1890. — ■ Babinski, Contractures organique et hysté- rique. Soc. me'cl. des hôp., 5 mai 1893. — F. Freund, Quelques considéra- tions pour une étude comparative des paralysies motrices organiques et hys- téiiques. Arch. de Neur., n° 77, juillet 1893, p. 29.


"8 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

tent sur un seul membre ou monoplégies hystériques. Nous décrirons à part la paralysie et la contracture, bien que assez souvent lune puisse succéder à l'autre.

Ces paralysies étaient autrefois considérées comme peu fréquentes; elles n'ont été bien étudiées que de nos jours à la suite des travaux de M. Charcot et de ses élèves (1) sur le traumatisme, qui, à l'inverse des causes banales généralement invoquées pour les autres variétés de para- lysie, joue un rôle prépondérant dans la production et surtout dans la localisation des monoplégies hystériques.

Elles figurent dans la statistique de Briquet, qui porte sur cent quinze cas, pour sept cas relatifs au membre su- périeur gauche, deux au membre supérieur droit, quatre au membre inférieur gauche.

Les paralysies isolées du membre supérieur sont, du reste, beaucoup plus fréquentes que celles du membre inférieur, probablement par suite de l'action prédominante dans cette région des divers traumatismes. Il peut exister, d'ailleurs, concurremment avec une monoplégie brachiale, une certaine parésie du membre inférieur ; le même fait peut s'observer, mais beaucoup plus rarement, sur le membre supérieur dans les monoplégies crurales. Mais ce sont là bien plutôt des variétés de l'hémiplégie hystérique que des monoplégies vraies.

Récemment, M. Kinnosuke Miura (2) a pu, dans un tra- vail fait dans le service de M. Charcot, réunir trente et un cas de monoplégie brachiale hystérique, dont trois per- sonnels.

A son mémoire est joint un tableau synoptique qui nous permet de préciser les causes des monoplégies brachiales ; étiologie qu'on peut appliquer aussi aux monoplégies crurales.

(1) Voir Charcot, Leçons sur les maladies du système nerveux, 19 e , 21 e , 22 e , 23 e leç., op. cit. — Berbez, Hystérie et traumatisme. Th. Paris, 1887. — G. Guinon, Les agents provocateurs de V hystérie. Th. Paris, 1889. — Pitres, Leçons clin, sur l'hystérie, t. I, 30 et 31 e leç., op. cit.

(2) Kinnosuke Miura, Sur trois cas de monoplégie brachiale hystérique. Arch, de Neur., n° 75, mai 1893. (Bonne bibliographie.)


DE L'HYSTERIE. 79

Sur les trente et un cas de M. Miura, vingt-trois se rap- portent à des hommes, huit à des femmes. L'âge varie de dix à cinquante-cinq ans avec un maximum de fréquence de vingt à trente ans. Les hommes exerçaient presque tous des métiers les prédisposant aux traumatismes, ce qui explique la prédominance du sexe masculin et la localisa- tion au membre supérieur. Dans quinze cas sur trente et un, on note en effet un choc quelconque léger ou grave, depuis un simple coup jusqu'à la fracture d'un des os du bras ou de F avant-bras. Comme autres causes, on trouve les attaques, les émotions morales vives, étiologie banale des manifestations hystériques.

Étant donnée cette prédominance du traumatisme (1) dans l'étiologie des monoplégies et particulièrement des monoplégies brachiales, il n'est pas sans intérêt de revenir en quelques mots sur l'action de cet agent provocateur, dont nous avons déjà parlé dans nos considérations géné- rales.

M. Charcot, expérimentant par comparaison sur les sujets hypnotiques chez lesquels, ainsi qu'il l'a démontré, on peut produire artificiellement par un traumatisme des paralysies entièrement analogues à celles que provoque un choc réel à l'état de veille chez les hystériques, considère que nombre d'individus hystériques en puissance sont, de par leur état mental si particulier, de véritables somnam- bules ambulants à la merci des causes provocatrices sus- ceptibles de mettre en œuvre leur suggestibilité. « 11 est alors permis de se demander, dit-il (2), — à propos de deux- malades atteints de monoplégie brachiale suite de trau-

(1) Rendu, Contrib. à L'étude des monoplégies partielles du membre supé- rieur d'origine hystéro-traumaticjue . Arch. de Neui-ol., t. XIV, 1887. — ld., Paralysie motrice complète de tous les muscles de la main et de l'avant-bras, partielle des muscles du bras et de l'épaule d'origine trauma- lique. Soc. méd. des hop., 3 e série, t. VIII, 1891, p. 384. — Blake et Prince, Un cas de monoplégie hystérique chez un homme, suite de trauma- tisme. Boston med. Journ., n° 12, 1891 (?). — Audry, Des paralysies hys- tero-operatoires de l ' avanl-bras et delà main consécutives à des interventions sur le coude. Arch. provinc. de chirurgie, 1893, p. 501.

(2) Leç. sur les mal. du syst. nerv., t. III, p. 355, op. cit.


80 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

matisme, — si l'état mental, occasionné par l'émotion, par le choc nerveux (nervous shock) éprouvé au moment de l'accident et lui survivant pendant quelque temps, n'équi- vaudrait pas, dans une certaine mesure, chez les sujets prédisposés, comme l'étaient certainement les deux ma- lades, à l'état cérébral que déterminent chez les hysté- riques les pratiques de l'hypnotisme. Dans cette hypothèse, la sensation particulière, accusée par nos femmes hystéri- ques dans le membre soumis au choc et qu'on peut sup- poser s'être produite au même degré et avec les mêmes caractères chez nos deux hommes en conséquence de la chute sur l'épaule, cette sensation, dis-je, pourrait être considérée comme ayant fait naître chez ceux-ci, comme chez celles-là, l'idée d'impuissance motrice du membre. Or, en raison de l'obnubilation du moi produite dans un cas par l'hypnotisme ; dans l'autre cas, ainsi qu'on l'a imaginé, par le choc nerveux, cette idée une fois installée, fixée dans l'esprit et y régnant seule sans contrôle, s'y serait développée et aurait acquis assez de force pour se réaliser objectivement sous la forme de paralysie. La sen- sation dont il s'agit aurait donc joué dans les deux cas le rôle d'une véritable suggestion. »

M. Gharcot établit alors que si, parfois, la paralysie suc- cède immédiatement au traumatisme, comme chez cette femme (I) qui donne une gifle d'un revers de main à son enfant et dont la main reste paralysée et l'était encore presque complètement un an plus tard, bien plus souvent il existe ce qu'il appelle une période de préparation ou de méditation de la paralysie. Celle-ci dure vingt-quatre, quarante-huit heures, quelquefois plus, pendant lesquelles le sommeil est mauvais ; le malade pense sans cesse à son accident, sent son bras s'engourdir, de telle sorte qu'il se réveille un matin avec une paralysie constituée.

Cette période de méditation est notée dans presque tous les cas de M. K. Miura, qui a pu en préciser la durée dans

(1) Leç. du mardi, 17 janvier 1888, p. 111.


DE L'HYSTÉRIE. 81

seize observations. La durée maximum avait été de douze jours (dans six cas); dans quatre cas seulement sur trente et un, la paralysie avait eu lieu immédiatement.


Les monoplégies brachiales sont complètes ou incomplètes (parésies), limitées à un segment du membre ou généra- lisées au membre tout entier ( 1 ) .

Lorsque la monoplégie est complète et généralisée, le membre supérieur pend inerte le long du corps ; si la paralysie est limitée à l'avant-bras et à la main, le seg- ment supérieur est encore susceptible d'imprimer des mou- vements passifs au segment inférieur. Ces descriptions se passent de commentaires.

D'une façon générale, on note, du côté du membre atteint, des troubles de sensibilité qui affectent une déter- mination caractéristique.

Ce caractère, lorsqu'il existe, et il ne manquait qu'une fois (obs. I) (2) dans les trente et un cas de M. K. Miura, consiste dans un mode particulier de distribution de Fanes- thésie. Celle-ci occupe exclusivement le membre ou le segment de membre atteint par la paralysie, se séparant des parties voisines sensibles par une ligne de démarcation cutanée nettement tracée, perpendiculaire à la direction du membre et sans aucune relation avec le trajet des nerfs de sensibilité. C'est Fanestbésie « à distribution morpholo- gique » , suivant l'heureuse expression de M. Charcot, par opposition à la distribution anatomique de l'anesthésie due aux lésions des troncs nerveux.

Lorsque le segment supérieur du membre est paralysé

(1) MÉChin, Contribution a l'étude des monoplégies brachiales hystéri- ques. Th. Paris, 1887. (Un seul cas personnel : paralysie du bras droit et de la face (?) du même côté.)

(2) Même fait étudié par Guarcot, Sur un cas de monoplégie brachiale hystérique chez l'homme présentant des difficultés de diagnostic. Semaine mécl., 8 juin 1892, n° 29.


82 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

ou que le membre est paralysé dans sa totalité, la ligne de démarcation du côté du tronc décrit une sorte de cercle dont le centre serait à l'articulation scapulo-humorale et qui empiète en avant sur la poitrine, en arrière sur la région scapulaire. C'est l'anesthésie en manchon, en gigot, en segments géométriques, que nous avons déjà décrite (t. I, p. 155).

Lorsque le segment inférieur, l' avant-bras, est para- lysé, la ligne circulaire passe à deux ou trois travers de doigt au-dessus du pli du coude ; pour la paralysie de la main, à deux ou trois travers de doigt au-dessus de l'inter- ligne radio-carpien. Ajoutons qu'au point |de vue clini- que, les doigts sont souvent indemnes de troubles paraly- tiques et sensitifs.

Pour ne plus y revenir, disons qu'on observe une distribution similaire en ce qui concerne la paralysie du membre inférieur. A la hanche, la ligne de démarcation suit le pli de l'aine, la crête iliaque, les attaches du prand fessier, laissant en dehors de la région anesthésique les organes génitaux et le sacrum (1). En ce qui regarde les autres segments, on note la même répartition que pour le membre supérieur.

Cette anesthésie est, dans la majorité des cas, totale : les sensations de froid, de chaleur, de douleur, la sensibilité électrique sont abolies. Elle s'accompagne de la perte absolue des notions qui se rattachent à ce que l'on est convenu d'appeler le sens musculaire (t. I, p. 145). Le malade, les yeux fermés, est incapable de dire où se trouve son bras ou le segment de membre paralysé ; il a perdu la notion de position d'une de ses jambes dans son lit; la sensibilité articulaire n'existe plus.

Il faut savoir cependant que, dans certains cas, on peut noter]a. dissociation syringomyéliquedela sensibilité , à savoir, qu'il y a thermoanesthésie avec conservation de la sensi-

(1) Voir la fig. d'Adamkievicz, Monoplecjia aneslhetica. Wien. med. Presse, 1887, Separ. Abd. — Ici., Monoplegia anesthetica (bras droit). Wien. med. Blàtter., n os 4 et 5, 1887.


DE L'HYSTÉRIE. 83

bilité tactile. Cette modalité spéciale pourrait donc faire penser à la gliomatose médullaire (1).

C'est qu'en effet, plus fréquemment peut-être que toutes les autres paralysies, les monoplégies brachiales s'accom- pagnent de troubles trophiques, depuis l'œdème jusqu'à l'atrophie musculaire et l'atrophie osseuse (un cas de Ballet, un cas de Chauffard) . Ces phénomènes ont été décrits ; nous n'en parlons qu'au point de vue de leur seule fréquence dans l'espèce. C'est ainsi que de l'étude qu'il a faite de trente et un cas de monoplégie brachiale M. K. Miara conclut : « Nous avons noté, dans neuf cas, l'atrophie musculaire du membre paralysé, dont deux cas en même temps avec atrophie osseuse, un avec élévation de la tem- pérature, et deux autres avec un abaissement de la tempé- rature. Un simple abaissement avec ou sans coloration bleue a été noté chez quatre malades. Les dix-huit autres sont sans troubles trophiques. »

Les réactions électriques étaient normales ou tout au moins non perverties, sauf dans le fait que nous avons observé avec M. Dutil. Encore faut-il tenir compte des restrictions que nous avons formulées à propos de ce cas particulier.

L'état des réflexes tendineux est variable ; sept fois ils étaient exagérés ; sept fois diminués ou abolis ; trois fois normaux; dans quatorze cas, il n'en était pas fait mention. Signalons encore les diverses variétés de tremblements qui souvent accompagnent les monoplégies par cela même incomplètes.


"L'évolution des monoplégies brachiales est très variable et soumise à des règles qui sont loin d'être fixes. Chez les jeunes sujets, la paralysie est rarement de longue durée (2).

(1) Voir Gharcoï, Leçons du mardi, 1888-89, 21 e leç., p. 516. — Rosso- limo. Hystérie simulant une gliomatose de la moelle épinière. Anal, in Mercredi méd., p. 508, n° 42, 1892.

(2) Weisz, Eine hysterische Armlàhmung geheilt durch Suggestion. Wien. med. Wochen., 1892, t. XLIII, p. 271.


84 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Il n'en est pas de même chez les adultes, les hommes en particulier, où elle peut persister fort longtemps, s'accom- pagnant de trouhles trophiques et constituant ainsi une véritable infirmité. Prince (1) a relaté trois cas de para- lysie hystéro-traumatique qui durèrent de vingt-huit à vingt-neuf ans.

Le plus souvent, il s'agit là de récidives dans l'inter- valle desquelles le sujet recouvre plus ou moins com- plètement la faculté de mouvoir son membre sans tou- tefois que la sensibilité revienne intégralement. Lorsque la paralysie s'améliore, les perceptions sensitives tendent à reparaître soit dans toute l'étendue du domaine para- lysé, soit par places où lanesthésie disparaît complè- tement (2) : en même temps la force dynamométrique augmente. L'apparition ou la disparition de lanesthésie est pour ainsi dire le baromètre des troubles paralytiques. Si les fonctions motrices sont revenues et que lanesthésie persiste, on peut dire que le malade est toujours sous le coup d'une récidive; que la guérison n'est qu'apparente. Par contre, la guérison a des chances d'être durable, lorsque l'anesthésie et l'amyosthénie ont parallèlement disparu. Le pronostic des monoplégies brachiales est donc variable : il offre toujours une certaine gravité chez les hommes adultes.


Le diagnostic des monoplégies brachiales hystériques n'offre généralement pas de difficultés. Mais on peut sup- poser que la paralysie existe seule avec son anesthésie sans autres manifestations de la névrose, sans stigmates permanents, que ce soit là une manifestation locale de l'hvstérie ; dans ce cas, l'hésitation serait certainement permise.

Il convient, dans l'espèce, de ne considérer les mono-

(1) Prince, Amer. Journ. of med. science, juillet 1892.

(2) Charcot, Leç. sur les maladies du système nerveux, t. III, p. 36 i,. fig. 72-73.


DE L'HYSTERIE.


plégies d'origine corticale ou capsulaire qu'autant qu'elles s'accompagnent de troubles de sensibilité. On saitque, dans ces dernières années, l'hypothèse, appuyée d'ailleurs sur des faits expérimentaux, a été émise que certains centres de sensibilité se superposeraient aux centres moteurs cor- ticaux, phénomènes qui ont été retrouvés dans la clinique humaine (1). Mais, autant qu'il est possible d'en juger, l'anesthésie ne revêt pas, dans ces cas, la forme géomé- trique avec perte du sens musculaire que nous avons indi- quée.

M. Charcot a envisagé cette éventualité du diagnostic avec une paralysie capsulaire ou corticale, à propos d'un cas de monoplégie traumatique survenue chez un homme atteint d'insuffisance aortique.

« Une monoplégie brachiale, dit-il (2), peut survenir très exceptionnellement, il est vrai, à la suite de certaines lésions de la capsule interne, comme le montre entre autres un fait récemment publié par MM. Bennet et Camp- bell dans le journal le Brain (3) ; mais, en pareil cas, on ne rencontrerait certainement pas l'hémianesthésie senso- rielle et sensitive qui quelquefois se surajoute à l'hémi- plégie vulgaire totale par lésion de la capsule.

« La production dans l'hémisphère droit d'un petit foyer soit d'hémorragie, soit encore de ramollissement déterminé par embolie, en conséquence de l'affection organique du cœur, foyer qu'on pourrait supposer limité étroitement à la zone motrice du bras, une telle lésion, dis-je, pourrait rendre compte de l'existence d'une mono- plégie brachiale gauche. Mais, dans cette supposition, la paralysie serait survenue tout à coup à la suite d'un ictus,

(1) J. Lynn Thomas, Bight brachial monoplegia and perverted sensation, due to traumatic ablation of the arm area in the left cortex cerebri. Brit. med. Journ., 24 février 1874, n° 1930, p. 400. — Btkkles, Untersucfiun- gen iiber das Verhalten der Haut-sensibilitàt sowie des Gehirns und Gesch- macksinnes bei Paralytikern. Jahrb. f. Psych., Bd XI, Heft III. An. in Neur. Centr., n» 21, 1892, p. 683.

(2) Leç. sur les mal. du syst. nerveux, t. III, op. cit., p. 293.

(3) Brain, avril 1885, p 78.


8li TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

quelque léger qu'il pût être, et non pas progressivement; elle eût été marquée presque à coup sûr, plusieurs mois après le début, par un certain degré tout au moins de contracture et par l'exagération nettement accusée des réflexes tendineux; elle ne se fût pas accompagnée enfin très certainement de troubles de la sensibilité cutanée et profonde, aussi accentués que ceux que nous observons chez notre malade. »

Quant à l'hypothèse d'une lésion spinale productrice d'une semblable paralysie, M. Charcot ne croit même pas devoir la discuter.

Il faut cependant répéter, en ce qui regarde les lésions spinales simulatrices des monoplégies brachiales, que la syringomyélie peut donner lieu à des limitations des trou- bles de la sensibilité sous forme de territoires géométriques. Si l'on joint à cela que l'on peut observer, dans l'hystérie, des troubles trophiques et la dissociation syringomyélique de la sensibilité, on pourra quelquefois se trouver en pré- sence de difficultés que M. Charcot expose en ces termes : « Les difficultés que je signale, dit-il, (1) sont réelles, et s'il est vrai, comme le suppose M. Schulze (2), que plu- sieurs cas rattachés à l'hystérie ont dû être plus tard considérés comme des exemples de syringomyélie, il est vrai également, je me crois autorisé à l'affirmer après m'être livré à la critique des observations, que parmi les cas signalés il en est un certain nombre qui relèvent de l'hystérie. »

Ce que nous disons ici de la syringomyélie à propos des monoplégies brachiales est applicable à toutes les formes de la paralysie hystérique.

On pourrait encore confondre une monoplégie brachiale hystérique avec une des formes de la paralysie radiculaire du plexus brachial (3) .

(1) Lee. du mardi, 1888-89, p. 519.

(2) Scbulze, Virchow's Archiv., 1882, p. 537.

(3) Klumpke, Contribution à l' étude des paralysies radiculaires du plexus brachial. Bévue de médecine, p. 591, 739, 777, et Des polynévrites en général. Th. Paris, 1889.


DE L'HYSTÉRIE. 87

Il n'est pas douteux qu'on arrivera, dans la majorité des cas, à établir le diagnostic en se basant, soit pour la para- lysie supérieure de Duchenne-Erb, soit même pour les paralysies totales, sur la forme de l'anesthésie qui, comme Ross(l) l'a bien montré, au lieu de se disposer sur l'épaule en segment géométrique , se termine en languette sur la partie médiane antérieure du bras et en arrière dépasse à peine la région du coude, de telle sorte que la partie posté- rieure du bras est sensible presque partout. L'atrophie muscu- laire est constante, alors qu'elle n'est que fréquente dans la monoplégie hystérique. Enfin il existe toujours de la réaction de dégénérescence, laquelle n'a été observée que dans un cas qui nous est personnel. De plus, on constate, comme dans la syringomyélie, des troubles oculo-pupil- laires constitués par du myosis avec rétrécissement de la fente palpébrale, exceptionnellement de la mydriase (Seeligmûller), dus à la lésion du rameau communicant du premier nerf dorsal.

Mais si le diagnostic avec les paralysies radiculaires du plexus brachial est le plus souvent facile, on peut encore se demander si les paralysies liées aux altérations des branches du plexus, des divers nerfs moteurs du membre supérieur, ne sont pas susceptibles de prêter à confusion avec les monoplégies hystériques.

Dans la séance du 28 mars 1890, MM. Chantemesse et Widal {pp. cit.) présentèrent à la Société médicale des hôpitaux un malade incontestablement hystérique atteint d'une monoplégie brachiale gauche accompagnée d by- peresthésie, avec troubles trophiques de la peau, état lisse, hyperhydrose locale, altérations des ongles et atrophie musculaire sans réaction de dégénérescence. Le bras était paralysé, mais il avait existé un certain degré de contrac- ture passagère du membre. Ces accidents étaient survenus quelques jours après l'ouverture d'un abcès siégeant au

(1) J. Ross, Distribution of anesthesia in cases of disease of the bran- ches and of the roots of the brachial plexus. Brain, april 1884, p. 70 et s. — Charcot, Leç. sur les maladies du syst. nerv., t. II, p. 307 Cas de Deb.


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niveau de l'angle du maxillaire gauche et remontant vers le lobule de l'oreille. Les auteurs, se basant sur l'absence de l'anesthésie, de la réaction de dégénérescence, sur ce que le malade était un hystérique confirmé, écartaient lhypo- thè.se d'une lésion radiculaire et concluaient à la nature hystérique de la monoplégie.

Ce même malade fit l'objet de la première observation d'un mémoire de MM. Brissaud et Lamy (1), qui se mon- trèrent moins affirmatifs que MM. Chantemesse et Widal. Cependant il est difficile de connaître exactement le fond de leur pensée, que l'on doit trouver dans les conclusions suivantes : « Tout en convenant, avec MM. Chantemesse et Widal, que nous n'avons pas non plus affaire à une névrite ordinaire du plexus brachial, il nous semble impossible de ne pas voir, dans le cas présent, le fait d'une irritabilité de ce territoire nerveux, d'un manque de résistance tout spécial au sujet, dont l'hystérie est la cause première et qui s'est manifesté à la moindre occasion. Nous dirons donc que ce n'est pas une paralysie hystérique au sens convenu de ce mot, mais une paralysie survenue chez un hysté- rique, parce qu'il était hystérique et qu'il avait une bonne raison de voisinage pour faire une paralysie radiculaire. » Le second malade étudié par MM. Brissaud et Lamy est un homme de quarante-quatre ans, hystérique confirmé atteint d'anévrisme artérioso-veineux de l'aisselle gauche. Des élancements apparaissent dans le bras, principale- ment sur le trajet du médian, et peu à peu le membre supérieur est envahi par la paralysie avec anesthésie qui, fait particulier, s'accompagne de contracture, les doigts se fléchissant dans la paume de la main. L'ablation de l'ané- vrisme est suivie de la guérison de la paralysie motrice et sensitive. Puis, à l'occasion d'un effort, le malade sent un craquement dans la cicatrice, et le bras retombe inerte, insensible et de nouveau contracture. Il y a hémianes- thésie gauche légère, « mais sur le membre malade l'anes-

(i) Brissaud et Lamy, Sur trois cas de paralysies périphériques chez des sujets hystériques. Arch. gén. de méd., août et sept. 1891.


DE L'HYSTÉRIE. 89

thésie cutanée est beaucoup plus marquée dans le domaine du circonflexe, du radial et surtout du médian : elle est à peu près complète à la pulpe des trois premiers doigts. Signalons en passant les phénomènes spasmodiques très curieux que présente le membre paralysé et qui rap- pellent le spasme saltatoire des hystériques » .

MM. Brissaud et Lamy interprètent ainsi qu'il suit ce cas complexe, et nous adoptons complètement leur manière de voir :

« La seule interprétation qui nous semble convenir à cette forme de paralysie si étrange est la suivante : irrita- tion prolongée mais légère du plexus brachial, trop légère pour avoir déterminé une névrite caractérisée, mais ayant suffi à produire une paralysie très accentuée de la motilité et de la sensibilité, parce qu'elle s'est développée chez un sujet manifestement hystérique. La névrose a imprimé son cachet à la maladie comme elle avait préparé le terrain : une part lui revient au moins parmi les phénomènes observés, la contracture. L'autosuggestion a pu contri- buer dans une certaine mesure à l'apparition des acci- dents ; ce thrill insupportable qui a si longtemps tour- menté le malade, ce craquement perçu dans la cicatrice axillaire pendant un effort, voilà certes de quoi donner carrière à l'imagination d'un hystérique. Mais ce que l'autosuggestion n'a point fait, c'est la répartition anato mique des troubles de la sensibilité, ce sont les phéno- mènes oculaires de la paralysie radiculaire. Et ce n'est pas là le point le moins curieux de l'histoire de notre ma- lade que cette participation de l'œil dans une paralysie axillaire du plexus brachial, alors qu'on sait que les troubles oculo-pupillaires dus à la lésion du rameau com municant du premier nerf dorsal ne s'observent que dans les paralysies vraiment radiculaires. Tout peut s'ex- pliquer cependant, si l'on veut bien admettre qu'il s'agit d'un phénomène d'inhibition s'étendant à la totalité du plexus brachial chez un sujet qui a une irritation perma- nente dans le voisinage, au niveau d'une cicatrice dou-


90 TRAITA CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

loureuse. L'irritation est restée un certain temps latente dans cette zone inhibitrice, comme elle l'est d'ailleurs dans une zone hystérogène. »

Cette interprétation répond à la réalité des faits, et si l'on cherchait bien, on reconnaîtrait souvent que la syphi- lis, par exemple, influence la forme de certaines para- lysies chez des sujets hystériques (1). Il en est ainsi du saturnisme. MM. Brissaud et Lamy rapportent un cas de monoplégie brachiale d'origine hystérique chez un satur- nin, avec intégrité du long supinateur, tout comme dans la paralysie radiale saturnine, et citent un cas ana- logue dû à M. Potain (2), et ils concluent : « L'hystérie a frappé ce que l'intoxication saturnine avait touché. »

Nous croyons beaucoup, pour notre part, à ce que nous appellerions volontiers des autosuggestions organiques. De- puis cinq ans que notre maître, M. le professeur Fournier, a bien voulu nous confier l'examen des malades nerveux de son service de l'hôpital Saint-Louis, nous avons eu bien souvent l'occasion d'observer des hémiplégies et des mo- noplégies brachiales hystériques chez des syphilitiques dont le cerveau avait été déjà touché plus ou moins pas- sagèrement par la vérole. Au lieu et place de l'hémiplégie ou de la monoplégie organique qu'un traitement approprié avait écartée, apparaissait une hémiplégie ou une mono- plégie hystérique vis-à-vis de laquelle la lésion organique disparue avait certainement joué le rôle d'agent à la fois provocateur et localisateur.


Nous serons bref en ce qui regarde la monoplégie crurale flasque, laquelle est incomparablement moins fréquente que la monoplégie brachiale. Briquet en a observé quatre cas. I] s'agit le plus souvent, en réalité, d'une hémiplégie

(1) A. Richard, Contrib. à l'hémiplégie hystérique chez les syphili- tiques. Th. Paris, 1887.

(2) Bulletin médical, 1887, n° 54. —G Guinon. Th. Paris, 1889, p. 296.


DE LHYSTERIE. 91


portant surtout sur le membre inférieur, qui, outre sa mo- tilité, perd, dans ces cas, sa sensibilité et le sens muscu- laire. Si l'anesthésie ne s'étend pas à toute la moitié du corps, elle s'arrête au niveau de la racine du membre, sui- vant une ligne que nous avons décrite à propos d'un cas rapporté par Adamkiewicz. Dans ce dernier, l'affection avait ceci de très particulier qu'elle simulait le syndrome de Brown-Séquard ou hémiparaplégie spinale avec anesthé- sie croisée, car le membre inférieur droit était anesthé- sique, alors que le membre inférieur gauche présentait des troubles paralytiques.

M. Souques a rapporté un fait où l'hystérie simulait la monoplégie crurale d'origine spinale (1). Le membre infé- rieur droit était paralysé ; il y avait exagération du réflexe rotulien, qui était normal à gauche ; en même temps, on notait de la rétention d'urine. Mais le malade était hémi- anesthésique droit, et bien qu'il fût syphilitique et qu'on pût penser à une monoplégie crurale liée à la vérole, un examen approfondi montra qu'il ne s'agissait en somme que de phénomènes hystériques.

Nous n'insisterons pas davantage sur les faits de cet ordre, qui, s'ils sont rares, sont fréquemment fort com- plexes et mériteraient pour cliacun l'exposé d'un dia- gnostic particulier. On se guidera, pour établir celui-ci, sur les règles générales que nous avons formulées en trai- tant du diagnostic des monoplégies brachiales hystériques avec les monoplégies d'origine organique, sans oublier que, dans un cas de Gharcot (2), l'hystérie coexistait chez un malade avec une hémiparaplégie spinale avec anesthé- sie croisée, d'origine organique.


Les contractures limitées à l'un des membres supérieurs

(i) Contribution à l 'étude des syndromes hystériques simulateurs des maladies organiques de la moelle épinière. Th. Paris, 1891, obs. XXX (2) Leç. du mardi, 1888-89, op. cit., p. 53


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reconnaissent les mêmes causes que la paralysie. Elles surviennent Je plus souvent après une attaque ou après un traumatisme (1). M. Charcot (2) a rapporté le cas fort intéressant d'un homme chez lequel la contracture se développa consécutivement à l'application d'un appareil à fracture. Avant son apparition, il semblait bien qu'il eût déjà existé de la paralysie flaccide avec anesthésie, tant il est vrai que souvent paralysie et contracture succèdent l'une à l'autre. Ces phénomènes d'alternance avaient été déjà notés par Carré de Montgeron à propos de Marguerite Thibaut (3), chez laquelle ils s'étaient montrés à la suite d'une attaque d'apoplexie hystérique.

« Peu après, dit-il, une nouvelle attaque d'apoplexie suivie d'une fièvre violente et d'un tremblement extraor- dinaire dans tous ses membres met souvent pendant quatre mois cette pauvre fille à deux doigts de la mort. Dès lors tout mouvement cesse dans le côté gauche, le bras immo- bile et perclus, qui pend tristement vers la terre, semble vouloir y entraîner tout le corps. Pour pouvoir soutenir son poids accablant, elle est obligée de le porter conti- nuellement dans une écharpe. A ce triste état se joint bientôt une impossibilité de faire plier les trois derniers doigts de la main du même côté, ni les rapprocher les uns des autres. Ces doigts, qui s'enflent et s'écartent d'une manière excessive, deviennent d'une raideur pareille à celle du fer; leur peau toujours tendue perd bientôt toutes ses rides et on n'aperçoit plus la moindre trace de leurs jointures. »

Il s'agissait là d'un œdème, trouble trophique qui, avec l'atrophie musculaire, nous l'avons dit, accompagne assez fréquemment la paralysie ou la contracture hystérique (4).


(1) Goetz, Contracture hystéro-traumatique de la main gauche. Rev. me'd. de la Suisse romande, n° 5, 20 mai 181)3.

(2) Leç. sur les mal. du syst. nerveux, t. III, 25 e leç., op. cit., p. 398.

(3) Carré de Montgeron, op. cit., t. I, 2 e démonstration.

(4) Gilles de la Tourette et Dctil, Contribut. a l'étude des troubles tro- phirjues dans l'hystérie. Nouv. Icon. de la Salp., 1889, obs. IX.


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Voulet ne cite pas de cas de contracture limitée au membre supérieur, bien que cependant celle-ci ne soit pas rare.

P. Richer, qui paraît l'avoir assez souvent observée, dit que « l'attitude la plus fréquente est celle du poing fermé » . C'était le cas de Dum..., le malade de M. Charcot auquel nous avons fait allusion. « Chez une de nos ma- lades, ajoute M. P. Richer, la main contracturée figurait dans l'ensemble la position de la main qui tient une plume à écrire. Lorsque les doigts sont contractures en exten- sion, ils sont en même temps très rapprochés et fortement serrés les uns contre les autres, v Nous avons vu qu'ils étaient écartés chez Marguerite Thibaut, ce qui est une exception. Peut-être cela tenait-il à l'œdème, ainsi que tendrait à le montrer l'excellente planche qui accompagne l'observation de Carré de Montgeron.

Chez un autre malade de M. Charcot dont nous avons déjà parlé (p. 74), la contracture affectait la forme hémi- plégique, mais elle était surtout marquée au membre supérieur. Nous disions alors que les doigts étaient con- tractures en extension, serrés les uns contre les autres et déviés en masse, par rapport au plan de la main, vers le bord cubital.

« Dans l'attitude du poing fermé, continue M. P. Ri- cher, la position du pouce est variable, tantôt recouvert par les autres doigts, tantôt appliqué contre l'index, tantôt ramené plus en avant, la dernière phalange appliquée sur la phalangine du médius (fig. 50, 51, 52, 53).

« Lorsque la contracture est limitée à la main (fig. 54), le poignet peut conserver toute la liberté de ses mouve- ments, ainsi que les autres segments du membre. D'autres fois, au contraire, le membre tout entier est atteint de parésie ou même de paralysie complète.

« A la contracture de la main, il n'est pas rare de voir s'adjoindre celle du poignet (fig. 55) dans des attitudes variées dont la plus fréquente est celle de la flexion. Quel- quefois il est en extension ou dans une position intermé-


9-4


TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE


diaire. Lorsque le membre est intéressé dans sa totalité, l'attitude la plus fréquente est celle de la flexion (fig. 56). Enfin l'extension de l'avant-bras peut coïncider avec des attitudes variées du poignet. »



Fig. 50, 51. — Contracture hystérique : poing fermé. (P. Pucher.)

De même que la paralysie, la contracture s'accompagne très souvent de troubles de la sensibilité soit sous forme



Fig. 52, 53. — Contracture hystérique : poing fermé. (P. R.)

d'hémianesthésie , car c'est du côté privé de sensibilité que se montrera presque toujours la contracture dite spontanée survenue à la suite d'une attaque, par exem- ple; soit sous forme géométrique, en manchon, limitée à


DE L'HYSTERIE.


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la main, ou aux divers segments du membre, comme nous l'avons dit. Il faut noter que, plus souvent que pour la paralysie, les troubles de sensibilité consistent en hyper- esthésies variées qui rendent la contracture douloureuse. C'est ce que l'on observe, par exemple, dans les con- tractures liées aux arthralgies (t. I, p. 230) ; l'hyperes- thésie en territoires géométriques occupe alors la racine du membre dans la coxalgie, ou le segment moyen lors-



54. — Contracture de la main. (P. R.)


Fig. 55. — Contracture hystérique de la main et du poignet. (P. R.)


que l'affection siège aux articulations du coude ou du genou.

La contracture du membre supérieur a une durée fort variable : elle peut apparaître et disparaître à l'occasion de deux attaques souvent très rapprochées, ou persister presque indéfiniment.

Le malade (Dum...) étudié par M. Charcot a traîné sa contracture avec atrophie musculaire pendant plusieurs années : nous croyons même savoir qu'il a subi l'amputa- tion du bras.

Chez la malade que nous avons observée avec M. Dutil


96 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

(obs. IX), le bras était contracture en extension avec le poing fermé : il y avait atrophie des muscles de léminence thénar, et les troubles de sensibilité faisaient défaut. La contracture persistait à l'état permanent depuis plus de trois ans lorsque nous la perdîmes de vue.

Le diagnostic n'offre, en général, aucune difficulté : le mode de début, souvent rapide, la constatation d'autres phénomènes hystériques et, enfin, la résolution complète



Fig. 56. — Contracture du membre supérieur, type de flexion. (P. R.)

sous l'influence du chloroforme suffiront presque toujours à lever les doutes qui pourraient exister.


Sans nous appuyer sur des statistiques, nous croyons que la contracture du membre inférieur (droit ou gauche) est plus fréquente que la contracture du membre supérieur. Voulet, qui n'a pas observé de cas de cette dernière, rap- porte, par contre, douze observations de contracture du membre inférieur, soit primitive, soit secondaire : c'est-à- dire, à ce dernier propos, ainsi qu'il le relate dans son


DE L'HYSTERIE. 97

observation IX, que la contracture, d'abord généralisée aux deux membres inférieurs, se limite en fin de compte à l'un d'eux. Le même auteur note qu'elle peut également succéder à la paralysie.

Le traumatisme joue un rôle important dans son étio- logie : chute, faux pas, entorse qui immobilise le membre chez un individu en puissance de la diathèse de contrac- ture. Mais très souvent celle-ci est mise en œuvre par les paroxysmes convulsifs.

« En général, dit Voulet {op. cit., p. 47), la contracture du membre inférieur survient à la suite d'une attaque. Toutefois, elle n'arrive pas d'emblée. Le plus souvent on observe d'abord une paralysie du mouvement et de la sensibilité occupant non seulement le membre inférieur, mais aussi le membre supérieur. C'est quand le terrain est ainsi préparé qu'une nouvelle attaque est suivie de contracture envahissant le membre inférieur. »

Parfois on note « certains phénomènes dans le membre qui va devenir contracture. Les phénomènes auxquels nous faisons allusion consistent en des fourmillements , des engourdissements, des crampes, des sensations dou- loureuses, quelquefois en un tremblement (Sandras) com- posé de petites secousses tétaniques (épilepsie spinale) . »

Localisée au pied, la contracture produit les diverses déformations du pied bot (fig. 57, 58). Le plus fréquem- ment, l'attitude est celle du pied bot équin varus avec flexion exagérée des orteils et torsion de tout le pied de dedans en dehors suivant son axe transversal. Tel était le cas de la demoiselle Fourcroy, si bien étudié par Carré de Montgeron (1). Son « anchylose » , qui était très doulou- reuse spontanément, ce qui prouve qu'il y avait de l'ar- thralgie, guérit subitement « étant en convulsion » cinq mois après le début du mal. La figure qui illustre la dé- monstration de Carré de Montgeron a été fréquemment reproduite, tellement elle est caractéristique.

(1) La vérité des miracles, op. cit., t. II, 3 e démonstration.

m. 7


98 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

M. Paul Richer a décrit quelques autres variétés du pied bot hystérique. « La flexion des orteils manque, l'équinisme est direct. Enfin, le talus peut remplacer l'équin, la pointe du pied est très relevée et la malade porte sur le talon. Cette forme est rare, ajoute-t-il, nous en avons observé un remarquable exemple. Dans ce cas, la



Fig. 57, 58. — Deux types de pied bot hystérique. (P. Riciieu.)

contracture siégeait également au genou et à la hanche. » Nous avons rapporté une observation de contracture limitée au gros orteil, au moins en ce qui regardait le pied ; la hanche du même côté était le siège d'une arthralgie hystérique. A la contracture du gros orteil, for- tement redressé en extension, se superposait une zone de vive hyperesthésie (1).

(i) Gilles de la Tourette, De la superposition, etc., obs. XI, pi. XX> op. cit.


DE L'HYSTERIE.


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Lorsque la contracture a envahi tout le membre infé- rieur, l'attitude d'extension est la plus fréquente (fi g. 59). Elle coïncide généralement avec le pied bot direct, soit équin, soit varus. Dans un cas de P. Richer, l'extension coïncidait avec un pied bot talus (fig. 60).

L'attitude de flexion, quoique bien plus rare, a été notée par le même auteur, et nous l'avons nous-même observée. La cuisse est alors en flexion sur le bassin, la jambe sur la cuisse, le talon pouvant toucher la fesse (fig. 61).

Mais la forme la plus fréquente de contracture du



Fig. 59. — Contracture du membre inférieur gauche type d'extension. (P. R.)


membre inférieur est celle qui est liée à l'arthralgie de la hanche connue sous le nom de coxalgie hystérique. Nous l'avons décrite au chapitre des arthralgies (t. I, p. 230). Nous n'y reviendrons que pour ajouter aux considérations historiques que nous exposions alors l'indication d'un cas de Pomme (l), intéressant en ce fait que l'anesthésie se superposait à la contracture, qui s'accompagnait elle-même d'atrophie musculaire.

« Dès cet instant, dit Pomme (p. 284), nous portâmes tous nos regards sur la paralysie de la jambe : son insensi-

(1) Pomme, Traité des affections vaporeuses, op. cit., t. I, p. 277. Cas ce Mme de B...


100 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

bilitê totale et son raccourcissement annonçaient un état de crispation peu commun... J'examinai de plus près cette

jambe : je la vis atrophiée, de même que la cuisse, et, en cher- chant la cause de son raccourcis- sement, je la trouvai dans la con- traction des muscles des lombes et dans celle des muscles quarrés, grand oblique, petit oblique et transverse... »

Il est impossible de fixer une durée à ces diverses contractures, qui peuvent apparaître et dispa- raître à la suite dune attaque ou s'éterniser pendant des mois et des années soit en restant localisées, soit en envahissant divers mem- bres. Dans un cas de P. Richer (1), à l'âge de onze ans, les deux mem- bres du côté droit se contractu- rent; le bras recouvre le mouve- ment au bout de dix-huit mois. Le membre inférieur droit reste con- tracture, le pied en extension sur la jambe, sans troubles de sensi- bilité superposés, pendant deux ans et guérit subitement de sa con- tracture un matin à l'occasion de la première apparition des règles. Le diagnostic de ces manifes- tations n'offre pas de difficulté. Fig. 60. — Contracture hystéri- Aucune maladie organique n'est

que du membre inférieur droit, susceptible de produire Ulie COn-

v " ,; tracture aussi intense, s accompa-

gnant aussi souvent de troubles de sensibilité.

(1) P. Richer, Observation de contracture hystérique guérie subitement après une durée de deux années. Nouv. Icon. de la Salp., 1889, p. 208.



DE L'HYSTERIE.


]01


Cependant, M. Souques (op. cit., obs. XXXV) a rapporté un cas de contracture hystérique douloureuse du membre inférieur gauche accompagnée d'hémianesthésie sensitivo- sensorielle, qui pouvait faire penser à une origine spinale. Nous ne pouvons ici passer en revue tous les cas parti- culiers qui mériteraient un dia- gnostic spécial.


Nous ne connaissons pas d'exem- ples de paralysie ou de contracture limitée aux deux membres supérieurs . Par contre, la paralysie des deux membres inférieurs ou paraplégie est un des troubles moteurs que Ion observe le plus fréquemment dans l'hystérie.

Cette question des paraplégies hystériques est fort complexe, étant données les formes très diverses que la paralysie peut revêtir et qui n'ont été bien étudiées que pendant ces dernières années.

En dehors des paralysies flasques et des paralysies avec contracture, Fig. 61.— Contracture hysté- nous distinguerons une forme par- rif l ue Ju membre inférieur

«• v - 4.11 î droit; type de flexion. ( P. R.)

ticulierement douloureuse dépara- Jr K '

plégie cliniquement très importante, parce qu'elle peut faire penser au tabès (pseudo-tabes hystérique). Enfin, nous décrirons dans un paragraphe spécial les phénomènes si spéciaux connus depuis peu et étudiés sous le nom d'asta- sie-abasie.

Briquet (op. cit., p. 463) et Leroy, d'Étiolles , ont observé trente-quatre fois la paralysie des membres infé- rieurs sur quatre cents malades atteints de manifestations hystériques, ce qui donne une proportion assez élevée. On



102 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

la voit survenir à tout âge, jusqu'à cinquante ans (Briquet), et plus tard encore certainement. Les huit premières obser- vations de la thèse de Lebreton sont relatives à des para- plégies hystériques : l'observation II se rapporte à une fillette de onze ans (1). Enfants et adultes y sont donc sujets, mais la paralysie prédomine surtout entre dix-huit et trente ans.

Les causes de la paraplégie flasque (et aussi de la contrac- ture des deux membres inférieurs) sont des plus variables : attaques, émotions morales vives, fatigue, convalescence de maladies graves (Briquet), déterminant cette sorte d'auto- suggestion organique dont nous avons parlé. Féré a rap- porté l'histoire d'une paraplégie survenue à la suite d'un rêve de course prolongée.

Le traumatisme joue un certain rôle, moins marqué toutefois que dans les monoplégies, car son action, à l'exception des chutes, trouve peu à s'exercer localement. Charcot (2) a rapporté un cas de paraplégie chez un homme qui, culbuté par une voiture, rêva que le véhicule lui avait passé sur le corps, ce qui était contraire à la réalité, ainsi que purent l'affirmer des témoins oculaires. Les troubles de sensibilité ne se limitèrent pas moins nettement au-dessous de l'ombilic, suivant une ligne circulaire repré- sentant le passage présumé des roues.

Étant données ces diverses causes, on comprend que le début devra être très variable. Il peut être subit lorsque la paraplégie se montre à la suite d'une attaque ou d'une émotion morale vive. Après le traumatisme, il existe géné- ralement cette « période de méditation » que nous avons apprise à connaître. Enfin, la paraplégie peut avoir été précédée par d'autres manifestations paralytiques. C'est ainsi, par exemple, que dans le cas de la demoiselle Har- douin, rapporté par Carré de Montgeron, la paralysie, qui

(i) Voy. Hun, Hysterical paraplevia in children. Intern. clin. Philad'el- phia, t. IV, 1892, p. 239. An. in Neurol. Cent?:, 15 janvier 1892, p. 52.

(2) Charcot, Leç. sur les maladies du système nerveux, t. III. Appen- dice, obs. de Lelojj.


DE L'HYSTERIE. 103

existait d'abord sous forme hémiplégique, se compléta ensuite sous forme paraplégique. De même peut-on voir la paralysie flasque succéder à la contracture et vice versa.


La paraplégie est complète ou incomplète, les membres inférieurs refusant tout service ou pouvant encore exé- cuter quelques mouvements. Lorsqu'elle est complète, les malades restent confinés au lit, les membres inertes en exten- sion ou mieux dans la position qu'on leur donne, la pointe du pied tombante. Il faut alors, nous l'avons dit, avoir bien soin, afin d'éviter les adhérences fibro-tendineuses dans une position vicieuse, de soutenir la plante du pied par un appui approprié et de recouvrir les membres d'un cerceau qui empêche les draps de déterminer des déviations pas- sives défectueuses. Il est à remarquer que dans tous ces cas la paralysie affecte les divers groupes musculaires dans leur ensemble, à un degré égal, sans prédominance d'un groupe sur un autre.

Presque toujours, fait noté par Briquet, la paralysie s'accompagne de troubles de la sensibilité, suivant ses divers modes, avec perte du sens musculaire. Lorsque ces troubles sensitifs sont accentués, ce qui est fréquent, les malades perdent jusqu'à la notion de position des membres dans le lit.

« Quand la paraplégie est complète, dit Briquet (op. cit., p. 466), il y a de l'anesthésie de la peau et très fréquem- ment de l'anesthésie des muscles: enfin, le courant par induction qui les traverse n'est nullement senti, et le plus souvent il excite les contractions. » Nous pouvons ajouter qu'il existe parfois de l'atrophie musculaire, et que celle- ci ne s'accompagne pas de réaction de dégénérescence. Dans certains cas, que nous étudierons, les membres para- lysés sont le siège de douleurs spontanées, parfois très vives (pseudo-tabes).

Les limites de l'anesthésie sont variables. Dans un cas


JOi TRAITÉ CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

de Pitres, où cependant la paraplégie était complète (op. cit., t. I, p. 486), les troubles de sensibilité se limi- taient par une ligne circulaire au-dessus du genou des deux côtés. D'autres fois, comme dans l'observation de Lelog., rapportée par M. Cbarcot, la ligne d'insensibilité passe circulairement au-dessous de l'ombilic, à l'instar de ce qui existe dans certaines myélites transverses. Souvent on note de l'hémianesthésie gauche par exemple, coïnci- dant avec des troubles de sensibilité limités au seul membre inférieur du côté droit. Il peut exister, en matière d'hystérie, de l'anesthésie généralisée sans paralysie, mais il est bien rare qu'il y ait de la paraplégie sans anesthésie.

M. Ferd. Hucliard (1) a cependant consacré sa thèse inaugurale à l'étude de la paraplégie hystérique sans anes- thésie, rapportant trois observations personnelles dans lesquelles les troubles de sensibilité faisaient complète- ment défaut. Aussi ses malades guérirent-ils complètement et rapidement, car la coexistence de l'anesthésie est un indice très important de la gravité et de la ténacité des paraplégies hystériques.

Avec la paraplégie coexistent souvent des troubles de la vessie et du rectum qu'on note aussi bien dans les para- plégies avec contracture que dans les paraplégies flasques. Nous verrons même, en étudiant particulièrement les troubles vésicaux chez les hystériques, qu'ils sont dus plus souvent à la contracture qu'à la paralysie du col vésical. C'est, en effet, presque toujours de la rétention que l'on observe.

Cependant il peut exister aussi des besoins incessants d'uriner s'accompagnant d'incontinence, si le malade ne les satisfait pas immédiatement (obs. III de Lebre- ton) ; ou bien encore l'incontinence peut être complète (obs. VIII). Dans ce dernier cas, il y a insensibilité de l'u- rèthre et de la muqueuse vésicale, le passage de la sonde n'est pas perçu. Toutefois, l'incontinence d'urine est fort

(1) F. Huciiabd, De la paraplégie hystérique sans anesthésie. Th. Paris, 1881.


DE L'HYSTÉRIE. 105

rare et devra faire soupçonner une affection organique; de même pour l'incontinence des matières fécales, qui est plus rare encore. C'est ainsi que dans l'observation VIII de M. Lebreton et dans l'observation XXXVI de M. Souques, où ces phénomènes existaient, les malades étaient atteintes en même temps d'hystérie et de syphilis; celle-ci pouvait bien jouer un certain rôle dans la paralysie des réser- voirs.

Nous avons deux fois observé l'incontinence d'urine au cours de paralysies hystériques. Dans un premier cas, il s'agissait d'une paraplégie avec contracture, et les phéno- mènes spasmodiques intéressaient probablement aussi la vessie. Le second cas a traita une malade que nous avons examinée à plusieurs reprises avec M. le D r Alex. Renault, médecin de l'hôpital Broca. Il y avait également contrac- ture des deux membres inférieurs s'accompagnant d'in- continence d'urine et des matières fécales. Le diagnostic d hystérie n'était pas douteux. Ajoutons qu'il exista chez cette malade une eschare sacrée qui guérit à plusieurs reprises.

Nous ne connaissons que deux autres observations d'eschares sacrées chez des hystériques atteintes de para- plégie flasque ou spasmodique. La première a été succes- sivement publiée par MM. Castex, Leloir, Vulpian et Raymond et par Mlle Klumpke (1). Il s'agissait d'une femme atteinte de contractures généralisées s'accompa- gnant alternativement de rétention et d'incontinence d'urine. On nota avec Feschare sacrée une série de trou- bles trophiques cutanés très variés, incontestablement de même ordre que l'eschare. La malade mourut tubercu- leuse, et l'intégrité des centres nerveux examinés micro- scopiquement corrobora le diagnostic. La malade que nous avons observée avec M. Renault mourut également d'une

(1) Klumpke, Contribution a l'étude des contractures hystériques. Inté- grité de la moelle épinière dans un cas de contracture hystérique -perma- nente généralisée ayant duré plusieurs années. Revue de médecine, p. 202, 1885.


106 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

affection intercurrente, à l'instar de la précédente, mais l'autopsie ne put être faite.

La deuxième, ou mieux la troisième observation appar- tient à M. Pitres {op. cit., t. I, p. 495, obs. V). La malade, atteinte d'une paraplégie hystérique des quatre membres, eut une eschare fessière dont elle guérit ainsi que de sa paraplégie, qui se transforma en hémiplégie. Comme troubles trophiques concomitants on nota chez elle la chute spontanée de toutes les molaires du maxillaire su- périeur gauche.

Il nous faut cependant signaler encore le cas de la demoiselle Thibaut atteinte d'hémiplégie gauche et de paraplégie (1). Il existait chez elle, outre la paralysie, un oedème généralisé au bras gauche et aux deux membres inférieurs; des ulcérations siégeant aux doigts, au pli du bras gauche, aux plis des deux aines, et enfin une eschare fessière. Tous ces phénomènes, d'origine hystérique, qui duraient depuis 1728, guérirent en 1731, en quelques jours, après un pèlerinage au tombeau du diacre Paris. Là encore les manifestations de la diathèse vaso-motrice étaient multiples.

Les troubles trophiques ne sont pourtant pas très fré- quents dans la paraplégie hystérique, soit flasque, soit spasmodique, surtout lorsqu'on les compare avec ce que l'on observe dans les monoplégies où l'œdème, l'atrophie musculaire sont si souvent observés.

Cependant nous trouvons un exemple indéniable d'atro- phie des muscles des deux membres inférieurs, au cours d'une paraplégie , chez une autre malade de Carré de Montgeron, Anna Augier (t. II, F e démonstration).

Chez cette femme, âgée alors de vingt-cinq ans, la para- lysie des deux jambes avait débuté subitement un jour qu'elle était à l'église. Elle s'accompagna bientôt de trou- bles de sensibilité parfaitement décrits dans l'observation :

« Au bout de quelques jours, les parties affligées, pri-

(1) Carré de Montgeron, La vérité des miracles, op. cit., t. I, 2 e démons- tration.


DE L'HYSTÉRIE. 107

vées de tout mouvement, tombent dans une insensibilité totale. Le chirurgien, étonné que cette paralysie eût fait en si peu de temps un si rapide progrès, éprouve s'il n'y a pas d'exagération dans la déclaration que lui fait la ma- lade. Il cache une épingle entre ses doigts : en lui tâtant les jambes, il en perce les jambes à plusieurs reprises et regarde fixement la malade pour observer si son visage ne laissera pas paroître quelque signe de sensibilité. Mais, ayant reconnu que la malade ne s'en étoit pas même aperçu, il juge dès ce moment que sa paralysie étoit com- plète et par conséquent absolument incurable, suivant les principes les plus incontestables d'anatomie. »?

Certaines personnes, désireuses de vérifier cette insen- sibilité, « après y avoir enfoncé des épingles, poussèrent leur indiscrétion jusqu'à y enfoncer des clous » .

Puis survient l'atrophie musculaire. « Mais bientôt ces expériences cruelles devinrent impraticables : bientôt il ne resta plus de chairs dans lesquelles les clous pussent se faire un passage. Au bout de huit mois, les jambes d'Anna Augier se desséchèrent si entièrement que les os n'en furent plus couverts que dune peau aride qui, collée sur ces os, en laissoit voir toute la forme. »

Alors apparaissent d'autres troubles trophiques, parmi lesquels peut-être une eschare fessière comme chez Mar- guerite Thibaut.

« Au bout de quelques années, le corps d'Anna Augier devint semblable à celui d'un lépreux par des écorchures et des plaies sans nombre que la continuité d'une même posture causoit et ne cessoit d'irriter. »

Le tout entrecoupé « des accès d'un mal épileptique qui la prive de connoissance des trois et quatre jours et la met pendant ce temps hors d'état de prendre nourri- ture. »

Enfin, à la suite d'un traumatisme, il se fait une ulcéra- tion du sein gauche dont nous avons déjà parlé, phéno- mène de même nature que les précédents troubles tro- phiques.


108 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

La paraplégie avec atrophie durait depuis vingt ans, lorsque Anna Augier se fît, le 8 juillet 1727, transporter sur le tombeau de M. Rousse, 1 émule en miracles du diacre Paris. «Aussitôt ses jambes, qui depuis tant dan- nées n'étoient plus que des ossements couverts d'une peau desséchée, se raniment... En même temps la paralysie se dissipe et s'évanouit, une chair saine et subitement régé- nérée remplit la place de la fistule et du cancer (du sein) : toutes les écorchures et les plaies sont couvertes dune peau nouvelle; la miraculée lève au ciel les bras dont l'un avoit été immobile depuis deux ans. Elle se lève ensuite, aidée à la vérité de deux de ses compagnes, ses jambes étant peut-être un peu chancelantes dans le premier essai qu'elle leur fait faire des différents mouvements dont, pendant vingt-deux ans, elles avoient totalement perdu l'habitude; mais, un moment après, elle marche seule. »


L'histoire d'Anne Augier, chez laquelle la paralysie durait depuis vingt-deux ans, nous conduit à dire quelques mots de l'évolution qui est très variable, de la paraplé- gie flasque hystérique, les phénomènes paralytiques pou- vant durer de quelques heures à plusieurs années. Lors- qu'il n'y a pas de troubles sensitils, on peut prévoir une rapide guérison. Mais, d'une façon générale, la paraplégie est une manifestation tenace de l'hystérie.

« La paraplégie est, de toutes les paralysies hystériques, dit Briquet {op. cit., p. 466), celle qui a le plus de ténacité, et, néanmoins, le nombre des cas d'incurabilité est infini- ment restreint. L'un de mes élèves, M. Reynaud, interne à la Salpètrière, a bien voulu, à ma prière, visiter les incurables de cette maison, où l'on envoie tout ce qu'il y a de femmes incurables dans les hôpitaux de Paris. Il a constaté que dans cette division, où se trouvent trois cent trente-six femmes incurables de tout âge, il n'y avait que cinq paraplégies de nature positivement hystérique et deux


DE L'HYSTERIE. 109

paraplégies de nature peut-être hystérique. Ces cinq femmes étaient atteintes de paralysie, lune depuis dix- sept mois, et les autres depuis dix-huit, dix-neuf, vingt et vingt et un ans. »

On a vu que, même après ce dernier laps de temps, Anne Augier avait guéri sur le tombeau de M. Rousse.


Dans la forme de paraplégie que nous venons de décrire, les membres inférieurs sont flasques, les réflexes rotuliens sont variables, très fréquemment normaux ; dans tous les cas, ils ne sont point exaltés et, à plus forte raison, n'existe-t-il pas de trépidation spinale. Il peut en être différemment lorsque la contracture siège sur les deux membres inférieurs : toutefois, disons que, généralement, la contracture est d'emblée trop accentuée pour qu'on puisse noter l'exagération des réflexes, à l'inverse de ce qui existe dans les paraplégies spasmodiques d'origine spi- nale où la contracture a toujours été précédée par l'exal- tation des réflexes et la trépidation épileptoïde. Lorsque cette dernière existe dans l'hystérie, elle présente souvent les caractères d'exagération que nous décrirons bientôt avec le spasme saltatoire.

La paraplégie spasmodique ou contracture des deux membres inférieurs, d'origine hystérique, n'est pas très rare. Voulet en a observé huit cas ; dans quatre, la contrac- ture avait frappé d'emblée les deux membres ; dans quatre elle les avait envahis successivement.

Dans la majorité des observations, les membres sont rigides dans Y extension avec adduction plus ou moins pro- noncée, ce qui fait que les genoux viennent au contact l'un de l'autre. L'attitude des pieds est variable : ou ils sont accolés dans leur position normale, de telle sorte que la plante peut encore reposer à plat sur le sol; ou, et cela plus souvent, il y a un équin direct ; le talon est relevé et dans la station debout, le pied repose sur le


110 TRAITÉ CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

sol par l'extrémité des orteils (1). Dans ces conditions, la marche est impossible.

Dans un cas de M. Charcot (2), l'affection était limitée aux deux pieds contractures en varus équins, les autres segments des membres inférieurs étant libres.

La paralysie avec contracture s'accompagne fréquem- ment de troubles de sensibilité superposés aux membres atteints, moins souvent, toutefois, que la paralysie flasque. Par contre, elle est plus fréquemment douloureuse, les tégu- ments étant parfois hyperesthésiés. La rétention d'urine est fréquente. Dans le cas que nous avons observé avec M. Alex. Renaut et que nous avons signalé en parlant des escbares fessières, il y avait incontinence d'urine et des matières fécales. Les membres inférieurs, contrairement à la règle, étaient contractures en flexion.

L'évolution de la contracture des membres inférieurs est fort variable ; sa guérison , comme son apparition , peut se faire subitement ou progressivement. Zeni (3) a rapporté un cas où la guérison eut lieu au bout de dix- neuf ans.

Lorsque l'affection a duré un certain temps, il peut exister, ainsi que l'ont montré MM. Charcot et Blocq [op. cit.) et M. Terrillon (4), des rétractions fibro-tendi- neuses, susceptibles de faire croire à la persistance de la contracture, alors que l'élément spasmodique a déjà depuis longtemps disparu.


De la paraplégie avec flaccidité absolue à la contracture

(1) Blocq, Des j-étraclions fibro-tendineuses compliquant la contracture spasmodique. Nouv . Icon. de la Salp., 1888, pi. XXXIII, XLIV. — ld., 1891, pi. XIV, et Th. Paris, 1888. Des contractures.

(2) Charcot, Bulletin médical, 23 mars 1887, XII e obs. de la thèse de Blocq.

(3) Zeni, Gazetta deg. ospit., Ravenne, 1888, n° 35. 40 e obs. de la thèse de Souques, op. cit.

(4) Terrillon, De l'intervention chirurgicale dans certains cas de rétrac- tions musculaires succédant à la contracture spasmodique. Nouv. Icon. de la Salp., 1888, p. 93, 142.


DE L'HYSTERIE. 111

rigide, on voit que la marge est grande et que le diagnostic des paraplégies hystériques devra s'étendre, au point de vue différentiel, à un grand nombre d'affections orga- niques.

Les cas sont nombreux et des plus variés : souvent, en outre, ils sont fort complexes, témoin celui que rapporte Cbarcot (1). Il s'agissait d'une femme de quarante-sept ans, qui avait été atteinte autrefois dune paraplégie par mal de Pott. Elle était guérie depuis vingt ans de sa para- plégie lorsque, à l'époque de la ménopause, apparurent des accidents hystériques simulant un retour du mal ver- tébral et de la paraplégie par compression.

Qu'il s'agisse de la sclérose en plaques (2) dont nous avons déjà établi le diagnostic à propos des tremblements (t. I, ch. x), d'une lésion médullaire liée à la syphilis, ainsi que cela s'observe si fréquemment (3) ou de toute autre altération spinale portant sur les cordons latéraux, le dia- gnostic sera souvent hésitant et devra être l'objet de consi- dérations spéciales pour chaque cas en particulier.

M. Souques a envisagé toutes ces éventualités avec beaucoup d'à-propos et de savoir dans sa thèse inaugurale, mais nous ne saurions le suivre dans un exposé qui nous entraînerait trop loin. Il faut donc nous borner et tracer les caractères généraux du diagnostic.

La constatation des stigmates est de la plus haute impor- tance, car ils prouvent, au moins, que le malade est en- taché d'hystérie. Mais ces stigmates peuvent être absents; ils manquaient, en particulier, chez un jeune garçon de treize ans atteint de paraplégie simulant le tabès dorsal

(1) Leçons du mardi, 1888-89, p. 175. — Des paralysies hystéro-trau- matiejues chez l'homme. Paraplégie et mal de Pott. Sem. med., 1887, p. 400.

(2) Cochez, Syndrome hystérique simulateur de la sclérose en plaques. Arch. deNeurol., 1892, p. 470, et Thèse Souques, op. cit.

(3) P. Raymond, laraplégie hystérique simulant une paraplégie syphi- litique et survenue par autosuggestion. Guérison a la suite d'une émotion. Progrés médical, 8 avril 1888. — Furet, Th. Paris, 1888; obs. XXXVI de Souques. — F. Huciiard, Th. Paris, 1881 ; obs. LII de Souques.


«12 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

spasmodique (obs. XLVII de Souques) ; dans l'observa- tion XLV11I du même auteur, où la paraplégie simulait une myélite tuberculeuse ; dans un cas de Pontoppi- dan (1), de Sperling (2), dans les observations de F. Hu- •chard, de Potain (3), où l'on pouvait penser à la syphilis ; sans compter qu'il faut constamment avoir présente à l'esprit la possibilité des associations morbides.

Les stigmates devront donc toujours être recherchés avec la plus grande attention, et leur importance est telle que, s'ils n'existent pas, on devra faire une enquête minu- tieuse sur les antécédents héréditaires du sujet, sur les commémoratifs qui pourront déterminer si la paraplégie n'est pas de nature toxique ou liée à une maladie infec- tieuse, à la syphilis en particulier. Ces paraplégies sans stigmates devront, en conséquence, être mises dans une •catégorie à part, et leur diagnostic rencontrera souvent de sérieuses difficultés.

Quant aux paralysies avec stigmates, troubles de sensi- bilité ou autres, leur diagnostic s'établira comparative- ment avec les paraplégies organiques en se basant sur les considérations suivantes, que M. Souques expose en ces termes :

« 1° Les troubles de la sensibilité sont différents. Dans les cas de paraplégie organique, les hyperesthésies, les en- gourdissements, les fourmillements, les sensations subjec- tives sont la règle. Les douleurs subjectives sont plus rares dans l'hystérie. L'anesthésie cutanée, au contraire, accom- pagne fréquemment les troubles moteurs de la névrose. Or, cette anesthésie se présente avec des caractères et une délimitation si particuliers qu'on ne la confondra pas avec les anesthésies inégales et diffuses des myélites qui siègent dans le territoire d'un nerf, ou bien sont délimitées par une ligne perpendiculaire à l'axe du tronc.

(1) An. in Centr.f. Nervenh., 1886, p. 51.

(2) Neurolog. Central., 1888.

(3) Potain, Paraplégie hystérique simulant une paralysie spinale syphi- litique. Gaz. des hop., 1879, p. 618.


DE L'HYSTERIE. 113

« 2° Les troubles moteurs, Y exagération des réflexes, les trépidations spinales, ne peuvent donner d'indications cer- taines. On peut les rencontrer dans les deux cas.

« 3° & examen électrique pourra être un précieux auxi- liaire. Les réactions électriques se troublent assez rapi- dement dans les paralysies spinales. Mais il ne faut pas oublier que ces troubles électriques peuvent se rencontrer aussi dans les paralysies hystériques à titre, cependant, ajouterons-nous, tout à fait exceptionnel.

« 4° Les troubles trophiques, tels que eschares, ulcéra- tions profondes, atrophie musculaire, plaident plutôt pour l'origine médullaire organique. Mais l'atrophie musculaire n'est pas rare dans l'hystérie. Le décubitus avec signes généraux graves serait caractéristique de l'organopathie spinale.

« 5° Les accidents vésico-rectaux : rétention, incontinence d'urine, sont communs aux deux affections; Y incontinence est plus rare dans l'hystérie, ha cystite purulente appartient aux lésions organiques ; les myélopathiques ne sentent pas le besoin d'uriner ni le passage de l'urine ou de la sonde à travers l'urèthre. Les hystériques perçoivent ce besoin ainsi que le passage du cathéter ; ils le témoignent hautement. » Nous avons dit que cette règle pouvait souf- frir des exceptions.

« 6° Si cette étude peut donner des présomptions, c'est surtout dans les phénomènes extrinsèques : antécédents, commémoratifs, évolution, etc., que l'on placera les véri- tables éléments du diagnostic.

« Lorsque, en fin de compte, on ne constatera aucun signe pathognomonique de myélite et que le malade sera dûment hystérique, on sera autorisé à diagnostiquer un syndrome hystérique isolé : toute autre hypothèse ne serait pas justifiée. »

On voit, par cet exposé, combien il est difficile d'ex- poser d'une façon didactique le diagnostic différentiel des paraplégies liées à l'hystérie, cette « grande simulatrice » , ainsi que Gharcot aimait à l'appeler avec juste raison.

m. 8


114 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

C'est, guidé par ces considérations, que nous allons con- sacrer une description spéciale à certaines manifestations d'ordre plus ou moins paralytique qui sont connues sous le nom de pseudo-tabes hystérique.


Les paralysies, que nous avons jusqu'à présent étudiées, ne s'accompagnent que rarement de troubles subjectifs de la sensibilité, si ce n'est de quelques sensations d'engour- dissement, de fourmillement, toujours peu importantes, à moins qu'il n'y ait de larges zones hyperesthésiques cuta- nées, toujours faciles à reconnaître. Il n'en est plus de même dans le pseudo-tabes hystérique, qui tire justement son nom de la similitude clinique qu'il peut présenter avec l'ataxie locomotrice ou les pseudo-tabes périphéri- ques liés aux intoxications ou aux maladies infectieuses.

Un des premiers cas dans lesquels cette question du pseudo-tabes hystérique soit nettement posée appartient à Webb (1), qui rattacha sans hésiter à la névrose des phénomènes qui appartenaient peut-être à la sclérose en plaques ou à l'ataxie locomotrice.

En 1888, MM. Lecorché et Talamon (2) rapportent l'observation d'une hystérique, chez laquelle la démarche ataxique et les douleurs fulgurantes auraient pu faire penser au vrai tabès.

Dans sa thèse inaugurale, M. Levai- Picquechef (3) signale un fait très intéressant qui fut, de sa part, l'occa- sion d'une méprise. M. II. Huchard, qui vit le malade, songea à l'hystérie, et l'événement lui donna raison.

Jusqu'en 1890, ces cas restent isolés. C'est alors que M. Michaut, interne du professeur F. Raymond, consacre

(1) Webb, Case of hysteria simulating locomotor ataxia. The Amer. Journ. of med. science, 1876, vol. 71, p. 119.

(2) Etudes médicales faites a la maison Dubois, 1881, p. 550.

(3) Leval-Picquechef, Des pseudo-tabes. Th. Paris, 1885, obs. XXXVI, p. 106.


DE L'HYSTERIE. 115

un chapitre important de sa thèse inaugurale (1) aupseudo- tabes hystérique dont il rapporte une observation inédite, citant le fait de Lecorché et Talamon, deux observations de Raymond et Vulpian (2), un cas de Vulpian (3), un cas de Lasègue (4), un cas de Trousseau (5).

Cette même année 1890, M. Pitres (6) publiait une leçon dans laquelle il donnait l'observation très détaillée d'un fait observé chez un homme de trente-cinq ans.

Enfin, presque en même temps, M. Souques traitait ce sujet à fond dans sa thèse, rapportant trois nouvelles observations, sans compter que déjà, dans ses Leçons du mardi (7), M. Charcot avait insisté sur les associations hystéro-tabétiques, qu'en 1893 M. Rouffilange (8) étudiait d'une façon toute particulière.

On voit donc que les faits d'hystérie simulatrice des pseudo-tabes et de l'ataxie locomotrice ne sont pas très rares, puisqu'il en existe actuellement plus de quinze cas dans la littérature médicale (9).

Ces observations ont toutes trait à des adultes âgés de vingt-neuf (10), quarante-six (11), quarante-neuf ans (Petit), chez lesquels la maladie a débuté tantôt sans causes connues , tantôt sous l'influence de fatigues excessives ou de grandes préoccupations morales ; les hommes se-

(1) Michaut, Contribution a l'étude des manifestations de l'iiystérie chez l'homme. Th. Paris, 1890, p. 38.

(2) Ressaut, Paralysies saturnines. Th. ajjrég. Paris, 1875.

(3) Vulpian, Maladies du système nerveux, t. I, p. 430, obs. VII, 1879.

(4) Lasègue, Anesthésie et ataxie hystériques. Arc h. gén. de méd., 1864.

(5) Trousseau, Clin. méd. de l'Hàtel-Dieu, t. II, p. 625.

(6) Pitres, Du pseudo-tabes hystérique. Gaz. méd. de Paris, 20 septem- bre 1890, et Leç. clin, sur l'hystérie, t. I, 35 e leçon.

(7) Charcot, Leç. du mardi, 1887-88, p. 423; 1888-89, p. 151, 279.

(8) Rouffilakge, Contrib. a l'étude des associations du tabès et de l'hys- térie. Th. Paris, 1893.

(9) Rendu, Accidents hystériques à forme pseudo-tabétique . Journ. de méd. et de chir. prat., 1891, p. 513.

(10) Mader, Wien. med. Presse, 1885, p. 143. — Obs. LX de Souques.

(11) Grasset et Apollinario, Hémianesthésie cérébrale et ataxie locomo- trice. Contrib. à l'étude des lésions diffuses dans le tabès. Gaz. hebd., n° 8, 1878. — Obs. LXI de Souques.


116 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

raient un peu plus fréquemment atteints que les femmes.

« Le début de l'affection, dit M. Pitres, a presque ton- jours été lent, insidieux, sa marche progressive. Sa durée a varié de quelques jours à plusieurs années. Quelques malades ont eu des améliorations ou des guérisons tempo- raires suivies de rechutes. »

La symptomatologie du pseudo-tabes hystérique est, on peut l'imaginer, des plus variées.

« Le phénomène le plus constant, dit M. Pitres [op. cit., t. I, p. 4-70), celui qu'on a observé à des degrés divers dans tous les cas sans exception, c'est l'instabilité dans la station verticale, et l'incoordination motrice dans la marche s'exagérant notablement par l'occlusion des yeux. 11

Ce symptôme existait dans l'observation LUI de M. Sou- ques; il s'accompagna bientôt d'une paraplégie complète avec anesthésie.

Les troubles de sensibilité subjective, qui coexistent ou non avec l'incoordination motrice, sont très fréquents : fourmillements, engourdissements des pieds ou des mem- bres inférieurs, perte du sens musculaire, douleurs ful- gurantes à caractère paroxystique, notées dans presque toutes les observations ; hyperesthésie rachidienne (Mi- chaut; Souques, obs. LIV); crises gastriques (Souques,, obs. LUI); ténesme rectal, etc.

Très fréquemment aussi on note de la parésie vésicale ou de la rétention d'urine.

En somme, les phénomènes prédominants sont surtout des troubles sensitifs et de l'incoordination motrice joints à de la rétention d'urine.

Par contre, l'unanimité est loin d'être complète sur l'état des réflexes rotuliens. Souvent ils sont normaux (1) ;, parfois ils sont augmentés (Lécorché et Talamon), et même ils peuvent être très exagérés, comme dans l'observation de Michaut et aussi dans celle de Souques (obs. LUI), bien

(1) Obs. de Ballet et de Huchard, in thèse Leval-Picquecuef, op. cit.;,. p. 143 et suiv.


DE L'HYSTERIE. 117

qu'il y eût paraplégie clans ce dernier cas et que le malade perdit ses jambes dans son lit.

Cependant on peut noter leur abolition (un cas de Féré in thèse L. Picquechef, p. 104 ; et obs. LV de Souques). Dans le cas de Féré, il y avait des douleurs d'une extrême violence. Les réflexes avaient également disparu dans le cas de Petit (1), que M Pitres n'hésite pas à rapporter à l'hystérie.

Les troubles de la vision, qu'on trouve relatés dans les observations, ne sont pas ceux du tabès : au lieu du signe d'ArgyllRobertson, de l'atrophie de la papille, de la diplo- pie persistant pendant plusieurs mois, on note de la polyopie monoculaire, de rares diplopies passagères, attri- buables à des contractures des muscles oculaires, et l'achromatopsie spéciale des hystériques avec rétrécisse- ment concentrique du champ visuel.

« En résumé, dit M. Pitres (op. cit., p. 473), le tabès vrai et le pseudo-tabes ont quelques symptômes communs. Les troubles de l'équilibration et de la marche, le signe de Romberg, les phénomènes sensitifs sont ou peuvent être identiques dans les deux cas. Les différences tiennent surtout à l'absence ou à la présence des réflexes rotuliens et plantaires, du signe d'Argyll Robertson, de l'atrophie papillaire. Ils tiennent aussi aux antécédents des malades et à l'existence ou à la non-existence de symptômes ner- veux dépendant de l'hystérie. »

C'est, en effet, surtout sur l'absence ou la présence des symptômes oculaires et sur la coexistence d'autres acci- dents hystériques qu'on devra particulièrement se baser, sans oublier toutefois que, dans certains cas, le diagnostic sera presque impossible à établir, témoin le malade dont l'histoire a été rapportée par M. Petit.

Cet homme, âgé de quarante-neuf ans, présentait depuis

(1) Petit, Àtaxie locom. progressive, myélite parenchymateu.se des cor- dons postérieurs datant de six années guérie subitement à Lourdes, le 20 août 1889. Annales de N.-D. de Lourdes, 22 e année, 8 e , 9 e , 10 e livrai- sons


118 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

six ans les symptômes tabétiques les plus marqués. Il avait des douleurs fulgurantes, des troubles oculaires et de l'in- coordination des mouvements.

« Il consulta d'abord M. Charcot (1), qui le considéra comme un ataxique. MM. Gallard, Rigal, Bail, Empis, Laboulbène, Féréol, Gérin-Roze, Bucquoy,. Sée, Durand- Fardel, Dujardin-Beaumetz, Mesnet, portèrent le même diagnostic et conseillèrent des traitements variés qui res- tèrent tous inefficaces. Le malade, découragé, se livra aux pratiques religieuses et, plusieurs personnes l'ayant engagé à aller chercher sa guérison à Lourdes, il se rendit dans cette localité avec un grand pèlerinage national. Le 20 août 1889, après la messe, il était prosterné, le front contre le pavé, priant avec ferveur, lorsqu'il éprouva tout à coup un grand bien-être et sentit comme une force inté- rieure qui le poussait, malgré lui, à se relever. Il se redressa aussitôt et, abandonnant le bâton qui depuis plu- sieurs années lui était nécessaire pour se tenir en équilibre, il se mit à marcher seul, sans hésitation, sans faiblesse. Depuis lors, il marche « comme un facteur rural » . »

Chez la malade de M. H. Huchard, âgée de trente-neuf ans, les accidents duraient depuis quatre ans; elle guérit en quelques semaines, le médecin lui ayant inspiré con- fiance en une guérison qui jusqu'alors passait pour très problématique.

Malgré la possibilité de la guérison, le pseudo-tabes hystérique présente donc une gravité réelle, puisqu'il a pu durer quatre et six ans dans les cas précédemment cités, qu'il n'a aucune tendance à s'améliorer spontanément, surtout si le médecin croit et persuade à son malade qu'il est atteint d'une affection organique. Il ne faut pas oublier en outre qu'il s'agit là d'adultes, d'hommes, chez lesquels les manifestations hystériques ont toujours une gravité, une ténacité exceptionnelles, témoins les récidives et les rechutes observées au cours du pseudo-tabes.

(i) Pitres, op. cit., t. I, p. 469


DE L'HYSTERIE. 119

Tout réside donc dans le diagnostic : nous avons vu qu'il n'était pas facile à établir. De plus, il faudra toujours penser à la possibilité des associations hystéro-tabétiques, dont les cas ne sont peut-être pas aussi rares qu'on le pourrait penser.

Déjà, en 1879, Vulpian s'exprimait ainsi : « L'hystérie me paraît exercer une influence sur la production de l'ataxie locomotrice progressive. Il n'est pas très rare effectivement de constater que des femmes atteintes d'ataxie ont été auparavant, pendant des années, tour- mentées par tous les accidents de l'hystérie. »

M. Charcot a bien mis en lumière ces associations mor- bides. Chez une de ses malades (1), âgée de trente-neuf ans, l'hystérie coexistait avec l'ataxie locomotrice et le vertige de Ménière ; chez une autre, âgée de cinquante- huit ans (2), il y avait également coexistence de la névrose et du tabès. Enfin, une troisième femme (3), âgée de quarante ans, ataxique confirmée, vit survenir après une chute sur le genou gauche une contracture hystéro-trau- matique portant à la fois sur les extenseurs et les fléchis- seurs de la jambe et de la cuisse. La chute avait été déterminée dans la circonstance par le phénomène du « dérobement des jambes » , si fréquent chez les tabétiques.

M. Souques a analysé une observation de Suckling (4) dans laquelle l'association était évidente. Enfin, M. Rouf- filange (op. cit.), dans sa thèse inaugurale, a donné une nouvelle observation personnelle jointe à dix autres qu'il a pu recueillir dans la littérature médicale. On voit donc que cette question du pseudo-tabes hystérique et des asso- ciations de l'hystérie avec le tabès vrai méritait d'être traitée avec quelques développements.

En terminant, disons qu'on pourrait peut-être confondre encore le pseudo-tabes hystérique avec la maladie décrite

(1) Leçons du mardi, 1887-88, 12 juin 1888, p. 423.

(2) Ibid., 1888-89, 8 e leçon, p. 151.

(3) Ibid., 1888-89, p. 277.

(4) Suckling, Brit. med. Joui-n., 10 avril 1886, p. 691.


120 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

en 1891 par Môbius et Erb (1) sous le nom à'akinesia algera et qui prend tantôt le masque de l'ataxie locomo- trice, au moins par les douleurs qu'elle occasionne, tantôt celui d'une paraplégie vraie. Récemment, Spanbock (2) a rapporté l'observation d'un jeune garçon de douze ans chez lequel l'hystérie semblait en cause dans la production du syndrome de l'akinesia algera. Il est difficile de tracer les règles du diagnostic entre l'hystérie et cette affection, qui commence à peine à prendre rang dans la nosographie nerveuse.


La -paralysie ou la contracture généralisée aux quatre membres n'est pas fréquente.

Un des faits les plus anciennement connus appartient à Guéritaut (3). Chez une jeune fille de dix-huit ans, il sur- vint un affaiblissement progressif, puis une paralysie des quatre membres qui disparut ensuite pendant une attaque convulsive.

Macario (op. cit., p. 7-4) rapporte le cas d'une femme de trente-cinq ans qui fut prise d'une paralysie brusque des quatre membres et des muscles du pharynx, après une attaque violente survenue à la suite d'une saignée. Elle guérit, mais la paralysie revint à deux reprises, dura deux et trois mois et s'accompagna de paralysie vésicale.

Landouzy (op. cit., p. 112) cite l'exemple d'une dame de cinquante ans qui, en moins de quinze jours, perdit son mari et ses enfants. Un matin elle se trouva paralysée des quatre membres; on était obligé de la faire manger. Cet état persista pendant six mois. Tous les soirs, vers onze heures, survenait un accès de délire somnambulique ; !a malade retrouvait alors l'usage des ses membres, puis

(1) Deut. Zeitsch. f. Nervenheilh. 1891. — II. Moser, Ahinesia alqera. Med. Standard. Chicago, vol. XIII, n° 1. An. in Neurol. Centr., 15 août 1894, p. 596.

(2) Spanbock, Medycyna, 1893, n° 35. An. in Neurol. Centr., 15 août 1894, p. 596.

(3) GcÉritatjt, Bull, de la Soc. des se. d'Orléans, 1811, t. III, p. 169.


DE L'HYSTERIE. 121

au bout d'un certain temps retombait dans sa paralysie.

Thorn (1) a observé une femme de quarante-trois ans qui, à plusieurs reprises, fut paralysée des quatre mem- bres pendant quelquefois trois semaines; il existait de l'amaurose. Landry (2) a rapporté deux cas de cet ordre; Micbea (3) en a publié trois cas; Briquet a réuni six cas de paralysie des quatre membres; de plus, son observa- tion VI (p. 26) a trait à un homme de vingt-neuf ans qui avait une contracture des quatre membres accompagnée d'attaques convulsives; elle persista huit mois.

Laycock, Pipet, Savage, Skey, Lebreton, Chairou, Duchenne, de Boulogne, ont également vu des faits ana- logues dont on trouvera l'analyse dans la thèse de M. Che- vallier (4), qui a pu réunir vingt et une observations de cet ordre auxquelles nous ajouterons un cas de para- lysie hystéro-traumatique des quatre membres étudié par Sérieux (5), et l'observation si intéressante de contracture généralisée publiée à la fois par MM. Vulpian, Raymond, Castex et Mlle Klumpke (6).

Qu'il s'agisse de paralysie ou de contracture, ou des deux associées, comme dans un cas de Charcot que nous analyserons, les femmes paraissent plus souvent atteintes que les hommes, qui ne figurent que deux fois dans la sta- tistique de Chevallier, l'âge le plus jeune étant de quinze ans (Sérieux), le plus avancé de cinquante ans (Landouzy). Le sujet atteint de contractures généralisées dont Bri- quet a donné l'observation était un homme de vingt-neuf ans.

On note les causes les plus diverses : émotions morales

(1) Thor\, On a case of hysterical paralysis. The Lancet, 1849, p. 660.

(2) Landry, Recherches sur les causes et les indications curativcs des maladies nerveuses, 1855.

(3) Migiiea, Gaz. des hop., 1855, p. 410.

(4) Ceievallier, Étude clinique sur les paralysies hystériques des quatre membres. Th. Paris, 1877.

(5) Sérieux, Note sur un cas de paralysie hystéro-traumatique des quatre membres. Arch. de Neur., juillet 1891, n° 64, p. 61.

(6) Klumpke, Revue de méd., 1885, op. cit.


122 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

vives, accident de chemin de fer (Skey), convalescence de maladies aiguës : fièvre typhoïde, rhumatisme, diarrhée avec coliques, fièvres intermittentes prolongées. Mais comme toujours l'influence des attaques convulsives paraît prépondérante, surtout en ce qui regarde les contrac- tures. Nous avons ainsi, pendant plusieurs années, observé à la Salpêtrière une femme qui, après chaque attaque, avait une contracture généralisée aux quatre membres et à certains muscles du tronc, s'accompagnant d'un phéno- mène rare, l'incontinence d'urine liée très probablement à la contracture du corps de la vessie.

Tous ces sujets, à l'instar de la malade de Vulpian- Klumpke , sont des hystériques confirmés en proie aux manifestations les plus diverses et les plus tenaces de la névrose. Il faut lire cette dernière observation pour avoir une idée de liliade de maux que l'hystérie peut entraîner avec elle : la contracture y succède à la paralysie , les viscères sont pris à leur tour, rien n'est épargné dans cet organisme qui finit par succomber, envahi par la tuber- culose pulmonaire.

Il faut faire une mention spéciale du traumatisme, à pro- pos delà malade de Sérieux, qui, au cours d'une attaque convulsive avec délire, avait été ligottée et ficelée dans un matelas. Les liens avaient eu une notable influence sur la répartition et sur la généralisation de la paralysie.

En réalité, les paralysies ou les contractures des quatre membres sont, à proprement parler, des paralysies ou des contractures associées, ou mieux successives, plus ou moins généralisées à la fois à tous les muscles de la vie de rela- tion et de la vie organique; les muscles du pharynx (Ma- cario), de la langue (Landry), du tronc (Sérieux), etc., sont souvent envahis, de même que la rétention d'urine est la règle dans presque tous les cas. C'est l'expression d'une hystérie intense.

Dans la grande majorité des observations, il existe des troubles de sensibilité, soit sous forme d'anesthésie en plaques (Sérieux), d'hémianesthésie, ou d'anesthésie gé-


DE L'HYSTERIE. 123

néralisées ; les troubles vaso-moteurs ne sont pas rares (Klumpke).

En ce qui regarde le début de la paralysie, Chevallier s'exprime de la façon suivante {op. cit., p. 16) :

«Dans nos vingt et un cas de paralysie des quatre mem- bres, on observe neuf fois le début brusque, cinq fois à la suite dune attaque, une fois après une vive émotion.

« Quand la paralysie s'établit lentement, elle est géné- ralement progressive, c'est-à-dire qu'elle envahit d'abord un membre, puis un autre, et ainsj de suite. Elle débute presque toujours par un membre inférieur et plus souvent par le membre inférieur gauche, puis gagne le membre supérieur du même côté, le membre inférieur du côté opposé et enfin le membre supérieur droit, envahissant ainsi les quatre membres dans un espace de temps qui peut varier de quelques heures à plusieurs mois. Quelque- fois elle frappe d'abord un côté; l'hémiplégie persiste quelque temps, et plus tard, souvent à la suite de contrac- tures, l'autre côté perd à son tour le mouvement. Dans ce cas, c'est généralement le côté gauche qui est paralysé le premier. C'est dans cette forme lente que le début de la paralysie est annoncé et accompagné de céphalalgie, d'en- gourdissement et de fourmillement dans les membres. »

Il est difficile de donner une description d'ensemble de tous ces cas, chacun d'eux revêtant une allure particu- lière (fig. 59) et se compliquant des phénomènes hysté- riques les plus variés, tant dans le domaine de la paralysie que dans celui de la contracture, lorsque les deux ne s'as- socient pas.

Qu'on considère le cas de Vulpian-Klumpke ; celui qu'a rapporté M. Charcot(l), et qui a traita la nommée Etch..., célèbre dans les fastes de la Salpêtrière. Admise à l'hos- pice en 1869, on constate chez elle, à la suite d'une attaque, une hémiplégie gauche avec flaccidité du membre supérieur et contracture du membre inférieur, de l'ischurie

(1) Leç. sur les mal. du système nerveux, t. I, l re édit., 1873. De la contracture hystérique, 12 e leçon.


124 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

une hémianesthésie gauche. En 1870, les choses sont à peu près dans le même état, si ce n'est qu'une nouvelle attaque donne lieu à l'apparition d'une contracture du membre supérieur gauche. Dans le mois de mai 1871, une



Fig. 62. — Contracture hystérique des quatre membres. (P. R.


hémiplégie droite survient h la suite d'un paroxysme con- vulsif : à ce moment, il existait donc une paralysie des quatre membres liée tant à l'amyosthénie qu'à la contrac- ture.

Les phénomènes paralytiques peuvent différer d'inten- sité ; parfois ils sont peu marqués; chez la malade de Landouzy, pendant plus de six mois la paralysie existait


DE L'HYSTERIE. 125


« au point que les moindres mouvements étaient impos- sibles et qu'on était obligé de la faire manger » .

De même pour la durée, qui peut s'étendre sur des années, avec des alternatives de guérison, de rechutes, d'associations de la paralysie et de la contracture. Ce qu'on peut dire, c'est que ce sont là des manifestations d'une maladie, l'hystérie, qui, à ce degré, est redoutable à l'instar des pires infirmités.

Le diagnostic n'offre en général aucune difficulté, étant donné que ces accidents s'accompagnent toujours d'autres- manifestations, sensitives, sensorielles ou convulsives. Il faut éliminer d'avance les paralysies et les contractures consécutives à des lésions envahissant les deux hémisphères cérébraux : les troubles de sensibilité y seront, rares et l'état mental du sujet se ressentira nécessairement des lésions bilatérales de lécorce ou de la capsule interne.

En ce qui regarde les maladies spinales, on pourrait penser à une pachyméningite, à un mal de Pott cervical comprimant la région supérieure de la moelle et pouvant s'accompagner de troubles de sensibilité (1); la raideur du cou, les déformations locales lèveront tous les doutes. . Dans la paralysie spinale subaiguë généralisée de l'adulte T il n'y a pas de troubles de sensibilité ; les réflexes sont abolis, et l'atrophie musculaire atteint un degré qu'on n'observe que bien rarement dans les paralysies hysté- riques.

Restent les paralysies toxiques ou celles liées aux ma- ladies infectieuses, comme la diphtérie, à laquelle on put songer dans l'observation qui est personnelle à M. Che- vallier. Mais dans ce cas particulier, il y avait alternance de la paralysie et de la contracture, ce que ne produit pas la diphtérie.

Le seul cas embarrassant comme toujours serait celui où il y aurait association de l'hystérie avec une affection organique.

(1) Grasset, Mal de Pott et paraplégie flasque anesthésique. Montpel- lier, 1893. Boehm, éd.


126 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE


Dans les paragraphes précédents, nous avons surtout envisagé les faits dans lesquels la contracture, généralisée ou non, se présente d'emblée à l'état permanent. Nous considérerons maintenant d'une façon particulière ceux où elle se montre sous forme paroxystique pour passer ensuite, dans certains cas, à l'état de permanence.

Les faits auxquels nous faisons allusion sont encore dis- cutés ; ils ressemblent beaucoup aux accidents que l'on a décrits sous le nom de tétanie.

Nous n'avons pas la prétention de faire ici une étude complète de la tétanie : cela nous sortirait de notre sujet; de la phénoménologie qu'on lui attribue retirons seulement ce qui nous semble devoir être mis au compte de la névrose.

On n'ignore pas que c'est à partir du mémoire de Dance (1) que la tétanie, jusqu'alors fort mal décrite, prit véritablement rang dans la nosographie médicale. La déno- mination de tétanos intermittent que lui attribuait l'auteur français, si elle était mauvaise, parce qu'elle préjugeait la nature des symptômes observés, était cependant bonne en ce sens qu'elle établissait un rapprochement d'une exacti- tude souvent irréprochable.

On remarquera, en outre, qu'en décrivant les attaques de la jeune femme qui fait le sujet de sa première obser- vation, Dance n'hésitait pas à comparer le serrement de gorge qui les accompagnait à la sensation qu'éprouvent les hystériques pendant les phénomènes prémonitoires des paroxysmes convulsifs. Mais il n'alla pas plus loin.

En 1852, Lucien Corvisart (2), au nom de tétanos inter- mittent substituait celui de tétanie, terme adopté immé- diatement par Trousseau, qui allait donner une bonne description de ce syndrome.

(1) Dance, Etude sur le tétanos intermittent. Ârch. gén. de méd., t. XXVI, 1831, p. 90.

(2) Lucien Corvisart, De la contracture des extrémités ou tétanie. Th. Paris, 1852.


DE L'HYSTÉRIE. 127

La tétanie est une affection paroxystique sujette à réci- dives. De la forme bénigne ou moyenne, Trousseau trace le tableau suivant :

« L'individu éprouve une sensation de fourmillement dans les mains et dans les pieds, puis une certaine hésita- tion, une certaine gêne dans les mouvements des doigts et des orteils, quin'ontplus leur liberté habituelle d'action. Bientôt la convulsion tonique commence et se traduit par la raideur des parties affectées, raideur que la volonté est impuissante à vaincre complètement, quoiqu'elle lutte encore contre elle et que les malades puissent encore faire agir dans une certaine limite les muscles contractures, mouvoir et même étendre un peu les doigts. Cette con- traction involontaire augmente ; elle est douloureuse et tout à fait analogue à la crampe, à laquelle d'ailleurs les patients la comparent. »

Lorsque la contracture affecte les membres supérieurs, les doigts se serrent les uns contre les autres, c'est la « main d'accoucheur » ; le bras restant en extension ou en flexion, la main peut à son tour s'incurver fortement sur le poignet. Rarement les doigts sont écartés.

« Aux extrémités inférieures, les orteils se fléchissent sous la plante du pied en se resserrant les uns contre les autres, le pouce se portant au-dessous d'eux, la face plan- taire se creusant d'une manière analogue à ce qui se passe à la main; tandis que la face dorsale se cambre vigoureu- sement, le talon est tiré en haut par la contraction des muscles de la partie postérieure de la jambe ; celle-ci est étendue sur la cuisse et la cuisse sur le bassin. »

Dans la forme grave, la contracture se généralise aux muscles du tronc pour gagner le larynx et occasionner des accidents asphyxiques.

Nous avons dit que la tétanie procédait par accès. Pour les provoquer, dit Trousseau (1), il suffit « d'exercer une compression sur les membres affectés, soit sur le trajet des

(1) Trousseau, Clin. méd. de ÏHàtel-Dieu, édit. de 1862, p. 112.


128 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

principaux cordons nerveux qui s'y rendent, soit sur les vaisseaux, de façon à gêner la circulation artérielle et veineuse. »

C'est cette excitabilité exagérée des muscles et des nerfs qu'étudieront plus tard Weiss (l), Erb (2) et Ghvostek.

Dans lune des observations qu'il publiait ultérieure- ment (3), Trousseau notait le fait suivant :

« Je plaçai, dit-il, une ligature sur la cuisse droite, de manière à comprimer les muscles, les vaisseaux et les nerfs. Les orteils correspondants se contracturèrent rapi- dement, puis, bientôt après, ceux du pied gauche entrèrent en contracture. Mais la synergie réflexe ne s'arrêta pas là; presque aussitôt les deux mains se contractèrent, et enfin la malade eut une violente crise d'hystérie. »

Ainsi donc, chez certains malades atteints de tétanie, la compression d'un membre : peau, muscles, filets nerveux, veines ou artères, est susceptible de faire apparaître des contractures ou de déterminer des crises d'hystérie.

Or, si l'on se rapporte aux recherches faites à la Salpê- trière et que nous avons déjà exposées (t. I, ch. x), on verra que, chez certains sujets atteints de ce que M. Ghar- cot appelle la diathèse de contracture, on peut déterminer l'apparition de cette dernière par l'application sur un membre de la bande d'Esmarch. De même (t. I, ch. vi), il peut exister le long des membres , à l'attache des ten- dons ou en n'importe quel point du tégument cutané, des zones hystérogènes dont la compression est susceptible de produire des crises convulsives. Ces deux variétés de phénomènes sont incontestablement identiques à ceux que provoquait Trousseau et qu'il croyait spéciaux à la tétanie, maladie particulière, indépendante, suivant lui, de la né- vrose.

(1) Weiss, Beitrâge zur Tétanie. Wien. med. Woch., 1863, p. 683.

(2) Erb, Zur Lehre von der Tétanie nebst Bemerkungen ueber die Prù- fung der electrischen Erregbarkeit molorischer Nerven. Arch. f. Psych. f t. IV, p. 271, 316, 1873.

(3) Trousseau, Clin. méd. de V ' Hàtel-Dieu, t. IV, p. 209.


DE L'HYSTERIE. 120

La possibilité de la nature hystérique de certains cas, au moins, de tétanie fut longtemps méconnue et l'on s'efforça d'attribuer à cette affection les causes les plus variées dont on trouvera l'exposé dans le récent traité de Franckl-Hochwart (1).

En 1886 (2), M. le professeur Raymond faisait entrer la question dans une phase nouvelle. La tétanie n'est pas une entité morbide, c'est un syndrome appartenant à divers états pathologiques ; il termine ainsi qu'il suit son exposé étiologique : « A notre idée, les prédispositions morbides héréditaires ou acquises, et en première ligne l'hystérie, jouent un rôle considérable dans le développe- ment de la tétanie, que nous ne considérerons pas comme une maladie sui generis, mais comme un simple syndrome. »

Déjà, en 1881, dans une leçon faite à l'Hôtel-Dieu, le même auteur (3), étudiant un homme de trente-deux ans atteint d'une affection convulsive dont il discutait le dia- gnostic, s'exprimait en ces termes (op. cit., n° 7, p. 125) : « Par le côté étiologique, on peut, jusqu'à un certain point, comparer cette névrose aux chorées rythmiques des hystériques, tandis que, au point de vue symptoma- tique, elle rappelle tout à fait la tétanie , et puisque l'hys- térie peut produire toute espèce de modalités pathologiques nerveuses, pourquoi ne produirait-elle pas la tétanie? »

En 1888, il revient sur cette question et publie, dans le Bulletin médical (4), une leçon dans laquelle, à propos d'un nouveau cas, il étudie les rapports qui unissent l'hystérie au syndrome tétanie.

Les idées de M. Raymond avaient déjà trouvé un écho autorisé, car en 1887 M. Letulle (5), dans un travail sur

(1) Die Tétanie, Berlin, 1891, in-8° de 142 pages.

(2) F. Raymond, Dict. Encycl. des Se. méd. Art. Tétanie, 1886.

(3) F. Raymond, Névrose convulsive et rythmique a forme de tétanie chez un homme de trente-deux ans. Progrès médical, n 08 6 et 7, 1883.

(4) Raymond, Des rapports probables de l'hystérie et de la tétanie. Bull, méd., 1888, p. 599.

(5) Letulle, De l'hystérie dans le saturnisme. Bulletin médical, 1887, p. 723, 740.


130 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

les relations qui existent entre l'hystérie et le saturnisme, écrivait, à propos d'un homme atteint de contracture des deux avant-bras, accompagnée d'anesthésie : «Pourrait-on voir, dans cette contracture localisée aux extrémités supé- rieures, dans cette tétanie saturnine, autre chose qu'une contracture hystérique ? La rapidité d'action de la théra- peutique serait là, s'il était besoin, pour lever tous les doutes. »

L'opinion émise par Raymond devait rencontrer un défenseur convaincu dans M. Zaldivar (1), qui, rappelant les faits de Dance, de Trousseau, que nous avons signalés, n'hésite pas à attribuer le signe de Trousseau et celui de Weiss (contracture provoquée du facial) à la diathèse de contracture.

Avec M. Raymond, il considère la tétanie comme un syndrome dont les phénomènes peuvent être déterminés par des causes fort diverses : intoxication par l'absorption de farine de seigle ergoté; maladies du système nerveux central ; extirpation du corps tyroïde. Mais la forme dite essentielle, celle où les précédents facteurs étiologiques font défaut, doit être attribuée à l'hystérie.

Les faits récemment publiés par Nicolajevic (2), Schle- singer (3), celui de J. Kulich (4), relatif à un ouvrier de dix-neuf ans qui avait présenté antérieurement des crises d'hystérie, sont de nature à corroborer son argumentation.

Il est à remarquer que, dans les deux cas de Nicolajevic et de Schlesinger (qui semblent, du reste, se rapporter à une seule et même malade) , il existait du laryngo-spasme comme , d'ailleurs , dans nombre d'observations de la forme grave de la tétanie. Certaines attaques de contrac-

(1) Zaldivar, De la nature hystérique de la tétanie essentielle. Th. Paris, 1888.

(2) Nicolajevic, Ueber die Bezîehungen der Tétanie zur Hystérie. Wien. med. Woch., 1893, p. 526.

(3) Schlesinger, Soc. des méd. de Vienne. Anal, in Médecine moderne, 1893, p. 535.

' (4) J. Kulich, Casopis ceskych lékara,n a 11, 1894. An. inBev. Neurol,, 15 avril 1894, p. 205.


DE L'HYSTERIE. 131

tures avec spasme de la glotte que nous avons déjà décrites rentreraient donc dans le cadre de cette affection.

Or, on sait que ces attaques de spasmes ont parfois un pronostic des plus graves. Mais faut-il généraliser et attri- buer à l'hystérie toutes les formes graves de contractures avec laryngo-spasme ? Il ne semble pas qu'il doive en être ainsi, si nous en croyons M. Vautier (1), qui donne à cer- tains de ces faits une origine stomacale. A la vérité, on ne trouve dans sa thèse qu'une observation personnelle.

Il n'est pas jusqu'à la forme épidémique de la tétanie (celle due aux intoxications, à l'ergotisme, par exemple) que la contracture hystérique ne puisse simuler.

Lorsqu'on relit l'histoire de l'épidémie de tétanie qui sévit à Gentilly dans une école de filles et donna naissance aux rapports d'Hillairet, de Magnan, de Jules Simon (2) et à la thèse de Mattraits (3), on ne peut s'empêcher de rapprocher les faits observés, qu'on ne pensa pas alors à interpréter dans le sens de la névrose, à ceux plus récem- ment rapportés par M. Hirt (4) et dans le développement desquels personne ne songe à mettre en doute l'influence de l'hystérie.

De cette discussion, nous sommes autorisé à conclure :

1° Que l'hystérie revendique une grande partie des con- tractures dites essentielles des extrémités ou tétanie dans leurs formes les plus bénignes et les plus graves ;

2° Que la tétanie hystérique peut sévir de façon épidé- mique chez les enfants en particulier ;

Qu'à part ce dernier cas, où l'hystérie est le plus souvent monosymptomatique, le diagnostic, en se fondant sur la

(1) Vadtier, Contribut. a l'étude des crises de tétanie dans la dilatation stomacale. Th. Paris, 1892.

(2) Jules Simo> t , De l'épidémie de tétanie de Gentilly (Seine). Progrès médical, n os 49, 50, 1876.

(3) Mattraits, Quelques faits à propos d'une épidémie de tétanie. Thèse Paris, 1877.

(4) Hirt, Ueber eine von ihm an einer Dorfschule (Gross-Tinz bei Lei- gnitz) beobechtete Epidémie von hysterichen Kràmpfen. Jahresb.d. Schles. Gesellesch. f. vaterl. Cuit., 1892, Breslau, 1893, t. LXX, p. 56, et Berl. klin. Wochenschrift, 1892, p. 1271.


132 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

constatation des stigmates, la diathèse de contracture en particulier, sans compter les véritables crises d'hystérie convulsive qui coexistent souvent, n'offrira en général aucune difficulté, aujourd'hui qu'on sait attribuer à la névrose ce qui lui appartient.

Ajoutons qu'au moins en ce qui regarde notre pays, il y aura bien rarement lieu de se préoccuper d'autre chose que de la tétanie hystérique. Depuis dix ans, il n'a passé à la Salpêtrière, dans le service de M. Charcot, aucun sujet atteint de tétanie non hystérique, si ce n'est la femme de trente ans dont l'observation a été recueillie par M. Lamy, ancien interne de la Clinique (1).

Et si, à la vérité, d'autres faits de tétanie ne relevant pas de l'hystérie ont été publiés en France par Dreyfus- Brissac, Ballet, Laprévotte, etc. (2), il n'est pas moins vrai que le syndrome envisagé dans ce sens est fort rare chez nous, puisque M. Comby, dans une correspondance à propos du récent Congrès de Rome (1894), pouvait s'ex- primer ainsi (3) :

« En assistant aux discussions de la section de pédia- trie, j'ai compris le désaccord qui nous sépare dans les livres et les journaux au sujet de certaines maladies et de certains syndromes que nos confrères d'Allemagne et d'Autriche décrivent comme fréquents, alors que nous, Français, nous les déclarons très rares ou même exception- nels. Je veux parler de la tétanie et du spasme de la glotte, qui, pour Kassowitz, Escherich et bien d'autres sur les bords de la Sprée ou du Danube, seraient des accidents extrêmement communs, tandis que les médecins des bords Ae la Seine ne les observeraient presque jamais. »


La manifestation que nous allons maintenant décrire

(1) Obs. I, in Thèse DrJFOtJR, Contribution a l'étude de la tétanie; tétanie des individus sains ou tétanie essentielle. Th. Paris, 1892.

(2) Voir Th. Vautier, op. cit.

(3,1 Comby, Médecine moderne, 11 avril 1894, p. 457.


DE L'HYSTERIE. 133

n'est, à proprement parler, qu'une des formes de la para- plégie hystérique, mais si spéciale, qu'elle mérite d'être étudiée d'une façon toute particulière.

En 1888, M. Paul Blocq (1), interne de M. Cliarcot, se basant sur l'analyse de onze observations dont huit étaient rapportées pour la première fois, publiait un mé- moire des plus intéressants sur une affection ou mieux un syndrome qu'il dénommait astasie-abasie et à propos duquel il s'exprimait en ces termes :

«. Nous désignons ainsi un état morbide dans lequel l'impossibilité de la station verticale et de la marche nor- male contraste avec l'intégrité de la sensibilité, de la force musculaire et de la coordination des autres mouvements des membres inférieurs. En dépit des néologismes que nous employons, il ne s'agit pas d'une maladie nouvelle à proprement parler, car déjà, en 1883, MM. Gharcot et Paul Richer l'ont décrite sous le nom « d'impuissance motrice des membres inférieurs par défaut de coordina- tion relative à la station et à la marche, et, depuis, M. Cliar- cot en a fait, à diverses reprises, le sujet de ses leçons cliniques (2) » .

Le nouveau syndrome ne tarda pas -à être l'objet de nombreuses publications dont nous aurons à tenir le plus grand compte; mais auparavant il importe, en se rap- portant à la définition et à la description que donne M. Blocq, de rechercher s'il n'existait pas, antérieurement aux travaux des auteurs précités, des cas d'astasie-abasie dans la littérature médicale.

Il semble que Briquet ait entrevu l'astasie-abasie. « Il y a de quoi s'étonner, dit-il — en traitant des paraplégies

(1) P. Blocq, Sur une affection caractérisée par de Vastasie et de l'aba- sie. Arch. de NeuroL, n oa 43 et 44, 1888.

(2) Chaucot et Paul Piicher, Di una forma spéciale d' impotenza mo- trice decjli arti inferiore per diffetto di coordinazione . Medicina contempo- ranea, 1883, n° 1, p. 6. — Guarcoï, Lezione cliniche deW anno scolastico 1883-84, suite mallatie del systema nervoso redatte del dottore Domenico Miliotli, 1885. — Gharcot, Leçons du mardi à la Salpêtrière, 1887-88,. 8 e leç.; 1888-89, 16 e , 17 e , 20 e leçons.


134 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

hystériques {pp. cit., p. 465) — de voir ces malades mouvoir leurs membres inférieurs avec assez de facilité et assez de force, tant qu'elles sont dans leur lit, et être incapables de se tenir le plus petit instant sur leurs mem- bres (fig. 63). »

Lebreton, dans sa thèse inaugurale {op. cit., p. 100, 1858), exprime à peu près la même opinion. « Il arrive souvent, dit-il, que la malade, étant couchée, peut imprimer des



Fig. 63. — Astasie-abasie. (Croquis de M. Charcot.)


mouvements étendus à ses membres inférieurs. On croirait alors qu'il y a parésie ou simulation chez elle ; mais tente-t-on de lui faire faire quelques pas, tout d'abord la progression, quoique lente, s'effectue assez bien, mais bientôt les jambes commencent à faiblir, elles plient sous le poids du corps ; on dirait qu'à un moment donné l'influx nerveux, dont la malade a fait provision, est épuisé. »

Ce sont là de simples remarques plus précises toutefois que celles de Barnier (1) et de Gothenet (2), auxquelles

(1) Barnier, Des paralysies sans lésions organiques appréciables. Thèse d'agrég. Paris, 1857, p. 24.

(2) E. Cothenet, Du diagnostic des paraplégies. Th. Paris, 1858, n° 233, p. 6.


DE L'HYSTÉRIE. 13p

Duprat (1) veut faire remonter la notion de l'astasie-abasie, alors que le mot d'hystérie n'est même pas prononcé par ces auteurs.

Il n'en est plus ainsi du passage suivant, emprunté au professeur Jaccoud, qui a trait, incontestablement, à l'astasie-abasie.

Dans le paragraphe qu'il consacre à F « ataxie par défaut de coordination automatique » , M. Jaccoud s'exprime ainsi : « En pathogénie, cette forme ne diffère de l'ataxie complète que par la conservation de la coordination volon- taire, c'est-à-dire du sens musculaire; en clinique, elle se distingue par les résultats négatifs de l'épreuve des yeux et par l'adaptation régulière des mouvements au but voulu. Cette forme, très rare, n'a été vue jusqu'ici que chez les hystériques, et elle paraît tenir à l'exagération de l'excitabilité réflexe de la moelle, bien plutôt qu'à la per- turbation des radiations spinales. Ce qui le prouve, c'est que les mouvements sont normaux lorsqu'ils sont exé- cutés dans la station couchée ou assise ; ils ne deviennent ataxiques que pendant la station debout et pendant la marche : on voit alors les contractures involontaires trou- bler l'équilibre ou interrompre l'harmonie de l'acte per- sonnel toutes les fois que la plante du pied pose sur le sol, c'est-à-dire lorsque les impressions centripètes résul- tant du contact mettent en jeu l'hyperkinésie morbide de la moelle (2). »

Nous avons signalé le travail fondamental de MM. Char- cot et Richer (1883), les leçons de M. Charcot publiées par Miliotti (1883); ajoutons qu'en 1885 Weir Mitchell (3) étudia ces mêmes phénomènes morbides sous le nom d' « ataxie motrice hystérique » . Erlenmeyer (4) compare

(1) Duprat, Contribution a l'étude des troubles moteurs psychiques, syn- drome de Jaccoud (astasie-abasie) . Th. Paris, 1892.

(2) Jaccoud, Les paraplégies et l'ataxie du mouvement. Paris, 1864, p. 653.

(3) Weir Mitchell, Lectures on diseases of the nervous syslem espe- cially in women. Philadelphia, 1885, p. 39.

(4) Erlenmeyer, Ueber statische rejlex Krampf. Leipzig, 1885, p. 308.


136 TRAITE CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

certaines convulsions dites statiques au spasme saltatoire décrit par Bamberger, lequel touche de si près, comme nous le verrons, à l'abasie trépidante. En 1885, Serafino Romei (1) étudie, sous le titre de « paraplégie infantile du seul acte de la marche » , une observation qu'il rapproche des cas de Charcot publiés par Miliotti.

Mais ces faits épars, sans liens entre eux, restent isolés, et c'est, comme nous l'avons dit, à M. P. Blocq qu'il faut faire remonter le mérite d'avoir, en 1888, sous l'inspira- tion de M. Gharcot, fait entrer l'astasie-abasie dans le cadre nosographique.

La même année, M. Charcot corrobore sa description par une série de leçons [op. cit.) dans lesquelles il fixe défi- nitivement la notion du syndrome dont les observations vont désormais se multiplier. Souza Leite (2) publie deux faits recueillis dans la ville de Salvador (Brésil); l'un d'eux est intéressant en ce qu'il concerne une négresse de trente-huit ans; P. Berbez consacre une Revue à l'astasie- abasie (3).

La notion d'un syndrome nouveau devait, du reste, forcément provoquer un grand nombre de publications; on pourra en juger par notre bibliographie, qui certaine- ment est encore incomplète.


L'astasie-abasie s'observe à tous les âges : à sept ans, Cahen (4); à neuf ans, Brunon (5); à dix ans, Pitres (6),

(1) Serafino Romei, Parapler/ia infantile net solo atto délia ambulazione. Gaz. degli ospedali, 1885, n° 76, p. 605.

(2) Souza Leite, Réflexions à propos de certaines maladies nerveuses observées dans la ville du Salvador (Brésil). Faits d' astasie-abasie, etc. Progrès médical, 25 février 1888, n° 8, p. 147.

(3) Berbez, Gaz. hebdom. de méd. et chir., 30 novembre 1888.

(4) Cahen, Contrib. à l'étude de l'astasie-abasie. Th. Paris, 1890, obs. empruntée au Siglo rnedico, 26 oct. 1890.

(5) Brunon, Normandie médicale, n° 9, 1 er mai 1889.

(6) Pitres, Leç. clin, sur l'hystérie, t. I, p. 457, 1891.


DE L'HYSTERIE. 131

Le°aard (1) ; onze ans, Thyssen(2) ; puis chez l'adulte ; en- fin M. Charcot (3) a relaté le cas d'un homme de soixante- quinze ans atteint, depuis six ans, au moment de l'ob- servation, d'abasie trépidante. Cahen dit l'affection plus fréquente dans le sexe féminin, mais sa statistique est insuffisante à ce point de vue.

Les causes déterminantes sont des plus variables : émotions morales vives; attaques, Charcot, Berthet (4), Smith (5); traumatisme, Pel (6); intoxication par l'oxyde de carbone (Charcot) ; convalescence d'une maladie grave : fièvre tvphoïde ; influenza, Helfer (7). C'est l'étiologie ordinaire des paralysies hystériques.

Le début varie suivant la cause. Dans un cas de Serafino Romei, l'effet d'une vive frayeur se fit sentir dans les vingt-quatre heures sur un enfant de onze ans, lequel fut astasique-abasique le lendemain du jour où il l'avait éprouvée. Salemi-Pace (8) rapporte l'observation d'une personne de vingt-sept ans qui devint subitement asta- sique-abasique sans motif bien plausible, à la suite d'une promenade. Binswanger (9) nous donne l'histoire d'un négociant qui devint abasique en sortant de table ; les deux autres observations du même auteur sont égale- ment à début subit. Il y a encore à considérer, au point

(1) Ch. Lecaard, Astasie-abasie. Norsk. Magasin fur Lœgenvidensk, t. VII, 1892, p. 145.

(2) Thyssen, Sur ï astasie-abasie. Communication au Congrès de Berlin, 1890, in Arcli. de Neur., 1891, p. 58, 211.

(3) Leçons du mardi, 1888-89, p. 480.

(4) Bertiiet, Un cas d' astasie-abasie. Lyon me'dic., juillet 1889.

(5) Smith, A case presenting the qroup of symptoms terrned astasia- abasia. The John Hopkins Hosp. Bulletin, janvier-février 1894, vol. V, n°37, p. 13.

(6) Pel, Eine traumatische hysterische Neurose mit Abasie- Astasie. Nederl. Zeitsckrift v. Geneesk. Amsterdam, 4 e R., t. XXIX, pi. I, p. 496.

(7) Helfer, Jahresber. med. Gesellech. zu Leipzig, t. CGXXVI, p. 112, 1890.

(8) Salemi-Pace, Amnesia partiale spinale. Gazetta Sicula, anno IX, p. 132.

(9) Bin'Swancer, Ueber psychische bedinate Stàrungen des Stehen und des Gehen. Berl. kl. Woch., n" s 20, 21, 1890.




138 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

de vue de la brusquerie du début, les cas particuliers de Ladame (1), où l'abasie-astasie survenait sous forme d'attaques.

Souvent, au contraire, le syndrome s'installe insidieuse- ment, constituant pour ainsi dire d'emblée une affection à allures chroniques. Le malade de Grasset (2) éprouva d'abord des difficultés à marcher revenant de façon inter- mittente; au bout de huit mois, l'abasie s'installa à l'état permanent.

En ce qui regarde le sujet de soixante-quinze ans qu'il présenta à ses auditeurs, M. Charcot s'exprime en ces termes :

« Les premiers désordres relatifs aux mouvements de la marche ont commencé à paraître chez lui, il y a six ans, sans cause connue, progressivement, sans accompagne- ment de vertiges ou de troubles cérébraux quelconques. Il se produisit alors dans les mouvements de la hanche gauche une certaine gêne accompagnée d'un sentiment de pesanteur qui l'obligeait, lorsqu'il montait un escalier, à s'appuyer sur le mur, de la main gauche. En marchant, il y avait une légère boiterie ou plutôt un certain désordre de la marche, consistant principalement en ce que tou- jours il était forcé de porter, le premier, le pied gauche en avant, le pied droit suivant par derrière. Le membre infé- rieur gauche n'a jamais présenté dans l'exécution des mouvements aucun trouble appréciable. Les choses sont restées telles quelles pendant cinq ans; c'est il y a huit mois seulement que l'état actuel s'est constitué, encore sans qu'aucune cause occasionnelle puisse être invoquée. G... a commencé à ressentir, à cette époque, un sentiment de pesanteur à la nuque et à l'occiput, sur les épaules et le devant de la poitrine. « Il lui semble qu'il porte un chapeau de plomb. » Il ressent de plus une « lourdeur »

(1) Ladame, Un cas cl'astasie-abasie sous forme d'attaques. Arch. de Neurol., p. 40, 1890.

(2) Grasset, Leçons su?- un cas d'hystérie mâle avec astasie-abasie. Mont- pellier me'd., 1889.


DE L'HYSTERIE. 139

comparable à celle qui occupait autrefois exclusivement la hanche gauche, dans toute l'étendue des deux membres inférieurs. »

Entre ces deux modes de début brusque et lent, on peut observer tous les intermédiaires, y compris cette pé- riode de méditation si spéciale à lhystéro-traumatisme. Tel le malade de Gharcot (1), le nommé Rondel, qui, intoxiqué accidentellement par l'oxyde de carbone, reste comateux pendant trois jours, est obsédé ensuite par les brûlures qu'il a aux jambes, pensant qu'il ne pourrait plus marcher de sa vie, et vingt-cinq jours plus tard, alors qu'il avait recouvré l'usage de ses membres inférieurs, « se rencontra dans la rue, sur un trottoir, face à face avec un homme qui marchait en sens inverse. Il s'arrêta tout à coup et se détourna pour lui livrer passage, mais, quand il voulut reprendre sa route, il s'aperçut, non sans en éprouver une grande émotion, qu'il lui était devenu impossible de marcher « comme tout le monde » . Il piéti- nait sur place, absolument comme il le fait aujourd'hui. »


Dans sa Leçon du 5 mars 1889, M. Charcot proposait la classification suivante du syndrome astasie-abasie :

Abasie ..la) Paralytique ou parétique.

Astasie. . < b) Ataxique (avec incoordi- ( 1° choréi forme, nation motrice). . . . <

( 2° trépidante.

Il ajoutait que cette classification n'avait pas d'autre prétention que d'indiquer « les principaux points de repère ou, si vous le voulez, les grands jalons autour desquels viendront se grouper naturellement les variétés sans doute fort nombreuses qui pourront se présenter dans la clinique » .

(1) Leç. du mardi, 1888-89, p. 368.


140 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

C'est ainsi qu'au point de vue de la marche de l'affec- tion on pourrait, en tenant compte des faits de Ladame, créer une abasie par accès, et à propos des cas rapportés par Brissaud (1), admettre une/orme saltatoire, variété de la forme trépidante. De même, en considérant le malade de soixante-quinze ans étudié par Charcot, chez lequel l'affection était limitée à un membre inférieur, pourrait-on distinguer une forme monoplegique ; mais ce dernier cas est assez rare, à côté de ceux où les deux membres sont pris, pour qu'il soit inutile de multiplier les espèces.

Avant d'entrer dans la description particulière des divers types, Charcot rappelle que les sujets atteints d'astasie- abasie ne présentent que rarement des troubles de sen- sibilité des membres inférieurs; de même, le sens muscu- laire est conservé ; les réflexes tendineux et la nutrition des muscles ne subissent pas d'altération. Il faut pourtant faire des réserves, au moins en ce qui regarde les troubles de sensibilité. Nous observions récemment un malade dont l'histoire a été rapportée autrefois par M. Gilbert (2) ; il existait chez lui une anesthésie complète des membres inférieurs se limitant circulairement au-dessous du genou.

Mais ce qui est particulier à toutes les formes et carac- térise véritablement le syndrome, c'est l'absence complète d'un trouble quelconque dans l'exécution des mouvements autres que ceux coordonnés pour la marche ou la station debout. Lorsque le malade est couché, il peut porter dans tous les sens ses membres inférieurs, qui ont conservé leur force normale de résistance. C'est seulement lorsque le sujet se lève ou veut se mettre en marche que le désordre se manifeste. Il ne peut alors se tenir debout (astasie), ou la marche est impossible (abasie), la station verticale pou- vant encore s'effectuer.

Assez souvent la station et la marche sont affectées simul- tanément, et, dans ces cas, l'abasie reste longtemps masquée,

(1) Brissaud, Le spasme saltatoire dans ses /-apports avec i hystérie. Arch. gén. de inéd., 1890.

(2) Gilbert, Soc. me'd. des hop., 25 oct. 1889.


DE L'HYSTERIE. 141


dans l'impossibilité où l'on est de la mettre en relief, car il est clair que l'impuissance absolue de se tenir debout entraîne nécessairement celle de marcher. Par contre, l'abasie, si elle existe, est parfaitement appréciable lorsque l'astasie est nulle ou incomplète.

Il importe, en outre, en manière de contraste, de faire figurer au premier rang, dans la caractéristique du syn- drome, la conservation souvent parfaite du souvenir des actes moteurs pour le saut, la danse, la nage, et autres groupes de mouvements complexes associés en vue d'un but spécial, pouvant permettre au malade de se déplacer et de se transporter dune certaine manière d'un point à un autre.


Étudions maintenant, après ces considérations qui s'ap- pliquent à tous les cas, les diverses variétés cliniques du syndrome.

Dans l'astasie pure, le malade est dans l'impossibilité absolue de se tenir debout : aussitôt que les pieds touchent le sol et que le sujet veut se tenir dans la station verticale, les jambes fléchissent; il tomberait infailliblement s'il n'était soutenu. Ces cas sont rares; plus communément le sujet peut encore se tenir sur ses pieds, soit en les écar- tant l'un de l'autre pour élargir sa base de sustentation, soit en étant soutenu, soit en se soutenant lui-même avec deux cannes. Mais, avons-nous dit, les altérations du mécanisme qui préside à la station debout et à la marche vont presque toujours de pair, et c'est le syndrome astasie-abasie, bien plus que l'un ou l'autre de ces termes, qu'on aura, dans la majorité des cas, à envisager clinique- ment.

Dans la forme à' astasie-abasie parétique ou paralytique,

le malade peut se tenir debout; mais aussitôt qu'il s'agit

de marcher, les membres inférieurs restent écartés ou

accolés l'un à l'autre, sans raideur toutefois, et les pieds

£ne se détachent du sol qu'avec peine. « On dirait, remar-


142 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

que Charcot, un très jeune enfant complètement inexpéri- menté encore dans l'exécution du mécanisme de la marche qui, soutenu par sa nourrice, s'exerce gauchement à faire ses premiers pas. »

Dans cette première forme de lastasie-abasie, il y a à considérer des variantes individuelles, bien que les cas se ressemblent d'une façon générale. Tel malade ne pourra marcher que les jambes très écartées; tel autre, et cela s'observe dans les formes monoplégiques que nous avons dit fort rares, qu'en avançant un pied l'un devant l'autre, toujours le même.

Mais qu'on fasse marcher un de ces malades dans une pièce; lorsqu'il sera arrivé à son extrémité, au mur, qu'il se sera arrêté, au moment où il se disposera à revenir à son point de départ, il éprouvera les mêmes difficultés qu'à l'instant où il s'est mis en marche. Il y a là un mo- ment d'arrêt, d'hésitation; il lui faut faire un effort intel- lectuel pour ainsi dire pour retrouver le mécanisme de la marche, si incomplet et si défectueux qu'il soit, de même qu'au milieu de son parcours on le voit tout à coup s'af- faisser ; il est subitement devenu astasique et risque de tomber lourdement sur le sol.

Parfois, au contraire, et cela existait chez Rondel, un des malades de Charcot, au milieu d'une période de marche défectueuse, on voit tout à coup le sujet recouvrer ses facultés motrices, s'avancer à pas ordinaires, ou à grands pas, figurant une démarche théâtrale. Il faut voir alors la satisfaction se peindre sur le visage de l'abasique devenu capable de progresser comme à l'ordinaire, alors qu'un instant auparavant il faisait les plus grands efforts pour exécuter quelques pas défectueux. Mais, généralement, les rémissions durables ou la guérison surviennent d'une façon plus progressive, et, ainsi que tout à l'heure, arrivé au bout de la pièce où il s'exerce, le malade, qui veut retourner sur ses pas , éprouvera le plus souvent les mêmes difficultés qu'au départ; il est redevenu abasique.

Dans la forme paralytique de lastasie-abasie, il n'y a


DE L'HYSTÉRIE. 143

pas , dit Charcot, « à proprement parler, perversion des actes moteurs, incoordination motrice; on ne voit pas, en d'autres termes, les actes moteurs complexes mis en cause, troublés dans leur fonctionnement par l'intervention des mouvements contradictoires » . Il n'en est pas de même dans les groupes suivants.


Dans une deuxième variété (astasie-abasie choréiforme, type de flexion de Charcot), la station debout est à chaque instant troublée par de brusques flexions du bassin sur les cuisses et des cuisses sur les jambes, assez analogues à ce que l'on voit se produire lorsqu'une personne se tenant raide sur les membres inférieurs reçoit à l'improviste un coup sec sur le creux du jarret. Cela rappelle fort bien, dit notre maître, « ces effondrements [giving ivay of the legs) » qu'on observe si fréquemment chez les tabétiques dans la période préataxique.

k Dans la marche, ajoute-t-il, à propos d'un sujet qu'il prend pour type de sa description, ces troubles atteignaient leur maximum. En effet, à chaque pas que fait la malade, elle se baisse et se redresse alternativement par des mou- vements brusques et rapides, et, à mesure qu'elle avance, ces secousses se montrent de plus en plus violentes, de plus en plus précipitées. Par moments, il semble que, en raison de l'intensité de ces mouvements, elle soit menacée de tomber à terre ; on la voit alors faire quelques pas en arrière, présentant l'apparence d'une personne qui, s'étant butée à un obstacle, cherche à reprendre son équilibre.

