Psychologie contemporaine; Notes et Portraits: Charles Baudelaire  

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"We delight in what you call our corruptions of style"

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Psychologie contemporaine; Notes et Portraits: Charles Baudelaire is an essay by Paul Bourget on the poet Charles Baudelaire, published November 15, 1881 in the Nouvelle revue. The essay was later collected in Essais de psychologie contemporaine. It features the now famous chapter "Théorie de la Décadence."

Contents

Full text[1]

I De la critique psychologique

C'est une question toujours débattue entre artistes et philo­sophes que celle de la portée morale des œuvres d'imagination. Les uns considèrent que l'art n'a d'autre but à poursuivre que l'art lui-même, et ils récusent toute critique fondée sur l'influence heureuse ou funeste de leurs compositions. Un songe intense de la vie flotte devant leurs yeux, songe qu'ils reproduisent avec la conscience la plus scrupuleuse, soucieux seulement de suivre les contours des idéales images qui hantent leur pensée. A quoi les philosophes répondent que toute œuvre d'art est une action, du moins dans un certain sens. Qu'il le veuille ou non, l'artiste ne ressemble pas a ce personnage du poème allemand, lequel, emprisonné dans la solitude de son île, grave avec son poignard, sur les parois de basalte où brise la mer, des lignes qu'aucun vivant ne lira. Une fois créée, l'œuvre existe, indépendante, organique, sorte de personne qui répète aux initiés la parole intérieure que se prononçait l'artiste, – parole de désespoir ou de consolation, parole tentatrice ou fortifiante, qui retentit à jamais. Les philosophes concluent que l'artiste est responsable [399] des bienfaits et des méfaits de cette parole, – si le mot de respon­sabilité a quelque signification. De ce concept à celui d'un art d'utilité, la distance est brève. Catholiques ou révolutionnaires, les moralistes l'ont bientôt franchie, – à l'ironique joie des par­tisans de l'art pour l'art, comme on disait il y a quelque qua­rante ans. Car c'est la revanche de ces derniers que l'insuffisance esthétique des créateurs qui ont prétendu enseigner par la plume, le ciseau ou le pinceau. La discussion demeure donc pendante, – comme la plupart des discussions de cet ordre, – comme cette autre, si ardemment soutenue, sur les rapports de la forme et du fond, et cette autre sur la copie ou l'idéalisation de la nature. L'écrivain réfléchi dont j'ai placé le nom en tête de ces notes, Charles Baudelaire, formulait ainsi son opinion, à propos de son art à lui : "Si le poète a poursuivi un but moral, il a diminué sa force poétique, et il n'est pas imprudent de parier que son œuvre sera mauvaise...;" et ailleurs : "Aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d'écrire un poème..."

Entre cette fin de non-recevoir opposée par l'artiste aux exigences des doctrinaires et la thèse despotique de ces doctri­naires, il y a place pour le point de vue plus désintéressé du psychologue. Ce dernier aperçoit dans l'œuvre d'art un document précieux sur cet ensemble de petits faits encore mal classés que, faute d'un terme plus strict, nous appelons l'Ame humaine. Le psychologue ne s'inquiète guère du bien ou du mal, formules mal définies qui supposent une métaphysique tout entière. Il se défie du mot Beauté, sachant que notre langage, peu subtil, éti­quette ainsi une sensation indéterminée et flottante qui varie du tout au tout avec les climats, les races et les moments. Son affaire, à lui, est de démonter, pièce à pièce, le rouage compliqué de nos associations d'idées. A son regard de curieux, qui va re­cueillant tous les indices sur notre mécanisme intérieur, le rôle de l'œuvre d'art est double. D'abord elle exprime une sensibilité parti­culière. Puis elle est une éducatrice de sensibilité, la plus impor­tante dans les âges comme le nôtre, où l'action diminuée, les doc­trines indécises, l'hérédité nerveuse laissent un plus grand nombre [400] d'hommes se ramasser sur eux-mêmes et raffiner leur être. Non seulement, en effet, cette œuvre résume des façons originales et nouvelles de goûter le bonheur et la douleur, que les nécessités de l'époque ont élaborées, mais encore elle devient un point de départ nouveau pour les hommes nouveaux. Elle les révèle à eux-mêmes. Elle leur accouche le cœur. Ils découvrent, par l'expérience de leurs artistes, dans quelle nuance et jusqu'à quel degré ils peuvent jouir et souffrir. La Rochefoucauld disait : "Il y a des gens qui n'auraient jamais été amoureux s'ils n'avaient jamais entendu parler de l'amour." A coup sûr, nos amours à nous ne seraient pas exactement ce qu'ils sont, si nous n'avions appris par d'illustres analyses à compliquer nos sentiments. Dans cette étrange végétation qui constitue le "moi" d'un civi­lisé, il est plus d'une fleur, et des plus éclatantes, qui n'eût jamais grandi, si la bouture n'en eût été cueillie au jardin des lettres, avant d'être greffée sur la branche dont elle est l'orgueil : et cela n'est-il pas exact, même de nos sens? Nos peintres ne font-ils pas l'éducation de notre œil en nous habituant à voir la nature comme eux-mêmes? Nos musiciens ne nous imposent-ils point les caprices de leur ouïe plus travaillée? Nos poètes et nos romanciers sont les initiateurs de nos passions.

