Les Comptes fantastiques de Haussmann  

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"Les Comptes fantastiques de Haussmann" (Les Comptes fantastiques de Haussmann) is a text by Jules Ferry. It is an indictment of the bold handling of public funds for Haussmann's renovation of Paris. It was published in 1867, its title being a play on words between contes, stories or tales - as in Les contes d'Hoffmann or Tales of Hoffmann, and comptes, accounts.

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COMPTES FANTASTIQUES D’HAUSSMANN LETTRE ADRESSÉE A MI. LES MEMBRES DE LA COMMISSION DU CORPS LÉGISLATIF CHARGES D’EXA'MINER LE NOUVEAU PROJET D’EMPRUNT DE LA VILLE DE PARIS Par JULES FERRY Prix : 1 fr. 80 N11 6?76 PARIS ARMAND LE CHEVALIER, ÉDITEUR 61, RUE DE nxcnmmv, 61 , \ 1868' Tous droits réservés. Page 2 Page 3 M Meflïeurs les Membres de la Commzfl‘zbndu Corps législatif chargés d’examiner le nouvel Emprunt de la Ville de Paris. MESSIEURS , Pour un citoyen de Paris, c‘est une liberté grande de s’adres—ser a vous. il est entendu qu’en tout ce qui touche leurs propresaffaires, les Parisiens sont incapables, et que les gens du Cantalou de la Lozère savent seuls ce qui nous convient. C‘est pourcela que la majorité, dont vous êtes la fleur, n’a pas daigné ou-vrir à un seul des élus de la ville de Paris l’accès d'une Com—mission qui tient entre ses mains notre présent et notre avenir.Je ne le dis pas, Messieurs, pour vous surfaire, mais c’est biende cela qu'il s’agit. Vous pouvez, si vous le voulez, nous sauverde la catastrophe, à laquelle on nous conduit tête baissée; maissi vous ne voulez ou n’osez, nous irons droit jusqu’au fossé.L‘instant est critique, et M. le préfet de la Seine ne saurait,cette fois, se passer de vous. C‘est un puissant seigneur, sansdoute; c’est plus qu’un grand personnage, c’est comme une des Page 4 _ 6 _. institutions fondamentales de ce temps. Il est entendu que les 'foliesde laVille font partie de la raison d’Etat‘. Mais comme voustenez, comme on dit, le bon bout, j'ai/toujours cru que le peu-voir avait, dans le fond, autant peur de vous que vouslavez peurde lui. ‘Soyez hommes, et vous le verrez bien. Vous ne pourrez, dans tous les cas, prétexter d’ignorance. ‘ Tout vous avertit, et la vérité crie vers vous par-dessus les toits. Les humbles réflexions qui suivent, et qu’un journal (l),peu lu de vous sans doute, —- malheureusement, —- a bien voqu accueillir, sont à la portée de tout le monde. C‘est des écrits ‘de M. le préfet de la Seine que j’ai tiré tout mon savoir.Je ne suis point sorcier, comme vous voyez. Mais vous, devantqui tout voile doit tomber, tout arcane s‘ouvrir, que de chosesvous allez apprendre, qu’un pauvre journaliste ne peut voir.' Il n'est vraiment pas de mission plus enviable que la vôtre,et c‘est se faire honneur que‘de vous aider, si peu que ce soit, à.la remplir. ' (l) Le Temps du mois de décembre 4867 au mois de mai 1868. Page 5 Position de la question Avant d‘entrer en matière, permettez-moi, Messieurs, debien poser la question qui sïagite, a cette heure, entre M. lepréfet de la Seine et la population qu‘il régente, impose, endette,triture depuis quinze ans, sans mesure'et sans contrôle. LesParisiens ne disent pas qu’il n’y eût rien a faire dans l’ancienParis, au moment où M. le préfet a Commencé son office des-tructeur; ils ne disent pas non plus que M. le préfet n’ait rienaccompli d‘utile ou de nécessaire. Nous reconnaissons qu’on afait du nouveau Paris la plus belle auberge de la terre et queles parasites des deux mondes ne trouvent rien de comparable.Nous tenons compte de ce qu’exigeait l’aménagement indispen-sable d‘une grande ville, qui est la tête de ligne de tous les che-mins de fer. Nous n’avons garde de dire que tout soit. absolu—ment mauvais dans ces innombrables trouées