Les Procès de sodomie  

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Les Procès de sodomie, by Dr Ludovigo Hernandez, Bibliothèque des Curieux [Briffaut], 1920.

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NOTICE


On attend peut-être ici d'un médicastre et d'un modeste his- torien une étude sur la sodomie à travers les âges, depuis Sodome — naturellement — jusqu'à nos jours, avec des remarques et des conclusions plus ou moins scientifiques... Mais nous n'invoquerons ni Moïse, ni Platon, ni Athénée, ni Stra- ton, ni Martial, ni Suétone, ni Kraft-Ebing ou Havelock-Ellis, et nous ne citerons en passant, que pour en rire, van Helmont et le médecin anglais Jean Linder, qui ne craignirent pas d'avancer que l'éternelle, l'immortelle, la triomphante Vérole provenait de la sodomie exercée entre les hommes et ces gros singes que l'on croyait être les Satyres des Anciens.

Notre but n'est autre que de renseigner le lecteur, curieux d'histoire littéraire, sur deux personnages, deux « quidams » en cause, Jacques Chausson, dit Des Estangs, et Benjamin Des- chauffours, qui, l'un et l'autre, excitèrent la malignité de la Muse satirique.

Jacques Chausson, brûlé le 25 novembre 1661, en compagnie de son complice Jacques Paulmier, dit Fabry, est moins célèbre par son procès et son supplice que par un sonnet du poète Claude Le Petit, brûlé lui-même en place de Grève pour crime de lèse-majesté divine et humaine :

Amis, on a brûlé le malheureux Chausson, Ce coquin si fameux, à la tête frisée ; Sa vertu par sa mort s'est immortalisée : Jamais on n'expira de plus noble façon.


LES PROCÈS DE SODOMIE


Il chanta d'un air gai la lugubre chanson

Et vêtit sans pâlir la chemise empesée,

Et du bûcher ardent de la pile embrasée,

Il regarda la mort sans crainte et sans frisson.

En vain son confesseur lui prêchoit dans la flamme, Le crucifix en main, de songer à son âme : Couché sous le poteau, quand le feu l'eut vaincu,

L'infâme vers le Ciel tourna sa croupe immonde ; Et, pour mourir enfin comme il avoit vécu, Il montra, le vilain, son cul à tout le monde.

On sait que Claude Le Petit est l'auteur de deux romans : Y Heure du Berger et YEscole de Vin ter est, et enfin du Bordel des Muses. Ce dernier ouvrage contient, outre Paris et Madrid Ridicules, des vers libertins dont on ne possède qu'une partie, et qui le firent condamner. UEpitaphe de Chausson y fut pour quelque chose : elle passa pour une Apologie. C'est ainsi, du moins, que la présentait François Colletet, dans le manuscrit de ses Mémoires des choses arrivées de nostre temps, particulari- tés et autres galanteries recueillies pour servir à Vhistoire et pour en garder le souvenir dans le Cabinet, de 1648 à 1663 :

« Ce jourd'hui premier jour de septembre (1662) fut bruslé dans la place de Grève, à Paris, après avoir eu le poing couppé, fait amende honorable devant Nostre Dame de Paris et esté estranglé, Claude Petft (sic), advocat au Parlement, auteur du Berger et de YEscole de VInterest, pour avoir faict un livre inti- tulé : Le Bordel des Muses, escrit Y Apologie de Chausson, le Moyne renié et autres compositions de vers et de prose pleines d'impiétés et de blasphèmes contre l'honneur de Dieu, de la Vierge et de l'Estat. Il estoit âgé de 23 ans et fut fort regretté des honnestes gens à cause de son bel esprit qu'il eust peu employer à des choses plus dignes de lecture. »

D'autre part, un ami de Claude Le Petit, Jean Rou, relatant une visite du poète au sujet du traité qu'il devait conclure avec un libraire pour l'impression de Paris Ridicule, écrit dans ses


NOTICE


Mémoires qu'il le considéra comme un homme perdu, et qu'il lui fit part de la crainte qu'il n'eût « anticipé » sa « propre peinture » lorsqu'il composa « le sonnet de l'infâme Chausson >. Enfin, M. Frédéric Lachèvre, dans sa Vie de Claude Le Petit, (en tête des Œuvres libertines, Paris, 1918), émet l'hypothèse qu'il se pourrait que Chausson, obligé de vivre « d'écritures et de copies qu'il faisait pour les uns et les autres », en eût obtenu par l'entremise du poète, et que celui-ci recourut peut-être à ce courtier de Sodome pour se procurer des plaisirs illicites. Le savant bibliographe n'est pas le premier qui songea à l'intimité possible de ces deux hommes, qui périrent du même châtiment, à près d'une année de distance. Déjà, au xvn e siècle, un anno- tateur anonyme poussa la certitude jusqu'à les faire périr ensemble sur le même bûcher, indentifiant par erreur Claude Le Petit à Jacques Paulmier, dit Fabry, valet à tout faire et pédicon du « coquin à la tête frisée ». « Ce livre », lit-on, en effet, sur l'exemplaire de la Bibl. nat. de YVniversitad de Amor, y es cul as de Vinteres de Piedrabuena (éd. de 1661), « a été traduit par Claude Le Petit, avocat, qui fut brûlé avec Chaus- son à Paris, l'an 1662. C'était un jeune homme de très grand esprit. Il l'a augmentée en sa traduction parue chez Pépingué, en la grande salle du Palais, au Soleil d'Or, 1662. » M. Frédéric Lachèvre en déduit que si cette note dit à tort que Chausson et Claude Le Petit subirent en même temps lé supplice du feu, elle prouve néanmoins que la réputation du poète était restée très suspecte au point de vue des mœurs et du fait que Claude Le Petit rima l'épitaphe de Chausson, il conclut que les deux coupables n'étaient pas étrangers l'un à l'autre. Voilà une ■conclusion bien expéditive, pour ne pas dire toute judiciaire...


Le « malheureux Chausson », n'eut pas que les honneurs du sonnet, mais encore la gloire populaire de la chanson. Le Recueil de chansons pour servir à l'histoire anecdote, depuis 1600 jusque et compris 1664 (Bibl. nat., ms. fr. 15127), contient ces couplets satiriques :


LES PROCÈS DE SODOMIE


Je suis ce pauvre garçon

Nommé Chausson (bis) Et que si l'on m'a roty

A la fleur de mon âge, C'est pour l'amour d'un page

Du prince de Conty.

Que si l'on bruloit tous ceux

Qui font comme eux (bis) Dans bien peu de temps, helas ! Plusieurs seigneurs de France, Grands prélats d'importance,

Souffriroient le trépas.

Prions donc tous en ce lieu

La mere-Dieu (bis) Et son noble fils Jésus, Que tous les vits grossissent, Que les cons rétrécissent, Pour ne plus foutre en eus.

Le ms. fr. 12666 de la Bibliothèque Nationale reproduit ces trois couplets ; ils sont accompagnés de la note suivante : « Année 1651. M. de Fesnau est le Page de l'Hôtel de Conti ; il est actuellement lieutenant gênerai. Cette chanson ne paroit pas placée juste, puisque la sœur de Chausson est encore en vie. » On lit un peu plus loin, dans le même manuscrit, deux nouveaux couplets et une seconde note rectificatrice :

Si le bougre Dassouci (1) Eut été pris (bis)


(1) Cf. Chapelle et Bachaumont, Séjour a Béliers : « Mais nous fûmes bientôt épouvantés

De rencontrer en cette place Un grand concours de populace.


NOTICE


Il auroit été rôti, Tout au travers des flammes, Comme ces deux infâmes De Chausson et Fabri.

Chausson s'écria tout haut :

« Où est Fesnaut? Ah ! Monsieur le lieutenant, Avant que l'on me brûle, Souffrez que je l'encule, Et je mourrai content! »

Voici la note : « 1651. Air noté, page LXXIV. Fesnau, lieu- tenant gênerai, peut être âgé à présent de 76 ans. Donc cette chanson et la précédente sont mal placées et doivent être toutes deux pour l'année 1680. »

Le même manuscrit contient encore cet autre couplet :

1651

LA COQUILLE

Air noté, page LI.

Sçavez vous l'orage qui s'eleve Contre tous les gens de bien ?


Chacun y nommoit d'Assoucy.

« Il sera brûlé, Dieu merci ! 2»

Disoit une vieille bagasse.

« Dieu veuille qu'autant on en fasse

A tous ceux qui vivent ainsi ! »

La curiosité de savoir ce que c'étoit nous fit avancer plus avant. Tout le bas etoit plein de peuple, et les fenestres remplies de personnes de qualité... Nous apprîmes qu'effectivement l'on alloit brûler d'Assoucy pour un crime qui est en abomination parmi les femmes... :» Voir aussi, sur le célèbre Empereur du Burlesque et ses pages de musique, la pré- face d'Emile Colombey aux Aventures Burlesques de Dassoucy, Paris, Delahaye, 1858.


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Si Chausson perd son procès en Grève, Le Cu ne servira plus de rien ; Si Chausson perd son procès en Grève, Le Con gagnera le sien (i).

Non seulement les dates de 1651 et 1680 sont fausses, mais l'on remarquera, en lisant les pièces judiciaires, qu'il n'est pas question de M. de Fesnau, ce page de l'Hôtel de Conti, que les chansonniers considèrent comme la cause des infortunes de Chausson.

Même il n'est question de page que dans la seconde infor- mation, celle du Parlement de Paris, où il est parlé d'un « Page de Madame », et d'un autre dont le maître n'est pas nommé, et à qui Jacques Paulmier aurait donné des oranges. Toutefois il ne faudrait pas conclure à l'erreur ou à la mauvaise fois des satiristes, soit que les documents que nous publions aient été tronqués, soit qu'une intervention puissante ait évité au nommé Fesnau un scandale public et peut-être le bûcher. Il ne semble pas, d'ailleurs, que le Marquis de Bellan et M. le Baron de Belleflore, clients du courtier Chausson, aient jamais été inquiétés, bien que le Procureur du Roy ait ordonné de les poursuivre pour enlèvement des nommés Richard de La Mon- nerie et Toussaint Le Mouleur.

L'imprimé de la sentence du Châtelet contre Chausson parut


(1) Bon nombre d'années après son supplice, Chausson était encore célèbre. On sait que le fameux musicien Jean-Baptiste tully afficha des mœurs sodomitiques. A l'occasion d'un feu d'artifice qu'il fit tirer devant sa maison, en juin 1674, et qui rata, on fit le couplet que voici :

Excusez, Messieurs, si Baptiste Vous a fait un feu si lugubre et si triste, Et vous a mal servi pour vos demi-louis ; Le procès des chaussons se poursuit ; s'il s'achève Il nous en fera voir bientôt un autre en Grève,

Dont vous serez plus réjouis.

Cf. l'article de M. Joseph Prunières : La vie scandaleuse de Jean-Bap- tiste Lully [Mercure de France, i or mai 191 6).


NOTICE


immédiatement après l'exécution de l'arrêt. Il a pour titre : Arrest de la Cour de Parlement, confirmatif de la sentence de Monsieur le Lieutenant Criminel : portant condamnation es personnes des nommés Chausson et Paumier, d'estre mene\ dans un Tombereau, pour faire amende honorable devant VEglise de Nostre-Dame, puis avoir la langue coupée, et brusle\ vifs en la place de Grève. A Paris, chez Louis Barbote, rue Mari- vanet, proche l'Eglise S. Jacques de la Boucherie, 1661. Avec permission; In-4 de 4 pp. chiffr. (Bibl. nat. F, 23669, pièce 753). L'arrêt du Parlement est suivi de cette note : « Prononcé ausdits Chausson et Fabry, dans la Chambre criminelle du Chastelet, au devant de l'apport de Paris, devant l'Eglise Nostre-Dame de Paris, où ils font l'amende honorable, et en place de Grève, où ils ont esté exécutez, suivant et conformément au présent Arrest, ledit jour vingt-neufiesme Décembre mil six cens soixante-un. Signé Lecointre ».

Voici le texte de la permission d'imprimer :

« Par permission de Monsieur le Lieutenant Criminel, il est permis à Louys Barbote, Maistre imprimeur à Paris, d'impri- mer, vendre, et débiter l'Arrest cy-dessus. avec deffenses à tous autres de le contrefaire sur les peines portées en ladite permis- sion. Fait le trentiesme jour de Décembre 1661 . Signé Tardieu » .

Le savant biographe de Claude Le Petit a reproduit en appendice à son ouvrage quelques-unes des pièces du procès, en particulier la Sentence du Châtelet et l'Arrêt de la Cour du Parlement.


L'histoire de Deschauffours, bougre et procureur de Sodome, n'est pas liée à celle d'un poète. Mais c'est un roman dans le goût de certains chapitres de la Nouvelle Justine, et sauf l'hor- reur et le dégoût qu'il inspire, il ne laisse pas parfois d'être piquant comme un conte de Nerciat ou de Mirabeau.

Deschauffours, qui demeura en divers endroits, habita rue des Bons-Enfants et rue Brise-Miche, noms qui se seraient naturel- lement rencontrés sous la plume facétieuse des écrivains licen


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cieux de la fin du siècle ou de la Révolution. La rue Tire-Bou- din, où s'abritait l'un des héros du procès, n'eût pas manqué de leur paraître une trouvaille, et ce Deschauffours, commis à la douane, eût amené un jeu de mots opportun : qu'il y facilitait le passage de l'amour prohibé. La déposition de Marie Gene- viève Anquetil, par quoi s'ouvre l'instruction, serait un tableau plein de pittoresque et de vivacité, si l'on changeait en jeune Finette, marchande de modes du Palais-Royal, le petit Finet que le S r Deschauffours chargea de lui rapporter une montre. Le petit Finet entra sur les dix heures du matin dans une maison delà rue de Buci. Le maître du lieu, après l'avoir félicité de sa réparation, le fit passer dans un cabinet, où il désirait le faire déjeûner. « Entrez donc, petit fripon, vous vous faites prier >, aurait dit Deschauffours en lui donnant une tape sur la joue. La jeune Finette, ou plutôt le petit Finet, trouva une table dressée, avec une poularde froide et plusieurs bouteilles de vin. Autour de la table étaient assis deux personnages vêtus de soie brune et de velours noir, qui lui versèrent à boire et lui firent grigno- ter un morceau de la poularde rôtie. Au bout d'un demi-quart d'heure, la marchande de modes s'assoupit en présence des deux quidams et ne se réveilla que vers une heure. Elle était étendue sur le carreau, les jupes relevées et la chemise tachée de sang. S'étant rajustée, elle alla frapper à la porte du cabinet désert, et vit paraître M. Deschauffours, qui portait l'étonnement sur son visage de la voir dans ce désordre. Comme elle mar- quait son mécontentement, M. Deschauffours lui dit qu'elle avait tort d'apostropher d'honnêtes gens qui venaient chez lui, et qui avaient bien plus lieu de se plaindre de ses sottises et de ses impertinences ; enfin, qu'elle avait tant bu qu'elle avait relevé son jupon devant tout le monde, qu'il avait dû en faire des excuses à ces Messieurs, et que ceux-ci étaient partis inconti- nent, disant qu'on ne devrait jamais admettre à sa table de petites gens capables de telles grossièretés. Sur quoi la jeune Finette descendit en pleurant, et s'en fut montrer à sa mère la cage ouverte d'où l'oiseau s'était envolé... Mais, au lieu d'une marchande de modes, que Binet eut dessinée avec son mou- choir de cou et ses talons surélevés, il s'agit bien, hélas ! du


NOTICE


malheureux Finet, qui ne s'en tira point en bénissant l'occasion à travers des larmes de demoiselle...

L'histoire du chanteur italien, que le prince Torelly fit castrer chezDeschauffours, dans l'intention d'embellir sa voix, est assez colorée, et sa moralité rappelle la fable de la Poule aux Œufs d'or. Enfin, la figure ambiguë du valet Picard, giton de son maître et ruffian de la « Picarde », « vieille carogne qui le payait de ses vols, et par surcroît lui procurait des filles », n'est pas à dédaigner des lecteurs de Restif...


Le nom roturier de Deschauffours fut souvent accolé à celui de quelques grands personnages qui ne se montraient pas orthodoxes en amour. Sans relever tous les couplets qu'il décore honteusement, citons celui du Recueil de Maurepas, année 1734. C'est un vaudeville satirique contre le cardinal d'Auvergne. Il se chantait sur l'air de : Voilà la différence :

Du Chauffour et le d'Oswal Sont deux bougres sans égal,

Voilà la ressemblance ; L'un pour son crime brûla, L'autre, on le cardinala,

Voilà la différence.

Le recueil de Clairambault, année 1724, contient une autre chanson, contre le maréchal d'Uxelles :

Faut-il voir D'Huxelle au conseil, Et Deschaufour en Grève ?


Quant aux autres procès, ils offrent sur les costumes, les noms propres, le pittoresque audiencier et rural, le même inté-


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rèt que les Procès de Bestialité. Nous n'y reviendrons pas; pour le reste, les faits parlent d'eux-mêmes, et le lecteur nous saura gré de ne les avoir qu'effleurés. Le crime, le détourne- ment de l'enfance, justifient la condamnation dans toute sa rigueur : mais là où ne sont qu'inoffensives préférences, selon les uns, aberrations sexuelles, selon les autres, le mieux est d'en appeler soit à l'indulgence, soit à la pitié, ou de répéter avec le poète qu'on ne peut mêler la banale honnêteté aux choses de l'Amour.

Les procès que nous publions sont extraits des manuscrits' français 10969 et 10970 de la Bibliothèque Nationale.

D r Ludovico HERNANDEZ.


Les Procès de Sodomie


PROCES CRIMINEL DE NICOLAS FERRY

ACCUSÉ DU CRIME DE SODOMIE 8 octobre 1540


L'an mil cinq cent quarante, le jeudy vingt unième juillet, fut amené des prisons de cette ville, Nicolas Ferry, accusé de crime de sodomie, et emprisonné le dix neuf du présent mois, sur la poursuitte et réquisitoire de Pierre Mullet, soy complaignant pour Antoine Mullet, son fils âgé de treize ans ; lequel Nicolas Ferry, en présence des dits Pierre Mullet et Antoine Mullet, a déclaré être innocent dudit crime à luy injurieusement imputé, et même a soutenu ne pas connoitre lesdits complai- gnans ; pour laquelle fausse accusation et impu- tation il nous a requis et demandé pleine et entière réparation, dommages, et interests. Apres conclu- sions du procureur du Roy de cette ville, du vingt trois desdits mois et an, est intervenu la sentence suivante donnée par le Bailly de la ville de Moulins.


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A tous ceux qui ces présentes verront, sçavoir faisons que sur les plaintes portées par Pierre Mullet, Bourgeois de cette ville de Moulins, contre Nicolas Ferry, négociant de cette ville, accusé par ledit Mullet d'avoir séduit, forcé, et abusé dudit Antoine Mullet, son fils âgé de treize ans ; empri- sonnement fait de la personne dudit Nicolas Ferry, le dix-neuf juillet dernier ; interrogatoire fait dudit Ferry le vingt et un dudit mois ; conclusions du procureur du Roy de cette ville, du vingt-trois dudit mois, ordonnons que ledit Nicolas Ferry sera appliqué à la question pour sçavoir la vérité de laditte accusation, sauf à faire droit après laditte question ainsi qu'il appartiendra. Donné à Moulins le douzième jour d'aoust mil cinq cent quarente.


Cejourd'huy vingt deux septembre, a été amené en présence du Conseiller commissaire en cette partie, Nicolas Ferry, accusé de crime de sodomie et appellant de la sentence rendue contre luy par le juge de Moulins le douze aoust dernier ; lequel, interrogé par le susdit seigneur commissaire, et persistant toujours à nier qu'il ait jamais eu


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commerce et liaison aucune avec ledit Antoine Mullet, a présenté requête aux fins d'information de la sentence dudit jour douze aoust dernier, et revocation d'icelle ; surquoy, vues les conclusions du procureur gênerai du Roy est survenu l'arrest suivant.


Veu par la Cour de Parlement... la sentence rendue le douzième aoust dernier par le Bailly de Moulins, par laquelle il a condamné ledit Ferry a être préalablement appliqué à la question, tout considéré ; Dit a été que sans s'arrester à l'appel interjette par ledit Ferry de la sentence du Bailly de Moulins du douze aoust dernier, laditte sentence sera exécutée selon sa forme et teneur, et en outre ordonne laditte Cour que ou ledit Ferry prisonnier confessera ledit crime de sodomie en laditte ques- tion, il sera tenu y persévérer, et en ce faisant, sera attaché à un poteau, qui pour cet effet sera planté dans le marché de Moulins, pour y être brûlé, et ses cendres jettées au vent, et ses biens confisqués ; et ou il ne confessera ledit crime, ni aucune chose en laditte question, sera néanmoins ledit Ferry prisonnier puni (à l'exception delà peine de mort) c'est à sçavoir à être battu et fustigé par l'exécuteur de la haute justice, à trois jours de


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Marché differens, la corde au col, et ensuite banni du Royaume à perpétuité et ses biens confisqués. Fait en Parlement le huitième jour d'octobre mil cinq cent quarente.


PROCES CRIMINEL DE LEONARD MOREUIL

ACCUSÉ DE SODOMIE 16 juillet 1633


L'an mil six cent trente trois, cejourd'huy mardy premier jour du mois de juin, fut amené et conduit pardevant nous, Joseph de Tristemere, Licencié es Loix, Bailly de Bellar, un quidam, vêtu de toille verte à carreaux, amené et conduit par Maurice Hector Tremblin, Huissier à cheval, assisté et accompagné de Jurand Valdapot et Thomas Rousset, praticiens, lesquels nous auraient témoigné et déclaré qu'ayans été appelles par le nommé Pierre Morgaron, charon demeurant audit lieu de Bellar, sur une dispute et querelle emeue entre luy cejourd'huy et le quidam sus designé, lequel quidam auroit été par luy trouvé dans le grenier de sa maison, ce qui luy auroit fait soup- çonner que ledit quidam etoit venu en intention de le voler, ou bien de commettre quelque mauvaise action ; parquoy ledit Pierre Morgaron auroit requis ledit Maurice Hector du Tremblin et sa compagnie de prendre et emmener ledit quidam, ce que ledit huissier et compagnie auraient fait ; quoy


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fait, nous, susdit Bailly, avons interrogé ledit quidam en la manière et façon qui suit :

Interrogé quel nom il avoit, a repondu être nommé Adam Poulet.

Interrogé quelle etoit sa profession et vacation, a repondu qu'il etoit gagnedeniers.

Interrogé quel âge il avoit, a repondu qu'il avoit quarente deux ans. »

Interrogé quel dessein et intention il avoit, en entrant furtivement et en se cachant en la maison dudit Pierre Morgaron, a repondu qu'il poursuivoit une poule à luy appartenante, qu'il avoit reconnue chez ledit Morgaron, et que craignant que ce dernier ne la luy voulut pas rendre, à cause qu'elle est fort belle, il etoit entré dans laditte maison pour l'emporter.

Interrogé de quel païs il etoit, a repondu qu'il etoit de Chateuneuf, lieu de sa demeure.

Apres lesquelles demandes et interrogatoires, ledit accusé persistant en sesdittes réponses, qu'il a affirmé être véritables, avons ordonné que pour plus ample information il seroit conduit en prison.


Cejourd'huy mercredy, deuxième jour du mois de juin, est comparu pardevant nous Pierre Mor- garon, charpentier manant et habitant dudit lieu de


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Bellar, lequel nous a déclaré que le jour d'hier le nommé Léonard Moreuil, chirurgien, seroit entré dans sa maison et ensuite auroit été emprisonné à sa requête, parquoy nous supploit ledit Morgeron que par nous fussent mandez et interrogez les témoins nécessaires, ce que que nous aurions promis de faire, aux frais, dommages, et interests de qui il se trouvera appartenir ; déclarant au surplus audit Pierre Morgaron que ledit quidam empri- sonné par nous le jour d'hier a déclaré s'appeller Adam Poulet, gagne deniers, demeurant à Chateau- neuf, après quoy ledit Pierre Morgaron s'est retiré.


Cejourd'huy mardy, huitième jour du mois de juin, sont comparus pardevant nous les témoins cy après nommez, en présence desquels a été amené le quidam arrêté et emprisonné par nous, et qui a déclaré être appelle Adam Poulet, lesquels témoins, après avoir fait et prêté le serment accoutumé de dire et déclarer la pure et entière vérité, ont déclaré ce qui suit :

Le premier témoin a dit être appelle Joseph André Forgarie, tisseran en ce lieu de Bellar, lequel a déclaré qu'il ne connoissoit point ledit quidam représenté pour Adam Poulet, qu'il igno- roit de quel païs etoit ledit quidam, mais qu'il ne s'etoit jamais nommé que Léonard Moreuil, depuis


LES PROCES DE SODOMIE


près d'un an qu'il etoit venu s'établir au présent lieu de Bellar.

Le second témoin, nommée Guillemette Merlan, veuve de Richard Le Preux, laboureur, a déclaré pareilles choses que ledit premier témoin, ajoutant qu'elle sçavoit'que ledit Léonard Moreuil alloit sou- vent dans la maison dudit Pierre Morgaron, sans qu'elle eut pu découvrir ce qu'il y faisoit.

Le troisième témoin, nommé Toussaint Giroux, apotiquaire, a déclaré qu'il connoissoit ledit Léo- nard Moreuil depuis le tems qu'il etoit venu s'éta- blir à Bellar, que ledit Moreuil avoit toujours pris chez luy les drogues et onguents dont il avoit eu besoin, et que ledit Moreuil luy devoit encore la somme de douze sols, pour de l'onguent qu'il luy avoit fourny pour adoucir et guérir un cloud et fis- tule que le nommé Michel Morgaron, fils dudit Pierre Morgaron, avoit au derrière.

Apres lesquelles demandes et interrogatoires, lesdits témoins se sont retirez et ledit quidam reconduit en prison.


Cejourd'huy jeudy, dixième jour du mois de juin, fut amené et conduit par devers nous un qui- dam vêtu de toille verte à carreaux, emprisonné par notre ordre, lequel quidam a déclaré par l'in- terrogatoire à luy fait ledit jour premier juin être


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appelé Adam Poulet, lequel quidam nous aurions interrogé en la forme et manière suivante :

Interrogé par quelle raison il a caché son nom, a repondu qu'à la vérité il etoit nommé Léonard Moreuil, mais que Charlotte Poulet, sa mère, n'ayant jamais été mariée avec Geoffroy Moreuil, son père, il avoit crû ne devoir pas en justice déguiser son véritable nom, et qu'il etoit certain qu'il etoit de Chateauneuf en Timerais, Diocèse de Seez.

Interrogé pourquoy il se cachoit en allant dans la maison dudit Pierre Morgaron, et quel etoit son dessein, a repondu qu'il y alloit pour penser et medicamenter Michel Morgaron, fils dudit Pierre Morgaron, lequel etoit fort incommodé d'une fistule à l'anus.

Interrogé pour quelle raison il n'avoit pas dit au Père dudit Michel Morgaron la maladie de son fils, a repondu que ledit Michel Morgaron, qui avoit eu cette fistule en tombant, n'osoit en parler à son père, et l'avait prié de ne luy en point ouvrir la bouche.

Apres lesquelles demandes et interrogatoires, ledit Léonard Moreuil a été reconduit en prison.


Cejourd'huy samedy, douzième jour du mois de juin, en présence et par ordre de nous, le nommé


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Léonard Moreuil, chirurgien, ayant été mis et appli- qué à la question, et pendant laditte question a avoué et confessé ce qui suit, et dans lesquelles choses, étant hors de la question, il a déclaré per- sister comme étant vraies, et selon sa conscience et la vérité.

Sçavoir qu'il y a près de cinq mois que ayant séduit les nommez Michel Morgaron et Catherine Morgaron, fils et fille dudit Pierre Morgaron, le premier âgé de treize ans et laditte Catherine de onze, il avoit trouvé le secret, en les faisant coucher ensemble et commettre inceste et copulation détes- table, de les connoitre aussi charnellement tous les deux, par acte de sodomie et crime contre nature ; qu'il entroit tous les soirs secrètement dans la mai- son dudit Pierre Morgaron, et que lors que tout le monde etoit couché lesdits Michel et Catherine Morgaron ouvroient leurs portes, que ledit Michel entroit dans la chambre de sa sœur, où luy Moreuil se rendoit aussi, et commettoient ensuite les choses susdittes ; ajoutant ledit Léonard Moreuil que depuis environ un mois laditte Catherine devenue de plus en plus amoureuse de Michel son frère, faisoit quelque difficulté de souffrir l'accointance de luy Moreuil ; comme aussi de son coté ledit Michel se plaignoit d'une douleur au derrière, pour laquelle il luy avoit apporté de l'onguent, mais qu'il avoit scû, par les discours desdits Michel et Catherine Morgaron, un jour qu'ils parloient


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ensemble croyans qu'il dormoit, que laditte Cathe- rine avoit conseillé à son frère" de se blesser exprès pour éviter la copulation charnelle dudit Léonard Moreuil ; après lesquelles confessions et aveus ledit Léonard Moreuil a requis pardon et a été reconduit en prison.


Veu par la Cour de Parlement le procès criminel fait par-devant le Bailly de Bellar à l'encontre de Léonard Moreuil, accusé de sodomie, séduction, viol, et d'avoir fait commettre inceste, et encore contre Michel Morgaron et Catherine Morgaron, frère et sœur, et enfans de Pierre Morgaron, accu- sez d'inceste commis ensemble, et en outre ledit Michel accusé de s'être laissé connoitre et abuser charnellement par ledit Moreuil, et laditte Catherine d'avoir souffert copulation charnelle et même extraordinaire et contre nature par ledit Moreuil...