Connaître la vie morale d'une génération, c'est donc connaître les poètes et les romanciers dont cette génération nourrit son cœur. A l'heure où j'écris ces lignes, un adolescent, que je vois accoudé sur son pupitre dans quelque coin d'une salle de collège, lit un volume dont il boit le suc, comme une abeille pompe le miel d'une fleur. Ils sont ainsi quelques centaines à se repaître de livres préférés entre tous. Les autres livres sont des livres d'écriture ; ceux-là sont des livres de parole et révèlent à ces affamés de sensations, quels mystères de la vie humaine, quels abîmes de leur propre nature? Répondre à cette question, c'est préparer des documents à l'écrivain d'assez de force d'analyse pour tracer le tableau de l'Ame française dans cette fin de siècle qui prend parfois une noire couleur de fin de monde, et parfois une rose couleur d'aube nouvelle. Je voudrais, en une suite d'études sans conclusion, rédiger quelques-uns de ces docu­ments et marquer les exemples de vie morale que présentent [401] ceux des artistes de ce temps-ci qui ont l'oreille de ces adoles­cents, à la veille de vivre leur vie personnelle. Il aurait fallu, pour être logique, commencer par le grand initiateur moderne : Balzac. Mais le travail a été fait par M. Taine, de telle façon qu'il n'y a plus lieu d'y revenir. Sans m'inquiéter donc d'un ordre d'importance qui supposerait précisément cette conclusion que je veux éviter, j'examinerai successivement Charles Baudelaire, Flaubert, M. Taine, Stendhal, puisqu'il est redevenu à la mode comme s'il avait écrit d'hier, – d'autres encore, si ces esquisses trouvent grâce devant les lecteurs de 1881, plus habitués à la critique des sources qu'à celle des résultats.


II L'analyse de l'amour dans Baudelaire

Lire les Fleurs du Mal à dix-sept ans, lorsqu'on ne discerne point la part de mystification qui exagère en truculents para­doxes quelques idées, par elles-mêmes seulement exceptionnelles, c'est entrer dans un monde de sensations jusqu'alors inouïes. Il est des éducateurs d'une précision d'enseignement plus rigoureuse : M. Taine, par exemple, et Henri Beyle. Il n'en est point de plus suggestifs et qui fascinent d'avantage.

   Et tes yeux attirants comme ceux d'un portrait... 

a-t-il écrit d'une des femmes coupables dont il a subi la magie ; il traîne quelque chose de cette attirance et de ce regard au long de ses vers mystérieux et câlins, ironiques à demi, à demi plaintifs. Des stances de lui poursuivent l'imagination qu'elles inquiètent avec une obsession qui fait mal. Il excelle surtout à commencer une pièce par des mots d'une solennité à la fois tragique et sen­timentale qu'on n'oublie plus :

   Que m'importe que tu sois sage,
   Sois belle et sois triste ... 

[402] Et ailleurs :

   Toi qui, comme un coup de couteau,
   Dans mon cœur plaintif es entrée... 

Et ailleurs :

   Comme un bétail pensif sur le sable couchées
   Elles tournent leurs yeux vers l'infini des mers... 

Par tempérament et par rhétorique, Charles Baudelaire fait flotter comme un halo d'étrangeté autour de ses poèmes, con­vaincu, comme l'auteur de l'incomparable élégie To Helen, Edgard Poë, qu'il n'est de beauté qu'un peu singulière et que l'étonnement est la condition du sortilège poétique. C'est un sor­tilège, en effet, pour qui ne se rebute pas des complexités de cet art. L'impression est comparable à celle qu'on ressent en pré­sence des figures peintes par le Vinci, avec ce modelé dans la dégradation des teintes qui veloute de mystère le contour du sourire. Une dangereuse curiosité force l'attention et invite aux longues rêveries devant ces énigmes de peintre ou de poète; – et à regarder longtemps l'énigme livre son secret. Celui de Bau­delaire est le secret de plus d'un d'entre nous, – il y a bien des chances pour qu'il devienne le secret du jeune homme qui se complaît dans cette lecture, inépuisable en révélations.

Il y a d'abord dans Baudelaire une conception particulière de l'amour. On la caractériserait assez exactement, semble-t-il, par trois épithètes, d'ordre disparate comme notre société. Baudelaire est tout à la fois, dans ses vers d'amour, mystique, libertin et analyseur. Il est mystique, et un visage d'une idéalité de madone traverse sans cesse les heures sombres ou claires de ses journées, rappelant la présence, en quelque autre univers dont le nôtre ne serait que l'épreuve dégradée et grossière, d'un esprit de femme "lucide et pur", d'une âme toujours désirable et toujours bienfaisante :

   Elle se répand dans ma vie
   Comme un air parfumé de sel,
   Et dans mon âme inassouvie
   Verse le goût de l'Éternel !... 