« Les secousses dont il est question, rythmées comme l'est elle-même la marche normale, dont elles ne sont, si l'on peut ainsi parler, que la caricature, ne consistent pas seulement en des mouvements successifs d'abaissement et de redressement du tronc. Si on cherche à les analyser, on reconnaît bientôt ce qui suit : on voit, au moment même où la malade se baisse, les cuisses se fléchir sur les jambes


144 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

et le tronc se fléchir sur le bassin, la tête éprouvant, par rapport au tronc, un mouvement de flexion et de rotation et les avant-bras se fléchissant à leur tour sur les bras. 11 paraît clair que ce sont des mouvements de flexion exagé- rés et brusques des membres inférieurs substitués à ceux de la marche normale qui menacent à chaque pas l'équi- libre, occasionnent les mouvements du tronc, de la tête, des membres supérieurs, et aussi ces mouvements de recul qui peuvent être considérés jusqu'à un certain point comme des actes de compensation. La malade en ques- tion, comme les autres du même groupe, pouvait sans la moindre difficulté sauter à pieds joints, à cloche-pied, marcher à quatre pattes, etc., etc. »

Cette forme d'abasie peut, on le comprend facilement, en imposer pour la chorée rythmée hystérique, avec laquelle elle présente, du reste, de nombreux points de contact ; nous en reparlerons en traitant du diagnostic.


M. Charcot qualifie de trépidante une forme d'abasie dans laquelle la marche est gênée par des mouvements d'exécution contradictoires qui raidissent les membres in- férieurs et consistent en une sorte de piétinement, de tré- pidation, rappelant, mais avec exagération, ce que l'on observe dans certaines paraplégies spasmodiques. Le cas décrit par M. Grasset (op. cit.) rentrait, entre autres, dans cette catégorie. Dans un fait de M. Knapp (1), cette variété de l'abasie survenait sous forme paroxystique ; de plus, ce qui rendait le diagnostic fort difficile, le malade était atteint de paralysie agitante.

La trépidation, en s'exagérant encore, produit la variété saltatoire de l'abasie, qui a été étudiée par M. Brissaud (op. cit.). Cet auteur rappelle qu'en 1859 Bamberger dé-

(1) Ph. Coombs Knapp, Astasia-abasia with the report of a case of pa- roxysmal trépidant abasia associated with paralysis agitans. The Joum. of nerv. and ment, diseases, vol. XVII, n° 1, nov. 1891, p. 673.


DE L'HYSTÉRIE. 145

crivit, sous le nom de contracture sàltatoire réflexe, des phénomènes qui n'avaient pas encore figuré isolément dans les nosographies, bien qu'au dire de Bamberger lui- même ils eussent été déjà remarqués et signalés, incidem- ment toutefois, par un certain nombre d'auteurs.

Le spasme sàltatoire peut s'observer au cours d'un cer- tain nombre d'affections spinales; il n'est donc pas absolu- ment particulier à l'hystérie, mais c'est à la névrose qu'il faut attribuer les cas les plus caractéristiques. C'est au moins l'opinion que s'est faite M. Brissaud d'après l'exa- men minutieux d'observations tant personnelles qu'em- pruntées aux auteurs qui ont décrit cette manifestation.

Le spasme sàltatoire « consiste essentiellement, dit-il, en une série de contractions successives des extenseurs et des fléchisseurs de la jambe et quelquefois de la cuisse, contractions toujours très violentes, survenant à l'occasion d'une excitation quelconque, le plus souvent exercée sur la surface du membre inférieur. Il présente par consé- quent son maximum d'intensité lorsque le malade, vou- lant se tenir debout et marcher, pèse de tout son poids sur ses surfaces plantaires. Les contractions qui se produi- sent alors sont d'une telle intensité et provoquent des mouvements d'une si grande amplitude que le sujet saute sans pouvoir s'en empêcher, comme s'il était sur des char- bons ardents. Le plus souvent, il n'y a rien de rythmé dans ces bonds ; les jambes sont projetées en avant, en arrière, à droite, à gauche, et s'il ne s'accroche à un lit, ù un meuble quelconque, le malade tombe presque aussi- tôt. Cette danse incoordonnée a quelque chose de si im- prévu et de si ridicule qu'on se demande au premier abord si le sauteur ne se moque pas du médecin ; et le fait est que presque tous ceux qui ont décrit des cas de ce genre se sont posé la question et ont soupçonné la simulation. Mais la concordance des faits et l'identité des circonstances dans lesquelles se produit le spasme ne permettent pas de s'arrêter longtemps à cette hypothèse. »

Le spasme sàltatoire présente des degrés. Chez quel- 111. 10


146 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

ques sujets la marche est encore possible, mais au prix des plus grands efforts. Les pieds sont jetés brusquement en avant ou de côté et ramenés non moins brusquement sur le sol. On croirait, si l'on n'y regardait de près, qu'il s'agit d'ataxie tabétique, et à la vérité cette manifestation peut se montrer dans le tabès, mais combien moins exa- gérée que dans l'hystérie.

Si le spasme saltatoire — ajoute M. Brissaud — se pro- duit spontanément avec son maximum d'intensité clans la station verticale, il peut encore être provoqué dans le décubitus horizontal, soit par le relèvement brusque du pied, comme la trépidation épileptoïde, soit par la pres- sion du tibia ou du tendon rotulien, soit par le simple soulèvement de la jambe au-dessus du plan du lit, ou même par le fait d'enlever les couvertures qui recouvrent le malade. Pendant le sommeil, tous les mouvements sont libres, toutes les attitudes sont possibles.

Tantôt les deux membres inférieurs sont pris simulta- nément (c'est le cas le plus ordinaire), tantôt ils sont atteints l'un après l'autre et à des degrés différents ; tantôt enfin le spasme se localise sur une seule jambe, et alors c'est presque toujours sur la jambe droite. Quand les deux jambes sont également affectées, c'est encore à droite que l'affection est prédominante. Même dans le décubitus dorsal, les membres inférieurs au repos ont toujours une certaine raideur et restent, en général, étendus. C'est ce qui fait admettre à M. Brissaud que le spasme saltatoire était une manifestation de la dia thèse de contracture associée, dans la circonstance, au défaut de coordination des mouvements qui donne sa caractéristique à l'astasie- abasie.

De fait, les auteurs qui ont écrit après M. Brissaud n'ont pas hésité à placer les cas d'hystérie avec spasme saltatoire dans le cadre de l'abasie à côté de la forme trépidante, dont il avait pris soin lui-même de différencier ce spasme.

C'est, du reste, là une forme peu fréquente des troubles


DE L'HYSTÉRIE. 147

moteurs que nous étudions. Bouchaud (1) est un des rares auteurs qui en aient, après Brissaud, rapporté une observation.


La marche de l'astasie-abasie est variable. On retrouve encore, à propos de cette manifestation, les règles géné- rales qui président à l'évolution des accidents hystériques considérés au point de vue de l'âge en particulier. C'est ainsi que, dans l'enfance, ces phénomènes ont générale- ment peu de gravité ; après quelques semaines ou quelques mois ils s'amendent, puis disparaissent définitivement. Cependant, ils peuvent récidiver (Pitres).

Mais il n'en est pas de même chez l'adulte, où Fastasie- abasie est beaucoup plus tenace. Dans le cas de M. La- dame, où l'affection apparaissait sous forme de paroxysmes avec aura caractéristique, le malade avait eu sa première attaque vingt-cinq ans auparavant; depuis lors, les phéno- mènes étaient revenus à plusieurs reprises pour se ter- miner par une sorte d'état de mal, presque permanent, d'abasie trépidante.

Nous avons en ce moment (août 1894) dans notre service deux malades : le premier (Rondel) fut présenté aux élèves de la Salpêtrière par M. Charcot en 1889 ; le second fut étudié également en 1889 par M. Gilbert; il était alors hémiplégique, mais, un an auparavant, il avait été aba- sique ; leur situation est exactement la même qu'au moment du premier examen. Le pronostic de l'astasie- abasie est donc grave chez l'adulte et chez l'homme en particulier.


L'astasie-abasie est une manifestation dont le diagnostic est beaucoup plus facile à faire en clinique qu'à exposer dans un traité didactique. Ce sont là des phénomènes

(1) Bouchaud, Astasie-abasie : 1° a forme intermittente ; 2° a forme sal- tatoire. Journ. des sciences me'd. de Lille, t. II, 1892, p. 603, 627.


148 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

tellement spéciaux qu'il suffit de les avoir vus une fois pour les reconnaître immédiatement entre beaucoup d'autres; mais il est presque nécessaire de les avoir observés.

Il importe d'abord d'établir, en dehors de toute descrip- tion, que l'affection est bien d'origine hystérique; ce à quoi l'on arrivera surtout par l'étude des commémoratifs et par la recherche des stigmates. Or, il faut savoir que l'astasie-abasie peut être une manifestation monosympto- matique de l'hystérie.

« Quelquefois, dit Charcot, l'abasie s'associe chez le malade à divers stigmates : hémianesthésie, rétrécissement du champ visuel, etc., qui révèlent manifestement l'exis- tence chez lui de la névrose hystérique. Mais cela n'est pas la règle, et bien qu'il s'agisse encore dans ces cas-là fort souvent, du moins, d'hystérie, l'ataxie abasique peut se montrer isolée à titre de manifestation monosympto- matique de la névrose au même titre que les divers bruits laryngés, certaines contractures et tant d'autres phéno- mènes du même genre. »

La recherche des stigmates est donc d'une grande impor- tance. On pourra, en effet, rencontrer parfois, ainsi que Weill (1) l'a indiqué, des zones frénatrices susceptibles d'arrêter instantanément des phénomènes d'abasie cho- réi forme, ainsi que cela se voyait encore dans deux cas de Maigre (2) et dans l'observation qui sert de base à la thèse de Jolly (3).

Le diagnostic général se basera surtout sur ce fait si caractéristique que des malades qui ne peuvent ni se tenir debout ni marcher ont encore le pouvoir d'exé- cuter des mouvements coordonnés fort complexes, tels

(1) Weill, Astasie-abasie à type choréique. Arrêt instantané de l'astasie- abasie par la pression de certaines régions. Arch. de Neur., n° 1, 1892, p. 88. — Weill, Sur un cas d' astasie-abasie traité avec succès par un ban- dage compressif. Prov. méd., Lyon, 1892, t. VI, p. 121-125.

(2) Maigre, Quelques considérations sur l'astasie-abasie. Th. Paris, 1892, il 277.

(3) Jolly, Contribution à l'étude de l'astasie-abasie. Th. Lyon, dé- cembre 1892.


DE L'HYSTERIE. 14£>

que ceux du saut, de la marche à quatre pattes et de la natation. A part ce que nous avons dit du spasme salta- toire, dans le décubitus horizontal les membres inférieurs possèdent tous leurs mouvements comme à l'état normal. Il faudra toujours se reporter à ces épreuves.

Si nous passons maintenant au diagnostic différentiel des diverses formes d'avec les affections qui les pourraient simuler, nous pensons encore que, en ce qui regarde l'as- tasie pure et la forme paralytique de l'astasie-abasie, les phénomènes que nous venons de signaler (saut, marche à quatre pattes, etc.) devront suffire pour assurer le dia- gnostic avec tontes les affections organiques qui mettent obstacle à la locomotion. Comment supposer l'existence d'une lésion spinale, par exemple, chez un malade qui, à la vérité, ne peut marcher, mais exécute, par contre, dans le décubitus horizontal les mouvements les plus étendus avec ses membres inférieurs?

Cependant, on pourrait éprouver parfois des difficultés à différencier certains cas d'astasie-abasie à forme paraly- tique d'avec les phénomènes, dit Charcot (1), qu'il serait permis de qualifier d'abasie ou d'astasie « relevant d'une lésion organique du cervelet. C'est, dit-il, à ce que l'on appelle lataxie ou incoordination cérébelleuse que je fais allusion ici. Et vous savez qu'elle s'observe surtout dans les cas où il y a participation du vermis. Dans ces cas, comme dans ceux que nous étudions ici, le malade étant au lit peut déployer dans les mouvements de ses membres inférieurs une grande force musculaire, et il n'existe dans ces mouvements aucune trace d'incoordination ; mais, lorsqu il est question de se tenir debout et de marcher, c'est tout autre chose. Deux cas peuvent alors se présenter : tantôt le malade peut encore, tant bien que mal, se tenir debout et marcher, tout en titubant comme un homme ivre, et alors le diagnostic est, en général, facile. D'autres fois, la station et la marche sont, comme dans notre cas

(i) Leçons du mardi, 1888-89, p. 474.


150 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

d'aujourd'hui, absolument impossibles, et lorsque le sujet, étant soutenu sous les aisselles, fait des efforts pour se tenir debout, il s'affaisse sur lui-même. Il ne serait pas difficile de trouver dans la science un certain nombre de lésions cérébelleuses accompagnées de cette impuissance motrice relative à la marche rappelant la symptomatologie du syndrome astasie paralytique (1). Ici, l'œuvre du dia- gnostic pourra rencontrer des difficultés très sérieuseâ, et, pour la mènera bien, il faudra le plus souvent considérer les circonstances concomitantes \ c'est ainsi que les dou- leurs de tête fixes et intenses accompagnées de vomisse- ments, la présence d'une névrite optique, les vertiges de translation, etc., révéleraient la lésion cérébelleuse, tandis que la coexistence des stigmates sensitivo-sensoriels ou d'attaques caractéristiques contribuerait à démasquer l'ori- gine hystérique des accidents. »

Le diagnostic avec l'ataxie cérébelleuse pourra encore être rendu difficile par ce fait que le vertige peut accompa- gner l'astasie-abasie. M. Maigre, dans sa thèse, s'est atta- ché à relever ces cas particuliers. Il cite un fait de Thys- sen [op. cit.) où le vertige avait existé soit antérieurement, soit postérieurement aux troubles de la marche, tandis que dans une observation (IX) qu'il rapporte, il y avait coexis- tence des deux phénomènes. Il est vrai que le vertige reconnaissait peut-être, dans ce dernier cas, une cause organique, le malade ayant subi, quelque temps aupara- vant, un traumatisme du crâne qui s était accompagné d'un écoulement sanguin par l'oreille.

On pourrait confondre l'astasie-abasie choréiforme avec la chorée rythmée hystérique. Mais, dans l'abasie, le rythme des mouvements est beaucoup moins caractéris- tique ; les membres restent en repos dans le décubitus horizontal, alors que celui-ci n'influence pas l'incoordina-

(1) Voir au sujet de Vastasie cérébelleuse : Dreschfeld, Five cases of cerebellar disease, 1882. — Carrion, Hémorragie cérébelleuse, Th. Paris, 1875. — Bernhardt, Hirn Geschwùlsle, p. 239, Berlin. — Voir aussi Di'CtiENNE, de Boulogne, et Noteinagel.


DE L'HYSTÉRIE. 151

tion motrice de la cliorée, qui souvent se manifeste alors que le malade cherche à se tenir dans le repos le plus absolu.

Cependant, à notre avis, il y a bien des rapprochements à établir entre certains cas d'abasie choréiforme et de chorée rythmée. Aussi renvoyons- nous à ce que nous avons écrit en traitant de cette dernière, pour ce qui est du diagnostic à établir avec les affections qui pourraient simuler et la chorée rythmée et l'abasie choréiforme.

En ce qui regarde la forme saltatoire , les difficultés de diagnostic pourront être parfois assez grandes. Nous avons dit que M. Brissaud s'était efforcé de faire rentrer ce spasme dans le groupe astasique-abasique, tout en constatant qu'on pouvait observer ce syndrome au cours d'affections indépendantes de l'hystérie.

Il rappelle encore que, dans un cas où le spasme salta- toire était incontestablement d'origine hystérique , ses manifestations avaient lieu sous l'influence de diverses provocations, même dans le décubitus dorsal. « Cela seul suffit, dit-il, à différencier le cas en question de l'astasie- abasie, syndrome caractérisé tant par la conservation "des mouvements volontaires dans la position couchée que par l'incoordination des mouvements de la marche dans la station verticale. Si notre malade a été un abasique, il a été autre chose qu'abasique, puisque, dans le décubitus dorsal, il suffisait qu'il élevât la jambe au-dessus du plan de son lit pour être pris de la trépidation saltatoire. Nous pourrions ajouter que par cela le spasme saltatoire diffère de l'abasie trépidante décrite par notre maître, M. le pro- fesseur Charcot. »

M. Brissaud passe alors en revue les affections orga- niques dans lesquelles on peut rencontrer le spasme saltatoire.

«. Nous avons dit que, si le spasme saltatoire était le plus souvent une manifestation d'ordre hystérique, on ne de- vait pas le considérer à priori comme un syndrome pure- ment hystérique. Il est parfaitement admissible que les


ib2 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

affections spinales capables de déterminer des paraplégies spasmodiques se traduisent accidentellement par le spasme saltatoire. La myélite transverse, les scléroses latérales, les compressions antéro-latérales peuvent, à la rigueur, rentrer dans ce cas. « De même parfois, ajoute-t-il, on « peut l'observer dans l'ataxie locomotrice. »

« Bref, il est certain que, si le spasme saltatoire peut exister dans le tabès (M. Charcot ne l'y a observé que trois fois), il peut exister aussi dans d'autres maladies spinales et, de préférence, dans celles qui donnent lieu à des phé- nomènes spasmodiques. Mais il ne faut pas perdre de vue que, même dans celles-là, il constitue un symptôme d'ex- ception. »

Ces réflexions sont parfaitement justes, et le diagnostic différentiel de l'astasie-abasie hystérique à forme saltatoire ne sera pas toujours, nous le répétons, aisé à établir. Dans un cas que nous avons observé à l'hôpital Cochin, il nous fut impossible, — à notre grand regret au point de vue du pronostic, — de déterminer si le malade était atteint de spasme saltatoire dynamique ou de sclérose en plaques avec trépidation spinale très accentuée. Il est probable qu'il s'agissait d'une de ces associations organiques qui ne sont pas rares dans l'hystérie dont le malade portait les stig- mates, la névrose ayant influencé la sclérose en plaques dans le sens de l'abasie saltatoire. Rappelons que M. Knapp [op. cit.) a rapporté un cas d'abasie trépidante associée à la paralysie agitante. D'autre part, M. Babinski a observé l'astasie hystérique chez une femme atteinte de paralysie générale (1).

Les difficultés seront moins marquées pour la forme tré- pidante de l'abasie, bien qu'étant de même ordre général. En effet, la trépidation existe dans les maladies organi- ques, aussi bien dans le décubitus horizontal que dans la station verticale, à l'inverse de ce que l'on observe dans l'abasie trépidante hystérique.

(1) Babinski, Association de l'hystérie avec les maladies organiques du, système nerveux. Soc. méd. des liôp., 11 nov. 1892, op. cit., obs. II.


DE L'HYSTERIE. 153

Dans la séance du 17 novembre 1893, MM. Debove et Boulloche ont présenté à la Société médicale des hôpitaux l'ob- servation d'une femme atteinte dune manifestation qu'ils ont désignée sous le nom de staso-basophophie .

Au moment de faire un pas, la malade était prise d'une sorte de peur dont elle se rendait bien compte, du reste, et qui l'empêchait d'avancer. Elle pouvait progresser si on lui donnait la main. Les auteurs différenciaient ce syndrome de l'astasie-abasie et de l'agoraphobie. 11 se rapproche de cette dernière par le sentiment d'angoisse éprouvé concur- remment par les basophobes et les agoraphobes : il s'en différencie en ce sens que l'agoraphobie ne se montre que lorsque le malade doit traverser des endroits découverts et spacieux, alors que la basophobie se produit très bien dans les espaces clos et limités. Quant à l'abasie, on n'observe jamais, au moment où le sujet veut se mettre en marche, le sentiment de peur qui caractériserait la basophobie.

Astasie, basophobie, agoraphobie sont, du reste, des phénomènes d'ordre psychique; aussi M. Binswanger [op. cit.)&-t-'û considéré l'abasie comme une manifestation ana- logue à l'agoraphobie, dont cependant elle doit être diffé- renciée pour rentrer dans le cadre des accidents hysté- riques (1).


Ceci nous conduit à chercher quelle interprétation on peut donner des phénomènes de l'astasie-abasie. M. Charcot en a fourni l'explication suivante, que l'on trouvera exposée avec développements dans le mémoire de M. Blocq :

« Suivant toute probabilité, dit notre maitre (2), les divers appareils relatifs à l'exécution des mouvements de la station, delà marche, du saut, etc., comportent chacun deux centres ou groupes cellulaires différenciés dont l'un siège dans Fécorce cérébrale, tandis que l'autre réside

(1) Voy. Grasset. — Basophobie ou abasie phobique chez un hémiplé- gique. Semaine méd., n° 46, p. 336, 1894.

(2) Lee. du mardi, 1888-89, p. 367.


154 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

dans la moelle épinière, ces deux centres étant reliés l'un à l'autre , bien entendu , par des fibres commis- surales. Le groupe spinal, le plus compliqué des deux, sans aucun doute, est chargé de l'exécution automatique, inconsciente des actes coordonnés pour l'accomplissement de chaque fonction; tandis que le rôle relativement beau- coup plus simple du groupe cortical consiste dans l'émis- sion volontaire des ordres prescrivant tantôt la mise en jeu, tantôt l'accélération ou le ralentissement, tantôt enfin l'arrêt définitif des actes exécutés par le groupe spinal correspondant. Dans celui-ci, en d'autres termes, réside la mémoire psychologique des actes sommaires qu'il faut prescrire soit pour mettre en jeu l'appareil, soit pour en arrêter le fonctionnement, tandis que la mémoire orga- nique, qui préside à l'exécution, dans tous leurs détails, des mouvements prescrits, réside dans celui-là. »

« Dans ces conditions, disent MM. Séglas et Sollier (1), l'explication des phénomènes de l'astasie et de l'abasie, comme l'a, d'ailleurs, démontré M. Cbarcot, ne peut guère se trouver que dans une disparition des faits de la mé- moire organique relatifs à la marche et à la station debout. »

La mémoire organique est donc susceptible de dissocia- tion dans l'hystérie, et c'est dans un ordre d'idées ana- logue qu'il faut faire rentrer le cas de M. Babinski (2), relatif à une femme qui, contrairement à ce que l'on observe dans l'astasie-abasie, était incapable d'exécuter les mouvements les plus élémentaires des orteils, du pied et de la jambe gauches, alors qu'elle pouvait se tenir debout et marcher.


En terminant, on pourrait se demander s'il ne serait pas possible de retrouver, du côté des membres supérieurs,

(1) Seglas et Sollier, Folie puerpérale; amnésie; astasie-abasie ; idées délirantes communiquées . Arch. de NeuroL, t. XX, 1890, p. 386.

(2) Babinski, Paralysie hystérique systématique des fonctions motrices du membre inférieur gauche. Soc. méd. des hop., 8 juillet 1892.


DE L'HYSTÉRIE. 153

des phénomènes se rapprochant physiologiquement de ce que Ion observe dans les membres inférieurs. Cette réflexion nous est suggérée par la lecture d'une note de M. Charcot (1) relative à un malade (Rondel) atteint d'abasie paralytique.

« Il n'est pas hors de propos, dit-il, d'indiquer sommai- rement certaines anomalies qui s'observent chez R...el, dans l'exécution de certains mouvements des membres supérieurs et en particulier de la main. Le malade exécute parfaitement, à l'aide de ses membres et spécialement des doigts de la main, les mouvements généraux qui lui sont prescrits. Pas d'incoordination, pas de tremblement dans l'accomplissement de ces actes. Mais, au contraire, lorsque, tenant la plume, il veut écrire, on voit qu'après avoir tracé quelques mots, quelques lignes même, parfaitement lisibles et réguliers, il se met à ne plus tracer que des jambages informes, très courts, de plus en plus rapprochés et qui finissent par se fusionner en une ligne tremblée. Il est à remarquer que les premières lignes de la page d'écri- ture et les premiers mots de chaque ligne, ainsi que les premières lettres de chaque mot, sont, d'une manière générale, les mieux tracés, comme si chaque ligne, chaque mot étaient pour lui un nouveau départ, une reprise. Il en est des chiffres et des nombres comme de l'écriture, et, si on lui fait, sur une page, dessiner une série de cercles en lui disant de s'efforcer de les faire tous de même dimen- sion, on s'aperçoit qu'à mesure qu'ils se multiplient, ils deviennent, malgré lui, de plus en plus irréguliers, et de plus en plus petits. Ce désordre moteur relatif à l'écriture nous paraît différer complètement de l'agraphie apha- sique; dans celle-ci, il y a perte des images motrices gra- phiques, des lettres et des mots. Le sujet, qui, d'ailleurs, a conservé dans les doigts de la main l'exécution normale de tous les mouvements vulgaires, a perdu précisément et exclusivement la mémoire des mouvements qu'il faut faire

(1) Leçons du mardi, 1888-89, p. 358, note.


156 THAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

pour donner leur forme aux lettres et pour les assembler sous forme de mots. Chez notre malade, au contraire, les images motrices graphiques subsistent dans toute leur intégrité, ainsi que cela est démontré par cette circon- stance qu'il est capable d écrire correctement des lignes entières, et que toujours le commencement des lignes est parfait. Il ne s'agit pas non plus de la crampe des écri- vains où, après qu'on a tracé quelques mots, il survient dans certains muscles de la main des crampes pénibles qui font qu'on est obligé d'abandonner la plume. »

M. Charcot présentait ce malade à ses auditeurs le 5 mars 1889. Depuis, bien des cas d'astasie-abasie ont été publiés, et il est singulier de constater que, — au moins à notre connaissance, — pas un des nombreux auteurs qui se sont occupés de cette question n'ait songé à rechercher s'il existait de semblables troubles chez les malades qu'ils observaient. Pour notre part, chez plusieurs abasiques où nous les avons cherchés, nous n'avons pas rencontré de troubles dans les mouvements spécialisés des membres supérieurs. Le champ reste donc ouvert à des recherches ultérieures (1).

(1) Bibliographie complémentaire. — Moebius, Ueber Astasie-Abasie, 1889.

1890. — Eulenburg, Ueber Astasie-Abasie bei Basedow's Krankheit. Neur. Centr., n° 23, 1890. — Wolff, Ueber Astasie-Abasie mit Démons- tration eines Falles. Allcj. Zeits. f. Psychiatrie, p. 412, 1890. — IIam- mond, Astasia-abasia. N.-Y. mecl. Journ.,t. LU, p. 612, 1890. — Mathiec, Astasie-abasie chez un hystérique. Gaz. des hàp., p. 897, 1890.

1891. — Bonnamaison, Deux nouveaux cas d'astasie-abasie. Arch. de Neurol., juillet 1891, p. 93. — Astasia-abasia. Med. record., 26 sept. 1891, p. 354. — Tranquilli, Dell' astasia-abasia. Revista qen. ital. di clin, med., fasc. supplém. du 20 juillet 1891. — Pittaluga, Considerazioni sopra uno caso di astasia-abasia. An. in Mercredi médical, n° 48, p. 577, 1891. — Kkapp, Astasia-abasia. Journ. of nervous and mental dis., nov. 1891, p. 673. — Borgiotti et Bordoni, Astasia-abasia isierica. Atti di reale Accad. in Siena, 4 e série, t. III, 1891, p. 405 et 409. — Kowalewski, Astasia- abasia. Arch. psichiatr. Charkow, 1891, t. XVII, n° 1, p. 83 et 108. — BrittO, Duas observacoes de abasia paralytica. Gaz. méd. da Bahia, 1891, 24 e série, t. II, p. 56, 271.

1892. — Benedickt, Ein Fall von Abasie und Astasie. Mitheil. d. Wien. Doct. Colleg., 1892, t. XVIII, p. 85. — De Reszi, L'astasia e l'abasia.


DE L'HYSTERIE. 157

Nous pouvons ajouter qu'ayant eu l'occasion de revoir récemment (avril 1894) lenommé Rondel, qui esttoujours astasique-abasique, dans les mêmes conditions qu'en 1889, nous avons également retrouvé chez lui, mais encore plus accentués, les troubles de l'écriture qu'il présentait il y r cinq ans passés.

Riforma medica, Napoli, t. VIII, 3 e partie, p. 172, 176, 1892. — Tournier, Note sur deux cas d astasie-abasie . Province méd., Lyon, 1892, t. VI, p. 278, 280. — Morton Prince, A case of so-called astasia-abasia. The Journ. of nerv. and mental diseases, décembre 1892.

1893. — Kalindero, Astasie-abasie. La Roumanie médicale, janv. 1893. — Bremer, A case of hysterical astasia-abasia suing for damages, with remarks, etc. Journ. of nerv. and mental diseases, n° 1, janvier 1893, p. 13. — A. Lagarde, Astasia-abasia. Revista de la Sociedad medica argen- tina, vol. II, n° 7, p. 58. li. -Aires, 1893. — J.-A. Esteves, Astasia- abasia y alteracion especial de la palabra consecutiva a la influenza. Palimpaida histerica. Ibid., n°* 7 et 8, p. 46 et 77, 1893. — Lehman, Zwei Falle von Astasie-Abasie durch Oyenhausens Râler qeheilt. Deut. med. Wochens., n° 21, 1893, p. 502. — François, Astasie-abasie. Arch. tnéd. belges. Bruxelles, 1893, 4 e série, t. I, p. 165 et 168. — Szorényi, Astasia-abasia. Gyogy aszat. Budapest, 1893, p. 133. — Lagrange, Astasie- abasie chez un hystérique dégénéré, 4 e Congrès de méd. ment., in Semaine méd., 12 août 1893, n° 49, p. 391. — Weber, Astasia-abasia. Med. Rec. 1S.-Y., 23 décembre 1893.

1894. — A. Moraga, Un cas typique d' astasie-abasie . Bolet, de la poli- clinica especial del D T A. Moraga. janvier 1894. Santiago de Chili. — R. Friedlander, Ueber Astasie-Abasie und ihre Behandlunq. Neurol. Centr., 15 mai 1894, p 354. — Grasset, Basophobie ou àbasie phobique chez un hémiplégique {hémineurasthénie posthémiplégique, Sein, méd., 15 août 1894, n° 46, p. 366. — Donadieu-Lavit, Un cas d' astasie-abasie hystérique. Nouv. Montpellier méd., 25 août 1894.


QUATRIEME PARTIE

LES MANIFESTATIONS VISCÉRALES DE L'HYSTÉRIE


CHAPITRE QUATORZIÈME

MANIFESTATIONS DE L'HYSTÉRIE SUR L'APPAREIL PHONATEUR ET RESPIRATOIRE

Les troubles du langage chez les hystériques. — Du mutisme hystérique. Historique : Revillod, 1883; Charcot, 1885; Cartaz, 1886; M. Natier, 1888. — Etiologie : Age. Influence de l'attaque. — Formes cliniques. Description. Examen laryngoscopique. — Surdi-mutité hystérique. — Mutisme et agraphie. — Marche. Durée. Récidives. Pronostic. Diagnos- tic. Simulation.

Du bégayement hystérique . Charcot. Ballet et Tissier. Pitres. — Com- plexité des formes. Discussion. Résumé.

Des spasmes rythmiques respiratoires. Briquet, Charcot. Pitres. Considé- rations générales. — Caractères communs. Evolution. Classification.

Spasmes expiratoires : Toux hystérique : Sydenham, Willis, Lasègue, 1854 ; Lafon, 1874. — Description. Variété des formes : Cris, aboiements, hur- lements, etc. Epidémies. — Renâclement hystérique de Pitres.

Spasmes inspiratoires simples : Hoquet hystérique. Caractère épidémique. Description. — Reniflement hystérique de Pitres.

Spasmes inspiratoires mixtes : Bâillements hystériques. Charcot, Gilles delà Tourette, G. Guinon et Dutil. — Description. Diagnostic clinique et chi- mique. — Eternuements hystériques : Brodie, Souza-Leite. Description. ■Rire hystérique.

Spasmes respiratoires compliqués.

L'asthme et la dyspnée hystériques. Briquet, Charcot, Weir Mitchell. Description. L' hystérie laryngée. Thaon, 1880. Hypresthésie et anesthé- sie laryngées. — Paralysies et contractures des muscles du larynx. — Diffi- cultés d'interprétation. Gouguenheim. Dufour.

De l'aphonie hystérique. Étiologie; modes de début; marche; pronostic et diagnostic ; récidives. Du spasme laryngé. Note complémentaire de l'attaque de spasmes. — Spasme de la trachée.

Troubles thophiques pulmonaires. De l'hémoptysie hystérique. Pomme, Marius, Carre, etc. — Etiologie. Formes cliniques. Zones hyperesthésiques


160 TRAITE CLINIQUE ET THER ATEUTIQUE

des parois thoraciques. Phénomènes stéthoscopiques. Caractères de l'hé- înoptysie. Phénomènes généraux. Diagnostic. Marche et pronostic. — Des rapports qui existent entre i hystérie et la tuberculose pulmonaire et réciproquement. Pidoux ; Leudet ; Largaud ; Grasset ; Gibotteau. — Discussion. Paralysie et contracture hystériques du diaphragme.

Au début de ce chapitre, il ne nous semble pas inutile de rappeler que l'hystérie est une maladie du système nerveux central, cette notion devant trouver de nom- breuses applications dans l'interprétation des phénomènes dont l'étude va suivre. Nous décrirons d'abord les troubles de la parole et du langage chez les hystériques.

Leur notion précise est de date tout à l'ait récente. En 1883, M. Revilliod (1) publiait sur le mutisme hysté- riqueun travail qui passa presque complètement inaperçu. Il est vrai qu'on n'y trouvait pas de description clinique de ce syndrome, qu'il confondait avec l'aphonie et attri- buait à une paralysie des muscles du larynx.

Au mois de décembre 1885, M. Charcot (2) faisait à la Salpêtrière une leçon — ■ dont il nous confia la publication — où il établissait, pour la première fois, sur des bases solides, l'existence des troubles de la fonction du langage chez les hystériques.

Le mutisme, qu'il étudiait plus particulièrement, con- sistait dans l'impossibilité d'exprimer la pensée par le lan- gage articulé, avec conservation du langage mimé et de l'écriture. L'aphonie était presque constante, mais notre maître avait soin de faire ressortir que le trouble qu'il dé- crivait était d'origine centrale, indépendant des organes phonateurs, muscles de la langue ou du larynx en particulier.

Un peu plus tard, M. Cartaz (3), directeur du service

(1) Revilliod, Du mutisme hystérique. Revue méd. de la Suisse ro- mande, 1883, p. 560.

(2) Charcot, Cas de mutisme hystérique chez l'homme. Leç. recueillie par Gilles de la Tourette, Progrès médical, 13 nov. 1886, n° 46. Anal. in Gazette des hôpitaux , 12 janvier 1886.

(3) Cartaz, Du mutisme hystérique. Progrès médical, 13 février 1886, n 0! 7, 9, 10.


DE L'HYSTERIE. 161

laryngologique de la Salpêtrière, publiait un mémoire fondamental sur cette question. Il en faisait 1 historique et rapportait vingt observations tant personnelles qu'iné- dites ou empruntées à divers auteurs français ou étrangers. Il s'efforçait surtout de différencier le mutisme de l'apho- nie, un malade aphone pouvant encore se faire com- prendre en chuchotant avec les lèvres, tandis que dans le mutisme le langage articulé fait complètement défaut. Il essayait aussi de fixer la fréquence de cette manifestation :

« Eu égard au nombre de malades, hommes et femmes, atteints d'hystérie, on peut dire que le mutisme est un phénomène relativement rare. On le trouve à peine men- tionné dans les travaux anciens sur ce sujet, et dans un certain nombre d'observations plus récentes il a été con- fondu avec l'aphonie ; tout au moins l'interprétation que donnent les auteurs tend à faire admettre cette confusion. ■>■>

Aussi, devant l'insuffisance des observations anciennes, M. Cartaz analysait-il surtout les faits publiés dans la période moderne,

Nous pensons toutefois que Marguerite-Françoise Du- chesne, dont l'histoire a été rapportée par Carré de Mont- geron (1), fut très probablement atteinte de cette mani- festation de la névrose, bien que le diagnostic différentiel avec l'aphonie soit encore ici difficile à préciser.

Après une attaque de léthargie qui dura sept à huit jours, il survint «une extinction de voix presque totale... Tout lui est enlevé, jusqu'à la faculté même de se plaindre. » Ces phénomènes durèrent longtemps, puisque, presque un mois après le début de ces accidents, il est dit que «l'ouïe et la vue lui furent rendues ; mais il n'en fut pas de même de la voix, qui resta presque entièrement éteinte. »

Peut-être le mutisme hystérique a-t-il été observé par le père de la médecine ?

« La femme de Polémaque, dit Hippocrate (2), ayant une affection arthritique, éprouva une douleur subite de

(1) La vérité des miracles, t. I. Cologne, 1745, 4 e démonstration, p. 6.

(2) Epidém., liv. V, §91.

m. 11


16-2 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

la hanche, les règles n'étant pas venues ; ayant bu de l'eau de bettes, elle fut sans voix toute la nuit, jusqu'au milieu du jour; elle entendait, comprenait, elle indiquait avec la main que la douleur était à la hanche. »

S'il s'agit là d'une manifestation hystérique, ainsi que le croit Landouzy [op. cit., p. 117), qui rapporte ce fait, celle-ci ne doit pas être attribuée, comme il le pense, à l' aphonie ou à la dysphonie, mais bien au mutisme, la ma- lade étant obligée d'indiquer par gestes le siège de ses douleurs.

Landouzy cite encore un cas de Watson (1) dans lequel, ainsi qu'on l'observe fréquemment en pareille circonstance, le trouble dans le langage fut consécutif à un paroxysme. Une jeune femme, après une attaque d'hystérie convul- sive, « perdit la parole et en rjà décrite (t. I, p. 188) et qui n'a rien à voir avec la surdité verbale.

Les cas de surdi-mutité hystérique sont, du reste, peu fréquents, puisque Lemoine, qui ignore le cas de Mendel, paraît n'en avoir pas rencontré dans la littérature. Il faut dire aussi que le malade de Bail, qui présenta à plusieurs reprises des phénomènes indéniables de surdi-mutité hys- térique, avait été considéré comme atteint d'ischémie cérébrale fonctionnelle.


Nous avons dit que les muets hystériques conservaient le pouvoir de traduire leur pensée par l'écriture. Cepen- dant il n'en est pas toujours ainsi, et Yagraphie est notée dans certains cas, à la vérité, exceptionnels.

(1) Délie, Revue mens, de laryngologie, 1886, n° 10.

(2) Ball, Considéi-ations sur l'ischémie cérébrale fonctionnelle. L'Encé- phale, n° 1, 1887.

(3) Mendel, Surdi-mutité hystérique. Berl. klin. Wochenschrift, 8 août 1887.

(4) Lemoine, Un cas de surdi-mutité hystérique. Médec. moderne, 31 mai, 3 juin 1893.

(5) Cartaz, Deux cas de surdité hystérique. Revue de laryngologie de Moure, 1 er juin 1894.

(6) Francotte, Surdi-mutité hystérique guérie par suggestion à l'état de veille. Mercredi méd., 3 oct. 1894, n° 40, p. 477.

(7) Ingalls, Aphonie et surdité hystérique. Pan-American med. Con- gres*., septembre 1893.


DE L'HYSTERIE. 167

Le premier exemple de cette forme paraît avoir été rapporté par M. Charcot dans ses Leçons du mardi (1) à la Salpêtrière. Le fait est fort intéressant, car il prêtait sin- gulièrement à la confusion avec l'aphasie d'origine orga- nique. Il s'agit dune femme de trente-trois ans qui fut frappée, à la suite de contrariétés, d'une attaque d'apo- plexie hystérique d'où elle sortit avec une hémiplégie droite qui, se dissipant, laissa après elle un mutisme absolu et de l'agraphie. Celle-ci, d'abord complète, se limita ensuite à un certain nombre de lettres. La malade présentait en outre un spasme glosso-labié qui, simulant la paralysie faciale, ajoutait encore à l'aspect organique de l'affection.

M. Lépine (2) a rapporté un deuxième exemple de mu- tisme avec agraphie. Cette fois, l'hémiparésie avec hémi- anesthésie légère siégeait à gauche. Non seulement son malade était dans l'impossibilité de tracer les lettres de l'alphabet, mais encore il ne pouvait les copier; il n'exis- tait pourtant pas de cécité verbale; la guérison survint subitement.

MM. Ballet et Sollier (3) ont repris l'étude de l'agra- phie hystérique en publiant l'observation très étudiée dune femme de trente-trois ans chez laquelle, disent-ils, « l'agraphie a été des plus nettes et a persisté plus de quinze jours, complète d'abord, puis ne se manifestant plus que par de la para graphie » . Ils essayent même, chemin faisant, de différencier l'agraphie hystérique de l'agraphie par lésions organiques du cerveau (4).

« L'agraphie, disent-ils, peut se montrer, d'une façon très nette et persistante, au cours du mutisme hystérique.

(1) Leçons du mardi a la Salpêtrière, 1887-88, p. 363.

(2) Lépine, Mutisme hystérique ; agraphie. Revue de médecine, 10 octo- bre 1891, p. 895.

(3) Ballet et Sollier, Sur un cas de mutisme hystérique avec agraphie et paralysie faciale systématisée. Revue de médecine, 10 juin 1893, p. 532.

(4) Voir aussi Goix, Sur la distinction de l'amnésie verbale et de l'apha- sie sensorielle ; cas d amnésie verbale chez un hystérique. Journ. des se. méd. de Lille, 24 février 1893.


168 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Elle parait tenir non pas, comme dans le cas d'une lésion organique, à la perte des images verbales graphiques ou visuelles, mais simplement au défaut de la synthèse psy- chique de ces images qu'exige l'écriture courante. »

De même, pour MM. Ballet et Sollier, peut-on observer, dans l'hystérie, de la paralysie faciale au lieu et place du spasme glosso-labié dont on note si fréquemment l'exis- tence chez les muets hystériques. Cette paralysie jouerait un rôle important dans l'aphasie hystérique, car « elle peut être systématisée pour certains mouvements spéciaux, tels que ceux nécessaires à l'articulation de la parole » .

Quoi qu'il en soit de ces explications, le mutisme hysté- rique est donc susceptible de s'accompagner d'agraphie, qu'il ne faudrait pas confondre avec un trouble particulier de l'écriture signalé chez un malade de Ladame (1), où un tremblement du membre supérieur droit mettait obstacle à la bonne formation des lettres.


L 'évolution du mutisme hystérique est presque toujours la même. Il se termine par la guérison, celle-ci survenant de deux façons, ou lentement, ou bien, plus souvent, d'une manière brusque, comme il est né d'ordinaire. Dans le premier cas, le malade présente fréquemment, comme indices du retour à la fonction normale, les phénomènes du bégayement hystérique, dont nous allons bientôt faire une étude spéciale.

La durée du mutisme est très variable. Dans le cas de Sédillot que nous avons rapporté, la malade resta muette pendant douze ans, ce qui ne l'empêcha pas de guérir presque subitement. La parole ne revint qu'au bout de cinq ans dans un cas de Johnston, de treize mois(Wernter), d'un an (Widermeister). En regard de ces faits, on trouve des observations beaucoup plus nombreuses où le mutisme

(1) Ladame, L'attaque hystérique d'aphasie et la simulation. Centralblatt f. Nervenh. u. Psych., juin 1892, p. 241.




DE L'HYSTERIE. 169

ne dura que quelques jours ou quelques heures. Il faut aussi tenir compte de ce que, pendant une période qui semble continue, le mutisme peut être intermittent; tel le cas de Mendel où la malade, atteinte de surdi-mutité hys- térique, pouvait parler de six heures à neuf heures du matin.

Le pronostic est donc généralement bénin, mais les réci- dives sont fréquentes, les malades, suivant une loi bien connue en matière d'hystérie, ayant une tendance mar- quée à retomber dans le mutisme à propos des moindres causes (1), et cela à l'exclusion des autres manifestations de la série hystérique.

Quant au diagnostic, il est presque toujours facile, si l'on se reporte à la description si caractéristique que Gharcot en a donnée. Le doute pourrait seulement exister lorsqu'il y a coïncidence du mutisme, avec ou sans agraphie, avec une hémiplégie droite accompagnée de paralysie faciale ou de spasme glosso-labié. On penserait alors à une lésion organique. Mais le diagnostic serait alors surtout à établir entre l'hémiplégie hystérique et l'hémiplégie par lésion cérébrale ; c est une question qui a été traitée en son lieu et place et sur laquelle nous ne reviendrons pas. La coexis- tence fréquente de l'hémianesthésie, la conservation de l'intelligence, jointes aux caractères si spéciaux du mu- tisme, la constatation du spasme glosso-labié au lieu et place de la paralysie faciale, rendront le plus souvent inu- tiles des investigations prolongées.

D'après ce que nous venons de dire, on voit que le mu- tisme est rarement une manifestation monosymptomatique de l'hystérie (2), ce qui permettra de déjouer la simulation, à laquelle il faut penser dans certains cas (3), le mutisme


(1) Caradeschi, Un caso di mutismo isterico periodico in rapporto col periodo menstruale. Gaz. d.ospedal., n° 96, 1893.

(2) Shaw, Hysterical trembling, stammering and mutism, Int. Clin. Philadelphia, 1893, 3 e série, t. Ilï, p. 118.

(3) Catrin, Cas de mutisme hystérique simulé. Lyon médical, n° 37, 1889.


170 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

hystérique étant susceptible, paraît-il, d'entraîner la ré- forme du service militaire, ainsi que Tartière (1) en a rapporté un exemple. De ce fait, certaines personnes pour- raient avoir intérêt à le simuler.

Charcot n'a pas manqué d'envisager cette éventualité. La question de la simulation, dit notre maître, « n'a peut-être pas une importance capitale quand il s'agit d'une pure question de diagnostic, en ville ou à l'hôpital ; on peut alors faire fausse route sans qu'il en résulte pour le malade de grands inconvénients.

« Mais il n'en serait pas de même dans l'armée, par exemple, ou encore chez les individus en prévention judi- ciaire. L'entêtement dans les idées de simulation pourrait conduire ici à commettre des injustices criantes ; à em- ployer, je le suppose, des moyens quelque peu barbares, comme , par exemple , la faradisation à toute volée du larynx, qui, vous le savez, n'est pas, tant s'en faut, sans danger. Aussi est-il de mon devoir de vous faire remar- quer que, dans la circonstance, la simulation est peut-être plus facile à dépister qu'on ne le croit généralement. Peu de simulateurs , on en conviendra , seraient de lorce à réunir et à exhiber, dans un but de supercherie, tous les symptômes que nous a révélés l'histoire naturelle du mu- tisme hystérique, sans rien ajouter de leur propre cru à cette symptomatologie si complexe et si spéciale à la fois. « En général, peut-être pourrait-on dire forcément, le simulateur est un fantaisiste. Il imagine volontiers, il brode et exécute des fioritures. »

Et à propos de la possibilité de la simulation chez les prévenus judiciaires, M. Charcot cite le cas d'une malade inculpée d'infanticide que nous eûmes l'honneur d'exa- miner avec lui à Saint-Lazare, de concert avec notre maître, M. le professeur Brouardel. La malade, hystérique confirmée, atteinte de mutisme, était considérée comme une simulatrice, parce qu'elle ne répondait pas aux ques-

(1) TATtTrÈRE, Observation d'un soldat atteint de mutisme hystérique et réformé. Gaz. Iiebd. de méd. et de chir., n° 33, 10 août 1889, p. 529.


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tions du juge d'instruction. Par contre, elle écrivait et, de ce fait, avouait son crime ; il est vrai qu'à cette époque (1885) on ne connaissait que très imparfaitement l'affection que nous venons de décrire (1).

On ne confondra pas non plus le mutisme hystérique avec celui qu'on observe chez les aliénés (2). Le malade, qui est sous l'influence d'une idée délirante , est aussi sobre de gestes que de paroles, ce qui, nous l'avons vu, est le contraire de ce que l'on observe dans l'hystérie.


Dans sa Leçon du mardi 24 avril 1888 (3), M. Gharcot présentait à ses auditeurs de la Salpêtrière trois malades atteints de mutisme hystérique. Le premier offrait le type de cette manifestation ; le deuxième avait un certain degré d'agraphie ; le troisième va nous intéresser plus particu- lièrement. En l'étudiant, M. Charcot établissait que, sou- vent, les crises de mutisme étaient précédées ou suivies d'un bégayemeni qui pouvait, dans un premier cas, n'être autre que du bégayement simple, ou bien devait être attribué, comme chez son malade, à de l'aphasie motrice réelle, mais moins marquée que dans les cas de mutisme

(1) Rapportons un détail inédit concernant cetîe malade, et qui a son importance. Une nuit, ses compagnes de dortoir l'entendirent apostropher vivement, a haute voix, un gros chat qui s'était aventuré sur son lit. On en conclut que le mutisme était simulé. II n y avait cependant là rien que d'analogue à ce que nous verrons existerdansl'aplionie, où l'expression vocale des rêves peut être conservée. Le mutisme étant sous la dépendance d'une perturbation des centres encéphaliques, le malade peut, sous l'influence d'une vive émotion, par exemple, sortir momentanément de son mutisme, pronon- cer automatiquement, pour ainsi dire, quelques mots pour redevenir aussi muet que devant, la cause incitatrice ayant disparu. La guérison du mutisme reconnaît souvent un semblable mécanisme. Il faut toujours avoir présent à l'esprit que le larynx reste constamment apte à remplir ses fonctions ; seul l'influx nerveux parti du cerveau fait défaut; les mouvements de la langue sont conservés, mais, comme dans l'aphasie, l'articulation des mots, phéno- mène spécialisé, reste impossible. (G. T.)

(2) Moret, Contribution à l'étude du mutisme des aliénés. Th. Paris, 1890. — SÉglas, Mutisme mélancolique. Arch. de Neurol., 1891, p. 267.

(3) Leçons du mardi a la Salpêtrière, 1887-88, 24 avril 1888, p. 357.


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vrai, où l'aphasie est complète ; il n'y avait là qu'une question de plus ou de moins.

« Ce n'est pas seulement du bégayement, disait-il, qu'on observe chez le malade ; c'est une véritable aphasie mar- quée par l'oubli de certains mots et de fragments de mots, surtout lorsque ceux-ci sont longs. Cela rappelle donc ce qui se voit fréquemment dans les aphasies organiques ; seulement nous n'observons pas chez notre malade qu'un mot soit prononcé jamais au lieu d'un autre, contraire- ment à ce qui s'observe assez vulgairement quand l'aphasie reconnaît pour point de départ une lésion en foyer (para- phasie)... H y a donc, dans ce cas, non pas simple bégaye- ment, mais véritable aphasie motrice polysyllabique, et c'est justement là ce que j'ai voulu faire ressortir... La conclusion de tout cela, c'est que le mutisme hystérique peut, dans quelques cas, s'accompagner d'un certain degré d'agraphie et, dans d'autres cas, d'un certain degré d'apha- sie monosyllabique. Après cela, il faut s'attendre à voir le mutisme hystérique se combiner avec la cécité ou la sur- dité verbales. Cela ne s'est pas encore vu, que je sache; mais cela ne se verra-t-il jamais? C'est là une question que les observations ultérieures permettront seules de ré- soudre. »

Nous ne connaissons pas encore aujourd'hui d'observa- tion de mutisme hystérique s'accompagnant de cécité ou de surdité verbales, mais les faits d'aphasie polysyllabique ou de bégayement de même origine se sont multipliés, et si, en 1888, M. Charcot admettait déjà deux variétés de cette manifestation, il semble qu'il y ait peut-être place encore pour plusieurs autres , de telle sorte qu'actuelle- ment, au moins, cette question ne manque pas d'être assez confuse.

Procédons chronologiquement. M. Ballet (1), soit seul,

(1) Ballet, Du béqayement hystéi-ique. Bull, et Mém. de la Soc. méd. des hôp., séances du 11 octobre 1889 et 4 juillet 1890. — Ballet et Tis- siek, Du bégayement hystérique. Arch. de Neurol., juillet 1890, n° 58, p. 1.


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soit avec M. Tissier, est un des auteurs qui ont le mieux étudié le bégayement hystérique, dont il rapporte trois observations dans son dernier mémoire.

Le bégayement peut servir de prodrome au mutisme, lui être consécutif ou s'installer d'emblée. Dans ces trois cas, dit M. Ballet, il est susceptible « d'évoluer, indépen- damment du mutisme, et alors il peut débuter soit insidieu- sement sans cause apparente, ou bien survenir à la suite d'une perte de connaissance et vraisemblablement, quoi- que nous ne l'ayons pas observé, d'une attaque convulsive. Peut-être existe-t-il dans ces cas une période aphasique assez courte pour échapper au malade...

« Les troubles de la prononciation, qui constituent le bégayement hystérique, sont plus ou moins prononcés ; pris en détail, ils n'ont rien d'absolument fixe, et c'est surtout le caractère général de la parole, le rythme de la prononcia- tion, qui donnent à cette variété de bégayement son aspect particulier, sa physionomie propre.

« Aussi, autant il est simple de reconnaître le bégaye- ment hystérique, lorsqu'on l'a entendu une fois, autant il est difficile de le décrire exactement et d'en bien faire ressortir les nuances.

« Les troubles de la prononciation portent à la fois sur les lettres prises individuellement, sur les différentes syl- labes des mots un peu longs et sur les mots qui composent la phrase.

« Les malades ne peuvent émettre les sons simples qu'en les faisant précéder d'une consonne, habituellement la même pour toutes les voyelles, ou en les aspirant, ou bien encore en les répétant plusieurs fois. »

La fatigue et l'émotion accentuent beaucoup le vice de la parole. Celui-ci peut disparaître au moins partielle- ment lorsque, au lieu de faire parler, on fait chanter le ma- lade.

MM. Ballet et Tissier ont toujours vu le bégayement s'ac- compagner « de troubles de la motilité de la langue : pa- résie, déviation spasmodique, tremblement » , fait égale-


17-4 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

ment noté par Kramer (1). Par contre, il n'existait rien d'analogue du côté du larynx.

A tenir compte de ces phénomènes moteurs, on voit qu'il ne s'agirait pas toujours là d'aphasie vraie, et, comme ils sont variés, on comprend que les troubles de la parole dans l'hystérie soient souvent complexes.

La même année que MM. Ballet et Tissier, M. Pitres (2) s'occupait, lui aussi, de cette question et admettait égale- ment la complexité des troubles du langage chez les hys- tériques.

« Le bégayement, le bredouillement, le zézayement et, d'une façon générale, tous les vices de l'articulation qui dépendent de contractions spasmodiques des muscles phonateurs se développent fréquemment, dit-il, à l'occa- sion démotions morales vives et se comportent par la suite comme de véritables accidents hystériques. Ils peu- vent résister pendant des années aux traitements les plus rationnels et disparaître subitement, sous l'influence dune nouvelle émotion morale, ou par l'effet d'une de ces mé- thodes curatives qui appartiennent plutôt à la médecine d'imagination qu'à la thérapeutique physiologique. »

M. Pitres, on le voit, attribue un rôle important à la contracture spasmodique des muscles phonateurs dans la pathogénie de certains troubles du langage. Mais à ces causes déjà complexes il faut encore ajouter, suivant lui, l'influence du spasme des muscles inspirateurs.

Il a observé une dame qui, à la suite d'une violente émotion, fut prise d'un spasme inspiratoire qui détermina des troubles du langage tout à fait singuliers (3) .

« Quand elle restait silencieuse, sa respiration était régulière, mais aussitôt qu'elle se disposait à parler, ses muscles inspirateurs étaient pris de secousses convulsives

(1) Kiumer, Ueber hysterisches Stottern. Prager med. Wochenschrift, 8 août 1891, n° 14.

(2) Pitres, Du mutisme et du bégayement hystériques. Revue de laryn- gologie, 1 er décembre 1890, et Leç. cliniques sur l' hystérie et l' hypnotisme, t. I, 28 e lec., 1891, p. 367.

(3) Leç. clin, sur V hystérie, 26 e leç., t. I, p. 352.


DE L'HYSTERIE. 175

qui lui coupaient la parole. Il lui était impossible de pro- noncer une phrase ; à peine pouvait-elle dire précipitam- ment et à voix basse quelques mots entrecoupés et diffici- lement intelligibles. Ce spasme a persisté trois ans et a fini par guérir en s'atténuant progressivement.

« Dans d'autres cas, le spasme se traduit par la produc- tion d'une sorte de bégayement obligeant les malades à répéter, malgré leur volonté, certaines syllabes. »

Trousseau (1) rapporte un exemple très net de ce trouble de la parole. Il s'agit d'une hystérique qui, à la suite d'une peur, fut prise de convulsions saccadées des quatre mem- bres accompagnées « d'une sorte de bégayement singu- lier, consistant en ce qu'elle répétait avec une volubilité extraordinaire et pendant un temps assez long, sans s'ar- rêter, les dernières syllabes des mots qu'elle essayait de prononcer; les premières syllabes étaient émises avec peine » .

M. G. -H. Hammond (2) a observé un cas qui nous semble avoir des analogies avec celui rapporté par Trous- seau. « La particularité du langage, dit-il, consiste en une soudaine explosion dans l'émission des mots et la rapidité avec laquelle ils se suivent. Un mot suit l'autre si vite que le temps n'est pas suffisant pour renonciation propre de chaque syllabe. »

Lorsque la malade de M. Pitres chantait, le spasme inspiratoire ne se produisait pas, et alors rien ne pouvait faire soupçonner une modification de la parole, particula- rité qui n'est pas rare dans les troubles que nous décri- vons et dont Druène (3) a rapporté un exemple. Par contre, dans la première des observations de ce dernier auteur « le chant était impossible » .


(1) Trousseau, Clinique médicale de l Hôtel-Dieu, 3 e édit. , 1868, t. II, p. 261.

(2) G. M. Hammond, A supposed hysterical abnormity of speech. N.-Y. med. Journal, 10 déc. 1892, p. 665.

(3) Druene, Contrib. à l'étude de l'hystérie. Du bégayement chez les hystériques. Th. Paris, 1893-94, obs. II.


17(3 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Notons enfin que dans certains cas, que nous retrouve- rons, il peut exister une scansion de la parole assez mar- quée pour contribuer à la simulation de la sclérose en plaques par la névrose.

A un autre point de vue, M. Pitres émettait l'opinion que certains bégayements tardifs considérés comme con- génitaux pouvaient peut-être être attribués à l'hystérie.


Évidemment, les cas étudiés plus particulièrement par MM. Ballet et Tissier et par M. Pitres étaient fort dissem- blables. C'est ce que fit ressortir M. Chervin (1) dans un article où il discuta longuement le terme de « bégayement » que ces auteurs appliquaient à quelques-uns — et non à tous comme il semblait le croire — des troubles du langage qu'ils avaient observés.

Aussi M. Ballet (2) lui répondit-il avec beaucoup d'à-propos que, pour définir les troubles de l'articulation qu'il avait décrits, il avait eu recours « à la dénomination qui, en l'état de la nomenclature, donne le mieux l'idée du plus constant de leurs caractères... Sans doute, ajou- tait-il, le bégayement hystérique n'est pas identique au bégayement vulgaire. Mais le mutisme hystérique de M. Charcot n'est pas non plus le même que le mutisme congénital. L'appellation dont s'est servi M. Charcot n'en est pas moins entrée dans le langage courant. Ceux qui sont au fait des choses de la clinique savent ce qu'elle signifie. Et c'est la qualité essentielle d'une dénomination en médecine. »

Nous avons tenu à exposer les faits, sous forme d'une discussion, pour montrer combien sont variés et souvent

(1) Chervin, A^propos du bégayement hystérique. Examen des observa- tions de MM. G. Ballet et Pitres. Arch. de Newol., mai 1891, u° 63,. p. 365.

(2) Ballet, Note'à l'occasion du mémoire de M. Chervin. Arch. de Neur., 1891, P . 374.




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peu comparables entre eux les troubles du langage chez les hystériques.

Résumant cette discussion, nous dirons que, dans une première catégorie nettement tranchée, il faut placer les phénomènes catalogués par Gharcot sous le nom de mu- tisme hystérique, véritable aphasie motrice avec ou sans jigraphie, cette dernière étant rare. La cécité et la surdité verbales paraissent encore inconnues dans l'hystérie, à moins qu'on n'y fasse rentrer les quelques observations publiées de surdi-mutité, manifestation dans laquelle le trouble porte sur la perception des sons vrais, et non sur les sons considérés comme signes conventionnels du langage.

A côté de cette forme il faut placer une variété assez fréquente de bégayement, laquelle n'est qu'un corollaire du mutisme, puisqu'il s'agit encore là d'une aphasie poly- syllabique, mais non totale.

Dans une troisième catégorie, il paraît s'agir surtout de troubles du langage attribuables non plus à l'appareil générateur, mais bien à des modifications de l'appareil récepteur. Tels sont les cas dans lesquels il existe une paralysie faciale, un spasme glosso-labié (1), ou des con- tractures associées (2) , ou un spasme des muscles mastica- teurs comme dans la troisième observation de Leuch (3) . La scansion de la parole semble aussi devoir être attribuée à des troubles variés de même ordre qui souvent échap- pent à l'interprétation (4).

(1) Badeker, Seltenere Formai von Sprachstorungen bei Hystérie. Cha- rité Annalen, XV e année, 1890, p. 373, obs. II.

(2) Strassmasn, Fin Fall von hysterischen Aphasie bei einem Knabe combinirt mit facial is Paralyse, Trismus und Spasmus. Deuts. med. Wo- chens., mars 1890, p. 188.

(3) Leuch Beitraq zur hysterischen Stummheit. Miin. med. Wochens., 25 mars 1890, p. 215.

(4) Souques, Contribution à l'étude des syndromes hystériques simula- teurs des maladies organiques de la moelle épinière. Th. Paris, 1891, p. 13 et suiv.

Bibliographie complémentaire des troubles du langage chez les hys- tériques. Treitel, Ueber acutes Stottern. Berl. klin. Woch. n° 45, 10 nov. 1890, p. 1041. — O. Rosesbacij, Ueber functionnelle Làhmung m. 12


178 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Restent enfin les altérations du langage liées aux spasmes inspiratoires décrits par M. Pitres, lesquels se jugent par des phénomènes dont la description qui va suivre nous révélera encore l'importance.


Les troubles que nous venons de décrire offrent un caractère commun : ils affectent la fonction du langage, l'articulation des mots. D'autre part, ils ont de la ten- dance à s'établir d'emblée à l'état permanent.

Il n'en est plus de même de ceux que nous allons main- tenant étudier. La fonction du langage n'y est qu'accessoi- rement troublée, les modifications respiratoires occupant ici la première place. De plus, ces phénomènes, au lieu de

der sprachlichen Lautgebung. Dents, med. Wochens., n° 46, 1890. — Peltesohn, De l'apsithyrie, mutisme hystérique. Berl. kl. Wocli. , 28 juil- let 1890, p. 681. — DavydOFF, Mutisme hystérique. Arch. psychiat., Charkov, 1891, t. XVII, p. 1. — Biolet, Quelques considérations sur le mutisme hystérique. Th. Paris, 1891. — Ficano, Mutisme hystérique ; guérison par suggestion à l'état de veille. Gazz. d. ospedali, 11 oct. 1891, n° 80. — P. Eders, Zur Casuistik der hysterischen Sprachstorungen. Th. Munich, 1891, 21 p. — Regnery Jacob, Mutismus hystericus, 1891, in-8°, 28 p. (Th.) (?) — Troisier, Mutisme hystérique. Soc. méd. des hop., 8 avril 1892. — Rendu, Aphasie hystérique. Union médicale, 1892, p. 810.

— Hicier, Bégayement hystérique. Gaz. lek. Varsovie, 2 e sér., t. XII, p. 805, 1892. — Ficano, Sopra uno caso di mutismo isterico. Atti. dello Congresso del. Soc. ital. di Laringol., Florence, 1892, p. 210. — Chabbert, Deux cas de bégayement hystérique chez des dégénérés. Progrès méd., n° 8, 25 février 1893, p. 137. — Trapeznikof, Cas d'aphasie d'origine hystérique. Russk. med., Saint-Pétersbourg, n° 18, p. 79, 1893. — Gadziacki, Un cas de mutisme hystérique guéri spontanément. Soc. de psychiatrie de Saint-Pétersbourg, séance du 17 avril 1893. An. in Rev. Neurol., n° 14, 31 juillet 1893, p. 403. — Voroïinski, Mutisme hystérique. Soc. des neuropathologistes de Kazan, 1893. An. in Médecine moderne, n° 102, 23 déc. 1893, p. 1239. — Kayser, Zur Thérapie der liyslerisclien Stum- mheit. Therap. Monats., Berlin, 1893, t. VII, p. 500. — Ringiek, Ein Fait von hysterischer Mutismus, Zeitsch. f. Ilypnotismus, Berlin, 1893-94, t. II, p. 143. — Remak, Cas de bégayement hystérique. Soc. psychiat. de Berlin, 21 mai 1894. — Pope, Ou a case of hysterical alexia cured by suggestion. N.-Orléans med. andsurg. Journ., n° 6, 1893-94, t. XXI, p. 814.

— Gioffredi, Mutismo isterico guarito con l'eterizzazione. Progresso med., Naples, 1894, t. VIII, p. 119.


DE L'HYSTERIE. 170

présenter dès leur apparition un caractère de permanence, revêtent constamment des allures paroxystiques. Cepen- dant, toutes ces manifestations ont incontestablement une même origine centrale.

Briquet range les phénomènes dont nous allons donner la description dans la catégorie des spasmes respiratoires , terminologie que nous adopterons sans nous préoccuper de sa valeur physiologique.

A cette dénomination, M. Pitres (1) ajoute avec raison celle de rythmique, et il propose de répartir ces spasmes ryth- miques respiratoires dans trois groupes qui comprennent :

« 1° Les spasmes respiratoires simples, dans lesquels les secousses convulsives surviennent exclusivement pendant l'inspiration ou pendant l'expiration;

« 2° Les spasmes respiratoires mixtes, dans lesquels les mouvements physiologiques d'inspiration et d'expiration sont tous les deux modifiés par l'intervention des convul- sions ;

« 3° Les spasmes respiratoires compliqués, dans lesquels les secousses convulsives intéressent à la fois les muscles delà respiration et de la phonation. »

« Les spasmes respiratoires simples, dit-il, sont de beau- coup les plus fréquents. Ils doivent être subdivisés en deux variétés distinctes : a) les spasmes expiratoires, qui déter- minent des phénomènes plus ou moins analogues à la toux ou au renâclement; b) les spasmes inspiratoires , qui donnent lieu à des phénomènes ressemblant au hoquet ou au reni- flement. »

Charcot (2) estime, lui aussi, qu'il faut faire jouer un grand rôle dans la production de ces phénomènes aux spasmes des muscles de la respiration. Il attribue à ces


(1) Pitres, Leçons cliniques sur l'hystérie et l'hypnotisme, t. I, 1891, 26 e leçon, p. 235.

(2) Charcot, Toux et bruits laryngés chez, les hystériques, les choréi- ques, les tiqueux, et dans quelques autres maladies du système nerveux. Semaine médicale, 15 sept. 1886. — Bulletin médical, 15 sept. 1886. — Clinique des maladies du système nerveux, t. Iï, appendice, p. 443.


180 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

manifestations la dénomination générale de bruits laryngés, parce que, dit-il, « le larynx prend part nécessairement à leur production; mais, ajoute-t-il, il va sans dire que les muscles d'expiration et d'inspiration entrent également en jeu, en même temps parfois que les voies aériennes supérieures : voile du palais, pharynx, etc. Au point de vue du mécanisme qui préside à leur production, ces bruits ou sons peuvent être ramenés à deux chefs. Les uns sont expiratoires et faits sur le modèle de la toux. La toux consiste, vous le savez, en une série d'expirations brusques produisant un bruit particulier par suite du passage vio- lent de l'air expiré à travers la glotte. La toux hystérique, d'ailleurs, représente un type fondamental dans ce pre- mier groupe. Les autres bruits sont, au contraire, inspira- toires et faits sur le modèle du hoquet, lequel consiste essentiellement, vous le savez, en une contraction subite du diaphragme suivie d'un bruit laryngé rauque. »

C'est, on le voit, à peu de chose près, la classification adoptée par M. Pitres : elle s'appuie dans tous les cas sur les mêmes bases.

« Mais, quel que soit le mécanisme du bruit, dit Char- cot (qui se place surtout au point de vue clinique), celui-ci, toujours inarticulé, peut se présenter sous des formes très variées s'éloignant quelquefois beaucoup, en apparence du moins, du type toux (lussis) ou du type hoquet (singultus). Ces formes sont désignées communément, d'après la res- semblance plus ou moins exacte qu'elles présentent avec les bruits, sons, cris, qui servent de moyens d'expression à divers animaux. C'est ainsi que vous entendrez parler chez les hystériques : 1° des aboiements et des hurlements; 2° des miaulements; 3° des grognements, des mugisse- ments, etc., en souvenir des bruits correspondants qui se produisent à l'état physiologique chez les chiens, chats, porcs, bœufs ou vaches, etc. »

La ressemblance est parfois assez frappante « pour qu'il y ait même quelques bonnes raisons de croire que les cris d'animaux transportés chez l'homme sont, dans certains


DE L'HYSTÉRIE. 181

cas au moins, la conséquence d'une imitation involontaire, automatique, le fait, en un mot, delà contagion nerveuse, comme on l'appelle. »

C'est à un phénomène inconscient d'imitation qu'il faut rapporter les cas analogues à celui relaté par M. Bla- chez (1) « dans son travail sur ce qu'il appelle la chorée du larynx et où il s'agit d'un enfant de six ans. A la suite d'une bronchite légère, il avait été pris tout à coup d'un cri grave, éclatant, tout à fait analogue au bêlement d'une de ces chèvres mécaniques avec lesquelles les enfants aiment à jouer. Ici il s'agit de l'imitation d'un objet ina- nimé, ou animé seulement par un ingénieux mécanisme. »

Mais, quelle que soit la forme qu'affectent les bruits laryngés des hystériques, ils présentent un certain nombre de caractères communs qui les rattachent les uns aux autres et permettent de les considérer comme constituant un groupe naturel.

Il y a donc tout intérêt à donner une description géné- rale de ces caractères, afin d'éviter des redites. Nous l'em- pruntons en partie à la remarquable étude que Lasègue a donnée en 1854 de la toux hystérique (-2). Nous nous étendrons immédiatement quelque peu sur ce type du spasme expiratoire, pour n'avoir plus besoin d'y revenir.




La toux et les autres bruits laryngés ou spasmes respi- ratoires se présentent presque toujours sous la forme pa- roxystique, bien qu'à un certain degré ils offrent les allu- res d'un état permanent.

Mais ici la permanence ne doit pas être prise dans le même sens que lorsqu'il s'agit des troubles du langage pré- cédemment décrits : le muet ne peut parler, ou il ne peut

(1) Blaohez, Chorée du larynx. Gaz. hebd. de me'd. et de chir., n° 42, p. 692, 1883.

(2) Lasègue, De la toux hystérique. Ai-ch. gén. de médecine, mai 1854, p. 513


182 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

s'exprimer qu'en bégayant, et cela d'une façon continue. Ici les secousses de la toux dite permanente ne se montrent qu'à intervalles variables, à divers moments de la journée, à des heures parfois fixes.

Les secousses se groupent en se répétant successivement au nombre de trois ou quatre ou davantage, c'est-à-dire suivant un rythme ternaire ou quaternaire caractéris- tique. Les secousses isolées, ou même les groupes de se- cousses, sont séparés les uns des autres par des intervalles sensiblement égaux. Ajoutons que ces bruits cessent tou- jours pendant le sommeil.

Sur cet état, qui pour être permanent n'est pas continu, se greffent des paroxysmes très intéressants à étudier. Ce sont en réalité de véritables crises ou attaques auxquelles les secousses de toux donnent un cachet particulier, crises qui, à l'instar de tous les paroxysmes hystériques, sont précédées des phénomènes céphaliques de l'aura vulgaire et peuvent se terminer par une période délirante ou être entrecoupées ou suivies de véritables convulsions. Rien ne manque en somme au paroxysme, pas même l'émission d'une urine claire et abondante, et l'analyse des vingt- quatre heures, ainsi que nous l'avons démontré avec M. Ca- thelineau (1), se juge par des modifications entièrement semblables à celles de la grande attaque. Ces considéra- tions sont applicables à toutes les variétés du paroxysme, quelles qu'elles soient, tirant leur caractéristique des spas- mes respiratoires.

Malgré la fréquente répétition de ces bruits, malgré leur intensité, le malade, chose remarquable, ne souffre pas de dyspnée bien marqu ée ou de suffocation ; il en est quitte pour un peu de fatigue respiratoire ou générale. D'ailleurs, ce qui démontre bien l'origine centrale de tous ces phéno- mènes, c'est qu'ils n'entraînent pas avec eux de troubles de la sécrétion laryngée, trachéale ou pulmonaire, ne dé- terminent pas de signes stéthoscopiques particuliers,

(1) La nutrition dans l'hystérie, op. cit., p. 41.


DE L'HYSTÉRIE. 183

contrairement, dit P. Raugé (1), à ce que l'on observe généralement dans les autres névroses du larynx. Il ne faut pas oublier, cependant, que la toux ou les bruits hysté- riques peuvent se développer à l'occasion dune laryngite ou d'une bronchite légère qui tiendraient directement sous leur dépendance les modifications organiques qu'on pourrait alors observer du côté de l'appareil respiratoire.

La toux et les autres bruits laryngés hystériques se dé- veloppent rarement après vingt-cinq ans, ainsi que l'a établi Lasègue. Suivant lui, les filles seraient atteintes à l'exclusion des garçons, ce qui n'est pas exact: la propor- tion paraît seulement plus considérable pour le sexe fémi- nin que pour le sexe masculin.

Toutes ces déterminations sont, au premier chef, des phé- nomènes d'hystérie locale ; en d'autres termes, elles ont une tendance marquée à subsister chez l'hystérique à l'état d'isolement sans accompagnement des stigmates. Cepen- dant, une recherche minutieuse, attentivement poursuivie, décèlera fréquemment l'existence de quelques-uns d'entre eux : anesthésie sensitivo-sensorielle, rétrécissement du champ visuel, etc. On comprend tout le parti qu'on pourra tirer de la constatation de ces stigmates, même isolés, pour le diagnostic. Car des bruits laryngés plus ou moins ana- logues aux bruits hystériques peuvent s'observer, en parti- culier dans la chorée de Sydenham, la maladie des tics convulsifs, le paramyoclonus multiplex. Toutefois, ajou- tons que dans ces affections ils ne revêtent jamais l'allure rythmique ou franchement paroxystique que nous avons signalée.

Les bruits laryngés hystériques ont une évolution nette- ment définie. Ils se développent le plus souvent dune façon brusque, à la suite d'une émotion ou d'une attaque convulsive, par exemple, et cessent fréquemment, de même encore, à la suite d'une attaque. Dans tous les cas, ils constituent une affection généralement très tenace,

(1) P. Raugé, De la toux nerveuse. Bulletin médical, p. 859, 867, 1891.


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très rebelle, qui peut durer des semaines, des mois, des années même, et dont un des caractères très particuliers, on peut le dire, est de résister de la façon la plus obstinée aux calmants ou aux sédatifs habituellement employés en pareils cas. Enfin les récidives en sont très fréquentes.


La description générale que nous venons de donner, tout en s'appliquant à la généralité des spasmes respira- toires, concerne plus particulièrement, avons-nous dit, la toux hystérique, dont Lasègue a fait une étude magistrale en 1854.

Lasègue n'était pas le premier auteur qui se fût occupé de cette question, et Sydenham avait déjà, en quelques lignes, noté les principaux caractères de cette manifesta- tion.

« D'autres fois, dit-il, la maladie se fixe dans les pou- mons, où elle produit une toux très fréquente et presque continuelle, mais sans aucune expectoration. Et quoique cette toux hystérique ne soit ni aussi violente, ni aussi douloureuse que celle qu'on nomme convulsive, elle donne beaucoup moins de relâche. Cependant, elle est très rare et survient principalement aux femmes pituiteuses. »

La lettre de Sydenham (1) à Guillaume Cole est datée de 1681-] 682. A la même époque, Willis (2) donnait de la toux hystérique une description qui, pour être plus incom- plète, ne mérite pas moins d'être signalée. Dans sa Patholo- gie cérébrale, il rapporte l'observation d'une jeune fille chez laquelle la névrose se traduisait par des spasmes, du gon- flement du ventre, des vomissements et des convulsions d'une énergie telle que plusieurs hommes vigoureux avaient peine à la maîtriser. Tous ces accidents dispa- rurent; mais ils furent, dans la suite, remplacés par un symptôme nouveau : une toux violente, persistante, sans

(1) Sydenham, op. cit., tratl. Gault, t. II, p. 477.

(2) Willis, Pathologia cerebri, t. I. De morbis convulsivis, ch. vi, 1682.


DE L'HYSTERIE. 185

expectoration et ne s'arrêtant que pendant le sommeil de la malade.

« Verum exinde novo, et plané admirando symptomate tussi scilicet immani absque sputo dies etnoctes, nisi cum somno obrueretur, perpetuo infestabatur. »

Sauvage ne consacre qu'une simple mention à cette toux r et, dans sa Nosologie, pour plus ample description, il ren- voie à Sydenbam et à Willis : « Hystericœ » , dit-il, « tussim siccam, pertinacem quandoque experiuntur, quœ lactici- niis, exercitio, narcoticis est debellanda. »

En fait, il faut arriver au mémoire de Lasègue pour trouver la première étude complète de la toux hystérique, et sa description sert de base aux notions que nous possé- dons sur les autres bruits laryngés. Brachet, Landouzy et Briquet n'y ont rien ajouté de particulier.

En 187 4, Lafon (1) publiait, sous la direction de Lasègue une bonne thèse dans laquelle il se montrait moins affirmatif que son maître ne l'avait été sur quelques points particu- liers.

Lasègue avait dit que « la toux hystérique non seule- ment restait identique à elle-même pendant tout son cours, mais encore qu'elle n'avait pas de tendances à se trans- former en d'autres formes d'hystérie » . Il mentionnait cependant (p. 526) une observation, empruntée à Chomel, dans laquelle les accès de toux avaient été remplacés, aux heures où ils devaient venir, par des attaques d'hystérie convulsive.

Lafon rapporte un autre cas (obs. III, p. 51), dans le- quel la toux alternait avec des vomissements. Peut-être les provoquait-elle, car les secousses étaient si violentes qu'il se fit une ulcération sublinguale. Il survint aussi une attaque convulsive qui fut suivie de paraplégie complète avec rétention d'urine.

Chez une autre malade (obs. VIII) dont l'histoire lui fut communiquée par Charcot, il y avait coexistence d'aphonie.

(1) Lafon, De la toux hystérique. Th. Paris, 1874.


188 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

De plus, point important qui montre bien la parenté qui unit les divers phénomènes laryngés ou respiratoires que nous décrivons dans ce chapitre, la toux disparut pour faire place dans un cas (obs. IV) à « un bruit nasal continu, une sorte de ronronnement interrompu seulement seize fois par minute par le besoin des inspirations et formant dans l'intervalle un son de renforcement isochrone revenant six ou sept fois en une seconde. Ce bruit nouveau persista sans interruption autre que celle qui faisait cesser la toux, c'est-à-dire au moment des repas et pendant le sommeil.»

Enfin, M. Hérard (1) a publié une observation dans la- quelle les quintes de toux, qui revêtaient l'aspect coquelu- choïde, alternaient avec des crises d'éternuements qui se terminaient quelquefois par une perte de connaissance qui durait un quart d'heure. A signaler encore que parfois les quintes de toux étaient suivies d'un crachement de sang vermeil, peu abondant, qui fit pensera la tuberculose pul- monaire. Nous retrouverons ces faits en traitant de l'hé- moptvsie hystérique.

Il n'en est pas moins certain, ainsi que Lasègue et Char- cot l'ont établi, que la toux est souvent une manifestation monosymptomatique de l'hystérie.


Comme phénomènes du même ordre que la toux, nous placerons encore dans les spasmes rythmiques expiratoires les cris, aboiements, hurlements, simulant ceux que l'on observe chez les animaux. Ils avaient vivement attiré l'at- tention des anciens observateurs.

« C'est aux convulsions laryngiennes, dit Landouzy [op. cit., p. 43), qu'il faut rapporter ces mille variétés de cris obscènes chez les hystériques et qui simulent l'aboiement,

(1) Héiurd, Hystérie survenant à la suite d'une affection catarrhale aiguë ; toux spasmodique, éternuements excessifs, spasme de la glotte, con- tracture des extrémités, convulsions cloniques, etc. Union médicale, 12 jan- vier 1861.


DE L HYSTERIE. 187

les hurlements, les rugissements, le glapissement, le glous- sement dune poule et jusqu'au grognement du cochon ou au coassement des grenouilles, etc. » Et il cite à ce propos le passage suivant de Willis : Nnnc velut ranarum coaxatus, nunc serpentium sibilos, crochus çorvorum, gallo- rum cucurritus, latratus canum, etc. Lalratus, ejulalus, ru- gi tus.

Aves ses secousses rythmiques, au nombre de quatre ou cinq successives, on conçoit combien la toux hystérique puisse simuler facilement l'aboiement d'un chien.

L'histoire de l'hystérie est remplie de ces crises d'aboie- ment qui sévirent souvent à l'état épidémique, car, on le comprend, rien ne frappe plus vivement l'imagination, rien ne met mieux en œuvre la contagion nerveuse que ces aboiements paroxystiques. « La vue des angoisses d'aultrui, dit Montaigne (2), m'angoisse matériellement et mon sen- timent souvent usurpe le sentiment d'un tiers. Un tousseur continuel irrite mon poulmon et mon gosier. »

Delancre (1) donne la description saisissante d'une épi- démie d'aboiements qui sévit, en 1613, sur les femmes de la commune d'Amou, près de Dax.

« C'est chose monstrueuse, dit-il, de voir parfois à l'église, en cette petite paroisse d'Amou, plus de quarante personnes, lesquelles toutes à la fois aboyent comme chiens, faisant dans la maison de Dieu des concerts et une musique si déplaisante qu'on ne peut même demeurer en prière; elles aboyent comme les chiens font la nuit lorsque la lune est en son plein, laquelle, je ne sais comment, remplit alors leur cerveau de plus de mauvaises humeurs. Cette musique se renouvelle à l'entrée de chaque sorcière qui a donné ce mal à plusieurs ; si bien que son entrée dans l'église en fait layra qui veut dire aboyer une infinité, les- quelles commencent à crier dès qu'elle entre. »

Calmeil établit qu'il s'agissait là nettement d'une épi-

(1) Montaigne, Essais, liv. I.

(2) Delancre, cité par Calmeil, De la folie considérée sous le point de vue pathologique, etc. Paris, 1845, t. I, p. 504.


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demie d'hystéro-démonopathie. De semblables manifesta- tions se rencontrèrent d'ailleurs dans d'autres possessions démoniaques. « Quant aux aboiements, dit-il, ou plutôt aux hurlements que faisaient entendre malgré elles, et jusque dans le sanctuaire de la dévotion, les femmes d'Amou, pendant le paroxysme du mal de laïra, ils rap- pellent l'espèce de ramage des fLles de Kintorp, le bêle- ment des nonnes de Sainte-Brigitte, le concert miaulique des orphelins d'Amsterdam: La maladie de laïra paraît donc devoir se rapporter au même type que celle qui avait été surtout répandue pendant le siècle précédent dans les communautés du Nord. Il est à retenir seulement que les femmes qui cédaient à Amou au besoin de pousser des hurlements étaient, dit-on, exemptes de convulsions, tan- dis qu'à Kintorp, à Nazareth et dans vingt autres localités, c'étaient des convulsionnaires qui s'exerçaient à siffler, à braire, à miauler, à aboyer. Du reste, la maladie de laïra était épidémique et attribuée au sortilège ; c'était certaine- ment là une variété de l'hystéro-démonomanie. »

On notait parfois que pendant ces attaques d'aboiement les malheureuses possédées, en proie à des hallucinations, se croyaient véritablement changées en animaux dont elles imitaient les cris. Elles se jetaient les unes sur les autres ou se déchiraient elles-mêmes avec leur dents.

C'est ainsi que, parlant des épidémies d'hystérie qui sévi- rent au seizième siècle dans divers couvents d'Allemagne, Calmeil ajoute {op. cit., t. I, p. 275) : « Dans les moments où ces filles s'échappaient pour grimper sur les arbres, où elles cherchaient à se culbuter, à se mordre les unes les autres, où elles imitaient les cris des animaux, où elles exécutaient des mouvements lascifs, l'exaltation cérébrale devait être portée jusqu'à la fureur. »

Sœur Jeanne des Anges (1) a des accès de ce genre. « Sur les derniers jours, dit-elle, Balaam — un des démons qui la possédaient — parut dans les exorcismes avec une furie

(1) Sœur Jeanne des Anges, op. cit., p. 169.


DE L'HYSTERIE. 189

toute particulière. Il me fit mordre ma main fort cruelle- ment, hurlant comme un chien. »

Lasègue, on s'en souvient, prétendait que la toux hysté- rique s'observait uniquement chez les filles. Dans l'épidé- mie des enfants trouvés de Hoorn, Kniper(l) insiste sur ce l'ait que la maladie sévissait également sur les deux sexes. « Le mal consistait en ce que ces enfants tombaient subi- tement en pâmoison et se trouvaient au même moment comme hors d'eux-mêmes. Ils se tiraillaient et se déchi- raient, frappaient de leurs jambes, de leurs bras et de leur tête contre la terre, criant, hurlant, aboyant comme des chiens; en sorte que c'était une chose pitoyable à voir» .

Cette contagion nerveuse, toujours si expressément no- tée dans ces épidémies de bruits laryngés, ou mieux dans ces épidémies d'hystérie où les bruits laryngés formaient la caractéristique des paroxysmes, s'exerça au suprême degré chez cinq jeunes filles d'une même famille delà ville d'Ox- ford au commencement du dix-huitième siècle (2). Les cris qu'elles poussaient et qui s'entendaient de fort loin « ne ressemblaient pas tant au bruit que font les chiens quand ils aboient qu'à celui qu'ils font quand ils hurlent ou quand ils se plaignent. Ils étaient aussi plus fréquents que ne le sont ceux des chiens ; les malades poussaient comme autant de sanglots à chaque respiration. Elles étaient cinq sœurs à qui ce mal avait pris, quoiqu'elles fussent d'un âge très différent, car la plus jeune n'avait que six ans. »

Raulin et Hecquet rapportent que, pour faire cesser une épidémie de miaulement qui sévissait dans un couvent, on fit signifier aux religieuses, « par ordre des magistrats, qu'il y aurait à la porte du couvent une compagnie de soldats, lesquels au premier bruit qu'ils entendraient de ces miau- lements, entreraient aussitôt dans le couvent et fouet- teraient sur-le-champ celle qui aurait miaulé. Il n'en

(1) Calmeil, op. cit., t. II, p. 155.

(2) M., ibid.,t. II, p. 311.


KO TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

fallut pas davantage pour faire cesser ces ridicules cla- meurs (I). »

I tard (2) a décrit, lui aussi, une petite épidémie d'aboie- ments accompagnés de mouvements rythmiques des épaules survenue dans un pensionnat dont une des élèves, jeune fille de quinze ans, était atteinte de ces manifestations. Pour enrayer le mal qui menaçait de gagner les autres pensionnaires, on prit une mesure décisive. Toutes celles « qui commençaient à crier furent renvoyées dans leur famille et cessèrent bientôt d'être tourmentées par ces bruyantes agitations » .

Nous pourrions multiplier les citations, mais nous avons hâte d'en terminer avec ces phénomènes, qui, pour inté- ressants qu'ils soient, restent constamment les mêmes à travers les siècles.

En 1855, M. Jeannet (3) publiait la relation d'une épi- démie d'aboiements fort analogue à celle de Kintorp ou d'Amou, qui sévit sur les femmes du village de Josselin, en Bretagne.

Briquet rapporte (p. 320 et suiv.) des faits semblables, tant personnels qu'empruntés à divers auteurs et en parti- culier à Itard. Toutefois, le cas de Mme deD..., qui répé- tait à satiété des mots orduriers, ne doit pas être attribué à l'hystérie. Nous avons démontré (4) que cette dame, que vit également M. Charcot, était atteinte de la singulière « maladie des tics convulsifs » , que nous avons décrite pour la première fois, et que la « coprolalie » , comme nous avons appelé cette émission de mots grossiers, n'est pas un symptôme ordinaire de l'hystérie.

Récemment, enfin, Andrew Clark e a communiqué à la

(1) Calmeil, op. cit., t. II, p. 3i3.

(2) Itard, Mémoires sur quelques fonctions involontaires des appareils de la locomotion, de la préhension et de la voix. Arch. cjén. deméd., 182o, obs. IX, p. 400.

(3) Jeannet, Les aboyeuses de Josselin. Rennes, 1855.

(4) Gilles de la Tourette, Etude sur une affection nerveuse caractérisée par de l incoordination motrice accompagnée d'écholalie et de coprolalie. Arch. de Neurol., 1885.


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Société médicale de Londres, sous le nom de toux aboyante de la puberté (1), une série d'observations de toux convul- sive se rapportant à des jeunes gens des deux sexes. Il rattache ces phénomènes à l'influence des « troubles phy- siques et psychiques qui accompagnent l'évolution finale du sexe » .

La lecture des faits ne laisse aucun doute cependant sur la nature de cette toux, qui revêtait le caractère de pa- roxysmes se terminant, comme les attaques d'hystérie con- vulsive, par l'émission d'une urine abondante et limpide. Trois des observations ont trait à de jeunes garçons, et Talamon , qui analyse le mémoire d'A. Clarke, en rap- porte une quatrième, attribuable , elle aussi, au sexe masculin. On en trouvera une autre dans la thèse de M. Bitot (2).

Dans la discussion qui suivit, à la Société de médecine de Londres, la lecture d'A. Clarke, Semon dit qu'on pou- vait distinguer deux variétés de toux nerveuse, l'une pa- roxystique, l'autre rythmique. Ces deux variétés n'en font qu'une, à notre avis, la première n'étant, comme nous l'avons dit, que l'exaltation paroxystique de la seconde, qui peut persister à l'état rythmique dans l'intervalle des crises.

A côté de la toux hystérique, il faut placer dans ces spasmes expiratoires le renàclement hystérique, observé par M. Pitres (3) chez une de ses malades « atteinte, dit-il, depuis sept mois d'un spasme rythmique expiratoire qui l'oblige à faire régulièrement toutes les trois ou quatre secondes un effort de renàclement accompagné d'un bruit rauque, sourd, guttural, analogue à celui qui se produit quand on cherche à expulser volontairement des mucosités pharyngiennes » .

(1) A. Clark, Remarks on the barking couqh of puberty. London med. Society, 15 déc. 1890. An. in Médecine moderne, p. 1003, 1890.

(2) Bitot, L'hystérie mâle dans le service de M. le prof. Pitres a V hô- pital Saint-André de Bordeaux. Th. Bordeaux, 1890, obs. XX, p. 122.

(3) Pitres, Leç. clin, sur l'hystérie, t. I, p. 338, op. cit.


132 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

Pour en terminer avec les manifestations hystériques que nous venons d'étudier, et dont nous connaissons l'évolu- tion et le pronostic, il nous reste à ajouter quelques mots à propos de leur diagnostic. Celui-ci sera presque toujours des plus faciles, surtout si l'on se rappelle les deux grands caractères de la toux, [en particulier le rythme et l'allure paroxystique, qui ne se retrouvent jamais au même degré dans la symptomatologie des affections autres que l'hys- térie portant sur les voies respiratoires.

Dans certains cas, pourrait-on peut-être éprouver quel- ques difficultés à différencier ces manifestations d'avec la maladie des tics convulsifs dont nous parlions il n'y a qu'un instant. Mais les tics eux-mêmes ne rappellent que de loin les secousses rythmées des membres qui peuvent coexister avec les secousses de toux, et l'écholalie et la coprolalie ne sont pas le fait de l'hystérie. Le diagnostic positif pourra cependant parfois offrir quelques difficultés, car les deux affections, maladie des tics et hystérie, sont susceptibles de s'associer (1), et il importe au plus haut point, de savoir à laquelle il faut rapporter les manifestations actuelles; car, si les spasmes expiratoires hystériques guérissent tou- jours, il n'en est pas de même de la maladie des tics, dont l'incurabilité paraît aujourd'hui démontrée.


Les spasmes que nous venons de décrire sont expira- toires. Dans les spasmes inspiratoires simples, M. Pitres étudie le hoquet et le reniflement hystériques.

Nous ne reviendrons pas sur les considérations géné- rales que nous avons présentées et qui s'appliquent à tous les spasmes respiratoires ; nous nous bornerons à l'étude des particularités relatives au hoquet et au renifle- ment.

(1) Gilles de la Todrette, op. cit. — Gharcot, Hystérie et tics convul- sifs. Semaine médicale, 1886. — G. Guidon, Tics convulsifs et liystérie. Revue de médecine, juin 1887.


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Le hoquet, qui consiste essentiellement en une contrac- tion spasmodique du diaphragme suivie d'un bruit laryngé rauque, est une manifestation bien moins fréquente que la toux hystérique. Les anciens auteurs ne le mentionnent que rarement et sans y insister.

Raulin, en 1758 (l), dans son Traité des affections vapo- reuses du sexe, raconte qu'une jeune fille entrée à l'Hôtel- Dieu fut prise subitement d'un hoquet violent et continuel, au point qu'elle ne pouvait trouver le moment de prendre quelques gorgées de bouillon pour se nourrir. Trois jeunes filles couchées dans la même salle présentèrent bientôt les mêmes symptômes, exemple nouveau de contagion nerveuse. Après avoir eu le hoquet pendant un quart d'heure, « elles étaient agitées de convulsions si violentes qu'il fallait quatre hommes pour en tenir une ; le hoquet et les convulsions survenaient à toutes quatre en même temps » .

Raulin, dans l'ignorance où il est de la nature du phé- nomène, met ces manifestations sur le compte de l'imagi- nation. « Les hommes eux-mêmes, dit-il, ne sont pas exempts de ces effets de l'imagination. »

Signalé par Landouzy et Brachet, le hoquet hystérique n'est véritablement bien étudié que par Briquet.

« Les hystériques, dit-il (op. cit., p. 325), et surtout •celles qui sont gastralgiques, sont assez facilement prises de cette sorte de convulsion du diaphragme qui constitue le hoquet. Ce symptôme, ennuyeux et souvent gênant, se produit chez ces hystériques lors des émotions, mais quel- quefois aussi il apparaît sans causes appréciables. Les auteurs citent un certain nombre de cas dans lesquels cette convulsion s'était produite par le fait de l'imitation et était devenue une sorte d'épidémie. »

«Les auteurs rapportent que, en 1737, les religieuses du couvent de Monterey, en Espagne, furent longtemps atteintes d'un hoquet épidémique.

(1) Cité par A. Moreau, Contribution à l'étude du hoquet hystérique. Th. Paris, 29 juillet 1892.

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194 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

« Le hoquet, chez les hystériques, est très bruyant ; chez celles qui y sont sujettes, il apparaît pour la moindre chose, et avec des secousses qui peuvent se répéter à chaque instant. Très prononcé dans le jour, il disparaît constamment pendant le sommeil et se voit, en général, très rarement durant le temps d'une attaque.

« Chez le plus grand nombre des malades, sa durée n'est pas longue, et s'il se répète de manière à être en quelque sorte continu, les accès se terminent au bout de quelques jours : chez certaines hystériques il peut durer des mois et même des années, mais alors il est intermit- tent et ne paraît que de loin en loin. »

A ce dernier propos, nous pouvons dire que nous avons observé à la Salpêtrière une jeune fille de seize ans chez laquelle, depuis trois ans, le hoquet constituait, dans ces conditions, une manifestation monosymptomatique de l'hystérie. M. Weill (1) a également rapporté l'histoire d'une malade atteinte d'astasie-abasie à type choréique, chez laquelle survint pendant la convalescence d'une va- riole « un hoquet convulsif bigéminé procédant par deux secousses convulsives » , qui persista pendant trois ans sans s'accompagner d'aucune autre manifestation nerveuse.

Par contre , le hoquet hystérique n'est peut-être pas aussi fréquent que semble le dire Briquet, si l'on en juge par le petit nombre de publications auxquelles il a donné naissance.

Charcot (2) en a rapporté une observation dans laquelle le hoquet était associé au bâillement, manifestation de même nature que nous allons décrire.

Chez une malade de M. Pitres (3), le hoquet survenait ha- bituellement après l'ingestion des aliments et durait de deux à quatre heures, suivant la quantité de substances

(1) Weill, Astasie-abasie à type choréique. Arch. de Neurol., janvier 1892, p. 88.

(2) Leçons du mardi a la Salpêtrière, 1888-89, l re leçon.

(3) Pitres, Leçons clin, sur l'hystérie et ï hypnotisme, op. cit., t. l t p. 342.


DE L'HYSTERIE. 195

ingérées, et s'accompagnait de tympanisme abdominal. La compression énergique du cou au-dessus delà clavicule, le long du trajet des pneumogastriques, était seule capable d'enrayer la marche des accès.

M. A. Moreau (op. cit.), qui, en 1872, a consacré sa thèse à l'étude duhoquet hystérique, n'en rapporte que cinq observations, dont trois inédites, les deux autres apparte- nant à M. Weil et à M. Pitres, auxquelles il convient d'ajouter un cas de Stockton (1), dans lequel ie hoquet ou sanglot survint chez une jeune fille de dix-neuf ans, et un autre de Mader (2), où il s'alliait à des attaques convul- sives.

Après ce que nous avons dit de la toux, nous n'avons rien à ajouter en ce qui regarde le caractère paroxystique, l'évolution, le pronostic, etc., du hoquet hystérique dont le diagnostic n'offrira en général aucune difficulté.


A côté du hoquet, M. Pitres place le reniflement hys- térique, phénomène de même ordre, puisque la malade dont il rapporte l'observation avait eu, à dix-huit ans, une attaque de sanglots et que, quelques jours plus tard seule- ment, elle fut toute surprise de ne pouvoir respirer que par le nez en produisant un bruit désagréable et réguliè- rement rythmé de reniflement.

« Ce reniflement se produit au début des inspirations. Il est causé par une secousse brusque, convulsive, des muscles inspirateurs. Au moment où il a lieu, la bouche se ferme, les narines se rapprochent, la tête fait un petit mouvement de projection en haut et en avant, les épaules s'élèvent, la poitrine se dilate et tout l'air inspiré passe

(i) Stockton, Le hoquet ou sanglot hystérique. An. in Lyon médical, 1893, p. 556.

(2) Mader, Hystero-epileptische Ânfalle verbunden mit Singultus ; Hei- lung. Bericht der k. k. Krankenanstallt Rudolph. Sitzung in Wien (1891), 1892, p. 306.


196 TRAITE CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

par les fosses nasales en déterminant un bruit spécial qu'il est facile d'imiter en aspirant vivement une certaine quan- tité d'air par les narines. L'expiration ne présente rien d'anormal. Le spasme se reproduit d'ordinaire de huit à dix fois par minute, mais sa fréquence est très variable, car elle subit de notables modifications, en plus ou en moins, par l'influence de circonstances incidentes assez nombreuses. »

Le reniflement persista ainsi pendant plus de six mois sans s'accompagner d'attaques convulsives ; mais la ma- lade présentait les stigmates caractéristiques de l'hystérie.


Dans les spasmes inspiratoires mixtes, M. Pitres classe les bâillements et les éternuements hystériques.

Nous nous étendrons quelque peu sur les bâillements, dont nous avons fait avec MM. Huet et Georges Guinon (1) l'objet d'une étude particulière basée sur cinq observa- tions personnelles.

En dehors de notre travail nous ne connaissons, de ces phénomènes, qu'un exemple rapporté en 1846 à la Société de médecine pratique et signalé par Pitres (2). M. Char- cot (3) a consacré sa Leçon du mardi 23 octobre 1888 à l'analyse du cas qui fait le sujet de la première observa- tion de notre mémoire.

M. Ch. Féré(4), traitant, en 1888, du bâillement chez les épileptiques, parle également du bâillement chez les hys- tériques. « Ce phénomène est fréquent, dit-il, dans les psy- choses à forme dépressive, dans l'hypocondrie, la mélan- colie ; on le voit aussi dans l'hystérie. Dans cette dernière

(1) Gilles de la Tourette, Huet, G. Guinon, Contribution a l 'étude des bâillements hystériques. Nouv. Icon. de la Salp., t. III, 1890, p. 97.

(2) Leçons sur V hystérie, op. cit., t. I, p. 345. — Cousserant, Gazette des hôpitaux, 1846, p. 375.

(3) J.-M. Cuarcot, Leç. du mardi a la Salp., 1888-89, p. 1 et suiv. (h) FérÉ, Bâillements chez, un épileptique. Nouv. Icon. de la Salp.,

1888, t. I, p. 163.


DE L'HYSTERIE. 197

névrose, il peut tenir au ralentissement général des phé- nomènes nutritifs ou constituer une sorte de spasme. »

Le passage est trop court pour nous fournir des maté- riaux à utiliser dans une description; nous emprunterons toutefois à ce travail les éléments d'un diagnostic diffé- rentiel. Aussi bien, du reste, n'est-ce pas presque toujours avec l'épilepsie que le diagnostic s'impose lorsqu'il s'agit de manifestations hystériques?


Les bâillements hystériques ne s'observent que rarement, puisque nous n'avons pu en réunir que six observations.

Ils se présensent à l'observateur, à l'état isolé ou con- curremment avec d'autres phénomènes hystériques, sous deux formes différentes : permanente ou paroxystique, qui peuvent d'ailleurs alterner chez le même individu.

Dans la première, la malade — car nos cas se rapportent uniquement à des femmes âgées de dix-sept à trente ans — se met tout à coup à bâiller, et les bâillements sont surtout remarquables par leur persistance même. Un de nos sujets (obs. 1), avant de présenter des crises véri- tables de bâillements, deuxième forme de cette manifesta- tion, bâillait pour ainsi dire constamment : « A l'origine, dit M. Charcot, elle bâillait environ huit fois par minute, 480 bâillements par heure, soit 7,200 en quinze heures de veille. »

Dans ces cas, le sommeil seul interrompt les bâille- ments, qui reprennent au réveil et peuvent ainsi persister pendant des semaines et des mois sans que la santé géné- rale semble en souffrir notablement.

Lorsque les bâillements revêtent cette allure, il est, croyons-nous, assez facile de les différencier des bâille- ments physiologiques et aussi de ceux qui, physiologique- ment pour ainsi dire, peuvent survenir dans l'hystérie comme au cours de tout autre état normal ou pathologique.

Nous avons noté la fréquence; nous noterons encore et


198 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

surtout « le rythme et la cadence, caractères propres à nombre de phénomènes hystériques» (Charcot). Déplus, le bâillement physiologique consiste en une inspiration pro- fonde; le thorax est alors à son summum d'ampliation, les mâchoires sont écartées au maximum ; il se termine par une expiration bruyante qui s'accompagne souvent de flux de salive et de sécrétion de larmes. Souvent aussi, il se pro- duit des pandiculations qui ne sont autres que des mouve- ments d'élévation et de rétraction en arrière des épaules.

Or, on peut voir, sur les tracés que nous avons publiés (op. cit., fig. 40), que l'inspiration dans le bâillement hys- térique n'est guère plus profonde qu'une inspiration nor- male. Peut-être cela tient-il à ce que les bâillements sont tellement répétés que la malade n'a pas besoin de sup- pléer à l'hématose insuffisante qui provoquerait — à ce que l'on croit — le bâillement physiologique. Parfois, en effet, ils se rapprochent tellement qu'il semble que ce soit le mode habituel de respirer des sujets. Nous note- rons aussi que les bâillements s'accompagnent ou même s'entrecoupent de quintes de toux, phénomènes de même ordre. Ce qui est exagéré, par exemple, c'est l'ampli- tude de récartement des mâchoires porté à son maxi- mum, au point qu'il peut se produire une luxation des mâchoires et des phénomènes inflammatoires du côté des articulations temporo-maxillaires (1).

Le bâillement considéré en soi peut être simple, unique, mais aussi il peut être double, se faire en deux fois, c'est- à-dire être formé de deux inspirations assez rapprochées pour constituer un seul et même bâillement.

Il peut être avorté ; une de nos malades (obs. III) accu- sait parfois une sensation de malaise; il fallait que le bâil- lement fût complet pour que l'organisme se déclarât satisfait. On note, en effet, que les bâillements s'accom- pagnent souvent, comme â l'état physiologique, d'ailleurs, d'une sensation de soulagement.

(1) CiiATiror, Clinicjue des maladies du système nerveux, publiée par G. Guinon, t I, p. 455.




DE L'HYSTERIE. 199


Les crises de bâillements ne diffèrent pas, comme allure générale, des autres manifestations convulsives limitées ou généralisées de l'hystérie se groupant sous forme d'attaques. Il existe dans tous ces cas un fonds commun qui se juge par les phénonènes prémonitoires de l'accès, par les signes et symptômes constitutifs de l'aura.

Lorsque la crise va survenir, la malade accuse une sen- sation de boule qui remonte de l'épigastre ; elle a des bourdonnements d'oreilles, des battements dans les tempes; puis, après un temps variable, éclatent les bâille- ments sous forme d'accès.

Ils se précipitent alors beaucoup plus rapidement que dans la forme précédemment décrite, empiétant les uns sur les autres pendant un temps plus ou moins long, un quart d'heure, une demi-heure et plus, suivant les cas. Puis la crise se termine, les bâillements cessent pour revenir ultérieurement sous la même forme paroxystique.

Il est bien rare que la crise de bâillements soit absolu- ment pure de tout mélange des phénomènes ordinairement observés lors de la grande attaque. On sait, en effet, — M. Charcot l'a montré, — qu'un observateur attentif re- trouve presque toujours dans les crises convulsives limi- tées : chorée rythmée, toux, dyspnée hystérique, des vestiges des quatre périodes classiques.

Outre les phénomènes prémonitoires de l'aura, qui sont communs, il est fréquent d'observer, au début de cette attaque, des contractures des membres supérieurs ou infé- rieurs, contractures qui, de toniques, ne tardent pas à devenir cloniques. Enfin, lorsque la crise se termine, le regard devient fixe, la physionomie reflète des sentiments représentatifs des attitudes passionnelles. La prédomi- nance des bâillements fixe seule la forme de l'attaque.

Parfois, l'attaque de bâillements se termine par une véritable attaque convulsive ordinaire, les bâillements


200 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

représentant alors la phase tonique du paroxysme; dans d'autres circonstances, on voit alterner, sans se confondre, les attaques convulsives proprement dites et les attaques de bâillements, comme dans le cas de Cousserant et dans un de ceux qui nous sont personnels (obs. III).

Le diagnostic différentiel des bâillements ne nous arrê- tera pas longtemps; presque toujours il existe concurem- ment des stigmates qui, en dehors des bâillements eux- mêmes, ne permettront pas à l'observateur de s'égarer. Mais enfin, on peut supposer que ce soit là une manifesta- tion monosymptomatique de l'hystérie. Dans ce cas, l'em- barras peut être grand. Lorsque les bâillements ne sont pas groupés sous forme à' attaques, le rythme et la cadence sont des éléments différentiels de premier ordre qui ne paraissent pas exister dans les bâillements épileptiques, lesquels, en outre, ne revêtiraient pas la forme paroxys- tique (Féré).

Dans la forme paroxystique, on peut faire intervenir un élément d'appréciation qui permettrait, s'il était néces- saire, d'établir un diagnostic certain aves les accès de bâil- lements épileptiques, qui, nous l'avons dit, n'ont pas encore été observés sous cet aspect. Ce critérium est tiré de l'analyse des urines.

En effet, les recherches que nous avons faites avec M. Cathelineau (1) dans un cas de bâillements hystériques nous ont montré que, de même que l'attaque convulsive, l'attaque des bâillements se jugeait par l'abaissement du taux du résidu fixe, de l'urée, des phosphates, avec inver- sion de la formule de ces derniers.

Il suffit, pour s'en convaincre, de considérer le tableau ci-dessous (tabl. XXII) :

Il est à noter que les bâillements qui surviennent sans se grouper sous forme d'attaques n'influencent pas les phénomènes nutritifs. Il faut, pour les bâillements comme pour les autres manifestations hystériques, qu'il y ait crise

(1) Gillks de la Tourette et Gathelikead, La nutrition dans l'hystérie, cp. cit., p. 42.


DE L'HYSTERIE.


201


pour que les modifications se produisent. Nous insistons sur ces données chimiques; car, si le doute pouvait exister entre les attaques de bâillements hystériques et les bâil- lements épileptiques, l'analyse des urines trancherait vite la question, 'étant donné, comme nous l'avons dit, que l'accès d'épilepsie, à l'inverse de l'attaque d'hystérie, augmente considérablement le taux du résidu fixe et par-

Tablf.au XXII Attaque de bâillements hystériques.


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Ler. . . 17 ans. . . . (salle Duchenne)

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Attaque.


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OBSERVATIONS


Du 12 au 16 août 1£


Du 7 au 1 1 août 1£


ticulièrement de l'urée sans inversion de la formule des phosphates.


En regard des bâillements, il faut mettre les éternue- menls hystériques, dont Brodie paraît avoir, le premier, rapporté deux exemples probants.

« On vint me consulter, dit-il (l), pour une jeune fille de dix-huit ans qui présentait les symptômes suivants : accès fréquents d'éternuement avec écoulement très abon- dant d'un liquide aqueux par les narines; toux nerveuse alternant avec cette sensation dans la gorge décrite sous le


(1) Biiodie, trad. franc., op. cit., p. 42.


202 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

nom de boule hystérique. Elle présentait assez souvent des attaques d'hystérie... Il n'y avait aucune trace d'affec- tion nasale. »

Chez une autre malade de trente-sept ans, les éternue- ments, qui survenaient au nombre d'une centaine, une fois par semaine, s'accompagnaient également d'un écoule- ment aqueux abondant, suffisant pour tremper un mou- choir. Ces phénomènes, qui persistaient encore au bout de trois mois, ne se montraient plus alors qu'une fois par mois.

Romberg (l) cite le cas d'un jeune garçon de treize ans qui avait des crises d'éternuements alternant avec des accès de toux.

Nous avons déjà signalé une observation d'Hérard pu- bliée en 1860, dans laquelle des éternuements excessifs alternaient aussi avec des quintes de toux spasmodique, chez une hystérique.

En 1885, M. Souza-Leite (2) publiait une observation fort intéressante dans laquelle la toux et les éternuements formaient le symptôme dominant d'une attaque qui débu- tait par une aura presque complète et se terminait par des convulsions toniques et cloniques suivies d'un peu de ster- tor. Le nombre des éternuements était variable, mais tou- jours considérable. « Tantôt, dit M. Souza-Leite, nous comptons 32, 37, 40 éternuements dans une minute; tantôt 100, 95, dans trois minutes; tantôt 161, 149, dans cinq minutes.

« Dans l'espace de vingt-deux jours, la malade a fait 16,195 éternuements, qui donnent par jour une moyenne d'à peu près 735. A partir du 14 novembre, l'intervalle qui séparait chacune des crises d'éternuement et de toux devint plus grand, en ce sens qu'elles ne se manifestaient

(1) Romberg, Lehrbuch der Nervenkrankheiten des Menschen. Bel II, p. 88. Berlin, 1851.

(2) Souza-Leite, Cas d'hystérie dans lequel les attaques sont marquées par une manifestation rare : éternuements. Arch. de Neurologie, t. IX, 1885, p. 53.


DE L'HYSTERIE. 203

plus journellement comme il arrivait auparavant; en effet, entre cette date et le 1 er avril 1885, les crises dont il est question ne se sont montrées que vingt-cinq fois, et on a noté le chiffre de 29,335, donnant la moyenne à chaque fois d'environ 1,174. Du 21 octobre au 1 er avril, la malade éternua 45,550 fois. » Il n'est pas fait mention d'écou- lement nasal dans cette observation.

Ce chiffre considérable de 45,550 paraît encore avoir été dépassé dans une observation de Mosler (1), qui a compté 50,000 éternuements en trois jours.

Sydney-Ringer (2) et Pitres (3) ont également rap- porté des exemples d'éternuements hystériques. Le cas de Pitres est intéressant en raison de la persistance de ces phénomènes. La malade, « fille et sœur d'hystériques, qui n'avait jamais eu d'attaque, fut sujette tous les jours pen- dant huit ans consécutifs à des accès d'éternuements débu- tant invariablement à son réveil et durant jusqu'à une ou deux heures de l'après-midi. Ces éternuements se succé- daient sans interruption pendant les cinq ou six heures que duraient les accès. Ils disparurent tout à coup, en 1883, à la suite d'un seul bain sulfureux pris à Cauterets. »

L'analyse de ces observations nous dispense d'une plus longue description de ces phénomènes, analogues, comme on le voit, à la toux hystérique, avec laquelle ils coïncident ou s'entremêlent parfois.


M. Pitres cite dans les spasmes rythmiques inspiratoires mixtes le rire hystérique, qui est fort commun. Il se produit par accès et précède, accompagne ou suit les attaques con- vulsives, dont il peut être indépendant jusqu'à un certain

(1) Cité par FÉRÉ, Les éternuements névropathicjues. Progrès médical, n° 4, 24 janvier 1885, p. 69.

(2) Sydsey Ringer, Remarks on paroxysmal sneezing. Brit. med. Journ., 'uin 1888.

(3) Pitres, Leçons cliniques sur V hystérie et l'hypnotisme, op. cit., t. I, p. 346.


204 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

point, à l'instar des phénomènes de même genre que nous venons de décrire.

Nous rappellerons que, dans un passage déjà cité (t. II, p. 205), Ambroise Paré raconte, d'après Holier, « que les deux filles du président de Rouen, lorsqu'elles commen- çoient à entrer en paroxysme de ce mal (suffocation de matrice) estoyent surprises d'un ris qui leur duroit une et deux heures, lesquelles on ne pouvoit arrester ny par leur faire peur et terreur, ny par honte et admonitions, de sorte que tancées par leurs parents, respondoyent n'estre en leur puissance de se garder de rire. »

Briquet a rapporté un certain nombre d'exemples de rire hystérique.

« Ces accès de rire, dit-il {pp. cit., p. 322), ont lieu soit comme préliminaires des attaques, soit hors le temps delà convulsion. Je ne m'occuperai ici que de ces derniers.»

Après avoir signalé le cas d'Holier, il ajoute : «On cite(l) une jeune fille qui fut prise la première nuit de ses noces et sans cause connue d'un rire inextinguible. Primerose rapporte que Liébault avait écrit avoir vu deux jeunes filles qui, après avoir beaucoup pleuré, ne pouvaient plus pen- dant des heures s'empêcher de rire.

« J'ai vu une jeune fille hystérique qui avait des accès de rire sans cause suffisante ; une chose indifférente la faisait rire, et alors elle éprouvait le sentiment de bien- être qui accompagne ordinairement cet acte, quoique en même temps elle sentît de la strangulation à la gorge et quelque constriction à la poitrine. Apportant aux offices un sentiment pieux, il lui arrivait quelquefois d'y être prise d'éclats de rire inextinguible; c'était chez elle un véritable spasme, »

Ces accès de rire se retrouvaient également chez sœur Jeanne des Anges, qui résume, pour ainsi dire, la patho- logie de l'hystérie. « Je faisois à toute heure des ris sans raison, dit-elle (2), et je me trouvois poussée à dire des

(1) Âcta helvetica med. physica, etc., p. 48.

(2) Sœur Jeanne des Ange. 1 ;, op. cit., p. 143.


DE L'HYSTÉRIE. 205

paroles de plaisanterie ; cependant je n'estois pas si trou- blée que je n'eusse le pouvoir de me contenir. »

Briquet estime que ces phénomènes, de même que la toux, l'aboiement, etc., sont éminemment susceptibles de régner à l'état épidémique par voie de contagion nerveuse.


Dans un dernier paragraphe, M. Pitres (1) étudie les spasmes respiratoires compliqués, ceux qui, dit-il, « intéres- sant à la lois les muscles de la respiration et ceux de la phonation, forcent les malades à produire rythmique- ment et malgré leur volonté des bruits inarticulés, ou à répéter certaines syllabes, ou enfin à prononcer convulsi- vement des paroles distinctes » .

La première catégorie comprend les spasmes respira- toires compliqués par la production involontaire et rythmique de bruits inarticulés.

Ces bruits sont très variés et presque tous expiratoires ; ils ressemblent aux aboiements des chiens, aux miaule- ments des chats, au mugissement des taureaux (spasme inspiratoire dont M. Pitres rapporte un exemple person- nel), aux hurlements des fauves, aux bêlements des mou- tons, aux roucoulements des tourterelles, aux glousse- ments des dindons, etc. Nous avons déjà dit qu'ils avaient été, en partie au moins, signalés par Willis et qu'ils pou- vaient être considérés comme analogues à la toux hysté- rique. Aussi n'y reviendrons-nous pas.

Dans une autre catégorie se rangent les spasmes respi- ratoires compliqués de troubles de l'articulation des mots, ou de l'émission involontaire de paroles nettement articu- lées. Ces faits ressortissent à certaines variétés de bégaye- ment hystérique et n'ont en somme rien de particulière- ment intéressant, d'autant qu'on pourrait multiplier ces formes indéfiniment.

(1) Op. cit., t. I, p. 347.


206 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE


Dans le domaine des manifestations qui portent sur l'appareil respiratoire, nous étudierons encore Y asthme et la dyspnée hystériques.

L'asthme hystérique serait connu depuis longtemps, d'a- près Briquet (op. cit., p. 251); c'est de cette affection « que voulait parler van Helmont quand il a traité de la maladie à laquelle il a donné le nom (ïasthma uteri» .

Mais doit-on confondre Yasthma uteri de van Helmont et de Briquet avec les observations récemment publiées de dyspnée hystérique ? Il faut avouer, comme on en pourra juger, que cliniquement la ressemblance ne s'impose pas et que les phénomènes, que Briquet décrit indifférem- ment sous le nom de dyspnée ou d'asthme, ne sont pas en- tièrement comparables à ceux que nous ont fait connaître les travaux de Charcot et de Weir Mitchell.

Pour Briquet, l'asthme hystérique s'observerait « plus fréquemment chez les sujets lymphatiques et contractant facilement des rhumes que chez tous les autres » . Cette manifestation intermittente présenterait « tous les carac- tères apparents de l'emphysème pulmonaire : respiration gênée, courte, sibilante, avec augmentation de la dyspnée lors de la parole, lors de la toux et lors de la position horizontale. Bàle sibilant très abondant, chant sibilant laryngo-trachéal, expectoration semblable à de l'eau gom- meuse, crachats perlés et de temps en temps accès de dys- pnée plus forte que de coutume, avec nécessité de se tenir soit sur son séant, soit le corps penché en avant. En un mot, tous les signes de l'emphysème pulmonaire moins ceux qui indiquent la dilatation des cellules pulmonaires, c'est-à-dire moins l'absence du murmure vésiculaire. »

Cet asthme débute brusquement; il peut, « comme tous les phénomènes hystériques, acquérir beaucoup d'in- tensité et durer des mois entiers; mais presque toujours il disparaît soit graduellement, soit brusquement. Je


DE L'HYSTERIE. 207

l'ai vu alterner, dit Briquet, avec une paraplégie hysté- rique; ordinairement, il apparaît après la disparition de quelque phénomène hystérique saillant, et il disparaît à son tour quand celui-ci revient. »

On conviendra qu'il doit être extrêmement difficile de différencier ces phénomènes de ceux qui sont attribuables soit à l'asthme vrai, soit aux accès d'asthme symptoma- tique de l'emphysème. C'est peut-être pour ces raisons que la description de Briquet est restée isolée, la manifestation que l'on décrit aujourd'hui sous le nom de dyspnée ou de tachvpnée, de respiration hystérique rapide, revêtant une tout autre allure.

Les descriptions de Charcot (l) et de Weir Mitchell (2), les deux auteurs qui se sont le plus occupés de cette ques- tion, sont identiques. Ici, pas de phénomènes stéthoscopi- ques; pas d'expectoration ; tout réside, comme pour les ma- nifestations précédemment décrites, dans le rythme spécial delà respiration. «Nous comptons, ditCharcot, à peu près de 170 à 180 respirations par minute. Tout cela se fait silencieusement et sans bruit. La malade ne semble pas anxieuse, bien que les inspirations soient peu profondes : elle ne souffre véritablement pas, et on ne constate chez elle aucune trace de cyanose, contrairement à ce qui aurait lieu certainement s'il y avait véritablement dyspnée avec anoxémie. Il n'y a pas d'accélération non plus du pouls (60 à 80 par minute). L'auscultation montre d'ailleurs que l'inspiration et l'expiration sont parfaitement libres et, à part la fréquence, dénuées de toute anomalie, de telle sorte que la dénomination tachypnée conviendrait incontestable- ment beaucoup mieux que celle de dyspnée pour caracté- riser cette accélération hystérique des mouvements respi- ratoires. »

Cette dyspnée se montre pendant la veille et disparaît

(1) Charcot, Leçons du mardi a la Salpètrière, t. I, 1887-88, p. 193. — Id., t. II, p. 11.

(2) Weir Mittchell, De la respiration hystérique rapide. Amer. Journ. o/ med. Sciences. — Semaine médicale, n° 32, 24 mai 1893, p. 256.


208 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

pendant le sommeil. Elle survient « par accès qui durent trois ou quatre heures et qui semblent à peu près toujours inaugurés par une période prodromique marquée par des symptômes qui rappellent l'aura de l'hystérie convulsive. Il semble alors à la malade qu'elle ressent une constriction à la gorge suivie de bourdonnements d'oreilles, de batte- ments dans les tempes, et peu après se montre l'accéléra- tion des mouvements respiratoires. L'attaque se termine souvent par des pleurs, comme se termine l'attaque d'hys- térie vulgaire, et, en somme, il n'est guère douteux que l'accès dyspnéique représente en quelque sorte une atta- que hystérique temporaire.

Chez la malade de Charcot, ces phénomènes duraient depuis près d'un an et ne s'accompagnaient pas d'autres manifestations hystériques. C'était là, dit notre maitre, une manifestation de « l'hystérie mononosymptomatique » , laquelle est toujours fort tenace.

Par contre, l'une des malades de Weir Mitchell avait présenté antérieurement, ou concurremment avec la dys- pnée, de l'aphonie, un état de catalepsie prolongée et de l'arthralgie d'un genou.

De même, chez une malade de M. Fouquet(l), existait-il avec de la dyspnée et de la polypnée des attaques con- vulsives, une paraplégie presque complète accompagnée de divers stigmates sensitifs.

M. Mackey (2) a rapporté un cas de cette respiration rapide qui avait pu faire songer à de la dyspnée cardiaque ou diabétique.

Une des caractères importants de la manifestation que nous décrivons serait, avons-nous dit, d'après Charcot, qu'elle ne s'accompagne pas de phénomènes d'asphyxie attribuables à de la sténose laryngée, par exemple.

(1) Fouquet, Étude clinique sur quelques spasmes d'origine hystérique. Th. Paris, 1880, obs. IX, p. 46.

(2) Mackey, Case of hysterical rapid breathinq simulating cardiac or diabetic dyspnœa. Nous n'avons pu prendre connaissance de cette observa- tion, en l'absence d'indications bibliographiques suffisantes.


DE L'HYSTERIE. 299

De ce fait, nous avons cru devoir séparer les attaques de dyspnée hystérique des paroxysmes à forme de spasme laryngé, que nous avons longuement décrits dans le cha- pitre ni (t. II).

Cependant, il n'est pas douteux que ces manifestations, si elles affectent des allures cliniques qui permettent de les différencier, ne puissent être aussi intimement rapprochées les unes des autres comme les anneaux dune chaîne, d'une série ininterrompue. On peut rencontrer, du reste, des cas de transition.

Nous avons en effet observé à la Salpêtrière, en 1889, une malade chez laquelle l'attaque, précédée par une aura caractéristique, se jugeait par une longue période de respi- ration très rapide à la suite de laquelle survenait de la cyanose et un spasme de la glotte qui faillit, à plusieurs reprises, nous faire intervenir à l'aide de la trachéotomie. Ces accès persistèrent longtemps, mais finirent par dispa- raître, de même que la paraplégie dont cette femme était atteinte.


Les phénomènes que nous avons décrits jusqu'à présent, s'ils tirent leur caractéristique des modifications que pré- sentent dans leur fonctionnement les appareils phonateur et respiratoire, n'en sont pas moins, pour ainsi dire, d'ordre général. C'est ainsi, par exemple, que dans le mu- tisme on ne saurait incriminer le muscle lingual, pas plus que dans la toux ou dans l'aboiement on ne peut localiser l'action de la névrose sur tel ou tel muscle laryngé.

Nous allons maintenant passer en revue les cas où l'hys- térie se manifeste localement sur le larynx ou sur le pou- mon, car nous n'avons rien à ajouter à ce que nous avons dit relativement aux voies respiratoires supérieures. Nous nous occuperons d'abord de Y hystérie laryngée dont M. Thaon a donné une bonne étude d'ensemble au Con- grès de Milan, en 1880.

m. 14


210 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Pour M. Thaon(l), les cas d'hystérie laryngée sont très fréquents sans qu'il soit toujours possible de donner de cette localisation une explication suffisante. Évidemment, il faut ici comme ailleurs tenir compte des causes occasion- nelles : inflammation souvent très légère de la muqueuse, traumatisme de la région, ou cause locale plus éloignée : tumeur ou inflammation de la région palatine. Enfin, les troubles laryngés tireraient, dans certains cas, leur origine de la sympathie qui semble exister entre le larynx et les organes génitaux qui peuvent être atteints de lésions jouant le rôle d'agents provocateurs. Entre ces manifesta- tions locales et les causes provocatrices on voit, en somme, qu'il y a un intermédiaire obligé, le cerveau, ou mieux l'état mental des hystériques, de telle façon qu'en résumé les phénomènes d'hystérie laryngée peuvent être, à juste titre, considérés comme étant, eux aussi, d'origine cen- trale .

M. Thaon range les troubles laryngés de l'hystérie sous quatre chefs : l'anesthésie et l'hyperesthésie du larynx, l'aphonie et le spasme.