qui, dépeçantohliquement et dans tous les sens la vieille capitale, donnent à la nouvelle l’aspect déplaisent d’un Casse-tête chinois. Nous le tro’uvons laid, pour notre compte, mais nous convenons que lemauvais goût de M. le préfet a ici pour complice le mauvais Page 6 ..s... goût des architectes et d'une portion notable du public de cetemps—ci. Nous sentons aussi que c’est peine perdue de regretter l’ao-cien Paris, le Paris historique et penseur, dont nous recueillons .aujourd'hui les derniers soupirs; le Paris artiste et philosophe,où tant de gens modestes, appliqués aux travaux d’esprit, pou- vaient vivre avec 3,000 livres de rente; où il existait'des grou- pes, des voisinages, des quartiers, des traditions; où l’expro—priation ne tmublait pas à tout instant les relations anciennes,les plus chères habitudes; oùl'artisan, qu‘un système impitoyable chasse aujourd'hui du centre, habitait côte à côte avec lê finan- cier; où l’esprit était prisé plus haut que la richesse; où l’étran-ger, brutal et prodigue, ne donnait pas encore le ton _auxthéàtres et aux mœurs. Ce vieux Paris, le Paris de Voltaire, deDiderot et de Desmoulins, le Paris de 1830 et de 1848, nous lepleurons de toutes les larmes de nos yeux, en voyant la magni-fique et intolérable hôtellerie, la coûteuse cohue, la triomphantevulgarité, le matérialisme épouvantable que nous léguous a nosneveux. Mais, la encore, c’est peut—être la destinée qui s'accom-plit. Nos reproches contre l'administration préfectorale sontplus positifs et plus précis. Nous l'accusons d’avoir sacrifiéd'étrange façon à l’idée fixe et à l‘esprit de système; nousl‘accusons d’avoir immolé l’avenir tout entier a ses capriceset a sa vaine gloire; nous l'accusons d‘avoir englouti, dansdes œuvres d‘une utilité douteuse ou passagère, le patrimoinedes générations futures ; nous l’accusons de nous mener, au tri-ple galop, sur la pente des catastrophes. Nos atlaires sont conduites par un dissipateur, et nous plat - dons en interdiction. ' Page 7 Il Voltaire et M. Haussmann Trois conseillers d’Etai, de la maison de M. le préfet ou à peuprès,ll M. Genteur, Alfred Blanche et Jollibois,vcus ont lait savoir,Messieurs, ce que la Préfecture attend de vous. La Ville 3 em—prunté, à la sourdine, 398 millions, qu’elle ne peut payer; elleveut prendre du temps et répartir sa dette sur soixante ans.Voilà tout. Et l'on vous prie de voter sans phrases. Vous voterezpeut-étre,mais vous poserez, au préalable, à l’administration dela Ville quelques questions auxquelles elle ne peut pas se dis— penser de répondre. Comment se trouve—t-on avoir emprunté 398 millions sans que le Corps législatif y ail; mis le nez? L’a-t- on fait avec droit, l’a-t-ou fait avec prudence? La Ville ne doit- elle que ces 398 millions? Le traité qu’elle a passé avec le Créditfoncier est—il une liquidation ou un expédient? Est—il nécessaire,indispensable, ou n’est-il, comme le disent les gens de M. lepréfet, qu’un superflu de précautions? La ville de Paris est-ellevraiment au—dessus de ses afl‘aires, ou serait-elle, par hasard,au- dessous? Page 8 ._ 10 .... Voilà ce qui importe, et ce de quoi MM. les conseillers d’Etat àla suite ne paraissent guère se soucier. Leur exposé est un mo-_ dèle de discrétion cavalière, le chef—d‘œuvre du sans—façon. Vrai- ment, Messieurs les députés, on vous traite en vrais Gérontes.Examinez de près ce bel exposé, et vous verrez de quoi il est fait :dix lignes extraites d‘un écrit de Voltaire et dix pages tirées dudernier mémoire de M. le préfet de la Seine. Ces deux choses nesont point nouvelles. Il n’est qu’un conseiller d‘Etat pour décou—vrir, de cet air triomphant, un des pamphlets les plus connus dugrand agitateur du dix-huitième siècle. Voici le passage de Vol-taire : « Il serait facile de démontrer qu’on peut, en moins de dixans, faire de Paris la