French Eighteenth Century Painters  

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"It is love; but it is poetic love"--French Eighteenth Century Painters (1856-1875) by the Goncourts


"Watteau a renouvelé la grâce. La grâce, chez Watteau, n'est plus la grâce antique : un charme rigoureux et solide, la perfection de marbre de la Galatée, la séduction toute plastique et la gloire matérielle des Vénus. La grâce de Watteau est la grâce. Elle est le rien qui habille la femme d'un agrément, d'une coquetterie, d'un beau au-delà du beau physique, Elle est cette chose subtile qui semble le sourire de la ligne, l'âme de la forme, la physionomie spirituelle de la matière."--French Eighteenth Century Painters (1856-1875) by the Goncourts

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L'Art du dixhuitième siècle (translated as French Eighteenth Century Painters) is a collection of essays on 18th century French art published in 12 parts between 1856 and 1875 by the Goncourts with etched illustrations by Edmond. The essays, some of which amount to substantial monographs with extensive notes and documentation, were first published in various periodicals. The Goncourts were one of the first art critics to take an interest in prints, pastels and drawings. Among other things the collection praises Watteau in 1860 whom they saw as one of the greatest poets of the century. The collection features profiles of Watteau, Boucher, Chardin, Georges de La Tour, Greuze, Fragonard.

The collection pioneered the revival in the taste for French Rococo art.

The six main essays have been translated by Robin Ironside into English as French Eighteenth Century Painters (1948).

Contents

See also

Full text 'L'art du Xviiie Siècle. 1ère Série : Watteau, Chardin, Boucher, la Tour'[1]

EDMOND ET JULES DE GONCOURT



L'ART

DU


XVIir^ SIÈCLE


PREMIERE SERIE


WATTEAU. CHARDIN.


BOUCHER. LA TOUR.



PARIS

G. CHARPENTIEa, ÉDITEUR

13, RUE DE GRENELLE SAIXT-GKRMAIN. 13

1881



L'ART


DU


XVIir SIÈCLE


IL A ETE TIRE

Cinquajite exemplaires numérotés sur papier de Hollande. Prix : 7 fr.

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L'ART


DU


XYIIl' SIÈCLE


PAR


EDMOND ET JULES DE GONGOURT


PREMIERE SERIE


WATTEAU. j LA TOUR.

CHARDIN. BOUCHER.


PARIS

G. CHARPENTIER, ÉDITEUR

13, RUE DE GRENELLE-SAINT-GERMAIN, 13 1881

Tous droits réservés.


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WATTEAU

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WATTEAU


Le grand poète du xviii" siècle est ^Yatteau. Une création, toute une création de poème et de rêve, sortie de sa tête, emplit son CEuvre de l'élégance d'une vie surnaturelle. De la fantaisie de sa cervelle, de son caprice d'art, de son génie tout neuf, une féerie, mille féeries se sont envolées. Le peintre jl tiré des visions enchantées de son imagination, un. monde idéal, et, au-dessus de son temps, il a bâti un de ces royaumes shakespeariens, une de ces patries amoureuses et lumineuses, un de ces paradis galants que les Polyphile bâtissent sur le nuage du songe, pour la joie délicate des vivants poétiques.

Watteau a renouvelé la grâce. La grâce, chez Watteau, n'est plus la grâce antique : un charme rigoureux et solide, la perfection de marbre de la Galatée, la séduction toute plastique et la gloire matérielle des Vénus. La grâce de Watteau est la grâce. Elle est le rien qui habille la femme d'un agrément, d'une coquetterie, d'un beau au-delà du beau physique. Elle est cette chose subtile qui


4 LART DU XVIII' SIECLE.

semble le sourire de la liiine. Tàme de la forme, la physionomie spirituelle de la matière.

Toutes les séductions de la femme au repos : la lan- gueur, la paresse, l'abandon, les adossements, les allongements, les nonchalances, la cadence des poses, le joli niy des profils penchés sur les gammes (Vamour, les retraites fuyantes des poitrines, les ser- pentements et les ondulations, les souplesses du corps féminin, et le jeu des doigts effilés sur le manche des éventails, et les indiscrétions des hauts talons dépassant les jupes, et les heureuses fortunes dû ^maintien, et la coquetterie des gestes, et le manège des épaules, et tout ce savoir que les miroirs du siècle dernier ont appris à la femme, la mimique (ie- la grâce ! elle vit en AVatteau avec sa lleur et son accent, immortelle et fixée en une épreuve; mieux vivante, que ce sein de la femme de Diomède moulée par la cendre de Pompéi. Et, cette grâce, si Watteau l'anime, s'il la délie du repos et de l'immobilité, s'il la fait agissante et remuée, il semble qu'elle s'agite sur un rythme, et que sa marche balancée soit une danse menée par une harmonie.

Quel décor a la femme, a la grâce 1 nature, où le peintre promenait ses poésies ! campagne ! ô théâtre accommodé pour une désirable vie î une terre complice, des bois galants, des champs emplis de musique, des bosquets propices aux jeux de l'écho î des arbres en berceaux où pendent les paniers de fleurs 1 des déserts, loin du monde jaloux, touchés du pinceau magique d'un Servandoni, rafraîchis de


WATT EAU. 5

fontaines, peuplés de marbres et de statues, et de naïades, que tache Tombre tremblante des feuilles I jets d'eau jaillissant soudain du milieu des cours des fermes ! le pays aimable et radieux I Soleils d'apothéose, belles lumières dormantes sur les pelouses, verdures pénétrées et translucides, sans une ombre où s'endorment la palette de Yéronèse, le tapage des zinzolins et des chevelures blondes ! Délices champêtres ! décorations murmurantes et parées ! jardins embuissonnés de ronces et de roses! paysages de France, plantés de pins d'Italie I villages égayés de noces et de carrosses, de cérémonies, de toilettes et de fêtes, étourdis de violons et de flûtes qui mènent à un temple jésuite, l'hymen de la Nature et de l'Opéra ! scène agreste au rideau vert, à la rampe de fleurs, où monte la Comédie-Fran- çaise, où gambade la Comédie-Italienne.

Alerte, pour égayer le printemps en costume de bal, le ciel et la terre de Watteau, alerte, les Gelosi! Un rire bergamasque sera le rire et Tentrain et l'action et le mouvement du poème. Voilà qu'elle court et qu'elle éveille la gaieté, les zéphyrs et le bruit, la Folie encapuchonnée de grelots sonnants ! Fraises et bonnets, buffles et dagues, petites vestes et courts manteaux, vont et viennent. La troupe des bouffons est accourue, amenant sous les ombrages le carnaval des passions humaines et l'arc-en-ciel de ses habits. Famille bariolée, vêtue de soleil et de soie rayée ! celui-ci qui se masque avec la nuit ! celui-là qui se farde avec la lune ! Arlequin, gracieuse I. 1.


6 i;art du xviip siècle.

comme un trait de plume du Parmesan ! Pierrot, les bras au corps, droit comme un 1? et les Tar- taglias, et les Scapins, et les Cassandres, et les Docteurs, et le favori Mezzetin «le gros brun au visage riant» toujours au premier plan, la toque fuyant du front, zébré du haut en bas, fier comme un dieu et gras comme un Silène 1 C'est la Comédie- Italienne qui tient la guitare dans tous ces paysages. Bien campée et le nez au vent, c'est la Comédie Italienne qui sème glorieusement au bord des sources, à la marge des forêts, dans les clairières, les doux accents,

u Enfants d'une bouche vermeille. »

C'est le duo de Gilles et de Colombine qui est la musique et la chanson de la Comédie de Watteau.

Comme cette mode d'Italie, étincelante et bizarre, se marie heureusement à la mode française duxviii'^ siècle enfant! et quelle mode adorable naît de ces modes alliées et brouillées : la mode de AVatteau I une mode d'aventure et de liberté, errante et bénie, qui attrape le neuf, le piquant, le provoquant ; des ciseaux d'artiste qui trouvent, en se jouant, la négligence et la parure, l'abandon du matin, et le bel habillé des après-midi : ciseaux de fée dotant le temps qui viendra des patrons des Mille et une Nuits, madame de Pompadour, du négligé qu'elle baptisera, et la Bertin de la fortune! Ils couraient et coupaient en pleine volupté, dans l'argent du


WATT EAU. 7

salin, ne ménageant ni l'étoffe, ni l'œil des galants. Jolis retroussis de jupes, ravissante rocaille des plis, étroits corsages, prisons friponnes^ corbeilles de soie d'où se sauvait la chair fleurie î ciseaux enru- bannés de^Yatteau, quel joli royaume de coquetterie vous tailliez dans le royaume embéguiné de la Maintenon I

Ce tailleur divin était un merveilleux utopiste, un embellisseur de toutes choses, le plus aimable et le plus déterminé menteur. Touche-t-il à la guerre? Loin le sang, le carnage, l'horreur et la terreur! Vive la gloire parée pour l'Opéra ! vive le fracas des galons et des chamarrures, le bruit des couleurs et des uniformes, la guerre endimanchée qui passe, emplissant de visions sonores les yeux des enfants ; et le coup de l'étrier de l'amour, l'espoir en croupe, les regrets qui se grisent, un choc de verres et de poignées de main, les mulets empanachés, les en- fants de hasard au sein des mères, les jeux de cartes, les cuisines en plein vent, les petits marmitons blancs, les malles d'officiers ouvertes pour la toilette, les beautés descendues des charrettes, toutes fraîches et sans rien de chiff'onné àleurs coquets diadèmes de dentelles ; et tout le long du chemin de la Mort, les élégances de la ville charroyées sous la tente, des marches que mènent dans les coulisses les violons de Lérida, des La Tulipe pimpants, des Manon qui font les coquettes entre deux coups de canon, des caillettes qui sautent dans la discipline à pieds joints,, de beaux hommes qui se dandinent sur un pied; les


8 I/AUT DU XVIII^ SIÈCLE.

héroïsmes à plat ventre autour du chaudron qui bout, l'art de tuer àla buvette, la guerre du xviii^ siècle, Tarmée de Denain, de Fontenoy et de Rosbach cro- quée dans son joli train et son allure déboutonnée ! Mais à quoi bon tirer son imagination du spectacle du inonde, qnand on peut inventer un monde et un poème ? poème unique et ravissant du Loisir qui se balance, des Entretiens et des Chants du bel âge, de TAmusement pastoral et du Passe-temps assis ! poème de paix et de tranquillité, où le jeu de l'es- carpolette même se meurt, la corde traînant sur le sable. . .Thélème partout ! et partout Tempe I Iles, îles enchantées, qu'un ruban de cristal sépare de la terre ! îles sans soin ni cure, où le Repos cause avec rOmbre î promenades sans but et au petit pas; repos accoudé devant le repos des nuages et de- vant le repos de l'onde ! Champs-Elysées du maî- tre ! L'heure dort là-bas à l'horizon sous ce toit rustique. Dans un lieu au hasard et sans place sur la carte de la terre, il est une éternelle paresse sous les arbres. La vue et la pensée s'y assou- pissent dans un lointain vague et perdu, comme ces barrières profondes et flottantes dont Titien ferme le monde et ses tableaux. Un Léthé roule le silence par ce pays d'oubli, peuplé de hgures qui n'ont que des yeux et des bouches : une flamme et un sourire 1 Sur les lèvres ouvertes voltigent des pensées, des musiques, des paroles sem- blables aux paroles des comédies d'amour de Sha- kespeare ; et les voilà à l'ombre, toutes ces âmes


^.VATTEAU. y

vêtues de satin, charmoresses baptisées, habillées par les poètes : les Linda et les Gulboé, les Héro et les Rosaline, les Viola et les Olivia, toutes les reines du Ce que vous voudrez Des marchandes de fleurs passent doucement qui fleurissent à la ronde les corsets et les bouquets de cheveux noués au haut de la tête. Rien de bruyant que des jeux d'enfants aux grands yeux noirs, sautant au pied des couples comme des oiseaux ; petits génies que le poète jette au seuil de ce rêve et de cet enchantement. Ne rien faire qu'écouter son cœur, et laisser parler son esprit, et laisser venir les rafraîchissements, et laisser marcher le soleil, et laisser le monde aller, et laisser les petites filles tourmenter des chiens qui n'aboient pas.

Voilà l'Olympe et la mythologie nouvelle ; l'Olympe de tous les demi-dieux oubliés par l'an- tiquité. Voilà la déification des idées du xvni siè- cle, l'àme du monde et du temps de Watteau amenée au Panthéon des passions et des modes hu- maines. Ce sont les nouvelles humeurs de l'hu- manité vieillissante, la Langueur, la Galanterie, la Rêverie que Watteau incarne en des allégories habillées, et qu'il accoude sur le pulvincw d'une nature divine ; ce sont les muses morales de nos âges dont il fait les femmes, on pourrait dire, les déesses de ces divins tableautins.

L'amour est la lumière de ce monde. 11 le pénètre et l'emplit. Il en est la jeunesse et la sérénité ; et passez les fleuves et les monts, les promenades et


10 L'ART DU XVIII» SIECLE.

les jardins^ les lacs et les fontaines, le paradis de Watteau s'ouvre : c'est Cythère. Sous un ciel peint des couleurs de l'été, la galère de Cléopâtre se balance à la rive. L'onde est morte. Le bois se tait. De l'herbe au firmament, battant lair sans haleine de leurs ailes de papillon, un essaim de Cupidons vole, vole, qui se joue et danse, nouant ici avec des roses les couples nonchalants, nouant là-haut la ronde des baisers de la terre montés au ciel. Ici est le temple, ici est la fin de ce monde : «l'Amour paisible » du peintre, l'Amour désarmé, assis à l'ombre, que le poète de Téos voulait graver sur une douce coupe du printemps ; une Arcadie sourieuse ; un Décaméron de sentiments ; un re- cueillement tendre ; des attentions au regard vague ; des paroles qui bercent l'àme ; une galanterie pla- tonique, un loisir occupé du cœur, une oisiveté de jeune compagnie ; une cour d'amoureuses pensées ; la courtoisie émue et badine de jeunes mariés penchés sur le bras qu'ils se donnent ; des yeux sans fièvre, des enlacements sans impatience, des désirs sans appétits, des voluptés sans désirs, des audaces de gestes réglées pour le spectacle comme un ballet, et des défenses tranquilles et dédai- gneuses (lehùte en leur sécurité ; le roman du corps et de la tête apaisé, pacifié, ressuscité, bienheureux ; une paresse de passion dont rient d'un rire de bouc les satyres de pierre embusqués dans les coulisses vertes. . . Adieu les bacchanales que menait Gillot, ce dernier païen de la Renaissance, né des libations


AVATTEAU. 11

de la Pléiade aux dieux agrestes d'Arcueil 1 Adieu l'Olympe du lo Pœan, les chalumeaux enroués et les Dieux chèvre-pieds, le rire du C y dope d'Euripide et de VÉvohé de Ronsard ; les licencieux triomphes, les joies couronnées de lierres,

« Et la libre cadence « De leur danse. >»

Ces dieux s'en sont allés, et Rubens, qui revit dans cette palette de chair rose et blonde, erre dépaysé dans ces fêtes où se tait l'émeute des sens, — ca- prices animés qui semblent attendre un cuup de baguette pour perdre leur corps et disparaître dans la patrie du caprice comme un songe d'une nuit d'été ! C'est Cythère ; mais c'est la Gythère de Wat- teau. C'est l'amour ; mais c'est l'amour poétique, l'amour qui songe et qui pense, l'amour moderne, avec ses aspirations et sa couronne de mélancolie.

Oui, au fond de cet OEuvre de Watteau, je ne sais quelle lente et vague harmonie murmure derrière les paroles rieuses ; je ne sais quelle tristesse musi- cale et doucement contagieuse est répandue dans ces fêtes galantes. Pareille à la séduction de Venise, je ne sais quelle poésie voilée et soupirante y entre- tient à voix basse Tesprit charmé. L'homme passe au travers de son OEuvre; et cet OEuvre, vous venez à le regarder comme le jeu et la distraction d'une pensée souffrante, comme les jouets d'un enfant malade et qui est mort.


12 1;aRT du XYIIP SIECLE.

L'homme, — un portrait vous le dira. Le v.oihi jeune, pris au vif: un masque inquiet, maigre et nerveux ; le sourcil arqué et fébrile, l'œil noir, grand, remuant; le nez long, décharné: la bouche triste, sèche, aiguë de contour; avec des ailes du nez aux coins des lèvres, un grand pli de chair tiraillant la face. Et de portraits en portraits, comme d'années en années, vous le verrez aller maigrissant et mélancolique, ses longs doigts perdus dans ses amples manchettes, son habit plissé sur sa poitrine osseuse, vieillard à trente ans, les yeux enfoncés, la bouche serrée, le visage anguleux, ne gardant que son beau front respecté des longues boucles d'une perruque à la Louis XIV.

Ou plutôt ouvrons son œuvre : Lorgtiour ou Flù- ieui\ — c'est lui. Son regard négligent pose sur le couple enlacé qu'il amuse de musique. Il laisse aller le bruit qu'il fait. L'œil muet accompagne les em- brassades, écoutant aimer, versant les sérénades, insoucieux, indifférent et morose, rongé d'ennui, comme un violon de noces, las des fêtes qu'il mène, et sourd à son violon qui chante.

Du grand peintre français, que reste-t-il, qui le raconte? Quatre pages de d'Argenville et les anec- dotes d'un catalogue d'estampes. Quel espoir nous était cette phrase de Caylus en tête de l'éloge de Le Moyne adressée à l'Académie : « Je crois vous avoir suffisamment expliqué dans la vie de Watteau. ...» Mais les éditeurs des Mémoires de l'Académie avaient retourné tous les manuscrits de l'Académie des


WATTEAU. 13

beaux-arts ; la précieuse vie de Watteau manquait. Qu'ils se réjouissent avec tous les amis de Watteau, et avec nous. L'autre jour, chez un bouquiniste, le hasard nous a mis la main sur un manuscrit conte- nant cette infiniment précieuse vie d'Antoine Wat- teau par M. de Gaylus, certifiée par le secrétaire de l'Académie, L..picié. C'est cette vie que nous donnons ici textuellement et intégralement pour la première fois au public, protestant d'avance contre les sévé- rités et les préjugés de l'ancien ami du peintre.


LA


VIE D'ANTOINE WATTEAU

PEINTRE DE FIGURES ET DE PAYSAGES SUJETS GALANTS ET MODERNES

Par M. LE COMTE DE CAYLUS, Amateur K


Loin de blâmer ceux qui ont écrit avant moi la vie d'Antoine bateau'-, je leur sçais au contraire bon gré des sentimens d'amitié et de reconnoissance qui les ont fait agir. 11 me paroît seulement qu'ils ont un peu trop accordé à la louange.

La vie d'un homme qui a mérité dans la mémoire des autres, doit, ce me semble, présenter également l'exemple à suivre et l'exemple à éviter. Ainsi je crois que dans ces sortes d'ouvrages les éloges et les critiques devroient être dispensés dans un espril d'équité; et qu'enfin les uns et les autres devront toujours être placés dans la vue de l'avancement de l'art.


1. Lue à TAcad. royale de peinture et de sculpture le 3 février 1718.

2. L'orthographe contemporaine s'accorde généralement à ne donner qu'un t à Wattean, quoique Watteau ait signé le plus souvent avec deux t.


IG L'ART DU XVIIl' SIECLE.

Pour moi, Messieurs, je regarde la vie des artistes comme un tableau que la sincérité doit tracer aux peintres présens et à venir, dans la vue de leur pré- senter sans cesse la louange et le blâme sous une forme aussi vive que celle de l'acLion, dont aucune espèce de récit ne peut approcher, et sans doute pour engager dans tous les tems les plus grands Maîtres à redouter ces espèces de tribunaux que cette môme sincérité et surtout l'amour de Tart doi- vent élever. J'espère que vous serés de mon senti- ment. Messieurs, vous qui concoures avec tant de zèle au progrès de la Peinture ainsi qu'à Thonneur deTAcadémie.

Au reste je crois que cette sincérité, en toutes choses si recommandable, doit éloigner celui qui professe, de toute prévention, autant qu'il est pos- sible à l'homme de n'y pas succomber. Cette impar- tialité doit le conduire à une saine réflexion, toujours la baze du goût le plus vrai. Elle doit lui rappeler que Texcès du blâme ou de l'approbation révolte également les caractères les plus dociles et les plus doux. Elle doit enfin lui faire garder ce juste milieu si nécessaire à la persuasion. Je ferai d'autant plus volontiers mes efforts pour ne ma pas écarter de ce point, qu'il me paroît indispensable dans un examen qui doit contribuer surtout à l'instruction des jeunes Peintres.

Cest dans cet esprit que je vais joindre les événe- mens de la vie de Walenn à mes réflexions, sur sa manière, son faire; enfin, surtout ce qu'on appelle


WATT EAU. 17

procédés, par rapport à l'art. Je blâmerai comme je loiierai, sans avoir à me reprocher de blesser le tendre souvenir que je conserve à Wateau, l'amitié que j'ai eu pour lui et la reconnoissance que je lui garderai toute ma vie de m'avoir découvert, autant qu'il lui a été possible, les finesses de son art. Mais je me souviendrai toujours que, dans le cas où je me trouve, on doit plus aimer l'art que l'artiste. Enfin, connoissanttout l'effort nécessaire à la nature, pour la production d'un grand Peintre d'histoire, je n'imi- terai point l'enthousiasme de ceux qui mettent les auteurs de quelques nouvelles Espagnoles et de quelques petites pièces données aux Italiens, en comparaison avec M. de Thou ou avec Pierre Cor- neille.

Antoine Wateau naquit à Yalenciennes en 168i*. Il étoit fils d'un couvreur. La naissance n'est consi- dérable aux yeux des philosophes et des artistes que par rapport aux secours qu'elle peut fournir à l'édu- cation, mais quand elle est de l'espèce de celle-ci, elle donne une preuve convaincante du génie et du don que la nature a fait.

Cette preuve se trouve encore augmentée ici par la dureté qui étoit le caractère dominant du père dont


1. Nougaret, dans ses Anecdotes des Beaux- Arts, met ea note : « Le manuscrit de M. de S*** dit en 1686, » — M. de S*** avoit été trompé. Voici Textrait de baptême de Watteau, tel que M. Dinaux Ta copié sur les registres de la paroisse Saint-Jacques de Yalenciennes : « Le 10 oc- tobre 1684, fnt baptisé Jean-Antoine, ûls légitime de Jean-Philippe Wa- teau et de Michelle Lardenois, sa femme. — Signé : le parin, Jean-An- toine Raidie. La marèue, Anne Maillon. »

I. 2.


18 i;art du XVI ip siècle.

Wateau dépendoit. Ce fut avec peine qu'il se réso- lut de mettre ce fils, à qui la nature inspiroit déjà le désii' de l'imiter, chez un peintre de sa même ville. Ce qu'il fit chez ce peintre ne nous est pas connu et nous ne devons pas le regretter: car je crois me souvenir que ce maître ne peignit qu'à la toise, ou du moins il s'en falloit si peu que cela ne vaut pas la peine d'être discuté.

Quoi (ju il en soit, le père ne voulut pas fournir longtems aux frais de cette éducation. Non qu'il fût en état de la trouver peu profitable du côté de l'art, mais parce qu'il vouloit forcer son fils à embrasser sa môme profession'. Wnteau avoit des idées plus élevées ou du moins la peinture se le destinoit : ainsi plutôt que de se ranger à la profession de son père, il le quita et vint à Paris-, dans l'équipage qu'on peut s'imaginer, pour cultiver une Muse qu'il chérissoit sans trop la connoître.

Peu sravant et sans secours, le Pont Notre-Dame fut une ressource qu'il fut trop heureux de trouvera


1. Le goût qii'il eut pour l'art de la peinture se déclara dès sa plus tendre jeunesse: il protitoit dans ce temps de ses moments de liberté pour aller dessiner sur la place les différentes scènes comiques que donnoient ordinairement au public les marchands d'orviétan et les char- latans qui courent le pays. {Catalogue raisonné des diverses cnriositt's du robinet de feu M. Quentin de Lorangère, par Geisaint, 1744.)

2. Son premier maitre à Paris fut Métayer, peintre médiocre, qu'il quitta bientôt, faute d'ouvrage. {Catalogue de Lorangère.)

3. On débitoit dans ce temps-là beaucoup de petits portraits et de sujets de dévotion aux marchands de province, qui les achetoient à la douzaine ou à la grosse. Le peintre chez letiuel il venoit d'entrer étoit le plus achalandé pour cette sorte de peinture, dont il faisoit un débit considérable. Il avoit quelquefois une douzaine de misérables élèves


WATT EAU. 10

Cette triste manufacture de copies à la centième gé; nération faites avec des couleurs crues et mises à plat, plus ennemie du goût que l'enluminure, qui du moins conserve les formes de l'estampe, ne lui con- venoit guères avec le sentiment dont la nature lui avoit donné le germe. Mais à quoi ne nous réduit pas la nécessité? Pour vous donner une idée du ta- lent et de la disposition qui lui étoient naturels, je vous rapporterai le trait suivant.

// travaUlo'U depuis quelque tems chez le mar- chand de cette espèce de tableaux, auquel le hazard l'avoit adressé, lorsque la peinture qui aide à soutenir les adversités par l'imagination et conséquemment par la gaieté dont elle sçait quelquefois les assai- sonner, lui fit faire une plaisanterie qui le consola du moins pour le moment de faire toujours la même figure. 11 étoit à la journée et, sur le midi, il n'étoit point encore venu demander ce qu'on appe-


qu'ii occupoit comme des manœuvres ; le seul mérite qu'il exigoit de ses compagnons était la prompte exécution. Chacun y avoit son emploi. Les Tins faisoient les ciels^ les autres faisoient les têtes: ceux-ci les drape- ries, ceux-là posoient les blancs: entin le tableau se trouvoit fini quand il pouvoit parvenir entre les mains du dernier.

W'atteau ne fut alors occupé qu'à ces ouvrages médiocres: il fut ce- pendant distingué des autres, parce qu'il se trouva propre à tout, et en même temps d'expédition. Il répétoit souvent les mêmes sujets : il avoit surtout le talent de rendre si bien son saint Nicolas, qui est un saint et que Ton demandoit souvent, qu'on le réservoit particulière- ment pour lui. « Je sçavois, me dit-il un jour, mon saint Nicolas par cœur, et je me passois d'original. »

Il s'ennuyoit de ce travail désagréable et infructueux, mais il falloit vivre. Quoique occupé toute la semaine, il ne recevoit que trois livres le samedi, et, par une espèce de charité, on lui donnoit de la soupe tous es jours. [Cataloyne de Lorangcre.)


20 L'ART DU XVIIP SIKCLK.

loit roriginal. Car la maîtresse avoit grand soin de l'enfermer tous les soirs. Elle s'aperçut de sa négli- gence, elle l'appela. Elle cria plusieurs fois toujours inutilement, pour le faire descendre du grenier, où depuis le matin il travailloit et où en effet il avoit fini de mémoire l'original en question. Quand elle eut bien crié, il descendit et d'un grand sang froid, acompagné d'un air doux qui lui étoit naturel, il le lui demanda, dit-il, pour y placer les lunettes; car c'étoit je crois une vieille d'après Gérard Dow (\\\\ consulte ses registres, et cette composition étoit alors en règne dans ce genre de marchandise.

Je ne rapporte ces détails que pour faire sentir les difficultés, les peines et les désagrémens qu'il a eu à soutenir pour faire éclore son génie, et pour vous représenter que si la nature nous en a donné, il pro- fite de tout, rien ne l'altère, tout avec lui se tourne en nourriture. On voit bien ici la preuve de cette vérité dans Wafeau. Loin de se rebuter d'un exer- cice si misérable, il redoubla d'efforts pour s'élever au dessus. Tous les momens de liberté dont il pou- voit jouir, les fêtes, les nuits même, il les emploïoit à dessiner d'après nature. Exemple qu'on ne sçauroit trop proposer à la jeunesse : exemple fort beau sur le papier, diront les paresseux, et qu'il est vrai que l'amour de l'art peut seul inspirer. Quoi qu'il en soit, ces études continuelles ne se font jamais sans fruit et sans augmenter la disposition naturelle. Aussi nous avons peu vu de pareilles ferveurs de travail n'avoir point un succès marqué.


WA T T E A U


Avec ce fonds crélude et cet excès d'application, il se mit en état de sortir de la triste occupation à la- quelle il étoit réduit. Il fit la rencontre de Gillot\ qui vers ce temps fut agréé en cette Académie. Ce Peintre, après avoir exécuté des bacchanales, plu- sieurs idées fantastiques, de l'ornement, des choses de mode, et même de l'histoire, s'étoit alors renfermé à représenter des sujets de la Comédie Italienne. Cette rencontre fut une véritable fortune pour Wo- teau. Ce genre de composition détermina absolument son goût, et les tableaux de son nouveau maître lui ouvrirent les yeux sur plusieurs parties de la pein- ture dont il ne faisoit encore que se douter.

Un rapport de goût, de caractère et d'humeur pro- duisit d'abord l'intimité du maître et de l'élève. Mais ce même rapport, joint aux talens qui se dé- veloppoient chaque jour dans le dernier, les em- pêcha de vivre longtems ensemble. Ils se quitèrent mal, et toute la reconnaissance que Wateau ait pu témoigner à son maître pendant le reste de sa vie, s'est bornée à un profond silence. Il n'aimoit pas même qu'on lui demandât des détails sur leur liaison et sur leur rupture ; car pour ses ouvrages il les van- toit et ne laissoit point ignorer les obligations qu'il lui avoit.

D'un autre coté, soit que Gillot en eût agi par le

1. Gillot ayant vu quelques dessins et tableaux de la main de Watteau qui lui plurent, l'invita à venir demeurer avec lui. {Abrégé de lu 'lie d'Antoine Watteau, par M. de Julienne, en tète du volume d'eaux-fortes d'après les dessins de Watteau.


■2-2 LART DU XVIII' SIÈCLE.

motif d'une jalousie que bien des gens lui ont attri- buée, soit qu'à la fin il se rendit justice, et convînt que son élève l'avoit surpassé, il quita la peinture, et se livra au dessein et à la gravure à l'eau-forte dans laquelle il sera à jamais célèbre par l'intelli- gence et l'agrément de la composition, avec les- quelles il a représenté la plus grande partie des Fa- bles de la Motte.

Le talent de Wateau commençoit à percer, foible- ment à la vérité, cependant il avoit besoin d'être en- core éclairé. Il trouva les lumières dont il avoit be- soin. En sortant de chez Gillof, il fut accueilli par Claude Audran, concierge du Luxembourg. C'étoit un galant homme, qui dessinoit et peignoit lui même très bien Tornement et qui dans cette partie soute- noit le nom d'une famille qui a produit un grand nombre d'ha])iles gens à votre Académie.

Ce galant homme avoit donc un goût naturel. 11 avoit étudié principalement les ornemens, tels qu'ils avoient été emploies par Raphaël au Vatican et par ses élèves, en divers endroits: comme aussi par le Pi'hnatire à Fontainebleau. Il avoit remis ses compo- sitions en honneur: et avoit fait oublier le goût lourd et assommant de ses prédécesseurs dans ce talent. Elles étoient susceptibles, par les places qu'il y réservoit, de recevoir diférens sujets de figures et autres, à la volonté des particuliers qu'il avoit sçu mettre dans le goût d'en faire décorer leurs plafonds et leurs lambris, en sorte que plusieurs artistes de divers genres y trouvoient de l'emploi.


\VATTEAU. 2.1

Ce fut là que Wateaa forma son goût pour l'orne- ment; et qu'il acquit une légèreté de pinceau qu'exi- gent les fonds blancs ou les fonds dorés sur lesquels Audran faisoit exécuter ses ouvrages. On en peut voir de très bien entendus à la ménagerie de Ver- sailles, et de très beaux plafonds de son ordonnance au château de Meudon.

Mats cest à regret, je l'avoue, que j'en fais une sorte d'éloge ; puisque ce genre a non seulement fait détruire les plafonds des appartemens que les plus habiles peintres avoient exécutés ; mais que ce chan- gement de mode, auquel les ornemens de plâtre ont succédé, vous prive encore tous les jours d'une occu- pation qui vous permettoit d'emploïer votre talent dans le grand et dans le héroïque.

Je reviens à Wateau. Ce fut alors qu'habitant le pa- lais du Luxembourg, il copioit et étudioit avec avi- dité les plus beaux ouvrages de Rubens. Ce fut en- core là qu'il dcssinoit sans cesse les arbres de ce beau jardin, qui brut, et moins peigné que ceux des autres maisons roïales, lui fournissoit des points de vue infinis ; et que les seuls païsagistes trouvent avec tant de variété dans le même lieu, tantôt par la difé- rence des aspects et des endroits oii ils se placent ; tantôt par la réunion de plusieurs parties éloignées; tantôt enfin par les diférences que le soleil du soir ou du matin apporte dans les mômes places et sur les mêmes terrains.

Jusques ici nous ne voïons qu'un jeune homme, sans secours, qui cherche à perfectionner son talent,


21 L'ART DU XVIIP SIECLE.

qui s'applique et qui est lui-même l'artisan de sa ré- putation, ainsi que le conducteur de ses études. Dans la suite nous allons voir ce même talent déve- loppé ; mais au milieu d'une vie agitée par Tincons- tance et par le dégoût que Wateau avoit de lui même et de tous les hommes.

Il sortit do chez Audrau^ après avoir acquis les parties de la peinture dont je viens de vous donner


1. Watteau cependant, qui ne vouloit pas en demeurer là, ni passer sa vie k travailler pour autrui, et qni se seutoit en état d'imaginer, hasarda un tableau de genre qui représente un départ de troupes et quil fit il ses temps perdus : il le montra au sieur Audran pour lui en demander son avis. Ce tableau est un de ceux que Cochin le père a gravés. Le sieur Audran, habile homme et en état de juger d'une belle chose, fut effrayé du mérite qu'il reconnut dans ce tableau, mais la crainte de perdre un sujet qui lui étoit utile et sur lequel il se reposoit assez souvent pour l'arrangement et même pour la composition des morceaux qu'il avoit à exécuter, lui conseilla légèrement de ne point ])asser son temps à ces sortes de pièces libres et de fantaisie, qui ne pourroient que lui faire perdre le goût dans lequel il donnoit. VVatteau n"en fut point la dupe: le parti ferme qu'il avoit pris de sortir, joint à un petit désir de revoir Valenciennes, le déterminèrent totalement. Le prétexte d'aller voir ses parents lui servit de moyen honnête : mais comment faire? L'argent lui manquoit et son tableau devenoit son unique ressource : il ignoroit comment il falloit s'y prendre pour s'en procurer le débit. Dans cette occasion il eut recours k M. Spoude ac- tuellement vivant, peintre à peu près des mêmes cantons que lui, et son ami particulier : le hazard conduisit M. Spoude chez le sieur Sirois mon beau-père k qui il montra ce tableau, le prix en étoit fixék 60 livres et le marché fut conclu sur-le-champ. \N'atteau vint recevoir son ar- gent; il partit gayement pour Valenciennes comme cet ancien sage de la Grèce: c'étoit la toute sa fortune et sûrement il ne s'étoit jamais vu si riche. Ce marché fut l'origine de la liaison que feu mon beau-père a toujours eu avec lui jusqu'à sa mort, et il fut si satisfait de ce tableau qu'il le pria instamment d'en faire le pendant qu'il lui envoya effective- ment de Valenciennes : c'est le second morceau que le sieur Cochin a gravé, il représente une alte d'armée: le tout en étoit d'après nature; il en demanda 200 livres qui lui furent données. [Catalogue de Loran- gère.)


WATT EAU. 25

l'idée par le détail de ses études. Il les mit si bien en pratique qu'il abandonna tout à fait la manière de Gillot. Il fit des marches et des repos de soldats, d'un faire absolument opposé à celui de ce maître; et ces premiers tableaux ont peut être égalé ce qu'il a fait de plus beau dans la suite. On y \oit en effet de la couleur, de l'harmonie, des tètes fines et pleines d'esprit, et un pinceau qui conserve le goût de son dessein, prononcé jusque dans les extrémités et les draperies, et dans ce qu'il veut exprimer.

Au reste, je ne puis me résoudre à attribuer à son inconstance sa séparation avec Audran. Wateau sen- toitses forces. Il avoit de l'esprit, et n'étoit point la dupe de celui de son second maître, qui en avoit au- tant que de connoissance du monde ; et qui bien aise de le retenir chez lui pour son propre intérêt, vouloit le dégoûter de tout autre travail que de celui dont il le chargeoit.

Cependant pour quiter un homme qui l'avoit comblé d'égards et d'attentions, et résister aux of- fres et aux instances qu'il lui faisoit pour le retenir, il autorisa sa séparation d'un voïage à Valenciennes, qu'il fit en effet. Je ne l'ai jamais regardé comme un prétexte. Wateau étoit trop entier dans ses volontés pour les emploïer. Car enfin quoi de plus naturel que de retourner dans son pais, d'y reparoître avec des talens, de contredire si honorablement et par des preuves incontestables ceux qui avoient traversé ses dispositions et de se montrer plus habile que son premier maître?

I. 3


26 LART DU XVIIF SIECLE.

Voilà bien des raisons pour le porter à ce départ. Elles ont sans doute existé. Elles lui ont procuré les plaisirs qu'il se prometLoit. Mais, indépendamment de la courte durée dont étoit toute espèce de satis- faction dans la tête de Waleau, tous les talens qui émanent de l'esprit ont un égal besoin, tant pour leur avancement que pour leur soutien, de la cri- tique, de rémulation, de la communication des ou- vrages et des artistes. En un mot leurs productions ne sont faites que pour être vues et jugées, et Mateau ne trouvait rien de tout cela à Yalenciennes. G'étoit une forte raison pour en sortir.

// quita donc sa patrie (il n'y fit pas un long sé- jour), et revint à Paris. Le désir d'aller à Home et de profiter du bel établissement que Louis XiV y a fait pour le progrès des arts et des élèves, l'engagea quelque temps après à se mettre sur les rangs pour disputer le prix de votre école. Il gagna le second en Tannée 1709^ mais ne fut point admis pour le voïage : il fallut donc se contenter de poursuivre ses études à Paris, ce qu'il fit sans renoncer à ce projet.

En I7l!2, il vous présenta dans cette vue quelques uns de ses tableaux de sa manière, fort supérieure à celui qui lui avoit fait mériter le prix. Un talent formé et très distingué, l'inutilité du voïage qu'il sollicitoit, furent des motifs pour engager l'Acadé- mie à l'agréer. 11 le fut avec d'autant plus de dis-


1. Sur le sujet de David accordant k Abigaïl le pardon de Naljad. Le premier prix avoit été décerné à Antoine Grison.


WATT EAU. 27

tinction que M. De la Fosse, ca galant homme par lui même, si recommandable par plusieurs parties de la peinture dans lesquelles il a excellé, appuïa sur son mérite, le fît valoir ; et, sans le connoître que par ses ouvrages, s'intéressa vivement pour lui^

C'est ainsi que la vérité doit agir dans les délibéra- tions de l'Académie, sans faire acception, ou donner d'exclusion par aucunes vues particulières. La pré- vention pour ou contre les personnes, et par rapport à leurs liaisons, est un inconvénient redoutable. Le talent seul nous doit décider, et le talent seul doit donner la couleur à nos fèves. Ce fut quelque tems après cette justice que l'Académie rendit h Wateau, que je fis connoissance avec lui.

Cependant l'honneur que vous lui aviés fait, sa manière nouvelle et pleine d'agrément, lui attirè-

1. La façon singulière avec laquelle il fut reini à TAcadémie rovale de peinture et de sculpture est fort honorable : il eut quelque envie d'aller à Rome pour y étudier d'après les grands maîtres, surtout d'a- près les Vénitiens, dont il aimoit beaucoup le coloris et la composition. Il n'étoit point en état de faire sans secours ce voyage : c'est pourquoi il voulut solliciter la pension du Roi; et, pour en venir à bout, il prit un jour la résolution de faire porter à l'Académie les deux tableaux, qu'il avoit vendus à mon beau-père, pour tâcher d'obtenir cette pension. Il part sans autres amis ni protection que ses ouvrages et les fait ex- poser dans la salle par où passent ordinairement Messieurs de TAca- démie de Peinture et de Sculpture qui tous jettent les yeux dessus, et en admirent le travail sans en connoître l'auteur. M. de la Fosse, célèbre peintre de ce tems là, s'y arrêta même plus que les autres, et étonné de voir deux morceaux si bien peints, il entra dans la salle de l'Aca- démie et s'informa par qui ils avoient été faits. Ces tableaux jivoient un coloris vigoureux et un certain accord qui les faisoient croire de quel- qu'ancien maître : on lui répondit que c'était l'ouvrage dun jeune homme (jui venoit supplier ces Messieurs de vouloir bien intercéder pour lui,


28 I.ART DU XVIII» SIECLE.

rent Jjientôt plus d'ouvraîîes qu'il n'en vouloit et qu'il n'en pouvoit faire. 11 ne tarda pas en même tems d'éprouver l'importunité que les talens marqués causent souvent dans les grandes villes, où les demi- connoisseurs et les désœuvrés abondent et s'empres- sent à s'introduire dans les cabinets et dans les ateliers. Et pourquoi faire? poury déraisonner sans cesse et pour troubler et intervertir ces méditations et ces recherches qui seules font le bon ouvrage. Le mieux qui leur puisse arriver est de lotier mal. Car la loiiange en face est leur grand rôle. (Juel tour- ment, quel ennui pour un homme d'art de voir ar- river et s'établir chez lui de pareils personnages sans pouvoir s'en défaire I Car ils sont tenaces, et aussi ardens à se produire que difficiles à congédier.

Leur foule est ordinairement suivie de ces brocan- teurs soi disans curieux, qui sçavent faire païer, aux

afin de lui faire obtenir la pension du Roi pour aller étudier en Italie. M. de la Fosse, surpris, donne ordre qu'on fasse entrer ce Jeune homme. W'atteau paroit : sa figure n'est point imposante ; il explique modeste ment le sujet de sa démarche, et prie avec instance qu'on veuille bien lui accorder la grâce qu'il demande, s'il a assez de bonheur pour en être digne. Mon ami, lui répond avec douceur M. de la Fosse, vous ignorez vos talens et vous vous méfiez de vos forces: croyez-moi, vous en sçavez plus que nous, nous vous trouvons capable d'honorer notre Académie ; faites les démarches nécessaires, nous vous regardons comme un des nôtres. Il se retira, fit ses visites, et fut agréé aussitôt. [Cat. de Lorangère.) — Voici le procès-verbal d'admission qu'a donné l'Histoire des Peintres, d'après les registres de l'Académie : «... L'Académie, après avoir pris les suffrages en la manière accoutumée, elle a re(;u le dit sieur Watteau académicien, pour jouir des privilèges attachés k cette qua- lité, et qu'il a promis, en prêtant serment entre les mains de M. Coypel écuyer, premier peintre du roi et de S. A. R. Monseigneur le duc d'Or- léans, président, étant k l'assemblée. Quant ou présent pécuniaire, il a été modéré à ta somme de 100 lier es, »


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peintres faciles clans leur talent, une espèce d'usage du monde qu'ils ont quelquefois cruellement acquis. Ils s'emparent des esquisses, se font donner les études ; et, qui pis est, proposent la retouche des croûtes qu'ils amassent en pile ; le tout pour avoir un tableau complet d'un maître qui ne leur coûte rien ou du moins peu de chose. Il n'est sorte de souplesses qu'ils n'emploient pour parvenir à ce but.

Wateaii en fut assailli vivement. Il démêloit aisé- ment ces deux genres d'importuns, et les connois- soit à merveilles, et comme il étoit né caustique, il s'en vengeoit en peignant le caractère et le manège de ceux dont il étoit le plus obsédé. Il n'en étoit pas moins leur dupe dans le détail. D'ailleurs cette pein- ture vive qu'il en sçavoit faire, ne le consoloit point de l'ennui dont à la longue ils finissoient par l'ac- cabler. Je l'en ai souvent vu peiné au point de vouloir tout quiter.

Il semble que les succès brillans qu'il eut dans le public auroient du assés flatter son amour-propre pour le mettre au dessus de ces petits incidens. Mais il étoit fait de manière à se dégoûter presque toujours de ce qu'il faisoit. Je crois qu'une des plus fortes raisons de ce dégoût avoit pour principe les grandes idées qu'il avoit de la Peinture. Car je puis assurer qu'il voïoit l'art beaucoup au dessus de ce qu'il le pratiquoit. Cette disposition le rendoit en tout fort peu prévenu pour ses ouvrages. Le prix qu'il en re- tiroit ne le touchoit pas davantage, et étoit fort au

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3-.1 I/ART DU XV IIP SIÈCLE.

dessous de ce qu'il auroit pu en relirer. C'est qu'il n'aimoit point Targent, et qu'il n'y étoit nullement attaché. Ainsi il n'étoit pas même soutenu par cet amour du gain, si puissant sur tant d'autres. Je vais en rapporter un exemple et qui vous prouvera son indifférence sur l'un et l'autre de ces points.

Cn perruquier lui apporta une perruque naturelle, qui n'avoitrien derecommandable, mais dont cepen- dant il fut enchanté. Elle lui parut le chef-d'œuvre de l'imitation de la nature. Certainement, ce n'étoit pas celui de la nature frizée ; car je la vois d'ici dans toute sa longueur et toute sa platitude. Il en demanda le prix ; mais le perruquier, plus fin que lui. l'assura qu'il seroittrop content s'il vouloitlui donner quel- que chose de sa façon. Quelques études l'auroient satisfait. Wateau crut n'avoir jamais fait un si bon marché, et proportionnant son présent au bonheur de sa possession, il lui donna deux petits tableaux pendans, et peut-être des plus piquans qu'il ait fait. J'arrivai peu de tems après la conclusion de cette bonne affaire. En vérité il en avoitdu scrupule. Il vou- loit encore faire un tableau pour le perruquier, et ce fut avec peine que je rassurai sa conscience ^

En même tems qu'il étoit né caustique, il étoit né timide, deux choses que la nature ne réunit pas or- dinairement. Il avoit de l'esprit, et quoiqu'il n'eût


1. Gersaint dit : « et son désintéressement étoit si grand, quf

plus dune fois il s'est fâché vivement contre moi, pour avoir voulu lu donner un prix raisonnable de certaines choses que par générosité i refusoit. >> {Cat. âe Loronyère.)


WATT EAU.


point reçu d'éducation, il avoit de la finesse, et même de la délicatesse pour juger de la musique et de tous les ouvrages d'esprit. La lecture étoit son plus grand délassement. Il savoit mettre à profit ce qu'il avoit lu ; et quoiqu'en général il démêlât et rendît à mer- veille les ridicules de ceux qui venoient l'inter- rompre, je l'ai déjà dit, il étoit faible, et se laissoit surprendre facilement.

Ce fut ce qui donna occasion à son aventure avec un Peintre en miniature que vous me dispenserés de vous nommer. Cet homme parloit assés bien, mais trop abondamment de la Peinture. Apparemment qu'il s'étoit contraint sur la parole, le jour qu'il fut chez Wateau, ou que celui-ci, pour racourcir l'im- porlunilé, n'avoit cherché qu'à s'en débarasser ; car il sçût lui tirer un tableau, comme Patelin tire la pièce de drap de M. Guillaume.

Ce miniaturiste étoit si persuadé de son mérite, qu'il s'arrogeoit la perfection et la réussite des plus beaux ouvrages, par les conseils qu'il prétendoit avoir donné à leurs auteurs, et la façon dont il di- soit les avoir conduits sur l'accord, l'harmonie et la disposition. Il ne s'adressoit pas mal pour se faire honneur. Car il choisissoit Messieurs de Troy, de Lar- fjiUière et Riyaud, qui dans ce tems étoient dans toute leur force. J'étois jeune. Il ne se méfioit pas de moi. II ignoroitmême mon goût pour la Peinture. Un jour, avec la confiance et le faux enthousiasme d'un bavard quand on lui donne audience, il parla pendant plus de deux heures des corrections qu'il


32 LART DU XVII 1' SIECLE.

avoit fait faire à ces grands hommes, et de la défé- rence qu'ils avoient pour la justesse de son goût. Je fus indigné de son orgueil et de sa suffisance ; mais toute bonne qu'étoit la cause à défendre, je n"osai parler : je ne me sentis pas assez fort, et je ne voulus point ajouter ma défaite au triomphe que lui assu- roicnt Tabondance de ses paroles et rignorancc de ses auditeurs.

Quelques Jours après, causant avec Wateau sur le malheur des artistes, qui sont injustement déchirés, et qui souvent éprouvent la peine d'une mauvaise impression donnée aux sots ignorans, qui compo- seront toujours le plus grand nombre, je lui lis le récit de la conversation que j'avois entendue et je lui en nommai l'auteur. «Si je l'avofs sru d'un tel caracterey me dit-il, je ne lui aurais pas donné un ta- bleau ces jours ci. » Alors il me conta très plaisamment ce qui lui étoit arrivé avec ce môme homme, bien résolu d'en faire son profit.

Au bout de quelque tems, il vint voir Wateau, le re- mercia du magnifique présent qu'il luiavoit fait, l'éleva fort au-dessus des plus grands ouvrages ; et ajouta que cependant, après l'avoir examiné avec soin, il avoit remarqué plusieurs corrections qu'il y croïoit nécessaires. Wateau, intérieurement charmé de le voir s'enferrer de lui même, lui dit qu'il les feroit avec plaisir. L'autre répliqua que s'il vouloitles faire sous ses yeux, il le conduiroit. Wateau y consentit. Celui là, flatté d'une docilité dont il doutoit peut être en arrivant, tira le tableau qu'il avoit apporté à tout


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hazard sous son manteau, et Wateau, d'un grand sang froid, prit de l'huile d'aspic, et ne le fit pas attendre pour lui rendre la toile ou le bois d'une netteté charmante. 11 voulut se fâcher, mais Wateau lui parla ferme, et vengea par merveille les grands hommes dont il lui fit sentir la supériorité ; ajoutant qu'il ne lui convenoit pas d'en parler comme il faisoit.

/e/ze crois pas qu'une si bonne leçon l'ait corrigé; mais je sçais qu'il étoit assés connoisseur, et assez attentif à ses intérêts pour avoir regretté toute sa vie la perte d'un morceau que l'auteur qui ne se louoit pas ordinairement, m'a dit n'être pas un de ses plus mauvais. Tout ce que je puis dire, c'est que jamais il n'a eu autant de plaisir à faire aucun ta- bleau qu'il en eut à effacer celui-là.

Jouissant d'une agréable réputation, il n'avoit d'autre ennemi que lui-même, et certain esprit dinstabilité qui le dominoit. 11 n'étoit pas sitôt établi dans un logement qu'il le prenoit en déplai- sance. Il en changeoit cent et cent fois, et toujours sous des prétextes que par honte d'en user ainsi il s'étudioit à rendre spécieux. Là où il se fixoitle plus, ce fut en quelques chambres que j'eus en diférens quartiers de Paris, qui ne nous servoient qu'à poser le modelle, à peindre et à dessiner. Dans ces lieux uniquement consacrés à l'art, dégagés de toute im- portuité, nous éprouvions lui et moi, avec un ami commun que le même goût entraînoit, la joie pure de la jeunesse, jointe à la vivacité de l'imagination, Tune et l'autre unies sans cesse aux charmes de la


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Peinture. Je puis dire que Wateau, si sombre, si atrabilaire, si timide, et si caustique partout ailleurs, n'étoit plus alors que le Wateau de ses tableaux : c'est à dire l'auteur qu'ils font imaginer, agréable, tendre et peut être un peu berger.

Ce fut dans ces retraites que je reconnus pour mon profit combien Wateau pensoit profondément sur la Peinture; et combien son exécution étoit inférieure à ses idées. En effet, n'aïant aucune connoissance de l'anatomie, et n'aïant presque jamais dessiné le nud, il ne sçavoit ni le lire, ni l'exprimer ; au point même que l'ensemble d'une Académie lui coùtoit et lui déplaisoit par conséquent. Les corps de femmes, exigeant moins d'articulation, lui étoient un peu plus faciles. Cela revient à ce que j'ai déjà observé ci- dessus que les dégoûts qu'il prenoit si souvent pour ses propres ouvrages, partoient de la situation d'un homme qui pense mieux qu'il ne peut exécuter.

En particulier cette insuffisance dans la pratique du dessin le mettoit hors de portée de peindre ni de composer rien de héroïque ni d'allégorique, encore moins de rendre les figures d'une certaine grandeur. T^es quatre Saisons qu'il a peintes dans la salle à manger de M. Crozat en sont une preuve. Elles sont presque demie nature ; et, quoi qu'il les ait exécutées d'après les esquisses de il/, de la fosse, on y voit tant de manière et de sécheresse qu'on n'en sçauroit rien dire de bon. Ces tableaux cependant ne difèrent de sa façon de traiter ses petits sujets que par le nud et par les draperies qui sont d'un genre difèrent :


WATT EAU. 35

mais cette touche fine et légère, qui fait si bien dans le petit, perd tout son mérite et devient insupportable (juand elle est emploïée dans cette plus grande éten- due qu'il a fallu emploïer ici.

Au fond, il en faut convenir, Wateau étoit infini- ment maniéré. Quoique doué de certaines grâces, et séduisant dans ses sujets favoris, ses mains, ses tètes, son païsage même, tout s'y ressent de ce défaut. Le goût et Teffet forment ses plus grands avantages et produisent, il est vrai, d'agréables illusions, d'autant que sa couleur est bonne, qu'elle est juste dans l'expression de ses étoffes, qui sont dessinées d'une façon piquante. Il faut dire encore qu'il n'a guères peint que des étoffes de soie toujours sujettes à donner des petits plis. Mais ses draperies étoient bien jettées, l'ordre des plis étoit vrai, parce qu'il les dessinoit toujours sur le naturel, et qu'il ne s'est jamais servi de mannequin. Le choix des couleurs locales de ses draperies étoit bon et ne choquoit ja- mais l'accord. Enfin sa touche fine et légère donnoit à toute son exécution un air piquant et animé. A l'égard de son expression je n'en puis rien dire : car il ne s'est jamais exposé à rendre aucune passion.

Cependant M. Crozat, qui aimoit les artistes, lui offrit sa table et un logement chez lui. Il les accepta. Cette belle maison, qui renfermoit alors un plus grand nombre de trésors pour la Peinture et pour la Curiosité que jamais particulier a peut être réuni sous sa main, fournit mille nouveaux secours à Wateau. Mais ce qui piqua le plus son goût, ce fut


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cette belle et nombreuse collection de dessins des plus grands maîtres qui faisoit partie de ces trésors. Il étoit sensible à ceux de Giaroino Bassan. Mais plus encore aux études de Rubens et de Van Dyck. Les belles fabriques, les beaux sites, et le feuille plein de goût et d'esprit des arbres du Titien et du Cam- pagnol, qu'il voïoit, pour ainsi dire, à découvert, le charmèrent. Et, conmie il est naturel de voir les choses par rapport à l'utilité qu'on en peut retirer, il donnoit volontiers la préférence à ces dernières parties sur l'ordonnance, la composition et l'expres- sion des grands peintres d'Histoire dont l'objet et les talens étoient si éloignés du sien. Il secontentoit de les admirer, sans chercher à se les appliquer par aucune étude particulière, dont aussi bien il n'auroit pu tirer beaucoup de secours.

Ce fut là que nous lui préparions, M. Henin, cet ami dont j'ai parlé ci dessus, et moi, un nombre infini des desseins, d'après les Études des meilleurs maîtres llamans, et de ces grands Païsagistes Italiens, et que nous avancions assés i:jour qu'en y donnant quatre coups il en avoit l'effet. C'étoit le servir selon son in- clination : car il aimoit en tout à l'avoir prompte- ment. C'étoit aussi, je le dirai toujours, la partie de la Peinture à laquelle il étoit le plus sensible.

Le genre du petit y conduit à peu de frais. Un rien en produit ou en altère l'expression. La chose est au point que quelquefois on pourroit soupçonner le hazard d'en avoir le principal honneur. JVateau, pour accélérer son effet et son exécution, aimoit à peindre


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à gras. Cette manœuvre a eu toujours beaucoup de partisans, etles plus grands maîtres en ont faitusage. Mais pour Temploier avec succès il faut avoir fait de grandes et d'heureuses préparations, et Wateau n'en faisoit presque jamais. Pour y suppléer en quelque façon, il étoit dans l'habitude, quand il reprenoit un tableau, de le frotter indiféremment d'huile grasse et de repeindre par dessus. Cet avantage momentané a par la suite fait un tort considérable à ses tableaux : à quoi a encore beaucoup contribué une certaine malpropreté de pratique qui a dû faire tourner ses couleurs. Rarement il nettoïoit sa palette et étoit souvent plusieurs jours sans la charger. Son pot d'huile grasse dont il faisoit un si grand usage, étoit rempli d'ordures et de poussière et mêlé de toutes sortes de couleurs qui sortoient de ses pinceaux à mesure qu'il les y trempoit. Combien cette manière de procéder n'étoit-elle point éloignée des soins extraordinaires qu'ont pris certains peintres HoHan- dois pour travailler proprement ! L'on cite entre autres sur ce point Gérard Dow, et l'on remarque qu'il broïoit ses couleurs sur une glace, qu'il prenoit des pré- cautions infinies pour empêcher qu'elles fussent altérées par le moindre atome de poussière, et net- toïoit toujours lui-même sa palette et jusqu'à la hante de ses pinceaux,, ce que le dernier auteur de la Yie des peintres a plaisamment entendu de son manche à balai, trompé par la double signification du mothollandoisqui, suivant l'endroit etles circon- stances où on l'emploie, signifie tantôt une hante


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de pinceau, tantôt un manche à balai, mais qui ne devoit pas faire d'équivoque ici.

Au reste, je ne crois pas que vous regardiés ces détails comme des minuties. Ils m'ont paru néces- saires à rapporter pour recommander ce soin et cette propreté dans l'emploi des couleurs ; condition trop essentielle pour la conservation et la durée des ta- bleaux, pour n'en point relever hautement le défaut à ceux qui y ont manqué aussi fortement qu'a fait ^\'ateau. G'étoit sa paresse et son indolence qui l'y conduisoient encore plus que certaine vivacité, que le désir et même le besoin de jeter promptement sur la toile quelque efTet conçu, peut inspirer. Il en étoit saisi quelquefois, mais beaucoup moins que du plaisir de dessiner. Cet exercice avoit pour lui un attrait infini, et quoique la plupart du tems, la ligure qu'il dessinoit d'après le naturel n'avoit aucune desti- nation déterminée, il avoit toute la peine du monde à s'en arracher.

Je dis que le plus ordinairement il dessinoit sans objet. Car jamais il n'a fait ni esquisse ni pensée pour aucun de ses tableaux, quelques légères et quelques peu arrêtées que c'a pu être. Sa coutume étoit de dessiner ses études dans un livre relié, de façon qu'il en avoit toujours un grand nombre sous sa main'. Il avoit des habits galans et quelques uns


1. Watteau laissa en mourant une grande fjuantité de dessins. Il les légua à quatre de ses amis : M. de Julienne, l'abbé Haranger, chanoine de Saint-Germain-rAuxerrois, MM. Hénin et Gersaiut. {Cat. de Loran- gère.)


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de comiques, dont il revêtoit les personnes de l'un et de l'autre sexe selon qu'il en trouvoit qui vouloient bien se tenir, et qu'il prenoit dans les attitudes que la nature lui présentoit, en préférant volontiers les plus simples aux autres. Ouand il lui prenoit en gré de faire un tableau, il avoit recours à son recueil. Il y choisissoit les figures qui lui convenoient le mieux pour le moment. Il en formoit ses groupes le plus souvent en conséquence d'un fonds de païsage qu'il avoit conçu ou préparé. Il étoit rare même qu'il en usât autrement.

CQite façon de composer, qui n'est assurément pas à suivre, est la véritable cause de cette uniformité qu'on peut reprocher aux tableaux de Wateau. Indé- pendamment de ce que, sans s'en apercevoir, il ré- pétoit très souvent la même figure ; ou parce qu'elle lui plaisoit^ ou parce qu'en cherchant ç'avoit été la première qui s'étoit présentée à lui. C'est encore ce qui donne aux estampes gravées d'après lui une es- pèce de monotonie et de rapport général qui n'en permettent nullement la quantité. En un mot, à la réserve de quelques uns de ses tableaux, tels que l'Accordée ou la noce de village, le Bal, l'Enseigne faite pour le sieur Gersaint\ l'Embarquement de


1. « A son retour à Paris, qui étoit en 1721, dans les premières an- nées (le mon établissement, il vint chez moi me demander si je voulois bien le recevoir et lui permettre, pour se dégourdir les doigts, ce sont ses termes, si je voulois bien, dis-je, lui permettre de peindre un pla- fond, que je devois exposer en dehors : j'eus quelque répugnance à le satisfaire, aimant beaucoup mieux Toccuper à quelque chose de plus solide; mais, voyant que cela lui feroit plaisir, j'y consentis. L'on sçait


40 L'ART DU XYIII» SIECLE.

Cythère, qu'il a peint pour sa réception dans notre Académie et qu'il a répétée, ses compositions n'ont aucun objet. Elles n'expriment le concours daucune passion et sont, par conséquent, dépourvues d'une des plus piquantes parties de la peinture, je veux dire l'action. Elle seule, comme vous sçavés, Mes- sieurs, peut communiquera votre composition, sur- tout dans THéroïque, ce feu sublime qui parle à l'esprit, le saisit, l'entraîne et le remplit d'admira- tion.

N'oublions point de remarquer ici que Wateauua l'ut reçu en votre Académie que plus de cinq ans après y avoir été agréé; c'est-à-dire le 28 août 1717. Son indolence à faire et à fournir le tableau requis pour consommer cet ouvrage fut la seule cause de ce retardement. Il avoit môme fallu plusieurs cita- tions pour le mettre en règle à cet égard.

Les ag}'émens elles commodités sans nombre qu'il trouva chez M. Crozat ne purent empêcher qu'il ne se dégoûtât encore de ce désirable séjour ^ Il en sor-


la réussite qu'eut ce morceau: le tout étoitfait d'après nature, les atti- tudes en étoient si vraies et si aisées; rordonnance si naturelle; les groupes si bien entendus qu'il attiroit les yeux des passans ; et même les plus habiles peintres vinrent à. plusieurs fois pour l'admirer : ce fut le travail de huit journées, encore n'y travailloit-il que les matins, sa santé délicate ou pour mieux dire sa foiblesse, ne lui permettant pas de s'occuper plus longtemps. C'est le seul ouvrage qui ait un peu ai- guisé son amour-propre ; il ne fit point difficulté de me l'avouer. M. de Julienne le possède actuellement dans son cabinet et il a été gravé par ses soins. » (Cat. de Lorangère.)

