Moechialogy  

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"J'ajouterai que ce livre est une prodigieuse moechialogie."--Maurice Heine


"Except for a few special volumes, unclassed, certain works, modern or undated, cabalistic, medical and botanical, sundry odd tomes of Migne's Patrology, preserving Christian poems not to be found elsewhere, and Wernsdorff's Anthology of the Minor Latin Poets, except for Meursius, Forberg's Manual of Classical Erotology, the Moechialogy and the Diaconals for the use of Father Confessors, which he would take down from the shelves to dust at long intervals, with these exceptions, his Latin collections stopped with the beginning of the Tenth Century."--À rebours (1884) by Joris-Karl Huysmans


"The celebrated Debreyne has written a whole book, composed of the most incredible details of impurities, to instruct the young confessors in the art of questioning their penitents. The name of the book is "Mœchiology," or "treaty on all the sins against the six (seven) and the nine commandments, as well as on all the questions of the married life which refer to them."--The Priest, The Woman And The Confessional (1875) by Father Chiniquy


"Suivant l'emploi que Maurice Heine en fait, on pourrait définir la moechialogie comme le rencensement de toutes les déviations sexuelles, y compris en fantasme, par rapport une norme. Moechialogie , paresthésies.""--Sade vivant (1986-1990) by Jean-Jacques Pauvert

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Mœchialogie, traité des péchés contre le sixième et le neuvième commandements du Décalogue (1845) is a book by Pierre Jean Corneille Debreyne.

Similar books have been written by Peter Dens, Alphonsus Liguori and Louis Bailly.

The word moechia[1] is Latin for adultery.

See also

Full text

TRAITÉ

DES PÉCHÉS CONTRE LES SIXIÈME ET NEUVIÈME COMMANDEMENTS DU DÉCALOGUE,

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P A R I S,

LIBRAIRIE 1)E PO U SS I E I, G l E -R OSA N D.

rue du Petil-Bourbon Saint-Sulpice, 5;

A LYON, CHEZ J, B. PÉLAGAUD ET C'«.


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MOECHIA LOGIE.


AUTRES OUVRAGES

DU MÊME AUTEUR.


ESSAI SUR LA THÉOLOGIE MORALE, considérée clans ses rapports avec la physiologie et la médecine. Ouvrage spécialement destiné au clergé. Quatrième édition, revue, corrigée et augmentée. Un fort v. in-8°.

Chez Poussielgue-Rusand, rue du Petit-Bourbon Saint-Sulpice, 3, à Paris.

PRÉCIS DE PHYSIOLOGIE HUMAINE, pour servir d’introduction aux études de la philosophie et de la théologie morale, suivi d’un Code abrégé d’hygiène. Ouvrage spécialement destiné au clergé et aux sémi- naires. Seconde édition, revue, corrigée et augmentée. Un gros v. in-8°.

Chez Poussielgue-Rusand, rue du Petit-Bourbon Saint-Sulpice, 3, à Paris.

PENSÉES D’UN CROYANT CATHOLIQUE, ou Considérations philoso- phiques, morales et religieuses sur le matérialisme moderne et divers autres sujets, tels que l’àme des bêtes, la phrénologie, le suicide, le duel, le magnétisme animal. Ouvrage destiné à la jeunesse lettrée et surtout aux jeunes gens qui se livrent à l’étude de la médecine, du droit, et à ceux qui se consacrent à l’état ecclésiastique. Troisième édition, nota- blement augmentée. Un fort vol. in-8°.

Chez Poussielgue-Rusand, rue du Petit-Bourbon Saint-Sulpice, 3, à Paris.

ÉTUDE DE LA MORT, ou Initiation du prêtre à la connaissance pratique des maladies graves et mortelles, et de tout ce qui, sous ce rapport, peut se rattacher à l’exercice du saint ministère. Ouvrage spécialement destiné aux ecclésiastiques qui ont charge d’âmes. Un fort vol. in-8°.

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THÉRAPEUTIQUE APPLIQUÉE, ou Traitements spéciaux de la plupart des maladies chroniques. Troisième édition, revue, corrigée et augmentée. Un vol. in-12.

Chez Baillère, rue de l’École de Médecine, 17, à Paris.


PARIS, IMPRIMERIE DE POUSSIELGUE rue du Croissant, 12.


IŒGHIALOGIE.

TRAITÉ

DES PÉCHÉS CONTRE LES SIXIEME ET NEUVIÈME COMMANDEMENTS DU DÉCALOGUE,

ET

DE TOUTES LES QUESTIONS MATRIMONIALES

QUI s’y rattachent directement ou indirectement;

suivi

D'UN ABRÉGÉ PRATIQUE D’EMBRYOLOGIE SACRÉE.

Ouvrage mis à la hauteur des sciences physiologiques, naturelles, médicales et de la législation moderne.

(il est exclusivement destiné au clergé.)

DOCTEUR EX MÉDECINE DE LA FACULTÉ DR PARIS, PROFESSEUR PARTICULIER DE MÉDECINE PRATIQUE, PRÊTRE RT RELIGIEUX DE LA GRANDE-TRAPPE, (ORNE. )

SECONDE ÉDITION,

REVUE, CORRIGÉE ET CONSIDÉRABLEMENT AUGMENTÉE.


Ecce hoc, ut investigavimus, ita est  : quod auditum, mente pertracta.

(Job, 5, 27.)


PARIS,

LIBRAIRIE DE POUSSIELGUE-RCSAND,

rue du Petit-Bourbon Saint-Sulpice, 5;

A LYON, CHEZ J. B. PÉLAGAUD ET


1846


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S’il est vrai, comme il n’est pas permis d’en douter, que toutes les vérités s’attirent et gravitent vers leur centre commun, qui est Dieu, il est incontestable que, dans aucune science, cette convergence n’est aussi évi- dente et aussi saisissable à tous les esprits justes que dans la science qui a pour objet Dieu et la religion, et qui constate et règle les rapports de l’homme avec Dieu.

Or cette science, c’est la théologie, qui est la science la plus nécessaire à l’homme, puisqu’elle lui présente la plus grande somme de vérités nécessaires à son exis- tence tant physique que morale, sans lesquelles il péri- rait infailliblement. Car il est évident que, sans Dieu ou sans aucun sentiment divin, l’homme ne pourrait vivre, même physiquement. S’ il était possible de trouver sur le globe une peuplade tout à fait athée, sans aucun senti- ment religieux ou sans aucune idée de la Divinité, ces hommes, sans aucun doute, finiraient par s’entre-dé- truire complètement.

La théologie, considérée au point de vue de son objet direct, est non seulement la science vitale et conserva- trice de l’humanité, elle est encore la plus liautejmis-


VI —


sauce sociale et civilisatrice qui soit donnée à l’homme pour le relever, l’ennoblir et le perfectionner. — Essayez de soustraire ce roi déchu au doux et bienfaisant empire de la religion, et bientôt vous le verrez, contempteur indifférent et superbe, franchir toute limite, et se préci- piter brutalement dans l’abîme de tous les vices et de tous les désordres, pour s’y abreuver d’opprobre et d’i- gnominie. Cinn in profundum venerit peccatorum con- temnit  : sed sequitur eum ignominia et opprobrium . (Prov. , 18, 3.)

Il est donc nécessaire d’étudier avec soin les dévia- tions et les aberrations morales de la nature humaine, afin que cette étude analytique contribue à la réhabiliter et à la faire rentrer dans le sentier de la vérité et de l’ordre, c’est à dire de la vertu.

Le but de ce travail est de prendre l’homme seule- ment par son côté charnel et animal  ; de le considérer dans cet état de servitude et d’abjection où l’enchaîne inexorablement l’empire tyrannique de ses sens  ; de le contempler enfin avec un sentiment de douloureuse com- passion dans l’état de dégradation morale où l’ont réduit de brutales et d’avilissantes passions.

Nous suivrons donc l’humanité dans la route fangeuse du vice honteux de la chair  ; nous marcherons dans cette voie sombre et méphitique de la mort, en portant tou- jours devant nous le flambeau des sciences physiolo- giques et médicales.

Quand nous aurons mis le pied sur le terrain mou- vant des opinions humaines, nous serons quelquefois


— MI —


forcé de nous écarter de la route de nos devanciers; c’est à dire que, d’un côté, nous laisserons tous les points contestables à l’état d’opinion libre, et qu’à l’aide des lois physiologiques nous en élèverons quelques- uns à l’état de principe  ; et que, d’autre part, nous ren- verserons quelquefois des propositions érigées en prin- cipe par une science inexacte ou fausse et contraire aux lois de l’organisme humain ou à l’observation patholo- gique. (1)

Peut-être ce langage pourra paraître un peu étrange ou même prétentieux à quelques esprits inattentifs ou prévenus. . . . Loin de nous cependant tout désir de dog- matiser ou d’innover: mais nous devons dire ce que nous croyons la vérité. D’ailleurs nous n’écrivons que sous l’empire de nos seules et intimes convictions; et ces convictions, nous les croyons inébranlables, parce- que, dans les points que nous présentons comme nou- veaux, elles sont fondées sur des données physiologi- ques et pathologiques qui tôt où tard donneront à ces nouveaux principes leur pleine et entière évolution. Ils résisteront donc aux siècles, ces principes, parcequ’ils ne relèvent pas d’eux, mais de la science même de l’homme ou des lois de l’organisme humain. De là sans doute on

(1) Si nous avons acquis quelque expérience en cette matière, c’est, il ïaut l’avouer, bien moins par la confession ( quoiqu’il y ait plus de vingt-cinq ans que nous exerçons le ministère de confesseur) que par les nombreux cas de conscience et les difficultés de toute espèce pour lesquels depuis longues années nous avons été consulté de toutes parts par un très grand nombre d’ecclésiastiques.


VIH —


pressent déjà que ce nouveau livre ne sera que le com- plément ou l’entier développement de notre Essai sur la théologie morale, ou plutôt il en sera comme le se- cond volume.

Nous l’avons déjà dit ailleurs, nous le répétons ici, car on ne peut pas se le dissimuler, le temps est arrivé de faire entrer l’enseignement de la théologie morale dans une voie nouvelle, une voie de lumière et de pro- grès; rien ne peut désormais s’y opposer; c’est une né- cessité de notre époque et de nos mœurs qu’il faudra né- cessairement accepter ou subir. La force des choses et de la vérité en impose, sous peine d’une stérilité mor- telle, l’impérieuse, l’indispensable nécessité. C’est en vain que quelques anciens du sanctuaire voudront s’y opposer  ; ils lutteront inutilement contre le mouvement progressif de leur siècle; ils seront débordés de toutes parts par la nouvelle génération cléricale et par la puis- sance irrésistible des idées et de l’opinion. On n’en- chaîne pas les jeunes et vives intelligences comme on asservit l’ enseignement de l’école. Quoi qu’on dise et qu’on fasse, l’esprit humain marchera et progressera; il secouera toutes les entraves qui embarrassent sa marche, et se fera jour à travers tous les obstacles.

Quant à ceux qui peut-être contesteront l’opportunité de cette publication, ou qui prétendront que nous n’a- vons pour cela ni titre, ni caractère, ni mission, nous leur dirons: nous ne vous reconnaissons ici d’autre droit que celui de nous lire et de nous réfuter. Réfutez-nous donc, et nous vous répondrons. Là est toute la question.


— IX


\ous recevrons d’ailleurs toujours avec plaisir et re- connaissance les observations que l’on voudra bien nous adresser, et nous en profiterons dans l’intérêt de la vé- rité et de la science.

Si quelques critiques voltairiens, fidèles à la maxime de leur maître, nous calomnient, fidèle aussi à la parole de notre maître, nous les plaindrons sans les craindre, et nous prierons pour eux  : Orale pro calumniantibm eo.s. Non, nous ne craindrons pas la calomnie; nous dédaignerons les attaques de l’impiété, du rationalisme et du matérialisme panthéistique. Nous mépriserons ces tristes productions littéraires, cette pâture immonde que l’on jette chaque jour aux intelligences alfamées de cy- nisme et de scandale (feuilletonisme) , et où, comme a dit naguère un savant évêque, tous les vices ont leurs tableaux vivants et toutes les hontes leur apologie. Ces déplorables fictions de talents en délire, bravant tout sentiment d’honnêteté et de pudeur, ne font jaillir des lumières que de la corruption elle-même, comme ces pâles lueurs qui s’échappent, dans une nuit obscure, de la putréfaction des cadavres: ce sont les lumières du tombeau. On peut dire avec un poète allemand que la lumière de l’impiété est sans feu, comme celle du bois pourri; et que son feu est sans lumière, comme celui de la fièvre: c’est donc une lumière de mort et un feu de trouble et de destruction.

Vous les avez entendues dernièrement ces voix rail- leuses, méprisantes, pleines de blasphème et de sacri- lège, s’élevant comme une tempête contre l’enseigne-


— X —


ment catholique, qu’elles appelaient à la barre du peuple. Sans doute le fait n’est pas nouveau. Étrangère dans ce monde, l’Église dans tous les âges fut exposée à toutes sortes d’insultes et d’outrages. Mais ce qui est nouveau, mais ce qui est étrange entre toutes les choses étranges de ce siècle, c’est la rencontre d’hommes qui ont perdu le sens de la pudeur, et qui se donnent comme les gardiens de la chasteté catholique. Leur vie est toute plongée dans la boue des sens; leur esprit n’est appliqué qu’à l’exploitation de la matière.... Et, qui pourra le croire  ! ces hommes osent accuser l’épiscopat français d’étouffer, par l’enseignement des grands sémi- naires, dans le cœur des jeunes lévites, ce qu’on a appelé la virginité du sentiment  !

Est-ce tuer la vertu dans les jeunes lévites que de leur révéler tout ce qu’il y a d’abaissement moral, d’in- fâmes mystères dans ce monde impur qu’ils sont appelés à ramener au règne de la vérité et de la vertu?

Vous appellerez donc aussi une flétrissure pour l’in- telligence et la vertu de tous ces jeunes hommes voués à la guérison des maladies corporelles l’initiation de plu- sieurs années au triste et dégoûtant spectacle des infir- mités humaines! car les études du médecin n’ont-elles pas aussi leur danger? Oui, certes; et ce danger est in- contestablement et plus certain, et plus réel, et plus présent  ; car dans les études médicales on ne s’exerce pas sur des idées et des principes purement spéculatifs, on travaille sur de matérielles et vivantes réalités  : tout donc peu devenir écueil, piège et danger dans l’ensei-


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ment médical auquel d’ailleurs aucun reproche n’est adressé par les hommes hostiles à l’éducation cléricale.

Mais nous demanderons à qui, en général, il convien- dra davantage d’appliquer le célèbre mot de S. Paul, omnia munda mundis , ou aux élèves du sanctuaire, ou aux élèves de la médecine? On sait que le médecin ne voit que les faits matériels, et qu’il ne cherche que les moyens de prolonger de quelques jours cette vie qui passe, tandis que le jeune candidat du sanctuaire étudie les faits dans un but moral, c’est à dire au point de vue de la véritable et parfaite moralisation de l’homme: il travaille donc pour le triomphe de l’esprit sur la matière, c’est à dire pour la conquête de la partie la plus noble de l’homme, tandis que le médecin n’aspire qu’à sauver l’enveloppe terrestre et animale de l’homme.

Ainsi donc, au lieu de blâmer les études cléricales et de calomnier l’enseignement théologique des séminaires, tous ces nouveaux aristarques qui se sont tout à coup abattus sur les livres des théologiens pour les travestir et les dénaturer, sans en comprendre ni la doctrine, ni l’esprit, ni même le langage, puisqu’ils prennent des pensées pour des actes matériels ou des péchés d’in- tention pour des péchés d’action; ces écrivains, disons- nous, ignorants ou de mauvaise foi, au lieu de calomnier ce qu’ils savent ou de blasphémer ce qu’ils ignorent, prouveraient mieux leur amour pour la vérité, pour l’hu- manité et le bonheur de la société, s’ils s’élevaient con- tre le vice et la corruption des mœurs, qui ont fait de ces sortes d’études une triste et déplorable nécessité.


XII —


Mais, après tout, à quoi bon se plaindre? Le temps ne nous viendra-t-il pas en aide pour faire justice de tou- tes les mauvaises passions qui se sont si impudemment déchaînées contre l’enseignement théologique de T épis- copat français? Les paroles de haine et de mensonge, les écrits des sophistes et des pamphlétaires passeront et viendront se briser contre la haute et puissante parole des dépositaires de la vérité  ; cette parole doctrinale des pontifes du Seigneur s’est fait entendre au loin: In omnem terram exivit sonus eorum. . . . (Ps. 18)  ; et cette vive et forte parole demeurera, parcequ’elle a été pro- férée au nom de celui dont les paroles ne passeront pas.


MOECHIALOGIE


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RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES

SUR LE PÉCHÉ DE LUXURE EN GÉNÉRAL.

On entend par luxure tout péché contraire à la chas- teté : castitati opponitur luxuria, quæ est inordinatus appetitus seu usus venereorum  ; ou tout simplement  : appetitus inordinatus delectationis venereæ. C’est la dé- finition des théologiens.

Tout péché de luxure ou de délectation charnelle est mortel de sa nature; il n’admet pas de légèreté de ma- tière, du moins quand il est directement opposé à la chasteté  ; cùm sit directè intentum vel volitum in se. La luxure, disons-nous, est ex genere suo, comme disenl les théologiens, un péché mortel. L’apôtre S. Paul, dans son Épître aux Galates, met le péché de luxure au nom- bre de ceux qui excluent du royaume de Dieu. Tous les Pères de l’Église et tous les théologiens sont unanimes sur ce point. Enfin la raison elle-même sanctionne cette immuable vérité  ; delectatio venerea ad solam generis humani propagationem indulta est  ; ergo ipsius inversio ex naturâ suâ gravis est inordinatio, ac proindè peccatum mortale; ergo, etc.

Nous avons dit que le péché de luxure n’admet pas de légèreté de matière. On sent assez que, sous ce rapport, il ne peut être question ici des péchés de luxure consom-


2


MOECHIALOGIE.


mée. Nous ne parlons donc que de la délectation charnelle, libidineuse, quæ, suivant le langage des théologiens, sen- titur circa partes venereas, et oritur ex commotione spi- rituum generationi inservientium. Nous conservons cette expression quoique fort peu physiologique, parcequ’elle traduit suffisamment ce qui se passe dans les organes. Cette délectation toute charnelle, différente de la délec- tation naturelle et organique dont nous parlerons bientôt, n’admet pas de légèreté de matière, comme on le voit par la condamnation de la proposition suivante  : « Est probabilis opinio, quæ dicit esse tantùm veniale osculum habitum ob delectationem carnalem et sensibilem quæ ex osculo oritur, secluso periculo consensûs ulterioris et pollutionis.  » (Décret d’Alexandre VII. )

La délectation naturelle et organique, comme disent les docteurs, est celle qui a lieu sans aucun mouvement déréglé, quæ sine ullâ sensûs genitalis commotione ori- tur, ex solâ proportione objecti ad sensum, vel ex con- formitate rei visæ aut tactæ cum organo visûs vel tactûs. « Undè, comme dit Billuart, non peccat, nisi venialiter, qui aspicit pulchram mulierem, aut tangit ejus manum seu faciem, præcisè propter delectationem merèorgani- cam seu sensualem.  » La délectation organique peut en- core avoir lieu in osculo dato puero decoro, et dans une foule d’autres circonstances. On admet donc la légèreté de la matière dans la délectation purement organique et naturelle, pourvu qu’il n’y ait pas de danger d’aller jus- qu’à la délectation charnelle. A delectatione sensuali ad veneream, maximè in sensu tactûs aut visûs, facilis est progressus, dit Billuart.

D’autres théologiens, entre autres S. Liguori, préten-


MOECHIALOGIE.


ô


dent, avec quelque modification pourtant, qu’il n’y a pas de légèreté de matière dans la délectation naturelle et sensible (organique). « Non datur parvitas materiæ in delectatione sensibili, sive naturali, nempè, si quis de- lectetur de contactu manûs feminæ, prout de contactu rei lenis, putà rosæ, panni sericis, et similes... Ratio, quia tactus, secundùm quôd sunt delectabiles juxta sen- sum tactûs puellæ, vel adolescentis, per se ad pollutionem ordinantur... quia ob corruptam naturam est moraliter impossibile habere illam naturalem delectationem, quin delectatio carnalis et venerea sentiatur, maximè à per- sonis ad copulam aptis, et maximè si actus isti habeantur cum aliquo affectu et morâ... Notandum verô aliud esse, ajoute le même théologien, agere propter delectationem capiendam , aliud cum delectatione , quæ consurgit ex qualitatibus corporibus annexis, in quâ benè potest dari parvitas materiæ, si delectatio sit merè sensibilis, sive naturalis  ; modo non sistas in eâ, sed in tactu delectatio- nis detesteris , alias non ageres cum delectatione , sed propter delectationem  ; quod non potest esse sejunctum à periculo incidendi in delectationem veneream.  » (Lib. III, n° 416.)

Nous pensons que l’on peut admettre, avec Sanchez, Billuart, Collet, Mgr Bouvier et un très grand nombre d’autres théologiens, la légèreté de matière dans la dé- lectation purement naturelle et organique, parcequ’une telle délectation n’est point intrinsèquement mauvaise ou mauvaise en soi  : c’est la fin légitime des sens, sensu ge- nitali secluso. Cependant la délectation organique, quoi- que honnête et tolérable au point de vue théorique, est souvent pleine de danger dans la pratique, à moins qu’elle


U MOECHIALOGIE.

ne soit de très courte durée. Elle est du reste rarement exempte de tout péché. Propter ipsius affinitatem cum delectatione carnali vel venereâ et quandô morosè fit. præsertim in tactu  ; eam à mortali non facilè excusant Billuart, DD. Bouvier et alii multi non rigidiores theo- logi, nisi fortè, inquiunt, defectu advertentiæ vel con- sensûs.

Nous ferons remarquer à ce sujet qu’il est des indi- vidus tellement organisés que presque toute délectation organique volontaire est pour eux un écueil très dan- gereux, contre lequel très souvent leur fragile vertu vient se heurter et se briser. Il y a plus, nous avons rencontré des personnes très nerveuses et tellement sen- sibles et impressionnables que non seulement la délec- tation organique ordinaire, comme la vue pulchræ mulieris, mais encore la pensée, le souvenir, la voix d’une femme, un objet féminin, moins que tout cela, une ombre, un fantôme, un rien les jetaient dans une telle perturbation érotique qu’elle allait quelquefois jus- qu’à la contamination corporelle. Ceci s’applique égale- ment et même davantage aux femmes, puisque la femme, comme on sait, est généralement beaucoup plus nerveuse que l’homme, ou plutôt, toute pétrie qu’elle est de nerfs et de sensibilité, elle est l’être le plus sensible et le plus impressionnable de la nature vivante. Trop souvent chez la femme le sentiment érotique ne se borne pas au sens génital; il saisit tout son corps, et domine tout son être physique et moral. De là souvent l’érotomanie ou plutôt la nymphomanie ou la fureur utérine. (Voyez notre Essai sur la théologie morale , h6 édition.)

Enfin on peut rattacher ou du moins ajouter à ce que


MOECHIALOGIE.


nous venons de dire sur la délectation naturelle ou or- ganique, les embrassements d’amitié, comme forme de salutation, suivant les mœurs et les usages du pays. Or- dinairement ces sortes de démonstrations d’honnêteté ou d’affection excluent toute faute même vénielle. Oscula, amplexus, tactusinpartibuslionestis, si fiant tantùm offi- cii, moris aut consuetudinis patriæ, aut urbanitatis, amicitiæ, réconciliation^ causâ, etiamsi suboriatur de- lectatio venerea, modô statim reprimatur, non sunt pec- cata. (S. Thomas, S. Antonin, S. Liguori, Sylvius, Bil— luart, etc.) In his tamen sedulô servanda est decentia statûs  ; quod enim licitum est laicis dedecet in clericis, et maximè religiosis. « Cavendum est, dit Mgr Gousset dans sa Théologie morale, ne aspectus, oscula, tactus, etiam ea quælicitasunt, fiant cum nimiâ morâ autnimio ardore, propter periculum commotionis carnalis, quam vitare debemus in quantum potest.  »


6


MQECHI ALOGtE .


PREMIÈRE PARTIE.

DE LA LUXURE CONSOMMÉE ET NON CONSOMMÉE.

La luxure est consommée lorsqu’elle va usque ad seminis efïusionem  ; non consommée quand elle reste en- deçà.


CHAPITRE PREMIER.

DE LA LUXURE CONSOMMÉE.

Les péchés de luxure consommée se divisent en péchés contre la nature et en péchés suivant la nature, ce qui fera la matière de deux articles.

ARTICLE PREMIER.

DU PÉCHÉ DE LUXURE CONTRE LA NATURE.

Ce péché est appelé contre nature, parcequ’il consiste in seminis effusione modo generationi contrario  ; ou au- trement parcequ’il est opposé à la fin à laquelle semen humanum à naturâ destinatum est. Il est de trois espè- ces : la pollution, la sodomie et la bestialité. De là encore trois paragraphes.


>I0ECHIAL0GIE.


SI-

DE LA POLLUTION EN GÉNÉRAL.

Ce que les théologiens entendent par pollution, c’est la masturbation , Y onanisme solitaire, Y incontinence se- crète, le mollities, etc., c’est à dire voluntaria seminis elFusio extra copulam.

Le semén liumanum ou le sperme humain est humor viscosus, spissus, d’une odeur spécifique, sui generis, assez connue. Le sperme normal, parfaitement élaboré, renferme des animalcules microscopiques appelés zoo- spermes par les naturalistes. Ces animalcules speima- tiques ne paraissent pas avant la puberté, disparaissent pendant l’état de maladie et ne s’observent plus pendant la vieillesse. L’humeur delà distillation, comme disentles théologiens, n’en contient pas non plus, puisque cette excrétion urétrale n’est point du sperme, mais seule- ment le produit de la sécrétion de la glande prostate et des follicules muqueux de l’urètre.

Nous ne parlerons pas ici des désordres physiques et moraux que produit la masturbation, cette dégra- dante et tyrannique passion, ce fléau destructeur, cet horrible cancer enfin qui dévore toute vivante la jeu- nesse de l’un et de l’autre sexe. Nous renvoyons le lec- teur, pour ces tristes et déplorables détails, à notre Essai sur la théologie morale (quatrième édition).

Il ne sera donc ici question que de la pollution consi- dérée en tant que péché, c’est à dire de la pollution vo- lontaire ou de la masturbation, qui est un mal essentiel,


8


M0ECHIAL0G1E.


intrinsèque, et défendu par conséquent par le droit na- turel, jure naturali.

Cette criminelle et honteuse pratique ne peut donc ja- mais être autorisée même par les plus puissants motifs, tels que ceux de recouvrer la santé et même d’éviter la mort.

On divise la masturbation, l’onanisme solitaire ou la pollution 1° en pollution simple et qualifiée , comme di- sent les théologiens, ou plutôt composée puisqu’elle ren- ferme une double malice  ; 2° en pollution volontaire et involontaire  ; 3° en pollution volontaire directe ou en soi, et en volontaire indirecte ou volontaire dans sa cause.

La pollution simple est celle, quæ, en style théologi- que, aliam malitiam non habet adjunctam, ut si quis, nullo personali vinculo ligatus, in propriâ delectatione suâ sistens, corpus suum polluât. •

La pollution est dite qualifiée ou composée quand elle renferme une double malice: d’abord celle de la pollu- tion simple à laquelle s’ajoute une autre malice, ex parte objecti cogitati vel concupiti, vel ex parte polluti, vel polluentis. 1° Ex parte objecti cogitati pollutio induit malitiam adulterii, incestûs, stupri, sacrilegii, etc., prout se polluene cogitât de conjugatâ, de consanguineâ, devirgine, de Deo sacrâ, etc.  ; 2° ex parte polluti aut pol- luentis, sinempè sit conjugatus, aut Deo per votum vel per ordinis sacri susceptionem consecratus  : nam explicandæ sunt conditiones personæ polluentis aut pollutæ, utpotè superaddentes malitias specie diversas. Itemomnessupra- dictæ circumstantiæ necessariô aperiendæ sunt in confes- sione, quia speciem peccati mutant et malitiam addunt. La pollution volontaire est celle qui est faite avec


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intention directe, ou dont on pose volontairement la cause  ; elle est involontaire si elle a lieu sans la coopé- ration de la volonté, soit dans l’état de veille, soit pen- dant le sommeil. Cette dernière n’étant point péché, nous la passerons ici sous silence. Nous parlerons seule- ment: 1° de la pollution volontaire en soi ou directe- ment voulue ou la masturbation  ; 2° de la pollution vo- lontaire dans sa cause, ou indirectement voulue  ; 3° de la pollution nocturne  ; h° de la pollution diurne  ; 5° de mouvements déréglés  ; 6° de la conduite du confesseur envers les masturbateurs  ; 7° de la masturbation consi- dérée dans le sexe féminin  ; 8° de la pollution nocturne et diurne chez la femme. *

SECTION PREMIÈRE.

L’onanisme solitaire, la masturbation ou la pollution volontaire en soi ou directement voulue ( mollities ).

C’est, comme nous l’avons déjà dit, un péché mortel de sa nature et contre la nature.

L’action d’Onan qui semen fundebat in terram est déclarée détestable dans la sainte Ecriture. (Gen., 38.) L’apôtre S. Paul dit  : Neque adulteri neque molles reg- num Dei possidebunt. (I Cor., 6.) Innocent X a con- damné la proposition suivante de Caramuel  : Mollities jure naturœ prohibita non est  ; undè si Deus eam non interdixisset, sœpè esset bona, et aliquando obligatoria sub mortali.

Il est une espèce de souillure manuelle qu’on pourrait appeler incomplète, nerveuse, sèche, en tout point sem- blable pour la forme extérieure, sil’onpeut parler ainsi,


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à la masturbation proprement dite, mais avec cette dif- férence quelle ne va pas jusqu’à la consommation de l’acte. Cet état d’éréthisme ou d’agitation plus ou moins violente excitée par la passion est déjà un grand désor- dre et une faute très grave, quoique moindre que le crime de l’onanisme consommé, où la passion est plei- nement satisfaite. Dans ce dernier cas, la faute est au dernier degré de gravité dans son espèce. Il est bon de faire observer que cette espèce de masturbation nerveuse et incomplète ne laisse pas d’exercer une très funeste influence sur tout l’organisme, et, par conséquent, sur la santé en général, comme le prouve la masturbation chez les impubères ou les erffants encore incapables de sécrétion séminale.

SECTION DEUXIÈME.

De la pollution volontaire dans sa cause ou indirectement voulue.

C’est maintenant ici la pollution proprement dite que nous définissons toute évacuation spermatique, soit noc- turne, soit diurne, matériellement et actuellement invo- lontaire. Ce n’est plus la masturbation qui vient de manustrupatio, mot dont tout le monde comprend la signification. Cette sorte de pollution reconnaît deux causes: l’une prochaine et l’autre éloignée. La cause prochaine est celle qui, de sa nature, porte directement et notablement à la pollution, ut, v. g., organa genitalia propria vel aliéna conspicere, verba obscena proferre, co- gitationes valdè turpes in mente morosè pervolvere, etc.

La cause éloignée n’est pas de nature à produire di-


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rectement la pollution  ; elle ne l’occasionne que par acci- dent et contre l’intention des personnes. Ces sortes de causes sont ordinairement un excès dans le boire et dans le manger, l’étude des matières érotiques, l’au- dition des confessions, l’équitation ou l’exercice du che- val, etc.

Ces diverses causes peuvent être, comme disent les théologiens, ou licites, ou véniellement mauvaises, ou mortellement mauvaises. Elles sont aussi relativement plus ou moins prochaines et plus ou moins éloignées, comme les causes prochaines elles-mêmes, suivant leur intensité, les tempéraments, les caractères, les disposi- tions, la sensibilité et l’impressionnabilité des personnes.

Pour mieux apprécier l’application de ce qui précède, il faut faire remarquer 1° que moins une cause est licite, plus sera grave la malice de son effet ou la faute com- mise ; 2° que plus il y a de danger de consentir à l’effet que produira la cause, plus sera grave la faute de celui qui a posé cette cause  ; 3° que plus la cause agit prochai- nement sur son effet, plus il faut avoir de raison pour la poser ou ne pas Fêter; k° enfin, que plus le bon effet l’emporte sur le mauvais, moins il faut avoir de raison pour poser la cause, et vice versâ.

Cela posé, il est certain que celui qui pose une cause mortellement mauvaise et proximè aut ex naturâ suâ in pollutionem influentem, v. g. propria vel alterius verenda libidinosè tangendo , vel aspiciendo , sibi permittendo quasdam positiones vel corporis motus inhonestos, etc. , ipsam pollutionem indè consequentem censeri velle, ac proindè mortaliter peccare, quamvis pollutionem exci- tare non intendat vel istam rejiciat.


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Maintenant il nous reste à examiner si une pollution produite par une cause licite, ou véniellement mauvaise, est péché et à quel degré elle est péché.

Il y a péché mortel à faire, sans nécessité ni utilité, une action licite en soi, mais que l’on prévoit devoir être prochainement suivie d’une souillure corporelle, parceque l’on coopère efficacement à un effet mortelle- ment mauvais, sans avoir aucune raison d’excuse légi- time.

Il y a péché mortel à faire, même pour l’utilité de soi ou d’autrui, une action licite en soi, mais qui, par une disposition particulière de la personne qui agit, produit une pollution par sa forte et prochaine influence  : dans ce cas, disons-nous, il y a péché mortel, s’il existe un danger prochain de consentir à la souillure corporelle  ; car c’est une faute mortelle de s’exposer volontairement à un tel péril sans une grave nécessité. — Si une telle nécessité se présente, quelle soit urgente, qu’on n’ait intention que de bien faire et de ne pas consentir à la contamination corporelle qui pourra s’ensuivre, il n’y a aucun péché, parceque, de l’aveu de tous les théologiens, il est permis de faire, pour une raison grave, une action qui doit produire deux effets, un bon et un mauvais, pourvu qu’on se propose le bon effet en souffrant le mau- vais sans y consentir. Undè medicus vel chirurgus, comme disent les théologiens, qui ad curandam infirmi- tatem aut procurandum partum, pudenda mulieris tangit aut aspicit, et pollutionem hâc occasione experitur, non peccat, modô ei non consentiat, etiamsi proximo peri- culo consentiendi se exponat. Cependant, ajoutent les mêmes théologiens, le médecin ou le chirurgien devrait


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renoncer à sa profession s’il se trouvait fréquemment exposé à ce genre de danger, si ejusmocli periculum fré- quenter incurrat , c’est à dire apparemment si l’accident ou la souillure corporelle lui arrivait souvent, parceque, ajoute-t-on, la nécessité de son salut doit l’emporter sur tout le reste. Cette décision nous paraît un peu sévère, c’est une parole dure, durus est hic sermo , surtout lors- qu’il y a, comme on le suppose, absence de tout consen- tement. Et ce défaut de consentement à un mal qui ne doit presque jamais arriver n’est pas non plus par là d’un grand mérite. Il est un sentiment profond qui saisit et domine tout entier l’homme de l’art dans l’exercice de son redoutable ministère  ; ce sentiment, c’est celui d’un grave devoir à remplir et souvent d’une secrète inquié- tude en face de dangers présents ou possibles  ; et ce sen- timent est bien propre, comme le prouve l’expérience, à étouffer tout autre sentiment, même à prendre les choses dans la masse des médecins, des chirurgiens et des ac- coucheurs, qui certes sont loin pour la plupart de prendre les saintes précautions dont se munissent les médecins des âmes alors qu’ils traitent les maladies spirituelles.

S. Liguori paraît moins sévère sur ce point. Voici com- ment il s’exprime sur cette question  : «Quid, si chirurgus in feminis medendis aliquoties miserè consenserit in pol- lutionem, an tenetur officium derelinquere  ? Probabile est quôd non teneatur, modô proponat debitis mediis se munire... Idem dicitur de parocho, qui in eamdem mi- seriam pluries lapsus fuerit in excipiendis confessionibus; secùs verô de simplici confessario, qui, sine gravi detri- mento famæ vel facultatum, exercitium deserere possit audiendi confessiones.,. At quid, si hujusmodi personæ


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semper, vel ferè semper, lapsæ fuerint, et nulla ratio- nabilis spes affulgeat emendationis  ? tune dicimus eos teneri cum quâcumque jacturâ officium deserere.  » (Lib. 3, n. 483.)

Celui qui, pour Futilité de soi ou d’autrui, fait une ac- tion avec la prévision qu’il s’ensuivra une pollution, sans qu’il y ait toutefois danger prochain de consentement, ne pèche pas du tout, pareequ’il a une raison suffisante de permettre un mauvais effet qu’il n’a point en vue et qu’il n’approuve pas. C’est le sentiment de S. Thomas et de la généralité des théologiens. « Hinc, comme ils disent, docendi vel discendi causâ licet rebus venereis studere, confessiones audire mulierum, cum eis utiliter, honestè et prudenter conversari, eas cum gravi decentiâ visitare et pr opter urgentem convenientiam, vel etiam inter laicos decenter amplecti eas juxta morem patriæ, equo utiliter insidere, certo modo cubare quandô aliter dormire nequeat, moderatè uti potu ciboque calidis aut alio modo ad sanitatem præscriptis, vel tantùm apponi solitis, servire infirmis, eos in balnea mittere, artem chi- rurgi aut obstreticis exercere, etc. , quamvis prævideatur pollutionem indè secuturam, dummodô non intendatur et firmum existât propositum ei non consentiendi cum spe^fundatâ in proposito perseverandi, quod in genere dignoscitur ex his quæ quis jam expertus est, tùm ex defectu timoris peccati,] tùm fragilitate personali, tùm propensione ad malum, similibusque circumstantiis.  » « Si verô, comme le fait observer M&r Bouvier, nulla aut levior utilitas suaderet actiones in pollutionem sic influentes, ab eis sub peccati veniali aut mortali abs- tinendum esset, prout leviter aut graviter in pollutionem


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inilueret, v. g. si usus cafœi, aquæ-vitæ, vini puri, etc., sanitati non inserviens, ut communiùs, pollutionem in te excitet, ab illo abstinere teneris, sub veniali, si, in- fluxus sit tantùm probabilis, et sub mortali, si, ob ali- quas causas tibi personales, influxus sit proximus, et ef- fectus quasi moraliter certus.  »

Poser une cause véniellement mauvaise qui influe pro- chainement sur la pollution est un péché mortel. « Undè, dit le célèbre auteur que nous venons de citer, si quis, ratione imbecillitatis suæ, pollutionem experiri soleat mulierem in partes honestas rnorosè aspiciendo, manum ejus tangendo, digitos torquendo, cum eâ fabulando, eam sine causâ decenter amplexando, choreis assistendo, etc. , ab his actibus sub peccato mortali abstinere tenetur.  »

Les péchés véniels dont nous venons de parler, n’ in- fluant ordinairement que d’une manière éloignée et par accident sur la pollution, qui n’arrive par conséquent que rarement, ne blessent la chasteté que d’une manière lé- gère, pourvu qu’il n’y ait pas de consentement ou dan- ger prochain de consentement. La raison en est que la cause est légère et éloignée, et n’influe que légèrement et par accident sur la pollution, et que celle-ci enfin a lieu, suivant l’hypothèse, sans consentement et sans dan- ger prochain de consentement. D’ailleurs des causes éloignées sont censées moralement n’être pas des causes suffisantes: c’est la doctrine commune des théologiens et. de S. Thomas.

On ne pèche pas mortellement, disent-ils, quand on ne fait qu’une action légèrement mauvaise, comme serait, par exemple, un regard trop curieux, un repas un peu trop copieux, bien que fait avec prévision de la consé-


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quence de mouvements charnels ou de pollution, sans toutefois les avoir eus en vue, et sans qu’il y ait danger d’y consentir. On donne pour raison que ces sortes de causes ne peuvent être évitées que difficilement, qu’ elles ne produisent pas l’effet d’une malice consommée, et que cet effet, dans l’espèce posée, est encore éloigné, effectus remotus.

Mais si la cause des mouvements charnels ou de la pollution, agissant d’une manière éloignée, est mortelle en soi, quoique non contre la chasteté, comme l’ivresse, alors cette cause sera péché mortel en soi , mais pourra n’être que vénielle dans son effet, parceque cet effet est le résultat d’une cause qui n’a influé que d’une manière légère, éloignée et par accident. 11 en serait autrement si ce péché, par des circonstances particulières, entraînait fréquemment la contamination corporelle  : il serait censé alors influer prochainement sur la pollution. C’est le sen- timent de S. Liguori, de Busembaum, de Sanchez, de Navarre, de Bonacina, de Lessius, de Layman et de plu- sieurs autres cités par le saint. C’est aussi l’opinion de Billuart et de M^r Bouvier. Cependant on trouve dans les Conférences d’Angers une opinion qui paraît différer du sentiment commun. Elle est exprimée en ces termes  : Si causa ei (pollutioni) data sit per ebrietatem ... erit pec- catum mortale. Ces paroles apparemment ne doivent s’appliquer qu’à la restriction qui termine la proposition et non à la proposition elle-même.

Aux principes que nous venons de formuler et qui, pour le fond, sont ceux de Mgr Bouvier, nous allons join- dre un court extrait de la doctrine de Billuart, qui pourra répandre un nouveau jour sur l’obscure et difficile ma-


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tière qui nous occupe, en laissant toutefois à cet auteur célèbre ses erreurs physiologiques, qui lui sont communes avec les théologiens de son temps et même avec ceux qui sont venus depuis lui.

Il est permis de faire une action avec la prévision qu’il s’ensuivra une pollution, quand cette action est licite de sa nature et en même temps nécessaire ou utile. La souil- lure corporelle quelle pourra déterminer est sans péché, pourvu qu’il n’y ait point de consentement ni danger prochain de consentement  : c’est conforme à la doctrine de S. Thomas, qui déduit la malice et l’in culpabilité de la pollution de sa cause  : de sorte que, si la cause n’est pas mauvaise, la pollution ne l’est pas non plus; si elle est vénielle ou mortelle, la pollution est vénielle ou mor- telle, soit que la souillure corporelle survienne la nuit pendant le sommeil, ou le jour dans l’état de veille. Quelle que fût la cause, la faute serait mortelle si on l’a- vait eue en vue ou voulue  : si peccatum intenderetur.

Personne n’est obligé de s’abstenir d’une action licite en soi et en même temps nécessaire ou utile, à cause de quelque léger mal quelle produira contre son intention, surtout si ce mal n’arrive que par accident et par la né- cessité de la matière. Il est censé, dans l’espèce, n’avoir point été voulu par celui qui a agi. C’est ainsi qu’il est permis, pour enseigner et pour apprendre, rebus vene- reis studere, etc., etc. (Voyez plus haut, page lh.)

Nous avons dit  : quand l'action est licite en soi et en même temps nécessaire ou utile; car, s’il n’y avait aucune raison d’utilité ou d’honnête convenance, l’action licite par elle-même ne pourrait se faire sans péché véniel ou mortel, suivant qu’elle influerait plus ou moins sur la


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pollution consécutive prévue. Ainsi, voyager à cheval lorsqu’on pourrait le faire tout aussi commodément en voiture, prendre pour dormir un certain décubitus plutôt qu’un autre tout aussi commode, user de telle nourriture plutôt que de telle autre aussi bienfaisante et aussi salubre lorsqu’on le peut commodément, etc. , c’est un péché véniel de ne pas s’en abstenir, en raison ou à cause de la prévision d’une pollution consécutive. La rai- son en est que cette contamination corporelle, qu’on n’a point eue en vue, ni désirée, ni voulue, mais qui est un pur effet de la nécessité de la matière et de l’impul- sion de la nature, n’est pas un désordre grave. Mais c’est pourtant un certain déréglement, une sorte d’anormalité morale, en ce sens que cet accident jette un certain trou- ble dans l’âme, inquiète l’esprit et peut exciter au dé- sordre auquel il ne faut fournir aucune occasion même accidentelle, et que l’on doit au contraire éviter si on le peut commodément  ; autrement le déréglement produit serait censé volontaire au moins imparfaitement.

Notez, une fois pour toutes, et nous l’avons déjà dit plusieurs fois, que les fautes cessent absolument d’être vénielles s’il y a consentement ou danger prochain de consentement. Car consentir directement à une pollution est toujours un péché mortel, et par conséquent s’ex- poser au danger prochain de ce consentement est éga- lement une faute mortelle. Chacun peut connaître et ap- précier ce danger prochain par sa propre expérience et par la disposition actuelle de sa volonté; ou, en d’autres termes, l’existence du danger prochain du consentement se fera connaître par la fréquence des fautes mortelles en semblable occasion, et son absence par leur rareté.


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Quand une action faite avec prévision d’une pollution est péché véniel (soit en matière de luxure ou en toute autre) , et que cette cause vénielle n’influe sur la pollu- tion que légèrement et d’une manière éloignée, la pollu- tion elle-même qui en est l’effet n’est qu’une faute vé- nielle, et par conséquent on n’est obligé de s’abstenir de cette action que sous péché véniel, en sous-entendant toujours l’absence du consentement ou du danger pro- chain du consentement. Ce point est encore conforme au principe S. Thomas  : de metiendâ culpâ pollutionis ex cansâ. Undè Cajetanus dicit  : « Actus materialiter mor- talis, quandô non est voluntarius nisi indirectè et in causâ, judicandus est secundùm illam causam  ; et ideô effusionem seminis humani extra matrimonii actum posse esse solùm veniale defmitum est, quandô actus in causâ solùm fuit peccatum veniale, ut patet in pollutione noc- turnâ, ex delectatione veniali per diem habitâ, consé- quente. )> La raison en est qu’une pollution n’est péché qu’ autant qu’elle est volontaire  : or, dans l’espèce, elle n’est volontaire que dans sa cause vénielle, imparfai- tement et secundùm quid , suivant le langage de l’école  ; donc elle n’est péché qu’ imparfaitement et secundùm quid , c’est à dire véniellement. De plus, dans le cas posé, on ne pèche qu’à cause de la pollution dont on n’a pas ôté la cause  : or, on n’est pas tenu de T ôter sous péché mortel; donc on ne pèche que véniellement.

De tout ce qui précède il résulte que la pollution n’est que péché véniel lorsqu’elle provient ex colloquio non diuturno cum puellâ, vel ex tactibus, amplexibus, osculis quæ venialia sunt in materiâ luxuriæ, sive ex imperfec- tione actûs, sive quia fiunt ex levitate, joco, curio-


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sitate, aliove motivo non libiclinoso, etsi ex his prævi- deatur secutura pollutio. Toutes ces fautes étant vé- nielles en soi et comme cause de la pollution, sur laquelle elles n’influent que d’une manière légère et éloignée, ne rendent par conséquent celle-ci que péché véniel, en supposant toujours l’absence du consentement, etc. On doit raisonner de même à plus forte raison sur les causes vénielles dans toute autre matière, qui n’influent que d’une manière éloignée sur la pollution  ; telles seraient les fautes vénielles commises par quelque excès dans le boire ou dans le manger.

Quand enfin une action est mortelle en soi et faite avec prévision directe d’une pollution sur laquelle elle influe notablement et prochainement, on est tenu de s’en abs- tenir sous peine de péché mortel, non seulement par la raison de la cause mortelle, mais encore par celle de son effet également mortel et rendu tel par la cause.

Hinc colligendum, diuturnas et intensas cogitationes, seu delectationes impudicas, aspectus, tactus, amplexus, oscula, turpiloquia quæ sunt peccata mortalia in genere luxuriæ, sive ex objecto secundùm se obsceno, sive ex affectu libidinoso, si ex illis prævideatur pollutio secu- tura, licèt non intendatur, esse peccata mortalia, non solùm in se, sed etiam ut causa pollutionis, ita ut pollu- tio secutadebeat explicari in confessione, utpotè volun- taria et mortaliter mala; quia hæc omnia graviter et proximè influunt in pollutionem.

Encore deux mots, pour terminer, tirés de S. Liguori. Nous citerons textuellement  : « Sententia communis et probabilior docet pollutionem non esse mortalem, nisi proveniat ex causa per se mortali, in genere luxu-


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riæ... Ratio cur causa debeat esse per se mortalis, est quia, cùm pollutio non sit volita in se, sed tantum in causa, eo gradu mala erit, quo mala est in ipsâ causa. Ratio autem cur debeat insuper esse mortalis in eodem genere luxuriæ, est qui, cùm causa leviter ad pollutio- nem concurrat, non est gravis obligatio causam illam vitandi,ob pollutionem, quæpræterintentionem accidit.» (Lib. 3, n° 484.)

SECTION TROISIÈME.

De la pollution nocturne.

La pollution nocturne est celle qui survient ordinai- rement pendant le sommeil de la nuit. Il serait plus exact et plus convenable de l’appeler active , parcequ’elle a lieu avec éréthisme  ; et alors toute contamination sémi- nale offrant ce caractère et survenant même dans l’état de veille serait une pollution active, par opposition à la pollution passive ou diurne. Cette dernière n’a lieu que le jour ou pendant la veille et sans aucun éréthisme, or- dinairement au moment de la défécation, même quel- quefois après la miction ou l’émission des urines, très souvent sans la moindre sensation et même à l’insu des personnes. C’est la source de bien des maux et d’un épuisement constant et inévitable.

Les distinctions que nous venons d’indiquer étant plus utiles aux pathologistes et aux médecins qu elles ne con- viennent à notre objet, qui est la conduite morale, nous conserverons l’ancienne division de pollution nocturne et diurne.

La pollution nocturne ou active a ou peut avoir lieu

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chez tous les hommes, depuis la puberté jusqu’à la vieil- lesse plus ou moins avancée. Comme son nom l’ indique, elle survient la nuit ou pendant le sommeil. Si le som- meil est imparfait, elle peut être semi-volontaire, et par conséquent péché véniel  ; si le sommeiJ est parfait, la pollution est tout à fait involontaire et conséquemment exempte de toute faute. Elle ne pourrait être péché que dans sa cause.

Il est certain que celui-là pèche mortellement qui pose une cause dans l’intention qu’il en résulte une pollution pendant le sommeil, comme, par exemple, certo situ cu- bando, cogitationes valdè turpes in mente pervolvendo, ut subrepat turpe somnium, se impudicè tangendo, etc. Ce cas excepté, il nous faut examiner quelles sont les causes dçs pollutions nocturnes et comment elles influent sur elles.

$. Thomas, avec tous les autres théologiens, distin- guent trois sortes de causes  ; la première corporelle, la seconde spirituelle intrinsèque, et la troisième spirituelle extrinsèque.

La cause corporelle n’est autre chose qu’un excès de plénitude, une pléthore spermatique qui détermine une déplétion exonérative pour l’allégement des organes et le soulagement du corps. Cette exubérance séminale, produite par un grand nombre de causes dont nous avons longuement parlé dans un autre ouvrage, est diminuée et réduite à une juste mesure par une foule de circonstances ou de causes tant physiques que morales, qui sont autant d’occasions déterminantes de la pollution nocturne, comme le décubitus dorsal, la mollesse et la chaleur du lit, l’exercice du cheval, un tempérament érotique ou ardent, une excessive sensibilité nerveuse et sur-


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tout de longues et anciennes habitudes depuis longtemps contractées et actuellement révoquées et détruites sans retour.

Les causes spirituelles intrinsèques sont toutes celles qui précèdent de plus ou moins près le sommeil, qui par elles-mêmes portent naturellement au péché de luxure, et dont plusieurs sont déjà de vraies fautes contre la chas- teté, comme les pensées volontaires d’impureté, la délec- tation morose, les mauvais désirs, les entretiens pro- longés et trop libres avec les personnes de l’autre sexe, les lectures des livres obscènes, l’assistance aux spec- tacles et aux bals, etc.

La cause spirituelle extrinsèque est, suivant S. Tho- mas et tous les autres docteurs, l’influence ou l’œuvre du démon, lequel, d’après ce sentiment universel et una- nime, se jouant, comme ils disent, de l’imagination de l’homme et remuant les esprits génitaux, excite par là la pollution, « phantasiœ illudendo et spiritus génitales commovendo, pollutionefn excitât.  » Ces dernières souil- lures, ajoute-t-on, provenant d’une cause extrinsèque, comme on dit, à la volonté, à causa voluntati extrinsecû, ne peuvent être imputées à péché, s’il n’y a point de con- sentement actuel. Il s’ensuit donc qu’on doit assimiler ces dernières pollutions à celles qui sont produites par la première cause, ou la cause corporelle, lesquelles sont également exemptes de toute faute. Il s’ensuit donc enfin qu’on peut faire rentrer cette dernière cause, ou la cause spirituelle extrinsèque, dans la première ou la corporelle, c’est à dire qu’on peut la supprimer.

Quant aux autres pollutions, il faut examiner quelle en est la cause; si elle est licite, ou véniellement ou


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mortellement mauvaise, et si elle influe sur elles d’une manière prochaine ou éloignée. Par là on pourra juger prudemment s’il y a péché et quelle espèce de péché. Si la chose est licite et qu’il existe un motif raisonnable pour la faire, il n’y aura nul péché, ou du moins le pé- ché ne sera pas mortel, à moins que la cause n’influe d’une manière prochaine sur son effet et que cet effet ne soit moralement certain. Dans ce cas, l’utilité seule ne suffit pas pour excuser de péché; il faut une véritable né- cessité. Voici comment Billuart s’exprime à ce sujet: « Pollutio nocturna est vel non est peccatum, pro condi- tione causæ in quâ fuit prævisa aut potuit aut debuit prævideri. Si causa non sit culpabilis, nec ipsa erit cul- pabilis  ; si causa sit culpabilis venialiter, leviter et remotè influens in illam, erit venialis  ; si causa sit mortalis, gra- viter et proximè influens in illam, erit mortalis.  » (Dis- sert. VI, art. 13.)

Maintenant quelle est la règle à suivre ou la conduite à tenir lorsque, une pollution préparée, imminente ou commencée pendant le sommeil, on s’éveille avant quelle soit consommée  ? Un très grand nombre de théologiens soutiennent que nul n’est tenu de l’arrêter. Mais avant de rien décider sur cette question nous citerons les tex- tes des plus célèbres auteurs qui ont formulé leur opi- nion sur ce point. Cela fait, la lampe de la physiologie et de la logique à la main, nous scruterons, nous exami- nerons la question avec soin dans le but d’y répandre un jour nouveau et d’apprécier à leur juste valeur les opi- nions théologiques sur cette matière. Voici donc quelques textes originaux.

« Non tenetur quis (modo tamen absit periculum con-


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sensûs in voluptatem, nec voluntariè promoveat) impe- dire pollutionem sponte sua evenientem, aut jam cœp- tam, v. g. in somno reprimere, sed potest sanitatis causa sinere ut natura se exoneret: quia id non est procurare, sed pati ut eflluat quod, alias corruptum, sanitatem læ- deret.  » ( Comment. S. Ligorio in Busembaum, lib. 3, num. 479.)

Voici maintenant le texte propre de S. Liguori et les autorités qu’il cite  : « Quando pollutio incipit in somno, et emissio contingit in vigiliâ semiplenâ, tùm, si homo aliquam experitur delectationem, non plenè delibera- tam, non peccat quidem nisi venialiter, ut benè notant S. Ant. , p. 2, n. 6, c. 5, in fin.  ; Navarr. , c. 16, n. 8,v. non est; Salm., devi Præc., c. 7, n. 74, ac Concina, n. 48. Quando verô emissio incœpit in somno, sed posteà con- summatur in plenâ vigiliâ, eo casu (modo absit consen- sus in delectationem, vel proximum consensûs periculum ex præteritâ experientiâ) non tenetur homo illam cohi- bere  ; tùm quia difïicillimum est avertere exitum semi- nis jam è lumbis elapsi, ut communiter dicunt D ü. cum Salm. ,1. c.  ; Nav. , Azor. , Trull. , etc. , tùm quia non te- netur persona cum periculo morbi ex semine corrupto re- tento effusionem impedire, utdocent Sanch. ,deMatr. , 1.9, d. 17, n. 16; Conc., 1. c. ; Spor. , de Matr.,n. 657;Holzm., de vi Præc., n. 688; Tam., 1. 7, c. 7, §. 2, n. 17, et alii communiter  ; tune enim ilia pollutionem non vult, sed merèpatitur.  » (S. Ligorio, lib. 3, n. 479.)

Voici le texte de Sanchez que S. Liguori ne cite pas: « Licebittamen ubi est pollutio in naturali fluxu, in som- nisque cœpit, illam non impedire ob mortis periculum, cessanti periculo consensus in delectationem... quia id


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non est procurare, sed pati emissionem seminis, quæ non impeditur à patiente, ne corruptus ille humor no- ceat.  » (DeMatr., lib. 9, disp. 17, n. 16.)

Billuart s’exprime en ces termes  : « Qui plenè exper- gefactus complacet pollutioni in somno completæ , yel actu fluenti propter delectationem , peccat mortaliter, quia complacet rei mortaliter malæ  : ista tamen compla- centia non facit pollutionem præteritam esse peccatum quia ipsius causa non est, sed ipsa in se est peccatum si sit tantùm semiexpergefactus, aut ex subreptione sit talis complacentia , peccat venialiter. Tandem si placeat ut naturæ exoneratio, vel alleviatio, peccatum non creditur. Nec tenetur ejus fluxum actualem cohibere, quia ex quo in dormiendo excitatus est motus carnis, non subjacet ulterius voluntati vigilantis,et quamvis subjaceret, cohi- beri non posset absque notabili gravamine corporis et periculo infirmitatum  : quapropter potest ilium permit- tere tanquam effectum causæ naturalis quæ ampliùs im- pediri non potest.  » (Dissert. 6, art. 13.)

Citons encore un auteur plus moderne, un célèbre théologien français, Msr Bouvier. « Quæritur ad quid te- neatur homo qui evigilans advertit se pollutionem expe- riri. R. Debet mentem ad Deum elevare, eum invocare, signo crucis se munire, delectationi voluptatis renun tiare, et modô hæc faciat, securus esse potest, nec tenetur na- turæ impetum continere  ; tune enim secretio humorum jam facta est in vasis spermaticis , necesse est ergo ut fluxus hîc et nunc vel posteà locum habeat, alioquin se- men è renibus excisum corrumperetur, et in sanitatis detrimentum vergeret.  » ( Dissert, in sextum Decalogi præceptum. )


MQECHULOGIE.


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Du contenu de ces divers textes il résulte que les théo- logiens décident que l’homme, s’éveillant au moment d’une pollution imminente ou commencée, peut absolu- ment se constituer dans un état purement passif et aban- donner à la nature un accident ou un effet auquel sa volonté n’a pris aucune part, pourvu qu’il n’y ait nul danger de consentement. Et la raison sur laquelle ils appuient cette décision est que le fluide spermatique, plus ou moins sorti de ses réservoirs, doit nécessairement s’altérer et se corrompre au préjudice de la santé. Il faut, dit-on, au moment de la crise, élever son esprit et son cœur à Dieu, invoquer son secours, se munir du signe de la croix et renoncer à tout sentiment de volupté char- nelle, etc.  ; et après cela on doit demeurer en paix sans chercher à contrarier le mouvement et l’effet de la na- ture, chose à laquelle d’ailleurs on n’est pas tenu, par- ceque, ajoute-t-on, si l’éjaculation était brusquement et violemment arrêtée, le fluide spermatique se corrom- prait, et deviendrait par là un principe ou une cause de maladie ou de grave indisposition. Voilà le sentiment des plus célèbres théologiens.

Cette opinion de la corruption séminale* bien qu’elle soit généralement admise par les théologiens, ne repose que sur un fondement ruineux, ou plutôt c’est une erreur manifeste reconnue aujourd’hui par tous les physiolo- gistes.

On prétend donc que la liqueur spermatique, une fois sortie plus ou moins de ses réservoirs, doit se corrompre et altérer la santé par son état de viciation ou ses qua- lités malfaisantes. Or, cette altération prétendue n’a lieu fort heureusement que dans les livres et dans les cabi-


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MÜECHIAL0G1E.


nets des théologiens, et non dans le laboratoire de la na- ture.

Ce qu’il y a de très certain et d’inattaquable en bonne physiologie, c’est que la portion du fluide séminal qui est parvenue jusque dans le canal de l’urètre doit nécessai- rement être éliminée du corps, soit immédiatement, soit avec ou par l’excrétion urinaire, et ne peut avoir le temps de subir aucune altération  ; et que, pour le reste de la liqueur spermatique qui devait faire la matière de la pollution avortée, empêchée ou prévenue d’une manière quelconque, et qui n’est pas encore sortie des canaux éja- culateurs, cette portion rentre ou reste dans ses réser- voirs avec toutes ses qualités naturelles et vivifiantes. Non seulement elle ne cause point de maladies par sa corruption , mais elle est encore une source de force et de vigueur, soit pour le corps, soit pour l’esprit. Voilà un fait, une vérité physiologique d’une certitude iné- branlable. Nous ne voulons pas relever ici une erreur grossière d’anatomie que commettent les théologiens, parceque cela ne fait rien à la question. Ils disent que le sperme ou la semence est formée et sécrétée dans les reins, è renibus excisum; nous ne regardons cela que comme une expression purement métaphorique sans au- cune conséquence. Les reins ne forment autre chose que l’urine, et la liqueur séminale est faite dans les testicules, comme tout le monde sait. Ils tombent encore dans une autre erreur quand ils avancent que le sperme, déjà entré dans ce qu’ils appellent les vaisseaux spermatiques, doit être tôt ou tard nécessairement expulsé; c’est ce qui a été démontré faux ci-dessus.

Voyons maintenant les conséquences pratiques que


MÜKCHIALOGIE.


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l’on peut déduire de ce nouveau principe ou de ces véri- tés physiologiques.

Nous pensons que tout homme qui éprouve une pollu- tion commençante ou très imminente, et qui ne peut l’ar- rêter sans ressentir de cette brusque suppression un grave incommodum. , n’est pas tenu de se faire cette violence, si toutefois il n’y a point de danger prochain de consen- tement, parcequ’il n’est pas obligé de comprimer un mouvement, ou d’empêcher une excrétion exonérative que la nature, dans l’état actuel de viciation physique et morale de l’homme, semble souvent susciter pour le sou- lagement du corps et le repos de l’esprit; surtout si l’on ajoute qu’il n’a posé aucune cause ni physique ni morale, ni prochaine ni éloignée.

Ce principe a son application particulièrement chez les sujets forts, robustes, sanguins, ardents, d’un tempéra- ment érotique, éprouvant actuellement tous les effets d’une pléthore spermatique; et encore dans quelques cas que des dispositions nerveuses extraordinaires ou des idiosyncrasies spéciales assimilent aux premiers; mais ces derniers cas ne sont pas très fréquents. Nous pensons que, chez tous les autres sujets, on doit au moins géné- ralement tenter de prévenir ou d’arrêter une pollution imminente, parcequ’il ne faut pas s’exposer à un danger ou à une occasion prochaine de péché lorsqu’on possède quelques chances de pouvoir l’éviter peut-être. Cette conduite est encore plus nécessaire chez les personnes physiquement plus ou moins faibles, ou déjà presque épuisées par de nombreuses pollutions ou d’autres an- ciens excès; et enfin chez certaines personnes à con- science timorée ou trop faibles pour résister à l’attrait


30 MQECHULQGIE.

du plaisir charnel ou du péché, parceque, indépendam- ment de la perte de la santé et même de la vie quelque- fois, l’habitude des pollutions s’établit, et par consé- quent, pour quelques-uns peut-être, le danger ou les occasions de pécher se multiplient à proportion. Nous avons vu des jeunes gens, que des pollutions nocturnes avaient conduits jusqu’au bord de la tombe, revenir à la plénitude de la vie et de la santé par l’usage du moyen que nous leur avions indiqué, dans le but de rompre net et brusquement l’habitude fréquente des pollutions. Nous avons guéri, par le même moyen qui sera indiqué plus loin, d’autres sujets tourmentés à l’excès par des peines de conscience survenues à l’occasion de souillures corpo- relles, et que ces accidents nocturnes, dont leur imagi- nation j la faiblesse de leur esprit et leurs vains scrupules grossissaient excessivement le danger, auraient peut-être pu conduire au désespoir ou à la folie.

Vous voyez, d’après cela, que notre principe n’a pas pour conséquence ou effet constant l’espèce de quiétisme ou l’état de passivité , qui est la conséquence ou le ré- sultat du principe des théologiens. On a vu que leur mé- thode absolue est appliquée à tous les individus, à tous les tempéraments, à tous les caractères et à toutes les consciences.

Voici maintenant le sentiment d’un théologien fort sage et fort prudent, qui, dans son laconisme, s’il n’atteint pas toujours le vrai dans ces matières difficiles et abs- truses, est au moins un de ceux qui s’en approchent tou- jours le plus près. « Nec incœpta in somno continuari potest post evigilationem juxta multos, contra non pau- cos qui dicunt, ob incommoda ex cohibitione forsan even-


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tura, posse simpliciter permitti continuàtionem, cor ad Deum elevando. Ita Gerson, Billuart, etc. , quia, inquiunt, præter incommoda et corporis gravamen, pollutio in somno incboata ulteriùs non subjacet voluntati. Sed hæc ratio ad assensum non rapit. His ergo theologis assenti- rer tantùm cùm, quod rarum, verum adest sibi graviter nocendi periculum, sine periculo consensûs in re tam lu- bricâ  : aliundè non sat efficax fortè foret displicentia, si pollutio non cohiberetur per aliquem saltem conatum, v. g. retinendo ejaculationem, quærendo locum lecti frigidum, è lecto prosiliendo  : idem die si accidat in vi- giliâ.  » (Vernier, Theol. pract., t. 2, p. 431.)

Il nous semble qu’il existe une contradiction entre les citations de S. Liguori et de Vernier. Ces deux auteurs, d’une opinion contraire sur la question, citent l’un et l’autre Gerson comme un théologien dont le sentiment est opposé au leur. Il s’ensuit donc nécessairement que l’un des deux a cité faux, ou que Gerson lui-même s’est contre- dit. N’ayant pu nous procurer l’opuscule de Gerson, de Pollutione diurnâ, pour la vérification des textes rapportés en termes différents, nous les reproduisons littéralement sans nous embarrasser de les accorder, car cette concor- dance nous importe fort peu et ne fait rien à la question.

Il suffit de faire remarquer que, dans ce passage de Vernier, on voit que l’auteur embrasse en partie l’opinion que nous avons émise plus haut, et qui s’éloigne de la doctrine d’un grand nombre de théologiens célèbres, comme Sanchez, Billuart, S. Liguori, M&r Bouvier, etc. Notez ces paroles de son texte  : His ergo theologis assen- tirer tantùm cùm , etc. ,* de plus, remarquez les paroles suivantes; Non sat efficax fortè foret displicentia , si pol-


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lutio non cohiberetur per aliquem saltem conatum, etc. Ces paroles montrent assez d’ailleurs qu’il rejette l’opi- nion de la passivité  ; que S. Liguori appuie l’opinion de Gerson, quoiqu’au fond la sienne soit celle de Sanchez, c’est à dire la passivité. Voici les paroles attribuées à Gerson par S. Liguori, qui dit  : Benè tamen monet Ger- son; suivent les paroles de Gerson selon S. Liguori  : Pro executione virtutis et evitatione periculi, videtur expé- die m ut homo conetur prohibere quantum et commodè fieri potest. . Dans le même texte de Gerson, que nous avons rencontré ailleurs, on trouve les paroles suivantes, que S. Liguori a omises  : Quoniam etsi hœc retentio no- cere debeat corpori, proderit animœ. Natura denique postmodüm, uno modo vel alio, talem humorem à se eji- cit . Palet in mulieribus puer péris, quibus siccantur mammœ düm non elicitur lac, alioquin semper fluere paratum est .

De tout ce qui précède nous croyons pouvoir conclure que l’on doit faire ce que l’on peut moralement et pru- demment pour prévenir une pollution imminente, excepté dans les cas ci-dessus posés, p. 30. L’expérience nous a prouvé que de ces mesures préventives il ne résulte, dans des circonstances données, que des avantages réels et positifs tant physiques que moraux, surtout si l’on y procède par la méthode que nous conseillons ordinaire- ment, qui est infiniment plus sûre et surtout moins per- turbatrice que tous les moyens plus ou moins brusques proposés par les théologiens, lesquels d’ailleurs man- quent très souvent leur but.

Si l’on parvient à prévenir ou à arrêter les pollutions, seulement dans des circonstances données et appréciées


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plus haut, on se préserve de leur habitude, qui peut en- traîner les plus graves inconvénients et ruiner le phy- sique et le moral de l’homme. En second lieu, en les re- foulant en quelque sorte vers l’intérieur, on les force, pour ainsi dire, à devenir sourdes et latentes, c’est à dire à faire brusquement irruption sans évigilation, ce qui sans doute est préférable sous tous les rapports.

Nous avons ci-dessus insinué que toute méthode de suppression brusque et soudaine pourrait gêner cer- taines personnes à pléthore spermatique, ou des sujets très nerveux, ou chez lesquels il existe une disposition spéciale, idiosyncrasique  ; mais l’expérience nous a en- core prouvé que cette gêne, cet embarras ou ce senti- ment pénible n’est que momentané. Nous n’avons pas encore vu en résulter aucun inconvénient appréciable pour la santé  : peut-être aussi est-ce parcequ’ alors les pollutions deviennent latentes et s’effectuent sans évigi- lation. Quoi qu’il en soit, on peut dans ces cas se bor- ner à quelques tentatives d’efforts physiques, pour mieux témoigner de l’opposition et de la résistance de la vo- lonté à toute espèce de désordre moral.

Nous ne pensons pas cependant, conformément au principe que nous avons établi à la page 30, que, dans ces divers cas, l’on soit strictement obligé à cette con- duite, pourvu qu’il n’y ait point de danger prochain de consentement, parcequ’ alors la pollution, dans l’état actuel de l’homme, est, comme l’excrétion nasale et au- tres flux, une espèce de fonction de déplétion et d’exo- nération établie par une loi physiologique, c’est à dire par la nature, dans un but d’ordre, de soulagement et de conservation de l’individu.


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MŒCHIALOGtE.


La pollution dont la brusque suppression n’est point suivie du grave incommodnm ci-dessus mentionné n’est point une fonction qui a un but, mais un accident sans objet. Tout acte de la vie humaine qui n’offre point un but physiologique sage et appréciable n’est proprement point une fonction  : ainsi, manger dans un état de satiété, par pure gourmandise et sans aucun besoin, n’est point exercer une fonction, c’est abuser d’une fonction ou d’une faculté physique. On peut dire, d’après cela, que toute pollution dont la suppression brusque cause un grave ineommodum quelconque, par cause spermatique ou nerveuse, est une évacuation que l’on peut respecter et abandonner à la nature, parceque c’est une fonction qui a un but déplétif et exonératif  ; et qu’au contraire toute autre contamination corporelle dont la suppression n’est pas suivie du grave incommodnm n’est point censée une fonction déplétive et exonérative, et que par conséquent on doit ou on peut, suivant les circonstances, la suppri- mer comme pouvant physiquement et moralement de- venir importune et même dangereuse. Cette dernière espèce donc qui n’est point arrêtée est, si l’on veut, dans le principe physiquement indifférente  ; mais, abandonnée à la nature, elle peut facilement dégénérer en habitude, et entraîner à la fin des suites plus ou moins graves, tapt au moral qu’au physique. Et en effet, indépendamment de la débilitation du corps, il s’ensuivra encore un affai- blissement des facultés intellectuelles et morales, de l’âme, du caractère, etc. Il est inutile de parler d’un autre genre de péril inhérent à l’habitude de la pollution, c’est à dire du danger possible du consentement.

Ce que nous avons dit de la suppression des pollutions


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nocturnes doit encore, tout égal d’ailleurs, plus étroi- tement s’appliquer aux pollutions actives qui surviennent dans l’état de veille ou pendant le jour  : ce sont les diur- nes actives ou avec éréthisme érotique ou libidineux. Il ne faudrait pas se persuader faussement que, lorsqu’il surviendrait quelque accident érotique, il devrait être exclusivement attribué, même chez les individus à plé- thore spermatique, à la rétention ou à un excès de fluide séminal, dont le superflu est en grande partie toujours éliminé tôt ou tard; mais plutôt, en partie du moins, à la perturbation ou à un excès d exaltation et de concen- tration nerveuse, jointe à un surcroît de sensibilité ou à l’exaltation du sens génital  ; ou encore à quelque prin- cipe âcre provenant de la malpropreté, comme une matière sébacée ou smegmatique fixée sur les organes génitaux.

Les théologiens demandent an liceat gaudere de bono effectu pollutionis inculpabilis, putà de sanitate aut ces- satione tentationis? Ici nous ne pouvons que copier les auteurs. S. Thomas d’abord s’exprime ainsi à ce sujet  : <( Si pollutio placeat ut naturæ exoneratio vel alleviatio, peccatum non creditur.  »

Communissimè docent auctores licitum esse de bono effectu secuto pollutionis involuntariæ gaudere, quia ille effectus in se spectatus bonus est; et communiùs quoque et probabiliùs de bono effectu secuturo propter eamdem rationem.

Nous terminons cette question par l’extrait suivant de

Billuart.

Certain est 1° esse peccatum mortale gaudere de pol- lutione nocturnâ propter voluptatem, aut eam sub eâ ra-


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MOECHIALOGIE.


tione desiderare, quia objectum est mortaliter malum, cùm delectatio venerea sit à naturâ ordinata ad solam generationem in actu conjugali.

Certum est 2° pollutionem sub quavis ratione deside- rare efïicaciter, ita ut desiderium eam causet aut vi illius adhibeantur media ad ejus eventum, esse pariter pecca- tum mortale, quia tune fit voluntaria et non remanet ampliùs merè naturalis.

Certum est 3° licitum esse gaudere de bono effectu pollutionis, putà de sanitate aut cessatione tentationis per illam causatâ  ; item licere pariter ilium effectum de- siderare, quia utrobique hoc objectumsest bonum. Item eâdem ratione licet gaudere quôd absque peccato et merè naturaliter evenerit pollutio. (Dissert. VI, art. 13.)

Nous ferons observer en passant que le fluide sperma- tique ne peut nullement être assimilé aux divers autres flux, sanguins ou autres. Ceux-ci peuvent être provoqués pour le soulagement du corps; le fluide séminal jamais, à cause de la lubricité de la matière, de la différence de destination et de l’immense gravité des conséquences.

Les principes que nous venons de formuler paraîtront peut-être, à certaines personnes, un peu rigides ou trop sévères, surtout si on les compare à ceux des théologiens quiètistes et passivistes. Qu’on nous passe ce néologisme, il nous paraît nécessaire. Nous croyons cependant, ou plutôt nous avons la conviction intime que ces principes sont vrais, pareequ’ils sont fondés sur la bonne philoso- phie et la saine physiologie, c’est à dire sur la nature de l’homme, et par conséquent ils sont en parfaite har- monie avec les principes de l’hygiène et de l’éthique. Les théologiens passivistes , il est vrai, apportent à l’appui


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de leur opinion le même genre de fondement, c’est à dire la conviction intime. On pourra nous dire donc qu’ils étaient convaincus que le fluide spermatique arrêté de- vait nécessairement se corrompre, et engendrer des ma- ladies graves, putrides, par corruption ou par germe sep- tique, et par conséquent leur sentiment était parfaitement fondé en raison (1) , et leur opinion de passivité, légitime et même nécessaire en pratique. Sans doute rien ne se- rait ni plus vrai ni plus logique que cet argument s’il ne reposait pas sur des convictions fausses dont les élé- ments ont été puisés dans des hypothèses invraisembla- bles, et même reconnues aujourd’hui comme vaines et illusoires par tous les physiologistes modernes  ; c’est ce que nous allons mettre dans un plus grand jour par l’exa- men d’une singulière question soulevée par les théolo- giens même les plus modernes. La voici cette question  :

« Quæritur, dit Mgr Bouvier, an licet, ope medicamen- « torum àmedico præscriptorum, dissolvere et expellere « semen morbificum cum periculo veræ pollutionis.

« R. Communiùs affirmant doctores, modô sola inten- « datur sanitas, et pollutio directè non excitetur, nec « desideretur, nec ei, præter intentionem accidenti, as- « sentiatur, et semen certô sit corruptum. Sic Sanchez, « Layman, Billuart, Ligorio, etc. , contra P. Concina, « Bonacina, Lacroix, De Lugo et plures alios.  » (Disser- tatio in sextum Decalogi prœceptum.)

La même question avait déjà été faite et résolue par


(1) Que de distance du grave incommodum aux graves maladies î et ce- pendant, dans quelques cas, nous sommes passiviste. Que l’on ne nous accuse donc pas de rigorisme .


MQECHIAXOGIE.


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Busembaum en ces termes  : « Si semen judicio medico- « rum transi vit in materiam venenosam, licet eam medi- « camentis expellere, etsi præter intentionem sequatur « aliqua veri seminis emissio. )>

Voici ce que dit S. Liguori au sujet de ce passage de Busembaum  : « Communiùs doctores hanc sententiam « nostri P. Bus. amplectuntur. Ratio, quia médicamenta « ilia per se directè solùm tendunt ad expulsionem se- (( minis corrupti  ; effusio autem aliqualis veri seminis se- « quitur per accidens, et præter intentionem, quod non « potest dici illicitum , cùm omnes concédant licitum « esse remediis alios expellere humores nocentes, quam- <( vis per accidens sequatur pollutio , sicut etiam licet « pharmacum sumere ad morbum expellendum, etsi in- directè expellendus sit fœtus inanimis.  » (Lib. 3, n. 478).

Enfin Mgr Gousset, dans sa Théologie morale, en l’an 1846, émet aussi son opinion sur le fameux semen cor- ruptum. Il est vrai, il s’avance tout doucement, bien appuyé sur S. Liguori, son soutien ordinaire. Voici donc ce qu’il dit  : « Si judicio medicorum semen sit certô cor- (( ruptum et sanitati nocivum, licitum est illud expellere (( medicamentis, etsi præter intentionem sequatur aliqua « seminis effusio. Ita Sanchez, Sporer et alii. Nunquàm « tamen est licitum tactu semen corruptum expellere, « etiam absit periculum consensûs.  » Cela veut dire, en d’autres termes, qu’il n’est jamais permis de se souiller par l’onanisme, ce que personne certes ne peut ignorer.

Nous ne rapportons ici ces étranges questions et pas- sages théologiques que dans le but de les signaler en passant. Nous laissons toutefois au lecteur le soin de les apprécier à leur juste valeur scientifique et théologique.


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Seulement nous en prendrons l’occasion d’engager les théologiens non pas à proclamer toujours leur affirma- tion comme le sentiment commun des docteurs, mais à élaguer de leurs livres, d’ailleurs très recommandables par la pureté et l’orthodoxie des doctrines, ces sottes de questions, qui non seulement sont oiseuses, inconve- nantes et sans aucune portée pratique, mais peuvent encore paraître empreintes d’un caractère d’indécence ou même d’une apparence d’immoralité. Ainsi, par un sentiment de convenance, nous nous garderons bien de nous appesantir sur un pareil sujet dans la crainte d’en- courir le juste reproche d’abuser de la patience bienveil- lante de nos lecteurs  ; et certes nous les respectons trop pour nous exposer à un semblable reproche.

Bornons-nous donc à dire brièvement que la corrup- tion du fluide spermatique est une hypothèse tout à fait gratuite, qui ne repose sur aucune donnée physiologique. Voici, en deux mots, ce que les derniers progrès des sciences physiologiques permettent d’énoncer sur ce point comme l’expression parfaite de la vérité  :

1° Nous sommes moralement certain qu’il n’existe aucun fait bien constaté qui puisse prouver la corruption du véritable fluide spermatique  ;

2° Et quand cette corruption serait constatée par l’ins- pection cadavérique, aucun signe n’en indiquerait l’exis- tence pendant la vie  ;

3° En admettant encore, si l’on veut, que cette cor- ruption puisse être reconnue, pendant la vie, par des signes certains, aucun agent thérapeutique ou médica- ment connu ne possède la propriété dissolvante et expul- sive supposée dans la question  ;


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MOECHIALOGIE.


h° Et quand enfin un pareil remède existerait, il fau- drait le douer encore du discernement nécessaire pour n’expulser précisément que la portion de sperme cor- rompue sans toucher à l’autre; car ceci serait une vraie pollution.

M. Vernier met en nota ces paroles  : « Licitum est per « médicamenta semen corruptum ejicere, modô non ope « ejaculationis , quia tune vivum primùm ejiceretur. « Continuator Tournely, post medicos.  »

Ces médecins ne peuvent être assurément que quel- ques vieux auteurs humoristes des temps d’ignorance physiologique du moyen âge. Mais voici une autre pa- role de Vernier pleine de raison et de vérité  : « Medicus « mihi dixit non corrumpi semen 9 sed tantum non ela- « borari . » Voilà le vrai. Voilà le seul genre d’altération que subit le sperme humain  ; et il n’est malheureusement que trop fréquent, grâce aux nombreux excès vénériens et onaniques.

SECTION QUATRIÈME.

De la pollution diurne.

C’est une maladie, dit M. le professeur Lallemand * qui dégrade l’homme, empoisonne ses plus beaux jours et ravage sourdement la société.

La pollution diurne est celle qui a lieu pendant le jour, ou plus généralement et plus exactement dans l’état de veille. Ainsi, d’après cela, la pollution qui arriverait au milieu de la nuit sans sommeil devrait être assimilée à la pollution diurne, et être regardée comme telle dans la pratique. Tout se réduit donc pour nous à ceci  : une


MOECHIALOGIE.


Ui

pollution diurne est celle qui survient dans l’état de veille complète  ; elle est active ou passive. L’active est celle qui a lieu avec éréthisme et sensation, ou par sti- mulation physique ou mentale, comme par exemple l’é- quitation, etc., une imagination vivement frappée, l’ac- tion des sens fortement appliquée à certains objets qui ébranlent puissamment le moral de l’homme, etc. On peut rapporter à cette sorte de pollution celles qui ont été déterminées quelquefois par la fustigation ou les purgatifs drastiques.

Quant à la conduite à tenir dans ces sortes d’accidents, on suivra en général les principes que nous avons for- mulés pour les pollutions nocturnes  ; mais on s’y com- portera avec plus de sévérité, parceque l’homme est ici tout à fait compos suî3 plus libre et plus maître de son organisme.

Il n’est pas très rare de rencontrer des sujets qui, par la force de la tentation, par une imagination fort échauffée ou un vif souvenir de leurs anciens désordres, paraissent presque irrésistiblement poussés à se toucher soit directe- ment, soit indirectement. Cet état mérite beaucoup d’at- tention, parceque, assez souvent, ces sortes de personnes succombent à la violence de la tentation, et déterminent ou favorisent la pollution, sinon par des attouchements directs ou manuels, du moins par certains mouvements instinctifs ou semi-instinctifs, ou même pleinement vo- lontaires, imprimés au corps ou aux membres. Sans doute ces sortes de pollutions ont lieu contre l’intention des personnes, mais apparemment aussi leur volonté est fortement affaiblie et comme entravée par la force de la passion ou de la tentation.



M0ECHIALQG1E.


Dans tous ces cas on ne doit point excuser complète- ment ces pénitents quand ils sont dans un état de veille parfait, et, pour bien les juger et apprécier leur degré, de culpabilité, il faut considérer leur degré de piété, de crainte de Dieu et de haine du péché, c’est à dire l’en- semble de toute leur conduite.

Nous avons même rencontré plusieurs cas de la plus grande difficulté, qui avaient paru mettre en défaut toute la sagacité des plus habiles confesseurs et directeurs de conscience. C’étaient des personnes qui étaient ou qui paraissaient bien converties, pieuses et éclairées, et qui nous affirmaient avec un sentiment de conviction pro- fonde qu’ elles étaient irrésistiblement poussées à faire, sur elles et contre leur volonté, de coupables attouche- ments presque toujours suivis d’une complète contami- nation corporelle. (1)

Ces sujets, après cela, nous disaient avec un grand calme qu’ils étaient sans inquiétude et sans remords, parcequ’ils étaient persuadés que leur volonté était tout à fait étrangère à ces actes, qu’ils ne peuvent s’expli- quer. De là vient que les uns les excusent et que les autres les condamnent. (2)

(1) Il ne faut point admettre dans la pratique ce que S. Liguori et le P. Gravina prétendent établir, savoir, qu’il est probable quod dœmon , per- mittente Deo , absque kominis culpâ manus illius possit admovere ad se tactibus polluendum. (Praxis confessarii, cap. vu, p. 70.)

(2) Il est à propos de rapporter ici un passage d’un médecin fort éclairé et fort judicieux et surtout fort bon chrétien, dont l’ouvrage ( Médecine des passions , par M. Descuret) est avec raison beauconp goûté par le clergé, parcequ’il renferme beaucoup de bonnes choses. Or, voici ce passage, qu’il ne faudra pourtant accepter qu’avec une certaine réserve, comme nous


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Que faire donc dans ces cas complexes, difficiles et plus fréquents qu’on ne pense? Faut-il excuser ou accuser ces personnes? Il ne faut faire ni l’un ni l’autre d’une manière absolue  ; mais il faut prendre un sage et juste milieu, et leur dire  : Vous êtes à la fois coupable et excusable. La force de la passion, d’abord mal combattue, vous a plus ou moins fasciné et aveuglé sur l’objet de votre tentation.


l’expliquerons tout à l’heure  : «On ne saurait du reste trop prévenir les ecclesiastiques que les pensées, les désirs et même les actes impudiques ne dépendent pas toujours de la dépravation de l’esprit  : qu’ils ont souvent lieu maigre les efforts de la volonté, comme cela se voit dans certaines ir- ritations du cervelet et de la moelle épinière, ainsi que dans les affections dartreuses ou érysipélateuses des organes sexuels.  » (Chap. 6, du liberti- nage, p. 479.)

L’auteur avance ici une chose fort grave eu affirmant nettement que les actes impudiques ont souvent lieu malgré les efforts de la volonté . Il attribue ces effets à certaines irritations du cervelet et de la moelle épinière, etc.

Mais, avant tout, est-il bien certain que le cervelet et encore moins la moelle épinière soient les organes des propensions érotiques ou de l’amour physique  ? On sait que Gall est le principal auteur de cette opinion, et que, depuis le fameux cranioscope, on a dit et écrit beaucoup pour et contre cette opinion. Ce qu’il y a de certain c’est que le cervelet a été considéré tour à tour comme l’organe de la musique, de la mémoire, de la sensibilité  ; et les plus célèbres physiologistes de nos jours lui ont attribué la station, les mouvements, ou plutôt les mouvements de progression ou de locomo- tion. C’est particulièrement M. Flourens, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, qui a prouvé expérimentalement que le cervelet est l’organe spécial des mouvements de locomotion et de leur direction. Cette multi- plicité d’opinions prouve déjà que, jusqu’à présent, les fonctions du cer- velet avaient été assez mal connues, et qu’elles le sont encore aujourd’hui, puisqu’il est des animaux qui sont privés de cervelet, comme les reptiles et les poissons, et qui cependant sentent, se meuvent et se reproduisent. Ri- cherand rapporte le fait d’une jeune fille, morte à l’hôpital Saint-Antoine


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Celle-ci a excité le désir, qui à son tour a plus ou moins entraîné la volonté, laquelle en partie séduite, subjuguée et affaiblie, a de son côté réagi vicieusement sur la rai- son, l’a étourdie et plus ou moins aveuglée. Ainsi, d’après cela, la volonté libre, morale, affaiblie, excitée et plus ou moins entraînée par la concupiscence, n’étant plus suffi- samment retenue par la raison plus ou moins obscurcie et troublée par la passion, a cédé à la volonté animale,

de Paris, qui, bien qu’elle n’eût pas de cervelet, s’était livrée avec fureur à la masturbation.

L’opinion qui attribue les passions libidineuses ou l’amour physique au cervelet n’est donc pas généralement reçue.

Et quand cette opinion serait universellement admise, à quels signes certains pourrait-on reconnaître que l’action du cervelet est assez forte et assez prédominante pour entraver la liberté de l’homme et le pousser à faire irrésistiblement des actes impudiques  ?

Il est vrai, M. le docteur Descuret ajoute plus bas  : « Le libertinage est- il provoqué par une irritation du cervelet, ce que l’on reconnaît à la pesanteur et la chaleur permanentes de la région occipitale, etc.  » (Ibid.) Mais ces signes si vagues et si fugaces ne peuvent-ils pas dépendre d’une foule d’autres causes, comme d’une congestion sanguine à la tête, d’un raptus cérébral, de céphalalgies, de céphalées ou de maux de têtes aigus ou chroniques, de migraines, de névralgies, etc., enfin de tout ce qui peut porter le sang à la tête  ? Combien ne voit-on pas tous les jours de personnes qui éprouvent des pesanteurs et des chaleurs céphaliques, occipitales ou au- tres, et qui conservent néanmoins parfaitement l’exercice de leur libre arbitre et tout l’empire de leur volonté sur leurs membres? Il faut donc convenir que des raisons si vagues, si incertaines et un fondement si vacillant et si dif- ficile à saisir et à apprécier ne peuvent fournir aux ecclésiastiques aucune base ni solide ni sûre pour leurs décisions morales dans le for intérieur. Que les ecclésiastiques ne se hâtent donc pas de faire des applications ha- sardées et prématurées d’une science vague, illusoire et problématique, ou plutôt qu’ils se gardent bien de fonder leur avenir scientifique sur la doc- trine menteuse de la phrénologie.


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c’est à dire aux mouvements instinctifs et machinaux. Voilà comment, jusqu’à présent, nous nous sommes rendu compte de cet état particulier où se trouvent cer- taines personnes et qui souvent donnent beaucoup d’em- barras aux confesseurs.

L’expérience nous a prouvé que cette méthode en quel- que sorte mixte est dans le vrai. Elle nous paraît la plus sage. Et en effet, si vous condamnez et rebutez absolu- ment ces personnes comme entièrement coupables, con- tre leurs convictions, vous les jetterez peut-être dans un funeste désespoir; si, au contraire, vous les excusez com- plètement, vous les maintenez dans un désordre d’où elles ne sortiront peut-être jamais. Prenez donc un juste et sage milieu  : ne les excusez ni ne les condamnez pas d’une manière absolue, ou plutôt excusez et accusez-les en même temps, et peut-être, Dieu aidant, souvent vous les guérirez.

Cette sorte de tentation peut devenir quelquefois assez forte, assez impérieuse et assez tyrannique pour néces- siter l’emploi de certains moyens mécaniques, comme la ligature des mains et l’application de certains appareils ou machines qui rendent tout attouchement absolument impossible. Ce sont là, sans doute, des moyens singuliers et extrêmes, il est vrai  ; mais, après tout, ils deviennent quelquefois nécessaires, et heureusement ils sont aussi sûrs dans leur effet qu’indispensables dans leur emploi. Il faut en continuer l’usage pendant un certain temps  ; et par là, les pollutions n’ayant plus lieu dans l’état de veille, elles finiront par prendre un autre cours et devien- dront purement nocturnes, et par là aussi la vivacité de la passion sera amortie et la tentation vaincue.


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La pollution diurne que nous avons qualifiée passive est celle qui survient ordinairement pendant le jour au moment de la défécation ou même immédiatement après l’acte de la miction ; elle a lieu sans éréthisme ni sensa- tion, et même très souvent d’une manière inaperçue ou à l’insu des personnes  ; elle peut aussi survenir avec les caractères de passivité latente pendant le sommeil, mais beaucoup plus rarement. On dira peut-être  : où est ici le danger moral, si la pollution est non seulement involon- taire, mais encore inaperçue et insentie? et à quoi donc bon d’en parler?

D’abord cette sorte de pollution, étant presque tou- jours la suite de grands excès antérieurs et de longuês habitudes soit vénériennes, soit onaniques, peut donner la mesure de leur étendue et de leurs suites, sur les- quelles il est bon peut-être de revenir quelquefois. En second lieu, il est utile et même essentiel peut-être que le confesseur sache que ces sortes de pollutions chan- gent notablement le caractère des personnes, y impri- ment un cachet de tristesse, de mélancolie et d’hypo- condrie, à tel point que les malades, car c’est une vraie et fâcheuse maladie, perdent non .seulement la santé par l’abolition totale des fonctions digestives et par le ma- rasme, mais encore, poursuivis qu’ils sont par un im- mense et inexorable ennui ou dégoût de la vie, ils peu- vent se livrer au désespoir et terminer leur triste vie par un affreux suicide. Il est donc de la plus haute impor- tance, aussi bien pour le moraliste que pour le médecin, d’être averti sur ce point, d’autant plus que, le mal re- connu, la guérison en est souvent presque certaine.

Les pollutions diurnes, d’après les belles et nombreu-


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ses observations de M. le professeur Lallemand, peuvent être produites par d’autres causes que celles déjà ci- dessus énoncées. Ces causes, autres que celles de cou- pables excès, peuvent être la présence des ascarides dans le rectum, la constipation opiniâtre et persévérante, les hémorrhoïdes, les fissures à l’anus, la matière séba- cée amassée sous le prépuce, un prurigo , une dartre prurigineuse intense fixée aux organes génitaux, etc. , etc.

D’après les observations de Wichmann, de Sainte- Marie et de M. Lallemand, il est bien des hypocondries, des lièvres lentes hectiques comme nerveuses, des con- somptions, des étisies ou apparences de phthisies pul- monaires, qui résistent aux médications les plus ration- nelles, que l’on regarde comme incurables, et qui cependant ne sont produites que par la pollution diurne. Peut-être aussi existe-t-il quelques hypocondriaques qui, prenant des apparences pour des réalités, secroient perdus, parcequ’ils s’imaginent éprouver des pertes sé- minales là où il n’y a que des déperditions muqueuses ou des nuages floconneux suspendus dans le liquide uri- naire. Ceci naturellement nous conduit à dire quelques mots de ce que les théologiens appellent distillation.

Cette distillation est une excrétion urétrale qui paraît avoir quelque analogie avec la pollution diurne; c’est une sorte d’écoulement purement muqueux, une espèce de blcnnorrhée connue par les anciens sous le nom im- propre de gonorrhœa benigna. La matière de la distilla- tion est fournie particulièrement par la prostate et les follicules muqueux de l’urètre  ; elle est tout à fait diffé- rente du vrai sperme, et ne renferme aucun animalcule microscopique. Cette matière muqueuse, mêlée avec


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celle que sécrètent les vésicules séminales, qui est très différente de la liqueur spermatique, est la matière que peuvent rendre les impubères et les eunuques, soit par l’onanisme, soit par la stimulation mentale, au moins pour ces derniers. Nous ne croyons pas qu’il soit néces- saire de faire observer que tout acte violent, tendant di- rectement à provoquer cette espèce de fausse pollution, n’en est pas moins une action criminelle et une espèce de masturbation commencée ou consommée, suivant l’imminence ou l’apparition de l’écoulement  ; elle peut même très facilement avoir pour résultat la pollution sé- minale, c’est à dire la masturbation ou l’onanisme pro- prement dit, ou conduire peu à peu à l’épuisement, bien moins sans doute par la déperdition matérielle que par l’ébranlement nerveux, comme on l’observe chez les su- jets impubères. Au reste l’écoulement prostatique ne doit fixer notre attention qu’en tant qu’il est plus ou moins abondant et plus ou moins voluptueux, et qu’en tant, par conséquent, qu’il se rapproche de la pollution soit nocturne, soit diurne  ; car, s’il est purement passif, peu abondant, sans éréthisme ni sensation, et sans sti- mulation préalable, mentale ou érotique, il ne faut sous aucun rapport nullement s’en inquiéter. Dans le cas contraire, il faut se comporter comme à l’égard de la pollution proprement dite.

Par ces dernières paroles nous ne prétendons insi- nuer autre chose, sinon qu’il faut prendre les mêmes précautions pour éviter la distillation grave. Nous n’en- tendons point décider, en casuiste sèvère, que, si dans ces deux cas il y a quelque apparence de similitude dans la forme extérieure, il y a identité de faute ou de culpa-


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bilité. Nous croyons seulement que, dans la distillation, il y aurait une faute théologique plus ou moins grave, suivant le degré de débilitation que cette aberration sécrétoire produirait dans l’économie et suivant le de- gré de délectation charnelle également énervante qu’elle occasionnerait, en supposant toujours un certain degré de consentement. Nous nous fondons sur ce principe, qu’en matière d’impureté les actions avec déperdition physique, considérées en elles-mêmes, dans leur nature intrinsèque et matérielle et abstraction faite des causes, ou les causes étant égales, emportent une malice qui est en raison directe du degré de volupté, du degré de facilité de consentement, du degré d’importance de des- tination du fluide excrété, et du degré de débilitation physique et morale que cette excrétion détermine  ; c’est à dire, en un mot, que la faute est d’autant plus grave qu’elle tend davantage à détruire l’espèce et l’individu.

On sait assez du reste que, sous tous ces rapports, il existe une différence immense entre la distillation et la pollution.

Voici ce que dit S. Liguori sur cette question  : « Si ipsa (distillatio) contingat cum notabili commotione spirituum, procul dubio est peccatum mortale  ; quia talis notabilis commotio est pollutio inchoata. Et idem dicen- dum si distillatio sit in magnâ quantitate, quia talis notabilis distillatio non potest esse sine notabili carnis rebellione; unde, sicut graviter peccat qui notabilem commotionem procurât, ita etiam qui magnam procurât distillationem. . . Hinc tenemur sub gravi obligatione, non solùm hujusmodi distillationem directè evitare, sed etiam indirectè, vitando omnes causas proximè in eam


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influentes... Si verô distillatio sit in modicâ quantitate, et sine delectatione, et commotione, tune sine peccato possumus illam permittere, ut dicunt Caj. et Marg. apud Sanch., 1. 9, d. 45, n. 2 ; Salm,, de vi prœc., c. 7, n. 35,, ciim D. Thom . , Sayr . , Bon. et aliis communi- ter  ; quia de tali fiuxu non est magis curandum quàm de emissione cujuscumque alterius excrementi, de quo na- tura se exonerare solet.  » (Lib. 3, n. 477.)

Mais il faut faire observer ici, et S. Liguori en fait lui- même la remarque, qu’il ne faudrait pas plus s’inquiéter de la distillation urétrale que de la sueur si la première n’était pas accompagnée d’une certaine révolte de la chair  : « Non est magis curandum de hâc distillatione, nisi ipsam carnis rebellio comitaretur , quàm de sudore,» ut aiunt Cajet. et Marg. , apud Sanch. , lib. 9, d. 45, n. 2.

Enfin S. Liguori ajoute  : Rectè verô advertit Sanch. , ap. Salm., d. n. 35, et consentit Bon., de Matr., q. 4, p. 8, n. 17, quôd directè et datâ opéra procurare quam- cumque distillationem, etiam levem, nullo modo potest excusari à peccato mortali  ; quia, révéra, quæcumque distillatio semper, vel ut plurimùm, secum fert aliquam commotionem et aliquantuli seminis effusionem. (Ibid.)

Enfin nous terminons tout ce qui est relatif à la dis- tillation par un passage assez remarquable de Sanchez  : « Quoties est peccatum mortale dare causam pollutioni prævisæ non removendo causas notabiliter influentes, similiter est mortale dare causam notabili distillationi, aut commotioni spirituum vitalium servientium généra- tioni, per similes causas  ; quia hæc distillatio et com- motio spirituum est notabiliter turpis, et quasi inchoata pollutio  ». (Lib. 9, d. 46, n. 31.)


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SECTION CINQUIÈME.

Des mouvements déréglés.

Ce sont, dans les deux sexes, certaines sensations ou mouvements érotiques ou libidineux, qui se font sentir dans les organes génitaux et qui disposent plus ou moins à la pollution. De quelque manière que ces mouvements désordonnés se soient élevés, il y a péché mortel à y con- sentir et à s’y complaire volontairement, parcequ’il y a toujours délectation morose, charnelle ou libidineuse et danger prochain d’aller plus loin ou de tomber dans une contamination extérieure. Si ces mouvements déréglés ne sont point volontaires ni en soi ni en leur cause, comme cela arrive souvent, et qu’on n’y donne aucun consente- ment, ils sont exempts de tout péché.

Quand on a posé librement les causes des mouvements déréglés, il faut en juger comme de la pollution indirec- tement voulue, c’est à dire dans sa cause volontaire, pro- chaine ou éloignée, avec cette différence pourtant que la pollution est toujours un objet grave, tandis que les mou- vements déréglés peuvent être tellement légers et éloi- gnés de tout danger ou occasion de pollution qu’il faut fort peu s’inquiéter de leur cause, si d’ailleurs elle est honnête en soi.

Mais que faut-il faire quand on éprouve incwlpabiliter ces sortes de mouvements  ? Il est certain que l’on ne peut pas y consentir sans péché mortel. Cependant, comme dit M&r Bouvier, « Sæpè non expedit positivo conatu eis- dem obsistere: tune quippe phantasia (l’imagination) ipsàmet contentione excandescit, et per sympathiam,


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spiritus génitales magis excitât  : tutiùs est igitur Deum placidè invocare, B. Yirginem, angelum custodem, pa- tronum aliosque sanctos precari, ab objectis periculosis fugere, mentem ab imaginibus obscenis tranquillè avo- care, aliô convertere, et serâ applicatione diversis et præsertim externis negotiis vacare.  » (Dissert., in sextum Decalogi prœceptum. )

Nous ne pouvons mieux faire que de rapporter en en- tier le texte qui suit immédiatement, parcequ’il nous pa- raît empreint d’une rare et profonde sagesse.

« Quœritnr an manere indifferens circa motus concu- piscente involuntariè natos, eos neque approbando, ne- que improbando, sit peccatum et quale peccatum.

(( R. 1° Omnes fatentur talem indifferentiam esse ad minùs peccatum veniale, quia mens inordinatis concu- piscente motibus saltem repugnare tenetur.

« 2° Sanchez, S. Ligorio, 1. 5, n. 6, et multi alii dicunt peccatum istud, secluso proximo pollutionis periculo, esse duntaxat veniale: nam, inquiunt, ideô repellendi sunt motus inordinati, quia timendum est ne ad pollutio- nem deducant, vel consensum voluntatis in delectatio- nem veneream trahant  : ergo si absit vel remotum sit pe- riculum, levis est obligatio illud devitandi. Tenent verô dari obligationem sub peccato mortali positivé resistendi saltem per actum displicentiæ, si proximum existât peri- culum vel in pollutionem incidendi, vel in delectationem veneream consentiendi.

« Alii communiùs docent indifferentiam cum plenâ advertentiâ circa motus inordinatos etiam leves esse peccatum mortale, tùm ob propriam eorum inordinatio- nem, tùm ob periculum eis assentiendi. Ita Valentina ,


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Lessius, Vasque z. Concilia , Bit lu art quoad praxim, Ha- bert, Collet , P. Antoine, Dens, etc.

« Ab eâ sententiâ periculosè recederetur in praxi, quamvis altéra speculativè sumpta probabilitate non ca- reat  : requiritur ergo ut positiva displicentia saltem vir- tualis semper existât in mente circa motus inordinatos præter voluntatem excitatos. Hæc autem displicentia suf- ficienter habetur quandô voluntas delectationi venereæ ex firmâ determinatione opposita, motus concupiscentiæ contemnit et aliorsùm se convertit.

« Hæc aliundè pro se dicta non arbitrentur nonnulli scrupulosi ad torquendam propriam conscientiam nimis ingeniosi, qui, dùm anxii sint an consenserint nec ne, stimulos carnis vehementiores et quasi perpetuos effi- ciunt  : firmum habeant propositum semper castè vivendi, et tune motus inordinatos contemnant, eos minimè curan- tes in consuetâ agendi ratione, in examine conscientise et in confessione  ; experientiâ enim constat hanc tutiorem et breviorem esse viam eorum cessationem obtinendi.

SECTION SIXIÈME.

De la conduite à tenir envers les masturbateurs ou les onanistes.

Nous ne parlerons point ici des caractères et des signes auxquels on reconnaît facilement les malheureux esclaves et victimes de l’horrible et dévorante passion de l’ona- nisme : nous renvoyons, pour cet objet, le lecteur à notre Essai sur la théologie morale .

Qu’avant tout les confesseurs s’appliquent de toutes leurs forces à prémunir contre cet affreux vice tout ceux

qui sont confiés à leur pieuse et vigilante sollicitude,

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et à déraciner et à détruire entièrement les habitudes malheureusement contractées. « Caveant imprimis, dit M^r Bouvier, ne juvenes et præsertim puellas interro- gando phantasiam eorum imprudenter lædant et in causâ sint, ut pluries accidit, quôd in turpia labantur. Longé satius esset periculo integritatem confessionis non procu- randi se exponere quàm animas contaminare, vel in detri- mentum religionis offendere.  » Les moyens à opposer à la pollution, soit volontaire, soit involontaire, en supposant l’opportunité de la mesure préventive pour la dernière, sont physiques ou moraux.

Les principaux remèdes physiques ou hygiéniques consistent dans un genre de vie bien réglé, une exacte tempérance, l’abstinence d’aliments excitants, échauf- fants, épicés et flatueux, ainsi que des boissons spiri- tueuses, comme la bière particulièrement, et en général toute liqueur alcoolique. On suivra donc un régime doux, sobre, farineux et lacté; on soupera fort légèrement. On mangera et on boira froid le plus que l’on pourra  ; on prendra des boissons frappées de glace et même de la glace pure et le plus possible. Des bains froids de rivière, d’étang et surtout de mer conviendront beaucoup  ; on fera des applications réfrigérantes locales au moyen d’une vessie contenant de la glace pilée, de la neige ou de l’eau très froide avec du sel de cuisine. On évitera soigneusement de se coucher sur le dos  ; on conservera le plus longtemps possible le décubitus sur un des. côtés et surtout sur le droit, et toujours sur le lit le plus dur que l’on pourra supporter, ou du moins on ne se servira que d’un matelas de crin, jamais de laine et encore moins de plume  : le tout dans le but spécial d’ éviter un excès


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de chaleur pendant le sommeil, qui, en général, doit être court et profond. On évitera aussi avec soin la constipa- tion et la trop grande réplétion de la vessie, qui est re- gardée comme une cause notablement prédisposante de la pollution nocturne.

En général, on se livrera à un exercice modéré, à des promenades fréquentes au grand air et surtout à la cam- pagne; on entretiendra doucement les fonctions de la peau, et on évitera le froid et l’humidité.

