La Culture des idées  

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"The idea of beauty," Remy de Gourmont says, "is not an unmixed idea; it is intimately united with the idea of carnal pleasure. Stendhal obscurely perceived this when he defined beauty as 'a promise of happiness.' Beauty is a woman, and women themselves have carried docility to men so far as to accept this aphorism which they can only understand in extreme sexual perversion.... Beauty is so sexual that the only uncontested works of art are those that simply show the human body in its nudity. By its perseverance in remaining purely sexual Greek statuary has placed itself forever above all discussion. It is beautiful because it is a beautiful human body, such a one as every man or every woman would desire to unite with in the perpetuation of the race.... That which inclines to love seems beautiful; that which seems beautiful inclines to love. This intimate union of art and of love is, indeed, the only explanation of art. Without this genital echo art would never have been born and never have been perpetuated. There is nothing useless in these deep human depths; everything which has endured is necessary. Art is the accomplice of love. When love is taken away there is no art; when art is taken away love is nothing but a physiological need."-- La Culture des idées (1900) by Remy de Gourmont, cited in Studies in the Psychology of Sex, Volume 4

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La Culture des idées (Mercure de France, 1900) is a book by Remy de Gourmont.

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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France La culture des idées : du style ou de l'écriture, la création subconsciente, la dissociation des idées... / Remy de [...] Gourmont, Remy de (1858-1915). Auteur du texte. La culture des idées : du style ou de l'écriture, la création subconsciente, la dissociation des idées... / Remy de Gourmont. 1900. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF. Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 :

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LA CULTURE DES IDÉES /)/7 7~ A UTEUR CRiriQUE ~f7(' (Etude sur la poésie tatine du moyen âge),

édition,! vol.In-S~ icir.

/a/s~;c,l vol. in-!2éc<i. 2.50 /.c~e<ï~.s'</7/<(Ierct!îc~ (,!oses et documents sur les écrivains d'hier et d'à jourd'hui, avec' portraits pa? F. VaUotton),~vot. gr. in- t8.('ha(}uevohune. 3.5o /~</<<e </e Z.~ /~Me F/'a/a~c, 2 édition, ivot.~r.in-iS. 3.50 ROM<N, THtATRË, POÈMES ~r/< 2 édition, i vol. gr.!n-t8. 3.50 Ac 7~f/ <~ ~S'c~Ct, n" édition, i vol. gr. iu-i8. 3.50 Les c/;M'< de ~/o//<r~2" ëditton, t vo!. gr. ni-18. 3.5o /n /)~~ /o/< i vol. ~r. m-t8. 3.5o Le .S'o/<~e <<' /'f~ïe, 2*' édition,i vol. g~r. in-t8. 3.5o Lilith, 2~ édition, t vo!. in-8-ecu. 3.50 .s'f~tM~Y~~ 20 édition, i vol. in-t2. 3.50 /os<~ wo/'o&'ex, ~o édition, i vol. in-2~ 3 o 7'/<eo(/< i vol.In-t2. 2.5o Les ~<~< /~r</<7~, petits poèmes avec 20 bois originaux de ('. d'Espa~nat, 1 vol. In-t2 cavalier. G » REMY DE GOURMONT La Culture des Idées DU STYLEOU DE L'ÉCRITURE– LA CRÉATION SUBCONSCIENTE –– LA DISSOCIATION DES IDÉES STEPHANEMALLARMEET L'IDÉEDE DÉCADENCE LE PA(iANISMEÉTEHNEL– LA MORALEDE L'AMOUR IRONIESET PARADOXES DEUXIÈME ÉDITION PARIS SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FRANCE XV~ KVE DE L'KCUAVHi.-SAtNT-UERMAIN, XV MCM IL A ETE TIRÉ FE CET OUVRAGE Dix e~c~tp/ntrM ~H~' ~ct/~t'er de /7o//anf/<' fï;t~:C'O~S f/C 7 à 70 JUSTIFtCATtON DU TIRAGE: Urni~detraduction et do reproduction réservés pour touspaya,ycompr!B la Suède, la Norvège et le Danemark. DU STYLE OU DE L'ÉCRITURE 1

DU STYLE OU DE L'ÉCRITURE t Htideoconfiteatureorumstu)- titia.qutarte..scien<ia(p)eimmunes.dcso]oi!)~cntocot)fidentes,ad smnma SLumuR cancuda prorumpunt; a tanto prosuntuositate désistant, et si anseres naturali desidia sunt, nonutastripetam aqudatntmitari. DA!<TtsAL!(.HIEH!,Z3cUM~7'tC/0- <yM<0,l!.4. Déprécier <( récriture », c'est une précaution que prennent de temps à autre les écrivams nuls ils la croient bonne elle est le signe de leur médiocrité et l'aveu d'une tristesse. Ce n'est pas sans dépit que l'impuissant renonce à la jolie femme auxyeuxtrop limpides il doit y avoir de l'amertume dans le dédain public d'un hom me qui confesse l'ignorance première de son métier ou l'absence du don sans lequel l'exercice de ce métier est une imposture.Cependant quel- (lues-uns de ces pauvres se glorifient de leur in- digence; ils déclarent que leurs idées sont assez belles pour se passer de vêtement, que les images les plus neuves et les plus riches ne sont que des voiles de vanité jetés sur le néant de la pensée, que ce qui importe, aprèstout, c'est le fond et non la forme, l'esprit et non la lettre, la chose et non le mot, et ils peuvent parler ainsi très longtemps, car ils possèdent une meute de clichés nombreuseet docile, mais pas méchante. Il faut plaindre les premierset mépriserles seconds et ne leur rien répondre, sinon ceci qu'il y a deux littératures et qu'ils font partie de l'autre. Deux littératuics c'est une manière de dire provisoire et de prudence, afin que la meute nous oublie, ayant sa part du paysage et la vue du jardin où elle rt'ertrera pas. S'il n'y avaitpas deux littératures et deux provinces, il faudrait égorger immédiatement presque tous les écrivains français; cela serait une besogne bien malpropre et de laquelle, pour ma part, je rougirais de me mêler. Laissons donc la frontière est tracée il y deux sortes d'écrivains les écrivains qui écrivent et les écrivains qui n'écrivent pas, comme il y a les chanteurs aphones et les chanteurs qui ont de la voix. Il semble que le dédain du style soit une des conquêtesdcquatre-vingt-neuf.Du moins, avant Fere démocratique,il n'avait jamais été question (me pour les bafouer des écrivains qui n'écrivent pas. Depuis Pisistrate jusqu'à Louis XVI, le monde civilisé est unanime sur ce point un écrivain doit savoir écrire. Les Grecs pensaient ainsi les Romains aimaient tant le beau style qu'ils finirent par écrire très mal, voulant écrire trop bien. S. Ambroise estimait l'éloquence au point de la considérer comme un des dons du Paraclet, vox donus et S. Hilaire de Poitiers, au chapitre treize de son Traité des /~MMM, n'hésitepas à dire que le mauvais style est un péché. Ce n'est donc pas du christianisme romain qu'a pu nous venir notre indulgence présente pour la littérature informe mais comme le christianisme est nécessairement responsable de toutes les agressions modernes contre la beauté extérieure, on pourrait supposer que le goût du mauvais style est une de ces importations protestantes dont fut, au dix-huitième siècle,souillée la terre de France le mépris du style et l'hypocrisie des mœurs sont des vices anglicans ~t). Cependa t si le dix-huitième siècle écrit mal, (!) Sur l'importance et l'influence du protestantisme à cette époque, voir l'ouvrage de Ed. Hugues, que tous les protestants démarquent depuis vingt-cinqans, /s<otf'c de la Restauration ~nPro<es<e[R<tsme en France au xvm" siècle (t872). c'est sans te savoir; il trouve que Voltaire écrit bien, surtout en vers: il ne reprocheà Ducis que la barbarie de ses modèles; il a un idéal; il n'admet pas que la philosophie soit une excuse de la grossièreté littéraire; on versifie les traités d'Isaac Newton etjusqù~aux recettes de jardinage et jusqu aux manuels de cuisine. Ce besoin de mettre où il n'en faut pas de l'art et du beau lan~a~e le conduisit à adopter un style moyen, propre a rehausser tous les sujets vulgaires et à humiliertous les autres. Avec de bonnes intentions, le dix-huitièmesiècle finit par écrirecomme le peuple du mcnde le plus réfractaire à l'art l'Angleterre ctia France si~nèrcntà ce moment une entente littéraire qui devait durer jusqu'à la venue de Chateaubriand et dont le Génie du CAr~a~ (ï) fut la dénonciationsolennelle. A partir de ce livre, qui ouvre le siècle, il n'y a plus qu'une manière d'avoir du talent, c'est de savoir écrire, et non plus à la mode de la Harpe, (t) Ce livre, si mal connu et défiguré dans ses éditions pieuses. Rien de moins pieux cependant et de moins édifiant au delà du premier tome que cette encyclopédie singulière et confuse ou ou trouve/f et des tableaux statistiques, ~1~/a et le catalogue des peintres grecs. C'est une histoire universette de la civilisation et un p.an de reconstruction sociale. En voici le titre complet: Génie du Christi.naismeouBeautés de la religion chrétienne par François-AugusteChateaubriand.-A Paris, chez Migoeret imprimeur, rue du St'putcre, i'. s. g., n" a8. An X, )8oa. – 5vot. in-8. mais selon les exemples d'une tradition invaincue, aussi vieille que le premier éveil du sens de la beauté dans l'intelligencehumaine. Mais!a manière du dix-huitième siècle (t) répondait trop bien aux tendances naturellesd'une civilisation démocratique; ni Chateaubriand, ni Victor Hugo ne purent rompre la loi organique qui précipite le troupeau vers la plaine verte ou il y a de l'herbe et où il n'y aura plus que de la poussière quand le troupeau aura passe. On mgea inutile bientôt de cultiver un paysage destiné aux dévastationspopulaires; il y eut une littérature sans style comme il y a des grandesroutes sans herbe, sans ombre et sans fontaines. II Le métier d'écrire est un métier, et j'aimerais '~ieux qu'on le mît à son ordre vocabulaire, entre la cordonnerie et la menuiserie, que tout seul à part des aatres manifestationsde l'activité des hommes. A part, il peut être ulé, sous prétexte d'honneurs, et tellement éloigné de tout (1) Quand on parle du dix-huitième siècle, il faut toujours mettre à part, dans sa tour de Montbard, le grandiose et solitaire Hu~'on, qui fut, au sens moderne de ces mots, un savant, un philosophe et un poète. ce qui est vivant qu'il meure de son isolement à son rang dans une des niches symboliques le long de lagrande galerie, il suggère des idées d'apprentissage et d'outillage; il éloigne de lui les vocations impromptues; il est sévère et décourageant. Le métier d'écrire est un métier; mais le style n'est pas une science.Le style est l'homme même et l'autre formule, de Hello, le style est inviolable, disent une seule chose le style est aussi personnel que la couleur des yeux ou le son de la voix. On peut apprendre le métier d'écrire; on ne peut apprendre à avoir un style; on ne peut teindre son style comme on teint ses cheveux, mais il i'aut recommencertous les matins et n'avoir pas de distractions. On apprend si peu à avoir un style qu'au cours de la vie souvent on désapprend quand la force vitale est moindre on écrit moins bien l'exercice, qui améliore d'autres dons, gâte parfois celui-là. Ecrire, c'est très différent de peindre ou de modeler; écrire ou parler, c'est user d'une faculténécessairementcommuneàtousies hommes, d'une faculté primordiale et inconsciente. On ne peut l'analyser sans faire toute l'anatomie de l'intelligence c'est pourquoi, qu'ils aient dix ou dix mille pages, tous les traités de l'art d'écrire sont de vaines esquisses.La question est si complexe qu'on ne sait par où l'aborder elle a tant de pointes et c'est un tel buisson de ronces et d'épines qu'au lieu de s'y jeter on en fait le tour; et c'est prudent. Ecrire, mais alors au sens de Flaubert et de Goncourt, c'est exister, c'est se différencier. Avoir un style, c'est parler au milieu de la langue commune un dialecte particulier, unique et inimitable et cependant que cela soit à la fois le langage de tous et le langage d'un seul. Le style se constate en étudier le mécanisme est inutile au point où l'inutile devient dangereux; ce que l'on peut recomposer avec les produits de la distillation d'un style ressemble au style comme une rose en papier parfumé ressemble à la rose. Quelle que soit l'importance fondamentale d'une œuvre « écrite )), la mise en œuvre par le style accroîtson importance. C'était l'opinion de Buffon, que toutes les beautés qui se trouvent dans un ouvrage bien écrit, « tous les rapports dont le style est composé sent autant de vérités aussi utiles et peut-être plus précieuses pour l'esprit humain que celles qui peuventfaire le fond du su'et)).Et c'est aussi, malgré le dédain commun, l'opinion commune, puisque les livres de jadis qui vivent encore ne vivent que par le style. Si le contraireétait possible, tel contemporainde Buffon,Boulanger,l'auteur del't~yM~c~~o~- lée, ne serait pas inconnu aujourd'hui, car il n'y avait de médiocre en lui que sa manière d'écrire; et n'est-cepoint parce qu'il manqua presque toujours de style que tel autre, comme Diderot, n'a jamais eu que des heures de réputation et que sitôt qu'on ne parle plus de lui, il est oublié ? Cette prépondérance incontestée du style fait que l'invention des thèmes n'a pas un grand intérêt en littérature. Pour écrire un bon roman ou quelque drame viable, il faut ou élire un sujet si banal qu'il en soit nul ou en imaginer un si nouveau qu'il faille du génie pour en tirer parti, Roméo et ~M/~<~ ou Don Quichotte. La plupart des tragédies de Shakespeare ne sont qu'une suite de métaphores brodées sur le canevas de la première histoire venue. Shakespeare n'a inventé que ses vers et ses phrases comme les images en étaient nouvelles, cette nouveauté a nécessairementconféré la vie aux personnages du drame. Si ~fa~z/c~, idée pour idée, avait été versifié par Christophe Marlowe, ce ne serait qu'une obscure et maladroite tragédie que l'on citerait comme une ébauche intéressante. M. de Maupassant, qui inventa la plupart de ses thèmes, est un moindre conteur que Boccace, qui n'inventa aucun des siens. L'invention des sujets est d'ailleurs limitée, encore que flexible à l'infini mais, autre siècle, autre histoire. M. Aicard, s'il avait du génie, n'eût pas traduit Othello, il l'eût refait, comme l'ingénu Racine refaisait les tragédies d'Euripide.Tout aurait été dit dans les cent premièresannées deslittératures si l'homme n'avait le style pour se varier luimême. Je veux bien qu'il y ait trente-six situations dramatiques ou romanesques, mais une théorie plus générale n'en peut, en somme, reconnaître que quatre. L'homme étant pris pour centre, il a des rapports avec lui-même, avec les autres hommes, avec l'autre sexe, avec l'infini, Dieu ou Nature. Une œuvre de littérature rentre nécessairement dans un de ces quatre modes. Mais n'y aurait-il au monde qu'un seul et unique thème, et que cela fût Z~oA~ C/~oe, ilsuffirait. Une des excuses des écrivains qui ne savent pas écrire est la diversité des genres. Ils croient qu'à celui-ci convient le style et à celui-là, rien. Il ne faut pas, disent-ils, écrire un roman du même ton qu'un poème. Sans doute; mais l'absence de style fait aussi l'absence de ton et quand un livre manque d'écriture, il manque de tout il est invisible ou, comme on dit, il passe inaper- çu. Cela convient. Au fond, il n'y a qu'un genre: le poème; et peut-être qu'un mode, le vers, car la belle prose doit avoir un rythme qui fera douter si elle n'est que de la prose. Buffon n'a écrit que des poèmes, et Bossuet et Chateaubriand et Flaubert. Les Epoques de la Nature, si elles émeuvent les savants et les philosophes, n'en sont pas moins une somptueuseépopée. M. Brunetière a parlé avec une ingénieuse hardiesse de l'évolution des genres; il a montré que la prose de Bossuet n'est qu'une des coupes de la grande foret lyrique où Victor Hugo plus tard se fit bûcheron. Mais je préfère l'idée qu'il n'y a pas de genres ou qu'il n'y a qu'un genre; cela est d'ailleurs plus conforme aux dernières philosophies et à la dernière science l'idée ~évolution va disparaître devant celle de permanence, de perpétuité. Si on peut apprendre à écrire ? Il s'agit du style: c'est demandersi M. Zola avec de l'application aurait pu devenir Chateaubriand, ou si M. Quesnay de Beaurepaire avec des soins aurait pu devenir Rabelais; si l'homme qui imite les marbres précieux en secouantd'un coup vif son pinceau vers les panneaux de sapin aurait pu, bienconduit,peindre le ~aMw~P~cAeHr,ou si le ravaleur qui taille dans le genre corinthien les tristes façades des maisons parisiennes ne pourrait pas, après vingt leçons, sculpter par hasard la Porte de /'j5'er ou le tombeau de Philippe Pot?`l Si on peut apprendre à écrire? H s'agit des éléments d'un métier, de ce qui s'enseigne aux peintres dans les académies on peut apprendre cela; on peut apprendre à écrire correctement a la manière neutre, comme on grava à la manière noire. On peut apprendre à écrire mal, c'est-à-direproprement et de manière à mériter un prix de vertu littéraire. On peut apprendre à écrire très bien, ce qui est une autre façon d'écrire très mal. Qu'ils sont mélancoliques, ces livres qui sont très bien; et puis, c'est tout. II! M. Albalat a donc publié un manuel qui s'appelle /\4r< ~'ccr~re enseigné en vingt leçons. Paru en des temps plus anciens, ce manuel eût certainement fait partie de la bibliothèque de M. Dumouchel, professeur de littérature, qui l'eût recommandéà ses amis, Bouvard et Pécuchet « Alors ils se demandèrent en quoi consiste précisément le style, et, grâce à des auteurs in- diqués par Dumouchel, ils apprirentle secret de tous les genres. » Cependantles deux bonshommes trouvent un peu subtiles les remarques de M. Albalat et ils sont consternés d'apprendre que le T~/MO~M~ est mal écrit et que Mérimée gagnerait à être condensé. Ils rejettentM. Albalat et se mettent sans lui à leur histoire du duc d'Angoulême. Je ne suis passurprisde leur résistance, peutêtre ont-ils senti obscurément que l'inconscient se rit des principes~ de l'art des épithètes et de l'artifice des trois jets gradués. Que le travail intellectuel, et en particulier le travail d'écrire, échappe en très grande partie à l'autorité de la conscience, si M. Albalat l'avait su il aurait été moins imprudent et n'aurait pas divisé les qualités d'un écrivain en deux sortes les qualités naturelles et les qualités que l'on peut acquérir, comme si unequalité, c'est-à-direunemanière d'être et de sentir, étaitquelquechose d'extérieur et qui se surajoute comme une couleur ou une odeur! On devient ce que l'on est, et cela sans même le vouloir et malgré toute volonté adverse. La plus longue patience ne peut changer en imagination visuelle une imagination aveugle; et celui qui voit le paysagedont il transpose l'aspect en écritures, si son œuvre est gauche, elle est meilleureenc ore,telle, qu'aprèslesretouchesd'un correcteur dont la vision est nulle ou profondément différente. « Mais le trait de force, il n'y a que le maître qui le donne. » Cela décourage Pécuchet. Le trait du maître en écritures d'art, même de force, est nécessairementcelui qu'il ne fallait pas appuyer; ou bien, le trait souligne le détail qu'il est d'usage de faire valoir et non celui qui avait frappé l'œil intérieur, inhabile mais sincère, de l'apprenti. Cette vision presque to~ jours inconsciente, M. Albalat l'abstrait et il définit le style « l'art de saisir lavaleur des mots et les rapports des mots entre eux et le talent, d'après lui, consiste, « non pas à se servir sèchement des mots,mais à découvrirles nuances, les images, les sensations qui résultent de leurs combinaisons ». Nous voilà donc dans le verbalisme pur, dans la région idéale des signes. Il s'agit de manier les signes et de les ordonner selon des dessins qui donnent l'illusion d'être représentatifs du monde des sensations. Ainsi pris à rebours le problème est insoluble; il peut arriver, puisque tout arrive, que de telles combinaisonsde mots soient évocatriccs de la vie et même d'une vie déterminée, mais le plus souvent la combinaison restera inerte; la forêt se pétrifie; une critique du style devait commencer par une critique de la vision intérieure, par un essai sur la formation des images. Il y a bien deux chapitres sur les images dans le livre de M. Albalat, mais tout à la fin; et ainsi le mécanisme du langage est démontré à rebours, puisque le premier pas est l'image et le dernier l'abstraction. Une bonne analyse des procédés naturels du style commencerait à la sensation pour houtir à l'idée pure, si pure qu'elle ne correspond à rien, non seulement de réel, mais de figuratif. S'il y avait un art d'écrire, ce serait l'art même de sentir, l'art de voir, l'art d'entendre, l'art d'user de tous les sens,soit réellement,soit imaginativement;et Is pratique grave et neuve d'une théorie du style serait celle où l'on essaierait de montrer comment se pénètrent ces deux mondes séparés, le monde des sensations et le monde des mots. Il y a là un grand mystère, puisque ces deux mondes sont infiniment loin l'un de l'autre, c'est-à-dire parallèles: il faut y voir peut-être une sorte de télégraphie sans fils on constate que les aiguilles des deux cadrans se commandent mutuellement, et c'est tout. Mais cette dépendance mutuelle est loin d'être parfaite et aussi claire dans la réalité que dans une comparaison mécanique en somme, les mots et les sensations ne s'accordent que très peu et très mal; nous n'avons aucun moyen sûr, que peutctrc le silence, pour exprimer nos pensées. Que de circonstances dans la vie, où les yeux, les mains, la bouche muette sont plus éloquents que toutes paroles (i)l 1 IV L'analyse de M. Albalat est donc mauvaise, n'étant pas scientifique cependant, il en a tiré une méthode,pratique dont on peut dire que si elle ne formera aucun écrivain original, il le sait bien lui-même, elle pourrait atténuer, non la médiocrité, mais l'incohérence des discours et des écritures auxquels l'usage nous contraint de prêter quelque attention. Cela est d'ailleurs indifférent ce manuel serait inutile, plus encore que je ne le crois, que tel et tel de ses chapitres garderaient leur intérêt de documentation et d'exposition.Le détail est excellent; et voici par exemple les pages où il est démontré que l'idée est liée à la forme et que changerla (i) On essaiera quelque jour, dans une étude sur teJi/bM~ des mots, de déterminer si les mots ont vraiment une signiucation, c'est-~ 'dire une valeur constante. forme c'est modifier l'Idée « Quand on dit d'un morceau le fond est bon, mais la forme est mauvaise, cela ne signifie rien. » Voilà de bons prir cipcs, quoique l'idée puisse exister comme résidu de sensation, indépendante des mots et surtout d'un choix de mots mais les idées toutes nues à l'état de larves errantes n'ont aucun intérêt. Peut-être même appartiennentelles à tout le monde; peut-être toutes les idées sont-elles communes à tous? Mais comme celle-ci qui se promène, attendant un évocateur, va se révéler différente selon la parole qui l'aura sortie des ténèbres Que vaudraient, dépouillées de leur pourpre, les idées de Bossuet? Ce sont celles du premier séminariste qui passera et, s'il les proférait, les gens reculeraient, humiliés de tant de sottise, qui s'y enivrent dans les Sermons et dans les Oraisons.Et l'impression sera pareille si, après avoir écouté avec complaisance les paradoxes lyriques de Michelet, on les retrouve dans les discours bas de quelque sénateur, dans les tristes commentaires de la presse dévouée. C'est pour cela que les poètes latins et le plus grand, Virgile, disparaissent traduits, se ressemblent tous dans l'uniformité pénible d'une pompe normalienne.Si Virgile avait écrit selon le style de M. Pessonneaux, ou de M. Benoist, il serait Benoist, il serait Pessonneaux, et les moines eussent raclé ses parchemins pour substituer à ses vers quelque bon contrat de louage d'un intérêt sùr et durable. A propos de ces évidences,M. Albalat se plaît à réfuter l'opinion de M. Zola, que « la forme e L ce qui change et passe le plus vite » et que « on gagne l'immortalité en mettant debout des créatures vivantes ». Autant que cette dernière phrase se peut interpréter, elle signifierait ceci ce qu'on appelle la vie en art est indépendant de la forme. Peutêtre est-ce encore moins clair peut-être cela n'a-t-il aucun sens ? Hippolyte aussi, aux portes de Trézène, était « sans forme et sans couleur » seulement il était mort. Tout ce que l'on peut concéder à cette théorie, c'est qu'une œuvre originellementbelle et d'une forme originale, si elle survit à son siècle, et plus, à sa langue, les hommes ne l'admirent plus que par imitation, sur l'injonction traditionnelle des éducateurs. Découverte maintenant au fond des Ilerculanums,l'Iliade ne nous donneraitque des sensations archéologiques elle intéresserait au même degré que la Chanson de 7~/a~; mais en comparant les deuxpoèmes, on constaterait, mieux qu'on ne l'a fait encore, qu'ils correspondent à des moments de civilisation extrc- mcmcnt diitcrcnts puisque l'un est rédigé tout en images (un peu roides) et que dans l'autre il y en a si peu qu'on les a comptées. Il n'y a d'ailleurs aucune relation nécessaire entre le mérite et la durée d'une œuvre mais quand un livre a survécu, les auteurs « d'analyses et extraits conformes au programme » savent très bien prouver sa perfection « inimitable » et ressusciter, le temps d'une conférence, la momie qui va retomber sous le joug de ses bandelettes. Il ne faut pas mêler l'idée de gloire à l'idée de beauté la première est tout à fait dépendante des révolutions de la mode et du goût; la seconde est absolue, dans la mesure où le sont les sensations humaines; l'une dépend des mœurs, i'autre dépend de la loi. La forme passe, .c'est vrai mais on ne voit pas vraimentcomment la formepourraitsurvivre à la matière qui en est la substance; si la beauté d'un style s'efface ou tombe en poussière, c'est que la langue a modifié l'agrégat de ses molécules,les mots,et les molécules elles-mêmes, et que ce travail intérieur ne s'est pas fait sans boursouflureset sanstremblements. Si les fresques de l'Angclico ont « passé », ce n'est pas parce que le temps les a rendues moins belles, c'est parce que l'humidité a gontlé le ciment où la peinture est embue. Les langues se gouttent comme le ciment et s'écaillent ou plutôt elles font comme les platanes qui ne vivent qu'en modifiant constamment leur écorce et qui laissent tomber dans la mousse, au premier printemps, les noms d'amour gravés à même leur chair. Mais qu'importe l'avenir? Qu'importe l'approbation d'hommes qui n'existeront pas tels que nous les ferions, si nous étions démiurges ? Qu'est-ceque cette gloire dontjouirait un homme à partir du moment où il sort de la conscience ? Il est temps que nous apprenions à vivre dans la minute, à nous accommoder de l'heure qui passe, même mauvaise, à laisser aux enfants ce souci des temps futurs qui est une faiblesse intellectuelle quoique parfois une naïveté d'homme de génie. Il est bien illogique de vouloir l'immortalité des œuvres lorsqu'on affirme et lorsqu'on désire la mortalité des âmes. Le Virgile de Dante vivait au delà de la vie sa gloire devenue éternelle de çette conception éblouissante il ne nous reste qu'une petite illusion vaniteuse qu'il est préférable d'éteindre tout à fait. Cela n'empêche pas qu'il faille écrire pour les hommes comme si on écrivait pour les anges et de réaliser ainsi, selon son métier et selon sa nature, le plus possible de beauté, même passagère et très périssable. V Les si amusantes distinctions que les vieux manuels faisaient entre le style fleuri et le style simple, le sublime et le tempéré, M. Albalat les supprime excellemment il jugeavec raisonqu'il n'y a que deux sortes de style le style banal et le style original. S'il était permis de compter les degrés du médiocre au pire, comme du passable au parfait, l'échelle serait longue des couleurs et des nuances il y a si loin de la Légende de ~<ï~-yM/~ f~o~cr à une oraison parlementaire qu'en vérité on se demande s'il s'agit de la même langue, s'il n'y a pas deux langues françaises et en dessous une infinité de dialectes presque impénétrables les uns aux autres. A propos du style politique, M. MartyLaveaux (i) pense que le peuple, demeuré fidèle en ses discours aux mots traditionnels, ne le comprend que très mal et seulement en gros, comme s'il s'agissait d'une langue étrangère que (t~ De ~MC/ync/Mentde notre langue. l'on entend un peu, mais qu'on ne parle pas. H écrivait cela il y a vingt-sept ans, mais les journaux, plus répandus, n'ont guère modifié les habitudes populaires; on peut toujours compter qu'en France sur trois personnes il y eu a une qui ne lit que par hasard un bout de journal, et une qui ne lit jamais rien. A Paris, le peuple a de certaines notions sur le style il goûte surtout la violence et l'esprit cela explique la popularité bien plus littéraire que politique d'un journaliste comme M. Hochcfort, en qui les Parisiens ont longtemps retrouvé leur vieil idéal un tranche-montagne spirituel et verbeux. M. Rochefort est d'ailleurs un écrivain original et l'un de ceux qu'on devrait citer d'abord pour démontrer que le fond n'est rien sans la forme il suffit de lire un peu au delà de son article. Cependant, nous sommes peut-être dupes voilà bien un demi-siècle que nous le sommes de Mérimée, dont M. Albalat cite une page à titre de spécimen du style banal Allant plus loin, jusqu'à son jeu favori, il corrige Mérimée et propose à notre examen les deux textes juxtaposés, en voici un morceau On ne peut nier tout au moins que le style du sévère professeur ne soit fort économique il fait gagner presque une ligne sur deux; soumis à ce traitement, le pauvre Mérimée, déjà peu fécond, se trouverait réduit à la paternité de quelques plaquettes, alors symboliques de sa légendaire sécheresse! Devenu le Justin de tous les Trogue-Pompces, M. Albalat étend Lamartine lui-même sur le chevalet, pour adoucir, par exemple, la finesse de sa peau rougissante comme M <yM~~ ans sous les regards en sa fine peau de jeune fille rougissante. Quelle boucherie Les mots que biffe M. Albalat sont si peu banals qu'ils corrigeraient au contraire et relèveraient ce qu'il y a de commun dans la (t) M. Albalat a souligné tout ce qu'il juge « banal ou inutile x. (a) Variantes proposées par M. Albalat de r~u/rc, con- quérir. 7?/M ~'<e ~c~~ ~'a'~ ~M/ts~/e au plaisir OH la vanité 6~'t/<~o/er Hn M/!<</Me/t< ~er/e~j? à un homme aussi lé~er y~e l'était Max dans son opinion, elle n'avait jamais pensé que cette affection pût devenir un yoHr dangereuse pour son repos (ï). Sensible au plaisir d'attirer sérieusement (2) un homme aussi léger, elle n'avait jamais pensé que cette affection pût devenir dangereuse. phrase améliorée; ce remplissageest une observation très fine faite par un homme qui a beaucoup regardé des visages de femmes, par un homme plus tendre que sensuel, touché par la pudeur plutôt que par le prestige charnel. Bon ou mauvais, le style ne se corrige pas le style est inviolable. M. Albalat donne de fort amusantes listes de clichés, mais sa critique est parfois sans mesure. Je ne puis admettre comme clicliés chaleur bienfaisante, perversitéprécoce, émotion contenue, /ro~</H~ chevelure abondante ni même larmes a/Mcr~ car des larmes peuvent être amères et des larmes peuvent être douccs. 11 faut comprendre aussi que l'expression qui est à l'état de cliché dans un style peut se trouver dans un autre à l'état d'imagerenouvelé~. Emotion contenue n'est pas plus ridicule qu'ïo~o~ dissimulée; quant à front fuyant, c'est une expressionscientifique et très juste qu'il suffit d'employer à propos. Il en est de même desautres. Si on bannissait de telles locutions, la littératuredeviendrait une algèbrequ'il ne serait plus possible de comprendre qu'après de longues opérations analytiques; si on les récuse parce qu'elles ont trop souvent servi, il faudrait se priver encore de tous les mots usuels et de tous ceux qui ne contien- nent pas un mystère. Mais cela serait une duperie les mots les plus ordinaires et les locutions courantes peuvent faire figure de surprise. Enfin le cliché véritable, comme je l'ai expliqué antérieurement~se reconnaît à cecique l'image qu'il détient en est à mi-chemin de l'abstraction, au moment où, déjà fanée, cette image n'est pas encore assez nulle pour passer inaperçue et se ranger parmi les signes qui n'ont de vie et de mouvement qu'à la volonté de l'intelligence (i). Très souvent,dansle cliché,un des mots a gardé un sens concret et ce qui nous fait sourire c'est moins la banalitéde la locution que l'accolement Vjn mot vivant et d'un mot évanoui. Cela es' très visible dan~ les ~formules telles que le ~/ï de l'Académie, l'activité dévorante, ouvrir son C03Mr, la tristesse était peinte sur son L~- sage, rompre la monotonie, embrasser desjor~- c~M. Cependant il y a des clichés où tous les mots semblent vivants une rcugeur colora ses /OH~ d'autres où ils semblent tous morts il <~a~aMco/e~y~o?M.r. Mais ce dernier cliché s'est formé à un moment où le mot comble était très vivant et tout à fait concret; c'est parce qu'il contient encore un résidu d'image senti) Voir le chapitre du C//c/t~, dans l'Es~yHede la Langue française. sible que son alliance avec ~o?H.r nous contrarie. Dans le précédent, le mot colorer est devenu abstrait, puisque le verbe concret de cette idée est colorier, et il s'allie très mal avec rougeur et avec joues. Je ne sais où mènerait un travail minutieux sur cette partie de la langue dont la fermentationest inachevée sans doute finiraiton par démontrer assez facilement que dans la vraie notion du cliché l'incohérence a sa place à côté de la banalité. Pour la pratique du style, il y aurait là matière à des avis motivés que M. Albalat pourrait faire fructifier. VI Il est fâcheux que le chapitre des périphrases soit expédié en quelques lignes on attendait l'analyse de cette curieuse tendance des hommes à remplacer par une description le mot qui est le signe de la chose alléguée. Cettemaladie, qui est fort ancienne,puisqu'on a trouvé des énigmes sur les cylindres babyloniens(l'énigme du vent à peu près dans les termes où nos enfants la connaissent), est peut-êtrel'origine même de toute la poésie. Si le secret d'ennuyer est le secret de tout dire, le secret de plaire est le secret de dire tout juste ce qu'H faut p<~uretre, non pas même compris, mais deviné. La périphrase, teUe que maniée par tes poètes dtdacttques, n'est peut-être ridieute que par t'impuissancc poétique dont cite témoigne, car il y a bien des manières agréables de ne pas nommer ce que !\)n veut évoquer. Le véritabte poète, maure de son tangage, n'use que de périphrases si nouveHes à ta fois et si claires dans teur pénombre que toute iutctu- ~ence un peu sensuelle les préfère ait mot trop absolu; i! ne veut ni décrire, ni piquer! curiosité, ni faire preuve d'érudition. Mais quoi qu'H fasse il écrit par périphrase et il n'est pas sûr que toutes celles qu'il a créées demeurent longtemps fraîches la périphrase est une métaphore elle dure ce que durent les métaphores. A la vérité, il y a loin de la périphrase de Verlaine, vague et toute musicale, P~rffus aussi le dard d'un insecte jaloux Inquiétait le col des belles sous les branches, aux énigmes mythologiques d'un Lebrun, qui appelle le ver à soie L'amant des feuilles de Th!sbé 1 Ici M. Albalat cite fort à propos les paroles de Buffon que rien ne dégrade plus un écrivain que la peine qu'il se donne « pour expri- nx'r des choses ordinaires ou communes d'une tnanicrc sin~uti~re ou pompeuse. Ou te ptatnt (t'avoir pass6 tant (te temps a faire de nouvelles C(Hnl)!naisons de syttabes pour ne dire (pic ce (me tout le monde dit M. Detittc s'est rendu cctebrc par sou ~oût pour ta périphrase didactique ma'sjc crois qu'il a été matju~e. Ce n'est pas la peur du mot propre qui lui fait décrire cc qu'il faudrait nommer, c'est la raideur de sa poétique et la médiocrité de son latent; it n'est imprécis (pic par impuissance et il n'est très mauvais que quand il est imprécis. Méthode ou impcritie, cela nous a valu d'amusantes énigmes Ces monstres qui de loin semblent un vaste ccueH. L'animal recouvert de son cpatssc croûte, Cehu dont la co~uUle est arrondte eu voûte. L'équivoquehabitant de la terre et des ondes. Et cet oiseau parleur que sa triste beauté Ne dédommage pas de sa stérilité. Et l'arbre aux pommesd'or, auxrameaux toujoursverts. Là pour l'art des Didot Annonay voit paraître Les feuilles où ces vers serons tracés peut-être. Et ces rameaux vivants, ces plantes populeuses~ De deux règnes rivaux races miraculeuses. Le puissant agaric, qui du sang épanché Arrête les ruisseaux, et dont le sein fidèle Du caillou pétillant recueille l'étincelle. Une faudrait pas croire cependantquelWo/M/~c des c/?/)$, d'où sont tirées ces charades, soit un poème entièrementméprisable.L'abbéDelille avait son mérite. Privées des plaisirs du rythme et du nombre, nos oreilles exténuées par les versifications nouvelles finiraient par retrouver un certain charme à des vers pleins et sonores qui ne sont pas ennuyeux, à des paysages un peu sévères, mais larges et pleins d'air, Soit qu'une fraîche aurore Donne la vie aux fleurs qui s'empressentd'éclore, Soit que l'astre du monde, en achevant son tour, Jette tan~uissamment les restes d'un beau jour. VII CependantM. Albalat se demande comment être original et personnel? Sa réponse n'est pas très claire. Il conseille le travail et conclut l'originalité est un effort incessant. Voilà une bien fâcheuse illusion. Des qualités secondaires seraient sans doute plus faciles à acquérir, mais la concision, par exemple, est-elle une qualité absolue? Rabelais et Victor Hugo, qui furent de grands accumulateurs de mots, doivent-ils être blâmés parce que M. de Pontmartin avait lui aussi l'habitude d'enfiler en cha- pclet tous les vocables qui lui venaient à l'esprit et d'accumuler dans la même. phrase jusqu'à douze à quinze épithètes? Les exemples donnés parM. Albalat sontfort plaisants,maissi Gargantua n'avait pasjoué, sous l'œil de Ponocratcs, à dcuxcentset seize jeux différents,tous très beaux, cela serait très fâcheux, quoique (, les grandes règles de l'art d'écrire soient éternelles ». La concision est parfoisle mérite des imaginations rétives; l'harmonie est une qualité plus rare et plus décisive. Il n'y a rien à relever dans ce que dit M. Albalat à ce propos, sinon qu'il croit un peu trop aux rapports nécessaires qu'il y aurait entre la légèreté, par exemple, ou la lourdeur d'un mot et l'idée qu'il détient. Illusion née de l'accoutumance, que l'analyse des sons détruit. Ce n'est pas seulement, dit Villemain, par imitation du grec ou du latin~r~rc que nous avons fait le mot~re/y~r c'est yar le rapport du son avec l'émotion exprimée.orrpMr, terreur, doux, suave, rugir, soupirer, pesant, léger, ne viennent pas seulement pour nous du latin, mais du sens intime qui'les a reconnus et adop es comme analogues à l'impression de l'objet(i). SiVillemain, dont M. Albalat adopte (t) L'art d'écrire, p. !38. l'opinion, avait été plus versé dans la linguistique, il eût invoqué sans doute la théorie des racines, ce qui donnait à ses sottises une apparence de force scientifique; tel quel, le petit paragraphe du célèbre orateur serait très agréable à discuter. Il est bien évident que si suave et suaire évoquent des impressions généralement éloignées, cela ne tient pas à la qualité de leurs sons en anglais, il y a ~~e~ et ~M~e~, mots de prononciationidentique.Doux n'estpas plus doux que toux, et les autres monosyllabes du même ton; ~/y/r est-il plus violent que /*OHgir ou que vagir? /er est la contractiond'un mot latin, de cinq syllabes, /ar/H//ï si légère porte sa signincatio~, ~~r~e la porte-t-il aussi? Pesant n'est ni plus ni moins lourd que pensant les deux formes sont d'ailleurs des doublets dont l'unique original latin est pensare. Quant à lourd, c'est le mot luridus, qui voulut dire beaucoup de choses jaune, fauve, sauvage, étranger, paysan, lourd, voilà sans doute sa généalogie. Lourd n'est pas plus lourd que ~auuc n'est cruel songeons à mauve et à velours Si l'anglais contient l'idée de /M//ÏCC, comment se fait-il que l'idée d'épais se dise par thick? Les mots sont des sons nuls que l'esprit charge du sens qu'il lui plaît: il y a des rencontres, il y a des accords fortuits entre tels sons et tels idées il y a /e/~r,y/'6~/eHA'o/< frileux, frisson. Sans doute, mais il y a aussi :frein,frère,frêle, frêne, fret, frime et vingt autres sonorités analogues pourvues chacune d'un sens très différent. M. Albalat est plus heureux dans le reste des deux chapitres où il traite successivement de l'harmoniedes mots et de l'harmonie des phrases; il appelle avec raison le style des Goncourt, un style désécrit; cela est bien plu's frappant encore s'il s'agit de M. Loti. Il n'y a plus de phrases; les pages sont un fouillis d'incidentes. L'arbre a été jeté par terre, ses branches taillées il n'y a plus qu'à en faire des fagots. A partir de la neuvième leçon, l'Art d'écrire devient didactique encore davantage, et voici l'Invention, la Disposition et l'Elocution. Comment M. Albalat parvient-il à superposer ces trois moments, qui n'en font qu'un, de l'œuvre littéraire, je ne sauraisl'exprimer sans beaucoup de tourment.L'art de développerun ~H/~m'a été refusé par la Providence je m'en remets de ce soin à l'inconscient, et je ne sais pas davantage comment on invente je crois qu'on invente surtout, au rebours de Newton, en n'y pensant jamais et quant à l'élocution, je ne me fierais qu'a- vec malaise au procédé des refontes. On ne refond pas, on refait et il est si triste de faire deux fois la même chose que j'approuve ceux qui lancent la pierre au premiertour de la fronde. Mais voilà bien qui prouve l'Inanitédes conseils littéraires Théophile Gautier écrivit au jour le jour, sur une table d'imprimerie, parmi les paquets d'où pend la ficelle, dans l'odeur de l'huile et de l'encre, les pages compliquées du Capitaine Fracasse, et l'on dit que Buffon recopia dix-huit fois les Epoques de la Nature (i)! Cela n'a aucune importance parce que, M. Albalat aurait dû le dire, il y a des écrivains qui se corrigent mentalement, ne mettent sur le papier que le travail lent ou vif de l'inconscient, et il y en a d'autres qui ont besoin de voir extériorisée leur œuvre, et de la revoir encore, pour la corriger, c'est-à-dire pour la comprendre. Cependant, même dans le cas des correctionsmentales,la revision extérieure est souvent profitable, pourvu que, selon le mot de Condillac, on sache s'arrêter, qu'on apprenne à nnir (2). Trop souventle (t) Ou plutôt fit recopier par ses secrenures. Il remaniait en- suite la copie mise au net. Il y a un volume tout entier sur ce sujet: les ~aMMac/'t~ de Buffon, par P. Flourens Paris, Garnier, t86o. (a) H y a sur ce point un joli passade de Q'nntiuen, que cite M. Albalat, pa~e 2t3. démon du Mieux a tourmenté des intelligences et les a stérilisées il est vrai que c'est aussi un grand malheur que de ne pas pouvoir se juger. Qui osera choisir entre celui qui ne sait pas ce qu'il fait et celui qui se dédouble et se voit ? Il y a Verlaine il y a Mallarmé. Il faut obéir à son génie. M. Albalat excelle dans les dénnitions. « La description est la peinture animée des objets. » II veut dire que, pour décrire, il faut se placer comme un peintre devant le paysage, soit réel, soit intérieur. D'après l'analyse qu'il fait d'une page de Télémaque, il semble bien que Fénelon n'ait été doué que fort médiocrement de l'imagination visuelle et plus médiocrement encore du don verbal. Dans les vingt premières lignes de la descriptionde la grotte de Calypso, il y a trois fois le mot doux et quatre fois le verbe former. Ce style est vraiment devenu pour nous le type même du style inexpressif, mais je persiste à croire qu'il a eu sa fraîcheur et sa grâce et que le goût d'un moment fut légitimement séduit. Souriant de cette opulence de papier doré et de fleurs peintes, idéal d'un archevêqueresté séminariste, nous oublions qu'on n'avait pas décrit la nature depuis l'Astrée ces oranges douces, ces sirops trempés d'eau de source furent des rafraîchissements de paradis. C'est de la méchanceté que de comparer Fénelon, non pas même à Homère, mais à l'Homère de Leconte de Lisle. Les trop bonnestraductions, celles qu'on peut appeler de littéralité littéraire, ont en effet ce résultat inévitable de transformer en images concrètes et vivantes tout ce qui de l'original était passé à l'abstraction. Aeuxo6po~t<t)v voulait-il dire qui ades bras blancsou n'était-ceplus qu'une épithète épuisée? Aeux<xx~0~donnait-ilune image comme blanche épine ou une idée neutre comme aubépine, qui a perdu sa valeur représentative? Nous n'en savonsrien. Mais à juger des langues passées par les tangues présentes, on doit supposer que la plus grande partie des épithètes homériques étaient déjà passées à l'abstraction au temps d'Homère (i). Le plaisir que nous donne l'Iliade mise en bas-relief par Leconte de Lisle, les étrangers peuventle trouver dans une œuvre aussi surannée pour nous que Télémaque: mille fleurs naissantes e/?ta/e/ les <a.o~ verts n'est un cliché que lu pour la centième fois; nouvelle, l'image serait ingénieuse et picturale. Traduits par Mallarmé, les poèmes d'Edgard Poe ac- (i) Je suppose que l'on a cessé de croire que les poèm~ ho- mériques aient été composés au petit bonheur par une multitude de rapsodes de génie et qu'il a suffi de raboter leurs improvisationspour obtenir rHiadeett'Odyssée. quièrent une vie mystérieuseà la fois et précise qu'ils n'ont pas au même degré dans l'original. Et de la Mariana de Tennyson, agréables vers pleins de lieux communs et de remplissages, grisaille, Mallarmé, par !a substitution du concret à l'abstrait, fit une fresque aux belles couleurs d'automne. Je ne donne ces remarques que, si l'on veut, comme une préface à une théorie de !a traduction; ici, elles suffiront à indiquer qu'il ne faut comparer entre eux, s'il s'agit du style, que des textes d'une même langue et d'une même époque. J'ai déjà expliqué la formation historique des clichés Mallarmé a pu voir de son vivant et s'il nous avait été conservé, qu'il en eût souffert – quelques-unes de ses images, les plus charnellement ses filles et les plus vivantes, couchées, à demi mortes, dans les vers neutres et la prose décalquée de plus d'un de ses trop fervents admirateurs. Il est très difficile de se rendre compte, après cinquante ans, du degré d'originalité d'un style; il faudrait avoir lu tous les livres notables selon l'ordre de leur date. On peut du moins juger du présent et aussi accorder quelque créance aux observationscontemporaines d'une œuvre. Barbey d'Aurevilly a relevé dans George Sand une profusion~f de la ~<< de /b~, de coupes de miel, qui ne furent certainement pas inventés par elle, non plus d'ailleurs qu'aucune partie de son style relavé mais les eût-elle imaginés, « ces tropes décrépits, » qu'ils n'en seraient pas meilleurs. Il me semble bien que la coupe aux bords frottés de miel remonte aux temps obscurs de la médecine préhippocratique les clichés ont la vie dure M. Albalat note avec raison « qu'il y a des images qu'on peut renouveler et rajeunir ». Il y en a beaucoup et parmi les plus vulgaires; mais je ne trouve pas qu'en appelant la lune une « morne lampe », Leconte de Lislealt rafraîchi très heureusement la « lampe d'or de Lamartine. M. Albalat,qui prouve beaucoup de lecture, devrait essayer un catalogue des images par sujets la lune, les étoiles, la rose l'aurore et tous les mots « poétiques M; on obtiendrait ainsi un recueil d'une certaine utilité pour la psychologie verbale et l'étude des sentiments élémentaires. Peut-être saurait-on enfin pourquoi la lune est si chère aux poètes? En attendant il nous annonce son prochain livre « La formation du style par l'assimilation des auteurs, » et je suppose que, la série achevée, tout le monde écrira très bien et qu'il y aura dorénavant un bon style moyen en littérature, comme il y en a un en peinture et dans les différents beaux-arts que l'État protège si heureusement. Pourquoi pas une Académie Albalat, comme une Académie Julian? Voilà donc un livre auquel il ne manque presque rien que de n'avoir pas de but, que d'être de pure analyse et désintéressé. Mais s'il devait avoir une influence,s'il devait multiplierles écrivains honorables, il faudrait le maudire. La littérature et tous les arts, au lieu d'en mettre le manuel à la portée de tous, il serait plus sage d'en transporter les secrets sur quelque Himalaya. Cependantil n'ya pas de secrets. Pour être un écrivain, il suffit d'avoir le talent naturel de son métier, d'exercer ce métier avec persévérance, de s'instruire un peu plus chaque matin et de vivre toutesles sensationshumaines. Quant à l'art de « créer des images )), il faut croire qu'il est absolument indépendant de toute culture littéraire,puisque les plus belles images, les plus vraies et les plus hardies,sont encloses dans nos mots de tous les jours, œuvre séculaire de l'instinct,floraison spontanée du jardin intellectuel.