1. L'amour de la liberté et de l'indépendance le fit sortir de chez M. Crozat : il voulut vivre à sa fantaisie et méma obscurément : il se retira chez mon beau-père dans un petit logement et défendit absolu-


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lit pour aller demeurer avec M . Vleughels, son ami, qui depuis est mort directeur de l'Académie de Rome. Mais il en emporta un fonds précieux de connois- sances qu'il s'j' étoit fait par cette étude assidue et réfléchie des desseins des grands maîtres. Ses ou- vrages ont donné dans la suite de sa vie d'amples preuves de cette augmentation de sçavoir.

Cependant, frappé de la malheureuse inconstance d'un homme de ce mérite, j'étois fâché de voir que sa légèreté ne lui permettoit pas de jouir d'aucun bien-être présent et en bannissoit même toute espé- rance pour l'avenir. Je remarquois avec une véri- table peine qu'il étoit continuellement la dupe de tout ce qui l'entouroit. Et en cela d'autant plus à plaindre que son esprit démêloit tout, tandis que sa foiblessc l'emportoit, enfin que la délicatesse de son tempérament augmentoit de jour en jour et tendoit à un dépérissement capable de le mettre fort mal à son aise. Je lui représentai sur tout cela qu'il avoit de bons amis, mais que l'usage du monde apprenoit le peu de fonds qu'il falloit faire sur les hommes quand on éprouvoit l'adversité. J'ajoutai que ceux qui pensoient plus dignement pouvoient mourir. J'emploïai toutes les raisons que sa situation ne fournissoit que trop à mon amitié. Je les appuïai môme sur le goût de l'indépendance que la nature sembloit lui avoir imprimé, et que, pour l'ordinaire.


ment de découvrir sa demeure à ceux qui la deraanderoient. [Catalogue de Loraurjère.)

I. 4.


42 L'ART DU XVIII* SIECLE.

les talens se plaisent assés à adopter... A tout ce beau sermon je n'eus d'autre réponse que celle-ci, à la vérité après un remerciment personnel : Le pis aile?', n'est-ce pas l'hôpital? On ny refuse personne. J'avoue que je restai tout court à cette solution et que je gardai le silence. J'eus lieu de me flatter ce- pendant que mes représentations n'avoient point absolument porté à faux et qu'elles avoient du moins fait en lui une de ces impressions qui, pour être sourdes pendant quelque tems, n'en sont pas moins fructueuses dans la suite. Car il eut plus d'attention à ses afraires,\et, dans l'occasion, consulta des amis éclairés, tels que M. de Julienne^ qui lui sauva et lui conserva des effets que sa succession a recueillis, et qui, sans compter les desseins qu'il laissa à ses amis, se sont montés à plus de neuf mille livres.


1. A l'appui de cette bonne amitié de Watteau et de M. de Julienne, nous empruntons aux Archives des Arts trois précieuses lettres de Watteau à M. de Julienne, publiées sur copies ; et le public ne se fâchera pas que nous empruntions à la suite une autre lettre de Wat- teau à Gersaint ;

A MONSIEUR DE JULIENNE, DE LA PART DE VN'ATrEAU, TAR EXPRÈS.

De Paris, le 3 de mai. « Monsieur !

w Je vous fais le retour du grand tome premier de lÉcrit de Leo- uardo de Vincy, et en mesmes temps je vous eu fais agréer mes sincères remerciemens. Quand aux J-ettres en manuscrit de P. Rubens, je les garderai encore devers moi, si cela ne vous est pas trop désagréable, en ce que je ne les ai pas encore achevées! Cette douleur au côté gauche de la tête ne m'a pas laissé someiller depuis mardi, et Mariotti veut me faire prendre une purge dès demain au jour, il dit que la grande chaleur qu'il fait Taidera à souhait. Vous me rendrez satisfait au-delà do mon souhait, si vous me rendez visite d'ici à dimanche ; je


WATT EAU. 43

Mais son instabilité naturelle l'aïant encore fait quitter M. Vleughels, il ne faisoit plus qu'errer de diférents côtés. Elle le livroit aussi chaque jour à


vous montrerai quelques bagatelles comme les païsages de Nogent que vous estimés assez par cette raison que j'en fis les pensées en pré- sence de madame de Julienne à qui je baise les mains très respectueu- sement.

« Je ne fais pas ce que je veux, en ce que la pierre grise et la pierre de sanguine sont fort dures en ce moment, je n'en puis avoir d'autres.

a A. WATTliAl". »

A MONSIEUR DE JULIENNE, DE L\ PART DE WATTEAU.

De Paris, le 2 de septembre. «< Monsieur!

u Par le retour de Marin qui m'a apporté la venaison qu'il vous a pieu m'envoier dès le matin, je vous adresse la Toile ou j'ai peint la teste du sanglier et la teste du renard noir, et vous pourrez les dépê- cher vers M. de Losmenil, car j'en ai fini pour le moment. Je ne puis m'en cacher, mais cette grande toile me resjouit et j'en attends quelque retour de satisfaction de vostre part et de celle de madame de Julienne qui aime aussi infiniment ce sujet de chasse comme inoi-mesme. Il a fallu que Gersaint m'ammenât le bon homme I.a Serre pour agrandir latoile au costé droit, où j'ai ajousté les chevaux dessous les arbres, car j'y éprouvois de la gesne depuis que j'y ai ajousté tout ce qui a été décidé ainsi. Je pense reprendre ce costé là dès lundi à midi passé, parce que dès le matin je m'occupe des pensées à la sanguine. Je vous prie de ne pas m'oublier envers madame de Julienne k qui je baise les mains.

« A. Watïeau. »

A. MONSIEUR DE JULIENNE.

« Monsieur!

<< Il a pieu à Monsieur l'Abbé de Noirterre de me faire l'envoi de cette toile de P. Rubens où il y a les deux testes d'anges, et au des- sous sur le nuage cette figure de femme plongée dans la contemplation. Rien n'auroit sçu me rendre plus heureux assurément si je ne restois persuadé que c'est par l'amitié qu'il a pour vous et pour M. votre neveu, que M. de Noirterre se dessaisit en ma faveur d'une aussi rare pein-


44 L'ART DU XYIII- SIECLE.

des connoissances nouvelles. Le malheur voulut que parmi celles-ci il s'en trouva qui lui exagérèrent le séjour de TAngleterre avec ce fol enthousiasme, qu'on ne trouve en bien des gens, que parce qu'ils n'y ont jamais voïagé. Il ne lui en falloit pas davan- tage pour diriger sur ce pais le désir qui le domi- noit sans cesse de changer de lieu. 11 partit en 1719, arriva à Londres, y travailla, mais s'y déplût, bien- tôt, par la triste vie qu'étant étranger sans parler ni entendre la langue, il y menoit nécessairement. Ce- pendant, quoique François, il y fut assez accueilli et ne laissa pas de faire ses affaires du côlé de l'utile. Mais, au bout d'environ un an, les brouillards et la


ture que celle-là. Depuis ce moment où je l'ai reçue, je ne puis rester en repos, et mes yeux ne se lassent pas de se retourner vers le pupitre où je Fai placée comme dessus un tabernacle! on ne sauroit se per- suader facilement que P. Rubens aie jamais rien fait de plus achevé que cette toile, H vous plaira. Monsieur, de faire agréer mes véri- tables remerciemens à Monsieur l'abbé de Noirterre jusques à ce que je puisse les luy adresser par moy-mesme. Je prendrai le moment du messager d'Orléans prochain pour lui escrire et lui envoïer le tableau du Repos de la Ste-Famille que je lui destine en reconnoissance. « Votre bien attaché amy et serviteur, Monsieur ! !

« A. Wattkau. »

A MON-SIIiUR GERSAINT, MARCHAND SUR LE PONT NOTRE-DAME, DE LA PART DE WATTEAU.

« Mon ami Gersaint,

« Oui, comme tu le désires, je me rendrai demain à diner, avec Antoine de la Roque, chez toi. Je Compte aller à la messe à dix heures à St-Germain-de-Lauxerrois ; et assurément je seroi rendu chez toi à midi, car je n'auroi avant qu'une seule visite à faire à l'ami Molinet qui a un peu de pourpre depuis quinze jours, t En attendant, ton amy

« A. Watteau. y


\VATTEAU. 45

fumée du charbon de terre qu'on y respire, altérè- rent en lui une santé que, dans la vérité, un air plus pur ne nous auroit jamais conservée long tems : car, dès avant le voïage, il avoit la poitrine attaquée ^ Il revint donc en France et à Paris.

L'uge et les maladies ont rarement servi à dimi- nuer nos défauts. Watcau, plus vieux qu'un autre par le caractère de son esprit et toujours plus malade depuis son retour, devint encore plus incom- mode à lui-même qu'il ne l'avoit jamais été. Les lieux, qui autrefois lui plaisoient le plus, les hom- mes, ses amis même, lui devinrent insupportables.


1. On trouve dans l'Œuvre de VVatteau de la Bibliothèque nationale tine planche curieuse, dessinée k Londres par lui, et gravée seule- ment en 1739 par Arthur Pound. C'est le portrait du docteur Misaubin, un docteur long comme une maladie, tenant à la main droite un tri- corne d'où s'échappe le long crêpe dans lequel Hoffmann fera trébu- cher le conseiller Krespel ; tout autour du maigre docteur, des tom- beaux, des sarcophages et un terrain semé de tètes de morts. Mariette a écrit au bas de sa fine et calomnieuse plume : » C etoit un chirurgien françois réfugié en Angleterre, grand charlatan qui se vantoit d'avoir des pilulles, remède immanquable contre la v..., lui seul en étoit per- suadé, car, avec ces pilulles, qui devoien faire, à ce qu'il disoit, la fortune de sa famille après sa mort, notre docteur étoit misérable et périssoit de faim. Watteau, qui peut-être avoit éprouvé l'insuffisance du remède, dessina cette charge dans un café pendant son séjour à Londres. » Eh! non, ce n'est pas ce que vous voudriez bien dire, cha- ritable Mariette; c'est linnocente plainte d'un pauvre diable de corps très vertueux contre l'insuffisance de la médecine. C'est, reprise par Watteau, la triste plaisanterie de Molière qui se meurt, jouant les mé- decins. Mourant, Watteau armera encore ses crayons contre le corps guérisseur qui ne défend de la mort, ni les poèmes commencés, ni les tableaux ébauchés, A Nogent, le voilà, bien malade, qui crayonne la Faculté bâtée, dans le cortège de ces amusants Purgons, qui font tant rire les enfants; et il ne laisse échapper le cri de son mal, de ses douleurs, de son agonie, qu'au bas de la caricature •

Qu'ai-je fait, assassins maudits !


^,>


46 I;aRT du XVIII' SIÈCLE.

Il imaginoit que l'air de la campagne lui feroit du bien. L'abbé Haranger, qui étoit du nombre de ces derniers, lui fit prêter, par M. Le Fevre, alors inten- dant des Menus et aujourd'hui un de vos honoraires, sa maison de Nogent, auprès de Vincennes. Au point où étoit venue sa maladie, il n'y fit que languir, et toutes fois méditoit encore un nouveau change- ment qu'il eût exécuté si ses forces l'avoient pu permettre. Il vouloit aller reprendre son air natal. On pourroit ne le point accuser d'inconstance par rapport à ce dernier projet. C'est presque toujours la ressource finale des malades de langueur; res- source autorisée, même provoquée par les méde- cins,, quand ils ne sçavent plus que dire, lorsque la proposition des eaux ou les eaux elles mômes n'ont pas réussi. La mort ne lui en laissa pas le tcms et l'enleva le 18 juillet 17:21, âgé de 37 ans ^ Il mourut


1. La mort de Watteau laissa un regret au cœur He sos amis, les amateurs. M. de Julienne pla(;a en tête des eaux-^i.ites, d'après les dessins de Watteau, une notice pieuse. Crozat écrivait le 11 août 1721, à la Rosalba : o Nous avons perdu le pauvre Watteau qui a fini ses jours le pinceau à la main. Ses amis, qui doivent publier un discours sur sa vie et son rare mérite, ne manqueront pas de rendre hommage au portrait que vous lui avez fait à Paris, quelque temps avant sa mort. » Watteau avait retrouvé dans la Rosalba laccent et la couleur de ces maîtres vénitiens qu'il aurait voulu voir chez eux; et le 20 sep- tembre 1719, il taisait écrire par son ami Vleughels à la Vénitienne : — « Nous avons ici beaucoup d'appréciateurs qui estiment infiniment votre talent... Un excellent homme, M. Watteau, duquel vous aurez sans doute entendu parler, a le plus grand désir de vous connoître, et d'avoib un petit ouvrage de votre main, en échange il vous enverroit un des siens, ou, s'il ne pouvoit, l'équivalent... C'est mon ami, il demeure avec moi, il me prie de vous présenter ses respects les plus humbles et désire une réponse favorable. » La Rosalba fit mieux que ce que pouvait attendre Watteau; elle vint à Paris et fit le portrait de Wat-


WATT EAU. 47

avec tous les sentimens de religion qu'on pouiToit désirer, et les derniers jours de sa vie il s'occupa à peindre un Christ en croix pour le curé de No-

teau. Diarlo da Ilosalba Carriera ,\enezia., 1793. Ce portrait fut vendu en 1769 à la vente de Lalive de Jully, 123 livres. — Mariette seul écri- vait sèchement et sans amitié : « Antoine Watteau, né à Valenciennes, en 1684, est mort en 1721. Après être sorti de chez Gillot, il entra chez Claude Audran, célèbre peintre d'oi-nemens qui, en qualité de con- cierge, demeuroit au Luxembourg-, et qui se servoit utilement de W'at- teau pour enrichir de ses ligures agréables les compositions d'orne- mens dont il fournissoit les dessins, et pendant ce temps là Watteau eut occasion de voir et d'étudier les peintures de Rubens qui sont au Luxembourg, d'en connoitre la magie, et de la faire passer dans ses tableaux, alors il put se produire et montrer tout ce qu'il valoit. Son genre de peindre fut goûté, il fut reçu avec applaudissemens à l'Aca- démie, chacun s'empressa pour avoir de ses ouvrages; jNI. Crozat le jeune lui proposa de peindre un appartement chez lui, etAVatteau Tac- cepta d'autant plus volontiers qu'il crut ne devoir pas perdre une si belle occasion qui le mettoit à portée de puiser de nouvelles connois- sances dans les dessins et les tableaux des grands maîtres dont cette maison étoit remplie, Il n'y demeura pourtant pas longtems. Sou in- constance lui faisoit changer de domicile à chaque instant. Il demeuroit avec Yleughels dans la maison du neveu de M. Le Brun sur les fossés de la Doctrine chrétienne, lorsque des idées de fortune le tirent passer à Londres où il travailla peu et dont il revint traînant avec lui l'ennui et le dégoût qui Taccompagnoient partout. Une santé absolument déla- brée ; le spectacle affreux d'une mort prochaine aggravèrent ses maux; il se retira chez un ami au village de Nogent, près Vincennes, et il y mourut. Une des personnes avec laquelle il fut lié le plus intimement fut M. de Julienne, qui, pendant un tems, posséda lui seul presque tous les tableaux qu'avoit peints Watteau. Le peintre mettoit de la finesse dans son dessin sans avoir jamais pu dessiner la grande manière. La touche de son pinceau, de même que celle du crayon, est des plus spi- rituelles, les tours de es figures les plus agréables, ses expressions assez communes, mais gracieuses, sa couleur brillante, son travail léger. Il eut un malheur, ce fut celui de se dégoûter trop aisément de ce qu'il avoit fait. On lui a vu eflTacer des parties de tableaux heureu- sement pensées et aussi heureusement exécutées pour leur substituer quelquefois d'autres choses fort inférieures. 11 n'étoit point curieux de la propreté, et cela, joint au trop grand usage qu'il fit de l'huile grasse, a beaucoup nui à ses tableaux. Presque tous ont perdu. Ils ne sont plus du ton qu'ils avoieat lorsqu'ils sont sortis de ses mains, a Note


48 L"ART DU XVIII' SIECLE.

gent^ Si ce morceau n'a pas la noblesse et l'élé- gance qu'un tel sujet exige, il a du moins l'expres- sion de douleur et de souffrance qu'éprouvoit le malade qui le peignoit.

Wateau avoit le cœur droit et sa résignation a dû

manuscrite de YAbecedario de Mariette. Bibl. Xat., Cabinet des es- tampes.

Le Mercure, qui ne s'occupait guère de la mort des artistes, enre- gistra, en ces termes, la mort de Watteau, août 1721 : «.,. Le gracieux et élégant peintre dont nous annonçons la mort, étoit fort distingué dans sa profession. Sa mémoire sera toujours chère aux vrais ama- teurs de la peinture. Rien ne le prouve mieux que le prix excessif au- quel sont aujourd'hui ses tableaux de chevalet et petites figures. »

Plus de vingt ans après la mort de Watteau, ce que le Mercure appelle « prix excessif » n'avait guère monté. A la vente de Quentin de Lorangère (1741), U?i concert, de 2 pieds 10 pouces 1/2 de large, sur 2 pieds de haut, fut vendu 361 liv. Un jeu d'enfants, original de Wat- teau, de 2 pieds 2 pouces 3/4 de large, sur un pied 8 pouces 1/2 de haut, fut adjugé 46 liv. — Un petit tableau, peint sur bois, représentant une scène de tragédie, de 8 pouces 1/2 de large, sur 6 pouces 1/2 de haut, n'atteignit que 37 liv. 5 sols, à la vente du chevalier de La Roque (1745). — Les Fatigues et Délassemens de la Guerre, gravés par Crép}', furent adjugés à Gersaint pour 68U liv., à la vente de M. de Julienne (1767). Les Fêtes vénitiennes, gravées par Cars, vendues 2,615 liv. La Sérénade italienne, gravée par Scotin, 1,051 liv. L'Amour désarmé, gravé par Audran, 499 liv. 19 sols. Un mezzetin jouant de la guitare dans un jardin, 700 liv. un sol. Le Dénicheur de moineaux, gravé par Boucher, 175 livres. Le portrait de Watteau, à mi-corps, peint par lui- même, 24 livres. — A la vente Blondel de Gagny (1776), les Occupations selon Vàge, peinture sur vélin, vendues 2,999 livres ; les Champs-Ely- sées, 6,515. Alors commençait à être seulement reconnue la valeur de W'atteau, et à la vente de Randon de Boisset (1777), les Fêtes véni- tiennes, provenant du cabinet de M. de Julienne, montaient à 5,999 liv. 19 sols, et la Sérénade italienne, sortie dû même cabinet, était poussée à 2.600 livres.

1. Le curé de Nogent, cette bonne figure de curé que Watteau avait fait innocemment grimacer sous l'habit de Gilles, l'exhortant à la mort et lui présentant un crucifix grossier, Watteau lui dit : « Otez- moi ce crucifix, il me fait pitié; est-il possible qu'on ait si mal accommodé mon maître^ » — Abrégé de la vie des plus fameux peintres, par d' Argen- tine.


WATT EAU. 49

être sincère. D'ailleurs il n'étoit emporté par aucune passion, aucun vice ne le dominoit et il n'a jamais fait aucun ouvrage obscène. Il poussa même la déli- catesse jusqu'à désirer quelques jours avant sa mort de ravoir quelques morceaux qu'il ne croïoit pas as- sés éloignés de ce genre, pour avoir la satisfaction de les brûler; ce qu'il fit.

Au reste, il étoit de moïenne taille, il n'avoit point du tout de phisionomie, ses yeux n'indiquoient ni son talent ni la vivacité de son esprit. Il étoit som- bre, mélancolique, comme le sont tous les atrabi- laires, naturellement sobre et incapable d'aucun ex- cès. La pureté de ses mœurs lui permettoit à peine de jouir du libertinage de son esprit, et on s'en apercevoit rarement dans ses discours ^

M. rabbé Fraguier, si connu par son esprit et son goût pour les lettres, a honoré la mémoire de Wa- teau par une épitaphe en vers latins que je vais

1. Voici le portrait que Gersaint fait de "NVatteau : « Watteau étoit de moyenne taille et d'une foible constitution, il avoit le caractère inquiet et changeant, il étoit entier dans ses volontés, libertin d'esprit, mais sage de mœurs ; impatient, timide, d'un abord froid et embarrassé, discret et réservé avec le» inconnus, bon, mais difficile ami ; misan- trope, même critique malin et mordant, toujours mécontent de lui même et des autres et pardonnant difficilement; il aimoit beaucoup la lecture; c'étoit l'unique amusement qu'il se procuroit dans son loisir; quoique sans lettres, il décidoit assez sainement d'un ouvrage d'esprit. » — {Cat. de Lorangère.) — Voici le portrait que fait de Watteau M. de Julienne : « Watteau étoit de moyenne taille et de constitution foible, il avoit Tesprit vif et pénétrant, et les sentiments élevés, il parloit peu, mais bien, et écrivoit de même, il méditoit presque toujours ; grand admirateur de la nature et de tous les maîtres qui l'ont copiée, le travail assidu l'avoit rendu un peu mélancolique. D'un abord froid et embarrassé, ce qui le rendoit quelquefois incommode à ses amis et souvent à luy même, il n'avoit point d'autre défaut... »


5(1 L'ART DU XYIII» SIECLE.

avoir la satisfaction de déposer ici. Il me l'avoit donnée, et ne prévoïant pas l'usage que je puis en faire aujourd'hui, j'en avois fait présent à M. de Ju- lienne pour la rapporter à la fin de son abrégé de la vie de IVateau. Elle est digne de vos fastes et je la joins ici comme un bien qui vous appartient. Ce- pendant elle a été faite avec quelques circonstances que je crois devoir vous communiquer.

Les ouvrages de Wateau plaisoient généralement à tout le monde, étant à la mode, cela n'est pas éton- nant. Mais il est des hommes d'un ordre supérieur dont il est toujours glorieux d'avoir mérité le suf- frage. Celui dont il s'agit ici le sera à jamais à la mémoire de Wateau. Pendant qu'il vivoit, j'avois souvent vu ses ouvrages exciter en M. l'abbé Fra- guie?' un certain ravissentent qui prou voit bien l'é- tendue et la sagesse de son goût. Sa profonde éru- dition en ce qui concerne la peinture ancienne et tout ce qu'elle offre de sujets d'admiration, ne l'em- pèchoit pas de rendre justice et d'être sensible aux talens de ce maître moderne. A sa mort, je fus té- moin des regrets qu'il en fit, et de l'éloge sur lequel il les fondoit, en présence de plusieurs dignes amis qui s'assembloient ordinairement chez lui, éloge prononcé avec une si grande abondance de senti- ment qu'elle me saisit et me porta à lui dire avec chaleur que, s'il vouloit bien l'écrire, Wateau étoit immortel.

////consentit; mais exigea de moi que, pour y procéder avec plus de justesse, je lui donnasse une


WATT EAU. 51

espèce de cannevas des points essentiels et distinc- tifs du mérite de Wateait. Charmé de procurer à un artiste que j'avois aimé l'honneur d'être célébré par un sçavant d'un goût si reconnu, j'écrivis succincte- ment ce que sa modestie voulut bien m'imposer ainsi. Elle m'a toujours paru si admirable dans un homme aussi supérieur qu'il Tétoit que j'ai cru ne devoir pas vous laisser ignorer ce trait.

La situation où je le trouvai peu de jours après, ne me paroîtpas moins digne de vous être rapportée.

// avoit emprunté un des tableaux de Wateau qui l'afTectoit le plus et l'avoit placé devant lui en com- posant les beaux vers dont nous lui sommes rede- vables ^ J'avoue que cette façon de s'inspirer d'a- près le tableau me frappa; et me parut offrir un bel exemple de la manière que les peintres doivent à leur tour copier les poètes. L'union des deux muses me fit voir en ce moment un tableau bien agréable et bien flatteur pour la peinture.

Heureux les peintres qui méritent assés des gens de lettres pour les inspirer ainsi. Tout ce qui vous rapprochera d'eux, tout ce qui les unira à vous , Messieurs, est un avantage réciproque que mon at- tachement pour la peinture et mes sentimens pour votre Académie me feront toujours désirer avec ardeur.


1. Ces vers, sans aucune valeur, ont été publiés par M. de Julienne dsius son Abrégé de la vie de Wutteau.


REPONSE

FAITE A MONSIEUR LE COMTE DE CAYLUS

A l'occasion de cette vie de feu m. watteau

PAR M. COYPEL

Écuier, Peintre du Roi, Directeur de l'Académie.


Monsieur,

Ce que nous venons d'entendre fait co-nnoître en vous le parfait ami et l'équitable connoisseur. Le connoisseur a sçu donner une juste mesure aux louanges dont l'ami souvent est prodigue à l'excès.

Il faut en convenir, monsieur, sans cette sage mo- dération, les éloges dictés par l'amitié peuvent de- venir préjudiciables à ceux qu'elle veut exalter.

Nous blessons l'amour-propre des gens qui nous écoutent, en leur parlant d'un homme dans lequel nous ne voulons reconnoître aucun défaut, et l'on ne blesse presque jamais l'amour-propre impunément.

Je dis plus, lorsque nous en usons ainsi, nous de- venons suspects aux auditeurs les plus modestes et les plus désintéressés : puisque l'expérience ne nous prouve que trop l'impossibilité d'atteindre à la per- fection.

I. 5.


54 L'ART DU XVIII' SIECLE.

Enfui, monsieur, nous avons beau parler d'un mort, quand il s'agit de citer ses rares talens, le sûr moïen pour disposer ceux qui ont été ses rivaux, à nous croire et peut être à lui pardonner, c'est de convenir comme vous venez de faire, de ce que la critique pouvoit trouver à reprendre dans ses ou- vrages et même dans son caractère.

Expliquons nous cependant. Je ne prétends pas dire qu'en pareil cas, pour acquérir la confiance que les hommes accordent à l'impartialité, Ton doive ramasser avec légèreté des anecdotes souvent faus- ses; capables de ridiculiser ou de flétrir la mémoire d'un illustre artiste. On se trompe bien lourdement lorsqu'on imagine que, pour rendre un écrit de cette nature plus curieux, plus intéressant et plus re- commandable, il soit besoin d'y insérer des choses qui font mépriser, ou prendre en horreur celui qui a consacré ses veilles pour mériter nos suffrages.

Eécr'wain qui suit ce faux principe attriste le lec- teur. L'honnête homme est affligé quand il se voit dans la nécessité de mésestimer quiconque a sçu lui plaire. Mais ce môme honnête homme qui gémit souvent à la vue de ses propres imperfections n'est pas toujours fâché d'apprendre que celui qui mérita l'admirationdu public n'étoitpas absolument exempt des défauts attachés à l'humanité.

/e/e redis encore, monsieur, dans ce que nous venons d'entendre vous avez trouvé le point juste. Permettes moi d'ajouter que, pour faire l'éloge his- torique de M. Waleau, vous avés choisi un genre


WATT EAU. 55

d'écrire, qui pour les grâces naïves et, si j'ose le dire, pour les touches piquantes, ne peut se compa- rer qu'à l'aimable genre de peindre de cet excellent homme.

Lecture a été faite par le secrétaire soussigné de la vie de M. Watteau ci-devant transcrite, d'après laquelle lecture M. le Directeur a adressé à M. le comte de Caylus, auteur de cette Vie, le Discours en forme de réponse ici rapportée de suite. Le tout en l'assemblée tenue pour les conférences le 3 fé- vrier 1748.

LÉPICIÉ.


NOTULES


Un mot, sur le manuscrit découvert, un jour faste, chez Je bouquiniste de l'arcade Colbert, M. Lefèvre, — le ma- nuscrit dont nous avons extrait la vie de Wattoau.

C'est un in-quarto, relié en veau, fleurdelisé sur le dos et les plats. Il porte pour titre : Conférences et détails d'Administration de l'Académie Hoïale de Peinture et de Sci]lpt[:re. Rédigé et mis 671 ordi'e par Huîst. As:iÉE mdccxlviii.

Il ouvre par un journal des séances de l'Académie pen- dant ladite année, du plus grand intérêt pour la connais- sance de l'histoire intime du vieux corps académique. Puis se succèdent pêle-mêle, avec des biographies d'académi- ciens, des Observations sur les avantages des Conférences Académiques par Desportes, des Dissertations sur la Poésie dans l'art de la Peinture par Watelet, des Discours de Coypel sur les devoirs d'un digne Premier Peintre du Roi, des Dis- sertations sur les devoirs de l'Amateur Académique par le comte de Caylus; biographies, observations, dissertations toutes certifiées à la fin par la signature de Lépicié. Les biographies d'académiciens contenues dans ce volume sont celles d'Eustachc Lesueur, de Lemoyne, de Trémolières, de François Desportes, de Robert le Lorrain, de Watteau. La biographie de Watteau était la seule qui, mauquant aux papiers de l'École des Beaux-Arts, n'avait pu être comprise par MM. Dussieux et Soulié dans leurs Mémoires


L'ART DU XYIIP SIÈCLE.


inédits sur la vie et les ouvrages des membres de V Académie royale de Teinture et de Sculpture.


Le peintre très médiocre, au dire de Cavlus, de Gersaint, d'Arg-envillc, chez lequel fut placé ^Yatteau par son père, était un peintre du nom de Jacques-Albert Gérin, une espèce de peintre officiel de la municipalité valenciennoise, dont Hécart, tout en vantant, dans un patriotisme de clo- cher, (c la correction du dessin, la sagesse des composi- tions, la belle ordonnance des tableaux d'histoire », déplore l'absence de couleur ; un peintre dont Yalenciennes ne possède, à l'heure qu'il est, que quelques œuvres insigni- fiantes. Croirait-on que les écrivains du cru ont l'ambition de vouloir faire croire à un Watteau formé par ce maître et par l'enseignement de l'art valenciennois, quand on sait que le manœuvre du pont Notre-Dame, c'est Gersaint qui l'affirme, ne se débrouilla que chez Gillot!


Watteau était, ainsi que l'a imprimé Gersaint, le fils d'un maître couvreur et charpentier de Valenciennes, et non d'un couvreur, comme le dit Caykis. M. Cellier [An- toine Watteau, son enfance, ses contemporains) qui, dans l'orgueil de son patriotisme valenciennois, semble affecté qu'on puisse croire son illustre compatriote le fils d'un simple couvreur, a fait des recherches sur la famille. 11 nous énumère les Watteau (Wattiau en rouchi) exerçant des positions lucratives à Valenciennes au xvii'^ siècle; il nous montre Jean-Philippe Watteau, père du peintre, chargé d'importantes entreprises, comme de la couverture de la petite boucherie, de l'école dominicale, des casernes, de la citadelle, etc. ; il nous le fait voir dans sa bourgeoisie aisée (Gersaint dit malaisée), possesseur d'un immeuble rue des Cardinaux, et habitant une maison neuve, bâtie au pourtour de l'abbaye de Saint-Jean.


WATTEAU. 59

Où est la vérité sur les facililés ou les difficultés dans lesquelles se développa la vocation de Walteau? Est-ce dans la version de M. de Caylus, qui déclare formelle- ment la vocation de Watteau entravée par son père ? Est-ce dans le texte des Figures de différents Caractères de paysages et d'Études dessinées d'après nature , où M. de Julienne, un autre ami, un autre confident, s'ex- prime ainsi : « Ses parents, quoique d'une fortune et d'une condition médiocres, ne néglig-èreot rien pour son éducation. Us ne consultèrent même que son penchant dans le choix de la profession qu'il voulait embrasser; ainsi, comme il avoit déjà donné des marques de l'inclinaison naturelle qu'il avoit pour la peinture, son père, qui n'avoit aucune connoissance de cet art, mais qui vouloit seconder l'envie que son fils avoit de s'y appliquer, le mit, pour en apprendre les premiers principes, chez un assez mauvais peintre de la même ville. » Pour moi, j'aurais une ten- dance à croire Cavkis, dont les allégations sont confirmées par Gersaint, qui nous montre le père, après quelque temps d'apprentissage, se refusant à payer plus longtemps, et laissant partir son enfant sans argent, sans hardes. N'y a-t-il pas une preuve encore plus proLante? c'est la misère incontestable et non secourue de Watteau pendant toutes ses premières années de Paris.


D'Argenville, dans VAbrcgè de la vie des 2ihis fameux Peintres, après avoir dit que Watteau, par l'ardeur de son travail, s'étant rendu assez habile pour connaître le faible mérite de son Maître, l'avait quitté pour en suivre un autre qui avait du talent pour les décorations de théâtre, ajoute : En 1702 (remarquons que c'est l'année où Watteau a dix- huit ans et où Gérin meurt), Watteau vint avec lui à Paris où l'Opéra l'avait mandé, et travailla à ce genre de pein- ture; mais son maître, étant retourné en son pays, le laissa en cette ville. Et le récit est confirmé par M. de Ju-


63 L'ART DU XVIII' SIECLE.

lienne, qui déclare que Watteau, .'i son amvée à Paris, <( travailla d'abord sous ce peintre à ce genre d'ouvrage ».


C'est sans doute à ces premiers travaux décoratifs que la peinture de Watteau prit le goût du théâtre, dont son pinceau savant tira plus tai'd tant de plaisantes représen- tations, tant de curieux tableaux, que ce pinceau mette en scène les comédiens italiens ou les comédiens français.

Les Comédiens François ! Qui n"a vu cette glorieuse es- tampe donnant la solennelle image de la tragédie, telle qu'elle fut conçue dans le cerveau d'un Racine, et décla- mée, et chantée, et dansée par une Champmeslé; la tra- gédie dans le grandiose de sa pompe, de sa mimique, de sa mélopée; la tragédie sous ce portique ordonnancé par un Perrault; la tragédie figurée par ce quatuor, d'où les tirades semblent sortir des révérences d'un menuet; la tragédie avec ce Roi-Soleil de l'alexandrin, en grand habit, en cuissards de broderie, couronné d'une ample perruque ; la tragédie avec cette reine tragique au superbe panier, au corsage ocellé d'une queue de paon: la tragédie avec son confident et sa confidente, à l'attendrissement si noble et si perspectif?

Les comédiens français, Watteau y revient, par-ci par-là, moins souvent cependant qu'aux comédiens itahens. Les comédiens italiens, les Trais amis et les familiers de son pinceau, il en peint la famille bariolée dans cette belle et tapageuse composition qui fait le pendant des comédiens français. Il peint leur débandade pittoresque quand la Maintenonles chasse de France. l\ peint leurs .Amusements. Il peint, sous la lumière des torches, leurs amours noc- turnes mêlées de sérénades. Il peint leurs Vacances, leurs ébats en pleine nature, effarouchant les canards d'une pai- sible mare. Il peint et repeint, sur cent panneaux, leur Mezzetin etleur Colombine. Mais tout chatoyants que soient ses tableaux, il n'y aurait guère à remercier le hasard, qui


WATT EAU. 61

a fait travailler Watteau au début de sa carrière chez uu obscur décorateur, s'il n'avait pris que la soie de leurs habits, et s'il n'avait pas eu l'idée de faire de ces types transalpins le peuple poétique de ses scènes galantes et champêtres. En effet, par l'introduction de ces baladins aériens, de ces mimes gracieux, de ces créatures musi- cantes, de ces élégantes incarnations du rire délicat et de la Une comédie; de ces femmes, de ces hommes, d'une ma- térialité si vague, d'une réalité si elfacée sous le symbole et le mythe, les compositions du peintre n'apparaissent plus comme des compositions du monde réel. Le gnzon de ses scènes galantes semble foulé par des êtres allégo- riques, chez lesquels l'esprit et la légèreté de touche de Watteau n'ont rien laissé de l'acteur qui a servi do mo- dèle, et l'on a l'illusion d'un Pays Vert habité par une Création de caprice et de fantaisie.


Sur la séparation de Watteau avec Gillot, joignons le récit de Gersaint au récit de Caylus : « Jamais caractères et humeur n'eurent plus de ressemblance ; mais comme ils avoient les mêmes défauts, jamais aussi il ne s'en trouva de plus incompatibles : ils ne purent vivre longtemps en- semble avec intelligence; aucune faute ne se passoit ni d'un côté ni de l'autre, et ils furent enfin obligés de se séparer tous les deux d'une manière assez désobligeante des deux parts; quelques-uns même veulent que ce fut une jalousie mal entendue que Gillot prit contre son dis- ciple qui occasionna cette séparation ; mais, ce qui est vrai, c'est qu'ils se quittèrent au moins avec autant de sa- tisfaction qu'ils s'étoient auparavant unis. »


Watteau ne sortit pas seul de chez Gillot. Il semble avoir entraîné Lancret, auquel il conseilla, écrit Gersaint, de se former sur la nature même, ainsi qu'il avoit fait. » Et si I. 6


€2 I/AllT DU XVIII« SIÈCLE.

Lancret ne fut pas son élève dans le sens rigoureux d'un élève qui travaille dans l'atelier d'un peintre, il fut entiè- rement formé par l'étude de la manière de NVatteau, les convei'sations du Maître, ses savantes réllexions sur son art.


A propos de ces grands arbres du Luxembourg, que Watteau, pendant son séjour cbez Audran, dessinait sans cesse, disons que \yatteau est un grand paysagiste, un paysagiste dont l'originalité n'a pas encore été mise en relief. Le peintre qui, de la maison de campagne de Crozat à Montmorency, a fait le tableau gravé sous le nom de la Perspective, est un créateur qui a inventé un genre neuf. Le paysage académique, autrement dit le paysage en quête d'une noblesse, d'une beauté extra-naturelle, Watteau J'a réalisé avec des qualités et des secrets qui n'ont rien des procédés et des éliminations de ses prédécesseurs et de ses contemporains. Avec ses arbres à rameaux ruisselant et cascadant jusqu'à terre, avec ses bouquets de cbarmille ouverts en éventail derrière une sieste d'amoureux, avec ses arcs de verdure s'ouvrant comme entre des portants de coulisses, avec ses clairières foulées par un menuet dans un i-ayon de soleil, avec ses grandes futaies imitant der- rière lesbaigneuses un rideau à moitié déroulé, avec toute cette légère frondaison, toucliée de sa lluide couleur, et meublée de balustres, de termes, de statues, de femmes de mai'bre, d'enfants de pierre, de fontaines enveloppées de pluie, Watteau a fait une nature plus belle que la na- ture. Mais est-ce seulement ce mélange de la vraie nature associée à un arrangement opéradique, qui a fait obtenir à Watteau cette victoire? Non. Watteau la doit, cette vic- toire, au poète dont est doublé le peintre. Regardez, dans tous ces dessous de bois, ces l)erceaux, ces bocages, dans toute cette ombre feuillue, regardez les trous, les jours, les percées, qui mènent toujours l'œil à du ciel, à des per-


^VATTEAU. G3

spectives, à des horizons, à du lointain, à de rinfini, ;"i de l'espace lumineux et vide qui fait rêver... L'ennoblissement dontWatteau revêt son paysage académique à lui, c'est la poésie du peintre-poète, poésie avec laquelle il surnatura- lise, pour ainsi dire, le coin de terre que son pinceau peint. Des paysages idéalisés , des paysages atteignant, dans leur composition poétique, un certain surnaturel, auquel l'art matériel de la peinture ne semble pas pouvoir monter : c'est là le caractère du paysage de Watteau. C'est là le caractère de cette Isle kxchantée, où, au bord d'une eau morte et rayonnante et se perdant sous des arbres transpercés d'un soleil couchant, des hommes et dos femmes sont assis sur l'herbe, les yeux aux montagnes nei- geuses de l'autre rive, à la plaine immense, à l'étendue sans bornes et sans limite, et tout accidentée des mirages de la lumière rasante des heures qui précèdent le crépus- cule.

Cette gravure reste dans la mémoire, non comme le sou- venir net d'une image, mais bien plus réellement comme la réminiscence llottante d'une description d'île enchantée, lue dans quelque livre d'imagination.


A sa sortie de chez Audran, après avoir fait à Valen- ciennes, indépendamment du tableau de Sirois, « plusieurs études de campements et de soldats d'après nature )>, qui servirent à composer toute cette pimpante série de pein- tures militaires, Watteau était pris du désir de revenir à Paris. Gersaintdit : « Le'caractère insconstant de Watteau, joint au peu d'émulation qu'il trouvoit à Yalenciennes, oîi il n'avoit rien devant les yeux C{ui fût capable de l'animer et de l'instruire, le déterminèrent à revenir à Paris : sa réputation commençoit à s'y établir; les deux tableaux que mon beau-père possédoit furent vus de plusieurs cu- rieux qui désirèrent en acquérir, et en peu de temps son mérite éclata et fut connu de tous les connoisseurs. »


61 L'ART DU XVIII' SIÈCLE.

L'ironie naturelle de l'esprit de Watteau a mis sa marque à quelques-unes de ses compositions. Il a représenté la Pi:i\TURE et la Sculpture sous des figrures de singes. Uno planche, ayant pour titre le Départ pour les Isles, nous montre, avec une intention évidemment caricaturale, la ■presse des filles de joie. Ses tableaux et ses dessins ont en- core plusieurs fois attaqué la médecine et les médecins. Ce serait là toute l'œuvre satirique de Watteau, œuvre sans grande originalité, si nous n'avions, dans une note douce- ment railleuse, un petit chef-d'œuvre familier. Un méde- cin, le médecin solennel à la calotte noire, aux longs che- veux blanchis, à la houppelande faisant de grands plis sur son corps maigre, tâte, tout attentionné, le pouls d'un chat, enveloppé dans une couverture, dressé et appuyé contre les seins blancs d'une jeune gorge décolletée. Le chat se rebiffe, jure, tout prêt à griffer le ridicule person- nage de la Faculté, pendant que sa maîtresse, la tête ren- versée, les yeux écarquillés, les narines au vent, la bouche grande ouverte, les tétons remontés, se hausse pour voir ce qui va se passer entre le chat et le docteur consultant. Dans un coin, une tête narquoise de valet se rit du sérieux de l'épisode. L'invention n'est presque rien, mais Iris est si naturelle dans sa tendre alarme pour son minet et si drôlement charmante, mais le tableau est si joliment ar- rangé, mais la lumière est si bien distribuée, mais le co- mique de la scène-bouffe a tant de délicatesse, de légèreté, de grâce, que je ne connais pas une scène familière du temps qui possède le genre de charme de cette petite création. Même le vague de cet appartement, de ces cos- tumes, de ces gens qui n'appartiennent bien nettement, par rien de désignateur, à un temps, à une époque, àj un pays, ajoute à l'attrait de cette gravure l'attrait des choses d'art qui ne sont pas trop écrites, trop arrêtées, trop définies. Disons aussi que cette planche a été gravée par Liotard avec un entrain, une liberté, une originalité, une bizarrerie de pointe qui font de cette estampe : Le


WATT EAU.


Chat malade, une des rares estampes qui prennent le re- gard, le retiennent, — qui intriguent la pensée !


Gersaint écrit, après l'entrée de Watteau à l'Académie : « ^yatteau ne s'enfla pas de sa nouvelle dignité et du nou- veau lustre dont il venoit d'être décoré : il continua à vou- loir vivre dans l'obscurité; et, loin de se croire du mérite, iî s'appliqua encore plus à l'étude et devint encore plus mécontent de ce qu'il faisoit. J'ai été souvent le témoin de son impatience et du dégoût qu'il avoit pour ses propres ouvrages, quelquefois je l'ai vu effacer totalement des ta- bleaux achevés qui lui déplaisoient, croyant y apercevoir quelques défauts, malgré le prix honnête que je lui en ofTrois ; et même je lui en arrachai un des mains contre son gré, ce qui le mortifia beaucoup. »


Un intéressant portrait de Watteau a passé dans une vente de Vignières du 9 mars 1875. Watteau y est repré- senté assis devant un bureau, le compas à la main. Sous sa perruque à petites cornes relevées sur le sommet de la tête, dans son habit aux parements de cette fourrure que le Valenciennois semble affectionner, le Maître n'est plus le maigre et étique personnage aux traits décharnés et un peu atrabilaires du portrait de Boucher. Watteau a la figure presque pleine, avec sur la physionomie quelque chose d'une enfance naïve gardée dans un visage d'homme mûr, un air un rien rustique, un rien villageois, déjà légèrement indiqué dans le portrait de Crespy, et qui concorde assez bien avec le moral de l'homme peint dans cette phrase de Caylus, u tendre et\iieut-être un 'peu berger ». Le portrait à mi-corps , enfermé dans un cartouche décoré d'enfants porteurs d'attributs et surmonté d'un aigle tenant dans ses serres une trompette de la Renommée, a été lavé au re- vers du titre des « Figures de différents Caractères » pcir


66 I;AUT du XVIII^ SIECLE.

Oppenort, qui a écrit au bas : Antoine Watteau, Peintre du Roy, de V Académie de Peinture, d'après nature, par son ami Gille-Marie Oppenort, Ecuier, Directeur général des Bâti- mens et Jardijis de Sa Majesté.


Caylus est dans l'erreur, quand il avance que les pein- tures exécutées par Watteau dans la salle à manger de Crozat, Tout été d'après des esquisses de La Fosse. Des quatre saisons, je possède les dessins des figures du Prin- temps et de r Automne. Ces académies sont du dessin le plus accentué et le plus caractérisé de Watteau.


« Une des causes déterminantes de l'entrée de Watteau chez M. Crozat, dit Gersaint, c'étoit la connoissance qu'a- voit Watteau des trésors en desseins que possédoit ce cu- rieux ; il en profita avec avidité, et il ne connoissoit d'autres plaisirs que celui d'examiner continuellement et même de copier tous les morceaux des plus grands maîtres. »


« Pour les desseins de Watteau, dit Gersaint, pour ses desseins, quand ils sont de son bon tems, c'est-à-dire de- puis qu'il est sorti de chez M. Crozat, rien n'est au-dessus dans ce genre; la finesse, les grâces, la légèreté, la correc- tion, la facilité, l'expression; enfin on n'y désire rien, et il passera toujours pour un des plus grands et des meilleurs dessinateurs que la France ait donnés. »

Et Gersaint a eu le courage, devant les attaques, de ne rien abandonner de son admiration. Le Dictionnaire abrégé de Peinture et de Sculpture, publié en 1746, lui reproche- t-il son engouement pour son ancien ami, Gersaint répond dans le Catalogue Fonspertuis, qu'il s'étonne d'un déni de justice à l'endroit de desseins auxquels il n'a jamais vu personne refuser son suffrage, personne parmi les plus


WATT EAU. 67

opposés au genre Watteau, qui, tout en critiquant ses ta- bleaux, le déclarent « admirable dans ses desseins ». Il parle du prix où on les pousse dans les ventes, quand ils sont de son bon tems. Et concédant à son adversaire que quelques-uns de ses tableaux sont négligés, qu'on y trouve des défauts, déjà signalés par lui, et provenant de Timpa- tience avec laquelle Watteau les peignait, en même temps que du dégoût qu'il avait de ses propres ouvrages^ il finit par déclarer sa préférence pour ses dessins sur ses tableaux, même les plus parfaits. « Watteau, ajoute-t-il, conformé- ment à ce qu'a déjà dit Caylus, pensoit de même à son égard. Il étoit plus content de ses Desseins que de ses Ta- bleaux, et je puis assurer, que de côté là, l'amour-propre ne lui cachoit rien de ses défauts. Il trouvoit plus d'agré- ment à Dessiner qu'à Peindre. Je l'ai vu souvent se dépiter contre lui-même, de ce qu'il ne pouvoit point rendre en Peinture, l'esprit et la vérité qu'il savoit donner à son Crayon. »

M. de Julienne s^exprimera ainsi en tête des 350 études gravées dans les Figures de Différents Caractères : « On ne s'est guère avisé de faire graver les études des pein- tres... Cependant on espère que le public verra d'un œil favorable les desseins du célèbre Watteau qu'on luy pré- sente ici. Ils sont d'un goût nouveau; ils ont des grâces tellement attachées à l'esprit de l'auteur qu'on peut assu- rer qu'ils sont inimitables... »

Quel dessinateur, en effet, a mis en des dessins rapides et de premier coup le je ne sais quoi indicible, qu'y met Watteau? Qui a sa grâce de crayonnage piquante ? qui a la science spirituelle d'un profil perdu, d'un bout de nez, d'une main? Les mains de Watteau! tout le monde les connaît, ces mains tactiles, si bellement allongées, si co- quettement contournées autour d'un manche d'éventail ou de mandoline, et dont le crayon du Maître traduit amou- reusement la vie nerveuse : — des mains, dirait Henri Heine, qui ont quelque chose d'intellectuel.


68 L'ART DU XVIIP SIÈCLE.

Un coup de crayon, disons-le hautement, qui n'appar- tient qu'à Watteau, à Watteau seul, un coup de crayon dont l'esprit n'a pas besoin de signature ! Voyez, sur toutes ces têtes d'hommes et de femmes, l'espèce de piétinement qu'y fait ce crayon, revenant sur l'estompage, avec des sa- brures, des petits traits géminés, des accentuations époin- tées, des tailles rondissantes dans le sens d'un muscle, des riens et des bonheurs d'art qui sont tout, — un tas enfin de petits travaux de verve et d'inspiration trouvés devant le modèle, animant le dessin de mille détails de nature, vivifiant presque la teinte plate du plat papier, du relief et de l'épaisseur d'une touche. Et ces coiffures de femmes, charbonnées à plat, avec le gros bout d'une pierre noire, dont le large égrenage rend le laineux et le frisotant d'une chevelure. Et ces robes galantes, ces négligés aux plis cas- sés, à la rocaille tantôt précieusement détaillée avec la pointe de la plus aiguë mine de plomb, tantôt superbe- ment indiquée dans la carrure d'un trait large, comme un trait fusiné. Et toujours ce beau contour sinueux, courant, serpentant, ondulant, où s'écrase, aux ressauts de la forme, une grasse sanguine. Car la sanguine est le procédé de prédilection de Watteau ; il ne l'aime pas seulement parce que, grâce à elle, ((il obtient des contre-épreuves qui lui don- nent pour ses tableaux les deux côtés de ses personnages», il l'aime, le Vénitien français, pour sa tonalité, pour sa cha- leur: il a même une sanguine qui semble lui appartenir en propre, une sanguine d'un ton de pourpre, qui se dis- tingue de la sanguine brunâtre de tous, et qui prend sa couleur charmante et son incarnat de vie de l'habileté des oppositions du gris et du noir. Sanguine, du reste, que je croirais cette sanguine d'Angleterre, dont les manuels technologiques vantent la supériorité, et dont une boîte se vendait comme une rareté, à la vente du peintre Vene- vault. Et peut-être Watleau en manquait-il ? quand, men- tionnant dans sa lettre à M. de Julienne la dureté de sa pierre de sanguine et l'impossibilité de s'en procurer


WATT EAU. C9

d'autre, il se plaignait de ne pouvoir en faire ce qu'il vou- lait dans ses pensées : ces pensées, qui semblent, en les dernières années de la vie du peintre, l'unique œuvre de ses matinées, — des bonnes heures de sa vie malade.

Des merveilles que les sanguines de Watteau, mais des merveilles moins charmeresses que ses dessins aux trois crayons, ces dessins qu'on peut dire peints. J'ai là, sous les yeux, une étude de bras et de main, oîi les tons et les trans- parences de l'épiderme, — c'est à ne pas y croire, — sont rendus avec la fonte au pouce d'un peu de sanguine, d'un peu de plombagine. Dessins peints : c'est le mot. Watteau fait sur une figure, avec des entre-croisements de hachures noires et de hachures rouges, les passages de ton d'une face humaine. Watteau fait, avec du blanc mourant dans le crayon rouge d'un tournant de pommette, de la vraie chair lumineuse. Qu'on s'arrête , au Louvre, devant le n° 1326, le dessin provenant de la vente d'Ymecourt, et qu'on regarde ces têtes de femmes en toque, crayonnées avec de la sanguine, de la pierre d'Italie, de la craie, sur le jaunissement d'un vieux papier teinté, baptisé papier chamois dans les catalogues de vente; on sera étonné de voir ces têtes colorées de la lumière ambrée, que Rubens trouve sur une toile avec sa palette.


Les ventes les plus riches en dessins de Watteau ont été, au siècle dernier, la vente de Crozat, du chevalier de la Roque, de M. de Julienne, de Mariette, d'Argenville, et dans ce siècle-ci, les ventes de Paignon-Dijonval, de Ville- nave, de Saint, de Norblin, d'Ymecourt, où le Louvre a acheté les trois importantes feuilles d'études qui garnissent le fond de la salle de Watteau. Les plus nombreuses réu- nions de dessins de Watteau sont aujourd'hui au Louvre, qui en compte 31, au British Muséum qui en possède 18 des plus importants, à VAIbertiiia de Vienne, chez Miss Ja-


70 L'ART DU XVIII» SIÈCLE.

mes, riche de 80, chez le duc d'Aumale, qui a acheté ceux de M. Reiset, chez le baron Schwiter, chez moi.


Les eaux-fortes de Watteau ne sont pas les eaux-foiies que les amateurs goûtent sous le joli hurinage et Taimable petit métier des Thomassin et des Simonneau. L'eau-forte de Watteau, avec son manque d'habitude et l'artistique maladresse d'un peintre qui touche par hasard à la pointe, ressemble à un griffonnage de peintre italien. C'est une improvisation libre, courante, ingénue : du cuivre sabré, grifïé, bâtonné, avec une morsure à la diable, quelque chose où le Maître n'a guère sa signature que dans l'esprit savant des extrémités — des mains. Cela est si vrai, et le merveilleux crayonneur qu'était Watteau ignore si bien les oppositions des travaux qui s'accordent, que Simonneau n'a jamais pu faire, en la reprenant, de la Troupe italienne, une planche passable.

Les eaux-fortes de Watteau, quand elles ne sont que de lui, avouons-le, sont, avant tout, des curiosités, mais des curiosités dans l'ordre des choses rarissimes.


Le reproche sur l'abus de l'huile grasse est unanime chez les biographes contemporains. Il se rencontre chez d'Argenville, chez Mariette, etc. Gersaint, après une déplo- ration sur la mauvaise direction des premières études de Watteau, digne de M. de Caylus, s'exprime ainsi : « A l'é- gard de ses ouvrages, il auroit été à souhaiter que ses pre- mières études eussent été pour le genre historique, et qu'il eût vécu plus long tems; il est à présumer qu'il se- roit devenu un des plus grands Peintres de France; ses Tableaux se ressentent un peu de l'impatience et de l'in- constance qui formoient son caractère; un objet qu'il voyoit quelque tems devant lui, l'ennuyoit : il ne cherchoit qu'à voltiger de sujets en sujets ; souvent même il com-


^VATTEAU. 7t

niençoit une ordonnance, et il en étoit déjà las à moitié de sa perfection ; pour se déJDarrasser plus promptement d'un ouvrage commencé et qu'il étoit ohlig-é de finir, il mettoit beaucoup d'huile grasse à son pinceau afin d'é- tendre plus facilement sa couleur ; il faut avouer que quel- ques-uns de ses Tableaux périssent par là de jour en jour; qu'ils ont totalement changé de couleur ou qu'ils deviennent très-sales, sans aucune ressource; mais aussi ceux qui se trouvent exempts de ce défaut, sont admirables et se sou- tiendront toujours dans les plus grands cabinets. »


M. de Julienne dit que AVatteau resta cliez ^Vleughel3 jusqu'en 1718.


a Le pis-aîler, n'est-ce pas rhôpital? On n'y refuse per- sonnel » Cette réponse de Watteau à lAl. de Gaylus, s'in- quiétant de l'avenir du peintre, quand il n'y aurait que cette réponse seule dans toute la pédante et agressive bio- graphie de Facadémieien honoraire, elle suffirait à rendre cette biographie précieuse. Par elle, on a la clef de ce ca- ractère qui n'est point un caractère du temps, qui n'a rien des préoccupations matérielles et ouvrières du peintre français d'alors, ^yatteau commence l'artiste moderne dans la belle et désintéressée acception du mot, l'artiste mo- derne avec sa recherche d'idéal, son mépris de l'argent, son insouciance du lendemain, sa vie de hasard, — de bohème, allais-je dire, si le mot n'était pas tombé si bas.

Au sujet du désintéressement de Watteau , Gersaint ajoute cependant que « dans le voyage d'Angleterre, où ses ouvrages étoient courus et bien payés, Watteau com- mença à prendre du goût pour l'argent dont il n'avoitfait juscjues alors aucun cas, le méprisant même jusques à le laisser avec indilierence, et trouvant toujours que ses ou- vrages étoient payés beaucoup plus qu'ils ne valoient. »


72 L'ART DU XVIII SIÈCLE.

La maladie de Watteau remontait plus haut que ne l'in- dique Caylus. L'originalité de ses humeurs et la misan- thropie de son caractère disent assez que Watteau a été un malade toute sa vie. Dans tous les portraits, dans toutes les études que le Maître a laissés de son osseuse personne et de sa silhouette défringandée, — apparaît le phtisique. Il est même un portrait saisissant, terrible, presque ma- cabre du poitrinaire, que personne n'a signalé. C'est le portrait de Watteau donné dans la planche 213 du recueil de M. de Julienne. Cette espèce de Démocrite en bonnet de nuit, regardez-le dans celte eslampe, qui, sans conteste, est la gravure du dessin désigné dans le catalogue de la Roque sous le n° ooO : « Watteau riaiit et fait par lui- même. » Regardez-le, et il vous semble voir une tôte d'hô- pital, convulsée dans une agonie sardonique !


Une lettre du catalogue de M. Benjamin Fillon, — est- elle bien authentique ? — confirme l'état maladif et vaporeux de Watteau. Cette lettre de Sirois adressée à Madame Josset, libraire à Paris, et datée du 23 novem- bre I8H, s'exprime ainsi : a Cet original qui fait d'abon- dant dans la peinture, comme Monsieur Le Sage fait des comédies et des livres, avec la différence que Monsieur Le Sage est quelquefois content de ses livres et de ses comé- dies, et que le pauvre Watteau n'est jamais satisfait de ses tableaux; ce qui ne l'oppose d'estre un des roys présens du pinceau. 11 m'a promis de peindre pour moy une feste de la Foii^e du Landit, de quoy j'ai advancé cent livres des trois cents convenues. Elle sera son chef d'œuvre, s'il y met la dernière tousche ; mais s'il est repris de son hu- meur noire et possession d'esprit, le voilà loin du logis et adieu le chef d'œuvre. Monsieur Le Sage lui a procuré la commande de deux pendans tirés du Diable boiteux, à cent trente livres la pièce. Il n'espère qu'on les aura, car Wat- tcau peint à sa fantaisie et n'aime les sujets commandés.


WATTEAU.


S'il se peut fixer, son premier tableau sera pour Mon- sieur Duchange, sans qu'il en sache rien, crainte de mes- compte. Le médecin l'a remis au régime du quinquina cinq jours après sa venue. »


L'enseigne de Gersaint terminée, Watteau tombe dans une langueur qui lui fait appréhender d'incommoder Ger- saint, chez lequel il habitait depuis six mois; il le prie de lui chercher un logement convenable. « J'aurois résisté inutilement, dit Gersaint, il étoit volontaire, et il ne falloit pas répliquer; je le satisfis donc, mais il ne jouit pas long- temps de cette nouvelle demeure; sa maladie augmenta, son ennui redoubla; son inconstance se ranima; il crut qu'il seroit beaucoup mieux à la campagne ; l'impatience s'en mêla, et enfin il ne devint tranquille que quand il apprit que M. le Febvre, alors intendant des Menus, lui avoit accordé dans sa maison de Nogent, au-dessus de Vincennes, une retraite, à la sollicitation de feu M. l'abbé Haranger, chanoine de Saint-Germain de l'Auxerrois, son ami; je l'y conduisis, et j'allois le voir et le consoler tous les deux ou trois jours.

u Le désir de changer le tourmenta encore de nouveau; il crut pouvoir se tirer de cette maladie en prenant le parti de retourner dans son air natal, il me communiqua ses idées, et, pour en venir à bout, il me pria de faire faire un inventaire du peu d'effets qu'il avoit et d'en faire la vente, qui monta environ à 3,000 livres dont il me fit le gardien. C'étoit là tout lefruitde ses travaux avec 6,000 li- vres que M. de Julienne lui avoit sauvées du naufrage dans le temps qu'il partit pour l'Angleterre, et qui furent ren- dues à sa famille après sa mort, ainsi que les 3,000 livres que j'avois entre les mains. Watteau espéroit de jour en jour gagner assez de force pour pouvoir entreprendre ce voyage, où je devois l'accompagner; mais sa défaillance I- 7


L'ART DU XVIIP SIECLE.


augmentant de plus en plus, et la nature manquant chez lui tout à coup, il mourut entre mes bras audit Nogent. »


Dans ce court et dernier séjour de Watteau à Nogent, sous l'influence des idées de pardon qu'amènent les ap- proches de la mort, Watteau eut un remords de sa con- duite envers son compatriote et son élève Pater, qu'il avait eu la dureté de renvoyer de chez lui, oîi son père l'avait placé, « trop impatient, dit Gersaint, pour se prêter à la foD}lesse et à l'avancement d'un élève. » Il se faisait des reproches de n'avoir pas rendu assez justice aux dis- positions naturelles qu'il avait reconnues dans Pater, et avouait même à Gersaint « qu'il l'avoit redouté ». Mais laissons la parole à Gersaint. qui nous montre le mou- rant, dans un touchant et sublime repentir d'artiste, ra- cheter, avec les dernières heures de sa vie, tout entières données à Pater, la mauvaise action de son passé ; « Il me pria de le faire venir à Nogent, pour réparer en quel- que sorte le tort qu'il lui avoit fait en le négligeant, et pour qu'il pût du moins profiter des instructions qu'il étoit encore en état de lui donner. Watteau le fit travailler devant lui et lui abandonna les derniers jours de sa vie; mais Pater ne put profiter que pendant un mois de cette occasion SI favorable : la mort enleva Watteau trop promp- tement. Il m'a avoué depuis qu'il devoit tout ce qu'il sa- voit à ce peu de tems, qu'il avoit mis à profit. Il oublia totalement les fâcheux momens qu'il avoit essuyés chez ce maître pendant sa jeunesse, et il a toujours eu pour lui une reconnoissance parfaite ; il a su rendre justice à son mérite, toutes les fois qu'il trouvoit occasion d'en parler. » [Catalogue de Lorangère. Notice de Pater.)


