Le Hachich  

From The Art and Popular Culture Encyclopedia

Jump to: navigation, search

Related e

Wikipedia
Wiktionary
Shop


Featured:

Le Hachich is an article on the effects of ingesting hashish, written by Théophile Gautier, published in La Presse on July 10 1843.

Excerpts:


"Mon ouïe s'était prodigieusement développée ; j'entendais le bruit des couleurs. Des sons verts, rouges, bleus, jaunes, m'arrivaient par ondes parfaitement distinctes."
"My hearing was inordinately developed; I heard the sound of colours. Green, red, blue, yellow sounds came to me perfectly distinctly."
"L'on arrose le hachich de quelques petites tasses de café sans sucre à la manière arabe, et puis l'on se met à table comme à l'ordinaire, — car l'esprit du chanvre n'agit qu'au bout de quelque temps. "
A dose of a teaspoonful suffices for those ... The hashish is washed down with a few cups of unsugared coffee in the Arab style and then one sits down to dinner as usual, as the spirit of the hemp takes some time to act. --tr. via Hashish, Wine, Opium

Full text

LE HACHICH


Depuis longtemps nous entendions parler, sans trop y croire, des merveilleux effets produits par le hachich. Nous connaissions déjà les hallucinations que cause l'opium fumé ; mais le hachich ne nous était connu que de nom. Quelques amis orientalistes nous avaient promis plusieurs fois de nous en faire goûter ; mais, soit difficulté de se procurer la précieuse pâte, soit toute autre raison, le pro- jet n'avait pas encore été réalisé. Il Fa été enfin hier, et l'analyse de nos sensations rem- placera le compte rendu des pièces qu'on n'a pas jouées.

De tout temps, les Orientaux, à qui leur religion interdit l'usage du vin, ont cherché à satisfaire par diverses préparations ce be- soin d'excitation intellectuelle commun à


48 l'orient.

tous les peuples, et que les nations de l'Occi- dent contentent au moyen de spiritueux et de boissons fermentées. Le désir de l'idéal est si fort chez l'homme qu'il tâche autant qu'il est en lui de relâcher les liens qui re- tiennent l'âme au corps, et comme l'extase n'est pas à la portée de toutes les natures, il boit de la gaieté, il fume de l'oubli et mange de la folie, sous la forme du Yin, du tabac et du hachich. — Quel étrange problème ! un peu de liqueur rouge, une bouffée de fumée, une cuillerée d'une pâte verdàtre, et l'âme, cette essence impalpable, est modifiée à l'ins- tant ; les gens graves font mille extravagan- ces, les paroles jaillissent involontairement de la bouche des silencieux, Heraclite rit aux éclats, et Démocrite pleure.

Le hachich est un extrait de la fleur de chanvre [Cannabis indicd)^ que l'on fait cuire avec du beurre, des pistaches, des amandes et du miel, de manière à former une espèce de confiture assez ressemblante à la pâte d'abricot, et d'un goût qui n'est pas désa- gréable. — C'était du hachich que faisait


LE HACHIGII. i^

manger le Vieux de la Montagne aux exécu- teurs des meurtres qu'il commandait, et c'est \ de là que \ient le mot assassin, — hachachin \ (mangeur de hachich).

La dose d'une cuillerée suffît aux gens qui n'ont pas l'habitude de ce régal de vrai croyant. — L'on arrose le hachich de quel- ques petites tasses de café sans sucre à la ma- nière arabe, et puis l'on se met à table comme à l'ordinaire, — car l'esprit du chanvre n'a- git qu'au bout de quelque temps. — L'un de nos compagnons, le docteur *", qui a fait de longs voyages en Orient, et qui est un déter- miné mangeur de hachich, fut pris le pre- mier, en ayant absorbé une plus forte doso que nous ; il voyait des étoiles dans son as- siette, et le firmament au fond de la soupière ; puis il tourna le nez contre le mur, parlant tout seul, riant aux éclats, les yeux illumi- nés, et dans une jubilation profonde. Jusqu'à la fin du dîner, je me sentis parfaitement calme, bien que les prunelles de mon autre convive commençassent à scintiller étrange- ment, et à devenir d'un bleu de turquoise tout IL 5