Quant aux jeunes garçons, aux adolescents et même à tous les jeunes gens masturbateurs, il faut leur prescrire les exercices d’une forte et presque incessante gymnasti- que, ou du moins les tenir constamment en haleine par une grande fatigue corporelle. Ce sentiment d’extrême lassi- tude, outre qu’il étouffera ou comprimera tout sentiment libidineux ou érotique, excitera chez eux une grande faim, et fera naître un vif besoin d’alimentation et de repos physique. On fera en sorte qu’ils dînent ou soupent fort tard, et qu’ils se couchent le plus tard possible, c’est à dire lorsqu’ils seront vaincus et accablés par la force du sommeil et par les fatigues de la journée. Il va sans dire qu’on doit toujours faire lever de grand matin les jeunes sujets, garçons et fdles, ou du moins dès qu’ils s’éveillent.

Pour ce qui regarde les moyens moraux à opposer au déplorable vice de la masturbation, les principaux con- sistent à fuir tous les objets dangereux et capables de remplir l’esprit de sales pensées et d’enflammer vivement l' imagination  ; à veiller sur soi et sur tous ses sens; à mater et à macérer sa chair par des pénitences et des mortifications corporelles  ; à considérer les maux infinis


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qu’entraîne l’habitude de l’onanisme; à méditer sur la mort, les jugements de Dieu, l’enfer et 1 éternité  ; à fuii l’oisiveté et la solitude, et enfin à se confesser souvent et à prier beaucoup.

Quant à leur admission à la sainte communion, la chose est plus difficile. Il est pourtant certain que l’usage des sacrements de confession et d’eucharistie peut seul donner la volonté, la force et le courage de triompher complètement de l’impérieuse et tyrannique passion de l’onanisme. L’expérience prouve que la raison et tous les motifs naturels et humains sont bien souvent des armes impuissantes pour dompter ce monstre qui dévoi e avec fureur la jeunesse abandonnée à elle-même. Il faut donc recourir à des remèdes plus forts et plus efficaces pour guérir cette hideuse, cette immense plaie de 1 âme. Or, la sainte communion est sans contredit ici le plus héroïque des spécifiques. Si l’on traite trop sévèrement ces sortes de pénitents, il est fort à craindre qu’ils ne re- viennent plus et qu’ils ne se corrompent davantage  ; si, au contraire, on est trop facile et trop indulgent, ils ne sortiront jamais du sale bourbier où leur inexoïable ha- bitude les retient captifs.

Il faut donc que le confesseur soit doué d’une très grande prudence et enflammé d’un grand zèle de charité pour gagner à Dieu ces pauvres et malheureux pénitents. Qu’il les entende en confession au moins une fois chaque semaine, qu’il les excite puissamment à la douleur de leurs fautes et surtout qu’il leur inspire de toutes ses forces une ferme, une inébranlable résolution de ne plus les commettre et de renoncer entièrement à leur funeste et déplorable habitude.


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li faut que le confesseur examine avec beaucoup d’at- tention si les rechutes proviennent de la malice, de la corruption, de l’affection au péché, de la paresse et d’un manque de ferme propos, ou seulement de la faiblesse du pénitent et de la violence de la tentation. Dans le pre- mier cas, il faut différer l’absolution jusqu’à ce qu’on voie des signes certains d’amendement et de conversion  ; dans le second cas, il faut avoir pitié de ces pauvres âmes qui luttent péniblement contre leur tyrannique passion et qui paraissent vraiment contrites et repentantes. Et d’ailleurs, si ces jeunes gens n’avaient pas la foi et l’es- pérance du pardon dans le cœur, se présenteraient-ils toutes les semaines au tribunal de la pénitence  ? non, certes, ils feraient comme la grande masse des autres  ; ils repousseraient le remède comme trop amer, et lui préféreraient les charmes trompeurs d’un mal qui les tue sourdement en les caressant voluptueusement. Ainsi donc quand on jugera prudemment que leurs bonnes disposi- tions et leurs bons sentiments sont moralement certains, on pourra leur accorder la grâce de l’absolution et de temps en temps les admettre à la sainte table.

Quant au temps du délai, on ne peut établir à cet égard aucune règle fixe et invariable  : tout cela est laissé à la sagesse et à la prudence des confesseurs, qui doivent ré- gler leur conduite sur la qualité des dispositions et la ferveur de leurs pénitents. Rien n’est donc absolu; tout est et doit être nécessairement relatif à l’individualité et à la spécialité. Ce qu’il y a de sûr c’est qu’il faut moins avoir égard à la mesure du temps qu’à la mesure de la douleur. A on tam consideranda mensura temporis quàm dotons.

\l l Bouvier fait observer qu’un délai de deux mois


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sans rechute, comme le veulent Juenin, Collet et beau- coup d’autres, est excessif et souvent dangereux pour ces sortes de pénitents. D’un autre côté, S. Liguori (liv. 6, n. A63) et plusieurs autres qu’il cite pensent qu’un délai d’un mois est encore trop long et qu’on ne doit pas dif- férer l’absolution au-delà de huit, dix ou quinze jours au plus, pourvu que l’on remarque de vrais signes de contrition.

Si un confesseur se croit obligé de baser sa conduite sur la précision arithmétique ou sur des chiffres, il devra, ce nous semble, écarter dans l’espèce les deux termes extrêmes et prendre la moyenne entre une semaine et huit semaines, c’est à dire quatre semaines et demie ou un bon mois. En se tenant ainsi au milieu des extrêmes ou à une distance convenable et mesurée du molinisme et du jansénisme , c’est à dire d’un relâchement dange- reux et d’une rigueur blâmable, on demeure entre les limites de la sagesse et de la prudence  ; et c’est ce que fait le sage dans toutes les choses humaines où il y a partage ou divergence extrême de sentiments ou d’opi- nions. In medio tutissimus ibis.

Mgr Bouvier fait encore la remarque suivante  : « Ali— quandô suadendum est matrimonium iis qui nubere pos- sunt, tanquam unicum, aut saltem tanquarn efficacius remedium. Ubi verô agitur de juvenibus qui statum per- petuæ continentiæ amplexuri sunt, cum maximâ cautione procedendum est. Qui tali vitio inquinati sunt et in pol- lutiones sæpè labuntur communiter temerè et impru- denter çastitatem voverent  : à professione religiosâ igitur et multô magis à statu clericali repelli debent, nisi extraordinaria dent signa conversionis et longâ expe-


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rientià, nempè per plures annos, firmitatem propositi demonstrent ac pignus perseverantiæ exhibeant.  »

Rien de plus sage que ce principe, pourvu qu’on n’en porte pas trop loin la rigueur et qu’on ne prolonge pas trop le temps de l’épreuve. Une année de continence par- faite, avec la plénitude de la raison, le but et la vie régu- lière et pieuse que l’on suppose aux personnes, dans l’es- pèce, doit être généralement, selon nous, une garantie morale d’une parfaite conversion.

Dans un autre ouvrage, nous avons tenu un langage un peu différent de tout ce que nous venons de dire, mais néanmoins toujours renfermé dans les limites du vrai, et qui, dans l’occurrence, peut avoir également son appli- cation. Nous avons dit  :

« Les meilleurs moyens devraient être purement spi- rituels et moraux  : la crainte de Dieu, les menaces formi- dables, les saintes terreurs de la religion, la vue de l’é- normité du crime et le châtiment terrible qui l’attend, etc. Voilà sans doute les moyens qui sont ou du moins qui devraient être les plus salutaires et les plus efficaces, si on les considère en eux-mêmes et dans leur applica- tion aux personnes instruites dans la religion et qui n’ont pas encore perdu la foi  ; mais malheureusement, dans ce temps de décadence générale de la foi, l’expérience prouve trop souvent leur insuffisance. Il faut donc au- jourd’hui à des hommes tout plongés dans la matière, dominés par l’empire des sens et presque absolument in- capables des impressions religieuses, il faut, dis-je, aux hommes de ce caractère des moyens sensibles, actuels, présents, les moyens de cette vie, et non de l’autre; il faut les menacer du déshonneur, de l’ infamie, de l’ignominie.


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de toutes les horreurs des maladies les plus douloureu- ses, les plus dégradantes et les plus honteuses, et enfin d’une mort précoce suivie d’un châtiment éternel. Si, à l’aide de tout cet appareil de terreur, on n’obtient aucun amendement, on pourra faire lire le petit ouvrage de Doussin-Dubreuil préférablement à celui de Tissot, ou même, s’il se peut, ce que nous venons de dire sur ce sujet dans notre Essai sur la théologie morale. Il est cer- tain que la lecture du petit livre de Tissot a corrigé bien des jeunes gens  ; cependant le premier convient davan- tage sous tous les rapports.

Nous terminons par l’indication du moyen propre à arrêter les pollutions nocturnes énervantes, dont nous avons parlé dans notre Essai sur la théologie morale sans toutefois le faire connaître. En voici en peu de mots la description  :

Pendant au moins une ou deux minutes, primis duo- bus digitis cujusvis manûs sat fortis compressio facienda est ame et juxta anum, vel potiùs supra anteriorem ani marginem, id est ad ortum vel originem uretri sive urinæ canaliculum, ita ut ejus meatus paulisper deleatur et pe- rindè omnis seminis lluxus prohibeatur. Sed hune in fmem, et ut opus istud rectè perficiatur subdifficilis con- ditio, scilicet evigilatio vel saltem semievigilatio requi- renda est, quô compressio exerceatur tempore pollutionis imminentis vel quidem aliquando jam inchoatæ.

Or, le moyen de s’éveiller à temps c’est de le vouloir fortement en se couchant et de tâcher de s’endormir sous l’impression vive de cette idée exclusive ou dominante.

L’expérience prouve qu’ assez souvent ce moyen moral seul suffit pour provoquer l’évigilation nécessaire. Un


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premier succès en rend un second plus facile, et ainsi de suite jusqu’à l’habitude. Lorsqu’on est parvenu plusieurs fois à s’opposer à l’accident nocturne, les forces revien- nent et les organes, de relâchés et comme accoutumés qu’ils étaient à l’écoulement, se fortifient par l’habitude contraire  : l’on peut même parvenir à s’en rendre tout à fait maître et en guérir radicalement.

On sent assez que le moyen proposé est à peu près infaillible dans les cas de pollution diurne ou dans l’état de veille.

Remarque importante. Il faut surtout s’appliquer à être chaste de cœur et d’esprit, c’est à dire à être exempt, autant que possible, de désirs, d’affections, de sentiments et de pensées érotiques, impurs ou charnels, parceque, bien que ces choses soient ici censées involontaires et sans aucun péché, elles ne laissent pas d’être une occasion fré- quente de certains rêves qui déterminent très souvent, comme on sait, les accidents qu’on cherche à prévenir.

Un autre avis à donner, qui n’est pas sans quelque importance, c’est de se coucher sans avoir la moindre crainte de ce qui peut arriver pendant le sommeil. Cette préoccupation d’esprit, cette inquiétude et cette anxiété ne sont propres qu’à troubler l’imagination et le système nerveux, et à produire l’effet qu’on cherche à éviter.

SECTION SEPTIÈME.

De la pollution volontaire ou de la masturbation considérée dans le sexe

féminin.

Nous ne reproduirons point ici tous les détails sur les désordres physiques et moraux que produit, dans le


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sexe, la honteuse et déplorable habitude de la masturba- tion ; on les trouvera dans notre Essai sur la théologie morale ( 4 e édit. ).

La théologie nous apprend que, dans l’homme, l’ona- nisme ou la pollution volontaire est un mal intrinsèque, parcequ’il tend à détruire l’espèce et l’individu  : d’abord l’espèce, parceque, outre que l’homme sera plus porté à s’éloigner du mariage, la masturbation indéfiniment con- tinuée rendra enfin le sperme improlifique  ; en second lieu, l’individu, parla destruction totale de la santé, qui amène la mort. L’expérience journalière ne le prouve que trop.

Quoique chez la femme il n’existe pas de sperme pro- prement dit comme dans l’homme, la masturbation dans le sexe féminin ne laisse pas d’être intrinsèquement ou essentiellement mauvaise, parceque, outre quelle inspire aussi de l’aversion pour le mariage, elle tend à détruire l’individu, et, par conséquent, l’espèce indirectement. Si l’on nous objecte que la matière de la pollution volontaire, dans la femme, n’est point prolifique, mais une simple excrétion muqueuse, nous répondrons que cette souillure est, par elle-même et par son mode, essentiellement libi- dineuse et doublement débilitante, d’abord par la déper- dition matérielle, et plus encore par la perturbation et l’ébranlement nerveux qu’elle détermine, comme nous le voyons manifestement chez les enfants ou les garçons impubères encore incapables de sécrétion séminale, et que la masturbation n’en conduit pas moins au marasme et quelquefois même à la mort. C’est donc ici évidemment la stimulation ou la perturbation nerveuse seule qu’il faut accuser comme cause de tous les désordres, Si, dans ces jeunes sujets, il y a parfois quelque légère évacuation,


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elle est l’effet de la stimulation locale portée à l’excès, d’après ce principe physiologique  : ubi stimulus ibi fluxus. Il est bon de faire observer ici, pour prévenir une autre objection, que l’on n’a point à craindre l’habitude des- tructive et mortelle de toute autre excrétion soit san- guine, soit muqueuse, quel qu’en soit l’appareil orga- nique, parceque celui-ci ne peut jamais devenir le foyer d’une sensibilité élective, érotique et par conséquent énervante. L’homme périt par où il se reproduit.

Bien que la femme ne sécrète pas de véritable sperme, la masturbation pourtant est aussi funeste à ce sexe qu’à l’autre pour les raisons ci-dessus exposées. Ce malheu- reux penchant, cette passion tyrannique, fait, dans la femme, presque autant de victimes que chez l’homme.

Grâce à la mauvaise éducation physique et morale et à la corruption des mœurs de nos malheureux temps, l’o- nanisme est devenu, dans les deux sexes, d’une fréquence vraiment déplorable. « Il est constant, dit M. le docteur Deslandes, qu’un grand nombre de jeunes filles et pres- que tous les adolescents se masturbent  ; aussi n’y a-t-il pas de jeune sujet qu’on ne doive considérer comme se livrant à l’onanisme, ou comme exposé à s’y livrer pro- chainement. » (De l'Onanisme:)

Un curé de campagne nous a assuré que, sur douze petites filles qui devaient faire leur première communion, il n’y en avait qu’une qui ne fût pas livrée à de mau- vaises habitudes. S’il en est ainsi dans les campagnes, a-t-on lieu de se rassurer beaucoup dans les villes, où la jeunesse est généralement plus sensible et plus précoce, e’est à dire plus portée au vice et à la corruption?

La plupart des théologiens, des moralistes et des ca-


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suistes mentionnent à peine la masturbation chez la femme comme désordre possible. Une foule de traités ex professo sur le sixième commandement n’en disent pas un mot. Est-il étonnant, après cela, de voir tant de jeu- nes prêtres très ignorants sur cette matière?

Très apud nos masturbationis species vel potiùs for- mæ in feminis distinguuntur  : 1° masturbatio clitorina  ; 2° vaginalis  ; 3° uterina. On verra plus bas le motif et le fondement de cette distinction, qui, au premier aspect, ne paraît pas avoir une grande portée pratique  ; mais, puis- qu’elle est dans le vrai, elle peut avoir tôt ou tard son application.

1° Prima forma vel clitorismus , ut aiunt, est modus ordinarius. Hæc contaminatio manualis præsertim fit ope parvuli organi quod clitoris nuncupatur et quod, juxta medicos, babetur venerei œstri vel carnalis voluptatis sedes aut præcipuum organum. In superiori et mediâ parte vulvæ, id est pudendi, collocatur. Id valdè exiguum organum, sive erethismo frequenti vel ferè perenni, è mollitie orto, sive dispositione nativâ, in tantum cres- cere potest, ut aliquandô penem virilem quodam modo simulet. Undè, temporibus ignorantiæ, nata est falsa her- maphroditorum opinio. Undè rursùs quædam mulieres perditæ et moribus corruptis mersæ aliquandô usurpare vel potiùs imitari vices exclusivè viriles conantur. Jadis les femmes romaines, au rapport de Juvénal et de Mar- tial, étaient fort adonnées à ce genre de corruption, et Tissot assure que ce désordre révoltant est fréquent de nos jours. L’on a vu souvent, ajoute-t-il, des femmes aimer des filles avec autant d’empressement que les hommes les plus passionnés, et concevoir même lajalou-


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sie la plus vive contre ceux qui paraissent avoir de T af- fection pour elles. Plus haut, il avait déjà dit, en par- lant de cette passion étrange chez les femmes, que le danger n’est pas moindre que dans les autres moyens de souillure, que les suites en sont également affreuses, et que toutes ces routes diverses mènent aux langueurs, à l’épuisement, aux douleurs, à la mort.

D’après les observations de Parent-du-Chatelet, qui a écrit dernièrement sur les prostituées de Paris, ce dé- sordre sodomique est très fréquent chez ces malheu- reuses fdles, bien que chez elles il ne s’observe ordinai- rement rien d’anormal dans l’organisation de l’appareil génital. Car le développement extraordinaire dont on vient de parler paraît assez rare même dans cette classe de femmes. Cela ne les empêche pourtant pas de se livrer à ces criminels désordres ou à ces abominables mariages. Ces infamies sont qualifiées d 'attentat aux mœurs par les prostituées réputées assez pudiques pour ne point s’y adon- ner : et le Bureau des mœurs , espèce de tribunal correc- tionnel qui régit et surveille les maisons tolérées, punit très sévèrement cet attentat aux mœurs. Tout le reste apparemment est jugé innocent, décent et moral. Il ne faut pas oublier que cet attentat aux mœurs peut se com- mettre ailleurs aussi bien que dans les maisons tolérées .

On a demandé si l’ablation du clitoris, faite dans le simple but de guérir la nymphomanie ou la passion ef- frénée de la masturbation, ne pourrait pas devenir une cause de stérilité; et si, dans ce cas, cette opération pourrait être permise en bonne théologie. C’est sans doute là une question toute nouvelle. Nous avons tout lieu de croire que cette opération, qui se pratique d’ail-


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leurs très rarement, ne peut rendre la femme stérile, parceque cette faible partie de l’ appareil génital ne paraît nullement essentielle à l’acte de la fécondation. Le cli- toris ne paraît être qu’un organe de volupté  ; or, la vo- lupté n’est pas absolument nécessaire, comme nous l’a- vons prouvé dans notre Essai sur la théologie morale . Il n’est propre qu’à déterminer ou à engager à l’acte, et non à devenir instrument essentiel à l’acte de la gé- nération, à moins toutefois que l’on ne voulût supposer qu’il fût peut-être l’organe destiné à exciter sympathi- quement l’action aspirante de la matrice, ou à mettre en jeu le mouvement des trompes utérines  ; mais ce serait là expliquer une hypothèse par une autre hypothèse. Au surplus, je ne sache pas que cette opinion très impro- bable ait jamais été émise par aucun physiologiste. On peut lui opposer d’abord les faits de conception avec occlusion presque complète, où le coït, par conséquent, n’a pu s’accomplir normalement, et alors, avec un peu de réflexion, on comprend assez la nullité d’influence du clitoris sur la fécondation. En attendant que des obser- vations multipliées et bien constatées aient prouvé le contraire, nous demeurons persuadé que l’ablation du clitoris ne doit pas causer la stérilité, et qu’elle est, par conséquent, une opération aussi licite que l’amputation d’une autre partie, comme d’un sein malade. Il serait inutile d’insister davantage sur un point presque pure- ment spéculatif  ; mais il fallait répondre à une question qutnous a été faite.

On doit rattacher à la première espèce ou forme de souillure corporelle celle qui d’ordinaire se fait non tactu manuali, sed quolibet corporis motu voluntario, sive ip-


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sius generali extensione, sive tantum membrorum, nempè tibiaruni, vel compressione femorum ad invicem, etc.

2° Secunda species vel vaginalis minùs frequens quàm præcedens generatim præ se fert majorem phantasiæ con uptelam et labem, quippè istud mollitiei genus sem- per fit quâlibet introductione, sive digitorum, sive quo- rumlibet obviorum instrumentorum, quæ libidini sugges- tiones diabolicæ subministrare non desinunt.

3° Tertia et ultima species vel uterina aliis modis vel fonnis multô rarior  ; sed gravissima, valdè sanitati no- civa, maxime inordinata ac proin dè admodùm culpabilis vel peccaminosa, ratione gradûs malitiæ circumstantia- rum plus minùsve aggravantium. Hic et talis est modus  : frequens titillatus vel irritatio exercetur ad collum uteri (id est ad inferiorem matricis partem quæ in vaginæ summitate reperitur) ope digitorum vel aliorum quorum- dam instrumentorum. Il est bon que cette circonstance, qui nous paraît aggravante, soit connue des confesseurs, si prudemment faire se peut. Et en effet cette irritation utérine, indéliniment réitérée, peut amener directement la stérilité. Les autres modes de souillure manuelle pour- raient aussi, à la longue, finir par rendre stérile, en con- duisant au dernier degré de faiblesse et de marasme; mais cette stérilité ne serait déterminée que d’une ma- nière indirecte et accidentelle et par des causes générales, tandis que la dernière espèce ou la souillure utérine, in- dépendamment de ces mêmes accidents, peut encore causer directement la stérilité, en déformant et en désor- ganisant le col utérin, parle développement de squirrhes, d'ulcères fort graves, rongeants ou véritablement cancé- reux. Ainsi, nous le répétons, la dernière espèce ou futé-


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rine, outre quelle peut, comme les autres, produire les effets généraux et même la mort, elle est de plus capable de déterminer, par son action locale, une stérilité directe et incurable. Que les confesseurs se rappellent ce passage de S. Césaire  : « Mulier autem quæcumque fecerit hoc per quod jam non possit concipere, quantoscumque pa- rère poterat, tantorum homicidiorum ream se esse cog- noscat.  »

Nous ne doutons pas qu’une foule de maladies de l’ap- pareil génital de la femme ne soient le résultat de la masturbation. Et vit-on jamais en plus grand nombre qu’ aujourd’hui tous ces ulcères (1), ces squirrhes, ces carcinomes affreux du col de l’utérus, qui trop souvent tuent les femmes ou les rendent stériles  ? Et telle femme qui attribue le principe d’un mal horrible qui la dévore aux suites de l’hérédité, et sa stérilité à des causes qu’elle fait dériver d’une nature dure et ingrate, ne devrait s’en prendre qu’à sa funeste passion,, qui l’a mise dans une po- sition sans ressource et sans espérance.

Nous avons vu, en parlant de l’onanisme dans le sexe masculin, que la contamination manuelle peut être in- complète, nerveuse, sèche et sans effusion. Ces prodro- mes ou cet éréthisme préparatoire s’observent également dans le sexe féminin, c’est à dire que la souillure ma- nuelle s’y fait assez souvent sans aucune évacuation ni externe ni interne, parceque la manœuvre criminelle n’est pas portée jusqu’à la consommation de l’acte. Il n’y

(1) Quelquefois les ulcérations du col de la matrice déterminent de vio- lents désirs érotiques ou libidineux, et à leur début et au commencement de leur cicatrisation.


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a donc pas ici de masturbation proprement dite faute d’effusion; seulement il y a un mouvement congestion- nel ou fluxionnaire, c’est à dire une fluxion, une conges- tion ou un afflux d’humeurs renfermées encore dans le tissu des organes. Cette congestion humorale est la ma- tière, la cause ou du moins l’occasion des mouvements déréglés, charnels, érotiques qui accompagnent la souil- lure manuelle, et qui produisent quemdam delectationis venereæ sensum vel humoralis orgasmi. Ainsi cette es- pèce de souillure manuelle incomplète, quoiqu’elle ne soit accompagnée que de simples mouvements désordon- nés intérieurs, n’en est pas moins une faute fort grave, à cause du motif désordonné et du but criminel de la per- sonne qui s’abandonne à sa passion. Mais ce péché, comme on le sait, est évidemment moindre que le crime de l’o- nanisme consommé, où la passion est pleinement satis- faite ; dans ce dernier cas le péché mortel est au dernier degré de gravité dans son espèce. Il est bon de faire observer que cette espèce de masturbation sèche, ner- veuse, incomplète et sans excrétion humorale ni externe ni interne, ne laisse pas d’exercer, par l’ébranlement nerveux qui l’accompagne, une fâcheuse influence sur tout l’organisme et par conséquent sur la santé en général.

Maintenant si l’on nous demande  : A quoi sert et à quoi conduit cette distinction ou cette division de la masturbation dans le sexe féminin  ? nous demanderons aussi, à notre tour, si un homme qui, par un raffinement de corruption, se serait fait une mutilation organique qui l’eût rendu inhabile à l’acte de la génération (témoin le

fameux pâtre du Languedoc) ne serait pas plus coupable

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MGECHIALO&m.


que celui qui se serait livré à la pratique de la mastur- bation ordinaire, sans en avoir subi la même conséquence? aucun doute ne peut s’établir ici. Or, ce qui est arrivé chez l’homme peut bien plus facilement avoir lieu dans la femme. — Si les pénitents sont obligés d’accuser les circonstances qui aggravent notablement le péché, et surtout celles qui en changent l’espèce, ne serait-ce pas également un devoir pour eux de déclarer en confession l’acte criminel qui les a privés à perpétuité de l’aptitude génératrice? Et, pour en revenir à l’espèce du n° 3, page 67, la femme qui a criminellement détruit en sa personne la faculté de jamais concevoir ne pèche-t-elle pas bien plus grièvement que celle qui ne s’est livrée qu’à des actes de la masturbation ordinaire sans perdre pour cela son aptitude à la conception  ? Ces deux fautes sont- elles de même espèce? Et, si vous ne voulez pas admettre la différence de l’espèce, vous êtes, certes, bien forcé d’y reconnaître quelquefois une circonstance notablement et terriblement aggravante  : donc il peut y avoir matière à accusation, au moins lorsque le désordre ou l’acte cri- minel a été porté au degré nécessaire pour déterminer la stérilité, état qui, en général, est facilement consta- table aux hommes de l’art. Donc cette distinction n’est pas subtile, inutile et purement spéculative.

Si vous dites que, dans l’espèce, les personnes sont dans la bonne foi, je rétorque l’argument contre vous, et vous réponds que les pénitents peuvent être également dans la bonne foi dans une foule de cas où les théologiens les obligent à déclarer les circonstances qui aggravent notablement le péché ou qui en changent l’espèce, comme, par exemple, la fornication avec la circonstance de la pa-


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renté et de T affinité an degré lé plus éloigné (inceste) (1) ou la percussion d’un laïque, d’un clerc ou d’un reli- gieux ; ou le cas de feris ou atrox percussion etc. (cen- sure) . Je pourrais donc vous dire aussi  : à quoi bon ici la déclaration de ces circonstances? les pénitents sont dans la bonne foi et hors d’état d’apprécier la valeur et la portée de ces distinctions théologiques. Il résulterait donc de là que la doctrine des théologiens sur les cir- constances aggravantes serait entachée du même vice rpie la nôtre. Mais comme cette doctrine des théologiens finit être maintenue, puisqu’elle est fondée sur les déci- dons du concile de Trente, il s’ensuit que la nôtre, qui lui est identique, doit l’être également et nécessairement, iu moins toujours dans la théorie et quelquefois dans la pratique.

Enfin, quand cette distinction ou cette connaissance ne servirait qu’à aider le confesseur à mieux juger de l’état ou du degré de passion de sa pénitence, ce serait déjà une chose fort utile. Mais pour cela il n’est pas nbligé de faire des questions directes  ; il peut se contenter d’interroger d’une manière générale et implicite, ou, sui- vant les circonstances, se borner même au rôle de simple auscultateur.

Nous terminons ce que nous avions à dire sur la mas- turbation chez les femmes par quelques mots sur la conduite du confesseur à l’égard des personnes exces- sivement timides, ou qu’une fausse honte empêche de s’expliquer suffisamment sur cette matière. Ce petit avis a moins pour but de rappeler aux confesseurs expéri-


(1) On sait que ta parenté est charnelle, légale et spirituelle.


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inentés des choses qui doivent leur être familières que d’apprendre aux jeunes prêtres, qui entrent dans le saint ministère, ce qu’ils ignorent peut-être encore, ou qu’ils ne savent pas d’une manière assez parfaite et surtout assez pratique.

Le confesseur doit d’abord montrer un air doux, facile et bienveillant. Il engagera les jeunes personnes à dire avec simplicité tout ce qu’ elles savent sur le point en question. 11 se composera convenablement afin de ne pas paraître ému ou étonné de rien, et de ne pas avoir l’air d’écouter les accusations avec trop d’intérêt ou de curiosité  ; il vaut mieux, en apparence, y être assez indifférent. Le con- fesseur pourrait même dire qu’il en a entendu là-dessus plus que tout ce qu’on pourra lui apprendre. Lorsqu’il jugera nécessaire de faire quelque interrogation, il aura grand soin de toucher légèrement cette matière lubrique et dangereuse  ; il usera donc d’une extrême réserve et d’une grande prudence, pour ne pas s’exposer, par un langage trop peu mesuré ou par des questions inutiles ou dangereuses, à apprendre aux pénitentes le mal que peut- être heureusement elles ignorent.

Pour découvrir la mauvaise habitude il ne faut pas paraître en douter. N’interrogez donc point sur le point principal ou le fond de la chose, mais sur l’accessoire ou quelqu’une de ses circonstances. Au lieu de les ques- tionner sur tel péché qu’on craint qu’ elles ne cèlent, on doit leur faire dire combien de fois elles l’ont commis; si elles hésitent à répondre, on leur demandera un nom- bre considérable, invraisemblable et au dessus du véri- table, afin de les enhardir à en avouer de suite un nombre moindre. En général, avant qu’elles aient fini de tout


MOECHIALOGIE.


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dire, il faut chercher à paraître les excuser, en rejetant tout l’odieux des fautes sur leurs complices, en leur di- sant qu’elles n’auraient probablement pas fait d’elles- mêmes ces actions déshonnêtes si quelque compagne corrompue ne leur avait appris le mal malgré elles, et qu’elles repoussent sans doute avec horreur, etc.

Mais un autre point que nous croyons important, et l’expérience l’a déjà prouvé, c’est que le confesseur ait soin de donner à certaines personnes du sexe, mariées ou non, mais grossières et plus ou moins privées d’édu- cation, une courte explication sur l’origine des connais- sances pratiques qu’il possède sur les matières du sixième commandement. Il sera bon, par exemple, de leur dire qu’il a appris toutes ces choses dans les livres des méde- cins ou des médecins eux-mêmes, afin d’écarter de leur esprit toute idée de surprise et de soupçon sur la ma- nière dont lui est venue la connaissance de ces détails, qu’ elles s’imaginent devoir être tout à fait étrangers aux prêtres. On a vu l’oubli de cette précaution fournir l’oc- casion de propos plus ou moins indécents, souvent étranges, et toujours très inconvenants.

Quant aux moyens à opposer à la funeste habitude de la masturbation dans le sexe féminin, voyez ce que nous avons dit, sur ce point, pour l’autre sexe.

SECTION HUITIÈME.

De la pollution diurne et nocturne dans le sexe féminin.


C’est une effusion externe ou interne plus ou moins délectable, matériellement et actuellement involontaire  ; elle est déterminée par un stimulus moral ou physique,


Vi MOBCHIALOGIE.

mais sans le secours de la volonté. Les caractères sui- vants décèlent ces sortes de contaminations  : effusion externe ou interne, c’est à dire une excrétion ou du moins une exsudation de matière muqueuse, qui n’est que le simple produit des glandules vaginales, avec un senti- ment plus ou moins vif de plaisir charnel dans l’appareil génital, devenu le siège d’un mouvement érectile ou spasmodique. Cette sensation est aussitôt suivie d’une cessation plus ou moins prompte du mouvement désor- donné interne ou de l’orgasme érotique, auquel suc- cède un état de satiété, de résolution et de repos du sys- tème générateur.

Nous entendons par F effusion externe une évacuation qui se produit à l’extérieur et se rend appréciable par les sens, et par l’effusion interne une simple exsudation mu- queuse renfermée et arrêtée dans l’appareil utérin ou génital, parcequ’elle est en quantité trop minime pour se produire au dehors. Dans toute pollution véritable il y a nécessairement une de ces deux évacuations sensible ou latente, sans quoi il n’existe point de pollution pro- prement dite, mais un simple orgasme, ou des mouve- ments qu’on appelle déréglés, lesquels, s’ils ne sont suivis de souillure corporelle, s’apaisent peu à peu sans sensation extraordinaire. La quantité et la qualité de la matière excrétée sônt relatives aux dispositions indivi- duelles, et dépendent des tempéraments plus ou moins lymphatiques et phleginatiques, ou plus ou moins secs ou pituiteux, et surtout de l’impressionabilité et de la susceptibilité nerveuse des personnes  : tout cela est ex- trêmement variable; mais, dans tous les cas, l’ébranle- ment nerveux se fait sentir, et exerce ordinairement, sur


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toute l’économie physique et momie, une influence plus fâcheuse que l’évacuation elle-même, Ainsi, cl’après tout ce qui précède, lorsque les théologiens disent qu’il peut y avoir pollution sans effusion, il faut nécessairement ad- mettre l’effusion interne et latente.

Les pollutions, dans la femme comme dans l’homme, sont diurnes ou nocturnes. Les premières, qui paraissent beaucoup plus fréquentes que les autres, sont celles qui ont lieu seulement dans l’état de veille et contre la vo- lonté ; elles sont déterminées par les mêmes causes occa- sionnelles que chez l’homme: des pensées, des souve- nirs, des imaginations contraires à la pureté et suivis d’impressions libidineuses, et enfin d’un éréthisme génital et de la pollution. Très souvent tout cela se succède très rapidement et quelquefois d’une manière brusque et ins- tantanée.

Quelquefois les pollutions diurnes sont provoquées par le simple contact des objets extérieurs ambiants. Ces contaminations, déterminées par excitation physique et non manuelle, arrivées par accident et contre l’intention ou la volonté des personnes, ainsi que celles occasion- nées par stimulus mental, sont absolument semblables, quant à la forme et à la terminaison, à celles qui sont volontaires, ou qui sont le résultat de la masturbation. On les reconnaît aux mêmes caractères, qui sont l’effu- sion externe ou interne accompagnée de la sensation vo- luptueuse et aussitôt suivie, comme nous l’avons déjà dit, de la cessation du mouvement déréglé ou de l’orgasme érotique, auquel succède à l’instant même un état de satiété, de résolution et de repos parfait de l’appareil génital  ; et, si ces signes manquaient, l’éréthisme ou


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M0ECH1AL0GIE.


l’orgasme allégué ne serait point une véritable pollu- tion, mais de simples mouvements déréglés ou désor- donnés.

Il est des personnes tellement organisées et si excessi- vement sensibles, quoique fort chastes d’ailleurs, qu’elles éprouvent des pollutions à la moindre excitation physi- que, ou à la plus légère impression charnelle. Souvent, dans ce cas, il est permis de croire que cette extrême susceptibilité érotique ou charnelle est une suite d’une longue habitude de masturbation, surtout chez les per- sonnes très nerveuses, ou qui ne sont pas encore conver- ties et arrivées à une chasteté parfaite. Nous avons fait la même remarque à l’égard des hommes, chez lesquels il arrive quelquefois des pollutions nocturnes ou diurnes à l’occasion de quelque pensée d’inquiétude, d’une af- faire très pressée qui préoccupe beaucoup et que l’on ne peut terminer au temps marqué, d’un objet que l’on cher- che avec anxiété, etc. Nous avons constaté aussi des pol- lutions diurnes déterminées par la simple rasure de la barbe et autres causes semblables purement mécaniques et sympathiques et de nature tout à fait indifférente.

Quant à la pollution nocturne, elle n’a lieu que pen- dant le sommeil. On la croit généralement beaucoup plus rare que chez l’homme; peu d’auteurs en font mention. Peut-être cette rareté est-elle plus apparente que réelle  ; car il est possible et même probable que, chez les fem- mes, les pollutions nocturnes surviennent à peu près comme dans l’homme, et qu’ elles sont généralement ina- perçues et insenties.

Quoique toutes ces pollutions nocturnes et diurnes soient ordinairement involontaires, elles peuvent cepen-


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dant, comme tout le monde sait, devenir matière à des fautes fort graves si la personne qui les éprouve y con- sent, s’y arrête volontairement avec complaisance et dé- lectation, ou si, par une imagination déréglée, elle en veut, désire ou souffre la cause soit physique, soit mo- rale : elles deviennent alors volontaires dans leur prin- cipe ou dans leur cause, et rentrent dans l’espèce ou dans la nature de la masturbation, dont elles prennent toute la malice.

Comme il est à la rigueur possible que des personnes excessivement simples ou scrupuleuses se méprennent sur la nature d’une certaine infirmité propre aux femmes, et croient, sur quelques questions de leur confesseur, avoir des pollutions lorsqu’elles ne sont atteintes que d’une leucorrhée, ou de ce qu’on appelle vulgairement llueurs blanches, fluor albus, ou de la blennorrhée, suite d’un commerce impur, il est bon de dire un mot sur leurs caractères différentiels, afin que le confesseur ne soit pas induit en erreur sur ce point, et que la pénitente ne se forme pas une conscience fausse et erronée. Dans la leu- corrhée, qui est un état maladif, l’écoulement est habituel, sans aucune sensation voluptueuse ou érotique, et, de plus, il est ordinairement accompagné d’un sentiment in- commode à l’épigastre, c’est à dire de ce que les femmes appellent un tiraillement d’estomac. Dans la blennor- rhée, qui est continue, l’émission urinaire se fait souvent avec quelque légère douleur ou ardeur. La pollution, comme on l’a vu, est intermittente  ; de plus elle est in- timement liée à un sentiment de plaisir charnel, et se termine par la prompte cessation de toute sensation vo- luptueuse et de l’ éréthisme ou orgasme érotique; enfin,


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elle n’est point accompagnée de ce sentiment de tirail- lement dans l’estomac que l’on éprouve dans la leucor- rhée.

Mais il arrive bien plus souvent peut-être que des filles prennent des pollutions involontaires ou même vo- lontaires pour des flueurs blanches, et trompent par là bien plus gravement leurs confesseurs  ; il est donc im- portant de distinguer sûrement les pollutions de la leu- corrhée et de la blennorrhée.

Nous terminerons par une remarque qui, à nos yeux, n’est pas sans quelque valeur. Il est une certaine infirmité à laquelle les femmes sont fort sujettes, et qui constitue pour elles un véritable tourment  : c’est une espèce d’affec- tion dartreuse ou plutôt un prurit violent qui se fixe à la vulve (pudendum). Cette circonstance est quelquefois l’occasion de pollutions, parceque les personnes affligées de ce mal sont presque irrésistiblement forcées de se pro- curer du soulagement. Les confesseurs doivent traiter ces sortes de femmes avec beaucoup d’indulgence, et avoir égard à leur infirmité. Pour s’assurer, avant tout, si cette excessive démangeaison est un état maladif ou un mouve- ment libidineux extraordinaire , il leur faut demander si elles n’ont pas éprouvé des pollutions contre leur inten- tion en cherchant à combattre la violence du prurit  ;#car, si le prurit est véritable, c’est à dire une disposition ma- ladive, l’attouchement manuel pourra calmer l’intensité du mal sans le dissiper entièrement  ; tandis que, si le sentiment du prurit n’est qu’un orgasme vénérien, il cesse aussitôt qu’il survient une pollution, et tous les mouvements déréglés se dissipent promptement.

Un autre moyen de constater le prurit morbifique et


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de le distinguer des mouvements purement libidineux c’est de faire usage d’une certaine lotion pharmaceutique qui manque rarement de soulager notablement ou de guérir en fort peu de jours. En voici la composition  : su- blimé, cinq grammes, que l’on fait fondre dans cin- quante grammes d’alcool  ; on mettra une cuillerée à café de cette solution dans un demi-litre d’eau chaude, avec lequel on fera des lotions locales plusieurs fois par jour. Si ces lavages soulagent ou guérissent promptement, on est moralement sûr que le prurit est réel et morbifique  ; si, au contraire, ils ne soulagent guère, et que, d’un autre côté, des pollutions antécédentes aient prompte- ment dissipé la démangeaison, vous pouvez en conclure avec certitude que le prurit prétendu n’est que Y effet de l’orgasme libidineux ou vénérien, et que par conséquent la femme doit s’abstenir de tout attouchement manuel.

Voilà sur ce point notre manière de voir en général. Voyons maintenant ce qu’en disent les théologiens. Les uns excusent la pollution, surtout chez les femmes, lors- qu’elle est le résultat de frictions modérées, faites uni- quement dans le but de dissiper un prurit presque into- lérable, secluso consensus periculo, parceque, disent-ils, la friction est ici un vrai remède, et la souillure corpo- relle n’en est qu’une suite indirecte, et non la conséquence nécessaire. D’autres soutiennent le contraire, et préten- dent que ce moyen de soulagement est la cause directe de la pollution; mais il est clair qu’il n’en est que la cause indirecte, à moins que le prurit ne soit pas un prurit vé- ritable, c’est à dire un principe morbide, dartreux ou autre, mais plutôt une forte démangeaison libidineuse ou un vif appétit vénérien. Alors l’ attouchement est vé-


80 MŒCHIALOGIE.

ritablement la cause directe de la souillure, comme cela

arrive assez fréquemment.

Voici l’opinion de Billuart  :n«  Gùm ista fricatio ex se directè et proximè tendat in pollutionem, nec istæ infir- mitates mibi adeô graves videantur, censeo potiùs esse patienter tolerandas quàm tali remedio curandas. Atta- men si révéra esset in isto pruritu ingens dolor veren- dorum, ut quidem dicunt, aut ex semine corrupto immi- neret gravis morbus , non damnarem ilium qui, non habens aliud remedium, illud adhiberet, secluso periculo consensûs in delectationem aut pollutionem.  » (Dissert. 6, art. 12.) Ce sentiment de Billuart nous paraît assez pru- dent et assez sage, sauf sa forme dubitative, qui révèle peut-être son peu d’expérience, et sauf son semen cor- ruptum, qui annonce évidemment un manque de science physiologique qu’on lui passe sans peine. En outre, il omet, aussi bien que les autres, de faire la distinction des deux prurits, comme nous l’avons indiquée à la page précédente. Il aurait pu ajouter encore que très souvent, dans le courant physiologique de la vie, on se soulage machinalement comme pour toute autre partie, sans le moindre danger ni la plus légère sensation ou pensée érotique et charnelle  ; tandis que, en se faisant une sorte de violence ou d’effort pour résister au cri du besoin, on s’en préoccupe, on y pense, on trouble l’imagination et on appelle peut-être la tentation et le danger. Pendant que nous traçons ces lignes nous recevons une lettre d’un curé qui nous demande s’il doit refuser l’absolution à une femme d’une quarantaine d’années, atteinte d’un violent prurit qui revient par accès et qu’elle fait toujours cesser tactu manuali , sans jamais en ressentir aucune


MOECHIALOGIE.


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sensation érotique ou libidineuse. Nous avons répondu négativement, parceque, dans l’espèce, s’il n’y a pas de sensation, il n’y a pas de pollution.

Enfin S. Liguori dit  : « Licet alicui qui magnum pru- ritum patitur in verendis, ilium tactu abigere, etiamsi pollutio sequatur.  » Il cite une foule d’auteurs à l’appui, et il continue  : « Fortè dices posse accidere ut pruritus ille proveniat ex ipso ardore libidinis, undè extinctio pruritûs, quæ per fornicationem fit, venerea delectatio potiùs censeri debeat. Sed respondetur rationabiliùs ju- dicandum quôd talis pruritus, quandô est valdè molestus, oriatur potiùs ex acrimoniâ sanguinis quàm ex ardore luxuriæ. Saltem in dubio prævalet libertas se liberandi ab hujusmodi molestiâ per tactum de se licitum, dùm licitè quisque potest tactu pruritum corporis abigere  ; et si accidit pollutio, absque periculo consensûs, per acci- dens, et involuntariè, ac proindè inculpabiliter accidit  : ut autem iste ab eo tactu abstinere teneretur, probandum pro certo esset pruritum ilium à libidine procedere. Cæ- terùm sapienter monet Lacroix eos qui puritatem amant ut abstineant (intellige), quantum moraliter est possi- bile, ab hujusmodi tactibus.  » (Lib. 3, n. 483.)

S. Liguori admet bien les deux sortes de prurits; mais il ne dit pas à quels caractères on les reconnaît, ou par quelle marque ou indice on distingue le prurit dar- treux du prurit libidineux. Il faut donc encore, au bout du compte, avoir recours aux caractères différentiels que nous avons établis à la page 78.

Nous ne parlons pas de M®r Gousset, le plus moderne des auteurs, dont le texte est renfermé dans celui de S. Liguori. Voici ses paroles  : « Licet ei qui valdè mo-


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MOECHIALOGIE.


lestum pruritum patitur in verendis, ilium tactu abigere, etiamsi pollutio sequatur.  » ( Théologie morale , t. 1er, p. 25 !x. )

Nous avons rencontré avec surprise, quatre ans après avoir écrit tout ce qu’on vient de lire sur la pollution dans le sexe féminin, un passage fort remarquable et d’une parfaite justesse physiologique, dans un petit livre intitulé  : Collationes practicœ in sextum et nonurn Dc- calogi prœceptum. (De Saint-Flour.)

Nous ne pouvons nous dispenser de rapporter ici tex- tuellement cette page frappante de vérité et qui surpasse en exactitude et en science tout ce qu’ont dit jusqu’à présent, sur cette matière, les plus célèbres théologiens anciens et modernes. Aussi il est très probable, pour ne pas dire certain, que l’auteur, qui est ecclésiastique, a fait son article avec le concours d’un savant et judicieux médecin. Quoi qu’il en soit, voici comme il parle  :

« Hodierni medici saltem sat generaliter nullum in fe- minis propriè dictum semen vident in humore qui ad in- trà vel ad extrà in eis effunditur, et recentes theologi sat unanimiter dicunt semen illud impropriè dictum non esse ad generationem necessarium. Humor ille, ex glandulis internis manans, potest aliquatenùs comparari humori qui in viris semen comitatur, et qui aliquando sine semine distillât. Quidquid sit, pollutæ cognoscunturfeminæcùm, etiam sine ullâ effusione, magnum (majorem minoremve ratione complexionis) experiuntur sensum voluptatis, quâ complectâ satiantur et quiescunt. Sensus hic qui incipit in partibus venereis est species spasmi, et collapsus cor- poris majoris minorisve. Talis est seminatio in feminis aut ejus indicium, sed ad conceptionem non necessaria.


MGfcCHIÀtOGïÉ. 83

ln pluribas iteratuf  ; sæpè multoties in eodem momento, iteratâ causa.

« Quoad motus majores vel minores, sed non complé- tés, et satietatem et quietem non adducentes, videtur esse ratiocinandum sicut de motibus carnalibus qui in viris usque ad pollutionem non perveniunt. IIlos motus graviter malos, si non omninô pollutionem, sibi non rarô procurant etiam juniores puellæ non solùm taetibus, sed variis corporis positionibus, compressione femorum ad invicem, tibiarum extensione, frictione pectoris infra ma- m illas.  »


s il.


DE LA SODOMIE.

(( Hoc peccatum esse execrandum, patet 1° ex ejus no- tione, quùd ita sit contra naturam, ut ipsamet bruta illud regulariter abhorreant  ; 2° ex igné quem Deus pluit in So- domam et Gomorrham  ; 3° ex epist. ad Rom. 1, ubi aposto- his dicit  : Gentilium sapientes propter suam idololatriam esse traditos in reprobum sensum et in hanc passionem ignominiosam, ut feminæ mutarent naturalem usum et masculi in masculos exarserint  ; h° ex pœnis in illud sta- tuts : jure civili plectitur pœnâ ignis, G. Mb. 9, tit. 7 ; jure canonico antiquo, clericus sodomita, depositus, detru- debatur in monasterium ad pœnitentiam agendam, n etc. (Billuart, dissert. 6, art. 10).

Horrendum illud scelus à S. Thomâ defmitur: Con - cubitus ad non debitum sexum, putà masculi ad rrtascu- lumf vel femince ad feminam.

Ex quo inferendum masculum coeuntem cumfeminâin


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MOECHIALOGIE.


vase indebito, nullatenùs esse sodomiam, quia est debitus sexus  ; et è contra feminam coeuntem cum feminâ in vase naturali esse veram sodomiam, quia est indebitus sexus. Undè concludendum S. Thomam totam malitiam sodo- miæ deducere à sexu indebito, et non à vase indebito sexûs debiti. Hoc ultimum crimen, secundùm S. Docto- rem, non verô est sodomia, sed tantùm modus innatu- ralis concumbendi.

At quia apud majorerai theologorum partem usus præ- valuit ut concubitus in vase indebito sexûs debiti existi- metur sodomia imper fecta, in hoc et in aliis multis mo- rem usui simpliciter geremus.

Idcircô coitus viri cum muliere in vase indebito est sodomia imperfecta, distincta à perfectâ, quæ est concu- bitus masculi cum masculo, vel feminæ cum feminâ.

Non refert in quo vase vel quâ corporis parte coeant masculi aut feminæ inter se, cùm malitia sodomiæ in af- fectu ad sexum indebitum consistât et compléta vel per- fecta sit in genere suo, dùm applicatur corpus ad quodvis vas vel quamlibet corporis partem ejusdem sexûs permo- dum concubitûs  ; si autem fieret tantùm applicatio ma- nûs, pedis, etc. , ad alterius organa, etiamsi ex utrâque parte pollutio sequeretur, non reputaretur sodomia, quia non esset verus concubitus, nec physicus aut materialis, nec moralis vel affectivus.

Ad imperfectam sodomiam sufïicit ut masculus et fe- mina coeant non servatis instrumentis naturalibus vel organis debitis, cum alfectu ad præposteras partes vel malum concubitûs finem.

In confessione aperiendum est cujus naturæ fuerit so- domia, an fuerit perpetrata cum personâ conjugatâ, Deo


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dicatâ vel consanguineâ ; tune enim additur malitia adul- terii, sacrilegii vel incestûs.

Multis theologis videtur declarandas esse in confes- sione circumstantias agentis vel patientis. Attamen, se- cundùm Billuart, Loth et alios, (( circumstantia agentis non mutât speciem, nec videtur notabiliter aggravare.  » Multo tutior videtur priorum sententia, et non dubitan- dum quin, si uterque vicissim agens et patiens fuerit sce- lus longé gravius sit.

«Dicunt Spor.> Holz. et Tamb ., n. 77, cum Angel., ait S. Ligorio, quôd confessarius, intelligens mulierem cognitam fuisse extra vas naturale, vel præposterum, non debet quærere in quo loco et quomodo.  » (S. Ligorio, lib. 3, n. 466) . DD. Gousset idem affirmât juxta B. Ligorio.

Àpud eumdem S. Ligorio dicunt Ronc ., Tamb. et Salem, contra Grafj'.  : « Non esse necessariô in confes- sione explicandum si pollutio fuerit intra vel extra vas  ; sufficit enim confiteri  : peccavi cum puero , ut confessarius judicet adfuisse sodomiam cum pollutione. Si verô non fuerit pollutio deberet explicari.  » Istud peccavi cum puero nobis nimis vagum et generale videtur. Intelligibi- liùs diceretur  : concubui cum puero , cum additione cir- cumstantiæ pollutionis vel non pollutionis. Si seminatio intra vas possibilis esset, tune foret sodomia perfecta, consummata et compléta  ; et tantùm perfecta et non com- pléta, si extra vas, ut dicunt nonnulli.

Quod ad pueros attinet, quoniam de pueris loquimur, hodierno infelici tempore istud scelus nefandum sæpis- simè in pueros furens irruit  : undè nunc généralité)* pecle- r as lia nuncupatur.

Nous terminons ce triste paragraphe en avertissant


MOKCHIALOGÏE.


$6

que l’on doit toujours s’enquérir auprès de l’autorité su- périeure si le crime dont il s’agit est réservé à l’évêque, et dans quel cas il est réservé. Il paraît que dans beau- coup de diocèses les deux espèces, la parfaite et l’impar- faite, sont réservées.

§ ni.

DE LA BESTIALITÉ.

Bestiaiitas , juxta S. Thomam, est concubitus cum in- dividuo alterius speciei, vel cum bestiâ. Horrendum et gravissimum est hoc peccatum et gravius quàm sodo- mia  ; quia non solùm in bestialitate non servatur vas de- bitum, vel sexus, sed neque débita species. Undè super illud Joseph accusavit fratres suos crimine pessimo, quia, ut dicit glossa, cum pecoribus miscebantur  ; istud abo- minandum scelus in levitico hisce verbis revelatum est  : Qui cum jumento et pecore coierit , morte moriedur  : pe- cus quoque occidite, etc. Quondam qui tam infandum cri- men perpetrare non erubescebant cum ipsâ bestiâ flam- mis plectebantur.

Juxta multos, Bonacinam, Billuart, Sylvium theologum pictaviensem, Chapeauville, Collet, DD. Bouvier, etc., species aut varietates bestiarum non sunt necessariù de- clarandæ, quia talia non mutant speciem in genere moris, nec multùm aggravant. Hic malitia ex inordinatâ et inde- bitâ specie deducitur. « Non necesse est, ut dicit novis- simè citatus theologus, igitur speciem, sexum aliasque bestiæ qualitates enuntiare, sed dicendum est an crimen per seminis effusionem consummatum fuerit, an verô so- lummodô tentatum. )> îta ferè omnes theologi contra La-


MŒCHIALOGIE.


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croix , Elbe) et Holzemann. « Ratio, inquit S. Ligorio, quia tota essentialis deformitas hujus facinoris consistit in acces.su ad diversam speciem  ; undè circumstantia sexûs omninè accidentalis est, nullamque in genere diffe- rentiam involvit. Tactus autem impudici cum bestiâ, licet non sint propriè peccata bestialitatis, tamen habent a)i- quam specialem turpitudinem, ut ait Elbel, saltem venia- lem.  » (Lib. 3, n. tfk.) In talibus, datâ occasione, inter- rogandi sunt quidam rusticani et præcipuè pastores vel pecora pascentes.

Quoad congressum cuip dæmone in formâ viri aut mu- lieris de quo seriô loquuntur omnes theologi et quem ad bestialitatem reducunt, istud coitûs genus mysticè et fi- guratè intelligendum est  : uno verbo talia in praxi imagi- nativè et affective semper sumenda sunt (et non materia- liter et effectivè) , ut proventus phantasiæ hallucinantis \ el delirantis.

Nous nous serions abstenu de mentionner ici ces sortes de conjonctions, si tous les théologiens n’avaient consa- cré une page, dans leurs écrits, à l’examen de cette sin- gulière et étrange question. Un silence absolu de notre part sur ce sentiment et cet accord unanimes dans un point où tous les théologiens se sont successivement co- piés depuis de longs siècles aurait pu jeter de l’hésita- tion et de rembarras dans l’esprit des jeunes prêtres, et peut-être leur faire prendre quelquefois des imaginations pour des vérités, ou des chimères pour des réalités. Car enfin de quoi n’est pas capable, dans certains pénitents, une imagination subjuguée par un désir érotique et lu- brique?

Pour résumer en peu de mots tout c^ que les théolo-


8.8


MOKCHIALOGIK.


giens ont écrit sur cette matière, nous citerons un pas- sage du livre de Msr Bouvier sur le sixième commande- ment. « Omnes theologi loquuntur de congressu cum dæ- mone in formâ mulieris aut alicujus bestiæ apparente, vel ut præsente per imaginationem repræsentato, dicunt- que taie peccatum ad genus bestialitatis revocandum esse et specialem habere malitiam in confessionedeclarandam, scilicet superstitionem in pacto cum dæmone consisten- tem. In hoc igitur scelere duæ necessariô reperiuntur malitiæ, una contra castitatem, et altéra contra virtutem religionis. Si quis ad dæmonem sub specie viri apparen- tem affectu sodomico accedat, tertia est species peccati, ut patet. Item si sub specie consanguineæ aut mulieris conjugatæ fingatur apparere, adest species incestûs vel adulterii.  » Voilà ce que nous avons trouvé de plus sage et de plus raisonnable dans les livres de théologie morale. On peut juger par là des écrits des autres théologiens sur ce point.

VRTICLE SECOND.

DES PÉCHÉS DE LUXURE OU D’JMPURETÉ SUIVANT LA NATURE.

Ces péchés sont la simple fornication, le stupre, le rapt, l’adultère, l’inceste et le sacrilège, ce qui fera la matière de six paragraphes.

8 ]

DK LA FORNICATION SIMPLE.

Fornicatio latè sumpta est quilibet concubitus extra matrimonium; sed stritiori sensu, seu potiùs fornicatio simplex est copula soluti cum solutâ janidefloratâ.ex mu-


MütClilALUGlli.


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tuo consensu. Dicitur, 1° soluti cum solutâ , id est, inquit Billuart, « personarum quæ sint liberæ non solinn à vin- culo matrimonii, sed etiam à mutuâ cognatione, vel afli- nitatein gradibus prohibitis, àvoto continentiæ, ab ordine sacro et violentiâ.  » Dicitur 2° defloratâ, ut simplex for- nicatio à stupro distinguatur. Itemque 3° ex mutuo con- sensu, ut à raptu secernatur.

Fornicatio simplex est peccatum mortale. Non erit meretrix de fdiabus Israël ', ncc scortator de filiis Israël. Non offeres mercedem prostibuli, nec pretium carnis in

domo domini Dei tui Quia abominatio est utrumque

apud dominum Deum tuum. (Deuter. ,23.) — Neque for- nicarii, neque idolis servienles, neque adulteri , neque molles, neque masculorum concubitores, etc., regnum Dei possidebunt. (1. Cor. , 6.) Manifesta sunt opéra carnis , quæ sunt fornicatio, immunditia, impudicitia, luxuria, etc. Qui talia agunt regnum Dei non consequentur . (Galat. , 5, similiter Eplies. , 5, et Hebr., 13, et Apocalyp., 21; item auctoritas conciliorum, summorum pontificum et patrum.)

Enfin une autre grave raison qui prouve la profonde malice de la fornication et quelle est un mal, non par- cequ’elle est défendue, mais quelle est défendue parce- qu’elle est un mal, se tire de la fin de l’union sexuelle et de la nécessité sociale. Or cette fin n’est autre chose que la procréation dans l’ordre de l’éducation des enfants, et de l’établissement de la société humaine.

La fornication, étant contraire au but de cette sage et double économie, est un mal intrinsèque ou essentiel. Cet acte physiologique, quoique naturel et dans l’ordre physique de la génération, est donc défendu par la loi de Dieu comme intrinsèquement mauvais et contraire à la


MUfcCHIÀLOGlE.


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conservation et à la propagation du genre humain et à rétablissement de l’ordre social.

La société en effet n’aurait jamais pu s’établir sans le mariage ( soit inonogyne, soit polygyne) , qui assure V éducation des enfants par la perpétuelle union des époux; tandis que la fornication n’étant qu’un acte pu- rement physique, animal, charnel et transitoire entre deux individus que la passion ou le hasard réunit pour un moment et qui se quittent aussitôt comme les ani- maux après l’accouplement, l’enfant sera abandonné, et son ëxistence même physique sera nécessairement très précaire et nullement assurée...

Il est inutile d’objecter que la société ou les fornica- teurs pourront suffisamment pourvoir à l’éducation de leurs enfants, et qu’ alors les maux allégués ne subsiste- ront plus. A cela nous répondons que ce ne serait là qu’une chose qui arriverait par accident et une exception qui ne doit ni ne peut détruire le principe de la loi. Et d’ailleurs une seule observation décisive pulvérise cette objection  : vous n'avez pu faire élever ces enfants de for- nication que par les lois et les bienfaits de la société déjà existante  ; vous supposez doilc subsistant ce qui sans le mariage n’aurait pu exister. Et en effet, sans le mariage institué dès le principe avec la création de l’homme, la so- ciété n aurait jamais pu s’établir, èt 1 espèce humaine se serait éteinte dans son berceau. 11 est donc démontré que la fornication est tout à fait destructive de la société hu- maine, et que par conséquent elle est un mal essentiel, et eh lui-înême et dans ses conséquences antisociales. Dieu a donc dû la défendre nécessairement.

Fomicatio tutoris eum pupille eUm multo mégis remu


MOECHIALOGIE.


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efîicit cùm patris vices gérât, cùmque igitur ex ofîicio te- neatur ipsius negotia curare non solùm temporalia, sed etiam spiritualia: adest ergo circumstantia notabiliter aggravans in confessione necessariô aperienda.

Copula cum alterius sponsâ non est fornicatio simplex cùm non fiat cum plenè solutâ et involvat aliquam injus- titiæ malitiam, injuriam inferendo sponso cujus violatur jus  ; indèque nascitur circumstantia in confessione sem- per explicanda.

« Fornicatio fldelis cum infideli est, juxta omnes, longé gravior quàm cum catholicâ, tùm propter indè nascen- tem nostræ religionis despectum, tùm propter periculum malæ educationis prolis, et defectionis à verâ fide, quæ ex nimio erga infidelem amorefacilè consequitur.Hinc, juxta quosdam, hæc circumstantia mutât speciem.  » (Bailly.) Copula habita cum eunucho specialem involvit mali- tiam, quia, cùm semen prolificum absit, adest vera finis, naturalis frustratio, et proindè non est simplex fornica- tio, sed peccatum contra naturam.

Juxta Billuart •«  qui ex displicentiâ et odio peccati co- pulam fornicariam abrumpit etiam cum seminatione extra vas benè facit et ad id tenetur, quia nullum est instans in quo quis non teneatur cessare à peccato actuali. Per- ditio autem seminis indè secuta est per accidens et præter intentionem, subestque légitima causa eam permittendi. Qui, in affectu peccati perseverans, inchoatam copulam abrumpit cum seminatione extra vas metu infamiæ aut ex aliquo simili motivo humano, peccat duplici peccato, sei- licet fornicationis inchoatæ et pollutionis.  » ( Dissert . 6, art. 2.) Præfatus doctissimus auctor oblitus est connu- rnerare inter motiva humana, ut dicit  : ex timoré profit.


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MüUCIllALOUlK.


Quoad meretricium, istucl fornieationis genus est con- eubitus ciiiii prostitutâ, id est cum muliere omni viro occurenti paratâ, publicâ et communiter venali. Mulier meretricium exercens graviùs peccat quàm simpliciter fornicans, propter habituaient mentis dispositionem pec- candi, scandalum, conceptionem culpabiliter raram, vel abortum frequentem, magnum prolis, si quæ nascatur, nocumentum et pessimam educationem. Non sufficit ut meretrix dicat in confessione quotiès fornicata fuerit; statum meretrecii declarare tenetur.

Quoad yirum, juxta Sylvium et alios, inquit Bil- luart, non videtur necesse explicare in confessione an fornicatus fuerit cum meretrice vel cum aliâ, modo ex- primatur numerus; quia, inquiunt, bæc circumstantia non est notabiliter aggravans, fortè quia actus secundùm se est generativus, et solùm per accidens ex conditione personæ impeditur generatio, sicut si fornicaretur cum vetulâ vel sterili. Quidam tamen contendunt fornica- torem teneri declarare circumstantiam meretricii, quia, inquiunt, in tali fornicatione non impeditur tantum bo- num prolis nascituræ, sed etiam ne penitùs nascatur. Tutior est posterior sententia.

Hîc fortè abs re non fuerit perpaulùm dicere de quo- dam modo vel medio quo utuntur nonnulli ad meretrices vel forsan ad alias accedentes, ne ab ipsis rnorbo syphi- litico inficiantur. Hæc porrô adinventio prorsùs confessa- riis ignota, à contagione morbidâ defendendo, simul obex vel impedimentum conceptioni aut generationi necessa- riô existit, etiamsi specie et exteriùs copula normalis re- m ancre videatur et fiat sine ullâ retractione ab utrâque parte. — Iste obex aliquando perhibetur à parte mulieris


MOECHIALUGIE.


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quæ solùm intendit impedimentum conceptionis, cùm ipsa hoc modo contagionem avertere nullatenùs possit.

Vir autem qui præcipuè devitationem contaminationis venereæ intendit et forsitan similiter quibusdam in casi- bus conceptionis impedimentum, hune duplicem scopum certô consequitur.

Interrogari possunt fornicatores, saltem hi qui valdè corrupti videntur vel habentur, an nullo modo secreto conati fuerînt conceptionem impedire  ; et præsertim vir an à contagione se liberare enixus sit et quomodô? Scien- dum verô est quôd hîc non agatur de onanismo propriè dicto, ut sæpissimè et miserrimè fit in actu conjugali, quoniam abest retractio ante seminationem virilem.

Quod attinet ad alia diversa impedimenta mulieribus non ignota, ut mictionem post coïtum, et varios conatus semen ejiciendi, generaliter vana et inania reputanda sunt  : attamen sunt graviter reæ, cùm malum finem, id est conceptionis impedimentum intendant. Plura de talibus dicere minimè expedit, ne doceatur quod generaliter ignoratur. — Quoad confessarios, pauca quæ diximus ipsis sufhcient ut ad notitiam practicam paulatim per- veniant.

Interrogandi sunt fornicarii an, priusquàm ad concubi- tum pervenerint , de eo delectati fuerint et copùlam de- sideraverint; an compartem induxerint ad crimen; an polliciti sint matrimonium; an promissionem juramento firmaverint, an non idem pluribus promiserint  ; an pec- caverint ex habitu, cum scandalo; quoties iteraverint scelus  ; an ei perpetrato alia turpia addiderint  ; an nihil fecerint ut conceptio impediretur  ; an fœtum extinxerint, vel abortum procuraverint, vel procurare tentaverint, vel


MOECHIALOGIE.


n

suaserint, vel proponenti consenserint  ; an proies nata sit, an eam neglexerint, an exposuerint, cùm ei alendæ pares essent. Si pœnitens, ut dicit Collet, copulam solam ex- primit, interrogandus est de suo et compartis statu  ; an conjugatus sit, et ea conjugata, an non ambo affines sint vel consanguinei, etc.

Quod spectat ad questionem tolerantiæ meretricum, S. Ligorio sententiam hâc de re breviter exarabimus. Pe- tit auctor an permitti possint meretrices  ? Respondet  : « Prima sententia probabilis affirmât, eamque tenent S. Augustin. , S. Thom. et plures alii. Ratio quia, demp- tis meretrecibus, majora peccata evenirent, nempè sodo- miæ, bestialitatis, mollitierum, præter prævaricationem mulierum bonestarum; ideô S. Aug. &\i \ Aufer meretri- ces de rebus humanis , turbaveris omnia libidinibus. Ve- rùm secunda sententia practicè probabilior negat; et hanc tenent Nav., Ronc. et plures alii. Ratio, quia per meretrices hæc mala graviora non evitantur, eo quôd in hominibus luxuriosis ex facili et frequenti cum meretri- cibus congressu libido altiores figit radices  ; et ideô, cùm hoc vitium frequentiâ magis augeatur, ipsi non desinunt committere pollutiones, et peccata nefanda, saltem cum ipsis meretricibus, nec ideô se abstinent à sollicitandis feminis honestis. È converso, permissione meretricum innumera alia mala superaddunt , nempè plures puellæ prostituuntur, adolescentes parentes parvipendunt, bona dissipant, studia scientiarum negligunt, rixas excitant, honestas nuptias respuunt. Cæterùm, benè advertit et probat P. Sarnelli quôd, licet in vastis urbibus meretri- ces permitti possint, nullo tamen modo in aliis locis per- mit tends* sint.  » ( Lib . 3, tl° Wft.)


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Hàc de re doctissimus episcopus cenomanensis sequen- tia notât: « Quamvis posterior sententia probabilior no- bis videatur, arbitramur tarnen absolvendos esse magis- tratus urbium qui bonâ fide asserunt se malum istud tollere non posse  : in dubiis nanique non confessarii est decernere quid agere debeant ii quibus difficilia com- missa sunt negotia, ut sunt judices, magistratus, duces exercitûs, reges aut ministri.  » (1)

Denique nobis loquendum superest de concubinatu, qui est concubitus consuetudinarius soluti cum solutâ.

Concubinatüs gravius est peccatum quàm simplex for- nicatio, ob continuatum afïectum vel habitualcm mentis dispositionem hîc, nnnc et semper peccandi, vel, ut dicit Billuart, concubinatus est et fornicatione et meretricio gravior quia superaddit statum et permanentiam in pec- cato, si non ratione majoris gravitatis, saltem ratione scandali  : ideô circumstantia concubinatüs in confessione necessario aperienda est.

Jüxta sententiam DD. Bouvier hîc breviter quædam excerpta censuimus depromenda, ut sequentia  :

Si concubinatus sit publicus, nec concubinarius, liée concübina regulariter absolvi possunt, quântumvis appa- reant contriti, ante publicam separationem, quia, præter

(1) ïl paraît que, d’après Parenl-du-Chûtelet, S. Louis lui-même, forcé par la nécessité, finit par tolérer les prostituées, et leur fit assigner un quartier particulier dans Paris. C’est donc en quelque sorte un mal néces- saire qu’au point de vue de la morale publique, c’est à dire politique et administrative , on peut tolérer, mais que l’on condamne et que l’on ré- prouve au point de vue chrétien et théologique, pareeque, quelles que puissent être les circonstances et les exigences sociales, 'a prostitution ne cesse jamais d’être un mal véritable et essentiel.


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discrimen fugiendum, necessaria est satisfactio scandalo proportionata  ; porrô hæc satisfactio per solam separatio- nem communiter obtineri potest

Dictum est regulariter , quia si concubinarius, in ex- tremis positus, rnulierem dimittere non possit, aut si ade6 sit derelictus ut, eâ dimissâ, neminem habeat qui neces- saria ipsi præstare velit, tune absolvendus et ultimis ec- clesiæ sacramentis muniendus est, modô verè contritus judicetur, et coram astantibus promittat se ad sanitatem reditum eamdem rnulierem ejecturum, nullumque cum eâ societatis vinculum habiturum  ; in tali enim necessitate eo modo reparatur scandalum quo reparari potest  ; nemo quippe ad impossibile tenetur.

A fortiori ministranda sunt ecclesiæ sacramenta con- cubinæ, de vitâ præteritâ dolenti cum firmo proposito non peccandi de cætero, quæ domo concubinarii exire non potest, vel quia acerbiores sunt dolores, vel quia imminens est periculum, vel quianullum habet refugium.

Verùm, bis casibus excep tis, semper exigenda est se- paratio, etiam in extremis, et confessio moribundi non priùs audienda est quàm Deo et hominibus data fuerit sa- tisfactio per mulieris ejectionem vel per voluntarium ejus exitum.

Si vero concubinatus sit occultus, vel commercium jam cessavit, vel non  : si priùs, fortiter consulenda est separatio, quia moraliter impossibile est ne in cohabita- tione aliquod non existât relapsûs periculum. Sed arbi- tror illam sub denegatione absolutionis exigendam non esse, præsertim si prævideatur scandalum, infamiam aliudve grave detrimentum indè secuturum.


MŒC.HIALOGIE.


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Suppono propositum ampliùs non peccandi judicari sincerum et spem firmitatis affulgere. Ita Navarus, Bil- luart , S. Ligorio aliique plures. Si autem, non obstante proposito, novi accidant relapsus, absolutio differri dé- bet, et ordinariè præscribenda est separatio  : tune enim perseverantia mérité judicatur improbabilis.

At si commercium illicitum nondùm fuerit voluntariè revocatum, quid agendum est? R. 1° Si pœnitens in ex- tremis positus sit et peccata sua detestetur, absolvendus aliisque sacramentis muniendus est, juxta conditiones modé expressas, in explicatione verbi regulariter, se- clusâ tamen promissione coram testibus. Si verô mors non immineat, pœnitens in concubinatu occulté vivens connnuniter absolvi non debet, nisi priùs facta fuerit se- paratio ; versatur enim in occasione proximâ peccandi  : at grave existit præceptum naturale et divinum fugiendi occasionem proximam peccandi.

Dictum est communitcr  : Sunt enim casus in quibus impertienda est absolutio sub solâ promissione separatio- nis vel etiam cum solo proposito non peccandi de cætero  ; nempè, 1° si pœnitens ex singularibus indiciis verè con- tritus judicetur, et primâ vice vel secundâ promittat se monito cessurum. 2° Si ex denegatione absolutionis gra- vis sequeretur infamia vel grave scandalum, ut si puella in suspicionem corruptelæ veniret, nisi ad sacram sy- naxim accederet, aut si sacerdos populum olïenderet, nisi missam parochialem celebraret. 3° Non exigenda est se- paratio quandô est impossibilis, ut si fdiafamiliâs cum famulo, vel filius cum ancillâ domûs paternæ peccet. Qui sic constituti sunt, dilatione absolutionis primé proben- tur, et si occasio ex proximâ facta fuerit remota, atque


MQECHJALOGJE.


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sinçera videatur peccati retractatio, danda erit absolutio. f\° Quandù duo eoncubinarii, occulti, vel de impudiçitiâ tantum suspecti, separari non possunt sine gravi periculo infamiæ aut scandali, fortè licet emendationem eonun tentare, primùm absolutionem differendo, deindè eam concedendo si in proposito perseverent. Dicit Billuart se, in eo casu, nec pœnitentem nec confessarium dam pare velle: nec ego rigidior essem. (D. Bouvier.)

Quôd si concubinarius domi non retineat concubinam, non absolvendus erit extra periculum mortis priusquàm de illius continentiâ confessarius, notabili absolutionis dilatione et aliis investigationibus et rationibus moraliter certis, sufftcientem experientiam adeptus fuerit  ; si vero in periculo mortis constituta sit, verum pœnitendi pro- positum sufficiet.

a On ne doit point donner l’absolution, suivant le ré- dacteur des Conférences d’Angers , aux concubinaires qu’ils ne soient séparés de leurs concubines, et que tout commerce n’ait entièrement cessé entre eux. C’est en cette occasion que le confesseur doit avoir une grande fermeté, pour ne pas se laisser aller aux raisons spé- cieuses que les concubinaires tâchent d’apporter pour ne pas se séparer de leurs concubines, car ils sont présumés conserver }’ affection à leur péché, tandis qu’ils ne veu- lent pas en quitter l’occasion prochaine: pour cette rai- son, il ne suffit pas qu’ils s’accusent en confession com- bien de fois ils sont tombés dans le péché de fornication ou en d’autres impuretés  ; il faut leur faire déclarer depuis quel temps ils sont dans le concubinage, étant \ raisemblable que pendant ce temps ils ont conservé la volonté de pécher, et consenti à plusieurs mauvais


M0ECH1AL0G1E.


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désirs, dont ils doivent s’accuser pour faire connaître leur état.

« Ceux qu’on nomme Lenoncs , qui corrompent la jeunesse et prostituent les filles, commettent un très

grand péché On est participant de leur crime et de

celui des filles publiques quand on loue aux uns et aux autres des maisons où l’on sait qu’ils continueront leur mauvais commerce, parcequ’en ce cas on contribue à leur péché. La faculté de théologie de Paris censura, le 3 février 1665, comme fausse, scandaleuse et pernicieuse à l’état, une proposition qui disait qu’il est permis de louer des maisons à ces sortes de personnes, non à des- sein qu’ elles y pèchent, mais pour qu’ elles les habitent.  » ( Conférences d’Angers, sur les commandements de Dieu, t. 2.) •

Variæ in canonibus pœnæ in concubinarios sancitæ sunt, quas renovavit Concilium tridentinum, sess. 24, cap. 8, de reform. matr. , ubi statutum est eos cujmcvm- qne sint conditionis , si, postquàm ab ordinario, eticnn ex ofiicio, ter câ de re admoniti fuerint , concubinas non eje~ revint , seque ab earum consuetudine non sejunxerint, ex communie atione feriendos esse, à quâ non absolvait - tur, donec reipsâ admonitioni paruerint.

Graves in eâdem synodo etiam deçernuntur pœnæ ad- versùs cleros liuic vitio turpiter deditos. Verùm omnes istæ pœnæ sunt ferendæ sententiæ et non latæ.


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mœchialogm;.


S II.

DU STUPRE ET DU VIOL.

Stuprum est illicitus concubitus cum virgine. Quidam volunt ut concubitus sit violentus, ita ut, si virgo consen- serit, stuprum non existât, neque sit species distincta luxuriæ et non distinguatur à simplici fornicatione. Ita Sanchez, Lessius, Malderus et plures alii  : undè juxta illos stuprum semper est violenta virginis defloratio. (Viol. ) Istud crimen in foro civili reclusionis pœnâ plec- titur. (1)

Plures alii, ut SS. Thomas, Bonavent., Àntonin. et permulti recentiores theologi, docent suiïicere ut stuprum existât tanquam species distincta luxuriæ, concubitum cum virgine, sive violentia adsit, sive non  : undè ab ipsis stuprum definitur  : illicita virginis defloratio.

Nomine virginis hîc non intelligitur persona quæ contra castitatem nunquàm peccatum admissit, sed quæ necdùm

(1) Quiconque aura commis le crime de viol, ou sera coupable de tout autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence, contre de individus de l’un ou de l’autre sexe, sera puni de la réclusion. ( Code pénal , art. 331.)

Si le crime a été commis sur la personne d’un enfant au dessous de l’ûge de quinze ans accomplis, le coupable subira la peine des travaux forcés à temps. (Ibid., art 332.)

La peine sera celle des travaux forcés ù perpétuité si les coupables sont de la classe de ceux qui ont autorité sur la personne envers laquelle ils ont commis l’attentat, s’ils sont ses instituteurs ou ses serviteurs à gages, ou s’ils sont fonctionnaires publics ou ministres d’un culte, ou si le coupable, quel qu’il soit, a été aidé dans son crime par une ou plusieurs personnes.

( Ibid., art. 333.)


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ullam cum altéra copulam habuit. Ergo hic virginitas supponitur non ut virtus, verùm ut status integritatis.

Quoad istam integritatem physicam,sicet non absurdè loquitur Billuart  : « Signaculum autem virginale quidam reponunt in quâdam membranâ seu pelliculâ quæ hy- men dicitur, et virili coitu lacerata aboletur  ; alii autem et præsertim recentiores volunt nihil aliud esse quàm compressionem seu complicationem orificii vasis femi- nei, quæ congressu viri dilatatur, sicque vas aperitur. Idque veriùs videtur quôd, juxta medicos et anatomicos modernos, prædicta pelliculâ non reperiatur in omnibus \irginibus, maximè junioribus.  » (Dis. 6, art. 3. )

Voici un extrait de ce que nous avons dit sur ce point dans notre Précis de Physiologie humaine , 2 édit.  : L’hy- men, souvent révoqué en doute, est néanmoins constant s’il n’a pas été détruit par une infinité de causes étran- gères au coït ( ut sæpè fit mollitie) . C’est un rempli mem- braneux, ordinairement demi-circulaire, qui ferme plus ou moins l’entrée du vagin. L’hymen est regardé par le vulgaire comme le sceau ou le signe de la virginité phy- sique : autrefois les magistrats et les médecins légistes eux-mêmes s’en étaient formé la même opinion  ; et de là souvent des décisions judiciaires erronées, fausses et iniques.... Fabrice de Hilden parle d’une femme chez qui l’hymen, percé de petits trous, n’avait pas empêché la grossesse, bien que son mari eût demandé à divorcer pour cause de coït impossible. Peu rapporte que l’ hy- men n’offrait qu’un pertuis chez deux femmes qui ne de- vinrent pas moins enceintes, quoiqu’elles fussent inha- biles à la cohabitation normale. On peut donc assurer

qu’il n’existe pas de signe absolument certain de la vir-

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MOECHIALOGIE.


ginité physique. Voici ce que dit sur ce point le célèbre Cuvier, le grand naturaliste  : « La présence de l’hymen ne prouve ni la pureté ni même absolument la virginité de la personne qui le possède, pas plus que son absence ne prouve du désordre dans la conduite; on cite des femmes qui l’ont conservé même après leurs couches, et des jeunes filles qui ne l’ont jamais eu: et en effet on conçoit qu’une membrane aussi frêle peut en certains cas s’étendre, céder à de fortes pressions et reprendre en- suite son premier état, et, en d’autres cas, se déchirer par de légers mouvements, ou s’effacer et se confondre avec les plis moins apparents qui existent au dessus et au dessous, il n’en est pas moins vrai que dans la règle les vierges ont un hymen et le conservent, et qu’on l’a trouvé dans les filles de tout âge.  » ( Dict . des Sciences médicales ) .

Gertum est v’olentam virginis deflorationem seu stu- prum virginis invitæ, id est involuntarium, superaddere fornication i simplici malitiam mortalem specie distinc- tam, non solùm propter violentiam quæ æqualiter potest inferri corruptæ, sed insuper ob integritatem naturalem violenter raptam. Igitur circumstantia violentiæ neces- sariô in confessione aperienda est.

Hic obiter dictum sit omnem mulierem semper teneri ad resistendutn turpi congressui omnibus quibus potest modis, totis viribus clam an do^ sese agitando, etc. In lient., 22, puella in civitate oppressa lapidari jubetur, quia non clamavit.

A clero gall., an. 1708, proscripta est hæc propositio  : potuisset Suzanna in tanto periculo infamiœ et mortis négative se habere et permittere in se eorum Hbidinem,


MÜKCHiALOGlü. 10 Ü

modo interno acta in eum non consensisset sedeam dé- testa ta et exe cr ata fuisse t, tanquàm terne r aria scandu losa, piarum aurium offensiva 9 erronea et legi Dei con- traria. Ergo mulieri nunquàm licet, etiam ob metum mortis, permissivè et passivè se habere  ; quia tali in casu quies et immobilitas quædam cooperatio et quidam actus \oluntarius reputari debent semper in praxi.

Nomine violentiæ non solùm intelligitur vis materiaiis vel physica, sed onmis vis moralis, ut sunt metus, terror, fraus, minæ graves, magna promissa et munera, preces admodùm importunæ, blanditiæ, oscilla et omnia quæ juxta judicium viri prudentis in hâc materiâ violentia moraliter reputabuntur.

Stuprum virginis libéré consentientis est etiam vera species luxuriæ à fornicatione distincta. Ita sentiunt S. Thomas, S. Bonaventura, Sylvius, Collet, Billuart, Dens, contra Sanchez, Lessium, S. Ligorio et plures alios; fatentur tarnen posteriores talem fornicationem ali— quandù spéciale esse peccatum propter infamiam, mœ- rorem parentum, rixas, odium, scandalum, etc.

Prioresautem, scilicetS. Thomas, S. Bonaventura, etc., sententiam suam sic probant  : 1° Injuria parent ibus puellæ, sub quorum custodià integritas virginalis ejus po- sita est, infertur  ; 2° ipsa virgo evidenti se exponit periculo conveniens matrimonium non inveniendi, et sic contra prudentiam peccat  ; 3° ponitur in via meretricandi, à qua retraite batur ne signaculum virginitatis amitteret , ut ait S. Thomas  ; A° peccata per oppositionem ad virtutem spe- citicantur: porro virginitas specialis est virtus, et carnis integritas est bonum ad banc virtutem singulariter per- tinens: ergo. etc.


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MŒCHlALOGiE.


Addit DD. Bouvier sequentia  : « IJltimæ illæ rationes nec consensu puellæ, nec consensu parentum ejus des- truuntur  : undè ruit ratio fundamentalis defensoris alte- rius sententiæ, scilicet axioma istud apud omnes recep- tum, scienti et volenti non fit injuria  : quippè necesse est ut sciens et consen tiens habeat facultatem jus suum oedendi; jus autem istud puella non habet in ordine ad peccatum virginitati oppositum.

(( Stuprum igitur etiam voluntarium spéciale est luxuriæ peccatum: cùm autem Concil. trid. definierit, sess. l/i, can. 7, necessarium esse jure divino declarare in confes- sione circumstantias quœ peccati speciem mutant , bine altéra exsurgit quæstio ad praxim continuam pertinens, an videlicet qui stupri voluntarii sunt rei, sive facto, sive desiderio, sive delectatione, circumstantiam virginitatis aperire teneantur. Communiùs affirmant theologi, hanc- que necessitatem habent velut consectarium principii se- mel admissi.

« Quia tamen, inquit Svlvius, t. 3, p. 835, alia sen - tentia non caret probabilitate, ideireb non putamus dam - nanclos eos qui à puellâ quidpiam istorum confitente non quœrunt an sit virgo , an corrupta.  »

Collet eamdem sententiam tenet, nempè connnunem et malitiam mortalem inferentem circumstantiæ virginitatis in stupro voluntario  : undè sit loquitur  : « Probabiliùs est puellam virginem quæ turpem coïtum desiderat, aut in ejus cogitatione morose oblectatur, virginitatis suæ cir- cumstantiam confiteri debere  ; idem dicendum de eo qui virginis copulam appétit. Quia circumstantia virginitatis mutât speciem peccati. Efficit enim ut pravus animi af- fectus sit stuprum spirituale  : sicut actus qui pro objecto


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Jiabet conjugatam est spirituale adulterium  ; ergo hæe conclusio est in praxi admodùm dura: quis enim, audito in confessione mali desiderii peccato, puellam jam gran- dævam aut monialem facilè interroget an sit virgo  ? Aliud tamen docere non ausim.  » Sic Bailly et alii multi.

Billuart et apud ipsum, ait DD. Bouvier, Wiggers, Boulart et Daelman contendunt circumstantiam virgini- tatis in voluntario stupro specialem addere malitiam sim- plici fornicationi, sed duntaxat venialem, quæ igitur non necessariô aperienda est in confessione. «Etenim, inquit doctissimus theologus cenomanensis, juxta Billuart, si hæc malitia ex naturâ suâ mortalis esset, maximè quia puella sigilli virginitatis fractione in viâ meretricandi, ut ait S. Thomas, constitueretur, vel quia gravis injuria parentibus ejus inferretur. At, puella hoc facto non vide- tur constituta in proximo meretricandi periculo  : et si, parentibus consentientibus vel plenè ignorantibus (1), in stuprum libéré consentiat, tune gravis injuria ipsis non infertur; ergo, etc.

Ecoutons maintenant Billuart lui-même, afin de pou- voir mieux apprécier la valeur de ses raisons et juger plus sainement de la sagesse de ses principes et de sa doctrine. Voici donc comment s’exprime ce célèbre et profond théologien  : « Probabiliùs videtur stuprum vir- ginis ultrô consentientis non superaddere fornicationi simplici malitiam mortalem, quæ sit necessariô in con- fessione explicanda, sed venialem duntaxat. lia Joannes


(1) Sic hâc de re, quoad notitiam publicam, loquitur Billuarl  : «Non impeditur ( matrimonium ) per stuprum, nisi in quantum innotescit, quod rarù accidit, et quando accidit est per accidens stupro.  » ( Dissert . 6, art. 3.)


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Wiggers, de justitiâ et jure, tract. 2, cap. à, dub. i, quem citât et sequitur Boudart, tract. 6, m. vi præcept. Decalog. , q. h ; et novissimè Carolus, Gilenus, Daelman. de jure et justitiâ, q. h , observât. 17.

(( Neque ideô putes nos à D. Th. dissentire. Statuil quidem S. Doctor et nos cum ipso^stuprum'virginis con- sentientis esse verè stuprum et speciem distinctam luxu- riæ  : at non dicit esse mortalis malitiæ  : non enim omnis circumstantia mutans speciem, semper addit malitiam mortalem, quod fortè fallit minùs intelligentes, siquidem sint plures peccatorum species quæ secundùm se non sunt mortales, v. g. ira, avaritia, gula, prodigalitas, vana gloria, etc. Item eæ quæ sunt secundùm se mortales sæpè fiant veniales ex levitate materiæ.  »

Il serait trop long de rapporter ici toutes les raisons et toutes les preuves à priori qu’apporte Billuart à l’ap- pui de ce qu’il avance, et dont les principales ont déjà été précédemment résumées  ; nous nous contenterons de ci- ter sa grande preuve à posteriori, c’est à dire sa preuve pratique, qui nous paraît fort remarquable. Il l’appelle preuve eæ commuai praxi et inconvenientibus. La voici textuellement  : « Si stuprum virginis ultfô consenti entis superadderet simplici fornicationi malitiam mortalem. sequitur quôd puella aut vir se accusans de delectationi bus aut desideriis in ordine ad copulam teneretur etiam explicare an sit virgo vel non; et si id taceant, debeat inquirere confessarius  : atqui hoc est contra praxim communem tam pœnitentium quàm confessariorum, idque foret utrisque onus intolerabile  ; quæ enim puella, in pari casu. somniavit un quàm explicare situe virgo vol non? Ouïs p&ri+er vir id cogitavit inquirere an! exprimere? Et


M0ECH1AL0GIE.


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si id sciscitari ab eis tentet confessarius, ingenuas puellas præsertim moniales pudore maximo suffundet et elingues efficiet; à viris autem responsum habebit se id nescire, neque de eo cogitasse, et demùm ab utrisqne nimiæ et suspectas curiositatis arguetur. Ingenuè fateor me ante- quàqi ptræsenti opinioni subscriberem, in his pudendis et importunis interrogationibus faciendis, dùm menti oc- currerent, graves molestias passum esse et aliis créasse, mihique rarô fuisse satisfactum. Ergo.  »

M&r Bouvier avoue, en terminant son article sur le stu- pre, avoir éprouvé le même embarras dans les premières années de son ministère sacerdotal. Voici ses paroles  : « Fateor et ego hoc ipsum mihi non semel accidisse in primis sacerdotii mei annis. Idcircô à pudendis hujus- modi quæstionibus cautè abstineo, quoties importunas videntur, his rationibus innixus: 1° probabilitate opi- nionis modo expositæ  ; 2° difficultate executionis alterius sententiæ  ; 3° periculo scandalizandi pœnitentes eosque à tribunali sacro avertendi  ; !x° bonâ fide in quâ cornmu- nissimè versantur fideles circa obligationem talem cir- cumstantiam declarandi  : integritas autem confessionis non obligat cum tanto incommodo.  »

Il est une autre raison qu’on peut faire valoir en fa- veur de l’opinion de Billuart, que voici  : les auteurs en- seignent généralement que la circonstance de la virginité dans l’homme qui pèche librement n’ajoute pas, comme dans la femme, une malice mortelle à la simple fornica- tion. Pourquoi la circonstance de la perte volontaire de la virginité est-elle mortelle dans un cas, et point dans l’autre? Y a-t-il donc une si grande différence entre ces deux circonstances ou ces deux pertes? sont-elles dans la


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Y1ŒCH1ÀLÜG1L.


proportion ou dans le rapport de l’une à l’autre comme la malice vénielle l’est à la malice mortelle! Rien ne le prouve.

Maintenant, pour conclusion finale, que penser d’une obligation déduite d’une circonstance qui offre tant de difficultés et d’embarras dans la pratique, et qui impose aux pénitents et aux confesseurs un fardeau intolérable, comme disent Billuart et Msr Bouvier, utrisque onus inio - lerabile ; d’une circonstance enfin à l’égard de laquelle les pénitents paraissent dans une parfaite bonne foi et dans une ignorance invincible? Ne semble-t-il pas qu’il y ait quelque chose d’irrégulier ou de vicieux dans un principe qui conduit à de pareilles conséquences pratiques? Sau- vez néanmoins ce principe quant au fond en ne faisant les interrogations qu’il prescrit qu’avec une extrême ré- serve et quand la nécessité paraît évidente et certaine, c’est à dire quand la nature des choses, des circonstances et le caractère des personnes prudemment appréciés vous y autoriseront suffisamment; et enfin, pour tout dire en un mot, il faut s’interdire toute question importune, in- tempestive, imprudente, indiscrète, inutile et curieuse.

DE LA RESTITUTION POUR CAUSE DE SÉDUCTION OU DE STUPRE ET DE FORNICATION.

Quoiqu’il soit d’usage de renvoyer pour cet article aux ouvrages généraux de théologie ou aux traités spé- ciaux sur la justice, nous ne pouvons pourtant nous dis- penser d’exposer ici, au moins en général, les principes qu’on doit suivre dans l’appréciation des cas où il y a obligation de réparer le dommage matériel ou temporel causé par le séducteur.

Un homme qui, sans avoir recours à la violence, aux


MOLXiHiALOGlli.


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menaces, à la tromperie ou à la fraude, pèche avec une personne libre qui consent volontairement à commettre le crime et à se déshonorer, n’est tenu envers elle à au- cune réparation  ; la personne déshonorée doit s’imputer elle-même les conséquences de son libertinage  ; scienti et volenti non fit injuria.

Cependant, si le corrupteur divulguait la faute de sa complice, il serait tenu à réparer le dommage qui en ré- sulterait pour la fille ou pour ses parents, qui, à raison de sa diffamation, seraient obligés d’augmenter sa dot pour lui assurer un établissement convenable. Mais, si la faute devient publique d’une autre manière ou par le fait de la fille elle-même, il nous paraît probable qu’il ne doit rien aux parents. Une personne ayant manqué volontai- rement à ses devoirs, ses parents ne sont pas obligés de lui procurer l’établissement quelle aurait pu avoir en menant une vie régulière et irréprochable  ; et, si elle ne trouve point un parti convenable et approprié à sa con- dition, elle ne doit s’en prendre qu’à elle-même.

Celui qui séduit une personne en faisant usage de la force, des menaces ou de la fraude devient responsable de tous les dommages quelle éprouve, soit dans sa for- tune, soit dans son honneur, si le crime toutefois est di- vulgué. Si donc, à cause de son honneur perdu, elle ne peut trouver un parti selon sa condition, le séducteur est obligé de l’épouser lui-même, ou de la doter convena- blement afin quelle puisse se marier suivant son rang et son état. Il est libre de choisir entre ces deux moyens. Cependant, si la fille ne veut pas l’épouser, il ne sera pas moins obligé de la doter  ; si elle refuse la dot, il ne sera pas obligé de l’épouser. Mais, dans le cas où les pa-


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MÜECUIALOG1E.


rents de la personne séduite auraient augmenté sa dot, afin de pouvoir la marier convenablement, le corrupteur serait obligé de leur tenir compte de cette augmentation.

« Si le crime, dit M^r Gousset d’après S. Liguori, n’a entraîné aucun dommage matériel, soit parcequ’il est demeuré secret, soit parceque la personne qui en a été la victime a pu se procurer un établissement aussi con- venable que si elle eût été intacte, le séducteur n’est plus tenu à aucune réparation. Mais il ne serait point admis à répéter ce qu’il aurait payé par suite d’une condamnation ou d’une transaction. Il ne serait point non plus dispensé de toute satisfaction personnelle ni envers la personne qu’il a séduite ni envers ses parents. Nous ferons re- marquer que les prières réitérées, les sollicitations im- portunes, seules et sans aucune menace, ne suffisent pas pour constituer une injure grave, et faire naître, dans celui qui les emploie, l’obligation de restituer; à moins que, eu égard à la position de celui qui sollicite et à l’âge et au caractère de la personne sollicitée, elles ne deviennent vexatoires, ou quelles n’impriment une crainte révérentielle, à laquelle un inférieur ne croit pas pouvoir résister sans de graves inconvénients.  » (Théo/, morale . )

Celui qui a séduit une personne avec promesse du ma- riage est-il tenu de l’épouser? Il y est obligé, dit S. Li- guori, appuyé sur le sentiment commun des théologiens et des canonistes, soit que la promesse ait été feinte, soit qu’elle ait été sincère. Dans le premier cas, il y est obligé, en général, non en vertu de sa fausse promesse, mais en vertu de l’injure qu’il a faite à la victime de sa fourberie et de sa dnplicité. Il y paraît également tenu


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dans le second cas, parceque, dit-on, la condition étant remplie, la promesse devient obligatoire. Tous les théo- logiens sont d’accord, avec de Lugo, que le corrupteur est obligé en conscience d’épouser la personne qu’il a séduite, ou de réparer le dommage qu’il lui a causé. Or, s’il ne peut réparer ce dommage, il faut conclure, avec de Lugo, qu’il est étroitement obligé de l’épouser, à moins toutefois, comme le fait observer le même théolo- gien, que la condition de l’homme ne fût de beaucoup supérieure à celle de la femme, parceque personne n’est tenu de restituer à son préjudice plus qu’il ne doit.

Mais, pour en revenir à la promesse de mariage faite dans l’intérêt du crime, nous pensons, avec M^r Gousset, que cette question doit rentrer dans celle des contrats faits sous une condition illicite, et nous estimons que l’on devrait regarder comme milles de telles promesses, comme ne pouvant produire aucun effet. D’ailleurs les filles ne devraient jamais compter sérieusement sur de semblables promesses  ; elles devraient plutôt toujours les regarder comme illusoires et fallacieuses, parce- qu’ elles ne sont dictées que par la passion. Et la preuve qu’elles sont illusoires et trompeuses, c’est qu’elles ne sont que très rarement suivies du mariage. L’article 1172 du Code civil dit formellement: a Toute condition d’une chose impossible ou contraire aux bonnes mœurs est nulle, et rend nulle la convention qui en dépend.  » Or, telle est évidemment la convention de celui qui promet d’épouser une personne si elle consent à pécher avec lui, 11 est certain que cette opinion est plus favorable aux bonnes mœurs que le sentiment contraire. « Une cause est illicite quand elle est contraire aux bonnes mœurs.


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ou prohibée par les lois, soit divines, soit ecclésiastiques, soit civiles ( 1 ) . Ainsi on doit regarder comme nul ren- gagement de commettre un crime, une action contraire à la morale évangélique.  » (M^r Gousset, t. 1, de la Cause des contrats. ) Ouce contra jus fiunt debent utique pro infectis haberi. (Reg. juris. ) Pactum turpe vel rei turpis aut impossibilis de jure vel de facto nullam obligationem inducit. (Greg. IX.)

Bien que S. Liguori adhère au sentiment commun des théologiens relativement à la promesse de mariage dont il s’agit, il convient que de semblables promesses sont immorales, et qu’à ce titre les évêques devraient les re- garder comme absolument nulles dans la pratique. Voici ses paroles  : « Adnotare juvat, cum Tournely, valdè utile fore ad hujusmodi flagitia vitanda quôd promissiones matrimonii ad obtinendam deflorationem, etiam fortèju- ramento firmatæ, invalidæ declarentur ab episcopis, prout fert auctor præfatus in praxi deductum in quâdam diœ- cesi gallicanâ cum magno profectu.  » ( Lib . 3, n° 641. ) C’est aussi le sentiment de Collet, qui s’exprime ainsi  : « Si aliquo in loco puellæ sub promissione matrimonii facilè seducerentur, meliùs futurum esse ut eæ promis- siones, etiam juramento confirmatæ, nihil ducerentur ab episcopis utpotè totidem libidinis incentivæ.  » (T. 2, de sexto Decalogi præcepto. ) C’est également la pensée de M. Carrière, Justitia, n° 1361, et de l’auteur de Y Exa- men raisonné sur tes commandements de Dieu , t. 1, chap. 7. C’est aussi le sentiment de M. Lyonnet (Tract.

(1) Oui, si la loi civile est une véritable loi, c’est à dire si elle est juste et fondée sur l’équité et la bonne morale.


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de justitiâet jure, Lugd. , 1834) cité par M. Rousselot dans le passage suivant  : « Vi promissions veræ deflorator ad nihil tenetur. Non enim tenetur ratione fraudis , cùm nulla sit et bonâ fide intendebat stupratam ducere  ; nec tenetur ratione promissionis , nam contractus sub condi- tion turpi, etiam adimpletâ condition e, non obligat. Cod. civ., art. 1172  : Toute condition d’une chose im- possible ou contraire aux bonnes mœurs, ou prohibée par la loi, est nulle et rend nulle la convention qui en dé* pend.  » En effet, comme le fait observer M^r Gousset, si l’on reconnaît que la promesse de mariage, faite sous une condition qui porte au libertinage, est absolument nulle, même après l’accomplissement de cette condition, on ne se laissera pas séduire si facilement par une sem- blable promesse.

L’on objecte que cette doctrine rendra les séducteurs plus hardis à faire des promesses de mariage, sachant qu’ils ne sont point obligés à les tenir. Mais on peut tou- jours répondre que les fdles pourront également profiter de cette connaissance pour ne pas se laisser séduire par des promesses vaines et illusoires  ; et ainsi il y aura compensation. D’ailleurs les hommes déjà arrivés à ce degré de corruption ne sont plus guère arrêtés par des scrupules de conscience.

« Cependant, dit M^r Gousset, si puella quam seduæit in de conceperit, qu’il y ait eu promesse ou non, le sé- ducteur doit l’épouser, afin de prévenir le scandale, as- surer le sort de l’enfant, et réparer ainsi, autant que possible, la faute dont il s’est rendu coupable. Il ne se- rait dispensé de cette obligation, qui est purement mo- rale. qu* autant que ce mariage, faute d’être convenable-


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ment assorti, ne pourrait avoir que des suites fâcheuses. En tout cas, s’il y a un enfant, le père et la mère sont tenus également et solidairement, chacun selon leurs moyens, de pourvoir à son éducation, jusqu’à ce qu’il puisse se suffire à lui-même. Dans le cas où le séducteur aurait eu recours à la violence ou à la fraude, l’éduca- tion de l’enfant serait principalement à sa charge.  »

En effet l’homme et la femme, s’il n’y a eu ni violence ni tromperie, sont tenus solidairement, de droit naturel, canonique ou civil, de nourrir et d’élever l’enfant jus- qu’à ce qu’il puisse se suffire à lui-même, et cela même dans le pays où, comme en France, la recherche de la paternité est interdite. C’est le sentiment de l’auteur du Code civil commenté, ainsi exprimé (art. 203 et 303)  : Le principe indiqué dans cet article est également ap- plicable aux père et mère des enfants naturels légale- ment reconnus. Ainsi jugé par plusieurs cours royales et par la cour de cassation. On doit suivre la même règle pour les enfants naturels qui ne sont pas reconnus. Le père et la mère d’un enfant naturel, même incestueux ou adultérin, sont solidairement obligés en conscience, sui- vant leurs facultés et moyens, de concourir à son édu- cation dès le moment de sa naissance jusqu’à ce qu’il puisse se suffire à lui-même. Le même auteur ajoute en- core : La distinction que font les anciens théologiens entre les trois premières années, qu’ils mettent à la charge de la mère, et les aimées suivantes, pendant lesquelles ils veulent que le père soit chargé seul de l’éducation de l’ en- fant, paraît ne pouvoir plus être admise. En vain vou- drait-on alléguer l’usage en faveur de cette opinion, puis- que les principes de jurisprudence paraissent contraires.


MOECHULUGli:.


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ln autre commentateur du Code civil, M. Rogron, parle dans le même sens: Cette obligation pèse aussi sur le père et la mère naturels en faveur de l’enfant qu’ils ont re- connu ; le code ne l’exprime pas, mais elle est fondée sur la nature, et se déduit, à fortiori , des droits d’aliments accordés aux enfants incestueux par l’art. 762. ( Code civil expliqué. )

Si l’enfant est placé à l’hôpital, les auteurs de ses jours sont obligés d’en payer tous les frais, à moins qu’ils ne soient eux-mêmes véritablement pauvres.

Voici ce que dit à ce sujet Mgr Bouvier  : « Si prolem in xenodochio exposuerint, ex communi sententiâ totum damnum restituere xenodochio tenentur, nisi verè sunt pauperes, quia xenodochia in favorem infantium, non verô parentum, fundata sunt. Ut autem quantitas resti- tuenda rectè determinetur, quærendum est an proies vixerit, an autem et quandô sit mortua  ; si vixerit, resti- tuendi sunt omnes sumptus qui apud nutricem fieri debuerunt, et deindè in ipso xenodochio usque ad annum duodecimum, quo sufficienter laborare incipit infans ad ea luçranda quæ vitæ et vestitui absolutè sunt necessaria. Omnes illi sumptus nunc æstimantur moraliter, Ceno- mani, mille fr. Si, ut communissimè contingit, proies mortua fuerit, sumptus restituendi à die expositionis ad diem mortis erunt computandi. Si verô nullo modo de- prehendi possit utrùm proies mortua sit an vivat, resti- tutio erit facienda secundùm communis mortis et vitæ probabilitates. Experientiâ constat quôd vix pars vige- sima infantium à die nativitatis ad duodecimum annum perveniat, multô plures in primis annis et præsertim in primis mensibus moriuntur quàmposteà; igitur in tali


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UOECHIALOGIK.


dubio, omnibus perpensis, centum etquinquagintavel du- centos fr. circiter xenodochio restituere suffîcit. Quandô infans expositus aliquo charactere distinctivo fuit insigni- tus, semper facilè cognosci potest an vivat necne  ; omnes enim circumstantiæ expositionis accuratè describuntur.  » (Tractatus de jure.) Alias etiam, omnibus eventibus pen- satis, 150 vel 200 fr. exiguntur. Sunt tamen xenodochia quæ 400 fr. exigunt ad susceptionem pueri educandi. Àdeè parvæ petuntur summæ ob magnas mortis probabilitates.

s in.

DU RAPT, OU DE l/ENLÈVEMENT PAR VIOLENCE OU PAR SÉDUCTION IRRÉSISTIBLE.

Raptus, juxta quosdam recentiores, est vis illata cui- eumque personæ aut parentibus ejus, explendæ libidinis causâ, vel, ut nomen sonat, cum cæteris theologis, raptus est violenta alicujus personæ abductio ab uno loco ad alium, libidinis explendæ causâ vel contrahendi cum eâ matrimonii.

Vis illata. C’est la violence. Elle est physique ou mo- rale : la première est facilement comprise, c’est la vio- lence proprement dite  ; la seconde, ou la violence morale, est une crainte grave fortement intimidante ou révéren- tielle et injustement imprimée. D’ailleurs l’influence de la violence morale est relative au caractère et à l’âge des personnes.

Cuicumque personæ. Il ne s’agit pas ici d’une personne simplement vierge, comme dans le stupre, mais de toute personne quelconque, sive sit virgo, sive corrupta, sive


MOECHIAIOGIE. 1Î7

soluta, sive conjugata, sive laica, sive Deo sacra, sive consanguinea, sive aflînis, sive mas, sive femina.

Non omnis raptus ejusdem est gravitatis  : sed is, ut loquitur Collet, inter feminarum raptus, ordo esse vi- detur, ut gravissimum peccatum sit raptus monialis, deindè ejus quæ simplex castitatis votum fecit. Posteà consanguineæ vel alïinis, vel demùm conjugatæ, virginis, viduæ et meretricis. Ita Sylvius, qui addit multô plus peccatum iri si masculus masculum, femina feminam nefariæ libidinis intuitu raperet.