Un tableau, passé sous le n° o30àla vente de l'abbé de Gevigney, garde des titres et généalogies de la Bibliothè-


WATTEAU.


que du Roi, tableau dont la plus grande partie « des figures étoient peintes par Watteau et le reste par Pater», donnerait à supposer que les tableaux laissés inaclievés par Watteau furent terminés par Pater.


Le fait d'un Christ en croix, peint par Watteau pour le curé de Nogent, fait affirmé par Caylus, est confirmé par Je passage, en 1779, dans la vente Marcband, de ce ta- bleau ou d'une esquisse de ce tableau, ainsi catalogué par Paillet : « Watteau, le Christ en croix entouré d'anges (H., 46 p.; L., 35 p.) ». Il fut vendu 130 livres.


Indépendamment des dessins légués en mourant à MM. de Julienne, Henin, Gersaint et à l'abbé Haranger, Watteau aurait laissé quelques autres dessins aux amis qu'il avait faits pendant son séjour en Angleterre. Un dessin, un portrait d'homme, passé à la vente de Samuel Rogers le poète, faite en 1856 à Londres, portait : u Dessein que Watteau a laissé en mourant à moy son ami Payleur, Juliet 1721. »


Un renseignement sur les prix misérables qui payèrent la peinture de Watteau, toute sa vie durant, c'est la quit- tance donnée en 1719 au Régent de France par le grand peintre pour un tableau de huit figures :

J'ay reçu, de Monseigneur le duc cV Orléans , 260 livres "pour un -petit tableau qui représente un jardin avec huit figures.

Fayt à Pm-is, le 14 aoust 1719.

Antoine Wateau.

(Quittance tirée des papiers du baron Hoschild, publiée par les Ardiives des Arts.)


76 L'ART DU XVIII<= SIÈCLE.

Dans les premières années du xviii^ siècle, en ce temps où la littérature parle si rarement delà peinture, une bro- churette publiée en 1736, VEnnuy d'un Quart-d' heure, consacre deux pièces de vers à Watteau. La première porte le titre de : l'Art et la Nature réunis par Wateaux, et dit que la comtesse de Verrue, MM. de Glucq et de Julienne, dont le goût exquis est connu, ont une bonne partie de ses originaux. La seconde est intitulée : la Mort de Wa- teaux, ou la Mort et la 'Peinture.


Watteau (peintre flamand de l'Académie royale), ainsi que l'appelle M. de Julienne dans le second volume du tirage de son Œuvre fixé à cent exemplaires de premières épreuves imprimées sur grand papier, est bien un Flamand de naissance et de début. Avant son séjour chez Audran, avant sa fréquentation de la galerie du Luxembourg, les tableaux de Watteau, qui ne portent pas encore la marque visible de sa descendance de Rubens, attestent une filia- tion avec les petits maîtres tlamands. Au moment où, d'un pinceau sec, semblable à une plume de corbeau, Watteau découpe encore, dans une tache d'huile vermillonnée, ses tortils de cheveux, ses yeux, ses nez, ses bouches, au mo- ment où, dans ses négligés galants, il éclaire les cassures de sa rocaille, des filets de blancs avec lesquels le xvi° siè- cle découpe les plis de ses draperies ; à ce premier mo- ment de son talent, çà et là dans sa peinture, de petits morceaux se font remarquer par la touche des petits tou- cheurs. Mais cette touche change bientôt, elle change dans le passage des études de Watteau des petits aux grands flamands, et bientôt nous le voyons enfermer, dans des tableautins de quelques pouces, toute la largeur des pro- cédés et la belle traîne des pinceaux de Rubens.

Alors Watteau mériterait le titre sous lequel le désigne M. de Julienne, si, simultanément à cette appropriation de Rubens, son talent ne s'assimilait pas d'une manière


WATTEAU. 77

aussi habile, aussi intelligente, aussi complète, la manière d'autres maîtres, l'esthétique d'une autre école. Un curieux renseignement nous est donné à cet égard par le n" 268 de la collection La Gaze. Ce tableau de Jupiter et d'Ax- TioPE vous met sous les yeux une des plus étonnantes con- quêtes d'un peintre par un autre. Ce sont les jambes la- queuses du Titien, le noir fauve des ombres s'allongeant sous les bras de ses dormeuses, l'empâtement de ses visages de lumière, la molle blondeur de ses ventres, le bel em- portement de tons mettant une vie violente sous une chair qui n'a rien du joli de la chair d'un tableau français. Ce tableau n'est qu'un pastiche, je le sais ; mais de ce pas- tiche du Titien, et d'autres pastiches de Véronèse mêlés de pastiches de Rubens, Watteau s'élève au faire du ta- bleau de l'AuTOMNE, à la peinture de ces chairs dorées et pourprées semblables aux grenades que tient l'Amour dans le pan de sa chemise relevée, — Watteau s'élève à l'in- vention de cette pâte, pour ainsi dire à lui, cette pâte à la fois fluide et cristallisée.

C'est ainsi que chez Watteau les appropriations véni- tiennes corrigent, atténuent, dissimulent ce que sa pein- ture a d'instinctivement flamand, lui créent un procédé, une cuisine d'art qui n'est ni italienne ni flamande, une palette d'éblouissement meublée de l'exquis des tons des coloristes des deux pays, une palette qu'il fait française par tout ce qui se reflète d'un pays dans un tableau fait sous son ciel, ce je ne sais quoi de léger, de spirituel, de galant, dirai-je presque, que prend sa touche matérielle dans la patrie de la vie civilisée. Alors Watteau n'est plus un peintre flamand, c'est un peintre français, et un Fran- çais par le faire, qu'on l'entende bien, et sans tenir compte de sa création et de sa poétique toute française. En effet, de quelle école sort tel ou tel des tableaux de Watteau peint avec une originalité de couleur qui semble n'avoir ni précédent ni avant-coureur, une fantaisie de tons qui semble chercher quelque chose au-delà de ce que I. 7.


78 L'ART DU XVIII« SIÈCLE.

peut donner la matière colorante? Voici la Flnette du Louvre, voici ce tableau dont le [ciel, la robe, la femme, apparaissent comme le caprice et la veine d'un marbre. Rien qu'un ton verdâtre un peu cbauffé dans le fond du rouge d'un orage, un ton verdâtre qui met sa teinte glau- que jusque sur les cheveux de la guitariste, et vous laisîse entrevoir la femme au visage rose, dans une couleur ou, pour mieux dire, dans un clapotement d'eau de mer, sil- lonné de remous scintillants.

Mais parlons de ce chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre fran- çais, de cette toile qui a sa place marquée avant cinquante ans sur l'un des murs du salon carré : L'Embarquement de Cythère.

Voyez tout ce terrain à peine recouvert d'une huile transparente et mordorée, tout ce terrain gâché d'un bar- botage rapide, effleuré d'un frottis léger. Voyez ce vert des arbres transpercés de tons roux, pénétré de l'air ven- tilant, de la lumière aqueuse de l'automne. Voyez sur le délicat aquarellage d'huile grasse, sur le lisse général de la toile, le relief de cette pannetière, de ce capuchon, voyez la pleine pâte des petites figures avec leur regard dans le contour noyé d'un œil, avec leur sourire dans le contour noyé d'une bouche. La belle et coulante fluidité de pinceau sur ces décolletages et ces morceaux de nu semant leur rose voluptueux dans l'ombre du bois! Les jolis entre-croisements de pinceau pour faire rondir une nuque! Les beaux plis ondulants aux cassures molles, pareils à ceux que l'ébauchoir fait dans la glaise ! Et l'es- prit et la galantise de touche que met aux fanfioles, aux chignons, aux bouts de doigts, à tout ce qu'attaque le pinceau de Watteau! Et l'harmonie de ces lointains enso- leillés, de ces montagnes à la neige rose, de ces eaux re- flétées de verdures; et encore ces rayons de soleil courant sur les robes roses, les robes jaunes, les jupes zinzolin, les camails bleus, les vestes gorge-de-pigeon, les petits chiens blancs aux taches de feu! Car nul peintre n'a rendu


WATT EAU. 79

comme Watteau la transfiguration des choses joliment colorées sous un rayon de soleil, leur doux pâlissement, l'espèce d'épanouissement diffus de leur éclat dans la pleine lumière. Arrêtez un moment vos regards sur cette bande de pèlerins et de pèlerines se pressant sous le so- leil couchant, près de la galère d'amour prête à appareil- ler ; c'est la gaieté des plus adorables couleurs de la terre surprises dans un rayon de soleil, et toute cette soie nuée et tendre dans le fluide rayonnant vous fait involontaire- ment vous ressouvenir de ces brillants insectes qu'on re- trouve morts, avec leurs couleurs encore vivantes, dans la lumière d'or d'un morceau d'ambre.

Ce tableau, I'EmbarquemExNT de Cythère, est la merveille des merveilles du Maître. Cependant tout Watteau n'est pas là. Il est un Watteau inconnu en France, avec lequel il est bon que les amis de Watteau fassent connaissance. Le peintre des fonds moirés d'une chaude écaille, des ciels embrasés par l'orage, des arbres frottés déterre de Sienne brûlée, des carnations semblables à cette main du Faux Pas, qui semble refléter du feu sur la jupe de femme qu'elle attouche, ce peintre bitumineux a exécuté les ta- bleaux les plus clairs, les plus délicieusement froids qu'il soit possible d'imaginer. Tout le monde connaît la pein- ture de Pater, son harmonie gris-perle et ses cantonnades aux petites taches bleu, cendre verte^ jaune soufre. Cela semble l'originalité du petit maître. Le musée de Dresde vous détrompe, vous apprend que toute cette gamme clairette, tout ce cliquetis de tons frigiclement papillotants, descendent de la palette qui a peint les deux tableaux figurant dans le musée allemand. Watteau n'a pas même laissé à son meilleur élève la propriété de deux ou trois taches en peinture.


Watteau est le Maître dominateur qui asservit à sa ma- nière, à son goût, à son optique, toute la peinture du


80 L'ART DU XVIII» SIECLE.

xviii*^ siècle. Je ne parle pas seulement ici <( de ses singes », de ses continuateurs serviles : Pater et Lancret. Je parle de tous les autres peintres, des grands et des petits. Je parle du peintre de Troy, qui dans ses planches fami- lières, les passe-temps et les bals de la Régence, se con- tente d'entier les grâces et les encapuchonnages de Wat- teau. Je parle de Charles Coypel qui lui dérobe, avec Vaigu spirituel de ses profils, la laque vénitienne de ses chairs. Je parle de Boucher... vraiment, il semble qu'en ses vingt- six ans de peinture Watteau ait tout épuisé! La chinoise- rie que Boucher exploite comme en vertu d'un brevet d'invention, n'est-ce pas Watteau qui Ta inaugurée sur les lambris de la Muette? Et plus tard encore l'espagnolerie de Vanloo, ne sera-ce pas le manteau de Mezzetin, repa- raissant au milieu des cours d'amour à collerettes des fêtes galantes?

Les tableaux de Chardin seuls exceptés, tous les tableaux du siècle qui ne sont pas consacrés aux Grecs et aux Ro- mains ressuscitent les attitudes, les airs de tête, le goût de coiffure, le coloris, le dessin, la touche du Maître mort. Watteau s'impose, Watteau règne partout. Cet Olivier, ce gentil peintre du prince de Conti, que fait-il autre chose que répéter dans sa peinture et ses eaux-fortes les Figures de Caractères de Watteau? Où prend ses premières leçons Fragonard ? dans les copies des Fatigues et des Délasse- ments DE la guerre, qui se vendent en vente comme une curiosité. Parlerai-je de Liotard?... Mais cette influence toute-puissante, elle s'exerce sur les plus rebelles aux tra- ditions, sur les plus jaloux de leur originalité, sur Gabriel de Saint-Aubin, qui expose au salon de la Blancherie des paysages avec figures dans le genre de Watteau. Enfin ne voilà-t-il pas qu'au bout, tout au bout du siècle, dans les années qui précèdent la Révolution, il se trouve un bon- homme Portail, un crayonneur à la Watteau, pour fixer et peindre les grâces mourantes du siècle, avec ces mêmes trois crayons de l'illustre artiste de la Régence? Que dire


WATTEAU. 81

encore! les artistes ont si avant dans les yeux la création de Watteau, que dans les petits voyages que le graveur W'ille fait faire à ses élèves pour étudier la nature, les élèves de Wille, en leurs croquis de la sauvage vallée de Chevreuse d'alors, — où ils couchaient sur des traversins faits de coquilles d'œufs, — les élèves de Wille peuplent le paysage de petits paysans et de petites paysannes qui sont des enfants de Watteau.


CEUVRE GRAVE

DE WATTEAUJ


Eaux-fortes de la main du maître.

Les Habits sont italiens (la Troupe italienne), rarissime planche dont je crois posséder la seule épreuve qui existe. — Recrue

ALLANT JOINDRE LE RÉGIMENT. — FiGURES DE MODES ; 1, L'homme

accoudé ; 2, Le promeneur vu de face ; 3, L'homme appuyé ; 4, Le promeneur vu de profil; 5, La femme marchant à gauche ; 6, La femme marchant au fond; 7, La femm'e assise.

Portraits.

A. Watteau, par Crépy. — Antoine Watteau, par Lépicié.

— Watteau pa?' la iinture orjié d heureux talents, par Boucher.

— Watteau (médaillon), par Boucher. — Watteau (la planche des Figures des Différents Caractères), par Benoît Audran. — Assis auprès de toy sous ces charmants ombrages^ par Tardieu.

— Mercier et sa famille, par Mercier. — Rebel, par Moyreau.

— Antoine de La Roque, par Lépicié. — Retour de chasse (Mlle de Vermanton), par Audran. — La plus belle des fleurs ne dure qu'un matin (la Rosalba), par Liotard. — Vleughels.


1. Je renvoie pour le détail des pièces à mon catalogue raisonné de \' Œuvre peint, dessiné et gravé d'Antoine Watteau, un vol. in-8» publié chez Rapilly, 1875. Les capitales indiquent les pièces gravées avec un titre, l'italique les pièces gravées dont le titre est fait d'un vers ou d'une ligne de prose, la romaine les pièces sans titre, sous l'appellation don- née par les catalogues.


84 L'ART DU XVIIP SIECLE.

On pourrait encore classer dans les portraits « le Concert italien » où Sirois se retrouve sous les traits de Mezetin; la planche des « Différents Caractères » qui passe pour représen- ter l'acteur La Thorillière; la composition du « Concert cham- pêtre )) où figure, jouant de la viole, M. Bougi auquel l'estampe est dédiée; enfin la « Conversation », curieuse par la représen- tation de Watteau et de M. de Julienne dans un parc.

Pièces satiriques ou allégoriques.

La Peinture, par Desplaces. — La Sculpture, par Des- places. — DÉPART POUR LES iSLES, par Dupiu. — Le Naufrage, par Caylus. — QiCay-je fait, assassins -maudits, par Caylus. — Prenez des pilules, prenez des pilules (le docteur Misabin), par Arthur Pound. — Ce manant de Dandin.

Sujets religieux.

David attentif aux inspirations divines, par Scotin. — Le PÉNITENT, par Fillœul, — Tobie faisant enterrer les morts, par Huquier. — La Sainte Famille, pnr Jeanne Renard du Bos.

Sujets mythologiques.

Agis et Galathée, par Caylus. — L'Amour désarmé, par Au- dran. — L'Amour mal accompagné, par Dupin. — Les Amuse- mens de Cythère, par Surugue. — Diane au bain, par Aveline.

— Les Enfants de Bacchus, par Fessard. — Les Enfants de Sylène, par Dupin, — L'Enlèvement d'Europe, par Aveline.

— Festes au dieu Pan, par Aubert. — Pomone, par Boucher.

— Le Sommeil dangereux, par Liotard. — Le Triomphe de Ckrès, par Crespy. — Le Triomphe de Vénus, par Mercier. — VÉNUS ET l'Amour, par Parizeau. — Le Printems, par Des- place. — L'Esté, }jar Renard du Bos. — L'Automne, par Fais- sar. — L'Hyver, par Audran.

Sujets historiques.

Louis XIV mettant le cordon bleu a Monsieur de Bour- gogne, père de Louis XV, par de Larmessin.


WATTEAU. 85

Scènes militaires.

Recrue allant ioindre le régiment , par Tiiomassin. — DÉTACHEMENT FAISANT ALTE, par Cochin. — Camp VOLANT, par Cochia. — Retour de campagne, par Cochin. — Les Fatigues

DE LA GUERRE, par Scotill. — LeS DÉLASSEMENS de LA GUERRE,

par Crépy fils. — Escorte d'équipage, par Cars. — Alte, par Moyreau. — Défilé, par Moj^reau, — Départ de garnison, par Ravenet. — Pillement d'un village par l'ennemy, par Baron.

— La Revanche des Faisans, par Baron. — La Vivandière, par Dupin.

Scènes de théâtre.

L'Alliance de la Musique et de la Comédie, par Moyreau.

— Comédiens François, par Liotard. — L'Amour au théâtre FRANÇOIS, par Cochin. — Spectacle François, par Dupin. — Adonis (sans nom de graveur). — Comédiens italiens,, par Ba- ron. — L'Amour au théâtre italien, par Cochin. — Le Dé- part des comédiens italiens, par Jacob. — Les habits sont ita- liens, par Simonneau. ~ La Troupe italienne, par Boucher. — La troupe italienne en vacances, par Mercier, — Le Docteur, par Audran. — Arlequin, Pierrot et Scapin, par Surugue. — Belle, n'écoutez rien. Arlequin est un traître, par Cochin.— Pour garder l'honneur cVune belle, par Cochin. — Coquette qui pour voir galans au rendez-vous, par Thomassin. — Comédiens comiques, Le Rendé-vous comique, deux planches gravées en couleur, par Janinet.

Figures de caractères.

L'Amante inquiète, par Aveline. — La Fileuse, par Audran. — La Finette, par Audran. — L'Indifférent, par Scotin. — La Marmotte, j)ar Audran. — Mezetin, par Audran. — La PoLONNoiSE, -par Aubert. — La Rêveuse, par Aveline. — La Sultane, par Audran. — La Villageoise, par Aveline. — Le petit sabotier Boudet.

Scènes de la vie familière.

L'Occupation selon l'âge, par Dupuis. — Le Chat malade, I. 8


86 UART DU XVIIP SIECLE.

par Liotard. — La Toilette du matia, par Mercier. — L'Ensei- gne, par Aveline. — Le Bain, par AUiamet.

Pastorales galantes.

L'Accord parfait, par Baron. — L'Accordée de village, par de Larmessin. — Les Agréments de l'esté, par de Fa- vannes. — Les Agrémexs de l'été, par Joulin. — L'Amant repoussé, par Mercier. — L'Amour paisible, par Baron. — L'Amour paisible, par de Favannes. — Amusemens cham- pêtres, par Audran. — Amusemens champêtres (deux compo- sitions différentes chez le sieur Godenesche). — Les Amuse- mens italiens , par Ransonnette. — L'Assemblée galante, par Le Bas. — L'Aventurière, par Audran. — Le Bain rus- tique, par Cardon, — Le Bal champestre, chez les sieurs Vanhek. — Le Bal champêtre, par Couché. — Le Bosquet de Bacchus, par Cochin. — La Boudeuse, par Mercier. — La Cascade, par Scotin. — Les Champs-Elysées, par Tardieu. — Les Charmes de la vie, par Aveline. — La Colation, par Moyreau. — Le Concer.t champêtre, par Audran. — Le Con- teur, par Cochin. — Le Conteur de fleurettes, chez Crespy fils. — La Contredanse, par Brion. — La Conversation, par Liotard. — Les Deux Cousines, par Baron. — Le Danseur aux castagnettes, sans nom de graveur. — La Diseuse d'aventure, par Cars. — L'Embarquement pouPv. Cythère, par Tardieu. — L'Emploi du bel âge, par Aveline. — L'Enchanteur, par Au- dran. — Entretiens amoureux, par Liotard. — Les Entretiens badins, par Audran. — LEscarpolette, chez Declaron. — La Famille, par Aveline. — La Femme à l'éventail, sans nom de graveur, à l'adresse de Gersaint. — Fêtes vénitiennes, par Cars. — La Game d'amour, par Le Bas. — Harlequin jaloux, par Chedel. — L'Hyver, par Fillœul. — L'Isle enchantés, par Le Bas. — L'Ile de Cythère, par Larmessin. — The Island OF Cythère A, par Picot. — Les Jaloux, par Scotin. — Le Ga- lant Japv.dinier, par de Favannes. — Leçon d'amour, par Du- puis. L'Heureux Loisir , par Audran. — Le Lorgneur, par Scotin. — La Lop>,gneuse, par Scotin. — La Mariée de village. par Cochin. — La Musette, par Moyreau. — La Partie quar- rée, par Moyreau. — Le Passe-Temps, par Audran. — La Perspective, par Crespy. — Pierrot content, par Jeaurat. —


AV AT TE AU. 87

Le plaisir pastoral, par Tardieu. — Les Plaisirs du bal, par Scotin. — La Promenade, par Mercier. — Promenade sur les REMPARTS, par Aubert. — La Proposition embarrassante, par Tardieu. — Qu'en dira-t-on, chez Basset. — Récréation ita- lienne, par Aveline. — Récréation musicale, par Pye. — Le Rendez-vous, par Audran. — Le Rendez-vous champêtre, par Liotard. — Le Rendez-vous de chasse, par Aubert. — Séré- nade italienne, par Scotin. — La Signature du contrat de la NOCE DE VILLAGE, par Cardou. — La Surprise, par Audran, — Le Teste a Teste, par Audran. — Bon Voyage, par Audran.

— Donnez-moi la main, par Liénard. — Dans ce beau jardin, chez Dupin. — En vaiii nous prêche-t-on de mépriser Si/lvie, chez Dupiiis. — Du bel âge où les Jeux remplissent vo-i désirs, par Moyreau. — Heureux âge! âge d'or où sans inquiétude, par Tardieu. — Iris, c'est de bonne Jieure avoir l'air à la danse, sans nom de graveur. — Par la te?idresse et par les soi7is, par Surugue. — Sous un habit de Mezetin. par Thomassin. — Vou- lez-vous triompher des belles, par Thomassin. — Le Printemps, par Brillon. — L'Été, par Moyreau. — L'Automne, par Au- dran. — L'Hyver, par de Larmessin.

Paysages et sujets rustiques.

La Vraie Gaieté, par de Jamars. — La Danse champestre, par Dupin. — Colation champestre, par Crépy fils. — Le Co- lin-Maillard, par Brion,— Le Repas de campagne, par Desplace.

— L'Indiscret, par Aubert. — L'Occupation champêtre, par de Rochefort, — La Chasse aux oiseaux, par Caylus. — La Chute d'eau, par Moyreau. — La Ruine, par Buquoy. — Le Marais, par Jacob. — L'Abreuvoir, par Jacob. — RetouPv de guinguette, par Chedel. — Veue de Vincennes, par Boucher.

— Le Moulin de Quinquengrogne, par Elis. Cousinet.

Arabesques.

PanJieaux de lambris, — Plafojids. — Dessus de portes. — Paravents. — Dessus de clavecins. — Éventails.

DE L'iN'VKNTION de WATTEAU.

Feste bachique, La Balanceuse, Partie de chasse, Le May,


88 LART DU XVIIP SIECLE.

par Moyreau, Le Bas, Scotin , Aveline. — Diverses figures CHINOISES peintes au château de la Muette; 1, Geng ; 2, Femme de Matsmey; 3, Kouane Tsaï; 4, Poï Nou; 5. Co?i Fovi; 6, Thav Kieîie; 1, Lao Gine; 8, Chao-Niène; 9, Koui Nou; 10, Xikou; \l, Tao Kou; 12, Femme du royaume de Nec pal, par Boucher. — — Diverses figures chinoises et tartares, peintes au châ- teau (Je la Muette. 1, Boiize des Tartares Mongous; 2, Femme du pays de Lassa; 3, Mandarin d'armes du Leatung; 4, Fille du royaume d'Âva; 5, Chef des Samar de Tlevang Raptan ; 6, Talegrapat ; 1, Officier tartare des Kuskas; 8, Femme du pais de Laos; 9, Talegrepo; 10, Huo-Nu; 11, Mov-Thon; 12. Hia-Theo ou Esclave chinoise, par Jeaurat. — Viosseu ou Musicien chi- nois. Femme chinoise de Kouei-Tchëou, Habillemens de Sout- chevene, Habillemens de Hou-Kouan, La déesse Thvo Chvu, Idole de la déesse Ki Mao Sao, par Aubert, d'après six autres peintures du château de la Muette. — Le Vendangeur, Bac- CHUS, Le Frileux, L"Enjoleur, par Moyreau et Aveline. — Le Faune, Le Buveur, Momus, La Folie, par Aveline et Moy- reau. — Le Bouffon, La Chasseuse, par Huquier. — Le Ber- ger, empressé, La Jardinière Fidèle, par Huquier. — La Grotte, Le Berceau, Le Théâtre, La Déesse, par Huquier. — L'Air, L'Eau, La Terre, Le Feu, par Huquier. — Le Prin- temps, L'Été, L'Automne, L'Hiver, par Boucher. — Les Oise- leurs, Le Repos des pellerins, LTnnocent Badinage, Les plaisirs de la jeunesse, par Huquier. — Apollon, Diane, par Huquier. — La Danse bachique, par Huquier. — La Volti- geuse, par Huquier. — Danse autour d'un mai, sans nom de graveur. — Le Dénicheur de moineaux, par Boucher. — Les Singes de Mars, par Moyreau. — La Déesse, par Huquier. — L'Escarpolete, par Crépy rils. — L'Empereur chinois, Divinité chinoise, par Huquier. — Le Galant, par Audran. — La Pè- lerine altérée, par Huquier. — Le Tbmple de Neptune, Le Temple de Diane, par Huquier. — Le Printemps, L'Eté, L'Au- tomne, L'Hiver, quatre compositions dans des ovales, par Hu- quier. — Le Printemps, L'Esté, L'Automne, L'Hiver (les quatre feuilles du paravent de Blondel de Gagny), par Huquier. U7i temps de pluye. Une Naissance de Vénus, par Huquier. — Les Enfants de Momus, La Cause badine, par Moyreau. — L'Hyver, L'Automne, par Huquier. — Le Rendez-vous, L'Amu- sement, par Huquier. — Le Chasseur content, Le Repos gra-


AVATTEAU. 89

ciEux, par Huquier. — Le Duo champêtre, Le Repos cham- pêtre, par Huquier. — Le Berger content, Le Marchand d'orviétan, par Crespy fils. — La Favorite de Flore, L'Heu- reux Moment, par Moyreau. — Les Jardins de Cythêre, Les Jardins de Bacchus, par Huquier, — Colombine et Arlequin, par Moyreau. — Vénus et l'Amour, par Caylus, — Vénus blessée par l'Amour, par Caylus et Aveline. — Paravent a six feuilles, 1. Berger jouant de la flûte près de sa bergère; 2, Berger dansant au son de la flûte; 3, Musicienne pinçant de la guitare; 4, Pierrot debout sur un tapis; 5, Arlequin debout sur un tapis ; 6, Deux amants causant, six pièces par Crépy. — Dessus de clavecin, d'après le dessin original inventé par Wat- feau, par Caylus. — L'Odorat, L'Ouïe, Le Gout, Le Toucher, La Veue, TAlliance, six écrans gravés par Huquier. — L'Hi- ver, Le Printemps, L'Esté, L'Automne, quatre écrans gravés par Huquier. — Le Printemps, L'Esté, deux écrans gravés par Huquier. — L'Ouïe, Le Gout, L'Odorat, La Vue, quatre ara- besques sans nom de graveur et publiées en Allemagne. — Un cartouche, par Moyreau. — Les Canards, par Jeaurat. — La Coquette (éventail), par Boucher.

A ces estampes, gravées pour la plupart d'après les tableaux de Watteau, il faut joindre les nombreuses planches gravées d'après ses dessins, parmi lesquelles sont les 350 eaux-fortes des Figures de différents caractèp«,es, sans compter les pièces inédites de l'exemplaire de l'Arsenal et du Cabinet des estampes. On a encore gravé d'après les dessins : Suite de figures inven- tées par Watteau, gravées par son ami C*** (Caylus), 70 plan- ches qui ne sont qu'un second tirage des Figures des différents caractères. — Figures de modes dessinées ou gravées par Wat- teau; Le porte-balle, par Jeaurat; La Pèlerine, par Jeaurat; Femme assise à gauche, par Thomassin fils ; Homme assis sur un banc de pierre, par Déplace. — Figures françoises et co- miques. Le promeneur tenant sa canne de la main droite, par Cochin; Poisson en habit de paysan, par Desplace ; Demoiselle de qualité coiffée en rheveux, par Thomassin fils; Dumirail en habit de paysan, par Desplace; Officier en surtout, par Des- place ; Afiie Besmar es jouant le rd/e de Pèlerine, par Desplace ; Pèlerine de risle de Cythère, par Desplace. — Livre de diffé- rents CARACTÈRES DE TÊTES INVENTÉES PAR "WaTTEAUX ET GRA- VÉS d'après ses DESSINS PAR FiLLCRUL, 30 estampes. — Livre

1. 8.


90 L'ART DU xV»P SIÈCLE.

NOUVEAU DE DIFFERENTS TROPHÉES, 12 estampes gravées par Huquier. — Sa'/is peine je quitte l'Asie, dessin d'éléphant gravé en tête d'im canard de 1770, par Duchesne.

Il y a encore des fac-similés de dessins de Watteau par De- marteau, par François, par Bonnet, par Gonord, par d'Argen- ville, etc.


CHARDIN


CHARDIN


Lorsqu'on entreprend de parler de l'art du xviii^ siè- cle, de toucher à la mémoire de ses artistes, il vous prend, au seuil de cette étude, un grand sentiment de tristesse, une sorte de mélancolique colère. De- vant ce prodigieux exemple d'oubli, devant l'excès d'ingratitude et l'insolence de mépris d'une première postérité pour le grand siècle d'art de Louis XV, on se prend à douter des justices de la France. On se demande si la mode est tout notre goût, et si notre orgueil national lui-même ne relève pas de la mode avec la conscience de nos jugements. Quoi! se dit-on, c'est la France, la France si jalouse de ses autres gloires, qui a négligé celles-là, sorties pourtant toutes vives de son tempérament, de son caractère, de ses entrailles, frappées à l'image de tous ses traits ! C'est la France qui, pendant tout un demi-siècle, a refusé de reconnaître les artistes vraiment nés d'elle, ses Maîtres français, les vrais fils de son esprit et de son génie!


94 L'ART DU XVIIP SIÈCLE.

Et cela, pendant qu'autour de nous, les nations voisines entouraient de leur admiration fervente, de leur culte pieux, leurs plus petites célébrités d'art; pendant qu'à l'étranger, la popularité, la publicité, l'éloge, la biographie, le bruit des ventes, l'argent du grand seigneur et du banquier descendaient aux moindres artistes, aux plus humbles décadents na- tionaux! Là, point de retour, point de changement, point de révolution de doctrine enterrant un genre ou un homme : nulle immortalité n'y vieillit; et le temps, en passant sur les œuvres et sur les noms, ne fait que leur apporter cette consécration du res- pect et de la tradition qui finit par repousser la cri- tique comme une insulte et l'examen comme un blasphème.

Reportons-nous au commencement de ce siècle : le goût français fait amende honorable, désaveu pu- blic de tous les Maîtres du wm" siècle, petits ou grands. Leurs œuvres sont jetées à l'étalage des quais, moisissent au plein vent des murs et des bornes, ou passent à l'étranger et quittent cette France trop pauvre aujourd'hui pour les racheter. Personne ne s'en inquiète, personne n'en veut, per- sonne ne les regarde. Les administrateurs du Musée laissent retirer à cinq cents livres le plus beau mor- ceau du maître de Boucher, (d'Hercule etOmphale» de le Moyne, cette éclatante page, le digne frontis- pice de la peinture du xvm° siècle. A peine s'il reste encore quelques amateurs assez osés pour se laisser tenter par le bon marché , pour acheter de l'art de


CHARDIN. 95

Louis XV; encore achètent-ils à la dérobée, presque avec honte, cachant leur achat comme une folie, un caprice, un libertinage de curiosité, une débauche de collectionneur. Et l'histoire de ces Maîtres dont les œuvres semblent quelque chose de compromet- tant pour une galerie et de déshonorant pour un mur, qui songe à la sauver? Elle s'éteint peu à peu chaque jour, et on la laisse s'éteindre avec les con- temporains qui s'en vont; les témoins meurent, les traditions s'effacent; point de papier qu'on veuille perdre à jeter des notes sur des artistes honnis et une école pourrie, dont nous enseignerons le mépris à l'étranger même.

Triste temps de goût correct! « L'Embarquement pour Cythère » , ce chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre de Watteau, cette toile enchantée où l'esprit court dans des personnages comme une flamme dans des fleurs, ce poème de lumière que l'on peut, dans n'importe quel musée, appprocher de n'importe quel tableau, l'Embarquement pour Cythère, savez-vous oii il est enfoui, caché, jeté? Dans une salle d'étude de l'Aca- démie, où il sert de point de mire aux risées et aux boulettes de mie de pain des rapins de David M

Nul n'échappe à l'abandon, aux dégoûts de l'épo- que, à ce parti pris d'injustice, à cette conspiration d'aveuglement. La Tour, ce grand peintre qui touche tous les yeux par la vie du dessin, ce peintre de la physionomie française, La Tour, que se vend-il? Les

1. Lettres d'un artiste sur l'état des arts en France, etc., par P.-N. Bero-eret. Paris, 184'^.


96 i;art du xviip siècle.

portraits de Grébillon et de M" de Mondonville ont bien de la peine à s'élever à îîO et à Tô livres ; le Rous- seau assis sur une chaise, répétition de celui que La Tour avait fait pour le duc de Luxembourg, est retiré à 3 francs, prix qu'il ne parvient pas à dépasser. Et pour Chardin c'est une dérision pareille. A la vente Lemoyne, son «Dessinateur » et son « Ouvrière en Dentelles » se donnent pour 40 francs ; à la vente Syl- vestre , les deux pastels du Louvre , son portrait et celui de sa femme, combien les paye-t-on? 24 livres, et pas un sol de plus!

Mais, après tout, qu'importent les prix? qu'importe la vogue? Avant cent ans, AVatteau sera universelle- ment reconnu comme un maître de premier ordre ; La Tour sera admiré comme un des plus savants des- sinateurs qui aient existé, et il n'y aura plus de cou- rage à dire ce que nous allons dire ici de Chardin, qu'il fut un grand peintre.


II


Les peintres de mœurs naissent volontiers et comme naturellement à Paris. Jean-Baptiste-Siméon Chardin y naquit le 2 novembre 1699 ^ Son père

1. L'obligeance de M. Désaugiers nous permet de donner ici, pour la première fois, d'après les Archives de l'état civil, tous les actes de la vie de Chardin. Voici son acte de naissance : « Paroisse de Saint Sul- pice, 1699. Ledit jour troisième novembre, a été baptisé Jean-Siméon, né le jour précédent, fils de Jean Chardin, maître-menuisier, et de Jeanne-Françoise David, sa femme, demeurant rue de Seine, maison du


CHARDIN. 97

était un menuisier habile et renommé dans son métier, qui avait la spécialité de fournir au Roi ces billards monumentaux, dont une planche de Bon- nart nous a gardé le dessin. Chargé de famille, il ne songeait qu'à mettre un gagne-pain aux mains de ses enfants. Il ne donna donc qu'une instruction tout ouvrière à Jean-Baptiste-Siméon, son aîné, qu'il destinait à sa profession, jusqu'au jour où la voca- tion de peinture du jeune homme commençant à éclater et à s'affirmer, il le laissait entrer, non sans résistance, à ce qu'on peut croire, dans l'atelier de Gazes, un peintre du Roi, alors fort en vogue.

Chez Cazes, rien n'apparaît du peintre que Chardin devait être. L'enseignement, du reste, était peu fait pour dégager son tempérament : on copiait des ta- bleaux du maître, on dessinait le soir à l'Académie, et c'était tout. Rien n'y était donné à l'étude de la nature : l'exemple même du maître en détournait. Cazes, trop pauvre pour prendre modèle, peignait tout de pratique en s'aidant de quelques croquis de jeunesse. Chardin sortit de là, à peu près comme il y était entré. Il était dans sa destinée de tout s'ap- prendre à lui-même, de se former seul, de ne rien devoir à l'éducation.

Un hasard décida son génie. Noël-Nicolas Coypel, l'ayant fait appeler comme aide, lui donna à peindre un fusil dans le portrait d'un chasseur, en lui re- sieur Jean Chardin ; le parrain, Siméon Simonet, aussi menuisier, la marraine, Anne Bourgine, femme de Jacques Le Riche, menuisier, la- quelle a déclaré ne sçavoir signer. »>


98 L'ART DU XVIIP SIECLE.

commandant de le représenter avec exactitude. L'élève de Gazes avait cru jusque-là qu'un peintre devait tout tirer de sa tête. Étonné du soin mis par Goypel à poser et à éclairer le fusil, il se mit à l'oeuvre : c'était la première fois qu'il peignait d'après nature. La vérité, la lumière, la peinture, son art, le secret de voir et de peindre, tout cela lui apparut d'un coup, dans le rayon du jour, sur l'accessoire d'un tableau.

Espèce de manœuvre travaillant aux gages d'un peintre connu, un jour peignant un accessoire dans un portrait, un autre jour employé à cent sols par jour à la restauration d'une galerie de Fontainebleau entreprise par Vanloo , voilà tout ce qu'est Chardin jusqu'ici.

Une chance , une bonne fortune le faisait bientôt connaître et commençait sa popularité dans la rue. Un chirurgien, ami de son père, Tayant prié de lui faire une enseigne, un plafond, selon le terme du temps, pour sa boutique, Chardin, qui avait pu voir le tableau peint par Watteau pour l'enseigne de Ger- saint, tentait une machine pareille, une scène animée et vivante du Paris de son temps, sur un panneau de quatorze pieds de largeur sur deux pieds trois pouces de hauteur. Il peignait un chirurgien-barbier, por- tant secours à un homme blessé en duel , et déposé à la porte de la boutique ^ C'est une foule, un bruit,

1. Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de VAcadé- w.ie royale de peinture et de sculpture, par MM. Dussieux, Soulié, Mantz, etc. Paris, Dumoulin, 1854, vol. U. « Éloge de Chardin », par Maillet de Couronne.


CHARDIN. 99

un émoi! Le porteur d'eau est là, ses seaux à terre. Des chiens aboient. Un traîneur de vinaigrette ac- court ; par la portière , une femme , celle peut-être pour laquelle on a dégainé, se penche effarée. Les fonds sont pleins d'un bourdonnement de badauds, d'une presse de curieux qui se poussent, cherchent à voir, à se dépasser de la tête. La garde croise pater- nellement le fusil contre l'indiscrétion de la curio- sité. Le blessé, nu jusqu'à la ceinture, avec son coup d'épée dans le flanc, soutenu par une sœur de cha- rité, est saigné par le chirurgien et son aide. Le commissaire, en grande perruque, marche avec la lenteur grave de la justice, suivi d'un clerc tout noir et tout maigre. Tout cela va, vient, remue dans une peinture de verve, heurtée et de premier coup, dans un tapage de gestes et de tons, dans le tumulte même et le hourvari de la scène réelle. Aussi quelle foule, quel attroupement et quel bel enthousiasme de peuple, lorsqu'un matin l'enseigne apparaît, hissée au fronton de la boutique, avant que personne ne soit levé dans la maison! Le chirurgien, que Chardin n'a pas prévenu , demande ce qu'il y a, et pourquoi tout ce monde : on l'amène devant l'enseigne. Il cherche ce qu'il avait commandé : des trépans , des bistouris , l'étalage de tous les outils de sa profes- sion ; il va se fâcher : l'admiration du public le dé- sarme. De proche en proche, le succès du tableau gagna, et ce fut par cette enseigne que les académi- ciens firent connaissance avec le nom et le faire de ChaFdin. Combien d'années la laissa-t-on accrochée


100 L'ART DU XVIIP SIÈCLE.

au-dessus de la boutique? Combien de temps de- meura-t-elle là où la place le « Journal des Arts^ », au bas du pont Saint-Michel? La petite chronique des enseignes de Paris n'en dit rien. Mais on la re- trouve passant aux enchères à la vente de Le Bas, en 1783, où elle est acquise pour 100 livres par Char- din , le sculpteur et le neveu du peintre, qui;, selon une note manuscrite de notre catalogue, a^ut ret?'ou- ve?' dans ce tableau tous les portraits des principaux merahres de sa famille que son oncle avait p?'is pour mo- dèles. Et ce serait la dernière trace de l'enseigne du Maître, si un fin et délicat connaisseur, un chercheur, M. Laperlier, n'avait eu le bonheur de mettre la main, non sur l'enseigne elle-même, mais sur une esquisse, une maquette du grand tableau, pochade franche, à toute volée : c'est l'esprit et le feu des derniers maîtres de Venise; les personnages n'y sont que des taches, mais les taches y font penser à Guardi^

La rue devait porter bonheur à Chardin. A une autre exposition en plein vent, l'exposition de la place Dauphine, le jour de la Fête-Dieu, il se faisait remarquer par un tableau représentant un bas-relief


1. N" ÏV, 25 pluviôse an VIIL — On pourrait se demander si elle n'était pas déjà décrochée et en possession de Le Bas, lorsque celui-ci? en 1746, dans une lettre publiée par M. de Chennevières {Archives de l'Art français, vol. III), charge son ami Rehn de prier M. le comte de Tessin « de parler de ce plafond de Chardin n ,

2. De cette esquisse, achetée 400 francs, en 1867, à la vente Laper- lier par le Musée de l'hôtel Carnavalet, et qui a été détruite dans les incendies de la Commune, il ne reste que la petite eau-forte de mon frère.


CHARDIN. 101

en bronze où ses qualités apparaissaient déjà et se jouaient dans le trompe-l'œil. Jean-Baptiste Vanloo lui achetait ce tableau et le lui payait plus cher que Chardin n'osait l'estimer. Au milieu de cela, il res- tait modeste, et ne songeait guère à l'Académie. Plié aux idées de son père, bon bourgeois qui s'ho- norait fort d'être membre et syndic de sa commu- nauté et qui ne désirait à son fils d'autre avenir que la maîtrise dans son état de peintre , il se laissait faire, avec l'argent du menuisier, maître de l'Acadé- mie de Saint-Luc. Ce fut la dernière réception dont la petite iVcadémie put s'enorgueillir.

En 17!2S, à une autre exposition de la place Dau- phine, il exposait, avec quelques autres toiles, ce beau tableau de « la Raie» qu'on voit aujourd'hui au Louvre. Devant ce chef-d'œuvre et le peintre qu'il annonçait, les académiciens, amenés là par la curio- sité, cédaient au premier mouvement d'admiration : ils allaient trouver Chardin et l'engageaient à se pré- senter à l'Académie ^ Laissons ici la parole aux (( Mémoires inédits sur la vie des membres de l'Aca- démie royale » :

« Désirant pressentir les opinions des principaux officiers de ce corps, Chardin se permit un innocent artifice : il plaça dans une petite salle, comme au hasard, ses tableaux, et se tint dans la seconde. M. de Largillière, excellent peintre, l'un des meil- leurs coloristes et des plus savants théoriciens sur

1. Le Nccrologe de 1780. Éloge de Chardin.

I. 9.


102 L'ART DU XVI 11-= SIÈCLE.

les effets de la lumière, arrive; frappé de ces ta- bleaux, il s'arrête à les considérer avant d'entrer dans la seconde salle de l'Académie, où était le can- didat; en y entrant : « Vous avez là, dit-il, de très <( beaux tableaux; ils sont assurément de quelque « bon peintre flamand, et c'est une excellente école « pour la couleur que celle de la Flandre ; à présent, (( voyons vos ouvrages. — Monsieur, vous venez de « les voir. — Quoi! ce sont ces tableaux que...? — (( Oui, monsieur. — Oh! dit M. Largillière, présen- ce tez-vous, mon ami, présentez-vous. » M. Gazes, son ancien maître, trompé par cette même petite su- percherie, accorda également un éloge des plus marqués , ne se doutant pas qu'ils fussent de son élève. On dit qu'il fut un peu blessé de ce tour, mais il lui pardonna aussitôt, l'encouragea et se chargea de sa présentation. Ainsi M. Chardin fut agréé avec un applaudissement général. Ce ne fut pas tout; comme M. Louis de Boullongne, directeur et peintre du Roi. entrait à l'assemblée, M. Chardin lui observa que les dix ou douze tableaux qu'il exposait étaient à lui, et qu'ainsi l'Académie pouvait disposer de ceux dont elle serait contente. « Il n'est pas encore « agréé, dit M. de Boullongne, et déjà il parle d'être (( reçu. )) Au reste, ajouta-t-il, tu as bien fait de « m'en parler. » (C'était une habitude qu'il avait de s'exprimer ainsi.) Il rapporta, en effet, la proposi- tion, elle fut saisie avec plaisir; l'Académie prit deux de ces tableaux : l'un, un buffet chargé de fruits et d'argenterie ; l'autre , le beau tableau i-eprésentant


CHARDIN. 103

une raie et quelques ustensiles de ménage , qui fait encore l'admiration de tous les artistes, tant la cou- leur en est fière , tant Teffet et le faire sont admi- rables K »

La réception de Chardin, reçu et agréé comme peintre de fleurs, fruits et sujets à caractères, eut lieu le 25 septembre 1728-.


III


L'Académie ne s'était point trompée : c'était un maître que le peintre de « la Raie, » un maître qui allait être le grand peintre de la nature morte.

La nature morte, là en effet est pour ainsi dire la spécialité du génie de Chardin. Il a élevé ce genre secondaire aux plushautes comme aux plus merveil- leuses conditions de l'art. Et jamais peut-être l'en-


1. Ce sont les numéros 96 et 97 du Musée du Louvre.

2. Chardin était fait conseiller le 28 septembre 1743 ; trésorier le 22 mars 1752, pensionnaire du Roi la même année. La grâce qu'il en- viait le plus, un logement aux galeries du Louvre, lui était accordée en 1757. Le 30 janvier 1765, il était nommé officier de TAcadémie de Rouen, en remplacement de Slodtz. — De 1752 à 1774, il exerçait la charge difficile de trésorier, qu'il acceptait au moment où son prédécesseur, le concierge de l'Académie, mourait en emportant une année de revenu delà pension accordée par le Roi. Chardin remettait l'ordre dans cette comptabilité dérangée, et remplissait consciencieusement sa charge jusqu'en 1774, où, fatigué du travail qu'elle lui donnait à lui et à sa femme, il donnait sa démission. Vingt ans aussi Chardin exerça une charge non moins difficile et bien plus délicate, la charge de tapissier du Louvre, d'arrangeur et d'ordonnateur du Salon. Il eut là affaire k bien des vanités, ne mécontenta personne et s'attira l'éloge universel par la place modeste qu'il donnait à ses propres tableaux.


104 L'ART DU XVIII<= SIECLE.

chantement de la peinture matérielle, touchant aux choses sans intérêt, les transfigurant par la magie du rendu, ne fut poussé plus loin que chez lui. Dans ses tableaux d'animaux, ses lièvres, ses lapins, ses perdrix, dans ce qu'on appelait au xvni^ siècle, des retours de chasse, quel maître n'égale-t-il pas? Fyt lui-même, plus spirituel, plus piquant, plus amu- sant à Fœil, plus détaillé de plume et de poil, lui cède en force, en solidité, en largeur de travail, en vérité d'effet. Les fruits, les fleurs, les accessoires, les ustensiles, qui les a peints comme lui? Qui a rendu, comme il la rend, la vie inanimée des choses? Qui a donné aux yeux une pareille sensation de pré- sence réelle des objets? Chardin semble entrer, comme le soleil, dans la belle et sombre petite cui- sine de AYilhem Kalf. C'est une magie à côté de la- quelle tout pâlit et tous faiblissent. Van Huysum et ses herbiers de fleurs sèches, de Heem et ses fruits sans air, Abraham Mignon et ses pauvres bouquets, minces, découpés, métalliques.

Sur un de ces fonds sourds et brouillés qu'il sait si bien frotter, et où se mêlent vaguement des fraî- cheurs de grotte à des ombres de buffet, sur une de ces tables à tons de mousse, au marbre terreux, habituées à porter sa signature, Chardin verse les assiettes d'un dessert, — voici le velours pelucheux de la pêche, la transparence d'ambre du raisin blanc, le givre de sucre de la prune, la pourpre hu- mide des fraises, le grain dru du muscat et sa buée bleuâtre, les rides et le verruaueux de la peau d'o-


CHARDIN. 103

range, la guipure des melons brodés, la couperose des vieilles pommes, les nœuds de la croûte du pain, l'écorce lisse du marron, et jusqu'au bois de la noi- sette. Tout cela est là devant vous, dans le jour, dans l'air, comme à portée de la main. Chaque fruit a la saveur de ses couleurs, le duvet de sa peau, la pulpe de sa chair : il semble tombé de Tarbre dans la toile de Chardin. Puis, au travers de ce bouquet d'été et d'automne, ce seront des soupières de Saxe à fleurettes ^ de massives argenteries, des bocaux d'olives, des bouteilles trapues, remuant dans leurs flancs de verre l'or des liqueurs ou les lueurs de sang du vin, mille objets de table sur lesquels le peintre fera jouer, en un petit carré lumineux barré d'ombre, le jour et la croix de la croisée -

Chardin fait tout ce qu'il voit.

Rien n'humilie ses pinceaux. Il touche au garde- manger du peuple. Il peint le vieux chaudron, la

1. Voir dans la galerie La Caze, au Louvre, le beau tableau intitulé >. l'Office n.

2. Sur ces tableaux de nature morte dont M. Marcille père avait ra- massé sur les quais un nombre considérable, tableaux partagés entre ses deux fils, M. Camille Marcille me donnait un jour un détail curieux • son père avait acheté la plupart de ces natures mortes de 12 à 20 francs et jamais il n'avait dépassé le louis. A la vente de M. Camille Marcille, il y avait de cesnatures mortes qui se vendirent 12,000 francs, 7,000 francs, etc.. Le fils d'un amateur me racontait cette anecdoto. Aubourg, brocanteur de tableaux, place Pigalle, avait acheté une na- ture morte de Chardin dans ces conditions. Il avisa, chez un savetier en échope, un châssis crevé qui lui servait à se défendre les pieds du froid. — Une planche ferait mieux votre affaire, lui dit Aubourg. — Mais il faudrait avoir une planche, repartit le savetier. Et le marché fut conclu pour une planche et un litre. Le tableau représentait une mappemonde et divers instruments d'art et de mathématiques groupés autour d'un Mercure de Pigalle.


106 L'ART DU XVIIP SIÈCLE.

poivrière, l'égrugeoir en bois avec son pilon, les meubles les plus humbles. Nul morceau de nature qu'il méprise. Il attaquera dans une heure d'étude un carré de côtelettes de mouton ; et le sang, la graisse, les os, le nacré des nerfs, la viande, sa brosse exprimera tout, et de ses empâtements suintera comme le suc des chairs. C'est à peine s'il se don- nera le travail de composer son tableau : il y jettera la vérité toute simple, ce qu'il aura sous les yeux, sous la main. Un gobelet d'argent et quelques fruits autour, rien que cela, c'est un admirable tableau de lui. Le brillant, Téclair du gobelet n'est fait que par quelques touches de blanc égratignées de pâte sèche; dans les ombres, il y a de tous les tons, de toutes les colorations, des filées d'un bleu presque violet, des coulées de rouge qui sont le reflet des cerises contre le gobelet, du brun rouge efi'acé et comme es- tompé dans des ombres d'étain, des piqûres de jaune rouge, jouant dans des touches de bleu de Prusse, un rappel continu de toutes les couleurs ambiantes glissant sur le métal poli du gobelet. Étudiez un autre tableau de lui, aussi simple, aussi plein de lumière et d'harmonie : c'est un verre d'eau entre deux marrons et trois noix; regardez un peu longtemps, puis reculez-vous de quelques pas, le verre tourne, c'est du verre, c'est de l'eau, c'est la couleur sans nom faite de la double transparence du contenu et du contenant. A la surface de l'eau, au fond du verre, c'est le jour même qui joue, tremble et se noie. Les gammes les plus tendres, les varia-


CHARDIN. lo-

tions les plus fines du bleu tournant au verl, une infinie modulation d'un certain gris glauque, cris- tallin et vitreux, une touche partout rompue, des lueurs s'éveillant dans des ombres, de pleines lu- mières posées comme au doigt sur le bord du verre. c'est tout ce qu'on voit en s'approchant de la toile. Ici, dans ce coin, ce n'est qu'un torchis de pinceau, le coup d'une brosse qu'on essuie, et voilà que dans ce torchis une noix s'ouvre, se recroqueville dans sa coque, montre tous ses cartilages, apparaît dans tous les détails de sa forme et de sa couleur.

Mais encore, voyez ces rares bouquets qui sont comme les fleurs de sa palette, et oii le peintre éclate de façon à effacer et à éteindre tous les autres copieurs de la Flore ; voyez ces deux œillets : ce n'est qu'une égrenure de blanc et de bleu, une es- pèce de semis d'émaillures argentées en relief; re- gardez-les attentivement, d'un peu loin, et bientôt les fleurs se lèvent de la toile ; le dessin feuillu de l'œillet, le cœur de la fleur, son ombre tendre, son chiffonnage, son déchiquetage, tout s'assemble et s'épanouit*. C'est là le miracle des choses que peint Chardin : modelées dans la masse et l'entour de leurs contours, dessinées avec leur lumière, faites pour ainsi dire de l'âme de leur couleur, elles sem- blent se détacher de la toile et s'animer, par je ne

1. Ces œillets, possédés par M. Eudoxe Marcille,ne sont comparables qu'au merveilleux bouquet de tubéreuses et de poids de senteur dans un vase du Japon, qui faisaient partie de la collection de M. Camille Marcille. Ce bouquet de M. Camille Marcille était sans doute le bouquet appartenant au comte de Saint-Florentin, exposé au Salon de 1763.


108 L'ART DU XVIIP SIECLE.

sais quelle merveilleuse opération d'optique entre la toile et le spectateur, dans l'espace.


IV


Chardin peignit longtemps des natures mortes, sans oser s'élever plus haut, s'attaquer à la peinture des jDersonnages et des sujets vivants. Il vivait alors en grand compagnonnage avec le portraitiste Aved, le camarade, l'ami de toute sa vie, dont il a laissé le portrait, — c'est un détail fort ignoré, — dans ce ta- bleau du philosophe en habit et en bonnet fourré, lisant un gros livre relié en parchemin, exposé au Salon de 1753 ^ Chardin se trouvait avec lui; une dame vint demander à Aved son portrait jusqu'aux genoux : elle lui offrait quatre cents livres. Aved trouve la somme trop modique et refuse. Chardin, habitué à des prix plus modestes, insiste auprès de lui pour qu'il ne laisse pas échapper cette occasion, disant que quatre cents livres sont toujours bonnes à gagner. « Oui, lui dit Aved, si un portrait était aussi facile à faire qu'un saucisson. » Chardin, à ce moment, était occupé à couvrir un devant de che- minée. Il n'avait rien trouvé de mieux que d'y pein- dre franchement, bellement, et de sa large touche, une table avec sa nappe blanche; au bas, un broc et une bouteille dans un seau à rafraîchir; sur la table,

1. La Bif/orrure, vol. IX.


CHARDIN. 109

deux verres, dont l'un est renversé, un couteau et un saucisson dans un plat d'argenté Piqué du mot d'Aved, peut-être aussi craignant de fatiguer le pu- blic avec un genre froid et de voir passer la mode s'il ne se renouvelait, Chardin se promettait d'abor- der la figure, et bientôt il se découvrait une nouvelle vocation -.

Pourtant, ne nous fions point trop à cette anec- dote. Qu'on feuillette attentivement l'œuvre de Chardin; le passage du peintre, de la nature morte à la nature vivante, ne semble point avoir eu cette soudaineté. Deux grands singes, au museau taché de noir : un macaque antiquaire plongé dans la con- templation d'une médaille avec le recueillement méditatif du collectionneur et du savant; un autre, travesti en peintre, armé de l'appui-main et pei- gnant académiquement d'après la bosse, nous mon- trent dès 1726, — c'est la date qu'on lit sur un car- ton, — comme l'essai du genre animé chez le tout jeune peintre. Le singe paraît lui servir de transi- tion et de premier modèle. Chardin touche à la bête humaine comme à un commencement de person- nage et à une ébauche de figure. Mais il y a, contre l'assertion de HailletdeCouronnC; plus que ces deux singes. Avant tous ses tableaux exposés, avant sa veine bourgeoise, et pour ainsi dire précédemment à son genre, Chardin avait peint, en 1732, selon l'in- dication de la gravure, une petite toile de figure qui

1. Ce devant de cheminée était dans le cabinet de M. Laperlier.

2. Abecedario, de Mariette. — Mémoires delà vie des Académiciens.

I. 10


110 LART DU XVIIIe SIÈCLE.

promet, chose siDgulièrc, un tout autre peintre que celui qu'il devait être^ Et comment, sans le nom inscrit au bas de la planche, nommer Chardin de- vant ce tableau de grâce et de coquetterie, ces étoffes d'où s'exhale comme une odeur d'ambre, cette jolie figure aux cheveux courts et tignonnés, d'où s'envole un rien de dentelle, ce profil fuyant et perdu dans une douceur d'ombre, ce col chatouillé d'un fil de perles, l'avance provocante de cette jolie femme, tendant, dans une fièvre d'amour, la cire à la flamme trop lente de la bougie, qu'allume un laquais auquel la gravure dit :

Hàte-toi donc, Frontain, vois ta jeune maîtresse, Sa tendre impatience éclate dans ses yeux; Il lui tarde déjà que Tobjet de ses vœux Ait reçu ce billet, gage de sa tendresse. Ah ! Frontain, pour agir avec cette lenteur, Jamais le dieu d'amour n'a donc touché ton cœur?

Et autour de cette femme, qui n'est que volupté^ tout flotte, joue, se chantourne dans la richesse et l'élégance. Les ors soutachent le tapis; les orne- ments s'enroulent au montant du fauteuil doré à fond canné; des glands qui retombent, retroussent au plafond un dais de brocart. Il y a de l'opulence dans le laquais à grande houppelande, une sveltesse de race dans la levrette qui gratte avec l'ongle la soie de la grande robe rayée où se dénoue la taille de sa maîtresse -.

1. Ce tableau de figure parait à Texposition que fait Chardin, en 1734, à la place Dauphine.

2. Une esquisse existait à Paris dans le cabinet de M. Peltier. Le


CHARDIN. 111

Dans le même temps, dès 17:2o, un peintre d'his- toire s'était tourné vers cette représentation des élégances et des coquetteries du temps. Il avait peint la beauté, le plaisir, l'amour du plus haut monde de la Régence, avec une sorte de richesse magistrale. Son pinceau avait rendu la grandeur de goût des plis, des étoffes, des ajustements, des inté- rieurs. Il avait su chiffonner la dentelle des enga- geantes^ étaler superbement les jupes, faire bouil- lonner les négligés derrière le dos des Philis, les évaser sur leurs jambes en large éventail. Dans le <( Pied de bœuf», « la Lecture sous bois », « la Dé- claration à la Fontaine », dans « la Toilette pour le bal » et « le Retour du bal », le peintre de Troy avait déjà supérieurement exprimé la volupté lâche, molle, abandonnée de ce moment de l'histoire qui, au phy- sique et au moral, semble le déshabillé du règne de Louis XIV. Rien d'aisé, d'exquis, de magnifique comme la façon dont il retrousse une mule, charge un gilet de ramageures d'or, sème les boutons de diamants sur un peignoir, drape un ample domino, dessine ce Décaméron d'un Palais-Royal, enveloppe

manteau de lit de la femme est d'une étotïe à bande verte et blanche, la bande verte accompagnée dune raie rouge. La jupe est bleue. Des tons rompus, d"un violet tendre, jouent dans la houppelande du domes- tique. Le profil delà femme, cerclé de noir, est d'une brutale indication ; mais sa joue et son cou ont la coloration sanguine et dorée des chairs du maître. Ce petit tableau a été acheté à la vente d'IIoudetot. Il provient de la vente Hubert-Robert (5 avril 1809), où il était catalogué avec cette note de Texpert Paillet : « Dans un appartement, deux figures, dont une dame se disposant à cacheter une lettre, tandis que son valet lui allume une bougie. Le costume, qui tient à celui de feu madame Geolîrin, rend ce morceau curieux et original. »


112 i;art du xviip siècle.

ces figures, de ce nuage de linge dans lequel elles rient avec un air de nonnes galantes et d'abbesses de Ghelles. Évidemment il y a là dans ce tableau de la dame qui cacheté une lettre, peut-être moins unique qu'on ne le croit dans la carrière de Chardin, une hésitation, un tâtonnement de sa vocation et une séduction de de Troy.

Quoi qu'il en soit, la première tentative de Char- din, dans son vrai genre, fut un jeune homme, une sorte de grand dadais adolescent qui fait des bou- teilles de savon \ sincère et naïve étude d'après na- ture, un peu plate, sans accent dans les chairs, et dans laquelle Chardin s'était donné les difficultés d'une grande figure, difficultés qui demeurèrent presque toujours pour le peintre un écueil. Je pla- cerais volontiers, dans ces commencements et ces essais du peintre de figures, un autre assez grand sujet- tout à fait inconau, qui a comme un avant- goût de Fragonard. C'est une petite fille en fanchon blanche, en casaquin vert, les manches retroussées aux coudes, le tablier blanc, la jupe rose, assise dans un coin de chambre et tendant une gimblette à un petit épagneul faisant le beau. C'est du Chardin, mais du Chardin délayé. Sa couleur grasse bave dans les chairs. On ne le retrouve franc, fin et fort, sûr de sa touche, que dans la toilette faisant presque tout le fond de la scène, la serviette, la brochure, le flacon de verre posés dessus et perdus dans les har-

1. Ce tableau appartenait à M. Laperlier.

2. Possédé par M. Guilmard.


CHARDIN. 113

monies de sa palette. Mais tout son talent, un talent ferme et dégagé, à Taise dans de plus petites dimen- sions, en pleine possession de son cadre, de ses per- sonnages, de son faire, nous le trouvons dans la Fontaine que lui commandait le chevalier de la Roque, et que gravait Cochin; nous le trouvons à tous les coins de l'éclatante petite toile, dans ces blancs si rompus et si clairs du bonnet et du casaquin de la femme penchée et tournant le robinet, dans la chaleur de ce bout de profil plein de sang et de santé, où commence la ruisselante coloration de ses chairs en plein soleil, dans la bigarrure du cotillon, dans ce travail de brosse qui rend le treillis de la grosse toile et le duveteux de la laine. Prenons garde d'oublier ce remarquable caractère que Char- din va désormais donner à toutes ces scènes par le rendu de l'accessoire et du meuble. Fontaines, four- neaux, poêlons, réchauds, brocs, dévidoirs, pelotes à épingles, écrans, paravents, encoignures, jus- qu'aux raquettes et aux quilles des enfants, tout a dans ses tableaux une consistance et comme une in- tensité de réalité. Tout prend sous sa main, sous son dessin noueux et ressenti, je ne sais quelle soli- dité, quelle ampleur turgescente. 11 étoffe le sac à ouvrage, il fait saillir les côtes de la cruche pansue, il assied l'armoire dans sa massiveté, il peint le chau- dron dans son puissant bosselage; et par le gras du contour, par la carrure des lignes, par une sorte d'é paisseur robuste et de grandeur naturelle, les choses dans ses tableaux à personnages arrivent à un style.

