Imaginary Lives  

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"The science of history leaves us uncertain as to individuals, revealing only those points by which individuals have been attached to generalities. History tells us that Napoleon was ill on the day of Waterloo; that we must attribute Newton’s excessive intellectuality to the absolute consistency of his temperament; that Alexander was drunk when he killed Klitos; and that the fistula of Louis XIV was perhaps the cause of certain of his resolutions. Pascal speculates on the length of Cleopatra's nose . . . the possible consequences had it been a trifle shorter; and on the grain of sand in Cromwell’s urethra. All these facts are valued only when they modify events or alter a series of events. They are causes, established or possible. We must leave them to savants."--Imaginary Lives (1896) by Marcel Schwob

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Imaginary Lives (1896, Vies imaginaires ), is a collection of twenty-two semi-biographical short stories by Marcel Schwob, first published as a book in 1896. Mixing known and fantastical elements, it was the first of the genre of biographical fiction. The book was an acknowledged influence in Jorge Luis Borges’s first book A Universal History of Infamy. Borges also translated the last story "Burke and Hare, Assassins" into Spanish.

Most had been published individually in the newspaper Le Journal between 1894 and 1895. For the collected edition he substituted “Vie de Morphiel, démiurge” with ‘’Matoaka’’ which had appeared in 1893 in L'Echo de Paris and that he renamed Pocahontas, princesse.

The book features twenty-two literary portraits of figures from ancient history, art history, and the history of crime and punishment. From demi-gods, sorcerers, incendiaries, wantons and philosophers of the ancient world, to the "poet of hate" Cecco Angiolieri and the painter Paolo Uccello, through to the pirates William Kidd and Major Stede-Bonnet, and finally Burke and Hare, the serial killers; Schwob presents an array of characters who display all that is macabre, deviant and magnificently terrifying in human beings and in life.

The work is reminiscent of other biographical glossaries such as Jorge Luis Borges' A Universal History Of Infamy and Alfonso Reyes' Real And Imagined Portraits.

Contents

Contents

Original French title English translation (2013) Central characters
Empédocle, Dieu supposé Empedocles, Supposed God Empedocles
Erostrate, Incendiaire Erostate, Incendiary Herostratus
Cratès, Cynique Crates, Cynic Crates of Thebes
Septima, Incantatrice Septima, Enchantress
Lucrèce, Poète Lucretius, Poet Lucretius
Clodia, Matronne impudique Clodia, Impure Woman Clodia
Pétrone, Romancier Petronius, Romancier Petronius
Sufrah, Géomancien Sufrah, Geomancer Sorcerer from Aladdin
Frate Dolcino, Hérétique Fra Dolcino, Heretic Fra Dolcino
Cecco Angiolieri, Poète haineux Cecco Angiolieri, Poet of Hate Cecco Angiolieri
Paolo Uccello, Peintre Paolo Uccello, Painter Paolo Uccello
Nicolas Loyseleur, Juge Nicolas Loysenleur, Judge Judge of Joan of Arc
Katherine la Dentellière, Fille amoureuse Katherine the Lacemaker, Girl of the Streets
Alain le Gentil, Soldat Alain the Gentle, Soldier
Gabriel Spenser, Acteur Gabriel Spencer, Actor Gabriel Spencer
Pocahontas, Princesse Pocahontas, Princess Pocahontas
Cyril Tourneur, Poète tragique Cyril Tourneur, Tragic Poet Cyril Tourneur
William Phips, Pêcheur de trésors William Phips, Treasure Hunter William Phips
Le Capitaine Kid, Pirate Captain Kidd, Pirate William Kidd
Walter Kennedy, Pirate illettré Walter Kennedy, Unlettered Pirate Walter Kennedy (pirate)
Le Major Stede Bonnet, Pirate par humeur Major Stede-Bonnet, Pirate by Fancy Stede Bonnet
MM. Burke et Hare, Assassins Burke and Hare, Assassins Burke and Hare murders

Full text of French original

PREFACE

La science historique nous laisse dans l’incertitude sur les individus. Elle ne nous révèle que les points par où ils furent attachés aux actions générales. Elle nous dit que Napoléon était souffrant le jour de Waterloo, qu’il faut attribuer l’excessive activité intellectuelle de Newton à la continence absolue de son tempérament, qu’Alexandre était ivre lorsqu’il tua Klitos et que la fistule de Louis XIV put être la cause de certaines de ses résolutions. Pascal raisonne sur le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, ou sur un grain de sable dans l’urètre de Cromwell. Tous ces faits individuels n’ont de valeur que parce qu’ils ont modifié les événements ou qu’ils auraient pu en dévier la série. Ce sont des causes réelles ou possibles. Il faut les laisser aux savants.

L’art est à l’opposé des idées générales, ne décrit que l’individuel, ne désire que l’unique. Il ne classe pas ; il déclasse. Pour autant que cela nous occupe, nos idées générales peuvent être semblables à celles qui ont cours dans la planète Mars et trois lignes qui se coupent forment un triangle sur tous les points de l’univers. Mais regardez une feuille d’arbre, avec ses nervures capricieuses, ses teintes variées par l’ombre et le soleil, le gonflement qu’y a soulevé la chute d’une goutte de pluie, la piqûre qu’y a laissée un insecte, la trace argentée du petit escargot, la première dorure mortelle qu’y marque l’automne ; cherchez une feuille exactement semblable dans toutes les grandes forêts de la terre : je vous mets au défi. Il n’y a pas de science du tégument d’une foliole, des filaments d’une cellule, de la courbure d’une veine, de la manie d’une habitude, des crochets d’un caractère. Que tel homme ait eu le nez tordu, un oeil plus haut que l’autre, l’articulation du bras noueuse ; qu’il ait eu coutume de manger à telle heure un blanc de poulet, qu’il ait préféré le malvoisie au château-margaux, voilà qui est sans parallèle dans le monde. Aussi bien que Socrate, Thalès aurait pu dire Gnôthi seauton (1) ; mais il ne se serait pas frotté la jambe dans la prison de la même manière, avant de boire de la ciguë. Les idées des grands hommes sont le patrimoine commun de l’humanité : chacun d’eux ne posséda réellement que ses bizarreries. Le livre qui décrirait un homme en toutes ses anomalies serait une oeuvre d’art comme une estampe japonaise où on voit éternellement l’image d’une petite chenille aperçue une fois à une heure particulière du jour.

Les histoires restent muettes sur ces choses. Dans la rude collection de matériaux que fournissent les témoignages, il n’y a pas beaucoup de brisures singulières et inimitables. Les biographes anciens surtout sont avares. N’estimant guère que la vie publique ou la grammaire, ils nous transmirent sur les grands hommes leurs discours et les titres de leurs livres. C’est Aristophane lui-même qui nous a donné la joie de savoir qu’il était chauve, et si le nez camard de Socrate n’eût servi à des comparaisons littéraires, si son habitude de marcher les pieds déchaussés n’eût fait partie de son système philosophique de mépris pour le corps, nous n’aurions conservé de lui que ses interrogatoires de morale. Les commérages de Suétone ne sont que des polémiques haineuses. Le bon génie de Plutarque fit parfois de lui un artiste ; mais il ne sut pas comprendre l’essence de son art, puisqu’il imagina des " parallèles " - comme si deux hommes proprement décrits en tous leurs détails pouvaient se ressembler ! On est réduit à consulter Athénée, Aulu-Gelle, des scoliastes, et Diogène Laërce qui crut avoir composé une espèce d’histoire de la philosophie.

Le sentiment de l’individuel s’est développé davantage dans les temps modernes. L’oeuvre de Boswell serait parfaite s’il n’avait jugé nécessaire d’y citer la correspondance de Johnson et des digressions sur ses livres. Les Vies des personnes éminente par Aubrey sont plus satisfaisantes. Aubrey eut, sans aucun doute, l’instinct de la biographie. Comme il est fâcheux que le style de cet excellent antiquaire ne soit pas à la hauteur de sa conception ! Son livre eût été la récréation éternelle des esprits avisés. Aubrey n’éprouva jamais le besoin d’établir un rapport entre des détails individuels et des idées générales. Il lui suffisait que d’autres eussent marqué pour la célébrité les hommes auxquels il prenait intérêt. On ne sait point la plupart du temps s’il s’agit d’un mathématicien, d’un homme d’Etat, d’un poète ou d’un horloger. Mais chacun d’eux a son trait unique, qui le différencie pour jamais parmi les hommes.

Le peintre Hokusaï espérait parvenir, lorsqu’il aurait cent dix ans, à l’idéal de son art. A ce moment, disait-il, tout point, toute ligne tracés par son pinceau seraient vivants. Par vivants, entendez individuels. Rien de plus semblable que des points et des lignes : la géométrie se fonde sur ce postulat. L’art parfait de Hokusaï exigeait que rien ne fût plus différent. Ainsi l’idéal du biographe serait de différencier infiniment l’aspect de deux philosophes qui ont inventé à peu près la même métaphysique. Voilà pourquoi Aubrey, qui s’attache uniquement aux hommes, n’atteint pas la perfection, puisqu’il n’a pas su accomplir la miraculeuse transformation qu’espérait Hokusaï de la ressemblance en la diversité. Mais Aubrey n’était pas parvenu à l’âge de cent dix ans. Il est fort estimable néanmoins, et il se rendait compte de la portée de son livre. "Je me souviens, dit-il, dans sa préface à Anthony Wood, d’un mot du général Lambert - that the best of men are but men at the best -, ce dont vous trouverez divers exemples dans cette rude et hâtive collection. Aussi ces arcanes ne devront-ils être exposés au jour que dans environ trente ans. Il convient en effet que l’auteur et les personnages (semblables à des nèfles) soient pourris auparavant."

On pourrait découvrir chez les prédécesseurs d’Aubrey quelques rudiments de son art. Ainsi Diogène Laërce nous apprend qu’Aristote portait sur l’estomac une bourse de cuir pleine d’huile chaude et qu’on trouva dans sa maison, après sa mort, quantité de vases de terre. Nous ne saurons jamais ce qu’Aristote faisait de toutes ces poteries. Et le mystère en est aussi agréable que les conjectures auxquelles Boswell nous abandonne sur l’usage que faisait Johnson des pelures sèches d’orange qu’il avait coutume de conserver dans ses poches. Ici Diogène Laërce se hausse presque au sublime de l’inimitable Boswell. Mais ce sont là de rares plaisirs. Tandis qu’Aubrey nous en donne à chaque ligne. Milton, nous dit-il, "prononçait la lettre R très dure". Spenser "était un petit homme, portait les cheveux courts, une petite collerette, et des petites manchettes". Barclay "vivait en Angleterre à quelque époque tempore R. Jacobi. C’était alors un homme vieux, à barbe blanche, et il portait un chapeau à plume, ce qui scandalisait quelques personnes sévères". Erasme "n’aimait pas le poisson, quoique né dans une ville poissonnière". Pour Bacon, "aucun de ses serviteurs n’osait apparaître devant lui sans bottes en cuir d’Espagne ; car il sentait aussitôt l’odeur du cuir de veau, qui lui était désagréable". Le docteur Fuller "avait la tête si fort en travail que, se promenant et méditant avant dîner, il mangeait un pain de deux sous sans s’en apercevoir". Sur Sir William Davenant il fait cette remarque : "J’étais à son enterrement ; il avait un cercueil de noyer. Sr. John Denham assura que c’était le plus beau cercueil qu’il eût jamais vu." Il écrit à propos de Ben Johnson : "J’ai entendu dire à M. Lacy, l’acteur, qu’il avait coutume de porter un manteau pareil à un manteau de cocher, avec des fentes sous les aisselles." Voici ce qui le frappe chez William Prynne : "Sa manière de travailler était telle. Il mettait un long bonnet piqué qui lui tombait d’au moins deux ou trois pouces sur les yeux et qui lui servait d’abat-jour pour protéger ses yeux de la lumière, et toutes les trois heures environ, son domestique devait lui apporter un pain et un pot d’ale pour lui refociller ses esprits ; de sorte qu’il travaillait, buvait, et mâchonnait son pain, et ceci l’entretenait jusqu’à la nuit où il faisait un bon souper." Hobbes "devint très chauve dans sa vieillesse ; pourtant, dans sa maison, il avait coutume d’étudier nu-tête, et disait qu’il ne prenait jamais froid mais que son plus grand ennui était d’empêcher les mouches de venir se poser sur sa calvitie". Il ne nous dit rien de l’Oceana de John Harrington mais nous raconte que l’auteur "A° Dni 1660, fut envoyé prisonnier à la Tour, où on le garda, puis à Portsey Castle. Son séjour dans ces prisons (étant un gentilhomme de haut esprit et de tête chaude) fut la cause procatarctique de son délire ou de sa folie qui ne fut pas furieuse - car il causait assez raisonnablement et il était de société fort plaisante ; mais il lui vint la fantaisie que sa sueur se changeait en mouches et parfois en abeilles, ad cetera sobrius ; et il fit construire une maisonnette versatile en planches dans le jardin de M. Hart (en face de St. Jame’s Park) pour en faire l’expérience. Il la tournait au soleil et s’asseyait en face ; puis il faisait apporter ses queues de renard pour chasser et massacrer toutes les mouches et abeilles qu’on y découvrirait ; ensuite il fermait les châssis. Or il ne faisait cette expérience que dans la saison chaude, de façon que quelques mouches se dissimulaient dans les fentes et dans les plis des draperies. Au bout d’un quart d’heure peut-être, la chaleur faisait sortir de leur trou une mouche, ou deux, ou davantage. Alors il s’écriait : "Ne voyez-vous pas clairement qu’elles sortent de moi ?’’ "

Voici tout ce qu’il nous dit de Meriton. "Son vrai nom était Head. M. Bovey le connaissait bien. Né en... Etait libraire dans Little Britain. Il avait été parmi les bohémiens. Il avait l’air d’un coquin avec ses yeux goguelus. Il pouvait se changer en n’importe quelle forme. Fit banqueroute deux ou trois fois. Fut enfin libraire, ou vers sa fin. Il gagnait sa vie avec ses griffonnages. Il était payé 20 sh. la feuille. Il écrivit plusieurs livres : The English Rogue, The Art of Wheadling, etc. Il fut noyé en allant à Plymouth par la pleine mer vers 1676, étant âgé d’environ 50 ans." Enfin il faut citer sa biographie de Descartes :

Monseigneur RENATUS DES CARTES. "Nobilis Gallus, Perroni Dominus, summus Mathematicus et Philosophus, natus Turonum, pridie Calendas Apriles 1596. Denatus Holmiae, Calendis Februarii, 1650. (Je trouve cette inscription sous son portrait par C. V. Dalen.) Comment il passa son temps en sa jeunesse et par quelle méthode il devint si savant, il le raconte au monde en son traité intitulé De la Méthode. La Société de Jésus se glorifie que l’ordre ait eu l’honneur de son éducation. Il vécut plusieurs années à Egmont (près la Haye) d’où il data plusieurs de ses livres. C’était un homme trop sage pour s’encombrer d’une femme ; mais, étant homme, il avait les désirs et appétits d’un homme ; il entretenait donc une belle femme de bonne condition qu’il aimait, et dont il eut quelques enfants (je crois deux ou trois). Il serait fort surprenant qu’issus des reins d’un tel père ils n’eussent point reçu une belle éducation. Il était si éminemment savant que tous les savants lui rendaient visite, et beaucoup d’entre eux le priaient de leur montrer ses... d’instruments (à cette époque la science mathématique était fortement liée à la connaissance des instruments, et ainsi que le disait Sr. H. S. à la pratique des tours). Alors il tirait un petit tiroir sous la table et leur montrait un compas dont l’une des branches était cassée ; et puis, pour règle, il se servait d’une feuille de papier pliée en double."

Il est clair qu’Aubrey a eu la conscience parfaite de son travail. Ne croyez pas qu’il ait méconnu la valeur des idées philosophiques de Descartes ou de Hobbes. Ce n’est pas là ce qui l’intéressait. Il nous dit fort bien que Descartes lui-même a exposé sa méthode au monde. Il n’ignore pas que Harvey découvrit la circulation du sang ; mais il préfère noter que ce grand homme passait ses insomnies à se promener en chemise, qu’il avait une mauvaise écriture, et que les plus célèbres médecins de Londres n’auraient pas donné six sous d’une de ses ordonnances. Il est sûr de nous avoir éclairés sur Francis Bacon, lorsqu’il nous a expliqué qu’il avait l’oeil vif et délicat, couleur noisette, et pareil à l’oeil d’une vipère. Mais ce n’est pas un aussi grand artiste que Holbein. Il ne sait pas fixer pour l’éternité un individu par ses traits spéciaux sur un fond de ressemblance avec l’idéal. Il donne la vie à un oeil, au nez, à la jambe, à la moue de ses modèles : il ne sait pas animer la figure. Le vieil Hokusaï voyait bien qu’il fallait parvenir à rendre individuel ce qu’il y a de plus général. Aubrey n’a pas eu la même pénétration. Si le livre de Boswell tenait en dix pages, ce serait l’oeuvre d’art attendue. Le bon sens du docteur Johnson se compose des lieux communs les plus vulgaires ; exprimé avec la violence bizarre que Boswell a su peindre, il a une qualité unique dans ce monde. Seulement ce catalogue pesant ressemble aux dictionnaires mêmes du docteur ; on pourrait en tirer une Scientia Johnsoniana, avec un index. Boswell n’a pas eu le courage esthétique de choisir.

L’art du biographe consiste justement dans le choix. Il n’a pas à se préoccuper d’être vrai ; il doit créer dans un chaos de traits humains. Leibnitz dit que pour faire le monde, Dieu a choisi le meilleur parmi les possibles. Le biographe, comme une divinité inférieure, sait choisir parmi les possibles humains, celui qui est unique. Il ne doit pas plus se tromper sur l’art que Dieu ne s’est trompé sur la bonté. Il est nécessaire que leur instinct à tous deux soit infaillible. De patients démiurges ont assemblé pour le biographe des idées, des mouvements de physionomie, des événements. Leur oeuvre se trouve dans les chroniques, les mémoires, les correspondances et les scolies. Au milieu de cette grossière réunion le biographe trie de quoi composer une forme qui ne ressemble à aucune autre. Il n’est pas utile qu’elle soit pareille à celle qui fut créée jadis par un dieu supérieur, pourvu qu’elle soit unique, comme toute autre création.

Les biographes ont malheureusement cru d’ordinaire qu’ils étaient historiens. Et ils nous ont privés ainsi de portraits admirables. Ils ont supposé que seule la vie des grands hommes pouvait nous intéresser. L’art est étranger à ces considérations. Aux yeux du peintre le portrait d’un homme inconnu par Cranach a autant de valeur que le portrait d’Erasme. Ce n’est pas grâce au nom d’Erasme que ce tableau est inimitable. L’art du biographe serait de donner autant de prix à la vie d’un pauvre acteur qu’à la vie de Shakespeare. C’est un bas instinct qui nous fait remarquer avec plaisir le raccourcissement du sterno-mastoïdien dans le buste d’Alexandre, ou la mèche au front dans le portrait de Napoléon. Le sourire de Mona Lisa, dont nous ne savons rien (c’est peut-être un visage d’homme) est plus mystérieux. Une grimace dessinée par Hokusaï entraîne à de plus profondes méditations. Si l’on tentait l’art où excellèrent Boswell et Aubrey, il ne faudrait sans doute point décrire minutieusement le plus grand homme de son temps, ou noter la caractéristique des plus célèbres dans le passé, mais raconter avec le même souci les existences uniques des hommes, qu’ils aient été divins, médiocres, ou criminels.

Empédocle, Dieu supposé

Personne ne sait quelle fut sa naissance, ni comment il vint sur terre. Il apparut près des rives dorées du fleuve Acragas, dans la belle cité d'Agrigente, un peu après le temps où Xerxès fit frapper la mer de chaî- nes. La tradition rapporte seulement que son aïeul se nommait Empédocle : aucun ne le connut. Sans doute, il faut entendre par là qu'il était fds de lui-même, ainsi


2i VIES IMAOIN AIRES

qu'il convient à un Dieu. Mais ses disciples assurent qu'avant de parcourir dans sa gloi- re ks campagnes de Sicile, il avait déjà passé quatre existences dans notre monde, et qu'il avait été plante, poisson, oiseau et jeune fille. Il portait un manteau de pourpre sur lequel retombaient ses longs cheveux ; il avait autour de la tête une bande d'or, aux pieds des sandales d'airain, et il tenait des guirlandes tressées de laine et de lau- riers.

Par l'imposition de ses mains il guéris- sait les malades et récitait des vers, à la fa- çon homérique, avec des accents pompeux, monté sur un char, et la tête levée vers le ciel. Une grande troupe de peuple le suivait et se prosternait devant lui pour écouter ses poèmes. Sous le ciel pur qui éclaire les blés, les hommes venaient de toutes parts vers Empédocle, leurs bras chargés d'offrandes. Il les tenait béants en leur chantant la voù-


VIES IMAGINAIRES 25

te divine, faite de cristal, la masse de feu que nous nommons soleil, et l'amour, qui contient tout, semblable à une vaste sphère. Tous les êtres, disait-il, ne sont que des morceaux disjoints de cette sphère d'amour où sinsinua la haine. Et ce que nous appe- lons amour, c'est le désir de nous unir et de nous fondre et de nous confondre, ainsi que nous étions jadis, au sein du dieu globulaire que la discorde a rompu. Il invoquait le jour où la sphère divine se gonflerait, après toutes les transformations des âmes. Car le monde que nous connaissons est l'oeuvre de la haine, et sa dissolution sera l'œuvre de l'amour. Ainsi il chantait par les villes et par les champs; et ses sandales d'airain ve- nues de Laconie tintaient à ses pieds, et devant lui sonnaient des cymbales. Cepen- dant de la gueule de l'Etna jaillissait une colonne de fumée noire qui jetait son om- bre sur la Sicile.

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20 VIKS IMAGINAIRES

Semblable ù un roi du ciel, Empéclocle était roulé dans la pourpre et ceint d'or, tandis que les pythagoriciens se traînaient dans leurs minces tuniques de lin, avec des chaussures faites de papyros. On disait qu'il savait faire disparaître la chassie, dissou- dre les tumeurs, et tirer les douleurs des membres ; on le suppliait de faire cesser les pluies et les ouragans ; il conjura les tem- pêtes sur un cercle de collines ; à Sèlinonte, il chassa la fièvre en faisant déverser deux fleuves dans le lit d'un troisième ; et les habitants de Sèlinonte l'adorèrent et lui éle- vèrent un temple, et frappèrent des médail- les où son image était placée face à face de l'image d'Apollon.

D'autres prétendent qu'il fut divinateur et instruit par les magiciens de Perse, qu'il possédait la nécromancie et la science des herbes qui rendent fou. Un jour où il dînait chez Anchitos, un homme furieux se rua


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dans la salle, le glaive levé. Empédocle se dressa, tendit le bras, et chanta les vers d'Homère sur le népenthès qui donne l'in- sensibilité. Et aussitôt la force du népenthès saisit le furieux, et il demeura fixe, le glai- ve en l'air, ayant tout oublié, comme s'il eût bu le doux poison mêlé dans le vin mousseux d'un cratère.

Les malades venaient à lui hors des cités et il était entouré d'une foule de miséra- bles. Des femmes se mêlèrent à sa suite. Elles baisaient les pans de son manteau précieux. Une se nommait Pantliea, fille d'un noble d'Agrigente. Elle devait être consa- crée à Artemis, mais elle s'enfuit loin de la froide statue de la déesse et voua sa virgi- nité à Empédocle. On ne vit point leurs marques d'amour, car Empédocle préser- vait une insensibilité divine. Il ne proférait de paroles que dans le mètre épirjue, et en dialecte d'Ionie, quoique le peuple et ses


2S VIES IMAGINAIRES

fidèles ne se servissent que du dorien. Tous ses gestes étaient sacrés. Quand il s'appro- chait des hommes, c'était pour les bénir ou les guérir. La plupart du temps, il demeu- rait silencieux. Aucun de ceux qui le sui- vaient ne put jamais le surprendre pendant son sommeil. On ne l'aperçut que majes- tueux.

Panthea était vêtue de fine laine et d'or. Ses cheveux étaient disposés à la riche mo- de d'Agrigente, où la vie coulait mollement. Elle avait lés seins soutenus par un stro- phe rouge, et la semelle de ses sandales était parfumée. Pour le reste, elle était belle et longue de corps, et de couleur très dé- sirable. Il est impossible d'assurer qu'Em- pèdocle l'aimât mais il eut pitié d'elle. En effet, le souffle asiatique engendra la peste dans les champs siciliens. Beaucoup d'hom- mes furent touchés par les doigts noirs du fléau. Môme les cadavres des bêtes jonchaient


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le bord des prairies et on voyait çà et là des brebis pelées, mortes la gueule ouverte . vers le ciel, avec leurs côtes saillantes. Et Panthea devint languissante de cette mala- die. Elle tomba aux pieds d'EmpédocIe et elle ne respirait plus. Ceux qui l'entouraient soulevèrent ses membres raidis et les bai- gnèrent de vin et d'aromates. Ils délièrent le strophe rouge qui serrait ses jeunes seins, et la roulèrent dans des bandelettes. Et sa bouche entr'ouverte était retenue par un lien et ses yeux creux ne miraient plus la lumière.

Empédocle la regarda, détacha le cercle d'or qui lui ceignait le front, et le lui impo- sa. Il plaça sur ses seins la guirlande de laurier prophétique, chanta des vers incon- nus sur la migration des âmes, et lui ordon- na par trois fois de se lever et de marcher. La foule était pleine de terreur. Au troisiè- me appel, Panthea sortit du royaume des

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30 VIES DIAOINAIPxES

ombres, et son corps s'nnima et se dressa sur ses pieds, tout emmailloté dans les ban- des funéraires. Et le peuple vit ([u'Empédo- ele était évocateur dos morts.

Pysianacte, père de Panthea, vint adorer le nouveau dieu. Des tables furent étendues so us les arbres de sa campagne, afin de lui offrir des libations. Aux côtés d'Empédocle, des esclaves soutenaient de grandes torches. Les hérauts proclamèrent, ainsi qu'aux mys- tères, le silence solennel. Soudain, à la troi- sième veille, les torches s'éteignirent et la nuit enveloppa les adorateurs. Il y eut une voix forte qui appela : « Empèdocle ! » Quand la lumière se fit, Empèdocle avait disparu. Les hommes ne le revirent plus.

Un esclave épouvante raconta qu'il avait vu un trait rouge qui sillonnait les ténèbres vers le sommet de l'Etna. Les fidèles gra- virent les pentes stériles de la montagne à la lueur morne de l'aube. Le cratère du vol-


VIES IMAGINAIPES 31

can vomissait une gtrbe de flammes. On trouva, sur la margelle poreuse de lave qui encercle l'abîme ardent, une sandale d'ai- rain travaillée par le feu.


Erostrate, Incendiaire

EROSTRATE


La ville d'Ephèse, où naquit Herostratos, s'allongeait à l'embouchure du Caystre, avec ses deux ports fluviaux, jusqu'aux quais du Panorme, d'où on voyait sur la mer profondément teinte la ligne brumeuse de Samos. Elle regorgeait d'or et de tissus, de laines et de roses, depuis que les Magné- siens, leurs chiens de guerre et leurs escla- ves qui lançaient des javelots, avaient été vaincus sur les bords du Méandre, depuis que la magnifique Milet avait été ruinée par les Persans. C'était une cité molle, où on fêtait les courtisanes dans le temple d'A- phrodite Hétaïre. Les Ephésiens portaient des tuniques amorgines, transparentes, des


oÔ VIES IMAGINAIRES

robes de lin iilô au rouet couleur de violette, de pouri)re et de crocos, des sarapides cou- leur de pomme jaune et Llanches et roses, des étoffes d'Egypte couleur d'hyacinthe, avec les flamboiements du feu et les nuan- ces mobiles de la mer, et des calasiris de Perse, à tissu serré, léger, toutes parse- mées sur leur fond écarlate de grains d'or façonnés en coupelles.

Entre la montagne de Prion et une haute falaise escarpée, on apercevait, sur le bord du Caystre, le grand temple d'Artemis. Il avait fallu cent vingt ans pour le bâtir. Des peintures roides ornaient ses chambres inté- rieures, dont le plafond était d'ébène et de cyprès. Les lourdes colonnes, qui le soute- naient, avaient été barbouillées de minium. La salle de la déesse était petite et ovale. Au milieu, se dressait une pierre noire pro- digieuse, conique et luisante, marquée de dorures lunaires, qui n'était autre qu'Arte-


VIES IMAGINAIRES 37

mis. L'autel triangulaire était aussi taillé dans une pierre noire. D'autres tables, fai- tes de dalles noires, étaient percées de trous réguliers pour laisser couler le sang des victimes. Aux parois pendaient de larges lames d'acier, emmanchées d'or, qui ser- vaient à ouvrir les gorges, et le parquet poli était jonché de bandelettes sanglantes. La grande pierre sombre avait deux mamelles dures et pointues. Telle était l'Artemis d'E- phèse. Sa divinité se perdait dans la nuit des tombes égyptiennes, et il fallait l'adorer selon les rites persans. Elle possédait un trésor enfermé dans une espèce de ruche peinte en vert, dont la porte pyramidale était hérissée de clous d'airain. Là, parmi les anneaux, les grandes monnaies et les rubis, gisait le manuscrit d'Heraclite, qui avait proclamé le règne du feu. Le philosophe l'y avait déposé lui-même à la base de la pyra- mide, tandis qu'on la construisait.


S VIES IM VGINAIRES

La mère d'Herostratos était violente et orgueilleuse. On ne sut point quel était son père. Ilerostratos déclara plus tard qu'il était llls du feu. Son corps était marqué, sous le sein gauche, d'un croissant, qui parut s'enflammer lorsqu'on le tortura. Celles qui assistèrent sa naissance prédirent qu'il était assujetti à Artemis. Il fut colère et demeura vierge. Son visage était corrodé par des lignes obscures et la teinte de sa peau était noirâtre. Dés son enfance, il aima se tenir sous la haute falaise, près de l'Ar- temision. Il regardait passer les processions d'offrandes. A cause de l'ignorance où on <Hait de sa race, il ne put devenir prêtre de la déesse à laquelle il se croyait voué. Le collège sacerdotal dut lui interdire plusieurs fois l'entrée du naos, où il espérait écarter le tissu précieux et pesant qui voilait Arte- mis. 11 on conçut de la haino et jura de vio- ler le secret.


VIES niAGIN AIRES 39

Le nom d'Herostratos lui seinLlait à nul autre comparable ainsi que sa propre per- sonne lui apparaissait supérieure à toute l'humanité. Il désirait la gloire. D'abord il s'attacha aux philosophes qui enseignaient la doctrine d'Heraclite : mais ils n'en con- naissaient point la partie secrète, puisqu'elle était enclose dans la petite cellule pyramidale du trésor d'Artemis. Herostratos conjectura seulement l'opinion du maître. Il s'endurcit au mépris des richesses qui l'entouraient. Son dégoût pour l'amour des courtisanes était extrême. On crut qu'il réservait sa virginité pour la déesse. Mais Artemis n'eut point pitié de lui. Il parut dangereux au col- lège delaGerousia,qui surveillait le temple. Le satrape permit qu'on l'exilât dans les faubourgs. 11 vécut au flanc du Koressos, dans un caveau creusé par les anciens. De là il guettait, la nuit, les lampes sacrées de l'Artemision. Quelques-uns supposent que


•iO VIES IMAGINAIRES

des Persans initiés vinrent s'y entretenir avec lui. Mais il est plus probable que son destin lui fut révélé d'un coup.

En effet il avoua dans la torture qu'il avait compris soudain le sons du mot d'He- raclite, la route d'en haut, et pourquoi le philosophe avait enseigné que l'àmela meil- leure est la plus sèche et la plus enflammée. Il attesta que son âme, en ce sens, était la< plus parfaite, et qu'il avait voulu le procla- mer. 11 ne donna point d'autre cause à son action que la passion de la gloire et la joie d'entendre proférer son nom. Il dit que seul son règne aurait été absolu, puisqu'on ne lui connaissait point de père et qu'Herostratos aurait été couronné par Herostratos, qu'il était flls de son œuvre, et que son œuvre était l'essence du monde : qu'ainsi il aurait été tout ensemble roi, philosophe et dieu, unique entre les hommes.

L'an 350, dans la nuit du 21 juillet, la lu-


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ne n'étant pas montée au ciel, et le désir d'Herostratos ayant acquis une force inusi- tée, il résolut de violer la chambre secrète d'Artemis. Il se glissa donc par le lacet de la montagne jusqu'à la rive du Caystre et gravit les degrés du temple. Les gardes des prêtres dormaient auprès des lampes saintes. Heros- tratos en saisit une et pénétra dans le naos. Une forte odeur d'huile de nard s'y ex- halait. Les arêtes noires du plafond d'ébène étaient éclatantes. L'ovale de la chambre était partagé au rideau tissu de fils d'or et de pourpre qui cachait la déesse. Heros- tratos, haletant de volupté, l'arracha. Sa lampe éclaira le cône terrible aux mamel- les droites. Herostratos les saisit des deux mains et embrassa avidement la pierre di- vine. Puis il en fit le tour, et aperçut la pyramide verte où était le trésor. Il saisit les clous d'airain de la petite porte, et la descella. Il plongea ses doigts parmi les

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joyaux vierges. Mais il n'y prit que le rou- leau de papyrus où Heraclite avait inscrit ses vers. A la lueur de la lampe sacrée il les lut et connut tout. Aussitôt il s'écria : « Le feu, le feu ! » Il attira le rideau d'Artemis et approcha la mèche allumée du pan inférieur. L'étoffe brûla d'abord lentement ; puis,, à cause des vapeurs d'huile parfumée dont elle était imprégnée, la flamme monta, bleuâtre, vers les lambris d'ébène. Le terrible cône refléta l'incendie.

Le feu s'enroula aux chapiteaux des co- lonnes, rampa le long des voûtes. Une à uaô, les plaques d'or vouées à la puissante Arterais tombèrent des suspensions sur les dalles avec un retentissement de métal. Puis la gerbe fulgurante éclata sur le toit et illumina la falaise. Les tulles d'airain s'affais- sèrent, Ilcrostratos se dressait dans la lueur, clamant son nom parmi la nuit.


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Tout l'Artemision fut un monceau rouge au centre des ténèbres. Les gardes saisi- rent le criminel. On le bâillonna pour qu'il cessât de crier son pro^Dre nom. 11 fut jeté dans les sous-sols, lié, durant l'incendie.

Artaxerxés, sur l'heure, envoya l'ordre de le torturer. Il ne voulut avouer que ce qui a été dit. Les douze cités d'Ionie défen- dirent, sons peine de mort, de livrer le nom d'Herostratos aux âges futurs. Mais le mur- mure l'a fait venir jusqu'à nous. La nuit où Herostratos embrasa le temple d'Ephèse, vint au monde Alexandre, roi de Macé- doine.


Cratès, Cynique

GRATÈS


Il naquit à Thèbes, fut disciple de Diogè- ne, et connut aussi Alexandre. Son père, Ascondas, était riche et lui laissa deux cents talents. Un jour qu'il était allé voir une tra- gédie d'Euripide, il se sentit inspiré à l'ap- parition de Télèphe, roi de Mysie, vêtu avec des haillons de mendiant et tenant une corbeille à la main. Il se leva dans le théâ- tre et annonça d'une voix forte qu'il distri- buerait à qui les voudrait les deux cents talents de son héritage, et que désormais les vêtements de Télèphe lui suffiraient. Les Thé- l)ains se mirent à rire et s'attroupèrent devant sa maison ; cependant il riait plus qu'eux. Il leur jeta son argent et ses meu-


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bles par les lenètrcs, prit un manteau do toile et une besace, puis s'en alla.

Arrivé dans Athènes, il erra dans les rues, se reposant le dos contre les murailles, par- mi les excréments. Il mit en pratique tout ce que conseillait Diogène. Son tonneau lui sembla superflu. A l'avis de CIratès, l'hom- me n'était point un escargot ni un bernard l'ermite. Il demeura tout nu dans l'ordure, et ramassa les croûtes de pain, les olives pourries et les arêtes de poisson sec pour remplir sa besace. Il disait que cette besace était une ville large et opulente où on ne trouvait ni parasites ni courtisanes, et qui produisait suffisamment pour son roi du thym, de l'ail, des figues et du pain. Ainsi Cratès portait sa i^atrie sur son dos et s'en nourrissait.

II ne se mîlait pas des affaires publiques, même pour les railler, et n'affectait pas d'insulter les rois. Il n'approuva point ce trait


VIES IMAGINAIRES id

de Diogèiie qui, ayant crié im jour: «Hom- mes, approchez ! » frappa de son bâton ceux qui étaient venus et leur dit : « J'ai^ appelé des hommes, et non pas des excréments. » Gratès fut tendre pour les hommes. Il ne se souciait de rien. Les plaies lui étaient familières. Son grand regret était de n'avoir point le corps assez souple pour parvenir à les lécher, comme font les chiens. Il déplo- rait aussi la nécessité de se servir d'aliments solides et de boire de l'eau. II pensait que l'homme devait se suffire à lui-même, sans aucune aide extérieure. Au moins, il n'allait pas chercher d'eau pour se laver. Il se con- tentait de se frotter le corps aux murailles si la crasse l'incommodait, ayant remarqué que les ânes n'agissent point autrement. Il parlait rarement des dieux, et ne s'en inquié- tait pas : peu lui importait qu'il y en eût ou non, et il savait bien qu'ils ne pourraient rien lui faire. D'ailleurs, il leur reprochait

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(l'avoir rendu les hommes malheureux à dessein, en leur tournant le visage vers le ciel et en les privant de la faculté qu'ont la plupart des animaux, qui marchent à qua- tre pattes. Puisque les dieux ont décidé qu'il faut manger pour vivre, pensait Gra- tès, ils devaient tourner le visage des hom- mes vers la terre, où croissent les racines : on ne saurait se repaître d'air ou d'étoiles.

La vie ne lui fut point généreuse. Il eut la chassie, à force d'exposer ses yeux à ràcre poussière de l'Attiquc. Une maladie de peau inconnue le couvrit de tumeurs. Il se gratta de ses ongles qu'il ne rognait jamais et observa qu'il en tirait double profit, puis- qu'il les usait en même temps qu'il éprou- vait du soulagement. Ses longs cheveux de- vinrent semblables à du feutre épais, et il les disposa sur sa tête pour se protéger de la pluie et du soleil.

Quand Alexandre vint le voir, il ne lui


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adressa point de paroles piquantes, mais le considéra parmi les autres spectateurs sans faire aucune différence entre le roi et la. foule. Gratès n'avait point d'opinion sur les grands. Ils lui importaient aussi peu que les dieux. Les hommes seuls l'occupaient, et la manière de passer l'existence avec le plus de simplicité qu'il est possible. Les objurgations de Diogène le faisaient rire, non moins que ses prétentions à réformer les moeurs. Gratès s'estimait infiniment au-des- sus de soucis aussi vulgaires. Il transfor- mait la maxime inscrite au fronton du tem- ple de Delphes, et disait : « Vis toi-même» . L'idée d'une connaissance quelconque lui pa- raissait absurde. Il n'étudiait que les rela- tions de son corps avec ce qui lui est néces- saire, tâchant à les réduire autant, qu'il se peut. Diogène mordait comme les chiens,, mais Gratès vivait comme les chiens. U eut un disciple dont le nom était Métro-


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elo. C'était un jeune homme riche de Maro- nèe. Sa sœur Hipparehia, belle et noble, devint amoureuse de Cratès. Il est constant qu'elle en fut éprise et qu'elle vint le trou- ver. La chose paraît impossible, mais elle est certaine. Rien ne la rebuta, ni la saleté du cynique, ni sa pauvreté absolue, ni l'hor- reur de sa vie publique. Il la prévint qu'il vivait à la manière des chiens, parmi les rues et qu'il quêtait les os dans les tas d'or- dures. Il l'avertit que rien ne serait caché de leur vie commune et qu'il la posséderait pu- bliquement, dés que l'envie lui en prendrait, comme les chiens font avec les chiennes. Hipparehia s'attendait à tout cela. Ses pa- rents essayèrent de la retenir : elle les me- naça de se tuer. Ils eurent pitié d'elle. Alors elle quitta le bourg de Maronée, toute nue, les cheveux pendants, couverte seulement d'une vieille toile, et elle vécut avec Cratès, habillée semblablement à lui. On dit qu'il eut


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d'elle un enfant, Pasicle; mais rien n'est assuré à cet égard.

Cette Hipparchia fut, paraît-il, bonne aux pauvres, et compatissante ; elle caressait les malades avec ses mains ; elle léchait sans aucune répugnance les blessures sanglantes de ceux qui souffraient, persuadée qu'ils étaient à elle ce que les brebis sont aux brebis, ce que les chiens sont aux chiens. S'il faisait froid, Cratès et Hipparchia couchaient serrés contre les pauvres, et tâchaient de leur donner part à la chaleur de leur corps. Ils leur prêtaient l'aide muette que les animaux se prêtent les uns aux autres. Ils n'avaient au- cune préférence pour aucun de ceux qui s'opprochaient d'eux. Il leur suffisait que ce fussent des hommes.

Voilà tout ce qui est parvenu à nous au sujet de la femme de Cratès; nousne savons quand elle mourut, ni comment. Son frère Mètrocle admirait Craies et l'imita. Mais il


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n'avait point de tranquillité. Sa santé était troublée par des flatuosités continuelles, qu'il ne pouvait retenir. Il se désespéra et résolut de mourir. Cratès apprit son malheur, et voulut le consoler. Il mangea un chénix de lupinset alla voir Métroclc. Il lui demanda si c'était la honte de son infirmité qui l'affligeait à ce point. Métrocle avoua qu'il ne pouvait supporter cette disgrâce. Alors Cratès, tout gonflé de lupins, lâcha des vents en présence de son disciple, et lui affirma que la nature soumettait tous les hommes au même mal. Il lui reprocha ensuite d'avoir eu honte des autres et lui proposa son propre exemple. Puis il lâcha encore quelques vents, prit Métrocle par la main, et l'emmena.

Tous deux restèrent longtemps ensemble parmi les rues d'Athènes, sans doute avec H.pparchia. Ils se parlaient fort peu. Ils n'avaient honte d'aucune chose. Bien que fouillant aux mêmes tas d'ordures, les chiens


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paraissaient les respecter. On j^eut penser que, s'ils eussent été pressés par la faim, ils se seraient battus les uns les autres à coups de dents. Mais les biographes n'ont rien rapporté de ce genre. Nous savons que Cratès mourut vieux ; qu'il avait fini par demeurer toujours à la même place , étendu sous l'appentis d'un magasin du Pirée, où les marins abritaient les ballots du port ; qu'il cessa d'errer pour trouver des viandes a ronger, ne voulut plus même étendre le bras, et qu'on le trouva, un jour, desséché par la faim.