L'interrogatoire fait le lundy quatorze juin aux- dits Michel et Catherine Morgaron, et les aveux et confessions faites par eux ;

La confrontation faite le mercredy seize juin dudit Léonard Moreuil et desdits Michel et Catherine Morgaron, et encore dudit Moreuil et des susdits Tremblin, Valdaport, Rousset, Pierre Morgaron, Forgarie, veuve Le Preux et Grioux ;

La sentence rendue par ledit lieutenant Criminel,


22 LES PROCÈS DE SODOMIE


le vendredy dix huit dudit mois de juin, portant condamnation contre lesdits Léonard Moreuil, Michel et Catherine Morgaron ;

La Cour a mis et met à néant l'appel interjette au nom desdits Moreuil, Michel et Catherine Morga- ron, de la sentence contre eux rendue ; ordonne qu'elle sera exécutée dans sa forme et teneur ; déclare ledit Léonard Moreuil bien et duement atteint et convaincu de sodomie, séduction, viol, et d'avoir fait commettre inceste ; et lesdits Michel et Catherine Morgaron, frère et sœur, d'avoir commis inceste ensemble, et en outre ledit Michel Morgaron de s'être laissé abuser et connoitre charnellement par ledit Moreuil, et laditte Catherine Morgaron d'avoir souffert copulation charnelle, extraordinaire et contre nature avec ledit Moreuil; pour raison et réparation desquels crimes énormes et détestables, la Cour ordonne que ledit Léonard Moreuil sera conduit dans un tombereau, auquel seront attachez lesdits Michel et Catherine Morgaron, la torche au poing du poids de deux livres, devant l'Eglise prin- cipale dudit lieu de Bellar et là déclarera à haute et intelligible voix que méchamment et brutalement il a commis et fait commettre les crimes cydessus, et qu'il en demande pardon à Dieu, au Roy et à la Justice; lesdits Michel et Catherine Morgaron étant à genoux et presens à cette amende honorable ; quoy fait ledit Léonard Moreuil et lesdits Michel et Catherine Morgaron amenez à la grande place, où


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lesdits' Michel et Catherine seront fouettez jusqu'au sang par l'Exécuteur; quoy fait, ledit Léonard Moreuil pendu et étranglé à une potence qui sera pour cet effet dressée dans laditte place, son corps jette au feu et ses cendres au vent : déclare laditte Cour tous et un chacun des biens dudit Léonard Moreuil acquis et confisqués au profit de qui il appartiendra, sur lesquels neamoins sera prise et prélevée la somme de cinquante livres d'amende envers ledit Seigneur Roy ; ordonne en outre que lesdits Michel et Catherine Morgaron seront mis et enfermés sous la correction pendant deux ans, dans la maison de force la plus proche dudit lieu de Bellar, et ensuite rendus audit Pierre Morgaron, leur père, pour veiller sur leur conduite. Fait à Paris en Parlement, cejourd'huy seizième jour de juillet, l'an de grâce mil six cent trente trois.


PROCES CRIMINEL DE FELIX SIMON

ACCUSÉ DE SODOMIE ET D'EMPOISONNEMENT 24 novembre 1650.


L'an mil six cent cinquante, cejourd'huy lundy quatrième jour du mois de septembre, en présence de nous, François Marie de Hautlieu, Juge Bailly de Fresnay, fut conduit et amené par Tristan de Langerie, exempt de la Maréchaussée, et Barthé- lémy Plantin, cavalier de laditte Maréchaussée, un quidam vêtu de drap bleu, que lesdits de Langerie et Plantain nous auroient déclaré avoir pris et amené, sur les plaintes et réquisitoire à eux faits par plusieurs particuliers ; lequel quidam, nous, Bailly susdit, aurions questionné et interrogé en la manière et forme qui s'ensuit :

Interrogé de quel nom il avoit, a repondu être appelle Félix Simon.

Interrogé de quel païs il etoit, a repondu qu'il etoit de ce lieu et bourg de Fresnay.

Interrogé quel etoit sa profession et vacation, a repondu qu'il etoit charpentier.

Apres lesquelles demandes et interrogatoires, les- dits Tristan de Langerie et Barthélémy Plantain


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nous ont déclaré que ledit Félix Simon par eux amené etoit accusé d'avoir commis acte de sodomie et péché contre nature avec le nommé André des Rosiers, fils de Martin des Rosiers, vigneron, et en outre, d'avoir empoisonné depuis un mois ledit André des Rosiers ; sur laquelle déclaration, nous, Bailly susdit, aurions demandé audit Félix Simon s'il avoit, ou pouvoit repondre aux accusations sus- dittes, lequel Félix Simon auroit repondu qu'elles etoient fausses et calomnieuses ; surquoy nous l'au- rions fait conduire en prison.


Cejourd'huy, mercredy sixième jour du mois de septembre, sont comparus pardevant nous les té- moins cy après nommez, lesquels, après avoir fait le serment accoutumé de dire et déclarer pure et entière vérité, ont déclaré ce qui suit :

Les deux premiers témoins, nommez Martin des Rosiers, vigneron, et Catherine Thoury, sa femme, père et mère d'André des Rosiers, soy complai- gnans à l'encontre de Félix Simon, lequel ils décla- rent avoir abusé charnellement dudit André des Rosiers, leur fils âgé de seize ans, depuis plus de six mois, et en fin de l'avoir empoisonné avec de l'arsenic, dont ledit André des Rosiers seroit mort et decedé le vingt neuvième jour d'aoust dernier, à cause qu'il ne vouloitplus souffrir cette accointance


LES PROCÈS DE SODOMIE


criminelle et détestable, dont il connoissoit alors toute l'enormité; ce qui avoit engagé ledit Félix Simon à se servir de ce cruel moyen etoit la crainte où il etoit que ledit André des Rosiers ne le décelât.

Robert des Pruneaux, Chirurgien juré audit bourg de Fresnay, a déclaré qu'ayant été appelle le vingt neuvième jour d'aoust dernier, par lesdits Martin des Rosiers et sa femme, pour secourir ledit André des Rosiers, gisant en son lit malade, et se' plaignant d'une ardeur insupportable dans les entrailles, il avoit voulu le saigner, mais que ledit André des Rosiers lui ayant dit qu'il croioit avoir été empoisonné, luy, Chirurgien susdit, luy auroit offert de prendre de la Theriaque, qui l'auroit un peu soulagé ; pendant lequel temps, lesdits des Rosiers et sa femme luy ayant demandé qui pouvoit l'avoir empoisonné, ledit André des Rosiers avoit repondu qu'il croioit que c' etoit ledit Félix Simon, charpen- tier, et tout de suite ayant demandé pardon à ses père et mère, il leur avoit avoué qu'il avoit eu la foiblesse de souffrir la copulation charnelle et contre nature dudit Félix Simon, mais que depuis quinze jours, ayant entendu parler de l'enormité du crime de sodomie, il avoit résolu de ne plus y retomber, ce qui avoit été cause que de rage ledit Félix Simon l'avoit empoisonné. Après quoy ledit André des Rosiers étant retombé dans ses douleurs, etoit mort ledit jour vingt neuvième aoust dernier, et avoit


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paru tout bleu, marque évidente du poison. Ledit rapport certifié et attesté de nouveau comme sin- cère et véritable par ledit Robert des Pruneaux. Fait pardevant nous les jours et an susdits.


Veu parla Cour de Parlement le procès criminel intenté pardevant le Juge et Bailly de Fresnay à l'encontre de Félix Simon, deffendeur et accusé de sodomie et d'empoisonnement.......; l'interroga- toire fait le lundy onzième jour dudit mois de septembre, audit Félix Simon ; la confrontation faite pardevant ledit juge Bailly de Fresnay, le mercredy treizième jour dudit mois de septembre, desdits Félix Simon, accusé, et Tristan de Langerie, Bar- thélémy Plantain, Martin des Rosiers, Catherine Thoury sa femme, et Robert des Pruneaux, témoins, lesdits témoins persistans en leurs témoignages, dépositions et déclarations, et ledit Simon en ses deflences et dénégations ; la sentence rendue le samedy vingt troisième jour de septembre par ledit Bailly de Fresnay contre Félix Simon, Charpentier; l'appel interjette ledit jour vingt troisième septem- bre par le substitut du Procureur gênerai du Roy à laditte sentance dudit Bailly de Fresnay; l'interro- gatoire fait le lundy deuxième jour d'octobre audit Félix Simon, appellant, deffendeur et accusé, par


28 LES PROCÈS DE SODOxMIE


Maitre Philippes Canaye, Conseiller en la Cour, Commissaire rapporteur, et généralement toutes les pièces dudit procès, circonstances et dépendan- ces ; ouy sur ce le Procureur gênerai du Roy en ses conclusions, et tout considéré ;

La Cour a mis et met à néant l'appel interjette au nom de Félix Simon, de la sentence rendue le samedy vingt troisième septembre dernier; ordonne que laditte sentence sera exécutée selon sa forme et teneur; en conséquence, déclare ledit Félix Simon, Charpentier audit lieu de Fresnay, bien et duement atteint et convaincu d'avoir commis sodomie et péché contre nature avec le nommé André des Ro- siers, garçon âgé de seize ans, et encore d'avoir empoisonné avec de l'arsenic ledit André des Rosiers, qui en seroit mort le vingt neuvième jour d'aoust dernier ; pour réparation desquels crimes et cas énormes, ordonne que ledit Félix Simon sera pendu et étranglé à une potence qui sera pour cet effet dressée dans la place de Fresnaye, quoy fait, son corps jette dans un feu allumé au pied de laditte potence, et ses cendres jettées auvent; déclare en outre tous et un chacun des biens dudit Félix Simon acquis et confisqués au profit du Roy, sur lesquels sera néanmoins prise et prélevée la somme de cent livres d'amende envers ledit seigneur Roy, en cas que confiscation n'ait pas lieu ; et pour l'entière exécution de laditte sentence du vingt troisième dudit mois de septembre, et du présent arrest, ren-


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voye laditte Cour ledit Félix Simon prisonnier par devers ledit Bailly de Fresnay. Fait à Paris en Par- lement cejourd'huy vingt quatrième jour du mois de novembre, l'an de grâce mil six cent cinquante.


PROCES CRIMINEL DE ANTOINE MAZOUER

ACCUSÉ DE SODOMIE

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15 e mars 1666.


L'an mil six cent soixante et six, cejourd'huy mardy quatrième jour du mois de janvier, est comparu en présence de nous, Raymond de Poten- tière, Lieutenant Criminel au Baillage et Presidial de la' Ville et Cité de Tours, Ange Dugaton, Mar- chand fabricant d'Etoffes de soye en cette ville, soy complaignant pour Emery Ange Dugaton, son fils, âgé de vingt et un ans, enlevé furtivement par Antoine Mazouer, jadis compagnon et ouvrier au service dudit complaignant, et à présent aussy pareillement Marchand , fabricant d'Etoffes de soye, or et argent, en cette ditte ville ; lequel Antoine Mazouer, contre tout droit divin et humain, retient ledit Emery Ange Dugaton, sans vouloir luy permettre de revenir chez sondit Père ; par quoy requeroit ledit Ange Dugaton qu'il nous plut faire emprisonner ledit Antoine Mazouer, et rendre la liberté audit Emery Ange Dugaton, son fils ; sur- quoy, nous, Lieutenant Criminel susdit, aurions délivré ordonnance portant injonction audit An-


ANTOINE MAZOUER


toine Mazouer de comparoitre pardevant nous demain mercredy cinquième du présent mois de janvier, et de remettre audit Ange Dugaton, Emery Ange Dugaton, son fils. Fait les jour et an que dessus.


'ejourd'huy vendredy, septième jour du mois de janvier, en vertu de l'ordonnance rendue par nous, fut amené et conduit en notre présence par Germain Maheult, exempt du Lieutenant criminel de robe courte, assisté et accompagné de Martin Ogier, Pierre Tambois, et Jean François Guefier, archers de laditte Compagnie, le nommé Antoine Mazouer, auquel nous avons fait les demandes et questions en la manière qui s'ensuit :

Interrogé quel nom il avoit, a repondu être appelle Antoine Mazouer.

Interrogé quelle etoit sa profession, a repondu qu'il etoit Marchand fabriquant d'Etoffes de soye en cette ville de Tours.

Interrogé quel âge il avoit a repondu qu'il avoit quarente cinq ans.

Interrogé pour quelle raison il retenoit chez luy le nommé Emery Ange Dugaton, fils d'Ange Duga- ton, Marchand de soye aussi dans laditte Ville, a repondu que ledit Emery Ange Dugaton ayant été battu exccessivement par son père, s'etoit venu


LES PROCES DE SODOMIE


réfugier chez luy, et que le connoissant depuis long tems, il avoit cru ne pouvoir faire autrement que de le sauver de la fureur dudit Ange Dugaton, jusqu'à ce qu'on ait pu trouver le moyen de luy faire entendre raison.

Interrogé s'il etoit vray qu'il eut eu habitation charnelle, sodomitique, et contre nature avec ledit Emery Ange Dugaton, a repondu que non, mais qu'il ne l'avoit receu que par bonne amitié, et avoit protesté audit Ange Dugaton, son père, qu'il avoit assé le moyen de le nourrir, et qu'il le regardoit comme son propre enfant. Apres lesquelles demandes et interrogatoires, nous avons fait con- duire ledit Antoine Mazouer en prison.


Cejourd'huy mercredy douzième jour du mois de janvier, fut amené pardevant nous, Lieutenant cri- minel de la ville et Baillage de Tours, Emery Ange Dugaton, conduit et escorté par Germain Maheult, exempt du Lieutenant criminel de robe courte, assisté et accompagné de Martin Ogier, Pierre Tambois, et de Jean François Gueffier, archers de laditte compagnie, auquel Emery Ange Dugaton avons fait faire lecture tant du proces-verbal et requête à nous présentée par Ange Dugaton, que de l'interrogatoire, demandes et réponses d'Antoine


ANTOINE MAZOUER 33


Mazouer; quoy fait, nous aurions interrogé ledit Emery Ange Dugaton, et ensuite ordonné qu'il seroit conduit es prisons de cette ville.


Nous, Raymond de Potentière, lieutenant crimi- nel au baillage et siège présidial de la ville de Tours, vu le procès criminel fait pardevant nous à rencontre d'Antoine Mazouer et Emery Ange Dugaton, deffendeurs et accusés de sodomie, et crime contre nature, et encore ledit Antoine Mazouer accusé d'avoir séduit et débauché ledit Emery Ange Dugaton...; l'interrogatoire fait aussi par nous à Emery Ange Dugaton, le mercredy douzième jour dudit mois, contenant les aveus et confessions faites par ledit Dugaton; la confronta- tion dudit Antoine Mazouer et Emery Ange Duga- ton, faite en notre présence le samedy quinzième jour dudit mois de janvier; autre confrontation faite pareillement pardevant nous le lundy dix sep- tième jour dudit mois de janvier, dudit Mazouer et d'Ange Dugaton, lesdits Ange Dugaton et Emery Ange Dugaton persistans en leurs dépositions, et ledit Mazouer en ses défenses et dénégations ; les déclarations, témoignages et dépositions faites par- devant nous le jeudy vingtième jour dudit mois par les nommez Pierre Aubert, marchand épicier, premier témoin, Geoffroy Harelle de Montlocq,


34 LES PROCES DE SODOMIE


avocat en Parlement, second témoin, Barbe Ton- gerle, veuve d'André Cloupet, hollandais de nation, troisième témoin, et Michelle Geneviève Petillet, femme de Jean Dubois, gagnedeniers, quatrième témoin, à rencontre et à la charge desdits Antoine Mazouer et Emery Ange Dugaton ; la confrontation desdits Antoine Mazouer et Emery Ange Dugaton, et des susnommez Pierre Aubert, Geoffroy Harelle de Montlocq, Barbe Tongerle veuve Cloupet, et Michelle Geneviève Petillet femme Dubois, laditte confrontation en datte du mardy vingt cinquième jour dudit mois; vues aussi les conclusions du pro- cureur du Roy audit siège : avons déclaré et décla- rons lesdits Antoine Mazouer, et Emery Ange Dugaton, fils mineur d'Ange Dugaton, duement atteints et convaincus d'avoir commis sodomie détestable et crime contre nature, et en outre ledit Antoine Mazouer d'avoir séduit et abusé dudit Emery Ange Dugaton, pour réparation desquels crimes, et cas énormes, ordonnons qu'ils seront conduits dans un tombereau jusqu'à la grand place de cette ville, où ledit Emery Ange Dugaton sera pendu et étranglé à une potence qui y sera dressée à cet effet; ensuitte dequoy sera ledit Antoine Mazouer attaché à un poteau et brûlé vif dans un feu qui sera allumé près de laditte potence, avec le corps dudit Emery Ange Dugaton; quoy fait, leurs cendres seront jettées dans la Rivière de Loire; déclarons en outre tous et un chacun des biens


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appartenans audit Antoine Mazouer acquis et con- fisqués au profit de Sa Majesté, sur 'lesquels sera néanmoins prise et prélevée la somme de trois mille livres d'amende envers le Roy, en cas que confiscation n'ait point lieu, et celle de cinq cent livres d'amende envers ledit seigneur Roy pris sur les biens dudit Emery Ange Dugaton, au payement de laquelle somme de cinq cent livres, le nommé Ange Dugaton père sera contraint et poursuivy par toutes voyes dues et raisonnables, comme pour les deniers appartenans à Sa Majesté. Donné par nous, Lieutenant criminel susdit, le samedy cin- quième jour du mois de février mil six cent soixante et six.


Sentence confirmée purement et simplement par le Parlement de Paris, le 15 mars 1666.


PROCES CRIMINEL DE LOUIS BONDOT,

SABOTTIER, ACCUSÉ DE VIOL ET DE SODOMIE , 20 aoust 1666.


Veu par la Cour de Parlement le procès criminel fait pardevant le Lieutenant du Prevot des Maré- chaux de la ville de Saint Pierre le Moustier, à la requête, poursuite et diligence du substitut du Pro- cureur gênerai du Roy au siège Presidial de laditte ville, demandeur et accusateur, à rencontre de Louis Bondot, sabottier, deffendeur et accusé de viol et de sodomie.

Le procès verbal fait pardevant le Lieutenant de la maréchaussée de Saint Pierre le Moustier, le vendredy trentième jour du mois de juin mil six cent soixante et six, contenant la plainte des nom- mez Jean Antoine Trousset, Charpentier, et Marie Angélique Tondu, sa femme, soy complaignans pour Marguerite Angélique Trousset, leur fille, âgée de quinze ans, violée et prise de force par Louis Bondot, sabottier, duquel viol et force laditte Marguerite Angélique Trousset etoit à l'extrémité, requérant en outre lesdits Trousset et sa femme que


LOUIS BONDOT 37


laditte fille fut visitée, soignée, et medicamentée aux dépens, frais et coust dudit Bondot, et dépens, dommages et interests contre ledit accusé ;

L'interrogatoire fait par ledit Lieutenant de la Maréchaussée, le samedy premier jour du mois de juillet audit an ;

L'interrogatoire fait aussi par ledit Lieutenant, le Lundy troisième jour dudit mois, à laditte Mar- guerite Angélique Trousset ;

Le procès verbal et rapport de visite fait par Marc Antoine Mouftard, chirurgien audit lieu de Saint Pierre le Moustier, assisté et accompagné de Thimothée Anquenet, lesquels ont déclaré que laditte Marguerite Angélique Trousset avoit été violée, et en outre connue aussi charnellement contre l'ordre de nature, et par derrière, ajoutans lesdits experts qu'ils croioient que laditte fille etoit atteinte de maladie vénérienne ; ledit rapport en datte du mer- credy cinquième jour dudit mois ;

La sentence rendue le jeudy sixième jour dudit mois, par ledit Lieutenant de la Maréchaussée, ordonnant que ledit Louis Bondot seroit visité et examiné par lesdits Marc Antoine Mouftard et Timothée Anquenet, experts jurez ;

Le procès verbal et rapport de visite desdits Mouf- tard et Anquenet, lesquels ont déclaré qu'après avoir visité et examiné ledit Louis Bondot, ils ont reconnu et trouvé qu'il etoit atteint et gâté de maladie vénérienne, laquelle il avoit communiquée


38 LES PROCÈS DE SODOMIE


à laditte Marguerite Angélique Trousset; ledit rap- port et procès verbal en datte du samedy huitième jour desdits mois et an ;

La confrontation faite dudit Bondot et des sus- nommez Jean Antoine Trousset et Marie Angé- lique Tondu, sa femme, le lundy dixième jour de juillet ;

, La sentence rendue par ledit Lieutenant en la Maréchaussée de Saint Pierre le Moustier, portant condamnation contre ledit Louis Bondot; laditte sentence en datte du samedy quinzième jour dudit mois de juillet;

Vu aussi le réquisitoire du procureur gênerai du Roy qui, après avoir pris connoissance dudit procès criminel, et l'ayant vu de nouveau, se serait porté appellant a minima de laditte sentence ;

Les nouvelles procédures faites par ledit Procu- reur gênerai du Roy ;

Les interrogatoires faits audit Louis Bondot, sabotier, le mardy premier jour du présent mois d'Aoust, par Maître Augustin Morel, Conseiller en la Gour, Commissaire Rapporteur du susdit procès ;

L'interrogatoire fait par ledit Commissaire Rap- porteur, le vendredi quatrième jour dudit mois, aux nommez Jean Antoine Trousset et Marie Angé- lique Tondu, sa femme ;

Ouy aussi sur ce le Procureur gênerai du Roy en ses conclusions, et tout considéré :

La Cour a mis et met à néant l'appel interjette au


LOUIS BONDOT 39


nom dudit Louis Bondot, à laditte sentence du quinzième jour dudit mois de juillet ; déclare ledit Louis Bondot bien et duement atteint et convaincu d'avoir violé et connu charnellement et d'une façon extraordinaire et contre nature, laditte Marguerite Angélique Trousset, et en conséquence, et pour réparation desquels cas et crimes énormes, ordonne que ledit Louis Bondot sera attaché à un poteau planté pour cet effet dans la grande place et marché de Saint Pierre le Moustier, et là brûlé et consommé vif dans un bûcher, quoy fait, ses cendres jettées et semées dans la Rivierre d'Allier; déclare tous et un chacun des biens dudit Louis Bondot acquis et confisquez au profit du Roy, sur lesquels néanmoins sera prise et prélevée la somme de cinquante livres d'amende envers ledit seigneur Roy, celle de mille livres par forme de dommages et interests envers laditte Marguerite Angélique Trousset, laquelle somme de mille livres sera donnée et remise entre les mains desdits Jean Antoine Trous- set et Marie Angélique Tondu, ses père et mère, et celle de soixante et quatre livres cinq sols, pour les dépens, frais et loyaux coûts et medicamens fournis par ledit Marc Antoine Mouftard, laquelle somme luy sera remise. Fait à Paris en Parlement, cejourd'huy vingtième jour du mois d'aoust, l'an de grâce mil six cent soixante et six.


PROCES CRIMINFL DE PHILIPPES BOUVET DE LA CONTAMINE

ACCUSÉ DE SODOMIE 30 mars 1677.


L'an mil six cent soixante et seize, cejourd'huy mercredy premier jour du mois d'octobre, est com- paru pardevant nous, Auguste Pierre des Arcy, Conseiller du Roy, Commissaire et Enquêteur pré- posé pour la police au quartier du Luxembourg, Marie Fournier, veuve de Nicolas d'Avautois, Ecuyer, sieur de Beaumont, stipulante pour Charles d'Avautois, Ecuyer, sieur de Beaumont, son fils, laquelle nous a déclaré qu'elle se rendoit complai- gnante à l'encontre de Messire Philippes Bouvet de la Contamine, Ecuyer, sieur d'Orvaux, lequel avoit retenu et retenoit, depuis le dimanche vingt hui- tième jour de septembre dernier, ledit Charles d'Avautois chez luy, sans vouloir le laisser sortir, parquoy requeroit laditte complaignante que nous dressassions laditte présente plainte, désirant pour- suivre extraordinairement ledit Bouvet de la Con- tamine, qui, comme on luy avoit dit, non seulement maltraitoit ledit Charles d'Avautois, mais même le


PHILIPPES BOUVET DE LA CONTAMINE 41


connoissoit charnellement, et commettoit avec luy sodomie et péché contre nature par violence; par- quoy laditte complaignante ne voulant pas laisser une telle insulte et outrage impuni, et pour pouvoir en même temps en avoir réparation, elle nous a requis de luy délivrer coppie de la présente plainte, ce que nous aurions fait, pour luy servir ce que de raison. Fait lesdits jour et an que dessus, ainsy signé : des Arcy.


Sur la requête présentée à Monsieur le Prévôt de Paris, ou à Monsieur son lieutenant criminel au nouveau Châtelet, le vendredy troisième jour du présent mois d'octobre, par Marie Fournier, veuve de Nicolas d'Avautois, stipulante pour Charles d'Avautois, son fils, laditte requête tendante à ce que le nommé Philippes Bouvet de la Contamine soit décrété de prise de corps et emprisonné pour le rapt et violance par luy commise en la personne dudit Charles d'Avautois, ce qu'elle offroit de prou- ver par témoignages bons et suffisans ; vu aussi la plainte formée par laditte suppliante pardevant Auguste Pierre des Arcy, en datte du mercredy premier octobre, et le procureur du Roy en ses con- clusions, nous ordonnons que ledit Philippes Bou- vet de la Contamine sera incessament pris et appréhendé au corps, et constitué en prisons du


42 LES PROCÈS DE SODOMIE


grand Chastelet, pour être par nous examiné et interrogé sur faits et articles, et ensuite ordonné ce que de raison ; et pour ce mandons au sieur Aurelien Rouvet, Exempt de la compagnie du sieur lieute- nant criminel de robe courte, d'exécuter notre présente ordonnance, et de prendre avec luy pour l'accompagner et assister tel nombre de gens (jle sa brigade qu'il jugera à propos et suffisant. Fait par nous, susdit Lieutenant criminel de la Prevosté et Vicomte de Paris, cejourd'huy samedy quatrième jour du mois d'octobre.


Cejourd'huy lundy, sixième jour du mois d'oc- tobre, en présence et pardevant nous, lieutenant criminel, est comparu Aurelien Rouvet, Exempt, lequel nous a déclaré que pour obeïr et mettre à exécution notre ordonnance du samedy quatrième jour du présent mois, il se seroit transporté rue de Richelieu, auprès de la rue Traversine, dans une maison où demeure et loge le sieur Bouvet de la Contamine, seigneur d'Orvaux, assisté et accom- pagné de Jean de L'Espinay, dit La Tempête, d'Etienne Frappon, Georges du Sauzes, Claude Alexis Le Sieur, dit Le Grand, Guillaume Maze, Jérôme Adrien Ribert, Henry Hector Douceur, Chrétien Cuffray, dit Bataille, Simon Duval, Chris- tophle Targnon, dit Du Bordet, René Moignat, dit


PHILIPPES BOUVET DE LA CONTAMINE 43


Le Soissonnois, et de Richard Dubecaularge, ar- chers de laditte brigade, et auroit frappé à la porte du premier étage sur le derrière de laditte maison, occupé par ledit de La Contamine, lequel auroit repondu par la fenestre ayant vue sur la cour, qu'il ne vouloit pas ouvrir, lequel refus ledit de La Contamine avoit accompagné de paroles inju- rieuses et blasphématoires horribles contre le saint nom de Dieu; sur quoy luy, Exempt susdit, auroit ordonné auxdits archers de prendre des leviers et deffoncer la porte dudit appartement, ce qu'ils auroient exécuté, et ayant mis en pièce la première porte, ils seroient entrez dans une antichambre, où ensuite lesdits archers se seroient mis en devoir d'enfoncer la porte de la chambre où etoit enfermé ledit Bouvet de la Contamine, surquoy ledit La Con- tamine, ouvrant laditte porte, auroit frappé lesdits archers avec son épée, dont- il auroit donné un coup dans l'épaule du susdit Simon Duval, et un autre dans le ventre de René Moignat, dit le Sois- sonnois, lequel Soissonnois avoit été porté sur le champ chez un chirurgien demeurant susditte rue de Richelieu, vis à vis la petite porte du Palais Royal, lequel chirurgien auroit déclaré que ledit Soissonnois etoit en danger de la vie ; ensuite dequoy les susnommez Christophle Targnon et Richard de Becaularge auroient saisy et pris ledit de La Contamine par le faux du corps, et emmené es prisons du grand Châtelet ; en témoignage de


44 LES PROCÈS DE SODOMIE


quoy ledit Aurelien Bouvet auroit requis le présent procès verbal qu'il auroit signé. Fait pardevant nous, les jour et an susdits, ainsy signé : Bouvet, Exempt chargé de l'ordre.


Cejourd'huy mardy, septième jour du mois d'oc- tobre, fut amené en présence de nous, lieutenant criminel au nouveau Châtelet, un quidam vêtu de drap brun avec des boutons et boutonnières d'or, auquel nous avons fait interrogatoire fait audit Jacob du Tertre par le susdit Bailly, le mardy douzième décembre ;

L'ordonnance rendue par ledit juge, sur les conclu- sions du Procureur fiscal audit lieu, le vendredy quinzième jour dudit mois, portant que ledit René du Tertre seroit mis et appliqué à la question, pour savoir et connoitre la vérité des accusations men- tionnées au présent procès ;

Les aveux et confessions faits par ledit René du Tertre lors qu'il a été appliqué à la question, le samedy seizième de décembre, en vertu de la sus- ditte ordonnance, et dans lesquels il a déclaré persister, et les reconnoitre pour sincères et véri- tables ;

La requête présentée par ledit Anastase du Plan, le lundy dix sept dudit mois, tendante à ce que ledit Jacob du Tertre, son neveu, luy soit remis pour avoir soin et veiller sur sa conduite, requérant en outre ledit suppliant qu'au cas que ledit René du Tertre, père dudit Jacob, soit condamné et puny


58 LES PROCÈS DE SODOMIE


corporellement, ses biens soient confisquez au profit dudit Jacob, dont il a demandé la garde et tutelle, au cas susdit ;

La sentence dudit Bailly, en date du samedy vingt troisième jour dudit mois, par laquelle ledit René du Tertre est condamné à être brûlé vif, et ses biens confisquez au profit de qui il appartiendra.

L'appel interjette à Minima de laditte sentence, par le procureur fiscal dudit lieu, au nom dudit René du Tertre, et dudit Anastase Duplan ;

La requête présentée à la Cour par ledit Duplan, tendante aux mêmes fins que celle qu'il a présentée audit Bailly de Sourches, le lundy dix sept dudit mois, laditte requête en datte du mardy quatre jan- vier 1680;

L'interrogatoire fait par ïe Conseiller de la Cour, Commissaire Rapporteur, le vendredy sept du pré- sent mois de Janvier, audit René du Tertre, et généralement toutes les , pièces concernant ledit procès ;

Vues aussy, et ouy sur ce le Procureur General du Roy en ses conclusions, et tout considéré :

La Cour, faisant droit sur le tout, a mis et met à néant l'appel interjette par ledit Procureur fiscal de Sourches au nom dudit René du Tertre, et Anastase Duplan, de la sentence dudit Bailly de Sourches ; ordonne que laditte sentence sera exécutée en ce qui concerne ledit René du Tertre et en consé- quence déclare ledit René du Tertre bien et duement


RENE DU TERTRE 59


atteint et convaincu d'avoir violé et connu par copulation charnelle et contre nature le nommé Jacob du Tertre, son fils, et de deffunte Lisette du Plan ; pour réparation desquels cas et crimes énor- mes, ordonne laditte Cour que ledit René du Tertre sera attaché à un poteau planté dans la place et marché dudit Sourches, et là brûlé vif; quoy fait, ses cendres jettées et semées au vent ; déclare en outre tous et chacun des biens appartenans audit René du Tertre acquis et confisqués au profit dudit Jacob du Tertre, son fils mineur, sur lesquels néan- moins sera prise et prélevée la somme de trente Livres d'amende envers le Roy, et le surplus remis et livré à Anastase du Plan, pour le régir au nom dudit Jacob du Tertre, duquel laditte Cour le crée curateur et tuteur ; et lequel Jacob du Tertre sera incessemment remis audit du Plan, pour soigner et veiller sur sa conduite ; et pour l'exécution de la susditte sentence du 23 e décembre dernier, et du présent arrest, renvoyé laditte Cour ledit René du Tertre prisonnier pardevers ledit Bailly de Sour- ches. Fait à Paris en Parlement, cejourd'huy 19 e jour de Janvier l'an de grâce 1680.