I. 10.


114 L'ART DU XVII^ SIECLE.

Chardin envoyait ce tableau de la Fontaine à l'Ex- position de 1737, qui rouvrait la série des exposi- tions suspendues depuis 1704, et qui semblaient venir à point pour donner aux figures du peintre la consécration du succès. A côté de la Fontaine, il avait sa Blancuisseuse commandée, ainsi que « la Fontaine » par le chevalier de la Roque, l'amateur à la jambe de bois, immortalisé par une toile de Wat- teau. Outre ses Deux Cidshies, — c'est le nom que le public donnait aux deux pendants, — Chardin mon- trait encore à cette exposition six autres tableaux, qui attiraient Je public, enchantaient les artistes, et ravissaient le goût français si longtemps privé de sujets naïfs, familiers, saisis dans la simplicité du vrai, dans le négligé des habitudes du temps et l'in- timité de ses mœurs. Trois de ces tableaux ne re- présentaient que des enfants surpris par le peintre, dans le sans-façon de leur pose, dans leur grâce na- turelle, animés, et pour ainsi dire, encore essoufflés par leurs jeux. Mais quelle réjouissance, pour les visiteurs de Salon, que ces aimables petites joufflues, bien portantes, riantes de santé et delà joie de leur âge! Chardin les avait peintes, sans fard aux joues, sans poudre aux cheveux, le petit bonnet de linge mutinement posé sur la tête, le corsage garanti par la bavette du tablier, mignonnes dans leur grosse jupe de laine : l'une laisse retomber la lourde ra- quette du temps ; l'autre passe toute fière, son tam- bour pendu en bandoulière, et traîne un petit moulin à vent, découpé dans un jeu de cartes: celle-ci.


CHARDIN. lir>

grave sur sa chaise de bois, un panier et une grosse tartine devant elle, fait un jeu de passe-passe avec les cerises de son déjeuner. C'est ainsi que Chardin reproduit les enfants, naïvement, au naturel, en les observant dans leur physionomie, dans leur air, dans leurs poses d'instinct. Et comme il rend leur joli sérieux, leur plaisir tranquille, sans bruit, ap- pliqué, presque recueilli dans un coin d'apparte- mentl Comme il les fait attentifs, se haussant sur la pointe du pied, retenant leur souffle devant Técha- faudage d'un château de cartes! Comme il s'entend à traduire l'étonnement, l'émerveillement de ces jeunes regards trompés avec des tours d'adresse! De quelle émotion il emplit ce petit monde penché sur un jeu d'oie, l'oreille etl'àme au bruit du cornet d'où vont tomber les dés! Et quelle finesse et que de nuances il sait mettre dans toutes ces petites expressions qui commencent un visage de femme : la moue de la petite fille devant les gronderies; son air important de maternité, lorsqu'elle berce dans ses bras sa poupée costumée en religieuse; sa jolie petite mine doctorale, lorsqu'elle montre, avec son aiguille, l'A B C à un petit frère, coiffé du lourd bourrelet du temps I

Le succès de cette peinture familière et domesti- que, abandonnée en France depuis Abraham Bosse et les Le Nain, décidait la fortune du nom de Char- din. La gravure lui donnait la popularité; elle ré- pandait l'image et le bruit de son talent, au-delà du public des expositions, dans toute l'immense clien-


116 UART DU XV IIP SIECLE.

tcle du goût de Paris, par toute cette Europe du XVIII siècle remplie de notre art, amoureuse de no- tre génie, l'Europe française, ainsi que la nommait Caraccioli. La vulgarisation de la gravure, nulle de ses natures mortes ne l'avait eue, pas même cette raie superbe et d'un si puissant effet, qui avait valu au peintre, parmi les amateurs, le surnom de Rem- brandt français. Encore aujourd'hui elles sont vier- ges de reproduction gravée, et c'est à peine si la li- thographie y a touché. Mais, aussitôt que paraissent ces petites scènes, les graveurs se les disputent, le> meilleurs ouvriers du burin se les arrachent. On les grave à leur apparition; on les grave une fois, deux fois, quelquefois trois; pour chaque changement, c'est une planche nouvelle. On a beau chercher dans la suite des tableaux mentionnés de Chardin, on n'en trouve guère qu'un seul ayant échappé au burin : c'est celui qui a pour titre : « les Aliments de la convalescence», et qui fut comme enlevé de l'Expo- sition parle prince de Lichtenstein ^ Et voyez l'em- pressement de la publication; dès le mois de mai 1738, Fessard mettait en vente, rue Saint-Denis, an G?'and Saint-Louis, « la Dame cachetant une lettre», dont le tableau ne devait être exposé qu'au Salon de l'année. Le mois suivant, rue Saint-Jacques, à Saiul- T/iomas, chez Cochin, sont mises en vente « la Petite


1. .«La Garde attentive, ou les Aliments de la Convalescence », la seule grande composition de Chardin, qui n'ait point été reproduite par les graveurs de son temps, a été gravée à l'eau-forte par mon frère, d'après l'esquisse qu'en possédait M. Laperlier.


CHARDIN. il7

Fille aux cerises » et « la Petite Fille au moulin à vent », exposées au Salon de 1737 '. Devant ses ta- bleaux à peine secs, les plus renommés, les maîtres de l'outil se mettent à l'œuvre et entament le cuivre. A la suite de Fessard, de Gochin père, de Gochin fils, c'est Le Bas, c'est Lépicié, c'est Fillœul, c'est Suru- gue père, c'est Surugue fils, l'auteur de ce chef- d'œuvre LES Tours de cartes; ce sont tous ces grands artistes, encore méconnus aujourd'hui, si fidèles pourtant, si habiles, et de tant de souplesse ! Tout à l'heure ils rendaient les scènes à ciel ouvert de Wat- teau, sa touche pétillante, son faire nerveux, sespa- radisfrissonnants,ses ribambelles d'Amours volants, ses corbeilles de femmes, sa couleur de féerie; maintenant les voici exprimant tout Chardin, le corps et l'âme de sa peinture, ses lumières reposées, ses fonds assoupis, ses blancs gras, ses intérieurs presque sévères à force de tranquille harmonie. Sous leurs tailles croisées et renforcées, sous leurs tra- vaux d'un moelleux ferme, conduits dans le sens des lignes et des formes, sous le grain de leur pointillé, le tableau même de Chardin revient et sort du pa- pier. On retrouve ses gris, ses clairs, le beurré de sa touche, le plissement simple et riche de ses linges, l'accentuation ressentie de ses accessoires, le ferme modelé de ses chairs. Chardin dut beaucoup à ces admirables interprètes de son dessin, de sa palette même. Il leur dut de meubler les intérieurs de son

1, Mercure de France, 1738.


118 I;ART du XVIIP SIECLE.

siècle, d'entrer dans le ménage, d'orner les cham- bres de famille avec ces images de son temps, avant les Greuze, les Baudouin, les Jeaurat, qui chassent, au grand regret des Mariette, les gravures de l'His- toire et de la Fable. Il leur dut cette réputation im- mense , cette mode universelle^ qui alla jusqu'à remplir l'Allemagne de mauvaises copies alleman- des de ses gravures, et à faire acheter du public, sur la seule recommandation de son nom mis fausse- ment au bas des planches, les grossières images de Dupin l'aîné et de Charpentier : la Souricièj'e, la Mé- nagère, r Enfant gâté, le Chat au fromage, etc.

En 1739, Chardin exposait le Garçon cabartier(s2c) et l'ÉcuREusE -. 11 montrait aussi à cette exposition un tableautin exquis, «le Dessinateur >>, oii, dans un tout petit cadre, il semblait avoir voulu mettre en bouquet toutes ses fleurs de ton. Il y a là pour Chardin comme un sujet aimé. Le dessin, les pre- mières études, les commencements du peintre qui tâtonne, le crayon en main, c'est pour lui un sou- venir de jeunesse à l'évocation duquel il se plaît. L'atelier, ses fonds calmes oii dort si bien l'ombre,

1. Le bon marché dut aider à cette vogue des gravures de Chardin. Nous trouvons, dans un catalogue imprimé des planches en vente chez Le Bas, les prix suivants : Le Négligé ou Toilktte du matin, une livre de 10 sols : La Dame prenant son thé, une livre, etc.

2. Ces deux tableaux, ainsi que « le Dessinateur » et son pendant X rOuvrière en tapisserie », étaient possédés par M. Camille Marcille, chez lequel il fallait aller étudier Chardin pour rendre toute justice au peintre. Les tableaux de l'Écureuse et du Garçon cabautier, vendus 550 livres à la vente du comte de Vence, 419 à la vente du marquis do Ménars, montèrent à la somme de 30,000 francs k la vente de M. Camille Marcille.


CHARDIN. 119

la palette pendue, l'académie à la sanguine de quel- que Vanloo accrochée par quatre clous au mur, la toile ébauchée, les cartons ventrus, le plâtre estro- pié, tout ce pittoresque mobilier de la peinture, se prêtant si bien aux pinceaux du peintre, ce décorde sa vie revient souvent dans son OE livre. Il se plaît à peindre l'écolier, le polisson avec son petit tricorne et son gros catogan, l'habit troué à l'épaule d'un bel accroc de misère, assis les jambes croisées par terre, un carton sur ses genoux, et le nez sur le carton. Et à côté de ce Dessinateur, dont il fera des répéti- tions, il expose, la même année, un autre; celui-ci svelte, élancé, élégant, le tricorne bien campé, le dos battu du flot d'une grande perruque, taillant in- dolemment son crayon, en s'appuyant du coude sur une feuille de papier où l'on devine une tête de sa- tyre : — c'est ainsi que nous le montre une raris- sime gravure en manière noire, publiée par Faber à Londres, en 1740. Dans une dernière et plus impor- tante composition, l'Étude du dessein, Chardin re- prendra encore, quelques années plus tard, ce per- sonnage du peintre et ce thème de l'atelier. Cette fois, par un jour du nord, dans un grand grenier froid que chauffe le bj-asero des ateliers d'alors, le Dessinateur assis, le carton sur ses genoux, la tête avancée, le regard tendu, dessine le Mercure de Pi- galle, tandis qu'un de ses amis, un rouleau de pa- pier sous le bras, son petit manchon d'homme à la main, regarde par-dessus sa tête.


120 L'ART DU XVIIP SIECLE.


Aux expositions qui suivent, aux Salons de 1739, de 17i0, de 1741, Chardin ne fait que se continuer. Il demeure égal, mais pareil à lui-même, montrant sous le même jour et au même point un talent, qui s'est présenté tout formé au public, et dont la maturité a précédé la publicité. Car il faut pren- dre garde ici à une confusion qui tromperait sur la marche et le développement du peintre : ses expositions de 1737 et de 1738 sont faites avec des tableaux exécutés depuis longtemps et restés sans acquéreurs, comme le tableau de « la Raie », qui n'est exposé place Dauphine, que plusieurs années après avoir été peint. Mais par ces trois expositions, où, en se ressemblant, en se répétant presque, Char- din est plus que jamais lui-même , le peintre de mœurs s'affirme définitivement. Il dessine le plan, il étend l'intérêt de son Œuvre. Il s'établit pour tou- jours dans son genre; il s'y fixe et s'y assied. La si- gnification morale se dégage de son talent : l'Art français reconnaît et salue en lui le peintre de la Bourgeoisie.

Qu'est Chardin, en eff*et? Le peintre bourgeois de la bourgeoisie. C'est à la petite bourgeoisie qu'il de- mande ses sujets ; c'est dans la petite bourgeoisie qu'il trouve ses inspirations. Il enferme sa peinture dans cet humble monde dont il est, et où sont ses


CHARDIN. 121

habitudes, ses pensées, ses affections, ses entrailles. Il ne cherche point au-delà de lui-même, ni plus haut que son regard : il s'en tient au spectacle et à la représentation des scènes qui l'avoisinent et le touchent. L'accessoire même chez lui est pour ainsi dire de sa familiarité et de son intimité : il mettra dans ses tableaux sa fontaine, son doguin, les êtres et les choses accoutumées de son intérieur person- nel. Il peindra de même les personnages à sa main, les visages d'habitude journalière, non point les ty- pes de cette bourgeoisie déjà ambitieuse et si loin du peuple qui commence à prendre au xyin*^ siècle l'orgueil, l'apparat, le luxe, l'air de fortune d'une noblesse en sous-ordre, mais les simples et pures figures delà bourgeoisie de peine et de travail, heu- reuse dans sa paix, son labeur et son obscurité. Le génie du peintre sera le génie du foyer.

Peinte de si près, et par un homme ayant son âme, cette petite bourgeoisie du temps, la forte mère du Tiers état, est là vraiment vivante, immortelle, dans ces toiles, dans ces planches de Chardin. Qu'on feuillette les livres, les histoires de la vie pri- vée, qu'on aille, pour connaître les mœurs bour- geoises du temps, des nouvelles de Challes aux ro- mans de Rétif, et de ceux-ci aux mémoires de M"^^ Rolland, on n'aura point cette lumière que donne un seul tableau du peintre. On ne verra point si bien la bourgeoisie que dans ce fidèle et sincère miroir, vers lequel accourait la Parisienne du temps pour se regarder, et dans lequel elle était tout éton- I- 11


122 I;ART du XVIII" SIECLE.

née de se reconnaître, des pieds à la tête, et de la robe jusqu'au cœur. « Il ne vient pas là une femme du tiers état, dit une curieuse brochure du temps, en parlant des tableaux de Chardin, qui ne croie que c'est une idée de sa figure, qui n'y voie son train domestique, ses manières, ses occupations journa- lières, sa morale, l'humeur de ses enfants, son ameu- blement, sa garde-robe K »

Et comment la femme du tiers état ne se fût-elle pas reconnue dans ces tableaux tout pleins d'elle? Ses manches relevées à la saignée du bras, son ta blier à bavette, sa guimpe, sa croix à la Jeannette, sa jupe de calemande rayée, le peintre n'oublie rien de son costume. Il Thabille de ses habits, de ses couleurs; il la montre dans sa tenue austère, p'es- que évanf/éliqiœ, selon le mot d'une femme du temps. Il la fait se mouvoir dans le décor et les actes de sa vie ordinaire et quotidienne. Il la représente dans le travail domestique, dans ces occupations ouvrières que la petite bourgeoise garde du peuple. Il la peint à la cuisine, épluchant les gros herbages de la soupe. Il la surprend au retour du marché avec le gigot dans la serviette. Il la fait voir lessivant, savonnant. La ménagère revient sans cesse dans son œuvre. Elle se détache de ses fonds à la Pierre de Hooch où le peintre met le balayage ou le séchoir du ménage. Elle sort lumineusement de ces fournils où il y a une resserre de bois, des viandes accrochées, des chan-

1. Lettre à M. de Poiresson-Chamarande , lieutenant-général, au sujet des tableaux exposés an Salon du Louvre, 1741.


CHARDIN. 123

délies des six au mur, de vieux tonneaux exhalant comme une odeur de vinée. Puis, la voici dans les travaux d'aiguille, penchée sur le panier plein de pelotons où elle raccorde sa laine, ou bien reprenant en grondant la tapisserie d'une petite fille, ou ver- getant le tricorne du petit garçon qui part pour l'é- cole, ses livres ficelés sous le bras. C'est toute la vie de la bourgeoisie que Chardin déroule ainsi, son ac- tivité, ses fatigues, l'ordre de son ménage, la règle de ses heures, sa tranquillité de désirs, le contente- ment de sa dure existence, ses voluptés modestes, les joies et les devoirs de sa maternité, une M»^«Phli- pon les retrouve là, dans ces tableaux qui lui en rap- portent le souvenir, l'expression, l'émotion vive.

Images riantes et familièrement pieuses qui, des murs, où on les accroche, semblent laisser tomber une bénédiction sur la famille! Ici, c'est une mère qui d'une main prenant une assiette, de l'autre plon- geant la cuiller dans la soupière d'étain, d'où s'en- vole la fumée chaude de la soupe, fait dire le béné- dicité à une petite fille qui, les yeux sur ses yeux, les mains jointes, dépêche en marmottant sa petite prière. Là, une autre mère fait réciter son évangile à une petite fille un peu plus grande, debout, toute embarrassée, les mains sottes, et cherchant sa ré- ponse au parquet. Voici la Toilette du matix dans ce petit cadre, où cette mère, à laquelle revient tou- jours Chardin, donne le dernier accommodage à sa petite fille. L'ombre de la nuit commence à s'en al- ler de la pièce. Sur la toilette, encombrée de dés-


124 L'ART DU XVIIP SIECLE.

ordre, la chandelle qui a éclairé le lever et le com- mencement de l'habillement brûle encore, décrivant dans l'air des ronds de fumée. Un peu de jour tom- bant delà fenêtre, glisse sur le parquet entre-croisé, et va mettre une lueur argentine, là-bas, sur l'en- coignure où pose une pendule marquant sept heures. Au-devant de la ventrue bouilloire d'eau chaude, du tabouret portant le gros livre de messe de la ma- man, la mère en coqueluchon noir, la jupe au re- troussis, arrange des deux mains sur la tête de sa fille le nœud de safanchon, tandis que la petite, im- patiente de sortir, et déjà le manchon à une main, coule de côté les yeux vers la glace, en retournant la tête et en se souriant à demi. Le Dimanche, tout le Dimanche bourgeois, tient dans cette toile.

Et que d'autres scènes l'on pourrait encore rap- peler de Chardin, ayant ce rayonnement dans la douceur, cette naïveté dans la coquetterie , ce natu- rel dans le décor, cette pénétrante impression de vérité I Toutes vous attachent, vous retiennent, vous charment avec je ne sais quel agrément sain, per- sonnel à Chardin, unique dans ce temps de peinture libre, voluptueuse , friponne par la touche même. Comme l'Ordre même qu'elle représente, on. dirait que sa peinture a échappé aux corruptions du xvni^ siècle, et qu'elle a gardé quelque chose de la santé et de la sincérité des vertus bourgeoises. Char- din aime, il fait plus, il respecte, on le sent, ce qu'il peint. De là cette atmosphère de pureté qui entoure ses personnages, ce parfum d'honnêteté qu'on rcs-


CHARDIN. 125

pire dans ses intérieurs et qui semble sortir de tous les coins de ses toiles , des arrangements de ses meubles, de la sobriété de leurs formes, de la rusti- cité de ses chaises, de la nudité de ses murs, de la tranquillité des lignes autour de la tranquillité des personnes.

Chardin est le seul qui, dans son genre, donne cette impression d^ntime vérité. Allez à son meil- leur émule, prenez les compositions de Jeaurat; comme elles sont loin de l'accent, du style de son maître! Tout, chez le concurrent, s'amaigrit en s'en- jolivant. Jeaurat a beau prendre la garde-robe des femmes de Chardin : ses costumes ne sentent plus le tiers état; ses gestes rappellent les poupées du fai- seur de mannequins du temps, Perrault. Les fonds se troublent, les intérieurs s'encombrent, les acces- soires s'amincissent, les poses s'arrangent, le cro- quis pris sur nature se contourne, le caractère s'en va : le peintre n'est plus chez lui. Entre une planche de l'un et une planche de l'autre, gravées par les mômes graveurs, quelle différence d'aspect et de profondeur! On regarde celle de Jeaurat, on entre dans celle de Chardin.

Paix des choses, accord, harmonie, lumière calme, c'est le secret et la force de Chardin, sa grâce, sa fa- milière et rare poésie. Par là il s'élève comme à un idéal de son genre, à l'exquis sentiment des Amuse- ments DE LA VIE PRIVÉE, à l'cxpression de cette femme au front souriant, et voilée de pensées aussi légères que l'ombre de sa coiffe blanche. Elle est là, dans I. 11.


1-26 L'ART DU XYIIP SIÈCLE.

un fauteuil garni, le corps un peu abandonné et penché sur un coussin, les pieds croisés l'un sur Fautre à la mode du temps. A côté d'elle, sur une petite table, son rouet est immobile près de sa que- nouille chargée. Ses mains ont laissé à demi glisser une brochure dans le creux de sa jupe, et elle réflé- chit mollement, bercée par sa lecture comme par un bruit qui s'éteint. Sérénité, — c'est le vrai titre de cette toile, où Chardin a fait tenir à la fois le rêve d'une femme et la philosophie de ses quarante ans.


VI


Et quel tempérament de peintre dans cet histo- rien et ce témoin de la petite bourgeoisie ! Quelle main douée ! quels jeux de palette dans ses inté- rieurs ! Quel régal il donne à l'œil avec ces cham- bres simples, ces scènes tranquilles, ces personna- ges modestes I comme Chardin réjouit le regard avec la gaieté de ses tons, la douceur de ses réveillons, sa belle touche beurrée, les tournants de son pinceau gras dans la pleine pâte, l'agrément de ses harmo- nies blondes, la chaleur de ses fonds, l'éclat de ses blancs glacés de soleil, qui semblent dans ses ta- bleaux les reposoirs de la lumière ! Et quelle origi- nalité dans le charme de sa tonalité ! Le peintre, chez Chardin, a des ancêtres : il n'a pas de maître. 11 ne s'inspire ni de Miéris, ni de Terburg, ni de Gérard


CHARDIN. 127

Dow, ni de Netscher, ni de Téniers. De tous les maî- tres flamands il ne rencontre guère sans le cher- cher, que Metzu, la touche duveteuse et moelleuse de ses fichus et de ses béguins. Dans toutes les gale- ries de l'Europe, je ne sache qu'un tableau dont Chardin paraît descendre : c'est, dans le cabinet de Six, l'admirable « Laitière » de ce Maître si varié et si divers, Van der Meer.

Voyez-le dans ses bonnes toiles, ce peintre, né de lui-même et qui s'est créé ; allez à ces chefs-d'œuvre qui ne sont point encore au Louvre : quoi de plus prodigieusement lumineux que l'Écureuse et le Gar- çon CABARTiER? Sur dcs dcssous de jaune, de bleu, de rose, qu'on dirait hachés de craie ; le bonnet de coton, la chemise, le tablier de toile écrue, jouent, sur les trois notes du blanc blanc, du blanc gris, du blanc rouillé, une triomphante symphonie de chaude blancheur ^ A ces deux tableaux qui peut-être donnent la plus haute idée du peintre, joignons la PouRvoiEusE exposée dernièrement au boulevard des Italiens. Rappelons ce bonnet, ce casaquin blanc, cette serviette, ce tablier bleu montant jusqu'au cou, ce fichu moucheté de fleurettes, ces bas d'un rose violet, cette femme rayonnante, des souliers au bonnet, dans une clarté blanche, et pour ainsi dire crémeuse : tout sortait victorieusement et harmo- nieusement de la toile, du contour à la fois gras et

1. Le meilleur des héritiers de Chardin en ce temps-ci, Decamps, ré- pétait avec désespoir à M. Marcille devant ces tableaux : « I^es blancs de Chardin !... je ne peux pas les trouver 1 »


128 L'ART DU XYIIP SIECLE.

cerné, des égrenures raboteuses du pinceau, des grumelots de la couleur, dime sorte de cristallisation de la pâte. Des tons légers, tendres et riants, jetés partout et revenant sans cesse, jusque dans le blanc du casaquin, se levait, comme une trame de jour, une brume gorge de pigeon, une poussière de cha- leur, une vapeur flottante enveloppant cette femme, tout son costume, le buffet, les miches sur le buffet, la muraille, Tarrière-pièce du fond. Veut-on comme une miniature de cette peinture? Yoici l'Aveugle où Chardin a si bien rendu la crasse du Quinze-Vingt. Revenons maintenant aux deux toiles du Louvre, le Bénédicité et la Mère laborieuse : c'est encore la même touche, la môme fonte; mais ici le fini semble avoir refroidi la main de Chardin. Le feu manque à cette peinture un peu plate et endormie qui a perdu, sous la peine du travail, la verve de ces esquisses oii les amateurs vont de préférence chercher, surprendre et goûter Chardin. Je me rap- pelle une première ébauche de l'Économe, une femme assise près d'une fenêtre au rideau vert. Sur un fond brun où la brosse a laissé son crépi, le pin- ceau chargé et imbibé de blanc, suivant le courant de plis du vêtement, tournant et s'écrasantau coude et aux revers des manches, laissant, aux pleines lu- mières, des traînées de pâte sèche, a fait sur la toile le travail d'un gros canevas, rien que du blanc et du gris sale; à peine un soupçon de rose sur la figure et les mains, une apparence de violet sur un ruban, un rien de rouge sur les agréments de la


CHARDIN. 129

jupe; et cependant il y a un visage, une robe, une femme, et déjà toute l'harmonie du tableau dans l'aube de sa couleur^ Une autre esquisse que j'ai vue de lui, les Tours dk cartes-, pétille au contraire et flamboie ; tout y est bruit, tapage, fraîcheur vive. Les glacis ont des brillants d'émail; les tons d'un bout à l'autre jouent dans le rayonnement de Tambre tt de la topaze brûlée. C'est un précieux petit mor- ceau de cette manière chauffée, ardente, roussie de bitume et de terre de Sienne brûlée, qu'eut Chardin au commencement de sa carrière et dont les plus beaux échantillons, autant qu'on peut en juger à la hauteur où ils sont placés, sont malheureusement à Vienne dans la galerie du prince de Lichtenstein'.


1. Cette esquisse fait partie de la collection de M. Eudoxe Marcille.

2. Cette esquisse était alors chez M. Laperlier.

3. La Ratisseuse. Bonnet blanc, fichu blanc et bleu, vestinquin brun, jupe rouge. Couleurs posées sans être assemblées, et beurrage de la couleur avec des rugosités de blanc sec dans un bain d'huile pour les blancs du bonnet, du fichu, du tablier. Signé : Chardin, 1738? — La Pourvoieuse. Emploi de jaune, de rouge, de rose, dans une harmo- nie violet tendre, et les couleurs posées Tune à côté de rautre et don- nant à la peinture Taspect d'une tapisserie au gros point. Signé : Chardin, 1735? — La Gouvernante. Enfant, habits violets, fauteuil rouge, fond jaune de la plus grande chaleur, femme de tonalité blanche dans une robe verdàtre transpercée de roux. Tableau placé trop haut pour voir s'il est. signé. — Les Aliments de la Convalescence, Compo- sition non gravée. Une femme debout près d'une table où il y a un broc en faïence et une assiette dans laquelle est un coquetier et sur la nappe blanche un œuf. Elle tient une serviette sur le bras, où repose la queue d'une poêle dans laquelle elle met un autre œuf. La femme est coiffée d'un bonnet serré dans une fanchon : elle porte un ca- saquin à fleurettes avec dessus un bavolet rose passé, une jupe k raies roses et grises, les souliers d'un gris vert. Des blancs, des roses, des verts rompus par des gris sur un fond chaudement sombre. Tableau placé trop haut pour distinguer la signature. (Note prise k Vienne, en 1860.)


J30 L'ART DU XVIIP SIECLE.


Vil


Le salon de 1743 montrait le peintre des scènes domestiques sortant de son genre, de ses succès, et abordant un côté nouveau de la peinture : Chardin exposait cette année -là le portrait de M" Lenoir. A l'exposition de 17i6, il envoyait les portraits de M. Levret, de l'Académie de médecine, et de M*** ayant les mains dans son manchon. Plus tard, onze ans après, il exposait encore le portrait en mé- daillon de M. Louis, professeur et censeur royal de médecine.

Ces portraits ont disparu. Aucun n'a échappé au temps, n'a été sauvé de la destruction ou de l'oubli. 11 ne s'est trouvé ni famille, ni galerie, ni musée pour les conserver; et ils nous font grandement dé- faut pour contrôler, par la comparaison de la fac- ture, les portraits que l'on baptise si volontiers du nom de Chardin. Deux toiles aujourd'hui sont à peu près acceptées comme représentant le talent de por- traitiste de Chardin : l'une est le portrait de femme du musée de Montpellier dont on fait le portrait de ^i"^" Geoffrin : mais le plus grand nombre d'amateurs un peu fins qui l'ont vu, ne trouvent dans ce beau morceau rien de la manière de Chardin, aucune des habitudes de son pinceau, nulle trace de l'empreinte si reconnaissable qu'une telle main de peintre, même dépaysée et hors de son genre, doit laisser à


CHARDIN. 131

ce qu'elle touche. Et l'étude que j'ai faite dernière- ment de ce portrait à l'exposition de 1878, me fait croire presque sans aucun doute à un ïocqué, dans la facture de ce linge et cette robe gris perle aux chamarrures d'or. L'autre portrait attribué à Char- din est le portrait de M° Lenoir, de la galerie La- caze, portrait admirable auquel ce nom de M""" Le- noir prête, en dehors de toute beauté intrinsèque, une authenticité presque incontestée jusqu'ici. Mais ce nom de M™^ Lenoir, quelle raison pour le donner à ce tableau? C'est une désignation de personnage absolument gratuite. Le portrait de M" Lenoir qu'a peint Chardin, nous le connaissons, si nous ne l'avons pas. La gravure n'en est pas rare, c'est l'Ins- tant DE LA Méditation. La voici, comparez : Il n'y a pas la moindre ressemblance, je ne dis pas seule- ment dans la figure, mais môme dans l'arrangement. Dans le portrait possédé par M. Lacaze, la femme est de face, le tableau est en hauteur et sans acces- soires. Dans le portrait de Chardin, portrait en lar- geur, la femme est assise de côté, avec un paravent derrière, un écran et une cheminée devant elle. Toutes deux, il est vrai, tiennent à la main une bro- chure couverte de papier peigne ; mais cela est trop peu vraiment pour confondre les deux tableaux. Évidemment nous n'avons point affaire ici à M"^" Lenoir : ce chef-d'œuvre, dont le faire d'ailleurs est entièrement contraire au faire de Chardin, n'est point le portrait exposé en 1743; il n'appartient pas, nous avons le regret de le dire^ à Chardin.


132 L'ART DU XYIII» SIECLE.

Reconnaissons-le : maître de premier ordre dans les natures mortes, inférieur à Rembrandt seul, lorsque Rembrandt peint son bœuf éventré. égalant les meilleurs Flamands dans les scènes domestiques, Chardin a dans sa peinture un coin de faiblesse qui le met au-dessous de Metzu. Il est insuffisant dans la touche des figures. Il est le plus souvent lourd à peindre la chair. Il ne la différencie pas suffisam- ment des étoffes et des accessoires. Il ne lui donne ni sa légèreté, ni sa transparence; et lorsqu'il aborde des personnages un peu grands, lorsqu'il s'attache aux proportions naturelles d'une figure, il est facile de voir sa gêne, son embarras, le pemé de son travail. Citons comme preuve et comme exemple LES Bouteilles de savon chez M. Laperlier, la Maî- tresse d'école de la vente Dever, le ïoton exposé au boulevard des Italiens. En passant de la grande fi- gure au portrait, Chardin aurait-il tout à coup appris à peindre aisément la chair, à manier libre- ment la vie et la lumière d'un visage? Les critiques du temps ne le disent guère. Chose remarquable, que dans tout ce bruit fait autour du nom de Char- din, au milieu du triomphe de ses natures mortes, de ses petites scènes, il y ait si peu d'attention, si peu d'étonnement, une si mince et si discrète admi- ration pour ses portraits ! Les comptes rendus de Salons glissent dessus, la curiosité passe à côté, les critiques les mentionnent à peine, et ceux qui s'y arrêtent un instant laissent tomber le regret de voir Chardin toucher à ce genre. Diderot lui-même, son


CHARDIN. 133

furieux ami Diderot qui le proclame le premier peintre du temps, Diderot qui revient sans cesse à lui à propos de tout et de tous, Diderot ne trouve pas un mot à dire de ses portraits : il n'y fait pas même une allusion dans ses Salons.

Faudrait-il ici rabattre du talent de Chardin? La vérité serait-elle qu'il n'a jamais été le grand por- traitiste qu'on serait si bien en droit d'attendre, chez lui, du grand peintre? On se laisse gagner à cette désillusion, devant le seul portrait qu'on connaisse signé de lui S portrait daté de 1773 et possédé par M. Chevignard. Il représente une femme aux yeux noirs, aux traits durs, en bonnet de batiste, en man- telet noir doublé de petit-gris, les mains dans un manchon de satin blanc rayé. Le bonnet, sa blan- cheur, la fourrure, la soie noire, le manchon et sa moire de lumière, le fichu de linon croisé sur la peau du cou, la main du maître les a touchés ; il y a encore un peu de sa pâte au bout de l'oreille ; mais la figure est dure, les couleurs fatiguées. C'est une coloration à la fois briquetée et froide, une peinture qui fait penser à la détestable peinture saxonne.

Conclurons-nous de là, de ce portrait de la vieil- lesse de Chardin, qui cependant, cette année-là même, faisait ses plus beaux pastels, conclurons- nous à la médiocrité de tous ses portraits? Non, car

1. Chose singulière qu'il n'existe, à cotre connaissance, que ce seul portrait signé de Chardin, dont on ne connaît guère de tableau, de pan- neau, de petite toile, d'étude même non signée. Ne voit-on pas chez JVI. Lacaze une petite étude de fontaine, provenant de la vente de Troy, pour le tableau de la Fontaine, signée en toutes lettres?

I. 12


134 L'ART DU XYIIP SIECLE.

voici un chef-d'œuvre inconnu qui suspend notre ju- gement et arrête notre injustice. Il nous a été donné de voir dans le précieux cabinet d'une femme qui est un véritable amateur, chez M""^ la baronne de Conantre, un portrait de vieille femme où semblent éclater et se faire reconnaître le talent et la gloire du portraitiste*. A la première vue, point de doute, point d'hésitation : c'est la chaleur de la peinture de « la Raie » ; c'est ce môme ton opulent et recuit; c'est ce feu sourd des couleurs où la vie est comme en fusion. Dans cet admirable tableau de nature vi- vante, aussi bien que dans l'admirable tableau de na- ture morte, d'un bout à l'autre de la toile, la lumière d'or dit Chardin. Quelle solidité, quelle grandeur, quelle forte aisance dans la touche du costume I Le bonnet est-il hardiment chiffonné sur la tête! La dentelle, on la reconnaît : c'est du point. Gomme de la légèreté de l'ébauche s'enlève la molle légèreté du fichu croisé! Quelle harmonie dans la robe gris tourterelle, d'où se détache le nœud bleu du parfait contentement ! Et de quel pinceau le mantelet noir est jeté sur les épaules! Et comme les grandes en- gageantes de dentelles pleurant sur les bras, se mo- dèlent, se dessinent, s'accentuent dans un lavage d'huile grasse, et dans des coulées de pâte sèche! Mais les chairs, voilà le grand miracle. Chardin s'y surpasse. La figure beurrée imite le travail de la peau. L'émail des couleurs, promené sur les traits, a

l. Madame la baronne de Conautre le dit signé, mais je n'ai pu dé- couvrir la signature sur la toile accrochée très haut.


CIIARDIX. 135

les manques mêmes de l'épiderme. Un peu de rouge pur, posé sur les joues, les vergette de la santé des gens âgés. Une touche de blanc posée au coin de l'œil fait que cette femme regarde et qu'elle sourit avec le regard. Et sur toute la face il y a ce rayon- nement des vieux visages éclairés de tous les soleils qu'ils ont essuyés dans le doux triomphe d'un jour qui s'en va. Gardons-nous d'oublier les mains qui tiennent et caressent le chat à collier rouge garni de grelots, ces mains lumineuses dans leur pénombre, dessinées par une clarté, par un reflet à leur bord, trempant et flottant radieusement, avec le dos du chat, le bout de la manchette, le bas de la robe, dans les divines transparences fauves de Rembrandt'.


YIII

Chardin s'était marié à trente-deux ans-. Mené dans un petit bal d'honnête bourgeoisie où son père

1. Cette question des portraits de Chardin est, il faut bien Tavouer, pleine de mystère et d'embarras insolubles. Ainsi chez M. C. Marcillc nous trouvons un portrait de femme non signé, dans lequel, à notre jugement, tout est de Chardin, sauf la tète ; Chardin, pour nous, a peint cette robe rouge, ces mitaines vertes, ce fouillis de dentelles, ces semis de fleurettes, cette tranche nuée d'éventail fermé ; mais dans la figure nous ne le retrouvons pas, et il semble que Chardin s'efface. N'y au- rait-il pas ici une hypothèse à risquer? Le compagnon d'atelier, l'ami d'Aved, n'aurait-il pas quelquefois habillé un portrait d'Aved qui serait alors un Chardin jusqu'au cou?

2. << Paroisse Saint-Sulpice. Le 1"^' janvier 1731 a été célébré le ma- riage de Jean-Siméon Chardin, peintre de l'Académie rovale, âgé de trente et un ans, fils de Jean Chardin, maitre menuisier, et Jeanne- Françoise David, présents et consentants, de cette paroisse depuis plu-


136 L'ART DU XVIIP SIECLE.

avait d'avance l'ait un choix pour lui, il fut présenté et plut à une jeune fille dont il parvint bientôt à se faire aimer. Les deux jeunes gens furent accordés; mais les parents de la jeune fille demandant que la position du jeune homme fût plus assurée, le ma- riage fut retardé de plusieurs années, au bout des- quelles Marguerite Saintar, l'accordée de Chardin, se trouva ruinée et dans une position touchant à la misère. Le père de Chardin voulut alors rompre le mariage ; mais le fils tint bon avec une droiture géné- reuse, et ne voulut ni manquer à ses engagements, ni tromper l'inclination que la pauvre jeune fille avait prise pour lui' . De traits agréables, dit le Nécro- loge, mais faible, languissante, valétudinaire, la pau- vre femme mourut de la poitrine, quatre ans après son mariage, en laissant un fils à Chardin'.


sieurs années, y demeurants rue Princesse, avec Marguerite Saintar. âgée de vingt-deux ans, fille des défunts Simon-Louis Saintar, mar- chand, et de Françoise Pantouflet, assistée de Pierre Perant, marchand de son, demeurant rue de la Verrerie, paroisse de Saint-Mery, créé tuteur de l'épouse par acte passé devant ]\I. le lieutenant civil en datte du vingt-sept novembre mil sept cent trente, de fait de cette pa- roisse, y demeurant rue Ferou, de droit de celle de Saint-Mery sans opposition, fiançailles faites hier présents et témoins Pierre Naudin, arquebusier des menus plaisirs du roy, demeurant rue de la Pelleterie, paroisse Saiiit-Jacques-la-Boucherie, cousin de l'époux : Juste Chardin, menuisier des Meuus Plaisirs du roy, rue Princesse, frère de l'époux: Claude Saintar, bourgeois de Paris, demeurant rue Saint-Denis, pa- roisse de Saint-Jacques-la-Boucherie, oncle de Tépouse; Pierre Saintar. négotiant, demeurant rue Neuve et paroisse Saint-Mery, cousin de l'é- pouse, qui nous ont certifié le domicile des parties ci-dessus et leur liberté pour le présent mariage soussigné. »

1. Mémoires de la vie des Académiciens, vol. II.

2. « Le quinze avril 1735 a été fait le convoi et enterrement de Mar- guerite Sainctard, femme de Jean-Siméon Chardin, peintre ordinaire du


CHARDIN. 137

Il y eut bien du malaise, bien de la gêne dans ce premier mariage de Chardin. La femme était malade, les gains du mari demeuraient minimes et incer- tains. Toute sa jeunesse, le peintre la passa assez durement, sans trouver un grand soulagement des difficultés de sa vie, dans un commencement de cé- lébrité, et dans la célébrité même. Car ses tableaux, si appréciés des amateurs du temps, si goûtés de la critique qui les déclare dignes du voisinage des meilleurs m.aîtres flamands, ne se vendent guère comme ceux-ci. Livrés aux enchères, au feu des ventes les plus en renom, ils n'atteignent que des prix bien médiocres. A la vente du chevalier de la Roque, en 1745, la Fontaine et la Blanciussluse n'allaient qu'à 48^2 livres. « L'Ouvrière en tapisse- rie » et son pendant « le Dessinateur » étaient donnés pour 100 livres; le Toton, pour 25 livres. Ces prix devaient faire la base des marchés du peintre avec les amateurs et les marchands ; et l'on peut calculer le peu d'argent qui devait entrer dans la bourse du peintre avant cela, alors que le nom de Chardin n'était pas encore une valeur ayant eu cours dans les ventes. Jamais, du reste, même en ses der- nières années, Chardin ne semble avoir tiré de sa peinture de quoi vivre. Les prix de ses tableaux restent toute sa vie presque aussi bas et aussi misé-


roy, morte hier en &a maison, rue Princesse, âgée d'environ ving-t-six ans, et y ont assisté Claude Sainctard, oncle, Justin Chardin, beau frère, Noël-Sébastien Chardin, aussi beau-frère de la ditte défunte, qui ont signé. »

I. 12.


138 L'ART DU XVIIP SIECLE.

rables. En 1757, vingt ans après sa première exposi- tion, à la vente Heinecken, l'Aveugle ne montait qu'à 96 livres. En 1761, à la vente du comte de Yence, l'Écureuse et LE Garçon cabartier étaient payés 550 livres; en 1759, à la vente La Live de Jully, la Bonne Éducation et l'Étude du Dessein allaient à 720 livres; et en 1770, à la vente Fortier, le Bénédi- cité se vendait 900 livres. Encore ces prix étaient-ils les hauts prix de Chardin. Ses tableaux de nature morte n'en approchaient pas. A la vente Mollini, un lapin, peut-être ce, lapin de ses débuts qui lui coûta tant d'elforts, une si longue et si patiente étude du poil, du modelé, de tout Tanimal, un lapin avec une gibecière et une poire à poudre était adjugé 25 livres ; et Wille, dans un coin de ses Mémoires, se félicite d'avoir acheté 36 livres, deux de ses petits tableaux d'ustensiles de cuisine.

A l'époque où il se vend ainsi, Chardin a pourtant toute sa vogue à Paris et en Europe. Le prince de Lichtenstein met quatre de ses tableaux dans sa galerie de Tienne. Sa peinture enchante et pas- sionne le comte de Tessin, un amateur digne de l'apprécier, qui fait successivement entrer dans sa galerie de Drotningholm le Négligé ou la Toilette du matin, les Amusements de la yik privée, l'Économe, et communique au prince de Suède son goût de Chardin. C'est le temps où l'impératrice de Russie lui commande des tableaux pour sa galerie de l'Er- mitage. La concurrence de si grands et si riches amateurs avec les curieux français aurait dû faire


CHARDIN. 130

monter les prix du peintre, lui donner au moins l'ai- sance . 11 n'en fut rien. La mode d'être payé cher manqua à Chardin. D'ailleurs, il faut le dire, il ne fit rien pour la faire venir. Dénué de toute âpreté au gain, il était si peu avide et si simple dans ses affaires, qu'une fois arrivé et connu, il se con- tenta des pauvres prix de ses débuts, et s'y arrêta, sans penser à tirer parti de son nom plus grand, de sa notoriété, du bruit de ses toiles dans le public. Mariette parle bien d'un prix de 18,000 livres pour son tableau de la Gouvernante ; mais les a Mémoires de l'Académie » , plus fidèlement renseignés, à ce que l'on peut croire, affirment que le tableau qui lui fut payé le plus cher au moment de sa plus grande ré- putation ne lui fut payé que 1,500 livres : c'était « la Serinette ou la Dame variant ses amusements », acquise par M. de Ménars^

1. Voici, à propos de ce tableau vendu 7,100 francs à la vente du duc de Morny, le mémoire que veut bien me communiquer M. Camille Marcille :

a Ce mémoire a été présenté à M. de Vandières le 18 janvier 1752, et arrêté à 1,500 livres.

« Payé en entier, le 8 février 1752, 1,500 livres.

« Le tableau qui m'a été demandé par M. Coypel et que j'ay fait, porte 18 pouces de haut sur 15 de large. Il représente une dame variant ses amusements. — Chardin. »

« Réglé à 1,500 livres.

>< Je soussigné, premier peintre du roy, certifie à M. de Tournehem, di- recteur et ordonnateur général des bâtiments, que le tableau mentionné dans ce mémoire a été fait et fort approuvé. A Paris, ce 18 novembre 1751. — Coypel. »

• Joignons à ce mémoire un curieux renseignement qui, en nous don- nant la moyenne des prix de Chardin, nous montrera combien peu sa peine et la conscience de son travail étaient rétribuées; c'est lextrait d'une lettre de Berch au comte de Tessin (octobre 1615), puldiée par


140 L'ART DU XVIII^ SIECLE.

Produisant peu et s'entendant si mal au commerce de son talent, Chardin fut heureux de trouver dans un second mariage avec une veuve de trente-sept ans ' l'assurance de la vie et le partage d'une petite fortune qui lui permit de travailler à son aise, à son jour, à son heure, comme il convenait à son carac- tère et à sa manière de peindre. De cette seconde femme de Chardin, Françoise-Marguerite Pouget, veuve de Charles de Malnoé, Cochin nous a laissé un agréable profil. Les traits, finement découpés, sont encore jeunes : Tœil est vif et noir, le nez spirituel, la bouche un peu mince, avec du sérieux dans le sourire. Une netteté coquette, une raison avenante,

notre ami Philippe de Chennevières dans ses Portraits inédits d'artistes français :

« L'affaii-e des tableaux rencontre un peu de difficulté du côté de M. Chardin, qui avoue naturellement quil ne pourrait pas donner les deux pièces que dans un an d'ici. Sa lenteur et la peine qu'il se donne doivent, dit-il, déjà être connues à Votre Excellence. Le prix de 25 louis d'or par tableau est modique pour lui, qui a le malheur de travailler si lentement; mais, en considération des bontés que Votre Excellence a eues pour lui, il passera encore ce marché et laissera à la volonté de cet ami de V^otre Excellence, s'il veut y ajouter quelque chose quand Tentreprise sera achevée. De cette façon. Votre Excellence a encore du temps pour se déteiniiner si elle veut qu'il travaille. Un tableau qu'il a chez lui l'occupera encore probablement un couple de mois. Jamais, chez lui, plus d'un entrepris à la fois. »

1. « Paroisse Saint-Sulpice, 174i. Le jeudy vingt-six novembre a été. célébré le mariage de Jean-Siméon Chardin, âgé de quarante-quatre ans, peintre du roy, veuf de Marguerite Saintar, avec Françoise-Marguerite Pouget, âgée de trente-sept ans, veufve de Charles de Malnoé. Les deux parties de cette paroisse y demeurants depuis plusieurs années, rue Princesse, un ban publié en cette église sans opposition, dispense de deux bans obtenue de Me"- l'archevêque de Paris en date du vingt- irois du présent mois, insinué et controllé le même jour, fiançailles faites hier, présents et témoins Jean Daché, agent de change et banquier, rue et paroisse Saint-Sauveur; Jean-Jacques Lenoir, négotiant, bour-


CHARDIN. 111


c'est toute cette figure bien digne d'avoir été le mo- dèle des Amusements de la vie privée.


IX


Nous l'avons dit : dès que Chardin paraît, il est reconnu. Il se montre, et sa réputation est faite. Di- derot ne fera que continuer et confirmer l'admira- tion du public pour le peintre.

La critique, dès 1738, le place au premier rang. L'auteur de la « Lettre à la marquise S. P. R. » s'ex- tasie sur son originalité, sur ce goût de peinture qui est à lui seul. L'année suivante (1739), dans une se-

geois de Paris, rue Maucoiiseil, paroisse Saint-Eustache, amis de l'é- pouse; Juste Chardin, menuisier-ébéniste du roy, rue Princesse, frère de l'époux; Jacques-André-Joseph xVved, peintre du roy, conseiller en son Académie royale de peinture et sculpture, rue de Bourbon, amy de l'époux, qui nous ont tous certifié le domicile des parties'ci-dessus, leur liberté pour le présent mariage, et ont signé. » Marguerite-Françoise Pouget devait survivre à Chardin. Une lettre de Cochin à Descamps nous donne les détails suivants sur sa vie après la mort de Chardin : Nous ne sommes pas loin du lyrisme de Diderot, qui n'en parlera guère sans dire de lui : « C'est le grand coloriste... le grand magicien... c'est le sublime du technique... c'est la nature même! »


CHARDIN. 113

Cependant, dès ces années du milieu du siècle, de certaines réserves commencent à se glisser dans la critique. On croit s'apercevoir d'un affaiblissement de son talent. On se plaint de ce bien-être qui lui permet de travailler à son loisir, et de cette philoso- phie qui lui ôte l'appétit du gain, l'envie de beaucoup gagner en produisant beaucoup. On l'accuse d'ingra- titude pour le public si curieux et si impatient de ses œuvres; on jette à sa paresse pour l'aiguillonner l'exemple du fécond et labourieux Oudry. Les « Ju- gements sur les principaux ouvrages exposés au Louvre, le 27 août 1151 », après avoir loué Chardin, parlaient avec une ironie caressante, d'un tableau supposé qu'ils décrivaient comme un ouvrage dont il était occupé : « Il s'y peint, dit la maligne brochure, avec une toile posée devant lui sur un chevalet; un petit génie qui représente la Nature lui apporte des pinceaux; il les prend, mais en même temps la For- tune lui en ôte une partie, et tandis qu'il regarde la Paresse qui lui sourit d'un air d'indolence, l'autre tombe de ses mains. » Il y avait aussi dans la criti- que un certain désappointement à ne plus voir de Chardin, à partir de 1755, hors ses natures mortes, que des redites. Elle attendait, elle espérait toujours une scène nouvelle; et c'était la scène ancienne qui reparaissait avec des changements insignifiants. Ces répétitions, à la longue, amenaient un certain mé- pris du peintre, de sa pauvreté d'imagination, de Tavarice de sa veine; et d'année en année Chardin baisse et s'éteint doucement dans le bruit des Sa-


144 L'ART DU XVIIP SIECLE.

Ions. L'attention, l'admiration ne se réveillent qu'un moment, en 1765 et 1767, devant ses ((Attributs des arts et des sciences » , et ses tableaux d'instruments de musique, commandés pour Choisy ' , tableaux éblouis- sants où les velours' rouges des musettes, les ban- doulières bleues des violes, les drapeaux des trom- pettes, les timbales de cuivre, s'arrangent super- bement dans une magnifique opulence de tons. Puis la critique s'éloigne de lui, ne sachant rien de nouveau à en dire, pour aller à Jeaurat. Diderot lui- même, au métier de louer son peintre, un beau jour se lassera, et il laissera échapper en 1767 que (( Char- din s'en va ».

Mais Chardin n'avait pas dit son dernier mot. Voyant qu'on abandonnait sa peinture et que son talent de peintre avait trop longtemps duré, il quit- tait ses pinceaux, et, allant à un autre procédé, touchait à cet art du pastel dont La Tour venait de révéler les ressources et les enchantements. Le vieillard de soixante-dix ans, lassé, malade, affaibli, prenait les crayons que ses mains tremblantes al- laient encore tenir pendant dix ans. ((C'était l'effort, dit une brochure du temps, de ces athlètes qui, chancelant après un combat terrible, rappellent toutes leurs forcespour aller expirer dans l'arène ^ » Suprême effort, en effet, mais aussi suprême triomphe du vieux peintre : c'est comme le soir de son talent,

1. Ils appartiennent aujourd'hui à M. Eudoxe Marcille; ces trois ta- lileanx étaient exposés au Salon de 1765.

2. La Prétresse, ou Aouvelle Manière de prédire ce qui peut arriver.


CHARDIN. ]45

la chaleur de son dernier rayonnement : ses pastels sont les adieux de sa lumière.

Allez à ces deux portraits du Louvre, où il s'est représenté *, comme le vieux grand-père de son Œuvre, sans coquetterie, dans le déshabillé bour- geois, familier, abandonné d'un septuagénaire, en bonnet de nuit, Tabat-jour au front, les besicles au nez, le mazidipatam au cou : quelles surprenantes images! Ce travail violent et emporté, les écrasis, les martelages, les tapotages, les balafrures, les em- pâtements de crayon, ces touches semées, franches et rudes, ces audaces qui marient des tons imma- riables et jettent sur le papier les couleurs toutes crues, ces dessous pareils à ceux que le scalpel trouve sous la peau, tout cela s'harmonise à quelques pas, s'assemble et se fond, s'éclaire, et c'est de la chair qu'on a sous les yeux, de la chair vivante qui a ses plis, ses luisants, sa porosité, sa fleur d'épiderme. Les vergetures des joues, le bleuissement d'une vieille barbe, les blancs, les roses, les tendresses du teint, ce rayon humide dans lequel baignent l'œil et l'expression du regard, Chardin les obtient: il atteint à la vérité et à l'illusion de la carnation avec des coups de rouge vif, de bleu pur. de jaune d'or, avec des couleurs entières et absolues qui semble- raient devoir outrer la vie et forcer le ton de la réa-


1. Le portrait de Chardin du Louvre, en besicles, a été gravé par CheviFiet ; deux autres portraits de lui en médaillon ont été gravés d'après deux dessins différents de Cochiu. Tun par Laurent Cars, l'autre par Rousseau.

I. 13


146 I/ART DU XVIII- SIECLE.

lité. Son modelé n'est pas moins miraculeux : de son pastel si large et si heurte, le dessin de toute la tête, les plans du visage, les lignes, les méplats, les rondeurs, les soufflures de graisse, les accentuations des muscles, sortent et se dégagent à la façon de la forme dans la pâte de Rembrandt.

Et pourtant son chef-d'œuvre n'est point encore là : c'est dans le portrait de sa femme qu'il révèle tout son feu, toute la puissance de sa verve, la force et la fièvre de son exécution inspirée. Jamais la main du peintre n'eut plus de génie que dans ce pastel, plus d'audace, plus de bonheur, plus d'éclairs. De quelle touche furieuse, chargée, solide, de quel crayon libre, fouetté, sûr dans les hasards mêmes, affranchi des hachures dont jusque-là il a amorti son tapage ou raccordé ses ombres, Chardin attaque le papier, l'éraille, y enfonce le pastel! Gomme il amène au jour victorieusement ce visage de la vieille Marguerite Pouget, enveloppée jusqu'au coin des yeux de cette coiffe presque monastique, si souvent répétée dans ses figures! Rien ne manque à cette prodigieuse étude de vieille femme, ni un trait, ni un ton. Le front d'une pâleur d'ivoire jauni, le re- gard tout refroidi et dont le sourire s'est envolé, le plissage des yeux, la minceur décharnée du nez, la bouche qui creuse et se ferme à demi, ce teint sem- blable à un fruit sur lequel l'hiver a passé, Chardin exprime tous ces signes de la vieillesse ; il en donne la sensation et presque l'approche avec ce crayonnage inimitable, insaisissable, qui met on ne sait comment


CHARDIN. It7

le souffle de la personne sur les lèvres de son portrait, le tressaillement du jour dans le dessin d'une phy- sionomie. Et comment surprendre, comment dire de quoi est faite cette bouche démeublée qui tourne, qui plisse, qui se retire, ([ui respire, qui a tontes les infinies délicatesses de ligne, de courbe, d'inflexion d'une bouche? Cela n'est fait que de quelques traî- nées de jaune et de quelques balayures de bleu. L'ombre portée de ce bonnet, ce jour sur la tempe tamisé par le linge, cette transparence qui tremble auprès de l'œil, qu'est-ce? Des coups de pnr brun rouge, brisés de quelques coups de bleu. Ce bonnet blanc, absolument blanc, c'est du bleu, rien que du bleu. Et la blancheur de la figure est faite avec du jaune pur, car cette claire figure n'a pas un blanc, il n'y a que trois points de craie jetés dans toute cette tête, à la lumière du bout du nez et à la lumière des deux yeux. Tout peindre dans son ton vrai, sans rien peindre dans son ton propre, c'est à ce tour de force et à ce miracle que le coloriste s'est élevé '.

Avec ses pastels, plus goûtés du public que des artistes, un reste de succès revenait à Chardin. Quel- ques mois avant sa mort, au Salon de 1779, une jeune tête de jaquet (petit laquais) qu'il exposait, était remarquée par Madame Victoire, qui s'éprenait de sa vérité et faisait demander au peintre le prix

1, On voyait chez M. Laperlier une tète de Chardin signée et datée de 1771. C'est une tète de vieillard aux cheveux, blancs, pastellée encore avec plus d'outrance et une plus furieuse opposition de tons. De cette tête, M. Laperlier possédait une petite eau-forte, qu'il attribuait à Chardin.


148 L'ART DU XVI 1I« SIÈCLE.

qu'il en voulait. Chardin, que la gloire ne gâtait plus, envoyait dire à la princesse qu'il se regardait comme payé par l'honneur qu'elle voulait bien faire à sa vieillesse : le lendemain, le comte d'Affry remettait (le la part de la princesse une boîte d'or au peintre charmé et tout ému \


X


L'œuvre de Chardin dit l'homme qu'il fut. On le devine, on le retrouve dans sa peinture. Il se raconte et s'ouvre familièrement à vous dans ses composi- tions, dans ses scènes, dans le terre à terre et la morale bourgeoise de ses compositions. C'est avec le jour tranquille de son existence qu'il éclaire ses intérieurs. Ses personnages ressemblent à sa fa- mille. Cette médiocrité dont il représente la paix, l'honnête labeur, les joies réglées, le tranquille con- tentement, est la sienne. Sans éducation, sans hu- manités, il est, comme les ménages pauvres qu'il peint, peuple par certains côtés. On le voit vivant avec les braves gens qui l'ont porté au baptême et qui l'accompagneront au cimetière, ne sortant guère des liaisons et du monde de son père, et, sans aller aux gens de la cour et aux grandes dames, s'en te- nant à ses compères, des menuisiers, des marchands, de bons bourgeois de Paris, les peignant, eux, leurs

1. Le Nécrologe. — Mémoires de la vie des Académiciens.


CHARDIN. 149

femmes et leurs enfants, et ne peignant qu'eux. C'est ainsi que ce portrait de madame Lenoir, dont on avait fait la femme du Lieutenant de police, se trouve être tout simplement le portrait de la femme de son ami Lenoir, négociant', de ce même Lenoir, témoin de son mariage, dont il avait peint, en 1731, le fils s'amusant à faire un château de cartes. Char- din, j'en répondrais, n'a jamais peint d'illustrations. Sa race, c'est la race des ouvriers d'art du temps, de ces hommes de famille, de ces artistes du coin du feu, les Le Bas, les Wille. Il a, de ce sang-là, la ver- deur, l'entrain, la grosse franchise, la bonne humeur du bon sens, la philosophie pratique, la rondeur. Quelle bonhomie dans ce trait qui le montre avec la vivacité d'un croquis! Un jour qu'il était en train de peindre un lièvre mort que guette un chat, il est vi- sité par son ami Le Bas. Le Bas s'enflamme devant son lièvre et lui témoigne le désir de le lui acheter. « On ppAit ^'arranger, lui dit Chardin ; tu as une veste qui me plaist fort. » Le Bas ôta sa veste et emporta le tableau ^

Le bonhomme, c'est cela qu'est vraiment Chardin parmi les peintres du temps. Modeste dans le succès, il répète « que la peinture est une Ue dont il a côtoyé les bords. » Sans jalousie, il s'entoure des tableaux, des dessins de ses contemporains. Il est paternel aux jeunes gens, indulgent aux débuts. Il a dans l'àme


1. Ceci est confirmé par un second état de i/Instant dk la Médita- tion indiqué au catalogue de son œuvre.

2. Catalogue de Le Bas. Note manuscrite.

I. 13.


150 L'ART DU XVIII^ SIECLE.

et dans l'esprit toutes les charités du yrai talent. L'accent de sa bonté, ne l'avons-nous pas tout vi- brant dans sa belle conversation avec Diderot? Qu'on écoute, c'est le fond de l'homme et le cœur du peintre :

« Messieurs^ messieurs, de la douceur. Entre tous les tableaux qui sont ici, cho'chez le j^l^^s inauvais ; et sa- chez que deux mille malheureux ont brisé entre leurs dents le pinceau, de désespoir de faire jamais aussi mal. Parocel, que vous appelez un barbouilleur et qui l'est en effet, si vous le comparez à Vernet, ce Pai'ocel est pour- tant un homme rare, relativement à la multitude de ceux qui ont abandonné la carrière dans lar^uelle ils sont en- trés avec lui. Lemoine disait cfuil fallait trente ans de métier pour savoir conserver son esquisse, et Lemoine n'était pas u)i sot. Si vous voulez in écouter, vous ap- prendrez peut-êti^e ci être indulgent. On nous met, n Vuqe de sept ou huit ans, le porte-crayon à la main. iSous commençons à dessiner, d'après l'exemple, des yeux^ des bouches, des nez, des oreilles, ensuite des pieds et des 7nains. Nous avons eu longtemps le dos courbé sur le portefeuille, lorsqu'on nous place devant l'Hercule ou le Torse; et vous n'avez pas été témoin des larmes que ce Satyre, ce Gladiateur, cetteVénus de Médicis, cet An- thée, ont fait couler. Soyez sio-s que ces chefs-d'œuvre des artistes grecs n'exciteraient plus la jalousie des maîtres s'ils avaient été livrés au dépit des élèves. Après avoir séché des journées et passé des tiuits à la lampe, devant la nature immobile et inanimée, on nous présente


CHARDIN. 151

la nature vivante, et tout « coup le travail de toutes les années précédentes semble se }'éduire à rien : on ne fut pas plus emprunté la première fois quon prit le crayon. Il faut apprendre à l'œil à regarder la nature; et com- bien ne l'ont jamais vue et ne la verront jainais! C'est le supplice de notice vie. On nous a tenus cinq à six ans devant le modèle, lorsquon nous livre à notice génie, si nous en avons. Le talent ne se décide pas en un moment. Ce n'est pas au premier essai qu'on a la franchise de s'avouer son incapacité. Combien de tentatives, tantôt heureuses, tantôt malheureuses! Des années précieuses se sont écoulées avant que le jour de dégoid, de lassitude et d'ennui ne soit venu. L'élève est âgé de dix-neuf à vingt ans, lorsque, la palette lui tombant des mains, il reste sans état, sans ressources et sans mœurs; car d'avoir sans cesse sous les yeux la nature toute nue, être jeune et sage, cela ne se peut. Que faire, que devenir? Il faut se jeter dans quelques-unes de ces conditions su- balternes, dont la porte est ouverte (\ la misère, ou mou- rir de faim. On prend le premier parti; et « l'exception d'une vingtaine, qui viennent ici tous les deux ans s'ex- poser aux bétes, les autres ignorés, et moitis malheureux peut-être, ont le plastron sur la poitrine dans une salle d'cuines, ou le mousquet sur V épaule dans un régiment, ou l'habit de théâtre sur les tréteaux. Ce que je vous dis, c'est l'histoire de Belcourl, de Lekain et de Brizard, mauvais comédiens, de désespoir d'être médiocres pein- tres. »

Et il racontait avec un sourire qu'un de ses con-


15? L'ART DU XYIII' SIECLE.

frères, dont le fils était tambour dans un régiment, répondait à ceux qui lui en demandaient des nou- velles, qu'il avait quitté la peinture pour la musique ; puis reprenant le ton sérieux, il ajoutait:

« Tous les pères de ces enfants incapables et déroutés ne p7'en7ieni pas la chose aussi gaiement. Ce que vous voyez est le fruit des travaux du petit nombre de ceux qui ont lutté avec plus ou moins de succès. Celui qui na pas senti la difficulté de Vart ne fait rien qui vaille; celui qui, comme mon fils, l'a senti t?'op tôt, ne fait rien du tout, et croyez que la plupart des hautes condi- tions de la société seraient vides si l'on n'y était admis qu'après un examen aussi sévère que celui que nous

subissons Adieu, messieurs, de la douceur, de la

douceur K »


On se le représente, disant cela, avec sa grosse tête carrée, puissante et bonne, et le fin sourire de ses portraits du Musée. Ou plutôt, je le vois dans cette préparation de La Tour possédée par M. Mar- cille, où le causeur semble avoir été saisi tout parlant, avec sa figure penchée, ses yeux un peu couverts, son expression de malice rustique, et ce nez, et cette lèvre dont parle Diderot.