Vel ejus parentibus. « Quia, inquit Billuart, ad ra- tionem raptus ut est species luxuriæ, non est necesse quèd violentia semper fiat personæ raptæ, sufficit quôd fiat ejus parentibus seu tutoribus, aut custodibus ab iis constitutis sub quarum curâ existit persona rapta, quia tune habetur violentia  ; qualitercumque autem adsit vio- lentia, salvatur ratio raptûs ut est species luxuriæ  : sive ergo rapta raptori consentiat reluctantibus parentibus, sive consentiant parentes reluctante raptâ, est raptus.  » Si rapta consentiat nescientibus parentibus, non est propriè raptus, quia nulla est violentia  ; sed est simplex iuga, quæ tamen, ut ait Billuart, reduci potest ad rap- tum, quia licèt fiat sine violentia, non fit tamen sine in- jurié parentum.

Causa e.rplenda: libidinis. Car, si c’est par un autre motif qu’une personne est enlevée, comme pour la vendre comme esclave ou pour en faire une domestique, ce n’est plus là une espèce de luxure  ; c’est un rapt qu’on appelle ptagium . c est évidemment une pure injure ou une in- justice envers la personne ravie.

Lorsqu’un homme qui a été fiancé à une fille du con-

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YlUKUiULOUJE,


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sentement de ses parents l’enlève malgré eux pour l’é- pouser, il n’est pas coupable de rapt si la fille y con- sent, bien qu’il pèche en employant la violence. La raison en est qu’un fiancé a, par les fiançailles, un droit acquis sur la personne de sa fiancée, et que par conséquent il peut l’épouser quand elle y consent, si d’ailleurs il n’existe point d’autre empêchement. (S. Thomas et les papes Gélase et Luce III.)

Fornicatio cum dormiente vel ebriâ, vel cum puellâ usum rationis non habente, vel istius criminis ignarâ, reduci potest ad raptum, licèt non sit raptus propriè dictus, sed potiùs deceptio. Raptus igitur ut præceden- tibus patet est species luxuriæ distincta necessariô in confessione aperienda  : nam præter malitiam contra cas- titatem adest gravis injustitia.

Nunc requirendum superest quomodô se gerere debeat millier vi oppressa, ut non peccet coram Deo. Respondet Billuart hisce verbis  : « 1° Interiùs non consentire delec- tationi, sed ipsi positivé dissentire  ; 2° exteriùs positivé resistere oppressôri toto corporis connisu, motu, agita- tione, pugnis, alapis, etiam clamando, si sit spes sub- sidii impetrandi; uno verbo, in quantùm utiliter potest et rationabiliter debet, alioquin eo ipso quo quantùm potest et debet non impedit, censetur consentire  : undè (Exod., 22) domi stuprata jubetur lapidari, non stuprata in agro, quia domi potuisset utiliter et debuisset clamare, non in agro.  » Voyez ce que nous avons déjà dit sur ce point à la page 102.

Insuper idem auctor petit an clamare debeat cum pe- riculo vitæ aut famæ. Respondet  : « Si speret se Deo opi- tulante non consensuram interiùs veneri, quod difficile


MUKCH l ALOGlii.


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lateor, 110a puto teneri; modù tanien exteriùs semper quantùm potest résistât oppriinenti.  »

Nous ne devons point parler ici du rapt considéré comme empêchement dirimant du mariage  ; notre sujet ne le demande pas. Nous renvoyons donc, pour cet objet, aux ouvrages de théologie ou aux traités spéciaux sur le mariage.

Le concile de Trente prononce l’excommunication con- tre les ravisseurs, et contre ceux qui leur donnent con- seil, ou leur prêtent secours ou faveur. Rapt or ipse ac otnnes illi consilium , auxilium et favorem prœbentes si ni ipso jure excommunicati ac perpetuo infâmes. ( Sess. 2 Æ, de Ref. matrim. , c. 6.)

« Insuper raptor tenetur jure naturali puellam loco tuto redditam ducere, si velit vel decenter dotare, et nihilominùs ipsi ac parentibus ejus convenientem satis- factionem exhibere.

« Qui autem ad raptum el'ücaciter cooperati sunt to- tam injustitiam, tum erga puellam, tum erga parentes ejus, quantùm fieri potest, defectu raptoris reparare te- nentur.  » ( DD. Bouvier.) Voyez pour plus de détails les traités spéciaux de la justice dans les ouv rages de théo- logie, particulièrement ceux de Msr Bouvier, S. Liguori, Collet, Billuart, les Conférences d’Angers, etc.

S iv.

DE L’ADULTÈRE.

Vdulterium est accessus ad alienum torum, vel toii alieni violatio. Triplici modo committi potest  : 1° inter


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MOKGH J ALOGIE.


conjugatum et solutam; 2° inter solutum et conjugatam  ; et 3° inter conjugatum et alterius uxorem.

Adulterium est species luxuriæ ab aliis distincta et quidem peccatum mortale gravissimum. Patet ex Scrip- turâ sacrâ.

Si dormierit vir cum uxore alterius, uterque morietur, id est adulter et adultéra  : et auferes malum de Israël . (Deut., 22, 22.) Qui adulter est, pr opter cor dis inopiam, perdet animam suam . Turpitudinem et ignominiam congregat sibi, et opprobrium illius non delebitur . (Pro- verb., 32, 33.) Adulterium vocatur nef as et iniquitas maxima, ignis risque ad perditionem devorans, etc, (Job, 31, 11 et 12.)Nolite errare; ncque fornicarii neque adulteri regnum Dei possklebunt. (1 ad Cor., 6,9.)

Adulterium duplex, id est concubitus illicitus conju- gati cum conjugatâ, est gravius quàm simplex, cùm prius duo jura violet, et posterius jus tantùm unum  ; adulte- rium conjugatæ cum soluto gravius est quàm conjugati cum solutâ, propter rationes omnibus évidentes et notas. Variæ igitur circumstantiæ adulterii necessariô in con- fessione aperiendæ sunt.

Adulterium consentiente marito perpetratum verum semper remanet adulterium , malgré le fameux axiome  : Scienti et volenti non fit injuria, parceque nul n’a ni ne peut avoir le droit de renoncer, dans l’espèce, à son droit. On n’a le droit de renoncer à son droit que lorsqu’on le peut licitement. Or, cette cession ne peut s’opérer sans pécher contre la nature et l’essence du mariage  : donc le consentement en question ne peut effacer la malice de l’adultère. Innocent XI a condamné la proposition sui- vante : Copnfa eum conjugatâ consentiente rnarito non


MOKCHIALOGIE.


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est. adulterimn , adeoque sufficit dicere in confessione se esse fornicatum.

Concubitus cum personâ alteri desponsatâ, vel per- sonæ desponsatæ cum soluto, non est verè adulterium cùm non sit accessus ad alienum torum  : attamen est spéciale injustitiæ peccatum in confessione explicandum, propter pactum in sponsalibus initum.

Billuart quærit an in foro conscientiæ liceat marito aut patri occidere vel filiam et adulterum in actuali adulterio deprehensos? Respondet  : « Id licere non pauci opinan- te propter leges civiles, quæ liane occisionem permittunt; licitum est enim occidere malefactores auctoritate legum et reipublicæ.  » Sed statim addit  : « Illicitum esse  : vide- tur etiam certa et est communion Ratio est quia' leges civiles non possunt dare auctoritatem sic occidendi adul- teros, et si darent forent injustæ, proindèque ipsa occisio remaneret intrinsecè mala. 1° Quia est contra jus gen- tium, imo contra jus naturale, quôd quis extra urgentem necessitatem inauditus et indefensus puniatur, maximè pœnâ mortis  ; item quôd quis constituatur in eâdem causâ pars, accusator et judex, sicque sub falso prætextu aperiatur via occidendi innocentes. 2° Est contra chari- tatem quôd quis, absque urgente necessitate, occidatur cum evidenti et ferè certo periculo damnationis æternæ  : hæc autem acciderent si liceret occidere adulteros in flagranti crimine deprehensos; nec ulla est nécessitas quæ ad id cogat, cùm neque bonum publicum hîc peri- clitetur, et reus possit capi et judicialiter puniri  : secùs esset si ageretur, v. g. de hoste publico reipublicæ qui capi non possit, nec aliter quàm ejus occisione defendi respublica. Dicendum itaque leges civiles hanc occasionem


MULCHIALOGIE.


12*2

duntaxat tolerare seu permittere negativè , hoc est non prohibere, nec punire propter vehementiam doloris et iræ quâ supponitur occidens permotus. d ( Dissert. 6, art. 5.)

' Le Code pénal français porte  : « La femme convaincue d’adultère subira la peine d’emprisonnement pendant trois mois au moins et de deux ans au plus. (Art. 337. )

Le complice de la femme adultère sera puni de l’ em- prisonnement pendant le même espace de temps, et, en outre, d'une amende de cent francs à deux mille francs. (Art. 338.)

<( Le meurtre commis par l’époux sur l’épouse, ou par celle-ci sur son époux, n’est pas excusable, si la vie de l’époux ou de l’épouse qui a commis le meurtre n’a pas été mise en péril dans le moment même où le meurtre a eu lieu.

a Néanmoins, dans le cas d’adultère, le meurtre com- mis par l’époux sur son épouse, ainsi que sur le com- plice, à l’instant où il les surprend en llagrant délit dans la maison conjugale, est excusable. [Code pénal, art. 32 h.)

a Lorsque le fait d’excuse sera prouvé, s’il s’agit d’un crime emportant la peine de mort,.... la peine sera ré- duite à un emprisonnement d’un an à cinq ans.  » ( Ibid . , art. 326.)

Interrogandi sunt adulteri, 1° an uterque fuerit conju- gatus? 2° an mariti innocentis bona dilapidaverint? 3° an sit adulterandi consuetudo  ? h° an adultéra conceperit aut. concipere potuerit  ? 5° an nata sit proies  ? 6° an proies ex mariti bonis nutriatur ut légitima? 7° an eadern proies cum legitimis filiis successerit hæreditati sibi indebitæ  ? 8° an sit successura? 9° dépiqué an certum vel dubium sit cuinam pertineat proies, etc.  ?


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VÏUECHIALOGIE.


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Nous renvoyons le lecteur, comme à l’article du stupre, aux ouvrages généraux de théologie ou aux traités spé- ciaux de la justice. Cependant nous ne pouvons nous dispenser d’exposer ici, sur ce point, au moins quelques principes généraux.

Il va sans dire que le père et la mère de l’enfant adul- térin sont tenus, conjointement et solidairement, de ré- parer le dommage temporel que leur crime a causé au mari et aux enfants et héritiers légitimes.

Cependant, suivant Billuart, Collet, le P. Antoine, etc. , si l’homme avait entraîné la femme au crime par violence, crainte, tromperie, fraude ou menace, il serait tenu, en premier lieu, de réparer tout le dommage, comme en étant la cause principale  ; la femme n’y serait obligée qu’à son défaut, et dans ce cas même elle ne serait tenue à rien si elle n’avait cédé qu’à une violence ou une force irrésistible, parcequ’ alors elle ne serait nullement cou- pable. Si le crime n’a point eu de suite, il n’y a point de restitution à faire, parceque, dit Collet, « per adulterium præcisè non infertur damnum, sed solùm injuria pro quâ, si tamen publica sit, non tàm debetur restitutio quàm sa- tisfactio honoraria per veniæ petitionem, et signa doloris ac submissionis exhibenda.  »

Dans le doute si l’enfant est légitime on non, y a-t-il obligation de restituer? Les uns, entre autres S. Antonin, Svlvius, S. Liguori et beaucoup d’autres, inclinent pour la négative, parceque, disent-ils, 1° in dubio metior est conditio possidentis bona sua ; 2° parceque, pour être obligé à restituer, il ne suffit pas de poser une cause in- juste et portant préjudice; mais il faut de plus qu’il soit prouvé que le dommage causé est le résultat de la cause


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MOfcCHJ ALOGJE.


injuste posée  : or, dans l’espèce, il n’est pas certain que l’enfant soit illégitime. D’autres, et en grand nombre, comme Habert, de Lugo, Sanchez, Laymann, Billuart, Collet, le P. Antoine, M^r Bouvier, etc., pensent qu’il y a obligation de restituer au prorata du doute. Ce senti- ment nous paraît plus probable que le premier. On ne peut, ce nous semble, invoquer ici la maxime \pa- ter est quem nuptiœ dcmonstrant , qui ne regarde que le for extérieur. De plus, 1° les auteurs de l’adultère sont la cause injuste du danger appréciable que court le mari d’introduire dans sa famille un enfant étranger  ; 2° par- ce qu’il est injuste que, dans le doute d’un dommage, l’innocent subisse tout ce danger, et que ceux qui en sont la cause injuste soient quittes de tout  ; 3° parcequ’ enfin ce principe, in dubio melior est conditio possidentis, est plus favorable au mari qu’aux adultères  ; car le mari possède justement ses biens, dont il ne doit pas être in- justement dépouillé sur un simple doute, etc.

« Il est difficile et même généralement impossible de réparer tout le dommage causé par l’adultère: le plus souvent on ne peut déterminer exactement ce qu’il faut restituer; d’autres fois, le père ou la mère de l’enfant meurt avant que le crime ait eu toutes ses suites  ; ou ils n’ont ni l’un ni l’autre de quoi faire aucune réparation. Dans ce dernier cas, on peut, on doit même les absou- dre, quoiqu’ils n’aient pas restitué, si, étant vraiment pénitents, ils ont le ferme propos de faire ce qui dépend d’eux pour réparer l’injustice dont ils se sont rendus cou- pables.

« Si l’enfant adultérin a survécu au père putatif, s’il a recueilli sa succession ou qu’il soit entré en partage avec


MÜfcCHlALOGlK. 125

un ou plusieurs enfants légitimes, il est plus facile d’es- timer le dommage et de fixer la somme qu’on doit resti- tuer. Alors la restitution se fait ou aux enfants légitimes, ou, à défaut d enfants légitimes, aux héritiers ab intestat du père putatif, nécessaires ou non. Si, au contraire, l’enfant adultérin est mort avant le père putatif, la res- titution sera bien moins considérable. Dans ce cas elle se fera proportionnellement aux dépenses que le père putatif aura faites pour 1 entretien et l’éducation de l’ en- fant, déduction faite, s il y a lieu, des services que ce- lui-ci lui aurait rendus par son travail ou son industrie.

Si le père putatif et 1 enfant sont encore en vie, comme on ne sait pas lequel des deux doit survivre à l’autre, la chose devient beaucoup plus difficile. Dans cette incerti- tude, le débiteur peut, ou réparer d’abord le dommage qui a été fait, et se réserver de réparer ensuite le dommage futur, au fur et à mesure qu’il se fera, en prenant toute- fois, pour le cas de mort, les précautions jugées néces- saires pous assurer une réparation convenable  ; ou resti- tuer présentement une certaine somme plus ou moins forte, proportionnellement et au dommage fait et au dom- mage futur plus ou moins probable, suivant l’âge, la cons- titution, la force ou la faiblesse du père putatif de l’enfant adultérin. Cette restitution étant faite, il est libéré à l’a- venir de toute obligation, quoi qu’il arrive, lors même que l’enfant adultérin survivrait au père putatif.

« Pour ce qui regarde spécialement la mère de l’enfant adultérin , si elle a des biens qui lui soient propres, elle doit s’en servir autant que possible pour réparer l’injus- tice quelle a commise envers son mari. Si elle n’a pas de bien disponibles , ou si elle ne peut en disposer sans


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de graves inconvénients, sans se diffamer ou sans intn> duire des divisions dans la famille, elle doublera son tra- vail et ses soins pour la conservation et l’augmentation des biens de la maison, faisant, surtout pour ce qui la concerne personnellement, toutes les épargnes que la prudence lui permettra de faire, dans l’intérêt de son mari et de ses enfants légitimes. C’est encore un devoir pour elle d’engager l’enfant adultérin à garder le célibat, s’il ne tient pas à entrer dans l’état de mariage, afin que les biens qu’il a reçus ou qu’il doit recevoir sans y avoir droit puissent revenir un jour aux héritiers du père pu- tatif. Elle fera aussi ce qui dépendra d’elle pour amener son mari, sous un prétexte quelconque, à disposer d’une partie de ses biens en faveur de ses enfants ou héritiers légitimes.  » ( Théologie morale , parM&r Gousset.)

Juxta librum cui titulus  : Collationes practicœ in sex- tum et nonum Decalogi prœceptum (de Saint-Flour) , « si verô proies certô est spuria ex pluribus adulteris dubiis, partem patris ut cerlam inter se dividere debent  ; nec tamen videntur teneri solidariè defectu alterius, ut affir- mât theol. Pict. , quia etsi uterque adulter posuerit cau- sam sufficientem damni, ignoratur tamen quis fuerit causa elficax, nisi dicatur et probetur conceptionem non fieri unico actu.  » Quod probari minimè potest contra ex- perientiam.

Maintenant une autre grave question surgit, à savoir si, lorsque l’homme adultère n’a pas réparé le dommage, la femme est obligée de faire connaître son crime à son mari, ou à son enfant illégitime ou à ses enfants légitimes? S. Liguori pense, avec plusieurs autres théologiens, que la femme doit avouer son crime si le dommage que souf-


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lient son mari et ses enfants légitimes l’emporte sur les craintes qu’elle peut avoir pour sa réputation  ; si déjà elle est perdue de réputation, si ipsa sit perditœ famæ et ce que S. Liguori dit d’une femme malœ famæ , de Lugo et Lessius le disent de feminâ vili ; si l’on a à craindre un dommage public, damnum publicum 3 comme par exem- ple dans le cas où l’enfant adultérin serait l’héritier d’une couronne et qu’il menât une conduite immorale et scan- daleuse, si spurius sit pcrditis moribus imbut us, et succé- der e debeat regno aut principatui, et plusieurs autres cas à peu près métaphysiques ou sans application moralement possible. ( Lib . 3, n. 653.)

Tout le monde tombera facilement d’accord, ce nous semble, qu’une telle opinion, c’est à dire celle de S. Li- guori et de plusieurs autres théologiens, offre de si grandes difficultés dans la pratique qu’il paraît plus pru- dent et plus sage de suivre le sentiment exprimé et net- tement formulé dans les Conférences d'Angers en ces termes  : « La mère de l’enfant adultérin, pour faire la ré- paration dont elle est tenue, doit redoubler son travail et ses soins pour la conservation et l’augmentation des biens de la maison, épargner sur ses habillements et sur les au- tres dépenses qu’elle pourrait honnêtement faire  ; et, si elle a des biens qui lui soient propres dont elle puisse disposer, elle doit les laisser à ses enfants légitimes, et même les avantager au préjudice de son enfant adultérin, s’il lui est permis par la coutume des lieux. Que si cette mère ne peut ainsi faire pour réparer le dommage qu’elle cause à son mari, à ses autres enfants ou à leurs héritiers légitimes, elle n’est en aucune manière obligée de décou-» vrir son crime ni à son mari, ni à son enfant adultérin,


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MUECHIALOGIE.


ni à ses autres enfants  ; on ne doit jamais lui conseiller de faire cette déclaration sous prétexte de remédier au tort quelle leur cause; ce serait l’exposer à perdre son hon- neur et peut-être sa vie  ; ce serait troubler la paix du ma- riage et causer un grand scandale aux parents. Le père naturel de l’enfant illégitime doit, en ce cas, réparer tous les dommages. Il suffît que la mère fasse pénitence, et on ne doit pas lui refuser l’absolution de sa faute; car personne n’est obligé à découvrir sa turpitude, ni à se punir soi-même autrement que par la pénitence. Cela est conforme à la décision d’innocent III, qui est ainsi con- çue : Mulieri quœ, ignorante marito, de adulterio prolem suscepit , quamvis id viro suo timeat confiteri non est pœnitentia deneganda ... sed competens satisfactio per discrétion sacerdotem ei débet injungi. (Cap. off. 9, de pœn. et rem.)  » (Sur les commandements de Dieu. )

On peut ajouter que la déclaration dont il s’agit ici, outre quelle serait pleine de dangers pour la femme, se- rait complètement inutile; car ni le mari, ni l’enfant adul- térin, ni les autres enfants ne seraient obligés d’y ajouter foi, suivant cette maxime ou ce principe de droit: con- fitenti lurpitudinem snam nulla debetur fides . C’est d’ail- leurs le sentiment commun des théologiens, en ce sens qu’ ordinairement cette déclaration ne doit point être faite. Ainsi pensent 5VD1 Bouvier, Gousset, Collet et une foule d’autres graves auteurs. Nous disons ordinairement pour les raisons ci-dessus rapportées par S. Liguori et plusieurs autres auteurs, p. 126. Au surplus, voyez, pour de plus amples détails, les auteurs de théologie morale, et particulièrement Billuart, S. Liguori, Collet Bailly, Msr Bouvier, etc.


M0ECH1AL0GIE. |29

Nous terminerons ce paragraphe par quelques ré- flexions qui ont pour but d’établir certaines présomptions de paternité, qui ne seront peut-être pas sans quelque portée dans l’appréciation des motifs qui doivent déter- miner et fixer les décisions des confesseurs.

La science physiologique peut-elle fournir des signes qui indiquent que la paternité est certaine ou du moins probable? C’est là certes une question dont la solution nous parait d une très haute portée dans la pratique. Mais, il faut se hâter de l’avouer, la science ne peut nous conduire qu à quelques probabilités, et non à la certitude absolue.

Quoi qu il en soit, voici ce que l’on peut avancer sans trop se compromettre: præsumptio paternitatisgeneratim habenda est viro qui prior cognovit mulierem statim post menses (les règles ou les menstrues), quia rarô conci- piunt feminæ tempore menstruorum durante vel paulô præcedente.

On pense généralement, nous l’avons dit dans notre Physiologie , que le moment le plus favorable à la concep- tion est celui qui suit immédiatement l’écoulement mens- truel, qui paraît disposer l’utérus à la fécondation. C’est ainsi que, suivant le conseil du médecin Fernel, la femme de Henri II devint enceinte, et mit au monde un enfant après onze ans d’une apparente et désolante stérilité.

Sunt nonnullæ, ut aiunt, mulieres admodùm sensibiles, quæ ex quâdam perturbatione insolitâ, vel voluptuosâ horripilatione, vel potiùs quodam spasmo uteri se conce- j )isse cognoscunt  : indè fortè mos aquam frigidam pro- jiciendi quibusdam jumentis domesticis tempore con- gressûs cum mare, ut spasmus uterinus indè oriatur et proindè seminis retentio et femellæ prægnatio.


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MOtCHiALOGIt.


Quoi qu il en soit, si les phénomènes ci-dessus indi- qués se manifestent dans des circonstances données, il y a forte présomption d’imprégnation ou de conception, surtout si la femme ne tarde pas à éprouver quelques- uns des symtômes dont nous avons tracé le tableau dans notre Précis de physiologie humaine . Voici donc cet en- semble des phénomènes qui annoncent la conception ou le commencement de la grossesse  : « Les yeux perdent de leur vivacité, de leur brillant, expriment la langueur et semblent s’enfoncer dans l’orbite. Les paupières se cernent, s’entourent d’un cercle noirâtre, livide ou plombé. Le nez s’effile et s’allonge. La bouche s’agrandit par l’écartement de ses commissures. Tous les traits du visage se retirent en arrière, ce qui fait proéminer le menton en avant. La figure pâlit, se couvre de taches plus ou moins larges, plus ou moins nombreuses, tantôt rousses ou d’un noir plus ou moins foncé, tantôt, mais plus rarement, d’un blanc mat ou comme laiteux, se masque, en un mot... Le goût et les digestions se per- vertissent plus spécialement encore. L’anorexie, des nausées, des vomissements même surviennent, et sont fréquemment suivis d’une perte complète de l’appétit. La femme ne désire plus, pour se nourrir, que des objets bizarres et quelquefois dégoûtants. Tantôt son plus grand bonheur est de manger de la terre glaise, de la cendre, de la chaux, de croquer du charbon  ; tantôt ce sont des viandes à demi putréfiées, des araignées ou d’autres animaux immondes qui font ses délices. En général les choses grasses et le règne animal lui déplaisent  ; les fruits et les légumes lui conviennent mieux. Quelques-unes re- cherchent avec ardeur les boissons acides, et ne veulent


MÜÜCHlALOlUE,


m

que des aliments préparés avec le vinaigre, tels que la salade, etc.  »

Souvent aussi, mais à une époque plus avancée, l’état moral de la femme subit de nombreux changements, et quelquefois même il est exposé aux plus graves pertur- bations. Tout le monde sait en effet que l’état de gros- sesse change parfois le caractère de la femme, le rend bizarre, capricieux, fantasque, modifie ses affections,

ses goûts, ses inclinations, etc Telle femme, d’une

humeur habituellement douce et facile, devient violente, colère, emportée; telle autre, tendre épouse, bonne mère, déteste son mari, repousse ses enfants ou même leur voue une haine implacable pendant tout le temps de sa grossesse, etc. Nous n’insisterons pas davantage sur ces détails secondaires, qui nous entraîneraient hors de notre sujet. Revenons donc et disons que, si les phé- nomènes primitifs et surtout physiques que nous venons d’indiquer sont joints aux circonstances précédemment signalées, ils établissent une très forte présomption en faveur de la conception  ; et cette présomption se change en certitude morale si à la prochaine époque catamé- niale le flux menstruel vient à manquer sans autre cause ou accident appréciable. Indépendamment de ces don- nées, il faut avoir encore égard à la fréquence respective des actes  ; car, toutes choses égales d’ailleurs, la pré- somption pour la conception doit généralement être liée à l’action d’une cause plusieurs fois renouvelée plutôt qu’à une cause qui n’a agi qu’une seule fois, puisque l’expérience prouve tous les jours qu’un seul acte peut être sans résultat.

Juxta quosdam theologos, potiùs marito quàm adul-


M0EGH1ALOGIK.


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tero proies tribuenda est, quia, ânquiunt, sine repugnan- tiâ et majori affectu fit concubitus. Cela peut arriver sans doute dans quelques cas  ; mais on peut très bien aussi soutenir le contraire, et peut être avec plus de vrai- temblance, par le seul fait d’une forte passion récipro- que. Après tout, il faut toujours se rappeler que, suivant le sentiment commun des théologiens, une femme adul- tère peut toujours présumer que son enfant est légitime, à moins quelle n’ait des preuves certaines du contraire.

SV.

DE L’INCESTE.

Incestus est concubitus illicitus cum consanguineâ vel affine intra gradus prohibitos, quales sunt omnes gradus consanguinitatis et affinitatis ex matrimonio sive rato, sive consummato, provenientis usque ad quartum inclu- sivè, affinitatis autem ex copulâ illicitâ usque ad secun- dum inclusivè. (Concil. trid.)

Juxta Billuart, sub concubitu tanquàm sub actu prin- cipali, intelligenda sunt oscula, tactus, aspectus et alia cum consanguineâ vel affine, quæ ex se ad concubitum ordinantur, et ideè pertinent ad incestum, sicuti cum conjugatâ ad adulterium, cum solutâ ad fornicationem.

Incestus semper habitus est ut luxuriæ peccatum spé- ciale et quidem gravissimum. Sic (levit. , 20) pœnâ mortis plectuntur incestuosi, quia rem illicitam, rem nefariam operati sunt. — Auditur inter vos fornicatio , ait B. Pau- lus (Cor. 5)3 et talis fornicatio qualis nec inter pentes , ita ut iixorem pat ris sui aliquis habeal .


MOlXHiAI.OCII-.


ir

Los théologiens font dériver les raisons de la malice de T inceste, d’un manque considérable de respect dû aux parents, d’une répugnance spéciale, specialis rcpugnan- lia nsui de bit o x encre or um, et de la grande familiarité qui suit naturellement la parenté, et qui semble très pro- pre, dit-on, à favoriser le désordre et le libertinage, etc. Ils auraient pu ajouter encore une autre raison à laquelle aucun d’entre eux n’a pensé, et qui pourtant a sa valeur comme les autres. Or cette raison,, qui réprouve essen- tiellement les conjonctions incestueuses, c’est la forte probabilité ou plutôt la certitude relative de la dégéné- ration physique et même morale de l’espèce humaine. Dans le but de prévenir cette grave perturbation de la nature humaine, la sagesse des législateurs, unissant, dans l’intérêt de l’humanité, la morale avec la physio- logie, a ordonné le mélange et le croisement des sangs et des races. A la faveur de cette haute législation tout a été sagement pondéré et balancé dans l’ordre social. Les sujets lymphatiques ont été alliés à des sujets san- guins ou bilieux  ; des personnes trop nerveuses ont été unies aux individus lymphatiques sanguins, etc. De là le maintien de l’équilibre humanitaire et social, c’est à dire de la santé et de la vigueur de l’individu, de la famille, des peuples, des nations et du genre humain tout entier.

Renversez cet ordre physiologique et hygiénique, et faites contracter des alliances constamment et exclusive- ment dans les familles lymphatiques sans mélange de sang, vous n’aurez, après quelques générations, qu’un peuple scrofuleux, rachitique, cacochyme, rabougri' et ’ peut être réduit à un triste et déplorable crétinisme, c’est . à dire à nue complète dégénérât ion physique et morale.

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MOECHJALOGIE.


Il est certain, et c’est d’observation vulgaire, que la dégénération ne tarde pas à se manifester dans les fa- milles quand elles se marient entre elles , ou lorsque de proches parents s’unissent 'par des alliances matrimo- niales.

Les institutions canoniques, disons mieux, l’esprit du christianisme si éminemment civilisateur, et d’où émane toute la moralité d’une bonne législation, a donné la preuve d’une prévoyante sagesse fondée sur les lois de la plus haute physiologie, en prohibant le mariage dans certains degrés de parenté. La perpétuité de l’espèce, sa force physique, intellectuelle, morale, sociale et natio- nale, y trouve la plus sûre et la plus solide garantie; car, comme nous l’avons déjà dit, les races se détériorent et s’abâtardissent lorsqu’elles se refusent à des alliances étrangères. On sait, sans comparaison, comment on amé- liore les races dans les espèces animales domestiques.

Quelques physiologistes célèbres ont été jusqu’à dire, en parlant des lois de la propagation de l’espèce hu- maine, que, si les hommes étaient assez sages et assez raisonnables pour suivre le vœu de la nature, en sacri- fiant les basses jouissances de l’amour-propre au profit de leur postérité, il serait possible de perfectionner au- delà de ce qu’on imagine, non seulement des individus et des familles, mais des nations entières, sous le rap- port de la force, de la vigueur, de la forme, de la sta- ture, de la santé, et même au point de vue du moral, c’est à dire de l’intelligence et du sentiment. Revenons à notre sujet.

Licèt incestus sit gravior cum consanguineâ quàm cum affine in eodem gradu, uterque tamen probabiliter


MOECHIALOGIE. \ 35

et communiter habetur ejusdem speciei. Item videtur de omnibus incestibus consanguinitatis et affinitatis. Audia- nms gravem auctorem  : « Quamvis omnes incestus sint ejusdem speciei, alii tamen aliis graviores sunt  : sic gra- vior est incestus cum consanguineâ quàm cum affine; gravior in priori quàm in secundo gradu, sive consan- guinitatis, sive afïinitatis, et sic de cæteris. Item gra- ' ior et gravissimus est in lineâ recta, sive consanguini- tatis, sive afïinitatis, quàm in lineâ collaterali, putà cum matre quàm cum sorore  : undè, juxta communiorem sententiam de circumstantiis notabiliter aggravantibus accusandis, non sufficit dicere in confessione  : commisi mcestum, sed debet exprimi an cum consanguineâ vel aûme, an in primo vel in secundo gradu lineæ rectæ vel collateralis, quia bæ circumstantiae videntur notabiliter aggravare. De remotioribus autem gradibus lineæ colla- teralis censeo cum Ledesma, de la Cruz, Sporer et plu- ribus aliis non debere esse sollicitum pœnitentem, quia id non videtur notabiliter aggravari.  » (Billuart.)

Collet s exprime à peu près dans les mêmes termes  : « In confessione exprimendum est quo in gradu pecca- tum fuerit. Ratio est quia incestus cum matre gravior est quàm cum filiâ; cum filiâ gravior quàm cum sorore; cum sorore gravior quàm cum consobrinâ; cum novercâ gravior quàm cum uxore fratris  : uno verbo gravior est incestus quù propinquior est consanguinitatis vel aflini- tatis violatæ gradus.  »

Notandum hic est cum theologis incestum cum affine privare incestuosum jure petendi debitum ab uxore cujus consanguineam in primo vel secundo gradu cog- novit. Ratio quia per hanc copulam cum uxore affmita-


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MOFCHTALOC.IK.


tem con trahit  : si sine peccato mortali non pot est petere debitum priusquàm ab episcopo dispensationem habue- rit, ipsi tamen licet reddere uxori petenti.

Indépendamment de l’inceste charnel, il est deux au- tres espèces d’inceste, savoir le légal et le spirituel.

L’inceste légal a lieu entre des personnes alliées par l’adoption légale, c’est à dire lorsqu’on choisit une per- sonne étrangère pour son enfant, en vertu de l’autorité du prince ou de la loi. Ainsi donc celui qui « peccat carnaliter, comme dit Billuart, cum cognatâ legali, com- mittit incestum à præcedentibus specie distinctum, et ideô explicandum in confessione.  »

L’inceste spirituel est celui qui est commis entre per- sonnes alliées par la cognation spirituelle provenant des sacrements du baptême et de la confirmation. Celui donc qui pèche avec son alliée spirituelle commet un inceste d’une espèce distincte, comme dans le cas de la parenté légale, avec cette différence que dans l’alliance spiri- tuelle il y a de plus la malice spéciale du sacrilège, à cause de l’irrévérence faite au sacrement. Tout cela doit être déclaré en confession.

Nonnulli theologi contendunt peccatum confessarii cum pœnitente suâ ad incestum reducendum esse  ; alii vero plures negant. Quidquid sit, certum est hanc cir- cumstantiam ut multùm aggravantem necessariè in con- fessione aperiendam esse, præsertim si ex occasione sa- cramenti peccatum ortum fuerit. Majus esset crimen et justitiæ oppositum si cum parochianâ committeretur, quia pastor peccaret contra officium, cùm, ut inquit Billuart, ex officio teneatur etiam extra confessionem suas ovos à peccato arcfere et bonis moribus imbuere.


MULCMALOGIÜ. 137

Sanchez enseigne qu’on doit nécessairement expliquer en confession la circonstance de la pénitente, non seule- ment comme une circonstance qui aggrave notablement le péché, mais qui en change encore l’espèce; et que c’est un sacrilège spécial à cause de la défense particu- lière de l’Église et de la ressemblance qu’il a avec l’in- ceste spirituel. « Censeo circumstantiam hanc esse necessario fatendam, non solùm tanquàm notabiliter ag- gravantem, sed quia mutât speciem, et est spéciale sacrilegium ratione specialis prohibitionis ecclesiæ, et quodammodo incestus ratione vinculi similis cogna- tioni, et ex sacramento contracti.  » ( De Matr., L 7, desp. 55, n. Zi.)

On lit dans les Conférences d’Angers sur les com- mandements de Dieu  : « Lorsqu’une femme ou une fille s accuse d’avoir commis des actions impudiques avec son confesseur, ou d’avoir été sollicitée par lui à en commettre, on doit lui défendre absolument de retourner a lui à confesse, et ne point donner l’absolution à cette femme qu’elle ne promette qu’elle ne se confessera plus à ce confesseur, quand même elle aurait fait vœu et pro- mis avec serment de se confesser toujours à lui. 11 faut lui faire comprendre que ce vœu, n’étant pas une pro- messe d un plus grand bien et étant même contre les bonnes mœurs dans la circonstance, est nul et qu’il n’y a aucune obligation à le garder.  »

Deniquè actus impudici inter personas ejusdem sexûs consanguinitate, afïinitate vel alio modo conjunctas, ma- litiam incestûs involvunt  : ideo hæc circumstantia in conlessione declaranda est.

11 faudra s assurer si l’inceste est réservé, et à quel


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MOECHiALOGIL.


degré. 11 n’y a ordinairement de réservé que l’inceste charnel ou l’inceste proprement dit.

S VI.

DU SACKILÉG*.

Sacrilegium carnale, vel quatenùs luxuriæ peccatum, est violatio rei sacræ per actum venereum vel carnalem. Sacrilegium carnale non solùm est peccatum contra castitatem, verùm etiam contra Dei honorem ob pollu- tionem rei sacræ.

Sub nomine rei sacræ intelliguntur perscma sacra vel Deo consecrata, locus sacer, vel locus divino cultui desti- natus, ut ecclesia, cœmeterium,et objecta specialiter sanc- tificata, ut linteamina, vasa sacra, oleum sanctum, etc.

Les personnes consacrées à Dieu par les ordres sacrés ou par un vœu, soit solennel, soit simple, commettent un sacrilège lorsqu’elles tombent dans quelque péché d’impureté. Ce péché est non seulement contre la chas- teté, mais encore contre la religion, et fait une injure spéciale à Dieu en souillant ou en profanant une chose qui lui est consacrée. Le crime est plus grand ou plutôt il y a un double saçrilége lorsque les deux personnes qui le commettent sont consacrées à Dieu. Le péché est plus énorme encore quand l’homme est à la fois dans les or- dres sacrés et religieux profès, parcequ’il viole deux vœux, celui de son ordination et celui de sa profession. Le péché d’impureté commis par un religieux profès est plus grand que celui d’une personne qui n’a promis de garder la chasteté que par un vœu simple, parceque le vœu solennel est une espèce de consécration, et c’est


M0ECHIAL0GIE.


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pourquoi il oblige plus étroitement que le vœu simple. Cette solennité du vœu est donc une circonstance qui, si elle ne change pas l’espèce du péché, l’aggrave au moins notablement, suivant le sentiment probable d’un grand nombre de théologiens. De là aussi il nous paraît pro- bable qu’une personne liée par un double vœu, comme par exemple un religieux profès dans les ordres sacrés, est obligée de déclarer ces circonstances en confession, quoi qu’en disent plusieurs graves auteurs comme Bu- sembaum, Sanchez, etc. Voici ce que dit le premier  : « Omnis actus luxuriosus, tàm interior quàm exterior, in personâ vel cum personâ voto castitatis consecratâ, circa quem tamen probabile est non opus esse expri- mere utrùm fuerit votum solemne an simplex  : sicuti neque, si duplici titulo sit sacrata, v. g. quia est sa- cerdos et religiosus  : quia est moraliter una numéro ma- litia.  » (Apud S. Ligorio, lib. III, n. hbli.) — Sanchez s’exprime ainsi  : « Si sit sacerdos professus, satisfacit di- cens se sacerdotem esse. . . Sacerdos professus fornicans satis fatetur se professum, tacito sacerdotio, dicens.  » (Lib. 7, d. 27, n. 28 et 30.) Billuart paraît tenir la même opinion. « Puto... nec requiri, dit-il, quôd pœni- tens (religiosus) explicet se ulteriùs esse sacerdotem aut episcopum.  » (Dissert. 6, art. 8.) Taire une de ces cir- constances, c’est, selon nous, atténuer notablement la faute. Qui pourra se persuader que la faute contre la chasteté commise par un religieux profès prêtre ne soit pas plus grave que la même faute commise par un simple prêtre? Omne sacrilegium tantè gravius est quantù fœ- dior culpa, et quantô personâ peccans Deo sacratior est. Undè Collet dicit  ; « Censeo eum qui religiosus simul et


iffèh xMOECIUALOGlli.

saCerdos fornicatus est ad utriusque circumstantiæ dé- clara tionem teneri  ; quia duplicem violât consecrationem ratione suî maxime diversam. Undè etiam ei qui contra castitatem deliquit explicandum est an sit sacerdos, an diaconus.  » (De sexto Decalogi præcepto.)

Qui personam Deo consecratam directè vel indirectè, v. g. consilio, suasione, turpiloquiis aut perversis exem- plis, ad peccandum contra castitatem inducit, sacrilegii fit reus, iicèt ipse luxuriosè circa eam non peccet  ; tune enim violatio alterius ipsi tanquàm causæ scandalizanti imputatur, ait Dens, tom.  !\ , pag. /I18. (Citation de M*r Bouvier.)

Quoad locum , sacrilegium carnale committitur per copulam aut quameumque voluntariam seminis humani effusionem in loco sacro. Nomine loci sacri intelligitur et comprehenditur, juxta theologos, omnis locus ab epis- copo benedictus et ad officia divina destinatus, à tecto interiori usque ad pavimentum  : etiam comprehenduntur cœmeteria. Non reputatur locus sacer sacristia, neque atrium, neque turris vel campanile, neque tandem ora- toria privata, nisi auctoritate episcopi erecta sint, ut vi- detur in hospitalibus, in collegiis et seminariis, quia tune veræ censentur ecclesiæ. Rursùs non habetur locus sacer oratorium privatum non consecratum aut benedic- tum, etsi episcopus in eo missam celebrare permiserit, quia, hoc non obstante, potest ad nutum domini ad usus profanos converti; neque domus monasterii, claustra, officinæ, cellæ monachorum, etc.

Attamen dillicilè concipitur actus venereos in orato- riis privatis in quibus sacrosanctum missæ sacrilicium celebratur perpetratos non indè specialern involvere


MOECHlALOGlli. 1 1\ [

nialitiani. Katio et iides taleni circumstantiam in confes- sione semper aperiendam sat omni christiano dictitant. Ita sentiunt Concina et DD. Bouvier.

« Omnis actus venereus, ait posterior theologus, in loco sacro voluntariè peractus, etiam occulté, malitiam sacrilegii contrahit, quia, juxta communem hominum æstimationem, est irreverentia erga istum locum, proin- dèque erga Deum.  »

Si actus ille notus esset et per seminis effusionem con- summatus, pollueretur locus. Non tamen, ut ait Billuart, publica notitia locum polluit, sed poMutum manifestât, et obligationem imponit eo abstinendi donec reconci- lietur.

Actus conjugalis, etiam occultus, qui in loco sacro consummatur, semper sacrilegium habendus est juxta mentem Ecclesiæ, quamvis plures auctores contendant contrarium, putà, ut dicunt, si conjuges diù detineantur in ecclesiâ, ut potest contingere tempore obsidionis vel excursionis militaris  : quia, ut ait Billuart, nulla in casu nécessitas est ob quam Ecclesiâ censeatur relaxare legem suam  ; huic enim incontinentiæ periculo occurrere pos- sunt conjuges oratione, jejunio et aliis mediis, sicut fa- cerent si diù ab invicem abesse cogerentur, aut alter diu- turno morbo detineretur.

Quidquid sit, quoad malitiam, de omnibus aliis pec- catis luxuriæ in loco sacro commissis, ut aspectus, tur- piloquia, oscula, tactus, etiam secluso proximo pollutio- nis periculo, arbitramur, propter reverentiam loci, id est honorem Deo debitum, circumstantiain loci sacri in con- fessione aperiendam esse. In controversiâ doctorum et in dubio rerum pars tutior eligenda est.


MOLCHIALOGIE.


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Insuper notât DD. Bouvier ferè omnes theologos fater dictos actus malitiam sacrilegii induere, si taies sint ut proximo pollutionis periculo exponant, quia lex ecclesias- tica, pollutionem in loco sacro prohibens, vetat eo ipso ne quis proximo periculo hujusmodi infamiæ se exponat  : porrô actus valdè turpes et voluntarii tali periculo evi- denter exponant  ; ergo, etc.

Quant aux péchés purement intérieurs, suivant l’opi- nion commune, ils ne contractent pas la malice spéciale du sacrilège, tirée de la circonstance de la sainteté du lieu, nisi persona habeat voluntantem diabolicam in ipso loco peccatum consummandi, quia, seclusâ hâc inten- tione, gravem injuriam loco sacro inferre non videtur. Ita Dens, etc.

Quoad res sacras, vel omnia objecta à personis et locis sacris distincta et divino cultui consecrata, ut vasa sacra, linteamina, etc, certum est his rebus abuti in luxuriam, vel oleum sanctum, vel sanctissimam Eucharistiam su- mere in superstitiones luxuriam spectantes, horrendum esse sacrilegium.

« Quidam theoïogi dixerunt sacerdotem divinam Eu- charistiam super se gestantem sacrilegium non commit- tere si interné aut externè adversùs castitatem, non in contemptum sacramenti, peccet. Veriim alii communis- simè dicunt ilium sacrilegii esse reum, nam sancta sanctè tractanda sunt  : porrô sacerdos, in eo casu, non sanctè, sed horrendè sanctum sanctorum tractat  ; ergo, etc

« Plures adhuc volunt peccatum carnale malitiam sa- crilegii ex circumstantiâ diei dominicæ aut festi induere  : at plerique hanc speciem negant aut dicunt eam non esse mortalem, ideôque non necessariô declarandam; quia fi-


MOECHIALOGIE.


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nis præcepti, scilicet vacatio actibus sanctis per dieni do- minicain non cadit sub præcepto.  » (DD. Bouvier.)

APPENDIX.

DE AGENDI RATIONE CUM PERSONIS QUÆ AD TURPIA SOLLICITANTE R A CLERICIS.

Nous allons présenter ici sur cette matière un court extrait tiré, pour le fond, de la dissertation sur le sixième commandement, par M&r Bouvier.

Qui scit sacerdotem aliumve clericum turpiter vivere aut ad turpia sollicitare, eum episcopo aut vicario ejus generali denuntiare tenetur lege naturali,id est, tum ex charitate fraternâ erga peccantem, tum ob bonum publi- cum et religionis  : omnes enim theologi docent, ubi de correctione fraternâ tractant, crimen occuïtum superiori esse denuntiandum, saltem præmissâ monitione inutili, tum ad emendationem delinquentis, tum ad avertendum malum communitati aut privatis imminens  ; sicuti dubi- tare non licet quin ex agendi patione clerici turpibus dediti gravissima oriantur mala in ruinam delinquentis, in per- niciem animarum et in religionis dedecus vergentia, etc.

Undè Ecclesia, ante ordinationem, fidelibus astantibus per pontificem mandat ut, si quis habet aliquid contra illos (ordinandos) , proDeo et pr opter Deumcitm fiduciâ exeat et dicat. (Pontif. rom.) Hinc etiam in pluribus diœcesibus nomina juvenum ordinibus sacris initiandorum inter mis- sarum solemnia publicè denuntiantur, sicut matrimonii banna; et quicumque impedimenta ordinationi noverint ea declarare tenentur. A fortiori ergo qui sciunt sacer-


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dotem vel aliuin clericum turpiter vivere aut ad turpia sollicitare , ilium manifestare debent, juxta etiam hanc sententiam S. Thomæ  : « Siautem (peccatum illud) est infestivum aliorum, debet denuntiari prœlato , ut gregi suo caveat .

Nulla aut vana sunt difficultates et incommoda quæ hâc ex denuntiatione oriri poterunt, nam  :

1° Superiores ecclesiastici sic moniti,si non statim amo- vere possunt denuntiatum à ministerio suo, eum per se aut alios observant, accersunt, objurgant, increpant, ju - bent ut ab occasione peccati fugiat et tollat objectum scandali; eum in alium locum mittunt, eminentiorem curam ei destin atam non conferunt  ; et si in pravitate suâ obdurescat, alia documenta colligunt, et tandem eum, velut pestem, è sanctuario projiciunt.

2° Non magis confessionem odiosam reddit hæc obli— gatio denuntiandi sacer dotem corruptum et corruptorem quàm obligatio fures et latrones manifestandi. Cuilibet attento utrinquè ratio patet.

3° Revelatio prudenter facta nulli periculo exponit fa- cientem. Sic enim ordinariè facienda est ut complex non innotescat  : pœnitens nomen et locum denuntiandi scribet nudum in schedâ (billet)  ; hanc schedam benè occlusam tradet confessario, et confessarius ad episcopum aut vi- carium generalem mittet cum epistolâ, in quâ, factum ex- ponens, dicet quid sibi videatur de sinceritate personæ denuntiantis, cavens ne illam superiori manifestet ipse- que nomen sacerdotis corrupti non exquirat. ■— At si persona scribere nesciat, ipsa superiorem adeat, accepta epistolâ, confessarii sinceritatem ejus testantis, et veri- tatem ei aperiat, sese non manifestans, si velit  ; vel con-


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fessario impudicum sacerdotem designet licentiam conce- dendo ilium manifestandi  ; vel deniquè roget personam scribere scientem ut, sub aliquo prætextu, nomen talis sacerdotis scriptum sibi tradat, dicens, v. g. , quèd aliquis illud postulet. Tune chartam plicabit et obsignatam con- fessario remittet.

Reus à superiore correptus forte exprobrabit complici se ab eo vel ab eâ fuisse denuntiatum  ; sed quid est mo- lestia ista? numquid comparanda est malis ex corrup- tione sacerdotis orientibus  ?

Si dubium existât an sit obligatio revelandi, exponatur casus episcopo, cautione necessariâ adhibitâ.

Deniquè sedulo cavendum est ne fides temerè adhibea- tur mulierculis sacerdotes in ipsomet tribunali sacro ac- cusantibus  : non semel enim visæ sunt quæ ex invidiâ, zelotypiâ, odio, aliove motivo perverso, clericos prorsùs innocentes sic atrociter calumniatæ fuerint. ïgitur omnes circumstantiæ et personæ, et accusationis, et criminis accusati maturo examine primùm pensandæ sunt, et ve- tare oportet ne complex ipsimet confessario manifestetur.

Eâdem obligatione naturali sacerdotem vel clericum corruptum superioribus manifestandi tenentur mulieres et juvenes ad turpia sollicitati, etiam non occasione con- fessionis, et uno verbo omnes qui, quâcumque viâ certâ, notitiam hujusmodi infamiarum obtinuerint  ; nam denun- tiandus est sacerdos vel abus clericus qui bono religionis aut animarum saluti grave nocumentum affert vel alla- turus est. Nota. Si fortè occurrat pœnitens qui nid la ratione possit convinci se ad revelationem teneri, diffi- cultas solvetur ad judicium episcopi, qui facultatem absol- vendi dabit vel denegabit, prout expédions judicabitur.


146


MŒCHIALQGIE.


CHAPITRE II.

DE LA LUXURE NON CONSOMMÉE.

Ltixuria non consuminata est ea quæ usque ad molli- tiem, pollutionem vel seminis effusionem non progredi- tur. Ad eam refer untur omnes actus peccaminosi in terni et extern i in se, vel in alios exerciti contra castitatem, sub nomme impudicitiæ quæ excludit à regno Dei.

Hoc in capite sequentia exponentur  : delectatiomorosa, cogitationes, desiderium, gaudium, tactus, oscula, am- plexus, aspectus, picturæ et sculpturæ turpes vel indé- centes; ornatus mulierum, turpiloquia, cantilenæ, lec- tiones, libri obsceni, choreæ seu saltationes, spectacula, ludi sceneci, magnetismus animalis et alia similia.

ARTICLE PREMIER.

DES PENSÉES, DES DÉSIRS, DE LA JOIE OU DE LA COMPLAISANCE, ET DE LA DÉLECTATION MOROSE EN MATIÈRE DE LUXURE.

S*-


DES PENSÉES.

Une pensée ne devient moralement mauvaise que par le plaisir qu’on y prend et par le consentement qu’on y donne. Le plaisir seul, comme on sait, ne suffit pas  ; il faut de plus qu’il y ait advertance et consentement de la volonté. Une pensée mauvaise ou déshonnête n’est, donc


MCKCHIALOGIE.


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péché qu’ autant qu’elle est volontaire. Or, pour s’assurer si une mauvaise pensée est volontaire ou péché, il faut distinguer trois choses  : la suggestion, la délectation et le consentement. La suggestion est l’idée du mal pré- sentée à l’esprit; elle ne constitue pas encore le péché. La délectation est le plaisir charnel que produit la pen- sée du mal  ; le péché n’existe pas encore  ; mais si l’on ne renonce pas à cette délectation, à ce sentiment de vo- lupté, et qu’au contraire on s’y complaise, avec pleine advertance et de propos délibéré ou volontairement, il y a péché mortel. Si la volonté n’y adhère ou n’y consent qu’à demi, le péché n’est que véniel  ; si elle n’y consent pas du tout il n’y a aucun péché.

En matière de luxure ou d’impureté, on doit ordinai- rement regarder comme coupables' de fautes graves les personnes qui, sans raison ni nécessité, donnent accès à des pensées ou à des imaginations déshonnêtes, parceque, eu égard à la pente excessive de la nature au mal, il est rare qu’elles ne s’exposent pas au danger prochain de s’y complaire et d’y consentir. P erversœ cogitationes sé- parant à Deo. (Sap. ) Abominatio Domini cogitationcs mater. ( Prov. )


§ ii.


DES DÉSIRS, DE LA JOIE OU DE LA COMPLAISANCE.

Le désir est un mouvement ou un acte de la volonté qui tend directement à l’accomplissement d’une mau- vaise action. Si l’on cherche les moyens d’accomplir l’œuvre criminelle, le désir s’appelle efficace; si le désir se porte sur un objet ou sur une action que l’on est dans


Wl8 M OF.CHT AtOGIE.

Y impuissance d’atteindre ou d’accomplir, ce désir est dit et est en effet inefficace.

Desiderium speciem suam sumit ab actu exteriori in quem tendit. Undè si desideretur concubitus cum solutâ, desiderium istud induit malitiam fornicationis  ; si cum conjugatâ, adulterii; si cum Deo sacratâ, sacrilegii, etc. Si vèrô desiderium tendit in species luxuriæ imperfectæ, earum etiam malitiam involvet, putà tactûs, aspectûs, etc.  : hæc omnia in confessione aperienda sunt. Car le désir et la volonté embrassent l’objet avec toutes ses qualités et ses circonstances, malgré toute abstraction de l’esprit. Le désir s’applique à l’avenir. — La joie au contraire revient sur le passé  ; elle se complaît volontairement dans le souvenir d’un mal consommé ou d’actes graves contre la chasteté. On peut rattacher à cette joie ou à cette com- plaisance criminelle le déplaisir ou le regret de n’avoir pas commis le mal dans l’occasion facile. Ce que nous venons de dire des désirs, quant à la qualité des objets, doit s’appliquer à ce qui regarde la joie et la complai- sance prises des actions passées.

§ m.

DE LA DÉLECTATION MOROSE.

(( Delectatio morosa est libéra complacentia in re malâ per imaginationem exhibitâ ut præsente, sine desiderio illam faciendi, v. g., si quis lingat se fornicari, et in eo actu sic repræsentato, ilium perficere non intendens, li- bero consensu sibi complaceat.

^ Dicitur morosa, non àduratione complacentiæ, cum unicum instans ad consummandum peccatum internum


MOECHMLOGIE.


149

sufliciat, sed quia voluntas in eâ delectatione,post adver- tentiani, quiescit et moratur.  » (DD. Bouvier.)

Delectatio clicitur morosa non ex mord tempo ris, sed ex cpiod ratio délibérons circa cam immoratur , nec tamen eam repellit. (S. Thoni.)  »

Ainsi, d’après cela, la pensée ou la délectation morose n’est autre chose que la complaisance volontaire ac- tuelle dans le plaisir que donne l’idée d’une action exté- rieure, sans toutefois former le désir d’accomplir l’acte extérieur. ^

Ces délectations ou pensées moroses sont des péchés mortels de leur nature. Il n’y a que le défaut de consen- tement de la volonté qui puisse les en excuser. Les per- sonnes qui les entretiennent volontairement dans leur esprit, bien qu’elles ne veuillent pas commettre l’acte ex- térieur dont la pensée les délecte, se plaisent, se satis- font néanmoins dans la représentation du plaisir que produit cette même action extérieure. Or, le plaisir que donne la pensée de l’acte criminel ne vient que de l’affec- tion qu’on a pour cette même action, et est de la même nature quelle; c’est donc évidemment un péché mortel. Nullns delectatnr in aliquo , nisi afficiatur ad illud , dit S. Thomas. Le même docteur décide formellement que non seulement le désir de commettre une action criminelle est un péché mortel, mais même le consentement que l’on donne librement à la délectation que produit cette action. Consensus in delectationem peceati morlalis est pecealum mort ale , et non solum consensus in actum.

Quant à la difficulté de savoir quand les pensées mo- roses sont volontaires, voici ce que l’on trouve dans les C onférences d'Angers sur ce point  : « Elles (les pensées

11


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MOECHIALOGIE.


moroses) causent quelquefois un plaisir si sensible que l’esprit ne peut presque s’en dégager, ou, s’il les re- pousse, ce n’est que pour un moment; elles reviennent incontinent, et occupent tellement l’imagination que c’est comme une nécessité de les souffrir, et elles exci- tent dans l’appétit sensitif un plaisir si sensible et si vif qu’il semble pénétrer jusque dans la volonté. C’est de là que les personnes timorées croient souvent y avoir consenti, ou au moins elles en doutent, ce qui leur fait beaucoup de peine et embarrasse fort les confesseurs. (1) Ceux-ci, pour juger de l’état du pénitent qui a senti ces sortes de plaisirs, doivent lui demander s’il était fâché de ressentir ce plaisir, s’il a fait des efforts, quoique inutiles, pour l’étouffer lorsqu’il s’en est aperçu, et s’il se sentait disposé à embrasser les moyens efficaces pour se préserver de ce plaisir. Si le confesseur voit que le pénitent ait été dans ces bonnes dispositions, qu’il ait l’âme timorée, qu’il ne commette point d’actions impures, qu’au con- traire il aimerait mieux mourir que de consentir de pro- pos délibéré à un péché d’impureté, il peut juger en faveur du pénitent; car le sentiment du plaisir sensuel n’est pas un signe qu’on y ait consenti  ; il peut être aussi in- volontaire que la pensée qui l’a causé, et il n’est point censé volontaire, à moins qu’on n’ait donné volontaire- ment et sans nécessité occasion à la pensée déshonnête

(1) De semblables pénitents sont censés n’avoir pas consenti au mal, au moins pleinement. S’ils y avaient donné un plein consentement, ils n’en douteraient pas. Au contraire, des pénitents à conscience large, et tombant souvent dans des fautes extérieures, doivent être censés avoir pleinement consenti. S’ils n’avaient pas consenli de la sorte, ils le sauraient avec certi- tude et n’auraient à cet égard aucun doute.


M0ECHIAL0G1K.


15Î


qui l’a attiré, ou que, lorsqu’on s’en est aperçu, on ne l’ait pas désapprouvé. Le confesseur portera un jugement contraire de son pénitent s’il remarque que celui-ci mène une vie corrompue.

« Quoiqu’un confesseur ait des indices suffisants pour lui faire croire que le pénitent qui craint Dieu n’a pas commis un péché mortel, il ne doit pourtant pas le croire pour cela tout à fait innocent, puisqu’il peut avoir com- mis un péché véniel; car, encore qu’il ait désapprouvé le plaisir quand il s’en est aperçu, il peut avoir été un peu lâche en n’y résistant pas fortement, ou un peu né- gligent en ne le rejetant pas assez tôt, et ainsi y avoir donné un consentement imparfait.  » ( Sur les comman- dements de Dieu.)

Voici comment s’exprime sur la même matière S. Fran- çois de Sales dans son Introduction à la vie dévote  : « On est quelquefois surpris, dit ce saint, de quelque chatouil- lement de délectation, qui suit immédiatement la tenta- tion, devant que bonnement on s’en soit pris garde  : et cela ne peut être qu’un bien léger péché véniel, lequel se rend plus grand si, après que l’on s’est aperçu du mal où l’on est, on demeure par négligence quelque temps à marchander avec la délectation, si on doit l’ac- cepter ou la refuser, et encore plus grand si en s’aper- cevant on demeure en icelle quelque temps par vraie négligence , sans nulle sorte de propos de la rejeter. Mais lorsque, volontairement et de propos délibéré, nous sommes résolus de nous plaire en telle délectation, ce propos même délibéré est un grand péché, si l’objet pour lequel nous avons délectation est notablement mauvais.»

Les pensés impures ou la délectation morose peuveut


t 52


MOECHTALOGIE.


être aussi volontaires indirectement, comme par exemple lorsqu’on parle sans nécessité de certaines choses inno- centes en elles-mêmes, mais que l’on sait par expérience devoir causer des mouvements déréglés; ou quand on considère, sans plus de raison ni de motif, certains objets indifférents ou non mauvais par eux-mêmes, mais qui, par une disposition particulière et individuelle, conduisent infailliblement à des mouvements désordonnés, qu’on se contente de rejeter après coup ou quand ils sont excités. 11 y a lieu de croire que ces pensées ou ces mouvements impurs sont volontaires indirectement et dans leur cause; et par conséquent ils sont plus ou moins criminels.

Maintenant surgit une autre question vivement con- troversée par les théologiens  : c’est toujours sur la dé- lectation morose.

Un grand nombre d’auteurs prétendent que la délec- tation morose ne prend pas son espèce de l’objet exté- rieur, mais seulement de la représentation de l’objet dans l’esprit, et qu’en cela elle diffère du désir. La rai- son qu’ils donnent de cette différence, c’est que le désir se porte sur l’objet extérieur tout entier tel qu’il est en lui-même, avec toutes ses qualités et ses circonstances, et que, par conséquent, il en contracte nécessairement toutes les malices, malgré toute abstraction de l’esprit (voyez p. 147)  ; tandis que la simple délectation morose s’arrête et se repose dans la seule représentation de l’objet, ou plutôt du plaisir que produit l’objet, c’est à dire l’action extérieure, sans désir ni volonté de l’ac- complir. Undè qui libéré delectatur in copulâ cum con- jugatâ, consanguineâ aut moniali, sed mente apprehensâ tantùm ut muliere pulchrâ vel conveniente, malitiam


M0ECH1A LOGIE.


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adulterii, incestûs, sacrilegii probabiliter non contrahit. Ainsi pensent de Lugo, Bonacina, Sporer, Layman et plusieurs autres cités par S. Liguori. Celui-ci affirme que ce sentiment est très probable. (Lib. 5, n° 15.)

Par contre, les plus hautes et les plus graves auto- rités, comme S. Antonin, Cajetan, Sanchez, Suarez, Sylvius, Lessius, le P. Antoine, Collet, Dens, etc., s’é- lèvent contre cette opinion, et assurent que le sentiment contraire est plus probable, parcequ’ils n’admettent point de différence entre le désir et la délectation morose. Celle-ci, disent-ils, aussi bien que le désir embrasse l’objet tout entier, tel qu’il est et qu’on le connaît avec toutes ses qualités, nonobstant toute vaine abstraction de l’esprit.

Ces deux opinions sont également probables, dit Mgr Bouvier. Nous aussi, nous les regardons toutes deux comme probables, mais seulement dans la spéculation ou dans la théorie. Billuart embrasse la première, ou celle avec abstraction, dans la théorie, et adopte la se- conde dans la pratique comme plus sûre, ainsi que nous le verrons plus bas. S. Liguori lui-même, dans le cas de délectation de copulâ cum nuptâ , pense que , dans la pratique , on doit faire connaître la circonstance de l’a- dultère, à raison du danger très prochain qu’entraîne la délectation.

Nous ne pouvons point entrer dans le détail de toutes les preuves qu’apportent les auteurs à l’appui de leur opinion respective. Nous nous contenterons de dire, avec Collet, quod delectatio morosa speciem necessario sumit tum ab objecto proximo circa quod versatur, tum ab ejus- dem objecti conditionibus  : alioquin non plùs peccaret


m


MOECHIALOGIE.


qui copulam sibi repræsentat quàm qui simplex oscu- lum, quod absurdum est. «Ergo, addit Collet, delec- tatio ex hujusmodi objectis speciem sumit; et ut ab am- plexu specie differt coitus, sic et à complacentiâ in uno difïert complacentia ab altero. Hinc pœnitentes sicut exprimere tenentur an ad desiderium usque progressi sint, an autem in merâ delectatione steterint , sic et de- bent exprimere an delectatio sua pro objecto habuerit tactum, an copulam, an hanc simpliciter, vel cum pes- simis circumstantiis. Undè cùm malè instituta confessio, saltem quâ parte malè instituta est, repeti debeat, tutô sibi suisque pœnitentibus providebit director, qui sataget ut quod incautè omissum est cautè suppleatur. Commu- nissima theologorum opinio, à quâ in re tanti momenti et in quâ de valore sacramenti agitur, sine periculo re- cedi non potest.  » À l’appui de cette opinion on peut encore citer ces paroles de S. Thomas  : Delectatio ali- cujus operationis et ipsa operatio ad idem genus peccati reducuntur.

De plus la délectation morose n’expose-t-elle pas au danger prochain du désir? Uno tantum gradu deside- rium et cogitatio lubenter nutrita dividuntur, ut quoti- diana docet experientia. ( Collet.)

Difficultas est, ait Billuârt, utrùm delectatio morosa sine desiderio operis faciendi tôt malitias contrahat quot habet objectum, si ab illis præscindat, seu'eas non ap- préhendât, quamyis aliundè noverit inesse  : ut si quis delectetur de copulâ cum muliere quam quidern novit conjugatam et consanguineam, non tameti quatenùs est conjugata et consanguinea, sed præcisè quatenùs est mu- lier sibi conveniens ut regulariter fit; difficultas est, in-


MŒCHI ALOGIE.


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quam, utrùm taiis sit reus non solùni fornicationis aut mollitiei, sed etiam adulterii et incestûs. Plures negant et plures affirmant, et, ut iterùm fatear, utrinque pro- babilités » (Dissert. 6, art. 15.)

Nous avons déjà dit que Billuart adopte en théorie l’o- pinion de Y abstraction comme plus probable. Voici com- ment il s’exprime à ce sujet  : « Hæc prima sententia mihi videtur probabilior, et in hoc utilior quod, secundùm illam, meliùs et faciliùs intelligitur quomodù liceat de- lectari de iis quæ solâ lege positivâ sunt prohibita et va- riis aliis.  »

Plus bas le même auteur conclut ainsi  :

(( Regulariter in praxi non est recedendum à secundâ sententiâ, quia qui hujusmodi tentationibus dediti sunt regulariter desiderant opus à quo non abstinent, nisi vel defectu opportunitatis, vel metu infamiæ aut pœnæ tem- poralis, vel ex alio simili motivo humano.

« Hinc inférés regulariter interrogandos esse pœni- tentes de qualitatibus objecti venerei circa quod morosè delectati sunt, nec suffire si simpliciter dicant se delec- tatos fuisse in materiâ venereâ, aut circa aliquam mulie- rem, sed explicare debent an millier sit conjugata, aut consanguinea, aut monialis, etc.

« Dixi regulariter , quia si probabiliùs constet non ad- fuisse consensum in opus^ nec proximum illius periculum ut contingere potest pœnitentibus timoratæ conscientiæ, (£ui cùm non soleant his obscenitatibus voluntariè immo- rari, sæpè tamen dubitant an non irrepserit consensus in delectationem, aut si consenserint, certo tamen sciunt et affirmant se non consensisse in opus externum, nec illuddesiderasse; talibus, inquam, puto probabiliùs, juxta


15G


MOECHIALOGIE.


primam sententiam (cum abstractione qualitatum ob- jecti), sufficere si simpliciter se accusent, vel sub dubio, vel certo de consensu in delectationem, absque eo quod cogantur explicare conditiones objecti, explicato tamen voto proprio, si fortè eo teneantur.  » ( Ibid .)

Mgr Bouvier déclare aussi que la seconde opinion (sans abstraction) est la plus sûre. Voici ses paroles  : « Pos- terior est tutior, sed sæpè difficile est obtinere à pœni- tentibus ut circumstantias objecti cogitati aperiant; tune prudentes confessarii, priori opinione (cum abstractione qualitatum objecti) innixi, ab importunis quæstionibus abstinent.  »

C’est souvent en effet, dans l’occurrence d’une telle difficulté, la seule conduite que l’on puisse prudemment tenir. Mais il faut que la difficulté soit réelle et notable, et qu’il y ait plus d’inconvénient que d’avantage à obli- ger les pénitents à déclarer avec détail toutes les circons- tances de l’objet ou de l’action extérieure représentée dans l’esprit. Le principal inconvénient serait de rendre le joug de la confession, déjà bien onéreux pour plu- sieurs, plus pesant encore, et non seulement aux péni- tents, mais encore aux confesseurs eux-mêmes. Cepen- dant il faut, comme nous l’avons déjà dit à l’occasion du stupre, sinon sauver le principe, puisqu’il ne paraît point clairement établi, du moins suivre les maximes générales ou s’en rapprocher le plus que l’on pourra, c’est à dire qu’il faut engager les pénitents qui en paraissent capa- bles à s’expliquer sommairement sur les principales cir- constances de l’objet ou de l’action extérieure, et leur faire au besoin les questions convenables et suggérées par la prudence. On peut aussi miter la conduite de


MQECHIALOGIE.


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Billuart ci-dessus indiquée pour les personnes à cons- cience timorée. En un mot, dans toutes les opinions des auteurs, également et plus ou moins probables, et par là plus ou moins controversées, il ne faut jamais être cons- tamment exclusif. La prudence et la sagesse veulent qu’on invoque, suivant les circonstances, les besoins, les cas, les caractères et les dispositions des pénitents, à défaut de principes fixes et immuables, l’appui des opi- nions, tantôt de l’une, tantôt de l’autre, selon leur degré de probabilité et surtout leur tendance pratique aux bonnes mœurs et à la saine et solide piété. Il est au reste rare que les opinions diverses et même opposées des au- teurs orthodoxes n’offrent pas quelque bon côté, quelque chose d’applicable ou de pratique  ; saisissez donc ce côté favorable, ce point pratique  ; et souvent ainsi, en prenant un sage et juste milieu, vous vous trouverez placé dans le droit et dans la vérité pratique. In medio tutissimus ibis. Voyez ce que nous avons dit à la page 107.

« Qui, advertens se delectari in re venereâ exhibitâ ut præsenti, maneret indifferens, probabiliùs mortaliter pec- caret, etiamsi motus inordinatos non sentiret, quia rei malæ adhæreret, aut saltem gravi periculo ei adhærendi sese exponeret  : sic ferè omnes theologi in praxi.  » (DD. Bouvier.) Billuart dit quelque chose d’analogue  : <( Se habere negativè circa motus carnales naturaliter exortos, est regulariter peccatum mortale; si non præ- cisè ratione istorum motuum, saltem ratione periculi consensûs in iis annexi.  »

Il est bon de faire remarquer ou du moins de faire rappeler ici qu’il existe une grande différence entre la pensée du mal, ou même la simple complaisance dans


MÔECHÏALOGIE.


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cette pensée, et la délectation dans le mal lui-même. La simple pensée, même volontaire, du mal ou de la délec- tation dans le mal n’est pas péché en soi , pas plus que la connaissance approfondie, le souvenir, la prévision, c’est à dire l’étude, les méditations et les réflexions sur les matières du sixième commandement  : autrement les théologiens, les confesseurs, les médecins, qui, par état, se livrent à ce genre d’étude, pécheraient nécessaire- ment ; ce qui ne peut être admis. Ce qui constitue seule- ment ici le péché, c’est la délectation volontaire dans le mal lui-même, c’est à dire dans l’objet ou l’action extérieure.

Il faut faire observer encore que le sentiment de la délectation est très différent du consentement à la délec- tation. Le premier est souvent involontaire, et par con- séquent exempt de toute faute; le second dépend toujours de la volonté, et partant est toujours péché. Autre chose donc est de sentir, et autre chose est de consentir  : ce n’est pas le sentiment qui fait le péché, mais le consen- tement. Non sentire, sed consentire peccatum est.

Cependant beaucoup de pénitents confondent souvent ces deux choses quoique bien distinctes  ; ils confondent également la pensée du mal avec la délectation dans le mal, ce qui n’est pas moins distinct. De là souvent une source de scrupules et des plus anxieuses perplexités. Voyez ce que nous avons dit à la page 150 pour démêler le vrai d’avec le faux.

On demande maintenant an liceat sponsis et viduis delectari de copulâ futurà vel præteritâ. Busembaum res- pondet quôd liceat ipsis delectari, modo delectentur appetitu rationali, non autem carnali. At rectè addit in


MOECHIALOGIE.


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praxi, ait S. Ligorio, vix hoc posse admitti, cùm delec- tatio carnalis ut plurimùm rationali adnectatur.

Cet appétit ou cette délectation raisonnable n’est au- tre chose que la pensée et la prévision des actes conju- gaux et des sensations qui les accompagnent, ou leur simple souvenir. Tout cela n’est certes pas la délecta- tation dans un acte érotique, et ne pourrait être péché qu’à raison du danger d’aller plus loin et de passer de la délectation raisonnable à la délectation charnelle. Comme ce péril est plus ou moins grand, ou même nul, de même le péché est plus ou moins grand, ou nul aussi.

« Si, dicit D. Bouvier, sponsi aut vidui consentiant in delectationem carnalem ex prævisione copulæ futuræ, vel ex recordatione copulæ præteritæ nascentem, morta- liter peccant  ; copulam enim sibi exhibent ut præsentem, ac in eâ voluntariè delectantur  : porrô copula præsens respectu eorum est fornicatio, cùm non sint conjugati  ; ergo,  » etc.

Ita etiam Billuart  : Si, inquit, delectentur carna- liter de copulâ futurâ sibi per imaginationem præ- sente, peccant mortaliter. Possunt gaudere quôd suo tempore exercebunt légitimé actum conjugalem, sive illud gaudium sit propter sanitatem recuperandam, sive propter meliorem conditionem temporalem, sive etiam propter voluptatem intra fines matrimonii percipiendam  ; similiter viduus et vidua, quôd exercuerint, seclusâ ta- men omni commotione voluntariâ.

Rursùs DD. Bouvier ait  : « Conjux sibi delectans, in absentiâ compartis suæ, de copulâ ut præsenti proba- biliùs mortaliter peccat, maximè si spiritus génitales graviter commoveantur, non præcisè quia consentit in


160


MOECHIALOGIE.


rem sibi vetitam, sed quia gravi periculo pollutionis ordinariè se exponit. Si autem in copulâ futurâ vel præ- teritâ libéré sibi complaceat, non tantùm incurrit pollu- tionis periculum, et ideô multi dicunt eum in eo casu venialiter tantùm peccare. Ita Sanchez, Bonacina, Les- sius, Cajetanus, Lacroix, Suarez, S. Ligorio, etc.

(( Alii verô multi contendunt semper, moraliter lo- quendo, tune adesse peccatum lethale, tum propter peri- culum , tum propter commotionis spirituum inordina- tionem, quæ fine legitimo cohonestari non potest. Sic Navarrus, Azor, Yasquez, Layman, Henno, P. Antoine, Collet, etc. Arguendi sunt ergo conjuges ita sibi delec- tantes et hortandi ut partem tutiorem amplectantur. Non tamen nimiâ severitate tractandi sunt, nec quæstionibus ipsis odiosislacessendi.» ( Dissert . insext.Decal. prœcep.)

Similiter Billuart qui dicit probabiliùs esse delecta- tionem veneream de copulâ in conjuge absente esse peccatum mortale.


S iv.

Nous terminerons cet article par quelques mots sui- tes moyens que l’on peut opposer aux pensées déshon- nêtes.

Si ces sortes de pensées, devenues très importunes, sont le produit d’une imagination légère et mobile ou de certains souvenirs qui se retracent vivement dans la mé- moire, on s’appliquera à y faire diversion en fixant l’es- prit par quelque travail intellectuel sérieux, appliquant, ou un calcul difficile et compliqué qui absorbe toute l’at- tention, etc.  ; ou par l’exercice de l’oraison, de la médi-


MŒCHIÀLOGIE.


161


tation pour certaines personnes, et la prière vive, fer- vente et fréquente pour tous. Si les mauvaises pensées proviennent d’un tempérament érotique ou d’une plé- thore spermatique, les meilleurs moyens seront ceux tirés de l’hygiène physique et morale  : la pratique de la tem- pérance, d’une exacte sobriété, le travail manuel, l’exer- cice corporel, une occupation matérielle ou mécanique incessante, la fatigue, quelquefois même la chasse, qui dans certains cas a produit les meilleurs et les plus éton- nants effets. Diane, comme on sait, est l’ennemie née et naturelle de Vénus. Un exercice violent étouffe les senti- ments érotiques, en faisant naître des sensations plus impérieuses encore, comme un besoin excessif d’alimen- tation, c’est à dire une faim insatiable, avec une pro- pension irrésistible au repos physique.

On pourra aussi avoir recours à quelques pratiques de pénitence extérieure, la macération de la chair, quelques douleurs corporelles ou souffrances physiques, les jeû- nes, les veilles. Mais, pour ces derniers moyens, les jeû- nes et les veilles, il faut prendre garde que leur excès n’enflamme trop la masse du sang, et que par là même les tentations ne s’accroissent au lieu de diminuer. On n’y aura donc recours que lorsque les autres moyens se- ront reconnus insuffisants.

Enfin très souvent le meilleur de tous les remèdes pour chasser les mauvaises pensées, c’est de les mépri- ser, de ne point disputer avec elles , en un mot de n’en tenir aucun compte, pourvu toutefois qu’il y ait une po- sitive déplaisance. Cette conduite en quelque sorte né- gative vaut mieux que ces efforts violents de tête, cette tension vive et fatigante de l’esprit, plus propre le plus


162 MOECHIALQGIE.

souvent à jeter la perturbation dans l’âme qu’à la pré- server du mal qu’on redoute. J1 n’est point expédient, il est même dangereux de faire un retour sur ces pensées pour s’assurer si l’on y a consenti ou non. Il faut sans doute craindre d’avoir des pensées impures et bien plus encore d’ y consentir  ; mais il faut que cette crainte soit tranquille, calme et raisonnable, car une crainte exces- sive est plutôt propre à les faire naître qu’à les prévenir.

Lorsqu’un pénitent s’accuse de pensées déshonnêtes, le confesseur doit lui demander si elles ont été volontai- res, afin d’en connaître l’objet dont elles tirent leur es- pèce ; si elles ont été suivies de désirs et d’effets  ; quels ont été ces désirs ou leurs objets, quels les effets  ; quelle a été la durée des pensées ou des délectations moro- ses, etc... Si le pénitent répond d’abord que les pensées ont été involontaires et qu’il n’y a point consenti, tout est dit, et on en reste là  ; cela va sans dire. Nous y re- viendrons plus loin.

ARTICLE SECOND.

DE TACTIBÜS, OSCULIS ET AMPLEXIBUS.

S i-

DE TACTIBUS.

Omnes tactus inhonesti, vel ex intentione libidinosâ in se aut in alios exerciti, sunt peccata mortalia, tàm pro tangente quàm voluntariè et libidinosè patiente, praa- sertim si fiant in partibus venereis velpudendis et vicinis, licèt intersint vestes, etiam ex joco, levitate, curiositate,


MOECHIALOGIE.


m

aut sine eausâ justâ et rationabili, præcipuè inter perso- nas grandiores  ; quia taies tactus sunt semper libidinosi, vel saltem magnum libidinis aut pollutionis periculum involvunt.

Undè etiam tactus uberum feminæ, præcipuè jam grandioris aut puberis, mortales reputandi sunt, si di- rectè et morosè fiant  ; veniales verô si leviter et obiter tantùm et sine affectu libidinoso.

Si tactus etiam in diverso sexu ex solâ necessitate liant, v. g. , ad curandas infirmitates, nullatenùs peccata sunt, etiamsi indè motus inordinati oriantur, vel qui- dem pollutio, secluso omni consensu, ut suprà fusiùs vidimus.

Juxta Billuart, ancillæ, nutrices, etc., dùm infantes lavando, spoliando, vestiendo eorum pudenda ex levi- tate aut curiositate tangunt, ordinariè non peccant mor- taliter, quia id non influit graviter in venerem  ; nullo autem modo peccant si id ex necessitate faciant, secluso semper affectu libidinoso. Ita Lacroix.

Mais il faut faire remarquer ici que ces servantes et ces nourrices sont souvent plus coupables, ou du moins font beaucoup plus de mal qu’on ne pense, sinon à elles- mêmes, du moins aux pauvres enfants, quelque jeunes qu’ils soient d’ailleurs. Nous avons parlé, dans notre Essai sur la Théologie morale , d’enfants de l’un et de l'autre sexe déjà livrés à la masturbation, bien qu’ils n'eussent encore que quatre, trois, deux ans et même dix-huit mois. Nous y avons dit aussi que, indépendam- ment des attouchements faits au hasard ou par une im- pulsion instinctive ou machinale des enfants eux-mêmes, des attouchements étrangers exercés par des êtres pas-


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sionnés, aux soins desquels d’innocentes créatures sont confiées pour leur malheur, leur révèlent souvent le fatal secret de l’onanisme. Or ces êtres passionnés et cor- rompus, ce sont souvent les bonnes ou de jeunes ser- vantes et parfois aussi des nourrices. Quelquefois, il est vrai, elles n’exercent ces attouchements sur les petits enfants de l’un et de l’autre sexe (ce qui est déjà très mal) que dans le but de les faire taire ou d’apaiser leurs cris importuns  ; mais ce n’en sera pas moins pour l’en- fant le germe d’une terrible passion, et soyez sûr qu’il ne manquera pas d’exploiter un jour son affreuse décou- verte.

Le célèbre théologien tout à l’heure cité, Billuart, ex- cuse de péché mortel les enfants impubères du même sexe qui se font des attouchements déshonnêtes par lé- gèreté ou par manière de jeu, ex joco et levitate. « Quia, inquit, taies tactus inter hujusmodi, ut plurimùm adhuc veneris expertes, non videntur multùm influere in com- motionem carnis.  » Cependant l’expérience de nos jours et de tous les jours constate souvent le contraire, in utroque sexu et præsertim in teneris puellis. Non rarô impubères aliquam pollutionis speciem experiri videntur, et sibi in suam perniciem procurant non tamen veram pollutionem spermaticam aut seminalem, sed mucosam aut prostaticam, eunuchorum prorsùs similem, hâc lege physiologicâ completam  : Ubi stimulus , ibi fluxus. Sæ- pissimè etiam nullus est fluxus, et tamen non abest in pueris voluptatis sensus  : et idcircô organa lacessere ferè non desinunt.

Juxta Billuart, mulier quæ etiam absque alfectu libi- dinoso permittit se tangi in partibus pudendis aut vicinis,


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item morosè in mamillis, peccat mortaliter; quia non solùm sic tangere, secl etiam sic tangi multiim influit in venerem. Si tangatur femina in partibus inhonestis, dé- bet omni modo moraliter possibili tangentem statim re- pellere, increpare, manum ejus violenter auferre, etc. ïta DD. Bouvier, qui sic prosequitur: « Propria verenda sine causa morosè tangere est peccatum veniale aut mortale, pro ratione periculi ulteriùs progrediendi  : pe- riculum enim non est idem pro omnibus  : in pluribus leves tactus sensus commovent et in proximum pollutio- nis periculum conjiciunt; alii vero sunt insensibiles sicut ligna et lapides. Hi ergo tantam diligentiam adhibere non tenentur, quantam alii qui ad venerem procliviores sunt. )>

Tangere propria verenda, ait Busembaum cum multis aliis, ex levitate, aut curiositate, per se non est mortale, modô absit turpis delectatio aut ejus periculum, et fiat obiter, et non repetitis vicibus, quia alias jam aderit periculum. Hinc non excusantur à mortali qui commo- tione spirituum et sine justâ causâ propria pudenda tan- gerent.

Tout le monde sait qu’il n’y a aucun péché à faire sur soi des attouchements nécessités par les soins de pro- preté, que l’on ne néglige pas toujours impunément, ou justifiés par quelque autre motif légitime, comme par exemple pour faire cesser un prurit très incommode, mais qui toutefois ne soit pas d’une nature vénérienne. Voyez ce que nous avons dit sur ce point à la page 78. « Quinimù, dicit DD. Bouvier, secluso consensûs peri- culo, seipsum tangere liceret cum prævisione motuum vel etiam pollutionis, præter voluntatem accidentis, si

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gravis existeret causa, v. g., infirmitas curanda, vel, juxta multos, pruritus intolerabilis, ut nonnunquàm in mulieribus accidit, sedandus.  » Il faut encore que ce prurit soit purement maladif ou dartreux, et non vénérien ou libidineux, distinction importante généralement trop négligée par la plupart des théologiens.

Au sujet des attouchements et des regards justifiés par la nécessité et la charité envers les malades, Billuart fait une réflexion fort censée et fort judicieuse  : « Àspec- tus et tactus alieni corporis diversi sexûs in partibus ge- nitalibus aut vicinis, sive immediatè, sive mediante solo indusio facta, etiamsi ex levitate, joco, curiositate, aut simili causâ, seclusâ urgente necessitate, sunt regula- riter peccata mortalia.  » Plus bas il répète  : « Seclusâ urgente necessitate, ut est nécessitas medendi in partibus secretioribus, aut inserviendi ægrotis, vel in balneis (quamvis longé satiùs foret ad hæc ultima officia assu- mere personas ejusdem sexûs)  ; quia hi tactus aut as- pectus apprehensi ut media sanitatis aut necessitatis non ita phantasiam et carnem commovent  ; quôd si ex aliâ subrepente apprehensione delectabili graviter commo- veant, hoc est per accidens ex miseriâ naturæ et præter intentionem agentis, cui, cùm habeat justam causam illos actus ponendi, non imputatur effectus secutus.

et Insuper, clato etiam quôd hi actus per se influant in commotionem, habent nihilominùs alium effectum bo- num atque immediatum qui potest intendi, malo per-

misso intellige semper, modô absit periculum con-

sensûs in ipsam delectationem veneream indè ortam.  » [Diss. 6, art. 16. )

Hic tamen notandum est tactus factos ad subitô se-


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dandos accessus hysteriæ vel passionis hystericæ, quæ est morbus mulieres et præsertim puellas aflficiens, illi- citos et valdè peccaminosos esse.

Tactus partium honestarum, etiam inter personas ejusdem sexûs, si ex affectu libidinoso exerceantur et cum consensu in libidinem, sunt peccata mortalia, quia ordinantur et per se tendunt ad impudicitiam, quæ ex- cludit è regno cœlorum, juxta B. Paulum, Gai. etEphes.

Attamen tactus ex levitate, joco, curiositate et aliâ simili causâ in partes honestas alterius personæ, ejus- dem vel alterius sexûs, sine gravi periculo libidinis, non excedunt peccatum veniale. Ita Sanchez, Bonacina, Bil- luart, DD. Bouvier, etc. Toute la malice de ces actes se tire du danger auquel ils exposent. Or ce danger est supposé léger; donc, etc. Ces sortes d’attouchements ne sont pas mauvais de leur nature, secundùm se, comme on dit  : s’ils l’étaient, ils ne seraient jamais permis; mais ils sont seulement mauvais par ou selon leur cause, ex causa, et pas plus que leur cause, qui est vénielle  ; donc ils ne sont aussi que véniels.

Undè vir qui manum mulieris tenet vel comprimit, di- gitos aut brachium contorquet, faciem ejus, collum, sca- pulas tangit et alia similia, non peccata nisi venialiter  ; similiter de feminâ respectu viri.

« Contra verô juvenis, dicit DD. Bouvier, qui puellam in genua sua trahit et ibi sedentem tenet, vel eam am- plexando in se comprimit, saltem ordinariè mortaliter pec- cat, et mulier hæc voluntariè patiens à mortali non ma- gis excusari potest. Actiones hujus generis inter personas ejusdem sexûs sæpè grave générant periculum ad turpia dçveniendi, ut experientiâ nimis constat  : sedulù igitur


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fugiendæ aut cavendæ sunt, nec facilè à peccato mortali excusandæ, maximè quandô ex affectu sensibili proce- dunt.  »

Juxta Billuart, P. Thomas, P. Ant., Sanchez, tactus proprii corporis (in verendis) qui minùs movent quàm alieni, si fiant ex levitate vel curiositate, absque libidine et absque prævisâ delectatione venereâ, non sunt com- muniter mortales. Sed tamen multùm cavendum est à morositate et frequentiori repetitione sine causâ; sic enim facti videntur non leviter venerem excitare: si autem fiant ex rationabili causâ necessitatis, vel utilitatis, ut mundandi, medendi, vel sedandi pruritum non vene- reum, sicut jam diximus, omni culpâ vacant. Ab his tactibus valdè deterrendi sunt juvenes et infantes utrius- que sexûs.

Juxta Billuart, tactus genitalium pecorum vel bruto- rum grandiorum sunt peccata mortalia, licèt ex joco, le- vitate aut curiositate, etiam absque affectu libidinoso  ; quia taies tactus notabiliter commovent venerem. Nul- lum est peccatum si adsit nécessitas sive medendi, sive adjuvandi in eorum copulatione, etiamsi motus libidinis exurgat, modô ei non consentiatur. DD. Bouvier, qui hîc paululùm differt à Billuart, sic habet  ; « Genitalia bru- torum libidinosè tangere est peccatum mortale, ad bes- tialitatem pertinens; ea ex curiositate, jocp aut levitate usque ad effusionem seminis contrectare, est adhuc pec- catum mortale,, non ratione deperditionis seminis belluæ, sed quia talis actio libidinem tangentis vehementer exci- tât. » S. Ligorio, Lacroix, Sanchez contendunt ea geni- talia tangere sine affectu libidinoso, sed non usque ad seminis effusionem, non esse peccatum mortale. Billuart,


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ut jam vidimus, oppositam tenet sententiam, et plures alii, ut Concilia, Collet, etc., asserentes taies tactus gra- viter esse periculosos.  »

« Minorum animalium, ait Billuart, ut catulorum, fe- lium, etc. , genitalia tangere ex levitate, joco, curiositate non videtur graviter commotivum naturæ, ideôque non esse mortale.

Quidquid sit deniquè de liis quibuscumque tactibus, ab omnibus sedulô et cautè abstinendum est  : saltem valdè tutior pars est, et idcircô eligenda.

§ II.

DE OSCUL1S ET AMPLEX1BÜS. (1)

Oscula et amplexus in partibus honestis et honestè ha- bita, quandô dantur et recipiuntur secundùm patriæ consuetudinem, officii, urbanitatis, amicitiæ, benevolen- tiæ aut reconciliationis causâ, ante profectum, ad redi- tum, etiamsi suboriatur quædam delectatio venerea, modô statim reprimatur, non sunt peccata. In bis tamen

(1) Pour éviter rinconvénient dans lequel est tombé Billuart avec ceux qui l’ont littéralement copié, il est nécessaire de séparer les oscula et am- plexus d’avec les attouchements et les regards, et de ne pas les grouper comme l’a fait Billuart. ( Dissert . 6, art. 16, dico 6°.)

Au reste il est impossible qu’un homme sensé prenne ù la lettre ce qu’a dit, contre son intention et sa pensée, le célèbre et judicieux auteur. D’ail- leurs ce qui suit prouve que la proposition ne pèche que par un vice d’expression. C’est donc à celte confusion et ù un moment de sommeil qu’il faut attribuer celte bévue du grand théologien. Et où est l’homme et même le plus grand homme qui ne sommeille pas quelquefois! (Juandoque do r mitât Home rus.


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decentia status semper servanda est  : quod enim licet lai- ds sæpissimè dedecet in dericis, et præsertim in religio- sis. Ita S. Thomas, S. Antonin., S. Ligorio, Sylvius, Billuart, DD. Bouvier, Gousset, imô omnes.

Igitur hæc omnia oscula, conditionibus ponendis po- sitis, data et recepta, more solito, ad genam, ad frontem aut ad manum, non sunt mala, etiam inter personas di- versi sexûs. Item oscula ordinariô inter infantes adhuc reputatos libidinis incapaces; oscula matrum, nutri- cum, etc., in infantes suos, vel sibi commissos; oscula 4 aliarum personarum, saltem ordinariè, in infan tulos te- nerrimæ ætatis utriusque sexûs  : hæc omnia plerùmque peccata non videntur.

Omnia oscula etiam exteriùs honesta, sed ex motivo libidinoso data vel recepta, inter personas grandiores ejusdem vel diversi sexûs, sunt peccata mortalia, præci- puè si fiant cum ardore et morâ.

A mortali excusari non potest osculum oris ad os, si fiat more valdè moroso, maximè si cum linguæ intromis- sione fiat, ut loquitur Billuart  : « Si fiat valdè morosè, aut sæpiùs in eodem temporis articulo repetatur crispis et gustatis labris, aut sit columbinum, immissâ scilicet linguâ unius in os alterius  ; sic enim factum quamvis ex joco aut levitate, aut etiam ad contestandam amicitiam, videtur graviter influere in commotionem carnalem, ideôque non excusandum à peccato mortali.  » Ita etiam S. Ligorio. Item si oscula habeantur ad partes insolitas, ut pectus, etc. , ex libidine fieri reputanda sunt, vel sal- tem magnum libidinis periculum inducunt, et idcircô , mortalia censenda sunt.

« Certum est, dicit DD. Bouvier, oscula etiam honesta


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proximum pollutionis vel motuum libidinis periculum inducentia reputanda esse peccata mortalia, nisi fortè gravis existât ratio ea dandi vel in se permittendi, quia tali periculo se exponere, sine necessitate, peccatum est mortale. Oscula in se honesta, more solito, sed ex levitate aut joco habita, sine gravi libidinis periculo, peccatum veniale non excedunt  ; cùm enim supponantur honesta, mala esse non possunt nisi ratione periculi  : at suppo- nitur, ex alterâ parte, periculum esse leve  ; ergo, etc.  »

Cependant il est bien à craindre que, dans toutes ces circonstances où l’on ne constate pas un motif juste et raisonnable, on ne se laisse perfidement séduire par l’attrait de la délectation sensuelle ou charnelle. « Les baisers, disent les Conférences d’Angers, qu’on donne ou qu’on reçoit pour le seul plaisir sensuel qu’on ressent de l’application de la bouche à la face, ce sont, suivant les principes que S. Thomas a établis, des péchés mor- tels, quoiqu’on n’ait aucun dessein de tomber dans le crime.  » Qu’on se rappelle, à ce sujet, qu’ Alexandre VII a condamné en 1666 la proposition suivante  : Est pro- bables opinio quæ dicit esse tantum veniale osculum ha- bitum ob delectationem carnalem et sensibilem quæ ex osculo oritur, secluso periculo consensûs ulterioris et pol- lutionis. « Jugez de là, ajoute le rédacteur des mêmes conférences, ce qu’on doit penser des baisers que les jeunes gens donnent par légèreté aux filles.  » Il est tou- jours certain que, sans raison grave, ils s’exposent à un danger grave et plus ou moins prochain.

Quævis femina quæ adverteret vel rationabiliter cre- deret sibi sub honestatis specie aifectu libidinoso oscula clari, tenetur viri contactum declinare et vehementer re-


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pellere ne ipsius peccato cooperetur. Àttamen videtur mulier posse dissimulare coram præsentibus personis, modo non consentiat, ne fortè malum de viro suspicen- tur, cùm ipsa aliundè omninô non sit certa de pravâ in- tentione.

Quoad amplexus morosos cum corporum compres- sione, sæpissimè valdè libidinosi sunt, et non rarù fiunt cum veliementibus motibus inordinatis, concubitûs co- gitatione, desiderio, vel fortè pollutione. Qui ergo sim- pliciter amplexus in confessione déclarant, ut fit ordina- riè, de his sæpè interrogandi sunt. Rectè animadvertit recentior auctor sanüoranus, qui sic loquitur  : « Adverte sæpè nescire juvenes quo (inosculis et amplexibus) spi- ritu moveantur  ; ilia omnia plena esse periculi, vixque certo à mortali excusari posse cùm crebrô fiant inter per- sonas jam libidinis capaces. Undè, ob hæc, et si nondùm venerea patiantur, non imprudenter difïèrtur absolu tio as- suetis, præsertim cùm unus nesciat alterius fragilitatem.»

Quoties, juxta Collet, oscula veneream delectationem habent, exprimenda est circumstantia personæ etiam in- nocentis cui datum est osculum  ; an voto ligata sit, an consanguinea, vel affinis, an alteri desponsata, quia, ut dicit, a actus turpis imbibit malitiam coitûs ad quem suâ naturâ tendit.  » Certum est tamen sæpissimè coitum non intendi.

Nous terminons ce paragraphe par un passage que nous empruntons à M*r Bouvier, et qui trouve tous les jours son application dans la pratique.

Qui puellam in matrimonium requirens eam quando- que, v. g., in adventu et profectu, honestè amplexatur, sine periculo motuum libidinis, aut saltem sine periculo


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eis consentiendi, peccati mortalis non est accusandus: imô si adsit ratio hune actum cohonestans, v. g. , timor fundatus ne appareat scrupulosus aut singularis, ne in derisionem et ludibrium aliorum incidat, nullatenùs pec- cabit. 2° Simili ratione excusatur puella quæ amplexus honestos declinare non potest, quin ludibrio exponatur, vel juveni eam requirenti displiceat. 3° Non statim gra- vis peccati incusandi sunt juvenes utriusque sexûs qui in nonnullis jocis decenter et sine pravâ intentione se invicem amplexantur  : prudenter avocandi sunt quidem ab istis ludendi modis, propter periculum eis sæpè an- nexum  ; at salutis eorum multùm interest ut peccati mortalis rei non leviter habeantur.  »

ARTICLE TROISIÈME.

DES REGARDS. •

On pourra appliquer aux regards presque tout ce que nous avons dit des attouchements. Cependant la vue, étant un sens moins matériel que celui du tact ou du toucher, porte par là moins aux affections libidineuses. L’expérience journalière prouve néanmoins qu’il est la source d’une infinité de péchés.

Les regards déshonnêtes sont mortels ou véniels, sui- vant qu’ils sont plus ou moins dangereux ou libidineux  ; suivant qu’ils excitent plus ou moins la passion de luxure; suivant la nature des objets sur lesquels ils se portent, le motif qui les détermine, le sentiment qui les accom- pagne et les effets dont ils sont suivis.

Aspectus libidinosi seu cum affectu delectationis ve-


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nereæ sive nostri, sive alterius sexûs, sunt semper mor- tales. Omnis qui vident midierem ad concupiscendam eam3 jam mœchatus est eam in corde suo. (Mattb. , 5, 28.)

Libidinosi sunt semper et proindè lethales aspectus morosi partium valdè inhonestarum inter personas di- versi sexûs, nisi excuset nécessitas, ut vidimus in arti- culo de tactibus. Ita DD. Bouvier sequentia proferens  : <( Si, extra casum necessitatis aut gravis utilitatis, deli- beratè aspiciantur partes venereæ aut vicinæ grandioris personæ alterius sexûs, sine affectu libidonoso, peccatur mortaliter; nam illi aspectus motus libidinis ipsamque pollutionem moraliter excitant; ergo, etc. Dixi 1° déli- bérât è, quia oculos in verenda personæ alterius sexûs leviter et casu conjicere, sine pravo affectu, non est pec- catum mortale. — Dixi 2° grandioris personæ  ; aspectus enim hujusmodi in infantes non ita libidinem excitant, et idcircô peccata mortalita non sunt. Undè ancillæ et nu- trices quæ pueros sibi commissos sic aspiciunt morta- liter non peccant, nisi morosè id faciant , vel cum libi- dine aut cum periculo sibi proprio. Similiter impubères se invicem nudos conspicientes fortè mortaliter non pec- cant propter eamdem rationem.  »

Si ex solâ curiositate aut levitate, secluso libidinis pe- riculo, aspiciantur partes minus honestæ sed non turpes mulieris, ut collum, humeri, brachia, crura, pectus, non est de se mortale. Dictum est ex se, nam taies aspectus diuturni facilè mortales esse poterunt in morosè aspi- ciente, et valdè ad venerem proclivi. Si enim, ut dicit Billuart, non sit mortale hæc tangere, à fortiori nec as- picere. Puto tamem, addit idem auctor, aspectum moro- sum pectoris nudi mulieris, cujus nec tactum simpliciter


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et absolutè exemimus à mort ali, non carere periculo, et quem ideù non facilè excusarem à mortali.

Aspectus partium inhonestarum ejusdem sexûs vel proprii corporis, si non fiant morosè et studiosè, sed obiter et ex solâ curiositate vel levitate, non reputandi sunt mortales, quia per se non multùm ad luxuriam excitant. Attamen possunt esse lethales propter labendi periculuin, vel propter specialem aspicientis fragilita- tem  : quæ circumstantiæ non rarô in juvenibus repe- riuntur  ; ergo semper ab eis sedulô deterrendi sunt. Ita etiam DD. Bouvier dicens  : « Qui propria verenda mo- rosè conspicit mortaliter peccat, quia ferè impossibile est motus libidinis indè non proventuros  : secùs esset si ex merâ curiositate ea leviter aspiceret, maxime si locum haberet præsumendi se periculum grave non incursu- rum. )>

Aspectus non valdè morosi, ex curiositate vel levitate, partium genitalium ejusdem sexûs, ut contingit inter viros simul natantes, vel inter feminas simul se lavantes, non ^ identur mortales, quia non multùm ad libidinem excitant  ; secùs verô si isti aspectus sint valdè morosi, vel adsit aflèctus libidinosus, aut spéciale periculum. Ita Billuart, B. Ligorio, Sylvius, DD. Bouvier. Monendi sunt præcipuè juvenes à confessariis ut non simul natent, nisi secretioribus partibus coopertis feminalibus natatoriis (caleçons de bain), propter multas spurcitias quæ in plenâ nuditate committi soient, et propter conspectum adstantium et transeuntium et præsertim personarum alterius sexûs.

Secluso speciali periculo, non mortaliter peccant, juxta DD. Bouvier, qui vident matres aut nutrices infantulos


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lactantes  : hæ tamen mulieres prudenter se occultare debent, ne incautæ scandalum yiris et præsertim juve- nibus præbeant  : honestè tegantur matres lactantes, ne fortè propriæ familiæ oculos lædant. Secùs qui similiter et morosè aspiciunt mulieres non lactantes.

« Genitalia brutorum eorumque coitus ex solâ curio- sitate vel levitate aspicere, non est peccatum mortale, quia communiter indè non grave nascitur periculum.  » (DD. Bouvier.)

Idem dicendum est, juxta eumdem auctorem, de as- pectu picturarum et sculptilium parùm decentium, quæ spiritus graviter non commovent, ut imagines aut sculp- turæ angelos vel pueros -exhibentes nudos aut quasi nu- dos, sicut in templis exponuntur.

Billuart circa eadem sic habet  : « Aspicere obiter ex levitate aut curiositate imagines vel statuas exhibentes personas grandiores in partibus pudendis nudas, non excedere probabiliùs peccatum veniale  ; quia artificialia minùs movent quàm naturalia.  » Sed quid si artificialia satis moveant, etiamsi minùs quàm naturalia, ut indè su- bito exurgat vehemens motus inordinatus et fortè cum consensu. Révéra dictum est  : Obiter ex levitate aut cu- riositate. Sed in talibus aspectibus nonne semper adest magnum labendi periculum?

Eadem apud B. Ligorio exprimitur sententia, lib. 3, n° li2b  : « Aspicere picturas obscenas, tantùm ex curio- sitate, non est mortale. . . si delectatio turpis, etejus pe- riculum absit. Sed, in praxi, virum morosè aspicientem pudenda mulieris depictæ difficulter puto excusari à mortali, quia difficulter se liberare hîc poterit à delecta- tione turpi, vel ab ejus probabili periculo.... nisi aspi-


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ceret per brevissimum tempus et in magna distantiâ.  »

Et cur non loquuntur ferè omnes theologi de gravi periculo cui exponitur mulier quæ morosè pudenda viri depicti vel alia similia aspicit  ? An mulier plùs viro la- pidea est? Imô, cùm multô sensibilior viro sit, eo magis aptior est ad sentiendos motus carnales vel omnes vo- luptatis affectus, etsi id non innotescat, quia semper mulier pudore naturali talia magis celât vel minùs fa- tetur  : verecundia verô feminæ naturam et ejus syste- matis nervosi vim non delet neque mutât.

Notandum hîc à mortali non posse excusari sculp tores vel pictores qui statuas aut imagines et tabulas pictas obscenas conficiunt, nec ii qui ipsas exponunt et ven- dunt. Illis omnibus absolutio deneganda est, nisi illas deleverint.

Si tactus et oscula ex objecto specificentur , non ita consentant auctores quoad aspectus. Multi tamen con- tendunt aspectus etiam deducere speciem objecti sui. Tutiùs est ergo ipsorum sententiæ adhærere in praxi.

ARTICLE QUATRIÈME.

DE L’AJUSTEMENT OU DE LA PARURE DES FEMMES.

Avant d’aborder ce point difficile et fort important au point de vue des mœurs publiques et privées, nous di- rons avec Cajetan, cité par Rilluart, et par les paroles de ce dernier  : « Cultum corporis ad quatuor posse or- dinari  : 1° ad fovendum corpus contra injurias aeris; 2° ad tegenda verecunda naturæ  ; 3° ad servandam de- centiam statûs juxta consuetudinem patriæ, ad fovendam


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et augendam pulchritudinem. Primum est necessitatis ex parte corporis. Secundum est necessitatis ex parte animæ. Tertium est conveniens et rationi conforme; dictât enim recta ratio ut quilibet, prout eum decet se- cundùm mores patriæ, honorabiliter procédât in vitâ po- liticâ et statum suum condecoret. Restât ergo difficultas de quarto.  » Id est de ornatu muliebri, de quo hîc spe- ciatim est dicendum , tum ob magnam mulierum procli- vitatem ad id genus peccati vel gravis inordinationis indè orientis^ tum propter illarum magnam et quasi na- turalem vanitatem et futilitatem in fragilibus et super- fluis ornamentis. C’est ce qui a fait dire au rédacteur des Conférences dy Angers ces paroles assez peu propres à flatter la vanité et la frivolité d’un si grand nombre de femmes  : « Nous ne craindrons point de dire qu’encore qu’il n’y ait pas d’immodestie dans les habits des fem- mes elles pèchent souvent en se parant avec trop d’a- justements, car elles ne le font que pour être vues, pour paraître belles, pour s’attirer les regards des hommes, pour se les attacher. Elles excitent souvent par là les cajoleries des hommes, et les cajoleries excitent des pensées dés- honnêtes, d’où naissent plusieurs mauvais effets. Quand même elles ne porteraient pas les hommes à l’impureté, elles seraient au moins coupables d’une vanité manifeste  ; si elles n’étaient pas tant infatuées de leur beauté, elles s’apercevraient que leur vanité, bien loin de leur attirer la véritable estime des hommes, leur en attire le mépris intérieur, quelque complaisance que les hommes leur témoignent.  » (Sur les commandements de Dieu.) Notez bien que l’auteur ne parle pas ici de l’immodestie dans la parure des femmes  ; il n’a en vue qu’une trop grande


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recherche dans leur ajustement  : que ne doit-il donc pas dire de leurs immodesties et des modes aussi ridicules et insensées que meurtrières et immorales? Que de fem- mes sont mortes phthisiques ou poitrinaires pour avoir lâchement sacrifié au caprice d’une mode homicide qui étreint dans ses griffes de fer celles que les frimas seuls ne peuvent tuer assez tôt  ! (1) Nous ne parlons pas d’un autre genre de suicide et d’homicide que le lecteur at- tentif comprendra facilement. Revenons.