LA. CRËA.TMN SUBCONSCIENTE

LA CRÉATION SUBCONSCIENTE (i) Des hommes ont reçu un don particulier qui les distingue fortement d'entre leurs semblables; discoboles ou stratèges, poètes ou bouffons, statuaires ou financiers, dès qu'ils dépassent le niveau commun, exigent de l'observateur une attention particulière. La protubérance d'une de leurs facultés les désigne à l'analyse et à ce procédé d'analyse qui est la différenciation successive ainsi on arrive à discerner dans l'humanité une classe d'êtres dont le signe est la différence, de même que, pour l'humanité vulgaire, le signe est la ressemblance. Il y a des hommes dont on ne peut jamais savoir ce qu'ils vont dire quand.ils commencent à parler; il y en a peu des autres le discours est connu dès qu'ils ouvrent la bouche. On allègue ici les disparités (!) A propos de Physiologie cérébrale. Le Subconscient cher les artistes,les savants et les écrivains, par IeD~Faut Chabaneix. Pari-< J. B. BaiUlére. Cette étude était écrite quand a paru le magistral ouvrage de M. Ribot, L'Imaginationcréatrice (juillet t~OO). très sensibles,car il est incontestableque, même parmi les ressemblants les moins diversifiables à première vue, il n'y a point deux créatures qui ne soient, au fond, contradictoires entreelles; c'est la dernière gloire de l'homme, et ceUe que la science n'a pu lui arracher, qu'il n'y ait point de science de l'homme. S'iln'y a pointde science de l'hommecommun, moins encore y a-t-il une science de l'homme différent, puisque la manifestation de sa différence le constitue solitaire et unique,c'est-à-dire incomparable. Cependant, comme il y a une physiologie, il y a une psychologie générale quelles qu'elles soie it, toutesles bêtes terrestres respirent le même air et le cerveau de l'homme de génie, comme celui du pauvre homme, puise dans la sensation sa force primordiale. Selon quel mécanisme la sensation se transforme en acte, on ne le sait que d'une façon grossière; on sait seulementque pour que cette transformation s'accomplisse, l'intervention de la conscience n'est pas nécessaire; on sait aussi que cette intervention peut être nuisible, par son pouvoir de modifier la logique déterministe, de rompre la série des associations pour créer dans l'esprit volontairement le premier anneau d'une chaîne nouvelle. La conscience,qui est le principe de la liberté, n'est pas le principe de l'art. On peut énoncer fort clairement ce que l'on a conçu dans des ténèbres inconscientes. Loin d'être liée au fonctionnement de la conscience, l'activite intellectuelle en est le plus souvent troublée; on écoute mal une symphonie, quand on sait qu'on l'écoute; on pense mal, quand on sait que l'on pense la conscience de penser n'est pas la. pcnscc. L'état subconscient est l'état de cérébration automatique, en pleine liberté,l'activité intellectuelle évoluant à la limite de la conscience, un peu au-dessous, hors de ses atteintes la pensée subconscientepeut demeurer à jamais inconnue, et elle peut,soit au momentprécis où cesse l'automatisme, soit plus tard, et même après plusieurs années, surgir à la lumière. Ces faits de cogitation ne sont donc pas du domaine de l'inconscient proprement dit, puisqu'ils peuvent arriver à la conscience et, d'autre part, il sera sans doute préférable de réserver à ce mot un peu vaste la signification que lui donna une philosophie particulière.L'état subconscient,quoique le rêve puisse être une de ses manifestations, din'ère encore de l'état de rêve. Le rêve est pres que toujours absurde, d'une absurdité spéciale, incohérent ou déroulé selon des associations toutes passives (i) dont la marche diffère même de celle des ordinaires associations passives, conscientes ou subconscientes(2). La création intellectuelle Imaginative est inséparable de la fréquence de l'état subconscient;et dans cette catégorie de créationsil faut englober la découverte du savantet la constructionidéologique du philosophe. Tous ceux qui, en quelque (i) Voyez dans un rêve de Maury(Z.<* Sommeil et les Rêves) !e mot jardin menant le rêveur en Perse, puis à une lecture de l'Ane mort (Jardin. Chardin. Janin) et, dans cet autre, la syllabe /o conduisait l'esprit de kilomètre à loto, par Gilolo. lobélia. Lopez. CepenJant le poète (rime, allitération) subit de pareilles associations, mais il doit avoir le talent de les rendre logiques, ce qui n'a g~ère lieu dans le rêve pur et simple. Victor Hugo, véritable incarnation du Subconscient,triomphe, avec excès, de ces rapprochements, d'abord involontaires. (<) A propos du rêve, M. Chabaneix dit (p. t?) que ceux qui pensent souvent par images visuelles sont sujets à des rèves ou les images s'objectiventamplifiées. Une observation personnelle contredit cela, mais je n'oppose qu'une seule observation à beaucoup d'observations il s'agit d'un écrivain qt~, quoique assiégé à l'état de veille par les images visuelles internes, n'a que de très rares rêves imagés et jamaisd'hattucinations carac- téristiques. Récemment, après avoir relu dans la journée le livre de Manry. il eut le soir, pour la première fois. deux ou trois assez vagues hallucinations hypnagogiques,sans doute provoquées par le désir, ou la peur, de connaître cet état. Ceci peut servir à expliquer la contagion de l'hallucination par le livre. 11 vit des lueurs kaléidoscopiques,puis des têtes grimaçantes, enfin un personnagedrapé de vert, de grandeur natureUe, dont il n'apercevait,par le coin de l'œil droit, qu'une moitié. A ce moment il rouvrait les yeux. Ce personnage sortait évidemment d'une histoire illustrée de la peinture italienne, feuilletée le matin. genre, ont innové ou inventé sont des Imaginatifs autant que des observateurs. L'écrivain le plus pondéré, le plus réfléchi, le plus minutieux est à chaque instant, malgré lui, enrichi par le travail du subconscient il n'est pas d'œuvre, si volontaire, qui ne doive au subconscientquelque beauté ou quelque nouveauté.Jamais peutêtre une phrase, la plus laborieuse, ne fut écrite ou dite en accord absolu avec la volonté; la seule quête du mot dans le vaste et profond réservoir de la mémoire verbale est un acte qui échappe si bien à la volonté que, souvent, le mot qui venait s'enfuit au moment où la conscience allait l'apercevoir et le saisir. On sait combien il est difficile de trouver volontairement le mot dont on a besoin et on sait aussi avec quelle aisance et quelle rapidité tels écrivains évoquent, dans la fièvre de l'écriture, les mots les plus insolites, ou les plus beaux. Il est cependant imprudent de dire « La mémoire est toujours inconsciente. » (i) La mémoire est la piscine secrète où, à notre insu, le subconscient jette son filet; mais la conscience y pêche aussi volontiers. Cet étang plein des poissons jadis captés au hasard parla sensation, (i) Le Subconscient, p. ti. la subconscicncc le connaît particulièrement bien; la conscience est moins habile à s'y approvisionner, bien qu'elle ait à son serviceplusieurs méthodes utiles, telles que l'association logique des idées ou la localisation des images. Selon que le cerveau travaille dansla nuit ou à la lueur du falot de la conscience, l'hommeacquiert une personnalité différente, mais, sauf les cas pathologiques, l'état second n'est pas tellement précisé que l'état premier ne puisse, sans troubler le labeur, intervenir c'est en ces conditions, selon ce concert, que s'achèvent la plupart des œuvres d'abord Imaginées soit par la volonté, soit par le rêve. Chez Newton (en y pensant toujours), le travail du subconscientest continu, mais il se relie périodiquement à un travail volontaire tantôt perçue, tantôt inconnuede la conscience, la pensée explore tous les possibles. Chez Gœthe, le subconscient est presque toujours actif et prêt à livrer à la volonté les œuvresmultiples qu'il élabore sans elle et loin d'elle. Gœthe a expliqué cela lui-même en une page d'une lucidité miraculeuse et pleine d'enseignements (ï) « Toute (t) Lettre à G. de Humboldt, 17 marst83a. (Le Subconscient p. t6.) Gœthe avait alors quatre-vingt-troisans; i! mourait cinq jours plus tard. La lettre est citée tout entière par Eckermann, Il, 331; la traduction de Délerot est un peu différente. faculté d'agir et par conséquent tont talent implique une force instinctive agissant dans l'inconscience et dansl'ignorance des règles dont le principe est pourtant en elles. Plus tôt un homme s'instruit, plus tôt il apprend qu'il y a un métier,un art qui va lui fournir les moyens d'atteindre au développement régulier de ses facultés naturelles; ce qu'il acquiert ne saurait jamais nuire en quoi que ce soit à son individualitéoriginelle.Le génie par excellence est celui qui s'assimile tout, qui sait tout s'approprier sans préjudice pour son caractère inné. Ici se présentent les divers rapports entre la conscience et l'inconscience. Les organes de l'homme, par un travail d'exercice, d'apprentissage, de rétiexion persistanteet continue,par lesrésultats obtenus, heureux ou malheureux, par les mouvements d'appel et de résistance,cesorganesamalgament, combinent inconsciemment ce qui est instinct et ce qui est acquis, et de cet amalgame, de cette chimie à la fois inconsciente et consciente, il résulte finalement un ensemble harmonieux dont le monde s'émerveille. Voici tantôt plus de soixante ans que laconceptionde Faust m'est venue en pleine jeunesse, parfaitementnette, distincte, toutes les scènes se déroulant devant mes yeux dans leur ordre de succession le plan, depuis ce jour, ne m'a pas quitté, et vivant avec cette idée, je la reprenais en détail et j'en composais tour à tour les morceaux qui dans le moment m'intéressaient davantage; de telle sorte que, quand cet intérêt m'a fait défaut, il en est résulté des lacunes, comme dans la seconde partie. La difnculté était là d'obtenir par force de volonté, ce qui ne s'obtient, à vrai dire, que par acte spontané de la nature. » Il arrive aussi, tout au contraire, qu'une œuvre antérieurement conçue, et dont on repousse l'exécution, finisse par s'imposer à la volonté. Il semble alors que le subconscient déborde et submerge la conscience il dicte ce que l'on n'écrit qu'avec répugnance.C'est l'obsessionque rien ne décourage et qui triomphe même des paressesles plus nonchalentes, des dégoûts les plus violents. Ensuite, on éprouve fréquemment, le travail accompli, une sorte de satisfaction, analogue à la satisfaction morale.L'idée du devoir qui, mal comprise, fait tant de ravages dans les consciences craintives, est sans doute une élaboration du subconscient l'obsessionest peut-être la force qui pousse au sacrifice,comme elle est celle qui pousse au suicide. Schopcnhauer comparait à la rumination le travail obscur et continu du subconscient au milieu des perceptions prisonnières dans la mé- moire. Cette rumination, toute physiologique, peut suffire à modifier des croyances ou des convictions; Hartmann a constaté qu'une Idée ennemie, d'abord écartée,s'était au bout de quelque temps substituée en lui à l'idée habituelle qu'il avait d'un homme ou d'un fait. « Après des jours, des semaines ou des mois, si on a l'envie ou l'occasion d'exprimer son opinion sur le même sujet, on découvre, à son grand étonnement, qu'on a subi une véritable révolution mentale, que les anciennes opinions, dont on se considéraitjusque-làcomme réellementconvaincu, ont été complètement abandonnées et que les idées nouvelles se sont tout à fait implantées à leur place. Ce processusinconscient de digestion et d'assimilation mentale, j'en ai souvent fait sur moi-même l'expérience et d'instinct, je me suis toujours gardé d'en troubler le cours par une réflexion prématurée, toutes les fois qu'il se produisait en moi à propos de questions importantes, qui intéressaient mes conceptions sur le monde et sur l'esprit (i). » Cette observation pourrait être appliquée au phénomène si intéressant de la conversion. Il n'est pas douteux que des gens se sont un jour sentis amenés (i) Le subconscient,p. a4. ou ramenés aux idées religieuses, qui n'avaient ni le désir, ni la crainte, ni l'espoir de ce revirement. Dans une conversion, la volonté ne peut agir qu'après un long travail du subconscientet lorsque tous les éléments de la conviction nouvelle ont été secrètement rassemblés et combinés. Cette force nouvelle où le converti s'appuie et dont il ignorel'origine, c'est ce que la théologie appelle la grâce; la grâce est le résultat d'un labeur subconscient: la grâce est subconsciente. Comme Hartmann, mais par instinct et non plus par préconceptionphilosophique,Alfred de Vigny se naît au subconscient du soin de mûrir ses idées; mûres, il les retrouvait; elles venaient d'elles-mêmes s'otFrir,riches de toutesleurs conséquences. On peut supposer que, comme chez Gœthe, c'était là un subconscient à lointaine échéance, du papier long, très long, car M. de Vigny laissa entre telles de ses œuvres d'inhabituels intervalles. Il est très probable que, s'il y a des subconscients inactifs, il en est d'autres qui, après une période active, cessent tout à coup de travailler, soit qu'une usure précoce, soit qu'une modification de rapports ait eu lie~ dans les cellules cérébrales. Racine offre l'exemple singulier d'un silence de vingt ans coupé juste au milieu par deux œuvres qui n'ont qu'une res- semblance formelle avec celles de sa phase première. Peut-on supposer que ce fut par scrupule religieux qu'il a pendant si longtemps refusé d'écouter les suggestionsdu subconscient~Peuton supposer que la religion qui avait modiGé la nature de ses perceptions avait en même temps diminué la' puissance physiologique de son cerveau? Cela serait contraire à toutes les autres observations qui démontrent au contraire qu'une croyance nouvelle est un excitant nouveau. Il semble donc probable que Racine se tut parce qu'il n'avait presque plus rien à dire, tout simplement c'estune aventure commune, et il trouva dans la religion la consolationcommune. Il faudrait donc distinguer deux sortes de subconscients celui dont l'énergie est brève et forte et celui dont la force, moins ardente, est plus durable. Les deux extrêmes se manifestentdans l'homme qui produit, tout jeune, une œuvre remarquable, puis s'abstient; et dans l'hommequi offre pendant des soixante ans, le spectacle d'un labeur médiocre, inutile et continu. Il s'agit naturellement des œuvres où l'intelligence imaginative a la plus grande part, des œuvres dont le subconscientesttoujours le maître collaborateur. Plus pratiquement, et à un tout autre point de vue, M. Chabaneix, après avoir étudié le sub- conscient continu, le divise en subconscientnocturne et en subconscient à l'état de veille. Le subconscient nocturne est onirique ou préonirique, s'il s'agit du sommeil ou des instants qui précèdent le sommeil. Maury, qui en était particulièrement afnigé, a traité avec soin des hallucinations qui se forment au moment où l'on ferme les yeux pour s'endormir; on ne voit p~s que ces hallucinations appelées hypnagogiques, et qui sont presque toujours visuelles, puissent avoir une action spéciale sur les idées en travail dans un cerveau ce sont des embryons de rêves qui n'influencent qu'à la manière des rêves le cours de la pensée. Il arrive que le travailconscient du cerveau se prolonge durant le rêve et même se parachève et qu'au réveil,sansréflexion, sans peine, on se trouve maître d'un problème, d'un poème, d'une combinaison que l'esprit, dans la veille, avait été impuissant à trouver. Burdach, professeur à Kœnigsberg, fit en rêve plusieurs découvertes physiologiques qu'il put ensuite vérifier. Un rêve fut parfois le point de départ d'une œuvre parfois une œuvre fut entièrement conçue et exécutée pendant le sommeil. Il est cependant fort probable que c'est la raison consciente qui, au réveil, jugeant et rectifiantspontanément le rêve, lui donne sa vé- ritable valeur et le dépouille de cette incohérence particulière aux songesles plus sensés. A l'état de veille, l'inspiration semble la manifestation la plus claire du subconscientdans le domaine de la création intellectuelle. Sous sa forme aiguë, l'inspirationse rapprocherait beaucoup du somnambulisme.Certaines attitudes de Socrate (d'après Aulu-Gelle), de Diderot, de Blake,de Shelley, de Balzac, donnent de la force à cette opinion. Le Dr Régis (i) dit que les hommes de génie furent presque tous des « dormeurs éveillés )) mais le dormeur éveillé est assez souvent un « distrait )), celui dont l'esprit se concentre volontairement sur un problème. Ainsi l'excès et l'absence de conscience psychologique se manifesteraient, en certains cas, par d'identiques phénomènes. A quoi pensait Socrate pendant ses journées d'immobilité?Pensait-il? Avait-il connaissance de sa pensée? Les faki rs pensent-ils?Et Beethoven,lorsque,sanschapeau, sans habit, il se laissaitarrêtercommevagabond? Etait-ilen obsession volontaire ou en quasi-somnambulisme ? Savait-il à quoi il pensait si fortement, ou bien son travail cérébral était-il inconscient ? Stuart Mill composa sa logique dans les (i) PréfaceduSubconscient. rues de Londres, pendant le trajet quotidien de sa maison aux bureaux de la Compagnie des Indes; croira-t-on que cet ouvrage ne fut pas ordonné en état de conscience parfaite? Ce qui était subconscient chez Stuart Mill c'était, dit M. Chabaneix (i), l'effort pour se guider dan~ une rue populeuse; « il y a là automatisme des centres inférieurs)~. Ce renversement des termes, plus fréquent que ne l'ont cru certains psychologues, peut faire naître des doutes sur la véritable nature de l'inspiration. On devra tout au moinsrecherchersi, à partir du moment où commence la réalisation, même purement cérébrale, d'une~œuvre,ilestpossible que le travail demeure tout à fait subconscient.La lettre de Mozart n'explique que Mozart « Quandjemesensbienetque je suis de bonne humeur, soit que je voyage en voitureou que je me promèneaprèsun bonrepas, ou dans la nuit, quand je ne puis dormir, les pensées me viennent en foule et le plus aisément du monde. D'où et comment m'arrivent-elles ? Je n'en sais rien, je n'y suis pour rien. Celles qui me plaisent, je les garde dans ma tête et je les fredonne,à ce que du moins m'ont dit les autres. Une fois que je tiens mon air, un autre bientôt (')P. o3. vient s'ajouter an premier. L'œuvrc grandit, je l'entends toujours et la rends de plus en plus distincte, et la composition nnit par être tout entière achevée dans ma tête, bien qu'elle soit longue. Tout cela se produit en moi comme dans un beau songe très distinct. Si je me mets ensuite à écrire, je n'ai plus qu'à tirer du sac de mon cerveau ce qui s'y est accumulé précédemment, comme je l'ai dit. Aussi le tout ne tarde guère à se fixer sur le papier. Tout est déjà parfaitement arrêté et il est rare que ma partition diffère beaucoup de ce que j'avais auparavant dans ma tête. On peut sans inconvénient me déranger pendant que j'écris. (î). » Tout est donc subconscientdans Mozart,et le labeur matériel de l'exécutionn'est plusguère qu'un travail de copie. J'ai vu un écrivain ne pas oser corriger ses rédactions spontanées, de peur de commettre des fautes de ton il se rendait compte que l'état dans lequel il corrigerait était très différent de l'état où il se trouvait pendant la période d'exécution, qui avait été en même temps celle de la conception. Un mot entendu, une attitude entrevue, un personnage singulier croisé dans la rue étaient souvent le seul prétexte de ses contes, qu'il improvisait en trois ou quatre heures (t) Le Subconscient, p. Q3, d'après Jahm. s'il suivait un plan antérieur, presque toujours, dès la première page écrite, il l'abandonnait, achevantson récit d'après une logique nouvelle, arrivant à une conclusion tout à fait difFérentc de celle qui, la première fois, lui avait paru la meilleure. Quelques-uns de ces plans avaient parfois été écrits sous une si forte influence du subconscientqu'il ne les comprenait plus, ne les reconnaissait qu'à l'écriture, ne pouvait les situer dans le passé que grâce au genre du papier, à la couleur de l'encre. D'autres projets, se rapportantà des œuvres plus longues,lui revenaient au contraire, fréquemment, à l'esprit; il avait conscience d'y songer plusieurs fois par jo~r et il était persuade que c'étaient ces songeries, même vagues et inconsistantes,quilui rendaient, aux moments de l'exécution, le travail assez facile. De fait, je ne lui ai jamais vu de sérieuses préoccupations au sujet d'œuvres qui passaient pourtantpour être d'une littératureplutôt ardue; il n'en parlait jamais et je crois bien qu'il n'y pensait consciemment qu'au moment d'en écrire les terribles premières lignes; mais, une fois le travail en train, presque toute sa vie intellectuelle s'y concentrait, les périodes de rumination subconsciente rejoignant perpétuellement les périodes de méditation volontaire. Villiers de l'Isle-Adam avait, autant que j'ai pu m'en rendre compte, cette méthode de travail l'idée entrée dans son esprit, et il arrivait qu'elle y entrât soudain,au cours d'une conversation principalement,car il était grand causeur et il profitait de tout, l'idée entrée d'abord par la petite porte, timidement, sans faire de bruit, s'installait bientôt comme chez elle, envahissait toutes les réserves du subconscient,puis,de temps à autre, montait à la conscience et obligeait réellement Villiers à obéir à l'obsession alors quel que fût son interlocuteur, il parlait il parlait même seul, et d'ailleurs, quand il parlait son idée:, il parlait toujours comme s'il eût été seul. J'entendis ainsi, par lambeaux, plusieurs de ses derniers contes; et mème un jourque nous étions assis à la terrasse d'un café du boulevard, j'eus l'illusiond'écouter de véritables divagations où revenait périodiquement cette afnrmRtion « Il y ava~t un coq Il y en avait un » Je ne compris que plus tard, après plusieurs mois, quand parut le CA~< du Co<y. Parlant sur un ton sourd, il ne s'adressait pas à moi. Cependant, son but conscient, en retournantses idées à haute voix, était de chercher à deviner l'enet qu'elles produisaient sur un auditeur; mais, peu à peu, ce but s'obscurcissait c'était le subconscient qui parlait pour lui. Il avait le travail lent il y a cinq ou six manuscrits superposés de de F~<5 future, et le premier est tellement din~- rent du dernier que seul le nom d'Edison peut servir à les relier l'un à l'autre. On dit assez souvent d'un homme qui n'a écrit que peu, qu'il a peu travaille je suis persuadé que Villiers de File-Adam n'a jamais cessé un instant de travailler, même pendant son sommeil. Malgré le blocus quelquefois absolu'que ses idées établissaient autour de son attention, nul esprit n'était plus rapide ni mieux doué pour la riposte; il ne connaissait pasle crépuscule du réveil: après la nuit la plus brève, il se retrouvait, au coup même du sursaut, en pleine possessionde toute sa lucidité, de toute sa verve. Quoiqu'il fût bien l'homme de sa littérature, on trouverait en lui l'esquisse d'une double personnalité, mais où le conscient et l'inconscientseraient si enchevêtrésl'un dans l'autre qu'il serait difficile d'en faire le départage il serait aisé, au contraire, d'écrire deux vies de Mozart, l'une de l'homme social, l'antre de l'homme en état second, toutes les deux parfaitementlégitimes. Baudelaire disait L'inspiration, c'est de travailler tous les jours. Mais cet aphorisme ne semble pas le résumé de son expérience person- nelle. Le travail quotidien, régulier, c'est, pour ainsi dire, l'inspiration régularisée,domestiquée, asservie. Les termes ne sont pas contradictoires, car il est certain qu'alors l'état second, devenant périodique, peut n'en devenir que plus profond. L'habitude, si puissante, se joint à la nature pour renforcerun état psychologique qui devient alors un véritable besoin; ceux qui se sont astreints au labeur de tous les jours, s'il leur arrive de s'y soustraire, surtout en restant dans le même milieu, éprouvent, pendant et après les heures de l'accès périodique,un certain malaise, parfois une vraie souffrance: le remords n'a peut-être pas d'autre origine, qu'il s'agisse d'un acte habituel qui n'a pas été accompli, ou d'un acte inhabituel qui a violemment troublé la marche coutumière des journées. L'inspiration, si elle est un état second, peut donc être un état second provoqué par la volonté. Il n'est pas douteux que des artistes, des écrivains, des savants 'peuvent travailler quand il le faut,sanspréparation, aiguillonnésseulement par la nécessité et, d'autre part, que les œuvres ainsi produites sont tout aussi bonnes que celles dont l'exécution n'a été déterminée que par un désir de réalisation. Cela ne signifie pas que le subconscient soit inactifpendant le travail volon- taircmcntcommencé, mais son activité aélé provoquée. H y a donc un subconscient qui n'est pas spontané, qui vient se mêler au conscient quand la volonté en a besoin, mais qui, peu à peu, au cours d'un travail, se substitue à la volonté. Il suffit souvent de se mettre à la besogne pour sentir que s'évanouissent une à une toutes les difncultés qui paralysaient l'enbrt, maisil est possible que ce raisonnement soit paralogique et que le travail ne soit précisément devenu possible que par l'anaiblisscment préalable des obstacles qui se dressaient d'abord devant l'esprit. Dans l'un ou l'autre cas, d'ailleurs, il y a intervention évidente des forces subconscientes. Commentune sensationdevient-elleune Image l'image, une idée; comment l'idée se développet-elle comment prend-elle la forme qui nous semble la meilleure comment, s'il s'agit d'écriture, la mémoire verbale est-elle mise à contribution ? Autant de questions qui me semblent In~ )lubles et dont la solution serait pourtant nécessaire à qui voudrait donner une définition précise de l'inspiration. « Pour la création originale, écrit M. Ribot (i), ni la réflexion ni la vo- (!) P~/c/(~f</<M 5<n/.?. – G. de Humboldt disait: « La raison combine, modifie et dirige, elle ne peut créer, parce que le principe de vie n'est pas en elle. (Idées sur la nouvelle Cons~u~on y/'a/~atse.) tunté ne suppléent, l'inspiration. )) Sans dout< mais la réncxion et la volontépeuvent cependant avoir leur rôle dans l'évolutionde ce phénomène mystérieuxet, d'antre part, les cas sont assez rares de pur automatisme IntcUectucl. Il faut sans doute supposer que les hommes capables de subir l'heureuseinnuencc de l'inspiration sont aussi des hommes plus que les autres capables de sentir avec force et avec fréquence les chocsdu monde extérieur. Les imagin~ifs sont aussi des sensitifs. Il faut que les réserves de leur cerveau soient très riches en éléments cela suppose un apport constant de la sensation cela suppose donc une sensibilité très vive et une capacité de sentirincessammentrenouvelée. Cette sensibilité appartient encore en grande partie au domaine du subconscient; il y a, selon l'expression de Leibnitz, « les pensées dont ne s'aperçoivent pas notre âme », il y a aussi les sensations dont ne s'aperçoivent pas nos sens, et ce sont peut-être celles-ci qui, de même qu'ellessont entrées, sortent subconsciemment. Les observationsles plus fructueusessont celles que l'on a faites sans le savoir; vivre sans penser à la vie est souvent le meilleur moyen d'apprendre à connaître la vie. Après un demi-siècle et plus un homme voit surgir devant lui le milieu, le paysage, les faits de son enfance indifférente; enfant, il avait vécu dans le monde extérieur comme dans une dépendance de lui-même, avec un souci purement physiologique;il avait vu sansvoir, et voici que, tandis que tout l'intermédiaire reste brumeux, c'est la période de ses sensationsles plus fugaces qui remonte et s'avive devantses yeux. Il est bien évidentque la sensationentrée en nous sa~is que nous en ayons eu conscience ne peut, à aucun moment, être volontairement évoquée; mais la sensation consciente peut, au contraire, nous revenir à Fimproviste., sans nul concours de la volonté. Le subconscient a donc pouvoir sur deux ordres de sensations et la conscience n'en a qu'un seul à sa disposition cela peut expliquer pourquoi la volonté et la rénexion ont une part si restreinte dans les créations de la littérature ou de l'art. Mais quelle est leur part dans le reste de la vie? En principe, l'homme est un automate, et il semble que dans l'homme la conscience soit un gain, une faculté surajoutée. Il ne faut pas s'y tromper: l'homme qui marche,qui agit, qui parle n'est pas nécessairementconscientnijamais tout à fait conscient. La conscience est sans doute, si on prend le mot dans son sens précis et abso- lu, l'apanage du petit nombre. Réunis en foule, les hommes deviennent particulièrement autoniatiques, et d'abord leur instinct de se réunir, de faire à un moment donne tous la même chose témoigne bien de la nature de leur intelligence. Commentsupposerune conscience et une volonté aux membres de ces cohues qui, aux jours de fête ou de troubles, se pressent tous vers le même point, avec les mêmesgestes et les mêmes cris? Ce sont des fourmis qui sortent après l'ondée de dessous les brins d'herbe, et voilà tout. L'homme conscient qui se mêle naïvement à la foule, qui a~it dans le sens de la foule, perd sa personnalité; il n'est plus qu'un des suçoirs de la grande pieuvre factice, et presque toutes sessensations vont mourir vainement dans le cerveau collectif de l'hypothétique animal; de ce contact, il ne rapportera à peu près rien; l'homme qui sort de la foule n'a qu'un souvenir, comme le noyé qui émerge, celui d'être tombé dans l'eau. C'est parmi le petit nombre des élus de la conscience qu'il faut chercher les exemplaires véritablement supérieurs d'une humanité dont ils sont, non les conducteurs, ce qui serait fâcheux et contredirait trop l'instinct, mais les j juges. Cependant grave sujet de méditation, ces hommessurélevés n'atteignent toute leur valeur 1!) qu'aux moments on la conscience, devenant subconsciente, ouvre les écluses du cerveau et laisse se précipiter vers le monde les notsrénovés des sensations qu'ils doivent au monde. Ils sont de magnifiques instruments dont le subconscient seul joue avec génie; lui aussi, le génie, est subconscient. (xoctheest le type de ces hommes doubles et le héros suprême de l'humanité intellectuelle. Il v a d'autres hommes non moins rares, mais moins complets, chez lesquels la volonté ne joue qu'un rôle fort ordinaire et qui ne sont rien dès qu'ilnesont plus sous l'iiiflueiicedtisubeoiiscient. Leur génie n'en est souventque plus pur et plus énergique; ils sont des instruments plus dociles sous le souffle du Dieu inconnu. Mais comme Mozart, ils ne savent ce qu'ilsfont; ils obéissentt à une force Irrésistible. Voilà pourquoi Gluck faisait transporter son piano au milieu d'une prairie, en plein soleil; voilà pourquoi Haydn contemplaitune bague, pourquoiCrébillon vivait parmi une meute de chiens, pourquoi Schiller respirait fréquemmentl'odcur despommcspourries dont il avait rempli le tiroir de sa table de travail. Telles sont les moindres fantaisies du subconscient; il a de pires exigences. LA DISSOCIATION DES IDÉES III