[403] Il est libertin, et des visions dépravées jusqu'au sadisme troublent ce même homme qui vient d'adorer le doigt levé de sa Madone. Les mornes ivresses de la Vénus vulgaire, les capi­teuses ardeurs de la Vénus noire, les raffinées délices de la Vénus savante, les criminelles audaces de la Vénus sanguinaire, ont laissé de leur ressouvenir dans les plus spiritualisés de ses poèmes. Il s'échappe un relent d'alcôve infâme de ces deux vers du magnifique Crépuscule du Matin :

   Les femmes de plaisir, la paupière livide,
   Bouche ouverte, dormaient de leur sommeil stupide... 

Le visage, lustré comme l'ébène, d'une amie aux dents d'ivoire, aux cheveux crépus, a inspiré cette litanie de ten­dresse:

   Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne,
   0 Vase de tristesse, ô grande taciturne... 

Des prêtresses païennes eussent reconnu un dévot de leurs fêtes clandestines dans la description de ce boudoir, – fermé par autorité de justice, – où Hippolyte accoude ses lassitudes :

   A la pâle clarté des lampes languissantes
   Sur les profonds coussins tout imprégnés d'odeur... 

Et la plus belle pièce du recueil, à mon avis du moins, la Martyre, pourrait porter comme épigraphe la sinistre phrase que l'auteur de la Philosophie dans le boudoir se proposait d'inscrire sur une des chambres de la petite maison de ses rêves : Ici l'on torture!...

   L'homme vindicatif que tu n'as pu, vivante,
       Malgré tant d'amour, assouvir,
   Combla-t-il, sur ta chair inerte et complaisante,
       L'immensité de son désir? 

A travers tant d'égarements, où la soif d'une infinie pureté se mêle à la faim dévorante des joies les plus tourmentées de la chair, l'intelligence de l'analyseur reste cruellement maîtresse [404] d'elle-même. La mysticité, comme le libertinage, se codifie en formules dans ce cerveau qui décompose ses sensations, avec la précision d'un prisme décomposant la lumière. Le raisonnement n'est jamais entamé par la fièvre qui brûle le sang ou par l'extase qui évoque les chimères. Trois hommes à la fois vivent dans cet homme, unissant leurs sensations pour mieux presser le cœur et en exprimer jusqu'à la dernière goutte la sève rouge et chaude. Ces trois hommes sont bien modernes, et bien moderne aussi est leur réunion. La fin d'une foi religieuse, Paris et l'esprit scientifique du temps ont contribué à façonner, puis à fondre ces trois sortes de sensibilités, jadis séparées jusqu'à paraître irréductibles l'une à l'autre, aujourd'hui liées jusqu'à paraître inséparables, au moins dans cette créature, sans analogue avant le XIXe siècle français, qui fut Baudelaire.

Les origines, ou mieux les couches successives qui ont fait cette âme sont donc aisées à déterminer, rien qu'en regardant au­tour de nous. Ne survit-il pas, dans notre siècle d'impiété, assez de catholicisme pour qu'une âme d'enfant s'imprègne d'amour mystique avec une inoubliable intensité? La foi s'en ira, mais le mysticisme, même expulsé de l'intelligence, demeurera dans la sensation. Le décor pieux s'évoque pour Baudelaire aux heures obscures du crépuscule, avec une suavité qui montre à quelle pro­fondeur le premier frisson de la prière avait crispé son cœur (1). Le pli ne s'effaça jamais. Tout naturellement le parfum des fleurs s'évapore pour lui en encens. C'est un "reposoir" que le beau ciel, c'est un "ostensoir" que le soleil qui se couche. Si l'homme n'a plus le même besoin intellectuel de croire, il a con­servé le besoin de sentir comme aux temps où il croyait. Les docteurs en mysticisme avaient constaté ces permanences de la sensibilité religieuse dans la défaillance de la pensée religieuse. Ils appelaient culte de latrie l'élan passionné par lequel l'homme reporte sur telle ou telle créature, sur tel ou tel objet, l'ardeur exaltée qui se détourne de Dieu. On peut citer de Baudelaire d'étranges exemples de ce culte ; ainsi l'emploi d'une termino[405]­logie liturgique pour s'adresser à une maîtresse et célébrer une volupté :

   Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse,
   Un autel souterrain au fond de ma détresse... 

Ou encore cette "prose" curieusement travaillée en style de la décadence latine qu'il a intitulée : Franciscæ meæ laudes, et adressée à une modiste érudite et dévote. Ce qui serait chez un autre un blasphème ou un tour de force, est chez lui un procédé que j'appellerais spontané, si le mot spontané pouvait se prêter à ce qu'il entrait de complication innée dans ce subtil et particulier personnage.