merveille du monde... Une pareille en—treprise feraitla gloire d’une nation et un honneur immortelau corps de Ville, encouragerait tous les arts, attireraitles étrangers du bout de l’Europe, enrichirait l’Etat.... Il enrésulterait le bien de tout le monde et plus d’une sorte de bien...» On lit encore dans le même écrit Ces lignes, que la modestie des amis de M. Haussmann a pu seule les empêcherde transcrire : «Fasse le ciel qu’il se trouve quelque hommeassez zélé pour embrasser de tels projets, d’une âme assez fermepour les suivre, d'un esprit assez éclairé pour les rédiger, et qu'il soit assez accrédité pour les faire réussir. » On voit par la que M. Haussmann était clairement désigné dans les pro-phéties. Certes, ce n’est pas nous qui reprocherons au conseil d‘Etatd’élever Voltaire au rang de prophète. Le conseil pouvait plusmal choisir ses auteurs. Nous ne chicanerons méme pas sur le sens de la prophétie. Voltaire, comme tous les gens de bon sens, était modeste dans son utopie; si bien que, dans ce même article sur les embellissements de Paris, en l‘année 1749, l‘audacieux philosophe ne demandait pas plus de « quatreou cinq mille ouvriers, pendant dix ans,» pour faire le né- Page 9 .. u _. cessaire, avec cette condition: «que tout l'argent soit fidèle- ment économisé; que les projets soient reçus au concours; quel’eæécution soit au rabais.» Voyez comme, tout de suite, Vol-taire devient un faux pr0phète. Rabais, concours, économie,ces mots si chers au précurseur de M. le préfet, n’ont pasde sens dans ses bureaux. Les plans se font et se défont à la, vapeur, sans réflexion, sans prévoyance ; l’affaire actuelle en,contient, à chaque pas, des preuves inimaginables; Les camées-sions se distribuent sous le manteau, par centaines de millions :le principe de l’adjudication publique est relégué, comme celuide concours, parmi les mythes d'un autre âge. Quant à l‘éco-nomie, le bilan de la Ville, que nous dresserons tout à l’heure,vous fera voir, Messieurs, que, sur ce point, l’instinct publicdemeure encore tan-dessous de la réalité des choses. C’est la toute notre querelle avec notre préfet. Et l’on voit que Voltaireest pour nous, dans cette affaire, et que nous ne sommes pointcontre Voltaire. Embellir Paris, mais qui vous en empêche?lites—vous donc le premier qui y ait mis la main? Tous les ré-gimes n’y ont—ils pas travaillé l’un après l‘autre, depuis tantôtquatre-vingts ans? Mais vous n’embellissez pas, vous gâtez.Vous n’embellisséz pas, vous démolissez, vous cadettes; vousécrasez le présent, vous compromettez l'avenir, et ce sera unedes énigmes de ce temps—ci que de telles fantaisies aient pu se tolérer aussi longtemps. D’un peu de Voltaire et de beaucoup d’Haussmann MM. lesconseillers d’Etat ont fait leur exposé. M. Haussmann est toutsimplement copié, copié textuellement, ou a peu près, et pasmême paraphrasé. MM. Genteur, Alfred Blanche et Jolli-bois n‘y ont pas ajouté un mot, un chiffre, un argument, uneidée de leur cru. Quel métier est-ce là? Nous croyions avoir des conseillers d’Etat, et nous n’avons que des scribes écrivant sous la dictée de la Préfecture. C’est ainsi qu’aujourd'hui l’on en- Page 10 ._ 12 .... tend le contrôle. Mieux valait donc renvoyer tout simplement leCorps législatif aux mémoires du préfet de la Seine. Nous allonsnous y reporter ensemble, si vous le voulez bien, puisqu‘en toutechose il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu’à ses saints, et aux °premiers sujets qu'aux doublures. ' Page 11 r ' in La confession de M. Haussmann. —- Grands travaux et grandes bévues ( Pour juger M. le préfet de la Seine, je ne vous demande,Messieurs, que d’étudier son dernier mémoire. Ce document aparu dans les derniers jours de l’année 1867, une année remar- quable, comme vous savez bien, année de désenchantement pour le pays, d’eXameu de conscience pour le pouvoir. Nousétions trop certains qu’elle arriverait, cette année justicière,nous, hommes d’opposition, voués depuis si longtemps a latâche ingrate d’avertir dans le désert. Car le temps est leplus grand et le plus sûr des liquidateurs.