Septima, Incantatrice

SEPTIMA


Septima fut esclave sous le soleil africain, dans la ville d'Hadrumète. Et sa mèreAmoe- na fut esclave, et la mère de celle-ci fut es- clave, et toutes furent belles et obscures, et les dieux infernaux leur révélèrent des philtres d'amour et de mort. La ville d'Hadrumète était blanche et les pierres de la maison où vivait Septima étaient d'un rose tremblant. Et le sable de la grève était parsemé des co- quilles que roule la mer tiède depuis la ter- re d'Egypte, à l'endroit où les sept bouches du Nil épandent sept vases de diverses cou- leurs. Dans la maison maritime où vivait Sep- tima, on entendait mourir la frange d'argent de la Méditerranée, et, à son pied, unéven-


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tail de lignes bleues éclatantes s'ôployait jusqu'au ras du ciel. Les paumes des mains de Septima étaient rougies d'or, et Fex- trémitè de ses doigts était fardée ; ses lè- vres sentaient la myrrhe et ses paupières ointes tressaillaient doucement. Ainsi elle marchait sur la route des faubourgs, por- tant à la maison des serviteurs une corbeille de pains flexibles.

Saptima devint amoureuse d'un jeune hom- me libre, Sextilius, fils de Dionysia. Mais il n'est point permis d'être aimées à celles qui connaissent les mystères souterrains : car elles sont soumises à l'adversaire de l'amour, qui se nomme Anterôs. Et ainsi qu'Erôs dirige les scintillements des yeux et aiguise les pointes des flèches, Anterôs détourne les re- gards et ômousse l'aigreur des traits. C'est un dieu bienfaisant qui siège au milieu des morts. Il n'est point cruel, comme l'autre. Il possède le népenthèsqui donne l'oubli. Et


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sachant que l'amour est la pire des clou- leurs terrestres, il hait et guérit l'amour. Ce- pendant il est impuissant à chasser Erôs d'un cœur occupé. Alors il saisit l'autre cœur. Ainsi Anterôs lutte contre Erôs. Voi- là pourquoi Sextilius ne put aimer Septima. Sitôt qii'Erôs eut porté sa torche dans le sein de l'initiée, Anterôs, irrité, s'empara de celui qu'elle voulait aimer.

Septima connut la puissance d'Anterôs aux yeux baissés de Sextilius. Et quand le tremblement pourpré saisit l'air du soir, elle sortit sur la route qui va d'Hadrumète jus- qu'à la mer. C'est une route paisible où les amoureux boivent du vin de dattes, appuyés contre les murailles polies des tombeaux. La brise orientale souffle son parfum sur la nécropole. La jeune lune, encore voilée, vient y errer, incertaine. Beaucoup de morts embaumés trônent autour d'Hadrumète dans leurs sépultures. Et là dormait Phoinissa,


Gi VIES IMAGINAIRES

sœur de Septima, esclave comme elle, et qui mourut à seize ans, avant qu'aucun liomme eût respiré son odeur. La tombe de Phoinissa était étroite comme son corps. La pierre étreignait ses seins tendus de bande- lettes. Tout près de son front bas une lon- gue dalle arrêtait son regard vide. De ses lèvres noircies s'envolait encore la vapeur des aromates où on l'avait tremi^ée. Sur sa main sage brillait un anneau d'or vert in- crusté de deux rubis pâles et troubles. Elle songeait éternellement dans son rêve sté- rile aux choses qu'elle n'avait point connues.

Sous la blancheur vierge de la lune nou- velle, Septima s'étendit près de la tombe étroite de sa sœur, contre la bonne terre. Elle pleura et elle froissa son visage à la guirlande sculptée. Et elle approcha sa bou- che du conduit par où on verse les libations, et sa passion s'exhala :

— ma sœur, dit-elle, détourne-toi de


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ton sommeil pourm'écouter. La petite lampe qui éclaire les premières heures des morts s'est éteinte. Tu as laissé glisser de tes doigts l'ampoule colorée de verre que nous t'avions donnée. Le fil de ton collier s'est rompu et les grains d'or sont épars autour de ton cou. Rien de nous n'est plus à toi, et mainte- nant celui qui a un épervier sur la tête te possède. Ecoute-moi, car tu as la puissance de porter mes paroles. Va vers la cellule que tu sais et supplie Anterôs. Supplie la déesse ïïâthor. Supplie celui dont le cadavre dépecé fut porté par la mer dans un coffre jusqu'à Byblos. Ma sœur, aie pitié d'une dou- leur inconnue. Par les sept étoiles des ma- giciens de Chaldée, je t'en conjure. Par les puissances infernales qu'on invoque dans Cartilage, laô, Abriaô, Salbâal, Bathbâal, reçois mon incantation. Fais que Sextilius, fils de Dionysia, se consume d'amour pour moi, SeptJma, fille de notre mère Amoena.


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Ou'il brûle dans la nuit; qu'il me cherche près de ta tombe, 6 Phoinissa ! Ou emmène- nous tous deux dans la demeure ténébreuse, puissante. Prie Anterôs de refroidir nos haleines s'il refuse à Êrôs de les allumer. Morte parfumée, accueille la libation de ma voix. Achrammachnlala !

Aussitôt, la vierge emmaillotée se souleva et pénétra sous la terre, les dents décou- vertes.

Et Septima, honteuse, courut parmi les sarcophages. Jusqu'à la seconde veille elle demeura dans la compagnie des morts. Elle épia la lune fugitive. Elle offrit sa gorge à la morsure salée du vent marin. Elle fut caressée par les premières dorures du jour. Puis elle rentra dans ïladrumète, et sa longue chemis3 bleue tlottait derrière elle.

Cependant Phoinissa, roide, errait par les circuits infernaux. Et celui- qui a un éper-


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vier sur la tête ne reçut point sa plainte. Ft la déesse Hàthor resta allongée dans sa gaine peinte. Et Phoinissa ne put trouver Anterôs, puisqu'elle ne connaissait pas le désir. Mais dans son cœur flétri elle éprouva la pitié que les morts ont pour les vivants. Alors la seconde nuit, à l'heure où les cada- vres se délivrent pour accomplir les incan- tations, elle fit mouvoir ses pieds liés dans les rues d'Hadrumète.

Sextilius tressaillait régulièrement par les soupirs du sommeil, le visage tourné vers le plafond de sa chambre, sillonné de losan- ges. Et Phoinissa, morte, enroulée de ban- delettes odorantes, s'assit auprès de lui. Et elle n'avait point de cervelle nide viscères; mais on avait replacé son cœur desséché dans sa poitrine. Et dans ce moment Erôs lutta contre Anterôs, et il s'empara du cœur embaumé de Phoinissa. Aussitôt elle désira le corps de Sextilius, afin qu'il fût couché


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entre elle et sa sœur Septima dans la mai- son des ténèbres.

Phoinissa mit ses lèvres teintes sur la bouche vive de Sextilius, et la vie s'échappa de lui comme une bulle. Puis elle parvint à la cellule d'esclave de Seplima, et la prit par la main. Et Septima, endormie, céda sous la main de sa sœur. Et le baiser de Phoinissa et l'étreinte de Phoinisso firent mourir, presque à la même heure de la nuit, Septima et Sextilius. Telle fat l'issue funè- bre de la lutte d'Erôs contre Antcrôs ; et les puissances infernales reçurent à la fois une esclave et un homme libre.

Sextihus est couché dans la nécropole d'Hadrumète, entre l' incantatrice Seplima et sa sœur vierge Phoinissa. Le texte de l'in- cantation est inscrit sur la plaque de plomb, roulée et percée d'un clou, que l'enchan- teuse a glissée dans le conduit des libations de la tombe de sa sœur.


Lucrèce, Poète

LUCRECE


Lucrèce apjDarut clans une grande famille qui s'était retirée loin de la vie civile. Ses premiers jours reçurent l'ombre du porche noir d'une haute maison dressée dans la montagne. L'atrium était sévère et les escla- ves muets. Il fut entouré, dès l'enfance, par le mépris de la politique et des hommes. Le noble Memmius, qui avait son âge, subit, dans la forôt, les jeux que Lucrèce lui imposa. Ensemble, ils s'étonnèrent devant les rides des vieux arbres et épièrent le tremblement des feuilles sous le soleil, comme un voile viridc de lumière jonché de taches d'or. Ils considérèrent souvent les dos rayés des pour-


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ceaux sauvages qui humaient le sol. Ils tra- versèrent des fusées frémissantes d'abeilles et des bandes mobiles de fourmis en marche. Et un jour ils parvinrent, en débouchant d'un taillis, à une clairière tout entourée d'an- ciens chênes-lièges, si étroitement assis, que leur cercle creusait dans le ciel un puits de bleu. Le repos de cet asile était infini. Il semblait qu'on fût dans une large route claire qui allait vers le haut de l'air divin. Lucrèce y fut touché par la bénédiction des espaces calmes.

Avec Memmius il ({uitta le temple serein de la forêt pour étudier l'éloquence à Rome. L'ancien gentilhomme qui gouvernait la haute maison lui donna un professeur grec et' lui enjoignit de ne revenir que lorsqu'il posséderait l'art de mépriser les actions hu- maines. Lucrèce ne le revit plus. Il mourut solitaire, exécrant le tumulte de la société. Quand Lucrèce revint, il ramenait dans la


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haute maison vide, vers l'atrium sévère et parmi les esclaves muets, une femme afri- caine, belle, barbare et méchante. Memmius était retourné clans la maison de ses pères. Lucrèce avait vu les factions sanglantes, les guerres de partis et la corruption politique. 11 était amoureux.

Et d'abord sa vie fut enchantée. Contre les tentures des murailles, la femme afri- caine appuyait les masses contournées de sa chevelure. Tout son corps épousait longue- ment les lits de repos. Elle entourait les cra- tères pleins de vin écumeux de ses bras chargés d'émeraudes translucides. Elle avait une façon étrange de lever un doigt et de secouer le front. Ses sourires avaient une source profonde et ténébreuse comme les fleuves d'Afrique. Au lieu de filer la laine^ elle la déchiquetait patiemment en petits flo- cons qui volaient autour d'elle.

Lucrèce souhaitait ardemment se fondre


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à ce b\iu corps. Il ètroigiiait ses seins mè - talliqnes et attachait sa bouche sur ses lèvres d'un violet sombre. Les paroles d'amour pas- sèrent de l'un à Tautro, furent soupirées, les firent rire et s'usèrent. Ils touchèrent le voile flexible et opaque qui sépare les amants. Leur volupté eut plus de fureur et désira chan- ger de personne. Elle arriva jusqu'à l'extré- mité aiguë où elle s'èpand autour de la chair, sans pénétrer jusqu'aux entrailles. L'Afri- caine se recroquevilla dans son cœur étran- ger. Lucrèce se désespéra de ne pouvoir accomplir l'amour. La femme devint hau- taine, morne et silencieuse, pareille à l'atrium et aux esclaves. Lucrèce erra dans la salle des livres.

Ce fut là qu'il déplia le rouleau où un scribe avait copié le traité d'Epicure.

Aussitôt il comprit la variété des choses de ce monde, et l'inutilité de s'efforcer vers les idées. L'univers lui parut semblable aux


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petits flocons de laine que les doigts de l'Africaine éparpillaient dans les salles. Les grappes d'abeilles et les colonnes de four- mis et le tissu mouvant des feuilles lui fu- rent des groupements de groupements d'ato- mes. Et dans tout son corps il sentit un peu- ple invisible et discord, avide de se séparer . Et les regards lui semblèrent des rayons plus subtilement charnus, et l'image de la belle barbare, une mosaïque agréable et colorée, et il éprouva que la lîn du mouvement de cette infinité était triste et vaine. Ainsi que les factions ensanglantées de Rome, avec leurs troupes de clients armés et insulteurs il contempla le tourbillonnement de trou- peaux d'atome^ teints du même sang et qui se disputent uns obscure suprématie. Et il vit que la dissolution de la mort n'était que Paffranchissem 'ntde cette tourbe turbulente qui se rue vers mille autres mouvements inu- tiles.

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Or, quand Lucrèce eut été instruit ainsi par le rouleau de papyrus, où les mots grecs comme les atomes du monde étaient tissés les uns dans les autres, il sortit dans la forêt par le porche noir de la haute maison desan- cêtres. Et il aperçut le dos des pourceaux rayés qui avaient toujours le nez dirigé vers la terre. Puis, traversant le taillis, il se trouva soudain au milieu du temple serein de la forêt, et ses yeux plongèrent dans le puits bleu du ciel. Ce fut là qu'il plaça son repos.

De là il contempla l'immensité fourmil- lante de l'univers ; toutes les pierres, toutes les plantes, tous les arbres, tous les ani- maux, tous les hommes, avec leurs couleurs, avec leurs passions, avec leurs instruments, et l'histoire de ces choses diverses, et leur naissance, et leurs maladies, et leur mort. Et parmi la mort totale et nécessaire, il perçut clairement la mort unique de l'Afri- caine, et pleura.


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Il savait que les pleurs vienaent d'un mou- vement particulier des petites glandes qui sont sous les paupières, et qui sont agitées par une procession d'atomes sortie du cœur, lorsque le cœur lui-même a été frappé par la succession d'images colorées qui se déta- chent de la surface du corps d'une femme aimée. Il savait que l'amour n'est causé que par le gonflement des atomes qui désirent se joindre à d'autres atomes. Il savait que la tristesse causée par la mort n'est que la pire des illusions terrestres, puisque la morte avait cessé d'être malheureuse et de souffrir, tandis que celui qui la pleurait s'affligeait de ses propres maux et songeait ténébreu- sement à sa propre mort. Il savait qu'il ne reste de nous aucun double simulacre pour verser des larmes sur son propre cadavre étendu à ses pieds. Mais, connaissant exac- tement la tristesse et Pamour et la mort, et que ce sont de vaines images lorsqu'on les


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contemple de l'espace calme où il faut s'en- fermer, il continua de pleurer, et de désirer l'amour, et de craindre la mort. , Voilà pourquoi, étant rentré dans la haute et sombre maison des ancêtres, il s'approcha de la belle Africaine, qui faisait cuire un breuvage sur un brasier dans un pot de mé- tal. Car elle avait songé à part, elle aussi, et ses pensées étaient remontées à la source mystérieuse de son sourire. Lucrèce consi- déra le breuvage encore bouillonnant. Il s'é- claircit peu à peu et devint pareil à un ciel trouble et vert. Et la belle Africaine secoua le front et leva un doigt. Alors Lucrèce but le philtre. Et tout aussitôt sa raison disparut, et il oublia tous les mots grecs du rouleau de papyrus. Et pour la première fois, étant fou, il connut l'amour ; et dans la nuit, ayant été empoisonné, il connut la mort.


Clodia, Matronne impudique

GLODIA


Elle était fille d'Appius Glaudius Pulcher, consul. A peine eut-elle quelques années, elle se distingua de ses frères et de ses sœurs par Féclat flagrant de ses yeux. Tertia, son aînée, se maria de bonne heure ; la plus jeune céda entièrement à tous ses caprices. Ses frères, Appius et Gaïus, étaient déjà avares des grenouilles en cuir et des chariots de noix qu'on leur faisait; plus tard, ils furent avides de sester- ces. Mais Clodius, beau et féminin, fut com- pagnon de ses sœurs. Glodia leur persuadait avec des regards ardents, de l'habiller avec


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une tunique à manches, de le coiffer d'un petit bonnet en fils d'or, et deleliersous les seins avec une ceinture souple ; puis elles le couvraient d'un voile couleur de feu et le menaient dans les petites chambres où il se mettait au lit avec elles trois. Glodia fut sa préférée, mais il prit aussi la virginité de Tertia et de la cadette.

Quand Clodia eut dix-huit ans, son père mourut. Elle demeura dans la maison du mont Palatin. Appius, son frère, gouvernait le domaine, et Caïus se préparait à la vie publique. Clodius, toujours délicat et imberbe, couchait entre ses sœurs, qu'on nommait Glodia toutes deux. Elles commencèrent à aller secrètement aux bains avec lui. Elles donnaient un quart d'as aux grands esclaves qui les massaient, puis se le faisaient rendre. Clodius était traité comme ses sœurs, en leur présence. Tels furent leurs plaisirs avant le mariage.


VIES IMAGINAIRES SI

La plus jeune épousa LucuUus, qui l'em- mena en Asie, où il faisait la guerre à Mithridate. Clodia prit pour mari son cou- sin Me tellus, honnête homme épais. Dans ces temps d'émeute, il eut un esprit conserva- teur et borné. Clodia ne pouvait supporter sa brutalité rustique. Elle rêvait déjà pour son cher Clodius des choses nouvelles. César commençait à s'emparer des esprits ; Clodia jugea qu'il fallait le défaire. Elle se fit ame- ner Cicéron par Pomponius Atticus. Sa so- ciété était ricaneuse et galante. Auprès d'elle on trouvait Licinius Calvus,le jeune Curion, surnommé la «fillette», Sextius Clodius qui faisait ses courses, Egnatius et sa bande, Gatullus de Vérone et CaeHus Rufus, qui était amoureux d'elle. Metellus, pesamment assi«, ne disait mot. On racontait les scan- dales sur César et Mamurra. Puis Metellus, nommé proconsul, partit pour la Gaule cisal- pine. Clodia resta seule à Rome avec sa


82 VIES IMAGINAIRES

belle-sœur Miicia. Cicéron fut entièrement charmé par ses grands yeux flambants. Il songea qu'il pouvait rôpuclier Terentia, sa femme, et supposa que Clodia quitterait Metellus. Mais Terentia découvrit tout et terrifia son mari. Cicéron, peureux, renonça à ses désirs. Terentia voulut davantage, et Cicéron dut rompre avec Clodius.

Le frère de Clodia s'occupait cependant. Il faisait l'amour à Pompéia, femme de César. La nuit de la fête de la Bonne Dées- se, il ne devait y avoir que des femmes dans la maison de César, qui était préteur. Pom- péia offrait seule le sacrifice. Clodius s'ha- billa, ainsi que sa sœur avait eu coutume de le déguiser, en joueuse de cithare, et en- tra chez Pompéia. Une esclave le reconnut. La mère de Pompéia donna l'alarme et le scandale fut public. Clodius voulut se dé- fendre et jura qu'il était, pendant ce temps, dans la maison de Cicéron, Terentia obligea


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son mari à nier : Gicéron porta témoignage contre Clodius.

Dès lors Clodius fut perdu dans le parti noble. Sa sœur venait de passer la trentai- ne. Elle était plus ardente que jamais. Elle eut l'idée de faire adopter Clodius par un plébéien, afin qu'il pût devenir tribun du peuple. Metellus, qui était revenu, devina ses projets et se moqua d'elle. Dans ce temps, où elle n'avait plus Clodius entre ses bras, elle se laissa aimer par Catullus. Le mari Metellus leur semblait odieux. Sa fem- me résolut de s'en débarrasser. Un jour qu'il revenait du Sénat, la?sé, elle lui présenta à boire. Metellus tomba mort dans l'atrium. Désormais Clodia était libre. Elle quitta la maison de son mari et rentra vite se cloîtrer avec Clodius sur le mont Palatin. Sa sœur s'enfuit de chez LucuUus et revint avec eux. Ils reprirent leur vie à trois et exercèrent leur haine.


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D'abord Clodius, devenu plébéien, fut désigné comme tribun du peuple. Malgré sa grâce féminine, il avait la voix forte et mordante. Il obtint que Gicéron lut exilé ; fit raser sa maison devant ses propres yeux, et jura la ruine et la mort à tous ses amis. César était proconsul en Gaule et ne pouvait rien. Pourtant Gicéron gagna des influen- ces par Pompée, et se fit rappeler l'année suivante. La fureur du jeune tribun fut extrême. Il s'attaqua violemment à Milon, ami de Gicéron, qui commençait à briguer le consulat. Apostè de nuit, il tenta de le tuer, renversant ses esclaves qui portaient des torches. La faveur populaire de Glodius diminuait. On chantait des refrains obscè- nes sur Glodius et Glodia. Gicéron les dé- nonça dans un discours violent : Glodia y était traitée de Médée et de Glyteinnestre. La rage du frère et de la sœur finit par éclater. Glodius voulut incendier la maison


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de Milon, et des esclaves gardiens l'assom- mèrent dans les ténèbres.

Alors Clodia fut désespérée. Elle avait pris et rejeté Catullus, puis Caelius Rufus, puis Egnatius, dont les amis l'avaient menée dans les basses tavernes : mais elle n'aimait que son frère Clodius. C'est pour lui qu'elle avait empoisonné son mari. C'est pour lui qu'elle avait attiré et séduit des bandes d'in- cendiaires. Quand il fut mort, l'objet de sa vie lui manqua. Elle était encore belle et chaude. Elle avait une maison de campagne sur la route d'Ostie, des jardins près du Ti- bre et à Baïes. Elle s'y réfugia. Elle essaya de s'y distraire en y dansant lascivement avec des femmes. Ce ne fut pas suffisant. Son esprit était occupé par les stupres de Clodius^ qu'elle voyait toujours imberbe et féminin. Elle se souvenait qu'il avait été pris jadis par des pirates de Gilicie, qui avaient usé de son tendre corps. Une cer-


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taine taverne lui revenait aussi à la mémoi- re, où elle était allée avec lui. Le fronton de la porte en était tout barbouillé de char- bons, et les hommes qui y buvaient répan- daient une odeur forte, et avaient la poitri- ne velue.

Rome l'attira donc de nouveau. Elle erra aux premières veilles dans les carrefours et les passages étroits. L'insolence éclatante de ses yeux était toujours semblable. Rien ne pouvait l'éteindre, et elle essaya tout, mê- me de recevoir la pluie, et de coucher dans la boue. Elle alla des bains aux cellules de pierre ; les caves où les esclaves jouaient aux dés, les salles basses où s'enivraient les cuisiniers et les voituriers lui furent con- nues. Elle attendit des passants parmi les rues dallées. Elle périt vers le matin d'une nuit étouffante par un étrange retour d'une habitude qui avait été la sienne. Un ouvrier foulon l'avait payée d'un quart d'as ; il la


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guetta au crépuscule de l'aube dans l'allée, pour le lui reprendre, et l'étrangla. Puis il jeta son cadavre, les yeux grands ouverts, dans l'eau jaune du Tibre.


Pétrone, Romancier

PETRONE


Il naquit en des jours où des baladins vêtus de robes vertes faisaient passer de jeunes porcs dressés à travers des cercles de feu, où des portiers barbus, à tunique ceri- se, écossaient des pois dans un plat d'ar- gent, devant les mosaïques galantes à l'en- trée des villas, où les affranchis, pleins de sesterces, briguaient dans les villes de pro- vince les fonctions municipales, où des réci- tateurs chantaient au dessert des poèmes épiques, où le langage était tout farci de mots d'ergastule et de redondances enflées venues d'Asie.

Son enfance passa entre de telles èiégan-


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ces. Il ne remettait point deux fois une lai- ne de ïyr. On faisait balayer l'argenterie tombée dans l'atrium avec les ordures. Les repas étaient composés de choses délicates et inattendues, et les cuisiniers variaient sans cesse l'architecture des victuailles. Il ne fallait point s'étonner, en ouvrant un œuf, d'y trouver un bec-flgue, ni craindre de trancher une statuette imitée de Praxitè- le et sculptée dans du foie gras. Le gypse (jui scellait les amphores était diligemment doré. Des petites boîtes d'ivoire indien ren- fermaient des parfums ardents destinés aux convives. Les aiguières étaient percées de diverses façons et remplies d'eaux colorées qui surprenaient en jaillissant. Toutes les verreries figuraient des monstruosités iri- si'es. En saisissant certaines urnes, les anses se rompaient sous les doigts et les flancs s'épanouissaient pour laisser tomber des fleurs artificiellement peintes. Des oiseaux


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d'Afrique aux joues écarlates caquetaient dans des cages d'or. Derrière des grillages incrustés, aux riches parois de? murailles, hurlaient beaucoup de singes d'Egypte qui avaient des faces de chien. Dans des récep- tacles précieux rampaient des bêtes minces qui avaient de souples écailles rutilantes et des yeux rayonnes d'azur.

Ainsi Pétrone vécut mollement, pensant que l'air même qu'il aspirait fût parfumé pour son usage. Quand il fut parvenu à l'a- dolescence, après avoir enfermé sa première barbe dans un coffret orné, il commença de regarder autour de lui. Un esclave du nom de Syrus, qui avait servi dans l'arène, lui montra les choses inconnues. Pétrone était petit, noir, et louchait d'un œil. Il n'était point de race noble. Il avait des mains d'ar- tisan et un esprit cultivé. De là vint qu'il prit plaisir à façonner les paroles et à les ins- crire. Elles ne ressemblèrent à rien de ce


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que les poètes anciens avaient imaginé. Car elles s'efforçaient d'imiter tout ce qui entou- rait Pétrone. Et ce ne fut que plus tard qu'il eut la fâcheuse ambition de composer des vers.

Il connut donc des gladiateurs barbares et des hâbleurs de carrefour, des hommes aux regards obliques qui semblent épier les légumes et décrochent les pièces de viande, des enfants frisés que promenaient des séna- teurs, de vieux babillards qui discouraient des affaires de la cité aux coins des rues, des valets lascifs et des filles parvenues, des marchandes de fruits et des patrons d'au- berges, des poètes minables et des servantes friponnes, des prêtresses interlopes et des soldats errants. Il tenait sur eux son œil louche et saisissait exactement leurs maniè- res et leurs intrigues. Syrus le conduisit dans les bains d'esclaves, les cellules de prostituées et les réduits souterrains où les


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figurants de cirque s'exerçaient avec leurs èpées de bois. Aux ^Dortes de la ville, entre les tombes, il lui raconta les histoires des hommes qui changent de peau, que les noirs, les Syriens, les taverniers et les soldats gar- diens des croix de supplice se repassaient de bouche en bouche.

Vers la trentième année, Pétrone, avide de cette liberté diverse, commença d'écrire l'histoire d'esclaves errants et débauchés. 11 reconnut leurs mœurs parmi les trans- formations du luxe ; il reconnut leurs idées et leur langage parmi les conversations po- lies des (estins. Seul, devant son parche- min, appuyé sur une table odorante en bois de cèdre, il dessina à la pointe de son calame les aventures d'une populace ignorée. A la lumière de ses hautes fenêtres, sous les pein- tures des lambris, il s'imagina les torches fumeuses des hôtelleries, et de ridicules combats nocturnes, des moulinets de candé-


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labres de Lois, des serrures forcées à coups de hache par des esclaves de justice, des sangles grasses parcourues de punaises, et des objurgations de procurateurs d'ilot au milieu d'attroupements de pauvres gens vê- tus de rideaux déchirés et de torchons sales.

On dit que lors(iu'il eut achevé les seize li- vres de son invention, il fitvenir Syruspour les lui lire, et que l'esclave riait et criait à,, haute voix en frappant dans ses mains. Dans ce moment, ils formèrent le projet de met- tre à exécution les aventures composées i)ar Pétrone. Tacite rapporte faussement qu'il fut arbitre des élégances à la cour de Néron, et que Tigellin, jaloux, lui lit envoyer l'or- dre de mort. Pétrone ne s'évanouit pas dé- licatement dans une baignoire de marbre, en murmurant de petits vers lascifs. Il s'enfuit avec Syrus et termina sa vie en parcourant les routes.

L'apparence qu'il avait lui rendit son dé-


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guisement facile. Syrus et Pétrone portèrent tour à tour le petit sac de cuir qui contenait leurs hardes et leurs deniers. Ils couchèrent en plein air, près des tertres de croix. Ils virent luire tristement dans la nuit les peti- tes lampes des monuments funèbres. Ils man- gèrent du pain aigre et des olives amollies. On ne sait pas s'ils volèrent. Ils furent magiciens ambulants, charlatans de campagne, et com- pagnons de soldats vagabonds. Pétrone désap- prit entièrement l'art d'écrire, sitôt qu'il vé- cut de la vie qu'il avait imaginée. Ils eurent de jeunes amis traîtres, qu'ils aimèrent, et qui les quittèrent aux portes des municipes en leur prenant jusqu'à leur dernier as. Ils firent toutes les débauches avec des gladia- teurs évadés. Ils furent barbiers et garçons d'ètuves. Pendant plusieurs mois, ils vécurent de pains funéraires qu'ils dérobaient dans les séj^ulcres. Pétrone terrifiait les voyageurs par son œil terne et sa noirceur qui paraissait


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malicieuse. Il disparut un soir. Syrus pensa le retrouver dans une cellule crasseuse où ils avaient connu une fille à chevelure enimô» lée. Mais un grassateur ivre lai avait enfon- cé une large lame dans le cou, tandis qu'ils gisaient ensemble, en rase campagne, sur les dalles d'un caveau abandonné.


Sufrah, Géomancien

SUFRAH


L'histoire d'Aladdin conte par erreur que le magicien africain fut empoisonné dans son palais et qu'on jeta son corps noirci et craquelé par la force de la drogue aux €hiens et aux chats; il est vrai que son frère fut déçu par cette apparence et se fit poignarder, ayant revêtu la robe de la sainte Fatima; mais il est certain néanmoins que le Moghrabi Sufrah (car c'était le nom du magicien) s'endormit seulement par la toute- puissance du narcotique, et s'échappa de l'une des vingt-quatre fenêtres du grand salon, pendant qu'Aladdin embrassait ten- drement la princesse.


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A peine eut-il touché la terre, étant assez commodément descendu le long d'un des tuyaux d'or par où s'écoulait l'eau de la grande terrasse, que le palais disparut, et Sufrah fut seul au milieu du sable du désert. Il ne lui restait même pas une des bouteilles du vin d'Afrique qu'il était allô chercher à la cave sur la demande delà trompeuse prin- cesse. Désespéré, il s'assit sous le soleil ar- dent, et sachant bien que l'étendue de sable torride qui l'entourait était infinie, il s'en- roula la tête dans son manteau et attendit la mort. Il ne possédait plus aucun talisman ; il n'avait point de parfums pour faire des suffumigations; pas môme une baguette dan- sante qui pût lui indiquer une source pro- fondément cachée, afin d'apaiser sa soif. La nuit arriva, bleue et chaude, mais qui calma un peu l'inflammation de ses yeux. Il eut l'idée alors de tracer sur le sable une figure de géomancie, et de demander s'il


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était destiné à périr dans le désert. Avec ses doigts il marqua les quatre grandes lignes, composées de points, qui sont placées sous l'invocation du Feu, de l'Eau, de la Terre et de TAir, sur la gauche, et sur la droite, du Midi, de l'Orient, de l'Occident et du Septentrion. Et à l'extrémité de ces lignes, il collectionna les points pairs et impairs, afin d'en composer la première figure. A sa joie il vit que c'était la figure de la Fortune Majeure, d'où il suivait qu'il s'échapperait du péril, la première figure devant être placée dans la première maison d'astrologie, qui est la maison de celui qui demande. Et, dans la maison qui se nomme « Cœur du ciel », il retrouva la figure de la Fortune Majeure, ce qui lui montra qu'il réussirait et qu'il serait glorieux. Mais dans la huitième maison, qui est la maison de la Mort, vint se placer la figure du Rouge, qui annonce le sang ouïe feu, ce qui est de pré-


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sage sinistre. Lorsqu'il eut dressé les figures des douze maisons, il en tira deux témoins, et de ceux-ci un juge, afin d'être assuré que son opération était justement calculée. La figure du juge fut celle de la Prison, d'où il connut qu'il trouverait la gloire, avec grand péril, dans un lieu clos et secret.

Assuré de ne pas mourir sur le champ, Sufrali se mit à réfléchir. Il n'avait pas l'es- poir de reconquérir la lampe, qui avait été transportée avec le palais dans le centre delà Chine. Cependant il songea que jamais il n'avait recherché quel était le véritable maî- tre du tahsman et l'ancien possesseur du grand trésor et du jardin aux fruits pré- cieux. Une seconde figure de géomancie, qu'il lut selon les lettres de l'alphabet, lui révéla les caractères S. L. M. N., qu'il traça sur le sable, et la dixième maison confir- ma que le maître de ces caractères était roi. Sufrah connut aussitôt que la lampe mer-


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veilleuse avait fait partie du trésor du roi Salomon. Alors, il étudia attentivement tous les signes, et la Tète du Dragon lui indiqua ce qu'il cherchait — car elle était jointe par la Conjonction à la figure du Jeune Garçon, qui marque les richesses enfouies dans la terre, et à celle de la Prison, où on peut lire la position des voûtes fermées.

Et Sufrah battit des mains: car la figure de géomancie montrait que le corps du roi Salo- mon était conservé dans cette terre même d'Afrique, et qu'il portait encore au doigt son sceau tout puissant qui donne l'immortalité terrestre : si bien que le roi devait être endormi depuis des myriades d'années. Sufrah, joyeux, attendit l'aube. Dans la demi-clarté d'azur, il vit passer des Ba-da-ouï pillards, qui eurent pitié de sa détresse, quand il les implora, et qui lui donnèrent un petit sac de dattes et une gourde pleine d'eau.

Sufrah se mit en marche vers le lieu dési-


lOG VIES IMAGINAIRES

gné. C'était un endroit aride et pierreux, entre quatre montagnes nues, levées comme des doigts vers les quatre coins du ciel. Là il traça un cercle et prononça des paroles ; et la terre trembla et s'ouvrit, et laissa voir une dalle de marbre avec un anneau de bronze. Sufrah saisit l'anneau et invoqua trois fois le nom de Salomon. Aussitôt la dalle se souleva, et Sufrah descendit par un escalier étroit dans le souterrain.

Deux chiens de feu s'avancèrent hors de deux niches opposées et vomirent des flam- mes entrecroisées. Mais Sufrah prononça le nom magique, et les chiens grognants dis- parurent. Puis il trouva une porte de fer qui tourna silencieusement, dès qu'il l'eut tou- chée. Il passa le long d'un couloir creusé dans du porphyre. Des candélabres à sept branches brûlaient d'une lumière éternelle. Au fond du couloir, était une salle carrée dont les murs étaient de jaspe. Dans le cen-


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tre, un brasier d'or jetait une riche lueur. Et sur un lit fait d'un seul diamant taillé, et qui semblait un bloc de feu froid, était étendue une forme vieille, à barbe blanche, le front ceint d'une couronne. Près du roi gisait un gra- cieux corps desséché, dont les mains se ten- daient encore pour étreindre les siennes; mais la chaleur des baiseï s s'était éteinte. Et, sur la main pendante du roi Salomon, Sufrah vit briller le grand sceau.

11 s'approcha sur ses genoux et, rampant jusqu'au lit, il souleva la main ridée, fit glis- ser l'anneau et le saisit.

Aussitôt s'accomplit l'obscure prédiction géomantique. Le sommeil d'immortalité du roi Salomon fut rompu. En une seconde, son corps s'effrita et se réduisit à une petite poi- gnée d'ossements blancs et polis que les- dé- licates mains de la momie semblaient proté- ger encore. Mais Sufrah, terrassé par le pouvoir de la figure du Rouge dans la mai-


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son de la Mort, éructa dans un flot vermeil tout le sang de sa vie et tomba dans l'assou- pissement de l'immortalité terrestre. Le sceau du roi Salomon au doigt, il s'allongea près du lit de diamant, préservé de la corruption pendant des myriades d'années, dans le lieu clos et secret qu'il avait lu par la figure de la Prison. La porte de fer retomba sur le couloir de porphyre et les chiens de feu commencèrent à veiller le géomancien im- morteL


Frate Dolcino, Hérétique

FRATE DOLGINO


Il apprit à connaître les choses saintes dans l'église d'Orto San Michèle, où sa mère le soulevait pour qu'il pût toucher de ses peti- tes mains les belles figures de cire pendues devant la Sainte Vierge . La maison de ses parents joignait le Baptistère. Trois fois par jour, à l'aube, à midi, au soir, il voyait pas- ser deux frères de l'ordre de Saint-François qui mendiaient du pain et emportaient les morceaux dans un panier. Souvent, il les suivait jusqu'à la porte du couvent. L'un de ces moines était très vieux : il disait avoir été ordonné encore par saint François lui- même. Il promit à l'enfant de lui apprendre


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à parler aux oiseaux et à toutes les pauvres hêtes des champs. Dolcino passa bientôt ses journées dans le couvent. Il chantait avec les frères et sa voix était fraîche. Quand la cloche sonnait pour éplucher les légumes, il leur aidait à nettoyer leurs herbes autour du grand baquet. Le cuisinier Robert lui prê- tait un vieux couteau et lui permettait de frotter les écuelles avec sa touaille. Dolcino aimait à regarder au réfectoire la couver- ture de la lampe sur laquelle on voyait peints les douze apôtres avec des sandales de bois aux pieds et des petits manteaux qui leur couvraient les épaules.

Mais son plus grand plaisir était de sortir avec les frères quand ils allaient mendier du pain de porteenporte^etde tenir leurpanier couvert d'une toile. Unjour qu'ils marchaient ainsi, à l'heure où le soleil était haut dans le ciel, on leur refusa l'aumône dans plusieurs maisons basses sur la rive du fleuve. Lâcha-


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leur était forte : les frères avaient grand'- soif et grand'faim. Ils entrèrent dans une cour qu'ils ne connaissaientpoint, etDolcino s'écria de surprise en déposant son panier. Car cette cour était tapissée de vignes feuil- lues et toute pleine de verdeur délectable et transparente ; des léopards y bondissaient avec beaucoup d'animaux d'outre-mer, et on y voyait assis des jeunes filles et des jeunes gens vêtus d'étoffes brillantes qui jouaient paisiblement sur des vielles et des cithares. Là le calme était profond, l'ombre épaisse et odorante. Tous écoutaient en silence ceux qui chantaient, et le chant était d'un mode extraordinaire. Les frères ne di- rent rien ; leur faim et leur soif se trouva satisfaite ; ils n'osèrent rien demander. A grand'peine, ils se décidèrent à sortir; mais sur la rive du fleuve, en se retournant, ils ne virent point d'ouverture dans la muraille. Ils crurent que c'était une vision de nécro-

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mancie, jusqu'au moment où Dolcino décou- vrit le panier. Il était rempli de pains blancs comme si Jésus de ses propres mains y eût multiplié les offrandes.

Ainsi fut révélé à Dolcino le miracle de la mendicité. Cependant, il n'entra point dans l'ordre, aj^ant reçu de sa vocation une idée plus haute et plus singulière. Les frères l'em- menaient sur les routes lorsqu'ils allaient d'un couvent à un autre, de Bologne à Mo- dène, de Parme à Crémone, de Pistoïe à Lucques. Et ce fut à Pise qu'il se sentit en- traîné par la véritable foi. 11 dormait sur la crête d'un mur du palais épiscopal, lors- T[u'il fut réveillé par le son du buccin. Une foule d'enfants qui portaient des rameaux et des chandelles allumées, entouraient sur la place un homme sauvage qui soufflait dans une trompette d'airain. Dolcino crut voir saint Jean-Baptiste. Cet homme avait une barbe lon^iiie et noire; il était vêtu d'un


VIES IMAGINAIRES IIÔ

sac de cilice sombro, marqué d'une large croix rouge, depuis le col jusqu'aux pieds; autour de son corps était attachée une peau de bête. Il s'écria d'une voix terrible : Lau- dato et benedetto et glorlficato sia lo Pâ- tre ; et les enfants répétèrent tout haut ; puis il ajouta ; sia lo Fijo, et les enfants reprirent ; puis il ajouta : sia lo Spiritu Sancto ; et les enfants dirent de même après lui ; puis il chanta avec eux : Alléluia, aile- luia, alléluia ! Enfin, il souffla de la trom- pette et se mit à prêcher. Sa parole était âpre comme du vin de montagne — mais elle attira Dolcino. Partout où le moine au cilice sonna du buccin, Dolcino vint l'admirer, dési- rant sa vie. C'était un ignorant agité de violen- ce; il ne savait point le latin; pour ordonner la pénitence, il criait ; Penitenz-agite !. Mais il annonçait sinistrement les prédictions de Merlin, et de la Sibylle, et de l'abbé Joa- chim, qui sont dans le Livre des Figures ;


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il prophétisait que l'Ante-Ghrist était venu sous la forme de l'empereur Frédéric Bar- berousse, que sa ruine était consommée, et que les Sept Ordres allaient bientôt s'éle- ver après lui, suivant l'interprétation de l'Ecriture. Dolcinole suivit jusqu'à Parme, où il fut inspiré à comprendre tout.

L'Annonciateur précédait Celui qui de- vait venir, le fondateur du premier des Sept Ordres. Sur la pierre levée de Parme, où depuis des années, les podestats parlaient au peuple, Dolcino proclama la nouvelle foi. Il disait qu'il fallait se vêtir avec des mantelets de toile blanche, comme les apôtres qui étaient peints sur la couverture de la lampe, dans le réfectoire des Frères Mineurs. Il assurait qu'il ne suffisait point de se faire bap- tiser ; mais, afin de revenir entièrement à l'in- nocence desenfants, il se fabriqua un berceau, se fit lier de langes et demanda le sehi à une femme simple qui pleura de pitié. Afin de met-


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tre sa chasteté à l'épreuve, il pria une bour- geoise de persuader à sa fille qu'elle cou- chât toute nue contre lui dans un lit. Il men- dia un sac plein de deniers et les distribua aux pauvres, aux voleurs et aux filles com- munes, déclarant qu'il ne fallait plus travail- ler, mais vivre à la guise des animaux dans les champs. Robert, le cuisinier du couvent, s'enfuit pour le suivre et le nourrir dans une écuelle qu'il avait volée aux pauvres frères. Les gens pieux crurent que le temps était revenu des Chevaliers de .Jésus-Christ et des Chevaliers de Sainte-Marie, et de ceux qui avaient suivi jadis, errants et for- cenés, Gerardino Secarelli. Ils s'attroupaient béats autour de Dolcino et murmuraient : « Père, père, père ! » Mais les Frères Mineurs le firent chasser de Parme. Une jeune fille de noble maison, Margherita, courut après lui par la porte qui ouvre sur la route de Plaisance. Il la couvrit d'un sac marqué


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d'une croix et l'emmena. Les porchers et les vachers les considéraient sur la lisière des champs. Beaucoup quittèrent leurs bêtes et vinrent à eux. Des femmes prisonnières que les hommes de Crémone avaient cruel- lement mutilées en leur coupant le nez, les implorèrent et les suivirent. Elles avaient le visage enveloppé d'un linge blanc ; Marghe- rita les instruisit. Ils s'établirent tous dans une montagne boisée, non loin de Novare, et pratiquèrent la vie commune. Dolcino n'établit ni règle ni ordre aucun, étant assu- ré que telle était la doctrine des apôtres, et que toutes choses devaient être en charité. Ceux qui voulaient se nourrissaient avec les baies des arbres ; d'autres mendiaient dans les villages ; d'autres volaient du bé- tail. La vie de Dolcino et de Margherita fut libre sous le ciel. Mais les gens de Novare ne voulurent point le comprendre. Les pay- sans se plaignaient des vols et du scandale.