PROCÈS CRIMINEL

DE JACQUES CHAUSSON,

DIT DES ESTANGS,

ET JACQUES PAULMIER, DIT FABRY,

ACCUSÉS DU CRIME DE SODOMIE, ET D'AVOIR FAIT COMMETTRE LEDIT CRIME

29 décembre 1661.


L'an mil six cent soixante et un, le mardy dou- zième jour du mois d'aoust, sont comparus parde- vant nous, Jean Baptiste des Molets, Commissaire au Ghatelet de Paris, Germain des Valons, Ecuyer, sieur de Duchesne, Lieutenant dans le régi- ment de Montrevel, et Aymard de Bellezair, Ecuyer, sieur du Tremblay, lesquels nous ont dé- claré qu'ils se portoiént pour complaignans de l'in- sulte faite à Octave Julien des Valons, âgé de dix sept ans, fils mineur dudit Germain des Valons sieur de Duchesne, lequel Octave Julien des Va- lons auroit été introduit depuis quinze jours chez le nommé Jacques Chausson, dit Des Estangs, demeu- rant à Paris, rue Saint Antoine, proche de la vieille rue du Temple, par un jeune homme appelle Le Sueur, et que cejourd'huy matin, sur les dix heures


JACQUES CHAUSSON ET JACQUES PAULMIER 6l


et demie, une femme appellée Chrétienne Le La- boureur, travaillant à la journée, seroit venu chez le susdit Aymard de Bellezair, l'avertir qu'on assas- sinoit ledit Octave Jullien des Valons, son neveu, dans la maison sciserue Saint Antoine; qu'à l'instant ledit Bellezair ayant suivy cette ditte femme, seroit entré dans une chambre de la susditte maison, où étant monté au second appartement, accompagné de laquais, il auroit effectivement trouvé ledit Oc- tave Jullien des Valons, tout en sang, et se débat- tant entre plusieurs particuliers, entre lesquels etoit ledit Jacques Chausson, dit Des Estangs; qu'ayant tiré de force ledit Des Valons, son neveu, il etoit allé trouver le susnommé Germain Des Valons de Duchesne, son père, pour venir faire la présente plainte et requête verbale; ajoutans lesdits complai- gnans qu'ils souhaitoient poursuivre laditte plainte, et nous en ont demandé une copie collationnée, la- quelle nous leur avons dès à présent délivrée : ainsi signé : Germain Desvalons, sieur de Duchesne, Lieutenant dans le régiment de Monsieur le Comte de Montrevel, et Aymard de Bellezair, Ecuyer, sieur du Tremblay, stipulans pour Octave Jullien Des Valons, Ecuyer, leur fils et neveu. Laditte re- quête en date du lundy dix huitième jour du pré- sent mois d'aoust, tendante à ce que le nommé Jac- ques Chausson, dit Des Estangs, fut par nous décrété pour l'insulte et violence faite le mardy douzième dudit mois audit Octave Jullien Des Va-


62 LES PROCÈS DE SODOMIE


Ions, maltraitemens à luy faicts, et qu'il offre de prouver, comme aussy de ce que ledit Des Estangs auroit voulu obliger ledit Des Valons à souffrir l'ac- cointance et habitation charnelle et contre nature d'un quidam vêtu d'un habit rouge avec des Brande- bourgs d'or, qui etoit enfermé dans sa chambre ;

Vues aussy par le susdit Lieutenant Criminel la plainte formée chez le sieur Des Molets, Commis- saire préposé pour la police au quartier du Cime- tière Saint Jean, ledit jour douze aoust, par les sup* plians ;

Le procès verbal par ledit sieur Commissaire Des Môlets, le même jour, et le rapport et visite faite en sa présence par Grégoire Aubry, Chirurgien juré reçu à Saint Cosme, de l'état et scituation du- dit Octave Jullien Des Valons ;

Nous, Lieutenant Criminel en la prevosté de Paris, ordonnons que le nommé Jacques Chaus- son, dit Des Estangs, demeurant rue Saint Antoine, sera pris et appréhendé au corps, et conduit prison- nier es prisons du grand Chastelet, pour par nous être interrogé, et ensuite ordonné ce que de raison ; et pource enjoignons à Raoul Rifftart, exempt du sieur Lieutenant Criminel de Robe Courte, d'exécu- ter le présent décret, et de prendre avec luy tel nombre de gens de sa Compagnie qu'il avisera à pro- pos. Donné par nous cejourd'huy mardy, dix neu- vième jour du mois d'aoust.


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Cejourd'huy vingt et unième jour d'aoust, fut amené et conduit pardevant nous, un quidam vêtu de drap gris de Maure, ledit quidam de présent pri- sonnier es prisons du grand Châtelet, lequel qui- dam avons interrogé et questionné en la manière et forme suivante :

Interrogé quel nom il avoit, a repondu être nom- mé et appelle Jacques Chausson dit Des Estangs.

Interrogé quelle etoit sa profession et vacation, a repondu qu'il avoit autrefois été commis à l'hôtel des fermes du Roy, mais que, depuis deux ans et demie, il n'avoit plus d'employ, et etoit obligé de vivre d'écritures et de copies qu'il faisoit pour les uns et les autres qui vouloient l'employer.

Interrogé quel âge il avoit, a répondu qu'il avoit eu quarante trois ans et demie le vingt cinquième du mois dernier.

Interrogé du sujet qui l'avoit porté à la violence commise envers le nommé Octave Jullien Des Va- lons, le mardy douzième jour du présent mois, a repondu que ledit Des Valons, qui venoit quel- quefois chez luy, s'etant vanté qu'il avoit sur la fesse la marque d'une Rose, il lui avoit demandé de la voir; ce que ledit Des Valons avoit refusé, mais que luy, Chausson, ayant parié un écu qu'il la ver- roit malgré luy, s'etoit mis en devoir de luy debou-


64 LES PROCÈS DE SODOMIE


tonner ses culottes, surquoy ledit Des Valons luy auroit donné un coup de poing; que luy, Chausson, piqué de cette violence, auroit répliqué par un coup de pied, mais que ledit Des Valons, se sentant le plus foible, s'étoit mis sur le champ à crier qu'on l'assassinoit, et qu'on vouloit le violer.

Interrogé qui etoit ledit quidam vêtu de drap rouge, avec des brandebourgs d'or sur son habit, a repondu qu'il ne le connoissoit point.

Interrogé et menacé qu'en cas qu'il ne dit point le nom dudit quidam que l'on sçavoit fort bien, et qu'il devoit sans doute connoître, de le faire mettre en prison, et en cas de plus longue résistance, de le faire mettre et appliquer à la question, a re- pondu ledit accusé que le quidam cy dessus designé etoit appelle Jacques Paulmier, dit Fabry.

Apres lesquelles demandes et interrogatoires, ledit Jacques Chausson a été par notre ordre recon- duit en prison ;

Fait les jour et an que dessus.


Sur la requête présentée à Monsieur le Prevot de Paris, le samedy vingt troisième jour du présent mois d'aoust, le Procureur du Roy y joint : laditte Requête tendante à ce qu'en suivant le procès crimi- nel intenté au nommé Jacques Chausson, et con- formément aux témoignages et déclarations faites


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par ledit accusé le vingt un du présent mois, le nommé Jacques Paulmier, accusé d'avoir voulu vio- ler et connoitre charnellement ledit Octave Jullien Des Valons, soit pris et décrété de prise de corps ; les conclusions du sieur Procureur du Roy tendantes audit décret ; nous, Lieutenant Criminel, ordonnons à Raoul Rifflart, Exempt, de prendre et appréhender au corps ledit Jacques Paulmier, dit Fabry, de le conduire ensuite dans les prisons du grand Chatelet de Paris, pour être ledit accusé par nous interrogé et ensuite ordonné ce que de raison. Donné à Paris, cejourd'huy mardy vingt sixième jour du mois d'aoust.


Cejourd'huy Mercredy, vingt septième jour du mois d'aoust, fut amené et conduit pardevers nous un quidam vêtu de drap rouge, avec des brande- bourgs d'or sur son habit, de présent prisonnier es prisons du grand Chatelet de cette ditte ville, lequel nous avons interrogé et questionné en la manière et façon qui s'ensuit :

Interrogé quel nom il avoit, a repondu être nommé et appelle Jacques Paulmier, dit Fabry.

Interrogé quelle etoit sa profession et vaccation, a repondu qu'il etoit actuellement commis aux fermes générales de sa Majesté.

Interrogé quel âge il avoit, a repondu qu'il avoit trente six ans.


66 LES PROCÈS DE SODOMIE


Interrogé s'il connoissoit le nommé Jacques Chausson, dit Des Estangs, a repondu qu'oui, qu'ils avoient été commis ensemble à la douanne, et que depuis ce tems ils s'etoient beaucoup fréquentez.

Interrogé du sujet qui l'avoit porté à la violence par lui commise envers le nommé Octave Jullien Des Valons, le mardy douzième jour du présent mois, a repondu que, dans la conversation, ledit Jacques Chausson avoit dit qu'un homme n'a plus de force, et est fort embarrassé lorsque le bouton de sa culotte est deffait, surquoy ledit Des Valons avoit repondu qu'il pariroit bien de se battre, et de pousser même quoique le bouton de sa culotte fut deffait; surquoy ledit Chausson avoit parié une pis- tolle que non, et ledit Des Valons ayant deffait le bouton de sa culotte, avoit pris une canne comme pour servir de fleuret, et au lieu de pousser une botte, avoit donné un coup dans le visage dudit Chausson, qui avoit dit audit Des Valons, qu'il n'etoit qu'un maladroit ; ensuite dequoy ledit Des Valons avoit voulu le frapper de sa canne, que ledit Chausson avoit retenue avec sa main, et auroit donné un coup de poing dans le visage audit Des Valons, qui, sentant sa faiblesse, avoit crié qu'on l'assassinoit, et même qu'on le vouloit vio- ler.

Apres lequel interrogatoire, ledit Jacques Paul- mier, dit Fabry, a été, de notre ordre, reconduit es prisons du grand Châtelet.


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Cejourd'huy vendredy, vingt neuvième jour du mois d'aoust, est comparu pardevant nous un qui- dam vêtu de drap couleur canelle, lequel nous a déclaré qu'il venoit pour obéir à notre ordonnance en datte du jour d'hier, lequel quidam nous aurions questionné et interrogé en la manière et façon qui s'ensuit :

Interrogé quel nom il avoit, a repondu être nommé et appelle Octave Jullien Des Valons, Ecuyer, fils de Germain Des Valons, Ecuyer, sieur de Duchesne, et de deffunte Louise Angélique Du Vesien, sa femme.

Interrogé quel âge il avoit, a repondu qu'il avoit eu dix sept ans le dix huitième jour de mars passé.

Interrogé quel etoit le sujet de la dispute qu'il avoit eu, le mardy douzième jour d'aoust dernier, avec les nommez Jacques Chausson et Jacques Paulmier, dans un second appartement d'une mai- son située rue saint Antoine, auprès de la vieille rue du Temple, occupée par ledit Chausson; a repondu que, connoissant ledit Chausson, et ayant été mené chez luy par un jeune homme appelle Le Sueur, il etoit enfin venu chez luy ledit jour douze aoust, et que ledit Paulmier avoit dit audit Chausson en parlant de luy Des Valons : « Voilà un joly blon-


68 LES PROCÈS DE SODOMIE


din ! » surquoy ledit Chausson avoit repondu : « Je le croy assez joly garçon pour vous offrir ses ser- vices ; » que luy Des Valons ayant répliqué qu'il souhaitteroit être propre à quelque chose, ledit Chausson avoit pris la parole, et dit que le service qu'on lui demandoit ne luy couteroit rien, et que ledit sieur Paulmier etoit de son coté assez obli- geant pour luy en rendre de pareils lorsqu'il vou- droit ; que luy Des Valons, ayant eu le malheur de témoigner qu'il ne demandoit pas mieux que d'effectuer de sa part l'envie qu'il avoit d'obliger ledit Paulmier, ledit Chausson s'etoit avancé, et l'ayant embrassé luy avoit deffait en même tems le bouton de sa culotte, et ensuite ledit Paulmier s'etoit mis en devoir de le connoitre charnellement, et de commettre avec luy le crime de sodomie, ce qu'ayant senty, il s'etoit mis à crier, et s'etoit débattu, en sorte qu'une vieille femme, travaillant à la journée chez le sieur Petit, Marchand de bas, principal locataire de laditte maison, etoit accourue, et qu'il luy avoit dit d'aller chez le sieur Du Trem- blay, son oncle, qui demeure dans le voisinage, vieille rue du Temple, au coin de la Rue de Bercy, et qu'un moment après ledit sieur Bellezair Du Tremblay etoit venu avec son laquais, et l'avoit retiré des mains desdits Chausson et Paulmier.

Apres lesquelles demandes et interrogatoire, ledit Octave Jullien Des Valons s'est retiré.


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Sur le réquisitoire du Procureur du Roy de cette ville de Paris, nous Lieutenant criminel, avons ordonné et enjoint à plusieurs quidams et qui- damnes de comparoitre en personne samedy pro- chain dix huitième jour du présent mois d'octobre, à faute par lesdits quidams et quidamnes deffaillans et non comparans d'être poursuivis extraordinaire- ment; duquel ordre et exécution d'iceluy nous avons chargé le nommé Raoul Rifflard, Exempt de la Compagnie du sieur Lieutenant Criminel de robe courte. Donné par nous aujourd'huy jeudy seizième jour du mois d'octobre.


Cejourd'huy samedy dix huitième jour du mois d'octobre, sont comparus en personne par devant et en présence de nous les témoins cy après dénom- mez, lesquels, après avoir prêté le serment ordi- naire et accoutumé de dire et déclarer pure et entière vérité, ont déclaré ce qui suit :

Le premier témoin, lequel a dit être nommé et appelle Marc Antoine Petit, , Marchand de bas en gros à Paris, et y demeurant grande rue Saint Antoine, paroisse saint Gervais, et principal loca- taire d'une maison sise rue susditte, auprès de celle


70 LES PROCÈS DE SODOMIE


du Temple ; lequel a déclaré que depuis le huitième jour du mois d'avril dernier qu'il a loué le second appartement de saditte maison au nommé Jacques Chausson, il n'a jamais entendu aucun bruit ni tapage, et qu'il n'a vu venir chez ledit Chausson aucune femme, fille, ou autre, que beaucoup de jeunes gens; qu'à la vérité, il y a environ trois mois qu'il vint une femme chanter pouille audit Chausson, et luy reprocher qu'il avoit enlevé son neveu, qu'elle alloit porter sa plainte chez le Com- missaire ; mais que ledit Chausson luy avoit dit que le jeune homme que cette femme se plai- gnoit avoir été enlevé etoit à la vérité le neveu de cette ditte femme, mais qu'il etoit aussy le cousin de luy Chausson, qui sachant les mauvaises ma- nières et mauvais traitemens qu'elle luy faisoit souffrir, l'avoit mis au collège en province ; et enfin ledit Petit, premier témoin, a ajouté qu'il avoit été fort étonné du tapage et esclandre arrivé chez ledit Chausson le mardy douze jour d'aoust dernier, le croiant incapable d'aucune mauvaise manœuvre.

Le second témoin, laquelle a dit être nommée et appellée Chrestienne Le Laboureur, travaillant à la journée chez le sieur Marc Antoine Petit, a déclaré que le Mardy douzième jour du mois d'aoust der- nier, sur les dix heures et demie du matin, elle auroit entendu un grand bruit et tapage dans la chambre au second sur le devant, occupée par le


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sieur Jacques Chausson, et qu'étant montée et ayant ouvert la porte, où la clef etoit, elle auroit apperçu le nommé Octave Jullien Des Valons, les culottes abbatues, tout en sang, et criant qu'on l'assassinoit et qu'on le vouloit forcer, et connoitre sodomitiquement, et que ledit sieur Des Valons l'avoit prié d'aller chez le sieur Du Tremblay, son oncle, qui demeuroit vieille rue du Temple, luy dire de venir au plutôt, ce qu'elle avoit exécuté.

Le troisième témoin, lequel a dit être nommé et appelle Joseph Henry Le Noir, a déclaré que con- noissant depuis très long tems le nommé Jacques Chausson, il etoit entré un jour chez luy, lors qu'il etoit logé rue des Noyers, auprès de la rue des Anglois, chez une marchande Lingère, et quelques jours avant qu'il vint occuper l'appartement de la rue Saint Antoine, il avoit trouvé ledit Jacques Chausson accouplé charnellement, et en copulation détestable et contre nature, avec le nommé Jacques Paulmier; qu'ayant voulu représenter audit Chaus- son l'enormité du crime qu'il venoit de commettre, ledit Chausson luy avoit repondu qu'il n'en dit mot à personne et qu'il ne tenoit qu'à luy de jouir du même plaisir, et qu'au reste il auroit doresnavant plus de soin de ne point laisser sa clef à la porte pour n'être plus interrompu; que ledit Paulmier l'avoit ensuite fort pressé de se laisser connoitre charnellement, ce qui avoit obligé luy Le Noir, pré- sent témoin, de luy dire que s'il ne le laissoit pas


  • ]2 LES PROCÈS DE SODOMIE


sortir il alloit les dénoncer et en même tems de leur faire porter la punition de leur crime, et seroit ensuite sorti de cette maison.

Le quatrième témoin, lequel a dit être appelle Joseph Picard, dit la Fleur, domestique de mon- sieur le Comte de Kesly, a déclaré qu'étant au ser- vice dudit Jacques Chausson, dans le tems qu'il demeuroit rue des Noyers, vers le quinze de jan- vier dernier ledit Chausson arriva un soir avec un jeune garçon fort beau, habillé d'un habit gris de souris, auquel garçon il dit d'aller se coucher, et que n'ayant point de lit à luy donner, il le feroit coucher dans le sien, et que toute la nuit il avoit entendu ledit jeune garçon crier et se plaindre, surquoy ayant demandé audit Chausson le sujet des pleurs et des cris dudit jeune garçon, ledit Chausson avoit répondu que ce garçon etoit un enfant de famille, mais qui, malheureusement, se trouvant bâtard, avoit été chassé honteusement par ses frères, qui ne vouloient point luy faire part du bien de son père, et qu'un oncle dudit garçon, et frère de sa mère, avoit pris ce jeune garçon chez luy, lequel oncle, ayant été obligé de venir à Paris, et ne voulant pas faire semblant de protéger ledit garçon, avoit prié luy Chausson de le loger chez luy secrètement, jusqu'à ce qu'il s'en retournât dans sa province ; que deux ou trois jours après, il etoit arrivé un homme d'âge, habillé magnifiquement avec un habit de velours bleu, brodé sur toutes


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les coutures, lequel homme ledit Chausson luy avoit dit être l'oncle dudit jeune garçon ; ajoutant ledit Picard que cet homme venoit tous les jours visiter ledit jeune garçon, qu'alors ledit Chausson fermoit la porte, et que l'on entendoit ledit garçon crier et pleurer ; que ne sçachant ce que tout cela pouvoit signifier, il avoit suivi un jour ledit homme qui passoit pour l'oncle dudit garçon, et l'avoit vu entrer dans une grande maison sise rue de Vaugi- rard, fauxbourg saint Germain, auprès des filles Religieuses du Calvaire, et s'etant informé des domestiques de laditte grande maison, il avoit appris que ledit homme qui venoit d'entrer etoit le Maître de la maison et que c' etoit Monsieur le Marquis de Bellay.

Apres lesquelles demandes et interrogatoires, lesdits témoins persistans dans leurs dittes déposi- tions et déclarations, ont déclaré qu'elles etoient sincères et véritables ; et ont signé : Marc Antoine Petit, Joseph Picard dit la Fleur, et interpellé pour ladite Chrétienne Le Laboureur laquelle a déclaré ne sçavoir signer. Fait par nous les jour et an que dessus.


L'an mil six cent soixante et un, le samedy vingt cinquième jour dumois d'octobre, furent amenez par- devant nous les nommez Jacques Chausson et Jac-


74 LES PROCÈS DE SODOMIE


ques Paulmier, de présent prisonniers es prisons du grand Châtelet, et aussy sont comparus les sus- nommez Jean Baptiste Des Molets, Commissaire au Châtelet de Paris, préposé pour la police du quartier saint Antoine, Germain des Valons, Aymard de Bellezair, Octave Julien Des Vallons, âgé de dix sept ans, Raoul Rifflart, Exempt, Grégoire Aubry, chirurgien juré reçu à saint Cosme, Marc Antoine Petit, Chrétienne Le Laboureur, Joseph Henry Le Noir et Joseph Picard dit la Fleur, tous témoins en présence desquels a été faite lecture des actes, procès verbaux et ordonnances, lesquels accusateurs et témoins susdits ont déclaré, attesté et certifié leurs precedens témoignages, déposi- tions véritables et sincères, declarans qu'ils y per- sistoient, et le présent procès verbal signé. Fait par' devant nous juge susdit les jour et an que dessus.


Cejourd'huy mercredy cinquième jour du mois de Novembre, est comparue devant nous une qui- damne vêtue d'etamine noire, laquelle nous a déclaré être appellée et nommée Aubertine Rivet, veuve d'Augustin Le Mouleur, vivant Maitre chair- cuitier à Paris, laditte veuve soy complaignante et demandant justice et raison de la violence et du rapt commise par les nommez Jacques Chausson


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et Jacques Paulmier envers le nommé Toussaint Le Mouleur, son fils et dudit Augustin Le Mouleur, enlevé et ravy violemment par lesdits Des Estangs et Fabry depuis plus de quatre mois, duquel rapt et violence laditte Rivet avoit porté sa plainte chez le Commissaire Regnard Laisné le dimanche six juillet dernier, assistée et accompagnée de plu- sieurs témoins, de laquelle plainte laditte complai- gnante nous a apporté et montré la copie signée dudit Commissaire et dont la teneur s'ensuit.


L'an mil six cent soixante et un, cejourd'huy dimanche, sixième jour du mois de juillet, sont comparus pardevânt nous, Pierre Regnard, Con- seiller du Roy, Commissaire Enquesteur préposé pour la police du quartier saint Eustache à Paris, Aubertine Rivet, veuve d'Augustin Le Mouleur, vivant Maitre Charcuitier à Paris, laditte veuve soy complaignante pour et demandant raison et justice du rapt et violence commise en la personne de Toussaint Le Mouleur, son fils, et dudit Augus- tin Le Mouleur, par les nommez Jacques Chausson et Jacques Paulmier, lequel Des Estangs auroit depuis quelque jour attiré chez luy ledit Toussaint Le Mouleur, âgé de quatorze ans, et enfin l'auroit retenu dans sa maison sise rue saint Autoine, où ledit Toussaint le Mouleur auroit été enfermé jus-


76 LES PROCÈS DE SODOMIE


qu'aujourd'huy dimanche sixième juillet, que laditte veuve Le Mouleur a appris des présens témoins cy après nommez que ledit Fabry seroit venu sur les onze heures en fiacre chez ledit Des Estangs, et auroit emmené ledit Toussaint Le Mou- leur dans ledit carosse en une maison sise rue des saint Pères, auprès de la rue de Bourbon, d'où il seroit sorty peu de temps après sans ledit Le Mou- leur, qui etoit resté dans laditte maison ; de laquelle violence et rapt les nommez Pierre Hardy, dit Sans Soucy, cocher du fiacre susdit, nous a rendu aussy témoignage, et certifie avoir mené lesdits Fabry et Le Mouleur dans laditte maison rue saint Antoine à la rue des saint Pères, fauxbourg saint Germain ; et la nommée Angélique Thérèse Quinet, fille de Robert Quinet, Marchand Mercier, nous a encore témoigné qu'elle avoit vu entre ledit Des Estang le vendredy quatre du présent mois, et que demeurant dans la même maison que ledit Des Estangs, elle avoit entendu [le dit Le Mouleur qui pleuroit et crioit qu'il ne vouloit point quitter sa mère et aller avec Monsieur le Baron de Bellefore, quelque riche et grand seigneur qu'il put être. Pourquoy, nous, Commissaire susdit, avons, sur le réquisitoire de laditte Rivet, dressé le pré- sent procès verbal, duquel nous luy avons délivré la présente copie pour luy servir ce que de raison. Fait les jour et an susdit par nous dit Commissaire, ainsy signé : Regnard.


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Apres laquelle lecture laditte Aubertine Rivet a déclaré qu'ayant appris que lesdits Jacques Chaus- son et Jacques Paulmier etoient constituez prison- niers, elle requeroit que nous luy faisions faire rai- son des dittes violences et rapt, dans laquelle demande elle a déclaré persister. Fait les jour et an que dessus.


Cejourd'huy jeudy, [treizième jour du mois de Novembre, en présence de nous ont été amenez Jacques Chausson et Jacques Paulmier, auxquels a été fait lecture tant du procès verbal et requête de la nommée Aubertine Rivet, comme aussy de la plainte formée pardevant le sieur Regnard, après quoy nous avons demandé auxdits Chausson et Paul- mier, accusez, s'ils avoient et pouvoient repondre aux dittes plaintes et accusations.

Lequel Jacques Chausson aurait repondu que lesdits faits etoient faux et calomnieux.

Interrogé et menacé en cas qu'il ne voulut pas repondre, d'être mis à la question, a repondu qu'il etoit prêt à repondre sur chaque chef.

Interrogé quel etoit le seigneur à qui il avoit livré Le Mouleur, a repondu que c'etoit Monsieur le Baron de Bellefore.


78 LES PROCÈS DE SODOMIE


Interrogé si ledit sieur Baron de Bellefore avoit encore le dit Le Mouleur, a repondu qu'il avoit appris que ledit Toussaint Le Mouleur etoit decedé, depuis l'emprisonnement de luy accusé.

Interrogé quel etoit le jeune garçon qu'il avoit produit au Marquis de.... le quinzième janvier der- nier, ou environ, suivant la déposition de Joseph Picard dit La Fleur, domestique du Comte de Kerly, a repondu que ce jeune garçon etoit allé à la campagne avec ledit Marquis du Bellay et s'etoit si bien insinué dans les bonnes grâces de son Maitre, qu'il avoit été fait son premier valet de chambre, et qu'au reste ledit jeune garçon etoit appelle Richard de La Monnerie, fils de Jean de La Monnerie, Chandelier, demeurant rue des vieilles Etuves, paroisse saint Eustache.

Interrogé s'il avoit encore commis autre chose, a repondu que non.

Interrogé ce qu'il avoit eu en paiement des dits Marquis Du Bellay pour luy livrer ledit Richard de La Monnerie, et du Baron de Bellefore pour luy livrer ledit Toussaint Le Mouleur, a repondu que le Marquis de Bellay lui avoit donné cinquante louis d'or, et quarante francs pour les frais de nourriture, et que ledit Baron de Bellefore luy avoit fait présent d'une montre d'or et d'une taba- tière d'or lesquelles ils avoit vendu ensemble soixante et dix-huit louis d'or.

Ensuite duquel interrogatoire, avons questionné


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et interrogé ledit Jacques Paulmier en la forme et manière suivante :

Interrogé ce qu'il avoit receu dudit Baron de Bellefore, à qui il avoit livré le 'nommé Toussaint Le Mouleur, a repondu que ledit Baron ne luy avoit rien donné, et qu'il n'avoit jamais voulu se mêler de prendre de l'argent, qu'il avoit laissé tout entier audit Jacques Chausson, lequel Chausson luy avoit promis de' luy livrer pour payement le susnommé Octave Jullien Des Valons, qu'il avoit vu plusieurs fois chez luy.

Interrogé s'il avoit commis ledit crime de sodo- mie avec quelques autres, a repondu qu'il l'avoit commis avec ledit Chausson, et avoit souffert pareillement son accointence charnelle, et'qu'aussy il avoit commis ledit crime avec le nommé Dora- lier, officier dans le Régiment de Piémont, qui fut tué en Flandres au mois de Juillet mil six cent cin- quante neuf.


Sentance de Monsieur le Prévôt de Paris, ou Monsieur son Lieutenant Criminel, du Mardy vingt cinquième Novembre mil six cent soixante et un.

Veu par Monsieur le Prévôt de Paris ou Mon- sieur son Lieutenant Criminel en laditte Ville, Pre-


80 LES PROCÈS DE SODOMIE


vosté et Vicomte, le procès criminel fait à ren- contre de Jacques Chausson, dit Des Estangs, et Jacques Paulmier, dit Fabry, deffendeurs et accu- sés d'avoir commis et fait commettre sodomie et péché contre nature, et généralement toutes les pièces, circonstances et dépendances dudit procès : vues aussi les conclusions du Procureur du Roy au Chatelet de Paris ;

Avons déclaré et déclarons lesdits Jacques Chaus- son, dit Des Estangs, et Jacques Paulmier, dit Fabry, prisonniers es prisons du Chastelet, bien et duement atteints et convaincus d'avoir dit et pro- féré les blasphèmes et impietez mentionnez au pro- cès ; et en outre d'avoir commis et fait commettre le crime de sodomie et péché contre nature, pour réparation desquels cas et crimes énormes, les avons condamnez a faire amende honnorable nuds en chemise, la corde au col, devant l'Eglise de Notre Dame de Paris, où etans dans leurs tombe- reaux, et nuds teste à genoux, et tenant en leurs mains chacun une torche de cire jaune ardente du poids de deux livres, ils diront et déclareront à haute et intelligible voix que mechament, malicieu- sement et malheureusement ils auroient dit et pro- féré les blasphèmes et impietés mentionnées au procès, dont ils se repentoient, et demanderont pardon à Dieu, au Roy, et à la Justice. Ce fait, seront conduits à la place de grève pour être atta- chés chacun à un poteau et avoir la langue coupée,


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et ensuite leurs corps brûlez et réduits en cendres, lesquelles cendres seront jettées dans la Rivière de Seine. Déclarons en outre tous et un chacun des biens appartenans auxdits Jacques Chausson et Jacques Paulmier acquis et confisqués au profit de qui il appartiendra, sur lesquels néanmoins sera prélevée la somme de seize cent livres parisis d'amende, applicable moitié à l'Hôpital gênerai, et l'autre moitié au grand hôtel Dieu de Paris, et aussi la somme de huit cent livres parisis d'amende envers le Roy, au cas que confiscation n'ait pas lieu au profit dudit seigneur Roy ;

Ordonnons en outre qu'il sera poursuivy, à la requête, poursuite et diligence du procureur du Roy, contre les Marquis de Bellay et Baron de Bellefore, accusés d'avoir enlevé les nommez Richard de La Monnerie et Toussaint Le Mouleur, et avec lequels ils ont commis et exercé acte de sodomie, et encore contre ledit Richard de La Monnerie. Donné à Paris, par nous Lieutenant Criminel, cejourd'huy mardy vingt cinquième jour du mois de Novembre mil six cent soixante et un.