Nous ne reviendrons pas sur les troubles de sensibilité de la muqueuse du larynx et de l'arrière-gorge, dont nous nous sommes déjà occupé (t. I, chap. v et vu). Nous ajou- terons seulement, comme complément, que M. Thaon rap- porte à l'hyperesthésie du larynx un trouble évidemment d'origine centrale, que M. R. Coën (2) a décrit en 1876 sous le nom de phonophobie. Les malades qui en sont atteints ont, pour ainsi dire, peur de parler à haute voix. Ils chuchotent constamment et, s'ils parlent haut, ils sont immédiatement pris de douleurs aiguës dans la région du larynx. C'est là, en somme, une variété d'aphonie à rappro- cher du mutisme hystérique.


(1) Thaon, L'hystérie et le larynx. Mémoire lu au Congrès de laryngo- logie de Milan, sept. 1880. In Annales des maladies de l'oreille et du larynx, 1881, p. 30.

(2) R. Goen, Ueber Phonophobia. Allg. Wien. med. Zeitung, n° 27, 1876.




DE L'HYSTERIE. 211


Gomme troubles localisés liés à l'hyperesthésie de la muqueuse du larynx il faut bien plutôt signaler les sensa- tions de brûlure, de déchirure, de corps étrangers allant du sternum à la gorge, qui font faire aux malades de vio- lents efforts d'expulsion accompagnés de toux quinteuse. L'examen laryngoscopique, qu'il ne faut jamais manquer de pratiquer dans tous ces cas, montre qu'il n'existe aucune modification locale de la muqueuse, si ce n'est une vive hyperesthésie à laquelle sont attribuables les phéno- mènes observés.


Les troubles beaucoup plus importants que nous avons à étudier portent sur la paralysie et la contracture des mus- cles du larynx. Ces muscles sont nombreux, mais, au point de vue qui nous occupe, on peut uniquement les considérer suivant leur action physiologique et les diviser en adduc- teurs et en abducteurs, ces derniers limités aux crico-ary- ténoïdiens postérieurs.

La description des symptômes qu'entraîne l'hystérie, lorsqu'elle se localise sur ces muscles, est hérissée de dif- ficultés ; il en est là comme pour les muscles des yeux, et dans beaucoup de cas on ne peut déterminer si l'on est en présence de la paralysie des abducteurs ou de la contrac- ture des adducteurs. De plus, Thaon a fait cette remarque que, si généralement les paralysies ouïes contractures sont bilatérales, il peut se faire aussi qu'elles ne siègent que d'un seul côté. Enfin, il se passe encore quelque chose d'analogue à ce que nous avons vu exister pour la mus- culature de l'œil et de la face, le muscle antagoniste étant conjointement frappé de paralysie ou de contracture de sens contraire, spasme associé à la paralysie ou paralysie associée à la contracture.

Tous les auteurs qui ont traité des paralysies des mus- cles intrinsèques du larynx se sont heurtés à ces difficultés, dont on a le sentiment en lisant le passage suivant dans


212 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

lequel M. Gouguenheim (1) traite des paralysies laryngées dans l'hystérie.

« A l'examen laryngoscopique, dit-il, on constate que la paralysie est bilatérale dans la grande majorité des cas. Le fait contraire est rare. Les cordes sont, dans l'abduc- tion, plus ou moins écartées et ne pouvant se rapprocher. Voici l'explication que je propose de ce fait : La paralysie est probablement dans l'aire du laryngé supérieur, ce qui entraîne à la fois l'anesthésie de l'organe et la paralysie des muscles crico-thyroïdiens, qui sont adducteurs, comme on le sait. Le larynx se trouve alors livré à l'action isolée des téguments, et l'abduction résulte de la prédominance des muscles crico-aryténoïdiens postérieurs sur les adduc- teurs plus faibles, innervés par le même nerf.

« Les auteurs expliquent l'abduction dans la paralysie hystérique en disant que la paralysie porte seulement sur les adducteurs. Cette dissociation me paraît arbitraire. Je sais bien que, chez les mêmes malades, le fait inverse peut se présenter et que l'on peut trouver les cordes rappro- chées dans l'adduction. On dit alors qu'il y a paralysie des abducteurs, et il semble tout d'abord que ces cas légitiment bien la dissociation admise. Mais ici encore, une autre ex- plication me semble plus plausible. Je n'admets pas, dans le second cas, qu'il y ait paralysie des dilatateurs, et je crois plutôt que les mêmes muscles qui sont ordinairement para- lysés (les crico-thyroïdiens) sont alors contractures. Du reste, il n'est pas absolument rare de voir, chez les hysté- riques, les contractures succéder aux paralysies. Pourquoi le larynx échapperait-il à la règle? Ici, comme ailleurs, du reste, le trouble initial peut être le spasme aussi bien que la paralysie. L'explication que je donne est donc logique et conforme à la pathologie générale de l'hystérie. »

Les difficultés d'interprétation que M. Gouguenheim ne cherchait même pas à nier, sans pouvoir d'ailleurs les résoudre en se plaçant au point de vue théorique, se re-

(1) Gouguenheim, Des névroses du larynx. Progrès médical, 1883, tirage; à part, p. 7.


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trouvent encore en clinique. Il suffit pour cela, entre autres travaux sur cette question, de lire la thèse de M. Dufour (1), dans laquelle celui-ci étudie la paralysie des dilatateurs de la glotte.

On pourrait supposer, au premier abord, quêtant donné qu'il s'agit de phénomènes paralytiques on va se trouver en présence de l'aphonie, laquelle, dit M. Thaon, est « la paralysie des muscles du larynx» . Au contraire, probable- ment par suite de l'action des antagonistes adducteurs, et peut-être de leur contracture, les phénomènes que l'on ob- serve sont « le cornage avec dyspnée inspiratoire, l'inté- grité de la voix, l'expiration facile « . (Dufour, p. 15.)

Pourtant, par opposition au cornage, on peut observer avec la paralysie des mêmes muscles des phénomènes in- verses, car M. Dufour ajoute (p. 17) : «L'intégrité delà voix coïncidant avec le cornage et la dyspnée a été notée comme un bon signe rationnel de la paralysie crico-aryté- noïdienne postérieure. Il ne faudrait pas, toutefois, donner à ce signe une valeur absolue.» Paul Koch dit à ce pro- pos (2) : « Il ne faut considérer cette voix normale qu'au point de vue des fonctions phoniques du larynx et faire abstraction de son étendue ainsi que de sa force, qui sont •diminuées dans notre paralysie comme dans tout affaiblis- sement de la capacité vitale des poumons. Si cette intégrité des fonctions phoniques du larynx possède sa valeur réelle >et incontestable, il faut convenir, d'un autre côté, que l'ab- sence de ce signe précieux ne nous donne pas le droit d'ex- clure catégoriquement la paralysie des crico-aryténoïdiens postérieurs ; au contraire, nous possédons des exemples non douteux où non seulement la voix était voilée, mais qui présentaient la dyspnée inspiratoire combinée à l'apho- nie complète. »

(1) Dufour, De la paralysie des dilatateurs de la glotte. Th. Montpellier, ■9 juin 1891. — Gerhardt, Ueber hjsterische Stimmbandlâhmung . Deut. med. Woc/i., n° 4, 1878.

(2) P. Koch, Considérations sur les paralysies du larynx. Ann. des mal. ■du larynx, avril 1877-78. — Paralysie des dilatateurs de la <j lotte. Ibid. } avril 1879-80, 1881, 1883.


214 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Au fond, il ne s'agit pas dans l'hystérie d'une action nerveuse portant sur le laryngé supérieur à l'exclusion du laryngé inférieur, et vice versa, mais bien dune action cen- trale, cérébrale, qui intervient pour produire des phéno- mènes beaucoup moins dissociés, beaucoup plus «en bloc» . Aussi, cliniquement, et c'est de cette façon qu'il faut envi- sager la question que nous étudions, nous aurons à décrire deux ordres de phénomènes : le premier, que l'on peut attri- buer si l'on veut à la paralysie, c'est Y aphonie hystérique ; l'autre, qu'il est loisible de rapporter à la contracture y c'est le spasme laryngé.


L 'aphonie hystérique consiste dans l'impossibilité où se trouve le malade de parler à haute voix, alors qu'il peut encore chuchoter, l'articulation des mots étant conservée, ce en quoi elle diffère du mutisme hystérique, où, comme nous l'avons vu, le sujet est aphasique moteur tout au moins. Il n'est pas moins vrai que dans nombre de cas l'aphonie a été confondue avec le mutisme, et si l'on considère que les travaux de M. Charcot, qui ont établi la réalité du mutisme, ne datent que de 1885, on con- viendra que, vu la confusion qui existait avant lui entre ces deux phénomènes, il serait véritablement oiseux d'en- trer dans des considérations historiques approfondies. A vrai dire, mutisme et aphonie ont été observés de toute antiquité par les auteurs qui, de près ou de loin, se sont intéressés à la question de l'hystérie.

L'aphonie (1) est une manifestation assez fréquente de la névrose. A l'instar de beaucoup d'autres phénomènes de

(1) Mayor, Phonation on inspiration a cause of hysterical aphonia, Arch. of Laryngology. N -Y., 1882, t. III, p. 60-62. — Schkppegrell, Hysterical aphonia. Med. News., Philadelphia, 1893, p. 313-317. — Sei- FERT, Die Behandlung cler hysterichen Aphonie. Berl. klin. Woch., 1893, t. XXX, p. 1068. — Mills, Hysterical aphonia, hemianesthesia and dys- chromatopsia. Philadel. hosp. Rep., t. II, 1893, p. 148. — Rueda, Afonia isterica. Bollet. d. malattie di orecchio, d. gola e d. naso. Florence, 1892, t. XII, p. 82.


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la série hystérique, elle se montre souvent à la suite d'une émotion vive ou comme reliquat d'un paroxysme convulsif. En dehors de ces deux causes, de toutes les plus impor- tantes, on en a noté beaucoup d'autres. Une inflammation locale préexistante a été incriminée. « L'aphonie, dit Bri- quet {op. cit., p. 716), succéda à un mal de gorge inflam- matoire né sous l'influence du froid humide. » Le début, dans ces cas, est beaucoup plus traînant et n'affecte pas l'allure brusque, en tant qu'apparition, de l'aphonie con- sécutive aux paroxysmes.

Dans les cas où l'aphonie ne débute pas brusquement, lorsqu'elle coïncide avec une inflammation locale de la mu- queuse laryngée ou pulmonaire, par exemple, on peut se demander si véritablement on est en présence d'une mani- festation hystérique, l'aphonie étant le symptôme très fré- quent d'une altération organique. Le cas suivant sert de démonstration à ce que nous venons d'avancer. « J'ai vu en consultation avec MM. P. Dubois, Leuret et Louis, dit M. Landouzy [op. cit., p. 118), une jeune dame hystérique qui, depuis plus d'un an, était atteinte d'une extinction de voix complète. Cet accident étant survenu chez cette dame peu de temps après son retour des bains de mer, à l'ap- proche de l'hiver, et ayant surtout coïncidé avec une toux violente, plusieurs médecins distingués n'avaient pas hésité à le rapporter à la bronchite. Mais le rhume ayant disparu complètement sans aucune modification dans l'extinction de voix, la santé générale restant excellente malgré l'exis- tence d'accès hystériques quotidiens de quatre à cinq heures de durée, et enfin l'auscultation la plus attentive ne dénotant aucun trouble de l'appareil respiratoire, le doute n'était pas longtemps possible sur la nature de cette aphonie, qui diminue du reste depuis que l'hystérie perd de son intensité première. »

En dehors de ces faits complexes où, dit Briquet, il y aurait combinaison de deux maladies, auquel cas «le doute n'aurait aucun inconvénient, car il faudrait s'occuper de la laryngite avant toute autre chose » , la description de


216 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

l'aphonie hystérique est des plus simples et ne nous arrê- tera pas longtemps.

Elle offre deux aspects cliniques différents. Dans l'un, qui sera décrit avec le spasme laryngé, il y a cornage et dyspnée concomitants. Dans l'autre, celui que nous envi- sageons plus particulièrement ici, la respiration est lihre dans les deux temps, mais les malades ne peuvent parler à haute voix; ils sont dans l'impossibilité d'émettre un bruit laryngé. Toutefois, ce qui montre bien qu'il s'agit encore là d'un phénomène d'origine centrale, c'est que, même chez les individus le plus complètement aphones, la voix peut persister pendant le sommeil. L'expression verbale des rêves persiste parfois, ainsi que l'ont noté Thaon et Gouguenheim. Pareillementà cequel'on observe dans le mutisme hystérique, certains malades analogues à celui cité par Harrison Griffith (1) ont conservé la faculté de chanter.

Objectivement, on peut noter que l'aphonie coïncide souvent avec une plaque d'anesthé.sie que Thaon a rencon- trée plusieurs fois dans la région tbyoïdienne, phénomène également signalé par Bach (2). C'est une conséquence de cette loi que nous avons établie de la superposition des troubles de sensibilité aux paralysies et aux spasmes.

L'examen laryngoscopique, ainsi qu'on pouvait le pré- voir, donne des images très variées, différant, dit Thaon, d'un jour à l'autre ; ce qui démontre combien est complexe le mécanisme de l'aphonie, au moins pour ce qui a trait aux manifestations locales sur les muscles du larynx. Cet examen doit toujours être pratiqué; il est de la plus haute importance dans l'espèce, en ce qu'il permet parfois la constatation d'une lésion organique qui, même chez une hystérique, lorsque l'aphonie persiste, devra bien plutôt faire attribuer l'origine de l'aphonie à la maladie dont la

(1) II. GniFFiTii, Hysteiical aphonia ivith a perfectsincjing voice. N.-Y. med. Journ., 1893, p. 558.

(2) Bacu, Hysteiical aplionia with especial référence to a plan of treat- ment and a report of cases. N.-Y. med. Journ., 22 oct. 1892, p. 446.


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lésion organique est l'expression qu'à la névrose elle- même.

Le pronostic de l'aphonie hystérique est bénin; c'est une manifestation beaucoup plus ennuyeuse que grave. En réalité, grâce à la voix chuchotée, les malades conservent encore des rapports suffisants avec le monde extérieur. Cependant, l'aphonie peut persister pendant longtemps. Landouzy rapporte un cas où elle dura quinze mois; Thaon cite un fait de deux ans. Quant à la malade de Sédillot, dont nous avons déjà analysé l'observation, elle « resta muette et aphone pendant douze ans » . Dans ces cas, l'aphonie constitue une véritable infirmité.

Il est vrai que le plus souvent elle guérit subitement de la même façon qu'elle est apparue, à la suite d'une émo- tion, d'un paroxysme convulsif. La malade de Sédillot vit son aphonie de douze ans de date disparaître après quinze jours de faradisation des muscles du pharynx et du larynx.

A côté de ces cas prolongés, il faut placer ceux, beaucoup plus fréquents, où l'aphonie ne dure que quelques instants ou quelques jours. Mais souvent chez le même malade, elle reparaît de nouveau avec la même facilité qu'elle a dis- paru; c'est une manifestation essentiellement sujette à des récidives (1), très différentes comme durée puisque, dans le cas de Watson (Landouzy, op. cit., p. 118), sous l'influence des mêmes paroxysmes convulsifs, l'aphonie s'établit pen- dant cinq jours, disparut et persista ensuite pendant qua- torze mois pour disparaître encore. Nous observons en ce moment une malade âgée de vingt-deux ans, chez laquelle surviennent plusieurs fois par jour des spasmes cloniques et toniques des muscles de la nuque et du cou sous forme paroxystique, s'accompagnant d'aphonie. Dans leur inter- valle et même pendant la première moitié de l'attaque, la malade peut parler à haute voix, mais ces phénomènes durent depuis six mois consécutifs.

(1) Levisox, Intermittirende Aphonie vierjàlirige Dauer, Heilung . Berl. klin. Woch., n° 46, p. 555, 1869.


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Le diagnostic de l'aphonie hystérique est facile. Il se basera non seulement sur la symptomatologie qui lui est propre, mais encore et surtout sur la coïncidence d'autres manifestations hystériques : attaques, plaque d'anesthésie laryngée, absence de lésions constatées au laryngoscope. Il pourrait exister des cas où, chez des hystériques confir- mées, l'aphonie sans lésion laryngée coïncidât avec des hémoptysies permettant de penser à la tuberculose pulmo- naire. Nous verrons bientôt, en étudiant les troubles tro- phiques du poumon, comment on pourra se tirer avec honneur de ces cas épineux.


Le spasme laryngé, manifestation de la contracture (ou de la paralysie) de certains muscles du larynx , occupe une place très importante dans la pathologie delà névrose. Nous avons déjà étudié sa forme paroxystique — celle sous laquelle il se montre le plus souvent — en traitant de l'attaque dite de spasmes dans laquelle la sténose du larynx domine la scène morbide (1). Nous avons montré alors les dangers de ce paroxysme, qui pouvait se ter- miner par la mort. De plus, en traitant de la toux et surtout de la dyspnée ou polypnée hystérique, nous avons insisté sur l'intervention toujours possible du spasme au cours de ces manifestations.

C'est donc une note complémentaire bien plutôt qu'une description nouvelle que nous allons ajouter à ce que nous avons déjà dit. Rappelons que, dans les intervalles des crises, il peut exister un cornage permanent, de la dyspnée, du tirage, l'expiration restant généralement facile, alors que l'inspiration est toujours gênée. C'est encore cette sympto-

(1) Sprega, Storia clinica di una islerica; emiplegia traumatica isterica, nevrosi cardiaca, accessi catalettici, grandi convulsioni, afonia, grave spasmo accessionnale délia glollide ; considerazioni sulla cura fatta colla pilocarpina e colla sugçestione. Raccoglitore medico Forli, 1893, 5 e série, t. XVI, p. 289


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matologie que l'on retrouve dans certains cas de paralysie des dilatateurs de la glotte, sans qu'il soit cependant facile de dire si, dans la circonstance, on a affaire à la paralysie, à l'exclusion de la contracture. Dans un cas de Dufour (obs. II) où, en somme, il s'agissait d'une véritable attaque de spasme, l'ensemble symptomatique ressemblait singu- lièrement au croup, à la dipbtérie du larynx.

Dans un autre fait, qui n'est pas sans analogie avec le précédent, Morton (1) fut appelé pendant la nuit et faillit pratiquer la trachéotomie. L'examen du larynx montra que les cordes vocales étaient en adduction. Le spasme, qui durait depuis cinq heures, cessa à la suite d'applications galvaniques sur la région laryngée; les cordes vocales se mirent alors en abduction.

Quelle que soit l'interprétation qu'on admette dans les cas analogues où l'investigation fut possible, « on a trouvé, dit Gouguenheim, que les cordes vocales étaient très rap- prochées l'une de l'autre et très tendues » .

Dans la discussion qui eut lieu lieu sur le spasme laryngé au Congrès de Reims, Gouguenheim (2) et Denucé s'éle- vèrent contre l'intervention chirurgicale par la trachéoto- mie en pareille occurrence. Nous répétons cependant que la mort peut parfaitement être la conséquence de la sténose laryngée paroxystique (3).


Il semble que la sténose puisse siéger encore plus bas

(1) Mortox, Hysterical laryngeal dyspnœa. Brit. mecl. Journ., Londres,

1891, t. I, 1193.

(2) Gouguenheim, Sur le spasme laryngé' d'origine hystérique. Assoc. franc, pour l'avancement des sciences. Congrès de Reims, 1880.

(3) Jon'QUiÈre, NeuerBeitrag zur Kenlnniss des phonischen Stimmritzen- krampfes bei Hysterischen. Monatschiift f. Ohrenheilk. Berlin, 1884, t. XVIII, p. 121-127. — Ruault, Observation pour servir à l'étude de la sténose laryngée névropathique. Arch. int. de laryngologie, janvier-février

1892. — PrzedborSki, Un cas de spasme hystérique expiratoire et dilata- tion de la fente gloltique. Congrès de Borne, 1894. — Lumbau, Studio sopra uno caso di spasmo délia qlottide di isterismo. Gaz. med. lomb . Milan, 1894, t. LUI, 131, 141, 153.


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que sur le larynx et intéresser la trachée. M. Chaput (1) a publié un cas intéressant de cet ordre. Un homme de vingt-six ans présentait depuis cinq ans une toux persis- tante et de l'enrouement, auxquels se surajoutait un cor- nage accompagné de véritables accès de suffocation. L'exa- men larvngoscopique fit constater « l'intégrité absolue du larynx. Aucune rougeur, aucune saillie de la muqueuse; les cordes vocales se contractent normalement; il existait «ne expectoration assez abondante » . L'opération de la trachéotomie fit cesser tous ces accidents. M. Chaput con- clut à un spasme de la trachée chez un hystérique, mais il n'existait pour justifier le diagnostic qu'un « rétrécisse- ment assez notable du champ visuel, surtout à droite » , et encore les pupilles étaient inégales, ce qui ne s'observe guère dans l'hystérie. Ce cas est donc aussi peu démons- tratif que possible.

M. Chaput rapproche de son observation un fait de Landgraff (2) dans lequel tous les symptômes d'une sténose trachéale ou bronchique (dyspnée, tirage, cornage) dis- parurent à la suite d'un cathéterisme de la trachée et de chacune des deux grosses bronches pratiqué à la faveur de la cocaïnisation du larynx et de la trachée. Le larynx était parfaitement perméable, mais cependant il existait une paralysie laryngée hystérique! On voit que ces obser- vations n'ont qu'une valeur tout à fait relative, au moins en ce qui regarde la localisation de la sténose.


L'appareil respiratoire peut être le siège de troubles tro- phiques. Nous avons noté que Briquet avait signalé ce fait que, dans certains cas, des sécrétions bronchiques ou pul- monaires accompagnaient la dyspnée liée à l'asthme hys-

(1) Cuaput, Cornage et accès de suffocation chez un hystérique mâle. Intégrité du larynx, spasme delà trachée, trachéotomie, guérison. Arch. de laryngologie, août 1890, p. 230.

(2) Landciufk, Dent, mcd Wochens., 1890, p. 43.


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térique. Nous ajoutions, alors, que son opinion était restée isolée.

Ce que l'on observe assez fréquemment, par contre r clans cet ordre d'idées, ce sont les hémoptysies hystériques t phénomène de même essence que les hémorragies cu- tanées, les hématémèses, avec lesquelles les hémoptysies- coïncident parfois chez le même sujet, ainsi que M. Binet en a rapporté une bonne observation (1). Cela n'a rien qui doive nous surprendre, étant donné que les manifes- tations de la diathèse vaso-motrice sont souvent multiples- chez le même individu.

Pomme (2) paraît être un des premiers auteurs qui aient étudié l'hémorragie pulmonaire dans l'hystérie. Il parle d'abord de la « suffocation hystérique » , dont il rapporte deux observations qui ont trait aux deux sœurs. Mais sa description clinique est très écourtée, si tant est véritable- ment qu'elle existe. Il insiste bien plus sur le retour des accès de suffocation au moment des époques menstruelles et met ces crises sur le compte des obstacles que le sang des règles « trouve dans son passage à travers les tuyaux excréteurs de la matrice » .

Il ajoute, en traitant cette fois de Y hémoptysie hys- térique : « La même cause qui agit dans la suffocation procurera aussi l'hémoptysie, si les vaisseaux sanguins des poumons, trop faibles pour résister à l'impétuosité du sang menstruel qui reflue sur eux, cèdent à ses efforts, ce qui formera des ouvertures et des crevasses plus ou moins grandes par lesquelles le sang s'échappera avec d'autant plus d'abondance qu'il y sera poussé avec plus ou moins de vigueur par la contraction des vaisseaux et des nerfs de la matrice ; et cette hémoptysie sera d'autant plus diffi- cile à guérir qu'elle sera périodique. »

Suivent deux observations dans lesquelles la description

(1) M. Binet, Des hémorragies dans l'hystéro-catalepsie. Ann. méd. psych., t. XVIII, septembre 1877.

(2) Pomme, Traité des affections vaporeuses des deux sexes, 6 e édit-, an VII, t. I, p. 186, 190.


222 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

clinique est encore complètement sacrifiée à des raisonne- ments théoriques qui ne méritent pas d'être rapportés.

Peut-être faut-il faire une exception pour le cas de Louise Bourbone : « Au retour périodique de ses mois, dit-il (p. 240), il survint un crachement de sang des plus considérables, un vomissement continuel et des attaques convulsives que l'on prenait pour des vapeurs épilep- tiques. »

Les faits de Pomme passèrent pour ainsi dire inaperçus, et c'est à peine si Briquet mentionne l'hémoptysie hysté- rique. Du moins, sous l'influence des idées du moment, n'y attache-t-il d'autre importance que celle qu'on attribuait alors aux hémorragies supplémentaires.

« Lorsque la toux hystérique, dit-il (op. cit., p. 249), s'accompagne de l'aménorrhée, il peut survenir des hé- moptysies supplémentaires qui augmentent encore les craintes. Heureusement que le sang contenu dans l'ex- pectoration se présente sous des apparences tellement spéciales qu'elles suffisent à établir un diagnostic précis. Le sang expectoré est de couleur incarnat ; il n'est jamais mélangé avec le mucus et n'est jamais pénétré de bulles d'air. Il est facile de voir qu'il vient des bronches et non des vésicules pulmonaires. »

Marius Carre (1) est un des premiers auteurs qui aient combattu cette théorie de l'hémorragie supplémentaire des règles appliquée à l'hémoptysie hystérique, pour rappor- ter à l'influence nerveuse directe ce qui lui appartient vé- ritablement. Dans un important mémoire sur l'hémoptysie nerveuse, il publie un certain nombre d'observations tant personnelles qu'empruntées à Pomme. Il est à signaler que son observation III, de toutes peut-être la plus intéres- sante et la plus complète au point de vue de l'hystérie, est étiquetée : « Congestion de la moelle ; irritation spi- nale » .

Depuis cet auteur , de nombreux cas d'hémoptysie

(1) Marius Carre, De V hémoptysie nerveuse. Arc h. çe'n. de médecine, t. XXIX, 1877, p. 63, 179, 293.


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hystérique ou d'hystérie pulmonaire, terme générique sous lequel on englobe ces faits, ont été publiés ; ils seront analysés chemin faisant.


L'hémoptysie hystérique s'observe chez l'homme comme chez la femme. Certains auteurs même, M. E. Laurent (1), Quinqueton (2), M. J. Voisin (3), ce dernier incidemment toutefois, l'ont étudiée plus particulièrement dans le sexe masculin. Cela ruine l'opinion, combattue d'ailleurs par Marias Carre, que ces hémorragies seraient supplémen- taires des règles.

A la vérité, on ne saurait nier que les hémoptysies ne sur- viennent parfois d'une façon assez nettement périodique, au moment où les menstrues devraient se montrer. Cela tient simplement à ce qu'à cette époque les femmes sont plus sujettes aux paroxysmes convulsifs, qui jouent, nous le savons, un rôle éminemment provocateur vis-à-vis de toutes les manifestations de la diathèse vaso-motrice.

De ce fait on peut conclure déjà — ce qui est conforme aux données cliniques — que les hémoptysies auront leur maximum de fréquence à Y âge où les attaques revien- dront elles-mêmes avec le plus d'insistance, c'est-à-dire de dix-huit à trente ans. Cependant l'hémorragie broncho- pulmonaire est de tous les âges. M. Huchard (4) a, en effet, rapporté une observation concernant une jeune nlle de quatorze ans, et M. Petit (5) a relaté le cas d'un homme

(1) E. Laurent, De l'hystérie pulmonaire chez l'homme. L'Encéphale, t. IX, n° 1, janvier-février 1889, p. 23.

(2) Quinqueton, De l'hystérie chez l'homme; difficultés dans certains cas du diagnostic entre cette affection et la phtisie pulmonaire au début. Th. Paris, 1886.

(3) J. Voisin, Note sur un cas de grande hystérie chez l'homme. Arch. de Neurol., n° 29, septembre 1885.

(4) Hcchabd, cité par Tostivint, Contribution à l' étude de l' hystérie pul- monaire {pseudo-phtisie hystérique). Th. Paris, 1888, p. 29.

(5) Petit, De l'hystérie chez l'homme. Th. Paris, i875, p. 29, ob- serv. XXVIII.


224 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

de quarante-cinq ans chez lequel, comme on le verra, le diagnostic offrit de nombreuses difficultés.

Mais si l'hémoptysie hystérique paraît survenir, dans la grande majorité des cas, sous l'influence du paroxysme convulsif, on peut toutefois lui reconnaître d'autres causes qui, à la vérité, n'ont qu'une valeur tout à fait secondaire. Un des malades de Laurent (obs. I) avait reçu un coup de couteau dans le dos ; cinq jours plus tard survint une hémoptysie abondante. Mais une fois la plaie cicatrisée, les crachements de sang ne se montrèrent pas moins à la suite d'attaques hystériques nettement caractérisées. Il faudra se garder encore, à n'en juger que par la toux, de mettre l'hémoptysie sur le compte d'une bronchite, car la toux qui accompagne fréquemment l'hémoptysie hysté- rique n'est souvent que la toux spasmodique que nous avons déjà décrite et qui est une manifestation paroxystique de la névrose.


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Cliniquement, l'hémoptysie hystérique se présente sous plusieurs aspects qui, tout en ne différant pas essentielle- ment les uns des autres, méritent cependant d'être distin- gués, étant donné que chacun d'eux peut entraîner des variations dans le diagnostic.

Dans un premier groupe, qui de tous comprend le plus grand nombre de cas, l'hémoptysie est manifestement liée à l'attaque. L'observation V de Marius Carre peut servir à illustrer ce type. A la fin de la période d'assoupissement qui termine le paroxysme, parfois, mais plus rarement avant la période d'agitation qui en est le prélude, « on voit, dit-il [op. cit., p. 190), apparaître un sang spumeux sortant de la bouche à travers l'intervalle des dents, ou bien projeté par des mouvements d'expulsion.

« L'inspiration devient alors bruyante et ronflante, et presque toujours on perçoit un véritable gargouillement dans la trachée. C'est là le prélude habituel de l'expuition sanguine. Le sang est abondant; il remplit souvent les-


DE L'HYSTERIE. 225

draps du lit, les objets de la literie, les cheveux, la figure et le tronc de la malade; il n'est pas vermeil comme dans l 'hémoptysie ordinaire; il est d'un rouge tirant un peu sur l'orangé, rappelant seulement par sa coloration les cra- chats rouilles. »

Chez cette malade, l'hémoptysie coïncidait fréquemment avec d'autres hémorragies, l'épistaxis en particulier, et une autre variété assez rare, l'hématurie.

Chez le malade de M. J. Voisin, l'hémoptysie était aussi en rapport avec la crise convulsive , mais elle ne se montrait que le lendemain du jour où celle-ci avait eu lieu.

11 faut, comme nous l'avons dit, assimiler à des attaques les cas où la toux, la dyspnée ou la polypnée (obs. I de Tostivint), ont des allures paroxystiques.

Dans un autre groupe de faits, l'hémoptysie semble indépendante des paroxysmes ou se montre dans les inter- valles très prolongés des attaques. C'est alors un véritable phénomène d'hystérie locale, qui s'accompagne parfois de modifications telles du fonctionnement pulmonaire qu'on peut songer aune lésion organique (1). Ces derniers faits sont très importants au point de vue du diagnostic ; il im- porte donc que nous en précisions la symptomatologie.


L'hémoptysie peut s'accompagner d'abord de phéno- mènes douloureux du côté des parois thoraciques, qui sont liés à l'existence de zones hyperesthésiques hystérogènes analogues à celles que l'on observe dans l'angine de poi- trine des hystériques.

Chez le malade de J. Voisin, lors des attaques convul- sives qui s'accompagnaient de polypnée et d'hémoptysies, on notait « une hyperesthésie extrême de la paroi tbora-

(1) Debove, Recherches sur l'hystérie fruste el sur la congestion pulmo- naire hystérique. Union médicale, p. 135, 145, 171, 1883, et particulière- ment n° 13, p. 146.

ni. 15


226 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

cique du côté gauche ; le malade ne supportait pas le moindre frottement à ce niveau » .

Après un crachement de sang, Laurent constata chez un de ses sujets (obs. III), « du côté gauche, un point excessi- vement douloureux. La moindre pression arrachait des cris au malade. La percussion et l'auscultation ne don- naient rien. »

Dans un cas de Tostivint (obs. II) il existait, toujours du côté gauche, « au niveau du sein, une douleur des plus vives remontant vers la clavicule, intolérable au toucher, au moindre mouvement, et au moindre frottement des vêtements » .

Cette zone hyperesthésique, qui s'exalte pendant la pé- riode hémoptoïque, peut, on le comprend, être prise pour un véritable point de côté qui, joint à la toux, à la dyspnée ou à la polypnée, fera immédiatement songer à une lésion organique du poumon.

Il faut dire, cependant, que l'auscultation et la percus- sion — à part les phénomènes douloureux que celle-ci peut déterminer — restent, dans la majorité des cas, négatives. Cependant il n'en est pas toujours ainsi.

Un malade de M. Debove, sujet à des hémoptysies hys- tériques, auscultéà plusieurs reprises, présenta des «signes de congestion pulmonaire » , sans qu'on nous dise exacte- ment, toutefois, de quelle nature étaient les phénomènes observés localement. Chez un autre sujet hystérique comme le premier et qui guérit complètement, le même auteur constata « des craquements humides au sommet du pou- mon gauche, en arrière » .

Ces signes stéthoscopiques sont le plus souvent transi- toires. « Le matin à la visite, dit Laurent (obs. II, p. 38), l'auscultation révèle dans la fosse sous-épineuse droite un petit foyer de râles crépitants, fins; mais ces signes dispa- raissent les jours suivants. »

Fabre a constaté, lui aussi, certaines de ces modifications locales. Après avoir noté l'absence presque complète de l'expectoration, en dehors du crachement de sang lui-


DE L'HYSTERIE. 227

même, il ajoute (1) : « Si l'observation des signes ration- nels vous conduit à la recherche des signes physiques, vous trouverez à la percussion, tantôt une matité circonscrite et persistante à ce sommet, particulièrement au sommet droit, tantôt une matité plus étendue et plus fugitive sur une partie quelconque de la poitrine. L'auscultation vous révélera de la diminution du murmure vésiculaire, des râles sibilants et sous-crépitants qui, à la longue, peuvent deve- nir un peu craquants; parfois de légers frottements pleu- raux, plus souvent de l'expiration prolongée, même un peu soufflante. Tous ces signes ont pour cause une congestion plus ou moins intense, plus ou moins durable, plus ou moins superficielle, par troubles vaso-moteurs. Quand la congestion dure, les râles deviennent un peu craquants. Lorsqu'elle est superficielle, il s'y joint un peu de pleurite adhésive. Dans la majorité des cas, cependant, il y a beau- coup moins de signes physiques qu'on ne s'attendait à en trouver d'après l'abondance des hémoptysies, d'après l'in- tensité de la toux, d'après l'aspect de la malade. »

Étant donné ce que nous savons déjà des manifestations cutanées, par exemple, de la diathèse vaso-motrice dont il est possible de visu, pour ainsi dire, d'analyser le processus, nous nous rallions complètement à l'opinion exprimée par Fabre. Nous pensons qu'il peut exister des phénomènes de congestion pulmonaire d'origine hystérique se caractéri- sant par des signes appréciables à l'auscultation et à la percussion. Une certaine quantité de liquide exsudé peut même s'épancher dans la plèvre ; car, dans une observation de Debove, il est dit (op. cit., p. 146) qu'à la suite d'une •de ces poussées congestives « on reconnut l'existence d une pleurésie qui fut ponctionnée : on retira un quart de litre d'un liquide citrin et transparent » . Quelques jours plus tard, l'auscultation et la percussion ne don- naient que des signes négatifs.

(1) Fabre, L' hystérie viscérale, op. cit., p. 62.


228 TRAITÉ CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE


Étudions maintenant les^caractères objectifs de l'hémo- ptysie. Le sang est rendu soit spontanément, soitàla suite de quintes de toux et en quantité plus ou moins abon- dante. Le malade expectore quelques crachats rouilles, ou remplit plusieurs crachoirs à la suite de véritables vomiques, ainsi que l'a observé Laurent (op. cit., p. 37). Ces diverses modalités peuvent s'observer successivement chez le même sujet.

D'une façon générale, les hémoptysies hystériques seraient, d'après M. Tostivint, plus abondantes que les hé- moptysies tuberculeuses. « Le sang est incarnat, ajoute-t-il, gelée de groseille suivant la comparaison de M. Lasègue, noir plus tard; il serait, d'après certains auteurs, pur de mélange de mucus ou d'air... Pour être vrai, disons que le sang de nos malades n'offre de caractères importants que ceux tirés des circonstances qui en accompagnent le rejet. »

Dans une observation du même auteur, le sang examiné au miscroscope ne renfermait ni bacilles, ni fibres élas- tiques, phénomènes négatifs très importants au point de vue du diagnostic avec la tuberculose et que l'on ne manquera jamais de rechercher.

Outre les caractères physiques que nous avons signalés, l'hémoptysie hystérique peut s'entourer d'un cortège de phénomènes généraux qui plaideront singulièrement, par- fois, en faveur d'une affection organique du poumon.

Une malade observée par M. Léon Petit (l), âgée de vingt et un ans, avait une première fois « vomi le sang à pleine cuvette pendant une dizaine de jours » . On la croyait remise lorsque, sur les conseils de son médecin, elle retourna dans son pays, se refroidit pendant le voyage et,, à son arrivée, « fut prise de violentes quintes de toux sui- vies d'une expectoration abondante avec fièvre et délire.

(1) Léon Petit, Bull, et Mém. de la Société de médecine pratique^ 15 août 1888, cité par Tostivint, p. 25.


DE L'HYSTERIE. 229

Elle garda le lit six semaines; on la traita pour une phtisie galopante. »

Son état s'améliora de nouveau, mais quelques mois plus tard, au moment des règles, se produisit une nouvelle hémoptysie, moins abondante toutefois que la première, mais qui s'accompagna d'une dyspnée très intense, d'un redoublement de la toux, d'une très abondante expectora- tion, « d'une fièvre très violente, de sueurs nocturnes, d'in- somnie, de diarrhée, d'anorexie absolue » .

Cinq médecins furent appelés : tous portèrent le dia- gnostic de phtisie pulmonaire « avec un pronostic fatal à brève échéance » .

Cependant l'auscultation révélait à peine quelques signes de bronchite légère, aussi peu en rapport que pos- sible avec « la cyanose d'une phtisique arrivée aux derniers jours de sa maladie » , et l'examen des crachats restait né- gatif au point de vue de l'existence des fibres élastiques et de la présence des bacilles tuberculeux. La malade se réta- blit d'ailleurs, reprit son embonpoint, et le retour à la santé parut coïncider avec l'apparition de violentes attaques d'hystérie convulsive.

Nous avons tenu à résumer cette observation pour bien montrer l'ensemble des phénomènes généraux qui peuvent accompagner les manifestations de l'hystérie pulmonaire et faire croire à l'existence de la tuberculose sous sa forme îa plus grave.

Il est regrettable, toutefois, que M. Léon Petitn'ait pas cru, lorsqu'il parle de l'existence d'une fièvre très violente, devoir nous renseigner sur la température exacte que pré- sentait sa malade.

De même, M. Debove signale la fièvre dans une de ses observations (p. 146) sans nous donner d'indications ther- mométriques.

Il faut ajouter d'ailleurs que, lorsque la température a été recherchée, on l'a trouvée le plus souvent normale, comme dans un cas de M. Laurent (obs. II), où elle ne dépassait pas 37°, 2 R.


230 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Cependant, dans un cas de Marius Carre (p. 303), il est dit que «pendant la période comateuse, le thermomètre monta jusqu'à 39°, 7 du côté droit et à 40°, 2 du côté gauche » , mais ce cas peut prêter à interprétation. Ajoutons que dans l'observation I de M. Tostivint il se produisit, pendant 15 à 20 jours, une élévation de la température qui oscilla entre 38 et 40 degrés avec rémission matinale de quelques dixièmes de degré seulement.

•De tout cela que faut-il conclure, sinon que dans cer- tains cas, rares à la vérité, la fièvre peut véritablement tenir sa place dans le cortège symptomatique qui accom- pagne l'hémoptysie hystérique; ce qui, on le comprend sans peine , ajoutera de singulières difficultés au dia- gnostic (1)?

Celui-ci est donc loin d'être toujours facile. Il faudra d'abord établir nettement la provenance exacte du sang. L'épistaxis hystérique n'est pas rare, mais sera facile- ment reconnue, dans les cas douteux, par l'inspection de l'arrière-cavité des fosses nasales. L'hémorragie buccale, par contre, ne s'observe que d'une façon tout à fait excep- tionnelle dans l'hystérie.

Mais il n'en est pas de même de l'hématémèse, et son diagnostic avec l'hémorragie broncho-pulmonaire peut offrir des difficultés dont on se rendra bien compte en lisant une observation de Rathery (2) et les faits de M. Josserand, dont nous parlerons en étudiant les manifestations gas- triques de la névrose. Toutefois, on se rappellera que l'hé- moptysie s'accompagne presque toujours de toux et par- fois d'un certain gargouillement trachéal dû au passage du sang dans les voies aériennes, alors qu'avec fhématémèse

(1) A signaler une observation de R. del Vallk y Aldabalde, Jleuista de Medicina y Cirurgia practicas, sept. 1893. An. in Rev. intern. de Biblio- graphie, n° 22, 25 nov. 1893, dans laquelle une femme de vingt-cinq ans, sujette à des hémoptysies avec congestion pulmonaire d'origine hystérique, présentait en outre des accès de fièvre intermitente à type quotidien. Peut- être la fièvre elle-même était-elle d'origine hystérique.

(2) Rathery, Contribution à l'étude des hémorragies survenant dans le cours de l'hystérie. Union médicale, 1880, n os 32, 35.


DE L'HYSTÉRIE. 231

coïncident généralement des vomissements ou des vomi- turitions, des contractions spasmodiques du pharynx ou de l'œsophage. On ne se basera pas sur l'absence de parcelles alimentaires dans les matières expulsées; car, dans la majorité des cas, l'hématémèse est pure, et d'une tout autre allure que la gastralgie avec rejet des aliments.' Cependant, il faut avouer que, lorsqu'à la fin d'une violente attaque on voit le sang sortir de la bouche du malade et inonder ses vêtements ou le lit sur lequel il est couché, il est assez difficile de dire immédiatement si l'hémorragie provient des bronches ou du ventricule. Il est vrai qu'on pourra rechercher ultérieurement si les garde-robes ren- ferment du liquide hématique.

Quant aux caractères différentiels tirés de l'aspect du sang lui-même, ils sont, en général, d'un faible secours; le sang, à la vérité, peut être spumeux (obs. V de M. Carre), mais c'est là un phénomène presque exceptionnel, et dans l'hématémèse le sang est expulsé presque aussitôt après sa sortie des vaisseaux de telle façon qu'il est rutilant, non altéré, ressemblant beaucoup, en somme, à celui qui vient de l'arbre respiratoire. En général, cependant, on peut dire que le diagnostic différentiel entre l'hémoptysie et l'hématémèse chez les hystériques n'offrira pas de grandes difficultés.

Cette rareté du caractère spumeux du sang pourrait peut-être servir à différencier l'hémoptysie hystérique de l'hémorragie liée aux affections organiques du poumon, la tuberculose en particulier. Véritablement, l'absence d'ail- leurs inconstante de ce caractère a trop peu d'importance surtout lorsqu'on met celui-ci en parallèle avec les phéno- mènes locaux et généraux qui, lorsqu'ils existent, plaident parfois si hautement en faveur de la phtisie pulmonaire.

A vrai dire, la phtisie est la pierre d'achoppement du diagnostic; c'est la grave difficulté qu'ont signalée tous les auteurs, Marius Carre, Debove, Fabre, Tostivint, Laurent, Quinqueton, qui ont étudié l'hémoptysie hystérique.

Analysés un à un, des phénomènes tels que la toux spas-


232 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

modique, la dyspnée, l'anorexie avec amaigrissement et sueurs nocturnes, les douleurs thoraciques et la fièvre, peuvent appartenir essentiellement à la névrose , mais, réunis chez un sujet, ils conduiront singulièrement, même en l'absence de signes sthéthoscopiques, au diagnostic de tuberculose.

Petit cite dans sa thèse (1) l'observation d'un homme de quarante-cinq ans, atteint de toux spasmodique avec hémoptysies, chez lequel, en Allemagne, on pensa à une pneumonie. De retour en Frauce, Rayer, Trousseau, Sire- dey conclurent à la tuberculose pulmonaire. Monneret seul écarta la phtisie et fit le diagnostic de toux nerveuse sans tubercules. Le malade était morphinomane, ce qui expli- quait jusqu'à un certain point l'asthénie générale, l'amai- grissement et les sueurs nocturnes.

Et cependant c'était un hystérique à manifestations pul- monaires qui guérit, surtout à partir du jour où on le traita comme un névropathe et non comme un tuberculeux.

Car, en matière de traitement, nous apprendrons que dans l'hystérie, l'autosuggestion ou la suggestion ex- trinsèque jouent un rôle très important. Le malade de M. Debove était étudiant en médecine ; on le croyait tuberculeux et ce n'était pas à lui de discuter le diagnostic. L'amélioration, que suivit bientôt la guérison, ne com- mença à se montrer que lorsque M. Debove, écartant l'hy- pothèse d'une tuberculose pulmonaire, le soumit à l'hydro- thérapie et à l'alimentation forcée (2).

A vrai dire, l'hystérie pulmonaire est rarement mono- symptomatique, et la recherche des stigmates, en l'absence des crises convulsives, qui pourtant sont souvent présentes et acquièrent alors une haute importance pathogénique, permettra, dans la majorité des cas, d'établir que le ma- lade est un hystérique confirmé. On tiendra alors compte des caractères de la toux à allure paroxystique, et aussi, surtout peut-être de l'absence ou de la grande rareté des

(1) Petit, De V hystérie chez V homme. Th. Paris, 1875, obs. LV, p. 38. (2j Dkiiove, op. cit. Union médicale, n° 13, 1883.


DE L'HYSTERIE. 233


phénomènes stéthoscopiques. Et c'est souvent au moment où l'on sera le plus embarrassé qu'une attaque convulsive, coïncidant avec une hémoptysie, viendra lever les doutes. Il va sans dire que l'examen bactériologique des crachats sanglants devra toujours être pratiqué et que les caractères négatifs de l'examen devront peser d'un fort poids dans la balance en faveur de l'hystérie.

M. Fabre, dans la bonne étude qu'il a faite de la fausse phtisie des hystériques, a envisagé une dernière hypothèse. « Là où le diagnostic peut devenir difficile, dit-il (op. cit., p. 68), ce sont les cas où l'hystérie et la phtisie se trou- vent réunies chez le même sujet, et ces cas ne sont pas très rares , puisque nous avons actuellement dans le service trois phtisiques qui sont manifestement hystériques... Chez les deux premières, l'hystérie a ses signes propres et la phtisie a ses signes d'auscultation : souffle, craquements humides, gargouillements. Chez le n° 12, en même temps que la boule et les troubles de sensibilité trahissent l'hys- térie, la phtisie est révélée moins par les signes physiques, qui sont douteux, que par les commémoratifs : fièvre mu- queuse (?), abcès à l'anus. Quant aux sueurs locales de la tête, sueurs nocturnes abondantes et tenaces, quant aux mouvements fébriles à répétitions lentes, ils ne sont pas ici absolument significatifs, mais la phtisie peut les réclamer et faire valoir sur eux des prétentions qui équivalent à des droits. On peut donc... dans les cas où l'hystérie et la phtisie sont associées, sont copropriétaires du même sujet, on peut, par un partage équitable, attribuer à cha- cune ce qui peut lui revenir. » On voit, nous le répétons, que le diagnostic avec la phtisie pulmonaire n'est pas, dans certains cas , sans offrir de nombreuses et réelles diffi- cultés.

Marius Carre (op. cit., p. 296) a rapporté un certain nombre d'observations, tant personnelles qu'empruntées à divers auteurs, d'hémoptysies au cours du paroxysme épi- lep tique ; plusieurs se terminèrent par la mort. Le diagnostic dans la circonstance portera bien plus sur la différencia-


234 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

tion à établir entre l'accès d'épilepsie et l'attaque d'hysté- rie, ce que nous n'avons plus à faire. Il suffît d'avoir présent à l'esprit que le mal comitial peut donner lieu à des hémorragies pulmonaires.

D'après ce que nous avons dit, on conçoit que la marche de l'hémoptysie hystérique soit essentiellement variable; comme toutes les autres manifestations de la diathèse vaso- motrice , elle est éminemment sujette à des récidives survenant presque toujours sous l'influence des mêmes causes, le paroxysme convulsif en particulier. Il est à remarquer que dans certains cas, dont une observation de M. Huchard, relative à une jeune fille de quatorze ans, nous offre un bon exemple, l'hémorragie peut affecter une sorte de périodicité fixe , revenant pendant deux mois consé- cutifs, quotidiennement, toujours à la même heure. Puis un accident aigu, paroxystique ou aulre, rompra cette pério- dicité, remplacera l'hémoptysie, qui pourra ne plus repa- raître. Car si l'hémorragie pulmonaire est tenace, elle n'est pas moins susceptible de disparaître subitement comme elle est apparue, pour ne plus jamais revenir, à l'instar de beaucoup d'autres manifestations de la névrose.

En somme, le pronostic de l'hémoptysie n'est pas grave. Si le crachement de sang est abondant, s'il se répète, s'il coïncide avec d'autres manifestations de la diathèse vaso- motrice (obs. de Pomme, M. Carre), il peut amener chez des sujets déjà anémiques ou anorexiques un état de déchéance de l'organisme assez prononcé, comme nous l'avons vu, pour faire penser aux formes graves de la tuber- culose pulmonaire. Malgré cela, dans toutes les observa- tions connues, la guérison est toujours survenue soit par cessation directe du symptôme, soit par modification à la faveur d'une autre manifestation. Resterait le cas où l'hémorragie serait assez abondante pour entraîner direc- tement la mort : mais l'hémoptysie, pas plus que les autres hémorragies viscérales liées à la névrose, ne semble sus- ceptible d'une semblable terminaison.


DE L'HYSTERIE. 23»


Nous voudrions maintenant dire quelques mots d'une question qui, à notre avis, ne pouvait être fructueusement traitée qu'à l'aide des connaissances que nous venons d'ac- quérir sur les troubles vaso-moteurs du poumon. Nous voulons parler des rapports qu'affectent entre elles l'hys- térie et la tuberculose pulmonaire, spécialement au point de vue de leur étiologie et de l'influence qu'elles peuvent exercer sur leur évolution réciproque.

Nous avons déjà bien souvent parlé d'associations hys- téro-organiques sans aller plus loin, chaque fois, que les difficultés à envisager du diagnostic. Ici, on va le voir, la question se pose plus complexe, et du sens dans lequel elle sera résolue découleront des indications thérapeutiques de la plus haute importance.

Examinons maintenant les faits.

En 1873, Pidoux (1), qui, à cette époque, faisait autorité en matière de tuberculose pulmonaire, écrivait :

« La phtisie marche très lentement et a des rémissions incalculables chez les personnes affectées de névroses. S'il est un fait évident pour moi, c'est que ces sortes de sujets, chez lesquels la phtisie n'est pas rare, lui opposent une résistance surprenante et indéfinie. »

La question est donc nettement posée. Elle se précise surtout avec un travail très consciencieux de Leudet(2), de Rouen, qui, observant dans un milieu hospitalier, est arrivé cependant à des résultats qui confirment ceux obtenus par Pidoux dans sa clientèle aisée des Eaux-Bonnes.

Depuis 1 854, il a recueilli 324 cas d'hystérie ; 95 femmes atteintes de la névrose sont revenues à plusieurs reprises dans les salles de l'Hôtel-Dieu de Rouen, à des intervalles qui variaient entre deux et vingt-deux ans. « Or, de ces

(1) Pidoux, Etudes générales et pratiques sur la phtisie, 1873, p. 157.

(2) Leudet, De la tuberculose pulmonaire chez les hystériques. Assoc. franc, pour l'avancement des sciences. G. R. de la 6 e session. Le Havre,

1877, p. 829, in-8°, Paris, 1878.


236 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

95 femmes, 9 seulement ont présenté, après une hystérie bien constatée antérieurement, une tuberculose pulmo- naire.

« Sur ces 32-4 hystériques, 23 seulement m'ont présenté les signes et les lésions de la tuberculose pulmonaire. Je suis donc autorisé à dire que la phtisie n'est pas commune chez les hystériques et que la névrose ne constitue pas une prédisposition de la lésion organique des poumons. » Puis, après une discussion sur la date réciproque de l'apparition de l'une ou l'autre de ces manifestations, Leudet arrive au point important de son mémoire.

« La tuberculose éprouve-t-elle réellement une modifi- cation dans sa marche, sa durée et ses terminaisons sous l'influence de l'hystérie préexistante ou coexistante? Je me hâte de dire que, dans le plus grand nombre des cas, la proposition de Pidoux me semble vraie et que l'hystérie peut être regardée comme modératrice de la tuberculose pulmonaire. »

Il faut avouer cependant que ce qui suit ne corrobore guère cette opinion.

« Sur 16 hystériques phtisiques, 10 ont succombé, deux malades dans un espace variant de 6 à 7 mois, 2 après

2 ans, 3 en 3 ans, 2 en 4 ans et 1 en 8 ans. Les autres vivaient encore après une durée assez prolongée de la tuberculose pulmonaire. Cette durée était 1 fois de 2 ans;

3 fois de 6 ans; 1 fois de 9 ans; 1 fois de 10 ans; 1 fois de 19 ans. Une seule de ces malades offrait une amé- lioration si considérable de la tuberculisation locale qu'on pouvait la croire guérie.

« La tuberculisation pulmonaire chez les hystériques peut donc être très courte, mortelle en moins d'un an; au contraire, et c'est le cas le plus fréquent, elle a une durée qu'on pourrait dire, à l'exemple de Pidoux, indéfinie. »

Et pourtant Leudet ajoute qu'une des malades de Marius Carre [op. cit.), hystérique confirmée, mourut de phtisie aiguë.

On pourrait peut-être le mettre encore en contradic-


DE L'HYSTERIE. 237

tion avec lui même en rappelant que, dans sa communica- tion à l'Académie de médecine (l) (1885) sur la tubercu- lose dans les familles, il écrivait : « La tuberculose pul- monaire constitue quelquefois une sélection morbide qui frappe de mort les familles dégénérées » , et parmi ces dégénérés il note des hystériques (p. 542).

Dans les éditions successives de son Traité pratique des maladies du système nerveux (4 e éd., 1894), et surtout dans l'important mémoire qu'il publie en 1884, le professeur Grasset (2) tend à admettre, avec certaines restrictions toutefois, les idées de Pidoux et de Leudet. Il veut surtout démontrer « que l'hystérie est souvent la manifestation de diathèses diverses, la scrofulose et la tuberculose en par- ticulier » (mars 188 4, p. 223).

« Il y a alternance, ajoute-t-il, entre les accidents dus à la tuberculose et à l'hystérie, si le début des deux maladies s'est fait à deux époques différentes ; il y a une marche lente de la tuberculose si les deux affections ont débuté ensemble. »

Mais, s'appuyant sur de nombreux faits cliniques et sur des données doctrinales, il ne saurait souscrire à l'an- tagonisme qu'on a dit exister entre la tuberculose et l'hys- térie.

Par contre, la thèse de Largaud (3), basée sur onze observations dont huit personnelles, est un plaidoyer sou- vent passionné en faveur de l'influence inhibitoire de l'hystérie sur la tuberculose du poumon.

« La névrose, dit-il (p. 10), nous a paru, dans les observations que nous relatons, jouer un rôle protecteur comme si, devant elle, l'affection pulmonaire se trouvait

(1) Leudet, La tuberculose pulmonaire dans les familles. Bull, de l'Acad. de nie'd., t. XI V, 2 e série, séance du 14 avril 1885, p. 532.

(2) Grasset, Des rapports de V hystérie avec les diathèses scrofuleuse et tuberculeuse. Montpellier médical^ mars, avril, juin, août 1884. ■ — Grasset

cite de Maggiorani une communication, Isterismo e tisi, faite à l'Acad. de méd. de Home, séance du 27 avril 1879, qu'il juge peu importante.

(3) Largaud, De l'influence de l'hystérie sur la phtisie pulmonaire. Th. Montpellier, 1882.


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gênée dans sa symptomatologie et arrêtée dans sa marche. . . « Il y a une véritable lutte entre les deux maladies... Si l'hystérie est très violente, elle restera maîtresse du ter- rain ; la phtisie pulmonaire s'arrêtera pour disparaître, du moins dans sa symptomatologie ordinaire . Reparaîtra - t-elle un jour? Le temps seul pourra répondre. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que, pour l'heure, la phtisie ne s'est plus montrée, comme on le verra dans nos obser- vations. »

Et enfin (p. 38) : « Donc, et c'est ici la conclusion essen- tielle de notre travail, des phtisiques peuvent sinon guérir, du moins vivre longtemps avec leur tuberculose pulmo- naire, et cela grâce à V hystérie. Et dorénavant, jusqu'à ce qu'on ait bien prouvé que nous sommes dans l'erreur, nous respecterons la névrose chez les phtisiques, la consi- dérant pour eux comme une planche de salut, une sou- pape de sûreté qui doit leur assurer, pour un temps plus ou moins long, une survie sur laquelle ils n'auraient pas dû sembler compter... »

Les opinions de Pidoux et Leudet ont récemment trouvé un défenseur plus modéré que Largaud dans M. Gi- botteau (1), qui, analysant les cas anciens, en apportant quelques nouveaux et s'appuyant sur deux faits — très peu démonstratifs à notre avis — de Furet (2) où la tuber- €ulose articulaire ne se serait pas généralisée, parce qu'il y avait coexistence d'hystérie, nous dit : « Ce que nous voudrions pouvoir, sinon prouver, du moins faire penser, c'est que chez les hystériques, de même que chez les arthritiques et scrofuleux, la tuberculose offre une marche spéciale et un pronostic moins sévère (p. 13). »

Mais si les opinions sont modérées , les conclusions thé- rapeutiques qui en découlent sont, par contre, fort intran- sigeantes :

(1) Gibotteau, De V influence de V hystérie sur la marche de la tubercu- lose pulmonaire. Th. Paris, 12 juillet 1894.

(2) Furet, Contribution à l'étude de l'hystérie dans ses rapports avec divers états morbides. Th. Paris, 1887-88, p. 42 et suiv.


DE L'HYSTERIE. 239

« Nous croyons, dit-il (p. 55), à la vérité de cet axiome, qu'il faut bien se garder de traiter l'hystérie chez les phtisiques. Plus d'une fois nous avons constaté les mau- vais effets d'un traitement énergique des phénomènes hystériques, et si nous nous reportons aux observations, nous voyons l'aggravation rapide des phénomènes pulmo- naires à la suite d'un traitement énergique de l'hystérie... Le traitement intempestif de l'élément nerveux amène : 1° soit une tuberculose aiguë généralisée; 2° soit une phtisie galopante ; 3° soit le développement d'une tuber- culose restée jusque-là latente ou ne s'étant manifestée que par des phénomènes de scrofule et de fausse chlo- rose. »

Il faudra donc (p. 57) se contenter « de traiter les symp- tômes nerveux par les calmants, les antinévralgiques, les aimants, les suggestions, mais nous n'instituerons pas le véritable traitement de la névrose par l'hydrothérapie, l' électrothérapie, l'isolement » .

En résumé, pour les auteurs précités, l'hystérie coexis- tante retarde l'évolution de la tuberculose ; faire dispa- raître les accidents nerveux serait, pour Gibotteau, pré- cipiter la marche de la phtisie pulmonaire.

Voyons ce qu'il faut penser de ces opinions.

Il semble bien d'abord, et cela résulte du nombre même des travaux publiés, que l'association de l'hystérie et de la tuberculose soit chose fréquente. Maintenant, est-ce la tuberculose qui favorise le développement de l'hystérie ou l'hystérie le développement de la tuberculose ? La question a été diversement résolue, ou mieux diversement envisagée par les auteurs qui s'en sont occupés.

En 1842, Monneret et Fleury (1) s'expriment en ces termes : « On a considéré comme complications essen- tielles, c'est-à-dire dépendantes de l'hystérie, les tubercu- loses pulmonaires. Leur développement peut être favorisé par le trouble nerveux qui gêne la respiration, mais on

(1) Monneret et Fleury, Compendium de médecine, t. V, p. 79, 1842.


240 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

reconnaîtra que c'est aller trop loin que de faire résulter en quelque sorte la phtisie pulmonaire de l'hystérie. »

Brachet (1) retourne, pour ainsi dire, la question : « Cheyne s'est trompé, dit-il, lorsqu'il a cru que la phtisie tuberculeuse était la conséquence de fortes hystéries ; c'est bien plutôt, dans ce cas, l'éréthisme nerveux occa- sionné par la première impression de la tuberculisation qui a déterminé le mouvement nerveux hystérique. »

Mais voici encore un autre point de vue. La tuberculose des ascendants prédispose les enfants à l'hystérie, dit Chairou. Ce à quoi Bernutz (2) répond « qu'il faut tenir compte, dans les faits de cette espèce, que cette névrose est bien plus commune chez les sujets restés orphelins en bas âge que chez ceux qui n'ont pas été soumis à cette pénible épreuve et que, par suite, c'est en privant de bonne heure les enfants de leur père et de leur mère affectés l'un ou l'autre de phtisie que la tuberculose favorise, mais d'une manière indirecte, le développement de la névrose chez les descendants » .

On pourrait ainsi discuter longtemps : il faut donc serrer le sujet de plus près.

Nous savons, du fait des observations publiées, celles de Grasset en particulier, qu'il n'y a pas d'antagonisme entre l'hystérie et la tuberculose. Nous serions même tenté d'a- jouter, en nous reportant à ce que nous avons vu à la Sal- pêtrière, que l'hystérie favorise singulièrement l'éclosion du tubercule, car dans cet hospice, où l'état sanitaire est en général très bon, nous avons noté bien souvent que les hystériques payaient un lourd tribut au bacille. Et Briquet n'a-t-il pas encore écrit (p. 5-44) : « Les cas de mort par voie indirecte à la suite de l'hystérie... se bornent dans nos observations à la phtisie pulmonaire, à la cirrhose du foie et à l'affection de Bright » ?

Puisqu'il semble admis que la névrose prépare si favo- rablement le terrain, comment pourrait-il se faire qu'une

(2) Brachet, Traité de l'hystérie, p. 383. Paris, 1847. (1) Bernutz, art. Hystérie, op. cit., p. 196, 1874.


DE L'HYSTERIE. 241

fois l'agent infectieux clans la place, l'hystérie intervienne pour modérer son développement, retarder sa pullulation? Un grand nombre de manifestations hystériques, déjà étudiées ou que nous étudierons dans le prochain chapitre, sont, par divers mécanismes, autant de causes produc- trices de cette déchéance organique que réclame l'éclosion du tubercule, et cela n'avait pas échappé à Briquet et à bien d'autres auteurs.

« On comprend très bien, dit-il (p. 57), qu'Hoffmann, Louyer-Villermay et Georget, voyant chez les sujets hysté- riques la nutrition se troubler soit par le fait du défaut d'une alimentation suffisamment réparatrice, soit par le fait des souffrances continuelles qu'elles endurent, aient pensé que le mouvement de composition et de décompo- sition dans les tissus, pouvant se déranger, puisse donner naissance à la tuberculisation ; tous les auteurs, en effet, s'accordent à admettre que la phtisie peut venir à la suite •de l'hystérie. Il y a certainement de bonnes raisons pour •adopter leur opinion. »

Dès lors, nous le répétons, comment admettre qu'un -organisme débilité puisse opposer une résistance opiniâtre à l'agent infectieux: dont il a provoqué la germination?

On pourra objecter, à laide d'observations, et les au- teurs tels que Leudet, Largaud, Gibotteau, n'y ont pas manqué, que cependant la tuberculose paraît réellement évoluer plus lentement qu'à l'ordinaire chez les hysté- riques. A cela il serait facile de répondre en citant les faits où celle-ci a revêtu une marche aiguë. La discussion menacerait ainsi de s'éterniser.

Toutefois, puisqu'il ne parait pas douteux que l'hystérie prépare favorablement le terrain, comment admettre encore, avec Gibotteau, qu'il ne faille pas traiter d'une façon active les accidents hystériques chez les tubercu- leux? Indubitablement, chez un tousseur, on proscrira 1 hydrothérapie ; peut-être celle-ci pourrait-elle aggraver les manifestations bronchiques. Mais pourquoi, avec cet auteur, proscrire l'isolement et l'électrothérapie, qui

m. 16


242 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

seraient certainement d'un grand secours dans la dispa- rition des phénomènes gastriques, par exemple, qui met- taient obstacle à l'alimentation ?

Il est certain, ainsi que Briquet l'a montré lui-même (p. 500), que « la phtisie pulmonaire peut faire graduelle- ment cesser, puis l'aire disparaître tous les phénomènes de l'hystérie » , à l'instar, comme il le dit encore, d'une affection aiguë ou chronique, le choléra, par exemple, ou l'état de grossesse. Mais la proposition inverse : l'influence favorable de l'hystérie active sur la disparition ou l'atté- nuation de la tuberculose, nous semble beaucoup plus dif- ficile à admettre.

En résumé, tous les auteurs conviennent que l'hystérie, comme toute affection susceptible de débiliter l'organisme, favorise l'éclosion de la tuberculose. Or, opinion qui nous est personnelle, si certains d'entre eux ont cru quelle en arrêtait le développement, c'est qu'ils ont aussi observé des cas où ils se croyaient en présence de tuberculose alors qu'il s'agissait de manifestations pulmonaires de la, diathèse vaso-motrice et que ces phtisies, qui n'en étaient pas, ont guéri. Leur esprit en a été vivement impressionner et, de ce fait, ils se sont trouvés disposés à interpréter les autres cas, ceux où la tuberculose existait réellement, dans le sens favorable d'une évolution atténuée ou même de. la guérison.

Car, nous l'avons dit, en l'absence de la constatation du bacille, dont la notion est, en somme, toute récente, le diagnostic entre la phtisie hystérique et la phtisie vraie est fort difficile. Qu'on se rappelle le fait de Petit, où le diagnostic de tuberculose fut affirmé par Rayer, Trousseau et Siredey. Qu'on relise le passage de Fabre sur les fausses phtisies hystériques, où il dit : « J'ai même vu Trousseau déclarer carrément phtisique une jeune fille et l'envoyer à Eaux-Bonnes (où exerçait Pidoux), où en arrivant elle guérit de ses phénomènes thoraciques par l'effet du changement d'air (p. 66). »

Ce qu'on peut admettre, c'est que sur le terrain hysté-


DE L'HYSTERIE. 243

rique, si mobile, si changeant, chez ces anorexiques éma- ciées au suprême degré, regagnant le mois suivant quinze kilos de leur poids, la tuberculose fructifie mal ou très irrégulièrement le lendemain du jour où elle avait germé avec les meilleures chances de développement. Mais, pour cela même, qu'on ne vienne pas dire qu'il faille se garder de traiter les accidents hystériques, car de leur disparition résulte, à notre avis, la première indication thérapeutique dont on doit se proposer la réalisation.


Nous terminerons ce qui a trait aux manifestations de l'hystérie sur l'appareil respiratoire et ses annexes, en disant quelques mots de la paralysie et de la contracture hystérique du diaphragme.

Briquet [op. cit., p. 475) est le seul auteur qui semble avoir observé cette paralysie ; la description qu'il en donne mérite donc d'être rapportée.

« Cette paralysie, dit-il, est l'une des plus rares ; je ne l'ai vue que deux fois : les auteurs n'en rapportent pas d'exemple ; peut-être cela tient-il à ce qu'ils ne connais- saient pas les signes de cette maladie...

« Dans les cas où je l'ai vue, c'était une affection très tenace et qui avait duré plusieurs mois.

« Elle rend la respiration très courte, la voix a un timbre comme étouffé, les malades sont dans une sorte d'anhélation habituelle qui augmente considérablement parle moindre mouvement; lors de l'inspiration, le dia- phragme ne se contractant plus, s'enfonce vers le thorax, et alors il se fait un creux très prononcé à la base du tho- rax et surtout à la région épigastrique ; au contraire, cette partie fait saillie lors de l'expiration, ce qui est tout l'op- posé de ce qui se passe quand la respiration se fait d'une manière normale.

« Quand cette paralysie se combine avec celle des muscles du larynx, il n'y a plus de voix, les malades souf- flent leurs paroles et l'anhélation est extrême.


244 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

« Cette paralysie peut disparaître brusquement et être remplacée par quelque autre trouble hystérique, ou bien décroître avec les autres accidents de la maladie. »

La contracture du diaphragme se juge, cliniquement, par des accidents asphyxiques. Duchenne, de Boulogne (l), la décrit en ces termes :

« A l'instant où le diaphragme se contracture, la moitié inférieure du thorax s'agrandit, surtout transversalement; l'épigastre et les hypocondres se soulèvent ; la suffocation est extrême ; le malade essaye, mais vainement, de res- serrer la base de son thorax et de refouler ses poumons de bas en haut, en contractant énergiquement et d'une ma- nière continue ses muscles abdominaux. Les viscères, com- primés alors en sens contraire par le diaphragme et par les parois abdominales, s'échappent de chaque côté dans les hypocondres et augmentent ainsi mécaniquement le diamètre transversal de la base du thorax déjà agrandie par l'action du diaphragme sur les côtes inférieures. »

La respiration se compose d'une « inspiration brusque pendant la contracture du diaphragme et d'une expiration courte, tandis que la moitié inférieure se dilate d'une manière permanente. Ces mouvements respiratoires par- tiels sont d'abord très rapprochés, mais bientôt ils s'affai- îilissent et se ralentissent, et alors apparaissent tous les symptômes de l'asphyxie... La contracture de la moitié du diaphragme occasionne une grande gêne dans la res- piration, mais ne peut déterminer l'asphyxie. »

Duchenne rapporte alors l'observation d'une jeune fille de dix-huit ans, atteinte d'une contracture du diaphragme survenue au cours de la convalescence d'une rougeole et qui guérit par l'application d'eau bouillante sur la base du thorax. Comme la malade était déjà atteinte de tétanie des mains et des pieds, peut-être ce cas est-il attribuable à l'hystérie, bien que Duchenne n'ait pas songé à mettre cette manifestation sur le compte de la névrose.

(1) De l'électrisation localisée, 3 e édit., 1872, p. 917.


DE L'HYSTERIE. 245

Les observations de contracture du diaphagme au cours de l'hystérie sont du reste fort rares. Sollier et Malapert(l) en ont rapporté un exemple, mais il s'agissait là de con- tracture volontaire, et l'ensemble clinique que nous avons décrit d'après Duchenne faisait défaut.

M. Legnani (2) en a publié récemment un autre cas relatif à une jeune fille de dix-sept ans. Toutefois, la symptomatologie qu'il donne est fort obscure et se rap- proche beaucoup plus de celle d'une tympanite hysté- rique que d'une contracture du diaphragme de même nature.

(1) Sollier et Malapert, Contracture volontaire chez un hystérique. Nouv. Icon. de la Salp., 1891, p. 100.

(2) Legnani, Contrattura isterica ciel cliaframma. Revista clinica e tera- peutica, juillet 1892, n° 6, p. 395. An. in Mercredi médical, 26 novem- bre 1892, n° 48, p. 474.


CHAPITRE QUINZIÈME

DÉTERMINATIONS DE L'HYSTÉRIE SUR L'APPAREIL DIGESTIF

L'hystérie gastrique. — Considérations générales. Nécessité d'une classi- fication nosolgoique. — Etiologie générale.

Troubles du goût par anesthésie ou hyperesthésie de la muqueuse buccale. - — ■ Ptyalisme .

Localisations de la diatliese de contracture sur le pharynx et l œsophage. — Contracture intermittente ou paroxystique ; permanente. — Etiologie. — Description. — Sélections alimentaires; anorexie secondaire.

Manifestations gastriques proprement dites. — Contracture de l'estomac ou vomissements spasmodiques. — Description; diagnostic; pronostic. — Rareté de l'atonie ou de la paralysie hystérique des tuniques sto- macales.

La gastralgie hystérique. — Etiologie; pathogénie. — C'est un paroxysme avec zone hyperesthésique hystérogène de la muqueuse. — Marche et terminaisons.


L'étude des déterminations de l'hystérie sur l'appareil digestif est difficile, car celles-ci sont fort variées et sou- vent aussi très complexes. Des troubles du goût par anes- thésie de la muqueuse buccale, de la contracture de l'œso- phage à celle de l'extrémité inférieure de l'intestin, l'étape est longue, et les auteurs qui nous ont précédé ne se sont guère inquiétés de tracer une bonne route à suivre. Ils nous ont légué une quantité considérable de matériaux, mais aucun d'eux n'a songé à les coordonner, à les pré- senter dans une vue d'ensemble. De plus, beaucoup de ces manifestations sont désignées par des termes conven- tionnels tout à fait insuffisants. Ainsi, en pathologie géné- rale, le mot vomissement n'a pas de signification nosolo- gique précise, il sert à désigner un symptôme, et rien de plus. Pour la névrose, il n'en est plus de même, et le terme de vomissements hystériques sert de titre à nombre


TRAITÉ CLINIQUE ET TH ÉR APEUTIQ UE DE L'HYSTÉRIE. 247

de travaux où l'on trouve confondues des manifestations dans la genèse desquelles l'estomac n'a nullement à inter- venir, par exemple les régurgitations par contracture du pharynx ou de l'œsophage.

Les manifestations gastriques elles-mêmes se traduisant par le rejet de l'aliment ne doivent pas être toutes englo- bées sous le même terme générique. Il faut appliquer à la pathogénie de l'hystérie gastrique ce que nous savons au- jourd'hui des stigmates permanents ; poursuivre sur l'ap- pareil gastro-intestinal l'étude de ce déterminisme dont la connaissance a sorti la névrose du chaos pathologique, pour la mettre au rang des affections les mieux établies nosologiquement.


Les troubles digestifs, que nous séparons intentionnel- lement, dès l'abord, des troubles intestinaux, considérés dans la plus large acception du mot, sont très fréquents chez les hystériques. Notés par tous les anciens auteurs, leur fréquence même avait servi à Cullen à édifier une théorie gastrique de la névrose. Briquet, toujours riche en statistiques, trouva que sur trois cent cinquante-huit hys- tériques, c'est à peine si dix n'en avaient pas été atteintes, ce qui le conduisit à dire : « Quand une jeune fille éprouve de la gastralgie dès son enfance, on peut être assuré que plus tard elle deviendra hystérique, à moins que des soins incessants et bien entendus ne modifient cette disposition (p. 253). »

L'opinion de Briquet, pour être vraie, n'en est pas moins très exagérée. Toutes les jeunes filles qui souffrent de l'estomac au moment des règles, par exemple, sont- elles donc hystériques? Et les hystériques jouissent-elles d'une immunité spéciale contre les maladies générales de l'appareil digestif?

Il ne s'ensuit pas moins que ces troubles sont fréquents; ils sont de plus très variés, car l'appareil est fort complexe et formé de parties très diverses dont les fonctions et


248 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

partant les reactions peuvent être très dissemblables.

Ces troubles semblent frapper beaucoup plus souvent les femmes que les hommes, au moins en ce qui regarde les adultes ; il est vrai que l'hystérie masculine est connue seulement depuis quelques années. Mais nous basons cette opinion sur des observations personnelles que nous avons tout lieu de croire fondées.

Il est difficile d'être précis en ce qui touche Y âge, car celui-ci semble varier pour chacune des manifestations en particulier ; l'anorexie vraie est l'apanage des jeunes filles de douze à vingt ans ; la gastralgie avec vomisse- ments, le spasme de l'œsophage se voient ou au moins continuent à se montrer plus tardivement.

Nous manquons de documents très exacts en ce qui regarde les enfants, qui peuvent cependant, dès l'âge de sept ou huit ans, être atteints de ces manifestations. Cependant, il ne faut pas l'oublier, chez l'enfant, l'hys- térie est presque toujours peu grave, peu tenace. Or, nous pouvons le dire immédiatement, la majorité des manifes- tations de la névrose sur le tube digestif ont un caractère de gravité ou au moins de ténacité tout particulier. C'est souvent après avoir épuisé une série d'autres détermina- tions que l'hystérie se localise sur le tube gastro-intestinal, et s'y maintient d'une façon parfois désespérante.

Pour ce qui est des causes occasionnelles , qui varient d'ailleurs suivant les manifestations, on peut affirmer, sans crainte d'être démenti, qu'en matière d'hystérie à localisa- tion sur le tube digestif, c'est presque toujours aux conjec- tures qu'il faudra s'en tenir et se borner à invoquer les facteurs de la plus banale des étiologies.


Nous allons maintenant décrire ces manifestations en allant des premières voies digestives vers l'extrémité infé- rieure de l'intestin.

Nous insisterons peu sur les troubles du goût chez les


DE L'HYSTERIE. 240 1

hystériques, renvoyant à ce que nous en avons déjà dit (t. I, p. 177 et suiv.) en traitant des anesthésies des mu- queuses. Ces troubles attirent rarement l'attention du ma- lade, et presque toujours ils veulent être cherchés, comme le rétrécissement du champ visuel ou l'anosmie, par exemple.

Connaissant aujourd'hui l'association de l'hystérie avec la dégénérescence mentale, nous pensons que c'est au compte de cette dernière qu'il faut porter les cas de pica 7 de malaria, de perversions très singulières du goût, obser- vées chez certains malades qui sont bien plutôt des vésa- niques que des hystériques purs. Les troubles liés à l'anes- thésie de la muqueuse buccale sont donc, en somme, peu importants ; étant tout à fait locaux, ils n'influencent guère les fonctions digestives. Il n'en serait pas de même si l'anes- thésie de la muqueuse buccale se changeait en hyperesthé- sie, laquelle d ailleurs paraît fort rare.

A. Fabre (1) semble avoir observé un exemple de cette exaltation de la sensibilité de la muqueuse buccale : « J'ai pour cliente, dit-il, une hystérique, vieille déjà cependant, mais incorrigible sous ce rapport comme sous bien d'autres, qui me fait appeler plus souvent que je ne le voudrais, pour la traiter d'une inflammation dont elle se plaint dans la langue et les gencives; le contact de tout aliment, de l'eau même, lui est un supplice; elle éprouve un sentiment de brûlure et d'érosion qui lui fait croire à une inflammation réelle. A grand'peine, et avec beaucoup de bonne volonté, j'y trouve parfois un peu de rougeur. C'est pour moi de l'hyperesthésie hystérique. »

Cette opinion nous semble admissible. Par contre, nous faisons nos réserves en ce qui regarde les troubles suivants, que Fabre attribue également à la névrose.

« Une autre hystérique, dit-il, se plaint d'éprouver très mauvais goût dans la bouche : elle croit avoir mauvaise haleine, et, contrairement à bien d'autres, elle est la seule à s'en apercevoir. Une autre encore, et ce ca&

(1) L'hystérie viscérale, op. cit., p. 8.


250 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

n'est d'ailleurs ni spécial aux hystériques, ni exceptionnel chez elles, a un jour par mois une odeur spéciale de l'ha- leine qui avertit sa mère et son mari qu'elle va avoir ses règles.

« D'autres ont un trouble manifeste des sécrétions buc- cales : elles sont affectées d'un vrai ptyalisme, comme certaines femmes enceintes. »

Nous avons déjà parlé de ce ptyalisme, qui peut être sim- plement prémonitoire des attaques, ou persister pendant des semaines, constituant ainsi une véritable perturbation trophique ou sécrétoire. De même, nous rappellerons qu'exceptionnellement, chez certains sujets, l'attaque est précédée par une sorte d'état gastrique, d'embarras des premières voies digestives sur la signification duquel les ma- lades sont beaucoup moins exposés à se tromper que le médecin. En résumé, ces troubles n'ont, en général, qu'une importance tout à fait secondaire.


La contracture des masséters peut gêner considérable- ment l'alimentation. Dans certains cas où le spasme glosso- labié était associé à celui des muscles du voile du palais, on a noté une dysphagie assez intense pour nécessiter l'emploi de la sonde. Ces derniers faits sont exceptionnels.

Il n'en est plus de même de la contracture des muscles du pharynx, du spasme du plan musculaire de l'œso- phage.

Le spasme du pharynx, s'accompagnant ou non, autant qu'il est possible d'en juger, du spasme de l'œsophage, peut être temporaire, paroxystique. Dans les prodromes ordinaires de l'attaque, il existe presque toujours une sen- sation de constriction du pharynx qui atteint son summum dans la variété du paroxysme dite de spasme, à l'instant où le phénomène connu sous le nom de boule hystérique est à son plus haut degré. Le malade, les auteurs l'ont bien sou- vent noté, fait de vains efforts de déglutition pour avaler


DE L'HYSTÉRIE. 251

sa salive. Il lui est impossible d'ingurgiter un verre d'eau, de même que c'est avec la plus grande peine qu'il arrive, par intervalles, à faire pénétrer dans ses bronches un peu d'air nécessaire à la respiration. Ces phénomènes faisant partie du cortège des symptômes déjà décrits de l'attaque, nous n'y insistons pas.

Cependant, en dehors même de la variété de l'attaque dite de spasmes, il peut survenir du côté du pharynx une localisation de la névrose d'un genre tout particulier, qui constitue la partie essentielle, prédominante, d'un pa- roxysme analogue, par exemple, aux attaques de toux hys- térique.

La manifestation que nous avons en vue, en ce moment, est rare, car nous n'en connaissons qu'un seul exemple appartenant à M. Bouveret, qui, pas plus que nous, n'en a rencontré d'autres dans la littérature médi- cale. Il a décrit ces phénomènes sous le nom de spasmes cloniques du pharynx, ou aérophagie hystérique. « Ces .spasmes des muscles de la déglutition paraissent provenir, dit-il (1), d'une excessive hyperesthésie des muscles du pharynx. » Nous nous trouverions là en présence d'une zone hyperesthésique hystérogène de cette région, se superposant à la diathèse de contracture et évoluant sous forme paroxystique. Nous ne pouvons mieux faire que d'emprunter à M. Bouveret la description qu'il a donnée -de cette détermination singulière de l'hystérie.

Chez sa malade, âgée de trente-neuf ans, « le pharynx est le siège d'une très vive hyperesthésie. L'attouchement des piliers du voile et de la paroi postérieure n'est absolument pas supporté et provoque une violente recrudescence des spasmes. Une autre zone d'hvperesthésie s'étend au devant du larynx; dans cette région, et particulièrement au niveau de la saillie médiane du cartilage thyroïde, le pincement léger ou même la simple pression avec l'extré- mité du doigt provoque l'exagération ou le retour des

(i) Bouveret, Spasmes cloniques du pJiarynx (aéropliagie hystérique^. Jlevue de médecine, n° 2, 10 février 1891, p. 148.


252 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

spasmes, s'ils avaient cessé. Si l'excitation de cette région se prolonge un peu, elle fait naître une sensation de ma- laise général avec état nauséeux, défaillances, battements dans les tempes, oppression. Cette zone hyperesthésique est donc à la fois spasmogène et hystérogène. ■»

Voilà pour la pathogénie, très importante dans l'espèce, car nous aurons bientôt à nous en servir pour l'interpréta- tion de certains spasmes à allures permanentes.

Symptomatiquement, le paroxysme revêt la forme sui- vante : « Le pharynx exécute une série de trois ou quatre mouvements de déglutition, brusques, rapides, convulsifs, absolument involontaires; puis survient une courte pause après laquelle se produisent ces mêmes mouvements de déglutition. J'en ai compté de quarante à soixante par mi- nute, dit-il. Chaque accès dure deux ou trois minutes. Entre les accès, il y a une période de calme de durée à peu près égale. Ainsi constitué, cet état spasmodique du pha- rynx a continué pendant plus d'une heure... Chaque mou- vement de déglutition est accompagné d'un bruit sonore entendu à distance, difficile à reproduire exactement, comparable cependant à celui qu'on produit en avalant très brusquement une très petite gorgée d'eau. Ces bruits involontaires incommodent beaucoup la malade; elle n'ose se montrer dans un lieu public et recherche la solitude. Il s'agit bien réellement d'un mouvement de déglutition con- vulsif, spasmodique ; le pharynx s'élève brusquement, beaucoup plus brusquement que dans un mouvement vo- lontaire de déglutition; la bouche est fermée, et la malade sent très bien qu'elle avale quelque chose. Une bougie allu- mée est placée devant les narines : or, pendant que le pharynx exécute une série de mouvements spasmodiques. la flamme de cette bougie ne présente aucune oscillation indiquant une émission de gaz par les narines » .

L'auscultation de l'œsophage et de l'estomac fait entendre un bruit de glouglou, une sorte de tintement métallique dû au passage des bulles gazeuses et à leur arrivée dans l'estomac. De temps en temps, il se produit


DE L'HYSTERIE. £53


une éructation qui expulse de l'air pur; si les éructations sont trop violentes, en un mot, si le spasme de l'estomac et de l'œsophage est trop prononcé, quelques parcelles d'aliments liquides ou solides viennent dans la bouche. C'est par un semblable mécanisme qu'on voit quelquefois survenir des vomissements lors de l'attaque ordinaire.

Les accès apparaissaient généralement le matin avant que la malade eût pris des aliments. Ces spasmes influen- cèrent les fonctions de l'estomac et produisirent la dénu- trition. Avant que M. Bouveret eut porté le diagnostic exact, on avait cru à de la dyspepsie flatulente. « La ma- lade, dit-il, est anémique et dyspeptique. Elle a notable- ment maigri depuis cinq mois. La constipation est habi- tuelle. » Cette déglutition incessante d'air et le tyinpanisme qui en est la conséquence devaient, en effet, troubler assez sérieusement les fonctions de l'estomac.

En terminant, M. Bouveret ajoute, avec beaucoup de raison : « Ces spasmes brefs et rapides des muscles de la déglutition, qui se répètent jusqu'à quarante et soixante fois par minute, ont une grande analogie avec d'autres phénomènes spasmodiques de l'hystérie, tels que la toux, le hoquet et le bâillement hystériques. En y regardant de près, ces spasmes cloniques du pharynx représentent même, à un certain degré, le rythme et la cadence que M. Charcot considère comme propres à un bon nombre de phéno- mènes hystériques. »


Ces spasmes intermittents, paroxystiques du pharynx sont beaucoup moins fréquents que le spasme permanent du conduit pharyngo-œsophagien dont la symptomato- logie tient une grande place dans les manifestations de l'hytérie sur les voies digestives.

La contracture de l'œsophage a été étudiée par tous les auteurs anciens ou modernes qui se sont occupés de la névrose.


254 TRAITE CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Willis (1) la décrit au dix-septième siècle, mais elle n'acquiert véritablement droit de cité qu'avec les travaux d'un médecin deLoudun, Mondière, qui crée, pour carac- tériser ce spasme, le terme à'œsophagisme, devenu courant depuis lors dans la littérature médicale.

«L'œsophagisme, dit-il (2), consiste en une constric tion plus ou moins complète et durable du canal pharyngo oesophagien et pouvant, ou produire une dyspliagie absolue, ou empêcher seulement la déglutition des corps liquides ou solides. Tantôt le spasme est borné au pharynx ou h l'œsophage, tantôt il occupe en même temps ces deux

conduits Il est deux états pathologiques, ajoute-t-il,.

l'hystérie, l'hypocondrie, dans lesquels on observe fré- quemment le spasme de l'œsophage. »

Mondière connaît le spasme passager lié à l'attaque et le spasme permanent. « Chez les hystériques, la fin de l'accès marque habituellement aussi celle de la dysphagie; quelquefois cependant celle-ci persiste. Ainsi le docteur Albert (3) a vu une femme en proie à une affection hysté- rique des plus violentes et qui, pendant sept à huit mois, fut atteinte d'une telle constriction spasmodique du gosier qu'elle ne pouvait avaler qu'un peu de bouillon : elle était réduite à une extrême maigreur. »

L'œsophagisme peut s'observer à tout âge et dans les deux sexes. Fouquet (4) en a rapporté un cas chez un garçon de dix ans; Haushalter (5) a donné l'observation bien étudiée d'une fillette de douze ans qui en était atteinte. P. Richer (6) dit que « dans l'hystérie infantile


(1) Willis, Op. omnia. De rnorùis convulsivis. Genève, 1676, t. I, cli. x, p. 533, in-4°.

(2) Mondière, Recherclies sur l'œsophagisme ou spasme de l'œsophage. Arch. gén. de médecine, août 1833, t. I, 2 e série, p. 465.

(3) Albert, Annales de Montpellier, janvier 1812.

(4) Fouquet, Etude clinique de quelques spasmes d'origine hystérique. Th. Paris, 1880, obs. II, p. 21.

(5) Haushalter, OEsophagisme hystérique et dysphagie chez une fillette de douze ans. La Médecine moderne, 1891, p. 176.

(6) P. Riciier, Paralysies et contractures hystériques. Paris, 1892, p. 214,



DE L'HYSTERIE. 255

le spasme de l'œsophage tient une place importante » .

Cependant, nous croyons qu'il est surtout le fréquent apanage des adultes, des femmes en particulier. Les trois cas de Blankenstein (1) appartiennent à des sujets respecti- vement âgés de 37, 4L ans (femmes), 53 ans (homme). De plus, certaines formes tenaces, affectant une tendance mar- quée à la chronicité, nous ont semblé tenir un rang im- portant dans les phénomènes insuffisammment décrits sous le nom général d' « accidents nerveux de la méno- pause » .

L'œsophagisme est certainement une manifestation fré- quente de l'hystérie digestive, mais il ne faudrait pas le chercher toujours sous ce nom dans les auteurs. Nous sommes persuadé, pour notre part, que beaucoup de cas qualifiés de « vomissements hystériques » et dans lesquels, ainsi que l'a indiqué Salter (2), le rejet de l'aliment a lieu immédiatement, par simple régurgitation, appartiennent au spasme de l'œsophage.

Rarement on songe, ainsi que l'a fait Skey (3), à prati- quer le cathétérisme œsophagien, et il n'est pas douteux que beaucoup de cas décrits par Deniau (4) , sous le nom de « vomissements spasmodiques » , ne lui soient attri- buables. Aussi bien, du reste, la contracture peut- elle, comme nous allons le voir, s'étendre jusqu'au ventricule; mais, dans ces cas, c'est le vomissement réel qui survient et non la régurgitation que nous allons décrire.

Les causes occasionnelles du spasme pharyngo-œsopha- gien sont nombreuses et difficiles à préciser. Comme toute autre contracture hystérique, il peut se montrer brusque- ment à la suite d'une attaque, d'une émotion vive; géné- ralement alors il est passager. Ou bien il s'installe lente- ment, et tend à passer à l'état permanent.

(1) Blankenstein, Dyspliagia hysterica, lnaug. Disserl. Bonn, 1893. An. m JSeurol. Centralblatt, 15 janvier 1894, p. 76.

(2) Salter, The Lancet, n° 3 1 et 2, t. II, 1868.

(3) Skey, Hysteria, six lectures. Londres, 1867, p. 92.

(4) Denud, De l'hystérie gastrique. Th. Paris, 1883.


-256 TRAITÉ CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

Parfois cependant, on peut nettement reconnaître sa cause provocatrice. C'est ainsi que Boyer (l) dit avoir donné ses soins à une « femme hystérique d'environ trente iins qui, depuis trois mois, et après avoir ressenti quelques picotements et de la douleur en mangeant un morceau de «oulet, n'avait osé avaler aucun aliment solide, par crainte ■d'être étranglée, en sorte que, pendant tout ce temps, elle n'avait pris d'autre nourriture que du bouillon et du lait » . La cause réelle du spasme n'est, en somme, que la localisation in situ de la diathèse de contracture souvent mise en action par une zone hyperesthésique hystérogène ■de la muqueuse du conduit, ainsi que nous le montrerons bientôt.

Les signes de la contracture pharyngo-œsophagienne sont faciles à imaginer : ils consistent essentiellement dans Je refus que met l'œsophage à laisser passer les aliments -dans 1 estomac. Ils ne diffèrent pas beaucoup, sous ce rapport, de ce que l'on observe dans les rétrécissements d'origine organique, mais l'hystérie leur imprime le plus souvent un cachet tout particulier qui à lui seul serait suffisant, dans la majorité des cas, pour établir le dia- gnostic.

Lorsque le spasme se localise à l'extrémité supérieure du conduit ou dans le premier tiers de l'œsophage, siège fréquent dans l'espèce, les aliments sont rendus presque aussitôt, sans efforts apparents; ils sont crachés, pour ainsi dire; c'est à peine d'une régurgitation dont il s'agit. Il va sans dire que, dans ces cas, ils n'ont subi aucun commence- ment de digestion, puisqu'ils ne sont pas parvenus dans l'estomac. Nous verrons, du reste, que cette non-digestion des aliments est presque toujours la règle, même lorsqu'il s'agit de vomissements vrais, ceux-ci suivant, dans la ma- jorité des faits, l'ingestion immédiate du bol alimentaire contre lequel réagissent les tuniques de l'estomac par des mécanismes variés.

(i) Boyer, Traite des maladies clùrurgicales, t. VII, p. 153.


DE L'HYSTÉRIE. 251

Au début, dans les premiers jours du spasme, le ma- lade fait des efforts pour assurer la pénétration de l'ali- ment dans l'estomac. Lorsque celui-ci a pu franchir le pharynx, qu'il s'est engagé dans l'œsophage et est arrivé au niveau du rétrécissement spasmodique, les efforts de déglutition redoublent, produisant parfois une sorte de bruissement observé, dit Mondière (p. 468), « par Monro et par notre ami et premier maître le docteur Gilles de la Tourette » . Dans ces conditions, le spasme peut être vaincu et les aliments ou les boissons tomber dans l'esto- mac en produisant un bruit de glouglou assez caractéris- tique. Généralement, du reste, ils ne tardent pas alors à être rejetés en partie ou en totalité par un vomissement spasmodique.

C'est pendant ces efforts de déglutition que l'on voit parfois survenir des attaques, comme dans un cas de Vigouroux rapporté par Deniau (op. cit., p. 69), où « une femme hystérique tombait en catalepsie chaque fois qu'elle voulait avaler quelque chose » . Ce fait est très important pour la pathogénie du spasme, car il indique nettement la compression par le bol alimentaire d'une zone hystéro- gène in situ superposée à la contracture du conduit.

A l'inverse de ce qui existe généralement dans le spasme lié au rétrécissement d'origine organique, l'œso- phagisme hystérique permet assez fréquemment le pas- sage de certains aliments à l'exclusion de tous les autres. Il ne faut pas oublier d'ailleurs que l'hystérie, même locale, n'est autre chose qu'une manifestation purement psychique. Il existe, dit Deniau, des « sélections alimen- taires » . C'est ainsi, par exemple, qu'on note la tolérance des solides, alors que les liquides ne peuvent franchir le spasme. Dans l'observation très intéressante d'Haushalter, les liquides ne passaient pas, alors que les carottes et les fruits verts étaient tolérés ; ces mêmes aliments, une fois cuits, étaient immédiatement rejetés.

La malade, dit-il, « met à côté de son assiette un vase dans lequel elle crache ce qu'elle vient de mâcher; à la m. 17


258 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

fin du repas, elle croque une pofrime, et, depuis le mois de juillet, elle ne s'est nourrie que de pommes, de poires ou de carottes crues quelle prend chez elle ou que lui donnent les amis du village » .

Dans l'observation de Skey, les aliments semi-liquides pouvaient passer, mais « seulement à 1 aide d'un elfort difficile et douloureux >> . Ce caractère douloureux des efforts de déglutition existe surtout au début de l'installa- tion du spasme. Comme la douleur est surtout provoquée et rarement spontanée, afin de l'éviter, lorsqu'elle existe, les malades s'astreignent à ne plus rien ingurgiter. C'est un fait qu'il faut bien connaître, afin de ne pas s'égarer dans l'interprétation des phénomènes observés.

En présence de ces régurgitations, de ces crachements presque immédiats, on est conduit, dans un but thérapeu- tique ou pour préciser le diagnostic, à explorer le conduit pharyngo-œsopliagien, à laide de la sonde.

Dans le cas de Skey, la sonde était arrêtée « au niveau dune place fixe correspondant à la base du cou, environ au tiers supérieur du conduit » . De même, dans un cas de Fouquet (1) «il existait une résistance invincible à la sonde à quelques centimètres au-dessous de l'isthme pha- ryngien » . Chez la malade de Deniau, le spasme semblait siéger sur toute la longueur de l'œsophage.

Skey note ce fait que, bien que les efforts de dégluti- tion fussent douloureux, il n'y avait pas de douleur locale déterminée par la sonde. Mais il n'en est pas toujours ainsi.

Dans une observation de Martel (2) que cet auteur rap- porte à l'anorexie, qualification impropre dans la circon- stance, on résolut d'alimenter artificiellement la malade à l'aide de la sonde œsophagienne dont l'introduction provoquait aussitôt les accidents suivants : « Dès que la

(1) Fouquet, Étude clinique sur quelques spasmes d'origine hystérique. Th. Paris, 1880, obs. I, p. 16.

(2) Martel, Anorexie hystérique et gavage. Soc. niéd. des hôpitaux, .10 oct. 1884, P 326.


DE L'HYSTERIE. 259

sonde est introduite, dit-il, il survient un spasme laryngé, accompagné de suffocation et suivi dune attaque hysté- rique violente (la malade n'en avait jamais eu antérieure- ment), et pendant cet accès, qui se prolonge au moins une heure, les aliments introduits sont rejetés en proportion variable, non pas pendant l'effort convulsif, qui porte cependant sur tous les muscles du tronc, mais dans les intervalles de relâchement, par régurgitation. »

Il existait donc, dans ce cas, une zone hystérogène, dou- loureuse ou non, l'auteur ne s'expliquant pas sur ce point, et le passage de la sonde, en comprimant cette zone, déter- minait nettement une attaque. Peut-être la zone siégeait- elle sur l'estomac lui-même, mais, à en juger par la descrip- tion, elle semblait bien plutôt affecter l'œsophage.

C'est donc, la sonde en main, qu'on pourra surtout déter- miner le siège précis du spasme, voir s'il se déplace comme cela est probable dans certains cas; mais les obser- vations sont, en somme, assez rares dans lesquelles on est intervenu de cette façon, et il serait, de ce fait, surperflu d'insister davantage.

Le spasme, avons-nous dit, peut être transitoire ou permanent. Dans tous les cas, quelque caractère qu'il doive revêtir par la suite, les malades, dès le début, font des efforts pour le vaincre et parvenir ainsi à s'alimenter. C'est dans ces conditions qu'il se produit ces sélections alimentaires dont nous avons parlé. Les sujets font, pour ainsi dire, un apprentissage : ils savent que tels aliments, telles substances seront tolérés à l'encontre de tels autres, et ils y limitent leur alimentation. Il en est, de ce fait, qui recourent à certains artifices.

Landouzv (I), après avoir noté que la déglutition des substances liquides ou solides est parfois susceptible de provoquer des convulsions, dit que « certaines malades, malgré la difficulté d'avaler, ne peuvent calmer le spasme qu'à force de boire, et il cite, d'après Sauvages, l'ob-

(!) Landouzy, Traité complet de l'hystérie, 18'*6, op. cit., p 39.


260 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

servation d'une femme hystérique « qui, entre autres maladies dont elle était affectée, ne pouvait manger sans crainte à tout moment d'être suffoquée ; elle était obligée, à chaque morceau qu'elle avalait, de boire un verre d'eau, et, comme cette conduite lui paraissait contraire à la bienséance, elle se réduisit à manger seule pendant un an et plus. Elle fut enfin guérie de cette incommodité, par l'exercice et l'usage des bains et du lait. »

Mais si le spasme ne disparaît pas subitement, le plus souvent comme il est venu, après une émotion, une attaque ou toute autre cause, l'état général ne tarde pas à res- sentir les effets de cette alimentation insuffisante, nulle ou tout au moins paraissant telle. Il faut bien savoir, en effet, à ce dernier point de vue, que, même lorsqu'ils semblent rejeter tout ce qu'ils ingurgitent, les malades, qui consen- tent encore à essayer de s'alimenter, — car il en est quii s'y refusent complètement par crainte de provoquer le spasme douloureux ou une attaque, — ces malades, disons-nous, gardent, beaucoup plus souvent qu'on ne le pourrait croire, une certaine quantité des matières ingé- rées. C'est un fait que nous avons noté nous-même et que nous rappellerons en parlant des troubles gastriques pro- prement dits. A propos du spasme œsophagien, M. Haus- halter a fait la même remarque. « Curieux de savoir, dit- il, si rien ne passait dans l'œsophage des aliments mâchés, nous pesâmes un jour, avant le repas, les aliments solides et liquides qui étaient destinés à la petite malade (675 grammes); après le repas, nous pesâmes le contenu de la cuvette renfermant les aliments mâchés et rejetés (615 grammes); la différence (675-615) entre les deux, poids indiquait que 60 grammes d'aliments avaient franchi l'obstacle et avaient pénétré dans l'œsophage. »

Ces constatations permettent d'expliquer la survie et la conservation d'un état général parfois relativement bon. Mais lorsque l'alimentation ne se fait pas, ou si elle est insuffisamment réparatrice, les malades tombent dans un état particulier que nous décrirons bientôt sous le nom.


DE L'HYSTERIE. 261

d'anorexie secondaire. Nous ne faisons que le signaler ici, car il est commun à toutes les manifestations de l'hystérie sur le tube digestif, dans lesquelles l'alimentation est trop restreinte. Les sujets, comme celui de Skey, maigrissent « en proportion de la nourriture insuffisante » , les urines sont très rares, la constipation est opiniâtre, les garde- robes se suppriment presque complètement, le pouls est faible, la température s'abaisse, bref, comme nous l'avons dit, les malades tombent dans un état particulier qui, si le spasme ne cède pas, les conduira infailliblement à la ter- minaison fatale.

Celle-ci, cependant, est rarement à craindre dans les cas vrais de spasme de l'œsophage ; à un moment donné, après des mois, quelquefois des années, la contracture disparaît peu à peu complètement ou incomplètement, souvent d'une façon brusque, et avec l'alimentation revient le retour à l'embonpoint et à la santé. Retour d'autant plus rapide que rien n'était organique, définitif, dans tous ces accidents, vu l'intégrité des organes, et qu'on est tout surpris, comme nous l'exposerons en décrivant plus am- plement l'anorexie secondaire, de voir un malade qui ne pouvait, la veille, supporter le moindre aliment sans le vomir, être capable de faire le lendemain un repas copieux et de le digérer sans en être incommodé.

Monakow (1) a toutefois rapporté un cas où la mort paraît bien avoir été la conséquence d'un spasme de l'œso- phage. Une hystérique, âgée de vingt-deux ans, souffrait, d'une façon intermittente, d'une dysphagie spasmodique qui amenait le rejet presque immédiat de tous les aliments pendant les périodes actives de cette manifestation. Cet état allait s'empirant depuis dix ans lorsque, pendant quatre semaines consécutives, se montrèrent des régurgi- tations ininterrompues qui mirent un tel obstacle à l'ali- mentation qu'on dut nourrir la malade à l'aide de lave-

(1) Monakow, Ueber spasmodische Dysphagie. Correspond enzbl, f. Schweizer Aertze, 15 avril 1893. An. in. Centralbl. f. Nervenheil., déc. 1893, p. 577.


262 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

ments, l'usage de la sonde étant toujours resté inefficace. En septembre 1892, la mort survint au milieu de l'ensem- ble svmptomatique de l'inanition.

L'autopsie révéla une ectasie considérable de l'œsophage en forme d'entonnoir et un épaississement tel de sa tunique interne que celle-ci formait une sorte de clapet qui obstruait le cardia. Cependant, le passage de l'es- tomac était libre, la sonde pénétrait dans le cardia, dont l'entrée néanmoins était très rétrécie. L'auteur pense que ces phénomènes étaient, sans conteste, d'abord purement fonctionnels et sous la dépendance de l'hystérie, et qu'en- suite la durée de ces troubles fonctionnels avait déter- miné à la longue l'apparition des troubles organiques.

Au cas de Monakow nous ajouterons le fait suivant, que Briquet rapporte en ces termes (op. cit., p. 543) :

« Il est également bien constaté que des hystériques peuvent périr d'hystérie, mais en même temps le petit nombre des cas où cela arrive prouve que ce n'est en quelque sorte que par exception. Je n'en trouve que trois cas dans les auteurs.

« Le premier a été publié par Royer-Colîard [Thèse inau- gurale, p. 50). Il est extrait des Mémoires de la Société de médecine d'Edimbourg, t. VI. Il s'agit d'une hystérique atteinte de spasmes de l'oesophage qui durèrent plusieurs années et qui amenèrent la mort par suite d'épuise- ment. A l'autopsie, on n'examina que l'œsophage, dans lequel on ne trouva aucune altération anatomique. »

Malgré les réflexions qu'inspirent ces deux faits, le pro- nostic du spasme pharyngo-œsophagien n'est pas grave en soi ; c'est cependant, on le comprend, une manifestation qui, par sa tendance à revêtir un caractère de ténacité exceptionnelle, par les phénomènes d'inanition qu'elle détermine, mérite d'être prise, à ce point de vue, en très sérieuse considération. De plus, le spasme est sujet à des récidives que le traitement le mieux approprié ne permet pas toujours d'éviter.

Pour ce qui est du diagnostic, il ressort des particularités


DE L'HYSTERIE. 2<î3


que nous avons indiquées chemin faisant et qui ne se voient dans aucune autre affection que l'hystérie. Dans les, cas douteux, l'exploration directe avec la sonde, en révé- lant la présence d'une zone hystérogène dont la pression pourra déterminer une attaque, ou en montrant qu'il n'existe là aucune maladie organique, suffira pour lever tous les doutes. Il va sans dire que les constatations d'au- tres accidents hystériques : stigmates ou paroxysmes con- vulsifs, aura bien souvent permis déjà, avant l'emploi de ce moyen, de porter un diagnostic circonstancié (l).


Les phénomènes , que nous venons de décrire peuvent être considérés schématiquement, comme résultant d'un obstacle placé entre le pharynx et l'estomac et empêchant par cela même le passage des aliments. Dans ces con- ditions, ceux-ci, n'arrivant pas jusqu'au ventricule, sont rejetés par une simple régurgitation, produit direct de la contraction de l'œsophage.

Dans les faits que nous allons maintenant étudier, c'est l'estomac qui va entrer en cause, et le vomissement dominera la scène morbide au point que ce terme sert actuellement de qualificatif général à presque toutes les manifesta- tions de l'hystérie gastrique. Nous avons déjà dit qu'en l'état actuel de la science, il nous était permis de pousser plus loin l'analyse en essayant d'interpréter les causes mêmes de cet acte morbide.

L'hystérie, outre les troubles trophiques qu'elle peut produire, — vomissements de sang, — et qui seront étu- diés en leur place, influence les fonctions stomacales, au moins autant qu'il est possible d'en juger, de trois façons principales : en mettant en jeu la diathèse de contracture qui produit le spasme; par la localisation sur la muqueuse d'une zone hyperesthésique hystérogène, cause directe de

(1) Carter, Hysterical dysphagia. Liverp. med. chir. Journ., 1893, t. XIII, p. 440.


264 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

la gastralgie; par une action toute psychique, constitutive de l'anorexie vraie ou primitive.

L'aboutissant direct du spasme et de l'hyperesthésie gastrique est, ainsi qu'on peut le prévoir, le vomissement, phénomène tout à fait de second ordre dans l'anorexie primitive. Les deux premiers processus dominant de beau- coup les autres, il est facile de comprendre comment le terme de « vomissements hystériques » a pu devenir aussi compréhensif dans l'espèce. Dans la description qui va suivre, nous nous efforcerons toujours d'attribuer à ce symptôme sa véritable signification nosologique en le rattachant, autant que faire se pourra, à la cause qui l'a provoqué.

En nous plaçant à ce point de vue tout nouveau, on comprend qu'il nous soit difficile de donner un aperçu his- torique de cette question de l'hystérie gastrique où les phénomènes les plus divers étaient autrefois confondus sous le même terme générique. Qu'il nous suffise de dire que tous les auteurs ont signalé les vomissements hysté- riques, et que Sydenham (1), en les qualifiant de « conti- nuels " , a donné une de leurs meilleurs caractéristiques.

Même difficulté en ce qui regarde l'étiologie générale. Toutefois, sans préciser davantage, nous pouvons dire que les vomissements sont fréquents dans l'hystérie ; qu'ils sont plus communs chez la femme que chez l'homme, et que, sans être rares chez l'enfant, ils acquièrent leur maximum de fréquence dans l'adolescence et dans l'âge adulte ; ils sont l'apanage des périodes de l'existence où la névrose revêt son maximum d'activité.


S'il existe une contracture pharvngo-œsophagienne, le spasme de l'estomac, dont nous traiterons d'abord, s'y associe presque toujours. Lorsque, avec une sonde, on a


(1) Syden'ham, Trad. Jault, op. cit., t. II, p. 478.


DE L'HYSTERIE. 265

nettement constaté que les premières voies digestives sont contracturées et qu'à laide de cet instrument, le rétrécissement spasmodique. étant franchi, on porte des aliments dans le ventricule, celui-ci se contracte aussitôt et le vomissement survient.

Mais souvent l'estomac seul est le siège de la contrac- ture ; dans ce cas, les aliments ne sont plus rejetés par régurgitation simple, la dysphagie n'existe plus, ou au moins n'est qu'accessoire, et c'est au ventricule seul qu'il appartient d'expulser le bol alimentaire, ce qui a lieu généralement dans un laps de temps fort court après son ingurgitation.

Pomme a rapporté une bonne observation de ces vomis- sements spasmodiques. Il s'agit d'une femme de trente- cinq ans « qui, dès l'âge de la puberté, n'avait jamais été bien réglée ; elle fut attaquée de vapeurs hystériques. Le symptôme le plus considérable qui se présenta d'abord fut le vomissement : il était si violent que la malade reje- tait tout liquide avec des efforts qui amenaient très souvent le sang avec eux... Le spasme de l'estomac augmenta ; il s'empara de l'œsophage, et il ne fut plus possible à la ma- lade d'avaler une seide goutte d'eau sans se livrer à de pareils efforts (1). »

Ici, le spasme œsophagien était consécutif au spasme de l'estomac, ce qui est assez rare. L'auteur ne nous dit pas à l'occasion de quelles causes il survint, très probablement par la bonne raison qu'il devait l'ignorer, parce que, comme nous l'avons dit, rien n'est plus difficile que de déterminer les causes réelles des manifestations de l'hys- térie sur le tube digestif.

La symptomatologie du spasme de l'estomac n'est pas compliquée, au moins dans la forme simple, fréquente du reste, que nous considérons actuellement. C'est à elle que ressortissent tout particulièrement les véritables cas de vomissements dits incoercibles, parce que, presque tou-

(1) Pomme, op. cit., t. I, p. 221 et suiv.


266 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉK APEUTIQ UE

jours, à l'instar de la contracture œsophagienne, le spasme est permanent d'emblée.

Le vomissement est donc constant ; de plus il est presque immédiat, c'est-à-dire que, si l'œsophage a permis à l'ali- ment de passer, l'estomac se contracte aussitôt sur lui pour l'expulser. La diathèse de contracture paraît siéger dans ces cas sur l'estomac tout entier. MM. Luton et Huchard ont créé cependant le terme de pylorisme , qui semble indiquer une localisation de cette diathèse. Com- pris dans ce sens, et il est difficile de lui donner une autre acception; ce terme est défectueux, étant donnée l'in- stantanéité presque absolue du vomissement spasmodique, véritablement très caractéristique dans l'espèce.

Les efforts, et en particulier les efforts très douloureux, ne paraissent pas appartenir à cette forme de spasme qui, nous le répétons, se juge tout particulièrement par des vomissements immédiats, continus ou incoercibles, et nous ajouterons, souvent indolores. 11 se passe ici ce que nous avons vu exister dans le spasme primitif de l'œso- phage qui ne s'accompagne pas d'une zone hyperesthé- sique ou hystérogène de la muqueuse. On se rend encore mieux compte de cet ensemble symptomatique en introdui- sant, comme nous l'avons fait avec M. Gatbelineau, directe- ment les aliments dans l'estomac à l'aide d'une sonde (1).

La sonde passe librement dans le conduit œsophagien, mais aussitôt qu'elle est retirée, les aliments sont rejetés par simple contraction de l'estomac , sans efforts et sans douleur. Les cas de Salter [op. cit.) et de Sutherland (2) nous paraissent ressortir aux faits de cet ordre. Dans la circonstance, il s'agit presque toujours, sinon toujours, de vomissements purement alimentaires.

Le spasme de l'estomac peut s'établir instantanément à la suite d'une attaque, de même que la contracture d'un membre ; il peut être intermittent, surtout à son début, mais le plus souvent il ne tarde pas à devenir per-

(1) La nutrition clans l'hystérie, op. cit., p. 92, obs. d'Olliv

(2) Sutuerland, Clin. Society of Lonclon, 1881.


DE L'HYSTÉRIE. 2C7

manent. Et, une fois installé, il est extrêmement tenace, au point de durer des mois et des années. Chez la malade que nous avons étudiée avec M. Cathelineau, les vomisse- ments spasmodiques existaient déjà depuis longtemps lors de son entrée à la Salpêlrière ; ils persistèrent plus de sept mois encore.

Cette ténacité, qui est bien souvent l'apanage des mani- festations de la diathèse de contracture, apporte, on le comprend, un obstacle presque insurmontable à l'alimen- tation. Il peut, toutefois, exister, comme dans le cas de Sutherland, des sélections alimentaires; sa malade, en effet, chez laquelle ce spasme persista pendant dix-neuf mois consécutifs, tolérait le koumis, mais cà l'exception de tout autre aliment liquide et solide.

Il ne faudrait pas admettre cependant, ainsi que l'ont fait beaucoup d'auteurs, que les matières ingérées soient toujours vomies en totalité. Il en est, à ce propos, du spasme de l'estomac comme du spasme œsophagien. « On eût pu croire, disions-nous (l) en parlant de notre malade, étant donnée l'instantanéité du vomissement et son abon- dance, que rien ne restait dans l'estomac. On se fût trompé, et cette remarque expliquera bien des embon- points relatifs nolés par les auteurs qui ne se sont pas astreints à conserver journellement les vomissements. En effet, trois litres et demi de lait étaient ainsi ingérés en quatre fois (par la sonde) ; du 7 avril au 2 novembre, le volume des vomissements n'a jamais dépassé 1,270 c. c. et n'est pas tombé au-dessous de 175 c. c. avec une moyenne de 4 à 500 c. c. En négligeant même les sécré- tions stomacales, qui doivent cependant entrer en ligne de compte dans le volume des matières vomies, on voit que, malgré les apparences, la malade conservait encore une quantité de lait très notable. »

Cela ne l'empêcha pas cependant de maigrir de dix kilos en sept mois, soit environ de 50 grammes par jour.

(1) La nutrition dans l'hystérie, op. cit., p. 92.


-268 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Dans ces conditions et lorsque le spasme dure depuis quelque temps, les malades ne tardent pas à entrer dans la phase d'anorexie que nous qualifierons de secondaire, par rapport à Y anorexie primitive, que nous étudierons bientôt. Ils s'alitent, la faiblesse croissante due à l'insuffi- sance de l'alimentation les empêchant de se tenir debout; les sécrétions se suppriment presque complètement, et si, sous l'influence d'une intervention thérapeutique ou autre, le spasme ne cède pas , la mort peut survenir dans le marasme.

« Une demoiselle de cette ville d'Arles, dit Pomme (1), étant sujette aux mêmes vomissements que Suzanne, dont je viens de parler, par une désobéissance invincible au même traitement et surtout aux bains tièdes, je lui pro- nostiquai plusieurs fois sa destruction prochaine. Rien ne put la convertir ; elle prit des remèdes contraires ; elle en mourut. »

Briquet rapporte les deux cas suivants, qui s'ajoutent à celui de Royer-Gollard, où la mort survint par épuisement à la suite d'un spasme de l'œsophage. Autant qu'il est possible d'en juger, ces faits doivent être attribués au spasme de l'estomac.

«Le second cas (de mort), dit-il (p. 543), a été rap- porté par M. Jacques dans le tome XXIX des Mémoires de la Société de médecine du département de la Seine, p. 276 : « Une dame de trente-six ans fut reçue à la Charité pour «ne hystérie bien caractérisée quelle attribuait à de nom- breuses saignées qui lui avaient été faites à l'Hôtel-Dieu pour une maladie inflammatoire. Il survint à cette per- sonne, après un arrêt brusque des menstrues, des malaises, des convulsions hystériques avec épigastralgie, strangula- tion et perte de connaissance ; pendant ces attaques, le pouls s'affaiblissait, devenait presque insensible et inter- mittent, la respiration devenait presque nulle et les extré- mités étaient froides. Ces accès se terminaient par des

(1) Pomme, op. cit., t. I, p 224


DE L'HYSTERIE. 2fiî>

pleurs et des sanglots, quelquefois par des sueurs ou par des urines abondantes, d'autres fois par une salivation ou par l'expulsion de mucus par le vagin. Dans l'intervalle des attaques, il y avait une faiblesse générale prononcée, surtout dans les membres inférieurs, avec un brisement extrême ; la céphalalgie était habituelle, elle causait l'in- somnie; il y avait fréquemment des hoquets et des vomis- sements. Peu à peu,. l'état de la malade empira, et au bout de quelques mois il était devenu impossible à cette dame de quitter le lit ; la peau pâlit, la face se prit d'œdème, il survint du scorbut, les gencives se gonflèrent, l'haleine devint fétide, les membres inférieurs se couvrirent de larges ecchymoses et de pétéchies, et à la fin la mort arriva après deux ans d'hystérie.

« A l'autopsie on ne trouva rien de remarquable, si ce n'est quelques taches rouges et quelques ecchymoses à la face interne du tube digestif, la mollesse et l'état comme poisseux des muscles, dont la couleur était d'un rouge foncé, et une grande dissolution du sang.

«Le troisième est rapporté par Georget ; c'est un fait analogue au précédent et dans lequel la mort avait eu lieu par épuisement. »

Tom Robinson (1) relate, lui aussi, un cas de mort qu'il qualifie de subite, à la suite de vomissements de la même nature que ceux que nous venons d'étudier. Chez sa malade, les vomissements, qui étaient indolores, avaient débuté à la fin de 1891 ; les aliments étaient rejetés immédiatement ou une demi-heure à peine après leur ingurgitation. L'amai- grissement, qui s'accompagnait d'hypothermie et de refroi- dissement des extrémités, devint extrême; le faciès était angoissé; les menstrues s'étaient supprimées. La malade mourut subitement au milieu de ces symptômes, le 25 mai 1893. L'autopsie ne révéla rien de particulier, si ce n'est peut-être une dilatation de l'estomac avec amincissement de ses parois.

(1) T. Robinson, Sudden death on a case of hysterical vomiting. The Lancet, 10 juin 1893.


270 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Disons, d'ailleurs, une fois pour toutes, que dans les cas où la mort est survenue au cours ou du fait de l'hys- térie gastrique, l'estomac a toujours semblé indemne de lésions au moins appréciables à l'œil nu, même lorsque les manifestations s'étaient prolongées pendant plusieurs années.

C'est cette opinion qu'a exprimée Briquet (p. 259) en traitant de la gastralgie hystérique, et qu'il corrobore en donnant l'observation d'une femme de trente-six ans qui, atteinte depuis six ans de vomissements hystériques dou- loureux, succomba en vingt-quatre heures, terrassée par une attaque de choléra. « A l'autopsie, on trouva l'estomac ayant son volume ordinaire ; sa membrane muqueuse était partout d'un blanc légèrement rosé, parfait; elle n'offrait ni dans son aspect, ni dans sa consistance, ni dans son épaisseur, aucune altération appréciable ; la membrane musculeuse n'avait pris aucun développement anormal ; les nerfs pneumogastriques examinés dans l'épaisseur de l'estomac et jusqu'au cou étaient à l'état normal. La vési- cule biliaire était remplie de concrétions qui n'avaient provoqué de phlogose ni sur les parois de cette poche, ni dans ses environs. L'utérus et ses annexes se trouvaient à l'état complètement normal. »

Quoi qu'on puisse penser des cas précédents, dont il faut éliminer le fait de Briquet, qui se rapporte à la forme douloureuse de l'hystérie gastrique, le spasme de l'estomac n'est cependant pas la plus grave des déterminations de la névrose sur le tube digestif. Généralement, il cède après un laps de temps plus ou moins long, soit sous l'influence d'une émotion morale vive, comme dans un cas que nous avons observé, soit plus rarement par l'effet d'une attaque ou de toute autre manifestation paroxystique. Nous disons plus rarement, car le spasme simple, la localisation non douloureuse de la diathèse de contracture sur l'estomac s'associe rarement aux manifestations paroxystiques de l'hystérie et, à ce titre, jouit d'une ténacité toute parti- culière.


DE L'HYSTERIE. 27!

Son pronostic est donc relativement bénin, bien qu'il soit sujet à récidives et, par l'obstacle, qu'il apporte à l'ali- mentation, mette la vie du malade en danger et occasionne parfois la mort.

Son diagnostic est presque toujours facile, étant donné qu'il survient rarement chez des hystériques n'ayant jamais présenté ou ne présentant pas, concurremment avec lui, quelques-uns des stigmates permanents de la névrose. Le fait est possible toutefois, et la persistance des vomis- sements jointe à l'amaigrissement pourrait faire songer à une affection organique du ventricule. Ne pouvant énu- mérer ici tous les arguments à apporter en faveur d'un diagnostic différentiel, car il faudrait passer en revue toute la pathologie de l'estomac, nous nous contenterons de signaler quelques cas particuliers :

Le premier est remarquable par sa complexité. Chez un malade de Basset (1), âgé de cinquante-neuf ans, des vomissements presque incoercibles étaient survenus à la suite de l'ingestion par mégarde de quelques gorgées d'huile de pétrole, liquide non caustique. On songea à un carcinome stomacal. La laparotomie montra que le ventri- cule ne présentait pas de tumeur. Le malade était hémi- anesthésique ; les vomissements disparurent avec les troubles sensitifs, et M. Basset conclut à un spasme de l'estomac d'origine hystérique. Ce diagnostic est rendu douteux par ce fait que le sujet était, au moins dans les derniers temps où il fut observé, albuminurique et qu'il pouvait fort bien y avoir coïncidence d'urémie et d'hys- térie. On voit, par ce fait, que le diagnostic ne sera pas toujours facile à établir.

Parfois encore, les vomissements que détermine la con- tracture de l'estomac s'associent à de la céphalalgie et constituent le syndrome connu sous le nom de pseudo- méningite hystérique. L'instantanéité du vomissement,

(1) Basset, Des vomissements incoercibles chez les hystériques. Th. Paris, 1888, p. 71, obs. XIV. C'est de ce même malade que M. Riehelot a entre- tenu la Société de chirurgie dans la séance du 23 mai 1894.


272 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

l'absence de la douleur, peuvent faire songer au vomisse- ment cérébral d'origine organique, qui, lui aussi, présente ces caractères. Nous renvoyons, pour plus ample informé, à ce que nous avons déjà dit (1) en traitant de cet ensemble symptomatique.


A la suite du spasme de l'estomac, il paraîtrait tout indiqué de faire l'exposé des troubles occasionnés par l'atonie, la paralysie de la tunique musculeuse de cet organe chez les hystériques ; mais autant les observations de vomissements spasmodiques sont nombreuses, autant celles de vomissements atoniques sont rares.

Deniau signale cependant cet ordre de phénomènes dans sa thèse sur l'hystérie gastrique. « Ces tuniques sont- elles paralysées, dit-il (p. 45), le chyme, immobile dans le ventricule distendu, s'accumule jusqu'à ce que ses réflexes en déterminent l'expulsion par l'acte mécanique du vomis- sement {vomissements atoniques). » Mais on est étonné de ne trouver aucune observation de cette variété de troubles gastriques dans ce travail, qui est pourtant très docu- menté.

A son tour Basset {pp. cit., p. 36) s'exprime en ces termes : « Nous ne parlerons pas des vomissements qui ressor- tissent à l'atonie de la couche musculaire; ici il existe de la dilatation stomacale qui devient le symptôme prédomi- nant. Au point de vue du diagnostic, on reconnaîtra aisément ces cas ; les vomissements sont tardifs, plus abondants, sans nausées, sans douleur, avec distension stomacale, bruit de glouglou pendant la déglutition et bruit de Ilot pendant la succussion hippocratique. »

Ici encore, nous aurions été heureux de prendre con- naissance des observations sur lesquelles cet auteur s'est appuyé pour tracer cette symptomatologie. Malheureuse- ment, de même que dans la thèse de Deniau, celles-ci font

(i) Voy. t. I, ch. vu, p. 263 et suiv.


DE L'HYSTERIE. 273

complètement défaut. Est-ce à dire que la tunique muscu- leuse de l'estomac ne puisse jamais être atteinte de para- lysie permanente ou temporaire, elle qui est si souvent envahie par la contracture? Certainement non; mais enfin, si cette paralysie existe, elle est certainement peu fré- quente, car, à part le cas de Setti (I) et peut-être celui de Robinson [op. cit.), où l'autopsie montra une dilatation de l'estomac, nous n'en connaissons pas de fait bien déterminé.

Nous verrons cependant que M. Solfier a noté, chez cer- taines malades atteintes d'anorexie, une dilatation de l'estomac qui disparaissait lorsque celui-ci recouvrait ce qu'il appelle « sa sensibilité » ; mais la paralysie de la mus- culeuse est certainement dans ces cas un phénomène tou- jours secondaire.

Ce que nous disons de la paralysie s'applique également aux vomissements par troubles sécrétoires chez les hysté- riques ; c'est là un chapitre tout entier à écrire. L'exposé que nous ferons en traitant du suc gastrique dans 1 hys- térie leur est applicable; mais nous ne croyons pas trop nous avancer en disant que les altérations de ce suc ne jouent qu'un rôle de minime importance dans les déter- minations de l'hystérie sur l'estomac.


Dans la manifestation que nous allons maintenant •décrire, le vomissement existe toujours, presque constant, sinon continu; mais ce qui domine la scène morbide, c'est la douleur : d'où le nom de gastralgie, de gastrodynie qui a été donné à cette détermination de l'hystérie gas- trique.

La gastralgie hystérique a surtout été étudiée chez la femme, bien qu'elle existe aussi chez l'homme à un degré •comparatif de fréquence que nous ne saurions fixer. Elle

(i) Setti, Considerazioni su un caso dl isterismo animale aastrico con (jastrectasia. Rassegna di science mediche, Modène, t. VII, p. 309, 1892.


274 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

se montre chez l'enfant et chez l'adulte, chez ce dernier surtout, de quinze à trente ans, car elle coïncide le plus souvent avec la pleine floraison des accidents aigus de l'hystérie, affectant des rapports tout particuliers avec l'attaque. Nous donnerons les raisons de ces rapports qui nous paraissent avoir été jusqu'à présent insuffisamment interprétés.