1. Œuvres de Diderot. Beliii. 1810. Salon de l'année 1765.


CHARDIN. 153


XI


La vieillesse venait et amenait ses tristesses et ses infirmités à Chardin. Depuis de longues années il souffrait delà pierre, qui, sans se former, s'en allait par écailles. Des chagrins se joignaient à sa souf- france. La mort de ce fils \ le seul qu'il ait eu, au- quel il rêvait de laisser son nom et son talent, n'était pas chez lui nne douleur oubliée : elle se représentait à son esprit et revenait plus vive avec les années plus sévères et plus dépouillées. Puis, sous son en- veloppe courte et un peu massive, sous son gros air matériel, Chardin cachait une grande sensibilité, un tempérament tendre et trop facile à se laisser toucher parTinjure, les mauvais procédés, l'injustice. Blessé par l'indifférence de la critique, par cette sé- vérité des jugements dont on retrouve l'écho dans Mariette, il dut mille contrariétés, mille tracasseries à son amitié pour Cochin, au zèle qu'il mit à le dé-


1. Ce fils, que les uns disent noyé à Venise, que les autres font mourir plus vraisemblablement en France, peu de temps après son re- tour d'Italie, avait obtenu, en 1854, le grand prix de Rome sur le sujet de YAsmonéeii Mathathias, père des MacUabées. Le musée de Nantes pos- sède de lui un sujet italien; mais il semble avoir vite abandonné la grande peinture pour se faire l'élève de son père. Après sa mort, en 1779, l'exposition libre de la Blancherie montrait de lui un bas-relief, un jeu d'enfants imitant le bronze. M. Laperlier possédait un tableau peint par lui tout à fait dans le genre de Tordonnance de son père ■ c'est une tète en plâtre du Mercure de Pigalle sortant du milieu de rou- leaux de papier^ de livres, d'étuis, d'instruments de mathématiques, d'accessoires de toutes sortes des sciences et des arts.


151 i;art du xviii'^ siècle.

fendre, à le soutenir dans sa longue direction de l'art. Tous ces ennuis empoisonnèrent les dernières années d'une vie à laquelle l'aisance, les soins d'une femme toute dévouée, une carrière si remplie et si méritante, semblaient devoir assurer un autre bon- heur. A la fin, de nouveaux maux survenaient à Chardin , déjà souffrant depuis si longtemps. Ses jambes enflaient. Thydropisie gagnait la poitrine. Le 6 décembre 1779, Doyen écrivait à un des amis les plus intimes de Chardin, à Desfriches : « Je suis chargé de la part de M"'^ Chardin de vous faire des excuses de ce qu'elle n'a pas eu l'honneur de vous remercier et de vous faire part de sa situation, qui est bien douloureuse. M. Chardin a reçu le bon Dieu; il est dans un état d'afl'aissement qui donne les plus grandes inquiétudes; il a toute sa tête; l'en- flure des jambes a percé dans différentes parties de ses jambes, on ne sait ce que cela deviendra ^ » Ce jour-là même, le jour où Doyen écrivait cela, Char- din mourait -.


1. Les Amateurs français, par Dumesnil.

2. a Décembre 1779. Paroisse Saint-Germain-l'AuxeiTois, le inardy sept. M. Jeaa-Baptiste Siméon Chardin, peintre du roy et de sou acadé- mie ro3'ale de peinture et de sculpture, ancien trésorier de ladite aca- démie, de Tacadémie royale des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, âgé de quatre-vingts ans]passés, veufen premières nopces de dame Mar- gueritte-Saintard, et époux de dame Françoise-Marguerite Pouget, dé- cédé hier k neuf heures du matin aux galleries du Louvre^ a été inhumé en cette église en présence du sieur Juste Chardin, ancien entrepreneur de bâtiments du roy, et du sieur Noël-Sébastien Chardin, marchand mercier, ses frères. » On lit au bas de cet acte la signature de quatre Chardin, sans doute les frères survivants du peintre.


CHARDIN. 155


XII


La peinture de Chardin, sa nouveauté, son origi- nalité, sa personnalité, préoccupèrent grandement les contemporains. Leur curiosité s'irritait devant ce faire unique, cette représentation inexplicable de la nature, ce miracle de l'imitation artistique. Ils s'in- téressaient à ce duel entre Oudry et Chardin pei- gnant le même bas-relief et arrivant tous deux à l'il- lusion du vrai avec des procédés contraires et comme des deux extrémités de l'art : Oudry avec la basse, plate et commune habileté du trompe-l'œil, Chardin avec sa pratique de génie. Ils s'interrogeaient et essayaient de se renseigner sur la trituration de sa pâte, ses mélanges de couleur, sa cuisine de pein- ture. Ils se demandaient les recettes du coloriste, les dessous de son talent. Ils se plaignaient de ne connaître personne qui l'eût vu peindre. Ils accep- taient la légende que Chardin se servait, pour pein- dre, plus souvent de son pouce que de son pinceau. Il leur semblait impossible que cet homme peignît comme il peignait, en peignant avec les moyens ma- tériels de tous les peintres.

Et pourtant cela était. Chardin, quoi qu'ils crus- sent, ne devait point son talent à ces misérables sor- celleries de préparation, à ces escamotages de touche. Le secret de sa peinture n'était ni dans les couleurs posées au pouce, ni dans une recette propre à donner


156 L'ART DU XVIII' SIÈCLE.

un peu de transparence aux demi-teintes : Belle, quand il eut cette recette', resta le peintre qu'il était, avant de l'avoir. Ce que Chardin voulait cacher, en ne laissant point approcher de son chevalet, lorsqu'il peignait, ce n'était point de mystérieux procédés, mais simplement le tâtonnement, le pé- nible effort et le douloureux enfantement de ses œuvres. Prenons bien garde, en effet, de croire que Chardin peignît comme le dit la « Biographie uni- verselle )), qui nous montre le peintre mangeant le lendemain la raie peinte par lui la veille : une telle peinture ne s'improvise pas. Occupé à peindre sans dissipation pendant soixante ans, Chardin n'a laissé qu'un petit nombre de toiles. Il était lent à trouver, à produire, à achever. On devine, à voir ses toiles les moins fatiguées, d'inquiètes et laborieuses mati- nées, des matinées de luttes avec le modèle et la na- ture, où le peintre corrigeait, effaçait, restait là, l'esprit et les yeux tendus, la main hésitante sur ses

1. Voici cette recette, transmise par Cochin à Belle fils :

« Teinte pour Taccord harmonieux d'un tableau dont M. Chardin fai- sait un excellent usage : De la laque, de la -terre de Cologne, des cendres d'outre-mer, du stilt de grain d'Angleterre.

« Quand le tableau est fait, on revient avec ces teintes pour ac- corder.

« J'ai ouï dire à M. Chardin qu'avec ces tons diversement et bien mo- difiés il revenoit sur toutes les ombres, de quelque couleur qu'elles fus- sent. Il est certain que ce peintre a été celui de son siècle qui a le mieux entendu l'accord magique du tableau. » [Archives de l art français, t. IL) Chardin au reste s'occupa beaucoup de la chimie de son art. M. Benjamin Fillon a donné dans les Lettres écrites de la Vendée, 1861, un certificat de Chardin en faveur de l'ocre brun-rouge de la Véri, fa- brique de couleur du bas Poitou qui, en 1771, essayait de lutter avec les terres d'Italie.


CHARDIN. 157

accords, jusqu'à un certain moment d'illumination, une minute, un éclair : alors, tout à coup, le jour se faisant en lui, il enlevait son tableau, souvent sur l'ébauche perdue de deux ou trois autres. Ajoutez à cela que Chardin ne voulait s'aider d'aucun croquis, d'aucun dessin sur le papier ; il poussait son tableau et le travaillait d'après nature, depuis le crayonnage de l'esquisse jusqu'au dernier coup de pinceau. (( Aussi avait-il toujours à la bouche, dit Mariette, que le travail lui coûtait infiniment. »

La conscience et la science, — voilà tous les pro- cédés, tout le secret et tout le talent de Chardin. Sa technique admirable s'appuie sur les plus profondes connaissances théoriques, résultat de longues et so- litaires méditations. Sa science de peindre vient de cette science de voir à laquelle Diderot ira puiser le meilleur et le plus sûr de son éducation artistique. Elle vient de ce sens prodigieux qui lui fait, au pre- mier coup d'œil qu'il jette sur un tableau, indiquer d'un mot l'harmonie qui manque à la toile, et ce qu'il faudrait pour y mettre l'accord qui n'y est pas. 11 y a, en un mot, un grand théoricien sous le grand exécutant. De là, sa manière de peindre unique. Que lui fait à lui le mauvais guide-âne des peintres coloristes du temps , la théorie de Tarc-en-ciel , rangeant à leur place et morcelant dans une toile les couleurs convenues de la lumière? Chez lui, point d'arrangement ni de convention : il n'admet pas le préjugé des couleurs amies ou ennemies. Il ose, comme la nature même, les couleurs les plus

I. 14


158 i;art du XYiir siècle.

contraires. Et cela sans les mêler, sans les fondre : il les pose à côté Tune de l'autre, il les oppose dans leur franchise, « de façon que son ouvrage ressemble un peu à de la mosaïque ou pièces de rapport, comme la tapisserie faite à l'aiguille qu'on appelle point ca)'ré ». Mais s'il ne môle pas ses couleurs, il les lie, les assemble, les corrige, les caresse avec un travail systématique de reflets, qui, tout en laissant la franchise à ses tons posés, semble envelopper chaque chose de la teinte et de la lumière de tout ce qui l'avoisine. Sur un objet peint de n'importe quelle couleur, il met toujours quelque ton, quelque lueur vive des objets environnants. A bien regarder, il y a du rouge dans ce verre d'eau, du rouge dans ce tablier bleu, du bleu dans ce linge blanc. C'est de là, de ces rappels, de ces échos continus, que se lève à distance l'harmonie de tout ce qu'il peint, non la pauvre harmonie misérablement tirée de la fonte des tons , mais cette grande harmonie des consonnances, qui ne coule que de la main des maîtres.


NOTULES


Parmi les catalogues de ventes du xviii^ siècle se trouve la « Notice des principaux articles de tableaux, dessins et estampes du cabinet de feu M. Chardin, peintre du Roi, dont la vente se fera le lundi 6 mars 1780 et jours suivants, de relevée, rue Saint-Honoré, Hôtel d'Aligre, JouUain, ex- pert, MDGCLXXX )'. Une note manuscrite, jetée en tête de l'exemplaire de la Bibliothèque nationale, note sans doute de la main de JouUain, dit : Les objets appartemmt au sieur Chardin ne se sont pas portés à plus de 487 livres. Donc la vente faite sous le nom de Chardin était une vente de rapport, dont le plus grand nombre des numéros n'appartenaient pas au peintre.


Chardin ne s'aidait d'aucun croquis, d'aucun dessin sur le papier, nous dit Mariette, dans son Abecedario, il pous- sait son tableau et le travaillait d'après nature, depuis le crayonnage de l'esquisse sur la toile jusqu'au dernier coup de pinceau. Ce détail que nous donne Mariette est d'un grand intérêt pour Thistoire des dessins de Chardin. Il ex- plique la singulière rareté des dessins bien authentiques du maître, et il montre le peu que ces dessins doivc^it être : un croquis à toute volée, une pensée, comme on disait


160 LART DU XVIII' SIÈCLE.

alors, lloltante, à peine fixée, la surprise d"uïi mouvement, l'indication hâtée, et à grands coups, dune attitude de femme, l'ébauche, en quelques touches de crayon, d'une scène qu'il voulait se rappeler : on ne doit demander que cela à ses dessins. Si Chardin a dessiné, c'est ainsi qu'il a dû dessiner, et il a dessiné : les catalogues du xviii<^ siè- cle en font foi. 11 est fait mention dans la vente d'Argen- ville, sous le n° 482, d'une femme debout, tenant un pa- nier à son bras, dessin ou fusain rehaussé de blanc par Chardin, et de plusieurs compositions du même, sous le n° 483. Il existe donc des études de lui; mais Ton cher- cherait vainement, dans toutes les ventes du temps, la trace d'un seul dessin fini et terminé, d'un dessin d'une scène faite. Le public de ces années s'est très peu pré- occupé de la citation de Mariette, et l'on a vu les ache- teurs se jeter sur les dessins les plus achevés, les plus lé- chés, les plus pinochcs, sur les dessins se rapprochant le plus du faire précieux de Boissieu. Je citerai, comme exemple, la sanguine de la vente Norblin, ISIi.i, représen- tant <( une femme assise et dessinant ». Je dirai même qu'en dépit de la vieille écriture qui a écrit le nom de Chardin et l'a daté de 1774, je n'ai qu'une confiance très médiocre dans le portrait du « jeune homme au tricorne )> que possédait M. His de la Salle. Ce dessin me paraît d'un dessin bien petit pour l'homme qui, dans le moment, bru- talisait de son pastel les rudes portraits du Louvre. J'en dirai autant de (^ l'Intérieur de cuisine », aux coups de blanc si aigus, qui n'ont rien de l'épointaire d'un morceau de craie, manié par une main de maître. Il y a bien dans une vente du 19 novembre 1783, vente anonyme et sans autorité, un dessin d'intérieur de cuisine, mais avec des figures à la plume, et ce n^est pas le dessin de la collec- tion His de la Salle. Enfin, d'autres amateurs, et des plus fins et des plus délicats, ont été trompés par un certain pastellage donnant à un dessin une couleur chardinesque. Et voici l'histoire curieuse d'un de ces Chardin acceptés


CHARDIN. 161

par tous et dont j'ai démontré la fausseté. Il y a l)ien des années. M. Rciset, me montrant ses merveilleux Watteau, me dit en mettant sous les yeux une petite scène pastellée représentant une jeune fille faisant lire un garçonnet. — Comment trouvez-vous ce Chardin? — Chardin ! Chardin! vous dites? moi, je ne crois pas que ce soit de Chardin. — Oh! pas possible... M. Ingres n'en a pas douté un mo- ment. — M. Ingres peut être un très grand peintre... mais il a regardé les dessins de l'école française moins que moi... puis enfin, voulez-vous que je vous dise toute ma pensée..., et c'est là où je m'étonne de me trouver en dissentiment avec votre monsieur Ingres... C'est que ce dessin n'a rien d'un dessin d'un grand maître... c'est le joli faire d'un tout petit dessinatem-, d'un dessinateur-gra- veur. » Aous nous quittâmes, le possesseur du Chardin un peu nerveux, et moi atteint de cet entêtement hête, parti- culier aux collectionneurs, fort désireux de prouver que j'avais raison contre M. Ingres. Je revoyais M. Reiset quelque temps après, et comme il me demandait si je croyais toujours que son dessin n'était pas un Chardin. — « Parfaitement, d'autant plus que j'ai trouvé dans un ca- talogue du xviii<^ siècle, dont je ne sais plus le nom, sous l'attribution Aubert, deux dessins pastellés ayant pour titre : la Double Éducation, et maintenant je me rappelle avoir vu, dans un faire exactement semblable au vôtre, un jeune homme faisant lire une petite fille, un dessin de la collection de la baronne de Conantre, et qui le donne éga- lement pour un Chardin. — Tout cela, vous savez, des imaginations, des rêveries, des hypothèses... » Six mois, dix mois se passèrent. Un jour, j'allais avec mon frère faire tirer une eau-forte chez Delâtre, rue Saint-Jacques, quand, à la devanture d'un vitrier, j'aperçus le dessin de M. Reiset, gravé par M^^^ Papavoine portant au bas : Au- bert. J'eus la cruauté de le lui porter aussitôt au Louvre. Et c'est ainsi que ce dessin, qui porte le nom de Chardin, dans le catalogue déjà imprimé de M. Reiset, a été exposé 1- 14.


162 i;art du xviip siècle,

lannée dernière parmi les dessins du duc d'Aumale, sous le litre de «. la Lecture », par Aubert.

Voici pourtant trois étalons purs des dessins de Chardin. Le premier est un homme en tricorne avec l'habit du jeune homme des Tours de cartes tenant une boule ou je ne sais quoi de rond dans la main. C'est le seul dessin de Chardin que je connaisàe signé Chardin de sa main. Il est daté de 1760. C'est une indication de mouvement à la sanguine, avec des plis, des rondeurs et des gras qui sem- blent faits avec le pouce passant sur le crayon rouge et l'écrasant.

Un second à la sanguine sur papier brun représente dans des contours où flottent les personnages, et dans un dessin qui a une certaine parenté avec Hogarth, un homme qui fait voir la lanterne magique à des polissons, le montreur de la curiosité, comme disait le xviii° siècle. Celui-ci a une assez singulière et curieuse authcntification : c"est sur un coin, de l'écriture de Chardin, une invitation à manger le lendemain un chapon au Flat-d'Èlain. Ce des- sin était catalogué dans une vente de la lin du xviii^ siè- cle sous le titre de : la Ciiriositc.

Le troisième, qui portait au dos le nom de Chardin, d'une écriture du temps, est la première pensée de la <( Vieille femme tenant un chat sur ses genoux », une ébauche du beau portrait peint, possédé par la baronne de Conantre, crayonnée, sabrée comme un courante

1. Pour en finir avec les dessins de Cliardin, donnons les plus vrai- semblables passés dans les ventes de ces dernières années ou existant dans les collections publiques. A la vente du baron de Vèze, en 1855, passait un dessin très grand in-folio aux crayons de couleur, représen- tant Servandoni et sa famille, signé : A soii ami J. D. S., Chardin 1745. Malgré la suscription du temps le trait académique courant et coulant de ce dessin me le rend parfaitement suspect. Dans une vente de M. Villot, un dessin qui portait une signature de Chardin, ajoutée après coup; une représentation du modèle d'homme posant, couché devant les élèves de l'école de peinture, est sans conteste un dessin de Cochin. Dans une vente de Yis-nerès du 10 décembre 1866. deux dessins au


CHARDIX. 163

Donnons le seul billet qu'on connaisse de Chardin, tiré de « l'Histoire des plus célèbres Amateurs français » par M. J. Dumesnil. Je crois que l'orthographe a été corri- gée.

Monsieur,

Je viejîs de faire remettre au carosse tV Orléans une caisse qui contient les quatorze suites des ports du Royaume pour lesquelles j'ai reçu le montant. Les quatre eaux-fortes et les quatre secondes suites sont les huit premières qui ont été choisies. J'espère que vous en serez aussi content que fai de satisfaction à vous assurer du parfait attachement avec le- quel j'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Chardin.

Mo7i épouse et moi avons l'honneur d'assurer Madame et votre aimable famille de nos très humbles civilités.

Port de la caisse 1 //-. oO

Emballage ainsi toile cirée. . . '6 »


6 fr. 50


ÎJ francs par souscription.


crayon noir rehaussés de blanc, donnés pour des études de L'Étude dv Dessein, sont simplement deux dessins originaux de cette suite à l'eau- Ibrte de six dessinateurs dessinant un carton sur les genoux, suite ano- nyme. Enfin, M. Charles Ephrussi a vu à TAlbertina deux dessins aux trois crayons : l'un représentant une femme lisant, une petite fille couchée à ses pieds; l'autre une femme écrivant, pendant qu'un enfant joue à ses pieds. Ces deux compositions attribuées k Chardin, et qui me rappellent terriblement les petites scènes d'Aubert, portent : Pour J/"» de Pompadoiir, Chardin.


LES


EXPOSITIONS DE CHARDIN


A LA PLACE DALPIIINE


172


Une Raie, un Chat et des Poissons, et différents autres ta- bleaux.

1734

Seize tableaux représentant des Jeux d'enfants, des Trophées de musique, des Animaux morts et vivants ; la plus grande toile représentait une Jeune Femme qui attend avec impatience qu'on lui donne de la lumière pour cacheter une lettre ^.


LES

EXPOSITIONS DE CHARDIN

AU SALON DU LOUVRE


1737

L'ne Fille tirant de l'eau à une fontaine.

l'ne Petite Fille s'occupant à savonner.

Un Jeune Homme s'amusant avec des cartes.

Un Chimiste dans son laboratoire.

Un Petit Enfant avec les attributs de l'enfance.

Une Petite Fille assise s'amusant avec son déjeuner

Une Petite Fille jouant au volant.

Un Bas-Relief i)eint en bronze.


1738

LTn Petit tableau représentant un Garçon cabaretier qui net- toie un broc.

Un tableau représentant une Jeune Ouvrière en tapisserie.

Un tableau représentant une Récureuse.

Un tableau représentant une Ouvrière qui choisit de la laine dans son panier.

Son pendant : un Jeune Ecolier qui dessine.

Un tableau de quatre pieds en quarré, représentant ime Femme occupée à cacheter une lettre.


CHARDIN. Ifi-

Un petit tableau représentant le Portrait du fils de M. Gode- troy, joaillier, appliqué à voir tourner un tôton.

Autre représentant un Jeune Dessinateur taillant son crayon.

Le f.ortrait d'une Petite Fille de M. Mahon, marchand, s'a- musant avec sa poupée.

1739

Un petit tableau représentant une P^emme qui pi*end du thé. Au-dessous, un autre représentant la Pourvoyeuse. Un petit tableau représentant l'Anrusement frivole d'un jeune homme faisant des bouteilles de savon. Un petit tableau en hauteur représentant : la Gouvernante. Autre représentant : les Tours de cartes. La Ratisseuse de navets.

1740

Un tableau représentant un Singe qui peint.

Autre, le Singe de la philosophie.

Autre, la Mère laborieuse.

Autre, le Bénédicité.

Autre, la Petite Maîtresse d'école.

1741

Un tableau représentant : le Négligé ou toilette du matin, appartenant à M. le comte de Tessin.

Autre, représentant : le Fils de M. Lenoir, s'amusant à faire des châteaux de cartes.


1743

Un tableau représentant le portrait de madame Le..., tenant une brochure.

Autre petit tableau représentant : des Enfants qui s'amusent au jeu de l'oye.

Autre, faisant pendant, oii sont aussi des Enfants faisant des tours de cartes.


168 L"ART DU XVIII' SIECLE.


K46


Un tableau, répétition du Bénédicité, avec une addition pour faire pendant à un Téniers placé dans le cabinet de M. (de la Live),

Autre, Amusements de la vie privée.

Le Portrait de M***, aj-ant les mains dans son manchon.

Le Portrait de M. Levret, de TAcadémie royale de chirurgie.

1747

Un tableau représentant : la Garde attentive ou les Aliments de la convalescence. Ce tableau fait pendant à un autre du même auteur, qui est dans le cabinet du prince de Lichtenstein, et dont il n'a pu disposer, ainsi que de deux autres qui sont partis depuis peu pour la cour de Suède.

17 48

Un tableau représentant : L'Élève studieux, pour faire pen- dant à ceux qui sont partis Tannée dernière pour la Suède.

17ol

Un tableau de dix-huit pouces de haut sur quinze de large. Ce tableau représente une Dame variant ses amusements.

17o3

Deux tableaux pendants sous le même numéro. L un repré- sente un Dessinateur d'après le Mercure de M. Pigalle , et l'autre une jeune Fille qui récite son évangile. Ces deux ta- bleaux, tirés du cabinet de M. de la Live, sont répétés d'après les originaux placés dans le cabinet du roi de Suède. Le Des- sinateur est exposé pour la deuxième fois avec des change- ments.

Un tableau représentant : un Philosophe occupé de sa lecture. Ce tableau appartient à M. Boscry, architecte.

La Bigarrure ei Fréron dans les Observatiom mr la p/nj$irjue,


CHARDIN. 169

Vhistoire naturelle et la peinture (1752-1753), disent ce tableau être le portrait d'Aved.

Un petit tableau représentant : un Aveugle.

Autre, représentant : un Chien, un Singe et un Chat peints d'après nature. Les deux tableaux tirés du cabinet de M. de Bombarde.

Un tableau appartenant à M. Germain, représentant une Perdrix et des Fruits.

Deux tableaux pendants sous le même numéro, représentant : des Fruits, tirés du cabinet de M. Chassé.

Un tableau représentant : du Gibier, appartenant à M. Aved.

1755

Des Enfants se jouant avec une Chèvre. Imitation d'un bas- relief en bronze. Un tableau d'Animaux.

17o7

Un tableau d'environ six pieds, représentant : des Fruits et des Animaux.

Deux tableaux, dont l'un représente les Préparatifs de quel- ques mets sur une table de cuisine, et l'autre une partie de Dessert sur une table d'office. Ils sont tirés du cabinet de l'École française, de M. de la Live.

Une Femme qui écure. Tiré du cabinet de M. le comte de Vence.

Portrait ou Médaillon de M. Louis, professeur et censeur royal de chirurgie.

Un tableau d'une pièce de Gibier avec une Gibecière et une Poire à poudre. Tiré du cabinet de M. Damery.

17o9

Un tableau d'environ sept pieds de haut sur quatre pieds de large, représentant : un Retour de chasse. Il appartient a M. le comte du Luc.

Deux tableaux de deux pieds et demi sur deux pieds de large, représentant : des pièces de Gibier avec un Fourniment et une Gibecière. Ils appartiennent à M. Trouard, architecte.

I. lo


170 L'ART DU XYIII' SIECLE.

Deux tableaux de Fruits d'un pied et demi de large sur treize pouces de haut. Ils appartiennent à l'abbé Trublet.

Deux autres tableaux de Fruits, de même grandeur que les précédents, du cabinet de M. Sylvestre, maître à dessiner du Roi.

Deux petits tableaux d'un pied de haut sur sept pouces de large ; l'un représente un jeune Dessinateur, l'autre une Fille qui travaille en tapisserie. Ils appartiennent à M. Cars, graveur du Roi.

1761

Le Bénédicité. Répétition du tableau qui est au cabinet du Roi, avec des changements. Il appartient à M. Fortier, notaire.

Plusieurs tableaux d'Animaux. Ils appartiennent à M. Aved, conseiller de l'Académie.

Un tableau représentant : des Vanneaux. Il appartient à M. Silvestre, maître à dessiner du Roi.

Deux tableaux de forme ovale. Ils api)artiennent à M. Rœt- tiers, orfèvre du Roi.

Autres tableaux du même genre, sous le même numéro.

17C3

Un tableau de Fruits.

Le Bouquet.

Ces deux tableaux appartiennent à M. le comte de Saint-Flo- rentin.

Autre tableau de Fruits appartenant à M. l'abbé Pommyer, conseiller au Parlement.

Deux autres tableaux représentant : l'un des Fruits, Tautre les Débris d'un déjeuner.

Ces deux tableaux sont du cabinet de M. Silvestre, de l'Aca- démie royale de peinture et maître à dessiner de Sa Majesté.

Autre petit tableau appartenant à M. liemoyne, sculpteur du Roi.

Plusieurs autres tableaux sous le même numéro.

1765

Un autre tableau représentant les Attributs des Sciences.


CHARDIN. 171

Autre représentant ceux des Arts.

Autre, où Ton voit ceux de la Musique.

Ces tableaux, de trois pieds dix pouces de large sur trois pieds dix pouces de haut, sont destinés pour les appartements de Choisy.

Trois tableaux, sous le même numéro, dont un ovale, repré- sentant des Rafraîchissements, des Fruits, des Animaux.

Ces tableaux ont quatre pieds six pouces de largeur sur trois pieds six pouces de haut. Celui ovale a cinq pieds de haut.

Plusieurs tableaux, sous le même numéro, dont un repré- .sente une Corbeille de raisins.


1767

Deux tableaux cintrés d'environ trois pieds de haut sur quatre pieds six pouces de large, représentant divers Instruments de Musique, et destinés pour les appartements de Bellevue. Au Roi.

1769

Les Attributs des Arts et les Récompenses qui leur sont ac- cordées. Hauteur, quatre pieds ; largeur, cinq pieds. Ce tableau, répétition avec quelques changements de celui fait pour l'Impé- ratrice des Russies, appartient à M. l'abbé Pommyer, conseiller eu la grand'chambre du Parlement, honoraire, associé libre de l'Académie.

Une Femme qui revient du marché. Ce tableau, aussi répé- tition, avec changements, appartient à M. Silvestre, maître à dessiner des Enfants de France.

Une Hure de sanglier? Hauteur, deux pieds six pouces; lar- geur, trois pieds. Tiré du cabinet de Monseigneur le Chancelier.

Deux tableaux représentant des Bas-Reliefs.

Deux tableaux de Fruits.

Deux tableaux de Gibier.


1771


Imitation d'un Bas-Relief. Trois Têtes d'études, pastel.


17*


L'ART DU XVriI' SIÈCLE.


d773


Une Femme qui tire de l'eau à une fontaine. Ce tableau ap- partient à M. Silvestre, maître à dessiner des Enfants de France. C'est la répétition d'un tableau appartenant à la reine douai- rière de Suède.

d 7 7 .T

Trois Têtes d'études, au pastel.

1777

Imitation de Bas-Relief.

Trois Tètes d'études, au pastel.

1779 Plusieurs Tètes d'études, au pastel.


œUVRE GRAVE

DE CHARDIN'


Eaux-Fortes de la main du Maître.

Une petite eau-forte, d'après une tête de vieillard au pastel, de la collection de M. Laperlier, était donnée par le posses- seur, à l'auteur du pastel, mais rien n'autorise cette attribu- tion, ni un renseignement de l'époque, ni même le faire de la pièce qui est d'un travail très mince, et n'a rien d'une eau-forte de peintre.

Portraits.

Jean-Baptiste-Siméon Chardin, Peintre du Roi, Co7iseiller et ancien Trésorier de l'Académie Royale de Peinture et de Sculp- ture, de l'Académie Royale des Sciences, Belles Lettres et Arts de Rouen, par Chevillet. Le pastel exposé ausalonde 1771 (H. O^nieû; L. Qi^SSO) a été acquis en 1839, à la vente Brizard, au prix de 72 francs. Ce portrait avait passé précédemment à la vente Sil- vestre, où il s'était vendu avec le portrait de M"e Chardin 24 francs, puis à la vente Gounod en 182i. Une répétition du Chardin du Louvre, signé Chardin (H. 0™4o0; L. 01^^488), se ven- dait 50 francs à la première vente de M. Laperlier en 1867. —


1. Je ne donne dans ces catalogues de l'œuvre gravé des Maîtres du xviiie siècle que les estampes originales de l'époque, trouvant fasti- dieux de cataloguer les répétitions sans importance. Je ne ferai une exception que pour les estampes d'après des tableaux ou des dessins inédits gravés pour la première fois de notre temps.

I. 15.


174 L'ART DU XYIII SIÈCLE.

Marguerite-Siméone Pouget, par CUevillet. C'est le portrait eu pied d'après la tradition d'une filleule de Chardin, d'une petite femme bancroche, en robe à cinq volants, devant une cheminée dont le trumeau porte le portrait de Chardin en grisaille. La peinture d'un format pas beaucoup plus grand que la gravure, peinture exécrable, mais qui pouvait être acceptée comme une peinture de la vieillesse de Chardin, était possédée par M. Claye, il y a une vingtaine d'années. — Andréas Levret. « Le por- trait de Levret de l'Académie Royale de Chirurgie exposé au salon de 1746, » par Louis le Grand. — Antoine Louis, secré- taire perpétuel de V Académie de Chirurgie, par Dupin.

On pourrait encore classer parmi les portraits gravés de Chardin, Le Château de Cartes, comme un portrait du fils de M. Lenoir; L'Inclination de l'Age comme un portrait de la fille de M. Mahon; L'Instant de la Méditation, comme un portrait de Mme Lenoir; Le Toton, comme un portrait du fils du joail- lier Godefroy ; Le Souffleur, comme un portrait du peintre Aved.

Parmi les portraits peints non gravés :

Indiquons le portrait de la vieille femme tenant un chat dans ses bras, que je serais disposé à croire un Chardin, et un Char- din du temps qu'il peignait les chauds et colorés tableaux de la galerie de Lichtenstein. Quant au portrait de femme autrefois possédé par M. Chevignard, en dépit de sa signature, je le trouve douteux , ainsi que le portrait de femme en robe de chambre rose, vendu à la vente Camille Marcille. Et je ne parle pas du portrait de Mme Lenoir de la galerie Lacaze, et du por- trait de Mme Geoffrin du Musée de Montpellier.

Parmi les portraits pastellés non gravés :

Le portrait à l'abat-jour vert de Chardin, et le portrait en bonnet Idanc de M^c Chardin, les deux pastels acquis par le Louvre au prix de 146 francs à la vente Bruzard, en 1839 '.

Au musée d'Angers, est catalogué sous le n» 33 un portrait, pastel (H. 0^44 ; L. 0»3oj.

Quelques portraits ou tètes au pastel passaient dans les ventes du xviiie siècle. En 1773, à la vente de Jacqmin, un buste de

1. Ces deux portraits ont été gravés dans la Gazette des Beaux- Arts.


CHARDIN. 1T5

vieillard de grandeur naturelle se vendait 99 livres 19 sols. En 1779, à la vente du 29 mars, se vendait un morceau d'un grand mérite, dit l'expert, un buste d'homme portant une fraise au cou et une toque sur la tête (H. 21 p.; L. 17 p.). Il repassait à la vente du 24 avril 1783. En 1867, à la vente de M. Laperlier, une tête de vieillard signée Chardin, 1771 (H. 0^ 47; L. 0i"37), était adjugée à 85 francs. Mentionnons aussi le curieux portrait désigné sous le nom de Bachelier en costume de trésorier de l'Académie de Saint-Luc (H. 0^5.5; L. 0™35), signé Chardin, et vendu 1,210 francs à la seconde vente Laperlier. Un autre por- trait de peintre en robe de chambre bleue à ramages, la palette à la main (H, 0m64 ; L. 0m53), était payé 800 francs. Un portrait de femme âgée coiffée d'un bonnet de dentelle, noué par un fichu noir sous le menton, les épaules couvertes d'une mantille noire; pastel signé : Chardin^ 1772, passait dans la vente du 28 novembre 1772. Et n'oublions pas parmi les pastels de Char- din la tête au pastel du Jaquet (petit laquais) exposé à la der- nière exposition faite du vivant de Chardin, pastel qui semble perdu.

Sujets satiriques.

L'Antiquaire, « le Singe de la philosophie » de l'exposition de 1740 par Surugue fils. Le tableau original (H. 0'ïi80; L. 0'"G4) a été acquis avec deux natures mortes, au prix de 3.000 francs, par le Musée de M. Laneuville qui les avait achetés à Baroilhet. — Le Peintre, « le tableau représentant un singe qui peint » de l'exposition de 1740, par Surugue. Le tableau original (H. 0'n72; L. 0°iG0), provenant de la vente Lemoyne, où il se vendait, en 1778, avec son pendant « I^e Singe antiquaire » et peut-être de la vente de Preuil en 1812, est dans la salle La Caze du Louvre. Une reproduction originale signée Chardin existe dans la collec- tion de Mme la baronne Nathaniel de Rothschild.

En 1858, à l'exposition archéologique de Chartres, deux re- productions originales du « Singe antiquaire » et du <* Singe peintre » étaient exposées par M. Garnier-Courtois.

Scènes de la vie domestique.

Les Amusements de la Vie Privée, gravé par Surugue. Le tableau original était dans la galerie de Drontingholm en Suède,


176 L'ART DU XVIII' SIECLE.

il est aujourd'hui au musée de Stockholm. — L'Aveugle, « le petit tableau représentant un aveugle, exposé au salon de 1753 », gravé par Surugue fils. Le tableau original (H. 10 p. 3 1.; L. 6 p. 9 1.) passait à la vente de Vassal Saint-Hubert en 1773, où il se vendait 1,700 livres, à la vente du chevalier de Cène en 1786, où il se vendait 500 livres, puis à la vente Duclos-Dufresnoy, puis à la vente du 1 1 prairial an VIL puis à la vente de M. Laper- lier en 1807, où il était adjugé à 570 francs. Une répétition de <( l'Aveugle, » à moins que ce ne soit le tableau de M. Laper- lier, est dans la collection de M^e la baronne Nathaniel de Rothschild. — Le Bénédicité, gravé par Lepicié. Il y a une reproduction gravée, très parfaite, par Renée-Élisabeth Marie Lepicié, et une copie faite en Angleterre à la manière noire, sous le titre : The Grâce. Un original (H. 0™49; L. 0™39), venant de la collection Louis XV, est au Louvre. Un autre original (H. 19 p.; L. 25 p.), agrandi pour faire pendant à un Theniers, et où se trouve un garçon pâtissier tenant un plat avec son cou- vercle, passait à la vente Fortier en 1770. Il repassait à la vente Choiseuil-Praslin. Ce tableau commandé par M. de la Live à Chardin est aujourd'hui dans la collection de M. Eudoxe Mar- cille. Un autre original (H. 18 p.; L. 15 p.) était acheté 219 francs par M. Saint, à la vente Denon en 1826, et se revendait en 184ti, 501 francs à la vente du possesseur. Il est aujourd'hui dans la galerie La Caze du Louvre. Enfin, indépendamment des Béné- dicité de Saint-Pétersbourg et de Stockholm, une esquisse du Bénédicité, peinte à l'huile sur papier, s'était vendue sous le no 481, à la vente des dessins de d"Argenville, — La Blanchis- seuse, <( le tableau de la petite femme s'occupant à savonner », de l'exposition de 1737, gravé par Cochin •. Le tableau original

1. Appelons Fattention des amateurs sur les eaux-fortes de Cochin, sur les premiers états de la Blanchisseuse, de la Fontaine, etc., qui pour moi donnent uoe impression bien plus juste, bien plus exacte, bien plus claire des compositions de Chardin que les compositions terminées. Et l'on peut dire la même chose de presque toutes les eaux-fortes des autres 2-raveurs dont j'ai presque réuni la collection. Je possède à létat d'eau- forte le Singe antiquaire, les Amusements de la vie privée, l'Aveugle, la Blanchisseuse, la Fontaine, la Dame prenant son thé, le Dessinateur, rOuvrière en tapisserie, TÉcureuse, le Cxarçon cabartier, 1" Inclination de l'âge, la Petite Fille à la raquette, Sans soucis sans chagrin, Simple dans mes désirs.


CHARDIN. 177

(H. 14 p.; L. 16 p.) se vendait avec « La Fontaine », 164 livres à la vente du chevalier de la Roque, en 1745. Ce tableau ou une répétition ornant le cabinet à la suite de la bibliothèque de M. Crozat, baron de Thiers, était vendu avec la collection à la Russie en 1775. C'est celui catalogué sous le n° 1514 dans le musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg. Un autre original passait en 1780 à la vente de Chardin, où il se vendait 17 livres 6 sols, et repassait à la vente du 11 décembre de la même année. Enfin un autre original serait conservé au musée de Stockkohn. — Les Bouteilles de savon, « le petit tableau re- présentant lamusement frivole d'un jeune homme faisant des bouteilles de savon, » de l'exposition de 1739, gravé par Fil- lœul. Le tableau original (H. 1 p. 1/2; L. 9 p.), placé dans le ca- binet à la suite de la bibliothèque de M. Crozat, baron de Thiers, était vendu avec la collection à la Russie. Un autre original passait à la vente Trouart en 1779, repassait à la vente Watelet en 1786, à la vente du 16 germinal an IX, et était adjugé en 1867, à la vente Laperlier, 820 francs. M. Bocher en possède une répétition originale en largeur. Au musée Lorain, à Bourg, un tableau attribué à Chardin représente de jeunes garçons faisant des bulles de savon. — Le Château de cartes, gravé par Aveline. Il semble par la description du catalogue que le tableau original serait la peinture cataloguée sous le no 1515 au musée de l'Ermitage. — Le Château de cartes, « le tableau représentant le fils de M. Lenoir s'amusant à faire un château de cartes, » de l'exposition de 1741, gravé par Lepicié. Le ta- bleau original est-il le tableau (H. 2 pieds; L. 1 pied 8 p.) qui passait à la vente de Jombert père en 1775, ou le tableau (H. 33 p- ; L. 25 p.) qui passait à la vente du 15 décembre 1777 ? Un troisième original, mais de forme ronde, dont le diamètre était de 30 p., passait à la vente du 12 mars 1782 où il était acheté 40 livres 2 sols par M. Devouges. — Le Château de cartes, « le tableau du jeune homme s'amusant avec des cartes, » de l'ex- position de 1737, gravé par Fillœul. Il aurait été publié d'après M. Bocher, en premier état, sous le titre : Le Faiseur de Châ- teaux de cartes. La composition de Fillœul diffère de celle de Lepicié en ce que le joueur est devant une fenêtre garnie d'un grand rideau. Il y a en outre une petite eau-forte du « Château de cartes » par Marcenay de Guy. — Dame cachetant une lettre, gravé par Fessard. Le tableau original, de quatre pieds carrés,


178 LART DU XVI 11-^ SIECLE.

«xposé à la place Dauphine en 1734 et au salon de 1738, est perdu. — Une réduction originale (H. 9 p. 50 1.; L. 9. 50 1.) passait à la vente Beaujon en 1787, à la vente Hubert Robert en 1807, à la vente du comte d'Houdetot en 1859, où elle se ven- dait 271 livres. — Dame prenant son thé, gravé par Fillœul. — Le Dessinateur, gravé par Flipart. Il y a une copie en contre- partie de cette planche imprimée en couleur, par Gautier Da- goty. Le tableau original (H. 7 p. ; L. 5 p.) se vendait avec « rOuvrière en tapisserie, » 100 livres à la vente du chevalier de La Roque, en 1745 ; 120 livres, à la vente du prince de Conti, en 1779; 882 livres à la vente de la présidente de Bandeville en 1787; 24 francs à la vente Sylvestre en 1811; 40 francs à la vente Lemoyne en 1828: à la vente Saint en 1846. « Le Dessi- nateur )) seul était acheté 725 francs par M. Marcille père, et il se revendait en 1876, à Invente de M. Camille Marcille, 3,620 fr. — Le jeune Dessinateuv, « le tableau représentant un jeune des- sinateur taillant son crayon, » de l'exposition de 1738, estampe rare gravée par Faber à Londres en 1740. — L'Ecureuse, « le tableau de la Récureuse de l'exposition de 1738 », gravé par Co- chin. Le tableau original (H. 16 p. 1/2; L. 13 p, 1;2) était acheté avec le « Garçon cabartier » 550 livres, par Peters, à la vente du comte deVence en 1760. L'Écureuse réunie au Garçon cabar- tier se vendait 420 livres, à la vente de M. de Menars en 1782; à la vente de M. Camille Marcille en 1876, « TÉcureuse » seule montait à 23,200 francs. — La Bonne Éducation, « le tableau de la jeune fille récitant son évangile, » de l'exposition de 1753, gravé par Le Bas. Le tableau original (H. 15 p.; L. 17 p. 6 1.) se vendait avec « l'Étude du dessein » 720 livres, à la vente de la Live de Jully en 1759, — L'Étude du Dessein, « le tableau du dessinateur du Mercure de Pigalle, » de l'exposition de 1743, gravé par Le Bas. Le tableau original (H. 15 p.; L. 17 p. 6 l.), grandeur de la « Bonne Éducation » dont il faisait le pendant. — La Fille à la Raquette, gravé par Lepicié *. Le tableau ori- ginal (H. 0"'88 ; L. On'63), signé et daté 1751, s'est vendu 5,000 fr. à la vente du comte Lazare, en 1875. — Le Flùteur, rare es-


1. C'est une épreuve dont la planclie, qui n'avait, pour ainsi dire pas tiré, a été trouvée ces années-ci et dont des épreuves modernes se ven- dent dans les ventes tous les jours. Pour 1" avoir ancienne il faut la pos- séder à l'état d'eau-forte ou d'avant la lettre.


CHARDIN. 179

tampe au nom de graveur illisible, et que j'ai rencontrée seule- ment dans la collection de M. Roth, estampe douteuse, mais qui porte au bas gravé à la pointe sèche le nom de Chardin. — La Fontaine, gravé par Cochin. Le tableau original (H. 16 p.; L. 14 p.) se vendait avec a La Blanchisseuse « 482 livres à la vente du chevalier de La Roque en 1745. Il repasse à la vente Lem- pereur en 1773, où il est acheté 205 livres par Cochin pour le graver. On le retrouve en 1780 à la vente Le Roy de Senneville où il se vend 174 livres 19 sols; en 1811, à la vente Sylvestre où il tombe à 100 francs ; en 1842, à la vente du vicomte d'Harcourt, où il remonte à 601 francs. M. Eudoxe Marcille possède de cette composition im original avec changement et agrandissement. Une autre reproduction originale est au musée de Stockholm. Le Garçon Cabartier (sic), gravé par Cochin. Le tableau original (H. 16 p. 1/2; L. 13 p. 1/2). Même grandeur que « TÉcureuse », dont il faisait le pendant dans le cabinet du comte de Vence. « Le Garçon Cabartier » se vendait tout seul en 1876, à la vente de M. Camille Marcille, 6,100 francs. — La Gouvernante, gravé par Lépicié. Le tableau original (H. 16 p. , L. 13 p. 6 1.) se vendait avec « La Mère Laborieuse » 30 livres 4 sous à la vente Chardin en 1780. Il y a, dit M. Bocher, une répétition dans la collection de M. Arthur de Vogué. — L'Inclination de l'âge, <( le portrait d'une petite fille de M. Mahon, marchand, s'amusant avec sa poupée », gravé par Surugue fils. — L'Ins- tant DE LA Méditation. « Le tableau représentant le portrait de Mi»<î Le... tenant une brochure, de l'exposition de 1743 » gravé par Lepicié. Quelques épreuves d'un second état portant : Dédié à M. Lenoir par son très humble et très obéissant serviteur et son amy, J.-P. Chardin, attestent comme je l'ai déjà dit plus haut que c'est le portrait de M^c Lenoir, femme du marchand, et non le portrait de M^e Lenoir, femme du lieutenani de po- lice. Il y a également une copie en manière noire. — Le Jeu del'Oye, gravé par Surugue fils. Le tableau original (H. 12 p.; L. 14 p. 6 I.), après s'être vendu avec les « Tours de Cartes », 35 livres 7 sous, repassait seul à la vente du 29 mars 1782, où il était acheté 40 livres par M. Toulouze. — La Maîtresse d'Ecole, gravé par Lepicié. Le tableau original (H. 24 p. : L. 30 p.) passait à la vente de Watelet en 1786 et repassait en 1845 à la vente Cypierre où il se vendait 486 francs. — La Mère LABORIEUSE, gravé par Lepicié. M. Bocher cite cinq reproduc-


180 L'ART DU XVIIl* SIÈCLE.

lions de l'estampe primitive ". Le tableau original (H. 0™yi8 ; L. 0m,38), provenant de la collection Louis XV, fait partie du Louvre. Un autre oris'inal (H. 16 p. ; L. 14 p. 6 1.), à moins que ce ne soit celui-ci, se vendait, avec la Gouvernante, 30 livres 4 sols à la vente Chardin. Et il est encore question d'un exem- plaire de u La Mère laborieuse » à la vente Bélizard, oii elle se vendait 123 livres. Une reproduction originale de « La Mère laborieuse » (H. 0", 49 ; L. 0™, 39) est au musée de Stockholm. Le Négligé ou Toilette du matin, gravé par Le Bas. Le tableau original, qui était dans le cabinet du comte de Tessin, est au- jourd'hui dans le musée de Stockholm. — L'Œcoxome, gravé par Le Bas. Le tableau original est au musée de Stockholm. Une esquisse, provenant de la vente du peintre Rouillard, est dans la collection de M. Eudoxe Marcille. — Les Osselets, gravé par Fillœul. Le tableau original passait avec « les Bouteilles de savon » à la vente Gruel en 1811. — L'Ouvrière en tapisserie, gravé par Flipart. Il existe une copie en contre-partie, imprimée en couleur par Gautier Dagoty. Le tableau original (H. 7 p.; L. 5 p.), plusieurs fois vendu en compagnie du c Dessinateur », se vendait 465 francs à la vente du vicomte d'Harcourt en 1742, était acheté 610 francs àla vente Saint, i)ar M. Marcille père, et se revendait 3,420 francs à la vente Camille Marcille. Il y a une ré- pétition originale (H. 0™, 19 ; L, 0™, 16) de u l'Ouvrière en tapis- serie » et du « Dessinateur » au musée de Stockholm. L\ Pourvoieuse, gravé par Lepicié. M. Bocher a relevé sept repro- ductions de l'estampe primitive Le tableau original (H. 17 p.; L. 13 p. 3/4) se vendait avec une copie de « La Gouvernante », retouchée par Chardin, 164 livres, à la vente du chevalier de La Roque en 1743. Ce tableau repassait dans la vente du 10 avril 1786, dans la vente du 1^' mars 1792, et en 1810, dans la vente de Sylvestre, où, réuni à « l'Écureuse », il se vendait 121 francs. On le retrouve à la vente Giroux en 1831, oii il était acheté par M. Laperlier, et à la première vente de M. Laper- lier en 1867, il était acquis par le Louvre au prix de 4,030 francs. Un autre original de « La Pourvoieuse » est dans la galerie Lichtenstein à Vienne, et un autre, peut-être douteux, dans la galerie de Charlottenbourg en Prusse. — La Ratisseuse, « le

1. Catalogue raisonné de Jean-Baptiste-Siméon Chardin, par Emma- nuel Bocher, à la librairie des Bibliophiles, 1876.


CHARDIN. 181

tableau de la Ratisseuse de navets, de l'exposition de 1739 », gravé par Lepicié. Le tableau original est dans la galerie du prince de Lichtenstein, à Vienne. — SaJis soucis, sans c/iagrùi, « le petit tableau de l'enfant avec les attributs de l'enfance, de l'exposition de 1737 », gravé par Cocliin. Le tableau original (H. 7 p. 1/2; L. 6 p. i/2) se vendait avec « Simple dans mes plaisirs » 31 francs à la vente Lebrun, en 1806. Une esquisse de « Sans soucis » (H. 30 c. ; L. 25 c.) est dans la collection de M. Emmanuel Boclier. — Simple dans mes plaisirs, e?i ma cola- tion, « le tableau de la petite fille assise s'amusant avec son dé- jeuner, de l'exposition de 1737 », gravé par Cochin. Le tableau original (H. 7 p. 1/2; L. 6 p. 1/2) faisait le pendant de « Sans soucis ». — La Serinette ou une Dame variant ses amusements, gravé par S. Cars. Le tableau original (H. 19 p.; L. 16 p.) passait, en 1782, à la vente du marquis de Ménars, où il était acheté 631 livres par M. de Tolozan. On retrouve « la Seri- nette » à la vente Denon, dans laquelle on la donne pour un portrait présumé de M™e Geoffrin, et où elle est achetée 600 francs par Constantin. On retrouve encore « la Serinette », en 1859, à la vente d'Houdetot, où elle est achetée j)ar M. Meflfre, 4,510 francs, et de là elle entre dans la galerie du duc de Morny, où, récurée et repeinte en miniature et n'ayant absolu- ment rien du faire d'un Chardin, elle se vend 7,100 francs. Une répétition existerait à la galerie Dulwich. — Le Souffleur, gravé par Lepicié. Ce tableau me semble être « le Ghiniiste dans son laboratoire, » de l'exposition de 1737, exposé dé nou- veau sous le titre du « Philosophe occupé de sa lecture », ta- bleau que nous avons démontré être le portrait d'Aved. — Le ToTOX, « le petit tableau représentant le portrait du fils de M. Godefroy. joaillier, appliqué à voir tourner son toton », gravé par Lepicié. Le tableau original (H. 25 p.; L. 27 p. 1/2) se vendait 25 francs à la vente du chevalier de la Roque, en 1745. Il repassait, en 1845, chez M. de Cypierre, où il se ven- dait 605 francs. Il est aujourd'hui dans la collection de M. le marquis de Montesquiou. — Les Tours de cartes, gravé par Surugue. M. Clément de Ris possédait un curieux é'at, avec, au bas, quatre portées de musique sur les paroles : On vous béduit, faible jeunesse, par ces tours que vos yeux ne cessent d'ad- mirer. Le tableau original (H. 12 p.; L. 14 p. 6 1.) vendu avec son pendant w le Jeu de l'oye » chez Chardin. Ce tableau repas-

I. 16


182 L'ART DU XVIII" SIECLE.

sait dans la vente du 11 décemlire 1780, puis on le revoyait à la vente Giroux en 1851, où il était acheté 650 francs par M. Moi- tessier. Une tapageuse esquisse de ce tal)leau se vendait 1,100 francs à la première vente de M. Laperlier, en 1867.

J'ai le souvenir d'avoir vu chez M. Laperlier une gravure d'après Chardin, représentant deux enfants jouant, gravure que je n'ai vue que là, et qui, je crois, n'a pas été vendue aux ventes faites du vivant ou après la mort de son possesseur.

Parmi les scènes de la Vie domestique non gravées :

<i Les Aliments de la convalescence » de la galerie Lichtens- tein, une des grandes compositions du peintre, dont le départ précipité pour Vienne n'a pas permis de la graver, ainsi que l'ont été tous les tableaux familiers de Chardin. Une esquisse des « Aliments de la convalescence » (H. 45 c; L. 34 c.) était retirée à la première vente de M. Laperlier en 1867; elle repas- sait à la vente faite après sa mort en 1879, oii elle se vendait 1,120 francs.^A l'exception des « Aliments de la convalescence », on peut dire que toutes les compositions peintes, attribuées à Chardin, sont fausses ou au moins très douteuses. Je ne ferai qu'une exception pour le tableau autrefois possédé par M. Guil- mard : Une petite rîlle tendant une gimblette à un chien qui fait le beau, et encore c'est du Chardin embryonnaire. Je doute du Chardin des ventes du 2 mai 1785 et 20 mai 1787 (vente Pille), représentant un homme et une femme se disputant à table; je doute du Chardin de la vente de Richard de Lédan, représentant une vieille à sa toilette, que je croirais être bien le de Troy gravé, et je n'ai qu'une très médiocre confiance dans u la Petite paysanne aux ciseaux ■» de la vente du duc de Morny, et même dans « le Retour de l'école » de la galerie La Caze.

Enseignes, Panneaux décoratifs, Attributs des Arts, Imitations de bas-reliefs.

Aucun de ces motifs n'a été gravé par des graveurs contem- jiorains.

En 1783, à la vente Le Bas, « Une enseigne de barbier-chi- rurgien » : (( Vn chirurgien portant des secours à un homme blessé dans une rue. Il est entouré de la garde qui écarte une foule de curieux et qui fait place à un commissaire. Ce tableau


CHARDIN. 183

est fait au premier coup. Il est de la touche la plus savante et d'un effet piquant >> (H. 2 pieds 2 p.; L. 14 pieds). Bois. Vendu 100 livres. Une esquisse de cette enseigne (H. 27 c; L. 1™, 5.5) passait, en 1867, à la première vente de M. Laperlier, oii elle se vendait 400 francs. Elle a été brûlée dans les incendies de la Commune.

A la seconde vente Laperlier, « Deux panneaux décoratifs pour une pharmacie » (H. 61 c. ; L. i^, 90) se vendaient 305 fr.

Parmi les peintures d'Attril)Uts :

Au Louvre « les Attributs des Arts », une statuette de femme assise sur une console de bois contre laquelle est appuyée une équerre avec des médailles, une boîte à couleurs, une palette, des pinceaux à sa gauche ; une masse de sculpteur, un vase, un livre à sa droite, signé et daté 1765 (H. 92 c. ; L. 46 c); « Les Attributs de la Musique », un cahier de musique, une mando- line, un violon sur une table de bois, au milieu de livres, de trompettes, d'un cor de chasse, d'une flûte, tableau provenant de Fontainebleau (H. 90 c. ; L. 46 c). Chez M. André : « Les Attributs des Arts », un buste antique, un maillet, une palette chargée de pinceaux posés sur un appui de pierre, devant le- quel, près dun oranger fleuri dans un vase doré, un singe des- sine ; '( les Attributs de Sciences », une mappemonde, des cartes géographiques, une longue vue, un cornet du Japon, un micros- cope, un brûle-parfum posé sur une table couverte d'un tapis de l'Orient. Ces deux toiles décoratives (H. 1 m. 40 c; L. 2 m. 20 c.), signées et datées de 1731, étaient vendues 8,850 francs à la première vente de M. Laperlier, en 1867. Chez M. Eudoxe Marcille : u Les Attributs de la Musique », sur une table de pierre où sont jetés un tapis d'Orient et un manteau bleu fleur- delisé, «les timbales, une trompette, un grand sac de velours rouge couvert de passementerie d'or, un hautbois, une clari- nette, un livre de musique ouvert; « Les Attributs de la Mu- sique », sur une table de pierre, recouverte de velours rouge frangé d'or, une grosse caisse enrubannée rose et vert, un vio- lon, une flûte, un tambour de basque, un livre posé sur un pa- pier de musique, un cor de chasse ; « Les Attributs de la Mu- sique », snr une table de pierre, un violon posé debout dans le renfoncement d'un mur, l'archet passé sous ses cordes, un livre, une musette couleur cerise, galonnée d'argent, un pupitre sur


181 L'ART DU XVIIP SIÈCLE.

lequel est perché un perroquet; « Les Attril)Uts de la Musique », sur une table de pierre, un panier d'osier plein de pommes et de poires, au-dessus duquel courent des plantes grimpantes au milieu d'une guitare, d'une vielle, d'un tambour de basque aux floquets de ruljan rose. Les deux premiers « Attributs ^>, de forme ovale, signés et datés 1767, ont été achetés 1,732 fr. 50 c, à la vente Rouillard, en 1853. Les deux derniers sont de torrae rectangulaire K

Parmi les imitations de bas-reliefs :

En 1772, à la vente Michel Vanloo, « un l)as-relief » peint et imité en bronze, d'après un original de François Quesnoy, dit le Flamand, qui a été dans le cabinet de Crozat, et depuis dans celui de M. le baron de Thiers. On y voit huit enfants qui jouent avec un bouc et dont un se cache derrière un grand masque. « Le bas-relief est peint en bronze et produit une illu- sion que le toucher seul est capable de détruire. » Vendu 200 livres. En 1776, dans la vente du l*" avril. « un jeu d'enfant,» dans le goût de François Flamand, et à l'imitation du bronze antique (H. 9 p. ; L. 15 p.). La même année, à la vente Randon de Boisset, ><■ deux tableaux, peints en 1769, représentant des bas-reliefs. Dans l'un est un satyre et trois enfants, dont l'un est allaité par une chèvre. Dans l'autre, une femme, deux sa- tyres, une chèvre. Ils sont peints sur toile » (H. 19 p. ; L. 2 pieds 10 p.). Ilsétaientachetés, par le comte de Merle, 719 livres 19 sols. En 1877, à la \ente du prince de Conti, un « Jeu d'enfant », bas- relief imitant le bronze, d'après Duquesnoy. Bois (H. 8 p. ; L. 14 p.). En 1778, à la vente Molini, « un bas-relief imitant le bronze, » d'après François Flamand, toile (H. 9 p.: L. 15 p.). Vendu 36 livres 1 sol. En 1783, à la vente Vassal de Saint- Hubert, u un bas-relief imitant le bronze et représentant un jeu d'enfants. » Bois (H. 8 p. ; L. 14 p.). Vendu 100 francs. En 1785, à la vente du baron Saint- Julien, « tableau en bas-relief », d'a- près François Flamand. Cuivre ^H. 9 p. , L. 14 p.). La même année, à la vente du 18 avril, « Pyrrhus, roi des Molosses, échappe à ses persécuteurs et est présenté à Glaucias. roi des

1. En 1855, une toile (H. 49 c. L. 95 c.) représentant des » instruments de musique » a été vendue 1990 francs et une autre de forme cintrée était vendue à une vente en 1860.


CHARDIN. 185

Illyriens, par ses serviteurs et ses nourrices. » Peint en bas- relief par Chardin (H. 12 p.; L. 14 p.). En 1790, à la vente du 31 mai, « un tableau d'après un bas-relief de Flamand. » Toile (H. 10 p. ; L. 12 p.). La même année, à la vente Chardini, un tableau, imitant le bas-relief de l'Hyver de Bouchardon, était retiré à 72 livres. En 1828, à la vente de Lemoyne, « des En- fants jouant avec un bouc », peinture en camaïeu, imitation d'un bas-relief en bronze. Bois (H. 14 p. 1/2; L. 8 p. 1/2). C'est sans doute le tableau-bas-relief de la vente Michel Vanloo. Au- jourd'hui, seraient conservées dans la collection de M. Queyroy, à Moulins, deux imitations de bas- reliefs représentant des sa- tyres et des nymphes jouant avec des boucs, signés et datés de 1769, qui me semblent les tableaux bas-reliefs de Randon de Boisset. Il y a encore, chez M. Eudoxe Marcille, un bas-relief en imitation de plâtre, d'après Duquesnoy, où sept petits amours jouent avec une chèvre.