Il est permis à une femme mariée de s’ajuster et de se parer décemment, et suivant sa condition, dans le but de plaire à son mari. Gela est juste et raisonnable, et conforme aux paroles de l’apôtre S. Paul(l Cor., 7, 3 k): Quœ nupta est cogitât quœ sunt mundi, quomod'o pla- cent viro. Et ailleurs (1 Tim. , 2, 9): Midieres in habitu ornato , cum verecundiâ et sobrietate ornantes se.

Les personnes non encore mariées, et les veuves qui aspirent au mariage, auquel elles ont un droit naturel, ne pèchent pas non plus si elles se parent avec décence et selon leur état et leur condition, afin de plaire chaste- ment à l’homme que la Providence leur destine et leur envoie. Il n’en est pas de même des personnes non ma- riées et qui ne veulent pas se marier  : elles pèchent mor- tellement si elles se parent avec l’intention d’inspirer de l’amour aux hommes. Cet amour est nécessairement im- pur et coupable, parcequ’il n’a point pour but un légi- time mariage. Si néanmoins il n’y a en cela qu’un motif de légèreté, de vanité ou de frivolité, ou, si l’on veut,

(1) Buses, corsets, corps baleinés, etc.  ; froid et vicissitudes atmosphé- riques.


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MŒCHIALOGIE.


une certaine jactance de vaine gloire, il n’y a ordinaire- ment que péché véniel. (S. Thomas, Sylvius, Billuart, Mgr Bouvier, etc.)

Suivant S. Thomas, S. François de Sales, S. Liguori, Sylvius, etc. , une femme qui use de fard pour cacher quelque défaut naturel et pour plaire à son mari ne commet aucun péché  ; de même qu’une jeune fille, tou- jours d’après les mêmes autorités, ne pécherait pas non plus si elle avait recours au même moyen dans le seul but de plaire chastement au jeune homme auquel elle est destinée. Cette action est toujours péché mortel si l’on n’a d’autre but que de plaire aux hommes sans vou- loir jamais en épouser aucun. D’après S. Thomas, il n’y aurait que péché véniel si la vanité seule en était le vrai motif, c’est à dire qu’ alors cette action en soi ne serait que péché véniel, mais quelle pourrait facilement devenir mortelle à raison de ses mauvaises circons- tances, comme le danger ou l’occasion de péché, de scan- dale, etc.

Quant à la coiffure, on doit se rappeler les paroles de S. Paul et de S. Pierre sur ce point. Non in tortis crini- bus, aut auro aut margaritis , vel veste pretiosâ. (1 ad Tim., 2, 9.) — Quarum non sit extrinsecùs capillatura, aut circumdatio auri, aut indumenti vestimentorm cul- tus. (I Ep. , 3,3.) Circa hæc, DD. Bouvier dicit uti alienis capillis ad ornamentum, sicutlanâ etpellibus animalium utimur, « vel nullum est peccatum, inquit Sylvius  ; vel solùm veniale, si nempè ille ornatus, habitâ ratione con- ditionis, sit super fluus aut ex vanitate procédât. — Si- militer habere caput discoopertum et capillos intortos, juxta morem introduction, vel nullum vel veniale tan-


MOECHTALOOIE. 181

tum est peccatum, propter eascîem rationes  : secùs di- cendum esset de eis quæ morem introducerent, vel pravâ intentione sic agerent, et eo sensu accipi debent B. Pauli verba.  » Vide superiùs citata.

Quoad mulieres quæ vestem virilem induunt, vel converso viros, mortaliter peccant si talia agunt cum in- tentione vel gravi periculo libidinis, vel cum notabili scandalo. De se vitiosum est, ait S. Thomas, quôd mu- lier utatur veste virili aut è converso  ; et præcipuè quia hoc potest esse causa lasciviæ et spiritualiter prohibetur in lege. Potest tamen quandôque hoc fîeri sine peccato propter aliquam necessitatem, vel causâ se occultandi ab hostibus, vel defectu alterius vestimenti, etc. Àttamen semper excluso scandalo et periculo.

Si hæc vestium mutatio fiat ex joco, ex levitate vel va- nitate, ut ait Billuart, absque scandalo aut periculo proximo lasciviæ, erit peccatum tantum veniale. Gravius erit peccatum si vestium mutationi addatur assumptio larvæ.

Non semper, juxta DD. Bouvier, mortaliter peccant qui larvis utuntur, « si nempè ex joco vel ex levitate, secluso scandalo et periculo, sic agant, præsertim quando vestes proprii sexûs non mutant, sed tantum conditionem, ut si servus in vestibus domini, aut puella in ornatu dominæ appareant. (Collet et Pontas aliter sentiunt. )

« Rarô tamen à mortali excusari possunt qui extraneis et singularibus vestibus ac larvis in publicis congressi- bus utuntur, propter indecentiam, periculum ac scanda- lum. Nec pariter à mortali excusantur qui ex professo taies vestes aut larvas ad hune solum usum destinatas

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182 MQECHIAL0G1E.

conficiunt aut vendunt. Secùs verô dicendum est de iis qui larvatos aspiciunt eosque dérident, nisi sub aliquo prætextu scandalum præbeant, ut, y. g. , si sint clerici.  »

Deniquè aliquid de pectoris nuditate dicendum su- perest.

Quæ ita immodicè nudant pectus ut media ubera nuda appareant nullatenùs sunt excusandæ, ait Bil- luart, cùm tam immodica nudatio non ita parùm sit pro- vocativa, et magis pertineat ad lasciviam quàm ad pul- chritudinem. Idem fermé dicendum, addit idem auctor, de iis quæ quidem ubera habent cooperta, sed linteo tam tenui ut remaneant intuentibus perspicua. Sylvius affir- mât ubera denudare, aut veste adeô tenui cooperire ut transluceant, peccatum esse mortale, quia grave est li- bidinis incentivum. Modicè verô denudare pectus juxta consuetudinem introductam, inquit DD. Bouvier, pravâ intentione et periculo seclusis, non est peccatum mor- tale. Ita S. Àntoninus, S. Ligorio, Sylvius, Billuart, qui sic loquitur  : « Mulier modicè nudans pectus pro consue- tudine patriæ absque pravâ intentione potest excusari, juxta Sylvium, Cajet., Navar. et alios, quia pectus est pars corporis honesta quam nec natura nec pudor abso- lutè tegi jubent  : hæc tam en consuetudo, quantùm fieri potest, est extirpanda, et qui illam primùm introduceret graviter peccaret, quia insolita magis movent.  » (Diss. 7, art. â. )

Sed quid de iis quæ aliquo medio artificiali vel aliquâ veste pectorali utuntur, ut formæ prorsùs appareant et protuberent, aut quocumque modo augeantur vel simu- lentur? Nonnulli sunt confessarii qui exigunt ut taies vestes pectorales amplo tegantur mamillari, ut ait Mar-


MŒCHIALOGIE. 183

tialis (mouchoir de cou, fichu, châle). Hoc remedium nobis videtur malum potiùs fovere quàm clelere. Et præ- tereà hoc modo mulierum scopus nullatenùs obtinetur. Multô satiùs videtur istud mamillare indesineuter adhi- beudum esse, rejectis omnibus mediis supposititiis, ut- potè mulieribus christianis minimè consentaneis. Hoc modo quod deest non animadvertetur, castitas non læ- detur et hoc respectu nullius animæ salus periclitabitur.

Alii contendunt puellas talia agentes sine intentione lasciviæ à gravi peccato excusandas esse. Quidquid sit, certum est quotidianam adhibitionem hujusmodi medio- rum pias et castas cogitationes minimè suggerere, sed contra potiùs quotidianum peccati periculum. Plures ré- véra hoc confitentur dùm ad pietatem redeunt.

ARTICLE CINQUIÈME.

DES PAKOI.ES ET DES DISCOURS DÉSHONNÊTES, DES CHANSONS ET DES LIVRES OBSCÈNES.


SI-

DES PAROLES, DES DISCOURS ET DES CHANSONS DÉSHONNÊTES OU OBSCÈNES.

Tout discours impur, toute parole déshonnête ou seu- lement à double sens, dite par un mauvais motif, pour porter au libertinage ou à l’impureté, sont certainement des péchés mortels. Les discours que l’on tient devant des jeunes gens dans l’intention de leur enseigner le mal et de les porter au désordre sont également des pé- chés mortels. Il en est de même des propos licencieux


MOECHIALOGIE.

ou trop libres, des paroles obscènes, quand on les pro- fère par affection libidineuse ou par passion, avec dan- ger prochain de délectation charnelle, soit dans la per- sonne qui parle, soit dans ceux qui écoutent  ; ou lors- qu’il y a péril d’un notable scandale. Et ordinairement le scandale existe lorsqu’on se permet ces mauvais dis- cours en présence des jeunes gens. Enfin des parolestrès obscènes et qui révoltent manifestement la pudeur, quoi- que prononcées par légèreté, pour exciter à rire, même sans délectation charnelle, doivent être regardées comme des fautes mortelles, parcequ’ elles portent par elles- mêmes puissamment à la passion, soit dans celui qui les profère, soit dans ceux qui les entendent, surtout chez les jeunes gens ou les personnes non mariées. Les mau- vais discours corrompent les bonnes mœurs, dit S. Paul. Corrumpunt mores bonos colloquiamala. (1 Cor. , 15,33.) En un mot tous ceux qui disent sans raison légitime des paroles notablement déshonnêtes ou obscènes sont ordinairement coupables de péché morte). Fornicatioet munis immunditia... nec nominetur in vobis, sicut decet sanctos; aut turpitudo, aut stultiloquium, aut scurrihtas quee ad rem non pertinet. (Eph., 5, 3 et ti.)

Hors ces différents cas, les paroles ou les propos libres ou moins déshonnêtes que l’on se permet seulement par- légèreté ou par manière de jeu ne sont ordinairement que des péchés véniels, à moins que ceux qui les enten- dent, vu leur extrême faiblesse, ne s’en scandalisent et n’en prennent une occasion de péché. « Loqui turpia ob vanum solarium, sive jocum, de se non est mortale, dit S. Liguori, nisi audientes sint ita debiles spiritu ut scandalum patiantur, aut nisi verbasint mmis lasciva.»


M0ECHIAL0G1E.


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Hinc notant auctores apud S. Ligorio « dicteria turpia quæ proferuntur à messoribus, vindemiatoribus et mu- lionibus, non esse mortalia, quia lubricè dicuntur et au- diuntur.  » Bouvier explique ce passage et le présente plus clairement en ces termes  : « Dicteria minùs honesta quæ à messoribus, vindemiatoribus, mulionibus aliisque operariis proferri soient non sunt peccata mortalia, quia ea proferentes et audientes ordinariè parùm commoven- tur. Ita S. Àntoninus, Sanchez, Lessius, Bonacina, Syl- vius, Billuart, etc. Secùs verô dicendum foret si grave periculum exister et, aut si præberetur scandalum. « 

Sylvius, juxta Billuart, rectè monet non statim peccati mortalis accusandos esseeos qui, dùm obscena audien- tes aut legentes rident et gaudere videntur, si révéra non de ipsâ re turpi, sed solùm de artificioso aut lepido modo vel rei, vel dictionis aut scriptionis rideant seu de- lectantur, vel etiam ne ab aliis irrideantur aut conviciis lacessantur  ; id enim non excedit culpam venialem  : modô tamen per suum risum nulli sint scandalo, neque vi- deantur auctoritatem præbere verbis turpibus aut ea cohonestare, neque velint æstimari quôd talibus oblec- tentur  ; nam si aliquid horum adsit, peccabunt mortali- ter. Facilè scandalum oriri posset si clerici et religiosi de verbis obscenis ridèrent.

Quod hactenùs dictum est de turpia loquentibus etiam intelligendum est de audientibus. Qui audiunt obscena loquentes cohibere tenentur quantùm moraliter possunt, si in eos auctoritatem habent; si non, eos prudenter ad- monere, vel saltem silere debent præcipuè si monitio ju- dicetur inutilis, et à fortiori irritans. Mulieribus præser- tim cavendum est ne turpibus assentire videantur.


186 MÜECHULOGIE.

Ce que nous avons dit des paroles déshonnêtes ou obs- cènes doit également s’appliquer aux chansons déshon- nêtes. Composer des vers ou des chansons très obscènes, les chanter, les faire chanter ou les écouter avec com- plaisance sont autant de. péchés mortels. Il est même difficile, dit le rédacteur des Conférences d'Angers, d’excuser de péché mortel ceux qui ne chantent des chansons impudiques que par légèreté, quand cela se passe en présence de perspnnes faibles. .. . C’est pour- quoi, ajoute-t-il, il faut déclarer cette circonstance en confession, et marquer le nombre des personnes pré- sentes. On doit regarder aussi comme coupables de pé- ché mortel ceux qui écrivent des lettres ou des billets érotiques n’ayant d’autre fin qu’une affection déréglée ou la passion.

s h.

DES LIVRES OBSCÈNES.

Nous n’avons point à nous occuper ici des écrits im- pies ou contre la foi et la religion, mais seulement des livres qui sont contre les bonnes mœurs, des produc- tions immorales et obscènes et particulièrement des ro- mans licencieux. Ces funestes produits de talents faussés ou dévoyés ne sont tissus ordinairement que d’aventures dramatiques et d’intrigues de coupables amours, c’est à dire de tout ce qu’il y a de plus propre à enflammer l’i- magination de la jeunesse et à la porter au libertinage, ou du moins à exalter immensément la sensibilité ner- veuse et érotique, et à jeter dans les cœurs les germes des plus déplorables passions.


MÜECHIALOGIE.


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Il est certain que ceux qui composent des livres très obscènes pèchent mortellement: rien ne peut les excuser; ils sont la cause ou l’occasion de la perte d’un grand nombre d’âmes; les imprimeurs, les typographes, les lithographes, les libraires, etc., sont également très coupables.

Les personnes qui se livrent à ce genre de lecture par passion ou affection libidineuse pèchent mortellement sans aucun doute. Quant à ceux qui lisent ces sortes de livres par légèreté, par curiosité ou par manière de ré- création, ils paraissent moins coupables. Voici ce que dit à ce sujet M&r Bouvier  : « Nolo definire eos mortaliter peccare qui, ex solâ curiositate, taies libros legunt, si ob ætatem provectam, complexionem frigidam aut consuetu- dinem de rebus venereis tractandi, grave periculum non incurrant.  »

Quoi qu’il en soit, il est toujours certain que ceux qui lisent les mauvais romans ou les romans érotiques, quel- que motif honnête qu’ils croient avoir, s’exposent gran- dement, extrêmement au danger de se corrompre le cœur et .de tomber dans le péché mortel. On connaît sur ce point le sentiment de sainte Thérèse, qui en parlait après l’expérience qu’elle en avait faite. Rien en effet n’est plus nuisible aux jeunes filles et aux jeunes femmes que la lecture des romans érotiques et dramatiques. Tenez pour sûr que ces liseuses de romans, que ces femmes lit- térateurs ne seront jamais les meilleures mères de famille. Les lettres ne sont pas faites pour les femmes  : cela gâte leur esprit, le rend léger, frivole, dissipé, volage. La lemme n’est pas faite pour philosopher; elle est faite pour aimer, mais d’un amour chaste et conservateur,


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parcequ’elle est fille du chaste amour, c’est à dire de la charité chrétienne, qui est l’amour de l’homme dans la vue de Dieu, et non de la philanthropie philosophique, qui est l’amour de l’homme dans la vue de l’homme. De là ces magnifiques épithètes données à la femme  : Dames de charité , sœurs de charité, fdles de charité.

Enfin, il faut le dire ici, les lectures qui sont aujour- d’hui sans contredit les plus dangereuses pour les jeunes gens de l’un et de l’autre sexe et même pour toutes les personnes de la classe aisée, ce sont celles des feuille- tons des journaux irréligieux, qui pénètrent partout, dans les familles, les salons, les boudoirs, les lieux pu- blics, les cabinets de lecture, etc.

Il est certain et démontré par le fait que le feuilleto- nisme est à l’heure qu’il est un véritable fléau, une vraie plaie sociale. C’est à l’aide de cette nouvelle invention satanique qu’on fait lire en détail, à un immense nombre de lecteurs, les romans les plus licencieux et les plus im- moraux, ou des articles obscènes souvent assaisonnés d’une large dose d’impiété et de blasphème. Voilà à peu près la seule littérature des jeunes gens d’aujourd’hui  ; voilà la noble pâture que l’on jette aux intelligences affa- mées de la jeunesse française! ô mores ! ô temporal Les confesseurs doivent refuser l’absolution à tous ceux et à toutes celles qui lisent habituellement ces sortes de feuil- letons.

Nous terminerons ce paragraphe en rapportant un passage du livre de Me* Bouvier sur la lecture des piè- ces de théâtre, c’est à dire les tragédies et les comédies seulement.

« Alii sunt libri amores licitos et illicitos describentes


MOECHIALOGIE. I39

qui ad libidinem graviter lion excitant, nec sensus com- movent, nec periculo notabili exponunt, ut sunt multæ tiagœdiæ (1), comœdiæ aliaque poemata  : qui, secluso gravi periculo et aliorum scandalo, ejusmodi libros ex solâ curiositate legunt mortaliter non peccant; si verô ob causam légitimant, v. g., ad discendunt, ad acquirendam aut perficiendam eloquentiam id faciant, nullatenùs pec- cant, supposito quùd officia sibi ratione statûs imposita proptereà non omittant nec negligant. Rarô clerici istius- modi lectioni vacare possunt sine peccato, quia vel offi- cia sua communiter négligèrent, vel scandalum aliis præ- berent  : ad minus enim sequuntur, ut experientiâ constat, tædium pietatis, incapacitas labori continuo incumbendi, extinctio spiritûs unctionis ac fervoris, etc. Undè meritô notatur hos libros sæpè magis nocere fidelibus quàm prorsus obscenos qui horrorem excitarent; ab eorum igitur lectione avertendi sunt pœnitentes.

« Qui prædictos libros, etiam non graviter obscenos, componunt sæpè mortaliter peccant, quia multis præ- bent occasionem ruinæ, sine ratione sufficienti  : non ita peccare videntur qui eos vendunt  ; cùm enim, ex dictis, multi absque peccato vel saltem absque peccato mor- tali legere possint, eo ipso aut nullatenùs aut venialiter tantùm peccant eos emendo; ergo librarius qui eos in

officina suâ habet et petentibus vendit inquietari non débet.  »


(1) D accord pour les bonnes tragédies de Racine et de Corneille, comme nal,c, Esthcr, Polycucte, clc. Quant aux comédies, regarder y de plus près, et ne lisez pas Molière comme Racine et Corneille.


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MOECHIALOG1E.


ARTICLE SIXIÈME.

DES DANSES ET DES BALS.

La danse n’est pas criminelle ni illicite de sa nature  ; elle ne peut donc être condamnée absolument comme si elle était essentiellement mauvaise. Tempus plangendi et tempus saltandi. (Eccles. , 3, Zi. ) David saltabat totis viribus ante Dominum. (II Reg., 6, 14.)

S. Thomas dit  : Istœ circumstantiœ videntur in ioco choreati observandœ  : ut non sit persona indecens, sicut clericus vel religiosus ; ut sit tempore lætitiœ , ut in .... nuptiis et hujusmodi ; ut fiat cum honestis personis et cum honesto cantu , et quod gesius non sint nimis lascivi. (In cap. 3 Isaiæ.)

S. Liguori, d’après S. Antonin et Bussembaum, s’ex- prime ainsi sur la danse  : « Choreæ per se licitæ sunt, modo fiant à sæcularibus, cum personis honestis et ho- nesto modo, scilicèt non gesticulationibus inhonestis... Quandô verô sancti patres eas interdùm valdè reprehen- dunt, loquuntur de choreis turpibus aut earum abusu.  » (Texte de Busemb.) S. François de Sales pensait comme ces trois théologiens.

Cependant il est rare que, dans l’état actuel de nos mœurs, la danse ne soit pas mauvaise et plus ou moins dangereuse, suivant les circonstances et les dispositions des personnes qui s’y livrent.

« On ne reconnaît que trop, dit S. Charles Borromée dans le troisième concile de Milan, par de tristes et fré- quentes expériences, que, dans ce siècle si corrompu, les assemblées pour les bals, danses, ballets et autres choses


MOECHIALQGIE.


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de cette nature sont des sources malheureuses de plu- sieurs péchés, et même des plus grands et des plus énor- mes, parceque les pensées les plus sales, accompagnées de paroles et d’actions aussi déshonnêtes, en sont les suites presque inévitables, que les mœurs des chrétiens s’y corrompent, et qu’on y trouve presque toujours un pernicieux et fatal entraînement de tout ce qui peut por- ter aux plaisirs de la chair et à toutes sortes de sensua- lités. »

On ne s’est pas moins fortement élevé dans l’antiquité contre la danse. Voici avec quelle force d’expression Origène condamne les bals  : Aliquando , dit-il, cliabolus bellat cum homine per aspcctum mulier uni, aliquando per auditum vocis mulierum , aliquando per tactum ; in choreis per omnes istos modos simul bellat cum homini- bus. Nam ibi videntur 1 aliter cum suis ornatibus , ibi au- diuntur in suis c antibus, et cachinnis , et locutionibus, et manu tanguntur, et ibi diabolus fortiter pugnal et vincit.

His tripudiis diabolus saltat, dit S. Chrysostôme. Bien longtemps avant les Pères de l’Église, le Saint-Es- prit avait condamné la danse  : Cum saltatrice ne assiduus sis, nec audias illam, ne forte pereas in efficaciâ illius . (Eccli., 9, b.)

De tout ce qui précède il suit que l’on ne peut, sans pécher mortellement, fréquenter les danses notablement indécentes, soit à raison des grandes immodesties qu’on y voit, soit à raison des paroles obscènes qu’on s’y per- met, ou à cause de la manière dont la danse s’exécute, contrairement aux règles de la modestie, indépendam- ment des costumes qu’on y porte, comme par exemple dans les bals masqués, où le désordre est inévitable  ; et


192 MQEGH1AL0GIE.

du mode particulier de certaines danses, comme la danse allemande connue sous le nom de valse , depuis peu ap- pelée galopade, polka, etc. Ces sortes de danses, outre qu elles offrent quelque chose de plus indécent et de plus immoral que toute autre, peuvent par leur long et rapide tournoiement déterminer de graves vertiges et même quelquefois l’apoplexie foudroyante. Il y a environ dix à douze ans on a vu à Paris, dans un bal public, un homme frappé d’apoplexie foudroyante pendant cette sorte de danse, de manière que la femme qui dansait avec lui fit encore quelques tours de valse avec un corps froid et li- vide, c’est à dire avec un véritable cadavre. Ce n’est pas le cas de dire  : pretiosa mors in conspectu Domini.

On ne peut généralement absoudre ceux qui persistent à vouloir fréquenter toutes les danses dont on vient de parler, ni ceux non plus qui ne veulent pas renoncer à l’habitude de danser pendant les offices divins.

Du reste, de quelque manière qu’une danse ait lieu, qu’elle soit décente ou non, on ne peut absoudre les per- sonnes qui, par une faiblesse personnelle ou une dispo- sition particulière, y trouvent une occasion prochaine de péché mortel, à moins qu’elles ne soient sincèrement disposées à y renoncer sans retour.

Assister à une danse honnête et décente par une sorte de nécessité ou de juste convenance, comme dans un bal de famille ou de société, sans danger probable d’affec- tion libidineuse ou de scandale, c’est généralement une chose licite et exempte de péché. Ainsi on excuse com- plètement une personne qui, ne se permettant rien de contraire à la modestie, prend part à une danse unique- ment pour faire la volonté de son père ou de son mari.


MOECHIALOGIE.


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C’est d’après ces principes que M®r Bouvier dit ce qui suit  : « Puella matrimonio destinata choreis in domo pa- ternâ vel apud vicinos aut cognatos honostè celebratis adesse tenetur, et saltationem sibi oblatam recusare non potest quin derideatur, vel parentibus aut juveni eam requirenti displiceat  ; nullatenùs peccat decenter et purâ intentione saltando.  » C’est aussi ce qui a fait dire agréa- blement à l’aimable S. François de Sales  : Je vous dis des danses, Philothée, comme les médecins disent des champignons  : les meilleurs ne valent rien, disent-ils; et je vous dis aussi que les meilleurs bals ne sont guère bons. Si néanmoins il faut manger des champignons, pre- nez garde qu’ils soient bien apprêtés. Si dans quelque occasion dont vous ne puissiez pas bien vous excuser il faut aller au bal, prenez garde que votre danse soit bien apprêtée. Mais comment faut-il qu’elle soit accommodée? de modestie, de dignité et de bonne intention. Mangez- en peu et peu souvent, disent les médecins en parlant des champignons; car, pour bien apprêtés qu’ils soient, la quantité leur sert de venin. Dansez peu et peu souvent, Philothée; car, faisant autrement, vous vous mettez en danger de vous y affectionner. (. Introduction à la vie dé- vote, 3e partie, ch. 23.)

Du temps de S. François de Sales, les mœurs étant plus simples, la danse pouvait aussi par là même offrir moins de danger; et le saint évêque, nonobstant cela, veut qu’elle se fasse rarement, avec modestie et une intention pure, et seulement dans les occasions où l’on ne peut s’en dispenser sans inconvénient.

Mais aujourd’hui, dans l’état actuel de nos mœurs libres et dissolues, les danses, de la manière qu’elles se


194 MOECHlALO&tE.

font sont presque toujours fort dangereuses. C’est pour- quoi les confesseurs et les pasteurs des âmes doivent faire tout ce qu’un zèle éclairé et prudent leur permettra de faire pour empêcher les bals et les danses, et pour en détourner les jeunes gens de l’un et de l’autre sexe. Si, malgré leur vigilante sollicitude et leurs pressantes exhortations, la coutume de la danse s’établit dans les paroisses, ils doivent la tolérer comme un mal qu’on ne peut empêcher, sans jamais paraître l’approuver en au- cune manière. Ils se borneront alors à blâmer les danses comme dangereuses et à en prévenir ou atténuer, autant qu’il est en leur pouvoir, le danger, les suites et les ef- fets. Ils pourront du moins exiger qu’ elles ne se fassent pas dans des lieux suspects, pendant les offices divins, et qu’elles ne se prolongent jamais jusque dans la nuit. Le sage et prudent pasteur improuvera donc toujours une œuvre à laquelle il ne peut jamais prêter son con- cours. Mais autre chose est de désapprouver les danses, et autre chose est de priver indistinctement des sacre- ments tous ceux qui les fréquentent.

Voici au surplus quelques textes extraits du livre de M»r Bouvier, qui pourront répandre un nouveau jour sur tout ce qu’on a dit jusqu’à présent et particulière- ment sur ce qu’on vient de dire tout à l’heure.

t< Interesse choreis honestis et, secluso gravi, pericu- loso et notabili scandalo, decenter in eis sine ratione sufficienti saltare est peccatum, sed tantùm veniale  : quèd sit peccatum à nullo in dubio revocari potest, quôd sit duntaxat veniale 'sequitur ex ipsâmet hypo- thesi. Rigidiores negant quidem hypothesim, et conten- dunt in omnibus choreis virorum et mulierum promiscuè


MOECHIALOGIE. 195

saltantium grave esse semper libidinis periculum, liée audiendos qui dicunt se motus inordinatos non experiri vel in eis non delectari. Verùm non ex præsumptione judicandi sunt pœnitentes, nec credendum est eos pru- denter interrogatos magis reos esse quàm ex eorum de- claratione patet, nisi evidenter constet eosdem sibi illu- dere aut decipere velle. Si, adhibitâ sufficienti diligentiâ, confessarius decipiatur, et absolutionem indignis con- cédât, innocens erit apud Deum  ; contra verô, si ex solâ præsumptione pœnitentem rectè dispositum à sacramen- tis repellat, gravis injustitiæ fit reus. Non temerè ergo pronuntiandum est viros et mulieres eo ipso absolutione esse indignos quia saltaverunt, vel choreis adfuerunt, et sæpè ab iis prudenter non exigeretur sub denegatione absolutionis ut promitterent se deinceps non saltaturos nec choreis adfuturos

« Qui prudenter judicat se, magnâ utendo seve-

ritate, choreas in parochiâ suâ penitùs destructurum absolutionem cunctis saltantibus vel ad saltationem con- currentibus differre vel etiam negare potest  : si enim aliqui mortaliter non peccent ratione saltationis, laqueos aliis parant, saltationes introducendo, vel eas aboliri impediendo, et ideô sub hoc respectu à gravi periculo non facilè excusantur.

« Si verô nulla detur spes choreas de medio tollendi, ut frequentissimè contingit, nimia severitas saluti ani- marum nocebit  : multi enim, arbitrantes hæc oblecta- menta esse licita, ab eis pbnitùs abstinere nolunt; con- fessionem, eucharistiam, conciones sacras deserunt; nullo freno ampliùs retenti, in teterrima omnis generis ruunt flagitia  : ignorantiâ, corruptione, perditorum ho-


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MOECHIALOGIE.


minum consuetudine, præjudiciis adversùs religionem ejusque ministros simul concurrentibus, in perversitate obdurescunt, et nunquàm corriguntur  : sæpiùs indigné matrimonium ineunt, famulos scandalizant, liberos malè educant, sicque impietas grassatur, et morum corruptio magis ac magis invalescens nullam ferè relinquit viam bonum aliquod faciendi.

« Qui è contrà, pœnitentes choreis assistentes benignè tractans, suasione et precibus eos ab hujusmodi periculis avertit, salutaria eis præstat consilia ut discrimini se non objiciant; si lapsi fuerint, eos paternè redarguit, absolutionem eis differt, et tandem de graviter admissis contritos, licèt ab omni peccato immunes eos non judi- cet, absolvit, ad communionem saltem in Paschate ad- mittit, multô efficaciùs saluti eorum consulit et ad bonum religionis procifit.  » S. Augustin, gémissant sur certains désordres qui existaient de son temps, s’exprimait ainsi à leur sujet  : Non ergo asperè , quant ùm existimo , non duritcr, non modo imperioso ista tolluntur  : magis do - cendo quàm jubendo ; magis monendo quàm minando. Sic enim agendum est cum multitudine  : severitas autem exercenda est in peccata paucorum .

Un confesseur prudent ne doit point indistinctement appliquer la même règle à tout le monde. Avant donc d’absoudre ou de renvoyer les personnes qui ont fré- quenté les bals ou assisté aux danses, il considérera les circonstances, le lieu, le temps, la durée, le caractère et l’âge des personnes, les divers dangers auxquels les pénitents sont exposés, leur fragilité, leur faiblesse à se laisser aller à l’entraînement général, etc.

Il refusera constamment l’absolution à tous ceux qui


MŒCHIALOGIE. 197

tiennent chez eux des danses publiques où toutes sortes de gens et surtout les jeunes gens de l’un et l’autre sexe sont appelés et reçus sans aucune distinction, comme cela ne se voit que trop de nos jours dans mille endroits, dans les auberges de bas étage, les cabarets, les guin- guettes, etc., puisqu’il faut appeler les choses par leur nom. Il est certain, évident que ces lieux ignobles sont des foyers de vices, de désordres et de corruption.

On ne doit pas absoudre non plus les musiciens ou les joueurs de violon qui par profession conduisent et rè- glent la danse.

D’après le savant théologien que nous avons cité tout à l’heure, M&1 Bouvier, il ne faudrait pas se montrer aussi sévère envers ceux qui fréquenteraient la danse à 1 occasion de quelque réjouissance extraordinaire, in extraor dinar iis oblectationibus auctoritate publicâ cele- bi atiSy ou qui prêteraient leur maison ad hoc et loueraient des musiciens, ou se chargeraient eux-mêmes de con- duire et de diriger les danses, etc. S’il existe ici, ajoute-t-on, quelque danger, il y a une raison suffisante poui excuser de péché mortel , sinon de véniel. Les curés et les confesseurs doivent au moins, dans ces cas, dissimuler prudemment ce qu’ils ne peuvent absolument empêcher.

Le même auteur ajoute encore qu’il ne voudrait pas regarder comme coupables de péché mortel ceux qui, quelquefois seulement dans l’année, comme par exemple au temps de la moisson, du carnaval, etc., donnent des danses honnêtes à leur famille ou à leurs ouvriers et voi- sins. Je leur en ferais la réprimande, dit-il, et je les ad- mettrais cependant à la communion pascale, et à plus

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'IOKCHIALOGIE.


forte raison les personnes qui se seraient livrées à la danse dans ces circonstances seulement, sauf néanmoins tout danger spécial.

M&r Bouvier continue en disant qu’il ne voudrait pas sévèrement refuser l’absolution à tous ceux qui, dans les réunions publiques connues sous le nom dé assemblées, se permettraient de danser quelquefois; parceque, dit-il, plusieurs raisons peuvent les excuser, sinon de péché véniel, du moins de péché mortel  : par exemple, un jeune homme qui serait raillé par ses camarades, ou une jeune personne qui serait méprisée si elle refusait l’offre qui lui est faite, etc. (1) Au contraire les meneurs de danse, les musiciens ou les joueurs de violon de profession ne doivent pas être admis au bienfait de l’absolution, parce- que, sans cause suffisante, ils fournissent habituellement l’occasion de pécher à un grand nombre de personnes.

Ceux qui veulent sans cesse fréquenter les bals pu- blics, et le jour et la nuit, ne doivent pas recevoir l’ab- solution, même à Pâques, parcequ’ils s’exposent inces- samment à un danger manifeste  ; et l’expérience prouve qu’ils sont presque tous corrompus.

Ce que nous avons dit sur la danse peut, proportion gardée, s’appliquer également à ces réunions nocturnes connues sous le nom de veillées. Il se rencontre ici géné- ralement moins de dangers que dans les danses, parce- que les circonstances, comme on sait, ne sont pas les mêmes. C’est au reste l’exacte appréciation des circons-


(1) Il faut, toujours se rappeler cette condition  : qu’il n’y ait point d’oc- casion de péché, et qu’il ne s’y passe rien de scandaleux. Et, dans tous les cas, faire de vives réprimandes et imposer de forles pénitences.


MŒCHlALOGÏE.


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tances, des lieux, des temps et des personnes qui doit servir de base au jugement que l’on doit porter sur le degré de moralité ou d’immoralité de ces sortes de réu- nions qui, après tout, peuvent être très peu dangereuses ou même tout à fait innocentes si elles se font pour de bonnes et honnêtes raisons et quelles se composent de parents, d’amis, de voisins et de personnes de bonnes mœurs.


VRTICLE SEPTIÈME.

DES SPECTACLES OU DES REPRÉSENTATIONS SCÉNIQUES.

Les représentations théâtrales abstractivement consi- dérées ne sont pas mauvaises, ou, si l’on veut, elles ne sont pas mauvaises de leur nature ou par elles-mêmes. Mais, à les prendre comme elles sont dans l’état actuel de nos mœurs et à les envisager au point de vue pratique avec toutes leurs circonstances concomitantes, elles sont le plus souvent pleines d’écueils et de dangers pour l’innocence et la vertu.

Purgez et épurez le théâtre, dépouillez-le de tout le prestige des passions et des intrigues érotiques, et ré- duisez-le à 1 expression pure du beau, du grand, du sublime, du généreux  ; dès lors les spectacles, aux yeux de la multitude, perdront tout leur intérêt, et le théâtre restera désert  : preuve donc que les représentations scé- niques, prises dans leur ensemble comme elles se font aujourd hui, sont évidemment blâmables et doivent par conséquent être généralement interdites aux chrétiens, qui n y rencontrent ordinairement que des occasions de


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MÛECHTALOGIE.


chute et des périls évidents et certains. Et ces périls sé- duisants et les choses qui en sont inséparables ne les aime-t-on pas? Il est écrit, comme on sait, que si on les aime on y trouvera tôt ou tard sa perte et sa ruine.

Tous|les Pères de l’Eglise ont fulminé des anathèmes contre la comédie ou les spectacles; ils les ont toujours regardés comme ennemis des bonnes mœurs, comme une assemblée honteuse, le sanctuaire de Vénus et le consistoire privé de l’impudicité, comme dit Tertullien. Theatrum propriè sacrarium Veneris est ... privatum consistorium impudicitiœ (de Spect. , c. 10); comme une école d’impudicité et de libertinage, une peste que le dé- mon a fait succéder à l’idolâtrie; en un mot ils ont considéré la fréquentation des spectacles comme une espèce d’apostasie, parceque, disent-ils, une telle action est une des pompes du démon auxquelles les chrétiens ont renoncé par leur baptême. In tkeatro risus, turpi- tudo ., pompa diabolica , cfjïisio, insumptio temporis, con- cupiscentiæ absurdœ prœparatio , adulterii meditatio , scortationis gymnasium. (S. Ghrysost., hom. 42, in act.) In9 spect aculis, dit Salvien, quœdam apostasia fidei est , et à symbolis ipsius et cœlestibus sacramentis lethalis prcevaricatio. Quœ est enim in baptismo salutari chris- lianorum prima confessio... nisi renuntiare se diabolo et\pompis ejus atque spectaculis et operibus protesten- tm\ (De Prov., lib. 6.)

S. Charles Borromée fit ordonner, dans un concile provincial, que les prédicateurs reprendraient avec force le déréglement de ces plaisirs publics que les hommes, séduits par une coutume dépravée, mettaient au nombre des bagatelles où il n’y a point de mal; qu’ils décrie-


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raient avec exécration les spectacles, les jeux, les bouf- fonneries du théâtre et les autres divertissements sem- blables qui tirent leur origine des mœurs des Gentils, et qui sont contraires à l’esprit du christianisme; qu’ils se serviraient de tout ce qui a été dit de plus pressant sur ce point par Tertullien, S. Cyprien, S. Chrysostôme et Salvien (1); qu’ils développeraient avec soin les suites et les effets funestes des spectacles; et qu’ enfin ils n’ou- blieraient rien pour déraciner ce mal et faire cesser cette corruption.

« Il faut fuire les spectacles profanes, les comédies... , dit le rédacteur des Conférences d’Angers ; ce sont des écoles de coquetterie et de libertinage, où la vertu la plus épurée n’est pas en sûreté, et d’où l’on sort toujours moins pur qu’on y est entré. Un chrétien devient en quel- que manière apostat lorsqu’il s’arrête à ces divertisse- ments du monde, auxquels il a renoncé dans le baptême en renonçant à Satan et à ses pompes.  » (Sur les com- mandements de Dieu. )

S. François de Sales lui-même, qui dans son immense charité paraît souvent si accommodant, regarde les spec- tacles comme dangereux. Voici ce qu’il en dit dans son Introduction à la vie dévote: « Les jeux, les bals, les festins, les pompes, les comédies en leur substance ne sont nullement choses mauvaises, ains indifférentes, pouvant être bien et mal exercées; toujours néanmoins ces choses-là sont dangereuses ; et de s’y affectionner cela est encore plus dangereux. Je dis doneques, Philotée,

(1) Il aurait pu ajouter encore S. Augustin, S. Clément d’Alexandrie, S. Basile, Lactance, etc.


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MOECJilALQGiE.

qu’ encore qu’il soit loisible de jouer, danser, se parer, ouyr des honestes comédies, banqueter, si est ce que d’avoir de l’affection à cela, c’est chose contraire à la dévotion, et extrêmement nuisible et périlleuse.  » (Impartie, ch. 23.)

Enfin nous citerons encore le témoignage non d’un docteur, d’un Père de l’église ou d’un saint évêque, mais celui d’un pair de France, d’un homme peu suspect d’as- cétisme, de M. Charles Dupin. Voici ce qu’il a dit sur les spectacles, il y a quelques années, dans un discours public  : <( Voyez les théâtres tenant école de corruption et de scélératesse.... foulant aux pieds les vertus les plus saintes avec l’intention patente de faire aimer, choyer, admirer le duel, le suicide, l’assassinat et le parricide, l’empoisonnement, le viol, l’adultère, l’in- ceste, préconisant ces forfaits comme la fatalité glorieuse des esprits supérieurs, comme un progrès des grandes âmes qui s’élèvent au dessus de la vertu des idiots, de la religion des simples et de l’humanité du commun peuple. Cette littérature empoisonnée nous ramène par la corruption à la barbarie.  »

Nous l’avons dit dans un autre ouvrage en parlant du suicide, « les spectacles sont plus dangereux encore (que les romans) aux yeux du vrai sage. Les théâtres, où siège une foule frivole et voluptueuse, ne sont dans la réalité que des écoles du mensonge et de la corruption, où l’on donne des vices certains pour ôter des ridicules exagérés, ou dans lesquels on épuise sa sensibilité et sa pitié pour des malheurs imaginaires pour n’en plus trouver dans des afflictions réelles, domestiques et sociales. Je ne parle pas ici d’un autre genre de séduction que l’on de- vine facilement. Dans les représentations dramatiques,


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le plus souvent, que d’aventures tragiques, que d’événe- ments terribles, de catastrophes sanglantes, de scènes d’horreur, de déséspoir, de sang, de meurtre, de suicide, qui familiarisent les hommes avec les idées de crime et de destruction, et les livrent sans défense au délire fou- gueux de leurs passions! On conçoit sans peine après cela que, dans cet état d’exaltation morale, les accidents réels et ordinaires de la vie, le choc des passions socia- les pourront facilement porter à une triste et funeste réalisation. Il faut le dire ici sans détours, le drame français moderne est devenu un enseignement d’immo- ralité, d’infamie et d’horreurs, c’est à dire de meurtre, de suicide et de prostitution.  »

On objecte que le théâtre français, tel qu’il est aujour- d’hui, n’a rien de contraire aux bonnes mœurs; qu’il est même si épuré qu’il n’offre rien que l’oreille la plus chaste ne puisse entendre. A cela Bossuet répond, car l’objection n’est pas nouvelle  : « Il faudra donc que nous passions pour honnêtes les impiétés et les infamies dont sont pleines les comédies de Molière.  » Voilà ce qu’a dit un homme qui avait, je crois, quelque connaissance des hommes et des choses. « Songez, continue le sublime écrivain, si vous oserez soutenir à la face du ciel des pièces où la vertu et la piété sont toujours ridicules, la corruption toujours excusée et toujours plaisante, et la pudeur toujours offensée ou toujours en crainte d’être violée par les derniers attentats, je veux dire par les expressions les plus impudentes, à qui l’on ne donne que les enveloppes les plus minces.  » {Traité sur la Comédie.)

Comment pouvoir approuver la corruption réduite en maximes dans une foule d’opéras et d’opéras-comiques,


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MOECHIALOG1E.


avec toutes les trompeuses et perfides invitations à tous les plaisirs  ? Comment approuver ces sentiments dont la nature corrompue est si délicieusement et si dangereu- sement flattée, et qui sont animés d’une musique en- chanteresse qui ne respire que la mollesse et la vo- lupté? (1) Il est inutile de répondre qu’on n’est occupé que du chant et du spectacle, sans songer au sens des paroles ni au sentiment qu’ elles expriment et inspirent  : car, comme dit encore Bossuet, « c’est là précisément le danger, que, pendant qu’on est enchanté par la douceur de la mélodie, ou étourdi par le merveilleux du specta- cle, ces sentiments s’insinuent sans qu’on y pense et plaisent sans être aperçus; mais il n’est pas nécessaire de donner le secours du chant et de la musique à des in- clinations déjà trop puissantes par elles-mêmes; et si vous dites que la seule représentation des passions agréa- bles dans les tragédies d’un Corneille et d’un Racine

(1) La culture démesurée, excessive des arts d’agrément, et particulière- ment de la musique, quelle qu’elle soit, de la danse et de tout ce qui se dit et se fait au théâtre peut exercer sur le moral des jeunes personnes une très fâcheuse influence, en exaltant, en perturbant ou en pervertissant la sensi- bilité et les fonctions du système nerveux. Cet état anormal, ou cette perver- sion de la sensibilité, insensiblement amenée par les commotions les plus fortes, les affections les plus variées et les plus opposées des âmes déjà flé- tries et amollies, peut être portée au point d’altérer le caractère, de dépraver le sentiment, d’ouvrir la porte à toutes les maladies nerveuses, et produire enfin des anomalies ou des perturbations mentales ou affectives qui peut-être empoisonneront pour toujours la vie domestique et sociale.

Voyez dans nos opulentes cités la jeunesse énervée, flasque, flétrie, fanée, saturée de plaisirs, de volupté, de musique, de spectacles, de danses, de bals et d’autre chose encore  : la source des beaux sentiments est tarie, le caractère est dégénéré et le cœur desséché. Voyez aussi les jeunes lilles pâles, maigres,


MQECHIALOGIE.


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n’est pas dangereuse à la pudeur, vous démentez ce der- nier, qui, occupé de sujets plus dignes de lui, renonce à sa Bérénice, que je nomme parcequ’elle vient la première à mon esprit.  »

D’autres affirment imperturbablement qu’ils ne voient dans les spectacles aucun danger pour eux, qu’ils sor- tent du théâtre aussi purs qu’ils y sont entrés, et que leur vertu n’en reçoit la moindre atteinte  ; étrange illu- sion ! funeste aveuglement  ! Il ne faut voir là que le pur effet d’une dureté ou d’une grande insensibilité de con- science. Mais enfin quelle est donc cette vertu à l’é- preuve de toute atteinte? n’est-il pas à craindre quelle ne soit de celles des sages du monde, qui ne savent s’ils sont chrétiens ou non, et qui s’imaginent, comme dit encore Bossuet, avoir rempli tous les devoirs de la vertu lorsqu’ils vivent en gens d’honneur, sans tromper per- sonne, pendant qu’ils se trompent eux-mêmes en donnant tout à leurs plaisirs et à leurs passions  ? Mais quand ces


ternes, étiolées, tristes, vaporeuses, hystériques, mélancoliques, rachitiques, chlorotiques, sourdement minées par on ne sait quoi... La poitrine se prend  ; on s’adresse au magnétisme, aux somnambules, à l’homœopathie, à l’ortho- pédie, aux divinités chéries du jour, à Melpomène, à Thalie, et à Terpsi- chore, c’est à dire aux spectacles et aux bals, où l’on achève d’épuiser le peu de sensibilité qui reste encore et qu’on eût pu utiliser peut-être pour le rétablissement de la santé par un long séjour à la campagne.

Si par hasard ces jeunes personnes ne meurent pas, un triste et peut-être un fatal hymen les unira à des vieillards de vingt-cinq ans, déjà tout courbés sous le poids des plaisirs et de la mollesse; car c’est ainsi, comme on sait, que se forment les alliances dans les sommités sociales. Mais, l’union faite et consommée, tout n’est pas fini  : c’est le commencement de nouvelles douleurs, initium dolorum, dont nous 11e voulons pas ici dérouler le sombre et sinistre tableau.


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MOPCHIALOGIE.


hommes, si vertueux et invulnérables suivant eux, n’au- raient réellement rien à craindre pour eux-mêmes, n’au- raient-ils pas toujours à craindre le scandale qu’ils don- nent aux autres? Vœ homini illi per quem scandalum venit. (Matth. , 18, 7.)

Si les peintures et les images immodestes ou obscènes présentent naturellement à l’esprit ce qu’elles expriment, combien plus sera-t-on touché des représentations théâ- trales, où, comme dit Bossuet, « tout paraît effectif; où ce ne sont point des traits morts et des couleurs sèches qui agissent, mais des personnages vivants, de vrais yeux, ou ardents, ou tendres et plongés dans la passion, de vraies larmes dans les acteurs, qui en attirent d’aussi véritables dans ceux qui regardent  : enfin de vrais mou- vements qui mettent en feu le parterre et toutes les lo- ges; et tout cela, dites-vous, n’émeut qu’ indirectement et n’excite que par accident les passions.... Dites, conti- nue le grave Bossuet, que la pudeur d’une jeune fille n’est offensée que par accident, par tous les discours où une personne de son sexe parle de ses combats, où elle avoue sa faute et l’avoue à son vainqueur même, comme elle l’appelle. Ce qu’on ne voit point dans le monde, ce que celles qui succombent à cette faiblesse cachent avec tant de soin, une jeune fille viendra l’apprendre à la co- médie. Elle le verra, non plus dans les hommes à qui le monde permet tout, mais dans une fille qu’on mon- tre comme modeste, comme pudique, comme vertueuse, en un mot dans une héroïne  ; et cet aveu dont on rou- git dans le secret est jugé digne d’être révélé au public, et d’emporter comme une nouvelle merveille l’applaudis- sement de tout le théâtre.  » (Ibid.)


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Nous ne voulons pas parler ici du prestige séduisant et fascinateur des comédiennes ou des actrices, même en admettant la modestie et la décence extérieure de leurs ajustements. On se figure aisément tout l’attirail de la vanité et des dangereux appas de ces femmes, sembla- bles à ces sirènes dont parle le prophète Isaïe, qui font leur demeure dans les temples de la volupté. Sir eues in clelubris voluptatis. (13, 22.)

Ceux qui composent ou qui représentent des pièces de théâtres vraiment obscènes sans aucun doute pèchent mortellement. C’est le sentiment des théologiens les moins suspects de rigorisme en cette matièi*e, tels que S. Antonin, S. Liguori, Sylvester, Sanchez, M§r Bouvier, M&1' Gousset, etc.

On pèche encore mortellement en concourant ou en coopérant à une représentation notablement indécente, valdc turpis, soit par souscription ou abonnement, soit par applaudissement, ou même par la simple assis- tance aux spectacles notablement obscènes, ob turpem délectation em indè consurgentem.

« Comœdias, tragœdiasve, ait DD. Bouvier, non mul- tùm turpes componere, vel in theatro repræsentare, à mortali tamen communiter excusari non potest, propter periculum hujusmodi ludis annexum, et ob scandalum exindè pro aliis exurgens. Undè actores et actrices, in concilio arelatensi, anno 31 k, can. 5, fuerunt excommu- nicati, et hùc usque velut excommunicati habiti sunt saltem in Galliâ  : idcircô sacramenta Ecclesiæ ipsis etiam in articulo mortis non administrantur, nisi professioni suæ se renuntiaturos promittant.

« Dico saltem in Galliâ 3 quia in Italià, in Germaniâ ,


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MOECHIALOGIE.


in Poloniâ in aliisque regionibus viri et mulieres ab Ecclesiæ sacramentis non excluduntur præcisè ob scenas theatricas quibus inserviunt, sed liberum est confessariis eos admittere vel repellere, secundùm naturam repræ- sentationum ad quas concurrunt.  »

Suivant le même auteur, S. Liguori, Sanchez et l’opi- nion commune des théologiens au moins étrangers, il n’y a point de péché mortel à assister à des représentations qui ne sont point notablement indécentes ni exécutées d’une manière indécente, sauf néanmoins tout danger particulier et tout scandale.

Mais voici d’autres opinions qui nous paraissent trop graves ou plutôt trop hasardées pour les laisser passer sans observation. Elles viennent de Sanchez et de S. Li- guOri, et elles ont été récemment reproduites par Mgr Gous- set en ces termes  : « Il y aurait péché mortel pour les simples spectateurs qui assisteraient aune représentation notablement obscène, pour le plaisir honteux que cette représentation peut occasionner. Mais il n’en est pas de même de ceux qui n’y assistent que par curiosité ou par récréation  ; ils ne pèchent que véniellement, pourvu qu’ils se proposent de résister à tout mouvement charnel qui peut survenir, ou qu’ils n’aient pas lieu de craindre de se laisser aller à quelques fautes graves.

(( Cependant il serait difficile d’excuser de péché mor- tel un jeune homme qui, sans nécessité, voudrait assister au spectacle dans le cas dont il s’agit (1)  ; à moins qu’il ne fût d’une conscience très timorée et qu’il ne pût s’au- toriser sur sa propre expérience. Encore faudrait-il, dans


(1) C’est à dire à un spectacle notablement obscène.


MOECHIALOGIE.


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ce dernier cas, que son exemple ne fût pas une occasion pour d’autres jeunes gens d’assister à des .représenta- tions indécentes.  » (Théologie morale , t. 1, 6e partie, du sixième précepte du Décalogue.)

L’auteur, comme nous venons de le dire, s’appuie sur Sanchez et sur S. Liguori, auxquels il renvoie sans en rapporter le texte, mais. que nous citerons tout à l’heure.

On ne commet donc, d’après ce qui précède, qu’un péché véniel en assistant, par curiosité ou par récréation, à une représentation notablement obscène  ; mais on sait assez qu’on ne va ordinairement au spectacle que par ces sortes de motifs, c’est à dire par curiosité, amuse- ment et récréation. On ajoute, il est vrai, pourvu qu’ils se proposent de résister à tout mouvement charnel qui peut survenir  ; mais on se propose cela encore ordinaire- ment. Enfin on y met une autre condition encore  : pourvu qu’ils n’aient pas lieu de craindre de se laisser aller à quelques fautes graves; mais on se persuadera encore ordinairement, pour ne pas dire toujours, qu’on n’a rien à craindre de ce côté-là, et en attendant on va s’exposer volontairement, par curiosité ou par récréation, c’est à dire sans nécessité, à un danger prochain de péché mor- tel que l’on ne peut manquer de trouver dans un spec- tacle notablement obscène.

Voici maintenant le texte de Sanchez  : « Quamvis co- mœdiis interesse non sit mortale ubi nec res turpes re- præsentantur, nec modus repræsentandi est turpis, vel si hæc concurrant, audiuntur ob solam vanam curiosita- tem, absque periculo probabili lapsûs in aliquod pecca- tum mortale.  » (Lib. 9, dis. à6, n° àO.) Il faut faire re- marquer ici que Sanchez ne se sert pas de l’expression


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MOECHIAEOGIE.


vuldè turpes, très ou du moins notablement obscène , lorsqu’il avance qu’il n’y a point dé péché mortel quand on assiste à un spectacle obscène, turpis ob solam vancim curiositatem, etc. On n’aurait pas dû, d’après cela, ap- pliquer l’ expression notablement obscène à ce dernier cas, ou à la représentation où l’on ne fait faire qu’un péché véniel, et l’on aurait dû se contenter de dire tout simplement  : représentation indécente , qui certainement dit moins que notablement obscène ; sans qu’il faille en conclure que nous croyons que l’on ne pèche que véniel- lement quand on assiste sans nécessisté à un spectacle indécent. Voici la suite du texte de Sanchez qui sert de base aux premières paroles de la citation de Mgr Gousset  : « At quandô turpia repræsentantur, vel modus est turpis, audiunturque ob delectationem ex ipsis rebus turpibus consurgentem, aut cum probabili ruinæ periculo, esse lethale.  »

Quant au jeune homme à qui on permet d’assister, sans nécessité, à ces sortes de spectacles, c’est à dire notablement obscènes , sans pécher mortellement, pourvu qu’il fût d'une conscience très timorée , nous demande- rons quelle est cette conscience très timorée d’un jeune homme qui assiste à de pareils spectacles? n’y a-t-il pas là une sorte de contradiction pratique, et un jeune homme qui a véritablement la conscience très timorée, le voit-on fréquenter des spectacles notablement obscènes? Etpuis encore, dans l’espèce, est-ce que tout le monde n’est pas plus ou moins jeune homme? Qui se existimat stare videat ne cadat.

Le texte et l’exemple du jeune homme à conscience timorée sont pris de S. Liguori, qui s’exprime ainsi  :


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« Nullo autem modo à mortali excusarem adolescentem qui, absque necessitate, vellet curiositatis causâ hujus- modi comœdiis (notabiliter turpibus ut suprà dictum est) interesse, nisi quis esset valdè timoratus, et insuper plu- ries esset expertus se, illas spectando, nunquàm letha- liter peccasse; modô suo exemplo aliis adolescentibus occasionem non præberet hujusmodi turpibus repræsen- tationibus assistendi.  » (Lib. 3, n°427.)

Sauf le profond respect que nous professons pour d’aussi graves autorités que celles de S. Liguori et de Mgr Gousset, nous ne pouvons partager leur opinion, pour les raisons que le lecteur a dû voir et apprécier plus haut. On doit encore se rappeler que les théologiens étrangers, surtout ceux d Espagne et d’Italie (Sanchez et S. Liguori) , sont généralement moins difficiles sur l’article des spec- tacles que les théologiens français. Il ne faut donc pren- dre sur ce point leurs opinions qu’avec mesure et réserve. M^1 Bouvier en avait déjà fait la remarque, au moins d une manière implicite, en disant  : « Scenis notabiliter turpibus interesse ob delectationem indè consurgentem peccatum est mortale, ut patet  : si verô ob solam curio- Mtatem aut vanum solatium id fiat, secluso periculo consensûs in rem veneream, quidam (1) æstimant pec- catum esse duntaxat veniale  : verùm laxior est ista de- cisio, et mortale reputandum est peccatum, tum propter peiiculum, tum propter scandalum, tum propter coope- rationem ad actionem mortaliter malam.  »

Si les pièces ne sont pas notablement obscènes et


(1> Ce quidam doit s’entendre particulièrement de Sanchez et de S. Liguori.


MOECHIALOGIE.


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qu’ elles ne soient pas représentées d’une manière indé- cente, il n’y a point de péché mortel à y assister, suivant Sanchez, S. Liguori, M^r Bouvier, M&r Gousset et plu- sieurs théologiens étrangers, sauf toujours tout danger particulier et tout scandale. Ces théologiens, contre l’o- pinion d’un grand nombre d’autres, donnent pour raison que, dans l’espèce, cette simple assistance n’est point une grave coopération à l’entretien de la profession des acteurs  ; ce qui ne nous paraît pas exact, car qu’est-ce qui appelle sur le théâtre les acteurs, les entretient dans leur état, dans leur luxe, etc. , si ce ne sont les specta- teurs? Otez les auditeurs, dit S. Chrysostôme, vous ôterez les acteurs. (Hom. in Matth.) Collet parle dans le même sens  : « Comœdiorum actioni, quæ grave est pec- catum, indubiè cooperantur (assistentes)  ; toile enim spectatores, sustuleris et actores.  » (De sexto Decalogi præcepto.)

Les mêmes auteurs affirment qu’il n’y a nul péché à assister aux spectacles non obscènes, si pour cela il y a quelque raison de nécessité, d’utilité ou de bienséance d’état, decentia statûs, comme ils disent, en supposant toujours qu’il n’existe ni danger particulier ni scandale. On donne pour raison qu’on a alors un motif suffisant qui permet de coopérer d’une manière éloignée aux péchés des autres, ou de s’exposer soi-même à quelque péril. « Quia tune daretur ratio sufficiens peccatis aliorum sic remotè cooperandi et quidem periculo se exponendi.  » C’est d’après cela, ajoute-t-on, qu’il est permis d’aller aux spectacles non obscènes, aux femmes mariées, pour ne pas déplaire à leurs maris qui exigent d’elles cette complaisance  ; aux domestiques, pour servir leurs maî-


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très ou leurs maîtresses; aux enfants, sur l’ordre de leurs parents  ; aux magistrats et aux gens de police, pour le maintien du bon ordre; aux rois et aux princes, afin de se concilier F affection de leurs sujets  ; aux hommes de cour, qui sont obligés d’accompagner le prince, etc., pourvu que toutes ces personnes aient une intention pure et ne consentent à aucune délectation charnelle. C’est la doctrine de Mgr Bouvier, que nous ne voulons pas abso- lument blâmer. Un petit scrupule cependant nous ar- rête et nous empêche d’y donner notre entière adhésion  : c’est et ce sera toujours la difficulté de la coopération au maintien d. une profession que l’Église regarde comme un obstacle à la réception des sacrements, même à l’ar- ticle de la mort, suivant Mgr Bouvier lui-même, qui, comme nous 1 avons vu plus haut, dit que les acteurs et les actrices ont été regardés jusqu’à présent comme excommuniés, du moins en France. Et hiic usque velu t excommunicati habiti surit saltem in Galliâ. Voyez la page 220. C est donc une profession incompatible avec le salut ou la sanctification chrétienne, puisqu’on est obligé d y faire renoncer les acteurs et les actrices à l’ar- ticle de la mort, quils soient aujourd’hui excommuniés ou non. Mgr Gousset, bien qu’ils ne paraisse pas les re- gaidei comme excommuniés, ne les oblige pas moins à cet acte de renonciation à l’article de la mort.

Voici ce que dit Bossuet sur ce point  : « Elle (l’Église) condamne les comédiens, et croit par là défendre assez la comédie; la décision en est précise dans les Rituels, la piatique en est constante; on prive des sacrements, et à la vie et à la mort, ceux qui jouent la comédie, s’ils ne J énoncent à leur art; on les passe à la sainte table

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M0ECH1AL0GIE.


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comme des pécheurs publics  ; on les exclut des ordres sa- crés, comme des personnes infâmes  ; par une suite infail- lible, la sépulture ecclésiastique leur est déniée. Quant à ceux qui fréquentent les comédies, comme il y en a de plus innocents les uns que les autres, et peut-être quêl- ques-uns qu’il faut plutôt instruire que blâmer, ils ne sont pas répréhensibles au même degré, et il ne faut pas fulminer également contre tous. Mais de là il ne s’ensuit pas qu’il faille autoriser les périls publics  : si les hommes ne les aperçoivent pas, c’est aux prêtres à les instruire et non pas à les flatter.  »

Nous allons maintenant exposer brièvement les con- clusions pratiques que les confesseurs ont à tirer de tout ce qui précède, ou plutôt nous présenterons un court exposé des règles de conduite qu’offrent aux confesseurs les théologiens les plus éclairés et les plus sages. Nous les entremêlerons au besoin de quelques courtes réflexions.

Voici d’abord la règle que suit Mgr Bouvier  : nous al- lons citer textuellement.

(( Non absolverem, 1° actores et actrices etiam in ar- ticulo mortis, nisi profession! suæ renuntiarent  ; 2° poe- tas qui componunt fabulas amoribus illicitis plenas , in theatro repræsentandas  ; 3° eos qui ad repræsentationes theatricas proximè concurrent, ut famulas qui actrices vestiunt, aut qui vestes ad solum lmnc usum destinatas ex professo vendunt, locant vel conficiunt; â° eos qui, scenis theatralibus assistendo, grave præbent scandalum, ut essent personæ virtutibus christianis conspicuæ, nisi gravi necessitate premerentur  ; 5° eos qui propter cir- cumstantiam personalem grave subeunt periculum libi- dinis  ; fl0 nec eos qui sine causâ ration abiliter excusante


-MŒCHIALOGIE. 215

frequentissimè istiusmodi ludis intersunt, etiamsi nec ftia\e pei iculum incurrerent, nec scandalum præberent.

quia talis consuetudn cum vitâ christianâ conciliari non potest.

« Absolverem, è contrà, pro communione paschali, 1° omnes qui, causam sufîicienter excusantem habentes, non peccant  ; 2° eos qui aliquoties duntaxat, vel ex qui- busdam circumstantiis tantum spectaculis non per se notabiliter inhonestis assistunt, seclusis et periculo et scandalo  ; 3» eos qui ad repræsentationes theatrales non proximè, aut solummodè leviter concurrunt, v. g., aulam theatralein verrendo, ædificium instaurando, etc.  » On

' °‘t’ d aPrès ce,a* que Mp Bouvier ne refuse l’absolution qu’aux consuétudinaires, c’est à dire à ceux qui vont ha- ituellement au spectacle avec affection et sans légitime excuse, parcequ’une telle conduite ne peut se concilier avec la vie chrétienne. Nous ne parlons ici que des per- sonnes qui assistent au spectacle et non des acteurs, etc, Suivant Collet, Lamet rapporte que six docteurs de Sorbonne, ayant été consultés, en 1695, sur la matière ont décidé qu’on devrait refuser l’absolution  : <«  1» acto- ribus qui scenicos ludos exhibent  ; 2» auctoribus qui fa- ndas componunt in theatro recitandas; 3» artificibus qui ad theatrum proximè spectantia concinnant  : nisi hi om- nes sufîicienter moniti resipiscere velint, et prædictis nuntium remittere perpetuum. Idem et à fortiori de sce-

mcis musicis, gallicè opéra dicendum.  » (Collet } Ita etiam Bailly.

» est à remarquer que les six docteurs de Sorbonne,

"i -ollet, ni Bailly, ne font aucune mention des specta- teurs ou de ceux qui vont aux spectacles  : c’est qu’appa-


216 MOECHIALOGIE.

remment la consultation adressée à 1a. Sorbonne n’était point relative à ces derniers. Faut-il en conclure que Ton ne doit point leur refuser l’absolution? C’est ce que l’on ne peut admettre sans distinction, et certes ce ne peut être le sévère Collet, et avec beaucoup de raison, qui se- rait d’avis de les absoudre tous en masse, in globo et sans distinction.

« Le spectacle par lui-même n’est point mauvais, dit M»r Gousset; on ne peut donc le condamner d’une ma- nière absolue  : mais il est plus ou moins dangereux sui- vant les circonstances et l’objet des pièces qu’on y joue; on ne peut donc approuver ceux qui ont l’habitude de le fréquenter; on doit même l’interdire à toutes les per- sonnes pour lesquelles il devient une occasion prochaine de péché mortel.  »

Suivant les Instructions sur le Rituel de Toulon, fort connues et fort estimées d’ailleurs, « on doit regarder comme occasion prochaine de péché mortel l’assistance à la comédie, à l’opéra et à tous les spectacles que repré- sentent les comédiens et les bateleurs et, sans aucune distinction, tous ceux de même espèce qui montent sur le théâtre pour le divertissement public.  » [De la Comé- die, t. 1. ) On trouvera probablement ces décisions un peu rigides. Continuons. Quelques pages plus haut, l’au- teur avait dit  : « On doit refuser l’absolution à ceux qui sont dans l’occasion prochaine du péché mortel.... On appelle occasion prochaine du péché mortel tout ce qui expose au danger moral ou probable de pécher mortel- lement. Il y a des occasions prochaines qui portent au péché mortel par elles-mêmes et de leur nature, comme les professions de comédiens, farceurs, etc.


MOECHIALOGIE. 217

Revenons encore aux acteurs et aux actrices  ; c’est un autre passage de Msr Gousset qui nous y ramène. Ce sa- vant théologien dit  : « Le spectacle n’étant point mauvais de sa nature, la profession des acteurs et des actrices, quoique généralement dangereuse pour le salut, ne doit pas être regardée comme une profession absolument mauvaise.  » M&r Gousset, d’après S. Liguori, se fonde sui le passage suivant de S. Thomas  : «Ludus, dit le doc- teur angélique, est necessarius ad conversationem vitæ humanæ. Ad omnia autem quæ sunt utilia conversationi humanæ deputari possunt aliqua officia licita. Et ideô etiam offîcium histrionum, quod ordinatur ad solatium hominibus exhibendum, non est secundùm se illicitum  : nec sunt in statu peccati, dummodô moderatè ludo utan- tur, id est non utendo aliquibus illicitis verbis vel factis ad ludum, et non adhibendo ludum negotiis et tempori- bus indebitis.... Undè illi qui moderatè eis subveniunt non peccant; sed justè faciunt mercedem ministerii eo- rum eis tnbuendo. Si qui autem superfluè sua in taies < onsumant, vel etiam sustentent illos histriones qui illi- citis ludis utuntur, peccant, quasi eos in peccato fo- ventes.  » (Sum., part. 2, 2, q. 168, art. 3.)

Il n est nullement certain que ce fameux passage de S. Thomas doive s’appliquer à nos spectacles et en justi- fier la pratique  : il ne prouve donc pas sans réplique que la profession des acteurs et des actrices n’est pas mau- vaise. Bossuet ne rejette-t-il pas cette preuve en faveur ne la comédie, tirée du texte de S. Thomas, lorsqu’il (,lt  : (( Quand ü serait vrai, ce qui n’est pas, que S. Tho- mas’ à ^endroit que l’on produit de sa Somme, ait voulu parler de la comédie? etc.  » Pontas est encore plus ex-


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Al OECH J ALOGUS.


plicite sur le passage de S. Thomas si souvent invoqué en faveur des spectacles. Voici ce qu’il en dit: « Comme les fauteurs des comédiens soutiennent que S. Thomas leur est favorable, en ce qu’il semble dire que la profes- sion des comédiens n’est pas mauvaise de sa nature, et que l’on peut même contribuer à leur subsistance pourvu que ce soit d’une manière modérée..., il est nécessaire que l’on sache que ce saint docteur n’entend pas parler des comédies telles que les dépeignent les conciles et les Pères, et telles qu’on les représente encore aujourd’hui, où on ne voit qu’intrigues de mariages ou d’amourettes, et que des paroles équivoques, qui ne tendent qu’à exci- ter ou à entretenir les passions les plus honteuses. Car peut-on, sans faire une injure atroce à ce saint, lui im- puter une doctrine contraire à celle des conciles et des Pères de tous les siècles? Est-il croyable qu’il ait voulu approuver une profession qui rend infâmes et excommu- niés ceux qui l’exercent? Il est donc vrai de dire qu’il ne parle que des seuls jeux de théâtre, qui, comme il le dit, sont en quelque manière utiles ou nécessaires au sou- lagement des peines de la vie, entre lesquelles il met les représentations de chasse... Cet ange de l’école n’a donc garde d’enseigner qu’on puisse assister aux comédies dont nous parlons, ni qu’on puisse rien donner à ceux qui les représentent, puisque tout au contraire il les con- damne lui-même avec S. Augustin, peu après les paroles qu’objectent les fauteurs de la comédie. Si qui autem super (lua in taies consumunt , ajoute-t-il, vel etiam sus- tentant illos histrionesy qui illicitis utuntur , peccant , Quasi eos in peccato forçâtes, Unclc Augustinus clicit, su-


MGECHIALOGIE.


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per Joannem , quod donare res suas histrionibus (1) vi- tiumest immane.  » (Comédie.)

On voit, d’après cela, que le passage de S. Thomas prouve assez mal ce que l’on prétend établir, savoir que l’on ne doit pas regarder comme absolument mauvaise la profession des acteurs et des actrices. Abstractivement et spéculativement prise, ou comme sont les acteurs dans

les collèges, non, elle n’est pas absolument mauvaise  ;

-

prise positivement, pratiquement dans l’état actuel de nos mœurs corrompues, dans l’état actuel des théâtres en Europe et avec toutes les circonstances qui en sont inséparables et sans lesquelles cette profession n’existe pas, oui, elle est mauvaise, très mauvaise, immensément mauvaise.

Mgr Gousset ajoute  : « S. Antonin, S. Alphonse de Li- guori et S. François de Sales s’expriment comme S. Tho- mas. On voit que ces saints docteurs ne croyaient point que les acteurs, les comédiens fussent excommuniés.  » 11 est vrai, ces saints docteurs parlent sur la comédie, comme S. Thomas, et dans le même sens et aux mêmes conditions que S. Thomas  ; mais ils ne parlent que de la comédie et non des comédiens, et par conséquent ils ne disent pas s’ils sont excommuniés ou non; ou, s’ils par- lent des comédiens, c’est pour déclarer, avec tous les théologiens et conséquemment avec Mgr Gousset lui-même,

(1) Bossuet affirme qu’il est très faux que S. Thomas ait entendu les comédiens sous le nom d' histrions. Il prétend que c’étaient de simples joueurs, joculatores, des jongleurs, des baladins, qui donnaient des ludicra jocosa , des divertissements et des jeux publics; ou même des joueurs de llAte, etc. C’est donc, suivant S. Augustin, viliuni immane res suas donare histrionibus  : scilicet histrionibus ludis illicilis et turpibus utentibus.


2*20


MŒCHIALOGIE.


qu’on ne peut absoudre un comédien même à l’article de la mort s’il ne renonce à sa profession. Voici comment M»1 Gousset s’exprime sur ce point  : « Lorsqu’un acteur est en danger de mort, le curé doit lui offrir son minis- tère. Si le malade ne paraît pas disposé à renoncer à sa profession, il est prudent, à notre avis, de n’exiger que la simple déclaration que, s’il recouvre la santé, il s’en rapportera à la décision de l’évêque. Cette. déclara- tion étant faite, on lui accordera les secours de la reli- gion. Dans le cas où il s’obstinerait à refuser la déclara- tion qu’on lui demande, il serait évidemment indigne des sacrements et des bénédictions de l’Eglise.  » ( Théo- logie morale, t. 1, du sixième précepte du Décalogue.)

Enfin nous croyons devoir rapporter encore ici J a règle de conduite à tenir à l’égard des personnes qui fré- quentent les spectacles, que l’on trouve tracée par le pieux évêque feu M§r Joly de Choin, dans le Rituel de Toulon.

Voici ce que ce savant évêque a écrit il y a près d’un siècle  : « Si un pénitent qui a fréquenté les spectacles n’avait pas été auparavant instruit de l’iniquité de ces représentations, le confesseur peut, après lui avoir fait comprendre ce qui en est, lui donner l’absolution, si d’ailleurs il n’y a pas d’autre empêchement, s’il promet sincèrement de s’abstenir de ces sortes de divertisse- ments, et si par la contrition et les dispositions qu’il té- moigne il y a lieu d’espérer qu effectivement il s’en abstiendra.

« Si, après que le pénitent a été instruit et qu’il a pro- mis de ne plus aller au spectacle, il est tombé et a man- qué à sa parole, le confesseur doit lui refuser l’absolution


MUECHIAL0G1E.


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jusqu’à ce qu’il ait été éprouvé pendant le temps néces- saire, en suivant les principes marqués... pour l’absolu- tion de ceux qui sont dans l’occasion prochaine du péché mortel.

« Si le pénitent ne veut pas promettre de renoncer pour toujours à ces amusements pernicieux, ou si le confesseur a un juste fondement de juger que, nonobs- tant la promesse qu’il en fait, il n’est pas véritablement disposé à fuir entièrement les spectacles, il doit lui re- fuser l’absolution, jusqu’à ce que par des preuves réelles et non équivoques il soit moralement assuré de la sin- cérité de sa conversion et de son changement  ; confor- mément aux anciennes ordonnances synodales de ce diocèse, qui ont été renouvelées et confirmées à cet égard.  » ( Instructions sur le Rituel de Toulon , t. 1, du Sacrement de Pénitence, page 7M.)

D’après tout ce que nous avons dit jusqu’à présent sur les spectacles il est aisé de voir que, depuis Bossuet, et surtout depuis cent ans, il s’est opéré quelque chan- gement dans l’opinion des théologiens et dans la conduite des confesseurs sur la question du théâtre. D’où vient donc ce dissentiment ou cette divergence de vues ou d’opinions? Est-ce le résultat d’une amélioration ou d’un progrès moral dans l’état du théâtre, ou d’une heureuse réforme qu’il aurait subie? Nous ne le pensons pas  : d’ailleurs une réformation morale est ici impossible, et, dans l’état actuel des mœurs et de l’esprit des nations, le théâtre est radicalement irréformable. Vouloir réformer et réduire les spectacles, contre leur nature, aux règles sévères de l’honnêteté et de la vertu, ce serait les anéan- tir et rendre le théâtre désert. N’en faut-il pas plutôt ac-


MOECHIALOGIE.


222

cuser une plus grande licence des mœurs, une corrup- tion plus profonde et plus générale? Nous le pensons, nous en avons même la conviction intime. Mais, dira-t-on, la corruption des mœurs a été de tous les temps, la na- ture humaine est toujours la même  ; d’ailleurs l’histoire le prouve sans réplique. Sans doute la corruption a existé dans tous les siècles passés, et existera dans les siècles futurs  ; mais elle n’a traversé et ne traversera les siècles qu’avec des oscillations en plus et en moins, suivant le degré de foi religieuse des peuples. Il est une vérité in- contestée et incontestable, c’est que, quand la foi diminue chez un peuple, ses mœurs se corrompent à proportion  : on ne pratique sincèrement que ce que l’on croit ferme- ment, et on ne pratique plus dès qu’on ne croit plus. Le frein religieux brisé, la morale publique et privée est bientôt emportée dans le torrent rapide et bourbeux des honteuses et sales passions. Ce qu’on a semé dans la corruption ne produit que des fruits de mort et de cor- ruption, c’est à dire la démoralisation, le règne impé- rieux des sens avec des passions inassouvissables.

Faudra-t-il conclure du changement et de la diversité d’opinions des théologiens et même de la différence de conduite des confesseurs que les principes de morale et la doctrine de l’Église changent aussi? Nullement. La société peut subir certaines mutations dans sa constitu- tion, et les goûts et les passions des hommes peuvent suivre ces phases sociales et revêtir des formes nou- velles ; mais la doctrine ou les saintes maximes de l’Église ne varient pas  ; leur application seule peut varier et se modifier suivant les circonstances des mœurs< des temps et des lieux.


mqechialogie. 223

Nous terminons tout cet article par l’indication des principaux auteurs qui ont écrit sur et contre les spec- tacles.

Le prince de Conti, 1 raité de la Comédie et des Spec- tacles, selon la tradition des Pères; Nicole, Essais de Morale , tome 3 et tome 5, pensées sur les spectacles ; Bos- suet, Maximes et réflexions sur la Comédie  ; on a vu avec quelle force Bossuet s’élève contre le théâtre; Desprez de Boissy, Lettres sur les Spectacles ; Concina, théolo- gien dominicain, de Spectaculis theatralibus ; Gérard, comte de Valmont ; enfin une foule de théologiens fran- çais, comme Fromageau, Pontas, etc. Jean-Jacques Bousseau lui-même a fortement blâmé les spectacles dans une longue et éloquente lettre à d’ Alembert. Racine, Bayle, La Motte, Gresset, Riccoboni, qui avaient connu les dangers des spectacles, gémissaient de s’être dévoués au service du théâtre et formaient des vœux pour sa suppression.


ARTICLE HUITIÈME.

DES PRATIQUES MAGNÉTIQUES.

Au point de vue moral, le théologien et le confesseur doivent assimiler la pratique du magnétisme animal à la fiéquentation des bals et des spectacles. Nous ne consi- dérons ici le magnétisme que sous ce seul rapport, et nous écartons toute considération des motifs qui ont pu déterminer à consulter la sacrée Pénitencerie.

Vu préalable, nous avertissons que nous n’admettons que le somnambulisme magnétique, et que nous rejetons


T2U MŒCHIALOGIE.

tout le reste ou tout le merveilleux, c’est à dire tout ce qui est en dehors des lois connues de la physique, de la physiologie et de la pathologie, comme la transposition des sens, la vue sans le secours des yeux et sans lumière, par le front, l’occiput, l’épigastre, le bout des doigts, etc.  ; la communication des pensées sans aucune espèce de signes; la prévision, la prophétisation, la divination, la connaissance intuitive ou la vue des pensées intimes des personnes absentes, de l’intérieur du corps des malades; la détermination de la nature, du siège et du traitement de diverses maladies, etc. Tous ces prétendus phéno- mènes magnétiques doivent, suivant nous, être attribués à l’artifice humain, c’est à dire à la jonglerie, à la collu- sion et au compérage, et non à l’intervention d’un agent surnaturel ou du démon.

Nous ne pouvons entrer ici dans de longs détails tou- chant le magnétisme. Nous renvoyons le lecteur, pour de plus amples développements, à notre Essai sur la ' rhéologie morale ( he édit.) , et surtout à nos Pensées d’un Croyant catholique (3e édit.) , où le magnétisme est traité avec tous les détails convenables.

Nous ne devons exposer sommairement dans cet ou- vrage que certains détails capables de faire ressortir le caractère immoral dont sont empreints les procédés, les menées et les prestiges magnétiques.

Dangers dans les procédés. Voici d’abord, d’après M. Rostan, professeur à la Faculté de médecine de Paris, un résumé des principales qualités que doit posséder le magnétiseur. « Il faut que le magnétiseur n’ait rien de repoussant, qu’il soit bien portant, dans la force de l’âge ou dans l’âge mûr, qu’il soit grave, affectueux; qu’il


MQECHIALOGIE.


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soit supérieur, s’il est possible, à la personne magnéti- sée. . . et exerce sur elle un ascendant quelconque.  » Ail- leurs le même auteur ajoute  : « Parmi les personnes qui exercent le magnétisme, celles qui sont vives, enthou- siastes, réussissent mieux.  »

Quant aux sujets magnétiques, les meilleurs, dit-on, pour obtenir de grands effets, sont de jeunes filles très nerveuses, sensibles, impressionnables et surtout hysté- riques, c’est à dire plus ou moins ardentes, passionnées et érotomanes.

Voici en abrégé les postures ou les attitudes du ma- gnétiseur et de la magnétisée  : ils sont assis en face l’un de l’autre, se touchent par les pieds, les genoux, surtout par les mains et même par les yeux, c’est à dire par un long et continuel échange de regards. Après ces préli- minaires affectueux viennent différents autres attouche- ments, à la tête, aux épaules, aux bras, que l’on prolonge jusqu’aux pieds, quelquefois à l’épigastre, etc. Il n’est certes pas nécessaire d’être grand moraliste et d’avoir une profonde connaissance du cœur humain pour juger de l’effet que ces mystérieuses manœuvres pourront pro- duire chez une jeune fdle impressionnable et toute pal- pitante de trouble et d’émotion, et peut-être même sur le grave et stoïque magnétiseur, qui n’offre rien de re- poussant, qui se porte bien et qui est dans la force de l’âge, c’est à dire qui est jeune, beau et plein de santé. Et que sera-ce donc si la magnétisée est une hystérique, comme cela arrive souvent  ? Car les filles hystériques, comme nous l’avons déjà dit, sont les meilleurs sujets et les plus capables de grands effets magnétiques, et pour cause.


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MOECHIALOGIE.


Dangers dans les phénomènes ou accidents nerveux. Ce second état n’étant que le prodrome ou l’ avant-cou- reur du troisième, ou du somnambulisme magnétique, nous ne nous y arrêterons pas. 11 nous suffira de dire par anticipation que cest déjà, selon nous, une sorte d’immoralité que de provoquer ces divers accidents, cette grande perturbation nerveuse , ces mouvements convulsifs, ces spasmes hystériques  ; et surtout, nous le répétons, il y a immoralité à faire évanouir une jeune personne et à la priver de sa liberté morale.

Dangers dans le somnambulisme magnétique. Voici, sous le rapport de la morale publique, le sentiment d’un savant physiologiste, M. le docteur Dupau  : « On ne peut douter que le magnétiseur n’exerce une très grande in- fluence morale sur la personne somnambule. Sa volonté est en quelque sorte endormie, et elle ne résiste pas aux ordres de celui qui l’a magnétisée. Ne peut-on pas alors connaître les secrets des familles, pénétrer dans les in- térêts les plus chers et les plus sacrés, etc.  ? Bien plus, il naît de ces rapports intimes, de cet échange de regards animés par les sentiments les plus doux, dé ces impres- sions étranges et agréables, de cet état tout nouveau dans lequel tombent les somnambules, il naît un atta- chement entier et absolu pour le magnétiseur. La recon- naissance, portée jusqu’à l’enthousiasme de la passion, exalte ainsi tous les sentiments affectueux. Vous jugez maintenant de ce qui doit arriver si la somnambule est une jeune femme et que le magnétiseur ait les qualités pour plaire. M. Rostan dit « qu’elle le suivrait comme un chien suit son maître.  » Sans adopter à la lettre cette comparaison ridicule, je conclus avec ce médecin que le


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magnétisme animal compromet la santé des individus, la morale publique et la sûreté des familles.  » [Lettres physiologiques et morales sur le Magnétisme a Rimai.) Le même auteur, à la page 245, nous apprend « que M. Récamier a rapporté plusieurs cas de grossesse sur- venus par suite du magnétisme animal, et que M. Ma- gendie a cité des faits de personnes mortes sous l’in- fluence de cet art.  »

Mais afin que l’on ne dise pas que nous parlons sous l’impression d’une forte prévention, et que nous exagé- rons les dangers attachés à la pratique du magnétisme animal par un bon motif ou le désir de prévenir des désordres possibles, nous allons rapporter non les in- nombrables anathèmes que les moralistes et les savants ont lancés contre le magnétisme, mais le haut enseigne- ment que formule nettement sur ce point M. Rostan lui- même, qui est sans contredit le plus savant défenseur du magnétisme animal. Voici ses paroles solennelles et sacramentelles  : « La personne magnétisée est dans la dépendance absolue du magnétiseur, elle n’a en général de volonté que la sienne; bien plus, quand même elle voudrait s’opposer à son magnétiseur, celui-ci peut, quand il lui plaît, lui enlever la faculté d’agir, la faculté de parler même. C’est, avons-nous dit, un des phéno- mènes qu’on produit avec le plus de facilité. Quelles conséquences terribles ne peut pas avoir cette toute- puissance  ? Quelle femme, quelle fille sera sûre de sortir sans atteinte des mains du magnétiseur, qui aura agi avec d autant plus de sécurité que le souvenir de ce qui s est passé est au réveil entièrement effacé  ? Le magné- tisme, il faut le dire hautement, compromet au plus haut


MQECHIALOGIE.


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degré F honneur des familles, et, sous ce rapport, il doit être signalé aux gouvernements. Mais supposons un mo- ment que le magnétiseur, qui est ordinairement jeune ou adulte et doué d’une bonne santé, résiste à la facilité d’abuser de sa somnambule  ; que sa vertu le fasse triom- pher de l’attrait du tête-à-tête et de T impunité; que, honteux de sa lâcheté, il rejette avec horreur toute idée criminelle, ce qui est beaucoup exiger de l’humanité, combien d’autres dangers n’existe-t-il pas encore?

« Un magnétiseur ne peut-il pas ravir des secrets im- portants et les faire tourner à son avantage? Ne sait-on pas que le bonheur des familles est souvent attaché au secret de certaines circonstances? Dans l’une on cache son origine, dans l’autre sa fortune  ; dans celle-ci la ma- ladie d’un de ses membres, dans celle-là un projet am- bitieux, etc. La découverte de quelqu’un de ces secrets ne peut-elle pas faire le malheur d’une famille entière? Ce n’est pas tout encore. On a formellement nié l’in- fluence des sexes  ; on a eu tort  : cette influence est très puissante. La somnambule contracte avec son magnéti- seur une reconnaissance, un attachement sans bornes. De là à une passion véritable le chemin n’est pas long. Je crois que, si la violence est facile, la séduction, moins odieuse, l’est bien davantage encore. Comment voulez- vous résister à des attouchements réitérés, à des re- gards tendres, à une cohabitation journalière, à des té- moignages d’intérêt d’une part et de reconnaissance de l’autre? Cela n’est pas possible. L’intimité s’établit;... on peut en prévoir les suites.

« Je ne prétends pas que cela arrive souvent ainsi  ; je sais très bien qu’on peut magnétiser impunément des


MQECHIALOGJE. 229

femmes qui ne sont ni jeunes ni jolies, avec lesquelles et pour lesquelles il n’y a rien à craindre. Je dirai même que cela a lieu dans la plupart des cas (1)  ; mais je veux seulement dire que c’est une occasion de corruption pour les mœurs, et qu’il est des gens qui doivent succomber à la tentation, etc. Ainsi le magnétisme peut être dange- reux pour la santé  ; il est aussi dangereux pour la morale publique. Pour obvier à de pareils inconvénients, le gou- vernement devrait en interdire l’exercice avec sévérité, et ne le permettre qu’à des gens qui offrissent toutes les garanties désirables.  » (Dict. de Médecine , art. Magné- tisme, p. 58, et Cours d’ Hygiène,]). 245.)

Si un médecin s’exprime avec tant d’énergie sur les désordres ou les maux que peut produire la pratique du magnétisme, on ne doit point s’étonner qu’un évêque, dépositaire de la vérité, s’élève également avec force contre la science mensongère et corruptrice de Mesmer. Voici ce que dit M&r l’évêque de Moulins dans son man- dement pour le jubilé de 1836  : « Nous nous élèverons contre ces ténébreuses inventions, ces mystérieuses dé- couvertes de prétendus savants modernes, adeptes du matérialisme et corrupteurs de la morale, si bien accueil- lies à l’époque où se préparait notre malheureuse révo- lution et dont on cherche à renouveler le scandale. Nous signalerons particulièrement cette science funeste du magnétisme animal, dont la seule dénomination carac- téiise si bien 1 immoralité de ceux qui la professent, la pratiquent et s efforcent de la propager, science pertur-

(4) La mémoire fait ici défaut à M. Roslan.

16


230 MQECHULOGIE.

M

batrice dont Y effet est de mettre le désordre dans toutes les facultés physiques et morales des hommes.  »

Voici le passage d’une note sur le magnétisme par M. l’abbé comte de Robiano  : « Quoique méprisé des sociétés savantes de l’Europe et généralement repoussé par les personnes vertueuses, le magnétisme animal con- tinue, en promettant des merveilles, à se faire des par- tisans. Le voyant privé du suffrage des hommes éclairés, on recherche en sa faveur celui de la multitude. On vou- drait, à force de persévérance ou d’obstination, le popu- lariser ; et pour y parvenir on en dissimule les funestes effets. L’attrait de la nouveauté et l’ignorance des dan- gers empêchent communément que les progrès du ma- gnétisme animal ne s’arrêtent. Parmi les personnes qui commencent à le pratiquer et celles qui se font ou veu- lent se faire magnétiser, il en est qui sont de bonne foi et sans défiance. Faute de connaître les tristes résultats que l’expérience apprend, elles favorisent les progrès du mal. En effet, il est constant et formellement avoué que le magnétisme animal excite et fomente habituellement des passions désordonnées, provoque à la licence des mœurs, déprave les consciences. Les membres de l’Aca- démie de médecine, qui, sous le règne de Louis XVI, observèrent les phénomènes du magnétisme animal, en parlaient ainsi, ajoutant spécialement, dans ce rapport, que le traitement magnétique ne peut être que dange- reux pour les mœurs.  » « Nous-même aussi (ajoute un autre auteur cité parM. Robiano) nous pouvons dire qu’il est à notre connaissance qu’en Allemagne et en France le libertinage somnambulique a été un des puissants secrets de l’enfer pour démoraliser les hommes, et remarquez


MŒCHIALOGIE. 231

bien que l’immoralité dont nous parlons n’est point un accident lortuit, non plus qu’un accident passager. Inhé- rente au somnambulisme, elle en souille presque toutes les victimes, elle y excite de condamnables émotions, elle y allume des passions honteuses.  »

Voici enfin un passage très remarquable sur les dan- gers moraux de la pratique du magnétisme, par M. le docteur Ferrand-de-Missol, collaborateur distingué de la Revue médicale.

<( Je suppose, comme au reste cela a presque

toujours lieu, que c’est une femme qui est magnétisée, et que c est un homme qui magnétise. Le premier effet que produit le magnétisme, alors même que le rapport s établit sans aucun contact, que les passes se font à dis- tance et que la femme a les yeux fermés, c’est un senti- ment plein de volupté. En effet, l’imagination, concentrée sur ce qui va se produire dans le corps, attentive au moindre battement, au plus léger mouvement organique, perçoit mille sensations inconnues, non pas qu’elles nais- sent du magnétisme, mais de l’attention qu’on apporte poui ld première fois peut-être à des mouvements qui existaient sans qu’on en eût le sentiment. Ces sensations, d autant plus délicieuses qu’elles sont neuves, impres- sionnent vivement la personne qui les éprouve, excitent son imagination, que la seule pensée du magnétisme avait déjà grandement exaltée, et la rendent de plus en plus sensible au moindre petit mouvement vital, comme on 1 observe chez certains hypocondriaques. Mais, comme c est 11,1 homme qui magnétise et que l’imagination de la femme sent sa présence avec toute cette exaltation de sensibilité qui est survenue en elle, de toutes les parties


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de son corps celle qui est le plus fortement impression- née, c’est le système utérin. Des mouvements confus d’abord,, bientôt plus déterminés, naissent dans ces or- ganes; des sentiments de vague sensualité dans leur principe, ensuite de sensualité vive, se produisent. Si la femme est pure, un tel état l’agite et la fatigue; si elle n’est pas pure, cet état réveille des désirs parfois violents et qui se traduisent au dehors par des mouvements éro- tiques.

« S’il en est ainsi quand les passes se font à distance et qu’on n’emploie pas l’action du regard, dont l’influence est si grande qu’on a pu dire le venin du regard , que sera-ce quand le magnétiseur tient entre ses mains les mains de la femme qu’il magnétise  ? quand il passe et re- passe ses doigts sur tout son corps, quand il presse ses genoux entre ses genoux, ses pieds entre ses pieds; quand son regard presse pour ainsi dire son regard, se confond avec lui, quand ses mains se reposent sur son estomac ou embrassent sa taille comme dans un cercle, quand il applique sa bouche sur le centre de la région épigastrique (nous l’avons vu), et qu’il y fait des insuf- flations? Faisons abstraction du magnétisme, examinons tous les moyens en eux-mêmes, apprécions-en l’influence directe, et nous verrons qu’ils n’en est pas un seul, de ces moyens si légèrement employés dans le magnétisme, qui ne soit très grave, et, je dois le dire, moralement dangereux; car chacun d’eux tend à établir un rapport intime entre l’homme qui magnétise et la femme qui est magnétisée; chacun d’eux ajoute à ce penchant qui pousse l’homme vers la femme et la femme vers l’homme; chacun d’eux impressionne profondément leur sensualité,


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et tous ensemble font naître entre le magnétiseur et la magnétisée une telle communauté d’impressions, de mouvements, de désirs, de sentiments et de pensées, que la volonté de la femme est réellement anéantie, ab- sorbée par celle de l’homme, et que celui-ci la possède pleinement dans son cœur, qu’il modifie à son gré, dans ses sens, qu’il excite sa volonté, etc.

a Nous demanderez-vous maintenant si le magnétisme est dangereux  ? Ses effets ne le disent-ils pas assez  ? et ses effets ne devaient-ils pas être tels  ? Un de nos amis a \u une somnambule éprouver pendant son sommeil tous les mouvements érotiques et tous les effets du coït. Ce fait ne se fût-il produit qu’une fois, ce serait déjà bien grave  ; mais un magnétiseur ardent nous a avoué que ce fait s’é- tait produit à sa connaissance plus d’une fois. D’ailleurs, un fait constant, c’est l’excitation du système utérin; or, n’est-ce pas une chose assez grave pour s’interdire abso- lument des moyens qui les provoquent?  » (Extrait de la Revue médicale, juillet, 1843.)

11 est aisé de voir, d’après tout ce qui précède, que le confesseur ne doit généralement pas permettre à ses pé- nitentes l’usage du magnétisme, et qu’il doit au moins les traiter comme ceux qui fréquentent les bals et les spectacles.

Nous ne parlerons point ici du magnétisme considéré au point de vue du merveilleux ou envisagé comme le résultat d’un princiqe ou d’un agent surnaturel, parce- que, connue nous l’avons déjà dit, nous n’y ajoutons au- cune foi.

Cependant nous ne croyons pas pouvoir nous dispen- ser de rapporter ici une longue consultation adressée à


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la sacrée pénitencerie par M. Fontana, chancelier de l’é- vêché de Lausanne et de Genève en date du 19 mai 1841. Elle sera suivie d’une autre consultation que M^r Gous- set, archevêque de Reims, a adressée au Saint-Siège en 1842, sur la même question, avec la réponse à icelle.

Consultation adressée à la sacrée Pénitencerie, par M. Fontana, chancelier de l'évêché de Lausanne et de Genève, en date du 19 mai 1841.

« Eminentissjme D. D. ,

« Gùm hactenùs responsa circa magnetismum anima- lem minimè sufïicere videantur, sitque magnoperè op- tandum ut tutiùs magisque uniformiter solvi queant ca- sus non rarô incidentes, infra signatus Eminentiæ vestræ humiliter sequentia exponit.

« Persona magnetisata , quæ plerùmque sexûs est fe- minei, in eum statum soporis ingreditur dictum som- nambulismum magneticum , tam altè ut nec maximus fragor ad ejus aures nec ferri ignisve ulla vehementia illam suscitare valeant. À solo magnctisatore , cui consen- sum suum dédit (consensus enim est necessarius) , ad illud extasis genus adducitur, sive variis palpationibus gesticulatibusve,quandô ille adest, sive simplici mandato eodemque interno, cùm vel pluribus leucis distat.

(( Tune vivâ voce seu mentaliter de suo absentiumque penitùs ignotorum sibi morbo interrogata, hæc persona evidenter indocta illico medicos scientiâ longé superat  ; res anatomicas accuratissimè enuntiat, morborum inter- norum in humano cor pore, qui cognitu definituque pe-


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ritis difficillimi sunt, causam, sedem, naturam indigitat; eorumdem progressus, variationes, complicationes evol- vit, idque propriis terminis  ; sæpè etiam dictorum morbo- rum diuturnitatem exactè prænuntiat, remediaque sim- plissima et efîicacissima præcipit.

« Si adest persona de quâ magnelisata mulier consu- litur, relationem inter utramque per contactum instituit magnétisai or. Cùm verô abest, cincinnus ex ejus cæsarie eam supplet ac sufficit. Hoc enim cincinno tantùm ad palmam magne tisatœ admoto, confestim declarare quid sit (quin aspiciat oculis) , cujus sint capilli, ubinam ver- setur nunc persona ad quam pertinent, quid rerum agat, circaque ejus morbum omnia supra dicta documenta ministrare haud aliter atque si, medicorum more, cor- pus ipsa introspiceret.

a Postremô magne tisata non oculis cernit, ipsis velatis, quidquid erit, illud leget legendi nescia, seu librum seu manuscriptum, vel apertum, vel clausum, suo capiti vel ventri impositum. Etiam ex hâc regione ejusverba egredi , videntur. Hoc autem statu educta, vel ad jussum etiam internum magnetisantis, vel quasi sponte suâ, ipso tem- poris puncto à se prænuntiato, nihil omninô de rebus in paroxysmo peractis sibi conscire videtur, quantumvis ille duraverit  : quænam ab ipsâ petita fuerint, quæ verô res- ponderit, quæ pertulerit  ; hæc omnia nullam in ejus intel- lectu ideam, nec minimum in memoriâ vestigium reli- querunt.

« ltaque orator infra scriptus, tam validas cernens rationes dubitandi an simpliciter naturales sint taies ef- fectus, quorum occasionalis tam parùm cum eis propor- tionata demonstratur enixè vehementissimèque vestram


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Eminentiarn rogatut ipsa, pro suâ sapientiâ, ad majorem Omnipotentis gloriam, nec non ad majus animarum bo- num, quæ à Domino redemptæ tanti constiterunt, decer- nere velit an, positâ præfatorum veritate, confessarius parochusve tutô possit pœnitentibus aut parochianis suis permittere,

« 1° Ut magnetismum animaient illis characteribus aliisque similibus prædictum exerceant, tanquàm artem medicinæ auxiliatricem atque suppletoriam.

(( 2° Ut sese ilium in statum somnambulismi magnetici demittendos consentant.

.(( 3° Ut vel de se velde aliis personas consulant illo modo magnetisatas.

« A0 Ut unum de tribus prædictissuscipianthabitâ priùs c.autelâ formaliter ex animo renuntiandi cuilibet diabolico pacto explicito vel implicito, omni etiam satanicæ inter- ventioni, quoniam, hâc non obstante cautione, ànonnullis ex magnetismo hujusmodi vel iidem vel aliquot efîectus obtenti jam fuerunt.

« Eminentissime D. D. , Eminentiæ vestræ, demandato reverendissimi episcopi lausanensis etgenevensis, humil- limus obsequentissimusque servus.

« J ac. Xaverius Fonïana, can. cancell. ep.


« Friburgi Helvetiæ, ex ædibus episcopalibus, die 19 maii 1841.  »


MOECHIALOGIE.


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Réponse de la sacrée Pénitencerie 9 en date du 1er juillet 1841.

« Sacra Pœnitentiaria, maturèperpensis expositis, res- pondendum censet prout respondet  : Usum magnetismi, prout in casu exponitur, non licere.

« Datum Romæ, in S. Pœnitentiariâ, die 1 julii 1841.

« C. Gard Castracane, M. P.

« P. H. Pomella, S. P., Secretarius.  »

Voici ce que dit, à l’occasion de cette consultation, M»1 Gousset, archevêque de Reims  :

« Cette réponse ne paraissant point absolue, nous avons cru devoir, en 1842, consulter le Saint-Siège sur la même question, demandant si, sepositis rei abusibus rejecioque omni cum dœmone fœdere, il était permis d’exercer le magnétisme animal ou d’y recourir, en l’en- visageant comme un remède que l’on croit utile à la santé. Cette consultation n’a pas eu jusqu’ici d’autre ré- sultat que la lettre suivante, que son Eminence le cardi- nal de Castracane, grand-pénitencier, a bien voulu nous écrire en français, en date du 2 septembre 1843.


« Monseigneur,

« J’ai appris, par Mgr de Brimont, que votre Gran- it deur attend de moi une lettre qui lui fasse savoir si la u sainte Inquisition a décidé la question du magnétisme.

« Je vous prie, Monseigneur, d’observer que la ques- ' tion n’est pas de nature à être décidée de sitôt, si ja- •" mais elle L’est, parcequ’on ne court aucun risque à en


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« différer la décision, et qu’une décision prématurée «pourrait compromettre l’honneur du Saint-Siège;

« que tant qu’il a été question du magnétisme et de « son application à quelques cas particuliers, le Saint- « Siège n’a pas hésité à se prononcer, comme on l’a vu « par celles de ces réponses qui ont été rendues publi- « ques par la voie des journaux.

« Mais à présent il ne s’agit pas de savoir si, dans tel « ou tel cas, le magnétisme peut être permis  ; mais c’est (( en général qu’on examine si l’usage du magnétisme « peut s’accorder avec la foi et les bonnes mœurs.

« L’importance de cette question ne peut échapper ni « à votre sagacité ni à l’étendue de vos connaissances.

« Je vous remercie, Monseigneur, de ce que vous « me donnez cette occasion de vous renouveler l’assu- « rance, etc.

<( Le cardinal Castracane.  »

La réponse de la sacrée Pénitencerie à M. Fontana est on ne peut plus sage  ; car il est certain que, si les faits étaient comme le rapporte l’exposé, la pratique du ma- gnétisme serait très illicite.

Quant à nous, qui sommes persuadé que les faits ^ énoncés dans l’exposé ne sont pas, nous disons, non pas prout exponitur, non licere, sed prout exponitur, non esse.

Nous avons beaucoup de raisons pour tenir ce lan- gage, entre autres celle d’un fait curieux que l’on trou- vera dans notre Essai sur la Théologie morale, /ie édition, et dans la 3e édition de nos Pensées d’un Croyant catho- lique. Il serait trop long de le rapporter ici. C’était un


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soi-disant professeur de magnétisme de Paris, qui vint nous voir il y a deux ou trois ans, avec un somnambule, selon lui, à toute épreuve. Il avait le dessein de nous imposer la croyance de ses rêveries et de ses folies. Nous lui prédîmes, avant tout, qu’il échouerait dans sa démar- che insensée, et qu’il n’en remporterait d’autre victoire qu’une complète mystification, ce qui en effet arriva à la première épreuve  ; car le pauvre somnambule ne put lire, ni les yeux bandés, ni par le front, ni par l’occiput, ni par l’épigastre ou l’estomac: en un mot, tout son corps était ténébreux, et l’éclipse était totale.

La réponse du cardinal Castracane à M§r Gousset est aussi fort sage  ; car, dans le sens de la consultation et comme doit l’entendre le cardinal, la question ne sera pas résolue d’ici à longtemps. Dans le sens que nous l’entendons, elle sera jugée quand on voudra, ou plutôt pour nous elle l’est depuis longtemps ipso facto.

Dans la consultation de M&r Gousset on paraît rejeter toute intervention surnaturelle, c’est à dire diabolique, rejec toque omni cum dœmone fœdere  ; mais alors pour- quoi recourir à Rome  ? Il fallait plutôt, ce nous semble, s’adresser à la science, c’est à dire aux médecins, qui deviennent alors seuls juges compétents dans la matière. G’est pourquoi nous avons dit que la question ne serait pas décidée de sitôt, pareeque l’on consulte toujours la sacrée Pénitencerie  ; ce qui suppose qu’on voit dans le magnétisme quelque chose de surnaturel, malgré la pré- caution prise de dire, rejecto omni cum dœmone fœdere.

Il paraît qu’ aujourd’hui (18A6) la question du magné- tisme est de nouveau agitée parmi le clergé , surtout depuis l’apparition au monde magnétique du livre de


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M. l’abbé J. B. L., qui, dit-on, paraît avoir été accueilli avec faveur par le clergé de France.

Voici, à l’occasion de cet ouvrage, la réponse que nous avons faite dernièrement à un directeur de grand sémi- naire, qui nous avait demandé ce que nous pensions de cette publication.

Monsieur l’Abbé,

Comme vous me demandez ce que je pense de la va- leur morale et scientifique du livre de M. l’abbé J. B. L., intitulé Le Magnétisme et le Somnambulisme devant les corps savants, la cour de Rome et les théologiens, je vous réponds que je n’ai ni le temps, ni le courage, ni la volonté d’en faire aucune espèce d’analyse.

D’ailleurs je dois vous dire, avant tout, que cet ou- vrage ne m’inspire point assez de confiance pour que je m’en occupe sérieusement. Et en. effet, l’auteur cite des textes que l’on ne trouve point à la source indiquée. Par exemple, il fait dire à S. Augustin, p. 424, qu'il y a des gens qui peuvent guérir diverses plaies par le regard, par le tact, par le souffle (solo tactu, afflatu, oculo). C'est que leur nature, ajoute-t-il, (S. Aug.), est différente de celle des autres (cœteris dispares). De Civitate Dei, liv. xiv, chap. 24. Il n’y a d’exact et de vrai dans ce texte que les deux mots cœteris dispares , ce qui prouve qu’il n’y a point d’erreur de chiffre, soit du livre, soit du chapitre. Tout le reste n’existe pas dans les diverses éditions que j’ai examinées. M. l’abbé Maupied, qui a rendu compte du livre de M. J. B. L. dans les Annales de la Philoso- phie chrétienne (juillet 1844, p. 42), et qui en fait un


MOECHIALOGIE.


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pompeux éloge, avoue néanmoins aussi qu’il n’a pu trou- ver le texte de S. Augustin.