Briquet avait bien noté les relations de la gastralgie et du paroxysme convulsif. Après avoir dit que les hysté- riques (p. 252) pouvaient en arriver à ce qu'il appelle « la gastralgie complète » , il ajoute :

« On voit encore naître cette affection chez les hysté- riques qui sont sujettes à des attaques convulsives d'hys- térie, soit fréquentes, soit longues et intenses. 11 est aisé de constater ce fait, car il est de ces malades chez les- quelles le premier symptôme de l'hystérie est une attaque^ et, chez elles, on voit la gastralgie se développer graduelle- ment, à mesure que les attaques se multiplient. J'ai con- staté qu'il fallait quelquefois un bien petit nombre d'at- taques pour voir se développer des douleurs à l'estomac ou à la région épigastrique. »

Nous avons un des premiers, croyons-nous, précisé cette pathogénie en montrant que, dans certains cas tout au moins, la gastralgie en rapport avec les attaques était due à la compression par l'aliment des zones hyperesthé- siques hystérogènes qui peuvent siéger sur la muqueuse de l'estomac.

Voici, en effet, comment nous nous exprimions en 1891, après avoir exposé nos recherches sur la nutrition dans l'hystérie (1) :

« L'étude de ces troubles digestifs nous a conduit à des considérations encore inédites que nous exposerons briève- ment. L'aliment peut être, chez l'hystérique, rejeté par un spasme de l'extrémité supérieure de l'œsophage ; il peut parvenir jusqu'à l'estomac si le spasme œsophagien ne

(1) Titres et travaux scientifiques du D r Gilles de la Tourette. Paris,. 1891, in-8°, p. 18.


DE L'HYSTERIE.


siè.°~e pas au cardia; une lois dans l'estomac, il est souvent expulsé par suite des efforts du véritable vomissement. Ce vomissement stomacal est lié souvent à des zones hys- térogènes de l'estomac. On remarque, en effet, qu'aussitôt l'aliment arrivé dans le ventricule, se montrent tous les phénomènes de l'aura prémonitoire de l'attaque ; le vomis- sement survient et met fin à ces phénomènes dus à la simple compression d'une zone hystérogène de la muqueuse par l'aliment lui-même, dont le re|et fait cesser immédiate- ment la crise qui était imminente. On peut, à l'aide d'un traitement approprié, déplacer la zone et l'aire cesser les troubles gastriques. »

Il est juste d'ajouter qu'à la même époque, M. Sollier, dans un mémoire (1) fort intéressant sur l'anorexie hysté- rique, signalait également « les attaques provoquées par le contact de points hystérogènes situés sur le trajet du tube digestif, particulièrement à l'estomac, par les aliments » . Cette pathogénie était également de tous points appli- cable à une observation de Ducloux (2).

Depuis 1891, l'étude que nous avons faite de plusieurs cas de gastralgie hystérique n'a fait que nous fortifier dans notre opinion. Les phénomènes décrits sous ce nom sont liés à l'existence de zones hyperesthésiques hystérogènes de l'estomac ou de la région stomacale. Dans les cas types, la gastralgie n'est autre chose qu'une attaque dans laquelle prédominent les phénomènes douloureux du ven- tricule, point de départ primitif du paroxysme.

La gastralgie hystérique revêt plusieurs formes cli- niques; mais, à la vérité, celles-ci ne sont que des degrés plus ou moins marqués d'un même processus.

Elle peut débuter subitement, mais bien plus souvent, avant que ses phénomènes soient en pleine activité, il a existé une sorte de période préparatoire, pendant laquelle s'installait la zone de la muqueuse. Cette zone, à cette

(1) Sollier, Anorexie hystérique. Revue de rne'd., 1891, p. 629.

(2) Ducloux, Histoire d'une hystérique hypnolisable traitée et guérie par la métallolhérapie. Montpellier médical, 10 avril 1890, p. 293.


276 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

époque, n'est encore qu'hyperesthésique; elle peut, du reste, se maintenir longtemps en cet état; c'est ce qu'on observe chez certaines femmes qui ne vomissent pas et qui, à chaque paroxysme, ont au creux épigastrique une douleur très vive, très marquée, sur laquelle elles ne man- quent pas d'attirer l'attention. Dans ces cas comme dans les suivants, aux troubles hyperesthésiques hystérogènes de la muqueuse stomacale se superposent presque tou- jours des zones d'anesthésie ou d'hyperesthésie de la peau qui recouvre le creux épigastrique ou les régions de voisi- nage. Nous disons : régions de voisinage, car il faut tenir compte de la loi générale de l'irradiation des zones.

La zone cutanée et muqueuse de la région stomacale n'entre en jeu que d'une façon pour ainsi dire accessoire. L'exaltation, partie le plus souvent de la région ovarienne, retentira sur une zone stomacale peu marquée et produira des phémomènes gastriques passagers ; la zone stomacale n'agit pas pour son propre compte : tout se borne à des douleurs à l'occasion d'un paroxysme né en dehors de l'estomac. Ce sont, avons-nous dit, les troubles gastral- giques que l'on observe si souvent en coïncidence avec les attaques ordinaires.

Mais dans d'autres cas, sinon les plus communs, tout au moins de beaucoup les plus frappants, la zone hyper- esthésique de la muqueuse intervient sponte sua. La dou- leur, qui ne tarde pas alors à revêtir le caractère paroxys- tique, peut se montrer subitement, dans l'intervalle des repas, à la suite d'une émotion vive, d'une de ces causes souvent indéterminées qui président à la naissance des attaques. Plus sûrement encore cette douleur est provo- quée par l'ingestion de substances alimentaires. Disons immédiatement que, l'instar de ce que l'on observe dans le spasme, mais plus rarement toutefois, on peut observer des sélections alimentaires.

Le plus souvent, l'aliment liquide ou solide, quel qu'il soit, provoque, aussitôt son arrivée dans l'estomac, une réaction douloureuse ; réaction intense presque toujours,


DE L'HYSTERIE. 2 "7

et, pour la caractériser, les malades ont recours aux com- paraisons les plus significatives. « A peine l'aliment est-il introduit dans l'estomac, dit Briquet, que celui-ci devient le siège d'une douleur aussi vive que celle que produirait une substance corrosive. » « C'est du plomb fondu; c'est comme si on me tenaillait l'estomac avec des fers rouges, comme si on le déchirait » , disent habituellement les malades.

Si l'aliment, dont l'action directe sur la zone hystéro- gène de la muqueuse stomacale provoque la douleur paroxystique, tarde à être rejeté par le vomissement, l'ensemble symptomatique d'une véritable attaque se déroule de plus en plus. L'observateur attentif qui ne s'eut laisse pas uniquement imposer par l'élément douleur notera alors l'évolution rapide des phénomènes prémoni- toires, de l'aura : battements dans les tempes, bourdonne- ments d'oreilles., puis apparition des convulsions. Mais celles-ci sont dominées, pour ainsi dire, par l'atroce dou- leur qui force le malade à se rouler sur son lit en se pres- sant les côtes ou en appuyant ses deux mains ou un oreiller sur le creux épigastrique, comme s'il voulait thé- rapeutiquement comprimer la zone hyperesthésique hys- térogène de son estomac. Il n'est pas rare, dans ces cas, d'observer de la rachialgie, des palpitations, de la dyspnée,, tous phénomènes qui tiennent à l'irradiation de la zone stomacale aux zones de voisinage, dont la zone rachidienne et la zone de la région thoracique gauche sont de beau- coup les plus fréquentes.

Dans certains cas, le spectacle est véritablement effrayant : les malades hurlent de douleur. Après les pre- miers vomissements alimentaires, qui ne manquent ja- mais, l'estomac se contracte à vide; il survient un spasme secondaire de la musculeuse, du diaphragme, des muscles de la paroi abdominale; le hoquet est incessant, et ce n'est parfois qu'au bout de plusieurs heures que cette attaque d'hystérie à forme gastralgique finit enfin par se calmer et disparaître.


2T8 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

Nous insistons à dessein sur ce terme d'attaque hysté- rique à forme gastralgique, car c'est réellement d'une attaque à point de départ stomacal qu'il s'agit dans la cir- constance, ce qui, jusqu'à présent du moins, n'avait pas, croyons-nous, été suffisamment indiqué par les auteurs.

La zone hystérogène de la muqueuse stomacale peut, après la fin d'un paroxysme, devenir, au moins temporai- rement, inexcitable. Les aliments sont alors tolérés et ajoutons, en y insistant, parfaitement digérés. C'est ce qui a fait comparer, dans certains cas, ces crises gastralgiques de l'hystérie à celles de l'ataxie locomotrice. En l'absence d'analyses probantes, ceci permet de supposer que les altérations du suc gastrique, si elles existent, doivent être peu importantes, ou tout au moins fort passagères.

Puis, sous une influence ou sous une autre, par exemple pendant cette période menstruelle si favorable cbez la femme à l'éclosion des accidents hystériques, la crise revient à nouveau et se prolonge plus ou moins long- temps, sous forme d'un véritable état de mal. Enfin, dans les cas graves, l'état d'exaltation hystérogène de la mu- queuse est continu; aux douleurs intenses que l'ingurgita- tion des substances alimentaires provoque, se joignent les douleurs par exaltation spontanée de la zone, et, dans ces conditions, aucun aliment ni solide ni liquide n'étant plus toléré, le malade tombe dans l'anorexie secondaire, dont la mort peut être la fatale conséquence.

Situation d'autant plus pénible que, à l'inverse de ce que nous verrons exister dans l'anorexie primitive, l'appétit peut être conservé dans la gastralgie hystérique. Les ali- ments ne répugnent aux malades que parce que leur ingestion est la cause certaine et immédiate de vomisse- ments et d'une crise douloureuse des plus pénibles.

Briquet a noté cette conservation de l'appétit. Il a surtout insisté sur la possibilité de la terminaison fatale dans certains de ces cas :

« Quand le besoin absolu finit par se faire sentir, dit-il (p. 250), la plus petite quantité de substance alimentaire,


DE L'HYSTERIE. 27!)

soit solide , soit liquide , provoque des douleurs atroces que les malades comparent à des crampes, à de la brûlure, à un froid glacial ou à des griffes de fer avec lesquelles on raclerait l'estomac ; ces souffrances durent jusqu'à ce que cette parcelle d'aliment soit vomie ou digérée. Cette forme de gastralgie est la plus grave de toutes ; la souffrance perpétuelle et l'état d'inanition amènent bientôt l'amai- grissement et l'altération des liquides de l'économie; les malades s'épuisent et finissent par périr dans le dernier degré d'affaissement et de consomption. » Et il ajoute (p. 2G0) : «La fille de l'un des hommes les plus éminents dans la science, morte après avoir été pendant plusieurs années atteinte de la gastralgie sous la forme gastro- dynique, et après avoir passé par tous les degrés de l'épui- sement et du marasme, n'offrait aucune altération anato- mique de l'estomac ; la membrane muqueuse de cet organe était d'une blancheur parfaite ; elle avait la consistance la plus normale . Le tissu musculaire subjacent était dans l'état le plus normal. »

Deniau, qui a eu connaissance de ce fait, ajoute {op. cit., p. 149), corroborant ainsi notre opinion sur l'exis- tence et sur le déplacement des zones hystérogènes de la muqueuse de l'estomac : « Dans ce cas, les crises de gas- tralgie avaient remplacé des crises d'hystéralgie. »

Briquet a observé au moins un autre cas de mort atlri- buable à la gastralgie hystérique, puisqu'il dit (p. 544) : « J'ai vu deux cas de mort par suite de gastralgie ; dans l'un, la mort avait eu lieu à la suite d'une altération lente de la constitution par le défaut d'alimentation ; l'état ma- ladif avait duré plusieurs années. Dans l'autre, la mort avait eu lieu assez promptement par l'inanition et avait été précédée des accidents aigus qui accompagnent la pri- vation complète et rapide d'aliments. »

La mort peut donc survenir d'une façon lente ou rapide. Le cas que signale Deniau paraît fort analogue à celui de Briquet : « On a cité, dit- il (p. 148), quelques cas de mort par gastrodynie hystérique, et, dernièrement encore,


280 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

M. Guyot a observé une jeune malade qui fut prise de ces vomissements incoercibles par tous les moyens connus; au soixante-treizième jour de ces vomissements, le gavage, malgré la bonne volonté de la malade, échoua complète- ment ; la cachexie, fort avancée au moment du gavage, augmenta rapidement, et la malade mourut quatre-vingt- trois jours après son premier vomissement. »

Chez un malade de Bernutz (1), ce fut léclosion dune phtisie qui hâta la mort.

Basset (2) a observé « un exemple de gastralgie hysté- rique qui aboutit à la cachexie et se termina très probable- ment d'une façon fatale » , ce qui faillit bien arriver à une jeune fille de quatorze ans dont M. Noguès (3) nous a donné l'intéressante histoire.

La forme gastralgique de l'attaque ou de l'état de mal hystérique peut donc entraîner la mort. Heureusement, une pareille éventualité est rare, et, dans la grande majo- rité des cas, les phénomènes qui la constituent se termi- nent par la guérison (4). Les zones de l'estomac ne diffè- rent pas, en effet, de celles des autres muqueuses ou du tégument externe, et nous savons que les déplacements ou la disparition parfois subits des zones hystérogènes ne sont pas chose rare.

C'est évidemment ce qui avait fait dire à Briquet, qui pourtant a observé des cas de mort : « La gastralgie avec vomissements est la forme la plus aiguë, mais en même temps la moins grave et celle qui cède le plus facilement aux médications appropriées : dans quelques cas, cepen- dant, elle dure pendant plusieurs années. »

A ce sujet on peut dire, dans un même ordre d'idées, que la gastralgie guérit parfois plus vite et plus rapide-

(1) Deniau, op. cit., p. 149.

(2) Basset, op. cit., p. 46, obs. XI.

(3) Noguès, Un cas d'hystérie gastrique. Annales de la Polyclinique, 7 nov. 1890, Toulouse.

(4) Dumontpalher, Vomissemenls incoercibles depuis dix mois chez une jeune fille de quatorze ans; hystérie; guérison rapide des vomissements après suggestion hypnotique. Rcv. de l'hypnotisme, t. IX, p. 21, 1894-95.


DE L'HYSTERIE. 281

ment que le spasme de l'estomac, dans lequel les vomis- sements ne sont que peu ou pas douloureux. Cela tient encore à ce que nous savons de la ténacité de la diathèse de contracture comparée à la mobilité des zones. La patho- logie générale de l'hystérie nous est d'un grand secours pour interpréter tous ces phénomènes ; elle nous fournit également, comme nous le verrons, de précieuses indica- tions thérapeutiques. Il ne faut pas oublier, cependant, que les formes spasmodique et gastralgique ne sont pas toujours pures, que le spasme peut s'associer à l'élément douleur; mais il est généralement facile de faire la part de ce qui est primitif ou secondaire dans la participation res- pective de ces deux processus.


CHAPITRE SEIZIÈME

MANIFESTATIONS DE L'HYSTÉRIE SUR l'aPPAREIL DIGESTIF. ESTOMAC (suite).

L'anorexie hystérique vraie ou primitive. — Lasègue; W. Gull; Charcot; Sollier. — Etiologie : sexe féminin; rare après vingt-cinq ans. — Des- cription : phase préparatoire : agitation, restriction et sélection alimen- taire. — Phase d'état : refus complet des aliments. — Phase terminale. — Guérison ou mort. — Ahsence de récidive. — Diagnostic.

Etude de la nutrition générale dans l'hystérie castrique et dans l'ano- rexie primitive et secondaire. — Charcot ; Fernet; Bouchard. — Rap- port des vomissements avec la sécrétion et l'excrétion urinaires. — La thèse de M. Empereur, 1876. — La nutrition dans V hystérie, de Gilles de la Tourette et Cathelineau. — Discussion.

Exposé des connaissances actuelles sur l'état du suc gastrique dans les mani- festations de l'hystérie sur V estomac .

Les troubles tropiiiques de l'estomac et les vomissements de sang o'oricine hystérique. — Historique. — Description. — Influence du paroxysme sur leur production. — Marche et terminaisons. — Dia- gnostic positif et différentiel.

Influence de l'hystérie sur la production de l'ulcère rond de V estomac. — ■ Recherches de Gilles de la Tourette.


Les phénomènes que nous avons décrits jusqu'à présent dépendent de la localisation sur les voies digestives de certains stigmates bien connus : la diathèse de contracture produisant le spasme , l'hyperesthésie de la muqueuse amenant, lorsqu'elle s'exalte sous forme hystérogène , l'attaque à forme gastralgique. C'est la localisation d'un stigmate qui fixe la forme particulière de la manifesta- tion.

L'ensemble symptomatique que nous allons maintenant étudier présente des caractères bien plus spéciaux ; c'est la forme par excellence de l'hystérie gastrique, bien que l'estomac ne semble pas localement touché.

Il ne nous répugne cependant pas d'admettre, avec


TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE DE L'HYSTÉRIE. 283

Sbllier, que l'estomac soit souvent frappé d'anesthésie dans ces cas, aucune manifestation gastrique ou autre de l'hystérie ne se produisant, en réalité, sans modifications sensitives. Ce que nous voulons dire, c'est qu'il devient vite évident que l'élément psychique domine de beaucoup toute la scène morbide, au point que l'estomac apparaît comme une cause tout à fait secondaire dans l'étiologie de la manifestation observée.


Nous avons montré, à plusieurs reprises, que le résultat fréquent des accidents précédemment décrits était un état particulier d'abstinence volontaire des aliments dû, sui- vant les cas, à des causes variées et conduisant le malade à ce que nous avons appelé Y anorexie secondaire.

Or, cette anorexie (de àv, priv. et oce£iç, appétit) peut être, à son tour, une manifestation primitive tout à fait spéciale, et c'est même sous cette forme, en employant ce vocable, qu'elle a été pour la première fois décrite par Lasègue et W. Gull.

Dans un mémoire qui fait époque en la matière, Lasègue, après avoir signalé la fréquence des manifestations de l'hystérie sur l'appareil digestif, ajoutait : « L'objet de ce mémoire est de faire connaître une des formes de 1 hys- térie à foyer gastrique assez fréquente... Le nom à' ano- rexie aurait pu être remplacé par celui d'inanition hysté- rique, qui représenterait mieux la partie la plus saillante des accidents. J'ai préféré, sans la défendre autrement, la première dénomination, justement parce qu'elle se rapporte à une phénoménologie moins superficielle, plus délicate et aussi plus médicale. »

L'anorexie hystérique serait caractérisée par la perte « de l'appétit de l'alimentation ou de l'aliment » ; cet

(1) LasÈcue, Dj l'anorexie hystérique. Archives générales de médecine, 21 avril 1373, p. 385.


284 TRAITÉ GLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

appétit pouvant être supprimé « sans que le malade éprouve d'autre sensation que le regret d'être privé d'un excitant qui l'invite à la nourriture. Il n'en résulte pas de répugnance, et souvent le proverbe qui veut que l'appétit vienne en mangeant se trouve justifié.

« Dans d'autres conditions , le malade éprouve une répulsion plus ou moins vive pour certains aliments; dans d'autres, enfin, toute substance alimentaire, quelle qu'elle soit, provoque le dégoût. Si générale que soit linappé- tence, elle a toujours une échelle graduée, et les aliments ne sont pas indistinctement repoussés avec une égale insistance. »

Puis, Lasègue trace un tableau excellent de cette « per- version mentale» , ainsi qu'il appelle l'anorexie hystérique. Ses observations, au nombre de huit, sont toutes relatives à des femmes, la plus jeune âgée de dix-huit ans, la plus âgée de trente-deux. L'affection aurait une durée moyenne de huit mois à deux ans; elle ne récidiverait pas et n'en- traînerait pas la mort, au moins dans les cas qu'il a observés. Nous reviendrons sur ce mémoire, fondamental dans l'espèce.

La même année, dans la séance du 24 octobre 1873 de la Clinical Society de Londres, W. Gull (1), analysant le travail de Lasègue, dit qu'à la réunion de la British médical Association tenue à Oxford en 1868, il avait décrit, sous le nom à'apepsia hysterica, des phénomènes analogues à ceux étudiés par l'auteur français. Il rappor- tait, en même temps, un cas dans lequel la mort était survenue par le seul fait des progrès de l'inanition et d'une thrombose des veines crurales.

Il est donc juste d'associer les noms de Lasègue et de W. Gull dans la découverte de cette manifestation de la névrose.

A dater de 1873, l'anorexie hystérique entra de plain- pied dans la nosographie médicale ; mais le terme lui-

(1) Voir The British med. Journal, 1873, t. II, p. 527.


DE L'HYSTERIE. 285

même ne tarda pas à dévier de son acception primitive : anorexie devint synonyme d'inanition. Alors que l'ano- rexie de Lasègue-Gull est une manifestation primitive de l'hystérie et que l'inanition n'en est que la résultante, l'usage s'établit d'appeler aussi anorexiques les individus tombés dans l'inanition à la suite des manifestations gas- triques que nous avons étudiées et qui sont tout à fait indépendantes de la maladie de Lasègue.

A la vérité, le marasme qui survient au bout d'une cer- taine durée de la maladie de Lasègue-Gull et celui qu'on observe après les vomissements par spasme persistant de l'estomac sont identiques; ce qui n'empêche pas qu'il procède de deux manifestations tout à fait différentes en clinique.

Si donc on veut respecter une terminologie que l'usage a consacrée, à tort suivant nous, et, en même temps, avoir quelque souci de ne pas confondre toutes les manifesta- tions de l'hystérie, il faut au moins appeler la maladie de Lasègue anorexie primitive, et anorexie secondaire la résul- tante des manifestations gastriques déjà étudiées.

En réalité, il n'y a qu'une anorexie, phénomène pure- ment psychique admirablement étudié par Lasègue.

M. Sollier, dans plusieurs mémoires importants, a fort bien mis les choses à la place qu'elles devaient occuper. « On distinguait autrefois, dit-il, en vertu de considéra- tions sur la nutrition des hystériques, que les travaux de MM. Gilles de la Tourette et Cathelineau nous semblent avoir réduites à néant, deux sortes d'anorexie : une anorexie gastrique et une anorexie mentale. A notre avis, il n'y a qu'une sorte d'anorexie nerveuse; c'est l'anorexie men- tale, car c'est véritablement l'élément psychique qui en est l'élément essentiel. Mais le terme d'anorexie est mau- vais, car il ne l'indique pas. Pris dans son sens étymolo- gique, il signifie simplement la perte du sens de V appétit ou du sentiment de la faim, tandis qu'en réalité, au sens clinique, l'anorexie, pour être constituée, exige quelque chose de plus : le refus systématique d'alimentation, qui est




286 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

très comparable à la sitiophobie des aliénés, mais qui en diffère surtout par les motifs (I). »

Pour en finir avec cette discussion, nous dirons donc que nous décrirons une anorexie vraie ou primitive, type Lasègue-Gull {sitiergîe de Sollier, de aïzo;, aliment, et •Lyco, je repousse), et une anorexie secondaire répondant à cet état particulier d'inanition qui survient lorsque le spasme met obstacle à toute alimentation, ou lorsque le gastralgique s'abstient de provoquer, par l'ingestion d'une substance quelconque, des vomissements douloureux. Par le fait de la non-ingestion des aliments ou de leur rejet par le vomissement, il arrive un moment où l'anorexique primitif et l'anorexique secondaire se rencontrent, comme il est aisé de le prévoir. C'est pourquoi, afin de ne pas faire double emploi, nous nous sommes aussi peu étendu sur les phénomènes de dénutrition qu'on observe si fré- quemment comme résultante des manifestations que nous avons déjà décrites et qui trouveront ici même leur étude complémentaire.


^ ^


L anorexie vraie ou primitive est souvent, à l'inverse des autres déterminations de l'hystérie sur l'appareil digestif, la première manifestation en date de la névrose.

M. Gharcot a insisté sur ce fait que c'était une forme ordinairement monosymptomatique de la névrose, à savoir, que fréquemment elle ne s'accompagnait pas des stig- mates permanents : anesthésie, rétrécissement du champ visuel, etc., qui font si rarement défaut chez les hystéri- ques. Cette absence de stigmates concomitants est impor- tante, car elle peut prêter à des erreurs de diagnostic

(1) P. Sollier, Anorexie hystérique (sitiergie hystérique); formes patho- q e niques ; traitement moral. Revue de médecine, t. XI, août 1891, p. 625. — Id., Du rôle de la sensibilité de l'estomac dans V évolution de la diges- tion. Communie, au Congrès franc, de méd. interne. Lyon, séance du 27 octobre 1894. — Sollieu et Paumentier, De l'influence de l'état de la sensibilité de l'estomac sur le chimisme stomacal. Idem.


DE L'HYSTÉRIE. 287

et permettre ainsi à la contusion de s'établir, à un exa- men superficiel, avec la sitiophobie des aliénés. Il faut ajouter d'ailleurs que, de l'avis même de Lasègue, l'anorexie est une perversion mentale, et notre opinion intime est du reste que l'anorexie est surtout l'apanage des sujets chez lesquels l'hystérie et ce que l'on appelle aujourd'hui la dégénérescence mentale se trouvent asso- ciées. 4

C'est, si l'on veut, une forme de l'aliénation mentale chez les hystériques, forme toutefois spéciale, particu- lière, jouissant d'une symptomatologie propre que nous nous efforcerons de tracer avec exactitude.

Il ne faut pas oublier, toutefois, ainsi que Sollier (Congrès de Lyon) l'a montré, qu'on rencontre assez souvent chez les anorexiques une zone d'insensibilité siégeant à la région épigastrique, tout à fait comparable à la zone hyperesthé- sique qui existe dans la gastralgie, et dont les variations et la disparition marchent toujours de pair avec l'améliora- tion ou la guérison de l'anorexie.

L'anorexie vraie, à l'inverse des autres déterminations de l'hystérie sur l'appareil digestif, est une manifestation rare de la névrose. Elle atteint surtout les sujets jeunes, et présente son maximum de fréquence de douze à vingt- cinq ans, étant exceptionnelle dans un âge plus avancé. Une malade de Kissel (1), atteinte d'anorexie typique, était âgée de onze ans; par contre, une malade que nous avons soignée avait dépassé trente-huit ans. On l'observe presque uniquement dans le sexe féminin. M. Caryophylis a ce- pendant rapporté l'observation fort intéressante d'un jeune garçon de treize ans (2).

Les causes occasionnelles ou déterminantes sont varia- bles et très difficiles à préciser.

(1) Kissel, Anorexie hystérique grave chez, une fillette de onze ans. Soc. pédiat. de Moscou, séance du 7 mars 1894. An. in Rev. Neurol., 15 oct. 1894, n° 19, p. 575.

(2) Caryophylis, Complexus symptomatique constitué par de V aphagie (refus Je manger), alalie (refus de parler) et astasie-abasie, guéri par la suggestion forcée. Progrès médical, n°40, 1 er octobre 1892, p. 241.


288 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Après avoir parlé de l'influence banale des émotions morales vives , Lasègue ajoute : « D'autres l'ois on est réduit aux conjectures sur les causes occasionnelles, soit que la jeune fille ait intérêt à se renfermer dans le mu- tisme si habituel aux hystériques, soit qu'en réalité la cause première lui échappe. »

Cette seconde hypothèse est surtout la vraie pour qui- conque a fréquenté les anorexiques. Le refus de l'alimen- tation répond, dès le début, chez beaucoup de ces malades, à une véritable idée fixe dont, à l'inverse des aliénés vrais, ils ne sauraient donner une explication même erronée. A une certaine période de l'affection , il existe d'ailleurs de telles lacunes de la mémoire que ces sujets sont inca- pables de remonter à la cause réelle de la manifestation, ■si toutefois une cause appréciable a véritablement existé.

Il en est qui ont été conduites à l'anorexie par la coquet- terie, le désir de s'amincir la taille en présence d'un léger embonpoint prématuré ; d'autres ont été troublées par certaines illusions sensorielles qui consistent surtout, sui- vant Sollier, en macropsie. « Les malades disent que les ali- ments qu'on leur présente leur paraissent trop volumineux et qu'elles ne se sentent pas le courage de les entamer, sûres qu'elles sont de ne pouvoir en venir à bout. Pour peu qu'elles conservent encore quelques tendances anorexi- ques , on voit tout de suite quel renforcement la macropsie va leur donner. »

Mais le plus souvent « l'anorexique ne veut pas manger parce qu'elle ne veut pas » : voilà tout, et elle ne donne pas d'autre explication, soit qu'elle ne veuille pas faire connaître son idée véritable, soit que (nous l'avons déjà dit), comme cela arrive au bout de quelque temps, elle ne sache pas elle-même pourquoi elle a refusé de manger; mais elle continue à repousser les aliments, parce qu'elle a dit qu'elle ne mangerait pas, « et que quand elle a dit une chose, elle la fait et sait bien ce qu'elle veut » .

Sollier indique aussi, comme cause déterminante, une prédisposition à vomir que certaines malades auraient


DE L'HYSTERIE. 289

présentée dès leur enfance, prédisposition qui pourrait localiser la manifestation hystérique. Mais autant les vomissements sont la raison d'être de l'anorexie secon- daire, autant ils sont rares et peu importants dans la dé- termination de l'anorexie primitive. Ils ont pu exister dès le début, occasionnellement, indépendants même de l'hystérie, et la malade, ou mieux celle qui va le devenir, a pu prendre texte de quelques nausées, de quelques éruc- tations, pour se refuser à ingurgiter toute nourriture. En réalité, l'élément psychique est seul en cause ; car, phénomène important, dit Lasègue, à partir de cette première phase, de cette période préparatoire de l'ano- rexie, « toutes les autres manifestations hystériques, s'il en existait, sont suspendues » .

C'est ainsi, par exemple, qu'il ne faudrait pas considé- rer comme des vomissements réels — susceptibles pour- tant d'induire en erreur en ce qui regarde la qualité pri- mitive de l'anorexie — certaines régurgitations d'un type spécial que Sollier (Congrès de Lvon) a bien décrites chez ces malades et qui s'observent non seulement au cours, mais parfois dès le début de l'affection.

Il a noté d'abord que toutes les anorexiques primitives qu'on (orçait à manger, alors que la sensation de la faim — ce qu'il appelle la sensibilité de l'estomac — faisait défaut, n'avaient aucune notion de la saveur douce ou acide des aliments qu'on les obligeait à ingurgiter. Dans ces conditions, il a pu s'assurer que ceux-ci tombaient dans une poche stomacale atonique dont le clapotement révélait manifestement la dilatation.

Par suite de l'atonie, il existerait constamment dans l'estomac un résidu liquide qui ne tarde pas à entrer en fermentation. C'est ce liquide qui, joint à une hypersé- crétion probablement muqueuse, toujours abondante, se produisant une ou deux heures après l'ingestion alimen- taire, est régurgité à plusieurs reprises sans douleur, bien qu'il soit, dans certains cas, assez acide pour corroder les dents chez les sujets qu'on force à s'alimenter. Les régur- m. 19


200 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

gitations et les phénomènes locaux de clapotement dispa- raissent lorsque revient le sentiment de la faim, lorsque l'atonie s'en va, lorsqu'en un mot les malades, dit Sollier, ont recouvré la sensibilité de leur estomac et se rendent compte, dès lors, non seulement de la saveur, mais encore de la présence dans le ventricule de l'aliment ingurgité.

Ces phénomènes sont naturellement beaucoup moins marqués chez les sujets qui, après un certain temps, s'abs- tiennent volontairement de toute nourriture liquide ou solide, ou se refusent à toute alimentation forcée. Mais n'anticipons pas sur les événements.


Le refus de l'alimentation, et peut-être, autant qu'il est possible d'en juger, la perte de la sensation de la faim, sont rarement complets d'emblée. « Si générale que soit l'inappétence, ajoute encore Lasègue, elle a toujours une échelle graduée, et les aliments ne sont pas repoussés avec une égale insistance. » Certains mets sont refusés, et l'ap- pétence pour certains autres devient, en réalité, bien plus apparente que réelle.

« ...La répugnance à s'alimenter suit sa marche lente- ment progressive. Les repas se réduisent de plus en plus; en général, un seul peut être réputé alimentaire, que ce soit le déjeuner ou le dîner. Presque toujours la malade supprime successivement une des espèces de nourriture : le pain, la viande, certains légumes. Quelquefois elle con- sent à remplacer un aliment par un autre auquel elle s'attache avec une prédilection exclusive pendant quelques semaines, le pain, par exemple, par des biscottes ou des biscuits secs, après quoi elle y renonce pour remplacer ou non les mets provisoirement adoptés. »

Les choses se prolongent ainsi pendant des semaines et des mois, les malades restreignant de plus en plus leur alimentation, et si quelque événement particulier, d'ordre spontané ou thérapeutique, ne vient pas les tirer de cet


DE L'HYSTERIE. 201

état et foire renaître chez elles, sinon le besoin, tout au moins l'obéissance à l'alimentation , elles tombent dans l'état d'inanition que nous allons étudier.

Dans la phase préparatoire, pendant celle où l'alimen- tation s'était seulement restreinte, les malades s'astrei- gnaient encore aux relations extérieures de l'existence. Il est même remarquable de voir , fait qui a été signalé par Lasègue et par tous les auteurs (Charcot, Sollier , Wall et) (1), que « les malades, loin de s'affaiblir, de s'at- trister, déploient une façon d'alacrité qui ne leur était pas ordinaire » . Il semble qu'elles aient un besoin de mou- vement inusité, et certainement cela ne contribue pas peu, étant donnée leur alimentation insuffisante, à la déperdition des forces qui va tout à l'heure se montrer sous ses aspects les plus sévères.

Pendant cette période, l'amaigrissement apparent, celui qui se juge à simple vue, en dehors des pesées qu'il ne faudra jamais manquer de pratiquer, semblait avoir fait peu de progrès : le teint restait bon, « la langue nette et fraîche, la soif nulle ». Mais, lorsque survient le refus total ou presque total des aliments, l'organisme ne peut lutter plus longtemps contre l'inanition; le faciès devient terreux, les urines diminuent de quantité, les règles sont peu abondantes ou se suppriment, la constipation est de plus en plus marquée : la faible quantité des sécrétions, outre qu'elle est un résultat direct de l'absence d'alimen- tation, réalisant, en somme, un moyen que l'organisme met en jeu pour diminuer l'autophagie.

Ces procédés de défense deviennent bientôt illusoires; les malades qui ne s'alimentent plus sont forcées de prendre le lit; elles passent des journées entières sur un sofa. Le sommeil, qui jusque-là avait été à peu près régulier, dispa- rait ; elles tombent dans une sorte de demi-coma, de veille inconsciente pendant laquelle elles n'ont plus qu'une vo- lonté, celle de refuser les aliments. Il est même curieux

(1) Wallet, Deux cas d'anorexie hystérique. Nouv. Icon. de la Salp.^ t. V, n° 5, 1S92, p. 276.


292 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

de remarquer avec Sollier (Congrès de Lyon) que, même si Ton intervient alors par l'alimentation forcée, les malades continuent à maigrir, l'estomac n'étant pas capable de l'aire subir aux aliments les modifications qui sont indispen- sables pour assurer l'absorption intestinale et, par suite, l'assimilation des substances ingérées par l'économie.

La déchéance organique s'accentue donc de plus en plus,, et l'amaigrissement, dit Charcot (1), « atteint des propor- tions véritablement extravagantes : les malades ne sont plus, sans amplification, que des squelettes vivants. Et de quelle vie! La torpeur cérébrale a succédé à l'agitation factice du début; depuis longtemps, la marche et la sta- tion debout sont devenues impossibles; les malades sont confinées au lit, où elles peuvent à peine se mouvoir : les muscles du cou sont paralysés ; la tête roule comme une masse inerte sur l'oreiller; les extrémités sont froides, cyanosées ; on se demande comment la vie peut persister au milieu d'un pareil délabrement.

« Depuis longtemps déjà, les parents se sont alarmés,, mais l'alarme est au plus haut degré , lorsque les choses en sont venues à ce point; elle est, du reste, bien justifiée,, car la terminaison fatale est là menaçante, et je connais,, pour ma part, au moins quatre cas où elle est survenue. » Dans d'autres circonstances, la mort survient sous l'in- fluence de la tuberculose, à laquelle l'inanition a préparé son terrain d'évolution; Lasègue a observé un fait de cet ordre.


  • *




Laissons de côté ces cas mortels , cette terminaison, fatale, sur laquelle nous reviendrons, pour dire qu'heureu- sement la guérison s'observe dans la majorité des cas, de même d'ailleurs que dans l'anorexie secondaire que nous- avons appris à connaître.

(1) Charcot, De l'isolement dans le traitement de l'hystérie. Leçon- recueillie par Gilles de la Tocrette, Leçons sur les mal. du sjst. nerv.i t. III, 1887, p. 240.


DE L'HYSTERIE. 293

Cette guérison peut être spontanée, mais cette modalité s'observe bien moins fréquemment que dans l'anorexie secondaire, où le déplacement dune zone hystérogène ou l'apparition d'un paroxysme, par exemple, peuvent lever l'obstacle à l'alimentation en supprimant la douleur ou le spasme de l'estomac.

Ici , la localisation d'ordre purement psychique est beaucoup plus tenace, beaucoup moins sujette à de brus- ques disparitions. Parfois, sous des influences aussi diffi- ciles à préciser que les causes qui lui ont donné naissance, l'anorexie disparaît peu à peu, lentement; les malades ne refusent plus de s'alimenter et recouvrent plus ou moins rapidement leur embonpoint. Mais, le plus souvent, la guérison est déterminée par une intervention directe du médecin dont M. Charcot a bien précisé les conditions, ainsi que nous le verrons au chapitre du Traitement.

Sous l'action de la menace d'un internement et, plus sou- vent encore, après la réalisation de celui-ci, l'anorexique sent sa résistance vaincue, elle consent à manger. On observe alors ce fait très particulier de malades mourantes, dont l'estomac ne semblait pouvoir, la veille, tolérer une goutte d'eau et qui, le lendemain, ingurgitent et digèrent un déjeuner complet. Elles reprennent rapidement leurs for- ces, et en quelques semaines regagnent les quinze ou vingt kilogrammes de poids qu'elles avaient perdus. Cela indique mieux que toute dissertation qu'au fond l'estomac n'est pas directement, organiquement touché et que la maladie a un siège exclusivement cérébral.

Il ne faut pas toutefois que l'amaigrissement ait atteint de trop grandes proportions, car nous connaissons des cas où les malades, consentant à manger, ayant le ferme désir de revenir, pour ainsi dire, à la vie, ont succombé, parce que, comme dans l'inanition expérimentale, il arrive un moment où l'organisme n'est plus apte à assimiler la nourriture qui lui est fournie. Nous allons revenir sur ces faits .


204 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE


Lasègue n'a jamais observé de récidives de l'anorexie primitive, et en cela son opinion est encore aujourd'hui l'expression de la vérité. Il n'en est pas de même pour ce qui est de l'anorexie secondaire, car rien n'est plus fré- quent que les récidives de la gastralgie ou du spasme de l'estomac, et partant de l'inanition, qui en est assez souvent la conséquence.

Le diagnostic de l'anorexie primitive peut, dans certains cas, offrir de grandes difficultés : lorsque, par exemple, elle existe seule comme manifestation hystérique, indé- pendamment de tous autres symptômes et stigmates; dans le cas contraire, l'hésitation, si tant est qu'elle puisse avoir lieu, sera de beaucoup plus courte durée.

Il est des aliénés qui refusent systématiquement tous les aliments qu'on leur présente et qui, eux aussi, tombent dans l'état d'inanition qui survient, en somme, chez tous ceux qui sont privés d'aliments. Si l'aliéné est jeune, si c'est une femme, on pourrait penser à l'hystérie : dans les cas où le diagnostic sera hésitant, on se basera surtout, pour résoudre le problème, sur ce fait que, lorsque c'est l'aliéna- tion mentale qui entre en cause, le malade raisonne, pour ainsi dire, son refus des aliments avec cette logique, aussi implacable que fausse, si particulière aux aliénés. Au con- traire, comme nous l'avons dit, l'hystérique ne fournit pour expliquer son obstination que des raisons qu'elle ne se donne même pas la peine de chercher à rendre plausibles, quand toutefois encore elle consent à sortir de son mu- tisme. Déplus, il importe de savoir que l'anorexie symp- tomatique de l'aliénation mentale procède souvent par accès et récidive presque toujours. La connaissance d'un accès antérieur lèvera donc les doutes au moins en ce qui regarde l'anorexie vraie ou primitive. Une faut pas oublier cependant, nous le savons, que ce sont surtout les hystéri- ques chez lesquelles on observe les stigmates de la dégéné-


DE L'HYSTERIE. 29;


rescence mentale qui sont tout particulièrement sujettes à l'anorexie.


On a pu remarquer que, dans notre description de l'ano- rexie tant primitive que secondaire, nous n'avions fait qu'indiquer, sans chercher à les approfondir, les troubles des diverses fonctions de la vie organique. C'est que nous ne voulions pas scinder le tableau clinique par des di- gressions qui eussent singulièrement nui à son aspect géné- ral, étant données l'importance de ces modifications nutri- tives et les discussions que leur exposé devait fatalement entraîner. Ajoutons que désormais, au point de vue par- ticulier où nous allons nous placer, il ne sera plus ques- tion des deux formes de l'anorexie, mais bien d'un seul et même état produit par l'insuffisance alimentaire chez les sujets hystériques. Sous ce rapport, il va être nécessaire de reprendre, pour les préciser, certains termes de notre description, et de dire quelques mots de l'évolution histo- rique de la question envisagée sous cet aspect. Il n'y a pas longtemps encore, nous pouvons même dire jusqu'en 1888, époque où nous publiâmes avec M. Cathelineau nos re- cherches sur la nutrition dans la névrose, il semblait géné- ralement admis que, à l'encontre de tous les autres êtres, les hystériques souffraient aussi peu que possible de ne pas s'alimenter. Ils pouvaient rester des semaines, des mois, sinon des années sans manger, et leur nutrition générale n'en paraissait nullement troublée.

Il semble difficile de déterminer exactement, au moins avant 18 76, où une pareille opinion avait pu prendre naissance. Du pronostic général de l'hystérie porté par Hoffmann (1), les auteurs ne tenaient véritablement pour réelle que la première partie : « Passio hysterica, ut valde dira et terribilis in se non adeo periculosa sit, nisi prsepostera curatio vel perversum regimen accédât, vel

(1) Fr. Hoffmann, De malo hysterico, cité par Dubois. Histoire philos. de l'hypocondrie et de l'hystérie. Paris, 1833, p. 297.




296 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

in corpus incidat valde imbecille et valetudinarium. »

Ce « perversum regimen» représentait cependant les vo- missements auxquels une malade de Pomme avait succombé.

La possibilité d'une terminaison fatale par inanition était à peine envisagée, et l'hystérie à notre époque conti- nuait, nous pouvons le dire, avant notre intervention, à porter la peine des divagations creuses de Louyer-Viller- may, qui en faisait une maladie beaucoup plus honteuse que redoutable : les hystériques ont beau vomir, ils con- servent leur fraîcheur et leur embonpoint.

Briquet corrobore en somme cette opinion, lorsqu'il dit (p. 255) : « Quand le vomissement n'est pas précédé de «douleurs vives et quand la sensation se borne à la simple nausée, les hystériques sujettes à ces accidents deviennent pâles et maigres. Cependant il arrive encore assez fré- quemment que ces malades restent fraîches et conservent de l'embonpoint. J'aurai toujours à l'esprit le souvenir d'une jeune femme hystérique et paraplégique qui, pen- dant toute la durée de l'épidémie de choléra de 18 49, resta placée près d'un lit dans lequel, à raison des disposi- tions du service, on mettait ordinairement les cholériques algides et, par conséquent, dans lequel il v avait eu le plus de mortalité. Pendant tout ce temps, elle ne cessa pas un seul jour de vomir tout ce qu'elle prenait d'ali- ments, ce qui ne l'empêcha pas de conserver de l'embon- point et de sortir indemne de l'épidémie. »

Ce passage de Briquet a été si souvent invoqué pour démontrer que les hystériques qui vomissent « tout ce qu'elles prennent » ne se dénutritionnent pas, que nous avons tenu à le citer à notre tour, en faisant toutefois remarquer qu'à la page suivante, en décrivant la forme douloureuse des vomissements et en rapportant un cas de mort, cet auteur ajoute : « Les parents et le médecin doi- vent être bien avertis que, quand cette forme de la gas- tralgie se déclare, il faut à tout prix l'arrêter dans son principe, autrement la mort, et la mort affreuse, est inévi- table (p. 261). »


DE L'HYSTERIE. 297

Le travail de Lasègue sur l'anorexie (1873) servit d'argument à l'opinion qu'on se faisait du peu de gravité réelle des manifestations gastriques de l'hystérie, puisque ses malades auraient toutes guéri, sauf une, morte de tuber- culose. Lasègue trace cependant un tableau saisissant de l'amaigrissement si considérable que l'on observe toujours en pareil cas, ce qui eût du donner à réfléchir. C'est à cette époque, un peu avant toutefois, que M. Charcot (1) entreprit ses recherches sur l'ischurie hystérique et montra les relations qui l'unissaient aux vomissements.

Il établissait, par une observation minutieuse, que les vomissements s'accompagnent souvent d'un trouble de la sécrétion urinaire, celle-ci se tarissant presque complète- ment dans les cas accentués. Dans un des faits qu'il rapportait, la malade excrétait à peine journellement quelques grammes d'urine, et même, pendant une période de onze jours, la sécrétion n'eut pas lieu. Il va sans dire que des cathétérismes répétés montrèrent que l'oligurie était réelle et non liée à une rétention temporaire. Avec l'aide de M. Gréhant, il démontrait que les vomissements renlerment de l'urée, que le sang n'en contient pas des quantités anormales, et il signalait ensuite, phénomène qui ne fut pas mis assez en valeur à cette époque, « un fait mis en relief par l'examen et la comparaison des courbes consignées sur le tableau, c'est que la ligne des vomisse- ments s'élève d'une manière générale quand celle des ■urines s'abaisse, et inversement. H y a donc un balance- ment assez régulier entre les deux phénomènes. » Réunie à celle des vomissements, l'urée ne dépassait pas cinq à six grammes dans les vingt-quatre heures.

En résumé, M. Charcot notait le petit volume de l'urine et le faible taux de l'urée excrétée dans les vingt-quatre heures, chez deux malades atteintes de vomissements hys- tériques ; il montrait que, dans ces cas, l'intoxication urémique faisait défaut ; enfin, phénomène très important,

(1) Leçons sur les maladies du système nerveux, t. I, p. 288 et suiv., 3 e édit. 1877, l re édit. 1873 ; l'observation date de 1871.


29S TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

il indiquait nettement la balance qui s établit entre les vomissements et la quantité de l'urine excrétée.

Ces recherches, qui eurent un grand retentissement, en engendrèrent de nouvelles. M. Fernet (1) note, lui aussi, très justement le balancement qui existe entre la quantité des matières vomies et le taux des urines excrétées. Chez une malade atteinte de vomissements hystériques, il fit mesurer exactement, d'une part, la quantité des aliments ingérés et, d'autre part, la quantité des matières vomies, et, après avoir indiqué dans un tableau ces quantités jour par jour, il ajoutait : « L'examen du tableau qui précède permet d'établir une relation étroite entre l'état de la fonction urinaire et les vomissements. Dans une première période de temps comprise entre le 9 et le 16 septembre, c'est-à-dire pendant huit jours pleins, les urines sont complètement supprimées durant les six pre- miers jours et leur quantité est très faible durant les deux derniers ; or, dans ce laps de temps, la malade, soumise au régime lacté, rejette par le vomissement la quantité de matières liquides équivalente d'abord à la moitié ou aux trois quarts des liquides ingérés pendant les quatre premiers jours, puis sensiblement égale à la quantité de lait qu'elle prend pendant les quatre derniers jours. »

Ces derniers faits sont d'une importance capitale; il& dominent la physiologie pathologique des vomissements hystériques : dans l'anorexie primitive comme dans l ano- rexie secondaire, les excréta urinaires, liquides ou solides, sont au prorata de l'alimentation.

Restait la présence de l'urée dans les matières vomies,, qu'un élève de M. Fernet, M. Secouet (2), interpréta en disant que les vomissements hystériques étaient sous la dépendance de l'urémie.

(1) Ferxet, De Voligurie et de Vanurie hystériques et des vomissements qui les accompagnent. Union médicale, 17 avril 1873, p. 566.

(2) Secouet, Des vomissements urémiques chez les femmes hystériques.. Th. Paris, 1873.


DE L'HYSTERIE. 299

M. Bouchard (1) intervient alors dans deux leçons pu- bliées par le Mouvement médical. Sans nier les relations qui existent entre l'oligurie et les vomissements hystériques, il note que ces derniers peuvent exister concurremment avec un taux relativement considérable d'urine. Nous rap- pellerons que M. Fernet avait, en somme, montré que ce taux était variable et dépendait de l'abondance des vomis- sements.

M. Bouchard établit surtout, point important, que l'urée existe dans tous les vomissements, hystériques ou autres, opinion, avec les conséquences qui en découlent, qu'expose ainsi qu'il suit M. Juventin (2) dans sa thèse inaugurale : « Comme on trouve de l'urée dans tous les vomissements, on ne peut donc pas déduire de la présence de l'urée dans les vomissements qu'il y a urémie, puisque M. Bouchard a prouvé que tous en contenaient. » Mais, pour que les expériences de M. Bouchard fussent con- cluantes, il aurait fallu qu'il démontrât que les vomisse- ments hystériques renfermaient moins d'urée que les vomissements urémiques proprement dits. Bien meilleur donc, pour combattre la théorie de M. Secouet, serait lar- gement tiré de ce fait que M. Gréhant n'a pas trouvé l'urée en quantité anormale dans le sang d'une hystérique atteinte dischurie. Nous reviendrons, du reste, dans le chapitre consacré aux déterminations de la névrose sur l'appareil urinai re, sur cette question de l'urémie hysté- rique.

En résumé, M. Charcot établit la coïncidence des vomis- sements avec l'ischurie et l'oligurie hystérique ; M. Gréhant montre, sur une malade de son service, que le sang ne renlerme pas des proportions anormales d'urée. M. Fernet note les relations qui existent entre le taux de l'urine et celui des matières ingérées ou vomies, et M. Secouet, du fait qu'il existe de l'urée dans les vomissements, conclut

(1) Bouchard, Des vomissements hystériques. Mouvement médical, n os 26, 27, 1873.

(2) Juventin, De l'urée dans les vomissements. Th. Paris, 1874, p. 9.


300 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

que ceux-ci sont un émonctoire de l'urée, opinion que combattent MM. Bouchard et Juventin avec des arguments insuffisants.

Incidemment, dans ces travaux, il est fait mention de l'influence que les vomissements exercent sur la nutrition générale des hystériques; mais, en l'absence de pesées régulières, seul moyen, on le comprend, d'arriver à des résultats exacts, ces données sont peu précises. M. Bou- chard note cependant, pour une de ses malades, qu'elle a maigri d'un kilogramme du 10 janvier au 18 février 1873. Toutefois il ajoute plus bas : « La malade sort de nos salles après un séjour de quatre mois, et bien que, pendant tout ce temps, elle n'ait rien absorbé, elle est à peine amaigrie. » M. Charcot dit que, chez sa malade atteinte de vomissements incoercibles , « la nutrition ne souffrit guère » . Chez celle de M. Fernet, les vomissements avaient cessé avant la sortie de l'hôpital.


Il est intéressant de connaître les conclusions qu'allait tirer de ces faits M. Empereur dans sa thèse sur la nutri- tion dans l'hystérie (1). L'ancienne opinion que les hysté- riques résistent d'une façon .toute spéciale à l'abstinence, opinion simplement traditionnelle et qui ne s'appuyait sur aucune base précise, devait trouver en M. Empereur un défenseur convaincu, sincère, et les conclusions qui se dégagèrent de son travail prirent par la suite une telle importance qu'on nous pardonnera d'insister assez lon- guement sur ses recherches, nous allions dire sur ses affir- mations.

M. Empereur choisit pour sujets d'étude les hystéri- ques dont la nutrition pourrait être troublée par des mani- festations sur l'appareil digestif. Mais, d'abord, il est amené à se poser la question suivante, qui nous intéresse

(1) Op. cit., 1876.


DE L'HYSTERIE. 301

tout particulièrement-dans ce chapitre : « Les fonctions de digestion, de sécrétion et d'excrétion urinaires, de circu- lation, s'opèrent-elles chez les hystériques comme chez le type normal ; en un mot, les hystériques assimilent-elles et désassimilent-elles comme lui (p. 5) (1)?»

A ces questions M. Empereur répond de la façon sui- vante dans le chapitre consacré auxtroubles digestifs (p. 6) : « Tout le monde sait que, pour vivre, il faut manger; nous subissons, en effet, tous les jours, par notre travail soit physique, soit moral, soit intellectuel, des pertes proportionnelles à la force que nous avons déployée pen- dant ce travail, quel qu'il soit, et ces pertes, nous sommes obligés de les réparer en prenant au monde extérieur les substances capables d'être introduites dans notre économie et de s'y substituer, après une élaboration préalable, aux matériaux qui en sont partis. Les hystériques semblent: échapper à celte loi, car elles vivent et ne mangent pas. »

Et après avoir étudié les divers troubles digestifs qui peuvent survenir chez les hystériques, il ajoute, rappelant l'opinion de Briquet sur la malade qui vomissait et conser- vait son embonpoint, mais passant sous silence le cas de mort et la possibilité de la terminaison fatale dans la "gas- tralgie grave » , signalés parle même auteur : « Il y a deux manières de conserver son embonpoint : l'une qui consiste- à réparer par l'alimentation les pertes que nous subissons par le travail; l'autre, qui est de beaucoup la plus écono- mique, et qui consiste à n'éprouver aucune perte et à n'avoir par conséquent rien à réparer... La deuxième con- dition est au contraire admirablement observée par les hystériques, qui, ne subissant pas ou peu de pertes maté- rielles, ne sont point dans la nécessité de subvenir chaque jour aux dépenses de leur organisme. Elles ne maigrissent pas parce qu'elles ne déperdent rien, et, ne déperdant rien,

(1) Quelques-uns de ces passages empruntés à M. Empereur ont été dé|à cités dans le ch. xn, t. I, consacré à Yetude de la nutrition dans l'hystérie normale; on nous pardonnera de les reproduire en étudiant la nutrition dans V hystérie pathologique. (G. T.)


30:2 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

il leur est inutile sinon nuisible de manger ; ce qu'elles insè- rent est du surperflu quelles doivent rendre, sous peine d'en être indisposées, parce qu'elles en seraient surchargées. Nous ne pouvons donc point partager l'opinion générale des médecins qui considèrent ces vomissements comme très redoutables, et nous doutons fort qu'on ait jamais vu une hystérique mourir d'inanition, bien qu'il y en ait des milliers qui vomissent. Voilà pour le pronostic (p. 38) » . Puis M. Empereur étudie le mécanisme des vomissements et, avant de conclure, donne son opinion sur « l'arrêt delà sécrétion glandulaire chez les hystériques. Constatant que les matières vomies n'ont pas subi l'action du suc gas- trique, bien qu'il n'ignore pas que les vomissements sur- viennent dans la majorité des cas aussitôt après l'inges- tion des aliments, il a]oute : «Si les hystériques abhorrent la viande, c'est qu'elles ne peuvent pas la digérer, parce qu'elles ne doivent en tirer aucun profit, et sous l'influence de cet arrêt de la désassimilation il y a aussi vraisembla- blement suspension dans la sécrétion du suc gastrique. » En résumé, l'opinion de M. Empereur est la suivante : « Les hystériques vivent et ne mangent pas. » Lorsqu'elles vomissent « elles ne maigrissent pas, parce qu'elles ne déperdent rien, et ne déperdant rien, il leur est inutile sinon nuisible de manger; ce qu'elles ingèrent est du superflu qu'elles doivent rendre sous peine d'en être indis- posées parce qu'elles en seraient surchargées. »

Il était permis de supposer que M. Empereur appuie- rait ses conclusions si nettes, et, ajoutons-le, si particu- lières, sur des faits, des observations cliniques montrant que, lors des vomissements, par exemple, la dénutrition ne s'effectue réellement pas. Mais, au contraire, l'on est tout surpris de le voir noter, dans une des rares observa- tions qui lui sont personnelles, qu'une malade atteinte de vomissements perdit vingt-cinq livres de son poids en sept mois (p. 74)!

Dans une autre observation, où les vomissements alter- ternaient avec les attaques (p. 48 et suiv.), l'auteur cons-


DE L'HYSTÉRIE. :i03

tate que la malade a maigri de deux livres en un mois et demi ; ce qui est peu à la vérité, mais il revient sur l'amai- grissement, la diminution de l'embonpoint, etc.

Pourquoi donc cette diminution de poids de vingt-cinq livres, chez une malade qui, ne déperdant rien, n'eût pas dû maigrir?

Et comment se fait-il, il faut bien l'avouer, que les idées de M. Empereur aient été en somme adoptées jusqu'à ces dernières années, acquérant pour ainsi dire force de loi.

C'est la question que nous nous sommes posée en étu- diant avec M. Cathelineau la nutrition dans l'hystérie, problème que nous avons essayé de résoudre depuis 1888, dans le service de M. Charcot, et dont nous croyons tenir en partie la solution qui, il faut bien le dire, est singuliè- rement différente des conclusions de M. Empereur.


Bien que dans ce chapitre nous devions nous borner à l'étude de la uutrition chez les hystériques qui vomissent ou ne mangent pas, nous rappellerons que nous avons établi, en nous basant sur des recherches dont les résul- tats n'ont pas jusqu'ici trouvé de contradicteurs, qu'en dehors des paroxysmes. et des troubles digestifs, les hys- tériques avaient une nutrition normale. Leurs excréta uri- naires sont superposables à ceux des sujets sains, par rapport au kilogramme d'individu.

Lorsque les hystérique ne mangent pas, lors de l'état de mal léthargique, par exemple, pendant lequel, par le fait de la forme de la manifestation elle-même, l'alimentation n'existe pas si elle n'est pas imposée, l'amaigrissement est constant et proportionnel à la durée de l'état de mal. C'est un fait, dont nous sommes assuré chez six malades donnant un total de onze états de mal léthargique qui nous permettaient de conclure, en considérant également les autres formes des états de mal hystérique. « Pendant l'état de mal, l'amaigrissement quotidien est constant, il


304 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

varie de deux cents à cinq cents grammes par jour, suivant la durée de l'état de mal et la quantité des aliments absor- bés lorsque l'anorexie n'est pas absolue (1). »

Pour ce qui est des troubles digestifs, et à nous en tenir pour le moment à nos seules recherches, nous dirons que nous avons observé deux malades, dont l'une a été suivie pendant sept mois. Celle-ci maigrit de dix kilos, soit environ de cinquante grammes par jour. La seconde, atteinte également de vomissements hystériques, entrecoupés par des attaques de sommeil, maigrit, en quinze jours, de 4 kil. 480 grammes, soit de trois cent vingt-cinq grammes par jour en moyenne (2).

Une autre malade dont nous avons communiqué l'obser- vation à M. Bruchon (3), regagna en un mois treize kilo- grammes du poids qu'elle avait perdu du lait de ses vomis- sements. Et nous pourrions citer d'autres faits personnels aussi concluants que les précédents.

Si l'on considère maintenant les observations de Sollier {op. cit.) qui ont trait à l'anorexie et où les pesées furent régulièrement faites, on constate que, sous l'influence du traitement et de la reprise de l'alimentation, les malades gagnent 15 kil. 500 (obs. 1) ; trois kilos en un mois (obs. Il), dix-huit kilos (obs. III).

La première malade de Wallet (4) regagne sept kilos ; chez la seconde, les pesées démontrent qu'il y a des chutes ou des relèvements de deux à trois kilos en relation avec le refus ou la reprise de l'ingestion des aliments.

La malade de Kissel (op. cit.) âgée de onze ans, tom- bée à 22 kil. 200, regagne 13 kil. 250 en quatre mois. Et l'amaigrissement constant signalé par Lasègue, et les

(1) Gilles de la Tourette et Cathelineau, La nutrition clans l'hystérie, op. cit., p. 84.

(2) Gilles de la Tourette et Cathelineau, La nutrition dans l'hystérie, op. cit., obs. d'Oll. et S' Den., p. 92 et suiv.

(3) Bruchon, Considérations sur iétiologie et la pathogénie de l'ulcère rond de l' estomac dans les hôpitaux de Paris. Th. Paris, 1894, obs. XXV, p. 92.

(4) Wallet, Deux cas d'anorexie hystérique. Nouv. lcon. de la Salpè- trière, t. X, n° 5, 1892, p. 276.


DE L'HYSTERIE. 305

faits de mort dans l'anorexie primitive ou secondaire rapportés par Pomme, Briquet, W. Gull et Charcot, dans lesquels l'inanition est constamment invoquée comme seule et unique cause de la terminaison fatale, que devien- nent-ils en présence des théories de M. Empereur notant lui-même un amaigrissement de vingt-cinq livres chez une malade atteinte de vomissements? Son opinion, qui veut que les hystériques qui ne mangent pas ne maigrissent pas, n'est donc en aucune façon acceptable.

Il y a lieu cependant de se demander, en dernière ana- lyse, comment cette opinion a pu être soutenue avant M. Empereur, d'une façon toutefois singulièrement moins -catégorique.

Les observateurs avaient été évidemment frappés de •ce fait qu'une hystérique qui semblait rejeter tous les aliments conservait un embonpoint relatif, dispropor- tionné cependant avec la faible quantité des substances ■conservées. De là à conclure dans le sens qu'a adopté M. Empereur, il n'y avait qu'un pas.

Mais il faut ajouter immédiatement aussi que ces auteurs s'en tenaient beaucoup plus à l'apparence, àl'habitus exté- rieur des malades, qu'à la réalité.

Dans leurs observations on ne trouve jamais, pour ainsi dire, l'indication du poids, et nous sommes certain que, «'ils avaient procédé, comme nous l'avons fait, par le sys- tème des pesées régulières, journalières ou hebdomadaires, ils auraient, eux aussi, noté l'amaigrissement, qui ne manque jamais en pareils cas. Le fait de juger sur la mine n'a rien de scientifique : lorsque M. Empereur a pesé ses deux malades, il a vu qu'elles avaient maigri, et considéra- blement. Donc, les observations où les poids ne sont pas notés sont mauvaises, et elles ont contribué à entretenir, -sinon à propager une erreur.

Nous pensons encore — et l'opinion contraire devait

■être évidemment une autre cause d'erreur, peut-être la

•principale — que les malades qui semblent rejeter par les

vomissements la totalité des aliments ingurgités et qui

m. 20


306 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

vivent cependant, quoiqu'en s'amaigrissant, conservent une certaine quantité de substances alimentaires. Sans cela elles mourraient, car les hystériques ne sont pas les êtres à part qu'on a voulu en faire, n'ayant pas d'analogues dans la série animale.

Pour élucider cette question, nous rappellerons qu'avec M. Cathelineau {op. cit., p. 92) nous nous sommes astreints, pendant sept mois, à mesurer tous les jours, chez une malade, la quantité des vomissements comparés à la quantité des matières ingérées : « L'alimentation, disions- nous, fut exclusivement lactée; c'est, on le comprend, le seul moyen d'être fixé sur les ingesta. Comme nous avions noté, dès le premier jour, un spasme des premières voies digestives qui occasionnait le rejet immédiat du lait, le liquide fut introduit, en quatre fois par jour, à laide de la sonde, jusqu'à l'estomac. Aussitôt la sonde retirée, le vomissement survenait immédiat, sans douleur, sans effort. Les vomissements étaient recueillis et dosés sui- vant la méthode de M. Bouchard.

« On eut pu croire, étant données l'instantanéité du vomissement et son abondance, que rien ne restait dans- l'estomac. On se fût trompé, et cette remarque expliquera (ajoutions-nous alors) bien des embonpoints relatifs notés par les auteurs qui ne se sont pas astreints à mesurer journellement les vomissements. En effet, trois litres et demi de l'ait étaient ainsi ingérés en quatre fois; du 7 avril au 2 novembre, le volume des vomissements n'a jamais dépassé 1,270 ce. et n'est pas tombeau-dessous de 175,. avec une moyenne de 4 à 500 c. c.

« En négligeant même les sécrétions stomacales, qui doivent cependant entrer en ligne de compte dans le volume des matières vomies, on voit que, malgré les appa- rences, la malade conservait encore une quantité très notable de lait. »

Pareille remarque fut faite, après nous, par M. Haushal- ter dans l'observation dont nous avons parlé en traitant du spasme du pharynx et de l'œsophage.


DE L'HYSTÉRIE. 307

Pendant la durée des vomissements, les selles devien- nent très rares, les règles se suppriment parfois, les urines diminuent considérablement; elles sont d'autant moins abondantes que les vomissements sont plus copieux, sui- vant la loi établie par MM. Charcot et Fernet. Les analvses montrent que l'urée et les principes excrémentitiels dimi- nuent également. Cela n'indique pas que la désassimilation ne se fait pas; elle s'effectue au prorata des matières ingé- rées et conservées. L'organisme se défend contre la dénu- trition, contre l'autopliagie, qui ne manquerait pas, sans cela, de s'exercer rapidement en présence d'une alimenta- tion insuffisante ou nulle.

Aussi, à la troisième période de l'anorexie, les hysté- riques se confinent-elles au lit, qu'elles ne quittent plus, restant immobiles, sans un mouvement, pendant des journées entières et restreignant, de ce fait, leurs échanges.

La respiration est peu fréquente, le pouls descend à 60* 50 par minute , la température elle-même s'abaisse, fait noté par Gull, d'un demi-degré (Fahrenheit) à un degré au-dessous de la normale. Il existe un refroidissement marqué du corps en général et des extrémités en particu- lier, au point que Gull inventa un appareil spécial rempli d'eau chaude pour suppléer à la chaleur animale insuffi- samment produite (35° à 36°5, Kissel). Dans ces conditions, absolument analogues à celles de l'inanition, — Gull com- pare les malades aux animaux qui servirent aux études de Ghossat, — on comprend que les échanges nutritifs doi- vent être aussi peu actifs que possible. Ce qui n'empêche pas, à un moment donné, l'organisme de succomber et la mort de survenir; les faits sont là pour l'attester.

Dans les paroxysmes à forme gastralgique, l'urée et les principes excrémentitiels subissent, du fait du paroxysme lui-même , l'influence spéciale que nous avons montrée être l'apanage de l'attaque ; mais la désassimilation, pour diminuée qu'elle soit, n'en existe pas moins, et l'amaigris- sement survient si les paroxysmes se répètent, entraînant avec eux le rejet des aliments. Du reste, nous savons que,


30S TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

pour éviter le retour des attaques, les malades, dans cer- tains cas, refusent volontairement toute alimentation. Ils tombent alors dans l'anorexie secondaire ; l'influence du paroxysme sur la diminution des échanges n'existe plus, mais les sujets se trouvent dans les conditions des ano- rexiques primitifs, en un mot des véritables inanitiés.

Notre conclusion générale sera donc que, au même titre que les autres êtres, les hystériques ont besoin de manger pour vivre ; lorsque, par suite de manifestations sur l'ap- pareil digestif, l'alimentation devient insuffisante, ils mai- grissent et, dans les cas, assez rares d'ailleurs, où les fonc- tions ne se rétablissent pas, ils meurent d'inanition.

Si nous avons aussi longuement discuté, c'est que nous croyons que l'opinion que nous nous sommes faite, et que justifient les faits, avait besoin d'être exposée avec insis- tance pour le plus grand bénéfice des malades. En pré- sence de la possibilité très réelle d'une terminaison fatale, on s'ingéniera davantage qu'on ne le fait peut-être encore actuellement à enrayer une anorexie ou des vomisse- ments qui, en s'en tenant aux idées de M. Empereur, n'offriraient qu'une gravité tout à fait relative. Au mois de septembre 1892, un de nos anciens collègues d'inter- nat, médecin consultant, nous annonçait l'arrivée à Paris, pour être soumise au traitement par l'isolement, d'une jeune fille atteinte d'anorexie hystérique. Les parents hésitaient ; le médecin traitant, fervent adepte des théories qui veulent que les hystériques n'aient pas besoin de manger pour vivre, ne s'inquiétait pas de la situation. Le voyage fut retardé, et il arriva tout simplement que la jeune fille mourut d'inanition.


Que devient, dans tous les cas que nous avons étudiés et que nous étudierons encore, le suc gastrique? Sa sécré- tion est-elle diminuée ou augmentée? ses qualités chi- miques restent-elles normales ou sont-elles altérées ? Ques-


DE L'HYSTERIE. 303

tions importantes à résoudre, surtout aujourd'hui qu'on tend à attribuer aux modifications du chimisme une si grande place dans la pathogénie des manifestations gas- triques, de quelque origine qu'elles soient (1).

M. Empereur, étudiant les vomissements hystériques et parlant de la sécrétion du suc gastrique, dit que, sous l'influence de l'arrêt de la désassimilation, qui forme le fond de sa théorie, « il y a vraisemblablement aussi sus- pension de la sécrétion du suc gastrique » .

Cette opinion est assez vague pour prêter à des inter- prétations variées qui permettraient peut-être d'en établir le bien fondé.

En réalité, ce sont MM. Sollier et Parmentier {Congrès de Lyon) qui, les premiers, ont apporté à la solution de cette question du chimisme stomacal dans l'hystérie des documents véritablement scientifiques.

Observant en particulier des anorexiques vrais et expérimentant sur des hystériques hypnotisables , chez lesquelles ils étudiaient ce que M. Sollier appelle les varia- tions de la sensibilité de l'estomac, ils ont montré que, du fait de l'anorexie, le chimisme subissait des modifications qui se traduisaient par un retard très marqué, suivi d'un arrêt constant de l'évolution des phénomènes di- gestifs.

C'est ce qu'ils expriment ainsi qu'il suit en rapportant les expériences qu'ils ont faites chez deux malades hysté- riques hypnotisables privées expérimentalement de leur sensibilité stomacale.

« On provoque l'anesthésie de l'estomac et, la malade étant réveillée, on lui fait prendre un repas d'épreuve. Les extractions sont faites au bout de dix minutes, d'une demi-heure, dune heure, de deux heures. Alors seulement on rend la sensibilité de l'estomac, et on retire une der- nière fois du liquide deux heures et demie après le début du repas.

(I) Voir Hayem, De la valeur clinique du chimisme stomacal. Rapport au Congrès de méd. int. de Lyon, oct. 1894.


310 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

« La courbe du chlore total s'élève rapidement jusqu'à la trentième minute, puis elle continue à monter, mais len- tement, et finalement jusqu'à la cent vingtième minute. Le chlore combiné organique décrit une courbe parallèle h la précédente , mais sans jamais atteindre au delà de 126 milligrammes par 100 c. c, chiffre maximum obtenu à la soixantième minute. Il descend ensuite progressive- ment, tandis qu'à la cent vingtième minute on note un peu d'acide chlorhydrique (qui faisait totalement défaut dans les autres expériences). Dans ce graphique, constam- ment les chlorures fixes ont été plus élevés que le chlore combiné organique.

« Le rapport T:F (rapport du chlore total aux chlorures fixes) est à peine monté au bout d'une heure au delà de ce qu'il était après une demi-heure, tout en restant inférieur à la normale, puis il est retombé lentement.

« La réaction fermenta tive a été peu accusée, et l'évolu- tion, à partir de la première demi-heure, a suivi une marche traînante. »

A ces troubles de la sécrétion stomacale qui aboutissent, en somme, au retard initial et à l'arrêt définitif de l'évo- lution digestive, se joignent des troubles de la motricité de l'estomac auxquels M. Sollier attribue, avec juste raison, une grande importance. Ce sont eux qui amènent cette atonie que nous avons notée d'après M. Sollier dans l'anorexie primitive, atonie qui, en déterminant la persis- tance d'un résidu liquide, favorise singulièrement la pro- duction de ces hypersécrétions, d'une acidité parfois si exagérée qu'elles corrodent et font carier les dents des malades.

Mais il ne faut pas se faire d'illusions sur la pathogénie de ces phénomènes. En réalité, ce n'est pas l'estomac qui est directement en cause dans leur production, mais bien le système nerveux. « Pour traiter ces dyspepsies, dit Sollier, il ne faut pas se baser sur les modifications du chimisme stomacal, mais bien sur la pathogénie de ces modifications. 11 faut traiter le système nerveux et non


DE L'HYSTERIE. 311

l'estomac, si ce n'est à titre adjuvant, pour enrayer les fermentations secondaires que l'atonie gastrique amène par le séjour prolongé des aliments dans l'estomac. »

La clinique, d'ailleurs, avait depuis longtemps montré que, dans ces cas, à l'inverse de ce qui existe dans les dys- pepsies organiques , l'appareil sécrétoire de l'estomac n'était pas touché dans ses éléments constitutifs. Du jour au lendemain, à la minute pour ainsi dire, tout cet en- semble symptomatique d'un retard et d'un arrêt dans l'évolution digestive, et l'absence parallèle d'assimilation, peuvent se modifier du tout au tout.

En effet, nous avons vu bien souvent des anorexiques, sous l'influence d'un traitement purement psychique, le soir même de leur entrée dans un établissement hydrothé- rapique, prendre un repas complet et le digérer parfaite- ment. « Chez nos anorexiques les plus débilités , dit M. Sollier (Rev. de méd., op. cit., p. 648), nous n'avons jamais observé le moindre embarras gastrique à la suite de ce premier repas. »

De même,, les malades digèrent-ils très bien au lende- main d'un paroxysme à forme gastralgique qui s'est accom- pagné de vomissements pendant plusieurs jours. Nous signalons ce fait en y insistant, sans crainte de redites, car, lorsque les vomissements cessent, que l'anorexique se décide à manger, la convalescence n'existe pour ainsi dire pas ; l'alimentation se fait vite et bien, et les pesées journa- lières démontrent qiiel'embonpoint revient d'une façon très rapide. On comprend que, par là même, le pronostic de ces manifestations digestives se trouve atténué dans une large mesure.

En dehors des faits exposés par Sollier et antérieure- ment à ses dernières recherches, il a été publié quelques rares analyses de suc gastrique chez les hystériques atteints de vomissements. Ces analyses n'ont qu'une im- portance très relative. En effet, on a prélevé soit au début, soit au courant de la digestion, toujours à un seul mo- ment, des échantillons de suc gastrique qu'on a analysés.


312 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

On n'a pu ainsi se rendre un compte exact de ce retard et de cet arrêt dans révolution digestive qui, bien plus que les modifications du suc gastrique lui-même, semblent,, après lecture de la communication de MM. Sollier et Par- mentier, être une des caractéristiques des déterminations gastriques de l'hystérie, au moins en ce qui regarde l'anorexie.

Dans tous les cas, ces analyses vont nous montrer que le suc gastrique est simplement affaibli dans son pouvoir digestif quand il n'est pas normal, et qu'il ne s'agit là, en réalité, que de troubles fonctionnels et non de modifica- tions organiques à proprement parler. Empressons-nous d'ailleurs d'ajouter que, même en se plaçant à un point de vue plus général, cette question du chimisme stomacal nous paraît, à l'heure actuelle, en pleine voie d'évolution. Il serait donc prématuré, pour ce qui regarde l'hystérie, de tirer des conclusions fermes, au point de vue pathogéni- que, des résultats qu'a fournis jusqu'à présent l'analyse du suc gastrique.

Dans un important travail sur les dyspepsies nerveuses, où l'hystérie, à notre avis, n'occupe pas la place qu'elle mérite dans l'étiologie de ces manifestations, M. Soupault mentionne brièvement les vomissements liés à la névrose (p. 126) et, un peu plus loin (p. 151-154), étudie trois ca& qui l'amènent à conclure que « l'hystérie est mobile dans. ses manifestations gastriques comme dans ses syndromes cliniques » . Dans le premier cas (obs. XXIII), où il avait existé « une véritable crise gastrique avec intolérance absolue de l'estomac et vomissements perpétuels, vomis- sements alimentaires et vomissements glaireux très acides » de quinze jours de durée, l'examen, la crise un peu calmée, montra que le « chimisme stomacal était absolument normal » .

Chez un deuxième malade (obs. XXIX) présentant en petit les mêmes symptômes, le suc gastrique fut exa- miné à quatre reprises différentes. Conclusion : « Ici encore, et dans tous les cas, le chimisme est normal


DE L'HYSTERIE. 31$

variant entre des limites en somme assez rapprochées. »

Dans un troisième cas (obs. XXV), où la malade était « atteinte depuis deux ans de douleurs gastriques et de vomissements que rien n'a jamais pu arrêter, le chimisme répond au type dyspeptique. Mais l'hystérie se manifeste par une gastralgie extrêmement intense et des vomisse- ments constants s> .

Pour M. Soupault(l), «dans l'hystérie (gastrique) la règle paraît être l'incohérence des symptômes » , ce qui n'est pas notre avis. « Il n'y a aucun type bien déterminé, et il est impossible de juger, par les symptômes, de l'état du suc gastrique. »

En dehors de la détermination du type, sur laquelle il est inutile d'insister après les descriptions que nous avons données, cette dernière conclusion nous paraît vraie, et on. pourrait y ajouter, ce qui ressort des faits de M. Soupault, que dans ces cas le chimisme reste normal.

Cela ressort très nettement aussi d'une observation que nous avons communiquée à M. Bruchon (obs. XXV, p. 62) . Une hystérique de dix-huit ans, sujette à des vomissements à forme gastralgique, est soignée pour hyperchlorhydrie ; lorsqu'on pratique l'analyse du suc gastrique, celui-ci est trouvé normal. Un nouveau médecin consulté traite la malade comme une hystérique et obtient l'isolement dans un établissement hydrothérapique. En un mois et quatre jours, elle regagne 13 kilogr. 500 du poids qu'elle avait perdu pendant l'année où l'on s'était surtout ingénié à modifier l'état de son suc gastrique.

Il est probable que, dans ce dernier cas, on s'était basé cliniquement sur la présence des régurgitations acides secondaires dues aux fermentations nées sous l'influence de l'atonie gastrique, pour faire le diagnostic d'hyperchlo- rhydrie qu'infirma, d'ailleurs, l'examen chimique.

Une de nos malades , hystérique confirmée dont nous avons analysé l'observation (obs. XVIII) dans un mémoire

)i) Soupault, Les dyspepsies nerveuses. Th. Paris, 1893.


314 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

sur la pathogénie de l'ulcère rond, dont nous parlerons bientôt, nous a dit qu'on avait fait l'analyse de son suc gastrique et qu'on avait trouvé de Yanachlorhydrie. Nous n'avons pu contrôler ses affirmations, mais nous croirions volontiers qu'elles étaient exactes, si nous nous rappelons que dans les expériences de Sollier et de Parmentier l'acide chlorydrique du suc gastrique faisait toujours presque complètement défaut.

Dans la thèse de M. Roussel (1), qui a oublié de peser ses sujets, mais ne dit pas moins, en parlant des vomissements hystériques, que, « malgré ces phénomènes en apparence malins, on remarque chez les malades une conservation relative de la nutrition, un certain degré de fraîcheur et d'embonpoint » , on trouve une analyse incomplète (obs. I, p. 43) : « Quantité des vomissements, 300 grammes : urée, 0,028; pas d'acide chlorhydrique libre; présence d'acide butyrique et lactique; peu de peptone; beaucoup d'albu- mine; biliverdine insoluble. »

En résumé, nous le répétons, ce n'est pas dans les mo- difications réelles du suc gastrique — au moins d'après les connaissances que nous possédons actuellement — qu'il faut chercher la raison d'être des modalités cliniques que nous avons étudiées.

Dans les cas d'hystérie gastrique, il s'agit de troubles fonctionnels, et non de modifications organiques de l'élé- ment sécréteur. Dans l'hypothèse contraire , comment expliquerait-on qu'une hystérique, qui est anorexique de- puis des mois, soit susceptible tout à coup de digérer un repas complet et de regagner 500 grammes en poids par jour, jusqu'à concurrence de 15 kilogr. et plus?

L'influence générale de la névrose domine tous ces troubles, dans lesquels le suc gastrique, en lui-même ne semble jouer un rôle que dans des proportions à peu près

(1) B. Rocssel, Contribution à l'étude des vomissements liyste'ricjues. Th. Toulouse, 31 juillet 1894. — Dans le travail de M. Lacomme, Des gastro- pathies neiveuses (Thèse Toulouse, 1893), il n'est pas fait mention de l'hvstérie.


DE L'HYSTERIE. 315

négligeables au point de vue du traitement et du bon réta- blissement des fonctions digeslives.


On a pu s'étonner que nous n'ayons pas au moins men- tionné les vomissements de sang , au cours de la description que nous venons de donner des manifestations gastriques de l'hystérie. C'est que, vu leur importance, les hématé- mèses méritent d'occuper une place à part dans ce cha- pitre.

Beaucoup des considérations que nous avons déve- loppées en traitant des manifestations de la diathèse vaso- motrice leur sont applicables. C'est ainsi que nous ne reviendrons pas sur les relations qui existent entre la fonc- tion menstruelle et les hémorragies des muqueuses en .général. Les hématémèses ne sont jamais supplémentaires des règles au sens propre du mot ; elles modifient parfois la quantité et la régularité du flux cataménial ; tout au plus celui-ci les influence-t-il en ce sens que la période des règles favorise généralement l'apparition des paroxysmes et partant des hémorragies, qui leur sont si intimement liées. Disons, du reste, que les vomissements sanglants s'observent aussi bien chez l'homme que chez la femme.

Étiologïquement, il faut aussi se rappeler ce que nous avons dit, à savoir, que le même sujet est souvent en proie à des manifestations variées de la diathèse vaso- motrice. La demoiselle Coirin, dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises, en est un frappant exemple.

Quarante jours après sa chute de cheval, dit Carré de Montgeron (1), elle « se trouva obligée de vomir tout ce qu'elle prenoit, et, quelques jours après, il lui prit un vomissement de sang caillé et pourri qui rendoit une grande infection : ce qui l'ayant effrayée, on garda de ce sang pourri dans une serviette pour le montrer à M. Bou-

(1) La vérité des miracles, t. I, Cologne, 1745, 7 e démonstration, p. 12.


316 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

lant, médecin, et à M. Bordeaux, chirurgien, qui décla- rèrent que c'étoit un abcès qui s'étoit formé dans son esto- mach; que, depuis ce jour, elle devint sujette à un vomis- sement de sang qui lui causoit souvent des foiblesses; que, dans une de ses foiblesses qui lui arriva trois mois après sa chute, comme on lui mettoit des linges sur l'estomach, on s'apperçut quelle avoit le sein du côté gauche extrême- ment dur, enflé et tout violet... »

Dans ce cas, on notait donc la coexistence de deux mani- festations de même ordre, l'hématémèse et le sein hysté- rique.

La demoiselle Coirin est encore intéressante à d'autres points de vue. Elle était tombée de cheval « sur l'esto- mach » ; cette chute peut, dans la circonstance, tenir lieu de cause localisatrice des phénomènes hystériques, bien que, en considérant ce que nous savons des autres accidents gastriques liés à la névrose, aucune cause spéciale ne puisse en général être invoquée dans les cas de ce genre. Les vomis- sements étaient douloureux, il y avait donc gastralgie; elle rejetait tout ce qu'elle prenait, les vomissements étaient donc en même temps alimentaires, ce qui arrive parfois. Quant à l'odeur « de sang caillé et pourri » , elle est excep- tionnelle, le vomissement étant presque toujours composé de sang frais ou peu altéré.

Quant aux « foiblesses » que l'on trouve également indi- quées dans presque toutes les observations de même ordre, elles peuvent s'interpréter de deux façons. Ou bien ce sont les syncopes passagères qui accompagnent parfois les hémorragies abondantes, ou bien ce sont des attaques à forme syncopale. Cette dernière opinion, qui ne va pas du reste à l'encontre de l'autre, car les deux variétés de syncopes peuvent coexister, nous paraît admissible pour le plus grand nombre des cas ; car très souvent c'est à l'oc- casion d'une attaque que surviennent les vomissements de sang, à linstar, du reste, de ce que l'on observe dans les autres manifestations de la diathèse vaso-motrice.

Cette influence de l'attaque, à laquelle nous attachons


DE L'HYSTERIE. 3l 7

une grande importance, n'a jamais été affirmée autant quelle eût dû l'être. Elle a pourtant été implicitement reconnue par nombre d'observateurs.

« Chez les hystériques et les hypocondriaques, dit J.-P. Frank (1), le sang s'accumule dans les vaisseaux anérysmatiques ou variqueux de l'estomac ou des viscères voisins, et l'hématémèse se déclare. Lorsque la chose n'en vient pas à ce point, le malade éprouve de vraies dou- leurs, un sentiment d'angoisse, d'oppression, de défail- lance dans la région épigastrique, enfin des nausées et un vomissement simple qui augmente à l'époque correspon- dant aux retours de l'évacuation supprimée. » Cette des- cription est intéressante, à notre avis, en ce qu'on y reconnaît tous les traits d'une attaque, ou au moins les phénomènes prémonitoires d'un paroxysme en relation directe avec un vomissement sanglant.

L'hématémèse, comme nombre d'autres troubles tro- phiques des muqueuses, l'hémoptysie en particulier, est donc généralement constitutive, pour la part principale, d'un paroxysme facile à reconnaître à l'aura commune à toutes les attaques, que celles-ci mettent enjeu, des phéno- mènes convulsifs, vaso-moteurs ou autres.

Le cas de la demoiselle Marguerite-Françoise Duchesne, rapporté par Carré de Montgeron (2) , chez laquelle les vomissements sanglants s'étendirent sur une période de cinq ans, est encore très caractéristique au point de vue de l'hématémèse considérée comme état paroxystique.

M. Costar certifie dans son rapport « qu'il lui prenoit un vomissement qui étoit purement de sang et en grande abondance, accompagné et suivi de convulsions dans toutes les parties du corps, de suffocations, de syncopes si consi- dérables qu'on eût dit, qu'elle étoit sur le point d'expirer. Cet état, continue-t-il, duroit plusieurs jours pendant les-

(1) J.-P. Frank, Traité de médecine pratique, 1792-1811, trad. franc, 1820, t. III, p. 440.

(2) Carré de Montgeron, La vérité des miracles, t. I, 4 e démonstration, édition de Cologne, 1745.


318 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

quels la malade ne pouvoit prendre qu'une cuillerée deau froide sans la rejeter, le bouillon augmentant encore davan- tage les convulsions et suffocations, pour peu qu'elle en prit » .

Les vomissements de sang dans l'hystérie ont fait l'objet de nombreux travaux; parmi ceux-ci, nous distinguerons tout particulièrement l'excellente thèse de Ferran (1), faite en 187-4 à la Salpêtrière, et qui a été la base de beaucoup des recherches ultérieurement publiées.


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Les hématémèses d'origine hystérique s'observent chez l'homme et chez la femme. Si leur plus grande fréquence a été notée chez cette dernière, c'est peut-être parce que l'hystérie masculine n'est bien connue que depuis peu de temps. C'est une manifestation de l'hystérie confirmée, de l'hvstérie adulte pour ainsi dire, bien que l'observation de Pinel, déjà citée, se rapporte à une fillette de onze ans. Presque toujours, sinon toujours, nous l'avons dit, ces phénomènes coexistent donc avec d'autres manifestations de la névrose, soit de même ordre, soit d'ordre différent.

Souvent lhématémèse se produit dans les conditions suivantes. Le malade ressent une vive douleur au creux épigastrique; on note parfois alors l'apparition d'un bal- lonnement plus ou moins marqué de la région de l'es- tomac. La douleur s'exaspère et fréquemment irradie dans le dos; puis simultanément surviennent des palpitations,

(1) Ferran, Du vomissement de sang clans l'hystérie. Th. Paris, 1874. — ArchambaULT, Hématémèse suivie d'anémie et d'hémiplégie chez une femme de quarante ans. Union médicale, 1861, n° 79, p. 284. — Lorey, Des vomissements de sang supplémentaires des règles. Th. Paris, 1875. — Ratuery, Contribution à l'étude des hémorragies survenant dans le cours de l'hystérie. Union médicale, 1880, p. 409. — Weisz, Ein Fall von Magen- blulung in Rahmen von Hystérie. Pest. Medic.-Chir. Presse. Budapesth, 1892, p. 766. — F. Heule, Uebcr hysterische Blutungen und ùber einen Fall von Hematemesis bei Hystérie. Th. Berlin, 1893. — BorOzdisoi Fusenstein, Hematemesis hysterica inveterata. Vestnik klinik. Sudebnoi psichiat. Saint-Pétersbourg, t. II, p. 17, 25, 1892.


DE L'HYSTERIE. 319

une angoisse précordiale, en même temps qu'existent une sensation constrictive le long du tube œsophagien , des éblouissements , des battements dans les tempes et des bourdonnements d'oreilles, tous phénomènes constitutifs de ce qu'on pourrait appeler la grande aura gastro-cépha- lique. C'est au milieu de cet ensemble symptomatique, les douleurs gastriques étant arrivées à leur maximum d'acuité, que l'hématémèse se produit, accompagnée ou non de violents efforts de vomissements.

Le vomissement, dans ces cas, est la phase terminale du paroxysme : il se fait en une fois ou deux, rarement plus, et aussitôt terminé, ou le malade revient complète- ment à lui, comme après un paroxysme convulsif qui, d'ailleurs, peut s'accompagner d'hématémèses, ainsi que cela s'observe assez fréquemment, ou bien encore, plus souvent peut-être , il tombe dans l'état demi-syncopal dont nous avons déjà parlé.

Cet état de syncope, d'évanouissement consécutif à l'hé- matémèse, est noté, avons-nous dit, dans un grand nombre d'observations. Comme on le trouve indiqué, même dans les cas où le sang rendu était très peu abondant, nous croyons que, le plus souvent, il n'est pas attribuable à une syncope vraie par perte sanguine, mais bien plutôt à un état demi-syncopal ou léthargique de nature hystérique, l'hématémèse intervenant ici pour fixer, pour ainsi dire, la forme ou mieux la terminaison de l'attaque dans un sens déterminé.

En résumé, les phénomènes que nous décrivons sont constitués, dans leur forme la plus commune, par une crise gastralgiqueavechématémèses, terminée par des accidents syncopaux ou accompagnée par des convulsions hystéri- ques.

Dans certains cas (1), cette attaque avec hématémèses peut constituer un véritable état de mal, « les vomisse- ments durant cinq ou six jours par poussées inégales, irré-

(1) Febran, op. cit., obs. IV, p. 20.


320 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

gulières quant à leur durée et à leur fréquence. Il ne se passait pas de jour, dit Ferran, sans qu'il survînt deux ou trois vomissements hémorragiques. » C'est alors qu'on peut observer des syncopes véritablement indépendantes d'une attaque, étant donné l'état exsangue dans lequel le malade ne tarde pas à tomber. A rapprocher de ces paroxys- mes prolongés avec hématémèses, ceux dans lesquels les douleurs gastriques persistent pendant deux ou trois jours avant l'apparition du vomissement de sang terminal.

Plus rarement, l'hématémèse a lieu par simple régurgi- tation : il vient dans la bouche du sujet, spontanément à <;e qu'il semble , en une ou plusieurs lois, une quantité toujours moins considérable que dans les cas précédents de sang d'aspect variable. Ces régurgitations, qui paraissent indépendantes des paroxysmes, s'intercalent souvent chez Je même malade entre des hématémèses paroxystiques.


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Étudions maintenant le vomissement sanglant en lui- imême. Le sang vomi se présente sous des aspects variés. Il est pur ou semble pur, ou bien il est manifestement dilué, ou encore il est mélangé à des aliments. Ce der- nier cas est le plus rare; le même sujet peut, à la vérité, souffrir concurremment d'hématémèses et de vomisse- ments alimentaires, mais il est rare que ces manifestations n'affectent pas une allure indépendante.

Le plus souvent, l'hématémèse revêt des caractères objectifs intermédiaires entre l'aspect du sang veineux et celui du sang artériel. Le liquide est rouge noirâtre, peu rutilant. Bien que, autant qu'on puisse en juger, le sang soit rapidement expulsé de l'estomac, car le melœna est excep- tionnellement noté par les auteurs en coïncidence avec l'hématémèse, on peut admettre cependant que la couleur brunâtre est due à un commencement de digestion par le suc gastrique, avec lequel le liquide sanguin est immédia- tement en contact.


DE L'HYSTERIE. 321

Parfois , le sang est très manifestement dilué soit par une sécrétion muqueuse surabondante de l'estomac, soit plutôt par la salive. C'est cette dernière opinion qu'admet M. Josserand.

« Le liquide en question, dit-il (l), est moins rouge que du sang pur, c'est du sang dilué ; il est visqueux et ressemble à du sirop de ratanhia un peu étendu d'eau; il n'est pas spumeux et ne coagule pas dans la majorité des cas. Versé dans un vase à urine, il dépose en trois couches : une supé- rieure très rouge ne contenant presque pas d'hématies et exclusivement colorée par l'hémoglobine dissoute ; une moyenne, composée de globules rouges, et une inférieure constituée par des cellules épithéliales pavimenteuses. »

Et l'auteur en conclut que, dans ces cas particuliers, qui seraient d'après lui les plus fréquents, « le mélange est constitué en moyenne à raison d'une partie de sang pour dix à douze de salive » , et que le sang, s'il vient le plus souvent de l'estomac, peut aussi provenir de l'œsophage.

Ces caractères sont intéressants à noter. Ils semblent bien prouver que la sialorrhée accompagne parfois l'hé- matémèse , mais ils n'excluent pas l'idée d une surabon- dance dans la sécrétion du mucus gastrique, et même, lorsque le sang est rendu par simple régurgitation, cela ne démontre pas péremptoirement qu'on se trouve en pré- sence d'une hémorragie de l'œsophage, laquelle nous sem- ble infiniment moins fréquente que l'hémorragie gastrique.

La quantité de liquide sanglant, nous ne disons pas de sang pur, ainsi rendue, est très variable; généralement elle ne dépasse pas quelques gorgées, un verre ou deux au maximum. Dans l'observation II, de Ferran, elle s'éleva à un litre; de même dans un cas de Bouloumié (2). Mais il faut considérer aussi qu'il s'agissait dans ces deux cas

(1) Josserand, Sur une variété d'hématémèse nerveuse (Jiémosialémèse hystérique). Lyon médical, 1893, p. 219.

(2) Bouloumié, Hystérie grave ; troubles dyspeptiques, hématémèses, coli- ques néphrétiques et hépatiques ; simulation de calculs vésicaux. Union médicale, 4 avril 1880, p. 513.

m. 21


322 TRAITÉ CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

•d'un de ces états de mal avec hématémèses portant sur une période de plusieurs jours de durée.

Lorsque ces hémorragies totales d'emblée, ou à répéti- tion, ont été abondantes, les malades tombent dans un état profond d'anémie, avec souffles vasculaires et ten- dance aux vraies syncopes que nous avons signalées. Au- trement, le paroxysme terminé, le retour à la santé est, pour ainsi dire, complet, ainsi qu'il est de règle pour les manifestations paroxystiques de l'hystérie. Aussi la mort ne semble-t-elle jamais devoir être la conséquence de ces accidents. Périsse a cependant rapporté un cas (obs. V, p. 20) dans lequel la malade succomba à des hématé- mèses persistantes (1). Mais, bien que celle-ci fût manifeste- ment hystérique, il est difficile de dire, en l'absence d'au- topsie, s'il ne s'agissait pas, d'un ulcère rond ou même de phénomènes d'anorexie secondaire, car les vomisse- ments étaient en même temps alimentaires.

La marche de ces troubles trophiques de l'estomac est très variable, de même d'ailleurs que celle de tous les paroxysmes hystériques accompagnés de manifestations de la diathèse vaso-motrice. Les hématémèses peuvent se montrer à des intervalles très inégaux : plusieurs fois la semaine ou une ou deux fois par année ; aucune règle fixe ne préside à leur évolution.

Suivant la loi bien connue que, chez le même sujet, les manifestations hystériques tendent à revêtir toujours la même forme, et étant donnée aussi la ténacité de la diathèse vaso-motrice, on ne s'étonnera pas de voir des malades, pendant des mois et des années, présenter à intervalles variables des hématémèses jusqu'au jour où un incident imprévu change le cours de la névrose et la conduit vers un autre ordre de déterminations. Il en résulte, toutefois, qu'au point de vue du pronostic, on peut considérer les hématémèses comme une manifestation tenace de l'hystérie.

(1) PÉRISSE, De l'ulcère de l'estomac et de certains accidents gastriques chez les hystériques. Th. Paris, 1876.


DE L'HYSTERIE. 323


Le diagnostic du vomissement de sang d'origine hysté- rique est très important à préciser.

Nous ne parlons pas des cas où le sang exsudé demeure dans l'estomac et où le phénomène se juge objectivement par le seul melœna. Nous savons que le sang reste bien rarement sans être expulsé dans la cavité stomacale; tout au plus des douleurs, un gonflement manifeste au creux épigastrique pourraient-ils indiquer que le sang rendu dans les garde-robes a une origine ventriculaire. Le meloma est, d'ailleurs, un phénomène des moins communs.

Lorsque le rejet du sang se fait par simple régurgita- tion , que le liquide est très dilué, on pourrait peut-être penser qu'il vient de l'œsophage ; mais nous avons dit qu'il n'existe pas d'observations probantes d'hémorragies œso- phagiennes liées à l'hystérie.

Les hémorragies hystériques de la muqueuse buccale ne sont pas fréquentes. Ferran (obs. Il) en rapporte cepen- dant un cas dans lequel elles coïncidaient d'ailleurs avec des hématémèses. « Dans la semaine qui a suivi la der- nière hématémèse , dit-il (p. 11), on remarqua une exha- lation sanguine qui se faisait de diverses parties de la muqueuse buccale sans aucune trace d'érosions ou d'ulcé- rations. »

L'inspection de l'arrière-cavité des fosses nasales mettra immédiatement sur la voie d'une épistaxis postérieure.

Dans l'hémoptysie d'origine hystérique, nous l'avons dit, le sang est rutilant, spumeux, mélangé à des bulles d'air. Au lieu d'efforts de vomissements ce sont des suffocations, de la toux, que l'on observe comme phénomènes conco- mitants.

Le diagnostic différentiel entre l'hématémèse d'origine hystérique et celle qui est liée à une affection organique de l'estomac est beaucoup plus important que les précé- dents et aussi beaucoup plus difficile à déterminer dans certains cas.


324, TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Deux hypothèses sont surtout en présence : celle d'un cancer, celle d'un ulcère rond, en tenant compte, en plus, de la coexistence possible de phénomènes hystériques et de lésions organiques.

Nous glissons rapidement sur l'hypothèse du cancer, qui ne pourrait véritablement se poser que dans les cas d'association de phénomènes hystéro-organiques. Rappe- lons cependant que, dans le cas de Basset, M. Rigal, clini- cien fort distingué, qui vit le malade, inclinait vers un rétrécissement organique du pylore, probablement d'ori- gine cancéreuse. L'intervention chirurgicale pratiquée par M. Richelot fit cesser toutes les hésitations en faveur de l'hystérie.

Pour ce qui est de l'ulcère rond, la question est beau- coup plus complexe, et afin de montrer ce que peuvent être les difficultés dans ces cas, Périsse rapporte l'observation suivante qu'il emprunte à Bercioux (1) :

Une femme de vingt ans éprouve " des alternatives de crises douloureuses qui durent de quinze jours à trois semaines, et auxquelles succèdent des périodes de calme dune durée à peu près égale. Les crises sont caractérisées par des douleurs atroces fixées à l'épigastre, s'étendant quelquefois dans tout le ventre, mais principalement dans Fhypocondre droit; des vomissements très fréquents, com- posés tantôt de matières muqueuses, glaireuses, tantôt alimentaires, et cela à des moments variables par rapport aux repas, du météorisme et de la constipation continuels. »

Pas de vomissements de sang; la malade eut une ou deux fois du melœna, mais tout à fait dans les dernières périodes de son affection.

« De plus, elle éprouve souvent différents accidents nerveux, surtout à l'époque des crises (névralgies, attaques d'hystérie). Les règles sont irrégulières depuis six mois. Cette femme a toujours été regardée comme atteinte de gastralgie et traitée dans ce sens. » On ne saurait mieux.

(1) Bercioux, Bull, de la Soc. anat., 2 e série, 185r, p. 263.


DE L'HYSTERIE. 325

décrire, il nous semble, les attaques d'hystérie à forme gastralgique.

Se trouvant beaucoup mieux, elle songeait à quitter l'hôpital, lorsque, la veille du jour fixé pour sa sortie, « elle se lève comme d'habitude, fait un repas assez copieux, mais, à partir de midi, elle présente les signes d'une péritonite par perforation et meurt le soir à neuf heures » .

A l'autopsie, on trouva, près du cardia, sur la petite courbure, la perforation d'un ulcère.

Dans le cas de Bercioux , concurremment avec le melœna, il eût pu exister des vomissements sanglants ; ce qui n'aurait fait, d'ailleurs, qu'ajouter à la difficulté du diagnostic, car pourquoi attribuer ces hématémèses plutôt à l'ulcère rond qu'à l'hystérie, qui coexistaient d'une façon évidente?

Aussi Périsse tire-t-il de son étude les conclusions sui- vantes :

« Dans certains cas, il est bien difficile de distinguer de l'ulcère simple de l'estomac les accidents gastriques qui peuvent affecter les hystériques. Cette difficulté peut s'expliquer, ou bien parce que les accidents gastriques, qui éclatent chez une femme avec les autres phénomènes de l'hystérie, reproduisent entièrement la physionomie de l'ulcère de l'estomac, ou bien encore parce que les acci- dents gastriques de nature hystérique peuvent exister seuls sans autres manifestations de la névrose. Notre dernière observation montre une hystérique en proie à des accidents gastriques qu'on pouvait attribuer à la névrose, succom- bant subitement à une péritonite par perforation produite par un ulcère de l'estomac. » Donc, « quand on se trouvera en présence dune hystérique qui présentera la série des accidents gastriques que nous connaissons, penser à l'ulcère de l'estomac et à ses conséquences possibles » .



Les recherches que nous avons faites sur la pathogénie


326 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

de l'ulcère rond (1) vont nous permettre, croyons -nous, de résoudre les embarras de M. Périsse.

Désireux d'être fixé autant que possible sur les causes réelles de cette gastrite ulcéreuse qui, depuis 1830, époque où Gruveilhier la fit entrer dans la nosologie, ont été subordonnées aux doctrines médicales qui ont régenté tour à tour la pathologie, nous nous sommes rendu dans les quatorze hôpitaux de Paris consacrés au traitement des maladies générales. Pour nous mettre en garde contre nous-méme, notre examen s'est borné aux seuls malades qui nous ont été présentés par nos collègues comme atteints d'ulcère rond. Pour 4,723 sujets, soit 2,830 hommes et 1,893 femmes, il existait 18 cas d'ulcère, soit 13 femmes et 5 hommes.

Ces malades, porteurs d'ulcères ronds, d'après un dia- gnostic qui offrait toutes garanties, ont été examinés avec le plus grand soin au point de vue de l'étiologie de cette manifestation. Or, de cet examen il est résulté qu'en bloc,, sur 18 cas, il existait 10 alcooliques et 6 hystériques.

L'hystérie entrant pour un tiers dans les cas diagnosti- qués ulcère rond par nos collègues des hôpitaux, voilà certes, disions-nous à la Société médicale, une notion étio- logique nouvelle.

Nous rappelions alors les embarras de M. Périsse devant le diagnostic à établir entre les cas d'ulcère rond « et certains accidents gastriques chez les hystériques » . Et nous poursuivions : « La raison des efforts infructueux de notre confrère, nous la trouvons aujourd'hui dans les con- clusions qui ressortent de notre enquête et aussi, ajoutons- le, d'un certain nombre de faits personnels qui, depuis deux ans déjà, nous portaient à voir, dans certains ulcères ronds avec hématémèse, une manifestation trophique de l'hystérie. L'embarras de M. Périsse n'existerait peut-être plus aujourd'hui qu'on sait la névrose capable de produire

(Ij Gilles de la TouREiTt:, L'ulcère rond de i estomac dans les hôpitaux de Paris. Statistique et pathogénie. Bull, de la Soc. méd. des hôpitaux, séance du 8 juin 1894, p. 393. — Bruchon, op. cil.


DE L'HYSTÉRIE. 32T

de l'atrophie musculaire, des ulcérations et des gangrènes de la peau.

« Mais, chez les hystériques souffrant de crises gastral- giques avec hématémèses au point que la symptomatologie de l'ulcère rond est là tout entière, existe-t-il véritable- ment une ulcération, un ulcère simple de l'estomac, une « solution de continuité sans vice ni virus » , comme le disait Cruveilhier ? Gela ne nous semble pas douteux, au moins pour un certain nombre de cas, si nous raison- nons par analogie avec ce qui se passe du côté de la peau à propos des hémorragies dites spontanées des hystéri- ques. Parfois l'hémorragie se fait par simple stillicidium à la base des poils ; par contre, dans d'autres cas, il existe de véritables ulcérations, des plaies, des stigmates, pour employer le terme consacré, qui, sous l'influence des paroxysmes convulsifs en particulier, s'ouvrent et se fer- ment et laissent couler du sang, cela pendant des mois et des azinées. Qu'on suppose pareilles manifestations du côté de l'estomac, et l'hématémèse est là pour affirmer combien l'hypothèse est plausible , une fois l'ulcération produite, le suc gastrique ne se chargera-t-il pas de la transformer en ulcère ? »

Nous communiquions, du reste, à M. Bruchon une observation (op. cit., obs. XXV, p. 62) dans laquelle, en coïncidence avec un état gastrique rappelant celui de l'ulcère rond, il existait, du côté de la peau, des poussées de pemphigus qu'on pouvait qualifier d'ulcéreux, car toutes les bulles se terminèrent par des cicatrices.

Et nous ajoutions : « Nous savons que l'hystérie est en outre susceptible de produire de nombreux troubles circu- latoires locaux, des ecchymoses spontanées en particulier, qui, s'ils siègent sur l'estomac, peuvent secondairement (toujours sous l'influence du suc gastrique) devenir le point de départ de lésions ulcéreuses.

« Du reste, cet ulcère, que nous pensons lié directement à la névrose existe si bien que — dazis l'observation déjà rapportée — M. Bercioux l'a vu produire, une fois, une


328 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

perforation de l'estomac chez une femme de vingt ans, hystérique confirmée, dont il fit l'autopsie sans attacher, du reste, d'importance aux phénomènes convulsifs observés pendant la vie. Il est même singulier de constater qu'il n'avait pas existé d'hématémèses ; ce qui rend le diagnostic singulièrement difficile entre les manifestations gastriques de l'hystérie à forme ulcéreuse et celles affectant la forme gastralgique pure.

« Objectera-t-on qu'il s'agissait, dans le cas de Bercioux, d'une coïncidence, d'une simple association morbide qui peut, à la vérité, exister, comme dans certaines observa- tions que nous publiions, où l'alcoolisme et l'hystérie se rencontraient chez le même sujet? Que deviennent alors les six cas qui forment le tiers des malades considérés comme porteurs d'ulcères ronds par nos collègues des hôpitaux, et pourquoi dénier à l'hystérie le pouvoir d'exercer sur la muqueuse de l'estomac l'influence tro- phique qu'on lui reconnaît sur le tégument cutané ?

« Dira-t-on encore que l'ulcère rond a joué un rôle pro- vocateur vis-à-vis de l'hystérie, dont il serait la cause et non l'effet? C'est l'opinion qui avait cours autrefois à propos de certaines névralgies chez les hystériques : la douleur de la névralgie elle-même, phénomène primitif, provo- quant une crise, accident secondaire. Or, nous avons démontré, pour certains phénomènes douloureux de la face en particulier, que, dans ces névralgies, tout était hystérisque et qu'on se trouvait simplement en présence d'un paroxysme à forme de névralgie faciale. » De même pour les paroxysmes à forme d'angine de poitrine ou pour les paroxysmes à forme gastralgique que nous venons d'étudier.

Enfin comme , chez les hystériques , dans les cas de coïncidence avec l'alcoolisme, par exemple, l'ulcère rond peut être indépendant de la névrose, nous ajoutions les considérations suivantes, importantes au point de vue d'un diagnostic étiologique qui restera cependant toujours très difficile dans ces cas complexes :


DE L'HYSTÉRIE. 329

« Nous sera-t-il permis de dire que les faits d'ulcère rond attribuables à l'hystérie s'accompagnent souvent d'un phénomène qui a son importance en clinique? Nous voulons parler d'une hyper -esthésie cutanée exquise de la région épigastrique et aussi, parfois, lorsqu'il existe une douleur en broche, de la région dorso-lombaire. Alors que, dans l'ulcère rond d'origine alcoolique, par exemple, la pression profonde est surtout douloureuse, dans l'ulcère rond lié à la névrose, la douleur profonde existe également, mais elle n'est pas comparable en intensité à celle que l'on provoque par le simple pincement de la peau. Ce signe peut faire défaut, mais, alors que nous ne l'avons jamais constaté lorsque l'alcoolisme était en cause, il existait, par contre, dans plusieurs de nos observations (VII, XI, XIII) où l'hystérie, de par ses multiples manifestations, était indéniable. »

Nous n'avons rien à changer aux précédentes considéra- tions que nous exposions, avons-nous dit, le 8 juin 1894, devant la Société médicale des hôpitaux, et que les faits que nous avons observés en dehors de notre enquête (thèse Bruchon) n'ont fait que corroborer. L'influence trophique de l'hystérie dans la production de l'ulcère rond nous semble incontestable, malgré les difficultés qu'il y a à différencier celui-ci des hématémèses hystériques sans ulcère ou des ulcères qui, sous l'influence de toute autre cause, peuvent exister chez les sujets en proie à l'hystérie, ou chez ceux qui sont indemnes des manifesta- tions de cette névrose.


CHAPITRE DIX-SEPTIÈME

MANIFESTATIONS DE L HYSTÉRIE SUR l'aPPAREIL DIGESTIF. INTESTIN.

Multiplicité des déterminations intestinales. — Constipation et diarrhée d'origine hystérique. — Carré de Montgeron; Briquet; Fabre; Ste- phanidès; Eybert. — Description. — Manifestations diverses.

De la tympanite ou pneumatose gastro-intestinale des hystériques. — Formes cliniques. — Tympanite passagère : météorisme simple; borbo- rygmes. — Tympanite permanente localisée ou généralisée. — Etiologie.

— Description. — Physiologie pathologique. — Coïncidence de consti- pation et de rétention d'urine. — Marche et terminaisons.

Diagnostic différentiel. Usage du chloroforme. — Forme simulant la péri- tonite aiguë généralisée ou localisée; la péritonite tuberculeuse. — Dia- gnostic avec les tumeurs ovariennes. — Spencer Wells. — Formes localisées.

Tympanite simulant l'obstruction intestinale. — La valvule iléo-cœcale peut-elle être forcée? — Analyse des observations. — Simulation.

De la grossesse nerveuse ou hystérique. — Soeur Jeanne des Anges. — Carré de Montgeron. — Description; évolution; diagnostic.

Contractures du segment inférieur de l'intestin et du sphincter de l'anus.

— Paralysie intestinale.

Paroxysme hystérique à forme de colique hépatique. — Sydenham; Pari- ser. — Diagnostic.


Nous allons nous trouver, dans l'exposé des détermina- tions de la névrose sur l'intestin, en face de difficultés ana- logues à celles que nous avons rencontrées en traitant de l'hystérie gastrique, les fonctions intestinales étant fort complexes et pouvant être touchées soit dans leur en- semble, soit dans chacun de leurs éléments en particulier.

Ces diverses manifestations n'ayant pas encore été réu- nies dans un chapitre d'ensemble, il sera libre à chacun de modifier à son gré la classification que nous avons adoptée.

Etiologiquement. c'est presque toujours de sujets du sexe féminin qu'il s'agit dans les observations, peut-être,


TRAITÉ CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE DE L'HYSTÉRIE. 331

ici encore, parce que la connaissance de l'hystérie mascu- line est de date relativement récente. D'ailleurs le dia- gnostic différentiel entre ces manifestations et certains phé- nomènes morbides ou physiologiques propres à la femme : kystes ovariens, grossesse, etc., se posant assez souvent, on comprend que l'attention ait été attirée particuliè- rement du côté du sexe féminin. Ajoutons que ces déter- minations paraissent surtout fréquentes chez les adultes.


Parmi les troubles des fonctions générales de l'intestin, la constipation est très fréquemment observée chez les hystériques; lorsqu'elle est isolée, elle n'offre guère de caractères particuliers permettant de la rattacher à l'hys- térie. D'ailleurs, elle s'associe souvent à d'autres manifes- tations gastro-intestinales : les vomissements, l'anorexie, comme nous l'avons vu; la tympanite, le spasme de l'extrémité inférieure de l'intestin, comme nous le verrons. Elle ne mérite donc pas, à proprement parler, de descrip- tion spéciale; nous continuerons, chemin faisant, à en éta- blir la séméiologie.

La diarrhée d'origine hystérique, qui revêt fréquem- ment la forme paroxystique, a des allures cliniques plus tranchées. Se montrant souvent chez des malades sujets à d'autres manifestions gastro-intestinales, elle alterne bien plutôt avec celles-ci qu'elle n'est, comme la consti- pation, sous leur dépendance directe. C'est ainsi qu'une malade, présentée par M. Charcot aux auditeurs de sa cli- nique du 21 janvier 1887, avait tantôt des crises diarrhéi- aues, tantôt des crises de vomissements.

Les observations bien nettes de diarrhée hystérique ne sont pas du reste très communes. Nous trouvons un exemple de cette détermination chez la demoiselle Coirin, dont nous avons déjà parlé (1).

« Tantôt, dit Carré de Montgeron, ce sont des vomisse- nt) Carré de Montgeron, La vérité des miracles, 7" démonstration, p. 4, édit. de Cologne, t. I, 1745.


332 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

ments qui la fatiguent et des dévoiements qui l' épuisent; tantôt c'est une hydropisie (tympanite) qui s'empare du bas-ventre, la presse et la suffoque, enfin ce sont des réten- tions d'urine qui la tourmentent et un ulcère profond (du sein) qui lui fait sentir les plus vives douleurs. »

Nous avons tenu à signaler cette observation, car la diarrhée existait là concurremment avec d'autres troubles trophiques d'origine hystérique, et il nous paraît que ce phénomène doit être mis au nombre des manifestations multiples de la diathèse vaso-motrice.

Sydenham (1) ne fait que signaler la diarrhée hystérique. « La maladie, dit-il, se jette quelquefois sur l'estomac, et alors elle produit des vomissements continuels; d'autres fois sur les intestins, et alors elle produit un cours de ventre. Mais ces deux symptômes hystériques sont sans douleur, quoique la personne rende souvent une matière verte. Ils arrivent d'ordinaire aux femmes qui ont été affaiblies par de fréquents retours de vapeurs hystériques. »

Pomme (2) a noté en ces termes les phénomènes que nous étudions : « Le paroxysme hystérique, dit-il, se montre encore communément par des coliques violentes, accom- pagnées de diarrhées et du vomissement, symptômes pleins de dangers quand ils sont mal traités. »

Les auteurs modernes sont, en général, peu explicites : «Très rarement, dit Briquet (op. cit., p. 261), l'entéral- gie (3) s'accompagne de diarrhée; cependant, on voit de temps en temps des hystériques être brusquement prises, sous l'influence d'affections morales, d'une diarrhée qui devient bientôt aussi excessive que l'était la constipation. »

Briquet note donc l'influence des affections morales, mais bien rarement, d'ailleurs, comme pour les autres ma- nifestations sur le tube digestif, on pourra remonter à la véritable cause des phénomènes que nous décrivons.

(1) Sydenham, trad. Jault, op. cit., t. II, p. 478.

(2) Pomme, Traité des affections vaporeuses, 6 e édit. , an VII, t. I, p. 23.

(3) Sous le nom d'entéralgie, Briquet décrit surtout la tympanite hysté- rique, que nous étudierons bientôt.


DE L'HYSTÉRIE. 333

A. Fabre (1), qui a bien étudié les localisations de la névrose sur l'appareil gastro-intestinal, n'est pas beaucoup plus précis que Briquet.

« Quelques hystériques, dit-il, ont de la diarrhée alternant, comme chez notre n° 6, avec des vomissements. Ce sont alors des diarrhées plus ou moins aqueuses, plus ou moins profuses. Les sécrétions du tube digestif sont, chez ces malades, abondantes mais altérées : il y a un exsudât séreux plus ou moins considérable de l'intestin, d'où la diarrhée, qui se traduit alors par des selles co- pieuses, mais non douloureuses. 11 est vraisemblable que, dans ces cas, il s'est produit une atonie du grand sympathique et que l'hystérie détermine, au moyen d'une parésie morbide, des phénomènes analogues à ceux que Pincus et Samuel ont obtenus de la section expérimen- tale du grand sympathique. »

Un peu moins de physiologie et beaucoup plus de des- cription clinique feraient bien mieux notre affaire.

L'observation publiée par Friedrich Fishel (2) ne nous semble pas concluante au point de vue de l'hystérie, bien que l'auteur commence son exposé par cette assertion, qui mériterait d'être étayée par quelques preuves : >■<■ Il est un lait bien connu, que les troubles fonctionnels du tube intestinal, dans le sens que Trousseau attache à la diarrhée nerveuse, ne doivent pas être mis au nombre des raretés chez les neurasthéniques et les hystériques. » Le fait que, chez sa malade, les crises diarrhéiques disparurent sous l'influence du port d'un pessaire n'est pas suffisant pour entraîner notre conviction, car la recherche des zones hys- térogènes et d'autres stigmates hystériques, dont il est parlé dans l'observation, resta infructueuse.

Mêmes assertions peu probantes d'Axenfeld et Hu- chard (3), qui disent : « Parmi les troubles de sécrétion,

(1) V hystérie viscérale, op. cit., p. 11.

(2) F. Fisuel, Ein Beitraq zur Kasuistik der nervosen Diarrhoen. Pra- ger medicin. Wochens., n° 47, novembre 1891, p. 545.

(3) Traité des névroses, op. cit., p. 1019.


334 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

il faut noter la diminution ou l'exagération des sucs intes- tinaux donnant lieu à la constipation ou à des diarrhées profuses, véritables débâcles avec accompagnement de concrétions muqueuses membraniformes. »

Dans sa thèse, M. Eybert (1) déplore l'absence de bons documents.

« Les troubles intestinaux dans l'hystérie, dit-il, sont signalés par de nombreux auteurs, mais ils ne sont nulle part décrits avec quelques détails. On a noté le plus sou- vent de la constipation accompagnée ou non de douleurs entéralgiques, mais toujours escortée de l'expulsion de concrétions muqueuses membraniformes qu'on a pu pren- dre pour des taenias et dont le mécanisme de formation est peu connu. La diarrhée est considérée comme rare, et quand elle survient, elle succède souvent à une constipa- tion plus ou moins prolongée. Les observations détaillées manquent; à ce point de vue, il faut s'en rapporter au dire des observateurs. »

« M. Stephanidès (2), médecin à Garlsbad, ajoute-t-il, qui a eu l'occasion de voir souvent des hystériques en- voyées aux eaux, est à peu près le seul auteur qui présente un tableau d'ensemble de la diarrhée hystérique. 11 lait intervenir dans l'explication du flux intestinal un état de spasme des muscles intestinaux, avec augmentation de la réaction des nerfs vis-à-vis des causes irritantes, une augmentation, en un mot, du péristaltisme. »

Pour ce dernier auteur, il ne s'agirait donc pas là, comme nous le pensons, — au moins pour certains cas, — de troubles trophiques. Il est vrai qu'en 1883 les troubles trophiques dans l'hystérie étaient à peu près ignorés, et que la diarrhée ne reconnaît très probablement pas une pathogénie univoque, difficile à préciser, d'ailleurs, en l'absence de toute donnée anatomo-pathologique.

(1) Eybekt, Des diarrhées névropathiques d'origine réflexe. Th. Lyon, janvier 1892, ch. iv, p. 51.

(2) Stephanidès, Zur Kentniss des Darmkatarrhes der Hysterixchen. Wiener medic. Presse, n° 32, 1883.


DE L'HYSTERIE. 335

Voici, du reste, la description que donne de la diarrhée hystérique M. Stephanidès ; nous empruntons la traduc- tion de son mémoire à M. Eybert :

« Chez les hystériques atteints de diarrhée nerveuse, il y a habituellement, avant cette diarrhée et pendant long- temps, un état dans lequel les malades accusent toutes sortes de symptômes morbides du côté du tube gastro-in- testinal ; ils ont des malaises variés, un sentiment de plé- nitude qui est augmenté par la pression, du ballonnement, des coliques accompagnées souvent, d'une façon alterna- tive, de diarrhée et de constipation ; enfin, la diarrhée devient de plus en plus régulière et constante et résiste à tous les moyens qui réussissent habituellement chez d'au- tres malades. Le besoin d'aller à la selle, revenant fréquem- ment, surprend souvent les malades d'une façon si brusque qu'ils n'ont pas le temps d'arriver à la chaise. Les selles sont liquides, peu abondantes, contiennent rarement un mucus épais. Elles surviennent habituellement sans aver- tissement, ou du moins après une impression très fugitive d'inquiétude et de gargouillement dans le bas- ventre. Elles sont souvent provoquées par une agitation psychique comme il s'en produit facilement chez les hystériques. Certaines influences nerveuses, notamment les impres- sions de tristesse ou de crainte, ont, chez la plupart des individus, une action incontestable sur les mouvements de l'intestin, si bien que la diarrhée les suit immédiate- ment. Il en est de même chez certains hystériques, pour lesquels la joie ou l'angoisse, la crainte ou l'effroi, même l'excitation génésique, sont la cause occasionnelle d'accès de diarrhée. Cette diarrhée affaiblit les malades, mais pas autant qu'on le pourrait croire, étant donnée la longue durée de l'affection. Il faut certainement voir la cause de cette particularité dans ce fait qu'on est en face, non pas d'une altération de la muqueuse intestinale, mais d'une excitabilité réflexe de l'intestin poussée à son plus haut point. En outre, les mouvements péristaltiques accrus, survenant brusquement, d'une façon spasmodique, dispa-


336 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

raissent de même et n'expulsent jamais tout le contenu de l'intestin, mais seulement une petite partie. De cette façon, plusieurs selles n'ayant pas un volume considérable n'abattent pas aussi vite le malade qu'elles le feraient dans tout autre cas.

« Dans cette affection, la thérapeutique ne peut arrêter la diarrhée que pendant un temps très limité ; la diarrhée revient toujours, si bien que les malades retournent à Carlsbad pour y être débarrassés d'une affection qui les importune depuis longtemps. Dès qu'on aura pu recon- naître la nature hystérique du catarrhe intestinal, on ne se fera pas trop illusion sur l'efficacité de la cure. Avant tout, on nourrira fortement son malade pour faire dispa- raître l'affaiblissement général, et, en outre, on lui per- mettra de boire, mais en petite quantité, les eaux les plus chaudes de Carlsbad. De cette façon, on fait disparaître au moins pour un temps la diarrhée, et les malades se sentent soulagés. Peut-être, tôt ou tard, verront-ils sur- venir l'état directement opposé, c'est-à-dire la constipa- tion la plus opiniâtre qui, chez les hystériques, est un symptôme beaucoup plus fréquent et plus persistant, si bien qu'il m'est arrivé de voir des hystériques qui, la première année, venaient chercher à Carlsbad la guérison de leur diarrhée et revenaient plus tard pour la consti- pation. »

M. Eybert donne une seule observation personnelle ayant trait à une femme de soixante-deux ans, atteinte d'hystérie convulsive, qui eut des hémoptysie, présenta les phéno- mènes du sein hystérique, des ecchymoses et de l'œdème des membres inférieurs, enfin des diarrhées qui durèrent parfois plusieurs mois. Cette observation corroborerait, on le voit, notre opinion sur la diarrhée considérée comme un trouble trophique de l'hystérie.

Deux autres cas de même ordre ont, d'ailleurs, échappé à M. Eybert. Une malade de Stepanow (1), qui avait des

(1) Voy. t. II, p. 463.


DE L'HYSTERIE. 337

hémorragies auriculaires, était également sujette à des crises diarrhéiques.

Mais le cas d'Oulmont et Touchard (1) est surtout pro- bant. Après avoir décrit l'atrophie musculaire et l'œdème de la jambe gauche qui existaient chez leur malade, âgée de quarante-cinq ans, les auteurs ajoutent : «Signalons en- core des troubles vaso-moteurs marqués d'un côté du corps, caractérisés par une sudation tellement abondante que la malade était obligée de se tenir le bras et la jambe hors du lit au moment où survenaient ces crises. Du côté de l'intestin, des diarrhées séreuses, arrivant par accès, résistant à tous les moyens thérapeutiques employés et à la diète la plus complète. » Il y avait jusqu'à quinze et vingt selles dans les vingt-quatre heures.

En résumé, la diarrhée hystérique paraît alterner sou- vent avec d'autres manifestations gastro-intestinales, les vomissements en particulier. Dans la plupart des observa- tions coexistaient des manifestations vaso-motrices : œdème, hémorragies, sein hystérique, qui semblent bien prouver que la diarrhée doit être un phénomène de même nature.

Comme elle se montre le plus souvent sous forme de crises, on retrouverait peut-être aisément, dans les symp- tômes qui l'accompagnent, les caractères d'une attaque à laquelle la diarrhée donne sa caractéristique prédomi- nante. Dans l'état actuel de la science, il nous paraît diffi- cile de donner une description précise de cette manifesta- tion de la diathèse vaso-motrice.


M. A. Fabre, après avoir noté la diarrhée, parle ainsi qu'il suit de certaines autres manifestations de l'hystérie sur l'intestin : on trouvera dans sa description quelques considérations intéressantes sur l'état de la langue chez ces malades.

(1) Oclmoxt et Touchard, Contrib a i étude des troubles trophiques dans l'hystérie, op. cit., obs. I.


338 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

« Il ne faudrait pas croire, dit-il (p. 11), que l'hystérie se borne à produire dans le tube digestif des troubles pure- ment fonctionnels. Elle y détermine parfois aussi, au moyen d'une action trophique,des altérations matérielles, des lésions de la muqueuse.

«Ces lésions, il ne m'a pas encore été donné de les constater directement, mais on peut les reconnaître par l'examen de la langue et par l'examen des matières fé- cales.