Natures mortes.

Aucune nature morte gravée par les contemporains, quelques lithographies modernes.

En 1745, à la vente du chevalier de la Roque, deux petits tableaux peints sur bois (H. 6 p. ; L. 9 p. 1/2), vendus 30 livres. Un autre, peint sur toile (H. 23 p.; L. 21 p.), représentant un lapin et une marmite, vendu 6 livres. En 1748, à la vente du joaillier Godefroy, deux petits tableaux peints sur toile, où étaient des légumes et quelques attirails de cuisine (H. 15 p. ; L. 11 p. 3/4). En 1764, à la vente du peintre de Troy, deux ta- bleaux peints sur toile (H. 14 p. 6 L; L. 11 p. 6 1.), figurant chacun une table de cuisine, sur laquelle se trouvaient des us- tensiles de ménage, des légumes, du poÉSSon; un autre (H. 26 !>. 6 1. ; L. 20 p. 6 1.), représentant un lapin, une gibecière, une poire à poudre.

En 1770, à la seconde vente du peintre Aved, l'ami de Char- din, neuf tableaux parmi lesquels il y en a de six pieds de hau- teur sur quatre pieds de largeur, et dont je donne la description d'après le catalogue. 129. Des raisins et des pêches dans un panier. Une poire, une pèche, des prunes, un gobelet d'argent et une bouteille. Tableau peint sur une toile de 29 pouces de haut sur 23 pouces de large. 130. Un autre tableau sur toile de

I. 16.


186 L'ART DU XVIIP SIECL?:.

30 pouces de haut sur 24 de large : on y voit deux maquereaux attachés à la muraille, deux concombres, deux ciboules et un gi-and gobelet sur une table. 132. Autre de 5 pieds 11 pouces de haut sur 3 pieds 4 pouces : on y remarque un vase sur un pié- destal, un canard attaché à l'anneau dudit vase, un lièvre, une boîte à poudre, une gibecière, un fusil, un cor de chasse et un chien barbet. Ce tableau est touché d'art. 132. Un tableau peint grassement sur toile de 6 pieds 1/2 de haut sur 4 pieds 5 pouces de large. Il représente un lièvre, une gibecière, une boîte à poudre, un cor de chasse, le tout groupé ensemble et attaché à un arbre; un fusil, deux lapereaux, un faisan mort et un chien. 133. Deux tableaux sur toile de 20 pouces de haut sur 16 de large ; l'un est composé d'une perdrix attachée par la patte à la muraille, un pot de terre, un citron et une pomme; l'autre l'est d'une gibecière, une boite à poudre et deux perdrix. 134. Un lièvre, une gibecière, une boîte à poudre et un fusil dans un paysage, sur une toile de 30 pouces de haut sur 37 pouces de large, sans bordure. 133. Un canard attaché à la muraille et un citron sur une table. Tableau peint sur une toile de 29 pouces de haut sur 23 de large. 136. Des fleurs dans un vase de porce- laine l)lanche â rieurs bleues posé sur une tablette. Ce tableau est peint sur une toile de 17 pouces de haut sur 14 de large *. En 1773, à la vente Lempereur, une toile représentant une perdrix, des lapins, une gibecière (H. 29 p.; L. 26 p.). En 1776, à la vente du 1" avril, deux toiles montrant des pèches, des prunes, des cerises, des groseilles (H. 13 p. 6 1.; L. 16 p.). En 1777, à la vente du prince de Conti, un tableau représentant une perdrix et des fruits ; un autre des ustensiles de cuisine et autres objets. En 1778, à la vente du 13 janvier, un tableau de fruits : panier de prunes, deux pèches, une poire (H. 1 pied ; L. 2 pieds). La même année, à la vente du 30 mars, im lapin attaché et groupé avec une gibecière et une poire à poudre (H. 30 p.; L. 24 p.), vendu 23 livres 1 sol. La même année, à la vente du 10 août, un tableau (H. 14 p.; L. 18 p.) où il y avait une table de pierre sur laquelle étaient posés un panier de


1. Ce catalogue, qui n'a été cité par personne, es,t celui où je ti-ouve les plus belles natures mortes des collections contemporaines. J'y re- marque le gobelet d'argent de la collection Laperlier, gravé par mon frère. •


CHARDIN. Id7

pèches, deux grappes de raisin, un gobelet et deux noix ; un autre (H. 15 p.; L. 20 p.) représentant deux lapins posés sur une gibecière; un autre (H. 14 p.; L. 16 p.) un lapin et deux oi- seaux. En 1780, à la vente du 27 novembre, deux tableaux (H. 13 p. ; L. 9 p.), avec sur l'un une raie, un chapon, un fromage. En 1781, à la vente du le»" mars, deux toiles (H. 15 p. ; L. 12 p.) représentant des meubles de cuisine et autres objets. La même année, à la vente de M^c Lancret, deux lièvres (H. 1 pied 11p.; L. 1 pied 7 p.). En 1783, à la vente d'Azincourt, deux tableaux de légumes et d'ustensiles de cuisine. La même année, à la vente de Vassal de Saint-Hubert, deux tableaux (H. 13 p. 6 1. ; L. 16 p.) représentant des pèches, des prunes, des figues, des cerises, des groseilles, des gobelets, un pot. La même année, à la vente du graveur Le Bas, un tableau (H. 20 p. ; L. 38 p.) montrant un lièvre mort, un chat qui le guette, et des fruits sur un rebord de pierre. Vendu 9 livres 13 sols. En 1784, à la vente du 21 juin, deux tableaux (H. 16 p. 8 1. ; L. 12 p. 6 1.) représen- tant : l'un des raisins, une poire et une théière sur une table ; l'autre des pommes, une poire, un couteau. En 1786, à la vente du peintre Taraval, un tableau : un poulet, un morceau de fro- mage, des œufs, une marmite, un pot de terre, un grugeoir sur un rebord de pierre (H. 15 p.; L. 12 p.). En 1787, à la vente de M. Peters, un tableau venant de chez M. de la Live : un carré de mouton, une marmite de cuivre, un pot de faïence (H. 14 p.; L. 17 p.). En 1788, à la vente Lenglier, deux tableaux représentant des déjeuners (H. 16 p.; L. 20 p.) : dans l'un, on voit une tranche de pâté, une bouteille, un verre rempli devin; dans l'autre, un carafon de vin, un gobelet d'argent, un plat dans lequel sont des œufs rouges. La même année, à la vente de Galonné, deux tableaux (H. 14 p. 1/2; L. 11 p. 1/2), dans l'un desquels se voyaient trois merlans pendus à un croc. En 1791, à la vente du 2 mai, les deux tableaux exécutés pour M. de La live de Jully (H. 14 p.; L. 17 p.) représentant des tables sur lesquelles sont un pâté, un pot à oille, un huilier, un carré de mouton, une volaille et des ustensiles d'office et de cuisine. En 1792, à la vente du 1er mars, un sujet de gibier et usten- siles de chasse (H. 27 p.;L. 21 p.). En 1807, à la vente de No- garet, deux tableaux (H. 80 c; L. 64 c), dont l'un représentait un chat et des poissons. Vendus les deux 30 francs. En 1808, à la vente Bouchardon : une table de cuisine au-dessus de laquelle


188 L'ART DU XVIII' SIECLE.

était suspendu un gigot. En 1810, à la vente du 30 avril : un la- pin mort, une carnassière, une poire à poudre (H. 15 p.; L. 24 p.). En 1821, à la vente Sylvestre, deux tableaux (H. 26 p. 6 1.; L. 21 p.) représentant deux oiseaux morts et un jambon, vendus 37 francs; deux autres (H. 13 p. 4 L; L. 16 p. 9 1.) représentant des pêches, du raisin, une poire, des noix, une théière, ime bouteille de liqueur, vendus 34 francs ; deux autres (H. 11 p. 9 1.; L. 14 p. 6 1.) représentant un panier de prunes, une corbeille de raisins, vendus 9 francs ; trois autres (H. 11 p. 9 1. ; L. 13 p. 9 1.) représentant du poisson, des fruits, des ustensiles de ménage et autres objets inanimés, vendus 32 fr. 50 c. En 1828, à la vente de Lemoyne, un tableau peint sur cuivre (H. 8 p. 1/2; L. G p. 1/2) montrant un cellier où un melon est à terre près d'une table chargée d'un panier de légumes; dans le fond à gauche, une femme apporte un autre panier. Vendu 28 livres. A la même vente, un déjeuner avec des pèches et du raisin, signé Chardin, 1761 (H. 14 p.; L. 17 p.). En 1846, à la vente Saint, deux tableaux : l'un du poisson et divers ustensiles de cuisine ; Tautre des légumes et divers ustensiles de cuisine. En 1853, à la vente de Dugleré, une nature morte (H. 38 c; L. 31 c) vendue 265 francs. En 1859, à la vente du comte d'Houdetot, un tableau : un intérieur de cuisine, vendu 301 francs : im autre, un chaudron, un pot, des œufs, une poivrière, vendu 280 francs; un autre : plusieurs pots en grès sur une table, vendu 72 francs; un autre : deux lapins morts et une carnassière, vendu 000 fr.; un autre : des légumes et un lièvre, vendu 101 francs: un autre : un pot et de la viande, vendu 301 francs ; un autre : des usten- siles de cuisine, vendu 126 francs; deux autres : des ustensiles de cuisine, vendus 500 francs; un autre : du gibier; un autre, représentant une timbale d'argent, des fruits, des gâteaux. En 1860, à la seconde vente de Baroilhet, passaient plusieurs ta- bleaux de nature morte, parmi lesquels se vendait « le petit chaudron de cuivre rouge » . En 1865, à la vente du duc de Morny, un tableau (H. 54 c.; L. 40 c.) représentant une perdrix suspendue par une patte au-dessus d'un pot de grès, d'une pomme d'api, d'une orange, vendu 1,200 francs.

En 1867, à la première vente de M. Laperlier, « le Pot d'é- tain », signé Chardin (H. 46 c; L. 39 c), vendu 1,150 francs; « le Gobelet d'argent » (H. 4i c; L. 49 c), vendu 1,600 francs, il se revendait 4,000 francs à la vente Baroilhet, en 1872, et


CHARDIN. 189

3,800 francs à la vente Laurent R,ichard, en 1873; « le Panier de pèches », signé Chardin, 1768 (H, 32 c. ; L. 40 c), vendu 1,380 francs; « la Corbeille de raisin », signé Chardin, 1768 (H. 32 c; L. 40 c), retirée à 800 francs, se revendait à la se- conde vente 1,250 francs; « La Soupière d'argent », signé Chardin (H. 75 c. ; L, 107 c), vendu 2,350 francs. « Le Lièvre », signé Chardiyi (H. 65 c. ; L, 84 c). Retiré à la première vente, il se vendait 3,150, francs à la seconde vente de Laperlier, en 1879. « La Marmite de cuivre », signé Chardin (H. 31 c; L. 40 c), vendu 1,500 francs. Elle repassait, en 1873, à la vente Laurent Richard, où elle se vendait 4,550 francs. « Le Buffet », signé Chardin (H. 32 c; L. 41 c), vendu 1,7000 francs. « Fruits », signé Charâin (H. 38 c; L. 43 c), vendu 880 francs. « Nature morte » (H. 35 c. ; L. 44 c), vendu 250 francs; nature morte (H. 38 c. ; L. 41 c), vendu 650 francs.

Enfin, en 1876, à la vente de M. Camille Marcille, un tableau ovale, signé et daté Chardin, 1760 (H. 57 c; L. 51 c), repré- sentant un melon entamé au milieu de pèches et de prunes, près d'un pot à eau avec sa cuvette de porcelaine de Chine, vendu 7,000 francs; un autre tableau ovale, signé et daté Char- din, 1760 (H. 57 c. ; L. 51 c), représentant trois verres, un bocal d'abricots à l'eau-de-vie, un citron, un macaron, deux tasses de porcelaine de Chine, une boîte de dragées, un pain de sucre, vendu 12,000 francs; un autre tableau (H. 45 c. ; L. 37 c), re- présentant des œillets blancs, des tubéreuses, des pois de sen- teur dans un vase de porcelaine de Chine blanc et bleu, vendu 1,440 francs; un autre tableau, signé et daté Chardin, 1732 (H. 41 c. ; L. 32 c), représentant un quartier de viande, un pot en faïence, une marmite en cuivre, une écumoire, deux oignons, un égrugeoir, vendu 1,580 francs; un autre tableau, signé Chardin (H. 42 c. ; L. 33 c), représentant un pot en faïence, une marmite en cuivre, un poulet, un fromage avec une raie susi)endue au-dessus, vendu 1,300 francs.

Nous allons maintenant donner les natures mortes de Chardin conservées dans les musées de France et de l'étranger, et les collections particulières. Au Louvre, « la Raie » et « les Fruits sur une table de pierre », les deux tableaux donnés par Char- din pour sa réception à l'Académie: « le Lapin mort et Usten- siles de chasse » (H. 82 c. ; L. 65 c), tableau acquis, en 1852, de M. Jules Boilly, moyennant la somme de 700 francs; « Usten-


190 L'ART DU XVIII' SIECLE.

siles de cuisine, chaudron, gril, fourneau, œufs, harengs », ta- bleau peint sur cuivre, signé Chaivlui, 1731 (H. 33 c; L. 41 c), acquis, en 1852, avec son pendant et « le Singe antiquaire » de M. Laneuville, moyennant la somme de 3,000 francs; « Usten- siles de cuisine, chaudron, pot de terre, étui de pipe, pièce de viande accrochée à la muraille », peint sur cuivre, signé Char- dhi, 1731 (H. 33 c. ; L. 41 c); « le Panier de pèches », venant de la vente Lai)erlier.

Au Louvre^ dans la salle La Caze, les natures mortes sui- vantes : un tableau ovale, signé Cliardin : un panier de pèches, un melon coupé, des prunes, des poires, deux bouteilles et un pot à eau avec sa cuvette en porcelaine de Chine (H. 59 c. ; L. 53 c. ; un tableau, signé Chardin, 1763 : deux grenades, des raisins noirs et blancs, une cafetière en porcelaine blanche à fleurs, des pommes, deux verres, un couteau à manche d'ivoire (H. 47 c. ; L. 56 c.) ; un tableau, signé Chardiii, 1760 : un pâté, ime bigarade, deux verres, un plat contenant des pommes, un sucrier de porcelaine de Saxe, un bocal d'olives (H. 70 c. ; L. 98 c.) ; un tableau, signé Chardin, 1763 : une l)rioche sur- montée d'une branche d'oranger en fleur, des biscuits, des ce- rises et un carafon de vin rouge (H. 47 c; L. 56 c.) ; un tableau, signé Chardin, 1756 : un verre à demi plein, des raisins, un panier de pèches, deux noix, un couteau (H. 38 c. ; L. 46 c.) ; un tableau, signé Chardin, 17... : un réchaud d'argent, un pain de sucre, des pommes, luie soupière de faience, un pâté, un huilier (H. 38 c. ; L. 45 c.) , un tableau, signé Chardin : un verre à demi plein, trois poires, une noix coupée, un couteau (H. 33 c. ; L. 40 c.) ; un tableau, signé Chardin : trois pommes, deux marrons , une écuelle en faïence, un gobelet d'argent (H. 33 c. ; L. 41 c.) ; un tableau : un chaudron, un chou, des oignons, im couteau, un chat près d'une marmite en terre et trois maquereaux accrochés au mur (H. l^i, 50 c. ; L. 1™, 29 c.); un ta])leau peint sur papier, signé Chardin : une poire, des prunes, un gobelet d'argent et derrière un grand panier conte- nant des raisins noirs et blancs et deux pèches (H. 69 c. ; L. 38 c.) ; un tableau peint sur bois, signé Chardin : un chaudron de cuivre, une poivrière, des œufs, un pilon (H. 17 c.;L. 21c.).

Dans les musées de province, au Musée d'Angers, trois na- tures mortes. Les musées de Rouen et de Cherbourg en pos- sèdent une chacun.


CHARDIN. 191

A l'étranger, au musée de Stockholm, un lièvre suspendu à la muraille, au-dessus d'uu chaudron de cuivre, d'un coing et de quelques marrons (H. 68 c. ; L. 58 c).

Au musée de Carlsruhe, une bouteille de verre, un gobelet de métal, un citron à moitié dépouillé (H. 56 c. ; L. 45 c.) ; un pot en métal, des prunes, des noix, des pèches (H. 54 c. ; L. 45 c); une perdrix suspendue au-dessus d'une terrine remplie de pèches, de paniers de poires, de figues, d'une petite branche d'arbuste fleuri (H. 89 c. ; L. 74 c.) ; deux lièvres accrochés au- dessus d'une gibecière et d'une pomme (H. 1", 05 c. : L. 72 c); un oranger dans un pot, au-dessus d'une terrine remplie de prunes, une poire, deux pommes. Ces cinq tableaux du musée de Carlsruhe sont signés à l'exception du dernier; les deux lièvres portent la date de 1726.

Arrivons aux collections particulières de la France. Collec- tion Eudoxe Marcille : un gobelet avec une orange gnraie de feuilles, des pommes d'api , des poires, des bouteilles, signé Chardin^ 1738; une théière en faïence blanche au milieu de grappes de raisin blanc et noir, de pommes, de marrons, avec un couteau d'argent à manche noir, signé Chardin; une marmite en cuivre rouge, un égrugeoir, une tige de poreau, trois œufs, un panier d'osier rempli de pèches parmi des noix, des raisins blancs; un petit pot enterre, un œuf, un chaudron, une grande cuiller posée dedans, un chou, des carottes, signé Chardin; un lièvre pendu au-dessus d'une gibecière en peau blanche et d'une poire à poudre en corne avec cordons bleus ; deux lapins morts, dont l'un a la tète posée sur une carnassière de peau blanche, un panier d'osier rempli de prunes de monsieur au milieu de groseilles, de cerises, de noix dont l'une est à moitié ouverte, signé Chardiii ; un verre d'eau à moitié plein, à côté d'un citron à demi pelé, et de châtaignes et de noix, signé Char- din; un gobelet de métal parmi des pèches et du raisin noir et blanc, signé Chni^din; un verre dans un bol à rincer de cristal, près de deux grappes de raisin et d'une assiette de pèches, signé Chardin ; un panier d'osier contenant une pyramide de fraises au-dessus d'un verre plein d'eau, avec deux œillets blancs, signé Chardin. Collection de M™c la baronne Nathaniel de Rothschild : Des tranches de jambon grillées dans un plat, un gobelet en métal remi)li de vin, et derrière un pain entamé.


192 L'ART DU XVIII'^ SIECLE.

dans lequel est fiché un couteau; « le Pot d'étain », qui, je crois, vient de la vente Laperlier ; un lièvre pendu au-dessus d'une orange et d'une perdrix rouge, signé Chardin; un car- don, une feuille de chou, une serviette, un pot en terre, sur lequel est posée une écumoii-e, au-dessous d'un morceau de viande, signé CAarfZ/n; une crache en faïence vernissée, une poule plumée, un fromage de Hollande à moitié entamé, avec au-dessus une raie, signé Chard'oi. Collection de M. Rothan : la marmite de cuivre provenant de chez M. Laperlier; un lapin dont le train de derrière repose sur une gibecière et une poire à poudre, signé Chardin; un verre à patte rempli de vin, un pâté, une petite soupière en saxe, des biscuits, un macaron, un bocal contenant des fruits à l'eau-de-vie, près d'un canard sau- vage pendu au-dessus, signé Chardin, 1764. Collection de M. Lavalard : un chaudron posé sur le côté, un petit pot de terre, un gros pain rond, un petit fourneau, au-dessous de trois harengs, signé Chardin. Collection de M. Burat : un pâté moitié entamé, un citron, un verre plein de vin, une boîte à sel en fer-blanc, signé Chardin ; une cruche, une trinche de saumon, un chaudron, un fromage de Hollande ix. moitié en- tamé, une burette d'huile, signé Chardin; un gol)elet près de trois pommes d'api, un bol avec une cuiller, deux châtaignes, signé Chardiîi. Collection Haviland. Un chaudron en cuivre jaune, le cul posé contre un mur d'office, deux merlans jetés en travers d'un plat de terre vernissée, etc. H n'est pas signé et est peint sur une toile préparée en rouge. Peinture fluide d'un faire qui n'est pas habituel à l'artiste (H. 48 c. ; L. 86 c). Col- lection Burty. Un égrugeoir, un pot de teri'e brune, trois œufs' une tranche de potiron, une serviette dont un bout est accroché à un chaudron. Signé J. S. Chardin (H. 25 c; L. 35 c.j ; trois petits oignons blancs, une branche de fenouil, un pot en terre brune, un verre aux trois quarts plein. Signature presque effa- cée (H. 30 c; L. 40 c). Une merveille que ce petit tableautin où se révèle le mieux dans le rien de la composition l'art sa vant du premier peintre de natures mortes et de toutes les écoles


BOUCHER


17


BOUCHER


Boucher est un de ces hommes qui signifient le goût d'un siècle, qui l'expriment, le personnifient et l'incarnent. -Le goût français du xYin° siècle s'est manifesté en lui dans toute la particularité de son caractère : Boucher en demeurera non seulement le peintre, mais le témoin, le représentant, le type.

Ni le grand siècle ni le grand Roi n'avaient aimé la vérité dans l'art. Les encouragements de Ver- sailles, les applaudissements de l'opinion avaient poussé l'effort de la littérature, de la peinture, delà sculpture, de l'architecture, l'ardeur des esprits et des talents, vers une grandeur menteuse et une no- blesse convenue qui enfermait le Beau dans la solen- nité et la règle d'une étiquette. Un suhlime fait d'emphase, de pompe, de dignité, avait ébloui l'esprit de la France; et fermant les oreilles aux accents de Shakespeare, les yeux aux tableaux de Teniers, la société française avait cru trouver dans une majesté fictive une loi suprême d'esthétique, un idéal absolu.


196 L'ART DU XVIII' SIECLE.

Lorsqu'au siècle de Louis XIY succède le siècle de Louis XY, quand la France galante sort de la France fastueuse et qu'autour de la royauté plus humaine les choses et les hommes deviennent plus petits, l'idéal de l'art demeure un idéal factice et de convention; mais de la majesté, cet idéal descend à l'agrément. Partout se répand un raffinement d'élé- gance, une délicatesse de volupté, ce que le temps appelle a la quintessence de Taimable, le coloris des charmes et des grâces, l'embellissement des fêtes et des amours ». Le théâtre, le livre, le tableau, la statue, la maison, l'appartement, rien n'échappe à la parure, à la coquetterie, à la gentillesse d'une décadence délicieuse. Le joli^ — voilà, à ces heures d'histoire légère, le signe et la séduction de la France. Le joli est l'essence et la formule de son génie. Le joli est le ton de ses mœurs. Le joli est l'école de ses modes. Le joli, c'est l'âme du temps, — et c'est le génie de Boucher.


II


Boucher est une gloire parisienne. Il naquit à Paris, — non en 1704^, comme Pont dit les biogra- phes contemporains, comme l'ont répété, après eux les biographes du siècle présent, — mais le 29 septem- bre 1703 ^ Une note du Recueil des Chansons manus-

1. Nous avons été assez heureux pour retrouver, aux Archives de


BOUCHER. 197

crites de Maurepas lui donne pour père un grainetier. La Galerie Françoise de Restout, mieux informée, fait naître Boucher d'un peintre assez obscur qui, après lui avoir enseigné les premiers éléments de la pein- ture, reconnut bien vite que son élève méritait un maître plus habile et l'envoya étudier chez Lemoine, célèbre alors.

Et bientôt Lemoine, étonné d'un « Jugement de Suzanne « fait par le jeune homme de dix-sept ans, promettait à son élève l'avenir de grands succès \

L'admirable machiniste des plafonds, le remueur d'Olympes, le brasseur de nuées et d'apothéoses qui a fait voler au ciel de Versailles les déesses du Par- mesan, Lemoine était un grand peintre, un de ces maîtres auxquels il n'a guère manqué que d'être nés dans un temps plus sévère pour avoir une gloire so- lide, un renom sérieux, une immortalité durable et respectable.il suffit, pour lui rendre ce témoignage, de se rappeler le tableau d'Hercule et Omphale.

Sur un azur puissant et profond, sur un ciel d'un

l'état civil de Paris, l'iicte de baptême de Boucher. Nous le publions ici pour la première fois :

« Paroisse de Saint-Jean-en-Grève :

« Octobre 1703. — Le mercredy troisième octobre mil sept cent trois a été baptisé François, ué le samedy précédent, fils de Nicolas Boucher, maître peintre, et d'Elisabeth Lemesle sa femme, demeurant rue de la Verrerie, de cette paroisse. Le parrein M« François Prévost, huissier aux requêtes du palais, demeurant rue Galande, paroisse Saint-Séverin. La marreine Marie-Louise Boullenois, fille de M« Louis BouUenois pro- cureur au Chatelet de Paris, demeurant rue du Fouart, paroisse Saint- Étienne-du-Mont. — Prévost, Belion, Marie-Louise Boullenois. »

1. Galerie françoise ou Portraits des Hommes et Femmes célèbres qui ont paru en France, gravés en taille-douce sous la conduite de Restout. Paris, Hérissant, 1771.

I. 17.


198 L'ART DU XVIIP SIECLE.

bleu d'Orient, sous un dais de brocart qui s'enroule à des branches, le couple apparaît baigné de lu- mière, caressé d'ombre. La blanche Omphale, de- bout et croisant une jambe, laisse glisser sur le res- saut de sa hanche la formidable massue du dieu désarmé. Et, victorieuse, la peau du lion de Némée nouée à son flanc, elle verse son regard et son sou- rire au dieu sur lequel elle se penche, et auquel elle met le fuseau dans la main droite. Le dieu, dont les mains hésitent, cherchent de l'œil l'ordre des yeux d'Omphale. Auprès d'Hercule, un petit amour, long et déhanché comme tous les amours de Le- moine, rit en regardant le public. Le corps d'Om- phale est une merveille : le lumineux divin de la peau, sa moiteur, son rayonnement satiné, sa blan- cheur pulpeuse, tout ce qu'il y a de douillet, de dé- licat et de tendre dans la gloire d'un corps de femme nue, que le jour modèle, est admirablement rendu dans cette suave académie. Une juvénilité de déesse se mêle délicieusement à une fleur de maturité dans le dessin de ces formes tout à la fois allongées et rondissantes, de cette gorge qui vient de naître, de ces hanches déjà fières. Par une opposition aimée du Poussin, le corps ardent et briqué du héros-dieu fait encore ressortir ce corps blanc à peine teinté dans les ombres du bleu de la nacre, doucement fouetté de rose aux seins, aux coudes, aux genoux ^ L'homme qui a peint cela devait être le maître de

1. Ce tableau est exposé au Louvre, salle La Caze.


BOUCHER. 199

Boucher. Il était son initiateur prédestiné, fatal; et cette peinture descendue des grandes écoles italien- nes, rappelant à la fois le Gorrège, le Yéronôse et le Baroche, mais sauvée de l'imitation et delà servi- lité par le goût français de Lemoine et la personna- lité de son tempérament, cette peinture était si bien celle dont Boucher attendait la révélation, et à la- quelle son génie était prêt, qu'il se l'assimilait pres- que complètement du premier coup. Deux tableaux de lui, LA Naissance et la Mort d'Adonis, font voir combien il entra à fond, avant d'avoir dégagé sa ma- nière propre, dans la manière de son maître : la valeur violente des premiers plans, ces chevelures et ces airs de tête empruntés au Véronèse, les pro- fils corrégiens des amours, la tonalité des ombres dans les étoffes, ces tons rompus qui, dans les chairs, dans les têtes, viennent à tout moment relever et animer le ton générai, ces égratignures et ces mar- telages de pâte sèche, cette peinture cristallisée qui a fait prendre quelques Lemoine pour des Watteau, ces teintes taqueuses de l'école de Venise, que Bou- cher ne tardera pas à perdre pour toujours, — tout, dans ces deux toiles, est de la touche de Lemoine ; et il ne faut rien moins que la signature F. B. sur un vase, l'attestation des gravures de Michel Aubert et de Scotin, la mention du catalogue La Live de Jully pour les rendre h Boucher. — De la même facture devaient être les Quatre Éléments, peints par le comte de Bruhl, ainsi que l'Amour oiseleur et l'Amour moissonneur, où la manière corrégienne du


200 L'ART DU XVII1« SIECLE.

dessin de Lemoine est visible à travers l'interpréta- tion de la gravure.

Plus tard, je le sais, Boucher dira à Mariette qu'il a fort peu travaillé chez Lemoine, qui prenait un très médiocre intérêt à ses élèves, qu'il n'y est demeuré que trois mois ^ Mais Boucher disait-il vrai? Ce qu'il y a de sûr, c'est que, quand il sortit de l'atelier de Lemoine, il en sortit tout formé, et avec tous les secrets de la pratique de son maître. Ajoutons qu'il conserva toujours la plus haute estime pour Lemoine, dont il ne cessa de vanter les ouvrages ^.

Pendant qu'il fréquentait l'atelier de Lemoine, Boucher avait besoin d'argent pour vivre et pour jeter aux goûts de sa vie de garçon, à sa passion du plaisir. Quelques années avant. Carie Vanloo gagnait cet argent en faisant des décorations d'Opéra et de petits portraits à la grosse. Oudry, à cette heure de jeunesse et de nécessité delà vie des artistes, dessi- nait des rébus. Boucher se plia au métier de dessina- teur, à des sujets de piété, à des imageries dont la gra- vure de fabrique ne laisse rien deviner du jeune maître. Il donna au commerce des Notre-Dame-des- Victoires, des vierges, une armée de saints. Il fit les


1. Abecedario de Mariette, publié par Ph. de Chennevières et A. de Montaiglon. Paris, Dumoulin, 1851, vol. 1.

2. On présenta un jour au fameux Boticher un tableau de Lemoine. L'amateur à qui il appartenait avait fait ajouter des allonges à ce tableau pour lui donner un pendant. Il pria Boucher de le remplir. Je m'en garderai bien; de tels ouvrages sont pour moi des vases sacrés; je craindrais de les profaner en y portant la main. {Abnanach littéraire, 1778.)


BOUCHER.


estampes d'un bréviaire de Paris, où il repré- senta des Vertus au-dessus de petites vues de Paris, — ce qui fit faire aux jansénistes ce rapprochement ironique : la Foi et les Invalides, l'Espérance et le Louvre, la Religion et Notre-Dame, la Charité et le Pont-Neuf. Et pourquoi tant s'étonner de voir cerui qui sera Boucher illustrer un paroissien? Ne som- mes-nous pas dans le siècle où le peintre des pe- tites maisons, Baudouin, sera un jour choisi pour enluminer le missel de la chapelle du Roi, à Ver- sailles?

Ces travaux menaient Boucher à cette espèce de manufacture tenue par le père de Gars le graveur, qui avait le monopole des dessins et des gravures de thèses. Boucher dessinait là, pour le burin, les attri- buts, les trophées, les fleurons, les culs-de-lampe allégoriques, que le xvin^ siècle aimait à jeter à tra- vers l'ennui et la gravité du plus solennel imprimé; et, pour ce travail, il avait la table, le logement et soixante livres par mois, « ce qu'il estimait pour lors, écrit Mariette, être une fortune ». Ce fut dans les premiers temps de ce singulier arrangement, en 1721, que le pensionnaire du père Cars crayonna ces vignettes pour une nouvelle édition de ïHis- toire de Finance de Daniel, figurant au n° 1 16i du cata- logue de Mariette. 11 est à croire qu'il resta plusieurs années à dessiner ainsi sur commande et presque à la journée. Sans doute aussi, dans cet atelier de gravure, il fut tenté de toucher au cuivre, de jouer avec une pointe, de jeter quelques-uns de ses des-


202 L'ART DU XYIIP SIÈCLE.

sins sur une planche, de s'interpréter lui-même ; ce qui lui valut la bonne fortune d'être choisi par M. de Julienne pour graverle plus grand nombre des études laissées par Watteau. Et Boucher interprétait (^ les Fi- gures de différents cai'actères de paysages et d'études » dessinées par le maître, sans leur faire rien perdre de leur feu et de leur esprit. D'un trait large, d'un badi- nage d'aiguille, d'un travail hardi, heureux, sans peur, il indique du premier coup Tanatomie du mou- ment des mains, les cassures de la soie, la rocaille des plis ; il balaye les paysages avec la liberté de la sanguine de Watteau; il enlève les silhouettes à la pointe comme le dessinateur les enlève au crayon; il fouette d'ombre les visages; il les caresse de pointillé et de hachures avec l'aisance de son mo- dèle. Jusque dans l'indication bâtonnée des jambes et l'accentuation des mules relevées, il garde sur sa planche l'accent et le style du maître, qu'il traduit plus sûrement que ses compagnons d'eau-forte, que Trémolières, que Basan, que Silvestre, que Cochin; aussi intimement, aussi familièrement que Caylus. Et, de ce jour. Boucher a le génie de l'eau-forte spirituelle jusqu'au bout des ongles \

A ce travail, la position de Boucher s'améliora. « M. de Julienne lui donnait 24 livres par jour, et tous deux étaient contents; car Boucher était fort expéditif, et la gravure n'était pour lui qu'un jeu K n


l. D'après le a Peintre -graveur français continué », de M. de Baudi- cour, Boucher aurait g-ravé à l'eau-forte 182 pièces. Uy en a 44 d'après ses compositions, 12 d'après Bloemart, 1 d'après Loutherljourg et 125


BOUCHER. 203

11 peignait tout en gravant eten dessinant ; en 1724, sur le sujet Evilmérodach^ fils et successeur de Nnbu- chodonoso7\ délivre Joachim des chaînes dans lesquelles son père le retenait depuis longtemps \ Boucher, à peine âgé de vingt ans, remportait le premier prix à l'Académie de peinture. Et le samedi qui suivait le jour de la Saint-Louis, le jeune homme était élevé, selon l'usage immémorial, sur les épaules de ses ca- marades, promené autour de la place du Louvre rem- plie d'élèves, d'artistes et de curieux accourus au spec- table, et déposé, l'ovation finie, à lapension-. Le voilà, pour trois ans, nourri, chauffé, éclairé, instruit ; ajoutez à tout cela une gratification de 300 livres par an, et du temps de reste pour M. de Julienne et les autres. Son triennat achevé, il partait pour Rome. Au dire d'une notice de M. Durosoir, l'éclat de ses débuts, la faveur qu'obtenaient ses ébauches, lui créaient dans l'Académie des inimitiés et des jalou- sies qui le privaient de ce droit acquis d'être envoyé à Rome, et le réduisaient à faire le voyage d'Italie avec un amateur fort insoucieux des querelles d'é-

d'après Watteau, dont 104 pour le Livre d'études de M. de Julienne, Les plus désirables de ces eaux-fortes, d'après ses compositions, sont : le Sommeil, les Petits Buveurs de lait, le Petit Savoyard, la Tourterelle mise en cage. On compte quatre états de ces planches : 1. Avant l'adresse ; H. Avec l'adresse d'Odieitvre; III. Avec l'adresse de Roguier, rempla- çant celle d'Odieuvre, IV. Avec l'adresse de Buldet. Citons encore parmi les eaux-fortes de la composition de Boucher, V Andromède avant la ter- minaison par Aveline, et les Grâces au tombeau de Watteau, quil faut posséder avant la lettre, dans l'état de l'épreuve, de la vente du baron de Veze,

1. Abecedario de Mariette.

2. Œuvres de Diderot, Salons d'exposition. Belin, 1818.


204 L'ART DU XYITI" SIÈCLE.

cole. D'un autre côté, le Discours sur l'origine et létal actuel de la peinture (1786) dit que Boucher resta peu de temps en Italie, et dans un état de maladie con- tinuel qui lui défendait toute application. Le Néci^o- loge et les brochures contredisent ces deux asser- tions, en nous montrant Boucher revenant d'Italie au bout des quatre ans que les élèves de l'Académie passaient en Italie ^ De toute manière, que la vérité, sur le séjour en Italie de Boucher, soit dans le Nécrolofje^ ou dans le Discours sur l'état actuel de la peinture, l'installation du futur peintre des Grâces à Rome fut assez piteuse. Le directeur Wleughels, dans une lettre à la date du 3 juin 17:28, citée par M. Lecoy de la Marche, après avoir annoncé à S. G. que les jeunes gens honorés de sa protection sont ar- rivés dans l'après-midi du l^^'mai, et qu'ils ont trouvé leurs chambres prêtes, ajoute : « Il y a encore un nommé Boucher (venu avec Yanloo), garçon simple et de beaucoup de mérite ; presque hors de la maison, il y avait un petit trou de chambre, je Tay encore fourré là. Il est vrai que ce n'est qu'un trou, mais il est à couvert. »

Déjà estimé dans le petit monde des artistes, Bou- cher était encore inconnu à Paris hors de là. Il lui fallait étaler à tout prix, pour arriver jusqu'au public. C'est alors, sans doute, qu'un sculpteur- marbrier, nommé Dorbay, exploitait ce besoin et

1. Boucher était de retour en France en 1731 et était agréé à TAca- déniie royale le 24 novembre de la même année. [François Boucher par Paul Mautz. Quantin, 1879.)


BOUCHER.


cette impatience du jeune homme en lui faisant remplir, presque pour rien, sa maison de peintures, au milieu desquelles figurait ce bel Enlèvi^ment d'Europe, passé depuis dans la collection de M. \Va- telet. Après le marbrier venait un véritable amateur : le baron de Thicrs commandait au jeune peintre des tableaux qui se trouvèrent comme à leur place dans sa précieuse galerie ^


III


Vif et prompt à toutes choses, mais surtout au plaisir, plein de cette ardeur qu'il garda toute sa vie, Boucher n'avait pas perdu sa jeunesse. Il avait gaiement et largement vécu, battant monnaie avec sa facilité, à tout moment pressé par des besoins d'argent, et se jetant au travail au sortir d'une par- tie de femmes, d'un souper, avec une verve singu- lière qu'échauffaient la fatigue et les folies de la nuit à peine envolée, de la fête à peine éteinte. Ses amours, sa peinture vous le dira : liaisons de caprice et d'à-propos, aventures charmantes et banales, bonnes fortunes auxquelles il donnait sa bourse et qui ne lui demandaient rien de son cœur. Ce n'est pas lui qui, comme le peintre Doyen, amou- reux de la petite Hus, eût pris si fort à cœur son amour qu'il en eût perdu la force de travailler. Les

1. Galerie Françoise, par Restout.

I. 18


206 LWRT DU XVIIP SIÈCLE.

femmes qui passent dans une vie laborieuse sans roccuper, les Manon, les MorfiP, voilà les femmes à sa guise : il aime les romans tout faits. Un de ses biographes lui rend le témoignage qu'il n'employa jamais la séduction- : le mot juge Boucher et ses maîtresses.

Un peu lassé de la vie de garçon. Boucher avait songé à se marier. Il avait épousé, le 21 avril 1733, Marie-Jeanne Buseau^ une fort jolie personne de

1. Bouchei* eut une plus haute aventure. Ze Palais-Royal, ou Mémoires secrets de la duchesse d'Orléans (Hambourg-, 1806) donnent Boucher pour premier amant à la mère de Philippe-Égalité. Le livre n'a aucune valeur historique, le récit de Taventure est arrangé ; cependant il y a quelque raison de croire que l'arrangeur n'est que l'éclio d'une anecdote de cour: et à ce titre le passage suivant mérite d'être cité :

« Henriette n'avait point à se plaindre de son époux, il Faccablait de soins, de tendresse ; il cherchait à deviner tout ce qui pouvait lui plaire ; il employait les plus habiles artistes pour fixer sur la toile des traits qu'il ne trouvait jamais assez multipliés : elle se prêtait avec indolence à leurs soins. Un seul l'intéressa : ce fut le peintre des Grâces et des Amours, Boucher, enfin; il sut saisir ce doux abandon qui annonce qu'une belle n'attend que l'heureux instant de sa défaite. M"» la duchesse de Chartres avait permis au peintre de terminer d'après nature le tableau qui représentait Hébé faisant boire le nectar à l'aigle de Jupiter. L'ne guirlande posée sur une gaze légère était la seule draperie de la déesse de la jeunesse. L'heureux artiste, qui avait eu recours à des modèles bien inférieurs pour la beauté à la princesse, eut e dangereux honneur, dans la dernière séance, de placer lui même la guirlande. Sa main était au moment de s'égarer, un regard échappe des longues paupières d'Hen- riette... elle passe un de ses beaux bras autour du cou du peintre, elle approche sa bouche de son sein... Quel homme eût pu échapper à une si douce séduction?... Boucher était jeune, beau, aimait les belles femmes comme les beaux tableaux, les statues antiques et généralement tout ce qui était rare, et jamais un joli modèle ne sortit de son atelier sans qu'il eût obtenu d'elle les dernières faveurs... »

2. Nécrologe de 1771. Éloge de Boucher.

3. Voici Tacte de mariage de Boucher, retrouvé par nous sur les registres de la paroisse de Saint-Roch. Cet acte est d'un certain inté- rêt biographique : il montre l'erreur de la plupart des historiens de l'art


BOUCHER. , 207

dix-sept ans, qu'il avait choisie sur la mine pour être sa femme d'abord, et aussi pour être un peu, selon l'habitude du temps, un modèle et l'inspira- tion de son dessin. Assise à son foyer, M™^ Boucher, entrée presque enfant dans l'atelier du peintre, ne tardait pas à suivre l'exemple des femmes et des filles d'artistes d'alors, touchant presque toutes au

français qui, trompés par une synonymie, ont donné pour femme à Bou- cher Marie-Franooise Perdrigeon, épouse d'Étienne-Paul Boucher, secré- taire du Roi, morte le 30 janvier 1734, à dix-sept ans, et peinte par Raoul en vestale.

« Paroisse de Saint-Roch.

« 21 avril 1733. — François Boucher, peintre du Roy, âgé de vingt- neuf ans, fils de Nicolas, aussi peintre, et d'Elisabeth Lemesle, ses père et mère, demeurant rue Saint-Thomas-du-Louvre, paroisse Saiut-Ger- main-l'Auxerrois, d'une part, et Marie-Jeanne Buseau, âgée de dix-sept ans. fille de Jean-Baptiste, bourgeois de Paris, et de Marie-Anne de Sedeville, ses père et mère, demeurant de droit et de fait rue l'Évéque, en cette paroisse, d'autre part, après la publicatiou d'un ban faite en cette église, vu le pareil certificat d'un ban fait en l'église paroissiale de Saint-Germain-l'Auxerrois, la dispense des deux autres bans accor- dée par Monseigneur notre archevêque en date du quatorze des présens mois et jour de la présente année, signé Robinet, régent, et plus bas Martin, duement scellée, controllée et insinuée, les susdits jour et an, signé Frain, des extraits batistaires desdits époux et épouse, le tout en bonne forme, les fiançailles célébrées hier, ont été mariés en face d'Église, sans aucune opposition, par messire Jean Santarel, prêtre, docteur en Sorbonne et vicaire de cette paroisse ; présens les père et mère de Tépoux, demeurant rue des Foureurs, paroisse Sainte-Opportune ; le père de l'épouse, Laurent Quénot, musicien, demeurant rue TÉvéque, en cette paroisse ; tous lesquels témoins, parens, amis et autres soussignés, nous ont certifié les noms, surnoms, âges, qualités, libertés et domiciles desdits époux et épouse, et lecture à eux faite ont signé, excepté la mère de l'époux, qui a déclaré ne sçavoir signer. — Boucher, Marie- Jane BfSEAu, Nicolas Boucher, Buseau, Quénot, Dubesse, Senta-

REL. n

De ce mariage naquirent trois enfants : une fille, Jeanne-Élisabeth- Yictoire, baptisée le 24 mars 1735; un garçon, Juste-Nathan, baptisé le 4 mai 1736; enfin une seconde fille, Marie-Éinilie, venue au monde le 27 avril 1710.


208 L'ART DU XVIIl SIECLE.

métier qu'elles voyaient faire, à la peinture, au pas- tel, à la gravure : elle se mit, avec une certaine adresse et une aptitude assez heureuse, à copier en miniature les tableaux de son mari. Ces miniatures, généralement attribuées aujourd'hui à Boucher lui- même, eurent une vogue qui popularisa un instant, dans le monde des curieux, le nom deM""" Boucher: on ne compte pas moins de huit de ces petits cadres dans le catalogue de vente du peintre Aved. M" Bou- cher toucha même à la pointe de graveur de son mari.

Boucher ne fut pas très fidèle à sa femme. La jeune femme fut-elle plus fidèle à son mari? Il y a contre sa constance une assez jolie anecdote. Selon une note manuscrite d'un bibliothécaire de M. de Paulmy, le roman de Faunillane ou V Infante jaune, fantaisie du comte de Tessin, illustrée de dessins de Boucher et imprimée, en 1741, à Badinopolis, chez les frères Ponthome, n'aurait été, de la part du comte, qu'un adroit moyen d'introduction dans l'intérieur du peintre. M. de Tessin n'aurait écrit son livre que pour en demander l'illustration à Boucher, approcher de cette façon délicate M"*" Bou- cher, la voir pendant qu'il expliquait les sujets à son mari, et lui faire sa cour en retournant la scène du Peintre sicilien derrière le chevalet du pauvre homme occupé à peindre. Les dessins faits et gravés par Chédel, — la comédie avait eu sans doute un dénouement au gré de M. de Tessin, — le livre était tiré à deux exemplaires, et le comte faisait cadeau


BOUCHER.


des cuivres à l'académicien Duclos, qui, pour les utiliser, écrivait, sur les compositions de Boucher, le roman allégorique iV Acajou et ZirphileK


IV


Le 30 janvier 173 i. Bouclier était reçu académi- cien, après avoir été agréé presque à son retour d'Italie, sur la présentation de son tableau de Renaud ET Armide, exposé aujourd'hui au Louvre.

Alors commence l'œuvre de Boucher; alors com- mence autour de cet œuvre l'applaudissement du public plus ardent à chacune de ces expositions qui, fermées depuis 170i, rouvrent en 1737, et don- nent aux tableaux et à la gloire de l'heureux pein- tre une popularité sans exemple. Et de salon en salon, de triomphe en triomphe, son imagination se déroule en souriant. De ses pinceaux, de ses crayons, qui ne se lassent point, sort la mythologie du xvni^ siècle. Son Olympe, ce n'est ni l'Olympe d'Homère, ni l'Olympe de Virgile : c'est l'Olympe d'Ovide. Et quelle ressemblance entre ces deux pein- tres de la décadence, entre ces deux maîtres de sensualisme, Ovide et Boucher! Une page de l'un a l'éclat, le feu, la manière et l'aspect d'une toile de l'autre. Il y eut un poème d'Ovide, l'Art d'aimer y qu'on mit en ballet sur un théâtre de Rome : n'est-ce pas

1. Archives de l'Art français, par Ph. de Chennevières et A. de Mon- taiglon. Paris, Dumoulin, 1851, vol. VI,

I. 18.


210 L'ART DU XVIIP SIECLE.

ce poème que Boucher retrouva à TOpéra, et dont il fit son génie?

La volupté, c'est tout l'idéal de Boucher : c'est tout ce que sa peinture a d'âme. Ne lui demandez que les nudités de la Fable ; mais aussi quelle main preste, quelle imagination fraîche dans l'indécence même, quelle entente de l'arrangement, pour jeter de jolis corps sur des nuages arrondis en cous de cygnes ! Quel heureux enchaînement dans ces guir- landes de déesses qu'il dénoue dans un ciel! Quel étalage de chair fleurie, de lignes ondulantes, Ç de formes qu'on dirait modelées par une caresse! Comme il s'entend aux poses indiscrètes, aux co- quetteries des molles attitudes, aux provocations de la Nonchalance couchée tout de son long sur un décor d'apothéose, comme sur un tapis de harem! La sévérité du nu est inconnue à Boucher : il ne sait pas envelopper un corps de sa beauté, ni le voi- ler de sa pudeur ; la chair qu'il montre a comme une effronterie piquante ; ses divinités, ses nymphes, ses néréides, ses femmes nues sont toujours des femmes déshabillées. Mais quia déshabillé la femme mieux que lui? La Vénus que Boucher rêve et peint n'est que la Ténus physique ; mais comme il la sait par cœur! Gomme il est habile à lui donner toutes les tentations du geste abandonné, du sourire facile, du maintien engageant 1 Comme il l'entoure d'une mise en scène irritante! Et comme il incarne dans cette figure légère, volante, et sans cesse renais- sante, le Désir et le Plaisir!


BOUCHER. 211

Autour de cette Vénus, dans le ciel de cette Gy- thère, au milieu de ce sérail aérien, à travers ces nuages éclairés par le corps des déesses, le peintre jette une pluie d'Amours. Il les suspend en grappes; il les noue en couronne, il les répand et les essaime comme dans une frise de Glodion; il les culbute dans le giron des Grâces. Il disperse leur bande, il les rassemble; il donne à tous l'envolée, il les jette nus et polissonnant sur la nuée. Ge sont les enfants gâtés du pinceau de Boucher. Joufflus, les cheveux frisés et leur volant au front en gros accroche-cœurs, leurs larges prunelles souriant à travers leurs grands cils, le petit nez au vent, la bouche en cul de poule, le menton fendu par une fossette, ils sont partout dans son œuvre. Ils voltigent autour de leur mère, comme une cour d'oiseaux; ils jouent au pied des Muses avec les attributs des arts et des sciences ; ils enjambent le char attelé de colombes; et, qu'ils mangent à pleine bouche le raisin des Bacchanales, ou qu'ils visent au blanc dans la cible d'un cœur, ou qu'ils représentent les Saisons, ou qu'armés du maillet et du ciseau ils aient l'air d'amours échap- pés de l'opéra de Pygmalion, ou qu'ils soient seule- ment des enfants qui s'amusent, ils sont charmants à voir avec leurs petites mains engorgées, leurs jointures bouffies, leurs ventres ronds où le nombril semble une fossette, leurs derrières de Gupidon, leurs mollets dodus, leurs formes ébauchées et ren- flées, qui parfois, sous le crayon de Boucher, pren- nent une ampleur presque superbe. Et quels jeux de


212 L'ART DU XVIII» SIECLE.

lutins et de petits dieux ils font autour des allégo- ries, près de l'eau où se baigne Diane, sur les genoux des nymphes adossées l'une contre l'autre, ou dans le triomphe de ces déesses que le maître, en ses jours d'élégance parmégianesque, aime tant à poser de dos, les épaules abattues, la croupe rebondie, la courbe de la hanche saillante, une jambe repliée sous l'autre et laissant passer sous la cuisse une plante de pied au lacis de rides douillettes! Boucher a si bien en main le type de ces jolis amours que, presque toujours, c'est leur visage qu'il donne à ses femmes. Un ovale raccourci et poupin, un front court, des yeux saillants et écartés, placés bas, loin des sourcils, presque sur la ligne du bout de l'oreille, un nez retroussé, une bouche en cœur, un menton d'enfant, ce sont là les traits qu'il répète d'ordinaire. Par là, sa beauté est petite et ne dépasse que bien rarement une sorte d'agrément fade et un peu lourd. Ses figures sont bovines tout à la fois et mignardes. Ce n'est guère que dans ses charmantes illustrations de Molière, dans les jolis dessins de V École des Fem- mes et des P7'écieuses, qu'il a attrapé l'expression, le fin sourire d'une figure et d'une physionomie de femme du temps, la beauté du diable et de l'esprit. Descendue de l'Olympe, l'imagination de Boucher se délassait dans la pastorale. Mais il la peignait de la seule façon dont il était alors permis de la pein- dre : il ôtait à l'idylle «cette certaine grossièreté qui sied toujours mal ». Il la représentait sous le tra- vestissement le plus galant, dans un costume de bal


BOUCHER. 213

masqué de cour. La vie champêtre devenait sous ses pinceaux le roman ingénieux de la nature, Tallégo- rie des plaisirs, des amours, des vertus, gardés loin de la ville et du monde, dans les déserts enchanteurs de M""^ Deshoulières. Il évoquait les Sylvandre, les Philis, les Lycidas, les Alexis, les Céladon, les Syl- vanire, dans toutes ces compositions qui font le tour du Lignon : Pensent-ils au raisin? les Guarmes

DE LA vie champêtre, LES BkRGERS A LA FONTAINE, LE

Pasteur complaisant, le Pasteur galant, la Foire DE campagne. Bergères adorables, bergers délicieux 1 ce n'est que satin, pompons, paniers, mouches au coin de l'œil, colliers de rubans, joues fardées, mains faites pour broder au tambour, pieds de duchesse échappés de leurs mules, moutons de soie, houlettes fleuries; les paysans sont tournés comme une révé- rence de Marcel, les paysannes ont l'air de sortir des mains d'une habilleuse des Menus... Un monde tombé sur l'herbe d'une pastorale de Guarini, avec un madrigal aux lèvres et des bouffettes roses aux souliers! G'est l'églogue à la façon de celle dont Fontenelle parlait, lorsqu'il disait, comme s'il eût prévu la fantaisie de Boucher : « Il en va, ce me semble, des églogues comme des habits que l'on prend dans des ballets, pour représenter des paysans. Ils sont d'étoffes beaucoup plus belles que ceux des paysans véritables; ils sont même ornés de rubans et de points, et on les taille seulement en habits de paysan. » Autour de ces églogues et de ces scènes agrestes.


214 L'ART I)U XVIII« SIECLE.

pour leur servir de fond et d'accompagnement. Boucher crée un paysage, une nature. Il ne trace pas les profondes perspectives de Watteau; il n'ou- vre pas les grandes charmilles en éventail, il ne fait pas fuir derrière le dos de ses personnages ces parcs illuminés qui vont s'éteindre à l'horizon et dont l'ombre finit comme un murmure. Les eaux, chez Boucher, ne disparaissent pas au loin dans la va- peur; la campagne n'est pas cet asile de rêverie, ce lieu de silence et d'apaisement où la volupté se recueille. La nature, pour lui, est un joli tapage. Ce qu'il aime, c'est un petit coin de terre bruyant, pé- tillant de couleurs fraîches, rempli d'éclats de ver- dure, encombré d'arbres rameux, de saules étêtés, de fusées de branches. Toujours au devant, un ruis- seau clapote et jase, une eau courante se mire au soleil, quelque petite rivière de France d'où se lèvent des bancs de roseaux, jette au premier plan sa fraî- cheur et sa gaieté. 11 fait monter la mousse aux con- gélations des marbres ruinés; il cache l'herbe sous les larges feuilles du bouillon-blanc; il entrelace les saxifrages, il noue la vigne folle en rideaux, il en- cadre les paysages et les nymphes dans des tentures de sapins aux grands bras qui penchent et balancent leurs longs effilés verts sur le corps des baigneuses. Et l'on croirait voir, dans ce luxe et ce caprice de végétation, le cabinet de verdure, tel que le rêvait le xvni^ siècle à ses heures d'imagination tendre et d'ap- pétits rustiques.

Quand;, attaché à la manufacture de Beauvais,


BOUCHER. 215

Boucher peint d'après nature les vues des environs, cours de fermes entrevues sous les arcades ruinées^ hangars rustiques abritant des amas de choses, toits de chaume où poussent les fleurs semées par les oiseaux, couvertures de joncs soutenues parles pou- tres à peine équarricsqui les percent, roues de mou- lin, appentis rapiécés avec des planches, pigeonniers aux tuiles moussues, margelles des lavoirs, dont la pierre s'effeuille sous le genou des lessiveuses, basses-cours où l'œil s'égare sur les débris, les restes de paille, les vieilles échelles, les brouettes, les pa- niers à couver, — il donne à tout cela une richesse et une abondance de désordre, un pittoresque nou- veau jusque-là inconnu, et que le xvni^ siècle a défini d'un mot créé expressément pour Boucher : le fouillis. Et pour donner plus de pêle-mêle encore à ses paysages, pour y mettre plus de vie, une con- fusion et une animation plus étourdissantes, il jettera dans ses ciels des volées d'oiseaux; à terre, il fera battre les poules, aboyer les chiens, courir les enfants dans les cours où le pied glisse sur le grain ; par les chemins, il lancera dans la poussière les marches d'animaux, les caravanes de Gastiglione, les sorties de l'arche, l'émeute des moutons pressés, les retours du marché avec les baudets tout son- nants de la vaisselle de cuivre qui leur bat au dos. — Paysagiste, Boucher ne semble avoir d'autre pré- occupation que celle de sauver à son temps l'ennui de la nature.


216 L'ART DU XVIIP SIECLE.


Ce qui popularisa Boucher non moins que ses tableaux, ce furent ses dessins. Jusqu'à lui les des- sins des maîtres français, — ébauches, croquis d'a- près nature, aurores d'une idée, d'une ligne, inspi- rations du moment jetées de verve sur le papier par une main hâtée, — n'avaient ni valeur commerciale, ni publicité courante. Jetés la plupart du temps en recueil au verso d'un mauvais cahier, — c'était là la méthode de Watteau, de Lancret, d'Oudry et d'au- tres; ou bien, feuilles volantes fixées par un clou au mur, dans un coin de l'atelier, ils étaient gardés sans grand soin par l'artiste comme un souvenir, le premier essai d'une toile, comme un document, une source de composition, un Livre de véinté. Ils ne sortaient guère de chez le peintre qu'emportés par l'enthousiasme d'un ami , la plupart du temps homme de métier lui-même; ou bien, à la mort de l'artiste, vendus en paquets, pour quelques livres, par l'huissier priseur, ils se dispersaient aux quatre vents. Boucher fut le premier qui fit du dessin une branche de commerce pour l'artiste, qui le lança dans la publicité, qui appela sur lui l'argent, le goût et la mode. Les feuilles de papier où il semait ses études et ses caprices sortirent des cartons des ama- teurs, des collectionneurs exclusifs de dessins, pour parer les appartements, figurer sur les panneaux,


BOUCHER. 217

entrer dans la décoration des plus riches intérieurs. Ils prirent place familièrement dans le boudoir, le salon, la chambre à coucher, à côté du tableau. Les femmes en voulurent ; les Joullain et les Basan en achetèrent : il était de bon air d'en avoir.

Ces dessins, si fêtés et si plaisants, c'étaient de vives et faciles croquades sorties sans effort de la main du peintre, des figures rondement enlevées k la pierre dltalie ou à la sanguine, des scènes de campagne grassement esquissées, des bergerades oii l'on retrouve la hardiesse de touche et jusqu'aux têtes tondues des dessins du Carrache, des tableaux mythologiques où des corps de déesses et de nym- phes se débrouillaient voluptueusement dans toutes les attitudes du plaisir et dans toutes les coquette- ries du déshabillé; ou encore le crayon noir asseyait dans le papier quelque marquise à la jupe cassée par mille plis, à la collerette à l'espagnole. Souvent, sur un dessous de sanguine chauffant le dessin d'une fleur de rouge effacé, le bistre faisait rage dans un paysage poché à grands coups de pinceau. Quelques rares aquarelles échappaient au peintre, blondes et douces, lavées à grande eau, baignées dans des tons de vieille soie et dans des harmonies de demi-jour; puis il reprenait son crayon, et sous ses lignes cou- rantes, roulantes, grasses comme les touches d'un ébauchoir, des rondes, des troupes, des bouquets d'Amours naissaient et s'épanouissaient; des acadé- mies de femmes en pleine chair et tout étoilées de fossettes se levaient dans une nudité opulente et I. 19


218 LART DU XVIII<= SIECLE.

montraient le sang du maître chez le bâtard de Rii- bens, — éternelle et charmante étude d'un même corps potelé et douillet, jeune et déjà éclatant de santé, dont le type fut donné à Boucher par un mo- dèle qui a presque une histoire.

Rien de plus inconnu au xvni siècle que les mo- dèles des peintres. Rien de plus anonyme que l'im- mortalité qu'ils reçoivent du pinceau, du crayon. Une empreinte de leurs formes, c'est tout ce qui en reste. Il n'est guère d'autre document à leur sujet que cette correspondance où le père d'un élève de Doyen témoigne pour les mœurs de son 111s une si grande peur de ces demoiselles; et encore cette gra- vure de l'Académie où Gochin nous a représenté le modèle du temps en grande tenue, la jupe falbalas- sée et retroussée par la mule au haut talon, les cheveux surmontés d'une couronne, posant pour la tête d'expression. Arrêtons-nous donc un instant au modèle de Boucher, et donnons ici ce fragment de la chronique intime des ateliers du règne de Louis XV. Ce modèle habituel du peintre, que Paris appelait la petite Morfil, était la demoisellei Murfi, d'origine irlandaise, sœur du modèle en titre de l'Académie de peinture, dont elb avait la survivance. Quand ^jme (jg Pompadour se résigna à chercher des maî- tresses au roi, ce fut la Murfi qu'elle fit peindre dans une Sainte Famille destinée à l'oratoire de Marie Leczinska; et ses prévisions ne furent pas trompées : le portrait parla aux désirs du roi; et le modèle de Boucher eut l'honneur d'ouvrir, pour la


BOUCHER. 219

première fois, la porte du Parc-aux-Cerfs^ Mais alors Boucher n'avait plus besoin de la Murfi; il ne recourait plus guère au modèle; il en avait fini avec les enseignements de la nature et les tâtonnements de l'étude. Ileynolds raconte que, lorsque, dans son voyage en France, il alla voir Bouclier, il le trouva occupé à peindre un fort grand tableau pour lequel il n'employait ni esquisse ni modèle d'aucun genre; et comme il lui en témoignait sa surprise, Boucher lui répondit qu'il avait regardé les modèles comme nécessaires pendant sa jeunesse, mais qu'il y avait longtemps qu'il ne s'en servait plus.

Quoi de plus charmant que ces académies de femmes de Boucher I Elles amusent, elles provoquent, elles chatouillent le regard. Comme le crayon tourne au pli d'une hanche! Quelles heureuses accentua- tions de sanguine mettant dans les ombres le reflet du sang sous la peau! Quel dessin gras, facile, luti- nant la chair! L'habile estompage de blanc et de noir, donnant à la peau les reflets du satin ! De larges hachures de craie suffisent à Boucher pour faire circuler et serpenter le jour sur un épiderme qu'il semble sabrer de lumière. Un coup de noir, une pointe de blanc, voilà une fossette posée comme une mouche. Et quelle variété, quelle diversité de postures, renouvelant sans cesse ce poème de la nudité agaçante! Le corps de la femme joue sous son crayon comme dans le paravent de glace d'une

1. Mémoires de d'Argenwn. Paris, Jannet, vol. IV. — Madame de Pompadour, par Edmond et Jules de Goncourt. Charpentier, 1878.