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On fit venir une bande d'hommes d'armes pour cerner la montagne. Les Apôtres fu- rent chassés par le pays. Pour Dolcino et Margherita, on les attacha sur un âne, le vi- sage tourné vers la croupe ; on les mena jusqu'à la grande place de Novare. Ils y furent brûlés sur le même bûcher, par or- dre de justice. Dolcino ne demanda qu'une grâce: c'est qu'on les laissât vêtus, dans le supplice, parmi les flammes, comme les Apôtres sur la couverture de la lampe, de leurs deux mantelets blancs.


Cecco Angiolieri, Poète haineux

GEGGO ANGIOLIERI


Gecco Angiolieri naquit haineux à Sienne, le même jour que Dante Alighieri à Flo- rence. Son père, enrichi dans le commerce des laines, inchnait vers l'Empire. Dès l'en- fance, Gecco fut jaloux des grands, les mé- prisa, et marmotta des oraisons. Beaucoup de nobles ne voulaient plus se soumettre au pape. Gependant les ghibellins avaient cédé. Mais parmi les gaelfes mêmes, il y avait les Blancs et les Noirs. Les Blancs ne répugnaient pas à l'intervention impériale. Les Noirs restaient fidèles à PÉgUse, à Rome, au Saint-Siège. Gecco eut l'instinct d'être


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Noir, peut-être parce que son père était Blanc.

Il le haït presque du premier souffle. A quinze ans, il réclama sa part de la fortune, comme si le vieil Angiolieri fût mort. Il s'irrita du refus et quitta la maison pater- nelle. Dès lors il ne cessa de se plaindre aux passants et au ciel. 11 vint à Florence par la grand'route. Les Blancs y régnaient encore, même après qu'on en avait chassé les ghibellins. Cecco mendia son pain, attesta la dureté de son père, et finit par se loger dans le taudis d'un savetier, qui avait une fille. Elle se nommait Becchina et Cecco crut qu'il l'aimait.

Le savetier était un homme simple, ami de la Vierge, dont il portait les médailles, et persuadé que sa dévotion lui donnait le droit de tailler ses chaussures dans du mau- vair cuir. Il causait avec Cecco de la sainte théologie et de l'excellence de la grâce, à


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la lueur d'une chandelle de résine, avant l'heure d'aller se coucher. Becchina lavait la vaisselle, et ses cheveux étaient cons- tamment emmêlés. Elle se moquait de Cecco parce qu'il avait la bouche tordue.

Vers ce temps, commença à se répandre dans Florence le bruit de l'amour excessif qu'avait eu Dante degli Alighieri pour la fille de Folco Ricovero de Portinari, Béa- trice. Ceux qui étaient lettrés savaient par cœur les chansons qu'il, lui avait adressées. Cecco les entendit réciter et les blâma fort.

— Cecco, dit Becchina, tu te moques de ce Dante, mais tu ne saurais pas écrire de si beaux envois pour moi.

— Nous verrons, dit Angiolieri en rica- nant.

Et premièrement, il composa un sonnet où il critiquait la mesure et le sens des chan- sons de Dante. Ensuite il fit des vers pour Becchina, qui ne savait pas les lire, et qui

11.


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éclatait de rire quand Gecco les lui décla- mait, parce qu'elle ne pouvait supporter les grimaces amoureuses de sa bouche.

Cecco était pauvre et nu comme une pierre d'église. Il aimait la mère de Dieu avec fureur, ce qui lui rendait le savetier indulgent. Tous deux voyaient quelques mi- sérables ecclésiastiques, à la solde des Noirs. On espérait beaucoup de Gecco, qui semblait illuminé, mais il n'y avait point d'argent à lui donner. Ainsi malgré sa foi louable, le savetier dut marier Becchina à un gros voisin, Barberino, qui vendait de l'huile. « Et l'huile peut être sainte ! » dit pieusement le savetier à Gecco Angiolieri, pour s'excuser. Le mariage se fit environ dans le même temps que Béatrice épousa Simone de Bardi. Gecco imita la douleur de Dante.

Mais Becchina ne mourut point. Le 9 juin 1291, Dante dessinait sur une tablette, et


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c'était le 23remier anniversaire depuis la mort de Béatrice. Il se trouva qu'il avait figuré un ange dont le visage était semblable au visage de la bien-aimée. Onze jours après, le 20 juin, Gecco Angiolieri (Barberino étant occupé dans le marché aux huiles) obtint de Becchina la faveur de la baiser sur la bouche, et composa un sonnet brû- lant. La haine n'en diminua pas dans son cœur. Il voulait de l'or avec son amour. Il ne put en tirer aux usuriers. Il espéra en obtenir de son père et partit pour Sienne. Mais le vieil Angiolieri refusa à son fils même un verre de vin maigre, et le laissa assis sur la route, devant la maison.

Cecco avait vu dans la salle un sac de florins nouvellement frappés. C'était le re- venu d'Arcidosso et de Montegiovi. Il mou- rait de faim et de soif ; sa robe était déchi- rée, sa chemise fumante. Il revint, pou- dreux, à Florence, et Barberino le mit à la


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porte de sa boutique, à cause de ses gue- nilles.

Cecco retourna, le soir, dans le taudis du savetier, qu'il trouva chantant une docile chanson pour Marie à la lumèe de sa chan- delle.

Tous deux s'embrassèrent et pleurèrent pieusement. Après l'hymne, Cecco dit au savetier la terrible et désespérée haine qu'il portait à son père, vieillard qui menaçait de vivre autant que le Juif-Errant Botadeo. Un prêtre qui entrait pour conférer sur les besoins du peuple lui persuada d'attendre sa délivrance dans l'état monastique. Il con- duisit Cecco à une abbaye, où on lui donna une cellule et une vieille robe. Le prieur lui imposa le nom de frère Henri. Dans le chœur, pendant les chants nocturnes, il touchait de la main les dalles dépouillées et froides comme lui. La rage lui serrait la gorge quand il songeait à la richesse de


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son père ; il lui semblait que la mer plutôt dessécherait avant qu'il mourût. 11 se sentait si dénué qu'il y eut des moments où il crut qu'il aimerait être souillard de cuisine. « C'est une chose, se dit-il, à laquelle on pourrait bien aspirer. »

A d'autres moments, il eut la folie de l'or- gueil : « Si j'étais le feu, pensa-t-il, je brû- lerais le monde; si j'étais le vent, j'y souffle- rais l'ouragan; si j'étais l'eau, je le noierais dans le déluge; si j'étais Dieu, je l'enfonce- rais parmi l'espace ; si j'étais pape, il n'y aurait plus de paix sous le soleil; si j'étais l'Empereur, je couperais des têtes à la ronde ; si j'étais la Mort, j'irais trouvermon père... si j'étais Gecco... voilà tout mon espoir... » Mais il était frate Arrigo. Puis il revint à sa haine. Il se procura une copie des chan- sons pour Béatrice et les compara patiemment aux vers qu'il avait écrits pour Becchina. Un moine errant lui apprit que Dante par-


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lait (le lui avec dôclain. Il chercha les moyens de se venger. La supériorité des sonnets à Becchina hii semblait évidente. Les chan- sons pour Bice (il lui donnait son nom vulgaire) étaient abstraites et blanches; les siennes étaient pleinesde force et de couleur. D'abord, il envoya des vers d'insulte à Dante ; puis, il imagina de le dénoncer au bon roi Charles, comte de Provence. Finalement, nul ne pre- nant souci ni de ses poésies ni de ses lettres, il demeura impuissant. Enfin il se lassa de nourrir sa hainedansl'inaction, se dépouilla de sa robe, remit sa chemise sans agrafe, son jaquet usé, son chaperon lavé par la pluie et retourna quêter l'assistance des Frères dévots qui travaillaient pour les Noirs.

Une grande joie l'attendait. Dante avait été exilé : il n'y avait plus que des partis obscurs à Florence. Le savetier murmurait humblement à la Vierge le prochain triom-


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phe des Noirs. Cecco Angiolieri oublia Bec- china dans sa volupté. Il traîna dans les ruisseaux, mangea des croûtons durs, cou- rut à pied derrière les envoyés de l'Eglise qui allaient à Rome et retournaient à Flo- rence. On vit qu'il pourrait servir. Corso Donati, chef violent des Noirs, revenu dans Florence, et puissant, l'employa parmi d'au- tres. La nuit du 10 juin 1304, une tourbe de cuisiniers, de teinturiers, de forgerons, de prêtres et de mendiants, envahit le noble quartier de Florence où étaient les belles maisons des Blancs. Cecco Angiolieri bran- dissait la torche résineuse du savetier qui suivait à distance, admirant les décrets cé- lestes. Ils incendièrent tout et Cecco allmna les boiseries aux balcons des Cavalcanti, qui avaient été les amis de Dante. Cette nuit là il ètancha sa soif de haine avec du feu. Le lendemain, il envoya à Dante le «Lombard» des vers d'insulte à la cour de Vérone. Dans


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la môme journée, il devint GeccoAngiolieri comme il le désirait depuis tant d'années: son père, vieux autant qu'Elie ou Enoch, mourut.

Gecco courut à Sienne, défonça les coffres et plongea ses mains dans les sacs de florins nouveaux, se répéta cent fois qu'il n était plus le pauvre frère Henri, mais noble, sei- gneur d'Arcidosso et de Montegiovi, plus riche que Dante et meilleur poète. Puis il songea qu'il était pécheur et qu'il avait sou- haité la mort de son père. Il se repentit. Il griffonna sur le champ un sonnet pour de- mander au. Pape une croisade contre tous ceux qui insulteraient leurs parents. Avide de se confesser, il retourna en hâte à Florence, em- brassa le savetier, le supplia d'intercéder auprès de Marie. Use préci^iita chez le mar- chand de cires saintes et acheta un grand cierge. Le savetier l'alluma onctueusement. Tous deux pleurèrent et prièrent Notre-Dame.


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Jusqu'aux heures tardives, on entendit la voix paisible du savetier qui chantait des louanges, se réjouissait de son flambeau et essuyait les larmes de son ami.


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Paolo Uccello, Peintre

PAOLO UGCELLO


Il se nommait vraiment Paolo di Dono; mais les Florentins l'appelèrent Uccelli, ou Paul les Oiseaux, à cause du grand nombre d'oiseaux figurés et de bêtes peintes qui remplissaient sa maison : car il était trop pauvre pour nourrir des animaux ou pour se procurer ceux qu'il ne connaissait point. On dit même qu'à Padoue il exécuta une fresque des quatre éléments, et qu'il donna pour attribut à l'air l'image du caméléon. Mais il n'en avait jamais vu, de sorte qu'il représenta un chameau ventru qui a la gueule bée. (Or le caméléon, explique Va- .sari, est semblable à un petit lézard sec, au

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lien que le chameau est une grande bête dégingandée). Car Uccello ne se souciait point de la réalité des choses, mais de leur multiplicité et de l'infini des lignes; de sorte qu'il fit des champs bleus, et des cités rou- ges, et des cavaliers vêtus d'armures noires sur des chevaux d'èbène dont la bouche est enflammée, et des lances dirigées comm& des rayons de lumière vers tous les points du ciel. Et il avait coutume de dessiner des mazocchl, qui sont des cercles de bois re- couvert de drap que l'on place sur la tète, de façon que les phs de l'étoffe rejetée en- tourent tout le visage. Uccello en figura de pointus, d'autres carrés, d'autres à facettes, disposés en pyramides et en cônes, suivant toutes les apparences de la perspective, si bien qu'il trouvait un monde de combinai- sons dans les replis du mazocchi'o. Et le sculpteur Donatello lui disait : « Ah ! Paolo,. tu laisses la substance pour l'ombre ! »


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■ Mais l'Oiseau continuait son œuvre pa- tiente, et il assemblait les cercles, et il divi- sait les angles, et il examinait toutes les créatures sous tous leurs aspects, et il allait demander l'interprétation des problèmes d'Euclide à son ami le mathématicien Gio- vanni Manetti; puis il s'enfermait et cou- vrait ses parchemins et ses bois de points et de courbes. Il s'employa perpétuellement à l'étude de l'architecture, en quoi il se fit aider par Filippo Brunelleschi ; mais ce n'était point dans l'intention de construire. Il se bornait à remarquer les directions des lignes, depuis les fondations jusqu'aux cor- niches, et la convergence des droites à leurs intersections, et la manière dont les voûtes tournaient à leurs clefs, et le rac- courci en éventail des poutres de plafond qui semblaient s'unir à l'extrémité des lon- gues salles. Il représentait aussi toutes les ■bêtes et leurs mouvements, et les gestes des


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hommes, afin de les réduire en lignes sim- ples.

Ensuite, semblable à l'alchimiste qui se penchait sur les mélanges de métaux et d'organes et qui épiait leur fusion à son fourneau pour trouver l'or, Uccello versait toutes les formes dans le creuset des formes. Il les réunissait, et les combinait, et les fon- dait, afin d'obtenir leur transmutation dans la forme simple, d'où dépendent toutes les autres. Voilà pourquoi Paolo Uccello vécut comme un alchimiste au fond de sa petite maison. Il crut qu'il pourrait muer toutes les lignes en un seul aspect idéal. Il voulut concevoir l'univers créé ainsi qu'il se reflé- tait dans l'œil de Dieu, qui voit jaillir toutes les figures hors d'an centre complexe. Au- tour de lui vivaient Ghibertl, délia Robbia, Brunelleschi, Donatello, chacun orgueilleux et maître de son art, raillant le pauvre Uccello, et sa folie de la perspective, plai-


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gnant sa maison pleine d'araignées, vide de provisions ; mais Uccello était plus orgueil- leux encore. A chaque nouvelle combinai- son de lignes, il espérait avoir découvert le mode de créer. Ce n'était pas l'imitation où il mettait son but, mais la puissance de développer souverainement toutes choses, et l'étrange série de chaperons à plis lui sem- blait plus révélatrice que les magnifiques figures de marbre du grand Donatello.

Ainsi vivait l'Oiseau, et sa tête pensive était enveloppée dans sa cape ; et il ne s'a- percevait ni de ce qu'il mangeait ni de ce qu'il buvait, mais il était entièrement pareil à un ermite. En sorte que dans une prairie, près d'un cercle de vieilles pierres enfoncées parmi l'herbe, il aperçut un jour une jeune lille qui riait, la tête ceinte d'une guirlande. Elle portait une longue robe délicate soute- nue aux reins par un rubanpâle, et ses mou- vements étaient souples comme les tiges


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qu'elle courbait. Son nom était Selvaggia, et elle sourit à Uccello. Il nota la flexion de son sourire. Et quand elle le regarda, il vit toutes les petites lignes de ses cils, et les cercles de ses prunelles, et la courbe de ses paupières, et les enlacements subtils de ses cheveux, et il fit décrire dans sa pensée à la guirlande qui ceignait son front unemultitude de positions. Mais Selvaggia ne sut rien de cela, parce qu'elle avait seulement treize ans. Elle prit Uccello par la main et elle Taima. C'é- tait la fille d'un teinturier de Florence, et sa mère était morte. Une autre femme était ve- nue dans la maison, et elle avait battu Sel- vaggia. Uccello la ramena chez lui.

Selvaggia demeurait accroupie tout le jour devant la muraille sur laquelle Uccello tra- çait les formes universelles. Jamais elle ne comprit pourquoi il préferait considérer des lignes droites et des Hgnes arquées à regar- der la tendre figure qui se levait vers lui.


VIES IMAGINAIRES 143

Le soir, quand Brunelleschi ou Manetti ve_ naient étudier avec Uccello, elle s'endormait, après minuit, au pied des droites entrecroi- •sèes, dans le cercle d'ombre qui s'étendait sous la lampe. Le matin, elle s'éveillait, avant Uccello, et se réjouissait parce qu'elle était entourée d'oiseaux peints et de bêtes de cou- leur. Uccello dessina ses lèvres, et ses yeux, et ses cheveux, et ses mains, et fixa tou- tes les attitudes de son corps ; mais il ne fit point son portrait, ainsi que faisaient les autres peintres qui aimaient une femme. Car l'Oiseau ne connaissait pas la joie de se limiter à l'individu ; il ne demeurait point en un seul endroit : il voulait planer, dans son vol, au-dessus de tous les endroits. Et les formes des attitudes de Selvaggia furent jetées au creuset des formes, avec tous les mouvements des bêtes, et les lignes des plantes et des pierres, et les rais de la lumière, et les ondulations des vapeurs ter-


iAi VIES IMAGINAIRES

restres et des vagues de la mer. Et sans se souvenir de Selvaggia, Uccello paraissait demeurerèternellement penché sur le creuset des formes.

Cependant il n'y avait point à manger dans la maison d'Uccollo. Selvaggia n'osait le dire à Donatello ni aux autres. Elle se tut et mourut. Uccello représenta le roidisse- ment de son corps, et l'union de ses petites mains maigres, et la ligne de ses pauvres yeux fermés. Il ne sut pas qu'elle était morte, de même qu'il n'avait pas su si elle était vivante. Mais il jeta ces nouvelles formes parmi toutes celles qu'il avait rassemblées.

L'Oiseau devint vieux, et personne necom- l)renait plus ses tableaux. On n'y voyait qu'une confusion de courbes. On ne recon- naissait plus ni la terre, ni les plantes, ni les animaux, ni les hommes. Depuis de lon- gues années, il travaillait à son œuvre su- prême, qu'il cachait à tous les yeux. Elle


VIES IMAGINAIRES 145

devait embrasser toutes ses recherches, et elle en était l'image dans sa conception. C'était saint Thomas incrédule, tentant la plaie du- Christ. Uccello termina son tableau à quatre-vingts ans. Il fit venir Donatello, et le découvrit pieusement devant lui. Et Donatello s'écria : « Paolo, recouvre ton tableau ! » L'Oiseau interrogea le grand sculpteur : mais il ne voulut dire autre chose. De sorte qu 'Uccello connut qu'il avait accom- pli le miracle. Mais Donatello n'avait vu qu'un fouillis de lignes.

Et quelques années plus tard, on trouva Paolo Uccello mort d'épuisement sur son grabat. Son visage était rayonnant de rides. Ses yeux étaient fixés sur le mystère révèle. Il tenait dans sa main strictement refermée un petit rond de parchemin couvert d'en- trelacements qui allaient du centre à la cir- conférence et qui retournaient de la circon- férence au centre.

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Nicolas Loyseleur, Juge

NICOLAS LOYSELEUR


Il naquit le jour de l'Assomption, et fut dévot à la Vierge. Sa coutume était de l'in- voquer en toutes les circonstances de sa vie et il ne pouvait entendre son nom sans avoir les yeux pleins de larmes. Après qu'il eut étu- dié dans un petit grenier de la rue Saint-Jac- ques sous la férule d'un clerc maigre, en compagnie de trois enfants qui marmottaient le Donat et les psaumes de la Pénitence, il apprit laborieusement la Logique d'Okam. Ainsi il devint de bonne heure bachelier et maître-ès arts. Les vénérables personnes qui l'instruisaient remarquèrent en lui une gran- de douceur et une onction charmante. Il

13.


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avait des lèvres grasses d'où les paroles glissaient pour adorer. Dès qu'il obtint son baccalauréat de théologie, l'Eglise eut les yeux sur lui. Il officia d'abord dans le dio- cèse de l'évoque de Beauvais qui connut ses qualités et se servit de lui pour aviser les Anglais devant Chartres sur divers mouve- ments des capitaines français. Quand il eut environ trente-cinq ans d'âge, on le fit cha- noine de la cathédrale de Rouen. Là, il fut bon ami de Jean Bruillot, chanoine et chan- tre, avec lequel il psalmodiait de belles lita- nies en l'honneur de Marie.

Parfois il faisait remontrance à Nicole Goppequesne, qui était de son chapitre, sur sa fâcheuse prédilection pour Sainte Anasta- sie. Nicole Goppequesne ne se lassait point d'admirer qu'une fille aussi sage eût enchanté un préfet romain au point de le rendre amoureux, dans une cuisine, des marmites et des chaudrons qu'il embrassait avec ferveur ;


VIES IMAGINAIRES 151

tant que, la figure toute noircie, il devint semblable à un démon. Mais Nicolas Loy- seleur lui montrait combien la puissance de Marie fut supérieure lorsqu'elle rendit à la vie un moine noyé. C'était un moine lubrique, mais qui n'avait jamais omis de révérer la Vierge. Une nuit, se levant pour aller à ses mauvaises œuvres, il eut soin, tandis qu'il passait devant l'autel de Notre-Dame, d'ac- complir une génuflexion, et de la saluer. Sa lubricité le fit, cette nuit là même, noyer dans la rivière. Mais les démons ne parvinrent point à l'emporter, et quand les moines tirè- rent son corps de l'eau, le jour suivant, il rou- vrit les yeux, ranimé parla gracieuse Marie. « Ah! cette dévotion est un remède choisi, soupirait le chanoine, et une vénérable et dis- crète personne telle que vous, Goppequesne, doit lui sacrifier l'amour d'Anastasie. »

La grâce persuasive de Nicolas Loyse- leur ne fut point oubliée par l'évêque de


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B3auvais lorsqu'il commença d'instruire à Rouen le procès de Jeanne la Lorraine. Ni- colas se vêtit d'habits courts, laïques, et, sa tonsure cachée sous un chaperon, se fit in- troduire dans la petite cellule ronde, sous un escalier, où était enfermée la prisonnière.

— Jeannette, dit-il, se tenant dans l'om- bre, il me semble que c'est Sainte Katherine qui m'envoie vers vous.

— Et au nom de Dieu qui êtes-vous donc ? dit Jeanne.

— Un pauvre cordonnier de Greu, dit Nicolas — hélas, de notre malheureux pays; et les « Godons » m'ont pris comme vous, ma fille — louée puissiez- vous être du ciel ! Je vous connais bien, allez; et je vous ai vue mainte et mainte fois quand vous veniez prier la très sainte Mère de Dieu dans l'église de Sainte Marie de Bermont. Et avec vous j'ai souvent ouï les messes de notre bon curé Guillaume Front. Ilélas, et vous souvenez-


VIES IMAGINAIEIES 153

VOUS bien de Jean Moreau et de Jean Barre de Neufchàteau? Ce sont mes compères. Alors Jeanne pleura.

— Jeannette, ayez confiance en moi, dit Nicolas. On ma ordonné clerc quand j'étais enfant. Et, tenez, voici la tonsure. Confes- sez-vous, mon enfant, confessez-vous en toute liberté, car je suis ami de notre gra- cieux roi Charles.

— Je me confesserai bien volontiers à vous, mon ami, dit la bonne Jeanne.

Or on avait percé un trou dans la mu- raille ; et au dehors, sous un degré de l'es- calier, Guillaume Manchon et Bois-Guillaume inscrivaient les minutes de la confession. Et Nicolas Loyseleur disait :

— Jeannette, persistez dans vos paroles, et soyez constante, — les Anglais n'oseront point vous faire de mal.

Le lendemain, Jeanne vint devant les juges. Nicolas Loyseleur s'était placé avec


154 VIES IMAGINAIRES

un notaire dans le retrait d'une fenêtre, der- rière un drap de serge, afin de faire gros- soyer les charges seulement et laisser en blanc les excuses. Mais les deux autres gref- fiers réclamèrent. Lorsque Nicolas reparut dans la salle, il fit de petits signes à Jeanne afin qu'elle ne semblât point surprise, et as- sista sévèrement l'interrogatoire.

Le 9 mai, il opina dans la grosse tour du château que les tourmentements étaient ins- tants.

Le 12 mai, les juges s'assemblèrent dans la maison de l'évêque de Beauvais, afin de délibérer s'il était utile de mettre Jeanne à la torture. Guillaums Erart pensait que ce n'était point la peine, y ayant matière assez ample et sans torture. Maître Nicolas Loyse- leur dit qu'il lui semblait que pour la méde- cine de son âme, il serait bon qu'elle fût mise à la torture ; mais son conseil ne pré- valut pas.


TIËS IMAGINAIRES 155

Le 24 mai, Jeanne fut menée au cimetière de Saint-Ouen où on la fit monter sur un échafaud de plâtre. Elle trouva près d'elle Nicolas Loyseleur qui lui parlait à l'oreille tandis que Guillaume Erart la prêchait. Quand elle fut menacée du feu, elle devint blanche ; tandis que le chanoine la soute- nait, il cligna des yeux vers les juges et dit : « Elle abjurera ». Il lui conduisit la main pour marquer d'une croix et d'un rond le parchemin qu'on lui tendit. Puis il l'ac- compagna sous une petite porte basse et lui caressa les doigts :

— Ma Jeannette, lui dit-il, vous avez faitune bonne journée, s'il plaît à Dieu ; vous avez sauvé votre âme. Jeanne, ayez confiance en moi, parce que si vous le voulez, vous se- rez délivrée. Recevez vos habits de femme; faites tout ce qu'on vous ordonnera ; autre- ment vous seriez en danger de mort. Et si vous faites ce que je vous dis, vous sere


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sauvée, vous aurez beaucoup de bien et vous n'aurez point de mal; mais vous serez en la puissance de l'Eglise.

Le même jour, après dîner, il vint la voir dans sa nouvelle prison. C'était une cham- bre moj'enne du château où on arrivait par huit degrés. Nicolas s'assit sur le lit près duquel était un gros bois lié à une chaîne de fer.

— Jeannette, lui dit-il, vous voyez com- ment Dieu et Notre-Dame vous ont fait en ce jour une grande miséricorde, puisqu'ils vous ont reçue en la grâce et miséricorde de notre Sainte Mère l'Eglise ; il faudra obéir bien humblement aux sentences et or- donnances des juges et personnes ecclésias- tiques, quitter vos anciennes imaginations et ne point y retourner, sans quoi l'Eglise vous abandonnerait à jamais. Tenez, voici d'honnêtes vêtements de prude- femme ; Jeannette, ayez-en grand soin ; et faites


VIES IMAGINAIRES 157

bien vite tondre ces cheveux que je vous vois et qui sont taillés en rotonde.

Quatre jours après, Nicolas se glissa la nuit dans la chambre de Jeanne et lui vola la chemise et la cotte qu'il lui avait données. Quand on lui annonça qu'elle avait repris ses habits d'homme :

— Hélas, dit-il, elle est relapse et chue bien profondément dans le mal.

Et dans la chapelle de l'archevêché, il répéta les paroles du docteur Gilles de Du- remort :

— Nous juges, nous n'avons qu'à décla- rer Jeanne hérétique et à Tabandonner à la justice séculière en la priant d'agir douce- ment avec elle.

Avant qu'on la menât au morne cime- tière, il vint l'exhorter en compagnie de Jean Toutmouillé.

— Jeannette, lui dit-il, ne cachez plus la vérité ; il ne faut penser maintenant qu'au

li


158 YIES IMAGINAIRES

salut de votre àme. Mon enfant, croyez-moi ; tout à l'heure, parmi rassemblée, vous vous humilierez et vous ferez, à genoux, votre confession publique. Qu'elle soit publique, Jeanne, humble et publique, pour la méde- cine de votre âme.

Et Jeanne lo pria de l'en faire souvenir craignant de ne point oser devant tant de monde.

Il demeura pour la voir brûler. C'est alors que se manifesta visiblement sa dévotion à la Vierge. Sitôt qu'il entendit les appels de Jeanne à Sainte-Marie, il commença de pleu- rer à chaudes larmes. Tant le nom de Notre- Dame le remuait. Les soldats anglais cru- rent qu'il avait pitié, le soufflettèrent et le poursuivirent l'épée haute. Si le comte de Warwick n'eût étendu la main sur lui, on regorgeait. Il se hissa péniblement sur un cheval du comte et s'enfuit.

Pendant de longues journées il erra sur


VIES IMAGINAIRES 159

les routes de France, n'osant retourner en Normandie et craignant les gens du roi. Enfin il arriva ,dans Bàle. Sur le pont de bois, entre les maisons pointues, couvertes de tuiles striées en ogives, et les poivrières bleues et jaunes, il eut soudain un èblouis- sement devant la lumière du Rhin ; il crut qu'il se noyait, comme le moine lubrique, au milieu de l'eau verte qui tourbillonnait dans ses yeuxj le mot de Marie s'étouffa dans sa gorge, et il mourut avec un san-


Katherine la Dentellière, Fille amoureuse

li.


KATHERINE LA DENTELLIERE


Elle naquit vers le milieu du quinzième siècle, dans la rue de la Parcheminerie, près ■de la rue Saint-Jacques, par un hiver où i^ lit si froid que les loups coururent à travers Paris sur les neiges. Une vieille femme, qui avait le nez rouge sous son chaperon, la recueillit et l'éleva. Et premièrement elle joua sous les porches avec Perrenette, Guil- lemette, Ysabeau et Jehauneton, qui por- taient de petites cottes et trempaient leurs menottes rougies dans les ruisseaux pour attraper des morceaux de glace. Elles re- gardaient aussi ceux qui pipaient les pas- sants au jeu de tables qu'on appelle Saint-


104 VIES IMAGINAIRES

Merry. Et sous les auvents, elles guettaient les tripes clans leurs bacjuets, et les longues saucisses ballottantes, et les gros crochets de fer où les bouchers suspendent les quar- tiers de viande. Près de Saint-Benoît le Bètournè, où sont les écritoires, elles écou- taient grincer les plumes, et soufflaient la chandelle au nez des clercs, le soir, par les lucarnes des boutiques. Au Petit-Pont, elles narguaient les harangères et s'en- fuyaient vite vers la place Haubert, se cachaient dans les angles de la rue des Trois-Portes ; puis, assises sur la margelle de la fontaine, elles jacassaient jusqu'à la brume delà nuit.

Ainsi se passa la prime jeunesse de Kathe- rine, avant que la vieille femme lui eiit appris à s'asseoir devant un coussinet à dentelles et à entrecroiser patiemment les fils de toutes les bobines. Plus tard, elle ouvragea de son métier, Jehanneton étant


VIES IM.VGINAIRKS 105

devenue cbaperonnière, Perreaette lavan- dière, et Ysabeau gantière, et Gaillemett >, la plus heureuse, saucissière, ayant un petit visage cramoisi qui reluisait comme s'il eût été frotté avec du sang frais de porc. Pour ceux qui avaient joué à Saint-Merry, ils commençaient déjà d'autres entreprises; certains étudiaient sur la montagne Sainte- Geneviève, et d'autres battaient les cartes au Trou-Perrette, et d'autres choquaient les brocs de vin d'Aunis à la Pomme de Pin et d'autres se querellaient à l'hôtel de la Grosse Margot, et sur l'heure de midi, on les voyait, à l'entrée de la taverne, dans la rue aux Fèves, et sur l'heure de minuit, ils sor- taient par la porte de la rue aux Juifs. Pour Katherine, elle entrelaçait les fils de sa den- telle, et les soirs d'été elle prenait le serein sur le banc de l'égUse, où il était permis de rire et de babiller. Katherine portait une chemisette écrue et


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un surcot de couleur verte ; elle était tout affolée d'atours, ne haïssant rien tant que le bourrelet qui marque les filles lorsqu'elles ne sont point de noble lignée. Elle aimait pareillement les testons, les blancs, et sur- tout les écus d'or. C'est ce qui fit qu'elle s'accointa à Gasin Gholet, sergent à verge au Gbàtelet ; sous ombre de son office, il gagnait mal de la monnaie. Souvent elle soupa en sa compagnie à l'hôtellerie de la Mule, en face de l'église des Mathurins ; et, après souper, Gasin Gholet allait prendre des poules sur l'envers des fossés de Paris. Il les rapportait sous son grand tabart, et les vendait très bien à la Machecroue, veuve d'Arnoul, belle marchande de volaille à la porte du Petit-Ghâtelet.

Et sitôt Katherine cessa son métier de dentellière: car la vieille femme au nez rouge pourrissait au charnier des Innocents. Gasin Gholet trouva pour son amie une petite cham-


VIES IMAGINAIRES 167

bre basse, près des Trois-Pucelles, et là il venait la voir sur la tarde. Il ne lui défen- dait pas de se montrer à la fenêtre, avec les yeux noircis au charbon, les joues enduites de blanc de plorab; et tous les pots, tasses et assiettes à fruits où Katherine offrait à boire et à manger à tous ceux qui payaient bien, furent volés à la Chaire, ou aux Cygnes, ou à l'hôtel du Plat-d'Etain. Casin Cholet disparut un jour qu'il avait mis en gage la robe et le demi-ceinct de Katherine aux Trois- Lavandières. Ses amis dirent à la dentel- lière qu'il avait été battu au cul d'une char- rette et chassé de Paris, sur l'ordre du pré- vôt, par la porte Baudoyer. Elle ne le revit jamais; et seule, n'aj^ant plus le cœur à gagner d'argent, devint fille amoureuse, de- meurant partout.

Premièrement, elle attendit aux portes d'hôtelleries; et ceux qui la connaissaient l'emmenaient derrrière les murs, sous le


lOS MES J.MAGINAIRES

Gliûtelet, ou contre le collège de Navarre; puis, quand il fit trop froid, une vieille com- plaisante la fit entrer aux étuves, où la maî- tresse lui donna l'abri. Elle y vécut dans une chambre de pierre, jonchée de roseaux verts. On lui laissa son nom de Katherine la Dentellière, quoiqu'elle n'y fît point de la dentelle. Parfois on lui donnait liberté de se promener par les rues, à condition qu'elle rentrât à l'heure où les gens ont coutume d'aller aux étuves. Et Katherine errait devant les boutiques de la gantière et de la cha- peronnière, et maintes fois elle demeura longtemps à envier le visage sanguin de la saucissière, qui riait parmi ses viandes de porc. Ensuite elle retournait aux étuves, que la maîtresse éclairait au crépuscule avec des chandelles qui brûlaient rouge et fon- daient iDcsamment derrière les vitres noires. Enfin Katherine se lassa de vivre close dans une chambre carrée; elle s'enfuit sur


VIES IMAGINAIRES 109

les routes. Et, dès lors, elle ne fut plus Pari- sienne, ni dentellière; mais semblable à celles qui hantent à l'entour des villes de France, assises sur les pierres des cimetiè- res, pour donner du plaisir à ceux qui pas- sent. Ces fillettes n'ont point d'autre nom que le nom qui convient à leur figure, et Katherine eut le nom de Museau. Elle mar- chait par les près, et le soir, elle épiait sur le bord des chemins, et on voyait sa moue blanche entre les mûriers des haies. Museau apprit à supporter la peur nocturne au milieu des morts, quand ses pieds grelot- taient en frôlant les tombes. Plus de testons, plus de blancs, plus d'ècus d'or; elle vivait pauvrement de pain et de fromage, et de son ècuellée d'eau. Elle eut des amis mal- heureux qui lui chuchotaient de loin : « Mu- seau ! Museau ! » et elle les aima.

La plus grande tristesse était d'ouïr les cloches des églises et des chapelles; car


170 VIES i-MAGINAlRES

Museau se souvenait des nuits de juin où elle s'était assise, en cotte verte, sur les bancs des porches saints. C'était au temps où elle enviait les atours des demoiselles ; il ne lui restait maintenant ni bourrelet, ni chaperon. Tête nue, elle attendait son pain, appuyée à une dalle rude. Et elle regrettait les chandelles rouges des ètuves parmi la nuit du cimetière, et les roseaux verts de la chambre carrée au lieu de la boue grasse où s'enfonçaient ses pieds.

Une nuit, un ruffian qui contrefaisait l'homme de guerre, coupa la gorge de Mu- seau pour lui prendre sa ceinture. Mais il n'y trouva pas de bourse.


Alain le Gentil, Soldat

ALAIN LE GENTIL


Il servit le roi Charles VII dès l'âge de douze ans, comme archer, ayant été enlevé par des hommes de guerre dans le plat pays de Normandie. La manière dont il fat enlevé fut telle. Tandis qu'on allumait les granges, qu'on écorchait les jambes des laboureurs à couteaux de ceinture, et qu'on jetait les fil- lettes à bas sur les lits de sangles, rompus, le petit Alain s'était blotti dans une vieille pipe de vin défoncée à l'entrée du pressoir. Les hommes de guerre renversèrent la pipe et y trouvèrent un garçonnet. On l'emporta à tout sa chemise et sa cotte hardie. Le ca- pitaine lui fit donner un petit jaquet de cuir


17 i VIES IMAGINAIRES

et un ancien chaperon qui venait de la ba- taille de Saint-Jacques. Perrin Godin lui apprit à tirer de l'arc et à ficher proprement son carreau dans le blanc. Il passa de Bor- deaux à Angoulême et du Poitou à Bourges, vit Saint-Pourçain, où se tenait le roi, franchit les marches de Lorraine, visita Toul, revint en Picardie, entra en Flandres, traversa Saint- Quentin, vira vers la Normandie, et pendant vingt-trois ans, courut la France en compagnie armée, où il connut l'Anglais Jehan Poule- Gras, qui lui fit savoir la façon de jurer par Godon, Ghiquerello le Lombard, qui lui en- seigna à guérir le feu Saint-Antoine, et la jeune Ydrede Laon, qui lui montra à abattre sesbraj^es.

. Au Ponteau de Mer, son compagnon Ber- nard d'Anglades lui persuada de se mettre hors l'ordonnance royale, lui assurant qu'ils vivraient grandement tous deux en engei- gnant les dupes avec les dés pipés, qu'on


VIES IMAGINAIRES 175

nomme « gourds ». Ils le firent, sans quitter leur attirail, et ils feignaient de jouer, à l'o- rée des murs du cimetière, sur un tabouriu volé. Un mauvais sergent de l'offlcial, Pierre Erapongnart, se fit montrer les subtilités de leur jeu et leur dit qu'ils ne tarderaient pas à être pris: mais qu'il fallait hardiment jurer qu'ils fussent clercs, afin d'échapper aux gens du roi et de réclamer la justice de l'Eglise, et, pour cela, tondre tout net le haut de leurs têtes et jeter promptement, en cas de besoin, leurs collets déchiquetés et leurs man- -ches de couleur. Il les tonsura lui-même avec les ciseaux consacrés et leur fit mar- motter les sept Psaumes et le verset Domi- nus pars. Puis, ils tirèrent chacun de leur côté, Benard avec Bietrix la clavière, et Alain avec Lorenete la chandelière.

Gomme Lorenete voulait un surcot de drap vert, Alain guetta la taverne du Cheval Blanc à Lisieux, où ils avaient bu un broc de vin.


176 VIES OLVOINAIRES

Il revint la nuit dans le jardin, fit un trou au mur avec sa javeline, et entra dans la salle où il trouva sept écuelles d'étain, un chaperon rouge et une verge d'or. Jaquet le Grand, fripier de Lisieux, les changea très bien contre un surcot tel que le désirait Lo- renete.

A Bayeux, Lorenete demeura dans une petite maison peinte, où on disait qu'étaient lesétuvesdes femmes, et la maîtresse des étuves ne fit que rire quand Alain le Gentil voulut la reprendre. Elle le reconduisit à l'huis, la chandelle au poing, et une grosse pierre dans l'autre main, lui demandant s'il avait point envie qu'elle lui en frottât le museau pour lui faire faire la baboue. Alain s'enfuit, en renversant sa chandelle, tirant du doigt à la bonne femms ce qui lui parut être une verge précieuse : mais elle n'était que de cuivre surdorc, avec une grosse pier- re rose contrefaite.


VIES IMAGINAIRES 177

Puis Alaia partit errant, et à Maubusson roiicoiitra, dans l'hôtellerie du Papegaut, Karandas, son compagnon d'armes, qui mangeait des tripes avec un autre homme nommé Jehan Petit. Karandas portait enco- re son vouge, et Jehan Petit avait une bour- se avec ses aiguillettes, pendante à la cein- ture. Le mordant de la ceinture était d'ar- gent fin. Après avoir bu, ils délibérèrent tous trois d'aller à Senlis par le bois. Ils se mirent en route sur la tarde, et quand ils furent au plein de la forêt, sans lumière, Alain le Gentil traîna la jambe. Jehan le Petit marchait devant. Et dans le noir, Alain lui donna rudement de sa javeline entre les deux épaules, cependant que Karandas lui croulait son vouge sur la tête. Il tomba ventre à terre, et Alain, l'enfour- chant, lui coupa la gorge de sa dague, d'ou- tre en outre. Puis, ils lui bourrèrent le cou de feuilles sèches, afin qu'il n'y eût pas une


178 VIES IMAGINAIRES

mare de sang sur le chemin. La lune parut à une clairière : Alain coupa le mordant de la ceinture, et dénoua les aiguillettes de la bourse, oui! y avait seize lyons d'or et trente- six patars. Il garda les lyons, et jeta la bourse avec les virelants à Karandas, pour sa peine, tenant la javeline haute. Là, ils se départirent l'un de l'autre, au milieu de la clairière, Karandas jurant le sang Dieu.

Alain le Gentil n'osa toucher Senlis et re- vint par détours jusque vers la ville de Rouen. Comme il s'éveillait, après sa nuit, sous une haie fleurie, il se vit entouré par des gens cavaliers qui lui attachèrent les mains et le conduisirent aux prisons. Près du guichet, il se glissa derrière la croupe d'un cheval, et courut à l'église de Saint-Patrice, où il se logea contre le maître-autel. Les sergents ne purent passer le porche. Alain, étant en franchise, hanta librement la nef et les chœurs, vit de beaux calices de métal riche


VIES IMAGINAIRES 179

et des burettes bonnes à fondre. Et la nuit suivante, il eut pour compagnons Denisot et Marignon, larrons comme lui. Marignon avait une oreille coupée. Ils ne savaient que manger. Ils envièrent les petites souris rô- deuses qui nichaient entre les dalles et s'en- graissaient à grignoter les bribes du pain sacré. La troisième nuit, ils durent sortir, la faim aux dents. Les gens de justice les empoignèrent, et Alain, qui se cria clerc, avait oublié d'arracher ses manches ver- tes.

Il demanda aussitôt à aller au retrait, dé- cousit son jaquet, et enfonça les manches parmi l'ordure; mais les hommes de la geôle avertirent le prévôt. Un barbier vint raser entièrement la tête d'Alain le Gentil, pour effacer sa tonsure. Les juges rirent du pau- vre latin de ses psaumes. Il eut beau jurer qu'un évêque l'avait confirmé d'un soufflet, quand il avait dix ans: il ne put venir à bout


ISU VIES IiMAGINAIRES

des pâtres-nôtres. On le mit à la quef^tion comme un homme lai, sur le petit tréteau, puis sur le grand tréteau. Au feu des cuisi- nes de la prison, il déclara pcs crimes, les membres tout affolés par l'étirement des cor- des, et la gorge rompue. Le lieutenant du prévôt prononça la sentence, sur les car- reaux. Il fut lié à la charrette, traîné jus- qu'aux fourches, et pendu. Son corps sehâla au soleil. Le bourreau prit ?on jaquet, ses manches décousues, et un beau chaperon de drap fin, fourré de vair, qu'il avait volé dans une bonne hôtellerie.