« Quand une hystérique éprouve depuis quelque temps des troubles fonctionnels dans le tube digestif, on peut observer du côté de sa langue trois états différents : tantôt la langue est complètement rouge, lisse et dépouillée de son épithélium ; on dirait la langue d'une gastro-entérite ; tantôt elle est recouverte d'un enduit saburral plus ou moins jaune et plus ou moins épais, en même temps qu'elle est légèrement rouge sur les bords ; c'est comme une langue d'embarras gastrique ; tantôt, enfin, et c'était le cas de notre n° 6 (diarrhée simple), elle présente un enduit blanchâtre de peu d'épaisseur avec des points


rouges disséminés.


« Ne croyez pas avoir affaire, dans ces cas, à des états purement accidentels provoqués par des écarts de régime et qui doivent disparaître par un traitement approprié. Ces états, je les ai observés chez des sujets dont le régime paraissait irréprochable, tandis que je ne les ai pas ren- contrés chez des hystériques dont le régime était complè- tement fantaisiste. Et puis, c'est en vain que j'ai cherché à traiter ces prétendus embarras gastriques par les éva- cuants, ces prétendues gastro-entérites par la diète lactée ; pas plus que le régime soi-disant approprié, les traite- ments qui paraissaient rationnels n'y faisaient rien ; l'alté- ration de la langue persistait un temps ordinairement assez long, parfois même indéfini, pour céder quelquefois d'une manière assez brusque et sans traitement.

« L'inappétence, l'atonie, la lenteur du travail digestif, tels sont les symptômes qui m'ont paru répondre le plus


DE L'HYSTERIE. 339

exactement à la langue d'aspect saburraL Avec la langue rouge et dépouillée, j'ai rencontré la tendance au vomis- sement et à la diarrhée, pouvant même, à certains mo- ments, revêtir un aspect cholériforme. Enfin , avec la langue revêtue d'un certain enduit blanchâtre etpointillée de rouge, j'ai plus particulièrement observé la digestion pénible et douloureuse, une prétendue dyspepsie qui était bien une gastrite ; mais, je le répète, il n'y a pas ici de relation nécessaire et régulière entre l'aspect de la langue et les troubles fonctionnels du tube digestif.

« A la partie inférieure du tube digestif, l'altération de la muqueuse s'accuse d'une autre manière. Ce qu'on appelle l'entérite pseudo-membraneuse, c'est-à-dire la desquamation épithéliale du gros intestin, résultat d'une inflammation superficielle, n'est, sans doute, pas un état particulier aux hystériques, mais, cependant, les personnes nerveuses, et surtout les hystériques, comptent pour le plus grand^nombre parmi les tributaires de cette affection : constipation, douleurs intestinales, inappétence, tels sont les principaux troubles fonctionnels qui, chez les hysté- riques, accompagnent cet état morbide : parfois aussi on observe le ténesme, qui peut encore se montrer chez les hystériques en dehors de lui.

«... Tels sont les troubles variés du tube digestif, ajoute A. Fabre, que j'ai observés chez des hystériques et que j'ai rencontrés trop fréquemment, avec des allures trop personnelles, avec une trop grande indépendance étiolo- gique et thérapeutique pour croire simplement à des affec- tions banales chez des sujets hystériques. Aujourd'hui que nous savons que l'hystérie peut envahir les diverses par- ties du système nerveux et que les affections nerveuses peuvent produire des troubles trophiques aussi bien que des troubles sensitifs et moteurs, ces faits-là ne doivent plus nous étonner, et aucune idée préconçue ne peut s'opposer à ce que nous en reconnaissions la réalité. »

Nous souscrivons complètement aux opinions formulées par A. Fabre, le seul auteur qui, jusqu'à présent, ait


340 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

étudié avec quelque soin les manifestations intestinales de l'hystérie.

Chemin faisant, nous avons vu qu'il parlait de l'entérite muco-membraneuse comme un phénomène fréquent chez les hystériques. Axenfeld et Huchard, Eybert semblent être du même avis. Est-ce encore là un trouble trophique à mettre à l'actif de l'hystérie ? La question nous semble difficile à résoudre. Il est certain que les hystériques sont sujettes à cette entérite, mais de là à rattacher directement cette manifestation à la névrose il y a encore loin, en se servant des documents que nous possédons. Tout au plus peut-on dire qu'on la rencontre fréquemment chez les per- sonnes nerveuses, les hystériques en particulier.


Aux phénomènes dus à l'exagération ou au défaut de sécrétion intestinale que nous venons d exposer, il nous faut ajouter maintenant la description de l'ensemble symptomatique, créé par la production exagérée de gaz dans l'estomac et dans l'intestin. Nous disons estomac, car, dans la majorité des cas, les gaz siègent dans toute l'étendue du tube gastro-intestinal, pouvant toutefois se limiter a l'une ou à l'autre de ses parties constituantes.

Les phénomènes que nous allons décrire sont surtout connus en France sous le nom de tympanite hystérique, bien que. comme nous l'avons dit, Briquet (op. cit., p. 260, 67yj les ait plus particulièrement désignés par le terme à 1 enter algie . La forme pure de l'entéralgie, qu'il compare à la gastralgie, se juge surtout par des coliques; mais cette forme est peu fréquente comparativement sur- tout à celle ou il existe une production exagérée de gaz ; aussi le terme de tympanite a-t-il prévalu.

En Angleterre, ces manifestations sont étudiées sous la désignation générale de spurious peritonilis, fausse périto- nite, terme dont on comprend la portée clinique sans qu'il soit besoin d'insister davantage.


DE L'HYSTERIE. 341

Nous donnerons d'abord une vue d'ensemble de la tym- panite : ensuite nous ferons l'étude des principaux types cliniques qu'elle peut revêtir et dont plusieurs sont très importants, particulièrement en ce qui regarde les erreurs de diagnostic qu'ils sont susceptibles de faire commettre. Il ne faut pas oublier, en outre, que les hystériques ne sont pas exempts des affections, autres que la névrose, capables de déterminer la formation exagérée de gaz dans l'in- testin.

Cette restriction se justifie déjà à propos de la forme atténuée et passagère de la tympanite, à laquelle, d'après Cadet (1), le nom de météorisme conviendrait davantage. Nous voulons parler de ces borborygmes qui s'observent si fréquemment chez les hystériques et aussi chez les femmes que n'a pas touchées la névrose. Nés soudaine- ment pendant les repas ou dans leur intervalle, ils dispa- raissent de même, ne constituant, en somme, par le bruit désagréable qui les révèle , qu'une manifestation plutôt ennuyeuse que véritablement incommodante.

A un degré plus élevé, ces bruits intestinaux peuvent s'accompagner de phénomènes douloureux sous forme de coliques « pendant lesquelles, dit Briquet (p. 261), le ventre se tend et se ballonne notablement. On voit des femmes hystériques ne pouvoir faire un seul repas sans que, pendant la digestion, leur abdomen prenne un déve- loppement fort gênant et sans que cette distension ne s'accompagne de bruyants borborygmes et d'éructations encore plus désagréables. Dans ces cas, le diaphragme soulevé rend la respiration courte et occasionne des pal- pitations. »

Parfois, ces phénomènes, qui, nous l'avons dit, peuvent s'observer aussi en dehors de la névrose, prennent un caractère spécial bien en rapport avec ce que nous savons des paroxysmes hystériques.

C'est ainsi que, dans une observation publiée par

(1) Cadet, Essai sur la pneumatose gastro-intestinale des hystériques. Th. Paris, 1871.


342 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

M. Lécorché (1), les borborygmes étaient rythmiques et consistaient dans une sorte de bruit de va-et-vient formé de gros raclements, parfois de gargouillements humides se succédant régulièrement de droite à gauche et de gauche à droite.

Soit après s'être ainsi essayé à plusieurs reprises sous forme de météorisme passager, soit d'emblée, le tympa- nisme tend à devenir permanent, ou au moins à ne dispa- raître qu'à intervalles éloignés pour reparaître ensuite. La véritable pneumatose hystérique est alors constituée.

\] éliologie en est obscure. Dans la très grande majorité des cas, c'est de femmes, qu'il s'agit, et le maximum de fréquence paraît être entre quinze et vingt-cinq ans, bien qu'on puisse rencontrer des exemples de tympanite beau- coup plus tard et aussi, mais plus rarement, dans un âge moins avancé. La malade de M. Moizard (2), dont nous reparlerons, n'avait que onze ans.

M. Pitres (3) a rapporté l'observation d'une femme qui, à l'âge de cinq ans, commença à avoir des crises de gas- tralgie hystérique qui duraient quelquefois quinze à vingt jours, s'accompagnant de vomissements continuels.

« A neuf ans, dit-il, elle fut placée dans un orphelinat, où elle resta jusqu'à l'âge de dix-huit ans. Durant son séjour, elle eut plusieurs fois des accidents abdominaux caractérisés surtout par un gonflement énorme du ventre. Une fois, ces accidents la retinrent au lit pendant deux mois consécutifs. Le médecin de la maison déclara alors que l'enfant avait le carreau, mais ce diagnostic était évi- demment erroné, car la maladie disparut brusquement sans laisser aucune trace. »

Retenons donc l'âge de la malade de M. Pitres, et aussi le diagnostic de tuberculose des ganglions mésentériques

(1) Lécorché, Etudes médicales, 1880, p. 540.

(2) Moizard, Un cas d'hystérie infantile. Pseudo-tumeur abdominale chez une fille de onze ans. Journ. de niéd. et dechir. prat., 10 avril 1894, p. 284.

. (3) Pitres, Leçons cliniques sur l'hystérie et l'hypnotisme, t. I, 1891, p. 194.


DE L'HYSTERIE. 343

ou carreau qui fut alors porté, à tort du reste, comme nous l'avons vu.

Les causes occasionnelles sont souvent difficiles à dé- terminer. En matière d'hystérie, nous le savons, les causes psychiques jouent un très grand rôle dans la localisation des phénomènes morbides. Aussi, tout ce qui peut, mora- lement ou physiquement, attirer l'attention de l'hysté- rique et la fixer sur les organes abdominaux est-il sus- ceptible de produire la tympanite sous ses diverses formes.

Cadet s'exprime ainsi qu'il suit à ce sujet (op. cit., p. 10) : «C'est souvent après une grossesse ou encore une fièvre grave, comme la fièvre typhoïde, ou (ce qui est plus rare) après l'emploi exagéré de drastiques, de purgatifs énergiques, que survient la tympanite. »

Puis il cite le cas d'une femme hystérique qui fit une fausse couche de trois mois . « L'avortement fut suivi d'une tension abdominale qui existait encore il y a deux mois, lorsque la malade contracta une fièvre typhoïde. La maladie suivit son cours ordinaire; mais le météorisme ne ifit que s'accroître pendant la convalescence, et aujourd'hui Je ventre est complètement tympanisé. »

Dans certaines formes, que nous décrirons spéciale- ment, c'est la crainte ou le désir exagéré d'une grossesse, la crainte d'une tumeur abdominale analogue à celle qui existe réellement chez une parente, une amie, qu'on doit •incriminer. Encore faut-il se souvenir que les hystériques, lorsqu'on n'a pas su ou pu gagner leur confiance, sont sou- vent muettes sur leurs impressions. Dans un cas de Spencer Wells (1), la pathogénie était plus directe, la malade attri- buant son affection à des coups violents « portés sur le bas-ventre et sur les cuisses, suivis de gonflement, de dou- leurs, de perte de sang et de caillots par le vagin et le rectum » .

L'étiologie, on le comprendra encore mieux ultérieure- ment, variera donc suivant les formes cliniques de la tym-

,(1) Denmu, De l'hystérie gastrique, op. cit., p. 176, obs. XXXV.


344 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

panite. Il ne faut pas oublier non plus que lapneumatose, soit temporaire, soit permanente, survient souvent à l'occasion des paroxysmes convulsifs, et que dans ces cas elle exagère singulièrement, ainsi qu'il est facile de le comprendre, l'arc de cercle et surtout la projection du ventre en avant (1).


Que le début soit subit, à la suite d'une attaque ou pendant son aura (2), qu'il soit insidieux, comme cela s'observe fréquemment aussi, la tympanite une fois instal- lée se présente sous deux formes qu'il importe de distin- guer : la forme généralisée et la forme localisée.

Point n'est besoin dune longue description de la forme généralisée, l'aspect d'un ventre tympanisé étant bien connu. L'abdomen est uniformément augmenté de volume, l'estomac et l'intestin participant, d'une façon générale, à la dilatation. Plus souvent, toutefois, que dans les autres affections qui donnent lieu à la tympanite, on observe des bosselures intestinales, la division de la tumeur en deux moitiés latérales par les droits abdominaux. Peut-être ces muscles sont-ils contractures, comme dans le cas de Moi- zard; bien plutôt, croyons-nous, la distension s'est pro- duite si rapidement dans certains cas que les muscles n'ont pu s'y prêter, à l'instar de la paroi beaucoup plus souple d'après sa constitution anatomique. C'est dans ces cas de distension soudaine et considérable — la forme permanente n'étant pas toutefois exceptée — qu'on ob- serve , lorsque la tympanite a disparu, les vergetures abdominales signalées par Ebstein (3).

Au degré maximum, tout s'efface, la paroi est unifor- mément lisse et la circonférence abdominale peut mesurer

(1) Voir Bourneville et Regnard, Iconographie photographique de la Salpêti'ière, t. I, p. 155 et passirn ; t. III, passim.

(2) Id., t. III, p. 71.

(3) Ebstein, Contribution a l'étude de la tympanite des hystériques qui affecte une évolution aiguë. An. in Archives de JSeur., 1884, p. 334.


DE L'HYSTERIE. 345

jusqu'à un mètre et plus au niveau de l'ombilic (l). L'ab- domen revêt alors une forme ovoïde à grosse extrémité tournée en bas. Lorsqu'on le palpe, la main ne peut pro- duire de dépression, repoussée qu'elle est par les anses abdominales surdistendues.

Cette palpation est souvent douloureuse, car il n'est pas rare d'observer une hyperesthésie de la paroi, géné- ralisée, dimidiée ou localisée, par exemple, aux zones ovariennes , qui à elle seule permettrait de faire le dia- gnostic de tympanite hystérique dans les cas douteux. Cette hyperesthésie, comme à son ordinaire, est beaucoup plus superficielle que profonde ; le simple frôlement arrache des cris au malade, alors que la pression large avec la paume de la main est relativement bien tolérée. Les gaz, en distendant la peau hyperesthésiée, déterminent méca- niquement des douleurs spontanées, parfois si vives que dans certains cas on a pu, comme nous le verrons, porter le diagnostic de péritonite aiguë. Dans d'autres, sur la fré- quence relative desquels il est difficile de se prononcer, la paroi est indolore, ou frappée d'hémianesthésie ou d'anesthésie en plaques.

Le ventre percuté donne un son tympanique, c'est- à-dire à tonalité claire: mais cette tonalité se modifie avec la surdistension, au point de constituer une matité véri- table. C'est un fait sur lequel insiste avec raison M. Cadet, car. dans la tympanite localisée en particulier, on pour- rait songer, pour le plus grand détriment des malades, à des tumeurs solides.

Dans son Traité de diagnostic médical, Racle dit avoir observé une jeune fille hystérique « dont l'estomac, dis- tendu outre mesure et formant une saillie qui en dessinait parfaitement les contours, donnait un son presque abso- lument mat. Le son redevenait tympanique quand la dis-

(1) Circonférence abdominale au niveau de V ombilic, 115 c; de l'appen- dice xiphoïde au bord supérieur du pubis, 43 c ; homme de trente-quatre ans, in Micuaut, Contribution à l'étude de l'hystérie chez V homme. Thèse Paris, 1890, obs. VIII, p. 74.


346 TliAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

tension était moindre » . Ce phénomène n'a, du reste, rien de particulier à la tympanite hystérique ; il résulte de lois physiques applicables aussi bien au poumon, dans l'em- physème, par exemple, qu'à l'estomac ou à l'intestin. »

Lorsque la distension de l'abdomen est portée à un cer- tain degré, il se produit des phénomènes d'ordre méca- nique. Le diaphragme, refoulé fortement en haut, met obstacle à l'expansion pulmonaire ; le malade, vu l'extrême hyperesthésie de la paroi qui existe parfois, n'ose se livrer à des efforts, et dans ces cas la mort peut survenir par Véritable asphyxie.

« La respiration, dit Cadet, devient plus difficile, le pouls est dur, fréquent, la face congestionnée : c'est l'asphyxie avec tous ses symptômes, et la mort peut en être quelquefois la terminaison. »

Et M. Deniau dit, lui aussi [op. cit., p. 169) :

« La dyspnée se change en orthopnée ; il y a des phéno- mènes asphyxiques, des douleurs intenses, et la malade peut être emportée très rapidement par les progrès de l'anhématose ou par une syncope, comme M. Huchard l'a vu pour une de ses malades. » A part cette affirmation de M. Huchard, ni M. Cadet ni M. Deniau ne donnent une observation probante de terminaison fatale due à la pneumatose des hystériques.

La vérité est que, dans les cas où la tympanite s'accentue brusquement ou se montre subitement sous l'influence d'un paroxysme, par exemple, on peut assister à un ensemble clinique assez terrifiant parfois pour inspirer des craintes qui s'effaceront, du reste, généralement à la fin de l'accès. Dans les cas graves, le chloroforme, comme nous allons le voir, serait tout indiqué pour faire disparaître la surdistension abdominale, cause mécanique de l'asphyxie.

Avant de décrire certains autres phénomènes qui for- ment le cortège ordinaire de la tympanite, il est bon de dire quelques mots du mécanisme de sa production.

Les théories n'ont pas manqué : on les trouvera longue- ment exposées dans la thèse de Cadet et dans l'article


DE L'HYSTÉRIE. 347

d'Ebstein, qui, tous les deux, font jouer un grand rôleàla contracture des fibres de l'intestin, laquelle peut agir, soit en favorisant la production des gaz, soit en les emprison- nant lorsqu'ils se sont formés.

A la contracture des fibres intestinales, on pourrait ajouter celle du diaphragme et de certains muscles de la paroi abdominale.

« Au niveau de la région épigastrique, dit Moizard, il existe une tumeur volumineuse occupant tout l'épigastre et envahissant les deux régions hypocondriaques. Cette tumeur présente une résistance assez marquée, sans fluc- tuation. En examinant la région abdominale, on est frappé immédiatement de la contraction des muscles de la paroi ; sauf le ventre supérieur des grands droits, tous les muscles sont contractures et donnent à la main une sensation de dureté ligneuse. Le ventre est rétracté dans toute son éten- due, sauf au niveau de la région épigastrique. Il semble qu'à ce niveau l'estomac et le côlon tranverse fassent hernie entre les bords antérieurs des deux muscles obli- ques, au niveau de la partie supérieure des muscles grands droits abdominaux, qui seule n'est pas contracturée. »

Il existait du hoquet « dû à un spasme du diaphragme et probablement du larynx également » .

Cette hypothèse de la contracture des fibres intestinales ou de certains muscles du tronc et de l'abdomen peut être l'expression de la réalité dans les faits de tympanite loca- lisée à l'estomac ou à une anse intestinale, par exemple; mais elle est peu plausible dans ceux, beaucoup plus fré- quents, de tympanite généralisée. Enfin elle n'explique guère la genèse subite ou lente, dans tous les cas exa- gérée, des gaz intestinaux.

Il n'est pas douteux d'abord que ce soit bien de gaz qu'il s'agisse dans la circonstance. Brodie l'avait déjà établi par l'observation hydrométrique suivante : « Si, dit-il (1), la gêne est telle que le médecin prescrive un

(1) Brodie, Leçons su?- les affections nerveuses locales, trad. fr., op. cit., .p. 37.


348 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

bain chaud, on constate, dans les cas de distension consi- dérable, ce phénomène remarquable qu'au lieu d'aller au fond du bain, la malade surnage dans l'eau. » Et s'il était besoin dune démonstration encore plus évidente, il la donnerait ainsi qu'il suit : « Si on introduit dans le rectum un tube élastique et qu'on exerce une certaine pression sur l'abdomen, on peut faire passer quelquefois les gaz à tra- vers le tube jusqu'à faire reprendre à l'abdomen ses di- mensions normales; au bout de quelques heures, néan- moins, les gaz s'accumulent de nouveau. »

Dans un cas de surdistension tympanique rapporté par par M. Cadet (obs. II, p. 28), la ponction fut faite deux fois, la première sans résultat. Lors de la seconde, l'appa- reil se remplit de gaz un peu odorants, sans que le volume de l'abdomen en fût, d'ailleurs, sensiblement diminué.

11 est donc très probable qu'il existe clans l'intestin des hystériques atteints de tympanite des gaz beaucoup plus abondants qu'à l'état normal. Toutefois, les auteurs ont depuis longtemps été frappés de ce fait que, dans certains cas, le météorisme disparaissait subitement, sans que les gaz eussent été expulsés par les voies naturelles.

« Si cette sécrétion gazeuse, dit Landouzy (1), produit chez quelques malades des vents ou des éructations con- tinuels, il en est aussi chez lesquelles le météorisme dis- paraît sans l'émission d'aucun gaz, ni par haut, ni par bas, bien qu'il ait été porté assez loin parfois pour simuler une grossesse au neuvième mois (2). »

Et Landouzy ajoute que « la cause de ce météorisme insolite est due à une modification toute morbide que su- bissent les sécrétions sous l'influence des troubles nerveux dont le trisplanchnique est lui-même affecté » .

Nous pouvons ajouter, en nous basant sur des observa- tions personnelles, que bien souvent, en effet, lors de la disparition du tympanisme, il ne se produit que des émis- sions gazeuses tout à fait insignifiantes, nullement en rap-

(1) LàNDOUZY, op. cit., p. 75.

(2) Scipiox Pinel, p. 413. • -


DE L'HYSTERIE. 349

port avec le volume des gaz qui paraissaient exister clans l'intestin. C'est un fait qui frappe beaucoup lors des pa- roxysmes, où le ventre acquiert presque subitement des dimensions très exagérées, et s'affaisse aussi presque in- stantanément à la fin de l'accès. On observe ce même phé- nomène d'affaissement subit, sans émission gazeuse, lors- qu'on chloroforme les malades atteints de pneumatose.

Que deviennent donc les gaz dans ces cas? Peut-être vaudrait-il mieux, encore une fois, se demander quel est le mécanisme intime de leur production. S'il y a produc- tion exagérée, comme cela semble probable, celle-ci est elle due à l'exhalation des gaz du sang à la surface interne de l'intestin, et ces gaz, à la fin du paroxysme, rentrent- ils dans le torrent circulatoire? Ou bien les gaz sont-ils normalement dans l'intestin à une certaine tension que maintient la tonicité intestinale, et la rupture d'équilibre, la dilatation des gaz se fait-elle par suite d'une paralysie de la tunique musculaire? L'intestin reprenant sa tonicité, le volume des gaz se réduirait à la normale. Dans cette hypothèse, il n'y aurait pas production exagérée; ce qui semble peu plausible pour les cas analogues à ceux de Bro- die, où le malade surnageait.

A la vérité, les phénomènes alternatifs de paralvsie ou de contracture des fibres musculaires de l'intestin jouent un rôle de haute importance ; mais il est difficile cepen- dant d'admettre, avec Ebstein, que, dans les cas de tym- panite aiguë qu'il décrit, l'exagération de volume soit produite par le passage dans l'intestin, par suite de l'in- suffisance temporaire de la valvule pvlorique, de l'air avalé et de l'acide carbonique qui se serait développé dans l'intérieur de l'estomac. Il nous paraît d'ailleurs prudent de ne pas chercher à trop approfondir la genèse de ces phénomènes, dont la pathogénie n'est, du reste, probable- ment pas univoque.


Cette question de la paralysie et de la contracture se


350 TRAITÉ CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

pose encore dans l'interprétation de certaines manifes- tations qui accompagnent fréquemment le tympanisme, nous avons nommé la constipation et la rétention d'urine.

Brodie {op. cit., p. 37) s'exprime en ces termes :

« Le tympanisme hystérique est toujours ;iccompagné d'une constipation plus ou moins marquée... J'ai la con- viction qu'en questionnant l'a malade à diverses reprises, vous arriverez à vous assurer que la constipation hystéri- que est de même nature que la rétention d'urine liée à la même diathèse. L'effort de la volonté n'intervient que quand les matières fécales sont accumulées en quantité considérable. »

Briquet est encore plus explicite; il admet à la fois, ce qui n'est pas compromettant, et la paralysie du corps de la vessie, et la rigidité spasmodique du col vésical jointe à la contracture du sphincter anal.

« Deux autres svmptômes, dit-il (p. 262), qui ne man- quent jamais pour peu que l'entéralgie (tympanite) ait une certaine intensité, apparaissent bientôt. Le premier est la rétention tellement complète des urines dans la vessie que les malades ne rendraient pas une goutte d'urine, si l'on n'introduisait une sonde dans la vessie. Cette rétention est le plus ordinairement sans douleur; l'introduction de la sonde elle-même ne provoque pas de sensation trop péni- ble ; il existe alors une paralysie des parois de la vessie en même temps qu'un état spasmodique du col.

« Le second accompagnement est la constipation égale- ment complète et invincible avec contraction du sphincter de l'anus et insensibilité des parois du rectum et du côlon. Les malades passeraient des semaines entières sans rendre des selles, si l'on n'employait pas les moyens propres à les provoquer, et encore n'agissent-ils ordinairement que d'une manière lente et incomplète. »

A notre avis, au moins, cette constipation et cette réten- tion d'urine sont certainement plus apparentes que réelles. Il ne faut pas oublier, en effet, que bon nombre de ma- lades atteints de tympanite présentent concurremment des


DE L'HYSTERIE, 351

phénomènes digestifs, tels que les vomissements, par exemple. De ce fait, ils ne tardent pas à tomber dans l'anorexie secondaire, qui se juge, comme on le sait, par des garde-robes et des urines très rares, de sorte que, bien qu'on ait signalé des débâcles intestinales, des alterna- tives de diarrhée et de constipation (Michaut), des réten- tions vraies dues à la contracture du sphincter, il est beaucoup plus fréquent d'observer une grande diminution dans la production des excréta. L'aménorrhée, signalée par Briquet, est un phénomène de même ordre.

On voit, d'après ce que nous venons de dire, combien il est encore difficile aujourd hui de donner une interpréta- tion physiologique des phénomènes que nous étudions.


L'évolution de la tympanite hystérique, dans sa forme dite permanente, est fort variable, car elle peut s'étendre sur des périodes de temps très différentes, se jugeant, dans un cas, par quelques semaines, dans d'autres, par des mois, voire des années. Dans ces cas prolongés, il existe presque toujours des intermittences, pendant lesquelles le ventre s'affaisse considérablement sans revenir toutefois à son état normal, comme dans la forme aiguë, ou mieux passagère.

La guérison complète est la règle, bien que Briquet estime qu'il puisse exister des cas de mort; « mais ils sont restés ignorés ou probablement méconnus » (op. cit., p. 262).

La terminaison fatale ne saurait d'ailleurs survenir, du fait de la tympanite, que lorsque le développement des gaz est assez rapide et assez intense pour produire des phénomènes asphyxiques en entravant les fonctions du diaphragme. Celui-ci, du reste, peut être contracture con- curremment avec la tympanite et gêner, de ce fait, la res- piration par un autre mécanisme.

Dans la majorité des cas, la guérison survient subite-


352 TRAITÉ CI-INIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

ment sous l'influence dune émotion ou dune de ces causes banales qui influencent si fréquemment l'évolution des déterminations hystériques. Nous avons dit que, dans un cas d'Ebstein, la distension de la paroi abdominale avait été si considérable qu'il persista, après la guérison, des cicatrices indélébiles sous forme de vergetures.


Mais, à côté du type général que nous venons de décrire, il est des formes particulières que nous ne saurions passer sous silence, étant données les erreurs de diagnostic qu'elles peuvent entraîner à commettre.

C'est d'abord la forme dans laquelle la tympanite revêt l'aspect d'une péritonite aiguë.

« L'état local est quelquefois si grave dans V aêvo-enté- rectasie hystérique, dit M. Piorry (1), que des élèves ou des médecins peu instruits ne manquent pas de prendre des cas pareils pour des péritonites. Il y a des moyens bien simples de se préserver de cette grossière erreur : c'est d'ob- server le faciès, qui reste excellent; c'est de palper le pouls, qui ne présente pas d'altérations ; c'est de questionner sur les circonstances commémoratives d'accès d'hystérie; c'est l'excessive expression de douleur que la malade montre ; ce sont les mouvements qu'elle exécute et qu'elle se don- nerait bien garde de faire, si une péritonite existait, etc. Malgré l'évidence de tels symptômes, j'ai vu plusieurs malades qui, pour en avoir été atteintes, avaient eu à sup- porter l'application de quatre-vingts sangsues sur le ventre. On se félicitait d'avoir guéri une péritonite ! »

Briquet, lui aussi, insiste sur le diagnostic entre la tympanite hystérique et la péritonite aiguë.

« Chez ces malades, dit-il (op. cit., p. 261), le ventre se tend, devient dur, tympanique, si douloureux à la pression et même au simple toucher des parois abdomi- nales, qu'on pourrait croire à la métro-péritonite la plus

(1) Piorry, Traité de diagnostic, t. II, p. 515. Cité par Landouzy.


DE L'HYSTERIE. 353

intense. » Il existe 120 à 140 pulsations à la minute, 30 à 60 inspirations, auxquelles se joignent des vomisse- ments porracés. « Sous ces influences, ajoute Briquet, les traits s'altèrent, la face se décompose, pâlit, devient livide, le nez s'effile, les yeux s'enfoncent dans l'orbite, les lèvres se sèchent, et la figure prend l'aspect hippocra- tique que peuvent offrir les malades atteints de péritonite au dernier degré.

« J'ai vu une jeune fille présentant ces accidents à un degré tel, que tous les assistants, parmi lesquels se trou- vaient des praticiens très habitués aux malades, et moi- même, pensaient qu'elle n'avait plus vingt-quatre heures à vivre, si l'on ne parvenait point, par un moyen quelcon- que, à entraver les accidents, hasard que la malade a eu le bonheur de voir se réaliser. »

Bristowe (1) a publié deux cas de tympanite hystérique. Dans l'un, on pouvait croire à une péritonite localisée accompagnant une typhlite; dans l'autre, de même que dans l'observation XXX de la thèse de Deniau [op. cit., p. 174), on pensa à la péritonite aiguë généralisée.

Dans le même ordre d'idées, nous signalerons les obser- vations de Porcher (2), de Gramshaw (3) et de Dauchez(4).

L'absence de fièvre, jointe à la connaissance des commé- moratifs, serait le meilleur élément du diagnostic. Mais la fièvre hystérique semble réellement exister; de plus, il peut y avoir coexistence d'un embarras gastrique fébrile. Que penser, en effet, du cas de Cadet (op. cit., obs. II, p. 29), dans lequel il est dit : « Il y a de la fièvre depuis huit jours. La langue est légèrement blanchâtre ; il y a aussi de l'inappétence et une soif continuelle » ?

(1) Bristowe, On pseudo peritonilis and epilepsy in hysteria. Brit. med. Journ., 22fév. 1890, p. 401.

(2) Porcher, Hysteria simulating acute peritonilis. Annalist. New- York, 1848-1849, t. III, p. 12.

(3) Gramshaw, Hysteria simulating peritonitis. Med. Times and Gasette, nouv. série, t. VI, p. 199. Londres, 1853.

(4) Dauchez, Accidents péritonéaux revenant périodiquement chez une hystérique ; guérison. France médic, 1882, t. I, p. 890.

m. 23


354 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Il est, croyons-nous, inutile de nous appesantir davantage sur les éléments de ce diagnostic différentiel, étant donné que nous possédons un procédé qui permet de résoudre immédiatement le problème ; nous voulons parler de la chloroformisation , sur laquelle nombre d'auteurs mo- dernes, Spencer Wells, en particulier, ont beaucoup insisté. Lorsque le sujet est profondément endormi, on voit le ventre s'aplatir, devenir souple : les gaz semblent ne plus exister. Que sont-ils devenus, la malade n'en rendant ni par la bouche ni par l'anus? Aussitôt qu'on cesse la chlo- roformisation, que le sommeil devient moins profond, la distension reparaît et est complète avant même que le sujet soit complètement réveillé. De pareils phénomènes sont véritablement propres à l'hystérie.


La tympanite hystérique peut être confondue avec des péritonites chroniques, en particulier avec la péritonite tuberculeuse.

Nous avons déjà parlé du cas de M. Pitres, où, chez une fillette hystérique, on porta le diagnostic de carreau ou de tuberculose des ganglions mésentériques. A l'âge adulte, les phénomènes de tympanite se reproduisirent, et on put un instant songer à la péritonite tuberculeuse, hypothèse que fit éliminer un examen minutieux de la malade, joint à la coexistence de stigmates hystériques.

M. Deniau {op. cit., p. 179) a publié, dans sa thèse, un cas de Jenner susceptible de la même interprétation.

Dans un récent article du Traité de médecine (1), M. Gourtois-Suffit, traitant de la péritonite tuberculeuse, s'exprime ainsi au chapitre du diagnostic :

« L'embarras peut être extrême dans d'autres cas. Lors- qu il n'existe aucun symptôme thoracique appréciable, on peut hésiter avec des manifestations abdominales présen-

(1) Traité de médecine publié sous la direction de MM. Charcot, Bou- chard et Brissaud, t. III, 1892, p. 653.


DE L'HYSTERIE. 355

tées parles névropathes et surtout les hystériques. L'hys- térie, la grande simulatrice de toutes les affections orga- niques du système nerveux, peut aussi prendre le masque de presque toutes les affections viscérales, et, en particu- lier, celui de la péritonite tuberculeuse. Nous avons observé, à l'hôpital Cochin, dans le service de M. Dujardin- Beaumetz, un malade qui présentait tous les symptômes abdominaux de la péritonite tuberculeuse , à ce point que, dans un hôpital de province où il avait séjourné quel- que temps , on avait décidé d'intervenir chirurgicalement. Ce n'est qu'au moment de l'opération que tous les symp- tômes disparurent, en particulier le météorisme, et que l'on reconnut qu'il s'agissait de phénomènes nerveux. Chez les jeunes femmes, il importe de se méfier de cette erreur et de rechercher minutieusement tous les stigmates de la névrose. »

On remarquera qu'il s'agissait d'un homme et que les manifestations gastro-intestinales sont relativement rares dans le sexe masculin.

Nous avons pu nous-même, chez une jeune fille de dix- huit ans, affirmer l'existence d'une tympanite hystérique, alors qu'on croyait à une péritonite tuberculeuse. Ce der- nier diagnostic semblait corroboré par des hémoptysies qui n'étaient autres que des hémorragies hystériques.


Sans sortir des cas de tympanite généralisée , ou au moins comme intermédiaire entre ceux dans lesquels la pneumatose est partielle , le diagnostic différentiel se posera souvent en clinique avec les tumeurs ovariennes. Cela peut sembler bizarre au premier abord , étant donné que ces tumeurs sont mates et fluctuantes; mais pour la matité il suffit de se rappeler que la submatité par surdis- tension n'est pas rare dans la pneumatose d'origine ner- veuse, et qu'une sensation de fausse fluctuation est capable de donner le change même à des personnes très exercées.


356 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

La nécessité de ce diagnostic différentiel n'avait pas échappé à la sagacité de Brodie (op. cit., p. 35).

« Le tympanisme, dit-il, est un symptôme assez com- mun chez les jeunes femmes hystériques, et quand il est très développé, il peut faire croire à une hydropisie ova- rienne. La plupart des cas dhydropisie ovarienne guéris au moyen de l'iode ou d'autres médicaments doivent pro- bablement être rattachés à cette cause. Pourtant le dia- gnostic entre ces deux affections n'est pas difficile; l'absence de liquide est reconnue par le manque de fluc- tuation, et, d'autre part, le son qu'on obtient par la per- cussion indique nettement la cause de la distension. »

Dans ces derniers temps , Spencer Wells est revenu sur cette question et l'a discutée à différentes reprises, avec sa grande autorité (1), beaucoup plus complètement encore que Lawson Tait (2), qui s'en est également occupé.

Vu l'importance du sujet, nous croyons intéressant de reproduire les passages suivants de Spencer Wells, con- cernant le diagnostic de la tympanite, et de ce qu'il appelle les « tumeurs fantômes » de l'ovaire et de l'utérus, avec les tumeurs ovariennes vraies. Ces citations ne paraîtront pas un hors-d' œuvre, tirées d'un praticien de cette valeur, aujourd'hui surtout qu'on est si porté à intervenir chirur- gicalement sur la matrice et ses annexes.

« Il est facile de comprendre, dit Spencer Wells (3), que la distension tympanique de l'abdomen, si fréquente chez les hystériques, puisse causer quelque embarras. Cependant , malgré mon observation personnelle et le témoignage d'hommes tels que Bright, Simpson, Boinet, on a de la peine à croire qu'un chirurgien, possédant quel- que expérience et jouissant de la plénitude de sa raison,

(1) Spencer Wells, Lectures on diagnosis and surgical treatment of abdominal tumours. Lecl. II. British med. Journal, 22 juin 1878, p. 885. ld., Des tumeurs de V ovaire et de l'utérus; leur diagnostic et leur traite- ment, trad. P. Rouet, 1883.

(2) Lawson Tait, Traité des maladies des ovaires, trad. Ollivier, 1886,. p. 266 et suiv.

(3) Sp. Wells, op. cit., trad. P. Rodet, p. 117 et suiv.


DE L'HYSTERIE. 357

s'abuse au point de se croire en présence d'une tumeur solide de l'ovaire et de tenter l'ovariotomie. Simpson dit que cela est arrivé au moins six fois, et Bright rapporte le cas suivant dans son ouvrage sur les tumeurs abdomi- nales... »

Il s'agit d'une femme de trente ans, chez laquelle on avait porté le diagnostic de tumeur de l'ovaire, alors qu'il s'agissait en réalité d'une tympanite hystérique.

« Ces distensions abdominales de nature hystérique, continue S. Wells, se présentent sous beaucoup de formes. Quelquefois le ventre est uniformément gonflé comme à une époque avancée de la grossesse, il est arrondi, dur, résistant. La pression de la main est sans effet, et les changements de position n'en modifient en rien la forme. Mais il n'y a évidemment pas de fluctuation; la sonorité existe partout; il y a des manifestations hystériques, et, sous l'influence du chloroforme, le gonflement disparaît complètement, l'abdomen devient flasque et permet à la main d'explorer le corps des vertèbres. Dans d'autres cas, la distension est locale, et l'on a remarqué qu'elle sur- venait plus fréquemment à droite, Des portions de la paroi abdominale sont pelotonnées en petites masses rigides qui persistent assez longtemps pour simuler une tumeur interne, surtout lorsqu'elles sont placées sur un amas de scybales et qu'il y a augmentation de la sensibilité à cet endroit. Une observation attentive, une palpation méthodique, aidées de l'administration de purgatifs et du chloroforme, permettront, en général, de résoudre la question, et même quelquefois feront découvrir l'existence d'une tumeur ovarienne au début, qui avait passé jus- qu'alors inaperçue et dont la présence avait été le point de départ de manifestations hystériques, entre autres, la tympanite, qui semblait être le symptôme principal contre lequel on devait diriger le traitement. »

Parlant d'un cas qu'il a observé personnellement, il ajoute qu'il peut y avoir similitude d'aspects entre la tympanite hystérique et une tumeur utérine ou ovarienne :


358 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

« La voussure antérieure de la partie inférieure de l'ab- domen, dit-il, est la même que dans le cas de tumeur ovarienne de moyenne dimension, quand la paroi abdo- minale n'est pas flasque, ou bien que dans la grossesse. La paroi abdominale est tellement tendue, la malade résiste tellement à la pression, qui est douloureuse, et les muscles abdominaux se contractent dune façon tellement spasmodique et irrégulière, que l'on se figure très facile- ment qu'il y a une tumeur ou que l'on sent les mouvements d'un fœtus. »

Dans le cas particulier auquel Spencer Wells fait allu- sion, il fut très difficile de persuader à la malade qu'elle n'avait pas de tumeur ovarienne. Toutefois, la sonorité tympanique et la disparition de la tumeur sous le chloro- forme, sa réapparition, avant que la malade fût complète- ment réveillée, ne laissèrent aucun doute au chirurgien sur la nature de l'affection.

« Dans un autre cas, la paroi abdominale avait subi une telle distension que l'on crut à l'existence d'un double kvste ovarien. Les muscles droits formaient une séparation très réelle entre ces deux saillies. La prétendue tumeur semblait parfaitement limitée, mais, sous le chloroforme, le ventre reprit sa forme naturelle. »

Le diagnostic devient surtout très difficile quand, avec la tympanite hystérique, coexistent des tumeurs ovariennes ou utérines qui, dans la circonstance, ont joué le rôle d'agents provocateurs de cette localisation de la névrose. « Eu 1872, on envoya à Samaritan-hospital une femme que Ion croyait atteinte d'une tumeur ovarienne volumi- neuse. La résonnance tympanique, jointe à l'absence de fluctuation, excluait l'idée d'une tumeur abdominale volu- mineuse, mais la palpation faisait reconnaître au-dessus du pubis un corps dur qui fit pratiquer le toucher vaginal, et l'on reconnut une grossesse au début. Sous le chloroforme, labdomen s'aplatit et l'on put délimiter exactement l'utérus hypertrophié. C'est le seul cas où j'aie observé, dit S. Wells, de la tympanite chez une femme enceinte.


DE L'HYSTERIE. 359

Je l'ai constatée plusieurs fois dans des cas de petits fibromes et de polypes utérins, de déviations de la matrice et de petites tumeurs ovariennes encore situées dans le bassin. »

Spencer Wells n'a rencontré qu'une fois la tympanite chez l'homme ; encore n'est-il pas sûr qu'il s'agissait d'une pneumatose d'origine hystérique.


M. Deniau a, dans sa thèse, rapporté plusieurs observa- tions (1), empruntées aux auteurs anglais, de ces tumeurs fantômes, observations intéressantes, surtout en ce sens qu'il s'agissait de pneumatoses localisées et non géné- ralisées comme celles que nous venons de décrire.

Dans le premier cas emprunté à Spencer Wells (obser- vât. XXXV de Deniau), la tympanite, de même que dans une observation de Carter (obs. XXXIX de Deniau), était apparue à la suite de coups portés sur l'abdomen. « Les fausses côtes, dit-il, sont en retrait; une saillie, qui dessine l'arc du colon ascendant et du colon transverse, commence près de la symphyse et se recourbe à quatre doigts au- dessus de l'ombilic, en avant du plan des muscles droits de l'abdomen. La pression sur ces saillies est très doulou- reuse, et même le plus léger frôlement dans un point quelconque. » Ce sont là de ces hyperesthésies cutanées si spéciales à l'hystérie. La malade venait pour se faire opérer d'une tumeur ovarienne que l'anesthésie chlorofor- mique fit disparaître au grand ébahissement de plusieurs assistants.

Dans un cas déjà cité de Jenner (obs. XXXVII de De- niau), on songea, vu la coexistence d'hémoptysies, à de la tuberculose péritonéale. La tumeur, que le chloroforme fit également évanouir, occupait tantôt le flanc droit et tantôt le flanc gauche.

(1) Nous nous contenterons de citer, d'après M. Deniau, le nom des auteurs de ces observations. Il nous a été impossible de remonter aux sour- ces, vu l'inexactitude des indications bibliographiques.


360 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Dans un autre cas d'Haberson (obs. XL de Deniau), la tympanite simulait une tumeur de l'estomac.

Dans ces faits de tumeur localisée, la limitation semble liée assez fréquemment à un état de contracture des muscles de la paroi abdominale, des muscles droits, en particulier, comme dans le cas de Carter, par exemple. On peut penser aussi qu'il existe des contractures limitées de la paroi musculaire de l'intestin.

Ces contractures sont notées dans une observation fort intéressante de Potain (1). La malade présentait une tumé- faction globuleuse qui occupait l'hypocondre droit et l'épigastre, refoulant les fausses côtes et surtout la paroi abdominale. Toute cette région proéminente, ferme et ten- due, était le siège d'une assez vive sensibilité et d'une légère matité ; le foie, d'ailleurs, était réellement abaissé par la contracture du diaphragme. Le médecin traitant pensait à un kyste hydatique de cet organe et pratiqua deux ponc- tions à blanc. La malade entra dans le service de M. Potain, qui, se basant sur l'hyperesthésie tégumentaire, fit la chlo- roformisation et démontra alors sans peine qu'il s'agissait d'une tumeur fantôme hystérique. Il y avait coïncidence d'une coxalgie de même nature.


Nous allons maintenant envisager toute une série de cas particuliers où la tympanite hystérique simule l'obs- truction intestinale avec ou sans vomissements fécaloïdes et s'accompagne parfois du rejet de matières parfaitement moulées. A la vérité, les faits que nous allons exposer, s'ils rentrent par certains côtés dans la tympanite, s'en éloignent considérablement par d'autres, en ce sens que fréquemment il n'existe pas de pneumatose à proprement parler.

(1) Potain, De quelques contractures qui peuvent simuler la présence d'une tumeur abdominale (tympanite hystérique avec contracture des parois abdominales et delà région lombaire). France médicale, 1879.


DE L'HYSTERIE. 361

Dans un premier groupe de faits, les malades sujets à cette constipation opiniâtre qui est l'apanage de la tympa- nite hystérique voient apparaître, dans un point limité de l'abdomen, une tuméfaction qui s'accompagne bientôt de douleurs et de vomissements.

Un cas, rapporté par Schlesinger(l), est tout à fait carac- téristique au point de vue du diagnostic à établir avec l'étranglement herniaire. Une femme de trente-sept ans présentait une tumeur irréductible de la région inguinale gauche avec un ensemble de signes tels, que le chirurgien proposa l'opération. Sous le chloroforme, la tumeur se réduisit sans difficultés. On donna un purgatif, mais les signes d'étranglement persistant, on se disposait à pratiquer la laparotomie, quand tous les phénomènes disparurent. Quelques semaines plus tard, survint de l'œsophagisme.

Dans un second groupe, les vomissements fécaloïdes dominent la' scène morbide, de même que l'expulsion par la bouche de matières moulées, la tympanite étant réléguée tout à fait au deuxième plan, si tant est même qu'elle existe.

Peut-être les vomissements fécaloïdes avaient-ils été déjà notés par Sydenham (2).

« Le symptôme hystérique, dit-il, qui ressemble exté- rieurement à la colique bilieuse, ou même à la passion iliaque, et qui consiste dans une douleur insupportable aux environs de la fossette du cœur, avec un vomissement affreux de matière verdàtre , dépend pareillement du désordre des esprits... »

La question intéressante qui se pose surtout est celle de savoir si la valvule de Bauhin peut être forcée sous l'in- fluence d'une détermination intestinale de l'hystérie.

Jeanne Fourcroy, dont nous avons déjà parlé à propos du pied bot hystérique, s'exprime en ces termes (3) :

(1) Schlesinger, Ein merkwùrdiger Fall von Hystérie. Wien. med. Presse, n° 8, p. 293.

(2) Sydenham, trad. Jault, t. II, p. 483.

(3) Carre de Moxtgeron, La vérité des miracles, t. II, 3 e dém., p. 2.


362 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

« En 1716, à l'âge de dix ans, je fus attaquée d'un si grand mal de poitrine et d'estomach, que je crachois le sang et vomissois quelquefois jusqu'aux matières fécales... »

L'affirmation est précise, mais la description est som- maire. Il n'en est pas de même dans le fait suivant, relaté par Briquet {op. cit., p. 315, XLVP obs.) :

« Quelques personnes (I), dit-il, mettent en doute la possibilité que des lavements franchissent la valvule iléo- cœcale et puissent être rendus parla bouche : elles aiment mieux supposer que les faits rapportés dans les auteurs ont été mal observés.

« Il est cependant possible de comprendre que, par le fait de mouvements antipéristaltiques qui ne font aucun doute pour personne, des contractions irrégulières s'éta- blissent, que ces contractions portent sur les fibres muscu- laires des deux lèvres de la valvule de Bauhin et qu'elles maintiennent de cette manière une ouverture béante sus- ceptible d'être traversée par des liquides venus du gros intestin. Quelle que soit l'explication, les lavements peu- vent être vomis, et le fait que je viens de rapporter est destiné à le prouver. »

Suit alors l'observation d'une femme de vingt-sept ans, hystérique confirmée, entrée à l'hôpital pour des phéno- mènes léthargiques. Pour combattre cet état, on lui pres- crivit du café; mais, comme elle vomissait l'infusion aus- sitôt celle-ci avalée, on la lui administra en lavements.

« Ce lavement, pris avec une extrême répugnance, causa bientôt beaucoup de malaises, dès coliques, des gargouillements, des nausées, puis des efforts pour vomir, et, au bout d'une demi-heure, ces efforts expulsèrent par la bouche un liquide qui avait la couleur et l'odeur très prononcées du café ; la malade prétendit qu'il en avait la saveur. La quantité de liquide vomie pouvait être évaluée

(1) Briquet fait probablement allusion, dans la circonstance, à la discus- sion de ces cas par Grisolle, qui n'admettait pas que de semblables faits pussent se produire. Traité de pathologie interne, 9 e édition, 1879, t. II, p. 356.


DE L'HYSTERIE. 363

au tiers de la quantité qui avait été administrée en lave- ment. »

Étonné, à juste titre, de ces phénomènes, Briquet fit renouveler l'expérience en sa présence ; quinze minutes après son administration, le lavement de café était vomi.

« Pour lever tous les doutes, on a pris, dit-il, une sub- stance qui n'entre pas dans les usages économiques : on a donné un lavement avec de la teinture de tournesol à l'instant même où ce liquide arrivait de la pharmacie. Il n'était jamais entré de cette substance dans la salle ; la malade croyait prendre du café ; douze minutes au plus après la prise du lavement, la teinture de tournesol était vomie et sa couleur bleue tournait à un rouge qui, d'abord pâle, est devenu très vif.

« Enfin, on administra un lavement d'eau salée, et un quart d'heure après la malade vomit un liquide très salé qui, traité par le nitrate d'argent, donna un précipité blanc très abondant de chlorure d'argent. »

Voilà un premier fait qui semble indiscutable. M. Jac- coud(l) en a rapporté un second qui, lui aussi, présente toutes les garanties contre la simulation.

En 1867 il reçut, dans son service de l'hôpital Saint- Antoine, « une jeune femme atteinte d'hystérie convulsive; au bout d'une quinzaine de jours, cette malade fut prise de constipation complète et, sans météorisme notable, elle se mit à vomir des matières stercorales, non pas les matières fécaloïdes de l'occlusion ordinaire, mais de véri- tables excréments condensés, solides, cylindriques, de couleur brune, d'odeur normale : il suffisait d'un coup d'œil pour être certain qu'ils provenaient du gros intestin. Connaissant l'esprit de supercherie des hvstériques, sachant d'autre part que la physiologie n'admet pas le renverse- ment de la valvule de Bauhin, j'établis, dit-il, autour de la malade une surveillance occulte ; mais il fallut se rendre à l'évidence, d'autant mieux que, le troisième ou le qua-

(1) Jaccoud, Traité de pathologie interne, t. II, 3 e . édit., 1873, p. 361.




364 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

trième jour, un de ces vomissements eut lieu devant nous, le matin à la visite : les matières étaient semblables à celles des jours précédents ; c'étaient des excréments purs et, pour tout dire en un mot, c'était une défécation par la bouche. Je m'attendais à voir survenir l'état grave de l'occlusion intestinale ; il n'en fut rien : ces vomissements survenaient une fois, deux fois au plus en vingt-quatre heures, et, sauf le dégoût passager qui les suivait, l'état de la malade était satisfaisant. Elle mangeait comme d'habi- tude, les digestions étaient bonnes et, pendant la durée de cette singulière attaque, elle n'eut pas un seul accès convulsif. Le huitième jour mit fin à cette défécation buc- cale ; les matières reprirent leur cours naturel. Dix jours plus tard, cette malade est prise de fièvre typhoïde grave ; elle succombe dans le troisième septénaire et, à l'autopsie, nous trouvons les lésions ordinaires du typhus abdominal, mais rien, absolument rien, qui puisse expliquer le ren- versement du cours des matières. La valvule iléo-cœcale avait ses dimensions et sa position ordinaires. »

Dans sa thèse, Fouquet (1) rapporte une observation fort intéressante de ces phénomènes singuliers qui revê- tirent le caractère d'un étranglement intestinal des plus subits et des mieux caractérisés.

Une jeune fille de vingt-sept ans, habituellement con- stipée , appartenant à une famille nerveuse, mais sans attaques actuelles d'hystérie, est prise subitement, « dans la rue, de violentes coliques. On la reçoit chez une frui- tière... Les douleurs augmentent, elle pousse des cris plaintifs. » Surviennent des nausées accompagnées d'une anxiété extrême, de sueur froide, puis apparaissent des vomissements. « Elle rejette d'abord des aliments; de nouvelles nausées amènent de la bile, et, après plusieurs efforts infructueux, elle vomit des excréments durs, d'un vert noirâtre, mêlés à une matière liquide de couleur beau- coup plus claire. Ces matières répandent une odeur infecte

(1) Etude clinique sur quelques spasmes d'origine hystérique. Th. Paris, 1880, obs. IV, p. 28.


DE L'HYSTÉRIE. 365

caractéristique. Elle est alors reconduite chez elle, où sa mère, informée de ce qui était arrivé, nous dit que les mêmes accidents se sont produits il y a trois mois dans des circonstances analogues. » Six semaines plus tard sur- venaient des attaques d'hystérie ; la malade mourut un an après de tuberculose pulmonaire.

Fouquet, comparant entre eux les trois cas précédents, estime que, pour le sien propre, la simulation dont nous allons parler ne saurait entrer en ligne de compte. Il attribue au spasme de l'intestin le rejet des matières so- lides ou liquides venues de l'extrémité inférieure du tube digestif. Dans ces trois cas il n'y avait pas de météorisme ; ce qui permet d'éliminer le diagnostic d'étranglement intestinal vrai, dans lequel celui-ci existe presque toujours dès le début de l'obstruction.

Dans son article Hystérie du Ziemmsens Handbuch, M. Jolly consacre quelques lignes à une malade qui, envoyée chez Leyden avec le diagnostic d'iléus, passa ensuite dans sa clinique. « Cette malade vomissait des fèces parfaitement formées et semblait ne pas aller à la garde-robe. Pendant qu'on faisait son lit, alors qu'elle était au bain, on trouva des matières fécales enveloppées dans du papier. » Jolly considère ce cas comme un exemple de simulation.

Rosenstein (1) a observé un enfant de neuf ans qui, après des attaques convulsives avec arc de cercle, vomissait des matières fécales mesurant jusqu'à dix-huit centimètres de longueur ; il y avait en même temps des selles normales par le rectum.

Dans un travail intéressant, M. Pasquale de Tullio (2) a rapporté deux faits fort scrupuleusement observés.

Le premier a trait à une femme de vingt-neuf ans, très impressionnable, sujette à des accès à aura ovarienne et,

(1) Rosenstein, Eine Beobatchung von anfallxveisen Kothbrechen. Berl. klin. Woch., n° 34, 1882.

(2) P. de Tullio, Fenomeno cVinvertita peristalsi in donne isterische. Giorn. di Neurop., anno VI, fasc. IV, juillet-août 1888, p. 270.


386 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

en rapport avec les attaques, à des vomissements répétés accompagnés dune diminution de la sécrétion urinaire. L'alimentation devenant insuffisante, l'auteur fit préparer un lavement de deux litres d'eau de savon, lequel fut administré aussitôt après les vomissements qui venaient, comme à l'habitude, de déterminer une attaque.

« Un quart d'heure après l'administration du lavement, la malade se mit à se plaindre d'embarras à l'estomac ; puis survint, la minute suivante, un vomissement de deux litres du liquide que j'avais introduit par lavement et dans lequel je reconnus l'eau savonneuse. »

M. de Tullio a parfaitement noté l'existence du spasme abdominal et ses rapports avec le paroxysme convulsif, saisissant, pour ainsi dire, sur le vif le mécanisme des phénomènes que nous étudions. « Au moment, dit-il, des plus grandes souffrances, quand les douleurs abdominales étaient extraordinairement violentes, précédant ainsi habi- tuellement une attaque convulsive, on pouvait noter exté- rieurement, en considérant 1 abdomen, les mouvements de l'intestin, de très grande importance dans l'espèce. Partis de l'S iliaque, ils gagnaient peu à peu le colon des- cendant, transverse, ascendant, tout le paquet intestinal, pour fermer, comme par un étranglement, la région pylo- rique. Il était curieux de voir se former dans cette région une tumeur toujours grossissante jusqu'au moment où, la valvule pylorique étant forcée, le vomissement avait lieu. Ces mouvements s'accentuaient rapidement lorsqu'on donnait un lavement et cessaient quand il était vomi ; alors les intestins recouvraient leur calme, qui était relatif, toutefois, car le mouvement peu accentué était continuel. » La malade n'eut jamais de vomissements fécaloïdes ; elle guérit après un certain temps, sous l'influence d'une crise déconvulsive à prédominance tonique.

Le second cas se rapporte à une femme de chambre de quinze ans chez laquelle , après une fièvre de quelques jours de durée, sur la nature de laquelle l'auteur ne s'ex- plique pas, survint de la tympanite douloureuse avec




DE L'HYSÏKRIE. 367

constipation et diminution des urines. « On lui donna un lavement d'huile, sans bénéfice du reste ; mais, chaque fois qu'elle prenait ce lavement, elle avait un vomissement de fèces moulées et dures. » A partir de ce moment, elle eut des crises hystériques qui s'accompagnèrent d'une forte tympanite. Les plus grandes précautions furent prises pour éviter la simulation.

Résumant ces deux faits, l'auteur se demande comment on peut les interpréter et ne trouve d'autre explication que l'inversion peristaltique (inverlita peristalsi) des contrac- tions intestinales.

M. Desnos (1) a publié l'observation d'un hystérique mâle qui, soit dans l'intervalle des attaques, soit à l'occa- sion du paroxysme, vomissait des matières fécales parfai- tement moulées.

« Pendant les heures qui précédaient l'évacuation, le bas-ventre était dur, tendu, augmenté de volume et pré- sentait, même dans ses régions inférieures, une matité qui disparaissait après la défécation, en même temps que l'ab- domen diminuait de volume. »

Signalons encore un cas rapporté par M. André (2). Il s'agit d'un homme de trente-cinq ans qui souffrait de crises douloureuses intestinales avec formation de fausses tumeurs gazeuses sur tout le pourtour de l'intestin. Pendant ces crises, le malade eut deux fois des vomissements féca- loïdes. Phénomène particulier : la peau prit une teinte bronzée, analogue à celle de la maladie d'Addison, qui dis- parut d'ailleurs. Se basant sur la présence de quelques stigmates, M. André conclut: « Après avoir émis des hypo- thèses variées, carcinome de l'estomac, cirrhose au début, maladie d'Addison, etc., j'ai adopté finalement le diagnos- tic de névrose intestinale d'origine hystérique. Je rappel- lerai que, dans deux circonstances, le malade a présenté de

(1) Desnos, Su?- un cas de défécation buccale. Soc. méd. des hop., 27 no- vembre 1891.

(2) André, Les névroses de l'intestin. Gazette hebd., 17 déc. 1892, n° 51, p. 603, obs. IV.


368 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

véritables symptômes d'iléus nerveux. » Cette observation est peu concluante, de même du reste que celle dont M. André la fait suivre et que nous ne faisons que signaler.

Il n'en est pas ainsi du fait rapporté par Bryant (1), de New-York, qui va nous montrer où peuvent conduire une erreur de diagnostic et aussi cette idée de la simulation qui, en matière d'hystérie, hante encore tant de bons esprits.

Il s'agit d'une femme de vingt-deux ans qui, avant son admission à Bellevue-hospital, avait déjà subi trois fois la laparotomie pour des accidents douloureux de l'intestin, s'accompagnant de vomissements et de selles sanglantes qu'on ne peut guère attribuer, dans ce cas, qu'à l'hystérie. Comme elle vomissait les lavements alimentaires qu'on lui donnait contre ces vomissements incoercibles, on pensa qu'elle souffrait soit d'une obstruction intestinale, soit d'une communication fistuleuse entre le gros intestin et l'estomac. Envisageant cette dernière hypothèse, le docteur Bryant fit la laparotomie et, ne trouvant pas la communication qu'il cherchait en inspectant extérieurement les organes, il n'hé- sita pas à faire une incision de deux pouces de longueur sur la surface antérieure de l'estomac, vers son extrémité pylo- rique. Puis il injecta une solution de pyoktanine qui resta dans l'intestin, l'orifice pylorique étant obturé avec le doigt. Il n'existait donc pas de communication anormale. Dans ces conditions on referma l'abdomen après suture de l'estomac, et les choses se passèrent pour le mieux... sauf une fistule stercorale qui s'établit en un point du colon transverse, où toutes ces manœuvres avaient probablement déterminé une déchirure. Peu de temps après, attaques d'hystérie caractéristiques suivies ou accompagnées de douleurs abdominales, de vomissements de matières fécales. La malade n'en fut pas moins traitée de simula- trice par suite de certaines considérations qu'il serait trop long d'exposer et qui, au point de vue de la supercherie,

(1) Bryant, Report of the fourth laparotomy on a hyslerical patient. Médical Record, 24 décembre 1892, p. 276.


DE L'HYSTERIE. 369

sont bien loin d'entraîner notre conviction. La tempé- rature, en particulier, qui était normale dans la bouche, était de 1 13° R. dans le rectum.

Quoi qu'il en soit de tous ces faits sur lesquels nous nous sommes aussi longuement étendu, parce qu'ils sont encore le sujet de discussions, il résulte, à notre avis :

Que l'hystérie peut simuler l'obstruction intestinale avec vomissements sanglants, ou fécaloïdes;

Que les matières moulées ou liquides du gros intestin peuvent, malgré les lois de la physiologie moderne, fran- chir la valvule de Bauhin et être rejetées par les vomisse- ments ;

Qu'il s'agit probablement là d'un spasme de l'intestin qui s'accompagne ou non du météorisme que l'on observe dans la tympanite hystérique.


La tympanite limitée ou généralisée peut encore don- ner naissance chez la femme à tout un ensemble de phé- nomènes connus depuis longtemps sous le nom de fausse grossesse, de grossesse hystérique ou de grossesse nerveuse.

Tous les cas de fausse grossesse n'appartiennent pas à la névrose, car les vétérinaires ont décrit des phénomènes analogues chez les animaux, les chiennes en particulier, qui, privées des approches du mâle, se conduisent, au moment où elles devraient mettre bas, comme si elles avaient conçu, comme si elles avaient été fécondées : arrangeant leur niche, refusant de manger et ayant du lait dans les ma- melles.

Dans l'espèce humaine, cependant, la grande majorité de ces cas doit être rapportée à l'hystérie. Ici, les causes prédisposantes prennent leur source dans l'état mental des sujets, dans la crainte d'une grossesse ou le désir immo- déré d'être mère, ou, comme chez sœur Jeanne des Anges, dont nous avons déjà rapporté l'histoire spéciale à ce point de vue en traitant de l'état mental des hystériques

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310 TRAITE CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

(t. I, p. 510), dans les hallucinations erotiques à la suite desquelles elle se croyait véritablement enceinte des œuvres de Grandier qu'elle n'avait jamais vu.

M. Bouchacourt(I) a réuni de nombreux documents sur cette question. Dans un cas (2), l'interprétation était très difficile; car, en même temps qu'une grossesse vraie, il existait de la tympanite hystérique.

Au point de vue des symptômes objectifs, nous rappel- lerons que, chez sœur Jeanne des Anges, il existait du gon- flement du ventre par tympanite joint à une suppression des règles, à des écoulements blanchâtres analogues à ceux qu'on observe pendant la grossesse, à des vomissements continuels et à la présence dans les seins de sérosité lac- tescente. On lira dans le manuscrit de la sœur, que nous avons publié (3), comment cette grossesse née d'une halluci- nation se termina par un paroxysme convulsif. Bien des gens crurent à Loudun, et avec eux un médecin réputé, que la grossesse de la sœur avait été véritable.

Il en fut de même pour Marguerite-Françoise Duchesne, dont nous avons déjà longuement parlé et qui guérit mira- culeusement, sur le tombeau du diacre Paris, d'une tym- panite et d'autres accidents hystériques. Chez elle les règles étaient également supprimées.

« Qu'opposèrent les ennemis de la vérité, dit Carré de Montgeron (4), à un prodige si évident, si public et si digne d'admiration? Ils rirent courir le bruit que Margue- rite-Françoise Duchesne était accouchée dans le petit cimetière, en présence de tout le monde. Des inconnus eurent l'effronterie de venir publier cette imposture jusque dans la chambre de la miraculée et de troubler par des

(1) Bouciiacourt, Sur la grossesse nerveuse ou imaginaire. Soc. nat. de méd. de Lyon, 21 déc. 1871; Lyon médical, 1892, p. 19, et Contribution hippocratique à l'histoire de la grossesse nerveuse ou imaginaire. Lyon médical, n° 12, 19 mars 1893, p. 402, et n° 13, p. 450.

(2) Id., Lyon médical, t. XLIV, p. 226-228, 1888.

(3) Légué et Gilles de la Tourette, Sœur Jeanne des Anges, autobio- graphie d'une hystérique possédée, op. cit.

(4) Carre de Montceuon, op. cit., t. I, 4 e démonstration, p. 12.


DE L'HYSTERIE. :*71

discours si odieux les vives actions de grâces que les témoins dune si grande merveille rendoient à Dieu. »

Il est évident que dans ces conditions la médisance a beau jeu, et que ces accidents hystériques peuvent entraî- ner pour les malades des conséquences fort désagréables.

Ramskill (1) cite le cas d'une jeune fille de dix-sept ans chez laquelle le développement du ventre fit croire à une grossesse de sept mois. La malade faillit de ce fait être mise à la porte de la maison paternelle.

Nous avons observé, dans le service de M. Charcot, une personne de dix-huit ans, fille d'ouvriers parisiens, que ses parents maltraitaient fort en voyant son ventre grossir démesurément. A la suite de paroxysmes convulsifs, la mère la conduisit à la consultation de la Salpêtrière, et, bien que désormais fixée sur la nature du mal, elle ne put s'empêcher d'ajouter : « Ça ne fait rien, monsieur, n'est-ce pas honteux pour une jeune fille d'avoir un ventre gros comme cela! » Le fait est qu'elle avait toutes les appa- rences d'une femme enceinte; de plus, les règles s'étaient supprimées et il existait des vomissements.

Une autre malade, que nous avons vue avec le D r Gau- tier, déjà mère de plusieurs enfants, atteinte de tympanite hystérique et d'un œdème généralisé de même nature, marqué surtout au niveau des parois abdominales, était par contre l'objet de la sollicitude des conducteurs d'om- nibus, qui la croyaient dans un état de grossesse avancée.

Les phénomènes simulant la grossesse peuvent aller, comme dans le cas rapporté par Klein d'une « hystérique au dernier degré » , jusqu'aux douleurs prémonitoires de l'accouchement (2).

Au point de vue de son évolution, l'ensemble sympto- matique de la fausse grossesse peut être des plus tenaces, nous l'avons dit, car il naît parfois du désir immodéré et

(1) Cité par Deniau, op. cit., obs. XXXVIII, p. 179.

(2) Journal de Hufeland, 1815, cité par Tardieu, in Histoire médico- légale des qi-ossesses fausses et simulées. Ann. d'hygiène publique et de médecine légale, l re série, t. XXXV, p. 87, 1846.


372 TRAITÉ CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

persistant contre toute raison qu'une femme a d'avoir un enfant.

Tel était le cas dans une observation de M. Le Gendre (1). La malade tenait tellement à son illusion qu'elle sortit de l'hôpital persuadée encore qu'elle était grosse, bien qu'un examen médical approfondi eût démontré la vacuité de l'utérus.

Cet examen assurera le diagnostic; dans tous les cas, le sommeil chloroformique, en amenant la disparition de la tumeur qui simulait un utérus gravide, lèverait les der- nières hésitations.


  • *


Tout en restant dans un doute prudent sur la nature intime du mécanisme des vomissements stercoraux, on ne peut se refuser à accorder un rôle souvent prépondérant à la contracture des fibres musculaires de l'intestin. Cette contracture est objectivée, pour ainsi dire, dans certains cas de spasmes de l'extrémité inférieure du tube digestif. C'est à elle que Briquet attribue la constipation opiniâtre qu'on observe fréquemment chez les hystériques.

« Il arrive, dit-il (op. cit., p. 326), dans certaines hys- téries, que les fibres inférieures du rectum et celles des sphincters soient atteintes d'un spasme par l'effet duquel elles se contractent et resserrent douloureusement l'orifice de l'anus, à tel point que, les matières fécales ne pouvant pas sortir, il y a constipation absolue; le doigt porté dans l'anus éprouve une constriction qui n'en permet pas faci- lement l'introduction. »

Cette contracture du sphincter anal serait le plus sou- vent douloureuse.

Fouquet a rapporté deux observations de ce genre de spasme (op. cit., obs. V et VI). La première concerne une femme de cinquante-cinq ans « qui fut prise tout à coup d'un spasme anal si violent et si douloureux que la déféca-

(1) Voy. Legrand du S/Ujlle, Les hystériques, op. cit. y obs. XXI, p. 115.


DE L'HYSTERIE. 373

tion devint impossible. Le rétrécissement ou mieux le res- serrement de l'orifice anal était infranchissable : toutes les tentatives faites pour en triompher par les moyens médicaux avait échoué... On résolut donc d'intervenir chirurgicalement et de pratiquer la dilatation forcée du sphincter. Tous les préparatifs étaient faits lorsque la ma- lade, sous l'influence de l'émotion et de la crainte que lui causait la vue des instruments, s'écria qu'elle éprouvait le besoin d'aller à la garde-robe, et, en effet, le spasme avait cessé. La défécation fut possible immédiatement sans dou- leur aucune et l'opération ainsi rendue inutile. » Il y avait chez cette femme coïncidence d'œsophagisme et de vagi- nisme.

Dans l'observation VI, avec le spasme rectal coïncidait un spasme vésical qui avait déterminé de la rétention d'urine.

Ces deux malades étaient âgées respectivement de cin- quante-cinq et de quarante-huit ans. Malgré le petit nombre d'observations publiées, nous admettrions volon- tiers que, de même que le spasme pharyngé et œsopha- gien, la contracture de l'extrémité inférieure du tube digestif est surtout l'apanage des hystériques d'un certain âge, chez lesquels elle semble être souvent l'unique mani- festation actuelle de la névrose. Ces spasmes, nous le savons, sont remarquables par leur ténacité : ils peuvent disparaître spontanément, comme ils sont parfois apparus.

Nous sommes beaucoup moins fixé sur la paralysie de l'intestin chez les hystériques. Dans le court paragraphe où Briquet (op. cil., p. 476) traite de la paralysie du rec- tum, cet auteur s'exprime ainsi : « Rien n'est plus com- mun chez les hystériques que la constipation que 1 on peut attribuer à l'affaiblissement de la contractilité des muscles releveurs de l'anus et des fibres musculaires du rectum, etc. Mais aussi rien n'est plus rare que la para- lysie avec anesthésie des sphincters de l'anus et de la membrane muqueuse du rectum, laquelle enlève aux ma- lades la faculté de retenir les matières fécales. »


374 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Nous adoptons complètement la dernière opinion expri- mée par Briquet, bien que, comme nous l'avons dit, il existe des faits, rares mais indéniables, où une paralysie des membres inférieurs s'est accompagnée de la perte involon- taire des matières fécales. D'autre part, faut-il attribuer tous les cas de constipation à la paralysie incomplète, alors que la contracture, comme le veut Briquet lui-même, joue souvent un rôle incontestable? C'est un point difficile à élucider, mais qui n'a d'ailleurs qu'une importance très limitée en clinique.

Signalons en passant un fait de Stockton(l) qui rapporte à une paralysie intestinale l'obstruction fécale dont souf- frait un enfant de douze ans, chez lequel, d'ailleurs, le diagnostic d'hystérie n'est pas sans nous laisser quelques doutes.


Nous ne voudrions pas terminer ce chapitre sans dire quelques mots des manifestations de l'hystérie sur les annexes du tube digestif, sur le foie en particulier. Nous voulons parler de la névralgie, de la fausse colique hépa- tique, sans nous y arrêter longuement toutefois, vu l'in- suffisance des documents que nous possédons à son sujet.

Sydenham paraît l'avoir observée ; dans la description qu'il en donne, on retrouve tous les symptômes de la vraie colique, l'ictère y compris.

« D'autres fois, dit-il (2), l'affection hystérique se jetant sur le colon et sur la région qui est au-dessous de la fos- sette du cœur y cause une douleur insupportable qui res- semble à la passion iliaque. La malade vomit une quantité excessive de matière, tantôt verte et semblable à de la bile porracée, tantôt de quelque autre couleur extraordi- naire. Souvent aussi, après que la douleur et le vomisse- ment continuels ont duré plusieurs jours et réduit la

(1) Stockton, Hysteria and foecal impaction in a neurotic child. The med.and surg. Report, 16 juillet 1892, n° 1846, p. 87.

(2) Sydenham, op. cit., trad. Jault, t. II, p. 478.


DE L'HYSTERIE. 375

malade aux abois, Vaccès se termine par une jaunisse uni- verselle. Cependant la malade souffre de terribles angoisses et désespère entièrement de sa guérison. Cet abattement desprit et ce désespoir m'ont paru aussi inséparables de la maladie que la douleur cruelle et le vomissement dont je viens de parler. Les femmes qui ont naturellement les fibres lâches et délicates et celles qui ont épuisé leurs forces en mettant au monde de gros enfants sont les plus sujettes à cette sorte d'affection hystérique. »

A lire la description de Sydenham, il ne semble pas dou- teux qu'il puisse exister, du fait de l'hystérie, une déter- mination du côté du foie qui simule à s'y méprendre les crises aiguës occasionnées par la lithiase biliaire : douleurs, vomissements bilieux, ictère consécutif sont expressément signalés par l'auteur anglais. Et pourtant la description de Sydenham est restée isolée, les documents modernes sur cette question étant très peu précis (1) et ne permet- tant guère de ranger dans l'hystérie ce que Beau (2) appe- lait Y hépatalgie idiopathique.

Récemment M. Pariser (3) a présenté à la Société de médecine interne de Berlin, dans la séance du 10 avril 1893, une observation de « colique nerveuse hépatique » à pro- pos de laquelle il s'est livré à des considérations appuyées d'une bibliographie complète, peu intéressante toutefois, car il n'existe pas actuellement, à notre connaissance, du moins, un bon travail sur cette question.

Il semble bien cependant que la femme âgée de qua- rante-cinq ans qui fait l'objet de son observation ait été atteinte d'une manifestation hystérique simulant la colique hépatique vraie. Les crises fort douloureuses étaient loca-

(1) P . BouloumiÉ, Hystérie grave, hématémèses, coliques néphralgiques et hépatiques. Simulation de calculs vésicaux. Union médicale, n° 40, 4 avril 1880.

(2) Beau, Etudes sur l'appareil spléno-hépatique . Arch. gén. de méd., 1851.

(3) Gurt Paujser, Beitrage zur Klinik der nervôsen Leberkolik (iieural- gia hepatis), in extenso in Deut. med. Wochenschrift, n° 31, 3 août 1893, p. 741.


376 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Usées à la région du foie et dans l'hypocondre droit; elles produisaient fresque la -perte de connaissance. Ces phéno- mènes, qui duraient de deux à quatre heures, étaient suivis de spasmes pharyngés et de vomissements. La menstrua- tion paraissait avoir une influence marquée sur le retour des crises. Le lendemain de l'attaque, la peau présentait souvent, mais non toujours, une teinte subictérique. Les conjonctives gardaient leur coloration normale, les selle-s étaient quelquefois décolorées.

En raison dune légère dyspnée, de palpitations et d'un sentiment d'angoisse joints à des troubles dyspeptiques d'origine nerveuse, on avait pensé à une névrose cardiaque. Or il existait une hyperesthésie limitée à la moitié droite de r abdomen, et ce dernier phénomène, ajouté aux pertes incomplètes de connaissance, nous semble trancher la question du diagnostic. Nous pensons, en effet, qu'il s'agis- sait là d'une zone hyperesthésique hystérogène de la région hépatique dont l'exaltation donnait naissance à l'ensemble symptomatique de la colique vraie, de même que dans le paroxysme à forme d'angine de poitrine il existe presque toujours une zone hyperesthésique hystérogène de la région précordiale.

Une zone analogue à celle présentée par la malade de Pariser existait dans une observation de Marius Carre (1), et sa pression semblait produire les phénomènes de l'hé- patalgie. & L'hypocondre, surtout au niveau du foie, dit- il, présente une hyperesthésie très marquée. La pression y est très douloureuse ; la malade y accuse une douleur constante, et dans les crises il suffit de presser dans cette région pour produire à volonté des mouvements désor- donnés (hépatalgie) . »

Que l'exaltation de cette zone détermine des phénomèmes douloureux simulant ceux de la colique hépatique, rien n'est plus facile à admettre; mais l'ictère observé par Sydenham et noté par Pariser, à un faible degré, il est vrai,

(1) Marius Carre, De l'hémoptysie nerveuse. Arch. qe'n. de rnécl., t. XXIX, 1877, obs. V, p. 189.




DE L'HYSTERIE. 377

est-il sous la dépendance réelle de la manifestation hysté- rique? Voilà une question qu'il est difficile de résoudre, mais que les éléments cliniques d'appréciation que nous possédons semblent cependant trancher par l'affirmative.

Pariser, qui croit sa malade atteinte de « neuralgiahepa- tis » , s'appuie, pour établir son diagnostic, sur le retour périodique des accès au moment des règles, bien que Cyr (1) ait péremptoirement démontré que les crises de colique vraie puissent revêtir ce même caractère de pério- dicité. Pour l'auteur allemand, la névralgie hépatique se rencontrerait seulement chez les hystériques, les neura- sthéniques et les personnes nerveuses. En somme, ce qu'il y a de plus précis dans son travail, c'est encore l'observation sur laquelle il est basé.

Nous avons eu l'occasion de nous entretenir de cette intéressante question avec M. Hanot, dont l'opinion fait autorité en matière de maladies du foie. Il n'est pas dou- teux, pour lui, qu'il existe une fausse colique hépatique d'origine hystérique simulant à s'y méprendre la colique liée à la lithiase biliaire.

Pour M. Hanot comme pour nous, le meilleur élément peut-être d'un diagnostic qui n'est pas toujours facile à établir n'est autre que l'hyperesthésie cutanée, exquise et superficielle, de la région du foie qui existait dans le cas de Pariser.

Si l'on était tenté de faire servir au diagnostic nos recherches sur les modifications des excréta urinaires, il ne faudrait pas oublier que la colique vraie se juge, elle aussi, par l'abaissement du taux de l'urée que l'on observe, nous l'avons démontré , dans tous les paroxysmes hysté- riques.

(1) Cyr, Note sur la périodicité de certains accidents hépatiques. Arch. gén. deméd., mai 1883. — Causes d'erreur dans le diagnostic de l'affec- tion calcuteuse du Joie. Id., février 1890, p. 177 e t suiv


CHAPITRE DIX-HUITIÈME

MANIFESTATIONS DE L'HYSTÉRIE SUR L'APPAREIL URINAIRE ET GÉNITAL

Multiplicité des déterminations hystériques sur l'appareil urinaire, — Sydenham et la pseudo-colique néphrétique. — - Le mémoire de Legueu, 1891. — Hématurie.

La polyurie hystérique. — Historique; période ancienne; période moderne. — La thèse d'Ehrhardt, 1893. — Étiologie. — Modes de début. — Des- cription ; marche et terminaisons. — Influence de la suggestion hypno- tique.

De l'ischurie ou anurie hystérique. — Historique. — Nysten, Rayer, Gharcot. — Forme passagère ; forme permanente. — Fréquence. — Des- cription. — Balancement entre les vomissements et l'anurie. — L 'anurie totale sans vomissements : Discussion sur l'urémie hystérique.

Manifestations sur l'appareil excréteur. — Urètre.

Vessie. — Historique; étiologie générale. — Hyperesthésie de la muqueuse ■nésicale : cystalgie. Pénurie des travaux modernes. Contracture du col.

Anesthésie de la muqueuse. — Paralysie vésicale. Séméiologie de l'inconti- nence et de la rétention d'urine d'origine hystérique.

Notions complémentaires sur les trourles hystériques de l'appareil géni- tal. — Les zones de l'ovaire et les grandes névralgies pelviennes. — ■ Caractère paroxystique des douleurs. — L'hystéralgie et les troubles tro- phiques de l'utérus. — Métrorragie. — Contracture du sphincter vaginal et zone hyperesthésique hystérogène de la muqueuse du conduit. — - Sécrétions anormales. — Rapports de la dysménorrhée membraneuse avec l'hystérie.

Au courant des chapitres précédents, nous avons été conduit à plusieurs reprises à envisager l'action de l'hys- térie sur la fonction rénale. Tout ce qui a trait, par exemple, aux modifications chimiques qu'entraînent avec eux les paroxysmes a été étudié sans esprit de retour.

Mais les déterminations de l'hystérie sur l'appareil uri- naire sont nombreuses et variées, et comme elles n'ont jamais fait l'objet d'une étude d'ensemble, il importe d'être méthodique dans leur exposition


TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE DE L'HYSTÉRIE. 379

Aussi, autant qu'il nous sera possible et à l'instar de ce que nous avons fait pour les autres appareils, rapporte- rons-nous chacune de ces manifestations à ce que nous savons des grands processus de la névrose : troubles de sensibilité, diathèses de contracture, d'amyosthénie vaso- motrice, etc. Nous commencerons par l'étude des troubles de sensibilité, en suivant le cours de l'urine, du rein vers l'urètre excréteur.


L'action de l'hystérie sur le rein semble pouvoir se juger par un ensemble de phénomènes paroxystiques doulou- reux simulant la colique néphrétique, de même que la localisation sur le foie ou sur le cœur donne naissance aux fausses coliques hépatiques ou à la pseudo-angine de poi- trine.

Sydenham, le premier, a bien décrit ces phénomènes : « Quelquefois, dit-il (1), le mal attaque l'un des reins et y produit une douleur très cruelle et qui est entièrement semblable à un accès de colique néphrétique, non seule- ment par la nature et le siège de la douleur, mais encore par les vomissements affreux dont elle est accompagnée, et quelquefois aussi parce qu'elle s'étend le long des ure- tères. De cette manière, il est extrêmement difficile de distinguer si les symptômes dont il s'agit proviennent de quelque pierre enfermée dans les reins ou d'une affection hystérique, à moins que la personne n'ait eu, peu de temps auparavant, quelque violent chagrin ou n'ait vomi une ma- tière verdàtre; ce qui montrera que les symptômes de la maladie doivent plutôt être attribués à une affection hys- térique qu'à une pierre contenue dans les reins. »

On ne saurait être ni plus précis ni plus affirmatif, et pourtant l'opinion que se faisait Sydenham de la manifes- tation qu'il décrivait ne fut pas admise sans conteste,

(1) Sydenham, trad. Jault, op. ci'f.,p. 478.


380 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

ainsi que cela résulte du travail de M. Legueu (1), auquel nous empruntons l'historique qui va suivre.

Sauvage (2) admet la néphralgie hystérique et la con- sidère comme une affection purement nerveuse ; puis viennent des observations ou des descriptions de Barai- lon (3), d'Alibert (4), de Strambio (5), dans lesquelles l'hystérie est en cause sans que leurs auteurs semblent en soupçonner nettement l'existence.

Boyer (6), pour la première fois, essaye d'établir la séméiologie des phénomènes douloureux dont le rein peut être le siège. Il existe nombre de maladies capables de simuler les accidents de la néphrite calculeuse : le rhuma- tisme lombaire, les affections voisines du rein, V hystérie. On déterminera les éléments du diagnostic par l'étude des antécédents héréditaires ou personnels de lithiase, par les conditions de la douleur qui, en cas de calcul, survient toujours après un exercice violent et s'accom- pagne dune urine rouge et sanguinolente.

A ce dernier point de vue, nous verrons que l'hystérie semble pouvoir, elle aussi, donner naissance à l'hématurie.

En 1830, Chopart (7), traitant de la douleur dans les calculs du rein, s'exprime en ces termes : « On a vu des accès iïhystérisme imiter si bien ceux de la néphrite, par la nature, le siège et le trajet de la douleur, par la sup- pression de l'urine, les nausées et les vomissements, qu'ils pourraient tromper facilement les personnes même atten- tives à discerner les caractères particuliers qui désignent l'affection de tel ou tel viscère. »

A partir de cette époque, sous l'influence peut-être des

(1) Legueu, Des névralgies rénales. Annales des maladies des organes génito-urinaires, 1891, p. 564, 631, 778.

(2) Sauvage, Nosologie méthodique. Amsterdam, t. II, p. 112, 1768.

(3) Barailon, Journ. de méd. et de chirurgie, juillet 1767, t. XXVII, p. 340.

(4) Alibert, Nosol. naturelle, t. I, p. 210. Paris, 1817.

(5) Strambio, Journ. des progrès, 1829, t. I, p. 253.

(6) Boyer, Maladies chirurgicales. Paris, 1822, t. VIII, p. 493.

(7) Chopart, Maladies des voies urinaires, t. I,p. 257, Paris, 1830.


DE L'HYSTÉRIE. 381

idées de Rayer, qui, comme on le sait, était en matière d'hystérie d'un scepticisme exagéré, les phénomènes dou- loureux du rein imputables à la névrose sont considérés comme tout à fait problématiques.

En 1885, Henry Morris (1) en établit incidemment la réalité dans le passage suivant, que nous rapportons dans son entier. On remarquera qu'il fait une place à l'héma- turie dans cet ensemble symptomatique.

« Dans une quatrième série de cas, dit-il, dans lesquels on trouve une douleur intense et de l'hématurie, les phé- nomènes paraissent devoir être rapportés à l'hystérie. Un jeune homme, traité sous la direction de M. Hulke, se plaignait d'une douleur excessive siégeant au niveau des reins et dans l'aine, et disait qu'il avait uriné du sang mélangé à de l'urine. Il avait tous les symptômes du calcul rénal : on l'explora, mais on ne trouva pas de pierre. Consécutivement il raconta qu'il avait oublié de dire qu'il avait avalé une épingle qui s'était enfoncée dans le rein. On lui prescrivit un peu de chlorure de sodium dans le but, comme on le lui assura, de dissoudre l'épingle. Il guérit rapidement et quitta l'hôpital tout à fait bien portant.

« Une jeune femme me fut envoyée du Buckingham- shire pour l'examen de son rein ; elle revint même à deux reprises, mais comme je fus convaincu que les symptômes étaient hystériques, je refusai chaque fois de l'opérer. Elle fut très soulagée par une solution aqueuse de ca- ramel. »

Dans son mémoire, M. Legueu rapporte l'observation d'un homme de vingt-six ans manifestement hystérique, chez lequel les paroxysmes douloureux à forme de colique néphrétique semblaient avoir pour point de départ non pas le rein directement, mais une zone hystérogène sié- geant au niveau de la région inguinale et du testicule gauche. « En 1885, dit-il, le malade est pour la première fois subitement pris, un matin, d'une douleur violente dans

(1) H. Mobkis, An address on some points in the surgery of the kidneys. The brit. med. Journ., t. I, 1885, p. 311.


382 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

l'aine gauche et le testicule du même côté. Un quart d'heure après, besoin pressant d'uriner à la suite duquel il expulse du sang rouge. Il continue néanmoins son tra- vail : au bout de quelques heures, la douleur s'atténue et les urines redeviennent claires. » La zone hyperesthésique hystérogène de l'aine et du testicule persiste et s exalte pour produire des crises qui se sont répétées une quaran- taine de fois en cinq ans, revêtant toujours le même carac- tère et pouvant même se prolonger sous forme d'un véri- table état de mal. « Les crises durent une heure, deux heures, cinq heures : quelquefois; elles sont subintrantes ; il s'en produit trois ou quatre en vingt-quatre heures. Leurs caractères sont les suivants : une douleur part du testicule et remonte dans le flanc, généralement très vio- lente; le malade se tient immobile ou se roule par terre. Il y a du ténesme vésical; le malade a des envies fréquentes, mais ne peut uriner. Une hématurie suit la crise ; elle n'est cependant pas constante ; le malade n'a jamais rendu de graviers. »

M. Guyon fit une incision et alla explorer à main armée le rein gauche. Après discission de la capsule, « il trouve son volume normal et en aucun point ne constate de saillies ni d'inégalités. En présence de la netteté de cette sensa- tion, il conclut à l'absence de calcul et se refuse à toute exploration intra rénale devenue inutile. » Le sujet fut fort souffrant des suites de cette grave exploration qui n'apporta aucune amélioration à ses maux.

L'observation II, qui appartient à M. Antoine Saba- tier(l)et se rapporte à une femme de trente ans, nous paraît devoir être attribuée à l'hystérie, bien que le nom de cette affection ne soit pas prononcé. Il est vrai qu'on y trouve les termes de nervosisme et de simulation » qui sont souvent attribués aux hystériques. Il existait chez cette femme des « attaques comateuses » dans lesquelles il est impossible de ne pas voir des attaques de léthargie

(1) A. Sabatier, Néphralgie he'maturique . Néphrectomie ; gue'rison. Bévue de chirurgie, 1889, p. 62.


DE L'HYSTERIE. 383

hystérique. On croyait, d'abord, à la nature urémique de ce coma, mais on finit par être convaincu que « ces phé- nomènes étaient de nature purement nerveuse » .

La douleur, cette fois, probablement sous forme de zone hyperesthésique, siégeait dans le flanc droit au niveau du rein, d'où elle irradiait lors des crises «vers l'uretère et la vessie, vers le membre inférieur droit, vers le diaphragme et l'épaule droite » . Les paroxysmes douloureux s'accom- pagnaient d'hématurie, « le sang disparaît peu à peu, à mesure que l'on s'éloigne de la crise, mais les urines lais- sent toujours néanmoins déposer un précipité sédimenteux très épais » .

M. Sabatier, croyant qu'il existait un calcul du rein droit, n'hésita pas à enlever cet organe, que l'examen microscopique, comme l'examen à l'œil nu, révéla tout à fait sain. L'opération, faite le 16 octobre 1886, amena un certain soulagement; les crises douloureuses rénales disparurent; au moins n'existaient-elles plus au 1 er décem- bre. Mais, en 1887, reparurent ces attaques comateuses « de nature purement nerveuse » qui montrèrent que l'hystérie n'avait pas abdiqué et n'était pas partie avec l'organe enlevé. A noter encore, comme phénomènes con- comitants, des périodes d'anurie et un ténesme vésical qui nécessita longtemps l'emploi de la sonde.

A ces deux observations où le diagnostic d'hystérie nous semble indéniable, où l'exploration du rein fit voir qu'il ne s'agissait pas de coliques provoquées par un calcul, nous en joignons une troisième rapportée par M. Tuf- fier (1).

Il s'agit d'une femme de trente-cinq ans qui, à la suite d'un traumatisme local insignifiant, fut prise tous les huit ou quinze jours « d'une douleur débutant dans la région lombaire droite, puis descendant vers le flanc et le pli de laine. Cette douleur, d'abord sourde, devient bientôt une « véritable colique » très violente, accompagnée de sensa-

(1) Txjffieiî, Des pseudo-coliques néphrétiques. Sent, méd,, 25 oct. 1893.




384 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

tion de torsion. Au moment des paroxysmes, elle est vrai- ment atroce, immobilisant le tronc dans la situation mi- fléchie , arrachant souvent des cris et provoquant des vomissements. Ces crises durent de quelques minutes à une demi-heure, puis elles se calment pour reparaître bientôt, et l'accès entier varie de douze à vingt-quatre heures. »

Les crises peuvent se prolonger sous forme d'un état de mal qui, une fois, a duré cinq jours consécutifs. En dehors de ces phénomènes douloureux spécialisés , rien qui puisse faire penser à la lithiase rénale; entre les pa- roxysmes, la santé générale est parfaite.

Dans ces conditions, et guidé par des considérations qui sont très sommairement exposées, M. Tuffier inter- vint chirurgicalement ; par une incision, il pénétra jus- qu'au rein droit, qu'il trouva sain et en place : cependant il le fixa à la plaie par une suture.

Le résultat opératoire fut parfait; mais ce qui paraît plus singulier, c'est qu'un an après, la malade revue déclara qu'elle était guérie.

Nous croyons très sincèrement que M. Tuffier s'était trouvé en présence de paroxysmes hystériques à forme de coliques néphrétiques. L'hypothèse dune affection organi- que du rein, en particulier de la maladie calculeuse, doit être éliminée, puisque le chirurgien eut, pour ainsi dire, dans la main cet organe, qui de plus n'était pas déplacé. Il n'y a que des phénomènes purement dynamiques qui puissent guérir sous l'influence de telles opérations. D'ail- leurs, en relisant l'observation, on remarque qu'au lieu de l'anurie qui suit ordinairement les coliques néphréti- ques vraies, on trouvait, « après l'accès, l'urine généra- lement pâle et un peu plus abondante » , ce qui appartient, en général, au paroxysme hystérique.

En outre, fait important, il existait, au niveau du rein, une zone hyperesthésique superposée à de la contracture musculaire in situ qui ne cédait que par le chlorofornne. « La pression méthodique de la région lombo-abdominale droite


DE L'HYSTERIE. 385

provoque de suite une douleur profonde et une contrac- ture musculaire réflexe qui empêchent de pénétrer dans la profondeur de la région, et cette douleur persiste en s'at- ténuant pendant environ une heure... Ne pouvant obtenir un relâchement complet de la paroi, je n'hésite pas à chloroformiser la malade. »

Malgré le résultat obtenu, nous croyons le procédé em- ployé par M. Tuffier peu recommandable. Si l'affection, qui se manifestait sous la forme paroxystique d'une fausse colique néphrétique, avait été reconnue par les auteurs dont nous venons d'analyser les observations, et le diag- nostic nettement posé, il eût été inutile de recourir au bistouri pour obtenir une guérison qui fît défaut dans deux cas sur trois, sans savoir ce que l'avenir réserve au troisième. On nous accordera que la décortication d'un rein, même lorsqu'il est parfaitement sain (Tuffier), ne va pas sans quelques dangers ; que ceux-ci peuvent naître de l'intervention opératoire (Guyon), et que c'est épouser avec une trop grande conviction la théorie de l'inutilité de la désassimilation chez les hystériques que d'enlever un rein à l'instar de M. Sabatier.

A part les trois cas précédents, auxquels il faut joindre les deux faits de Morris où l'hystérie était évidente, il est difficile de se prononcer sur les autres observations pu- bliées par divers auteurs et réunies par M. Legueu dans son mémoire. Nous croyons cependant que nombre d'entre elles doivent être rapportées à l'hystérie, et si, dans l'ex- posé du cas, « il n'est aucunement fait mention de l'état nerveux du sujet » , cela tient, dit M. Legueu, — au moins pour les observations anglaises, — « à ce que le dia- gnostic rapidement établi de lithiase supprime tout exa- men approfondi en conduisant de suite à l'intervention chirurgicale » . L'aveu est bon à retenir, et il est inutile d'a- jouter qu'une semblable manière d'agir est profondément regrettable; car, pas plus que pour l'ovaire en ce qui con- cerne la névralgie pelvienne, on ne supprime l'hystérie en enlevant le rein qui est le siège du paroxysme douloureux.

UI. 25


386 TRAITE CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Si donc l'existence d'un paroxysme hystérique à forme de colique néphrétique, dont le point de départ peut être une zone hyperesthésique hystérogène du rein (et aussi du testicule ou de la région inguinale), est indéniable, il n'est pas moins vrai que les observations bien étudiées sont actuellement en trop petit nombre pour qu'on puisse tracer l'histoire clinique complète de cette détermination de la névrose.


Nous insisterons cependant sur Y hématurie qu'on re- trouve dans un fait, également sujet à discussion, de Bou- loumié (l).

Le pissement de sang nous semble devoir être rangé dans la catégorie des troubles trophiques. C'est une mani- festation de cette diathèse vaso-motrice dont les effets se font sentir sur un si grand nombre de viscères. Ce qui le prouve, c'est que, dans un cas de Marius Carre (2), l'hématurie — sans douleurs paroxystiques — coïncidait ou alternait avec deshémoptysies et des hématémèses ; ces dernières furent aussi notées chez le sujet de Bouloumié.

La malade, dit Marius Carre, est sujette à d'autres hémorragies que l'hémoptysie ; « l'épistaxis a été observée trois ou quatre fois, mais en dehors des hémoptysies ; le sang a alors ses caractères ordinaires et ne peut donner lieu à aucune confusion. Yî hématurie , bien plus fréquente que l'épistaxis, se montre tous les huit jours environ. Les urines d'un rouge plus ou moins foncé laissent voir, au fond du vase qui les contient, de petits caillots sanguins. Exami- nées au microscope, elles présentent des globules défor- més. Cette hémorragie a coïncidé plus d'une fois avec l'hémoptysie. »

Peut-être existe-t-il, du côté du rein, d'autres troubles

(1) Bouloumié, Hystérie grave, troubles dyspeptiques, hématémèses, coli- ques néphralgiques et hépatiques. Union médicale, 4 avril 1880, n° 40, op. cit.

(2) Marius Carre, De l'hémoptysie nerveuse. Arc h. gén. de médecine, t. XXIX, 1877, obs. V, p. 191.


DE L'HYSTERIE. 387

trophiques ; peut-être l'albuminurie, en dehors de l'héma- turie, bien entendu, est-elle susceptible de se montrer sous l'influence de la névrose, mais les cas qui en ont été publiés (l) ne sont pas de nature à entraîner notre entière conviction.

En dernier lieu, faut-il incriminer encore l'hystérie dans la genèse ou la provocation de ces crises douloureuses qui accompagnent parfois le rein mobile et sur lesquelles, invo- quant l'action de la névrose, Guéneau de Mussy, Ghroback et Lancereaux ont attiré l'attention (2)?, La solution de cette question reste encore en suspens.

Nous allons voir bientôt que ces troubles de sensibilité sont beaucoup moins discutables, lorsqu'ils siègent sur le réservoir urinaire, mais nous ne voulons pas quitter le rein lui-même sans traiter de l'exagération de sa sécrétion ou polyurie et de sa diminution ou suppression connue sous le nom àischurie ou à'anurie hystérique.


L'exagération permanente de la sécrétion rénale d'ori- gine hystérique, sinon indépendante des paroxysmes, tout au moins persistant dans leur intervalle, n'est pas de notion fort ancienne. Grâce à d'importants travaux de date récente, elle constitue, pour ainsi dire, une question toute d'actualité.

On trouve la polyurie signalée par un grand nombre d'auteurs : Lacombe (3), Fleury (4), Valentiner (5), Lan-

(1) Maclagan, Case of hysteria with albumen and subseqnently xanthic oxicle in the urine. Monthly Journ. of med. Se. Londres et Edimbourg, 1851, t. XIII, p. 121-135. — Fioiu, L' albuminuria nelV isterismo e délia influenza dei metalli sulle orine.Arch. di psichiatria. Turin, 1881, p. 45-57, 1 tab. — Toller, Iseuria isleriea permanente. Gazzetta med. lombarda, 26 août 1893, n° 34, p. 413. (Cas complexe: femme de 50 ans rendant par jour 50 gr. d'urine albumineuse. L'auteur pense qu'il s'agit d'ischurie hys- térique chez une cardiaque albuminurique.)

(2) Bruul, Le rein mobile. Gaz. des hôp., 6 février 1892, n° 16, p. 147.

(3) Lacombe, La polydipsie. Th. Paris, 1841.

(4) Fleury, Areh. ge'n. de med. Paris, 1848.

(5) Valentiner, Die Hystérie und ihre Heilung. Erlangen, 1852.


388 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

douzy (1), Vogel (2), Haughton (3), Oppolzer (4), mais les faits qu'ils rapportent ne sont pas tous concluants au point de vue de la névrose.

Il n'en est pas de même d'une observation de Kien(5) re- lative à une femme de trente-huit ans, chez laquelle, six mois après le début d'attaques hystériques, on vit survenir une polyurie de cinq à six litres par vingt-quatre heures. La soif était peu vive, mais le taux des boissons était cepen- dant proportionnel à celui des urines émises ; il n'y avait pas de boulimie. Pas d'azoturie non plus, car on notait seulement 27 gr. 13 d'urée pour 5,352 c. c. d'urine et 8 gr. 79 de chlorure de sodium. Au bout d'un an, cette polyurie persistait encore.

Kiener (6) eut, lui aussi, l'occasion d'observer cette malade : la proportion des matières azotées était à ce mo- ment plus forte, car il y avait 34 grammes d'urée pour 3,435 c. c. d'urine.

En 1869, M. Lancereaux, dans sa thèse d'agrégation de Paris sur la polyurie, au chapitre qu'il intitule : « État hystérique ou névropathique ; émotions vives » (p. 19), s'exprimait en ces termes sur la question qui nous occupe :

« La plupart des auteurs qui ont écrit sur l'hystérie s'accordent à faire mention d'une polyurie temporaire sur- venant principalement à la suite des accès, ainsi qu'il arrive, d'ailleurs, après certaines attaques d'épilepsie. Ce n'est pas de cette polyurie passagère qu'il est ici ques- tion, mais bien d'une polyurie persistante coïncidant avec les accidents nerveux, si elle ne leur succède. »

Il analysait alors onze observations. Celles de Lan-

(t) Landouzy, Leçon clinic/ue sur le diabète. Union médicale, p. 495, 549, 1862.

(2) Vogel, Anleitung zur Analyse der Harns, 1863.

(3) Haughton, Notes on diabètes insipidus . Dublin Quaterly Journal,. 1863.

(4) Oppolzer, Hysteria cum Polyuria. Allg. Wien. med. Zeilung,n m 38, 39, 1866.

(5) Kien, De la polyurie. Th. de Strasbourg, 1865, p. 13.

(6) Kieser, De la polyurie. Th. Strasbourg, 1869.


DE L'HYSTÉUIE. 389

douzy, dOppolzer, un fait inédit à lui communiqué par Le Teinturier, sont assez probants en faveur de l'hystérie. Quant aux cas déjà cités de Lacombe, de Fleury, de Haug- thon, en y ajoutant ceux de Desgranges (1) et de Del- pierre (2), ils méritent à peine d'être mentionnés. Lance- reaux réunissait d'ailleurs, aux observations où l'hystérie paraissait être véritablement en cause, « celles où il est dit que la polyurie aurait succédé à une vive émotion » .

Depuis 1869, Lancereaux est revenu sur cette question. Dans une leçon publiée en 1890 (3), il cite plusieurs po- lyuriques présentant tous les symptômes de l'hystérie dite toxique, mais pour cet auteur la polyurie, les crises convul- sives et l'hyperesthésie doivent être attribuées à l'intoxi- cation chronique par les essences : absinthe, anis , ba- diane, etc., ce qui complique singulièrement la question. C'est, d'ailleurs, un point à retenir que tous ses malades étaient des alcooliques avérés.

En somme, dans tout cela, rien de bien précis, et la véritable note sur l'opinion qu'on se faisait récemment encore sur la polyurie hystérique nous est donnée par Axenfeld et Huchard (4).

« La polyurie hystérique est passagère ou permanente. Dans le premier cas, elle est un phénomène très souvent consécutif aux accès, et consiste dans l'émission d'une urine abondante, claire et limpide (urine nerveuse ou spasmodique). Dans le second cas, beaucoup plus rare, puisque M. Lancereaux n'a pu en réunir que sept observa- tions dans sa thèse d'agrégation, la polyurie persiste pen- dant un temps plus ou moins long, dans l'intervalle et même en l'absence des accès. »

Donc, pendant toute cette première période, si la no-

(1) Desgranges, Annales de médecine de Montpellier, t. VI, p. 56, an XIII.

(2) Delpierre, Polydipsie ; observation pour servir à son histoire étiolo- logique. Courrier médical, 9 mars 1841.

(3) Lancereaux, La polyurie simple et ses variétés. Annales des maladies des organes- génito-urinaires. Paris, août 1890, p. 457.

(4) Traité des névroses, 2 e édit., p. 1037, 1883.


390 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

tion d'une polyurie passagère consécutive aux paroxysmes est bien établie, il n'en est pas de même pour la polyurie permanente, interparoxystique.


Nous savons déjà ce qu'il faut penser de la polyurie pas- sagère postparoxystique. Nous avons établi, dans nos recherches avec M. Cathelineau, qu'elle était beaucoup plus apparente que réelle (voir t. II, ch. n) ; nous n'y re- viendrons pas. Quant à la polyurie permanente, elle vient d'être, en France, l'objet de nombreux travaux dus, en particulier, à MM. Debove (1), Ballet (2), Mathieu (3), Babinski (4), Déjerine (5), Laënnec (6) et Boiffin (7). On les trouvera, pour la plupart, mis en œuvre dans la thèse récente d'Ehrhardt (8), qui a apporté à cette question l'ap- point de ses recherches personnelles.

(1) Debove et Flamand, Recherches expérimentales sur l'hystérie {ano- rexie, inanition, boulimie, anurie). Bull, et Mém. de la Soc. méd. des hop., Paris, 1885, p. 299. — Debove, Polyurie hystérique. Id., 13 no- vembre 1891; 30 novembre 1891, p. 581. — Sciatique et polyurie. lbid. } 30 novembre 1891.

(2) Ballet, Polyurie dans le goitre exophtalmique. Rev. de méd. Paris, 1883, p. 275. — Polyurie. Bull, et Mém. de la Soc. méd. des hop., 24 juil- let 1891, p. 424.

(3) Mathieu, Un cas de diabète insipide chez un hystérique {polyurie simple sans azoturie ni phosphaturie). Bull, et Mém. de la Soc. méd. des hop. Paris, 24 juillet 1891, p. 421. — Sciatique et polyurie. Id., 9 octo- bre 1891. — Polyurie hystérique. Ibid., 30 novembre 1891. — Un cas de diabète insipide guéri par suggestion. Ibid., 11 mars 1892, p. 163. — La polyurie hystérique. Rev. neur., n° 19, 15 octobre 1893, p. 522.

(4) Babinski, Polyurie hystérique. Injluence de la suggestion sur l'évo- lution du syndrome. Bull, et Mém. de la Soc. méd. des hop. de Paris, 13 novembre 1891, p. 568.

(5) Déjerine, Polyurie hystérique. Journal de méd. et de chirurgie pra- tiques, 10 août 1893.

(6) Laennec, Hystérie, polyurie, polydipsie. Gaz. méd. de Nantes, t. XI, p. 48, 1893.

(7) Boiffin, Hystérie, polyurie, polydipsie. Soc. méd. de Nantes, 1893.

(8) Ehrhardt, De la polyurie hystérique. Th. Paris, 1893. — La thèse de M. Garhigue, Polyurie hystérique, Paris, 1888, ne mérite pas plus qu'une simple mention.


DE L'HYSTERIE. 391

Signalons encore un fait intéressant, publié par Linke(l), sur lequel nous aurons à revenir.

Il est d'abord à remarquer que toutes les observations de MM. Debove, Mathieu, Babinski et Ehrhardt sont rela- tives à des hommes.

« Dans nos recherches bibliographiques, dit ce dernier (p. 27), nous avons bien découvert dans les anciens auteurs des polyuries hystériques (?) chez la femme ; mais ne s'agissait-il pas alors d'une simple coïncidence, etlapolyu- rie était-elle bien un syndrome hystérique? C'est ce que l'histoire très incomplète des malades ne peut éclaircir. Aujourd'hui que la question est à l'ordre du jour, nous n'avons pu, parmi les communications de M. le professeur Debove, de MM. Babinski et Mathieu, en trouver un seul cas chez la femme. »

A l'époque où M. Ehrhardt écrivait, le cas de Linke relatif à une femme de seize ans n'avait pas encore, il est vrai, été publié, mais l'observation de Kien, que nous avons analysée, nous semble cependant aussi probante que la plus récente des observations modernes de polyurie permanente.

Tous ces sujets étaient des adultes âgés de vingt-cinq à cinquante ans, ce qui ferait de la polyurie une manifesta- tion relativement tardive de la névrose.

M. L. Guinon (2) a cependant rapporté un cas dans lequel la polyurie aurait débuté chez une petite fille, à l'âge de huit ans. Cette polyurie persistait encore à l'âge de dix-huit ans et ne s'accompagnait pas d'azoturie; par contre, le chiffre des phosphates était très augmenté par rapport à la normale.

(1) A. Linke, Diabètes insipidus mit gleichzeitiger Relentio urinœ spas- tica bei einem hysterischen Mâdchen. Centralbl. fur Nervenheilk. u. Psych. Sept. 189V, p. 457. Art. original.

(2) L. Guisox, De quelques troubles urinaires de l'enfance. Névroses urinaires de l'enfance, obs. XLVII, p. 87. Th. Paris, 1889.

INous n'avons pu prendre connaissance du Mémoire de M. Schibbye , Et Tiffœlde af infantile Hysteri med Lokalisation til Urinsfœren. Norsk. Mag.f. Lœgevidensk. Christiania, 1892, 4, R. 7, p. 1265-1270.


392 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Fait important : M. Ehrhardt, comme M. Lancereaux. note que la plupart de ses polyuriques hystériques étaient alcooliques.

« Il est à remarquer, dit-il (p. 28), que presque tous nos malades ont été des alcooliques bien avant d'être des po- lyuriques : il est évident que l'alcool a pu préparer le terrain pour le développement de la névrose et qu'il a joué le rôle d'agent provocateur de l'hystérie chez ces malades prédisposés et appartenant à la famille névropa- thique. >^ Nous avons pourtant observé nous-même un cas de polyurie hystérique des moins discutables chez un homme adulte non alcoolique.

Cette notion étiologique n'en est pas moins de première importance, et l'alcool, en agissant préalablement sur le rein, fixe peut-être la localisation ultérieure de la névrose. C'est peut-être aussi dans le même sens d'une prédisposi- tion, d'un locus minorisresistenliœ, qu'il faut interpréter ce fait relevé par M. Ehrhardt, dans les antécédents de quel- ques-uns de ses malades, d'une incontinence d'urine qui se prolongea assez tard après l'enfance.

Il faut tenir compte également des causes occasionnelles. Dans les observations qui appartiennent en propre à M. Ehrhardt, la polyurie a débuté deux fois après l'inges- tion d'eau glacée, le corps étant couvert de sueur; deux fois à la suite de copieuses libations; une fois à la suite dune crise convulsive; une lois à la suite d'une névralgie sciatique.

Disons immédiatement que les rapports qui semblent exister, dans certains cas, entre la sciatique et la polyurie chez les hystériques, ont été étudiés par MM. Debove, Mathieu et Ehrhardt (obs. XVI, XVII). La sciatique ne doit-elle pas être considérée, dans l'espèce, comme un de ces paroxysmes à forme névralgique que nous avons déjà décrits. Mais si ce paroxysme, nous le savons, est susceptible d'entraîner une polyurie passagère , quelle est son influence sur la polyurie permanente? Il est dif- ficile de répondre, car les observateurs n'ont pas envi-


DE L'HYSTERIE. 30.)

sage ce point particulier et intéressant de la question (1). Les autres causes occasionnelles appartiennent, sans qu'il soit nécessaire d'y insister, à l'étiologie banale des manifestations hystériques. Dans notre cas, la polyurie s'était montrée à la suite d'un traumatisme de chemin de fer.


Le début de la polyurie peut être, suivant les causes qui semblent lui avoir donné naissance, brusque ou insi- dieux.

La polyurie une fois installée, les mictions se font à intervalles variés, « en général, dit M. Ehrhardt {op. cil., p. 38), moins fréquemment la nuit que le jour » , ce qui n'était pas le cas, bien au contraire, dans notre observa- tion, k La quantité d'urine émise pendant le jour parait plus abondante que celle de la nuit, mais les mictions nocturnes, par cela même qu'elles sont moins fréquentes, sont chacune, en particulier, plus abondantes. Le volume des mictions est variable ; un de nos malades urinait en une fois habituellement plus d'un litre, mais ses mictions étaient rares ; elles sont parfois tellement pressantes que le polyurique n'a pas le temps de les satisfaire et urine dans son pantalon. »

Au point de vue des caractères de la miction, le cas de Linke fait exception à tous ceux qui ont été publiés. Sa malade qui, bien qu'hystérique par des attaques de toux, de l'aphonie et une zone hyperesthésique de la région scapulaire gauche, présentait des désordres mentaux qu'on peut rapprocher de la folie du doute, souffrit pendant onze jours seulement d'une polyurie qui atteignit une fois dix litres dans les vingt- quatre heures. Mais, pour con- stater cette exagération de la sécrétion urinaire, il fallait avoir recours au cathétérisme, car il existait une rétention d'urine par contracture spasmodique du col de la vessie.

(1) Bruhl, De la sciatiaue. Rev. génér. Gaz. des liôp., n° 126, 2 no- vembre 1893, p. 1193.


304 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Quoi qu'il en soit, au début surtout de cette manifes- tation, il existe fréquemment de la pollakiurie; de plus, l'émission des urines suit, en général, assez rapidement l'ingestion des liquides.

La quantité d'urine excrétée est très variable ; il n'est pas rare que les malades pissent huit, dix, quinze litres et même plus dans les vingt-quatre heures.

M. Mathieu a noté vingt-cinq à trente litres chez un sujet qui, après s'être retenu quelque temps, pouvait uriner en une seule fois deux litres et demi à trois litres ; notre malade, à un certain moment, excrétait vingt et un litres.

La coloration des urines, qui sont limpides et transpa- rentes, est d'autant plus faible que la polyurie est plus abondante ; de même pour le poids spécifique, qui, dans le cas de Linke, n'était que de 1,001.

Les recherches faites pour déterminer leur composition chimique ont donné des résultats différents, suivant les observateurs. En ce qui regarde l'urée, M. Ehrhardt les résume ainsi qu'il suit : L'urée varie « avec l'alimentation capricieuse des hystériques ; la quantité en est donc très variable, et, si nous la trouvons parfois augmentée, cet excès est dû à l'alimentation \ l'azoturie est ici une azoturie alimentaire, la composition des urines variant d'un jour à l'autre avec la nourriture plus ou moins azotée des malades. Il n'existe aucune relation entre la quantité des urines et celle de l'urée. »

Dans notre cas, l'urée, qui atteignait quarante -cinq grammes dans les vingt-quatre heures, diminua parallèle- ment avec la quantité du liquide excrété.

La caractéristique de la polyurie hystérique, au point de vue chimique, résiderait, pour M. Ehrhardt, dans l'augmentation du chlorure du sodium, les autres élé- ments, les phosphates en particulier — le contraire exis- tait dans le cas de M. Guinon — restant normaux. Il n'existe ni sucre ni albumine.

Enfin, phénomène très important signalé par M. Ba-


DE L'HYSTERIE. 335

binski, que nous avons nous-même nettement observé et d'autres auteurs avec nous, la suggestion hypnotique est susceptible de faire varier quantitativement l'excrétion urinai re.

En résumé, à part l'augmentation considérable de leur quantité, il est difficile, dans l'état actuel de la science, d'être précis sur la composition chimique des urines des polyuriques.


La polyurie hystérique s'accompagne presque con- stamment, sinon toujours, de polydipsie et de polyphagie, l'ingestion de grandes quantités de substances solides et liquides entraînant parfois une sorte de dilatation méca- nique de l'estomac.

Pour M. Ehrhardt, la soif, qui est constante, serait « loin d'atteindre le degré de celle qui accompagne le diabète sucré ou la polyurie essentielle » . Les faits ne justifient pas toujours cette affirmation.

« Malgré une sécheresse relative de la bouche et une salive épaisse, la langue reste encore humide. La soif varie, en général, en raison directe de la quantité des urines, mais la totalité des boissons absorbées reste toujours infé- rieure à celle des urines émises, condition qui ne peut se réaliser que grâce à une forte soustraction d'eau opérée aux dépens des tissus. »

Dans ces conditions, on comprend que, malgré la poly- phagie , l'amaigrissement ne tarde pas à survenir ; peu marqué dans les cas où le volume excrété ne dépasse pas trois à cinq litres dans les vingt-quatre heures, il attei- gnait dix kilos cinq cents dans l'observation II d'Ehrhardt, relative à un grand polyurique. Notre malade avait perdu vingt kilos de son poids, mais l'amaigrissement portait sur plusieurs mois, et la polyurie, lorsque nous le vîmes pour la première fois, dépassait vingt et un litres dans les vingt- quatre heures.

Lorsque la polydypsie est très accentuée, le pouls est


306 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

large, bondissant. « La tension artérielle a toujours été trouvée augmentée et a varié en raison directe de la quan- tité des liquides ingérés et, par conséquent, de la polyurie. »

Les malades sont, en général, tristes et abattus; c'est là, du reste, l'état mental ordinaire des hystériques du sexe masculin ; les fonctions générales semblent, cepen- dant, s'effectuer d'une façon normale ; la puissance sexuelle est conservée, bien qu'affaiblie, car parfois les désirs sont nuls ou très peu marqués.


Si l'on s'en tient au petit nombre d'observations nette- ment probantes que nous possédons, on peut dire, au point de vue de la marche et de Y évolution, que la polyurie est une manifestation grave de l'hystérie.

"C'est, dit Ehrhardt (op. cit., p. 45), une maladie inquié- tante par sa persistance et ses tendances à la récidive. Elle n'entraîne jamais aucune de ces complications fâcheuses, comme la tuberculose ou ces accidents dus à la glycémie, que l'on observe dans le diabète sucré ; d'autre part, elle n'amène pas cette débilitation profonde qui accompagne la phosphaturie ou l'azoturie.

« A l'égal des autres syndromes hystériques, un rien suffit à en provoquer le retour, alors qu'on avait tout lieu de croire à une guérison prochaine ; peut-être la polyurie est-elle susceptible de disparaître spontanément, mais si cette disparition peut survenir brusquement, nous ne devons pas oublier que l'hystérie, chez l'homme, est spé- cialement tenace, et nous devons garder une grande réserve en ce qui concerne l'époque possible de la guérison.

« Peu grave par elle-même, puisque les phénomènes de dénutrition sont relativement peu accentués, la polyu- rie hystérique peut amener chez certains sujets un état de déchéance psychique voisin de la neurasthénie ou de l'hypocondrie.




DE L'HYSTÉRIE. 397

« Si cette affection permet aux malades de vivre de Longues années sans compromettre leur bien-être, il n'en est pas moins certain qu'elle constitue une infirmité qui peut durer jusqu'à la mort. »

On le voit, le pronostic de la polyurie hystérique est assez sombre, car c'est un phénomène qui, d'emblée, tend à s'installer à l'état chronique et s'accompagne d'une dé- nutrition plus marquée certainement, à notre avis tout au moins, que ne le croit M. Ehrhardt.

Le diagnostic positif est facile. L'absence d'albumine ou de sucre dans les urines limpides d'un individu qui excrète beaucoup plus que le taux urinaire normal permettra de conclure à l'existence de la polyurie et d'attribuer celle-ci à l'hystérie, si le sujet présente ou a présenté d'autres ma- nifestations de la névrose.

Nous ne croyons pas qu'il soit possible , dans l'état actuel de la science, d'établir le diagnostic différentiel avec le diabète azoturique ou phospbaturique en se basant uniquement sur la composition des urines. Car, dans cer- tains cas de polyurie hystérique, l'analyse chimique a net- tement démontré l'existence surabondante de l'urée et des phosphates, et la caractéristique tirée par M. Ehrhardt de l'augmentation du chlorure de sodium, outre qu'elle est inconstante, nous semble insuffisante dans l'espèce.

Il faudra donc toujours s'en rapporter à l'existence an- térieure ou à la coexistence d'autres accidents, convulsifs ou autres.

Or, il n'est pas toujours facile d'établir d'une façon indéniable que le sujet est hystérique. Qu'on relise l'ob- servation de M. Babinski, celle de M. Mathieu, et l'on verra que non seulement les crises convulsives faisaient défaut, mais encore que les stigmates permanents étaient bien peu caractéristiques dans la circonstance. A noter encore que certains des malades de M. Lancereaux et de M. Ehrhardt étaient des alcooliques déjà anciens, et qu'en présence d'une polyurie modérée on eût pu penser à l'exis- tence d'altérations interstitielles des reins.


3D8 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Il ne sera donc pas toujours facile de trancher la ques- tion, et, pour notre part, si nous croyons fermement, pour l'avoir observée, à la polyurie en tant que manifestation indéniable de l'hystérie, il n'est pas moins vrai aussi que nous pensons qu'elle est peut-être beaucoup moins fré- quente qu'on ne l'a dit, et que plusieurs cas publiés comme appartenant à la névrose doivent en être manifestement distraits.

M. Babinski a indiqué un bon signe diagnostique : la diminution, sinon la cessation de la polyurie sous l'in- fluence de la suggestion hypnotique. Ce signe est de premier ordre, mais faut-il encore, pour qu'il ait de la valeur, que les sujets soient hypnotisables, ce qui n'est pas la règle, loin de là.

En l'absence de stigmates ou de toute autre manifesta- tion, c'est donc surtout sur l'ensemble des symptômes, sur l'état mental du sujet, sur le mode de début, sur l'évolu- tion du syndrome, qu'on se basera pour établir le dia- gnostic de polyurie hystérique qui, nous le répétons, n'ira pas sans présenter fréquemment de grandes difficultés. Nous ne parlons, bien entendu, ici que de la polyurie permanente.


A côté de la polyurie, il faut étudier comme manifesta- tion de la névrose sur l'appareil urinaire la diminution de la sécrétion connue sous le nom à'ischurie (de ïajéiv, arrê- ter, et oucov, urine), àoligurie ou à'anurie hystérique. L(.' terme général d'ischurie a été consacré par Charcot (I) dans une leçon magistrale, et, mieux qu'une définition, les premières lignes qu'il consacre à l'exposé de ce phéno- mène méritent ici d'être rapportées :

« Il ne s'agit pas là, dit-il, de la simple rétention d urine dans la vessie, fait vulgaire chez les hystériques... Dans Yischurie des hystériques, l'obstacle n'est ni dans l'urètre

(1) Leçons sur les maladies du système nerveux, t. I, 3 e édit., 1877, p. 277.


DE L'HYSTÉRIE. 399

ni dans la vessie. 11 est plus haut, soit dans les uretères, soit dans le rein lui-même, soit plus loin encore ; il y a là une question à juger. Le fait capital, c'est que la quantité d'urine rendue en vingt-quatre heures, à laide de la sonde, — car l'ischurie hystérique est presque toujours compliquée de rétention urétrale , — cette quantité, dis-je, est notablement au-dessous du chiffre physiolo- gique, souvent même elle est réduite à zéro, et, pendant plusieurs jours, il y a, en définitive, suppression absolue d'urine. »

L'ischurie, l'oligurie ou l'anurie, quelque terme que l'on adopte, paraissent prêter à des considérations histo- riques inverses, pour ainsi dire, de celles que nous avons exposées en traitant de la polyurie hystérique. La polyurie est connue depuis peu, son domaine semble aller s'agran- dissant tous les jours ; l'ischurie est de notion ancienne, et nous verrons que, au moins en tant qu'ischurie primitive, il y a lieu, suivant nous, d'en restreindre singulièrement la fréquence.

Nysten (1), dans le chapitre qu'il consacre à la dévia- tion des urines et où d'ailleurs toutes les causes de la sup- pression du flux urinaire sont confondues, s'exprime en ces termes : « On lit dans Marcellus Donatus (2), médecin du seizième siècle, l'observation d'une suppression d'urine par cause nerveuse survenue chez une jeune religieuse de Padoue, qui rendit par le vomissement plusieurs litres d'un liquide analogue à l'urine par son odeur et sa cou- leur. »

Puis vient le cas de Vallisneri (3), relatif à « une demoi- selle de dix-huit ans qui fut prise tout à coup d'une sup- pression d'urine » dont l'origine hystérique semble d'autant

^1) Nysten, Recherches de physiologie et de chimie pathologiques. Paris, 1811, art. III, p. 265.

(2) De liistoria medica mirabili, édit. donnée par Grégoire Horstius. Francfort, 1613, p. 495.

(3) Vallisneri, Opéra fisico-mediche, 3 vol. in-folio. Venezia, 1733, t. III, p. 338. La même observation a été insérée dans les Ephemericles des curieux de la nature, 9 e et 10 e centuries, obs. L.


400 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

plus probable que Nysten ajoute : « Ou a inséré dans les Mémoires de l'Académie des sciences, année 1715, un fait semblable observé par Marangoni, médecin de Mantoue, chez une religieuse de trente-cinq ans, délicate et hysté- rique. Chez celle-ci, 1 ischurie dura d'abord plus de qua- rante jours, et pendant tout ce temps il ne coula pas une goutte d'urine par le méat urinaire, à moins qu'on n'eût recours à la sonde, qui n'en faisait guère sortir qu'une once dans les vingt-quatre heures. Ce liquide quitta spontané- ment la route de l'estomac pour reprendre celle de l'urètre; mais, après un mois et demi de guérison, l'is- churie revint, et elle fut de nouveau accompagnée de vomissements urineux; alors il ne fut plus possible d'in- troduire la sonde dans la vessie, et, ce qui est assez remar- quable, la matière des vomissements, lors même qu'ils survenaient après le repas, ne contenait jamais d'aliments. Il v avait trente-deux jours que ces vomissements avaient reparu lorsque l'observation l'ut communiquée.

« M. Mareschal, chirurgien à Gien, en a publié une autre en 1765, dans l'ancien Journal de médecine (1) ; c'est une demoiselle également nerveuse qui en fait le sujet. »

Nysten lui-même rapportait deux observations inédites, sinon personnelles. La première ne nous paraît pas devoir être attribuée à l'hystérie.

Quant à la seconde, elle eut une influence singulière sur l'évolution de cette question de l'ischurie hystérique.

Il s'agissait d'une femme de quarante ans, atteinte d'hématémèses et danurie, avec « vomissements par intervalles d'un liquide urineux » . De fait, l'examen chi- mique démontra que les matières vomies renfermaient (p. 285) : « 1° une suffisante quantité d'urée pour former 8 gr. 32 de nitrate d'urée ; 2° la matière huileuse colorante et odorante de l'urine; 3° gr. 36 d'acide urique; 4° des quantités indéterminées de phosphate de chaux et de phosphate ammoniaco-magnésien; 5° des sulfates et des

(1) T. XXX, P . 558.


DE L'HYSTÉRIE. 401

muriates. Ce liquide renfermait en conséquence les maté- riaux caractéristiques de l'urine. »

Rapprochant ses deux observations de celles des auteurs précités, Nysten concluait (p. 291) que les « déviations » de l'urine « sont beaucoup moins rares chez les femmes, surtout chez celles qui sont atteintes de quelque affection nerveuse, comme l'hystérie, que chez les hommes » .