50 L'ORIENT.

à fait singulier. Le couvert enlevé, j'allai m'asseoir, ayant encore ma raison, sur le di- van, 011 je m'arrangeai entre des carreaux de Maroc le plus commodément possible pour attendre l'extase. Au bout de quelques mi- nutes, un engourdissement général m'enva- hit. Il me sembla que mon corps se dis- solvait et devenait transparent. Je voyais très-nettement dans ma poitrine le hachich que j'avais mangé sous la forme d'une éme- raude d'où s'échappaient des millions de pe- tites étincelles ; les cils de mes yeux s'allon- geaient indéfiniment, s'enroulant comme des fils d'or sur de petits rouets d'ivoire qui tour- naient tout seuls avec une éblouissante rapi- dité. Autour de moi, c'étaient des ruisselle- ments et des écroulements de pierreries de toutes couleurs, des arabesques, des ramages sans cesse renouvelés, que je ne saurais mieux comparer qu'aux jeux du kaléido- scope ; je voyais encore mes camarades à cer- tains instants, mais défigurés, moitié hom- mes, moitié plantes, avec des airs pensifs d'ibis debout sur une patte, d'autruche bat-


LE IIACHICII. M

tant des ailes si étranges, que je me tordais de rire dans mon coin, et que, pour m'asso- cior à la bouffonnerie du spectacle, je me mis à lancer mes coussins en l'air, les rattrapant et les faisant tourner avec la dextérité d'un jongleur indien. L'un de ces messieurs m'a- dressa en italien un discours que le hachich, par sa toute-puissance, me transposa en es- pagnol. Les demandes et les réponses étaient presque raisonnables, et roulaient sur des choses indifférentes, des nouvelles de théâtre ou de littérature.

Le premier accès touchait à sa fin. — Après quelques minutes, je me retrouvai avec tout mon sang-froid, sans mal de tête, sans aucun des symptômes qui accompagnent l'ivresse du vin, et fort étonné de ce qui venait de se pas- ser. — Une demi-heure s'était à peine écou- lée que je retombai sous l'empire du hachich. Cette fois la vision fut plus compliquée et plus extraordinaire. Dans un air confusément lunnneux,voltigeaient avec un fourmillement I»erpétuel des milliards de papillons dont les ailes bruissaicnt comme des éventails. De gi-


52 L ORIENT.

ganlesques fleurs au calice de cristal, d'énor- mes passeroses, des lis d'or et d'argent mon- taient et s'épanouissaient autour de moi avec une crépitation pareille à celle des bouquets de feux d'artifices. Mon ouïe s'était prodigieusement développée ; j'entendais le bruit des couleurs. Des sons verts, rouges, bleus, jaunes, m'arrivaient par ondes parfaitement distinctes. Un verre renversé, un craque- ment de fauteuil, un mot prononcé bas, vi- braient et retentissaient en moi comme des roulements de tonnerre ; ma propre voix me semblait si forte que je n'osais parler, de peur de renverser les murailles ou de me faire éclater comme une bombe ; plus de cinq cents pendules me chantaient l'heure de leurs voix flùtées, cuivrées, argentines. Chaque ob- jet effleuré rendait une note d'harmonica ou de harpe éolienne. Je nageais dans un océan de sonorité oi^i flottaient comme des îlots de lumière quelques motifs de la Lucia ou du Barbier. Jamais béatitude pareille ne m'i- nonda de ses effluves : j'étais si fondu dans le vague, si absent de moi-même, si débarrassé