J'ai dit que ses goûts de libertin lui vinrent de Paris. Il y a tout un décor du vice parisien, comme il y a tout un décor des rites catholiques, dans la plupart de ses poèmes. Il a traversé, on le voit, et avec quelles hardies expériences, on le devine, tous les mauvais gîtes de la ville impudique. Il a mangé dans des tables d'hôte à côté de filles plâtrées, dont la bouche saigne dans un masque de céruse. Il a dormi dans des maisons d'amour, et connu la rancœur du grand jour éclairant, avec les rideaux flé­tris, le visage plus flétri de la femme vendue. Il a poursuivi, à tra­vers toutes les excitations et avec cette âpreté de luxure qui touche à la manie, le spasme sans réflexion qui monte des nerfs jusqu'au cerveau et, pour une seconde, guérit du mal de penser. Et en même temps il a causé à tous les coins des rues de cette ville monstrueuse, il a mené l'existence du littérateur qui étudie toujours, et il a conservé, que dis-je? il a aiguisé le tranchant de son intelligence là où d'autres auraient à jamais émoussé la leur; et de ce triple travail est sorti, avec sa conception d'un amour à la fois mystique, sensuel et intelligent, le flot de spleen le plus âcre et le plus corrosif qui ait jamais jailli d'une âme d'homme.


[406]

III Le pessimisme de Baudelaire

C'est Lamennais qui s'écria un jour: "Mon âme est née avec une plaie." Baudelaire aurait pu s'appliquer cette phrase. Il était d'une race condamnée au malheur. C'est l'écrivain peut-être au nom duquel a été accolée le plus souvent l'épithète de "malsain". Le mot est juste, si l'on signifie par là que des passions du genre de celle que nous venons d'indiquer trouvent malaisément des circonstances adaptées à leurs exigences. Il y a désaccord entre l'homme et le milieu. Une crise morale en résulte et une torture du cœur. Mais le mot "malsain" est inexact, si l'on entend par là opposer un état naturel et régulier de l'âme, qui serait la santé, à un état corrompu et artificiel, qui serait la maladie. Il n'y a pas à proprement parler de maladies du corps, disent les médecins; il n'y a que des états physiologiques, agréables ou douloureux, toujours normaux, si l'on considère le corps humain comme l'ap­pareil où se combine une certaine quantité de matière en évolu­tion. Pareillement, il n'y a ni maladie ni santé de l'âme, il n'y a que des états psychologiques au point de vue de l'observateur sans métaphysique, car il n'aperçoit dans nos douleurs et dans nos facultés, dans nos vertus et dans nos vices, dans nos voli­tions et dans nos renoncements, que des combinaisons, chan­geantes, mais fatales et partant normales, soumises aux lois connues de l'association des idées. Un préjugé seul, où réappa­raissent la doctrine antique des causes finales et la croyance à un but défini de l'univers, peut nous faire considérer comme natu­rels et sains les amours de Daphnis et de Chloë dans le vallon, comme artificiels et malsains les amours d'un Baudelaire dans le boudoir qu'il décrit, meublé avec un souci de mélancolie sen­suelle :

       Les riches plafonds
       Les miroirs profonds.
   La splendeur orientale,
       Tout y parlerai
       A l'âme en secret
   Sa douce langue natale. 

[407] Seulement, les combinaisons d'idées compliquées ont plus de chance de ne pas rencontrer des circonstances appropriées à leur complication. Celui que ses habitudes ont conduit à un rêve du bonheur fait de beaucoup d'exclusions, souffre de la réalité, qu'il ne peut pétrir au gré de son désir : "La force par laquelle nous persévérons dans l'existence est bornée et la puissance des causes extérieures la surpasse infiniment..." Ce théorème de l'Éthique est l'explication du spleen du subtil Baudelaire comme du "mal du siècle", comme du pessimisme. Quand la créature humaine est très civilisée, elle demande aux choses d'être selon son cœur, rencontre d'autant plus rare que le cœur est plus curieusement raffiné, et l'irrémédiable malheur apparaît.

Certes, l'ennui a toujours été le ver secret des existences com­blées. D'où vient cependant que ce "monstre délicat (1)" n'ait ja­mais plus énergiquement bâillé sa misère que dans la littérature de notre siècle où se perfectionnent tant de conditions de la vie, si ce n'est que ce perfectionnement même, en compliquant aussi nos âmes, nous rend inhabiles au bonheur? Ceux qui croient au progrès n'ont pas voulu apercevoir cette terrible rançon de notre bien-être mieux assis et de notre éducation plus complète. Ils ont reconnu dans l'assombrissement de notre littérature un effet passager des secousses sociales de notre âge, comme si d'autres secousses, et d'une autre intensité de bouleversement des destinées privées, avaient produit ce même résultat d'incapa­cité de bonheur chez tous les conducteurs de la génération. Il me semble plus vraisemblable de regarder la mélancolie comme l'inévitable produit d'un désaccord entre nos besoins de civi­lisés et la réalité des causes extérieures; – d'autant que, d'un bout à l'autre de l'Europe, la société contemporaine présente les mêmes symptômes, nuancés suivant les races, de cette mélan­colie et de ce désaccord. Une nausée universelle devant les insuffisances de ce monde soulève le cœur des Slaves, des Ger­mains et des Latins, et se manifeste, chez les premiers par le nihilisme, chez les seconds par le pessimisme, chez nous autres par de solitaires et bizarres névroses. La rage meurtrière des [408] conspirateurs de Saint-Pétersbourg, les livres de Hartmann, les furieux incendies de la Commune et la misanthropie acharnée des romanciers naturalistes, – je choisis avec intention les exemples les plus disparates, – révèlent ce même esprit de négation de la vie qui, chaque jour, obscurcit davantage la civili­sation occidentale. Nous sommes loin, sans doute, du suicide de la planète, suprême désir des théoriciens du malheur. Mais len­tement, sûrement, s'élabore la croyance à la banqueroute de la nature, qui promet de devenir la foi sinistre du XXe siècle si la science ou une invasion de barbares ne sauve pas l'humanité trop réfléchie de la lassitude de sa propre pensée.