LA DISSOCIATION DES IDÉES Il y a deux manières de penser ou accepter telles qu'ellessont en usage les idées et les associations d'idées, ou se livrer, pour son compte personnel, à de nouvelles associations et, ce qui est plusrare, à d'originales dissociations d'idées. L'intelligence capable de tels eitbrts est, plus ju moins, selon le degré, et selon l'abondance et la variété de ses autres dons, une intelligence créatrice. Il s'agit ou d'imaginer des rapports nouveaux entre les vieillesidées, les vieilles images, ou de séparer les vieilles idées, les vieilles images unies par la tradition, de les considérer une à une, quitte à les remarier et à ordonner une infinité de couples nouveauxqu'une nouvelle opération désunira encore, jusqu'à la formation toujours équivoque et fragile de nouveaux liens. Dansle domaine des faits et de l'expérience ces opérations se trouveraient limitées par la résistance de la matière et l'intolérance des lois physiques dans le domaine purement intellec- tuel, elles sont s(~umises a la tonique maislalogi- (ptc étant elle-même un tissu intellectuel, ses complaisances sont presque intinies. ~Véritablement l'associationet la dissociation des idées(ou <h's irna~fs: !'idcc n'est qu'une ima~c usée) évotucut sdou des meaudrcs qu'itcstimposstbtcde dcternnncr et dotH it ~st difncUcmcm~ de suivre la direction ~nct-ate. Il n'est pas d'idéessi eloi- ~nces, d'imagessi hcteroctites (pic l'aisance dans l'association ne puisse joindre anmoins pour un instant. Victor Mu~o, voyant un câble qu'on entoure de chinons a l'endroit on il porte sur une arête vhe, voit en même temps les genoux des tra~edieunes q'ii sont matelasses contre les chutes dramatiques du cuiquiemeacte (i); et ces deux choses si loin, un cordage amarré sur un rocher et les genoux d'une actrice se trouvent, le temps de notre lecture, évoquées dans un parallèle qui nous séduit parce que les genoux et la corde, les uns en dessus, l'autre en dessous, ~.u pli, sont également <(fourrés)) (2), parce que le coude que fait un câble ainsi jeté ressemble assez à une jambe pliée, parce que la situation de Giliatt est parfaitement tragique et cnnn (t) Les T/'at't[<cu/'s(/('er;H"partie, livre !< M. (s) Tenne technique parce que, tout en percevant la logique de ces rapprochements, nous en percevons, non moins bien, la délicieuse absurdité. De telles associations sont nécessairementdes plusfugitives, a inoins que la langue ne les adopte et n'en fasse nn de ces tropes dont elle aime a s'enrichir; il ne faudrait pas être surpris que ce pli d'un câble s'appelât le « genou )) du câble. Kn tout cas, les deux images restent prêtes a divorcer; le divorce règne en permanence dans te monde des idées, qui est Icmondedel'amonr libre. Les gens simples parfois en demeurent scandaliser; celui qui, pour la première fois, selon que l'un ou l'autre des termes est le plus ancien, osa dire la « bouche )) ou la « gueule d'un canon fut sans doute accusé soit de préciosité soit de grossièreté. S'il est malséant de parler du genou d'un cordage, il ne l'est point d'évoquer le « coude )) d'un tuyau ou la « panse » d'un flacon. Mais ces exemples ne sont donnés que comme types élémentaires d'un mécanisme dont la pratique nous est plus familière que la théorie. Nous laisserons de côté tontes les images encore vivantes pour ne nous occuper que des Idées, c'est-à-dire de ces ombres tenaces et fugaces qui s'agitent éternellement en'arées dans les cerveaux des hommes. Il Y a des associationsd'idées tellement durables qu'elles paraissent éternelles,tellement étroites qu'elles ressemblent à ces étoiles doubles que r'œil nu en vain cherche à dédoubler. On les appelle volontiers des « lieux communs Cette expression, débris d'un vieux terme de rhétorique, loci co~~M~~ ~e/v/ïo~ a pris, surtout depuis les développements de l'individualisme intellectuel, un sens péjoratif qu'elle était loin de posséder à l'origine, et encore au dix-septième siècle. En même temps qu'elle s'avilissait, la signification du « lieu commun )) s'est rétrécie jusqu'à devenir une varumte de la banalité, du déj~ vu, déjà entendu; et, pour la foule des esprits imprécis, le lieu commun est un des synonymes de cliché. Or le cliché porte sur les mots et le ll~u commun sur les idées; le cliché qualifie la forme ou la lettre, l'autre le fond ou l'esprit. Les confondre,c'est confondre la pensée avec l'expression de la pensée. Le cliché est immédiatement perceptible; le lieu commun se dérobctrèssouvent sous une parure originale. Il n'y a pas beaucoup d'exemptes, en aucune littérature, d'idées nouvellesexprimées enunc forme nouvelle l'esprit le plus difficile doit se contenter le plus souvent de l'un ou de l'autre de ces plaisirs, trop heureux quand il n'est pas privé à la fois de tous les deux; cela n'est pas très rare. Le lieu commun est plus et moins qu'une banalité c'est une banalité,mais parfois inéluctable c'est une banalité, mais si universellement acceptée qu'elle prend alors le nom de vénté. La plupart des vérités qui courentle monde (les vérités sont très coureuses) peuvent être regardées comme des lieux communs, c'cst-à-di' re des associations d'idéescommunes à un grand nombre d'hommes et que presque aucun de ces hommes n'oserait briser de propos délibéré. L'homme, malgré sa tendance au mensonge, a un grand respect pour ce qu'il appelle la vérité; c'est que la vérité est son bâton de voyage à travers la vie, c'est que les lieux communs sont le pain de sa besace et le vin de sa gourde. Privés de la vérité des lieux communs, les hommes se trouveraient sans défense, sans appui et sans nourriture. Ils ont tellement besoin de vérités qu'ils adoptent les vérités nouvelles sans rejeter les anciennes; le cerveau de l'hommecivilisé est un musée de vérités contradictoires. Il n'en est pas troublé, parce qu'il est successif. II rumine ses vérités les unes après les autres. Il pense comme il mange. Nous vomirions d'horreur si l'on nous présentait dans un large plat, mêlés à <!u bouillon, à du vin, à du café, les divers aliments depuis les viandes jusqu'aux fruits qui doivent former notre repas « successif » l'horreurserait aussi forte si l'on nous faisait voir l'amalgame répugnant des vérités contradictoires qui sont Iodées dans notre esprit. Quelquesintelligences analytiques ont essayé en vain d'opérer de sang-froid 1 inventairede leurs contradictions; a chaque objection delà raison le sentiment opposait une excuse immédiatement valable, car les sentiments, comme l'a Indiqué M. Ribot, sont ce qu'il y a de plus fort en nous où ils représentent la permanence et a continuité. L'inventaire des contradictions d'aitrui n'est pas moins difficile, s'il s'agit d'un homme en particulier on se heurte à l'hypocrisiequi a précisément pour rôle social d'être le voile qui dissimule l'éclat trop vif des convictions bariolées. Il faudrait donc interroger tous les hommes, c'est-à-dire l'entité humaine, ou du moms des groupes d'hommes assez nombreux pour que ic cynisme des uns y compense l'hypocrisie des autres. Dans les régions animales inférieures et dans le monde végétal, le bourgeonnementest un des modes de création de la vie; on voit égalementt se produire la scissiparité dans le monde des idées, mais le résultat, au lieu d'être une v!e nou- velle, est une abstraction nou' elle. Toutes les ~) ammaires générales ou les traités élémentaires de logique enseignent, comment se ibrment les abstractions; on a négligé (renseigner comjnent elles ne se forment pas, c'est-à-dire pourquoi tel lieu commun persiste à vivre sans postérité. C'est assez déticat, mais cela prêterait à des remarques intéressantes on apposerait ce chapitre les lieux communs réfractaires on impossibilité de certaines dissociations d'idées. 11 serait peut-être nti!e d'examiner d'abord com nient les idées s'associent entre elles et dans quel but. Le manuel de cette opération est des plus simples; son principe est l'analogie. Il y a des analogies très lointaines il y en a de si prochaines qu'eltes sont à la portée de toutes les mains. Un grand nombrede lieux communient une origine historique deux idées se sont unies un jour sous l'innucnce des événements et cette union fut plus ou moins durable. L'Europe ayant vu de ses yeux l'agonie et la mort de Hyxance accoupla ces deux idées, Byxance – Décadence, qui sont devenues un lieu commun, une incontestable vérité pjur tous les hommes qui écrivent et qui lisent, et nécessairement, pour tous les autres, pour ceux qui ne peuvent ontK~er tes vérités qu'on teur propose. t)e Hy- zance, cette association d'idées s'est étendue a t'Kmpire romain huit entier, (pu n'est plus, pour les historiens sa~cs et respectueux,(pt'une suite de décadences. On Usait, récemment, dans un journa! ~rave « SI ta tonne despotique avait une vertu part' -nHe:'e, constitutive de bonnes armées, est-c~ te t'avenement de l'empire n'anrait pas été nne ère de développement dans la puissance nniitaire <ks Romains ? (~e fut au contraire te signât de la débâcle et de l'effondrement (i). )) Ce tieucomnmnd'origine chrétienne a été popu'.arise <tans les temps modernes, comme on )t sait, parMontes(pneuctpar Gibbon; il a été magistratement dissocié par M. Gaston Paris <~ et n'est ptnsqu'une sottise. Mais comme sa ~encalo~ic est connue, comme on l'a vu naître et mourir, il peut servir d'exemple et faire comprendre assez bien ce que c'est qu'une grande vérité historique. Le but secret du lieu commun, en se formant, est en effet d'exprimer une vérité. Les idées isolées ne représenteutquedcsfaits ou des abstractions pour avoir une vérité il faut deux facteurs, il faut, c'est le mode de génération le plus ordinaire, un fait et une abstraction. Presque toute (t) /.t; y<< 3t uct.ubrc tS<j<). (a) 7tu/u~, tOtUt' t, pu~ei. vérité, presque tout lieu commun se résout en ces deux éléments. Concurremment a lieu commun, on pourrait presque toujours employer !emot« vérité )),a)n ;i (tefmi un t'ois pour toutes un lieu commun non encore dissocié; la dissociation étant analogue a ce qu'on appelle analyse, en clumie. L'analyse chimique ne conteste ni l'existence ni les qualités du corps qu'eue dissocie en divers éléments, souvent dissociables à leur tour; elle se borne a libérer ces éléments et à les offrir a la synthèse qui, en variant les proportions, en appelant des éléments nouveaux, obtiendra, si cela lui p)aM, des corps entièrement différents. Avec tes débris d'une vérité, on peut faire une autre vérité « identiquementcontraires, travail qui ne serait qu'un jeu, mais encore excellent comme tousies exercices qui assouplissent !'intc!Hgcncc et l'acheminent versl'état de noblesse dédaigneuseou elle doit aspirer. Il y a cependant des vérités que l'on ne songe ni à analyser ni à nier; elles sontincontestables, soit qu'elles nous aient été fournies par l'expérience séculaire de l'humanité, soit qu'elles fassent partie des axiomes de la science. Le prédicateur qui s'écriait en chaire devantLouis XIV n Nous mourrons tous, Messieurs!)) proférait une vérité que !e froncement des sourcils du roi ne prétendait pas sérieusement contester. EUc est pourtant de celtes quionteu sansdoute !ep!us de ma! à s'établir, elle est de celles qui ne sont pas encore universcHemcnt admises. Ce n'est pas du premier coup que les races aryennes joi~nircnt ces deux idées, l'idée de mort et l'idée de nécessité; beaucoup de peuplades noires n'y sont pas parvenues. Pour le nègre, il n'y a pas de mort natnreHe, de mort nécessaire. A chaque décès on consulte !e sorcier auu d'apprendre de un que! est Fauteur de ce crime secret et magique. Nous en sommes encore un peu à cet état d'espritet toute mort prématurée d'un hommecé- !èbre fait aussitôt courir des bruits d'empoisonnement, de menrtre mystérieux. Tout le monde se souvient des légendes nées à la mort de Gambetta, de Fé)ix Faurc; eïïes se rejoignent natureiicmeut a celles qui émurent la un du dixsepttèmt- siècle, a (-e)tes qui assombrirent, bien p)us que des fai!s sans doute rares, le seizième stèc!e itaiien. Stendhai, en ses anecdotes rom:unes, abuse de cette superstition du poisou qui devait encore, de nos jours, faire plus d'une victime judiciaire. L'homme associe les idées non pas selon Ja Ionique, se)on l'exactitude vérinabte,maisse)ou son plaisir et son intérêt. C'est eu qui fait que la plupart dcS vérités ne sont (pie des préjuges; celles qui sont le plus incontestablessont aussi celles qu'il s'efforça toujours de sournoisement coml)attrc par la ruse du silence. La même inertie est opposée au travail de dissociation qucl'on voit s'opérer lentementsur certaines vérités. L'état de dissociation des lieux communs de la morale semble en corrélation assez étroite avec le degré de la civilisation Intellectuelle. Il s'agit, là encore, d'une sorte de lutte, non des individus, mais des peuples constitués en nation contre des évidences qui, en augmentant l'intensité de la vie individuelle, diminuent, l'expérience permet de dire, par cela même, l'intensité de la vie et de la force collectives. M n'est pas douteux qu'un homme ne puisse retirer de l'immoralité même, de l'insoumission aux préjugés décalo~ués~un grand bien~it personnel, un grand avantage pour son développement Intégral, mais une collectivité d'individus trop forts, trop indépendants les uns des autres, ne constitue qu'un peuple médiocre. On voit alors l'instmct social entrer en antagonisme avec l'instinct individuel et des sociétés professer comme soctété une morale que chacun de ses membres intelligents, suivis par une très grande partie du troupeau, jn~e vaine, surannée ou tyrannique. On trouverait une assez curieuse illustration de ces principes en examinant l'état présent de la morale sexuelle. Cettemorale, particulière aux peuples chrétiens, est fondée sur l'association très étroite de deux idées, l'idée de plaisir charnel et l'idée de génération. Quiconque, homme ou peuple, n'a pas dissocié ces deuxidées n'a pas rendu ia Hherté dans son esprit aux éléments de cette vérité; qu'en dehors de l'acte proprement générateur accompli sous la protection des lois religieuses ou civiles (les secondes ne sont que la parodie des premières, dans nos civilisations esscntieHement chrétiennes),les relations sexuelles sont des péchés, :les erreurs, des fautes, des défaiHanccs quiconc uc adopte en sa conscience cette rég!e, sanctionnéepar les codes, appartient évidemment à une civilisation encore rudimentaire.La plus haute civilisation étant celle où l'individu est le plus libre, le plus dégagé d'obligations, cette proposition ne serait contestable que si on la prenait pour uneprovocationau libertinage ou pour une dépréciation de I'ascé:isme. Morale ou Immorale, cela n'a ici aucune importance, cite devra, si elle est exacte, se lire au premier coup d'œil dans les faits. Rien de plus facile. Un ta" bleau statistique de la natalité européenne mon fiera aux raisonneurs les plus entêtes qu'il y a un lieu très strict, un lien de cause à effet, entre Untellectualitédes peuples et leur fécondité. Ii en est de même pour les individus et pour les groupes sociaux. C'est parfaiblesse intellectuelle que les ménages ouvriers se laissent déborder par la progéniture. Ou voit dans les faubourgs des malheureuxqui, ayantprocréé douzccnfants, s'étonnent de l'inclémence delà vie; ces pauvres gens, qui n'ont mêmepasl'excuse des croyances religieuses, n'ont pas encore su dissocier l'idée <!c plaisir charnel et l'idée de génération. Chez eux la première détermine l'autre, et les gestes obéissent à une cérébralité enfantine et presque animale. L'homme arrivé au degré vraiment humain limite à son gré sa fécondité c'est un de ses privilèges, mais un de ceux qu'il n'atteint que pour en mourir Heureuse, en enet, pour l'Individu qu'elle délivre, cette dissociation particulièrel'est beaucoup moins pour les peuples. Cependant, elle favorisera le développement ultérieur de la civilisation en maintenant sur la terre les vides nécessaires à l'évolution des hommes. Ce n'est qu'assez tard que les ('rccs arrivèrent à disjoindre l'idée de femme et l'idée de génération; mais ils avaient dissocié très anciennement l'idée de génération et l'Idée de plaisir charnel. Quand Us cessèrent de considérer !a femme comme uniquement génératrice~ ce fut le commencement du rè~ne des courtisanes. Les Grecs semluent, d'ailleurs, avoir toujours eu une morale sexuelle fort va~ue, ce qui ne les a pas empêchés de faire une certaine figure dans l'histoire. Le Christianisme ne pouvait sans se nier luimême encouragerla dissociation de l'idée déplaisir charnel d'avec l'idée de génération, mais il provoqua au contraire avec succès, et ce fut une des grandes conquêtes de l'humanité, la dissociation de l'idée d'amour et de ridée de plaisir charnet. Les Egyptiens étaient si loin de pouvoir comprendre ni e telle disssociation que l'amour du frère et de la sœur leur eut semblé nu! s'il n'eutabouti a uneconjonction sexuelle. Dans les basses classes des grandes viHcs, on est volontiers Egyptien sur ce point. Les di~erentcs sortes d'inceste qui parviennent parfois à notre connaissance témoignent qu'un état d'esprit analogue n'est pas absolument Incompatible avec une certaine culture intellectuelle. La forme particulièrementchrétienne de l'amour chaste, dégagé de toute idée de plaisir physique, est l'amour divin, tel qu'on le voit s'épanouir dans l'exaltation mystique des contemplateurs; c'est vraiment l'amour pur, puisqu'il ne correspond il rien de dénnissable, c'est l'intelligence s'adorant soi-même dans l'idée Infinie qu'elle se fait d'elle-même. Ce qui peut s'y mêler de sensualisme tient à la disposition même du corps humain et à la loi de dépendance des organes on ne doit donc pas en tenir compte dans une étude qui n'est pas physiologique. Ce que l'on a appelé maladroitementl'amour platonique est, aussi une création chrétienne. C'est, en somme, une amitié passionnée, aussi vive et aussi jalouse que l'amour physique, mais dégagée de l'idée de plaisir charnel, comme cette dernière idée s'était dégagée de l'idée de génération. Cet état idéal desanectionshumaines est la première étape de l'ascétisme, et l'on pourraitdénnirl'ascétisme l'état d'esprit ou toutes les idées sont dissociées. Avec la décroissance del'iniluence chrétienne, la première étape de l'ascétisme est devenue un gîte de moins en moins fréquenté et l'ascétisme, devenu égalementrare, est souvent atteint par une autre voie. De notre temps, l'idée d'amonr s'est rejointe très étroitement à l'idée de plaisir physique et les moralistes s'emploient a réformer son association primitive avec l'idée de génération. C'est une régression assez curieuse. On pourrait essayer une psychologie historique de l'humanité en recherchant à quel degré de dissociation se trouvèrent, dans la suite des siècles, un certain nombrede ces vérités que les gens bien pensants s'accordent à qualifier de primordiales. Cette méthode devrait même être la base, et cette recherche le but même de l'histoire. Puisque tout dans l'homme se ramène à l'intelligence, tout dans l'histoire doitse ramener à la psychologie. Ce serait l'excuse des faits, de comporter une explication qui ne fût pas diplomatique ou stratégique. Quelle est l'association d'Idées, ou la vérité non encore dissociée qui favorisa l'accomplissement de la mission que Jeanne d'Arc crut tenir du ciel? Il faut, pour répondre, trouver des idées qui aient pu se joindre également dans les cerveaux français et dans les cerveaux anglais, ou une vérité alors incontestablement admise par toute la chrétienté. Jeanne d'Arc était considérée à la fois par ses amis et par ses ennemis comme en possession d'un pouvoir surnaturel. Pour les Anglais, c'est une sorcière très puissante l'opinion est unanime et les témoignages abondent. Mais pour ses partisans? Sans doute une sorcière aussi, ou plutôt une magicienne. La magie n'était pas nécessairement diabolique. Des êtres surnaturelsflottaient dans les imaginations qui n'étaient ni des anges, ni des démons, mais des Puissances que pouvaitse soumettre l'intelligence de l'homme.Lcmagicien était le bon sorcier sans cela aurait-on taxe de magie un homme de la science et de la sainteté d'Albert le Grand? Le soldat qui la suivait et le soldat qui combattait Jeanne d'Arc, sorcière ou magicienne, se taisaientd'ellc, très probablement, une idée identique dans son obscurité redoutable. Mais si les Anglais criaient le nom de sorcière, les Français taisaient le nom de magicienne~ peut-être pour la mêmecause qui protégea si longtemps, à travers de si merveilleuses aventures, l'usurpateur Ta-Kiang, comme cela est raconte dans l'admirante D/o~ /J/ de Judith Gautier. Quelle idée, à telle époque, chaque classe de la société sefaisait-elle du soldat? N'y aurait-il pas dans la réponse à cette question tout un cours d'histoire? En approchant de notre époque on se demanderaitàquel moment se rejoignirent, dans Iccommundes esprits, l'Idée d'honneur eti'idée de militaire ? Est-ce une survivance de la conception aristocratique de l'armée? L'association s'est-elle formée à la suite des événements d'il y a trente ans, lorsque le peuple prit le parti d'exalter le soldat pour s'encourager soi-même? H faut comprendre cette idée d'honneur; elle en contient plusieurs autres, les idées de bravoure, de désintéressement, de discipline, de sacrifice, d'héroïsme, de probité, de loyauté,de franchise, de bonne humeur, de rondeur, de simplicité, etc. On trouverait finalement en ce mot le résumé des qualités dont la race française se croit l'expression. Déterminerson origine serait donc déterminer, par cela même, l'époque où te Français commença a se croire un abrégé de toutes tes vertus fortes. Le militaire est demeuré en 1' rance, malgré de récentes objections, le type même de l'homme d'honneur. Les deux idées sont unies très ér craquement; elles forment une vérité qui n'c't ~uère contestée à l'heure actuelle que par d:;s esprits d'une autorité médiocre ou d'une sincérité douteuse. Sa dissociation est donc liès peu avancée, si l'on a é~ard a la totalité de la nation. Cependant elle fut, au moins pendant une minute, pendant la minute psychologique, entièrementopérée en quelques cerveaux. Il y eut là, au seul point de vue intellectuel, un effort considérable d'abstraction qu'on ne peut s'empêcher d'admirer quand on regarde froidement fonctionner la machine cérébrale. Sans doute le résultat atteintne fut pas le produit d'un raisonnement normal; c'est dans un accès de fièvre que la dissociation s'accomplit elle fut inconsciente, et elle fut momentanée, mais elle fut, et c'est important pour l'observateur. L'idée d'honneur avec tous ses sousentendus se sépara dcl'idée de militaire, qui est là l'idée de fait, l'dée femelle prête à recevoir tous les qualincati/s, et l'on s'aperçut que, s'il y

~ait entre elles un certain rapport Ionique, ce

rapport n'était pas nécessaire. C'est la le point décisif. Une vérité est morte lorsqu'on a constaté que les rapports qui lient ses éléments sont des rapports d'habitude et non de nécessité et comme la mort d'une vérité est un ~rand bienhut pour les hommes, cette dissociation eût été très importante si elle avait été dénnitive, si elle fût restée stable. Malheureusement, après cet effort vers l'idée pure, les vicdlcshabitudes mentales retrouvèrent leur empire. L'ancien élément qualincatiffut aussitôt remplacé par un élément à peine nouveau, moins logique que l'ancien et encore moins nécessaire. Il apparut «ne l'opération avait avorté. L'association d'idées se refaisait, identique à la précédente,quoique l'un des éléments eût été retourné comme un vieux gant à honneur on avait substitué déshonneur, avec toutes les idées adventices de l'ancien élément devenues alors lâcheté, fourbe- rie, indiscipline, fausseté, duplicité, méchanceté, etc. Cette nouvelle association d'idées peut avoir une valeur destructive; elle n'offre aucun intérêt intellectuel. II ressort de l'anecdote que les idées qui nous semblentles plus claires, les plus évidentes, les plus palpables pour ainsi dire, n'ont cependant pas assez de force pour s'imposer toutes nues aux esprits communs. Pour s'assimiler l'idée d'armée, un cerveau d'aujourd'huidoit l'entourer d'éléments qui n'ont qu'une corrélation de rencontre ou d'opinionavec l'idée principale. On ne peut pas demander sans doute à un humble politicien de se faire de l'armée l'idée simple que s'en faisait Napoléon une épée. Les idées très simples ne sont à la portée que des esprits très compliqués. Il semble cependant qu'il ne serait pas absurdede ne considérerl'arméeque comme la force extérioriséed'une nation et alors de ne demander à cette force que les qualités mêmes qu'on demande à la force. Peut-être est-ceencore trop simple? Quel bon moment quelle moment d'aujour- d'hui pour étudier le mécanisme de l'association et de la dissociation des idées! On parle souvent des idées; on a écrit sur l'évolution des idées Aucun mot n'est < plus mal défini ni plus vague. Il y a des écrivains naïfs qui dissertentsur l'Idée, tout court; il y a des sociétés coopératives qui se mettent tout d'un coup en marche vers l'Idée; il y a des gens qui se dévouent à l'Idée, qui pâtissent pour l'Idée, qui rêvent de l'Idée, qui vivent les yeux nxés sur l'Idée. De quoi est-il question dans ces sortes de divagations, c'est ce que je n'ai jamais pu savoir. Ainsi employé seul, le mot est peut-être une déformation du mot Idéal; peut-être aussi le qualificatif est-il sous-entendu? Est-ce un débris erratique de la philosophie de Hegel que la marchelente du grand glacier social a déposé au passage en quelques têtes où il roule et sonne comme un caillou? On ne sait pas. Employé sous une forme relative, le mot n'est pas beaucoup plus clair dans les ordinaires phraséologies on oublie trop le sens primitif du mot et que l'idée n'est qu'une image parvenue à l'état abstrait, à l'état de notion mais aussi qu'une notion, pour avoir droit au nom d'idée, doit être pure de toute compromissionavec le contingent. Une notion à l'état d'idée est devenue incontestable c'est un chiffre, c'est un signe c'est une des lettres de l'alphabet de la pensée. Il n'y a pas des idées vraies et des idées fausses. L'idée est nécessairementvraie une idée discutable est une idée amalgamée à des notions concrètes, c'est-à-dire une vérité. Le travail de la dissociation tend précisément à dégager la vérité de toute sa partie fragile pour obtenir l'idée pure, une, et par conséquentinattaquable. Mais si l'on n'usait jamais des mots que selon leur sens unique et absolu, les liaisons seraient difficiles dans le discours; il faut leur laisser un peu de ce vague et de cette flexibilité dont l'usage les a doués et, en particulier, ne pas trop insister sur l'abîme qui sépare l'abstrait du concret. Il y a un état intermédiaire entre la glace et l'eau fluide, c'est quand l'eau commence à se façonner en aiguilles, quand elle craque et cède encore sous la main qui s'y plonge peut-être ne faut-il pas demander m~me aux mots du manuel philosophique d'abdiquer toute prétention à l'ambiguïté? Cette idée d'armée qui excita de graves polémiques, qui ne fut un instant dégagée que pour s'obscurcir à nouveau, est de celles qui touchent au concret et dont on ne peut parler sans de minutieusesréférences à la réalité; l'idée de justice, au contraire, peut se considérer en soi, abstracto. Dans l'enquète que fit M. Ribot sur les idées générales, presque tous les patients, prononcé devant eux le mot Justice, virent en leur esprit la légendaire dame et ses balances. Il y a dans cette figuration traditionnelle d'une idée abstraite une notion de l'origine même de cette idée. L'idée de justice n'est pas autre chose, en enct, que l'idée d'équilibre. La justice est le point mort de la série des actes, le point idéal où les forces contraires se neutralisent pour produire l'inertie. La vie qui aurait passé par ce point mort de la justice absolue ne pourrait plus vivre, puisque l'idée de vie, identique à l'idée de lutte de forces, est nécessairement l'idée de justice. Le règne de la justice ne pourrait être que le régne du silence et de la pétrification les bouches se taisent, organes vains des cerveaux stupéfiés, et les gestes inachevés des membres n'écrivent plus rien, dans l'air froid. Les théologies situèrent la justice au delà du monde, dans l'éternité. C'est là seulement qu'elle peut être conçue et qu'elle peut, sans danger pour la vie, exercer une fois pour toutes sa tyrannie qui ne connaît qu'une seule sorte d'arrêts, l'arrêt de mort. L'idée de justice rentre donc bien dans la série des idées incontestables et indémontrables; on n'en peut rien faire à l'état pur; il faut l'associer à quelque élément de fait ou s'abstenir d'un mot qui ne correspond qu'à une inconcevable entité. A vrai dire, l'idée de justice est peut-être dissociée ici pour la pre- mière fois. Sous ce nom les hommes allègenttantôt l'idée de châtiment,qui leur esttrès familière, tantôt l'idée de non-châtiment, idée neutre, ombre de la première. Il s'agit de châtier le coupable et de ne pas inquiéter l'innocent, ce qui impliquerait immédiatement,pour être perceptible, une définition de la culpabilité et une définition de l'innocence. Cela est difficile, ces mots du lexique moral n'ayant plus qu'une signification fuyante et toute relative. Et pourquoi pourraiton demander, faut-il qu'un coupable soit châtié? Il semble, au contraire, que l'innocent, que l'on supposeun homme sain et normal,soit bien plus capable de suppo -ter le châtiment que le coupable, qui est un malade et un débile. Pourquoi ne punirait-on pas, au lieu du voleur, qui a des excuses, l'imbécile qui s'est laissé voler? C'est ce que ferait la justice si, au lieu d'être une conception théologique, elle était encore, comme elle fut à Sparte, une imitation de la nature. Rien n'existe qu'en vertu du déséquilibre, de l'injustice toute existence est un vol prélevé sur d'autres existences; aucune vie ne fleurit que sur un cimetière. Si elle se voulait l'auxiliaire et non plus la négatrice des lois naturelles, l'humanité prendrait soin de protéger les ~orts contre la coalition des faibles et de donner comme escabeau le peuple aux aristocrates. Il semble au contraire que ce qu'on entende désormais par la justice ce soit, en même temps que le châtiment des coupables, l'extermination des puissants, et en même temps que le non-châtiment des innocents, l'exaltation des humbles. L'origine de cette idée complexe, bâtarde et hypocrite, doit donc être recherchée dansl'évangile, dans le « malheur aux riches )) des démagogues juifs. Ainsi comprise, l'idée de justice apparaît contaminée à la fois par la haine et par l'envie elle ne contient plus rien de son sens originaire et l'on ne peut en faire l'analyse sans risquer d'être dupe du sens vulgaire des mots. Cependant on démêlerait, en y prenant garde, que la première cause de la dépréciation de ce terme utile est venue d'une confusion entre l'idée de droit et l'idée de châtiment; le jour où le mot justice a voulu dire tantôt justice criminelle et tantôt justice civile, le peuple a confondu ces deux notions pratiques et les instituteurs du peuple, incapables d'un eubrt sérieux de dissociation, ont aggravé une méprise qui d'ailleurs servait leurs intérêts. L'idée réelle de justice apparaît donc finalement comme entièrement inexistante dans le mot même qui iigurc au vocabulaire de l'humanité; ce mot se résout à l'ana- lyse en des éléments encore très complexes où l'on distingue l'idée de droit et l'idée de châtiment. Mais il y a tant d'illogisme dans cet accouplementsingulierqu'on douterait de l'exactitude de l'opération, si les faits sociaux n'en fournissaient la preuve. Ici on pourrait examiner cette question y at-il vraiment pour le peuple, pour l'homme moyen, des mots abstraits ? C'est peu probable. Il semble même que, selon le degré de culture intellectuelle, le même mot n'atteigne que des états échelonnés d'abstraction. L'idée pure est plus ou moins contaminée par le souci des intérêts personnels, on de caste ou de groupe, et le mot justice revêt ainsi, par exemple, toutessortes de significations particulières et limitées sous lesquelles disparaît, écrasé, son sens suprême. Dès qu'une Idée est dissociée, si on la met ainsi toute nue en circulation, elle s'abrège en son voyage par le monde toutes sortes de végétations parasites. Parfois, l'organisme premier disparaît, entièrement dévoré par les colonies égoïstes qui s'y développent. Un exemple fort amusant de ces déviations d'idées fut donné récemment par la corporation des peintres en bâtiment à la cérémonie dite du « triomphe de la république ». Ces ouvriers promenèrent une bannière où leurs revendications de justice sociale se résumaienten ce cri « A bas le ripo- ]in )) H faut savoir que le ripolin est une peinture toute préparée que le premier venu peut étaler sur une boiserie; on comprendra alors toute la sincérité de ce vœu et son ingénuité. Le ripolin représente ici l'injustice et l'oppression c'est l'ennemi, c'est le diable. Nous avons tous notre ripolin et nous en colorions à notre usage les idées abstraitesqui, sans cela, ne nous seraient d'aucune utilité personnelle. C'est sous un de ces bariolages que l'idée de liberté nous est présentée par les politiciens. Nous ne percevons plus guère, en entendant ce mot, quel'idée de liberté politique, etil sembleque toutes les libertés dont puissejouir un homme civilisé soient contenues dans cette expression ambiguë. Il en est d'ailleurs de l'idée pure de liberté comme de l'Idée pure de justice; elle ne peut nous servir à rien dans rordinaire de la vie. L'homme n'est pas libre, ni ia nature, pas plus que ne sont justes ni l'homme ni la nature. Le raisonnement n'a aucune prise sur de telles idées les exprimer, c'est les affirmer, mais elles fausseraient nécessairementtoutes les thèses où on voudrait les l'aire entrer. Réduite à sou sens social, l'idée de liberté est encore mal dissociée il n'y a pas d'idée générale de liberté, et il est difficile qu'il s'en forme une, puisque la liberté d'un individu ne s'exerce qu'aux dépens de la liberté d'autrui. Jadis, la liberté s'appelait le privDège à tout prendre, c'est peut-être son véritable nom encore aujourd'hui, une de nos libertés relatives, la liberté de la presse, est un ensemble de privilèges; privilèges aussi la liberté de la parole concédée aux avocats; privilèges, la liberté syndicale, et demain, la liberté d'association telle qu'en nous la propose. L'idée de liberté n'est peut-être qu'une déformation emphatique de l'idée de privilège. Les Latins, qui firent un grand usage du mot liberté, l'entendaient tel (lue le privilège du citoyen romain. On voit qu'il y a souvent un écart énorme entre le sens vulgaire d'un mot et la signification réelle qu'il a au fond des obscures consciences verbales, soit parce que plusieurs idées associées sont exprimées par un seul mot~ soit parce que l'idée primitive a disparu sous l'envahissement d'une idée secondaire. On peut donc écrire, surtout s'il s'agit de généralités, des suites de phrases ayant à la fois un sens ouvert et un sens secret. Les mots, qui sontdes signes, sont presque toujours aussi des chiffres; le langage conventionnel inconscient est fort usité, et il y a même des matières où c'est le seul en usage. Mais chiffre implique déchiffrement. Il est malaisé de comprendre l'écriture la plus sincère et l'auteur même de récriture y échoue souvent, parce que le sens des mots varie non seulement d'un homme à un autre homme, mais, des moments d'un homme aux autres moments du même homme. Le langage est ainsi une grandccausc de duperie. Il évolue dansl'abstrac tion, et la vie évolue dans la réalité la plus concrète entre la parole et les choses que la parole désigneil y a la distanced'unpaysage à la description d'un paysage. Et il faut songer encore que les paysages que nous dépeignons ne nous sont connus, la plupart du temps, que par des discours, reflets d'antérieurs discours. Cependant nous nous comprenons.C'est un miracle que je n'ai point l'intention d'analyser maintenant. Il sera plus à propos, pour achever cette esquisse, qui n'est qu'une méthode, d'essayer l'examen des idéestoutes modernes d'art et de beauté. J'ignore leurs origines, mais elles sont postérieures aux langues classiques qui n'ont pas de mots fixes et précis pour les dire, bien que les anciens fussent à môme, mieux que nous, de jouir de la réalité qu'elles contiennent. Elles sont enchevêtrées; l'idée d'art est sous la dépen- dance de l'idée de beauté; mais cette dernière idée elle-même n'est autre chose que l'idée d'harmonie et Fide' d'harmonie se réduit à l'idée de Ionique. Le heau, c'est ce qui est à sa place. De là les sentiments de plaisir que nous donne la beauté. Ou plutôt, la beauté est une logique qui est perçue comme plaisir. Si l'on admet cela, on comprendra aussitôt pourquoi l'idée de beauté, dans les sociétés féministes, s'est presque toujours restreinte à l'idée de beauté féminine. La beauté, c'est une femme, Il y alà un intéressant sujet d'analyse, mais la question est assez compliquée. Il faudrait démontrer d'abord que la femme n'est pas plus belle que l'homme; que, située dans la nature sur le même plan, construite sur le même modèle, faite de la même chair, elle apparaîtrait, à une intelligence sensible extérieure à l'humanité, exactement la femelle de l'homme, exactement ce que, pour les hommes, une pouliche est à un poulain. Et même, en y regardant de plus près, le Martien qui voudrait s'instruire sur l'esthétique des formes terrestres observerait que, s'il existe une din'érence de beauté entre un homme et une femme de même race, de même caste et de m~ me âge, cette din'érence est presque toujours en faveur de l'homme; et que si d'ailleurs ni t'homme ni la femme ne sont entièrementbeaux, les défauts de la race humaine sont plus accentués chez la femme, où la double saillie du ventre et des fesses, attrait sexuel sans doute, gauchit disgracieusementla double ligne du profil; la courbe des seins est presque infléchie sous l'innucnce du dos qui a une tendance à se voûter. Les nudités de Cranach avouent naïvement ces éternellesimperfections de la femme. Un autre défaut auquel les artistes remédient instinctivement quand ils ont du goût, c'est la brièveté des jambes, si accentuée dans les photographies de femmes nues. Cette froide anatomie des beautés féminines a souvent été faite; il est donc inutile d'insister, d'autant plus que la vérification en est malheureusement trop facile. Mais si la beauté de la femme résiste si mal à la critique, comment se fait-il qu'elle demeure, malgré tout, incontestable, qu'elle soit devenue pour nous la base même et le ferment de l'idée de beauté? C'est une illusion sexuelle. L'idée de beauté n'est pas une idée pure elle est intimement unie a l'idée de plaisir charnel. Stendhal a obscurément perçu ce raisonnement quand il a définila beauté « une promesse de bonheur » La beauté est une femme, et pour les femmes elles-mêmes, qui ont poussé la docilité envers l'homme jusqu'à adopter cet aphorisme, qu'elles ne peuvent comprendre que dans l'extrême perversion sensuelle. On sait cependant que les femmes ont un type particulier de beauté; les hommes l'ont naturellementHétri du nom de « bellâtre ». Si les femmes étaient sincères, elles auraient également depuis longtemps infligé un nom péjoratif au type de beauté féminine par lequel l'homme se laisse le plus volontiersséduire. Cette ident mention de la femme et de la beauté va si loin aujourd'hui qu'on en est arrivé innocemment à nous proposer « l'apothéose de la femme )) cela eut dire la glorification de la beauté avec toutesles promesses stendhaliennes contenues dans ce mot devenu érotique. La beauté est une fe:nme et la femme est la beauté; les caricaturistes accentuent le sentiment général en accouplant toujours à une femme, qu'ils tachent de faire belle, un homme dont ils poussent la laideur jusqu'à la vulgarité la plus basse alors que les jolies femmes sont si rares dans la vie, alors qu'au delà de trente ans la femme est presque toujours inférieure en beauté plastique, âge pour âge, à son mari ou à son amant. Il est vrai que cette infériorité n'est pas plus facile à démontrer qu'a sentir, et que le raisonnement demeure inefficace, la page achevée, pour celui qui a lu comme celui qui a écrit et cela est fort heureux. L'idée de beauté n'a jamais été dissociée que par les esthéticiens; le commun des hommes s'en donne la définition de Stendhal. Autant dire que cette idée n'existe pas et qu'elle a été absolument dévorée par l'idée de bonheur, et du bonheur sexuel, du bonheur donné par une femme. C'est pour cela que le culte de la beauté est suspect aux moralistes qui ont analysé la valeur de certains mots abstraits. Ils traduisent cela par culte de la luxure, et ils auraient raison si ce dernier terme ne contenait une injure assez sotte pour une des tendances les plus naturelles à l'homme. Il est arrivé nécessairement qu'en s'opposant aux excessives apothéoses de la femme ils ont touché aux droits de l'art. L'art é'ant l'expressionde la beauté et la beauté ne pouvant être comprise que sous les espècesmatériellesde la véritable idée qu'elle contient, l'art est devenu presque uniquement féministe. La beauté, c'est la femme; et aussi l'art c'estla femme. Mais ceci est moins absolu. La notion de l'art est même assez nette, pour les artistes et pour Félite', l'idée d'art est fort bien dégagée. Il y a un art pur qui se soucie uniquement de se réaliser soi- même. Aucune définition n'en doit même être donnée; cela ne pourrait se faire qu'en unissant l'idée d'art a des idées qui lui sont étrangèf'cs et qu! tendraient à t'obscurcir et à la salir. Antérieurement à cette dissociation, qui est récente et dont on connaM l'origine, l'idée d'art était liée a diverses idées qui lui sont normalement étrangères, l'idée de moralité, l'idée d'utilité, l'idée d'enseignement. L'art était l'image édifiante qu'on Intercale dans les catéchismes de religion ou de philosophie ce fut la conception des deux derniers siècles. Nous nous étions anranchis de ce collier; on voudrait nous le remettre au cou. L'idée d'art s'est de nouveau souillée à à l'idée d'utilité; l'art est appelé social par les prêcheurs modernes. Il est aussi appelé démocratique, épithè.es bien choisies, si ce fut en vertu de leur signification négatrice de la fonction principale. Admettre l'art parce qu'il peut moraliser les individus ou les masses, c'est admettre les roses parce qu'on en tire un remède utile aux yeux c'est confondre deux séries de notions que l'exercice régulier de l'intelligence place sur des plans din'érents. Les arts plastiques ont un langage; mais il n'est pas traduisible en mots et en phrases. L'œuvre d'art tient des discours qui s'adressent au sens esthétique et à lui seul; ce qu'elle peut dire par surcroît de perceptible pour nos autres facultés ne vaut pas la peine d'être écouté. Cependant,c'est cette partie caduque qui intéresse lesprôneurs de l'art social. Ils sont le nombre et comme nous sommes régis par la loi du nombre, leur triomphe semble assure. L'idée d'art n'aura peut-être été dissociée que pendant un petit nombre d'années et pour un petit nombre d'intelligences. Il y a donc un très grand nombre d'idées que les hommes n'emploientjamais à l'état pur, soit qu'elles n'aient pas encore été dissociées, soit que cette dissociation n'ait pu se maintenir en état de stabilité; il y a aussi un très grand nombre d'idées qui existent à l'état dissocié, ou que l'on peut provisoirement considérer comme telles, mais qui ont une affinité particulière pour d'autres idées avec lesquelles on les rencontre le plus souvent; il y en a d'autres encore qui semblent réfractaires à certaines associations, alors que les faits auxquels elles correspondent dans la réalité sont extrêmement fréquents. Voici quelques exemples de ces affinités et de ces répulsions pris dans le domaine si intéressant des lieux communs ou des vérités. Les étendards furent d'abord des signes religieux, comme l'ormamme de Saint-Denis, et leur utilité symbolique est demeurée au moins aussi grande que leur utilité réelle. Mais comment, hors de la guerre, sont-ils devenus des symboles de l'idée de patrie ? C'est plusfacile à expliquerpar lesfaits que parla logique abstraite Aujourd'hui, dans presque tous les pays civilisés, l'idée de patrie et l'idée de drapeau sont invinciblementassociées les deux motsse disent mêmel'un pour l'autre.Mais ceci touche à la symbolique autant qu'à l'association des idées. En insistant on arriverait au langage des couleurs, contre-partie du langage des fleurs, mais plus instable encore et plus arbitraire. S'il est amusant que le bleu du c rapeau français soit la dévote couleur de la sa ntc Vierge et des enfants de Marie, il ne l'est pas moins que la pieuse pourpre de la robe de Saint-Denis soit devenue un symbole révolutionnaire.Semblables aux atomes d'Épicure, les idées s'accrochent comme elles peuvent, au hasard des rencontres, des chocs et des accidents. Certaines associations, quoique très récentes, ont pris r~pidementuneautorité singulière; ainsi celles d'instruction et d'intelligence,d'instruction et de moralité. Or, c'esttoutau plus si l'instructio n peut témoigner pour une des formes particulières de la mémoire ou pour une connaissance littérale les lieux communs du Décalogue. L'absurdité de ces rapports forcés apparat très clairement en ce qui concerne les femmes il semble bien qu'il y ait une sorte d'instruction, celle qu'on leur donne à cette heure, qui, loin d'activer leurintelligence, l'engourdit. Depuis qu'on les instruit sérieusement, elles n'ont plusaucune influence ni dans la politique ni dans les lettres: (lue l'on compare à ce propos nos trente dernières années avec les trente dernières années de l'ancien régime. Ces deux associationsd'idées n'en sont pas moins devenues de véritableslieux communs, de ces vérités qu'il est aussi inutile d'exposer que de combattre. Elles se rejoignent a toutes celles qui peuplentleslivres et les lobes dégénérés des hommes aux vieilles et vénérables vérités telles que vertu-récompense,vicechânment, Dieu-bonté, crime-remords, devoirbonheur,autorlté-respect,malheur-punition,avcnir-progrès, et des milliers d'autres dont quelques-unes, quoique absurdes, sont utiles à l'humanité. On ferait également un long catalogue des idées que les hommesse refusent à associer, alors qu'ils se complaisent aux plus déconcertants stupres. Nous avons donné plus haut l'explication de cette attitude rétive; c'est que leur occu- pation principale est la recherche du bonheur, et qu'ils ont bien plus souci de raisonner selon leur intérêt que selon la logique. De là l'universelle répulsion à joindre l'idée de néant à l'idée de mort. Quoique la première idée soit évidemment contenue dans la seconde, l'humanité s'obstine à les considérer séparément; elle s'oppose de toutesses forces à leur union, elle enfonce entre elles infatigablement un coin chimérique où retentissent les coups de marteau de l'espérance. C'est le plus bel exemple d'illogismeque nous puissions nous donner à nous-mêmes et la meilleure preuve que, dans les choses graves comme dans les moindres, c'est le sentiment qui vient toujours à bout de la raison. Est-ce une grande acquisition que de savoir cela ? Peut-être. IV STÉPHANE MALLARMÉ ET L'IDÉE DE DÉCADENCE