Or il paraît que la malade de la seconde observation de Nysten, au sujet de laquelle il avait pratiqué des analyses si concluantes, n'était autre qu'une simulatrice. C'est ce que nous apprend Charcot (1) :

«Un des cas d'ischurie hystérique, dit-il, qui, en France, a eu le plus de retentissement, est relatif à une nommée Joséphine Roulier qui, durant plus de quinze mois, figura, vers 1810, à la clinique du professeur Leroux. La malade avait d'abord offert les symptômes de l'ischurie simple avec parurie erratique. Nysten, qui rapporte le fait, avait analysé les matières vomies et y avait reconnu l'existence de l'urée. Peu après survinrent l'écoulement d'urine par le nombril, les oreilles, les yeux, les mamelons et enfin l'évacuation de matières fécales parla bouche... La fraude fut découverte par Boyer. Il suffit d'user de la camisole de force pour faire cesser ces phénomènes extraordinaires, et on trouva dans le lit de la malade des boulettes de ma- tières fécales dures et toutes préparées ! Par malheur, les Recherches de physiologie et de chimie pathologiques venaient d'être publiées. Il fallut faire amende honorable. Une note fut insérée dans le Journal général, de médecine et une autre fut annexée à quelques-uns des exemplaires du livre de Nysten. »

Ce coup fut à peu près fatal à la notion de l'ischurie hystérique, qu'on ne séparait guère alors de celle des vomissements dits urineux. Presque toutes les malades ischuriques dont les observations avaient été publiées furent englobées dans la même réprobation, et l'anurie

(1) Leçons sur les maladies du système nerveux, t. I, 3 e édit., 1877. 9 e leçon : De l'ischurie hystérique.

m. 26


402 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

fut pour ainsi dire rayée des cadres de la nosographie. « Nysten (1), dit Rayer, rapporte d'après différents auteurs plusieurs cas de vomissements urîneux chez des femmes hystériques; mais je crois que ces observations ne doivent être acceptées que comme des renseignements pour des recherches ultérieures, car ces femmes sont éminemment enclines à simuler les choses les plus extra- ordinaires. »

Le scepticisme de Rayer trouva des adeptes, car Charcot pouvait écrire en 1873 {op. cit., p. 279), dans sa leçon sur l'ischurie hystérique : « La réalité de cet accident a été mise en doute. Vous ne le verrez indiqué dans aucun des traités ou des articles récents sur l'hystérie, même dans les plus complets et les plus justement estimés. Il n'en est nullement fait mention, entre autres, dans le grand ou- vrage de M. Briquet. En somme, parmi les auteurs con- temporains, M. T. Laycock, professeur à l'Université d'Edimbourg, est peut-être le seul pathologiste qui, dans ses écrits, ait donné droit de domicile à l'ischurie hysté- rique. Après avoir consacré à ce sujet une série d'articles où il relate deux observations originales, M. Laycock y est revenu dans son livre bien connu sur les Maladies ner- veuses des femmes. Partout ailleurs, si l'ischurie hysté- rique est mentionnée, ce n'est qu'en passant, et non sans une pointe d'ironie à l'adresse des observateurs qui se sont laissés aller à prendre au sérieux ce prétendu symp- tôme. »

C'est l'éternelle histoire de la simulation dans l'hys- térie. De ce que la malade de Nysten simulait, et encore est-il à démontrer qu'elle simulait complètement, on pre- nait texte de cela pour nier l'ischurie hystérique, alors qu'elle existait manifestement dans nombre d'observa- tions dont les sujets étaient au-dessus de tout soupçon.

Le travail fondamental de Laycock (1838) est bien an- térieur aux recherches de M. Charcot, mais il n'en faut

(1) Traité des maladies des reins, t. I, p. 238, 1839.


DE L'HYSTÉRIE. 403

pas moins dire, dès maintenant, que l'entrée incontestable de l'ischurie dans le domaine nosologique date de la leçon que notre maître publia en 1873.

Il établissait, par l'étude d'une malade suivie pendant plusieurs années à la Salpètrière : 1° la réalité de l'ischu- rie; 2° la coexistence, dans son cas au moins, de vomisse- ments qui présentaient ce caractère « que la ligne des vomissements — sur un tracé comparatif — s'élève dune manière générale quand celle des urines s'abaisse, et in- versement. H y a donc eu un balancement assez régulier entre les deux phénomènes. »

Les vomissements renfermaient de l'urée ; le sang, — chez sa malade au moins, — examiné par M. Gréhant, ne contenait pas des quantités plus considérables d'urée qu'à l'état normal « chez une personne saine examinée compa- rativement » .

Bien que la quantité d'urée rendue par les vomisse- ments fût relativement faible, le sujet ne présenta jamais de signes d'urémie.

Nous allons nous servir de ces données et de celles que nous puiserons dans les auteurs qui se sont occupés de cette question pour tracer la description de l'ischurie hystérique.

Quelle est la fréquence de ce symptôme ? Laycock (l)en a réuni vingt-sept cas, parmi lesquels ceux rapportés par Nysten et plusieurs autres auteurs sont évidemment sujets à caution. Deux lui sont personnels. Son opinion sur la fréquence est la suivante :

« L'ischurie hystérique, dans sa forme moyenne, n'est pas très rare, mais certainement elle passe souvent ina-

(1) Laycock, A Sélection of cases presenling aggravated and irregular forms of Hjsteria, and on analysis of their phenomena, n° 1, Hjsterical iscliuria. The Edimburgh médical and sur g ical Journal, 1838, t. XXXXIX, p. 78, 221. — Id., A treatise on the nervous diseuses of women, Londres, 1840, section II, p. 228.


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perçue du praticien ou lui est cachée. Une jeune femme souffrira pendant vingt-quatre ou trente-six heures de suppression d'urine. La main placée sur lhypogastre ne révèle aucune distension de la vessie. Si la malade s'alarme, alors le pouls sera trouvé beaucoup augmenté de fréquence, mais rien autre de remarquable ne sera noté. A la fin, la malade rend quelques cuillerées d'urine, et on n'entend plus parler de cette suppression. »

Cette forme passagère de l'ischurie hystérique, la plus fréquente incontestablement, doit être évidemment prise en considération; elle se montre particulièrement après certains paroxysmes convulsifs ou sous l'influence de toute autre cause, mais l'intérêt qu'elle présente n'ap- proche pas de celui de la forme dite permanente, celle que Charcot a si bien décrite.

« Les faits, dit-il, sur lesquels je veux fixer votre atten- tion sont bien différents de ceux auxquels je viens de faire allusion. Ils offrent l'ischurie hystérique à son maxi- mum de développemeut, à l'état de symptôme permanent. Durant des jours consécutifs, des semaines, des mois, la quantité d'urine rendue en vingt-quatre heures peut être insignifiante, à peu près nulle. Parfois même, il y a, pen- dant une série de plusieurs jours, suppression complète d'urine. »

D'après Charcot, ces faits sont rares, mais il est néces- saire de s'entendre avant d'aller plus loin. Nous verrons bientôt que, dans la majorité des cas, l'ischurie s'accom- pagne d'un symptôme presque constant, le vomissement. Or, mis en présence d'une malade de cet ordre, — car c'est presque toujours de femmes qu'il s'agit, — il serait désirable qu'on pût dire immédiatement si l'ensemble symptoma- tique doit être attribué au vomissement — phénomène primitif entraînant l'ischurie — ou à l'ischurie, phéno- mène primitif à son tour entraînant les vomissements, le pronostic et le traitement pouvant être différents dans l'un ou l'autre de ces cas.

La question est cependant loin d'être résolue. C'est


DE L'HYSTÉRIE. 405

ainsi, par exemple, que les faits déjà étudiés de Fernet, de de Juventin, de Bouchard, classés par ces auteurs sous la rubrique de vomissements hystériques, sont rapportés dans la thèse de Ghataing (l) à l'anurie et à l'oligurie. Et il faut bien dire aussi qu'il n'est pas toujours facile de se prononcer.

Il ne nous paraît pas douteux que, dans le plus grand nombre des cas où l'ischurie permanente coexiste avec des vomissements, celle-ci soit secondaire, les malades anorexi- ques primitifs ou secondaires n'absorbant plus qu'une quantité de matériaux liquides ou solides insuffisante pour produire une excrétion urinaire normale. Une nous paraît pas nécessaire de faire intervenir d'autres causes dans la production de l'ischurie.

D'autre part, il est certain qu'il est des cas où l'ischurie est nettement primitive. Pourquoi dans ces faits, assuré- ment rares par rapport aux précédents, refuser d'admettre que les vomissements soient supplémentaires ou vicariants, d'autant qu'ils peuvent être accompagnés ou remplacés par de la diarrhée ou des sueurs profuses qui indiquent bien leur rôle d'émonctoires.

Nous croyons qu'entre la théorie de Charcot, qui exclut le mécanisme de l'urémie dans la production des vomisse- ments, et celle de Secouet, qui considère ces vomissements comme urémiques, il y a place pour un intermédiaire. Charcot, constatant que sa malade ne rendait quotidienne- ment que cinq grammes d'urée, fait remarquer (op. cit., p. 296) qu'un aliéné observé par Scherer, qui jeûnait depuis trois semaines, excrétait neuf à dix grammes d'urée par vingt-quatre heures. Or nous avons démontré, depuis les recherches de notre maitre, que dans les paroxysmes hystériques prolongés — et l'ischurie comme les vomisse- ments peuvent rentrer dans cette catégorie de manifesta- tions hystériques — l'urée s'abaissait toujours considérable- ment au-dessous de la normale. Mais si cette constatation

(1) Chvfainc, De l'anurie et de l'oligurie hystériques. Th. Paria, 1880.


406 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

explique par certains côtés le taux si faible de l'urée, il ne s'ensuit pas que la minime quantité d'urée sécrétée n'ait pas besoin d'être éliminée, et si la sécrétion urinaire est tarie d'emblée, comme dans les cas d'anurie primitive, l'organisme cherchera des moyens d'élimination, et il les trouvera dans les vomissements en particulier.

Nous verrons d'ailleurs bientôt que les investigations récentes de Rossoni et de Rainaldi semblent avoir démon- tré la réalité de l'urémie dans l'hystérie. Et l'argument tiré par M. Bouchard et son élève Juventin de ce fait que l'urée se retrouve dans tous les vomissements tombe, avons-nous dit, parce que ces auteurs n'ont pas cherché si les vomissements hystériques renfermaient moins d'urée que les vomissements urémiques proprement dits.

De tout cela il résulte : que l'étude de l'ischurie et celle des vomissements hystériques sont complémentaires l'une de l'autre ; que si l'ischurie est, le plus souvent, sous la dé- pendance des vomissements, phénomène primitif, il n'est pas moins réel que dans certains cas, plus rares à la vérité, l'ischurie est primitive et les vomissements secondaires, ou mieux supplémentaires ou vicariants.


Ceci dit, les faits d'ischurie hystérique sont de plusieurs ordres :

1° Ceux déjà signalés, dans lesquels la suppression com- plète ou incomplète de l'urine, n'étant que transitoire et n'entraînant pas de désordres concomitants, reste souvent inaperçue ;

2° Ceux où l'ischurie constitue, comme dit Charcot, un symptôme permanent qui s'accompagne de vomisse- ments (1) ou de tous autres phénomènes vicariants : sueurs profuses, salivation, diarrhée (2) ;

(1) Pomme, Traité des affections vaporeuses, 6 e édit., an VII, t. I, p. 238. « Suppression totale des urines et des selles dans une fille attaquée de vapeurs hystériques. »

(2) Tommasi, Sulla iscuria isterica. Il Morgagni, n°' 1, 2, 1875.


DE L'HYSTÉRIE. 407

3° Ceux dans lesquels l'ischurie existe sans être accom- pagnée de phénomènes vicariants.

Les premiers, nous lavons dit, n'ont qu'un intérêt rela- tif et se passent de description : quand la malade attire l'attention sur son ischurie, on doit surtout ne pas con- fondre celle-ci avec la rétention d'urine, ce qui est facile à l'aide de la sonde.

Les seconds, moins fréquents, mais qui cependant ont beaucoup plus frappé les observateurs , ont une impor- tance bien supérieure à celle des premiers.

Leur description se confond, par un grand nombre de points, avec celle que nous avons donnée des vomisse- ments incoercibles , non gastralgiques en particulier. Il importe surtout d'établir que les vomissements sont, dans la circonstance, secondaires à l'ischurie.

A la suite d'une attaque, sous l'influence d'une cause banale ou ignorée, une femme reste une demi-journée et plus sans uriner. Un médecin est mandé, mais la sonde ne ramène pas de liquide. Alors au bout de trente-six ou de quarante-huit heures, souvent plus, quelquefois moins, il est difficile de préciser, surviennent des vomissements soit spontanés, soit provoqués par la moindre ingestion alimentaire.

Un caractère qui permettrait de dire si ceux-ci sont liés nettement à l'anurie, c'est-à-dire supplémentaires de la fonction rénale, serait leur odeur urineuse, notée assez souvent par les anciens auteurs, mais que l'on ne retrouve plus dans les observations modernes. Et encore, puisque les vomissements renferment de l'urée, sa décomposition ne pourrait-elle pas donner lieu à l'odeur urineuse, sans que celle-ci offrît, d'ailleurs, rien de spécifique, puisque l'urée se retrouve dans tous les vomissements.

Charcot n'accueille l'odeur urineuse des matières vomies qu'avec beaucoup de scepticisme : « A la suppression d'urine, dit-il (p. 278), se joint dune manière en quel- que sorte obligatoire un autre phénomène qui est, pour ainsi dire, le complément du premier : je veux parler de


408 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

vomissements se répétant tous les jours et même plusieurs fois par jour aussi longtemps que dure l'ischurie, et dont la matière présente quelquefois, dit-on, l'aspect ou l'odeur de l'urine. »

Laycock , dans les deux cas qui lui sont personnels, aurait constaté ces caractères spéciaux des vomissements qui avaient fait créer à Good le terme de paruria erra- tica. Ce terme doit-il être conservé? Très rarement, nous l'avons dit, dans les observations anciennes, presque ja- mais dans les observations modernes, on note l'aspect et l'odeur urineux des matières vomies. Cependant, celles-ci renferment de l'urée, et bien que Bouchard ait démontré qu'il en existait dans tous les vomissements, il ne nous paraît pas douteux, à l'inverse de la théorie qu'il soutient et dont M. Empereur s'est fait l'écho, que, dans certains cas d'ischurie hystérique, l'estomac ne joue un véritable rôle d'émonctoire. Les matières vomies doivent être assimilées à des urines supplémentaires, quelle qu'en soit la couleur ou l'odeur; c'est le procédé qu'emploie l'organisme pour rejeter des matériaux excrémentitiels dont l'accumulation sans cela produirait l'urémie.

A noter encore que, dans les observations de Laycock, les malades vomissaient du sang, ce qui, il faut l'avouer, tendrait à faire admettre que la manifestation gastrique était primitive, l'hystérie bien plus que l'urémie étant productrice d'hématémèses.

On constate, dit Charcot, un « balancement assez régu- lier entre les deux phénomènes » , ischurie et vomisse- ments, « la ligne des vomissements, sur un tracé com- paratif, s'élevant d'une manière générale, quand celle des urines s'abaisse et inversement. »

Cette relation a été notée par Little (1) ; elle est expres- sément signalée par Berdinel (2), chez une malade qui fut suivie pendant deux ans.

(1) Little, Hysterical ischuria. The Lancet, t. II, 4 juillet 1891.

(2) Berdinel, Hystérie et catalepsie. Arch. gén. de méd., oct. 1875, 6 e série, t. XXVI, p. 385.


DE L'HYSTÉRIE. 409

« Le 2 1 , dit-il, la malade n'a presque pas vomi : urines, 600 gr. Les vomissements reprennent : urines, 40 gr. »

Ces vomissements sont donc véritablement supplémen- taires dans certains cas, et ce qui le démontre encore, c'est que dans d'autres faits d'anurie, ils étaient remplacés soit par de la diarrhée (Tommasi, op. cit., Freud) (1), soit par un flux exagéré de salive (Chataing, op. cit., p. 62).

A l'anurie, aux vomissements peuvent se surajouter d'autres phénomènes hystériques : de la tympanite (Lay- cock), une paraplégie, mais ce sont là manifestations con- comitantes.

La marche et l'évolution de cette variété de l'ischurie hystérique sont fort variables. Pendant des semaines, des mois ou des années, — deux ans, dans un cas de Girdle- stone rapporté par Laycock (2) , — les urines sont sinon complètement supprimées, tout au moins très insuffisam- ment sécrétées en quantités qui varient souvent d'un jour à l'autre, parallèlement à la courbe des vomissements, des sueurs profuses ou des évacuations diarrhéiques. Du fait des vomissements en particulier, l'alimentation est très entravée, les malades maigrissent considérablement. Puis, à un moment qu'il est toujours difficile de prévoir, sous une influence souvent indéterminée, tout rentre dans l'or- dre; les urines sont sécrétées à nouveau, les vomissements disparaissent, à moins, cependant, que l'anorexie secon- daire ne s'en mêle et n'expose la malade aux plus grands dangers.


  • =*


Si, dans les cas que nous venons d'étudier, il est parfois difficile d'attribuer séparément à l'appareil urinaire ou à l'estomac la genèse première des accidents observés , il n'en est pas de même dans la dernière catégorie des faits d'ischurie, de beaucoup, dureste, les plus rares. Nous

(1) Freud, Ischiwie hystérique. The Glasgow med. Journal. An in Arch. de Neurologie, i886, p. 80.

(2) A treatise... op. cit., p. 232.


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voulons parler de ceux où l'anime existe seule, perma- nente sans s'accompagner de phénomènes vicariants, les vomissements en particulier. Pour être rares, ces cas n'en sont que plus intéressants.

La description en est facile : l'urine n'est plus sécrétée, ou, au moins, les voies excrétoires n'en éliminent que des quantités nulles ou tout à fait insignifiantes, l'absence de flux urinaire ne paraissant pas compensée par un autre flux, anormal au moins par sa quantité.

Les choses peuvent aller ainsi sans trop d'accidents apparents pendant quelques jours et parfois plus. Holst(l) a étudié un cas où l'anime persista pendant dix-sept jours.

Dans une observation de Benedikt signalée par Holst. les mêmes phénomènes n'avaient duré que huit jours.

Ces faits, qui vont contre toutes les données physiologi- ques acquises en ce qui regarde les accidents qu'entraîne ordinairement avec elle la rétention de l'urée et des prin- cipes excrémentitiels de l'urine dans l'organisme, doivent être considérés comme exceptionnels. Rossoni (2) nous sem- ble, en effet, avoir nettement démontré qu'au bout d'un certain temps, l'anurie hystérique pouvait déterminer l'apparition de tous les phénomènes de l'intoxication uré- mique, et encore les faits qu'il a étudiés ne se rappor- taient-ils pas à l'anurie totale, laquelle est fort rare, comme nous l'avons dit, sous sa forme permanente.

Il a observé deux malades. Chez la première, il y eut de l'oligurie, puis de l'anurie sans troubles apparents pendant douze jours ; puis de légers désordres se montrèrent vers le vingt-deuxième jour. Voulant se rendre compte de la nature des phénomènes observés, il administra, pendant une période d'anurie sans sueurs et sans vomissements, 12 grammes d'urée en douze paquets dans l'espace de six

(1) Holst, Ein Fall von Anuria hysterica. Centralb. f. Nervenheilk. , février 1892, p. 45.

(2) Rossoni, Sull' anuria i.tterica con seçrezione di urina per lo stomaclio, e ricerche sperimentali faite sulle isteriche in rapporto alla uremia. Rivista clinica, n os 10, 11, 1885.


DE L'HYSTERIE. 411

heures ; vingt-quatre heures après survint une attaque d'urémie. La pilocarpine (2 centigrammes en injection) provoqua l'apparition de salive, de sueurs, et d'urines ren- fermant de l'urée.

Chez la seconde malade, l'anurie persista pendant cin- quante jours sans phénomènes d'urémie, si ce n'est une légère céphalalgie et un tremhlement peu marqué. Une injection sous-cutanée de quinze grammes d'urée détermina une attaque d'anurie que fit également disparaître la pilo- carpine. Toutefois celle-ci ne détermina pas l'apparition de la sécrétion urinaire, mais seulement provoqua des sueurs et de la salivation. Une nouvelle injection de qua- torze grammes d'urée, pendant une seconde période d'anu- rie avec vomissements , ne provoqua pas de désordres attribuables à l'urémie.

Rainaldi Rinaldo (1), après avoir cité le travail de Ros- soni et ceux de ses compatriotes Tommasi (op. cit.), Pétrone (2), Andronico (3), est revenu sur cette question de l'urémie hystérique et a étudié longuement le cas d'une malade soumise à son observation.

La lecture des travaux précités, jointe à ses recherches personnelles, le conduit à cette conclusion, dont il s'ef- force de démontrer le bien fondé : « Quand il existe de l'oligurie ou de l'anurie et que les fonctions vicariantes font défaut, il doit exister nécessairement un excès d'urée dans l'organisme qui provoquera, dans un temps plus ou moins long, l'apparition des phénomènes urémiques. »

Cependant, sa malade n'était pas une anurique totale ; mais l'analyse démontrait que le taux de l'urée excrétée était très abaissé par rapport à la normale. Aussi survint- il un cortège symptomatique constitué par de la céphalée, des nausées, un prurit cutané, de l'affaiblissement de la

(1) Rainaldi Rinaldo, Uremia isterica. Foligno, 1889, in-8°, 74 pages et tableaux.

(2) Pétrone, L'iscuria isterica permanente. Sua legqe e suo valore II Morgagni, fol. 11 et 12, 1879.

(o) G. Andronico, Nevropatia rénale in donna isterica. Iscuria isterica permanente dello Charcot. Giorn. intei-nat. délie Scienze med., n° 6, 1884.


412 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

vue et de la dyspnée. Il attribua tous ces symptômes à l'urémie et conclut, de ce l'ait, « qu'il est possible d'ob- server dans l'hystérie une forme d'urémie par obstacle à l'élimination de l'urée et des autres éléments de l'urine » .

Et comme sa malade n'était pas anurique totale, il ajou- tait, ce qui nous semble, par contre, loin d'être nettement démontré, « que, dans l'urémie hystérique, les phéno- mènes toxiques peuvent ne pas être en rapport constant avec la quantité d'urine excrétée ;

« Qu'il ne semble pas exister de différences entre les formes de l'urémie : hystérique, néphrétique ou calcu- leuse » .

Il faut avouer que l'unique observation de Rainaldi ne prête guère à des conclusions aussi précises, d'autant que, comme nous l'avons dit, la malade de Holst resta anu- rique totale pendant dix-sept jours sans phénomènes, remarqués au moins, d'intoxication urémique.

De tout cela que faut-il conclure ? A notre avis : que l'ischurie hystérique s'accompagne, dans la très grande majorité des cas, de phénomènes vicariants, tels que vomis- sements, sueurs ou diarrhée; que les faits prolongés d'anurie ou d'oligurie sans phénomènes vicariants sont très rares et s'accompagnent parfois des symptômes de l'urémie, sur la gravité desquels, en l'absence d'un nombre suffisant d'observations, il est très difficile de se prononcer actuellement.


Nous arrivons maintenant à l'étude des manifestations hystériques portant sur l'appareil excréteur de l'urine. Disons en quelques mots, ce que l'on observe du côté de Yurêlre, qui, comparativement au réservoir vésical, joue un rôle peu important dans la série des phénomènes que nous allons décrire.

Nous rappellerons que la muqueuse urétrale, comme celle de la vessie, peut être frappée d'anesthésie (t. I, p. 196-197), ou être le siège d'une zone hyperesthésique


DE L'HYSTERIE. 413

et même hystérogène, comme dans le cas qui nous fut communiqué par M. Georges Guinon (t. I, p. 309).

Nous rapprocherons de ce dernier fait celui observé par Boyd (1) chez un homme de vingt-deux ans ; le passage de la sonde produisait l'hypnotisme, ce qui semble bien prouver que le malade était hystérique. Toutefois, cette observation, pour être concluante, eût gagné à être moins écourtée.

En 1893, nous avons soigné, à l'hôpital Cocbin, un homme de quarante-six ans qui, au cours de manifestations hystériques multiples, présenta certainement des phéno- mènes de contracture , de spasme de l'urètre attribua- bles à la névrose. Son histoire est intéressante au point de vue des déterminations de l'hystérie sur l'appareil uri- naire.

En 1870, il est atteint d'une paraplégie hystérique avec contracture qui dure quatre mois et s'accompagne d'une incontinence d'urine qui persiste encore deux à trois mois après la disparition de la paraplégie.

En 1876, il a une série d'attaques convulsives. En 1886, il tombe pendant six semaines dans le sommeil léthargi- que ; il en sort avec une parésie des membres inférieurs sous forme de pseudo-tabes, accompagnée de douleurs fulgurantes et d'une incontinence complète d'urine. Consi- déré comme incurable, il reste dans cet état pendant trois ans, jusqu'en 1889, époque à laquelle tous ces phénomènes disparaissent. Il se rend à Paris à pied, faisant quinze lieues par jour.

En mai 1892, il est pris d'une rétention subite d'urine que rien ne faisait prévoir, puisque, la veille, il pissait à plein canal. Il n'a, d'ailleurs, jamais eu ni blennorragie ni syphilis. Il entre à l'hôpital de Nantes et reste trois jours sans pisser. Plongé dans un bain chaud, il urine copieuse- ment, à large jet. Malgré cela, le lendemain, la rétention s'est reproduite ; le chirurgien essaye de le sonder et ne

(1) Boyd, Hjpnolism produced by the passage of a urethral sound. The med. Record, 18 février 1893, p. 202.


414 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

peut y parvenir. De nouvelles tentatives de cathétérisme semblent démontrer à celui-ci qu'il existe un double rétré- cissement ; aussi n'hésite-t-il pas à faire une urétroto- mie externe dont le malade porte encore les traces ; il se produisit, du reste, une fistule qui mit longtemps à guérir.

En 1893, M... vient à l'hôpital Cochin pour des accidents hystériques variés, accompagnés de stigmates permanents caractéristiques. II. urine bien, mais parfois survient, pen- dant cinq minutes au plus, de la rétention d'urine. Il souffre beaucoup à ce moment, semble avoir une sorte de crise douloureuse à départ vésical : tout à coup, le jet sort large, abondant; il lui semble, dit-il, « qu'on dénoue les cordons d'une bourse » .

Il ne nous paraît pas douteux qu'il ait été opéré pour un faux rétrécissement, pour un spasme de l'urètre, qu'en l'absence de belnnorragie antérieure et en présence d'ac- cidents hystériques confirmés, il n'est pas téméraire de porter à l'actif de la névrose.

C'est le seul fait de cet ordre que nous connaissions.


Nous nous efforcerons d'appliquer à l'étude des déter- minations vésicales ce que nous savons des grands proces- sus de l'hystérie : anesthésie, hyperesthésie de la mu queuse, paralysie ou contracture du plan musculaire, mais, comme pour l'estomac, nous allons nous trouver en pré- sence de grosses difficultés.

Les auteurs, en effet, qui ont traité de ces questions se sont beaucoup plus appliqués à donner des tableaux cliniques qu'à approfondir le mécanisme des phénomènes qu'ils observaient, et les termes de cystalgie, d'inconti- nence ou de rétention d'urine marchent en tète d'autant de chapitres où nous eussions aimé rencontrer l'étude causale de ces symptômes.

Aussi M. Jules Janet a-t-il pu écrire (1) : «Les hystéri-

(1) J. Janet, Les troubles psychopathiaucs de la miction. Thèse Paris, 1890, p. 3.


DE L'HYSTERIE. 415

ques présentant des troubles de la miction ont été très bien analysés au point de vue syinptomatique dans tous les ouvrages qui traitent de la miction et des affections névro- pathiques, mais la pathogénie de leurs accidents reste encore obscure, comme celle de toutes les hystéries viscé- rales. »

Et nous ne nous étonnerons plus de l'obscurité de la pathogénie lorsque, par exemple, nous verrons que la pa- ralysie et la contracture de la vessie peuvent indifférem- ment produire ou la rétention ou l'incontinence d'urine.

Dans ces conditions, il nous sera bien difficile de nous séparer complètement de cette terminologie, qui ne va pas au delà du symptôme observé; mais, tout en restant sur le terrain clinique , nous serrerons d'aussi près que pos- sible l'interprétation des faits.

Donnons d'abord un aperçu historique général de la question.

Les auteurs qui ont écrit sur les manifestations vésicales de l'hystérie rappellent presque tous certains passages d'Hippocrate qui, suivant eux, seraient relatifs à cette localisation de la névrose.

« La vessie interceptée, dit le père de la médecine (1), surtout avec céphalalgie, a quelque chose de spasmo- dique. »

Voilà qui peut s'appliquer aussi bien à la rétention d'urine d'origine organique qu'à celle de cause dyna- mique.

Mais il n'en est plus de même du passage suivant (2) : « Quand la matrice se porte vers la vessie, elle y occa- sionne la strangurie. »

Sydenham (3) a nettement observé la cystalgie. Les manifestations rénales de l'hystérie seraient toutefois plus fréquentes que les déterminations viscérales.

«La vessie, dit-il, n'est même pas exempte des atta-

(1) Prorrhéliques, liv. I, p. 551.

(2) Maladies des femmes, liv. II, p. 267.

(3) Sydenham, trad. Jault, p. 478, op. cit.


416 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

ques de ce mal; non seulement il y cause de la douleur, mais encore il supprime l'urine tout de même que s'il y avait une pierre dans la vessie, quoi qu'il n'y en ait aucune. Cette dernière sorte d'affection hystérique qui attaque la vessie est très rare ; celle qui attaque les reins est plus commune. Toutes deux arrivent aux femmes dont les forces sont déjà affaiblies et la santé ruinée par de fré- quents accès hystériques qui leur sont survenus. »

Dans sa thèse inaugurale, M. Mesnet (1) relate un pas- sage d'un médecin du dix-huitième siècle , Johannes Freind (2), qui attribue nettement la rétention d'urine à la paralysie du plan musculaire de l'organe excréteur.

Les auteurs qui, au dix-neuvième siècle, se sont occupés des déterminations de l'hystérie sur l'appareil urinaire étant fort nombreux et ces déterminations assez variées, nous préférons compléter cet historique en traitant de chacune de celles-ci en particulier.


En ce qui regarde Yétiologie générale des phénomènes que nous allons décrire, nous dirons que la grande majo- rité des cas observés appartient à des femmes, en parti- culier à des femmes adultes , bien que les hommes ne soient pas indemnes de ces accidents (obs. I, Janet, p. 17, op. cit.). Cela tient à ce fait que très fréquemment les manifestations vésicales coïncident ou alternent avec des manifestations hvstériques localisées sur l'utérus ou ses annexes. Nous en conclurons déjà que les troubles vésicaux sont rarement isolés ; ils peuvent exister, nous l'avons vu, dans les paralysies ou les contractures des membres inférieurs, bien moins souvent, toutefois, que lorsque celles-ci sont d'origine organique, ce qui est important, nous lavons dit, au point de vue du diagnostic diffé- rentiel.

(1) Mesnet, Etude des paralysies hystéricjues. Th. Paris, 1852.

(2) J. Freind, Emmenologia in qua fluxus muliebris menstrui pheno- mena... cxiguntur, 173-V.


DE L'HYSTERIE. 417

Quant aux causes qui peuvent leur donner naissance, outre qu'elles se confondent fréquemment avec celles de l'ensemble symptomatique dont ces manifestations font partie, il est presque toujours fort difficile d'en donner une exacte appréciation.


La forme douloureuse de l'hystérie vésicale, l'hyperes- thésie de la muqueuse du réservoir, déjà décrite par Sydenham, se montre sous un aspect clinique très tranché.

Briquet en a donné une bonne description. Suivant cet auteur, on l'observerait assez fréquemment.

« La vessie, dit-il {op. cit.,ip. 265), peut être également le siège de l'hyperesthésie , ainsi que l'avait reconnu Sydenham, qui pense à tort, selon moi, que cet accident est plus rare que ne l'est la néphralgie. Sur mes quatre cents hystériques, j'ai rencontré au moins une vingtaine de fois l'hyperesthésie de la vessie. Dans les cas où je l'ai vue, elle accompagnait constamment soit la dysménor- rhée, soit l'aménorrhée, soit l'hyperesthésie de l'utérus.

« Dans ces cas, il existe une douleur constante à la région sus-pubienne, laquelle est ordinairement augmen- tée par la pression; le besoin d'uriner devient fréquent, et les efforts que font les femmes pour satisfaire à ce besoin sont accompagnés de vives souffrances ; quelquefois il y a rétention d'urine ; d'autres fois l'urine peut être émise, mais son émission s'accompagne d'une vive douleur au méat urinaire. L'introduction de la sonde dans l'urètre est souvent excessivement douloureuse. L'urine ne pré- sente aucun caractère particulier, si ce n'est celui de se rapprocher de l'urine normale.

« L'hyperesthésie de la vessie a, le plus souvent, une durée assez longue ; comme elle est presque toujours subordonnée à des lésions de la menstruation , dont la marche est constamment chronique, on s'explique facile- ment l'opiniâtreté qu'elle montre.

« Le diagnostic de cette affection est fort simple : cette m. -:-


418 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

maladie ne peut être confondue qu'avec la cystite. Or, dans celle-ci, il existe de la fièvre ; la douleur à la vessie est continuelle, les besoins d'uriner sont incessants ; l'urine trouble contient du mucus, du muco-pus ou des fausses membranes ; enfin, il existe ordinairement de la rougeur au méat urinaire. Or, rien de tout cela n'a lieu dans la cystalgie. •»

Nous avons tenu à citer en entier ce passage de Bri- quet. Les phénomènes dont il donne la description sont entièrement assimilables à ceux de la gastralgie par zone hyperesthésique de la muqueuse stomacale. Le besoin incessant d'expulser l'urine est l'analogue du vomisse- ment spasmodique, car il n'est pas douteux que, bien souvent, l'hyperesthésie se superpose au spasme du plan musculaire de la vessie. Enfin, comme dans l'observa- tion qui nous fut communiquée par M. G. Guinon, où l'injection forcée d'eau boriquée dans le réserv r oir déter- minait l'apparition d'une crise convulsive, il est rationnel d'admettre que, dans certains cas, la muqueuse vésicale peut être le siège d'une zone hystérogène.

Il faut certainement rapporter à l'hystérie un grand nombre des cas de Y irritable bladder des Anglais, affection dont Laycock (1840) fait une simple mention dans son traité {op. cit., p. 240). Il est étonnant que Briquet, qui écrivait vingt ans plus tard (1859), n'ait pas songé à faire ressortir ces analogies.

La même année que Briquet, Hamon (1) publiait sur la cystalgie quelques considérations qui ne sont pas dépour- vues d'intérêt, bien qu'il ne prononce pas le nom d'hys- térie, et qu'une de ses trois malades fût albuminurique, ce qui n'empêchait pas, à notre avis, l'hystérie d'exister chez elle. Il remarque, avec justesse, que la cystalgie occa- sionne beaucoup plus souvent le spasme du sphincter que la paralysie de la vessie. Les douleurs peuvent être provo- quées par la pression hypogastrique ; elles se montrent sur-

(1) Hamon, De la cystalgie et de son traitement par la cautérisation potentielle hypogastrique. Union médicale, t. III, 1859, p. 51, 72.


DE L'HYSTERIE. 419

tout spontanées, lorsque le réservoir commence à se rem- plir ; il survient alors des épreintes, et des efforts sont nécessaires pour vaincre la contracture du sphincter.

Bourguignon (l) est beaucoup plus précis que Hamon au sujet de l'hystérie. La névralgie vésicale est surtout causée chez la femme par la névrose ; elle coïncide parti- culièrement avec la névralgie du col utérin ; quand les règles, toujours douloureuses dans la circonstance, sont terminées, « la névralgie abandonne l'utérus et reste exclusivement sur le col vésical, où elle devient une cause de souffrances diverses; car, d'une part, la malade ne peut, sans éprouver les plus vives douleurs, satisfaire le besoin de miction qui la presse, et, d'autre part, si elle résiste à cette impérieuse nécessité de vider la vessie, la distension de celle-ci irrite le col vésical, réveille son hyperesthésie et entretient la nervosité dans un degré de violence intolérable » .

Mais ce qu'il dit de la paralysie qui , dans ces cas , surviendrait, suivant lui, à la longue, pourrait, croyons- nous, beaucoup mieux s'appliquer à la contracture, bien qu'il connaisse également cette dernière.

« Il est d'ailleurs facile de comprendre, ajoute-t-il, que les urines ainsi retenues en abondance dans la vessie, que ces douleurs incessantes produites soit par leur séjour, soit par leur épanchement, émoussent à la longue la sen- sibilité de cet organe et en déterminent la paralysie.

« J'ai également vu à l'hôpital de la Charité plusieurs hystériques présenter l'ensemble de ces phénomènes et passer ainsi de la névralgie spasmodique du col vésical à la névralgie de la vessie. »

La question de l'hystérie vésicale envisagée plus particu- lièrement sous sa forme douloureuse était donc nettement posée ; de ce fait on eût pu croire que les auteurs, nos con- temporains, l'auraient complètement résolue. Il n'en fut rien cependant. Que Miot, dans sa thèse sur la cystalgie

(1) Bourguignon, Névralgie de la vessie. Union médicale. 1860, t. V, p. 517, 547.


420 TRAITÉ CLINIQUK ET THÉRAPEUTIQUE

idiopathique (1), ne parle pas de la névrose, cela est regrettable; mais que, en 1887, M. Hartmann (2) ne pro- nonce même pas le nom d'hystérie dans son important mé- moire consacré aux cystites douloureuses, il y a là quelque chose qui véritablement est fait pour nous étonner.

Dans ces conditions, on n'est plus surpris de lui voir écrire (p. 16) « que la pathogénie des cystites de la femme qui revêtent quelquefois le type douloureux est en général assez mal établie » . Cependant il veut bien consi- dérer que ses malades étaient parfois atteintes de « ner- vosisme » , mais « cet état, qui existe très certainement dans un bon nombre de cas, ne présente pas une fréquence telle qu'on puisse le regarder comme une cause de cette variété de cystite (douloureuse), d'autant que lorsqu'on suit les malades on voit qu'il n'existait pas avant l'appari- tion de la cystite et que, de plus, il guérit avec elle. Il n'est donc simplement que la résultante de la cystite dou- loureuse, bien loin d'en être la cause (p. 17). »

De semblables opinions, aussi peu en rapport avec les faits ou tout au moins avec une certaine catégorie de faits, nous semblent retarder singulièrement le progrès scienti- fique en de telles matières. Elles entraînent avec elles la perte de nombreux documents délaissés ou mal inter- prétés, de toute une catégorie d'observations qui échappent aux médecins proprement dits, car nous sommes certain que le plus grand nombre des malades que nous avons actuellement en vue s'égarent dans les services de chi- rurgie, où il nous a fallu également aller chercher le sein hystérique.

La thèse récente de M. Challeix-Vivié (3) comble pour- tant jusqu'à un certain point les lacunes imputables aux chirurgiens modernes sur la cystalgie hystérique.

Pour M. Challeix-Vivié, la névralgie vésicale serait rare

(1) Miot, Cystalgie idiopathique. Th. Paris, 1866.

(2) Hartmann, Des cystites douloureuses et de leur traitement. Th. Paris,. 1887, in-8°, 213 pages.

(3) Challeix-Vivié, Des névralgies vésicales. Th. Bordeaux, 1889.


DE L'HYSTERIE. i'21

chez les hystériques. « Ayant, dit-il (p. 85), suivi pendant plusieurs années la clinique du professeur Pitres, dont le service possède toujours un certain nombre d'hystériques, nous n'avons eu l'occasion d'observer la cystalgie que chez une seule malade » , dont il rapporte l'histoire.

Celle-ci est intéressante, car elle va nous servir à inter- préter dans un instant la pathogénie, déjà entrevue par les anciens auteurs, de certaines rétentions d'urine liées évidemment à la contracture spasmodique du col super- posée à l'existence d'une zone hyperesthésique hystéro- gène de la muqueuse du réservoir vésical.

« La malade éprouve des douleurs lancinantes dans la région hypogastrique, douleurs qui s'exagèrent au moment de la miction. « Il me semble, dit-elle, qu'on m'arrache le bas-ventre. » La pression profonde au niveau de la vessie est douloureuse pendant la plénitude de ce viscère. H y a deux ans, elle a eu, sans cause provocatrice appréciable, de la rétention d'urine pendant une période de trois mois.

« Ces crises de douleur vésicale reparaissent à peu près toutes les semaines avec la même difficulté pour la mic- tion. »

Ces douleurs s'accompagnent d'impérieux besoins d'uri- ner qui, s'ils ne sont pas immédiatement satisfaits, « pro- duisent comme une contracture spasmodique du col, et il arrive alors à la malade de rester plusieurs heures sans pouvoir uriner » .

Ce sont des cas analogues qu'a observés M. Mesnard (1), tout en faisant, dans la circonstance, une large part à la neurasthénie.

En résumé, il existe chez les hystériques, tout particu- lièrement chez les femmes adultes, des manifestations douloureuses du côté du réservoir de l'urine qui paraissent liées à l'hyperesthésie de la muqueuse et en rapport fré- quent (Bourguignon) avec les névralgies utérines et la dys-

(1) Mesnard, Symptômes vésicaux dans la neurasthénie et l'hystérie. Annales de la Polyclinique de Bordeaux, juin 1893, t. III, fasc. I, p. 24.


422 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

ménorrhée. La pression de l'hypogastre est douloureuse, mais la douleur se montre surtout et spontanément lorsque la vessie se remplit. Pour éviter cette douleur, les malades s'efforcent d'expulser l'urine qui, en distendant le réser- voir, comprime et exalte la zone hyperesthésique de la muqueuse ; de ce fait, elles souffrent d'épreintes conti- nuelles qui ne cessent que lorsque le réservoir s'est com- plètement vidé. Nul doute que la zone hyperesthésique de la muqueuse ne puisse, à un moment donné, devenir liysté- rogène et qu'il ne se produise des paroxysmes à forme de névralgie vésicale, comme il existe des paroxysmes à forme gastralgique.

Au bout d'un certain temps, le spasme du sphincter peut se superposer à l'hyperesthésie et produire la réten- tion d'urine. Ce spasme, nous l'avons vu, a été expressé- ment noté par plusieurs auteurs, bien que certains d'entre eux, comme Sebeaux (1), en présence d'une contracture du col avec névralgie concomitante, n'aient même pas songé à se demander si l'hystérie ne devait pas être incri- minée dans la genèse des accidents qu'ils observaient.

L'évolution de ces phénomènes est variable. La cystal- gie hystérique est généralement tenace. Elle est sujette à des récidives en rapport fréquent avec les époques mens- truelles et peut, comme nombre d'autres manifestations hystériques, disparaître aussi rapidement qu'elle est appa- rue. Son diagnostic, lorsqu'on veut prendre la peine de songer à la névrose, n'offre en général aucune difficulté.


La muqueuse de la vessie peut également être atteinte d'anesthésie, laquelle s'accompagne souvent de paralysie du plan musculaire, de même que l'hyperesthésie coïncide fréquemment avec la contracture.

« A la vessie, dit Briquet (p. 29), le contact de l'urine

(1) Sebeaux, Essai sur les contractures du col vésical. Th. Paris, 1876.


DE L'HYSTERIE. 423

n'étant plus senti, il n'y a plus de besoin d'uriner; ce liquide, séjournant dans la vessie, s'altère, et bientôt naît la véritable rétention d'urine; le contact de la sonde contre les parois vésicales n'est plus senti. »

Lebreton (l), se basant sur les recherches de Philip- peaux, a donné une bonne description de ces phéno- mènes :

« Les voies urinaires, dit-il, sont aussi atteintes d'anes- thésie. Le méat urinaire, l'urètre, sont alors insensibles, le passage de l'urine n'est pas perçu, et les malades ne savent pas quand elles ont fini d'uriner. On comprend qu'il est assez difficile de déterminer si cette variété d'anesthésie est unilatérale ou générale. A la vessie, la paralysie de la sensibilité détermine des phénomènes plus importants. M. Philippeaux (2) a bien étudié cette ques- tion.

k L'anesthésie vésicale a été longtemps méconnue ; on l'a confondue avec la paralysie proprement dite du réser- voir urinaire. Elle se manifeste par l'absence du besoin d'uriner. Les malades laissent alors distendre leur vessie, et l'urine sort par regorgement. Si elles n'ont pas la pré- caution d'uriner à des heures régulières, la tunique mus- culeuse finit par se paralyser à force d'être distendue et, de plus, l'urine s'altère et des cystites souvent rebelles viennent compliquer l'affection première.

« Si on introduit une sonde dans la vessie, le contact n'en est pas perçu par la muqueuse, et enfin, d'après M. Philippeaux, il y a un caractère pathogno «ionique de l'anesthésie vésicale : c'est l'absence de douleur sous l'in- fluence de l'électricté localisée dans la vessie. »

L'anesthésie, au lieu d'être généralisée à toute la mu- queuse, ce qui semble la règle, peut être limitée à l'un de ses points. M. Larat nous a communiqué une observation

(1) Lebreton, Des différentes variétés de la paralysie hystérique. Thèse Paris, 1868, p. 78.

(2) Philippeaux, De l'anesthésie de la vessie, de son diagnostic et de son traitement, 1857. Mémoire présenté à l'Académie des sciences.


424 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

où elle était localisée à la région du col, au moins sous forme d'électro-anesthésie. Dans la position horizontale, la malade pouvait encore conserver ses urines, mais celles- ci s'écoulaient spontanément dans la station debout, par suite de la paralysie du sphincter et de ranesthésie de la muqueuse in situ.

M. Guyona, lui aussi, noté dans un cas cette anesthésie de la vessie. Elle s'accompagnait de rétention d'urine et d'une grande diminution de la contractilité électrique du muscle vésical. Il existait enfin une zone liystérogène du canal de l'urètre. «Il m'est arrivé, dit-il (1), de provo- quer les attaques par le cathétérisme. Je devais soigneuse- ment rechercher le spasme, et tontes les fois que je me suis attardé à l'examen de l'urètre, la crise est venue. Il y avait là un point véritablement hystérogène. Par contre, une fois que l'instrument était dans la vessie, je pouvais l'enfoncer à toute profondeur, appuyer sur les parois, les heurter, sans provoquer de sensibilité comme il est de règle dans l'état normal. »

M. J. Janet, élève de M. Guyon, a rapporté un fait de rétention d'urine d'origine hystérique (obs. II, op. cit., p. 21) qu'il attribue à la perte du sens musculaire de la vessie, la sensibilité générale restant intacte. Ces phéno- mènes avaient été provoqués par l'amputation du col de l'utérus.


Ce que nous venons de dire des troubles de la sensibilité de la muqueuse vésicale nous permettra d'aborder avec plus de fruit la description, ou mieux la séméiologie de Y incontinence et de la rétention d'urine d origine hystérique. Nous ne disons pas de la paralysie et de la contracture,

(1) Guyon, Rétention d'urine de cause nerveuse et neurasthénie vésicale. Ann. des maladies des organes génito-urinaires, mars 1891, p. 192. Peut- être le malade auquel M. Guyon fait allusion est-il le même que celui dont l'observation nous fut communiquée (pp. cit.) par M. Georges Guinon ; celui-ci nous a dit, eu effet, l'avoir rencontré dans le service de ce profes- seur. (G. T.)


DE L'HYSTERIE. 42:


car cliniquement il n'est pas toujours facile de démêler ce qui appartient à Tune, à l'exclusion de l'autre, la paralysie comme la contracture pouvant donner naissance soit à l'incontinence, soit à la rétention. Cela ne nous empê- chera pas, chemin faisant, de serrer la question d'aussi près que possible au point de vue pathogénique.

L'incontinence d'urine est peu fréquente dans l'hys- térie par rapport surtout à la rétention. Elle est excep- tionnellement liée à 1 attaque convulsive; ce qui, nous nous l'avons dit, constitue un bon élément de diagnostic avec l'accès épileptique. Il est bien entendu que nous ne parlons pas ici de l'incontinence par regorgement consé- cutive à la rétention prolongée.

Primitive, on l'observe cependant parfois au cours de certaines attaques ou états de mal à forme léthargique, que le malade soit plongé dans la résolution absolue (paralysie), ou, ce qui est plus fréquent, qu'il existe des contractures généralisées ou limitées aux membres infé- rieurs, processus auquel la vessie semble participer. Dans ces cas, l'incontinence est toujours passagère; elle cesse avec le paroxysme qui lui a donné naissance.

Elle peut persister, toutefois, lorsque les malades con- servent leur paralysie ou leur contracture des membres inférieurs. Dans ces cas, on pourrait penser que ces para- lysies ou ces contractures sont d'origine organique, surtout si elles n'ont pas été précédées de phénomènes paroxysti- ques. Nous renvoyons pour le diagnotic à ce que nous avons dit au chapitre xra, sans insister ici davantage, car, en réalité, nous le répétons, l'incontinence est très rarement primitive; presque toujours elle est liée aux paralysies ou aux contractures des membres inférieurs.

Ajoutons encore que certains sujets, comme le malade de l'observation XXII de M. Jules Janet {pp. cit., p. 82), peuvent présenter, depuis leur enfance, de l'incontinence nocturne. L'hystérie, qui se montre alors sous diverses formes , n'a rien à l'aire dans la pathogénie du trouble vésical.


426 TJBAITE CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Toutefois, il nous a semblé, en relisant attentivement les observations modernes relatives aux troubles vésicaux des hystériques, que fréquemment on retrouvait dans les anté- cédents des malades une incontinence nocturne ayant per- sisté assez longtemps dans l'enfance ou dans l'adolescence. C'est là une prédisposition à signaler à propos de l'étio- logie des phénomènes que nous étudions.


La rétention d'urine est beaucoup plus fréquente que l'incontinence tant primitive que secondaire. C'est à elle que se rapportent presque tous les passages des auteurs (1) qui ont traité de la paralysie hystérique de la vessie, bien que la rétention, nous le savons, puisse être sous la dépen- dance d'un état spasmodique du col. Rétention et incon- tinence peuvent, du reste, se succéder chez le même ma- lade, sans qu'il soit possible de dire nettement si elles sont liées à la paralysie ou à la contracture, ces deux der- nières pouvant alterner chez le même sujet, ainsi que nous en avons rapporté un exemple.

La rétention peut débuter brusquement après une atta- que ou s'installer lentement comme phénomène isolé, ou concurremment avec une paraplégie. Sa constatation est rendue facile par la percussion et le palper hypogastriques. Souvent elle veut être recherchée, car par suite de l'anes- thésie des parois vésicales, qui est fréquente en pareils cas, les malades éprouvent rarement les sensations dou- loureuses qui sont le cortège habituel de la réplétion pro- longée du réservoir vésical.

Il ne faudra donc jamais manquer de faire usage de la sonde, au moins au débul, comme moyen de diagnostic positif. Celle-ci démontrera si l'urine est sécrétée en quan- tité normale, car nous savons que la rétention est souvent

(1) Lebketon, op. cit., p. 114. — Lejamptel, Étude sur les paralysies musculaires d'origine hystérique. Th. Paris, 1872. — Guingakd, Note sur la rétention d'urine d'origine hystérique. Th. Paris, 1879.


DE L'HYSTERIE. 427

liée à l'ischurie. Elle révélera de plus s'il existe de l'anes- thésie de la muqueuse du réservoir, phénomène très im- portant à constater pour le diagnostic différentiel dans les cas, rares à la vérité, où la rétention ne s'accompagne pas d'autres manifestations hystériques et où, partant, l'hésita- tion serait permise. Enfin, l'usage du cathéter indiquera si la rétention est sous la dépendance de la paralysie ou de la contracture.

« Les hystériques, dit Briquet (p. 326), éprouvent assez facilement une rétention d'urine qui dépend de la con- traction du col de la vessie et qui, chez quelques-unes d'entre elles, se reproduit pour la moindre cause. Cet acci- dent, qu'on ne voit que chez les hystériques assez forte- ment atteintes, se produit très fréquemment après la dis- parition de quelque autre phénomène hystérique ; on le distingue de la paralysie du corps de la vessie en ce que, la sonde étant introduite dans la vessie, à l'instant même les urines partent en faisant un jet assez fort et dans lequel le liquide se meut avec rapidité. »

L'observation VI de la thèse de Fouquet (l) est très démonstrative à ce point de vue.

La rétention d'urine peut être passagère; mais parfois, plus rarement à la vérité, elle s'installe avec ou sans in- continence pendant des mois, sinon des années, à l'état permanent.

Dans ces cas, les urines peuvent s'altérer (2) et occa sionner de ce fait des accidents graves qui , dans une observation de Brodie, entraînèrent la mort. Nous ne pou- vons résister au désir de citer en entier le passage que cet auteur si sagace a consacré à la description de cette manifestation :

(1) Etude clinique sur quelques spasmes d'origine hystérique. Th. Paris, 1880, p. 38.

(2) Dans un cas de Babinski où il existait de la rétention probablement d'origine hystérique, les urines étaient purulentes, niais la malade avait une vaginite. Association de l'hystérie avec les maladies organiques du système nerveux, les névroses et diverses autres affections. Soc. méd. des hôpitaux, il novembre 1892, obs. VI.


428 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

« La rétention d'urine d'origine hystérique, dit-il (1), est un accident tellement fréquent qu'il semble superflu d'en donner une description. Ce que nous avons déjà dit d'autres formes de paralysie hystérique peut également bien s'appliquer ici. Ce n'est pas que les muscles soient incapables d'obéir à la volonté, mais c'est la volonté qui ne s'exerce pas. Du moins, les choses se passent ainsi au début : mais si la malade a permis à sa vessie de subir une grande distension, une paralysie véritable peut s'ensuivre, et on ne parviendra à vider l'organe qu'avec la sonde. Dans tous ces cas où la vessie a subi pendant longtemps une grande distension, la muqueuse devient le siège d'une inflammation chronique et donne une sécrétion muqueuse gluante ; des complications même plus sérieuses peuvent survenir. Dans un cas que j'ai rapporté dans mes Leçons sur les affections des voies urinaires, il s'agissait dune rétention d'urine de nature hystérique, longtemps aban- donnée à elle-même ; quand on fit le cathétérisme, on retira 40 onces (1,200 grammes) d'urine. A l'autopsie, on trouva une vessie énorme, d'une couleur très foncée, presque noire; on ne retrouvait que des vestiges de sa structure normale ; la couche musculaire n'existait presque plus, et la muqueuse présentait l'aspect d'un mince dépôt que l'on séparait facilement des parties sous-jacentes. La couleur noire ne semblait pas due à la gangrène; il n'y avait au- cune odeur fétide.

« Les femmes qui ont de la rétention d'urine de nature hystérique guérissent le plus souvent et assez rapidement, quelquefois subitement, si on les abandonne à elles- mêmes ; si, au contraire, on a recours au cathétérisme, on peut retarder leur guérison indéfiniment. Nous avons le droit de dire qu'en règle générale il ne faut pas employer la sonde dans ce genre de cas ; et les seules exceptions à la règle sont les cas de distension extrême s'accom- pagnant de paralysie véritable et dans lesquels la vessie

(1) BnODiE, Leçons sur les affections nerveuses locales, trad. franc., op. cit., p. 34.


DE L'HYSTERIE. 429

est menacée de dégénérescence si on ne la vide pas. » Toutefois, il faut savoir que, même au bout d'un long laps de temps, la rétention d'urine peut encore guérir subite- ment. Tel est le cas de cette malade observée par Frasci (l) et II. Vizioli, chez laquelle la guérison d'une paralysie vésicale qui durait depuis quatorze mois survint presque immédiatement à la suite de pratiques d'hypnotisation.

Ce qui rend le pronostic assez sérieux, c'est que la rétention d'urine récidive fréquemment. Chez une malade de M. Charcot (2), elle alterna pendant neuf années consé- cutives avec de l'ischurie et des contractures de divers ordres.


Négligeant le sexe masculin, avec les zones testiculaires que nous avons étudiées, nous ne consacrerons pas de longs développements aux déterminations de l'hystérie sur l'appareil génital de la femme, après ce que nous avons dit dans le tome I er sur le rôle aujourd'hui historique de l'utérus comme siège de la névrose (3). Nous compléterons seulement la description que nous avons donnée de ces manifestations, sur lesquelles nous aurons à revenir lors- que nous envisagerons leur thérapeutique.

Nous avons déjà parlé (t. I, p. 312) de la zone hyperes- thésique hystérogène qui siège si fréquemment au niveau de l'ovaire, ou mieux dans la région ovarienne.

Son existence se manifeste parfois sous forme de dou- leurs spontanées irradiant dans tout le bas-ventre, dans les lombes et même jusque dans les membres inférieurs. L'ensemble symptomatique que l'on observe alors a, dans ces derniers temps, été décrit par quelques chirurgiens

(1) F. Frasci et R. Vizioli, Guarigione immediata e compléta merce la suggestione di una paralisi vesica isterica durata 14 mesi. Resoconto délia R. Accad. med. chir. di Napoli, fasc. de janvier, février et mars 1887.

(2) Leçon sur l'ischurie hystérique, op. cit.

(3) INous avons aussi montré, en traitant de l'état mental, t. I, ch. xi, p. 517 et suiv., ce qu'il fallait penser du dérèglement du sens génital chez les hystériques.


430 TRAITÉ CLIlNIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

sous le nom très discutable de grandes névralgies pel- viennes et donné naissance à un nombre considérable d'opérations des plus injustifiées dont nous parlerons au chapitre du traitement.

Ces névralgies qui se montrent surtout, soit à l'état per- manent, soit principalement à l'époque des règles, chez les femmes adultes, déjà vieilles dans l'hystérie, ont un caractère de ténacité tout spécial et empoisonnent parfois véritablement l'existence des malades. Si le doute était permis sur leur nature, on les reconnaîtrait facilement à ce fait que le summum de la douleur est souvent marqué par l'apparition d'une crise hystérique, de forme variée, que les observateurs peu expérimentés en la matière ne manquent pas de mettre sur le compte direct de la né- vralgie, alors que la douleur fait elle-même partie inté- grante d'un paroxysme à forme névralgique et à point de départ ovarien. Ajoutons que, dans ces cas, les phéno- mènes prémonitoires et l'aura commune font très rarement défaut, ce qui juge encore la nature de la manifestation observée.

Nous avons rapporté l'observation d'une malade (t. m, p. 61) chez laquelle ces paroxysmes névralgiques s'ac- compagnaient d'une contracture limitée du plan muscu- laire de la paroi abdominale du côté droit. On eût pu se croire, au premier abord, en présence d'une véritable tumeur profonde du petit bassin, mais l'exploration vagi- nale combinée au palper, pratiquée par notre maître M. le professeur Le Dentu et M. Le Pileur, médecin de Saint-Lazare, ne révélait aucune altération de l'ovaire, de l'utérus ou de ses annexes. Le sommeil chloroformique, en réduisant la contracture, fit d'ailleurs disparaître tous les doutes.

D'autres fois, les douleurs continues ou paroxystiques paraissent indépendantes de l'ovaire et avoir manifeste- ment pour siège l'utérus lui-même. Comme les précé- dentes, avec lesquelles elles se confondent souvent, du reste, dans les cas fréquents où l'appareil génital dans son


DE L'HYSTERIE. 431

ensemble est le point de départ de la manifestation, elles se montrent surtout aux approches des règles et entraînent constamment avec elles de la dysménorrhée. Là, comme pour l'ovaire, la douleur présente fréquemment un carac- tère paroxystique très particulier et fait partie d'un en- semble où l'on retrouve les éléments constitutifs dune attaque d'hystérie avec ou sans convulsions. Il faut bien connaître ces faits afin d'éviter des erreurs de diagnostic, surtout aujourd'hui que la chirurgie abdominale a fait de tels progrès qu'on se fait un jeu, pour une névralgie qu'on ne guérira pas du reste par ce procédé, d'enlever l'utérus avec ses annexes.

Briquet avait déjcà attiré l'attention sur les difficultés que présente parfois le diagnostic dans de pareils cas, et sa description de l' « hystéralgie » mérite d'être rap- portée :

« L'hystéralgie, dit-il {op. cit., p. 266), peut attaquer soit le corps, soit le col de cet organe. Quand elle attaque le corps, elle donne lieu à des désordres qui, malheureu- sement, n'ont rien de caractéristique, et qui peuvent se con- fondre avec ceux que produisent les congestions, lesphleg- masies et les altérations organiques de ce viscère. Il n'en est pas de même quand elle s'étend au col ; elle provoque une douleur continue, très vive, un véritable point con- stamment douloureux que le simple contact du doigt ou des instruments exaspère dune manière notable. Ce point qu'a souvent vu M. Malgaigne existe, selon lui, toujours à gauche et un peu en avant. Sur sept cas observés par M. Bassereau, il y en avait également quatre à gauche ; enfin, dans le fait rapporté par Valleix, le point doulou- reux se trouvait aussi siéger à gauche. Il n'est donc pas douteux que, comme toutes les autres hyperesthésies, celle de l'utérus ne siège de préférence à gauche. Ce point douloureux s'accompagne fréquemment de douleurs dans le bassin, dans les lombes, dans le dos et jusque dans les membres ; et l'on a regardé ces douleurs comme des sym- pathies de la douleur utérine, tandis qu'elles ne sont, les


,432 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

unes et les autres, que les manifestations d'un état général de l'hystérie. »

Nous croyons, comme nous l'avons déjà dit (t. I, p. 301), et ainsi que Rosenthal en a rapporté deux exem- ples, que ce point douloureux n'est autre chose qu'une zone hyperesthésique hystérogène du col utérin ou de la muqueuse du cul-de-sac vaginal, qui peut s'exalter soit spontanément, soit par la pression : coït, toucher vaginal, introduction du spéculum, et donner naissance à des paro- xysmes à forme de névralgie utérine.

Briquet, toujours préoccupé de différencier ces phéno- mènes de ceux qui sont liés aux maladies organiques du petit bassin, insiste sur l'absence de fièvre dans l'hystérie et sur ce que les « douleurs hystériques sont toujours plus violentes, plus variables et ont moins de tenue que les douleurs qui dépendent d'une phlegmasie » . Ce sont là des signes de peu de valeur.

Nous le répétons, la caractéristique des douleurs hysté- riques du petit bassin se trouve dans ce fait, qu'en dehors de leur permanence elles sont sujettes à des exaltations dans lesquelles on reconnaîtra tout l'ensemble d'un pa- roxysme dont elles sont la dominante : aura initiale, con- vulsions terminales accompagnées d'un état mental par- ticulier : rires, pleurs, tristesses subites et injustifiées et suivies souvent de l'émission abondante d'une urine claire sur la constitution de laquelle nous croyons inutile d'insister.

Sans compter que, dans l'état permanent ou inter- paroxystique de ces déterminations, la recherche des stigmates permanents sensitivo-sensoriels sera presque toujours des plus fructueuses ; car, nous l'avons dit, il s'agit là de malades vieilles dans la névrose, qui chez elles s'est dans la majorité des cas révélée antérieurement par nombre d'autres manifestations.

Parfois les phénomènes douloureux attribuables à l'hys- térie coexistent nettement avec des lésions organiques : mé- trites, salpingites, etc., qui ont joué dans la circonstance


DE L'HYSTERIE. 433

le rôle d'agents provocateurs et localisateurs de la névrose. Si les indications thérapeutiques sont différentes, le dia- gnostic ne s'établira pas moins sur les mêmes bases que dans les cas précédents, en faisant la part, bien entendu, de ce qui appartiendra à l'affection dynamique et à la maladie organique.


La muqueuse vulvo-vaginale peut être également le siège de zones hyperesthésiques. Les plus légers attouche- ments, les moindres frôlements sont douloureusement perçus; sous leur dépendance peut se produire une sorte de prurit intense qui conduit certaines malades à la mas- turbation. Cette hyperesthésie s'accompagne fréquemment d'une contracture du sphincter vaginal à laquelle Marion Sims a donné le nom de vaginisme et dont nous avons déjà parlé (t. I, p. 308). De même avons-nous traité de l'anesthésie des mêmes régions et des troubles qui en sont la conséquence.

Fouquet [op. cit., p. 34, obs. V) a rapporté un bel exemple de ce spasme du sphincter vaginal. La contrac- ture était intermittente. « Le moindre attouchement des grandes et des petites lèvres, nécessité par l'examen de la région malade, déterminait les plus vives souffrances et une sensation très accusée de spasme nerveux et vaginal. »

Dans un cas dont nous allons parler en traitant des relations de la dysménorrhée membraneuse avec l'hystérie, il existait de véritables paroxysmes pendant lesquels le sphincter était contracture. Le toucher vaginal, en com- primant la zone hystérogène de la muqueuse du conduit, arrêtait la crise et faisait disparaître la contracture du sphincter, qui était évidemment sous la dépendance de la zone de la muqueuse.

Le vaginisme peut s'associer au spasme du sphincter anal.

En coïncidence avec l'hyperesthésie, Fouquet signale chez sa malade l'apparition loco dolenti d'une poussée de

m. 28


434 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

« vésicules opalines d'herpès » qu'il nous est difficile de ne pas identifier, dans la circonstance, avec le zona que M. Féré a observé chez certaines hystériques et que l'on doit con- sidérer comme un véritable trouble trophique.


Ceci nous conduit à parler des troubles trophiques que l'on peut observer dans l'hystérie du côté de l'appareil génital de la femme, de l'utérus en particulier. Étant donnée la fréquence des déterminations de la diathèse vaso- motrice sur les autres muqueuses viscérales produisant les hématémèses, les hémoptysies, etc., on pourrait penser que les métrorragies ne sont pas rares dans l'hystérie. Il n'en est rien cependant, surtout si on les rapproche de la dysménorrhée ou des irrégularités menstruelles si souvent observées chez les hystériques, qui, à la vérité, sont très fréquemment anémiques ou chlorotiques.

A. Martin (op. cit., p. 25), après avoir noté avec raison la fréquence de l'aménorrhée, ajoute : « On observe égale- ment des métrorragies chez ces mêmes femmes (hystéri- ques), et il n'est pas rare de les voir présenter des écoule- ments sanguins abondants par les parties génitales, deux et trois fois par mois.

« Quant à l'influence des attaques sur la menstruation, Félix Plater a observé que les crises provoquaient quel- quefois l'apparition des règles à la manière des agents qui accélèrent la circulation. »

L'opinion contraire, à savoir que les règles influencent singulièrement le retour des attaques, nous paraît surtout admissible. D'ailleurs, Martin a oublié d'apporter à l'appui de la thèse qu'il soutient des observations concluantes de. métrorragies chez les hystériques.

Fabre (1) nous paraît être le seul auteur qui ait très explicitement signalé les métrorragies. On remarquera

(1) L'hystéiie viscérale, op. cit., p. 75.


DE L'HYSTERIE. 435

cependant de quelles restrictions il entoure sa description. Parmi les ménorragies, dit-il, «il en est un certain nom- bre d'origine hystérique. Ce nombre, je ne cherche pas à le préciser, car les causes d'erreur ici ne manquent pas : des métrites profondes, des fibro-myomes, des états diathé- siques, des causes locales et des causes générales qui sou- vent nous échappent peuvent provoquer des hémorragies utérines qu'il ne faut pas imputer toutes à l'hystérie, mais l'hystérie en produit, et ces hémorragies hystériques ont, à mes yeux, un triple caractère : elles n'attendent ordinai- rement pas, pour se montrer, l'époque régulière de la menstruation; ce sont, permettez-moi cette antithèse, des règles irrégulières; de plus elles alternent parfois avec des menstruations insuffisantes ; enfin elles sont le plus sou- vent accompagnées ou précédées de douleurs vives, de douleurs même violentes et que n'explique aucune dévia- tion ni aucune inflammation de l'organe. »


En dehors de certaines pollutions que nous avons signa- lées (t. II, p. 54) en traitant du caractère erotique de quelques attaques convulsives, il semble que des sécrétions anormales de diverse nature puissent se montrer du côté de l'utérus ou du conduit vulvo-vaginal.

Landouzy (op. cit., p. 79) a consacré à leur étude le passage suivant, qu'il importe de rapporter :

« Quant à ces hypersécrétions utérines, vaginales, annoncées à la fin des paroxysmes par Galien, Forestus, Zacutus Lusitanus, Willis, Rivière, Astruc, Louyer-Viller- niay, etc., on s'en est beaucoup exagéré la fréquence et l'importance.

« Voulant résoudre cette question, comme toutes celles qui présentaient quelques doutes, par l'observation pra- tique, j'ai pu étudier les résultats annoncés par les auteurs dans un grand nombre d'occasions, soit à l'aide du toucher, soit plus souvent, il est vrai, par les renseignements des


436 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

malades, et l'expérience m'a conduit là où l'induction avait déjà conduit M. Dubois (d'Amiens), à savoir, qu'il n'est rien de moins constant que ces sécrétions dans l'hystérie.

« Dans les paroxysmes de courte durée, les malades, qu elles soient ou non sujettes aux flueurs blanches, ne remarquent aucune modification particulière dans les accès prolongés, et j'en ai observé qui dataient de plus de quatre heures. Les unes n'éprouvaient rien de spécial, les autres se plaignaient d'une notable augmentation leucor- rhéique ; mais cet effet se produisait également chez elles dans d'autres circonstances, et principalement sous l'in- fluence de la fatigue, des émotions morales, ou à l'ap- proche des menstrues.

« J'ai interrogé un grand nombre d'hystériques pour trancher cette question, indécise jusqu'alors au point de vue de l'observation pratique, et je n'en ai trouvé aucune chez laquelle cette hypersécrétion eût lieu après les accès sans avoir lieu également sous d'autres influences.

« Il reste donc constant pour nous que l'hypersécrétion des parties sexuelles est nulle dans les accès courts, peu fréquente dans les accès prolongés, et qu'elle se manifeste uniquement chez les femmes qui la remarquent dans d'au- tres circonstances. »

Tel n'est point l'avis de Fabre, mais il faut dire aussi qu'il semble être le seul auteur dont l'opinion aille à l'en- contre de celle de Landouzy.

« L'hystérie, dit-il (op. cit., p. 73), peut provoquer, du côté de l'utérus, des troubles sécrétoires. Cahen avait signalé, il y a quelques années, ce fait que certaines leu- corrhées sont d'origine névrotique. Je puis ajouter aujour- d'hui que certaines leucorrhées sont d'origine hystérique. Je crois pouvoir porter sur le compte de l'hystérie deux ordres de leucorrhées : l'une est aqueuse, abondante et transitoire ; l'autre est épaisse, visqueuse et grumeleuse. Ces deux leucorrhées se distinguent par deux caractères : d'abord, elles sont capricieuses dans leurs allures, e'est-à-


DE L'HYSTERIE. -4S7

dire clans leur apparition, leur abondance, leur disparition, se montrant par périodes variables, mais conservant d'or- dinaire le même aspect pendant toute leur évolution ; en second lieu, elles ne s'accompagnent d'aucune lésion révélée par l'examen de l'utérus et du vagin. Je ne puis apprécier exactement la fréquence de ces leucorrhées, parce que l'examen des parties suspectes fait souvent dé- faut, mais je ne les crois nullement rares, et je les suppose d'origine vaginale et vulvaire, bien plus qu'utérine. Cette fréquence n'a rien, d'ailleurs, de bien étonnant pour ceux qui se rappellent combien les désirs sexuels et les émo- tions agissent sur les sécrétions glandulaires de cette région. Il y a des hystériques qui pleurent en abondance ; il y en a qui urinent beaucoup à la fois ; il y a enfin, puis-je le dire? qui pleurent par la vulve. Quand vous constatez une leucorrhée, songez d'abord à un catarrhe utéro-vaginal; mais, si l'examen local vous donne des résultats négatifs, méfiez-vous de l'hystérie. »

Il nous est difficile de trancher ce litige, mais, pour notre part, nous croyons ces sécrétions anormales beau- coup moins fréquentes que ne l'affirme l'auteur que nous venons de citer.


Ce serait peut-être ici le lieu de dire quelques mots de la dysménorrhée membraneuse , qu'on observe assez fré- quemment chez les hystériques. Pas plus que l'entérite pseudo-membraneuse dont nous avons parlé, nous croyons qu'on doive la considérer comme un trouble trophique sous la dépendance directe de la névrose. Par contre, quel- quefois elle paraît provoquer l'apparition d'accidents hys- tériques auxquels l'expulsion de ses produits imprime un caractère tout particulier.

Dans un cas auquel nous avons déjà fait allusion (p. 433), la malade hystérique confirmée semblait avoir traversé une première période pendant laquelle l'appareil génital était, pour ainsi dire, frappé d'anesthésie, puisque, au


438 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE DE L'HYSTÉRIE.

cours d'un accouchement clans lequel le travail dura qua- rante-huit heures, elle avait à peine souffert, du commen- cement jusqu'à la délivrance. Deux ans plus tard, atteinte de dysménorrhée memhraneuse peu intense, M me X...,à l'occasion de l'expulsion de quelques débris muqueux, est prise de douleurs utérines extrêmement intenses accom- pagnées de convulsions qui la plongent pendant trois jours dans un véritable état de mal. Dans la note qu'il nous adressait, le D r Engelbach écrivait avec beaucoup de justesse d'appréciation : « Les crises n'étaient expulsives qu'en apparence ; il n'y avait nullement contraction des muscles abdominaux; par contre, il existait, au moment du paroxysme douloureux, une contracture violente du sphincter vaginal , au point que le doigt éprouvait un sentiment de striction. Enfin, phénomène important, les crises s'atténuent pendant cette manœuvre au point de sembler complètement disparues. »

Deux légers curettages, qui ramenèrent à peine quelques débris de pseudo-membranes, firent disparaître ces acci- dents, dans lesquels il est impossible de ne pas reconnaître des paroxysmes hystériques. Peut-être, en retirant les fausses membranes, avait-on supprimé la cause provoca- trice des douleurs; mais il n'est pas douteux qu'il fallait aussi incriminer, dans la genèse de cet ensemble symptomatique, l'exaltation dune zone hystérogène de la muqueuse vagi- nale, dont la présence était réellement démontrée par ce fait, — à l'instar de ce que Ion observe pour les zones ovariennes, — que sa compression pendant le toucher suf- fisait pour suspendre et arrêter l'évolution du paroxysme.




CINQUIEME PARTIE

TRAITEMENT DE L'H Y S T É R I E


TRAITEMENT PROPHYLACTIQUE

Aujourd'hui que l'art médical est devenu une science qui s'attache de plus en plus à remonter aux causes directes des phénomènes morbides , il semblerait tout naturel qu'avant d'exposer les règles d'un traitement rationnel de l'hystérie nous précisions la nature elle-même de la névrose.

Si nous savions exactement, en effet, quel organe est le substratum du processus hystérique, si nous connaissions les altérations dont cet organe est le siège, il est clair que les efforts de notre thérapeutique devraient tendre tout entiers à faire disparaître la lésion anatomique ; nous supprimerions ainsi les effets en détruisant la cause.

Malheureusement, à ce point de vue, l'hystérie fait encore partie du domaine des névroses, c'est-à-dire de ces maladies sine matériel, ou au moins dont la « matière » est encore à déceler. Les autopsies d'hvstériques ayant suc- combé soit directement à des attaques de spasmes ou à l'anorexie, soit à des affections intercurrentes, n'ont, à part les lésions propres aux maladies surajoutées, rien révélé de palpable, d'organique en un mot.

Il est bien évident que ce ne sont pas les altérations — quand il en existe — de l'appareil utéro-ovarien qu'il faut incriminer.

« L'idée de placer le siège des phénomènes prétendus


440 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

hystériques dans l'utérus, disait Georget (1), en 1821, me paraît si absurde et si ridicule, que je ne chercherais point à la combattre, si elle n'était regardée comme une vérité par tous les auteurs modernes qui ont écrit sur l'hystérie; je me contenterais d'une simple exposition des faits comme du meilleur antidote contre l'erreur. »

Les recherches toutes récentes dont nous aurons l'occa- sion de parler, en faisant le procès de la castration et de l'hystérectomie dans le traitement de la névrose , ont montré que non seulement l'appareil utero- ovarien pou- vait être sain dans les cas d'hystérie confirmée, mais encore que ces opérations étaient parfois des causes pro- vocatrices très efficaces d'accidents convulsifs ou autres. L'opinion de Georget, appuyée sur les faits cliniques, est donc confirmée par l'investigation anatomique. C'est évi- demment ailleurs qu'il faut chercher.

Disons-le immédiatement, il ressort sans conteste de l'exposé que nous avons fait de l'évolution historique de la névrose (t. I, ch. i) qu'il faut placer dans le système nerveux le siège des accidents hystériques. Où la discus- sion pourrait s'étendre, c'est si l'on voulait préciser quel est, dans ce vaste appareil, le point spécialement touché. Très probablement c'est le cerveau. « Il faut, dit Char- cot (2), prendre l'hystérie pour ce qu'elle est, c'est-à-dire pour une maladie psychique par excellence. »

Mais là encore le contrôle anatomique fait défaut, l'exa- men du système nerveux des hystériques n'ayant jamais révélé de lésions susceptibles d'expliquer les phénomènes observés. Faut-il donc en conclure que ces lésions n'exis- tent pas? « Mon opinion, dit Briquet (p. 604), partisan, lui aussi, de la théorie nerveuse, est que l'hystérie doit être considérée comme une maladie dynamique. »

Brodie (3), en 1831, concluait, en réalité, de la même

(1) Georget, De la physiologie du système nerveux, etc., t. II, p. 239. Paris, 1831.

(2) Leçons du mardi, t. I, 1887-1888, p. 105.

(3) Brodie, trad. franc., op. cit., p. 47.


DE L'HYSTERIE. 441

façon. Ayant eu l'occasion de pratiquer plusieurs autopsies d'hystériques mortes à la suite de traitements intempes- tifs — suppurations consécutives à la saignée, en particu- lier — et ayant examiné le cerveau et la moelle, « où l'on ne put découvrir quoi que ce fût d'anormal » , il écrit avec beaucoup de raison (p. 48) :

« Si je vous raconte ces faits, ce n'est certainement pas que je croie que le système nerveux d'un individu qui est entaché d'hystérie ne diffère en rien d'un autre. La struc- ture intime du cerveau, de la moelle et des nerfs, est trop délicate pour que nos sens puissent l'étudier, et, par con- séquent, il peut y avoir des différences dans l'organisation de ces organes qui échappent à notre investigation. » Ce qui ne l'empêche pas d'ajouter : « Rien, il est vrai, dans l'histoire de l'hystérie, ne nous justifie à croire à l'existence d'une production morbide ou d'une modification de struc- ture telle que nous en trouvons dans les affections dites organiques. »

L'hystérie serait donc une affection dynamique, comme le supposait Briquet près de trente ans plus tard. Depuis ces auteurs, la technique du système nerveux a fait de sin- guliers progrès, et cependant aucune découverte n'a encore permis de faire entrer l'hystérie dans le cadre des maladies organiques. Découvrira-t-on jamais sa lésion fon- damentale"? Il ne faut pas en désespérer dans ce siècle qui a bouleversé tant d'idées qu'on croyait définitivement acquises.

Mais en nous plaçant dans l'hypothèse de lésions, il faut avouer que celles-ci doivent être d'un ordre particulier, dynamiques, probablement, comme le pensait Briquet. Dans les maladies organiques, l'expression symptomatique des lésions est durable, tenace, dans des limites qui varient suivant l'espèce; elle rétrocède lentement, de même que le processus anatomique qui lui a donné naissance. Dans l'hystérie aussi il existe des manifestations très persis- tantes; mais la plus tenace d'entre elles, sous l'influence d'une cause quelconque presque toujours, sinon toujours


442 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

d'ordre psychique, une émotion violente, par exemple, est susceptible de disparaître, pour ainsi dire, instantané- ment. Unehémianesthésie de plusieurs années s'évanouira sous Faction d'une séance de faradisation; un malade paraplégique de dix ans marchera à la simple injonction d'une parole autorisée. « Des accidents datant de plusieurs mois, d'une année même, dit Briquet (p. 5 1 «3 ) , disparais- sent en vingt-quatre heures et sont remplacés par des troubles qui s'étaient développés ailleurs. Leur nature même pourra être changée : une anesthésie remplacera une hyperestbésie; une convulsion se substituera à une paralysie et vice versa. Telle est la particularité propre à l'hystérie et caractéristique de cette maladie, car la mobi- lité arthritique ou la variabilité rhumatismale n'en appro- chent pas. »


On le voit donc, si le siège de l'hystérie dans le système nerveux et particulièrement dans la partie idéatrice, psy- chique, dans l'encéphale, ne paraît pas douteux, il n'est pas moins certain que la nature anatomique du processus nous échappe complètement.

En revanche, peut-on pénétrer dans l'intimité du pro- cessus dynamique? A la vérité, les interprétations n'ont pas manqué, dans ces dernières années surtout, où 1 hys- térie est devenue prétexte à nombre de dissertations phi- losophiques. Mais ces merveilles de la dialectique n'ont pas résolu le problème médical, et nous ne sommes pas plus avancés que devant, après avoir appris que le rétré- cissement du champ de la conscience est un stigmate mental de l'hystérie.

Aussi, guidé avant tout et toujours, au cours de cet ou- vrage, par le désir de faire œuvre pratique, ne nous enga- gerons-nous pas dans l'exposé des théories de l'hystérie ; nous renvoyons le lecteur aux travaux qui en traitent, et particulièrement à ceux de M. Pierre Janet.

Cependant, de ces quelques considérations il ressort


DE L'HYSTERIE. 443

des notions qui nous seront très utiles et nous guideront dans l'exposé thérapeutique que nous allons tenter. Admettant avec M. Charcot que l'hystérie est une maladie psychique, ce sont les procédés du traitement psychique que nous mettrons en œuvre pour essayer de guérir. Sup- posant que les lésions, si elles existent, sont purement dynamiques, c'est-à-dire n'altèrent pas l'organe lui-même, mais sa fonction, c'est au fonctionnement cérébral que nous nous adresserons pour déplacer des manifestations soit localisées, soit généralisées, que nous savons mobiles par essence même. Et cela par des moyens appropriés, faits d'empirisme et d'expérience acquise, puisque nous ne con- naissons pas la nature intime de la lésion. Cependant, cet empirisme lui-même a des bases.

L'étude des manifestations interparoxystiques, des stig- mates, de ce que nous avons appelé le fonds commun de l'hystérie sur lequel évoluent des paroxysmes qui y trou- vent leur substance, nous a montré que la dominante de cet ensemble résidait dans les troubles de la sensibilité tant générale que spéciale, de la cénesthésie, en un mot (x.otW, commun, etciïaBrmi, faculté de sentir). Et il va sans dire qu'anesthésie et hyperesthésie sont, dans la circon- stance, des équivalents.

Sans nous écarter du sentier clinique pour entrer dans le domaine des interprétations, nous avons établi, chemin faisant, combien ces modifications de la sensibilité étaient fréquentes , combien elles étaient tenaces, avec quelle constance elles se superposaient aux perversions fonction- nelles des organes tant de la vie organique que de la vie de relation. Et même, nous savons qu'après la disparition d'une paralysie, par exemple, si les troubles de sensibi- lité persistent, le malade ne peut être considéré comme guéri.

D'où cette conclusion vérifiée par les faits : qu'en ma- tière d'hystérie, les troubles de sensibilité tenant la scène morbide sous leur dépendance, faire disparaître ces trou- bles équivaut à annihiler les accidents qui se superposent


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à eux mieux encore qu'ils ne s'y superposent eux-mêmes, ainsi qu'on le pourrait croire au premier abord.

Il y a dans ces faits, on le comprend, la base d'un trai- tement dont on trouve d'ailleurs les éléments épars tant dans les travaux de Briquet et d'autres auteurs que dans l'œuvre de Charcot et de son école. Récemment même, un observateur distingué, M. P. Sollier (1), a essayé d'éta- blir pour ainsi dire la syntlièse de ces troubles de sensibi- lité et d'en faire bénéficier la thérapeutique rationnelle de la névrose.

Il a recherché, par des expériences dont le mécanisme est un peu complexe, par des observations faites pendant l'état hypnotique , si tous les phénomènes hystériques « n'étaient pas dus en réalité à de simples troubles de la sensibilité soit sensorielle, soit viscérale, laquelle est mal connue et mal étudiée » . Et il conclut « que l'hystérie est due tout entière, que ses manifestations soient d'ordre intellectuel, moteur ou sensitivo-sensoriel, à un affaiblisse- ment — sur la cause duquel, dit-il, je ne saurais pronon- cer — des centres sensitivo-sensoriels, parce qu'il suffit de réveiller l'activité de ces centres pour voir disparaître tous les accidents hystériques.

» Quant aux déductions psychologiques ou thérapeu- tiques que l'on peut tirer de ces faits, je me réserve de les l'aire connaître ultérieurement. Au point de vue du traite- ment de l'hystérie, j'ai pu toutefois guérir par ce procédé quelques malades qui avaient résisté jusque-là à tous les traitements, mais il n'y a pas assez longtemps que les résultats ont été obtenus pour que l'on puisse affirmer ni même prévoir la portée pratique de ces données nouvelles. »

Quelles que soient les opinions théoriques de M. Sollier et ses procédés d'expérimentation, qu'il n'a pu exposer en pleine lumière dans une communication préventive, nous sommes tout à fait d'accord avec lui au point de vue pra-

(1) P. Sollier, Faits nouveaux relatifs ci la nature de l'hystérie. 11 e Con- grès intern. des se. méd., tenu à Rome du 29 mars au 5 avril 1894, Sect de méd. et de psychiatrie, in Sem. méd., n° 22, II avril 1894, p. 178.


DE L'HYSTERIE. 445

tique. La base de la thérapeutique des accidents hysté- riques réside, à notre avis, dans le rétablissement des diverses sensibilités perverties ou disparues.

Cette méthode de traitement n'est pas nouvelle, à la vé- rité, mais elle n'a jamais été réellement mise en formules doctrinales. La Farad isation des tissus cutanés ou des mu- queuses, si vantée par Duchenne, de Boulogne, et par Bri- quet, l'électricité statique, les aimants, le massage, l'hy- drothérapie, sont les éléments de cette méthode dont l'empirisme a révélé depuis longtemps l'efficacité. En agissant sur la sensibilité périphérique on influence cer- tainement les centres sensitil's qui, d'après les recherches de l'école anglaise, semblent bien se superposer aux centres idéateurs. Reste d'ailleurs le traitement psychique propre- ment dit, qui s'adresse surtout à l'ensemble pour ainsi dire des manifestations, alors que la méthode précédente vise particulièrement les phénomènes localisés ; les deux devront toujours marcher de pair, se prêtant un mutuel appui.

Peu nous importe, d'ailleurs, la théorie; que les centres sensitifs producteurs d'accidents périphériques (1) soient ou non influencés, ce qui domine la pratique en matière thérapeutique, ce sont les faits. Or ceux-ci démontrent que, quel que soit le procédé qu'il emploie, le médecin devra s'efforcer surtout de faire disparaître les troubles de sensi- bilité s'il veut se rendre maître des accidents si variés de la série hystérique.

Dans l'exposé que nous allons faire, nous serons sobre de citations, la partie technique de cet ouvrage ayant été, croyons-nous, suffisamment documentée. Nous mettrons surtout à profit la longue expérience de notre maître, M. Charcot, en la matière; ce sont ses conseils qui nous ont toujours guidé : ce sont les fruits de sa pratique que nous allons récolter.

fi) Bierxacki, Beitrâge zur Lehre von central entstehenden Sclimerzen und Hyperœsthene. Deut. med. Wochens, 28 déc. 1893, n° 52, p. 1372.


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« Puisque, dit Briquet (p. 604), l'observation montre que le quart environ des filles qui naissent d'une mère atteinte d'hystérie est inévitablement destiné à devenir hystérique, il est évident que la direction de la grossesse de la mère et celle de l'éducation de l'enfant, si c'est une fille, devront se faire d'après certaines règles que le mé- decin aura à déterminer. »

Donc, étant donnée la prédisposition fâcheuse de l'en- fant issu d'une mère hystérique, quels sont les moyens prophylactiques à mettre en œuvre pour empêcher chez lui le développement de la névrose?

Tout dépend de l'état mental de la mère elle-même : supposons que celle-ci, après l'accouchement, soit restée ce qu'elle était auparavant, une hystérique confirmée avec des accidents de moyenne intensité, le père étant sain dans notre hypothèse. Tous les efforts devront tendre à soustraire le garçon ou la fillette à son influence perni- cieuse, surtout à dater de la cinquième ou de la sixième année, alors que l'intelligence de l'enfant prend son essor, qu'il n'est plus l'être végétatif sur lequel les modifications physiques de l'alimentation, par exemple, avaient une prise singulièrement plus importante que la contagion nerveuse qui se dégageait de sa mère.

Certainement, même en l'absence de la génératrice, le déterminisme héréditaire reste ce qu'il est, assez fort pour sortir ses effets dans les proportions indiquées par Briquet; maiscom bien n'y a-t-il pas d'hystéries qui sommeilleraient et ne se seraient jamais révélées, si ellesn'avaient pas rencontré leur agent provocateur? Or, sous ce dernier rapport, rien n'équivaut à la vie commune avec la mère, qui exerce son influence morbide de plusieurs façons.

D'abord, l'enfant peut être témoin de phénomènes physiques, de crises convulsives, d'accès de toux, de paroxysmes, quels qu'ils soient, qui l'impressionneront au


DE L'HYSTERIE. 447


suprême degré, aucune affection n'étant plus contagieuse que l'hystérie. Surtout il vivra constamment aux côtés d'une mère dont l'état mental, tel que nous l'avons décrit, est justement celui qu'on voudrait ne pas voir se déve- lopper : avec ses hauts et ses bas, ses exagérations affec- tives, cette instabilité, cette suggestibilité, qui font tourner la cervelle de l'hystérique à tous les vents de l'esprit ! Il faut à tout prix que cet enfant, chez lequel on redoute l'éclosion de semblables désordres, ne vive pas, pour ainsi dire, entouré par eux, dans leur atmosphère. Au médecin d'aviser; à lui, s'il a l'autorité morale qu'il doit toujours posséder dans une famille, de s'entendre directement avec le père, ou avec la mère, si c'est le père qui est névropathe, pour soustraire l'enfant à l'influence du milieu.

La solution de ce problème est grosse de difficultés. Et ici, comme dans tout le cours de ce chapitre, nous aurons plus particulièrement en vue la classe de la société où les conseils du médecin sont susceptibles d'être écoutés ; car, comment agir dans la classe ouvrière, au moins dans celle qui peuple les grandes villes, où l'exiguïté des locaux rend forcément les filles témoins des attaques de leur mère, où le médecin n'est appelé, d'ailleurs, à donner son avis, et encore, qu'en matière d'affection aiguë? Dans de tels milieux, il n'y a rien à espérer; aussi nous savons combien y est grande la fréquence de l'hystérie !

S'il s'agit d'un garçon, le père, que nous supposons sain, devra prendre la direction complète de son éducation et de son instruction. Dès l'âge de six ou sept ans, surtout s il s'est aperçu, mis sur ses gardes par le médecin, que l'enfant présente déjà les signes prémonitoires de l'hys- térie qu'on redoute : terreurs nocturnes, sommeil agité, et surtout accès de somnambulisme, il ne doit pas hésiter un seul instant et, si l'état physique le permet, quoi qu'il en coûte à son affection, préférer l'internat à l'éducation en famille. Et il ne doit pas attendre, car la suraffectivité de la mère hystérique, ses débordements de tendresse auront vite fait de son fils un enfant gâté. Et quelles désillusions,


448 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

quelles secousses morales, pour cet enfant qu'on se décide tardivement à séparer de sa mère, le jour où, au collège ou ailleurs, il prendra contact avec des camarades qui,

Cet âge est sans pitié,

le traiteront en égal, sinon moins, et l'auront vite fait des- cendre du piédestal où sa mère le plaçait chaque jour !

Donc, pour les garçons issus d'une mère hystérique, à partir de huit à dix ans, plus tôt même, l'internat s'impose, si physiquement ils peuvent le supporter. Ils y appren- dront déjà, pour ainsi dire, la lutte pour l'existence; ils y reconnaîtront que le monde ne gravite pas autour d'eux, bien, au contraire, qu'il faut faire des efforts nombreux pour occuper une place au soleil ; ils y échapperont enfin à l'influence toujours pernicieuse du milieu hérédi- taire.

Il est certain, cependant, que l'internat a aussi pour eux des inconvénients, que certains pédagogues ont la férule trop lourde, que l'hygiène physique, très importante dans l'espèce, y laisse souvent à désirer. Mais il y a des accommodements. Ici, le médecin de la famille peut intervenir : c'est son rôle, et son devoir lui est surtout facile dans les petites villes ou les villes de province, dans les pensions au nombre d'élèves restreint, qui ne ressem- blent guère aux grands caravansérails de Paris. Il verra le directeur de l'établissement et dira ce qu'il attend de l'internat qu'il a justement conseillé, parce qu'il savait pouvoir compter sur la bienveillance attentive du maître, et enfin formulera la ligne de conduite suivante :

De tels enfants, issus d'hystériques et prédisposés à l'hystérie, ont souvent l'intelligence fort éveillée, au moins à cet âge ; ils figurent fréquemment en tête de leur classe. Ce n'est pas leur activité intellectuelle qu'il faudra gour- mander, - — nous avons des exemples en vue, — mais bien plutôt on devra s'attacher à réprimer les irrégularités de leur esprit qui en font des indisciplinés souvent punis, mais pour lesquels néanmoins les professeurs gardent un certain


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intérêt, parce qu'ils sentent de l'étoffe chez ces sujets qui ont la compréhension facile, si leur attention, en revanche, n'est pas toujours capable d'un long effort. Un maître qui saura bien diriger ces enfants, — il y en a qui le font d'instinct, — en obtiendra beaucoup. Un autre qui, — on nous passera cette expression vulgaire, — « ne saura pas les prendre » , les butera, n'en obtiendra rien et, par les mille tracasseries de la vie pédagogique, favorisera chez eux le développement, que l'on veut éviter à tout prix, de leur tempérament d'hystérique. De la fermeté unie à beaucoup de douceur : dans les procédés d'in- struction, dans les réprimandes, ne pas heurter de front des caractères qui, malgré leur allure indépendante, sont cependant toujours malléables, telle devra être la règle en pareilles circonstances.

Les hystériques enfants, plus encore peut-être que les adultes, ont un état mental fait tout entier d'affectivité, de suggestibilité, avec les réticences en moins, les retraits sur soi-même que provoque l'expérience de la vie. Ils s'atta- chent à qui les aime trop, même quand le milieu, comme le cercle familial, est restreint; mais cela n'est guère à craindre au lycée ou à la pension. Au contraire, ils se révoltent de toute l'ardeur de l'affection dont ils seraient capables contre qui les brusque. Ce sont de semblables sujets qui, pendant une année, travaillent admirablement et, l'année suivante, changeant de professeur, ne font plus rien, que des pensums. Il est réel que le système d'éducation employé par certains établissements dans les- quels le maître prend l'élève à la huitième et le conduit à la philosophie est excellent, si le professeur sait com- prendre ses élèves, qu'il finit toujours par bien connaître, en particulier ceux dont nous parlons ; mais, dans ce sys- tème, la médaille a aussi son revers.

Voilà la direction que le médecin, aidé du maître, s'ef- forcera d'imprimer au petit héréditaire, en palliant par de tels conseils le côté dur et peu familial qu'offre l'internat.

Celui-ci, avons-nous dit, présente aussi des inconvé-

iii. 29


450 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

nients, au point de vue hygiénique, qui n'existent pas dans la famille, où l'enfant peut avoir tout le confort désirable et se livrer aux exercices physiques dans des conditions bien préférables à celles qu'il trouve au lycée. Cependant, les établissements d'instruction ne sont plus, à ce point du vue, ce que nous les avons connus autrefois, en particulier en province, où la nourriture était aussi restreinte que l'air du dortoir était limité, où les salles d'étude étaient insuffi- santes, où les punitions consistaient surtout à empêcher les élèves d'aller à la promenade, déjouer avec leurs camarades pendant ,les récréations. Aujourd'hui, tout paraît changé et, il faut bien le dire, tout paraît exagéré en sens inverse. Les championnats interscolaires, où l'on fait du sport contre toutes les règles de l'hygiène, rendent les enfants emphy- sémateux ; les batailles corps à corps du foot-ball priment les marches, transformées elles-mêmes en courses à perdre haleine. Mais le médecin, qui surveille son jeune client, saura, nous l'espérons, l'empêcher de céder à cet entraîne- ment, dont les résultats seraient incontestablement désas- treux ; il profitera des facilités qui existent, tout en veil- lant à ce qu'elles ne tournent pas en abus préjudiciables.

Il n'oubliera pas que, enfant comme adulte, l'hysté- rique est rarement un pléthorique ; que l'anémie le guet- tera, pour ainsi dire, toute sa vie, et de ce fait exigera pour lui une habitation aérée et une nourriture fortifiante. De même qu'il proscrira le sport, de même il veillera à ce que l'excitation intellectuelle soit modérée en évitant les écarts d'esprit, les enthousiasmes excessifs auxquels le prédisposé héréditaire est constamment enclin. Ces en- fants sont très souvent des imaginatifs, et, sans couper trop brusquement les ailes à leur imagination toujours prête aux envolées, il conviendra de les diriger plus terre à terre, de les conduire, si possible, vers l'étude des sciences exactes, auxquelles d ailleurs ils sont parfois rebelles.

Chez ces sujets, filles ou garçons, il faudra bien se garder surtout de développer cette tendance au merveilleux, dont l'esprit des enfants est toujours si friand.


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Dans deux leçons que nous aurons bien souvent l'oc- casion de citer, M. Charcot (1) a tracé les règles à suivre en pareil domaine, ou au moins indiqué les dangers auxquels on s'exposerait fatalement en les transgressant.

Deux jeunes garçons de onze et douze ans et une fillette de treize ans et demi, issus d'une mère névropathe, habi- taient les locaux d'un pénitencier militaire que dirigeait leur père, officier d'administration. Encore n'y séjour- naient-ils que pendant les vacances, passant le reste de l'année scolaire dans une pension où se développait leur intelligence et se faisait leur éducation sans dévier du droit chemin.

Au mois d'août, la famille tout entière se trouva réu- nie, « le père, la mère vaquant à leurs occupations habi- tuelles, les enfants jouant entre eux dans la cour du pénitencier, presque toujours seuls, car les autres ménages d'officiers n'ont qu'un enfant âgé de quatre ans seule- ment.

« La vie dans l'intérieur d'une maison de détention doit être fort monotone; en dehors des occupations ordi- naires, il n'y a guère de distractions. Aussi, pour faire diversion à cette monotonie, les femmes des officiers principalement suivaient -elles déjà depuis plus dune année, et avec grand intérêt, les séances de spiritisme que l'amie de l'une d'elles venait présider tous les deux jours. Cette distraction était même très goûtée, et le spiritisme comptait là de très fervents adeptes, en particulier les parents des enfants, leur mère surtout, qui s'adonnait en outre, en dehors des séances, avec passion, à la lecture des livres traitant des sciences occultes, livres qu'elle n'hésitait pas à confier à sa fille. »

Celle-ci, une première fois, aux vacances de Pâques, avait assisté à une séance de spiritisme; elle n'en avait pas été troublée. Mais la table l'ayant un jour désignée

(1) Charcot, Spiritisme et hystérie. — De l'isolement clans le traitement de l'hystérie. Leç. sur les maladies du système nerveux, t. III, 1887; 16 e et 17 e leçons, recueillies par Gilles de la Tourette.


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comme médium, au beau milieu de la séance, « poussant un rire strident, elle se leva droite, et comme folle, déli- rante, elle se mit à courir par toute la maison en poussant des cris inarticulés; bientôt après elle se roulait par terre, présentant une série d'attaques hystériques caractérisées surtout par du clownisme » .

Quelques jours plus tard, ses deux frères étaient en proie aux mêmes accidents convulsifs et délirants de na- ture hystérique. Cette petite épidémie de famille eut son dénouement à la Salpêtrière, où les parents, comprenant un peu tard les dangers des pratiques de spiritisme, ame- nèrent leurs enfants, qui ne recouvrèrent la santé qu'après plusieurs mois d'un traitement approprié.

« Il est incontestable, disait M. Charcot à propos de ces faits, que tout ce qui frappe vivement l'esprit, tout ce qui impressionne fortement l'imagination favorise singulière- ment, chez les sujets prédisposés, l'apparition de l'hys- térie. Parmi tous ces traumatismes des fonctions céré- brales, il n'en est peut-être point de plus efficace, et dont l'action ait été plus souvent signalée, que cette croyance au merveilleux, au surnaturel, qu'entretiennent et qu'exa- gèrent soit les pratiques religieuses excessives, soit, dans un ordre d'idées connexe, le spiritisme et sa mise en œuvre. Il suffit de rappeler quelques faits demeurés célèbres, tels que, dans les temps anciens, celui de la « possédée de Louviers (1) » , dont l'imagination avait été mise en ten- sion constante, avant la possession, par le malin esprit qui revenait chaque nuit dans la maison qu'elle habitait; et tout récemment, cette épidémie d'hystérie qui sévit sur six enfants de la même famille bretonne qu'on avait bourrés à satiété de contes fantastiques dans lesquels les sorciers et les revenants jouaient les principaux rôles (2). »

Ainsi donc, chez les enfants prédisposés à l'hystérie,

(1) Procès-verbal fait pour délivrer une fille possédée par le malin esprit à Louviers (1591). Gollect. Bourneville, 1883.

(2) Baratouk, Les possédés de Plédran. Progrès médical, n° 23, 1881, p. 550.


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pas de ces contes fantastiques qui troublent leur sommeil, qui déterminent réclosion de ces rêves terrifiants auxquels ces sujets sont déjà trop naturellement enclins, qui font assez partie de leur tempérament d'hystériques pour qu'on n'ait pas besoin de les provoquer; pas de lectures où le merveilleux joue un rôle prépondérant; en un mot, rien qui puisse faire verser leur imagination dans le domaine de l'excessif.

Les séances de spiritisme seront, de ce fait, sévèrement interdites : on dira peut-être qu'il ne s'agit là, en somme, que de faits exceptionnels avec lesquels il ne faut pas prati- quement compter. A cela nous répondrons que, à l'époque où nous faisions notre enquête sur les cabinets de som- nambules et les représentations théâtrales des magnéti- seurs, il nous a été souvent donné de rencontrer à ces représentations publiques ou privées des familles entières, enfants y compris.

Nous avons même montré que c'était dans la partie jeune de l'assistance que les hypnotiseurs de tréteaux ou les exploiteurs de la crédulité publique , directeurs de cabinets somnambuliques achalandés, recrutaient leurs meilleurs sujets. D'ailleurs, l'hypnotisme est tellement dangereux en matière de révélation des accidents hysté- riques, que nous aurons l'occasion de revenir sur les méfaits qui incombent à de telles pratiques.

Il ressort encore de la leçon de M. Charcot qu'il faut garder les enfants de la contagion nerveuse. Les faits sont trop nombreux de ces petites épidémies de maison, d'ate- lier, d'école, pour que nous ayons besoin d'insister : dans les établissements d'instruction, l'isolement s'impose d'un enfant atteint de toux, de hoquet, de chorée rythmée, de toute manifestation, en un mot, susceptible de frapper l'esprit des autres élèves et de provoquer ainsi l'éclosion d'accidents similaires ou autres.

Dans ces cas d'hystérie objectivement confirmée, pour

(1) Gilles de la Tocrette, L'hypnotisme, op. cit., ch. xn.


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ainsi dire, la règle à suivre est facile, mais l'éducateur au- quel nous avons confié le sujet héréditairement prédisposé devra voir de plus loin.

Il est un fait acquis, c'est que les enfants nerveux se recherchent les uns les autres; ils savent se reconnaître à des affinités d'idées, de façons d'être; leurs manies même les rapprochent; ils se lient et cultivent en commun leur hystérie naissante. Le maître devra veillera ce que ces fréquentations ne soient pas trop actives ; il évitera ces liaisons, les préviendra, car, une fois établies, leur rupture, par le chagrin qu'elle ne manquerait pas de déterminer, pourrait être le prétexte de la brusque explosion des accidents qu'on désire à tout prix éviter.

Jusqu'ici, chez ces enfants, le traitement est resté pure- ment palliatif. Nos efforts ont surtout porté sur la direc- tion morale à leur imprimer : il va sans dire que le côté physique, l'alimentation en particulier, n'aura pas été négligé. Mais lorsque l'observation attentive aura montré que, malgré toutes les précautions prises, il survient du somnambulisme nocturne, des toux quinteuses passa- gères, des exaltations suivies de dépressions morales accentuées, il faudra alors en venir au traitement théra- peutique vrai sans plus attendre, en ayant toujours présent à l'esprit qu'il est plus facile de prévenir des accidents que de les faire disparaître lorsqu'ils existent. Le traite- ment ne différera pas, d'ailleurs, de celui que nous expo- serons en traitant de l'hystérie confirmée, quitte à entrer alors dans quelques considérations particulières au point de vue des jeunes sujets qui nous occupent actuellement.


Les considérations que nous venons d'exposer s'appli- quaient plus particulièrement peut-être à l'enfant du sexe masculin, issu d'une mère hystérique, que nous avons conduit jusqu'à l'adolescence . Nous allons maintenant insister sur l'hygiène prophylactique des fillettes et des


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jeunes filles héréditairement prédisposées à la névrose, hygiène très particulière sur certains points, d'autant que va se poser la grave question de la menstruation et, par une transition insensible, celle de la « vie génitale » de ces sujets.

C'est surtout la fillette qu'il faudra à tout prix soustraire à l'influence pernicieuse de sa mère, qui est appelée à vivre constamment avec elle, à lui donner des soins de tous les instants et qui, on le comprend, aura une singulière ten- dance à modeler sur la sienne propre sa jeune intelli- gence, nous dirions avec plus de justesse son état mental.

Par la nécessité d'une instruction plus précoce, par ses jeux même, le petit garçon échappe jusqu'à un certain point à sa mère ; mais il n'en est plus ainsi de la petite fille, qui vit dans son ombre et que la suraffectivité mater- nelle a bientôt fait passer au rang de petit phénomène.

Souvent, d'ailleurs, les fillettes issues d'une mère hys- térique et candidates à la névrose ont, non pas l'intelli- gence plus développée que les autres enfants de leur âge, mais possèdent un certain tour desprit, une pointe de ce nervosisme, dirions-nous, qui, adultes, leur prêtera un charme qui, pour être morbide, n'en sera pas moins réel. Encouragées par leur mère, qui se reflète en elles, mises en avant dans toutes les occasions, qu'on fait naître d'ailleurs, elles deviennent des enfants prodiges, débitant des vers, faisant, fillettes de huit ans déjà coquettes, des mines de jeunes personnes à marier, répondant avec un aplomb stupéfiant aux questions qu'on leur pose et passant « dans le monde » , qui les choie, — quitte à s'en moquer par derrière, — les heures de la soirée qu'elles feraient beau- coup mieux de consacrer au sommeil.

Puis, au bout de quelques années que ce manège a duré , survient ce que l'on appelle vulgairement l'âge ingrat, c'est-à-dire les approches de cette transformation physique qui précède l'établissement des premières règles. Alors éclatent les accidents hystériques , qu'une bonne hygiène morale et physique eût peut-être permis d'évi-


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ter, tandis qu'au contraire on a tout fait pour hâter leur éclosion.

Or si, en général, — toute question d'hystérie mise à part, — nous sommes partisan pour les garçons de l'in- struction en commun, qui leur apprend à devenir des hommes, qui leur fait sentir la nécessité de compter sur- tout sur soi-même, notre opinion est bien différente en ce qui regarde les fillettes. C'est dans la famille, sous l'œil vigilant et tendre de la mère, qu'elles doivent rece- voir éducation et instruction, se préparer à devenir à leur tour de bonnes mères de famille. Mais il ne saurait plus en être de même, si ces jeunes filles sont issues de souche hystérique. Les soustraire à l'influence du milieu familial est une règle qui s'impose, et linstruction en commun, l'internat même, nous semblent absolument nécessaires.

Là encore le rôle de l'éducatrice à laquelle l'enfant a été confiée devient considérable, et plus que jamais le médecin de la famille doit intervenir par ses conseils et exiger que ceux-ci soient suivis. Il ne faut pas que, dans le pensionnat, la jeune fille retrouve les fréquentations qu'on lui a fait fuir en l'éloignant de ses proches ; c'est à la pension qu'il faudra veiller à éviter soigneusement les liaisons si fréquentes entre névropathes.

Un moyen excellent serait d isoler la jeune fille sans l'interner, de la confier à une institutrice éprouvée qui la conduirait chez une parente à esprit sain, habitant autant que possible la campagne et à laquelle on donnerait la haute direction sur la conduite à suivre. Mais, en pratique, combien n'est-il pas difficile de réaliser un tel programme !

Si le petit garçon ne trouve guère dans la nature de ses études un aliment aux écarts toujours prêts à se produire de son imagination, il n'en est plus de même en ce qui concerne les jeunes filles. Ici l'éducation est plus imagina- tive : les arts d'agrément, la danse, la musique sont davantage cultivés. Au moins cela était-il vrai autrefois, car aujourd'hui la tendance générale est à faire des jeunes filles de désagréables bas-bleus.


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Il est bien certain, notre maître M. Brouardel Ta péremptoirement démontré, que chez les enfants le sur- menage intellectuel n'existe pas; mis en présence d'une tâche trop forte, ils n'en prennent que ce qu'ils en peuvent exécuter, quand ils n'en tirent pas prétexte pour ne rien faire. Mais pourquoi tracasser les jeunes filles pour l'ob- tention de diplômes qui, bien souvent, leur seront tout à fait inutiles? Il faut supprimer les examens, les concours, qui ont pour résultat fâcheux de les effrayer, de les déso- rienter, de les déprimer au physique et au moral.

Quant aux arts d'agrément, l'exagération de leur culture est également nuisible par un autre mécanisme. Il est des fillettes hystériques qui pleurent à l'audition d'un air langoureux, d'une romance sentimentale : il faut surveiller cette exaltation toujours morbide de la sensibilité musi- cale.

De même la danse doit-elle être pour elles un exercice hygiénique, et rien de plus. Chez les prédisposées à l'hys- térie, nous proscrivons radicalement les séances musi- cales du soir et les soirées où la danse se prolonge. Leur sommeil en est trop fortement troublé ; nous savons trop dans quel sens désastreux les rêves de la nuit influencent la journée du lendemain. Des promenades à la campagne, de la musique en commun pendant le jour ; pendant la journée aussi des réunions dansantes toujours courtes, sans excitation, sont de beaucoup préférables.

Au moment où ces enfants font leur « première com- munion » , pas d'exagération, pas de surchauffage dans le sens religieux, pas de ces retraites, de ces jeûnes qui exal- tent le moral en déprimant le physique. Entre onze et douze ans, les jeunes filles sont souvent dans une période de transformation, dangereuse nous Talions voir, et l'hys- térie peut être le résultat de ces pratiques exagérées.


L'année d'études terminée, pour les filles comme pour les garçons, un déplacement s'impose, toujours à la cam-


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pagne, à mi-montagne, par exemple. Si l'enfant est lym- phatique, on pourra conseiller la mer, mais il ne faut pas oublier que beaucoup de ces prédisposés dorment mal, sont excités lorsqu'ils sont sous l'influence du climat marin ; il faudra donc choisir une plage chaude et très abritée et se loger à une certaine distance du flot.

Dans quelque endroit que se passe la villégiature, on devra laisser aux enfants et aux adolescents une liberté relative. Il est regrettable que nos mœurs n'aient pas encore adopté ces pratiques d'outre-mer où jeunes gens ou jeunes filles se réunissent par groupes — la famille veillant au choix des relations — pour entreprendre de ces v oyages d'excursion qui leur apprennent à exercer leur self-control, en même temps que, dans la circonstance, ils les éloignent du milieu héréditaire et familial.

Mais ces voyages ne sont possibles que pour des ado- lescents, des jeunes filles déjà avancées en âge. Bien d'au- tres questions ont déjà dû nous préoccuper, en particulier l'influence des premières règles, qui se fait toujours si vivement sentir chez les prédisposées à l'hystérie.

La première menstruation est souvent pour la jeune fille, quelle qu'elle soit, un véritable sujet d'effroi, de terreur, tellement on lui a soigneusement tenu caché la possibilité même de cet acte physiologique qu'elle ne soupçonne pas chez sa mère.

C'est toujours, pour les prédisposées à l'hystérie, un choc moral qui vient s'ajouter à la dépression physique que cet acte entraîne fréquemment avec lui, grâce à la spoliation sanguine qui l'accompagne, spoliation d'autant plus fâcheuse que beaucoup d'entre elles sont particuliè- rement sujettes à l'anémie, sinon à la chlorose.

Il faut leur éviter ce choc, les prévenir de ce qui doit arriver comme d'une chose toute naturelle, et, les règles venues, ne pas trop s'effrayer si l'état psychique s'altère


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passagèrement; car, pendant la période menstruelle, la femme la mieux pondérée est presque toujours dans un certain état de déséquilibre mental.

M. Gueneau de Mussy a envisagé cette question des pre- mières menstruations avec un grand sens pratique. (

« On laisse ignorer aux jeunes filles, dit-il, les règles de prudence dont l'omission peut avoir pour leur santé et pour leur avenir les conséquences les plus funestes. La fonction menstruelle est englobée dans cette catégorie de mystères honteux qu'il faut dissimuler.

« On ne leur dit pas que la crise cataméniale doit modifier leur vie habituelle, qu'il faut, pendant sa durée, s'abstenir de tout exercice violent, craindre les fatigues, les refroidissements. Loin de là, on leur dirait plutôt d'éviter tout ce qui pourrait faire soupçonner leur situa- tion ; elles sortent, courent, dansent, bravent les intem- péries atmosphériques, voyagent, montent à cheval sans en tenir aucun compte. N'y a-t-il pas là une cause puis- sante de ces ménorragies, de ces dvsménorrhées, de ces catarrhes et autres affections congestives qui affligent si souvent les jeunes filles? Une fois sorties de pension, les jeunes filles ou les jeunes personnes conservent l'habitude quelles y ont contractée de ne faire aucune attention à cette fonction si importante, à cet accouchement en minia- ture qui exigerait tant de soins ou de précautions. »

Ces réflexions, qui sont d'une absolue justesse pour les jeunes filles saines, s'appliquent encore bien davantage aux prédisposées à l'hystérie.

L'établissement des règles, par la dépression physique qu'il occasionne, par l'état mental particulier dont il s'accompagne , est un agent provocateur par excellence des premiers accidents hystériques. Nous savons déjà que c'est surtout à l'époque des menstrues que se montreront, avec une périodicité redoutable, les paroxysmes convulsifs ou autres. On ne saurait donc trop méditer les conseils de Gueneau de Mussy et les mettre en pratique. On prescrira le repos physique, et pendant celui-ci, on évitera les lec-


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tures excitantes, dont l'effet s'exalterait encore au contact d'un état mental toujours momentanément bouleversé.

Non seulement il faut veiller à l'accomplissement de la fonction, mais encore à sa régularité. Beaucoup déjeunes filles saines sont, au début de son établissement, irréguliè- rement menstruées; chez les prédisposées à l'hystérie, par suite de l'anémie ou de la chlorose qui les affectent fré- quemment, ces irrégularités sont encore plus fréquentes et plus longtemps prolongées. C'est alors qu'on voit cer- taines mères d'hystériques, hystériques elles-mêmes, s'in- quiéter outre mesure de cet état irrégulier. Cela devient chez elles une véritable obsession; à dates fixes elles sont anxieuses et font partager leur anxiété à leurs filles. Elles obsèdent le médecin de leurs doléances.

Celui-ci devra remettre les choses au point. Si la régu- larité de la fonction est chose désirable, il n'est pas moins vrai, par contre, que des règles trop abondantes ou trop souvent répétées sont des plus nuisibles. En dehors d'un traitement tonique approprié, il devra s'abstenir de toute intervention thérapeutique exagérée et faire cesser ces inquiétudes. Il évitera les pédiluves irritants, les bains de siège chauds et déprimants ; c'est l'état général qu'il s'efforcera de relever en se rappelant qu'Hayem a démontré que, pour les chlorotiques en particulier, c'est tout béné- fice que de n'être que peu ou pas réglées.

Au point de vue moral, il s'inspirera de l'état d'esprit de la jeune fille, calmera ses appréhensions, lui fera com- prendre qu'il s'agit là d'un acte normal, d'une fonction physiologique, et l'aidera ainsi à franchir sans encombre cette période redoutable en ce quelle favorise l'éclosion des premiers accidents de la névrose.

Ses conseils seront d'autant plus nécessaires que c'est l'époque aussi où l'imagination des jeunes filles — et celle des hystériques est fort vagabonde — commence à prendre carrière. La jeune fille entrevoit alors le rôle qu'elle est appelée à jouer dans la société. Chez elle naîtront cette aspiration à fonder une famille et plus encore ce besoin


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qui pousse toute jeune fille à devenir libre, à chercher un mari, ne serait-ce que pour ne plus être en tutelle, puisque, au moins en France, elle est tenue en chartre jusqu'au jour où se présente un inconnu qu'elle accepte les yeux fermés pour pouvoir sortir seule, faire comme ses amies, qui du mariage se gardent bien de faire ressortir devant elle autre chose que les côtés d'indépendance.

Quant à « l'éveil des sens » , aux besoins génitaux des prédisposées à l'hystérie ou des hystériques confirmées, nous ne disons pas qu'il faille n'y attacher aucune impor- tance, mais cette importance ne doit pas créer une préoc- cupation de tous les instants.

Nous nous sommes expliqué à plusieurs reprises, d'ail- leurs, sur ce qu'il fallait penser de ces besoins génitaux. La nymphomanie n'a rien à faire avec l'hystérie, pas plus que la dipsomanie ou autres vésanies : il peut y avoir des associa- tions morbides , mais ces associations ne sont ni spéciales à la névrose, ni plus fréquentes chez ses sujets. Il peut exister des troubles locaux : anesthésie, hyperesthésie, vaginisme ; ce sont là des accidents confirmés qui marchent sur le même rang que les zones hyperesthésiques ou hystérogènes, que les contractures ; normalement, au point de vue génital, les hystériques ne sont pas les Messalines que l'on a cru.

« Les hystériques, disions-nous (t. I, p. 518), dans la période d'activité sexuelle, recherchent bien plus les pré- venances, les attentions délicates de l'homme que l'acte génital, qu'elles ne font souvent que tolérer. Si, après un certain temps de possession, l'acte subsiste seul ou à peu près, ou est trop souvent répété, la situation se tend, une rupture va éclater. Combien de ménages commencés sous les plus heureux auspices, la femme croyant d'autant plus aimer son mari que l'esprit chez elle, en vertu de la suggestibilité qui lui est propre, s'exalte si facilement, peut-être aux dépens des sens, deviennent de véritables enfers! L'acte sexuel a été pour l'hvstérique plus qu'une désillusion : elle ne le comprend pas; il lui inspire des répugnances insurmontables. Les idées, disons mieux, les


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illusions quelle s'était formées sur l'amour s'évanouissent, parce que chez elle les sens ne s'éveillent pas, comme cela devrait être, normalement. On voit d'ici les conséquences : le lit conjugal déserté, le mari cherchant ailleurs les satis- factions qu'on lui refuse ou qu'on ne lui accorde qu'avec répugnance ; la femme se désolant, en proie pour la pre- mière fois peut-être à des attaques convulsives qui vont se renouvelant de plus en plus, etc. »

« Nous aurons, ajoutions-nous, à tenir compte de ces données lorsque nous parlerons de la question si souvent controversée du mariage des hystériques. »

Le moment est venu d'en aborder l'étude.


La jeune fille dont nous avons la surveillance est nubile. Outre la notion héréditaire, certains phénomènes passa- gers nous ont fait penser que l'hystérie ne demandait qu'à éclore.

C'est l'époque où vont se lier entre jeunes gens des deux sexes ces petites intrigues qui, chez les jeunes filles saines d'esprit, n'ont qu'une importance très relative, tandis qu'elles en acquièrent souvent une fort considérable chez les prédisposées à l'hystérie, les sentiments qu'elles déve- loppent pouvant prendre des proportions inusitées chez ces êtres essentiellement psychiques, suggestibles et affectifs.

Elles peuvent éprouver un très violent chagrin le jour où elles comprennent que leurs espérances sont irréalisa- bles; une rupture peut être le prétexte d'une première crise. C'est le rôle des parents avertis d'éviter, si possible, de semblables engagements.

Dans une classe de la société où les mœurs sont plus libres, où les jeunes filles, ouvrières, demoiselles de maga- sin, domestiques, ne sont plus sous la surveillance directe de leur famille, on retrouve très souvent — combien de fois ne l'avons-nous pas noté dans la clientèle de la Sal- pètrière — ces ruptures forcées, ces « chagrins d'amour »


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au début de l'apparition des paroxysmes ! Dans ce milieu, rien à faire, avons-nous dit; on ne nous demandera conseil ni au point de vue physique, ni au point de vue moral.

Mais dans le milieu où il est écouté, le médecin engagera à veiller sur les jeunes filles, non pas qu'il y ait à craindre, chez les prédisposées à l'hystérie, plus que chez les autres des écarts des sens irréparables, mais parce que le chagrin qu'occasionnerait un penchant contrarié équivaudrait chez elles aux ruptures chez les jeunes fdles d'une autre caté- gorie sociale qui n'ont eu aucune hésitation à consommer l'acte physique.

Mais doit- on favoriser les tendances que la jeune fille a naturellement vers le mariage en lui choisissant un mari ? Doit-on, au contraire, chasser de son esprit toute idée matrimoniale, soit par crainte de voir se développer l'hystérie que l'on redoute, soit par crainte de l'héré- dité morbide chez les enfants qu'elle pourrait mettre au monde? Cette dernière considération doit être écartée : car si l'on devait éloigner du mariage tous les héréditaires nerveux ou autres par crainte de leur voir procréer des enfants héréditaires, eux aussi, il n'y aurait plus qu'à fer- mer le registre des naissances.

Ce qu'il faut songer à éviter, c'est le développement de l'hystérie par le mariage.

S'il ne s'agit que de jeunes filles prédisposées à l'hys- térie, ia solution de la question n'est pas douteuse : il faut conseiller le mariage pour cette raison qu'on les soustraira ainsi à l'influence mauvaise du milieu familial. Usera per- mis d'espérer que la jeune fille trouvera dans son mari l'aide morale qui lui est nécessaire, plus particulièrement à elle dans la circonstance. Le vieux principe de Y Hitopade- aia : « Une femme doit être sous la garde de son père pen- dant son enfance, sous la garde de son mari pendant sa jeunesse, sous la garde de son fils pendant sa vieillesse, et jamais indépendante » , est applicable aux hystériques plus qu'à toutes autres.

Il est bien entendu qu'en conseillant le mariage, le


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médecin n'aura pas en vue l'application des idées hippo- cratiques. « Nubat illa et morbus effugiet. » Il ne devra pas oublier ce qu'a écrit Charles Lepois : « J'ai vu des jeunes filles hystériques se marier, concevoir et rester hys- tériques et, bien plus, eadem experiri acidentia vel in mediis uxorum amplexibus. »

Il se placera uniquement au point de vue d'un change- ment de situation qui pourra être utile, à la fois, au moral et parfois peut-être au physique, comme nous allons le voir.

L'opinion que nous émettons, favorable en somme au mariage des prédisposées à l'hystérie, n'est pas celle de tous les auteurs, et Briquet, certainement guidé par une longue expérience, a écrit les lignes suivantes, que le méde- cin consulté sur l'opportunité d'une union projetée fera toujours bien de méditer. Il est vrai qu'il avait peut-être plus particulièrement en vue les hystériques déjà confir- mées, mais on ne saurait nier qu'il a envisagé la question sous son véritable aspect.

« Avant tout, il faut bien s'entendre. S'il ne s'agit que du mariage considéré comme une abstraction, comme un état qui serait le bonheur physique et moral parfait, sans mélange du plus léger souci, je serais le premier à le con- seiller dans la majorité des cas, attendu que la félicité sans mélange serait le meilleur de tous les remèdes contre l'hystérie, et qu'à mon sens il pourrait à lui seul dispenser de tous les autres. Mais le médecin n'est pas consulté pour discuter une thèse de philosophie; on lui demande son avis sur le mariage tel qu'il est dans l'ordre de choses actuel, et non pas tel qu'on désirerait qu'il fût. Or, dans le mariage tel que le comporte l'état actuel des choses, il sur- vient à chaque instant des occasions de sensations pénibles. Dans celui qui est le mieux assorti, il y a toujours les causes de souffrances inhérentes à cet état, les fatigues et les excitations de la cohabitation, les maux de la grossesse, les souffrances de l'accouchement, les nombreuses mala- dies nées à la suite des couches, celles qui dépendent de l'exercice des organes génitaux, les maladies et la mort


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des enfants, du mari, les soucis que donne l'éducation d'une famille, les contrariétés que provoque infailliblement la tenue d'une maison, etc.

« Et si, au lieu du ménage le plus heureux, on songe aux ménages ordinaires et aux ménages malheureux, on voit les causes des sensations les plus pénibles se multiplier : les contrariétés, les peines, les soucis, les chagrins que peuvent donner la mauvaise conduite d'un mari, les défauts de caractère, les difficultés du ménage, les revers de for- tune, la mauvaise conduite des enfants, etc. On sera effrayé d'exposer une hystérique, l'être du monde le plus impressionnable, à tant de causes de troubles, dont le moindre suffit pour bouleverser toute son économie.

« Le médecin aura encore à songer à la position du mari, si bien indiquée par J. Frank, et à celle des enfants, qui naîtront avec toutes les chances fâcheuses de l'héré- dité. »

« La position du mari » dont parle Briquet ne devra jamais peser d'un grand poids dans la détermination que nous conseillerons de prendre : avant tout, nous aurons en vue la santé physique et morale de la jeune fille qui est confiée à nos soins, que nous avons accepté de diriger. Or notre avis très sincère est que le mariage pour elle est utile pour les raisons que nous avons indiquées, non seule- ment parce qu'il est permis d'espérer qu'elle trouvera dans son mari aide et protection, mais encore parce que, si elle reste vieille fille, il y a bien des chances pour qu'elle n'échappe pas davantage aux accidents hystériques qui la menacent que si elle était devenue mère de famille.

Rien n'est plus difficile à traiter que l'hystérie des femmes vieillies dans le célibat, qui restées seules dans la vie manquent de l'appui moral qui leur est indispensable, et n'ont personne autour d'elles qui leur impose de suivre les conseils du médecin.