L'an mil six cent soixante et un, cejourd'huy Mercredy vingt sixième jour de Novembre, ont été conduits et amenez par Raoul Rifflard, Exempt, les


82 LES PROCÈS DE SODOMIE


nommez Jacques Chausson et Jacques Paulmier, lesquels nous ont déclaré que pour les causes et moyens qu'ils déduiront en tems et lieu, ils sont appellans d'une sentence rendue contre eux par le Prevot de Paris ou son Lieutenant Criminel, le vingt cinq du présent mois. Fait par moy, concierge et garde de la prison et conciergerie du Palais, les- dits jour et an que dessus.


Voici maintenant le texte d'un interrogatoire au Parlement de Paris, le jour même où il rendait sa sentence de confirmation. Le ms. 10969 de la B. N. ne reproduit pas cette pièce ; elle figure aux Archives Nationales, cote X 2 a= 1027 = 29 déc. 1661. M. Frédéric Lachévre l'a reproduite dans Les Œuvres Liber- tines de Claude Le Petit, Paris, 1918.


Du XXIX décembre 1661.

M. le président de Mesme, M. le président Le Coigneux, MM. Ferrand R., Doujat, Menardeau, Le Conte, Catinat, Petau, Le Clerc, Tronçon, Fayet, Bizet, Saint-Martin, Barillon, Brodeau, De La Garde.

Jacques Chausson, dit des Estangs, 26 ans, vi- vant de son bien et fils d'un marchand linger, bourgeois de Paris, a déclaré qu'il a porté les armes dans le régiment de Veilville, a demeuré.


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chez son beau-frere rue de Seine au fauxbourg saint Germain et en la rue des Boucheries (i).

Interrogé qu'il est accusé d'impiété et prostitution de jeunes garçons et commettre le péché de sodo- mie et le faire commettre à d'autres et à cet effet a cherché d'arrester de jeunes garçons qui sont venus plusieurs fois chez luy avec d'autres personnes.

Dit qu'il n'y est venu que ses amis.

Interrogé que les témoins qui luy esté confronté ont soustenu.

Dit que ce sont faulx tesmoings, qui se trouvent racollés, n'a jamais envoyé son garçon au collège de Montegu quérir un jeune escollier, ne luy a point donné une double pistolle, que son laquais s'appelloit La Selle, qu'il a trouvé voilant, et ne cognoist point Du Val.

Interrogé quelle cognoissance il a avec Gode- froy.

Dit qu'il ne le cognoist point.

Interrogé qu'il chante des chansons impies.

Dit que non.

Interrogé quelle cognoissance il a de Fabry.

Dit qu'il ne l'a jamais vu que 3 ou 4 fois.

Interrogé si c'est luy qui luy a mené Vignon.


(1) On' remarquera la diflérence entre ces déclarations et celles des autres interrogatoires du Châtelet. En outre, il sera question ici de faits et de personnages dont le procès du Châ- telet ne semble pas s'être occupé.


84 LES PROCÈS DE SODOMIE


Dit que non, qu'il a esté à la lingerie du collège de Clermont.

Interrogé s'il n'a point envoyé des bouteilles de vin d'Espagne à Vignon.

Dit que non, qu'il ne cognoist point le petit Mari- vaux, n'a jamais eu le mal vénérien.


Jacques Paulmier, dit Fabry, 28 ans, a servy le sieur de Montanegre, a servi le sieur de Passage, a esté avec un gentilhomme anglois.

Interrogé si c'est en ce pays qu'il a commis le péché de sodomie.

Dit qu'il ne sçait que c'est de cela.

Interrogé quelle cognoissance il avoit avec Des Estangs.

Dit qu'il le rencontra au Luxembourg et le trouva malade et lui demanda qu'est-ce qu'il avoit, ne le cognoissant pas auparavant.

Interrogé s'il a esté au bois de Vincennes avec un page et à St-Maur.

Dit qu'il ne sçait ce que c'est de cela, ne cognoist point de page de Madame (1).

Interrogé qu'il a donné des oranges à un page.


(1) Dans les chansons sur Chausson, que nous avons données dans l' Avant-Propos, il est question d'un page du Prince de Conti, que l'on appelle Fesnaut. Or, dans tout le procès on ne trouve que ce passage concernant un page.


JACQUES CHAUSSON ET JACQUES PAULMIER 85


Dit qu'il luy a donné une orange l'ayant trouvée à la boutique de sa sœur, n'a jamais esté qu'une fois au collège de Clermont, avec le sieur Capau et autres.

Interrogé qu'il a dit des impietés à chaque parolle.

A dit que non et n'a point esté jamais de ceste mauvaise vie, a mangé une fois avec Des Estangs et y coucha une nuit et n'a jamais vu personne y coucher.

Interrogé s'il n'a point corrompu un jeune garçon qui sortoit du bain.

Dit que non, qu'il n'est revenu que la dernière semaine de caresme d'Angleterre, qu'il n'a jamais entendu parler de Gaborry, ne l'a point pressé d'aller coucher chez luy, a fréquenté Vau.... et s'ap- pelloit De Breure, et que les tesmoings ont esté payés.

Ferrand, R.


Le 29 décembre 1661, la Cour de Parlement ren- dait son arrêt définitif dans cette affaire et confir- mait la sentence du Lieutenant Criminel.

A noter que la sentence du Lieutenant Criminel est reproduite différemment dans cet arrêt, en ce qui concerne le passage suivant : « ... et avoir la langue coupée et ensuite être leurs corps brûlés


86 LES PROCÈS DE SODOMIE


vifs, avec leur procès, et réduits en cendres, icelles jettées au vent... » et plus loin : « ... et l'autre moi- tié à l'hôtel Dieu de cette ville de Paris ; huit cent Livres parisis pour les réparations du Chastelet > et pareille somme envers le Roy, en cas que... »

L'arrêt semble prévoir que la sentence sera amen- dée : « Dit a été qu'il a été bien jugé, mal et sans griefs appelle par lesdits Chausson et Paulmier, et l'amenderont... »

Cependant, on trouve cette note après les signa- tures :

Maitre Augustin Ferrand, rapporteur.

Monsieur le Président de Mesme,

Président de la Tournelle.

Nota qu'il n'y a point eu de retentum pour le présent arrest, et que lesdits Jacques Chausson et Jacques Paulmier, dit Fabry, ont été brûlez et exé- cutez vifs.


On a rajouté à la suite de ce procès, dans le ms. 10969 de la B. N., et d'une autre main, le sonnet suivant, qui n'est en réa- lité qu'une variante du sonnet de Des Barreaux sur Vigeon, ce maître d'hôtel brûlé vif à Paris pour avoir « commercé » avec des poules (voir le texte exact dans Les Procès de Bestialité) :

Que ton Trépas, Chausson, va me coûter de larmes ! Que l'on est malheureux d'être dans un Pays

Où l'on est obligé de f en c. les femmes,

Et l'on condamne à mort les nobles appétits î


JACQUES CHAUSSON ET JACQUES PABLMIER 87


Ordonnez, Magistrats, aux filles d'être saines, Et que leurs [larges] C... deviennent plus petits, Sans jamais porter ni fleurs ni maies semaines (1]

B..gres, qui l'avez vu dans la Grève périr, Sur un bûcher ardent, sans l'oser secourir, Pour assouvir vos passions lubriques (2),

Au lieu de lui chanter tristement un Salve, Il faloit au bûcher tous vous branler la pique, Le f..... l'eut éteint et vous l'eussiez sauvé!


(1) Vers faux. Il faut lire : Sans jamais comporter fleurs ni maies semaines. En outre, il manque un vers dans ce quatrain.

(2) Vers faux. Sans doute doit-on lire : Pour assouvir du coup...


PROCES CRIMINEL DE BENJAMIN DESCHAUFFOURS,

ACCUSÉ ET CONVAINCU DE SODOMIE ET D'AVOIR FAIT

COMMETTRE LEDIT CRIME DE SODOMIE ET AUTRES

CRIMES ÉNORMES ET ATROCES, ET BRÛLÉ

POUR CET EFFET EN PLACE DE GRÈVE,

Le 25 e May 1726.


L'an mil sept cent vingt cinq, cejourd'huy lundy deuxième jour du mois de juillet, en présence de nous, Jeaa Etienne de L'Espinaye, conseiller du Roy, Commissaire Enquesteur préposé pour la police au quartier saint Germain des Prez, est comparue Marie Geneviève Anquetil, veuve de Robert Finet, vivant horloger, soy complaignante pour Henry Hillaire Finet, son fils et dudit Robert Finet, ledit Henry Hillaire Finet aussy présent. Laquelle Han- quetil nous auroit dit et déclaré que le dimanche premier de ce présent mois, ledit Henry Hillaire Finet ayant été chez le S r Deschauffours pour y por- ter une montre que ledit Deschauffours luy auroit donné le lundy précèdent pour y raccommoder un ressort, il seroit entré sur les dix heures et demie du matin dans une maison sise rue de Bussy et


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 89


seroit monté au premier appartement occupé par ledit sieur Deschauffours, lequel l'auroit fait entrer dans ledit appartement, et après luy avoir dit qu'il etoit fort content de son ouvrage, luy auroit dit de passer dans son cabinet, où il vouloit le faire déjeu- ner, ajoutant laditte complaignante que ledit Henry Hillaire Finet, son fils, n'osant entrer, ledit sieur Deschauffours luy auroit donné un petit coup sur la joue en riant, et auroit dit, en le prenant par le bras : « Entrez donc, petit fripon, vous vous faites prier », et ensuite ledit Finet étant entré dans ledit cabinet ayant vue sur une cour, il y auroit trouvé une table dressée, avec une poularde froide, un autre plat, avec plusieurs bouteilles de vin dessus, et autour de la table etoient assis deux quidams dont l'un etoit vêtu d'étoffes de soye brune et l'autre d'un ras de saint Mor noir ; que ledit quidam vêtu d'étoffe de soye brune luy dit alors : « Entre, mon enfant, et viens t'asseoir auprès de moy. » Que ledit Finet, n'ayant pas osé désobéir, se seroit assis un peu loin dudit quidam vêtu d'étoffe de soye brune, lequel quidam l'auroit fait approcher plus près, et luy auroit fait donner un verre, qu'il auroit rempli de vin, et en même tems luy auroit donné un morceau de la poularde rôtie qui etoit sur laditte table; que ledit Finet, pressé par lesdits quidams, et par ledit sieur Deschauffours, auroit bû ledit verre de vin, et au bout d'un petit demy quart d'heure se seroit senti assoupi, et enfin sans pou-


90 LES PROCES DE SODOMIE


voir s'en deffendre se seroit endormy en présence desdits quidams ; que ledit Finet s' étant reveillé sur les midy et demi, près d'une heure, n'auroit plus trouvé personne dans ledit cabinet, et se seroit trouvé couché par terre, l'habit et les culottes déchirées et pleines de sang; que s'etant levé et rajusté au mieux qu'il auroit pu, il a voit frappé à la porte dudit cabinet et auroit appelle ; auquel bruit ledit sieur Deschauffours seroit accouru et auroit paru étonné en le voyant si délabré et en desordre, et luy auroit demandé qui l'avoit mis en cet état ; que ledit Finet avoit repondu que ledit sieur Des- chauffours en devoit sçavoir plus de nouvelles qu'un autre, puisqu'il y avoit toute apparence que c'etoit les deux quidams qui etoient dedans ledit cabinet qui l'avoient ainsy mis en desordre ; sur- quoy ledit sieur Deschauffours luy auroit repondu qu'il avoit tort d'apostropher d'honnêtes gens qui venoient chez luy, et qui avoient bien plus lieu de se plaindre de ses sottises et impertinences, puisque, ajouta ledit Deschauffours, ledit Finet avoit tant bu qu'il s'etoit enyvré, et avoit commis cent imperti- nences, et avoit défait ses culottes en présence de tout le monde, et son habit, et que luy, voyant cela, avoit fait bien des excuses auxdits quidams, qui seroient sortis en même tems, en disant qu'on ne devoit jamais mettre à sa table de petites gens, capables de telles grossieretez; ajoutant laditte complaignante que ledit Finet seroit sorty aussitôt


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 91


de laditte maison et seroit revenu chez elle, en luy racontant tout ce qui s'etoit passé, et les discours dudit sieur Deschauffours ; surquoy elle auroit prié le sieur Taylor, chirurgien demeurant dans la mai- son où elle loge, de monter et de voir l'état où. etoit son fils, qui paroissoit blessé ; lequel sieur Tay- lor seroit monté, et auroit visité ledit Finet qu'il avoit trouvé réellement blessé, dont il auroit aus- sitôt dressé un état, pour en faire le rapport devant qui il appartiendront, etc..


Cejourd'huy mardy troisième jour du mois de juillet, est comparu en présence de nous, David Edouard Taylor, Chirurgien juré expert reçu à Saint Cosme, lequel nous a déclaré que pour obeïr à notre avertissement à luy apporté hier au soir, il etoit venu pour sçavoir ce que nous desirions de luy; surquoy nous luy aurions fait faire lecture de la plainte présentée le jour d'hier parla nommée An- quetil; après quoy nous aurions demandé audit sieur Taylor s'il etoit vray qu'il eut dimanche der- nier pensé et appliqué le premier appareil audit Fi- net, lequel Taylor, après avoir fait serment de nous dire et déclarer la pure et sincère vérité, nous auroit déclaré que, dimanche dernier, sur les deux heures après midy, il auroit été mandé pour voir et examiner si le nommé Finet etoit blessé: sur-


92 LES PROCÈS DE SODOMIE


quoy il se seroit transporté dans une chambre au troisième étage sur le derrière, dans la maison dont il est principal locataire, sise rue des Mauvais Garçons, fauxbourg saint Germain et auroit trouvé ledit Finet étendu de son long sur un lit, lequel Fi- net se seroit plaint d'une grande douleur au der- rière, et en même tems luy auroit conté tout ce qui luy etoit arrivé, ensuite dequoy ledit Taylor auroit visité et soigneusement examiné ledit Finet, et auroit retrouvé et reconnu que ledit Finet avoit l'anus écorché, et qu'il y avoit toute apparence qu'il avoit été violé et connu charnellement contre nature, surquoy luy, repondant, avoit mis sur la- ditte playe les appareils nécessaires, ne croyant pas au reste ladite playe fort dangereuse...


Cejourd'huy lundy, seizième jour de juillet, deux heures après midi, en présence de nous, Camuzet, conseiller du Roy, Commissaire Enquesteur, pré- posé pour la police au quartier saint Jean en Grève, sont comparus en personne les quidams cy après désignez, lesquels nous avons questionné et exa- miné en la forme et manière qui s'ensuit :

Premier témoin.

Le premier desquels etoit un quidam vêtu d'un habit de droguet gris mêlé, portant une perruque à


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 93


lace, ayant une canne, lequel a repondu être appelle Jean Petit, dit Painque, qu'il etoit Bourguignon, na- tif de Bar sur Seine et etoit venu à Paris a l'âge de dix huit ans, où il etoit entré au service du sieur Tourton, Banquier, y demeurant rue saint Martin, et ensuite s'etoit mis à celuy du sieur Deschauf- fours, demeurant pour lors rue des Bons Enfans, auprès de la porte du Palais-Royal, lequel Des- chauffours se faisoit pour lors appeller le sieur Moulien Duplessis, et qu'ayant quitté ce maitre en 1721, il etoit entré au service du sieur Le Boisau- vert, negotiant à La Rochelle, lequel sejournoit pour lors à Paris, et à la mort duquel il etoit resté sans condition ; a repondu qu'il avoit trente neuf ans.

Interrogé si dans le tems qu'il demeuroit chez le- dit Deschauffours il s'etoit apperçu de quelque chose et mauvais commerce, a repondu qu'il n'y voyait venir aucune femme ou fille, mais beaucoup d'honnestes gens et bien mis.

Interrogé s'il n'y venoit pas aussi d'autres per- sonnes mal habillées, et surtout des jeunes garçons beaux et bien faits, a repondu qu'il voyoit souvent des jennes garçons beaux et bien faits à qui ledit sieur Deschauffours faisoit beaucoup d'honnetetez, aussy bien que des autres qui venoient ensuite, sur le soir, et que quelquefois lesdittes personnes de conséquence couchoient et passoient la nuit chez ledit sieur Deschauffours.


94 LES PROCÈS DE SODOMIE


Interrogé s'il ne sçavoit pas s'il se passoit quel- que chose contre la bienséance, envers lesdits jeunes garçons, a repondu qu'il avoit bien ouy dire que ledit sieur Deschauffours passoit pour tenir chez luy un commerce honteux de sodomie, mais qu'il n'en avoit jamais vu aucune apparence que ce qu'il a dit cy dessus, à la reserve d'un jour qu'il en- tendit un seigneur fort bien habillé qui dit au sieur Deschauffours que le garçon qu'il luy proposoit n'etoit pas assez bien fait, qu'il l'avoit visité et qu'il n'en vouloit point; surquoy luy repondant avoit dit le lendemain audit ^sieur Deschauffours qu'apparemment ledit seigneur ne vouloit pas prendre ce garçon seulement pour son valet, puis- que quoy qu'il fut grand et de bonne mine, il ne le trouvoit pas assez bien fait, et qu'il luy paroissoit assez extraordinaire qu'on fit deshabiller un laquais pour voir à nud s'il est bien fait ; surquoy ledit sieur Deschaubours auroit repondu que ce seigneur etoit un capricieux et un fol ; mais que, au bout de huit jours, ledit sieur Deschauffours, apparemment fâché qu'on sçut son secret, luy avoit donné son congé, sous prétexte qu'il vouloit pas- ser deux ou trois mois à la campagne, où il n'avoit que faire de laquais.

Enquis et interrogé s'il sçavoit les noms de ceux qui frequentoient la maison dudit Deschauffours, a repondu que non, et qu'au reste il y venoit un si grand nombre de personnes qu'il n'aurait pu en


BENJAMIN DESCHAUFFOURS . 95


retenir les noms, qu'il sçavoit seulement que le sei- gneur duquel il vient de parler et qui refusa le jeune garçon .que ledit sieur Deschauffours luy pro- posoit, etoit Monsieur le Marquis de Sautereau.

Enquis et interrogé s'il sçavoit le nomdudit jeune garçon, a repondu qu'il ne l'a voit jamais entendu nommer, qu'il sçavoit seulement qu'il etoit le fils d'un tapissier qui demeuroit rue Tire-boudin.

Enquis et interrogé si ledit sieur Marquis de Sau- tereau venoit souvent chez ledit Deschauffours, a repondu qu'il l'y avoit vu trois ou quatre fois.


2 S Témoin.

Ensuite duquel nous aurions fait appprocher un quidam vêtu de drap roux, portant un chapeau brodé d'argent, et une epée, lequel quidam a repondu être nommé Regnanlt Poitret, dit Musicien, qu'il etoit de Nancy en Lorraine, qu'il avoit qua- rante six ans et qu'il etoit engagé depuis deux ans et neuf mois dans le Régiment des Gardes fran- çoises, Compagnie Colonelle.

Interrogé s'il connoissoit le nommé Deschauf- fours, a repondu qu'ouy.

Interrogé s'il sçavoit ou avoit connoissance que le- dit Deschauffours eut ou entreteint quelque mau- vais commerce, a repondu qu'il avoît connu ledit sieur Deschauffours dans le tems qu'il demeuroit


LES PROCES DE SODOMIE


rue Poupée, près de la rue de Hautefeuille, et se fai- soit nommer le Marquis du Preau, que ledit soy disant Marquis du Preau etoit logé dans un appar- tement garny et avoit à son service deux laquais jeunes et fort bien faits, et dont il avoit un extrême soin, que l'un desdits deux laquais, nommé Picard, étant un jour en querelle avec ledit soy disant Mar- quis du Preau luy avoit dit en présence de luy repondant, qu'il vouloit absolument son congé, et qu'aussy bien il souffroit des choses pour luy qui etoient contre sa conscience et que si on les sçavoit ils ne couroient pas moins risque tous les deux que d'être brûlés, surquoy ledit soy disant Marquis du Preau luy auroit donné douze ecus qu'il luy devoit, et luy auroit dit qu'il ne trouveroit jamais une si bonne maison que la sienne; ajoutant ledit repon- dant que ledit Picard étant sorty, ledit Marquis du Preau luy avoit dit que ce laquais etoit un fort bon garçon mais qu'il etoit si fantasque, et en même tems, qu'il avoit des quarts d'heures de dérange- ment d'esprit, où il disoit des choses auxquelles il n'y avoit pas la moindre apparence.

Interrogé en quel tems ledit Deschauffours demeuroit susditte rue Poupée et se faisoit appeller le Marquis du Preau, a repondu que c' etoit en 1719, que ledit soy disant Marquis du Preau, ayant gagné quelque bien au système, avoit pris ledit apparte- ment garny et lesdits deux laquais.

Interrogé s'il sçavoit ce qu'etoit devenu ledit


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 97


Picard, a repondu qu'il n'en avoit jamais eu de nou- velles, ni ne l'avoit rencontré, et qu'il avoit ouy dire que ledit Picard s'etoit engagé en service d'un seigneur Prussien, dans lequel païs il etoit passé avec luy, et s'etoit enfin engagé dans les troupes du Roy de Prusse, lesquelles choses cependant ledit repondant a déclaré ne pas oser assurer, comme ne les tenant que sur des ouï dire, mais qu'il les croioit néanmoins véritables.

Enquis et interrogé s'il sçavoit le nom de l'autre laquais au service dudit Deschauffours, a repondu que ledit second Laquais etoit nommé La Fleur, qu'il sçavoit que ledit La Fleur avoit quitté ledit Marquis du Preau peu de tems après laditte aven- ture, et etoit allé à Montargis, lieu de sa naissance, où il etoit actuellement etably tonnelier et s'etoit marié assez avantageusement à la veuve d'un ton- nelier.

Enquis et interrogé s'il sçavoit que ledit La Fleur ait eu un commerce criminel et habitation char- nelle et sodomitique avec ledit Deschauffours, a repondu qu'il n'en sçavoit rien et n'en avoit rien entendu dire, qu'au reste La Fleur luy avoit tou- jours paru un garçon fort sage, et fort tranquille, et même dévot.

Interrogé s'il sçavoit quelque chose de plus que ce qu'il avoit dit, lequel Regnault Poitret nous auroit repondu qu'il ne sçavoit rien d'avantage que ce qu'il venoit de dire et déclarer, attendu qu'il

7


98 LES PROCÈS DE SODOMIE


n'avoit fréquenté ledit Deschauffours que pour le fait de son commerce, se mêlant alors de trafic de bas de soye et de fil


y Témoin.

Ensuite duquel interrogatoire nous aurions fait approcher un quidam vêtu de drap canelle et por- tant une canne, lequel quidam a repondu être appelle Arnaud Daniel Perron, qu'il etoit Bourgui- gnon, né 4'aupres de Charolles, qu'il avoit trente cinq ans, et qu'il etoit garçon de cabaret du sieur Thomas Buffet, Marchand de vin, demeurant rue du four, fauxbourg Saint Germain.

Interrogé s'il connoissoit le nommé Deschauf- fours, a repondu qu'ouy.

Interrogé s'il sçavoit ou avoit connaissance que ledit Deschauffours tint quelque mauvais commerce, a repondu qu'il sçavoit que ledit Deschauffours etoit sodomite et commettoit ledit péché contre nature, puisqu'un jour luy, repondant, allant chez luy pour y porter vingt quatre bouteilles de vin qu'il avoit payé, ledit Deschauffours, après lui avoir fait beaucoup d'honnetetez, et demandé s'il n'avoit point de maitresse, il auroit repondu qu'il n'en vouloit point, attendu qu'une maitresse demandoit trop de soin, et faisoit souvent la difficile et la quinteuse, et avec cela t.iroît et vous faisoit dépenser


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 99

beaucoup d'argent ; surquoy ledit sieur Deschauf- fours luy avoit dit que s'il vouloit il lui feroit avoir un amant qui au lieu de luy coûter de l'argent luy en produiroit infiniment, et qu'avec cet amant il ne coureroit pas le risque de gagner de mal comme cela pouroit arriver avec une putain : surquoy luy, repondant, auroit répliqué que s'il ne risquoit ni sa bourse ni sa santé, il courroit un bien plus grand risque, qui etoit celuy d'être brûlé et de mourir avec infamie, et que d'ailleurs il n'avoit, Dieu mercy, jamais eu d'inclination et penchant pour cet acte contre nature; à quoy ledit sieur Deschauffours avoit repondu, et voulu luy prouver par de fort belles raisons qu'il n'y avoit rien de criminel dans ce commerce; mais que luy, repondant, ne voulant point l'écouter, etoit sorty de sa maison assez brus- quement, et luy promettant cependant de ne point parler de ce qui venoit de se passer.

Interrogé si ledit Deschauffours luy avoit fait ou voulu faire quelque violence, a repondu que ledit sieur Deschauffours étant seul alors, et luy, repon- dant, étant beaucoup plus fort et robuste que luy, il n'auroit pas craint ses violences, et aussy qu'il, n'en etoit pas venu à cet excès, se contentant de tacher de la séduire par ses belles paroles.

Interrogé s'il sçavoit à qui ledit Deschauffours vouloit le produire, a repondu que ledit Deschauf- fours ne lui avoit nommé personne, et s'etoit con- tenté de luy dire qu'il vouloit luy faire faire la


100 LES PROCES DE SODOMIE


connoissance d'un grand seigneur des plus qualifiez, sans cependant luy en déclarer le nom.

Interrogé s'il sçavoit que ledit Deschauffours, non content de faire commerce de sodomie et faire commettre ledit crime, ne le commettoit pas aussy luy même, a repondu qu'il ne le sçavoit pas au juste, mais que ledit sieur Deschauffours passoit pour tel, et même que l'on disoit qu'il connoissait charnellement toutes ces personnes qu'il produisoit ainsy, pour en faire l'essay, ce que toutefois il n'ose- roit assurer, ayant très peu fréquenté ledit sieur Deschauffours, et n'ayant pas voulu retourner chez luy depuis l'avanture cy dessus.

4 e Témoin.

Ensuite duquel interrogatoire nous aurions fait approcher une quidamne vêtue d'une robe de sia- moise blanche et bleue, laquelle quidamne a repondu être appellée Jeanne Elisabeth, dite La Grande Jeanne, qu'elle etoit fille de Mathurin Cordelier, vigneron, et de Charlotte Bonvalet, sa femme, qu'elle etoit de Gien, près de Sully, qu'elle ne sça- voit pas au juste quel âge elle avoit, mais qu'on luy avoit dit qu'elle n'avoit que quatre ans lors que son père mourut, et que son dit père etoit mort le jour de saint Pierre 1683, ^ a même année de la mort de la Reine, et que par conséquent elle devoit avoir actuellement quarente cinq à quarente six ans ;


BENJAMIN DESCHAUFFOURS IOI


qu'elle etoit servante et domestique chez Marie Angard, veuve de Pierre Doreau, maitresse de chambre garnie, demeurant à Paris, rue Poupée, près de la rue Hautefeuille.

Interrogée si elle connoissoit le nommé Des- chauffours, a repondu que non.

Interrogée si elle n'avoit pas connu le nommé Deschauffours qui se faisoit il y a cinq à six ans appeler le Marquis du Preau a repondu qu'ouy.

Interrogée si elle sçavoit ou avoit connoissance que ledit prétendu Marquis du Preau entretint quelque mauvais commerce, a repondu que ledit Marquis du Preau avoit demeuré plus de dix-huit mois chez laditte susnommée Angard, veuve Doreau, dans le susdit hôtel garnie rue Poupée, qu'il avoit deux grands Laquais à son service, qu'il voyait de fort honnêtes gens, et toujours de nouveaux visages ; que sesdits laquais dont l'un etoit nommé Picard et l'autre La Fleur etoient fort familiers avec luy, et surtout ledit Picard, qui ne cessoit de menacer ledit Marquis de le quitter, qu'au reste ledit Marquis étaient un fort vilain homme, qui haïssoit mortellement les filles et les femmes, et couroit après des jeunes garçons, faisant souvent entrer chez luy des savoyards et des décroteurs, à qui il donnoit bien a souper et qu'il faisoit coucher avec luy dans son lit ; que le bruit couroit dans tout le quartier que ledit Marquis du Preau couchoit avec eux comme avec une maitresse ; qu'il venoit


102 LES PROCES DE SODOMIE


aussy chez ledit Marquis des gens fort bien mis, y passer des après dinées entières, avec des jeunes gens, mais qu'il ne se trouvoit jamais de filles dans leur compagnie.

Interrogée si elle n'avoit pas apperçu quelque chose de plus précis, a repondu qu'ouy, et qu'un jour dont elle a oublié la datte, il y eut une fort grande compagnie, et entr'autres trois ou quatre seigneurs avec des jeunes gens de famille; que ce jour-là, ledit Picard, laquais, ayant dit à La Fleur son camarade de venir boire avec luy au cabaret qui fait le coin de laditte rue Poupée et de la rue de la Harpe, et ledit La Fleur luy ayant repondu qu'il ne pouvoit quitter, attendu que peut-être Monsieur le Marquis pouroit l'appeler et avoir besoin de luy, ledit Picard avoit repondu : « Bon, bon, notre Maitre et toutes les personnes de sa compagnie ont bien d'autres affaires. Ils ne peuvent plus se quitter, et se tiennent tous attachez comme des hannetons, » Surquoy ils étoient sortis ; ajoutant laditte repon- dante qu'une autre fois, dès le matin, ledit Marquis, avoit fait entrer chez luy un jeune garçon fort beau, et blond, ensuite de quoy ledit Picard etoit entré avec luy dans le Cabinet qui est sur le derrière, et qu'elle avoit entendu de la dispute, et ledit garçon qui crioit qu'on l'assassinoit; que ce bruit et ces cris ayant duré quelques tems, ledit garçon etoit enfin sorty de l'appartement dudit Marquis, le visage fort rouge, et rajustant son habit, et avoit dit sur l'esca-


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 103


lier : « Voilà un grand malheureux ! Je ne me serois jamais douté de cette trahison, et ce coquin de laquais me la payera l » que néanmoins, au bout de cinq à six jours, ledit jeune garçon etoit revenu chez ledit Marquis, et l'avoit fréquenté assés souvent pendant un mois, au bout duquel tems ledit jeune garçon n'avoit plus paru à la maison.

Interrogé si elle connoissoit et sçavoit le nom dudit jeune garçon, a repondu qu'ouy, que ledit garçon etoit le fils d'un tailleur demeurant rue du Foin, appelle Duplan.

Interrogée si elle sçavoit ce qu etoit devenu ledit Duplan fils, a repondu qu'ouy, et qu'on lui avoit dit et assuré que ledit Duplan 'fils etoit allé avec un seigneur anglois qui l'avoit vu chez ledit Marquis Du Preau où il venoit fort souvent.