Gabriel Spenser, Acteur

IG


GABRIEL SPENSER


Sa mère fut une fille, nommée Flum, qui tenait une petite salle basse au fond de Rot- ten-row, dans Picked-hatch. Un capitaine, aux doigts chargés de bijoux en cuivre, et deux galants, vêtus de pourpoints lâches, venaient la voir après souper. Elle logeait trois demoiselles, dont les noms étaient Poil, DoU et Moll, et qui ne pouvaient supporter l'odeur du tabac. Aussi montaient-elles fré- rpiemment se mettre au lit, et des gentils- hommes polis les accompagnaient, après leur avoir fait boire un verre de vin d'Espa- gne tiède, afin de dissiper la vapeur des pipes. Le petit Gabriel se tenait accroupi sous


1^4 \IES IMAGINAIRES

le manteau de la cheminée pour voir rôtir les pommes qu'on jetait dans les pots de bière. Des acteurs venaient là aussi, cfu avaient les apparences les plus diverses. Ils n'osaient paraître dans les grandes tavernes où allaient lescompagnies entretenues. Cer- tains parlaient en style de fanfaronnade j d'autres ânonnaient comme des idiots. Ils caressaient Gabriel qui apprit d'eux des vers brisés de tragédie et des plaisanteries rustiques de scène. On lui donna un mor- ceau de drap cramoisi, à frange dèdorée, avec un masque de velours et un vieux poi- gnard de bois. Ainsi il paradait tout seul devant l'àtre, brandissant un tison en manière de torche, et sa mère Flum balançait son triple menton par l'admiration qu'elle avait de son enfant précoce.

Les acteurs l'emmenèrent au Rideau Vert, dans Shoreditch, où il trembla devant les accès de rage du petit comédien qui écumait


VIES IMAGINAIRES 185

en hurlant le rôle de Jeronymo.On y voyait aussi le vieux roi Leir, avec sa barbe blan- che déchirée, qui s'agenouillait pour deman- der pardon à sa fille Gordehia ; un clown imitait les folies de Tarleton, et un autre enveloppé d'un drap de lit terrifiait le prince Amlet. Sir John Oldcastle faisait rire tout le monde par son gros ventre, surtout quand il prenait à la taille l'hôtesse qui lui per- mettait de chiffonner la pique de son bonnet et de glisser ses gros doigts dans le sac de bougran qu'elle attachait à sa ceinture. Le Fou chantait des chansons que l'Idiot ne comprenait jamais, et un clown en bonnet de coton passait à tout moment la tète par le rideau fendu, au fond de l'estrade, pour faire des grimaces. Il y avait encore un jon- gleur avec des singes et un homme habillé en femme qui, à l'idée de Gabriel, ressem- blait à sa mère Flum. A la fin des pièces, les bedeaux à verge venaientlui mettre unerobe

16.


180 VIES IMA(iINAIRES

de grosl)leu et criaient qu'ils allaient le por- tera Bridewell.

Quand Gabriel eut quinze ans, les acteurs du Rideau Vertremarquèrent qu'il était beau et délicat et qu'il pourrait jouer les rôles de femmes etde jeunes filles. Flum lui peignait ses cheveux noirs qui étaient rejetés en ar- rière ; il avait la peau très fine, les yeux grands, les sourcils hauts, et Flum lui avait percé les oreilles pour y pendre deux faus- ses perles doubles. Il entra donc dans la com- pagnie du duc de Nottingham, et on lui fit des robes de taffetas etde damas, avec des paillettes, de drap d'argent et de drap d'or, des corsages lacés et des perruques de chan- vre à longues boucles. On lui apprit à se peindre dans la salle à répétitions. D'abord il rougit en montant sur l'estrade ; puis il mi- nauda pour répondre aux galanteries. Poil, DolletMoU, que Flum amena, toutaffairée,dé- clarèrent avec de grands rires que c'était tout


VIES IMAGINAIRES 187

justement une femme et voulurent le délacer après la pièce. Elles le ramenèrent danè Pic- ked-hatch, et sa mère lui fit mettre une de ses robes pour le montrer au capitaine, qui lui fit mille protestations en moquerie et fei- gnit de lui passer au doigt un vilain anneau surdoré où était enchâssée une escarboucle de verre.

Les meilleurs camarades de Gabriel Spen- ser étaient William Bird, Edward Juby et les deux Jeflfes. Ceux-ci entreprirent, un été, d'aller jouer dans les bourgs de la campagne avec des acteurs errants. Ils voyagèrent dans une voiture couverte d'une bâche, où Us couchaient la nuit. Sur la route de Ham- mersmith, un soir, ils virent sortir du fossé un homme qui leur présenta le canon d'un pistolet.

— Votre argent ! dit-il. Je suis Gamaliel Ratsey, par lagrâce de Dieu voleur de grand chemin, et je n'aime pas à attendre.


188 VIES IMAGINAIRES

A quoi les deux Jeffes répondirent, engémis^ sant :

— Nous n'avons point d'argent, Votre Grâce, sinon ces paillettes de cuivre et ces pièces de camelot teint, et nous sommes de pauvres acteurs errants comme Votre Sei- gneurie elle-même.

— Acteurs ? s'écria Gamaliel Ratsey, Voilà qui est admirable. Je ne suis pas un rafleur, ni un coquin, et je suis ami des spec- tacles. Si je n'avais un certain respect pour le vieux Derrick qui saurait bien me traîner sur l'échelle et me faire dodeliner de la tête, je ne quitterais pas le bord de la rivière, et les joyeuses tavernes à drapeaux, où vous autres, mes gentilshommes, vous avez cou-" tume d'exposer tant d'esprit. Soyez donc les bienvenus. La soirée est belle. Dressez votre estrade et jouez-moi votre meilleur specta- cle. Gamaliel Ratsey vous écoutera. Ce n'es t pas ordinaire. Vous pourrez le raconter.


VIES IMAGINAIRES \Si>

— Gela va nous coûter des feux, dirent timidement les deux Jeffes.

— Feux ? dit noblement Gamaliel — que me parlez-vous de feux ? Je suis ici le roi Gamaliel, comme Elizabeth est reine dans la Cité. Et je vous traiterai en roi. Voilà quarante shillings.

Les acteurs descendirent, tremblants.

— Plaise à Votre Majesté, dit Bird, que faudra-t-il jouer ?

Gamaliel réfléchit, et regarda Gabriel.

— Ma foi, dit-il, une belle pièce pour cette demoiselle, et bien mélancolique. Elle doit être charmante enOphelia.il y a des fleurs de digitale ici auprès — de vrais doigts de mort. Amlet, voilà ce que je veux. J'aime assez les humeurs de cette composition. Si je n'étais Gamaliel, je jouerais volontiers Amlet. Allez, et ne voustrompez pas dans les coups d'escrime, mes excellents Troyens, mes vaillants Corinthiens !


li'^O AIKS IMAGINAIRES

On alluma les lanternes. Gamaliel consi- déra le drame avec attention. Après la fin, il dit à Gabriel Spenser :

— Belle Ophelia, je vous dispense du compliment. Vous pouvez partir, acteurs du roi Gamaliel. Sa Majesté est satisfaite.

Puis il disparut dans l'ombre.

Gomme la voiture se mettait on marclie, à l'aube, on le vit de nouveau qui barrait le chemin, pistolet au poing.

— Gamaliel Ratsey, voleur de grand'route, dit-il, vient reprendre les quarante shillings du roi Gamaliel. Allons, vite. Merci pour le spectacle. Décidément, les humeurs d'Am- let me plaisent infiniment. Belle Ophelia, toute ma courtoisie.

Les deux Jeffes, qui gardaient l'argent, le rendirent i)ar force. Gamaliel salua et partit au galop.

Sur cette aventure, la troupe rentra dans Londres. On raconta qu'un voleur avait faill


VIES IMAGINAIRES 101

enlever Ophelia en robe eten perruque. Une fille nommée Pat King, et qui venait souvent au Rideau Vert, a ffirma qu'elle n'en était point surprise. Elle avait la figure grasse et la taille ronde. Flum l'invita, pour lui faire connaî- tre Gabriel. Elle le trouva mignon et l'em- brassa tendrement. Puis elle revint souvent. Pat était l'amie d'un ouvrier briquetier que son métier ennuyait et qui avait l'ambition de jouer au Rideau Vert. Il se nommait Ben Jonson, et il était fort orgueilleux de son éducation, étant clerc, .et ayant quelques connaissances en latin. C'était un homme grand et carré, couturé de scrofule, et dont l'œil droit était plus haut que le gauche. Il avait la voix forte et grondeuse. Ce colosse avait été soldat aux Pays-Bas. 11 suivit Pat King, saisit Gabriel à la peau du cou, et le traîna aux champs de Hoxton, où le pauvre Gabriel dut lui faire face, une épée à la main. Flum lui avait secrètement glissé une lame


V.)2 VIES LMACIN AIRES

plus longue de dix pouces. Elle passa dans le bras de Ben Jonson. Gabriel eut le pou- mon traversé. Il mourut sur l'herbe. Flum courut chercher les constables. On porta Ben Jonson tout jurant à Newgate. Flum espérait qu'il serait pendu. Mais il récita ses psaumes en latin, fit voir qu'il était clerc, et on le marqua seulement à la main avec un


Pocahontas, Princesse

POCAHONTAS


Pocahontas était la fille du roi Powhatan, qui siégeait assis sur un trône fait en ma- nière de lit, et couvert d'une grande robe cousue de peaux de raton, dont toutes les queues pendaient. Elle fut élevée dans une maison tendue de nattes, parmi des prêtres et des femmes qui avaient la tête et les épaules peintes de rouge vifet qui l'amusaient avec des hochets de cuivre et des sonnettes de serpent. Namontak, un serviteur fidèle, veillait sur la princesse et ordonnait ses jeux. Quelque- fois on la menait dans la forêt auprès de la grande rivière Rappahanok, et trente vierges nues dansaient pour la distraire. Elles


19() VIES IMAGINAIRES

étaient teintes de diverses couleurs et cein- tes de feuilles vertes, portaient sur la tête (les cornes de bouc, et une peau de loutre à la taille, et, agitant des massues, elles sautaient autour d'un feu qui crépitait. La danse terminée, elles éparpillaieat les flam- mes et reconduisaient la princesse à la lueur des tisons.

L'an 1607, le pays de Pocahontasfut trou- blé par les Européens. Des gentilshommes décavés, des escrocs et des chercheurs d*or, vinrent aborder dans la rivière de Potomac, et bâtirent des cahutes en planches. Ils don- nèrent aux cahutes le nom de Jamestown, et ils appelèrent leur colonie la Virginie. La Virginie ne fut, en ces années, qu'un miséra- ble petit fort construit dans la baie de Ghesa- peake,au milieu des domaines du grand roi PoAvhatan. Les colons élurent président le capitaine John Smith, qui avait jadis couru l'aventure jusque chez les Turcs. Ils erraient


VIES IMAGINAIRES 197

sur les roches et vivaient des coquillages de la mer et du peu de froment qu'ils pouvaient obtenir par trafic avec les indigènes.

Ils furent d'abord reçus en grande céré- monie. Un prêtre sauvage vint jouer devant eux d'une flûte de roseau, ayant autour de ses cheveux noués une couronne de poils de daim teinte en rouge, et ouverte comme une rose. Son corps était peint de cramoisi, sa figure de bleu ; et il avait la peau par- semée de paillettes d'argent natif. Ainsi, la face impassible, il s'assit sur une natte, et fuma une pipe de tabac.

Puis d'autres se formèrent en colonne carrée, peints de noir, et de rouge, et de blanc, et quelques-uns à mi-couleur, chan- tant et dansant devant leur idole Oki, faite de peaux de serpents bourrées de mousse et ornées avec des chaînes de cuivre.

Mais peu de jours après, le capitaine Smith explorant la rivière dans un canot, fut

17.


lus VIES IMACLN AIRES

soudain assailli et lié. On le mena parmi de terribles hurlements à une maison longue où il fut gardé par quarante sauvages. Les prêtres, ayant leurs yeux peints de rouge et leurs figures noires traversées par de grandes barres blanches, encerclèrent deux fois le feu de la maison de garde avec une traî- née de farine et des grains de blé. Ensuite John Smith fut conduit dans la hutte du roi. Powhatan était vêtu de sa robe de fourrures et ceux qui se tenaient autour de lui avaient les cheveux décorés avec du duvet d'oi- seau. Une femme apporta au capitaine de l'eau pour lui laver les mains, et une autre les lui essuya avec une touffe de plumes. Cependant deux géants rouges déposèrent deux pierres plates aux pieds de Powhatan. Et le roi leva la main, signifiant que John Smith allait être couché sur ces pierres et qu'on lui écraserait la tète à coups de mas- sue.


VIES IMAGINAIRES 199

Pocahontas n'avait que douze ans et avançait timidement la figure entre les con- seillers barbouillés. Elle gémit, s'élança vers le capitaine et mit la tête contre sa joue. John Smith avait vingt-neuf ans. Il portait de graîides moustaches droites, la barbe en éventail, et sa face était aquiline. On lui dit que le nom de la fillette du roi, qui lui sauvait la vie, était Pocahontas. Mais ce n'était pas son vrai nom. Le roi Powha- tan conclut la paix avec John Smith et le mit en Uberté.

Un an plus tard, le capitaine Smith cam- pait avec sa troupe dans la forêt fluviale. La nuit était épaisse ; une pluie pénétrante abattait tout bruit. Soudain, Pocahontas toucha l'épaule du capitaine. Elle avait tra- versé, seule, les affreuses ténèbres des bois. Elle lui chuchota que son père voulait atta- quer les Anglais et les tuer pendant qu'ils seraient à souper. Elle le supplia de fuir, s'il


200 VIES LMAGIRAIRES

tenait à vivre. Le capitaine Smith lui offrit des verreries et des rubans ; mais elle pleura et répondit qu'elle n'osait. Et elle s'enfuit, seule, dans la forêt.

L'année suivante, les colons mirent le capitaine Smith en disgrâce, et, en 1609, il fut embarqué pour l'Angleterre. Là, il com- posa des livres sur la Virginie, où il expli- quait la situation des colons et racontait ses aventures. Vers 1G12, un certain capi- taine Argall, étant allé faire du commerce parmi les Potomacs (qui étaient le peuple du roi Powhatan), enleva par surprise la princesse Pocahontas et Penferma dans un navire comme otage. Le roi, son père, s'in- digna ; mais elle ne lui fut pas rendue. Ainsi elle languit prisonnière jusqu'au jour où un gentilhomme de bonne façon, John Rolfe, s'éprit d'elle et l'épousa. Ils furent mariés en avril 1G13. On dit que Pocahontas avoua son amour à un de ses frères, qui vint la voir.


VIES IMAGINAIRES 201

Elle arriva en Angleterre au mois de juin 1016, où il y eut, parmi les personnes de la société, grande curiosité pour la visiter. La bonne reine Anne l'accueillit tendrement et ordonna qu'on gravât son portrait.

Le capitaine John Smith, qui allait repar- tir pour la Virginie, vint lui faire sa cour avant de s'embarquer. Il ne l'avait pas vue depuis 1608. Elle avait vingt-deux ans. Lorsqu'il entra, elle détourna la tête et cacha sa figure, ne répondant ni à son mari, ni à ges amis, et demeura seule pendant deux ou trois heures. Puis elle demanda le capitaine. Alors elle leva les yeux, et lui dit:

— Vous aviez promis à Powhatan que ce qui serait à vous serait à lui, et il a fait de même; étant étranger dans sa patrie, vous l'appeliez père ; étant étrangère dans la vôtre, je vous appellerai ainsi.

Le capitaine Smith s'excusa sur l'étiquette, parce qu'elle était fille de roi.


202 VIES IMAGINAIRES

Elle reprit:

— Vous n'avez pas craint de venir au pays de mon père, et vous l'avez effrayé, lui et tous ses gens, — excepté moi : crain- drez-vous donc qu'ici je ne vous appelle mon père ? Je vous dirai mon père et vous me direz mon enfant, et je serai pour tou- jours de la même patrie que vous... Ils m'avaient dit là-bas que vous étiez mort...

Et elle confia tout bas à John Smith que son nom était Matoaka. Les Indiens, crai- gnant qu'on s'emparât d'elle par maléfice, avaient donné aux étrangers le faux nom de Pocahontas.

John Smith partit pour la Virginie et ne revit jamais Matoaka. Elle tomba malade à Gravesend, au début de l'année suivante, pâlit et mourut. Elle n'avait pas vingt-trois ans.

Son portrait est entouré de cet exergue : Matoaka allas Rebecca fiUa potenlisslml


VIES IMAGINAIRES 203

prlnclpis Powliatani impcraforis Virgi- niœ. La pauvre Matoaka avait un chapeau de feutre haut, à deux guirlandes de perles j une grande collerette de dentelle roide, et - elle tenait un éventail de plume. Elle avait le visage aminci, les pommettes longues et de grands yeux doux.


Cyril Tourneur, Poète tragique

CYRIL TOURNEUR


Cyril Tourneur naquit de l'union d'un dieu inconnu avec une prostituée. On trouve la preuve de son origine divine dans l'athéisme héroïque sous lequel il suc- comba. Sa mère lui transmit l'instinct de la révolution et de la luxure, la peur de la mort, le frémissement de la volupté et la haine des rois; il tint de son père l'amour de se couronner, l'orgueil de régner, et la joie de créer ; tous deux lui donnèrent le goût de la nuit, de la lumière rouge et du sang.

La date de sa naissance est ignorée ; mais il parut dans une journée noire, sous


2l)vS VIES I-MAOINAIRES

une année pestilentielle. Aucune protection céleste ne veilla sur la fille amoureuse qui fut grosse d'un dieu, car elle eut le corps taché de la peste quelques jours avant d'ac- coucher, et la porte de sa petite maison fut marquée de la croix rouge. Cyril Tour- neur vint au monde au son de la cloche de l'enterreur des morts ; et comme son père avait disparu dans le ciel commun des dieux, une charrette verte traîna sa mère à la fosse commune des hommes. On rapporte que les ténèbres étaient si profondes que l'enter- reur dut éclairer l'ouverture de la maison pestiférée avec une torche de résine; un au- tre chroniqueur assure que le brouillard sur la Tamise (où trempait le pied de la maison) se raya d'écarlate, et que de la gueule de la cloche d'appel s'échappa la voix des cyno- céphales ; enfin, il paraît hors de doute qu'une étoile flambante et furieuse se mani- festa au-dessus du triangle du toit, faite de


VIES IMAGINAIRES 209

rayons faligiiieiix, tordus, mal noués, et que l'enfant nouveau-nè lui montra le poing par une lucarne, tandis qu'elle secouait sur lui ses boucles informes de feu. Ainsi entra Cyril Tourneur dans la vaste concavité de la nuit cimmérieime.

Il est impossible de découvrir ce qu'il pensa ou ce qu'il fit jusqu'à l'âge de trente ans, quels furent les symptômes de sa divi- nité latente, comment il se persuada de sa propre royauté. Une note obscure et effrayée contient la liste de ses blasphèmes. Il décla- rait que Moïse n'avait été qu'un jongleur et qu'un nommé Heriots était plus habile que lui. Que le premier commencement de la religion n'était que de maintenir les hommes dans la terreur. Que le Christ méritait plu- tôt la mort que Barrabas, bien que Barra- bas fût voleur et assassin. Que s'il entrepre- nait d'écrire une nouvelle rehgion, il l'éta- blirait sur une méthode plus excellente et

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210 VIES IMAGINAIRES

plus admirable, et que le Nouveau-Testament était d'un style répugnant. Qu'il avait autant de droit abattre monnaie que la Reine d'An- gleterre, et qu'il connaissait un certain Poole, prisonnier à Newgate, fort expert au mélange des métaux, avec l'aide duquel il prétendait un jour frapper l'or à sa propre image. Une âme pieuse a barré sur le par- chemin d'autres affirmations plus terribles.

Mais ces paroles furent recueillies par une personne vulgaire. Les gestes de Cyril Tourneur indiquent un athéisme plus vindi- catif. On le représente vêtu d'une longue robe noire, portant sur la tête une glorieu- se couronne à douze étoiles, le pied sur le globe céleste, élevant le globe terrestre dans sa main droite. Il parcourait les rues dans les nuits de peste et d'orage. Il était blême comme les cierges consacrés et ses yeux luisaient mollement comme des brû- leurs d'encens. Certains affirment qu'il avait


VIES IMAGINAIRES 211

sur le flanc droit la marque d'un sceau extraordinaire ; mais il fut impossible de le vérifier après sa mort, puisque nul ne vit sa dépouille.

Il lit sa maîtresse d'une prostituée du Bank- side, qui fréquentait les rues du bord de l'eau, et il l'aima uniquement. Elle était très jeune et sa figure était innocente et blonde. Les rougeurs y paraissaient comme des flammes vacillantes. Cyril Tourneur lui donna le nom de Rosamonde, et eut d'elle une fille qu'il aima. Rosamonde mourut tra- giquement, ayant été remarquée par un prince. On sait qu'elle but dans une coupe transparente du poison couleur d'émerau- de.

Ce fut alors que la vengeance dans l'àme de Cyril se mêla à l'orgueil. Nocturne, il parcourut le Mail, tout le long du cortège royal, secouant dans sa main une torche à crinière enflammée, afin d'éclairer le prince


212 VIES IMAGINAIRES

empoisonneur. La haine de toute autorité lui monta vers la bouche et aux mains. 11 se fit épieur de grand'route, non pour voler, mais pour assassiner des rois. Les princes qui disparurent en ces temps furent ilhimi- ncs par la torche de Cyril Tourneur et tués par hii.

11 s'embusquait sur les chemins de la rei- ne, près des puits à gravier et des fours à chaux. Il choisissait sa victime dans la trou- pe, s'offrait à l'éclairer parmi les fondrières, la menait jusqu'à la gueule du puits, étei- gnait sa torche et précipitait. Le gravier pleuvait après la chute. Ensuite Cyril, pen- ché sur le bord, faisait tomber deux énor- mes pierres pour écraser les cris. Et, le reste de la nuit, il veillait le cadavre qui se consumait dans la chaux, près du four rou- ge sombre.

Quand Cyril Tourneur eut assouvi sa haine des rois, il fut ôtreint par la haine des


VIES IMAGINAIRES. 213

dieux. L'aiguillon divin qu'il avait en lui l'excita à créer. Il songea'qu'il pourrait fon- der une génération dans son propre sang, et se propager comme dieu sur terre. Il regarda sa fille, et la trouva vierge et désirable. Pour accomplir son dessein à la face du ciel, il ne trous'a point d'endroit plus significatif qu'un cimetière. Il jura de braver la mort et de créer une nouvelle humanité au milieu de la destruction fixée par les ordres divins. Entouré de vieux os, il voulut engen- drer de jeunes os, Cyril Tourneur pos- séda sa fille sur le couvercle d'un char- nier.

La fin de sa vie se perd dans un rayonne- ment obscur. On ne sait quelle main nous tT2insmit\3iTragèdie de l'Athée et la Tragé- die du Vengeur. Une tradition prétend que l'orgueil de Cyril Tourneur se haussa encore. Il fit élever un trône dans son jardin noir, et il avait coutume d'y siéger, couronné


214 VIES IMAGINAIRES

d'or, SOUS la l'oudre. Plusieurs le virent et s'enfuirent, terrifiés par les longues aigret- tes bleuâtres qui voltigeaient au-dessus de sa tête. Il lisait un manuscrit des poèmes d'Empédocle, que personne n'a vu depuis. Il exprima souvent son admiration pour la mort d'Empédocle. Et Tannée où il disparut fut de nouveau pestilentielle. Le peuple de Londres s'était retiré sur les barques amar- rées au milieu de la Tamise. Un météore effrayant évolua sous la lune. C'était un globe de feu blanc, animé d'une sinistre rotation. Il se dirigea vers la maison de Cyril Tourneur, qui sembla peinte de reflets métalliques. L'homme vêtu de noir et cou- ronné d'or attendait sur son trône la venue du météore. Il y eut, comme avant les ba- tailles théâtrales, une alarme morne de trompettes. Cyril Tourneur fut enveloppé d'une lueur faite de sang rose volatilisé. Des trompettes, dressées dans la nuit, sonnèrent,


VIES IMAGINAIRES 215

comme au théâtre, une fanfare funèbre. Ainsi fut précipité Cyril Tourneur vers un dieu inconnu dans le taciturne tourbillonne- ment du ciel.


William Phips, Pêcheur de trésors

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WILLIAM PHIPS


WilliamPhips naquit en 1651 près de l'em- bouchure de la rivière Kennebec, parmi les forêts fluviales où les constructeurs de na- vires venaient abattre leur bois. Dans un pauvre village du Maine il rêva, pour la première fois, une aventureuse fortune, à l'aspect du façonnage de planches marines. L'incertaine lueur de l'Océan qui bat la Nouvelle-Angleterre lui apporta le scintil- lement de l'or noyé et de l'argent étouffé sous les sables. Il crut à la richesse de la mer et désira l'obtenir. Il apprit à construire des bateaux, gagna une petite aisance et vint à Boston. Sa foi était si forte qu'il ré-


■J'^0 VIES IMAGINAIRES

pétait : « Un jour, je commanderai un vais- seau du Roi et j'aurai une belle maison de briques à Boston, dans l'Avenue Verte. »

En ce temps gisaient au fond de l'Atlan- tique beaucoup de galions espagnols char- gés d'or. Celte rumeur emplissait l'âme de William Phips. 11 sut qu'un gros vaisseau avait coulé près de Port de la Plata ; il réu- nit tout ce qu'il possédait et partit pour Londres, afin d'équiper un navire. Il assié- gea l'Amirauté de pétitions etdeplacets. On lui donna la Rose-cV Alger, qui portait dix- huit canons, et, en 1067, il fit voile vers l'inconnu. Il avait trente-six ans.

Quatre-vingt-quinze hommes partaient à bord de la Rose-d'Alger, parmi lesquels un premier maître, Adderley, de Providence. Lorsqu'ils surent que Phips se dirigeait vers Hispaniola, ils ne se tinrent pas de joie. Car Hispaniola était l'île des pirates, et la Rose- d'Alger leur semblait un bon navire. Et


VIES IMAGINAIRES 221

d'abord, sur une petite terre sablonneuse de l'archipel, ils s'assemblèrent en conseil pour se faire gentilshommes de fortune. Phips, à l'avant de la Rose-d'Alger, épiait la mer. Cependant il y avait une avarie à la carène. Pendant que le charpentier la réparait, il entendit le complot. Il courut à la cabine du capitaine. Phips lui ordonna de charger les canons, les braqua sur l'équipage révolté à terre, laissa tous ses hommes « marrons » dans ce repaire désert, et repartit avec quel- ques matelots dévoués. Le maître de Pro- vidence, Adderley, regagna la Rose-cVAl- ger à la nage.

On toucha Hispaniola par une mer calme, sous un soleil brûlant. Phips s'enquitsur tou- tes les grèves du vaisseau qui avait sombré plus d'un demi-siècle auparavant, en vue de Port de la Plata. Un vieil Espagnol s'en souvenait et lui désigna le récif. C'était un écueil allongé, arrondi, dont les pentes dis-

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222 VIES IMAGINAIRES

paraissaient dans Teau claire jusqu'au trem- blement le plus profond. Adderloy, penché sur le bastingage, riait en regardant les petits remous des vagues. La Rose-cV Alger ù.i len- tement le tour du récif, et tous les hommes examinaient en vain la mer transparente. Phips frappait du pied sur le gaillard d'a- vant, parmi les dragues et les crochets. En- core une fois, la Rose-d' Alger fit le tour du récif, et partout le sol paraissait semblable, avec ses sillons concentriques de sable hu- mide et les bouquets d'algues inclinées qui frémissaient sous les courants. Quand la Rose-d'Alger commença son troisième tour le soleil s'enfonça et la mer devint noire.

Puis elle fut phosphorescente. «Voilà les trésors ! » criait Adderley dans la nuit, le doigt tendu vers l'or fumeux des vagues. Mais l'aurore chaude se leva sur l'Océan tranquille et clair, tandis que la Rose d Al- ger parcourait toujours le même orbe. Et


VIES IMAGINAIRES 223

durant huit jours, elle croisa ainsi. Les yeux des hommes étaient brouillés à force de scru- ter la limpidité delà mer. Phips n'avait plus de provisions. 11 fallait partir. L'ordre fut donné, et la Rose-d'Alger se mit à virer. Alors Adderley aperçut à un flanc du récif une belle algue blanche qui vacillait, et en eut envie. Un Indien plongea et Tarracha. Il la rapporta, pendant toute droite. Elle était très lourde, et ses racines entortillées paraissaient étreindre un galet. Adderley la soupesa, et frappa les racines sur le pont pour la débarrasser de son poids. Quelque chose d'étincelant roula sous le soleil. Phips poussa un cri. C'était un lingot d'argent qui valait bien 300 livres. Adderley balan- çait stupidement l'algue blanche. Tous les Indiens plongèrent aussitôt. En quelques heures, le tillac fut couvert de sacs dur», pétrifiés, incrustés de calcaire et revêtus de petits coquillages. On les éventra avec des


224 VIKS IMA(iINAlRES

<iseaux à froid et des marteaux ; et hors des trous s'échappèrent des hngots d'or et d'argent, et des pièces de huit. « Dieu soit loué ! s'écria Phips, notre fortune est faite ! » Le trésor valait trois cent mi'le livres ster- ling. Adderley répétait : « Et tout cela est sorti de la racine d'une petite algue Llan- die ! » 11 mourut fou, aux Bermudes, quel" ques jours après, en balbutiant ces mots.

Phips convoya son trésor. Le roid'A'igle- terrefltde lui sir William Phips, et le nomma High Sheriff à Boston. La il tint sa chimère et se fit bâtir une belle maison de briques rou- ges dans l'Avenue Verte. 11 devint un hom- me considérable. Ce fut lui qui commanda la campagne contre les possessions françaises, et il prit l'Acadie sur M. de Meneval et le chevalier de Villebon. Le roi le nomma gouverneur de Massachusetts, capitaine géné- ral du Maine et de la Nouvelle-Ecosse. Ses coffres étaient remplis d'or. Il entreprit l'at-


VIES IMAGINAIRES 225

taque de Québec, après avoir levé tout l'ar- gent disponible à Boston. L'entreprise man- qua et la colonie fat ruinée. Alors Phips émit du papier-monnaie. Afin de hausser sa valeur, il échangea contre ce papier tout son or liquide. Mais la fortune avait tourné. Le cours du papier baissa. Phips perdit tout, demeura pauvre, endetté, et ses ennemis le guettaient. Sa prospérité n'avait duré que huit ans. 11 partit pour Londres, misérable, et, comme il débarquait, il fut arrêté pour 20.000 Uvres, à la requête de Dudley et Brenton. Les sergents le transportèrent à la prison de Fleet.

Sir William Phips fut enfermé dans une cellule nue. Il n'avait gardé que le lingot d'argent qui lui avait donné sa gloire, le lingot de l'algue blanche. 11 était harassé de fièvre et de désespoir. La mort le prit à la gorge. 11 se débattit. Même là, il fut hanté par son rêve de trésors. Le galion du gou-


226 VIES IMAGINAIRES

verneur espagnol Bobadilla, chargé d'or et d'argent, avait sombré près de Bahamas. Phips envoya chercher le maître de la pri- son. La fièvre et l'espoir furieux l'avaient décharné. Il présenta au maître le lingot d'argent dans sa main sèche et murmura dans son râle :

— Laissez-moi plonger; voici un des lin- gots de Bo-ba-dil-la.

Puis il expira. Le lingot de l'algueblanche paya son cercueil.


Le Capitaine Kid, Pirate

PIRATE


LE CAPITAINE KID


On ne s'accorde point sur la raison qui fit donner à ce pirate le nom du chevreau {Kid). L'acte par lequel Guillaume III, roi d'Angleterre, l'investit de sa commission sur la galère VAventure, en 1695, com- mance par les mots : « A notre féal et bien- aimé capitaine William Kid, commandant, etc. Salut. » Mais il est certain qne, dès lors, c'était un nom de guerre. Les uns di- sent qu'il avait coutume, étant élégant et raffiné, de porter toujours, au combat et à la manœuvre, de délicats gants de chevreau à revers en dentelle de Flandres ; d'autres assurent que dans ses pires tueries, il s'é-

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230 VIKS IMAOINAIllES

criait: « Moi qui suis doux et bon comme un chevreau nouveau-né » ; d'autres encore prétendent qu'il enfermait l'or et les joyaux dans des sacs très souples, faits de peau de jeune chèvre, et que l'usage lui en vint du jour où il pilla un vaisseau chargé de vif- argent dont il emplit mille poches de cuir, qui sont encore enterrées au flanc d'une petite colline dans les îles Barbades. 11 suf- fit de savoir que son pavillon de soie noire était brodé d'une tête de mort et d'une tête de chevreau, et que son cachet était gravé de même. Ceux qui cherchent les nombreux trésors qu'il cacha sur les côtes des conti- nents d'Asie et d'Amérique, font marcher devant eux un petit chevreau noir, qui doit gémir à l'endroit où le capitaine enfouit son butin; mais aucun n'a réussi. Barbe-Noire lui- même, qui avait été renseigné par un ancien matelot de Kid, Gabriel Loff, ne trouva dans les dunes, sur lesquelles est bâti aujourd'hui


VIES IMAGINAIRKS 231

Fort Providence, que des gouttes éparses de vif-argent suintant à travers les sa- bles. Et toutes ces fouilles sont inutiles, car le capitaine Kid déclara que ses cachettes resteraient éternellement inconnues à cause de « l'homme au baquet sanglant». Kid, en effet, fut hanté par cet homme pendant toute sa vie, et les trésors de Kid sont hantés et défendus par lui, depuis sa mort.

Lord Bellaraont, gouverneur des Barbades, irrité par l'énorme butin des pirates dans les Indes Occidentales, équipa la galère VA- ventiire, et obtint du roi, pour le capitaine Kid, la commission de commandant. Deimis longtemps Kid était jaloux du fameux Ire- land, qui pillait tous les convois ; il promit à lord Bellamont de prendre sa chaloupe et de le ramener avec ses compagnons pour les faire exécuter. U Aventure portait trente canons et cent cinquante hommes. D'abord Kid toucha Madère et s'y fournit de vin ;


232 VIES LMA(;INAIRES

puis Bonavist, pour y embarquer du sel ; enfin, Saint-Iago, où il s'approvisionna complètement. Et de là il fil voile vers l'entrée de la Mer Rouge, où, dans le Golfe Persique, il y a un endroit d'une petite île qui se nomme la Clef de Bab.

C'est là que le capitaine Kid réunit fcs compagnons et leur fit hisser le pavillon noir à tête de mort. Ils jurèrent tous, sur la hache, obéissance absolue aux règlements des pirates. Chaque homme avait droit au vote, et titre égal aux provisions fraîches et liqueurs fortes. Les jeux de cartes et de dés étaient interdits. Les lumières et chan- delles devaient être éteintes à huit heures du soir. Si un homme voulait boire plus tard, il buvait sur le pont, dans la nuit, à ciel ouvert. La compagnie ne recevrait ni fem- me ni jeune garçon. Celui qui en introdui- rait sous déguisement serait puni de mort. Les canons, pistolets et coutelas devaient


VIES IMAGINAIRES 233

être entretenus et astiqués. Les querelles se vicieraient à terre, au sabre et au pistolet. Le capitaine et le quartier-maître auraient droit à deux parts ; le maître, le bosseman et le canonnier, à une et demie ; les autres officiers à une un quart. Repos pour les musiciens le jour du Sabbat;

Le premier navire qu'ils rencontrèrent était hollandais, commandé par le Schipper Mitchel, Kid hissa le pavillon français et donna la chasse. Le navire montra aussi- tôt les couleurs françaises ; sur quoi le pi- rate héla en français. Le Schipper avait un Français à bord, qui répondit. Kid lui de- manda s'il avait un passe-port. Le Français dit que oui : « Eh bien, par Dieu, répondit Kid, en vertu de votre passe-port, je vous prends pour capitaine de ce navire. » Et aussitôt, il le fit pendre à la vergue. Puis il fit venir les Hollandais un à un. Il les in- terrogea, et, feignant de ne point entendre

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234 VIES IMAGINAIRES

le flamand, ordonna pour chaque prison- nier : « Français — la planche ! » On atta- cha une planche au bout-dehors. Tous les Hollandais coururent dessus, nus, devant la pointe du coutelas du bosseman, et sau- tèrent dans la mer.

A cet instant, le canonnier du capitaine Kid, Moor, éleva la voix : «Capitaine, cria- t-il, pourquoi tuez-vous ces hommes ? » Moor était ivre. Le capitaine se retourna, et, saisissant un baquet, le lui asséna sur la tête. Moor tomba, le crâne fendu. Le capi- taine Kid fit laver le baquet, auquel les che- veux s'étaient collés, avec du sang caillé. Aucun homme de l'équipage ne voulut plus y tremper le faubert. On laissa le baquet attaché au bastingage.

De ce jour, le capitaine Kid fut hanté par l'homme au baquet. Quand il prit le vais- seau maure Queda, monté par des Indous et des Arméniens, avec dix mille livres d'or.


VIES IMAGINAIRES 235

au partage du butin riiomme au baquet san- glant était assis sur les ducats. Kid le vit bien et jura. Il descendit à sa cabine et vida une tasse de bombou. Puis, de retour surlepontjil fit jeter l'ancien baquetàlamer. A l'abordage du riche vaisseau marchand le Mocco, on ne trouva pas de quoi mesurer lespartsde poudre d'or du capitaine. « Plein un baquet » dit une voix derrière l'épaule de Kid. Il trancha l'air de son coutelas et essuya ses lèvres, qui écumaient. Puis il fit pendre les Arméniens. Les hommes de l'équi- page semblaient n'avoir rien entendu. Lors- que Kid attaqua V Hirondelle, il s'étendit sur sa couchette après le partage. Quand il se réveilla, il se sentit trempé de sueur, et ap- pela un matelot pour lui demander de quoi se laver. L'homme lui apporta de l'eau dans une cuvette d'étain. Kid le regarda fixement et hurla : « Est-ce là te conduire en gentil- homme de fortune? Misérable ! tu m'apportes


2oG MES 1MA(.INAIRES

un baquet plein de song ! » Le matelot s'en- fuit. Kid le fit débarquer et a])andonner mar- ron, avec un fusil, une bouteille de poudre et une bouteille d'eau. Il n'eut point d'autre raison pour enterrer son butin en différents lieux solitaires, parmi les sables, que la persuasion où il était que toutes les nuits le canonnier assassiné venait vider la soute à or avec son baquet pour jeter les richesses à la mer.

Kid se fit prendre au large de New-Yorli. Lord Bellamont l'envoya à Londres. Il fut condamné à la potence. On le pendit sur le quai de l'Exécution, avec son habit rouge et ses gants. Au moment où le bourreau lui enfonça sur les yeux le bonnet noir, le ca- pitaine Kid se débattit et cria : « Sacredieu ! je savais bien qu'il me mettrait son baquet sur la tête ! » Le cadavre noirci resta accro- ché dans les chaînes pendant plus de vingt ans.


Walter Kennedy, Pirate illettré

WALTER KENNEDY


Le capitaine Kennedy était Irlandais et ne savait ni lire, ni écrire. Il parvint au grade de lieutenant, sous le grand Roberts, pour le talent qu'il avait dans la torture. Il possédait parfaitement l'art de tordre une mèche autour du front d^un prisonnier, jus- qu'à lui faire sortir les yeux, ou de lui ca- resser la figure avec des feuilles de palmier enflammées. Sa réputation fut consacrée au jugement qui fut fait, à bord le Cotsaire, de Darby MuUin, soupçonné de trahison. Les juges s'assirent contre l'habitacle du timonier, devant un grand bol de punch, avec des pipes et du tabac; puis le procès


240 VIES I.MA(i IN AIRES

commença. On allait voter sur la sentence, quand un des juges proposa de fumer en- core une pipe avant la délibération. Alors Kennedy se leva, tira sa pipe de sa bouche, cracha, et parla en ces termes :

— • Sacredieu ! messieurs et gentilshom- mes de fortune, le diable m'emporte si nous ne pendons pas Darby MuUin, mon vieux camarade. Darby est un bon garçon, sacre- dieu ! jeanfoutre qui dirait le contraire, et nous sommes gentilshommes, diable ! On a souqué ensemble, sacredieu ! et je Taime de tout mon cœur, foutre ! Messieurs et gen- tilshommes de fortune, je le connais bien ; c'est un vrai bougre ; s'il vit, il ne se repen- tira jamais; le diable m'emporte s'il se re- pent, n'est-ce pas, mon vieux Darby? Pen- dons-le, sacredieu ! et, avec la permission de l'honorable compagnie, je vais boire un bon coup à sa santé. »

Ce discours parut admirable et digne des


VIES IMAGINAIRES 241

plus belles oraisons militaires qui sont rap- portées par les anciens. Roberts fut enchan- té. De ce jour, Kennedy prit do l'ambition. Au large des Barbades, Roberts s'étant égaré dans une chaloupe à la poursuite d'un vais- seau portugais, Kennedy força ses compa- gnons à l'élire capitaine du Corsaire, et fit voile à son compte. Ils coulèrent et pillèrent nombre de brigantines et galères, chargées de sucre et de tabac du Brésil, sans compter la poudre d'or, et les sacs pleins de dou- blons et de pièces de huit. Leur drapeau était de soie noire, avec une tête de mort, un sablier, deux os croisés, et au-dessous un cœur surmonté d'un dard, d'où tombaient trois gouttes de sang. En cet équipage, ils rencontrèrent une chaloupe bien paisible de Virginie, dont le capitaine était un Quaker pieux, nornuK;^ Knot. Cet homme de Dieu n'avait à son bord ni rhum, ni pistolet, ni sabre, ni coûte as ; il était vêtu d'un long

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242 VIES LMAGIN AIRES

habit noir, et coiffé d'un chapeau à larges bords de couleur pareille.

— Sacredieu ! dit le capitaine Kennedy, c'est un bon vivant, et gai ; voilà ce que j'aime ; on ne fera pas de mal à mon ami, Monsieur le capitaine Knot, qui est habillé de façon si réjouissante.

M. Knot s'incUna, en faisant des mom- meries silencieuses.

— Amen, dit M. Knot. Ainsi soit-il.