Mais admettons pour un instant que S. Augustin ait réellement dit ces étrangetés. Nous dirons, nous  : Ou la guérison des plaies a été opérée subitement par le regard ou le souffle, et alors il n’existe plus de moyens de dis- tinguer ces guérisons subites des guérisons miraculeuses, et par là même elles seront regardées comme de vrais miracles; ou ces guérisons n’ont eu lieu que d’une ma- nière lente et successive, c’est à dire avec le temps et naturellement, car le temps et le repos sont ordinaire- ment le meilleur remède pour guérir les plaies, même les plus rebelles. Et à ce sujet nous établissons comme principe certain et inattaquable que, par les lois de l’or- ganisme de l’économie animale, une régénération subite des chairs dans une plaie est manifestement et physiolo- giquement impossible (j’entends ici des plaies ou des ulcères avec perte de substance, car une simple incision sans perte de substance peut guérir dans les vingt-quatre heures, vu qu’ici il n’y a rien à réparer)  ; parceque la nutrition ou l’assimilation ne peut être, dans l’ordre na- turel, que lente et successive, comme la digestion elle- même. S’il pouvait en être autrement, il s’ensuivrait que la nutrition donnerait beaucoup plus qu’elle n’a reçu, c’est à dire quelle donnerait ce qu’elle n’a pas. Donc une régénération subite des organes détruits ou notable- ment altérés dans leur texture est un fait contre les lois de la nature animale, ou une dérogation à l’organisme de l’économie; donc c’est un fait qui relève de l’ordre surnaturel, c’est à dire un vrai miracle.

Ainsi donc , s’il était possible que S. Augustin eût


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avancé ce que M. J. B. L. lui fait dire, il aurait avancé une erreur manifeste, et cette preuve aurait trop prouvé pour le magnétisme.

M. l’abbé J. B. L. invoque aussi en faveur de la puis- sance magnétique les miracles de Vespasien et d’Apollo- nius de Thyane. « Alors, dit-il, Vespasien fait au milieu « de la multitude ce que demandaient les malades, et « aussitôt la main paralysée reprend son usage ordi- « naire, et l’aveugle reçoit la lumière.  » (P. Zi53.) Or, ce qu’avait demandé l’aveugle, c’était que Vespasien lui mouillât de sa salive les joues et les yeux. Quant au pa- ralytique, il avait prié Vespasien de le toucher seule- ment de son pied. « Sans doute, dit l’auteur, Vespasien « ignorait qu’il eût la vertu magnétique.  »

« Mais, reprend M. J. B. L., la cure la plus merveil- « leuse fut celle d’une jeune fdle qu’on conduisait à la (( sépulture, et qu’ Apollonius rappela à la vie  : c’était « au moment même où elle allait se marier, et que les « fêtes de l’hymen venaient d’être changées en funé- « railles. Apollonius fait arrêter le convoi , touche la « jeune fdle, se penche sur elle, comme s’il lui disait a tout bas quelque chose, et la jeune fdle revient à elle, « se lève, parle, et retourne guérie à la maison paternelle.

« On ne peut supposer ici une scène concertée  ; car « cette jeune personne appartenait à une famille riche, <( et ses parents voulurent par reconnaissance donner à « Apollonius 15,000 drachmes, qu’il refusa. Cette gué- « rison eut lieu publiquement, au milieu du cortège et (( du peuple. Apollonius se contenta de toucher la ma- « lade et sans doute de diriger son souflle sur sa tête, ce a qui fit croire qu’il lui parlait tout bas.


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« Il est superflu de dire que nous ne croyons pas que a cette fille était véritablement morte, mais qu’elle était « tombée dans une léthargie ou une asphyxie qui devait « nécessairement compléter l’illusion.  » (P. 459.)

Nous doutons fort que les magnétiseurs de nos jours, sans même excepter M. J. B. L. , puissent faire de pareils tours de force, et soient aussi hardis qu’ Apollonius pour aller faire lever tout à coup un mort que l’on porte en terre en le touchant, en soufflant sur sa tête ou en lui parlant tout bas  ; car enfin Apollonius devait croire que cette fille était véritablement morte, puisqu’on assure que ce n’était point une scène concertée.

Voit-on aujourd’hui beaucoup de magnétiseurs qui 1 endent subitement la vue aux aveugles et le mouvement aux paralytiques, non dans l’ombre, mais, comme Ves- pasien, au milieu de la multitude? à sceculo non est au- dit um! Que ces messieurs daignent donc nous faire ces petits miracles magnétiques, et nous croirons en eux  : Sec/uso tamen omni dolo , sive humano, sive diabolico . fai enfin quelques-uns dumoins d’entre eux doivent avoir la vertu magnétique comme Vespasien et au même degré que Vespasien, avec cet avantage sur lui qu’ils ne l’igno- rent pas comme lui. Encore une fois, qu’ils rendent su- bitement la vue aux aveugles en mouillant leurs yeux de leur salive, et qu’ils guérissent subitement aussi les pa- ralytiques en daignant les toucher du bout de leur pied, comme Vespasien; qu ils fassent de plus, comme Apollo- nius, revenir à pied quelque nouvel habitant du Père-La- Chaise ou du Mont-Parnasse (et toujours sauf tout dol), et sur-le-champ nous nous convertissons au magnétisme, et nous acceptons les principes et la doctrine des magné-


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tiseurs, sans restriction et sans réserve. Mais s’ils n’o- pèrent pas ces guérisons comme Vespasien et Apollonius, et qu’ils exploitent tout simplement à leur profit l’in- fluence morale, qu’ils se retirent et rentrent dans l’ombre pour céder la place aux médecins, qui feront la médecine morale d’une manière plus convenable, plus régulière, plus consciencieuse, plus décente et plus morale.

En admettant sérieusement les faits merveilleux dont on vient de parler, nous dirons  : Ou ces guérisons sont naturelles, ou elles sont surnaturelles. Si elles sont na- turelles, comment encore les distinguera-t-on de celles qui sont surnaturelles  ? Le mode opératoire ou la forme extérieure et l’instantanéité de la guérison sont, dans les deux cas, absolument identiques. Si la puissance hu- maine peut aller jusque là, il n’y a plus de moyen de reconnaître les vrais miracles, plus de critérium par con- séquent, même pour l’autorité que l’auteur invoque dans l’espèce  ; on est donc forcé de conclure que la puissance humaine ou magnétique ne peut opérer ces prodiges. Autrement l’ordre naturel pourrait être fatalement con- fondu avec l’ordre surnaturel, ce que l’on ne saurait ad- mettre ; et les incrédules se croiraient en droit de nier tous les miracles. C’est la conséquence inévitable de ces dangereuses théories magnétiques.

Maintenant si ces guérisons sont surnaturelles et véritablement miraculeuses, au nom de qui et à quelle occasion ont-elles été opérées  ? Ce sont des païens qui ont fait ces miracles  : or ces païens, au moins Apollo- nius, étaient des philosophes, c’est à dire des hommes qui établissent et professent des opinions humaines, et qui se donnent une mission ou de doctrine ou de religion


MQECHIALOGIE. 245

complètement en dehors du christianisme. Et comme ils appuient leur doctrine ou leur mission sur des miracles, il s ensuivra que les miracles pourront autoriser et ac- créditer de fausses doctrines, et que par conséquent ils ne suffiront plus désormais pour prouver une doctrine ou une mission véritablement divine. Donc il faut con- cluie que ces guérisons n’étaient pas surnaturelles, c’est à dire de vrais miracles. Qu’étaient-elles donc? Le ré- sultat nécessaire de l’artifice humain ou de l’artifice dia- bolique. Si 1 artifice était humain, il ne prouve rien  ; s’il était diabolique, il prouve trop.

Enfin, monsieur l’abbé, comment voulez-vous que je croie à la science magnétique de M. J. B. L. quand je le vois affirmer avec un imperturbable sang-froid qu’il magnétise à plusieurs lieues de distance? Voici sur quoi il fonde son étrange assertion. Il magnétisait habituelle- ment chaque jour une dame très chrétienne , c’est son expression. Cette personne n’offrait d’autre phénomène que le somnambulisme , c’est à dire qu’elle faisait tous les jours régulièrement sa petite sieste magnétique. Rien de plus naturel. Un jour M. J. B. L. fait un voyage à quelques lieues de Paris, et ne voulant pas laisser ce jour-là sa somnambule sans la magnétiser, il lui dit de se placer à midi dans un fauteuil comme à l’ordinaire, et de s abstenir de toute occupation. Ce qui fut dit fut lait. De son côté l’habile magnétiseur se représenta , comme il dit, la personne comme présente , et s'occupa d elle , mais doucement, pour prévenir tout accident. Ce sont ses propres paroles. Enfin il continue ainsi  : « Quand (( Je jugeai qu il fallait terminer (la magnétisation), je « voulus que 1 état somnambulique, s’il y avait somnam-

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a bulisme toutefois (1) , cessât selon l'ordinaire Je

(( regardai à ma montre, il était une heure.  » (P. 232.) Bref la dame magnétisée à long et à large courant avait dormi ce jour-là comme à l’ordinaire, et s’était réveillée à une heure. Voilà tout.

Je laisse, monsieur l’abbé, à votre sagacité l’appré- ciation de la valeur de ce miracle magnétique, et la con- clusion de cette trop longue lettre.

Puisque nous sommes sur le chapitre du magnétisme, je dois ajouter par forme de post-scriptum qu’il m’est tombé sous la main il y a quelques jours un petit im- primé intitulé  : Association de prières.

Entre autres choses étranges que contient cette pièce, on lit ce qui suit  : « Ces prières auront pour résultat « d’appeler les bénédictions du bon Dieu, 1° sur X étude, a 2° la pratique , 3° la propagation du magnétisme au « point de vue catholique. 1° U étude... Demander la lu- « mière pour ceux qui étudient. 2° La pratique. . . De- « mander la grâce de moralité pour ceux qui pratiquent. u 3° La propagation... Demander l’orthodoxie pour ceux « qui enseignent , écrivent.  »

On recommande expressément de ne donner au billet mystique aucune espèce de publicité. C’est l’expression. Enfin, dans le post-scriptum qui termine l’imprimé, on dit qu’un grand nombre d’ecclésiastiques et de laïques pieux s’intéressent déjà à cette œuvre...

En voyant ces choses nouvelles, singulières, inqua- lifiables, où l’on invoque les prières de l’Église (un Ave , Maria tous les jours pour la propagation du magné-

1} Doute de précaution qui n’cst pas inutile à l’affaire.


mgechialogie. 267

tisme) (1), on se demande, 1° s’il n’y a pas encore assez de charlatans pour exploiter îa crédulité et la supersti- i ion d un certain public  ; 2° pourquoi cette œuvre, comme on nous l’a assuré, est-elle émanée de certains prêtres un peu excentriques, dont le but avoué est de faire prier pour l’avancement de Y œuvre des farceurs et des comé- diens du magnétisme, et peut-être aussi dans l’intérêt d une coterie mystique et mystérieuse  ; 3° pourquoi enfin certains autres ecclésiastiques sont-ils assez mal inspirés pour s associer aune telle pensée, à une telle conception?

était donc avec beaucoup de raison que nous écri- vait , il y a quelque temps, un membre distingué de 1 Académie de médecine  : C'est vraiment déplorable , disait-il, de voir le clergé se laisser mener par des char- latans (2). (Il parlait du magnétisme et des magnéti- seurs.)


Quelques mots sur un autre livre de M. l’abbé J. B. L., intitulé Défense théologique dumagnétisme humain , ou le Magnétisme est-il superstition , magic  ? Est-il condamné à Rome  ? Les Magnétiseurs et les Somnambules sont -ils en sûreté de conscience? Peuvent-ils être admis à la partici- pation des sacrements? (184b.)

En admettant la réalité d’une modification favorable de 1 économie ou de l’état du système nerveux d’un ma- lade quiconque , opérée au moyen du fluide électro-

(1 Ce ne pouriait être sans doute que pour le magnétisme considéré comme branche de la médecine, en supposant toutefois qu’à ce titre le magnétisme pût jamais exister. Mais pour la propagation de la médecine elle-même fait-on des associations de prières, bien que l’art de guérir ne

pas encore arrivé à son plus haut degré de perfection et de pro- pagation?

2; Il faut entendre quelques membres seulement du clergé.


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MOECHIALOGIE.


nerveux ou électro-magnétique , mis en jeu par la ma- gnétisation ou la somnambuiisation magnétique, ou peut-être également déterminée par l’influence morale ou par un pouvoir de domination en quelque sorte pres- tigieux, nous ne verrions dans toutes ces opérations con- sidérées en elles-mêmes rien d’illicite ou d’immoral. Ce ne serait là qu’une sorte de thérapeutique ou une sim- ple médication morale. Mais les conditions posées par M. J. B. L. , nous ne pourrions les accepter comme suffi- santes à la moralité de l’opération. L’auteur propose, à la vérité, qu’un homme magnétisera un homme, qu’une femme magnétisera une personne de son sexe; il de- mande même l’intervention d’une tierce personne ou d’un témoin. Sans doute cela est bon et louable en soi et dans la pratique ordinaire  ; mais l’identité du sexe seule, selon nous, ne donne pas une garantie de moralité suffisante  : il faut y joindre l’identité de l’âge, c’est à dire qu’il faudrait toujours choisir pour somnambules ou sujets d’expérimentations magnétiques des personnes âgées au moins de trente à quarante ans, et jamais de jeunes gens de l’un ou de l’autre sexe, comme de quinze à vingt ans. Or c’est ce qu’on ne fait pas; les somnam- bules sont presque toujours de jeunes filles ou plus rarement de jeunes garçons. Qu’on se rappelle donc, ou qu’on l’apprenne si on l’ignore, que souvent il y a presque autant de danger moral à magnétiser de jeunes garçons que de jeunes filles, et que l’âge est souvent presque aussi dangereux que le sexe lui-même. Tous les confesseurs et directeurs de conscience expérimentés apprécieront convenablement la valeur morale de cette observation.


MOECHIA.LOGIE.


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Dans un chapitre au moins fort singulier (c’est le 17e, p. 219), l’auteur dit qu’un somnambule peut recevoir l’absolution des fautes graves qu’il aurait commises dans l’état de somnambulisme magnétique, soit qu’il se sou- vienne ou non de ce qui s’y est passé. Dans cet état, ajoute-t-il, l’individu conserve sa liberté , son adver- tance, etc. (p. 221)  ; de plus, il marche, boit, mange, parle, converse familièrement (p. 196). Mais alors on se demande en quoi cet état ’de somnambulisme magnéti- que différera de l’état de veille ordinaire et physiolo- gique, surtout dans le cas où le somnambule conserve à son réveil le souvenir de ce qu’il a dit et fait pendant son état magnétique? Et, comme nous l’avons vu plus haut, M. J. B. L. nous assure que cet état peut exister.

Nous pourrions faire encore quelques autres remar- ques sur cette dernière brochure , mais cela nous con- duirait trop loin et nous ferait empiéter sur le domaine du merveilleux  ; et c’est précisément ce que nous vou- lons éviter. Nous l’avons dit au commencement de cet article  : nous ne pouvons admettre la réalité intrinsèque, positive des faits extra-physiologiques dont fourmillent les ouvrages de M. J. B. L. , et en général de tous les auteurs qui ont écrit sur le magnétisme. Or ces faits sont le produit d’un ordre de facultés tout en dehors des lois psycho-physiologiques connues. Ces merveilleuses facul- tés dont sont doués, dit-on, les somnambules magnéti- ques lucides produisent, selon les magnétiseurs, les effets suivants  : la transposition des sens, la vue sans le secours des yeux et sans lumière, par le front, l’occiput, l’épi- gastre, le bout des doigts, etc.  ; la communication des pensées sans aucune espèce de signes, le pressentiment.


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MOECHIALOGIE.


la pressensation, la prévision, la prophétisation, la divi- nation, la rétrospection, la connaissance intuitive ou la vue des pensées intimes des personnes présentes et ab- sentes, de l’intérieur du corps des malades, la détermi- nation de la nature, du siège et du traitement de diverses maladies, etc. Cr éclat J udœus Apella , non ego .

Enfin nous terminerons par une citation assez peu louangeuse pour les corps savants. Voici ce que l’auteur dit à la page 223  : « Aujourd’hui il n’y a plus que les (( hommes à idées arriérées ou tout à fait étrangers à la <( science et à toute réflexion sérieuse qui osent répéter « que tout est charlatanisme, jonglerie dans le magné- « tisme et dans la lucidité somnambulique. . . Ces hommes, « qui paraissent appartenir à une autre époque, tant leurs «idées sont rétrogrades, n’obtiennent souvent qu’un <( sourire pour toute réponse, tellement les rôles sont « changés partout. Aujourd’hui beaucoup de savants et (( même de médecins pensent, parlent et écrivent tout « autrement que certains membres de l’ Académie royale « de médecine, sans s’inquiéter s’ils obtiendront l’appro- « bation de cette illustre mais non infaillible société (1) , « qui, à l’exemple de ses sœurs, n’a jamais sanctionné a de vérités nouvelles qu’ alors quelles étaient devenues a populaires, universelles et déjà anciennes pour tous, « excepté pour elle-même.  »

Sauf tout respect pour l’assertion si positive de M. l’abbé J. B. L., le magnétisme, à l’exemple de sa sœur la phré- nologie, pourrait bien aussi subir le même sort quelle puisqu’il ne parait pas doué de plus de viabilité quelle.

(i) Voilà donc maintenant les certains membres de l’Académie qui for- ment toute l’Académie.


MQECHIALOGIK.


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Si le magnétisme est une science si vraie et si certaine, pourquoi est-il repoussé par tous les corps savants de l’Europe, et notamment par les Académies des sciences et de médecine de Paris et par toutes les Sociétés de mé- decine de France  ? Pourquoi les magnétiseurs, dans leurs grandes expériences, leurs expériences décisives, ont-ils constamment échoué devant toutes les commissions sa- vantes ? Et cela devait être. Le magnétisme a le tempé- rament et le regard trop faibles pour pouvoir supporter l’influence et le vif éclat du soleil; il ne vit à l’aise que dans l’ombre et dans un air épais et nébuleux, c’est à dire, magnétiquement parlant, dans le milieu où vivent les gens du monde et le peuple? Enfin pourquoi Rome, qui n’est certes pas ennemie des sciences humaines, n’ approuve- t-elle pas le magnétisme? Que dis-je? Elle le condamne plutôt qu’elle ne l’accueille avec faveur  ; du moins jusqu’à présent elle a toujours répondu à toutes les consultations qu’on lui a adressées par des non licet prout exponitur.

Maintenant il est inutile de dire que les vrais savants et l’immense majorité des médecins se consoleront aisé- ment des petites courtoisies magnétiques de M. J. B. L.; ils pensent sur le magnétisme comme tous les corps sa- vants de France et comme Rome  ; et si jamais ils se trom- pent, ce sera du moins en assez bonne compagnie.


MQECHlALOGlh.


ARTICLE NEUVIÈME.

QUELQUES MOTS SUR LA MANIÈRE D’iNTERROGER LES PÉNITENTS SUR LE SIXIÈME COMMANDEMENT.

En cette matière délicate et lubrique, le confesseur doit se servir dans ses interrogations de paroles hon- nêtes et chastes, et il doit prendre garde de ne pas vou- loir en savoir plus qu’il n’est nécessaire  ; car il y a du danger qu’en voulant trop découvrir le mal il ne l’en- seigne à ceux qui l’ignorent, et qu’il ne leur donne oc- casion de se perdre, comme le dit S. Charles dans ses Instructions sur le sacrement de pénitence.

Néanmoins, comme le confesseur est un médecin et un juge, il faut qu’il connaisse les péchés de son pénitent pour appliquer les remèdes convenables à ses maux, donner les avis qui sont nécessaires pour procurer la guérison de son âme, et lui imposer une pénitence pro- portionnée à la grièveté de ses fautes  : par conséquent , si les pénitents ne découvrent pas leurs péchés, le con- fesseur doit les interroger, surtout quand ils lui parais- sent ignorants et grossiers, ou quand il les voit timides, honteux, troublés et embarrassés, et tout cela arrive fort souvent en cette difficile et honteuse matière. Il faut donc alors venir à leur Recours et les aider avec patience, prudence et charité.

11 y a deux extrémités à éviter en faisant ces interro- gations, savoir, d’être trop délicat et trop peu exact, ou trop curieux. Il est arrivé que des personnes ont croupi pendant toute leur vie dans des péchés d’impureté qu elles avaient commis dans leur bas âge, dont elles ne se sont


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confessées qu’à l’article de la mort, parceque les con- fesseurs avaient négligé par délicatesse de conscience de leur faire des questions sur le sixième commandement. Gerson, dans le traité de Arte audiendi confessiones, dit qu’il l’a connu par expérience.

L’ignorance dans laquelle quelques-uns disent avoir été que les actions déshonnêtes qu’ils commettaient dans leur tendre jeunesse fussent criminelles n’est pas un prétexte suffisant aux confesseurs pour se dispenser d’interroger les pénitents sur ces péchés, et pour les en excuser; il n’v a pas d’apparence qu’ils aient ignoré le mal sans qu’il y ait eu de la négligence de leur part à se faire suffisamment instruire. Ils ont dû avoir au moins de forts soupçons que les actions qu’ils faisaient étaient mauvaises, puisqu’ils se cachaient pour les faire, et qu’ils en avaient de la honte et de la confusion quand elles étaient découvertes, ce qui devait suffire pour leur faire comprendre qu’ elles étaient mauvaises, et pour les ren- dre coupables.

La trop grande curiosité de certains confesseurs, outre quelle offense les oreilles chastes des pénitents, est ca- pable de perdre les jeunes gens de l’un et de l’autre sexe. On en a vu qui, après avoir été imprudemment interro- gés sur le sixième commandement, ont essayé de faire ce que leur confesseur leur avait appris par son indiscrétion.

Un confesseur prudent, quand il interroge un péni- tent sur le sixième commandement, ne commencera pas d’abord par les actions, encore moins lui en désignera- t-il quelqu’une en particulier; mais il l’interrogera en termes généraux sur les péchés les plus ordinaires et que peu de personnes ignorent  : il lui demandera s’il n’a


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point eu des pensées déshonnêtes, et s’il n’a point res- senti des mouvements ou des plaisirs charnels. Si le pé- nitent répond que non, le confesseur en doit demeurer là pour l’ordinaire, à moins que son pénitent ne soit fort ignorant et extrêmement grossier. Si au contraire le pé- nitent dit avoir eu des pensées déshonnêtes ou avoir res- senti des plaisirs charnels, le confesseur lui demandera si ces pensées ou ces plaisirs ne l’ont point porté à faire quelque action déshonnête  ; s’il avoue en avoir fait quelqu’une, le confesseur, sans en spécifier aucune, lui demandera quelle était cette action, de quelle manière et avec qui il l’a faite.

Le confesseur doit s’enquérir de la condition du pénitent et de celle de la personne avec laquelle il a péché; si l’un ou l’autre est engagé dans le mariage ou lié par des vœux de chasteté, ou par quelque ordre sacré, s’ils sont parents ou alliés  : ce sont autant de circonstances qui changent l’espèce de péché comme nous l’avons fait voir précédem- ment. Le confesseur ne doit pas oublier de demander au pénitent si la personne avec laquelle il a péché demeure avec lui, afin de ne pas lui donner l’absolution qu’ils ne se soient séparés, si la chose est moralement possible.

Pour ce qui regarde l’occasion prochaine du péché mortel, tout le monde convient qu’il n’est pas permis de s’y exposer volontairement, ni de demeurer dans l’état que l’on a reconnu être une occasion prochaine de péché, ou parceque cet état ou cette circonstance y porte d’elle- même, ou parceque, s’y trouvant, l’on est tellement ac- coutumé à pécher que l’on ne s’en abstient presque ja- mais. Si l’on s’y expose volontairement, ou si l’on y demeure quand on peut la fuir, on est censé donner au


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péché auquel elle porte naturellement un consentement suffisant pour en être coupable, etc., etc. ( Conférences d'Angers.) Nous ne pouvons qu’indiquer ici les principes généraux. Voyez, pour de plus amples détails, un excel- lent article dans Collet, intitulé  : De Officio confessarii in materiâ luxuriœ. Voyez de plus ce que nous avons dit sur ce point à la page Ih. Nous y ajouterons encore seu- lement quelques mots qui nous viennent maintenant à l’esprit. Il n’est pas rare de rencontrer des pénitents qui ne s’accusent d’aucune faute contre la chasteté, pas même de simple pensée. Dans ce cas, si on a lieu de croire qu’il y en a plus qu’ils n’en disent, ce qui arrive très souvent, il faut, dans les questions qu’on leur adres- sera, procéder du général au particulier, du moindre au plus grand, du plus connu au moins connu. On peut leur parler ainsi par exemple  : N’auriez-vous pas eu par hasard quelques pensées déshonnêtes ou contre la chas- teté ? Oui. Si le pénitent répond non, on en reste là ordi- nairement, comme il a été dit plus haut. Ces pensées vous ont-elles occupé longtemps? Vous y êtes-vous ar- rêté volontairement et avec complaisance  ? Sur quel objet se portaient-elles? N’avez-vous pas eu alors quelque mauvais désir, de faire par exemple ce à quoi vous pen- siez, soit à votre égard, soit à l’égard d’une autre per- sonne? Etait-ce une personne de l’autre sexe ou non, ma- riée ou non, parente, alliée ou non, etc.  ? Avez-vous vu cette personne, lui avez-vous parlé, etc? — Vos pensées ont elles été suivies de regards, de mouvements, d’attou- chements déshonnêtes? tout cela a-t-il été suivi de quel- que effet sensible? Quel était cet effet? était-il fâcheux? En avez-vous eu de la peine, etc. , etc.  ?


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Ad cognoscendum an adolescentes plùs minùsve pu- bères usque ad pollutionem se tetigerint, quin, féliciter mali nescii, illud suspicentur vel addiscant, quæri potest quanto tempore et quo fine se tetigerint  ; an tune quos- dam motus in corpore experti fuerint, et per quantum temporis spatium  ; an cessantibus tactibus nihil insolitum et turpe acciderit  ; an non longé majorem in corpore vo- luptatem perceperint in fine tactuum quàm in eorum principio; an tune, in fine quandô magnam delectationem carnalem senserunt, omnes motus corporis cum tactibus cessaverint; an non madefacti fuerint, etc., etc. Quæ- rendum est à puellis quæ sese tetigisse fatentur an non aliquem pruritum extinguere tentaverint, et utrùm pru- ritus ille cessaverit cùm magnam senserint voluptatem  ; an tune ipsimet tactus cessaverint, etc.

D’un autre côté, il arrive quelquefois que des péni- tents ne s’accusent que des fautes les plus graves sans parler de celles qui sont moindres. Dans cette occurence, il faut suivre une marche opposée, c’est à dire qu’il faut procéder, dans les interrogations, du plus grand au moindre, pareequ’ils ne tiennent pas compte des pen- sées déshonnêtes volontaires, des regards libidineux éga- lement coupables  : ce sont pourtant là autant de péchés distincts qu’il est nécessaire de faire déclarer en con- fession.

Nous terminons par la citation d’un passage très im- portant, extrait du livre de M&r Bouvier, et dont nous- même nous avions déjà fait entrevoir la très grave portée dans notre Essai sur ta Théologie morale. Le voici  : « Sum- moperè etiam caveant juniores confessarii ne puellæ alias- que mulieres sensibili modo sibi adhæreant, quod fre-


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quenter in ruinam animarum et in religionis detrimen- îum accidit  : ubi prima inordinatæ hujus affectionis spe- cimina advertunt, asperis verbis eas repellere non ti- meant, et si hoc non sufficiat, ad alios confessarios eas statim remittant  ; alioquin incauti eas perdent et cum eis peribunt.

« Per gloriam Dei æternamque eorum salutem, cunc- tos adjuramus clericos ut, conciliorum statutis semper obtempérantes, juniores mulieres apud se nunquàm de- tineant, eas non visitent, cum eis familiariter non lo- quantur,  » etc.


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MŒCHIÀLOGEE.


SECONDE PARTIE.

DES DEVOIRS DES ÉPOUX.

Cette seconde partie sera partagée en deux chapi- tres: le premier sera consacré à l’examen de l’empê- chement de mariage pour cause d’impuissance; car, comme on sent assez, nous n’avons point à parler ici des treize ou quatorze autres empêchements dirimants qui sont exposés avec détail dans les traités généraux du mariage  ; le second chapitre traitera des obligations spé- ciales des époux.

CHAPITRE PREMIER.

s i.

DE L’EMPÊCHEMENT DE MARIAGE PAR IMPUISSANCE.

L’impuissance est l’incapacité de consommer le ma- riage, id est habendi copulam quæ per se sufïiciat ad ge- nerationem (1). L’impuissance est aussi appelée impo-

(1) Nous préférons cetle définition à celle des théologiens, qui n’est point rigoureusement exacte, comme on va le voir par la réponse que nous avons faite dans le temps à un théologien qui nous soutenait que l’acte conjugal est permis dans tous les cas de stérilité quelconque, modo fiat penetratio cum seminatione intra vas (c’est la définition des théologiens). Mais on verra ci-après qu’il peut se rencontrer, chez la femme, une cause d’impuis- sance latente (l’absence complète de l’utérus ) physiquement cousta table à priori, où le coït serait très possible et très conforme à la définition ci-


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tentia coeundi, et diiîert ab impotentiâ generandi ou de la stérilité. Ce dernier état seul, sans impuissance, ne peut être un empêchement au mariage.

L’impuissance est 1° antérieure ou postérieure au ma- riage ; 2° perpétuelle ou temporaire, c’est à dire passa- gère; 3° naturelle ou accidentelle; k° absolue ou res- pective.

L’impuissance antérieure est celle qui précède le mariage  ; la postérieure ou la subséquente survient après le mariage contracté. L’impuissance perpétuelle est celle qu’aucun moyen licitement employable ne peut jamais taire cesser; la temporaire au contraire peut céder à l’emploi de quelque moyen convenable, soit physique, soit moral. L’impuissance naturelle provient d’un vice corporel congénital ou organique quelconque; l’impuis- sance accidentelle dépend d’une cause extra-corporelle physique, ou d’une cause purement morale. L’impuis- sance absolue est celle qui a lieu à l’égard de toutes les personnes  ; l’impuissance respective n’existe qu’à l’égard d’une personne donnée.

Reprenons maintenant ces diverses causes, et entrons dans quelques détails.

Toute impuissance antécédente et perpétuelle, soit naturelle, soit accidentelle, soit absolue, soit respective, est un empêchement dirimant de mariage. C’est même la seule que l’on puisse admettre. Ainsi, d’après cela, si un mariage a été contracté avec un empêchement de

dessus rapportée, yenetratio et seminatio intra vas  ; et cependant cet acte conjugal, en apparence très normal, puisque le vagin existe ( vasmuliebre j, serait un acte nécessairement stérile, puisqu’il y aurait impuissance absolue et perpétuelle, et par conséquent stérilité nécessaire et éternelle.


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MQECHIALOGIE.


cette nature, il est par là même nul, parceque le but de l’union conjugale ne peut être rempli. Personne ne peut s’obliger à ce qu’il ne peut faire  ; par conséquent ce faux mariage doit être rompu. C’est un point non seulement de droit positif ou ecclésiastique, mais encore de droit naturel. Si l’impuissance perpétuelle est en même temps absolue, la partie qui l’offre ne peut^se remarier à une au- tre; si au contraire l’impuissance perpétuelle n’est que respective, et que l’homme qui en est frappé soit jugé capable par les médecins de consommer l’acte conjugal avec une veuve, lorsqu’il ne le peut avec une fille, comme parle le rédacteur des Conférences d’Angers et de Paris > le juge ecclésiastique casse le mariage contracté avec la fille. Mais il faut faire observer ici que cette assertion du rédacteur est inexacte ou du moins fort vague. L’im- puissance respective n’a lieu ici dans l’esprit du rédac- teur que par un vice d’angustie ou de coarctation (arcti- tudine). Or ce même vice peut encore facilement se rencontrer dans une veuve qui n’a point eu d’enfants  : il fallait donc au moins y ajouter la circonstance con- traire, et ne permettre l’union qu’avec une veuve qui eût déjà normalement enfanté, c’est à dire à terme. Une parfaite et exacte appréciation de la valeur ou de la por- tée de ce langage physiologique ne peut être faite en ce moment  ; elle sera faite plus bas, en temps et lieu con- venables. En attendant, quant à ces distinctions, mar- chons avec les théologiens.

Mais avant d’aller plus loin , nous allons exposer les principaux vices organiques qui constituent des causes d’impuissance perpétuelle et absolue.


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Impuissance perpétuelle et temporaire 9 naturelle et accidentelle chez l’homme.

Il n’y a que trois causes qui entraînent nécessairement et évidemment l’impuissance perpétuelle dans l’homme  ; ce sont, 1° l’absence complète, absolue du pénis, ita ut non quidem remaneat parvula membri virilis extrema pars quæ possit tantum in exteriores mulieris partes gé- nitales semen inferre, puisqu’on cite des cas assez nom- breux où la fécondation a pu s’opérer avec une occlusion vaginale presque complète, et où par conséquent le coït normal était impossible (Voyez notre Précis de Physiolo- gie et notre Essai sur laThéologie morale); 2° J’exstrophie de la vessie  : c’est le vice de conformation où la vessie se présente à l’extérieur un peu au dessus du pubis  ; elle montre deux petits orifices qui sont les extrémités des uretères  ; le pénis est ordinairement très court et imper- foré, ou s’il offre une ouverture elle n’aboutit à aucune cavité; 3° l’absence des deux testicules, ou, ce qui est équivalemment la même chose, leur parfaite atrophie ou complète squirrhosité.

Mais une remarque importante à faire ici, c’est que l’absence des testicules dans le scrotum ou dans les bourses n’est point une preuve certaine ou suffisante de leur non existence  ; car les testicules descendent quel- quefois assez tard dans le scrotum, parfois même ils res- tent pendant toute la vie dans le ventre, cachés derrière l’anneau inguinal, comme nous en avons vu des exemples.

On a observé quelques cas rares où les testicules man- quaient totalement. Ces sujets n’avaient point de barbe, ils avaient la voix grêle, enfantine comme celle des

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femmes; leurs seins étaient plus développés; en un mot toute leur organisation se rapprochait de celle du sexe féminin.

« Chez les castrats, dit Richerand, le larynx et par suite la voix sont peu développés  ; le système pileux est misérable, la taille peu élevée; les muscles sont faibles; le système graisseux prédomine. Le moral comme le physique s’affaiblit; les facultés intellectuelles et affec- tives paraissent avoir été comprimées. Chez les eunu- ques, peu de passions, point de conception, de la timi- dité et de l’abrutissement. La castration exerce la même influence sur les animaux; elle produit l’atrophie des cornes ou les fait pousser recourbées, et s’oppose à leur chute et à leur régénération annuelle  ; elle arrête le dé- veloppement de la crête des gallinacés, leur ôte la faculté de chanter, les engraisse outre mesure. Les étalons, les taureaux se distinguent au contraire par leur vigueur et leur impétuosité. La chair des animaux qu’on force à la continence a un fumet particulier, qui est même assez désagréable.

« Les excès amoureux ont la même action débilitante que la castration. Avec le sperme s’épuisent à la fois les forces et les facultés intellectuelles et morales. Le sperme est, suivant l’expression de Haller, une sorte de virus animal qui double les forces et l’intelligence  : vitale virus maximè ad sanitatem et robur animai et corporis con- fert.  » Cette dégradation physique et morale que l’on observe chez les castrats ne se manifeste complètement que chez les individus que l’on a fait eunuques dès leur bas âge ou bien avant le développement de la puberté. Les adultes, qui imitent la conduite d’Origène, ne subis-


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sent pas ordinairement toutes les conséquences fâcheuses dont on vient de parler. Depuis moins de deux ans nous avons vu dans le monde deux individus adultes qui se sont ainsi cruellement mutilés  : l’un, comme Origène, dans le but de se délivrer des tentations de la chair; l’autre, ce qui est beaucoup plus rare, pour faire cesser absolument les pollutions nocturnes, et prévenir par là sûrement le dépérissement et la dégradation des facultés intellectuelles dont il se croyait prochainement menacé. Or ces deux hommes ne nous paraissent avoir subi aucun changement fâcheux, tant au physique qu’au moral  ; le dernier même, délivré de ses pollutions, semble avoir atteint complètement son but  : résultat qu’il faut attri- buer non à la castration elle-même, mais à la cessation des pollutions ou des déperditions spermatiques.

Dans un voyage que nous avons fait dans le midi il y a deux ans., un médecin très digne de foi nous a commu- niqué un fait assez extraordinaire. Deux époux n’avaient point eu d’enfants depuis dix ans. Ennuyé sans doute, non pas de cette apparente stérilité, mais de ce qui probablement la déterminait, le mari s’avise d’employer un moyen qu’il croit décisif, et qui en effet devait le de- venir nécessairement. Il se fait, au moyen d’un rasoir, la double castration. Au bout d’un mois, guéri de son énorme mutilation, il se livre sans crainte et sans ména- gement à l’usage du mariage, et après neuf mois, c’est à dire dix mois après la terrible opération, sa femme, à son grand étonnement, accouche d’un enfant plein de vie et de santé. Cette singulière aventure, comme on pense bien, ne manqua pas d’occuper la chronique scan- daleuse du pays, et d’exciter l’humeur railleuse et sar-


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castique des gens qui connaissaient F histoire du mari  : car celui-ci s’était vanté publiquement de ne pouvoir plus jamais procréer à l’avenir. (Tout cela n’étonne pas les personnes qui connaissent un peu les mœurs de cer- taines gens de la campagne.) Mais la femme maintenant que deviendra- t-elle au tribunal de l'opinion publique? Sans doute elle sera jugée coupable par un grand nom- bre de personnes et peut-être même par quelques ecclé- siastiques ; il faudra donc que la science intervienne ici pour laver cette épouse du soupçon d’adultère. Or la science établit qu’il est très possible et même très pro- bable que l’enfant est le fruit de la cohabitation maritale qui a eu lieu un mois après le fait de la castration, et que ce dernier acte conjugal a été rendu fécond par le sperme qui se trouvait dans les vésicules séminales au moment même de l’opération de la castration. Richerand rapporte qu’on a ôté les deux testicules à des animaux, et <( que l’on a vu ces animaux demeurer pendant quelque temps en possession de la faculté d’engendrer.  » 11 faut noter que ceci ne peut avoir lieu chez les chiens, parce- qu’ils sont privés de vésicules séminales; aussi restent-ils longtemps accouplés afin de favoriser la préparation du fluide spermatique, qui ne s’opère chez eux qu’au mo- ment même de la copulation. Revenons.

Indépendamment de ces trois causes perpétuelles d’impuissance, soit naturelles, soit accidentelles, dont nous avons parlé, il en est d’autres qui ne déterminent pas cette incapacité absolue, manifeste et indubitable, et qui par conséquent ne peuvent être des motifs de nul- lité de mariage ou des empêchements dirimants.

11 est aujourd’hui démontré par une foule de faits que


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les Uypospades et les épispades , c’est à dire ceux chez lesquels l’urètre s’ouvre au dessous et au dessus du pé- nis, ne sont ni impuissants ni stériles, à moins toutefois que l’ouverture urétrale ne se trouvât excessivement re- culée, ce que nous n’avons encore jamais rencontré  : on conçoit néanmoins qu’un accident pourrait donner lieu à une pareille cause d’impuissance, et alors celle-ci devrait être regardée à priori comme perpétuelle , sauf la preuve expérimentale du contraire. Le cas rentrerait alors dans celui de l’absence complète du pénis.

Les dimensions organiques démesurées, quelles qu’el- les soient et dans quelque sens qu’ elles soient, ne peu- vent être admises comme motifs d’impuissance au moins perpétuelle. A l’aide des moyens et des précautions qu’indique la science médicale et même souvent le sim- ple bon sens, ces inconvénients disparaissent peu à peu et pour toujours. Ce ne sont donc que des causes d’im- puissance temporaire ou passagère.

La bifurcation, l’obliquité, la tortuosité du pénis, le rétrécissement du canal de l’urètre, le phimosis ou l’é- troitesse de l’ouverture préputiale, etc., ne peuvent être non plus regardés comme des causes d’impuissance per- pétuelle, puisque l’art peut presque toujours y remédier.

Le sarcocèle, c’est à dire le squirrhe de l’un des deux testicules, ne peut être une cause d’impuissance, puisque celui qui demeure sain suffit à la sécrétion spermatique. Si néanmoins le volume de la tumeur était parvenu au point de mettre obstacle au coït, il y aurait une espèce d’impuissance temporaire que l’ on pourrait faire cesser par l’opération ou l’ablation de la tumeur. Si les deux testi- cules sont gravement alfectés, c’est à dire s’ils sont frap-


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pés d’un double squirrhe, ce cas rentre alors dans celui de l’absence de ces organes, parceque les vrais squirrhes ne peuvent disparaître que par l’ablation des testicules.

Les hydrocèles énormes peuvent aussi apporter à l’u- nion sexuelle un obstacle temporaire, comme nous en avons vu un exemple dernièrement; mais cet obstacle peut être facilement levé par l’art, sans aucune mutilation.

Les hernies scrotales sont quelquefois assez volumi- neuses pour effacer plus ou moins le pénis et pour rendre impraticable l’acte générateur; mais on peut toujours les réduire plus ou moins, de manière que le coït ne soit pas impossible. Nous nous éloignerions de notre sujet si nous multipliions davantage ces citations de causes d’im- puissance organique. Ce que nous venons de dire doit suffire pour donner aux confesseurs, dans l’occurence, l’éveil sur ce point difficile, et pour les engager à faire consulter les gens de l’art, et surtout, s’il est possible, dans les cas graves, les médecins légistes, je dirais pres- que les médecins canonistes , les Zacchias modernes, s’il en existe.

Impuissance perpétuelle et temporaire , naturelle et accidentelle chez la femme.

Les causes certaines d’impuissance perpétuelle chez la femme sont  : l’absence de l’utérus, du vagin, l’oblité- ration naturelle, congénitale et complète de ce dernier ou son excessive angustie résultant d’un vice de confor- mation des os du bassin  ; l’absence du vagin et même de Y utérus est toujours physiquement constatable à priori. On peut ajouter ici que l’oblitération accidentelle du va-


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gin doit aussi être regardée comme une cause d’impuis- sance perpétuelle.

On a vu des cas où le canal vaginal s’ouvrait dans une autre cavité, dans le rectum, par exemple, comme chez les gallinacées. Il y a plus  : on cite plusieurs laits très bien prouvés d’absence d’ouverture naturelle extérieure (sine vulvâ), parceque le vagin s’ouvrait dans l’intestin rectum. Le célèbre Louis, secrétaire perpétuel de l’an- cienne Académie de chirurgie, en rapporte une observa- tion dans une thèse dont la Sorbonne défendit la publi- cation, comme contraire aux bonnes mœurs. Le titre en était  : Déficiente vaginâ , possuntne per rectum concipere mulier es? Une autre version porte  : An nxore sic clispo- sitâ uti fas sit, vel non , judicent theologi morales. La possibilité de cette conception était établie par l’exemple d’une femme qui était devenue enceinte par cette voie, et qui accoucha d’un enfant, non sans opération et d’é- normes déchirements. Il va sans dire qu’un tel vice d’or- ganisation doit toujours être regardé comme une cause d’impuissance absolue et perpétuelle. Une semblable union, bien qu’elle ne soit pas nécessairement stérile, comme plusieurs faits malheureux le prouvent, doit être constamment réprouvée et abhorrée, parcequ’elle répu- gne trop manifestement aux lois de la morale et de la nature, et que d’ailleurs elle expose la vie de la femme aux plus grands dangers. C’est aussi la décision portée par l’arrêt de la cour royale de Trêves, rendu en 1808, à la suite d’une visite et d’un rapport faits par des hom- mes de l’art. La Cour a prononcé la nullité d’un mariage, attendu que l’état physique et la eonformatian de la dame s’opposaient au but naturel et legal du ma-


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riage , que cet empêchement existait avant le mariage et qu'il n était pas possible d'y remédier.

Quoique cette décision soit opposée à la lettre ou aux termes du chapitre U du titre du Mariage du Code civil, qui ne contient aucune disposition expresse relative à l’impuissance, MM. Delvincourt ( Cours du Code civil, t. 1, p. 405), et Merlin ( Répert . de Jurisprud. , 4e édi- tion, mot impuissance, n. 2), l’ont approuvée et l’ont jugée parfaitement fondée en droit. Le premier se fonde sur ce que le chapitre 4 précité ne renferme pas expli- citement toutes les causes de nullité  ; et le second invo- que l’article 146 du Code civil, qui porte que, lorsqu’il n’y a pas de consentement, il n’y a pas de mariage  ; or, suivant Merlin, il n’y a pas de consentement lorsqu’il y a erreur sur la qualité d’une telle nature. A cela on peut encore ajouter que l’article 313 du Code civil énoncé en ces termes  : « Le mari ne pourra, en alléguant son im- puissance naturelle, désavouer l’enfant...,  » n’exclut le désaveu de paternité que pour impuissance naturelle  ; il approuve donc au moins implicitement le désaveu par impuissance accidentelle. C’est ce qui résulte en effet de l’article 312 du Code, qui porte  : « L’enfant conçu pen- dant le mariage a pour père le mari. Néanmoins celui-ci pourra désavouer l'enfant s’il prouve que, pendant le temps qui a couru depuis le trois centième jour jusqu'au cent quatre-vingtième jour avant la naissance de cet en- fant, il était, soit par cause d'éloignement, soit par l’effet de quelque accident, dans l'impossibilité physique de cohabiter avec sa femme.  »

Ne pourrait-on pas encore enfin apporter une dernière raison en faveur de l’arrêt de la cour de Trêves et de tous


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les tribunaux civils qui, comme l’autorité ecclésiastique, prononceront probablement la nullité des mariages où l’impuissance est perpétuelle, naturelle, absolue, indes- tructible et antérieure au mariage? Cette raison, ce serait une erreur étrange dans la personne. Si, par exemple, une femme avait contracté mariage avec un individu regardé jusqu’alors comme appartenant au sexe masculin, mais qui ne serait dans la réalité qu’une simple femme comme elle, ou du moins, si l’on veut, un véritable eunuque, pourrait-on soutenir raisonnablement qu’une telle union pût être maintenue, par la raison que c’était bien cette personne que la première ou la contractante avait eue en vue? Non, sans doute. Or ce cas est arrivé, et a donné lieu à un arrêt du Parlement, du 18 janvier 1765, qui a prononcé la nullité du mariage de la fille Grand-Jean, prétendue hermaphrodite, chez laquelle les organes sexuels féminins étaient tellement cachés, mêlés et con- fondus avec des simulacres ou des organes rudimentaires de la virilité qu’elle-même se croyait homme. La femme qui avait été unie à la fille Grand- Jean a donc cru épouser un homme, tandis qu’en réalité elle n’en avait épousé que l’apparence ou le fantôme.

N’y a-t-il pas là un double empêchement dirimant? S’il n’y a pas erreur dans la personne , n’y a-t-il pas du moins une cause d’impuissance naturelle, perpétuelle, absolue et antécédente, et certes tout à fait décisive? Soyez sûr que, contre la lettre du Gode, qui n’admet point de causes d’impuissance naturelle, tous les tribunaux de l’Europe imiteront toujours la conduite du parlement de 1765.

Quant à l’angustie excessive (arctitudo), à l’occlusion


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et à l’oblitération imparfaite du vagin, on ne peut les admettre comme cause d’impuissance absolue et perpé- tuelle, puisqu’il est certain que la fécondation peut avoir lieu sans que la membrane hymen soit détruite. Le cé- lèbre Baudelocque rapporte qu’une jeune fdle étant de- venue enceinte, on reconnut, au moment de l’accouche- ment, que le vagin était encore fermé par une membrane épaisse percée d’une seule ouverture, tellement étroite que l’on aurait eu peine à y introduire la tête d’une épingle  : on fut obligé de l’inciser pour terminer l’accou- chement. Nysten a vu une grossesse de l’ovaire chez une jeune fdle de treize ans, non réglée, dont les organes génitaux étaient peu développés, l’hymen intact (voyez, pour cette dernière partie, notre Précis de Physiologie ) , et le vagin tellement étroit qu’on ne put y introduire un tuyau de plume. (Journal de Corvisart et Leroux, bru- maire, an XI.) — Une jeune dame, mariée à l’âge de seize ans, offrait la même conformation  : les hommes de l’art avaient déclaré que le coït était impossible; cepen- dant, après onze mois de mariage, elle devint enceinte sans que le vagin se fût élargi  ; il ne se développa que vers le cinquième mois de la grossesse. L’étroitesse ou l’angustie vaginale n’est donc pas toujours une cause d’impuissance. D’ailleurs l’art peut y remédier, comme nous le verrons plus bas.

Le renversement du vagin ou de l’utérus, ou leur pro- lapsus, la hernie de ce dernier organe, la direction vicieuse de son col, etc., ne peuvent être des causes d’impuissance perpétuelle, puisque ce sont des cas pa- thologiques auxquels l’art peut également remédier au moins suffisamment pour rendre le coït possible.


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Résumé  : causes d’impuissance physiques, perpé- tuelles, absolues, indestructibles et constatables à priori: absence complète du pénis, absence des deux testicules et l’exstrophie de la vessie chez l’homme  ; l’absence du vagin ou de l’utérus et l’oblitération du canal vaginal chez la femme.

Des hermaphrodites. En existe-t-il? Non, l’herma- phrodisme ou l’androgynie ne se rencontre pas dans l’espèce humaine, ni même dans les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les poissons, les vers et les insectes  ; il ne se trouve que dans divers molusques, tels que l’huître et le limaçon, dans les zoophytes et dans les plantes monoïques.

Les divers cas de prétendu hermaphrodisme ne sont que des monstruosités, des vices d’organisation résul- tant le plus souvent d’un arrêt dans l’évolution naturelle des organes ou d’une aberration nutritive pendant l’épo- que de la vie intra-utérine.

L’hermaphrodisme n’est donc qu’apparent, et il y a un sexe déterminé et plus ou moins masqué par un vice de conformation. L’hermaphrodisme apparent, dans le sexe masculin, n’est souvent qu’une espèce d’hypospa- dias, et dans l’autre sexe un développement excessif du clitoris, devenu péniforme. Voici un exemple du premier cas, que l’on trouve consigné dans les Bulletins de la société de la Faculté de médecine de Paris, dans le Jour- nal de médecine, de chirurgie et de pharmacie, et dans le Dictionnaire des sciences médicales .

Le 19 janvier 1792, le curé de la paroisse de Bu, ar- rondissement de Dreux, constata la naissance d’une fille qui fut appelée Marie-Marguerite. Vers l’âge de quatorze


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ans, Marguerite se plaignit d’une tumeur qui s’était ma- nifestée dans l’aine droite, et bientôt après d’une sem- blable développée au côté opposé. Un chirurgien appelé crut reconnaître deux hernies. Quelques années après, Marguerite songeant à se marier, ses parents la firent examiner par le docteur Worbe, afin de s’assurer si ces prétendues hernies et l’absence de la menstruation ne seraient pas un obstacle au mariage. Le docteur Worbe reconnut que les tumeurs prises pour des hernies étaient les deux testicules, contenus chacun dans une des deux loges d’un scrotum bilobé, et que dans la division scro- tale il existait un gland imperforé avec l’ouverture uré- trale placée au dessous. Enfin il déclara que Marguerite appartenait au sexe masculin. Le 5 octobre 1813, sur la requête qui lui en avait été présentée, le tribunal de Dreux ordonna que Marguerite serait visitée par trois médecins ou chirurgiens  ; et, sur le rapport des experts, dont le ministère public adopta les conclusions, il fut jugé que Marguerite quitterait les habits de femme, et que son acte de naissance serait rectifié.

Maintenant, pour conclure, les individus dits herma- phrodites peuvent-ils contracter mariage? Oui, s’ils pré- sentent tous les organes nécessaires pour la cohabitation maritale, et par là même ils ne sont pas impuissants  : car peu importe qu’ils aient quelques-uns des organes génitaux de l’autre sexe, ou du moins quelques parties qui les simulent; ils ne peuvent être réputés impuis- sants, puisque, nous le répétons, ils se montrent aptes au coït.

11 faut noter en passant que, dans tous les prétendus hermaphrodites, il n’existe jamais qu’un seul sexe bien


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déterminé, ou il n’en existe pas du tout  ; et dans ce dernier cas, comme on sent, le mariage est impossible. Tel était le cas d’un être humain nommé Hubert, mort en 1767, qui, par une aberration ou un jeu bizarre de la nature, avait les organes essentiels des deux sexes, et cependant il ne pouvait être apte à remplir les fonctions ni de l’un ni de l’autre  ; il avait un pénis imperforé, un testicule normal sécrétant une semence prolifique sans issue possible  ; une trompe avec un ovaire et une matrice renfermée dans un sac sans ouverture, et par conséquent aussi sans issue possible. Il n’était donc primitivement et organiquement ni homme ni femme, à en juger du moins par la seule inspection des organes génitaux. Il a donc fallu, pour lui assigner son rang de sexe dans la société, le juger par ses attributs généraux tant physi- ques que moraux, tirés de la conformation du corps, du bassin, des formes, de la barbe, de la voix, du caractère, des inclinations, des goûts, etc.

D’après ce qui précède, il sera facile au lecteur intel- ligent de juger et d’apprécier à leur juste valeur les assertions ou conclusions suivantes de Sanchez et des théologiens qui l’ont copié. « Quandô uterque sexus æqualis est, in optione ejus est juxta alterutrum sexum matr. jungi. Quare si virili deservire eligat, ducet femi-

nam  : quôd si femineo, nubet viro Parochus autem

non debet interesse tali matr. donec hermaphroditus coram judicef ecclesiastico protestetur quo sexu uti velit. . . Exigendum est sub jurejurando quo sexu uti velit et se alio sexu præter semel electum non usurum.  » (Lib. 7, disp. 106.)

Sanchez, au même endroit, fait observer avec plus de


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raison que, tant que le sexe des individus dits herma- phrodites est douteux, ils sont incapables des ordres ecclésiastiques et de la profession religieuse.

S II-

CONSÉQUENCES ET APPLICATIONS DES PRINCIPES CI-DESSUS ÉTABLIS.

Nous avons vu que, lorsqu’il est certain que l’impuis- sance perpétuelle, naturelle ou accidentelle, absolue ou respective, est antérieure au mariage, celui-ci est abso- lument nul, et que les parties doivent se séparer immé- diatement; ou, si elles veulent continuer de vivre en- semble, elles doivent vivre désormais comme frère et sœur. On entend par là « que les personnes doivent s’abstenir non seulement ab actu conjugali, mais aussi ab eodem thoro, à tactibus, amplexibus et osculis.  »

( Conférences d'Angers . ) C’est sur ce principe qu’un évêque d’Arras a condamné, comme fausse et contraire à la pureté, cette proposition de Taberna  : Si actus con- jugalis sit conjugibus iUicilus ob aliquam circumstantiam extrinsecam , verbi graliâ, ob morbvm , periculum abor- tûs , et non ideo sunt illiciti edii actus venerei, seciuso periculo pollutionis idemque dicendum in casu impo- tentiœ supervenientis matrimonio. La partie non im- puissante peut se remarier à une autre; l’autre jamais, si son impuissance est perpétuelle et absolue. Les parties ne pourront se séparer, quant à l’habitation, qu’ après que le juge ecclésiastique aura prononcé la dissolution du mariage.

Si l’impuissance est survenue pendant le mariage, elle ne peut être une raison de le rompre, pareequ’il a été


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validement contracté  : il ne pourrait être disions que par la profession religieuse, s’il n’a pas encore été con- sommé, ce qui doit au reste arriver très rarement ou plutôt jamais. Les époux doivent donc alors vivre en- semble comme frère et sœur, si l’impuissance acciden- telle est certaine et connue des deux parties. C’est la décision du pape Nicolas Ier, qui est devenue règle ou principe certain dans le for intérieur.

« Cependant, est-il dit dans les Conférences de Paris , un confesseur ne doit pas inquiéter deux époux lorsqu’à cause d’ une maladie ou d’une chute ils sont seulement dans le doute qu’un d’eux est devenu impuissant  ; leur droit est fondé sur un véritable et légitime mariage. L’Eglise, qui permet quelquefois à un mari et à une femme de demeurer ensemble durant trois ans, quand l’un des deux se plaint de l’impuissance de l’autre, n’est pas censée condamner de péché deux époux qui usent du mariage, lorsqu’il ne leur paraît pas évidemment que l'un des deux est devenu impuissant  ; ils sont en posses- sion légitime de leur droit, et l’Église n’a dessein de les troubler que dans le cas d’une impuissance évidente  : possessio valet , et melior conditio possidentis . » (T. 3, sur le mariage.)

Mais lorsqu’il y a doute si l’impuissance a précédé le mariage ou non, il faut s’en rapporter, dans le for inté- rieur, à la déclaration du pénitent. S’il affirme positive- ment que son impuissance est très réelle et quelle a toujours existé, il faut lui déclarer que, cela étant, son mariage est radicalement nul. Il est nécessaire, dans une telle occurrence, de renvoyer le pénitent à un homme de l’art, et, s’il se peut, à un médecin légiste: car il est


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possible que l’impuissance ne soit que temporaire, et par conséquent curable. Si la partie saine ne s’est plainte que longtemps après le mariage, on doit présumer que l’impuissance est survenue depuis le mariage, à moins qu’on ne prouve physiquement et péremptoirement quelle est perpétuelle et congénitale.

Dans le for extérieur on doit toujours présumer que , l’impuissance est survenue après le mariage contracté, jusqu’à ce que le contraire soit prouvé.

Comme nous l’avons déjà insinué plus haut, la liberté ou la licence, in ordine ad actum conjugalem, lorsqu’une des parties est frappée d’impuissance, soit précédente, soit subséquente, est interdite parcequ’elle ne peut at- teindre sa fin. Elle sera mortelle ou vénielle suivant les circonstances et les cas que nous expliquerons dans le chapitre suivant.

L’impuissance temporaire ne peut invalider le mariage puisqu’il a été validement contracté, soit que cette sorte d’impuissance ait été antérieure ou postérieure à ce con- trat; car il n’est pas de l’essence du mariage qu’il soit consommé, mais seulement qu’il puisse l’être dans des conditions et des circonstances données.

L’impuissance temporaire, comme nous l’avons déjà dit, peut cesser sous l’influence de moyens convenables, soit physiques, soit moraux, et licitement employables.

Les causes physiques de l’impuissance temporaire ont été exposées plus haut, page 26/1 et suivantes. Quant aux causes morales, nerveuses, ou si l’on veut immatérielles, elles sont assez nombreuses et très variables. Les théo- logiens, comme on sait, attribuent ordinairement l’im- puissance morale ou purement nerveuse, c’est à direl’im-


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puissance indépendante de toute lésion oii vice physique et organique, à un maléfice ou à l’opération du démon  : c’est ce qu’on appelle vulgairement et superstitieusement le nouement de l'aiguillette . Mais très souvent on a pris pour un maléfice ce qui n’était que l’effet d’une ima- gination fortement frappée, exaltée, troublée ou intimi- dée, sidérée, paralysée par la crainte d’être subitement impuissant; ou, chez des hommes simples, par des pré- dictions ou des menaces antérieures d’impuissance ou de nouement de l'aiguillette . Quelquefois on a vu de sou- daines impuissances produites par un sentiment subit de honte, de timidité ou de crainte révérentielle, ou d’aver- sion, d’antipathie et de dégoût imprévu, déterminé par certaines découvertes inopportunes que font quelquefois les nouveaux mariés; d’autres fois aussi par un excès érotique, une passion excessive ou une trop grande préoccupation ou précipitation.

Un auteur de théologie morale, que nous aimons à citer pareequ’il nous paraît en général moins arriéré que beaucoup d’autres dans le chemin de la vérité ou de la science de l’homme, M. Vernier, presque physiologiste, s’exprime ainsi: « ïmpotentia ab extrinseco veniens or- (( dinariè est ex maleficio, cui tamen rar'o credendum9 (( si forsan nunc aliquandb.  » ( Theologia practica, t. 2, p. 564. )

Le célèbre Paul Zacchias, médecin d’innocent X, en 1688, et de plus médecin légiste et canoniste 9 invoqué par tous les théologiens, fait observer très judicieusement que souvent l’on attribue à des maléfices l’impuissance qui provient « vel ex verecundiâ et pudore, vel ex nimio amore, vel ex infenso odio sponsæ quam vir invitus

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duxit. )> ( Oit/cst. iwdico-tegal.y lib. 3, lit. 4, q. 5.) Le même auteur ajoute que J’ official doit y faire attention, parceque ce n’est point alors une cause de dissolution du mariage, et que tout cela peut finir avec le temps. C’est pourquoi l’Église, suivant le témoignage de tous les théo- logiens et de tous les canonistes, accorde l’épreuve de la cohabitation triennale à tous les époux qui se trou- vent dans les cas ci-dessus mentionnés, et même dans tous les cas où l’impuissance est douteuse, soit que ce doute tombe sur sa durée temporaire ou perpétuelle, soit qu’il tombe sur son antériorité ou sa postériorité au ma- riage, ou enfin sur sa nature physique ou morale. Dans le for intérieur ce laps de trois ans commence à courir du moment du mariage. C’est le sentiment le plus com- mun et le plus probable.

Si avant l’expiration des trois années les parties avaient reconnu avec certitude que l’impuissance est certaine et irrémédiable, ils seraient tenus de s’abstenir aussitôt de tout acte vénérien et de toute liberté conjugale. Si l’im- puissance, d’abord douteuse, est reconnue non seulement certaine, mais encore antérieure, perpétuelle et indes- tructible, ils doivent regarder leur mariage comme com- plètement nul, et se conduire encore plus sévèrement que dans le premier cas. (1)


(1) Voici le sage conseil queMgr Bouvier engage lés confesseurs à donner aux époux pendant l’épreuve triennale  : « Præcavere debet (confessarius) ne impotentia, quæ causæ naturali tribuitur, ab excessu libidinis, vel ab aliis causis sanabilibus oriatur, quia tune ad remedia naturalia recurrendum esset  ; mcdici enim quædam hujus generis remedia indicant et præscribunf. Pluies sunt causæ naturales virum à eoitu impedientes, quæ sine ope me- dicorum lolli possunt, v. g., dilformitas in uxore, balilus letrum spirans.


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Pour en revenir au médecin Zaccliias, nous sommes tout à fait de son avis ci-dessus exprimé, et nous pen- sons, avec les théologiens les plus modernes, que le ma- léfice, dans l’espèce, est aujourd’hui au moins extrême- ment rare, si tant est que, dans nos temps, il existe jamais. Vu reste le démon malheureusement n’y perd l ien. 11 a trouvé moyen de se dédommager amplement, et l’on sait assez comment il exploite le mariage à son déplorable et immense profit. Voulez-vous savoir sur quels époux le démon exerce le plus son pouvoir et son infernale malice? fange Raphaël vous l’apprendra par ces paroles adressées au jeune Tobie  : Audi me, et osten- dmn tibi quisunt quitus prœvalere potest dœmonium. Ili ruimquc qui conjugium ita suscipiunt , ut Deum à se et à sud mente excludant , et suœ libidini ita vacent sicut eqnus et mut us, quitus non est intellectus  ; habet potesta- tem dœmonium super eos. (Tob. , 6, 16 et 17.) Voilà bien certainement le maléfice le plus terrible, et aussi incon- testable qu’il est fréquent. Il paraît que le démon a plus d’intérêt aujourd’hui à pousser les hommes aux passions brutales dans l’usage du mariage qu’il ne trouve d’a-


negligentia in ornatu et munditie, odiuni, contemptus, etc.  ; pulchritudo çnim aliæque qualitates quæ mulierem reddunt amabilem ad consuni- mationem matriiqonii multùrn excitant. Time prudens conFessarius debet imprimis consulere sponsis ut in re tanti momenti, ad æternam ulriusque salutem pertinent!, rem toto tenipore experimenli cum bonâ fide et ex purâ intentione agant, sine libidine inordinatâ, sine odio, tædio, ininiicitiA et Taslidio, ut corpora sibi invicem communicent modo ad perticiendam co- pulam aptiori, ut mulier munditiei plùs solilù studeat, blandiliis et ornn- raentis licilis aniabiliorem viro se præbeat, et tandem quærat quomodo ci placent  ; sont verba ipsius aposloîi.  »


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vantage à les en rendre tout à fait incapables. Si main- tenant il ne tue pas les maris, comme il fit mourir autre- fois les sept maris de Sara, il n’y trouvera que mieux son compte par le nombre infini d’âmes qu’il entraîne avec lui dans les éternels abîmes.

S’il faut enfin reconnaître la fréquence des impuis- sances indépendantes des lésions ou des vices organiques ou physiques, et nous les reconnaissons formellement, il faut les attribuer généralement aux grands et longs excès vénériens et surtout onaniques, et à l’énervation ou plutôt à X éviration précoce de la jeunesse. Voilà, selon nous, le plus grand et le plus fréquent maléfice qui aujourd’hui noue , enchaîne et paralyse la puissance virile.

Maintenant, quant à l’état d’angustie (arctitudo) et à f incision qui sont l’objet de si grandes et si longues dis- cussions parmi les théologiens, nous devons avouer ici notre ignorance, parceque nous ne pouvons comprendre leur pensée sur cette opération ou cette question si vive- ment controversée en théologie morale  ; ou plutôt nous devons dire que cette fameuse opération, incisio vaginæ vel vasis muliebris, comme ils disent, n’est indiquée, quant à l’espèce, dans aucun livre de médecine ou de chirurgie; elle ne se trouve que dans les seuls ouvrages des théologiens. Et après tout, quand on ferait cette opération (toujours très grave) au degré nécessaire pour obtenir le but qu’on se propose, elle serait inutile puis- que la cicatrisation de la plaie reproduirait l’étroitesse et probablement l’augmenterait encore.

Ainsi qu’on ne s’effraie donc pas d’une opération qui ne doit jamais être faite, parcequ’elle est moralement


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impraticable, fort dangereuse et sans aucun but d’utilité réelle. D’ailleurs, dans un cas de grande angustie, l’acte conjugal n’est pas complet ni normal, si l’on veut, mais il n’est pas pour cela nécessairement stérile, comme nous l’avons vu plus haut; il n’y a donc pas impuissance com- plète, pas d’impossibilité, mais seulement difficulté, qui ne peut être un empêchement dirimant. Après tout, on a toujours l’épreuve triennale  ; et si au bout de trois ans, et après l’emploi des moyens ci-après indiqués, la fécon- dation n’a pu avoir lieu, on regardera le cas comme une impuissance perpétuelle et antérieure au mariage, et par conséquent comme un véritable empêchement dirimant. 11 n’est donc pas toujours nécessaire que l’acte conjugal soit complet, pourvu qu’il puisse être fécondant  : semen ad vaginæ orificium projectum fecundare potest  ; minima enim seminis quantitas ad generationem sufïicere potest.

Nous avons vu, à la page 261, que l’oblitération seule est une cause d’impuissance perpétuelle, et par consé- quent un empêchement dirimant. L’incision serait ici inutile et très dangereuse  : elle est donc une opération impraticable, chimérique, qu’on peut laisser dans les livres des théologiens, où elle se trouve seulement et où elle ne fera jamais de mal à personne.

Il est donc à la fois bien plus raisonnable et plus ra- tionnel d’avoir recours aux corps et aux moyens dilatants. On trouve dans l’ouvrage de Boyer un fait fort remar- quable fourni par un chirurgien italien, Benevoli  : c’était une femme dont le vagin était tellement rétréci dans toute sa longueur, qu’il pouvait à peine admettre une plume à écrire de moyenne grosseur. Les parois du canal vaginal étaient dures et calleuses. Le mariage avait été


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béni depuis trois mois, et n’avait pu être consommé. Benevoli employa la racine de gentiane comme moyen dilatant: il en augmenta progressivement le volume, puis il se servit de la moelle d’une tige de blé de Tur- quie, et en vint à la lin à l’éponge préparée. Ces diverses substances en se gonflant dilatèrent peu à peu le canal, et le rendirent apte à remplir ses fonctions. La conduite de Benevoli devrait être imitée en pareil cas. Dans quel- ques circonstances particulières on peut encore avoir recours à certaines onctions ab utrâque parte.

Si l’incision vaginale est et doit être proscrite, il n’en est pas de même d’une autre petite opération qui devient souvent nécessaire, et que l’on doit toujours pratiquer quand la cohabitation maritale est impossible. Cette opération, qui est sans aucune gravité et d’une parfaite innocuité, est tout simplement l’incision de la membrane hymen, qu’il n’est pas très rare de voir plus ou moins charnue, fibreuse, dure et résistante au point de mettre obstacle au coït normal ou de le rendre complètement impossible (Voyez page 101). Les confesseurs doivent représenter à la femme qu’elle est obligée de faire ce qui dépend d’elle pour se rendre apte à remplir ses devoirs les plus essentiels envers son mari  ; qu’en se soumettant à ce que le devoir exige d’elle elle ne court aucun risque pour sa vie ni même pour sa santé, etc.

Tout ce que nous venons de dire sur la fameuse ques- tion de l’incision vaginale, tant débattue depuis des siè- cles par tous les théologiens, doit nous épargner un grand nombre de pages devenues inutiles par le nouveau prin- cipe que nous avons établi. Dès ce moment nous nous abstenons donc de discuter les opinions diverses et con-


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tradictoires qui ont été émises sur un point qui, pour nous, est désormais parfaitement et irrévocablement ré- solu, parceque le principe que nous avons admis est fondé sur la nature des choses, sur l’organisme humain et l’expérience des hommes de l’art les plus éclairés du dix-neuvième siècle.

Nous nous contenterons de faire une courte observa- tion sur les conséquences pratiques de ce que nous avons dit relativement à l’incision, non pas vaginale, mais hy- ménale  : c’est que du fait de cette légère et innocente opération on pourra conclure la non-existence de l’im- puissance antérieure et perpétuelle, et par conséquent la négation de la rénovation matrimoniale ou du moins de sa ratification par un nouveau consentement, puisque le mariage a été validement contracté. D’après cela il sera aisé de voir que Pontas s’est trompé dans les second et troisième cas d’empêchement par impuissance, et que ses décisions sont erronées ou du moins très inexactes ou très incomplètes: cela devait être, puisqu’elles sont la conséquence de principes erronés  ; et ces principes ce- pendant, sur ce point, sont ceux de l’universalité des théologiens, même de nos jours.

Revenons à l’épreuve triennale. Si après ce laps de temps l’impuissance persévère et qu’elle soit perpé- tuelle, le confesseur doit exiger des époux qu’ils vivent entre eux comme frère et sœur, et qu’ils s’abstiennent sévèrement de toute liberté ou licence conjugale, qui ne peut plus avoir aucun but, comme il a été dit plus haut.

Peut-on laisser des époux avec une impuissance per- pétuelle et ignorant de bonne foi la nullité de leur ma-


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riage  ; peut-on laisser ces époux prolonger dans cette bonne foi le temps de probation au-delà de trois ans  ?

Voici ce que répond à cela Msr Bouvier  : « Si constaret eos in bonâ ûde versari, et admonitos non emendatum iri, fortè liceret eos in ignorantiâ relinquere, quia tune minus malum, videlicet peccatum materiale, permittere- tur, ad vitandum majus, nempè peccatum formale. At improbabile mihi videtur sponsos bonâ fine semper arbi- trari sibi licitum esse tentare actum quem nunquàm per- ficiunt, nec perficere possunt  ; censeo igitur eos admo- nendos esse, saltem ordinariè.  »

Les théologiens proposent encore certaines questions pratiques., qui aujourd’hui chez nous, en France, ne peuvent plus guère être applicables. Ils demandent, par exemple, ce qu’il y aurait à faire si, après une dissolution de mariage pour cause d’impuissance, l’époux, jugé d’a- bord impuissant, est reconnu par la suite posséder toutes les qualités viriles nécessaires à l’accomplissement des devoirs conjugaux.

Tous les théologiens, depuis et d’après S. Thomas, répondent que, si l’impuissance a été levée par un moyen illicite, surnaturel ou très dangereux pour la vie, l’em- pêchement est perpétuel et la dissolution du mariage est juste et légitime  : transeat , bien qu’on pût faire quel- ques observations sur cette réponse avant de la laisser passer, quand ce ne serait que de faire supprimer main- tenant la circonstance du grand danger pour la vie qui ne doit ni ne peut plus désormais jamais avoir lieu, d’a- près ce que nous avons dit plus haut.

On ajoute  : Si l’impuissance a cessé par des voies ou des moyens naturels, le sentiment des théologiens et des


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canonistes est partagé. Les uns prétendent que la partie primitivement déclarée impuissante n’est pas tenue de retourner à sa partie, au moins en France  : 1° parceque, dit-on, il est difficile de prouver qu’un homme ait cessé d’être impuissant; car à la rigueur il peut se faire qu’il ne soit pas le père des enfants qu’il croit siens néan- moins; 2° parceque, ajoute-t-on encore, l’Église de France a pu faire qu’une telle impuissance, quoique non perpétuelle, soit, par droit positif, un empêchement dirimant; 3° enfin parcequ’on présume que cette im- puissance n’était seulement que respective. Le lecteur appréciera facilement lui-même la valeur des deux pre- mières raisons. Quant à la troisième, on doit savoir maintenant que l’impuissance respective peut souvent cesser par des moyens naturels appropriés, et cesser aussi par conséquent d’être un empêchement dirimant.

D’autres, surtout les étrangers beaucoup plus commu- nément, affirment, depuis S. Thomas, que la partie saine, séparée par l’autorité ecclésiastique et déjà engagée dans un second mariage, doit retourner à sa partie qui a cessé d’être impuissante. C’est ainsi que l’ont décidé Inno- cent III et Honoré III, dit M§r Bouvier. La grande, la vé- ritable raison, le lecteur l’a déjà saisie  ; c’est que, cette impuissance n’étant point perpétuelle et antécédente, le premier mariage est valide et doit être maintenu. Mais, nous le répétons, ces cas n’arrivent plus aujourd’hui en France  : et, une fois pour toutes, s’il surgit des cas ex- traordinaires, quelque difficulté imprévue, on doit tou- jours s’adresser à l’ordinaire, à l’évêque ou à ses grands vicaires.

On propose une autre difficulté que voici  : l\Dr Bouvier,


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A10ECHIAL0GIE.


avec d’autres théologiens, demande « quid agere debeat mulier quæ certô novit piaritum esse impotentem, et prolem ex facto alterius habuit, si maritus, arbitratus se prolis esse patrem, licentiâ conjugali uti velit. M^r Bou- vier répond  : « Cavendum est ne mulier certô judicet im- potentem virum cujus impotentia ad summum est dubia. Verùm supposito quôd impotentia ejus sit certa, nullam permittere potest licentiam, licèt grave ex repulsu sibi immineat detrimentum, quia rem intrinsecè malam face- ret  ; in molestissimâ ergo hâc hypothesi debet suadere marito, meliori quo poterit modo, ut in continentiâ dein- ceps vivat, v. g., sub prætextu quôd sit senex, quôd uni- cus infans ipsis sufficiat, quôd ipsa ab actu conjugali nunc abhorreat, etc. Si quâdam die videretur plenè as- sentire, sic eum alloqui posset; Ne forte, tentationiuus victi, à proposito nostro avertamur , simul, quœso, per- petuam voveamus continentiam. Si votum semel emittat, in tuto erit mulier  : votum utriusque obtendendo, ilium conjugali licentiâ uti volentem sine ullo suspicionis loco semper repellere poterit. Memor sit obligationis reparandi damnum marito et hæredibus per introductionem spurii inferendum.  »

Suivant Sanchez (lib. 7, disp. 97, n° 13) et un grand nombre d’autres qu’il cite, un homme et une femme sa- chant certainement que l’un d’eux est impuissant d’une impuissance perpétuelle peuvent contracter validement mariage dans le but de s’entraider mutuellement et de vivre du reste comme frère et sœur, secluso omni peri- culo peccandi. Si ceux, dit-il, qui ont contracté mariage avec impuissance perpétuelle peuvent demeurer ensem- ble, comme frère et sœur, malgré la nullité de leur ma-


M0ECH1AL0GIE.


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nage, pourquoi ne le pourrait-on pas dès le connnence- 1 lient? Le cas sera matériellement le même sans plus de danger d’un côté que de l’autre. Cette raison de Sanchez est plus spécieuse que solide. 11 est certain que dans les deux cas le mariage est nul, parcequ’il est contracté contre le droit naturel et ecclésiastique  ; mais dans un cas il y a eu profanation ou sacrilège, et point dans l’autre, où les époux sont exempts de toute faute, sous l’abri tu- télaire de leur bonne foi  ; tandis que dans l’hypothèse de Sanchez les deux faux époux pèchent et profanent sciemment le sacrement du mariage, auquel manque ici la condition essentielle, la puissance virtuelle  : en un mot, le cas proposé par Sanchez, c’est exactement le ma- riage d’un eunuque. Par respect et par convenance, nous nous abstiendrons de parler du mariage de la très sainte Vierge et de S. Joseph, qu’on cite à l’appui. Il est inutile de faire observer qu’ici il y a absence de parité, et que le mariage de Marie et de Joseph était très valide.

On objectera peut-être le mariage des vieillards, que l’Eglise bénit, quoiqu’ils soient arrivés à un âge très avancé, et par conséquent, ajoute-on, frappés de stérilité radicale et d’une perpétuelle impuissance.

On sait en effet que telle est la conduite de l’Eglise.

On cite un grand nombre de ces sortes de mariages incongrus bien que très valides, comme le fut certaine- ment celui que rapporte Pontas d’après le Mercure du mois de février 1708. Thimothée Blanche, marchand de la ville de Montheurt, près Tonneins, en Guyenne, fut admis à contracter mariage à l’âge de cent dix-sept ans el trois mois avec une fille nommée Vignian de Droine, qui n’avait pas encore dix-huit ans accomplis. On ne dit


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MOECHIALOGIE.


pas ce qu’il en advint. En voici d’autres dont on ne pou- vait attendre aucun résultat  : le nommé Larcher, jardi- nier au faubourg Saint-Marcel, âgé de cent trois ans, épousa une femme de soixante-seize ans en 1713, dans l’église paroissiale de Saint-Hippolyte. Edouard Korkain épousa en 1711 Jeanne Serimphaw, âgée de cent vingt- sept ans. ( Journal de Verdun de sept. 1713, art. 10.)

Voici enfin , entre une foule d’autres rapportés par Pontas, un fait qui n’a certes pas été sans résultat. Nous citerons textuellement. « Un apothicaire de Château- briant en Bretagne, s’étant marié à l’âge de cinquante ans, et ayant eu seize enfants de sa femme, se remaria à quatre-vingts ans, et eut de ce second mariage un pa- reil nombre d’enfants, dont deux naquirent jumeaux, étant alors âgé de cent trois ans.  » ( Journal de Verdun , 1709.) Caton le censeur eut un fils à quatre-vingt-huit ans. Uladislas, roi de Pologne, eut aussi deux enfants à quatre- vingt-dix ans. (Conf. de Paris.)

Tout cela sans doute est très extraordinaire, mais pour- tant très croyable. Voici maintenant qui est bien plus merveilleux et pas moins croyable, quoique infiniment plus rare  : ce sont des femmes qui ont conçu dans un âge très avancé et même dans une grande vieillesse. Nul, après tout, ne peut avec une certitude absolue poser des bornes à la faculté génératrice de l’homme et de la femme. Pline rapporte que Cornélie, de la famille des Scipions, mit au monde Valerius Saturninus à l’âge de soixante-deux ans. Valescus de Tarente a accouché une femme de soixante-sept ans. Le célèbre physiologiste Haller fait mention d’une femme qui est accouchée à l’âge de soixante- trois ans et d’une autre qui est devenue mère


MOECHIALOGJE.


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à soixante-dix ans. Çangiamila parle aussi d’une femme qui accoucha heureusement à soixante-dix ans. Si ces femmes à un âge si avancé étaient encore menstruées, tout est normal et physiologique  ; si elles ne l’étaient pas, les faits doivent subsister  ; ils sont encore dans l’ordre naturel possible  : car on cite des femmes qui ont conçu et enfanté sans avoir jamais été assujetties au flux mens- truel.

Nous allons continuer l’examen de quelques autres cas pratiques posés par les théologiens.

On demande si des personnes qui doutent qu elles soient impuissantes peuvent se marier. Elles le peuvent s’il ne s’agit que d’une impuissance passagère et curable, après avoir toutefois consulté des hommes de l’art afin de faire lever le doute. S’il était question d’une impuis- sance perpétuelle et que le doute à cet égard ne pût être dissipé par une décision des hommes compétents, on ne pourrait contracter mariage. Il faudrait s’abstenir et prendre le parti le plus sûr  : in dubiis pars tutior eligenda est. C’est la règle du droit. Il n’est jamais permis d’agir quand on doute qu’en agissant on pécherait, surtout lors- qu’on n’est pas actuellement obligé d’agir.

D’après tout ce qui a été dit précédemment, il est aisé de conclure qu’une personne qui, se connaissant une im- puissance perpétuelle, se marie, commet un sacrilège, quand même elle aurait fait connaître son état d’impuis- sance à la partie avec laquelle elle contracte  : car elle profane le sacrement dont elle est incapable par le droit naturel et ecclésiastique. Elle aurait ajouté l’injustice au sacrilège si elle n’avait pas déclaré son impuissance à l’autre partie, en la privant du droit quelle avait à un


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honnête et légitime mariage, et en compromettant gra- vement son honneur si le mariage venait à être dissous,

« Un homme qui, dit le rédacteur des Conférences ci* Angers, après avoir consulté les médecins, est assuré qu'il est impuissant d’une impuissance perpétuelle qui a précédé son mariage et s’oppose à la dissolution de son mariage, que sa femme demande avec raison en jus- tice, est indigne d’absolution s’il ne cesse ses chicanes. Sainte-Beuve, t. 2, car. 8, estime qu’il doit faciliter le jugement à l’avantage de sa femme  ; autrement il serait coupable d’une vexation qui serait d’autant plus crimi- nelle qu’il y irait non seulement de quelque intérêt tent- porel et du repos de sa femme, mais peut-être encore de son salut.

« S’il arrivait qu’une femme fût condamnée en justice d’habiter le reste de ses jours avec un mari qui serait effectivement impuissant, et quelle fût persuadée de son impuissance, elle devrait plutôt souffrir toutes sortes de censures que de s’exposer à la passion de son mari, comme il est dit dans le can.  : Inquisitioni, cle sententiâ excom- municationis.

« Si, après une séparation jugée, un homme à qui il avait été fait défense de se marier s’est remarié et s’est trouvé en état de consommer ce second mariage, il est ordonné par le can. Reqidsisti , ch. 33, quæst. 1, par le can. Landabilem, et par le can. Fraternitatis , qu’ après avoir fait pénitence de son crime il retournera avec sa première femme  : peractâ pœnitentiâ , cogantur ad con- nubia priora redire , pareeque, lorsque le juge ordonne pour cause d’impuissance la séparation des deux con- joints, il ne prononce pas proprement une dissolution


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de mariage; mais il déclare qu’il n’y a point eu de ma- riage à cause de l’empêchement d’impuissance  : si le motif de cette déclaration n’est pas véritable, les parties doivent se réunir, l’homme ne pouvant pas séparer ce (pie Dieu a uni.  »

Nous avons rapporté ce passage des Conférences d’ An- gers moins dans un but d’utilité pratique, puisque notre législation a bien changé depuis, que pour faire voir combien l’Église tient au grand principe moral de l’in- dissolubilité du mariage.

On demande encore si un homme qui s’est marié de bonne foi et sans avoir eu aucun doute sur son état d’im- puissance peut en conscience jouir des revenus de sa femme? Il le peut s’il a lieu de croire que son impuis- sance ne sera que passagère et quelle pourra se guérir avec le temps ou à l’aide de quelques moyens appropriés et convenables. L’Église semble l’y autoriser en lui per- mettant la cohabitation triennale. La présomption est donc pour cet homme, et il est en possession. Si cepen- dant, après l’épreuve triennale, l’impuissance n’eût point cessé et quelle fût reconnue perpétuelle et incurable, il n’aurait dans le for intérieur aucun droit aux biens de sa femme en qualité d’époux, puisque ce titre lui man- querait par la nullité du mariage.

Mais si cet homme convaincu de son impuissance per- pétuelle en avait prévenu sa partie avant le mariage, il pourrait dans ce cas jouir des revenus de sa femme, parcequ’elle y a consenti et a cédé à son prétendu époux le droit de cette jouissance. Scienii et consentienti nulln fit injuria. Il est inutile de faire observer que cet homme n’a ici d’autre titre pour cette jouissance que le consen-


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tement ou la volonté de la femme. Si avant cet appa- rent mariage il avait caché à sa femme son impuissance perpétuelle, il n’aurait aucun titre pour jouir de ses re- venus. Autrefois les parlements adjugeaient des dom- mages et intérêts à une épouse lorsqu’ils cassaient son mariage pour cause d’impuissance de son mari. Pour de plus amples détails sur cette matière, voyez les Confé- rences de Paris.

Pour terminer tout ce chapitre, nous rapporterons un cas fort singulier, extraordinaire, bizarre même si l’on veut, mais qui n’est peut-être pas absolument irréalisable, au moins sous une autre forme, car les dispositions légales ne sont plus les mêmes aujourd’hui  : le Code civil, comme on sait, a prohibé ou du moins a modifié les substitutions fidéicommissaires. D’ailleurs, souvent un cas, s’il n’offre pas d’intérêt ou d’importance par lui-même, peut servir à en faire résoudre d’autres plus ou moins analogues, et il donne toujours quelque lumière au lecteur. Le cas en question est textuellement extrait des Conférences de Paris.

« Un homme impuissant a de gros biens qui sont subs- titués à ses futurs et légitimes enfants, ou, à leur défaut, à ses collatéraux  ; il se marie, et, par des voies crimi- nelles dont sa femme prétendue est complice, il se pro- cure un enfant; comment doit-il, lui ou cette femme, réparer le tort qu’il a fait à ses collatéraux  ?

« Cet enfant, qui est bâtard, mais qui est né sous le voile d’un légitime mariage, a droit sur les biens substitués à un enfant légitime, il peut même les garder en con- science suivant la loi et les arrêts des parlements. Pater is est quem nuptiœ démonstratif . Cela est juste etnéces-


MŒCHfAÎ.Of.lE.


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saire pour le repos des familles. L’injustice qui les en- lève aux collatéraux ne regarde que trois personnes  : cet homme impuissant, sa femme prétendue, et le véritable père de cet enfant.

« 1° A l’égard de cet homme impuissant, s’il a des biens qui ne soient pas substitués ou s’il en acquiert, il doit, pour réparer le vol qu’il fait à ses collatéraux, les faire tomber entre leurs mains dans la même quantité et valeur que sont estimés les biens substitués dont il les frustre par une voie si criminelle  ; et si la substitution doit passer plus loin, il doit les leur donner à la charge d’une pareille substitution. Cela est fondé sur les règles des substitutions, qui ne le rendent pas propriétaire, mais seulement usufruitier de ses biens, et qui ne per- mettent pas qu’ils passent à d’autres qu’à des enfants légitimes au préjudice de ses collatéraux  ; s’il n’a que des biens substitués, il doit épargner pour dédommager ses collatéraux  : il ne serait pas obligé à ce dédommagement si sa femme prétendue avait commis le crime à son insu.

« 2° À l’égard des deux autres personnes qui ont con- tribué à ce vol d’une manière si indigne, ils sont soli- dairement obligés de dédommager avec leur propre bien les collatéraux de cet homme impuissant, parcequ’ils sont les principaux ministres de cette injustice  ; et c’est pour cette raison que, si cet homme impuissant ne voulait en rien les dédommager, ils le devraient totalement, quoiqu’ils ne profitent pas de ces biens substitués; leur crime frustre les collatéraux d’un bien qui leur appar- tient de droit. Ils y seraient encore plus obligés s’ils l’a- vaient commis sans que cet homme impuissant en eût eu connaissance, ils n’en seraient même pas dispensés quand

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ils auraient ignoré cette substitution, parceque l’igno- rance des suites fâcheuses que peut avoir un crime ne peut excuser ceux qui le commettent, ni les dispenser de réparer le tort qu’il peut causer à d’autres personnes  ; ce sont les principes du droit canonique et civil.  »

Nous ne parlerons pas de l’impuissance par impuberté, puisque ces mariages ne peuvent plus guère avoir lieu dans notre nouvelle législation, d’après laquelle « l’homme avant dix-huit ans révolus, la femme avant quinze ans révolus ne peuvent contracter mariage.  » (Art. 1 M du Gode civil.) Autrefois le mariage était permis pour les hommes à quatorze ans révolus, et pour les femmes à douze ans révolus. Ces unions précoces étaient souvent funestes aux époux et à l’état, auxquels elles ne donnaient que des enfants chétifs et débiles.

CHAPITRE II.

DES DEVOIRS CONJUGAUX OU DES OBLIGATIONS DES ÉPOUX RELATIVES A NOTRE SUJET.

Ce chapitre sera partagé en trois articles  : le premier- aura pour objet la pétition et la reddition du devoir con- jugal (1)  ; le second sera consacré à l’examen de l’usage du mariage, des circonstances de l’acte conjugal et des péchés qu’y commettent les époux; le troisième article enfin traitera de la conduite du confesseur à l’égard des personnes mariées et de celles qui se disposent à entrer dans l’état de mariage.

(1) Si nous détournons ici ces deux mots soulignés de leur signification ordinaire, le lecteur les comprend, et cela nous suffit.


MOECHTALOGÏE.


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ARTICLE PREMIER.

1)E TA PÉTITION et de la reddition dij devoir çqnjogal.

Ré flexions prclimi naïves .

La fidélité ou la foi que les époux se sont promise de- vant Dieu et devant son Église les oblige, dit l’apôtre S. Paul, à se rendre mutuellement le devoir conjugal. I r on vir dehitum reddat, similiter autem et uxor viro  : mulicr sui corporis pot estât em non habet, sed vir; simi- liter autem et vir sui corporis potest aient non habet , sed millier. (1 Cor., 7.)

Les droits du mari et de la femme sont ici égaux, sui- vant S. Thomas, œquales surit in reddendo et petendo dé- bitant. C’est une conséquence qui se déduit des paroles de S. Paul. Quand les époux se refusent l’un à l’autre ce deAoii sans une cause juste et légitime, comme nous le verrons ci-après, ils commettent un péché mortel. No- lit e frauda reinvieem, dit le saint apôtre.

C’est pourquoi S. Augustin dit que ce péché, qui est une véritable injustice, peut avoir les suites les plus fâ- cheuses.... Non sibi altcrutrum ncgent, ne per hoc inci- dant in damnabilcs corruptelas, tentante Satanâ , prop- tcr inconiinentiam amborum vel eu jusque eorum. (De bono conjug.) D’où il suit, comme le fait observer judi- cieusement le rédacteur des Conférences de Paris, qu’un confesseur éclairé ne doit pas donner l’absolution aux femmes mariées, qui par caprice ou par humeur, ou par un esprit de vengeance, quand elles ont reçu quelque sujet de mécontentement ou de chagrin de leurs maris


MÜF.CHI \ 1.00 IF.


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refusent de leur rendre la justice qu elles leur doivent.

D’un autre côté, le confesseur doit aussi refuser l’ab- solution aux maris qui agissent par les mêmes motifs, ou qui, connaissant ou prévoyant les intentions de leurs épouses, que la pudeur de leur sexe empêche de s’expli- quer ouvertement, les exposent, par un refus injuste, dédaigneux ou méprisant, à tomber dans le péché ou cà manquer de fidélité conjugale.

Si les époux ne sont pas obligés ordinairement de de- mander le devoir conjugal, parceque chacun peut re- noncer à son droit, un grand nombre de causes leur in- terdisent l’exercice de ce droit ou la pétition conjugale, tantôt sous peine de péché mortel, tantôt seulement sous celle de péché véniel. Entrons à ce sujet dans quelques détails.

§ I-


DE LA PÉTITION DU DEVOIR ILLICITE OU DE CEUX QUI PÈCHENT MORTELLEMENT EN L’EXIGEANT.


1° Un époux qui sait avec certitude que son mariage est nul par un empêchement dirimant quelconque, comme, par exemple, un empêchement d affinité prove- nant d’un commerce criminel, ne peut, par aucun motif, ni demander ni même rendre le devoir, parcequ’il com- mettrait une véritable fornication mortelle. (Décrétal., !. 5, tit. 39, cap. kk.) 11 devrait dans ce cas, ex Innoc. III, cap. inquisitioni , de sent, excom. , potiiis morlem et ex- commun icat ionem humiliter sustinere quant per carnale commereium peceaium operari morlate . On doit alors demander sans délai la dispense nécessaire.


MŒCHIAL0G1E.


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L’époux qui doute prudemment et raisonnablement de la validité de son mariage ne peut demander le devoir jusqu’à ce que, après un mûr examen, il ait déposé son doute et formé sa conscience  ; autrement il s’exposerait au danger de commettre une fornication mortelle. Si au con- traire ce doute est sans fondement et dénué de toute es- pèce de raison, il faut le rejeter comme un vain scrupule et passer outre. Malgré son doute véritable et fondé, l’é- poux doit rendre le devoir à sa partie qui ne doute point, parcequ’elle possède le droit de pétition conjugale, dont elle ne peut être privée tant que la nullité du mariage n’est pas constatée. M^1’ Bouvier en donne encore une autre raison, savoir que, en présence de deux maux que l’on ne peut éviter en meme temps, il faut choisir le moindre  : or, dit-il, c’est un moindre mal de s’exposer au danger d’une fornication matérielle qu’à celui d’une in- justice envers l’autre partie.

Si le doute sur la validité du mariage était partagé par les deux époux, ni l’un ni l’autre ne pourraient de- mander ni rendre le devoir.

2° Suivant M^r Bouvier et tous les théologiens, un époux pèche mortellement en exigeant le devoir si, avant ou après le mariage, il a voué la chasteté  ; car, en vertu ou par la force de son vœu, il est obligé de s’abstenir de tout acte vénérien non justement et légitimement dû  : seulement il est tenu de rendre le devoir à sa partie quand elle le lui demande. La raison en est que, s’il a émis son vœu après le mariage, il n’a pu annuler le droit de sa partie; que, s’il l’a fait avant le mariage, il a sans doute grièvement péché, mais il a rendu à sa partie ce qu’il avait promis à Dieu: la partie qui a ignoré l’émis-


298 'V1ÜECHIALÜGIE.

sion du vœu avant le mariage a, par la force de ce con- trat, acquis un droit dont elle peut user et que l’autre partie ne peut jamais rendre nul. C’est le sentiment de tous les théologiens.

Si l’autre partie avait eu connaissance du vœu fait avant le mariage, elle serait censée y avoir consenti, et ne pourrait par là même demander le devoir à sa partie.

11 en serait de même pour l’époux qui, durant le ma- riage, aurait voué la chasteté du consentement de l’autre, et à plus forte raison si, d’un consentement mutuel, ils avaient ensemble émis le même vœu  : il est évident que ni l’un ni l’autre ne pourraient demander le devoir con- jugal. Dans ce cas, dit M&1 Bouvier, « post matrimonii consummationem, ordinariè sufliciens ratio existit pos- tulandi clispensationem hujusmodi voti, scilicèt ne sponsi secum habitantes, tentationibus carnis victi, contra obli- gationem sibi impositam peccent.  »

Il faut ici faire remarquer qu’un vœu émis par un des époux à l’insu de l’autre n’est point réservé au Pape. Pour que cette réserve ait lieu, il faut que la chasteté puisse être parfaite: or elle ne l’est pas, puisque l’obli- gation de rendre le devoir subsiste toujours. De même le vœu émis avant le mariage n’est point réservé, parce- que, de parfait qu’il était avant le mariage, celui-ci l’a rendu imparfait. L’évêque peut donc en dispenser: il en serait autrement si le vœu avait été fait également par les deux époux ou par un des deux avec le consentement de l’autre. (M?r Bouvier.)

« Votum non nubendi, ajoute Mgr Bouvier, vel sacros ordines suscipiendi, post matrimonium contractum, et votum religionem ingrediendi, post matrimonii consum-


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mationem emissum, nec redditionem, nec petitionem debiti impediunt, nec igitur in his casibus dispensatione opus est  ; hæc enim vota non nisi post matrimonii disso- lutionem obligant.  »

Bailly paraît, en ce point, différer un peu de M^r Bou- vier; voici comment il s’exprime  : « Qui post matrimo- nium consummatum vovit religionem aut sacros ordines potest petere et reddere, quia per hoc votum contraxit solùm obligationem suscipiendi ordines vel profitendi si supervixerit. Sed statim post mortem conjugis tenetur implere votum. Iiœc vert si voverit ante matrimonii con- summationem tenetur votum implere ante consumma- tionem , cùm illud licitè possit ex dictis. Si verô consum- met, peccat quidem mortaliter primâ vice, sed deinceps potest reddere et petere propter rationes modo allatas.  » (' Theolog . clog. et mor ., de Matr.) Mais malheureuse- ment Bailly se trouve lui-même ici en opposition avec la constitution de Jean XXII, faite, au rapport de Pontas, à Avignon en 1322, en date du 30 décembre. Voici du reste comment s’exprime ce dernier, au 25e cas du devoir conjugal  : « S’il a fait vœu (Argyrophile) , avant le ma- riage, de recevoir les ordres sacrés, il a grièvement pé- ché en le contractant, et même en formant le dessein de le contracter, et à plus forte raison en le contractant. Cependant, après l'avoir contracté, il n’est pas tenu à r accomplissement de son vœu, et il ne l’eût pas même pu créditer avant la consommation du mariage, puisque le mariage ratifié par l’Église ne peut être dissous par la réception dès ordres, ainsi que l’a déclaré Jean XXII. . .»

Maintenant de quel côté est le vrai? Quid juris? A mon avis, et de l’avis, je pense, de tout le monde, dii


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MOliCHIALOGIE.


côté de l’autorité. Prœsumptio statpro auctoritate. Notez au reste qu’il n’est ici question que des ordres sacrés.

« Notandum est, ait DD. Bouvier, etiam votum per- petuæ castitatis ante vel post matrimonium emissura, licèt redditionem debiti non impediat, per mortem con- jugis fieri perfectum, et à solo Pontifice romano relaxari posse, eo fine ut novum ineatur matrimonium.  »

Celui qui a contracté mariage après avoir fait vœu de ne pas se marier a péché mortellement  : cependant il peut sans dispense demander et à plus forte raison rendre le devoir  ; mais, après la dissolution du mariage, il ne pour- rait en contracter un autre sans dispense.

3° Un époux qui a péché avec une personne parente de sa partie au premier ou au second degré perd par là son droit de pétition conjugale, et il pécherait mortelle- ment s’il l’exigeait, parcequ’il a contracté affinité avec sa partie. L’évêque, par lui-même ou par ses grands- vicaires, peut lever cet empêchement ou il peut accorder aux confesseurs la faculté d’en dispenser.

Cet empêchement d’affinité qui survient dans le ma- riage validement contracté, étant un lien ou une espèce de réserve pénale, ne frappe pas la partie innocente, qui peut demander le devoir à l’autre, qui est tenue de le lui rendre. C’est le sentiment le plus commun et le plus probable  : cependant il n’est point universel. Voyez plus bas, paragraphe A, n° 5. L’ignorance de la circonstance de la parenté ou de la violence faite à une femme doit exclure la peine de cet empêchement. Quant à l’igno- rance de la loi ou de la prohibition, la chose paraît moins certaine, et dans ce doute il estplus sûr, dit Collet, d’en demander la dispense comme à l’ordinaire.


MUECHJALOGIE.


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!i° L’époux qui pendant le mariage baptise ou tient sur les fonts son propfe enfant ou celui de sa partie con- tracte avec elle la cognation ou la parenté spirituelle, et perd par là le droit de la pétition conjugale, à moins qu’il n’y ait eu nécessité. Il serait toutefois tenu de rendre le devoir à sa partie, à moins que celle-ci n’eût aussi perdu le sien en consentant à la conduite du premier, ou quelle en eût été à plus forte raison la première cause. Nous avons dit que la nécessité, comme de raison, excuserait tout. C’est le droit canonique que vient encore appuyer le Rituel romain en ces termes  : Pater aut mater pro- priam prolem baptizare non debet, prœterqnàm in mortis periculo, quando alius non reperitur qui baptizet , neque tune idlam contrahunt cognationem quœ matrimonii usum impediat.

5° On sait assez que l’époux perd son droit de péti- tion conjugale par le crime d’adultère.

Dans tous ces cas que nous venons d’exposer briève- ment dans ce 1er paragraphe, on ne peut, sans dispense, demander le devoir conjugal sans commettre une faute mortelle.

§ ».

DE CEUX QUI PÈCHENT VÉNIELLEMENT EN EXIGEANT LE DEVOIR CONJUGAL.

1° On sait que plusieurs théologiens, d’après l’auto- rité de S. Thomas, regardent comme une faute mortelle l’usage du mariage dans le temps de la fonction mens- truelle, pareeque, suivant eux, cette circonstance grave expose au péril d’engendrer des enfants lépreux ou nions-


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MOECHIALOGIE.


tr ueux. Sanchez et un très grand nombre d’autres théo- logiens affirment que la loi du Lévitique  : qui coierit cum mutiere in fluxu menstruo. . . inierficientur ambo (20,18) , n’est qU’ une prohibition purement cérémoniale qui n’o- blige plus sous la loi évangélique.

Nous pensons, nous, ou plutôt nous sommes convaincu que ce précepte est autant moral que cérémonial, parce- que l’acte conjugal exercé pendant l’époque cataméniale emporte une malice théologique, en ce sens qu’il est plus ou moins nuisible ou défavorable à sa fin principale ou à la génération  : non parceque, comme disent tous les théologiens, il en naîtra des enfants lépreux ou mons- trueux, ce que nous ne croyons nullement, mais parce- que très souvent il n’en naîtra pas du tout, ni normaux, ni anormaux. Et pourquoi cela? parceque la menstrua- tion n’est qu’une fonction préparatoire, une excrétion déplétive et expulsive, et par conséquent très peu propre à la génération  ; il s’ensuit donc naturellement que le temps qui la suit immédiatement est le plus favorable à la conception, et c’est en effet ce que l’expérience prouve tous les jours. Voyez ce que nous avons déjà dit à ce sujet à la page 129.

Vous voyez, d’après cela, que nous n’avons pas même besoin de nous appuyer du passage d’Ézéchiel  : qui ad menstruatam non accesserit, et uxorem proximi non violaverit (18, 6), où l’on voit que la cohabitation pen- dant la crise menstruelle est comptée au nombre des préceptes du droit naturel, et se trouve placée au rang de l’adultère. S. Augustin, en parlant de ce texte d’Ézéchiel, dit ces paroles remarquables  : Nam hoc Ezechiei inter ilia prœcepta point, quœ non fiçjuratè accipienda surit .


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l\ous ne pouvons croire cependant, malgré la grande autorité de S. Thomas, que l’acte conjugal exercé pen- dant l’époque cataméniale soit un péché mortel. Il fau- drait pour cela qu’il fût prouvé expérimentalement, physiquement et physiologiquement que cet acte est essentiellement infécond ou contraire à la conception, ce qui n’est ni ne peut être, puisque l’ expérience a prouvé depuis longtemps que la conception est possible dans la circonstance précitée. La faute n’est donc que vénielle  ; mais sa grièveté est en raison directe du degré d’oppo- sition à la conception. S’il n’y avait aucune raison phy- siologique de cette opposition, il n’y aurait non plus aucune faute morale. Il est donc certain que, selon les règles de la saine morale, fondées sur les lois de la phy- siologie (et c’est le sentiment de la généralité des théo- logiens) , il n’y a que péché véniel à user du mariage pendant l’époque de la menstruation; il est même des circonstances où il n’y a aucune faute, comme lorsqu’il est nécessaire d’éviter l’incontinence d’un des époux ou des dissensions , des querelles domestiques et autres choses setnblables.

Ce que nous venons de dire sur le temps du llux mens- truel doit en partie s’appliquer au temps du flux lochial qui suit immédiatement l’époque puerpérale ou l’accou- chement. Nous avons dit en partie 9 parceque, si le coït avait lieu immédiatement après la parturition, c’est à dire dans les premiers jours qui suivent l’accouchement, la faute sera nécessairement plus grave que celle com- mise pendant l’époque menstruelle, pour les raisons que nous développerons plus bas.

2° La grande majorité des théologiens affirme que la


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3t)à

pétition conjugale dans l’état de grossesse n’est qu’une faute vénielle, pourvu qu’il n’y ait point de danger d’a- vortement. Mais, comme on pense bien, ce danger est souvent très difficile à connaître et à apprécier, et quant à sa présence ou à sa réalité, et quant à sa grandeur ou à son imminence. Voici du reste sur ce point l’énoncé général de la science.

L’avortement peut survenir dans toutes les époques de la grossesse indistinctement  ; quand il est spontané, on l’observe le plus souvent dans les deux ou trois premiers mois de la gestation. Désormeaux, dit M. le professeur Velpeau, d’accord avec tous les auteurs anciens et avec le raisonnement, pense que la fausse-couche est d’autant plus commune que la grossesse est moins avancée. Mer- catus va jusqu’à dire que la fausse-couche est plus fré- quente que l’accouchement à terme. Selon d’autres, l’a- vortement a lieu le plus souvent les premiers jours qui suivent la conception, sur la fin du troisième mois et aux approches du terme de la gestation  ; ce qui a fait dire à Galien, que plus le fruit est tendre ou approche de sa maturité, plus il se détache facilement. De là sans doute encore ce précepte de S. Ambroise, de S. Jérôme, de S. Augustin et de plusieurs autres Pères  : Parentes primis septem à conceptione diebus ac tempore partui proximo ad absîinendum à maritali congressu obligantur pr opter abortûs timor cm.

Les médecins et les accoucheurs modernes ne démen- tent pas les témoignages de l’antiquité. Le célèbre accou- cheur Levret attribuait au coït la plupart des avortements dont on ne pouvait déterminer la cause. Zimmermann, Gardien, Murat, Dugès, etc., ont aussi regardé cet acte


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comme une cause fréquente des avortements. On compte en général, dit Marc, que deux cents femmes prostituées ne produisent que deux ou trois enfants par an. Ce ré- sultat est conforme aux observations de Parent-du-Châ- telet. Les accouchements laborieux et désespérés, dans lesquels la mère périt avec son fruit, dit Cangiamila, ont souvent pour cause le déréglement de la passion immo- dérée qui accompagne l’usage du mariage.