STÉPHANE MALLARMÉ ET L'IDÉE DE DÉCADENCE Décadence. C'est un mot bien commode à l'usée des pédagoe~ues ignorants, met vague derrière lequel s'abritent notre paresse et notre incuriosité de la loi. BAtJDKLAtRF., Lettre MVM~'synyït'n. t Brusquement, vers ï885, l'idée de décadence entra dans la littérature française; après avoir servi à glorifier ou à railler tout un groupe de poètes, elle s'était comme réfugiée sur une seule tête. Stéphane Mallarmé fut le prince de ce royaume ironique et presque Injurieux, si le mot lui-même avait été compris et dit selon sa vraie signification. Mais, par une singularité qui est un trait de mœurs latines, le peuple académique qualifiait ainsi, d'après l'horreur normale, quoique malsaine, qu'il ressent devant les tentatives nouvelles, la fièvre d'originalité qui tour- menta une génération. Rendu responsable des actes de rébellion qu'il encourageait, M. Mallarmé apparut, aux âniers innocents qui accompagnent mais ne guident pas la caravane,tel qu'un redoutable Aladin, assassin des bons principes del'inMtation universelle. Ce sont des habitudes, en somme, bien littéraires. Il y aura tantôt trois siècles qu'elles florissent et les plus célèbres révoltesles ont ébranchées à peine et ne les ont jamais déracinées dès après les insolences romantiques, il fallut étouH'er et ramper sous la vieille verdure dont on fait les férules. Ce sont des habitudes aussi bien latines. Les Romains ignorèrent toujours, tant qu'ils ne furent que Romains, l'individualisme. Leur civilisation donne le spectacle et l'idée d'une belle animalité sociale. Il y avait chez eux émulationvers la parité comme il y a chez nous émulationvers la dissemblance. Dès qu'ils possédèrent cinq ou six poètes, rejetons heureux de la greffe hellénique, ils n'en souffrirent plus d'autres et peutêtre que, vraiment, l'instinct social ou de race dominant chez eux l'instinct de liberté ou individuel, peut-être qu'aucun poète ingénu ne leur naquit pendant quatre ou cinq siècles. Ils avaient l'empereur et ils avaient Virgile ils obéirent à l'un et à l'autre jusqu'à ce que la révolte chrétienne et l'invasion barbare se dussent donné la main par-dessus le Capitole.La liberté littéraire, comme tontes les autres, naquit de l'union de la conscienceet de la force. Le jour où S. Ambroise, écrivantdes chansonspieuses, méconnutles principes d'Horace, devrait être mémorable, car il signale clairementla naissance d'une mentalité nouvelle. Comme l'histoirepolitique des Romains nous a fourni l'idée de décadencehistorique,l'histoire de leur littérature nous a fourni celle de décadence littéraire; double face d'une même conception, car il a été facile de montrer du doigt la coïncidence des deux mouvements, et facile de faire croire que leur marche fut liée et nécessaire. Montesquieu s'est rendu célèbre pour avoir été plus particulièrement dupe de cette illusion. Les sauvages admettent très malaisémentla mort naturelle. Pour eux, toute mort est un meurtre. Ils n'ont à aucun degré le sens de la loi; ils vivent dans l'accident. C'est un état d'esprit que l'on est convenu d'appelerinférieur et c'est juste, quoique la notion d'une loi rigide soit aussifausse et aussi dangereuseque sa négation même. Il n'y a d'absolument nécessaires que les lois naturelles; elles ne pourraient diiYé- rcr, et elles ne peuvent changer. S'il s'agit de l'évolutionsocialeet politiquedes peuples, non seulement il n'y a plus de lois nécessaires, mais il n'y a mêmeplus de lois même très générales; ou bien ces lois, se confondant avec les faits qu'elles expliquent, en viennent à ne plus ~tre que de sages et honorables constatations; ou bien encore elles constatent, quoique avec emphase,le principe même du mouvement. Donc les empires naissent, croissent et meurent;les combinaisonssocialessont instables; à différentes époques les groupes humains ont des forces différentes de cohésion; des affinités nouvelles apparaissent et se propagent voilà de quoi écrire un traité de mécanique sociale, si l'on ne tient pas rigoureusement à conformer sa philosophieà la réalité des catastrophesinattendues. Car il faut bien laisser à l'inattendu une place qui est quelquefois le trône tout entier d'où l'ironie fulgure et rit. L'idée de décadence n'est donc que l'idée de mort naturelle. Les historiens n'en admettent pas d'autres pour expliquer que Byzance fut priseparles Turcs, on nous force d'écouter bruire les querelles théologiques et claquer dans le cirque le fouet des Bleus. On va de Longchamps à Sedan,sans doute, mais on va aussi d'Epsom à Waterloo. La longue décadence des empires détruits est une des plus singulières illusions de l'histoire si des empires moururent de maladie ou de vieillesse, la plupart, au contraire, périrent de mort violente, en pleine force physique, en pleine vigueur intellectuelle. D'ailleursl'intelligence est personnelle et on ne peut établir aucun rapport raisonnable entre la puissance d'un peuple et le génie d'un homme: ni la littérature grecque, ni les littératures du moyenâge ne correspondent a des forces politiques stables et puissantes, grecques, italiennes ou françaises et c'est justement à l'heure où leur puissance matérielle est devenue nulle (lue lesroyaumesScandinaves se sont ornésde talents originaux. Peut-être même sera't-on plus près de la vérité en déclarant que la décadence politique est l'état le plus favorable aux éclosions intellectuelles: c'est quand les Gustave-Adolphe et les Charles XII ne sontplus possibles que naissent les Ibsen et les Bjœrnson; ainsi encore la chute de Napoléon fut comme un signal pour la nature qui se mit à reverdir avec joie et à pousser les jets les plus magnifiques; Gœthe est le contemporain de la ruine de son pays. A ces exemples, afin d'exercer et de satisfaire nos tendances au scepticisme historique, il ne faut pas manquer d'opposer la preuve de ces pério- des doublement glorieuses dont le fastueux siècle de Louis XtV est le modèle vénëré après quoi, quelques instants de réflexion nous imposeront une opinion assez différente de celle qui demeure et qui passe dans les manuels et dans les conversations. Bossuet le premier imagina de juger l'histoire universelle,ou ce qu'il appelait ainsi naïvement, d'après les principes du judaïsme biblique il vit crouler tous les empires où la main de Jéhovah s'était appesantie. C'est l'idée de décadence expliquée par ridée de châtiment.La philosophie de Montesquieu, plus compliquée, est peut-être encore plus puérile on ne cite qu'avecune sorte de dégoût un historien qui fait commencer la décadence de Rome à l'aurore desadmirables siècles de paix qui furent peut-être la seule époque heureuse de l'humanité civilisée. Il faut presser la signification des mots alors on aperçoit qu'ils ne détiennent aucun sens et que des écrivains mémorables en usèrent toute leur vie sans les comprendre.Mais si contestable ou du moins si vague que soit l'idée générale de décadence, elle est claire et arrêtée en comparaison de l'idée plus restreinte de décadence littéraire. De Racine à Vigny, la France ne produisit aucun grand poète. C'est un fait une tellepériode est certainement une période de décadence littéraire; cependant il ne faut pas aller plus loin que le fait lui-même, ni lui attribuer un caractère absurde de logique et de nécessité. La poésie est en sommeil au xvnr~ siècle, faute de poètes; mais cette faillite n'est pas la conséquenced'une trop belle floraison antérieure; elle est ce qu'elle est et rien de plus. Si on lui donne le nom de décadence, on admetune sorted'organisme mystérieux, un être, une femme, la Poésie, qui naît, se reproduit et meurt à des intervalles presque réguliers, selon les habitudes des générations humaines, conception agréable, sujet de dissertation ou de conférence, mais qu'il faut écarter d'une discussion où l'on ne veut que faire l'anatomie d'une idée. Ce qui caractérise la poésie du xvin~ siècle, c'est l'esprit d'imitation. Ce siècle est romain par l'imitation. Ilimite avec fureur, avec grâce, avec tendresse, avec ironie, avec bêtise; il imite avec conscience; il est chinois en même temps que romain. 11 y a des modèles. LemotcsL impératif. Il ne s'agit pas qu'un poète dise l'impression que lui fait la vie il faut qu'il regarde Racine et qu'il escalade la montagne. Singulière psychologie Le même philosophe qui ruine en politique l'idée de respect, la recrépit et la rcbadigconne en littérature. y a des critiques: pendant que Gœthe écri~ ~~A<?r, ils confrontent Gilbert avec Boileau. C'est un avilissement. Faut-il lui chercher une cause? Cela serait vain. Vouloir expliquer pourquoi il ne naquit aucun poète en France, que Delille (i) ouChénier, pendant cent ans, cela conduirait nécessairement à expliquer aussi pourquoi naquirent Ronsard, Théophile ou Racine. On n'en sait rien et on ne peut rien en savoir. DépouHIée de son mysticisme, de sa nécessité, de toute sa généalogie historique, l'idée de décadencelittéraire se réduit aune idée purement négative, à la simple idée d'absence. Cela est si naïf qu'on ose à peine l'exprimer, mais les intelligences supérieures faisant défaut dans une période, le pullulement des médiocres devient extrêmementsensible et actif, et, comme le médiocre est un imitateur, les époques que l'on a qualifiées justement de décadentes ne sont autre chose que des époques d'imitation. En suprêmeanalyse,l'idée de décadence est identique à l'idée d'imitation. (!) Il faut se souvenirque l'abbé Delille n'est pas du tout, comme on le croit, un poète de l'Empire. Presque tous ses poèmes et sa ~!oire, datent de l'ancien régime. Cependant, s'il s'agit de Mallarmé et d'un groupe littéraire, l'idée (. décadence a été assimilée à son idée contraire, à l'idée même d'innovation. De tels jugements nous ont frappés, hommes de ces années, sans doute parce que nous étions mis en cause et sottement bafoués par les critiques bien pensants; ils n'étaient que la représentation, maladroite et usée, des sentences par lesquelles les sages de tous les temps essayèrent de maudire et d'écraser les serpents nouveauxqui brisent leurcoquille sous l'œil ironique de leur vieille mère. La diabolique Intelligence rit des exorcismes, et l'eau bénite de l'Université n'a jamais pu la stériliser, non plus que celle de l'Église.Jadis un homme se levait, bouclier de la foi, contre les nouveautés, contre les hérésies, le Jésuite; aujourd'hui, champion de la règle, trop souvent se dresse le Professeur. On retrouve là l'antinomie qui surprend dans Voltaire et dans les voltairiens d'hier le même homme, courageux dansle sens de la justice ou de la liberté politique, se trouble et recule s'il s'agit de nouveautéou de libertélittéraire arrivé Il à Tolstoï et à Ibsen, ayant fait une allusion à leur gloire, il ajoute (en note) « Sont-ce là des gloires bien établies, celle d'Ibsen surtout ? La question de savoir si l'auteur des Revenants est un mystificateurou un génie n'est pas résolue à l'heure où nous sommes (î). Telle est, en face de l'inédit, du non encore vu ni lu, l'attitude d'un écrivain qui, dans le livre même d'où cette note est tirée, prouve une bonne indépendance de jugement; il est inutile d'ajouter que les « décadents )) y sont, à tout propos, moqués. Comment, après cela, s'étonner de la lourde raillerie de tels moindres esprits? Une manière nouvelle de dire les éternelles vérités humaines est d'abord pour les hommes, et surtout pour les hommes trop instnits, un scandale. Ils ressentent une sorte d'cnroi;pourreprendre leur assurance, ils ont recours à la négation, aux injures ou à la dérision. C'est l'attitude naturelle de l'animal humaindevant le danger physique.Mais comment en est-on arrivé à considérer comme un péril toute réelle innovation en art ou en littérature ? Pourquoi surtout cette assimilation est-elle une des maladies particulières à notre temps, et peut-être la plus grave, puisqu'elle tend (i) M. Stapfer, Des Réputations /a/es. Paris, 18~ à restreindre le mouvement et à contrarier la vie? Pendant des années, Delacroix, Puvis de Chavannes, si divers de génie, furent bernés et refusés par lesjurys. Sous les prétextes évidemmentf, contradictoires, un motif unique se découvre l'originalité. Par une œuvre où presqueplus rien ne s'aperçoit des méthodes antérieures, qui ne se rattache pas immédiatementà quelque chose de connu et de déjà compris, les gardiens de l'art se sentent menacés ils répondent à la provocation chacun selon leur tempérament. Les formules changent aussi selon les périodes: au xviii~ siècle, la non-imitation était qualinée de faute contre le goût, et c'était grave au temps où Voltaire érigeait un temple, qui n'était qu'un édicule, à ce dieu badin; jusqu'à ces dernières semaines et depuis quelque dix ans, les artistes et les écrivains rebelles à démarquer les maîtres furent stigmatisés soit de décadents, soit de symbolistes. Cette dernière inj ure a fini par prévaloir, étant verbalement plus obscure et par conséquent plus facile à manier elle contient d'ailleurs, exactementcomme la première, l'idée abhorrée de non-imitation. On a dit, il y a déjà longtemps, bien avant que M. Tarde ait développé sa philosophie sociale <( L'imitationrégit le monde des hommes, comme l'attraction celui des choses, Dans le domaine particulier de l'art et de la littérature, cette loi est très sensible. L'histoire littéraire n'est, en somme, que le tableau d'une suite d'épidémies intellectuelles. Certaines furent brèves. La mode change ou dure selon des caprices impossibles à prévenir et difficiles à déterminer. Shakespeare n'eut aucune influence immédiate; Honoré d'Urfé vivant et mort, durant un demi-siècle, fut le maîtreet l'inspirateurde toutefiction romanesque il eut régné plus longtempssi la Princesse de 0/A~ n'avait été l'œuvre clandestined'une grande dame. Le xvu* siècle, dont une partie de la littérature n est que traduction et imitation, ne fut cependant pas rebelle aux nouveautés modérées et prudentes;c'est qu'alors, s'il eût été honteux de ne pas imiter les anciens ou, chose étrange, les Espagnols, mais seuls t dans leurs fables et dans leurs phrases (Racine tremble d'avoir écrit ~/a~), il était honorable de savoir donner aux emprunts classiques un air de fraîcheur et d'inédit. Cependant cette littérature elle-même devint très rapidement classique; il y eut une seconde source d'imitation, et comme elle étaitplus accessible, elle fut bientôt la fontaine presque uni- que où les générations vinrent boire et prier et délayer leur encre. Boilcau, avant de mourir, put se voir dieu. Dès que Voltaire sait lire, il lit Boileau. Le principe de l'imitation va régir désormais la littérature française. Si l'on néglige les accidents–quoique mémorables ce principe est demeuré très puissant et si bien compris; à mesure que l'instruction se répand, qu'il suffit à un critique de le faire intervenir pour qu'un lecteur honteux rejette l'œuvrc nouvelle qui le rafraîchissait.Ainsi les feuilletonnistes ont réussi à empêcher l'acclimatation en France de l'oeuvre d'Ibsen ainsi les drames en vers, œuvre d'imitation par excellence, réussissent maintenant jusque sur les théâtres du boulevard Ces faits de théâtre, toujours très grossis par la réclame, illustrent bien une théorie. L'idée d'imitation est donc devenue l'idée même d'art ou de littérature. On ne conçoit pas plus un roman nouveau qui ne soit la contre-partie ou la suite d'un roman préexistant que l'on ne conçoit des vers sans rime ou dont les syllabes ne seraient pas comptées une à une avec scrupule. Quand de telles innovations cependant se produisirent, altérant tout à coup l'aspect coutumier du paysage littéraire, il y eut de l'émoi parmi les experts; pour cacher leur gêne, ils se mirent à rire (troisième méthode) ensuite ils proférèrent des jugements puisque ces choses, ces proses et ces poèmes, ne sont pas ordonnées à l'imitation des dernières littératures ou des œuvres célébrées par les manuels, elles doivent provenir d'une source anormale,car elle ne nous est pas familière, mais laquelle? Il y eut des tentatives d'explication au moyen du préraphaélisme elles ne furent pas décisives; elles furent même un peu ridicules, tant l'ignorance était de tous côtés profonde et invulnérable. Mais vers ces années-là un livre parut qui soudain éclaira les intelligences. Un parallèle inexorable s'imposa entre les poètes nouveaux et les obscurs versificateurs de la décadence romaine vantés par des Esseintes. L'élan fut unanime et ceux mêmes que l'on décriait acceptèrent le décri comme une distinction. Le principe admis, les comparaisons abondèrent. Comme nul, et pas même des Esseintes, peut-être, n'avait lu ces poètes dépréciés, ce fut un jeu pour tel feuilletonniste de rapprocher de Sidoine Apollinaire, qu'il ignorait, Stéphane Mallarmé qu'il ne comprenait pas. Ni Sidoine Apollinaire ni Mallarmé ne sont des décadents, puisqu'ils possèdent l'un et l'autre, à des degrés divers, une originalité propre; mais c'est pour cela même que le mot fut justement appliqué au poète de /r~ d'un Fa~, car il signifiait, très obscurément, dans l'esprit de ceux-làmêmes qui en abusaient quelque chose de mal connu;de difficile,de rare, de précieux, d'inattendu, de nouveau. Si, au contraire, on voulait redonner à l'idée de décadence littéraire son sens véritableet véritablement cruel, ce n'estplus Mallarmé qu'il faudrait nommer, on s'en doute, ni Laforgue, ni tel symboliste dont la carrière se poursuit. Le décadent de la littérature latine, ce n'est ni Ammien Marcellin, ni S. Augustin, qui, chacun à leur manière, se façonnent une langue; ce n'est ni S. Ambroise, qui crée l'hymne, ni Prudence, qui imagine un genre littéraire, la biographie lyrique (i). On commence à être plus clément pour la littérature latine de la seconde période; las peut-être de la ridiculiser sans la lire, on a commencé de l'entr'ouvrir.Cette notion si simple sera prochainement admise: qu'il n'y a pas, en soi, un bon latin et un mauvais latin que les languesvivent et que leurs changements ne sont pas nécessairementdes altérations qu'on pouvait avoir du génie au v~ siècle comme au 11', (i) Genre qui a dégénéré jusqu'à devenir la complainte. Mais la complaintea eu sa belle période. Le plus ancien po~me de la langue française est une complainte, et préc.s~ent inspirée par un des poèmes de Prudence. et au xi" comme aut xvnr- ;que les préjugés classiques sont une entrave au développement de l'histoire littéraire et à la connaissancetotalede la langue elle-même. Mieux connus, les poètes de la bibliothèque de Fontenay n'auraient servi à baptiser un mouvementlittéraire que si l'on avait voulu comparer, tâche ardue et un peu absurde, des novateurs idéalistes à des novateurs chrétiens. 111 N'ayant voulu ici qu'essayer l'analyse histori- (au anecdotique)d'une idée et indiquer, par ..i exemple un peu étendu, comment un mot en arrive à ne plus av~ir que le sens qu'on a intérêt à lui donner,je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'établir minutieusementen quoi Stéphane Mallarmé mérita la haine ou la raillerie. La haine est reine dans la hiérarchie des sentiments littéraires; la littérature est peut-être avec la religion la passion abstraite qui secoue le plus violemment les hommes. Sans doute, on n'a pas encore vu de guerres littéraires commeil y a eu mettons autrefois des guerres religieuses mais c'est parce que la littérature n'est encore jamais descendue brusquement jusque dans le peuple; quand elle parvient là~ elle a perdu sa force explosive il y a loin de la première d'/7~~a~/ au jour où l'on vend Victor Hugo en livraisons illustrées. Pourtant, on se figure assez bien une mobilisation du sentimentalisme allemand contre l'humour anglais ou l'ironie française c'est parce qu'ils ne se connaissent pas que les peuples se haïssent peu une alliance finit toujours, quand on a bien fraternisé, par des coups de canon. LahainequipoursuivitMallarmé ne fut jamais très amère, car les hommes ne haïssent sérieusement, même en littérature, que lorsque des intérêtsmatériels viennent un peu corser la lutte pour l'idéal; or il n'onrait aucune surface à l'envie et il supportait comme des nécessités inhérentes au génie l'injustice et l'injure. Ou ne gouaillait donc sous un prétexte d'obscurité, que la supériorité seule et toute nue de son esprit. Les artistes, même dépréciés par les instinctives cabales, obtiennent des commandes,gagnent de l'argent les poètes ont la ressource des longues écritures dans les revues et dans les journaux certains, comme Théophile Gautier, y gagnèrent leur vie; Baudelaire y réussit mal, et Mallarmé plus mal encore. C'est donc au poète dépouillé de tout ornement social que s'adressa le sarcasme. M y a au Louvre, dans une collection ridicule, par hasard uue merveille,uneAndromède, ivoire de Cellini. C'est une femme enaree, toute sa chair, troublée par l'eu'roi d'être liée oti fuir ? et c'est !a poésie de Stéphane Mallarmé. Emblème qui convient encore, puisque, comme le ciseleur, le poète n'acheva que des coupes, des vases, des cotfrets, des statuettes. Il n'est pas colossal, il est parfait. Sa poésie ne représente pas un large trésor humain étalé devant la foule surprise; elle n'exprime pas des idées communes et fortes, et qui galvanisent facilement l'attention populaire engourdie par le travail elle est personnelle, repliée comme ces fleurs qui craignent le soleil; el e n'a de parfum que le soir; elle n'ouvre sa pensée qu'à l'intimité d'une pensée cordiale etsûre. Sa pudeur, trop farouche, se couvrit de trop de voiles, c'est vrai mais il y a bien de la délicatesse dans ce souci de fuir les yeux et les mains de la popularité. Fuir, où fuir? Mallarmé se réfugia dans l'obscurité comme dans un cloître il mit le mur d'une cellule entre lui et l'entendementd'autrui; il voulut vivre seul avec son orgueil. Mais c'est là le Mallarmé des dernières années, lorsque,froissé, mais non dé- courage, il se sentit atteint de ce dégoût des phrases vaincs qui jadis avait aussi touché Jean Kacinc lorsqu'il créa, pour son usage propre, une nouvelle syntaxe, lorsqu'il usa des mots selon des rapportsnouveaux et secrets. Stéphane Mallarmé a relativement beaucoup écri~, ~t la plus grande partie cle son œuvre n'est entachée d'aucune obscurité; mais, dans la suite et la fin, a partir de la P/'o&e pour des Esseintes, s'il y a des phrases douteuses ou des vers irritants, un esprit inattentif et vulgaire redoute seul d'entreprendre une conquête délicieuse. Il y a trop peu d'écrivains obscurs en français ainsi nous nous Iiabituons lâchement à n'aimer que des écritures aisées, et bientôt primaires. Pourtant "il est rare que les livres aveuglément clairs vaillent la peine d'être relus la clarté, c'est ce qui fait le prestige des littératuresclassiques et c'est ce qui les rend si clairement ennuyeuses. Les esprits clairs sont d'ordinaire ceux qui ne voient qu'une chose à la fois dès que le cerveau est riche de sensations et d'idées, il se fait un remous et la nappe se trouble à l'heure du jaillissement.Préférons, comme X. Doudan, les marais grouillants de vie à un verre d'eau claire. Sans doute, on a soif, parfois eh bien, on filtre. La littérature qui plaît aussitôt à l'universalité des hommes est nécessairement nulle il faut que, tombée de haut, elle rejaillisse en cascade, de pierre en pierre, pour enfin couler dans la vallée à la portée de tous les hommes et de tous les troupeaux. Si donc on entreprenait une étude décisive sur Stéphane Mallarmé, il ne faudrait traiter la question d'obscurité qu'au seul point de vue psychotique, parce qu'il n'y a jamais d'absolue obscurité littérale dans un écrit de bonne foi. Une Interprétation sensée est toujours possible; elle changera selon les soirs, peut-être, comme change, selon les nuages, la nuance des gazons, mais la vérité, ici et partout, sera ce que la vou- dra notre sentiment d'une heure. 1/œuvre de Mallarmé est le plus merveilleux prétexte à rêveries qui ait encore été offert aux hommes fatigués de tant d'affirmations lourdes et inu- tiles une poésie pleine de doutes, de nuances changeantes et de parfums ambigus, c'est peut- être la seule où nous puissions désormais nous plaire; et si le mot décadence résumait vraiment tous ces charmes d'automne et de crépuscule on pourrait l'accueilliret en faire même une des clefs de la viole mais il est mort, le maître est mort, la pénultième est morte. v LE PAGANISME ÉTERNEL