Interrogée si elle sçavoit le nom dudit seigneur anglois, a repondu que non, mais qu'elle avoit connu assez familièrement un des laquais qui avoient servy ledit Milord anglois, qui luy avoit dit que cet anglois etoit un Milord fort riche et fort bon, mais que les filles n'avoient rien à craindre avec luy, ny rien aussy à gagner, attendu qu'il n'aimoit que les garçons, et qu'il ne venoit dans la maison dudit Marquis Du Preau que pour le prier de luy faire faire connoissançe avec quelque beau blondin, à qui il vouloit faire du bien, et qu'il sou- haiteroit que ledit garçon fut d'humeur à venir avec luy dans son pays d'Ecosse.


104 LES PROCÈS DE SODOMIE


Interrogée si elle sçavoit le nom dudit laquais, a repondu qu'ouy et qu'il s'appelloit Dubois.

Interrogée si elle sçavoit où etoit à présent ledit Dubois, a repondu que non, mais qu'elle croit cependant qu'il est en service à Paris.

Interrogée si elle sçavoit aussy les noms de quelques personnes qui ayent fréquenté la maison dudit Marquis Du Preau, a repondu qu'elle sçavoit

que Monsieur le Comte de y venoit quelquefois,

aussy bien que Monsieur de La Tour de Tessam, et un secrétaire du Roy qui y venoit plus souvent, et Monsieur le Marquis de Sautereau fils, qu'elle y a aussy vu une seule et unique fois.

Interrogée si elle avoit entendu parler dans la suite dudit prétendu Marquis du Preau, a repondu qu'ouy, et qu'on luy avoit aussy dit qu'il avoit été arrêté prisonnier pour crime de sodomie, mais qu'elle ne sçavoit pas qu'il fut la même personne que le sieur Deschauffours.


5 e Témoin.

Ensuite duquel interrogatoire nous aurions fait approcher un quidam vêtu de tiretaine brune qui a repondu être appelé Thomas Vaupinesque, dit Chambery, qu'il etoit d'Annecy en Savoye, qu'il etoit gagnedeniers et qu'il avoit seize ans et demy.

Interrogé s'il connoissoit le nommé Deschauf-


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 105


fours, a repondu qu'ouy, et qu'il y a deux ans que ledit sieur Deschauffours le rencontrant dans la rue de l'Arbre sec luy dit qui vouloit luy faire faire quelques messages et qu'il luy paroissoit assez adroit ; que luy, repondant, ayant suivy ledit sieur Deschauffours jusqu'à sa maison, qui etoit dans la rue Platriere à un second étage, et luy avoit donné une lettre à porter avec un paquet chez une per- sonne de condition appelle le sieur de Montizelle, ou de Monzelle, ledit repondant ne sçachant pas au juste ledit nom, et de rapporter la réponse audit logis, où il l'attendoit ; ajoutant ledit repondant qu'ayant été rue de Vaugirard, fauxbourg Saint Ger- main, vis à vis les murs du Luxembourg, chez ledit sieur de Montizelle ou de Monzelle, suivant l'adresse que lui avoit donné le sieur Deschauffours, il ne l'auroit pas trouvé, mais avoit parlé à un laquais vêtu de gris, qui luy avoit dit qu'il laissât la lettre, et que son Maitre feroit réponse, qu'il iroit porter le lendemain chez ledit sieur Deschauffours ; que n'ayant pas voulu laisser la lettre, ni le paquet, il seroit revenu chez ledit sieur Deschauffours et lui avoit fait le récit de son voyage ; que sur cela ledit sieur Deschauffours s'etoit écrié : « Il est bien pressé, que n'attendoit-il toute la matinée ! » et ensuite que ledit sieur Deschauffours avoit dit audit repondant qu'il ne croyoit pas que ledit sieur de Montizelle tint parole, et que par conséquent il falloit qu'il revint le lendemain dès le matin ;


106 LES PROCÈS DE SODOMIE


qu'étant retourné le lendemain matin chez ledit sieur Deschauffours, il auroit pareillement reçu de luy le même paquet du jour précèdent avec une lettre, et seroit retourné chez ledit sieur de Mon- tizelle, qu'il auroit trouvé en Robe de Chambre, lequel sieur de Montizelle, après avoir lu la let- tre, auroit examiné attentivement luy repondant, ensuite dequoy il luy auroit dit d'attendre la réponse qu'il vouloit envoyer audit sieur Deschauffours, et qu'ayant écrit une lettre, il la luy auroit remise, en luy disant : « Va, mon enfant, je pouray faire quel- que chose pour toy ! » que luy, repondant, étant revenu chez ledit sieur Deschauffours, en auroit été fort examiné et questionné touchant son âge, ce qu'il faisoit et ce qu'il etoit ; que luy, repondant, ayant satisfait à toutes ces questions, ledit sieur Deschauffours luy avoit dit que le sieur de Mon- tizelle parossoit fort bien intentionné pour luy, et qu'il falloit qu'il fut habillé un peu plus propre- ment, à quoy ledit repondant ayant dit qu'il n'avoit pas de plus beaux habits, ledit sieur Deschauffours avoit répliqué qu'on y suppleroit, et qu'il falloit qu'il revint sur les onze heures et demie ; qu'étant revenu vers les onze heures et demie chez ledit sieur Deschauffours, il y avoit trouvé ledit sieur de Montizelle, lequel luy avoit dit que s'il vouloit il le prendroit à son service, à quoy ledit repondant ayant dit qu'il ne souhaittoit autre chose que de pouvoir gagner sa vie honnêtement et selon Dieu,


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 107


ledit Montizelle luy avoit fait encore beaucoup de questions, et enfin l'auroit fait manger; ensuite de quoy, après luy avoir donné quarente sols, ledit sieur de Montizelle luy auroit dit de revenir le lendemain et qu'il le vouloit habiller ; qu'ayant été le lendemain trouver ledit sieur de Montizelle il auroit apperçu dans son antichambre un habit de droguet et du linge, qu'étant entré dans la chambre dudit sieur, il y auroit vu le sieur Deschauffours causant avec luy, et que le sieur de Montizelle luy avoit dit de prendre les habits qui etpient dans l'antichambre ; qu'ayant obeï à cet ordre, ledit sieur de Montizelle luy avoit dit de se deshabiller ; que n'osant se dépouiller devant ces deux Messieurs, le sieur Deschauffours luy avoit dit : « Va, ne fais point de façon ! » surquoy ayant obeï, et voulant mettre ledit habit de droguet, ledit sieur Deschauf- fours luy avoit fait oter sa culotte et sa chemise, après quoy ledit sieur de Montizelle l'auroit exa- miné long tems à nud, en regardant de tems entems le sieur Deschauffours qui auroit dit : « Montizelle, je croy que c'est là ce qu'il te faut, » surquoy ledit sieur de Montizelle auroit répliqué : « Je le sçay bien. » Ensuite dequoy lesdits sieurs auroient dit audit repondant de prendre le linge et les hardes qu'il voyoit et de s'habiller, ce qu'ayant fait, ledit sieur de Montizelle luy avoit dit qu'il le prenoit à son service, et lui donneroit trente ecus par an ; qu'au bout de deux jours ledit sieur Deschauffours


108 LES PROCÈS DE SODOMIE


étant venu chez ledit sieur de Montizelle auroit dit audit repondant d'entrer, et qu'ayant fermé la porte de la chambre où ils etoient, ledit sieur Montizelle avoit dit : «Je n'ay pas encore essayé ce que ce jeune garçon peut faire, il faut que je le voye, » que là- dessus ledit sieur Deschauffours ayant dit à luy repondant de s'approcher, l'avoitpris entre ses bras, et ensuite luy avoit défait sa culotte, pendant lequel tems ledit sieur Montizelle auroit connu charnelle- ment luy repondant, malgré ses cris et sa résis- tance ; que cela étant fait, ledit sieur Deschauffours auroit dit audit sieur de Montizelle qu'il vouloit en avoir sa part suivant ses conditions, et auroit connu pareillement ledit repondant, quelque prière et instance qu'il auroit pu faire ; après quoy ledit sieur de Montizelle luy avoit donné deux ecus, en luy disant : « Ne pleure pas, mon enfant, je te veux faire du bien, » ; qu'étant étranger, et ne sçachant pas la conséquence de ce qu'il venoit de faire, il n'avoit osé sortir de laditte maison, et qu'au bout de huit jours ledit sieur de Montizelle l'ayant appelle un soir dans sa chambre, luy avoit dit que son lit n'etoit pas assez bon, et qu'il vouloit qu'il couchât cette nuit avec luy, ce que ledit repondant ayant excuté par crainte, ledit sieur de Montizelle l'avoit connu encore charnellement trois fois cette nuit là ; que le lendemain ledit sieur de Montizelle l'ayant envoyé porter une lettre audit sieur Des- chauffours, il luy avoit demandé s'il était content


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 109


de son Maitre, et que luy repondant ayant dit qu'ouy, ledit sieur Deschauffours se seroit mis aussitost en devoir de le connoitre charnellement, ce que luy repondant ayant refusé, et menacé de crier en cas de violence, ledit sieur Deschauffours avoit repondu qu'il ne vouloit rien de force ; qu'au bout de cinq à six jours luy, repondant, étant allé à son confesseur ordinaire qui etoit le Père An- selme, jacobin, et luy ayant conté fidellement tout ce qui luy était arrivé, ledit Père Anselme luy avoit dit qu'il avoit commis un crime horrible et détes- table, pareil à celuy des sodomites qui furent brûlés du feu du Ciel, et que si la Justice le sçavoit il seroit puni très sévèrement; que luy, xepondant, épouvanté de ces paroles, avoit repondu an Père Anselme qu'il n'avoit point sçu la consequense de ce qu'il avoit fait ; et qu'il y avoit toujours été forcé ; surquoy ledit Père Anselme luy avoit dit qu'il ne devoit pas rester un moment après la pre- mière violence qu'on luy avoit faite, et qu'il ne devoit pas non plus recevoir de l'argent, que ledit repondant luy ayant dit là dessus s'il devoit dénoncer lesdits sieurs Deschauffours et de Mon- tizelle à la justice, ledit Père Anselme luy avoit dit que non, et que tôt ou tard Dieu en prendroit ven- geance, que le seigneur auroit peut être pitié de luy repondant, eu égard à son innocence, et de sa jeu- nesse, mais qu'il devoit dès ce moment quitter ledit sieur de Montizelle, luy renvoyer son habit et


110 LES PROCÈS DE SODOMIE


n'y pas aller luy même ; et donner aux pauvres les deux ecus qu'il avoit reçus, et qu'autrement non seulement il ne luy donneroit pas l'absolution, mais même ne le voudroit plus entendre, à moins qu'il n'eut obeï ; ajoutant ledit repondant qu'au sortir du confessionnal, ayant rencontré dans la rue Saint Nicaise un savoyard de ses camarades, il luy avait dit de venir avec luy chez son hôtesse, où etoient ses hardes, et que là s'etant deshabillé et ayant repris ses anciens habits, il avoit donné les autres hardes à son camarade et l'avoit prié de les rap- porter audit sieur de Montizelle, ce que sondit camarade ayant exécuté, ledit sieur de Montizelle avoit fait réponse qu'il ne courreroit pas après luy repondant dont il etoit déjà las; quoy fait ledit repondant auroit donné aux pauvres lesdits deux ecus qu'il avoit reçu dudit sieur de Montizelle.

Interrogé s'il avoit rencontré quelque part ledit Deschauffours, a repondu n'avoir jamais vu depuis ledit sieur de Montizelle, mais seulement quel- quefois ledit sieur Deschauffours, qu'il avoit évité de le rencontrer, et n'avoit pas fait semblant de le reconnoitre.


<5 e Témoin.

Ensuite duquel interrogatoire nous aurions fait approcher une qui damne vêtue d'une cotonnade à


BENJAMIN DESCHAUFFOURS III


rayes brunes et rouges, qui a repondu être appellée Marie Le Clerc, veuve de Pierre Chau- veau, chapelier, qu'elle avoit trente six ans, qu'elle continuoit le commerce de chapeaux qu'elle avoit du vivant de Pierre Chauveau son mary, qu'elle etoit du Pont de Ce en Anjou, et qu'elle demeuroit rue Greneta, paroisse Saint Laurent.

Interrogée si elle connoissoit le sieur Deschauf- fours, a repondu que ouy, et à son malheur.

Interrogée si elle sçavait quelque chose du com- merce scandaleux dudit Deschauffours, et pourquoy elle avoit dit qu'elle le connoissoit à son malheur, a repondu qu'ignorant l'infâme et odieuse réputa- tion du sieur Deschauffours elle a eu le malheur d'avoir sa pratique et de luy fournir des chapeaux ; qu'un jour ayant envoyé Armand Josse Chauveau, son fils aine âgé de seize ans, et Paul Chauveau, âgé de quatorze, son cadet, chez ledit sieur Des- chauffours pour luy porter un castor qu'il avoit fait faire pour luy, dans le tems que ledit sieur Des- chauffours demeuroit rue Brisemiche, ledit sieur Deschauffours auroit fort caressé ledit Paul Chau- veau et dit audit Armand Josse Chauveau, son frère, qu'il aimoit le petit cadet, et qu'il n'avoit qu'à s'en retourner, que ledit cadet dineroit avec luy, et qu'il se chargeoit de le ramener à laditte repondante après qu'il auroit diné ; que ledit Armand Josse Chauveau ne se méfiant de rien et regardant ces démonstrations comme provenantes


112 LES PROCÈS DE SODOMIE


d'une sincère affection, seroit revenu chez laditte repondante, à qui il auroit déclaré ce que ledit Des- chauffours avoit dit ; laquelle repondante ne voyant pas revenir ledit Paul Chauveau, auroit été le même soir chez ledit sieur Deschauffours, qu'elle n'auroit point trouvé chez luy, et ayant demandé à une servante de la maison où demeuroit ledit sieur Deschauffours, s'il etoit sorti avec quelqu'un, et laditte servante luy ayant repondu qu'il etoit accompagné d'un jeune garçon habillé de roux, laditte repondante auroit attendu ledit sieur Des- chauffours, qui ne seroit revenu qu'à onze heures du soir, avec ledit Paul Chauveau, qu'ayant fort grondé ledit sieur Deschauffours, elle avoit ramené de force ledit Chauveau son fils, auquel elle auroit demandé où il avoit été avec ledit sieur Deschauf- fours, lequel Paul Chauveau se seroit mis à pleurer, et auroit dit que le sieur Deschauffours l'avoit mené avec luy dîner dans la rue Montmartre, et que là il y avoit trois Messieurs, lesquels l'avoient fort caressé, et ensuite luy avoient donné le fouet, et luy avoient mis le doigt dans le cul, et qu'ayant voulu prier ledit sieur Deschauffours de le def- fendre, au lieu de le secourir il avoit fait de même; ajoutant laditte repondante que ne sçachant ce que l'on pouvoit avoir fait audit Paul Chauveau son fils, elle l'avoit visité, et avoit trouvé qu'il avoit le derrière ecorché, ce qui lui avoit fait croire que son dit fils pouvoit avoir été violé par lesdits qui-


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 113


dams sans s'en être apperçu vu son innocence ; ajoutant encore laditte repondante qu'au bout de huit jours ledit Paul Chauveau ayant été à la messe avoit disparu et n'etoit pas revenu à la maison ; que malgré toutes les perquisitions qu'elle a pu faire pour le trouver elle n'en avoit eu aucunes nou- velles depuis près de six ans que ledit Paul Chau- veau s'étoit perdu.

Interrogée en quel tems laditte chose est arrivée, a repondu qu'il y a environ six ans.

Interrogée si elle a revu ledit sieur Deschauf- fours, a repondu que ouy mais qu'il a toujours nié sçavoir où etoit ledit Paul Chauveau.

Interrogée si elle a fait sa plainte de la violence commise envers ledit Paul Chauveau, son fils, a repondu que Pierre Chauveau son mary, qui vivoit alors, l'en avoit empêché.

Interrogée si elle a quelque connoissance des quidams qui ont commis laditte violence, a repondu que non.

Interrogée si elle a eu depuis ce tems indice qui la fasse soupçonner du rapt dudit Paul Chauveau, a repondu que la nommée Jeanneton, servante du sieur Vitrey, huissier à verge au Chastelet de Paris, demeurant rue Brisemiche, dans la même maison du sieur Deschauffours, luy a dit que ce Deschauf- fours etoit un grand scélérat, et que son Maitre avoit bien fait de le faire sortir de sa maison, et


114 • LES PROCÈS DE SODOMIE


qu'elle le soupçonnait d'avoir enlevé son enfant, mais que laditte Jeanneton n'avoit jamais voulu rien dire de plus.


DECRET

ET EMPRISONNEMENT DUDIT DESCHAUFFOURS

Sur le réquisitoire du Procureur du Roy au Chas-

telet de Paris avons ordonné et ordonnons au

sieur Pierre Simonet, exempt, de saisir et appré- hender au corps ledit Benjamin Deschauffours, quoy fait amener ledit Deschauffours es prisons de la Bastille.de Paris, pour être par nous questionné et interrogé, et ensuite être ordonné ce que de rai- son. Fait par nous, Jean Baptiste Ravot, chevalier, seigneur d'Ombreval, Conseiller du Roy en tous ses Conseils, Maitre des Requêtes ordinaire de son hôtel, Lieutenant gênerai de Police de la Ville, Prevosté et Vicomte de Paris, cejourd'huy lundy dix huitième jour du mois de juillet 1725.


Commission adressée par Sa Majesté au sieur D'Ombreval, Lieutenant gênerai de Paris, portant pouvoir de juger souverainement et en dernier res-


BENJAMIN DESCHAUFFOURS IIS


sort le procès concernant le nommé Benjamin Deschauffours, 21 juillet 1725. Donné à Versailles, signé Louis et plus bas Phelippeau.

INTERROGATOIRE

FAIT A BENJAMIN DESCHAUFFOURS en 1725.

L'an mil sept cent vingt cinq, cejourcThuy ven- dredy vingt deuxième jour de juillet, nous, Jean Baptiste Ravot, chevalier D'Ombreval, aurions mandé et fait venir pardevant nous un quidam vêtu de drap gris de fer, de présent prisonnier en ce château de la Bastille, lequel quidam auroit été par nous interrogé et questionné en la manière et forme qui s'ensuit :

Interrogé et enquis quel etoit son nom, a repondu être appelle Benjamin Deschauffours.

Interrogé et enquis de son âge, a repondu qu'il avoit trente six ans ou environ.

Interrogé et enquis de quel païs il etoit, a repondu qu'il etoit de Viviers en Languedoc.

Interrogé et enquis quelle etoit sa profession et vacation, a repondu qu'il n'avoit exercé aucun métier, et qu'il vivoit bourgeoisement à Paris de son bien.

Interrogé en quoy consistoit son bien, a repondu qu'il consistoit en pensions viagères.


Il6 LES PROCÈS DE SODOMIE


Interrogé quelles etoient les personnes qui luy faisoientlesdittes pensions viagères, a repondu qu'il ne vouloit pas les nommer.

Interrogé quels noms avoient son père et sa mère, a repondu que son père s'appelloit Abraham Des- chauffours et sa mère portait le nom de Judith D'Artillac.

Interrogé quel etoit l'employ et vacation dudit Abraham Deschauffours, a repondu qu'il etoit com- mis à la traite des fermes et passage du Rhosne.

Interrogé si ledit Abraham Deschauffours avoit épousé laditte Judith D'Artillac, a repondu que ouy.

Interrogé qu'il y avoit preuve du contraire et que laditte Judith D'Artillac n'etoit que sa concu- bine, a dit que cela ne pouvoit être.

Interrogé s'il connoissoit le nommé Jean Petit, dit Painque, a repondu que ouy.

Interrogé s'il s'etoit jamais fait appeller Moulien Duplessis, a repondu que ouy.

Interrogé à quelle intention et dessein il avoit pris ce nom, a repondu que c'etoit à cause qu'un oncle du côté de sa mère le portoit, et qu'il venoit alors de mourir, et dont il venoit d'hériter.

Interrogé ce qu'il avoit fait de la prétendue suc- cession du soy disant Moulien Duplessis, a repondu qu'il l'avoit mise en rentes viagères.

Interrogé de quelle profession etoit ledit pré- tendu Moulien Duplessis, a repondu qu'il etoit com- mis dans la ferme du tabac.


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 117


Interrogé qu'il ne dit pas vray, au sujet dudit Moulien Duplessis, attendu que le faisant frère de sa mère, il a voit déclaré précédemment que sa mère s'appelloit Judith D'Artillac, a repondu que cela n'etoit pas moins vray, attendu qu'ils etoient frère et sœur de différents pères.

Interrogé s'il avoit connu le nommé Jean Petit, dit Pain que, a repondu qu'on luy avoit déjà demandé et qu'il avoit repondu qu'ouy.

Interrogé comment il avoit connu ledit Painque, a repondu qu'il avoit été à son service, et qu'enfin ledit Painque luy avoit emporté ses habits et une montre d'or.

Interrogé s'il avoit fait quelques plaintes et recherches à ce sujet, a repondu qu'il n'avoit point fait de plaintes, mais qu'ayant cherché inutilement ledit Painque, on luy avoit appris qu'il etoit re- tourné à son païs.

Interrogé de quel païs etoit ledit Painque, a repondu qu'il etoit Bourguignon.

Interrogé qu'il y avait preuve qu'il y a six ans qu'un seigneur s'etoit adressé à luy repondant pour avoir un jeune garçon beau et bien fait, avec lequel il put commettre sodomie et crime contre nature, que luy repondant avoit produit audit seigneur un jeune garçon, que ledit seigneur avoit visité à nud, et ne l'avoit pas trouvé assez à son goût, et luy avoit dit en présence de témoins que ledit garçon avoit la peau noire, et les cuisses et les reins mal


Il8 LES PROCÈS DE SODOMIE


faits, et encore quel est le nom dudit seigneur et dudit garçon, a repondu qu'il ne sçavoit ce qu'on luy vouloit dire.

Interrogé qu'il ne disoit pas la vérité, attendu qu'il y avoit aussy preuve au procès qu'étant inter- rogé à ce sujet, il avoit répondu qu'il ne falloit pas prendre garde à ce que disoit ledit seigneur, que c'etoit un fol et un capricieux, a repondu qu'il n'avoit jamais fait cette réponse à personne.

Interrogé pourquoy il avoit pris le nom de mar- quis Du Preau, a repondu que c'etoit qu'il avoit envie d'achetter une terre qui portoit ce nom.

Interrogé où est située laditte terre, a repondu n'y avoir jamais été, et qu'on luy avoit dit qu'elle etoit en Bourgogne.

Interrogé de qui il vouloit achetter laditte terre, a repondu qu'il ne connoissoit pas le vendeur.

Interrogé de quel prix etoit laditte terre, a re- pondu qu'on la luy faisoit soixante et dix mille livres.

Interrogé par qui il vouloit achetter cette terre, a repondu que c'etoit un nommé Duplan qui luy en avoit parlé.

Interrogé qu'il ne disoit pas la vérité, attendu qu'il n'etoit pas vraisemblable qu'il eut porté le nom d'une terre qu'il ne connoissoit point, non plus que le vendeur, et qu'il y avoit preuve au con- traire qu'il n'avoit pris ce nom de Marquis Du Preau que pour se déguiser, a repondu qu'il avoit dit vray, et qu'on ne pouvoit luy prouver le contraire.


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 119


Interrogé qu'on n'etoit pas obligé de luy prouver le' contraire, quoique cependant cela fut aisé, mais que c'etoit à luy à prouver ce qu'il avançOit, a repondu aussy qu'il persistoit dans ce qu'il venoit de dire et le prouveroit.

Interrogé s'il n'avoit pas commis crime de sodo- mie et péché contre nature avec tous les domes- tiques qu'il avoit pris à son service, a repondu qu'il n'a jamais commis ledit crime de sodomie.

Interrogé qu'il ne disoit pas la vérité, et qu'il y avoit au procès trop de preuves du contraire, et que, par conséquent, sa dénégation etoit illusoire, a repondu qu'il etoit cependant prêt à se justifier sur toutes les accusations qu'on voudroit luy imputer.

Interrogé si entr' autres domestiques qui ont été à son service, il n'a pas connu charnellement le nommé Picard, a repondu qu'il avoit eu plusieurs domestiques de ce nom, et qu'il n'avoit jamais eu aucun commerce avec aucun d'eux.

Interrogé s'il y a six à sept ans qu'il a engagé un nommé Picard son laquais à un seigneur allemand, a repondu qu'il ne sçait ce que c'est et qu'il n'a engagé personne.

Interrogé s'il avoit eu commerce et habitation charnelle avec un de ses laquais appelle La Fleur, a repondu que non, et qu'il n'a jamais commis ledit crime.

Interrogé s'il connoit ledit La Fleur, a repondu que non.


120 LES PROCÈS DE SODOMIE


Interrogé qu'il vient cependant de le reconnoitre en niant avoir jamais eu commerce criminel avec luy, a repondu qu'il ne se souvient pas dudit La Fleur, et qu'il a nié seulement d'avoir jamais com- mis ledit crime de sodomie.

Interrogé s'il connoissoit le nommé Perron, gar- çon de cabaret du nommé Buffet, Marchand de vin, demeurant rue des Mauvais garçons, a repondu que non, qu'il avoit pris du vin chez ledit Buffet, mais qu'il ne se souvenoit du nom d'aucun de ses gar- çons.

Interrogé qu'il y avoit preuve au procès qu'il avoit voulu forcer et violer ledit Perron, et même qu'il luy avoit dit qu'il n'y avoit aucun mal à com- mettre ledit crime, qu'il n'y avoit que les sots qui en fusent effarouchez, a repondu qu'il ne sçaitce que c'est.

Interrogé qu'il y avoit preuve au procès qu'il faisoit l'essay et connoissoit charnellement tous ceux qu'il produisoit à différentes personnes, a repondu que non, et qu'il nie avoir jamais commis ledit crime en aucune façon.

Interrogé s'il n'habitoit pas charnellement avec les laquais qu'il avoit à son service, et si cette familiarité criminelle n'étoit pas cause que lesdits domestiques en abusèrent, et ne luy parloient que fort insolemment, a repondu qu'il avoit toujours eu beaucoup de bonté envers ses domestiques, mais que cela ne procedoit que de sa bonté naturelle, et


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 121


non à cause dudit crime de sodomie, qu'il n'a jamais commis.

Interrogé s'il connoissoit le nommé Duplan, a repondu que ouy.

Interrogé quel etoit ledit Duplan, a repondu qu'il etoit gentilhomme.

Interrogé qu'il ne disoit pas la vérité, et qu'il y avoit preuve que ledit Duplan n'etoit que le fils d'un tailleur, a repondu que ledit Duplan s'etoit annoncé comme gentilhomme, et qu'il n'etoit pas assuré qu'il le fut véritablement.

Interrogé du lieu de la demeure dudit Duplan, a repondu qu'il sçavoit qu'il avoit demeuré dans la Rue du Foin, chez un cordonnier, mais qu'il igno- roit qui etoit son père.

Interrogé s'il n'avoit pas violé ledit Duplan, qu'il auroit ensuite fait séduire par le nommé Picard son laquais, et en auroit abusé ensuite malheureuse- ment pendant un mois, au bout duquel tems il l'avoit livré à un seigneur anglois, qui l'avoit em- mené dans son païs, a repondu qu'il n'avoit aucune connoissance de cela, et que ce témoignage etoit faux.

Interrogé s'il connoissoit le Comte de , a

repondu que ouy.

Interrogé si ledit Comte etoit dans le même goût de sodomie, a repondu qu'il n'en sçait rien. ^Interrogé s'il connoissoit M. de La Tour de Tres- san, secrétaire du Roy, a repondu que ouy.


122 LES PPOCÈS DE SODOMIE


Interrogé s'il etoii de pareille humeur et inclina- tion, a repondu qu'il ne sçait ce que c'est.

Interrogé s'il connoissoitle Marquis Spinelli, ser gueur napolitain, et le Chevalier de Forbvoy, anglois, a repondu que ouy.

Interrogé si les susnommez etoient de pareille humeur, a repondu qu'il ne sçait ce que c'est.

Interrogé s'il connoissoit le sieur de Montizelle, a repondu que non.

Interrogé s'il connoissoit le sieur de Monzelle, a repondu qu'il connoissoit le Marquis de Monzelli, seigneur vénitien, et non les deux susnommez.

Interrogé s'il connoissoitle nommé Thomas Vau- pinesque, dit Chambery, savoyard de nation, a repondu que non.

Interrogé si l'ayant trouvé un jour, il y a près de trois ans, au coin de la rue de l'Arbre sec, et l'ayant mené chez luy, et ensuite l'avoit envoyé chez ledit sieur Monzelli, avec qui il seroit accordé, et auroit vendu ledit Chambery, lequel ils auroient violé et connu charnellement l'un et l'autre, a repondu qu'il n'a jamais vu ni connu ledit Cham- bery, et qu'il ne sçait ce que c'est.

Interrogé s'il ne connoissoit pas la veuve Chau- veau, a repondu que non.

Interrogé s'il ne connoissait pas le nommé Paul Chauveau, a repondu que non.

Interrogé qu'il ne suffit pas de nier, et qu'il y a preuve au procès qu'il a emmené ledit Paul Chau-


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 123


veau âgé de quatorze ans, dans la rue Montmartre, auprès de saint Joseph, il y a sept ans ou environ, et là l'auroit violé, aussi bien que plusieurs qui- dams qui etoient dans laditte maison, et qui auroient pareillement violé et connu charnellement ledit Paul Chauveau, que luy repondant n'auroit ramené chez luy que sur les onze heures du soir, a repondu qu'il ne sçait ce que c'est.

Interrogé qu'au bout de huit jours il avoit enlevé ledit Paul Chauveau, a repondu qu'il ne sçait ce qu'on luy veut dire.

Interrogé quels sont lesdits trois quidams qui ont violé ledit Chauveau dans laditte maison rue Mont- martre, a repondu qu'il a déjà dit qu'il ne sçait ce que c'est.

Interrogé qu'il y a preuve de tout ce que dessus, et qu'il y a plainte chez le commissaire du quartier saint Martin où demeure laditte veuve Chauveau, a repondu qu'il n'a jamais eu connoissance de laditte plainte.

Interrogé comment se nomment lesdits trois quidams cy dessus, a repondu qu'il sçavoit aussy peu leurs noms qu'il connoissoit peu leurs figures.

Interrogé s'il connoissoit le sieur de Vitrey, huissier à verge au Chatelet, a repondu que non.

Nous luy avons dit qu'il ne disoit pas la vérité, attendu qu'il y avoit trop de preuves qu'il le con- noissoit et que même, il avoit demeuré quelque tems dans la maison dudit sieur Vitrey, sise rue Bri-


124 LES PROCÈS DE SODOMIE


semiche, et qu'on ne peut nier ces choses, a repondu qu'il s'en souvenoit à présent.


INFORMATION

FAITE PAR M. RAVOT D'OMBREVAL en 1725.