220 L'ART DU XVIII» SIECLE.

alcôve. Boucher le jette sur les courtines d'un lit; il le dresse debout contre un nuage de soie, il l'adosse, il le renverse. Ici, c'est une bergère sans voile^ là quelque Vénus triomphante ; et, s'il prend un papier chainois, s'il s'amuse à vivifier son académie d'un soupçon de rose étendu sous le doigt, s'il croise la sanguine et le crayon noir en tailles entrelacées, s'il égrène la craie sur la peau miroitante, s'il jette une fleur de pastel de côté et d'autre sur un fond de ciel ou un coin de draperie, il réalise sur un carré de papier le charme de la nudité la plus aimable.

Aussi, que d'amateurs pour ces dessins I Les fer- miers généraux en remplissaient leurs i^ortefeuilles. M. Néra les disputait à M. de la Haye, M. de Grand- court à M. de Fontaine et M. Dazincourt à M. d'Ar- genville. M'"^ de la Haye et M™'^ Dazincourt luttaient à qui ferait la collection la plus riche. Et comme Boucher était un homme heureux en toutes choses, il arrivait, au beau milieu de cet engouement pour ses dessins, qu'un graveur trouvait un procédé pour les graver en manière de crayon : Demarteau, par ses étonnants fac-similés, les faisait circuler dans tou- tes les mains.

Il restait encore, il y a deux ans, près de la Sor- bonne, dans une vieille maison, la maison habitée par Demarteau, un curieux témoignage de la satis- faction du peintre si bien interprété par lui. Char- mant remerciement du maître à son graveur, que ce salon peint par Boucher, dont les quatre murs vous montraient l'intérieur élégant d'un artiste du siècle


BOUCHER. 221

passé! Ce salon semblait une tonnelle et une volière. Un treillis en échiquier, pareil à la marqueterie des- sinée sur les côtés des meubles en bois de rose, cou- rait sous les plinthes, encadrait la glace, montait autour des deux fenêtres et ne laissait à jour que quatre grands panneaux, quatre petites portes et le dessus des portes. Entre ces treillis la campagne s'ou- vrait. Ici l'on voyait un bord de rivière encombré de flamants roses et de paons faisant la roue; au-delà d'un arbre déraciné et tombé à l'eau, des cygnes se battaient. Là c'étaient les ébats d'un chien de chasse et le sautillement d'une pie à travers des roses tré- mières montant au ciel, et de l'eau encore au loin, sillonnée de canards de toutes couleurs. D'un autre côté reparaissaient une rive et de fraîches verdures égayées d'oiseaux diaprés, roses, bleus, verts. Sur le dernier panneau, une architecture en treillage, mangée par les roses montantes, prenait pied dans un désordre d'outils rustiques et dans une bataille de coqs et de poules. Des colombes se becquetaient au-dessus des quatre portes sur lesquelles des amours en camaïeu grassement peints écrasaient des fruits contre leurs lèvres ou faisaient jaillir l'eau d'une fontaine entre leurs doigts à demi fermés.


VI


Les commandes qui l'assiégeaient, les peintures et les dessins qui lui étaient demandés de partout,

1. 19.


■222 L'ART DU XVIIP SIECLE.

étaient loin de lasser l'activité de Boucher. La be- sogne, tout énorme qu'elle était, ne suffisait pas à cette lièvre de production, à cette furie de travail qui l'avait saisi le jour où il avait pris les pinceaux, et devait l'asseoir, jusqu'à sa mort, dix heures par journée à son chevalet '. Boucher trouvait encore des loisirs dans ce labeur ; et il jetait à tout mo- ment, comme en marge de son œuvre, mille idées, des riens pareils aux récréations qu'un grand artiste donne à sa main sur la feuille d'un appui-main. Il s'amusait à laisser tomber un coup de crayon, un reste de couleur sur toutes sortes de petites choses, dans les cadres les plus minces. Il touchait de son pinceau les moindres bijoux de la mode, des éven- tails, des étuis de montre, des œufs d'autruche, des porcelaines, des panneaux de voiture, que sais-je encore ! M. Thoré dit avoir vu de lui un petit cartou- che peint à l'huile pour M'" de Pompadour^, un mé- daillon grand comme la main où il avait mis une belle déclaration d'amour d'un berger à sa bergère avec des paniers de roses, des chapeaux enrubannés, des oiseaux encagés, et de l'air, et de la volupté, et de l'espace ! Il eût fait tenir Gythère dans le cercle d'une pierre gravée de Guay.

C'est son délassement de descendre à tout, c'est sa vocation de ne point laisser passer une vogue sans y mettre la main. Il y a des heures dans la vie de ce premier peintre du roi, où il semble dessiner le:

1. Gali',:e frc'içoise, par lîeslout.


BOUCHER. 223

soir à la lampe pour l'amusement d'une table d'en- fants dont la curiosité lui pousse le coude. Lors- qu'au milieu du siècle éclate à Paris une de ces manies qui prennent périodiquement la société fran- çaise, la manie des pantins et des pantines, succé- dant, de 1746 à 1748, à la manie des découpures, lorsque la duchesse d'Orléans se met en tête d'avoir un pantin de 1,500 livres, mais du meilleur faiseur et qui vaille son prix, c'est Boucher qui dessine et peint le pantin, en riant d'avance de la mauvaise éprigramme que le pantin lui voudra dans les chan- sons de Maurepas K

Il a beau faire, beau chercher, descendre au jou- jou, il n'est pas absorbé tout entier. Il lui reste du temps, delà verve, des idées, et le voilà qui brosse des décorations de théâtre. En 1737, en 1738 et en 1730, il avait travaillé aux décorations de l'Opéra ; il y tra- vaille de nouveau depuisle mois d'août 1744 jusqu'au 1" juillet 1748, aux appointements de 5,000 livres -. Il ne donne pas seulement des décors à l'Opéra : Monnet, qui fut son ami, essayant de remonter rOpéra-Gomique et voulant débuter d'une façon brillante à la foire Saint-Laurent du mois de juin 1743, par une parodie des Indes galantes, lui demande les décorations et les dessins de la pièce, si fort ap- plaudis. Dans le théâtre élevé par Monnet, en trente-


1. Journal historique et anccdotique de Barbier. Paris, Renouard, vol. ni.

2. Histoire manuscrite de l'Opéra., Papiers de Beffara, Bibliothèque de

l'HùtoRle-Ville.


224 L'.VRT DU XYIII« SIECLK.

sept jours, à la foire Saint-Laurent de 1752, c'est Boucher qui dessine presque toute la salle, le pla- fond, le décor, les ornements, et qui dirige toutes les peintures. Et à la foire Saint-Germain, en 1754, c'est encore la main et le pinceau de Boucher que l'on retrouve et que tout Paris vient applaudir dans la mise en scène du ballet des Fêtes chinoises de No- verre '. Et ce n'étaient point des aperçus de décors, des moquettes insignifiantes que fournissait Bou- cher aux deux Opéras ; c'étaient des toiles qui avaient trois pieds sur deux, comme cette décoration du hameau d'Issé envoyée par lui au Salon de 17 4:2.

Cette activité, cette imagination féconde, toujours prêtes à se répandre en œuvres do charme, en créa- tions d'élégance et de goût coquet, en modèles pour la manufacture de Vincennes -, Boucher les apporta dans la direction d'une des grandes indus- tries d'art du xvni*' siècle. Oudry, chargé par Fa- gon, intendant des finances, de relever la manufac- ture de Beauvais fondée par Colbert et tombée dans une sorte d'anéantissement, se voyait obligé d'appe- ler à son aide le peintre au génie multiple et si expert dans toutes les choses de luxe et d'ornemen- tation galante. Et lorsque Boucher, nommé direc- teur de Beauvais, remplaçait, le 21 juin 1755, Oudry dans l'inspection des travaux des Gobelins, les en-


1. Supplément au Roman comique, ou Mémoires pour servir à la vie de J. Monnet. Barbou, 1772.

2. Observations sur les ouvrages de MM. de l'Académie de peinture et de sculijture exposés au Salon du Louvre en 1773, par l'abbé Leblanc.


BOUCHER. 225

Irepreneurs, aigris par rinspcction tracassièro d'Oudry, saluaient l'installalion du nouveau direc- teur comme une délivrance, et remerciaient cha- leureusement iM. de Marigny d'un choix si heureux et si mérité ^


YII


PSYCUÉ CONDUITE PAR ZÉPHIRE DANS LE PALAIS DE l'A-

MOUR, LA Naissance de Vénus, le Bain de Diane, les Forges deVulcain, avaient placé Boucher au premier rang de l'école de son temps, quand, pour répondre au reproche de ne plus faire que des tableaux de che- valet ^ il exposait, en 1753, le Lever et le Goucjier du soleil •^

Dans la première de ces grandes toiles, des amours au haut du ciel écartent le voile de la nuit et plient l'ombre comme une tente. L'Aurore, portant au- dessus du front l'étoile du matin, effeuille du bout de ses doigts les rayons et les roses dans la lumière qui s'éveille. Sous la caresse du jour qu'elle répand, le jeune Apollon se lève dans sa gloire naissante; la pourpre lui vole en écharpe autour du corps; sous ses pieds, l'écume des flots se brise en vapeur et

1. Notice historique sur la manufacture de tapisseries des Gnbelins, par Lacordaire. Paris, 185t.

2. Lettres sur les peinture, sculpture et architecture à M. ***, 1748.

3. Ces deux tableaux, vendus à l'inventaire de M""* de Ponipadour et passés alors en possession de M. de Saincy, appartiennent aujourd'hui à M. Richard Wallace.


22G I;ART du XVIII* SIKCL.E

s'écroule en nuage. Une déité volante lui tend les rênes de son quadrige et la bride de ses chevaux qui piaffent dans Téther, tandis que les filles de Doris, les nymphes de la mer, à mi-corps dans l'onde qui leur bat les reins, nouent sur les jambes du dieu les rubans de ses brodequins. Au-devant du lever de Phébas, un amour joue avec le collier de perles tombé du cou de l'Aurore ; des tritons interrogent, dans un coquillage, le murmure des mers, le flux et le reflux de l'écho ; des dauphins aux yeux et aux narines de rubis, balancés au branle de la vague, bercent les néréides accoudées sur l'oreiller de leur tête, et tournant au public, qu'elles provoquent d'un sourire jeté par-dessus Tépaule, leur dos humide, où le flot pleure encore en gouttes de nacre.

Dans le Couciikr du soleil, des amours et des gé- nies apportent et déroulent en haut du tableau le manteau sombre et bleu de la Nuit. Le jour meurt en reflets sous leurs pieds qu'il éclaire. Au milieu des vapeurs violettes et roses perdues là-bas dans un fond de ténèbres où se dénoue^ au-dessus du clapotement des vagues vertes, une guirlande d'amours, FApollon rayonne dans l'apothéose du crépuscule. Son char rocaille, autour duquel bour- donne une ronde d'amours, entre doucement dans la mer et coule à l'abîme; de ses coursiers blancs, aux naseaux roses et fumants des derniers feux du jour, l'un est encore argenté de lumière, l'autre a déjà plongé dans l'ombre. Le dieu, svelte comme un éphcbe, s'élance en étendant les bras vers Thétis.


BOUCHER. 227

Allongée dans une pose d'accueil amoureux, la déesse vole vers lui, sur une conque, parée des cou- leurs de la mer, la robe teinte des nuances d'une vague, les cheveux gris argenté et comme poudrés de l'écume des flots. Une néréide, réfugiée contre elle et s'appuyant à sa conque, se gare, avec sa main jetée coquettement devant ses yeux, du dernier rayon du dieu; et tout autour de Thétis, sa cour de tritons et d'amours fatigue l'eau du sillon de ses jeux, jus- qu'à ce groupe de femmes enroulées, ondulantes, que la mer baigne, chatouille et renverse sur son sein qui palpite.

Ce sont là les deux pages triomphales de Bou- cher. Elles ont le rayonnement, le flamboiement, la magnificence de ce char du Soleil versant dans les Métamorphoses le feu des chrysolithes et des pierre- ries. Elles sont le plus grand effort du peintre, les deux grandes machines de son Œuvre. Elles ont excité l'enthousiasme; elles sont demeurées éblouis- santes. Et cependant, je crois que, pour la juste appréciation du talent de Boucher, pour les intérêts de sa gloire, il vaut mieux le juger dans des tableaux moins grands, moins pompeux, moins officiels. Peintre de verve, il ne manifeste jamais plus heureu- sement sa personnalité que dans ces compositions de dimension moins ambitieuse, où ses idées et sa main peuvent courir jusqu'au bout de la toile sans rencontrer la fatigue. Une esquisse brossée vivement en une matinée avec le diable au corps de l'impro- visation, une ébauche modelée avec des tons d'au-


228 L'ART DU XVIII« SIECLE.

rore, un groupe de corps bleutés, un torse dont la ligne molle se débat dans une clarté pâle et vapo- reuse, une déesse jetée au ciel d'un lit : voilà la vocation et le vrai triomphe de cette peinture à la touche lluide et coulante, de ce peintre dont les amis comparaient le coloris à des feuilles de roses nageant dans du lait. Et ne resterail-il de Boucher que cette ravissante Vénus couchée de la collection Marcille,. il serait impossible de méconnaître en ce magicien un grand tempérament de peintre, et de refuser au coloriste cette justice que David lui-même lui rendait en disant : « N'est pas Boucher qui veut. »


VII


Une femme régnait alors en France, dont la pro- tection ne pouvait manquer à Boucher. Cette maî- tresse du roi qui eut l'esprit de faire de sa faveur une espèce de ministère des arts et des lettres, ^me (jg Pompadour, trouva son peintre quand elle rencontra Boucher. Ne semblait-il pas né pour elle? N'était-il pas l'artiste providentiel, et précisément à la taille de son règne, à la mesure de ses goûts, né, formé et grandi pour être son courtisan, son poète, son historien? Sans lui, la figure de la favorite man- querait de je ne sais quel accent et quelle lumière : il éclaire et complète le personnage de la femme- artiste de la même façon queBernis signifie le carac- tère de la femme d'État.


BOUCHER. 22î>

Dès qu'elle commence à marcher du caprice d'une nuit au commandement d'un règne, M""" de Pompa- dour s'attache Boucher. Elle lui donne des com- mandes. Elle l'installe dans une sorte de privilège de décoration des bâtiments et des demeures du Roi. Dès 17 46, elle lui faisait peindre l'Éloquence et l'Astronomie, destinées au Cabinet des médailles. En 1747, elle mettait son tableau des Forges de Vul- CAiN dans la chambre même de Louis XV, à Marly,. comme pour tenir son protégé en présence du Roi. En 1750, elle le chargeait du tableau devant décorer la chapelle du château de Bellevue ; et dans le châ- teau, elle lui faisait orner de chinoiseries le joli boudoir meublé en perse dorée en or ; elle lui don- nait à remplir de ses plus vives couleurs et de ses plus gaies fantaisies les tableaux de cette galerie imaginée et dessinée par elle, oii de merveilleuses guirlandes de fleurs fouillées par le ciseau de Ver- beck encadraient les imaginations du peintre ^ C'é- tait elle qui achetait ses deux grands tableaux : Le Lever et le Coucuer du soleil. Lui fallait-il, pour ré- veiller avec les sens l'amour du Roi, mettre sous les^ yeux de Louis XV des allusions libertines, elle recou- rait à Boucher, qui jetait dans une suite de pan- neaux une histoire qui commençait par l'idylle et finissait par la priapée. Voulant avoir son portrait, c'était Boucher qu'elle choisissait avecLatour, pour laisser d'elle une image qui survécût à sa fortune et

1. Dictionnaire historique de la ville de Paris, par Hurtaut. Paris, 1779, vol. I.

I. 20


230 i;art du xviip siècle.

rempôchàt de mourir tout entière. Et Boucher hi peignait dans la pose de paresse que donne une chaise longue, avec l'air d'attention distraite d'une femme aimée qui attend l'amour en tournant à demi la tète. Le bras droit de M" dePompadour s'accou- dait sur un coussin de pékin peint; son bras gauche retenait mollement un livre sur ses genoux. Boucher jetait dans ses cheveux un œil de poudre et des fleu- rettes; il la décolletait en carré, évasant un peu à la naissance de la gorge Téchancrure de cette magni- fique robe bleue falbalassée, toute semée de petites roses, toute ruisselante de dentelles d'argent; et au bout de la jupe paraissaient les deux pieds mutins de la favorite croisant, selon leur habitude, l'une sur l'autre les mules roses brodées d'argent. Et partout c'étaient des rubans et des nœuds, au cou, à la sai- gnée, au cœur du corsage. La figure sortait d'un appartement de soie jaune et semblait s'avancer entre deux rideaux à grands plis, du fond d'une glace reflétant dans sa transparence, comme dans une vapeur, une bibliothèque surmontée d'une pendule en lyre, aux heures gardées par un amour. Sur le parquet, aux pieds de M™^ de Pompadour, Boucher avait semé et comme effeuillé les amusements et les goûts de sa protectrice : porte-craj'on monté de sanguine et de crayon noir, un carton de dessins ouvert, un plan de château à demi déroulé, des rou- leaux de musique, une pointe de graveur emman- chée, étaient çàet là entre un king's chartes au repos et deux roses gisantes. A sa droite, et plus près


BOUCHER. 231

d'elle, le peintre semblait avoir voulu caractériser sa vie plus sérieuse, les affaires de la faveur ; l'on voyait de ce côté une petite table à écrire de bois de rose, un flambeau d'argent chantourné, le cachet de la marquise, un bâton de cire, une lettre décachetée, une plume enfoncée dans un encrier, et sortant d'un tiroir ouvert, des brochures, des livres, des maro- quins aux armes, et encore deux roses oubliées là par la femme au milieu de tous ces outils de la favo- rite et du premier ministre.

Ce portrait est pour ainsi dire le portrait de luxe et de représentation de M" de Pompadour: la coquetterie y a une ampleur, le chiffonnage, l'enru- bannement, les fanfioles y ont une opulence et une somptuosité royales : c'est la grande toilette de la faveur en robe de sacre.

Boucher ne fut pas seulement le protégé, il fut le familier de M""' de Pompadour. 11 avait ses grandes entrées dans la pièce oii Guay avait son touret. La favorite l'honorait de la confidence de ses goûts, de ses projets, de ses rêves. Elle le consultait sur les décorations dont elle avait l'idée. Elle parlait avec lui de ce monde de l'art dont elle avait pris en main le patronage. Elle se plaisait avec cette imagination du peintre qui donnait un si joli corps à tout ce qu'elle voulait de riant et d'aimable autour d'elle. Boucher était un curieux avec lequel elle aimait à causer curiosités, un professeur d'eau-forte qui l'ini- tiait au maniement de la pointe et qui menait la main incertaine de la graveuse sur les copies de ses


232 LART DU XVIII« SIECLK.

planches : les Buveurs de lait, le Petit Munlreur de marmottes, le Faiseur de bulles de savon, et siii' loiite la suite des pierres gravées de Guay. Il était l'artiste auquel elle donnait ses commissions intimes, auquel elle confiait les travaux de ses appartements. la parure de ce qui l'entourait. Chaque jour elle se découvrait un nouveau besoin de cet homme prêt à tout, qui était son dessinateur intime. Voulait-elle des figures pour les statues de son château de Crécy*, un amour ou un frontispice pour le graver, un portrait à envoyer à une amie, elle recourait à Boucher, qui aussitôt jetait des figures de bergères pour modèle au sculpteur, esquissait des cupidons volants, ou bien, avec trois coups de pastel, improvisait un médaillon de la marquise dans un cadre de fleurs et d'attributs.

]yjmc (|g Pompadour avait donné au Roi une telle habitude du nom et du talent de Boucher, que, même morte, elle le protégea encore ; et à la mort de Yanloo, c'était sous les auspices de la favorite disparue que Boucher était nommé premier peintre du Roi-.

Et nous publions pour la première fois ce brevet où la protection royale parle un si beau et tutélaire langage :


1. Catalogue de différents objets composant le cabinet de feu M. le Marquis de Ménars, 1781.

2. Lorsqu'on présenta Boucher au Roi, ce prince, le croyant plus jeune par la chaleur et la vivacité de ses ouvrages, lui marqua son étonnement de le trouver plus vieux qu'il ne pensait. « Sire, lui répondit Boucher, l'honneur dont Vot/'e Majesté m'a comblé va me rajeunir. » Galerie fran- çoise, par Restout.


BOUCHER. -233

(( Brevet du premier peintre du Roy POUR LE S"" François Boucher.

Du 8 septembre 18G3.

« Aujourd'hui, huit septembre mil sept cent soixante-cinq, le Roy étant à Versailles, Sa Majesté, toujours attentive à récompenser ceux qui par leurs talents excellent dans les beaux-arts et désirant faire connoître sa bienveillance particulière pourceux qui, par une application suivie, sont parvenus au degré de perfection et ont mérité son estime et celle de leur patrie, a cru que personne n'étoit plus digne de remplir la charge de son premier peintre vacante par le décès du S"" Carie Vanloo, que le S' Fran- çois Boucher, électeur de son Académie royale de peinture et de sculpture. La réputation qu'il s'est acquise dans cet art parla supériorité de ses talents, par le grand nombre de beaux ouvrages qu'il a faits, et désirant en outre le récompenser des soins qu'il s'est donné depuis mil sept cent-quarante huit pour conduire ceux qui s'exécutent en tapisserie à la Manufacture royale des Gobelins, ont déterminé Sa Majesté à lui accorder ce titre honorable qui, en jus- tifiant le choix de Sa Majesté, fera connoître à son Académie de Peinture et de Sculturele cas particulier qu'elle fait de chacun de ses membres et combien les services de cette compagnie lui sont agréables. Et, à cet effet, Sa Majesté a retenu et retient ledit Boucher dans l'état de son premier peintre vacant

I. 20.


231 L'ART DU XVIIP SIECLE.

par le décès du S"" Carie Yanloo, pour par luy en jouir et user, aux honneurs, autorités, pouvoirs, proéminences, prérogatives, privilèges, franchises et libei'tés y appartenant, et ce tant qu'il plaira Ji Sa ^[ajesté, laquelle mande et ordonne au S' mar- quis de Marigny... de faire jouir le S"" Boucher plei- nement et paisiblement conformément au présent brevet, que pour assurance de sa volonté Sa Ma- jesté a signé et fait contresigner par moi, conseil- ler secrétaire d'État et de ses commandements et finances. Signé : Louis; et plus bas Bertin ^ »


IX


Que disait cependant la critique du temps de ce Maître si bien fait à l'image de cette société dont il semble l'enfant gâté? Comment le xviu siècle jugeait-il le peintre né de ses entrailles, doté de toutes ses grâces, complice de toutes ses modes, l'artiste envoyé pour lui donner l'immortalité qu'il eût choisie et qu'il méritait?

Les critiques alors s'accordaient à admirer ses compositions toujours riches, abondantes, de grande manière, sa couleur agréable et fraîche, la mollesse tendre de ses attitudes, l'arrangement heureux de ses groupes, le pittoresque de ses tableaux champê- tres en action, de ses marches. Ils lui reconnais-

1. Archives nationales. 0' lOGO.


BOUCIIEU. 23j

saient une imagination riante, vive et féconde, des airs de tête toujours gracieux et d'un goût supérieur, de la variété, des expressions toujours fines. Ils s'en- tendaient presque unanimement pour trouver qu'il peignait bien l'histoire, le paysage, l'architecture, les fruits, les fleurs; qu'il composait et qu'il dessi- nait également bien. Ils louaient la facilité de son pinceau coulant, son entente parfaite de la lumière dont il sa\ait tirer de beaux effets, ses compositions en plein air, ses draperies volantes et faites pour le nu. Et les critiques allaientjusqu'à reconnaître un air céleste aux vierges de ses Nativités et de ses Saintes-Familles : il est vrai que ces mômes criti- ques lui indiquaient la tète de la petite Coupé de rOpéra comme un modèle de la tête de Vierge \

Dans ce concert d'éloges des connaisseurs et des juges autorisés, qui n'était que l'écho affaibli de l'en- thousiasme général et des idolâtries du public, à peine s'il se glissait quelques voix accusant timide- ment Boucher de donner trop de finesse aux physio- nomies, de peindre trop cru, de faire trop brillant, d'éparpiller les lumières, de ne pas assez les con- traster par des ombres, de tomber dans la pourpre-, de n'avoir pas assez de repos, de montrer des fem-


1 . Réponse à un écrit anonyme intitulée : Lettre critique sur les ouvragcr de Messieurs de l'Académie exposés au Salon du Louvre, 1759.

2. A cette accusation de donner à ses chairs le reflet d'un rideau rouge, Boucher répondait en s' excusant sur l'affaiblissement de sa vue^ •lui ne lui présentait plus, disait-il, qu'une couleur terreuse dans les ohjets- où les autres croyaient apercevoir le cinabre et le vermillon. — Galerie fran^ çoise, par Restout.


•?36 1;aKT du XV III' ^lE'JLl'.

mes plus jolies que belles, plus coquettes que nobles, de faire des draperies trop chargées de plis, trop cassées et ne flattant pas assez le nu, de manquer enfin d'expression.

Mais ces quelques voix étaient étouffées par le murmure et Tacclamation de l'opinion, par l'en- thousiasme qui écrivait : « Le pinceau de Boucher est un enchanteur qui suspend toutes les fonctions de l'âme pour ne laisser agir qu'une tendre admira- tion ^ » Boucher avait cette gloire du succès, la po- pularité. Sa réputation rayonnait de tous côtés el commandait partout. L'admiration autour de son nom et de son talent était comme une contagion dans l'air. La jeunesse qui partait pour étudier les chefs-d'oeuvre de l'Italie partait avec ses tableaux dans les yeux; et quand elle revenait de Rome, elle revenait, non pas avec les leçons des grands maî- tres du passé, mais avec le souvenir du maître pari- sien, avec l'imitation du Boucher au bout de ses pin- ceaux. On eût dit que l'avenir allait être son école.

Un seul homme résista énergiquement, brutale- ment, à l'enivrement, à cette espèce d'ensorcelle- ment que le talent du peintre exerçait sur ses con- temporains : ce fut Diderot. A tout moment, il se soulève de toute sa force et de toute sa verve contre le succès et la peinture de Boucher; au nom seul de Boucher, tombé sous sa plume, il semble qu'il perde le sang-froid comme au nom d'un ennemi

1. Description raisonnée fJ es tableaux exposés au Salon du Louvre, 1789. De l'imprimerie de Claude-François Simon fils


BOUCHER. 237

personnel. Il lapide le dieu, il barbouille le peintre, il souffleté l'homme. Entendez-le, quand il s'arrête au Salon devant une de ses toiles admirées, il jette son jugement, son mépris, sa colère en mots pressés, furieux, crayonnés de rage : « Des grâces emprun- tées à la Deschamps... des mines, de raffeterie... rien que des mouches, du rouge, des pompons... descaillettes, des satyres libertins, des petits bâtards de Bacchus et de Silène... la dégradation du goût, de la couleur, de la composition, du caractère, de l'expression, du dessin... l'imagination d'un homme ,qui passe sa vie avec les prostituées du plus bas étage...» Voilà tout ce que Diderot voit dans l'œuvre de Boucher, de ce Boucher dont il dira pourtant un jour en s'oubliant : « Personne n'entend comme Boucher l'art de la lumière et des ombres. » Mais pre- nons garde, ce n'est pas un juge infaillible que Dide- rot : il y a bien des boutades dans son goût. Le génie du merveilleux écrivain, c'est la passion ; et sa criti- que même, avec ses élans, ses débordements magni- fiques, ses tableaux qui vivent, ses flots d'idées et de couleur, ses improvisations, ses apostrophes, son éloquence parlée qui cause et s'exalte, sa critique, n'est que passion ; l'emportement d'un grand instinct la soutient toujours : la mesure d'un sentiment juste lui fait souvent défaut. Puis l'appréciation de Diderot a-t-elle été toujours bien personnelle? Les artistes, les gens du métier qui l'entouraient, et dans le commerce desquels il apprit la technologie de l'art, Cochin, Chardin, Falconet, n'inspiraient-ils pas son


•238 L'ART DU XVIIP SIECLE.

premier mouvement devant une toile, un marbre, une estampe, par une conversation, une remarque, une ironie d'atelier? Souvent le critique ne prit-il pas en toute bonne foi la sévérité de ses opinions dans une rivalité de confrères ? Mais il n'est pas besoin d'aller si loin : il y avait une grande raison pour que le critique manquât de justice envers Boucher. Rap- pelons-nous que si Diderot a reconnu Chardin, il a inventé Greuze. Diderot était avant tout, — au moins il le croyait, — un philosophe d'art, l'apôtre de l'art utile et profitable li l'humanité. 11 professait que la vocation du beau n'était pas seulement d'être le beau, mais encore d'être le bien. Il demandait aux œuvres plastiques un enseignement pratique, un apport à la somme de vérités ou de sensations mo- rales en circulation dans la société. Singulier point de vue pour juger Boucher, et qui devait mener Di- derot à reprocher sérieusement aux amours du peintre d'être inutiles, de n'être propres ni à lire, ni à écrire, ni à tiller du chanvre!

Boucher ne mérite pas plus ces sévérités cruelles de Diderot qu'il ne méritait l'enthousiasme furieux de son temps, du public, de la société, des femmes et des petits-maîtres. Il n'est ni un barbouilleur d'éventails, ni «un maître en tous les genres ». Il est simplement un peintre original et grandement doué, auquel il a manqué une qualité supérieure, le signe de race des grands peintres : la distiction. 11 a une manière et n'a pas de style. C'est par là qu'il est si fort au-dessous de Watteau, avec lequel les gens du


BOUCHER. -239

monde le nomment et l'accouplent assez volontiers, comme s'il y avait parité entre Boucher et le maître qui a élevé l'esprit à la hauteur du style. La vulgarité élégante, voilà Ja signature de Boucher. Ce n'est pas seulement dans l'ensemble de la com- position, c'est dans le contour de ses lignes, dans les extrémités de ses corps, dans l'accentuation de ses tètes, qu'il manque d'une expression, d'un carac- tère, d'une certaine grâce rare et délicate échap- pant à la banalité de la pratique. En un mot, alors même que son imagination est la plus facile et sa main la plus heureuse. Boucher a dans son dessin, dans son modelé, je ne sais quelle rondeur, quelle mollesse d'habitude et de procédé. Pour tout dire et oser un terme de l'argot des ateliers qui peint un peu durement son talent : il est canaille.

Le peintre, chez Boucher, était bien supérieur au dessinateur. Il y a en lui, répétons-le, une rare or- ganisation de coloriste, et il est peut-être le plus grand tempérament de peintre de l'école française. Mais Boucher, né peintre et qui a su s'élever, dans le milieu de sa carrière, à ce ton de couleur mâle et vrai, chaud comme un coucher de soleil d'une école d'Italie, Boucher a été égaré et perdu, ainsi que toute son école, par les tentations et les exigences d'un art industriel. On a oublié de le remarquer : c'est la tapisserie qui a fait de Boucher un décora- teur. Suivez ses tableaux et sa couleur, vous y trou- verez d'année en année la corruption que font les commandes de Beauvais et des Gobelins dans cette


240 L'ART DU XVIII« SIECLE.

gamme de tons de la peinture française qui s'an- nonce si puissante, aux débuts du siècle, par « I'Om- PHALE » de Lemoine et « TEmbarquement de Cythère » de Watteau. A mesure que Boucher peint pour les ouvriers de Gozette et d'Audran, sa peinture se charge de tons faux, sa couleur pâlit et papillote en même temps. Obligé de se plier aux harmonies de la laine et de la soie, de rejeter les valeurs d'ombre, de sacrifier à la couleur gaie, de chercher à tous les coins de la composition le clair, le tendre, le pétil- lant, Boucher noie ses tons dans le délayage et l'af- fadissement. Ses verdures s'évaporent dans le bleu, ses arbres dans le gris, ses lointains dans le lilâs, ses lumières dans du blanc caillé ; et, à la fin, le re- gistre de tons du tapissier remplace si bien dans les mains de Boucher la palette du peintre, qu'il ne semble plus brosser qu'en transparent des campa- gnes de paravent, des figures couleur de rose, des féeries de papier peint.


Les honneurs venaient à Boucher, dont la réputa- tion se répandait en Europe, et que l'Académie de Saint-Pétersbourg nommait associé libre. En 1765, à la mort de Vanloo, la place du premier peintre du Roi lui avait été donnée', et l'Académie, pour lui lais-

1. Voici la date des promotions académiques de Boucher : agréé k l'Académie, 1731; adjoint u professeur le 2 juillet 1735; professeur le


BOUCHER. 211

ser tout entier l'héritage de Vanloo, lui décernait la place de directeur, qui n'était pas toujours attachée à celle de premier peintre du Roi.

Ce fut une assez pauvre direction que la direction de Boucher, déjà vieux, souffrant, et tout occupé de ses tableaux qui lui rapportaient plus de cinquante mille livres par an K Le goùt^ la force, le loisir et l'activité lui manquaient pour exercer cette charge pleine de fatigues, pour ordonner par lui-même tous les ouvrages de peinture et de sculpture, pour diri- ger personnellement l'école et s'acquitter conscien- cieusement de ses devoirs de patronage envers le peuple des artistes. 11 imita son prédécesseur; il prit de la place le titre et les avantages, et il laissa le reste, le travail et le détail à Gochin, qui avait déjà mené l'Académie sous Carie Vanloo. Avec ce di- recteur insouciant et laissant aller les choses, il arri- vait que les 600 livres du modèle de l'Académie n'étaient pas payées, que la pension des jeunes gens de l'école n'était pas mieux soldée, et que, sans la soupe de Michel Yanloo, ils n'auraient guère mangé. Un moment, l'Académie, réduite à son revenu de la vente du livret aux Expositions, étaitprêteà fermer: elle n'était sauvée que par une contribution d'ama- teurs venant à son aide. C'est Diderot qui fait ce tableau de l'Académie en 1769 -. Peut-être bien Di-

2 juillet 1737; adjoint à recteur le 29 juillet 1752; recteur le 1" août 1761; directeur le 23 août 1765.

1. Notice sur François Boucher, par Durozoir. Annales de la Société libre des Beaux-Arts, vol. VI. Année 1841 à 1812.

2. Œuvres de Diderot, Salons d'exposition. Paris, Belin, 1818.

I. 21


242 L'ART DU XVIIP SIÈCLE.

derot exagèrc-t-il ses misères; il est diiïicile d'ad- mettre que Boucher, avec son caractère de bonté et de générosité, ait poussé l'incurie jusqu'à ce point où elle devient de l'insensibilité. Mais le vrai et le certain, c'est qu'il fut un directeur sans zèle et sans initiative.


XI


Boucher, tout entier au travail, renfermé dans son atelier, ne le quittait en ces années que pour un court voyage. En 1766, M. Randon de Boisset, vou- lant avoir son goût et ses conseils sur de grosses acquisitions qu'il projetait, l'emmenait en Hollande, dans cette patrie de Rubens si fort énamourée au xvin° siècle du maître français qu'elle appelait Bou- cher r unique Bouche?'.

La fin de sa vie s'écoula dans cet atelier où le peintre était si bien chez lui, et où il retrouvait tout autour de lui ce bouquet de tons enchantés, ces splendeurs et ces lueurs qu'il semait sur la toile. Il vivait là, au milieu de choses où sa palette pre- nait des rayons, dans un monde d'objets éblouis- sants, de feux qui jetaient sur sa peinture le reflet de leur flamme et l'enchantement de leur lumière. A mesure qu'il vieillissait, il appelait à lui ce soleil magique des pierres précieuses qui réchauffait ses yeux et son génie ; il entassait dans son atelier ces pétrifications d'éclairs, les pierres fines, les quartz


BOUCHER. 24:3

et les crislaux de roche, les améthystes de Thuringe, les cristaux d'étain, de plomb, de fer, les pyrites et les marcassites. L'or natif, les buissons d'argent vierge en végétation, les cuivres gorge-de-pigeon et queue-de-paon, les morceaux d'azur, les malachites de Sibérie, les jaspes, les poudingues, les cailloux, les agates, les sardoines, les coraux, tout l'écrin de la nature était vidé çà et là sur les étagères. Puis, dans ce merveilleux musée des couleurs célestes de la terre, venaient les coquilles avec leurs mille nuances délicates, leurs prismes, leurs reflets chan- geants, leurs chatoiements d'arc-en-ciel, leur rose tendre et pâle comme une rose noyée, leur vert doux comme l'ombre d'une vague, leur blanc caressé d'un rayon de lune : les tuyaux de mer, les buccins, les pourpres, les tonnes, les volutes, les porcelaines, les huîtres, les pétoncles, les cœurs, les moules, végétations de perle, d'émail et de nacre, groupées comme des parures dans les meubles de Boule, dans les cabinets de bois d'amarante, ou répandues sur les tables d'albâtre oriental, à côté des torchères de bois sculptée

Mais ce n'était pas seulement sa palette qui l'en- tourait. A côté de cette gamme idéale des couleurs féeriques, sa fantaisie aussi était là à portée de sa


1. Voyez le Catalogue raisonné des tableaux, dessins, estampes, bronzes, terres cuites, laques, porcelaines de ditterentcs sortes, montées et non montées; meubles curieux, bijoux, minéraux, cristallisations, madré- pores, coquilles et autres curiosités qui composent le cabinet de feu M. Boucher, premier peintre du Roi. A Paris, chez Musier, MDCCLXXI. I.a vente do ce cabinet, estimé 100,000 écus, produisit 110,919' 19'.


241 L'ART DU XVIII' SIECLE.

main. Le pays de caprice, adoré du xyiii*^ siècle, la Chine, avait apporté ses porcelaines céladon, ses porcelaines bleu céleste, ses porcelaines truitées, ses porcelaines craquelées, et toutes ses curiosités exquises et fantasques, depuis la chaufferette à anse garnie de joncs jusqu'à une arithmétique ; petit pays de chimères où l'imagination de Boucher se plaisait, s'amusait, s'oubliait, malgré les reproches des criti- ques du temps, jetant avec amour sur le papier et sur la toile, sur les dessus des portes, sur les éven- tails, sur les cartes d'adresse des marchands de ta- bleaux, ces costumes et ces figures baroques repris àWatteau, qui devaient, sous la main du premier peintre de M""" de Pompadour, faire de la Chine une des provinces du Rococo !

Ainsi entouré, dans ce paradis de ses yeux et de ses goûts, Boucher vivait heureux. Il semble qu'on le voie assis près de sa boîte à couleurs aux onze tiroirs, ayant à côté de lui sa pierre à broyer de porphyre, tenant son appui-main garni d'ivoire, lais- sant dans ses distractions aller son regard à tous ces petits modèles qui garnissaient les murs : le petit vaisseau, la petite galère, le petit canon, le petit carrosse monté àlaDalène, merveilleux joujoux que suivaient d'autres joujoux plus consultés par lui : la petite charrue, la petite herse, la petite brouette, le petit tonneau, le petit bateau de pêcheur, mobi- lier d'une ferme d'enfants, accessoires en miniature de la vie rustique, que vous retrouverez si bien enjo- livés à toutes les pages de sa Pastorale, l^^t dans cet


BOUCHER. e-ij

atelier où chaque jour entrait quelque nouvel objet curieux ou charmant, où les cartons ventrus s'em- plissaient de dessins sans que Boucher les trouvât jamais assez emplis, quelques amis intimes venaient tous les jours, après le dîner, passer de longues heures. Ils admiraient l'acquisition, l'objet nouveau, la belle tentation à laquelle Boucher n'avait pu ré- sister; puis ils se plaisaient à le regarder peindre ou dessiner, jouissant de voir les formes naître et se former si vite sous le badinage de ses crayons et de ses pinceaux, prenant plaisir à ce rare spectacle d'une facilité divine, d'une fécondité inépuisable. Ils attendaient, ils enlevaient au passage les dessins réussis, les compositions bien venues, les inspira- tions d'une verve bénie. De ceux-là, le premier était ce M. de Sireul qui, dans sa passion pour Boucher, avivée par la mort du peintre, continuant à réunir ses dessins, les premières idées de ses compositions les plus capitales, devait laisser cette prodigieuse collection appelée si justement par l'expert le porte- feuille de M. Bouche?' K

Compagnie familière, amitié confidente, cours d'amateurs, causerie qui, de son bruit ailé, accom- pagne le travail, inspiration de tant de choses rayonnantes, éclats de lumière jouant dans le feu des curiosités naturelles, échos des rêves et des


1. Catalogue des tableaux et dessins précieux qui composent le cabinet de M. de Sireul, Paris, 1781. Dans notre siècle, la plus riche collection de dessins de Boucher a été celle de M. de Cypierre, qui ne comprenait pas moins de trente dessins de Boucher presque tous pastellés.

I. 21.


3iG I;aRT du XVIII' SIKCLK.

imaginations du peintre partout répétés, rien ne manquait donc h Boucher dans ce lieu où il se sen- tait si près de sa muse, que l'idée lui vint un jour de s'y représenter visité par Vénus et l'Amour.

Pour retrouver Boucher dans son atcliei', ce por- trait nous manque. Mais nous avons le pastel de Lundberg conservé au musée du Louvre : Boucher est là jeune, la physionomie animée et comme allu- mée, l'œil brillant, l'air vif, heureux; Lundberg semble avoir saisi son visage dans le feu d'un souper, au milieu des causeries qui pétillent et du plaisir qui rit. Nous avons encore le portrait peint par lk<slin' et gravé par Salvator Carmona pour sa ré- ception à l'Académie, image officielle du jjeintre qui va être le premier peintre du lîoi. Il est en riche habit de velours; les plus fines dentelles se chifi'on- nent en jabot sur sa poitrine et jouent en bouillons autour de sa main armée du porte-crayon. Regardez sa tête, son gros et grand nez, ses yeux saillants, ses épaisses paupières plissées, sa bouche largement taillée en pleine chair, humide comme la bouche de Piron, ses traits forts, son regard fin : c'est une aimable figure de vieillard épicurien, une physiono- mie sympathique qui ne respire que bonté, gaieté, sensualité, volupté spirituelle. Et l'homme, de l'ac- cord de tous les contemporains, ne démentait point son masque; cœur sensible, caractère obligeant et désintéressé, généreux de ses productions jusqu'à la

1. Ce portrait est au Musée de Versailles


BOUCHER. 247

prodigalité, incapable de basse jalousie, au-dessus des vils appétits du lucre et se refusant à abuser de sa vogue pour élever le prix de ses tableaux, plein de répugnance pour Tintrigue et laissant à son talent et au hasard des circonstances le soin de sa fortune, c'est ainsi qu'ils vous le peindront. Écoutez-les encore : pas de peintre plus habile à railleries dé- fauts de sa peinture que lui-même', pas d'homme plus indulgent aux autres; et pour tout vice, le plus aimable des vices sociaux, un trop grand goût pour le plaisir, qu'il garda toute sa vie, en compagnie de Toqué, qui aimait le plaisir presque autant que lui, et de Monnet, l'entrepreneur de spectacles, qui l'ai- mait bien autant que Toqué; joyeux convive, amu- sant conteur, qui apportait à la table égayée devins, de femmes et de chansons, l'esprit de l'atelier, un esprit dont le sel ne devint jamais amer dans sa bouche : — voilà Boucher.

Ami de la jeunesse, aimant à s'en entourer, à s'y retremper, il laissait à toute heure libre accès dans son atelier. N'ayant point de ces tâtonnements, de ces incertitudes de main, de ces défaillances qui font qu'un peintre se cache pour produire, il donnait leçon les portes ouvertes, disant « qu'il ne savait conseiller que le pinceau à la main- » ; et deux ou trois touches posées par lui sur la toile apportée en apprenaient plus au jeune peintre que tout ce qu'il aurait pu lui dire. Aussi était-il entouré de l'affection

1. Le Chinois au Salon, 1769.

2. Almanach Httrraire. 1778.


248 L'ART DU XV IIP SIECLE.

de cette jeunesse qui l'avait vu, tant qu'il lui était resté un peu de santé, soutenir le bon droit et don- ner sa voix à la justice avec toute la chaleur de son caractère. Elle se rappelait ce qu'il avait fait pour Vien. Revenu de Rome, Vien, refusé deux fois par l'Académie, avait supporté courageusement le pre- mier refus ; mais, accablé par le second, il avait déclaré qu'il renonçait pour toujours à l'honneur d'appartenir à l'Académie. Boucher, voyant son tableau, sautait au cou du candidat désespéré, et lui déclarait que si ses confrères ne le recevaient pas, jamais lui, Boucher, ne remettrait les pieds à l'Aca- démie. En 1767, lorsqu'une intrigue de Pigalle et de Lemoine fait obtenir le premier prix de sculpture à Moitte, au détriment de Milon, auquel l'attribuait le jugement général, dans cette émeute des élèves de l'école sur la place du Louvre, voulant faire faire le tour de la place à Milon sur le dos de Moitte à quatre pattes, les huées s'élèvent contre Cochin, Pigalle et Vien, que les élèves punissent de leur partialité en les faisant passer à travers la double haie de leurs dos tournés; mais, quand Boucher paraît, tous les dos se retournent, la jeunesse lui fait face, les bras l'étreignent, tous l'embrassent : il s'est opposé de toutes ses forces à l'intrigue, il a soutenu avec Du- mont et Vanloo la cause de Milon, la cause de tous ^es élèves*.

1, Œuvres de Diderot, Salons d'exposition, Paris, Belin, 1818.


BOUCHER. 249


XII


Boucher avait eu de sa femme un fils qu'il eut le secret chagrin de ne pouvoir élever à la peinture d'histoire et à l'héritage de son nom, et qui se con- fina modestement et sans bruit dans l'architecture et l'ornementation •. Il eut aussi deux filles dont il maria l'aînée àDeshayes. Deshayes mourait à trente- quatre ans, dans la pleine jeunesse de son talent, laissant ce beau tableau de « Saint Benoît mourant », qui promettait presque un maître à l'école fran- çaise ; et sa femme le suivait au tombeau quelques années après.

Boucher avait donné sa seconde fille à Baudouin-. Celui-ci, quoi qu'en aient dit les jugements du temps, répétés de confiance par le nôtre, était un homme de talent et un peintre de mœurs. Mettez-le, dans ce siècle, à côté de Crébillon fils, vous lui aurez rendu sa place. Il a la légèreté, l'audace piquante, l'indécence bien apprise, le joli ton, le badinage délicat, la tournure leste, le ton français des meil- leurs morceaux de la Nuit et le Moment. Il n'est point un miniaturiste graveleux; il est un dessinateur do

1. Juste Boucher, le tils du peintre des Grâces et le filleul de Meis- sonnier, obtient deux fois, en 1761 et en 1763, le second prix d'archi- tecture, est envoyé à Rome en 1764, revient en France en 1767 où il se livre assez obscurément à des travaux d'architecture et de décoration d'appartement et meurt en 1781.

2. Le double mariage des deux filles de Boucher avec Deshayes et Baudouin avait lieu le même jour, le 8 avril 1758.


e-.0 L'ART DU XVII I^ SIÈCLE.

la galanterie, dessinateur inspiré de toutes les élé- gances friponnes du temps, toujours fin, toujours spirituel, qui réalise, dans une série de scènes à la Collé, le Théâtre de société du siècle. Supérieur par le sentiment de la composition, par le mouvement de l'arrangement, à tous les vignettistes ses con- temporains, il révèle dans ses gouaches de rares qualités de coloriste. Quelle distance de ces goua- ches peinées, sorties de la main lourde des Alle- mands appliqués, les Lavrince, les Freudeberg, à ces libres et pétillantes esquisses de Baudouin, réchauffées de terre de Sienne dans les ombres, toutes pimpantes de vert tendre, de blanc, de bleu, de rose, éclaboussées de ces touches que Hall imitera de si loin, lavées d'une aquarelle si brillante qu'elle dépasse Fragonard et atteint Bonington!

Boucher aimait ce gendre; il aimait l'homme et son talent. Baudouin adorait son beau-père : et voilà qu'à la fin de la vie de Boucher, de cette vie attristée par la mort des siens, Baudouin partait encore avant lui et mourait tout jeune. C'était en 1769. Boucher, depuis longtemps soufirant d'un asthme, ne présentait plus à ses amis, depuis quel- ques années, que « l'image d'un spectre ». Cepen- dant il travaillait toujours, s'enfermantdans cet ate- lier qu'il aimait, s'acharnant au labeur comme l'ouvrier poursuivant sa journée dans le jour qui tombe. Quand la mort vint, le 30 mai 1770 \ à cinq

L Voici l'acte de décès de Boucher, tel que nous lo retrouvons sur les registres de la paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois. Remarquons


BOUCHER. TA

heures du matin, il y avait sur son chevalet un ta- bleau ébauché qu'il avait prié sa femme de donnera son médecin Poissonnier'.

Boucher, qui ne se vantait pas, disait, c'est Des- boulmiers qui le rapporte-, qu'il comptait n'avoir pas composé moins de dix mille dessins, croquis ou finis; n'avoir pas peint moins de mille tableaux, en y comprenant les ébauches et les esquisses.

que cette heure de la mort de Boucher, cinq heures du matin, détruit absolument la légende romanesque qui le l'ait mourir à son chevalet.

.< Paroisse Saint-Germain-l'Auxerrois.

« May, 1770. Le jeudi trente et un, S"" François Boucher, premier peintre du Roy, ancien directeur et recteur en son académie royale de peinture et de sculpture, associé libre de l'académie de Saint-Péters- bourg, âgé d'environ soixante et sept ans, époux de dame Marie-Jeanne Buzeau, décédé d'hier à cinq heures du matin au château du Louvre, a été inhumé en cette église en présence de S"" Juste-Nathan Boucher, archi- tecte, son tils, de François-Jean Baudouin, son petit-flls, et de Charles- Étienne-Gabriel Cuvillier, premier commis des bâ iments du Roy, ami. — Boucher, Cuvillier, Pikrre, Vien, Montucl.v. Vanloo, CnArKAi-. curé. »

1. Nécrologe de 1771. Éloge de Boucher.

2. Mercure de France, septembre 1770.


NOTULES


Marmontel, faisant les portraits des commensaux des dîners du lundi de M™"^ Geoffrin, s'exprime en ces termes sur le compte de Boucher :

« Boucher avait du feu dans l'imagination, mais peu de vérité, mais encore moins de noblesse ; il n'avait pas vu les Grâces en bon lieu; il peignait Vénus et la Vierge d'après les nymphes des coulisses; et son langage se res- sentait ainsi que ses tableaux des mœurs de ses modèles et du ton de son atelier. »


M™° Boucher était une délicieuse femme. L'on a, pour juger sa beauté, le portrait de La Tour, exposé en 1737, conservé depuis dans la famille Cuvilliés, et possédé au- jourd'hui par M^^ Fozembas, à Bordeaux.

Le pastelliste nous la montre blonde avec des yeux bruns d'une infinie douceur et le sourire le plus malin. Elle est représentée dans une robe de satin blanc décolletée en carré et garnie d'une ruche, le cou légèrement voilé par la dentelle d'une écharpe, tourmentant un éventail fermé, de ses jolies mains gantées de mitaines blanches sans doigts et doublées de rose.

La femme de Boucher n'a pas gravé que la planche signée ; iixor ejus sculpsit. Je signalerai une autre eau- I. 22


2ôl L'ART DU XVIII» SIECLE.

forte assez rare représentant des Amours occupés à accro- cher un écusson en forme d'œuf portant au-dessus d'une cigogne trois cœurs enflammés. Elle est signée : Jime Boucher.

Des documents récemment imprimés, dit M. Mantz, donnent deux fois des nouvelles de M™* Boucher. Le T.i juillet 1770, une pension de 1,200 livres lui est accordée en considération des services rendus par son mari. Et plus tard, comme elle vieillit et qu'elle n'est point riche, Louis XVI double sa pension.

Mme Boucher mourut fort vieille, gardant la coquetterie de ses jeunes années et portant jusqu'à sa mort les mi- taines sans doigts du portrait de La Tour. M. Desmaze, qui donne ces renseignements d'après une communica- tion de M™« Nata Roux, raconte que, malgré son âge, M™ Boucher contiimait à suivre les modes, et qu'elle souffrait, au milieu de son élégance de la dernière heure, de se voir dans son portrait coilfée selon le goût du temps passé. C'est alors qu'elle priait David, qui était de ses amis, de rajeunir la coilfure. Et David ne trouva rien de mieux que de substituer dans le pastel de La Tour la coilfure que beaucoup d'années après La Tour avait donnée à M™*^ Cuvil- liés, la propre fille de M°^<^ Boucher.


Une lettre de Berch, secrétaire du comte de Tessin, [uibliée par M. de Chennevières dans ses Portraits inédits d'Artistes, nous renseigne sur le goût de la Suède pour la peinture de Boucher, sur le prix de ses tableaux, sur le mode de composition et de travail du Maître. Voici le paragraphe de cette lettre (octobre 1745) consacré à Boucher :

« Boucher va plus vite; les quatre tableaux sont promis pour la fin du mois de mars. Le prix restera un secret entre Votre Excellence et lui, à cause de la coutume qu'il


BOUCHER. 255

a établie de se faire donner 600 livres pour ces grandeurs, quand il y a du fini. Il ne veut de l'argent quà mesure que chaque pièce sera livrée; mais il m'a conjuré de faire en sorte que cela aille plus régulièrement qu'avec les pré- cédentes (iV. B. ce sont celles pour le château) qui l'ont bien fait languir. Encore une couple de jours de poste : si messieurs les banquiers ne permettent pas qu'on tire sur la Suède pour payer les ouvrages faits, il accepte à regret de prendre l'argent d'avance pour la moitié des ouvrages à iaire... »

« J'ai communiqué à M. Boucher mes idées sur la dis- position des sujets; il ne les a pas désapprouvées et a paru en être fort content. Le Matin sera une femme qui a fini avec son friseur, gardant encore son peignoir, et s'amu- sant à regarder des brimborions qu'une marchande de modes étale. Le Midy, une conversation au Palais-Royal entre une dame et un bel esprit qui fait la lecture de quelque mauvaise poésie, capable d'ennuyer la dame, qui fait voir l'iieure à sa montre; la méridienne dans l'éloi- gnement. L'Après-diner ou le Soir nous embarrasse le plus ; des billets apportés pour donner un rendez-vous, ou des mantelets, des gants, etc., que la femme de chambre donne à sa maîtresse qui veut aller en visite. La Nuit peut être représentée par des folles qui vont en habit de bal, et se moquent de quelqu'un qui est endormi. On tâchera de caractériser les sujets de manière qu'avec h's Quatre Points du Jour, cela fasse aussi les Quatre Saisons. Voilà, Monseigneur, les premiers projets que M. Bouclier et moi nous avons formés; avant que le matin soit entièrement passé, on aura des moments pour rélléchir comment bien remplir le reste de la journée. J'espère par la suite du temps d'avoir quelques croquis pour envoyer à Votre Excellence; M. Boucher paraît vouloir s'y prêter. »

Ces projets de tableaux sont-ils devenus les peintures du Matin, du Midy, du Soir, gravés par Petit? Auraient-ils donné lieu sur les mêmes idées à des compositions plus


256 L'ART DU XVIII' SIECLb].

étendues qui n'ont pas été gravées et seraient cachées dans quelque château royal de Suède ?


Nombre de têtes aux crayons de couleur des ventes Sireuil, Randon de Boisset, Conti, Biondel d'Azincourt et que Bouclier avait l'habitude de pasteller sur papier de soie, ainsi que nous l'indique le catalogue Trudaine, sont assez souvent des portraits déguisés sous la fantaisie d'un ajus- tement pastoral, des portraits dont le nom n'était inscrit que dans la mémoire des amants ou des amis du modèle. C'est ainsi que, dans ses Lettres sur différents sujets, impri- mées à Berlin, Bernouilli raconte avoir vu en 1777, dans le magasin de tableaux et d'estampes de Michel, à Bâle, neuf têtes pastellées par Boucher, d'une hauteur d'un pied trois pouces, sur une largeur d'un pied, u Cette petite suite, écrit-il, choisie et variée entre les pastels connus de cette célèbre main, peut s'appeler le Cabinet des Beautés. Ce sont tous des beautés d'après nature, et d'après les plus beaux modèles qui brillaient à Paris; il y a entre autres le portrait de M™<= de Pompadour. Le pastel en est fixé. »


Baillet de Saint-Julien, dans sa Lettre sur la peinture, 1749, tout en préférant Servandoni comme décorateur de théâtre, dit qu'on n'a jamais vu de plus beaux tableaux que les fermes de Boucher. Il parle de ses beaux jardins, de ses belles grottes, de ses beaux paysages, où les vues de Bome et de Tivoli se mêlent heureusement aux vues de Sceaux et d'Arcueil. 11 vante sa décoration du palais du tleuve Sangar, le jeu perpétuel de la voûte d'eau, l'éclat de sa lumière reflété sur les colonnes du fond, le ton mat et reposant du devant de la décoration, le pittoresque des colonnes à demi taillées dans le roc avec leur prodigieuse ornementation de coquillages et de plantes marines.


B0UCHP:R. 257

Boucher- a laissé un certain nombre de tableaux ero- tiques. Thoré parle quelque part d'une série de peintures exécutées pour éveiller les jeunes sens du roi Louis XV. Ces peintures existaient encore sous l'empire dans quelque coin caché d'un château royal. Je ne sais ce qu'elles sont devenues, et je ne puis juger leur valeur, ne les ayant jamais vues; mais j'ai été à même d'étudier, il y a quel- ques années, chez le baron de Schwiter, un échantillon de cette peinture erotique qui était certes bien le morceau le plus franc, le plus gras, le plus harmonieusement décora- toire.

C'est une femme sur son bidet. Du fond de rideaux de lit jaunâtres, semblables à une perse de l'Inde, la femme se détache, la tête un peu tournée de profil et faisant face au spectateur. Ses cheveux sont entourés d'une fanchon couleur de soufre; sa robe, très décolletée, est rose, et la chair de sa poitrine, de ses bras, joliment nacrée, jaillit du désordre d'un rien de linge blanc, du violet pâle de la ruche qui garnit son corsage, du violet pâle de ses enga- geantes. Dans la demi-teinte qui enveloppe le bas de son corps, un coup de lumière sur une rondeur de cuisse semble du vrai soleil dormant sur la peau. Et reviennent encore dans toute cette ombre de volupté la note violette aux jarretières qui attachent ses bas, la note rose aux mules qui chaussent ses pieds. Une chambrière, masquée par un dos de chaise, apporte du linge noyé dans une tona- lité ambrée, sur lequel se détache le vert tendre de son corsage et le fard de ses joues. Un chat fait le gros dos sous le bidet.

A ces peintures se rattache, presque décemment, la Fkmmk nlk et couchée sur un sofa avkc dk gros oreillkrs DK soiK, gravée en couleur par Demarteau, qui faisait pendant à une lo de pierre, à une Antiopk endormik de Vanloo dans ce cabinet dont M. de Menais laisse devi- ner la destination à Natoire dans une de ses lettres. « Je dois vous ajouter que, comme ce cabinet est fort petit et

I. 22.


258 L'ART DU X V 1 1 !■ SIÈCLE.

fort chaud, je n y ai voulu que des nudités. » (Lettre du 14 mars 17n3, publiée par M. Lecoy de la Marche.)


Sur le Salon de 1769, la dernière exposition do Bouclioj', Diderot s'exprime ainsi : « Le vieil athlète n"a pas voulu mourir sans se montrer encore une fois sur l'arène...

u On aurait dû placer au bas de ce tableau un de ces polissons qu'on voit à l'entrée des jeux de foire, il aurait crié : « Approchez, messieurs, c'est ici qu'on voit le grand tapageur. » (Salon de 1709, publié par la Revue de Paris.)


Voici la lettre de Boucher donnée dans llsographie et adressée à Favart :

Je suis étonné que Vabée de la Garde ne vous ai point écrit. Je lui communiqueray Venme que vous avés de recevoir de ses nouvelles. C'est un homme de cour à présent. On lai a fait avoir la place de Peronct aux petits aparlemtnts pour les desseijis des habits, il a quitté celui d'abée, il est actuellement cnperuque, en bource et en cavalier fort leste. Les femmes en vont perdre la tète, et je ne suis pas sans inquiétude pour madame Boucher. Faites vos compliments, s'il vous (plaist) à madame Favart. Adieu, mon cher ami. Je vous embrasse de tout mon cœur, et suis votre très humble et très obéissant ser- viteur.

Boucher. A Paris, le 17 août 1718.

Cette lettre, d'après M. Etienne Charavay, serait une lettre de la femme de Boucher, qui était le scribe ordinaire des lettres du peintre. Et la seule lettre émanant vraiment de la main de Boucher qu'on connaîtrait à l'heure pré- sente, serait la lettre cataloguée dans Vlnventaire des auto-


B O U C H E R. 259

qraphes de M. Benjamin Fillon (séries IX et X), lettre que je copie sur le fac-similé publié dans le catalogue :

J'ay oubliés à vous demander les pièces de Bertelard et à vous en remercier du petit sermond que voies lui/ avés fait. J'espère qu'il sera plus exacte.

Tai; été forcés de me purgés. Et je n'ai pus sortire qu'au- jourd'huy.

Ainsi je "penses qu'il est nécessaire que j'ayes mes pièces. Mes respects à madame, s'il vous plais.

J'ay l'honneur d'être, avec une éternelle reconnaissance, mon cher monsieur, votre amy.

Lk chevalif.r Boucher.

A Paris, le 4 juillet 1761.

Cette lettre est également adressée à Favarl. Elle est curieuse en ce qu'elle montre que le peintre signait ses lettres : Le chevalier Boucher.


Devosge, étant dans l'atelier de Desliayes, rapporte qu'un jour, comme il regardait rENLÈvEMP:NT des Sabines du Poussin, Boucher, beau-père de Desliayes, et qui avait connu Devosge chez Coustou, s'approcha du jeune artiste en contemplation devant l'ouvrage du maître. « Vous trouvez donc cela bien beau? lui dit Bouclier. — Je ne puis me lasser de l'admirer, répondit le jeune artiste. — Mon ami, repartit Bouclier, tâchez d'en mieux profiter que moi. » (Éloge de Devosge, par Bremict-Monnier. Dijon, 1813.)


Boucher resta jeune, très jeune toute sa vie, et Xatoire, demandant de Rome à Antoine Dnchcsne des nouvelles de ses vieux amis de Paris, s'informe si Boucher est bien rai- sonnable ?