Quoi qu’il en soit de la valeur réelle de tous ces graves témoignages, un confesseur discret et prudent s’abstien- dra en général de faire, à ce sujet, d’importunes et in- tempestives questions, et laissera les époux dans la bonne foi, de crainte qu’en cherchant à les détourner d’un mal on ne leur donne occasion de tomber dans des désordres plus graves. 11 s’en tiendra donc ordinairement aux ad- monitions générales qu’il pourra déduire de ce que nous avons dit tout à l’heure sur les avortements. Nous ne parlons toujours ici que des cas où la grossesse est au moins moralement certaine. D’ailleurs la nature, l’ins- tinct, la raison, le sentiment moral ou du moins l’intérêt bien entendu doivent, à une époque avancée, dire quel- que chose et tenir lieu généralement de conseiller ou d’admoniteur. Mais il était bon que le confesseur ou le pasteur fût instruit du danger d’avortement, afin que dans l’occasion favorable il pût donner les avis utiles ou nécessaires.

Sanchez, avec plusieurs autres qu’il cite, pense qu’il n’y a point de péché du tout à demander le devoir con- jugal dans l’état de grossesse. Mais ce sentiment d’une faible minorité ne prévaudra jamais contre l’opinion com- mune des théologiens. S. Liguori lui-même semble re-


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MOECHIALOGIE.


jeter cette opinion de Sanchez lorsqu’il dit, après l’avoir rapportée  : « Mihi arridet sententia quam tenent Pontius, Azor, Bossius, etc., nempè quèd coitus cum prægnante non possit excusari à culpâ veniali, nisi adsit periculum incontinentiæ, velalia honesta causa.  » (Lib. 6, n. 924.)

Mais dans ce cas même un grand nombre des plus graves auteurs , comme S. Augustin , S. Grégoire-le- Grand, S. Fulgence, S. Thomas, S. Bonaventure, Sylvius, Collet, Billuart, Dens, etc. , pensent, et avec raison, que la pétition conjugale ne se fait pas sans faute vénielle, par- ceque l’acte conjugal, bien qu’exercé pour éviter l’in- continence, est privé de sa fin légitime, son but principal et primordial, la procréation  : le but d’éviter l’inconti- nence n’est qu’ accessoire et secondaire  ; d’ailleurs ce dernier but peut souvent être atteint par d’autres moyens, tels que la prière, le jeûne, des macérations, des morti- fications corporelles, des pratiques hygiéniques, etc.

3° On demande si la pétition conjugale est permise les jours de fête, le dimanche et un jour de communion. S. Thomas répond à cela, d’après S. Paul, par ces paro- les: « Actus matrimonialis, quamvis culpâ careat, tamen quiarationem deprimit propter carnalem délectation em, hominem reddit ineptum ad spiritualla  : et in diebus in quibus præcippè spiritualibus est vacandum non licet petere debitum.  » Un peu plus bas, le saint docteur ajoute encore ce qui suit  : « Tempore illo possunt alia adhiberi ad concupiscentiam reprimendam, sicut oratio et multa aliahujusmodi, quæ etiam illi adhibent qui perpétué con- tinent. » (In 4, dict. 32, q. 1, art. 5, Quæstiunc., c. 1, in corp.)

Cette doctrine, fondée sur les paroles de S. Paul  : Abs-


MOECHTALOGIE.


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tinete vos ad tcmpus, ut vacetis oralioni, est conforme à celle de S. Ambroise et de S. Augustin. Voici comment s’exprime sur ce point le plus grand des docteurs et dès Pères de l’Église  : « Quotiescumque aut dies natalis Do- mini aut reliquæ festivitates adveniunt, sicut fréquenter admonui. . . etiam propriis uxoribus abstinere.  » (S. Aug. , in can. Quotiescumque.)

Sanchez est d’un sentiment contraire, ainsi qu’un grand nombre d’autres auteurs qu’il cite, parceque, dit-il, la pétition conjugale n’est défendue aux jours précités par aucun droit, ni divin ni ecclésiastique. Ce théologien célèbre, après avoir compulsé les conciles et les canons, n’a rien trouvé de contraire, et conclut ainsi  : Cinn ergo nulla exigendi debiti his temporibus prohibitio reperiatur , nulla erit culpa exiger e. (Lib. 9, disp. 12, n° 5.) Quant à S. Liguori, il cite le pour et le contre, les uns et les autres, et, comme cela lui arrive souvent, il n’embrasse aucune opinion et ne se prononce pour per- sonne. C’est quelquefois nécessité, et souvent sagesse et prudence. Ici du moins il n’y a nulle nécessité, puisque aujourd’hui cette continence ne paraît être que de pur conseil; c’est du moins ce que déclare Benoît XIV, au rapport de Bouvier, qui s’exprime ainsi  : « Notât tamenBenedictusXIV, in synodo diœcesanâ, 1. 5, cap. 1, n° 8, id nunc meri esse consilii, licèt olim ab Ecclesiâ sub gravi prœscriptum fuerit . » Comment donc alors conci- lier ces paroles soulignées avec l’assertion de Sanchez ci-dessus rapportée  ? Il faut donc dire que les anciennes prescriptions ont été abolies, ou qu’ elles n’étaient que de simples conseils de perfection, et non des règles de prohibition  ; ce n’est donc qu’un conseil dans l’Église


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MŒCHÏALOGJE.


latine, tandis que, au rapport de Balsamon, c’est un pré- cepte pour les chrétiens d’Orient.

A cette occasion les théologiens demandent si celui qui a éprouvé une contamination nocturne peut communier le jour suivant. Ils répondent avec S. Grégoire-le-Grand dans sa lettre à S. Augustin, l’apôtre d’ Angleterre. Voici ce que ce grand pape y dit, d’après M§r Bouvier  : « Vel ilia pollutio provenit ex superfluitate naturæ aut ex infir- mitate, et minimè est culpabilis  ; vel ex quodam excessu in usu alimentorum, et est peccatum veniale  ; vel ex præ- cedenti cogitation e , et mortalis esse potest  : in primo casu, hæc illusio non est timenda  ; in secundo, à suscep- tione sacramenti et celebratione mysterii non impedit si quædam ratio excusans id suadet, v. g. , circumstantia diei festi aut dominicæ  ; in tertio autem casu, pr opter talem pollutionem à sacro mysterio eâ die abstipere oportet, inquit S. Gregorius; attamen, si pollutio non fuerit mortalis in causâ, aut si sacerdos, verè pœnitens, ab eâ absolutus fuerit, et aliqua ratio id suadeat, cele- brare poterit.  » Ces principes ont, depuis S. Grégoire, servi de base à l’enseignement théologique et à la pra- tique des confesseurs.


§ III.

DE LA REDDITION DU DEVOIR CONJUGAL ET DES RAISONS QUI EN DISPENSENT LÉGITIMEMENT.

Le devoir, comme on sait, doit être rendu sous peine de péché mortel toutes les fois qu’il est raisonnablement, sérieusement et légitimement demandé, sive expressivè, sive tacitè, quia nihil refert, ait S. Thomas, an verbïs


MOE.rHIAr.OGlE.


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vel signis petatur. Undè, si pars cognoscat aut videat compartem suam tacitè petere, vel esse in pericnlo in- continentiæ, illam prævenire tenetur. Voici les raisons qui empêchent ou qui excusent de le rendre.

1° L’époux qui est moralement certain de la nullité de son mariage ne peut rendre le devoir à sa partie, bien quelle l’ignore et quelle soit à cet égard dans la bonne foi. Voyez plus haut, page 296. Mais s’il doutait seule- ment de la validité du mariage, il serait tenu de le rendre à sa partie, qui ne partage pas ce doute. Si l’on doute des deux côtés, aucun ne peut rendre et à plus forte raison demander le devoir conjugal, etc. Pour éviter de nous répéter, nous renvoyons au paragraphe 1er, p. 296.

2° Si l’époux qui demande le devoir conjugal est dans un état de démence ou d’aliénation mentale, il n’y a point d’obligation à le rendre, parcequ’une telle demande n’est point un acte humain. Si la folie présentait des inter- valles de lucidité, le devoir devrait alors être rendu, à moins que l’usage du mariage n’augmentât la maladie. Quant à l’époux qui a perdu l’usage de la raison par l’ivresse, il n’y a nulle obligation à lui obéir dans cet état de dégradation, parcequ’ alors la demande n’est point faite humano modo , comme dit Sylvius, qui compare l’homme ivre à un homme qui dort  : « Si, dit-il, vir dor- miendo et somniando requireret debitum, uxor non tene- retur acquiescere  : ebrius autem non est melioris condi- tionis quàm dormiens et somnians.  » Sanchez parle dans le même sens et presque dans les mêmes termes. Il excepte pourtant le cas où le refus exposerait le mari à tomber dans l’incontinence, et on peut y ajouter ceux où il s’abandonne- rait à d’autres excès envers sa partie, à de mauvais traite-

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MOECHIALOGIE.


ments, des sévices, des brutalités, des propos obscènes ou blasphématoires devant les enfantsoules domestiques, etc. Dans toutes ces circonstances, il y aurait obligation de rendre le devoir, sinon de justice, au moins de charité.

Sanchez dit que régulièrement le devoir ne doit pas être rendu à une femme folle et furieuse, à cause de l’a- vortement qu’on a toujours à craindre  ; à moins, ajoute- t-il, quelle ne soit reconnue stérile. Regulariter illicitus est concubitus ubi uxor amens est et vir mentis compos  : quia probabilissimum subest periculum fore ut mulier, insaniæ furore correpta, fcetum in utero necet. Cessante autem tali periculo , sive quia ita sterilis est ut nulla subsit spes concipiendi , sive quia mitis admodùm est, nec furiosa, licitus est congressus. (Lib. 9, disp. 23, n° 8.) Il est bon de faire observer ici que la stérilité, sans aucun signe d’impuissance appréciable, ne doit jamais être regardée comme absolue et perpétuelle  : une femme peut être stérile pendant quinze et vingt ans, et devenir féconde ensuite. Ainsi il n’y a point de signes absolument certains de la stérilité perpétuelle, comme il y en a de l’impuissance perpétuelle. Quant à la femme folle quœ mitis admoclüm est, dès quelle est folle ou aliénée, elle peut devenir subitement furieuse, car les folies changent quelquefois subitement de forme  ; et l’on conçoit assez que ce changement est plus probable que celui de la stérilité en fécondité. Ainsi donc, d’après cela, ce que dit Sanchez ne doit pas être accepté dans un sens absolu, pareeque sa proposition n’est pas, comme on voit, évi- demment et absolument incontestable.

3° L’époux qui ne peut rendre le devoir sans exposer gravement sa santé n’y est pas tenu, car, comme on dit,


MOFXHIALOGIE.


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prias est vivere et sanum esse quàm, etc. S. Thomas dit  :

<( Vir tenetur uxori debitum reddere in his quæ ad gene- ratiqnem prolis speçtant  ; salvâ tamen priùs personæ incolumitate. (Sum. suppl., quæst. 64, art. 1.) Il faut le dire ici, il est assez singulier que les théologiens ne men- tionnent presque que la lèpre et la peste comme raison de dispense de l’obligation de rendre le devoir conjugal, pour cause de maladies contagieuses, comme s’il n’y avait pas d’autres maladies contagieuses plus près de nous et surtout plus fréquentes que la lèpre et la peste, qui heureusement ne régnent guère en Europe. Et puis encore dans la peste, qui vous jette subitement dans la prostration et la stupeur les plus profondes et vous en- lève souvent brutalement en un jour ou deux, est-ce bien réellement le cas?... Non est hîc locns nec morbns.

Parlons plutôt de la syphilis. Il est vrai, quelques théologiens en font mention, comme Sanchez, S. Liguori, M&r Bouvier, etc. Mais il est d’autres maladies conta- gieuses encore qui se gagnent par la cohabitation conju- gale, et qui tuent en infectant  ; tandis qu’au moins la syphilis ou la maladie vénérienne, en infectant et en vi- ciant tout l’organisme, le laisse néanmoins fonctionner et vivre, quoique plus ou moins misérablement. La phthisie pulmonaire, par exemple, lorsqu’elle est carac- térisée, doit être bien certainement un motif d’excuse ou plutôt une raison prohibitive. La phthisie, qui fait tou- jours de rapides progrès pendant le mariage, d’autant plus que les phthisiques sont souvent impulsionnés par des sentiments érotiques ou libidineux, la phthisie, di- sons-nous, se transmet très certainement à l’autre époux s’il est le plus jeune et s’il offre la moindre prédisposi-


MOi-CHIALOGIK.


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lion. De plus cette terrible et fréquente maladie des pou- mons, comme on sait, se transmet très souvent aussi aux enfants. Nous ne parlons pas de l’épilepsie essentielle ou nerveuse, que le coït exaspère presque toujours, et que l’autre époux, surtout la femme, peut aussi contracter par une sorte de contagion nerveuse ou d’imitation auto- matique ; nous ne parlerons pas non plus des scrofules graves et invétérées qui sont ordinairement héréditaires, et qui souvent font dégénérer les familles ou les races  ; ce qui est inévitable si les deux époux sont scrofuleux. Une législation prévoyante et sage devrait prendre en considération ces données et ces faits, et surtout y pour- voir ; et n’y aurait-il pas autant et plus de raison pour cela que pour certains degrés de la parenté? Suivant M. le docteur Lugol, qui a écrit un livre ex professo sur les maladies scrofuleuses après trente ans de pratique dans un grand hôpital de scrofuleux (Saint-Louis) et dans la capitale, les familles qui se marient entre elles devien- nent promptement scrofuleuses par le défaut de croise- ment des races. Par respect sans doute pour la liberté individuelle, respect que l’on désirerait un peu plus éclairé et plus prévoyant, notre Code ou le droit français n’admet comme motif d’opposition au mariage d’autre maladie que la seule démence ou folie, qui, comme on sait, rend l’homme inhabile à tout contrat par le défaut de liberté morale et de libre consentement.

Enfin nous ne parlerons pas non plus du rachitis ou rachitisme, de ces vices de conformation du bassin qui tuent les femmes avec leurs enfants au moment même où elles espéraient devenir mères. Nous examinerons ces questions ailleurs.


MOECHIALOGIE.


31 o

On sent assez que dans toutes ces maladies, lors- qu’elles sont certaines, graves et avancées, le devoir conjugal ne doit point être rendu, et dans la syphilis jamais, jusqu’à ce quelle soit complètement guérie. En un mot tout époux malade, infirme, valétudinaire, faible, languissant, etc. , qui ne peut rendre le devoir sans un grave ou notable préjudice pour sa santé, doit en être dispensé tant que sa faiblesse ou son infirmité durera. L’est une décision de raison et de pur bon sens.

La femme ne pourrait se refuser à rendre le devoir à cause de grandes douleurs ou des difficultés de parturi- tion  : ce sont là les suites inévitables du mariage. Si néanmoins, d’après le jugement ou la décision des hommes de l’art, ou d’après l’expérience de la femme, l’ accouche- ment ne pourra se faire sans danger pour la vie, elle est, dans ce cas grave, dispensée de rendre le devoir conju- gal. Les avortements très fréquents ne doivent pas non plus l’en exempter.

h° La femme n’est pas tenue à la reddition conjugale pendant l’époque du flux menstruel, et bien moins encore pendant le temps du flux lochial ou puerpéral (tempore puerperii), comme nous l’avons déjà dit à la page 303. Mais ici nous devons en donner les raisons  ; or ces rai- sons, pour le dernier point, ce sont les grands dangers qu’ un coït si intempestif et si inopportun peut faire courir à la femme qui vient d’accoucher. Et en effet, dans les premiers jours qui suivent la parturition, les causes phy- siques et morales d’une intensité même ordinaire dé- terminent souvent des métro-péritonites ou des fièvres puerpérales, c’est à dire des inflammations très souvent mortelles du bas-ventre et de l’utérus. La faute sera


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ol/l

donc d’autant plus grave que ce danger est plus pro- bable. Voici ce que dit Sanchez à ce sujet  : « Tune de culpâ judicandum esset juxta morbi gravitatem ejus- que probabilitatem. Atque ita cùm notabilis morbi aggra- vatio timeretur esset mortale, ut benè docent (plu-

sieurs auteurs qu’il cite) , sive petat, sive reddat conjux.  » (Lib. 9, disp. 22, n° 15.)

On voit, d’après cela, que Sanchez approche ici de la vérité. S. Liguori parle dans le même sens que Sanchez. Voici ses paroles , qui sont même plus explicites que le texte de Sanchez  : « Poterit aliquandô esse mortale si ex concubitu gravis morbus vel notabilis aggravatio morbi immineret, ut dicunt S. Anton, et Sancli. , cum Palud. Sylvest., Aug., etc. Hujusmodi periculum etiam pru- denter timeri potest, ut ait Ronc. , si coitus habeatur statim post partum  ; nempè eodem die vel sequenti, ut medicus valdè peritus mihi asseruit.  » (Lib. 6, n° 926.)

Rien sans doute n’est plus vrai que ce que dit S. Li- guori, ou du moins les auteurs dont il est l’organe, si j toutefois on peut croire à de semblables excès et à de pareilles énormités, bien qu’ils ne soient certes pas im- possibles. Et dès lors on sent que le péché ne doit pas être minime.

Pour faire mieux ressortir tous les dangers d’une co- habitation prématurée et la gravité de la faute qui en serait la suite, nous allons rapporter un résumé des prin- cipales causes physiques et morales de la redoutable ma- ladie qui enlève tant de femmes en couche.

Voici ce résumé étiologique  : les causes déterminantes ou occasionnelles de la péritonite puerpérale ce sont principalement toutes les vives et subites émotions et


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commotions de l’âme, quelles quelles soieiit, de joie, de plaisir * de bonheur; de peine, de terreur, d’effroi; en un mot toutes les affections morales quelconques, surtout celles qui de leur nature sont tristes et dépressives, et qui par là débilitent toujours plus ou moins le système nerveux, ou du moins en enchaînent la puissance ou la sa- lutaire influence sur toute l’économie. Ajoutez à cela quel- ques causes physiques, comme les vicissitudes atmosphé- riques, les brusques transitions du chaud au froid, etc.

Voici comment s’exprime à ce sujet un nosographe moderne, le docteur Authenac, en parlant des causes des péritonites puerpérales  : « 1° Durant la grossesse > les écarts répétés de régime, une constitution irritable et pléthorique, la vie sédentaire et l’habitude de la bonne chère ou bien une mauvaise nourriture, la négligence des objets de propreté, les chagrins domestiques  ; 2° pen- dant ï accouchement 3 un travail long et pénible, ou une confiance extrême inspirée par un accouchement très heureux  ; 3° après /’ accouchement, un libre accès et des entretiens suivis avec des proches ou des amis  ; les com- motions de la joie ou une entière sécurité  ; des contra- riétés ou des affections morales tristes, rendues beau- coup plus dangereuses par une grande susceptibilité; des écarts quelconques de régime  ; l’imprudence de se lever trop tôt de son lit, de s’exposer à un air froid et humide, etc.  »

On peut d’après cela facilement apprécier l’effet que peuvent produire les intempérances que nous avons ici en vue. Revenons.

Les théologiens assimilent et confondent ordinaire- ment, et à tort selon nous, ces deux états de la femme,


316 MOECHIALOGJE.

savoir la circonstance menstruelle et la circonstance puerpérale, et en tirent la même conclusion pratique. Voici comment s’exprime sur ce point M&r Bouvier  : «Uxor debitum reddere non tenetur tempore fluxûs menstrui vel puerperii, nisi mérité timeat ne vir incon- tinentiæ periculum incurrat  ; si tamen precibus illi per- suadere non possit ut ab actu désistât, finaliter reddere debet, quia semper timendum est periculum incontinen- tiæ, vel jurgium, vel aliud incommodum. Ita S. Bona- ventura et multi alii apud Sanchez.  »

On doit savoir maintenant que l’on doit être bien plus sévère sur le second point, ou avoir de plus fortes rai- sons que pour le premier, surtout à une époque peu éloi- gnée delà parturition. Le pieux et sage médecin Zacchias, dont nous avons déjà parlé, évalue à un mois à peu près le temps dont la femme a besoin pour se remettre et se rendre propre à remplir les devoirs conjugaux.

Quant au temps de la lactation, il y a infiniment moins d’inconvénient pour la reddition du devoir, et nous pou- vons ici marcher avec M&r Bouvier, qui formule ainsi l’opinion théologique  : « Communissimè docent theologi licere debitum reddere et petere tempore lactationis, quia experientiâ constat quéd rarissimè lac hâc actione inficiatur.  » (Sanchez, 1. 9, disp. 22, n° 1 A, et S. Ligorio, 1. 6, n° 911.)

Sanchez ajoute néanmoins ces paroles  : « Fateor

excusari à reddendi debiti obligatione matrem lactan- tem prolem et ita pauperem ut non sit solvendo nutrici lactaturæ, expertamque ubera exiccari si concipiat, aut lac esse valdè perniciosum proli.  » (Ibid.) Nous pouvons laisser passer cela.


MOECHIALOGIE. 317

Les nourrices qui ont des nourrissons étrangers leur portent préjudice en usant du mariage, surtout si elles deviennent enceintes et qu’ elles perdent leur lait, ou qu’ elles n’en conservent plus assez pour les nourrir con- venablement. Les confesseurs doivent alors obliger ces nourrices à rendre les nourrissons à leurs mères. Il pour- rait même y avoir des cas où les nourrices seraient obli- gées à faire quelque restitution, à raison du tort que le manque de lait aurait pu causer à la santé des nour- rissons.

5° L’époux n’est pas tenu de rendre le devoir à sa partie qui, par le fait d’un adultère, a perdu le droit de le demander. Il serait pourtant obligé de le rendre s’il était lui-même coupable d’adultère, ou qu’il eût été la cause de l’adultère de sa partie par son refus de lui ren- dre le devoir demandé  : il y aurait alors une sorte de compensation, comme dit Innocent III  : Paria delicta mutuâ compensatione tolluntur . (De adulteriis.)

6° Une des parties n’est pas tenue de rendre le devoir lorsqu’il est demandé d’une manière contraire à l’hon- nête exigence de la raison, « quandô, comme dit San- chez, conjux nimius esset in petendo, rationisque limites excederet, non semper teneretur alter reddere, sed mo- deratè.  »

7° Il n’est pas permis de refuser le devoir ob metum nwnerosioris prolis, comme dit Mgr Bouvier. Les époux chrétiens doivent se confier en Dieu, qui bénit les familles nombreuses quand elles attendent de sa bonté providen- tielle ce qu’ elles ne peuvent obtenir par leur travail et leur honnête industrie. Le Père céleste, dit S. Jérôme, ne voit qu’avec indignation les époux qui ne se confient


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pas en sa providence. Cependant Sanchez, avec plusieurs autres qu’il cite, prétend que dans le cas dont il s’agit on peut établir le contraire. Voici ses paroles  : « Id ta- men fatebor, nimirùm non esse mortale debitum ob eam causam negare, quandô non est incontinentiæ periculum in altero conjuge, et parentes non sunt satis tôt filios alendo. Quia ab aliis justitiæ debitis persolvendis excusât magna incommoditas, non enim cum magno suo incom- modo tenetur quisquam restituere. Prætereà quia non tenetur conjux reddere, si timor probabilis adsit peri- culi aut detrimenti prolis jam genitæ  : quod tamen veri- simile est aliis filiis jam natis, si adhuc proies inultipli- cetur parentibus destitutis facultatibus quibus eos alant. . . imô nec venialis culpa erit in hoc eventu debitum ne- gare.  » (Lib. 9, disp. 25, n° 3.)

Nous croyons que ce sentiment de Sanchez et de ceux qu’il cite n’est pas sûr dans la pratique, d’autant plus que ces auteurs paraissent fonder leur opinion sur une condition dont il n’est pas facile d’obtenir le parfait ac- complissement, c’est à dire l’absence du danger d’incon- tinence. Comment en effet le confesseur pourra-t-il compter sur l’assurance que lui donne sa pénitente de la continence perpétuelle de son mari  ? Il devra, dans ce cas, toujours exiger que la continence ait lieu d’un libre et mutuel consentement, et que malgré cette résolution chaque partie soit toujours dans la disposition de rendre le devoir sur la demande de l’autre.


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S IV.

DES ÉPOUX QUI PÈCHENT MORTELLEMENT EN RENDANT LE DEVOIR CONJUGAL.

1° Il y a péché mortel à rendre le devoir lorsqu’il est demandé dans des circonstances qui rendent cette de- mande mortellement mauvaise ou scandaleuse, lorsque par exemple, comme disent les théologiens, petitio fit in loco sacro vel publico, vel coram liberis et domesticis (ce qui n’arrive guère), vel cum periculo abortûs aut gravi periculo petentis, vel alterius sanitatis, vel cum evidenti discrimine semen extra vas effundendi, cùm aliter possent coire  ; aut coeundo modo innaturali, so- domico, etc. Tout cela est beaucoup plus fréquent. Cer- tum est, in omnibus his casibus, reddentem etiam mor- taliter peccare, quia in ipsomet crimine participât et malitiam ejus assumit.

2° Ce serait également, comme nous l’avons déjà vu ailleurs, une faute mortelle que de rendre le devoir à la partie atteinte d’une impuissance perpétuelle.

3° « Si vir adeô sit decrepitus vel debilis, ait DD. Bou- vier, ut actum perficere nequeat, nec spem ilium per- ficiendi habeat, mortaliter peccaret debitum exigendo, quia esset actus contra naturam, et uxor eâdem ratione mortaliter peccaret reddendo. Si verô identidem vir ac- tum perficeret quamvis sæpè non consummaret, uxor reddere potest, imô et tenetur, quia ob dubium de felici exitu maritum jure suo privare non posset  : ipsemet ma- ritus in illo casu debitum licite petit, dùm aliqua est ratio sperandi fore ut ad consummationem perveniat, et


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M ÜECHI ALOG1E.


si contingat semen extra vas effundi, id per accidens evenire censetur, nec ad peccatum imputatur. At ubi nulla remanet spes ad consummationem actûs perve- niendi, certum est ab illo sub mortali abstinendum esse. Ita Sanchez, 1. 9, disp. 17, n. 2 h ; S. Ligorio, 1. 6, n. 95 à, dub. 2, et multi apud eos.  »

à0 On demande si l’gn peut, sans péché mortel, rendre le devoir à celui qui le demande, bien quil ait voué la chasteté ou qu’il se propose un but criminel. Notez qu’ici la circonstance n’appartient plus a l’acte, mais à la personne qui demande l’acte.

Les uns prétendent qu’il y a ici péché mortel à rendre le devoir, à moins qu’une cause grave n’en excuse, par- cequp, disent-ils, la partie qui demande n’a pas puissance sur l’autre, et qu’à raison du vœu et du but criminel, l’acte étant criminel dans la personne qui l’a demandé, l’autre ne peut pas y participer.

D’autres, au contraire et en grand nombre, disent que non seulement la partie peut rendre le devoir, mais qu’elle y est obligée, parceque, répondent-ils, la partie qui le demande n’a pas perdu son droit par son vœu  ; elle le demande, il est vrai, illicitement, mais non injus- tement. On apporte cette comparaison  : Celui qui aurait fait vœu de ne pas vous demander l’argent que vous lui devez, si contre ce vœu il venait à l'exiger, pourriez-vous le lui refuser? certainement non; donc de même, con- cluent-ils, la partie libre ne peut refuser le devoir à l'au- tre qui le demande malgré son vœu et en péchant mor- tellement. C’est le sentiment de Sanchez, de S. Liguori, de Mgr Bouvier et d’une foule d’autres.

Il faut pourtant faire remarquer que l’époux de qui


MOECHIALOGIE.


321


Ton exige ainsi le devoir est tenu, en vertu du précepte de la charité, d’avertir l’autre époux afin de l’empêcher de pécher mortellement, pourvu toutefois que cet aver- tissement ne soit pas pour le mari une occasion d’in- continence, de discorde ou d’un violent emportement, graves inconvénients qui sont souvent à craindre et qui dispensent de faire la correction fraternelle alors et dès lors qu’il n’y a nul espoir d’amendement.

Une autre remarque se présente  : tout le monde con- vient que la partie libre ou non liée par vœu peut licite- tement demander le devoir, et alors on lui conseille de le faire quand elle verra l’autre disposée à le deman- der : de cette manière on empêche le péché mortel.

5° Nous avons dit à la page 300 qu’un époux qui a commis un inceste avec une personne parente de sa partie au premier ou au second degré perd son droit de péti- tion conjugale, et qu’il ne peut l’exiger sans pécher mortellement. Cela étant, on propose à la partie inno- cente, qui conserve tout son droit, défaire ce qu’on vient de conseiller tout à l’heure, c’est à dire de demander le devoir, puisqu’elle le peut, afin d’empêcher sa partie de commettre un péché mortel en le demandant elle- même.

Cependant plusieurs auteurs cités par Sanchez, parmi lesquels S. Thomas, prétendent qu’il y aurait péché mortel à rendre le devoir dans l’espèce, parceque, sui- vant eux, il y aurait participation à une action mortelle- ment mauvaise, comme l’est, dans le cas, la pétition du devoir conjugal. Mais le sentiment de Sanchez, de S. Li- guori et d’un très grand nombre d’autres théologiens est beaucoup plus commun et plus probable. Ces docteurs


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MOECHIAtOGIE.


affirment qu’il n’y a ici aucune faute à rendre le devoir, si l’on ne peut prudemment détourner de son péché l’é- poux incestueux; car la partie innocente, en exerçant un acte conjugal, fait une chose bonne en soi, à laquelle elle a droit  ; et elle ne peut être dépouillée de ce droit par le crime de l’autre. Soit donc qu’elle demande, soit quelle rende le devoir, elle use licitement de son droit; donc elle ne pèche pas, surtout si en refusant le devoir elle en souffre quelque incommodité, quelque inconvé- nient grave, et qu’elle ne puisse empêcher le péché de l’autre partie.

S V.

DE CEUX QUI PÈCHENT VÉNIELLEMENT EN RENDANT LE DEVOIR.

1° Quand l’usage du mariage est péché véniel pour l’époux qui demande le devoir, par exemple, comme dit Bouvier, « quia ob solam voluptatem petit, aliqua esse videtur culpa in reddendo, si nulla ratio excuset, quia est subministratio materiæ peccati venialis  : sed ab- soluta petitio est ratio sufficiens redditionem cohones- tans; nam timendum est ne ex denegatione nascantur rixæ, odia, scandala, pericula graviùs peccandi, etc.  »

Mais si la faute est inhérente à l’acte même, ou, en style théologique, si culpa se tcnet ex parte actûs, comme si le devoir était demandé et exigé en lieux et circonstan- ces indus, il est certain qu’il ne pourrait être rendu même avec péché véniel, parceque personne ne peut être obligé à pécher, ou à concourir à un acte qui est mauvais en soi ou rendu tel par des circonstances mauvaises. Si la faute vient du côté de la personne qui demande le de-


MQECHIALOGIE.


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voir, se tenet ex parte petentis, comme lorsque la partie est liée par un vœu de chasteté ou par un empêchement d'affinité provenant d’inceste, etc., la femme peut rendre le devoir, si elle ne peut le refuser sans inconvénient plus ou moins grave. Mais, si elle peut le refuser sans aucun inconvénient, la charité exige quelle le fasse pour empêcher son mari de tomber dans le péché.

2° Si l’acte conjugal est véniellement illicite par quel- que circonstance particulière, comme par exemple celle de l’époque menstruelle ou autre, le devoir ne doit pas être rendu sans juste raison. Mais si la femme a lieu de craindre que ce refus n’entraîne des inconvénients plus ou moins fâcheux, cette considération devient une raison suffisante de le rendre sans péché. Elle ne pèche toute- fois que véniellement si elle le rend purement et simple- ment sans aucune raison, puisque le mari lui-même qui demande le devoir ne commet qu’une faute vénielle.

3° Les théologiens demandent si une femme qui jus- qu’à présent n’a mis au monde que des enfants morts peut néanmoins rendre le devoir ou même le demander. Sanchez, S. Liguori et un grand nombre de théologiens l’affirment et avec raison, parcequ’elle fait en cela une chose licite en soi et à laquelle elle a un droit incontes- table. La mort des enfants n’arrive que par accident, et ne peut lui être imputée. D’ailleurs tous les jours on voit des femmes qui, après plusieurs avortements, mettent au monde des enfants vivants. Il n’y a en ce point au- cune difficulté.

Mais voici une difficulté plus sérieuse, sinon réelle, au moins apparente. Msr Bouvier affirme que Sylvius, Bil- luart et Bailly disent que la femme ne peut ni demander


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MOECHIALOGIE.


ni rendre le devoir lorsqu’il est moralement certain que l’enfant ne peut naître vivant, parcequ’ alors, dit-op, la fin légitime du mariage ne peut être obtenue. Cette opi- nion, ajoute Msr Bouvier, ainsi restreinte, est la plus pro- bable et doit être seule maintenue. Sans doute elle de- vrait être maintenue et suivie si le fait était tel que le posent les théologiens. Mais elle doit disparaître devant l’espoir moralement certain de faire naître vivants, dans l’hypothèse posée, deux enfants sur quatre, c’est à dire la moitié. Or l’art possède aujourd’hui ce nouveau se- cret, cette nouvelle et précieuse méthode, pratiquée avec succès pour la première fois en France, en 1831, par M. le professeur Velpeau. Ce nouveau procédé de l’art obstétrique, c’est la parturition provoquée ou l’accouche- ment prématuré pratiqué après sept mois, c’est à dire lorsque l’enfant est viable. Nous y reviendrons plus loin, et nous examinerons ce point important quand nous par- lerons de l’embryologie sacrée. D’après cela, il est évi- dent, toute la difficulté est levée, et la femme peut de- mander et rendre le devoir sans aucun péché, parceque la fin du mariage peut être atteinte, et que d’ailleurs la femme ne court point de danger pour sa vie, ou, s’il y a parfois quelque danger, il est fort léger. Car, si le dan- ger était notable, manifeste, évident, comme nous l’avons déjà dit précédemment, le devoir ne pourrait jamais être demandé ni rendu sans péché mortel.


M0FCH1AL0GIE.


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ARTICLE DEUXIÈME.

DE L’USAGE DU MARIAGE, DES CIRCONSTANCES DE L’ACTE CONJUGAL ET DES PÉCHÉS QU’Y COMMETTENT LES ÉPOUX.

Si-

DE L'USAGE DU MARIAGE ET DES PÉCHÉS VÉNIELS QU’Y COMMETTENT LES ÉPOUX, QUANT AUX MOTIFS.

L’acte conjugal, exercé dans une fin légitime, dans un esprit chrétien et par un motif surnaturel, est non seu- lement bon et honnête, mais devient encore méritoire pour le salut, si on le rapporte à Dieu et qu’on le prati- que dans la vue de faire la volonté de Dieu et de rem- plir les devoirs d’époux chrétiens et chastes comme Tobie et Sara.

Mais, dès que l’acte matrimonial s’écarte de cet ordre établi par le Créateur et de la ligne tracée par l’Église, il devient, par le mauvais vouloir de l’homme, une ac- tion plus ou moins défectueuse, vicieuse et mauvaise, achis peccaminosus , comme disent les théologiens, en un mot une transgression de la loi ou un péché.

1° D’abord tout acte conjugal exercé ob solam volup- tatem, comme disent les docteurs, est péché, mais seu- lement véniel. On le prouve par l’autorité d’innocent XI, qui a condamné en 1679 la proposition suivante  : Opus conjugii ob solam voluptatcm excrcilum. omni pcnitùs caret culpCi ac defectu reniait. La raison vient encore appuyer et sanctionner cette vérité  : la volupté n’est que moyen et non fin. Si ce moyen est séparé ou privé de sa fin naturelle, qui est la procréation, il devient illicite par-


MOECHÏALOGIE.


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cequ’il devient fin lui-même, ce qui est un renversement de l’ordre et véniellement mauvais.

Nous disons véniellement mauvais , pareeque la délec- tation dans un acte bon en soi n’est pas mauvaise d’elle- même ou en soi, mais l’est seulement par un défaut de relation à sa fin légitime  : tel est le plaisir qu’on éprouve dans le boire et dans le manger. Manger, par exemple, pour le seul plaisir est un péché, mais seulement véniel  : on pèche pareequ’on renverse l’ordre et qu’on prend le moyen pour la fin  ; ce péché est seulement véniel paree- que ce plaisir, goûté dans un acte bon en soi, n’est pas mauvais par lui-même, mais seulement par le défaut de rapport à sa fin légitime, qui est le soutien et la conser- vation du corps. C’est la doctrine de S. Augustin, de S. Ambroise, de S. Thomas, de S. Bonaventure et de la grande généralité des théologiens, contre quelques-uns qui prétendent que la délectation prise pour fin dans l’acte conjugal est péché mortel, et contre quelques- autres qui soutiennent qu’il n’y a aucun péché. Le mi- lieu est donc encore ici, comme en beaucoup d’autres points, le plus sage et le plus sûr parti qu’il reste à pren- dre. Nous pouvons répéter ce que nous avons déjà dit ailleurs  : in medio tntissimiis ibis, ou plutôt nous cite- rons toujours l’oracle du Saint-Esprit  : Ne déclinés ad dexteram neque ad sinistram. (Prov. , 4,27.) Il faut donc suivre la ligne droite, sans en dévier ni à droite ni à gau- che. On connaît le mot de Tertullien  : La vérité catho- lique se trouve ordinairement entre deux erreurs oppo- sées, comme Jésus-Christ crucifié entre deux voleurs.

2° L’usage du mariage est-il permis pour éviter l’in- continence? Tous les théologiens conviennent qu’il est


MOECHJALOGIE.


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permis de rendre le devoir à l’époux qui le demande sans autre raison que celle d’éviter l’incontinence. La difficulté est donc maintenant de savoir s’il est permis de le demander par ce seul et unique motif. Les avis sont ici partagés. Les uns, en grand nombre, assurent qu’il n’y a aucun péché à demander le devoir, et s’ap- puient sur ces paroles de S. Paul  : Pr opter fornicatio- nem unusquisque uxorem suam ha beat, et unaquœque

suum virum habeat Nolite fraudare invicem, nisi

forte ex consensu ad tempus ut vacetis orationi , et ite - rùm revertimini in idipsum , ne tentet vos Satanas , prop- ter incontinentiam vestram ; hoc autem dico secundiim indulgentiam, non secundùm imperium  ; volo enim om- îtes vos esse sicut meipsum. ( I Cor. ,7.) S. Paul ne paraît avoir en vue ici que l’incontinence seule pour motif de son indulgence à l’égard de l’usage du mariage  : or, on ne peut pas dire que l’apôtre accorde la faculté de pé- cher. On s’appuie encore sur l’autorité du catéchisme du concile de Trente, qui donne pour raison de contracter mariage, ut qui sibi imbecillitatis suce conscius , est nec carnis pugnam vult ferre, mal rimonii remeclioad vitanda tibidinis peccata utatur, de quo ita apostolus scribit  : propter fornicationem, etc. Il faut noter que S. Paul et le concile de Trente n’excluent pas la fin primaire ou la procréation, ils la supposent  ; car le sens de leurs paroles doit être ainsi entendu  : il est permis d’user du mariage pour éviter l’incontinence (fin secondaire), mais dans l'ordre de la procréation, in ordine ad proiem. De plus, un acte honnête en soi, rapporté à une fin honnête, ne peut être mauvais. Or l’acte conjugal est honnête en soi, et éviter l’incontinence est également une fin hon-


MOF.CHI ALOGIE.


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nête  ; donc, etc. C’est l’opinion de S. Antonin, de Palu- danus, de Soto, de Sylvestre, de Roncius, de Lacroix, de S. Liguori et de plusieurs autres que cite ce dernier.

D’un autre côté un très grand nombre d’autres théo- logiens et de la plus haute autorité, tels que S. Augus- tin, S. Grégoire-le-Grand , S. Fulgence, S. Thomas, S. Bonaventure, Sylvius, Collet, Billuart, Dens, etc., affirment très positivement que l’acte conjugal exercé dans le but d’éviter l’incontinence est péché véniel. Les raisons puissantes qu’ils apportent sont les suivantes  : Tout acte qui n’est point rapporté à sa fin légitime est entaché de faute morale ou de péché  ; or la fin de l’acte matrimonial est la procréation  ; donc, si cet acte est rap- porté à une autre fin, comme par exemple celle d’éviter l’incontinence ou l’extinction de la concupiscence char- nelle, fin louable sans doute, mais qui n’est que secon- daire, et qui d’ailleurs ordinairement peut être obtenue par d’autres moyens; si, disons-nous, l’acte conjugal, au lieu d’être rapporté à sa fin principale ou à sa fin primaire, est seulement rapporté à sa fin secondaire, il y a évidemment péché, mais qui ne peut être que véniel. D’ailleurs n’y a-t-il pas péché à obéir sans juste rai- son aux mouvements érotiques ou libidineux que l’on éprouve lorsqu’on peut le faire autrement? évidem- ment oui. Sylvius, Billuart et Dens soutiennent que, lors même que l’on aurait en vue la procréation, on pèche néanmoins véniellement si en même temps on a égale- ment en vue la délectation inhérente à l’acte conjugal, parcequ’ enfin on obéit toujours à la passion. Sylvius va plus loin  : il veut même, mais certes bien à tort, que dans l’acte exercé dans le but génésique le consentement


MOECHIALOGiE. 3 '29

à la délectation inhérente à cet acte soit encore une faute vénielle, puisque, dit-il, ce plaisir vient de la nature corrompue, qu’il est honteux et obscurcit les lumières de la raison. Ce sentiment est inacceptable, car il mécon- naît la fin physiologique, le droit de la nature. Nous l’a- vons déjà dit plusieurs fois dans d’autres ouvrages , la nature a toujours attaché un sentiment de plaisir à toutes les fonctions volontaires de l’économie animale qui ont pour but la conservation des individus ou des espèces, sans quoi les individus et les espèces négligeraient ou omettraient ces actes auxquels rien ne les porterait ni les impulsionnerait, et ils trouveraient bientôt la mort dans leur inaction et leur repos. Si, lorsqu’on est pressé par la faim ou la soif, l’on n’éprouvait pas. plus de plaisir à boire ou à manger qu’à prendre une médecine fort amère et désagréable  ; ou, si l’union sexuelle n’offrait pas plus d’attrait sensitif aux espèces animales que des incisions cutanées ou des opérations sanglantes, croyez-vous qu’un tel ordre naturel ou physiologique ne serait pas subversif et destructif de sa nature et ne conduirait pas prompte- ment à une mort certaine et universelle  ?

D’autres théologiens enfin, entre autres Sanchez, admettent une troisième opinion, et ne reconnaissent l’absence du péché véniel, dans l’acte conjugal exercé comme remède contre l’incontinence, que lorsqu’on a employé en vain tous les moyens ordinaires.

Suivant S. Thomas et le commun des théologiens, il if est pas permis de contracter mariage ou d’en user pré- cisément pour conserver ou recouvrer la santé; car, di- sent-ils, une telle fin est étrangère au mariage  ; l’acte conjugal par conséquent, étant privé de sa fin légitime,


330 MOECHIALOGIE.

est péché véniel. Si néanmoins la santé n’est que la fin secondaire, et qu’avant tout on se propose la procréation, il n’y aura aucune faute, cela est évident. (Ms1 Bouvier.)

D’ailleurs on peut soutenir que la conservation de la santé est, aussi bien que la fuite de 1 incontinence, une fin secondaire du mariage, puisque, celui-ci étant institué pour la propagation de l’espèce, cette propagation ne peut s’accomplir sans la santé et la force convenables des individus.

L’époux qui désire que l’acte conjugal soit stérile pè- che, suivant l’opinion de tous les théologiens, mais seu- lement d’une manière vénielle, parceque la fin du pré- cepte ne tombe pas sous le précepte. C’est le sentiment de Sanchez, de Msr Bouvier et d’un grand nombre d’au- tres théologiens, contre une faible minorité, quoi qu’en dise Sœttler, qui s’exprime ainsi  : « Quèd si quis deside- ret non habere prolem, juxta multos peccat mortaliter, quia hoc desiderium graviter répugnât fini matrimonii.» Le commentateur de Sœttler, M. Rousselot, ajoute cette note  : « Juxta alios longé plures, desiderium illud, si hîc sistat, si sit merè speculativum, nihilque agatur quo ge- neratio impediatur, est tantùm veniale, sed periculosum, ait Vernier, ut ducens ad mortale. Ita Dens, Sanchez, Sylvius, etc., et DD. Bouvier.  »

Tout peut donc se résumer en ces quatre paroles de Collet  : <( Copula alio quocumque quàm in generationis aut justitiæ fine exercita semper est peccatum.  » Cette proposition elle-même est fondée sur ce passage de S. Augustin  : « Concubitus necessarius causa generandi,

inculpabilis ille autem qui ultra istam necessitatem

progreditur, jam non rationi, sed libidini obsequitur. Et


MÜECHIÂLOGiE.


331

h une tattien non exigere, sed reddere conjugi, ne forni- cando damnabiliter peccet, ad personam pertinet conju- galem.  » (Lib. de bono Conj.) Ailleurs, dans le même livre, S. Augustin ajoute encore ceci  : « Reddere debi- tum conjugale nullius est criminis  ; exigere autem ultra generandi necessitatem culpæ venialis.  » S. Thomas s’ex- prime sur ce point de la même manière et même plus explicitement encore. Voici ses paroles  : <(Duobus solis modis conj uges absque omni peccato conveniunt, scili- cet causâ prolis procreandæ et debiti reddendi  ; aliàs au- tem semper est ibi peccatum ad minùs veniale.  » (In Zi, dist. 31.)

Au reste nous n’insisterons pas davantage sur ces divers points, qui ne doivent pas être d’une très grande importance pratique aux confesseurs, en ce sens qu’ils ne peuvent y trouver ni difficultés ni embarras graves et sérieux.

S H.

DES CIRCONSTANCES OU L’USAGE DU MARIAGE EST GÉNÉRALEMENT PÉCHÉ MORTEL QUANT A L’ACTE, CONFORMÉMENT A L’OPINION DE TOUS LES THÉOLOGIENS.

1° Juxta omnes theologos peccatum est mortale si quoad situm concubitus non sit naturalis et adsit grave periculum effusionis extra vas, sive in petendo, sive in reddendo debitum. « At, inquit T)D. Bouvier, secluso tali periculo, debitum sic petere aut reddere absque ne- cessitate peccatum est duntaxat veniale, quia talis in- versio non est essentialis, nec generationi obstat. Severè tamen increpanda est. Positâ verô necessitate sic agendi, v. g. , ob graviditatem vel quia corpus aliuni situm non


M0ECH1AL0G1E.


patitur, nulluiii erit peccatum, modo probabile non adsit periculum effusionis extra vas.  »

2° Mortaliter peccant conjuges qui, ut infra latiùs vi- debitur, de industriâ talem elfusionem concitant, vel etiam qui coitum sodomiticè inchoant cum intentione ritè et adamussim ilium consummandi  : talis enim actus inordinatus, cùm ex se ad elfusionem extra vas inultùm inducat, nihil aliud reputandus et habendus est quàm incœpta sodomia. Ita Sanchez, S. Ligorio, D. Bouvier et alii multi. Addendum est generatim conjuges lethaliter peccare si actus valdè turpes et naturæ et honestati gra- viter répugnantes et adversantes, et hîc non nominan- dos exercere non erubescant.

3° Rursùs peccant mortaliter conjuges qui quovis modo generationem impediunt, vel prolis, ut ait Collet, per abortum ejiciendæ, vel graviter lædendæ periculo se ex- ponunt.

k° Mortaliter iterùm peccatur, inquit idem doctus Col- let, <( cùm vir retrahit se, vel complété non seminat in vase. Idem est cùm mulier susceptum semen de indus- triâ ejicit, aut ejicere conatur, aut semen proprium de industriâ privatim effundit.  » Il faut faire observer, en passant, que ces précautions de la femme, quoique cri- minelles par l’intention, sont vaines et illusoires, et par conséquent incapables d’atteindre le but qu’elle se pro- pose, dès lors que l’âcte a été dûment et normalement consommé. C’est aussi h plus forte raison une précaution bien futile et bien vaine que certaines femmes, d’après quelques théologiens, prennent, dam statim post copu- lam surgunt .

S. Antonin, S. Liguori, Sanchez, Pontius, Bonacina.


AIOECHIALOGIE.


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Layman, Sporer et plusieurs autres cités par S. Li- guori (lib. 6, n. 918) asserunt peccatum non essemor- taie si, incœptâ copulâ, conjuges cohibeant seminatio- nem, id est si, ante seminationem, vir de consensu mulieris se retrahat, modô absit periculum seminandi extra vas, vel periculum pollutionis in utroque conjuge. Plures alii mérité, ut Navarrus, Ledesma, Azor, etc., peccatum mortale esse autumant, quia impeditur ge- neratio ad quam copula naturâ suâ ordinatur, et proindè actus conjugalis fine suo primario frustratur, qui gene- ratio est. Appositè addit D. Bouvier: «Tum quiasemper est periculum pollutionis in viro, tum quia graviter est

contra naturam copulam sic relinquere imperfectam

hæc opinio sola sequenda est in praxi.  »

11 est encore certaines autres questions qui nous pa- raissent assez peu importantes, et qui par conséquent ne méritent pas qu’on s’y arrête longuement. Par exem- ple, S. Liguori (lib. 6, n. 918) demande  : « Si autem vir jam seminaverit, dubium fit an femina lethaliter pec- cet si se retrahat à seminando  ? aut peccet lethaliter vir non expectando seminationmem uxoris?» Voici notre réponse à ces doutes  : la quasi-spermatisation de la femme ou seminatio feminea, comme disent les théologiens, ne paraissant pas nécessaire à la génération, nous ne voyons pas trop la solidité des raisons qu’on apporte en faveur du péché mortel dans les espèces, parceque la matière qui forme la spermatisation de la femme n’est point une véritable semence, mais de simples mucosités vaginales et utérines. La raison sur laquelle se fondent les théolo- giens pour admettre liane seminationem femineam est tirée des écrits d’Hippocrate, de Galien, de Valescus, etc.  ;


3M


MQECHIALOGIE,


mais ces auteurs, quoique médecins, sont aujourd’hui universellement regardés comme des autorités tout à fait nulles et incompétentes dans la question. Une seule ob- servation physiologique doit suffire pour renverser tout ce farrago d’opinions erronées des anciens  : c’est que la femme, d’après tous les physiologistes modernes de l’Eu- rope et du monde entier, est incapable d’une véritable sécrétion séminale ou spermatique; elle n’a point d’or- gane spécial pour cela. Elle fournit seulement l’ovule ou le germe qui vient de l’ovaire, plus ordinairement une certaine quantité de mucosités ou d’humeurs lubrifiantes, qui sont l’effet de l’orgasme érotique, et qui sont pro- pres à faciliter et à compléter l’acte conjuguai, mais qui ne paraissent pas du tout essentielles à la fécondation, comme nous le prouverons plus bas.

Nous répondons donc aux questions de S. Liguori, et nous affirmons positivement et avec une complète assu- rance que, dans les deux cas, il n’y a point de péché mor - tel, parceque la conduite des deux époux n’apporte à la fécondation aucun obstacle essentiel, vu que la sémina- tion féminine n’y paraît nullement nécessaire. Mais c’est ce qu’il faut ici prouver, ou du moins nous devons ap- porter à l’appui de notre affirmation une nouvelle preuve, bien que le fait des ovules fournis par la femme puisse tenir lieu de toute autre preuve. Or la preuve que la séminalion féminine n’est pas nécessaire, c’est que la conception peut se faire sans elle, puisqu’on voit des femmes qui conçoivent non seulement sans éprouver aucune sensasion voluptueuse, mais même avec répu- gnance, malaise et souffrance. O11 peut même avancer qu’eu général les femmes les plus ardentes et les plus


MOECHIALOGIE.


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libidineuses sont moins fécondes que celles qui ont de la répugnance pour le coït. Une femme peut concevoir à son insu ou étant profondément endormie  : on en a des exemples.

De ce fait d’union sexuelle accomplie du côté de la femme avec dégoût, répugnance, une sorte d’horreur, malaise et souffrance physique, il s’ensuit que, dans ces cas de cohabitations froides et insensibles, il n’y a point de sémination prolifique dans le sens que l’enten- dent les théologiens, parceque dans un tel acte il est physiologiquement impossible qu’une effusion séminale s’accomplisse sans sensation érotique ou voluptueuse de . la part de la femme comme du côté de l’homme. Donc la sémination féminine n’est pas nécessaire à la concep- tion, puisque celle-ci peut s’accomplir sans elle, par le seul fait de la sémination virile. Il sera maintenant facile d’apprécier à sa juste valeur l’opinion « quorumdam juxta quos potest uxor præ timoré prolis in actu conjugal! animum aliô convertere, seu se permissivè habere tan- tùm ne excitetur ad seminationem, vel seminationem suam retinere, ne unà cum viro seminet,  » comme si le système utérin était sous l’empire de la volonté. Il ne l’est pas plus que le cœur  ; et il n’est pas plus possible à la femme d’arrêter l’action de sa matrice que d’arrêter les battements de son cœur.

Enfin les théologiens demandent  : « Utrùm feminæ li- citum sit, post retractionem et seminationem viri, statim sese tactibus excitare ad propriam seminationem ut sibi levamen necessarium procuret?» Réponse: nous pen- sons que cela n’est point permis à la femme, parceque cette action solitaire n’a plus aucun but physiologique


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dans l’ordre de la procréation, ni aucune relation avec l’acte conjugal, et que ce serait par conséquent une véri- table pollution. Quant au soulagement ou au besoin à satisfaire, nous n’y voyons d’autre remède que la prolon- gation de l’acte ou un autre acte plus complet et plus normal. Les théologiens qui pensent comme nous appor- tent pour raison  : « Quia semen mulieris non est necessa- riurn ad generationem , et quia effusio ista mulieris , ut- potè separata , non fit una caro cum viro.  » S. Liguori ajoute  : « Si hoc permitteretur uxoribus, deberet permitti etiam viris, casu quo millier post suam seminationem se r etr aker et , et vir maneret irritât us.  » (Lib. 6, n. 919.) Nous en donnerons encore une autre grave raison  : c’est que ces actions solitaires et postcoïtales peuvent inspirer à la femme la passion de l’onanisme solitaire, comme l’expérience nous l’a appris depuis peu.

D’après tout ce qu’on vient de dire, il sera facile au lecteur de faire prompte justice de l’étrange opinion de Sanchez, qui prétend, contre l’opinion générale ou plutôt universelle des théologiens, que le mariage n’est pas consommé si mulier non seminet, et que la génération ne peut avoir lieu nisi femina seminet. (Lib. 2, disp. 21, n° 11.) Ainsi, suivant cette opinion, on serait logique- ment conduit à conclure ab absurdo que les femmes qui ont conçu avec répugnance et souffrance, et enfanté avec labeur et douleur, n’ont jamais consommé le mariage. Si Sanchez ne tire pas cette conclusion, il tire au moins celle-ci, d’après S. Thomas et S. Bonaventure, savoir que le coït normal et formel suivant la définition des théolo- giens, penetratio et seminatio ririlis, ne peut être, si fiat sine seminatione muliebri, une véritable cause d’affinité.


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Si, malgré toutes ces raisons, quelqu’un voulait sou- tenir l’opinion de Sanchez, qu’il nous dise comment et à quel caractère ou signe certain on pourra reconnaître la sèmination chez les femmes qui n’éprouvent dans l’acte du coït que répugnance et souffrance, et qui néanmoins conçoivent parfaitement. Nous pensons que la réponse se fera longtemps attendre, et pour une bonne raison, parcequ’elle est impossible. Mais, ce qui est assez sin- gulier dans toute cette question, c’est que Sanchez, ou- bliant tout ce qu’il avait avancé au second livre, disp. 21, n° 11, en dit tout le contraire au neuvième livre, disp. 17, nos 8 et 9. Voici ses propres paroles  : « Licèt semen mu- lieris non sit ad generationem necessarium , multùm tamen confert ad faciliùs generandum.... Non est necesse utrumque conjugem seminare simul. Quare dùm vir se- men effudit, minimè tenetur feminæ effusionem expec- tare. Probatur, quia femineum semen nec esse necessa- rium, nec activé ad generationem concurrere, docent Galenus, etc. (Un grand nombre d’auteurs sont ici cités enseignant tout ce que Sanchez vient d’établir, nempè semen femineum non esse necessarium ad generationem,) Après la citation de ces autorités, Sanchez ajoute  : « et multi alii  ; et universa theologorum schola (si Scoti sec- tatores excipias) .... Quod indè constat, quia experientiâ teste feminæ omnino invitæ, in balneisque semen virile recipientes concipiunt (ce qui est fabuleux et faux)  ; tune autem minimè seminant, alias veneream delectationem maximum non possent non sentir e (ce qui confirme ce que nous avons dit à la page 335). Ergo cùm absque eo semine, nedùm ubi non simul, sed post effunditur, generatio sequatur, nullum præceptum constringit ad


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pariter effundendum. Nec obstat id génération! conve- nientius esse. Quoniam non tenentur conjuges conve- nientiorem ac faciliorem generandi viam eligere, sed satis illis est si generationi non obstent.  »

Nous avons presque regret d’avoir écrit ces deux pages, contre notre résolution de ne réfuter aucune opi- nion des théologiens qui n’offrît quelque portée pratique. Il nous faudrait presque un volume si nous voulions exa- miner avec quelque sévérité et réfuter toutes les opinions ou plutôt toutes les erreurs physiologiques de Sanchez et de ceux qui l’ont copié. Certes, nous nous garderons bien de nous charger d’une telle besogne, parcequ’un pareil travail serait aussi fastidieux pour nous qu’il se- rait sans objet et tout à fait inutile à nos lecteurs.

h° Mortaliter peccant conjuges si coeunt cum affectu adulterino vel fornicario, id est si vir uxorem cognos- cens optet et intendat coire cum aliâ quam sibi repræ- sentat; et similiter de uxore, cùm in alium animum figat. Uterque mœchatur in corde suo. Nihil est fœdius, ait S. Hieronymus, quùm axorem amare quasi aduitcram. Item mortaliter peccant si copulam ex fine graviter malo exerceant, putà ut uxor moriatur in partu.

5° « Peccant adhuc mortaliter conjuges si copulam coram aliis exerceant, ob grave scandalum  : caveant igitur ne in eodem cubiculo alii lectum suum habeant, Pauperes et rustici quibus sæpè unicum suppetit cubi- culum pro ipsis, pueris et famulis, cautè sibi diù noctu- que invigilent, ne, juribus suis utendo, occasionem ruinæ aliis præbeant. Heu  ! quot famulæ, quot pueri in tenerâ ætate moribus jam sunt perditi, et depravationem suam incautis debent conjugibus  ! (DD. Bouvier.)


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S III.

DE TACT1BUS INTER CONJUGES.

1° Toute la doctrine théologique sur ce point peut se résumer en ce passage de Billuart  : « Quæcumque oscula, tactus, amplexus, aspectus, turpiloquia libidinosa inter conjuges præsentes, citra periculum polLutionis et inter terminos honestatis naturalis, sunt licita si fiant in or- dine et ex intentione copulæ  ; sunt autem peccata dun- taxat venialia si in eis sistatur, nec ordinentur ad copu- lam.... Dixi intra terminos honestatis naturalis, quia tota ilia indulgentia non est data conjugibus nisi qua- tenùs prædicta secundùm naturam et rectam rationem ordinantur ad naturalem et humanum concubitum  : undè magis vel minùs peccant quo magis vel minùs hos limites transgrediuntur. Tune autem solùm censentur conjuges graviter transgredi hos limites quandô attentant aut ad- mittunt aliquid sodomiticum, vel agunt cum periculo pollutionis  : extra hos duos casus, quantumvis actus sint turpes, non videntur excedere peccatum veniale.  » (De Luxuriâ, dissert. 6, art. 17.)

Voilà des principes sages et qui paraissent sûrs dans la pratique. Cependant on peut se demander comment on pourra concilier le quantumvis actus sint turpes, qui ne doivent être regardés que comme véniels, avec les actes qui se feront cum periculo pollutionis? Quels seront donc ces actes mortels qui donnent ce péril, et qui sont distincts de ceux du quantumvis turpes  ? ceux-ci, sui- vant la signification grammaticale du mot quantumvis, pourraient comporter, ce nous semble, quoique supposés


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simplement véniels, toute l’énormité de ceux réputés nécessaires pour amener le periculum pollutionis. Quels seront donc enfin ces derniers, qui doivent être d’une malice mortelle, et en quoi différeront-ils des actes dési- gnés sous la dénomination de quantumvis turpes, qui ne seront que véniels  ? Tout cela ne nous paraît pas trop clair dans Billuart.

Il nous semble, à nous, qu’il vaudrait mieux suppri- mer le quantumvis , et lire ainsi  : extra hos duos casus, omnes actus turpes non videntur excedere peccatum ve- niale. Alors il resterait ces actes admodùm turpes, ces énormités qui sortent, comme dit Billuart, des limites de l’honnêteté naturelle, que nous ne nommerons point ici, parceque ces actes et beaucoup d’autres sont assez et trop clairement désignés dans tous les traités de théo- logie morale. Enfin le lecteur, armé non de subtilités et de distinctions scolastiques, mais du simple bon sens naturel et de quelque connaissance du cœur humain, saura bien distinguer et reconnaître les cas et les actes qui comportent le periculum pollutionis dont parle Billuart.

Mgr Bouvier, quoique plus laconique, nous paraît plus clair, plus explicite et moins dans le vague de l’expres- sion ; car enfin dans ces sortes de questions on flotte presque toujours plus ou moins dans ce vague, quoi qu’on fasse; ce sont des difficultés inhérentes à la matière et souvent inévitables.

Voici comment s’exprime le pieux et savant évêque du Mans  : « Tactus ad legitimam copulam ordinati, secluso periculo pollutionis exerciti, procul dubio sunt liciti; sunt enim velut accessoria copulæ  : licitâ igitur copulâ,


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illiciti esse non debent. Si tamen ob majorem delectatio- nem fièrent, licèt ad copulam tenderent, peccata essent venialia propter finem venialiter malum. Si vero graviter forent rectæ rationi répugnantes, quamvis ad copulam directi, peccata essent mortalia  ; conjuges enim chris- tiani agere non debent sicut equus et mulus quibus non est intellectus (Ps. 31, 11)  : secl sciât nnusquisque vas suum possiclere in sanctificatione et honore, non in pas - sionc desiderii, sicut et gentes quœ ignorant Deum . (I ad Thess., 4, 4.)  » S. Liguori enseigne la même doc- trine : Sententia communior et verior negat esse mor- tales tactus et aspectus inhonestos inter conjuges propter solam voluptatem, sine ordine ad copulam, si non adsit periculum pollutionis. « Ratio, quia status conjugalis, sicut cohonestat copulam, ita etiam bujusmodi actus et aspectus; aliàs enim, cùm sit tanta inter conjuges so- cietas, et ipsi multoties non possent coire, jugibus péri- culis essent expositi si taies actus essent eis graviter illiciti. Sicut autem delectatio quæsita in copulâ culpam venialem non excedit, ita etiam in his actibus et aspec- tibus... Secùs verù dicendum si conjux esset ligata voto castitatis  ; quia taie votum excludit omnem voluptatem veneream voluntariè captam.  » (Lib. 6, n. 933.) Billuart dit  : « Cùm Ecclesiæ lex (in incestu) sit pœnalis prohi- bens tantum copulam, non débet extendi ultra copulam, sed potiùs restringi.  »

De tout ce qui précède, il résulte que des attouche- ments exercés entre époux sont péché mortel s’ils sont accompagnés de danger prochain de pollution  ; car cette contamination corporelle n’est pas moins criminelle chez les gens mariés quelle ne l’est dans les personnes libres.


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2° Maintenant toute la question controversée par les théologiens se réduit à ceci  : les actions déshonnêtes, sans danger prochain de contamination corporelle et sans intention ni relation à l’acte conjugal, sont-elles entre époux péché mortel ou véniel? Plusieurs auteurs, entre autres S. Antonin, Sylvester et quelques autres encore cités par Sanchez, affirment qu’il y a péché mortel, par- cequ’ elles tendent essentiellement à la pollution, par cela seul qu’elles ne se rapportent pas à l’acte conjugal; car, ajoutent-ils, tout acte vénérien qui ne se rapporte pas à l’acte conjugal est péché mortel.

Suivant Sanchez, Busembaum, S. Liguori, Layman, Bonacina, Lessius, Sporer, Diana et un grand nombre d’autres auteurs cités par S. Liguori et Sanchez  ; enfin, suivant l’opinion commune, les actions déshonnêtes, comme attouchements, regards, etc., entre époux, sans relation à l’acte conjugal et aussi sans danger prochain de pollution, ne sont que des fautes vénielles, parceque, pou- vant être exemptes de péché si elles étaient rapportées à leur fin légitime, qui est l’acte conjugal, elles ne devien- nent péché véniel que par le manque de cette fin légitime.

Il faut pourtant faire ici une distinction nécessaire  ; c’est qu’il faut généralement regarder comme cause du danger prochain de pollution, ou même comme une pol- lution commencée, ces actes considérablement, énormé- ment déshonnêtes ou infâmes ci-dessus mentionnés.

« Tum, comme dit Sœttler, quia taies actus ordinariè comitari solet periculum pollutionis  ; tum quia naturam rationalem singulariter dedecent, nec ex se ad copulam ordinari non possunt, ideôque nec videntur posse à culpâ gravi excusari propter conjugium.  »


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C’est avec raison que M. Rousselot, le commentateur de Sœttler, fait à ce sujet la remarque suivante  : « Expe- rientiâ teste, conjuges qui illos (tactus) admiserunt con- scientiæ remorsibus valdè excruciantur, illos ægerrimè confitentur, et si præ verecundiâ réticent, longé magis torquentur. Ergo conjuges tactus illos solâ naturâ duce apprehendunt ut valdè creaturam rationalem detur- pantes.  »

M^1 Bouvier termine son article de Tactibus inter con- juges par le passage suivant  : « Non habendi sunt ut rei peccati mortalis dùm asserunt bonâ fide sensus suos non commoveri , aut probabile periculum pollutionis abesse, quod non rarô accidit in conjugibus venereis à longo tempore assuetis. Saltem damnare nollem piam uxorem quæ ex timiditate, ex metu alicujus mali, vel ex causa, servandæ pacis, taies in se permittit tactus, asse- rens non exurgere motus in se, vel illos esse leves.  »

Quoi qu’il en soit, dans tous les cas on doit dans la pratique détourner fortement les époux de toute action déshonnête quelconque qui ne se rapporte pas à sa fin légitime ou à l’acte conjugal, à moins toutefois qu’on ne crût devoir adopter la maxime de la Théologie morale de Périgueux  : « Vexandæ interrogationibus non sunt uxo- res, utrùm tactum aliquem impudicum viris suis per- miserint.  »

Tout ce que nous avons dit sur cette matière peut se résumer en ce seul passage de S. Liguori  : « Puto proba- biliùs dicendum quod actus turpes inter conjuges cum periculo pollutionis tam in petente quàm in reddente sint mortalia  ; nisi habeantur ut conjuges se excitent ad copulam proximè secuturam, quia cum ipsi ad copulani


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jus habeant., habent etiam jus ad taies actus, tametsi pollutio per accidens copulam præveniat. ïactus verù pudicos etiam censeo esse mortalia si fiant cum peri- cuio pollutionis in se vel in altero, casu quo habeantur ob solam voluptatem, vel etiam ob levem causam  : secùs si ob causam gravem, putà si aliquandô adsit urgens causa ostendendi indicia affectûs ad fovendum mutuum amorem, vel ut conjux avertat suspicionem ab altero, quôd ipse sit erga aliam personam propensus.  » (Lib. 6, n. 934.)

3° Quoad tactus et aspectus proprii corporis, inlio- nestos vel libidinosè exercitos, sine periculo pollutionis, absente conjuge, vel tempore et loco quo copula haberi non potest, juxta Sanchez etquosdam apud ipsum, tan- tum venialia sunt peccata  : quia lii actus, inquiunt, sunt secundarii et tendunt ad copulam per se licitam, et tantummodô debito fine carent; quod falsum videtur, quia taies non tendunt tactus, ut patet, ad fmem prin- cipalem vel copulam, sed solummodô ad pollutionem manifesté vergunt, et proximè cum ejus periculo connec- tuntur. îdem censendum esse de delectatione perceptâ in actu conjugali sibi exhibito ut præsenti præfati aucto- res arbitrantur.

L’opinion contraire, beaucoup plus commune et sur- tout beaucoup plus sûre, doit seule être maintenue et suivie dans la pratique. Elle est d’ailleurs professée par des théologiens peu suspects de rigorisme, tels que S. Liguori, Layman, Diana, Sporer, Vasquez et plusieurs autres cités par le saint. C’est aussi le sentiment de M§v Bouvier. Voici leurs raisons  : « Tum quia conjux non habet jus per se in proprium corpus, sed tantum per


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accidens, nempè tantùm ut possit se disponere ad copu- lam; undè, cùm copula tune non sit possibilis, tactus cum seipso omninô ei sunt illiciti  ; tum quia tactus pu- dendorutn, quandô fiunt morosè et cum commotione spirituum „ per se tendunt ad pollutionem, suntque proximè connexi cum ejus periculo.  » (S. Ligorio, lib. 6, il. 936.)

Mpr Bouvier ajoute à ce texte, extrait de l’ouvrage de S. Liguori, les paroles suivantes  : « Semper igitur prohi- bendi sunt velut mortales, quandô sensus notabiliter commovent  : secùs verô solummodô veniales mihi vi- dentur.  »

A0 Enfin les théologiens demandent si un époux, en l’absence de l’autre partie, pèche mortellement en con- sentant à la délectation morose qui surgit au sujet d’un acte conjugal passé ou futur? Quelques-uns le préten- dent, en donnant pour raison qu’une telle délectation est comme une pollution commencée. C’est une raison bien faible, bien caduque. Ceux de l’opinion contraire ou de l’opinion commune le nient formellement, et affirment qu’une pareille délectation n’est point mortelle s’il y a absence du danger de pollution. Elle est simplement vé- nielle, ajoutent-ils, parcequ’elle est privée de sa fin légi- time, puisqu’elle ne peut se rapporter à un coït actuel. On ajoute encore que cette délectation ne peut être mor- telle parcequ’elle tire sa bonté ou sa malice de son ob- jet, et comme cet objet ou l’acte conjugal est permis aux époux, la délectation de cet acte ne peut leur être grave- ment illicite. Ceci est tout à fait conforme à ce que dit S. Thomas en ces termes  : Sicut carnalis commirtio non est peccatum mortale conjugale, non patent esse gravius


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peccatum consensus in delectationem quàm consensus in actum. (De malo.) « Id est, ajoute M&r Bouvier, sicut exercere actum conjugalem ob solam delectationem esset solummodù peccatum veniale, ita et in eo repræ- sentato sibi delectari. Peccatum igitur mortale esse non potest nisi ratione periculi, quod quidem adesse cense- tur si delectatio habeatur non solum cum commotione spirituum, sed etiam cum titillatione seu voluptate vcnc- reâ, inquit S. Ligorio, lib. 6, n. 937.  » Une telle délec- tation, dit S. Liguori, ne peut être excusée de péché mortel, « quia talis delectatio est proximè conjuncta cum periculo pollutionis. Secùs verô puto dicendum si absit ilia voluptuosa titillatio, quia tune non est delectationi proximè annexum periculum pollutionis, etiamsi adsit commotio spirituum.  » (Ibid.) S. Liguori, comme nous l’avons vu plus haut page 3A5, semble donner pour cause de péché mortel des tactus cum commotione spirituum , et ici il paraît affirmer le contraire par cette expression  : etiamsi adsit commotio spirituum , qui ne produirait ici qu’une faute vénielle. Il faut donc reconnaître que S. Li- guori a le tort de ne pas définir ici nettement 1* expres- sion commotio spirituum et de ne pas la différencier clai- rement de celle de titillatio voluptuosa seu vencrea. Cette différence était pourtant importante à connaître puisque, suivant le saint et savant théologien, c’est elle qui fait qu’un péché est mortel ou véniel. Et tant que cette dif- férence ne sera pas clairement établie S. Alphonse de- meurera, dans l’espèce, obscur et incompris pour un grand nombre de ses lecteurs.


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S IV.

DU PÉCHÉ O’ONÀN, OU DE L’ONANISME CONJUGAL.

Nous allons présenter ici un extrait de ce que nous avons déjà publié sur cette matière dans notre Essai sur la Théologie morale , mais toutefois modifié et convenable- ment adapté à la nature du sujet que nous tfaitons au- jourd’hui plus ex professo.

Tout le monde sait que l’onanisme conjugal, au- jourd’hui l’écueil, le fléau et la désolation du mariage, est le crime d’Onan. Semen fundebat in ter ram , ne liberi.... nascerentur. (Gen. , 38, 9.)

Établissons avant tout quelques propositions certaines et admises par tous les théologiens.

1° Un homme qui imite la conduite d’Onan, par quel- que motif que ce soit, commet un crime énorme, et est incapable d’absolution tant qu’il persévère dans sa dé- testable habitude. Et idcirco percussit eum (O nam) Do- minas, quod rem dctestabilem faceret . (Gen., 38, 10.)

2° La femme qui engage son mari à en agir ainsi, ou qui consent à cetté action injurieuse à la nature et con- traire à la fin du mariage, ou qui enfin, à plus forte raison, s’oppose elle-même à l’accomplissement de l’acte conjugal, commet également un péché mortel, et, comme son mari, elle est indigne d’absolution tant qu’elle de- meure dans cette criminelle habitude.

3° La loi de la charité impose à la femme le devoir de faire tout ce qui dépend d’elle pour empêcher que son mari, qu’elle sait être disposé à mal faire, ne fasse l’ac- tion détestable d’Onan, rem detestabilem.


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A0 La femme est tenue de rendre le devoir si son mari, dûment averti, promet de consommer l’acte conjugal de la manière qu’il y est obligé, si toutefois cette promesse est faite sérieusement et de manière que la femme puisse juger prudemment que tout se passera de la manière ordinaire et normale.

Maintenant la difficulté est de savoir si la femme peut, en sûreté de conscience, rendre le devoir lors- qu’elle est assurée, par expérience, que, malgré ses avertissements, ses prières et toutes ses instances possi- bles, son mari fera l’acte à la manière d’Onan.

A cet égard quatre opinions se sont établies  : la pre- mière est celle des théologiens qui soutiennent que la femme ne peut rendre le devoir, même pour éviter la mort  : 1° parceque, disent-ils, l’açtion du mari étant essentiellement mauvaise, la femme participera à son péché, dont elle fournit l’occasion prochaine; 2° parce- que le mari ne se propose pas de faire un acte conjugal, mais de se servir du ministère de sa femme pour s’exciter volontairement à une souillure ou à une contamination criminelle  ; 3° parceque, si le mari demandait à sa femme son concours pour un acte sodomique, elle devrait s’y refuser, même au péril de sa vie. Or dans l’hypothèse, dit-on, l’action du mari n’est, dans la réalité, qu’un acte à peu près semblable, puisqu’il est contraire à la fin du mariage  : l\° parcequ’ enfin la femme coopère aussi direc- tement au crime de son mari qu’un homme participe au larcin d’un voleur en tenant le sac pour y recevoir les objets volés. Ainsi pensent Hubert , les rédacteurs des Conférences cl’ A ngers et des Conférences de Paris , Collet , avec plusieurs docteurs de Sorbonne, Bailla 3 Vernier , etc.


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Cette opinion, il faut l’avouer, paraît fortement et solidement établie; elle est fort grave et de nature à faire beaucoup d’impression sur les esprits. Les confes- seurs qui la suivent refusent constamment l’absolution à toutes les femmes qui, dans l’espèce, rendent le devoir à leurs maris (1). Mais voici les raisons qu’on peut lui opposer.

1° La femme, dit-on, en obéissant à son mari, participe à son péché, dont elle fournit l’occasion prochaine, etc. A cela on peut répondre que la femme fait une chose permise; quelle use de son droit, dont elle ne doit pas être privée par la dépravation et la corruption de son mari  ; qu’elle ne fait aucun acte mauvais en soi et contre la nature; qu’elle souffre et permet seulement un mal qu’ elle ne peut empêcher  ; que, sans consentir à l’action détestable de son mari, à laquelle elle ne participe que matériellement, elle ne fait que se prêter passivement, par devoir et par obéissance conjugale, à un acte qui de sa part est dans l’ordre naturel et conjugal, et qui après tout, en raison de certaines circonstances concomitantes, n’est pas toujours absolument et nécessairement stérile; et qu’ enfin la femme fait extérieurement tout ce qui dé- pend d’elle pour atteindre la fin du mariage. L’expé- rience prouve en effet que ce but est quelquefois atteint malgré le mauvais vouloir et les efforts criminels du mari. En écrivant ceci nous apprenons que deux époux.


(1) Il faut le dire ici sans détour, très souvent aussi les femmes ne veu- lent pas sincèrement la fin du mariage, et elles ne favorisent que trop les vues ou les actions criminelles de leurs maris, bien qu’elles cherchent à paraître n’y point consentir ou n’y avoir aucune part. II faut donc que le confesseur soit sur ses gardes pour ne pas se laisser surprendre.


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s’étant concertés pour ne jamais procréer, en sont néan- moins déjà à leur huitième enfant, dont le premier seul a été volontaire et de leur plein gré. On nous cite en même temps un autre fait d’un onaniste qui a eu sept enfants, et toujours par surprise et malgré lui, et un autre cas analogue encore où il y a eu quatre enfants, dont deux jumeaux. On citerait des milliers de faits sem- blables. (1)

2° On dit encore que le mari, dans l’hypothèse, ne demande point un acte conjugal, mais seulement la coopération de sa femme à une action criminelle. On peut répondre que cela n’est pas rigoureusement exact  ; c^r la souillure, comme on l’entend dans l’espèce, n’est point ce qu’on appelle , en médecine une véritable mas- turbation, mot qui dérive, comme nous l’avons déjà dit ailleurs, de manustrupatio (souillure manuelle) (2) , qui est toujours et nécessairement un acte stérile et impro- lifique de sa nature  ; tandis que la spermatisation externe peut, par une circonstance heureuse, produire quelque- fois un heureux effet, en ce sens quelle ne sera peut-être

(1) Qui sait si les enfants, si souvent faibles et chétifs, ne sont pas le fruit de ces actes incomplets et anormaux, où la nature, outragée et plus ou moins frustrée, semble devenue impuissante à former des êtres parfaits; et qui sait encore si, momentanément privée de sa force plastique et créatrice, la nature ne pourrait pas créer quelquefois des anomalies ou des mons- truosités par défaut  ? Cette considération ou ce doute, vivement exprimé, ne serait peut-être pas sans quelque force pour détourner les onanistes de leur criminel dessein.

(2) Ce mot seul désigne assez une cause, une action contre nature. 11 est bien différent de l’acte de coopération matérielle de la femme, qui, après tout, est de sa part une action toute naturelle et conforme aux lois de l’or- ganisme humain.


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pas complètement extravaginale, comme le prouvent les faits ci-dessus rapportés. De plus, les annales de la mé- decine citent des faits où des femmes, avec occlusion presque parfaite, et absolument incapables du coït nor- mal ou de l’approche conjugale ordinaire, sont néan- moins devenues enceintes et sont heureusement accou- chées à terme. Dans ce cas la spermatisation a dû avoir lieu nécessairement à l’orifice obturé du vagin, et l’ac- tion aspirante de l’utérus a fait le reste. Voyez les faits de cette obturation et de cette angustie ou coarctation vaginales que nous avons rapportées à l’article impuis- sance.

3° On prétend que le cas dont il s’agit n’est en réalité qu’un acte sodomique, et que par conséquent la femme ne peut y consentir, même pour éviter la mort. On peut répondre à cela qu’un acte sodomique est toujours et né- cessairement stérile, parcequ’il est toujours contre la nature, tant à la forme qu’au fond et à la fin; et que vouloir confondre une action naturelle et permise de la part de la femme avec un acte de sodomie, c’est con- fondre les termes, changer l’acception des mots, et le moyen assuré de ne plus s’entendre sur rien. Et d’ail- leurs, si le cas, dans l’espèce, eût été réellement un acte sodomique, il n’y aurait jamais eu ni difficulté ni par- tage d’opinions.

h° On dit enfin que la femme coopère aussi directe- ment au crime de son mari qu’un homme participe au larcin d’un voleur en tenant le sac pour y recevoir les objets volés. Mais il est évident qu’il n’y a ici aucune espèce de parité  ; car la femme use de son droit de jus- tice, tandis que celui qui favorise le vol n’a, à cet effet,


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aucun droit ni aucun titre légitime  : il fait une action illicite que rien, aucune circonstance ne peut jamais lé- gitimer. Cette comparaison pèche donc sous tous les rapports et ne peut rien appuyer.

Envisageons maintenant la question sous un autre point de vue.

La femme, dans l’espèce, il faut l’avouer, coopère à un acte essentiellement mauvais, et elle fournit à son mari l’instrument et l’occasion prochaine d’un péché mortel, auquel elle paraît évidemment participer. Voilà certes l’objection dans toute sa force; tâchons cepen- dant d’y répondre.

Tous les théologiens s’accordent sur un point, savoir, qu’un homme ayant de graves raisons peut, sans péché, demander les sacrements à son curé qu’il sait être cer- tainement en péché mortel et dans la disposition de ne pas vouloir actuellement en sortir. Il est donc certain que cet homme fournit à son pasteur l’occasion prochaine d’un péché mortel. Or c’est précisément ce que fait la femme, ou plutôt ce qu elle ne fait même pas, car elle fait moins  ; elle ne demande pas elle-même la chose qui fait la matière du péché; elle n’engage pas, ne sollicite pas son mari à faire une action où il péchera mortelle- ment, elle lui obéit simplement et passivement et malgré elle, comme nous l’avons vu plus haut. Si l’on objecte que l’on demande, dans un grave besoin, des biens d’un ordre supérieur, des biens spirituels, comme les sacre- ments, et que ce cas diffère essentiellement de celui de la femme, alors nous changerons l’exemple, et nous di- rons qu’un homme peut, sans péché, demander à un usurier de l’argent à gros intérêt, qui n’est qu’un bien


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temporel et matériel  ; tous les théologiens en convien- nent encore. Ici, bien qu’on ne demande point une chose spirituelle, il est pourtant certain qu’on fournit l’occasion prochaine d’un péché mortel. Si l’on insiste encore et que l’on dise qu’il n’y a point de parité dans les exem- ples, que l’acte du mari est essentiellement mauvais, et que# l’administration des sacrements est une chose per- mise comme bonne en elle-même, je vous opposerai de nouveau l’exemple de l’usure exorbitante; car l’usurier fait un acte mauvais de sa nature, puisque son avarice lui fait commettre un vol manifeste. Cependant tous les théologiens autorisent et justifient la conduite de l’em- prunteur.

Considérons enfin cette première opinion dans ses conséquences.

La morale est instituée pour régler les actions et les mœurs des hommes, et pour leur procurer en ce monde la plus grande somme de bonheur possible.

Plus une règle ou un principe de morale est fécond en bons résultats et en conséquences heureuses et utiles à l’homme et à la société, plus ce principe est dans le vrai, et plus il faut s’y attacher, et vice versa.

Or ne peut-on pas soutenir que le principe de cette opinion conduit au désordre? D’abord le but du mariage n’est point atteint et la procréation n’a jamais lieu  ; en second lieu, le mari, et un mari de ce caractère et dans cette disposition morale, se livrera nécessairement à l’in- continence, à l’onanisme solitaire ou à l’adultère  ; troi- sièmement, désordres et troubles domestiques  ; sévices, mauvais traitements envers la femme, désunion et désac- cord perpétuels avec toutes leurs suites déplorables;


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35 h

mauvais exemple, immoralité dans la famille sans cesse mise devant les yeux des enfants, si toutefois il en existe déjà; scandale extérieur, et enfin trouble et désordre dans la société. Voilà ce qu’une malheureuse expérience ne prouve que trop tous les jours. Ne peut-on donc pas dire qu’il faut grandement se défier de ce principe, pour ne pas dire qu’il est faux et par conséquent perniciçux?

Le seconde opinion est celle de S. Liguori, qui prétend que la femme peut non seulement rendre le devoir, mais qu’elle y est encore tenue, par - la raison que toute la faute est du côté de celui qui le demande, et qu’elle ne dépend pas de l’acte conjugal permis aux époux, auquel acte seulement la femme coopère sans prendre part à l’action onanique de son mari. « Probabiliùs videtur uxor

non solùm posse reddere sed etiam teneri. Ratio,

quia quandô culpa se tenet ex parte personæ pe-

tentis, cùm ipse habeat jus ad copulam, nequit aiter sine injustitiâ debitum negare, si non possit monendo à tali culpâ ilium avertere  : et tune patet quùd reddens ne ma- terialiter quidem cooperatur peccato illius, cùm non cooperetur seminationi extra vas, sed tantùm copulæ in- cep tæ, quæ per se utrique est licita,  » (Lib. 6, n° 947.)

La troisième opinion établit que la femme n’est point tenue, à la vérité, de rendre le devoir, mais que cepen- dant elle le peut sans péché, pourvu qu’elle ne consente pas à faction criminelle de son mari  ; parcequ’elle fait une chose qui lui est permise, et use de son droit, dont elle ne doit pas être privée à cause de l’immoralité de son mari, et qu’elle ne fait rien qui ne soit permis par le mariage. Le mari, en usant du mariage de la manière ordinaire, ne pèche pas par ce fait  ; mais seulement il


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fait mal en se conduisant comme Onan. Donc si la femme ne consent pas à cette action détestable, elle ne pèche point. Ainsi raisonnent Sanchez, liv. 9, disp. 17, n° 3 ; Pontius, liv. 10, cap. 11; Tamburinus, liv. 7, cap. A, g 5, n° A ; Sporer, p. 356, n° A90; Pontas, Devoir con- jugal, cas. 55.

Ainsi, d’après cette opinion absolue et sans restriction, on peut toujours absoudre la femme. Mais on peut op- poser à ces auteurs qu’en suivant leur sentiment on ne paraît pas tenir compte de la loi de la charité. La charité, en effet, doit obliger la femme à empêcher le péché de son mari quand elle le peut, au lieu de lui en fournir l’occasion prochaine en s’y prêtant elle-même.

Enfin, suivant la quatrième opinion, la femme ne peut rendre le devoir sans une raison grave et assez puissante pour contrebalancer en quelque sorte la malice du péché commis et justifier sa coopération matérielle. C’est l’opi- nion de Roncaglius, d’Elbel et de M§r Bouvier. C’est main- tenant, assure ce dernier, le sentiment que suivent les confesseurs doctes et pieux, docti et pii, et il ajoute  : hœc sententia sola admittenda mihividetur (1). C’est de plus l’opinion de Rome. En la suivant, il faut l’avouer, on évite tous les inconvénients et tous les maux que cause la pratique des autres opinions; tout se passe à l’exté-


(1) Nous avons consulté un grand nombre de confesseurs éclairés et pieux de différents diocèses, et tous, sans exception, nous ont déclaré qu’ils suivaient le plan de conduite tracé par la décision de Rome  ; mais, on doit le croire, avec des nuances plus ou moins et nécessairement diverses, quant à la gravité des motifs ou des causes déterminantes  ; car, en dernière analyse, toute la difficulté parait aujourd’hui réduite à ce point. Voyez ci-après le commentaire de ce texte, par Bouvier.


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rieur dans un ordre parfait  ; il y a bonne intelligence des époux, point de trouble dans la famille, point d’immo- ralité patente, en un mot aucune perturbation sociale.

La sacrée Pénitencerie ayant été consultée sur la ques- tion suivante  :

Potestne pia uxor ut maritus suus ad eam accedat, postquùm experientiâ ipsi constiterit eum more nefando Onan se gerere. . . prœsertim si uxor denegando se ex- ponat periculo sœvitiarum , aut timeat ne maritus ad meretrices accedat, répondit, le 23 avril 1822, ce qui suit  : Cùm in proposito casu mulier , è suâ quidem parte, nihil contra naturam agat, detque operam rei licitœ, tota autem actûs inordinatio ex viri malitiâ procédai, qui, loco consummandi , retrahat se et extra vas ejfundit, ide'o si mulier, post débitas admonitiones, nihil proficiat, vir autem instet, minando ver ber a, aut mortem, aut alias graves sœvitias, poterit ipsa (ut probati theologi docent) citra peccatum passive se præbere  ; ciim in his rerum adjunctis ipsa viri sui peccatum simpliciter per- mittat, idque ex gravi causât quæ eam excuset  ; quoniam charitas , quâ illud impedire teneretur, cum tanto incom- modo non obligat.

La même question sous une autre forme a également été adressée à la sacrée Pénitencerie par les professeurs du séminaire de Besançon. Elle était conçue en ces termes: Bertha virum habet quem constanti experientiâi cognoscit esse onanistam. In vanum omnia tentavit media ut ilium à tam nefando crimine retraheret  ; quin im'o gravissima aut saltem gravia mala ei imminent nunc probabiliter , ita ut vel hœc mala incurrere debeat, vel fugere et domomariti, nisi permit tat saltem aliquando abusum matrimonii, etc.


MOF.CHIAr.OGIK.


.K) l


[.a réponse, en date du 1er février 1823, a été la même que dessus. Déjà dès 1816, 15 novembre, le même tri- bunal avait répondu à M. Blain par la décision suivante  :

Probati castigatiquc morales theologi in hoc conscn- tiunt ut liceat uxori debitum reddere si ex ejus de ne g a- tione maté habenda sit à viro suo, et grave indè incom- modant sibi timere possit; ncque enim, aiunt, hoc in casu , censetur uxor viri sui peccato formaliter cooperari, secl itlud tantummodo ex juste! et rationabili causâ permit- tere. Moneat tamen orator hujvsmodi uxor cm ut non cesset prudenter commonerc virum suum ut ab hâc tur - pitudine désistât.

Voici le commentaire de ces réponses fait par Bou- vier et textuellement copié dans son livre.

« Uxor igitur debitum in his circumstantiis reddendo non peccat dummodô gravi causâ excusetur  : causa au- tem reputetur gravis.

<«  1° Si mors, verbera, aut graves sævitiæ timeantur: patet ex responso sacræ Pœnitentiariæ et ex ratione.

« 2° Si detur locus timendi ne maritus concubinam in domo conjugali habeat et cum illâ maritaliter vivat, quia nulla est uxor sensata quæ sævitias, vel etiam verbera, non mallet sufferre quàm commercium adeo sibi injurio- sum in propriâ domo videre.

(( 3° Etiamsi maritus concubinam in domo non liabi- turus esset, si timeretur ne illam alibi frequentaret, vel ad meretrices accederet, quamvis sacra Pœnitentiaria ad hoc quæsitum non respondeat, mihi videtur adesse cau- sant sufficientem ut mulier excusetur, quia certè hoc valdè molestum est illi, ratione jurgii, dissent.ionis, dissi- pai ionis rei domesticæ, scandali, etc.


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(( h° Notai] d um est autem gravitatem molestiarum ex circumstantiis personarum judicanclam esse, quod enim respectu unius reputatur leve, gravissimum esse potest respectu alterius  : sic rixæ, transitoriæ dissentiones et etiam quædam yerbera non multùm ponderantur inter rusticos, et prorsùs intolerabilia forent mulieri timidæ, exquisitâ disciplinâ instructæ et urbanitati assuefactæ. Metus autem notabilium jurgiorum in his conditionibus esset causa sufficiens debitum reddendi.

« 5° Pariter, si mulier certô sciât virum, ex repulsu irratum, blasphemias in Deum et in religionem, injurias erga confessarium et sacerdotes in genere, verba scan- dalosa coram familiâ aut liberis pronuntiaturum, tune debitum reddere potest, quia, unum peccatum impedire volens, in causâ esset quôd alia æquè gravia vel graviora patrarentur  ; nihil ergo proficeret, et grave incommodum frustrà subiret.

« 6° A fortiori metus divortii, aut separationis, aut infamiæ, aut gravis scandali esset causa sufficiens.

« 7° Non necesse est quôd mulier virum repellat donec J sævitias, molestias, aliave incommoda superiùs memo- rata experta fuerit; tune enim debitum reddendo vel offerendo malum jam existens sæpè non averteret, et aliundè illud subire non tenetur ad peccatum mariti im- pediendum  : sufficit ergo ut illud rationabiliter timeat. i

« 8° Similiter, virum debitum cum intentione se re- trahendi petentem singulis vicibus monere non tenetur, quandô ex adjunctis certô cognoscit se ab illo nihil obten- turam  : debet tamen, saltem aliquotiès, ostendere se crimini ejus non assentire.

« Yerùni sedulô cavendum est ne ilia, metu prolis,


M0ECHÏAL0G1E.


molestiarum graviditatis aliove motivo sibi illuclens, in- teriùs peccato mariti assentiat, vel in iilo sibi complaceat, ita sit disposita necesse est ut majjet mori quam gene- rationem impedire, si hoc ab ipsâ penderet.

d In cunctis autem bis casibus, ea mulieri licent quæ licerent si actus mariti rectè perficeretur.

« Nostra hîc descripta principia nunc communissimè admittuntur. Àt nihilominùs înultæ adliuc existunt anxie- tates, quas anno nuper elapso summo Pontifici sic expo- suimus  :

« Beatissime Pater,

<( Episcopus cenomanensis, ad pedes Sanctitatis Ves- trœ summâ cam reverentiâ prœvolutus, ea quæ sequuntur humillimè reprœsentat.

« F erè omnes junior es sporisi numer osiorem prolem habere notant , et tamen ab actu conjugali abstinere mo- r aliter nequeunt.

« A confessariis interrogati circa modum quo juribus rnatrimonii utuntur, graviter communiüs offendi soient, et moniti, nec ab actu conjugali temperantur , nec ad nimiam prolis multiplicationem determinari queunt.

<( Tune adversùs confessarios mussitantes, sacramenta pœnitentiœ et cucharistiœ derelinquunt, malum prœbent exemplum liberis, famulis aliisque Christi fidelibus . Lu- ge ndum indè oritur religionis detrimentum.

« Numéros eorum qui ad sacrum tribunal accedunt, multis in locis, ab anno in annum decrescit, prœsertim ob liane causant, fatentibus plerisque parochis, pietate, scie n lia et experientiâ magis conspicuis.

« (Juomodo ergo olim agebant confessarii , aiunt


MOECHIALOCIF..


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mufti? Non planes quàm hodic commander nascebanlur tiberi ex si ng a lis matrimoniis. Conjugati non erant cas- liores, et nihilominiis prœceptis annuœ confessionis ac communionis paschalis non deerant.

« Omîtes libenter admittunt infidelitatem erga com- partem et abortûs intentionem maxima esse percuta. Ai vix quidam persuaderi possunt se teneri sub pcccalo mort ali a ut perfectam inmatrimonio servare castitatem , mit incurrere periculum innumeram generandi prolem.

(( Prœfatus cenomanensis cpiscopus, ingentia bine ob- ventura esse mala prœvidens, et anxietate tur battis , à Bcatitudine V est râ sollicite exquirti  :

u 1° An con juges , qui matrimonio eo utuntiir modo , ut conceptionem prœcaveant, actum per se mort a Hier malum exerceant  ?

<( 2° Si actus habendus sit ut per se mort aliter malus , un con juges de illo se non accusantes considerari possint lanquàm in eâ constituti bond fide quœ eos à gravi culpâ excuset  ?

« 3° An probanda sit agendi ratio confessariorum qui , ne conjugatos offendant, illos circa modum quo malri- monii juribus utuntur non interrogant?

RESPONSIO.

« Sacra Pœnitentiaria. , mature perpensis proposais quæstionibus , ad lani respondet  : cüm tota actus inordi- natio ex viri malitià procédât , qui , loco consummandi, retrabit se et extra vas effundit , ideo, si mulier, post débitas admonitiones , nihil proficiat , vir autem instet minando ver ber a aut mortem , poterit ipsa. (ut probati theologi dorent) dira peccàtum passive se prœbere , cùm


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in iis reruni adjunctis ipsaviri sui peccat mu simplicité)' pennittat , idque ex gravi causa quœ eam excusât, quo- niam ckaritas, quâ illad impedire teneatur, cum tanta incommodo non obligat.

aAd 2am autcm et 3ani respondet  : quod prœfatus con- fessarius in mentem revocet adagium illud, sancta sanctè esse tractanda, atque etiam perpendat verba S. Alpkonsi de Ligorio, viri docti et harum rerum peritissimi, qui in praxi confessarii , §4, n° 7, inquit  : Circa autem peccata conjugum respectu ad debitum maritale, ordinarrè lc- quendo, confessarius non tenetur, nec decet interrogare, nisi uxorem an illud reddiderit, modestiori modo quo possit. . . De aliis taceat, nisi interrogatus fuerit  ; nec non altos probatos auctores considère non omittet.

<( Datum Romœ, die 8 Junii 1842.  » (1)

Les paroles citées de S. Liguori se trouvent dans la 11e édition in-4°, au paragraphe indiqué, mais au n° 41. On les trouve sous le même numéro dans l’édition de 1832 faite par M. Receveur.

Les mots omis dans le texte de S. Liguori, indiqués par les points qui suivent le mot possit , sont les suivants  :


(1) U est des confesseurs qui se contentent d’éclairerla femme et de for- mer sa conscience sur la matière qui nous occupe. Cela fait, iîs lui inter- disent toute coopération active dans l’acte, toute demande du devoir, toute manifestation qui y soit plus ou moins relative, et enfin toute espèce de propos qui tendrait à l’accomplissement d’un acte désordonné. Après cela les accusations ne portent plus que sur ces dernières conditions plus ou moin gardées ou enfreintes, et non sur l’onanisme lui-même, dont il n’est plus question. S’il n’y a point d’habitude dans la transgression desdites condition: , on absout  ; s’il y en a, on attend, etc.


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an fuerint (uxores) obedientes viris in omnibus. Ils sont soulignés dans le texte.

M»‘ Bouvier fait les remarques suivantes sur la déci- sion de la sacrée Pénitencerie  : « Advertendum est sa- cram Pœnitentiariam , 1° supponere actum viri matri- monio abutentis per se mortaliter esse malum  ; 2° admit- tere praxim à S. Alphonso de Ligorio indicatam, esse prudent em, et confessarium eam tutô sequi posse.

« Cautè abstineant confessarii, præsertim juniores, ab indiscretis interrogationibus quæ gravem inferunt mo- lestiam conjugibus  ; prudenter admodùm agant et lo- quantur, nec tamen in suis responsis veritatem lædant, nec habentes conscientiam peccati mortalis indebitè ab- solvant; sed promptiùs non judicent eos carere eâ bonâ fide quæ saltem à mortali peccato excusât.

« Nihilominùs sedulô inducendi sunt conjuges ad sanctè vivendum in suo matrimonio.

a Studeat uxor pro viribus maritum blanditiis, omni- bus amoris indiciis, precibus, hortationibusque ad actum rectè perficiendum, vel ab eo prorsùs abstinendum et christianè vivendum adducere  : experientiâ constat plu- rimas mulieres, viros sic allicientes, eos lucratas fuisse.)) (Dissert, in sextum Dccalogi prœceptum, etc., décima editio , 18 h 3.)

Quant à nous, pour toute remarque sur ce qu’on vient de lire, nous renvoyons le lecteur à la page «365 et sui- vantes.

De tout ce qui précède nous concluons qu’il faut ou permettre à la femme de rendre le devoir conjugal avec les conditions et les raisons qu’exige la décision de Rome, en date du 23 avril 1822, ou il faut renoncer aux prin-


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cipes de théologie morale ci-dessus rapportés et univer- sellement admis comme vrais par tous les théologiens  ; et dès lors tout l’édifice théologique commencera à s’é- branler et à chanceler sur sa base comme un homme ivre; on raisonnera sur le précepte, comme dit Bossuet, et la foi sera mise en doute.

Que l’on y fasse une sérieuse attention; qu’on ne s’a- liène pas la femme par d’ imprudentes rigueurs  ; la chose est d’une immense gravité. La génération naissante est entre les mains de la femme, l’avenir est à elle  ; elle est la dépositaire et 'la conservatrice des espérances de la patrie. La femme peut tout sauver encore, et peut-être aujourd’hui est-elle le seul lien qui nous attache encore à la religion, à la foi, à la morale  ; brisez ce lien, et c’en est fait peut-être de la religion, de la foi et de la morale. Si la femme nous échappe, avec elle tout peut disparaître et s’abîmer dans le gouffre de l’athéisme, croyance, mo- rale et toute notre civilisation, parceque dès lors il n’y aura plus de principes de morale, plus de frein religieux, que dis-je? peut-être même plus de baptême.... Et alors le mal sera consommé et sans remède.

La femme peut-elle demander elle-même le devoir à son mari, quoiqu’elle sache qu’il en abusera? Plusieurs théologiens l’affirment, parceque, disent-ils, elle en a le droit, et elle use de son droit. D’autres théologiens, et avec beaucoup plus de raison, dit M&r Bouvier, deman- dent pour cela un grave motif, parceque sans cela, ajoute le même auteur, elle fournirait à son mari une occasion prochaine de péché mortel. Et nous, à notre tour, nous demandons quelle raison peut avoir la femme pour de- mander elle-même le devoir, sachant certainement que


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son mari en abusera? N’est-il pas une autre grave raison, la loi de la charité, pour obliger la femme à ne pas faire tomber son mari dans le péché mortel? Mais admettons, dans l’espèce, une raison grave, celle par exemple d’une grande tentation très difficile à vaincre. Dans ce cas, selon le célèbre auteur que nous venons de citer, la femme ne pécherait nullement en demandant' le devoir, parceque, dit-il, il est permis de demander, avec une intention droite et pour de graves raisons, une chose bonne en soi à celui qui peut la donner sans péché, bien que par l’abus de la chose il ne la donnera pas sans péché  ; de même que l’on peut demander les sacrements à un prêtre indigne, recevoir de l’argent à gros intérêt d’un usurier, le serment d’un païen, si toutefois pour tout cela il y a des raisons suffisantes.

S. Liguori dit  : « Si agatur de petitione debiti, dico... uxorem non posse petere si non adsit justa et gravis causa  ; tune enim révéra tenetur ex charitate impedire peccatum viri. Justam autem causam habebit petendi si ipsa esset in periculo incontinentiæ, vel si deberet alias privai! suo jure petendi plusquàm semel vel bis, cum perpetuo scrupulo an ei sit satis grave incommodum, vel ne, tune se continere.  » (Lib. G, n° 9/j7.)

On demande si un mari peut imiter la conduite d’Onan lorsqu’il est certain que, d’après la déclaration des mé- decins, la femme ne pourra accoucher sans courir un danger évident pour ses jours. Tous les théologiens ré- pondent négativement, parcequun acte essentiellement mauvais et contre la nature ne peut jamais être permis, u Vel perficiendus est actus, ait DD. Bouvier, si pericu- lum mortis non sitmultùm probabile; vel ab eo totaliler


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abstinendum si periculum sit moraliter certum. in eo casu alia via salutis non relinquitur sponsis præter con- tinentïam  : lugenda est illorum conditio  ; atque tamen mutari non potest, nec admittenda est bonafides in con- ceptionem voluntariè impedientibus. Tune miserabiles hujusmodi sponsi separari debent quoad torum, ut faci- liùs se contineant et castè vivant.  »

L’onanisme est également criminel chez les fornica- teurs et les adultères, et il doit être nécessairement dé- claré en confession.

Quant à la question de savoir si l’onanisme conjugal est compatible avec la bonne foi, nous ne le pensons pas. Nous sommes au contraire persuadé qu’il exclut cette bonne foi, aussi bien et plus même que l’onanisme soli- taire; car les époux, au moment de la célébration de leur mariage, ont reçu ou dû recevoir les instructions nécessaires sur la fin de l’union conjugale. D’ailleurs l’un comme l’autre est contre la nature ou la loi natu- relle, et par conséquent intrinsèquement mauvais. Or, comme on sait, il n’y a point d’ignorance invincible des premiers principes de la loi naturelle ni des conclusions prochaines ou immédiatement déduites de ces principes. Si la loi de la propagation, qui est la loi fondamentale dans l’ordre matériel de la nature, pouvait être violée de bonne foi et par une ignorance invincible, il pourrait s’ensuivre, par la malice des hommes qui se livreraient à leurs passions sans frein et sans remords, que l’espèce humaine tendrait à sa destruction et même à son extinc- tion, ce qui ne peut être. Donc la bonne foi ou l’ignorance invincible de la malice de l’onanisme est impossible dans l’ homme normal, c’est à dire dans l’homme moral et so-


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cial  ; ou si quelquefois, par un rare hasard, cette bonne foi et cette ignoranee invincible paraissent exister, elles ne pourront jamais être durables et permanentes.

Il est donc du devoir des confesseurs d’instruire sur ce point leurs pénitents, et de révéler aux coupables toute la malice de leurs détestables et infâmes pratiques.

ARTICLE TROISIÈME.

DE LA CONDUITE DU CONFESSEUR A L’ ÉGARD DES PERSONNES MARIÉES ET DE CELLES QUI SE DISPOSENT A ENTRER DANS L’ÉTAT DE MARIAGE.

Un confesseur ne saurait trop se pénétrer de la con- naissance des nombreuses et difficiles obligations des époux, qui ont été exposées dans le cours de cet ouvrage. Il faut surtout qu’il les leur représente et les leur incul- que suivant l’occasion et le besoin. Il doit se rappeler que les fautes les plus graves et les plus ordinaires des personnes mariées sont les refus injustes du devoir con- jugal, l’empêchement ou l’obstacle que l’on apporte vo- lontairement à la génération par les actes onaniques, sodomiques et quelques autres pratiques secrètes plus rares et connues seulement de quelques femmes ou de quelques hommes profondément corrompus  ; manœuvres sataniques d’autant plus difficiles à découvrir que tout se passe à l’extérieur comme dans l’état ordinaire et normal. Le peu de mots qu’il nous a été possible de dife sur ces infernales inventions doit suffire aux confesseurs pour les mettre sur la voie de l’investigation. Nous ne pouvons nous expliquer davantage, même en latin. Voyez l’article Fornication.


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On n’oubliera pas non plus les fautes graves qui se commettent souvent dans l’état de gestation, au préju- dice du fruit déjà conçu, et quelquefois de la femme elle- même; les tentatives criminelles d’avortement, l’usage des médicaments réputés abortifs, les pratiques fœticides et tous les abominables artifices et manœuvres de nos modernes Aspasies.