Les pirates firent des cadeaux à M. Knot. Ils lui offrirent trente moidores, dix rou- leaux de tabac du Brésil, et des sachets d'é- meraudes. M. Knot prit très bien les moi- dores, les pierres précieuses et le tabac.

-r- Ce sont des présents qu'il est permis d'accepter, pour en faire un usage pieux. Ah! plût au ciel que nos amis, qui sillon- nent la mer, fussent tous animés de sem- blables sentiments ! Le Seigneur accepte toutes les restitutions. Ce sont, pour ainsi


VIES niAOINAIRES 243

dire, les membres du veau, et les parties de ridole Dagon, que vous lui offrez, mes amis, en sacrifice. Dagon règne encore dans ces pays profanes, et son or donne de mauvai- ses tentations.

— Bougre de Dagon, dit Kennedy, tais ta gueule, sacredieu ! prends ce qu'on te donne, et bois un coup.

Alors, M. Knot s'inclina paisiblement : mais il refusa son quart de rhum.

— Messieurs mes amis, dit-il...

— Gentilshommes de fortune, sacredieu! cria Kennedy.

— Messieurs mes amis gentilshommes, reprit M. Knot, les liqueurs fortes sont, pour ainsi dire, des aiguillons de tentation que notre faible chair ne saurait point suppor- ter. Vous autres, mes amis...

' — Gentilshommes de fortune, sacredieu! cria Kennedy.

— Vous autres, mes amis et fortunés gen-


^•i4 vip:s imaginaires

tilsliommes, reprit M. Knot, qui êtes endur- cis par de longues épreuves contre le Ten- tateur, il est possible, probable, dirai-je, que vous n'en souffrez point d'inconvénient; mais vos amis seraient inconnnodés, grave- ment incommodés...

— Incommodés au diable ! dit Kennedy. Cet homme parle admirablement, mais je bois mieux. Il nous mènera en Caroline voir ses excellents amis qui i)Ossèdent sans doute d'autres membres du veau qu'il dit. N'est-ce pas, Monsieur le capitaine Dagon?

— Ainsi soit-il, dit le Quaker, mais Knot est mon nom.

Et il s'inclina encore. Les grands bords de son chapeau tremblaient sous le vent.

Le Corsaire jeta l'ancre dans une crique favorite de l'homme de Dieu. Il promit d'a- mener ses amis, et revint, en effet, le soir même, avec une compagnie de soldats envoyés par M. Spotswood, gouverneur de


VIES IMAGINAIRES 245

la Caroline. L'homme de Dieu jura à ses amis, les fortunés gentilshommes, que ce n'était qa'à l'effet de les empêcher d'intro- duire en ces pays profanes leurs tentatrices liqueurs. Et quand les pirates furent arrê- tés :

— Ah ! mes amis, dit M. Knot, acceptez toutes les mortifications, ainsi que je l'ai fait.

— Sacredieu! mortification est le mot, jura Kennedy.

Il fut mis aux fers à bord d'un transport pour être jugé à Londres. Old Bailey le reçut. Il fit des croix sui' tous ses interro- gatoires, et y posa la même marque que sur ses quittances de prise. Son dernier dis- cours fut prononcé sur le quai de l'Exécu- tion, où la brise de mer ballottait les cada- vres d'anciens gentilshommes de fortune, pendus dans leurs chaînes.

— Sacredieu! c'est bien de l'honneur,

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240 VIES IMAGINAIRES

dit Kennedy en regardant les pendus. Ils vont m'accrocher à côté du capitaine Kid. Il n'a plus d'yeux, mais cela doit bien être lui. Il n'y avait que lui pour porter un si riche habit de drap cramoisi. Kid a tou- jours été un homme élégant. Et il écrivait I Il connaissait ses lettres, foutre! Une si belle main ! Excuse, capitaine. (Il salua le corps sec en habit cramoisi). Mais on a été aussi gentilhomme de fortune.


Le Major Stede Bonnet, Pirate par humeur

LE MAJOR STEDE BONNET


Le Major Stede Bonnet était un gentil- homme retraité de l'armée qui vivait sur ses plantages, dans l'île de Barbados, vers 1715. Ses champs de cannes à sucre et de caféiers lui donnaient des revenus, et il fumait avec plaisir du tabac qu'il cultivait lui-môme. Ayant été marié, il n'avait point été heureux en ménage, et on disait que sa femme lui avait tourné la cervelle. En effet sa manie ne le prit guère qu'après la quarantaine, et d'abord ses voisins et ses domestiques y cédèrent innocemment.

La manie du Major Stede Bonnet fut telle. En toute occasion, il commença de dépré-


250 VIES IMAGINAIRES

cier la tactique terrestre et de louer la ma- rine. Les seuls noms qu'il eût à la bouche étaient ceux d'Ave ry, de Charles Vane, de Benjamin Hornigold et d'Edward Teach. C'étaient, selon lui, de hardis navigateurs et des hommes d'entreprise. Ils ècumaientdans ce temps la mer des Antilles. S'il advenait qu'on les nommât pirates devant le major, celui-ci s'écriait :

— Loué donc soit Dieu pour avoir permis à ces pirates, comme vous dites, de donner l'exemple de la vie franche et commune que menaient nos aïeux. Lors il n'y avait point de possesseurs de richesses, ni de gardiens de femmes, ni d'esclaves pour fournir le sucre, le coton ou l'indigo ; mais un dieu généreux dispensait toutes choses et chacun en recevait sa part. Voilà pourquoi j'admire extrêmement les hommes libres qui parta- gent les biens entre eux et mènent ensemble la vie des compagnons de fortune.


VIES IMAGINAIRES 251

Parcourant ses plantages, le Major frap- pait souvent l'épaule d'un travailleur :

— Et ne ferais-tu pas mieux, imbécile, d'arrimer dans quelque flûte ou brigantine les ballots delà misérable plante sur les pous- ses de laquelle tu verses ici ta sueur ?

Presque tous les soirs, le major réunissait ses serviteurs sous les appentis à grains, où il leur lisait, à la chandelle, tandis que des mouches de couleur bruissaient autour, les grandes actions des pirates d'Hispaniola et de l'île de la Tortue. Car des feuilles vo- lantes avertissaient de leurs rapines les vil- lages et les fermes.

— Excellent Vane ! s'écriait le Major. Bra- ve Hornigold, véritable corne d'abondance emplie d'or ! Sublime Avery, chargé des joyaux du grand Mogol et roi de Madagas- car 1 Amirable Teach, qui as su gouverner successivement quatorze femmes et t'en dé- barrasser, et qui as imaginé de livrer tous


252 VIKS niAClINAIRES

les soirs la dernière (elle n'a que seize ans) à tes meilleurs compagnons (par pure géné- rosité, grandeur d'âme et science du monde) dans ta bonne île d'Okerecok ! qu'heureux serait celui qui suivrait votre sillage, celuiqui boirait son rhum avec toi, Barbe-Noire, maître de la Bevanche de la Reine Anne! Tous discours que les domestiques du Ma- jor écoutaient avec surprise et en silence; et les paroles du Major n'étaient interrompues que par le léger bruit mat des petits lézards, à mesure qu'ils tombaient du toit, la frayeur relâchant les ventouses de leurs pattes. Puis le Major, abritant la chandelle de la main, traçait de sa canne parmi les feuilles de ta- bac toutes les manœuvres navales de ces grands capitaines et menaçait de la loi de Moïse (c'est ainsi que les pirates nomment une bastonnade de quarante coups) quicon- que ne comprendrait point la finesse des évolutions tactiques propres à la flibuste.


VIES IMAGINAIRES 253

Finalement le Major Stede Bonnet ne put y résister davantage; et, ayant acheté une vieille chaloupe de dix pièces de canon, il l'équipa de tout ce qui convenait à la pira- terie comme coutelas, arquebuses , échelles, planches, grappins, haches, Bibles (pour prêter serment), pipes de rhum, lanternes, suie à noircir le visage, poix, mèches à faire brûler entre les doigts des riches marchands et force drapeaux noirs à tête de mort blai> che, avec deux fémurs croisés et le nom du vaisseau : la Revanche. Puis, il fit monter soudain à bord soixante-dix de ses domes- tiques et prit la mer, de nuit, droit à l'Ouest, rasant Saint-Vincent, pour doubler le Yuca- tan et ècumer toutes lescôtes jusqu'à Savan- nah (où il n'arriva point).

Le Major Stctla Bonnet ne connaissait rien aux choses de la mer. Il commença donc à perdre la tête entre la boussole et l'astrolabe, brouillant artimon avec artillerie, misaine

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254 VIES IMAGINAIRES

avec dizaine, bout-dehors avec boute-selle, lumières de caronade avec lumières de canon , ècoutille avec écouvillon, commandant de charger pour carguer, bref, tant agité par le tumulte des mots inconnus et le mou- vement inusité de la mer, qu'il pensa rega- gner la terre deBarbados, sileglorieuxdésir dehisserle drapeau noir à la vue du premier vaisseau ne Teût maintenu dans son dessein. 11 n'avait embarqué nulles provisions, comp- tant sur son pillage. Mais la première nuit on n'aperçut pas les feux de la moindre flûte. Le Major Stede Bonnet décida donc qu'il faudrait attaquer un village.

Ayant rangé tous ses hommes sur le pont, il leur distribua des coutelas neufs et les exhorta à la plus grande fèrorité ; pnis fit apporter un baquet desuia dont il se noircit lui-même le visage, en leur ordonnant de l'imiter, ce qu'ils firent non sans gaieté. Enfin, jugeant d'après ses souvenirs qu'il


VIES IMAGINAIRES 255

convenait de stimuler son équipage avec quelque boisson coutumière aux pirates, il leur fit avaler à chacun une pinte de rhum mêlée de poudre (n'ayant point de vin qui est l'ingrédient ordinaire en piraterie). Les domestiques du Major obéirent ; mais, contrairement aux usages, leur figure ne s'enflamma pas de fureur. Ils s'avancèrent avec assez d'ensemble à bâbord et à tribord, et, penchant leurs faces noires sur les bas- tingages, offrirent cette mixture à la mer scélérate. Après cpioi, la Revanche étant à peu près échouée sur la côte de Saint-Vin- cent, ils débarquèrent en chancelant.

L'heure était matinale, etles visages éton- nés des villageois n'excitaient point à la colère. Le cœiir du Major lui-même n'était pas disposé à des hurlements. Il fit donc fièrement l'emplette de riz et de légumes secs avec du porc salé, lesquels il paya (en façon de pirate et fort noblement, lui sembla-t-il)


256 VIES l.MA(UNAIRES

avec deux barriques de rhum et un vieux câble. Après quoi, les hommes réussirent péniblement à remettre ^a Revanche à flot; et le Major Stede Bonnet, enflé de sa pre- mière conquête, reprit la mer.

Il fit voile tout le jour et toute la nuit, ne sachant point de quel vent il était poussé. Vers l'aube du second jour, s'ètant assoupi contre l'habitacle du timonier, fort gêné de son coutelas et de son espingole, le Major Stede Bonnet fut éveillé par le cri :

— Ohé de la chaloupe !

Et il aperçut à une encablure le bout- dehors d'un vaisseau qui se balançait. Un homme très barbu était à la proue. Un petit drapeau noir flottait au mât.

— Hisse notre pavillon de mort ! s'écria le Major Stede Bonnet.

Et, se souvenant que son titre était d'ar- mée de terre, il décida sur le champ de •prendre un autre nom, suivant d'illustres


VIES IMAGINAIRES 257

exemples. Sans aucun retard, il répondit donc :

— Chaloupe la Revanche, commandée par moi, capitaine Thomas, avec mes compagnons de fortune.

Sur quoi l'homme barbu se mit à rire :

— Bien rencontré, compagnon, dit-il. Nous pourrons voguer de conserve. Et venez boire un peu de rhum à bord de la Revan- che de la Reine Anne.

Le Major Stede Bonnet comprit de suite qu'il avait rencontré le capitaine Teach, Barbe-Noire, le plus fameux de ceux qu'il admirait. Mais sa joie fut moins grande qu'il ne l'eût pensé. Il eut le sentiment qu'il allait perdre sa liberté de pirate. Taciturne, il passa sur le bord du vaisseau de Teach, qui le reçut avec beaucoup de grâce, le verre en main.

— Compagnon, dit Barbe-Noire, tu me plais infiniment. Mais tu navigues avec

22.


258 VIES IMAGINAIRES

imprudence. Et, si tu m'en crois, capitaine Thomas, tu demeureras dans notre bon vais- seau, et je ferai diriger ta chaloupe par ce brave homme très expérimenté qui s'appelle Richards; et sur le vaisseau de Barbe-Noire" tu auras tout loisir de profiter en la liberté d'existence des gentilshommes de fortune. Le Major Stede Bonnet n'osa refuser. On le débarrassa de son coutelas et de sonespin- gole. Il prêta serment sur la hache (car Barbe-Noire ne pouvait supporter la vue d'une Bible) et on lui assigna sa ration de biscuit et de rhum, avec sa part des prises futures. Le Major ne s'était point imaginé que la vie des pirates fût aussi réglementée. Il subit les fureurs de Barbe-Noire et les affres de la navigation. Etant parti de Bar- bados en gentilhomme, afin d'être pirate à sa fantaisie, il fut ainsi contraint de devenir véritablement pirate sur la Revanche de la Reine Anne.


VIES IMACINAIRKS 259

Il mena cette vie pendant trois mois, du- rant lesquels il assista son maître dans treize prises, puis trouva moyen de repasser sur sa propre chaloupe, la Revanche, sous le commandement de Richards. En quoi il fut prudent, car la nuit suivante, Barbe-Noire flit attaqué à l'entrée de son île d'Okerecok par le lieutenant Maynàrd, qui arrivait de Bathtown. Barbe-Noire fut tué dans le com- bat, et le lieutenant ordonna qu'on lui cou- pât la tête et qu'on l'attachât au bout de son beaupré ; ce qui fut fait.

Cependant, le pauvre capitaine Thomas s'enfuit vers la Caroline du Sud et navigua tristement encore plusieurs semaines. Le gouverneur de Charlestown, averti de son passage, délégua le colonel Rhet pour s'em- .parer de lui à l'île de Sullivans. Le capitaine Thomas se laissa prendre. Il fut mené à Char- lestown en grande pompe, sous le nom de Major Stede Bonnet, qu'il réassuma sitôt qu'il


260 VIES IMAlilNAIRES

le put. Il fut mis en geôle jusqu'au 10 no- vembre 1718, où il comparut devant la cour de la vice-amiraulé. Le chef de la justice, Nicolas Trot, le condamna à mort par le très beau discours que voici :

— Major Stede Bonnet, vous êtes con- vaincu de deux accusations de piraterie : mais vous savez que vous avez pillé au moins treize vaisseaux. En sorte que vous pourriez être accusé de onze chefs de plus; mais deux nous suffiront (dit NicolasTrot), car ils sontcontrai- res à la loi divine qui ordonne: Tu ne déro- beras point (Exod. 20, 15) et l'apôtre saint Paul déclare expressément que les larrons rChériteront 'point le Royaume de Dieu (I. Cor. 6, 10). Mais encore êtes-vous coupa- ble d'homicide : et les assassins (dit Nicolas Trot) auront leur part dans Vètang ardent de feu et de soufre qui est la seconde mort (Apoc. 21, 8). Et qui donc (ditNicolas Trot) pourra sèjouriier avec les ardeurs éternel-


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les? (Esaï. 33, 14). Ah! Major Stede Bonnet, j'ai juste raison de craindre que les princi- pes de la religion dont on a imbu votre jeu- nesse (dit Nicolas Trot) ne soient très cor- rompus par votre mauvaise vie et par votre trop grande application à la littérature et à la vaine philosophie de ce temps ; car si voire plaisir eût été en la loi deVEternel (dit Ni- colas Trot) et que vous l'eussiez méditée nuit et jour (Psal. 1, 2,) vous auriez trouvé que la parole de Bleu était une lampe à vos pieds et une lumière à vos sentiers (Psal. 119, 105). Mais ainsi n'avez-vous fait. 11 ne vous reste donc qu'à vous fier sur V Agneau de Dieu (dit Nicolas Trot) q^d oie le péché du monde (Jean. 1, 29) qui est venu pour sauver ce qui était perdu {}l!i2X\i\QVi. 18,11), et a promis qiCil ne jettera point dehors celui qui viendra à lui (Jean. 6, 37). En sorte que si vous voulez retourner à lui, quoique tard (dit Nicolas Trot), comme les


262 VIES IMAGINAIRES

ouvriers de la onzième heure dans la para- bole des vignerons (Mathieu. 20, G, 9), il pourra encore vous recevoir. Cependant* la cour prononce (dit Nicolas Trot) que vous serez conduit au lieu de l'exécution où vous serez pendu par le col jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Le Major Stede Bonnet, ayant écouté avec componction le discours du chef de la jus- tice, Nicolas Trot, fut pendu le même jour à Charlestown comme larron et pirate.


MM. Burke et Hare, Assassins

MM. BURKE ET HARE


M. "William Biirke s'éleva de la condition la plus basse à une renommée éternelle. Il naquit en Irlande et débuta comme cordon- nier. Il exerça ce métier pendant plusieurs an- nées à Edimbourg, où il fit son ami de M. Hare sur lequel il eut une grande influence. Dans la collaboration de MM. Burke et Hare, il n'y a point de doute que la puissance inventive et simplificatrice n'ait appartenu à M. Burke. Mais leurs noms restent inséparables dans l'art comme ceux de Boaumont et Fletcher. Ils vécurent ensemble, travaillèrent ensemble et furent pris ensemble. M. Hare ne protesta jamais contre la faveur populaire qui s'attacha

23


"^OO VIES IM A GIN AIRES

particulièrement à la personne de M. Burke. Un si complet désintéressement n'a pas r.çu sa récompense. C'est M. Burke qui a lé- gué son nom au procédé spécial qui mit les deux collaborateurs en honneur. Le mono- syllabe burhe vivra longtemps encore sur lei lèvres des hommes, que déjà la personne de Hare aura disparu dans l'oubli qui se ré- pand injustement sur les travailleurs obs- curs.

M. Burke parait avoir apporté dans son 03uvre la fantaisie féerique de l'ile verte où il était né. Son âme dut être trempée des récits du folklore. Il y a, dans ce qu'il a fait, comme un lointain relent des Mille et une Nuits. Semblable au calife errant le long des jardins nocturnes de Bagdad, il dé- sira de mystérieuses aventures, étant curieux de récits inconnus et de personnes étrangè- res. Semblable au grand esclave noir armé d'un lourd cimeterre, il ne trouva point de


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plus digne conclusion à sa volupté que la mort pour les autres. Mais son originalité anglo-saxonne consista en ce qu'il réussit à tirer le parti le plus pratique de ses rôderies d'imagination de Celte. Quand sajouissance artistique était terminée, que faisait Tesclave noir, je vous prie, de ceux à qui il avait coupé la tête ? Avec une barbarie tout arabe il les dépeçait en quartiers pour lés conser- ver, salés, dans un sous-sol. Quel profit en tirait-il? Aucun. M. Burke fut infiniment supérieur.

En quelque façon, M. Hare lui "servit de Dinarzade. 11 semble que le pouvoir d'in- vention de M. Burke ait été spécialement excité par la présence de son ami. L'illusion de leurs rêves leur permit de se servir d'un galetas pour y lo^er de pompeuses visions. M. Hare vivait dans un petit cabinet, au sixième étage d'une haute maison très peu- plée d'Edimbourg. Un canapé, une grande


208 VIES IMA<;INAIHES

caisse et quelques ustensiles de toilette, sans doute, en composaient presque tout le mobi- lier. Sur une petite table, une bouteille de whisky avec trois verres. De règle, M. Burke ne recevait qu'une personne à la fois, ja- mais la même. Sa façon était d'inviter un passant inconnu, à la nuittombante. Il errait dans les rues pour examiner les visages qui lui donnaient de la curiosité. Quelquefois il choisissait au hasard. 11 s'adressait à l'é- tranger avec toute la politesse qu'aurait pu y mettre Haroun-Al-Raschid. L'étranger gra- vissait les six étages du galetas de M. Hare. On lui cédait le canapé ; on lui offrait du whisky d'Ecosse à boire. M. Burke le ques- tionnait sur les incidents les plus surpre- nants de son existence. C'était un écouteur insatiable que M. Burke. Le récit était tou- jours interrompu par M. Hare, avant le point du jour. La forme d'interruption de M. Hare était invariablement la même et très


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impérative. Pour interrompre le récit, M. Hare avait coutume de passer derrière le canapé et d'appliquer ses deux mains sur la bouche du conteur. Au même moment, M. Burke venait s'asseoir sur sa poitrine. Tous deux, en cette position, rêvaient, immobiles, à la fin de l'histoire qu'ils n'entendaient jamais. De cette manière, MM. Burke et Hare termi- nèrent un grand nombre d'histoires que le monde ne connaîtra point.

Quand le conte était définitivement arrêté, avec le souffle du conteur, MM. Burke et Hare exploraient le mystère. Ils déshabillaient l'inconnu, admiraient ses bijoux, comptaient son argent, lisaient ses lettres. Quelques cor- respondances ne furent pas sans intérêt. Puis ils mettaient le corps à refroidir dans la grande caisse de M. Hare. Et ici, M. Bur- ke montrait la force pratique de son es- prit.

Il importait que le cadavre fût frais, mais

23,


270 VIES IMAGINAIRES

non tiède, afin de pouvoir utiliser jusqu'au déchet du plaisir de l'aventure.

En ces premières années du siècle, les médecins étudiaient avec passion l'anatomie ; mais, à cause des principes de la religion, ils éprouvaient beaucoup de difficulté à se procurer des sujets pour les disséquer. M. Burke, en esprit éclairé, s'était rendu com- pte de cette lacune de la science. On ne sait comment il so lia avec un vénérable et sa- vant praticien, le docteur Knox, qui pro- fessait cà la Faculté d'Edimbourg. Peut-être M. Burke avait-il suivi des cours publics, quoique son imagination dût le faire incli- ner plutôt vers les goûts artistiques. Il est certain qu'il promit au docteur Knox de lui aider de son mieux. De son côté, le docteur Knox s'engagea à lui payer ses peines. Le. tarif allait en décroissant depuis les corps de jeunes gens jusqu'aux corps de vieillards. Ceux-ci intéressaient médiocrement le doc-


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teur Knox. C'était aussi l'avis de M. Burke — car d'ordinaire ils avaient moins d'ima- gination. Le docteur Knox devint célèbre entre tous ses collègues pour sa science anatomique. MM. Burke et llare profitèrent de la vie en dilettantes. Il convient sans dQute de placer à cette époque la ]:!.'■ iio';.îe classique de leur existence.

Carie génie tout-puissant do M. Burke l'entraîna bientôt hors des nornirs et régir s d'une tragédie où il y avait toujours un récit et un confident. M. Barke évolua tout seul (il serait puéril d'invoquer l'influence de M. Hare) vers une espèce de romantisme. Le décor du galetas de M. Hare ne lui suffisant plus, il inventa le procédé nocturne dans le brouillard. Les nombreux imitateurs de M. Burke ont un peu terni l'originalité de sa manière. Mais voici la véritable tradition du maître.

La féconde imagination de M. Burke s'é-


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tait lassée des récits éternellement sembla- bles de l'expérience humaine. Jamais le résultat n'avait répondu à son attente. Il en vint à ne s'intéresser qu'à l'aspect réel, tou- jours varié pour lui, de la mort. Il localisa tort 1-- àraiU' dans le dénouement. La qua-

.-i iirs ne lui importa plus. Il s'en

Mi.i au linsard. L'accessoire unique du ti:éâtre de M. Burke fut un masque de toile empli de poix. M. Burke sortait par les nuits de brume, tenant ce masque à la main. Il était accompagné de M. Hare. M. Burke attendait le premier passant, mar- chait devant lui, puis, se retournant, lui ap- phquait le masque de poix sur la figure, sou- dainement et solidement. Aussitôt MM. Bur- ke et Hare s'emparaient, chacun d'un côté, des bras.de l'acteur. Le masque de toile empli de poix présentait la simplification géniale d'étouffer à la fois les cris et l'halei- ne. De plus, il était tragique. Le brouillard


VIES liMAGINAIRES 273

estompait les gestes du rôle. Quelques ac- teurs semblaient mimer l'ivrogne. La scène terminée, MM. Burke et Hare prenaient un cab, déséquipaient le personnage ; M. Hare surveillait les costumes, et M. Burke mon- tait un cadavre frais et propre chez le doc- teur Knox.

C'est ici, qu'en désaccord avec la plupart des biographes, je laisserai MM. Burke et Hare au milieu de leur auréole de gloire. Pourquoi détruire un si bel effet d'art en les menant languissamment jusqu'au bout de leur carrière, en révélant leurs défaillances et leurs déceptions ? Il ne faut point les voir ailleurs que leur masque à la main, errant par les nuits de brouillard. Car la fin de leur vie fut vulgaire et semblable à tant d'autres. Il paraît que l'un d'eux fut pendu et que le docteur Knox dut quitter la Faculté d'Edim- bourg. M. Burke n'a pas laissé d'autres œuvres.

Full text of English translation by Lorimer Hammond

PREFACE

The science of history leaves us uncertain as to individuals, revealing only those points by which individuals have been attached to generalities. History tells us that Napoleon was ill on the day of Waterloo; that we must attribute Newton’s excessive intellectuality to the absolute consistency of his temperament; that Alexander was drunk when he killed Klitos; and that the fistula of Louis XIV was perhaps the cause of certain of his resolutions. Pascal speculates on the length of Cleopatra's nose . . . the possible consequences had it been a trifle shorter; and on the grain of sand in Cromwell’s urethra. All these facts are valued only when they modify events or alter a series of events. They are causes, established or possible. We must leave them to savants.

Contrary to history, art describes individuals, desires only the unique. It does not classify, it unclassifies. No matter how much they may engage us, our generaliza¬ tions may be likened to those pursued upon the planet Mars, and three lines drawn to intersect them might form a triangle on all the points of the universe. But consider a leaf with its intricate nerve system, its color variegated by shade and sun; the imprint of a raindrop; the tiny mark left by an insect; the silver trace of a snail; or the first mortal touch of autumn gold. Search all the forests of the earth for another leaf exactly like it. I defy you to find one. There is no science for the teguments of a leaf, for the filaments of a cell structure, the winding of a vein, the passion of a habit, or for the twists and quirks of character. That a man’s nose is broken; one of his eyes higher than the other; an arm shrunken; that he habitually eats chicken at a certain hour or prefers Malvoise to Chateau-Margaux . . . there is something unparalleled in the world. Thales might have said YNQ0I ZEAYTON as well as Socrates, but he would never have scratched his leg in precisely the same manner before drinking the hemlock draught. Great minds and their ideas are humanity’s common heritage. Actually, great men themselves possess only that which is bizarre about them. To describe a man in all his anomalies a book should be a work of art, like a Japanese print whereon the image of a tiny caterpillar, seen once at one particular hour of a day, is found eternally recorded.

On such individual facts history is silent. In the crude collection of material furnish¬ ing our testimony we find few singular or in¬ imitable relics. Misers all, valuing only politics or grammar, the ancient biographers have transmitted no more to us than the discourses of great men or the titles of their works. It was Aristophanes himself who gave us the joy of knowing that he was bald; [9] PREFACE and if the flat nose of Socrates had not served in literary comparisons, if his cus¬ tom of walking barefoot had not been part of his system of philosophic scorn, we should have nothing left of him but moral disserta¬ tions. The gossip of Suetonius Tranquillus remains little more than spiteful polemic. Plutarch’s genius made an artist of him at times, though while he realized the essence of his art, he was always imagining parallels, as if two men properly described in all their qualities can ever resemble each other. In our search we are driven to consider the Atheneum, Aulu-Gelle, the scholiasts and even Diogenes Lasrce, who thought he had composed a sort of history of philosophy. In modern times the study of the indi¬ vidual has developed advantageously. Bos¬ well’s book would have been perfect had he not felt obliged to quote Johnson’s corre¬ spondence together with digressions on Johnson’s works. More satisfying on the whole are Aubrey’s Lives of Eminent Men, [ 10 1 PREFACE Aubrey had the instinct of a true biog¬ rapher, there can be no doubt about it. What a pity it is that this excellent anti¬ quarian’s style could not rise to the level of his conceptions! His book might have been the eternal masterpiece of its species, for Aubrey never saw the necessity of estab¬ lishing connections between individual facts and general actions. Others, he knew, would some day mark the celebrity of those great men in whom he interested himself, and he was satisfied. Statesman, poet or clockmaker, each subject finds, under his pen, some unique trait distinguishing that man forever among all men. During his one hundred and ten years of life the painter Hokusai hoped to arrive at the ideal of his art. In that moment, he said, every point and every line traced by his pencil should be a living thing. By “living” he meant unique and individual. Now lines and points are superlatively alike: geometry is founded on that postulate. Yet [u] PREFACE Hokusai’s perfection of art required a super¬ lative difference between them. To that end ideal biography should seek infinite differen¬ tiation between two philosophies invented around the same metaphysic. That is why Aubrey, concerning himself uniquely with men, never attained perfection, for he never accomplished the miraculous transformation of resemblances and diversities hoped for by Hokusai. But neither did Aubrey attain the age of one hundred and ten. He is esti¬ mable, nevertheless, and he himself has summed up the limitations of his own book. “I recall,” he writes in his preface to An¬ thonyWood, “General Lambert’s words ‘the best of men are but men at best’ and you will find numerous examples of such in this crude, precocious collection. Should these arcana be revealed today or thirty years hence? It might be better if author and subject (like medlars) first die and rot.” Among Aubrey’s predecessors can be found some of the rudiments of his art. [12] PREFACE Diogenes Lserce tells us that Aristotle wore on his abdomen a leather bag filled with hot oil, and that a quantity of terra-cotta vases were found in his house after his death. We shall never know what Aristotle did with all that pottery, and the mystery is as agreeable as Boswell’s conjectures regard¬ ing the orange peelings which Johnson was accustomed to save and carry in his pockets. For once Diogenes Lserce rises near to the sublimity of inimitable Boswell, but such pleasures are rare. Aubrey, however, offers them in nearly every line. Milton, he tells us, “pronounced the letter R very hard.” Spencer was a “little man with his hair cut short, wearing a little collarette and little cuffs.” Barclay “lived in England during the reign of King Jacobus. He was an old man with a white beard and he wore a plumed hat that scandalized his severe neigh¬ bors.” Erasmus “did not care for fish in spite of the fact that he came from a fishing village.” As for Bacon, “none of his serv- [ 13] PREFACE ants dared appear before him in any boots but those made of Spanish leather, for his nose was sure to detect the smell of calf skin, which he detested.” Doctor Fuller “concentrated so deeply upon his work that he often ate a two-penny roll without ever noticing it, as he walked out before dinner, wrapped in thought.” Aubrey gives the following account of Sir William Davenant: “I attended his funeral. He had a walnut coffin. Sir John Denham vowed it the finest coffin he had ever seen.” Of Ben Jonson he wrote “I have heard Mr. Lacy, the actor, say he had a habit of wearing a cloak like a coachman’s, with vents under the armpits.” Aubrey’s record of William Prynne declares “his manner of working was thus: he put on a tall pointed cap that kept sliding down over his eyes, serving as an eye-shade, and about every three hours his servants brought him a loaf of bread and a pot of ale to refresh his spirit, and so he worked on, drink¬ ing and munching, until evening when he [14] PREFACE ate a good dinner.” Hobbes, says Aubrey, “grew very bald in his old age. It was his custom to study bareheaded, saying he never took cold, but was very much annoyed by the flies lighting on his bald head.” Of John Harrington’s Oceana Aubrey tells us noth¬ ing, though he relates the following story of its author: “In A. D. 1660 he was made a prisoner in the tower under close guard, and was afterwards removed to Portsey Castle. His confinement in these prisons (he was a hot-headed, high-spirited gentle¬ man) brought on delirium or madness. He never became violent, for he talked reason¬ ably enough and was very pleasant com¬ pany, but was pursued by the fantastic notion that his perspiration turned into flies and bees ad cetera sobrius. He had a por¬ table house put up in Mr. Hart’s garden (facing St. James’s Park), and there he made his experiments. Pushing his house into the full sunlight, he closed all the win- [ is] PREFACE dows and sat down with a fox brush to mas¬ sacre all the flies and bees discovered. Since he always made the experiment in warm weather, there were usually a few flies in the folds of the curtains. When the heat drew them out after a quarter of an hour or so, he would exclaim, ‘now can’t you see plainly enough they come from me?’ ” Here is what Aubrey says of Merton: “His real name was Head. Mr. Bovey knew him well. Born in . . ., he was at one time a bookseller and had also traveled with the Gypsies. His goggling eyes gave him the air of a rogue, for he could change them into any form he wished. Bankrupt twice or three times over, he began to sell books toward the last. He earned his living at scribbling, for which he was paid twenty shillings a page, and he wrote several books: The English Rogue, The Art of Whee¬ dling, etc. He was drowned at sea while on his way to Plymouth about 1676, when he [16] PREFACE was about fifty years old.” But I must quote his biography of Descartes: “Meur Renatus des Cartes Nobilis Gallus, Perroni Dominus, summus Mathematicus et Philosophus, natus turonmn, pridie Calendas Apriles 1596. Denatus Holmias, Calendus Februarii, 1650. (I find this inscription on his portrait by C. V. Dalen.) How did he spend his youth, and by what means become so learned ? He has given the world knowledge of these matters in his treatise De la Method. The Society de Jesus prides itself with hav¬ ing had the honor of his education. For a number of years he lived at Egmont near The Hague, and several of his books are dated from there. He was far too wise a man to encumber himself with a wife, but being nevertheless a man with a man’s de¬ sires and appetites, he took for a companion a handsome, well-made woman whom he loved, and who bore him several children [17] PREFACE (two or three, I believe). It would be very surprising had the offspring of such a father not received excellent educations. So emi¬ nently learned was he that all the scholars of the day visited him, many asking to see his instruments (in those days the science of mathematics was thought to consist largely in a knowledge of instruments). Then the great savant would pull out a little drawer in his table and show his guests a compass with one arm broken, a twisted scrap of paper serving in place of the missing part.” Aubrey clearly understood this phase of his work. He was perfectly conscious of what he did. Do not think he mistook the value of Hobbes or Descartes as philoso¬ phers. He was simply not interested there. He tells us plainly enough that Descartes himself has explained his ideas and systems to the world. Aubrey does not ignore the fact that Harvey discovered the principle of the blood’s circulation, but he prefers to note down how this great man strolled abroad in [18] PREFACE his nightshirt to walk off the insomnia, that he was a faulty penman and that the most celebrated doctors in London would not have given sixpence for any of his prescrip¬ tions. Aubrey is sure he is startling us when he describes Francis Bacon’s eye as being fine, hazel, and quick like a viper’s. But Aubrey was not the artist that Holbein was. He never knew how to fix an individual forever in our minds by giving us his special traits against a background of resemblances, to the average or the ideal. He put life in

      • te.,^ ~~ • -

the eye, the nose, the leg or the pout of his models; he could not animate the face. Old Hokusai saw very well the necessity of draw¬ ing generalities so that they should seem to be individual. Aubrey failed to penetrate as deep as that. Were Boswell’s book con¬ fined to ten pages it would be the artistic masterpiece so long awaited. Doctor Johnson’s good taste guided him safely through the vulgar and the commonplace. Boswell [19] PREFACE has slighted the bizarre violence that gave Johnson a quality unique in all the world. One might print a Scientia Johnsoniana with an index Boswell would not have had the esthetic courage to choose from. As an art, biography is founded upon choice; truth need not be its preoccupation, for out of a chaos of human traits it can create. To create the world, said Leibnitz, God chose the best from the possible. So, like some inferior deity, biography should select unique individuals from the realm of human material available. And it should fail in its art no farther than God fails in His favor and mercy. In both cases instinct must be infallible. Patient men have assem¬ bled ideas, records of events and descriptions of faces—all for the benefit of biography. In the midst of these great collections art must choose what it needs to compose a form that will be like no other form. It matters not if this form resemble something formerly [20] PREFACE 3 created by a superior god, so long as it is unique and a genuine creation. As a rule biographers have unfortunately considered themselves historians, thus de¬ priving us of many admirable portraits. They have supposed the lives of great men only would interest us. Art is a stranger to such considerations. To the eyes of a painter a portrait of an unknown man, by Cranach, is as valuable as a portrait of the great Erasmus. For the name, Erasmus, cannot make a picture inimitable. Biography should give as much worth to an obscure actor as it gives to the life of Shakespeare. Deep is the instinct compelling us to note with pleasure the shortened sterno-mastoid formation in a bust of Alexander, or the lock of hair in portraits of Napoleon. The Mona Lisa smile of which we know nothing (it is pos¬ sibly a man’s face), remains forever mys¬ terious and arresting. A grimace drawn by Hokusai leads us to profound meditation. If the art in which Boswell and Aubrey [21] PREFACE excelled is to be continued, minute records of great men or epochs or events of the past are not especially needed. With equal care must be recounted the unique existences of men—priests, criminals or nobodies. [22]

EMPEDOCLES

Supposed God I EMPEDOCLES No one knows in what manner he was born or how he came upon the earth. He appeared near the golden banks of the river Acragas, in the good city of Agrigentum, a little after the time Xerxes had the sea beaten with chains. Tradition tells only that his grandfather named him Emped¬ ocles; nothing more is known. Undoubt¬ edly he was said to be self-conceived, for he was admittedly a god. His disciples were sure that before visiting in his glory the Sicilian lands, he had already passed through four existences, having been plant, fish, bird and girl. He wore a purple mantle with his long locks falling over it; he had a fillet of gold around his head, on his feet were brazen sandals, and he carried a garland of fleece and laurel intertwined. By the touch of his hand he cured the sick, [25] IMAGINARY LIVES or, mounted on a chariot, he would recite verses in the Homeric style, with pompous accents, his head raised toward the heavens. Great troops of people followed him, pros¬ trating themselves before him as they lis¬ tened to his poems. Under bright skies shining over fields of grain, men from all parts came to Empedocles, their arms filled with offerings. He held them spellbound, singing of a divine crystal vault, the mass of fire we call the sun, and the love that en¬ velops all like a vast sphere. All beings, he said, are no more than dis¬ jointed fragments of this sphere of love, though hate has been insinuated into them. And that which we now call love, he con¬ tended, is our desire to unite ourselves one unto the other, to merge and be lost as we once were lost on the breast of this great sphere-god whom discord has alienated. He invoked the day when the old divinity should rise again after the transformation of souls. For, he said, the world we know is a product [26] EMPEDOCLES of hatred and its dissolution shall be the work of love. In this manner he chanted through the towns and through the fields, the brazen sandals of Laconia tinkling on his feet while a sound of cymbals went on before him. Meanwhile from Etna’s crater rose a black smoke column casting its shadow over Sicily. Like a king of heaven, Empedocles was robed in purple and girdled with gold, while the Pythagorians wore thin linen tunics and shoes of papyrus. He knew how to drive away rheums, they said, how to heal sores and how to draw the evil from afflicted limbs. They begged him to make the storms cease, so he conjured with tempests from a crest of the hills. At Selinus he turned two streams into the bed of a third and stemmed a flood; then the people of that place adored him, raising a temple in his honor and strik¬ ing coins on which his image appeared face to face with the image of Apollo. Others pretended he was a wizard in- [27] IMAGINARY LIVES structed by Persian magicians; that he possessed the power of necromancy and the science of those herbs which render men mad. One day as he dined with Anchitos, a mad¬ man rushed into the hall, sword upraised. Empedocles stretched out his arms, chanting the Homeric verse on the nepenthe of forget¬ fulness, and a spell descended over the mad¬ man until he stood there rigid, blade in air, forgetting his dementia as if he had drunk sweet poison mixed with sparkling wine. The afflicted came to Empedocles outside the cities, where he was often surrounded by a crowd of miserable folk. Women mingled in the following and kissed the hem of his precious mantle. One of those women was called Panthea, daughter of a noble of Agrigentum. She was to have been consecrated to Artemis, but she fled the cold statue of the goddess, vowing her virginity to Emped¬ ocles. No one ever witnessed their affec¬ tion, for Empedocles preserved a divine detachment, speaking always in epic meter [28] EMPEDOCLES with the dialect of Ionia, while the people of Agrigentum knew only the Dorian. All his gestures were sacred; when he met with men it was to bless or cure them. Usually he remained silent. None who followed him ever saw him sleep; they knew him only as a majestic being. Panthea dressed in fine wool and gold, her hair arranged after the rich mode of Agrigentum, where life ran smooth. A red strophe supported her breasts and her san¬ dals were perfumed. As for the rest of her, she was tall and fine and her color was desir¬ able. It is impossible to be sure that Emped¬ ocles loved her, but he pitied her. Soon a breath of Asia brought the plague to those Sicilian fields. Many were touched by the black fingers of the pest, and fallen beasts strewed the edge of the prairie where they could be seen beside the carcasses of sheep, dead with their mouths gaping toward the heavens and their ribs sticking out white and dry through their sides. Stricken by this [29] IMAGINARY LIVES malady, Panthea fell at Empedocles’ feet and breathed no more. Those who were near raised her stiffening limbs to bathe them with spirits and aromatics. They loosed the red strophe from her young breasts, winding a funereal band in its place. Her mouth, lips slightly parted, was sealed by a tight bandage. Her deep eyes no longer mirrored the light. Empedocles gazed down at her where she lay. He took the golden circlet from his forehead and he touched her with it. He placed the garland of prophetic laurel on her breast, chanting unknown verses of the soul’s migration. And three times he com¬ manded her to rise and to walk; then the people w'ere filled with terror. At his third command Panthea left the kingdom of shadows, life came into her body and she rose to her feet, all swathed as she was in the cloths of the tomb. And the people saw that Empedocles had power to recall the dead. [30] EMPEDOCLES Pysianactes, father of Panthea, now adored the new god. Long tables were spread under the trees of his estate, where a feast of wines and viands was offered. By the side of Empedocles slaves held up great torches, while heralds proclaimed him—as did the solemn mystery of his own deep silence. Suddenly, at the third watch of the night, the torches sputtered out and dark¬ ness enveloped the worshipers. Then a strong voice called, “Empedocles!” When the lights burned once more Empedocles was gone. Men never saw him again. A frightened slave told how he had watched a red flare cut the night near Etna’s summit. At the first dull gleam of dawn the worshipers climbed the sterile slopes of the mountain. Jets of fire were still darting like tongues from the volcano’s crater. In the porous lava on the brink of the burning abyss, they found a brazen sandal writhen by the flames. [31]