1 UNE RELIGION D'ART 1 A une époque où presque toute la sensibilité, presque toute la foi, presque tout l'amourse sont réfugiés dans l'art, et ou, par surcroît, ce mot, jadis mystérieux et pur, se trouve compromis eu plus d'une aventure, il nous manquait évidemment, à côté de la religion de l'art, la religion d'art l'invention est récente et due à M. ITuysmans elle est curieuse et peut servirde prétexte à quelques réflexions. Tout d'abord, puisqu'il n'y a pas aujourd'hui d'art religieux, la tentative d'union entre la religion et l'art ne pouvait se faire qu'au moyen de l'archéologie.La Cathédraleest donc, comme tous les derniers livres du même auteur, depuis A Tïe&oM~, un roman didactique. Le genre n'est pas nouveau, il a été de tout temps cultivé par les écrivains chez lesquels le goût du savoir n'a pas entièrement tué l'imagination ou qui, incapables d'user alternativement de leurs lectures et de leurs inventions,se résignentà entremêler la fiction et le document; ou encore qu'un besoin de prosélytisme porte à choisir pour messager d'un enseignement, d'une morale, de vérités peu amènes, la nef des Argonautes ou le cheval des Quatre Fils Aymon. II y a un peu de ces trois causes dans le didactisme invétéré de M. Huvsmans mais surtout, si, lorsqu'il écrit ses livres, il n'y mettait pas ses lectures, il n'aurait rien à v mettre; chez lui l'imagination est plutôt soutenue que découragée par le document; sans ce cordial e le tomberait vite aux récriminations d' ~i ?'< /M, roman que la moelle de quelque vieux tn ité de cuisine suffirait peutêtre à rendre tout à fait représentatif d'un caractère. Que M. Folantin, entre deux repas vagues, médite sur une page du « Cuisinier royal » ou du « Paticier François », et nous avons un livre du type même de la Cathédrale. Sur les seize chapitres de ce dernier roman, deux commencent et trois finissen! par des considérations de ménage ou de cuisine. Ses tentatives d'érudition ne pouvaientdonc influencer que très heureusement M. Huysmans en lui montrant. dans les livres, ce qu'il aurait toujours été inca- pabic de trouver dans la vie l'oubli, au moins accidentel, des vulgaires ennuis de la vie. La plupart des romans didactiques pèchent également par l'insuffisance et par l'inexactitude. A l'insuffisance, il faut se résigner un roman n'est pas un traité. Si, dans ~4 /?<?&OM/ au lieu de se borner à résumer, en une phrase pittoresque et juste, les appréciations motivées et savantes des deux premiers volumesd'Ebcrt, le romancier avait passé deux ans à lire lui-même les poètes qu'il vantait, l'abondance des documents l'eut peut-être incliné à donner à cette partie de son livre une ampleur désagréable; et si, pour écrire l'histoire de Gilles de Rais, il lui avait fallu compulser lui-même les archives, déchiffrer les originaux du procès, /6a.? serait peut-être encore sur le chantier. L'insuffisance de la documentationdans un roman didactique ou historique est donc une des conditions de l'exécution même du roman et, d'autre part, ce qu'on y perd de science ou d'histoire, l'art peut le compenser si bien que le lecteur le plus exigeant s'y trouve satisfait c'est ce qui arriva pourZ~-6~, où il y a des chapitres admirables, supérieurs par la puissance de l'incantation verbale aux pages trop déclamatoires de la 6~ «cre. L'inexactitude serait un défautplusgrave; M. Huysmans, appuyé sur des érudits sérieux, s'en est presque toujours garé jusqu'ici; mais, et c'est là le danger du mélange de la science et de l'imagination, on ne sait pas toujours où finit l'exactitude et où commence la fantaisie. Que d'hystériques abbés, que de femmes folles de leurs nerfs se sont laissé prendre au réalisme du fameux tableau de la Messe Noire, entièrement tiré cependant d'une imagination, alors satanique. M est à peine besoin d'affirmer que jamais d'aussi grotesques et d'aussi exécrables cérémonies n'ordonnèrent, en aucun temps ni en aucun pays, leurs farandoles obscènes et, sacrilèges. Le sabbat, qui n'exista jamais que dans les cerveaux hallucinés des pauvres sorcières, se déroulait selon des liturgies très différentes et surtoutmalpropres il ne reçut le nom de Messe Noire que par équivoque, puisque la vraie Messe Noire, telle qu'elle fut encore dite sur le corps nu de la Montespan,était une cérémoniede conjuration, absolument secrète, et dont le secret seul garantissait l'efficacité. La fantaisie de M. Huysmans, si elle a eu, car la crédulité du public est illimitée, certainesconséquences pénibles, n'en était pas moins tout à fait légitime; le romanesque est à sa place dans un roman attendre, pour raconter un chanoine Docre, de rencontrer en chemin son véritable frère diabolique, on ne peut vraiment pas exiger cela, même d'un romancier didactique. Avec la Cathédrale, aucune surprise de ce genre n'était à craindre; !a fantaisie n'a aucune place dans ce roman; elle y en a trop peu. Quant aux inexactitudes qu'on y peut relever en assez grand nombre, elles sont presque toutes d'un genre particulier, du genre ecclésiastique. L'auteur n'avait pas besoin de nous informer qu'il s'est, pour ce livre, documenté près de moines, de prêtres et en des livres pieux; celaest évident. II Pour écrire En Route et la Cathédrale, il faut être catholique, non seulement de naissance et de baptême, mais de foi et de mœurs. II y a donc aujourd'hui même une littérature catholique, une littérature qui n'existerait pas sans écrivains catholiques. S'agit-il d'anomalies, ou sommes-nous en présence de faits tout à fait logiques, raisonnables, liés à un passé immédiat? Je ne crois pas qu'il y ait aucune singularité à être catholiqueen un siècle où le furent presque tous les plus excellents poètes et quelques-uns des plus grands écrivains, de Chateaubriand à Villiers de l'JsIe-Adam. Que cette croyance ne semble pas correspondre à l'orientation présente des intelligences, cela est clair, mais une attitude n'est-elle acceptable que conforme à l'attitude générale? D'ailleurs, si on peut faire l'anatomie d'une croyance ou d'une conviction, il est impossible et illégitime d'aller plus loin. L'excommunication n'est pas un geste philosophique. .le crois que le catholicisme, en France, fait partie de la tradition littéraire. Le catholicisme est le christianisme paganisé. Religion a la fois mystique et sensuelle, il peut satisfaire, et il a satisfait uniquement, pendant longtemps, les deux tendances primordiales et. contradictoires(le l'humanité, qui sont de vivre à la fois dans le fini et dans l'infini, ou, en termes plus acceptables, dans la sensation et dans l'intelligence. Depuis Constantin jusqu'à la Renaissance, le catholicisme a développé normalement les deux principes qui le constituent et, sans l'intervention de Luther, il est très probable que le principe païen, d'art et de beauté, eût acquis autant de force que le principe évangélique, de renoncemenL et de mortification, Léon X et Jules M pouvaient vraimentse glorifier du nom de Pon- /<?~ /~0!J?~H~; ils étaient vraiment à la fois le successeur de saint Pierre et le successeur du grand-prêtre de Jupiter Capitolin: Luther et Calvin, les grands affirmateurs de l'ËvangHe, les durs sectateurs de saint Paul, les ennemis de Rome et de la gloire romaine, entraînèrent toute la chrétienté dans leurs erreurs tristes le ca( holicisme, se niant lui-même, accepta le sacrifice d'un de ses éléments naturels il détruisit luimême l'un de ses principes de vie, et, vaincue, l'Église devint peu à peu ce qu'elle est aujourd'hui, un protestantismehiérarchisé, aussi froid, aussi haineux de tout art et de toute beauté sensible~ mais d'intelligence moins libérale, peutêtre, plus recroquevillée encore, soumise à la fois à un passé qu'elle respecte sans l'aimer, et à un présent qui épouvante sa décrépitude. En France, au xvir's'cclc, la réactioncontre le protestantisme se fit dans un paganisme moyen, élégant et superficiel après la crise janséniste, il y eut une nouvelle réaction de la liberté, mais elle se fit dans la débauche et dans la littérature galante; le moment philosophique fut bref et sansinfluence populaire après la période d'abêtissementsentimentalprovoqué par les ridicules disciples de Jean-Jacques, Chateaubriand retrouva d'un seul coup le catholicisme, le moyen âge et la tradition. Tout le siècle est dominé par ce grand fait littéraire. Littéraire, car il ne s'agit même pas de supposer légitime le droit unique à la vérité absolue qu'une religion proclame. Il ne s'agit pas de vérité. En Grèce, la vraie religion était la religion des temples. En France, la vraie religion est la religion des clochers. Autour du clocher sous lequel on prie,les danses lupercalessignifient que les dieux n'ont cédé au Christ que la moitié de leur royaume.Un jeune poète catholiquea appelé la sainte Vierge cette belle nymphe », voilà la vraie tradition du catholicisme populaire. Aucune religion n'est jamais morte, ni ne mourra jamais; celle dont le nom s'abolit revit dans celle qui resplendit au grand jour. En plusieurs temples d'Italie, on ne prit même pas le soin, au v siècle, de changer les statues vénérées~ et Déméter nourrice devint tout naturellement une Vierge à l'enfant (i) en quelques autres, même en Gaule, on garda le nom du dieu avec la statue de jadis et le culte, changé dans la croyance des prêtres, demeura immuable dans la croyance du peuple. Vénus est toujours aimée sous le vocable de sainte Venise, que l'imagerie repré- (t) Voyez la figure 1295 du Dictionnaire de Saglio. sente toute nue avec seulement un ruban autour des reins (i). Exemple admirable de la persévérance du peuple! Ozanama parfaitement démontré qu'au moment où, par un coup d'État, te christianismedevint la religion officielle de l'Empire, le paganisme était encore plein de force et de vie; de là son influence sur la religion nouvelle qui, ne pouvant le détruire, l'absorba sans même le transformer. Cependant, dès les premiers siècles, il y eut dans FEgtise un parti très opposé à ce qu'on appelait, sans en comprendre l'importance, les superstitions populaires c'était le parti évangélique, qui ne devait entièrement triompher, dans l'Europe du Nord, qu'avec la Réforme (2). Le culte des saints et des dieux sanctifiés engendrâtes églises. Leséglisescatholiques,comme les temples de l'Egypte ancienne, sont des tombeaux elles ne furent pas construites en l'honneur de Dieu seul; leur prétexte fut presque toujours d'abriter le corps d'un bienheureux ou d'un thaumaturge, le simulacre d'une divinité (t) Dureau de la Maïïc, ~o~ ~H/' sainte Venise, !u a l'Académie des Inscriptions. (~ Le paganisme est resté traditionnel, notamment :'( Paris, dans certaines familles, où, dit-on, les libations et les sacritices d'animaux sont eacore en usage. Mais ceci pourrait bien ne remonterqu'au xvm' siècle. traditionnelle, à peine rebaptisée par une piété innocente. Les élisesfurent la nécessité de l'art chrétien, et ainsi la nudité apostoliquedut revêtir l'or des idoles et la pourpre des empereurs. Au xn'* siècle, le paganisme est restauré dans toute sa splendeur. L'église, partout où la dévotion est assezriche, est devenue la cathédrale. L'Europe est couverte de cathédrales; la prairie a toutes ses fleurs matinales et un peuple immense, sorti de ses ruches, va de fleur en fleur, de sanctuaire en sanctuaire, cueillant des indulgences, des réconforts, des grâces, des guérisons, la force de vivre joyeux en un siècle dur. Les béquilles du temple d'Ëphèses'amoncellent sous les voûtes de la cathédrale de Chartres, où une belle idole, naguère apportée d'Orient, bénit les fidèles ivres et se fait vénérer sous le nom de Vierge noire. L'art catholique,commela religion elle-même, est la suite naturelle et logique de l'art païen. On ne peut entrer ici dans le détail, ni énumérer les preuves d'une manière de voir qui paraîtra peut-être hasardée à ceux qui ne connaissent que la surface de l'histoire; on ne peut davantage discuter aucune des opinions reçues, mais cette affirmation des partielles origines païennes du catholicisme nenous fait pasmécon- naître, ou s'en doute, ce que l'Évangile, les pères de l'Église, saint Benoît et ses moinesapporteront de nouveau et de purement spirituel dans l'idéereligieuse cependant,et même sur ce point, il faudrait étudier lesAlexandrins et comprendre que le mysticisme, qui a pris dans le catholicisme une forme catholique, n'est pas autre chose que celui qui prenait, dans Proclus, une forme mythologique. Le symbolisme chrétien n'est luimême qu'une transposition du symbolisme néoplatonicien on ne sait si tel gnostiquc fut chrétien ou philosophe et il est difficile de faire dans le pseudo-aréopagite,la part des rêveries orientales et la part de l'enseignement patristique. Là encore, dans la suite des temps, la fusion se fit si intime que, sans 1s chercher et sans le vouloir, le catholicisme spéculatifs'assimila et nous a conservé un nombre infini de notions parfaitement contradictoires avec l'esprit de l'Évangile et avec la religion de saint Paul un christianisme pur eût rejeté toute la tradition pythagoricienne le catholicisme, fidèle à son nom, nous a transmis, au milieu de la religion du Christ, à peu près toutes les superstitions et toutes les théogonies orientales. Il nous a conservé encore et transmis directement la tradition littéraire gréco-romaine. Ceci est plus connu et moins contesté. On sait maintenant qu'il n'y eut pas de « renaissance M au xv" siècle on sait que, en aucun moment des siècles antérieurs, les lettres latines n'avaient cessé d'être cultivées et que Virgile fut, durant tout le moyen âge, en Italie, en France, en Allemagne, non seulementlu, mais vénéré, non seulement commenté, mais imité. Le rôledes humanistes fut cependant important de même que les protestants voulaient purger le christianisme de son élément païen, les humanistes voulurent éliminer de la littératuretous les éléments chrétiens. Les uns et les autres réussirent mais, tandis que la tradition littéraire a été renouée par le romant~me, la tradition religieuse est restée brisée. La littérature n'est demeurée que pendant trois siècles étrangère à l'âme humaine à laquelle on substituait l'âme héroïque et poncive la religion privée de l'art païen, qui était sa force populaire, est devenue et est restée une philosophie de sacristie et une murale de confessionnal elle n'a plus d'influence sur l'esprit secret des races, qui est avide de beauté corporelle et de magnificence; rien de trop; elle s'est fait mitoyenne entre tout; elle est devenue le centre médiocre de la médiocrité universelle. ni Cependantl'Église a des archives,une histoire, celle de sa beauté passée c'est dans cette pous- sière resplendissante que se réfugient encore certaines intelligences et certains talents. Chateaubriand, pour exhumer le catholicisme, n'eut qu'à laisser son génie se souvenir d'une enfance jadis enivrée de fêtes et de légendes; ses œuvres historiques et apologétiques eurent une grande influence sur le développement du romantisme français; elles rendirent possible la grandiose archéologie de Victor Hugo, aussi bien que le sentimentalisme religieux de Lamartine; si l'on néglige tout l'intermédiaire, on les voit, vers la fin du siècle, aboutir selon leurs canaux, à Sagesse, à la trilogie apologétique de M. Huvsmans la Cathédrale essaie de refaire avec des moyens nouveaux, plus restreints, mais plus persévérants, avec des outils moins brillants. mais -lus aigus, le~jHC//r/ L'écrivain d'aujourd'hui a lu aussi Notre-Dame de Paris, et aussi quelques autres livres; il doit à Chateaubriandl'esprit apologiste;à VictorHugo, l'amour des pierres sculptées aux autres, tout le reste. L'intention apologétique de M. Huysmans est certaine, quoique discrète. Il veut prouver qu'il y a, on plutôt qu'il y a eu, un art catholique, symbolique et mystique, très supérieur, surtout par l'expression, à tous les arts profanes, antiques ou nouveaux il étudie l'architecture,d'après la cathédrale de Chartres, la peinture d'après les primitifs et surtout Fra Angelico, la musique d'après le plain-chant grégorien, lamystiquect la symbolique, d'après les saints, les théologiens et les compilateurs du moyen âge comme centre au roman, une page de l'histoire d'un écrivain converti qui tente le renoncement et commence par vouer tout son talent à la défense de l'art religieux ~e sentiment est représenté par des effusions d'amour pieux versées aux pieds de Notre-Dame les personnages, hormis peutêtre celui d'une servante dévote et mystique, silhouettecurieuse, sont de la psychologiela plus rudimentaire le directeur de conscience, l'abbé Gévrcsiu, apparaît d'une nullité extraordinaire, presque phénoménale; l'abbé Plomb est un archéologue de province sans caractère particulier qu'une mémoire baroque où se sont logées, à l'exclusion de toute notion sensée, les seules singularités de la symbolique et la seule histoire de la cathédrale de Chartres non moins versé dans le même genre de connaissances, le héros du livre, Durtal, exhibe, en plus, une âme de jeune communiant, et l'esprit sarcastique d'un critique d'art, aigre quoique dévoticux, partial quoique renseigné. Avec de tels éléments le roman devait, comme tel, être d'un intérêt nul sa valeur littéraire lui est donnée par de superbes pages descriptives, mais où la descriptions'élève parfois jusqu'à donner la raison des choses, au moins la raison symbolique, au moins la raison théologique. Le clergé, s'il lit ce livre, sera surpris de ne pas le comprendre, tout d'abord, car ses maîtres lui cachent avec soin la connaissance de la beauté sensible et, pour entendre (un peu) le symbolisme, il faut une science préliminaire de l'art et de la nature. II y a dans des gestes, dansdes regards, dans des draperies, telle intention secrète à la fois de beauté et de prière qui dépasse l'ordinaire intelligence d'un séminariste gavé de théologie liguorienne. Cette partie du livre de M. Huysmans, nef autour de laquelle se rangent les petites chapelles et plusieursautelsprivilégiés, cette partie de théologie sculpturale est réellement supérieure et, le talent réservé pour être loué à part, il faudrait encore admirer la patience de l'auteur, le long d'études compliquées, lentes et troubles, auxquelles rien ne le prépa- rait que la foi et ou, finalement, il a dépassé ses maMn's. H y a aussi en tout cela un goût le beauté pure, un sensualisme mystique, qui furent catholiques, mais qui ne le so. t plus; c'est là l'innovation, ou le renouveau heureux d'être devenu un bon chrétien, et peut-être sur la voie de devenir quelque chose de plus et de plus rare, M. Huysmans, s'il est prêt à quelquesrenoncements, semble mal disposé à répudier ce qu'il y a de païen dans le catholicisme, l'art. Par cela, son catholicisme est presque complet; il lui manque encore, en sa métamorphoseet 'pour s'adapter entièrement la vieille tradition romaine, de ne pas mépriser la sorte d'art qui est une production natnrell'; du génie humain et, en somme, une créationd'o'dre divin et surnaturel, absolument au même titre que l'art d'inspiration liturgique. De ce que le Couronnementde la Vierge, de FraAngelico, est « encore supérieur à tout ce que l'enthousiasme en voulut dire », s'ensuit-il qu'Ingres n ait eu aucun génie ? Tel est cependant le parti pris de l'apologiste que, pour vanter Dieu, il dénigre la Nature et que, pour complaire à ses frères et tenter les infidèles, il exclut de la communion universelle les plus grands esprits créateurs, s'ils n'ont pas le front marqué de la symbolique cendre. Cette méthode n'est point inédite elle fut celle du violent et superbe Tertullien, celle de l'autoritaire etrigoureuxsaint Bernard, mais jamais celle des papes romains qui firent de Rome la double capitale du christianisme et du paganisme et qui, peut-être dès les temps anciens, rangèrent autour d'eux, témoins de leur double souveraineté, les reliques des saints nouveaux et les effigies des anciens dieux. Il y a un art catholique il n'y a pas d'art chrétien le christianisme évangélique est essentiellementopposé à toute représentationde la beauté sensible, soit d'après le corps humain, soit d'après le reste de la nature. Saint Paul ne sait pas ce que c'est qu'un temple chrétien encore moins, une statue chrétienne; il n'a pas la notion qu'une chose belle puisse être un ornement ajouté à la beauté d un cœur pur. Si un tel christianisme s'était développé, les civilisations anciennes nous seraient inconnues; la religion de saint Paul demandait impérativementla destruction des temples qui sont devenus les basiliques italiennes, le brisement des idoles, ces statues qui ont conservé dans le monde l'idée d'un art désintéressé et purement humain la littérature profane eût été annihilée comme le reste; la propagation de l'Évangile eût été la propagation de ta barbarie et. pour tout dire, la croix aurait été un tléau aussi atTreux et aussi destructeur que !c croissant; les deux fiDes de la Hible auraient couvert !e monde de ruines, de troupeaux et de tentes en poil de chameau. C'était !e métier de saint Paul de tisser des tentes jamais métier ne symbolisa mieux le caractère d'un homme. tjC premiersoin des chrétiensqui vouturentramener ta ret~ton sa candeur première tut. l'iconoctastie la plus furieuse. Xwin~lc, à Zurich, fit briser !es verrières, rompre !cs statues, br~- !er tesm!ssc!s en!um!nes. En entrant tians reglise de Tous-!es-Sa!nts, Wi< tombera, Carlostadt cria !e yerset du Deuteronome « Tu ne feras point d'images taiHees! )), signât de dévastation immédiatementcompris de la ptebc qm suivait !c triste ener~'umene. Je me souviens de n'avoir pu voir sans émotion ce quêtes calvinistes de Hollande ont fait de !eurs cathédrales. Tous ceux qm sont entrés il Saint-Lnurent de Rotterdam savent que lechrist'anisme, dès qu'U preten<t a retourner à la simphcite evang~Hque, se complaît, non dans l'austérité, mais dans la banalité une salle de conférences à vitres et à gradins, voilà ce que les Barbares prétendaient faire de Notre-Dame de Chartres. L'idéal chrétien, en architecture, est tout pareil a l'idéal démocratique:c'est)e groupe scolaire, et ni l'une ni t'autre de ces inspirations n'est, capal)!e de produire un bâtiment eg:d en j)eautc à !a grande on, an xm" siècle, les cisterciens de Lisscwe~he serraient leurs mo!ssot<s(t). H est d'ailleurs fréquent que les ahhayes cisterciennes soient, au contraire, <)ne nnditc presque desot~e. Saint Bernard, en reformant l'ordre (!e CMeanx, qm est, devenu la Trappe, n'en) aucunement rintcntion de permettre !e dep!o!enr)ent de grandioses architectures; nde!e en cela au pur esprit evan~eMque, il reprouva le !uxc et méprisa l'art, comme p!us tard saint François d'Assise. Chaque fois que le christianisme, par les moines ou par les révolutionnaires, voulut s'astreindre à plus de conformité avec l'enseignement apostolique, il dut rejetertout ce qu'il y avait de païen, de beau et. par conséquent, de sensuel dans la religion romaine. Il n'y a pas d'art chrétien les deux mots sont contradictoires, et voilà pourquoi, même en un livre presque de dévotion, si l'on parle de (t) Ce beau morceau d'architecture est n~nrc dans les ~fMen/s <f.l~'c'Aea/o/«' c/{r<;7«;yt~. deKeusens; Louvain, i8M, p. ~Q~. L'auteur dit avec raison « On voit que les construc. teurs du xm" siècle s'entendaient parfaitement à donner un aspect monumental même aux édifices dont la destination n'est que secondaire. » peinture, il faut prendre garde que même la « symbolique des tons )) ne préserva pas l'Angelico d'être avant tout un peintre, un homme qui aime la couleur et les formes, uu Itonnnedou. les yeux se rëjouisseut à la vue de la beauté. IV L'art eattu)li(ptc, l'art du moyeu âge fut-il, autant (pieté peuse M. ttuysmaus, autant (pi'i! a Ctu tedecouvrn-, minutieusementsubjugue par tes rentes, ou plutôt par les usages de la symhoti<pte? Ce!a semble inadmissible. Ou concéder:! difncHemeut que Fra Au~ebco n'employa pas de brun dans son Conrounement parce que cette couteur, « C(~mposée de noir et de rou~e, de fumée obsrurcissaut le feu divin, » est satanique pas de violer pas de gris, pasd'orau~é: parce que le violet dit le deuil le gris, la tiédeur rorau~ë, le meusonge. L'abstention du peintre trouverait sans doute des explications moins extraordinaires. Et si les nefs de Bourges sont au nombre de cinq et celles d'Anvers au nombre de sept, est-ce vraiment en l'honneur des Cinq Ptaies ou en l'honneur des Sept Dons du ParacletPQue, dans la disposition la plus ordinaire, u )is nefs et un triple portail, il y ait une allusion à la Trinité, c'est moins invrais<~nbtabtc, quoique rien ne te certtne; rna!sque l'ott ajoute (les détailssur la symbolique du toit, des ardoises et des tuil s; qu'on nous affirme que, d'après Hugues de Saint-Victor, l'asseml)Ia~e des pierres d'une cathédrale signine le nietan~c des laïques et des clercs, nous avons plutôt, envie de sourire que de nous compoindre, et, par surcroît, nous serons presque Indignes que l'on choisisse l'occasion d'une citation presque absurde pour écrire le nom du plus original et du plus grand des mystiques du moyen a~e(i). En toute cette symbolique de la cathédrale, M. Huysmans ne fait qu'une rapide allusion à la basilique, et passe. Cependant la cathédrale gothique, par l'intermédiaire de l'art romain, est certainement née de la basilique, au moins delà basilique syrienne, dont les plans furent très anciennement connus et imités en Gaule. Si les cathédrales sont le développement des basiliques, monuments auxquels la symbolique ne peut s'adapter, il s'en suit que la symbolique est postérieure aux églises; qu'elle peut en donner une explication quelquefois curieuse, mais jamais certaine. Il en est naturelle- (t) Les compitattons sur la symbolique attribuées à Hugues ne semblent pas soit œuvre. ment de niemc pour ce qu'on appelle le mobilier religieux, dont l'origine est antérieure au christianisme. On aurait bien surpris les martyrs qui refusaient d'encenser les idoles eu leur disant que l'encensoir deviendrait un instrument pieux. Peut-être que !a si~nincation symbotique départie a ces accessoires du culte fut une sorte de baptême confère a des objets depuis longtemps en usa~e dansles cérémonies liturgiquesdes anciennes rendions. On sait qu'une lampe brAlait perpetuenement, dans certains temples, dans ceux de Minerve, d'Apouon,de Jupiter Ammon; et dej<U'hui!c devait être pure et tirée des seules olives. La lampe <'<erncuc était alors le symbole du feu ou du soleil elle ne parle pas plus clairement aujourd'hui. Les prêtres d'Isis portaient la tonsure en couronne, comme les plus anciens moines; on distribuait du pain bénit au nom de Minerve, qui, comme Diane, protégeait des confréries de jeunes filles, des Enfants de Marie. Il ne serait pas sans intérêt d'étudier ces transpositions et cela vaudrait peut-être mieux que d'accepter, sans les expliquer, les opinions de Méliton ou de Durand de Mende (i). (i) Le Po/t<<or ~'t/~&t'cu' de Caussin (Cologne, !63t), est nne symbolique de la mythotog!egréco-romaine;assez hasardée. elle l'est moins qne t'étrange ouvrage d'Antoine Monnier, l'Art L'origine païenne (tu symbolisme des catacombes est certaine; c'est la mythologie qui fournit les dément' décoratifs attX tombeaux des premiers martyrs. Loin de tenter un. art nouveau, les chrétiens acceptèrent ce!u! qui était alors familier à tous et, sauf le type, d'aiUcurs adm!rah!e, de l'Orante, ils n'inventèrent d'abord presque r!cn. Les Victoires, les Amours, la ~teduse, Promethec, les D!oscures, les Satsens;, Icare, SHene, les Fleuves, Psyché et rAmour, voilà des sujets que l'on rencontre fréquemment dans la décoration des catacombes. Avaient-its pris pour les chrétiensun sens nouveau? On ne le croit pas. Cependantla Vignc, funéraire chez les Romains, assume dans les catacombes, ou elle est fréquente, un sens tout opposé; elle représente la vie et le Christ,sans doute en conformité avec le chapitre xv de l'évan~He selon saint Jean. Orphée eut de bonne heure une légende chrétienne; saint Augustin lui donne, comme aux sibylles, la valeur d'un prophète; dans les catacombes,il estprén~uratifdu Christ, par sa douceur, le charme de sa voix et sa mort douloureuse. H n'est jamais représenté avec Eurydice, mais seul et entouré d'animaux qui sacerdotal antique, explication (/n sc~.? allégorique(les /jf<ncipaux MtonMWfft/s grecs et romains dit Louvre (!8f)~). écoutent les sons de sa lyre. Voilà, prise sur le fait, la déformation chrétienne d'un symbole antérieur. l'eu à peu, réduit à un seul agneau comme auditoire, Orphée s'identifia avec le Bon Pasteur, et. de cette dernière figuration, il ne resta finale nent, dans la symbolique chrétienne, que l'Agneau. On a cru que le Bon Pasteur était une transposition de l'Apollon Criophore, mais rien ne l'a e ncore prouvé, quoique cela soit possible. Ainsi, dans l'art catholique,l'idée vient du christianisne, et la figuration, du paganisme. M. Huysmans l'analyse avec beaucoup de soin, cette symbolique du moyen âge, si complexe et si curieuse mais qu'il s'agisse des bêtes ou des fleurs, des couleurs ou des pierres précieuses, il ne s'inquiète jamais du motifinitial, ni de la source la plus ancienne; il oppose sérieusement l'un à l'autre des compilateurs qui ont mal copié un manuscrit, chacun selon son ignorance propre, donnant ainsi une sorte d'importance pieuse à des opinions basées sur une inconnaissance absolue de la nature. Ah que M. Huysmans est plus' intéressant quand il conte, non ce qu'il a lu, mais ce qu'il a vu, quand il qualifie d'après ses yeux et compare ensemble les trois bas-reliefs, de Chartres, de Dijon et de Bourges,où sont figurées lesjoies et les angoisses du Jugement dernier!1 Quelle erreur d'avoir fait intervenir dans une œuvre d'art et de mysticisme, comme la Cathédrale, la science facile des lectures patientes! Après tout ce qu'il a relevé dans les bestiaires et les volucraires, dansl'éternelP/o/o~du moyen âge, il reste bien démontré que, hors des textes originaux, la symbolique des bêtes ou des plantes, qui affola l'Église jusqu'au xvL° siècle, apparaît telle qu'un amas incohérent de créances inanes « Pour lui (le pseudo-Hugues), le vautour caractérise la paresse le milan, la rapacité le corbeau, les détractions; la chouette, l'hypocondrie le hibou, l'ignorance la pie, le bavardage; la huppe, la malpropreté et le mauvais renom. » Et l'on continue ainsi, en assignant à chaque bête, à chaque plante, à chaque minéral, à chaque objet créé par la main de l'homme, à chaque partie même du corps humain, la signification d'une vertu, d'un vice, d'une vérité religieuse ou morale, d'un des articles de la foi. On se trouva donc en possession d'une véritable langue hiéroglyphique apte à figurer aux yeux des affirmations élémentaires. Le langage des fleurs encore populaire, et dont ne manquent pas d'user les cœurs très simples, est le dernier résidu de la vieille symbolique. Au xvn" siècle, le symbole fut détrône par l'emblème, dans!a morale religieuse; par l'aHégoric, dans l'art. Jusqu'au xv~ siècle, on demeura persuadé « que sur cette terre tout est signe, tout est figure, que le visible ne vaut pas ce qu'il recouvre d'invisible » et le souci de l'art catholique fut de faire parler la nature, de forcer le ciel et la terre à raconter la gloire de Dieu ou à devenir les exemples et les conseillers de l'humanité. Yves de Chartres affirme que la symbolique était enseignée au peuple; du moins il est probable que par les sermonaires, qui en faisaient un usage constant, le peuple avait acquis certaines notions de cette science confuse, contradictoire et illusoire. Les prédicateurs expliquaient les vitraux, les fresques, les bas-reliefs; mais chacun à sa manière,car on n'était d'accord que sur un très petit nombre de sujets. Saint Bernard,évangét!stesévère, réprouvait les ornementations symboliques, dont les églises et les cloîtres étaient historiés; il ne voûtait pas admettre ce langage, qui souvent s'arrêtait aux yeux, sans pénétrer jusqu'au cœur. H y a dans ses lettres, à ce propos, un passage très curieux Que signifient cette ridicule monstruosité, cette élégance merveilleusement difforme, ces diaormitésélégantes étalées aux yeux des frères pour les troubler sans doute dans leurs prières ou les distraire dans leurs lectures ? Que nous veulent ces singes immondes, ces lions furieux, ces monstrueux centaures ou semi.hommes, ces tigres a la peau mouchctre, ces soldats qui combattent, 'ces chasseurs qui soufflent dans leurs cors? Ici, ce sont des corps multiples à tête unique là, plusieurs te'es sur un seul corps. C'est un quadrupède ayant une queue de serpent, ou un poisson portant une tête de quadrupède. Voici un animal dont une moitié représente un cheval et l'autre moitié ure chèvre en voilà un autre ayant des cornes et se terminant en un corps de cheval. Enfin, c'est partout une telle variété de formes qu'il y a plus de plaisir à lire sur le marbre que dansles parchemins, et que l'on passe plus volontiers les journées à admirer tant de beaux chefsd'œuvre qu'à étudier et à méditer la loi divine (?) On a reconnudans cette description quelquesuns des (/M~a 6W/Ma/~ si consciencieusement décrits dans les bestiaires et figurés dans les cathédrales, le Tragelaphus, le Gryphe, l'Ixus, !e Myrmécoléon, le Phénix, les Faunes, les Satyres,.les Sirènes, les Lamies, les Onocentaures, la Licorne. D'accord, non plus avec la tradition et avec Samuel Bochart (dans son //Y<~o~c~ ou Faune Sacrée), mais avec l'interprétationrationaliste, M. Huysmans identifie ces monstres, la plupart mentionnéspar la Bible, avec les vul- (t) Cité par Ch. Gidel. S~r un /)oe~<'yrect'n~'<<n<~H/c 0 (M~OAOrOI (Annuairede l'Associationdes études grecques, .873). gaires fauves de l'Orient. Croyons fermement aux Gryphes et aux Lamies c'est plus amusant et peut-étre plus sûr. Croyons à la Gorgone de saint Épiphane, le plus ancien des pasteurs de chimères sacrées « la Gorgone ressemble à une belle femme; ses cheveux blonds se terminent en tête de serpents. Toute sa personne est pleine de charme, mais la vue de sa figure donne la mort. Au temps de sa fureur, d'une voix harmonieuse, elle appelle à elle le lion, le dragon, les autres animaux'; pas un ne se rend à son appel. Enfin, elle invite l'homme. Celui-ci s'engage à s'approcher d'elle, si elle veut bien cacher sa tête; elle le fait on en profite pour la prendre. Avec elle on tue les lions et les dragons.Alexandre avait avec lui la Gorgone Scylla. (i). M Elle est le symbole du péché et de la tentation. II ne parut pas suffisant aux exégètes trop pieux du moyen âge d'interpréter symboliquement la nature entière et quelques merveilles apocryphes; on soumit à ce traitement la mythologie gréco-latine.C'ëtaitfort ëdinantetunpoème tel que celui de Philippe de Vitry (xiv~) (2), Ro- (t)0p. cit., p. aaa. Le texte grec commenceainsi: MO~T~ -y<XpXO'~VX )M)t-n)TCH OïpH~ rcp~O~. (a) Ne pas le confondre avec Jacques de Vitry (xm* sièc!e~, mystique, sermonaire et historien, qui a d'ailleurs traité, mais man des Fables Ovide le Grand, eut sans doute un certain succès. Philippe a au moins le mérite de l'invention il est original à sa manière nous sommes surpris que M. Huysmans n'ait pas donné un aperçu de ses imaginations, bien faites cependant pour « désinfecter le latin du paganisme, qui empestait la luxure, puait un affreux mélange de vieux bouc et de rose » (i). Aspergées d'eau bénite, les Métamorphoses d'Ovide deviennent innocentes, etréconfortantespour les âmes inquiètes c'est une nouvelle Bible offerte à notre ferveur. Voici le tableaurectifié de Diane et Actéon Diane symbolise la Sainte Trinité; le Cerf,Jésus-Christ; Actéon,Jésus-Christ incar né; et les Chiens, les Juifs. Dans l'anecdote d'Apollon chez Admète, Apollon est encore le Christ; Mercure représente les Docteurs; les troupeaux, les Chrétiens; la houlette, la crosse épiscopale la lyre à sept cordes signifie à la fois les sept articles du Credo, les sept sacrements et les sept vertus. L'épisode d'Aristée est interprété ainsi Jésus-Christ est le taureau et les en latin, des sujets analogues dans son histoire des Croisades. Jacques de V;try, qui voyageaen Orient et qui savait le grec, a pu consulter des manuscritsbyzantins et recueillir des traditions orales. Après lui la légende des bêtes ne fait plus aucune acquisition. 1) La Cathédrale, p. 464. apôtres sont les abeilles. Biblis, amoureuse de son frère, puis changée en fontaine, c'est la Sapicnce divine Cadmus, le frère qui la rebute, c'est encore le peuple Juif. La Gentilité est dite par Pallas; l'Eglise, parPhèdre et par Atalante; Satan, par le serpent Python et par Vulcain; la Judée, par Céphale et par Callisto. Plus anciennement, on avait retrouvé les douze Apôtres dans les douze signes du Zodiaque mais cette opinion fut combattue et chaque signe fut plié à ngurer le Scorpion,Satan; le Sagittaire,Jésus-Christ triomphant; le Capricorne, le Pénitent; le Lion, le Méchant;le Cancer, l'Hérésie; le Taureau, le Sacrifice divin. La présence d'un signe appelé « Virgo », dans une nomenclature aussi ancienne, servit longtemps d'argument apologétique, ainsi que certains vers de Virgile et la littérature, complètement apocryphe, des sibylles. M. Huysmans cite une symbolique du corps humain, d'après Méliton (i); elle n'est pas très (t) Saint Méliton, évéque de Sardes, vécut au 11' siècle et fu un des grands théotogiens grecs. On lui attribuait une Clef de /j sainte Ecriture cet. ouvrage apocryphe, invoqué par l'abbé Auber dansson grand ouvrage sur le Symbolisme,est également cher à l'auteur de la' Ca~s~a/e. 11 est peu probable qu'une compilationoù l'on disserte sur la symboliquedes égHses go- thiques ait pour auteur un év&que grec du n' sièc)e cependant M. Huysmans écrit, après avoir cité Durundde Mende (Jtui* siè- curieuse en voici une autre, tirée du Livre de la Discipline de /l/MOMrdivine (i5i()) Moult noble et digne est la créature humaine, laquelle, selon l'âme, est image et semblance de toutes créatures. Le chefrond et clospardessus, où sont les sens corporels figure le ciel et les yeux représententle soleil et la lune et les autres sens les étoiles. Et comme est le mondegouverné par et selon les sept planètes du ciel, aussi il y a au chef humain sept trous, entrées et issues, pour gouverner le corps sensiblement deux ès yeux, deux aux oreilles, deux au nez et un à la bouche, par lesquelles l'âme fait ses opérations corporelles et ;pirituelles. Des quatre éléments, appert plus la clarté du feu ès yeux, l'air en la poitrine, l'eau au ventre et la terre ès jambes. Les os du corps humain sont représentationet Fgure des créatures qui ont être et non vie ni sens, comme pierres et métaux. Les ongles des pieds et des mains, et les cheveux qui croissent et décroissent insensiblement signifient les créatures qui ont être et vie végétative, lesquelles sont insensibles comme plantes et herbes. Le corps humain est figure et représentation du grand monde, et il est image et expresse semblance de Dieu créateur et de toute créature. L'époque de l'agonie du symbolisme fut aussi celle de sa plus curieuse démence je veux donner encore, car il est bon de connaître comment unissent les modes les plus longues et les coutumes les plus caractéristiques, un aperçu du Quadragésimal1 ~Me/, imprimé en i52o; cle) « Suivant d'autres symbolistes de la même époque, tels que saiutMélitoQ, évéque de Sardes, et le cardiuai Pierre de Capoue, les tours représentent la Vierge Marie. a c'est un livre qui, sans doute, fut édifiant La salade qu'on mange en carême, à l'entrée de table, c'est la parole de Dieu, qui doit nous donner appétit et courage. L'huile de douceur et le vinaigre d'aigreur, qu'on met par parties égales dans la salade, sont l'image de la miséricordeet de la justice divines. Les fèves frites représentent la confession. Il faut, pour bien cuire, que les fèves trempent dans l'eau il faut que le pénitent se trempe dans l'eau de méditation. Les pois, qui ne cuisentbien que dans l'eaude rivière, sont l'emblème de la pénitence, qui doit être accompagnée de la contrition véritable. La purée, qui pare b:eu les dîners de carême et qui se passe sur l'étamine, c'e.3t l'image de la résolution de s'abstenir de péché. La lamproie, poisson excellent et d'un prix élevé, c'est la rémission des péchés il faut le payer en rendanttout ce qu'on retient injustement,en ôtant toute rancune du coffre du cœur. Sinon vous ne mangerez cette lamproye dignement avec son sang, duquel est faite la bonne sauce, c'est à sçavoir le mérite de la passion. Par le safran qui doit estre mis en tous potages, sauces et viandes quadragésimales, s'entend la joie de paradis, laquelle nous devons penser en toutes nos opérations, odorer et assortir. Sans le safran nous n'aurons ~amais bonne purée, bons pois passés, ni bonne sauce pareillement, sans penser aux joies de paradis, ne pouvonsavoir bons potages spirituels. Ce morceau aurait trouvé tout naturellement sa place parmi les propos de table et les allusions culinairesdont M. Huysmans n'a pas dédaigné de larder sa Cathédrale, et il vaut bien la recette, d'ailleurs favorable, du pissenlit aux lardons (i). En somme, la symbolique, au cours de ces longues, un peu trop longues pages, est traitée d'une façon satisfaisante et avec une érudition bien faite pour éblouir le lecteur dévot aussi bien que l'mdin'érent. Le dévot ecclésiastique sera même natté de quelques erreurs d'un autre ordre, sur les vierges noires.surl'apostolicité de l'Église des Gaules, sur saint Denys l'Aréopagite, toutes questions autour desquelles le clergé dispute avec âpreté et que M. Huysmans résout dans le sens qui sera le plus agréable aux curés archéologues.Il est entendu que les vierges noires,telle quede Chartresou du Puy, sont d'origine druidique « Bien avant que la fille de Joachim fut née, les Druides avaient instauré, dans la grotte qui est devenue notre crypte, un autel à la Vierge qui devait enfanter, V/ï/<M/~<?. (t)Z.<ïCa</tc~r<t/c,p. 438. Ils ont eu, par une sorte de grâce, l'intuition d'un Sauveur dont la Mère serait sans tache. » Il n'y a pas à insister. Les vierges noires sont d'origine orientale et aucune n'est signalée en France avant le xn~ siècle. Elle est bien curieuse, cette littérature des préngurations! On est allé chercher jusqu'en Chine le pressentiment de la ViergeMère et l'on a trouvé que la vierge KiangYuen conçut son fils Heou-Tsi miraculeusement, par la lueur d'un éclair La mère de Yao fut fécondée par la clarté d'une étoile; celle de Yu., par la vertu d'une perle qui tomba dans son sein (i) Qui doutera, après cela, de l'innocente piété des Druides? La seconde des erreurs, tout ecclésiastiques, que l'on a soufflées à l'auteur de la Cathédrale,est la prétention de faire remonter aux disciples immédiats des Apôtres, sinon aux Apôtres eux-mêmes,l'évangélisation des Gaules et la construction des anciennes églises d'où sont nés les monuments définitifs érigés dans le moyen âge. La vérité est que, si l'on excepte Lyon qui eut une église vers l'an 198, il n'y avait encore, au milieu du m~ siècle, aucune trace sérieuse de christianisme dans les Gaules en réalité, l'évangélisation des Gaules (!) A. Bonnetty 7'ra~<ofMj9/'<Mttt<~M(Annales de Phitosophie Chrétienne, t83~). date de saint Martin, au iv<' siècle. La troisième erreur de ce genre est la plus curieuse, la plus absurde et la plustenace; c'est celle qui fait d'un grec nommé Denys, converti par saint Paul, à la fois l'auteur d'une série d'admirables ouvrages mystiques, le premier évcque d'Athènes et le premier évcque de Paris. Ce personnage mythique assume ainsi sur lui seul la vie de trois Denys bien distincts l'évoque d'Athènes, Denys l'Aréopagite; saint Denys, martyrisé à Paris à la fin du in" siècle; enfin, un écrivain grec du vie siècle qui écrivit des livres de théologie mystique et les publia frauduleusementsousle nomde Denys l'Aréopagite. Cette question était résolue dès le xviï~ siècle,mais la piété veut des miracles. Or quel plus étonnant miracle qu'un contenporain de saint Paul dissertant de la hiérarchie ecclésiastique et des diverses sortes de moines? V Tout cela, sans doute, n'a pas grande importance parmi les feuillets d'un roman mais cela prouve aussi qu'on ne s'improvisepas historien, comme d'autres pages de la Cathédrale prouvent qu'on n'apprend pas facilement la théo- logie, mystique ou doctrinale. Ce qui,par exemple, semble à M. Huysmans primordial dans la vie des saints, ce sont les visions, les hallucinations, les luttes contre le diable; il ignore que tout cet accessoire n'est jamais un motif de canonisation (i); qu'on ne l'accepte que s'il vient en superfétation à une vie de renoncement, de sacrifice et de charité; que les accidents cérébraux, si fréquents chez les saintes, ne le sont pas moins chez les hystériques; ou bien, épris d'abord du pittoresque et du singulier, il retient le diable comme l'indispensable metteur en scène des féeries de la sainteté. Voulantconter quelques trait,s de l'histoire de Christine de Stommeln (qu'il appelle, d'après quelque mauvais document, Christine de Stumbèle), ce qu'il choisit, ce qui le touche et le frappe, c'est la série des farces stercoraires qui troublèrent la vie de cette charmante fille et qu'elle atribuait à Satan. « Ils s'entretiennent,en se chauffant, des incursions nauséabondes que le Démon tente et, subitement, les scènes se renouvellent. Ils sont, les uns et les autres, inondés de fiente, et Christine, selon l'expression du religieux, en (,) Ccrdinat Lamberti De Canonis.(Cité par Brière de Boismont, Hallucinations. a* éd., p. 5a3.) demeure tout empâtée. M (i). Ce religieux, Pierre de Dace, qui était l'ami et le confident, mais non le confesseur de Christine, a, en effet, noté une partie de sa vie et Renan nous l'a dite à son tour d'aprèsles Bol!andistes,Quétif,Papenbroch et un biographe moderne (2). C'était la fille de paysans des environs de Cologne. Elle avait reçu quelque instruction, ne savait pas écrire, maislisaitet comprenait assez facilement le latin. Liée dès son enfance à Jésus, comme Catherine de Sienne, par un mariage mystique, elle fut très pieuse, très douce et très douloureuse, « sponsa dolorosa ». C'est en 126~ que le jeune dominicain Pierre, né dans l'île de Gothland, et étudiant monacal à Cologne, rencontra pour la première fois Christine. Il avait pareillement destcndanccsàl'exaltation mystique: un très pur amour joignit les cœurs de ces deux enfants et, une nuit de prière et d'exaltation, ils célébrèrent leurs fiançaillesspirituelles « 0/e//tT nox, dit plus tard Pierre de Dace, o dulcis et delectabilis ~oj? </M~ mihi /)/ïM/~ est C~rM~V~6~H/M<yMa/S'M~?Do/M/ )) Christine, véritable martyre de l'hystérie, avait (i) Les hallucinationsde ce genre ne sont pas très rares dans le délire hystérique. Cf. Brière de Boismont, op. cit., observations ~3 et 74. (a) Revue des Deua~-Ttfoncfes, t5 mai 1880. des haHucinations de tous les sens, ou dominaient les impressions répugnantes et tristes; de plus, par dévotion, elle se lacérait le corps avec des clous aigus; elle était couverte de blessures; son sang coulait un jour elle donna à Pierre un de ces clous sanglants « tout chaud encore de la chaleur de'son sein ». Singulièresamours!1 Mais nous sommes au temps et au pays d'Hildegarde, de Mechtilde et d'une autre Christine, aussi énervée, aussi languisante d'amour et de douleur; et nous sommes au pays de Catherine Emerich, la créature miraculeuse. H faut comprendre tous les états d'âme et connaître la diversité des désirs. Lorsque, après une absence, Pierre revint à Stommeln, il trouva Christine plus calme, s!mp!e, aimable, souriante, « pleine de grâce en ses mouvements » elle souffrait moinset remplissait dans la maison aisée de son père l'office d'une jeune fille accueillanteet hospitalière, versant avant et après le repas l'eau de l'aiguière sur les mains des convives. Pendant ce séjour de Pierre à Stommeln, Christine devint le prétexte et le centre d'une petite académie mystique; quelques frères prêcheurs, l'instituteur de la paroisse, Géva, l'abbesse de Sainte-Cécile, Gertrudc la sœur, et Hilla,l'amie de Christine, la vieille Aléide, se réunissaient pour lire et commenter Denysl'Aréopagite ou. Richard de Saint-Victor. Rien ne paraît médiocre en ce milieu; la piété touche à la philosophie et la dévotions'élève au mysticisme. Pierre étant de nouveau parti pour la Gothic, il s'établit une corespondanceentre les deuxnancés; elle est le témoin d'une amitié passionnée; Christine révèle à Pierre que Jésus lui a promis qu'ils se- raient assis l'un près de l'autre pendant toute l'éternité; elle se répand en douceurs; elle écrit enfantinement « C~ro,cariori,c~ïo/r~~ C~r~M<x Iota. » Cette correspondance s'arrête A l'an 1282; Christine avait 4o ans. Ensuite on ne sait plus rien de Pierre, sinon qu'il mourut en 1288, prieur de Witsby. Son amie, et c'était « ce qu'elle avait redouté comme le plus dur de ses martyres », lui survécut; elle ne mourut qu'en i3r2, ayant recouvré avec l'âge la paix physique et la paix spirituelle. Tel est, en abrégé, ce petit roman d'amour pur, exemple du platonisme pieux qui séduisit tant d'âmes élégantes en des siècles où les mœurs étaient grossières. C'est la grossièreté du siècle qui a séduit M. Huysmans et non !a grâce exceptionnelle de cette Christine, ou la douceur de son ami Pierre toutes les eaux lustrales de la pénitence n'ont pas encore lavé de son vieux natu- ralisme l'auteur héroïque de la Cathédrale. Peut-être aussi qu'après le Satan lubrique de l'occultisme et de l'hérésie il a voulu esquisser le caractère du Satan orthodoxe, et qu'il l'a vu, comme le voyait le moyenâge, sous la formeparticulière d'un personnage immonde et facétieux. Satan fut le « gracioso », le pitre des édifiants spectacles de jadis, le bobèche malpropre qui, ayant fait rire la populace, finit par être culbuté et bafoué. Dans les possessions, Satan et sa monnaie, les Diables, jouaient le rôle du principe inconnu; ils représentaient l'origine de toutes les maladies mystérieuses. On prouvait l'existence et la ténacité des Diables par l'inguérissablepourriture destroisélémentscorruptibles, que le quatrième,le Feu, est impuissant àpurifier. Et comme tous les moyens humains échouaient, on eut recours à la magie. C'est très ancien. De là les formules romaines de l'exorcisme,magnifiques obsécrations. Saint Augustin parle des esprits mauvais comme aujourd'huion parle des microbes: « Ils abusent de notre chair, outragent notre corps, se mêlent à notre sang, engendrent les maladies (i). » Ils résident spécialementdans les eaux, dont la nocivité est ainsi expliquée, r) De D~M~a~, III, m. aussi clairement, en somme, par la liturgie que par la science il faut que les eaux soient bouillies ou stygmatisées du signe de la rédemption, car les démons redoutent également le feu et la croix. En 1870, Pie IX, affirmantque « les démons étaient fort nombreux, terribles et méchants, en ce moment », concluait c Invoquons, c'est la seule médication, Jésu~-Christ, lequel fut suspendu au gibet pour la purification de l'air, ut naturam purgaret. » Voilà bien des commentaires et bien des petites critiques,d'érudition plus que de littérature, sur un livre qui, d'ailleurs, les supportera volontiers. Il a des mérites nombreux. Plus de la moitiéde ces longues pages est un style parfois de bas-relief et digne de la grande imagerie de pierre qu'il glorifie; mais la partie moderne, de vie et de dialogue, ne surgit que faiblement,demeurée en grisaille. Là, l'écriture est parfois si faible que cela chagrine. On y trouve jusqu'à des phrases de prospectus de bains de mer: « Lourdes bat son plein; » sainte Thérèse y est qualifiée ainsi « l'inégalable abbesse, » faute de goût et qualificatifsingulier chez un écrivainqui devrait, lui au moins, savoir que les fonctions et les noms d'abbé et d'abbesse sont particuliers aux ordres monastiques qui suivent la règle de saint Benoit, traditionnelle ou réformée. Enfin, la vaste mosaïque a des taches et des trous e~, en bien des endroits, les petits cubes de verre ont été plaqués au hasard de la cueillaison. Ce livre abondant est sec. Il est dénué d'humanitéà un degré presque douloureux. Rien de doux, de fier, de pénétrant, pas un de ces mots qui, à défaut de toucher la raison, émeuvent et font que l'on désirede participer à une croyance ou un rêve; rien de religieux, non plus, silesentimentreligieuxest autre chose quel'hyperdulie maniaqued'un chanoine de province;rien degrand la religion de Durtal oscilledu rosaire à l'archéologie son amour pour la Vierge est sincère, mais il n'a pastrouvé les mots qu'il fallait dire pour forcer à l'exaltation les cœurs défiants. Je ne puis donc accepterla Cathédrale comme un véritable livre d'art catholique; c'est plutôt le livre de la « religion d'art ? mais alors, ne voulant tenir compte ni des erreurs, ni deslacunes, ni des défaillances,je l'accepteraitrès volontiers comme un beau livre. Les apologistes protestants, pour mieux vitupérer le catholicisme, s'évertuèrent à démontrer qu'il n'est rien de plus, ni de moins, que la perpétuitédu paganisme. Et on peutdirequ'ils y ont réussi, tant la haine a de persévérance et d'ingéniosité. Il n'y a presque rien à reprendre en des ouvrages tels que celui de Pierre Mussard, bra.e homme que Pierre Bayle, avec une excessive indulgence, qualifie d'homme fort illustré, vir a~/Mo~H/M/M~ il était du moins fort savant, comme en témoignent ses « Conformités des cérémonies modernes avec les anciennes où l'on prouve par des autorités incontestables que les cérémonies de l'Église romaine sont empruntées despayens (ï))). Ce livredudé- (t) A Leyde, chez Jean Sambix, t66y. Cette édition est rare. Celle de Jean de Tournes, à Geuèvre, un peu untériettret'est davantage encore. Oa suit celte d'Amsterdam, 1744 PYSCHOLOGIE DU PAGANISME I! vot pasteur est agréable et reste, complété par les diatribes de quelquesfanatiques plusrécents, la meilleure preuve de l'antiquité et aussi de l'excellence du catholicisme. Une religion, c'est un ensemble très complexe de pratiques superstitieuses par lesquelles les hommes se rendent favorables les divinités. On ne perfectionnepas de pareil~ 'sternes il faut les accepter tels que lesgénéraf~nslesontorganisés,oules nier rigoureusement. Les plus anciens sont les meilleurs; c'est une grande absurdité de vouloirrendre raisonnables les jeux des enfants et une grande folie de vouloir épurer les religions. Les jeux surveillés par des maîtres taquins n'en restent pas moins des jeux, quoique moins amusants; les religions réformées n'en restent pas moins des religions, mais dépouillées de toutes leurs grâces puériles. Une croyance, quelle qu'elle soit, est une superstition. Croire en un seul Dieu et le prier, si c'est un acte pieux, il est d'une piété plus large et plus belle de croire en tous les dieux du Panthéon et de leur offrir à tous des fruits et des agneaux. Pourquoi le seul Jupiter ou le seul Jéhovah? Ont-ils donc démontré leur existence objective mieux que les héros ou les saints? En ôtant au christianisme le culte des saints, les protestants lui ont ôté tout ce qui faisait sa vérité humaine. Les vrais dieux, il faut peut-être qu'ils aient d'abordvécu leur choix sera alors dicté au peuple par l'idée qu'il se fait de l'état divin, c'est-à-dire de l'état héroïque. L'accordest plus facile avec des dieux qui furentdes hommes ou qui, du moins, font figure d'hommes, par leur corps, même perfectionné, par leurs passions, leurs amours et presque toute la religion tourne autour de cet acte sim ple et moral, le contrat. Ons'égaiebeaucoup en ces années de la forme qu'a prise le culte, d'ailleurs très ancien, de saint Antoine de Padoue. Le fidèle promet à cette idole une offrande en échange d'un service tel est le thème. Il est aussi vieux que les plus vieilles reliquesdela superstition religieuse. Le dieu a diflérents besoins que son pouvoir ne sufiic pas à lui procurer il ne saurait, parexemple, se bâtir lui-même des temples, s'adresser des prières, se brûler de l'encens. C'est donc l'homme qui pourvoira à ces besoins de vanité; et le contrat intervient. L'homme apportera sa pierre au temple et le dieu donnera à l'homme les biens terrestres qu'il ne peut atteindre par sa seule industrie. C'est au dieu de juger si le marché lui convient. H lui convient assez souvent pour que l'homme soit confirmé dans sa croyance. La religion n'est tôlerie par les hommes que pour son utilité pratique. C'est cette utilité qui démontre sa vérité. « La vie était, pou r les Phéniciens,dit M. Philippe Bercer (ï), un contrat perpétuel avec la divinité. » Mais la vie de l'homme pieux ou du croyant a toujours été un contrat tacite ou formule, et le mystique lui-même n'échappe pas à cette nécessité, ni même le quiétiste. Il n'y a pas d'amour qui ne désire l'amour et qui ne l'exige au fond de soi sainte Thérèse veut être aimée alors même qu'elle sacrifie ses joies à sa passion. Dans le protestantisme, c'est la foi qui remplace les œuvres eu l'un des plateaux de la balance on fait avecDieu le marché qu'il sauvera Famé qui croit en sa divinité. Cela n'est pas moins naïf, quoique plus audacieux encore, que les contrats polythéistes, car vraiment on offre alors bien peu de chose, en échange d'un bienfait, à la toute-puissante idole intellectuelle.La prière est tout au moins l'amorce d'un contrat entre l'homme et Dieu. Si Dieu accorde la grâce demandée,l'homme est tenu, sous peine de voir sa prière inexaucée à l'avenir, de se conformer aux règles établies par les prêtres; mais il y a un accommodement. (t) r/t~HCff, dans lu Cf'an~ A'~e/o~<M«'. Dans le Journal inédit d'un pasteurcalviniste, je relève souvent ces cris: « Jésus, rappelle-toi tes promesses Tu m'as dit, en i836, que tu serais toujours avecmoi. 0 Jésus, en 1836, dans cette galerie, seul, en prière, tu me promis de me tenir par la main, de m'accompagner, de me soutenir jusqu'à la mort. » II cite à son Dieu les dates où cette promesse a été tenue ie 23 novcmbreiSSy.chezM'~dcN~.àWahcrncn i84o, à Genève, en 1842, etc.; et il dit trèsfranchementt à son divin contractant « Tu as tenu ta parole depuis trente-quatre ans, je n'en pourrais dire autant,sans doute, je suis un pécheur, mais je compte sur ta bonté. » C'est l'appel à la bonté des dieux qui fait l'originalité de ces sortes de contrats. Il faut bien que les hommes, s'ils ont la notion abstraite de la bonté, la situent quelque part; cela ne peut être en eux-mêmes, lâches, cruels et parjures Dieu es. fait de ce qu'il y a de moins humain dans l'homme. Le contrat est l'essence des religions. Il s'applique à toutes indifféremment et les explique toutes. Un bon traité du contrat religieux serait un livre indispensable pourl'étudede la psychulogie humaine, en même temps qu'il fonderait l'histoire scientifique de la religion, qui est encore à peine pressentie. La religion romaine était donc basée sur le. contrat; quand elle s'agrégea le christianisme, secte moraliste sans avenir populaire, elle consentit à quelquesmodificationsscripturaires dans le libellé des formules. Le MERCURIO ET M1NERVAE DIIS TVTELAP.ÎB. .est devenu, dans la suite des temps, MARIA ET FRANCISCE TVTELARES MEI et c'est un des changementsles plus importants qui aient signalé le passage du paganisme au catholicisme. On s'est amusé à rédiger les fastes du christianismed'aprèsles œuvres oratoires et de parade des théologiens et ainsi on a obtenu l'histoire de l'évolution de l'idée religieuse dans les cerveaux,relativementsupérieurs, des maîtres du peuple; mais l'histoire de la religion populaire serait bien différente, et c'est la seule qui compte, puisque la religion est un besoin enfantin, puisque les créances religieuses des maîtres du peuple ont finalement abouti au scepticisme cartésien. Si l'on entreprenait une véritable histoire du catholicisme romain,d'abordon ne tiendrait nul compte de la réforme, qui n'est qu'uu arrêt de développement ou une régression; le protestantisme trouverait place dans l'histoire de la philosophie, où il forme le parti réactionnaire, bien plus que dans l'histoire dela religion dontil a déformé les vrais principes; cette question écartée, on remonterait aux plus anciennes religions connues dontle romanisme peut réclamer l'héritage, jusqu'auxPhéniciens, jusqu'aux Égyptienset, ça etlà, trèsloin,jusqu'au cœur des plus vieilles superstitions asiatiques. En suivant les métamorphosesdes croyances,on devrait parler de Jésus, sans doute, mais pas plus que de Bacchus, d'Isis ou de Mithra: il y a autant que de christianisme,du bacchisme, de l'isiacisme et du mithriacismedans le catholicisme populaire, tout cela greffé ingénumentsurl'arbre aux nobles branches du vieux Panthéon romain. Comme nous avons reçu la langue, nous avons reçu la religion du Latium; c'est au delà de l'Empire romain, et seulement au delà, que le Christianisme juif a pu s'établir et vivre. Les pays aujourd'hui protestants ont toujoursété chrétiens; les pays aujourd'hui catholiques onttoujoursété romains ou gréco-romains un atlas historique rend très sensible cette vérité méconnue. n Au temps de Tibère, on pouvait encore inventer une morale, on ne pouvait plus inventerune religion. Celles qui existaient, en Occident ou en Orient, dépassaienten beaùté et en richesse toutes les imaginations qui pouvaient fermenter dans la tête d'un prophète juif ou d'un romancier gréco-latin. Ni Jésus ne fonda une religion, ni Philostrate. Mithra venait d'Orient avec un dogme complet. Bacchus et Isis attiraient à eux, avec d'immenses troupes de croyants, toutes les superstitions éparses sur des terres ravagées et durement labourées. H y a un mollusquequi ne peut devenir un coquillage qu'en s'attribuant une carapace abandonnée le christianismedevint une religion en s'introduisant dans le paganisme mythologique,dontla vieillesse avait affaibli lesorganesintérieurs. Un apôtre,vêtu,comme un philosophe, d'une robe de hasard et tous ses poils flottant comme sous un vent prophétique, entrait dans un temple et rebaptisait le dieu séculaire. Mars devenait Martine, sansque le peuple, habitué aux nouveautés religieuses, manifestât un grand étonnement. Tant de statues surabondantes gisaient dans les villas dé- vastées parlesguerrcs;on érigeait la femmesur le socle d'où le dieu tombait, ayant trop vécu une inscription nous assure de la métamorphose ingénue Mart!rn gestans virgo Martina coronam Ejecto btnc Martis numine templa tenet. La guerre est entre les dieux, mais non entre les religions; il n'y a qu'une religion, elle se rajeunit. Parfois des apôtres plusinstruits de l'évangile ordonnaientla destruction des temples, l'anéantissement des dieux, mais le peuple alors se révoltait et la religion ancienne se perpétuait dans les forêts, dans les grottes. Plus tard, ces brutalités évangéliques engendrèrent la sorcellerie, un culte secret devenant nécessairementorgiaque et malfaisant.A Paris, de nos jours, quand la religion baisse, la somnambule gagne; la libre-pensée, pour le peuple, c'est le tarot et le marc de café. On déplace la superstition,on ne la détruit pas. En ses instructions au moineAugustin, Grégoire le Grandse prononcefermement contre toute démolition inutile « Ne pas renverser les temples, mais seulement les idoles si les templessont solides, les utiliser. » Quelle leçon pour les faux idéalistes que l'esprit pratique d'un pape qui sait ce que coûte la maçonnerie et qui sait aussi que le peuple, heureux qu'on lui embellisse ses églises, ne souffre pas volontiers !cs démolisseurs. Grégoire cependantcontredisait Dieu qui a dit « Détruisez, démolissez, brisez, brûlez, ravagez; pulvérisez les statues, rasez les temples; le fer, le feu et le sang (i) » Mais, pape romain, il est nécessairementsupérieurà un dieu barbare. Il est civilisé. C'est pour avoir pris à la lettre les commandements de cette idole asiatique que les tristes protestants allumèrent tant d'incendies en France et en Allemagne. L'auteur des Conformitésles loue de leur rage destructrice et il n'a à sa disposition que trop de textes de pères de l'Église pour corroborer son fanatisme. Le peuple n'est pas destructeur. Il n'en a pas les moyens, pas plus qu'il n'a ceux de construire; son rôle est de conserver, et il s'en est acquitté au cours des siècles avec un zèle admirable, malgré ses prêtres. On pourrait reconstituerla vieille religion romaine avec ce que la piété populaire d'aujourd'hui en a conservé. Dans une précédente étude (a), on a donné quelques exemples de la continuité religieuse. (!) Exode, xxxtv, a3; Deuf., xu. a, 3. (a) Voir page t~a. En voici d'autres, qui ne sont pas sans intérêt. S'ils sont offerts sans coordination rigoureuse, c'est qu'il ne s'agit ici que de notes introductives et d'un appel aux érudits plutôt que d'un travail d'érudition. Les Romains vénéraient qui pro- tégeait leurs champs contre les épines, les chardons, toutes les mauvaises herbes aiguës, néfastes aux troupeaux (i); nous avons, pour le m~ne office, N.-D. du Chardon,N.-D. de l'Épine que les paysans saluent en revenant du labour et que les femmes, !e dimanche, parfument de bouquets. Spiniensis est champêtre; il est vicinal. Les voyageursmal renseignéslui demandent leur chemin et qu'il écarte les voleurs. Mais c'est à Trivia et à ses obscurs auxiliaires que reviennent légitimement ces soins particuliers. On trouvait leurs images encastrées dans les troncs vénérables des vieux chênes, à peu près semblables à ces vierges dolentes que l'écorce ravivéeenserredans une gaine vivante. Les dieux vicinaux, c~7 semitales,accueillent les prières des voyageurs et agréent les ex-voto du retour. On pend aux branches de l'arbre le bâton, les san- dales, ou la bourse (vide) qu'ils ont préservée (i; Everardus Otto, DeD«s~'<ï/<&MS. Macdebourc.?~ XXJH, o a' des bandits. Avant de partir, on avait puisé à la source voisine un vase d'eau bénite (lustrale) dont on s'aspergeait pieusement; et !e voyage accompli, c'était encore la même cérémonie. Ce que l'on avait promis à l'idole, elle l'exigeait. Le vœu était sacré solvere vota, payer le prix convenu au contrat. Si ce prix, comme encore aujourd'hui, allait aux prêtres, parasites de ces asiles, cela semblait juste; avec l'argent des vœux, les prêtres, du moins, entretiennent la fraîcheur des idoles et les nourrissent de prières et d'encens. Mais on retrouve enfouis par la piété sacerdotale (les trésorssacrés.Le prêtre est trop crédule pour n'être qu'un exploiteur; il craint son dieu autant qu'il se fait, lui, craindre du fidèle. Les parapets des anciens ponts étaient som- més au-dessus de chaque pilier, ou vers le milieu seulement, de la statue du protecteur, très souvent une vierge. Ammien Marcellin décrit ces images en un latin si vert et si vivant qu'on croit lire une langue moderne (t) « ~Ma~ commarginandis pontibus ~~a~ ~o/a/~Hrincomte in hominum figuras. » Les ponts d'aujourd'hui s'ornent de telles figures, mais ridi- (t) XXX), cules, même si elles étaient très bcHes, parce qu'eltcs n'ont plus de signincation. L'art est obligé d'être utile, quand il veut être populaire. Les gens s'arrêtaient un instant devant ces simulacres ou les saluaient en passant, ainsi que font encore les paysans qui rencontrent un calvaire ou une Vierge. « Comme presque toujours les voyageurs pieux, dit Apulée, au début de ses Florides, s'ils rencontrentsur leur route quelque bois sacré ou quelque lieu saint, se mettent en prières, déposent un ex-voto, s'arrêtent un instant. », et parmi les motifs de ces sanctuaires il cite !e <~M~CM~ dolamine effigiatus et l'autel champêtre enguirlandé que rappellent singulièrement les grossières bonnes vierges noires parmi les fleurs fraîches. C'est à la Diane des chemins, à Trivia, que Marie a succédé le plus souvent; et on se demande si la vieille idole fut partout renversée, si tout l'effort contre la superstitiondu peuple aboutit à plus qu'un changementde nom ? Mais si !c nom fut changé les attributs demeurèrent et les surnoms et les offices; Diana scr~a/r~ devient tout naturellement Notre-Dame de Bon-Secours, ou de Rccouvrance, et Diana r~M.r c'est N.-D. des Flots, celle qui assure contre le péril des longs voyages. Parmi les autres dieux vicinaux, l'un des plus aimés était Silvanus. Les inscriptions en son honneur sont fort nombreuses. On le qualifiait volontiers de sanctusetil était le maître desLares SILVANO SANCTO.SACRO LARUM. C~ESARI C'était un saint tout fait. Il passa directement sur les autels chrétiens sous ce nom de saint Silvain que lui donnaitdéjà la piété populaire.Mais Priape, trop compromis,dut changer de nom il prit celui de Sanctus Vitus, afin que les chrétiennes pussent invoquer sans rougirle dieu pour qui les femmes eurent toujours une particulière dévotion. Ainsi, en quelquessiècles, la religionde la virginitéet de la pudeur en était arrivée,sous la pression du peuple, à tolérer sur ses autels le maître des luxures, exemple amusant de la puissancenaturelle de la vie Mais il ne faut pas s'y méprendre canonisé,Priapede vintfort décent et enfin matrimonial. Il ne dénoue plus l'aiguillette qu'au profit de la fécondité; le démon travaUle à peupler leparadis et à donner aux anges des frères(i). (t) Cf. G. H. Nieupoort, Rituum qui o/t~ ao. Roman. bo!inuerint Liber; Trêves, ïyaS. Chaque maladie a son guérisseur et chaque métier a son protecteur. Arnobe et S. Augustin raillent l'humilité de ces dieux qui consentent à de si bas offices; ils ne railleraient plus, apologistes du présent siècle. Ce qu'ils ont haï règne, au nom même et sous l'égide du Dieu qui inspirait leur satire. Dieux guérisseurs Saints guérisseurs S. Vitus devenu Priape 'StérHtté S. Gui, S. Gui- p Impuissance gnotet [ S. Paterne. Strenua Faiblesse S. Fort. S. Roch. Apollon Peste S. SébasUcn. Hercule Epilepsie S. Valentin. Junon Lucine Douleurs de l'enunon uClDe Ste Marguerite fantement t te arguerl~e Vibillia fait re- S. Antoine de trouver leur Padoue fait re- chemin aux trouver les obvoyageurséga~ jets perdus. rés. HIppona, ou Epo- Maladiesdes che- S. Georges. pona vaux S.Etoi. Cette liste n'est qu'une amorce. On en continuerait longtempsle parallélisme, avec plus ou moins de précision. A Febris, qui éloignait la nèvre; à JM~M~, qui préservait les blés de la rouille à Stercutius, qui donnait. sa valeur au fumier à Orbona, qui protégeait les orphelins, on opposerait une magnifique liste d'analogues jeux de mots, car S. Bonaventure guérit du mal d'aventure. S. Léger – de l'embonpoint. S. Ouen – delasurdtté. S. Claude les éctopés. S. Cloud des clous et boutons. S.Bomfacc de la maigreur. S. Atourni desétourdissemenis. Ste Claire S. Clair Ste Luce des maux d'yeux. Ste Flaminie de Clairmont S. Genou – de la goutte. Dans le symbolisme (i), saint Georges et son dragon figurent Hercule et l'Hydre; Apollon porte-lyre revit en sainteCécile, en saint Genest; Bacchus,en S. Vincent; Vulcain,en S. Eloi; Mithra, en N.-D. des Sept Douleurs Jupiter Ammon, dans le Moyse cornu. Comme Diane protégeait Ëphèse; Minerve, Athènes; Vénus, Chypre Sainte Éligie protège Anvers; S. Marc, Venise S. Wenceslas, la Bohême. Même race, même psychologie, même religion cela est invincible. Au temps de la ferveur républicaine, (ï) Sur cette question M. Gaidoz, directeur de Jt~/Mt~, est l'homme du monde le mieux documenté. on offrit des bouquets à la Marianne de la place de la République pour exister dans l'âme du peuple, elle avait dû se diviniser. Beaucoup de sanctuaires romains sont d'anciens temples païens qui, dans leurs noms nouveaux, laissent lire leur généalogie (i) Temples Eglises JupiterFeretrius. In Ara Cœ!i. La BonneDéesse. Ste-Marie Aventine. ApollonCapitoHn. Ste-MarieduCapitole. Isis (au cirque de Flaminius) SanctaMariain Equi- Minerve. rio. Ste Marie sur la Vesta. Minerve N.-D. du Soleil Romulus etRemus. S.Corne etS.Damien Les chaires en marbre de certaines églises de Rome sont des baignoires qui viennent de Dioclétien dans la cathédrale de Naples, les fonts baptismaux ne sont autre chose qu'une ancienne cuve de basalte ornée de très beaux bas-reliefs où se lit l'histoire de Bacchus(2). Près de Mon (t) H y a des renseignementslà-dessus, mais pastoujourstrès sûrs, dans la Lettre ècrite de .Ro/Me, de Conyers Middleton Amsterdam, 1764. (a) Paganism in the Roman Church, by the Rev. Th. Trede, pastor of the evangelical church of Naples (The Open Court, june t899). Ce révéreod continue, mais avec une bonne humeur ironique et attristée, le tt'avail des Con/b~'nt~es. On ne sauraitt trop encourager ces sortes de travaux dirigés contre le roma- nisme populaire, ils en sont la plus utile et la plus belle apologie. Nous utilisons la charmante étude de M. Trede 4 teleone, une Ariane mutilée, dressée près d'une fontaine, est vénérée sous le vocable de Santa Venere (i); les femmes invoquent son secours en de « certaines circonstances » que le révérend n'ose préciser, mais qui doivent être à la fois la stérilité et les peines de cœur. Dans le voisinage il y a un havre appelé Porto Santa Vénère. La plus ancienne église bâtie à Naples remplaça un temple dédié à Artemis c'est la Madone qui assuma toute la dévotion antique comme à Pausilippe, où elle succéda à VénusEuplua,nom qui correspond exactement à N.-D. des Flots. Divinisé par Adrien pour qui il était mort, Antinousfut gratinéàNaples d'untemple devenu populaire; S. Jean-Baptiste, mort aussi pour sonmaître, a pris la place du favori de l'empereur. Ce seul exemple suffirait à prouver à quel point l'idée religieuse et l'idée morale sont des conceptionsopposées ellessontsouventcontradictoires. Le temple d'Augusteà Terracineest devenu avec une délicieusefacilité l'église S. Césarée. A Marsala, l'auteur de l'Apocalypse, prédestiné à ce rôle, rend les oracles au fond de l'antred'une ancienne sibylle, et vraiment ici la naïveté confine à l'épigramme.AMonte Gargano, c'est S. Michel (t) Cf. Sainte Venise,et voyez page du posent ouvrée. qui s'est substituéà Calchas dans le même office. Le Mont Cassinjadis fréquenté par Apollon Python sert maintenantde retraiteàS. Martin,autre tueurdemonstres. AMeta, une Vierge guérisseuse continue au peuple les soins qu'il recevait jadis de Minerva Medica. En général, comme l'a démontré M. Marignan(i), les pèlerinages aux tombeaux des saints sont la continuation directe des pratiques du culte d'Esculape; mais par la force du principe d'utilité, sans lequel aucune religion ne peut vivre, bien d'autres dieux qu'Esculape furentguérisseurs et, d'autrepart, c'est la Vierge Marie qui, trèsfréquemment, a succédéà ces divinités bienveillantes ainsi encore à Cos, où le peuple a retrouvé avecjoie en une N.-D. du Perpétuel-Secours, la pitié des Asclépiades (2). Il y avait, au sommet du mont Vergine, près de Naples, un sanctuaire célèbre de la Bonne Déesse c'est encore la Vierge qui reçoit les cinquante mille pèlerinsqui gravissent'tous les ans à la Pentecôte la colline sacrée. Sur lè golfe de Tarente, il y avait dans les pays anciens un temple dédié à Héra, célèbre parmi toute la colonie grecque qui y venait en (t) LaMédecinedansl'égliseau vf siècle; Paris, Picard, t88~. (a) Cf. la préface desjtftMesd'Hérondas,trad. deP. Quillard; Paris, Mercure de France, i goo. pèlerinage, s'y répandaiten processions.Sous les Romains, Héro devint Juno Lucina et au v~ siècleFévêqueLuci fertransforma JunonenMarie. LesSarrasinsabolirentce queles chrétiensavaient respecté. Mais Aphrodite règne encore au mont Eryx, toujours plein de colombes, toujours sacrées elle a pris un nom de madone, il est vrai les déesses elles-mêmesdoivent pour rester femmes et belles, se plier à la mode. On a donné tous ces détails pour fixerles idées et pour faire réfléchir. Ils valent bien une dissertationméthodique.Comme ils'agit d'insinuer et non de prouver, besogne inférieure,on n'a pps le dessein d'insister ni conférerles cérémoniaux, les mœurs, les usages, ni de rappeler par exemple que la coutume d'injurier les saints est une traditionpaïenne, et qu'on honorait ainsi Démé ter et, à Rhodes, Héraclès, et que le cardinal Bellarmin(i) constate que de son temps les fidèles ne craignaient pas de conspuer la Sainte Vierge, et blasphemando meretricem appellare /ïo/t ~/M~. Les parallèles, se gâtent quand on multiplie les détails et les points de comparaison. Cela donne au scepticisme le temps de se retourner et de préparerses arguments. (i ) Traité de l'art de bien mourir, t. M!. Comme les langues, les religionsse sont systématisées et localisées,selon une logique que la science peut analyser, mais qu'elle ne peut ni réformer, ni diriger. Tout pays où le christianismes'est enté sur la barbarie a une tendance au protestantisme Tout pays où le christianismes'est enté sur le romanisme a une tendance au catholicisme. Là l'évangile n'a pas trouvé de contre-poids dans une civilisation antérieure; ici, il a été résorbé par une civilisation puissante. Que l'on consulta une carte d'Europe. Cette théorie n'y est contredite que par l'existence de quelques flots mais nul doute que les histoires particulièresne les fassent rentrer dans l'explication générale. On comprendrait de même la séparation de l'Orient en catholicisme grec et en religion orthodoxe, celle-ci n'étant tout au fond qu'un protestantisme sectaire toujours bouillonnant, toujours prêt à enfoncer la porte de l'autorité. Le catholicisme grec's'est propagé en pays de domination romaine ou byzantine la religion orthodoxes'est implantée chez des barbares. La France, qui n'est pas une terre latine, est une.terre romanisée; elle ne peut garder son originalité qu'en demeurant catholique, c'est-à- dire païenne et romaine, c'est-à dire anti-protestante. Mais elle ne peut pas plus devenirprotestante qu'elle ne peutdeveniranglaiseouturqje. C'est là un état de faitinvincible et ironique contre lequel se buteront éternellement les convertisseurs. 11 faut railler leurs efforts, opposer impérieusement aux fumées de leur morale lourde l'éclat d'un paganismequi se rit de tout, excepté de la vie. Si on néglige les formes passagères et locales, on peut dire qu'il n'y a jamais eu qu'une religion, la religion populaire,éternellc et immuable comme le sentiment humain lui-même. Ce qui s'est modiné, c'est l'espritreligieux, c'est-à-dire la manière d'Interpréter ou de nier les symboles mais ceci se passe en des têtes qui vraiment n'ont pas besoin de religion, puisqu'elles discutent. La vraie religion est matière à croyance et non à controverses.Elle est matièreà expériences, mais non à démonstrations historiques ou philosophiques. Des pèlerins boiteux ont-ils, oui ou non, laissé leurs béquilles à Éphèse ou à Lourdes ? Voilà la question, qui n'en fut pas une pour les témoins oculaires. Toute idée de vérité doit être écartée des études religieuses, etmême de vérité relative. Une religion est utile et elle vit inutile, et elle meurt. La vraie religion est une forme de la thérapeutique mais elle vaplus loin et guérit des maux plus obscurs et avec des moyens plus naïfs que la médecine naturelle. Elle guérit même la vague inquiétude spirituelle des âmes simples et cela est très beau. Tous les moyens lui sont bons, soit; mais ce qui est utile à un homme sans nuireaux autres homme s n'est jamais mauvais. Railler la superstition religieuse ou la maudire, c'est avouerque l'on fait partied'une secte, .au moins secrète. A une certaine hauteur audessus des psychologies moyennes on regarde comme des faits du même ordre le Pa ter Noster et l'Ora~o~ Sainte Apolline contre le mal de dents. Dès qu'il y a croyance, il y a superstition. Il faut s'accommoder de cela et ne pas essayerde limiterl'absurde.QuandLuther, après avoir consulté les saintes écritures, déclare qu'il n'y a que trois sacrements, il parle en pauvre homme. Il compte les cailloux quele Petit Poucet avait dans sa poche et suppute s'ils étaient degranit ou de pierre meulière. La rosequi parle est-elle thé ou mousse? C'est à des problèmes de cette importanceque se rapportent toutes les batailles religieuses; ou de quels joyaux était l'aigrette de 1 a Huppe? Le catholicisme populaire a regagné dans le champ bariolé de la superstition tout le terrain qu'il avait cédé au rationalisme sous l'influence triste de la Réforme. Toute une mythologie fleurit sous nos yeux; elle n'a pas reçu de la poésie le prestige des légendes grecques; mais elle n'en est que meilleure pourla science, étantt moins déformée. Il serait, je crois, plus sensé de l'étudier que d'en rire.Rit-on de l'absurdité des inexplicables travauxd'Hercule?On a rédigé sur la genèse des dieuxtriplesd'excellentesdissertations, mais sans prendre garde que depuis soi. xante. ans, et moins, ?ine et peut-être deux trinités nouvelles, enchevêtrées les unes dans les autres, étaientnéessous nos yeux, et cela àl'insu même de ceux qui les ont créées par le zèle inquiet de leur piété. De nouveaux saints, de nouveauxdieux, sontsortis de l'ombre sans qu'y aient pris garde ceux qui dissertent de l'origine des divinités. Et cependant le présent explique merveilleusementle passé; ce qui n'est pas mystérieux aujourd'hui ne le fut pas jadis; ce qui n'est qu'un fait élémentaire de psychologie ne fut pas davantage aux siècles antérieurs. On n'a encore jamais enseigné aux hommes à vivre dans le présent, d'ailleurs ils y répugnent. Les uns s'en vont vers le passé, où il y a du moins des lumières; les autres se tournent, éternels ébahis, vers l'avenir, ce ciel ironique. Ayantétabli ce qu'ils appellentleslois de l'histoire, et ce qui n'est, en somme, que la coordination logique de leurs désirs, des rêveurs ordonnent avec gravite le lendemain des jours qu'ils auront oublié de vivre. Comme s'il y avait un avenir ï Comme si le futur pouvait être perçu en tant que futur,comme si la vie se réalisait jamais en dehors du présent, de la minutemême où la sensation nous avertit de notre existence 1 On a fait des livres sur la religion et même sur l'irréligion de l'avenir. Ce sont des productions gaies.Versles années où Cicéronprévoyait un avenir de science et de philosophie, de liberté intellectuelle,il naissait en Judée, parmi les copeauxd'unecabane, un paysan nommé Joseph. L'avenir n'est pas plus clair pour nous qu'il ne l'était pour Cicéron au temps qu'il se riait des Augures.