Cejourd'huy samedy vingt troisième jour de juillet, deux heures après midy, nous aurions ques- tionné et interrogé les témoins cy après désignez, en la forme et manière suivante.

7 e Témoin.

En^ premier lieu est comparue une quidamne vêtue d'une Robe de siamoise, laquelle a repondu être appellée Marie Geneviève Anquetil, qu'elle avoit cinquante neuf ans, qu'elle etoit veuve de Robert Finet, maitre horloger, qu'elle continuoit le commerce de sondit mary le mieux qu'elle pouvoit, et qu'elle etoit de Paris.

Interrogée si elle connoissoit le sieur Deschauf- fours, a repondu qu'elle ne le connoissoit que trop.

Interrogée pourquoy elle disoit qu'elle ne le connoissoit que trop, a repondu que c'etoit à cause


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 125


que ledit Deschauffours avoit violé et fait violer le nommé Hillaire Finet son fils.

Interrogée quelle preuve elle a que ledit Hillaire Finet son fils ait été violé, a repondu que le Diman- che premier jour de ce mois, ledit Henry Hillaire son fils étant allé chez ledit sieur Deschauffours pour luy rapporter une montre qu'il luy avoit fait raccommoder, ledit sieur Dechauffours l'avoit fait entrer, et luy avoit fait boire d'un vin où apparament il y avoit mêlé quelque drogue qui avoit assoupi ledit Hillaire Finet de telle façon qu'il n'auroit pas pu sentir qu'on l'avoit connu charnel- lement et contre nature ; que ledit sieur Deschauf- fours, non content de l'avoir violé et fait violer par deux quidams qui etoient avec luy, l'avoit encore chassé honteusement, et luy avoit dit des injures ; que ledit Henry Hillaire Finet, étant revenu chez laditte repondante, se seroit plaint d'une grande douleur au fondement, surquoy elle repondante auroit prié le sieur Taylor, Chirurgien juré, de visiter son fils, ce que ledit sieur Taylor auroit fait charitablement, ensuite de quoy elle repondante auroit été dès le lendemain matin chez M. le Com- missaire de Lepinoy luy faire sa plainte.

Interrogée si elle sçavoit le commerce scandaleux dudit Deschauffours, a repondu qu'elle n'en avoit jamais ouy rien dire mais que la nommée Picarde, qui est une revendeuse à la toilette, pourroit bien nous en enseigner des choses, ayant fort connu le




126 LES PROCÈS DE SODOMIE


nommé Duplan, qui avoit fréquenté autrefois ledit Deschauffours, et le nommé Picard, qui est de son païs, et qui a été au service dudit sieur, nous requé- rant de la faire venir et de l'interroger sur ces articles.

8 e Témoin.

Ensuite duquel interrogatoire nous aurions fait approcher un quidam vêtu de droguet mêlé, lequel a repondu être appelle Henry Hillaire Finet, qu'il avoit seize ans et qu'il etoit garçon horloger.

Interrogé s'il connoissoit le nommé Deschauffours, a repondu que ouy.

Interrogé s'il sçavoit quelque chose touchant ledit Deschauffours, a repondu que ouy, et que le Dimanche premier de ce mois ledit sieur Deschauf- fours l'auroit fait manger avec luy et luy avoit fait prendre une drogue qui l'avoit endormi, pendant lequel tems ledit sieur Deschauffours et deux autres messieurs avec luy l'auroient violé, ajoutant ledit repondant que sa mère avoit déclaré plus au long... qu'il n'avoit rien à ajouter, excepté qu'il avoit été blessé et qu'il etoit actuellement malade depuis cette avanture.

p e Témoin.

Ensuite duquel interrogatoire nous aurions fait approcher un quidam vêtu de drap noir, lequel a repondu être appelle David Edouard Taylor, qu'il


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 12'


etoit Irlandais, natif de la ville de Dublin, qu'il avoit quarante sept ans, qu'il étoit de la Religion Catho- lique Apostolique et Romaine, et qu'ayant eu le bonheur d'y être élevé il en avoit toujours fait profession.

Interrogé s'il connoissoit le nommé Deschauf- fours, a repondu que non.

Interrogé et enquis s'il avoit sçû que ledit Des- chauffours faisoit métier et commerce de sodomie, a repondu que ouy et que le Dimanche premier jour du présent mois de juillet, sur les deux heures après midy, la nommée Anquetil seroit venue le prier de venir voir et visiter le nommé Henry Hillaire Finet son fils, qu'étant monté dans une chambre au troi- sième sur le derrière il auroit vu ledit Finet couché sur son lit, se plaignant beaucoup d'une douleur au fondement, qu'ayant visisé exactement et avec attention ledit Finet, qui etoit blessé à sang, il auroit enfin reconnu que ledit Finet avoit été connu char- nellement ; qu'ayant interrogé ledit Finet, il luy auroit repondu qu'il ne sçavoit ce qu'on luy avoit fait, attendu que s' étant endormy à table chez le sieur Deschauffours où etoient aussi deux parti- culiers, il se seroit trouvé seul à son réveil et en cet état; surquoy luy repondant luy auroit demandé s'il etoit tombé et s'il s'etoit blessé., à quoy ledit Finet auroit repondu que non ; ce qui avoit fait croire et présumer audit repondant que sans difficulté ledit Finet avoit été violé par ledit Deschauffours et


128 LES PROCÈS DE SODOMIE


autres quidams, mais ce qui a confirmé entièrement ledit repondant dans cette pensée, est qu'au bout de huit jours la plaie dudit Finet n'etoit point guérie, ce qui, ayant obligé ledit repondant à la visiter, il auroit apperçu une tumeur au fondement dudit Finet, surquoy n'osant trop assurer ce que c'etoit, il avoit dit à laditte Anquetil qu'il falloit consulter là-dessus, laquelle Anquetil luy avoit dit qu'elle supplioit instament luy repondant de prendre avec luy tel Médecin ou Chirurgien qu'il voudra, pour consulter laditte playe, à quoy ledit repondant vou- lant satisfaire, et en même tems le devoir de son employ, auroy fait venir le sieur Bomel, Chirurgien juré, lequel avec le repondant auroient visité ledit Finet, et ensuite dressé le procès verbal que ledit repondant nous aurait remis et dont la teneur s'en- suit.


Aujourd'huy Mardy, dixième jour du mois de Juillet, Nous, Pierre Bomel, Chirurgien juré expert reçu à Saint Cosme, et David Edouard Taylor,

aussy Chirurgien, nous serions transportés, etc

et après avoir long tems examiné la tumeur qu'il avoit au fondement auprès de l'anus, aurions enfin reconnu que ledit Henry Hillaire Finet devoit avoir été connu charnellement et par copulation contre nature, attendu que laditte tumeur ne provenoitque


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 129

d'un sang corrompu par une humeur étrangère, et que laditte tumeur alloit infailliblement dégénérer en Crystalline, maladie qui ne pouvoit provenir que d'une copulation en la façon susditte, et qu'il nous est deffendu de penser et medicamenter ; mais attendu que laditte veuve Finet nous auroit assuré que quand même ce que nous disions seroit vray, que cette deffense ne pouvoit avoir lieu dans le cas présent, puisqu'il est notoire que si ledit Finet a été violé et connu charnellement contre nature, il ne peut et ne l'a été que pendant un sommeil invo- lontaire, et assez puissant pour empêcher ledit Finet de sentir aucuns attouchemens ny violences qu'on a pu luy faire, surquoy nous susdits aurions dressé le présent rapport, pour servir ce que de raison.


Surquoy nous aurions fait transcrire ledit rapport cy-dessus, dont la minute nous est restée, annexée et attachée au présent procès verbal.


10 e Témoin.

Ensuite duquel interrogatoire nous aurions fait venir et approcher une quidamne vêtue de siamoise brune reteinte, laquelle a repondu être appellée Jeanneton, Jeanne Trappel, qu'elle avait trente six


130 LES PROCÈS DE SODOMIE


ans, et qu'elle etoit servante et domestique chez le sieur YUrey, huissier à verge au Chastelet.

Enquise et interrogée si elle connoissoit le nommé Deschauffours, a repondu que ouy.

Enquise et interrogée comment elle a connu le- dit Deschauffours, a repondu que c'etoit que ledit Deschauffours avoit pris un appartement dans la maison dudit sieur Vitrey, son maitre, rue Brise- miche.

Enquise et interrogée si elle a entendu parler des crimes et du commerce abominable et scandaleux dudit Deschauffours, a repondu qu'ouy.

Enquise et interrogée de nous dire et déclarer ce qu'elle ensçait, a repondu que ledit sieur Deschauf- fours voyoit un grand nombre de personnes, que l'on voyoit toujours chez luy des visages nouveaux, qu'il y venoit souvent des petits garçons à qui il donnoit le fouet pour son plaisir, que l'on enten- doit souvent crier lesdits enfans, et qu'une fois elle avoit vu le sieur Deschauffours qui revint un soir fort tard, enveloppé dans son manteau et condui- sant avec luy un jeune garçon de dix à onze ans vetu de rouge, lequel garçon pleuroit à chaudes larmes; qu'étant monté dans son appartement, elle repondante auroit entendu ledit garçon pleurer encore plus fortement que précédemment et dire qu'il vouloit voir son cher père et sa chère mère, que ledit sieur Deschauffours repondoit : « Paix! Que je ne t'en- tende plus ! » mais que ledit garçon ne cessant de


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 131


pleurer et de crier plus fort, ledit sieur Deschauf- fours s'etant apparemment impatienté avoit pris un bâton ou quelque canne et en avoit tant frappé le- dit garçon qu'il l'avoit blessé à la tête ; que sur cela ledit jeune garçon, craignant que ledit Deschauf- fours ne l'assommât s'etoit tûet que ledit Deschauf- iours avoit envoyé un moment après son laquais chercher le sieur Vincent, chirurgien, qui demeu- roit rue de la Verrerie auprès des Consuls, lequel étant arrivé peu de temps après, auroit pensé et mis le premier appareil sur la playe dudit jeune garçon, et auroit demandé comment ledit garçon s'etoit pu ainsy blesser, lequel sieur Deschauffours auroit repondu que ledit jeune garçon auroit été ainsy blessé en se battant et polissonnant avec des autres enfans de son âge ; que sur cela ledit sieur Vincent avoit dit que c'etoit un fort vilain jeu que le jeu auquel ledit garçon avoit joué et que ce coup pourroit bien le faire mourir ; que ledit sieur Vin- cent avoit ensuite demandé audit sieur Deschauf- fours si ce garçon luy appartenoit, lequel auroit repondu que c'etoit un fils de l'amour ; que sur cela ledit sieur Vincent étant sorty, elle repondante, qui avoit entendu une partie de ce que dessus, luy au- roit demandé si ledit garçon etoit blessé, lequel sieur Vincent auroit repondu qu'ouy et même dan- gereusement, mais que cependant il n'y avoit rien à craindre, parce qu'étant un bâtard, ces sortes •d'enfans ne reçoivent jamais de mal; qu'elle repon-


132 LES PROCÈS DE SODOMIE


dante ayant dit au sieur Vincent que ledit Des- chauffours haïssoit trop les femmes pour avoir des bâtards, ledit sieur Vincent avoit repondu : « Qu'il fasse comme il l'entendra, ce n'est pas le mien ! » ajoutant laditte repondante que ledit garçon étant tombé malade dudit coup reçu, et étant à l'extré- mité, ledit sieur Deschauffours l'avoit foit conduire à l'hôtel Dieu par son laquais, où ledit garçon etoit enfin mort au bout de trois jours.

Interrogée si elle a dit cela au sieur Vitrey, son maitre, a repondu qu'elle ne l'a dit que lors que le- dit garçon fut porté à l'hôtel Dieu, et que sur cela ledit sieur de Vitrey etoit descendu dans la cham- bre dudit sieur Deschauffours, à qui il avoit dé- claré qu'il ne vouloit absolument plus qu'il demeu- rât chez luy, et que s'il ne sortoit dans huit jours, qu'il iroit porter plainte chez le Commissaire.

Interrogée comment elle a sçû que ledit garçon etoit mort à l'hôtel Dieu, a repondu qu'elle avoit suivy le laquais dudit Deschauffours et qu'elle l'avoit vu.

Interrogée et enquise si elle avoit parlé audit garçon lors qu'il fut mis à l'hôtel Dieu, a repondu que deux heures après que ledit garçon fut à l'hôtel Dieu, il avoit le transport au cerveau.

Interrogée et enquise si elle avoit sçu le nom du- dit garçon, a repondu que non, et que ledit Des- chauffours l'avoit fait mettre à l'hôtel Dieu sous le nom de Jasmin.


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 133


Interrogée si elle sçait le nom dudit laquais dudit Deschauffours, a repondu qu'ouy et qu'il s'appeloit Picard.

Interrogée si elle connoissoit ou sçavoit les noms de ceux qui frequentoient la maison dudit Deschauf- fours, a dit que ledit sieur Deschauffours n'avoit demeuré que deux mois et demy dans laditte mai- son du sieur Vitrey, et qu'il venoit tant de monde qu'elle n'auroit pu les connoitre.

Interrogée et enquise en quel tems est arrivée cette aventure; après avoir rêvé et parlé en elle même, a repondu qu'il y a près de six ans.

Interrogée et enquise si elle connoit la nommée veuve Chauveau, a repondu qu'ouy, et que laditte veuve peut bien rendre compte des débauches du- dit sieur Deschauffours.

Interrogée pourquoy elle dit que laditte veuve Chauveau peut bien rendre compte des débauches dudit Deschauffours, a repondu que c'est à cause que laditte veuve a eu un enfant enlevé et violé par ledit Deschauffours.

Interrogée si elle sçait ce qu'est devenu ledit fils de laditte veuve Chauveau, a repondu qu'elle n'en sçait rien.

Interrogée quelle preuve elle a que que ce soit ledit Deschauffours qui ait enlevé ledit Chauveau, a repondu que c'est qu'un jour qu'elle entendit le- dit Picard laquais dudit sieur Deschauffours, qui ne croyant pas être entendu, avoit dit à son Maitre


134 LES PROCES DE SODOMIE


que le fils de la Chapeliere etoit bien loin, et qu'il n'avoit que faire de s'en embarasser.

Interrogée en quel tems ledit Picard avoit dit cela, a repondu que c'etoit environ un mois après que ledit sieur Deschauffours eut mené diner ledit Chauveau.

11 e Témoin.

Ensuite duquel interrogatoire nous aurions mandé et fait approcher un quidam vêtu d'un habit brun, portant une perruque en bonnet, lequel a repondu être appelé Augustin Caperal, dit Langue- doc, qu'il etoit de Carcassonne en Languedoc, qu'il avoit vingt huit ans et qu'il etoit garçon chez le sieur Gillet, marchand Apotiquaire à Paris, y de- meurant rue des Lombards.

Interrogé et enquis s'il connoissoit le nommé Deschauffours, a repondu qu'ouy, et qu'un jour ledit sieur Deschauffours etoit venu chez le sieur Gillet, son Maître, pour avoir de l'onguent, que ledit sieur Gillet n'étant pas à la boutique alors, luy repondant auroit demandé au sieur Des- chauffours quelle sorte d'onguent il souhaitoit, que ledit sieur Deschauffours ayant demandé de l'on- guent pour étancher le sang d'une playe, luy repon- dant auroit répliqué qu'on se servoit de différentes drogues suivant les plaies, et qu'il n'avoit qu'à


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 135


montrer l'ordonnance du Médecin ou Chirurgien, qu'il y avoit dans la boutique toutes les drogues différentes qu'on pouvoit souhaiter ; surquoy ledit Deschauffours auroit dit audit repondant qu'il le prioit de porter de plusieurs drogues avec luy, et qu'il verroit quelle sorte il seroit nécessaire ; sur- quoy luy repondant ayant pris deux ou trois sortes de drogues les plus ordinaires en ces sortes d'occa- sions, il auroit suivy ledit sieur Deschauffours, qui l'auroit conduit dans une maison sise rue Saint Mar- tin, auprès de Saint Julien des Menestriers, où étant monté au second étage il auroit trouvé un jeune homme couché dans un lit, ledit jeune homme fort pâle et abbattu ; que ledit sieur Des- chauffours luy ayant dit d'être discret et qu'il le payeroit bien, avoit tiré la couverture du lit où le- dit jeune homme etoit couché, quoy fait il auroit apperçu que ledit jeune homme etoit plein de sang qu'il avoit perdu, à cause qu'on venoit de le châ- trer tout net; que luy repondant s'etoit écrié là- dessus, et que ledit sieur Deschauffours luy avoit dit de ne rien dire et de tacher de mettre remède à cela ; que luy repondant ayant dit qu'il lui parois- soit fort extraordinaire qu'on l'eut amené, ledit sieur Deschauffours avoit repondu que c'etoit un homme qui avoit ces parties gangrenées en telle sorte qu'il avoit fallu les luy couper ; que sur cela luy repondant auroit dit que le Chirurgien qui avoit fait cette opération auroit dû y mettre le premier


I36 LES PROCÈS DE SODOMIE


appareil ; mais que pendant cet intervalle le patient qni etoit au lit s'etant évanoui, il avoit cru devoir y apporter le remède le plus promptement qu'il auroit pu, pendant qu'un quidam que le sieur Des- chauffours appeloit son Laquais et qu'il nommait Picard faisoit revenir ledit jeune homme ; que cela étant fait ledit sieur Deschauffours auroit voulu donner un louis audit repondant qui l'avoit refusé, et dit qu'il ne falloit que trente cinq sols ; que sur cela ledit sieur Deschauffours auroit prié ledit repondant de garder le secret sur cette affaire, attendu que cedit jeune homme etoit prest de se marier, ajoutant ledit quidam qu'étant sorti de la- ditte Maison il seroit retourné chez ledit sieur Gil- let, son Maitre, à qui A il avoit crû devoir rendre compte de tout ce qui venoit de luy arriver.

Interrogé s'il n'avoit point sçu le nom du jeune homme qui venoit d'être ainsi châtré, a repondu que ouy, que l'hôtesse de laditte Maison chez qui ledit sieur Gillet luy avait conseillé de s'informer lui avoit repondu que ouy, que ce jeune homme etoit un italien natif de Modene, nommé Bizetti.

Interrogé s'il avoit sçu quelque chose de plus, a repondu que laditte hôtesse luy avoit encore dit qu'il étoit le fils d'un comédien Italien, qui l'avoit envoyé en France parce qu'il paroissoit avoir la voix belle, et qui venoit en effet pour se faire châtrer.


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 137

INTERROGATOIRES

DU MARDI 26 JUILLET 1725.

12 e Témoin.

En premier lieu est comparu une quidamne vêtue d'une robe d'etamine noire, laquelle a repondu quelle etoit appellée Michelle Claudine Polet, qu'elle avoit cinquante six ans, qu'elle etoit reven- deuse à la toilette, a repondu en pleurant qu'elle etoit veuve, que son mary s'appeloit Jean Barbet, qu'il etoit domestique chez Monsieur le Comte de Tonnerre.

Interrogée et enquise pourquoy elle avoit pleuré en nommant sondit mary a repondu que c' etoit qu'il n'y avoit que dix huit mois qu'il etoit mort, et qu'elle ne pouvoit s'empêcher de pleurer lors- qu'elle se souvenoit de luy.

Interrogée et enquise pourquoi elle ne pouvoit s'empêcher de pleurer, et s'il etoit arrivé quelque fin malheureuse audit Jean Barbet son mary, a repondu que non, et que c'etoit seulement pour l'amour qu'ils avoient l'un pour l'autre.

Surquoy nous luy aurions dit que ledit Jean Bar- bet etoit bien louable, et ensuite l'aurions inter- rogée de quel païs elle etoit, a repondu qu'elle etoit d'Amiens.


I38 LES PROCÈS DE SODOMIE


Interrogée si elle avoit connu le sieur Deschauf- four, a repondu que ouy, et qu'elle luy avoit vendu beaucoup de choses, et achetté d'autres, et fait prê- ter plusieurs fois de l'argent sur gage et sans interest.

Interrogée si elle sçavoit quelque chose du commerce infâme et scandaleux dudit Deschauffour, a repondu que ouy et qu'outre ce qu'elle en sçavoit, elle en avoit encore beaucoup appris du nommé Picard, laquais dudit sieur Deschauffours, et de la nommée la grande Jeanne, servante de la veuve Doreau, maitresse d'un hôtel garny où ledit sieur Deschauffours avoit demeuré quelque tems ; que ledit sieur Deschauffours avoit plusieurs fois changé de nom, et avoit paru sous celuy de Moulien Duplessis, dans le temps qu'il demeuroit rue des Bons enfans, celuy de Desfourneaux, il y a environ quatre ans, et lors qu'il logeoit dans la vieille rue du Temple, et aussi qu'il avoit pris pendant un tems, et nommément pendant qu'il demeuroit rue Poupée, chez laditte veuve Doreau, le nom de Marquis du Préau. 1

Interrogée de nous déclarer les circonstances qu'elle sçait, a repondu qu'elle a connu le nommé Joseph Duplan, qui etoit fils d'un tailleur qui demeuroit rue du Foin vis à vis les Mathurins, lequel Duplan étant amené un jour chez ledit sieur Deschauffours par ledit Picard son laquais, avoit été connu "charnellement par ledit Deschauffours,


BENJAMIN DESCHAUFFOURS I39


et qu'ayant ressenti beaucoup de douleur de cet embrassement, il avoit donné un coup audit sieur Deschauffours, et etoit sorti brusquement de chez luy disant qu'on l'avoit trompé, qu'il ne croyoit pas que cela fit tant de mal ; que néanmoins à quelques jours de là le nommé Picard l'ayant rencontré et luy ayant demandé comment il se trouvoit ledit Duplan avoit repondu que son mal etoit bientôt passé ; surquoy ledit Picard avoit répliqué qu'il y avoit des onguents pour adoucir, et qu'il n'avoit qu'à venir chez son Maitre, qu'il en seroit content; que sur cela ledit Duplan étant venu chez ledit sieur Deschauffours, auroit eu commerce criminel avec luy pendant près d'un mois, pressant toujours ledit sieur Deschauffours de luy trouver quelque seigneur avec qui il put être, et qu'enfin ledit sieur Deschauffours avoit trouvé un seigneur anglois dont elle, repondante, ne sçavoit pas le nom, qui avoit assuré une pension viagère audit Duplan, et l'avoit emmené dans son païs.

Interrogée si elle sçait que le sieur Deschauffours abusoit de tous ses domestiques, et faisoit l'essay et l'épreuve de tous ceux qu'il produisoit et vendoit aux uns et aux autres, a repondu qu'ouy et que ledit Picard luy avoit avoué cela, et qu'il étoit bien las de souffrir la copulation charnelle dudit Deschauffours; mais qu'il en etoit recompensé en obligeant le sieur Deschauffours à luy permettre l'habitation charnelle de ceux qui venoient dans laditte maison.


140 LES PROCÈS DE SODOMIE


Interrogée si elle sçait quelqu'autre circonstance, a repondu qu'il y avoit un jeune homme blond de chevelure, et qui portoit toujours des talons rouges, lequel jeune homme etoit aimé du sieur Deschauffours, qui ne le presentoit à personne, et lequel venoit tous les soirs qu'il n'y avoit point de monde; que néanmoins ledit Picard avoit enfin obligé ledit sieur Deschauffours à luy per- mettre de coucher avec ledit jeune homme, ce qu'il avoit eu bien de la peine à obtenir.

Interrogé d'où elle avoit sçu cela, a repondu qu'elle le tenoit dudit Picard.

Interrogée pourquoy ledit Picard luy disoit de telles choses, qui etoient contre luy mesme, a repondu que ledit Picard ne croioit point faire de mal en tout cela, et qu'au reste elle luy avoit fait tout avouer dans le temps que ledit Picard etoit dans la pensée de quitter cet infâme commerce, et qu'elle repondante vouloit le marier, ce qui ne s'est pu faire.

Interrogée si elle sçait où est ledit Picard a repondu que non.

Interrogée si elle avoit connu quelques per- sonnes de ceux qui fréquentoient la maison dudit Deschauffours, a repondu qu'elle y avoit vu M. le Comte de Kabia et Monsieur le Marquis de Saute- reau, Monsieur le Marquis Spinelli, riche seigneur italien, et Monsieur le Chevalier Forbvoy Milord anglois, et qu'elle avoit sçû dudit Picard que ledit


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 141


sieur Deschauffours avoit enfin vendu et livré au sieur Chevalier Forbvoy ledit garçon blondin dont elle a parlé cy dessus, et dont elle ignore le nom, ledit Picard ne luy ayant jamais voulu dire, à cela près qu'il avoit dit que c'etoit le fils d'un avocat ; ajoutant laditte repondante que ledit sieur Des- chauffours avoit vendu un autre garçon audit Mar- quis Spinelli lors qu'il etoit retourné en son païs.


iy Témoin.

Ensuite duquel interrogatoire nous aurions fait approcher un quidam vêtu d'un habit de drap noir, lequel a repondu qu'il s'appeloit Georges Vincent, qu'il avoit quarente deux ans et qu'il étoit Chirur- gien juré receu à Saint Cosme.

Interrogé s'il connoissoit le nommé Deschauf- fours, a repondu que ouy.

Interrogé comment il l'avoit connu, a repondu qu'il l'avôit vu une seule et unique fois.

Interrogé s'il sçavoit que ledit Deschauffours faisoit commerce et trafic de sodomie, a repondu que beaucoup de gens lui avoient dit.

Interrogé à quelle occasion il avoit vu ledit Des- chauffours, a repondu qu'un soir sur les onzes heures, un laquais etoit venue frapper à sa porte rue de la Verrerie et luy avoit dit qu'il vint penser un jeune garçon qui s'etoit cassé la tête ; qu'ayant.


142 LES PROCÈS DE SODOMIE


suivy ledit laquais il etoit entré dans une chambre au premier appartement d'une maison scise rue Brisemiche, où il avoit trouvé un jeune enfant de dix à onze ans, lequel avoit la tête cassée, à ce qu'il nous a paru, d'un coup de bâton, lequel garçon n'auroit point parlé pendant que luy repondant l'avoit pensé et mis le premier appareil, et même avoit paru audit repondant, soit par nature soit autrement, que ledit garçon etoit un peu imbécile ; qu'ayant demandé au sieur Deschauffours, qui etoit le Maitre de l'appartement, comment ledit garçon avoit été ainsi blessé, ledit sieur Deschauffours avoit repondu que c'etoit en se battant et en polissonnant avec des camarades, et que ledit garçon etoit un petit coquin et un misérable, qui ne meritoit pas le pain qu'il luy donnoit; ajoutant ledit repondant qu'il avoit dit audit sieur Deschauffours que cette playe luy paroissant fraichement faite, il etoit étonné que ledit garçon à l'heure qu'il etoit fut encore à jouer et à polissonner dans les rues, sur- quoy ledit sieur Deschauffours avoit repondu brus- quement : « Monsieur, il n'y a pas tant de façons ! Voyez si vous voulez le penser ou non, et je vais envoyer chercher un autre Chirurgien. » Que luy, repondant, ayant plus d'égard à l'état du jeune enfant qu'aux discours dudit sieur Deschauffours, auroit continué à penser ledit jeune garçon et auroit reconnu que sa playe etoit fort dangereuse et même mortelle, ce qu'il auroit déclaré audit sieur Des-


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 143


chauffours, qui paroissoit et se disoit en être le père, surquoy ledit sieur Deschauffours avoit dit : « Tant mieux, ce ne sera qu'un bâtard de moins dans le monde î II y a assez de putains dans Paris qui le remplaceront ! » Apres quoy ledit repondant auroit dit audit sieur Deschauffours s'il souhaitoit qu'il revint le lendemain visiter ledit enfant, à quoy ledit sieur avoit repondu que non, et luy avoit donné quarante sols, ensuite de quoy il seroit sorty de laditte maison.

Interrogé s'il sçavoit le nom dudit garçon, a repondu que non.

Interrogé s'il sçavoit le nom du laquais dudit Deschauffours, a repondu que ouy, et l'a entendu nommer Picard.

Interrogé en quel tems laditte chose luy etoit arrivé, a repondu qu'il y avoit environ six à sept ans.

14 e Témoin.

Ensuite duquel interrogatoire nous aurions fait approcher un quidam vêtu de drap brun, avec des boutons, boutonnières, et galons d'argent sur ledit habit, et portant une epée, lequel a repondu être appelle Ambroise Corne Vitrey, qu'il avoit soixante et sept ans, qu'il etoit huissier à verge au Châtelet de Paris et qu'il demeuroit dans une maison appar- tenante à luy repondant scise rue Brisemiche.


144 LES PROCES DE SODOMIE


Interrogé s'il connoissoit le nommé Deschauf- fours a repondu qu'ouy.

Interrogé s'il sçavoit que ledit Deschauffours entretint mauvais commerce, et commettoit et faisoit commettre crime de sodomie, enlevoit des enfans pour les vendre, et autres crimes pareils, a repondu qu'il en avoit entendu parler, que ledit Deschauffours avoit loué autrefois un appartement dans sa maison et qu'il y venoit beaucoup de monde qu'il ne connoissoit pas.

Interrogé si ledit Deschauffours avoit long tems demeuré dans laditte maison, a repondu qu'il n'y a demeuré que trois mois, attendu que pendant cet intervalle ledit sieur Deschauffours avoit emmené chez luy un jeune garçon inconnu et dont il ne sçait pas le nom, et luy avoit cassé la tête avec un bâton de cotret ; que la nommée Jeanneton, sa ser- vante, qui avoit entendu tout cela, et qui avoit vu que ledit sieur Deschauffours avoit envoyé ledit garçon à l'hôtel Dieu, où il etoit mort au bout de trois jours, luy avoit rendu compte de ce que dessus, surquoy luy, repondant, auroit été dès le lendemain matin déclarer audit sieur Deschauffours qu'il vou- loit absolument qu'il sortit dans la huitaine, autre- ment qu'il iroit porter sa plainte chez un Commis- saire ; que sur cela ledit Deschauffours avoit dit qu'il consentoit à sortir au huit du mois suivant qui etoit le huit d'octobre, ce qu'il avoit exécuté.

Interrogé s'il connoissoit le laquais dudit Des-


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 145


chauffours, a repondu qu'ouy, et qu'il l'avoit entendu appeler Picard.

75 e Témoin.

Ensuite duquel interrogatoire nous aurions fait approcher une quidamne vêtue d'une Robe de satin rayé rouge et blanche, laquelle a repondu être appellée Barbe Chappey, qu'elle avoit trente huit ans, qu'elle etoit mariée au nommé Laurent Le Franc, qui etoit Marchand d'eau de vie et distilla- teur à Paris.

Enquise et interrogée si elle ne louoit pas en chambre garnie, a repondu qu'ouy, mais qu'elle a son livre signé de Monsieur le Commissaire Regnard.

Enquise et interrogée si elle connoissoit le nommé Des chauffours, a repondu qu'ouy et qu'il avoit logé chez elle.