Les confesseurs devront se rappeler encore que les gens mariés des deux sexes pèchent encore plus souvent qu’on ne pense de la manière que pèchent les personnes libres  : l’onanisme solitaire ne leur est pas toujours in- connu, ou ils ne l’ont pas complètement oublié. Il est donc du devoir d’un sage confesseur de chercher avec soin à découvrir les nombreuses et hideuses plaies des âmes toutes plongées dans la matière et souvent même dans la plus infecte corruption. Et à cet effet il lui sera souvent nécessaire de faire, seulement en matière grave, des interrogations indispensables, mais toujours pru- denter, cautè et castè. Qu’il ne se mette pas beaucoup en peine des péchés véniels si fréquents dans l’état de mariage. Il vaut mieux, dit Billuart, cacher aux époux un moindre mal que de les exposer par des avis imprudents et intempestifs à tomber dans des désordres plus graves. Que les confesseurs, ajoute le même théologien, ne détour- nent point de l’usage du mariage ceux qui n’y cherchent qu’un remède à la concupiscence, de peur qu’en voulant être plus éclairés et plus sages que S. Paul, et cherchant imprudemment à leur faire éviter des fautes vénielles, ils ne les conduisent vers l’abîme des péchés mortels.

Quelle que soit votre opinion sur l’usage du mariage dans les différents états ou conditions de la vie, comme


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par exemple dans la vieillesse, dans l’état de grossesse plus ou moins avancée, n’en parlez jamais en présence des gens mariés. Si vous dites que cela est permis, ils ne manqueront pas d’en étendre trop les limites ou de les dépasser  ; si vous affirmez que la chose est illicite, vous leur tendez un piège ou leur fournissez une occa- sion qui les fera tomber dans des fautes plus graves. C’est aussi la pensée de M. Rousselot.

L’expérience prouve tous les jours qu’un grand nom- bre de personnes mariées, s’imaginant que tout leur est permis dans le mariage, ne s’accusent point des péchés qu’ elles y commettent si elles ne sont interrogées sur ce point. C’est pourquoi, lorsque le confesseur aura de justes raisons de croire que les choses se passent ainsi, il fera, prudenter, cautè et caste , les questions convenables et nécessaires. « Confessarius eos sic interrogare potest, dit M»r Bouvier, circa ea quæ inter conjuges permittuntur  : Habesne aliquid contra conscientiam tuam  ? Si dicat se nihil habere, et satis instructus et timoratus appareat, non necesse erit ulteriùs progredi. Si verô sit rudis aut sinceritas ejus suspecta videatur, insistere debet confes- sarius ; inquiret an debitum comparti suæ denegaverit. Si bas voces non intelligeret, dicere posset confessarius  : Denegasti actum qui fit ad prolem habendam  ? Si respon- deat se denegasse, sciendum est ob quam rationem, et tune judicabitur ex dictis an peccatum sit mortale, ve- niale, vel nullum.  »

Quoad infandum onanismi scelus hisce îniserrimis tem- poribus ubiquè grassans, et quo se turpissimè contami- nant conjuges, præcipuè juniores, interroget eos confes- sarius an circa actum conjugalern nihil ipsos remordeat  ;


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nùmprolem numerosiorem haberetimeant  ; nùm coeundo nihil fecerint intendentes generationis impedimentum  ; nùm extra actum nihil turpe admiserint, etc. Âddat- que sibi molestum esse talia quærere et talem materiam pertractare, sed necessarium esse ut cognoscant quid in hâc re licitum yel illicitum sit  ; alioquin contingeret ipsis sæpissimè gravissimas culpas per ignorantiam inexcusa- bilem committere. Multi révéra, ut jam diximus, omnia in matrimonio licita esse falsô arbitrantur  ; et etiam multi qui ob peccata in conjugio perpetrata, quæ fortè levia reputant, æternæ damnationi addicendi sunt.

<( Detecto onanismi vitio, confessarius non potest reum absolvere, nisi de peccato doleat, et firmiter proponat se non ampliùs peccaturum. Si sit inemendabilis, confessa- rius ilium sine absolutione dimittat.

« Mulierem quæ virum ad sic agendum inducit, aut nefandæ ejus actioni consentit, aut quæ se ipsam retrahit invito marito, confessarius non potest absolvere nisi in casu veri doloris et firmi propositi. Si sit consuetudina- ria, nullo pacto absolvi potest. Hinc de hoc interro- gandæ mulieres quæ sæpiùs in causâ sunt cur viri ona- nismo se contaminant; seriôque sunt admonendæ eas lege charitatis teneri ad maritum ab hâc nequitiâ deter- rendum. In dubio tamen an maritus præmonitus benè an malè acturus sit, mulier debitum reddere potest, imo te- netur; nam in dubio jus certum denegari nequit.  » (M. Rousselot.) Cela est parfaitement conforme à ce que nous avons déjà dit sur l’onanisme conjugal.

Chez certaines femmes, on peut se prendre de la ma- nière suivante, c’est à dire d’une manière plus couverte et plus délicate  : on feint d’entrer dans quelques détails


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relatifs aux enfants de la pénitente, car très souvent ce sont les femmes elles-mêmes qui ne veulent pas la fin du mariage  ; on l’interroge sur la manière dont elle les élève, et s’ils le sont bien chrétiennement, etc. On ajoute en- suite: Vous seriez sans doute heureuse si Dieu vous en donnait encore quelques autres pour les élever de même, afin qu’ils vous procurassent de nouvelles et abondantes consolations. Souvent à ces derniers mots il leur échappe cet aveu involontaire  : Ah! mon Dieu , j'en ai déjà bien assez. Cette réponse vous instruit suffisamment et vous dispense d’en dire davantage.

Si les enfants sont mal élevés, ils sont ordinairement pour la mère un sujet de peine et d’ affliction, et elle s’en plaint communément. Alors on peut dire: Si Dieu vous en donne d’ autres, il faudra les élever mieux et profiter des fautes passées pour réparer le mal présent. La réponse sera probablement la même si l’on use mal du mariage. Parce mode d’interrogation on a obtenu quelquefois des succès et des conversions inespérés.

On a écrit dernièrement que, dans la famille, un être invisible s’interposait entre le mari et la femme.... Oui, cet être invisible, c’est Dieu: et malheur aux époux qui ne respectent pas cette divine présence, et qui ne se res- pectent pas eux-mêmes; malheur surtout à la femme qui oublie sa sublime qualité d’épouse et de mère. Si elle trahit ses devoirs les plus sacrés, et quelle perde Dieu de vue dans l’usage du mariage, si Deum à se et à sua mente excludat (Tob., 6), elle sera bientôt méprisée, avilie, et cessera d’être une véritable épouse et même une personne  ; elle ne sera plus qu’un instrument, une chose, res, exploitable au gré des passions.


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MQECHIALOGIE.

11 est du devoir des confesseurs de représenter aux personnes qui sont sur le point de contracter mariage les graves obligations du nouvel état qu’elles vont em- brasser. Il sera bon de leur dire que le mariage n’a point été institué au profit de la passion grossière de la chair, mais pour donner à Dieu et à l’Église des enfants qui deviennent un jour des saints et des habitants du ciel. On peut ajouter qu’un très grand nombre d’époux s’abu- sent, se font illusion sur l’état du mariage, et, se per- suadant faussement que tout leur est permis,, s’y con- duisent comme des êtres sans raison, et s’abandonnent sans frein et sans mesure à l’entraînement de leurs pas- sions ; et qu 'ainsi ils commettront un grand nombre de péchés et se perdront très probablement.

Pour leur éviter un aussi grand malheur dans l’autre vie, et d’abord tous les maux de celle-ci qui y condui- sent, il faut que le confesseur ait un très grand soin de leur inculquer cette grave et capitale vérité, savoir que tout ce qui conduit à la fin du mariage, tout ce qui est dans l’ordre de la procréation ou de la génération des en- fants est permis; tout ce qui est contre cette fin, ou la génération, est illicite et défendu sous peine de péché mortel  ; enfin tout ce qui n’est ni suivant ni contre cette lin, ut oscula, amplexus et aliæ familiaritates conjugales vel sunt peccatum veniale si unicè fiant ob voluptatem, vel nullum peccatum si fiant ex casto affectu ad mu- tuum amorem fovendum inter conjuges, si tamen peri- culum pollutionis non adsit. Tout peut donc se résumer sous cette courte fonpule  : ce qui se fait pour la fin est permis  ; contre la fin est péché mortel  ; ni pour ni contre la fin est ou péché véniel ou nul péché.


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MQECHTAEOGIF.


Il est vrai, l’usage du mariage est permis comme un remède contre la concupiscence, et pour éteindre ou mo- dérer l’ardeur de la passion érotique  ; mais sa fin prin- cipale, primaire, qu’on doit toujours avoir en vue, est, nous le répétons, la procréation ou la génération des enfants.

« Confessarius, inquit D. Bouvier, debet adhuc inter- rogare conjugatos circa tactus impudicôs et alias infa- mias quas inter se fréquenter exercent. Sic incipere po- test  : Nonne aliquid fecisti cum conjuge tuo præter ea quæ in matrimonio permissa sunt, id est præter ea quæ ad habendam prolem necessaria sunt  ? Si dicat aliquid taie extitisse, quærendum est in quo consistât, et conan- dum ut ipse hoc aperiat. Si tactus vel turpes exerciti fuerint, inquirendum est an pollutio contigerit, an peri- culum illam patiendi vel procurandi extiterit, etc.  »

Nous terminerons ici tout ce travail relatif au mariage et aux obligations des époux, qui en dérivent  ; et nous en- gageons puissamment les confesseurs à se pénétrer vive- ment de la céleste doctrine de l’apôtre S. Paul sur cette matière à la fois si difficile et si éminemment pratique. Qu’on se rappelle ces paroles de Concina: Plus scientiœ ex Pauli doctrinâ comparabunt pro conjugatorum ins- tructions quàm si omnes disputationes excogitatas à Sanchezio, à Diana, à Gobatio aliisque memoriâ t enc- rent. Nous engageons aussi les confesseurs à lire et à faire lire à leurs pénitents engagés dans les liens du ma- riage les 38e et 39e chapitres de la troisième parttie de X Introduction à la vie dévote, par S. François de Sales.


TRAITE PRATIQUE D'EMBRYOLOGIE SACRÉE OU THÉOLOGIQUE


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CHAPITRE PREMIER.

DE [/ANIMATION DE L’EMBRYON OU DU FOETUS.— EMBRYOGÉNIE.

— BAPTÊME DES EMBRYONS.

§ i-

DE L’ANIMATION DE L’EMBRYON OU DU FOETUS.

Platon, Àsclépiade, Protagoras et plusieurs stoïciens ont prétendu que l’âme raisonnable n’existait point avant la naissance. L’enfant, disaient-ils, reçoit l’âme par in- fusion au moment de sa naissance (1). Il est évident

(1) Deux savants, l’un de France et l’autre d’Amérique, professant hau- tement la foi catholique, nous ont objecté que nous avions eu tort d’avan- cer que l’embryon est animé au moment môme de la conception  ; qu’il fallait seulement admettre que l’âme n’est unie au corps qu’à la naissance, c’est à dire lorsque l’enfant a respiré et qu’il a vu la lumière, ou est entré en possession de la vie véritable proprement dite et tout à fait indépendante de celle de sa mère.

Voici quelle a été notre réponse, qui est commune à nos deux honorables adversaires.

En philosophie chrétienne, toute opinion ou toute doctrine qui est en opposition avec l’Écriture sainte et l’enseignement de l’Église, au point de vue dogmatique et moral, doit à priori être constamment rejetée. C’est à l’aide de ce critérium que nous jugeons, admettons et rejetons toutes les théories et toutes les opinions humaines. Appliquons-le au cas présent.

Pnisque, Monsieur, vous cherchez toujours, et avec raison, à vous ap- puyer principalement sur la révélation divine, je ne veux vous opposer

25


37 â TRAITÉ PRATIQUE

qu’ils ont pris le souille, spiritus, le pneuma des Grecs, pour l’âme humaine. C’est Aristote qui le premier a fixé l’animation au quarantième jour pour les garçons et au quatre-vingtième ou quatre-vingt-dixième jour pour les filles. S. Augustin, S. Thomas et tous les théologiens d’après eux ont adopté l’opinion d’Aristote, qui a régné dans l’école jusque Vers le milieu du dix-septième siècle.


qu’un mot, également tiré de la révélation, c’est à dire du trésor des vérités dont l’Église est en possession depuis son origine ou sa divine fondation. Et ce mot le voici  : l’Église enseigne qu’un enfant peut être sauvé sans être né, c’est à dire, comme vous dites, sans avoir vu la lumière matérielle, puis- qu’elle applique le sacrement du baptême à ceux qui ne peuvent naître ( indépendamment des fœtus extraits du sein de leur mère après la mort, et que l’Église ordonne de baptiser)  ; et comme elle décide que ce baptême est valide, il s’ensuit que ces enfants sont sauvés. Donc, etc. Voici ce que dit le Rituel romain au sujet du baptême d’un enfant encore retenu dans la cavité utérine  : « On ne doit baptiser aucun enfant renfermé dans le sein de sa mère  ; mais, s’il présente la tête et qu’il soit en danger de mort, on le baptise sur la tête, et, s’il vient au monde vivant, on ne le rebaptise point. Si après avoir ainsi reçu le baptême, il est retiré mort du sein de la mère, on l’inhumera en terre sainte.  » Donc les fœtus intra-utérins, incapables de la naissance physique et matérielle, ont une àme immortelle  ; donc votre opinion est hétérodoxe et anticatholique. Elle avait déjà été condamnée, car elle n’est pas nouvelle, par Innocent XI en 1679. Le clergé de France et la Faculté de théologie de Louvain l’ont également condamnée. « Hæc propositio, dit le clergé de France, est scandalosa, erronea, infandis homi- cidiis et parricidiis procurandis apta.  » (1700.) Or voici cette proposition condamnée  : « Videlur probabile omnem fœtum, quandiù in utero est, carere animâ rationali, et tune primùm incipere eamdem habere cùm pa- ritur  : ac consequenter dicendum in nullo abortu liomicidium committi.  » Bien que cette réponse doive suffire pour réfuter cette étrange objection, nous y ajouterons encore quelques mots comme surabondance de preuves. Dites-moi, s’il vous plaît, Monsieur, ce que veut dire ce passage de l’Écri- ture: in iniquitatibus conceptus sum . (Ps. 50.) Sans doute ce n’est pas la


D’EMBRYOLOGIE SACRÉE.


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\Dr Bouvier fait observer que la Pénitencerie de Rome suit l’opinion d’Aristote, sans l’examiner ni la garantir lorsqu’il s’agit de l’irrégularité portée contre les homi- cides.

Un grand nombre de faits récents, dit le même auteur, prouvent que cette distinction entre les deux sexes n’a point de fondement; nous ajouterons qu’elle est absurde et ridicule. De plus il est extrêmement probable, pour

matière qui a été conçue dans l’iniquité, mais l’âme. Si votre opinion était vraie, et que l’âme ne fût unie au corps qu’à la naissance, comme vous le prétendez, le prophète aurait dû dire, ce me semble, in iniquitatibus natus sum , au lieu de conceptus sum. Vous ne pouvez vous tirer de là qu’en fai- sant violence au texte, c’est à dire qu’en changeant la valeur et l’acception des mots, ce qui n’est permis ni à vous ni à moi. De plus vous savez que Jérémie et Jean-Baptiste ont été sanctifiés dans le sein de leurs mères  : Antequàm exires de vulvâ sanctijicavi te (Jer.)  ; reptebitur Spiritu sancto ex utero matris suce. (Luc.) Je ne vous oppose que des preuves tirées de l’Écriture, puisque vous invoquez vous-même l’autorité des livres saints. Leur âme existait donc dès lors  ; on ne sanctifie pas ce qui n’est pas. Vous direz peut-être que ces faits relèvent de l’ordre surnaturel  : soit  ; mais le surnaturel ne tombe ici que sur le changement d’état de l’âme, et non sur son existence même. L’Écriture ne dit pas que les âmes de Jean-Baptiste et de Jérémie aient été créées, mais seulement sanctifiées, parcequ’elles exis- taient. Cela est tellement vrai que Jean-Baptiste tressaillait dans le sein d’Élisabeth à l’approche de Jésüs-Christ encore renfermé dans les en- trailles virginales de Marie. Et si l’âme n’est unie au corps qu’à la nais- sance, que devient l’immaculée conception de la sainte Vierge  ? Ce n’est pas la matière sans doute qui est immaculée, mais l’âme  : donc elle existait avant la naissance. Si votre opinion était vraie, l’Église aurait eu tort de dire  : immaculée conception  ; elle aurait dû dire  : immaculée naissance ou nativité (1). Donc enfin le fœtus est animé, a une âme immortelle avant d’avoir vu la lumière, c’est à dire avant la naissance.


(1) Ce qui est de foi ici, c’est la sanctification de Marie dans le sein de sa mère.


37 G TRAITÉ PRATIQUE

ne pas dire certain, que le fœtus est animé bien plus tôt qu’on ne l’a pensé communément, comme nous le ver- rons bientôt.

Plusieurs auteurs n’ont admis l’animation que lorsque les principaux membres du fœtus étaient déjà formés. Zacchias croit quelle a lieu au moment même de la con- ception. S. Basile ne voulait pas que l’on distinguât entre le fœtus animé et inanimé, parcequ’il était persuadé que l’âme est créée à l’instant même de la conception. S. Gré- goire de Nysse ajoute que le bon sens ne peut admettre qu’une chose inanimée ait la force de se mouvoir et de croître  : « Enim vero posteriorem esse originem anima- rmn ipsasque recentiores esse corporum compositione nemo sanâ mente prœditus in animum induxerit, chm manifestum et perspicuum sil qu'od nihil exanimis ha- beat in se vim movendi pariter atque crescendi.  » C’est cependant ce que l’on remarque dans l’enfant dès les premiers temps de la gestation  ; il faut donc qu’il ait vie. S. Césaire était dans le même sentiment. Florentini dit qu’il est probable que l’embryon est animé immédiate- ment après la conception. Il enseigne en conséquence que l’on doit, sous peine de péché mortel, baptiser le germe ou l’embryon lors même qu’il ne serait pas plus gros qu’un grain d’orge et qu’il ne donnerait aucun signe de vie, pourvu qu’il ne fût pas corrompu ou évidemment mort; et la raison qu’il en donne c’est qu’il croit cet embryon animé, c’est à dire déjà uni à une âme raison- nable. « Les théologiens célèbres et d’habiles médecins reçurent cet ouvrage avec une approbation marquée. Les facultés de théologie de Paris, de Vienne et de Prague approuvèrent ce sentiment  : celle de Paris dit que la doc-


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d’embryologie sacrée. trine de Florentini est sûre, indubita doclrina; quelle est très utile pour empêcher les avortements que les femmes sans religion se procurent sans scrupule sous j) rétexte que le germe n’est point encore animé. Cette doctrine reçut également les éloges du recteur de l’uni- versité de Reims, de l’université de Salamanque, de plu- sieurs évêques et des Facultés de médecine de Vienne et de Prague. On soutint même alors, dans cette der- nière, une thèse publique où on lisait cette proposition  : Au moment de la conception le germe a une âme rai- sonnable,. » (Cangiamila.)

Le célèbre auteur de la Grande Embryologie sacrée enseigne également qu’il est probable que le germe du fœtus est animé immédiatement après la conception.

Nous embrassons l’opinion de S. Basile et de Zacchias, c’est à dire que nous croyons que l’animation a lieu au moment même de la conception, et voici nos raisons  : si la vie de l’homme cesse aussitôt que l’âme se sépare du corps, on peut croire quelle commence aussitôt que l’âme s’unit au corps, quelle qu’en soit l’exiguité ou la forme rudimentaire. Or dès que l’ovule est fécondé, ce qui a lieu au moment même de l’acte de la génération con- sommé, il croit  ; et il ne croît que parcequ’il vit, et il ne vit que parcequ’il est animé; donc le germe ou l’œuf humain est animé à l’instant même de la conception.

De plus, selon nous, la vie matérielle étant sous la dépendance immédiate de la faculté sensitive de l’âme, et cette faculté sensitive de l’âme ne pouvant être vir- tuellement séparée de la faculté intelligente de l’âme, il s’ensuit que l’âme raisonnable est unie à l’embryon au moment même de la conception.


378 TRAITÉ PRATIQUE

Enfin ne sait-on pas que l’âme demeure unie au corps jusqu’au dernier soupir de l’homme agonisant, alors même que presque tous les organes sont déjà frappés de paralysie et de mort  ? Ce souffle léger, ce faible reste de vie matérielle qui va s’éteindre dans quelques minutes, est-ce une vitalité bien supérieure à celle de l’embryon fécondé  ? Celle-ci du moins est une vie formatrice, plas- tique et croissante. Et que notre raison ne soit pas éton- née de l’état informe et exigu où nous paraît la faible por- tion de matière animée. Vous ne voyez point d’organes dans le germe amorphe de l’œuf d’une poule; armez vo- tre œil d’un microscope, et vous observerez aussitôt tous les linéaments de l’organisation. Nous le répétons, que la petitesse matérielle n’étonne pas notre débile raison. Dieu est toujours grand et infini dans les petites choses comme dans les grandes, ou plutôt dans l’ordre matériel il n’y a aux yeux de Dieu rien de grand et rien de petit  : ces qualités relatives de grandeur et de petitesse sont une création de la faiblesse de notre esprit, nécessaire ici-bas pour nous mettre en rapport avec le monde matériel et pour en juger et apprécier l’ordre et l’harmonie.

§11.

DES CAUSES DE L’ AVORTEMENT.

Comme il est bon que messieurs les curés et les confes- seurs connaissent les principales causes des avortements, afin de pouvoir donner les avis nécessaires aux femmes et aux filles enceintes, suivant quel’ occasion et la prudence le leur permettront, nous en présenterons ici un court exposé. Nous ne répéterons pa$ ce que nous avons déjà


d’embryologie sacrée.


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dit sur les époques les plus fréquentes où arrivent les avortements, nous renvoyons pour ce point à la page 30Zi.

Causes prédisposantes. Les principales sont  : une très grande sensibilité nerveuse, un excès de pléthore ou de faiblesse et d’épuisement, l’habitation dans les lieux ma- récageux, froids, humides ou répandant des exhalaisons fétides  ; le séjour dans le voisinage des tanneries, des mégisseries, des voiries et généralement de tous les foyers d’émanations infectes et malsaines  ; des odeurs trop fortes, des cosmétiques très odorants; les vêtements trop serrés, des buses trop raides ou l’usage des cor- sets à baleine qui déterminent une constriction sur la poitrine et sur le ventre  ; les chaussures à talons élevés qui rendent l’équilibre très difficile et exposent à des secousses et à des chutes qui peuvent déterminer l’avor- tement ou des pertes dangereuses; l’abus des bains généraux et locaux, l’intempérance, une alimentation exubérante et trop succulente propre à produire la plé- thore sanguine; l’usage habituel ou immodéré des aliments âcres ou stimulants, comme ragoûts épicés, viandes noires, et surtout des liqueurs spiritueuses, sti- mulantes, des vins chauds, alcooliques, de liqueurs fortes, du café, etc. , et surtout des boissons glacées  ; la diète sévère, des jeûnes excessifs, une grande misère; l’allaitement prolongé, excessif des nourrices enceintes mercenaires  ; des veilles prolongées, la constipation, la diarrhée, la dyssenterie, les épreintes, les ténesmes, la leucorrhée, les toux violentes quinteuses, convulsives; tout ce qui peut causer des coliques et des tranchées  ; enfin des passions tristes et dépressives, l’inquiétude habituelle, le chagrin, etc.


380 TRAITÉ PRATIQUE

Causes déterminantes . L’impression vive et subite d’un air froid, surtout s’il y a transition brusque du chaud au froid  ; l’immersion du corps ou des membres dans l’eau très froide  ; la chute ou les coups sur le ven- tre, les lavements irritants, les purgatifs violents, les préparations aloétiques, les vomissements causés surtout par l’émétique (tartre stibié)  ; les sternutatoires violents et réitérés, les remèdes dits emménagogues ou propres à provoquer le flux menstruel, les saignées surtout celles du pied, les sangsues vers les parties inférieures, une marche prolongée et forcée, les secousses et les commo- tions causées par des sauts, l’équitation ou une voiture point ou mal suspendue, la danse et surtout la valse, qui est la plus échauffante et la plus mauvaise sous tous les rapports; des travaux durs et pénibles, des efforts, le mouvement des bras nécessaire pour puiser de l’eau, soulever un fardeau pesant ou atteindre quelque chose d’élevé. Une femme ayant levé quelques boisseaux de blé se sentit blessée  ; elle fait quelques pas et avorte  ; sans plus de façon, elle va enfouir son fœtus dans un jardin voisin. « Les nations les plus sauvages, dit un médecin allemand (Mezler), dispensent leurs femmes enceintes de travaux pénibles; l’Européen seul ignore, dans les campagnes, cette attention que la nature elle- même semble indiquer. Il est au-delà de toute imagi- nation combien ce seul abus entraîne d’avortements, combien il augmente le nombre d’enfants morts-nés; combien en un mot il influe, dans certaines contrées, sur la stérilité conjugale. Je connais un endroit où il est excessivement rare qu’une femme accouche sans avoir éprouvé une hémorragie pendant la grossesse. Je viens


D’EMBRYOLOGIE sacrée.


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de voir, il y a quelques instants, une femme mariée depuis six mois seulement et qui est toujours malade  ; son ventre tuméfié n’augmente ni ne diminue de volume, et elle 11e peut savoir si elle est grosse ou non. Elle me dit qu’en soulevant, il y a environ trois mois, une charge pesante d’herbe, elle sentit quelque chose se rompre en elle, et que depuis cette époque elle a perdu la santé. C’était effectivement une rupture des membra- nes de l’œuf  ; le germe s’est détérioré, et elle porte dans ce moment une môle. Une autre femme me raconta qu’é- tant un jour occupée à battre en grange elle sentit que quelque chose se rompait dans son ventre et s’échappait par les parties génitales. Ne sachant ce que ce pouvait être, et redoutant les railleries des paysans qui travail- laient avec elle, elle marcha dessus pour l’écraser, et s’aperçut à la résistance qu’elle éprouvait que c’était un corps solide. Ce récit ne fait-il pas frémir? Cependant les homicides se répètent fréquemment sans que l’on s’oc- cupe de les prévenir, et je vois tous les jours des femmes enceintes exécuter les travaux les plus pénibles. Si, à la suite des efforts qu’ils exigent, une femme éprouve quel- que accident, le bailli la plaint , le curé la réprimande  ; mais personne ne songe à instruire et à éclairer les gens de la campagne sur leurs devoirs et leurs véritables in- térêts. »

Enfin il est encore quelques causes morales capables de déterminer l’avortement, comme une subite explosion de colère ou de fureur  ; d’autres fois des cris violents, des vociférations bruyantes, une joie excessive, des ris immodérés, la colère, la brutalité, les mauvais traite- ments d’un mari, etc., etc. Nous résumons toutes ces


382 TRAITÉ PRATIQUE

causes en disant que ce sont tous les moyens propres à augmenter considérablement T afflux du sang vers la ma- trice, toute cause de perturbation ou d’irritation un peu forte dirigée vers l’utérus ou à ses parties voisines, enfin toutes les substances qui accélèrent notablement la cir- culation sanguine, et surtout qui sont propres à pro- duire des congestions ou des pléthores utérines  : c’est surtout parmi ces derniers agents qu’on a cherché et cru trouver les abortifs proprement dits. « Il n’est point de médicament, dit le docteur Marc, médecin légiste célè- lèbre, qui puisse décider l’avortement, et rien que l’avor- tement, d’une manière directe et spécifique. La nature, au contraire, qui semble leur avoir refusé à dessein ce pouvoir, a hérissé d’obstacles, de dangers et d’incertitu- des toute tentative de détruire et d’expulser l’être, in- téressant par sa faiblesse, que renferme le sein maternel.

Si on a vu de ces entreprises criminelles réussir quelque- fois, on les a vues plus souvent encore échouer. Dans tous les cas, on ne saurait trop le répéter, malheur à la mère qui s’expose à une pareille expérience  ! Non seule- \ ment sa vie court les plus grands dangers, mais sa santé éprouve constamment une atteinte dont il est difficile et presque toujours impossible d’effacer l’impression.  »

Arrêtons-nous, ici et abstenons-nous sévèrement d’en- trer dans des détails que le crime pourrait exploiter à son profit. Jetons donc un voile épais sur les criminelles manœuvres des anciens Romains, sur les sataniques in- ventions d’Aspasie, et laissons à l’enfer ses horribles secrets.

Voici le texte de l’article 317 du Code pénal sur le crime d’avortement  :


D’EMBRYOLOGIE SACRÉE. 383

« Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, violences ou par tout autre moyen, aura procuré l’avor- tement d’une femme enceinte, soit qu’elle y ait consenti ou non, sera puni de la réclusion.

« La même peine sera prononcée contre la femme qui se sera procuré l’avortement à elle-même, ou qui aura consenti à faire usage des moyens à elle indiqués ou ad- ministrés à cet effet, si l’avortement s’en est suivi.

« Les médecins et chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens qui auront indiqué ou administré ces moyens seront condamnés à la peine des travaux forcés à temps, dans le cas où l’avortement au- rait eu lieu.  »

S III.

DE L’EMBRYOGÉNIE.

D’après les physiologistes, les accoucheurs et les mé- decins légistes modernes les plus célèbres, dans les pre- miers temps de la grossesse, le produit de la conception ne paraît que sous la forme d’un flocon gélatineux demi- transparent, et n’offre rien de distinct. Haller et Baude- loque assurent qu’on ne peut pas distinguer le fœtus humain avant le dix-neuvième jour. Suivant Chaussier, on n’y voit rien de distinct jusqu’au quinzième jour, même à la loupe. A trente jours, l’embryon a le volume d’une grosse fourmi, d’un grain d’orge ou d’une mouche ordinaire, et sa longueur est de neuf millimètres tout au plus (quatre lignes environ). A quarante-cinq jours, on reconnaît très bien la forme fœtale, les linéaments des principaux organes, de l’emplacement des membres; on


38fr TRAITÉ PRATIQUE

compare alors l’embryon à une grosse abeille ou à une guêpe, c’est à dire qu’il a à peu près la longueur de vingt-cinq millimètres (dix lignes environ)  ; sa tête égale en volume au moins la moitié du corps. A soixante jours, ou deux mois, la longueur du fœtus est de cin- quante-cinq millimètres (à peu près deux pouces). On peut alors juger de sa figure  ; les diverses parties de la face se distinguent plus nettement. Deux points noirs indiquent la place des yeux, la bouche est en tr’ ouverte et très sensible  ; de petites ouvertures désignent le lieu du nez et des oreilles. On démêle les premiers rudiments des membres. A trois mois , toutes les parties extérieures du fœtus sont distinctes et bien dessinées  ; il a alors près de quatre-vingts millimètres (près de trois pouces) de longueur, et pèse environ quatre-vingt-dix grammes (près de trois onces) . A quatre mois, le fœtus a environ cent soixante millimètres (six pouces) de longueur. A cinq mois, sa longueur est de deux cent cinquante- cinq millimètres (neuf pouces). A six mois, il a trois cent vingt-cinq millimètres (douze pouces) de longueur. A sept mois, sa longueur est de trois cent quatre-vingts millimètres (quatorze pouces). A huit mois, il a acquis la longueur de quatre cent quarante millimètres (seize pouces) . A neuf mois, pleine maturité, il a quatre cent quatre-vingt-huit millimètres (dix-huit pouces) de lon- gueur. Le poids ordinaire d’un fœtus à terme est de trois mille grammes (six livres un quart) . Ces évaluations ont été faites d’après les recherches et les observations de deux célèbres médecins légistes modernes, Ghaussier et Marc.


D’EMBRYOLOGTE sacrée.


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§IV.

DU BAPTÊME DES EMBRYONS.

Suivant l’opinion la plus sûre et la seule rationnelle- ment acceptable, le fœtus étant animé à l’instant même de la conception, il s’ensuit qu’on doit le baptiser à quelque époque de la gestation qu’ait lieu l’avortement, pourvu que l’embryon olFre les linéaments de l’ organisa- tion humaine.

Si l’avorton est déjà développé, qu’il offre forme hu- maine et qu’il donne manifestement signe de vie, on le baptise absolument, c’est à dire sans condition. Si l’on doute de sa vie seulement, on le baptise sous condition  : Si tu vivis, ego te baptizo, etc.  ; si sa vie et sa forme sont également douteuses, on dira  : Si tu es homo et vivis, etc.  ; et on baptise toujours, sous la forme condi- tionnelle, tout ce qui paraît être embryon, qu’il soit avec ou sans enveloppe, pourvu qu’il ne soit pas dans un état de putréfaction, de décomposition ou de désorganisation manifeste.

Si l’embryon ou le fœtus est enveloppé dans sa mem- brane, comme cela arrive très souvent, on le baptise sur l’enveloppe en disant  : Si tu es capax, etc., ou si tu es homo et capax, etc., dans la crainte que l’impression de l’air ne le fasse mourir avant d’avoir reçu le baptême. On ouvre ensuite la membrane, et on le baptise de nouveau- sous condition en disant  : Si tu non es baptizatus , etc. On le baptise ainsi deux fois, parcequ’il n’est pas certain que le baptême donné sur l’enveloppe soit valide, puisque l’eau n’a pu toucher immédiatement le corps du fœtus  : il


386 TRAITÉ PRATIQUE

n’est pas non plus certain que le baptême soit nul, par- cequ’on peut ici regarder en quelque sorte les membranes fœtales comme faisant une espèce de tout apparent et temporaire avec le fœtus, quoique dans la réalité cela ne soit pas.

On ne doit jamais jeter ce que rend une femme que l’on suppose éprouver un avortement sans l’avoir exa- miné avec attention et sans s’être assuré que les caillots de sang ou autre matière solide ne renferment pas un embryon déjà dégagé de son enveloppe, mais plus sou- vent encore sous la forme d’une membrane blanchâtre, ovoïde, molle et élastique, comme une membrane intes- tinale. Ces caractères distingueront toujours l’œuf ou l’enveloppe fœtale de ce qu’on appelle faux germe ou môle, qui est une masse de chair informe, etc.

On aura soin encore d’ouvrir les môles, afin de s’as- surer si elles ne renferment pas quelque embryon. Ainsi donc, nous le répétons, que l’on se garde bien de jeter trop précipitamment dans les réceptacles d’immondices ce que rendent les femmes qui avortent  ; rappelez-vous ce que dit à ce sujet Roncaglia  : Quot fœtus abortivos ex ignorantiâ obstetricum et matrum excipit latrina. quorum anima, si baptismate non fraudaretur, Deum in œternum videret, et corpus, licèt informe, esset de- centius tumulandum  ! sed quibus potissimiim sub gravi culpâ competit tune expellere ignorantiam  ? nonne pa - rochis  !

C’est aux curés à instruire suffisamment les sages- femmes sur ce point, et à rappeler aux accoucheurs, selon l’occasion, ce que peut-être quelques-uns ont au- jourd’hui trop oublié dans la pratique. « Pendant mes


D’EMBRYOLOGIE sacrée.


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études en médecine, dit M. le docteur Rosiau, un pro- fesseur d’accouchements nous apporta un jour dans son amphithéâtre un fœtus de quatre mois et demi encore enveloppé dans ses membranes, et qu’il avait reçu la veille. Je me permis de lui faire observer qu’on aurait dû le baptiser après l’avoir dégagé de son enveloppe. 11 me répondit que, ne croyant pas à la régénération de l’espèce humaine dans les eaux du baptême, il ne le don- nait que lorsque les parents l’exigeaient. Si des profes- seurs se permettent d’enseigner de pareilles doctrines, est-il étonnant que des accoucheurs et des sages-femmes, qui ont puisé leurs connaissances à l’école de tels maî- tres, fassent si peu d’attention au fœtus dans le cas d’a- vortement? Si l’on rencontre tant de négligence chez les hommes de l’art, on doit encore attendre moins de zèle de personnes qui n’ont aucune connaissance en méde- cine. Aussi les garde-malades et les domestiques jettent sans examen les caillots de sang, parmi lesquels il peut se trouver un embryon susceptible de recevoir le bap- tême. »

Tout ce que nous avons dit jusqu’à présent du bap- tême des avortons est fondé sur la doctrine de la Grande Embryologie sacrée par Cangiamila.

« On baptise les embryons, dit cet auteur célèbre, par immersion dans l’eau (1) mise dans une assiette ou dans un verre. Un prêtre ne doit avoir aucune crainte d’en- courir l’irrégularité, parcequ’il pourrait avancer la mort d’un embryon dépouillé de sa membrane. L’embryon qui


(1) De l’eau tiède, si l’on en a sous la main  ; sinon de l’eau froide en cas d’urgente nécessité.


388 TRAITÉ PRATIQUE

est dans le sein de la mère y nage dans une certaine liqueur dont la première membrane est remplie, sans avoir besoin de respirer. Il ne sera donc pas suffoqué précisément parcequ’on le plongera dans un peu d’eau  ; mais, si cela arrivait par hasard, sa vie est un souffle si léger, et il est tellement impossible de la lui conserver, que, dans ces circonstances, la crainte d’accélérer sa mort de quelques moments ne doit pas empêcher de lui administrer le baptême.  »

Nous ne rapporterons pas ici tous les faits nombreux d’embryons qui ont vécu longtemps encore après leur expulsion de l’utérus, et que nous avons publiés dans notre Essai sur la Théologie morale. Nous nous conten- terons d’en citer deux seulement, des plus récents et des mieux prouvés.

L’an dernier on nous a communiqué le fait suivant, raconté en ces termes  : « On lisait il y a quelque temps, dans la chambre d’un directeur de séminaire, un de vos ouvrages (c’était Y Essai sur la Théologie morale , Em- bryologie sacrée ) , où il était question de la conduite à tenir à l’égard des femmes qui meurent dans l’état de grossesse. Ce jour-là même il venait de mourir une femme enceinte que l’on se disposait déjà à enterrer avec son fruit. Un ecclésiastique, présent à la lecture de votre livre, voulut immédiatement faire mettre en pratique ce qu’il venait d’y apprendre  ; mais l’ouverture du cadavre ne put être faite que le lendemain, et encore on eut de la peine à l’obtenir d’un homme de l’art, qui prétendait que l’enfant était infailliblement mort avec sa mère, déjà décédée depuis environ vingt-quatre heures. Mais, ô Pro- vidence admirable  ! l’enfant a été trouvé vivant, a reçu


d’kmmyologie sacrée.


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le baptême et a vécu quelques heures.  » Cet événement, qui a fait beaucoup de bruit dans le pays, est de nature à faire une vive impression sur l’esprit des médecins qui prétendent que l’enfant meurt toujours avec sa mère, ou du moins, comme dit M. le professeur Velpeau, « qu’il ne peut pas continuer de vivre au-delà de quelques quarts d’heures ou même de quelques minutes.  »

« Tout Paris, dit le célèbre Gardien, sait que la malheureuse princesse Pauline de Schwartzenberg périt des suites d’une brûlure survenue dans une fête donnée chez l’ambassadeur d’Autriche, son beau-frère (1)  : elle était enceinte, et l’enfant fut trouvé vivant, quoiqu’elle n’eût été ouverte que le lendemain de l’accident.  »

Nous devons convenir que les faits de longue survie ne sont pas communs  ; mais quand ils seraient mille fois plus rares encore, et même n’y eût-il jamais eu qu’un seul cas, cela devrait suffire aux yeux des médecins chré- tiens pour admettre et consacrer le principe d’ouvrir les femmes enceintes, quel que soit le laps de temps écoulé depuis leur décès.

Ces faits de longue survie du fœtus se conçoivent sans peine quand on se rappelle ce [que la physiologie nous apprend sur la vie utérine du fœtus dans le sein de sa mère.

La vie utérine du fœtus n’est pas immédiatement dé- pendante de la vie de la mère  ; il a une vie et une circu- lation qui lui sont propres et qui s’exécutent sans respi- ration, puisque le fœtus ne respire point comme sa mère.

(1) Jugez des horribles souffrances de la mère, qui pourtant n’ont pas déterminé la mort de l’enfant.


390 TRAITÉ PRATIQUE

Le lien de communication vitale et nutritive est le pla- centa, qui paraît être l’organe où s’élabore l’aliment du fœtus, ou, si l’on veut, c’est l’organe qui lui sert de pou- mon pour purifier et oxigéner le sang qui lui est destiné. Le placenta est donc un organe de nutrition ou plutôt d’alimentation ou d’oxigénation. Si la circulation du fœtus est indépendante de la circulation de la mère, il s’ensuit que, la mère étant morte, la circulation fœtale peut encore subsister quelque temps. Elle a lieu du pla- centa au fœtus et de celui-ci au placenta, et elle pourra durer tant que le placenta en fournira les matériaux qu’il tient de la mère. D’après ce qui précède il est inutile de faire observer combien serait illusoire la précaution de mettre entre les dents de la femme, à l’instant de sa mort, un tube de roseau ouvert par les deux bouts, ou tout simplement une cuiller, selon l’usage actuel. Cette pratique a été prescrite autrefois par le synode de Colo- gne, en 1528, et celui de Cambrai, tenu en 1550.

Dès qu’un enfant a commencé à respirer, sa circula- tion subit un grand changement; elle devient pulmo- naire, et par conséquent elle est bien différente de celle du fœtus. Mais ce changement ne s’opère pas subitement après la naissance, parceque le trou botal, ne s’oblitérant pas instantanément, peut laisser passer encore une cer- taine quantité de sang comme dans le fœtus. C’est pour- quoi les enfants nouveau-nés meurent plus difficilement par la suffocation que les adultes.


d’embryologie sacrée. S91

CHAPITRE IL

CONDUITE A TENIR AUPRÈS D’UNE FEMME ENCEINTE QUI VIENT DE MOURIR. — SIGNES DE LA MORT RÉELLE ET APPARENTE. — OPÉRATION CÉSARIENNE SUR UNE FEMME MORTE. — OPÉRA- TION CÉSARIENNE SUR UNE FEMME VIVANTE. — OBSTACLES A LA PARTURITION DU CÔTÉ DE LA MÈRE. — OBSTACLES DU CÔTÉ DU FOETUS. — ASPHYXIE ET APOPLEXIE DES NOUVEAU- NÉS. — BAPTÊME DES MONSTRES.

§ i".

RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES.

L’opération césarienne, ou l’excision du fœtus du sein de sa mère, est prescrite par les lois civiles pour les femmes qui meurent enceintes; elle est surtout indis- pensable, dans l’ordre civil, lorsque la mort arrive après le sixième mois, parcequ’ alors l’enfant peut être viable. Cabanis rapporte que « Fortunio Liceti, savant recom- mandable du seizième siècle, vint au monde à l’âge de cinq mois, et que Brouzet, dans son Education physique des Enfants, cite deux ou trois faits à peu près sembla- bles et non moins étonnants. >> Les législateurs sacrés ordonnent de pratiquer l’opération à toutes les époques appréciables de la gestation, afin de pouvoir conférer le baptême à l’embryon ou au fœtus non évidemment mort. Si la femme enceinte meurt, dit le Rituel romain, it faut au plus tôt l'ouvrir pour en retirer le fœtus. Quoique, pour l’ordinaire, le fœtus survive peu de temps à la mère, comme nous l’avons déjà dit, plusieurs faits prou- vent qu’il peut lui survivre non seulement pendant quel


292


TRAITÉ PRATIQUE ques heures, mais durant des jours entiers. Il ne faut donc jamais manquer de faire l’opération, quelque temps qu’il se soit écoulé depuis la mort d’une femme enceinte, fût-elle même déjà inhumée, ou quelque opposition que voulussent y mettre les médecins, les chirurgiens ou les sages-femmes, parcequ’ils ne peuvent jamais être par- faitement sûrs de la mort du fœtus, bien que, sous ce rapport, l’auscultation ait notablement amélioré nos mé- thodes d’investigation. On voit d’après cela combien est dangereuse l’opinion de Sanchez, de Rodéricus à Castro et de Varendé, qui croyaient que l’enfant ne pou- vait survivre un instant à sa mère; et celle encore de Possevin et Rainaud, qui soutenaient qu’un enfant ne survivait pas plus d’une heure à sa mère. Toutes ces opinions sont suffisamment réfutées par l’expérience et la physiologie.

S IL

DES SIGNES DE LA. MOUT RÉELLE ET APPARENTE.

I

Un grand nombre de faits ont prouvé l’incertitude des signes delà mort. L’absence de la circulation, de la res- piration, delà chaleur et du sentiment; un aspect cada- véreux, une teinte plombée livide, jaunâtre  ; la couleur jaune de l’intérieur des mains et de la plante des pieds  ; une odeur de putréfaction, la pesanteur du corps, etc.; les épreuves du miroir et de la bougie et autres sembla- bles ; les épreuves chirurgicales, les incisions à la plante du pied, les piqûres, les cautérisations, les ustions, etc.; tous ces caractères et toutes ces circonstances réunis ue suffisent pas pour établir infailliblement la certitude


d’embryologie SACRÉE. 393

de la mort; il faut donc recourir nécessairement à d’au- tres signes plus certains. Les auteurs en proposent quatre qu’ils donnent comme infaillibles, à savoir  : 1° un com- mencement de putréfaction  ; 2° la rigidité cadavérique  ; 3° la mollesse, la flaccidité, la flétrissure des yeux ou l’obscurcissement de la cornée par une espèce de nuage, et la pellicule glaireuse des yeux  ; h° le défaut de con- tractilité musculaire sous l’influence galvanique. Exa- minons brièvement la valeur respective de tous ces signes.

1° Sans doute la putréfaction est un signe certain de la mort, et même généralement regardé comme son seul signe certain  ; mais c’est un signe à peu près impossible à obtenir à cause de sa manifestation tardive (de trois à six jours), et surtout dans l’espèce il est nul, parcequ’il n’est pas permis de l’attendre  : c’est donc le plus sou- vent un signe purement théorique et presque toujours de nulle valeur dans la pratique.

2° La rigidité cadavérique est un des signes de la mort les plus sûrs et les plus caractéristiques  ; tant que les membres sont flexibles, si toutefois la raideur cada- vérique n’a pas précédé, on peut présumer un reste de vie. On rapporte, dans le Dictionnaire des Sciences médicales, qu’une jeune fille, âgée de huit ans, qui avait fui la maison paternelle, fut trouvée, sept jours après, dans un bois privée de sentiment, de mouvement, de circulation et de respiration  ; mais ses membres étaient flexibles, et on connut à ce signe que la mort n’était qu’apparente. Le célèbre Louis regardait la rigi- dité cadavérique comme un elfet constant de la mort et comme son signe le plus certain. 11 dit qu’ayant fait,


39â TRAITÉ PRATIQUE

pendant plusieurs années, des recherches non interrom- pues sur plus de cinq cents sujets qui venaient d’expi- rer, il a toujours vu qu’au moment delà cessation com- plète des mouvements les articulations commencent à se raidir, même avant la diminution de la chaleur naturelle, M. Orfila, doyen de la Faculté de médecine de Paris, re- garde la rigidité cadavérique comme un signe aussi cer- tain que la putréfaction elle-même. Nysten a prouvé expérimentalement que la rigidité est constante même chez les individus qui ont succombé aux maladies dites putrides. Mais il faut faire ici une remarque importante au sujet de la rigidité ou de l’inflexibilité des membres, afin de distinguer la rigidité cadavérique de la rigidité convulsive, spasmodique, tétanique, etc. La voici d’a- près deux graves et imposantes autorités, Louis et Nys- ten : les raideurs maladives, nerveuses, convulsives, etc. , précèdent toujours la mort soit apparente, soit réelle, tandis que le contraire s’observe dans la raideur cada- vérique, c’est à dire que celle-ci se manifeste toujours quelque temps après la mort réelle. De plus, lorsque l’on a forcé et surmonté la rigidité convulsive, le membre revient brusquement à sa première position  ; il obéit, au contraire à tous les mouvements qu’on lui imprime lors- que la rigidité vaincue était le résultat de la mort réelle. Si la mort est véritable, la raideur convulsive cesse au bout d’une heure ou deux, et la raideur cadavérique lui succède infailliblement. — La mâchoire abaissée, dit-on, 11e remonte pas à sa place si la mort est réelle  ; et si elle 11’est qu’apparente et produite par un état nerveux ou spasmodique, elle revient contre la mâchoire supérieure. C’est un signe qui, dans certaines circonstances, peut avoir


d’embryologie sacrée.


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quelque valeur pour confirmer ou infirmer d’autres signes.

3° La mollesse, la flaccidité, f affaissement, la flétris- sure des yeux, l’obscurcissement ou le défaut de trans- parence et d’éclat de la cornée, de sorte que ceux qui regardent dans les yeux d’un cadavre n’y voient plus leur image, comme ils l’aperçoivent dans les yeux d’une personne vivante. Louis donne ces signes comme infailli- bles. M. le docteur Yigné, médecin à Rouen, les a véri- fiés sur plus de deux mille sujets à l’hôpital de Rouen. Ce signe, accompagné de la pellicule glaireuse, quoique d’une grande valeur, peut cependant manquer dans quelques morts subites, comme surtout l’apoplexie fou- droyante, la rupture d’un anévrysme interne, l’asphyxie par le gaz acide carbonique, ou enfin dans quelques ma- ladies des paupières.

!x° Enfin l’absence de la contractilité musculaire sous l’influence galvanique. Voici le résultat des expériences sur la contractilité faites par Nysten sur environ quarante cadavres  : la contractilité musculaire s’est manifestée sur tous sous l’influence de la pile voltaïque, mais avec des nuances très variées. Ordinairement elle ne s’est éteinte que de six à quinze heures après la mort  ; une fois à une heure et demie, et une autre fois à vingt-sept heures après la mort. Voilà les deux termes extrêmes. Ainsi, d’après ces résultats et jusqu’à nouvelle expérimenta- tion, la contractilité musculaire se montre, dans tous les cadavres, sous l’influence de la pile de Volta, ce qui ne constate réellement ni la vie ni la mort, parceque ce phénomène peut se manifester aussi bien sur un mort véritable que sur un mort apparent. Mais si l’on ne peut pas dire que la vie existe tant que la contractilité mus-


39Ô TRAITÉ PRATIQUE

culaire subsiste, on peut assurer avec certitude que la vie est à jamais éteinte si le galvanisme ne détermine plus de contraction musculaire. Ainsi, dans tous les cas possibles, si, après avoir découvert un muscle sur un des membres, au bras, par exemple, on n’y détermine par la pile de Yolta aucune contraction, aucun mouvement fibrillaire,, c’est une preuve indubitable, infaillible que la contractilité ou l’irritabilité musculaire est complè- tement éteinte, et que par conséquent la mort est cer- taine; et nous ne craignons pas d’avancer que nous re- gardons l’extinction complète de l’irritabilité ou de la contractilité musculaire constatée par le galvanisme comme un signe plus certain de la mort qu’un commen- cement de putréfaction; car enfin la putréfaction peut n’être qu’apparente comme la mort elle-même. C’est cette apparence de putréfaction possible qui a fait dire à l’illustre Louis que la mauvaise odeur et la putréfaction n’étaient, pas toujours des signes certains de la mort.

De tout ce qui précède il résulte que, d’après les plus graves auteurs, deux signes ou deux ordres de signes pratiques indiquent avec certitude la réalité de la mort  : ces deux signes sont la rigidité cadavérique, ainsi ap- pelée parcequ’elle ne s’observe que sur le cadavre  ; et la mollesse, la flaccidité, l’affaissement, la flétrissure des yeux, l’ obscurcissement et le défaut de transparence, d’éclat et de brillant de la cornée. Ces deux signes, la rigidité cadavérique et l’obscurcissement des yeux réu- nis, étant, selon nous, les signes certains, caractéristi- ques de la mort réelle, il s’ensuit que les signes contrai- res également réunis sont les témoins irrécusables de la mort apparente. Or ces deux signes contraires sont la


lV EMBRYOLOGIE SACRÉE. 397

flexibilité permanente des membres qui n’a point été précédée de la rigidité cadavérique, et nous appelons rigidité cadavérique celle qui survient constamment après la mort. Ainsi, d’après cela, une rigidité qui se montre- rait encore une heure ou deux après la mort, mais qui aurait commencé avant la mort ou même au moment du décès, ne serait point une rigidité cadavérique, mais une raideur purement maladive, nerveuse, convulsive ou té- tanique (1) , et on la reconnaîtrait d’ailleurs facilement aux caractères que nous lui avons assignés plus haut. Le deuxième signe contraire est l’état physiologique per- manent des yeux, c’est à dire leur fermeté et leur consis- tance, plus la transparence, le brillant et l’éclat vital de la cornée. Si donc ces deux signes,, savoir, la flexibilité permanente des membres non précédée de la rigidité cadavérique (2), et l’état physiologique permanent des yeux, se trouvent réunis, nous affirmons que très proba- blement la mort n’est qu’apparente.

Si la galvanisation, comme nous venons de le voir, est le moyen le plus sûr, le moyen même infaillible de cons- tater la réalité de la mort, il faut pourtant convenir que dans l’espèce l’épreuve galvanique est au fond plus scientifique que pratique  ; c’est pourquoi on n’y a pres- que jamais recours  ; en voici la raison  : c’est que l’irrita- bilité ou la contractilité musculaire ne s’éteint pas assez


(1) La rigidité frigorique, c’est à dire celle qui est l’effet de l’asphyxie par la congélation, est générale et occupe toutes les parties du corps  ; l’ab- doroen lui-même est frappé de raideur comme tout le reste, ce qui n’a pas lieu dans les rigidités nerveuses.

(2) Tout le monde sait que la flexibilité qui succède à la rigidité cadavé- rique est l’indice d’une putréfaction prochaine.


398 TRAITÉ PRATIQUE

tôt dans les cadavres, puisqu’on a vu des cas où elle s’est conservée jusqu à vingt et même vingt-sept heures après la mort, et alors l’épreuve ne prouve rien  ; il n’y a cepen- dant que l’absence de la contractilité qui autorise à con- clure avec certitude que la vie est absolument éteinte.

Il faudrait, pour que l’épreuve galvanique fût un moyen précieux, surtout pour l’opération césarienne sur les fem- mes mortes dans l’état de grossesse, il faudrait, dis-je, que cette absence de l’irritabilité fût toujours constatable très peu de temps après la mort, comme, par exemple, j une heure ou deux au plus, au lieu de vingt-quatre et même vingt-sept heures. Cependant, dans le doute bien fondé de la réalité de la mort, on pourrait avoir recours à la galvanisation musculaire, puisque nous avons cité un cas où l’irritabilité s’est éteinte une heure et demie après la mort.

Résumons, dans un but d’application directe, les prin- cipaux signes de la mort. Les voici  : l’absence de la cir- culation (du pouls) , de la respiration et de la sensibilité  ; la raideur et l’inflexibilité des membres survenues après ) la mort; la flaccidité et la flétrissure des yeux; l’obscur- cissement, le défaut de brillant et de transparence de la cornée accompagné de la pellicule glaireuse. Si tous ces signes se trouvent réunis, on doit sur-le-champ procéder à l’opération césarienne, sans même avoir recours à l’é- preuve galvanique. Si, au lieu de trouver tous ces signes réunis, on ne rencontrait que le manque de circulation, de respiration et de sensibilité, avec la flexibilité perma- nente des membres non précédée de la rigidité cadavé- rique, et l’état physiologique permanent des yeux ci- dessus décrit, on devrait attendre, parcequ alors la mort


D’EMBRYOLOGIE sacrée. 399

n’ est probablement qu’apparente. On emploierait donc aussitôt tous les moyens propres à ranimer les propriétés vitales profondément engourdies et assoupies  : on ferait des frictions, avec de la flanelle chaude, aux membres et à la région du cœur  ; on mettrait sous le nez des flacons contenant des liqueurs à odeur forte et pénétrante, comme du vinaigre radical ou du plus fort qu’on pût trouver, de l’éther, de l’ammoniaque; on appliquerait des synapismes très irritants aux extrémités, aux pieds et aux jambes. On aura soin d’entretenir la chaleur dans la femme morte au moyen de flanelles ou de serviettes chaudes appliquées sur le ventre.

Si quelques heures se passent sans qu’il se manifeste de nouveaux signes de la réalité de la mort, on doit in- terroger l’irritabilité musculaire par la pile voltaïque, et ne rien entreprendre tant que la contractilité existe. Si au contraire son extinction est bien et dûment constatée par l’épreuve galvanique, on doit alors non seulement faire de suite l’opération, mais on pourrait, même quel- ques heures après le décès, procéder sur-le-champ à l’inhumation, n’était la circonstance de la grossesse ou de la défense légale, sans attendre un commencement de putréfaction. Un célèbre médecin légiste, le docteur Marc, va jusqu’à dire que « les corps ne devraient ja- mais être portés en terre qu’ après que la pile de Volta n’aurait plus produit d’effet sur eux.»

En général toutes ces précautions sont bien plus né- cessaires dans les cas de morts subites causées par des maladies cérébrales, apoplectiques, léthargiques, caro- tiques, syncopales, asphyxiques, convulsives, hystérh ques, épileptiques, tétaniques, cataleptiques et autres


Z|(JO TRAITÉ PRATIQUE

aberrations nerveuses d’une gravité extraordinaire  ; car, pour les maladies ordinaires, aiguës ou chroniques, ou les maladies qui conduisent à la mort par tous les degrés connus de dépérissement, de faiblesse, d’émaciation, de marasme et d’extinction successive., qui offrent tous les symptômes qui précèdent et accompagnent l’agonie, et où enfin les malades meurent peu à peu, partiellement, successivement et en détail en quelque sorte  ; dans tous ces cas on est généralement bien plus tôt convaincu de la réalité indubitable de la mort. Et en effet de tous les malades qui succombent aux affections chroniques de la poitrine, à la phthisie, aux anévrysmes avec enflure des extrémités, aux hydropisies, aux maladies cancéreuses, scrofuleuses, cachectiques, etc., et même qui périssent sous le poids des maladies aiguës, comme les fièvres gra- ves qui se terminent par un état de marasme complet ou de décomposition putride, ou les phlegmasies aiguës; les dyssenteries, les fluxions de poitrine, les pneumonies ou les pleurésies arrivées à leur dernière période  ; de tous ces malades, dis-je, ou plutôt de tous ces morts, en a- ■* t-on jamais vu en revenir un seul à la vie sur des milliers ou même des millions d’individus? On est donc alors as- suré de la réalité de la mort  ; et cette conviction pratique et expérimentale est d’une très grande force, ou plutôt elle équivaut à la certitude. Donc, dans tous ces cas, l’ ouverture peut être faite immédiatement après le décès. C’est dans ces circonstances que peuvent trouver leur application les assertions d’un célèbre auteur, qui, en matière d’accouchement, est certes une grande autorité (Gardien). Voici ce qu’il dit d’une manière qui paraîtra au moins bien absolue  : a On doit opérer, immédiatement


d’embryologie sacrée.


401

apres le décès , des femmes qui sont présumées mortes avant d’accoucher, quel que soit le terme de leur gesta- tion. Quoiqu’on présume que la femme est morte, on doit pratiquer la gastro-hystérotomie (opérât, césar.) avec les mômes précautions que si elle était vivante On com-

promet son existence (de l’enfant) si, avant d’y recourir on cherche à s’assurer de la mort de la mère par diverses épreuves.  » (Dict. des Sciences méd art. Gastro-Hysté- rotomie.) Ge n’est guère que dans les affections cérébra- les, léthargiques, hystériques, convulsives, syncopales que surviennent les morts apparentes, qui seules néces- sitent l’emploi des épreuves et l’indispensable mesure de l’expectation.


s m.

de l’opération césarienne sur une femme morte.

Règle générale  : avant de la faire, si la grossesse est bien avancée, l’accoucheur doit s’assurer si la dilatation du col de l’utérus ne permettrait pas d’opérer la version de l’enfant ou d’appliquer le forceps, c’est à dire de faire l’accouchement artificiel, surtout s’il pouvait exister quelque doute sur la certitude de la mort. C’est ce que fit Rigaudeaux. Ce chirurgien fut appelé pour accoucher une femme aux environs de Douai (en 1740)  : on était venu le chercher à cinq heures du matin  ; mais il n’avait pu se rendre qu’à huit heures et demie auprès de la ma- lade. On lui dit, lorsqu’il entra dans la maison, que l’ac- couchée était morte depuis deux heures, et qu’on n’avait pu trouver un chirurgien pour lui faire l’opération cé- sarienne. Rigaudeaux s’informa des accidents qui avaient


402 TRAITÉ PRATIQUE

pu causer une mort si prompte; on lui répondit que dès quatre heures du soir de la veille la morte avait com- mencé à ressentir les douleurs de l’enfantement; que, pendant la nuit, la violence de ces douleurs avait causé de la faiblesse et des convulsions, et que le matin, à six heures, une nouvelle convulsion avait anéanti ce qui restait de forces à cette malheureuse. Elle était déjà en- sevelie lorsque Rigaudeaux demanda à la voir  : il fait ôter le suaire pour examiner le visage et l’abdomen  : il tâte le pouls au bras, sur le cœur et au dessus des clavicules, point de battement  ; il présente un miroir à la bouche, la glace n’est point ternie; beaucoup d’écume la remplis- sait, et l’abdomen était prodigieusement gonflé.... Bref, il accouche la femme d’un enfant qui ne donne aucun signe de vie. . . , le met entre les mains des femmes qui sont présentes, et, quoiqu’il lui paraisse mort, il les exhorte à le réchauffer en projetant du vin chaud sur son visage et sur tout son corps. Ces femmes, fatiguées d’un travail de trois heures en apparence inutile, se dis- posent à l’ensevelir lorsqu’une d’elles s’écrie quelle lui a vu ouvrir la bouche  : aussitôt leur zèle est ranimé  ; le vin, le vinaigre,' l’eau de la reine de Hongrie sont employés avec profusion  ; l’enfant donne des signes de vie mani- festes, et bientôt il pleure avec autant de force que s’il était né heureusement. Rigaudeaux veut visiter la mère une seconde fois; on l’avait encore ensevelie. Il fait en- lever tout l’appareil funèbre, et, après un examen attentif, il la juge morte, comme après la première ins- pection. Cependant il est étonné de la flexibilité des membres après sept heures de mort; il fait quelques tentatives inutiles pour ranimer la vie, et repart pour


D’EMBRYOLOGIE SACRÉE. 405

Douai en recommandant de ne procéder à T inhumation du corps que lorsque les membres de la morte auraient perdu leur souplesse, et prescrit de lui frapper de temps en temps dans les mains, de lui frotter les mains, le nez, les yeux et le visage avec du vinaigre et de l’eau de la reine de Hongrie, et de la laisser dans son lit. Deux heu- res de ces soins ressuscitèrent la morte, et l’enfant et la mère reprirent si bien des forces qu’ils étaient tous deux pleins de vie le 10 août 1748; mais la mère resta para- lytique, sourde et muette. ( Journal des Savants, jan- vier 1649.)

Si la femme enceinte meurt , il faut au plus tôt rou- vrir, dit le Rituel romain, pour en retirer le fœtus. S’en- suit-il de là qu’il faille l’ouvrir aux premiers jours de la grossesse, lorsque l’embryon n’a point encore une forme humaine distincte? « La conception, dit le célèbre auteur de la Grande Embryologie sacrée, Cangiamila, a cou- tume d’être douteuse jusqu’au quarantième jour. Il est très douteux, ajoute-t-il, que dans ces premiers temps l’enfant survive un instant à sa mère  ; il paraît même certain qu’il périt le premier, et que c’est par cette raison que les femmes qui meurent dans les commencements de leur grossesse avortent presque toutes avant de mou- rir..,. » Plus bas il ajoute qu’on ne peut pas obliger à l’opération césarienne avant le quarantième jour. Vers cette époque, à quarante-cinq jours, comme nous l’avons vu plus haut, on reconnaît très bien la forme fœtale, les linéaments des principaux organes, de l’emplacement des membres; on compare alors l’embryon à une guêpe ou à une grosse abeille, c’est à dire qu’il a à peu près la longueur de vingt-cinq millimètres (dix lignes environ).


/|0Z| TRAITÉ PRATIQUE

Toutes les sages-femmes, dit encore Cangiamila, con- viennent qu’on voit beaucoup d’avortons de quarante jours, et même moins avancés, qui paraissent vivants. On a vu, dit-il, à Mont-Réal plusieurs fœtus, et un à Naples, qui n’avaient que quarante-quatre jours, et qui par l’opération césarienne ont été retirés vivants du sein de leurs mères. Il cite même le fait d’un embryon de vingt jours qui fut retiré vivant et qui fut baptisé. Enfin il finit par conclure qu’il faut faire l’opération cé- sarienne dans tous les temps de la gestation.

Procédé cle ï opération césarienne .

Il n’est point de notre sujet d’entrer dans les détails relatifs au mode opératoire  ; nous supposons que les per- sonnes qui feront cette opération possèdent à cet effet les connaissances au moins les plus nécessaires. Si cepen- dant on ne pouvait avoir recours aux hommes de l’art, ni même à une sage-femme, et qu’il fallût se servir du ministère de la personne même la plus inhabile à ce genre d’opération, il faudrait pourtant bien s’y déter- miner sans délai  ; car on ne doit pas ignorer que, dans un cas d’extrême nécessité, toute personne, soit homme, soit femme, peut et même est obligée de faire l’incision abdominale, afin de pouvoir ondoyer le fœtus  ; et, si même absolument il ne se trouvait personne qui voulût ou qui pût faire l’ opération césarienne, ce qui ne peut guère arriver, la charité, un motif bien puissant, le salut d’une âme, impose au ministre d’une religion toute de charité le devoir de la pratiquer lui-même.

C’est du moins le sentiment de Van-Espen, de Rens,


d’emp.f. YOLor.n: sa crée.


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do Cangiamila, de Dinouart, d’Àlasia, etc.; c’était aussi l’opinion des anciens théologiens. Un grand nombre d’é- vêques en ont fait une obligation aux prêtres par des mandements spéciaux. Msr Bouvier est du même avis, au moins dans les premières éditions de son livre, où il s’ex- prime ainsi  : « ... Dans la nécessité, une personne quel- conque, mais jamais un prêtre, surtout s’il est jeune, à moins qu'il ne soit absolument impossible de faire autre- ment : le respect dû à son caractère et la crainte des propos qu’on pourrait tenir lui prescrivent cette réserve. Par les mêmes motifs il ne faut pas qu’il soit témoin de l’opération  ; il doit se tenir à l’écart, et venir quand il sera temps pour baptiser l’enfant.  » Dans la 10e édition, publiée en 18/13, les mots soulignés sont supprimés.

Dans l’état actuel de nos mœurs et de nos lois, il fau- dra que les prêtres consultent les évêques pour savoir si, le cas échéant, ils sont obligés ou non de faire cette opération.

« Souvent, dit Bouvier, il est difficile d’acquérir la certitude que la femme soit réellement morte. La pre- mière chose à faire est donc de s’assurer du fait et de bien constater la mort. (1)

« Depuis quelques années, le ministère public a plu- sieurs fois poursuivi et fait condamner à l’amende des personnes qui avaient fait cette opération avec de grandes précautions, sous prétexte qu’ elles avaient indûment pra- tiqué un acte de chirurgie.  » (Page 203, 10e édition.)

Si donc, en admettant cette obligation, dans une ex-

(1) Une lecture attentive des signes de la mort réelle et apparente, exposés î\ la page 392, fera évanouir cette difficulté.


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â06 TRAITÉ PRATIQUE

trême nécessité, le hasard ou plutôt la Providence vou- lait que le prêtre fît lui-même cette opération, qu’il s’arme du signe de la croix, qu’il fasse la section avec confiance et courage  ; sa charité lui attirera de Dieu une double récompense, et pour avoir retiré l’enfant d’une étroite prison où il devait nécessairement périr, et sur- tout pour lui avoir conféré le baptême. Il en sera le père spirituel, parcequ’il l’aura régénéré en Jésus-Christ; il en sera en quelque sorte la mère, comme dit Cangiamila, parcequ'il l’aura véritablement mis au monde. Si l’enfant meurt quelque temps après avoir reçu le sacrement du baptême, ce qui est assez ordinaire, il aura sans délai dans le ciel un protecteur puissant qui intercédera inces- samment pour lui auprès de Dieu. Quel sujet donc de joie, de consolation et d’espérance pour vous, ô ministre et fidèle serviteur de Dieu, d’être certain d’avoir été l’instrument immédiat du salut éternel d’une âme qui, sans le sublime et courageux dévouement que la charité vous a inspiré, n’aurait jamais joui de l’ineffable bonheur de voir et de posséder Dieu éternellement  !

Cangiamila rapporte qu’un curé de ses amis fit l’opé- ration césarienne parceque le chirurgien était assez igno- rant pour ne pouvoir l’exécuter, et il eut la consolation de sauver l’enfant. On cite encore un fait bien plus récent et plus rapproché de nous. Un vicaire du diocèse d’À- vranches fut également obligé, au refus de toute autre personne, de faire cette opération, et il eut aussi la con- solation de trouver l’enfant vivant et de le baptiser.

Voici comment on y procéderait  : avec un rasoir ou un couteau bien tranchant, faute d’instrument chirurgi- cal, on fait une incision au milieu du ventre depuis l’om-


d’embryologie sacrée. 407

bilic jusqu’au bas ou vers l’os pubis. On coupe d’abord la peau, puis le tissu cellulaire sous-cutané. Arrivé à ce qu’on appelle la ligne blanche, qui est un tissu membra- neux, on y fait une petite ouverture au dessous de l’om- bilic; on y introduit l’indicateur gauche qui sert de conducteur à l’instrument tranchant, et on achève ainsi la section de la ligne blanche en coupant de haut en bas et de dedans en dehors jusqu’au pubis  : on prend ces précautions pour ne pas blesser les intestins qui se pré- sentent à l’ouverture. Cela fait, on rencontre la matrice, qui souvent se présente d’elle-même lorsque la grossesse est avancée ou à terme  ; mais dans les premiers temps de la gestation il faut aller la chercher profondément dans le petit bassin, derrière la vessie  ; et souvent alors celle-ci, distendue par l’urine, cache l’utérus et gêne plus ou moins l’opérateur. Alors on vide la vessie en la com- primant avec la main  ; la matrice étant à nu, on l’incise en avant et de haut en bas  ; et, les membranes rompues ou coupées, on aperçoit le fœtus. On le tire du sein de la mère, et on le baptise s’il donne des signes de vie, ou plutôt on le baptise sans le sortir de l’utérus, et on le rebaptise après sous condition. S’il est très petit ou sous forme d’embryon, on le baptisera comme les avortons sur les enveloppes, de peur que le contact de l’air ne le tue  ; on ouvre ensuite les membranes, et on le baptise de nouveau sous condition  : Si non es baptizatus , etc. S’il ne donne aucun signe de vie, si l’on ne remarque ni mouvement, ni battement de cœur, ni aucune pulsation artérielle, et que d’ailleurs il n’ offre aucun signe de pu- tréfaction évidente, on lui donne le baptême sous condi- tion. On s’assure aussitôt s’il n’y a pas d’autres fœtus


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dans la matrice, puis on coupe le cordon ombilical à sept à huit centimètres ou deux ou trois pouces du ventre, et on le lie à environ trois centimètres ou un pouce de son insertion. On essaie ensuite à le ranimer par les moyens indiqués aux articles Asphyxies et Apoplexies des nou- veau-nés. (Voyez plus bas.)

Si l’on ne rencontrait dans l’utérus ni embryon ni fœtus, il faudrait examiner s’il ne s’en trouve pas dans les ovaires, les' trompes ou dans la cavité abdominale, parceque la grossesse pourrait être extra-utérine, comme il en existe un grand nombre de faits. Cangiamila rap- porte qu’une femme de Toulouse mourut au neuvième mois de sa grossesse. Un chirurgien en fit l’ouverture  ; il trouva la matrice du volume ordinaire dans la gros- sesse, mais épaisse de quatre travers de doigt, sa cavité fort petite sans aucun vestige de fœtus, et pleine d’un sang grumeleux et noirâtre. Il crut d’abord que c’était, une fausse grossesse  ; mais ayant poussé plus loin ses recherches dans la cavité abdominale, il y trouva l’en- fant au côté gauche sous l’épiploon.

Un enfant peut naître pendant l’agonie ou après la mort de sa mère. Faute de se rappeler cette circons- tance, on pourrait faire une opération inutile. Cangiamila en cite deux faits observés en 17â(3 dans une ville de Sicile  : Àlberte Cacioppe, morte dans le cinquième mois de sa grossesse, fut ouverte  ; on fut fort étonné de ne rien trouver dans l’utérus  : des recherches furent faites dans le lit, et on y trouva le fœtus mort. Le même cas est arrivé dans un autre endroit du même diocèse.

C’est avec beaucoup de raison que Cangiamila fait remarquer qu’une femme étant morte en couche, si l’on


ü’ KM BRYOLOGIE SACRÉE. Z|(PJ

a baptisé F enfant dans la matrice par le moyen d’un syphon , c’est à dire par injection ou à l’aide d’une éponge, etc., fût-ce même sur le pied ou sur la main qui eût paru au dehors, on n’est pas pour cela dispensé de faire l’opération césarienne, et pour plusieurs raisons. La première est que l’enfant, autant qu’il est possible, doit recevoir l’eau du baptême à la tête. La plupart des théologiens ne croient pas qu’il soit indifférent qu’il la reçoive sur la tête ou sur quelque membre. Après l’opé- ration, conformément au Rituel romain il faut réitérer le baptême sous condition. La deuxième raison est qu’a- près avoir assuré la vie spirituelle de l’enfant il faut tâcher de lui procurer la temporelle. La troisième enfin c’est qu’il peut' arriver qu’il y ait plus d’un fœtus dans la matrice, et de là, comme on sait, la nécessité indispen- sable de faire l’opération.

S IV.

DE LOPÉRATION CÉSARIENNE SUR LA FEMME VIVANTE. OBSTACLES A LA PARTURITION DIJ CÔTÉ DE LA MÈRE.

Notre sujet ne demande point que nous donnions ici l’exposé des raisons physiques ou anatomiques qui éta- blissent cette triste nécessité  : il serait aussi inutile qu’impossible à MM. les curés d’en constater l’existence et d’en apprécier la valeur. Il leur suffit d’apprendre, dans l’occurence, des personnes compétentes, c’est, à dire des hommes de fart, que la femme ne peut accou- cher naturellement, et que par conséquent l’opération devient inévitable. Cette circonstance grave, extrême, ne peut manquer d’exciter puissamment le zèle et la solli-


TRAITÉ PRATIQUE


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citude pastorale de tout curé, même le moins pénétré de l’importance de ses devoirs- Dès lors donc le pasteur doit engager la femme à se soumettre, avec une résignation chrétienne, à une opération qui est moins douloureuse qu’on ne le pense ordinairement  : il pourra lui insinuer que c’est le seul moyen de l’arracher à la mort et à toutes les douleurs quelle ressent déjà, et que c’ést d’ailleurs le plus grand acte de charité quelle puisse exercer, puis- que la Providence permet quelle expose sa vie pour procurer le salut éternel à son enfant, et autres motifs semblables qu’on pourra faire valoir; mais il faut y mettre beaucoup de prudence, et ne point parler à la femme de l’obligation étroite de subir l’opération, de peur que, si sa piété n’est point assez affermie et assez éclairée, on n’ébranle mal à propos sa bonne. foi.

Il est une autre opération qui peut remplacer quelque- fois l’opération césarienne et qui est bien moins dange- reuse que cette dernière, c’est l’opération ou la section du pubis ou de la symphyse, c’est à dire la symphy- séotomie. Nous n’avons point à parler ici des cas où elle est indiquée, pour les raisons déjà ci-dessus exposées.

L’obligation de subir l’opération césarienne est-elle réelle et positive pour la femme  ? Le plus grand nombre des théologiens, dit Cangiamila, se prononcent pour l’affirmative. Théophile Rainaud et une foule d’autres soutiennent, d’après les principes de S. Thomas, que la mère est obligée, pour sauver l’âme de son enfant, non seulement de la subir, mais encore de la demander  ; il étend même cette obligation au cas où il serait douteux qu’on pût sauver l’enfant. Il prétend que la vie spiri- tuelle de l’enfant, quoique seulement probable, doit


d’embryologie sacrée.


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l’emporter, du côté de la mère, sur la crainte d’une dou- leur certaine et sur le danger d’une mort probable. La mère doit donc préférer la vie spirituelle de son enfant à sa propre vie, qui est un bien beaucoup inférieur au salut éternel, comme le dit S. Thomas. Si l’on doit ris- quer sa vie pour procurer le baptême à un enfant en danger de mort, une mère doit, à plus forte raison, s’ex- poser au danger de perdre la vie temporelle pour pro- curer la vie de l’âme à son enfant.

D’un autre côté, Sanchez et plusieurs autres préten- dent que la mère n’est pas obligée de se soumettre à l’opération césarienne pour sauver son enfant. Voici comment s’exprime sur ce point Mgr Bouvier  : « Si un habile chirurgien, voyant l’ impassibilité de l’accouche- ment naturel, était disposé à faire l’ opération et avait l’espoir de réussir, un confesseur devrait engager la femme à s’y soumettre, et se servir pour cela des motifs les plus capables de l’y déterminer  : je ne crois pas néanmoins qu’il dût l’y obliger sous peine de lui refuser l’absolution dans l’extrémité où elle est; car nous ne sommes pas tenus à faire des choses extraordinaires pour conserver notre vie, et la femme peut espérer que son enfant lui survivra, qu’on pourra, après sa mort, l’extraire de son sein et le baptiser. D’ailleurs, en sup- posant quelle fût obligée, par la loi naturelle, de se sou- mettre à cette rigueur pour le salut corporel et spirituel de son enfant, on peut supposer que la bonne foi l’excuse, ou qu’au moins il y a du doute, et dès lors il ne faut pas la laisser mourir sans sacrements.  »

Le même auteur dit ailleurs avec beaucoup de raison  : a Si la femme était si affaiblie par les souffrances qu’elle


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fût incapable de supporter cette cruelle opération, il ne serait pas permis de l’entreprendre par intérêt pour l’ enfant, parceque ce serait tuer la mère, et on ne doit jamais faire un mal pour obtenir un bien. Par la même raison ce serait un crime de briser l’enfant et de l’arra- cher par morceaux, comme on le fait trop souvent, si on n’a pas la certitude qu’il soit mort  ; car il a droit à sa vie comme s’il était né, et la mère ne peut consentir à cette atrocité pour sauver la sienne.  »

Quant à l’état de faiblesse ou d’épuisement actuel qui autorise à renoncer à l’opération, nous ajouterons que ces motifs ou ces circonstances prohibitives doivent s’é- tendre aux maladies aiguës ou chroniques, plus ou moins graves ou plus ou moins avancées, dont la femme peut être atteinte au moment de la parturition, parceque ces graves complications diminuent infiniment les chances du succès, ou plutôt rendent la mort probable ou à peu près certaine. Et, de plus, la mère morte, on pourra l’ouvrir immédiatement pour baptiser l’enfant, sans at- tendre la réunion de tous les signes qui annoncent une mort certaine, parceque, comme nous l’avons démontré plus haut, les maladies aiguës ou chroniques, passant successivement par toutes les phases de gravité et de danger, excluent généralement les morts apparentes, qui sont ordinairement le résultat des syncopes ou des asphyxies, ou de quelques autres affections nerveuses, graves, convulsives ou autres. Mais, dira-t-on peut-être, si la femme succombe à des maladies aiguës ou chroni- ques, il s’ensuivra que la mort de l’enfant en sera l’effet inévitable. À cela nous répondrons que Cangiamila cite cent vingt-trois enfants extraits du sein de leurs mères


D’EMKRYOLOGIK SACRÉE. Mo

mortes  ; neuf seulement de ces enfants étaient morts  ; tous les autres ont été baptisés. Toutes ces femmes, sans doute, ne sont pas mortes en couches et au terme de leur grossesse. On peut donc croire que, sur ces cent vingt- trois femmes, un grand nombre ont dû succomber à des maladies aiguës ou chroniques, et il est très probable que c’est la grande majorité, si l’on en juge d’après ce qui s’est passé à Mont-Réal, où, sur vingt-une femmes mortes dans l’état de grossesse, trois seulement étaient à leur terme ou à neuf mois. Donc les maladies aiguës et chroniques peuvent faire mourir les mères sans faire périr leurs fruits.

Voici maintenant les circonstances et les raisons qui imposent spécialement à la femme l’obligation de subir la section césarienne  : ce sont T impossibilité physique de la parturition, soit par les efforts de la nature, soit par les procédés de l’art; l’absence de toute maladie aiguë ou chronique grave, et une dose suffisante de forces pour supporter l’opération. La nécessité de cette grave opération est impérieusement commandée et par la crainte trop bien fondée de la mort prochaine de la mère et de l’enfant, et par la certitude de la violence des efforts expulsifs et des pénibles tentatives de délivrance de la femme, et quelquefois par le délai plus ou moins long qui devra précéder l’ouverture de son corps après le décès; car, la mort pouvant n’être qu’apparente, cette ouverture ne pourra être faite que lorsqu’on aura cons- taté la réunion de tous les signes qui annoncent avec certitude la réalité de la mort. (Voyez l’observation de Rigaudeanx* p. 401, et ce que nous avons dit sur les signes de la mort.) On voit donc, d’après cela, que la


MU TRAITÉ PRATIQUE

longueur du délai nécessaire pour l’opération césarienne après la mort de la femme’ et tous les efforts inutiles de parturition sont des causes très puissantes et surtout très probables de la mort de l’enfant; et c’est la con- naissance de ces circonstances qui doit faire à la femme une obligation étroite de se soumettre à l’opération, afin de procurer la vie spirituelle à son enfant, parceque cette vie spirituelle est un bien supérieur à la vie temporelle de la mère. Si l’enfant pouvait, avant de naître, recevoir le baptême à la tête après la rupture des membranes, ce baptême serait valide, et la femme ne serait pas obli- gée de souffrir l’opération césarienne, parcequ’elle n’est tenue à la subir que pour assurer la vie de l’âme de son enfant, et non pour lui procurer la vie temporelle.

Si enfin la femme refuse absolument de se soumettre à l’opération, et que„ pour sauver sa propre vie, elle veuille que l’on sacrifie son enfant, ou quelle y consente sur la proposition des hommes de l’art, dans cette triste et déplorable conjoncture, le curé ou le confesseur, trans- porté d’un mouvement de zèle et de charité pour le salut de deux âmes qui périclitent sur le bord de l’éternel abîme (1) , lui représentera les grandes et terribles con- séquences d’une résolution réprouvée autant par le sen- timent maternel que par le principe religieux et moral. Si le ministre de la charité n’obtient rien par ses exhor- tations et ses supplications réitérées, il doit se retirer en gémissant et en priant Dieu de changer et d’amollir le cœur de la malheureuse femme, après avoir fait bapti-

(1) En ce sens, quant à l’àme de l’enfant non baptisé, qu’elle sera né- cessairement exclue du séjour du Paradis.


d’embryologie sacrée. 415

ser toutefois l’enfant dans l’utérus, s’il se peut et de la manière qu’il se pourra. Voici ce que dit le Rituel romain au sujet du baptême d’un enfant encore retenu dans la cavité utérine  : « On ne doit baptiser aucun enfant ren- fermé dans le sein de sa mère  ; mais s’il présente la tête et qu’il soit en danger de mort, on le baptisera sur la tête, et s’il vient ensuite au monde vivant, on ne le re- baptisera pas. Si, après avoir ainsi reçu le baptême, il est retiré mort du sein de la mère, on l’inhumera en terre sainte.  » « Nemo in utero matris clausus baptizari « debet. Si infans caput emiserit, et periculum mortis « immineat, baptizetur in capite, nec posteà, si vivus « evaserit, erit iterùm baptizandus  ; et si aliud membrum « emiserit quod vitalem motum indice! in illo, si peri- « culum impendeat, baptizetur  ; et tune, si natus vixerit, « erit sub conditione baptizandus  : Si non es baptizatus , « ego te baptizo, etc. Si verô, ita baptizatus, deindè mor- « tuus prodierit ex utero, debet in loco sacro sepeliri.  » (liituale romanum, de Baptismo.) (1)

(1) La Revue littéraire et critique , dans son analyse de notre Essai sur la Théologie morale , nous a fait obligeamment observer que nous aurions dû examiner au point de vue chrélien la question de la grossesse extra- utérine.

Cet excellent journal demande si, « après avoir reconnu une grossesse extra-utérine , on ne pourrait pas en empêcher le développement, pour épargner à la mère des périls qui doivent compromettre son existence.  »

Nous n’avons qu’un mot à répondre à cette question  : c’est que le fœtus extra-utérin doit être considéré, au point de vue chrétien, comme un fœtus intra-utérin, qu’une excessive étroitesse du bassin empêche de naître par les voies naturelles  ; avec celte différence pourtant que l’opération césa- rienne peut devenir encore plus nécessaire dans le cas de grossesse extra- utérine que dans celui de grossesse intra-utérine, pareeque ici du moins


416 TRAITÉ PRATIQUE

Cependant, comme le fait remarquer 3Vl&r Bouvier, Be- noît XIV veut qu’on essaie de baptiser l’enfant dans le sein de sa mère, lors même qu’on n’aperçoit aucun mem- bre à l’extérieur. Tournely est du même sentiment. A cet effet on introduit de l’eau tiède à l’aide d’une serin- gue ou d’un syphon, de manière qu’elle touche l’enfant ou au moins son enveloppe, n’importe en quel endroit, et on prononce en même temps les paroles de la forme. S’il vient à naître vivant, on le rebaptise sous condition  : c’est la décision expresse de Benoît XIV.

Cangiamila disserte très longuement pour prouver la validité du baptême administré à l’enfant retenu dans la matrice. Ses preuves paraissent très solides  : son senti- ment d’ailleurs a reçu l’approbation de Benoît XIV. Mais il faut faire remarquer que ce baptême intra-utérin n’est valide qu’ autant que l’eau a touché la tête à nu immé- diatement; car, si l’eau était seulement projetée sur l’en- veloppe fœtale, ou mise en contact avec les membres ou toute autre partie que la tête, comme un pied ou un autre membre quoique non recouvert de l’enveloppe, le baptême serait très douteux, et devrait être réitéré si l’enfant venait à naître.

( dans la grossesse intra-utérine ) on pourrait peut-être administrer le bap- tême'par l’ouverture du col de l’utérus.

Quant au danger physique de l’opération césarienne, dans l’espèce, voici ce que dit M. le professeur Velpeau: «Avec l’opération (césarienne) la mort (de la mère) n’est que trop probable, mais sans l’opération elle est à peu près certaine.  » ( Traite complet de U Art des Accouchements , t. 1er, p. 235.) A la même page l’auteur ajoute  : La raison et l’humanité veulent que l’on pratique la gastrotomie (opération césarienne ) après sept mois, parcequ’alors l’enfant est viable. Au reste il est rare que le fœtus continue de vivre au-delà du troisième et du quatrième mois.


n’ EMB R YOLOG JE SACRÉE.


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Mais qu* adviendra-t-il à ia mère et à l’enfant si au- cune opération n’est pratiquée pour sauver l’un ou l’au- tre, ou peut-être les deux à la fois? La mort, et une mort certaine pour l’enfant et très probable pour la mère.

Il ne reste donc qu’à attendre la mort de l’enfant, afin d’essayer de sauver la mère. Mais à quels signes recon- naîtra-t-on cette mort? Le défaut de mouvement de l’en- fant ne prouve le plus souvent qu’un état d’asphyxie ou d’apoplexie, et l’auscultation elle-même ne met pas à l’abri de toute erreur. Il n’y a donc que la putréfaction du fœtus qui puisse être une marque généralement cer- taine de la mort; mais, dans cette conduite expectante, plusieurs jours se passeront avant que vous ayez acquis cette certitude physique, seul caractère indispensable, et en attendant la mère succombera probablement aussi. Et d’ailleurs la putréfaction elle-même peut induire en erreur. Fabrice de Hilden rapporte à ce sujet un fait dé- cisif. « Une femme, dit-il, fut six jours dans les douleurs de l’enfantement, et il paraissait des indices qui portaient à croire que l’enfant était mort; la mère ne le sentait plus, et les sages-femmes ne trouvaient en lui aucun mouvement. Ayant présenté le sommet de la tête, on le crut mort d’après ta puanteur de la partie étranglée  ; nous décidâmes donc qu’il était sans vie  ; mais nous nous trompâmes, car je le retirai vivant  : il mourut trois jours après.  » C’était là une putréfaction locale et maladive.

Mais, supposé que la mort de l’enfant soit parfaite- ment constatée, votre tâche n’est pas remplie; il vous reste à faire une triste, une cruelle, une épouvantable opération, l’extraction de l’enfant par pièces et lambeaux à l’aide d’instruments dont le seul aspect fait frisonner


M8 TRAITÉ PRATIQUE

d’horreur. Cette opération violente, barbare, atroce, qu’on le sache bien, est d’une immense difficulté, et surtout que la femme le sache bien aussi, cette malheureuse, victime de son opiniâtre volonté, commence déjà à expier d’une manière terrible le meurtre de son enfant, car cette opération est pour elle aussi dangereuse que l’opé- ration césarienne elle-même. Le morcellement du fœtus, disent les accoucheurs, est presque toujours mortel si l’é- troitesse du bassin est extrême. Voici comment s’exprime à ce sujet Giraud (Journal de Médecine, par Corvisart, Leroux et Boyer)  : « J’ai vu pratiquer plusieurs fois cette opération (le déchirement de l’enfant par lambeaux) par les hommes les plus distingués, et les femmes ont succombé immédiatement après, etc.  » « Le morcelle- ment de l’enfant dans le sein de sa mère, dit le célèbre Gardien, me paraît une manœuvre plus fâcheuse que l’opération césarienne, à laquelle la plupart des modernes accordent la préférence quoique l’enfant soit mort.  »

Il faut rappeler ici la trop fameuse maxime d’un grand nombre de médecins. Lorsque deux existences doivent nécessairement périr, dit-on, il faut préférer la plus pré- cieuse des deux. Ainsi, d’après cela, on doit conserver la vie de la mère, qui est assurée et utile à la société, plutôt que la vie encore très précaire et inutile d’un fœtus qui n’est pas encore né. Cette maxime, il faut le dire, trop souvent prônée dans les cours d’accouche- ments, trop souvent consignée et enseignée dans les livres de médecine, et surtout trop souvent mise en pra- tique au préjudice de l’enfant inhumainement sacrifié, est en opposition formelle avec cette autre mais infail- lible et éternelle maxime  : Non surit facienda mala ut


D'EMBRYOLOGIE SACRÉE. M9

eveniarU bona. Or, l’infanticide ou même, si l’on veut, le fœticide étant un mal intrinsèque, essentiel, il s’ensuit que dans aucun cas il ne peut être permis. Les préceptes de la loi naturelle ne souffrent jamais de dispense  ; dans aucune circonstance il ne peut être permis de tuer vo- lontairement un être innocent. Mais, direz-vous, la mère et l’enfant vont nécessairement périr tous les deux si l’on ne sacrifie l’enfant pour sauver la mère. C’est un malheur déplorable sans doute de les voir périr tous les deux  ; mais en immolant l’enfant vous n’êtes pas sûr de l’éviter  ; il est même probable que vous ferez périr éga- lement la mère, comme nous l’avons vu plus haut. L’exa- men de cette question nous rappelle un trait naïf que voici  : Il y a environ quinze à vingt ans un de nos élèves non encore initié aux principes de la théologie médicale fut interpellé sur la conduite à tenir dans la difficulté présente. Il répondit vivement et avec un sang-froid im- perturbable qu’il commencerait par baptiser l’enfant comme il pourrait, et qu’ ensuite il le tuerait pour en débarrasser la mère aussitôt après. De cette manière, dit- il, tous les deux seront sauvés  : la vie éternelle de l’enfant sera assurée, et la vie temporelle de la mère sera conservée par l’extraction du fœtus sacrifié. C’est en effet ce que l’on fait trop souvent aujourd’hui, ou plutôt souvent on fait moins que cela  ; on néglige le baptême, auquel on ne pense même pas le plus souvent. Voyez ce que nous avons dit de ce professeur d’accouchements qui dit en plein amphithéâtre, à Paris, qu’il ne baptisait point les enfants parcequ’il ne croyait pas à la régénération de l’homme dans les eaux du baptême.

Mais enfin que doivent donc faire les hommes de l’art,


620 TRAITÉ PP.ATIOÏT:

les médecins, les chirurgiens, T accouc heur chrétien en présence de cette scène de désolation? Faut-il qu'il abandonne la mère à une mort certaine? Je réponds que ce n’est pas l’homme de l’art qui l’abandonne, c’est la femme elle-même qui s’est livrée à une mort presque inévitable  : elle a enchaîné la puissance de l’art, son refus obstiné a paralysé les ressources conservatrices de la médecine et la main de son ministre  ; elle ne fait que subir la conséquence d’une position affreuse dans la- quelle elle s’est mise volontairement. C’est donc un mal- heur dont le médecin ni la médecine ne peuvent être comptables  : il doit être imputé à la seule volonté de la femme.

Nous avons dit à la page 324 que l’art possède aujour- d’hui une nouvelle, une immense ressource qui, dans beaucoup de cas, pourra remplacer l’opération césa- rienne ou la symphyséotomie, ou du moins en prévenir la nécessité. Or cette précieuse et inestimable décou- verte, qui a reçu son heureuse application en 1831, pour la première fois, en France, est l’accouchement artificiel prématuré. M. Velpeau, professeur à la Faculté de mé- decine de Paris, qui l’a pratiqué le premier en France, assure « que la mère ne court pas sensiblement plus de risque par l’accouchement provoqué que par l’accouche- ment à terme et spontané.  » ( Traité complet de l’Art des Accouchements, t. 2, p. 406.) Il prétend que « l’hémor- rhagie, les convulsions, la péritonite, les squirrhes et toutes les altérations possibles du col n’ont pas été plus souvent observées après l’accouchement provoqué qu’à la suite de l’accouchement à terme.  » Quant aux enfants, on n’en perd, suivant M. Velpeau, que la moitié environ.


D’EMBRYOLOGIE SACRÉE. Zl21

« Comme il est à peu près démontré, ajoute plus bas le même auteur, qu’il n’en eût pas survécu un dixième à terme, et que les opérations à l’aide desquelles on peut délivrer les femmes exposent gravement la mère, au point d’en faire périr un grand nombre, cet inconvénient de l’accouchement prématuré artificiel ne l’empêche nulle- ment de former une ressource précieuse qu’il serait in- humain de repousser. . . En résumé il convfent de provo- quer l’accouchement prématuré lorsque le bassin a moins de trois pouces deux ou trois lignes et plus de deux pouces et demi. Il offrirait encore quelques chances de succès à deux pouces et demi et même à deux pouces. Dans certains cas on pourrait également y avoir recours,

quoique le détroit eût près de trois pouces et demi

Loin de le proscrire (l’accouchement prématuré) chez les primipares, comme l’ont fait plusieurs auteurs, il devrait être employé toutes les fois que le bassin a de deux pouces et demi à trois pouces  ; au-delà et en-deçà on attendrait qu’une première couche vînt éclairer le diagnostic. C^ez les autres femmes l’embarras est infi- niment moindre. Aucun de leurs accouchements n’a pu se faire seul. Le forceps, la version ou la céphalotomie sont devenus chaque fois indispensables, et l’enfant n’a jamais été extrait vivant... La question est d’ailleurs si facile à résoudre, sous le double point de vue de la mère et du fœtus, quelle ne manquera pas de l’être en France comme elle l’a été dans les autres contrées de l’Europe dès qu’on l’aura envisagée sous son véritable aspect. Pour ne pas hésiter sur ce point, il s’agit tout simple- ment de considérer les résultats de la symphyséotomie, de l’opération césarienne et de la céphalotomie avec ceux

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122 TRAITÉ PRATIQUE

de l’ accouchement prématuré. Espérons que cette doc- trine. . . sera bientôt universellement adoptée parmi nous comme elle l’est en Angleterre, en Allemagne et en Italie depuis plusieurs années.  »

Écoutons maintenant un autre maître de l’art obsté- trique, M. Caseaux, professeur d’accouchements. « L’ac- couchement provoqué, dit-il, a aujourd’hui conquis son droit de domicile dans la science, et il serait oiseux de chercher à prouver ou à défendre la légalité et la mora- lité d’une opération dont le double but est de sauver la vie de la mère ou de l’enfant... Il est vraiment étrange qu’on se soit laissé effrayer si longtemps par les suites de cette opération  : sur deux cent onze cas recueillis en 1838 par M. Stolz, plus de la moitié des enfants ont vécu, et une femme sur quinze à peine a succombé. Qu on compare ces résultats à ceux fournis par la symphyséo- tomie ou l’opération césarienne, qui auraient été néces- saires si on eût laissé la grossesse arriver à terme * et qu’on prononce... En résumé l’accouchement provoqué artificiel s’applique exclusivement aux vices de confor- mation des bassins qui ont sept centimètres au moins et huit centimètres et demi au plus.  » ( Traité théorique et pratique de l'Art des Accouchements , p. 751.)

La loi française a fixé la fin du sixième mois comme l’époque à laquelle l’enfant peut être regardé comme viable; mais, à part quelques rares exceptions dont on ne peut tenir compte, ce n’est qu’à la fin du septième mois que le fœtus est apte à jouir de la vie extra-utérine ou à vivre de sa vie propre. Ce n’est donc qu’à sept mois révolus qu’il est possible de pratiquer l’accouchement prématuré.


D’EMBRYOLOGIE SACRÉE. t\2o

Do tout ce qu’on vient de lire il ressort une incontes- table vérité  : c’est qu’il vaut infiniment mieux pratiquer F accouchement prématuré en temps opportun, c’est à dire après sept mois révolus, quand on a eu la malheu- reuse expérience que la femme n’a pu accoucher précé- demment sans les plus grands dangers pour sa vie, soit qu’on ait été obligé d’extraire l’enfant par la céphaloto- mie, soit qu’on ait été contraint de pratiquer l’opération de la symphyséotomie, sans parler de l’opération césa- rienne, sans contredit la plus dangereuse de toutes les opérations. Nous le répétons, l’accouchement prématuré est infiniment préférable à ces dernières et dangereuses opérations  ; aucune comparaison ne peut être raison- nablement établie entre ces diverses méthodes obsté- tricales.

D’un autre côté il est à craindre que parfois, prenant des difficultés pour des impossibilités, on ne se déter- mine trop légèrement à pratiquer l’accouchement pré- maturé. Mais, à part l’abus qui est hors de la question, et de quoi n’abuse-t-on pas? le principe nouveau peut, ce nous semble, être adopté et consacré comme dogme heureux et conservateur de l’art obstétrique.

Il faut cependant avouer que l’accouchement artificiel prématuré a rencontré de redoutables et célèbres adver- saires, tels que Baudelocque, Gardien et M. Capuron. Ce dernier, au dire de M. Velpeau, va jusqu’à le qualifier à’ attentat envers les lois divines et humaines. Mais il faut convenir aussi qu’il y a dans cette qualification au moins une très grande exagération. Car enfin où est le mal  ? où est l’attentat, si vous avez pour but et souvent pour ré- sultat le salut de la mère et de l’enfant, dont un des deux


hlk TRAITÉ PRATIQUE

probablement et peut-être tous les deux auraient péri sans le nouveau procédé  ?

Après tout, que fait l’art? il imite la nature. C’est la nature qui a donné sur ce point les premières leçons, comme dit M. Velpeau. Si certaines femmes qui, par an- gustie pelvienne ou étroitesse du bassin, n’avaient ja- mais mis au monde que des enfants morts finissent par accoucher sans secours d’un enfant vivant, cela tient or- dinairement à ce que, cette fois, l’enfant vient avant terme ou qu’il s’est moins développé que de coutume; l’accouchement prématuré n’est donc qu’une imitation de la nature.

§ V.

OBSTACLES A LA PARTURITION DU CÔTÉ DU FOETUS.

Jusqu’à présent les obstacles à la parturition qui ont nécessité l’opération césarienne, la symphyséotomie ou la section de la symphyse du pubis, ou enfin l’accouche- ment prématuré artificiel, sont venus du côté de la femme, ce sont les vices de conformation ou l’étroitesse du bas- sin. Le fœtus peut aussi offrir des anormalités, telles que diverses difformités monstrueuses, l’hydropisie abdomi- nale, l’hydropisie cérébrale ou l’hydrocéphalie, etc. Dans le cas de monstruosités qui rendent l’accouchement im- possible il faut également avoir recours à l’opération césarienne ou à la symphyséotomie, suivant les circons- tances ou la position du fœtus dans l’utérus. Il n’est pas plus permis de sacrifier un enfant monstrueux par le morcellement que dans le cas où les obstacles viennent du côté de la mère.


d’embryologie sacrée.


425

Pour l’hydropisie abdominale on peut faire la ponc- tion au ventre pour évacuer le liquide et faciliter T ac- couchement; cela ne souffre pas de difficulté, du moins au point de vue moral. La ponction abdominale est pour l’enfant une espèce de médication, puisqu’elle peut le guérir.

Quant à l’hydrocéphalie, le cas est bien plus grave  : ici surgit un immense embarras. C’est aujourd’hui, avec nos idées reçues, la plus grande difficulté de tout l’art obstétrique, soit pour le médecin chrétien, soit pour le théologien; mais heureusement ces cas sont fort rares (1) , et d’ailleurs l’enfant hydrocéphale périt ordinairement avant de naître, dans les cas au moins où la maladie est très avancée.

Un grand nombre ou plutôt la plupart des praticiens ou des auteurs de traités d’accouchements conseillent de sacrifier l’enfant plutôt que de faire l’opération césa- rienne ou la section du pubis, parceque, disent-ils, l’en- fant, en supposant qu’il puisse naître vivant par l’opéra- tion césarienne, ne sera pas viable et périra très peu de temps après sa naissance; et que, d’un autre côté, vous exposez les jours de la mère aux plus grands dangers  ; ainsi vous pouvez perdre l’un et l’autre, tandis qu’en sa- crifiant l’enfant vous sauvez la mère, dont l’existence est assurée et infiniment plus précieuse que celle d’un enfant non viable. A cela on peut répondre que tous les enfants hydrocéphales ne périssent pas nécessairement peu de temps après leur naissance. Voici ce que dit à ce sujet un auteur célèbre, Ànt. , Dugès  :

(1) D’après Mme Lachapelle et M. Dugts, sur 43,555 accouchements, ou ne l’a rencontrée que quinze fois.


426 TRAITÉ PRATIQUE

<( Une hydrocéphalie, peu considérable ou développée après la naissance (1) , peut marcher avec beaucoup de lenteur, et ne faire périr l’enfant qu’ après plusieurs années de durée; on l’a vue même persister, tout en faisant des progrès, jusqu’à un âge fort avancé, tantôt en produisant un idiotisme complet, tantôt en laissant au sujet ses fa- cultés intellectuelles. C’est alors surtout que le crâne avait acquis d’énormes dimensions, trente-six pouces de circonférence, par exemple, à l’âge de neuf ans (Monro)  ; quelques-uns de ces sujets ont vécu jusqu’à quarante- cinq ans (Ekmark), cinquante-cinq ans (Gall), soixante- dix ans (cabinet de Dupont). Voilà certes des cas bien probants contre ceux qui refusent la viabilité aux hydro- céphales. Le pronostic peut être moins désavantageux encore, puisqu’il y a des exemples de guérison complète.» (Dict. de Med. et de Chirurg. pratiques, Ànt. Dugès.)

Il résulte donc de ce passage qu’un enfant hydrocé- phale peut non seulement naître sans rupture (ce qui est pourtant rare) , mais encore être doué de la viabilité. On objectera sans doute que, si l’hydrocéphalie est assez peu développée pour n’être pas mortelle aussitôt après la nais- sance, elle n’est pas non plus un obstacle insurmontable à la parturition. Cela peut être vrai, nous en convenons; mais alors comment savoir, à priori, au juste, le degré de développement de l’hydrocéphalie compatible ou in- compatible avec la possibilité de l’acte de l’accouchement? quelle en sera la mesure certaine  ? Faute de données précises, il arrivera, dans la pratique, que l’on prendra


(1) Par conséquent cette hydrocéphalie peu considérable s’est développée avant lu naissance.


ü’EMBRYOLOGIE SACRÉE. 427

facilement des difficultés pour des impossibilités de par- turition, et que, dans tous les cas de dystocie (accouche- ment difficile), l’on fera la ponction crânienne pour toutes les hydrocéphalies quelconques avancées ou non, compatibles ou non avec la parturition normale, et que par conséquent on sacrifiera très souvent l’enfant; car la ponction même extra-utérine de la tête de l’enfant est toujours mortelle, et à plus forte raison celle faite dans la matrice, Cette opération ne peut pas d’ailleurs consti- tuer une médication, puisqu’elle tue toujours  ; c’est donc plutôt une occision qu’une médication.

Voici une remarque judicieuse de Gangiamila qui vient ici assez à propos, bien que l’hydrocéphalie n’en soit pas directement l’objet. « Dans un accouchement difficile peut-on porter des instruments meurtriers sur l’enfant, dans la certitude morale qu’il est sans espérance de pou- voir survivre? Plusieurs le pensent avec Heister; d’au- tres se refusent à ce sentiment, et c’est avec raison. L’opinion d’ Heister serait très dangereuse dans la pra- tique ; elle ouvrirait la voie à l’infanticide  ; les mères, les sages-femmes, les chirurgiens désespéreraient trop facilement de la vie de la mère et de celle de l’enfant dès qu’on aurait pu baptiser celui-ci d’une manière quel- conque. 11 faut plutôt suivre S. Ambroise, qui dit que, dans le cas où l’on ne pourrait donner du secours à l’un sans faire du mal à l’autre, il vaudrait mieux s’en dé- sister. )>

Pour éviter ces perplexités pénibles, et surtout pour ne pas s’exposer à commettre un fœticide véritable, nous croyons qu’il ne faudrait faire la ponction hydrocépha- lique dans aucun cas. Qui peut sonder avec une certi-


428 TRAITÉ PRATIQUE

tude absolue l’étendue immense des ressources de la nature? Mais un mot décisif doit, ce nous semble, tran- cher net la difficulté. Nous l’avons déjà dit, mais il est nécessaire de le répéter encore  : non sunt facienda mala uteveniant bona. Cette maxime, ce principe, en morale, est immuable et imprescriptible. Il ne peut jamais être permis de tuer un être innocent, parceque c’est là un mal essentiel, intrinsèque, contre la loi naturelle, qui n’admet jamais d’exception. Que l’on ne dise pas qu’un enfant hydrocéphale, n’étant point viable, est par conséquent inutile et même à charge à la société  ; cela est faux  : tout être humain, par cela seul qu’il existe, est utile à la so- ciété, quand il ne devrait vivre qu’un jour, qu’une heure. De même que pour l’agonisant à qui il ne reste plus qu’une heure de vie, il ne peut jamais être permis d’a- bréger d’une minute sa triste et douloureuse existence. Aux yeux de Dieu, l’enfant qui n’a pu vivre qu’une heure a rempli sa destinée comme le centenaire, qui n’est lui- même qu’un enfant, suivant ces paroles de l’Écriture  : Puer centum annorum morietur. Un jour ou mille ans,

c’est la même chose devant Dieu. Mille anni sicut

dies hesterna, etc. D’ailleurs cet enfant éphémère, comme l’homme moribond ou agonisant, est l’occasion de l’ac- complissement d’une foule de devoirs sociaux  ; et notez surtout que sa naissance lui a procuré le plus grand et le plus précieux de tous les biens, le baptême.