VI LA. MORALE DE L'AMOUR

LA MORALE DE L'AMOUR 1 Quelques médecins ont proposé très sérieusement, au nom de la science, au nom de la vertu, au nom du bien social (car les idées vivent dorénavant dans la promiscuitéla plus triste), de considérer comme un délit tout acte sexuel perpétré en dehors du mariage. C'est le désir de M. Ribbing (i), entre autres, et le désir de M. Féré, auteurs tous les deux de dissertations plutôt provocatrices. Les ouvrages de ces éminents docteurs de l'amour ont remplacé dans les lectures secrètes les surannés manuels des confesseurs et les piquantes dissertations in Mj~o qui charmèrent tant de collégiens; ils ont même chassé du tiroir, tel est le prestige de la science 1 les petits li\res grivois qui firent la fortune et la réputation de la Belgique. Et pourtant qu'ils (i) L'Hygiène sexuelle et ses conséquences morales, p. a!5. sont médiocres, ces professeurs de sexualité, à peine moins qu'un Meursius!J'ai lu presque tous ces livres (oh que la chair est triste) et je n'en ai pas rencontré un seul qui m'apprît quelque chose de nouveau, quelque chose qu'ignorerait un homme qui a vécu et qui a regardé la vie des autres hommes. Il y a quelques années, on poursuivit devant lestribunauxle travail d'un certain docteur Moll, qui avait traité ce sujet galant, les « perversions de l'instinct sexuel », et cela parut ridicule, car les plus fortesrévélations du savant homme étaient déjà dans Tardieu, et avant Tardieu dans Liguori, et avant Liguori dans Martial et dans les Priapées, et ainsi de suite jusqu'au commencement du monde. Si, aux derniers siècles, la littératuregrave est peu abondante sur ces matières, réservées à l'arrièreboutique des libraires voués à la place de Grève, c'est qu'on savait le latin et que l'antiquité subvenait aux curiosités; c'est aussi que la sodomie était tenue pour un crime capital et que le saphisme, au contraire, semblait à nos ancêtresindulgents le passe-temps naturel des filles sages. Au xvue siècle, il était avoué et entré dans la galanterie des précieuses. Il faut la grossièreté provinciale de la Palatine pour injurier à ce proposla vertueuseMaintenon. On appelait cela « un commerce imiocent », et de telsjeux on raillait la « joie imparfaite a (i), et les « secrétaires des demoiselles » donnent pour ces petites intrigues des modèles d'épîtrcs amoureuses. Notre civilisation, en devenant démocratique, s'est mise à tout prendre au sérieux le monde fut guidé par des parvenus intellectuelsqui se prirent à trembler devant le catéchisme que les aristocraties de jadis faisaient enseigner au peuple par leurs domestiques. C'est ainsi qu'il s'est formé une morale sexuelle et qu'on est amené à traiter sérieusement, puisqu'il faut tenir compte de l'opinion, desquestions que l'humanité a depuislongtemps résolues à son profit. « La sobriété, dit La Rochefoucauld, est l'amour de la santé et l'impuissance de manger beaucoup. » La chasteté se définit par les mêmes mots, hormis l'avant-dernier, auquel on substituera un terme moins honnête. Et on devrait peut-être en resterlà et s'amuser à varier à l'infini les nuances relatives d'une maxime diététique qui aurait fondé une nouvelle philosophie, si les hommes savaient lire. Elle s'adapte aux vertus qui ne sont que passives, et, renversée, à (i) Sur deux filles couchées ensemble, ~Hn<'yatsaft</cya~on et parlant à sa compugne. Cette pièce se trouve dans plusieurs Recueil. du temps. toutes les autres car il y a un impératifphysiologique et nous n'avons de moyen de lui résister que dans la faiblessedes organesqu'ildoitmettre en jeu pour se faire obéir. Cette faiblesse est un signe de décadence organique; l'impuissancede manger beaucoup peut aller jusqu'à l'incapacité de se nourrir; c'est la diète, c'est la continence. On s'imagine généralement que les hommes chastes exercent sur leurs désirs une perpétuelle tyrannie la continence du clergé est pour les femmes l'exemple d'un martyre incessant. Les femmes se trompent non pas qu'elles estiment trop les plaisirs dont elles disposent; mais, et cela ne leur est pas particulier, elles prennent ici la cause pour l'effet; elles renversent les termes tels qu'ils se posent dans le thème d'une bonne logique. L'homme qui, de son plein gré, se voue à la continence, c'est qu'il est glacé. Voilà la vérité. Et la femme qui entre volontairement dans un couvent, elle affirme la nullité de ses désirscharnels. Leur chasteté est un état physiologique et qui, en général, ne comporte pas plus l'idée de vertu que, chez un vieillard, la frigidité. Il y a ou il n'y a pas désir et, hors les cas où il n'est que morbide, le désir se résout en acte. Cela est particulièrement impérieux dans la sexualité; l'évacuation est fatale. M. Féré, qui n'est pourtant mu par aucune idée religieuse, parle ici comme un bon vieux théologien « Pour l'individu continent, les pollutions nocturnes constituent une sauvegarde contie la turbulence sexuelle (i). » Cela, c'est la contrepartie de l'ostentation vertueuse ou de la vertu forcée; la vertu physiologique, celle qui est la conséquence légitime de la faiblesse des organes,s'épargne du moins de telles « sauvegardes )). On n'agit décemment qu'en conformité avec sa propre nature; les gens qui veulent agir ou ne pas agir d'après les ordres d'une morale extérieure à leur vérité personnellefinissent, Dieu aidant, dans les compromis les plus saugrenus. Il nous reste à nous demander si, quand on punira de 'a prison (ou, qui sait, de la mort, cai aux grande maux les grands remèdes) les actes sexuels extra conjugaux, il sera permis de se complaire avec le succube. C'est une question que traitent très sérieusement les casuistes, et quelques-uns sont indulgents aux plaisirs qui nous viennent en songe. La science, qui ne devrait être que la constatation des faits et la recherche des causes, en est arrivée, par impuissance de faire son devoir, à la période législatrice. L'amour libre engendre (t) Z'7/ts~nc< sexuel; évolution et dissolution, p. 3oi. des maux évidentset que nul ne dénie une loi contre l'amour; l'alcool est néfaste une loi contre l'alcool; l'opium, l'éther nous menacent, ou peut-être le kif une loi contre ces drogues. Et pourquoi pas aussi contre le gibier, les truffes et le bourgogne, si cruels à certains tempéraments ? Et pourquoi enfin l'hygiène ne seraitelle pas codifiée comme la morale ? Ne rationnet-on point les animaux domestiques ? Parmi les paradoxes de Campanella, qui n'ont pas été dépassés, ni atteints, même par la sciencesexuelle, on trouve cec.I qu'il est absurde de donner tant de soins à l'amélioration de la race des chiens et des chevaux, quand on néglige sa propre race. Saint Thomas d'Aquin, dont les socialistes reprennent Ingénieusementles idées, pensait aussi que, la génération étant faite pour conserver l'espèce, l'acte par quoi elle est assurée doit être soustrait aux caprices particuliers. Mais le théologien trouva dans la discipline de l'Église un frein à sa logique; Campanella qui, quoique moine et bon moine, prétend au droit de rédiger des rêveries à la fois anti-chrétiennes et anti-humaines, est allé jusqu'au bout de la théorie. Son organisation de l'amour est épouvantable et curieuse; elle est moins dure et moins absurbe que celle de la tyrannie scientinque « L'âge auquel on peut commencer à se livrer au travail de la générationest fixé pour les femmes à dix-neuf ans; pour les hommes à vingt et un ans. Cette époque est encore reculée pour les individus d'un tempéramentfroid en revanche, il est permis à plusieurs autres de voir avant cet âge quelques femmes, mais ils ne peuvent avoir de rapports qu'avec celles qui sont ou stériles ou enceintes. Cette permission leur est accordée, de crainte qu'ils ne satisfassent leurs passions par des moyens contre nature; des maîtresses matrones et des maîtres vieillards pourvoient aux besoins charnels de ceux qu'un tempérament plus ardent stimule davantage. Les jeunes gens confient en secret leurs désirs à ces maîtres qui savent d'ailleurs les pénétrer à la fougue que montrent les adultes dans les jeux publics. Cependantrien ne peut se faire à cet égard sans l'autorisation du magistrat spécialement préposé à la génération, et qui est un très habile médecin dépendant immédiatement du triumvir Amour. Dans les jeux publics, hommes et femmes paraissent sans aucun vêtement, à la manière des Lacédémoniens, et les magistrats voient quels sont ceux qui, par leur conformation, doivent être plus ou moins aptes aux unionssexuelles, et dont les parties se con- viennent réciproquement le mieux. C'est après s'être baignés et seulement toutes les trois nuits qu'ils peuvent se livrer à l'acte générateur. Les femmes grandes et belles ne sont unies qu'à des hommes grands et bien constitués; les femmes qui ont de l'embonpointsont unies à des hommes secs; et celles qui n'en ont pas sont réservées à des hommes gras, pour que leurs diverstempéraments se fondent et qu'ils produisent une race bien constituée.L'homme et la femme dorment dans deux cellules séparées jusqu'à l'heure de l'union; une matrone vient ouvrir les deux portes à l'instant fixé. L'astrologue et le médecin décidentquclleestrheurelapluspropice(i). » L'astrologue donne à ce programme érotique un tour naïf qui n'est pas sans agrément; l'astrologuemanque au projet de loi da M. Ribbing, mais on y verrait sans surprise la matrone, qui préside déjà à tant d'unions subreptices.Ce serait sa réhabilitation que de tenir désormais la chandelle conjugale et de donner aux époux, sur l'avis de la Faculté, le signal du départ. On aurait pu aussi bien citer Platon, République, que Campanella suit d'assez près, mais avec son originalitépropre. Platon, au vrai, (t) La Cité du Soleil; trad. de J. Rosset, p. 181, Œttt~M choisiesde Campanella. Paris, ï84?. en tout ce chapitre, n'est pas moins naïf que le rêveur du xvn< siècle. L'absence de psychologie sérieuse, de sages observations scientifiques, donne à toute cette philosophiepolitique de jadis un air décidément enfantin.Les esprits politiques de notre temps qu'on appelle « avancé », les collectivistes, par exemple, ont cet air enfantin, à cause de leur croyance, d'origine religieuse, qu'on peut changer la nature humaine, en changeant les lois humaines. Ils brident le cheval par la queue avec un entêtement doux. Comme Platon est supérieur, aux deux livres VIII et IX de cette même République, où il considèrel'histoire pour en tirer une philosophie! Là il travaille sur des faits réels et non plus sur des faits créés par sa logique ou celle de Lycurgue. Aimé-Martin,qui aimaitsi fort Platon, a fait du Platon utopiste le plus cruel éloge en disant « Qui connaît Platon le retrouve partout dans les écrits de Plutarque, de Fénelon, deRousseau, de Bernardin de Saint-Pierre. Ces grands hommes. » Non, c'est ici le coin des utopistes; disons: ces grands enfants. Plus heureux que Platon et que Campanella, les législateurs modernes de l'amour ouvrent une voie où ils ont, hélas! beaucoup de chances d'êtresuivis.Ils flattentsi adroitementla manière tyrannique des démocraties! Il est naturel que si le pouvoir est aux mains des faibles les lois tendent à protéger la faiblesse. Le peuple a une certaine conscience de son incapacité à se conduire '~et il est assez probable qu'il accepterait avec plaisir, en même temps qu'une loi qui l'empêcheraitde se soûler, une loi qui le protégerait contre la syphilis. La tendance moderne est de faire deux parts des libertés humaines après qu'on aura supprimé toutes celles qu'il est possible de supprimer, les autres subiront une réglementationrigoureuse. Sur quoi pourraits'appuyer une loi contre l'amour? Mais, répond M. Féré, qui philosophe volontiers et pas sans talent, « sur l'utilité privée et publique,sur l'utilité dans le milieu actuel qui est la morale actuelle ». C'est un principe, cela, et il commence à se répandre. Ne le prenons pas au tragique, cependant, car les théories individualistesfournissentpour ledétruire assez d'argumentsconnus et souvent maniés. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il est né; Gœthe a daigné en rire; quand Auguste Comte en fit la base de son système social, un homme d'espritreconnut aussitôt qu'il s'agissait de créer une humanité heureuse avec des hommes dont on aurait détruit le bonheur individuel. La critique est bonne, puisqu'elle s'attaque directement à l'idée même. On peut la préciser. Iî L'homme est une colonie animale douée d'un système nerveux central, d'un centre de conscience et d'action, au moins illusionnel. La société est une colonie animale sans système nerveux central. La conscience d'un peuple, la conscience de l'humanité métaphores. Il s'agit toujours d'une conscience particulière à laquelle par imitation s'agrègent les consciences éparses mais la loi de l'unisson est fort loin d'être absolue et, même plus énergiques ou plus nombreuses, les divergences qui se taisent ou qui n'ont pas trouvé leur organe sont vaincues par un assentimentqui paraît unanime. Les hommes sont très souvent dupes des métaphores qu'ils ont créées eux-mêmes. On risque une comparaison, on la pousse un peu, une transformation s'opère. Paris est devenu le cerveau de la France. L'image admise, et elle n'a rien de fâcheux, voici les artères, les nerfs, les muscles, le squelette, une personne humaine vivante et vraie, la France, et nous sommes dupes car tous les raisonnements qui agréaient à notre ionique, appliqués au corps humain, nous allons les répéter avec innocence sur un être fictif et qui, en tant que matière à dissection psychologique, ne peut être sérieusement comparé à rien. Un homme est un homme, un pays est un pays. Si on n'en revient pas là après quelquesfigures, on n'a fait qu'une excursion ridicule dans la mauvaise littérature (i). Cependant si on analyseces mots, pays,nation, société, peuple, et d'autres, d'inégale imprécision, on y trouve toujours pour élément essentiel l'homme; c'est cet élément, qui a son importance, que les sociologues s'appliquent à méconnaître. Satisfaits du Gargantua qu'ils ont laborieusement créé, ils font tenir tous les hommes dans les poches de sa houppelande, et le monstre les dévore un à un, comme fait des boeufs, des moutons et des moines le père de Pantagruel, selon les images de Gustave Doré. L'homme n'est rien, c'est vrai et il est tout, (t) La comparaison de l'organisme social au corps humain, c'est encore du Platon. H résume son invention en cette phrase de la République, V « Noussommes convenus de ce qui était le plus grand bien de la Bociété, et nous avons comparé en ce point une république bien gouvernée au corps, dont tous les membres ressenten en communle plaisir et la douteur d'un seul membre. w étant la conditionmême de l'existencedu monde. Le monde, qui est créé par lui, est encore créé pour lui, et les sociétés, où il n'est qu'un atome, dès qu'elles le froissent, deviennent haïssables et peut-être caduques. Que l'on tienne pour bon ce théorème tout ce qui est utile à l'abeille est utile à la ruche et qu'on n'essaie pas d'en renverser les termes, si l'on ne veut être tenu pour un simple faiseur de jeux de mots. La sensibilité est dans l'homme et non dans la société; il s'agit de moi, et de moi seul, marne quand je refuse de me séparer du groupe social. Le véritable ciment d'une communauté,c'est l'égoïsme; au moment qu'un homme se fortifie et se grandit, il assure par cela même la santé et la puissance de la république. L'idée de sacrifice est parmi les plus perverses qu'ait intronisées le christianisme. Mise en action elle s'exprime ainsi négation d'un bien connu en faveur d'un bien inconnu. On sait ce que l'on sacrifie et le plaisir dont on se prive on ignore la répercussion véritable de ce sacrifice en autrui et souvent le mal que nous assumons sera pour notre favori un mal plus grand encore. Que de femmes, puisqu'il s'agit d'amour, au.. raient du~ pour leur bonheur éternel, être vio- lentées, et colubiel ont pâti de la réserve trop noble de leui amant Et que d'enfants, et~ particulièrement de jeunes filles chrétiennes élevées au biberon du sacrifice, dont la vie eflroyable traine comme une chatne un des versets de l'é-~ vangile juif Si une société ne peut vivre sans la notion et la pratique du sacrifice, je ne sais si elle est mauvaise, mais elle est absurde. La force a les droits de la force elle les outrepasse en jetant à travers le monde des aphorismes enveloppés de vertu comme des pièges cachés sous des feuilles mortes. Le sacrifice, s'il n'est pas un acte spontané d'amour, s'il est imposé par un catéchisme ou un code, est un des crimes les plus révoltants que l'homme puisse commettre contre lui-même que ce sacrifice soit d'un homme à un homme, oud'unhommeà un groupe, il ne change de caractère que pour s'aggraver. C'est un plaisir encore de renoncer à un plaisir pour assurer la joie ou le repos d'un être que l'on aime et c'est un plaisir, parce que c'est un acte égoïste, parce que complaire à un autre soi-même, c'est se complaire à soi-même. Ici nous sommes dans la règle naturelle et dans la logique de la sensibilité.Mais quelle est la valeur de ce renoncement,si c'est au profit d'un inconnu ou, ce qui va plus loin, au profit d'une abstrac- tion, de l'un des mots du dictionnaire ? Quelle valeur exacte? Celle d'un acte de servitude. Les esclavagesvolontairessont les pires le sacrifice est toujours volontaire, puisqu'il implique au moins le consentement du mp tyr. Lors donc que l'on demande aux hommes de sacrifier leurs plaisirs personnels à la prospérité de la société, on leur demande d'agir en esclaves, de remettre aux lois le gouvernement de leurs sensations, la direction de leurs gestes, le maniement général de leursensibilité. Nous retrouvonsle troupeau avec ses étalons privilégiés, ses femelles reproductrices et la troupe des neutres sacrinés, sous prétexte de bien général, à une utilité qui n'a même plus aucun rapport avec la conservation de l'espèce. Le drcit d'une législature médicale à réglementer l'amour pourrait être très étendu; car quelles fantaisies l'utilité sociale n'a-t-elle pas inspirées aux Lycurgues? Schopenhauerproposait la castration commechâtimentdes criminels. Rien de plus scientifique. Les médecins l'imposeraient, non plus aux seuls délinquants, mais à tous les tarés de l'hérédité moyen radical de supprimer en quelques générations les diathèses transmissibles. Voilà les bœufs de la prairie sociale qu'en fera-t-on, quand ils seront gras ? Mais la question ne se pose pas encore. H s'agit seulement, « au nom de l'utilité actuelle, qui est la morale actuelle, » de réduire l'amour à des actes conjugaux, de faire enfin régner la loi mosaïque dont les hommes ne connaissent pas encore toute la douceur. L'utopiste, ayant réalisé cet effort original, s'arrête et doute non de lui-même, mais de la possibilité de réaliser son idéal. Cette faiblesse nous prive de considérations piquantes sur l'état présent des mœurs et aussi sur la nature humaine. On y suppléera. L'utopiste est un type fort bien connu et que l'on peut dépecer de souvenir. Il y a deux manières de vivre dans la sensation et dans l'abstraction. L'utopiste, même homme de science, même excellent observateur de menus faits, abandonne, dès qu'il veut généraliser ses idées, tout contact avec la réalité. Voyant, par exemple, que la prostitution sévit dans les sociétés modernes, il en conclut immédiatement la prostitution est un fait social, et lié à une certaine forme de la société. Construisez une société où toutes les filles seront mariées à dix-huit ans, il n'y aura plus de prostituées. Cette sorte de raisonnement ne manque pas d'élégance. Cependant,si l'on insinuait que la prostitution est un fait humain, avant d'être un fait social, on arriverait sans doute, par d'analogues déductions, à prouver que toutes les sociétés, quelles soient-elles, et même ordonnées selon les imaginations les plus scrupuleuses, contiendront des prostituées, et toutes en nombre à peu près égal. La prostitution changera de forme sociale selon la forme de la société, elle ne changera que de forme. Aucunes lois n'empêcheront ni une femme bavarde de parler, ni une femme lascive de chercher des amants. On pourrait objecter que les prostituées ne font pas l'amour par plaisir non, pas au point où elles le pratiquent et sous trop de formes peu plaisantes pour elles mais au début de sa carrière une prostituée a presque toujours été la victime de son tempérament, de ses curiosités vicieuses, de son goût pour le mâle. Par quelle magie les utopisteschangeront-ils l'ordre des réactions dans un système nerveux ? A moins (ce que je crois) qu'ils ne jouent innocemmentsur les mots, ils conviendront, et c'est d'ailleurs l'opinion de M. Féré, que ce qui constitue la prostitution, ce n'est pas le salaire, mais la promiscuité.Alorsle mariage, appliqué à tous les couples, à moins qu'on ne lui accorde une valeur mystérieusede sacrement enquoiréfrénera-t-ilsérieusementla promiscuité? Le mariage, même civil, a-t-il sur les maladies vénériennes l'effet de l'étole de saint Hubert ? Peut-être cependant les utopistes croient-ils que dans leur utopie le mariage sera respecté ? Ceï~ dépendra de la rigueur de la loi. Mais tes Germains appliquaient, en matière d'adultère, la peine de mort, et ils avaient occasion de l'appliquer. Parfois des hommes, même lâches, préfèrent la mort à certaines tristesses on se suicidera beaucoup dans le paradis des législateurs de l'amour. III Quelle est la morale de l'amour ? Il n'y en a pas, en dehors'des codes et des usages sociaux, dont les codes, pour être sages, ne doivent être que la rédaction; mais dans tous les pays civilisés l'usage social, en ce qui touche aux manifestations sexuelles, se confond avec la liberté absolue. Cette expression, pays civilisés, est peut-être hypothétique si elle n'a pas d'application présente, puisque nous vivonssous le joug d'une morale ennemie des instincts de notre race, on se reportera, pourla comprendre, à la glorieuse période de l'empire romain, aux siècles calomniés par les démagogues chrétiens, ou de l'Italie du Quattrocentoou de la France de François 1er. L'amour,même en ses gestes publics, est du domaine privé; et il a tous les droits, précisément parce qu'il est un instinct, et l'instinct par excellence (i). C'est ce que reconnaissent implicitement même les moralistes de la science en appelant ainsi leurs écrits. Qu'il est vain d'insérer, sous ce titre, « l'instinct sexuel, » des menaces contre la vie, contre les moyens que choisit à son gré pour se perpétuer la vie éternelle Oser dire à l'instinct qu'il se trompe, c'est une des prétentions de la raison, mais peu raisonnable la raison n'est là qu'une spectatrice qui compte et catalogue des attitudes que son essence même lui interdit de comprendre. Le peuple,oui le peuple du xtx~ siècle (ou du xxe siècle), qui s'ébahit aux éclipses et en applaudit « le succès )) (a), n'est pas sans croire que la Science est pour quelque chose dans la belle ordonnance du phénomène. Nos décrets contre l'instinct vital pourraient fort bien faire illusion au peuple de la science, mais non aux véritables (i) Tout le mondeconnaît les vers de Baudelaire contre ceux qui veulent « aux choses de l'amour mêler l'honnêteté Ces vers sont la paraphrae d'un propos hardi de la Tullia de Meursius (Colloquium VII. Fescennini) « Honestatem qui quaerit in voluptate, tenebras et quaerat in luce. Libidini nihil inhoMestum. » ~t) Des dépêches d'Espagne nous ont certifié cela. observateurs et dont la sagesse ne veut pas dépasser un rôle déjà difficile. Cependant on peut obtenir les déviations. En séparant les sexes et en les tassant dans des lieux clos à l'époque de la première enervescence génitale, on obtient à coup sûr la sodomie et le saphisme. Les Romains cultivaient déjà ces tendances dans les couvents de Vestales et les collègesde Galles; nous avonssingulièrement perfectionné leurs institutions avec nos casernes, nos internats. Il est certain que la personne qui choisit de passer exclusivementsa vie avec des personnes de son propre sexe traduit par celamêmedestendances particulièresqui doivent être respectées, mais est-ce le rôle de l'État de favoriser et même de faire éclore ces vocations, et sont-ils sensés ces moralistes qui, peut-être sans mesurer la conséquence de leurs désirs, demandent des réglementations qui aboutiraient nécessairementau même résultat? Toute atteinte à la liberté de l'amour est une protection accordée au vice. Quand on barre un fleuve, il déborde quand on comprime une passion, elle déraille. Buffon avait une belettequi, privée de compagnie vivante, assaillait une femelle empaillée. On n'insistera pas sur ce sujet, par peur d'avoir à démontrer que les milieux so- ciaux qui affichent une plus grande sévérité de mœurs sont précisément ceux qui sont ravagés ou par les perversions ou, ce qui estbeaucoup plus fréquent, par ce que les théologiens appellent doucement mollities. Il sera plus à propos de rechercher d'oùvient la férocité du moralisme moderne contre l'amour, et d'abord, car elle n'estle reflet du sentiment public, à quelle cause on peut faire remonter l'origine de cet état d'esprit. Pour les pères de l'Église, il n'y a pas de milieu entre la virginité et la débauche; et le mariage n'est qu'un remediuma/?ïu/ accordé par la bonté de Dieu à la turpitude humaine. Saint Paul parle de l'amour avec le même mépris matérialiste que Spinoza. Ces deux illustres Juifs ont la même âme. « Amor est titillatio quaedam concomitante idea causae externae, » dit Spinoza. Saint Paul avait désigné d'avance le philactère à cette démangeaison, le mariage. Il ne le concède que comme antidote au libertinage à la débauche, 3:<x 3s Tcap~oc,, mot que le latin ecclésiastique fornicatio ne rend que d'une façon équivoque. ÏIop~em entraîne au contraire l'idée de prostitution, et, en somme,son édifiant conseil se traduisait en français vulgaire mariez-vous cela vaut mieux que d'aller voir les filles. Voilà sur quelle parole se serait fondée la famille nouvelle si l'opulence verbale du catholicisme païen n'avait su entourer de phrasessensuelles la parole brutale de l'apôtre juif l'Église substitua à l'idée de Tcop~eux la musique d'alcôve du CantiquedesCantiques. Cependantles moralistes mystiquescommentèrent àl'envisaint Paul dont ils réussirent à exagérer encore le mépris pour les œuvres de vie.Le tisseurdetentesen poil de chameau,et que rien ne préparaità la littérature et au sacerdoce, n'est pas toujours très précis. Qui n'a été choqué de la comparaison dont il use pour flétrir les raffinements sexuels, les appelant des pratiques more bestiarum, alors 'ne iC propre de l'animal est précisémentde ne demander à la copulation que la satisfaction rapide d'un désir inconscient. Les inversions de l'instinct sont rares chez les animaux en liberté et ce n'est que de nos jours qu'on les a observées (i). L'apôtre n'usait donc que d'un de ces grossiers lieux communs qui n'ont même pasle mérite de renfermer une vieille vérité d'observation. Que de fois cependant cette allusion futelle répétée par ceux qui feignent de croire que les inventions de l'homme dans la volupté sont (') !ty a un bien intéressant chapitre sur ce sujet danal'ouvrage de M.Féré. méprisables La franchise de saint Paul accrue par le ton arrogant de ses commentateurseutdu moins cet heureux résultat de faire condamner dans leur ensemble, mais non dans leur détail, les pratiques sexuelles. La règle des mystiques est le tout ou rien ils dédaignent les distinctions où devaient plus tard se complaire les casuistes, en ces curieux traités où ils font preuve, à défaut de goût, d'une science de bon aloi et puisée, quoique pas toujours, aux sources de la réalité. De ce dédain il résulta une certaine liberté de mœurs. Bien des amusements parurent permis à tous ceux qui étaient restés dans le siècle; la littérature du moyen âge témoigne de cette aisance dans les relations sociales. Dès le xn~ siècle, la religion n'est plus qu'une tradition formelle dont l'influenceest nulle sur la sensibilité; et l'intelligence elle-mêmese dégagedu lien.théologique, comme on le saurait si on avait recueilli avec plus de soin les aveux d'incrédulité qui ne sont rares, ni chez les poètes, ni chez les philosophes scolastiques. L'amour ne s'embarrasse d'aucun préjugé, il suit son désir, confiant dans l'innocuité des rapports sexuels. Ici on arrive à un point délicat qui n'a jamais été traité et qu'il est d'ailleurs difficiled'aborder l'influencede la syphilissurla morale de l'amour. L'état de l'humanité en Europe depuis les temps fabuleux jusqu'aux premières années du xvi" siècle correspond à ce qu'on appellerait, en termes d'allégorie, l'innocence du monde; de Christophe Colomb se date l'ère du péché. Que l'on se figure une société où l'amour, en quelque condition de hasard qu'il s'accomplisse, n'a jamais de graves conséquences morbides; où les baisersles plus profonds n'entraînentguère plus de dangers physiques que les caresses maternelles ou les manifestations de l'amitié elle différera de la nôtre à un tel point qu'il nous est difficile de la concevoir, car les désirs charnels y évoluent librement selon leur force naturelle, sans peur et sans pudeur. Le mot pudor n'a pas du tout le même sens en latin et dans nos langues modernes; là, il se traduit par honneur, convenance, dignité ici, par crainte, tremblement devant les délices de la fleur peut-être empoisonnée. Avant la syphilis, le baiser sur la bouche est une salutation il disparalt devant la taredes muqueuses: lesfemmesprésententle front si la passion charnellene trouble pas leur volonté puis les deux sexes s'éloignent encore d'un pas c'est le hochementde tête, ou la main qu'il faut à peine effleurer, ou des gants qui se touchent avec défiance. La syphilis a détruit, non pas l'amour, qui est plus fort que la mort, puisqu'il est la vie, mais la fraternité sexuelle. Il y a, depuisl'Amérique,entre l'homme et la femme la peur de l'enfer; ce que les religions les plus menaçantes n'avaient réussi que temporairement un virus l'a accompli et les lèvres ont été désunies. C'est par la syphilis que les historiens qui voudrontfaire l'histoire de la morale de Famour la relieront à l'hygiène. II dut se faire un grand désarroi dans les mœurs Obstupuit gens Europae ritusque sacrorum Contagemque alio non usquam tempore visam, dit Fracastor, qui avait vu avec des yeux de médecin et de poète les premières horreurs du mal nouveau. « Obstupuit gens » ce fut une épouvante universelle; on se crut à la fin de l'amour et à la fin du monde. Il fallut pour conserver, non pas sa vertu, mais sa santé, renoncer à ce que les moralistes de la science appellent assez justement la promiscuité la peur d'un mal physique immédiat et évident opéra entre lesdeux sexesune disjonction qui a survécu à la période aïguë du mal. La réaction évangélique acheva l'œuvre de la syphilis et les sociétéseuropéennesse trouvèrent dans des conditionssi nouvelles qu'une nouvelle morale leur fut nécessaire. La vieille opposition entre la virginité et la turpitude, basée sur des conceptions purement théologiques, disparut; tout acte sexuel devenant dangereux et la virginité n'étant pas moins dangereuse, de son côté, par ses conséquences négatives, il fallut trouver un compromis. L'instinct social, d'accord, et d'avance, il estjuste de le reconnattre, avec les conclusions futures des hygiénistes, plaça ce compromisdans le mariage, qui se trouva tout à coup honoré, après 1 roissiècles de dérision. Cela n'apaisa pas le bouillonnement des mauvaises mœurs; mais le péril qu'on y courait déconsidéra la liberté qui en faisait l'attrait. La réserve des filles devint extrême; elles apprirentinconsciemment à changer en minauderiespudiques la mimique de la peur; peu à peu elles se dupèrent sur la cause de leur vertu, puiselles l'oublièrent, et vint un moment où la chasteté des femmes fut attribuée avec ingénuitéoù à Finnuence de la religion ou à une sorte de divinité occulte, à en ne sait quel raffinement sentimental. Le motif initial de la nouvelle morale sexuelle agit toujours à notre insu. Il est de tradition administratived'encourager les musées de figures de cire qui détaillent les conséquencesd~ la promiscuité; toute une littérature sur ce sujet se vend, approuvée par ceux-là mêmes qui poursuivent si âprement les images sensuelles. La syphilis a fait ce miracle qu'une figure humaine, belle de sa pleine nudité, est condamnée parce qu'elle excite à l'amour, l'amour étant considéré comme dangereux. Cette manière de voir serait défendable si on ne faisaitpas intervenir dans la questionla force brutale des lois si la parole seule se chargeait de persuader une morale que son utilité pourrait défendre contre le sarcasme et l'ironie. L'ancienne licence d'avant la syphilis ne sera pas rendue aux hommes d'ici de longs siècles, si le mal qui a créé la défiance sexuelle finit jamais par s'éteindre épuisé. Mais que chacun soit libre même de jouer avec le feu; la prudence se conseille et ne doit pas s'imposer. De ce que la morale de l'amour a une origine moitié religieuse, moitié médicale, il ne s'en suit pas que l'on doive, pour en traiter, s'astreindre à des considérationsou théologiques ou pharmaceutiques. Des accidents, même d'importance extraordinaire, ne sont que des accidents. II faut parler de l'amour comme si l'âge d'or de l'amour régnait encore et n'en retenir que l'essentiel, loin de s'arrêter aux phénomènes de sur- face et passagers. Il y a peu d'absolu dans les sociétés humaines presque tout s'y peut modifier, hormis précisémentles relations des sexes. C'est que, là, on rencontre le cœur même de la vie, sa cause et sa fin, entrelacées commeun chiffre indéchiffrable. La vie se maintient par l'acte même qui est but de la vie. Ceci est absurde pour la raison, qui serait forcée d'y contempler un effet identique à la cause qui la produit et aussi puissant elle ne doit pas intervenir. Non que cela soit au-dessus de ses forces mais si elle peut imaginer des lois qui régissent les manifestations de l'amour et les appliquer pour un temps, ces lois sont nécessairementmoins bonnes que les lois naturelles. Il faut aussi prendre garde que des lois naturelles l'homme n'est pas responsable, dès qu'il leur obéit comme un petit enfant mais celles qu'il promulgue retombent un jour non seulement sur sa chair, mais sur son intelligence. Car tout se tient et l'aisance intellectuelle est certainementliée à la liberté des sensations. Qui n'est pas à même de tout sentir ne peut tout comprendre, et ne pas tout comprendre c'est ne comprendre rien. La littérature, l'art, la philosophie,la science même et tous les gestes humains où il y a de l'intelligence sont dépendants de la sensibilité. Les fantaisies de Lycurgue coûtèrent à Sparte son intelligence; les hommes y furent beaux comme des chevaux de course et les femmes y marchaient nues drapées de leur seule stupidité; l'Athènes des courtisanes et de la liberté de l'amour a donné au monde moderne sa conscience intellectuelle.