Enquise et interrogée si elle sçavoit le mauvais commerce dudit Deschauffours, a repondu qu'ouy, et qu'elle en avoit entendu parler.

Enquise et interrogée si elle en sçavoit quelques circonstances, a repondu qu'elle avoit vu entrer et venir chez ledit sieur Deschauffours plusieurs hommes de toutes façons et qu'il y venoit aussy souvent des gens à équipage et fort magnifiques, mais qu'elle n'avoit vu aucune chose qui ait pu luy prouver le commerce infâme dudit sieur Deschauf- fours, qui à ce que tout le monde disoit faisoit trafic

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14b LES PROCÈS DE SODOMIE


de sodomie et péché contre nature, qu'elle avoit seulement vu arriver chez ledit sieur Deschauffours un jeune garçon habillé de camelot rouge, lequel aurait couché chez luy et ne seroit point sorti ; que le lendemain, sur les deux heures après midy, elle avoit vu entrer un quidam qu'elle ne connoit point, lequel quidam etoit habillé de droguet, lequel elle avoit suivy doucement et se seroit mise laditte repondante dans un Cabinet étant auprès de la Chambre dudit sieur Deschauffours, qu'elle avoit entendu que lorsque ledit quidam fut entré, ledit sieur Deschauffours luy avoit dit : « Il y a du tems qu'on vous attend », sur quoy ledit quidam avoit dit qu'il n'avoit pu se rendre plutôt ; que sur cela le jeune homme habillé de rouge avoit dit : « Au moins, ne me faites pas souffrir ! » Que sur cela ledit habillé de droguet auroit repondu qu'il l'alloit expé- dier au plutôt, surquoy le sieur Deschauffours avoit ajouté : « Ne craignez rien, Monsieur Bizetti, vous êtes entre les mains d'un habile homme », qu'ensuite elle auroit entendu ledit jeune homme vêtu de rouge crier beaucoup ; que le sieur Deschauffours avoit dit : « Il faut un peu souffrir, mais aussy vous allez troquer une chose dont vous pouvez vous passer contre une belle voix », laquelle répondante écoutant avec plus d'attention et s'approchant d'une fausse porte qui donnoit dans laditte chambre, avoit entendu ledit sieur Deschauffours parler bas avec ledit jeune homme vêtu de rouge, et qu'un moment


BENJAxMIN DESCHAUFFOURS 147


après elle avoit entendu de grand cris, et ledit sieur Deschauffours qui avoit dit : « C'est fait ! » Que pendant ce tems il s'etoit fait un bruit dans la montée, auquel bruit ledit habillé de droguet s'etant épouvanté avoit pris la fuite, et s'etoit sauvé, que le sieur Deschauffours ne l'ayant pu retenir, ledit jeune homme habillé de rouge avoit dit : « Mon- sieur Deschauffours, je vous prie de ne pas me laisser périr », à quoy ledit sieur Deschauffours avoit repondu : « Monsieur Bizetti, je vais vous bander et accomoder avec une vieille cravatte », ce qu'il ^uroit fait et seroit ensuite sorti pour aller chercher un apotiquaire, et seroit revenu quelque tems après avec un garçon qui ne sçachant ce que c'etoit auroit cependant secouru ledit Bizetti, lequel Bizetti avoit été plus de huit jours sans sortir de son lit et sans paroitre.

Interrogée pourquoy elle n'avoit pas été faire sa plainte chez le Commissaire de ce qu'elle venoit d'entendre, a repondu que le laquais dudit sieur Deschauffours luy avoit fait entendre que ce jeune homme s'etoit fait châtrer ainsy parce qu'il avoit les parties gastées, et qu'on craignoit que la gangrené ne s'y mit.

Interrogée si elle sçavoit le nom dudit laquais, a repondu qu'ouy, et qu'il s'appelloit Picard.

Interrogée si elle sçavoit le nom dudit quidam cydessus, qui etoit habillé de droguet et qui a fait cette opération, a repondu que non, mais qu'elle


148 LES PROCÈS DE SODOMIE


avoit ouy dire audit sieur Deschauffours que c'eton le fils d'un chirurgien.

16 e Témoin.

Ensuite duquel interrogatoire nous aurions fait venir un quidam vêtu d'un habit de drap brun et portant une canne, lequel a repondu être appelle Laurent Le Franc, qu'il etoit Picard, natif d'Abbé- ville, qu'il avoit quarente cinq ans, qu'il etoit mar- chand distillateur d'eau-de-vie et que sa femme louait en chambre garnie.

Interrogé s'il avoit connu le nommé Deschauf- fours, a repondu qu'ouy.

Interrogé s'il sçavoit le commerce et trafic infâme dudit Deschauffours ; a repondu que le bruit en etoit commun dans son quartier, et que l'on disoit que ledit sieur Deschauffours faisoit commerce et trafic de sodomie.

Interrogé s'il en avoit sçu par luy même quelque chose, a repondu que non, mais que sa femme luy avoit conté qu'on avoit châtré et coupé entière- ment le jeune homme habillé de rouge qui etoit venu loger avec ledit sieur Deschauffours, et que c'etoit ledit sieur Deschauffours qui avoit fait faire cette opération.

Interrogé s'il connoissoit ledit jeune homme vêtu de rouge, a repondu qu'il ne l'avoit jamais vu.

Interrogé s'il sçavoit quequ'autre chose dudit


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 149


Deschauffours, a répondu qu'il ne songeoit qu'à sa boutique, et que c'etoit sa femme qui avoit le soin desdittes chambres garnies, et que consequemment il avoit peu vu et jamais fréquenté ledit sieur Des- chauffours.


Continuation de l'information faite en 1J25 INTERROGATOIRES

DU VENDREDI 3 AOUT.

17 e Témoin.

Et premièrement seroit comparu devant nous un quidam habillé de drap gris blanc, avec des galons noirs et blancs, lequel a repondu qu'il s'appelloit Pierre Guillois, dit Champagne, qu'il avoit trente six ans, qu'il etoit d'Aumalle, et qu'il etoit valet de pied de Monsieur le Duc de Bouillon.

Interrogé et enquis s'il connoissoit le nommé Deschauffours, a repondu que non, mais qu'il avoit vu il y a quatre mois un quidam enveloppé dans un manteau rouge qui avoit enlevé le fils de luy, repondant, âgé seulement de sept ans, lequel enfant accompagnoit luy, repondant, et sa mère ; que luy, repondant, ayant couru après ledit quidam l'auroit perdu dans la foule et auroit appris par le


150 LES PROCÈS DE SODOMIE

nommé Botel, Domestique de Monsieur le Duc d'Antin, que ledit quidam, qu'il avoit vu passer, etoit un nommé Deschauffours ; surquoy luy, repon- dant, auroit été tout de suite chez un Commissaire pour y porter sa plainte.

Interrogé chez quel Commissaire il avoit porté sa plainte, a repondu que c'etoit chez le Commis- saire Labbé.


18 e Témoin.

Ensuite duquel interrogatoire, nous aurions fait approcher une quidamne vêtue d'une Robe de satin jaune retainte, laquelle a repondu qu'elle etoit appellée Marguerite La Plaine, qu'elle avoit trente six ans, qu'elle etoit de Paris, qu'elle etoit reven- deuse et mariée au nommé Pierre Guillois, dit Champagne.

Interrogée si elle connoit le nommé Deschauf- fours, a repondu" que non, mais qu'il y a environ quatre mois que le nommé Jullien Guillois, fils d'elle repondante, et dudit Pierre Guillois, avoit été enlevé dans la rue du faubourg Saint Antoine, et qu'on luy a dit que c'etoit ledit sieur Deschauf- fours qui avoit fait ce coup.


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 151


S'ensuit la teneur de la plainte faite par lesdits Guillois et sa femme pardevant le sieur Labbé.


L'an mil sept cent vingt cinq, cejourd'huy di- manche neuvième jour du mois d'avril, en présence de nous, Philippe Labbé, Conseiller du Roy, Com- missaire au Chatelet, enquêteur proposé pour la Police au quartier saint Antoine, sont comparus Pierre Guillois et Marguerite La Plaine, sa femme, et aussy Adrien Boutel, lesquels se seroient plaints à nous de ce que cejourd'huy, sur les sept heures du soir, en revenant du Parc de Vincennes, avec le nommé Jullien Guillois, leur fils âgé de sept ans, ils auroient vu un quidam couvert d'un manteau d'ecarlatte, lequel quidam auroit enlevé ledit Julien Guillois et se seroit sauvé à travers la foule, en sorte que lesdits Guillois et sa femme n' auroient pu l'atteindre ni connoitre, ajoutant lesdits complai- gnans que le nommé Boutel aussi présent devant nous avoit vu ledit quidam, qu'il avoit reconnu pour être le sieur Deschauffours, de laquelle chose il avoit instruit ledit Guillois et sa femme; comme aussi ledit Boutel leur certifie encore de présent, affirmant et assurant pour vray que c'est ledit sieur


1^2 BES PROCÈS DE SODOMIE


Deschauffours qui a commis ledit rapt et enlève- ment.


19* Témoin.

Ensuite duquel interrogatoire, avons fait venir un quidam vêtu de camelot gris, lequel a repondu être appelé Adrien Boutel, dit L'Olive, qu'il avoit quarante ans, qu'il etoit domestique de Monsieur le Duc d'Antin, et qu'il etoit de Nantes en Breta- gne.

Interrogé s'il connoissoit le nommé Deschauf- fours, a repondu qu'il le connoissoit de vue.

Interrogé s'il connoissoit le commerce et trafic scandaleux dudit Deschauffours, a repondu qu'il le sçavoit, en ayant entendu parler.

Interrogé s'il sçavoit quelques particularités, a repondu que non, que seulement il y a près de quatre mois qu'en revenant de se promener un dimanche au soir, il avoit vu passer ledit Deschauf- fours tenant un enfant enveloppé dans un manteau d'ecarlatte, et qu'il n'avoit vu que les pieds dudit enfant ; qu'un moment après il avoit vu le nommé Guillois et sa femme qui se plaignoient qu'un qui- dam couvert d'un manteau d'ecarlatte venoit de leur enlever leur fils ; surquoy luy, repondant, avoit dit audit Guillois et sa femme qu'il venoit de voir passer ledit ravisseur qui etoit le sieur Deschauf-


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 153


fours, mais que l'ayant cherché inutilement, luy, repondant, avoit conseillé auxdits Guillois et sa femme d'aller faire leur plainte chez un Commis- saire, laquelle plainte il avoit aussi faite avec eux le même soir chez le sieur Commissaire Labbé, qui demeuroit rue Saint Antoine auprès de l'hôtel de Sully.

20 e et dernier Témoin.

Ensuite duquel interrogatoire nous aurions fait venir un quidam vêtu de drap noir, lequel a repondu être appelle Jérôme Jourdain, qu'il était de Paris, qu'il etoit marchand apotiquaire, et qu'il avoit qua- rente neuf ans.

Interrogé s'il connoissoit le nommé Deschauffours, a repondu que non, mais que cependant un jour un quidam vêtu de camelot gris de cendre etoit venu à sa boutique rue vieille du Temple, auprès de la rue des Blancs Manteaux, et luy avoit demandé des onguens et drogues propres à amollir et adoucir le fondement ; que luy, repondant, luy avoit donné un onguent qu'il avoit crû le plus propre pour cela, et que lors qu'il fut sorty, le nommé Grandon, garçon de luy repondant, avoit fort grondé, et dit que ledit quidam etoit diffammé partout pour crime de sodomie, et qu'en un mot, c'etoit le sieur Des- chauffours.


154 LES PROCÈS DE SODOMIE


Le 10 mars 1726, une Commission a été adressée par Sa Majesté au sieur Hérault, Lieutenant Ge- neral de Police, portant pouvoir de juger souverai- nement et en dernier ressort le procès criminel de Benjamin Deschauffours. Insérée aux Registres du Conseil d'Etat du Roy, signé Louis, et plus bas Phelippeaux.

Cet arrêté dit : « ...et comme nous avons eu besoin dudit sieur D'Ombreval que nous avons nommé notre intendant en la généralité de Tours... »


INTERROGATOIRE (1)

FAIT A BENJAMIN DESCHAUFFOURS®EN"l726.

Cejourd'huy Lundy, cinquième jour du mois d'avril, sept heures du matin, nous, René Hérault, Chevalier Seigneur de Fontaine Labbé, Conseiller du Roy en tous ses Conseils, Maitre des Requêtes ordinaire de son hôtel, Lieutenant General de Police en cette Ville, prevosté et vicomte de Paris,


{1) Cet interrogatoire reproduit en grande partie le précédent, aussi nous bornerons-nous à en reproduire les parties offrant quelques différence.


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 155


aurions mandé et fait venir pardevant nous un qui- dam vêtu de drap gris de fer, etc..

Interrogé et enquis de quel païs il etoit, a repondu qu'il etoit de Viviers en Vivarets.

Nous luy avons dit qu'il y avoit preuve du con- traire de ce qu'il disoit (que ses père et mère étoient mariés), attendu que ledit Abraham Deschauffours etoit marié, et que laditte Judith D'Artillac etoit morte avant la femme dudit Deschauffours, et que par conséquent laditte Judith D'Artillac n'a pu être que sa concubine, a dit que cela n'etoit pas véri- table. ' . ,

Interrogé en quoy consistoit l'héritage du pré- tendu Moulien Duplessis, a repondu qu'il consistoit en actions sur la Compagnie des Indes, lesquelles luy repondant avoit vendu et converties en rentes viagères.

Interrogé de quel côté ledit Moulien Duplessis etoit son oncle, a repondu qu'il etoit frère de mère d'Abraham Deschauffours.

Interrogé qu'il ne dit pas la vérité, attendu qu'il avoit dit précédemment que ledit Moulien Duplessis etoit frère utérin de laditte Judith D'Artillac, sa mère, a repondu qu'il s'etoit trompé et que ce qu'il disait présentement etoit la vérité.

Interrogé où est située laditte terre du Preau, a


156 LES PROCÈS DE SODOMIE


repondu qu'il ne l' avoit jamais vue, et qu'il sçaît seulement qu'elle est dans la haute Bourgogne.

Interrogé de quel prix est laditte terre, a repondu qu'on la luy avoit fait soixante mille livres.

Interrogé qu'il ne dit pas la vérité, attendu qu'il avoit déclaré précédemment qu'on la luy avoit voulu vendre soixante et dix mille livres, et qu'outre cela son récit est fort mal imaginé et hors de toute vraisemblance, et qu'outre de cela il y avoit preuve au procès qu'il n'avoit pris le nom de Marquis du Preau que pour se déguiser et tromper quelqu'un, a repondu qu'il a dit la vérité.

Interrogé qu'il etoit prouvé audit procès que luy, repondant, etoit connu dans tout Paris pour un homme qui faisoit métier et commerce de sodomie, a repondu qu'il n'avoit jamais ouy parler de cela.

Surquoy nous luy aurions dit qu'il etoit un grand coquin et un grand malheureux, et qu'il y avoit trop de preuves pour que ses négations puissent luy servir à quelque chose.

Interrogé qu'il y avoit preuve au procès qu'il avoit fourny des jeunes garçons auxdits Chevalier de Forbwy et Marquis Spinelli, a repondu qu'il ne s'est jamais mêlé de fournir des garçons ni à eux, ni à aucun autre.

Interrogé s'il sçavoit ce qu'etoit devenu ledit de


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 157


Monzelli, a repondu qu'il y avoit long tems que le- dit Marquis etoit retourné à Venise, et qu'il avoit ouy dire qu'il etoit mort.

Interrogé qu'il y avoit preuve et témoins suffisans au procès qu'il avoit livrç ledit Chambery audit Marquis de Monzelli, et qu'ils Tavoient tous les deux connus charnellement, a repondu qu'il ne sçait ce que c'est, et qu'il n'a jamais vu ledit Chambery, qui est apparemment un faux témoin apposté.

Interrogé s'il n'avoit pas tenu ledit Chambery entre ses bras pendant que ledit Monzelli commet- toit ledit crime de sodomie avec luy, et si lors que ledit Monzelli a eu commis ledit crime, luy repon- dant n'avoit pas dit audit Monzelli que suivant ses conventions il devoit avoir sa part du plaisir, et que même il auroit dû avoir les prémices, et qu'en- suite pendant que ledit Monzelli tenoit ledit Cham- bery, luy repondant auroit connu le susdit Cham- bery, a dit qu'il ne sçait ce que c'est, et que cette accusation est aussi fausse que ce que dessus.

Surquoy nous luy aurions représenté un mémoire contenant une facture de marchandise de chappeaux audit repondant au bas duquel etoit un arrêté écrit de la main dudit repondant et signé Deschauffours, et aurions demandé audit repondant s'il connoissoit cette écriture, lequel auroit dit que ouy, surquoy nous luy aurions dit qu'il etoit un grand scélérat et


158 LES PROCÈS DE SODOMIE


un pendart de nier avoir jamais connu laditte Chauveau pendant qu'il luy devoit encore soixante et dix huit livres mentionnés audit arrêté cy-des- sus, à quoy ledit repondant auroit dit qu'il con- noissoit bien laditte Chauveau et qu'il s'en ressou- venoit, mais qu'il ne connoissoit ni ledit Chauveau son fils ni tout ce que dessus.

Interrogé s'il connoissoit le nommé Henry Hil- laire Finet, a repondu qu ouy, et un moment après auroit dit qu'il ne connoissoit point ledit Finet.

Interrogé qu'il y avoit preuve au procès que le Dimanche 2 e jour de juillet 1725, ledit Finet étant venu luy apporter de l'ouvrage, luy, repondant, l'auroit fait mettre à table et luy auroit fait prendre quelque chose dans du vin, ce qui auroit assoupi et endormi ledit Finet, en telle sorte que pendant son sommeil luy, repondant, et deux autres quidams dont l'un etoit habillé de ras de saint Mor, et l'autre d'étoffe de soye brune, auroient connu charnelle- ment et violé ledit Finet, a repondu qu'il ne sçait ce que c'est.

Interrogé. des noms desdits quidams, a. repondu qu'il ne sçait ce que c'est.

Interrogé lequel des deux quidams ou de luy repondant etoit maleficié et avoit le sang gâté en telle sorte que de laditte violence ledit Finet etoit tombé malade de chrystalline, a repondu qu'il ne sçait ce que c'est, et qu'il ignore le nom et les effets de cette maladie.


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 159


Interrogé que sa dénégation ne servoit à rien, attendu qu'il y avoit témoins et preuves plus que suffisantes pour le convaincre de ce fait, a repondu qu'il est impossible.

Interrogé quel est le nom du jeune garçon qu'il y a environ sept ans que luy repondant avoit enlevé de chez père et mère, et emmené chez luy un soir, dans la rue Brisemiche où il demeuroit, et que ledit enfant se plaignant, luy, repondant, l'avoit si fort battu avec un bâton qu'il luy avoit cassé la tête, en sorte qu'il avoit été obligé d'envoyer chercher un chirurgien pour le penser, a repondu qu'il a bien demeuré dans la rue Brisemiche chez un nommé Vitrey, qui est huissier, mais que jamais ce que dessus ne luy etoit arrivé, et qu'il ne sçait ce dequoy on luy veut parler, que c'est apparemment quel- qu'accusation aussy fausse et aussy injurieuse que les précédentes. #

Interrogé s'il n'a pas dit au Chirurgien qui a pensé ledit enfant que ledit enfant etoit un bâtard de luy repondant, a repondu qu'il ne sçait ce qu'on luy veut dire.

Interrogé s'il n'etoit pas vray que le nommé Picard, valet de luy repondant, avoit mené ledit jeune enfant à l'hôtel Dieu, a repondu qu'il ne sçait • ce que c'est.

Interrogé qu'il y avoit preuve et témoins au pré- sent procès que luy, repondant, demeurant rue Saint Martin, avoit fait un jour châtrer un quidam


l6û LES PROCÈS DE SODOMIE


qui etoit chez luy depuis deux jours, a repondu que cela est aussy faux que ce que dessus.

Interrogé du nom dudit quidam, a repondu qu'il ne sçait ce que c'est.

Interrogé à quelle occasion et dans quel dessein il faisoit châtrer ledit quidam, a repondu qu'il avoit déjà dit qu'il ne sçait ce qu'on luy veut dire et qu'il n'en sçait pas d'avantage.

Interrogé s'il n'avoit pas été rue des Lombards, chez le sieur Gillet, marchand apotiquaire, d'où il auroît emmené un garçon dudit sieur Gillet pour penser et etancher le sang de la playe dudit qui- dam, a repondu qu'il ne sçait ce qu'on luy veut dire.

Interrogé s'il n'avoit pas dit audit garçon apoti- quaire que ledit quidam avoit été blessé dangereu- sement en ses parties secrettes, en sorte que crai- gnant que la gangrené ne s'y mit on avoit été obligé de faire l'amputation, a repondu qu'il ne sçait pas d'avantage cela que ce que dessus.

Interrogé s'il sçait le nom du garçon apotiquaire qui est venu penser ledit quidam, a repondu qu'il ne sçait ce qu'on luy veut dire.

Interrogé s'il sçait le nom dudit quidam vêtu de droguet qui a fait laditte opération, a repondu pareillement qu'il ne sçait ce qu'on luy veut dire.

Interrogé s'il connoissoit le nommé Duplan, a repondu que non.

Interrogé qu'il ne dit pas la vérité, et qu'il vient


BENJAMIN DESCHAUFFOURS i6l


d'avouer cydessus avoir connu ledit Duplan, a repondu qu'il n'avoit jamais pu dire qu'il connois- soit ledit Duplan, attendu qu'il etoit très vray qu'il ne le connoissoit en aucune façon, à moins que ce quidam n'eut un autre nom que Duplan, et sous lequel nom luy, repondant, pouvoit l'avoir connu, surquoy nous aurions représenté audit repondant le présent procès verbal et luy aurions fait voir que cydessus il etoit convenu et avoit avoué ledit Duplan.

Interrogé et enquis s'il connoissoit la veuve Barbet, dite La Picarde, a repondu qu'ouy, à telles marques que laditte Picarde etoit une grande voleuse, et une larronnesse, qui faisoit prêter sur gages, les- quels gages elle ne rendoit presque jamais, ajoutant ledit repondant que laditte Picarde etoit amoureuse du nommé Picard, laquais de luy repondant, et qu'elle donnoit audit Picard tout ce qu'elle pouvoit gagner, ou plutôt voler, pour qu'il la fît coucher avec luy, et qu'outre cela laditte Picarde etoit maquerelle, et avoit produit des putains audit Picard, sur ce qu'un jour ils etoient convenus ensemble qu'elle ditte Picarde ameneroit des filles de joye audit Picard toutes les fois qu'elle voudroit coucher avec luy, lesquelles putains etoient payées et amenées aux dépens de laditte Picarde.

Interrogé et enquis comment il avoit sçu ces choses, a repondu que c'etoit qu'un jour il avoit reproché audit Picard qu'il etoit bien sot de s'amu-

il


l62 LES PROCÈS DE SODOMIE


ser à une vieille Carogne comme laditte Picarde, surquoy ledit Picard avoit repondu que cette vieille bécasse luy produisoit de l'argent et des filles, et que c'etoit la cause de cette complaisance qu'il avoit pour elle et que ledit Picard avoit ajouté qu'il la faisoit encore attendre bien long tems, et se faisoit bien prier pour coucher avec elle, mais que laditte Picarde etoit si amoureuse de luy qu'elle se sou- mettoit à tout ce qu'il vouloit.

Interrogé du nom du quidam à qui luy, repondant, avoit vendu et livré ledit Duplan, a repondu qu'il etoit bien vray qu'il connoissoit ledit Duplan, mais qu'il ne l'avoit jamais vendu ni livré à per- sonne, et qu'il n'avoit jamais vendu ni livré personne, et qu'à cause qu'il etoit prévenu contre les femmes le monde faisoit courir le bruit qu'il aimoit les garçons, mais que cela etoit très faux et archifaux.

Surquoy nous luy aurions dit qu'il ne disoit pas la vérité, avouant présentement qu'il sçavoit que le monde le connoissoit pour sodomite, et ayant nié précédemment qu'il sçût qu'il eut cette réputa- tion, à quoy nous auroit repondu qu'il n'avoit jamais crû avoir cette réputation, mais que ce qu'il en disoit etoit sur les fausses accusations qu'on avoit fait contre luy pardevant nous, et que c'etoit ses ennemis qui les avoient apostez ainsy.

Interrogé s'il n'etoit pas vray qu'il eut promis audit Picard son valet de connoitre charnellement


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 163


tous ceux qui frequentoient sa maison, a repondu qu'il ne sçait ce que c'est.

Interrogé du nom du seigneur anglois à qui il avoit vendu ledit Duplan, a repondu que nous luy avions déjà fait cette question, et qu'il avoit repondu qu'il n'avoit jamais fait un tel commerce.

Interrogé qu'il y a preuves et témoins qu'il avoit vendu et livré audit chevalier Forbwy un jeune quidam blond de chevelure, et que luy, repondant, avoit connu charnellement fort long tems, a re- pondu qu'il ne sçait ce qu'on luy veut dire.

Interrogé quel nom avoit le jeune homme dont il avoit cassé la tête, et qu'il avoit ensuite envoyé à Thotel Dieu, a repondu qu'il ne sçait ce que c'est.

Interrogé s'il n'etoit pas vray qu'il l'avoit fait mettre à l'hôtel Dieu sous le nom de Jasmin, a repondu qu'il ne sçait ce que c'est.

Interrogé et enquis qu'il y avoit témoins que ledit quidam qu'il avoit fait châtrer etoit vêtu de camelot rouge, a repondu qu'il ne sçait ce qu'on luy veut dire.

Interrogé et enquis quel nom avoit ledit qui- dam, a repondu qu'il ne pouvoit dire autre chose que ce que dessus.

Interrogé qu'ilyavoittémoins qui déposent queluy, repondant, présent à l'opération faite audit quidam vêtu de rouge, etledit quidam ne paroissant pas trop


164 LES PROCÈS DE SODOMIE


résolu à la souffrir, luy, repondant, avoit dit en propres mots : « Vous faites bien des façons pour de méchantes guenilles que vous allez troquer contre une belle voix, et vous aurez encore l'avan- tage de ne vous plus soucier des femmes ! » que ledit quidam avoit repondu qu'il ne falloit pas railler en des conjectures si sérieuses, a repondu qu'il ne sçait ce qu'on luy veut dire.

Interrogé s'il n'etoit pas vray que ledit quidam se fit châtrer pour avoir une voix claire, a repondu qu'il ne sçait ce que c'est.

Interrogé du nom du quidam vêtu de droguet qui a fait la ditte opération, a repondu pareillement qu'il ne sçait ce qu'on luy veut dire.

Interrogé s'il n'est pas vray que laditte chose a été faite il y a deux ans, a repondu qu'il y a deux ans luy, repondant, demeuroit rue Saint Martin, mais qu'il ne sçavoit du reste ce que nous luy vou- lions dire.

Surquoy nous lui aurions dit que ledit quidam avoit fait tant de bruit pendant laditte opération que tout le quartier en etoit informé, et que plu- sieurs témoins avoient déposé contre luy, a repondu que quand toute la rue Saint Martin auroit témoi- gné contre luy que ce ne pouvoit être que des faux témoignages, et qu'il réiteroit encore qu'il nous avoit toujours dit la vérité.

Interrogé et enquis de ce qu'il avoit fait du jeune garçon âgé de sept ans qu'il avoit enlevé dans la


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 165

grande rue du faubourg Saint Antoine, le dimanche 9 avril 1725, a repondu qu'il ne sçait ce que c'est, et qu'il n'a jamais seulement eu le dessein d'enle- ver des enfants.

Enquis et interrogé qu'il y avoit témoins qui deposoient luy avoir vu faire ce coup la, et qu'il avoit alors un grand manteau d'ecarlatte, sous lequel il avoit caché ledit enfant, a repondu qu'il ne sçait ce dont on luy veut parler, qu'il a été quelques fois au faubourg Saint Antoine, qu'il a porté en sa vie plusieurs manteaux rouges, mais qu'il n'avoit jamais commis le crime que ces faux témoins luy imputoient, et que même il se souvient que cedit jour il faisoit un fort beau tems, et que lui, repondant, etoit alors auprès d'Orléans dans une terre appartenante à un de ses amis.

Enquis et interrogé quel nom portoit cet amy possesseur de laditte terre auprès d'Orléans, a refusé de le dire.

Enquis et interrogé quel nom avoit laditte terre où il disoit avoir été ledit jour, a refusé de le dire.

Surquoy luy avons représenté que ces dénéga- tions prouvoient presqu'autant son crime que les témoignages et déclarations publiques que l'on avoit faites contre luy.

Interrogé où etoit le nommé Paul Chauveau qu'il avoit confessé avoir enlevé, a repondu qu'il n'a pu avouer qu'il eut enlevé ledit Paul Chauveau puisque cela n'etoit pas vray, et a nié l'avoir jamais dit.


l66 LES PROCÈS DE SODOMIE


Interrogé pourquoy le quidam vêtu de droguet, qui avoit fait l'opération au quidam que luy, repon- dant, avoit avoué se nommer Bizetti, s'etoit enfuy et avoit laissé laditte opération imparfaite et ledit Bizetti perdant son sang, a repondu que jamais il n'avoit avoué avoir connu ledit Bizetti, qu'il ne eonnoissoit point, non plus que ledit quidam vêtu de droguet.

Interrogé s'il n'avoit point eu de maladie chrys- talline, a repondu qu'il ne sçait ce que c'est que cette maladie.

Interrogé que laditte maladie etoit ordinaire à ceux qui comme luy commettoient ledit crime de sodomie et péché contre nature, a repondu que cela étant il n'a pu être sujet à laditte maladie, n'ayant jamais commis ledit crime de sodomie et péché contre nature.

Nous lui avons représenté que malgré toutes les dénégations qu'il venoit de faire à tous les chefs dont il etoit accusé, et dont il y avoit témoins suffisans sur chacun d'eux, il avoit aussi très sou- vent changé de discours et avoit varié dans ses réponses, à quoy nous auroit repondu qu'il avoit pu se tromper, mais qu'en ses dernières réponses il avoit dit la vérité, et qu'il etoit prest à souf- rir un second examen, à quoy nous aurions répli- qué que nous allions luy faire faire lecture du présent procès verbal, et que s'il vouloit ajouter ou augmenter quelque chose il le pouvoit.


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 167


Apres quelle lecture, lequel repondant auroit déclaré qu'il n'avoit dit que la vérité, et que s'il s'etoit trompé quelquefois il s'en tenoit aux der- nières réponses.


INFORMATION FAITE EN 1726

DÉPOSITIONS DU MARDY 13 AVRIL

Les témoins ci-après étant les mômes que ceux de la pre- mière information, nous nous contenterons de les énumérer, et de noter seulement les variantes entre leurs déclarations et les précédentes.

I er Témoin.

Jean Petit, dit Painque.