Dans une famille que nous connaissons, deux jeunes filles étaient issues d'une mère hystérique : toutes les deux avaient hérité du tempérament maternel. L'aînée se maria,

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l'union fut heureuse, et c'est à peine si quelques accidents hystériques, vite réprimés sous l'influence d'un mari intel- ligent, se montrèrent. La mère étant morte, la plus jeune renonça au mariage pour se consacrer, avec ce dévoue- ment si touchant dont sont capables les hystériques, à soigner son père. Celui-ci vint à mourir; sa fille était deve- nue trop âgée pour contracter une union : ce fut un pauvre être désemparé ; chez elle se montrèrent un à un tous les accidents de la névrose. Comme personne ne pouvait surveiller le traitement avec autorité, elle devint tour à tour éthéromane , morphinomane , adonnée à la cocaïne. Entièrement libre de ses actions, tous les pro- cédés thérapeutiques, l'isolement y compris, échouèrent parce quelle était incapable de s'y soumettre en dehors d'une contrainte morale qu'un mari seul eût pu lui im- poser avec autorité. Son existence est devenue lamentable en comparaison de celle de son aînée, qui certainement a trouvé dans le mariage l'obstacle au développement d'une névrose à laquelle les deux sœurs paraissaient également prédisposées.

On nous objectera certainement que toutes les unions ne sont pas heureuses, tant s'en faut; nous répondrons qu il nous est permis d'espérer que celle que contractera notre cliente le sera, que dans tous les cas notre opinion personnelle, appuyée sur toutes les raisons que nous avons exposées, est qu'une prédisposée à l'hystérie ne doit pas rester célibataire.

Quant aux enfants à venir, incontestablement c'est le point faible de l'argumentation; médicalement, ils nous intéressent davantage que le mari, dont nous reparlerons, mais beaucoup moins toutefois que la mère. Ils pour- ront échapper à l'influence héréditaire, surtout si l'union contractée a évité le développement des accidents nerveux chez leur génératrice.

Nous le répétons encore, nous n'avons en vue en ce moment que les prédisposées à l'hystérie : pour ce qui est des jeunes filles qui, au moment de contracter mariage, ont


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déjà souffert d'accidents convulsifs ou autres de la série hystérique, la question se pose dune façon sensiblement différente. Et les conclusions à tirer prêtent aussi davan- tage à l'interprétation.

11 y a des échelons dans la gamme des accidents hysté- riques. Telle jeune fdle de vingt ans qui, âgée de douze ou quinze ans, a souffert d'une toux hystérique, d'une con- tracture à la suite d'une émotion vive ou d'un violent traumatisme par exemple, n'est pas à mettre sur le même rang qu'une de ses compagnes en hystérie qui, tous les ans, périodiquement, est atteinte d'accidents convulsifs ou de manifestations viscérales : vomissements, tympanite, déter- minations sur l'appareil utéro-ovarien en particulier.

Ce qui doit guider surtout, c'est l'état mental du sujet. Telle hystérique qui n'a jamais souffert d'attaques ou de déterminations viscérales, mais qui par contre est une émotive, une excitable au premier chef, avec des alter- natives de dépression, — ce sont là phénomènes de même ordre, — est un sujet beaucoup moins apte au mariage que telle autre qui a supporté sans trop de déchéance mentale des secousses morales qui, à la vérité, ont déterminé chez elle l'apparition d'accidents hystériques vrais, mais dont elle a triomphé sans encombre pour sa personnalité psychique.

On voit combien la question est complexe : en réalité, de telles jeunes filles ne devraient pas se marier.

Pour parler net, si nous concluons en faveur du ma- riage pour les prédisposées, c'est parce qu'une hystérie qui ne s'est pas encore solennellement manifestée à l'âge de vingt ans a bien des chances pour être peu vivace, et que notre conviction est que ces chances ne s'augmen- teront pas, bien au contraire, dans le célibat.

D'ailleurs, en ce qui regarde les hystériques vraiment ancrées dans la névrose, la question que nous avons à ré- soudre est en réalité beaucoup plus théorique que pra- tique. Le médecin n'est souvent consulté... que lorsque ses conseils sont devenus inutiles, si tant est même que


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dans ces cas, où la réponse ne saurait être que défavorable, on n'ait pas songé d'abord à une chose : à se passer com- plètement de son avis.

Il est bien peu de parents — surtout de mères hystéri- ques — qui, entrevoyant pour leur fille névropathe la pos- sibilité dune union qu'ils jugent avantageuse, songent à prendre conseil du médecin, qui pourtant jusqu'alors sem- blait posséder leur confiance. Un beau jour, — si on ne se contente pas d'une simple lettre de faire part, — on viendra lui dire : « Docteur, un excellent parti s'est pré* sente pour notre fille ; le jeune homme nous convient, je vous annonce son mariage. Du reste, notre fille est enchan- tée ; la joie l'a transformée; le mariage, en lui apportant le bonheur, la guérira définitivement. » Que répondre à cela, d'autant que nous connaissons des exemples où, chez des hystériques les plus indéniables, le mariage a eu les plus heureuses conséquences? Il n'y a qu'à s'incliner. L'état mental des parents qui veulent caser leur fille, joint à celui de la fille qui veut s'affranchir de la tutelle de ses parents, est une force contre laquelle il n'y a pas à lutter.

Non seulement le médecin s'inclinera, mais encore il ne se retirera pas sous sa tente : il doit ses soins à la jeune épouse, si les accidents reparaissent ; il doit ses conseils au mari, auquel incombe maintenant le devoir de veiller à la santé de sa femme et qui, seul, peut lui faire accep- ter les conseils du médecin.

La question désormais change de face; mais, avant d'aller plus loin, il importe peut-être d'appuyer par quel- ques statistiques les elfets du mariage sur le développe- ment des accidents hystériques.

Les auteurs anciens, et leur opinion a été adoptée par Hoffmann, Louyer-Villemay et Landouzy, en un mot par tous les partisans de la théorie utérine de l'hystérie, aujourd'hui rejetée, ont émis l'opinion, dit Briquet (p. 618), « qu'il serait très commun de voir des hysté- riques guéries par le mariage » .

« Pour savoir à quoi m'en tenir à cet égard, ajoute-t-il


DE L'HYSTERIE. 469

j'ai recherché l'influence qu'avait eue le mariage, dune part sur cinquante et une femmes chez lesquelles l'hys- térie préexistait, et d'autre part sur vingt-neuf autres femmes mariées chez lesquelles l'époque de l'invasion de l'hystérie n'a pas été indiquée dans l'observation de ces malades.

« Parmi les cinquante et une premières femmes, il y en avait eu dix-sept chez lesquelles les accidents hystériques avaient augmenté par le fait du mariage; vingt chez qui il y avait eu de l'amélioration dès l'abord, puis, plus tard, de l'augmentation ; dix-neuf chez qui le mariage n'avait eu aucune influence appréciable, soit en bien, soit en mal, et treize chez qui le mariage avait été suivi soit d'une amélioration notable dans les accidents, soit d'une gué- rison.

« Enfin chez les vingt-neuf femmes à époque d'invasion inconnue, il s'en est trouvé treize chez lesquelles il y avait eu pendant le mariage une augmentation des accidents, douze chez qui il avait été sans influence, et quatre chez lesquelles il y avait de l'amélioration.

« Cela donne un ensemble de cinquante cas dans les- quels le mariage a été nuisible ; de trente et un cas dans lesquels il a été sans influence ni en bien ni en mal, et de dix-sept chez qui le mariage a amené soit une amélioration très prononcée, soit la guérison.

« Ainsi, d'après ces chiffres, la moitié des hystériques s'est mal trouvée du mariage; un peu plus du tiers y a été indifférente, et chez un peu moins du cinquième seule- ment le mariage a été utile. »

Les causes qui ont influencé défavorablement les hysté- riques> dans l'état de mariage ont été, ainsi qu'il était facile de le prévoir, les ennuis résultant d'une union mal assortie ou d'événements malheureux qui, dans le mariage, se produisent avec plus de fréquence encore que dans le célibat.

« Chez les femmes dont le mariage a rendu la santé meilleure, je n'ai reconnu, ajoute Briquet, que deux cir-


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constances capitales auxquelles j'ai pu rapporter l'amélio- ration obtenue.

« La première est le changement favorable que le ma- riage a opéré chez la jeune fille qui, malheureuse chez ses parents ou dans sa condition de fille, a trouvé un mari qui l'a rendue heureuse en lui donnant soit de l'affection, soit du bien-être ; dans ce cas, un sang meilleur se produit, la nutrition se fait mieux, l'embonpoint revient et les cou- leurs reparaissent. La seconde a été l'apparition des mens- trues, auparavant nulles ou irrégulières, laquelle s'est faite, soit par l'influence d'un changement favorable dans la position de l'hystérique, soit sous l'influence puissante de l'excitation génitale. »

Nous avons tenu à donner ces statistiques et surtout les conclusions que Briquet, fort autorisé en la matière, croit devoir en tirer. Ces conclusions nous serviront-elles de guide? Qui oserait prévoir qu'une union contractée dans de telles conditions sera assortie? En pareille matière, il y a autant de cas particuliers qu'il existe d'hystériques.


Nous disions que, l'hystérique une fois mariée, la ques- tion du traitement prophylactique change de face et que c'est au mari que le médecin devra désormais donner ses conseils, s'ils lui sont demandés, et ils ne le seront pas toujours.

D'abord l'hystérique qui s'est mariée, elle le sait, contre le gré du médecin de sa famille — lequel proposait au moins d'attendre — prend souvent texte de cette opposition pour s'adresser, si des accidents se développent, à un autre médecin, celui du mari, par exemple, peu au courant de l'état mental, du tempérament de sa nouvelle cliente.

Enfin il peut se faire que le médecin de la jeune fille ait été lui-même consulté, avant le mariage, par le futur époux. C'est généralement la mère de celui-ci qui entre en scène. « Docteur, vous donnez vos soins à Mlle X... Je


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sais qu'elle a eu des accidents nerveux; à telle date, elle a fait un séjour dans un établissement hydrothérapique, à telle autre, ma fille, qui est son amie, la vue tomber dans des attaques ; croyez-vous sincèrement que mon fils puisse l'épouser ? »

Il est inutile de dire qu'une telle demande devra rester sans réponse, même si votre interlocutrice ajoutait, en joignant des preuves à l'appui de son affirmation : « D'ail- leurs, la famille de la jeune fille est avertie de ma démar- che ; elle m'a autorisée à la faire. »

M. Brouardel enseigne, dans son beau livre sur le Secret médical, que nul ne peut relever le médecin de son secret, pas même la personne qui le lui a confié ; il reste seul juge de son devoir, et son devoir lui ordonne de se taire dans tous les cas, au moins dans les cas analogues à celui que nous supposons actuellement.

En effet, une pareille démarche cache toujours un piège. Celui qui veut épouser une jeune fille qu'il sait pertinem- ment hystérique, l'épouse par affection, et alors la maladie nerveuse qu'il n'ignore pas exister chez sa future femme ne saurait être un obstacle à ses projets. Par contre, si l'épouseur ne voit dans le mariage qu'une affaire, ce n'est pas votre rôle de rendre cette affaire encore meilleure peut-être qu'il ne l'avait espérée. Si vous lui démontrez que ses soupçons sont faux, c'est déjà pour lui un bénéfice qu'il ne mérite pas, et votre cliente a droit à un autre mari. Si vous les corroborez, il en tirera prétexte pour faire augmenter le chiffre de la dot. Nous le répétons, même si la démarche est autorisée par la famille de la jeune fille, — et il ne saurait être question d'un autre cas, — le mutisme doit être absolu. Ceux qui consulteront ainsi le médecin savent très bien à l'avance ce qu'ils veulent faire, et il est de notre devoir de ne pas favoriser leurs entreprises commerciales.

Une fois, une telle question nous fut posée à propos d'une jeune fille à laquelle nous avions donné nos soins : le singulier de la situation était que le futur était mé-


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decin lui-même. Notre réponse à sa mère, qui nous interrogeait, fut que son fils savait aussi bien que nous à quelle solution il devait s'arrêter dans la circonstance.

M. le professeur Brouardel nous a raconté à ce sujet un fait qui mérite de prendre place ici. Il soignait avec La- sègue une jeune fille atteinte à la fois d'hystérie et de tuberculose pulmonaire; le médecin de la famille avait sollicité leur avis éclairé. La tuberculose, souvent torpide chez les hystériques, cessa ses progrès; les accidents ner- veux disparurent, au moins en partie. Or le médecin de la famille avait un fils, docteur comme son père. Ce der- nier vint trouver M. Brouardel : « Nous avons soigné en- semble Mlle X...; elle va beaucoup mieux, les signes sthétoscopiques ont disparu, l'hystérie est très peu mar- quée ; mon fils aurait le désir de contracter mariage avec elle; ne vous semble-t-il pas que les obstacles médicaux soient levés ?» Il était évident qu'il y avait là une affaire, et certainement une bonne; le siège des deux compères était fait. M. Brouardel se borna à répondre à son interlocuteur « qu'il connaissait aussi bien que lui la situation et qu'il n'avait à prendre conseil que de lui-même » . Le mariage eut lieu. Vint un enfant qui succomba à la phtisie ; le mari prit la tuberculose de sa femme et en mourut. Quant à celle-ci, elle vit encore; à la vérité, ses tubercules sont cicatrisés, mais elle est toujours hystérique.


Le mariage est consommé ; quelle devra être désormais l'hygiène prophylactique de la femme hystérique ou pré- disposée à l'hystérie? Quel sera l'effet des actes conjugaux sur l'évolution de la névrose? Nous sommes fixés sur les rapports sexuels ; ils ne sauraient en eux-mêmes empêcher les paroxysmes de se montrer; ils peuvent en favoriser l'apparition, pour les raisons diverses que nous connaissons et qui tiennent souvent à des déterminations locales de l'hystérie. Uti, non abuti, c'est le précepte général, avec les


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restrictions particulières qu'entraînent, dans le sens de l'usage seul, ces manifestations locales qui relèvent du traitement curatif de la névrose et non de la prophylaxie des accidents a venir.

Bien plus souvent le médecin sera consulté sur l'op- portunité d'une grossesse et sur les conséquences de la gestation. 11 faut avouer que, fréquemment aussi, il sera fort embarrassé pour répondre.

En 1891, dans le premier volume de cet ouvrage, nous écrivions (p. 101) : « Quant à la grossesse comme agent provocateur (ou frénateur) de l'hystérie, son rôle est des plus discutables ; les opinions sont extrêmement partagées, ainsi que l'ont montré dans un chapitre spécial MM. Tar- nier et Budin (1). »

A cette époque, nous nous étions entretenu sur ce sujet avec M. Budin, qui avait bien voulu nous éclairer de son expérience. Depuis, sous l'inspiration de M. Tarnier , M. P. Réville (2) a consacré sa thèse inaugurale à l'étude de cette question. La lecture de son consciencieux tra- vail n'est pas davantage de nature à écarter tous les doutes.

Gomme nous, M. Réville (Introduction) « a été frappé du peu de renseignements précis fournis par les auteurs sur cette question... Nous essayerons, dit-il, de montrer dans ce travail forcément incomplet que l'influence de la grossesse sur l'hystérie varie suivant les cas, mais que cette influence est toujours réelle. Il faudra toujours s'en remet- tre au tact du médecin pour décréter l'opportunité d'une grossesse chez les femmes mariées nettement hystéri- ques. 5)

Et il réunit, par catégories, les faits les plus contradic- toires :

Dans une première série, la grossesse, soit à son début, soit pendant le cours de son évolution, provoqua nette-

(1) Traité de l'art des accouchements, t. H, 1886, p. 157, ck. ix, § 2 : De l'hystérie.

(2) Réville, Grossesse et hystérie. Th. Paris, 1892.


474 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

ment l'apparition d'accidents hystériques, se montrant pour la première fois ou ayant déjà existé; ces accidents reparurent sous l'influence de grossesses ultérieures. Tel le fait emprunté à Louyer-Villermay lui-même , partisan de la théorie des besoins sexuels non satisfaits comme cause de l'hystérie, et queM. Réville résume en ces termes (p. 10) : « Premier accès de l'hystérie au huitième mois de la grossesse; retour des accès neuf jours avant l'accouche- ment; réapparition au cours d'une autre grossesse. »

Dans une deuxième catégorie, l'état hystérique, déjà existant, parut amendé par la grossesse.

Dans une troisième se placent « certains cas exception- nels où l'hystérie a été provoquée de toutes pièces par la grossesse » .

Et les conclusions qui suivent cet exposé assez confus ne sont guère en faveur de la gestation, bien qu'on puisse cependant, en épiloguant sur les mots, les interpréter dans ce sens.

A notre avis, la question de la grossessse, par rapport au développement des accidents hystériques, ne doit pas être envisagée au point de vue de l'infériorité physique créée par la gestation et susceptible partant, comme toutes les causes d'affaiblissement général, soit de provoquer l'hys- térie qui ne s'était pas encore manifestée, soit d'exagérer des accidents qui existent. C'est au point de vue psychi- que, moral, qu'il faut se placer.

Il est clair que les premiers signes d'une grossesse chez une femme non mariée, qui comprend à n'en plus douter que « sa faute » va devenir apparente, sauter aux yeux de tous, détermineront un état d'esprit éminemment favora- ble au développement des accidents hystériques.

Mais il ne saurait en être de même lorsqu'une grossesse est ardemment désirée, que l'enfant va devenir un lien de plus dans le ménage, qu'il va fournir à la mère un sujet constant d'occupations qui lui seront chères. Dans ce cas, même en considérant les inquiétudes qu'inspirera tou- jours une santé si précieuse, mais auxquelles on ne pense


DE L'HYSTÉRIE. 475

pas pendant la gestation, la grossesse est un événement favorable incontestablement, sinon même très utile. A la condition toutefois qu'elle ne se renouvelle pas trop sou- vent, car au troisième ou au quatrième enfant, ou plus tôt ou plus tard, à la dépression physique qui ne manquera pas de se montrer viendront se joindre les soucis qu'in- spire toujours une nombreuse famille.

Évidemment, on ne conseillera pas une grossesse à une hystérique chlorotique au troisième degré; mais est-ce sur les conseils du médecin qu'elle se sera mariée? Il est des femmes très vigoureuses, non hystériques, qui sont horri- blement malades pendant leur grossesse, alors que d'autres plus faibles tolèrent à merveille la gestation, ce qui n'est pas une raison pour ne conseiller la grossesse qu'aux ané- miques.

On le voit, cette question de la grossesse dans l'hystérie est complexe : là encore, autant de femmes, autant de cas particuliers; la conduite à suivre ne saurait être mise en formules.

Mais où il ne saurait y avoir d'hésitation, par exemple, c'est dans la question de Y allaitement . Celui-ci doit être proscrit pour beaucoup de raisons, les suivantes en parti- culier :

D'abord, l'allaitement sérieux, tel qu'il doit être au moins pendant les huit ou dix premiers mois, entraîne avec lui une telle fatigue de tous les instants qu'une mère hystérique, assez souvent débile, ne devra jamais l'entre- prendre dans son intérêt et dans celui de l'enfant. Dans son intérêt, parce que les fatigues du jour et de la nuit l'épuiseront vite et favoriseront l'apparition des accidents nerveux qu'on veut éviter; dans l'intérêt de l'enfant, parce qu'il est permis de supposer qu'avec un peu de réussite, on pourra trouver une nourrice vigoureuse qui fortifiera sin- gulièrement plus que sa mère ce petit prédisposé à l'hys- térie, dont l'état physique doit être aussi satisfaisant que possible.

Il est cependant des mères — moins nombreuses, en


476 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

réalité, qu'on ne le croit généralement — chez lesquelles cette idée de confier l'allaitement du nouveau-né à une nourrice mercenaire cause un véritable chagrin, inspire une invincible répugnance. Or, les émotions morales doi- vent être soigneusement évitées chez les hystériques. C'est dans ces cas particuliers que l'intervention du médecin sera nécessaire. Dès le début de la grossesse, il s'efforcera de faire accepter cette idée que l'enfant devra être confié à une nourrice, faisant ressortir les avantages de l'allai- tement par une tierce personne, glissant sur les inconvé- nients qu'on peut éviter d'ailleurs. Et ce faisant il sera dans son rôle, parce qu'il prendra à la fois les intérêts de la mère et de l'enfant confiés à ses soins. Il est bien rare qu'il ne soit pas écouté. Si la mère s'obstine, il s'incli- nera, mais se tiendra prêt à choisir une nourrice à la moindre défaillance.

S'il n'a pu triompher, qu'il intervienne alors par les con- seils appropriés : réglage sévère des tétées : enfant cou- chant en dehors de la chambre de la mère, qui a plus que jamais besoin de son sommeil, à laquelle une domestique l'apportera une fois la nuit, et pas plus; alimentation com- plémentaire dès le sixième ou septième mois, si l'enfant est vigoureux ; en un mot il mettra en pratique les prin- cipes — un peu exagérés — qui doivent présider à un allai- tement bien entendu.

Dans tous les cas, il est bien probable que, s'il sur- vient une deuxième grossesse, il n'aura plus guère à lutter cette fois pour faire accepter une nourrice.


A l'époque de la vie où nous en sommes, et étant donné que les accidents hystériques débutent en général avant vingt-cinq ans, il y a bien des chances pour que la né- vrose ne se manifeste plus chez le prédisposé héréditaire, si elle ne s'est déjà montrée.

Exception cependant doit être faite pour l'homme, à


DE L'HYSTÉRIE. -477

propos surtout des manifestations qui sont sous la dépen- dance ordinaire du traumatisme en particulier. Mais il ne saurait y avoir de prophylaxie pour de tels accidents.

Puisque nous parlons du sexe masculin, est-il besoin de dire qu'on devra continuer à surveiller le jeune garçon que nous avons conduit jusqu'à l'adolescence? Ce que nous avons dit de la jeune fille à propos des examens à pas- ser, des concours à subir, lui est de tous points appli- cable. Le surmenage, qui n'existait pas pendant les pre- mières années de collège, pourra se montrer, par exemple, à l'époque où le jeune prédisposé à l'hystérie devra songer à embrasser une carrière. Aux parents bien conseillés par le médecin de veiller à ce qu'il ne s'impose pas une tâche au-dessus de ses forces ; la connaissance approfondie de son caractère, de son tempérament moral et physique, sera le meilleur guide.

Devenu adolescent, le jeune héréditaire, beaucoup plus libre que sa sœur, est sujet à des entraînements que son état mental d'hystérique suggestible lui fera suivre trop souvent avec passion.

Il n'est pas besoin d'être grand éducateur, ni médecin très spécialisé en la matière, pour tracer les règles de pro- phylaxie en pareils cas.

Une question pourrait se poser, celle du mariage d'un hystérique mâle : nous croyons sans ambages qu'il fau- drait la résoudre par la négative. Dans notre société, telle qu'elle est, hors du mariage pas de salut pour les jeunes filles, et il ne faut pas qu'elles attendent trop long- temps, car la jeunesse passe et les épouseurs se font rares. On pourra toujours conseiller à un homme de patienter, de reculer de quelques années, et se baser sur la persistance ou la disparition des accidents hystériques pour se pro- noncer ; mais en se reportant à ce que nous savons de l'état mental des hystériques mâles, on comprendra que le mariage ne saurait en autre façon convenir à de sem- blables sujets.

Nous avons dit que l'hystérie se développait surtout


478 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE DE L'HYSTÉRIE.

avant vingt-cinq ans ; cela est certain, mais il faut bien savoir aussi que, chez la femme, il est une période, celle de la ménopause, où la névrose peut se montrer pour la première fois ou revenir dune façon agressive si elle avait antérieurement existé. Il y aura lieu de formuler dans ces cas toute une série de conseils qui ne seront, d'ailleurs, que l'exagération de ceux que nous avons dit devoir être appliqués pendant la période de l'activité menstruelle : repos au moment de l'apparition toujours irrégulière des règles; distractions dans leur intervalle, éloignement des préoccupations morales, jusqu'à ce que la cessation de la fonction soit définitive.

11 ne faut pas oublier que c'est l'époque où les mani- festations de l'hystérie, lorsqu'elles se montrent, ont une tendance exceptionnelle à la ténacité, gagnant les viscères, se localisant sur l'abdomen pour produire ces paroxysmes à forme névralgique à la fois si douloureux et si difficiles à guérir. On voit que le rôle du médecin trouvera encore là à s'exercer.


TRAITEMENT GURATIF DE L'HYSTÉRIE EN GÉNÉRAL


Dans le précédent chapitre, nous nous sommes attaché à empêcher l'apparition des accidents qui menaçaient d'éclore chez le prédisposé à l'hvstérie. Nous supposons maintenant que nos efforts ont été vains, ou qu'un ma- lade que nous voyons pour la première fois vient réclamer nos soins pour des accidents confirmés : il nous faut en conséquence mettre en pratique le traitement curatif pro- prement dit. Celui-ci est général ou particulier ; général lors- qu'il est applicable à l'ensemble des manifestations qui constituent l'état hystérique; particulier lorsqu'il s'adresse plus spécialement à une manifestation qu'à une autre. Le traitement curatif comprend, lui aussi, une certaine part de prophylaxie; car, une série de paroxysmes con- vulsifs étant guérie, par exemple, il faudra s'employer à empêcher le retour de manifestations du même ordre ou d'ordre différent ayant antérieurement existé.


Il est clair que, si nous connaissions la lésion anato- mique de l'hystérie, le seul traitement rationnel consiste- rait à lutter contre elle ; mais nous savons qu'en pareille matière il faut nous en tenir aux conjectures.

L'hystérie étant, dans notre hypothèse, une maladie psychique, c'est à l'élément psychique qu'il va falloir s'adresser, ou mieux, tous nos efforts devront tendre à l'influencer dans un sens favorable, à en assurer, à en ré-


480 1IIAIÏE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

tablir le fonctionnement normal, régulier, troublé parla névrose. Si nous considérons encore que les femmes hys- tériques sont assez fréquemment anémiques, chaque lois qu'une dépression physique existera, il faudra tout mettre en œuvre pour relever et tonifier l'organisme. Et les toni- ques, dans la circonstance, ne doivent pas être considérés comme des médicaments : nous verrons d'ailleurs que la thérapeutique officinale est fort restreinte dans la cure de l'hystérie.

Nous rappellerons, sans crainte de redites, l'importance qu'au courant de ces trois volumes nous avons attribuée aux troubles de la sensibilité qui soit accompagnent l'hysté- rie en général, soit se superposent à ses manifestations locales. Il semble qu'il y ait là, pour ainsi dire, une exté- riorisation du trouble psychique qui préside en réalité à l'évolution de tout accident hystérique. Nous verrons que les faits ont conduit les médecins, d'une façon empi- rique, à se servir d'un certain nombre de procédés thé- rapeutiques de tous points excellents, qui n'agissent certainement qu'en modifiant les déterminations sensi- tives. C'est un procédé détourné pour atteindre l'élément psychique que de modifier son extériorisation physique.

Mais avant d'étudier les divers procédés thérapeutiques, d'établir les bases du traitement curatif, nous voudrions bien dire quelques mots des qualités que doit posséder le médecin appelé à soigner des hystériques. Ces qua- lités, il ne peut les acquérir que dans la fréquentation répé- tée de ces malades : on ne devient bon aliéniste qu'en vivant avec les aliénés. Elle lui permettra de juger d'un coup d'œil le sujet qui se présentera à son observation en même temps qu'elle lui fournira, par l'expérience acquise, les moyens d'apprécier la gravité de la manifestation actuelle et l'opportunité des moyens curatifs à lui opposer. C'est cette science de sa maladie, vite reconnue par l'hysté- rique chez son interlocuteur, qui donne au médecin l'auto- rité morale indispensable pour triompher d'accidents psy- chiques de cette nature.


DE L'HYSTERIE.


Il faut bien le dire, cette autorité morale, prise dans le sens où nous l'entendons, fait trop souvent défaut au mé- decin ordinaire de la famille, et pour cause. L'hystérie, chez ses adeptes, est une maladie pour ainsi dire de tous les jours, ne serait-ce que par son état mental. II s'ensuit que le sujet harcèle son médecin pour des accidents en apparence futiles, mais qui en réalité le font beaucoup souffrir. Naît alors fréquemment un malentendu entre le malade qui gémit constamment et le médecin qui d'habi- tude, se préoccupant beaucoup plus du traitement des affections organiques, se laisse aller à traiter de maladie imaginaire une maladie de l'imagination, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Sa patience s'use au contact de cette mentale, fatigante, obsédante, et la confiance s'en va. Viennent à éclater des accidents graves, le mé- decin sentira bien vite que son autorité s'est trop affai- blie pour qu'il puisse dominer la situation. Il devra passer la main à un confrère qu'il choisira capable, qu'il fera accepter alors sans peine, et qui aura sur lui l'avantage, en dehors de ses connaissances spéciales en la matière, que nous supposons étendues, d'avoir conservé vis-à-vis du sujet cette autorité qu'il a lui-même perdue.

Le médecin d'une famille où il y a des hystériques doit, vis-à-vis d'eux, adopter une ligne de conduite toute parti- culière : pas de consultations de complaisance, en passant pour ainsi dire; pas de conseils donnés pour qu'ils ne soient pas suivis. Si on le consulte, il a droit d'exiger qu'on se conforme à ses prescriptions, qui seront raisonnées; s'il n'est pas obéi, il n'aura qu'à s'adjoindre un confrère dans lequel il saura pouvoir placer lui-même toute sa confiance.

Il n'est pas douteux, du reste, que le médecin consultant ne soit en bien meilleure posture que le médecin ordinaire qui fait appel à son expérience. L'hystérique qui sollicite ses conseils est déjà favorablement influencée : elle a fait d'elle-même, en réclamant ses soins, un pas vers sa guéri- son. Son médecin habituel l'envoie vers un confrère qui, lui a-t-il affirmé, a guéri déjà bien d'autres malades du même

m. 31


482 TRAITE CLIISIQUE ET THERAPEUTIQUE

ordre, et plus gravement atteints : il a fait naître sa con- fiance, et c'est cette confiance qu'il appartient au médecin consultant, non seulement de conserver, si elle lui est acquise, mais encore de développer, d'entretenir par sa façon d'être, par sa manière d'agir, car elle va faire toute sa force. C'est, dans tous les cas, à lui de la gagner s'il ne la possède pas encore.

Il est vrai que certains malades ne l'accordent pas facile- ment, mais ce n'est pas dans les hystériques qu'on trouve les sujets les plus particulièrement rebelles, étant donnée la suggestibilité qui forme le fond de leur caractère. C'est dans ces cas que la fréquentation anticipée de pareils ma- lades et leur observation suivie rendront de véritables services au médecin. Pour se faire comprendre de tels sujets, il faut, qu'on nous passe cette expression, « savoir leur parler » , et de telles notions ne s'acquièrent que par l'expérience.

De la première entrevue dépend souvent le succès de la cure ; du premier examen doit naître la confiance que le médecin devra toujours inspirer sous peine de courir à un échec certain.

Nous ne parlons pas, dans la circonstance, de ces cas où sa connaissance approfondie de la névrose lui permettra de porter un diagnostic qui jusqu'alors s'était égaré; d'attribuer, par exemple, à l'hystérie gastrique des mani- festations mises au compte d'altérations organiques. 11 va sans dire que rectifier un diagnostic erroné, c'est faire accomplir un pas considérable à la guérison; mais nous envisageons les cas beaucoup plus simples, et beaucoup plus fréquents, où il s'agira d'accidents dont la nature ne fera de doute pour personne.

Sans prendre des airs de thaumaturge inspiré qui le rendraient rapidement ridicule, tous les efforts du méde- cin, dès le début de l'examen qu'il va pratiquer, devront tendre à faire comprendre à la malade qu'il est compétent en la matière; c'est en le prouvant d'ailleurs qu'il prendra possession de son sujet.


DE L'HYSTERIE. 483

Après l'exposé sommaire — ou très développé — du cas l'ait par le médecin traitant, par la malade elle-même ou une personne de son entourage, qu'il écoutera soi- gneusement, il devra toujours procéder à son tour à un interrogatoire minutieux en remontant ab ovo, pour ainsi dire. Chemin faisant, il ira au-devant de certains accidents, il en provoquera l'aveu, qu'on ne lui avait pas fait, du reste, parce que ces accidents étaient passés inaperçus ou avaient été peu remarqués. Le somnambulisme de l'en- fance existe fréquemment dans les antécédents des hysté- riques, et rarement en parlent les malades ou ceux qui les entourent. S'il est le premier à le découvrir, c'est déjà un pas de fait dans la confiance du malade, qui sent devant lui quelqu'un qui le connaît, qui sait quelle est l'affection dont il souffre puisqu'il lui révèle l'existence même de symptômes qu'il avait jusque-là ignorés. Mais c'est surtout dans la recherche des stigmates mentaux que le médecin s'affirmera comme bon clinicien.

Interrompant sa malade après l'avoir soigneusement écoutée pendant un temps suffisant pour avoir déjà appris à la connaître, il se fera narrateur à son tour : « Tout cela est très bien, dira-t-il, mais vous oubliez quelque chose ; je vais compléter votre récit. Vous m'avez bien dit com- ment vous étiez pendant le jour, mais vous ne m'avez pas renseigné sur votre état pendant la nuit. Est-ce que, après une ou deux heures d'un sommeil, souvent long à venir, vous n'êtes pas tourmentée par des rêves effrayants, par des cauchemars plus terrifiants encore? est-ce qu'il n'y a pas des « bêtes » qui courent sur votre lit? ne tombez- vous pas dans des précipices? Est-ce que très souvent le même rêve désagréable ne se présente pas à votre esprit? Ce rêve n'a-t-il pas trait à un événement qui vous a forte- ment impressionnée autrefois, à la suite même duquel les accidents dont vous souffrez actuellement, ou d'autres encore, se sont développés ou se sont au moins singuliè- rement exagérés? Est-ce que, le matin, à la suite de ces rêves, vous ne vous réveillez pas brisée, plus fatiguée que


484 TRAITÉ CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

si vous ne vous étiez pas couchée? Un sommeil de plomb, toujours peu réparateur, ne s'empare-t-il pas alors de vous? Est-ce que la journée qui succède à la nuit où les rêves ont été particulièrement intenses, ne se juge pas par une fatigue plus grande encore que d'habitude, par un état d'esprit fait soit de dépression, soit d'excitation qui vous rend maussade, désagréable à tout le monde et à vous- même ? »

Et bien d'autres questions auxquelles le médecin fera lui-même la réponse en s'inspirant de l'allure générale du sujet qui vient le consulter et de la connaissance qu'il a déjà acquise du tempérament des hystériques.

Souvent alors vous entendrez la malade s'écrier : « Mais vous me connaissez donc, vous qui me voyez pour la pre- mière fois? On dirait que vous vivez près de moi depuis longtemps; j'éprouve, en effet, tout ce que vous me dites : jamais on ne m'a parlé de la sorte, jamais on n'a de telle façon analysé mes sensations — »

A partir de ce moment la cause est gagnée, ou bien près de l'être; vous avez pénétré dans la place, vous avez inspiré la confiance, et alors s'ouvre le chapitre des confi- dences.

Il est bien rare que, dans la provocation des acci- dents ou dans la continuation de ceux-ci , il n'y ait sous roche quelque « histoire » morale , souvent magnifiée par le tempérament hystérique : une blessure de l'esprit vive- ment ressentie , une espérance déçue , chose de peu d'im- portance réelle, mais toujours, dans tous les cas, d'impor- tance exagérée. L'hystérique sent que vous la comprenez; désormais vous possédez sur elle une action, une influence morale qui feront que vos conseils seront écoutés, dont vous allez pouvoir vous servir. La malade a vite saisi que ce n'est pas la curiosité qui vous guide ; elle sait le mé- decin le dépositaire de trop de confidences pour être désireux d'en provoquer de nouvelles, mais elle sent que vous vous intéressez à elle, et elle cherchera vite un ap- pui dans celui qui n'est pas un indifférent à ses souf-


DE L'HYSTERIE. -185

frances, qui a su pénétrer dans l'intimité de son état mental.

L'examen physique doit être également des plus minu- tieux, sans exagération toutefois; la recherche et la consta- tation des stigmates physiques : rétrécissement du champ visuel, achromatopsie , troubles gustatifs, vous permet- tront immédiatement de donner au sujet le pourquoi de certaines perversions du goût, de préférences injustifia- bles jusqu'alors dans le choix des couleurs. La con- statation de zones hyperesthésiques ou hystérogènes vous renseignera sur la pathogénie de certaines douleurs, vous permettra d'établir la portée pronostique des accidents actuels, en même temps qu'elle vous donnera la possi- bilité d'intervenir localement, d'influencer de cette façon certaines manifestations dont l'existence même avait pu jusqu'alors passer inaperçue.

Lorsque l'hystérique se sent comprise, devinée, il est rare qu'elle ne s'abandonne pas; il se fait une détente, pour ainsi dire, dans son moi moral et dans son être physique, et la guérison n'est pas loin ; c'est au moins le chemin qui y conduit.

Nous ne croyons pas que les considérations dans les- quelles nous venons d'entrer soient oiseuses; pour notre part, nous avons appris à en connaître toute l'importance. Comme nous ne possédons pas, pour le traitement de l'hysté- rie, un moyen analogue à l'emploi du sulfate de quinine dans la fièvre intermittente, il est clair qu'il faut chercher ailleurs que dans une connaissance approfondie de la phar- macopée le secret de cette influence bienfaisante qui, une fois acquise, fera triompher un médecin là où son confrère aura échoué.

Il ne faut pas brusquer les hystériques; il faut les exa- miner avec soin et grande patience. Il faut, en leur faisant comprendre qu'on est au courant de leur maladie, de leur être mental, de leurs faits et actes, de leur manière de vivre journalière, — et cela s'acquiert vite dans leur fré- quentation, pour peu qu'on veuille observer, — leur mon- trer qu'on les tient en main, pour ainsi dire, et qu'elles


486 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

n'ont plus qu'à obéir, et elles obéissent au moins dans certaines conditions, à laide de certains procédés que nous allons déterminer.


Le traitement psychique de l'hystérie en général, celui qui va nous occuper en premier lieu, comprend un certain nombre d'éléments, ou mieux de procédés, associés le plus souvent dans la pratique et que nous dissocierons pour les besoins de notre exposé.

Parmi ces procédés de traitement, un des premiers qui se présentent à l'esprit n'est autre que Y hypnotisme et son corollaire obligé la suggestion (1).

A priori, en effet, il semble que l'hypnotisme doive être la base du traitement de ces malades psychiques qu'on appelle des hystériques et qui sont seuls hypnoti- sables. Voici un sujet porteur d'une paralysie; nous l'en- dormons : pendant le sommeil nous lui suggérons que sa paralysie doit disparaître ; elle disparaît, en effet, et l'hyp- notisme a triomphé !

Ce sont les théoriciens de l'hypnose qui parlent ainsi, et les observateurs sincères, qui ont la pratique du traite- ment des hystériques, sont loin de partager leur enthou- siasme. Ge sont ces mêmes théoriciens qui enseignent que le sommeil hypnotique n'est autre chose qu'un sommeil naturel! Singulier sommeil que celui où l'on retrouve l'anesthésie, l'hyperexcitabilité neuro -musculaire et les modifications dans les échanges du paroxysme hystérique dont, en réalité, on ne saurait le différencier!

L'hypnotisme n'est pas autre chose qu'un paroxysme hystérique qui est provoqué au lieu d'être spontané ; il agit comme les paroxysmes en modifiant profondément le terrain hystérique. Ce que le médecin qui essaye de déter-

(1) Voir Gilles de la Tourette, V hypnotisme et les états analogues, 3 e partie : Bienfaits et dangers de V hypnotisme, ch. ix. Médecine hypno- tique, op. cit.


DE L'HYSTÉRIE. 487

miner le sommeil artificiel doit avoir constamment à l'es- prit, c'est qu'il ne peut savoir à l'avance si les effets qu'il va produire, au lieu d'être curatifs, ne seront pas tout simplement désastreux. Au lieu d'un état calme pendant lequel le sujet se prêtera à ses suggestions thérapeuti- ques , c'est parfois une attaque qui fera son apparition et pourra être la première manifestation convulsive de l'hys- térie. Avant de tenter l'hypnotisation, il faut faire une étude approfondie du malade et se dire qu'on risque sou- vent beaucoup pour gagner peu. Quelle sera l'attitude du médecin qui s'était posé en thérapeute, en présence d'une attaque qu'il a lui-même provoquée et qu'il est le plus souvent impuissant à enrayer? Et les faits de ce genre abondent dans la science !

« Le médecin, disions-nous, en 1887 (1), ne devra pra- tiquer l'hypnotisation que chez les malades qui présentent des symptômes d'hystérie confirmée, c'est-à-dire chez lesquels il existe des phénomènes nerveux tels, que ceux qu'on risque de produire soient inférieurs en gravité aux svmptômes actuels. Nous n'hésitons pas à le répéter, il vaut mieux vivre en paix avec de légers troubles hysté- riques que de s'exposer à la révélation des accidents les plus tenaces de la névrose , les crises convulsives en parti- culier. ii

Qui voudrait aujourd'hui renouveler la pratique de Mesmer, dont la thérapeutique consistait à provoquer des crises autour de son baquet? Mais la chambre des crises s'appela bientôt Y enfer aux convulsions ; et qui ne recon- naîtrait parmi ces dernières les attaques d'hystérie les mieux caractérisées !

« Ces convulsions , dit Bailly (2) , sont extraordinaires par leur nombre, par leur durée et par leur force... Elles sont caractérisées par les mouvements précipités, invo- lontaires de tous les membres et du corps entier, par le resserrement à la gorge, par des soubresauts des hypo-

(1) Gilles de la Tourette, L'hypnotisme, op. cit., p. 299.

(2) Ici., ibid., p. 301.


488 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

condres et de l'épigastre , par le trouble et l'égarement des yeux, par des cris perçants, des pleurs, des hoquets et des cris immodérés. Elles sont précédées ou suivies d'un état de langueur et de rêverie, d'une sorte d'abatte- ment et même d'assoupissement »

Voilà, — nous l'avons établi avec preuves à l'appui, — ce que peut obtenir, malgré lui, le médecin le plus expé- rimenté. A lui d'agir avec la plus grande prudence sans perdre un instant de vue la responsabilité qu'il encourt. Nous sommes loin, comme on le voit, de la pratique de ceux qui font de l'hypnotisme la panacée de l'hystérie. Les résultats merveilleux qu'ils disent obtenir masquent, nous en sommes certain, des déboires dont nous ne vou- lons pas faire le dénombrement.

Le médecin ne devra pas oublier encore que les hyp- notisations répétées agissent, elles aussi, à la façon des attaques, qui se répètent en se coulant toujours dans le même moule. Lorsqu'un sujet a été souvent hypnotisé, il n'est pas rare de le voir retomber spontanément, de lui-même, sous l'influence de la provocation la plus for- tuite, dans un état semblable à celui où il a été déjà plongé. La forme hypnotique la plus favorable aux sug- gestions thérapeutiques ou autres étant le somnambu- lisme, il est fréquent de voir des sujets revenir d'eux-mêmes à la forme somnambulique, qui crée ainsi chez eux des états véritablement analogues aux états seconds les plus légitimes.

Nous avons longuement insisté sur ces faits dans notre livre sur l'hypnotisme et montré les inconvénients qui pouvaient résulter, dans cet ordre d idées, des hypnotisa- tions répétées.

A côté des faits qui nous sont personnels, nous en pla- cerons d'autres d'où il ressortira que notre opinion n'est pas isolée.

« J'ai vu, dit M. Pitres (I), une dame franchement

(1) Pitres, Leç. clin, sur l'hystérie et l'hypnotisme, t. II, p. 404, op, cit.


DE L'HYSTERIE. 480

hystérique, atteinte de pseudo-angine de poitrine et obsédée par la crainte de mourir subitement. Cette dame avait été autrefois hypnotisée par un de ses parents. Plus tard, se trouvant à Paris pendant l'Exposition, elle s'était endormie spontanément dans les magasins du Louvre, devant un comptoir de jouets ; on avait dû. aller chercher un médecin, qui la réveilla en lui soufflant sur les yeux. »

Charpignon, dès 1848, avait écrit : « Le somnambulisme se développe ordinairement par la magnétisation directe. Mais les inconvénients sont nombreux, et nousme conseil- lons pas d'en user, surtout dans un seul but expérimental. Un de ces inconvénients est d'habituer l'organisme à accomplir de lui-même la crise somnambulique. Et, comme nous l'avons dit, rien n'étant plus facile au système ner- veux que de répéter spontanément les affections insolites qui l'ont impressionné, on conçoit les dangers de ces som- meils subits, de ces demi-somnambulismes (1). »

Et il rapporte deux cas dont l'un eut une terminaison tragique, la malade qui fait l'objet de son observation étant allée se jeter à la Loire dans un de ces accès de som- nambulisme spontané, consécutif à ceux qu'on avait pro- voqués par une série d'hypnotisations antérieures.

Ces faits sont bien connus :

« Les accidents qui se développent à la suite des représentations théâtrales données par les magnétiseurs sont, la plupart du temps, du même ordre, disions-nous encore (p. 315) : état de somnambulisme spontané sur- venant sous l'influence d'une cause futile, au milieu du repas, à la vue d'un bouchon de carafe qui brille, d'une lampe qu'on allume. On comprend quelle perturbation se trouve ainsi apportée dans la vie des sujets, qui devien- nent de véritables aliénés, sur lesquels il faut constam- ment veiller. »

Briquet les avait déjà notés à une époque où l'hypno- tisme était d'un emploi beaucoup moins fréquent qu'au-

(1) Charpicnon, Physiologie du magnétisme, 1848, p. 297.


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jourd'hui. Son opinion sur les propriétés de l'hypnose dans la cure des accidents hystériques est, d'ailleurs, bonne à connaître.

« On a proposé, dit-il (p. 655), comme un bon calmant, ce que l'on appelle le magnétisme, et ce que j'appellerai la fascination. Cette pratique produit des effets très appré- ciables, desquels on peut essayer de tirer quelque parti. »

Et, après avoir établi par des faits qu'on pouvait, à l'aide de la fascination, obtenir de bons résultats qui, malheu- reusement, dit-il, ne persistent pas toujours au réveil, il ajoute, et c'est ce qui nous intéresse :

« Il ne serait pas sans quelque inconvénient de répéter fréquemment la fascination, comme il faudrait le faire pour anéantir des accidents qui se reproduiraient plusieurs fois. La fascination donne au système nerveux une manière d'être qui le rend très susceptible à de nouvelles fascina- tions, qui dispose au somnambulisme, qui fatigue les malades et qui les humilie de se trouver si directement sous la puissance d'un étranger.

« Aussi suis-je d'opinion qu'il ne faut pas employer la fascination comme moyen de traitement général de l'hys- térie et qu'on peut tout au plus s'en servir passagèrement comme d'un moyen anesthésique ou comme d'un moyen de calmer quelque accident important. »

Cette opinion de Briquet, les faits l'ont toujours corro- borée et, pas plus aujourd'hui que de son temps, l'hypno- tisme ne doit être érigé en méthode générale de trai- tement de l'hystérie. On pourrait dire que nos études sont désormais plus avancées, qu'on sait mieux manier l'hypnose que du temps de cet auteur. Mais pas plus aujourd'hui qu'autrefois nous ne sommes les maîtres des phénomènes que nous allons provoquer. En réalité, ce n'est pas le médecin qui endort le sujet; celui-ci s'endort seul, sous l'influence des agents provocateurs : fixation, compression des globes oculaires, etc.; et, une fois en- dormi, qui sait dans quel sens va évoluer l'état morbide que le magnétiseur a fait naître?


DE L'HYSTERIE. 491


Dans cette appréciation des avantages et des inconvé- nients que l'on peut tirer de l'hypnotisme dans le traite- ment de l'hystérie, il est bien entendu que nous nous plaçons uniquement au point de vue général. Nous aurons, en traitant des principaux accidents hystériques, l'occasion de faire ressortir l'utilité, les bienfaits de l'hypnose, au moins dans certains cas, dans les états seconds, par exemple, où l'hypnotisme est le remède qui s'impose, puisque lui seul, en dehors d'un paroxysme convulsif, est capable de ramener le sujet à l'état prime. Nous dirons alors quelques mots de sa technique. Mais dans ce cha- pitre, consacré au traitement général de l'hystérie, nous ne pouvons que reproduire les conclusions qui découlent de l'étude aussi approfondie que possible faite par nous, dans un livre spécial, des bienfaits et dangers de la médecine hypnotique :

L'hypnotisme est un modificateur puissant du terrain hystérique; de ce fait il peut être dangereux, même dans des mains expérimentées : il ne faut s'en servir que si les accidents que l'on risque de provoquer doivent être infé- rieurs en gravité à ceux que Ion veut guérir.


L'élément le plus important du traitement psychique des hystériques consiste incontestablement dans Visole- ment de ces malades des personnes de leur entourage ; nous avons déjà vanté ses avantages dans la prophylaxie de la névrose.

Dans les siècles passés, l'expérience avait déjà démontré que le meilleur moyen d'en finir avec une épidémie dé- moniaque était de séparer les possédés, de les isoler les uns des autres, en plus de les changer de milieu, si pos- sible. C'est cette idée qu'exprimait Jean Wier (1564), parmi tant d'autres frappées au meilleur coin.

(1) Jean Wier, Histoires, disputes et discours des illusions et impostures des diables^ t. II, p. 173, édit. Bourneville.


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«Au reste, s'il y a plusieurs ensorceliez ou démoniaques en un lieu, comme ordinairement nous voyons cela adve- nir es monastères, principalement de filles (comme estans les commodes organes des tromperies de Satan), il faut avant toute chose quelles soyent séparées et que chacune d'elles soit envoyée vers ses parens ou alliez; afin que plus commodément elles puissent être instruites et guéries, ayant toutefois esgard au moyen, selon la nécessité de cha- cune, à ce qu'on ne les chausse toutes à une mesme forme, comme on dit communément. »

Ce passage de Jean Wier renferme deux propositions. En cas d'épidémie d'hystérie dans un couvent, dans une école, dans une famille (et nous savons que ces faits sont fré- quents), il faudra isoler les enfants ou les grandes personnes les uns des autres; cela se comprend de soi, car on met ainsi obstacle à l'action de la contagion nerveuse, toujours si active en pareilles circonstances. Ensuite on appliquera à chaque sujet en particulier un traitement spécial, dont l'isolement bien compris fera encore la majorité des frais.

A deux siècles de distance, Jean Wier eut des imitateurs.

« Le jour de la cérémonie de la première communion faite, dit Bailly, à la paroisse de Saint-Roch, il y a quelques années (1780), après l'office du soir, on fit, ainsi qu'il est d'usage, la procession en dehors. A peine les enfants furent-ils rentrés à l'église et rendus à leur place, qu'une jeune fille se trouva mal et eut des convulsions. Cette affection se propagea avec une telle rapidité que, dans l'espace d'une demi-heure, cinquante ou soixante jeunes filles de douze à dix-neuf ans tombèrent dans les mêmes convulsions, c'est-à-dire serrement à la gorge, gonflement de l'estomac, l'étouffement, le hoquet et les convulsions plus ou moins fortes. Les accidents reparurent à quelques unes dans le courant de la semaine; mais le dimanche suivant, étant assemblées chez les Dames de Sainte-Anne, dont l'institution est d'enseigner les jeunes filles, douze retombèrent dans les mêmes convulsions, et il en serait tombé davantage si on n'eût eu la précaution de renvoyer


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chaque enfant chez ses parents. On fut obligé de multiplier les écoles. En séparant ainsi les enfants et en ne les tenant assemblés qu'en petit nombre, trois semaines suffirent pour dissiper cette affection convulsive épidémique. »

Briquet avait, lui aussi, entrevu l'efficacité de l'isole- ment; aussi en parle-t-il en excellents termes, bien que la méthode ait été singulièrement perfectionnée depuis 1859.

«Il faut arriver, dit-il (p. 674), d'une manière ou de l'autre, à produire dans l'état moral une sorte de révul- sion. Ainsi on doit à tout prix changer la malade de lieu, la faire aller à la campagne si elle habitait la ville, la faire voyager agréablement, en un mot la placer dans des conditions nouvelles dans lesquelles elle se trouve mieux que celles où elle était auparavant. Si l'on consulte les faits, on trouvera constamment que la plupart des guéri- sons se sont produites sous l'influence de ce dernier ordre de moyens thérapeutiques, et l'on sera étonné de voir avec quelle rapidité elles ont le plus souvent eu lieu. »


C'est, en réalité, à M. Gharcot qu'il était réservé de mettre en pleine lumière les bienfaits de l'isolement, dont il faisait la base de son traitement à la fois prophylactique et curatif de la névrose. L'hystérie, nous l'avons dit, est une affection essentiellement héréditaire, fréquemment sous le mode similaire, et rien n'est plus redoutable pour les enfants hystériques que le contact journalier, l'influence de leurs parents, névropathes comme eux.

« Je ne saurais trop insister devant vous, dit- il (1) , sur l'importance capitale que j'attache à Y isolement dans le traitement de l'hystérie , où , sans contestation pos- sible, l'élément psychique joue dans la plupart des cas un rôle considérable, quand il n'est pas prédominant. Il y a près de quinze ans que je suis fermement attaché à

(1) Charcot, De l' isolement dans le traitement de l'hystérie. Leç. sur les maladies du syst. nerveux, t. III, 17 e leçon, recueillie par Gilles de la Tocrette, 1887.


494 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

cette doctrine, et tout ce que j'ai vu depuis quinze ans, tout ce que je vois journellement, ne fait que me confirmer de plus en plus dans cette opinion. Oui, il faut séparer les enfants, les adultes, de leur père et de leur mère, dont l'in- fluence, l'expérience le démontre, est particulièrement pernicieuse. L'expérience, je le répète, le démontre abso- lument, bien que la raison n'en soit pas toujours facile à donner, surtout aux mères, qui ne veulent rien entendre et ne cèdent, en général, qu'à la dernière extrémité. »

Et notre regretté maître attachait tant d'importance à cette méthode qu'il réclamait pour lui la priorité en la matière.

« C'est un sujet, ajoute-t-il, sur lequel j'aurai d'ailleurs l'occasion de revenir bien des fois sans doute, dans le cours de cet enseignement ; j'en parle chaque année depuis tantôt quinze ans, et plusieurs des leçons que je lui ai con- sacrées ont été publiées. La méthode a, du reste, fait son chemin, car je vois qu'en Allemagne, en particulier, de même du reste qu en Angleterre et en Amérique , son efficacité commence à être hautement proclamée. Aussi réclamerai-je pour nous l'antériorité; car, si je ne me trompe, elle nous appartient légitimement, tout au moins en ce qui concerne le traitement de l'hystérie et des affec- tions connexes. C'est, en somme, l'isolement qui repré- sente l'élément capital dans la méthode qu'ont préconisée, depuis quelques années, MM. Weir Mitchell (1) en Amé- rique, Playfair (2) en Angleterre, Burkart (3) en Alle-

(1) Weir Mitchell, Fat and blood, an essay on the treatment of certain fornis of Neurasthenia and Hysteria. Philadelphie, Lippincot et C°, 1884.

(2) Playfair, The systematic treatment of nerve prostration and Hyste- ria. London, Smith Elder et C°, 1883. — L'ouvrage de W. Mitchell a été traduit en français par le D r Oscar Jeaniings, sous le titre de : Du traite- ment méthodique de la neurasthénie et de quelques formes d'hystérie. Paris, 0. Berthier éd., 1883. Gomme appendice, on trouve la traduction du discours de Playfair dans la section médicale de l'Association britannique médicale tenue à Worscester le 9 août 1882, discours d'où devait sortir amplifiée la brochure publiée chez Smith Elder and G , 1883.

Ce) R. Burkart, Zur Behandlunçj schwerer Formen von Hystérie und Neurasthénie. Volkmans Sammlung, 8 octobre 1884.




DE L'HYSTERIE. 495

magne, dans le traitement de la neurasthénie et de cer- taines formes de l'hystérie. »


Nous n'empiétons pas ici sur le traitement des formes particulières de l'hystérie, puisqu'on peut dire que l'isole- ment est applicable à la cure de la majorité des accidents de la névrose. Nous voulons surtout indiquer d'une façon générale comment on l'obtiendra, ce qui n'est pas tou- jours facile, nous Talions voir, et dans quelles conditions, une fois obtenu, il devra être appliqué.

Le plus souvent les choses se passent de la façon sui- vante. En présence d'accidents sérieux ou graves, le médecin de la famille, qui a jugé nécessaire l'éloignement du malade du milieu héréditaire , conseille l'isolement dans un établissement spécial. En général, il n'est pas écouté ; il se réfugie dans le traitement proprement dit : médicamenteux, hydrothérapique ou autre qu'il a, d'ail- leurs, institué dès le premier jour; le mal ne cède pas, il progresse, au contraire. C'est alors qu'il fait appel à un confrère qu'il sait expert en telles matières, et dont l'au- torité n'a pas encore pu s'affaiblir au contact du malade.

Celui-ci examine le sujet de la façon que nous avons indiquée ; il se fait une idée aussi précise que possible de la gravité du cas soumis à son appréciation, et son opinion établie, après avoir formulé par écritle traitement médi- camenteux, il ajoute, si tel est son visa : « Voici ce que je conseille : j'estime que dans deux mois, par exemple, ou plus tôt ou plus tard, tout aura disparu, mais il faut de toute nécessité que le malade entre dans tel établissement hydrothérapique que je vais vous indiquer ; il y recevra les meilleurs soins, du reste ; je prends le traitement sous mon entière responsabilité ; je me réserve d'en surveiller l'application jusqu'à la guérison, qui est presque certaine dans ces conditions et dans les limites probables que je viens d'indiquer. » Il faut savoir parler avec autorité, et


496 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

cette autorité naîtra de l'appréciation exacte du cas soumis à votre appréciation et pour lequel on réclame vos soins.

Ici nous ouvrons une parenthèse. Le médecin ordinaire ou consultant qui prescrit l'isolement doit, vis-à-vis du malade et de slle, jusqu'à un certain point, souhaitable si ce dernier, bien entendu, en sort vainqueur.

Un isolement accepté d'emblée, sans difficultés, sera certainement bien moins favorable qu'une soumission qui aura été précédée de révoltes. Ce sont, d'ailleurs, toujours


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les mêmes sujets, ou mieux la même catégorie de sujets, qui acceptent ou refusent incontinent de se soumettre à l'iso- lement. Ceux qui refusent, ce sont des enfants, des ado- lescents, des femmes mariées, qui envisagent avec angoisse l'idée de se séparer de leurs parents, de leur mari, de leurs enfants, joint que ceux-ci sont souvent les premiers à s'insurger contre une telle prescription. Si l'on obtient la séparation, celle-ci provoquera toujours, dans ces cas, ce choc moral indispensable qui, bouleversant le terrain hystérique, le renouvellera, chassera les idées mauvaises pour faire place aux suggestions favorables du médecin, sans cesse contrecarrées par l'influence pernicieuse du milieu familial.

Les malades qui acceptent l'isolement sans réagir sont toujours des adultes, des fdles vieillies dans le célibat, des veuves dont la famille s'est éteinte ou dispersée, qui n'ont plus, pour ainsi dire, d'attaches qui les retiennent au dehors, auxquels, de ce fait, la vie dans un établissement hydrothérapique n'inspire aucune appréhension, qu'elle laisse, pour ainsi dire, indifférents. Ces sujets savent d'avance que si le régime, la règle de la maison ne leur plaît pas, ils s'y soustrairont simplement en sortant volontairement de l'établissement comme ils y sont entrés. Vivre isolé chez soi ou être isolé dans un établissement hydrothérapique, c'est à peu près la même chose, tandis que les enfants et les adolescents aspirent, une fois inter- nés, après la guérison pour recouvrer leur liberté et en jouir.

Ces considérations nous ramènent, en somme, au pro- nostic de l'hystérie envisagé suivant l'âge des malades. Facile généralement à guérir pendant l'enfance et l'adoles- cence, la névrose acquiert une grande ténacité avec les années, et l'isolement chez les adultes, les hommes en par- ticulier, à moins que ceux-ci ne soient en proie à des acci- dents très aigus : attaques convulsives, délirantes, etc., réserve au médecin, comme toute autre thérapeutique, d'ailleurs, bien des mécomptes pour les raisons que nous


302 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

venons d'indiquer et qui prennent leur source dans l'état mental du sujet.

La durée du traitement par l'isolement variera évidem- ment, suivant les individus et suivant les manifestations dont ils souffrent. Il ne doit pas être prolongé outre mesure. Même dans les cas les plus favorables, il arrive toujours un moment où l'influence du milieu nouveau, dans lequel on a transporté le malade, s'est usée pour ainsi dire. Au médecin de juger, à lui de prescrire, si la gué- rison n'est pas encore définitive, une thérapeutique de con- valescence, de conseiller, d'ordonner un déplacement, un voyage, une villégiature.

Enfin, si l'entrée brusque du sujet dans le milieu de l'é- tablissement hydrothérapique est constamment favorable, il n'en est pas toujours de même du brusque retour dans le cercle familial ou ordinaire, pour les raisons que nous avons apprises à connaître. Il faudra, dans certains cas, s'efforcer de trouver une transition à ce retour, et, pour ce faire, on se guidera sur les circonstances, en considérant les conditions inhérentes à chaque cas particulier.


S'il est difficile, on le conçoit, de mettre en formules, pour ainsi dire, les règles du traitement psychique de l'hystérie, capital dans l'espèce, il est beaucoup plus facile, par contre, de faire le bilan de nos connaissances sur les moyens que l'expérience a démontrés utiles pour la cure physique de la névrose.

Étudions d'abord les agents du traitement externe.

L' hydrothérapie étant très fréquemment employée dans la thérapeutique générale de l'hystérie, et avec succès, il nous semble indispensable d'entrer dans quelques détails à son sujet, quitte à revenir sur les indications particu- lières aux accidents spécialisés (1).

(1) Pour ce qui concerne l'hydrothérapie, consulter l'excellent Traité théorique et -pratique d' hydrothérapie médicale du D r Bottey, médecin de l'établissement hydrothérapique de Divonne, in-8°, Pion, 1894.


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Essayons de nous rendre, si possible, un compte exact de la façon dont elle agit. Et, d'abord, comment faut-il l'appliquer? Combien de médecins prescrivent des douches qui seraient bien embarrassés de donner un conseil pra- tique au sujet de leur administration! Or, les villes sont rares où il existe un établissement hydrothérapique dirigé par une personne expérimentée; dans les autres, à la cam- pagne, le médecin ne devra compter que sur lui-même.

D'ailleurs, ne devra-t-il pas encore exiger du personnel de l'établissement où il adressera ses clients une obéissance absolue à ses prescriptions, et, s'il est ignorant, comment pourra-t-il parler avec autorité ? D'autant que le moindre doucheur est toujours disposé à se croire le plus distingué des thérapeutes et à n'en faire qu'à sa guise !

Dans le traitement général de l'hystérie, c'est à l'eau froide que s'adressera le médecin, administrée soit seule, soit combinée avec certaines températures chaudes, desti- nées à en atténuer l'effet trop excitant chez quelques ma- lades. Il ne sera donc pas question ici des procédés sédatifs directs ou réputés antispamodiques, tels que bains chauds prolongés, douches chaudes, etc. Ces procédés pourront, dans certains cas rares, — accès délirants avec excitation maniaque, par exemple, — être employés pour combattre momentanément un état d'éréthisme trop accentué. Ils ne sauraient constituer la base d'un traitement fonda- mental, par l'affaiblissement qu'ils ne manqueraient pas de produire et qu'il faut toujours éviter.

L'eau froide, au moins en ce qui regarde l'hystérie, agit de deux façons dont l'une, la plus importante à notre avis, paraît avoir souvent échappé à l'interprétation des observateurs.

On sait que le froid appliqué localement détermine tout d'abord sur la peau une impression douloureuse qui se transforme en une insensibilité complète, si l'on prolonge pendant quelque temps l'action de l'agent réfrigérant. C'est ainsi qu'on peut pratiquer de petites opérations : ouverture d'abcès, extraction d'un ongle incarné en pul-


504 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

vérisant du chlorure de méthyle ou en laissant en per- manence de la glace sur la partie souffrante. Ce procédé de réfrigération locale ne trouve guère son emploi dans l'hystérie que dans le traitement de certaines zones hysté- rogènes ou douloureuses : nous y reviendrons. Mais les effets qu'il produit se retrouvent — atténués toutefois — dans l'aspersion générale du corps avec l'eau froide.

C'est ainsi que lorsqu'on fait, sur la surface du tégument cutané, une application d'eau à la température de 8 à 12° c, qui est celle que nous employons le plus généralement, les phénomènes excessifs que nous venons d'indiquer se pro- duisent encore, mais fort atténués. Sous l'influence du froid, les vaisseaux de la peau se contractent, et la sensibi- lité du tégument externe se trouve modifiée. Mais le reflux du sang de la périphérie vers le centre n'est que momen- tané et bientôt, Faction du froid venant à cesser, on voit survenir ce que l'on appelle la réaction. Celle-ci consiste dans la dilatation réflexe des petits vaisseaux sanguins, pri- mitivement resserrés, de telle sorte qu'à la constriction et à l'anémie succèdent l'expansion et la congestion. Le sang abandonne le centre pour se porter à la périphérie, et, quand les phénomènes sont accentués, on voit la rou- geur apparaître sur toute l'étendue du tégument.

Ces modifications circulatoires entraînant toujours avec elles des modifications de la sensibilité cutanée, ainsi sont rendues très utiles les pratiques hydrothérapiques à l'eau froide, puisque l'expérience a démontré que c'était surtout en agissant sur les troubles sensitifs qu'on pouvait modifier, sinon faire disparaître des accidents hystériques soit loca- lisés, soit généralisés. En résumé, l'eau froide possède une action esthésiogénique indiscutable dont on retirera les plus grands bénéfices dans le traitement de l'hystérie.

De plus, la douche froide généralisée a une action toni- que incontestable. Quinquaud (1) a établi que son ap- plication augmentait les processus d'oxydation et les

(1) Eottey, op. cit., p. h\.


DE L'HYSTERIE. 505

combustions interstitielles; de même pour l'excrétion de l'acide phosphorique par rapport à l'azote (A. Robin). Fleury, en outre, par des expériences ingénieuses, a fait voir que la douche favorisait l'absorption.

Donc, outre son action esthésiogène, l'eau froide est utile dans l'hystérie pour combattre l'anémie et la dépres- sion des forces \ elle favorise l'action des médicaments, qui, sous son influence, sont mieux et plus vite absorbés.

Mais, pour que cette action bienfaisante se produise, il faut que la réaction ait franchement lieu, c'est-à-dire qu'aussitôt l'application froide terminée, le sujet voie sa peau rougir et éprouve cette sensation générale de cha- leur, de bien-être, qui accompagne le reflux du sang du centre vers la périphérie. On peut aider cette réaction, mais il faut qu'elle se produise à tout prix : elle est, pour ainsi dire, la seule raison d'être de l'hydrothérapie, en se plaçant au double point de vue de son action esthé- siogène et tonique générale.


En possession de ces données, nous devons rechercher quel est le meilleur moyen pratique d'administrer l'eau froide.

L'expérience a démontré que les résultats les plus satis- faisants étaient obtenus à l'aide de Ici douche froide en jet brisé de courte durée.

La pression de la douche au jet mobile devra être de 16 à 18 mètres environ, soit de 1 à I atmosphère 1/2. La température de l'eau oscillant entre 8 et 12 degrés, si l'on agit avec de l'eau à 7 ou 8 degrés, la durée de la douche variera entre 5, 10 et 15 secondes. Si l'eau dont on dispose est moins froide, 10 à 12 degrés, par exemple, la durée pourra être prolongée jusqu'à 20 ou 25 secondes. D'une façon générale, la douche sera d'au- tant meilleure, c'est-à-dire la réaction plus énergique, que la durée de l'aspersion sera plus courte : on aura


506 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

donc tout intérêt à employer de l'eau très froide (8 à 10 degrés).

L'expérience a encore établi que la douche devait être administrée sous forme d'aspersions généralisées en jet très brisé, en éventail sur les parties antérieures et postérieures du tronc et des membres supérieurs, en évi- tant toujours avec soin de projeter de l'eau sur la tête. Le plus souvent, on joindra — pour terminer — aux asper- sions généralisées la percussion avec le jet plus ou moins plein sur les membres inférieurs et sur les pieds.

Les diverses manifestations hystériques nous fourniront des indications pour l'application de douches plus parti- culièrement localisées. Dans tous les cas, on devra, avec grand soin, éviter de projeter l'eau avec sa force initiale sur les zones hyperesthésiques et surtout sur les zones hystérogènes : on risquerait, en les frappant, de déter- miner une attaque. Avant donc de commencer un trai- tement, on se rendra un compte exact de leur situation, s'il en existe, et on se contentera dans ces cas d'asper- sions généralisées et très légères à leur niveau, qu'on rendra plus fortes à mesure de leur disparition ou de la diminution de leur excitabilité.


Il est des malades qui supportent mal la douche, ou chez lesquels celle-ci, pour diverses raisons que nous allons examiner, ne produit pas les effets qu'on serait en droit d'en attendre.

D'abord il faut s'acclimater, pour ainsi dire, à l'asper- sion d'eau, surtout lorsque celle-ci est très froide.

Ensuite, lors des premières douches, il se produit par- fois un certain degré de céphalalgie que l'on combattra à l'aide d'un bandeau froid sur le front, par un pédiluve chaud, une percussion vigoureuse de la plante des pieds, un jet chaud sur les pieds, soit avant, soit après l'aspersion froide.


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Les malades sujets aux vertiges, à l'oppression, aux suffocations, aux palpitations, peuvent voir quelquefois ces symptômes s'exagérer sous la douche. Contre le ver- tige, on emploiera les mêmes moyens que contre la céphalée ; on combattra les suffocations et les palpitations en faisant maintenir par le patient une serviette froide sur la poitrine pendant l'administration de la douche ; quel- quefois il faudra ménager entièrement le devant du thorax pendant la projection de l'eau.

Si tous ces moyens échouaient et si la douche froide était mal supportée, produisait des phénomènes d'excita- tion très nets, il faudrait alors recourir à la douche écos- saise. Celle-ci peut être administrée de deux façons bien distinctes ; dans les deux cas, on se sert de la pluie mo- bile, en pomme d'arrosoir, qui permet, beaucoup mieux que le jet, le mélange intime des températures.

La première façon de donner la douche écossaise consiste à projeter l'eau chaude à une température de 35 degrés environ, que l'on peut élever à 40 et même 45, suivant la tolérance du sujet. On reste au degré adopté pendant un temps qui varie entre une demi-minute et trois minutes, pour abaisser ensuite brusquement et sans transition l'eau à la température la plus basse, que l'on administre pendant 5, 10, 15 secondes, suivant le cas.

Telle est la douche écossaise sans transition. Ce procédé trouve également son application lorsque l'hystérique est en même temps un rhumatisant, ce qui est loin d'être rare. Employée de cette façon, la douche écossaise agit énergi- queraent contre l'anesthésie cutanée étendue, sous forme hémilatérale, par exemple. M. Bottey, dont l'expérience est grande en la matière, nous a dit avoir plusieurs fois obtenu de cette façon le transfert d'une hémianesthésie.

Mais beaucoup d hystériques ne supportent pas l'emploi de trop hautes températures et la transition brusque de la chaleur au froid; ils sont excités par ce procédé. C'est alors que la seconde façon d'administrer la douche écos- saise sera mise en œuvre et rendra de réels services. Elle


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consiste à projeter l'eau chaude à une température de 35 à 40 degrés, mais, après être resté au degré adopté pen- dant un temps variable (de 30 secondes à 1 ou 2 minu- tes), au lieu de passer à l'eau froide sans transition, comme tout à l'heure, on abaisse progressivement et len- tement la température chaude pour arriver à un degré de plus en plus bas. On peut ainsi en venir jusqu'à l'eau très froide dès la première séance, mais le plus souvent on diminue à chaque séance le degré de la température mi- nima (eau tempérée, puis fraîche, puis froide), pour n'ar- river à l'eau très froide qu'après plusieurs douches. Telle est la douche écossaise avec transition, qui sera également fort utile au début d'un traitement pour préparer certains malades à la douche froide d'emblée, celle à laquelle il faudra toujours s'efforcer d'en venir.

Les trois procédés d'administration que nous venons de décrire répondent suffisamment, dans la pratique, à toutes les exigences des manifestations hystériques.

Quant aux douches tempérées (28 à 30 degrés) ou aux douches fraîches (18 à 20 degrés), elles nous ont toujours semblé inutiles sinon nuisibles et doivent être rayées, dans l'hystérie, de l'arsenal hydrothérapique.


Quoique la douche soit généralement bien tolérée par la grande majorité des malades, on peut cependant ren- contrer certains sujets chez lesquels la percussion, qui est un des éléments les plus importants de ce procédé théra- peutique, produise des phénomènes d'excitation qui obli- gent à en suspendre l'emploi. C'est alors que l'on pourra avoir recours aux immersions dans l'eau froide, c'est-à-dire aux piscines.

Nous ne parlons que pour mémoire de la piscine très froide à eau courante (7 à 8 degrés), car peu d'hystériques la supportent d'emblée. C'est un procédé qui produit une très violente impression de froid, une hypothermie consi-


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dérable, une grande concentration du sang et un ralentis- sement prononcé de la réaction, même lorsque l'immersion est réduite à une durée très courte, de 3 à 5 secondes. Mais nous devons dire que, lorsqu'il est bien supporté, il déter- mine des effets très prononcés et excellents en pratique.

La piscine froide à eau dormante (14 à 15 degrés), au contraire, est généralement bien tolérée. La durée de l'immersion sera de 10, 15, 20 secondes, et le malade aura soin de ne pas rester immobile pendant ce temps. Ce procédé est moins perturbateur que la douche ; ses effets curatifs sont aussi bien moins puissants.

Mais on ne trouve les piscines que dans les établissements hydrothérapiques et encore le nombre de ceux qui en sont pourvus est-il très restreint ; de même pour ce qui est des douches écossaises. Il faudra donc toujours s'efforcer de faire supporter d'emblée la douche froide à 10 ou 12 de- grés, la seule réellement pratique pour tout le monde, facile à installer partout et de toutes les opérations hydro- thérapiques de beaucoup la plus efficace.

Or, en dehors des légers désagréments que nous avons signalés : céphalalgie, oppression, etc., la plus grande contre-indication à son emploi consiste dans l'absence de cette réaction sans laquelle le bénéfice des pratiques hydrothérapiques ne saurait exister.

Pour assurer la réaction, toute application d'eau froide (douche ou piscine) devra être précédée, autant que pos- sible, si le malade est valide, d'une marche de quelques instants ou d'un exercice musculaire approprié afin d'éle- ver dans une certaine mesure la température du corps, au moins à la périphérie. La douche pourra, à la rigueur, être administrée le corps étant en sueur, mais il n'est pas nécessaire de rechercher la transpiration ; de même, il ne faut pas se soumettre à l'eau froide avec la respiration haletante et les battements de cœur précipités qui résultent d'une course prolongée.

La douche sera suivie d'une friction modérée de quel- ques minutes de durée avec un drap rêche, et le sujet


510 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

fera ensuite une promenade de 20 à 30 minutes au mini- mum, dont il réglera la rapidité suivant la saison et la température ambiante. La transpiration sera rigoureuse- ment évitée ; le malade ne devra pas être couvert de vête- ments trop chauds ; il aura soin de ne pas s'exposer aux rayons trop ardents du soleil, d'y séjourner en repos ou de s'approcher du feu. Tout exercice violent (gymnastique, haltères, law-tennis, escrime, etc.) qui aurait sa raison d'être avant la douche comme moyen de préaction, sera au contraire complètement interdit après l'application froide.

Chez les malades impotents, incapables de se réchauffer spontanément, la marche sera remplacée, suivant les cas, par le massage, l'exercice passif des membres, les enve- loppements dans des couvertures de laine, à la condition, pour ce dernier moyen, d'en cesser l'emploi aussitôt que le sujet éprouvera une sensation de chaleur superficielle.

Si, malgré la mise en œuvre de ces précautions, la réac- tion ne survenait pas, si la sensation de froid persistait, il faudrait, après avoir essayé des douches progressivement refroidies, renoncer à l'usage de l'hydrothérapie, qui, chez de tels malades, ne saurait avoir que des inconvénients.


Nous avons l'habitude de proscrire les douches pendant la période menstruelle : sous ce rapport les opinions sont partagées.

De même en ce qui regarde les douches biquotidiennes. D'une façon générale, la douche devra être prise le matin au saut du lit ; pendant la saison chaude ou lorsque le malade s'est installé dans un établissement hydrothéra- pique pour y suivre une cure, on pourra administrer deux douches par jour, surtout si les phénomènes de dépression générale sont marqués. Mais, dans la pratique ordinaire, une seule douche nous a toujours semblé suffisante.

La douche, avons-nous dit, sera prise autant que pos-


DE L'HYSTERIE. 511

sible le matin au lever, et de ce fait avant le petit déjeuner. Mais, dans les villes, beaucoup de malades qui ne pos- sèdent pas d'installation hydrothérapique chez eux sont forcés de se rendre à un établissement souvent assez éloi- gné de leur demeure. Ils ne devront pas sortir à jeun, sous peine de voir la réaction se faire d'une façon insuffi- sante. Ayant mangé, après une demi-heure de marche destinée à assurer la préaction, ils pourront subir l'asper- sion en évitant une percussion trop forte sur la région épigastrique. Si le premier déjeuner était un peu copieux: pain, beurre, œufs, jambon, un intervalle de trois quarts d'heure au maximum serait nécessaire entre le repas et la douche.


Les procédés que nous venons de décrire nécessitent l'emploi d'appareils hydrothérapiques. Bien que ceux-ci — piscine exceptée — soient peu compliqués : un réservoir, un tube de caoutchouc et une lance, ou plus simplement de petits réservoirs portatifs à air comprimé avec caisse à eau pour une douche que l'industrie fabrique à très bon compte, il faut envisager cependant l'hypothèse où tout appareil fait défaut.

Dans ces cas, tout en regrettant la douche froide en jet brisé, la seule véritablement efficace, on pourra avoir recours à divers moyens que nous allons succinctement exposer.

C'est d'abord le drap mouillé, qu'on emploiera de la façon suivante : un drap de grosse toile est trempé dans l'eau froide (8 à 12 degrés), puis fortement exprimé et tordu. Le sujet, complètement nu, après avoir rapide- ment humecté avec une éponge, ou avec la main trempée dans l'eau d'une cuvette, son visage, sa tête et sa poitrine, reçoit sur le corps ce drap, que le doucheur lui applique en l'enroulant et en le serrant autour des extrémités infé- rieures. La tête doit être laissée entièrement libre. Le malade, prenant à pleines mains les parties du drap qui


512 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

se trouvent au devant de lui, se frictionne la poitrine, l'abdomen et toutes les parties antérieures du corps; pendant ce temps, le doucheur frictionne à plat, avec la paume des deux mains, le dos, les lombes et les membres inférieurs. Les pieds nus du sujet devront reposer à terre et non sur la partie inférieure du drap, pour ne pas empê- cher la réaction de se produire du côté des extrémités inférieures.

La friction sera pratiquée pendant cinq minutes au moins, jusqu'à ce que la peau devienne chaude et que le drap lui-même s'échauffe. Aussitôt la friction terminée, le drap mouillé sera remplacé par un autre, sec et rêche, avec lequel on frictionnera de nouveau le malade pendant quelques minutes. Après quoi celui-ci s'habillera à la hâte et ira faire une promenade en plein air, de façon à favo- riser la réaction ; s'il ne peut marcher, on pratiquera le massage ou on conseillera le repos au lit.

De même que lorsqu'on emploie la douche, chez les malades sujets à la céphalalgie on mettra une compresse froide sur la tète, avant l'application du drap mouillé ; on pourra également leur faire mettre les pieds dans l'eau chaude pendant toute la durée de l'application.

Le drap mouillé rendra souvent des services au début d'une cure hydrothérapique chez des sujets délicats, car il n'entraîne pas une grande perturbation dans l'économie; on aura même avantage, chez certains, très sensibles et ayant des tendances à l'oppression, à commencer par un demi-drap appliqué sur la moitié inférieure du corps seu- lement.

Le procédé de tapotements au drap mouillé non tordu est tout à fait différent du précédent, bien qu'il s'emploie dans les mêmes cas. Le drap est trempé, non pas dans l'eau froide, mais dans l'eau fraîche (18 à 24* degrés); de plus, il n'est pas tordu, mais appliqué ruisselant sur le corps. Puis, au lieu de faire des frictions énergiques, comme tout à l'heure, l'aide ne pratique que de légers tapotements, une sorte de petit clapotage des mains, qu'il


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continue jusqu'à ce que la peau et le drap deviennent mo- dérément chauds. Ensuite, le patient est frictionné légère- ment avec un drap sec.

Nous croyons pouvoir nous en tenir là dans l'exposé des pratiques hydrothérapiques employées dans la cure générale de l'hystérie et laisser de côté la description du maillot humide, des demi-bains et aff usions usités en Alle- magne. «Tous ces moyens, dit M. Botte y [op. cit., p. 321), dont nous partageons complètement l'opinion, ne peuvent être utilisés que comme procédés d'attente, lorsqu'on n'aura pas la douche à sa disposition, car ils ne sauraient en aucune façon la remplacer. Comme moyens de prépa- ration destinés à ménager la susceptibilité des malades, nous y avons renoncé depuis longtemps : pour nous, une hystérique qui ne supporte pas la douche froide, réduite dans les cas d'impressionnabilité excessive à ses limites les plus restreintes (2 à 3 secondes), est incapable de tolérer tous les autres procédés de l'eau froide quels qu ils soient. »

Quel que soit le procédé employé, le traitement hydrothé- rapique, pour produire des effets sérieux et durables, devra être prolongé pendant plusieurs mois. Chez certains ma- lades même, dont il soutient les forces, il deviendra pour ainsi dire un besoin et sera continué longtemps encore après la disparition des accidents hystériques proprement dits.


A côté de l'hydrothérapie se place, dans le traitement de l'hystérie, Y électricité sous ses diverses formes, agissant soit localement, soit sur l'économie tout entière, suivant son mode d'emploi. Nous allons voir, chemin faisant, que l'électricité statique, en particulier, possède des pro- priétés toniques. Mais lélectrisation, quelle qu'elle soit, appliquée à la surface de la peau, jouit surtout d'une action esthésiogène que Duchenne, de Boulogne, avait déjà notée sans y attacher, toutefois, l'importance que nous lui attri-

iii. 33


514 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

buons aujourd'hui dans le traitement de l'hystérie en par- ticulier.

« Pendant bien des années, dit-il (1), j'ai observé, à la Charité, dans le service de M. Briquet, un assez grand nombre d'hystériques dont les membres du côté gauche étaient plus ou moins anesthésiés, et surtout le membre supérieur. Ordinairement, cette anesthésie était accom- pagnée d'affaiblissement musculaire, lime suffisait presque toujours, dans ces cas, de rappeler la sensibilité cutanée pour voir reparaître la force musculaire normale.

« C est sans doute en allant exciter les centres nerveux par une sorte d'action réflexe que la faradisation cutanée rappelle les mouvements dans les paralysies hystériques. Il est même des cas où elle semble mieux réussir que la faradisation mus- culaire. »

Donc, si l'on tient compte de l'action tonique attribua- ble à l'électrisation statique, on voit que l'électricité, en général, agit d'une façon qui se rapproche singulièrement de celle del' eau froide.

L électricité statique a été mise en œuvre, dans le traite- ment des maladies nerveuses en général, vers le milieu du dix-huitième siècle, par l'abbé Nollet. Tombée en désuétude à la fin du siècle, objet de timides essais vers le milieu du dix-neuvième, elle n'entra vraiment en ligne de compte dans le traitement de l'hystérie qu'avec les recher- ches de Charcot (2) qui fit, à la Salpêtrière, une installa- tion modèle de ce procédé thérapeutique dont il retira les plus grands bénéfices.

Nous ne nous attarderons pas à décrire les machines à électricité statique des divers types : Holtz, Carré, Wims- hurst, etc. Toutes se composent essentiellement d'un générateur, où l'électricité est développée par frottement,

(1) Duchennk, de Boulogne, De i ' électrisation localisée, 3 e édit., 1872, p. 715.

(2) Charcot, De l'emploi de l'électricité statique en médecine . Confé- rence faite à l'hospice de la Salpêtrière, le 26 décembre 1890. Revue de médecine, 1891, p. 146;


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actionné par un moteur qui est mis en rapport, par un conducteur métallique, avec un tabouret isolant sur lequel est placé le malade. De ce fait, celui-ci se trouve plongé, pour ainsi dire, dans un bain électrique de faible quantité, mais de haute tension.

« L'électricité, dit Charcot, s'échappe de tous les points de la surface du corps du malade soumis au bain électrique, principalement par les parties qui font saillie : les cheveux, les plis des vêtements, le bout des doigts, etc. Ce passage de l'électricité donne même lieu à des sensa- tions, telles que : picotement général, toile d'araignée flottant sur le visage, vent soufflant sur le bout des doigts. Mais le bain électrique a des effets physiologiques plus importants, bien qu'accusés à des degrés très divers, selon les sujets. La perspiration cutanée est augmentée ; cela n'est peut-être, pour la majeure partie, qu'un phénomène physique, la répulsion mutuelle des particules des liquides électrisés. La digestion est accélérée et, généralement, les malades quittent le tabouret avec un appétit prononcé. Je passe sur d'autres modifications subjectives dont l'analyse nous entraînerait trop loin.

« En somme, le malade, placé dans le bain électrique, est le siège, sur toute sa surface, d'une véritable décharge lente et continue, mais celle-ci peut être localisée et activée par l'emploi des excitateurs. Ce sont des tiges de bois où de métal que l'opérateur présente au malade. On les munit généralement d'un manche isolant et une chaînette les fait communiquer avec le sol. L'extrémité qu'on ap- proche du patient est terminée soit par une pointe, soit par une boule plus ou moins volumineuse suivant l'effet que l'on veut obtenir... Le plus léger de ces effets (mais non le moins efficace au point de vue thérapeutique) est le vent ou souffle électrique. On le produit au moyen de l'excitateur à pointe, tenu à quinze ou vingt centimètres (plus ou moins selon la tension de la machine) du malade. La sensation est celle d'un courant d'air frais ou tiède. Si la pointe est approchée à six ou huit centimètres, on a


516 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Y aigrette, faisceau de fines stries lumineuses noyées dans une sorte de vapeur bleuâtre qui s'élargit en pinceau en attei- gnant le corps; la sensation est analogue à la précédente, mais plus vive, avec addition de piqûres multiples. D'un peu plus près on aurait de véritables étincelles, mais, pour les obtenir , on se sert de préférence d'un excitateur à boule; plus grosse est la boule, plus forte est l'étincelle. Dans ce cas, le patient éprouve une sorte de piqûre assez douloureuse, accompagnée d'un soubresaut du membre. Si l'on opère sur une partie découverte, on voit le muscle sous-jacent secoué par une brusque contraction. »

D'après le précédent exposé, il est facile de voir que, comme nous l'avions fait pressentir, l'électrisation sta- tique, outre ses propriétés toniques générales, agira sur- tout à la façon de la douche froide et percutante, en modifiant la sensibilité cutanée chez les hystériques. Il résulte, en effet, des expériences de Gharcot consignées dans la même leçon que, sous son influence, l'hémianes- thésie s'atténue et disparaît, les troubles de la sensibilité locale se modifient; même la disposition aux paroxysmes convulsifs est favorablement influencée.

« Après être descendus du tabouret, dit notre maître, les malades conservent leur sensibilité pendant un temps très variable, en moyenne vingt-quatre heures, quelque- fois deux ou trois jours, quelquefois pour toujours. Avec la persistance de la sensibilité coexistent d'autres modifi- cations favorables : humeur plus égale, fonctions diges- tives plus régulières et surtout pas d'attaques. Il s'agit, en un mot, d'un amendement plus ou moins durable et quel- quefois définitif. Ceci paraît conforme, vous le voyez, au principe de la métallothérapie externe de M. Burq, que nous n'acceptons pas cependant dans sa toute sa rigueur ; traiter l'anesthésie, c'est traiter la diathèse. »

M. Blanc-Fontenille (1) a fait, dans le service de M. le professeur Pitres, à Bordeaux, des recherches sur Félectri-

(i) Iîlanc-Fontenille, Effets de l'électrisation statique sur quelques phénomènes hystériques. Progrès médical, n° 8, 19 février 1887.


DE L'HYSTERIE. 517

cité statique qui, au point de vue du traitement de l'hys- térie par cette méthode, confirment les précédentes. Elles portèrent sur huit malades et furent particulièrement dirigées vers les effets à obtenir sur l'anesthésie, l'amyo- sthénie, les contractures, les zones spasmogènes et hyp- nogènes.

La durée des séances d'électrisation varia entre quinze et quarante minutes. Toutes les précautions étaient prises pour éviter les phénomènes suggestifs. C'est ainsi, par exemple, dit l'auteur, que, plusieurs fois, sans que les malades pussent s'en apercevoir, « nous avons intention- nellement supprimé la communication électrique entre la machine et le tabouret isolant et nous avons constaté que, dans ces conditions, l'électrisation simulée n'avait aucun des effets de l'électrisation réelle » .

Au point de vue des modifications produites par l'élec- tricité sur l'anesthésie, les malades se divisent en trois groupes : a) chez certaines malades anesthésiques totales ou hémianesthésiques, l'électrisation a rendu rapidement aux parties insensibles des téguments leur sensibilité nor- male; malheureusement, le retour à la sensibilité est peu stable et des expériences prolongées devraient être insti- tuées pour s'assurer si, dans ces conditions, il serait perma- nent; b) toutefois, chez certaines malades, l'électrisation statique a été suivie d'un retour lent et progressif de la sensibilité après plusieurs séances d'électrisation. c) Enfin, dans quelques cas, l'action de l'électricité est restée sans effet sur l'anesthésie.

Au point de vue de l'action de l'électricité statique sur l'état des forces, M. Blanc-Fontenille a obtenu la dispari- tion de l'hémiamyosthénie chez tous les sujets porteurs de ce stigmate.

« Il est des malades, ajoute-t-il, qui, bien que ne pré- sentant pas de véritable hémiamyosthénie, ont cependant une diminution notable des forces dans un ou plusieurs membres. L'électricité statique a toujours, dans ces cas-là, relevé les forces d'une façon notable, pouvant s'exprimer,


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non comme dans le groupe précédent, par vingt ou vingt- cinq kilogrammes, mais par cinq ou dix kilogrammes... Enfin, il est d'autres malades chez lesquelles l'électrisation statique reste sans effet notable au point de vue de l'aug- mentation des forces, bien que cependant il y ait presque toujours un léger degré d'accroissement. »

Les effets constatés par cet auteur sur les contractures, les zones hystérogènes, ont été également favorables. Enfin, ses conclusions sont bonnes à connaître au point de vue du traitement général de la névrose qui nous occupe actuellement.

« Outre tout ce que nous venons de dire au sujet des modifications apportées par l'électrisation statique sur la sensibilité, la force et la disparition des zones spasmogènes de nos malades, leur état général était lui-même notable- ment modifié après les séances d'électrisation.

« La fréquence des attaques convulsives était beaucoup moindre, l'appétit était relevé, les digestions plus faciles, le caractère lui-même était notablement changé et nos malades étaient plus gaies : toutes étaient unanimes à reconnaître que ce mode de traitement leur faisait le plus grand bien, et elles ne voulaient à aucun prix manquer une seule séance d'électrisation. En résumé, sans vouloir faire de l'électricité statique la panacée de tous les accidents de l'hystérie, nous croyons, conformément aux idées déve- loppées par MM. Gharcot, Vigouroux, etc., et en nous basant sur les faits que nous venons d'énumérer dans le cours de ce travail, qu'on peut l'employer avantageuse- ment comme un moyen curatif, ou tout au moins comme palliatif de quelques-uns des symptômes hystériques. »

Ajoutons que l'électricité statique est un puissant régu- lateur des règles : on la conseillera donc dans l'aménorrhée ou la dysménorrhée dont souffrent si souvent les hysté- riques.

Du fait que ce procédé thérapeutique constitue un moyen d'action énergique, il devient nécessaire d'en sur- veiller l'emploi. L'électricité qui se développe de cette




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façon, si elle n'est produite qu'en faible quantité, ne lest pas moins à haute tension. On peut donc, comme à la suite de l'administration de douches trop froides ou trop long- temps prolongées, au lieu des effets sédatifs et toniques, constater des effets d'excitation : insomnie, agitation; ou même la voir déterminer des attaques. Aussi l'électricité statique, dans la cure générale de l'hystérie, servira-t-elle surtout d'adjuvant au traitement hydrothérapique, qui est plus doux, plus régulier.

Lorsque les forces des malades auront besoin d'être remontées, que les anesthésies seront étendues, le médecin prescrira des séances de dix à quinze minutes de durée, tous les deux jours seulement, d'une façon générale, quel- quefois même bihebdomaires, très rarement quotidiennes. Pendant la première moitié de la séance, qu'il dirigera lui-même ou dont il confiera la surveillance à un collègue très expérimenté, la machine devra être actionnée à mi- course, de façon que la quantité d'électricité produite ne soit pas très considérable, la tension restant, même dans ce cas, toujours élevée. Dans la seconde moitié de la séance, il pourra donner la pleine course et se servir des excitateurs pour agir sur l'hémianesthésie, par exemple.

Les séances auront lieu l'après-midi, dans l'intervalle des repas; une séance, avant de se mettre au lit ou dans la soirée, pourra être favorable et faire céder l'insomnie, en particulier, dont souffrent fréquemment les hystériques, mais il faut redouter l'excitation. D'une façon générale, de même que pour l'hydrothérapie , le traitement par l'électrisation statique devra être prolongé le plus souvent pendant deux ou trois mois consécutifs. Sous ce rapport, on s'inspirera de l'état spécial du sujet et des modifi- cations produites par l'agent thérapeutique.


L électricité faradique, de même que la statique, est une électricité de haute tension et de faible quantité. Du-


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chenne, de Boulogne, et Briquet en faisaient la base de leur traitement de l'hystérie.

Nous ne décrirons pas les appareils : ils sont entre les mains de tous les praticiens. De même pour sa technique, qui est des plus simples, surtout si, comme Duchenne, on se borne à des applications localisées. On n'oubliera pas, toutefois, que c'est sur la peau qu'il faut principalement agir et que les excitations devront toujours être superfi- cielles. Le meilleur moyen d'action résidera donc, comme le pensait Duchenne, dans l'emploi du pinceau.

Le pinceau far adique est un modificateur puissant de la sensibilité cutanée en même temps qu'il détermine de fortes secousses musculaires qui pourront être utiles dans le traitement de certains troubles trophiques, mais qu'on aura, d'une façon générale, tout intérêt sinon à éviter, tout au moins à modérer. Son emploi se trouve indiqué dans les paralysies, les contractures avec troubles de sen- sibililité, dans l'aphonie avec plaque d'anesthésie de la région laryngée, en un mot dans tous les accidents loca- lisés de la névrose. Vulpian, Grasset, s'en sont toutefois servis pour modifier l'hémianesthésie et produire les phé- nomènes du transfert. (Voir t. I, p. 205 et suiv.)

Au cas où l'on ne posséderait pas d'installation statique, on pourrait se servir des courants faradiques généralisés, suivant la méthode de Beard, Erb et Rockwell.

Le bain hydro- électrique qui généralise au maximum l'action du courant faradique, ne paraît pas, en ce qui concerne l'hystérie, doué d'une efficacité plus grande que le mode d'application que nous allons décrire. Gela tient probablement à ce que l'action du bain est surtout pro- fonde, faisant contracter les muscles, mais agissant en somme assez peu sur la sensibilité cutanée, objectif de tout procédé thérapeutique dans la névrose.

Il est bon, à ce propos, de faire une réserve en faveur de la douche électrique, insuffisamment encore expéri- mentée.

Les bains et la douche électriques nécessitent, en outre,


DE L'HYSTERIE. 521

une installation spéciale toujours difficile à réaliser.

Pour appliquer la faradisation généralisée suivant la méthode de Beard et Rockwell, le sujet se déshabille, ne conservant que sa chemise. Les pieds reposent sur une plaque d'étain recouverte d'une serviette mouillée, qui représente l'un des pôles. L'autre pôle est figuré par une éponge montée sur une plaque d'étain qui est prome- née rapidement sur toute la surface du corps. A cette éponge des auteurs américains nous substituons volon- tiers un rouleau semblable à ceux qui servent à dessécher l'encre. Ce rouleau est fait d'un cylindre de charbon re- couvert de peau de chamois. Il suffit de l'humecter d'eau tiède.

On commencera par passer rapidement le rouleau le long de la colonne vertébrale, puis sur les régions latérales du dos, en évitant, bien entendu, tout contact avec les zones hystérogènes, s'il en existe. On électrise ensuite la partie antérieure du tronc, en respectant les seins, puis les bras; on termine enfin parles membres inférieurs.

Toute cette manœuvre peut se faire par-dessus la che- mise. Elle ne doit pas excéder 5 à G minutes de durée. Il est en outre indiqué d'insister sur les régions malades, qui seront plus énergiquement et plus longuement électri- sées que les parties saines, sauf en ce qui regarde, comme nous l'avons dit, les zones hyperesthésiques ou hystéro- gènes.

Il est indispensable, pour l'électrisation généralisée, d'employer une bobine à fil très fin et des intermittences aussi rapides que possible.

La sensation perçue par le patient doit être assez forte, non douloureuse toutefois, mais un peu désagréable. Il y a là encore une part à faire à l'expérience, car la dose varie avec chaque sujet. Dans tous les cas, comme dans les applications statiques, on n'atteindra les doses élevées que d'une façon progressive.

Pour ce qui est de Y électricité galvanique, représentée par des appareils produisant l'électricité en grande quan-


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tité mais à faible tension, elle n'est guère usitée en France, sinon peut-être contre certains troubles trophi- ques localisés : atrophie musculaire, œdème, et encore pour l'œdème en particulier, nous croyons que le pinceau fara clique lui est de beaucoup préférable. Les auteurs qui l'ont le plus employée, tels que Erb, en Allemagne, n'ont pu que formuler des règles très peu précises au regard de son application dans le traitement des manifestations hystériques.

Nous avons entrepris, avec M. le D r Larat (1), électri- cien distingué, quelques expériences sur les modifications des troubles de la sensibilité par les courants à haute tension potentielle de Tesla. Les résultats que nous avons obtenus ont été satisfaisants, mais il s'agit là d'un dispositif très compliqué dont la description nous entraînerait beaucoup trop loin.

Avant de clore cette liste de procédés destinés, en somme, à agir sur la sensibilité cutanée, nous rappellerons que nous avons déjà étudié (t. I, p. 204-217) l'action de la métallothérapie externe. Depuis la publication de notre premier volume, rien n'est venu modifier l'opinion que nous émettions alors et à laquelle on voudra bien se reporter. En réalité, la méthode de Burq tombe de plus en plus dans l'oubli ; ses moyens d'action sont incertains, son application difficile à préciser; les divers procédés d'élec- trisation que nous avons passés en revue la remplaceront toujours avantageusement.

Quant à la métallothérapie interne, c'est à peine si nous croyons nécessaire de la mentionner.

Signalons enfin le massage, qui pourra être un adjuvant utile du traitement général, mais dont l'emploi est sur- tout indiqué dans les manifestations locales, les paralysies et les contractures en particulier, à propos desquelles nous en reparlerons.

(1) Pour ce qui concerne l'emploi de l'électricité dans le traitement de 1 hystérie consulter : Larat, Précis d'électricité médicale, 1892. L. Battaille et G ie , édit.




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La kinésithérapie ou gymnastique médicale sera parfois utile chez les sujets jeunes ; mais, à notre avis, elle n'a pas donné les résultats qu'on en avait espérés. La marche, des promenades au grand air, nous semblent au moins aussi efficaces, sauf dans certains cas de paralysie ou de contracture, que les pratiques de gymnastique.


En traitant de la prophylaxie des accidents hystériques, nous avons dit quelques mots du régime alimentaire au- quel il fallait soumettre les prédisposés à l'hystérie. Ce régime sera le même dans la période confirmée de la né- vrose. A moins d'accidents locaux affectant les voies diges- tives, le régime devra avant tout être substantiel, composé d'aliments riches en azote sous un petit volume. D'une façon générale, les hystériques, comme tous les sujets tri- butaires de l'anémie ou de la chlorose feront quatre repas par jour : un à huit heures le matin, composé d'œufs frais ou de viande froide, avec une tasse de thé léger ou de lait et du pain bien cuit; un à midi, composé surtout de viandes grillées, de poisson bouilli, de légumes secs en purée passée , de fruits cuits en compote ou de fromage frais ; comme boisson, de l'eau rougie. Les repas de quatre heures et de sept heures se feront sur des bases analogues. En un mot, l'alimentation devra être tonique avant tout, en évitant la surcharge de l'estomac.


Cette question de l'alimentation nous conduit à parler du traitement médicamenteux de l'hystérie.

Au début de l'article IV de son livre, intitulé : Traitement médicamenteux général, Briquet s'exprime ainsi qu'il suit (p. 637).

« Les auteurs regardent assez habituellement l'hystérie comme une maladie qui, dans la plupart des cas, cède


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assez facilement. Les livres, et celui de M. Landouzy entre autres, sont pleins d'histoires d'hystéries guéries en quelques jours. Je suis, à cet égard, d'une opinion tout opposée ; je regarde l'hystérie confirmée, même quand elle n'aurait existé que depuis un petit nombre d'années, comme très difficile à guérir. Gela se comprendra facile- ment si l'on songe qu'il s'agit de modifier toute une éco- nomie et qu'en même temps il faut calmer la portion de l'encéphale qui a subi l'influence d'une série prolongée d'impressions douloureuses. »

Ce prélude nous fait mal augurer de la confiance de l'auteur dans la puissance curative des médicaments, en matière d'hystérie.

Cependant Briquet ne s'en livre pas moins à une étude intéressante, surtout au point de vue historique, des excitants, des antiphlogistiques, des antispasmodiques et des stupéfiants, dans laquelle nous croyons inutile de le suivre. C'est le cas de répéter qu'en matière de thérapeu- tique, abondance veut bien souvent dire pénurie.

Georget, nous pouvons le rappeler (t. I, p. 22), dès 1821, avait fait justice de ces ressources souvent illu- soires de la pharmacopée. Il prescrivait un régime tonique basé sur l'hydrothérapie et les exercices physiques mo- dérés, déplorant qu'au lieu de s'attaquer à la source directe du mal, les auteurs eussent surtout songé à la mé- dication du symptôme.

« Ce qui a contribué, dit-il (1), à encombrer les matières médicales, à multiplier les recettes et les moyens curatifs, c'est la thérapeutique du symptôme, c'est-à-dire l'applica- tion des remèdes aux effets et non à la cause des dé- sordres... Ainsi, pour ne point sortir de notre sujet, une prétendue hystérique se plaint-elle d'insomnie, de suite on lui donne un narcotique ; on oppose de la digitale ou autre drogue de même espèce à ses palpitations ; des bé- chiques, des expectorants à son excitation pulmonaire, à

(1) Georget, De la physiologie du système nerveux, t. II, p. 301, 1821.


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sa toux sèche ; de prétendus stomachiques, des élixirs ou des calmants à ses maux d'estomac ; des ferrugineux et des amers à sa débilité; des toniques et des astringents à ses flueurs blanches ; des emménagogues à la suppression de son écoulement menstruel. Sans doute, il ne faut pas négliger les organes secondairement affectés, lorsqu'ils sont importants et assez gravement malades ; mais c'est au foyer du mal qu'il faut d'abord porter remède, et c'est lui qu'il faut guérir, ou la guérison n'aura lieu nulle part. . . Mais que faire donc? me demanderez-vous ; il faut bien ordonner. Ah! je vous entends, vous voulez user de moyens moraux sous forme de médicaments ; dès lors, faites comme le célèbre Tronchin : ordonnez des pilules de mie de pain et autres substances de même énergie ; faites prendre pour boisson de l'eau et autres tisanes de pareille vertu. Mais n'allez pas exaspérer le mal, incendier l'estomac ou le cerveau de vos malades pour le plaisir ou le besoin de faire des ordonnances. »

Outre que la boutade est spirituelle, elle renferme un grand fonds de vérité. En réalité, il n'existe pas de traite- ment médicamenteux de l'hystérie. Les toniques, le fer, les amers en particulier, sont utiles pour relever les forces, pour combattre l'anémie, mais ils ne s'adressent pas à l'essence même de la maladie, de source, nous le savons, entièrement psychique.

Quant aux calmants, ils trouvent, eux aussi, leurs indi- cations dans la médication symptomatique de la névrose, mais le plus puissant d'entre eux, peut-être, le bromure de potassium, ne saurait revendiquer, dans la cure de l'hys- térie, la place prépondérante qu'il a conquise dans le traitement de l'épilepsie. Nous avons souvent entendu Charcot insister sur ce fait que le bromure pouvait servir de pierre de touche pour le diagnostic à établir entre des accès d'épilepsie et des attaques d'hystérie. Autant son action est fidèle et constante sur les premiers, autant il influence peu les secondes.

On a dit aussi, et Briquet a rapporté des exemples à


526 TBAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

l'appui de cette opinion, que les médicaments chez les hystériques devaient être employés à très petite dose, étant donnée l'intolérance toute particulière qui existerait chez ces malades. Mais, d'autre part, on a vu certains de ces sujets absorber des quantités considérables d'opium, sans en être incommodés : les faits se contredisent donc.

En réalité, nous basant sur les recherches que nous avons faites avec Cathelineau, nous pensons qu'on a pu se trouver en présence didiosyncrasies dans les cas d'intolé- rance, mais que cette intolérance n'est pas le propre de tous les hystériques dont la nutrition, en dehors des paroxysmes, est, nous l'avons démontré, comparable à celle des sujets sains par rapport au kilogramme d'individu.

Et encore, en matière d'idiosyncrasie, faut-il toujours faire la part, chez les hystériques, de ce qui, dans les effets produits, peut être attribuable à l'élément suggestif.

Il nous est arrivé de purger certains de ces sujets avec des pilules inertes, mais, toutefois, après avoir affirmé et fait accepter par le malade qu'elles étaient véritablement purgatives. Gueneau de Mussy, Fernet ont guéri des hysté- riques avec des pilules fulminantes; toutefois, ils se gar- daient bien de dire qu'elles étaient uniquement composées de mie de pain.

Ceci nous conduit à dire quelques mots de cette méde- cine d'imagination qui, dans certains cas, donnera des résultats vraiment très remarquables. N'oublions pas, d'ailleurs, que l'hystérie est une maladie purement psy- chique et que les phénomènes dynamiques, par lesquels elle se révèle, sont susceptibles de disparaître instanta- nément sous l'influence d'une simple émotion morale, à plus forte raison lorsque celle-ci est dirigée par le médecin.

Pour rester dans le domaine des médicaments, il n'est pas douteux qu'en s' inspirant des circonstances on sera auto- risé, dans certains cas, alors que les autres moyens auront échoué, ou même avant tout autre traitement, à inter- venir à l'aide de cette thérapeutique imaginative. Nous allons donner quelques exemples, car une telle méthode


DE L'HYSTÉRIE. 527

ne saurait être mise en formules et le traitement, on le comprend, sera laissé complètement, pour chaque cas particulier, à l'initiative du praticien.

Prenons, de préférence, des faits récemment observés, car les guérisons de cet ordre abondent, et elles se ressem- blent toutes.

Un homme de vingt-deux ans, jusqu'alors bien portant, est mordu, le 1 er août 1890, par un chien qu'il croit atteint d'accès épileptiques survenant chez cet animal périodiquement tous les deux ou trois mois. Il s'imagine que cette maladie est transmissible à l'homme, et, le 29 oc- tobre, trois mois après la morsure, il a des accès convul- sifs épileptiformes qui se reproduisent avec une intensité véritablement inquiétante.

M. Pitres (1), qui voit le malade, porte le diagnostic d'hystérie et comme, le sujet paraissait convaincu que son mal ne pouvait être guéri que par le traitement pasto- rien, il lui fait, pendant quinze jours, des injections hypo- dermiques d'eau stérilisée, en lui laissant croire que le liquide injecté provient directement du laboratoire de M. Pasteur. Ce traitement, en réalité purement psychique, est suivi de la disparition complète et définitive des acci- dents.

Dans l'ordre d'idées où nous nous plaçons, si le médi- cament, au lieu d'être administré par la voie sous-cutanée, comme dans le cas précédent, emprunte la voie buccale, quelque inerte qu'il soit en somme, il devra, à l'avance, pour le malade, être doué des propriétés les plus énergi- ques. On fera donc précéder son administration de toute une période d'entraînement, d'une préparation, pour ainsi dire, d'où dépend tout le succès qu'on en attend.

Il nous souvient d'avoir, en 1884, traité et guéri, à la Salpêtrière, de concert avec notre ami le D l Bottey, alors interne dans cet hôpital, une jeune fille dans les condi-

(1) Pitres, Accidents hystériques épileptiformes survenus a la suite de morsures faites par un cliien non enragé et guéris par un simulacre de traitement pastorien. Progrès médical, 30 juin 1894.


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tions suivantes dont l'exposé pourra servir de ligne de conduite lors de circonstances analogues.

Il s'agissait d'une ouvrière de dix-huit ans atteinte, depuis près de deux ans, d'une paraplégie hystérique flasque. Tous les traitements avaient échoué : en dernier lieu, cependant, on pouvait, en hypnotisant Sarah X..., la faire marcher pendant l'état somnambulique, mais la paralysie revenait complète avec le retour à l'état de veille. Notre embarras était grand : la malade devait nous suggérer, pour ainsi dire, elle-même les moyens d'obtenir sa guérison.

Une amie qui la venait voir lui dit, un jour, quelle avait lu dans un journal qu'une «personne paralysée» avait été guérie subitement à la suite de l'absorption de certaines pilules dont elle ne se rappelait, d'ailleurs, pas le nom.

Le lendemain, à la visite, Sarah X... nous témoignait l'ar- dent désir qu'elle avait d'essayer ce remède, et nous priait de faire des recherches pour « en trouver la composition » .

L'occasion était propice ; il ne fallait pas la laisser échapper. Nous tînmes la malade plusieurs jours dans l'expectative , et enfin nous lui annonçâmes que nous avions pu nous procurer — très difficilement — ces pilules, mais que nous reculions devant leur emploi, car le plus souvent elles étaient mal tolérées, provoquant presque toujours des vomissements ; d'où la nécessité de faire un traitement prémonitoire destiné principalement à prépa- rer les organes digestifs à leur absorption.

Enfin, le jour arriva de l'administration du médicament, que nous apportâmes nous-mêmes à Sarah X..., qui reçut la première pilule au milieu de l'attention des autres ma- lades de la salle et du recueillement de la surveillante elle-même, que nous avions jugé inutile de mettre dans le secret de nos opérations. Cette première pilule faillit bien provoquer une attaque ; la deuxième fut suivie de vomisse- ments qui ne durèrent pas moins d'une heure ; dix minutes après l'administration de la troisième, — on avait décidé de s'arrêter là, crainte d'accidents graves, — la paraly-


DE L'HYSTÉRIE. 529

tique de deux ans se levait et marchait seule, au grand ébahissement de ses voisines de salle. Il va sans dire que la mie de pain roulée dans la poudre de réglisse avait, encore une fois fait tous les frais de cette cure merveilleuse.

Dans deux cas de paralysie, M. Pitres (1) employa avec succès les pilules de bleu de méthylène qui « ont, dit-il avec juste raison, sur les pilules classiques de mie de pain ou sur les autres substances inertes des avantages qui ne sont peut-être pas à dédaigner. D'abord, elles por- tent un beau nom, résonnant bien à l'oreille; ensuite, la coloration bleue qu'elles communiquent aux urines con- tribue pour une part à donner aux malades l'illusion qu'elles agissent profondément sur l'organisme. Mais, au fond, elles ne sont que le substratum de la suggestion curative. C'est la foi qui guérit, et c'est elle qu'il importe de savoir faire naître, avec ou sans pilules. »

A ceux qui seraient tentés de mettre en œuvre de sem- blables moyens de traitement, nous conseillerions de s'in- spirer de la lecture du remarquable travail sur cette « Foi qui guérit » , dans lequel notre regretté maître Charcot (2) a étudié la genèse et l'évolution du miracle thérapeutique.

En dehors des grandes lignes que nous avons tracées, on peut juger que le traitement de l'hystérie devra s'in- spirer de bien des considérations, variables suivant les cir- constances, qui autoriseront souvent le praticien à mettre en pratique cet adage de médecine populaire : « Le bon remède est celui qui guérit. » Mais faut-il encore que ce remède ne soit pas nuisible.

C'est précisément pour faire respecter cette règle du

(1) Pitres, Sur deux cas de paralysie hystérique traités et guéris par V administration de quelques pilules de bleu de méthylène. Archives cliniques de Bordeaux, n° 7, juillet 1894.

(2) Chaucoï, La foi qui guérit. La Revue hebdomadaire, n° 28, 3 décem- bre 1892. Pion et C ic , éditeurs.

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primiim non nocere que nous allons nous étendre quelque peu sur le traitement chirurgical de la névrose. Sans cette préoccupation, nous l'aurions complètement passé sous silence , pour les raisons qui se déduiront sans peine de l'exposé qui va suivre.

On verra dans cet exposé que, si Hippocrate et Galien plaçaient dans l'utérus le siège de l'hystérie, les chirur- giens , nos contemporains , ont modernisé le rôle de l'appareil génital dans la névrose, en faisant de l'ovaire le substratum de cette maladie psychique. Ils ont cru qu'enlever cet organe, c'était extirper le mal dans ses racines, et comme ce n'est pas là une opération inoffen- sive, on pourra juger bientôt des méfaits de la castration appliquée à la thérapeutique d'une maladie dont les mani- festations sont si rarement mortelles.

Nous croyons inutile de nous arrêter aux conceptions de Baker-Brown, de Londres, de Braun, de Vienne, de Friedreich, de Heidelberg, qui conseillaient d'enlever ou de cautériser le clitoris pour guérir l'hystérie. L'opéra- tion, pour désagréable qu'elle fût, n'était pas mortelle. Elle mérite cependant de prendre place, dans un sens opposé, toutefois, à côté des divagations de Rivière sur la « confricatio vulvœ » et de Bouvard (1) qui, dans une thèse soutenue en 1612, non seulement conseillait le ma- riage, mais voulait, comme condition essentielle, qu'il fût contracté « cum viro succulento, pessuli lauti prsedito » . Laissons là ces fantaisies et arrivons à Hégar et Battey qui, en mettant en honneur la castration (1872), allaient immédiatement l'appliquer au traitement de la névrose. Les deux premières oophorectomies furent, en effet, pra- tiquées chez des hystériques dysménorrhéiques.

L'opérée de Battey (17 août 1872) guérit; quant à celle d'Hégar (27 juillet 1872) (2), sa mort commençait le long martyrologe des hystériques soumises à la castration et plus tard à l'hystérectomie.

(1) Cité par Briquet, p. 613.

(2) P. Tissieh, De la castration en chirurgie. Th. Paris, 1885, p. 13.


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Malgré cet insuccès, loophorectomie ne tarda pas à être érigée en méthode de cure radicale de la névrose. C'est ainsi qu'en décembre 1872, quatre mois après la première intervention de Battey, deux chirurgiens américains, Gil- more et Pallen, « pratiquèrent chacun une castration double : le premier, pour des crises hystéro-épileptiformes revenant à l'époque des mois chez une jeune femme de vingt-sept ans, ayant un vice de conformation du vagin et de l'utérus; Pallen, pour des névralgies ovariennes dans un cas d'ectopie des ovaires. Les deux opérées guérirent.

« Peu à peu les opérateurs américains se succédèrent dans cette pratique : Owen Peaslee, Trenholme, Goodell, Sims, Thomas, faisant fureur chacun de son côté. Les in- dications d'opérer étaient un peu variables : généralement on imitait Battey, et les opérations étaient faites dans les ovaralgies tenaces à recrudescence menstruelle, accompa- gnées à ces époques de phénomènes nerveux plus ou moins accusés (1). »

Dire le nombre des femmes ainsi châtrées est difficile ; dans tous les cas, il fut considérable.

Du domaine de l'hystérie, la castration fut transportée dans celui des fibro-myomes, ce qui ne nous intéresse plus.

« Mais, plus tard et très malheureusement, continue Tissier (p. 18), on multiplia les indications. Goodell, croyant voir un rapport entre la fonction ovarienne et le développement des maladies mentales, proposa la castra- tion chez toutes les folles. Goodell encore conseilla sérieu- sement l'ablation des ovaires comme un remède vainqueur contre les habitudes de masturbation. On voulut aussi gué- rir, non plus seulement les convulsions éclamptiques liées à la dysménorrhée (2), maisl'épilepsie vraie. Ce fut de 1878 à 1882 l'époque de frénésie opératoire pendant laquelle on a pu dire que loophorectomie a sévi sur l'Amérique dans un déchaînement de désastres. Le dépouillement des

(1) Tissier, op. cit., p. 18.

(2) C'est évidemment d'hystérie que veut parler P. Tissier. (G. T.)


532 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

observations toujours sommaires est navrant ; il explique suffisamment la répugnance des Européens à l'égard de cette nouvelle acquisition. »

La répugnance n'était cependant pas trop considérable. Écoutons encore Tissier à ce sujet, car nous ne voulons intervenir personnellement dans ce débat qu'autant qu'il sera absolument nécessaire.

« Au congrès de 1881, dit-il, nous voyons rapporter 62 opérations de Battey pour ovaralgies et crises épilepti- formes (lisez hystériques).

« 8 fois il y eut mort : soit moins de 13 pour 100 de mortalité ; sur les 56 cas restants, il y aurait eu 25 guéri- sons et 10 améliorations. La santé ultérieure de 16 autres n'est pas notée; chez 4 malades l'opération n'avait pro- duit aucun bon effet. »

A ce même congrès, Mathews Duncan ayant dit, avec beaucoup de raison, que jamais pareils accidents nerveux n'entraînaient de terminaison fatale, c'est donc 8 morts avouées qu'il faut porter à l'actif de la méthode.

Dans la statistique de Lawson Tait, publiée à la même époque et portant sur 22 opérations pour « hystéro-épilepsie menstruelle, cirrhose d'ovaire ou ovarite chronique cau- sant de violentes douleurs à redoublement » , on note encore un décès.




En France, Péan fut un des premiers à intervenir par la castration dans le traitement des manifestations pel- viennes d'origine hystérique.

Et pour légitimer son intervention, il n'hésitait pas un seul instant à créer... l'hystérie chirurgicale !

« Il y a deux variétés bien nettes d'hystérie, dit-il (1), variétés différentes par leur symptomatologie, différentes surtout par leur cause et leur mode de début.

« La première, essentiellement nerveuse, reconnaît

(1) PÉan, cité par Pichcvin, Des abus de la castration chez la femme. Th. Paris, 1889, p. 79.


DE L'HYSTERIE. 533

pour cause une disposition anatomique spéciale ou une perturbation fonctionnelle du système cérébro-spinal. Nous n'avons pas à nous en occuper. Quant à la seconde, elle est sous la dépendance d'une affection de l'appareil génital, de telle sorte qu'il suffit d'en faire à temps dispa- raître la cause pour en obtenir la guérison. Cette variété n'avait pas échappé aux anciens observateurs... Mais elle est beaucoup moins connue des médecins que la précé- dente, avec laquelle on la confond d'ailleurs presque tou- jours. Celle-ci, en effet, ne regarde que le médecin et ne doit nous occuper qu'au point de vue du diagnostic diffé- rentiel, tandis que la seconde est surtout chirurgicale. »

L'hystérie génitale ou chirurgicale n'a rien à voir, ajoute le même auteur, avec l'hérédité ; elle débute tardi- vement, pendant la vie sexuelle.

« C'est alors seulement, dit-il, qu'ont apparu les névral- gies» , ces fameuses névralgies pelviennes que, dans un in- stant, on essayera de distraire du cadre de l'hystérie quand on aura compris tout le ridicule d'un semblable traitement de la névrose. « Le plus souvent, continue Péan, ces né- vralgies étaient localisées aux ovaires et irradiaient dans le ventre et les aines, puis elles retentissaient sur le triju- meau (?) , les nerfs intercostaux et les branches du plexus lombaire. Plus tard, les douleurs s'exacerbaient, surtout au moment des règles. Elles avaient leur point de départ et leur maximum d'intensité au niveau de l'ovaire, puis elles s'accompagnaient de syncopes, de pertes de connais- sance et bientôt de véritables attaques d'hystérie. »

Prenons acte de cette description, qui n'est autre que celle d'une attaque ayant pour point de départ une zone hystérogène de la région ovarienne.

Le chapitre se termine par un parallèle entre les deux espèces d'hystérie : « Enfin, tandis que chez les névro- pathes on observe à partir d'un certain âge une tendance à l'état stationnaire ou plutôt une certaine amélioration, le contraire a lieu chez les hystériques ovariennes. Les premières restent grasses et florissantes, les secondes mai-


534 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

grissent de jour en jour, s'affaiblissent à vue d'œil et laissent concevoir des inquiétudes sérieuses pour l'avenir, d'autant plus qu'aucun traitement ne peut enrayer les accidents, que la malade arrive à la manie du suicide et que la tuberculose est souvent la conséquence éloignée de ces désordres longtemps prolongés. C'est alors que le chirurgien doit se hâter d'intervenir, s'il veut empêcher ces accidents de prendre une forme chronique qu'une opération même ne parviendrait plus à guérir, et s'il veut empêcher la patiente de mettre à exécution son projet de mourir. »

M. Pichevin trouve que ce « chapitre de pathologie est quelque peu fantaisiste. Il prouve, ajoute-t-il, que certains chirurgiens n'ont qu'une idée fort approximative de l'hys- térie. » Autrement, « ils n'auraient pas la peine de créer un type imaginaire d'hystérie génitale » .

Point n'est besoin, pour le moment du moins, de rien ajouter à ces réflexions.

Péan ne fut pas le seul chirurgien, en France, à pratiquer la castration pour la cure de l'hystérie. Il eut de nom- breux imitateurs, et parmi ces derniers il faut faire une place spéciale à M. Richelot, dont l'intervention marque une nouvelle étape dans le sujet qui nous occupe.


Péan avait créé l'hystérie chirurgicale ou génitale : avec Richelot la question change de forme. Comprenant probablement tout ce qu'il y avait d'irraisonnable à loca- liser le processus intime de l'hystérie dans une zone abdo- minale ou ovarienne, M. Richelot écarte l'hystérie du débat et crée, à son tour, un nouveau terme, celui de « grandes névralgies pelviennes » . Il les traite d'ailleurs, comme Péan, par la castration ou l'hystérectomie vaginale. Au fond, comme bien on peut le penser, rien n'est changé que l'enseigne, car l'expression symptomatique des mala- dies reste immuable, et dans les observations de ses opérées,


DE L'HYSTERIE. 535

on retrouve nettement la description des manifestations abdominales imputables à la névrose que Péan avait don- née, en fort bons termes d'ailleurs.

« Je déclare expressément, dit-il (l), n'avoir en vue que les grandes névralgies pelviennes, c'est-à-dire les phénomènes douloureux graves, permanents, rebelles, qui ont pour siège l'utérus et les ovaires, ne correspondent à aucune lésion définie, et s'accompagnent d'un état névro- pathique plus ou moins accentué. Je ne sais comment faire, parmi les nerveuses, des catégories nettes et tran- chées ; mais mon intention formelle est de laisser de côté l'hystérie vraie, à grandes attaques, sans localisations douloureuses dans le petit bassin. »

« J'ai eu cependant, ajoute-t-il, un beau succès par la castration ovarienne chez une hystérique dont j'ai raconté l'histoire au Congrès de chirurgie (2). Il s'agissait d'un cas vraiment désespéré , sans douleurs pelviennes , avec grandes attaques, suicide, etc. Les circonstances m'ayant amené à tenter l'opération, la malade fut absolument transfigurée; elle devint calme, sérieuse, exempte de tout phénomène nerveux, et sa guérison, qui pouvait être con- sidérée comme une rémission trompeuse, ne s'est pas dé- mentie depuis trois ans. Mais un fait pareil est exception- nel et en désaccord avec beaucoup d'autres faits ; j'ai dû l'entourer des réserves les plus formelles, j'ai dû me défendre de vouloir le généraliser tant soit peu, prévoyant les attaques dont il devait être l'objet, et qui d'ailleurs n'ont pas manqué de se produire... »

« Pour les névralgies, conclut M. Richelot, la question n'est plus la même. »

Voilà une assertion qui paraîtra singulière. D'autant que la malade de l'observation III de son mémoire, dans lequel il expose sa méthode de traitement des grandes névralgies pelviennes, était « une grande nerveuse longtemps soignée à l'hôpital, ayant des attaques fréquentes, etc. » . Au fond,

(1) Richelot, Société de chirurgie, 9 novembre 1892.

(2) Congrès français de chirurgie, 5 e session, 1891, p. 201.


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nous le répétons, dans les cas de M. Richelot, l'hystérie éclate à chaque ligne, comme dans ceux de M. Péan, et l'hystérie génitale et les grandes névralgies pelviennes ne font qu'un, c'est-à-dire appartiennent à l'hystérie sans épithète.

Les objections que nous opposons à ces subtiles dis- tinctions nosographiques ne nous appartiennent pas. A la séance de la Société de chirurgie (9 novembre 1892), où fut discutée la communication de M. Richelot. M. Reclus déclara que le type de « grande névralgie pelvienne » avait besoin d'être précisé. 11 a observé un cas où l'on fit la castration pour des douleurs de semblable na- ture. Celles-ci revinrent au bout de six mois. On enleva alors l'utérus ; la malade parut encore une fois guérie pendant quelque temps. Puis, il y eut récidive, bien que l'éviscération fût complète ; en fin de compte, le sujet devint morphinomane. Dans un autre cas, où les annexes furent enlevées, même insuccès.