Ce serait un chapitre de psychologie comparée aussi intéres­sant qu'inédit que celui qui noterait, étape par étape, la marche des différentes races européennes vers cette tragique négation de tous les efforts de tous les siècles. Il semble que du sang à demi asiatique des Slaves monte à leur cerveau une vapeur de mort qui les précipite à la destruction, comme à une sorte d'or­gie sacrée. Le plus illustre des écrivains russes disait devant moi, et à propos des nihilistes militants : "Ils ne croient à rien, mais ils ont besoin du martyre..." La longue série des spéculations métaphysiques sur la cause inconsciente des phénomènes est nécessaire à l'Allemand pour qu'il formule, en dépit de son posi­tivisme pratique, la désolante inanité de l'ensemble de ces phé­nomènes. Chez les Français, et malgré la déviation extraordi­naire de notre tempérament national depuis cent années, le pes­simisme n'est qu'une douloureuse exception, de plus en plus fréquente, il est vrai, toujours créée par une destinée d'excep­tion. Ce n'est que la réflexion individuelle qui amène plusieurs d'entre nous, et malgré l'optimisme héréditaire, à la négation suprême. Baudelaire est un des "cas" les plus réussis de ce tra­vail particulier. Il peut être donné comme l'exemplaire achevé d'un pessimiste parisien, deux mots qui jurent étrangement d'être accouplés. Encore vingt ans et on les emploiera peut-être couramment.

Et d'abord, c'est un pessimiste, ce qui le distingue nettement des sceptiques tendres comme Alfred de Musset ou des révoltés fiers comme Alfred de Vigny. Du pessimiste il a le trait fatal, [409] le coup de foudre satanique, diraient les chrétiens : l'horreur de l'Être et le goût, l'appétit furieux du Néant. C'est bien chez lui le Nirvâna des Hindous retrouvé au fond des névroses modernes et invoqué, en effet, avec tous les énervements d'un homme dont les ancêtres ont agi, au lieu d'être contemplé avec la sérénité hié­ratique d'un fils du torride soleil :

   Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte.
   L'Espoir dont l'éperon attisait ton ardeur
   Ne veut plus t'enfourcher. Couche-toi sans pudeur,
   Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte.
   Résigne-toi, mon cœur, dors ton sommeil de brute... 

Il faut lire particulièrement et dans leur détail les pièces des Fleurs du Mal numérotées LXXVIII, LXXIX, LXXX et intitulées Spleen, l'avant-dernière strophe dans la pièce numérotée LXXXX et intitulée Madrigal triste, et tout l'admirable morceau qui clôt le recueil : le Voyage.

   Pour ne pas oublier la chose capitale,
   Nous avons vu partout et sans l'avoir cherché,
   Du haut jusques en bas de l'échelle fatale
   Le spectacle ennuyeux de l'immortel péché. 

De ces vers s'exhale non plus la lamentation du regret qui pleure le bonheur perdu, ou du désir qui implore le bonheur lointain, mais l'amère et définitive malédiction jetée à l'existence par le vaincu qui sombre dans l'irréparable nihilisme, – au sens français du terme, cette fois, – et il suffit de reprendre un par un les éléments psychologiques dont nous avons reconnu l'in­fluence sur la conception de l'amour chez le poète, pour recon­stituer l'histoire de ce "goût du néant" chez le catholique désa­busé, devenu un libertin analyseur.