S'etoit mis d'abord au service du sieur Tourton, banquier, rue Quinquempoix, et ensuite etoit entré à celuy du sieur Deschauffours, demeurant alors rue des Bons enfans, proche de la porte de la Cour des Cuisines du Palais Royal... à la mort duquel sieur de Boisauvert, il etoit resté sans condition jusqu'au vingt troisième jour de mars dernier, qu'il s'etoit mis au service du sieur Moullard, marchand de chevaux.

2 e Témoin.

Nous avons fait approcher un quidam vêtu de ^rap brun, avec une veste de toille grise et une


l68 LES PROCÈS DE SODOMIE


épée, qui a repondu être appelle Regnault Poitret, qu'il avoit été engagé dans le régiment de gardes françoises, mais qu'il s'etoit dégagé et avoit obtenu son congé depuis six semaines.

Enquis et interrogé s'il sçavoit que ledit La Fleur eut eu aucun mauvais commerce avec ledit Des- chauffours, a repondu qu'il l'ignoroit entièrement, mais que cependant il le croioit innocent, attendu le peu de tems qu'il a demeuré chez ledit sieur Deschauffours, n'y étant resté gueres qu'un mois.


y Témoin.

Nous avons fait approcher un quidam vêtu de camelot couleur de noisette et portant une canne, appelle Arnaud Daniel Perron.

Surquoy ledit sieur Dechauffours luy avoit répli- qué qu'il sçavoit un bon moyen de luy procurer du contentement et de l'argent, sans courir le risque de gagner aucune maladie, comme cela pouroit arriver s'il frequentoit des putains, et qu'il vouloit luy faire faire la connoissance d'un seigneur des plus quali- fiés, qui l'avoit vu et qui l'aimoit eperduement, à quoy ledit repondant auroit repondu qu'outre qu'une telle amitié n'etoit pas de son goût, c'est qu'elle fai-


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 169


soit courir le risque du feu, qui est bien plus grand et ignominieux que celuy de perdre son argent.


4 e Témoin. Jeanne Elisabeth, dite La Crande Jeanne.

Et qu'au reste ledit Marquis Du Preau etoit un, vilain homme et passoit dans le quartier pour un

infâme B qui couchoit avec les garçons et haïs-

soit à mort toutes les femmes et filles et faisoit venir chez luy des gueux et des savoyards, pourvu qu'ils fussent beaux, lesquels savoyards il faisoit laver et decroter, et ensuite les faisoit coucher avec luy après leur avoir donné bien à souper ; qu'elle voyoit fort souvent des gens de cette sorte ; que ledit Marquis couchoit aussy et habitoit charnelle- ment avec ses laquais, et surtout avec un nommé Picard, que cela étoit cause aussi bien que tous ses laquais, particulièrement ledit Picard, etoient fort insolens et se faisoient habiller presqu'aussi propre- ment que ledit Marquis ; qu'il venoit aussi souvent de fort honnêtes messieurs y passer des apres-dinées entières et quelquefois même la nuit, que ledit Picard etoit fait à cela, et faisoit passer lesdittes personnes par un escalier dérobé, et que surtout elle voyoit arriver un jeune blondin habillé de gris blanc, et qui portoit toujours des talons rouges,


I70 LES PROCÈS DE SODOMIE


lequel jeune garçon, dont elle ne se souvient plus du nom, entroit presque tous les soirs chez ledit Marquis, principalement lorsqu'il y avoit quelque compagnie.

... Surquoy ledit Picard avoit répliqué : « Va, va ! allons boire 1 toujours, notre Maitre et ceux qui sont avec luy ont bien d'autres affaires que de t' envoyer en commission ; ils ne se peuvent plus quitter, et se tiennent tous enfilez par le cul comme des han- netons! » et que là dessus ledit La Fleur avoit

repondu : « Voilà de vilains B et je croy que je

les planteray bientôt là ! »

Interrogée d'où elle avoit appris le nom dudit Duplan, a repondu que l'ayant suivy un soir, elle l'avoit vu entrer dans laditte rue du Foin, à une petite porte à main gauche vis à vis le mur des Mathurins, et qu'ayant demandé à la boutique d'un cordonnier qui etoit en bas s'il connoissoit ledit jeune homme, on luy avoit repondu que ouy, et que ce jeune homme etoit le fils d'un tailleur qui demeu- roit dans la maison et qui se nommoit Duplan.

Interrogée si elle sçavoit où etoit actuellement ledit Dubois, a repondu que non, et qu'elle le croiait cependant encore en service à Paris, et avoit même ouy dire qu'il etoit quelque part dans le Marais.


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 17 1


Interrogée si elle n'avoit pas avertie la veuve Doreau, sa maitresse, du mauvais commerce dudit prétendu Marquis a repondu que ouy, et qu'elle avoit été cause que laditte veuve Doreau l'avoitfait sortir de chez elle, aimant mieux perdre près de six cent livres qui luy etoient dues par ledit Mar- quis que de le souffrir d'avantage.

Interrogée si elle avoit aussi averti ledit Duplan, tailleur, des mauvais deportemens de son fUs, a repondu qu'étant allée un jour chez ledit Duplan et luy ayant déclaré ce qu'elle sçavoit, ledit Duplan luy avoit dit qu'elle etoit bien insolente, et qu'il etoit sur de son fils dont il repondroit corps pour corps, et même avoit voulu frapper laditte repon- dante.

5 e Témoin.

Thomas Vaupinesque, dit Chambery. A repondu qu'il etoit gagnedeniers et decrotoit les souliers sur la place du Palais Royal.


6 e Témoin.

Nous avons fait approcher une quidamne vêtue d'une robe de satin à rayes rouges et blanches, qui a repondu être appellée Marie Le Clerc veuve Chau-


172 LES PROCES DE SODOMIE


veau, et demeurent rue Darnetal, paroisse Saint Laurent, vis à vis le Chariot d'or.

Que sur cela elle avoit été dès le lendemain chez ledit sieur Deschauffours pour le gronder fortement sur ce qui s'etoit passé, en lui demandant les noms de ceux chez qui il avoit mené ledit Paul Chauveau, à quoy ledit sieur Deschauffours auroit repondu qu'il ne sçavoit ce qu'elle vouloit dire, et que ledit Paul Chauveau n'avoit point été maltraité, et que lesdits quidams etoient des personnes de Province, qui dévoient être parties ledit matin pour retourner en Languedoc d'où ils etoient, que n'ayant pu tirer aucun éclaircissement plus ample, laditte repon- dante seroit revenu chez elle.

Interrogée si elle a pu trouver lesdits quidams qui demeuroient rue Montmartre, a repondu qu'elle y etoit allée avec ledit Paul Chauveau, mais qu'il n'avoit jamais pureconnoitre l'endroit ou ledit sieur Deschauffours l'avoit mené.

Interrogée quelle raison ledit Pierre Chauveau son mary pouvoit avoir pour empêcher laditte plainte, a repondu que sondit mary luy avoit fait entendre que peut être se trompoit elle, et qu'au pis aller il ne pouroient rien découvrir, et que cette aventure leur feroit du discrédit.


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 173


7 e Témoin.

Nous aurions fait approcher une quidamne vêtue d'une robe d'etamine brune, qui a dit être appellée Marie Geneviève Anquetil, veuve Finet.


8 e Témoin. Henri Hillaire Finet.

ç e Témoin. David Edouard Taylor, chirurgien.

10 e Témoin.

Nous aurions fait approcher une quidamne vêtue de toille blanche, qui a dit être appellée Jeanne Trappel, dite Jeanneton.

Interrogée pourquoy elle avoit tardé à avertir ledit Vitrey, son maitre, a repondu qu'elle n'osoit pas luy en parler.

Interrogée pourquoy elle n'osoit luy en parler, a


174 LES PROCES DE SODOMIE


repondu qu'elle avoit crû que ledit garçon etoit parent dudit sieur Deschauffours, es qu'il etoit le maître de traiter comme il voudroit.

Surquoy nous luy aurions dit que quand cela seroit, il n'est pas permis aux pères et aux mères mêmes de battre leurs enfans si excessivement, et ensuite luy aurions demandé comment elle avoit sçu que ledit garçon n'etoit pas parent audit Deschauf- fours, a repondu que le laquais luy même le luy avoit dit.

11 e Témoin.

Nous aurions fait approcher un quidam vêtu d'un habit de drap couleur de noisette brune, et portant une perruque en bonnet, qui a dit être appelle Augustin Caporal, dit Languedoc.


SECONDE INFORMATION FAITE EN 1726

DÉPOSITIONS DU VENDREDY 19 AVRIL

12 e Témoin.

Michelle Claudine Polet, veuve de Jean Barbet, qui avoit été cocher chez Monsieur le Président Le -Camus.


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 175


A dit que le sieur Deschauffours a demeuré aussi dans la vieille rue du Temple, au coin de la rue des Blancs Manteaux, et que là il portoit le nom de sieur Des Fourneaux Bellair.

Interrogée si elle sçavoit quelques particularités touchant ledit Deschauffours, a repondu qu elle en sçavoit beaucoup, et que ledit Deschauffours, sous le nom d'un officier qu'elle a oublié, avoit été chez un Marchand de galons d'or et d'argent et là avoit pris pour douze cent livres de galons, pour payer lesquels il auroit fait semblant d'avoir oublié sa bourse et prié ledit Marchand de les envoyer chez luy, ce que ledit Marchand auroit fait, mais que ledit Deschauffours ne se trouvant pas alors à son logis, ou plutôt feignant de n'y pas être, avoit fait laisser le galon, et que le soir ledit Marchand revenant chez luy, il avoit nié avoir rien reçu, et en avoit fait ser- ment chez le Commissaire De Moncrif.

Surquoy nous avons dit à laditte repondante que nous ne luy demandions compte des friponneries dudit Deschouffours, attendu que nous étions fort persuadez qu'il en etoit très capable, mais que nous luy demandions des circonstances qui eussent rap- port au crime dont il etoit accusé.

Interrogée d'où elle avoit sçû toutes ces particularités, a repondu qu'elle les tenoit de laditte sus-nommée la grande Jeanne, servante


176 LES PROCÈS DE SODOMIE


de madame Doreau, dudit Picard, et de Duplan luy-meme.

Interrogée comment ledit Duplan avoit pu luy avouer ces choses, a repondu que ledit Duplan par- loit de tout cela familièrement avec elle repondante, qu'elle avoit fait tout ce qu'elle avoit pu pour le résoudre à se marier, ou tout au moins à prendre une femme, mais que ledit Duplan avoit repondu qu'il ne vouloit point se marier, et que s'il prenoit une Maitresse il seroit obligé d'avoir pour elle les mêmes complaisances qu'on avait pour luy.

Et ledit Picard avoit ajouté que ledit sieur Des- chauffours etoit un faible et puant amoureux, mais que cependant il etoit obligé de le laisser faire, attendu que ledit sieur Deschauffours luy avoit permis de connoitre charnellement tous les jeunes gens qui frequenteroient sa maison.

A repondu qu'il y venoit une infinité de per- sonnes, qu'elle y avoit vu Monsieur le Comte de Katia, etc., le Baron de Troller, allemand, et plu- sieurs autres.

A repondu qu'elle y avoit vu un jeune Blondin qui portoit toujours des talons rouges et qui avoit l'air fort efféminé... et qu'il (Picard) n'avoit jamais vu créature qui eut les fesses plus belles que ledit jeune homme.


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 177


Interrogée si elle sçait où est ledit Picard, a re- pondu que non, mais qu'elle est certaine qu'il n'est plus dans cet infâme commerce, et même qu'on lui avoit dit que ledit Picard avoit actuellement une maîtresse, dont il avoit des enfants.

Interrogée si ledit Deschauffours ne lui avoit pas avoué aussy quelque chose, a repondu que non, excepté qu'il ne cessoit de médire des femmes.


if Témoin. Georges Vincent, chirurgien, né à Montpellier.

14 e Témoin.

Nous aurions fait approcher un quidam vêtu d'un habit brun à boutons d'or et portant une épée, qui a dit être appelle Ambroise Cosme Vitrey.

75 e Témoin.

Nous aurions fait venir une quidamne vêtue d'une robe de damas bleu à fleurs blanches, qui a dit être appellée Barbe Chappey, femme du nommé

1-2


178 LES PROCÈS DE SODOMIE


Laurent Le Franc, et qu'elle etoit d'Issouldun en Berry.

1

A quoy ledit sieur Deschauffours auroit repondu

que non, et que ce Monsieur etoit un des plus habiles hommes du monde, ensuite que ledit qui- dam vêtu de camelot rouge auroit crié, que sur cela ledit quidam vêtu de droguet auroit dit : « Pour- quoy criés vous? je vous accommode bien et vous bande afin que vous ne sentiez pas si fort la dou- leur que vous fera l'incision. »


16 Témoin. Laurent Le Franc.

/7 e Témoin. Pierre Guillois, dit Champenois.

18 e Témoin.

Nous avons fait venir une quidamne vêtue d'une robe de cotton blanche, qui a dit être appellée Mar- guerite;de La Plaine, femme de Pierre Guillois, dit Champenois.


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 179


19 e Témoin. Adrien Boutel, dit L'Olive.

2o & et dernier Témoin. Jérôme Jourdain.

CONFRONTATION ET RECOLLEMENT DES TEMOINS

L'an mil sept cent vingt six, cejourd'huy lundy, treizième jour du mois de May, neuf heures du matin, nous, René Hérault, aurions fait venir et mandé pardevant nous les quidams cy après nom- mez et déclarez :

Et premièrement le nommé Benjamin Deschauf- fours, soy disant bourgeois de Paris, accusé d'avoir commis et fait commettre sodomie.

Ensuite dequoy, et tous les quidams cy après nommez étant en présence dudit Deschauffours, nous aurions fait faire lecture des procès verbaux faits pardevant nous; contenant les dépositions, témoignages, charges et ' déclarations des nommez Jean Petit, dit Painque ; Regnault Poitret, dit Musi- cien; Arnaud Daniel Perron; Jeanne Elisabeth


l8û LES PROCÈS DE SODOMIE


Cordelier; Thomas Vaupinesque, dit Chambery; Marie Le Clerc, veuve Chauveau; Marie Gene- viève Anquetil, veuve Finet; Henry Hillaire Finet; David Edouard Taylor ; Jeanne Trappel, dite Jean- neton ; Augustin Caperal, dit Languedoc ; Michelle Claudine Polet, veuve Barbet; Georges Vincent; Ambroise Cosme Vitrey ; Barbe Chappey, femme Le Franc ; Pierre Guillois, dit Champenois ; Mar- guerite La Plaine, femme Guillois ; Adrien Boutel, dit L'Olive ; Jérôme Jourdain ; lesquels témoins nous avons confronté et recollez audit Benjamin Deschauffours, en la manière et forme qui s'ensuit :

Jean Petit, dit Painque, a déclaré persister.

Armand Daniel Perron, a déclaré persister.

Jeanne Elisabeth Cordelier, dite La Grande Jeanne, a déclarer persister, à la reserve de l'avan- ture qu'elle a déposé que le nommé Picard, sortant de l'appartement dudit Deschauffours, avoit dit : « Ils n'ont pas besoin de nous, car ils sont tous enfilez comme des hannetons ! » laquelle chose laditte Cordelier a déclaré ne sçavoir que de lavoir entendu conter à la nommée La Picarde, parquoy elle n'ose l'assurer, et s'en retracte de l'avoir dit.

Thomas Vaupinesque, dit Chambery, a déclaré persister.

Marie Le Clerc, veuve Chauveau, a déclaré per- sister.

Marie Geneviève Anquetil, veuve Finet, a dé- claré persister.


BENJAMIN DESCHAUFFOURS l8l


Henry Hillaire Finet a déclaré persister.

David Edouard Taylor a déclaré persister et que d'ailleurs il n'a jamais vu ledit accusé et ne luy veut point de mal, ne l'ayant ainsy déposé que pour l'acquit de sa conscience.

Jeanne Trappel, dite Jeanneton, a déclaré qu'elle n'avoit entendu qu'une partie de ce qu'elle avoit déposée, et qu'elle avoit sçû le surplus du sieur Vincent, le lendemain matin, déclarant persister au surplus de saditte déclaration.

Augustin Caperal, dit Languedoc, a déclaré per- sister.

Michelle Claudine Polet, dite La Picarde, veuve Barbet, a déclaré persister.

Georges Vincent a déclaré persister.

Ambroise Cosme Vitrey a déclaré persister, et a avoué au surplus qu'il avoit eu la foiblesse de ne pas faire sortir ledit Deschauffours sur le champ, dans la crainte de perdre le terme du loyer de l'ap- partement occupé par ledit Deschauffours.

Barbe Chappey, femme Le Franc, a déclaré per- sister.

Laurent Le Franc a déclaré persister, et qu'il n'a rien vu, ny entendu, excepté un grand bruit.

Pierre Guillois, dit Champenois, a déclaré per- sister

Marguerite La Plaine, femme Guillois, a déclaré

persister. Adrien Boutel, dit L'Olive, a déclaré persister.


l82 LES PROCÈS DE SODOMIE


Jérôme Jourdain a déclaré qu'ayant interrogé et questionné ledit Grandot, son garçon, iln'avoit pu en apprendre aucune particularité touchant le crime dudit Deschauffours, et qu'enfin ayant pressé ledit Grandot, il avoit dit qu'il ne sçavoit rien de précis, et que tout ce qu'il en avoit dit etoit sur un bruit commun, parquoy ledit Jourdain, pour l'acquit et décharge de sa conscience, se retracte de ce qu'il a dit contre ledit Deschauffours, et qu'il n'y persiste point.

Benjamin Deschauffours auroit déclaré de son coté persister dans ses réponses et dénégations par luy faites en ses interrogatoires, et aussy dans les dernières réponses faites par luy; et ensuite, au bout de quelque tems, ledit Benjamin Deschauf- fours auroit dit et déclaré en présence desdits té- moins, que pour l'heure il etoit si troublé et saisy de colère, à l'ouïe de tant de fausses accusations, qu'il ne pouvoit nous repondre, mais que dans peu il nous diroit la vérité.

DERNIER INTERROGATOIRE

FAIT A BENJAMIN DESCHAUFFOURS le Jeudy 16 may 1726.

Nous aurions fait venir et comparoitre pardevant nous le nommé Benjamin Deschauffours, et l'avons sommé et interpellé pour la dernière fois de nous


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 183


dire et déclarer tout ce qu'il sçavoit de véritable, pour l'acquit et décharge de sa conscience, et repos de son ame, le corps n'étant rien, et autres exhor- tations que nous luy avons faites pour l'engager à nous révéler tous ses crimes et complices;

Lequel Benjamin Deschauffours, après avoir quelque tems rêvé, se seroit enfin mis à genoux, et nous auroit dit qu'il alloit présentement et sur l'heure nous révéler la vérité de tout ce que des- sus, ensuite dequoy ledit Benjamin Deschauffours auroit dit et déclaré ce qui suit, et qu'il nous a assuré être dans la pure Vérité.

A déclaré que véritablement et malicieusement il avoit engagé le nommé Henry Hillaire Finet à venir chez lui, et invité à manger, et luy auroit fait prendre dans son vin de l'opium pour l'endormir, pendant lequel temps le sieur Lormay, qui etoit la personne en habit de ras de saint Mor noir, avoit connu charnellement et contre nature deux fois ledit Finet, et ensuite le particulier en habit d'étoffe de soye brune, et que luy repondant ne connoit point, ayant été amené par le susdit sieur Lormay, auroit pareillement connu charnellement ledit Finet, et ensuite que lesdits susnommez se seroient retirez, et auroient donné deux louis d'or à luy repondant, qui auroit ensuite renvoyé ledit Finet de la façon qu'il est énoncé dans les dépositions cy- dessus, et que par conséquent le sieur Taylor avoit bien et avec raison décidé que la blessure dudit


184 LES PROCÈS DE SODOMIE


Finet avoit été faite par viol et connoissance char- nelle et contre nature.

Qu'à l'égard des divers noms de Moulien Du- plessis, de Marquis du Preau, et de Desfourneaux, qu'il avoit pris en différens tems, et en changeant de quartier, ledit repondant a avoué que c'etoit qu'étant connu et craignant d'être découvert, il s'etoit caché sous ses noms et figures différentes.

Que le seigneur proprement habillé, lequel, en présence du nommé Jean Petit, dit Painque, avoit dit qu'il ne vouloit point du garçon que luy repon- dant confessoit luy avoir proposé, s'appelloit le Marquis de Merinville, et non le Marquis de Cons- tentin, comme ledit Painque avoit déposé fausse- ment, et que ledit garçon etoit nommé Jean Cha- nelle, fils d'un tapissier rue Tireboudin, enquoy ledit Painque avoit dit juste, à la reserve du nom qu'il n'avoit pas sçû ; assurant au reste ledit répon- dant que ledit Chanelle n'avoit jamais commis ledit péché de sodomie, et que s'il avoit consenti alors, c'etoit qu'il avoit besoin d'argent pour donner à une Maitresse qu'il avoit alors ; mais que cela n'eut aucun effet, attendu le refus dudit Marquis, parquoy ledit repondant proteste de l'innocence dudit Chanelle.

Qu'il etoit très vray qu'il eut pris les nommez Picard et La Fleur à son service pour les connoitre charnellement, mais que jamais ledit La Fleur n'avoit voulu y consentir, c'est pourquoy il le de-


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 18=


clare innocent ; qu'à l'égard dudit Picard il s'en etoit servy longtems à cet usage, et même avoit par rapport à cela souffert beaucoup d'insolences de sa part, et qu'en cela le témoignage de Regnault Poi- tret etoit véritable.

Qu'il etoit aussy pareillement vray qu'il avoit essayé de corrompre le nommé Arnauld Daniel Perron, à la sollicitation du Comte Trond, riche seigneur flamand, qui l'ayant vu plusieurs fois chez luy en etoit devenu eperdument amoureux, et luy avoit promis cinquante guinées s'il pouvoit l'enga- ger à venir avec luy dans son païs, et qu'il avoit été refusé par ledit Perron.

Qu'il etoit pareillement vray qu'un jour il avoit violé le nommé Duplan, fils d'un tailleur, et que ledit Picard avoit été revoir ledit Duplan, lequel etoit revenu chez luy accusé, et auroit souffert la copulation charnelle de luy accusé et dudit Picard, et qu'enfin luy accusé avoit livré ledit Duplan à un seigneur ecossois moyennant cent louis, lequel sei- gneur, dont ledit accusé a protesté ne sçavoir le nom, avoit assuré une pension viagère de mille livres audit Duplan, et sa table de son vivant.

Que le Marquis de..., le Comte de..., le Mar- quis Spinelli, le sieur de La... secrétaire du Roy, et le Chevalier Forbwy, seigneur anglois, ne venoient véritablement chez luy accusé que dans le dessein que luy accusé leur produiroit des jeunes garçons et qu'il etoit bien vray qu'il avoit livré le jeune

12.


l86 LES PROCÈS DE SODOMIE


blondin à talons rouges audit Chevalier Forbwy, et que ledit garçon etoit le fils d'un chandellier qui demeuroit rue Montorgueil, appelle Larcher.

Qu'il avoit aussy livré un jeune garçon appelle Bloirau, fils d'un avocat, audit Marquis de Spinelli.

Qu'il etoit aussy très vray qu'il avoit livré audit sieur de Monzelli le nommé Thomas Vaupinesque, et qu'il etoit aussy vray que ledit Chambery avoit toujours été pris par force et n'avoit jamais con- senti audit crime, assurant ledit accusé qu'au reste la déposition dudit Chambery etoit très sincère et véritable, que ledit Chambery etoit un fort honnête garçon, et que luy accusé s'etoit reproché souvent d'avoir fait violer ledit garçon, en sorte qu'il n'osoit l'aborder lorsqu'il le voyait dans la rue.

Qu'il etoit très vray qu'il avoit violé et fait vio- ler par trois personnes différentes rue Montmartre le nommé Paul Chauveau, et qu'il avoit vendu trente cinq louis ledit Chauveau à un seigneur Polonois qui l'avoit emmené dans son pais, et qu'il n'avoit jamais eu de nouvelles dudit Chauveau.

Qu'au reste le récit que ledit Chauveau avoit fait à sa mère etoit très sincère, et que consequem- ment laditte veuve Chauveau avoit déposé juste- ment, et que les trois quidams qui ainsy que luy avoient violé ledit Chauveau, les deux etoient fils d'un mesureur de charbon nommé Quillain, et le troisième un italien nommé Borghetti.

Que le rapport des nommez Pierre Bomel et


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 187


David Edouard Tayior, chirurgiens, etoit conforme à la vérité, attendu que le nommé Finet avoit été réellement violé et connu charnellement par lesdits sieur de Lormaye et Prezeau, et que luy accusé sça- voit bien que c'etoit ledit Prezeau qui avoit donné la Chrystaline audit Finet, attendu qu'il s'etoit sou- vent plaint de ce mal.

Qu'il etoit bien vray que luy accusé avoit enlevé un jeune garçon de dix à onze ans, fils d'un save- tier qui demeuroit rue de Clery, et qui s'appelloit Le Nain, lequel garçon il avoit tant frappé avec une canne qu'il luy avoit cassé la tête et qu'ensuite il l'avoit envoyé à l'hôtel Dieu, lors que ledit garçon n'avoit plus de connoissance et ne pouvoit plus parler, ajoutant ledit accusé qu'il avoit menacé le- dit garçon de le tuer en cas qu'il parlât au Chirur- gien, et qu'il avoit enlevé ledit garçon pour faire plaisir à un étranger dont il ne sçait pas le nom.

Qu'il etoit bien vray qu'il avoit engagé le nommé Bizetti à se faire châtrer, quoiqu'il n'eut réellement aucun mal, mais que c'etoit le Prince Torelly, ita- lien, qui luy faisoit faire cela, pour emmener avec luy ledit garçon en Italie, espérant que ledit garçon auroit une belle voix, et s'en serviroit encore à commettre le crime de sodomie, auquel ce seigneur est fort adonné; mais qu'il avoit été trompé dans une partie de son espérance, attendu que ledit Bizetti s'etoit trouvé n'avoir point de voix.

Que le quidam qui a fait l'opération audit Bizetti


l88 LES PROCÈS DE SODOMIE


est le fils d'un perruquier nommé Grégoire, lequel Grégoire avoit entendu du bruit sur la montée, ce qui luy avoit fait prendre la fuite, ajoutant ledit accusé que ledit Grégoire n'etoit point sujet en aucune façon au crime de sodomie, et qu'il luy avoit promis vingt louis pour cette affaire, mais que s'etant enfuy il n'avoit jamais osé les luy demander.

Que tout ce que luy accusé avoit dit dans son interrogatoire touchant le commerce du nommé Picard avec laditte veuve Barbet, ditte La Picarde, etoit très véritable, et que laditte Picarde etoit une friponne, et qu'au reste tout le surplus de sa décla- ration etoit véritable.

Que le Baron de Troller, qu'elle avoit dit venir chez luy, n'y venoit véritablement que pour la so- domie.

Que la déposition de Georges Vincent, chirur- rurgien, etoit entièrement véritable, aussy bien que celle d'Ambroise Cosme Vitrey, celle de la nommée Barbe Chappey, femme Le Franc, et de Laurent Le Franc, son mary.

Qu'il etoit aussy pareillement vray qu'il avoit enlevé ledit Julien Guillois et l'avoit donné à l'abbé Cofratti, italien, qui venoit souvent à l'hôtel de Bourbon, et qui ayant vu ledit garçon avoit promis et donné audit accusé douze louis pour le luy ame- ner, ajoutant ledit accusé qu'il avoit sçû que ledit Guillois s'etoit sauvé et etoit actuellement à Lyon, chez un marchand de vin qui l'avoit pris par cha-


BENJAMIN DESCHAUFFOURS 189


rite chez luy, que ce marchand de vin etoit appelle Robert Le Noir, et demeuroit rue Mercière de laditte ville de Lyon, nous suppliant ledit accusé, pour la décharge de sa conscience, de faire avertir de ce que dessus lesdits Guillois et sa femme, qui peuvent être inquiets de leur enfant.

Et qu'à Tegard de la déposition du nommé Jérôme Jourdain, il etoit bien vray qu'il avoit pris chez luy et chez beaucoup d'autres des drogues pour adoucir le fondement.

Desquels crimes, cas énormes et détestables, ledit Deschauffours nous a déclaré être contrit et repen- tant.


EXTRAIT DES REGISTRES

DE LA CHAMBRE SOUVERAINE DE

L'ARSENAL

Veu le procès criminel et extraordinaire fait par nous au nommé Benjamin Deschauffours, homme sans aveu, accusé de crime de sodomie et péché contre nature, et en vertu de la commission à nous adressée par sa Majesté portant ordre et commission de juger souverainement et en dernier ressort ledit accusé;

Vues les procès verbaux d'informations faites à rencontre dudit accusé, l'interrogatoire par luy subi, ses réponses, dénégations et variations, le


190 LES PROCÈS DE SODOMIE


recollement dudit accusé et desdits témoins, et les confessions faites par ledit accusé, et tout considéré ; Avons déclaré et déclarons ledit Benjamin Des- chauffours, homme sans aveu, bien et duement atteint et convaincu d'avoir commis et fait com- mettre le crime de sodomie, péchez contre nature, et autres cas énormes et détestables énoncez audit procès criminel, pour raison et réparation desquels crimes et cas énormes, l'avons condamné et con- damnons a être attaché à un poteau qui sera pour cet effet dressé dans la place de grève de cette ville de Paris, et là brûlé vif avec la minute dudit procès, à un bûcher qui sera allumé autour dudit poteau, ce fait ces cendres jettées et semées au vent; déclarons en outre tous et chacun les biens appartenans audit Deschauffours, acquis et confisquez au profit de sa Majesté, sur lesquels néanmoins sera préalablement prise et prélevée la somme de trois mille livres d'amende envers ledit seigneur Roy, en cas que con- fiscation n'ait pas lieu. Ce fut fait et ordonné par nous, Messire'René Hérault, Chevalier Seigneur de Fontaine L'Abbé, Conseiller du Roy en tous ses Conseils, Maitre des Requêtes ordinaire de son hôtel, Lieutenant General de Police en cette Ville Prevosté et Vicomte de Paris, seul Commissaire en cette partie, cejourd'huy samedy vingt cinquième jour du mois de May mil sept cent vingt six.


TABLE DES MATIERES


Pages

^Notice ■. i

Divers procès (de 1540 à 1680).

Procès de Nicolas Ferry 11

Procès de Léonard Moreuil 15

Procès de Félix Simon 2\

Procès de Antoine Mazouer 30

Procès de Louis Bondot 36

Procès de Philippes Bouvet de La Contamine. ... 40

Procès de Maurice Violain 51

Procès de René Du Tertre 56

Le procès du « malheureux Chausson ».

Procès de Jacques Chausson et Jacques Paulmier. . 60

Un procureur de Sodome au xvm e siècle.

Procès de Benjamin Deschauffours ss

Table des Matières 191




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