M. Quénu se demanda, lai aussi, s'il existait des névral- gies de l'ovaire en dehors de l'hystérie. En général, disait-il, on peut dire que les opérations ne guérissent pas les névropathes. Dans un cas de cet ordre où pourtant l'in- tervention était indiquée, puisqu'il existait un hématome du petit bassin, M. Quénu opéra. La malade alla bien pen- dant quelque temps. Mais, un incendie ayant éclaté dans la maison qu'elle habitait, elle fut prise d'une grande frayeur : la névralgie abdominale reparut, et en même temps se montrèrent une monoplégie brachiale, des acci- dents hystériques variés, un hoquet incoercible, des dou- leurs en ceinture avec zona, etc. Toute opération, con- cluait-il, est impuissante à amener la guérison définitive d'accidents d'origine hystérique. Il faut donc établir, avant toute chose, s'il existe, en dehors de l'hystérie, des douleurs ovariennes répondant au type des « grandes névralgies pelviennes » .

M. Richelot ayant parlé, dans sa communication, d'ovaires sctéro - kystiques , M. Quénu ajoutait que ces


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organes présentent toujours une semblable altération chez les femmes d'un certain âge. D'ailleurs, disait-il, on ne trouve pas de lésions bien déterminées dans les ovaires enlevés chez les femmes qui ont souffert des douleurs décrites par M. Richelot.

Sans être aussi affirmatif que M. Quénu, M. Terrier exprima l'opinion qu'il fallait d'abord, en pareils cas, s'adresser au médecin pour avoir un diagnostic ferme. Les ovaires enlevés, MM. Ranvier et Malassez les ont exa- minés; rien de particulier n'a été trouvé du côté de leurs nerfs. Gomme M. Richelot n'enlève pas seulement les ovaires, mais encore l'utérus, un examen anatomique très précis de cet organe serait désirable.

M. Verneuil, en dernier lieu, apporta à la discussion la sanction de sa haute autorité et de sa grande expérience : M. Richelot, dit-il, cite un cas de névralgie de l'ovaire droit qu'il a guéri par l'ablation de l'ovaire gauche qui était malade, alors que c'était le droit qui était doulou- reux. M. Terrier rapporte un cas où il trouva, avant l'opé- tion, les deux ovaires sains ; il les enleva cependant et le sujet guérit. Singulières opérations que celles dans les- quelles on intervient sur un organe qui n'est pas malade ! M. Duplay vient de faire paraître dans la Gazette des hôpi- taux (1892, p. 1093) une leçon très instructive sur les opérations suivies de succès thérapeutiques, alors qu'on n'avait trouvé aucune lésion, ni enlevé aucun organe. On ouvre le ventre, on examine, on ne constate rien d'anormal, on le referme et les malades guérissent : ce sont là évidem- ment des opérations purement suggestives. Et M. Verneuil terminait en insistant surtout sur la nécessité de poser d'abord un diagnostic raisonné , persuadé que contre l'hystérie il y a autre chose à faire qu'à enlever l'utérus et les ovaires.

On le voit , l'accueil fait à la communication de M. Richelot par les membres de la Société de chirurgie ne fut pas très chaleureux. Celui-ci ne se tint pas pour battu.


538 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

« A la fin de l'année dernière, répondit-il (1), j'ai pré- senté à la Société de chirurgie des observations de «grandes névralgies pelviennes » guéries par l'hystérectomie vaginale . J'avais en vue, laissant de côté l'hystérie vraie, à grandes attaques, les phénomènes douloureux graves, permanents, rebelles, qui ont pour siège l'utérus et les ovaires, ne cor- respondant à aucune lésion définie et s'accompagnant d'un état névropathique plus ou moins accentué.

« On me fit d'assez vifs reproches. On m'accusa de créer un néologisme fâcheux, de méconnaître une foule de progrès; on me dit que je prenais pour des névral- gies sine materiâ les « petites lésions avec grandes dou- leurs... »

Et M. Richelot, qui se débat contre l'hystérie, maladie psychique qu'on n'extirpe pas avec les ovaires, jette par- dessus bord les grandes névralgies pelviennes. Ses malades deviennent des arthritiques nerveuses ! Et l'arthritisme uni au nervosisme justifie l'opération : pourquoi ? On ne le saisit pas très bien.

En effet, n'était-elle pas atteinte d'hystérie, cette femme dont il donne en entier l'observation, qui n'a «jamais eu d'attaques d'hystérie, mais est sujette à des évanouisse- ments sans douleur et aux paroxysmes abdominaux à forme névralgique »? Il enleva l'utérus et les annexes. « Le premier n'avait rien d'anormal, les trompes étaient saines, les ovaires scléro-kystiques, altération banale et qui ne signifie rien... » La malade guérit.

Cette question de l'hystérie le préoccupe encore dans son récent ouvrage (2), où il émet sur la nature de cette maladie des opinions qui, à l'instar de celles de Péan, ris- quent fort de ne pas être admises par tout le inonde.

« Je n'ignore pas, dit-il, les relations étroites qui unis- sent l'arthritisme et l'hystérie. J'irai même très loin dans cette voie, au risque de donner beau jeu à ceux qui voient

(1) Richelot, Encore les grandes névralgies pelviennes. Union médi- cale, 28 septembre 1893, n° 37.

(2) Richelot, L'hystérectomie vaginale, in-8% 1894, p. 271.


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l'hystérie partout. Je pense qu'elle est un aboutissant, une forme, une modalité de l'arthritisme. »

11 ne faut pas opérer les hystériques, car, | « aux arthri- tiques pures, les guérisons franches; aux vraies hysté- riques, les résultats nuls, incomplets, temporaires, les récidives... » .

Mais il faut croire qu'il y a des exceptions à toutes les règles et que la formule précédente n'est pas toujours d'une exactitude parfaite, car M. Richelot ajoute presque aussitôt : « J'ai des exemples qui prouvent le contraire; je citerai bientôt une malade qui avait tous les attributs de cette névrose '(l'hystérie) et chez qui la castration mit fin aux douleurs pelviennes, aux grandes attaques, à tous les troubles nerveux; elle est parfaitement guérie depuis trois ans. Je l'ai opérée malgré l'hystérie, et je sais qu'en pareils cas les résultats sont douteux. Néanmoins, les faits heu- reux ne sont pas niables. »

Il faudrait pourtant s'entendre et demander à l'auteur de formuler exactement sa pensée, sinon son diagnostic. M. Richelot n'opère pas les hystériques, ou, s'il les opère, c'est malgré leur hystérie. Or, dans sa communication à la Société de chirurgie, il a rapporté seize observations. Dans trois d'entre elles (obs. II, X, XIII), les malades avaient des attaques, et il déclare au début qu'il laissera de côté l'hystérie avec attaques !

Nous ne voulons pas discuter les autres faits ; dans la plupart, l'hystérie apparaît évidente comme dans l'observa- tion XVI, où il s'agissait d'une anorexique hystérique qui succomba quarante-huit heures après l'opération, ce qui le conduit à conclure : « Ce n'est pas le chirurgien qu'il faut accuser, c'est la malade elle-même; c'est la peur exagérée de l'opération qui porte un grand nombre de malheureuses à repousser nos soins tant qu'elles ne sont pas à bout de forces, étales réclamer quand il n'est plus temps. « Alors, pourquoi opérer dans ces derniers cas?

Il ne faudrait pas croire cependant que nous fassions ici le procès de M. Richelot, le seul qui, avec M. Péan, ait émis,


540 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

en France, sur la question que nous discutons, un ensemble d'idées capables de constituer un corps de doctrines. C'est simplement celui de la castration et de l'hystérectomie dans le traitement des localisations de l'hystérie sur les organes de l'abdomen et du petit bassin, qu'on les baptise du nom de grandes névralgies pelviennes ou qu'on leur attribue, comme M. Péan, la qualification de chirurgicales .

D'ailleurs, M. Richelot n'est pas le seul, avec M. Péan, qui, dans notre pays, intervienne en pareilles circon- stances. On pourrait le croire cependant, si l'on en jugeait seulement par le silence qui s'est fait, en France, sur la castration appliquée au traitement de l'hystérie, depuis sa communication à la Société de chirurgie, au mois de novembre 1892. Pour être silencieux, les chirurgiens n'en opéreraient pas moins, et c'est encore M. Richelot qui nous l'apprend.

Rapportant l'histoire dune jeune femme souffrant de douleurs abdominales et qu'il opéra malgré l'intégrité de l'utérus et des annexes, il raconte (1) que, consulté par cette personne, il conseilla l'opération. « Mais, ajoute-t-il, où l'histoire devient curieuse pour moi, c'est quand la malade, après avoir recueilli mon opinion, se mit en devoir de consulter divers chirurgiens, y compris ceux qui, au même instant, à la Société de chirurgie, ou dans la presse médicale, discutaient mes observations et faisaient de grandes réserves sur la possibilité de guérir par une opération les grandes névralgies pelviennes. Tous lui décla- rèrent qu'il fallait l'opérer, ce qui me donne à penser que, si la question revenait sur le tapis, il y aurait au moins une de mes observations qui trouverait grâce devant eux. »

Et M. Richelot a raison. On opère, mais on ne publie pas les observations. Une hystérique de la ville, qui nous consulta, avait vu quatorze chirurgiens pour des douleurs abdominales; dix avaient été d'avis d'opérer, et, de l'avis des dix, les organes utéro-ovariens étaient sains, ainsi que

(1) Richelot, Encore les grandes névralgies pelviennes. Union médi- cale, 28 septembre 1893, n° 37, op. cit.


DE L'HYSTERIE. 541

nous l'apprit son médecin ordinaire, qui avait assisté à toutes les consultations. Elle eût peut-être consenti à l'opération si elle n'avait pas été presque subitement enlevée par une attaque d'influenza.

Et toutes les malades ne sont pas aussi rebelles à l'in- tervention chirurgicale. Il en est qui la sollicitent. Elles souffrent, et ne savent-elles pas, « comme tout le monde » , que les progrès de la chirurgie moderne ont fait de la cas- tration une opération des plus élémentaires : un peu de chloroforme, une légère incision, et tout est dit !

Il nous faut rappeler cependant que, sur 62 opérations de Battey pour « ovaralgies ou crises épileptiformes » ana- lysées au Congrès de 1881, il y eut 8 fois mort, soit dans 13 pour 100 des cas. Et si la chirurgie a progressé, qui oserait affirmer, aujourd'hui qu'on propose l'hystérectomie pour de telles manifestations, qu'on aura moins de 5 à 6 pour 100 de décès?

Mais enfin ces douleurs sont très pénibles, fort rebelles, il y a tout intérêt à en débarrasser les malades ; la théra- peutique purement médicale est, il faut l'avouer, souvent inefficace. Dans ces cas, coûte que coûte, ne conviendrait- il pas d'opérer ? D'autant que si, en France, un silence peu encourageant semble s'être fait sur cette question, il n'en est pas de même à l'étranger. Récemment encore, H. Ma- rion Sims (1) ne rapportait-il pas qu'il avait guéri 7 hysté- riques par l'oophorectomie?

Mais, si l'on opère, les douleurs cesseront-elles? Ne réapparaîtront-elles pas avec une nouvelle intensité, même en l'absence complète des organes, comme dans le cas de M. Quénu et dans nombre d'autres que nous pour- rions citer?

C'est à coup de documents qu'il faudrait discuter, et ceux qui ont été publiés sont, on le voit, des plus contra- dictoires et, ajoutons-le, de très inégale valeur. D'autant que les partisans de l'intervention chirurgicale auraient

(I) H. Marion Sims, Hystero-epilepsy ; a report of seven cases cured by surgical treatment. Amer. Journ. of. obstetrics, juillet 1893.


542 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

encore à tenir compte du fait rapporté par Chiarleoni (!) : Une hystérique confirmée souffrait depuis cinq ans d'acci- dents très variés : douleurs abdominales, vomissements, paraplégie, etc. Infructueusement traitée par les moyens médicaux, elle réclamait à grands cris l'intervention chirurgicale.

Chiarleoni ordonna de tout préparer pour l'opération ; la malade fut transportée à l'amphithéâtre. On la chloro- forma, mais au lieu de la castrer ou de lui enlever l'utérus, on fit à l'abdomen une incision superficielle de 10 centi- mètres de longueur qu'on referma par cinq points de su- ture. Puis on la pansa et, réveillée, on lui dit qu'elle avait été opérée. Tous les accidents disparurent, et trois mois plus tard la guérison se maintenait encore.

Plutôt que d'épiloguer sur des documents dont la très grande majorité a le grave défaut de nous faire seulement connaître l'état des malades pendant les premières se- maines qui ont suivi l'opération, et partant sont muets sur les récidives si fréquentes au bout de quelques mois, qu'il nous soit permis d'exposer l'opinion que nous nous sommes faite sur cette grave question. Elle s'appuie sur un nombre relativement considérable d'observations personnelles.

Très souvent l'opération, chirurgicalement menée à bonne fin, reste infructueuse contre les douleurs qu'elle avait eu la prétention de faire disparaître, qu'il s'agisse de castration simple ou double ou d'hystérectomie avec ou sans ablation des annexes. Parfois même elle les aggrave ou détermine l'apparition fréquemment immédiate d'autres phénomènes très sévères de la série hystérique : para- plégie dans un cas, attaques répétées dans un autre, délire nécessitant l'internement dans un troisième ; nous parlons des seuls cas que nous avons observés.

Dans une seconde catégorie de faits, les malades sem- blent guéries, mais après un laps de temps qui dépasse rarement six mois ou un an, les douleurs reparaissent, ou

(1) G. Ghiakleoni, lsterismo e castrazione. Gaz. d. o.tpedali, n os 8 et 9, 1888.


DE L'HYSTERIE. 543

se montrent d'autres manifestations équivalentes en gra- vité ; le bénéfice de l'opération a été purement illusoire. Ces cas sont cependant ceux qu'on publie comme des exemples très authentiques de guérisons définitives, parce fait qu'on n'a pas assez attendu pour les porter à la connaissance du public médical. Ce sont ces malades qui reviennent au médecin, aussi souffrantes que devant, après avoir prôné pendant deux mois ou plus les bienfaits de la chirurgie.

Dans une troisième catégorie, la disparition des dou- leurs semble se maintenir. Ces faits sont de tous les plus rares. La victoire est cependant rarement complète, car il nous a semblé que les hystériques ainsi privées d'ovaires, chez lesquelles la menstruation n'a généralement plus lieu, subissaient souvent un contre-coup défavorable de la sup- pression de cette fonction. Il survient chez elles une sorte de déséquilibre mental qui en fait des êtres bizarres, bizarrerie imputable, après tout, peut-être à leur état mental d'hystériques, mais que la castration nous a toujours paru exagérer, quand elle ne l'a pas fait naître de toutes pièces.

Voilà succinctement exposée l'opinion que nous nous sommes faite de l'intervention chirurgicale dans la cure des douleurs abdominales de l'hystérie, pour ne pas dire dans la cure radicale de la névrose, qu'on a prétendu obtenir de cette façon.

Si maintenant nous interrogeons les médecins qui, en France, se sont intéressés à cette question, — et on nous accordera, à l'encontre de l'opinion émise par M. Péan, qu'ils ont quelque qualité pour donner leur appréciation sur le traitement des manifestations de l'hystérie, même chirurgicale, — voici quelle est leur réponse :

« L'opération, dit M. Pitres (I), n'est pas la cause effi- ciante de la cure. Quand elle détermine la guérison, c'est purement et simplement par voie de révulsion psychique, tout comme l'inoffensive pilule de mie de pain, à laquelle

(1) L'itres, Leçons cliniques sur l'hystérie et l'hypnotisme, t. II, p. 64, op. cit.


544 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

on doit des succès tout aussi remarquables et beaucoup moins dangereux. La castration ne serait légitimée que s il y avait des altérations profondes exigeant par elles- mêmes une intervention chirurgicale. »

MM. Grasset et Rauzier (1) se rangent à l'opinion de M. Pitres.

Quant à M. Charcot, dont l'autorité doit faire loi en la matière, nous sommes sûr d'être son fidèle interprète en disant qu'il repoussait l'intervention chirurgicale, de toute la force de la logique qui éloigne même la pensée de guérir une maladie psychique en enlevant les ovaires ou l'utérus, et de la pratique qu'il avait vue si souvent infructueuse en de pareils cas.

D'ailleurs, M. Pichevin (2) a pris soin de nous trans- mettre l'exacte opinion de notre maître :

« Toutes ces tentatives sont condamnées et condam- nables. Le professeur Charcot, que nous avons consulté, a été très net et très affirmatil à ce sujet. Il est absolument opposé à la castration dans l'hystérie, l'hystéro-épilepsie, la manie, la folie, etc. L'éminent chef de l'Ecole de la Salpêtrière nous a déclaré que l'hystérie génitale était une erreur grossière, et que l'hystérie, l'hystéro-épilepsie, l'épilepsie d'origine menstruelle, de cause génitale, n'exis- taient pas. Il n'a jamais vu un cas d'hystérie, dhystéro- épilepsie, de manie, susceptible d'être traité par la castra- tion. Bien au contraire, il a rencontré des femmes qui avaient subi l'opération de Battey et qui étaient hysté- riques comme par le passé. Elles regrettaient seulement de n'avoir plus d'ovaires. La tentative de la chirurgie actuelle est un retour aux idées anciennes dont a fait jus- tice la pathologie nerveuse moderne. Il est aussi illogique d'enlever chez un hystérique mâle le testicule ou la peau

(1) Grasset et Rauzier, Traité pratique des maladies du système ner- veux, 3 e édit., t. II, p. 827, 1894.

(2) Pichevin, Des abus de la castration chez la femme, op. cit., p. 99. On lit en note : « Cette partie du texte a été lue et approuvée par M. Char- cot. »


DE L'HYSTERIE. 545

du scrotum, sièges de sensations douloureuses, que d'en- lever une zone hystérogène quelconque ou un ovaire hyperesthésié chez une femme. La théorie sur laquelle les opérateurs s'appuient est fausse ; leur pratique est mauvaise et, a-t-il ajouté, immorale. »

Et M. Pichevin conclut : « Ce jugement semble être la condamnation en dernier ressort dune opération qui non seulement expose à des accidents graves, mais même à la mort. »

Ces lignes ont été écrites en 1889; la discussion qui eut lieu en 1892 à la Société de chirurgie et les opérations qui se pratiquent tous les jours nous montrent que les chirur- giens n'ont pas encore désarmé devant l'hystérie.


35


TRAITEMENT DES MANIFESTATIONS HYSTÉRIQUES EN PARTICULIER


Nous allons, dans ce chapitre, appliquer au traitement des diverses manifestations hystériques les notions de thé- rapeutique générale que nous avons acquises sur la névrose . Toutefois, notre intention n'est pas de passer en revue un à un tous les accidents que nous avons étudiés; cela nous entraînerait beaucoup trop loin et sans grand bénéfice. En pareil domaine, nous croyons qu'on peut utilement syn- thétiser.

Envisageons d'abord les attaques, le?, paroxysmes convul- sifs, c'est-à-dire les phénomènes sinon le plus communé- ment observés, tout au moins pour lesquels les soins du médecin seront très souvent réclamés. Or, si l'allure de ces paroxysmes est fort variable, il n'en est peut-être pas de même de la thérapeutique à leur opposer.

Considérons surtout les cas qui, pratiquement, nous ont paru les plus intéressants à bien connaître. Supposons, par exemple, que nous soyons mandé près d'une femme à laquelle nous n'avons pas encore donné nos soins et qu'on nous dit en proie à des crises d'hystérie.

On est venu nous chercher en toute hâte; à notre arri- vée, nous tombons au milieu d'un affolement général. La malade, en raison des phénomènes si fréquents de la boule, ayant crié et criant encore qu'elle étouffe, on a déjà placé, sur le cou, sur la partie antérieure de la poitrine, un sina- pisme qui risque fort d'être oublié, vu l'anesthésie qui accompagne l'attaque ; bientôt, si l'on n'y prend garde, il fera vésicatoire. Une compresse d'éther est maintenue


TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE DE L'HYSTÉRIE. 547

sous ses narines ; un bandeau imbibé d'eau sédative couvre son front. La chambre est pleine de monde et les lamenta- tions des assistants se mêlent aux cris du sujet que secouent les convulsions : il suffit d'avoir vu une fois ce spectacle pour qu'il demeure gravé dans le souvenir.

Approchons-nous de la malade, confirmons notre dia- gnostic par une rapide observation et, comme premier soin, après avoir enlevé éther et sinapisme, faisons sortir de la pièce toutes les personnes qui ne nous semblent pas indispensables, c'est-à-dire ne conservons avec nous que la garde s'il y en a une, ou celui ou celle qu'à son aspect plus calme, nous jugeons pouvoir nous être de quelque utilité.

On peut, en effet, poser comme règle générale que les soins trop empressés, excessifs, doublent au moins la lon- gueur et l'intensité d'une crise ; plus on entoure l'hysté- rique, plus elle se débat, et souvent l'attaque cesse d'elle- même lorsque le sujet reste en la seule présence du médecin ou d'une personne que ne troublent pas ses cris. Nous avons surtout, en ce moment, en vue la forme moyenne des paroxysmes, celle dans laquelle la connaissance reste presque entière, car les attaques d'hysteria major sont beaucoup moins susceptibles d'être modifiées par les in- fluences extérieures, bien que souvent la malade y puise de nouvelles et persistantes hallucinations.

C'est que fréquemment, en effet, la crise a été déterminée par une discussion, par une contrariété, par une de ces futi- lités de la vie journalière qui impressionnent si vivement les hystériques. Le fait même d'éloigner la cause provoca- trice en la personne de la mère, du mari, de tout autre, aura immédiatement un résultat favorable. C'est de cette manière qu'agira ultérieurement l'isolement, s'il est néces- saire, pour prévenir le retour du paroxysme.

Si l'attaque est de moyenne intensité, si l'interrogatoire rapide de l'entourage nous a appris que la malade a déjà été atteinte de semblables crises et que jusqu'alors il n'en est rien résulté de particulièrement fâcheux, une inter- vention très active est inutile. Généralement, nous l'avons


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dit, une fois le calme fait, l'agitation tombe, la crise se juge par des larmes, et tout est terminé.

Mais on se comportera différemment, on le comprend, si les convulsions elles-mêmes sont assez fortes, assez violentes pour qu'on puisse craindre une chute du lit sur lequel a été placé le sujet, si la malade lacère ses vête- ments ou se déchire le cou ou la poitrine avec ses ongles dans les mouvements qu'elle fait pour arracher la boule qui l'oppresse.

Cependant, il est toujours mauvais d'agir directement, c'est-à-dire de saisir ou faire saisir les poignets ou les che- villes pour modérer les mouvements désordonnés des membres; on risquerait ainsi de produire des ecchy- moses ou des excoriations. Le moyen de contention le plus simple, déjà usité à la Salpêtrière du temps de Georget, consiste à placer transversalement un drap plié en alèze au niveau de l'ombilic pour entraver les mouvements du bassin et du tronc; un autre drap roulé, dont les extré- mités latérales seront attachées aux barreaux du lit, que nous supposons en fer, maintiendra les membres inférieurs au-dessus des genoux. De plus, entourez rapidement d'ouate les poignets et le bas des jambes, nouez-y deux tours de bande et fixez ces bandes de façon à limiter l'ex- cursion des extrémités supérieures et inférieures.

L'attaque finie , faites disparaître aussi vite que pos- sible les divers moyens de contention dont vous vous êtes servi ; leur vue pourrait impressionner désagréable- ment le sujet. Toutefois il ne faut pas oublier qu'un pa- roxysme d'une certaine intensité comprend, d'ordinaire, plusieurs attaques successives ; il ne faudrait donc pas s'exposer à avoir besoin d'appliquer à nouveau les entraves.

Au cours de certaines attaques, chez les hommes en particulier, les convulsions peuvent être véritablement excessives. Dans ces cas, il ne faut pas hésiter à appliquer des moyens de contention plus efficaces, la camisole de force en particulier, surtout chez les sujets qui, sous l'in- fluence des hallucinations, s'élancent hors du lit et ris-


DE L'HYSTERIE. 549

quent de se blesser en tombant ou en se heurtant aux objets de voisinage. On comprend les difficultés qu'on aura pour parer à de semblables inconvénients dans des apparte- ments particuliers encombrés de meubles aux angles durs. Si de pareilles attaques devaient se répéter, il deviendrait urgent d'isoler le malade dans un établissement hydrothé- rapique, ou au moins de le transporter, dès l'aura, dans une pièce bien aménagée où il ne risquerait plus de se faire mal.

La violence des convulsions pouvant mettre, si l'on est mandé en pleine crise, un obstacle au placement des entraves, on recherchera rapidement, dans ces cas, s'il n'existe pas une zone frénatrice : ovarienne, sous-mam- maire, dorsale, etc., et l'on profitera de l'accalmie passa- gère produite par la compression pour agir, comme nous venons de l'indiquer.

L'attaque terminée, on appliquera les règles du traite- ment prophylactique et curatif général que nous avons formulées.


On le voit, nos efforts ont seulement tendu à mettre le sujet dans la meilleure posture, pour que l'attaque suivît son cours et se terminât le plus rapidement possible, avec le moins de dommages. On pourrait se demander s'il n'eût pas été plus simple et de beaucoup préférable de couper court à l'accès en entravant son évolution.

D'une façon générale, nous le répétons, si nous avons pu nous former cette opinion que nous nous trouvons en présence d'une crise dont les convulsions en elles-mêmes sont le principal, sinon le seul élément de gravité, nous croyons qu'il n'y a aucun intérêt immédiat à « couper » l'attaque. Outre que cela n'est pas toujours facile, il est d'observation courante qu'on ne gagne ordinairement rien à faire cesser un paroxysme déjà commencé. Les malades ont souvent alors, dans la même journée, ou de nouvelles attaques, ou des équivalents psychiques de 1 attaque sous


550 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

forme d'hallucinations, d'agitation, de délire, tandis que, lorsque l'accès a complètement évolué, la plupart devien- nent calmes et se sentent réellement soulagés. Bien plutôt faudra-t-il s'attacher à prévenir le retour d'un nouveau paroxysme par un traitement prophylactique et général bien entendu.

Il est cependant des circonstances où l'intervention s'im- pose de toute nécessité.

C'est ainsi qu'il faut agir immédiatement dans les atta- ques dites de spasmes, où la constriction glottique risque de déterminer des accidents asphyxiques souvent fort alarmants et pouvant même, dans certains cas, à la vérité exceptionnels, entraîner la mort. L'allure elle-même du paroxysme lèvera toute hésitation.

En second lieu, on peut savoir à l'avance ou apprendre de l'entourage que les convulsions, en présence desquelles on se trouve placé, ne sont que le prélude ordinaire d'un état de mal convulsif, délirant ou comateux, susceptible de durer plusieurs jours si l'on n'y met ordre. Ou bien encore que l'accès se termine habituellement par des accidents sérieux : paralysies, contractures de divers ordres, mu- tisme, etc., dont on a tout intérêt à prévenir l'apparition.

En un mot, on devra s'efforcer d'établir rapidement le bilan de gravité imputable à l'attaque, en se basant et sur la forme paroxystique elle-même, et sur ce fait clinique, corroboré par les renseignements obtenus, que le sujet coule presque toujours ses accès dans le même moule.

L'indication générale sera alors de modifier cette forme paroxystique et de la diriger dans le sens le moins défavo- rable au malade.

Pour ce faire, des moyens de divers ordres sont à notre disposition ; dans leur application particulière, le médecin se guidera sur les circonstances inhérentes au cas soumis à son observation.

Supposons, par exemple, qu'il s'agisse d'une attaque de spasmes. Parmi les moyens physiques non médicamenteux à employer, la compression d'une zone frénatrice se pré-


DE L'HYSTERIE. 551

sente d'abord à l'esprit. Si l'on sait qu'il existe une de ces zones, on la comprimera immédiatement, ou l'on cherchera à en découvrir une au niveau des points d'élection, pour la comprimer aussitôt. Pendant l'accalmie produite par la compression, on parlera doucement au sujet, on tentera de modifier son état mental; en pressant légèrement les globes oculaires, on essayera de V endormir, c'est-à-dire de transformer sa crise convulsive en un état somnambulique calme. Puis, au bout d'un certain temps, on cessera peu à peu la compression, se tenant prêt à intervenir de nouveau si l'accès ne s'était pas usé, pour ainsi dire, à la faveur de ces manœuvres. On pourrait, à la rigueur, si les spasmes reparaissaient, établir une compression permanente à l'aide d'une ceinture et d'un tampon improvisés, ou au moyen d'un appareil spécial qu'on n'enlèverait qu'assez longtemps après son application.

Mais il peut se faire, — et il arrive assez souvent, — que ces moyens restent inefficaces, qu'il n'existe pas ou qu'on ne découvre pas de zone frénatrice. On aura alors recours aux moyens médicamenteux. Et ici il ne saurait s'agir de potions opiacées ou bromurées. Outre que, dans la majorité des cas, le sujet, par suite du spasme pharyngé, ne peut rien ingurgiter, l'effet désiré ne se produirait pas assez vite. Il faudra donc recourir à d'autres procédés qu'on jugera devoir être plus efficaces.

Certains auteurs, M. Auguste Voisin en particulier, ont préconisé, pour enrayer les paroxysmes convulsifs, l'em- ploi des injections sous-cutanées de morphine. Ce moyen est mauvais. Les premières piqûres provoquent presque tou- jours des vomissements et partant n'influencent qu'insuffi- samment l'attaque. Les piqûres subséquentes peuvent arrê- ter l'accès, mais comme elles n'empêchent pas son retour ultérieur, bien au contraire, on est obligé de recourir à des doses de plus en plus fortes. De ce fait, le malade devient morphinomane. Or, nous ne connaissons pas de sujets plus difficiles à démorphiniserque les hystériques. Nous le répé- tons, ce procédé de traitement doit être rejeté.


552 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Il en est de même des inhalations d'éther. Elles peuvent faire cesser les spasmes ou les convulsions, mais presque toujours au prix d'un délire très actif qui prend fréquem- ment le caractère erotique. L'éther, très goûté des hysté- riques, de même que la morphine, devient bientôt un besoin, et l'éthéromanie est aussi à redouter que l'intoxi- cation par un alcaloïde de l'opium.

Pour notre part, dans les cas d'urgence où les moyens que nous avons indiqués ont échoué, nous n'hésitons pas à nous servir du chloroforme administré à doses fraction- nées, comme dans les accouchements. Il agit toujours activement et son emploi, souvent désagréable, ne risque jamais de passer à l'état d'habitude.

Il n'est pas nécessaire, d'ailleurs, pour faire cesser les spasmes, de rechercher l'anesthésie complète : il arrive toujours un moment où, sans que la connaissance soit entièrement abolie, les convulsions ont disparu. On main- tiendra le sujet, entâtant sa susceptibilité, sous l'influence du médicament, interrompant son administration lorsqu'on le jugera opportun, notant ce qui va se passer pour interve- nir à nouveau si les convulsions reparaissent, ou cesser si l'on juge que l'accès est terminé. Il est bien rare qu'en procédant ainsi on n'obtienne pas un résultat satisfaisant. Mais nous y insistons, on n'agira de cette façon que si l'on juge véritablement qu'il peut survenir, du fait des spasmes, des accidents graves, ou si l'on est menacé de voir un paroxysme passer à l'état prolongé ou état de mal.

En résumé, le chloroforme reste le procédé de choix si l'on redoute les accidents graves qu'entraînent parfois avec elles les attaques de spasmes.


Si l'on veut éviter le passage d'un paroxysme à sa forme d'état de mal, qu'on sait pouvoir se continuer pendant plusieurs jours, le chloroforme est peut-être un moyen d'action par trop énergique, son emploi prolongé pouvant


DK L'HYSTERIE. 553

avoir des inconvénients. On aura alors recours de préférence aux procédés de transformation de l'attaque : la compres- sion d'une zone frénatrice, l'hypnotisation en particulier.

Pour que l'hypnotisation soit réellement efficace, il est nécessaire, dans son application, de suivre certaines don- nées dont l'expérience nous a appris à connaître les bons effets. Il va sans dire que le sujet doit être hypnotisable. Nous avons, en 1887 (1), tracé les règles de l'intervention dans de semblables cas.

« Il est nécessaire de s'y prendre à temps, disions-nous alors, aussitôt l'apparition des phénomènes prodromiques, car plus l'attaque est proche, plus le sommeil devient difficile a obtenir : «Je ne peux dormir, je sens que je ne « peux pas dormir» , disent les malades les plus sensibles, qu'un simple geste, que l'effleurement d'une zone hypno- gène plongeaient, un instant auparavant, dans le sommeil le plus profond. »

Nous concluions aussi de nos recherches que l'état léthargique était le plus favorable , quand on pouvait l'obtenir : le sommeil y est calme ; « les malades qu'on en tire après un certain temps se sentent parfaitement repo- sés. Après la léthargie vient le somnambulisme... », à condition qu'il s'agisse d'un somnambulisme tranquille, non agité, ne nécessitant pas une surveillance de tous les instants, comme il arrive parfois.

Le sommeil obtenu, on n'hésitera pas à y laisser le sujet pendant sept ou huit heures, terme moyen qui nous a toujours semblé le plus efficace. Tout dépend, du reste, du moment de la journée où l'on endormira la ma- lade. Si c'est le soir en particulier, on n'éprouvera aucun scrupule à ne la réveiller que le lendemain matin et à lui laisser ainsi « faire sa nuit » .

« A ce propos, écrivions-nous, puisque nous traitons ici avec quelques détails un sujet qui n'a encore été qu'ef- fleuré , nous devons faire quelques recommandations à

(1) Gilles de la Tourette, L'hypnotisme et les états analogues, l re éd., 1887, p. 287.


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ceux qui emploieraient ce mode de traitement. Pendant la résolution léthargique, les sphincters se relâchent, et constamment, au bout de sept à huit heures de sommeil, les sujets ont uriné involontairement. Il est facile de leur éviter une constatation qu'ils ne manqueraient pas de con- sidérer comme une humiliation, en changeant les draps et en retirant, avant de les réveiller, la toile cirée dont on aura pris soin de garnir préalablement leur lit.

k Le réveil n'est jamais difficile à obtenir : quelques insufflations un peu vives sur les yeux suffisent toujours, surtout lorsque le sommeil n'a pas duré plus de sept à huit heures.

« L'hypnotisation employée de cette façon ne s'adresse directement qu'à l'accès imminent et l'annihile lorsqu'on n'a pas attendu trop longtemps après l'apparition des phénomènes prémonitoires. Mais peut-on, à l'aide de l'hypnotisme, agir de telle façon que les accès ultérieurs ne se montrent plus ? »

Nous avons déjà répondu à cette question et montré qu'il ne fallait pas faire trop grand fonds sur les pratiques hypnotiques dans la prophylaxie des accidents hysté- riques, des attaques en particulier, les séances d'hypno- tisation représentant elles-mêmes autant de paroxysmes à forme léthargique ou somnambulique susceptibles de reve- nir spontanément si on les a provoqués d'une façon trop suivie. Les autres moyens thérapeutiques étudiés au cha- pitre du traitement général nous semblent de beaucoup préférables pour éviter le retour de certains paroxysmes à forme redoutable ou prolongée.

En résumé, ce qu'il faut surtout, c'est surveiller la crise d'hystérie dont on n'a pu éviter l'apparition ; cela vaut beaucoup mieux que d'essayer de la faire avorter. On tentera de modifier sa forme, si celle-ci est d'emblée sérieuse (attaque de spasmes), ou si la connaissance du passé pathologique du sujet nous a appris que l'attaque actuelle n'était que le prélude d'un état de mal susceptible de durer plusieurs jours.


DE L'HYSTÉRIE. 555

Il faut aussi surveiller la fin de la crise, car c'est à ce moment qu'apparaissent bien souvent les paralysies et les contractures, dont nous allons bientôt nous occuper.


Avant d'en terminer avec les attaques, nous voudrions entrer dans quelques considérations au sujet de certaines particularités du traitement à opposer aux paroxysmes prolongés ou états de mal une fois constitués.

Nous supposons qu'on demande nos soins pour une personne qui, depuis plusieurs jours, a des convulsions, dort ou délire.

En ce qui regarde l'état de mal convulsif, rien à ajouter à ce que nous venons de dire en traitant de l'attaque, sinon que les moyens que nous avons préconisés resteront encore plus souvent inefficaces , étant donné que nous nous trouvons en présence d'une forme morbide singu- lièrement plus accentuée et plus tenace que l'attaque elle-même, puisqu'elle en est la prolongation.

Si nous sommes appelé près d'un léthargique, le dia- gnostic une fois bien établi, nous irons encore à la recher- che d'une zone frénatrice ; c'est le meilleur moyen que nous possédions pour faire sortir le malade de son som- meil pathologique. Il est même curieux de voir un sujet plongé depuis plusieurs jours dans un coma profond, insensible à tous les excitants extérieurs, ouvrir soudaine- ment les yeux sous l'influence d'une pression en appa- rence banale et se mettre à converser raisonnablement. Souvent aussi il retombe dans le sommeil si on cesse la compression. D'ailleurs, si on la maintient, il n'est pas rare dans ces cas de voir l'action frénogène s'épuiser ra- pidement et le malade retomber dans le coma.

Il serait bien préférable alors de rechercher s'il n'existe pas quelque part une zone qui détermine l'apparition de phénomènes convulsifs. L'état de mal de sommeil se ter- mine souvent, en effet, spontanément par des convulsions,


556 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

et ce ne serait pas payer trop cher le retour à l'état nor- mal que de l'acheter au prix dune attaque ordinaire.

On pourrait encore profiter d'une de ces accalmies, d'un de ces retours à l'état de veille qui entrecoupent par- fois l'état de mal léthargique pour intervenir à l'aide de la suggestion hypnotique et transformer ou faire cesser, de cette façon, l'état de mal. Mais ce procédé donne rare- ment de bons résultats, les malades étant très difficilement influençables lorsque le paroxysme, quel qu'il soit, est nettement confirmé et en voie dévolution.

Si tous les moyens échouent, on suivra avec attention la courbe des urines afin, lorsqu'on notera l'élévation carac- téristique qui précède toujours de vingt-quatre à quarante- huit heures la fin de l'état de mal, de surveiller la termi- naison de ce paroxysme prolongé, qui laisse souvent après lui divers accidents de la série hystérique. Il va sans dire qu'on essayera de toutes façons de nourrir le malade, de manière à parer à la dénutrition qui ne manque jamais d'exister en pareils cas ; nous avons assez insisté sur ces faits pour n'avoir plus besoin d'y revenir.

De même on cherchera à transformer un état de mal délirant en une simple attaque convulsive, s'il existe une zone spasmogène, mais il faut ajouter que cette forme paroxystique est bien souvent rebelle aux moyens théra- peutiques que nous avons indiqués. On pourra aussi essayer d'entrer pour ainsi dire dans le délire du sujet par divers moyens appropriés : suggestions par l'ouïe, la vue, en particulier, afin de guider le délire dans un sens favo- rable; mais, fréquemment encore, ces tentatives resteront infructueuses. Il n'est pas besoin d'ajouter que, dans ces cas, l'isolement absolu s'impose.

A côté des états de mal délirants, plaçons les accès d'automatisme hystérique ambulatoire qui seront rare- ment reconnus pendant leur évolution. Il en sera parfois de même des états seconds, pendant lesquels, plus encore que dans l'état prime correspondant, le sujet semble être dans une période de vie normale. Ces malades, délirants


DE L'HYSTERIE. 557

ou autres, qui se trouvent en réalité en état somnambu- lique, sont quelquefois influençables, et c'est cette in- fluence qu'on devra mettre en œuvre pour les diriger vers l'état normal.

On le voit, les moyens dont nous disposons pour le trai- tement des divers paroxysmes ou des états de mal seront parfois efficaces, mais ils ne constituent en somme que des procédés de transformation, et c'est à la cause qui provoque ces phénomènes qu'on devra surtout s'attaquer, et cela dans l'intervalle des périodes paroxystiques.

Nous venons de montrer que la connaissance et la re- cherche des zones spasmogènes ou frénatrices étaient de la plus haute importance dans le traitement, ou mieux dans les modifications favorables à apporter à l'évolution des paroxysmes convulsifs ou autres.

Ces zones elles-mêmes nécessitent souvent l'intervention de la thérapeutique, surtout lorsqu'elles sont le siège de phénomènes hyperesthésiques ou douloureux revêtant à leur tour un caractère paroxystique.

Telles sont les manifestations que nous avons décrites sous le nom de pseudo-angine de poitrine, de clou hysté- rique et de pseudo- méningite; telles certaines zones hyperesthésiques de la colonne vertébrale produisant une violente rachialgie; telles les zones cutanées de la région épigastrique, hépatique ou rénale, du territoire ovarien, et celles, beaucoup plus difficiles à atteindre, qui siègent au niveau de l'ovaire lui-même ou de l'utérus, sans compter les hyperesthésies vaginales ou rectales, même vésicales, productrices de ténesme et de contracture in situ .

Il serait bien désirable de posséder un procédé de trai- tement local applicable à ce groupe dont les expressions symptomatiques sont, à la vérité, dissemblables, mais qui néanmoins se compose d'éléments qu'un lien commun,


558 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

l'hvperesthésie avec ses conséquences et ses tendances paroxystiques, réunit entre eux. Malheureusement, nos moyens d'action sont limités et rendus souvent inefficaces par ce fait que, si la douleur localisée domine la scène morbide, elle n'est, en somme, qu'une manifestation exté- rieure de l'état psychique du sujet.

Néanmoins, sans perdre de vue l'état mental, sur lequel on s'efforcera toujours d'agir, on essayera soit de faire disparaître la zone, soit de }a déplacer si on ne peut la supprimer d'emblée. (Voir t. I, p. 257.)

On avait fondé de grandes espérances sur l'emploi des aimants. C'est ainsi qu'en plaçant un barreau aimanté près de la région ovarienne droite, par exemple, siège d'une zone hyperesthésique hystérogène , on noterait, dans certains cas, au bout d'un temps variable, — de quelques minutes à plusieurs heures, — le transfert de la zone et des troubles de la sensibilité cutanée, presque toujours concomitants, du côté opposé. Plaçant alors l'ai- mant à gauche, puis revenant à droite, on observerait des oscillations dans les phénomènes morbides, à chaque pas- sage l'hvperesthésie allant s'atténuant pour disparaître en fin de compte. (Voir t. I, p. 204-217.)

Cette pratique, née de la métallothérapie externe de Burq, apparaît malheureusement aujourd'hui comme d'es- sence entièrement suggestive, et les résultats qu'elle donne sont tout à fait infidèles. On pourra y avoir recours, mais dans un tel domaine il est impossible de formuler des règles précises, l'état mental, variable d'un sujet à l'autre, étant la seule base de l'opportunité et aussi de l'efficacité de ces procédés thérapeutiques purement empiriques.

Briquet employait les courants faradiques dans les hyperesthésies cutanées, mais l'application du pinceau devra être faite d'une main très légère, avec une grande prudence, car en insistant outre mesure on risquerait fort de produire l'exaltation de ces zones, qui d'hvperesthé- siques deviendraient rapidement hystérogènes.

Le moyen de choix dans tous ces cas nous paraît être


DE L'HYSTERIE. 559

l'électricité statique, le bain statique général sans applica- tions localisées, au moins lors des premières séances. Au bout d'un certain temps , on tâtera la susceptibilité du suj et ; il sera permis alors d'intervenir localement par la pointe tenue à distance, pour en arriver aux frictions avec la boule, la machine étant à mi-course. Mais toujours, nous le répétons, on aura intérêt à ne rien brusquer. On s'ar- mera de patience, car rien n'est plus tenace et difficile à faire disparaître que ces phénomènes d'hystérie locale, que ces plaques d'hyperesthésie qu'on note si souvent superposées aux contractures, à la coxalgie en particulier, qu'elles paraissent tenir sous leur dépendance, jouant par rapport aux déterminations musculaires bien plutôt le rôle de cause que d'effet.

Si l'on ne possède pas d'installation statique, si les cou- rants faradiques échouent ou sont mal tolérés, on essayera de la réfrigération locale : pulvérisations d'éther, applica- tions de glace pilée, qui donneront parfois de bons résul- tats, surtout si les zones douloureuses (clou hystérique, zone précordiale, rachialgie) sont très localisées et d'un accès facile. Bien entendu, en toute circonstance, le traite- ment général ne devra pas être négligé.


Il est des cas, plus fréquents qu'on ne le croit peut- être, où l'anesthésie tient la place qu'occupe habituelle- ment l'hyperesthésie. C'est ainsi, par exemple, que cer- taines zones de la région abdominale, ovariennes en particulier, douloureuses à la pression, ou mieux qui sont le siège d'élancements spontanés à forme névralgique, occupent un territoire anesthésique ou se limitent par des régions anesthésiques au milieu d'un territoire qui a conservé sa sensibilité. Tout insensibles qu'elles soient, on devra leur appliquer à elles-mêmes et aux symptômes qu'elles déterminent, et qui ne diffèrent pas considéra- blement de ceux que nous venons de signaler dans le


560 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

précédent paragraphe, le même traitement qu'aux zones hyperesthésiques , car, à l'instar de ces dernières, elles sont généralement excitables.

Dans un ordre d'idées un peu différent, ces zones anes- thésiques se rencontrent à la région épigastrique, au cours de l'anorexie hystérique, par exemple, ou, comme nous l'avons montré, se superposent exactement au blépharo- spasme, à certaines contractures limitées de la langue, des muscles de la face et du cou.

A l'inverse des précédentes, les zones de cette catégorie ne sont que très rarement excitables, c'est-à-dire hystconnaître s'il n'existe pas un commen- cement d'adhérences ou de rétractions tendineuses, une sclérose des tissus périarticulaires qui, l'élément spasmo- dique une fois disparu, fixeraient le membre en situation défectueuse et cette fois permanente.

Dans les cas où l'on constaterait une tendance à la for- mation de ces adhérences, il ne faudrait pas hésiter à pro- fiter du relâchement musculaire qui se produit pendant le sommeil chloroformique pour rompre celles qui pourraient exister. On placerait ensuite le membre dans un appareil inamovible, le maintenant en extension, par exemple, si la contracture affectait le type de flexion.


568 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Mais, s'il n'y a pas de tendance à la production de trou- bles trophiques, doit-on profiter de la résolution musculaire pour, à l'aide d'un appareil approprié, fixer le membre dans l'extension, comme nous venons de le dire, ou dans telle autre position qu'on jugerait favorable ?

Ce procédé de traitement des contractures, et particuliè- rement de celles qui affectent si souvent les membres supé- rieurs ou inférieurs, a été préconisé. Il semble, au premier abord, qu'on ait tout intérêt à redresser un avant-bras fléchi sur le bras ou une jambe dont le talon vient toucher la fesse, pour ne pas envisager d'autres cas.

L'expérience, — celle de M. Charcot, en particulier, — a cependant, depuis longtemps, démontré que cette théra- peutique était défectueuse. On risque, en effet, en agissant ainsi, non seulement d'immobiliser physiquement un mem- bre contracture, car l'immobilisation en position différente ne détruit pas l'élément spasmodique, mais encore de fixer psychiquement la contracture.

Il est certain, en effet, qu'en procédant de cette ma- nière on enlève, pour ainsi dire, à ces accidents la ten- dance naturelle qu'ils ont à la guérison spontanée. Vient- on, au bout d'un certain temps, à enlever l'appareil, on constate presque toujours que la contracture est aussi active que devant ; le sens dans lequel elle s'exerce a seul été modifié. Physiquement, l'on n'a rien gagné, ou très peu de chose, et, de plus, ce qu'il faut surtout éviter, l'esprit du sujet semble avoir pris texte des efforts tentés, pour s'accommoder encore davantage à la situation que l'on a créée. C'est là, du moins, un fait de pratique journalière.

Nous le répétons, l'exploration chloroformique est, pour beaucoup de raisons, très utile, sinon indispensable dans le traitement des contractures persistantes, mais, s'il n'existe pas de tendance aux adhérences, on devra, après la narcose, laisser le membre reprendre sa position anor- male et non le fixer, Y immobiliser dans une autre situation par un appareil. A la longue, les contractures s'épuisent peu à peu d'elles-mêmes, ce qui est un procédé de gué-


DE L'HYSTERIE. 569

rison, quand elles ne cessent pas subitement en pleine activité. Or, en immobilisant le membre dans une nouvelle situation, c'est, pour ainsi dire, une nouvelle contracture qu'on produit et qui, à son tour, évoluera dans un cycle qui, pour la première, pouvait être sur le point de se terminer.


Le traitement des paralysies hystériques, dont les formes sont si variées, ne diffère pas dans ses grandes lignes de celui des contractures; cependant, diverses considérations particulières sont applicables à la cure de ces manifes- tations.

Là encore, on interviendra le plus rapidement possible de façon à ne pas laisser la paralysie s'installer, pour ainsi dire, à l'état permanent dans l'esprit du sujet. Mais il ne saurait plus être question de la malaxation des antago- nistes, les muscles paralysés ne répondant pas à la pres- sion comme dans les déterminations de la diathèse spas- modique. Le traitement à appliquer dès le début de la paralysie ne s'éloignera donc pas sensiblement de celui qu'on emploiera dans la cure des déterminations paraly- tiques déjà vieilles en date, celles pour lesquelles on sera le plus souvent consulté.

Envisageons quelques cas particuliers, les monoplégies brachiales par exemple, si fréquentes chez l'homme à la suite du traumatisme, et, disons-le immédiatement, si tenaces. Bien entendu, le premier soin sera de remonter à la cause de façon à y trouver des indications thérapeu- tiques. Mais on ne manquera pas surtout de noter exacte- ment s'il existe des troubles de sensibilité, car c'est contre eux qu'il faudra spécialement agir, suivant le principe gé- néral que nous avons posé.

On interviendra alors immédiatement par les courants faradiques, l'étincelle dans le bain statique; les séances seront quotidiennes et prolongées, et à l'électrisation on joindra le massage par effleurement qui, lui aussi, nous le


570 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

savons, est un excellent modificateur des troubles de la sensibilité cutanée. En même temps, on fera exécuter pas- sivement au membre paralysé les divers mouvements phy- siologiques à diverses reprises.

Et, ce faisant, on mettra en œuvre les ressources du trai- tement psychique, car on réveillera, par les mouvements communiqués, les images motrices qui semblent faire défaut chez le sujet. On emploiera donc, dans cet ordre d'idées, concurremment avec l'électricité faradique et le traitement général , le procédé thérapeutique dont nous avons parlé en traitant de la surdité hystérique et que M. Charcot (1) expose en ces termes :

En premier lieu, dit-il, on agit autant que possible sur l'esprit des malades « en leur affirmant dune façon for- melle — ce dont, d'ailleurs, nous sommes parfaitement convaincus — que leur paralysie, malgré sa longue durée, n'est pas incurable et qu'au contraire elle guérira très cer- tainement, à l'aide d'un traitement approprié, au bout de quelques semaines peut-être, s'ils veulent bien nous y aider. En second lieu, les membres affectés sont soumis à une gymnastique particulière. Nous mettons à profit les mou- vements volontaires qui subsistent encore chez les deux malades (présentés aux auditeurs de cette leçon), à la vérité à un degré très faible, et nous cherchons à en aug- menter progressivement l'énergie par un exercice très simple. Un dynamomètre est placé dans la main de cha- cun d'eux, et on le leur fait serrer de toutes leurs forces en les exhortant à augmenter progressivement, dans chaque expérience, le chiffre que marque l'aiguille sur le cadre de l'instrument. Cet exercice est répété régulièrement à chaque heure du jour, environ trois ou quatre fois. Ces épreuves ne doivent être ni trop prolongées ni trop multi- pliées. Nous avons remarqué, en effet, que quand les exercices sont poussés trop loin ou répétés trop souvent, le chiffre maximum marqué par l'aiguille tend à s'abaisser. »

(1) Gharcot, Leçons sur les maladies du système nerveux, t. III, p. 359.




DE L'HYSTERIE. 571

Si l'impuissance motrice est complète, on pourra pro- céder de la façon suivante : le bras droit étant paralysé, par exemple, on place la main droite à plat près de la main gauche saine; puis on commande au sujet de mou- voir lentement le pouce gauche pendant qu'il fixe et son attention et son regard sur le pouce droit paralysé. Ce moyen est excellent pour réveiller les images motrices. Avec un peu de persévérance, on voit, au bout d'un cer- tain temps, toujours variable d'ailleurs, reparaître les mouvements, dans le pouce d'abord, puis dans les autres doigts et enfin dans le membre droit tout entier. En com- binant ces moyens psychiques avec les excitations phy- siques on obtient presque toujours d'excellents résultats.

De même que pour les contractures, on évitera d'inter- venir, pour ainsi dire, chirurgicalement sur le membre paralysé.

Un exemple fera bien comprendre notre pensée. Nous fûmes consulté pour une jeune fille qui, le premier soir où elle fut conduite à l'Opéra, — spectacle depuis long- temps désiré et dont l'attente avait développé chez elle un état mental tout particulier, — reçut sur le bras droit le choc du vantail d'une des portes battantes. Sous l'influence de ce léger traumatisme et surtout de l'état mental concomitant, trois jours plus tard, après cette période de méditation si bien décrite par Charcot, appa- raissait une monoplégie brachiale droite à peu près com- plète. Comme elle s'accompagnait d'un léger degré d'oedème bleu, le médecin de la famille, pensant à du rhumatisme, conseilla des frictions au baume opodeldoch, le repos au lit et l'immobilisation du membre au moyen d'une bande de flanelle qui ne mesurait certainement pas moins de vingt-cinq mètres. Il n'en fallait pas tant pour rendre la paralysie absolue et la fixer dans l'esprit de la malade.

Consulté trois semaines plus tard, notre premier soin fut d'enlever la bande en recommandant expressément de ne plus l'appliquer, de faire nettoyer le bras couvert d'on-


572 T11AITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

guent. Le même jour, la maîtresse de piano de la jeune fille était mandée. Celle-ci dut prendre sa leçon complète dune demi-heure, en exécutant avec la main gauche les exercices habituels de la main droite paralysée, maintenue à plat sur le clavier. Au bout de huit jours de ce traite- ment psychique, auquel nous avions adjoint l'électrisation statique avec étincelles localisées et l'hydrothérapie, la paralysie avait disparu et avec elle l'œdème et les troubles de sensibilité qui s'y superposaient.

Ces troubles de sensibilité seront notre meilleur guide dans l'appréciation de la durée exacte du traitement. Si les mouvements ont disparu et si, parallèlement, l'anes- thésie s'en est allée, la guérison est complète; mais si l'anesthésie persiste, alors même que le membre semble- rait avoir récupéré ses fonctions motrices, c'est un fait d'expérience que la paralysie ne devrait pas être considé- rée comme guérie : il faudra lutter jusqu'à la disparition de l'anesthésie. Il est certain, en effet, que chez les indivi- dus sujets aux monoplégies récidivantes, par exemple, dans les intervalles des périodes paralytiques la peau du membre reste toujours hypoesthésique, sinon complète- ment anesthésique.

Les procédés de traitement que nous venons de décrire ne trouvent pas leur emploi que dans les seules monoplé- gies, ils sont applicables, dans leurs grandes lignes, à toutes les paralysies, en tenant compte, bien entendu, et de la localisation du trouble moteur, et des conditions particulières à chaque cas. Si la paralysie est de date un peu ancienne, quel que soit le procédé thérapeutique employé, il sera bon de recourir, de même que dans les contractures, à l'isolement dans un établissement hydrothérapique.

Si ces moyens échouent, on pourra avoir recours à l'hypnotisation lorsque le sujet est hypnotisable. Souvent, comme dans l'observation personnelle que nous avons relatée (p. 528), on obtient que les malades marchent pendant qu'ils sont en état somnambulique, par exemple,


DE L'HYSTERIE. 573

mais la paralysie revient au réveil. En insistant un peu, dans ces cas particuliers, où le sujet est en somme favo- rablement impressionné, on détermine généralement la guérison, c'est-à-dire la réalisation de la suggestion à l'état de veille. Mais le traitement est souvent de longue durée, et il faut prendre garde aux dangers inhérents aux hypno- tisations répétées.

Si la paralysie était rebelle et qu'il existât une zone hys- térogène, on aurait tout intérêt à provoquer une attaque qui pourrait à elle seule déterminer la guérison. C'est le moyen que la névrose emploie spontanément elle-même dans nombre de cas pour faire disparaître les accidents paralytiques qu'elle a occasionnés.

Restent enfin les divers procédés de la médecine dite d'imagination, sur lesquels nous croyons inutile d'insister à nouveau.


Concurremment avec les paralysies et surtout avec les contractures, il se produit parfois, du côté de la peau et des tissus sous-jacents, des troubles trophiques variés qui nécessiteront un traitement particulier.

Certains d'entre eux peuvent être indépendants des modifications des fonctions motrices ; nous en parlerons néanmoins ici même afin d'éviter des redites.

Dans un premier groupe se placent les diverses éruptions cutanées : pemphigus, herpès, eczéma; les eschares, et même les lésions gangreneuses de la peau, tous phéno- mènes évoluant le plus souvent à l'état isolé, indépendam- ment des paralysies ou des contractures, sans préjudice toutefois des altérations de la sensibilité, qui font bien rare- ment défaut. Il faudra intervenir, concurremment avec le traitement général, par des applications localisées dont l'électricité, sous toutes ses formes, fera en somme les plus grands frais.

Un des plus communs, parmi ces troubles trophiques, n'est autre que ï œdème bleu } qui, à l'inverse des précé-


574 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

dents, se superpose souvent soit à la contracture, soit à la paralysie ; son traitement ne diffère pas de celui de ces dernières ; le pinceau faradique sera employé tous les jours et d'une façon prolongée. Il faudra bien se garder d'appliquer un bandage compressif qui, au lieu de réduire l'œdème, ne ferait certainement que l'augmenter.

De même en ce qui regarde Y atrophie musculaire. Ici on pourrait penser à appliquer les courants galvaniques, mais il faut se rappeler qu'à part un cas douteux qui nous ap- partient, on n'a jamais constaté de réaction de dégéné- rescence dans l'atrophie musculaire d'origine hystérique. La lésion ne siège, en réalité, ni dans les muscles, ni dans les nerfs ; c'est donc encore à la sensibilité périphérique presque toujours troublée qu'il faudra s'attaquer pour modifier le système nerveux central, sans négliger toutefois d'agir par le pinceau faradique, servant à deux fins, sur les fibres musculaires qui ont été touchées par le processus atro- phique.

Mais les paralysies et les contractures, ces dernières en particulier, entraînent parfois avec elles, surtout lors- qu'elles persistent depuis quelque temps, une certaine catégorie de troubles trophiques portant principalement sur le tissu conjonctif péritendineux et périarticulaire. De plus, les tendons immobilisés en position vicieuse se rétractent et diminuent de longueur, que la sclérose les affecte directement ou qu'elle touche le corps du muscle lui-même.

Nous avons suffisamment étudié ces diverses altérations

  • (t. II, p. 518 et suiv.) pour ne plus y revenir. De même,

en les décrivant, avons-nous été conduit à parler des

moyens thérapeutiques à leur opposer : nous voudrions

seulement préciser ce que nous en avons dit.

Ces troubles, remarquables par l'absence presque con- stante d'altérations intraarticulaires, ne diffèrent pas sen- siblement, en somme, de ceux que l'on observe dans les paralysies ou les contractures liées à des lésions organiques du système nerveux. Ils peuvent être directement attri-


DE L'HYSTERIE. 575

buables à l'hystérie, agissant trophiquement pour les produire , mais ils semblent être souvent aussi sous la dépendance de l'immobilisation du membre en situation vicieuse.

Peu fréquents dans les paralysies, on ne les observe guère que dans les paraplégies, surtout lorsqu'on n'a pas pris soin de relever, par un coussin placé sous la plante, les pieds tombant par leur propre poids ou affaissés par celui des couvertures. Au coussin il faudra donc toujours adjoindre un cerceau qui empêchera le contact avec ces dernières. Malheureusement, ces prescriptions prophy- lactiques ne sont pas toujours observées. Il arrive alors que, la paralysie une fois guérie, il reste une rétraction persistante, un raccourcissement du tendon d'Achille et, parfois aussi, des tendons fléchisseurs des orteils. Dans ces cas, il faudra intervenir par des sections sous-cutanées sous le sommeil chloroformique et placer la jambe dans un appareil plâtré jusqu'à réparation des tendons. On mobili- sera ensuite prudemment et l'on agira concurremment sur les muscles, qui présentent, en général, un certain degré d'atrophie, à l'aide de l'électrisation localisée.

De pareils désordres ne s'observent jamais aux mem- bres supérieurs, la main paralysée, par exemple, étant, par suite des mouvements du tronc et de sa flaccidité même, constamment changée de position, ce qui prévient les adhérences qui pourraient l'immobiliser en situation vicieuse.

Il n'en est plus ainsi, on le conçoit, lorsqu'il s'agit de contractures. Ici l'immobilisation du znembre en position défectueuse est la règle pour ainsi dire forcée, et alors les adhérences ligamenteuses péri-articulaires, les rétrac- tions fibreuses et tendineuses, ont beau jeu pour se pro- duire.

Nous avons dit cependant, — sans qu'on pût, dans l'état actuel de la science, en donner les raisons plausi- bles, — que ces rétractions ne se produisaient pas dans tous les cas ; qu'au sortir d'une contracture en équin direct


576 TRAITE CLINIQUE ET THERAPEUTIQUE

qui aura duré six mois, par exemple, le tendon d'Achille pourra avoir conservé sa longueur normale, qu'il s'agisse, au point de vue anatomique, de sclérose du muscle et de raccourcissement tendineux consécutif ou de rétraction tendineuse véritable. Cette heureuse éventualité ne devra pas toutefois nous faire négliger l'hypothèse contraire et les vérifications qu'elle entraîne avec elle.

Mais alors que, pour une paralysie du membre infé- rieur, il nous est, à chaque instant, facile de nous rendre un compte exact de l'état des tendons, la flaccidité du pied permettant tous les mouvements passifs, il n'en est plus de même lorsqu'il s'agit de phénomènes spasmodi- ques. Aussi, en présence d'une contracture persistante, ne faudra-t-il jamais manquer d'intervenir, tous les quinze jours par exemple, par le sommeil chloroformique, qui, en rendant possibles les mouvements communiqués, per- mettra également de rompre les adhérences qui com- mençaient à se former. Nous avons dit aussi que, si cet examen sous le chloroforme faisait constater, à chaque investigation , une tendance au raccourcissement tendi- neux, on serait autorisé à immobiliser le membre, à laide d'un appareil inamovible, dans la meilleure position pour attendre la fin de la période active de l'état spasmo- dique.

Si, cette période terminée, il persistait des adhérences, on interviendrait, en une ou plusieurs fois, par des sec- tions sous-cutanées, en se guidant sur les circonstances, sur les particularités du cas à traiter. La conduite à tenir ne diffère pas, en somme, de celle que nous avons indi- quée en traitant des paralysies.

Mais si, mis en présence d'une contracture déjà vieille et encore en pleine période d'activité spasmodique, on constatait, par l'examen sous le chloroforme, qu'il existât des adhérences et surtout une rétraction d'un tendon important, immobilisant le membre même pendant la narcose, en situation vicieuse, que faudrait-il faire?

M. Terrillon, chirurgien de la Salpêtrière, qui a étudié


DE L'HYSTERIE. 577

ces cas particuliers (1), conseille de ne pas intervenir par une opération, tant que l'élément contracture est encore vivace. On pourrait, par exemple, si l'on sectionnait le tendon d'Achille, s'exposer à ce que le segment supérieur s'écartât d'une façon trop considérable du segment infé- rieur, par suite de la contracture persistante du triceps sural : la cicatrisation pourrait ne pas avoir lieu.

Évidemment, lorsqu'il s'agit d'un muscle ou d'un groupe musculaire puissant, il vaut mieux ne pas opérer immédia- tement et se contenter de mobilisations répétées sous le chloroforme, à intervalles rapprochés.

Cependant, cette règle peut souffrir des exceptions. Chez une fdlette de douze ans que nous avons observée avec le D r Beurnier, chirurgien des hôpitaux, et dont nous avons déjà parlé (t. II, p. 521), avec une coxalgie gauche il existait une rétraction permanente des tendons du biceps et du demi-tendineux s'accompagnant de subluxa- tion du tibia en arrière. La rotule avait, pour ainsi dire, basculé et se plaçait de champ sur l'interligne articulaire.

Bien que la contracture fût encore en activité, nous pensâmes qu'il y avait tout intérêt à ne pas laisser s'accentuer la subluxation. Nous fîmes la section des ten- dons rétractés et de quelques adhérences périarticulaires. La subluxation se réduisit aussitôt, car nous savons que, dans ces cas, l'articulation elle-même n'est, pour ainsi dire, jamais touchée par l'altération trophique, la rotule reprit sa place et le membre fut immobilisé en extension. Au bout de quinze jours, pendant lesquels on avait faradisé doucement les muscles de la cuisse, nous enlevâmes l'ap- pareil. La coxalgie persistait seule; elle persista, d ailleurs, longtemps encore, car c'est une des contractures les plus tenaces de l'hystérie et contre laquelle, vu la puissance et le nombre des muscles atteints, le traitement a le moins de prise.

(1) Terrillon, De V intervention chirurgicale dans certains cas de rétrac- tions musculaires succédant a la contracture spasmodiaue. Nouv. Icon. delà Salp., p. 92, 143, 1888, op. cit.

ni. 37


578 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

Dans ces processus qui se jugent, cliniquement, par une immobilisation en situation vicieuse et par des rétractions fibro-tendineuses, nous ne savons pas exactement, nous l'avons dit, si ce n'est pas le muscle lui-même qui est sclérosé, et si nous intervenons, par exemple, par la section et l'allongement cicatriciel du tendon d'Achille, c'est que, pratiquement, il ne conviendrait guère de s'attaquer au triceps sural.

Il n'en est plus de même lorsqu'il s'agit de muscles plats et longs à tendons courts. Une fois, avec le D r Beurnier, nous avons sectionné le chef claviculaire du sterno-masto- vien gauche manifestement sclérosé et rétracté. Ici la con- tracture active avait disparu; il ne restait plus qu'une rétraction fibro-tendineuse qui se répara facilement, la tête ayant été placée pendant quinze jours, — temps géné- ralement suffisant pour tous ces cas, — dans une minerve plâtrée.

A propos de ces torticolis spasmodiques se montrant le plus souvent chez les sujets jeunes où le système osseux est en pleine voie dévolution, on fera bien d'avoir fré- quemment recours aux mobilisations de la tête et du cou sous l'influence du sommeil chloroformique, de façon à éviter les déformations du squelette qui ne manqueraient pas de survenir, quelquefois au bout d'un temps relative- ment fort court.

D'ailleurs, nous le répétons, l'exploration et la mobili- sation sous le chloroforme modifient toujours avantageu- sement les contractures, quelque siège qu'elles affectent.

On le voit, comme toujours en matière d'hystérie, s'il est possible de formuler des règles générales, l'interven- tion thérapeutique ne reste pas moins subordonnée dans une certaine limite aux conditions spéciales inhérentes à chaque cas à traiter.


Il nous reste maintenant à envisager plus particulière- ment les accidents ressortissant à l'hystérie viscérale.


DE L'HYSTERIE. 579


Parmi les manifestations portant sur l'appareil phona- teur et respiratoire, nous éliminons le mutisme et l'aphonie, dont nous avons déjà parlé : les attaques de spasmes, de toux, de dyspnée, qui sont justiciables de la faradisation localisée à la région laryngée et thoracique antérieure et de la médication à opposer aux paroxysmes.

Restent les hémoptysies hystériques, détermination tou- jours effrayante de la névrose. Or, nous avons dit que, dans la très grande majorité des cas, ces hémorragies fai- saient, elles aussi, partie d'un ensemble paroxystique dont, par conséquent, il faudra s'efforcer d'éviter le retour par les moyens appropriés. Il n'y a donc réellement pas de traitement spécial à opposer aux crachements de sang, pas plus, du reste, qu'aux autres hémorragies liées à l'hys- térie : métrorragies, toujours rares, écoulements sanguins de la peau et des muqueuses des viscères ou des organes des sens. Aucune d'elles ne présente, d'ailleurs, de gravité, si ce n'est les hématémèses qui, nous le savons, peuvent, par divers mécanismes, favoriser l'apparition de l'ulcère rond. Notre pratique constante, dans ce dernier cas, est, tout en traitant l'état paroxystique pour éviter le retour du vomissement sanglant, de mettre immédiatement la malade au régime lacté, comme s'il existait réellement un ulcère rond, de façon à éviter la perforation qui se pro- duisit dans le cas de Bercioux.

Naturellement, on n'appliquera pas ce régime dans toute sa rigueur à l'occasion d'une première hématémèse survenue pendant un paroxysme, mais on devrait y recourir sans hésitation, si les hémorragies avaient de la tendance à récidiver.


Les vomissements de sangnous conduisent tout naturelle- ment à parler des autres manifestations qui affectent le tube digestif et dont plusieurs sont très importantes, au point de vue thérapeutique, puisque l'anorexie, qui en est Tabou-


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tissant ordinaire, est une des causes les mieux établies de mort dans la névrose.

Nous laisserons de côté la sialorrhée , qu'on modifiera parfois en électrisant la muqueuse buccale, pour en arriver immédiatement aux spasmes de l'œsophage, souvent liés à la présence d'une zone hyperesthésique ou hystérogène entraînant la contracture de ce conduit musculeux. L'élec- trisation, soit interne à l'aide d'une sonde appropriée, soit externe au niveau des téguments du cou, sera préconisée; il ne faut pas oublier toutefois que ce sont là des accidents souvent tenaces.

Mais le médecin sera surtout consulté pour les troubles gastriques proprement dits, évoluant sous forme de vomis- sements, ou d'anorexie tant primitive que secondaire aux mêmes vomissements ou au spasme déjà cité du conduit œsophagien.

Bien que dans tous ces cas le traitement que nous allons exposer soit sensiblement le même, il ne s'ensuit pas qu'au point de vue thérapeutique on doive se désintéresser de la précision dans le diagnostic. L'examen approfondi du malade fournira fréquemment, d'ailleurs, de précieuses indications.

C'est ainsi, par exemple, qu'on ne devra jamais manquer de rechercher s'il existe sur la peau de la région épigas- trique ces zones limitées d'anesthésie ou d'hyperesthésie que nous avons montrées, avec M. Sollier, en rapport constant avec la perturbation des fonctions stomacales. Leur persistance ou leur disparition sont d'abord des élé- ments d'appréciation pronostique de premier ordre, à l'instar de ceux que l'on tire des troubles de sensibilité qui se superposent aux paralysies et aux contractures des membres.

En outre, non seulement ces zones nous fourniront des indications de telle nature, mais encore le fait lui-même de les avoir constatées nous conduira, en agissant directe- ment sur elles, à influencer toujours favorablement la ma- nifestation gastrique à laquelle elles sont intimement liées.


DE L'HYSTERIE. 581


Qu'on intervienne par l'électrisation statique, par les applications locales de glace ou les pulvérisations d'éther lorsque les zones sont hyperesthésiques, ou par les cou- rants faradiques ou galvaniques en cas d'anesthésie, ou encore à l'aide de la suggestion hypnotique, il n'est pas moins certain qu'on devra s'efforcer, par tous les moyens possibles, de rendre à l'estomac sa sensibilité, s'il est anesthésique, ou de le ramener au calme, s'il est hyperes- thésié. Ce côté du traitement ne devra donc jamais être négligé.

L'autre partie, dans tous ces cas que nous envisageons sous leur aspect le plus général, est purement psychique. Elle réclame, lorsque les vomissements et l'anorexie ont une tendance tant soit peu marquée à la ténacité, l'appli- cation immédiate de Y isolement qui seul permet en réalité d'exercer une influence favorable sur des malades qui sont exposés à mourir de faim.

Les déterminations gastriques de l'hystérie sont certai- nement susceptibles de guérir dans le milieu familial, mais on doit aussi poser en principe thérapeutique qu'elles y poursuivront, dans la très grande majorité des cas, leur cycle complet, dont l'aboutissant peut-être la mort. L'iso- lement seul nous paraît capable d'entraver favorablement leur évolution.

Quand on a vu, comme cela nous est arrivé maintes fois, des jeunes filles atteintes d'anorexie primitive ou secon- daire, ayant perdu quinze kilos de leur poids, vomissant tout, ou mieux refusant d'ingurgiter quoi que ce soit, prendre, le jour de leur entrée dans un établissement hydrothérapique, un repas complet, regagner les quinze kilos perdus en un mois, et cela sous la seule influence d'un isolement bien compris, on devient un adepte fervent de cette méthode de traitement inaugurée par notre maître.

Mais l'isolement, qui a empêché tant d'anorexiques de mourir de faim, est applicable à bien d'autres manifesta- tions de la névrose : paroxysmes convulsifs, contractures,


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paralysies, etc. Il devient donc évident qu'en matière de déterminations gastriques, son influence bienfaisante de- vra être corroborée par l'application de certaines règles spéciales que M. Sollier (1) a tracées d'une main sûre, tout en envisageant plus particulièrement les cas d'ano- rexie primitive ou secondaire qui, d'ailleurs, se confon- dent au point de vue du traitement. Or, comme les vomissements conduisent à cette dernière, ne serait-ce que par le mécanisme de l'abstention volontaire de toute nourriture au moyen de laquelle les malades mettent for- cément fin au rejet des aliments, et que, le plus souvent, il n'est donné d'obtenir l'isolement que lorsque la période anorexique a commencé, on peut bien dire qu'en pratique, le traitement des vomissements hystériques n'est autre que celui de l'anorexie, qu'ils déterminent presque toujours.

Suivons donc l'exposé de M. Sollier et remarquons en- core quel rôle capital joue l'élément psychique dans cette méthode thérapeutique, la seule qui, nous le répétons, donne des résultats véritablement satisfaisants.

« Dès que la malade est entrée, dit-il (p. 644), pour éviter toute influence fâcheuse, volontaire ou non, c'est le médecin seul qui doit, pendant les premiers jours, faire manger la malade. Il est même pré I érable qu'il le fasse, soit seul, soit en présence d'une autre personne que celle qui en a la garde habituelle, à moins que ce ne soit une infirmière éprouvée, de façon à éviter entre la malade et sa garde tout commentaire sur sa manière de faire. Il vaut mieux, du reste, une fois qu'on a obtenu de la malade qu'elle mange, ne pas froisser son amour-propre en lui montrant qu'elle a trop tôt cédé et doit céder encore. Il suffit de le lui rappeler si, au repas suivant, elle fait quelque résistance. »

On n'attendra pas que l'anorexique se soit familiarisée avec les êtres de la maison, qu'elle ait appris « qu'on n'est pas aussi méchant qu'on en a l'air... Il faut agir le plus

(i) Sollier, De l'anorexie hystérique. Revue de médecine, août 1891, op. cit.


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tôt possible , c'est-à-dire dès l'heure du premier repas qui suit l'entrée de la malade. Ne sachant pas bien encore où elle se trouve, entre quelles mains elle est tombée, de quels moyens on dispose, dépaysée et désorientée, elle est toute prête à céder. »

A l'heure dite, après l'avoir avertie que désormais toute résistance est inutile, sa famille n'étant plus là pour obéir à ses volontés, « on fait apporter la nourriture. Le pre- mier mouvement de Ja malade est d'opposer un refus formel, invoquant tous ses prétextes habituels pour ne pas manger. Que faire alors? Faut-il la gaver d'emblée, obte- nir une simple concession en lui permettant de manger un aliment à son choix et en quantité à son gré, ou enfin lui imposer immédiatement une nourriture ordinaire et com- plète ?

« A cette condition seule A' agir immédiatement, on ne se trouve pas en présence de semblables alternatives et on est sûr de n'avoir aucun autre moyen à employer que le traitement moral, c'est-à-dire l'intimidation, l'injonction pure et simple. C'est à ce dernier procédé que nous avons toujours eu recours et qui nous a toujours donné un résul- tat immédiat. »

M. Sollier rejette donc le gavage, soit parla voie nasale, soit parla voie buccale, à l'aide de la sonde œsophagienne, et avec juste raison. Il fait remarquer qu'étant donnée la fréquence de l'anesthésie des muqueuses, la sonde est le plus souvent bien tolérée; qu'on sera autorisé à l'employer dans les cas extrêmes où le sujet va succomber à l'ina- nition :

« Mais, ajoute-t-il, ce procédé a deux graves inconvé- nients. Le premier, c'est que ne produisant ni gran<ï dégoût ni grande gêne chez la malade, il ne vient pas à bout, en réalité, de son obstination à ne pas manger, qui est en somme l'élément fondamental de son état, et on voit reparaître l'anorexie, qu'il s'agit précisément de faire disparaître, dès qu'on supprime le gavage. C'est une ano- rexique qu'on alimente et non pas qui s'alimente (et nous


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savons que dans ce cas l'embonpoint ne revient pas, si même l'amaigrissement ne continue pas ses progrès). Le but qu'on recherche n'est donc pas atteint. Une fois que l'habitude est prise, les malades n'éprouvent pas plus le besoin de manger par un autre procédé qu'elles ne cher- chent à faire un effort pour éviter de dépérir en ne man- geant pas, ce qui n'a pas lieu d'étonner quand on connaît leur remarquable indifférence à l'égard des accidents ner- veux, même les plus gênants, dont elles sont atteintes. Le second inconvénient, c'est que souvent l'hystérique qui a consenti à se laisser alimenter ainsi passivement s'obstine maintenant, non plus seulement à ne pas manger elle- même, mais encore à se nourrir par quelque procédé que ce soit, et elle a toujours à son service le vomissement pour se débarrasser d'une nourriture imposée de la sorte. » M. Sollier envisage en outre les cas où l'on n'a plus seulement à lutter contre un élément psychique pur (ano- rexie primitive), mais encore contre des accidents convul- sifs ou spasmodiques déterminés par le contact des ali- ments avec les zones hyperesthésiques ou hystérogènes de la muqueuse stomacale que nous avons le premier décrites. Le résultat de cette compression est le vomissement, qu'il faut éviter à tout prix.

Dans ces conditions, on pourrait avoir recours à Y hypno- tisme.

« Mais, dit-il, il faut se rappeler qu'en aucun cas il ne doit constituer une méthode thérapeutique. Il présente les mêmes inconvénients que le gavage, ou l'électrisation, ou tout autre procédé laissant le malade passif et ne ré- duisant pas son obstination. Manger par suggestion hyp- notique, ce n'est pas manger, et, en dehors de la suggestion, dès qu'elle cesse, l'anorexique redevient anorexique et s'habitue, tout comme par le gavage, à s'alimenter seu- lement quand on le lui a suggéré. Cette méthode peut l'améliorer au point de vue physique, elle ne la guérit pas au point de vue psychique, ce qui est l'essentiel...

« Mais l'hypnotisme peut servir comme adjuvant pour


DE L'HYSTERIE. 585

détruire par suggestion l'association qui s'est établie clans l'esprit de la malade entre l'aliment et l'accident que son contact détermine. Une fois qu'on est arrivé pendant l'hypnose à faire manger une anorexique, cela ne doit servir qu'à lui montrer, au réveil, que c'était une simple idée chez elle que de croire que le contact des aliments devait fatalement amener des spasmes ou des crises... Chez les anorexiques primitives il est rare, d'ailleurs, qu'on ait besoin d'intervenir de nouveau pour les faire manger, une fois les premiers jours passés. •>■>

Le même auteur se demande alors quelle nourriture il convient d'administrer immédiatement. Après avoir dit que chez les anorexiques, même les plus débilitées, il n'a jamais vu le moindre embarras gastrique survenir à la suite de la première alimentation, il conclut, comme nous l'avons déjà dit, qu'on ne doit faire à la malade aucune concession, ni sur la qualité, ni sur la quantité des aliments à ingérer.

« Toute concession sera un précédent qu'il faudra com- battre plus tard... Un repas ordinaire, composé simple- ment de potage, plat de viande avec ou sans légumes, et dessert, pain et eau rougie, est celui qui convient le mieux; et on n'admettra pas qu'elle en laisse ni qu'elle mette trop de lenteur à l'absorber, ou rejette les bouchées après les avoir mâchées, comme certaines font. C'est en général le pain qu'elles cessent le premier de manger au début de l'anorexie et qu'elles refusent le plus énergique- ment. C'est donc lui qu'il faut le plus imposer, et dès l'abord, si on ne veut pas avoir beaucoup de peine ensuite à leur en faire reprendre l'habitude. »

Toute cette thérapeutique sera instituée, nous le rap- pelons, sous le contrôle immédiat du médecin , — contrôle, on le comprend, seulement possible dans un établisse- ment hydrothérapique, — qui au traitement moral join- dra un traitement tonique par le fer, la noix vomique, etc. , et l'hydrothérapie. « On ne doit pas craindre d'employer cette dernière dès que la malade a repris quelques forces,


586 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

si son état la maintenait au lit, et immédiatement, si elle pouvait encore marcher. Gull recommande de réchauffer les malades pour lutter contre l'abaissement de la tempé- rature résultant de l'inanition. Sous ce rapport l'hydro- thérapie froide (douche en jet brisé à 12 degrés) nous a paru déterminer une réaction de chaleur bien plus con- sidérable que les frictions sèches et chaudes, ou les bains chauds, à condition toutefois de faire prendre la douche dans une salle chauffée à 22 ou à 25 degrés. »

M. Sollier examine alors combien de temps doit durer le traitement. Pour lui faire prendre fin, il faut que toute tendance anorexique ait disparu ; que les forces de la ma- lade soient suffisamment revenues, « que son état mental très atteint en réalité soit rééquilibré, pour qu'elle puisse reprendre la vie ordinaire et que, rentrant chez elle, elle ne soit pas obligée de mener une existence à part, entou- rée de trop de sollicitude et de soins et de prévenances exagérés, qu'elle n'ait plus besoin, en somme, d'être trai- tée en malade ni même en convalescente, mais en per- sonne absolument normale » .

Et il ajoute très judicieusement : « Le meilleur crité- rium nous semble être le poids. En règle générale, il est préférable d'attendre, pour la sortie de la malade, qu'elle ait atteint un poids sensiblement égal à celui qu'elle avait avant de tomber malade, ou tout au moins qu'après une ascension progressive et continue ce poids reste station- naire. »

Nous avons eu nous-méme trop souvent à nous louer de cette méthode de traitement mise en œuvre sur des malades que nous avions confiées à M. Sollier dans l'éta- blissement hydrothérapique qu'il dirige, pour ne pas ap- prouver complètement les indications si précises que cet auteur formule en excellents termes.

L'isolement s'impose donc dans le traitement des ma- nifestations tant soit peu tenaces de l'hystérie gastrique, en le combinant aux divers procédés de la thérapeutique générale, locale et médicamenteuse.


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On a pu s'étonner peut-être que nous ne nous soyons pas inquiété des modifications chimiques du suc gastrique et de la thérapeutique à leur opposer. Nous avons dit combien ces modifications étaient encore mal connues dans la névrose, et, d'ailleurs, de la discussion des faits à laquelle nous nous sommes livré à ce propos n'est-il pas résulté qu'il ne s'agissait pas, le plus souvent, d'altérations qualitatives de ce suc, mais bien de troubles purement fonctionnels, dynamiques de sa sécrétion? Il va sans dire, cependant, que si l'on notait des altérations notables dans le sens de l'hyperchlorhydrie, par exemple, on devrait prescrire une thérapeutique appropriée , mais en aucun cas on ne s'écarterait du traitement psychique que nous avons formulé, le seul véritablement important dans l'es- pèce.


La névrose manifeste beaucoup plus rarement son action sur Y intestin que sur l'estomac. Le traitement géné- ral devra surtout être appliqué contre la diarrhée et la constipation d'origine hystérique, cette dernière étant toujours difficile à vaincre, surtout chez la femme.

La tympanite gastro-intestinale est un accident contre lequel on aura fréquemment à intervenir. Presque tou- jours l'isolement sera nécessaire contre cette manifestation à laquelle on opposera plus particulièrement les chloro- formisations répétées et l'électrisation des parois abdomi- nales. Il est bien entendu qu'on ne manquera pas de s'in- spirer des conditions particulières, étiologiques ou autres, inhérentes au cas à traiter, et de l'état moral du sujet.

Ces dernières considérations trouvent tout spécialement leur application dans la thérapeutique des accidents dou- loureux de l'abdomen et du petit bassin qu'on a décrits dans ces derniers temps sous le nom de grandes névralgies pelviennes.

Ces douleurs, qui naissent le plus souvent sous l'influence de l'exaltation d'une zone hystérique ou hystérogène de la


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région ovarienne, affectent fréquemment une allure pa- roxystique qu'il faudra s'efforcer de combattre. C'est dans ces cas surtout où, si l'on prescrit l'hydrothérapie on devra s'attacher, sous peine de déterminer une attaque, à éviter de percuter avec le jet la région qui est le siège de la zone. L'électrisation statique, avec vent électrique ou frictions légères avec la boule de bois loco dolenti, nous a donné de bons résultats.

Mais il faut savoir aussi que bien souvent le traitement le mieux dirigé échouera contre ces manifestations, qui peuvent compter parmi les plus rebelles de la névrose. Rebelles, elles le sont, nous l'avons dit, parce qu'elles se montrent surtout chez des adultes, chez des femmes déjà avancées en âge , sur lesquelles le médecin sait qu'en général il n'a aucune prise, qu'il ne possède aucune auto- rité. Si elles acceptent l'isolement, elles entendent, une fois isolées, n'en faire qu'à leur guise, et si on veut les astreindre à une règle tant soit peu sévère, quittent l'éta- blissement et consultent un autre médecin.

Ce sont ces malades indisciplinées qui, par contre, ac- ceptent sans mot dire une opération qui ne les oblige à aucun effort psychique. On leur dit que l'extirpation des ovaires suffira à enlever tout leur mal ; le moyen est trop simple pour qu elles ne se soumettent pas à une interven- tion chirurgicale d'où elles ne retireront d'ailleurs, pour tout bénéfice moral et physique, qu'un plus grand désé- quilibre mental et la stérilité.


Avant d'en terminer, nous voudrions encore entrer dans quelques considérations surtout applicables au traite- ment des manifestations hystériques se montrant, dans certaines conditions spéciales que nous allons exposer, chez les adultes, les hommes en particulier.

Nous avons insisté à plusieurs reprises sur ce fait que l'hystérie était loin de s'améliorer en vieillissant, à savoir,


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que ses accidents tendaient à devenir de plus en plus tenaces à mesure que le sujet avançait en âge. Et ce que nous répétons ne s'applique pas seulement aux individus chez lesquels se déroulent, d'année en année, la série des manifestations hystériques, mais bien aussi, et plus par- ticulièrement peut-être, à ceux qui sont pour la première fois touchés par la névrose , passé vingt ou trente ans par exemple.

C'est des hommes que nous voulons parler, et principa- lement de ceux qui sont exposés à cette catégorie d'acci- dents nerveux qu'on désigne sous le terme d'hystérie, ou dH hystéro-neur asthénie traumatique .

Les manifestations de cet ordre qu'on aura à traiter, pourront être variées ; n'empêche qu'elles affecteront presque toujours entre elles un certain air de famille qui permettra de les reconnaître facilement, aujourd'hui sur- tout que les travaux se sont accumulés sur cette fameuse névrose traumatique dont on a voulu faire, à l'étranger surtout, une entité spéciale.

Nous ne reviendrons pas sur les discussions que cette question a soulevées et que nous avons déjà exposées (t. I, p. 76 et suiv.). La névrose traumatique n'existe pas en tant qu'affection définie ; nous croyons l'avoir démon- tré en 1889 au Congrès de médecine légale de Paris. Les cas que les auteurs publiaient alors, et que certains publient encore sous ce vocable, comprennent les manifestations les plus dissemblables, parmi lesquelles on rencontre des déterminations attribuables à des lésions organiques. Avant tout, donc, mis en présence d'un fait de ce genre, la question de diagnostic se posera dès l'abord et primera toutes les autres.

Mais la part faite au diagnostic, il n'est pas moins cer- tain que le groupe des accidents traumatiques nettement imputables à l'hystérie, les seuls que nous ayons ici à con- sidérer, offre cette allure spéciale que nous indiquions et qu'il faut rapporter à l'immixtion si fréquente, à l'adjonc- tion à l'hystérie proprement dite de ce complexus sympto-


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matique qu'on appelle la neurasthénie. Et c'est la théra- peutique de Y hy s ter o-neur asthénie, souvent d'origine trau- matique, que nous voudrions exposer, sans oublier que ces manifestations, imputables au traumatisme, touchent de très près à celles qu'on observe chez certains ouvriers sou- mis à des intoxications de diverses natures : plomb, mer- cure, sulfure de carbone, etc.

Pour ce faire, prenons un exemple. Lors d'une collision de chemin de chemin de fer, il se produit chez les per- sonnes enfermées dans un même wagon des traumatismes de siège et d'intensité variables. Or, il est un fait digne de remarque, que ce ne sont pas toujours les sujets les plus sévèrement touchés par le choc physique qui, ultérieure- ment, payeront à la névrose ou à son association avec la neurasthénie le plus lourd tribut. Le traumatisme, pas plus que l'intoxication, ne crée pas l'hystérie. Il la pro- voque, la développe chez les individus héréditairement prédisposés, et les accidents attribuables à cette affection pourront parfaitement se rencontrer chez ceux qui n'au- ront subi autre chose que le choc moral, effet habituel des grandes catastrophes.

Ce n'est pas immédiatement, d'ailleurs, que se montrent les phénomènes nerveux; entre la collision et leur appa- rition s'interpose souvent une période intermédiaire dite par Charcot de méditation, pendant laquelle il se fait chez le traumatisé une sorte de révolution morale, de boulever- sement, qui se traduit bientôt par l'ensemble physique et psychique de l'hystéro-neurasthénie.

Les plaies, si même il s'en était produit, sont depuis longtemps cicatrisées, lorsque le sujet, chauffeur ou mé- canicien par exemple, constate, s'il veut reprendre son ser- vice, que tout travail, toute application lui sont devenus impossibles. Son sommeil est agité; il est peuplé de rêves pendant lesquels la collision à laquelle il a assisté se repré- sente à son esprit sous les couleurs les plus tristes. A l'état de veille, son caractère s'assombrit; il est en proie à la céphalalgie, aux vertiges, et s'il ne survient pas quel-


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que accident hystérique accentué : paralysies, contractures, crises convulsives, etc., l'examen attentif révélera, pres- que dans tous les cas, avec les stigmates psychiques, qui ne font jamais défaut, la présence d'anesthésies variées, sensitives ou sensorielles, d'un rétrécissement du champ visuel, d'une diminution considérable des forces, etc.

Aussi, après des essais infructueux, est-il souvent né- cessaire à ces sujets de quitter à nouveau leur travail, de solliciter des compagnies, ou des sociétés industrielles qui les employaient, un congé, une interruption dans les fonc- tions qu'ils ne sont plus aptes à remplir.

Cet état d'inaction, bien plus que de repos, est rare- ment favorable à ces individus pour des raisons qui se tirent surtout de leur état mental ordinaire. Ces ouvriers, habitués depuis leur adolescence aux occupations phy- siques, ne savent à quoi occuper leurs loisirs, et si, dans l'oisiveté, leur cerveau travaille, c'est dans le sens de la crainte, bien légitime d'ailleurs, de se voir privés désor- mais de la place qui leur assurait, par un travail qu'ils se sentent désormais incapables d'effectuer, le pain de tous les jours.

Il est curieux, en effet, de remarquer que ce sont sur- tout les ouvriers, les manœuvres, les gens vivant pour ainsi dire au jour le jour de leur labeur, qui sont affectés, dans la grande majorité des cas, à la suite des causes pro- vocatrices que nous avons indiquées, de l'ensemble symp- tomatique que nous venons d'esquisser.

A la vérité, les chauffeurs, mécaniciens, employés de chemins de fer, ouvriers des usines où l'on manipule des produits toxiques, sont plus que personne exposés aux traumatismes et aux intoxications. Mais il n'est pas moins d'observation constante qu'à la suite d'une collision de chemin de fer, par exemple, lhystéro-neurasthénie affec- tera presque uniquement les hommes, à l'exclusion des femmes, et que parmi ceux-ci les individus de la classe ouvrière seront bien plus souvent touchés par la névrose que les voyageurs d'une catégorie sociale plus élevée. Et


5Di2 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

cela, nous lavons dit, pour des raisons qui se tirent prin- cipalement des préoccupations qui naissent de l'impossi- bilité dans laquelle ils se sentent de reprendre les occu- pations qui étaient leur seul moyen d'existence. Leur état nerveux s'en aggrave de plus en plus, d'autant qu'à ces préoccupations s'ajoutent fréquemment des questions d'in- térêt presque toujours litigieuses.

En effet, s'il est facile d'apprécier la gravité d'une frac- ture et l'incapacité de travail qui peut en résulter, il n'en va pas de même, on le comprend, lorsqu'il s'agit des phé- nomènes presque purement psychiques consécutifs au choc, puisque les stigmates somatiques sont parfois peu appa- rents et peuvent avoir disparu au moment de l'examen, si tant est qu'ils aient existé.

A ce point de vue particulier, certainement parmi les traumatisés on peut rencontrer des individus qui exagè- rent leurs souffrances dans l'espoir d'obtenir une plus forte indemnité. Mais faut-il donc considérer comme un simulateur, tendance à laquelle obéissent encore beaucoup de médecins, ce chauffeur qui, bon ouvrier jusqu'au jour où il a été tamponné , se dit désormais dans l'impossi- bilité, par suite des phénomènes de l'hystéro-neurasthénie auxquels il est en proie depuis son accident, de conduire sa machine, renonçant ainsi au travail qui était son gagne- pain?

A la rigueur encore, on peut comprendre que l'employé d'une compagnie de chemin de fer, sentant la responsabi- lité de celle-ci engagée, cherche à exploiter, ne serait-ce qu'en amplifiant son mal , l'action du traumatisme qu'il accuse de l'avoir rendu incapable de travailler. Mais que penser de cet ouvrier ciseleur qui gagnait quinze francs par jour, de ce garçon de café depuis dix ans dans la même maison qui furent attaqués et blessés par des vagabonds et que nous avons vus, pendant des années, traîner d'hô- pital en hospice l'existence lamentable des hystéro-neu- rasthéniques mâles, alors que leurs blessures n'avaient pas mis quinze jours à se cicatriser? Incontestablement, ceux-


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là ne pouvaient songer à « exploiter la situation » , puis- qu'ils ignoraient même le nom de leurs agresseurs. Et nous pourrions citer bien d'autres faits du même genre que nous avons observés.

Mais nous n'irons pas plus avant clans cet ordre d'idées, ne voulant pas discuter les questions médico-légales que soulèvent de semblables cas au point de vue, par exemple, des responsabilités qu'entraînent pour les compagnies de chemins de fer ou autres sociétés industrielles les trau- matismes ou les intoxications provocateurs de ces accidents physiques et psychiques. Gela nous conduirait beaucoup trop loin, car il y aurait autant de considérations à expo- ser que de faits particuliers.

Nous désirons envisager l'hystéro-traumatisme au seul point de la thérapeutique pratique à lui opposer, et pour cela encore il nous faut prendre des espèces.

Continuons à considérer le cas de ce chauffeur qui a été tamponné ; de cet ouvrier tombé d'un échafaudage qui s'est rompu sous ses pieds, auxquels la compagnie ou l'en- trepreneur doivent les soins médicaux nécessaires pour les remettre en état de reprendre leur travail.

Le diagnostic d'hystérie ou d'hystéro-neurasthénie une fois bien établi, — car il peut s'agir de toute autre déter- mination morbide, — sans oublier de mettre en œuvre le traitement physique, en particulier contre certaines mani- festations localisées de la névrose : monoplégies, contrac- tures ou autres, c'est surtout à l'élément psychique qu'il faudra s'adresser.

L'état mental, en effet, est toujours sévèrement touché dans ces cas, et c'est contre ses perturbations que devront être dirigés nos efforts.

Dans l'hypothèse d'une collision de chemin de fer, on devra bien se garder de faire reprendre de longtemps à un mécanicien, par exemple, les fonctions au cours desquelles il a été traumatisé : elles lui rappellent avec trop d'inten- sité l'accident dont il a été victime. Pour de tels sujets, qui ne sont pas rares, les compagnies de chemins de fer devront

m. 3S


594 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE

avoir à leur disposition, créeront, s'il est nécessaire, des postes d'attente pour ainsi dire , des emplois peu fati- gants ne nécessitant ni un grand travail physique, ni de gros efforts intellectuels. Les traumatisés y seront placés le plus tôt possible après l'accident : mieux vaut cela que de les laisser dans l'oisiveté pour les raisons que nous avons indiquées. De cette façon, l'équilibre mental se rétablira, et au bout d'une période de temps qu'on ne s'efforcera pas de trop raccourcir le traumatisé pourra reprendre ses anciennes fonctions, dans lesquelles ses forces ne le trahiront plus. On le comprend, sans que nous ayons besoin d'insister davantage, la conduite à tenir en de pareilles occurrences est très délicate et difficile à formuler d'une façon précise, tant il existe de cas particuliers.

Mais ces difficultés seront encore plus grandes lorsque le traumatisé n'appartiendra pas à une compagnie de che- min de fer, à une grande exploitation ayant son personnel médical habitué à de semblables cas d'une appréciation d'ailleurs toujours malaisée ; qu'il s'agira, par exemple, de simples voyageurs ou de passants blessés sur la voie publique par la faute de particuliers responsables ou d'une société d'entreprises industrielles.

C'est alors surtout que naîtront ces procès, ces exper- tises dont l'exposé remplit les ouvrages de MM. Vibert (1), Blum (2) et J. Fabre (3), pour ne parler que de ces auteurs, qui, du reste, ont beaucoup plus envisagé le côté médico- légal de la question que la thérapeutique à opposer à l'hystéro-traumatisme .

L'action du médecin traitant se trouvera alors singuliè- rement entravée par les préoccupations morales, qu'on devrait pouvoir à tout prix éviter à ces sujets, et qui prennent leur source dans des débats judiciaires fréquem-

(1) Vibekt, La névrose traumatique ; étude médico-légale sur les bles- sures produites par les accidents de chemin de fer et les traumatismes ana- logues, Paris, 1893.

(2) Br.DM, De l 'hystéro-neur asthénie traumatique, Paris, 1893.

(3) J. Fabre, De l' hystéro-neur asthénie traumatique devant la loi dans les accidents de chemin de fer. Th. Paris, 1893.


DE L'HYSTÉRIE. 595

ment interminables. Même si le malade a gain de cause, il arrive le plus souvent, à la fin du procès, à bout de forces, incapable de se ressaisir, et la névrose a beau jeu pour évoluer désormais avec tout son luxe de symptômes sur un terrain ainsi préparé.

Le rôle du médecin serait de s'employer à éviter ces débats, à faire trancher le plus rapidement possible les questions en litige, à éloigner en un mot les préoccupa- tions morales qui en naissent et qui rendent ses efforts thérapeutiques impuissants. Mais les limites dans lesquelles son intervention peut s'exercer, en présence d'intérêts aussi contradictoires, sont bien difficiles à tracer. Cette inter- vention elle-même est soumise, pour chaque cas, à des conditions si diverses qu'il faut nous borner, encore une fois, à ces considérations d'un ordre tout à fait général qui s'appliquent non seulement à Ihystéro-traumatisme, mais encore aux accidents dynamiques nés sous l'influence de diverses intoxications dont la symptomatologie offre, nous le savons, avec l'hystéro-neurasthénie traumatique, de si frappantes analogies.


Dans quelques-uns des cas que nous avons pris comme types de notre exposé, on l'a vu, le rôle du médecin trouve encore à s'exercer dans une certaine mesure; les méde- cins des compagnies, des usines de produits chimiques ou autres, pourront instituer une thérapeutique à la fois phy- sique et psychique sur les bases que nous avons indiquées. De même, le médecin ordinaire, en dehors du traitement proprement dit, pourra s'interposer peut-être pour éviter de trop longs débats judiciaires, pour faire régler à l'amiable un différend dont la longue durée serait toujours défavo- rable à son client.

Mais où la thérapeutique perd véritablement ses droits, c'est chez les petits employés, les manœuvres, les ouvriers victimes d'accidents, d'agressions, qui, mis au moins


506 TRAITÉ CLINIQUE ET THÉRAPEUTIQUE DE L'HYSTÉRIE.

temporairement dans l'impossibilité de gagner leur vie, n'ont rien à attendre des fauteurs du traumatisme, vu qu'ils n'ont été embauchés dans certaines usines qu'à leurs risques et périls, ou qu'ils ignorent même, comme nous l'avons dit, le nom de leurs agresseurs.

Une fois touchés par la névrose, ces malheureux vien- nent échouer à l'hôpital où, si nous disposons de procédés thérapeutiques s'adressant au physique, les moyens d'ac- tion sur le moral nous font, on le comprend, presque complètement défaut, au moins dans de semblables cas. Tombés dans une profonde déchéance, incapables d'un travail soutenu, ils errent de service en service; ils font désormais partie de ces déclassés des grandes villes, de ces vagabonds chez lesquels, si on voulait les chercher, ainsi que l'ont fait Charcot et Benedikt, on trouverait bien sou- vent les stigmates mentaux et somatiques de l'hystéro- neurasthénie sous sa forme la plus incurable.


FIN DU TOME TROISIEME ET DERNIER


TABLE DES MATIÈRES


TROISIEME PARTIE

PARALYSIES ET CONTRACTURES HYSTÉRIQUES

CHAPITRE DOUZIÈME

PARALYSIES ET CONTRACTURES DES MUSCLES DE LA TÊTE ET DU TRONC

Considérations générales sur les paralysies et contractures hystériques. — Hippocrate. — ■ Littré et les miracles opérés sur le tombeau de Louis IX. Ch. Lepois, Syclenham, Carré de Montr/eron, Pomme. — Période inter- médiaire : Brodie, Laycock, Macario, Landouzy, Valentiner, Mes- net, etc. — Le livre de Briquet, 1859. — Charcot (1870) et l'Ecole de la Salpètrière, P. Richer.

Etiologie générale des paralysies et contractures. — Cause réelle : diathèse d'amyosthénie et de contracture. — Causes occasionnelles : Influence des paroxysmes convulsifs, des émotions morales, etc. — Le traumatisme et les paralysies psychiques. — Maladies infectieuses, etc. Age. Sexe. — Dif- férentes localisations.

Paralysies et contractures des muscles de la face. — Historique : Brodie, ïodd, Briquet. — Charcot. — Brissaud, P. Marie et la découverte du spasme glosso-labié ; Gilles de la Tourette. — La paralysie faciale hysté- rique est contestable. — Réaction. La paralysie faciale existe : Chante- messe, Ballet, Charcot, Kœnig. — C'est une paralysie systématique : Babinski. — Gilles de la Tourette : paralysie associée a des spasmes et alternante. Superposition des troubles de sensibilité. — Age; sexe; fré- quence. — Association avec une hémiplégie ou une monoplégie du même côté ou du côté opposé.

Contractures de la face bilatérales ou généralisées. — Hémiplégie faciale ou hémicontracture? — Contracture limitée; trismus.

Description de V hémispasme glosso-labié : Variétés. — Evolution, diagnos- tic, pronostic.

Description de la paralysie faciale : Sa rareté ; son association avec le spasme; évolution; diagnostic; pronostic.

Paralysies hystériques des muscles du cou. Rareté du torticolis paralytique.


598 TABLE DES MATIERES.

— Fréquence des contractures des muscles du cou; torticolis spasmodi- que : description, diagnostic, pronostic.

Un cas de paralysie hystérique du grand dentelé.

Les contractures des muscles du tronc et la scoliose hystérique. Duret, Gran-

cher, Hallion, Vie. — Etiologie : traumatisme, âge, sexe. Description,

évolution, pronostic, diagnostic. Contractures des muscles de la paroi antérieure de V abdomen 1

CHAPITRE TREIZIÈME

PARALYSIES ET CONTRACTURES DES MEMBRES

Division générale du sujet.

L'hémiplégie hystérique. Historique : Sydenham, Carré de Montgeron.

Période moderne. — Statistique. — Étiologie. Age. — Modes de début.

Description. — Attitude et marche. — Todd. — Evolution. — Récidives.

— Pronostic. — Diagnostic. — Forme hémiplégique de la contracture.

— Description. — Peut simuler l'hémiplégie spasmodique infantile.

Les monoplÉgies hystériques flasques. M. brachiale : Etiologie. Trauma- tisme; période de méditation. — Distribution de l'anesthésie; troubles trophiques. — Évolution. Pronostic. Diagnostic.

Monoplégie crurale flasque. Sa rareté. — Simule une affection spinale.

— Contractures du membre supérieur. Variétés d'attitude. Pronostic. — Contractures du membre inférieur. — Les diverses variétés du pied bot hystérique.

Les paraplégies hystériques. — Flasques; avec contracture. — Etiologie. — Description : Troubles de sensibilité. Troubles vésicaux et rectaux. Trou- bles trophiques. Eschares sacrées. — Évolution.

Paraplégie avec contracture. Attitudes.

Diagnostic général des paraplégies hystériques flasques et des contractures des membres inférieurs.

Le pseudo-tabes hystérique. Historique. — Étiologie. Age, sexe. — Trou- bles sensitifs ; vésicaux; réflexes rotuliens. — Pronostic. Diagnostic. — Associations hystéro-tabétiques.

Paralysies et contractures généralisées aux quatre membres. — Histo- rique. — Étiologie. — Modes de début. — Description. — Durée. — Pro- nostic. — Diagnostic.

Contractures généralisées a forme paroxystique ou tétanie hystérique. Historique : Dance, Corvisart, Trousseau. — Description. Excitabilité exagérée des muscles et des nerfs : Formes. — Raymond et la nature hystérique de la tétanie essentielle. — Forme épidémique. — Pronostic. Diagnostic. — Rareté en France de la tétanie non hystérique.

L'astasie-abasie. — Le mémoire de P. Rlocq, 1888 ; Charcot et P. Richer, 1883. — Jaccoud, 1864; W. Mitchell, 1885, etc. — Étiologie. Age. Sexe. Début subit ou progressif. — Description : diverses formes : Astasie-abasie paralytique; choréiforme ; trépidante. — Le spasme salta- toire. — Évolution. Pronostic. Diagnostic. — Interprétation. — Phéno- mènes analoques du côté des membres supérieurs 63


TABLE DES MATIÈRES. 500

QUATRIÈME PARTIE

LES MANIFESTATIONS VISCÉRALES DE l'hïSTÉRIE

CHAPITRE QUATORZIÈME

MANIFESTATIONS DE l'hYSTEBIE SUR l'àPFAREIL PHONATEUR ET RESPIRATOIRE

Les troubles du langage cuez les hystériques. — Du mutisme hystérique. Historique : Revillod, 1883; Charcot, 1885; Cartaz, 1886; M. Natier, 1888. — Étiologie : Age. Influence de l'attaque. — Formes cliniques. Description. Examen laryngoscopique. — Surdi-mutité hystérique. — Mutisme et agraphie. — Marche. Durée. Récidives. Pronostic. Diagnos- tic. Simulation.

Du bégayement hystérique. Charcot. Ballet et Tissier. Pitres. — Com- plexité des formes. Discussion. Résumé

Des spasmes rythmiques respiratoires. Briquet, Charcot. Pitres. Considé- rations générales. — Caractères communs. Evolution. Classification.

Spasmes expiratoires : Toux hystérique : Sydenham, Willis, Lasègue, 1854; Lafon, 1874. — Description. Variété des formes : Cris, ahoiements, hur- lements, etc. Epidémies. — Renàclement hystérique de Pitres.

Spasmes inspiratoires simples : Hoquet hystérique. Caractère épidémique. Description. — Reniflement hystérique de Pitres.

Spasmes inspiratoires mixtes : Bâillements hystériques. Charcot, Gilles de la Tourette, G. Guinon et Dutil. — Description. Diagnostic clinique et chi- mique. — Eternuements hystériques : Brodie, Souza-Leite. Description. Rire hystérique.

Spasmes respiratoires compliqués.

L'asthme et la dyspnée hystériques. Briquet, Charcot, Weir Mitchell. Description, h' hystérie laryngée. Thaon, 1880. Hyperésthésie et anesthé- sie laryngées. — Paralysies et contractures des muscles du larynx. — Difficultés d'interprétation. Gouguenheim. Dufour.

De i aphonie hystérique. Étiologie; modes de déhut; marche, pronostic et diagnostic; récidives. — Du spasme laryngé. Note complémentaire de l'attaque de spasmes. — Spasme de la trachée.

Troubles trophiques pulmonaires. De Vhémoptysie hystérique. Pomme, Marius, Carre, etc. — Étiologie. Formes cliniques. Zones hyperesthésiques des parois thoraciques. Phénomènes stéthoscopiques. Caractères de l'hé- moptysie. Phénomènes généraux. Diagnostic. Marche et pronostic. — Des rapports qui existent entre l'hystérie et la tuberculose pulmonaire et réciproquement. Pidoux ; Leudet; Largaud ; Grasset; Gihotteau. — Discussion.

Paralysie et contracture hystériques du diaphragme 15"

CHAPITRE QUINZIÈME

manifestations de l'hystérie sur l'appareil digestif

L'hystérie gastrique. — Considérations générales. Nécessité d'une classi- fication nosologique. — Etiologie générale.


(iOO TABLE DES MATIERES.

Troubles du goût par anesthésie ou hyperesthésie de la muqueuse buccale.

— Ptyalisme.

Localisations de la diathèse de contracture sur le pharynx et l'œsophage. — Contracture intermittente ou paroxystique; permanente. — jitiologie. — Description. — Sélections alimentaires; anorexie secondaire.

Manifestations gastriques proprement dites. — Contracture de l'estomac ou vomissements spasmodiques. — Description; diagnostic; pronostic.

— Rareté de l'atonie ou de la paralysie hystérique des tuniques sto- macales.

La gastralcie hystérique. — Etiologie; patliogénie. — C'est un paroxysme avec zone liyperesthésique hystérogène de la muqueuse. — Marche et terminaisons 246


CHAPITRE SEIZIEME

manifestations de l'hystérie sur l'appareil digestif. — estomac [suite).

L'anorexie hystérique vraie ou primitive. — Lasègue; W. Gull; Charcot; Sollier. — Etiologie : sexe féminin; rare après vingt-cinq ans. — Des- cription : phase préparatoire : agitation ; restriction et sélection alimen- taire. — Phase d'état : refus complet des aliments. — Phase terminale.

— Guérison ou mort. — Absence de récidive. — Diagnostic.

Etude de la nutrition générale dans l'hystérie gastrique et dans l'ano- rexie primitive et secondaire. — Charcot; Fernet; Bouchard. — Rap- port des vomissements avec la sécrétion et l'excrétion urinaires. — La thèse de M. Empereur, 1876. — La nutrition dans l'hystérie, de Gilles de la Tourette et Cathelineau. — Discussion.

Exposé des connaissances actuelles sur l'état du suc gastrique dans les mani- festations de l'hystérie sur l'estomac.

Les troubles trophiques de l'estomac et les vomissements de sang d'origine hystérique. — Historique. — Description. — Influence du paroxysme sur leur production. — Marche et terminaisons. — Dia- gnostic positif et différentiel.

Influence de l'hystérie sur la production de l'ulcère rond de l'estomac. — Recherches de Gilles de la Tourette 282

CHAPITRE DIX-SEPTIÈME

MANIFESTATIONS DE L'HYSTÉRIE SUR L'APPAREIL DICESTIF. INTESTIN.

Multiplicité des déterminations intestinales. — Constipation et diarrhée d'origine hystérique. — Carré de Montgeron; Briquet; Fabre; Ste- phanidès; Eybert. — Description. — Manifestations diverses.

De la tympanite ou pneumatose gastro-intestinale des hystériques. — Formes cliniques. — Tympanite passagère : météorisme simple; borbo- rypmes. — Tympanite permanente localisée ou généralisée. — Etiologie.

— Description. — Physiologie pathologique. — Coïncidence de consti- pation et de rétention d'urine. — Marche et terminaisons.

Diagnostic différentiel. Usage du chloroforme. — Forme simulant la péri- tonite aiguë généralisée ou localisée; la péritonite tuberculeuse. — Dia-


TABLE DES MATIÈRES. 601

gnostic avec les tumeurs ovariennes. — Spencer Wells. — Formes

localisées. Tympanite simulant l'obstruction intestinale. — La valvule iléo-cœcale

peut-elle être forcée? — Analyse des observations. — Simulation. De la crossesse nerveuse ou hystérique. — Sœur Jeanne des Anges. —

Carré de Montgeron. — Description; évolution; diagnostic. Contractures du segment inférieur de l'intestin et du sphincter de l'anus.

— Paralysie intestinale.

Paroxysme hystérique a forme de colique hépatique. — Sydenham; Pari- ser. — Diagnostic 330

CHAPITRE DIX-HUITIÈME

MANIFESTATIONS DE L'HYSTERIE SUR l'aPPAREIL URINAIRE ET GENITAL.

Multiplicité des déterminations hystériques sur l'appareil urinaire. — Sydenham et la pseudo-colique néphrétique. — Le mémoire de Legueu, 1891. — Hématurie.

La polyurie hystérique. — Historique ; période ancienne; période moderne.

— La thèse d'Ehrhardt, 1893. — Étiologie. — Modes de début. — Des- cription ; marche et terminaisons. — Influence de la suggestion hypno- tique.

De l'ischurie ou anurie hystérique. — Historique. — Nysten, Rayer, Charcot. — Forme passagère ; forme permanente. — Fréquence. —Des- cription. — Balancement entre les vomissements et l'anurie. — L' anurie totale sans vomissements : Discussion sur l'urémie hystérique.

Manifestations sur l'appareil excréteur. — Urèthre.

Vessie. — Historique; étiologie générale. — Hyperesthésie de la muqueuse vésicale : cystalgie. Pénurie des travaux modernes. Contracture du col.

Anesthésie de la muqueuse. — Paralysie vésicale. Séméiologie de l'inconti- nence et de la rétention d'urine d'origine hystérique.

Notions complémentaires sur les troubles hystériques de l'appareil géni- tal. — Les zones de l'ovaire et les grandes névralgies pelviennes. — Caractère paroxystique des douleurs. — L'hystéralgie et les troubles tro- phiques de l'utérus. — Métrorragie. — Contracture du sphincter vaginal et zone hyperesthésique hystérogène de la muqueuse du conduit. — Sécrétions anormales. — Rapports de la dysménorrhée membraneuse avec l'hystérie 378


CINQUIÈME PARTIE

Traitement prophylactique 439

Traitement curatif de l'hystérie en général 479

Traitement des accidents hystériques en particulier 596


TABLE ANALYTIQUE


DES TROIS VOLUMES.


Nota. — I, désigne la première pairie; II, le tome I; III, le tome II de la deuxième partie.


Abasie-astasie, III, 133.

Abdomen (contracture des muscles ciel'), III, 61,347.

Aboiements, glapissements, mugisse- ments, etc. (V. Spasmes respira- toires.)

Accommodation (contracture de 1'), I, 386.

Aérophagie, III, 251.

Age (influence de 1'), I, 49.

Agraphie, III, 166.

Aimants (action des) , 1, 204 ; III, 558.

Alimentaire (régime), III, 523; — s (sélections), III, 257.

Allaitement, III, 475.

Amaurose, I, 351; III, 560.

Amnésie, II, 340.

AmyosthÉnie (diathèse d'), I, 447.

AnesthÉsie cutanée et ses variétés, I, 138; — des muqueuses et des organes des sens, I, 174; séméio- logie, I, 217; traitement, III, 559, 563.

Angine de poitrine (pseudo-), 1,291.

Animaux (hystérie chez les), I, 213.

Anorexie (primitive), 111,283,580; — secondaire, III, 268, 580.

Andrie, III, 398.

Aphonie, III, 214, 563.

Apoplexie, II, 210.


Arc de cercle, II, 41.

Arthralgies, I, 230; II, 517; III, 567, 577.

Articulaires (craquements — et synoviaux), II, 517.

Associations morbides, I, 111.

Atrophie musculaire, II, 500; III, 574.

Attaque, II, 3; diagnostic diffé- rentiel, II, 70; formule chimique, II, 89; traitement, III, 547.

Attitudes passionnelles, II, 47.

Automatisme ambulatoire, II, 354.

Aura, II, 17, 117.

Bâillements, III, 196.

BÉGAYEMENT, III, 171.

Blépharospasme, I, 390; III, 560. Borborygmes, III, 340. Boule ou globe hystérique, II, 24, 120; III, 251.

Canitie, II, 475. Castration, III, 530. Catalepsie, II, 264. Catatonte, II, 252. Cheveux (chute des), II, 476. Chloroforme (inhalations de), III, 552, 567, 578.

ClIORÉE ARYTHMIQUE, II, 193.


t;oi


TABLE ANALYTIQUE.


Chorée rythmée, I, 8; II, 176;

— malléatoire, II, 188; — salta-

toire, II, 185. Clou hystérique, I, 263. Colique (pseudo-) hépatique, III,

374; — néphrétique, III, 379. Compression ovarienne, III, 551. Constipation, III, 331, 350, 587. Contracture l'diathèse de), I, 434. Contracture (du membre inférieur),

III, 96; — du membre supérieur,

III, 192; — des quatre membres,

III, 120; traitement, 564. Convulsif (état de mal), II, 140. Cou (contractures et paralysies des

muscles du), III, 46, 578. Coxalgie, I, 234; III, 565, 577. Cynique (spasme), II, 51. Cystalgie, III, 417.

Délire, II, 60, 279. Démoniaque (attaque), II, 171. Dents (chute des), II, 516. Dermographie, II, 388. Diaphragme (contracture et paralysie

du), III, 243, 347. Diarrhée, III, 331, 587. Digestifs (troubles), III, 247. Drap mouillé, III. 511. Dyschromatopsie, 1, 338. Dysménorrhée membraneuse, III,

437. Dyspnée, III, 206.

Ecchymoses spontanées, II, 433. Eczéma hystérique, II, 411, 431

(note). Electricité (traitement par 1'), III,

513; — faradique, III, 519; —

galvanique, III, 521; — statique,

III, 514. Électrique (bain hydro-), III, 520;

diminution de la tension — du

corps, II, 479. Émotions morales, I, 68. Entéralgie, III, 340. Entérite muco-membraneuse, III,

340. Epigastralcie, I, 290.


Épilepsie partielle (attaque à forme

d'), II, 162. Epistaxis, II, 459. Erotiques (hallucinations), I, 508. Eruptions cutanées, II, 406. Erythromélalgie, II, 430.

ESCHARE SACRÉE, III, 105.

Estomac (paralysie), III, 272; spas- me, III, 264; ulcère, III, 329; traitement, 580.

État second, II, 312, 322.

Eternuements, III, 202.

Ether (inhalations d'), III, 552.

Évanouissements, II, 216; III, 319.

Face (spasme des muscles de la),

III, 35. Faciale (paralysie), III, 21, 43. FÉcaloïdes (vomissements), III, 360. Fièvre hystérique, II, 523. Fréquence réelle de l'hystérie, I,

57. Folie hystérique, I, 533; II, 369.

Galactorrhée, II, 486. Gangrène de la peau, II, 414. Gastralgie, III, 270. Gastrique (suc), III, 308, 587. Gonflement du cou, II, 30, 37. Goût (troubles du), III, 248. Grossesse (fausse), III, 369; — dans

l'hystérie, III, 473. Gymnastique médicale, III, 523.

Haphalcésie, I, 164.

Hématémèse, III, 315, 579.

Hématurie, III, 386.

Hémianesthésie, I, 40; III, 563.

Hémiopie, I, 377.

Hémiplégie, III, 64.

Hémiplégique (contracture), III, 74.

Hémoptysie, III, 221, 570.

Hémorragies cutanées, II, 438 ; — des muqueuses, II, 458.

Hérédité, I, 37; — de transforma- tion, 1, 42; — similaire, I, 39.

Herpès, II. 408.


TABLE ANALYTIQUE.


605


Historique général, I, i. Hoquet, III, 192. Hydrothérapie, III, 502. Hyperesthésie, I, 222; III, 557,

564. Hypnotisme, I, 74; II, 297; III,

453, 487, 553. Hystéralgie, III, 437. Hysteria minor, II, 115.

Ictère, III, 375.

Iléus hystérique, III, 360.

Incontinence d'urine, III, 424,563.

Incubes et succubes, I, 508.

Insomme, III, 519.

Intestin (contracture de F), III,

347, 373. Intoxications, I, 101. Ischurie, III, 398. Isolement (traitement par 1'), III,

491, 581.

Langue (état de la — dans l'hysté- rie), III, 337.

Larmes de sang, II, 459.

Laryngée (hystérie), III, 209, 550.

Léthargie. (V. Sommeil [attaques et état de]);— lucide, 11,262.

Lichen hystérique, II, 430.

Macropsie et micropsie, I, 345,386. Mal de Pott. (V. Piachialgie.) Malacia, 111, 249. Maladies générales et infectieuses,

I, 9; — des organes génitaux, I,

99 (Étiologie.) Mariage des hystériques, III, 463. Massace, III, 522. Masseters (contracture des), III,

250. Mastodynie, II, 487. Médecine d'imagination, III, 527. Méningite (pseudo-), I, 264. Ménopause chez les hystériques, I,

555. Mental (état), I, 486. MÉtallothérapie externe, I, 209;

III, 522.

MÉTÉORISME, III, 340.


Migraine ophtalmique hystérique,

I, 373. Monoplécie hrachiale, 111,78,569;

— crurale, III, 90. Morphine (injections de), III, 551. Mort dans l'hystérie, II, 127; III,

268. Mutisme, III, 160, 563.

Narcolepsie, II, 248.

Neurasthénie (hystéro-), I, 553 ; III, 589.

îsévralgie faciale, I, 272 ; — s pel- viennes, III, 534, 587.

INÉVROSE TRAUMAT1QUE, I, 83; II f,

589.

iNoCTAMBULISME, II, 303.

Nutrition en dehors des paroxys- mes, I, 556.

Odontalgie, I, 274.

OEdème hystérique, II, 390, 573.

OEsophage (contracture de 1), III, 541, 580.

OEil (anesthésie des membranes de 1'), I, 327; contractures et para- lysies des muscles de 1' — , I, 407, 411, 415; III, 561; zones hysté- rogènes de l' — , I, 371.

Oligurie, III, 398.

Ongles (troubles trophiques des), II, 478.

Os (atrophie des), II, 516.

Otorracie, II, 461.

Ovariennes (zones — et pseudo — ),

I, 299, 313; III, 429, 588.

Paralysie des quatre membres, III, 120; — en général, III, 3; — hys- téro-traumatique, III, 15; traite- ment, III, 569.

Paraplégie (flasque), III, 101 ; — spasmodique, III, 109.

Pemphigus, II, 406.

Péritonite (pseudo-), III, 352.

Personnalité (dédoublement de la),

II, 336.

Pharynx (contracture du), III, 251.


«06


TABLE ANALYTIQUE.


Phtisie (fausse), III, 233.

Pica, III, 249.

Pleuralgie, I, 289.

Poils (développement exagéré des),

II, 477. Pollutions, II, 54; III, 435.

POLYOPIE MONOCULAIRE, I, 344, 386.

Polyurie, II, 81; III, 387. Professions (influence des), I, 113. Provocateurs (agents), I, 67. Ptosis pseudo-paralytique, I, 395. Ptyalisme, II, 386; III, 250, 580.

Race (influence de la), I, 119.

Railway-brain; railway-spine, I, 78.

Rectum (spasme du), III, 372.

Réflexes chez les hystériques , I , 167.

Régurgitations, III, 258.

Rein mobile, III, 387.

Reniflements, III, 195.

Rétention d'urine, III, 350, 424.

Rétractions fibro-tendineuses, II, 518; III, 574.

Respiratoires (spasmes rythmi- ques), III, 179.

Rêves et hallucinations nocturnes,

I, 500.

Rire hystérique, III, 203. Rythmiques (spasmes), II, 178.

Sacrodynie, I, 290. Saltatoire (spasme), III, 151. Sang (^état du), I, 566. Sciatique, III, 392. Scoliose, III, 56. Scotome central, I, 341. Sein hystérique, II, 481. Sexe (influence du), I, 53.

SlALORRHÉE. (V. PtYALIS.ME.)

Simulation, I, 543; III, 592. Sommeil (attaque et état de mal de) ,

II, 202 ; — chez les hystériques, I, 500.

Somnambulisme, II, 300.

Spasme closso-labié, III, 24;

— peaucier, III, 25. Spasmes (attaque de), II, 121.


Staso-rasophobie, III, 153.

Strabisme, I, 411.

Stigmates figurés, II, 467; — psy- chiques, I, 486; — somatiques, I, 127.

Sueurs dans l'hystérie, II, 386 ;

— de sang, II, 452. Suggestions (auto-), I, 520. Suicide, I, 537. Surdi-mutité, III, 166. Surdité, I, 189; III, 561. Syncopales (attaques), II, 117,216;

III, 319.

Tabès (pseudo-), III, 114. Ténesme vésical, III, 382. Tétanie, III, 126. Testiculaires (zones), I, 300; III,

429. Torticolis. (V. Cou.) Toux hystérique, III, 181, 563. Trapèze (contracture du), III, 60. Traitement chirurgical, III, 530;

— curatif général, III, 479; — des accidents particuliers, III, 546 ;

— médicamenteux, III, 523:

— prophylactique, III, 439. Traumatisme, I, 76; III, 15, 78,

589.

Tremblements, I, 453.

Tropuiques (troubles) en géné- ral, II, 377; traitement, III, 573.

Tronc (contractures et paralysies des muscles du), III, 55.

Tympanite, III, 340, 587.

Urémie hystérique, III, 410. Uréthrales (manifestations) , III ,

412. Urticaire, II, 389; — huileuse, II,

406.

Vagabonds, I, 111; 111,596. Vacinisme, III, 433, 563. Vaso-motrice (diathèse), II. 386. Vertige de Méniere hystérique, I,

193, 303; II, 119. Vertiges hystériques, II, 117.


TABLE ANALYTIQUE.


607


Vésicale (anesthésie) , III, 422; hyperesthésie — III, 417.

VlGILAMBULISME, II, 321.

Visuel (rétrécissement du champ),

I, 330; III, 561. Visuelle (acuité), I, 343. Vitilico, II, 4, 429. Vomissements, III, 263, 297, 404,

580. Vulvo-vaginale (anesthésie et hy-


peresthésie), III, 433; sécrétions — s, III, 435.

Zona, II, 409; — {janjjreneux , II, 411.

Zones hystérogènes, I, 249; — des muqueuses, 1, 303. — (V. Hyperes- thésie; OEil; Ovariennes; Test;- culaires ('zones), etc.

Zoopsie, II, 55.


FIN DE LA TABLE ANALYTIQUE.


— TYP. DE E. PLON, NOURRIT ET C ie , 8, RUE GARANCIERE. 145.


s


COUNTWAY L1BRARY OF MEDICINE

RC 532 Giil Pt.2, II

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