LE HACIllGH. 53

du moi, cet odieux témoin qui vous accompa- gne partout, que j'ai compris pour la pre- mière fois quelle pouvait être l'existence des esprits élémentaires, des anges et des âmes séparées du corps. J'étais comme une éponge au milieu de la mer : à chaque minute, des flots de bonheur me traversaient, entrant et sortant par mes pores, car j'étais devenu per- méable, et, jusqu'au moindre vaisseau capil- laire, tout mon être s'injectait de la couleur du milieu fantastique où j'étais plongé. Les sons, les parfums, la lumière, m'arrivaient par des multitudes de tuyaux minces comme des cheveux dans lesquels j'entendais siffler les courants magnétiques. — A mon calcul, cet état dura environ trois cents ans, car les sensations s'y succèdent tellement nombreu- ses et pressées que l'appréciation réelle du temps était impossible. — L'accès passé, je vis qu'il avait duré un quart d'heure.

Ce qu'il y a de particulier dans l'ivresse du hachich, c'est qu'elle n'est pas continue ; elle vous prend et vous quitte, vous monte au

ciel et vous remet sur terre sans transition,

5.


54 L'ORIENT.

— comme dans la folie on a des moments lucides. — Un troisième accès, le dernier et le plus bizarre, termina ma soirée orientale : — dans celui-ci ma vue se dédoubla. — Deux images se réfléchissaient sur ma rétine et produisaient une symétrie complète; mais bientôt, la pâte magique tout à fait digérée agissant avec plus de force sur mon cerveau, je devins complètement fou pendant une heure. Tous les songes pantagruéliques me passèrent par la fantaisie : caprimulges, co- qiiesigrues, oysons bridés, licornes, griffons, cochemares, toute la ménagerie des rêves monstrueux, trottait, sautillait, voletait, gla- pissait par la chambre ; c'étaient des trom- pes qui finissaient en feuillages, des mains qui s'ouvraient en nageoires de poisson, des êtres hétéroclites avec des pieds de fauteuil pour jambes, et des cadrans pour prunelles,. des nez énormes qui dansaient la cachucha montés sur des pattes de poulet ; moi-même, je me figurais que j'étais le perroquet de la reine de Saba, maîtresse de défunt Salomon. Et j'imitais de mon mieux la voix et les cris


LE IIAGHICH. 53

de cet honnête volatile. Les visions devin- rent si baroques que le désir de les dessiner méprit, et que je fis en moins de cinq minu- tes, avec une vélocité incroyable, sur des dos de lettres, sur des billets de garde, sur les premiers morceaux de papier qui me tom- baient sous les mains, une quinzaine de cro- quis les plus extravagants du monde, L^in d'eux est le portrait du docteur *", tel qu'il m'apparaissait, assis au piano, habillé en ? turc, un soleil dans le dos de sa veste. Les notes sont représentées, s'échappant du cla- vier, sous forme de fusées et de spirales ca- pricieusement tirebouchoanées. Un autre croquis portant cette légende, — tin animal de V avenir^ — représente une locomotive vi- vante avec un cou de cigne terminé par une gueule de serpent d'oi^i jaillissent des flots de fumée, avec des pattes monstrueuses compo- sées de roues et de poulies ; chaque paire de pattes est accompagnée d'une paire d'ailes, et, sur la queue de l'animal^ — on voit le Mer- cure antique qui s'avoue vaincu malgré ses talonnières. Grâce au hachich_, j'ai pu faire,


36 L'ORIENT.

d'après nature, le portrait d'un farfadet. Jusqu'à présent, je les entendais seulement geindre et se remuer la nuit dans mon vieux buffet.

Mais voilà bien assez de folies. Pour racon- ter tout entière une hallucination de hachich, il faudrait un gros volume, et un simple feuilletoniste ne peut se permettre dfi recom- mencer l'apocalypse !

La Presse, feuilleton du 10 juillet 18 4:3.



Unless indicated otherwise, the text in this article is either based on Wikipedia article "Le Hachich" or another language Wikipedia page thereof used under the terms of the GNU Free Documentation License; or on research by Jahsonic and friends. See Art and Popular Culture's copyright notice.

Personal tools