EROSTRAT

Incendiary

EEOSTRAT With her two river harbors the city of Ephesus,birthplaceof Herostratos,stretched across the mouth of the Cayster as far as Panorama Quay. From there the shores of Samos could be seen in a misty line along the dark sea horizon. Wealthy in gold, in stuffs and in roses, Ephesus prospered now, since the Magnesians with their dogs of war and their javelineers had been vanquished on the banks of the Meander, and Miletus the Magnificent destroyed by the Persians. Relaxed during these days of peace, Ephesus feted courtesans in the temple of Aphrodite Hetaira. Citizens arrayed them¬ selves in tunics of amorgine, in transparent garments of spun linen tinted violet, purple and crocodile green. They wore sarapides the color of yellow apples or white or rose, [35] IMAGINARY LIVES and Egyptian fabrics in hyacinth shades, shot with flame hues and the changing tints of the sea. Their Persian calasiris were of finest crinkled tissues besprinkled with clus¬ ters of tiny golden beads. On the banks of the Cayster between Mount Prion and another lofty cliff, stood the great temple of Artemis, built after one hundred and twenty years of labor. The porches were of ebony and cypress, the heavy supporting columns were red, and tall paintings ornamented the inner walls. The shrine-room of the goddess was little and oval; in the center, graven with lunar sym¬ bols in gold, rose a huge black cone hewn out of solid rock. The triangular altar was of this same material as were several tables, these last being pierced with holes at regular spaces to drain the blood of sacrificial vic¬ tims. Beside the tables hung broad golden hilted blades of steel for slitting human throats, and the floor was strewn with bloody cloths. The black idol was carved in the [36] EROSTRAT form of two great breasts, hard and pointed. Such was Diana of Ephesus, her ancient divinity lost in the darkness of Egyptian tombs and Persian ritual. The treasure of the temple was secreted in a small coffer shaped like a miniature pyramid with brassstudded doors. There, among precious rings, coins and rubies, lay the manuscript of Heraclitus, prophet of the reign of fire. With his own hands the old philosopher had deposited the scroll at the base of the pyra¬ mid while the mason-builders were still at work. The mother of Herostratos was a proud, harsh woman. His father’s identity never became known, and Herostratos finally de¬ clared he had been sired by the fire. The crescent birth-mark under his left breast seemed certainly to blaze like a living flame on the night he was tortured. Those who assisted at his birth predicted his devotion to Artemis. Dark, swarthy, his face strangely lined, from childhood days he loved to walk [37] IMAGINARY LIVES along the towering cliffs beneath the temple. He was ineligible for the priesthood, being of uncertain race, and several times the sacerdotal college warned him away from the Naos where he lurked, watching his chance to draw back the heavy sacred veils and behold the forbidden deity. He grew to hate her. He made a secret vow to violate her shrine. To him his own name seemed comparable with no other, while his very physical being must be superior, he thought, to the rest of humanity. He wanted fame. At first he joined a group of philosophers who pro¬ fessed to teach the doctrines of Heraclitus, hut the secret was not theirs, he knew. While it remained locked in the little pyra¬ mid with the temple treasure, Herostratos could only guess at the words of the master. He hardened himself to scorn the luxurious life of the city; courtesans and their loves disgusted him. It was said that he preserved his purity for the goddess, but Artemis had [38] E R OS TRAT no pity. In time he began to appear dan¬ gerous to the College of Gerousia, guardians of the temple, so with the satrap’s permis¬ sion they banished him beyond the city gates, where he took up his abode on the slopes of Koressos, in an old cave hollowed out by the ancient people. Some authorities have be¬ lieved that Persian initiates came to him while he sat there through the nights, watch¬ ing the far-off flare of the sacred lamps on the temple of Artemis, but his destiny was more probably revealed to him in a blazing vision. During his trial by torture he told how the meaning of the word Heraclitus (The way to Above) had flashed full and sudden upon his understanding, and how philosophy had taught him that the finest quality of the spirit is quickest tinder to the fire. His own spirit, he said, was in that sense perfect, therefore he had wished to proclaim it. For his action he gave no other reason than desire for fame and the joy of hearing his own name. His reign and his [ 39] IMAGINARY LIVES alone, he declared, would remain absolute. Herostratos had been crowned by Herostratos. None knew his father ... he was the son of his own labor and his labor was the essence of the world. Alone among men, he would be king, philosopher and God in one. Moonless came the night of July 21 in the year 356, and the passions of Herostratos rose at that hour pitch upon pitch until they crystallized his old resolve to violate the shrine of Artemis. Up the tangled moun¬ tainside he crept, reaching the banks of the Cayster, then climbing by slow, painful degrees to the temple, where guardian priests slept beside their holy lamps. Seizing one of those lamps Herostratos strode on into the Naos. A heavy odor of spikenard rose before the glistening ebony balconies; a curtain, gold and purple threaded, hid the goddess. Passing this barrier Herostratos halted, trembling with excitement, as the light from his lamp fell upon the two erect [ «>] EROSTRAT breasts of the terrible cone . . . next, his two hands were around the divinity in one long feverish embrace. When he arose at last he saw the little green treasure chest shaped like a pyramid. Catching hold of the brass spikes he swung open the door of it, plunging his fingers deep in virgin gems. But he drew forth only the papyrus scroll bearing the verses of Heraclitus. And there, under the glow of the sacred lamps, he learned it all. His first eager look was enough. Before his eyes had left the ancient words his voice lifted in a shrill cry, “The fire, the fire!” Touched by the flame of his lamp, the sacred veils burned slowly until the red tongues reached the perfumed oils and oint¬ ments. Then they flared up blue to the ceiling while the dread cone reflected the scene. The fire mounted quickly to the capitals of the columns, creeping along the paneled vaulting overhead. One by one the golden [41] IMAGINARY LIVES placks inscribed with attributes to the glory of Artemis fell crashing to the stones below. A crimson spout broke through the roof; the brazen tiles reflected it until the whole mountain was alight. And Herostratos stood up in the red glare, shouting his name aloud against the roar of the flames and the darkness. All the sacred mount became a red pile in the midst of the night. When the guards caught Herostratos they were obliged to gag him to prevent him from shrieking his name again and again. Bound and gagged, he was thrown into a dungeon while the fire burned on. Artaxerxes sent immediate orders for his trial by torture. Little was learned, for he admitted nothing save what has already been told. The twelve cities of Ionia issued a decree forbidding the pronunciation of his name through all future ages under penalty of death, but the whisper of it has persisted [42] EROSTRAT even to us. The story of that night when Herostratos ravaged the temple of Ephesus was handed down through Alexander, King of Macedonia. I 43]

CRATES

Cynic

CRATES Born at Thebes, he was a disciple of Diogenes and he also knew Alexander. From his father, a wealthy man named Ascondas, he inherited two hundred talents. Then one day, while attending a tragedy by Euripides, he beheld a vision. He saw Telephy, King of Mysia, dressed in beggar’s rags with a basket in his hand. So Crates stood up on his feet there in the theater, declaring he would give the two hundred talents of his inheritance to all who wanted the money. Henceforth, he said, the garb of King Telephy would suffice him. Shak¬ ing with laughter, the Thebans trooped before his house where they found him laughing even louder than they. After throwing all his money and furniture out of the windows he took up a plain cloak and a leather sack and went away. [47] IMAGINARY LIVES He went to Athens. In that city he spent his days walking the streets and his nights crouching against dirty walls. He put the doctrines of Diogenes into practice, all ex¬ cept the barrel. Crates thought even the barrel a superfluous dwelling. For a man, he contended, is neither a snail nor a Bernardine hermit. He lived stark naked in the filth of the streets, filling his sack with dry crusts, rancid olives, and fish bones. He called the sack his city, a city without parasites or courte¬ sans, he said, but a fine storehouse of thyme, garlic, figs, and bread for its king. So Crates carried his kingdom on his back and it fed him. Though he never took part in public af¬ fairs, he never criticized them. He launched no insults nor did he approve this trait in Diogenes. Diogenes would call out, “Men, come to me!”, then rap them with his cane when they came, saying, “I called for men, not excrements!” [48] CRATES Crates was kind to men. He reproached them with nothing. Sores and wounds he knew, and his greatest regret was that his body were not supple like a dog’s so that he might lick them. He also deplored the necessity of nourishing himself with food and drink, for man, he thought, should be sufficient unto himself, asking no aid from the world. At any rate, he never hunted for water to wash in, being content to scratch himself against the walls after seeing how the asses did it. He seldom spoke of gods or questioned them. What difference did it make, said he, if there were gods or none, knowing as he did how little they could do for him. At first he reproached these divinities with having turned men’s faces toward heaven, thus depriving them of the faculties enjoyed by animals on all fours. Since these gods have decided that we must eat to live, thought Crates, they might better have turned our faces to the earth where [ 49] IMAGINARY LIVES food is, instead of twisting them up in the air to graze on the stars. Life was not kind to Crates. His eyes grew bleary, exposed as they continually were to the acrid dusts of Attica, and an unknown skin plague covered his body with sores. While he scratched himself with his uncut nails he observed the twofold profit, as he called it, of wearing down these nails to their proper length while relieving his itch at the same time. He let his hair grow in a neglected mat on his head to protect him from the rain and sun. When Alexander came to see him he flung no sharp gibes at the conqueror whom he considered merely as one with the spectators, acknowledging no difference between king and crowd. Crates no longer formed opin¬ ions about the great. Only men interested him, men and the problems of living his life as simply as possible. Diogenes with his chiding made Crates laugh no less than the pretensions of moral reformers. Holding [50] CRATES himself infinitely above such sordid cares, he transcribed the maxim from the Delphian temple to read, “See Thyself,” and the idea of any knowledge whatsoever he thought absurd. He studied his bodily necessities, nothing more, striving always to reduce them to their simplest terms. Doglike, Diogenes snapped at life, but Crates lived as the dogs lived. He had a disciple named Metrodes, a wealthy young man from Marona. Hipparchia, sister of Metrocles, fell in love with Crates. Beautiful and aristocratic as she was, she was certainly the smitten one for she sought the cynic out. It seemed impos¬ sible but it was true and nothing could turn her from him, neither his filthiness, nor his poverty, nor the horror of his public life. He warned her how he lived in the streets like a dog, scrambling for bones in the stench of gutters. He warned her further. If she came to him, he said, nothing of their life together should be hidden. He would want [51] IMAGINARY LIVES her publicly whenever desire prompted, as the dogs do among dogs. Hipparchia heard all. She declared she would end her own life if her parents interfered, so they let her go. She left the village of Marona with her hair unbound, a single ragged garment cov¬ ering her nakedness. From that day she lived with Crates and dressed as he dressed. It has been said that she bore him one child, and that the child was named Pasicles, though nothing authentic can be found of that incident. Hipparchia was kind to the poor. Com¬ passionate, she soothed the sick with her hands, cleansing their bloody wounds with¬ out repugnance. To her men became as sheep are to sheep or dogs to dogs. When nights were cold she and Crates slept close to other poor folk, sharing the warmth of their bodies. From the beasts they learned the wordless kindnesses of beasts. When men approached they held no preferences . . . they were men and that sufficed. [52] CRATES We know nothing more of Crates’ wife; we are not told when she died or how. Metrocles, her brother, admired the cynic and imitated him, but Metrocles lacked tran¬ quillity. Troubled continually by a flatu¬ lency he could not control, he resolved upon suicide. Learning of his ailment Crates went to him after first eating a quantity of lupine. When Metrocles confessed himself no longer able to support the disgrace of his infirmity, the cynic showed his disciple how all men are submitted by nature to the same evil. Upbraiding him because he had dared to be ashamed of others, Crates led Metro¬ cles away and they lived long together in the streets of Athens, Hipparchia undoubt¬ edly beside them. They talked little but were ashamed of nothing. When they lapped water from a puddle with the dogs the dogs respected them. They must have fought together over scraps of food, though the biographers fail to mention it. Crates died old, we know. We know he ended his days [53] IMAGINARY LIVES squatting among bales of goods in a shed belonging to a shopkeeper from Pireeus, and that he finally refused to move from that spot even to pick up scraps of meat. We know he was found there one day starved to death. C 54 ] S E P T I M A Enchantress t

SEPTIMA

Septima was a slave under the African sun in the city of Hadrumetum. Her mother, Amoena, was a slave, and the mother of her mother—all had been slaves, beautiful and unknown, to whom the dark gods had revealed the spells of love and of death. Hadrumetum was a city of white houses, though the one where Septima lived was built of pink stones, the trembling tint of roses, while the garden paths were set with shells from Egypt, washed away by the tepid sea, where the seven deltas of the Nile spread out forming seven vases of different colors. The silvery voice of the Mediterranean could be heard from Septima’s house by the sea. At her feet a fan of shimmering blue swept out to the horizon. The golden palms of her little hands were rouged, her fingertips tinged with fard, her lips touched [57] IMAGINARY LIVES with myrrh and the anointed lids of her eyes drooped softly. Thus she appeared as she walked through the fringe of the city, carry¬ ing a basket of bread for the servants’ table. Septima fell in love with a young freeman named Sextilius, a son of Dionysia, but love was denied her, for she belonged to those who knew the mysteries of the lower world and served love’s adversary whose name is Anteros. As swiftly as Eros aims the glances of eyes or whets the darts of his arrows, Anteros turns those glances aside and dulls the flying shafts. He is a kindly god, laboring among the dead, not cruel as the other is. Anteros possesses the nepenthe of forgetfulness. He holds love to be the worst of human afflictions; he pursues love to cure love. Powerless, however, to enter a heart once caught by Eros, he seizes that heart’s affinity. This is the method of the strife between Eros and Anteros, and the reason why Septima could not love Sex¬ tilius, for when Eros touched her with [ 58] SEPTIMA his flame, Anteros took the man she loved. Septima saw the power of Anteros in the lowered lids of Sextilius. When purple trembled through the evening air she walked down the road to the sea. It was a quiet road, a road where lovers sipped wine-ofdates, leaning together against the polished walls of ancient tombs. An eastern wind blew its perfumes across the Necropolis. Veiled as yet, the young moon came timidly abroad. Sleeping in their sepulchers, many dead were enthroned on the hills around Hadrumetum, and here, under these stones, slept Phoinissa, sister of Septima, a slave girl dead at sixteen, before a man had ever breathed the sweetness of her. Phoinissa’s tomb was straight and slim as her body had been. The stone contours following the out¬ line of her breasts were crossed by bands like the strands of a strophe. On her low fore¬ head hung a pendent stone, long and droop¬ ing between her eyes. From her blackened lips came still an aromatic vapor of embalm- [59] IMAGINARY LIVES ing spices, and a green gold ring set with two pale, clouded rubies gleamed on her finger where she lay, dreaming eternally of things she had never known. Under the virgin whiteness of the new moon Septima crouched by her sister’s tomb, cooling her face against the sculptured gar¬ lands of white marble, her lips close to the aperture for receiving the funereal libations, and she poured out all her passions: “O my sister,” she began, “turn in your sleep and hear me! The little lamp of death’s first hours is lighted. We gave you an ampula of colored glass, but you have let it slip through your fingers. Your neck¬ lace is broken and the golden beads are scat¬ tered around you. Nothing of ours is any longer yours, and he has you now, the hawk¬ headed one. O listen, my sister, you have power to carry my words. Fly to that heaven you know so well. Plead for me with Anteros. Implore the goddess Hathor. Beseech him, whose body once drifted safely on the [60] SEPTIMA hi BU> IP H. 0 B fJ l C | Pi') seas to IJabytefi. Sister, pity a sorrow you never learned! By the seven stars of the magicians of Chaldea I entreat you. By those dark powers Carthage knows, by Iao, Abriao, Salbaal and Bathbaal hear my invo¬ cation. Make him love me! Sextilius, son of Dionysia, make him burn with love of me, Septima, daughter of our mother, Amcena ... so that he shall burn in the night, so that he shall come to me by thy tomb, Phoinissa! “Or if that cannot be, let us both be plunged into the shadows. Let Anteros chill the breath of us—if he must quench this fire Eros has kindled! Perfumed death, drink the libation of my voice. Achrammachalala!” Then the mummy of the virgin descended into the earth, teeth bared and gleaming. And Septima walked shamefully between the tombs of the dead until the second watch of the night. Her eyes followed the flight of the moon across the sky. Her throat [61] IMAGINARY LIVES felt the biting brine of the sea wind. When the first golden rays of dawn touched her she returned to Hadrumetum, her long blue veils floating behind her. Meanwhile Phoinissa sped down the in¬ fernal paths, but the hawk-faced one would not listen to her plea. Hathor only stretched herself in her painted case, unheeding. And Phoinissa could not find Anteros for she had never known desire. But in her faded heart she felt that pity all the dead feel for the living. On the second night, at the hour when the departed return to cast their en¬ chantments, her bandaged feet rustled again through the streets of Hadrumetum. Sextilius lay breathing the deep, regular breath of sleep, his face turned towards the paneled ceiling of the chamber. All wrapped in her odorous cloths of the tomb, dead Phoinissa sat down beside his bed. She had neither brain nor entrails, though her heart was there, where it had been replaced, dry, in her mummied breast.- [62] SEPTIMA And at that moment Eros struck against Anteros, seizing the dead heart of Phoinissa, making her desire the body of Sextilius to sleep between her sister and herself in the house of death. Phoinissa put her lips to the boy’s mouth and the life went out of him like a bursted bubble. In her sister’s cell she took Septima by the hand. And the kiss of Phoinissa and the clasp of Phoinissa killed them both, Septima and Sextilius, in the same hour. Such was the dark issue of the struggle between Eros and Anteros, wherefrom the infernal powers received a slave and a free¬ man. Sextilius rests in the Necropolis at Hadrumetum between Septima, the enchant¬ ress, and her sister Phoinissa. The words of Septima’s enchantment are inscribed upon a leaden plack which the enchantress lowered into Phoinissa’s tomb through the little hole intended for libations. [63]

LUCRETIUS

Poet

LUCRETIUS Lucretius belonged to a great familylong retired from public life. Memories of his early days recall the dark porch of a house far up on a mountain, a bleak atrium and silent slaves. From childhood he heard nothing but scorn of politics and men. Memmius, a noble of his own age, played with him in the forest—played whatever games Lucretius commanded. Together they stood astonished before the gnarled faces of old trees or watched the leaves trem¬ bling in the sunlight—light vibrant and virile, strewn like a veil with dust of gold. Often they gazed on the striped backs of wild pigs rooting in the soil, and sometimes in their walks they met a murmurous swarm of bees or a caravan of marching ants. Emerging one day from a dense underbrush [ 67] IMAGINARY LIVES they found themselves in a clearing set all around with ancient oaks so nicely placed that the circle of their tops formed a pool of clear blue sky above. The tranquillity of this spot was infinite. They were, it seemed, in a wide path leading straight to the divine depths of the heavens. Lucretius was touched by the calm benediction of the spaces. With Memmius he left the serene forest temple to study eloquence at Rome. Pre¬ senting Lucretius with a Greek professor, the old gentleman who ruled the house on the mountain told him not to return until he had acquired the art of scorning human ac¬ tions. Lucretius never saw the old gentle¬ man again, for he died alone, cursing the tumult of society. When Lucretius came back to the empty house with its silent slaves and its bleak atrium, he brought an African woman, beautiful, barbarian, bad. Memmius was gone to the house of his fathers. Lucretius had seen enough of fac- [68] LUCRETIUS tions and party warfare and corruption. He was in love. He led an enchanted life at first. Dark against the rich wall-hangings shone the glossy hair of his African, as she stretched her long body out on a low couch, holding up an amphorae of sparkling wine in her arms, arms heavy with translucent emeralds. She had a strange little gesture of trailing one finger across her brow, and her smiles were from a source as lost and obscure as the streams of her Africa. Instead of spin¬ ning wool, her fingers patiently picked it into little wisps that went sailing through the air around her. Lucretius was filled with desire of her splendid body. He fondled her metallic breasts and he kissed the purple lips of her. Sighs and love words passed, making them laugh as they grew exhausted. They touched the filmy, opaque veil that sepa¬ rates all lovers, and their desire leaped until it reached that acute point whence it poured [69] IMAGINARY LIVES through and through their flesh without quite plumbing the depths. Then the strange heart of the African recoiled, while Lucretius grew desperate because he could not accomplish the profundity of love. The woman turned cold, bleak and silent like the atrium and the silent slaves, and Lucretius went away into his library. There he unwound a scroll whereon some writer had copied the doctrines of Epicure. Immediately he understood the infinity of earthly things and the futility of striving towards ideals. He compared the universe to those little wisps of wool the fingers of his African sent floating through the air around her. Hives of bees, colonies of ants and the shifting pattern of the forest leaves became only groups of atoms to him. In his own body he felt the invisible struggle between discordant people anxious to sepa¬ rate. Glances passing from eye to eye he thought of now as rays of some more subtle matter. What was the likeness of his beau- [70] LUCRETIUS tiful barbarian but a mosaic agreeably colored? And the end of all this infinity he found sad and hopeless. Just as Roman factions warred with their armies and their criers, he saw turbulent masses of atoms dis¬ puting their obscure supremacy in the spilled blood of men. Death and dissolution, he saw, could only free these whirling masses to hurl them towards a thousand hopeless future struggles. When Lucretius had been so instructed by the papyrus scroll with its Greek words interwoven one upon the other like worldly atoms, he left the bleak, lofty house of his ancestors and walked through the forest. He looked at the striped backs of the wild pigs forever nosing the earth. Emerging from a thick underbrush he came suddenly into that serene forest temple, then his eyes plunged up to the pool of blue sky and he rested. From that point he regarded the swarm¬ ing immensity of the universe: all the stones, [71] IMAGINARY LIVES all the plants, the trees, the animals and the men; with their colors, their passions, their instruments and the histories of these many things, their births, their desires, their deaths. In the exact center of all that inev¬ itable and necessary death he saw clearly the death of his beautiful African—and he wept. Tears, he knew, came from the action of certain small glands under the eyelids, agi¬ tated by a procession of atoms leaving the heart, while the heart itself had been struck by a series of colored images detaching themselves from the surface of a woman’s body. He knew that love was caused by a flood of atoms desiring to join themselves to other atoms. The sadness of death he knew to be the unsoundest of all earthly delusions, for the dead feel neither sorrow nor suffering, while he who mourns, mourns but his own end. He knew, too, that we are left no shade or ghost to shed tears on those bodies of ours stretched out at our [72] LUCRETIUS ghostly feet. Knowing as he did, the empty vanity of sorrow, love and death compared to those calm spaces in which we exist, he continued to weep and to desire love and fear death. That is why he returned to the bleak house of his ancestors, seeking the beautiful Afri¬ can, whom he found brewing something in a caldron over a fire. She, too, had been think¬ ing, though her thoughts were as mysterious as the source of her smiles. Lucretius looked down into the bubbling brew as it cleared slowly, like a green and stormy sky. The woman trailed one finger gently over her forehead when she handed him the cup. Lucretius drank and his reason left him as quickly, so that he forgot all the Greek words from the papyrus scroll. Then, being mad, he learned real love for the first time, and in the night, being poisoned, he learned death. [73]

C L O D I A

Impure Woman • •* CLODIA She was a daughter of Appius Claudius Pulcher, consul. When only a few years old she was distinguished among her brothers and sisters by the burning brightness of her large eyes. Tertia, her older sister, married early, and the youngest submitted herself entirely to Clodia’s caprices. Her brothers, Appius and Caius, were already greedy for leather frogs, nutshell chariots and other toys; later they grew avaricious for silver sesterces. Pretty and feminine, Clodius became the companion of his sisters, and Clodia persuaded him to don a long-sleeved tunic, a little cap with golden strings, and a supple girdle. Then they tossed a flamecolored veil over him, carrying him away to their own chamber, where he remained with all three. Clodia was his favorite, but he [77] IMAGINARY LIVES took also the innocence of Tertia and of the youngest girl. When Clodia was eighteen her father died. Appius, her brother, then ruled the domain from their palace on Mount Palatin, while Caius prepared for public life. Deli¬ cate and beardless, Clodius remained with his sisters, who were both called Clodia. They took him secretly to the baths with them, buying the silence of the slave attend¬ ants for a few gold pieces. Clodius was treated like his sisters in their presence. Such were their pleasures before mar¬ riage. The youngest married Lucullus, who took her to Asia where he was fighting in the wars against Mithridates. Por husband, Clodia chose her cousin Metellus, a dull, honest man. In those spendthrift times he pre¬ served a spirit frugal and dour, and Clodia could not abide his simple rusticity. She was just beginning to dream of new things for her dear Clodius when Caesar’s disapproval [78] CLODIA came to dampen their pleasure, for Clodia guessed he might compel them to separate. To evade this she made Pomponius Atticus bring Cicero to see her. Hers was a titter¬ ing, flirtatious circle. Around her were found such men as Licinius Calvus; young Curion (nicknamed “Girlie”); Sextius Clodius who followed the races; Ignatius and his band; and Catullus of Verona and Caelius Rufus who were both in love with her. While they recounted the latest scandals about Caesar and Mamurra, Clodia’s hus¬ band sat silent in his chair. Elected proconsul, Metellus departed at once for Cisalpine Gaul, leaving Clodia in Rome with her sister-in-law, Murcia. Cicero was soon thoroughly charmed by Clodia’s big blazing eyes. He dreamed of divorcing Terrentia, his wife, supposing Clodia would leave her husband and come to him in that event. But Terrentia discovered the design, promptly terrifying Cicero with her discov¬ ery and its possible consequences until he [79] IMAGINARY LIVES dropped all association with Clodius and Clodia. Meanwhile Clodius had busied himself making love to Pompeia, Cresar’s wife. On the night celebrating the divinity of their patron goddess, women only were permitted in Cgesar’s house, for Caesar was praetor and Pompeia alone offered the sacrifice. Disguised in the feminine garments of a zither player (just as his sister used to dress him) Clodius made his way to Pompeia, but a slave recognized him and Pompeia’s mother gave the alarm. The scandal was soon public. Clodius attempted to defend himself by vowing he had spent the night with Cicero, but Terrentia forced her hus¬ band’s denial and Cicero testified against Clodius. Thereafter Clodius had no place among the nobles. Now past thirty, his sister was more ardent than ever. Clodius, she thought, might be adopted by some plebeian and so become a tribune of the people. Metellus, [80] CLODIA now returned to Rome, saw through her schemes and mocked her with them. In these days when she had no Clodius, she let herself be loved by Catullus. Metellus seemed odious to her. Resolved to be rid of him, she met him one day as he returned from the senate, presenting him a cup to quench his thirst. Metellus drank and fell dead, and Clodia was free. Then she fled her husband’s house, shutting herself up at once with Clodius on Mount Palatin, where the youngest sister came to join them after deserting her husband, Lucullus. They resumed their old manner of life, all three, and unleashed their spite. When he turned plebeian Clodius was known almost from the first as a tribune of the people, for notwithstanding his femi¬ nine graces, he had a strong, penetrating voice. He obtained Cicero’s exile, destroyed the statesman’s house before his eyes and swore ruin and death to all his friends. Then serving as proconsul in Gaul, Caesar was [81] IMAGINARY LIVES powerless to interfere. Through Pompey, Cicero gained new influences during the fol¬ lowing year, thus contriving to have himself recalled, whereupon the fury of the young commoner leaped to extremes. He first launched a violent attack against Cicero’s friend, Milon, who was then hinting at am¬ bitions for the consulate. Apostle of night, Clodius tried to murder Milon after over¬ powering his torchbearers, but the scandal of that scene marked the end of the young plebeian’s popularity, for obscene songs about Clodius and Clodia were soon sung in the streets, while Cicero denounced them both in a violent discourse, comparing Clodia to Medea and Clymenestra. The rage of the brother and sister ended by consuming them. Clodius was killed in the dark by guardian slaves while attempting to burn Milon’s house. Clodia was desperate. She took and re¬ jected Catullus, Cadius Rufus and Igna¬ tius, but she loved only her brother Clodius. [82] CLODIA It was for him she had poisoned her husband, for him she hired the incendiaries. When he died the object of her life vanished, though she remained beautiful and passion¬ ate. She had a country villa on the road to Ostia, a summer place with gardens on the Tiber, and another at Baja. In that last resort she sought refuge, endeavoring to find distraction through lascivious dancing with her women. But it was not enough. Her spirit was filled with the stupors of Clodius, whom she saw forever beardless and femi¬ nine. She recalled a time long ago when he had been captured by Sicilian pirates, and how they had used his soft body. She re¬ membered a certain tavern where she had gone with him; how the doorway had been scribbled over with words written in char¬ coal, what a stench had come from the men who drank there, and how their chests were matted with hair. Rome attracted her again. At early dusk she walked through the wide squares and [ 83] IMAGINARY LIVES thoroughfares, the blazing insolence of her eyes unchanged. Nothing now appeased her though she tried all . . . even standing in the rain and sleeping in the mud. She bathed in the deep caverns where slaves gam¬ bled at dice. She was known in those cellars frequented by scullions and teamsters. She waited on the curb for any man who passed. She perished towards the morning of a suf¬ focating night, after a strange return to a house that had once been her own. Sorry because he had given her so much as a quar¬ terns, a workman trapped her at dawn in an obscure alley, and strangled her to get his money back. He threw her body, with her large eyes still open into the yellow Vvaters of the Tiber. [84]

PETRONIUS

R omancer

PETRONIUS He was born in the days when greengarbed clowns used to sit around a fire roast¬ ing young pig; when bearded porters in cherry-colored tunics squatted by the gay mosaics at villa gates, shelling peas into silver platters; when rich freedmen played politics in the towns of Provence; when minstrels sang their epic poems to the desert; and when the Latin language was stuffed with redundant words and puffed-up names from Asia. Among such elegances he passed his childhood. His garments of Tyrian wool were never worn a second time, and if a silver vessel chanced to fall from the table it was swept away with the rest of the debris. Delicate, unexpected viands were served at every meal, the cooks never ceas- [ 87] IMAGINARY LIVES ing to vary the architecture of their dishes. To open an egg and find a fig in it was no cause for astonishment, nor was it unusual to slice a foie-gras statuette modeled in imi¬ tation of a Praxiteles. Plaster seals over the mouths of the wine amphorae were brightly gilded. Phials of Indian ivory held ardent perfumes for convivial folk, while ewers, pierced in many intricate patterns and filled with colored waters, sent down a pretty shower as they swung gently to and fro. All the glasses were iridescent mon¬ strosities. Urns there were with handles made to turn in the fingers so that the sides opened out, letting fall a spray of painted flowers. African birds with scarlet cheeks cackled from their golden cages. Dog-faced Egyptian monkeys chattered incessantly be¬ hind gold-incrusted grilles set into the sides of the rich walls, while scampering around in precious boxes were slim little scaly beasts with azure eyes. Here Petronius lived, believing the very [88] PETRONIUS air he breathed to be perfumed for his spe¬ cial use. When he arrived at the age of adolescence he did up his beard in an ornate sheath and began to look about him. Then a slave named Syrus, who had served in the arenas, showed him some things he had never seen before. Not of noble race, Petronius was a swarthy little squint-eyed fellow with the hands of an artisan and cultivated tastes. It pleased him to fashion words together and to write them down, though they resem¬ bled nothing the old poets had imagined, for they strove only to imitate the things Petro¬ nius found around him. Later he developed a grievous ambition for making verses. Through Syrus he came to know bar¬ barian gladiators, braggarts of the street corners, shifty-looking men of the market¬ places, curly-headed boys on whom the senators leaned during their promenades, curbstone orators, pimps with their upstart girls, fruit vendors, tavern landlords, shab¬ by poets, pilfering servants, unauthorized [ 89] IMAGINARY LIVES priestesses and vagabond soldiers. With his squint-eyes he saw them all, catching the precise manner of them and their ways. Syrus took him down to see the slaves in their baths, to the dens of the prostitutes and through those underground cells where the circus gladiators practiced with wooden swords. Sitting by the tombs beyond the city gates, he heard tales of men who change their skins—tales and stories passed from mouth to mouth by blacks and Syrians and innkeepers and guardians who carried out the crucifixions. Absorbed in these vivid contrasts which his free life allowed him to examine, he began, when about thirty, to write the story of those errant slaves and debauchees he knew. In the luxurious society of the city he recognized their morals, though transformed, and he found their ideas and their language among the polite conversations at high ceremonies. Alone, bent over his parchment at a table of odor¬ ous cedar, with the sharp point of his calm [90] PETRONIUS detachment he pictured the adventures of an ignored people. Under the painted ebonywainscoting, by the light of his tall windows, he imagined smoky torch-lit taverns, absurd nocturnal struggles, the twisted candelabras of carved wood, the locks suddenly forced by the axes of police slaves, and the harsh commands of slave drivers shrill above the shuffling rush of miserable people clad in torn curtains and filthy rags. When his six books were finished Petronius read them to Syrus. And the slave is said to have howled his laughter aloud and clapped his hands for glee. At that mo¬ ment they conceived the notion of putting those adventures into practice. Tacitus has falsely written that Petronius was present at Nero’s court, telling how his death was brought about by the jealousy of Tigillinus. But Petronius did not vanish murmuring lewd little verses as he stepped delicately into a marble bath. He ran away with Syrus to end his life on the roads. [91] IMAGINARY LIVES His appearance made disguise easy. Turn by turn, he and Syrus carried the leather sack containing their money and clothing. They slept in the open air, on hillocks beside the crossroads, often watching the dismal cemetery lamps twinkling among the tombs. They ate their bread sour and their olives rancid. They became wandering magicians, vagabond fakirs, companions of runaway soldiers. Petronius dropped his writing completely, for he now lived the life he had once imagined. They had treacherous friends whom they cared for, he and Syrus, and who left them at the gates of towns after borrowing their last coin. They car¬ ried on all sorts of debauches with escaped gladiators: they became barbers and scrubmen. For several months they lived on crusts stolen from the graves of the dead, and all who saw Petronius were terrified by his wry eye and the swart cast of him. One night he disappeared. Syrus expected to find him in a dirty hovel where he had [92] PETRONIUS been with a tangle-haired girl, but a drunken squatter had sunk a knife in his neck while they were lying together on the floor of an abandoned cave in the open country.

S U F R A H

Geomancer

SUFRAH The story of Aladdin is in error when it tells how the African magician was poisoned in his palace and how his body, burned black by the drug, was thrown to the dogs and cats. His brother was so deceived by these appearances that he stabbed himself after donning the robes of the blessed Fatima, but it is nevertheless certain that Moghrabi Sufrah (for that was the magician’s name) only slept under the influence of the power¬ ful narcotic. He escaped through one of the twenty-four windows of the great hall while Aladdin was tenderly embracing the princess. Hardly had he reached the ground after sliding down easily enough by one of the golden drain pipes to the terrace, when the palace disappeared completely, leaving Suf¬ rah alone on the open desert. Nothing re- [ 97] IMAGINARY LIVES mained, not even one of the bottles of Afri¬ can wine for which he had gone to the cave at the command of the treacherous princess. Desperate, he sat down under the fierce sun, knowing well how infinite was the torrid expanse of sand in every direction, so he wrapped his head in his cape, waiting for death. Not one magic charm was left to him, no spell-casting perfumes, nor even a dancing ring with which he might have sought some hidden source of water to quench his thirst. Night came on blue and hot, but it relieved the inflammation in his eyes a little, then he decided to trace one magic figure on the sand to learn if he were destined to perish so, lost in the desert. He drew the four main lines with his finger, set out the points for the invocation of Fire, Water, Earth and Air, then for the Equa¬ tor, the Orient, the Occident and the Septentrion. At the end he collected all the points, odd and even, arriving finally at the first figure. To his joy he saw it was For- [98] SUFEAH tune Major. And he knew then that his escape was certain. Now the first figure must be placed in the first house of astrology, the house of the Geomancer. In that house, called the House of Heaven, Sufrah found again the figure of Fortune Major pronouncing success and glory to his ventures. But in the eighth house, the House of Death, he came upon the figure of the Red One, messenger of blood, fire and omen sinister. When Sufrah had conjured the figures of the twelve houses he took two proofs and from these proofs one judgment, thus testing well the accuracy of his calculations. The Prison was the figure in the Judgment, so Sufrah knew by that he would find glory at great peril in some shut and secret place. Since he was not to die, the magician meditated now in confidence. The lamp had been transported to the very center of China with the rest of the palace. He could not hope to retrieve it. He recalled the fact [99] IMAGINARY LIVES that he had never discovered the identity of the lamp’s first master, who was also the owner of the treasure and of the garden of precious fruits. On the sand he traced a second figure, reading it by the letters of the alphabet. First the characters S.L.M.N. were revealed, and when the tenth figure confirmed them Sufrah knew at once that the magical lamp had been part of King Solomon’s treasure. He continued to study all the signs attentively until the Dragon’s Head gave him the information he sought, for it was joined by the figure of The Boy, emblem of riches hidden in the earth, and by the figure of The Prison, where the posi¬ tion of any hiding place may be deciphered. Sufrah clapped his hands for happiness. Now the geomancy showed King Solomon buried under those very sands of Africa, while on his finger was the all-powerful sig¬ net ring that gives immortality to its wearer. So King Solomon slept on as he had slept through the myriad ages. [ ioo] SUFRAH Sufrah waited eagerly for the dawn. In the blue half-light he saw Bedouins riding by. When hs hailed them they pitied his distress, giving him a little sack of dates and a gourd of water. He started then on foot, traveling steadily until he came to an arid stony place between four bare cliffs w stretching like fingers toward the four cor¬ ners of the heavens. There he drew a circle and pronounced certain words; the fearth trembled, opened, showed a marble slab with a bronze ring in it, and Sufrah seized the ring, calling out three times in Solomon’s name. As the stone swung from its place Sufrah went down a stair into the earth. Two fiery dogs bounded from niches oppo¬ site him, spitting tongues of flame as they sprang, but Sufrah had only to say the magic name again to make them disappear. He found an iron door, it turned silently at his touch and he passed through it into a deep corridor carved out of living porphyry. An eternal glow was there, emitting from num- [ 101 ] IMAGINARY LIVES berless seven-branched candelabras, while at the end of the long corridor Sufrah saw a room with jasper walls. A golden brazier burned richly in the center. On a couch, hewn like a block of frozen fire out of one single diamond, stretched the form of an old, white-bearded man who wore a crown. Near the King stood a mummy, her thin hands still graciously extended, though the warmth of her kisses was long gone. And an the fallen hand of the King Sufrah beheld the great shining seal. He crawled to it on his knees, raised the shriveled fingers and snatched off the precious seal. So were the predictions of the unknown Geomancer fulfilled and the immortal sleep of Solomon brought to end. In less than a moment the King’s body crumbled to a little handful of dust and bones, which the gra¬ cious form of the mummy seemed still to watch over. Crushed at that same instant by the Red [ 102] SUFRAH One from the House of Heath, Sufrah spent all the blood of his life in one vermilion gush before the deep sleep of earthly immor¬ tality swallowed him up. With Solomon’s ring on his finger, he laid him down on the diamond couch to be preserved from corrup¬ tion during the myriad years, in that shut and secret place disclosed to him by the figure of The Prison. The iron door of the porphyry corridor fell closed as the fiery dogs took up their guard over the immortal Geomancer. [103J

FRA DOLCINO

Heretic

FRA DOLCINO He first learned of holy things in the church of San-Michele at Orte, when his mother held him so his little hands might touch the pretty wax figures hanging before the Virgin. His parents’ house adjoined the baptistry. Three times a day, at dawn, at noon and at nightfall, he saw two Fran¬ ciscan monks go by begging bread for their basket, and often he followed them to the convent door. One of these two was very old, having been ordained by Saint Francis himself, so he said. He promised to teach Dolcino the language of the birds and how to talk with all the beasts of the fields. Soon Dolcino spent his days in the convent, add¬ ing his fresh young voice to the songs of the brethren. When the bell called them to work he would help wash their greens and vegetables around a big bucket. Robert, the [ 107] IMAGINARY LIVES cook, loaned him an old knife to scrape the bowls. Dolcino liked to visit the refectory; he loved to see the fine lamp they had there, and the painted shade with its pictures of the Twelve Apostles in wooden sandals and little capes that fell over their shoulders. But to go to begging from door to door with the monks was his greatest pleasure. On such occasions he was permitted to carry their napkin-covered basket while they asked for bread. The sun was high in the sky as they walked along one day after several poor houses along the river bank had refused them. The heat was intense, and the two friars were hungry and very thirsty when they entered a courtyard they had never visited before. Dolcino exclaimed in sur¬ prise as he set the basket down, for this place was all tapestried with fresh green vines and transparent verdure. Leopards and other strange beasts from across the sea were romping together, while youths and girls in gay clothing made sweet music on [ 108] FRA DOLCINO pipes and with zithers. A deep tranquillitypervaded the cool and odorous shade. Sing¬ ers were singing strange songs to which the others listened in silence. The monks uttered not a word. Their hunger and their thirst were sated. They no longer wanted for any¬ thing. They decided at last to go, but when they reached the river bank not a sign of the entrance to the mysterious court remained behind them. The opening in the wall had vanished. Until Dolcino found the basket they believed it had all been a vision or a necromancy. But there lay the basket filled with bread—bread so white that Jesus Him¬ self might have given it out of His own hands. Thus was the miracle of begging revealed to Dolcino. He took no holy orders after that, having conceived a stranger, loftier ideal. The brethren carried him over the roads of Italy from one convent to another, from Bologna to Modena, to Parma, to Cremona, to Pistoja and to Lucques. At [ 109] IMAGINARY LIVES' Pisa he had his great revelation of the true faith. As he slept one night atop the wall of the Episcopal palace, he was awakened by the sound of a drum. A host of children carrying lighted tapers were circling around a savage man who blew on a brazen trumpet. Dolcino believed this man he saw must be John the Divine, for he wore a long black beard and a rough haircloth garment marked from collar to hem with a large red cross. The pelt of a wild beast was around his waist. In a loud, terrible voice he exclaimed: “Laudato et benedetto et glorificato sio lo Patre ” and all the children repeated his words. Then he cried “sia lo Fijo” and the children repeated that. When he chanted “sia lo Spiritu Sancto” they said the words after him. Together they ended with the cry: “Alleluia, alleluia, alleluia!” and after a huge blast of his trumpet he began to preach. His words were harsh as mountain wine but they held Dolcino, most of all, when the man in haircloth thumped the [110] FRA DOLCINO drum. Admiration and envy filled Dolcino’s soul. This man was ignorant and violent—he knew no Latin (he pronounced the penitence “penitenza”) but he repeated sinister predictions of Merlin and Sibyl and Joachim of Floris, all in the Book of Fig¬ ures. He prophesied the Anti-Christ in the person of Emperor Frederick Barbarossa whose ruin would he complete until the seven orders were taken from him accord¬ ing to the Writings. Dolcino followed the strange man all the way to Parma where the full understanding came to him. The announcer shall proceed the founder of the seven orders, Dolcino was given to know. So there at Parma, on the ancient stone from which the magistrates addressed the people, he proclaimed his new faith. Its followers must dress, he said, with little white capes over their shoulders like the apostles on the lamp-shade in the refectory of the Franciscans. Baptism was not enough, he declared. True believers must [ in ] IMAGINARY LIVES return to the complete innocence of children. He made a cradle and got in it, calling for the breast of some pious woman who cried with pity. To test his chastity he persuaded a woman to have her daughter come naked to his bed. He begged a sack of money, distributing it among the poor, to thieves and to women of the streets. Work must cease, he cried, for all could live like the beasts of the fields. Robert, the convent cook, ran away to follow Dolcino, feeding his new leader out of a bowl stolen from the poor brethren. Folk believed the days of Gerardino Secarelli, the mad vagabond, and his Chevaliers of Jesus, had come back out of the past. Blissfully they followed Dol¬ cino, murmuring: “Father, father, father!” The monks of Parma finally drove him out of the city. Margherita, a girl of noble family, ran down the road after him, joining him on his march to Plaisance. He caught up a sack marked with the red cross and threw it over her and took her with him. [112] FRA DOLCINO Swineherds and drovers saw them sleeping in the fields. Many left their flocks to fol¬ low. Captive women whom the men of Cremona had cruelly mutilated by cutting off their noses, implored them and came with them, hiding their faces behind white shrouds. Margherita instructed them in the new faith. On a wooded mountain not far from Novara they established themselves for a communal life, though Dolcino set up neither rule nor order: according to his doc¬ trines all would be found in charity. Those who wished fed on berries and herbs. Others begged in the towns and some stole cattle. The life of Dolcino and Margherita was free under the sky, but the people of Novara could not understand. When the peasants complained of thieving and scandal soldiery was sent to clear the mountain and the apos¬ tles were driven away. As for Dolcino and Margherita, they were tied to the back of an ass, facing tailward, and led into Novara where they were burned in the market place, [ ns] IMAGINARY LIVES both on the same pyre by order of the law. Dolcino made only one request. He asked that they should not be stripped, but burned in their white mantles, like the apostles on the lamp-shade in the refectory of the Fran¬ ciscans. [ 114]