VII IRONIES ET PARADOXES

1 CONSEILS FAMILIERSA UN JEUNE ÉCRIVAIN «. Quiconque raccourcit une route est un bienfaiteur du public et de chaque personne particulière qui a occasion de voyager par là. a JoN~TaAN SWIFT, Lettre d'avis à un jeunejooe~ ?ao). La mauvaise humeur un peu âpre je l'avoue, de ma dernière lettre ne vous a pas découragé, et, cette fois, vous me suppliez; les hochements et les dénis, loin de rebuter vos desseins, les avivent et les précisent; croyant avoir besoin de moi, vous supportez tout de ma part; qu'ils soient productifs, et des coups même ne vous feraient pas peur; vous semblez prêt à adorer la bouche qui, parmi les injures, laisserait couler, comme un miel parfumé, de fructueux conseils je l'avoue encore, un tel état d'esprit m'a touché et séduit. J'ai senti sous le pic un bon terrain. J'y mets la bêche, je vais semer. Ouvre-toi, jeune terre, reçois la graine et sois féconde. Ï Ayant déjà fait quelques études préparatoires au noble métier d'écrivainfrançais,vous n'ignorez pas sans doute que le monde dans lequel vous allez entrer est fort méprisé par ceux-là mêmes qui doivent y vivre et qui en font l'ornement. Vous avez entendu dire que ce monde n'est guère qu'une église de truands qui tient à la fois de la maison de prostitution, de l'étable à cochons et de la chambre de rhétorique; cette opinion est très exagérée, vous ne tarderez pas à vous en apercevoir, et qu'avec un bop manteau, de solides bottes, d'imperméables gants et un chapeau « qui ne craint rien », ni la pluie,ni les avanies, ni la grêle, ni les mensonges, ni la neige, ni la saburre qui tombe des balcons, on y peut vivre tolérablement il y a des séjours plus dangereux pour un homme intelligent et pratique, il n'en est guère de plus recommandable et où le placement d'une pacotille soit plus rapide et plus rémunérateur. II De la pacotille, j'ai peu de chose à vous dire en particulier. Pourse la procurer,.il ne faut ni argent, comme dans le commerce ni étude, ni talent,comme il était d'usage dans les anciennes sociétés littéraires; à cette heure, vous n'avez besoin que d'adresse de l'adresse et encore de l'adresse. Figurez-vousun noyer tout plein de belles noix vertes et que le fermier soit occupé loin de là à sarcler ses betteraves ou à battre son blé il vous suffit d'une gaule ou d'un bâton court, ou même d'un caillou, pour faire pleuvoir à vos pieds les belles noix vertes. Ensuite, il ne s'agit que de les épluchersans se salirles doigts des gens prétendent que cela est fort difficile, « qu'il en reste toujours quelque chose )) oui, cela est difficile, mais si vos doigts restaient tachés, vous en seriez quitte pour porter des gants;unautre motif m'a déjà fait vous recommander cet usage. Vous trouverez, disséminées dans les paragraphes suivants, quelques autres notions touchant la pacotille, laquelle, en somme, se composera de tout ce que vous pourrez voler subtilement aux riches et aux pauvres, aux ar- bres et aux ronces; car je ne suppose pas que vous possédiez naturellement autre chose qu'une intelligence pratique et rusée; en ce cas, vous ne m'auriez pas demandé de conseils et vous n'en auriez pas besoin. III Il faut mourir riche, dit-on. Cet aphorisme est tout au plus digne d'un commerçant modeste. Songez, mon ami, que vous allez entrer dans la haute industrie et prenez une devise plusrelevée et plus digne de la corporation qui va s'ouvrir à vous; je vous conseille celle-ci, qui, divisée en deux parties, embrasse également le présent et l'avenir « tl faut vivre riche. Il faut mourir gras. » Et cette devise, outre ses deux sens bien clairs, bien humains, bien modernes, en. renferme un troisième, ésotérique et merveilleux; je ne veux que vous mettre sur la voie en ajoutant la graisse est le commencement de la gloire. Sans doute, vous n'irez pas jusqu'à la gloire, quoi que puisse faire espérer l'exemple de quelques-uns denoscontemporains quidébutèrent comme vous, sans plus de génie, et avec moins de bonne volonté, mais, avec un sage régime, vous pouvez prétendre à la graisse cela n'est pas à dédaigner, à une époque où tant de pauvres braves gens meurent de faim. Quant à l'argentimmédiatqui vous est nécessaire en attendant le placementde votre pacotille, je ne vous conseilleraisni la Bourse, ni le chantage où les risquessont trop grands et qui demandent, pour être maniés fructueusement, une expérience des hommes que vous ne pouvez avoir à dix-sept ans, malgré votre précocité;or, etc'estlà un principe dont je vous recommande la méditation,mon cher ami, tout acte dont l'accomplissementcomporte, malgré ses avantages, un risque sérieux touchant la santé, la liberté ou la réputation, doit être tenu pour immoral et rejeté hors des possibilités. Gardez soigneusementcette parole dans votre cœur elle peut vous éviter bien des ennuis et vous sauver du naufrage auquel sontsujets même des gens de votre sorte. Mais vous n'êtes pas en peine vous êtes riche comme tous vosjeunes camarades. Fils, comme tout le monde, de parents mariés à la veille de l'impuissance et de la sénilité, vous avez hérité dès l'adolescenceet votre tuteur vient de vous rendre ses comptes. Il est bien évident que,hors de ces circonstances heureuses, vous n'auriez jamais songé à entrer en littérature l'état ridicule d'un écrivain réduit à gagner sa vie ne peut plus séduire un homme bien né; et même je ne suis pas éloigné de croire que tous ces poètes pauvres de jadis (histoire ou légende) ne se trouvèrent que par incapacité intellectuelle dans la nécessité de préférer la gloire au coffre et la triste fréquentationdes Muses à une solide installation dans la vie. Ce qui me confirme dans cette opinion,c'est que tous lesjeunes gens que j'ai vus débuter depuis cinq ou six ans ont, de leur propre aveu, choisi la littératurecomme on choisit un commerce agréable et lucratif,et nullement par vocation: dénués, ils auraient évité un état qui exige, pour être exercé avantageusement, des capitaux. De ceux qui viventsur le Parnasse en solitaires ou en libres vagabonds, je ne m'occupe pas vous n'êtes pas exposé à les rencontrer dans le monde où vous devez évoluer c'est toute une littérature, l'Autre Littérature, dont il est malséant même de parler. IV Quelles doivent être vos lectures? Sérieuses et variées. Vous lirez tous les livres qui ont eu du succès, principalement parmi les modernes, car jadis le mérite et le succès se confondaientsouvent à cette heure, le premier de ces mots n'a plus aucune signification précise il est encore quelquefois le synonyme de succès dans la bouche des libraires et des critiques, mais toujours prononcé le second, lorsque la dépense en papier a été assez considérable peur justifier une telle hardiessede pensée et d'appréciation.Lisez donc d'abord les catalogues et marquez d'une croix tous les ouvrages signalés par une mention flatteuse. Au-dessousdu quarantième mille, un roman n'a qu'une fort médiocre valeurlittérairenaturellement proportionnelle au chiffre inscrit; à quinze, on peut lire un volume de vers; à dix, un traité de métaphysique un pamphlet littéraire qui ne dépasse pas vingt-cinq est à peine digne d'être feuilleté. Il s'agit, bien entendu, de mille soudains et vertigineux, de vogues immédiates, de livres « enlevés )), pile, fièvre et queue, car je ne vous crois pas homme à vous accommoder de ces probes et lentes fortunes qu'un demi-sièclen'épuise pas. Lisez, mais vite, afin de lire beaucoup et d'engrosser rapidement votre mémoire. Au bout déjà de quelquestomes, vous aurez découvertle point commun, le faite de convergence de tous les livres à succès de notre époque cette conquête assurée fermez vos tomes et mettez-vous a~ travail; vous avez le diamant, il ne reste plus qu'à le sertir à la dernière mode. Ce point commun, je ne l'ai pas cherché, et l'aurais-je trouvé par hasard que je resterais muet; il faut que vous entrepreniez vous-même cette chasse dont le résultat vous enrichira non seulement d'un mot de passe, mais aussi d'une méthode. V Vos doutessur le style vous font le plus grand honneur. Non, il ne faut pas « écrire ». Des jeunes gens fort bien douéj se sont fermé toutes les portes, ont gâché, par la puérile vanité du style, le plus bel avenir littéraire. Sans doute, l'art d'écrire est, aujourd'hui, assez répandu (pas tant qu'on le croit), mais l'art de ne pas écrire l'est bien davantage, quoique personne n'en ait encore formulé les principes; c'est la tendance actuelle et demain ce sera la loi de tous les gens de goût. Le joli traité à rédiger sous ce titre « Du Style ou de l'Art de ne pas écrire )) En voici la première règle « N'employez jamais une image quine soit journellementd'usage dans le langage familier. » Toutes les autres règles découlent de celle-là; bien observée, elle suffit à préserver de « l'écriture ? un homme de bon sens et de bonnegrâce. Mais si l'on veut jouir d'une réputation intacte et de l'estime totale il est nécessaire d'arriver du premier coup à la non-écriture. Quelques premiers livres écrits, quelques pages même, déterrées par un ennemi littéraire, pourraient, aprèsdes vingt ans de labeur et de succès, compromettre tout d'un coup votre popularité. J'ai vu la vente d'unroman sans aucun style coupée net par un article où un journaliste afnrmait «. livre très beau et d'une « écritures neuve et hardie.» Rien n'était plus faux, mais ce romancier avait publié dans sa jeunesse un premier livre qui autorisait jusqu'à un certain point de telles plaisanteries. Que votre livre de début soit donc bienfranchementun livresans style; qu'en ses pages fraîches on cueille aisément, ainsi que dans un pré, toutes les fleurs communes; que toutes vos descriptions aient cet air de déjà-vu qui ravit le public en lui faisant croire qu'il a lu tous les livres et qu'on ne saurait plus rien inventer. Un roman où tout, jusqu'aux noms des personnages, jusqu'à la nuance des tentures, jusqu'à la forme des fauteuils, où tout, dialo- gués, paysages, gestes, sourires, cheveux, accidents, scènes d'amour, jalousies, souliers,jupes et consciences, où tout, dis-je, donnerait la sensation de retrouver un chien perdu ou une amante égarée Qui nous fera ce roman-là ? Plusieurs écrivains célèbres se vantent, dit-on, d'un tel chef-d'œuvre j'avoue qu'ils en approchèrent,mais pas au point que je lesadmire sans réserve il leur manque d'avoir évité la vulgarité. Car vous comprenez sans doute que si je bann!&le style, j'exige la distinction et davantage encore, je veux que ce livre sans écriture, sans idées, mais distingué, ait « un air de littérature » qui séduise les plus difficiles et les plus délicats. VI En vous interdisant les idées, il est bien évident que je ne pense qu'aux idées originales ou assez renouvelées pour paraître nouvelles. Les Idées, c'est ce que je vous ai déjà allégué sous le nom de pacotille vous n'en avez pas; le temps vous manque pour réfléchir, et d'ailleurs les idées naissent spontanément de germes profnés dans l'air et qui se posent sur le terrain qui leur platt et là poussent et se développent et fleurissent naïvement, heureuses d'avoir fleuri. Donc, ne gaspillez pas les heures précieuses à interroger votre crâne vide, à remuer l'inutile sable où le vent n'a déposé que des graines aussitôt sèches et mortes il vous faut des idées, pourtant eh bien, soyez brave, volez1 Les écrivains que vous dépouillerez le plus fructueusement, ce sont vos prédécesseurs immédiats. A peine à mi-chemin de la montée, les bras occupés de pioches et de haches, tout au labeur, ils n'auront ni le temps ni le souci, peut-être, de se défendre; les voix ne sont bien entendues que du sommet; s'ils crient leurs cris mourront dans les broussailles vous pouvez donc opérer avec une heureuse sécurité. Un autre motif de choisir vos aînés les plus proches, c'estque leursidées déjà un peu connues seront mieux accueillies du public, qui n'y verra pas l'injure d'imaginations trop neuves et trop fraîches elles peuvent, par un coup de succès, se répandre d~un jour à l'autre; c'est de la besogne à moitié faite, profitez-en sans scrupule, car il faut arriver, et celui qui arrive le premier peut se mettre à table pendant que les autres peinent dans la nuit, sous la pluie. Je vous recommanderai même, quand vous serez entré dans l'hôtellerie, de fermer la porte à doubletour; si l'on frappe, si l'on appelle, suggérez que cela pourrait bien être cette troupe de voleurs que vous avez rencontrée en route et si l'on insiste, n'hésitez pas à armer toute la maison et à tirer par les fenêtres. Ainsi arrivé du premier coup où d'autres, qui valent mieux que vous, n'arriveront que plus tard ou peut-être jamais, vous prendrez une importance vraiment théâtrale; vous aurez l'air de résumer honnêtementles talents divers que vous aurez dérobés avec adresse et décision, et l~s vieux pensionnaires de l'hôtellerievous fêteront comme un miracle. Tous sans doute ne serontpas dupes,mais il suffit que ceux-là le soient qui, les jours de migraine, ont besoin d'un sujet d'article facile et à la portée du peuple. Songez toujours à cela; soyez, au moins deux ou trois fois dans votre vie, un sujet d'article le moins qui puisse vous échoir, c'est une productivecélébrité. VII Mais il faut prévoir le cas où la crainte de manquer de jarret vous arrêterait au bas de la montée alors vous choisiriez un maître qui, ayant compris vos signes, viendrait vous chercher, vous prendrait par la main, vous ferait gravir sans fatigue la pente abrupte. C'est la méthode la plus sûre et celle que je vous recommande, sachant que vous préférez toujours la finesse à la force, et à la violence la ruse. Les vieux maîtres les plus hirsutes et les plus moroses se laissent prendre à la pipée avec une facilité dont on n'a pas d'exemple dans un âge plustendre. Comme ils ont beaucoup d'ennemis (il suffit de vivre pour être haï), ils acceptent de tous côtés les secours d'une sympathie même hautaine, et ils sont souventreconnaissants, car à leur âge ils ne craignent plus rien, et un bon sentiment peut, sans péril, leur faire honneur. Prenez donc un de ces vieillards roulés dans la poussière et dans les crachats, et protégez-le hardiment. Prononcez son panégyrique dans une de ces petites revues où votre copie encore humble est bénie entre toutes les pages, et n'hésitez pas à « remettre à sa place, qui est la pre- mière, ce grand écrivain, victime des rancunes de toute une génération )). Si vous l'avez élu parmi les plus méprisés et les plus dégradés, le résuitat de votre petit travail sera très heureux et très profitable. Dès votre première jeunesse vous partagerez une gloire, sans doute équivoque, mais lucrative et en somme honorable, sii on s'en rapporte à l'opinion publique. Cependant, comme de telles accointances, le profitt bien réalisé, peuvent à la longue devenir dangereuses, comme ce vieil homme de lettres peut, du jour au lendemain, se trouver fort déprécié au jugement de la foule, votre maîtresse, soit par de tristes histoires de mœurs, soit par des lâchetés trop malpropres, soit même par la stupide complaisance qu'il aura montrée à votre égard, soyez toujours prêt à couper la corde, le jour où votre intérêt l'exigerait impérieusement. Alors vous parlerez, « la mort dans l'âme, » mais avec véhémence, et vous verserez sur le vieil hypocrite ce qu'il faut d'injurespour vous laver vousmême d'une intimité trop connue. Tout ce qu'il faut, mais sans excès et vous saurez garder dans cette exécution la dignité d'un jeune ami à la fois respectueuxet affligé. Ainsi vous aurez montré à la fois l'indépendance de votre jugement et la tendresse de votre cœur. V!II Répandez sur tous vos camarades, tous vos confrères, tousles hommes de lettres en général, les calomnies les plus turpides et les anecdotes les plus honteuses. Tâchez de les atteindre dans leurs œuvres,dans leur famille, dans leur santé; .insinuez le plagiat, le bagne, la syphilis vous passerez pour un homme bien renseigné, spirituel, un peu mauvaise langue, et votre compagnie sera recherchée par les journalistes, ce qui est toujours bon, carla célébrité,comme le tonnerre, est faite de petit échos multipliés qui ricochent et redondent les uns sur, les autres. Mais, et voici ce qui donne à ce conseil, assez banal,une véritablevaleur: soit que vous parliez à ces mêmes confrères que vous, avez si ingénieusement salis par d'adroites paroles, soit que vous leur écriviez, changez de ton, faites volter votre cheval tête en queue, virez lof pour lof, et donnez le change avec tant de candeur que votre mauvaise foi ne puisse être un instant soupçonnée. Cela est important. Le poète qui tiendra, signée de votre main, une lettre où, vaincu par Févidence, vous confessez son doux génie, refusera toujours de croire aux vilains propos que ses amis vous attribuent s'ils insistent, il les tiendra pour des menteurs et des envieux, se brouillera avec eux peut-être, et vaus aurez toute liberté pour achever un travail souterrain -+-- si utile à vos intérêts. Il n'y a pas très longtemps, un écrivain qu'un vieux maître venait de dépecer devant moi avec une dextérité vraiment répugnante me déclama avec exultation une lettre où cet habile écorcheurlui cares-. sait l'épidémie avec les plumes de paon les plus ¡ subtiles et les plus riantes. Cette aventure me fit rénéchir. Quand vous remerciez de l'envoi d'un livre, que votre réponse soit mesurée non à l'intérêt du livre, mais à l'importance de l'auteur. En principe, le livre que vous venez de recevoir doit toujours être le meilleur de tous ceux de la même main, et l'auteur toujours en progrès sur son œuvre ceci admis, variez et dosez les com. plimcnts selon l'âge, la réputation, l'influence vous prendrez votre revanche en causant librement avec vos amis, et le plaisir que vous éprouverez à émietter une œuvre sera d'autant plus grandquecette œuvreaura plusde mérites large et résistante, elle donne mieux prise aux coups de talon, et on peut danser dessus pendant des nuits entières. Ne faites jamais de critique littéraire, hormis le cas très particulier exposé dans mon septième paragraphe. Rien n'est plus dangereux que de faire imprimer ses opinions on est le maître de celles que l'on garde sous clef, dans sa tête; on est l'esclave de celles auxquelleson a ouvert la porte. Si par hasard, ce que je ne crois pas, vous teniez à vous mêler à quelque gra'td débat littéraire, usez de voie détournée et prenez pour prétexte la peinture; les peintres peuvent supporter les critiques les plus absurdes, car ils ne "épondent pas et il est facile, en visant un artiste, de blesser grièvement un littérateur qui avoue les mêmes principes que lui. Ce jeu a réussi, mais'il est dangereux. Je ne vous conseillerai pas davantage d'obéir sans mûre rénexion à l'insinuation de Jonathan Swift «. Que votre premier essai soit un coup d'éclat dans le genre du libelle, du pamphlet ou de la satire. Jetez-moibas une vingtaine de réputations et la vôtre grandira infailliblement.)) Sans doute, si le coup est vraiment un « coup d'éclat », mais qui oserait en répondre ? Démolir vingt réputations, surtoutsi elles ont été conquises bravement et loyalement, c'est là pour un jeune écrivain un bonheur trop rare pour qu'une telle tentative ne comporte pas des risques graves, et vous savez que je suis inflexible sur la question des risques. On acquiert bien des amis par vingtt déboulonnements exécutés avec soin, mais que de haines Et si le bronze résiste, si sa chute n'est pas immédiate et foudroyante, il peut s'animer et vous faire de ses mains froides un terrible collier de métal. A mon avis, les plus beaux coups en ce genre seront toujours malheureux, surtout à une époque où l'opinion est, si divisée, où il est si facile de se faire condottière, de recruter un parti et une armée. Comme je vous l'ai dit, attaquezplutôt par des paroles, que vous pouvez toujours renier. La seconde partiedu conseilde Swiftmesemble au contraire très recommandableet franchement je l'approuve de prohiber la louange. Cela est mauvais ceuxque vouslouez de votre mieux, en illuminant les parties belles, en ménageant les ombres, se trouvent toujours estimés au-dessous de leur valeur,etquand mêmevous eussiezmonté le ton du panégyriquejusqu'àl'hyperbole et jusqu'au ridicule, ils ne vous pardonnerontjamais, à moins d'avoir la candeur du génie où la fraîcheur des âmes généreuses,le signe d'amitié que vous faites à leurs voisins;quant à ceuxque vous auriez tus, ils vous rendraient silence pour silence, et votre entreprise ne serait nullement, profitable. Quelles que soient votre force, vos armes et votre insolence, vous aurezbesoin de faire partie d'un cénacle oud'une coterie, comme on abesoin d'un cercle ou d'un café. En cette occurrence, agissez comme les députés qui n'ont d'autre opinion que leur ambition, faites-vous inscrire à tous les groupes,mais fréquentezd'abord le plus redoutable, celui des Arrivistes. Ayant ainsi des relationscontradictoires, vous connaîtrez de petits secrets qui ne vous seront pas inutiles pour vous pousser dans le sens de votre véritable in. térêt, qui est de capter la confiance des belligérants afin de les mieux trahir, le moment venu. Sachez seulement que les Arrivistes sont fort soupçonneux et fort méchants: je les ai vus, pareils aux loups de Sibérie, manger résolument l'un de leurs amis tombé dans la neige ils ont un bon appétit et de belles dents. A la moindre imprudence, ils se jetteront sur vous et vous dévoreront en commençant par les parties molles, mais tout y passera jusqu'aux os et jusqu'aux excréments, et on les admirera sur le boulevard, fiers de leurs lèvres encore sanglantes. C'est à IX vous de demeurersolide sur vos jambes, la main sur votre épée et le visage plat comme une mer hypocrite. Si quelqu'un des vôtres prenait une attitude arrogante,ou seulementsi, quand vous passez, le public le regardait avec trop de complaisance, n'hésitez pas à le faire tomber adroitement le nez sur le pavé et à prendre aussitôt la tête du troupeau, pendant que les autres s'arrêteront à le frapper et à le mordre dans la vie, il faut savoir sacrifier un plaisir immédiat à la réalisation future d'un plus grand bien. X Vous aurez à prendre une attitude touchant les choses de l'amour. Si vos goûts vous portent vers les femmes, ne faites pas étalage d'une inclination trop commune pour qu'elle puisse jamais attirer sur vous l'attention du monde. Apprenez le langage secret et les gestes maçonniques des invertis, efforcez-vous d'acquérir (cela est difficile) cette incroyable voix molle et blanche par quoi un de ces êtres se reconnaît infailliblement dans les concerts humains cela vous sera utile, car, outre que ces gens forment une secte très unie et assez puissante, la singu- larité d'untel cynismedoubleravotreréputation, si vous en avez déjà, et, si vous êtes encore inconnu, suffira à vous mettre en bon rang parmi les curiosités littéraires. Dansle cas où vous auriez vraiment ce goût à la mode, je vous conseillerais au contraire une certaine réserve. Un homme soupçonné de mauvaises mœurs est incontestablement plus estimé qu'un homme convaincu de mauvaises mœurs; la possibilité d'actestrès malpropres excite l'imagination d'une quantité de personnes retenues seulement par la prudence ou par la làcheté; mais, s'il est avéré que les actes ont été perpétrés, les désirs reculent devant une certitude trop brutale. Je crois que tel est le mécanisme de ce singulier revirement, et je vous engage à la prudence. D'ailleurs, il est toujours bon de feindre: ainsi on ménage sa propre nature et on se réserve, en cas d'accident, la suprême ressource de la sincérité. XI Soyez sans pitié, mais n'en laissez rien paraître. Un louis donné à propos vous fera passer pour un bon camarade, pour un homme dont il y a profit à être l'ami. Naturellement, en cas de bataille, tous vos obligés passeront à l'ennemi, mais vous en serez quitte pour une dépensemodérée, si vous avez besoin de les ramener, car ces gens-là se contentent de peu. Soyez généreux avec les ivrognes: l'homme retrouve quelquefois au fond de son verre, comme une peau de raisin, un lambeau de conscience; en cet état, sa reconnaissancese traduira peut-être par un de ces mots heureux qui ne nuisent pas aux réputations littéraires. Souscrivez à toutes les œuvres de charité qui présentent une chance de réclame, aux livres de vos confrèrespauvres, aux statues de poètes défunts,mais ayez soin, chaquefois que vous pourrez le faire avec décence, de refuser la quittance de recouvrement en beaucoupde circonstances, car ily a peu d'ordre en ces sortes d'entreprises, cela passera inaperçu dans les autres cas, mettez la faute sur le compte de la poste. J'ai connu un jeune écrivain riche et économe qui, par ce moyen, tout en gardant les apparences, s'épargnait tous les ans plus de cent cinquante francs, aveclesquels II achetait une bague à samaîtresse. XII N'adoptezpas un costumeparticulier,et si vous laissez reproduire v~tre portrait, que cela soit d'après un dessin très beau, mais très inexact: il y a dans la vie bien des circonstancesoù il est agréable de ne pas être reconnu par les imbéciles. Vous aurez encore le plaisir de tromper le public et de duper les physionomistes. Pas plus que de costume distinct, vous n'avez besoin d'une religion déunie. Sur ce point, comme généralementsurtous les autres, à moins que votre intérêt ne vous oblige à choisir, ayez l'opinion moyenne, l'opinion de tout le monde. Si vous étiez Juif, je vous conseillerais de fréquenter les chrétiens et de mépriser votre race, de feindre une conversionimminente afin deprofiter des avances et des craintes des deux partis aryen, je vous engage au silence et mêmeà l'ignorance d'ailleurs, rien n'est plus malséant, dans le monde littéraire, que d'avouer une conviction religieuseou métaphysique instruisez-vousplutôt de la question des tirages et des passes, devenez une autorité en cette matière, qui est comme la pierre de touche du véritable écrivain. La politique vous sera un peu moins indifférente. Soyez socialiste, sans hésitation.C'est aujourd'hui le seul parti qui puisse, sans ironie, promettre à un jeune homme, pour ses vieux jours, un siè~e de sénateur. XIII Ne commettez jamais d'indélicatessesans être absolumentsur de l'impunité.Si un inconnuvous confie pour le lire un manuscrit où rôde quelque idée, prenez-la en note, mais ne vous en servez que le jour où vous serez assez fort pour braver toute réclamation. Ce système est utile quand il s'agit d'une pièce de théâtre qui souvent ne repose que sur un mot ou une situation qui feront tout aussi bon effet avec n'importequel dialogue. Quand vous démarquerez un confrère, citez son nom, en passant; ainsi, il ne peut se plaindre et le public croit que tout l'articleest de vous, moins une phrase, choisie exprès parmi les plus insi~ninantes. N'usez pas de la lettre anonyme; mais gardez soigneusement celles qu'on vous adressera les écritures sont souvent mal déguisées, un hasard peut vous en faire découvrirl'auteur. Collectionnez de même tous les petits papiers par quoi on peut compromettre quelqu'un et le tenirà sa discrétion. Plusieurs journalistes ne doivent qu'à cette persévérancela situation, inexplicable autrement, qu'ils tiennentdans la presse. Des gens hardis recommandent cette ruse se faire introduire comme secrétaire chez un homme influent, et là, tout en acceptantles ordinaires obédiences promener les enfants, sortir le chien à l'heure de son besoin, allumer le feu, aller reporter les parapluies empruntés, et plusieurs autres besognes qui préparent merveilleusement à la vie littéraire; là, s'offrir, un jour que le maître est malade, à rédiger son article, peu à peu en prendre tout à fait l'habitude, et un jour aller dire la vérité au directeur du journal. J'ai vu tenter l'aventure, qui ne réussit pas, car c'est le nom et non l'œuvrc qui a de la valeur pour un journal et pour le public. Voilà, mon cher ami, les premiersconseils que je vous donne, ou plutôt les idées que je soumets aux méditations de votre esprit précoce. Jeune, ambitieux, intelligent, riche, sans préjugés ni scrupules, vous avez tout ce qu'il faut pour arriver, maisj'espère que cette petite collection de principes ne sera pas la moindre de vos armes. II DERNIÈRE CONSÉQUENCE DE L'IDÉALISME Quid videat nescit sed quod videt, uritur illo Ovide, Métam., 111, 430. INTRODUCTION Ayant eu, ces derniers temps, quelques doutes sur la valeur, non point philosophique, mais morale et sociale, de l'idéalisme, je ne pus, malgré des méditations assidues, triompher -de mes hésitations par la méthodede la logique directe. Et bien au contraire; poussée à son extrême, la théorie idéaliste aboutissait, en mes déductions, pratiquement, au néronisme ou au fakirisme, selon qu'elle évolue en des intelligences actives ou en des intelligences passives; socialement (comme je l'ai noté antérieurement) (i), au despotisme ou à l'anarchie (2). (i) V. Z.'7dea/tSMc,pp. 16-17. (a) On saura ce que pourrait être lefakirisme-anarchie en lisant Or, sans être pourtant le disciple de la prudence philosophique qui, arrivée au croisement de deux routes, s'assied et se demande vers quel point cardinal reprendrai-jema promenade, quand je me serai bien reposée?je me suis assis, comme elle, au croisement des deux routes, et, ayant réfléchi, je résolus de ne suivre aucune des routes frayées, et de m'en aller à travers champs. En somme, tout en ne répugnant ni à l'une, ni à l'autre des deux conséquences que j'ai dites, car elles pouvaient être nécessaires et inéluctables j'ai songé que peut-être elles n'étaient ni nécessaires, ni inéluctables, soit en métaphysique, soit en politique,soit relativementà notre conduite privée dans la vie, lorsque, mus par l'absurde besoin de logique qui nous tyrannise, nous souhaitons de mettre notre vie d'accord avec nos principes. (Il serait si simple de mettre nos principes d'accord avec notre vie.) On trouvera peut-être, malgré mes affirmations, que je me contredis mais les jugements, quoique j'aie besoin, autant que nul autre, de la sympathie humaine, me troublent peu. D'ailun singulier conte de M. Marcel Schwob, /e de la liberte (Echo de Parts, juillet 1892). leurs, aller tout droit, comme une balle (tout droit, ou selon la trajectoire prévue), dans la droite voie de la logique, est plutôt le fait des esprits simples, je ne dirai pas médiocres, ce qui serait bien diiférent. Aucun des grands philosophes allemands(i) n'a été purement logique: ni Kant, bifurquant vers la raison pratique, ni Fichte, prônant le patriotisme (2), ni Schopenhauer dont le pessimisme s'abreuve d'illusoires antidotes; et Jésus, lui-même, parlant comme Dieu, s'est contredit sciemment, puisque, après le « Mon royaume n'est pas de ce monde », il profèrele « Rendez àCésar. ». Logiquement,il devraitdire « J'ignoretout, hormis mon royaume, qui n'est pas de ce monde, et César comme le reste. » Mais en prononçant cette négation «pas de ce monde, » il affirmait « ce monde », et il dut songer aux relations qu'avec « ce monde » devaient nécessairementavoir ses disciples, les hommes de bonne volonté. Revenons à la pathologie de l'idéalisme. Négligeant provisoirement les conséquences sociales d'une doctrine qui, d'ailleurs, est impopulaire, je ne veux alléguer qu'un néronisme de (i) Ni des Français. Matebranche, étant oratorien, se croyait chrétien et ne l'était que de cœur. Sa philosophiemène au fakirisme. (a) D~coMM d la nation a~e~nanc~. dilettante et qu'un fakirisme de bonne compagnie et même, poursimplifierl'enquête, laissons encore de côté le pseudo-fakirisme. Il nous sufnra d'avoir à faire la critique du néronisme mental, plus clairement appelé le narcissisme. Narcisse, Quid videat nescit; scd qucd videt, uritur illo, et, ne connaissant que soi, il s'ignore lui-même Ovide, sans le savoir, a mis bien de la philosophie dans les quinze syllabes de son vers élégant (i). Mais il faut reprendre les choses de plus haut et redire, hélas!1 afin d'être clair, des choses mille fois déjà redites. C'est une éternelle nécessité les hommes sont si crédules à la négation que la vérité leursemble un conte de fées, et que tous vivent, les réprouvés dans l'obscure foret de (t) Les symboles, souvent, demeurentclos pendant des siècle! ils sont la fontaine scellée ou te /w~ r~c/MA-M& On passe devant la source dormante sans même désirer y boire une ~or~c d'eau pure et devant le jardin mure, sans ('envie de t'ranohnle mur et de cueillir même une toute petite rose au mystérieux rosier. (Un conte, qui detieutbien d'autres secrets, la et la Bête, m'a fait comprendrecela et je l'expliquerai un jour, av<-c plusieurs choses, si j'en suis capable.) Eu un temps ou il n'était pas à la mode d'aU.-rboire à la fontaiue de Narcisse,t'ahbcHamer disait, en commentant Ovide L'histoire de Narcisse, si bien écrite par notre poète, est un de ces faits singuliers qui ne nous apprennent rien d'important. » l'indifférence; les privilégiés dans l'obscure forêt du doute Nel mezzo del camino di nostra vita Mi ritrovai in una selva oscura Che la diritta via era smarrita (t).. CHAPITRE PREMIER HOMUNCULUS- HYPOTHÈSE H est bien entendu que le monde n'est pour moi qu'une représentation mentale, une hypothèseque je pose (2), nécessairement (3), quand la sensation éveille ma conscience l'objet n'est perçu par moi que comme partie de moi je ne puis concevoir son existence en soi il n'a de valeur pour moi que s'il vient graviter autour de l'aimant qu'est ma pensée je ne lui accorde qu'une vie objective, précaire et limitée par mes besoins d'hypothèse (4). (i) Dante, /ft/ 1, !-3. (a) Fichte, TVteo/'te </e la Science, (3) Cette nécessité n'est pas absolue.En tel état physiologique ou psychique, la douleur n'est pas perçue dans le sommeil, l'extase, ftc., le monde extérieur est nié. Secondement, cette hypothèse peut être créée a priori fausses sensations ou hallucinations. Le « nécessairementest cependantla condition detoute vie de relation il est supposablejusqu'à preuve du contraire. (4) La perception est toujours critique, en ce sens qu'elle est relativenon seulementà mes facultésperceptives absolues,mais Ceci admis, et constatée d'abord (malgré la contradictiondes termes) lasubj ectivité de l'obj e t, je songe à pousser plus loin l'analyse. Laissantle moi qui m'est connu (au moins par définition), je veux, pour m'instruire et savoir comment et par quoije suis limité, étudierl'objet c'est-à-dire l'hypothèse du monde extérieur; l'objet se mêle à moi, mais à la manière de l'eau qui entredans le vin, en le modifiant, et une telle modification ou même moins négative, ou même positive, ne peut me laisser indiuérent. Je suis donc limité, ou modifié, et j'admets encore à priori cette limitation, sans toutefois préjuger si elle m'est imposée ou si je me l'impose moi-même par une loi de mon organisme psychique; j'admets l'objet ou monde extérieur; j'admets que, inexistant et projeté hors de moi par moi, il soit néanmoinsla cause hypothétique de ma conscience, bien que lui-même causé par ma conscience; j'admets cela, car Homunculus, créé dans ma cornue, surgit et me tient tête; et il parle1 aussi à mes desiderata actuels elle est influencée par le désir, par la crainte; elle est modiSée par mes tendances actives ou même virtuellesje ne perçois pasun tableaude Botticelli aujourd'hui comme il y a dix ans, et je commence sans doute aujourd'hui, à le percevoir comme je le percevrai dans dix ans. Les goûts changent, et d'un jourà l'autre appliquée àl'amour, cette insinuation paraîtra très claire. En effet, en décomposant l'objet, selon le plan de mon analyse, j'ai trouvé qu'il se différencie selon deux modes, deux illusions,mais que différentes l'objet qui ne me résiste pas et l'objet qui me résiste, l'objet esclave et l'objet contradictoire, l'objetsigne et l'objet pensée -l'homme, l'homme effrayant, l'homme qui m'épouvante, parce qu'il me ressemble. Je me connais et je m'affirme je suis, car je me pense, et le monde extérieur où je rencontre ce frère n'est autre chose, je le sais, que ma pensée même hypothétiquementextériorisée. Mais si ce frère gravite autour de mon aimant, particule de mon désir, moi aussi, particule de son désir, je gravite autour de son aimant; le monde dont il fait partie n'existequ'en moi maisle monde dont je fais partie n'existequ'en lui, et,relativement à sa pensée, je dépends de sa pensée il me crée et il m'annihile, il me conçoit et il me nie, il m'écrit et il m'efface, il m'illumine et il m'enténèbre. Je suis lui Homunculus-Hypothèsegrandit et m'écrase, car s'il n'est rien que ma pensée, quand je le pense, il est tout quand il se pense lui-même, et je n'existe plus qu'avec son consentement. Me voilà donc limité par mon hypothèse, c'est- à-dire par moi-même, et je reconnais, cette fois indubitablement, que je ne puis pas ne pas me timiter~ car, dès que je pense, je pose l'hypothèse de la pensée. Me voilà donc limité par ma propre pensée, et plus je pense plus je me limite, plus je crée d'obstacles au développement de mon primordial absolutisme; devenue pareille à l'œil à facettes d'une mouche, ma pensée multiplie les ennemis de son unité et j'ai devant moi la formidable armée des Autres. Mais que l'ennemi soit un ou multiple, il gène également ma liberté, et, m'ayant forcé à le concevoir, il me force à « entrer en pourparlers » avec lui. A condition qu'il ne me nie pas, j'admettrai, autant que je puis le faire, autant que me le permet ma nature, son existence hypothétique, et nécessairement s'il me rend la pareille. Ce n'est, après tout., qu'un échange de bons procédés et de réciproques concessions. Au lieu de la guerre, je propose la paix; je laisse la vie à celui qui me la laisse, et à celui qui m'a retiré de l'abîme et qui en m'en retiranty est tombé luimême, je jette à mon tour la corde du salut. Nouveaux Dioscures, nous vivrons chacun notre jour, nos nuits ne seront que de périodiquesinstants et nous y jouirons des magnifiques alternatives de la lumière et de l'ombre .FratremPollux alterna morte redemit(t). Et voici comment raisonne Pollux « L'arbre n'existe que parce que je le pense; pour la pensée hypothétique que je pressens et que je veux bien admettre, douloureusement, au-delô de mon domaine,je suis une sorted'arbre et je n'existe qu'autant que cette pensée me pense. » H se reprend « Pourtant, je suis, et absolument (2) H II rénéchit et continue « Oui, maisHomunculusne dit pas autre chose de lul-mcme il dit, lui aussi Je suis, et absolument. Or, si j'admets mon affirmation, je dois admettre la sienne, mais deux absolus sont contradictoires; ils se nient en s'affirmant; ils s'affirment en se niant. » Pour être pensé, il faut donc que je me nie moi-même, – maisje retrouverai dans l'autre pensée l'image de ma propre négation renversée et redevenue positive je vis et je suis en celui qui me pense. » Voilà pourquoi Pollux partagea son immortalité avec son frère mortel. (t) Virg., ~t., VI, !9!. (a) Dans le sens de Fichte, que le moi est virtuellementtoute réa!:té, toujours jusqu'à preuve du contraire. CHAPITRE DEUXIÈME VIE DE RELATION La métaphysique pose des axiomes, l'expérience les vérifie; si elle n'en a pas le droit, elle le prend. L'Intelligence absolue pense dans la solitude absolue de l'Infini, et sa pensée œuvre la tapisserie que nous sommes–à l'envers hommes, bêtes, plantes, pierres. Elle a son moteur en soi; elle part d'un point du cercle pour revenir au même point du cercle, et ce simple mouvement, toujours le même, est infiniment fécond. Pour l'intelligence limitée, les conditions de la pensée sont toutes différentes elle a besoin del'excitation du choc extérieur. Réduite à soi, c'est le prisonnier au secret. Dans ce cas, la pensée se résorbe et, ne vivant plus qu'autosubstantiellement,se dévore elle-même et se résout en la non-pensée (i). La pensée d'autrui est le (i) Telle est la signification symbolique de l'histoire d'Hugo. lin. Prisonnier, séparé de la source de l'activité mentale, il dévore ses enfants, c'est-à.dire qu'il se dévore lui-même, qu'il dévore ses propres pensées. Pour cela, il est châtié éternellement, car il a voulu nier, par orgueil, les conditions même, de la vie de r~atio~ telles qu'elles nous sont imposées; il avait obéi aux propres suggestionsde ses enfants, de ses pensées, de miroir même de Narcisse, et sans lequel il serait ignoré éternellement. Il s'aime, parce qu'il s'est vu; on se voit dans un miroir, dans des veux, dans le lac de la pensée extérieure. Tel Narcisse intellectuel, contenté par un auditoire composé d'une femme qui fait semblant d'écouter, s'épandraitmoinss'il n'avait pour confidents queles arbres de la forêt, ou Mnémosyme, plâtre pourtant Indulgent.Mais, à défaut de l'objet-pensée, Narcisse s'amuse encore à interpellerla patience muette desrocherset la bruissante sympathiedes arbres;il écoute, il a créé Echo. Echoest la pensée en laquelle il peut vivre il la nie et il meurt (i). Le Narcisse raisonnable et logique ne s'inquiéson é~oïsme, et taoïsme eut plus de puissance que l'amour, et la fann eut plus de puissanceque la douleur. Poscia, ~M <<~o/- poté'l digiuno “ fleur, si xxxm, 75. (t)t~ devenu fleur, si nous attendons~usque-Ià – œi!!et- Notre-Dame (a) ou porion (&) il faut que la fleur soit cueil- lie. Nous l'entremèlerons à l'hyacinthe, au lys, au lychnis, au lierre, et nous en couronnerons nos amies à l'heure de nos r'sttns métaphysiques (c) //<c/-<i;f Narcissiqueter c~'cu//tt;o~u<ocirculo 7"<<7/u//ï co/'unarM~/t. Et nous jouerons à les orner d'inédites et touchantes grâces. ~M~~a~t~u~~r~we.c~.o/ta/M w~a&<A HtOM~s<ma//t, &Ha~/ss~a//t. –6'MWM<M~/<~7/<ï/MAa&M~M,yu~~M/a&<'<a/. Oui, qui baisera sur la bouche la reine du jeu? (a) Comme~,res de Philostrate, Tableaux (Paris, 1620, in-folio). (b) ~r&1598, in-folio). (c) Citations d'Atbénée, édit. gr. lat. (Ibid.) terait même pas des reflets qui dorment dans les sources. A l'écart de tout, en une solitude rigoureuse et farouche, il soignerait, jaloux et silencieux, la fleur précieuse de son jardinet, trop précieuse pour l'œil d'autrui. Tels peut-être les solitaires de jadis ? Non, car ils ne cultivaient leur moi que pour l'arracher, attendant que la plante fût devenue assez solide pour donner prise aux mains du renoncement(i). Illogique, il convie autrui à visiter ses plates-bandeset ses serres, car, horticulteur à la mode, et non plus pauvre jardinier, il exhibe d'alléchantes collections d'azalées et de phénoménales orchidées, images provignées de son orgueil. Lui seul est le grand horticulteur, mais sa propre affirmation défaille si les autres ne la confirment. Nietzsche, le négrier de l'idéalisme, le prototypedu néronisme mental, réserve, après toutes les destructions,une caste d'esclaves sur laquelle le moi du génie peut se prouver sa propre existence en exerçant d'ingénieuses cruautés. Lui aussi veut qu'on le connaisse et que l'on approuve sa gloire d'êtreFrédéricNietzsche,–et Nietzsche a raison (2). (ï) Le solitaire, même seul, n'était pas toujours seul. Parfois il entendait « la voix qui parle aux solitaires. » (HELLO, Physionomies de Saints, p. 4~3.) (a) L'auteur ne change rien à ce paragraphe où <paraît son L'homme le plus humble a besoin de gloire: il a besoin de la gloire adéquate à sa médiocrité. L'homme de génie a besoin de gloire;il a besoin de la gloire adéquate à son génie (2). Quel poète et qui donc serait content de la seule couronne qu'il se poserait lui-même sur la tête, comme Charles-Quint ? L'empereur ne se couronna pas dans l'ombre de son oratoire; il se couronna devant toute la terre et devant les princes de toute la terre, disant ainsi que, premier juge de sa propre gloire, il n'en était que le premierjuge, et non pas le seul. Pensé par les autres, le moi acquiert une concience nouvelle et plus forte, et multipliée selon son identité essentielle. Multiplier une rose, cela fait un jardin de roses multiplier une ortie, cela fait un champ d'orties. Car la déviation de l'idéalisme~ telle que je la conçois, ne va pas, et tout au contraire, à ratifier la baroque loi du nombre, qui se base sur de fabuleuses additions où sont ensemble comptés ignoranced'alors touchant Nietzsche.Mais cette ignorancemême est bonne à constater, à cause du parallélisme de certainesidées. Plus d'un esprit libre et logique de ce temps a relu dans Nietzsche telle de ses pensées. 'a) Hello a écrit sur une idée voisine de ceci des pagesfort belles(De la Charité t/t~/ec~ue/~dam les Plateauxde la ~c/o~cc). les roses et les orties, les rats et les zèbres. La pensée s'individualise difTéremment; il n'y a pas deux individusidentiques; les miroirs sont bons ou mauvais, et encore le miroir n'absorbe et ne réfléchit qu'une manière d'être et non l'être en soi. L'être en soi est inviolable, mais il fautqu'il subisse des tentatives de viol pour apprendre qu'il est inviolable. Le Stylite vit tout seul sur sa colonne, mais il a besoin de la foule des pèlerins qui se presse au pied de sa colonne il a besoin de la salutation de Théodose il a besoin de la vaine flèche de Théodoric. Sans la pensée qui le pense, le Stylite n'est qu'un palmier dans le désert. in LE PRINCIPE DE LA CHARITÉ Le principe d'un acte, ou sa cause génératrice et maîtresse, importe plus que l'acte lui-même, car c'est par son principe que l'acte acquiert son degré de valeur esthétique, c'est-à-dire morale. Réduit au mécanisme physique, l'acte est indifférent c'est l'extériorisation d'une force et rien de plus. Que l'effort des muscles se résolve en un sauvetage ou en un meurtre, les deux actes sont les mêmes, et pour les différencier il faut avoir compris leur principe initial mais ce principe peut être commun, avidité, vanité, obéissance, courage et un meurtre apparaîtra vêtu de toute la sanglante beauté du désintéressement,et un sauvetagesali de toute la vase du fleuve et de toute la boue de la récompense.Que, les principes déterminés,le châtiment intervienne et efface le crime; que la récompense, aussi sûrement, efface l'œuvre qui la motiva, et l'on retrouve l'état d'indifférence qui est l'état normalde l'acte et qui sera l'état même de l'Activité le jour où tous les actes possibles auront été accomplis. Il faut donc, si l'on veut absolument juger, ce qui est unjcu défendu,maisbien humain, jugernonles actes qui ne sont que des mouvements et dont !a direction peut être à chaque instant déviée par des causes secondaires ou postérieures, mais les préactes, les actes en puissance, les actes au moment même où ils vont être déterminéspar le principe initial; il fautjuger le principemémectnonlefait, et, ici, chercher quel est le principequi peutconférer àunacte la qualité d'actedccharité, en opposition avec !a foule des actions ainsi qualifiées d'ordinaire, mais Indûment. 1 La vie, qui est un acte de toi, puisque l'homme est incapablede vériner les notions sur lesquelles s'appuie son existence même quotidienne, est aussi un acte de charitépuisqu'elleest un échange perpétuel de notions et de sentiments entre les hommes et entre l'hommeet le restede la nature. Parmi ce torrent d'efnuves,les actions communément appelées charitables ne sont qu'un tout petit souffle, et souvent de vanité, maisquisiftle comme un jet de vapeur, afin decapterl'attention et la sensibilité des âmes. Ces actions n'ontquele mérite d'êtreconscientes ellcsiesontjusqu'àl'ostentation et jusqu'au mensonge, carelles arrivent à faire croire qu'elles ont seules droit au nom d'actes de charité, alors que leur principe les range parmi les plus ordinaires gestes du commerce. Les actes charitables ne sont le plus souvent que des actescommerciaux, vente,achat,échange: gagner le ciel, gagner l'estime générale, gagner sa propre estime, gagner le repos de sa conscience;acheterune joie; se défaired'un remords; échange d'une monnaie contre une bénédiction; achat d'une chance favorable,d'unavantage,encore que problématique, d'un bonheur, encore qu'illusoire.Tous ces actes obéissentau principe du gain, atténué çà et là par le principe du plaisir. Ce dernier principe est seul encausequandla charité, acte d'amour ou acte de pitié, prend un caractère noblement égoïste et conforme à la destinée de l'homme,qui est de s'affermir dans sa vie et de s'affirmer dansl'exercice dessentimentsqui lui font éprouver fortement la joie de la supériorité personnelle. Par les actes d'amour et depitié qui souvent se confondent(surtout chez les femmes, et c'est un socle où elles haussent déli- cieusement), l'homme conquiert la sensation de se grandir et même de devenir unique; créateurs d'allégresses vraiment divines, ces actes ont les mêmeseffets que la douleur ilsdifférencientpuissamment celui qui les accomplit avec pureté; ilsle dressent sur la colonneduStylited'oùlescaiIIoux du désert ne sont que des grains de sable, d'où le sable se ride et rit avec desfraîcheursd'eau.Mais là encore, et puisque l'expérienced'un tel résultat peut s'acquérir, le désintéressement n'est pas absolu; la conscience du but n'est pas toujours ni tout à fait absenteet, quoique rien de social ou de pratique ne souille de tels actes (ils peuvent être, cela est toujours sous-entendu,socialement criminels), c'est encore plus loin qu'il nous faut chercher le principe de la charité parfaite. Le principe de la charité est le don gratuit, pur et simple, sans désir, sans espérance, sans but. La nature et l'humanité la pluj voisine de la nature nous donneraient de cela des exemples si on les devait choisir inconscients la charité de la fleur, la charité du hâtaignier, la charité du bœuf, la charité du chien, la charité du ~énie, la charité de la beauté, la charité de la mer, la charité du soleil, la charité de Dieu (dont l'être est indéterminé)qui maintient, selon les lois, la succession des phénomèneset l'activité de l'intelligence – mais la véritable charité est l'acte de l'homme conscient qui vit selon sa propre personnalité et d'après les règles de sa logique intérieure et individuelle. Cet homme donne ce qu'il a et donne ce qu'il est. Pour neurir, il n'emprunte pas, chardon, la sève du lys, il n'est ni le lierre ni le miroir: il ne plante pas ses griffes dans la tige plus forte d'autres intelligences, ni ne vole la grâce d'autres âmes; herbe ou métal ou créature vivante, il n'offre à la frairie des êtres et des choses que l'opulencenaturelle d'un généreuxégoïsme, conforme au rythme, adéquat aux gestes divins. La plus grande charité est donc de vivre et de consentir à être dans la prairie une tache d'ocre ou de laque et de borner son rôle aux relations qu'une nuance doitavoir avec les autres nuances. Mais pour vivre il ne suffit pas d'exister il faut avoir la conscience de sa vie et de sa couleur et de son jeu et, cette triple conscience acquise, maintenir la succession de ses phénomènes et l'activité de son intelligence en cela, l'homme est dieu et son propre Dieu, et, devenu son propre Dieu, il atteint le sommet suplêmedela charité, qui est l'amour de soi-même en quoi est impliqué le don de soi-même. Aimer, c'est donner;s'aimer, c'est se donner: ainsi par le raisonnement le plus simple on identifie, à l'infini, l'amour et l'égoïsme, le moi et le non-moi, dans la conscience de se sentir indéterminé Fé~oïsme pense l'amour, et, pensé l'amour, se vivifie et s'épand en ondes sur le monde. Ces ondes, comme celles que dessine sur l'eau une pluie de pierres, s'entrelacent sans se confondre et sans briserleurs cerclequ'un mouvement sûr extend, à partir du point de chute, jusqu'à une limite inconnue. Parmi l'harmonie de tant d'ondulations invincibles, les actes de la charité commerciale viennentcrever comme la bulle d'air revomie par une grenouille. II Ce que l'on nomme la vie de relation participe donc en plusieurs de ses mouvements à la charité la plus haute, mais cette vérité ne sera pas plus amplement démontrée, car les choses ayant deux faces et les mots leurs exigences, on attend sans doute un examen bref des faits les plus conformes à la définition des lexiques et que l'on revienne, pour ne pas contrarier plus longtempsle commun des habitudes célébrâtes, à l'analyse des actes pratiqués et monopolisés par des « cœurs utiles ». L'idée que la charité doit être utile est presque nouvelle; elle date sans doute de saint Vincent de Paul, ou du moins l'on s'accorde à faire honneur de cette invention curieuse au célèbre philanthrope, au Parmentier des petits enfants. Avant lui, la charité n'était qu'un rachat de personnelles fautes; elle gardaitson caractèreégoïste et digne de prodigalité; elle était vraiment, le plus souvent, un don sans conditions, sans but que d'être un don; elle était un sacrifice; elle avait la grâce et la pureté de l'oubli eue ne suivait pas son argent des yeux. Aujourd'hui l'on va jusqu'à produire, presque en justice, le reçu du Pauvre, avec timbre de quittance. On fait un placement de vanité ou de peur. Le carnet à souche de l'aumônière est devenu un bouclier contre les jets de bouc, et quand il est périmé on en fait de la pâte à papier d'affiches. La charité est devenue une des formes de la réclame savoir piper l'argent miséricordieux et le répartir entre les plus adroits hurleurs est un talent apprécié chez les journalistes, qui envient un métier si généreusementproductif et chez les petits bourgeois qui ont le respect de la comptabilité, de l'ordre, de l'économie et qui donnent, non au pauvre qui passe, mais à l'indigent certifié par un numéro d'agenda. Mais qu'elle serve, sycophante, les intérêts d'un audacieux philanthrope ou qu'elle soit l'assurance contre la grêle signée par un trembleur innocent, la charité perd également tous ses caractères essentiels en d'autres circonstances, elle n'en garde que peu et c'est, par exemple, singulièrementla diminuer en beauté que de la faire descendre au rang de rouage social, moteur d'ordre humain, complice des tyrannies de la civilisation. On a dit que l'aumône était l'une des insultes du riche envers le pauvre. Presque toujours parce qu'elle n'est presque jamais le don gratuit. On achète, pour quelques argents, le silence et la sagesse du pauvre; maisl'aumône qui ne demanderait rien en échange, l'aumône d'un verre d'eau-de-vie à un ivrogne, serait-ce vraiment une insulte? Il est affreux de conduire chez le boulanger la triste créature qui tend la main; la voilà l'insulte, et impardonnable, l'insulte d'une charité méprisante qui limite le besoin pour limiter le don. Et que savez-voussi ce pauvre n'a pas besoin d'une fleur ou d'une femme? Le pain que vouslui offrez, il ne devrait le manger que trempé dans le sang amer de vos veines rompues. La charité qui limite et qui choisit est cruelle et dérisoire si l'on y mêle la notion du devoir, elle s'Ironise encore et s'ag- grave, et se déshonorerait, si c'était possible. Peut-on déshonorer la charité? Villiers del'ïsle-Adam, d'unobscènemendiant, disait qu'il déshonorait la pauvreté. C'est aller loin. Si des pauvres sont abjects ils ne déshonorent qu'eux-mêmes; et la charité est-elle avilie par la danseuse qui, en un hideux bal de bienfaisance, fait choir un plaisir à l'humiliation d'un devoir? Les mots collectifs ne sont pas responsables des unités qu'ils signifient élevés au rang d'idées, ils ne peuvent être amoindris par la trahison d'un fait. Qui peut déshonorer la joie ? Mais la charité est une joie à laquelle, comme à toutes les joies, il faut un peu d'hypocrisie, le demi-jour, le pas de nom, l'acte d'homme pur et simple, comme la possession d'une femme dont on ne connattra que la surface et qui n'entendra que l'anonyme cri de l'Homme, dans l'ombre d'une œuvre secrète. On a publié naguère dans une revue de vulgarisation (i) un article orné de ce titre brillant « La Guerre des langues. » Malheureusement, quoique muni d'une érudition toute fraîche et assuré des plus récentes statistiques, l'auteur, qui est un étranger, n'a pu proférer les conclusions qui se seraient tout naturellement imposées à un écrivain français. Il voit la questionpar le côté extérieur il est plein de sympathie,mais il manque, et c'est bien son droit, de cet amour qui adore jusqu'aux défauts de sa passion et qui veut que l'être unique triomphe tout entier, même contre tout droit, toute justiceet sagesse. Il y a aussi bien du souci commercial dans ses calculs souci louable et que mêmeun poète partagerait, puisque la littérature se vend-– comme (i) On a supprimé le nom, d'ailleurs insi~'ninant.qni ti~nmit dans la première version de cette fantaisie. Peut-être gag'norat-elle à être depouiUee de tuut caractère potcuuque. LA DESTINÉE DES LANGUES IV les oranges et comme les Heurs mais on songe que ce directeur d'une revue française le pourrait ~tre, si son exode avait fourche, d'un recueil allemand ou d'un magasin anglais, et tel vœu touchant la simplification de notre orthographe et, en vérité oui de notre syntaxe, ne laisse pas que de nous troubler au souvenir, évoqué aussitôt, d'un célèbre jugement du roi Salomon. <S~ ut est, aut non sit; ce mot d'un jésuite prénietzschécn, la plus hauteparole échappéeà l'instinct de puissance, doit être rappelé avant toute discussion. Sa clarté dispense de longs commentaires. Il est toujours amusant de voir un Tchèque ou un Polonais offrir du fond de son cœur à un Français de Reims ou de Rouen des moyens délicats d'améliorer la langue qu'il appris dans le ventre de sa mère on passe sur l'impudence et l'on rit on aime à rire surles bords de la Seine et sur les bords de la Marne. Mais nous avons affaire à un sérieux judaïque qu'aucune plaisanterie n'écorche,et il nous faudrait peut-être traiter sérieusementd'un sujet qui semblaitréservé jusqu'ici à égayer la fin des vaines séances académiques. En voici l'exposé,repris à son commencement: Jadis, assure-t-on, le français était la langue parlée par le plus grand nombre d'hommes. Ce jac is est imprécis. Je vois bien, d'aprèsles petits bonshommesgradués comme des fioles d'officine (dont le démonstrateur éclaire libéralement l'intellect de ses nombreux lecteurs), je vois bien, dis-je, que le français est aujourd'huiserré d'assez près par le japonais et que, bien au-dessus de la française, la fiole russe dresse sa capsule noire; je vois bien les rapports arithmétiques qu'il y a entre les chiffres 85, 58 et 4o, mais c'est tout, car il s'agit des langues humaines, c'est-à-dire de pensée, d'art, de poésie, et non pas de sucre, de poivre ou de café. Songez qu'il y a presque deux fois plus de moulins à parole qui broient du russe qu'il n'y en a d'adonnés à moudre du français! Et quoi? Il y a encore bien plus de moulins chinois il y en a trois ou quatre cent millions. La statistique est l'art de dépouillerles chiffres de toute la réalité qu'ils contiennent. Un égale un, parfois; le plus souvent i = x. L'auteur, qui est israélite, devrait se souvenir qu'une petite tribu de Bédouins a Imposé sa religion au monde entier. Le grec classique n'a jamais été parlé à la fois par un peuple plus nombreux que lesSuissesou les Danois. Mais le grec serait mort et sa littérature aurait péri sans la puissance byzantine et c'est le javelot romain qui plantu le latin dans l'Em'opc occidentale. La destinée d'une langue est déterminée par deux causes, l'une intime et l'autre d'actionextérieure,l'une toute littéraire et l'autre toute politique. Cette seconde cause est la plus forte elle peut anéantir la première mais si elle s'y ajoute, au lieu de la contrarier, elle peut acquérir une puissance indestructible. L'avenir sera ce qu'il lui plaira; ce qui est hors de notre influence et de notre raison ne doit pas nous intéresser fortement. Cependantil est évident que la langue de l'Europe future sera la langue du vainqueur de l'Europe; et s'il est probable que la Russie soit la Rome de demain, il est probable que le russe soit le latin des prochains siècles. Le rôle de la France, avilie par des gouvernements indignes, étant désormais purementlittéraire (à moins d'un improbable réveil), la question qui peut amuser est celle-ci dans quelle proportion, à côté de la langue du vainqueur, les langues des vaincus futurs peuvent-elles espérer de vivre littérairement? C'est-à-dire à l'état de langues mortes, de langues de parade ou de cénacles. Car la vie et l'unité d'une langue sont intimement liées à la vie et à l'unité politiques d'un peuple. L'histoire de la langue française l'a montré clairement, quoique à rebours, et l'évolution de l'espagnol dans l'Amérique du Sud sera prochainementun argumentpour cette thèse, qui n'est pas d'ailleurs contestable. Les états de l'Europe vaincue, en perdant leur autonomie, verront leurs langues se fractionner rapidement en une quantité de dialectes dont la différenciation sera croissante. Ou, pourmieux dire, les dialectes de France, par exemple, qui sont encore vivants et fort nombreux, n'étant plus dominés par un parler commun qui les régisse et les coordonne, deviendront de véritables petites langues particulières aussi différentes entre elles que le wallon et le provençal, le picard et le portugais. Les Français de Lyon ne comprendront plus ceux de Nantes, ni ceux de Paris ceux de Rennes. Il y aura des années et peut-être des siècles de grand trouble, une anarchie linguistique analogue à la grande anarchie qui suivit la destruction politique de l'empire romain. Mais les hommes, et c'est leur fin, sont ingénieux à tourner les obstacles que la nature leur impose.. Ayant besoin d'une langue d'échange, ils accepterontsans aucun doute celle du vainqueur. Ces acceptations, dont il y a tant d'exemples dans l'histoire, semblent inexplicables parce qu'on les croit bénévoles. Mais si l'on réfléchit que les fonctions publiques, l'influence et la richesse ne sont plus abordables pour les vaincus qu'au moyen de la langue du vainqueur, qui est le bac ou le pont joignant les deux rives du fleuve, les apostasies linguistiques apparaissent au contraire absolument conformes à ce que l'on doit entendre de. la nature humaine, toujours inclinée du côté du bonheur sensible. Cependantles Barbares n'imposèrent pas leurs langues au monde romain;le latin, que les Vandales avaient respecté en Afrique, ne céda que beaucoup plus tard à l'invasion arabe. Il faut sans doute tenir compte, dans l'examen de ces faits contradictoires, soit de l'intelligence, soit du caractère du vainqueur. Pourquoi le latin qui avait résisté aux Vandales ne put-il résister aux Arabes? Sans doute parce que, malgré que leur nom ait acquis une mauvaise odeur, les Vandales, d'une race douce et intelligente, plus sensuelle que vaniteuse,furent vite amollis et amusés par une civilisation dont tous les éléments n'étaient pas étrangers à leur mentalité. Mais aucun contact ni de sentiment ni d'intelligence ne fut possible entre l'Arabe et le RomanoVandale les vainqueurs exercèrent tous leurs droits et même celui du massacre. Le caractère orgueilleux des Romains avait eu le même résultat que la stupidité des Arabes. Pas plus que l'Anglais ou le Français d'aujourd'hui, ils ne voulurent considérer comme un outil respectable la langue des vaincus; les soldats de César ne songèrent pas plus à parler gaulois que mexicain les compagnons de Cortez. Chose singulière, Cortez avait trouvé un interprète au seuil de l'empire mystérieux qu'il allait dompter en quelquessemaines; César en trouva autant qu'il y avait de dialectes en Gaule il y a des hommes pour qui les défenses de la nature deviennent des complices. Mais le futur vainqueur de l'Europe rencontrera, nondes dialectes sansintensité, mais les languesrobustes et résistantes, appuyées sur des littératures anciennes, respectées, vivaces, sur des traditions administratives, sur la foi populaire qui, en certains pays d'Europe, identifie avec beaucoup de raison la langue, la race et la patrie politique. Dans ces luttes suprêmes, les littératures seront encore une force; quand les armées auront été anéanties, au-dessus des mâles égorgés les femmes se dresseront pleines d'imprécations et de gémissementsoù la langue des vaincus affirmera savolonté de vivre, mêmepourla souffrance et pour le désespoir, et les enfants oublieront difficilement le son des syllabes qui auront, autant que les larmes, autant que les san- glots, pleuré leurs pères. Mais la vie, plus forte que les sentiments particuliers, est aussi plus forte que les sentiments nationaux. Les langues de l'Europe périront toutes, malgré ce qu'elles contiennent de beauté et d'humanité; elles périront toutes selon la tradition orale si l'une ou deux ou trois d'entre elles doivent échapper à la mort intégrale et vivre, un peu, comme vivent encore un peu, aujourd'hui, le latin et, beaucoup moins, le grec ou l'ancien français,–lesquelles? 5 Si l'on suppose que le vainqueur de l'Europe et du monde sera le peuple russe, il faut d'abord éliminer toutes les autres langues slaves, qui seront les premières détruites. Aucune d'elles, d'ailleurs, ne possède une littérature qui puisse ou retarder ou même faire regretter beaucoup leur disparition on peut dès maintenant les considérer comme des phénomènes passagers, et avec un peu d'application déterminer, à un siècle près, tout cataclysme écarté, la date de l'extinction totale. Ceci admis, on appliquera le même raisonnement aux parlers scandinaves dont la vie, rénovée par tel écrivain de génie, n'en est pas moins factice et précaire. Même si l'Europe devait, au lieu de la conquête, subir, châtiment bien plus épouvantable, la paix mélancolique que lui prédisentles humanitaires, on ne voit pas la place que pourrait tenir dans le monde, Ibsen disparu, une langue telle que le dano-norwégien. Ces dialectes réservés à un petit nombre d'hommes sont pour ces hommes mêmes un embarras et unpiège, et, plus encore, un tombeau. Le hollandais ne doit pas attendre une meilleure destinée, ni le portugais; mais ces deux langues pourraient, longtemps encore, évoluer, l'une en Afrique, l'autre au Brésil, où, malgré de singulières modifications, elles garderaient assez de leur figure primitive pour faire douter de leur disparition réelle. Quoique plus vigoureux, mais aussi dénué de force expansée, l'espagnol subiraitle même sort et son histoire se continuerait outre-mer, à travers les immensités de plus de la moitié d'un continent immense. L'envahisseur, qui s'est d'abord attaqué à l'Allemagne, déjà enserrée par uae conquête presque circulaire, y trouve une sérieuse résistance linguistique, mais sans profondeur, sans racines. La littérature presque toute de science ou de philosophie s'y renouvelait tous les dix ans, et les derniers siècles, depuis Nietzsche, dont le ferment a ravagémais non renouvelé un monde, trop décadent et déjà ruiné, y ont été presque inféconds.La folie des analyses et des expériences socialistes ont abruti définitivement le peuple allemand en développantsa double tendance à la rêverie sentimentale et à la jouissance matérielle. Ses dernières activités mentales ignorent, plus encore qu'au vingtième siècle, les joies aristocratiques de la création; il est devenu tout entier contrefacteur et assimilateur; il imite, il traduit, il compile. C'est sans répugnance qu'il apprendra la langue du vainqueur; il emploiera à cette besogne, dont il sentira vivement l'utilité hédémonique,les derniers restes de son énergie et son attention depuis longtemps disciplinée. Sa littérature obscure,lourde et sans éclat n'opposera qu'une faible digue aux puissantes vagues du nouvel océan barbare. Les sentimentalités récalcitrantes trouveront dans la musique un refuge suprême. Cependant les tentacules de la pieuvre atteignent l'Angleterre et l'Italie. Une île est une proie difficile à atteindre, mais dès qu'elle est touchée, c'est uneproieparalysée. Un État insulaire n'a jamais d'armée, quelle que soit sa volonté de se créer cet organe de défense; au centre de la partie mobile de la population, il y a une masse d'hommes plus ignorants, plus orgueilleux et plus timorés que chez n'importe quelle nation continentale. Tout étranger y tomberait comme un Martien et n'y ferait pasrégner un moindre désarroi ni une moindre terreur (i). La conquête linguistique des grandes î!es est plus facile encore que leur conquête militaire; il n'y faut que de la persévérance. L'entêtement s'amollit bientôt, pénétré par !e doux esprit de lucre, par les saines idées d'utilité; l'instinct commercial étoune l'instinct national. Pour les peuples uniquementtrafiquants, commeles insulaires, la langue des dieux est celle qui est pour l'or la meilleure glu. L'Angleterre, qui a une littérature, n'a pas ou n'a plus de langue littéraire. Tels Anglais qu'on nous apprend à vénérer comme de grands écrivains ignorent jusqu'à l'art élémentaire de la phrase et du rythme; ils écrivent comme ils parlent, en oubliant une partie des mots, et comme ils pensent, en oubliant une partie des idées. Quand ils croient composer, ils juxtaposent. Ils envoient leurs pensées à la bataille, comme lord (i) Récemment, la vue d'un navire au pavillon inconnu, qui fuyait le mauvaistemps, fitqueleshabitants d'un village de pécheurs écossais s'enfuirent épouvantés, croyant à une invasion des Boers Que doit donc être le terrien anglais 2? Methuen ses soldats, par petits groupes compacts et isolés. On ne sait pas encore ce que veut dire//aM/<'<on sait qu'enlevéela broderie admirable des images il ne reste de Roméo etJuliette qu'un conte enfantin. Mais Shakespeare est un tel brodeur Ici, il y a une langue littéraire, et plus forte que la pensée même dont elle est l'expression. Moment unique les poètes anglais ne sont presque jamais des artistes, et c'est l'inverse en Italie, où l'art verbal recouvre si peu de vraie poésie. Il n'est pas probable que l'ironie d'un Swift ou d'un Carlyle soit goûtée par un peuple glorieuxde sa force et ardent à la vie. Ce n'est pas là de la littérature de vainqueur. Le passage de la langue anglaise de l'état vivant à l'état classique ne pourra donc être déterminé queparlerespect dont même des barbaresauront appris à entourer le nom de Shakespeare. Si Shakespearedemeure, si le texte de son œuvre est déclaré sacré, des centaines de noms et de livres anglais peuvent entrer dans le temple, escorte du génie sauveur;mais ce triomphe n'est pas certain. Trop libre et trop passionné, Shakespeare, dans les derniers siècles de l'Europe, aura été fort négligé par une Angleterre de plus en plus méthodiste et commerciale. La mort de Ruskin a clos une ère d'activité esthétique ou du moins de tentatives intéressantes pour l'tmpossible fusion des idées de beauté et de vie humaine. Après la disparition du prophète de la lumière, l'Angleterre est revenue avec délices à ses joies sombres et closes. La peinture claire et les étoffes transparentessont incompatibles avec la nécessité de la houille; là où il faut se chauffer beaucoup et beaucoup activer des machines, le plaisir est d'avoir une maison solide, de manger des choses fortes, de boire en écoutant la pluie battre les vitres.Quelques distractionsviolentes suffisent, aux jours de beau temps. Mais les revers militaires et des difficultés sociales ont encore durci le caractère de l'Anglais, et les hommes comme la nation se sont enfermés dans un isolementcruel. L'Angleterre se fait souffrir elle-même pour oublier les blessures qu'elle a reçues de l'étranger et c'est la religion qui a bénénclé de cette longue crise d'orgueil. Oublié dans le reste de l'ancienne Europe ou retourné parmi les peuples latins à l'état de superstition païenne, le christianisme est encore vivant en Angleterre au jour même de l'invasion (ï). L'or- (t) C'est au nom du christianisme que. cette année môme, les iu"-es an~taispoursuiventcomme obscènesles tivresde libre phtlosophie scientifique édités par l'UniversityPress: la Pa~ogie des B~to/t~. la Psychologie ~~Me//e. le Vieil et le nouu~ J(~, le ltythme des pulsations,~po~a~~eet </e<e~~ gueil a fini par se liquéner en une résignation noire le peuple de Dieu souffre parce que Dieu l'a voulu, et pour être jusqu'au bout le nouvel Israël, il fautque l'Angleterre souffre en silence, ainsi que les Juifs de jadis. Ces idées ont inspiré toute une vaste et basse littérature. Depuis deux ou troissiècles,lesfemmesseulesécrivent, la baisse des salaires dans les travaux intellectuels ayant à la fin écarté les hommes d'uneprofession dépréciée. Elles cultiventle seul genre littéraire auquel de tout temps elles aient été propres, le roman. Mais ce roman, depuis quelles sont sans concurrents ou plututsansmaîtres, est toujours le même et toujours optimiste il s'agit invariablement d'unamourcontrariépar Fêtât de péché d'un des amoureux (l'homme, la femme étant le lys parmi les chardons) et dont une conversion soudaine (ou lente, si la magazine a besoinde copie) permet la délicieuse réalisation. Aucune jeune fille de dix-huit ans, aucun -homme dépassant la trentaine, aucun personnagemarié, ni mâle ni femelle, hormis de vénérables parents, ne figurent jamais dans ces histoires dévotes, sinon nisme. Ce dernier ouvrage est de M. Hamon; le premier est du D. Féré. Ce sont des livres que le cléricalismeprotestant envoie maintenant au bûcher de Servet. L'Angleterre est mamïestement à la veille d'un renouveau de fanatisme. tout au fond du tableau. De même que les insectes, les Anglais n'ont plus d'histoire, franchie leur crise nubile; ils ne meurent pas immédiatement sans doute, comme les coléoptères, mais ils vivent dans le silence, le travail et la vertu. Entre le vingt-deuxièmesiècleet l'envahissement de l'Angleterre, une seule romancière osa une timideallusion au mécanismede l'amour;elle dut s'exiler en Allemagne. C'est le seul écrivain anglais dont le nom, pendant cette longue période, fut connu sur le continent. (Ici on pourraitsupposer que la décadence de l'Europe du Nord avait été singulièrement accrue par la rigueur croissante des hivers la limite du seigle était descendueà Christiana; celle du froment à Newcastle et à Copenhague; celle de la vigne passait par Bordeaux,Venise et la- Crimée. Les lignes isothermes ayant fléchi sur l'ouest et le centre de l'Europe, par suite d'une déviation du grand courant équatorial, la température de Londres se rapprochait de celle de Moscou. La civilisation avait donc reculé vers le sud, Rome était redevenuela vraie capitale du monde, et la Méditerranée avait retrouvé sa primitive splen- deur. Un nouvel empire s'étendait, limité au nord par le Danube, de Vienne à Palerme et de Gênes à Constantinople. La courbe du grand fleuve, jadis océan entre deux mondes, arrête longtemps lesSlaves, malgréles complicités qui travaillaient pour eux à l'intérieur du cercle. Et on imagi nerait toute une histoire future. Mais c'est trop facile.) L'Italie offre aux Barbares (en toute hypothèse) une résistance imprévue. Sa défense, c'est l'éblouissement. Devant ce spectacle d'une vie extérieure régie par la recherche de la volupté, 'envahisseur s'adoucit, enfin heureux de vivre; les arméesfondent; Capoue renait dans les roses latines et dansles lys florentins.Commentimposer au sourire milanais la rudesse d'une langue mal élevée? Si une des langues de l'Europe doit survivre à la conquête de l'Europe, ce sera l'itaHen, la moins souillée, la plus souple, la plus fraîche et, en même temps, la plus égoïste et la plus fière des sœurs romanes. La paresse du peuple italien, sa délicieuse ignorance lui ont forgé à son insu une force linguistiquede pré- mier ordre; l'Italien n'a jamais accepté aucun mot étranger sans le dépouiller d'abord de son harnais d'origine cette délicatesse a donné au peuple l'illusion que toutes les nouveautésverbales sont des filles légitimes du génie italien, et la conviction de parler une langue pure lui a inspiré un grand dédain pour tousles autresparlers de l'Europe elle rit devant tousles sons qui ne sortent pas de sa flûte. Enfin l'italien est le vestibule direct du latin qui, en ces siècles éloignés, agardé sonprestige sacré. La connaissance d'une des deux langues mène à l'autre avec facilité, et comme elles évoluèrent sur le même sol, on les trouve historiquement enlacées dès qu'on éventre une colline, dès qu'on remue les ruines d'une égliseou d'unpalai:?. Le latin nous apporta la civilisationantique; l'italienporteraitaux hommes futurs la connaissance où le souvenir des civilisations modernes. Devoir peut-être un peu lourd pour une langue qui s'est perfectionnée dans la bouche du peuple plutôt que dans le cerveau des écrivains. La littérature italienne des derniers siècles est lumineuse et légère, claire et voluptueuse elle n'est que cela, et c'estpeut-être ce qui la sauvera. Les sensibilités du Nord viendront se réchauffer en ce ruisselet tiède et parfumé les hommes, las des philosophies et des sociologies, aimeront la chanson des oiseaux latins. En linguistique il faut admettre que c'est le peuple qui crée et recrée sans cesse l'instrument; mais les hommes aptes à manier cet instrument délicat et terrible sont en très petit nombre. Dès que les écrivains sont légion, dès que la culture littéraire s'épand sur la nation entière, substituantà la noblesse de l'inconscientla mesquinerie de l'action volontaire et préméditée, il se produit une déviation esthétique et un abaissement intellectuel. On dirait que la civilisation est un gâteau et que les parts sont d'autant plus petites que les convives sont plus nombreux. Ceci ne peut pas encore se démontrer:mais la notion deviendra évidente. Comme tout se tient, si la houille venait à manquer,laproductionlittéraire baisserait de moitié. Les aphorismes de Malthus sont applicables au génie. Parce que des millions d'imbéciles veulent lire des romansfeuilletons, on manquera peut-être un jour de la rame de papier nécessaire pour faire connattre un nouveauZarathoustraaux mille cerveaux d'élite qui seuls le pourraient comprendre. On écrira là-dessusdes choses très belles ettrès inutiles quand les Barbares'auront incendié Paris. A ce moment-là il n'y aura plus guère de lit térature française que celle des siècle anciens, et la langue, déformée par les étrangers auxquels on l'aura livrée, ne sera qu'un amas grossier de termes exotiques enchâssés chacun dans une orthographe superstitieuse. Déjà pour bien parler français à la mode des bureaux de rédaction et des cercles sportifs, il faut connattre la valeur deslettresselon l'alphabet de cinq ou six langues étrangères; à la veille de l'invasion, la langue française sera un crachoir international. Nul ne la regrettera, ni même les Français, qu'elle rebuterapar son odeur cosmopolite. S'il y a encore quelques poètes, ils useront du latin ou de telle vieille forme séculaire on écrira enVictorHugo, en Racine, en Ronsard. La littérature, enfin socialisée, se composerade romans historiques où la civilisation d'aujourd'huiserareprésentée sous les couleurs que nous attribuons maintenant à l'homme lacustre avec cela, quelques traités de science élémentaire. Un grand silence intellectuel planera sur notre patrie. La contradiction étant impossible, toute puissance appartenant à l'État, seuls pourront parler ceux qui penseront comme 1 État mais personne n'aura l'inutile courage d'écrire, sinon les scribes officiels appointés pour cette besogne. Les vainqueurs ne toucheront pas à l'admirable organisation fran- çaise de l'esclavage socialiste ce bagne sera l'atelier qui travaillera pour entretenir la civilisation renaissante dans le reste de l'Europe. Mais j'espère qu'il se révoltera, afin que tout recommence et qu'il y ait enfin une science historique (ï). (t) M. Robert WaldmuUer(Duboc), en visitant VictorHugo à Guernesey.recueillit son opinion sur la future « tangue européenne ». Voici l'anecdote résuméepar le r<M(7 février),d'après le Z~erartscAa Echo de Berlin: < En 1867, M. Duboc voyageait en France et en Angleterre. Ce fut peut-être un obscur mouvement d'atavisme français qui le poussa & rendre visite, en passant la Manche, au plus grand des poètes français vivant. Il débarqua donc à Guernesey et se fit indiquer Hauteville bouse. Dès le jardin, il eut de Victor Hugo une première vision à laquelle, certes, il ne s'attendait guère. Hugo, à ce qu'il raconte, était sur la toit plat de sa maison, < vêtu de sa seule dignité, et se livrait à des mouvementsgymnastiques après avoir pris une douche froide. Le visiteur se fit annoncer dans les formes et fut reçu avec une grande affabilité. La conversations'engagea et tomba, comme it était naturel entre Françaiset Allemand et à cette époque, sur les rapports des peuples entre eux. M. Waldmüller-Duboc demanda à Victor-Hugo s'il était jamais allé en Allemagne. « Non, seulement dans le pays vieux-gaulois du Rhin, que je considère comme irançais, bien que, ajouta-t-il,pour moi il n'y ait pas de frontières. Et là dessus Victor Hugo émit justementla même pensée que Nietzschedevait développer plus tard « Un jour viendra où l'Europe ne connaltra que des Européens, et non plus des Français, des Allemands, des Russes. Est-ce que les Allemandsont une queue? Je ne vois pas de différence (Waldmüller reproduit cette boutade en français.) Alorsle pèle-méle des languesprendra fin une seule sufSra. Laquelle? Trois seulement peuvent entrer en ligne de compte: l'italien, l'allemand, le français. L'allemand avec ses consonnesest trop dur pour les méridionaux l'italien parattrait aux Allemands LaFrance périra ainsi ou de toute autre façon, mais elle périra, et toutpérira. Cependant, cette part faite au prophète pessimiste qui vaticine en tous les hommes désabusés d'aujourd'hui, il n'est pas inutile de se livrer à quelquesréflexions d'un autre ordre, moins amères et plus vérifiables. Si l'influence linguistique de la France a diminué, surtout depuis trente ans, on n'y peut voir qu'une cause, et cette cause est toute politique. Les peuples ont besoin de savoir la langue du plus fort; dans cette force, la littérature est un appoint, elle n'est que cela. Le patronage littéraire de la France s'étend encore aujourd'hui sur la plus grande partie du monde civilisé il avoir trop de mollesse reste le français, la langue où se fondent l'énergie et la douceur. Et Hugo continua, poursuivant son idée: SiByronn'avait parléqu'anglaisil n auraitrencontrépartout que des gensqui ne l'auraient pas compris; car, en dehors des Anglais, qui connaît cette langue absurbe?'l Mais quandl'Europe s'avisera-t-elle que tout le monde doit apprendre le françaisf? Qui sait! Peut-être dès le lendemain de la chute de M. Bonaparte. Alors, en un clin d'œil nous aurons la République. Et puis1 Les républicainsfrançais tendront la main aux Allemands. Ceux-cichasseront leurs nombreuxprinces. les douanesseront supprimées, etc. » est plus vaste qu'au dernier siècle; s'il est moins profond, c'est qu'il n'a plus pour appuila suprématiemilitaire.De tousles commerces allemands c'est celui de Leipzig qui a le plus gagné, peutêtre, au traité de Francfort. Il n'a tenu qu'au génie littéraire allemand de profiter de la situation. C'est parce qu'il s'est obstiné à se taire ou parce qu'il n'a parlé qu'avec timidité que les lettres françaises ont maintenu et peut-être étendu leur vieille domination.Sans ce pacifique empire d'outre-frontières, la vraie littérature de France, et toutes les industries qu'elle fait vivre, n'existerait peut-être plus. Qu'il le veuille ou non, un écrivain français a trois clientèles dont voici l'importance décroissante Paris, l'Étranger, la Province. Il faut donc distinguer de l'Influence littéraire l'influence purement linguistique qui s'exercepar la politique et par le commerce. Les livres français sont lus par des hommes qui ne sauraient parler notre langue; ils l'ont apprise ainsi qu'une langue classique,langue de luxe et de loisirsaristocratiques.D'autrepartlesFrançais de Francene lisentqu'eneux-mêmes celivreunique et quelques fausses nouvelles, voilà toutl'alimentque se permet leur génie égoïste et national. Pour propagerla littératurefrançaiseà l'étranger, il suffitque nousécrivions de bonslivresdans une langue à la foistraditionnelleetrenouveléepar les conseilsd'une sensibilité originale;propagerla langue française,en tantque langue de commerce et d'usage, il suffirait peut-être, à l'heure actuelle d'une politique ferme, et au besoin un peu impertinente. Mais l'impertinence diplomatique n'est pas un joujou que puissent manier sans danger ou sans ridicule les humbles hommes d'État, les contre-maîtres d'usine, qui ont usurpé en France le rôle de pasteurs de peuples. Et ce ne sont pas les efforts généreux de l'Alliance française qui pourront suppléer à notre atonie politique, et encore moins tels petits remèdes de bonne femme sérieusement préconisés par des journalistes nommer des correspondants étrangers de l'Académie française, instituer un Prix de ,Paris pour les étudiants étrangers L'inutilité de ces mesures me les ferait accepter volontiers. La France n'est pas une maison de commerce qui donnerait des primes à ses clients; ni elle n'est une dame qui doive condescendreà rendre moins âpre l'accès de ses faveurs. S'il faut simplifier çà et là notre orthographe, ou désencombrer de trop puériles règles nos grammaires, que ce soit par des raisons esthétiques, c'est-à-dire d'une utilité hautaine. Nous ôterons des baleines au corsage pour que le pro fil soit plus pur de la poitrine plus libre, mais non afin de favoriser les mains grossières. La langue de Victor Hugo n'est pas un volapuk qu'il soit permis de vouloir accommoder au goût des sauvages comme une fabrication de cotonnade. Il ne paraît pas d'ailleurs qu'il y ait, malgré la logique, le moindre rapport vrai entre la difficulté du français et sa présente inertie d'expansion (i). Le français est-il plus difficile aujourd'hui qu'il y a un siècle? Loin de là; il l'est beaucoupmoins par l'abondance des excellentes méthodes répandues dans le public, par l'abondance aussi des livres à bon marché. L'or- (t) Il ne faut p:ts trop appuyer sur cette inertie. L'auteur de la « Guerre des Langues )) a lu dans les journaux qu'une école commerciale de Rotterdam a rayé de son programme le cours de français il transforme cette école unique en < certains étabitssements pédagogiques.? » et pousse une hargneuse allusion à t'Anaire. La langue française est fort répandue en Hollande; moins ou plus qu'hier, c'e~tune question difScile à résoudre, mais il est manifestementabsurde d'écrire Les Hollandais s'éloignentde plus en plus de notre langue et de notre littérature, » Pour permettre d'apprécierla question,-et la bonne foi du pamphlétaire, nous donnonsen appendice, une pièce jastiftcaiive. De tempsen tempsles journaux(encore!)nousinformentque le français va disparaître à Jersey.Ur, il y a vingt ans la connaissance de l'anglais était absolumeut indispensableà Jersey aujourd'hui le français suffit. Je me suis fait rapporter l'an passé la collection des carres et prospectus distribués aux étrangers, et tous sont en français. J'ai été surpris. Mais l'Angleterre est un si prodigieux laboratoire de mensonges.Il faudraitvérifierla moindre information avant d'en faire état. thographe est la môme, mais plus régulière la syntaxe est la même, mais plus souple. D'ailleurs, à côté de l'orthographe anglaise, ce résumé de toutes les incohérences, toutes les orthographes, même la française, apparaissent cristallines. Mais je ne professe pas tout à fait les idées communes sur les obstacles qu'apporte en une langue la complication de son orthographe. Les mots dont l'épellation est la plus anormale sont précisément ceux qui se gravent avec le plus de netteté dans la mémoire. Personnellementj'aurais moins d'hésitation sur l'orthographe anglaise que sur l'italienne, et pourtant autant l'une estdémente,autant l'autre est raisonnable. Comment oublier que ~ro~Aa/M se prononce .8rd/MC ou que u~ se lit /ïa/?M/? N'exagérons pas cependant l'attrait de ces chinoiseries. Il en est un peu de la facilité de l'anglais comme de la supériorité des Anglais. C'est un bruit qui courra tant qu'il aura de bonnes jambes. Une langue très utile est beaucoup plus facile à apprendre q'/une langue de luxe. La difficulté, la vérité, la beauté, autant de valeurs relatives. Il ne faut donc pas trop se fier aux petits graphiques amusants que l'auteur a fait graver à la fin de son article pour conquérir l'aveu immédiat de sa clientèle. Six échelles de hauteur arbitrairement graduée affirment aux plus obtus (et au besoin à ceux qui ne sauraient paslire) que, trois échelons gravis, on peut se délecter à lire les poèmes de M. Swinburne, tandis qu'il faut délaisser le dixième pour comprendre les vers ce M. Sully-Piudhomme (qui ornent les pages suivantes). Mais je crois qu'il y a là une raison de perspective et que, vue de Turin ou de Barcelone, la propositionne serait pas tout à fait la mêmeque si on contemple ces symboliques échelles d'Amsterdamou de Hambourg. C'est par ces moyens qu'un commerçantétabli en France travaille à l'extension de la langue française. Ils doivent lui sembler bons, puisqu'il est intéressé dans cette question qu'un écrivain aurait traitée avec plus de désintéressement ou un savant avec plus de compétence. Mais si l'on voulaitrecueillirsur la situation réelle de notre langue à l'étranger les renseignementsprécis et valables que ne m'a pas donnés une imagerie, ni ses textes explicatifs, je crois qu'il faudrait s'adresser à ces voyageursou à ces touristes qui parcourentsans cesse le monde pour leurs affaires ou leur plaisir. Eux seuls savent la vérité sur le pouvoir d'échange de la langue française, sur la valeurmonétaired'unmotfrançais à Bata- via, à Buenos-Ayres, au Caire ou à San-Francisco et en Europe. Pour l'exportation du livre, de la revue, du journal, l'éditeur et le commissionnaire seraient consultés, et il faudrait les croire, car la littérature, par dernier privilège, échappe en grande partie aux douanes. On recommencerait dans dix ans, et on saurait quelque chose. Il vaut peut-êtremieux ne rien savoir,et pour ce qui est de nous, écrivains orgueilleux, dire notre vaine pensée sans'nous demander si elle retentira très loin ou si elle mourra à nos pieds.