‘L'année 1867 acommencé la liquidation de toutes les fautes du second Empire.Sa politique s‘est liquidée au dehors par cette double et immensedéconvenue du Mexique et de Sadowa; sa prospérité s’est liqui—dée au dedans par une crise douloureuse, qui n’est pas encoreprès de finir; les institutions financières qu'il avait créées,choyées, couvées avec le plus d’amour, ont eu le même sort quesa diplomatie : après avoir fait beaucoup de bruit dans le Page 12 n .. 44 ._ monde, essoufflées et boursouflées, elles s’afl‘aissent et tombent.La catastrophe du Crédit mobilier fait pendant aux échecs exté—rieurs. Tous ces désastres poussent à la franchise‘, et, tandisque le chef de l’Etat exposait, avec une louable bonhomie, lesmécomptes, les inquiétudes et les «points noirs, » nous avonsvu l'administration de la ville de Paris lever elle-même un coin du voile, et la fin de l'année nous apporta ce spectacle extraor—dinaire : M. le préfet de la Seine entrant à son tour dans la phase des aveux. ‘ ' ’De toutes ces confessions, vous avec du trouver,Messieurs, quela dernière était la plus extraordinaire. Pour que cette confianceimperturbable, la plus grande peut-être des temps modernes,hésite et s‘ébranle; pour que cette volonté, lancée à toute va-peur, parle d‘ajournement et de temps d’arrêt (t); pour que cetesprit si sûr de lui-même éprouve le besoin de*mettre le publicdans sa confidence, pour que ce Mémoire annuel, qui n‘étaitjusqu‘ici qu’un bulletin de victoire, ne mentionne cette fois quedes déceptions, que s’estvil donc passé et quelle grande leçonl'orgueil préfectoral a-t—il‘ pu recevoir ? , ' C’est le mémoire publié parle Moniteur du 11 décembre 1867qui va répondre. Passez, Messieurs, sur la première partie, la plus hérissée de chiffres, celle qui établit le compte final de 1866, la situation provisoire du budget de 1867 et les prévisions de 1868, et arri-vez au chapitre intitulé : «Opérations de grande voirie. n C‘estlà que vous trouverez ce que nous appelons, n’en déplaise àM. le préfet, et pour lui en faire honneur, même malgrélui, l’a-mende honorable de ce grand administrateur. Pour choisir cette (1) Voir la note 1, à l'Appendice ci-après. Page 13 —— 15 —- . V année et ce moment, M. le préfet a des raisons diverses : cellequ‘il donne nous suffira provisoirement. L‘année 1868 est uneannée décisive dans l’histoire des travaux de la Ville. A la fin de1868 expire le traité de dix années passé avec l’Etat le 3 mai 1858. La Ville doit avoir terminé, à. cette époque, l’ensemble des travaux peur lesquels le Trésor lui paye, depuis dix ans, une ,subvention. M. le préfet affirme que la Ville est en mesure. LaVille aura également terminé, au le” janvier 1869, l’œuvrequ’elle et entreprise sans subvention de l‘Etat et par ses seulesforces. C‘est donc le cas de regarder en arrière et de résumer àgrands traits les grandes choses qui vont être accomplies. M. le préfet divise cette histoire en trois parties, ou en troisréseaux. Le premier réseau peut s‘appeler le percement cen—tral; il date de la République: il est devenu le nœud, le germe,le point de départ des deux autres. Le centre de Paris était im* pénétrable: les Tuileries, le Louvre, les Halles, l'Hôtel de Ville formaient, avec les quartiers adjacents, un pâté énorme de ruesétroites, courtes, sinueuses, qui Coupaient, en quelque sorte, lacapitale en deux. Avec l’aide de l’Elat, qui lui apporta, par les lois de 4849, de 1851, de 1855, de 1857, un concours en argent ou en exemption d’impôts, la Ville a percé ce massif, détruit cetteforteresse et ces obstacles, dégagé