L'homme a reçu l'éducation du catholicisme, et le monde des réalités spirituelles lui a été révélé. Pour beaucoup, cette révéla­tion est sans conséquence. Ils ont cru en Dieu dans leur jeunesse, mais à fleur d'esprit. Ils ne le sentaient pas personnel et vivant. Pour ceux-là, une foi dans les idées est suffisante, foi abstraite, et qui se prête à toutes sortes de transformations. Il leur faut un [410] dogme, mais non une vision. A la première croyance en Dieu ils substitueront la croyance, qui à la Liberté, qui à l'Ordre Social, qui à la Révolution, qui à la Science. Chacun de nous peut chaque jour constater, chez lui-même et chez ses voisins, des transformations de cet ordre. Il n'en va pas ainsi pour l'Ame mystique, – et celle de Baudelaire en était une. Car cette Ame, quand elle croyait, ne se contentait pas d'une foi dans une idée. Elle voyait Dieu. Il était pour elle, non pas un mot, non pas un symbole, non pas une abstraction, mais un Être en la compagnie duquel l'Ame vivait comme nous vivons avec un père qui nous aime, qui nous connaît et qui nous comprend. L'illusion a été si douce et si forte, qu'une fois partie, elle n'a plus laissé de place à des substitutions d'une intensité inférieure. Quand on a connu l'ivresse de l'opium, celle du vin écœure et paraît mesquine. En s'en allant au contact du siècle, la foi a laissé dans ces sortes d'âmes une fissure par où s'écoulent tous les plaisirs. Ç'a été le sort de Baudelaire. Il faut voir avec quel dédain, – assez inin­telligent, avouons-le, comme tous les dédains, – il malmène les croyants du second degré, ceux qui font leur Dieu de l'Huma­nité ou du Progrès. Quoi de plus naturel alors qu'il éprouve une sensation de vide devant ce monde où il cherche vainement un Idéal concret qui corresponde à ce qui lui reste d'aspirations vers l'au-delà? Ce sont alors, afin de combler ou de tromper ce vide, de furieuses recherches des excitants... Ce sont des lectures enivrantes comme un opium, de Proclus, de Swedenborg, d'Edgard Poë, de Quincey, de tous les livres en un mot qui ont peint l'envolement de l'âme "n'importe où, hors du monde (1)". Ce sont des opiums excitants comme des lectures. Ce qu'il faut, à cet assoiffé d'un infini réel, c'est le paradis artificiel à défaut de la croyance dans un paradis vrai. C'est encore, en des heures noires, l'essai de retour au monde mystique par le chemin de l'épouvante. Mais de ces courses l'Ame revient plus exténuée, plus persuadée que la religion n'est qu'un rêve, personnel et mensonger, du cœur qui mire son désir dans le néant de la nature. Nulle angoisse n'est plus terrible pour un mystique: [411] comprendre que le besoin de croire est tout subjectif, et que la foi de jadis sortait de lui-même et n'était que son œuvre. Et sur le fond vide du ciel se détache la redoutable et consolante figure de Celle qui affranchit de tous les esclavages et délivre de tous les doutes : la Mort,

   Qui parcourt, comme un prince inspectant sa maison,
   Le cimetière immense et froid, sans horizon,
   Où gisent, aux lueurs d'un soleil blanc et terne,
   Les peuples de l'histoire ancienne et moderne. 

Ce même nihilisme est l'aboutissement du libertinage analy­tique propre à Baudelaire. Quelques poètes, et Musset au pre­mier rang, ont raconté combien la débauche est meurtrière à l'amour. Baudelaire a plongé plus avant dans la vérité de la nature humaine en racontant combien la débauche est meurtrière au plaisir. Certes, il s'élève, du fond de toute créature née pour la noblesse et qui a mésusé de ses sens, de douloureux et trou­blants appels vers une émotion sentimentale qui fuit toujours.

   Dans la brute assouvie un ange se réveille.... 

Il y a, de plus, la sinistre incapacité de procurer un entier frisson de plaisir au système nerveux trop surmené. Une indescriptible nuance de spleen, d'un spleen physique celui-là, et comme fait de la lassitude du sang, s'établit chez le libertin qui ne connaît plus l'ivresse. Son imagination s'exalte. Il rêve de souffrir alors, et de faire souffrir, pour obtenir cette vibration intime qui serait l'extase absolue de tout l'être. L'étrange rage qui a produit Néron et Héliogabale le mord au cœur. "L'appareil sanglant de la destruction (1)" rafraîchit seul pour une minute cette fièvre d'une sensualité qui ne se satisfera jamais. Voilà l'homme de la décadence, ayant conservé une incurable nostalgie des beaux rêves de ses aïeux, ayant, par la précocité des abus, tari en lui les sources de la vie, et jugeant d'un regard demeuré lucide l'inguérissable misère de sa destinée, c'est-à-dire, – car voyons-[412]nous le monde autrement qu'à travers le prisme de nos intimes besoins? – de toute destinée! ­


IV Théorie de la décadence

Si une nuance très spéciale d'amour, si une nouvelle façon d'interpréter le pessimisme font déjà de la tête de Baudelaire une curiosité psychologique d'un ordre rare, ce qui lui donne une place à part dans la littérature de notre époque, c'est qu'il a mer­veilleusement compris et presque héroïquement exagéré cette spécialité et cette nouveauté. Il s'est rendu compte qu'il arrivait tard dans une civilisation vieillissante, et, au lieu de déplorer cette arrivée tardive, comme La Bruyère et comme Musset (1), il s'en est réjoui, j'allais dire honoré. Il était un homme de déca­dence, et il s'est fait un théoricien de décadence. C'est peut-être là le trait le plus inquiétant de cette inquiétante figure. C'est peut-être celui qui exerce la plus troublante séduction sur une âme contemporaine.