APPENDICE PIÈCE JUSTIFICATIVE

LA LANGUE FRANÇAISE EN HOLLANDE « Déjà, à plusieurs reprises, nous avons indiqué la place considérableque la langue française a conquise et conservée aux Pays-Bas. Les considérations historiques qui expliquaientdans une large mesure cette situation privilégiée création de nombreuses églises wallonnes et d'écoles françaises ont forcément perdu, par suite des circonstances, beaucoup de leur valeur. Cependant, le français garde son prestige et, si la connaissance de notre idiome n'est plus considérée comme la plus utile, l'étude du français reste toujours la plus attrayante et la plus nécessairepour les classes aristocratiqueset pour tous les hommes cultivés. » Dans aucun pays étranger, l'Alliance française n'a trouvé un terrain plus favorable qu'en Hollande. Dans les grands centres, elle a créé des associations puissantes et dans beaucoup de petites villes de province des sections vivantes. Toutrécemmentencore, une section s'est fondée à Assen, la capitale de la province la moins importante du royaume. » Cette année le choix des conférenciers a été particulièrementheureux.M°"'Thénard~M. Chailley-Bert etc., ont obtenu partout, et notamment à la Haye et à Amsterdam, un succès très vif et très mérité. En général,lessoirées dramatiques, qui offrent plus de variété et une note plus gaie que la conférence ordinaire, sont surtout goû-, tées du public. Par tempérament ce dernier est plutôt froid, mais chaque fois que des artistes parisiens entrent en contact avec lui la glace ne tarde à se rompre et la soirée finit par une ovation. » On continueà lire de préférenceles ouvrages français. Nos écrivains, les romanciers spécialement, se sont créé dans ce pays une excellente clientèle. Le dernier roman qui a fait sensation à Paristarde pas à faire son apparition à la vitrine de tous les libraires. De plus, dans chaque ville, des sociétés de lecture fournissent à leurs membres,à prix fort modérés, une foule de revues françaises très demandées. M En réalité, le français ne semble pas avoir perdu de terrain, comme on avait pu le craindre un instant. On sesouvient que le conseil mu- nicipal de Rotterdam résolut, il y a quelques années, de supprimer l'étude du français dans les nouvelles écoles de la ville. Cette décision fit grand bruit. Or,d'après nos renseignementspuisés à la meilleure source, toute l'affaire se réduit à ceci le conseil municipal a voulu tenter un essai et il a supprimé le français dans une seule école publique. Cette dernière n'est fréquentée que par des enfants dela petite bourgeoisie.Les parents jugent la conna:ssancede l'anglais et de l'allemand plus utile à leurs enfants au point de vue commercial. Mais dans toutes les autres écoles le français reste inscrit au programme comme branche obligatoire. » Même danscertainsétablissementslibres, on consacre beaucoupde temps et de soins à l'étude de la langue française. Ainsi, à l'institut de M. Esmeijer, à Rotterdam, on réserve dans cer- taines classes jusqu'à sept heures par semaine à l'enseignement du français. Et les résultats sont positivementremarquables. » C'est à M. Esmeijer que revient l'honneur d'avoir introduit aux Pays-Bas,pour l'étude des langues vivantes, la méthode directe ou intuitive, qui consiste à parler à l'enfant et à le faire parler dès le début. Le maître chargé d'enseigner le français proscrit dans ses leçons l'usage de hollandais. Cette innovation hardie a provo- qué une vive oppositionde la part des détenseurs de la vieille méthode des traductions. Mais les progrèsdes élèves sont si rapides, la supériorité de la nouvelle méthode ressort si clairementque M. Esmeijer a eu beaucoup d'imitateurs et que la cause paraît gagnée. » Dans cet établissement modèle, les enfants commencent l'étude du français dès l'âge de six ans, tandis que dans les autres écoles on ne débute qu'à neuf ans. Au bout de troismoisd'exercices –~ une demi-heure par jour – ces petits garçons comprennent déjà fort bien et s'expriment avec une réelle facilité. Dans les classes supérieures, les travaux des élèves sont absolument remarquables. En narration française, beaucoup d'entre eux dépassent la moyenne des jeunes Français aspirant au brevet élémentaire. » NafùreHement,le françaisest aussi enseigné avec soin dans lès gymnases, dans les écoles secondaires et dans les classes supérieures des écolespubliques.Mais ce seul exemple, pris dans l'enseignementlibre, suffit pour montrer tout le prix qu'on attache à la connaissance de notre langue. » TABLE DES MATIÈRES 1. Du S"LE OU DE ~y t ~s 5 – Du STYLE OU DE L'ÉCRITURE ~-y/ 5 II – LA CRÉATION SUBCONSCIENTE. ~5 111. LA DISSOCIATION DES IDÉES. '< .w~ 71 IV. – SïÉPHANEMALLARMÉETL'IDÉEDE DÉCADENCE. IIII V. – LE PAGANISME ÉTERNEL. I. – t/he religiond'art. 135 Il. PsgchologieduPaganisme. 177 Vï. – LA MORALE DE L'AMOUR. 203 VIÏ. IRONIES ET PARADOXES. I. ConMt/N ~cy~a~ ./a/M<7te~ un ,jeune 287 II. Dernière ~e. conséquencede ~<~a262 HI. Z~r~ctjoecfe~CAar~ 276 IV. ~a Destinée des Langues. 285 APPENDICE.PIÈCE JUSTIFICATIVE LA LANGUE FRANÇAISE NN HOLLANDE. 3~3 .AC~F~ ~/A~JMM Le quinze octobre mil neut cent PAR BLAIS ET ROY A POITIERS pour le MERCVRE M t'KANCE





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