les abords des monumentsqui viennent d'être nommés, et tracé ce qu‘elle appelle « lagrande croisée de Paris, » en prolongeant la rue de Rivoli, enétablissant le boulevard de Sébastopol sur la rive droite, en ou-vrant le boulevard Saint-Michel sur la rive gauche. Ce premierréseau, qui représente 9,316“! mètres de parcours ajoutés àlavoie publique, a coûté à la! Ville 272 millions, sur lesquels421 ont été fournis par les emprunts de 1852 et de 1855. Cettepremière partie des travaux de la Ville, la plus sérieuse, à notresens, et la moins sujette à Critique, est achevée, réglée depuislongtemps, et elle n’a donné lieu à aucune difficulté. Page 14 Le second résea _n’est pas achevé, mais il touche à sa fin. C‘est celuiÎjire la Ville doit avoir terminé au 1" janvier 1869. Il comprend, en efl‘et, —-— et par la même il se détermine et se li» mite de la façon la plus précise -— les travaux qui font l’objetdu traité passé entre l'Etat et la Ville, le. 3 mai 1858, ratifié le28 mai par le Corps législatif. Cette participation, a laquellel‘Etat a dû fournir une subvention de 50 millions, en dix an-nées, s'est proposé pour but de relier le centre de Paris, -—percé a jour par les travaux du premier réseau, -— avec les extré—mités; les quartiers de la circonférence avec les édifices où sié-gent les pouvoirs publics, et la Ville entière avec les têtes de. Çnemins de fer. Nommons, pagrÿ3 lesfprip {'pales voies de cettesérie, les boulevards du Princefi-Æàäéfiê e de Magenta. Males—herbes et Haussmann, Saint-Marcel et Arago; l’achèvement duboulevard Saint-Michel et la rue Médicis. Tout cela représente unparcours de voie publique de 26,994 mètres. Cela fut extrait,choisi, trié, nous dit-on, lors de la loi de 4858, par le conseild'Etat et le Corps législatif, sur un vaste plan d'ensemble dresséde longue date «par une main auguste. n Les pouvoirs électifs,les corps délibérants ont encore, dans une certaine mesure, passé par là. Ce second réseau aura coûté 410 millions. Autre est l’histoire, autre la constitution du troisième réseau.' C’est exclusivement et proprement le réseau personnel deM. Haussmann. En font partie : les boulevards Richard—Lenoir,des Amandiers; presque toute la rue Réaumur, la plus grandepartie dewla‘ rue Lafayette, le prolongement des rues Drouot,Le Peletier, Ollivier, Neuve—des-Mathurins; la continuation duboulevard Saint-Germain, les 2° et 3° sections de la rue de Ben-nes, le prolongement de la rue Madame, de la rue des Saints-Péres, de.la me Bonaparte, de la rue du Vieux-Colombier, etc.Démolition colossale et redoublée, qui s’est abattue sur tous lesquartiers de Paris, qui représente un développement de 28,000 Page 15 .. 17 __. . mètres, et que la ville 3 entreprise sans aucune subvention. Maisce troisième réseau, trois fois plus considérable que le premier, 'et plus étendu encore que le second, n‘était pas, suivant M. lepréfet, moins nécessaire que les deux autres. Il fallait acheverles grandes voies, dont le traité de 1858 n’avait ouvert que les amorces, niveler, raccorder, aligner, compléter le second réseau, et, pour quelques grandes voies nouvelles, céder au cri public. « Pour quelquesunes de ces voies, ce n‘était pas une demande,une réclamation, c’était une sorte de cri public, s’élevant poursommer la Ville de les exécuter.» M.le préfet estime les dépensesde ce troisième réseau à 300 millions. Les trois réseaux font en— semble 64,500 mètres, plus de seize lieues anciennes; et, a euxtrois, ils représentent, au plus bas mot, 982 millions; près d‘unmilliard. Restent d’ailleurs en dehors de cette carte à payer: etles dépenses nécessitées par l‘annexion de l'ancienne banlieue,lesquelles sont chiffrées par M. le préfet a 300 millions en nombre rond, et les millions dépensés «par centaines» (c’est le mé-‘ moire de M. le préfet qui le dit) dans