Par le mot de décadence, on désigne volontiers l'état d'une société qui produit un trop grand nombre d'individus impropres aux travaux de la vie commune. Une société doit être assimilée à un organisme. Comme un organisme, en effet, elle se résout en une fédération d'organismes moindres, qui se résolvent eux-­mêmes en une fédération de cellules. L'individu est la cellule sociale. Pour que l'organisme total fonctionne avec énergie, il est nécessaire que les organismes composants fonctionnent avec énergie, mais avec une énergie subordonnée; et pour que ces organismes moindres fonctionnent eux-mêmes avec énergie, il est nécessaire que leurs cellules composantes fonctionnent avec énergie, mais avec une énergie subordonnée. Si l'énergie des cel­lules devient indépendante, les organismes qui composent l'or[413]­ganisme total cessent pareillement de subordonner leur énergie à l'énergie totale, et l'anarchie qui s'établit constitue la déca­dence de l'ensemble. L'organisme social n'échappe pas à cette loi, et il entre en décadence aussitôt que la vie individuelle s'est exagérée sous l'influence du bien-être acquis et de l'hérédité. Cette même loi gouverne le développement et la décadence de cet autre organisme qui est le langage. Un style de décadence est celui où l'unité du livre se décompose pour laisser la place à l'indépendance de la page, où la page se décompose, pour laisser la place à l'indépendance de la phrase, et la phrase pour laisser la place à l'indépendance du mot. Les exemples foisonnent dans la littérature actuelle qui démontrent cette féconde vérité.

Pour juger d'une décadence, le critique peut se mettre à deux points de vue, distincts jusqu'à en être contradictoires. Devant une société qui se décompose, l'empire romain, par exemple, il peut, du premier de ces points de vue, considérer l'effort total et en constater l'insuffisance. Une société ne sub­siste qu'à la condition d'être capable de lutter vigoureusement pour l'existence dans la concurrence des races. Il faut qu'elle produise beaucoup de beaux enfants et qu'elle mette sur pied beaucoup de braves soldats. Qui analyserait ces deux formules y trouverait enveloppées toutes les vertus privées et civiles. La société romaine produisait peu d'enfants ; elle en arrivait à ne plus mettre sur pied de soldats nationaux. Les citoyens se souciaient peu des ennuis de la paternité. Ils haïssaient la grossièreté de la vie des camps. Rattachant les effets aux causes, le critique qui examine cette société de ce point de vue général conclut que l'entente savante du plaisir, le scepticisme délicat, l'énervement des sensations, l'inconstance du dilettantisme, ont été les plaies sociales de l'empire romain, et seront en tout autre cas des plaies sociales destinées à miner le corps tout entier. Ainsi raisonnent les politiciens et les moralistes qui se préoccupent de la quan­tité de force que peut rendre le mécanisme social. Autre sera le point de vue du critique qui considérera ce mécanisme d'une façon désintéressée et non plus dans le jeu de son action d'ensemble. Si les citoyens d'une décadence sont inférieurs comme ouvriers de la grandeur du pays, ne sont-ils pas très supérieurs comme [414] artistes de l'intérieur de leur âme? S'ils sont malhabiles à l'ac­tion privée ou publique, n'est-ce point qu'ils sont trop habiles à la pensée solitaire? S'ils sont de mauvais reproducteurs de géné­rations futures, n'est-ce point que l'abondance des sensations fines et l'exquisité des sentiments rares en ont fait des vir­tuoses stérilisés, mais raffinés, des voluptés et des douleurs? S'ils sont incapables des dévouements de la foi profonde, n'est-ce point que leur intelligence trop cultivée les a débarrassés des préjugés, et qu'ayant fait le tour des idées, ils sont parvenus à cette équité suprême qui légitime toutes les doctrines en excluant tous les fanatismes? Certes, un chef germain du IVe siècle était plus capable d'envahir l'empire qu'un patricien de Rome n'était capable de le défendre; mais le Romain érudit et fin, curieux et désabusé, tel que nous connaissons l'empereur Hadrien, le César amateur de Tibur, représentait un plus riche trésor d'acquisition humaine. Le grand argument contre les décadences, c'est qu'elles n'ont pas de lendemain et que toujours une barbarie les écrase. Mais n'est-ce pas le lot fatal de l'exquis et du rare que d'avoir tort devant la brutalité? On est en droit d'aimer un tort de cette sorte et de préférer la défaite d'Athènes en décadence au triomphe du Macédonien violent.