Il est d’ailleurs des cas d’hydrocéphalie où la ponction crânienne serait inutile, comme par exemple lorsqu’il existerait en même temps un vice organique du côté de la femme, une étroitesse extrême du bassin  ; alors T opé- ration césarienne est inévitable,


d’embryologie sacrée.


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S VI.

DE L’ASPHYXIE ET DE L’ÉTAT APOPLECTIQUE DES NOUVEAU-NÉS.

Souvent, dans les accouchements difficiles et prolon- gés, les enfants naissent dans un état de mort apparente, sans sentiment, ni mouvement, ni pouls, ni respiration  ; ils sont ordinairement faibles et pâles  : c’est ce qu’on appelle l’asphyxie des nouveau-nés. Après avoir bap- tisé l’enfant sous condition, on cherche à le ranimer par tous les moyens que l’art et la raison peuvent suggérer. On attend quelque temps avant de couper le cordon om- bilical; on ne le coupe qu’ après avoir fait la ligature. On place l’enfant devant un feu clair et flamboyant; on le plonge dans un bain tiède, que l’on rend plus ou moins excitant avec un peu de vin, d’eau-de-vie ou de fort vi- naigre; ou l’on fait, sur tout le corps et surtout sur la région du cœur et sur l’épine dorsale, des frictions aro- matiques et toniques avec du vin aromatique, de l’eau- de-vie ou autre liqueur spiritueuse, ou simplement avec des linges chauds et secs; on frictionne les tempes, le front, le pourtour du nez avec de l’eau de Cologne, de l’alcool, du fort vinaigre ou un peu d’éther  ; quelquefois des aspersions d’eau froide ont ranimé les enfants pres- que subitement, comme les adultes en état de syncope. On irrite l’intérieur de la bouche ou des narines avec les barbes d’une plume, dont on se sert en même temps pour retirer de l’arrière-bouche, de la bouche et des narines des glaires ou des mucosités filantes qui les obstruent plus ou moins. On presse doucement la poitrine et le ventre, afin de provoquer le mouvement respiratoire et le jeu du diaphragme.


U‘60 TRAITÉ PRATIQUE

Dans les cas où ces différents moyens sont sans effet, on a recours à l’ insufflation de l’air dans les poumons. À cet effet on peut se servir d’un tuyau de plume que l’on introduit dans la bouche ou plutôt dans une narine  ; on y souffle de l’air avec la bouche, et on ferme en même temps l’autre narine et la bouche de l’enfant, afin que l’air insufflé ne sorte pas par ces ouvertures  ; on peut aussi souffler directement l’air avec la bouche. On a soin de faire presser légèrement le larynx en arrière contre la colonne vertébrale, afin d’aplatir l’œsophage et d’em- pêcher l’air de pénétrer dans ce conduit,

Si l’on se servait, pour l’insufflation, d’un soufflet, il ne faudrait pas prendre un soufflet de foyer, parcequ’il pourrait renfermer de la cendre ou de la poussière. On ne doit d’abord souffler que fort légèrement et lentement, et en même temps on exerce de légères pressions sur le ventre et le thorax pour imiter le mouvement respira- toire normal. Mais l’insufflation naturelle, directe de bouche à bouche, est généralement préférable, parceque l’air légèrement échauffé et humide qui sort de la poi- trine de la personne qui fait l’insufflation convient mieux aux poumons du nouveau-né qu’un air froid et sec. On a d’ailleurs prouvé que l’air expiré n’est pas beaucoup plus impur que l’air ordinaire, puisqu’on affirme que l’air qui a déjà servi à la respiration ne contient qu’un cen- tième d’oxigène de moins que l’air atmosphérique.

Il faut persévérer longtemps dans l’emploi de tous ces moyens  ; car ce n’est souvent qu’au bout de plusieurs heures de soins que l’on parvient à ranimer un enfant frappé d’asphyxie. .

Pour ce qui regarde l’état apoplectique des nouveau-


d’embryologie sacrée. A31

nés, on le reconnaît facilement aux signes suivants  : la figure est très rouge, violette, bleuâtre, gonflée, ainsi que les paupières, les lèvres, le cou, la poitrine, etc.  ; la circulation et la respiration sont nulles ou insensibles. C’est tout l’opposé de l’asphyxie, quant à la cause pro- chaine et à l’ensemble des phénomènes. Le premier et le principal remède à employer, c’est la section du cordon ombilical. Si le sang ne coule pas suffisamment, on ra- fraîchit de temps en temps cette section d’un coup de ciseaux  ; et si malgré cela le sang ne coule pas suffisam- ment, on met une sangsue derrière chaque oreille, etc.

§ VII.

DU BAPTÊME DES MONSTRES.

Les embryologistes et les naturalistes ont longuement et savamment disserté sur la question des monstruosités. Cette matière, il est vrai, pique toujours plus ou moins la curiosité du vulgaire, qui ordinairement cherche dans les monstres quelque chose d’extraordinaire, de sinistre et d’affreux  ; mais ce qui est réellement pratique et utile à notre objet se réduit à peu de chose.

Les monstruosités sont des vices de conformation par excès ou par défaut. Il y a des êtres humains qui pré- sentent deux têtes et deux corps distincts  ; ils tiennent ensemble par les reins ou par le ventre, ou par d’autres parties. Point de difficultés pour le baptême dans cette sorte d’accollement fœtal  ; on baptise les deux individus.

On en connaît un très grand nombre d’exemples. Un des plus frappants est celui de ces deux filles hongroises dont parle Buffon, appelées Hélène et Judith. Elles


tl‘62 TRAITÉ PRATIQUE

étaient unies par les reins  ; elles vécurent vingt-deux ans. L’anus leur était commun, et par conséquent le be- soin de la défécation était commun à l’une et à l’autre  ; mais comme chacune avait le canal excréteur de l’urine (l’urètre) en particulier, l’excrétion urinaire ne leur était pas commune  ; chacune l’éprouvait à part, ce qui était, comme on le comprend assez, une source de disputes entre elles. Enfin Judith mourut à vingt-deux ans, et Hélène fut obligée de subir le même sort  : trois minutes avant la mort de sa sœur elle entra en agonie et mourut presque en même temps. Chacune avait son moi, sa vie distincte  ; il n’y avait de commun que l’anus.

Un autre fait semblable s’est présenté de nos jours, et c’est sans contredit un des plus extraordinaires qu’on ait encore observés. Rit ta, Cristina ou Ritta-Cristina sont ou est arrivée à Paris le 26 octobre 1829, comme s’ex- prime M. le docteur Julia de Fontenelle dans sa notice sur cette monstruosité , et a ou ont été présentées suc- cessivement aux Académies des sciences et de médecine. Cette fille bicéphale est née le 12 mars 1829, en Sar- daigne. Chacune des têtes a été baptisée séparément  : l’une a reçu le nom de Ritta, et l’autre celui de Cristina. Cet être monstrueux offre deux têtes, deux poitrines et quatre bras  ; mais il n’a qu’une région abdominale, un bassin, deux cuisses et deux jambes. Ritta-Cristina a succombé le 21 novembre 1829, âgée de huit mois et demi  ; à peine Ritta eut-elle rendu le dernier soupir que Cristina. poussa un cri et expira à l’instant même. À l’autopsie on a trouvé deux cœurs dans la même enve- loppe (péricarde)  ; ces deux cœurs étaient unis par leurs pointes.


D’EMBRYOLOGIE SACRÉE. l\ 33

Si le monstre a deux têtes et un seul corps, ou deux corps et une seule tête, il faut donner deux baptêmes en disant  : Si tu es homme et si tu vis , etc.  ; et puis  : Si tu es un autre homme et si tu vis, etc. Si c’est un acé- phale, on doit le baptiser en disant  : Si tu vis et si tu es homme, je te baptise, etc.

Nous ne citerons pas ici une foule de faits extraordi- naires rapportés par certains auteurs dont plusieurs même étaient médecins, parceque aujourd’hui tous les savants et les naturalistes regardent ces histoires comme apocryphes ou fabuleuses. Liceti parle d’un monstre hu- main à sept têtes et autant de bras. Bartholin fait men- tion d’un autre à trois têtes, qui, après avoir poussé des cris horribles, expira. Borelli cite le fait d’un nouveau Cerbère, d’un chien à trois têtes. On parle encore de monstres qui avaient une tête humaine et le corps ou les membres d’un animal, ou la tête d’un animal avec un corps humain, apparemment comme résultat d’un commerce de bestialité. Mais, nous le répétons, nous rejetons tout ce merveilleux, qui nous est venu des temps de- crédulité et d’ignorance, et qui nous est rapporté par des auteurs sans compétence scientifique ou sans garan- tie et sans critique. (1)

Nous croyons après tout que l’on peut baptiser, sous

(1) Nous pouvons affirmer que nous avons vu nous-même, en 1843, chez nous, à la Grande-Trappe, une femme triopse, c’est à dire à trois yeux  ; du moins, jusqu’à l’âge de neuf ans, elle avait conservé ses trois yeux parfai- tement beaux, et elle en avait vu jusqu’alors. A cette époque, on lui extirpa l’œil du milieu qui, dit-elle, était le meilleur, et on en voit encore aujour- d’hui les paupières garnies de leurs cils. Par contre, le même jour, nous avons vu un homme venu au monde avec une oreille de moins.


tôU TRAITÉ PRATIQUE

condition, tout monstre qui sort du sein de la femme, quelque difforme et bizarre qu’il soit et quelque ressem- blance qu’il puisse avoir avec la brute. Il ne faut pas trop s’arrêter au principe d’Aristote, que l'homme est le vrai principe cle l’homme. Ceci n’est probablement qu’une erreur à ajouter à tant d’autres que le moyen âge a prises de ce philosophe  ; car alors en philosophie, en histoire naturelle, en physique, etc., on ne jurait que sur la pa- role de ce grand maître  : in verba magistri.

Il est aujourd’hui démontré que la femme fournit le germe ou l’ovule. On découvre, à l’aide du microscope, dans un œuf de poule non fécondé tous les linéaments de l’être qui doit en éclore.

Il s’ensuivrait, du principe d’Aristote, qu’il faudrait baptiser tout monstre né du commerce d’un homme avec une femelle brute, ce qui commence à sentir l’absurde et le ridicule  ; ou plutôt nous nions formellement la pos- sibilité de ces procréations bestiales  : car Dieu ne per- mettra jamais ces productions abominables, ni la con- fusion de l’homme avec les espèces animales. Voyez, pour de plus amples détails sur cette matière, le Traité d’ Embryologie sacrée qui se trouve dans notre Essai sur la Théologie morale , lie édition. On y trouvera la réfuta- tion de la doctrine des médecins qui tend à infirmer l’enseignement de l’Eglise relativement à l’opération césarienne et au baptême des enfants après la mort de leur mère. On y trouvera encore d’autres détails inté- ressants et une foule de faits qui prouvent la longue survie des fœtus à la mort de leurs mères, etc.


d’embryologie sacrée.


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§ VIII.

CONDUITE DU CONFESSEUR A L’ÉGARD D’UNE FILLE EN DANGER DE MORT, QUI LUI DÉCLARE QU’ELLE EST ENCEINTE.

Que doit faire un confesseur à l’égard d’une fille en danger de mort qui lui déclare qu’elle est enceinte? Nous ne pouvons mieux faire que de rapporter ici textuellement la réponse de M&r Bouvier.

« 1° Nul doute que cette fille ne soit tenue de pren- dre les moyens, autant qu’il est en elle, de pourvoir au salut de son enfant; mais en même temps il lui est permis de chercher à conserver son honneur. Si elle sait écrire, il suffit qu’elle fasse une lettre close, qu’elle la remette à une personne de confiance, avec ordre de la décacheter aussitôt après sa mort, et de la lui remet- tre cachetée si elle ne meurt pas. Dans cette lettre elle déclare sa grossesse et demande qu’on l’ouvre aussitôt quelle sera morte pour procurer le baptême à son enfant.

« 2° Si elle était trop faible pour écrire ce détail, elle pourrait faire écrire la lettre par son confesseur, la si- gner et la donner elle-même à la personne de confiance. Nous ne verrions même pas grand inconvénient à ce que la lettre ne fût point signée par la malade, pourvu que ce fût elle-même qui la remît.

« 3° Dans les cas où les circonstances ne permettraient pas de prendre ce moyen, il faudrait exiger de la fille quelle déclarât son état à une personne digne de sa confiance, autre que le confesseur, parceque, si le con- fesseur prenait des moyens pour faire ouvrir cette fille


436 TRAITÉ PRATIQUE D’EMBRYOLOGIE SACRÉE, après sa mort, il pourrait être soupçonné d’agir en vertu de la confession. La fdle malade ne doit pas même s’en rapporter à sa mère ou à sa sœur, à moins quelle ne soit sûre de leurs principes.

<( 4° Si elle n’est pas en danger de mort, elle n’est tenue à aucune de ces précautions  ; le confesseur ne doit pas les exiger  ; il suffit qu’elle promette à son confes- seur de ne rien faire qui puisse compromettre la vie spi- rituelle et corporelle de son enfant.  »


EXAMEN DES DEUX QUESTIONS SUIVANTES,

COMME COMPLÉMENT NÉCESSAIRE DE L’ESSAI SUR LA THÉOLOGIE MORALE DANS SES RAPPORTS AVEC LA PHYSIOLOGDETET LA MÉDECINE, ET DE LA MOECHIALOGIE  :

1° Le médecin doit-il faire l’opération césarienne sur une femme enceinte qui meurt avant d’accoucher?

2° Le prêtre, dans la même circonstance et à défaut de médecin, doit-il ou peut-il faire pratiquer la même opération; ou la pra- tiquer lui-même s’il ne trouve absolument personne qui puisse ou qui veuille s’y prêter.


Cet examen est suivi de quelques réflexions critiques sur un opuscule intitulé Du Baptême intra-utérin sans opération césarienne préalable.


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'

Cet . opuscule ayant été publié à part et après la Mœchialogie, on a été forcé de faire quelques répéti- tions de faits indispensables afin de ne rien ôter à la valeur intrinsèque des preuves, d’en mieux présenter la suite et l’ensemble, et de ne point distraire l’attention du lecteur par de fréquents et fatigants renvois.


EXAMEN


DES DEUX QUESTIONS SUIVANTES,

COMME COMPLÉMENT NÉCESSAIRE DE L’ESSAI SUR LA THÉOLOGIE MORALE DANS SES RAPPORTS AVEC LA PHYSIOLOGIE ET LA MÉDECINE, ET DE LA MQECHIALOGIE  :

1° Le médecin doit-il faire l’opération césarienne sur une femme enceinte qui meurt avant d’accoucher?

2° Le prêtre, dans la même circonstance et à défaut de médecin, doit-il et peut-il faire pratiquer la même opération; ou la pra- tiquer lui- même s’il ne trouve absolument personne qui puisse ou qui veuille s’y prêter?


Il n’est malheureusement pas très rare aujourd’hui de rencontrer des médecins qui refusent le concours de leur ministère dans les cas de décès de femmes enceintes, sous le vain, le ridicule et l’absurde prétexte que la loi et la morale leur interdisent ces sortes d’opérations, qui leur paraissent sans objet, puisque, suivant eux, l’enfant meurt ordinairement avec la mère. De là une source de pénibles perplexités et d’immenses embarras pour le prêtre, que l’on menace de poursuites judiciaires si, à défaut absolu d’un ministère suffisamment compétent, il croit devoir lui-même faire la section abdominale pour procurer le baptême à l’enfant, et pour obéir à la loi de la charité et de la conscience. Ce sont ces considérations


660 EXAMEN DE DEUX QUESTIONS,

qui nous ont déterminé à examiner ces questions sous de nouveaux rapports, dans le but d’offrir aux médecins et aux curés des principes et des règles de conduite qui puissent les aider dans l’accomplissement de leurs plus graves et plus saints devoirs.

PREMIÈRE QUESTION.

Le médecin doit-il faire la section césarienne sur une femme enceinte qui meurt avant d’accoucher?

Cette question complexe intéresse à la fois la loi, la médecine, la théologie, la morale et la société. Nous allons donc l’envisager sous ce quintuple aspect. La deuxième question sera considérée aux mêmes points de vue.


QUESTION LÉGALE.

(( 1° Le mari pourra désavouer l’enfant s’il prouve que, pendant le temps qui a couru depuis le 300e jusqu’ aul80e jour avant la naissance de cet enfant, il était, soit par cause d’éloignement, soit par l’effet de quelque accident, dans l’impossibilité physique de cohabiter avec sa femme. )> (Code civil, art. 312.) Donc le Code civil re- connaît que l’enfant peut naître et vivre à six mois  ; car serait-il nécessaire de désavouer l’enfant né sans vie et sans viabilité? Ainsi un enfant de six mois est légalement viable. « Le Code civil, dit Toullier, en décidant (art. 312) que l’enfant né le 180e jour du mariage ne peut être désavoué par le mari, fait entendre clairement que l’on doit regarder comme viable l’enfant qui naît le 180e jour


I


EXAMEN DE DEUX QUESTIONS. 441

de la conception. Ce n’est donc qu’à six mois que la loi reconnaît l’enfant viable, quoique les gens de l’art pré- tendent qu’il est viable à cinq mois aux yeux de la mé- decine : la loi a sagement pris un terme moyen,, auquel il faut s’arrêter.... Si l’enfant naît avant le 180e jour de la célébration du mariage, la loi ne le reconnaît pas viable  : l’honneur de la mère et la morale publique exigent qu’on le déclare non viable plutôt qu’ illégitime.» Telle est également, sur l’art. 314, l’opinion de M. Col- lard de Martigny (Questions de Jurisprudence médicale ), qui distingue la viabilité civile ou légale de la viabilité naturelle .

« 2° L’enfant né avant le 180e jour du mariage ne pourra être désavoué par le mari dans les cas suivants  : 1° s’il a eu connaissance de la grossesse avant le ma- riage ; 2° s’il a assisté à l’acte de naissance, et si cet acte est signé de lui, ou contient sa déclaration qu’il ne sait signer  ; 3° si l’enfant n’est pas déclaré viable.  » (Art. 314.) Donc l’enfant peut vivre, du moins quelque temps , avant le terme de six mois.

Dès lors il y a faute légale à le priver des chances de vie qui existent en lui.

« 3° Au nom du peuple français, Bonaparte, premier consul, proclame loi de la république le décret suivant, rendu par le corps législatif le 18 germinal an X, confor- mément à la proposition faite par le gouvernement le 15 dudit mois, communiquée au tribunat le même jour. Décret. La convention passée à Paris le 26 messidor an IX

entre le pape et le gouvernement français ensemble

les articles organiques dont la teneur suit, seront

promulgués et exécutés comme lois de la république  :


442 EXAMEN DE DEUX QUESTIONS.

« Convention entre le gouvernement français et sa Sainteté Pie VII

« Art. premier. La religion catholique, apostolique et romaine sera librement exercée en France.  »

Le concordat et les articles organiques n’ont prétendu ni pu prétendre toucher en quoi que ce soit aux dogmes d’une religion dont le libre exercice en France était re- connu loi de l’état. Or la nécessité du baptême pour le salut est le dogme le plus essentiel de la religion catho- lique. Refuser à l’application de ce dogme son ministère compétent (indispensable d’ailleurs toutes les fois qu’on est seul à portée de l’exercer) n’est-ce pas s’opposer, autant qu’il est en soi, au libre exercice de la religion catholique, apostolique et romaine  ? n’est-ce pas en quel- que sorte violer une loi de l’état? En tous cas, accorder son concours à cette application ne saurait assurément pas constituer un acte contraire à la loi.

En Sicile des ordonnances prescrivent aux accou- cheurs l’obligation de pratiquer, dans le plus bref délai, la section césarienne sur toute femme enceinte qui vien- drait à mourir avant d’avoir mis au monde l’enfant quelle contenait dans son sein. En 1740, dans le même pays, suivant M. Velpeau, le roi fit une autre loi par la- quelle il infligeait la peine de mort aux médecins qui auraient omis de pratiquer l’opération césarienne aux femmes mortes dans les derniers mois de leur grossesse. Une loi du sénat de Venise ordonnait également d’ouvrir toute femme enceinte ou réputée l’être immédiatement après sa mort. (Capuron. )

Le droit romain porte les mêmes prescriptions  : <( Negat lex regia mulierem qaœ prœgnans mortua sit


EXAMEN DE DEUX QUESTIONS.


hlx 3

humari antequàm partus ei excidatur ; qui contra fe- cerit spem animantis cum gravidâ per omisse videtur . »

( L. Negat. D. D. de Morte inferendâ. )

Les lois romaines font souvent mention de cette opé- ration. L’histoire nous apprend qu’un grand nombre d’enfants ont été sauvés de cette manière, et que plusieurs d’entre eux sont devenus célèbres,, soit dans l’état ecclé- siastique, soit dans la vie civile. Tels furent S. Lambert, évêque, Drogon, Raimond, Grégoire XIV et beaucoup d’autres dont parle Théophile Rainaud (Tract, de Ort . infant, per sect. cœsaream J ; tel fut , dit-on , chez les Romains, Scipion l’Africain, etc.

Cette ordonnance ou cette loi royale 9 lex regia , dont on vient de parler, remonte aux rois de Rome. Quelques auteurs vont même jusqu’à l’attribuer à NumaPompilius.

Peut-on admettre que la législation française moderne ait prétendu déroger aux belles et sages dispositions du Digeste  ?


QUESTION MÉDICALE.

Ici trois points sont à examiner  :

1° A quel terme le fœtus est-il viable  ?

2° Combien de temps peut-il continuer de vivre de la vie intra-utérine après la mort de sa mère  ?

3° A quelle époque de la grossesse commence l’obliga- tion médico-légale de procéder à F extraction de l’enfant du sçin de sa mère décédée  ?

lre question  : De la viabilité. Tous les auteurs, à partir d’Hippocrate, sont d’accord que l’enfant septimestre est viable. Au dessous de ce terme, les avis se partagent. Le père de la médecine et après lui Galien refusaient


444 EXAMEN DE DEUX QUESTIONS,

la faculté de vivre au fœtus né avant sept mois  ; mais il faut observer que, selon eux, le septième mois commen- çant dès l’expiration du sixième, il n’y avait pas lieu à dénier absolument le bénéfice de la viabilité au fœtus né, par exemple, le 182e jour après la conception, c’est à dire à six mois et deux jours. Un grand nombre d’auteurs graves, tant anciens que modernes, ont avancé encore l’époque de la viabilité possible. Voyons les faits sur lesquels ils s’appuient  :

Fœtus nés entre le sixième et le septième mois de la grossesse. Avicenne, cité par Cardan (contradicent. me - dicor. solut ., tom. alter ., libr. IV, tract. 111, contra- dict. VIII), rapporte l’exemple d’un enfant né à six mois, et qui vécut longtemps (page 64).

Le même Cardan raconte, sur la foi de la femme du patrice Augustin Abdua, qu’à Milan vivait le fils d’un nommé Thomas Suighi, venu au monde à six mois. Il avait en naissant les paupières closes, et les premiers jours il refusa de têter (page 66).

Belloc ( Cours de Médecine légale, page 62), après avoir cité Adr. Spigel, raconte le fait suivant, tiré de sa propre pratique  : Une dame d’Agen mit au monde une tille très peu formée, n’ayant sur la tête, au lieu de cheveux, qu’un léger duvet ou poil follet; les ongles pas à demi formés. L’enfant passa plusieurs jours sans pouvoir ni vouloir têter. La dame assura qu’elle n’était grosse tout au plus que de six mois, ce qui rend fort croyable le peu de développement de l’enfant. Cepen- dant elle devint vive, spirituelle, gaie, très bien por- tante, et mourut à quinze ans d’une maladie aiguë.

M. Capuron (Med. lég. relut, à l'art des accouch..


EXAMEN DE DEUX QUESTIONS* UUS

page 158) rapporte un fait analogue tiré aussi de sa propre observation.

M. Orfila (Méd. lé g., tom. i, page 371) dit  : « Il « existe un très petit nombre d’exemples d’enfants nés « de six mois à six mois et demi et qui ont vécu.  »

Fœtus nés entre le cinquième et le sixième mois. Car- dan (Op. cit ., p. 66) vit à Milan une jeune fdle de dix- huit ans, Clara Sormanni, que sa mère avait mise au monde 168 jours (cinq mois et 18 jours) après un avor- tement de quatre mois. — En ce même temps vivait au couvent de Sainte-Radegunde une religieuse nommée Euphrasie, née 170 jours (cinq mois et 20 jours) après un avortement de sa mère. — Enfin il cite une jeune idiote dont la tête était fort petite et dont, au su de toute la ville, sa mère était accouchée à cinq mois. — Cardan avertit de ne pas prendre ces cas de naissances précoces pour des exemples de superfétation; ce serait, dit-il, expliquer un fait rare par un fait plus rare encore et bien plus merveilleux.

Valesius (Philosophia sacra, cap. vin, p. 101) parle d’une petite fille de douze ans née à cinq mois. Ce fait, dit-il, attesté par toutes les personnes de la maison, est d’ailleurs appuyé sur des preuves très fortes.

Schenchius (Obs. med. rar. nov. mirab. et monstros, tom. alter, liv. iv, de Partu vitali précoce, page 151) a connu un échanson d’Henri II, roi de France, qui avait vu le jour à cinq mois. — A Madrid, une dame d’une grande vertu et de mœurs irréprochables accoucha aussi au même terme.

Belloc (ouvr. cit.) invoque Paul et Amman Montuus comme donnant encore des exemples analogues.


Uh 6 EXAMEN DE DEUX QUESTIONS.

M. Capuron (ouvr. cit.) raconte d’après Brouzet un fait de viabilité à la même époque, et il rappelle en outre un arrêt du parlement de Paris qui reconnut la légiti- mité du maréchal de Richelieu, né également au terme de cinq mois  : on sait que ce seigneur mourut à quatre- vingt-douze ans.

Fœtus né à quatre mois et demi. Tout le monde con- naît l’histoire de Fortunius Lice tus , Fortunio Liceti, médecin célèbre, né, dit-on, à quatre mois et demi, et qui poussa sa carrière jusqu’à quatre-vingts ans.

Plusieurs des faits que nous venons de rapporter pour- raient être considérés comme mal observés; à l’égard des autres, il ne semble pas que le doute soit possible. Nous consentons néanmoins à ce qu’on les considère tous comme contestables.

Mais voici les principes généraux posés par les auteurs les plus accrédités et les plus compétents  :

« On est généralement d’accord que l’époque de six mois est la première où l’on puisse admettre que le fœtus est viable.  » (Gardien, Dict. des Scienc . méd ., tom. xvn, pag. h 22.)

« Il est impossible d’assigner au juste l’époque de la gestation où l’enfant jouit de la viabilité, puisque cette faculté est entièrement subordonnée au développement et à la perfection des organes... par conséquent c’est à tort que l’on a établi en principe que l’on doit consi- dérer comme mort-nés les enfants qui naissent avant la fin du septième mois, les dispositions légales n’étant nullement d’accord avec cette assertion.  » (Orfila, ouvr. cit., page 372.)

(( Un enfant qui naît 180 jours après le mariage peut


EXAMEN DE DEUX QUESTIONS. ht\ 1

avoir acquis dans cet espace de temps assez de maturité

pour continuer de vivre s’il naît avant ce terme, sa

viabilité est sinon une preuve, du moins une très forte présomption contre sa légitimité, car il n’est pas vrai- semblable qu’il se développe ou acquière assez de force pour être viable avant le 180e jour.  » (Gapuron, ouvr. rit., page 208.) ,,

Sinon une preuve, une très forte présomption. . . il n’est pas vraisemblable.... Ces paroles, on le voit, n’excluent pas absolument toute possibilité.

Partant de ces sages principes, et négligeant si on le désire, tous les faits cités par les auteurs anciens et mo- dernes, nous arrivons à la conclusion suivante  :

Donc dans le doute il faut agir  ; car s’abstenir, c’est vouer à une mort certaine un être qui, à toute rigueur, pouvait avoir acquis le développement, la perfection d’organes qui constituent la viabilité  : Occidit autem quisquis servare potest nec servat.

2e Question  : Combien de temps le fœtus peut-il con- tinuer de vivre de la vie intra-utérine après la mort de sa mère? Différents auteurs ont écrit que le fœtus con- tenu dans l’utérus ne survivait que peu de temps à sa mère. Ce temps a été réduit par plusieurs à quelques quarts d’heure ou même à quelques minutes: C’est là une erreur grave et fort dangereuse, contre laquelle pro- testent des observations exactes et très multipliées. Pour abréger nous n’en rapporterons ici qu’un petit nombre.

Nous passerons sous silence une foule de faits rap- portés par les anciens auteurs, pour arriver tout de suite aux naissances posthumes plus modernes et moins contestables. Les unes ont eu lieu spontanément, les


UU 8 EXAMEN DE DEUX QUESTIONS.

autres ont été opérées au moyen de la section césarienne.

Naissances posthumes spontanées. En 1567, une femme fut pendue  ; deux heures après elle accoucha de deux jumeaux pleins de vie. (Horstius.)

Une dame mourut à Bruxelles le jeudi à dix heures du soir; le samedi suivant, à dix heures du matin, elle ac- coucha d’un enfant de sept mois vivant. Une consulta- tion, signée de Riolan et de plusieurs autres médecins célèbres de la faculté de Paris, décida que très proba- blement la mort réelle n’avait eu lieu que le vendredi soir au moment où l’on avait observé des mouvements du ventre et un vagitus internus fort distinct.

Admettons cette hypothèse  : reste douze heures de survie. Il faut noter que l’enfant était septimestre. (Joannis Riolani Anthropographia, page 398.)

Une dame anglaise étant morte en état de grossesse, son enfant naquit le jour suivant. (Harvey.)

Salmuthe rapporte qu’une femme enceinte mourut sans que le secours de trois sages-femmes pût lui être utile. Les domestiques oublièrent quelle était enceinte de sept mois  : on différa l’inhumation, et le troisième jour l’enfant sortit avec une sorte de violence et mourut aussitôt.

Au commencement du dix-huitième siècle, dans une des principales villes de la Sicile, une femme enceinte, mère de sept garçons, fit venir ses enfants au moment de la mort, et les pria instamment de lui accorder deux choses  : la première, de ne pas permettre qu’on lui fît l’opération césarienne après sa mort; la seconde, qu’on l’ensevelît ornée de ses habits les plus précieux. Elle meurt, et ses enfants ne lui obéissent que trop fidèle-


EXAMEN DE DEUX QUESTIONS. UU9

ment. L’archiprêtre du lieu se présente avec un chirur- gien pour l’opération. Les enfants de la défunte, l’épée à la main, repoussent avec violence le curé et le chirur- gien. Quelques jours après l’inhumation de la mère, le bruit se répand que les religieux de l’église où son corps était inhumé l’avaient dépouillée de tous ses riches ha- billements. Les fils demandent à grands cris qu’on ouvre le tombeau pour constater le fait  : affreux et déplorable spectacle  ! ils trouvent leur mère avec ses habits, et près d’elle deux jumeaux sortis de son sein et morts. La main de Dieu s’appesantit sur cette famille illustre et opulente  : tous ces enfants périrent dans l’indigence et accablés sous le poids de la plus humiliante infortune.

Une femme enceinte mourut à Sambuca en Sicile  : on procéda à la section césarienne  ; mais on ne trouva pas de fœtus. On s’étonnait; l’enfant était sorti par les voies naturelles, et avait été étouffé sous les couvertures. — Don Francesco Arevalle, de Ségovie, était parti pour un voyage. Sa femme, enceinte, tomba malade et mourut. A l’arrivée du mari elle était déjà enterrée. Dans l’excès de sa douleur, Arevalle veut la voir une fois encore, et obtient son exhumation. Au mouvement qui se manifeste dans le ventre et à certains cris sourds {vagit us uteri- nus ) on s’aperçoit quelle accouche. La tête était déjà sortie. Cet enfant fut par la suite gouverneur de pro- vince.— En Saxe une femme fut trouvée dans les champs assassinée et la tête presque séparée du tronc. Deux en- fants sortirent d’eux-mêmes. (Cangiamila, Embryologie sacrée , traduite et abrégée par l’abbé Dinouard.) (1)

(1) L’ouvrage du célèbre chanoine Cangiamila est fort estimé et fait au- torité. L’Académie de chirurgie, sur le rapport de MM. Sue premier et


450 EXAMEN DE DEUX QUESTIONS.

Le Journal universel des Sciences médicales cite un rapport signé de plusieurs témoins que chez une femme enceinte morte subitement le matin, à sept heures, la garde vit le lendemain soir le ventre remuer, et que l’en- fant sortit le jour suivant.

Naissances posthumes opérées par la section césarienne . —La Gazette de France du 11 mars 1765 raconte qu’une femme des environs de Soissons, enceinte de quatre à cinq mois, fut étranglée et en partie dévorée par un loup. On en fit l’ouverture, et son enfant reçut le baptême.— En 1743, une femme de Sicile fut frappée de la foudre et mourut sur-le-champ; deux heures après sa mort on retira de son sein un enfant qui vivait. — Il en fut de même d’une femme morte empoisonnée. — Un curé de Montréal fit exhumer une femme morte enceinte, et sauva aussi son enfant. — Une jeune Napolitaine, âgée de qua- torze ans, se déclara, au moment de mourir, enceinte de quarante-quatre jours  ; la section césarienne lui fut pratiquée, et l’embryon put être baptisé. — En juillet 1732 mourut à Païenne une femme grosse. Les sages- femmes et les médecins refusèrent opiniâtrément de pra- tiquer l’opération césarienne sous le prétexte que le ventre ne conservait aucune chaleur et que l’enfant ne présentait aucun signe de vie. Un chirurgien survint qui, ne partageant pas leur avis, procéda à l’autopsie quinze heures après la mort. L’enfant fut retiré vivant. — Aug. Gervais , premier médecin du vice-roi de Sicile, obtint

Vermond, accoucheur de la reine, donne de grands éloges à la traduction abrégée de l’abbé Dinouart. (Voir l’approbation du 20 février 1766, signée Louis, secrétaire perpétuel.) Get ouvrage est très savant et très recomman- dable au point de vue médical.


EXAMEN DE DEUX QUESTIONS. 651

les mêmes résultats au bout de vingt-quatre heures. — Xavier Henri, chirurgien de l’hôpital de Saint-Barthé- lemy de Palerme, cite un fait semblable. Il fit la section césarienne au bout de vingt-quatre heures, et trouva une fille vivante, qui fut baptisée. — Une femme grosse fut assassinée par son mari d’un coup de poignard dans le ventre  ; les formalités judiciaires ne permirent de faire l’autopsie qu’au bout de quarante-huit heures. L’enfant fut retiré vivant quoique blessé au pied par le poignard de l’assassin, et il vécut un quart d’heure. — En l’an 1200 la mère de S. Raimond Nonnat, étant grosse de lui, tomba dans une faiblesse mortelle au moment où le tra- vail de l’enfantement se déclarait. Les médecins l’acca- blèrent de remèdes pendant vingt-quatre heures. Reve- nue à elle pour un moment, elle demanda qu’ après sa mort on s’occupât de sauver son enfant. Elle mourut en effet. Les médecins refusèrent de l’ouvrir, parceque, disaient-ils, la maladie de la mère avait dû se communi- quer à l’enfant, et qu’en tous cas les remèdes violents auxquels ils avaient eu recours l’avaient infailliblement fait périr. Les obsèques ayant été différées pendant trois jours, le parent qu’on attendait pour les célébrer arriva, et s’étonna qu’on n’eût point obtempéré aux dernières volontés de la défunte; alors, tirant son poignard, il ouvrit lui-même le côté de sa parente. L’enfant était plein de vie, et il parvint par la suite à une éminente sainteté. A Sambuca, royaume de Sicile, sur vingt-deux opéra- tions césariennes pratiquées après la mort, trois enfants étaient sans vie depuis plusieurs jours; un quatrième passa par les voies naturelles  ; dix-huit furent trouvés vivants. (Dinouart, trad. de Cangiamila.)


452 EXAMEN DE DEUX QUESTIONS.

Millot parle d’une femme qui ne fut opérée qu’au bout de quarante-huit heures, et l’enfant n’était pas mort. Fla- jani, Veslingiuset plusieurs autres rapportent des cas à peu près semblables. (Citation de M. le professeur Velpeau.)

Tout le monde se rappelle la terrible catastrophe du bal donné en 1810, à Paris, par l’ambassadeur d’Au- triche, à l’occasion du mariage de l’impératrice Marie- Louise. La princesse Pauline de Schwartzenberg fut une des victimes de l’incendie. Elle était alors enceinte. L’au- topsie ne fut faite que le lendemain de sa mort, et néan- moins l’enfant fut trouvé vivant.

Un très recommandable académicien, M. le docteur de Kergaradec, cite un fait qui lui est personnel. « En 1807, dit-il, nous étions élève interne à l’hôpital Saint- Antoine, à Paris. Une femme grosse mourut  ; le lendemain, après la visite, on se rendit à l’amphithéâtre, on fit l’ouver- ture, et on retira un enfant auquel nous eûmes le bon- heur d’administrer le baptême.  »

« M. l’abbé Dubois, chanoine de la cathédrale du Mans, fut informé, pendant qu’il n’était encore que vicaire de la paroisse du Pré, qu’une femme enceinte venait de succomber et que son médecin avait déclaré que l’enfant n’existait plus. N’écoutant que la voix de la charité, ce zélé ecclésiastique courut au domicile de la défunte, et fit appeler aussitôt le médecin, qui refusa de se rendre à son invitation. Une sage-femme du quartier, mandée à son tour, pratiqua, après quelque résistance, l’opération césarienne, et retira du sein de cette femme un enfant vivant, que M. l’abbé Dubois baptisa en pré- sence d’un grand nombre de personnes. L’enfant vécut encore quelques instants.


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« M. le curé de Villaine-la-Carelle, département de la Sarthe, m’a raconté qu’étant allé l’année dernière visiter son confrère de Saône, il apprit en arrivant qu’une femme de cette dernière paroisse venait de mourir enceinte  ; il engagea le curé de Saône à l’accompagner au domicile de cette femme  : ils s’y rendirent en effet, et y furent bientôt rejoints par la sage-femme du lieu, qu’ils avaient envoyé chercher. Celle-ci pratiqua, six à sept heures après la mort de cette femme, l’opération césarienne, et retira de f utérus un enfant qui donna des signes de vie évidente, et qui succomba après le baptême que lui conféra M. le curé de Villaine.  » ( Médecine pratique po- pulaire, etc., par M. le docteur Rosiau. 1834.)

Il y a environ un an seulement, dans le diocèse de Séez, une femme meurt enceinte de sept à huit mois. Le médecin appelé refuse de l’ouvrir. On fait venir une sage-femme, qui fait la section césarienne six à sept heures après la mort, et retire un enfant vivant, qui a reçu le baptême.

Voici encore un fait récent et très remarquable, qui nous a été communiqué en 1844. Nous citons textuellement la lettre qui nous fut adressée  : « On lisait il y a quelque temps, dans la chambre d’un directeur de séminaire, un de vos ouvrages où il était question de la conduite à tenir à l’égard des femmes dans l’état de grossesse. Ce jour-là même il venait de mourir une femme enceinte que l’on se disposait déjà à enterrer avec son fruit. Un ecclésiastique présent à la lecture de votre livre voulut immédiatement faire mettre en pratique ce qu’il venait d’y apprendre  ; mais l’ouverture du cadavre ne put être

faite que le lendemain, et encore on eut de la peine à

30


U5U EXAMEN DE DEUX QUESTIONS.

l’obtenir d’un homme de l’art, qui prétendait que l’en- fant était nécessairement mort avec sa mère, déjà décé- dée depuis environ vingt-quatre heures . Mais, ô Provi- dence admirable  ! l’enfant a été trouvé vivant, a reçu le baptême et a vécu quelques heures.  » Cet événement, qui a fait beaucoup de bruit dans le pays, est de nature à faire une vive impression sur l’esprit des médecins, qui prétendent que l’enfant meurt toujours avec sa mère, ou du moins qu’il ne peut pas continuer de vivre au-delà de quelques quarts d’heure ou même de quelques minutes.

Enfin on a rapporté dans le journal C Univers , du 9 avril 18A6, le fait suivant, d’après la gazette de Metz  : <( Les résultats du sinistre arrivé le 27 mars dernier sur la Sarre, près de Werden, au bas d’Ensdorlf, sont encore plus malheureux qu’on ne l’avait d’abord dit. Les passa- gers étaient au nombre de soixante. Le 31 mars, trente- deux cadavres avaient été retirés de la rivière, douze autres étaient encore réclamés, et il y avait des morts in- connus. Parmi les victimes se trouvaient plusieurs femmes enceintes  ; l’opération césarienne a été pratiquée sur l’une d’elles, le 31  ; le nouveau-né vivait, et on espérait le con- server. )>

Nous répétons ici ce que nous avons dit précédemment. Parmi les faits que nous avons rapportés, et qu’il eût été facile de multiplier, il en est quelques-uns que l’on pour- rait controverser  ; un très grand nombre d’autres, au contraire, sont trop bien avérés pour qu’aucun doute légitime puisse leur être opposé. Toutefois nous consen- tons encore à ce qu’on les range tous indistinctement dans la classe des faits contestables ou incertains, pourvu qu’on nous accorde, en même temps, que le bénéfice du


EXAMEN DE DEUX QUESÏÎÔNS. 455

doute , pour nous servir d’une expression des légistes, doit être acquis aux malheureux enfants.

Tous les auteurs conviennent que les chances de salut du fœtus sont d’autant plus grandes que l’ opération est pratiquée à une époque plus rapprochée de la mort de la mère  ; aussi Ambroise Paré, André du Laurens, James (Dict. de Méd. traduit de l’anglais par Diderot, etc.), Cangiamila, Dinouart, le célèbre accoucheur Gardien et bien d’autres auteurs anciens et modernes recomman- dent-ils de la pratiquer immédiatement après la mort de la mère.

Toutefois, si un espace de temps un peu considérable s’était déjà écoulé il ne faudrait pas se croire dispensé pour cela de remplir ce grave devoir de conscience et d’humanité. Les faits sont là qui prouvent la possibilité du succès après un intervalle de vingt-quatre heures, de deux jours et même de trois jours. C’est la règle tracée par un grand médecin, par Fabrice de Hilden.

Mais, dira-t-on peut-être, ces faits de longue survie sont aujourd’hui si rares qu’on ne doit pas en tenir compte dans la pratique. Nous répondrons à cela que cette grande rareté ne fait rien à la question. Quand ces faits seraient cent fois plus rares encore, ils sont possi- bles. Or cette possibilité avouée suffit pour faire consa- crer le principe posé par Fabrice de Hilden  : « Qu’il faut plutôt ouvrir cent corps de femmes enceintes, quand on devrait le faire sans succès, que de laisser périr même un seul enfant dans le sein de sa mère.  » ( Respons . ad Michael. Doring.)

Sans doute on ne viendra pas nous opposer les lois et ordonnances de police concernant les inhumations et


456 EXAMEN DE DEUX QUESTIONS,

les autopsies. Leur but est de protéger la vie des ci- toyens ; or, temporiser ici, ce serait occasionner la mort de ces enfants; ce serait d’ailleurs s’arrêter honteuse- ment aux absurdes scrupules du vulgaire, qui craindrait de couper la corde d’un pendu ou de donner des secours aux noyés avant l’arrivée des gens de justice. Une telle conduite serait indigne d’hommes intelligents, indigne surtout de médecins éclairés et véritablement pénétrés des devoirs de leur saint ministère.

Il ne faut pas perdre de vue, au surplus, que tous les auteurs prescrivent de s’assurer par tous les moyens pos- sibles de la réalité de la mort, et qu’en outre ils décla- rent que l’opération doit être faite exactement de la même manière que si la femme était vivante.

3e Question  : A quelle époque de la grossesse commence pour le médecin le devoir de procéder à la section césa- rienne sur les femmes enceintes mortes avant d’accou- cher? Le Gode civil fixe la viabilité au 180e jour de la grossesse. Gardien et MM. Capuron et Orfila semblent souscrire à cette fixation de la loi. Cependant, nous l’a- vons dit, ils sont loin de la regarder comme invariable, de nier la possibilité absolue d’une viabilité plus précoce. Quant à nous, le terme de six mois ne saurait nous sa- tisfaire comme médecin et physiologiste; l’époque de cinq mois elle-même ne nous laisserait pas sans quel- que crainte d’une erreur possible, quoique très peu pro- bable.

A cinq mois de grossesse donc, au plus tard , nous re- gardons l’opération dont il s’agit comme un devoir rigou- reusement imposé au médecin par la loi civile et par la science médicale.


EXAMEN DE DEUX QUESTIONS. 457

Si l’on ne considère dans l’espèce que la lettre morte de la loi, on ne devrait faire la section césarienne en ri- gueur légale qu’à six mois de grossesse, puisque la loi n’admet la viabilité qu’au 180e jour ou à six mois; mais ici, dans l’application, la loi civile doit être inséparable de la loi physiologique, c’est à dire de la loi de la nature, sous peine d’être à jamais impuissante et stérile dans la pratique, ou, en d’autres termes, le médecin ne peut être séparément et abstractivement médecin selon la loi et médecin selon la nature; il doit l’être à la fois selon l’une et l’autre, parceque, dans la question présente, la loi ne peut être contraire à la nature  : ou plutôt le médecin doit toujours être médecin à la fois, et suivant la loi, et suivant la nature, et suivant la religion. Mais n’antici- pons pas.

Nous venons de poser une règle de médecine légale  ; au point de vue religieux nous n’admettrions pas ces li- mites ; nous en dirons bientôt la raison.

Conclusions médico-légales. 1° Toute femme en- ceinte de cinq mois au plus, qui meurt avant d’accou- cher, doit être soumise à la section césarienne si l’ac- couchement ne peut être effectué par les voies ordinaires.

2° Les soins de l’art doivent être administrés au mo- ment même de la mort de la mère, ou du moins le plus tôt possible.

3° Un espace de vingt-quatre heures, de deux jours et même de trois jours, écoulé depuis la mort, et la circons- tance de l’inhumation de la femme ne dispensent pas le médecin de l’accomplissement de ce devoir.

4° Le médecin qui refuse de pratiquer cette opération nécessaire encourt le blâme le plus sévère  ; car s’abstenir,


458 EXAMEN DE DEUX QUESTIONS,

c’est tuer. « Est enim inhumanum post obitum matvis fœtui pereunti et suffocari parato manus auxiliares de- negare, et sœpè viventem adhiic, cum matre mortuâ , co- dera tumulo contegere et obruere. Idcirc'o jurisconsulti eum necis reum damnant qui gravidam sepeiierit, non priüs extracto fœtu . » (Joan. Riolan. , Anthropographia, lib. vi, cap. vin, pag. 589.)

QUESTION THÉOLOGIQUE.

Toute âme humaine participe, dès le premier moment de sa création, à la faute du premier homme. Le baptême peut seul effacer la tache originelle  ; voilà la doctrine de l’Église universelle.

Donc l’enfant contenu dans le sein de sa mère est as- sujetti à la loi de la régénération par les eaux sacrées du baptême dès l’instant qu’il est animé 3 c’est à dire que l’union de ses substances spirituelle et corporelle s’est effectuée.

A quel âge le fœtus est-il animé? Platon supposait que l’âme ne s’unissait au corps qu’au moment de la nais- sance. Aristote fixa le terme de cette union à quarante jours pour les garçons, et à quatre-vingts ou quatre-vingt- dix jours pour les filles. On sent toute la futilité de cette distinction. Zacchias pense que l’animation s’opère à l’instant même de la conception. Ce sentiment est le plus probable, pour ne pas dire qu’il est une vérité. C’est in- contestablement le plus sûr. Aussi il est aujourd’hui à peu près universellement suivi.

Cangiamila ne regarde le baptême de l’enfant comme nécessaire qu’à quarante jours de grossesse. Floren-


EXAMEN DE DEUX QUESTIONS. 459

tini, qui a écrit en 1658 une dissertation sur le bap- tême des avortons, enseigne que l’on doit, sous peine de péché mortel, baptiser le germe ou l’embryon, lors même qu’il ne serait pas plus gros qu’un grain d’orge. Or il a ce volume, ou celui d’une grosse fourmi ou d’une mou- che ordinaire, à trente jours, suivant les célèbres méde- cins légistes Chaussier et Marc. La doctrine de Florentini reçut l’approbation des Facultés de médecine de Vienne et de Prague, de plusieurs évêques, des universités de Reims et de Salamanque, des Facultés de théologie de Vienne, de Prague et dé Paris. Cette dernière la qualifia de indubitata doctrina. Le célèbre Gardien dit aussi que le plus léger signe de vie des embryons ou des fœtus, quels que soient leur imperfection ou leur défaut de viabilité, suffit pour leur procurer le bienfait du bap- tême.

L’obligation religieuse de recourir, à toutes les épo- ques delà grossesse, à l’incision césarienne post obitum matris, n’est pas d’ailleurs à l’état de simple théorie. Elle se trouve nettement formulée dans S. Thomas, dans l’ins- truction de S. Charles Borromée sur le baptême, dans le Rituel romain, qui ne distingue aucune époque, et dans les conciles de Cologne (1280), de Langres (1404), de Sens (1514), de Cambrai (1550) et de Paris (1557). En Sicile les curés sont obligés de la faire pratiquer sous peine d’excommunication ipso facto.

Conclusion medico-théologique. Le médecin catholi- que est obligé de pratiquer la section césarienne à tou- tes les époques de la grossesse, à commencer du moins de celle où l’embryon est reconnaissable et qu’il présente la forme fœtale. Or ces caractères se font remarquer.


460 EXAMEN DE DEUX QUESTIONS.

suivant Ghaussier et Marc, à quarante-cinq jours, ce qui s’accorde assez bien avec l’époque assignée par le célè- bre Cangiamila. Nous avons vu plus haut qu’à trente jours même on distingue déjà l’embryon, qui offre alors la grosseur d’un grain d’orge. (Voyez notre Essai sur la Théologie morale , 4 e édit.) Ainsi, nous le répétons, il y a pour le médecin chrétien obligation d’extraire l’embryon du sein d’une femme morte, pour le baptiser, dès l’époque où l’on distingue les linéaments humains ou la forme fœtale.

Voici, à l’appui de cette conclusion, les paroles remar- quables, non d’un théologien, d’un Père de l’Église ou d’un casuiste sévère, mais d’un célèbre médecin et d’un grand accoucheur: « On doit opérer immédiatement après le décès des femmes qui sont présumées mortes avant d’accoucher, quel que soit le terme de leur gesta- tion. » (Gardien, Dict. des Se. méd ., t. 17, p. 422.)


QUESTION MORALE.

Nous n’avons que deux mots à dire sur ce point. La morale, si nous ne nous trompons, est la doctrine ou la science pratique des devoirs, ou la règle des mœurs. Nous ne comprenons donc pas comment l’accomplisse- ment d’un devoir religieux, civil et médical à la fois peut être contraire à la morale. Donner une âme au ciel, donner peut-être un citoyen à la terre, voilà ce qui peut résulter, voilà ce qui est résulté souvent de l’opération césarienne pratiquée immédiatement après la mort de la mère. Refuser de tenter une si belle entreprise  ; vouer par là un pauvre être, sœpè viventem adhüc, comme dit


EXAMEN DE DEUX QUESTIONS.

Riolan, à une mort qui ne lui était pas nécessairement destinée; voilà ce que, pour notre propre compte, nous regardons comme déplorablement contraire à la morale. Nous ne voulons pas insister là-dessus.

Nous tei minons cette question par ce passage remar- quable de Gardien  : « .... Puisqu’il n’y a aucun danger « à courir pour les femmes (présumées mortes) , il vaut (( mieux en ouvrir infructueusement un grand nombre « que de laisser périr un seul enfant pour avoir négligé « d’opérer, ou pour ne l’avoir pas fait à temps  ; car, s’il « était encore vivant, on pourrait imputer sa mort à celui « qui aurait omis de faire la gastro-hystérotomie (opéra- « tion césarienne) dans cette occasion: Quem, dùmpo- tuisti serrure ■, non servasti, ilium occidisti.  » (Dict. des Sc. méd., t. 17, p. 421.)

Les principes que nous venons de formuler ne nous sont pas propres; ce sont ceux de tous les médecins chrétiens, et nommément de M. le docteur de Kergara- dec, membre titulaire de 1 Académie de médecine, qui les avait déjà exposés en grande partie dans un article inséré dans la Revue de l’Armorique de l’Ouest. Nous les a\ons î eproduits ici quant au fond, et nous sommes heu- reux d’être en communion de vues et de pensées avec ce pieux et savant académicien. Je le prie d’agréer ici l’ex- pression de toute ma sympathie. Poursuivons.

QUESTION SOCIALE ET CIVILE.

Nous n’avons encore que deux mots à dire sur cette question; car on sent assez qu’il n’est pas indifférent à 1 ordre social et aux familles qu’un enfant naisse viable


462 EXAMEN DE DEUX QUESTIONS,

ou non. La loi, à la vérité, fixe au terme de six mois la viabilité; mais cette viabilité légale est certes loin d’être invariable, comme le prouvent les faits ci-dessus rappor- tés. « En adoptant une règle prise dans la marche la plus ordinaire de la nature, les législateurs n’ont pas entendu énoncer une vérité absolue, ni décider en |physiolo- gistes une question sur laquelle sont partagées les opi- nions des plus savants médecins. Ils ont fait ce qui était propre à la législature  : ils ont tari la source de ces procès difficiles et scandaleux qu’occasionnaient les naissances tardives et prématurées, en traçant aux juges une règle positive pour fixer leur incertitude et prévenir désormais l’arbitraire des décisions et la contrariété des jugements.» (Toullier.) Ainsi, l’enfant né après le 180e jour du ma- riage est légitime. Or la loi regarde comme né l’enfant qui est conçu, l’enfant encore renfermé dans le sein de sa mère  : Qui in utero est pro nato habetur , quoties de eo agitur. Elle l’assimile à un mineur  ; elle veut que, dans le cas de décès du père, on procède à la nomination d’un curateur au ventre.

Mais, pour exercer ses droits, il ne suffit pas que l’en- fant soit conçu  ; il faut encore qu’il naisse, c’est à dire qu’il sorte vivant du sein de sa mère, et qu’il soit viable ou apte à continuer de vivre.

(( Pour succéder, il faut nécessairement exister à l’ins- tant de l’ouverture de la succession. Ainsi sont incapa- bles de succéder: 1° celui qui n’est pas encore conçu  ; 2° l’enfant qui n’est pas viable.  » (Code civil, art. 725.)

« Pour être capable de recevoir entre-vifs, il suffit d’être conçu au moment de la donation  ; pour être capa- ble de recevoir par testament, il suffit d’être conçu à l’é-


EXAMEN DE DEUX QUESTIONS. ^63

poque du décès du testateur  : néanmoins la donation ou le testament n’auront leur effet qu autant que l’enfant sera né viable.  » (Art. 906.)

L’application de ces principes par rapport à la con- duite de l’homme de l’art se déduit d’elle-même. Une femme meurt, par exemple, enceinte de cinq mois et demi ou même de cinq mois. L’enfant quelle renferme dans son sein n’est point légalement viable  ; et même on peut dire qu’il est très probable qu’il n’est point viable phy- siologiquement, c’est à' dire naturellement  : mais par là même il n’est point absolument certain que cet enfant ne soit pas apte à continuer de vivre. Donc, dans le doute, il faut agir et appliquer à l’enfant le bénéfice du doute. Si cet enfant naît vivant par la section césarienne et qu’il continue de vivre, ne sera-t-il pas apte à exercer ses droits contre les termes de la loi  ? Il faut donc que le médecin légiste ouvre toute femme qui meurt enceinte à cinq mois au plus tard.

DEUXIÈME QUESTION.

Le prêtre, à défaut de médecin, doit-il ou peut-il faire pratiquer ou pratiquer lui-même la section césarienne sur une femme enceinte qui meurt avant d’accoucher, s’il ne trouve absolument personne qui puisse ou qui veuille s’y prêter?

QUESTION LÉGALE.

Il paraît que depuis quelques années le ministère pu- blic a plusieurs fois poursuivi et fait condamner à l’a- mende des personnes qui avaient fait la section césa-


U6U EXAMEN DE DEUX QUESTIONS.

rienne avec les précautions convenables ou même suivant les règles indiquées dans les traités d’embryologie sa- crée (1) , sous prétexte que ces personnes avaient indû- ment pratiqué une opération chirurgicale.

Il est très probable, pour ne pas dire certain, que ces sortes d’opérations, faites par des personnes incompé- tentes, n’ont été pratiquées que dans les cas d’extrême urgence et dans l’impossibilité reconnue d’avoir recours au ministère d’un homme de l’art. Où est alors l’illéga- lité ou la culpabilité légale d’un acte commandé par l’impérieuse loi de la nécessité? Dans un besoin extrême il y a non seulement droit naturel, mais devoir rigoureux de porter secours aux citoyens; et en l’absence absolue d’un ministère compétent, toute personne quelconque est tenue d’administrer aide et secours suivant son savoir et pouvoir  : c’est, nous le répétons, la loi de la nature, et la loi civile ne peut être contraire à la loi naturelle. Voyez ce qui se pratique tous les jours dans les acci- dents si communs de la vie, tels que les cas de syn- copes, d’asphyxies, de chutes graves, d’hémorrhagies foudroyantes, etc. , etc. Toutes les assistances, possibles dans la circonstance, sont toujours spontanées, promptes et immédiates. Soyez sûr que dans une extrême nécessité les préceptes sacrés de la loi naturelle l’emporteront toujours sur les froides exigences de la loi civile.

Sans doute, dans certaines occurrences fâcheuses et inévitables, les secours administrés par une main chari-


(1) Tout prêtre est obligé d’avoir une connaissance suffisante de ces rè- gles, afin qu’au besoin il soit en état d’en faire l’application. Cette connais- sance doit être l’objet d’un enseignement particulier donné dans les cours k de théologie qui se font dans les grands séminaires.


EXAMEN DE DEUX QUESTIONS. 465

table, mais inhabile ou inexercée, peuvent être impuis- sants ou même nuisibles et funestes  : comme, par exem- ple, des gens de la campagne découvrent au milieu des neiges une personne congelée et dans un état de mort apparent  : dans l’impossibilité d’appliquer à ce malade le bénéfice d’un ministère compétent, ils s’empresseront naturellement de le placer devant un grand feu, et par là même le tueront infailliblement. Ces personnes sont- elles coupables aux yeux de la loi  ? assurément non. Dans une chute grave une personne se luxe la tête  ; en l’ab- sence d’un homme de l’art un des assistants cherche aussitôt instinctivement à réduire la luxation, et voilà que son opération intempestive est suivie d’une mort instantanée et immédiate. Cet homme sera-t-il coupable d’un homicide formel? encore une fois non.

Pourquoi donc alors, dans un cas d’extrême nécessité, et en l’absence de toute personne compétente, pourquoi un ecclésiastique serait-il plus répréhensible en faisant pratiquer ou en pratiquant lui-même, suivant les règles de l’art, une incision abdominale sur une femme morte, dans le but de gagner une âme pour le ciel et peut-être un citoyen pour la patrie? Où est encore l’illégalité de ce ministère de dévouement et de charité? Qu’on nous la montre si l’on peut. Car enfin si notre législation n’est plus vivifiée, comme autrefois, par l’esprit chrétien, elle n’a pourtant pas la brutalité sauvage des lois des anciens païens ni de leur infanticide légal. Nous disons donc que laisser périr quand peut-être on peut sauver, c’est tuer. Et est-il jamais permis de priver légalement un être hu- main d’une chance de salut qui lui reste peut-être, quel- que faible qu’elle soit d’ailleurs? Et sous l’empire de ce


466 EXAMEN DE DEUX QUESTIONS,

doute, de ce peut-être terrible, ne faut-il pas agir et appliquer au malheureux enfant, suivant la maxime du droit, le bénéfice de ce doute redoutable? Oui certes, et mille fois oui.

Dans une extrême nécessité il faut tout tenter, même les moyens les plus douteux. Dans l’exercice de la mé- decine ne hasarde-t-on pas tous les jours des médications douteuses, précaires, incertaines, d’après cet axiome médical  : Meliùs est anceps quàm nullum? Et l’opération césarienne elle-même n’est-elle pas dans ce cas? Quel, est le chirurgien qui s’y refusera lorsqu’il sera intime- ment convaincu qu’elle est absolument indiquée, et que c’est l’unique ancre de salut qui reste à la mère? Mais revenons à notre enfant intra-utérin.

Qui pourra savoir avec une entière certitude si cet enfant, cru ou prétendu mort avec sa mère, n’est pas dans un état d’asphyxie ou de mort apparente? Un grand nombre de médecins, faussement persuadés d’avance que les enfants meurent avant ou avec leurs mères, s’em- pressent peu de faire les ouvertures cadavériques (1)  ; et

(1) Entre un grand nombre de faits de ce genre qui nous ont été commu- niqués nous n’en rapporterons que deux, dont nous a fait part, il y a quelques jours, un respectable curé de Belgique. Voici ce qu’il nous mande; nous citons textuellement  ;

« Une femme enceinte, arrivée à terme , mourut d’une hémorrhagie « utérine. Non seulement l’enfant ne fut pas baptisé, mais il ne vit pas « même le jour  ; cependant le médecin arriva peu de temps après la mort « de la femme.... Un curé se rencontra avec un médecin et un accoucheur « près d’une femme enceinte de cinq à six mois et morte depuis quelques « minutes. Non seulement les hommes de l’art ne font pas l’opération césa- « rienne, mais ils détournent le curé du dessein de la faire lui-même, dans « la crainte d’une dénonciation à la justice.  » Dans ces deux cas il y a eu


mita DE DEUX QUESTIONS. 4B7

quand ils les font par hasard et qu’ils rencontrent un enfant qui ne donne aucun signe de vie, s’empressent-ils toujours beaucoup de chercher à le ranimer? Nous ne voulons pas accuser ici ces praticiens d’improbité médi- cale, ni soupçonner la droiture de leurs intentions  ; nous les croyons dans la bonne foi, c’est à dire dans une fausse persuasion qui provient de l’ignorance des vrais prin- cipes de l’art obstétrical. Et comment en serait-il autre- ment quand on voit aujourd’hui tant de médecins pré- férer à la doctrine irréfragable des faits les dangereuses théories puisées dans les cours et dans les livres d’ac- couchements, dont l’esprit sceptique est si fréquemment hostile à tout sentiment religieux  ? De là trop souvent ce manque de respect, pour ne pas dire cette profonde, cette déplorable indifférence pour la chose la plus néces- saire à l’homme en ce monde, je veux dire le sacrement du baptême. « Pendant mes études en médecine, dit M. le docteur Rosiau, un professeur d’accouchements nous apporta un jour, dans son amphithéâtre, un fœtus de quatre mois et demi encore enveloppé dans ses mem- branes, et qu’il avait reçu la veille. Je me permis de lui

faute légale grave, imputable aux hommes de l’art. M. le docteur Kergaradec avait déjà publié, au mois de février dernier, le récit d’un journal, qui rapportait qu’une femme enceinte de cinq mois étant venue à mourir, le curé envoya prier un médecin d’ouvrir cette femme pour re- tirer l’enfant de son sein, afin qu’il pût le baptiser s’il vivait encore, ou l’en- terrer en terre profane ou non sainte dans le cas contraire. Le médecin rejeta cette demande avec indignation, et fit répondre que la loi et la morale lui interdisaient une pareille tentative. Il faut noter que la femme avait déclaré au prêtre qu’elle était enceinte, non de cinq, mais de six ou sept mois . Ici eucore le médecin est très répréhensible et mérite le blâme le plus sévère.


468 EXAMEN DE DEUX QUESTIONS.

faire observer qu’on aurait dû le faire baptiser après Favoir dégagé de son enveloppe. Il me répondit que, ne croyant pas à la régénération de l’espèce humaine par les eaux du baptême, il ne le donnait que lorsque les parents l’exigeaient.  » Voilà la haute moralité de certains cours d’accouchements!!!

L’immense embarras où peut se trouver un prêtre de- vrait être bien plus rare qu’il n’est réellement, puisque, aujourd’hui, en France, le nombre des médecins est assez grand pour que dans les bourgades les plus petites et les plus éloignées on se trouve à portée de recourir aux secours de l’art. Mais malheureusement le mal est ail- leurs. Or, ce mal, il faut bien le dire, c’est moins le manque de secours matériels que l’absence du sentiment religieux dans un trop grand nombre de médecins. Inde mali labes  ! Que tous les médecins connaissent et rem- plissent leurs devoirs les plus sacrés, et bien rarement les prêtres rencontreront, dans l’exercice de leur saint ministère, les difficultés qui font maintenant la matière de notre examen.

On parle de poursuites judiciaires dirigées contre le clergé. Que le ministère public, avant de poursuivre les prêtres qui remplissent leurs devoirs, oblige les médecins à remplir les leurs, et l’on trouvera moins de prétextes pour inquiéter les paisibles ecclésiastiques. Par là aussi le ministère public remplira son propre devoir.

Il est donc certain que, lorsqu’un ecclésiastique donne ses soins à l’accomplissement d’un devoir d’autant plus sacré qu’il s’agit du salut des âmes, il fait un acte de son ministère spirituel et nullement une action civile. Dès lors n’y aurait-il pas abus à exiger qu’il en demandât la per-


EXAMEN DE DEUX QUESTIONS. Z|69

mission à l’autorité civile, autorité évidemment incom- pétente en matière spirituelle? Et si le maire embarrassé s’avise d’en référer à ses supérieurs; si, par un motif quelconque, il refuse nettement son consentement, quel- les seront en attendant les conséquences de ces déplo- rables délais? on les devine aisément.

D’un autre côté tout le n° 3 du point légal de la pre- mière question concernant le médecin doit être également appliqué à la condition du prêtre. (Voyez page M2.)

Donc enfin, sous aucun rapport, le ministère public ne peut atteindre justement le prêtre, ni le paralyser dans l’exercice de son ministère spirituel, parceque, dans la question, ce ministère spirituel est la conséquence néces- saire du principe de la loi et du principe de la liberté religieuse.

QUESTION MÉDICALE.

Si un prêtre n est pas muni d’un diplôme de médecin pour faire pratiquer, ou pour pratiquer lui-même la sec- tion césarienne dans les cas prévus plus haut, il possède au moins, comme tout le monde, celui de la nature, qui autorise à agir dans le cas d’extrême nécessité. Mais est-il bien vrai que le prêtre soit absolument dépourvu de connaissances médicales, comme on le suppose toujours et comme on le dit souvent  ? Nous pensons le contraire, et nous affirmons positivement qu’ aujourd’hui la plupart des curés sont suffisamment initiés aux connaissances pratiques indispensables dans l’espèce  ; et que d’ailleurs tout prêtre possède un traité d’embryologie sacrée ou théologique auquel il peut toujours promptement recou-

31


EXAMEN DE DEUX Ql ESTIONS.


HW

rir an besoin. On sait assez qu’un traité (l’embryologie sacrée est ordinairement un ouvrage très savant, même au point de vue médical  ; que les médecins les plus ins- truits et le plus au courant de la science sont consultés avant sa rédaction  ; que les traités de médecine légale et de l’art des accouchements les plus estimés y sont mis à contribution  ; qu’on y décrit tous les moyens de distin- guer la mort réelle des maladies qui peuvent la simuler; qu’on y recommande de procéder exactement avec les mêmes précautions que celles que l’on prend lorsqu’on opère sur le vivant, et que le procédé opératoire y est très soigneusement détaillé  ; qu’en un mot les praticiens, peu au courant d’une opération heureusement très rare, y puiseraient au besoin tous les enseignements nécessai- res pour la pratiquer avec une entière sécurité.

Le prêtre sera-t-il donc beaucoup plus incapable de faire sur une femme morte la section césarienne qu’une foule de médecins de nos campagnes, qui dans ce genre d’opérations sont souvent encore aussi novices que lui  ? car un très grand nombre de médecins, sans excepter quelques-uns des villes, n’ont jamais fait l’opération cé- sarienne, même sur des femmes mortes. Rangeons donc le prêtre, sur le point qui nous occupe, dans cette der- nière catégorie.

Mais, clira-t-on peut-être encore, comment le prêtre pourra-t-il distinguer la mort réelle de la mort apparente s’il ignore les signes de l’une et de l’autre? A cela nous répondons que le prêtre a autant et peut-être plus d’ha- bitude de voir des morts que les médecins eux-mêmes. On sait que le prêtre demeure au chevet des moribonds alors que s’arrête et cesse tout à fait le ministère du mé-


EXAMEN DE DEUX' QUESTIONS. 471

decin. Les douleurs suprêmes résistent à la puissance de la thérapeutique matérielle. Il leur faut dès lors une mé- decine plus haute, c’est à dire la parole du prêtre, du confesseur, qui est la plus haute parole de l’humanité, ou plutôt c’est une parole surhumaine qui ordonne à 1 âme de partir pour le ciel. Proficiscere , anima chris - tiana.

Le prêtre demeure donc encore au poste de la mort lorsque déjà le médecin l’a déserté. 11 la contemple, l’é- tudie et la constate, tandis que le médecin ordinairement, trop souvent peut-être, évite cette sorte d’étude et se retire à temps et tranquillement.

II est donc certain que peu de personnes ont plus de connaissances pratiques sur la séméiotique de la mort que les prêtres. Ajoutez à cela qu’ils ont entre les mains, aussi bien que les médecins, des ouvrages très savants qui exposent dans tous les détails tout ce qu’on peut dé- sirer sur ces matières. Il n’est pas moins avéré qu’il est dans nos campagnes bien des médecins qui ne sont pas munis de ces sortes de livres, et qui possèdent sur ce point moins de connaissances pratiques et même théo- riques que beaucoup de curés intelligents et instruits.

Venons-en maintenant à l’application. Nous posons le cas suivant  : dans une extrême nécessité et en l’ absence absolue de tout ministère compétent, un ecclésiastique lait, avec toutes les précautions indiquées dans son traité d embryologie, une simple incision cutanée sur une femme enceinte morte ou crue telle  ; nous admettons donc ici la possibilité d’un état de mort apparent, dé- terminé par une léthargie ou une syncope suite d’hé- morrhagie utérine. Cela posé, nous affirmons hardiment


472 EXAMEN DE DEUX QUESTIONS.

que l’incision cutanée, pratiquée comme on vient de le dire, outre quelle ne peut être suivie d’aucun accident grave, ni d’aucune hémorrhagie sérieuse, puisqu’il y a absence de circulation, est sans contredit un des meil- leurs et des plus puissants moyens d’excitation. Cela est tellement vrai qu’on a souvent recours aux incisions cu- tanées, surtout à la plante des pieds, pour constater la mort dans les cas douteux. Qu’est-ce qui empêcherait donc de commencer l’opération par quelques incisions à la plante des pieds  ? Ces simples incisions cutanées su- perficielles, nous le répétons, non seulement ne seront suivies d’aucun accident, en cas de mort apparente, mais elles peuvent encore produire le plus heureux résultat en ranimant le flambeau de la vie sur le point de s’éteindre. Tous les accoucheurs savent qu’un célèbre praticien de Paris, Philippe Peu, ne reconnut la vie qu’au moment de l’incision abdominale.

Mais supposons que ces incisions demeurent sans effet  ; que reste-t-il à faire? Pûen autre chose que d’achever l’o- pération suivant le procédé indiqué dans tous les traités d’embryologie. Si l’opération césarienne est fort dange- reuse sur une femme vivante, elle est du moins ordinai- rement très facile sur une femme morte ou réputée telle. Tout se réduit donc à faire, avec les précautions indiquées, une simple incision abdominale immédiatement suivie de l’incision de la matrice et de l’extraction du fœtus. Or que fait de plus le chirurgien même le plus habile  ? Can- giamila dit qu’un curé de ses amis fit l’opération césa- rienne à la place et en présence d’un chirurgien qui ne pouvait l’exécuter  : il eut le bonheur de sauver l’enfant. Une simple femme au besoin pourrait faire ces sortes


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d’incisions. (Nous ne parlons pas ici des sages-femmes, qui sont instruites sur ce point et qui font d’office ces sortes d’opérations dans un cas de grave nécessité.) Il y a déjà longtemps qu’un curé de Sesson, près de Rennes, après avoir administré une femme enceinte qui mourut bientôt après, ordonna, en l’absence d’un ministère plus compétent, à une femme de faire l’opération. Cette lemme obéit, et eut le bonheur de retirer du sein de leur mère deux enfants vivants, qui furent baptisés à l’église. Sans doute ce curé avait eu soin de mettre un peu au fait cette chirurgienne improvisée, et de lui indiquer som- mairement le procédé opératoire. Un vicaire d’Avran- ches, au refus de toute autre personne, fut obligé de faire lui-même la section césarienne sur une femme morte dans l’état de grossesse, et il eut la consolation de retirer 1 enfant vivant et de le baptiser.

Mais enfin on objectera  : « Si par hasard la femme n’était que dans un état de léthargie ou de syncope, en un mot dans un état de mort apparent, une main incom- pétente ne déterminerait-elle pas la mort réelle et immé- diate ? » Sans doute la chose est possible, même sous la main la plus compétente et la plus exercée. C’est ici une de ces fatalités malheureuses, de ces éventualités né- fastes, inhérentes à la difficulté de la matière, comme disent les théologiens, et qui fort heureusement sont extrêmement rares. On ne cite point d’exemple d’un pa- îeil malheur arrivé soit aux prêtres, soit aux personnes dont ils ont emprunté le ministère plus ou moins incom- pétent. On ne trouve dans les fastes de l’art qu’un seul cas de mort déterminée par l’opération césarienne prati- quée sur une femme qu’on avait crue morte. Elle ne


l\ Vx EXAMEN DE DEUX QUESTIONS.

s’éveilla que pour s’éteindre aussitôt et sans retour. Le fait est rapporté par Trinchinetti. (. Journ . général , t. 69.)

Avant de terminer cette question, nous allons rap- porter un fait bien remarquable d’une double mort ap- parente chez une femme en couche et chez son enfant. Cette curieuse et intéressante observation offre, depuis plus d’un siècle, une règle de conduite à tous les hommes de l’art. Elle sera également fort utile aux ecclésiastiques en tant quelle montre les moyens d’excitation à faire employer en semblable occurrence.

Suivant un sage principe de l’art des accouchements, l’accoucheur, avant de faire l’opération césarienne sur une femme morte, doit s’assurer, dans les cas où la gros- sesse est bien avancée, si le col de l’utérus ne permettrait pas d’opérer la version de l’enfant ou d’appliquer le for- ceps, c’est à dire de faire l’accouchement artificiel, sur- tout s’il pouvait exister quelque doute sur la certitude de la mort. C’est ce que fit Rigaudeaux. Ce chirurgien fut appelé pour accoucher une femme aux environs de Douai (en 1740)  : on était venu le chercher à cinq heures du matin  ; mais il n’avait pu se rendre qu’à huit heures et demie auprès de la malade. On lui dit, lorsqu’il entra dans la maison, que l’accouchée était morte depuis deux heures, et qu’on n’avait pu trouver un chirurgien pour lui faire l’opération césarienne. Rigaudeaux s’in- forma des accidents qui avaient pu causer une mort si prompte  ; on lui répondit que, dès quatre heures du soir de la veille, la morte avait commencé à ressentir les dou- leurs de l’enfantement  ; que, pendant la nuit, la violence de ces douleurs avait causé de la faiblesse et des con- vulsions, et que le matin, à six heures, une nouvelle


EXAMEN DE DEUX QUESTIONS. 475

convulsion avait anéanti ce qui restait de forces à cette malheureuse. Elle était déjà ensevelie lorsque Rigaudeaux demanda à la voir  : il fait ôter le suaire pour examiner le visage et l’abdomen  ; il tâte le pouls au bras, sur le cœur et au dessus des clavicules, point de battement nulle part; il présente un miroir à la bouche, la glace n’est point ternie; beaucoup d’écume la remplissait, et l’abdomen était prodigieusement gonflé.... Bref, il ac- couche la femme d’un enfant qui ne donne aucun signe de vie. . . , le met entre les mains des femmes qui sont présentes, et, quoiqu’il lui paraisse mort, il les exhorte à le réchauffer en projetant du vin chaud sur son visage et sur tout son corps. Ces femmes, fatiguées d’un travail de trois heures en apparence inutile, se disposaient à l’en- sevelir, lorsqu’une d’elles s’écrie quelle lui a vu ouvrir la bouche; aussitôt leur zèle est ranimé; le vin, le vi- naigre, l’eau de la reine de Hongrie sont employés avec profusion  ; l’enfant donne des signes de vie manifestes, et bientôt il pleure avec autant de force que s’il était né heureusement. Rigaudeaux veut visiter la mère une se- conde fois; on l’avait encore ensevelie. Il fait enlever tout l’appareil funèbre, et, après un examen attentif, il la juge morte, comme après la première inspection. Ce- pendant il est étonné de la flexibilité des membres après sept heures de mort  ; il fait quelques tentatives inutiles pour ranimer la vie, et repart pour Douai en recom- mandant de ne procéder à l’inhumation du corps que lorsque les membres de la morte auraient perdu leur souplesse, et prescrit de lui frapper de temps en temps dans les mains, de lui frotter les mains, le nez, les yeux et le visage avec du vinaigre et de F eau de la reine de


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Hongrie, et de la laisser dans son lit. Deux heures de ces soins ressuscitèrent la morte, et l’enfant et la mère re- prirent si bien des forces qu’ils étaient tous deux pleins de vie le 10 août 1748  ; mais la mère resta paralytique, sourde et muette. ( Journal des Savants, janvier 1749.)

De tout ce qui précède il nous reste à conclure que le prêtre qui, à défaut absolu d’un ministère plus compé- tent, et dans une extrême et déplorable nécessité, fait pratiquer ou pratique lui-même la section césarienne sur une femme morte, selon les règles qu’il trouve dans son Traité d’embryologie sacrée, ne peut encourir aucun blâme de la science médicale, dont il a été, dans une extrême nécessité, le représentant et le ministre le moins incompétent  ; et nous ajoutons que, sous ce rapport, sa conduite charitable, son dévouement et son zèle éclairé ne peuvent être que dignes d’éloges et non de censure.


QUESTION THÉOUOGIQUE.


Ce que nous avons dit sur la question théologique de la première question, relative aux médecins, peut en grande partie trouver ici son application. Nous ajoute- rons que non seulement le curé, conformément à une foule de conciles et au Rituel romain, doit provoquer la section césarienne, mais qu’il lui est enjoint de veiller à ce qu’elle soit réellement pratiquée. Il lui est expressé- ment défendu de s’en rapporter légèrement à des pro- messes qu’on pourrait éluder.

En cas de nécessité absolue, tout individu de l’un ou de l’autre sexe, et nous l’avons déjà insinué, peut et


EXAMEN DE DEUX QUESTIONS. 477

même doit faire la section abdominale  ; et, nous le répé- tons, s’il ne se trouvait absolument personne qui pût ou qui voulût la pratiquer, la charité, un motif puissant, le salut d’une âme, impose au ministre d’une religion toute de charité le devoir d’y procéder lui-même. Un curé en Sicile, un vicaire à Avranches ont montré ce zèle cou- rageux, et tous deux ont eu le bonheur de baptiser de petits êtres qui sans eux auraient été privés éternelle- ment de la vue de Dieu. Le sentiment que nous expri- mons ici est celui de Van-Espen, de Dens, de Cangiamila, de Dinouart, d’Alasia, etc. C’était aussi l’opinion des anciens théologiens. Un grand nombre d’évêques en ont fait une obligation aux prêtres dans des mandements spéciaux. Un célèbre théologien français, iWr Bouvier, évêque du Mans, est du même avis, au moins dans les premières éditions de son Abrégé cl’ Embryologie, où il s exprime ainsi  : « .... dans la nécessité, une personne quelconque, mais jamais un prêtre, surtout s’il est jeune, à moins qu'il ne soit absolument impossible de faire au- trement : le respect dû à son caractère et la crainte des propos qu’on pourrait tenir lui imposent cette réserve. Par les mêmes motifs il ne faut pas qu’il soit témoin de 1 opération; il doit se tenir à l’écart, et venir quand il sera temps pour baptiser l’enfant.  » Dans la 10e édition, publiée en 1843, les mots soulignés sont supprimés.

Dans 1 état actuel de nos lois, de nos mœurs et même de nos préjugés, les prêtres feront bien de consulter leuis évêques pour savoir à 1 avance la règle de conduite qu’ils auront à tenir dans toutes les éventualités possibles.

Quant aux questions morale et sociale, voyez ce que nous avons dit sur ce point dans 1 examen de la première


478 EXAMEN DE DEUX QUESTIONS,

question. Nous n’ajoutons ici qu’un mot; c’est que rien ne nous paraît plus moral et plus social que d’assurer le salut éternel des enfants intra-utérins, et de procurer des citoyens à la patrie. Or, avec les principes ci-dessus éta- blis, on obtient souvent le premier avantage et quelque- fois le second.


QUELQUES RÉFLEXIONS CRITIQUES

SUR L’OPUSCULE INTITULÉ, DU BAPTÊME INTRA-UTÉRIN SANS OPÉRATION CÉSARIENNE PRÉALABLE , Par M. le Docteur THIRION, a Namur, 1846. (Belgique.)


Voici la proposition du mémoire (destiné au clergé) que l’auteur cherche à démontrer.

« L’opération césarienne, que le prêtre isolé est obligé « de faire immédiatement après la mort de la femme, (( afin de baptiser l’enfant, doit être abolie et remplacée « exclusivement par le procédé vagino-utérin, expliqué « par plusieurs théologiens, mais perfectionné.  »

Nous applaudissons aux intentions toutes chrétiennes de M. le docteur Thirion. Nous devons savoir gré à l’au- teur de son bon vouloir et de son zèle pour assurer aux enfants l’administration du baptême. Tout cela dans un médecin est assurément très louable et très digne d’é- loges; mais, nous devons le dire aussi, nous pensons que cet honorable médecin s’est fait illusion sur la valeur pratique de son mode de baptême comme il l’appelle. Or voici le moyen qu’il propose aux ecclésiastiques  : « Notre procédé, simple et facile, que le prêtre pourra « étudier sur un mannequin. . . , consiste à introduire dans « la matrice, par le canal de son col, une sonde en ar- « gent, creuse et ouverte à ses extrémités, par laquelle « on injectera l’eau qu’elle dirigera sur l’enfant ou sur « les secondines, quand elles ne seront pas préalable- « ment déchirées. Ce procédé pourra être simplifié lors- « qu’une partie du fœtus sera descendue dans l’excava- « tion du bassin.  » (P. 16.)

Ce procédé, qui n’est pas nouveau, comme l’auteur le îeconnait lui-même, peut dans quelques cas assez rares,


480 QUELQUES RÉFLEXIONS CRITIQUES.

nous devons le dire aussi, trouver une juste et heureuse application. Or ces cas, ce sont ceux seulement des ac- couchements très laborieux ou impossibles, et de quel- ques avortements à une époque avancée de la grossesse. Mais que peut-on espérer de l’emploi de la sonde lorsque l’orifice de l’utérus est plus ou moins exactement fermé, comme cela a lieu pendant toute la durée de la gros- sesse, excepté pendant les moments où l’on remarque le travail préparatoire de l’accouchement ou de l’avorte- ment. Quæ in utero gerunt3harum os uteri clausum est. (Hipp., aph. 51.) On comprend aisément que cette oc- clusion utérine doit être plus exacte, plus complète en- core jusqu’aux sixième et septième mois de la grossesse.

D’après cela il sera également aisé à comprendre combien il sera difficile de mettre à exécution la mé- thode proposée par M. Thirion, non seulement pour le prêtre, mais peut-être aussi pour un grand nombre de gens de l’art. Nous ne parlons pas ici d’un autre grave inconvénient attaché à l’emploi de ce moyen, c’est à dire l’invincible répugnance qu’il inspirera aux ecclésiasti- ques, et le caractère évident d’indécence et d’inconve- nance que comporte nécessairement le mécanisme de pareilles opérations sur des femmes vivantes. (1)

Mais supposons qu’on ait vaincu toutes les difficultés et levé tous les obstacles tant physiques que moraux, en

(1) Il conviendrait ce me semble de laisser ce ministère aux sages-femmes dont on ne manque dans aucune localité. Ces femmes montreront pour ces sortes d’opérations plus d’aptitude et moins de répugnance que pour la sec- tion abdominale. Benoît XIV ordonne quelque chose d’analogue dans son synode diocésain. Voici ses paroles  : Ad parochos vero pertinebit obstetrices instruere , et cùm casus evenerit in quo infantem, nuLlâ adhuc sui parte editum, mox decessurum prudenter timeant , ilium baptizcnt sub condi- tione  ; sub qud pariter erit iterùm baptizandus si periculum evadat et foràs prodeal.


QUELQUES RÉFLEXIONS CRITIQUES. 481

un mot qu’on ait baptisé, comme on a pu, le fœtus intra- utérin  ; si la femme meurt, il n’en faudra pas moins faire la section césarienne, puisque le baptême admi- nistré au moyen de la sonde doit être considéré dans l’espèce comme douteux  ; car il sera impossible de sa- voir si l’eau a été mise en contact avec la tête du fœtus. Et tant que l’on n’aura pas acquis cette certitude, le baptême doit être réputé douteux, l’eût-on même appli- qué à un des membres de l’enfant. On sait que dans ce dernier cas on doit rebaptiser l’enfant sous condition, s’il vient à naître  : c’est la décision expresse de Benoît XIV. Cangiamila lui-même, tout partisan qu’il est du bap- tême conféré par le moyen de la sonde, reconnaît cette extrême difficulté de savoir si l’enfant intra-utérin sera réellement baptisé, parceque, dit-il, on ne pourra jamais connaître sûrement si l’eau a touché la tête, ou la main, ou le pied; ce qui, dans le dernier cas, ajoute-t-il, ren- drait, suivant le Rituel romain , le baptême douteux. (Voir le texte latin du Rituel romain , à la page 415.) Ailleurs le célèbre et savant auteur fait remarquer avec beaucoup de raison qu’une femme étant morte en couche, si l’on a baptisé l’enfant dans la matrice par le moyen d un siphon, c’est à dire par injection, ou autrement, fût-ce même sur le pied ou sur la main qui eût paru au dehors (c’est à dire non sur les secondines) , on n’est pas pour cela dispensé de faire l’opération césarienne, et pour plusieurs raisons. La première est que l’enfant, autant qu’il est possible, doit recevoir l’eau du baptême à la tête  : la plupart des théologiens ne croient pas qu’il soit indifférent qu’il la reçoive sur la tête ou sur quelque membre. Après l’ opération, conformément au Rituel ro- main, il faut réitérer le baptême sous condition, à moins qu’on ne soit sûr que l’eau a touché immédiatement la


482 QUELQUES RÉFLEXIONS CRITIQUES.

tête. La deuxième raison est qu’ après avoir assuré la vie spirituelle de l’enfant, il faut tâcher de lui procurer la vie corporelle. La troisième enfin c’est qu’il peut arriver qu’il y ait plus d’un fœtus dans la matrice, et de là, comme on sait, la nécessité indispensable de faire l’opé- ration.

Enfin nous demanderons ce que deviendra le baptême des embryons avec le principe de M. Thirion. Comment les baptiser validement avec la sonde dans les premiers temps de la grossesse, c’est à dire jusqu’à cinq à six mois, et bien au dessous de ce terme? Il y a ici évidem- ment impossibilité morale et même physique, du moins pour les petits embryons. Et comme on peut croire que dans ces cas bien des médecins refuseront le concours de leur ministère, que fera le prêtre pour procurer le baptême aux fœtus ou aux embryons, si la section césa- rienne lui est à jamais interdite  ?

M. le docteur Thirion dit, à la page 28 de son opus- cule, ce qui suit  : « Les secondines faisant partie de l’enfant, dès lors qu’elles reçoivent l’ablution, c’est l’en- fant même qui la reçoit, comme si elle atteignait toute autre partie du corps.  »

Nous ne nous arrêterons point ici à discuter l’opinion de quelques théologiens cités par l’auteur, bien que ces théologiens disent que les secondines paraissent (viden- tur) être une partie de l’enfant. Nous accorderons cela; et même, si l’on veut, nous accorderons et aux théolo- giens et à M. Thirion , dût la science murmurer tout haut de notre concession, nous leur accorderons, disons- nous, que les secondines font partie de l’enfant au même titre que les membres. Assurément c’est beaucoup, c’est trop évidemment; mais que gagneront-ils à cette con- cession, puisque le baptême appliqué seulement aux


QUELQUES RÉFLEXIONS CRITIQUES. 483

membres est douteux, et déclaré tel par une très haute autorité, le Rituel romain? À plus forte raison sera-t-il douteux lorsque l’ablution ne touchera que les secon- dines. La raison en est que les membres ne sont pas ici essentiels à 1 homme. Ce ne sont pas les membres qui constituent 1 individualité ou la personnalité humaine  ; ils ne sont ici que des parties accidentelles, amissibles en quelque sorte, dont la perte n’entraîne pas nécessai- lement celle de 1 individu. C’est la tête seule qui fait es- sentiellement la personnalité humaine ou l’être humain; mais la tête unie au tronc  : voilà l’homme, vrai et seul sujet du baptême, fût-il même privé de tous ses mem- bres à la fois.

Quand nous admettrions la facilité et la convenance dans l’application du procédé de M. le docteur Thirion, il resterait toujours à cette méthode, comme nous l’a- vons déjà fait voir, l’immense, l’incommensurable incon- vénient d établir en principe que l’on peut validement baptiser les enfants intra-utérins sur des parties quel- conques, même sur les secondines. On aura donc enfin, comme conséquence de ce principe dangereux, un bap- tême presque toujours douteux, sauf quelques cas rares où la tête se présente convenablement. Il est inutile de faire observer qu’une telle méthode, donnée comme rè- gle, serait un mal évident et déplorable.

Tout ce que nous avons dit précédemment dans l’exa- men des deux questions concernant le médecin et le prê- tre nous dispense d’entrer ici dans de plus amples détails.

Pour conclure, nous n’avons besoin que de retourner la proposition de M. le docteur Thirion (voyez-la au commencement de cet appendice) , car c’est précisément le contraire de cette proposition qui est la vérité. Nous disons donc  ;


484 QUELQUES RÉFLEXIONS CRITIQUES.

L’opération césarienne que le prêtre isolé est obligé de faire immédiatement après la mort de la femme, afin de baptiser l’enfant, ne doit ni ne peut être abolie, ni

EXCLUSIVEMENT REMPLACÉE PAR LE PROCÉDÉ VAGINO-UTÉRIN.

Ces courtes réflexions étaient écrites quand il nous est tombé sous la main un supplément de la Gazette médi- cale belge, où l’on rapporte le bulletin de l’Académie de la séance de juin 1845. Voici comment s’est exprimé, au sujet de l’opuscule de M. le docteur Thirion, un membre distingué de l’Académie, M. Martens  : « L’intérêt de l’humanité exige le contraire de ce que veut M. Thirion. Il faut que l’opération césarienne puisse être pratiquée par le prêtre en l’absence absolue des hommes de l’art.

— Mais, dira-t-on, ce n’est pas dans le but de sauver l’enfant, mais bien dans celui de le baptiser que le prê- tre pratique l’opération. Peu importe le but, pourvu que l’enfant soit sauvé! — On ne peut décider que le placenta et les secondines font partie intégrante de l’en- fant. La science ne peut résoudre cela. Autant vaudrait dire que la mère elle-même ne fait qu’un avec le fœtus.

— Un cas de décès ordinaire peut tout aussi bien être constaté par le prêtre.  »

Plus bas, le même académicien ajoute encore les pa- roles suivantes  : « Faut-il sacrifier la vie de l’enfant, oui ou non? voilà toute la question. — Or il n’y a qu’un seul moyen de le sauver; c’est l’opération césarienne* — Et puis pour le baptême à quoi serviraient les injections vaginales, en cas de grossesse extra-utérine?  » ( Gazette médicale belge , n° 23, 8 juin 1845.)


QUELQUES MOTS


SUR UN PETIT OPUSCULE DE M. LE DOCTEUR MEURICE, QUI DÉFEND LA DOCTRINE DE M. THIRION CONTRE L’ACADÉMIE DE MÉDECINE DE BELGIQUE.


L’honorable M. Meurice, défenseur officieux ou officiel, peu importe, de l’estimable M. Thirion, nous paraît avoir plutôt desservi que servi la cause de son client, le mé- decin de Namur. Et en effet tout ce qu’il dit pour encou- rager le prêtre à recourir au procédé de baptême de M. Thirion est on ne peut plus capable de lui inspirer la plus invincible répugnance. Il ne se contente pas, comme M. Thirion, de lui conseiller l’exercice du man- nequin ; il veut encore que le prêtre, vers la fin de la grossesse, aille rompre la poche des eaux, pour baptiser r enfant (p. 11). (1)

Mais avant d’aller plus loin, disons que M. Meurice se pose notre antagoniste, et qu’à cette occasion il nous apprend une chose que nous ignorions complètement, et à laquelle nous ne pensions nullement à élever nos mo- destes prétentions  : il dit que notre Essai sur la Théologie morale, qui contient comme on sait un Traité d’embryo- logie sacrée, fait, au jugement de l’académicien M. Cu- nier, règle en Belgique (p. 7)  ; et qu’un autre académi- cien, M. le docteur Variez, rapporte avoir lu et relu avec fruit le même ouvrage (p. 5). Nous en remercions sin- cèrement notre aimable et courtois adversaire, quel que soit le motif qui lui fait tenir ce langage.

(1) Cette sorte d’opération ne peut se faire qu’à l’aide du doigt.

32


/{86 QUELQUES RÉFLEXIONS CRITIQUES.

Cela fait, dans la pensée de M. Meurice il était dès lors tout naturel, nécessaire même de chercher à ébranler, à renverser cette autorité (p. 9), à détruire cette règle du pays (p. 7) et à briser les boucliers dont se servent les académiciens (p. 6) . Mais ne pouvant porter atteinte à la doctrine de notre Essai sur ta Théologie morale 9 admis comme règle et comme autorité , M. Meurice s’est labo- rieusement ingénié, en accumulant force textes sur les signes de la mort réelle, pour faire ressortir de préten- dues contradictions, qu’aucun critique, pas même les académiciens de Bruxelles, n’avaient aperçues avant lui. Or notre auteur, ne jugeant pas apparemment facile de faire voir ce qui n’est pas, a eu recours au moyen trop souvent employé par les critiques, c’est à dire qu’il n’a point assez respecté la pureté et l’intégrité des textes, soit en supprimant les contextes, soit en séparant ce qui était uni, etc.

Au reste, ne voulant point perdre le temps à relever les singulières observations du critique, que d’ailleurs nous n’avons pu comprendre, nous en laissons l’examen et l’appréciation au lecteur, que nous engageons à lire, dans notre Essai sur la T héologie morale , le paragraphe sur les signes de la mort réelle, où se trouvent les pré- tendues contradictions. Passons donc à un point plus important.

Au sujet du baptême des monstres, nous disons  : « Si l’enfant monstrueux est un acéphale, on doit le baptiser conditionnellement en disant  : Si tu vis et si tu es homme , je te baptise , etc.  » [Essai sur la Théologie morale.) A ce texte, qui est la doctrine de tous les théologiens et de l’Église universelle, M. Meurice répond  : « J’abandonne « ces anomalies au jugement des prêtres et des hommes « sensés, et me borne à leur demander si un fœtus sans


QUELQUES RÉFLEXIONS CRITIQUES, 'l87

« tête est un homme  ? Si, alors que l’organe de l’inteili- « gence et de l’âme est absent, le produit de la concep- « tion doit être baptisé?  » (p. 10.)

Le savant critique ne doit pas ignorer qu’il existe des acéphales complets et des acéphales incomplets  ; que les derniers, qui sont les plus communs, conservent la base du crâne avec tous les nerfs sensoriaux et les organes des sens. On en cite une foule de cas  ; nous-même nous avons vu un acéphale, ou plutôt un anencéphale, c’est à dire sans cerveau ou lobes cérébraux  ; et cependant cet en- fant, sans l’organe de l’intelligence (les hémisphères cérébraux) , a vécu vingt-quatre heurès. Ce sujet proba- blement a été privé de son cerveau par suite d’une hy- drocéphalie, ou peut-être il n’en a jamais été pourvu. Dans les deux cas, quelque savant se demandera peut- être  : est-ce un être humain ou non  ? L’Eglise, plus sage que la science, n’attendra pas la réponse de la science  ; elle baptisera sous condition le sujet qui a forme hu- maine, et elle fera bien. Où est alors l’anomalie que pré- tend signaler M. Meurice  ?

Si l’acéphalie est complète, c’est à dire s’il y a absence totale de la tête, l’on doit encore baptiser conditionnelle- ment, parceque le sujet présente un corps humain, et par conséquent un tronc humain, qui est censé contenir le cœur, le primum vivens et Yultimum moriens. Donc aussi la vie est censée pouvoir exister au moins quelques moments ou le temps suffisant pour l’administration du baptême. A la vérité, dans l’acéphalie complète, le cœur peut manquer, et même il manque très souvent. Mais la grande rareté de son existence ne l’exclut pas absolu- ment, et autorise le doute à un degré suffisant pour agir. D’ailleurs il peut se trouver réuni à ce tronc acéphale un centre nerveux à l’état latent et rudimentaire ou à l’état


488 QUELQUES RÉFLEXIONS CRITIQUES.

de débris ou de ruine, ce qui constituerait peut-être alors une sorte de personnalité humaine. Il y a donc tout au moins, nous le répétons, quelque doute  ; et sous l’empire de ce doute, on agit et l’on devra toujours agir tant que le dernier mot de la science n’aura pas été dit. Où sera encore ici l’anomalie  ?

Qu’on traite donc ces sortes de questions avec moins de légèreté. Le plaisant est toujours de mauvais goût dans les matières graves et sérieuses. Ce sont là de ces choses médico-théologiques qu’aucun médecin ne peut ignorer, pas même un médecin de campagne (1)  : s’il ne le sait pas, qu’il n’en parle pas, et qu’il ait au moins la sagesse d’écouter et de se taire.

Nous ne nous arrêterons point à relever plusieurs au- tres observations du critique, parcequ’ outre quelles n’ont aucun fondement cette inutile controverse serait sans intérêt et sans avantage pour le lecteur.


(1) Au frontispice de son opuscule M. Meurice a pris la qualilicatioii de

médecin de campagne.


FIN.


TABLE DES MATIÈRES.


Pages.

Avant-propos v

Réflexions préliminaires sur le péché de luxure en général. . 1

PREMIÈRE PARTIE.

DE LA LUXURE CONSOMMÉE ET NON CONSOMMÉE.

CHAPITRE Ier. De la luxure consommée 6

Article Ier. Du péché de luxure contre la nature. . . ib.

§ I. De la pollution en général 7

Section I. De l’onanisme solitaire, ou masturbation , ou pollution volontaire en soi ou directement voulue (mol-

lities ) 9

Sect. IL De la pollution volontaire dans sa cause ou di- rectement voulue 10

Sect. III. De la pollution nocturne 21

Sect. IV. De la pollution diurne AO

Sect . V. Des mouvements déréglés 51

Sect. VI. De la conduite à tenir envers les masturbateurs

ou les onanistes 53

Sect. VIL De la pollution volontaire ou de la masturba- tion considérée dans le sexe féminin 61

Sect. VIII. De la pollution diurne et nocturne dans le sexe

féminin 73

§ II. De la sodomie^ 83

§ III. De la bestialité 86

Art. II. Des péchés de luxure ou d’impureté suivant la

nature 88

S I. De la fornication simple Ib.

§ II. Du stupre et du viol 100

De la restitution pour cause de séduction ou de

stupre et de viol 108

§ III. Du rapt ou de l’enlèvement par violence ou par sé- duction irrésistible 116

S IV. De l’adultère 119

$ V. De l’inceste 132

§ VI. Du sacrilège 138


490


TABLE


Page*.


Appendix. — De agendi ratione cum personis quæ ad tur-

pia sollicitantur a clericis 1^3

CH AP. II. De la luxure non consommée 146

Art. Ier. Des pensées, des désirs, de la joie ou de la com- plaisance et de la délectation morose en matière de

luxure lb,

§ I. Des pensées lb,

§ II. Des désirs et de la joie ou de la complaisance. . . 147

§ III. De la délectation morose. . 148

§ IV. Des moyens à opposer aux pensées déshonnêtes. . 160 Art. II. Des attouchements et des baisers et embrassements. 162

§ I. Des attouchements »... Ib.

§ II. Des baisers et des embrassements 169

Art. III. Des regards 173

Art. IV. De l’ajustement et de la parure des femmes. . 177 Art. V. Des paroles et des discours déshonnêtes , des

chansons et des livres obscènes 183

§ I. Des paroles, des discours et des chansons déshon- nêtes ou obscènes lb,

§ II. Des livres obscènes 186

Art. VI. Des danses et des bals 190

Art. VII. Des spectacles ou des représentations scéniques. 199

Art. VIII. Des pratiques magnétiques 223

Art. IX. Quelques mots sur la manière d’interroger les pénitents sur le sixième commandement. ..... 252

SECONDE PARTIE.

DES DEVOIRS DES ÉPOUX.

GHAP. 1er. De l'empêchement du mariage par impuissance. 258 § Ier. lb.

Impuissance perpétuelle et temporaire, naturelle et ac- cidentelle chez l’homme. . . . 261

Impuissance perpétuelle et temporaire, naturelle et ac- cidentelle chez la femme 266

Des hermaphrodites 271

§ II. Conséquence et application de ce qui précède. . . 274

CHAP. II. Des devoirs conjugaux ou des obligations des époux


I cluliVLo cl IIUIIE 5UJCI» ••«••••••)• -- t/LJ.

Art. Ier. De la 'pétition et de la reddition du devoir cou

jugal. , 295

§ 1er. De la pétition du devoir illicite ou de ceux qui pè- chent mortellement en l’exigeant 296


DES MATIERES.


491

Paçes.

S II. Do roux qui pèchent véniellement en exigeant le de- voir conjugal

$ III. De la reddition du devoir conjugal ot des raisons

qui on dispensent légitimement. . . 308

§ IV. Dos époux qui pèchent mortellement on rendant le

devoir conjugal

§ V. De ceux qui pèchent véniellement en rendant le de- voir 3^9

Art. II. De l’usage du mariage, des circonstances de l’acte conjugal et des péchés qu’y commettent les époux. . . 325 § Ier. De l’usage du mariage et des péchés véniels qu’y com- mettent les époux, quant aux motifs lb.

§ II. Des circonstances où l’usage du mariage est généra- lement péché mortel quant à l’acte, conformément a

l’opinion de tous les théologiens 331

§ III. Des attouchements entre époux 339

§ IV. Du péché d’Onan ou de l’onanisme conjugal. . . 347 Art. III. De la conduite du confesseur à l’égard des per- sonnes mariées et de celles qui se disposent à entrer dans l’état de mariage 366


TRAITÉ PRATIQUE

d’embryologie sacrée ou théologique.


CHAP. Ier. De l’animation de l’embryon ou du fœtus. —Em- bryogénie. — Baptême des embryons

§ Ier. De l’animation de l’embryon ou du fœtus. . . .

§ II. Des causes de l’avortement

§ III. De l’embryogénie ’

§ IV. Du baptême des embryons

CHAP. II. Conduite à tenir auprès d’une femme enceinte qui

vient de mourir, etc

§ Ier. Réflexions préliminaires. .........

§ II. Des signes de la mort réelle et apparente. . . . § III. De l’opération césarienne sur une femme morte. . § IV. De l’opération césarienne sur la femme vivante. — Obstacles à la parturition du côté de la mère. . . .

§ V. Obstacles à la parturition du côté du fœtus. . . . § VI. De l’asphyxie et de l’état apoplectique des nouveau- nés. . .


§ VII. Du baptême des monstres

§ VIII. Conduite du confesseur à l’égard d’une lille en danger de mort, qui lui déclare qu’elle est enceinte. .


373

lb.

378

383

385

391 lb.

392 401

409

424


429

431

433


492


TABLE DES MATIÈRES.


Pages.

EXAMEN DE DEUX QUESTIONS 439

PREMIÈRE QUESTION. — LE MÉDECIN DOIT-IL FAIRE LA SECTION CÉSARIENNE SUR UNE FEMME ENCEINTE, QUI MEURT AVANT D’ACCOUCHER?


Question^ légale 440

Question* médicale 443

lrc Question  : De la viabilité lb.

9 2e Question  : Combien de temps le fœtus peut-il continuer de vivre de la vie intra-utérine après la mort de sa

mère  ? 447

3e Question  : A quelle époque de la grossesse commence pour le médecin le devoir de procéder à la section césa- rienne sur les femmes enceintes mortes avant d’accou- cher? 456

Question théologiqtje 458

Question morale 460

Question sociale et civile 461


SECONDE QUESTION. — LE PRÊTRE, A DÉFAUT DE MÉDECIN, DOIT-IL OU PEUT-IL FAIRE PRATIQUER, OU PRATIQUER LUI-MÊME LA SECTION CÉSARIENNE SUR UNE FEMME ENCEINTE QUI MEURT AVANT D’ACCOU- CHER, S’IL NE TROUVE ABSOLUMENT PERSONNE QUI PUISSE OU QUI VEUILLE S’Y PRÊTER?


Question légale 463

Question médicale 469

Question théologique 476


Quelques réflexions critiques sur l’opuscule intitulé  : Du bap- tême intra-utérin sans opération césarienne préalable , par M. le docteur Thirion, à Namur. 1846. (Belgique.). . 479 Quelques mots sur un petit opuscule de M. le docteur Meu- nce, qui défend la doctrine de M. Thirion contre l’Acadé- mie de médecine de Belgique 485






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