l'ancien Paris, en bâti- ments publics, en marchés, en églises , en égouts, en jar- dins, etc., etc. " '-""””W -4 C’est la première fois, croyons—nous, que ces gros chiffres sesont étalés et groupés sous les yeux du public. Et nous pour-rions nous arréterlà et redire après tant d‘autres : Quoi! tantde millions aux mains d’un seul! Mais deux milliards, c‘est le budget de la France, et M. le préfet, depuis quinze ans,n’a dé- pensé guère moins de deux milliards! Et voilà la puissancequ’exerce, depuis quinze ans, une administration sans contrôle,un pouvoir irresponsable, un seul homme doublé d’un conseilmunicipal non élu! En vérité, en aucun lien, en aucun temps,pareille chose, s’est—elle jamais vue? 7 Mais la plainte est banale, a force d‘être juste. Nous avons 2 Page 16 ... 13 .. aujourd‘hui mieux à dire. Jusqu’à présent, aux adversaires dugouvernement personnel de la ville de Paris, on avait coutumede répondre que ce gouvernement faisait de grandes choses à.bon compte, qu‘il avait l‘art de ne graver ni le présent ni l'ave-nir; qu’il prévoyait juste, calcùlait à propos, et que d'ailleurs,quoi qu’on en dit, il respectait les lois. Le mémoire de 4867 prouve avec éclat deux choses : c‘est que, dans la pratique de _M. le préfetde la Seine, l’oubli de la légalité 'n‘a d’égal que - ’imprévoyance. ' ' L’imprévoyance ? Jugez—en, Messieurs. En 1858, on dessine et on arrête le second réseau. M. le préfetde la Seine en évalue les dépensesà 480 millions. Le Corpslégis»latif vote 50 millions de subvention. En 1867, on fait son compte,et l‘on s’aperçoit que le second réseau ne coûtera pas moins de410 millions, toute défalcation faite du produit des reventes deterrains et de matériaux. La Ville croyait n‘avoir à dépenser, surle devis de 180 millions, que 130 millions, puisque l’Etat lui en adonné 50; elle se trouve en face d’une dépense effective de 360millions. Premier mécompte et premier aveu. Le mécompte esténorme, mais quelle qu’en soit l’explication, sur laquelle nousreviendrons dans un instant, il faut que l‘on sache bien quel’aveu est tardif. Depuis neuf ans, c‘est le chifl‘re primitif, le de-vis de 1858, que la Ville prenait pour point de départ de tous sescalculs; c’est ce chillre qui figurait dans ses prévisions, qui étaitimplicitement ou expressément affirmé dans les communiquésqu’elle adressait aux journaux, dans les discours des avocats qui la défendaient devant la Chambre, dans les mémoires du préfet, . comme dans les rapports de M. Devinck. Ainsi le mémoire dupréfet inséré au Moniteur du il décembre 1864, il y a trois ans de cela, parcourant, comme aujourd’hui, d'un long regard, mais d’un regard alors tout à fait triomphant, le passé et l’avenir des Page 17 __ 19 .. travaux de la Ville, évaluait à 350 millions la dépense de toutesles opérations de voirie engagées : — celle du premier réseau,qui s’achevait; du second, en voie d’exécution; du troisième,qui commençait âp0indre,—que dis—je? M. le préfet, il y a troisans, dans cette somme totale de 350 millions, faisait entrer, en outre de l’achèvement des trois réseaux, l‘ensemble des travaux nécessités par l’annexion 1 Aujourd’hui, M. le préfet nous ap-prend que l’annexion, à elle seule, aura coûte 300 millions. Au-jourd’hui, le mécompte sur le second réseau que, dans son rap-'port du 18 décembre 1865, M. Devinck estimait a environ 100millions, apparaît dans son énormité de 360 millions. En 1864, M. le préfet de la Seine s’engageait a ne consacrer,dans les dix années suivantes, à la transformation de Paris, qu’un capital ' de 350 millions, et, à ce prix, il promettait d’achever son œuvre. Trois ans après, il est forcé de reconnaître qu‘à la fin de 1868, c'est-à-dire en quatre ans seulement, il aura dépensé710 millions. Et comme M. le préfet nous a donné lui-même, en 1864, le chiffre des sommes alors