CECCO ANGIOLIERI

Poet of Hate

CECCO ANGIOLIERI Cecco Angiolieri was born hateful. His birth at Sienna coincided to the very day with the birth of Dante Alaghieri at Flor¬ ence. Cecco’s father was a rich wool mer¬ chant whose sympathies inclined toward the empire. From his earliest childhood the boy muttered scornful, jealous things against his sire. In those days many of the nobles had reached a point where they were no longer willing to serve the Pope, the Ghibellines having already rebelled while even the Guelphes were divided into factions desig¬ nated as the Whites and the Blacks. Im¬ perial intervention was not distasteful to the Whites, but the Blacks remained staunchly loyal to Rome and the Holy See. Cecco felt instinctively Black, perhaps because his father was a White. He hated his father almost from the first [ 117] IMAGINARY LIVES breath he drew. When he was fifteen he called for his share of the family fortune just as if old Angiolieri were dead. At the refusal of this request he left the paternal house in a furious wrath, complaining of his wrongs to high heaven and all the world, as he walked the roads to Florence where the Whites were again in power after routing the Ghibellines. Cecco begged bread, told of his father’s cruelty, and settled down finally in a cobbler’s hut. The cobbler had a daughter named Becchina with whom Cecco at once considered himself in love. He was a simple man, this cobbler, a con¬ stant worshiper of the Virgin, whose image he always wore, persuaded that his devotion gave him the right to mend boots with bad leather. Evenings before bedtime, he would sit with Cecco in the candlelight, chatting about the saints and their goodness while Becchina washed the dishes, her hair in an everlasting tangle as she made fun of Cecco for the crooked mouth he had. [118] CECCO ANGIOLIERI About that time all Florence began to talk of Dante’s, wild love for Beatrice, daughter of Folco Ricovero de Portinari, lettered folk having discovered the secret in the songs the poet wrote to his lady. Cecco heard these songs and scoffed at them. “Oh, Cecco,” said Becchina, “you mock Dante but you cannot write such pretty verses for me.” “We shall see,” replied young Angiolieri with a sneer. First he set about composing a sonnet in which he criticized the measure and the sentiment of Dante’s songs. Then he wrote his verses to Becchina. She could not read a word of them, but she shrieked with laughter at the amorous contortions of his mouth when he read them to her. Poor and bare as a stone in a church, Cecco loved the Mother of God with a true fervor that won the cobbler’s heart. To¬ gether they yearned for shabby sacred relics peddled by the bankrupt Blacks. Fired as he was with ardent devotion, Cecco looked [ U9] IMAGINARY LIVES like a promising customer at first, but he had no money. And in spite of Cecco’s admirable piety the cobbler betrothed his daughter to a fat neighbor named Barberino, a vender of oils. “Holy oils, perhaps,” ex¬ plained the cobbler by way of excuse to Cecco. The wedding took place about the same time Beatrice married Simone de Bardi, and Cecco imitated Dante’s woe. But Becchina did not pine away and die. On June the ninth, 1291, Dante sat idly tracing a picture on a tablet. It was the first anniversary of the death of Beatrice. Gaz¬ ing at the tablet the poet saw he had drawn the figure of an angel whose face resembled his beloved. On June the twentieth, eleven days later (Barberino being busy among his vats), Cecco Angiolieri obtained from Becchina the favor of a kiss on the mouth— and wrote a burning sonnet. Hatred sat undiminished in his heart, for now he wanted money with his love and he could not get it from the money-lenders. [ 120] CECCO ANGIOLIERI Hoping to wheedle some from his father, he departed for Sienna. Old Angiolieri refused him even so much as a glass of sour wine, leaving him perched on the road in front of the house. While in his father’s rooms Cecco had seen a sack full of new-struck florins, rev¬ enue from their estates in Montegiovi and Arcidosso. Here was he, perishing of thirst and hunger, his clothes in tatters, his shirt dripping! Back he tramped to Florence, arriving so completely worn and disrepu¬ table that Barberino put him out of his shop for his raggedness. So Cecco returned that night to the hut of the cobbler whom he found sitting in the candlelight singing a docile song to the Virgin Mary. They wept and embraced and Cecco told the cobbler how desperately he hated his father—that old man who threatened to live as long as Botadeo the Wandering Jew. A friar who came for alms persuaded Cecco to [ 121 ] IMAGINARY LIVES await his deliverance in the monastic state, so young Angiolieri followed the pious man to the abbey where they gave him a cell and an/old robe, and the prior named him Fra Henri. In the choir at evensong he would touch the bare stones under him, as cold and grim as himself. Rage choked him when he thought of his father’s wealth. It seemed to him as if the sea would surely go dry before that old man died. There were moments when he even envied the kitchen scullions. At other times he indulged his pride grandly. “If I were fire,” he thought, “I would burn up the world. Were I the wind I’d smother it with hurricanes. If I were water I’d drown it in a deluge; were I God I’d hurl it into space. If I were the Pope there would he no more peace under the sun; were I the Emperor I’d cut off heads all around. If I were Death I’d find my father, and were I Cecco. . . .No, there is all my wish!” But he was only Fra Henri. [ 122] CECCO ANGIOLIERI Then he remembered his other hate. Pro¬ curing a copy of Dante’s songs to Beatrice he compared them diligently to his own verses written for Becchina. When a wan¬ dering monk told him how Dante had spoken of him disdainfully he set about searching for some revenge. To him the superiority of his sonnets appeared most evident. The songs to Bice (he gave her that vulgar name) were abstract and white while his songs were strong and colorful. First he sent his insulting verses to Dante, then imagined himself denouncing that poet before the good King Charles, Count of Provence. Finally, when neither letters nor poems consoled him, he threw off his holy garb, put on his old shirt, his worn jacket and weatherbeaten cape and left the monas¬ tery, returning to Florence and the Black cause. A great joy awaited him there. Dante was exiled and only a few of the great poet’s followers were left. Cecco found the cobbler [ 123] IMAGINARY LIVES whispering humbly to the Virgin of the next Black triumph and young Angiolieri forgot Becchina in his gratification. Eat¬ ing dry crusts, he walked the streets all day or ran behind the Church messengers on their way to or from Rome. When the violent Black chief, Corso Donati, became a power in Florence he employed Cecco among others. On the night of June the tenth a mob of cooks, blacksmiths, friars and beggars invaded the aristocratic section of the city where the fine palaces of the Whites were. While the cobbler followed at a dis¬ tance, admiring the holy sight, Cecco bran¬ dished a torch. They burned all. Cecco himself set fire to the wooden balconies on the palace of the Cavalcanti, who had been Dante’s friends. That night he fed his hate with fire and the next day sent his insulting verses to Dante “the Lombard” at the court of Verona where he had taken refuge. Dur¬ ing the same day he became at last the Cecco [ 124] CECCO ANGIOLIERI of his heart’s desire. Old as Eli or Enoch, his father finally died. Speeding to Sienna Cecco threw open the coffers, plunging his hands deep into bags of new-struck florins, repeating a hundred times over now he was no more Fra Henri but Lord of Arcidosso and Montegiovi, richer than Dante and a better poet. Then the sin of having desired his father’s death beset him so he repented. There in the fields he scribbled a sonnet demanding a Pope’s crusade against all who should henceforth insult their parents so. Eager for confes¬ sion, he returned in haste to Florence and besought the cobbler to intercede in his behalf with the Virgin. From a dealer in holy waxes he bought a tall taper which the cobbler lighted unctu¬ ously. Together they wept over their prayers to Their Lady. Until a very late hour the voice of the cobbler was heard sing¬ ing songs of praise and rejoicing in his fine candle, as he wiped away his friend’s tears. [ 125]

PAOLO UCCELLO

Painter

PAOLO UCCELLO

His real name was Paolo di Dono, but the Florentines called him Uccelli or Paul of the Birds because of the many bird figures and painted beasts in his house, for he was too poor to feed live animals or to obtain those strange species he did not know. At Padua he was said to have executed a fresco of the four elements, with an image of a chameleon representing the air. He had never seen one, so he made it a sort of pot-bellied camel with a gaping snout (while the chameleon, explains Vasari, resembles a small dry lizard and the camel is a great humped beast). Uccello was not concerned with the reality of things but in their multiplicity and the infinity of their lines. He made fields blue, cities red, and cavaliers in black armor on ebony horses with blazing mouths, the lances of the riders radiating toward every quarter of the heavens. He had a fancy for drawing the mazocchio, a headdress made of wooden hoops so covered that the cloth fell down in pleats all about the wearer’s face. Uccello drew pointed ones and square ones and others in pyramids and cones, following every intricacy of their perspectives so studiously as to find a world of combinations in their folds. The sculptor Donatello used to say to him: “All, Paolo, you leave the substance for the shadow.” The Bird continued his patient work, assembling circles, dividing angles, examin¬ ing all creatures under all their aspects. From his friend Giovamii Manetti, the mathematician, he learned of the problems of Euclid, then shut himself up to cover panels and parchments with points and curves. Aided by Filippo Brunelleschi, he perpetually employed himself at the study of architecture, but he had no intention to build. He wanted only to know the direc¬ tions of lines from foundation to cornice, the convergences of parallels together with their intersections, the manner in which vaulting turns upon its keys and the perspective of ceiling beams as they appear to unite at the ends of long rooms. He drew all beasts, all their movements and all the gestures of men, reducing these things to simple lines. Then like an alchemist who mixes ores and metals in his furnace, watching their fusion in hope of finding the secret of gold, Uccello would throw all his forms into a crucible, mix them, mingle them and melt them, striv¬ ing to transmute them into one ideal form containing all. That was why Paolo Uccello lived like an alchemist at the back of his little house. He believed he might find the knowledge to merge all lines into a single aspect; he wanted to see the universe as it should be reflected in the eye of God, all figures springing from one complex center. Near him lived Ghiberti, della Robbia, Bru¬ nelleschi and Donatello, each one proud and a master of his art. They railed at poor Uccello for his folly of perspectives, with his house full of cobwebs—empty of provisions. But Uccello was prouder than they. At each new combination of lines he imagined he had discovered the way. It was not im¬ itation he sought, but the sovereign power to create all things, and his strange drawings of pleated hats were to him more revealing than magnificent marble figures by the great Donatello.

That was how The Bird lived: like a hermit, with his musing head wrapped in his cape, noting neither what he ate nor what he drank.

One day along a meadow, near a ring of old stones deep in the grass, he saw a laugh¬ ing girl with a garland on her head. She wore a thin dress held to her hips by a pale ribbon and her movements were supple as the reeds she gathered. Her name was Selvaggia. She smiled at Uccello. Noting the flexion of her smile when she looked at him, he saw the little lines of her lashes, the pat- [ 132] PAOLO UCCELLO terned circles of the iris, the curve of her lids and all the minute interlacements of her hair. Considering the garland across her forehead, he described it to himself in a multitude of geometric postures, but Selvaggia knew nothing of all that for she was only thirteen. She took Uccello by the hand and he loved her. She was the daughter of a Florentine dyer, her mother was dead and another woman had come to her father’s house and had beaten her. Uccello took her home with him. Selvaggia used to kneel all day by the wall whereon Uccello traced his universal forms. She never understood why he pre¬ ferred to regard those straight and arched lines instead of the tender face she raised to him. At night, when Manetti or Brunel¬ leschi came to work with Uccello she would sleep at the foot of the scaffolding, in the circle of shadow beyond the lamplight. In the morning she arose before him, rejoicing because she was surrounded by painted birds [ 133] IMAGINARY LIVES and colored beasts. Uccello drew her lips, her eyes, her hair, her hands; he recorded all the attitudes of her body but he never made her portrait as did other painters when they loved a woman. For The Bird had no pleas¬ ure imitating individuals. He never dwelt in the one place—he tried to soar over all places in his flight. So Selvaggia’s forms were tossed into his crucible along with the movements of beasts, the lines of plants and stones, rays of light, billowings of clouds above the earth and the rippling of sea waves. Without thought for the girl, he lived in eternal meditation upon his crucible of forms. There came a time when nothing remained to eat in Uccello’s house. Selvaggia did not speak of this to Donatello or the others; she kept her silence and died. Uccello drew the stiffening lines of her body, the union of her thin little hands, her closed eyes. He no more realized she was dead than he had [ 134] PAOLO UCCELLO ever realized she was alive. But he threw these new forms among all the others he had gathered. The Bird grew old. His pictures were no longer understood by men, who recognized in them neither earth nor plant nor animal, seeing only a confusion of curves. For many years he had been working on his supreme masterpiece which he hid from all eyes. It was to embrace all his research and all the images he had ever conceived. The subject was Saint Thomas, incredulous, tempting the wrath of Christ. Uccello completed this work when he was eighty. Calling Dona¬ tello to his house he uncovered it piously before him and Donatello said: “Oh, Paolo, cover your picture!” Though The Bird questioned him, the great sculptor would say no more, then Uccello knew he had accomplished a miracle. But Donatello had seen only a mass of lines. A few years later they found Paolo Uccello dead in his bed, worn out with age. [ 135] IMAGINARY LIVES His face was covered with wrinkles, his eyes fixed on some mysterious revelation. Tight in his rigid hand he clutched a little parch¬ ment disc on which a network of lines ran from the center to the circumference and returned from the circumference to the center. [136]

NICOLAS LOYSELEUE

Judge l

NICOLAS LOYSELEUR Born on Ascension Day, he was dedicated to the Virgin, whose aid he invoked at all times during his life until he could not hear her name without his eyes would fill with tears. He was first schooled by a lean man in a little loft on the rue Saint-Jacques, where, after learning his psalms, donats and penitences with three other children, he laboriously acquired the logic of Okam. He soon became bachelor and master of the arts, for the venerable instructors found his gentle nature charmingly unctuous, as sweet words of adoration slipped easily from his fat lips. No sooner had he obtained his baccalaureate than the Church had its eye on him. He served first in the diocese of the Bishop of Beauvais who recognized his talent, using it to inform the English before Chartres how certain French captains were deploying. [ 139] IMAGINARY LIVES When he was about thirty-five years old they made him a canon of the Cathedral of Rouen, where he struck up a friendship with another canon and chorister, Jean Bruillot, with whom he psalmed fine litanies in honor of Mary. Now and again he saw fit to remonstrate with Nicole Coppequesne, one of the monks of his chapel, taking that brother gently to task for his unseemly devotion to Saint Anastasia. Transported at the thought of a clever girl so beguiling a Roman magis¬ trate, Nicole Coppequesne had a habit of carrying his ecstasies to the kitchen, flinging himself upon the pots and pans until his ardent embraces left him black in the face and smudgy as a demon. But Nicolas Loyseleur showed Nicole Coppequesne how much brighter was the power and the glory of Mary when she chose to resuscitate a drowned friar—a lewd friar surely, whose only salvation lay in his reverence to the Virgin. One night as Nicole Coppequesne [ 140 ] NICOLAS LOYSELEUR left his cell bent on celebrating one of his odious kitchen orgies, his course led him past the altar of the Blessed Lady, where he paused perforce in pious genuflection. And that night his lubricity was drowned in the river. The evil spirits who threw him in did not return to rescue him, but when the monks hauled his body out of the water the follow¬ ing day he opened his eyes after a time, revived by the grace of Mary. “Ah, what a choice remedy is such devotion!” breathed canon Nicolas Loyseleur. “How venerable, Coppequesne, and how discreet. Surely from this day you will renounce your Anas¬ tasia!” When the Bishop of Beauvais opened the process against Jeanne la Lorraine at Rouen the graceful persuasiveness of Nicolas Loy¬ seleur was not forgotten. Dressed as a lay¬ man, his shaven pate covered by a hood, Nicolas entered the small circular cell under the staircase where the prisoner was con¬ fined. [ i«] IMAGINARY LIVES “Jeannette,” he began, drawing back well into the shadows, “Sainte Katherine has sent me to you, Jeannette.” “And you,” said Jeanne, “in God’s name who are you?” “I am a poor cobbler from Greu,” Nicolas replied. “Alas for our unhappy country! The ‘Godons’ have taken me, too, my girl. I know you well, Jeanne. How many, many times have I seen you kneeling before the Holy Mother of God in the Church of Sainte-Marie of Bermont! I have often sat there with you while our good cure, Guil¬ laume Front, has said the mass. Do you remember Jean Moreau and Jean Barre of Neufchateau, Jeanne? They were my com¬ rades.” Jeanne wept. “Trust me, Jeannette,” urged Nicolas. “They made me a priest years ago. See? See my shaven head? Confess yourself to me, my child. Confess freely. Our gracious King Charles is my friend.” [ 142] NICOLAS LOYSELEUR “I will confess to you gladly,” said Jeanne. A small hole had been secretly cut in the wall beforehand. Outside the cell Guillaume Manchon and Bois-Guillaume prepared to write down the confession as Nicolas Loyseleur whispered: “Jeannette, tell me the truth. Tell me all . . . the English will not dare to harm you.” On the following day Jeanne was taken before her judges. Hidden by a thick serge curtain Nicolas Loyseleur sat with a notary in the hollow of a casement window. The notary was there to elaborate all charges against Jeanne in the record, and to leave her answers blank. When Nicolas appeared in the open court he made a little sign to prevent her from showing her surprise. Then he assisted the severe examination. On the ninth of May, in the main tower of the Chateau, he declared that the need for torture was urgent. [ 143] IMAGINARY LIVES On May the twelfth all the judges assem¬ bled with the Bishop of Beauvais to decide if Jeanne should be tortured. Guillaume Erart thought it unnecessary. Enough ma¬ terial had been obtained without that meas¬ ure, he said. In Master Nicolas Loyseleur’s opinion it would be well to torture her for the good of her soul, but his advice was not followed. On the twenty-fourth of May they led her to the cemetery of Saint-Ouen, where they tied her to a scaffold with her feet on a pile of faggots. While Guillaume Erart prayed, Nicolas Loyseleur was close beside her, whispering in her ear. Menaced by the fire, she grew deathly white as Nicolas caught her in his arms and with a quick glance at the judges, cried out: “She will confess.” When she passed him again at the low door of the prison he kissed her fingers. “Please God, Jeannette,” he said, “this day has been well for you. Your soul has been saved, Jeanne. Only trust me and you [ 144 ] NICOLAS LOYSELEUR shall be free. Resume the modest garments of your proper sex. Do as you are told else you are still in danger. Obey me, Jeanne, and you shall be saved. You are a good girl; there is no evil in you. But you are in the power of the Church. You must remember that.” After dinner he visited her in her new prison, an apartment in the Chateau, reached by eight stairs. Nicolas sat down on the bed to which a heavy block was fastened by an iron chain. “My Jeannette,” he began, “God and Our Lady have been merciful to you this day, for they have shown you the grace and mercy of our Holy Mother the Church. When the judges and holy men command you must obey humbly. You must give up your old ideas or the Church will abandon you forever. See, Jeanne—here are honest garments of a modest girl. Be quick to shear those boyish locks.” Four days later Nicolas returned while [ 145 ] IMAGINARY LIVES Jeanne was asleep and stole the skirt and smock he had given her. When they told him she was again in man’s clothing he ex¬ claimed : “Alas, I fear she’s sunk too deep in evil.” And to the Archbishop in his chapel he repeated the words of Doctor Gilles of Duremort: “We, her judges, have but to declare Jeanne d’Arc a heretic, abandoning her to secular justice; praying they shall deal with her leniently.” Before they led Jeanne to the stake Nico¬ las reached her side with Jean Toutmouille. “Oh, Jeannette,” he pled, “hide the truth no longer for now you must think only of your soul’s salvation. Trust me, my child! Here, before all eyes, you must go down on your knees in public confession. Public, Jeanne! Humble and public . . . for the good of your soul.” Jeanne begged his help, fearing her cour¬ age there before the mob. [ 146 ] NICOLAS LOYSELEUR He stayed to see her burn. It was then he manifested his devotion to the Virgin so visibly. When Jeanne began to scream out in the name of Mary, Nicolas wept hot tears, strongly moved as he was at the very sound of Our Lady’s name. The English soldiers thought he cried out of pity for Jeanne, so they struck him and threatened him with their swords. Ifthe Count of Warwick had not protected him they would have cut his throat then and there. As it was he mounted one of the Count’s horses and rode away. For many long days he wandered over the roads of France, avoiding Normandy and the king’s men. Finally he reached Bale. Standing on a wooden bridge between tall pointed houses with blue and yellow tur¬ rets, roofed with arched, striated tiles, he was suddenly dazzled 15y the glare of the Rhine. He saw himself drowning like the lewd friar, Nicole Coppequesne, in the green water whirling before his eyes, and Mary’s name choked in his throat as he died with a sob. [ 147 [

KATHERINE THE LACEMAKER

Girl of the Streets

KATHERINE THE LACEMAKER She was born about the middle of the fifteenth century, in the rue de la Parcheminerie near the rue Saint-Jacques, during a winter so cold that wolves ran over Paris on the snow. An old woman with a red nose under her hood took Katherine in and brought her up. At first she played in the doorways with Perrenette, Guillemette, Ysabeau and Jehanneton, who wore little petticoats and gathered icicles, chilling their small red fists in the icy gutters. They would watch the neighborhood boys whistle at passers-by from the tables of the SaintMerry tavern. Under open sheds they saw buckets of tripe, long fat sausages and big iron hooks from which the butchers hung quarters of meat near Saint-Benoit le Betourne, where the scriveners lived. They heard the scratching of quills in little shops, [151] IMAGINARY LIVES and in the evening saw clerks snuff out their flickering candles. At Petit-Pont they mocked the sidewalk orators, then scam¬ pered away to hide among the angles of the rue des Trois-Portes. After that they would sit together along the fountain’s curb and chatter until nightfall. So Katherine passed her first youth, be¬ fore the old woman taught her to sit in front of a lacemaker’s cushion, patiently crossing the threads from the bobbins. Later on she wrorked at that trade. Jehanneton became a capemaker, Perrenette a washerwoman, while Ysabeau made gloves and Guillemette, happiest of all, was a sau¬ sage-maker, with her little face crimson and shining as if it had been rubbed in fresh pork blood. For the boys who played at the Saint-Merry new enterprises began. Some went to study on Mount Sainte Gene¬ vieve, some drove carts to Trou-Perrette, some clinked goblets of Aunis at the Pomme de Pin, others quarreled at the Hotel de la [ 152] KATHERINE THE LACEMAKER Grosse Margot. At noon they were seen in the tavern entrance on the me aux Feves; at midnight they left by the other door on the rue aux Juifs. As for Katherine, she continued to interwork the threads of her lace. On summer evenings she found it pleasant sitting on the church steps where they let her laugh and gossip. Katherine wore an unbleached dress with a green jacket over it. Absorbed in the problems of clothes, she hated nothing so much as the padded garments worn by girls not of noble birth. She was fond of money —equally fond of the silver testons or ten sou pieces, the blancs, and above all of the golden ecus. That was how she made the acquaintance of Casin Cholet, sergeant of the yard at Chatelet, one evening in the shadow of his little office. Casin was poorly paid. Katherine often had supper with him at the Hotel de la Mule, opposite the Church des Mathurins, and after supping Casin would go out to steal chickens around the [ 153] IMAGINARY LIVES moats and ditches of Paris, bringing them back under the folds of his wide tabard, selling them very fairly to Machecroue, widow of Arnoul, who kept the poultry shop at the Petit-Chatelet gate. Soon Katherine gave up her lacemaking, for the old woman with the red nose was now rotting her bones in the Cemetery des Innocents, and Casin Cholet had found his little friend a basement room near TroisPucelles, where he came to her late at night. He did not care if she showed herself at the window, her eyes blackened with charcoal, her cheeks smeared with white lead—he never forbade it; and all the pots, cups and dishes offered by Katherine to those who paid well, were stolen by Casin from various inns—from the Chaire, the Cynges or from the Hotel du Plat d’Etain. The day he pawned Katherine’s belted dress at the Trois-Lavandieres Casin Cholet disap¬ peared. His friends told her he had been caught snooping in the bottom of a cart, [ 154 ] KATHERINE THE LACEMAKER that he had been soundly beaten and driven out of Paris by the Baudoyer gate at the order of the provost. She never saw him again. Having no heart to earn her living alone, she became a girl of the streets, dwell¬ ing wherever she could. At first she waited by the tavern doors, and those who knew her took her behind walls, under the Chatelet or around by the College of Navarre. When it grew too cold for this, a complaisant old woman let her come into a bath-house where the madame gave her shelter. She lived there in a stone room strewn with green rushes, and they let her keep her name, Katherine the Lacemaker, though she made no more lace. Sometimes they gave her liberty to walk through the streets if she promised to return by the hour the men were accustomed to arrive, then Katherine would go peering into the glove shops and the lace shops, but most of all she envied the red face of the little sausage-maker, laughing among her chunks [ 155 ] IMAGINARY LIVES of pork. Afterwards she would go back to the house, which the madame lighted at dusk with candles that melted and dripped thickly behind black panes. Finally Katherine grew tired of living shut up in a square room. She ran away to the roads. From that time on she was no longer Parisienne or lacemaker, but one of those women who haunt the outskirts of French towns, waiting by cemetery walls for any man who passes. These women know no names but those which suit their faces, and they ' called Katherine “The Snout.” She tramped the fields, where her white face was often seen peeping between the mulberry trees or over the hedges. Evenings, she sat by the roadside, and she learned to control her fear of the dark in the midst of the dead, while her feet shivered against the stone-marked graves. No more white money, no more silver testons, no golden ecus; Katherine lived thinly now on [ 156] KATHERINE THE LACEMAKER bread, cheese and a jug of water. She had vagabond friends who cried, “Snout! Snout!” at her from afar—and she loved them. The chapel bells were her greatest loss, d for The Snout would remember June nights when she had spread her green jacket out on the church steps. Those were the days when she had so envied young ladies in their gay dresses. But now there remained to her neither cape nor jacket. Bareheaded, she crouched on the stones waiting for her bread. In the thick shadows of the ceme¬ teries she regretted those red candles at the house with the square room, and the green rushes underfoot, instead of black mud stick¬ ing to her boots. One night a tramp came along dressed up like a soldier. He cut The Snout’s throat to get her purse, but he found no money in it. [ 157 ]

ALAIN THE GENTLE

Soldier

ALAIN THE GENTLE From the age of twelve he served Charles VII as an archer, for he was brought up by men-at-arms in the flat country of Nor¬ mandy and the circumstance of his adoption was the following. When the armies came through that region, burning barns, skinning the legs of peasants with their sheath-knives and flinging young girls down broken on their beds, Alain was hid in an empty cask at the door of a wine press, and when the soldiers tumbled the cask upside down they found him. They carried him away just as he was, in his shirt and his perky petticoat, to the captain of the troop, who gave him a little leather jacket and a cape that had been through the battle of Saint-Jacques. Perrin Godin taught him how to draw a bow and how to gamble at cards. In this com¬ pany he passed through Bordeaux, Angou- [161] IMAGINARY LIVES leme and Poitou to Bourges; saw SaintPourcain where the king sat beyond the marches of Lorrain; visited Tout; returned to Picardy; entered Flanders; crossed SaintQuentin and turned again toward Nor¬ mandy. During his twenty-three years of military travel he met the Englishman,Jehan Poule-Cras, from whom he learned British curses; Chiquerello the Lombard, who in¬ structed him in the cure of Saint-Anthony’s fire; and young Ydre de Laon, who taught him how to pull down breastworks. At Ponteau de Mer his comrade, Bernard d’Anglades, persuaded him to quit the royal courtage. Together, declared Bernard, he and Alain could make a fat living cheating with loaded dice, which they called “gourds.” They deserted their command forthwith, not even pausing to discard their uniforms, and set up their game on the head of a stolen drum behind a cemetery wall. After watch¬ ing them a while, a rascally sergeant of the guard named Pierre Empongart told them [ 162] ALAIN THE GENTLE they were sure to be caught and caught soon unless they became priests in order to escape the king’s men and claim the protection of the Church. They must clip their pates, he explained, and throw away their slashed doublets and colored sleeves if cornered. After shearing themselves then and there, he made them repeat a Dominus pars. They strutted away, one on each side of the road, Bernard with Bietrix la Claviere and Alain with Lorenette la Chandeliere. Lorenette wanted a green cloth jacket, so Alain went back to the White Horse tavern at Lisieux where they had recently bought a jug of wine. That night he crept into the garden, made a hole in the wall with his pike, and so gained the hall of the inn where he found seven brass ecus, a red hat and a gold ring. Jaquet le Grand, pawnbroker of Lisieux, changed this assortment for a jacket such as Lorenette desired. When they reached Bayeaux Lorenette went to live in a small painted house of none [ 163 ] IMAGINARY LIVES too scrupulous reputation. Alain the Gentle wanted her back again, but when he went for her the mistress of the house showed him the door, candle in one hand, a dangerouslooking rock in the other, asking him if he would like to have his muscles rubbed to drive away the boils. Alain ran away, but he knocked the candle out of the woman’s hand as he went, grabbing what he thought was a precious ring from her finger. It turned out to be only a big pink pebble in a brass setting. Alain left Lisieux to wander aimlessly along the roads. In the Hotel de Papegaut at Maubusson he found one of his old com¬ rades in arms, Karandas, eating tripe with another fellow by the name of Jehan Petit. Karandas was still carrying his halberd while Jehan Petit wore a purse in his belt with pretty silver trinkets dangling from it. His belt buckle was solid silver too. After some drinking all three decided to walk through the woods to Senlis. It was late [ 164 ] V ALAIN THE GENTLE when they took the road, and when they were deep in the darkness of the wood Alain the Gentle prepared himself. Jehan Petit walked just ahead of him; there in the dark Alain let him have the pike straight between the shoulders while Karandas brought his halberd down across his head. Jehan fell flat on his face, then Alain was over him at a stride, cutting his throat from ear to ear. Afterwards Alain stuffed the hole in his neck with dry leaves to avoid leaving a marsh of blood on the path. The moon rose clear above the trees. Alain cut the silver buckle from the dead man’s belt and clipped the pretty silver trinkets dangling on his purse. There were sixteen lyons, gold, in the purse, with thirty-six patars. Alain kept the lyons, tossing the purse and the trinkets to Karandas for his pains, but holding his pike well poised as he did so. There in the bright moonlight they parted, each his own way, Karandas swearing by the blood of God. [165] IMAGINARY LIVES Since Alain the Gentle dared not go on now to Senlis he returned to the city of Rouen. He spent the night under a blos¬ soming hedge and woke surrounded by mounted men who bound his hands and led him off to prison. As they neared the gates he contrived to slip behind one of the horses, making a dash for the church of SaintPatrice, where he managed to gain the sanc¬ tuary of the High Altar. His captors of a moment before were not permitted to pass the door of the sacred building. Safe while he remained there, Alain walked freely up and down the nave and the choir, admiring the fine chalices of rich plate and the other vessels, thinking how nice they would be melted down. The following night he had two companions, Denisot and Marignon, thieves like himself. One of Marignon’s ears had been cropped off. Soon they thought of nothing but food, envying the little prowling mice that nested between the flagstones and fattened on crumbs of holy [ 166] ALAIN THE GENTLE bread. When the third night came hunger drove them out, all three, and the waiting guardsmen seized them. Alain cried “clerk” —but forgot to take off his green sleeves. Gaining a moment’s retirement for an urgent purpose, he tried to disguise those telltale sleeves by plunging his arms up to the elbows in manure. The sergeant of the guards caught him at it, however, and told the magistrate. A barber shaved Alain’s head clean, effacing his priestly tonsure. The judges laughed at the grotesque Latin of his psalms, though he had the audacity to swear a bishop had ordained him with a box on the ear when he was ten years old. He could not begin to say his pater-nosters. They put him to the question like a layman, first on the greater question, then on the lesser. Down by the fires in the kitchen prison he declared all his crimes, his limbs swollen by shackles and his throat racked. A lieutenant pronounced his sentence through the town. Tied to the tail of a [ 167] IMAGINARY LIVES cart, he was dragged all the way to the gallows and hanged. His body grew sun¬ burned after a time, for the hangman took his jacket, his green sleeves and the fine cloth cape trimmed with fur which he had stolen out of a tavern. [ 168]

GABRIEL SPENCER

Actor

GABRIEL SPENCER His mother was a woman named Flum who had a little basement in Piked-Hatch at the end of Rotton-Row. After supper a captain with brass rings on his fingers used to come to see her, along with two gallants in loosened doublets. Flum lodged three girls named Poll, Doll and Moll, and none of them could stand the smell of to¬ bacco. Frequently when they retired to the rooms above, the polite gentlemen would accompany them after first taking a glass of Spanish wine to wash away the taste of their pipes. Little Gabriel used to sit on the hearth watching them roast apples to put in their ale-pots. Actors of all sorts came there too—actors who dared not show themselves in the big taverns where the famous entertainers went. Some of them boasted in the grand manner, others stuttered [ 171] IMAGINARY LIVES like idiots. They often played with Gabriel, teaching him tragic verse and rustic jokes, and once they gave him a scrap of giltfringed crimson drapery with a velvet mask and an old wooden dagger. Then he paraded up and down all alone in front of the fireplace until his mother’s triple chins shook in a quiver of admiration for her pre¬ cocious child. Later on the actors took him to the Green Curtain in Shoreditch, where he trembled to see the excessive rage of a little comedian hurling his way through the role of Jeron¬ imo. They showed him old King Lear with his wild white beard, kneeling for pardon before his daughter Cordelia. A clown imi¬ tated the follies of Tarlton, while another, wrapped in a bed-quilt, terrified Prince Hamlet. Sir John Oldcastle made every¬ body laugh with his fat belly, most of all when he snatched his hostess around the waist while she permitted him to rumple her bonnet and slide his fat fingers into the [ 172] GABRIEL SPENCER buckram sack hanging from her belt. The fool sang songs the idiot never could under¬ stand. A clown in a cotton hat kept stick¬ ing his head out from behind the wings to make faces. They had a juggler, too, with monkeys, and a man dressed up like a woman, whom Gabriel thought looked like his mother, and whom the beadles with their tall maces came stalking to at the end of the piece, dressing him in a rich blue robe, de¬ claring they would carry him off to Bride¬ well. When Gabriel was fifteen the Green Cur¬ tain players noticed that he was pretty and slim enough to play the parts of women or young girls. He had very white skin and large eyes under fine arched brows. Comb¬ ing down his unruly black hair, Flum pierced his ears to hold a pair of imitation double pearls. He joined the Duke of Notting¬ ham’s troupe where he was given dresses of taffeta and damask with spangles of gold and silver foil, laced corsets, and hempen [ 173] IMAGINARY LIVES wigs with long curls. During rehearsals they taught him to act. He blushed at first when he found himself on the stage, but he was soon responding mincingly to gallan¬ tries. Bustling with excitement, Flum brought Poll, Doll and Moll to see him. He must really he a girl, they declared, laughing, and they said they certainly meant to unlace him after the play. They took him back to Piked-Hatch, where his mother made him put on one of his dresses to show the captain, who begged him a thou¬ sand mock pardons as he placed a cheap gold-plated ring set with a glass carbuncle on his finger. Gabriel Spencer’s best friends were William Bird, Edward Juby and the two Jeffs. One summer they toured the coun¬ tryside with a company of vagabond actors, traveling in a tilt-covered wagon that served them also as a shelter when they halted for the night. On the way to Hammersmith one evening, a man stepped out of the road- [ 174] GABRIEL SPENCER side ditch and showed them the muzzle of a pistol. “Your money!” he demanded. “I am Gamaliel Ratsey, highwayman, by the grace of God . . . and I don’t like to wait.” The two Jeffs responded with a wail: “Money we have not, your grace . . . only a few brass spangles and tinted rags. We are poor wayside actors, like your patron lady herself.” “Actors!” said Gamaliel. “Now this is well met. No rogue nor gamester I, but a good friend of these spectacles. Had I not a certain respect for Old Derrick, waiting to drag me up the ladder and stretch my neck for me, I’d never quit the river banks and happy taverns where you, my sirs, are customed to display such spirit. Welcome ye are this fine night, so up with your stage and give me your best. . . . Gamaliel Ratsey listens. That’s not a common thing and you can tell it in the towns.” [ 175] IMAGINARY LIVES “But it will cost us money,” ventured the two Jeffs timidly. “Money!” exclaimed Gamaliel. “Who speaks to me of money? I am king here as Elizabeth is queen in the city, and I’ll pay you royally. Forty shillings for you.” Trembling, the actors came down from their wagon. “Please your majesty,” asked Bird, “what would you have us play?” With his eyes on Gabriel Spencer, Gama¬ liel Ratsey reflected. “Faith,” he said at last, “a pretty piece for this missy, and damn well melancholy. She’ll make me an Ophelia with those flower fingers . . . true fingers of death, she has. ‘Hamlet,’ that’s what ye’ll do, for well I like the humors of that composition. Were I not Gamaliel I might be Hamlet himself.” They lighted the lanterns. Gamaliel watched the performance attentively. When it was over he said to Gabriel Spencer: “Sweet Ophelia, I will excuse you from [ 176} GABRIEL SPENCER further compliment. You are free, actors of King Gamaliel. His majesty is satisfied.” Whereupon he disappeared into the dark¬ ness. As the wagon started off at dawn they found him again barring the way, pistol in hand. “Gamaliel Ratsey, highwayman,” he said, “has come for King Gamaliel’s forty shil¬ lings.” The two Jeffs promptly gave it over. “Now get on with you!” ordered Gama¬ liel. “My thanks for the play; decidedly the humors of Hamlet please me infinitely. All courtesies to Ophelia.” And with that he galloped away. Following this adventure the troupe re¬ turned to London, where they told a great tale of a mistaken robber stealing their Ophelia, skirts, wig and all. A girl named Pat King, who often came to the Green Curtain, declared she was not a bit surprised. She had a plump face and a round body. [ 177] IMAGINARY LIVES When Flum invited her home to meet Gabriel she found him pretty and kissed him sweetly. After that she came back fre¬ quently. Pat was the mistress of a brickmaker who disliked his trade, having an ambition to become an actor at the Green Curtain. His name was Ben Jonson and he was very proud of his education, being a clerk with some knowledge of Latin. He was a big square man, scarred by scrofula; his right eye was higher than his left and he had a loud harsh voice. This colossus had seen service as a soldier in the Low Countries. One day he followed Pat King, seized Gabriel by the scruff of the neck and dragged him out to Hoxton field, where he made him stand up and face him, sword in hand. Flum managed to slip Gabriel a blade ten inches the longer, and this passed through Ben Jonson’s arm. Stabbed through the lung, Gabriel died there on the grass. Flum ran for the constables, who carried [ 178] GABRIEL SPENCER Ben Jonson off swearing to Newgate. Flum hoped they would hang him but he recited his Latin poems to show he was a clerk, so they only branded him on the hand with a red-hot iron. [ 179]