Il en est de même des littératures de décadence. Elles non plus n'ont pas de lendemain. Elles aboutissent à des altérations de vocabulaire, à des subtilités de mots qui rendent le style inintelligible aux générations à venir. Dans cinquante ans, le style des frères de Goncourt, – je choisis des décadents de parti pris, – ne sera compris que des spécialistes. Qu'importe? pourraient répondre les théoriciens de la décadence. Le but de l'écrivain est-il de se poser en perpétuel candidat devant le suffrage uni­versel des siècles? Nous nous délectons dans ce que vous appelez nos faisanderies de style, et nous délectons avec nous les raffinés de notre race et de notre heure. Il reste à savoir si notre excep­tion n'est pas une aristocratie, et si, dans l'ordre de l'esthétique, la pluralité des suffrages représente autre chose que la pluralité des ignorances. Outre qu'il est assez puéril de croire à l'immor­talité, puisque le temps approche où la mémoire des hommes, surchargée du prodigieux chiffre des livres, fera banqueroute à la [415] gloire, c'est une duperie de ne pas avoir le courage de son plai­sir intellectuel. Complaisons-nous donc dans nos singularités d'idéal et de forme, quitte à nous y emprisonner dans une soli­tude sans visiteurs. Ceux qui viendront à nous seront vraiment nos frères, et à quoi bon sacrifier aux autres ce qu'il y a de plus intime et de plus spécial en nous?

Les deux points de vue sont légitimes. Il est rare qu'un ar­tiste ait le courage de se placer résolument au second. Baude­laire eut ce courage et le poussa jusqu'à la fanfaronnade. Il se proclama décadent et il rechercha, on sait avec quel parti pris de bravade, tout ce qui, dans la vie et dans l'art, paraît morbide et artificiel aux natures plus simples. Ses sensations préférées sont celles que procurent les parfums, parce qu'elles remuent plus que les autres ce je ne sais quoi de sensuellement triste que nous portons en nous. Sa saison aimée est la fin de l'automne, quand un charme de mélancolie semble ensorceler le ciel qui se brouille et le cœur qui se crispe. Ses heures de délices sont les heures du soir, quand le ciel se colore, comme dans les fonds de tableaux du Vinci, des nuances d'un rose mort et d'un vert presque éva­poré. La beauté de la femme ne lui plaît que précoce et presque macabre de maigreur, avec une élégance de squelette apparue sous la chair adolescente, ou bien tardive et dans le déclin d'une maturité ravagée :

         ... Et ton cœur, meurtri comme une pêche,
   Est mûr, comme ton corps, pour le savant amour. 

Les musiques caressantes et languissantes, les ameublements curieux, les peintures singulières sont l'accompagnement obligé de ses pensées mornes ou gaies, "morbides" ou "pétulantes", comme il dit lui-même avec plus de justesse. Ses auteurs de chevet sont ceux dont je citais plus haut le nom, écrivains d'ex­ception qui, comme Edgard Poë, ont tendu leur machine nerveuse jusqu'à devenir hallucinés, sortes de rhéteurs de la vie trouble dont la langue est "marbrée déjà des verdeurs de la décom­position (1)". Partout où chatoie ce qu'il appelle lui-même avec [416] une étrangeté ici nécessaire "la phosphorescence de la pourri­ture", il se sent attiré par un magnétisme invincible. En même temps, son intense dédain du vulgaire éclate en paradoxes outranciers, en mystifications laborieuses. Ceux qui l'ont connu rapportent de lui, pour ce qui touche à ce dernier point, des anec­dotes extraordinaires. La part une fois taillée à la légende, il demeure avéré que cet homme supérieur garda toujours quelque chose d'inquiétant et d'énigmatique, même pour les amis inti­mes. Son ironie douloureuse enveloppait dans un même mépris la naïveté et la sottise, la niaiserie des innocences et la stupidité des péchés. Un peu de cette ironie teinte encore les plus belles pièces du recueil des Fleurs du mal, et chez beaucoup de lecteurs, même des plus fins, la peur d'être dupes de ce grand dédaigneux empêche la pleine admiration.


Tel quel, et malgré les subtilités qui rendent l'accès de son œuvre plus que difficile au grand nombre, Baudelaire demeure un des initiateurs féconds de la génération qui vient. Son influence n'est pas aussi aisément reconnaissable, que celle d'un Balzac ou d'un Musset, parce qu'elle s'exerce sur un petit groupe. Mais ce groupe est celui des intelligences distinguées: poètes de demain, romanciers déjà en train de rêver la gloire, chroniqueurs à venir. Indirectement et à travers eux, un peu des singularités psychologiques que j'ai essayé de fixer pénètre jusqu'à un plus vaste public; et n'est-ce pas de pénetrations pareilles qu'est composé ce je ne sais quoi dont nous disons : l'atmosphère morale d'une époque ?


[404] (1) Voir, dans les Fleurs du mal, la pièce en forme de pantoum, intitulée Harmonie du soir et numérotée XLVIII.

[407] (1) Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat. – C. BAUDELAIRE.

[410] (1) C'est le titre d'un des poèmes en prose de Baudelaire.

[411] (1) Mot de Baudelaire.

[412] (1) Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de 7,000 ans qu'il y a des hommes et qui pensent (Caractères).

       Je suis venu trop tard dans un monde trop vieux (Rolla).   

[415] (1) Théophile GAUTHIER: Étude sur Baudelaire.

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