dépensées sur le premier et ledeuxième réseau, 76 millions en nombre rond, nous voyons qu'àla fin de 1868, la Ville aura dépensé 710 millions moins 76 mil-lions, ou 634 MlLLIONS —— en quatre années —— alors qu’elle s’étaitpubliquement et solennellement engagée à n‘en consommer que350 en dix années. Et 631 millions, ce n’est pas assez dire. C‘est de 900 millions environ qu’est l'écart des réalités de 1868.sur les prévisions de 1864, puisque le devis de 1864, le devis de330 millions, comprenait les dépenses de l’extension des limitesde Paris, évaluées aujourd’hui à 300 millions(1) :elles n‘avaient (1) Tous ces chiffres sont empruntés au Mémoire de 1861, dont on trouvera la partie la plus importante à l'Appendice, note ,3. ' Page 18 .... 20 _ encore, à cette époque, coûté à la Ville que 33 ou 34 millions. C’est donc 266 millions (300-«34) a ajouter aux 634, pour avoir-lechiffre de l‘imprévu : total, au moins 900 millions. Si M. le préfet de la Seine se doutait, «an-1864, de l‘erreur co— lossale qui viciait ses calculs, que faut—il penser de sa franchise ?S‘il ne s’en doutait pas, quelle opinion avoir de sa sagesse, desa raison pratique, de sa prévoyance? Page 19 N J Mauvaises excuses. Cependant, comme M. le préfet de la Seine est le plus ingé—nieux, le plus intrépide, le plus retorsdes procureurs, -—- de la force enfin de l’honorable M. Bonher, -— il a essayé une défense de ses mécomptes. ' ' \ Trois causes d’erreur, selon lui invincibles, ont fatalementbouleversé ses calculs. Première cause d'erreur : une certaine jurisprudence du con—seil d’Etat et un décret du 27 décembre 1858, auquel, il ce qu’ilparait, la Ville ne pouvait s’attendre, quand elle a signé avecl’Etat la convention du.3 mai de la même année. qui lui impo—sait l’obligation d’exécuter, en dix ans, le deuxième réseau. , Il faut, en effet, se rappeler que la ville de Paris tient, d’undécret du 26 mars 1852, le droit de comprendre dans ses projetsd’expropriation la totalité des immeubles atteints par les voiesnouvelles, quand elle juge que les parties, restantes ne sont pas. Page 20 .. 22 _. d’une étendue ou d’une forme qui permette d'y élever des cons-tructions sàlubres. il reste ainsi souvent, sur le bord des grandstracés, des parcelles de terrain, qu‘aux termes d'une loi bienvieille, la loi de 1807, les propriétaires contigus ont le droitd’acquérir. il paraitque l’administration municipale‘avait comptéconserver toutes ces parcelles, et profiter de la plus—value. Au- tant à déduire, ditcelle, du chiffre de ses reventes. , La chose est longuement expliquée dans le mémoire deM. le préfet : u Lorsque l’administration municipale faisait ses évaluations,en 1858, d’après les résultats des opérations qu’elle avait exé-cutées depuis 1852 jusqu’alors, elle comptait sans les effets d’unejurisprudence du conseil d’Etat, contre laquelle, d'ailleurs, au-cune objection n’est possible, puisqu’elle est basée sur un dé-cret'réglementaire en date du 27 décembre 1858 (postérieur deprès de huit mois au traité sanctionné par la loi du 28 mai dela même année) qui est venue interpréter et compléter, à quel«ques égards, le décret—loi du 26 mars 1852. ' u Désormais, aucune parcelle ne put être expropriée, en de- hors des alignements des voies nouvelles, sans mise en demeure expresse des propriétaires, et en cas d’opposition, sans une dé-claration d’utilité publique spéciale. » Cette disposition, évidemment inspirée par la plus vive solli- citude pourles intérêts des personnes sonmisesà l’expropriation,a eu pour effet naturel de conduire chaque propriétaire à retenirtous les terrains qui recevaient un grand accroissement de va—leur de la création des voies nouvelles, pour abandonner seule-ment à la Ville ceux qui paraissaient moins utilement exploi- tables.



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