POCAHONTAS

Princess ! I

POCAHONTAS Pocahontas was the daughter of King Powhatan who ruled from a couch-like throne draped in coon-skin robes with all the tails hanging down. She was raised in a house made of plaited reeds, among priests and women whose faces and shoulders were painted vivid red, and who amused her with leather toys and snake rattles. Namontak, a faithful old servant, watched over the prin¬ cess while she played; sometimes they took her into the woods beside the wide Rappa¬ hannock River where thirty young girls would dance for her. They would he tinted bright colors and girdled with green leaves, having goats’ horns on their heads and otter skins in their belts as they shook their clubs, leaping around a crackling fire. The dance they would stamp out the fire and [ 183] over, IMAGINARY LIVES return with the princess in the glowing light of smoldering embers. During the year 1607 the land of Poca¬ hontas was troubled by Europeans. Ruined gentlemen, criminals and gold seekers came down the Potomac and built log cabins. To this scattered group of huts they gave the name Jamestown and they called their col¬ ony Virginia. In those first years Virginia was no more than a small impoverished fort on Chesapeake Bay, surrounded by the domains of the great King Powhatan. For their leader the colonists chose Captain John Smith, who earlier had sought adventure in the East among the Turks. Under his command they wandered along the rocks, living on shellfish together with what little grain they were able to secure through traffic with the Indians. At first they were received with great ceremony. A native priest came to them playing a reed flute, his braided locks crowned by a diadem of elk hair tinted red [ 184] _POC AHONTAS1 and arranged in rosettes. His body was painted crimson, his face blue, and he glit¬ tered from head to foot with ornaments of native silver. Straight and grim, he squat¬ ted on a carpet of mats, smoking a pipe filled with tobacco. Then others came, forming a solid square around the white men. Some were painted black, others red or white or in variegated colors. They sang and danced before their idol, which they called Oki—an image made of snake skins stuffed with mosses and hung with copper chains. In spite of this show of friendliness, Cap¬ tain Smith was assailed a few days later while exploring the river, and was taken and bound. Amid wild war-cries he was carried away to a long-hut to be left there under a guard of forty savages. Priests with eyes made red and black faces crossed by broad white bands circled around the fire sprin¬ kling grains of wheat on the ground. Then John Smith was conducted to the house of [ 185] IMAGINARY LIVES the King. Powhatan sat cloaked in his fur robes; near him were other chieftains, their locks filled with feathers. A woman brought water for John Smith to bathe his hands, and another dried them on a tuft of down. Meanwhile two red giants placed flat stones at Powhatan’s feet, and the King raised his hand in a sign for John Smith to kneel there and be beheaded. Advancing timidly through the circle of painted chiefs, Pocahontas threw herself be¬ fore the Captain, her head against his cheek. She was only twelve years old. John Smith was twenty-nine. On his aquiline face he wore big straight mustaches and a fan¬ shaped beard. Pocahontas, they told him, was the name of the princess who had saved his life. But that was not her real name. Powhatan made peace with John Smith and set him free. A year later Captain Smith camped with his men in a dense woodland one night when a penetrating rain deadened all sound. [ 186] POCAHONTAS Suddenly Pocahontas touched his shoulder. Alone she had come through the dark to warn him how her father planned an at¬ tack, intending to kill the English while they sat at supper. She begged him to go at once if he wished to live. Captain Smith offered her beads and ribbons but she only cried, telling him she did not want them. Then she went away alone into the forest. The following year found Smith in dis¬ grace among the colonists and in 1609 he embarked for England. There he wrote books about Virginia, explained the colonial situation, recounted his adventures. About 1612 a certain Captain Argali, having gone to trade among the Potomacs (Powhatan’s tribe), took Pocahontas away as hostage. Her father was furious but she was not given back. She remained a prisoner until a gentleman of the court, one John Rolfe, became fascinated with her and married her. They say Pocahontas confessed her love for John Smith to a priest who visited her in [187] IMAGINARY LIVES her prison. In June, 1616, she reached London where her advent aroused much curiosity at court. Good Queen Anne re¬ ceived her kindly, ordering her portrait en¬ graved by a great artist. About to return to Virginia, Captain John Smith called to pay his respects before embarking. He had not seen Pocahontas since 1608; she was now twenty two. When he entered she turned her face away, re¬ plying neither to the words of her husband nor her friends, remaining alone and silent for several hours. Then she called for Smith, and raising her eyes she said to him: “You promised Powhatan whatever be¬ longed to you was his and he promised you the same. A stranger in his country, you called him father—I am a stranger in your country and I shall call you that.” Captain Smith excused himself from the familiarity, for, he explained, she was the daughter of a king. She replied: “You were not afraid to come to my [ 188] POCAHONTAS father’s country, and he dreaded you, he and all his people . . . excepting me. Here, do you think I shall not call you my father? I will say ‘my father’ and you shall say ‘my child’ and I will belong to your people al¬ ways. . . . They told me over there that you were dead.” Her name, she confided secretly to John Smith, was Matoaka. Fearing witchcraft, the Indians had falsely reported it to be Pocahontas. John Smith sailed for Virginia. He never saw Matoaka again. When she sickened at Gravesend shortly after the beginning of the following year, she soon grew pale and died. She was not quite twenty-three. Her portrait carries this inscription: “Matoaka alias Rebecca filia potentissimi principis Powhatani imperatoris Virgince ” It shows poor Matoaka in a high felt hat with two garlands of pearls, a ruffed col¬ larette of lace and a plumed fan. Her face appears wan, her cheekbones are high and her large eyes are soft. [ 189]

CYRIL TOURNEUR

Tragic Poet

CYRIL TOURNEUR Cyril Tourneur was born out of the union of an unknown god with a prostitute. Proof enough of his divine origin has been found in the herioc atheism to which he suc¬ cumbed. From his mother he inherited the instinct for revolt and luxury, the fear of death, the thrill of passion and the hate of kings. His father bequeathed him his de¬ sire for a crown, his pride of power and his joy of creating. To him both parents handed down their taste for nocturnal things, for a red glare in the night, and for blood. The exact date of his birth is not known, though we are told that he appeared one dark day during a pestilential year. No celestial protector watched over the whose body was swollen with this [ 193] woman IMAGINARY LIVES infant god, for the plague touched her sev¬ eral days before her confinement, and the door of her little house was marked with a red cross. At the moment when Cyril Tourneur was coming into the world the sexton at the cemetery began to toll the bell for the burial of the dead. Then, quite as his father had disappeared into that heaven common to all gods, so a green cart dragged his mother away to the common grave of men. That night is said to have been so dark that the sexton had to hold a torch by the pesthouse door while the grim carter gathered his load. Another historian tells us how the mists upon the river Thames (by Cyril Tourneur’s birthplace) were shot with scarlet rays while the sound of the bells was like the barking of cynocephales. There is little doubt but that a real star rose flam¬ ing over the house-tops. The new-born child shook his feeble fists as its fiery, malev¬ olent gleams mottled his upturned face. [ 194 ] CYRIL TOURNEUR So came Cyril Tourneur into the empty vastness of the Cimmerian night. It is impossible to discover what were his thoughts or habits before he reached the age of thirty. The signs of his latent divinity had no record, nor do we know how he first recognized his hidden sovereignty. An ob¬ scure list of his blasphemies has come to light. From this document we know that he declared Moses nothing more than a jug¬ gler, while one named Heriot, he said, was an infinitely cleverer juggler than Moses. The beginning of religion, according to Cyril, consisted in terrorizing man. Christ, he held, merited death more than Barabbas, though Barabbas were thief and murderer. Should he, Cyril Tourneur, write a new re¬ ligion, he said, he could vow to establish it upon a finer, more admirable basis. He thought the style of the New Testament wholly repugnant. He declared that his right to coin money was as good as the queen of England’s, and furthermore, that [ 195] IMAGINARY LIVES he knew a man named Poole, a prisoner at Newgate, with whose aid he meant some day to strike gold pieces in his own image. A pious soul has erased the more terrible af¬ firmations from this document. Cyril Tourneur’s words have been over¬ heard and his gestures thought to indicate an atheism even more vindictive. He has been represented to us cloaked in a long black robe, a glorious twelve-starred crown on his head, his feet resting on the celestial sphere while he holds the terrestrial globe in his right hand. Pale as a wax taper on an altar, with eyes deeply aglow like burning incense, he walked the streets on stormy nights when the pest was over the city. Some have said he had a strange mark like a seal on his right thigh, but the point will never be verified since no one saw his body naked after death. For mistress he took a prostitute from Bankside, a girl who had haunted the water¬ front streets. He called her Rosamonde. [ 196] CYRIL TOURNEUR His love for her was unique. On her blonde, innocent face the rouge spots burned like flickering flames, and she was very young. Rosamonde bore Cyril Tourneur a daughter whom he loved. Having been looked at by a prince Rosamonde died tragically, drink¬ ing emerald-colored poison from a trans¬ parent cup. Vengeance merged with pride in Cyril’s soul. Night came ... he walked the Mall, down the full length of that royal prome¬ nade, flourishing a torch of burning horse¬ hair to illuminate his face, this poisoner prince. Hatred of all who reign was in his mouth and on his hands. So he became a highwayman, not to steal but to assassinate kings. Various princes who disappeared in those days were lighted to their death by Cyril Tourneur’s torch before he killed them. He would lie in wait along the queen’s highway, hiding near some gravel pit or lime kiln. Selecting his victim from a group of [ 197] IMAGINARY LIVES travelers he would offer to guide the gentle¬ man through the quagmires. At the mouth of the pit he would extinguish his torch and hurl the unsuspecting man into the black hole. The gravel always gave way under their feet and Cyril would roll two enormous stones down to stifle the cries. In the dull glow of the kiln, he would sit through the night watching the cadaver as the lime con¬ sumed it. When Cyril Tourneur had thus satisfied his hatred for kings he was assailed by his hatred of the gods. The divine spark within him urged him on to original creation. He dreamed of founding an entire generation out of his own blood—a race of gods on earth. He looked at his daughter. She was pure and desirable. To carry out his plan under the eyes of heaven he chose a cemetery as the most appropriate scene. Vowing to brave death and create a new humanity in the heart of that destruction decreed by the [ 198] CYRIL TOURNEUR gods, Cyril Tourneur sought among old, dead bones to engender new ones. He car¬ ried out this project on the roof of a charnelhouse. The end of his life is lost in a haze of ob¬ scurity. We may not be sure what pen has given us the The Atheist’s Tragedy and the The Revenger’s Tragedy. One legend pre¬ tends that the pride of Cyril Tourneur went still farther. He is said to have raised a black throne in his garden. Several persons have seen him sitting there with his gold crown on his head, though they all ran away, frightened by the long blue aigrettes waving to and fro above him. He read the poems of Empedocles in the manuscript. He often expressed his admiration for the manner in which the ancient poet died. No one saw the manuscript of Empedocles after Cyril Tourneur disappeared. That year the plague was come again, and the people of London took refuge on barges floating mid¬ stream in the Thames. One night a meteor [ 199 J IMAGINARY LIVES flashed across the face of the moon. Moving with a sinister roar it whirled like a globe of white fire toward Cyril Tourneur’s house. On his black throne, in his black robes and his golden crown, the man waited for the comet. Like a battle on the stage, an omi¬ nous blast of trumpets sounded a funereal fanfare across the night. In a shimmering, sanguine blaze, Cyril Tourneur was borne away to some unknown god in the somber, stormy regions of the sky. [ 200 ]

WILLIAM PHIPS

Treasure Hunter

WILLIAM PHIPS William Phips was bom in 1651 near the mouth of the Kennebec River and those forests from which the shipbuilders cut their lumber. In a Maine village, poor and small, he dreamed his dreams of fortune hunting and adventure for the first time. There, in the sight of ships and makers of ships, the shifting, changing light from the New Eng¬ land seas brought to his eyes a gleam of sunken gold—a gleam of silver buried be¬ neath the sands. Wealth was out there under the sea, he believed, and he wanted it. He learned shipbuilding, earned a small stake, journeyed to Boston. Strong in his faith, he repeated this prophecy: “Some day I’ll command a king’s ship and own a fine brick house on Green Street.” In those days numerous shipwrecked Spanish galleons laden with gold lay rotting [ 203 ] IMAGINARY LIVES at the bottom of the Atlantic. Rumors of them stirred William Phips to the soul. When he learned of a mighty one, wrecked years ago near Port de la Plata, he sailed for London after scraping together all the money he could command, planning to fit out an expedition. He besieged the admi¬ ralty with petitions. They finally gave him The Rose of Algiers, carrying eighteen guns, and in 1687 he set sail for the un¬ known. He was thirty-six years old. The Rose of Algiers was manned by a crew of ninety-five. Adderly, the first mate, came from Providence. When the men first learned that Phips had set his course for the island of Hispaniola they were not over¬ joyed, for Hispaniola was a pirate strong¬ hold while The Rose of Algiers had every appearance of an honest craft. When they first touched land the sailors called a council between themselves with the intent of becoming gentlemen of fortune. While they were assembled on a little beach, [ 204 ]

WILLIAM PHIPS Phips stood at the prow of The Rose of Al¬ giers, scanning1 the sea. The ship’s carpen¬ ter chanced to overhear the crew’s con¬ spiracy and carried the tale at once to the captain’s cabin. Phips ordered one broad¬ side discharged at his mutinous men, then sailed away with several faithful sailors, leaving the rest marooned there, on a barren stretch of the archipelago. Adderly, the mate from Providence, managed to regain the vessel by swimming. They came to Hispaniola on a calm sea under a burning sun. Phips asked questions about all the vessels that had foundered in these waters during the past half century, in sight of Port de la Plata. An old Spaniard remembered one, showing Phips the very reef. It was a long, round rock with sides sloping away, down to the far depths of the clear, vibrant water. Perched in the rig¬ ging, Adderly laughed to see the waves go whirling in little ripples and eddies, as The Rose of Algiers made a slow tour of the [ 205 ] IMAGINARY LIVES reef, while all the men examined the trans¬ parent sea in vain. Phips stood on the fo’castle, tapping his foot, pacing up and down between the winches and spars. Once more The Rose of Algiers made a turn of the reef, but the ocean floor was all alike, with its wet sand patterned in concentric waves, and its feathery sea-verdure moving gently to the wash of the current. When The Rose of Algiers came about for her third tour of the reef the sun went down and the sea grew black. Then it grew phosphorescent. “There’s the treasure,” shouted Adderly through the darkness, pointing to the smoky gold streaking the surface of the sea. But the hot dawn of the tropics revealed an ocean clear and tranquil, and The Rose of Algiers continued her monotonous course. Eight days she held to it, until the men’s eyes burned red from their constant scrutiny of the limpid depths. Phips ran out of pro¬ visions. There was nothing to do but de- [ 206 ] WILLIAM PHIPS part, so he gave the order and The Rose of Algiers came about. At that moment Adderly spied an unusual cluster of pure white seaweed growing on a side of the reef. He wanted it, so one of the Indians plunged, plucked the thing and brought it up, hang¬ ing straight and heavy from his hand. It was strangely heavy, the twisted roots seem¬ ing to entwine themselves around some form not unlike a pebble. Adderly swung the roots down against the deck to rid them of this weight, and a bright object rolled out sparkling in the sunlight. Phips yelled aloud. It was a lump of silver worth three hundred pounds. Adderly waved the white seaweed stupidly while the Indians began to dive. Within a few hours the deck was covered with old sacks as hard as stone, pet¬ rified, grown over completely with barnacles and little shells. When they were split open with cold chisels and mallets a stream of gold and silver nuggets and pieces of eight came pouring out of the holes. “God be [ 207 ] IMAGINARY LIVES praised!” cried Phips, “our fortune is made.” In all, the treasure amounted to three hun¬ dred thousand pounds sterling. Adderly kept repeating, “and all that came out of the root of a white seaweed!” He died at Bermuda several days later, raving mad. Phips brought his treasure back. The King of England made him Sir William Phips, naming him High Sheriff of Boston. There he realized his dreams when he built a fine house of red brick on Green Street. He became a man of some importance. It was he who led the campaign against the French possessions, taking Arcadia from de Meneval and de Villebon, whereupon the king made him Governor of Massachusetts and Captain-General of Maine and New¬ foundland. His strong-boxes were now heaped with gold. Then he set out to cap¬ ture Quebec after gathering up all the loose money in Boston to fund his project. The enterprise failed and the colony was ruined. Phips tried issuing paper money, giving out [ 208 ] WILLIAM PHIPS his own gold in exchange, hoping by that measure to increase the value of the paper. But fortune had turned. The paper could not be upheld and Phips lost everything. Soon he found himself poor, in debt, har¬ assed by his enemies. His prosperity had only lasted eight years. As he was embark¬ ing miserably enough, for London, he was arrested in default of twenty thousand pounds at the request of Dudley and Brenton, and was taken to Fleet Prison. They locked Sir William Phips in a bare cell. The only thing he had saved was the silver nugget that brought him his fortune— the silver nugget from the white seaweed. Fever and despair were on him: death took him by the throat. He struggled, haunted by visions of treasure. The galleon of the Spanish governor Bobadilla had gone down, loaded with gold and silver, in the vicinity of the Bahamas. Gaunt with fever and his last, furious hope, Phips sent for the keeper [ 209 ] IMAGINARY LIVES of the prison. Holding out his silver nugget in his shriveled hand, he mumbled crazily: “Let me dive—here, see? Here is one of the nuggets of Bo-ba-dil-la!” Then he died. The nugget from the white seaweed paid for his coffin. [210]

CAPTAIN KIDD

Pirate \ CAPTAIN KIDD How this pirate came by the name of Kidd is not altogether clear. The act through which William the Third of Eng¬ land granted him his commission of the Ad¬ venture in 1695 began with these words: “To our faithful and well loved captain, William Kidd, commander . . . greetings.” Certainly from that time on it was a name of war. In battle or maneuver some say he always had the elegant habit of wearing delicate kid gloves with revers of Flanders lace. Others declare he would cry out dur¬ ing his worst butcheries: “Me?—why, I’m as meek and mild as a new-born kid!” Still others there are who say he stored his treas¬ ure in sacks made from the skins of young goats, the custom dating from the time he pillaged a ship laden with quicksilver, emp¬ tying a thousand bags of this metal which [213] IMAGINARY LIVES remain buried even now on the slopes of a little hill in the Barbadoes. It is enough to know that his black silk flag was blazoned with a death’s head and the head of a goat, and his seal graven with the same emblems. Some who have hunted the numerous treas¬ ures Kidd buried in Asia and America have driven a little goat before them, thinking it would bleat if it crossed the Captain’s path, but no one has ever found his hidden gold. Guided by Gabriel Loff, one of Kidd’s old sailors, Blackbeard himself searched the dunes where Fort Providence now stands, finding no more than a few traces of quick¬ silver oozing up through the sand. All this digging has been useless, for Kidd himself told how his secrets would remain eternally undiscovered because of the “man with the bloody bucket.” He was haunted by this man all his life, and his treasures have been haunted and defended by him ever since. Irritated by the enormous amount of pi¬ racy in the West Indies, Lord Bellamont, [214] CAPTAIN KIDD governor of the Barbadoes, fitted out the galley Adventure, obtaining a commander’s commission for Captain Kidd. Long en¬ vious of the famous pirate, Ireland, Kidd promised Lord Bellamont he would capture Ireland’s sloop-o’-war together with the per¬ son of its master and all his crew, and bring them back for execution. The Adventure carried thirty guns and one hundred and fifty men. Kidd first put in at Madeira to take on wine; he then touched at Buena Vista for a supply of salt, and at last reached Santiago where he provisioned his ship com¬ pletely. From that point he set sail for the mouth of the Red Sea, the Persian Gulf and a little island called the Key of Bab. It was there he raised the skull and crossbones and reorganized his crew. Assembled on the ship’s hatch, he swore them all to absolute obedience of the rules of piracy. Each man had a right to vote and a right to equal shares of fresh provisions and strong liquors. Cards and dice were for- [ 215] IMAGINARY LIVES bidden. All lights out by eight at night; if a man would drink later he must drink on deck under the open sky. The company re¬ ceived neither woman nor boy. Should they be found in disguise death was the penalty. Guns, pistols and cutlasses always to be held in readiness. Quarrels to be settled on land with saber or pistol. Two parts of the spoils were for captain and quartermaster, one and a half parts for mate, bos’un and gunner, one part and a quarter for other officers. Rest for the musicians on the Sabbath Day. The first ship encountered was Dutch, commanded by Skipper Mitchel. Kidd broke out the French flag and gave chase. The other vessel raised the same colors, at which Kidd hailed her in French, and when the pirate boarded the Dutch ship with his crew, Skipper Mitchel called out a French¬ man from among his own men to act as inter¬ preter. Kidd asked him if he had a passport, and to his affirmative, replied: “Well, by God, if you’ve got a passport I’ll make you [ 216] CAPTAIN KIDD captain of this ship.” Then he had him hanged from the yard-arm, afterwards bringing the Dutchmen up one by one, questioning them, pretending not to hear their Flemish names and condemning them with these words: “French?. . . the plank J” A plank was swung over the side. All the Dutchmen walked it naked, stepping into the sea at the point of the bos’un’s cutlass. Moore was Kidd’s gunner. Moore was drunk. Raising his voice he asked: “Cap¬ tain, why are you killing these men?” Kidd picked up a heavy bucket and went for him, and Moore fell with his brains spilling out of a skull split wide. There were mat¬ ted hairs glued to the bucket in a curd of blood, so Kidd ordered it washed, but none of the crew would ever use it again. They left it hanging in the rigging. A voice unheard by any save himself cried out behind Kidd’s shoulder: “Fill a bucket!” He whirled on it but his cutlass [217] IMAGINARY LIVES slashed only empty air, and he wiped a fleck of foam from his lips. Then he hanged some Armenians. When Kidd attacked the Lark he slept stretched out on his bunk after the division of the loot. Waking in a heavy sweat he called for water to bathe himself. A sailor brought it in a pewter basin. Star¬ ing at that common receptacle Kidd ex¬ claimed: “Is that what you bring a gentle¬ man of fortune ... a bucket of blood?” The sailor fled; later Kidd drove him from the ship, marooning him on a remote rock with a rifle, a powder-horn and a flask of water. When Captain Kidd buried his famous treasures in so many lonely places he had no other reason but the persuasion that his murdered gunner came every night with his bloody bucket to dig up the gold and hurl it into the sea. Captured at last in New York, Kidd was sent by Lord Bellamont to London where he was tried and hanged on Execution Dock in his red cloak and his gloves. When the [218] CAPTAIN KIDD hangman placed the black Milan cap over his eyes, Kidd cried out: “Great God! he’s putting his bucket over my head!” The blackened corpse hung in chains for more than twenty years. [219]

WALTER KENNEDY

Unlettered Pirate s WALTER KENNEDY Captain Kennedy was an Irishman. He could neither read nor write. Under the great Roberts he rose to the lieutenant grade by merit of his talent for torture. He was perfection itself at the art of tightening a cord around a prisoner’s brow until his eyes popped out, or of tickling his face with a flaming palm leaf. When Darby Mullin was tried for treason aboard the Corsaire Captain Kennedy’s reputation became as¬ sured. Seated in a semicircle behind the wheel house, the judges assembled with their long tobacco pipes around a bowl of punch. Then the process began. They were about to vote the verdict when someone suggested another pipe before concluding the business. Kennedy rose, drew his clay from his pocket, spat and delivered himself of the following sentiments: [ 223 ] IMAGINARY LIVES “Great God, sirs, devil take me if we don’t hang me old comrade Darby Mullin. Dar¬ by’s a good lad and-the man who says he ain’t. And we’re gentlemen o’ fortune. Hell, Darby and me has bunked together: I love him with all me heart, I do. But Great God, sirs, I know him, the- He’ll never repent, devil take me if he will, eh, ain’t that so, Darby me lad? Good God, go ahead and hang him! Hang him by all means. And now, sirs, with the leave o’ the honorable company I’ll just step up and take a good swig to his health.” This discourse was considered admirable —as great as any of those noble military orations reported by the ancients. Roberts was enchanted, and from that day Kennedy became ambitious. Near the Barbadoes Roberts embarked in a sloop to pursue a Portuguese vessel. During his absence Ken¬ nedy forced his shipmates to elect him cap¬ tain of the Corsaire, then sailed away on an enterprise of his own making. He looted [ 224 ] WALTER KENNEDY and scuttled numerous brigantines and gal¬ leys carrying cargoes of sugar or tobacco from Brazil, not to speak of the gold dust and sacks of doubloons and pieces of eight. His black silk flag displayed a death’s head, two cross-bones, an hour-glass and a heart pierced by an arrow from which fell three drops of blood. With that insignia flying, he one day encountered a peaceable ship from Virginia, under the command of a Quaker named Knot. The pious man had neither rum, pistol, cutlass nor saber aboard. He was dressed in a long black coat topped by a broad-brimmed hat of the same color. “Great God!” exclaimed Kennedy. “Here’s a gay fellow! Now that’s what I like to see. No harm to my friend Captain Knot who wears such a joyful uniform.” “Amen,” responded Knot, “so be it.” Then the pirates threw gifts to the Quaker: thirty moidors, ten rolls of Bra¬ zilian tobacco and several packets of [ 225 ] IMAGINARY LIVES emeralds. Brother Knot picked up the moidors, the gems and the tobacco. “These be welcome gifts,” he said, “for they may be put to pious use. Ah, would to heaven all our friends who scour the seas were moved by such sentiments! The Lord accepts all restitutions. These are the flesh of the calf and the limbs of the idol Dagon that you offer, my friends, as sacrifice. Da¬ gon still rules in these wicked lands and his gold brings evil temptations.” “Dagon be damned,” roared Kennedy. “Great God, shut that snout of yours and have a drink.” Brother Knot bowed peacefully, though he refused the rum offered him. “My friends . . he began. “Great God,” interrupted Kennedy, “call us gentlemen of fortune!” “Friends and gentlemen,” Knot began for a second time, “strong liquors be goads of temptation our feeble flesh cannot endure. As for you, my friends . . [ 226 ] WALTER KENNEDY “Gentlemen of fortune, Great God!” cor¬ rected Kennedy. “As for you, friends and fortunate gentle¬ men,” continued Brother Knot, “you who be hardened by long years of strife against the Tempter, it is possible, nay, even prob¬ able I shall say, that you no longer feel his sting. But we, your friends, should be troubled, gravely troubled . < .” “To the devil with your troubles,” said Kennedy. “This man can talk, but I can drink better. He’ll fetch us to Carolina to see his fine friends who probably own some more limbs of the calf,” the pirate went on. “Eh, Captain Dagon?” “So be it,” agreed the Quaker. “But my name is Knot.” And he bowed again, the broad brim of his hat shaking in the wind. The Corsaire dropped anchor in a creek well known to the Quaker man, who prom¬ ised to return and bring his friends. He did return, that same night, leading a company [ 227 ] IMAGINARY LIVES of military sent by Governor Spotswood of Carolina. The man of God swore to his friends, those fortunate gentlemen, that his only motive was to prevent the introduction of tempting liquors into this profane land. When the pirates were arrested he said: “Ah, my friends, how mortified I am that this must be!” “Great God!” said Kennedy. “Mortified is the word.” He was put in irons and taken to London for trial. Old Bailey got him. He made his mark on all the questionnaires and on the receipt for his capture. His last dis¬ course was delivered on Execution Dock, where the wind from the sea swayed all the corpses of former gentlemen of fortune, still hanging in their chains. “Great God! what an honor,” said Ken¬ nedy, staring at the dangling cadavers. “They’re going to stick me up beside Cap¬ tain Kidd. He ain’t got any eyes left, but [ 228 ] WALTER KENNEDY it’s him all right—who else would be wear¬ ing such a grand crimson coat? He was elegant, Kidd was. And he could write. He knew his letters, he did;-me, what a fine hand! Pardon, Captain (he saluted the shriveled corpse in crimson). They, too, were gentlemen of fortune.” [ 229 ]

MAJOR STEDE-BONNET

Pirate by Fancy

MAJOR STEDE-BONNET Major Stede-Bonnet was a gentleman and a retired soldier living on his planta¬ tion in the Barbadoes in the year 1715. His fields of sugar-cane and coffee brought him a good income, and he had the pleasure of smoking tobacco he himself had cultivated. He had been unhappily married, for his wife, it was said, had driven him slightly mad, though his aberrations were only mild ones until after the quarantine. At first, his servants and neighbors humored them as mere childish fancies. Major Stede-Bonnet’s peculiarity was the following: on every possible occasion he made a scathing denouncement of all who lived and fought on land, then launched forth a flood of praise for seafaring men. The only names sweet in his mouth were those of Avery, Charles Vane, Benjamin [ 233 ] IMAGINARY LIVES Hornigold or Edward Teach, good hardy navigators, in his opinion, true men of en¬ terprise. They were all infesting the seas in the vicinity of the Antilles at that time, but if anyone called them pirates in his hear¬ ing the Major would exclaim: “Thank God, then, for these pirates, as you say, who give us an example of such free lives as our forefathers led. They had no rich men in their days, no women coddlers, no slaves to fetch them sugar and cotton and indigo, but one generous God distributing all things and to each man his just part. That’s why I like these fine free fellows who live as companions in fortune, dividing the prizes between them.” Tramping over his plantation, the Major often stopped to thump some laborer on the shoulder, saying: “Wouldn’t you be better off now, you fool, if you was stowing those bales away in the hold of a tidy brigantine instead of spilling your sweat in this dust?” [ 234] MAJOR STEDE-BONNET Nearly every evening he called his serv¬ ants together under a grain shed to read them stories of the great exploits achieved by the pirates of Hispaniola or Turtle Island, for all the gazettes and journals of the day were telling how these men ravaged villages and farms along the coast. The Major read by candlelight, while big blue flies droned around his head. “Excellent Vane,” he would cry. “Brave Hornigold, a real horn of plenty full of gold! Sublime Avery, loaded with the jew¬ els of the Great Mogul and the kings of Madagascar! Admirable Teach—you who ruled fourteen wives, one after the other, then got rid of them all—you, Teach, who handed over your last one (she was only sixteen) to your friends every night (out of pure generosity, grandeur of the soul and sheer love of science), at Okerecok, that fine island of yours! How happy are they who follow your wake, who drink their rum with [ 235 ] IMAGINARY LIVES you, Blackbeard, master of the Queen Anne’s Revenge!” The Major’s servants listened to these discourses in silent surprise. His only in¬ terruptions were soft little noises when small lizards fell down from the roof, the suction grip of their tiny cupped feet loosened by fright. Shielding the candle with his hand, the Major reviewed famous naval maneu¬ vers with the point of his cane, tracing plans and positions among the tobacco leaves on the floor. He threatened the cradle (that was what the pirates called forty strokes of the lash) to any listener who failed to un¬ derstand and grasp the finesse of those fili¬ bustering tactics. At last Major Stede-Bonnet could resist no longer. He bought an old sloop with ten guns mounted on her, and took on all the essential paraphernalia of piracy, including cutlasses, cross-bows, ladders, planks, grap¬ pling hooks, hatches, Bibles (to take oath by), kegs of rum, lanterns, soot for black- [ 236 ] MAJOR STEDE-BONNET ening faces, pitch, wicks to burn under the fingernails of rich merchants, a mighty sup¬ ply of black flags with skulls and cross-bones on them, and the name of the vessel—The Revenge. After driving seventy of his do¬ mestic servants aboard to be his pirate crew, he set sail in the night, heading due west with the intention of skirting Saint Vincent, tacking back by way of Yucatan and pillag¬ ing all the coast as far as Savannah—where he never arrived. Major Stede-Bonnet knew nothing of the sea or its language. Between the compass and the astrolabe he began to lose his reason completely; he confused mizzen with bos’un, the jib with the brig, the foresail with the fo’castle; he called the wheel the keel, said starboard when he meant larboard and aft when he meant abaft. All those strange words and the disquieting motion of the sea combined to upset him until he wished him¬ self safe ashore on his plantation in the Barbadoes, and would probably have re- [ 237 ] IMAGINARY LIVES turned without further adventure were it not for his glorious desire to raise the skull and cross-bones at sight of the first vessel en¬ countered. He had neglected to put aboard any provisions, counting as he did on ample loot, but since not a single sail was spied the first night, Major Stede-Bonnet decided to attack a village. Hailing all his men to the bridge-head he handed out the brand-new cutlasses, urg¬ ing the crew to their utmost ferocity. From a bucket of soot he proceeded to black his own face, commanding the others to follow suit, which they did with some gayety. Recalling his pirate lore, he judged it best to stimulate his men with a few drinks of some reliable pirate beverage, so he doled out to each one a pint of rum and gun¬ powder mixed (wine, he knew, was the proper ingredient, but he had none). The servant sailors drank their rations down, though contrary to rule, their faces were not instantly suffused with fury. There was, [ 238 ] MAJOR STEDE-BONNET in fact, a concerted movement both to port and to starboard as they hastened their sooty faces over the rail, offering the mixture to the depths of that villainous sea. By this time The Revenge was all but stranded on the beach of Saint Vincent, so the pirates went staggering ashore. It was morning. The astonished faces of the villagers somehow failed to excite a great deal of piratical frenzy; even Major StedeBonnet was not overmuch disposed to do violence. He showed his ferocity, however, by purchasing rice, vegetables and salt pork which he paid for (in a noble buccaneer manner, it seemed to him) with two kegs of rum and some old rope. When his crew had humbly pushed The Revenge afloat the Major again set out to sea, proud of his first conquest. He sailed all that day and all that night without the faintest notion what wind pro¬ pelled him. Towards the dawn of the sec¬ ond day, while he slept propped up against [ 239 ] IMAGINARY LIVES the wheel-house, much discomforted by his cutlass and blunderbuss, Major StedeBonnet was aroused by a shout. “Sloop ahoy!” Rising, he saw another ship standing off at about one cable length. In her prow was a man with a big full beard. A small black flag floated from her pinnacle. “Hoist our death flag! hoist our death flag!” commanded the Major hurriedly. As he thought it over, his proper title was the title of a landlubber soldier, so he decided to take a new name immediately, following the illustrious example set by famous lead¬ ers of his new profession. He answered without further delay: “Sloop The Revenge, commanded by me. Captain Thomas, with my companions in fortune.” The man with the beard burst out laugh¬ ing. “Well met,” he roared. “Comrade, we can both drift awhile. Come, have a go of [ 240 ] MAJOR STEDE-BONNET rum with me aboard The Queen Anne’s Revenge And Major Stede-Bonnet realized he was about to meet Captain Teach, alias Blackbeard, most famous of all the pirates he had so admired. But the Major’s joy was not now as acute as he thought it would be, for he had a notion that he might presently be losing his splendid piratical liberty. He went rather grimly over to Teach who re¬ ceived him with much ceremony, glass in hand. “Comrade,” Blackbeard began, “you please me infinitely, but your navigating shows no prudence. So if you trust me. Captain Thomas, you will stay here while I send a brave able fellow by the name of Bichards to sail your sloop for you. On Blackbeard’s ship you will find all the free¬ dom due a gentleman of fortune.” Major Stede-Bonnet dared not refuse. They took away his cutlass and his blunder¬ buss. He was sworn in on a hatch (Black- [ 241 ] IMAGINARY LIVES beard could not suffer the sight of a Bible), given his ration of biscuits and rum, prom¬ ised his share in future prizes. The Major had never dreamed a pirate’s life could be so orderly. When he sailed away from the Barbadoes he had been a gentleman fancy¬ ing himself a pirate. Now that he was to become a real pirate aboard The Queen Anne's Revenge he no longer fancied the life so ardently. Submitting to Blackbeard’s rages and the ocean’s terrors he led that existence for three months, assisting his master in thir¬ teen captures; finally returning to his own sloop, The Revenge under Richard’s com¬ mand. It was a fortunate and prudent change, for the following night Blackbeard was attacked at the entrance of Okerecok Island by Lieutenant Maynard of Bathtown. Blackbeard was killed in the result¬ ing combat and the Lieutenant sailed away with the pirate’s head swinging from his bowsprit. [ 242 ] MAJOR STEDE-BONNET For several weeks poor Captain Thomas fled in the direction of South Carolina. Advised of his coming, the governor of Charlestown sent a Colonel Rhet with orders to effect his arrest at the Sullivan Islands. Captain Thomas allowed himself to be taken. Under the name of Major StedeBonnet (which he speedily resumed), he was led back to Charlestown in some pomp. Held in jail until November the tenth, 1718, he appeared at that date before a court of the admiralty. Chief Justice Nicholas Trot condemned him to death with the delightful address that follows: “Major Stede-Bonnet, you have been convicted on two charges of piracy. In as much as you have pillaged something like thirteen ships you could easily be convicted on eleven additional charges. Two, however, have been found sufficient (said Nicholas Trot) for those two are contrary to our divine law, ‘Thou shalt not steal’ (Ex. 20, 15) and the apostle Saint Paul expressly [ 243 ] IMAGINARY LIVES declared: ‘Nor thieves, nor covetous, nor drunkards, nor revilers, nor extortioners, shall inherit the kingdom of God’ (I Cor. 6, 10). You are further guilty of homicide (said Nicholas Trot), and assassins ‘Shall dwell forever in a burning lake of fire and sulphur’ (Apoc. 21, 8) (said Nicholas Trot), ‘shall dwell with the devouring fire’ (Is. 33, 14.) Ah, Major Stede-Bonnet, I have reason to fear the religious principles im¬ bued in your youth (said Nicholas Trot), have been sadly corrupted by your wicked life and your too nice application to the literature, and the vain philosophy of our time, for had your delight been in ‘The law of the Lord’ (said Nicholas Trot), had you ‘Meditated upon it night and day’ (Ps. 1, 2), you would have found by now that ‘His word is a lamp unto your feet and a light unto your path’ (Ps. 119, 105.) But since you have not minded this you must fly to the ‘Lamb of God’ (said Nicholas Trot), ‘which taketh away the sin of the world’ on the [ 244 ] MAJOR STEDE-BONNET promise that ‘Him that cometh to me I will in no wise cast out* (Jno. 6, 37). If you return to him now (said Nicholas Trot), like the vineyard laborers in the parable of the eleventh hour (Mat. 20, 6, 9), he can yet receive you. But for the present (said Nicholas Trot), the court pronounces that you shall be hanged by the neck until you are dead.” Major Stede-Bonnet, having listened with all compunction to this discourse by the chief justice, was hanged that same day at Charlestown as a thief and a pirate. [ 245 ]

BURKE AND HARE

— .. Assassins

BURKE AND HARE Me. William Btjeke rose from the meanest obscurity to eternal renown. Born in Ireland, he started life as a shoemaker, later practicing his trade for several years in Edinburgh where he made the acquaint¬ ance of Mr. Hare, on whom he had the greatest influence. In the collaboration of Messrs. Burke and Hare the inventive and analytic powers belonged, no doubt, to Mr. Burke, but their two names remain insep¬ arable in art, as inseparable as the names of Beaumont and Fletcher. Together they lived, together they worked and they were finally taken together. Mr. Hare never pro¬ tested against the popular favor particu¬ larly attached to the person of Mr. Burke. Disinterestedness so complete seldom has its recompense. It was Mr. Burke who be¬ queathed his name to the special process that [ 249 ] IMAGINARY LIVES brought the two collaborators into fame. The monosyllable “Burke” will live long on the lips of men, while even now Hare’s personality seems to have disappeared into that oblivion which spreads unjustly over obscure labors. Into his work Mr. Burke brought the fairie fancy of the green island where he was born. His soul was evidently steeped in old tales and folklore, and there was something like a far-away, musty odor of the Arabian Nights in all he did. Like a caliph pacing a nocturnal garden in Bagdad, he desired mysterious adventures, curious for the glam¬ our of strange people and unknown things. Like a huge black slave armed with a heavy scimitar, he found for his voluptuousness no more fitting conclusion than the death of others, but his Anglo-Saxon originality led him to succeed in drawing the most practical ends from his fanciful Celtic prowlings. When his artistic joy is sated what does the black slave do with his headless carcasses? [ 25Q] BURKE AND HARE With barbarity entirely Arab, he slices them into quarters and salts them down in the cellar. What good does he get from that? Nothing. Mr. Burke was infinitely supe¬ rior. Somehow Mr. Hare served him as a sort of Dinarzade. It seemed as if the inventive powers of Mr. Burke were especially excited by the presence of his friend. The broad illusion of their dream permitted them to lodge their most pompous visions in a garret. Mr. Hare had a small chamber on the sixth floor of a tall house filled very full of Edinburghers. A sofa, a large desk and sev¬ eral toilet utensils were undoubtedly all the furnishings, including a bottle of whisky with three glasses on a little table. It was Mr. Burke’s rule to invite some passerby at nightfall, but he never received more than one at a time and never twice the same. He would walk through the streets exam¬ ining all faces that piqued his curiosity. Frequently he chose at random, addressing [ 251 ] IMAGINARY LIVES the stranger with as much politeness as one could ask of a Haroun-al-Raschid. The stranger would then stumble up six flights of stairs to Mr. Hare’s garret where they gave him the sofa and offered him Scotch whisky to drink. Then Mr. Burke would ask him about the most surprising incidents of his life. He was an insatiable listener, was Mr. Burke. The stranger’s recital was always interrupted before daybreak by Mr. Hare, whose manner of interrupting was in¬ variably the same and very impressive. He had a habit of passing behind the sofa and putting his hands over the speaker’s mouth while Mr. Burke would suddenly sit down on the gentleman’s chest at the same mo¬ ment. The two of them would remain thus, motionless, imagining the conclusion they never heard. In this manner Messrs. Burke and Hare terminated a large number of histories the world has never learned. When the tale was definitely stopped with the suffocation of the teller, they would ex- [ 252 ] BURKE AND HARE plore the mystery, stripping the unknown man, admiring his jewelry, counting his money, reading his letters. Certain items of correspondence were often not without in¬ terest. Then they would lay the corpse away to cool in Mr. Hare’s big desk. And now Mr. Burke would demonstrate the prac¬ tical force of his genius. To waste none of the adventure’s pleasure, he held that the body should be fresh but not warm. In the first years of the nineteenth century medical students had a passion for anatomy, though religious prejudices made it difficult for them to secure subjects for dissection. Mr. Burke’s clear mind had taken note of this scientific dilemma. No one knows how he first established an alliance with that ven¬ erable and learned practitioner, Dr. Knox, of the faculty of Edinburgh. Perhaps Mr. Burke had followed his public lectures in spite of the fact that his imagination inclined rather to artistic things. It is certain, how- [ 253 ] IMAGINARY LIVES ever, that he promised to aid Dr. Knox as best he could, and that Dr. Knox agreed to pay him for his pains. The scale of prices varied, declining from the choice corpses of young men to the less desirable remains of the aged. The latter interested Dr. Knox only moderately and Mr. Burke held the same opinion, for old men, he claimed, al¬ ways had less imagination. Dr. Knox came to be known among his colleagues for his splendid knowledge of anatomy. This dil¬ ettante life, led so enjoyably by Messrs. Burke and Hare, brought them to what was certainly the classic period of their career. For the power of Mr. Burke’s genius soon led him beyond rules and regulations of a tragedy in which he had always a story to listen to and a confidence to keep. Alone he progressed (it is useless to consider the influence of Mr. Hare) towards a sort of romanticism. No longer satisfied with the setting provided by Mr. Hare’s garret, he invented a procedure to make use of the [ 254 ] BURKE AND HARE nocturnal fogs. Numerous imitators have somewhat sullied the originality of his man¬ ner, but here is the veritable tradition of the master. Mr. Burke’s fertile imagination had grown weary of tales eternally reverting to human experiences. The result never equaled his expectation. So he came at last to value only the actual aspect of death . . . for him unfailingly varied. He concentrated his drama in the denouement. The quality of the actors no longer mattered; he trained them at random, and his only property of the theater was a canvas mask filled with pitch. Mask in hand, he would walk out on foggy nights accompanied by Mr. Hare. Approaching the first individual who chanced to pass, he would walk a few steps in front, then turn and place the mask quickly and firmly over the subject’s face. Immediately Messrs. Burke and Hare would grasp the arms of their actor, one on each side. The mask full of pitch pre- [ 255 ] IMAGINARY LIVES sented simply a genial instrument for stifling cries and strangling. It was tragic. The fog muffled the gestures of the role and softened them. Some of the actors seemed to mimic drunken men. This short scene over, Messrs. Burke and Hare would take a cab in which they would disrobe their guest, Mr. Hare caring for the costumes while Mr. Burke delivered the cadaver fresh and clean to Dr. Knox. Unlike most biographers it is here I leave Messrs. Burke and Hare, at the peak of their glory. Why destroy such an artistic effect by requiring them to languish along to the end of their lives, revealing their de¬ fects and their deceptions? We need only remember them, mask in hand, walking abroad on foggy nights. For their end was sordid like so many others. One of them, it appears, was hanged and Dr. Kncx was forced to quit Edinburgh. Mr. Burke left no other works.

THE END

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