260 L'ART DU XVIII' SIECLE.

Baudouin, — son Œuvre ! n'est-ce point Je portefeuille d'estampes libertines qu'au milieu de la vraie Manon Les- caut du XVII 1*^ siècle, Thémidore, le héros galant du livre se fait apporter dans son lit, pour se distraire et se consoler de l'infidélité de sa maîtresse Rozette?


Les moralistes n'ont pas manqué à Baudouin, depuis l'auteur de la Religieuse, jusqu'au dernier écrivassier d'art. Tous à l'envi ont llétri par des paroles indignées l'immo- ralité de son CEuvre. Pourquoi tant d'indulgence pour l'érotisme de la peinture mythologique, et une si grande sévérité pour l'érotisme de la peinture de genre ? Et pour- quoi encore la violence de cette indignation pour des mé- faits d'un genre que ces mêmes moralistes pardonnent si facilement à La Fontaine, aux novellieri, — que le même Diderot pardonne si facilement à sa prose?

Pour moi, je suis reconnaissant à Baudouin de nous avoir peint l'Amour dans la robe de chambre de Clitandre, de nous avoir fait toucher, mieux qu'avec les descriptions de l'imprimé, les passades, les fantaisies, les épreuves, les arrangements, les rencontres, les liaisons qui n'ont point de lendemain, et semblent nouées entre les membres d'une société du Moment. Pour moi, je lui sais gré de nous faire assister, dans une certaine réalité, au spectacle de l'Amour du temps en ses molles scènes, en son milieu sensuel. Et, je le dis sans pudeur, si l'œuvre de Baudouin manquait, si les images friponnes des quatre Parties du Jour, de I'Épousk INDISCRÈTE, de I'Enlèvement nocturne, du Fruit de l'Amour SECRET, etc., n'existaient pas, il y aurait une grande lacune dans l'histoire des mœurs du xviii' siècle. Et encore, si on n'avait plus les planches du Danger du tète-a-tète et du Carquois épuisé, oii pourrait-on se faire une idée de l'at- mosphère de volupté qui se dégage des tentures, des soie- ries, des meubles contournés, de la nuit tiède de ces chambres éclairées par un feu mourant de cheminée,


BOUCHER. 261


devant laquelle se meuvenL des silhouettes amoureuses dans des lueurs de rampe ?


Le talent avec lequel Baudouin d'un procédé commun a fait un art original n'est pas si méprisable qu'on voudrait le croire, et le corps léger donné avec la gouache aux imaginations amoureuses du peintre est presque une créa- tion originale. Avoir enlevé la guazze à l'emplâtrement des peintres à l'eau italiens, l'avoir renouvelée par la lé- gèreté et l'esprit de la touche, la tenir dans la vaghesse d'une ébauche de peintre et de coloriste qui n'a rien du fini froid de la miniature, la vivifier, l'accidenter des ba- dinages d'un pinceau capriolant, la rayer de petits filets de lumière cassée et ressautante, semblables aux rayures d'un patin sur la glace, l'éclabousser d'un pétillement de tons jusqu'alors inconnus; en un mot, en faire cette pein- ture si bien appropriée aux choses et aux couleurs tendres et gaies du siècle, qu'elle meurt avec lui : c'est là le mérite de Baudouin et ce qui valut à la gouache française du xviii«= siècle de forcer les portes de l'Académie en 1763. De Baudouin, le premier et le plus peintre de tous les goua- cheurs, descend tout cet aimable petit peuple d'artistes français et suédois, tout cet atelier parisien d'ouvriers délicats travaillant avec des couleurs de fleurs, et Lawrence, et Hoin, ce talent tout nouvellement retrouvé, et Taunay, et Moreau l'aîné, ce paysagiste aux parcs si joliment verts, et comme emplis de l'artifice dune Flore. N'oublions pas enfin Hall, que nous voyons dans sa jeunesse s'étudier sur des traits d'eau-forte pure à colorier, à gouacher des com- positions de Baudouin, et qui prend à ce travail l'usage claquant de ces morceaux gouaches qu'il introduira plus tard dans la miniature de ses portraits.


Le Philotech7ie français ou recueil d'éloges, de critiques


262 LART DU XVIII' SIÈCLi:.

et d'anecdotes remarquables, 1766, vante la beauté des deux filles de Boucher : la femme du peintre Deshayes, la femme du peintre Baudouin.


Baudouin a une qualité à un degré supérieur, c'est la mise en scène de ses petits sujets. Personne comme lui dans le monde de la petite peinture pour agencer, arran- ger, combiner les lignes d'une composition, lui donner l'équilibre, l'harmonie, l'heureux groupement. Cela, du reste, Baudouin le cherche et le cherche longtemps, témoin le petit croquis tout couvert de repentirs du Frlit DE l'Amour secret, conservé dans les portefeuilles du Louvre; témoin cette gouache que je possède de I'Épolse indiscrète, où l'épouse debout est beaucoup moins heureuse de mou- vement que l'épouse agenouillée, par lui substituée dans la gouache gravée. Et le meilleur compositeur parmi les vignettistes, Moreau, on peut affirmer qu'il doit ce côté de son talent à l'étude et aux eaux-fortes qu'il fit dans sa jeu- nesse des compositions de Baudouin. On retrouve chez lui, et le balancement particulier aux duos de Baudouin, et même cet éclairage à mi-hauteur, fouettant de côté tout le milieu d'une scène, comme du triangle rayonnant d'une lanterne magique.


L'estampe du Modèle honnête nous ouvre la porte des ateliers dans lesquels se travaille la peinture de genre du temps. Ateliers qui n'ont rien de sévère, ateliers pleins de mépris pour les jnurs nus, et d'insouciance pour la triste lumière du Nord. Ce sont bien plutôt d'aimables chambres d'amour à la corniche sculptée, où le soleil a ses entrées par la grande fenêtre, où le modèle a pour sa pose un canapé en bois doré, et où, sur un bonheur du jour de Riesener, des roses trempent dans un vase de Sèvres, monté en or mat par un Gouthière


BOUCHER. 263

Disons en terminant, qu'il n'est pas de peintre plus ca- lomnié par les choses vendues sous son nom, que Baudouin. II ne se fait pas une vente borgne où des peintures à l'huile ne soient cataloguées sous Je nom de ce gouacheur, qui a été toute sa vie uniquement un gouacheur, et qui n'a laissé la mention, dans aucun ancien catalogue, d'une œuvre peinte autrement qu'à l'eau. Mais, qui sait cela? Le pi- quant, c'est que des amateurs graves acceptent pour au- thentiques ces petites peintures fadasses, et vous en entre- tiennent avec une commisération dédaigneuse pour votre goût, votre pauvre goût. Les malheureux ! ils n'ont jamais vu un Baudouin ; et pas plus un Baudouin à la gouache qu'à l'huile. Sans cela, ils sauraient que ce coloriste fran- çais n'a jamais fait rose, fait miniature, qu'il a eu toujours lo vouloir d'atteindre dans son procédé la vigueur, a cha- leur, la solidité, le barbotage môme d'une esquisse à l'huile. Ils sauraient qu'il n'a jamais donné que des ébauches, que des pochades ambitieuses, des effets de couleur d'un tableau, que des premières idées jetées dans la pleine pâte de la gouache et où l'ien ne se voit du petit pinceau de Lavreince. C'est d'après ces ébauches à la diable qu'étaient gravées les voluptueuses estampes, si plaisantes en leur fini, — un miracle auquel il faut se rendre, — depuis qu^on a vu passer ces années dernières, à la vente Gigoux, les dessins du <* Mo- nument du Costume » de Moreau; ces courantes indications de scènes, ces vagues bistres, ces rêves, ces nuages, aux- quels l'adroite et intelligente gravure du xviii<^ siècle donnait la ligne, le modelage, le corps.

Maintenant un fait curieux. C'est qu'en dehors des pein- tures quelconques qui ne sont pas du tout de Baudouin, les peintures qui émanent vraiment de lui ne sont pour la plupart du temps presque plus de lui, tant elles sont re- maniées, repinochées, enjolivées. On y trouve bien encore dans un coin un détail de meuble, de costume signé de son pinceau, mais tout le reste et toujours les figures sont dune autre main, et de la plus misérable main. L'explica-


264 I/ART DU XVIII» SIECLE.

tion en est facile. Dans le discrédit où était tombée l'école française, la gouache, la plus délicate de toutes les pein- tures, ne s'est pas tirée de l'exposition du plein air, aussi bien qu'une sanguine ou une pierre d'Italie. Elle n'en a pas été quitte pour la cernée d'une mouillure, ou une pi- qûre d'humidité; la g-ouache a eu souvent des parties écaillées, détachées, détruites. De là, des restaurations, et des restaurations s'adressant au iroût des amateurs, qui dans les premières années du siècle n'étaient pas des ama- teurs de l'art, mais des amateurs de polissonneries. Or, ces gens aiment les choses très faites, et n'auraient jamais acheté un vrai Baudouin laissé dans sa brutalité de colo- riste, dans l'artistique de son faire. Il y eut donc un pour- léchage qui s'étendit de la partie à restaurer à toute la délicate peinture, la miniaturant à l'usage de toutes les miniatures. Cette observation, je l'avais déjà faite à propos du Coucher de l.v Mariée, qu'avait acheté Roqueplan à la vente Tondu, J'y trouvais un vrai dessous de Baudouin avec quelques détails, comme la pendule de la cheminée, transperçant le travail appliqué du restaurateur. Aujour- d'hui, la vente du baron Vincent a fait de cette observation une conviction.

Dans cette vente, la première du siècle contenant une suite de Baudouin, je n'en ai trouvé qu'un seul qui soit tout entier, et sans retouche, incontestablement de lui : rÉpousE INDISCRÈTE. Dans la Soirée des Thuileries, il n'y a franchement de Baudouin que la main du gentilhomme tenant la rose et les longs gants de la femme qui se lève du banc. Dans la Nuit, appartient seulement au gouacheur la jolie statue d'Amour, à la couleur glaiseuse; les deux petites figurines sont abominablement refaites. Et ainsi des autres.

Pour me résumer, depuis que je collectionne, depuis que je cours les marchands et les ventes, je n'ai jamais vu un Baudouin terminé, ou, si vous aimez mieux, poussé au point d'un Lavreince, d'un Hoin, d'un Freudeberg.


BOUCHER. 265

En second lieu, parmi tous les Baudouin que j'ai vus, je n'en ai rencontré que cinq, que cinq à l'entière aulhen- ticité desquels je crois. Les voici : \° Un crayonnage des cartons du Musée du Louvre, qui est la croquade de la pensée du Fruit DE l'Amolr secret; 2° I'Épouse indiscrète, de la vente du baron Vincent; 3° une répétition que je pos- sède du même sujet, mais avec l'épouse debout derrière sous le matelas, annonçant un premier essai de composition; 4° le Précepteur, gravé sous le nom du Matin, le plus joli nuage d'aquarelle qui soit; o« les Soins tardifs, gouache curieuse par la préoccupation des effets de l'huile dans la couleur à l'eau. Le Matin et les Soins tardifs me viennent de la vente Tondu.


^3


EXPOSITIONS DE BOUCHER

AU SALON DU LOUVRE


1737

Quatre tableaux cintrés représentant divers sujets cham- pêtres. Deux petits tableaux ovales représentant les Quatre Saisons.

4738

Un tableau chantourné, représentant Vénus descendant de son char, soutenue par l'Amour pour entrer au bain.

Un autre tableau représentant l'Éducation de l'Amour par Mercure.

17 30

Un grand tableau, d'une largeur de 14 pieds sur 10 de haut, représentant Psyché conduite par Zéphire dans le palais de l'Amour. Tableau destiné à être exécuté en tapisserie à la ma- nufacture de Beauvais.

Un autre tableau, de forme chantournée, un dessus de porte pour riiôtel Soubise, représentant l'Amour et Céphale.

i7i0

Un tableau en largeur, de 5 pieds sur 4 de haut, représentant la Naissance de Vénus.


268 LART DU XVIII' SIÈCLE.

l'a autre, de même grandeur, représentant la Naissance de Vénus. Un autre, un Paysage où l'on voit un moulin.


Un tableau en largeur, de '2 pieds 12 sur 2 de haut, repré- sentant Diane sortant du bain avec ses compagnes.

Un autre, de même grandeur, représentant un paysage des environs de Beauvais.

Un autre, esquisse de paysage en largeur, de 3 pieds sur 2 de haut, représentant le Hameau de Issé, destiné à être exécuté en grand pour l'Opéra.

Huit esquisses de différents sujets chinois, pour être exécutés en tapisserie à la manufacture de Beauvais.

Un autre tableau, représentant une Léda.

Un autre, un Paysage de la fable du frère Luce.

1743

Un tableau ovale représentant la Naissance de Vénus.

Un autre pendant, Vénus sortant du bain.

Un autre tableau chantourné, de 6 pieds de largeur sur pa- reille hauteur, représentant la Muse Clio, présidant à l'Histoire et à l'Éloge des grands hommes.

Un autre de même forme, faisant pendant, représentant la Muse Melpomène qui préside à la Tragédie.

Un autre, représentant un Paysage où l'on voit un moulin et une femme donnant à manger à des poules.

Un autre, faisant pendant, représentant une vieille tour et sur le devant des blanchisseuses.

Un autre petit Paysage de forme chantournée, représentant un vieux colombier et un pont ruiné sur lequel une femme et son enfant regardent pécher.

1745

Un tableau chantourné, représentant un Sujet pastoral. Une esquisse à gouache, représentant Vénus sur les eaux. Plusieurs dessins réunis sous un même numéro.


BOUCHER.


1746


Un tableau de forme chantournée, représentant l'Éloquence avec ses attriliuts.

Un tableau formant pendant, représentant l'Astronomie.

Deux tableaux destinés à être placés dans le Cabinet des médailles, à la Bibliothèque du Roi.

1747

Un tableau ovale, représentant les forges de Vulcain; tableau destiné à la chambre à coucher du Roi, à Marly.

Deux tableaux pastorals.

Une grisaille, représentant le sujet allégorique d'une thèse dédiée à M. le Dauphin.

1748

Un tableau ovale, représentant un Berger qui montre à jouer de la flûte à sa Bergère.

Un autre petit tableau carré, représentant une Nativité,

1750

Un tableau en hauteur, de 5 pieds 1/2 sur 4 de largeur, re- présentant une Adoration des Bergers pour la chapelle du châ- teau de Bellevue.

Quatre Pastorales de forme ovale : la première représentant des Amants surpris dans les blés ; la seconde, un' Berger accor- dant sa musette près de sa bergère ; la troisième, le Sommeil d'une bergère auquel un rustaud apporte des fleurs ; la qua- trième, un Berger qui montre à sa bergère à jouer de la flûte.

17o3

Deux grands tableaux en hautcMir, de i l pieds sur 9 de large : l'un représentant le Lever du soleil, l'auti'e le Coucher du soleil. Ces tableaux devaient être exécutés eu tapisserie à la manufac- ture des Goljelins, par Cozette et Audran.

I. 23.


270 L'ART DU XV IIP SIÈCLE.

Quatre tableaux représentant les Quatre Saisons figurées par »les enfants : tableaux destinés à la salle du Conseil, à Fontai- nebleau.

1757

Un tableau de 10 pieds en carré, représentant les Forges de Yulcain. Ce tableau, qui était au Roi, devait être exécuté en tapisserie par la manufacture des Gobelins.

Portrait de la marquise de Pompadour.

17GI Pastorales et Paysages sous le même numéro.

1763

Tableau cintré, de 2 pieds de haut sur 1 pied de large, re- présentant le Sommeil de l'Enfant Jésus.

J76o

Deux tableaux ovales, d'environ 2 pieds de haut sur 1 pied 12 de large, représentant : l'un Jupiter transformé en Diane pour surprendre Calisto ; l'autre Angélique et Médor. Ces t^ableaux étaient tirés du cabinet de M, Bergeret de G-randcourt.

Deux Pastorales, de 7 pieds 6 pouces de haut sur 4 de large.

Quatre Pastorales, de 15 pouces de haut sur 13 de large.

Une autre Pastorale ovale, de 2 pieds de haut sur 1 pied 6 pouces de large.

Un tableau, de 2 pieds 6 pouces de haut sur 2 pieds de large, représentant une Jeune Femme attachant une lettre au col d'un pigeon.

Un Paysage, de 2 pieds de large sur 1 pied 6 pouces de haut.

1769

Un tableau de 9 pieds de large sur 6 pieds 6 pouces de haut, représentant tme Marche de Bohémiens ou Caravane, dans le goût de Benedetto Castiglione.


œUVRE GRAVE

DE BOUCHER


Eaux-Fortes de la main du maître.

D'après le « Peintre Graveur Français continué » de M. de Baudicour, Bouclier, avons-nous dit, aurait grave à Teau-forte 182 pièces. Il y en a 44 d'après ses compositions, 12 d'après Blœmart, 1 d'après Loutherbourg et 125 d'après Watteau, dont 104 pour Xes Figures de différents Caractères, de M. de Julienne.

Portraits.

Madame la marquise de Pompadour, morte en 1764, gravé par Watson. Ce portrait, qu'on trouve généralement en tête de la suite d'estampes gravées par Mme de Pompadour, semble la copie d'une estampe non terminée dont une épreuve existe à la Bibliothèque nationale. Serait-ce le buste en hauteur indiqué dans le catalogue Paignon-Dijonval comme gravé par Daullé?

— Tète de Flore, d'après le dessin de M. Boucher (portrait présumé de Mi"^ de Pompadour), gravé par Bonnet en manière de pastel. — Woldemar de Lowendal, gravé par de Larmessin.

— Femme de profil lisant les lettres d'Héloïse et d'Abélard (portrait de femme inconnue), gravé par Demarteau en manière (le crayon.

Parmi les portraits peints non gravés :

En 1781, à la vente du duc de Ménars, un tableau (H. 3 pieds, L. 2 pieds) représentant 'M^^ de Pompadour, véiue d'une robe de talîetas garnie de gaze, appuyée sur un piédestal portant une


•272 L'ART DU XVIIl'- SIÈCLE.

rigure de femme assise, arrêtant l'Amour prêt à l'embrasser : tableau acheté 154 livres par le duc de Chaulnes, celui qui de- vait épouser Alexnudrine, fille de M™" de Pompadour. Eu 1781, à la vente Sireul, passait le portrait de Boucher peint à Ihuile sur papier, esquisse ingénieuse où le peintre s'était représenté visité dans son atelier par Vénus et les Amours : 12 livres. En 1820, à la vente Craufurt, un portrait de M^c de Pompadour à sa toilette, en négligé (H. 28 p., L. 12 p.). En ISi.j, à la vente Cypierre, un portrait d'homme signé, tenant un violon. A la vente Morland, à Londres, un portrait de Marie Leck- zinska, a, 500 francs. En 1867, à la vente Laperlier, un portrait signé et daté de 1749, représentant un enfant de France, en- touré de ses jouets : 1,.5G0 francs. En avril 1868, un portrait d'un dauphin de France mangeant sa bouillie dans une assiette du Japon, toile provenant de la collection du comte de Pem- brocke : 1,605 francs. La même année, à la vente Didier, le grand portrait en pied de M'nc de Pompadour, vêtue en soie jaune, provenant de la vente Véron : 28,000 francs.

M. Didier possédait encore un grand portrait de M'^*' de Pompadour, daté de 1758, où la favorite, habillée de bleu, est représentée un livre à la main.

Au Louvre, dans la galerie La Caze, existe, peint sur un mor- ceau de carton, un portrait de femme vue à mi-corps de trois quarts, les mains dans un manchon, et portant une pelisse de velours bleu garnie de fourrure. 11 s'y trouve également un por- trait de Boucher dans son atelier, où le peintre, vêtu et caiffé de rouge, est assis devant un chevalet portant un paysage : une esquisse jetée sur une toile ovale.

Le Musée de Tours possède trois tableaux signés et datés de 1750, parmi lesquels un Apollon et une Latone, qui seraient, d'après la tradition, les portraits du duc et de la duchesse de Choiseul, provenant du château de Chanteloup.

Parmi les portraits dessinés non gravés :

En 1776, à la vente de Blondel de Gagny, le portrait de Mlle Rivière, danseuse de l'Opéra : 35 livres 19 sous. En 1781, à la vente Sireul, le portrait de M«°e la marquise de Pompadour, vue des trois quarts, coiffée en cheveux, et la gorge à demi dé- couverte, un des chefs-d'œuvre du pastel : 200 livres. Une es- quisse au crayon noir et blanc, sur toile^ qui semble la première


BOUCHER. 273

pensée du tableau de M. Didier : 6 livres 3 sous. Et un certain nombre de portraits pastellés pour le Cabinet des béantes dont parle Bernouilli. Et encore le portrait au crayon de Lemoyne, âgé de trois ans, portrait daté de 1745, et qui a passé dans une vente du 19 mai 1828.

Sujets religieux.

L'Annonce des Bergeus, gravé i)ar Lempereur tils. Le dessin de cette composition était vendu, sous le n° 528, à la vente de Lempereur, en 1773. — David et Bethsabé, gravé par Voyez. Un grand dessin à la sanguine de cette composition était acheté en 1788 par le graveur Campion, â la vente d'Aliamet, graveur du roi, vente où passait une grande partie des dessins gravés par Demarteau. — Départ de Jacob, gravé par Elisabeth Cou- sinet, femme Lempereur. Ce tableau, peint sur toile (H. 20 p., L. IG p.) a été vendu, à la vente du comte de Vence, 22 livres, en 1760. — Et ecce angélus, gravé par Lempereur. — Et ecce Rachel, gravé par Cars. — L'Éducation de la Vierge, gravé par Charpentier, dans le goût du lavis. — Jésus-Christ, gravé par Vallée ; La Sainte Vierge, gravé par Vallée ; Saint Pierre, gravé par Houssard ; Saint Barthélémy, gravé par Brion ; Saint Matiiias, gravé par Vallée ; Saint Jude, gravé par Brion ; Saint Simon, gravé par Brion ; Saint Mathieu, gravé par Jacob ; Saint Philippe, gravé par Aubert; Saint Jean, gravé par Jeaurat; Saint André, gravé par Jacob; Saint Thomas, gravé par Jacob; Saint Jacques le majeur, gravé par Brion; Saint Jacques le mineur, gravé par Jeaurat ; Saint Paul, gravé par Aubert. Ces quinze estampes, portant le millésime de 1726, sont à l'adresse de Jeaurat. — La Lumière du monde, gravé par Fessard; cette toile (H. 64 p., L. 47 p.) se vendait, à la vente de M'uc ele Pompadour, 722 livres. L'esquisse en grisaille se vendait en 1769, à la vente Cayeus, 33 livres; à la vente d'En- nery, en 1786, 160 livres. On la retrouve enfin, au commence- ment du siècle, à la vente de M. Nicolas, marchand d'estampes. — Mariage des enfants de Dieu et des hommes, gravé par Brion. — La Nativité, gravé par Huquiér. - Notre-Da.me des Victoires, gravé par Scotin. — Primitia martyrum societatis Jesu in ecclesl\ japonica, gravé par Cars. — Responderunt- QUE Lahan, gravé par Perronneau. — Le Samaritain ciiari-


274 L'ART DU XV1II« SIÈCLE.

TABLE, gravé par Tardieu. — L.v Sainte Famille, saus nom de irraveur. — La Sétaration de liABAX et de Jacob, gravé par DauUé.

Parmi les peintures religieuses non gravées :

Une Adoration des Bergers, une Adoration des Rois, une Présentation au Temple, exécutées avec le procédé qu'affection- nait Boucher, c'est-à-dire peintes sur papier, en grisaille à l'huile, passaient à la vente de Boucher, après son décès. La <i Présentation au Temple » se vendait 228 livres. A la vente de son gendre Deshays, faite en 1765, avaient été offertes aux enchères trois répétitions d'une « Assomption », deux toiles en grisaille et une toile colorée, d'une hauteur de 4 pieds. Ou avait remarqué aussi une « Prédication de Saint- Jean-Baptiste ». A la vente que le sculpteur Le Lorrain avait faite en 1758, avant de se rendre en Russie, ime esquisse représentant « TEntrée de Jésus-Christ à Jérusalem » s'était vendue 60 livres. En 1767, à la vente Julienne, « Xoé entrant dans l'arche » et a Noé ofiiVnnt un sacrifice à la sortie de l'arche », deux peintures sur bois (H. 12 p., L. 24 p.) s'étaient élevées à 1,190 livres.

En 1777, à la vente de Blondel de Gagny, « Rébecca recevant les présents du serviteur d'Abraham » (H. 3 pieds 2 p., L. 2 pieds 10 p.) se vendait 1,330 livres. Le dessin à la plume et au bistre de cette composition passait à la vente Bergeret, en 1786. La même année, à la vente de M. de la Tour dAigues, « Sam- son endormi sur les genoux de Dalila », grisaille (H. 10 p., L. 13 p.) se vendait 46 livres. En cette même année 1777, à la vente Rohan-Chabot, passait « l'Ange se faisant connaître à la famille de Tobie » et un « Sacrifice de Jephté ». En 1779, à la vente du prince de Conti, le « Sacrifice de Gédéon » (H. 3 pieds 11 p., L. 2 pieds 7 p.), tableau déjà vendu en 1773. chez M. Amassai de Saint-Hubert, 1,400 livres, était poussé à 2,012 livres. Le même tableau était acquis à une vente du 19 juillet 1802 par le prince Demidoflf, pour la somme de 225 livres. La même année 1779, à la vente Trouart, la « Prédication de Saint-Jean », esquisse en grisaille sur papier, se vendait 2o livres. En 1781, à la vente du marquis de Ménars, le petit « Saint-Jean en acte d'adoration devant l'Enfant Jésus » était acheté 363 livres. Dans une vente laite en avril 1785, passait une esquisse de « Moyse tiré des eaux », composition de neuf figures.


BOUCHER. 27r,

A la vente du cabinet Lebrun, en 1791, « l'Enfant Jésus bé- nissant saint Jean », tableau provenant de la vente de la prési- dente de Bandeville, se donnait pour 86 francs. A la vente d'Augustin de Saint- Aubin, un « Eliézer offrant des bijoux à Rébecca de la part d'Abraham >», d'un format un peu plus petit que le tableau de Blondel de Gagny, joint à une es- quisse des « Pèlerins d'Emmaûs », ne dépassait pas les enchères de 63 francs.

On sait que Boucher a peint une «^ Adoration îles Bergers >^ pour la chapelle de Bellevue; j'en possède une esquisse à l'huile sur papier.

Parmi les dessins religieux non gravés :

En 1766, à la vente du peintre Aved, une «Présentation au Temple )>, dessin à la plume (H. 11 p. 3 1., L, 7 p. 3 1.), En 1770, à la vente après décès de Boucher, « l'Incrédulité de Saint- Thomas », dessin à la pierre noire et au crayon blanc (H. 10 p., L. 16 p.), ;( dessin que Boucher regardait comme un de ceux qui le flattaient le plus, et qu'il n'avait jamais voulu vendre, quelques instances qu'avaient faites auprès de lui différents amateurs. » A la même vente, il y avait encore un « Saint-Pierre sur les eaux et un « Moyse recevant les tables de la loi ». En 1773, à la vente Lempereur, passaient, sous le n° 536, la u Décollation de saint Jean-Baptiste » et les w Pèlerins d'Em- maûs ». En 1775, à la vente Mariette, un « Repos en Egypte » fait au pinceau trempé dans le bistre, se vendait 36 livres. En 1781, à la vente de M. de Sireul, une « Adoration des rois », bistre rehaussé de blanc, était acheté par le libraire Xyou, 260 livres, et une « Adoration des bergers », pierre noire re- haussée de blanc, 400 livres, par le peintre Hubert Robert. En 1785, à la vente Saint-Maurice, figurait « Notre-Seigneur et le Mauvais riche », dessin à la plume et au crayon noir. En 1786, à la vente Bergeret, passaient la « Résurrection de Lazare », composition de douze figures au crayon noir et blanc, sur pa- pier bleu; un dessin à la plume et au bistre, représentant Notre- Seigneur guérissant Taveugle-né à la porte du Temple » ; une composition de quinze figures, à la sanguine et au crayon blanc, représentant Joseph vendu par ses frères, dessin acheté à la vente Trouard, 167 livres; « Esther devant Assuérus », compo- sition de quinze figures à la i)lume et au bistre ; le « Mariage


276 L'ART DU XVIII* SIECLE.

de la Vierge », bistre; « Notre-Seigneur remettant à saint Pierre les clefs du paradis », dessin à la plume, mêlé d'es- tompé; une « Descente de croix », sanguine. En l'an VI de la République, à la vente de Bazan, se vendaient, dans un lot de dessins du Maître, une u Réconciliation de Jacob avec Ésaii » et les « Pèlerins d'Emmaûs ».

Il existe à l'Albertina, parmi le grand nombre de dessins de Boucher, plusieurs compositions religieuses, entre autres « l'As- somption de la Vierge ».

Scènes mythologiques.

L'Amour att bain, gravé par Dugy. — L'Amour désarmé, gravé par Fessard. Le danseur Vestris achetait à la vente du marquis de Ménars l'original, peint sur une toile de 3 pieds G p. sur 2 pieds 8 p. L'original ou une répétition se vendait 4,010 tr. à la vente du comte de Pembrocke, en 1862. — L'Amour est un Dieu sans conduite, indiqué par Heinecken sous le titre de u Cérès endormie », sans nom de graveur. — L'Amour en-chaîne PAR LES Grâces, gravé par Beauvarlet. Le tableau ou une répé- tition se vendait en 1865, à la vente du comte de Morny, 19,000 francs. Defer dit qu'à la vente Pariseau, ce tableau n'avait atteint que le prix de 775 livres. Le dessin de cette composition, dessin capital au crayon noir et au pastel, provenant de la vente Randon de Boisset, était acheté 261 livres à la vente du 14 avril 1784. — L'Amour instruit par Mercuke, du cabinet de M. Prousteau, gravé par Basan '. — L'Amour modeste, gravé par Michel. — L'Amour moissonneur, du cabinet Dor- bais, gravé parLépicié. — L'Amour nageur, gravé par Aveline et Sornique. — L'Amour oiseleur, gravé par Lépicié. — L'Amour rend hommage a sa mère, gravé par M. Janinet. — L'Amour porté par les Grâces, gravé par Daullé. d'après un dessin. — L'Amour sur les eaux, gravé par Levasseur. —

L Les compositions primitives de « l'Amour instruit par Mercure » et de « l'Amour enchaîné parles Grâces » font partie des appartements du palais des Archives nationales, ainsi qu'une « Vénus descendant de son char pour entrer au bain » et que le tableau d' « Aurore et Céphale ». Une composition différente d' « Aurore et Céphale » est conservée au Musée de Nancy.


BOUCHER. 277

L'Amour vendangeur, ^rravé par Fessard. — Les Amours en GAYETÉ, gravé par Daullé, d'après un dessin. — Les Amours FOLATRES, gravé par Aveline, d'après un dessin. — Andromède, gravé par Boucher et par Aveline. — Apollon et Daphné, gravé par Floding, en manière de bistre. — Arion, gravé par A. de Saint-Aubin et Pasquier. La première idée de ce tableau, un dessin à la plume, rehaussé de blanc, se vendait 45 livres à la vente Sireul. — Arrivée de Télémaque dans l'île de Calypso, gravé par Patas. — Les Bacchantes endormies, dédiées à M. Navailles, chef du gobelet du Roy, gravé par Gaillard. — Bacchantes vendangeant, gravé par Saint-Non, au vernis mou.

— Belles nymphes, ce tendre badinage (plafond), chez Lerouge.

— Danaé, gravé par — Diane et Actéon, gravé par Tar-

dieu. — L'Enlèvement d'Europe, gravé par Duflos. Ce tableau (H. 5 pieds, L. 6 pieds) passait en 1769 à la vente Prousteau, où il se vendait 150 livres. — Enlèvement d'Europe, gravé par Aveline, composition différente de la composition de Duflos. — Enlèvement d'Europe, gravé par Pelletier, composition diffé- rente des compositions gravées par Duflos et par Aveline. Un fragment d'une composition encore différente a été encore gravé par lui et publié chez Basan. — Érigone vaincue, gravé par Duflos. — La Fête de Bacchus, sans nom de graveur, fai- sant partie d'une suite de quatre pièces dont les trois autres sont : LA Balançoire, le Retour de chasse, les Pescheurs, dont Heinecken attribue la gravure à Laurent. — Le Fleuve ScAMANDRE, gravé par de Larmessin. Le dessin aux trois crayons de cette composition passait, en 1766, à la vente du

peintre Aved. — Flore, gravé par — Flore et l'Amour,

gravé par Legrand. — Les Gtraces au bain, gravé par Ryland, d'après un dessin. — L Hymen et l'Amour, chez Beauvarlet. La grisaille, de 14 p. 4 l. de haut sur 10 p. de large, passait à la vente du fermier général Bergeret. — Jupiter et Calisto, gravé par Gaillard. Ce tableau, après avoir passé en 1779 à la vente de Gevigney, se vendait 1,000 livres, en 1786, à la ^nte du chevalier de Cène. Il repassait, en 1795, à la vente du mi- nistre Calonne, en Angleterre, où il se vendait 13 livres ster- ling 1/2. — Jupiter et Lèda, gravé par Ryland. Ce tableau ou une reproduction serait au musée de Stockholm. — Le Mariage DE Psyché et de l'Amour, gravé par Beauvarlet. Le tableau original, signé Boucher, 1744 (H. 93 c, L. 139 c), se vendait,

I. 24


278 I;ART du XVIIP SIECLE.

en 1867, à la vente Laperlier, 10,500 francs. Une esquisse avan- cée de oette composition se vendait en 1872, à la vente Baroi- Ihet, 950 francs. Le dessin de cette composition coloriée à l'huile sur papier passait à la vente du ministre Calonne, en Angle- terre, où il se vendait 2 livres sterling. — La Mort d'Adonis, gravé par Surugue. — La Mort d'Adonis, gravé par Aubert. Ce tableau, ainsi que celui de la naissance d'Adonis (H, 2 pieds, L. 2 pieds 6 p.), se trouvaient tous deux dans la collection La- live de Jully. Le gazetier Metra les achetait, en 1770. h la vente de la collection, 1,021 livres. Ils se retrouvent, en 1868, à la vente Henry Didier et se vendent 4,100 livres. Le dessin au crayon rouge de la Mort d'Adonis se vendait, à la vente Sireul, 12 livres, — La Muse Clio, gravé par Daullé. — La Muse Érato, gravé par,. .. Ces deux tableaux appartenaient à Ma- dame de Pompadour. — La Naissance d'Adonis, gravé par Sco- tin. — Naissance de Bacchus, gravé par Aveline. A la vente Paul Périer, en 174)3, lord Hertfort achetait ce tableau avec un (c Enlèvement d'Europe », 2,820 francs. — Naissance et Triompue DE VÉNUS, gravé par Daullé et par Duflos. Ce tableau, qui porte la date de 1740, et qui fut acheté 1,600 livres par le comte de Tessin, semble être celui qui est conservé au Musée de Stock- holm. — Nayades, gravé par Thiers. — Ne cesso7is de rraindre une Belle, gravé par Aubert et par Petit, avec une légende en allemand. Ce tableau, représentant Vénus couchée et endormie près de l'Amour, et qui avait déjà passé en 1780 à la vente Prault, était vendu 1,250 livres à la vente du chevalier de Cène, en 1786. Ce tableau, que l'expert Paillet comparait aux plus belles productions de Lemoine, repassait dans une vente d'a- vril 1793. — Neptune et Amymone, gravé par Danzel. Compo- sition exécutée pour la manufacture royale des tapisseries de la Couronne. — Les Nymphes au bain, gravé par Ouvrier, d'après un dessin. — Pan et Syrinx, gravé par Martinasie. Ce tableau se vendait, avec son pendant « Alphée et Aréthuse », 1,670 li- vres, à la vente Randon de Boisset. Une esquisse de Pan et Sy- rinx (H. 15 p., L. 20 p.) passait, en 1791, à la vente du cabinet Lesueur. Une première idée de ce tableau à la plume et aux crayons noir et rouge se vendait 18 livres à la vente Sireul. A la vente Cypierre, en 1845, une toile de Pan et de Syrinx se vendait 785 francs et montait à 1,014 francs dans la vente du 2 mars 1853. — Psyché refusant les honneurs divins, gravé


BOUCHER. 279

par Parizeau, d'après un dessin. Ce dessin se vendait, en IITS, à la vente de Jacqmin, joaillier de la Couronne, 300 livres. — Quos EGO, gravé par Tilliard et Aveline. — Le Repos de Diane, gravé par Pelletier. - Retour de chasse de Diane, gravé par Uuflos. Une Diane chasseresse, je ne sais si c'est le tableau gravé par Duflos, se vendait 3,150 francs à la vente du comte <le Narbonne, en 18."jl. C'est le tableau signé et daté 1742, qui est exposé au Louvre. — Talis ar /ï;quoreis quondam Venus, gravé par Levasseur. Un fait curieux pour l'histoire de l'École. Dans les premières années du siècle, dans les années de discré- dit de la peinture française, une de ces Naissances de Vénus sur les eaux, une composition de onze figures de grandeur na- turelle, une toile d'une hauteur de 7 pieds, d'une largeur de 10 pieds, ne trouvait pas d'acquéreur à 180 francs, et était re- tii'ée de la vente faite en 1806 du cabinet et du fonds de mar- chandises de Lebrun. — La Toilette de Vénus, gravé par Duflos. Ce tableau est celui qui a passé à la vente San Donato, en 1870, et qui s'est vendu 25,000 francs. — La Toilette de Vénus, gravé par Janinet, en couleur. Ce tableau (H. 3 pieds 4 p., L. 2 pieds G p.) a été vendu, à la vente du marquis de Ménars, 587 livres; il repasse, en 1787, à la vente de M. de Boullongne, et est aujourd'hui la propriété de M. le comte de la Beraudière. — Le Trait Dangereux, gravé par Poletnich, d'après un dessin. Cette académie au pastel se vendait en 1763, à la vente Babault, 51 livres. — Vénus au bain, gravé en fac- similé par Demarteau. Le dessin est dans ma collection. — VÉNUS donnant du nectar a l'Amour, gravé par Basan, et en- core par M'ic Dupont, en couleur, sdus le titre Vénus enivrant l'Amour. — Vénus entrant au Bain, gravé par Michel, d'après un dessin. — Vénus et Énée, gravé par Courtois. — Vénus et l'Amour, gravé par Daullé, d'après un dessin. — Vénus et les Amours, gravé par Gaillard. — Vénus et les Grâces au bain, gravé par Daullé. — Vénus jouant avec l'Amour, sans nom de graveur. — Vénus, se préparant pour le jugement de Paris,

REÇOIT d'avance LA POMME DES MAINS DE l'AmOUR. Cc tableau

semble être un tableau possédé par le prince de Conti, qui l'ai- mait tant, qu'il le fit répéter en miniature par Charlier. Ce tableau, avec un jugement de Paris, se vendait, en 1781, à la vente Sireul, 232 livres. — Vénus sortant du bain, gravé par Michel, d'après un dessin. — Vénus sur les eaux, gravé par


■280 L'ART DU XVIII» SIECLE.

Moitte. L'esquisse de cette composition (H. 16 p., L. 27 p. 91.) passait, sous le n» 75, à la vente du fermier général Bergeret. — VÉN'us TRANQUILLE, gravé par Duflos. — Vertumne et Pomone, gravé par Augustin de Saint-Aubin. Ce tableau, avec le tableau d'Arion, tous deux mesurant (H. 35 p., L. 49 p, 6 L), passaient en 1786 à la vente du fermier général Bergeret. — Votre ACCORD n"a rien QUI m'étonne, gravé par Aveline, et en petit chez Basan, sous le titre du Prix de l'Amour. — Vulcain pré- sextant A Vénus des armes pour Énée, gravé par Danzel. Cette composition, que les experts JouUain et Basan déclaraient pleine d'esprit et de feu, et disaient avoir été exécutée en tapis- serie pour Madame de Pompadour, était vendue 199 livres à la vente du marquis de Ménars. C'est sans doute le tableau qui est au Louvre et qui est signé et daté 1732. Le dessin de cette composition, aux crayons noir et blanc, se vendait, avec le dessin de Vertumne et Pomone, 102 livres à la même vente. Une autre composition peinte du même sujet (H. 4 pieds, L. 3 pieds) était vendue 306 livres à la vente du 12 janvier 1778. Une autre composition peinte (H. 7 pieds 1 '2, L. 5 pieds 30 p.) passait, en 1786, à la vente Watelet. Enfin, la composition qui figure dans la galerie La Caze, sous le u» 161, viendrait de la vente Chardin, oii elle se serait vendue 400 livres. — Repré- sentations DE figures mythologiques, gravées par Halbaur. Mauvaises gravures allemandes.

Parmi les tableaux mythologiques non gravés :

Les deux plus importantes compositions de Boucher qui figurent dans le catalogue de tableaux originaux, dessins et estampes sous verre, de feu M^c la marquise de Pompadour (28 avril 1766). Ce sont, sous le n» 14, « Le Lever » et « Le Coucher du Soleil », sur lesquels l'expert écrit : <t J'ai entendu plusieurs fois dire par l'auteur qu'ils étaient du nombre de ceux dont il était le plus satisfait. Le jugement d'un artiste aussi modeste et aussi peu prévenu de ses talents que l'est M. Boucher, doit être cru. » Ces deux toiles (H. 9 pieds 10 p., L. 8 pieds) se vendaient 9,800 livres. Ils sont aujourd'hui en la possession de M. Richard Wallace. A cette même vente de Mme de Pompadour, la toile de Terpsichore et Polymnie (H. 3 pieds 5 p., L. 4 pieds 6 p.) se vendait 399 livres 19 sous. A la vente de Boucher, en 1770, « l'Enlèvement d'Orithie par Borée »,


BOUCHER. 281

grisaille (H. 13 p., L. 10 p.), se vendait 180 livres; il s'y trou- vait aussi un « Pygmalion amoureux de la figure qu'il a faite». En 1877, à la vente de Randon de Boisset, un « Hercule et Omphale », dans le style de Lemoine, était acheté 3,840 francs par M. de Sireul, à la vente duquel il ne se retrouvait plus que la copie, faite par Fragonard. La même année, à la vente du 27 décembre 1777, « Les trois Grâces supportant l'Amour te- nant deux flambeaux », esquisse d'un tableau non exécuté, qu'on ne connaît que par la miniature de Charlier, conservée autrefois dans le cabinet du prince de Conti. Cette esquisse se retrouve au Louvre, dans la galerie La Caze, sous le n» 162. En

1778, à la vente de M'"*' de Cossé, « Vénus corrigeant l'Amour », joint à Vénus jouant avec l'Amour, se vendait 600 livres. En

1779, à une vente faite par le prince de Conti, une toile de (( Diane et Eudymion » se vendait 750 livres. La même année, à la vente Trouart, « Le grand prêtre Cryseis offrant à Achille la rançon de sa fille Briseis », esquisse en grisaille, peinte sur papier, se vendait 121 livres. En 1781, à la vente de Sireul, « Le Sommeil des Amours », tableau de Boucher, fait pour son ami Massé, se vendait 120 livres. La même année 1781, à la vente du marquis de Menars, « Vénus baignant l'Amour » (H. 3 pieds 4 p., L. 2 pieds 6 p.), composition que je ne crois pas gravée, était vendue 605 livres. A la même vente, « Vénus et l'Amour endormis près d'un rosier, avec deux amours qui soutiennent une draperie au-dessus de leur sommeil » (toile ronde, diamètre 3 p. 1/2), était achetée 300 livres. En 1783, à la vente Blondel d'Azincourt, se vendaient 680 livres un « Repos de Vénus » et un v< Repos de Diane », dont la description du catalogue ne s'accorde pas avec les estampes gravées. En 1784, à la vente du 14 avril faite par Lebrun, passaient « Les trois Grâces endormies » (H. 22 p., L. 26 p.). En 1785, à la vente du 28 décembre, passait une esquisse représentant « Le Lever de l'Aurore » (H. 24 p., L. 19 p.). En 1786, à une des ventes Choiseul, passait une « Bacchante accompagnée d'enfants jouant avec des raisins. » La même année 1786, à la vente Bergeret, passaient « Diane et Endymion », esquisse peinte en grisaille, de forme ovale, et « Pygmalion amoureux de sa sta- tue », autre esquisse en grisaille. La même année 178G, à la vente Watelet passait « Mercure confiant le jeune Bacchus aux nayades .., tableau de (H. 5 p. 1/2, L. 8 p. 1/2). En 1787, à

I. 24.


282 L'ART DU XVII^ SIÈCLE.

la vente Vaudreuil, « Hercule et TOmphale », de Randon de Boisset, était vendu 700 livres. En 1788, à la vente du marquis de Montesquieu, passaient deux esquisses (H. 18 p.; L. 23 p.), représentant la « Naissance et la Mort de Méléagre ». La méniô année, à la vente du duc de Richelieu, passait une « Clio sur les nuages », tableau de forme chantournée 'H. 2 pieds 5 p., L. 5 p.). En 1793, à la vente de Donjeux, passait un <( Triomphe de Vénus et de Neptune sur les eaux »_, composi- tion de 25 figures peintes en grisaille (H. 18 p., L. 33 p.). Eu 1800, à la vente du comte A. de G..., faite à Moscou, était livrée aux enchères russes, une « Danaé recevant la pluie d'or ». En 1813, à la vente Laneuville, passait un « Énée présenté par Vénus aux Dieux ». En 1828, à la vente du 19 mai passait une <i Vénus couvrant Paris d'un nuage pour le soustraire à la fu- reur de Ménélas» (H. 20 p., L. 16 p.). En 1845, à la vente Cy- pierre, une « Terpsychore assise sur les nuages, tenant un tambour de basque », se vendait 785 francs, et montait, à la vente du 9 mars 1753, à 1,014 francs. En 1851, à la vente Prousteau Montlouis, quatre sujets mythologiques faisant partie d'une décoration de boudoir. « Les Amours de Vénus et de Vulcain, Vénus et les Amours, Mars et Vénus surpris par Vul- cain, le Jugement de Paris », quatre tableaux signés et datés 1754, et disposés en forme de paravent , étaient adjugés 10,600 livres à lord Hertfort.

A l'exposition de 1866, M. Double exposait un <( Olympe », esquisse d'un plafond pour Bellevue. A l'exposition rétrospec- tive de Tours, 1873, M. Belle exposait une « Latoue dans l'île de Délos » (H. 2™, 26, L. 1™, 95), tableau que M. Mantz déclare un des plus importants et des plus beaux Boucher qu'il ait vus K

Parmi les dessins mythologiques non gravés :

En 1767, à la vente Julienne, u Diane découvrant la grossesse de Calisto », dessin à la plume lavé de bistre, se vendait avec une Vénus au bain, 144 livres. En 1877, à la vente Randon de


L Parmi les sujets de la Fable moderne traités par Boucher, était livré aux enchères en 1810, à la vente Gruel, u Renaud et Armide ». esquisse de son tableau de réception (H., 12 p. ; L., 6 p. 16 1.). Le tableau original provenant des salles de Tancienne Académie de peinture, est exposé au Louvre. (H. 1">,30, L. 1°',65,)


B U C II E R. 283

Boisset, un « Sacrifice ù Vénus », très riche composition lavée au bistre (H. Il p., L. 17 p.), achetée, par M. Feuillet, 299 livres 19 sous; « Céphale et Procris », dessin lavé de bistre et re- haussé de blanc, acheté par M. de Sireul, 120 livres, deux com- positions différentes de « Diane au bain avec ses nymphes », Tune achetée par M. de Sireul, 250 livres, Tautre par M. De- besse, 202 livres, une « Diane découvrant la grossesse de Ca- listo », composition différente du dessin de M. de Julienne, et exécutée à la pierre noire, achetée par M. de Sireul, 271 livres ; deux na\ades et deux amours au bistre, dessin au bistre et re- haussé de blanc, acheté 250 livres par le médecin Audry ; « Vénus sur un lit fleuri de roses », dessin à la pierre noire et au pastel, acheté par M. de Puységur, 255 livres. En 1779, à la vente Joullain, passent « les Forges de Vulcain » et « Ju- piter et Cybèle », dessins à la plume et aux crayons noir et blanc. En 1781, à la vente Sireul, « Diane découvrant la gros- sesse de Calisto », du cabinet Randon de Boisset, tombe à 50 li- vres 2 sols, et « Céphale et Procris », à 80 livres. Un « Triomphe <le Galathée >« s'y vend 36 livres, un « Sacrifice à Callirhoé », 180 livres, un « Sommeil d'Endymion », 16 livres. La même année 1781, à la vente Ménars, une composition « d'Aurore et de Céphale » se vendait, avec la « Colère de Neptune », 91 livres. En 1787, à la vente de la collection de dessins du duc de Cha- bot, passait un grand dessin représentant « Junon venant prier Eole de déchaîner les Vents ».

Allégories.

Louis XV enfant, dans un médaillon, au bas duquel est Vénus entourée de divinités marines, sans nom de graveur. Allégorie qu'Heinecken dit avoir été gravée à l'occasion du passage du jeune prince des mains des femmes dans les mains des hommes. — La France rjémit des troubles qui la divisoit, la Fiflélité la console, gravé par L. Cars. — Allégorie présentée à M. et a

M'"" DE CUISY, A l'occasion DU RENOUVELLEMENT DE LEUR MA- RIAGE, LE 30 JUILLET 1764, gravé par Demarteau en fac-similé de sanguine. — Amour et Gratitude, gravé par de Lalive de Jully. Estampe faite à propos de la convalescence d'une femme représentée en pied sur un piédestal. — Tête d'homme fulgu- rante dans un médaillon entouré d'amours, gravé par C. N.


284 L'ART DU XVIII' SIECLE.

Cochin. — Amours soutenant un écusson empli par trois cœurs brûlants et une cigogne, gravé par Jane Boucher. Eau-forte de Jeanne Buseau, la femme du peintre, qui a signé deux eaux- fortes du « Livre d'Etudes » de Bloemart, Tonton Bouche)', et qui a mis à côté de deux paysans dormant à terre à côté du nom de son mari. Uxo7' ejus sculpsit. — Un génie avec des amours, composition pour plafond, avec la mention manuscrite au bas, Essmj au lavis par Ft-ançois en mars 1758. — Le Tribut de la RECONNAISSANCE, gravé par Ebertz. — La Blessure sans danger, gravé par Miger. — L'Air, l'Eau, la Terre, le Feu, gravés par Duflos. — Les dessins des quatre éléments, à la sanguine, se vendaient 72 livres 19 sous, à la vente Huquier, en 1772. — Que de trésors répandus sur la terre, A l'eau qui de mille fa- nons..., Jeunes oiseaux que la Tendresse inspire. Sur le front de l'Amour..., les quatre Éléments figurés par des Amours, gravés par Daullé. — Le Printemps, l'Eté, l'Automne, l'Hyver, gra- vés par Aveline. — Le Printemps, l'Eté, l'Automne, l'Hyver, gravés par Duflos. — Le Printemps, l'Eté, l'Automne, l'Hiver, gravés par La Rue. Les dessins des quatre saisons, à la san- guine, se vendaient 94 livres à la vente Huquier, en 1772. — La Poésie satyrique, la Poésie lyrique, la Poésie épique, la Poésie pastorale, gravés par Duflos. — La Musique pasto- rale, gravé par Daullé. — L'Architecture., la Peinture, la Sculp- ture, lu Poésie, la Musique, ï Astronomie, tirées du Livre des Arts, par Boucher, peintre du Roy, gravées par Huquier. Les six dessins de ces six gravures, très précieusement exécutés à la sanguine, se vendaient 152 livres à la vente Huquier, en 1772. — Les différents génies de la Sculpture, gravés par Levasseur, d'après l'esquisse de Boucher.

Parmi les peintures allégoriques non gravées :

En 1779, à la vente Ghendt, a Minerve faisant couronner l'Innocence » ; grisaille vendue 24 livres. La même année 1779, à la vente du prince de Conti, un u Amour ouvrant les rideaux d'un lit où dorment trois femmes », se vendait 135 livres. A la vente Sireul, une esquisse, « Autel de l'Hymen » (H. 1 p., L. 9 p.), vendue 21 livres. La même année, à la vente du marquis de Ménars, « Vénus protectrice des Arts, instruisant l'Amour » (toile de forme ronde, diamètre de 3 pieds), vendue 475 livres. En 1783, à la vente de Blondel d'Azincourt, (( Paysanne versant


DOUCHER. 295

l'eau d'un arrosoir sur des rosiers au milieu desquels est couché l'Amour » (H. 22 [.. 1/2, L. 15 p. 1/2), vendue 260 livres. En 1783, à la vente Bergeret, passait un tableau représentant un autel où, au-dessous dun médaillon soutenu par la religion et le génie de la France, l'Histoire écrivait sur un livre, grisaille (H. 21 p., L. 13 p. 61.). Kn 1866, cà la vente Boitelle, « l'Amour corrigé » et « l'Amour récompensé » étaient adjugés à 4,900 fr. En 1867, à la vente Laperlier, « le Génie de l'Enfance « et « le Génie de la Jeunesse », signés Boucher, 1759, se vendaient 1,250 francs. En 1868, à la vente du 23 novembre, « Vénus vi- sitant, accompagnée des amours, un sculpteur dans son atelier, se vendait 3,700 francs. En 1870, à la vente du 22 janvier, deux pendants : « la Musique », une femme assise sur les nuages, te- nant une lyre, signé Boucher, 1764; la « Peinture », une femme à demi couchée sur les nuages peignant une toile ovale, signé 1765 (H. 102 c. L. 128 c.) atteignait le prix de 9,100 francs. Ces deux toiles qui auraient été peintes pour l'Electeur de Bavière, et rapportées d'Allemagne par le général Saint-Mau- rice, sont aujourd'hui dans la collection de M. Rothan.

M. Montaiglon possède une délicate peinture mythologique, allégorique : w Apollon présidant à la Danse et aux Chansons », composition dans laquelle M. Mantz serait disposé à voir une maquette de rideau de théâtre.

Dans l'ancien cabinet des médailles, « l'Astronomie, la Rhé- torique, l'Histoire, l'Eloquence, la Peinture, » peintures dé- coratives de forme chantournée.

Enfin au Musée de Troyes sont conservés trois dessus de portes (H. 1 m. 14 c. ; L. 1 m. 25 c.) représentant des amours peintres et sculpteurs dont l'un travaille au buste d'une femme encapuchonnée d'un voile ; et au Musée de Tours est exposée la « Réunion des arts ».

Parmi les dessins allégoriques non gravés :

En 1775, à la vente Mariette, un sujet allégorique, composé de diverses figures et de beaucoup d'enfants représentant la Victoire et la Renommée, dessin à la pierre noire, vendu 50 livres. En 1777, à la vente de Randon de Boisset « l'Amour enseignant à lire à une jeune fille », dessin au crayon noir et blanc sur papier bleu, vendu 90 livres. En 1781, à la vente Sireiil « L'Éducation de Sa Majesté », figurée par Achille remis


86 LWRT DU XVIIP SIECLE.

aux mains du centaure Chiron, avec au-dessus le médaillon de feu Monseigneur le Dauphin, père du Roi, dessin à la plume et lavé (H. 15 p ; L. 9 p.) vendu 28 livres. A la même vente un dessin à la sanguine : la première pensée d'un tableau projeté à la mémoire de feu M. le maréchal de Noailles et représentant la Peinture traçant les faits d'un héros, sous l'in- vocation de l'Histoire, vendu 8 livres. La même année 1781, à la vente du marquis de Menars, des amours célébrant la convalescence d'une jolie femme (M™e de Pompadour) qui s'élève dans le ciel en repoussant les nuages, dessin mêlé de pastel vendu 112 livres, et qui repassait ces années-ci à la vente Mouriau. En 1783, à la vente Blondel Dazincourt, une femme appuvt*e sur un médaillon an bas duquel est un amour assis sur un piédestal, dessin aux trois crayons mêlés de pastel, vendue 75 livres. A la même vente une autre figure de femme tenant un médaillon sur lequel est un cœur percé d'une flèche, une des plus belles études du Maitre, vendue 50 livres. En 1786 (vente du 3 maiy passait une allégorie sur le Mariage, composition de plus de vingt figures, et provenant du cabinet de l'architecte Soufflot.

Pastorales.

L'Agréable Leçon, gravé par Gaillard. — Les Amants SURPRIS, gravé par Gaillard. Le tableau original se serait vendu 520 livres à une vente du 26 décembre 1827. — Les Amuse- ments DE LA Campagne, gravé par Daullé. Ce tableau peint en 1743 sur une toile ovale (H. 2 pieds 2 p.; L. 3 pieds 9 p.) avec son pendant « La Musique pastorale » a été achetée 1,490 livres par le fermier général Danger à la vente du prince de Be- ringhen en 1770. — L'Amusement de la Bergère, gravé par Mlle Ignoret d'après un dessin. — Les Amusements de l'Hiver, Les Charmes du Printemps, Les Plaisirs de l'Eté, Les Dé- lices DE l'Automne, gravés par Daullé. Ces quatre toiles (H- 20 p. ; L. 27 p. , la propriété de M™^ de Pompadour, se vendaient à la vente de son frère 1,402 livres. — L'Arrivée du Courrier, Le Départ du Courrier, gravés par Beauvarlet avec dédicace à la marquise de Montesquiou. — La Baigneuse surprise, gravé par Daullé. Cette répétition du fleuve Scamandre avec quelques diff'érences, qui appartenait à M^e de Pompadour, se


BOUCHER. 287

vendait, à la vente du marquis de Mënars, 241 livres. — La. Bergère endormie, gravé par Daullé, d'après un dessin. — La Bergère prévoyante, gravé par Alliaraet. Le tableau, tiré du cabinet de Jean Le Rebours, se vendait 650 livres à la vente Changrand. — La Jeune Bergère, gravé par Voyez d'après un dessin, — Le Berger récompensé, gravé par Gaillard. — La Bonne Aventure, gravé par Aveline d'après un dessin. — Les Charmes de la vie champêtre, gravé par Daullé. — La Chasse, La Pèche, gravé par Beauvarlet. Les deux tableaux étaient dans le cabinet de M. Vassal de Saint-Hubert. — Les Con- fidences pastorales, gravé par Duflos d'après un dessin, — Les Deux Confidentes, gravé par Ouvrié. La toile (H, 2 pieds 1/2; L. 27 p.) qui appartenait à Mme de Pompadour, était

vendue à la vente du marquis de Ménars, 481 livres. La

Cornemuse, gravé par Huquier d'après un dessin. — La Cor- REziONE, gravé par Lalive de Jully. — La Danse allemande, gravé en fac-similé par Demarteau, d'après un dessin en cou- leur. — La Belle Dormeuse, gravé par Huquier d'après un dessin. — Les Douceurs de l'Été, gravé par Moitte d'après un dessin du cabinet de Godefroy de Villetaneuse, — L'École de l'Amitié, gravé par Delastre d'après un dessin, — Elle mord a la grappe, gravé par Pasquier. — L Enfant berger, l'Enfant bergère, à Paris chez Daumont, Les Enfants voyageurs, gravé par Huquier d'après un dessin, — La Fé- condité, gravé par Gaillard. — Femme entourée d'enfants dans une chaumière, gravé par Watelet d'après un dessin, — Femme portant un panier, gravé par Lalive de Jully d'après un dessin, — Femme un enfant sur le dos, gravé par Lalive de Jully d'après un dessin. — La Fille a l'Oiseau, gravé par Huquier^ d'après un dessin. — La Fontaine, gravé par Peltier. — La Fontaine d'Amour, gravé par Aveline. — The Fortune Tiller, gravé par Boydell. — Le Goûter de l'Au- tomne, gravé par Gaillard. — Ismène et Daphnis, gravé par J,-H. E, d'après un dessin. — Le Jeu de colin-maillard, gravé par Le Prince d'après un dessin. Le dessin peint en grisaille sur papier (H. 13 p. 9 J. ; L. 19 p, 6) se vendait 300 livres en 1772, à la vente Huquier. — Le Joueur DE MUSETTE, gravé par Huquier d'après un dessin. — Ma hou- lette EST pour Colin, Mon moineau est pour Colette, sans nom de graveur, à l'adresse de Crépy, — Le Messager discret.


288 L'ART DU XVIII* SIECLE.

gravé par Gaillard. — Le Moixeau apprivoisé, gravé par Gaillard. Ce tableau ou une répétition de cette composition se vendait 1,950 francs à la vente de Boitelle, en 1866. — La Mu- sique, gravé par Aveline. Le dessin au crayon noir rehaussé de blanc de cette composition se vendait 12 livres à la vente Huquier. — L'Obéissance récompensée, gravé par Gaillard. — Le Panier mystérieux, gravé par Gaillard. — Par mes soins TON envie est enfin SATISFAITE, gravé par Massard. — Le Pasteur complaisant, Le Pasteur galant, gravés par Laurent. Il existe des copies allemandes de ces deux pièces par Georges Hertzell. — Pensent-ils au Raisin, par Le Bas. Le tableau signé Boucher 1747, est au musée de Stockolm. — Pensent-ils A CE mouton, gravé par M^e Jourdan d'après un dessin. — Petite Pastorale, gravé par Legros à l'eau-forte, en 1791. — La Poste secrète des Amoureux, gravé par Char- bonnier. — Les Présents du Berger, gravé par Lem- pereur. Le tableau appartenait au Roi*. — Les Sabots, gravé par Gaillard. Le tableau était dans le cabinet de M™e Bertin. — Le Sommeil interrompu, gravé par Beauvais. Le tableau appartenant à M^f de Pompadour (H. 28 p. ; L. 25 p.) se vendait à la vente du marquis de Ménars, 396 livres. — La Toilette pastorale, gravé par Duflos d'après un dessin. — Le Trébuchet, gravé par Aveline d'après un dessin. — Le petit Berger, La petite Fermière, Le petit Pasteur, Le Poète, gravés par Duflos. — Les Amours pastorales, suite de quatre planches gravées, par Duflos. — Petites pastorales, suite de quatre planches gravées à l'enu-forie par Mlle Duquesnoj'. — Pastorales, gravées par Aveline. Heinecken cite douze planches de cette suite qui est grand in-folio. — Livre de Sujets et Pastorales, gravé par Huquier. Quatre livres d'après les dessins de Boucher composés chacun de six feuilles oii la pastorale se mêle aux scènes familières. Le dessin de la première planche du premier livre , une mère donnant la bouillie à son enfant, a passé en 1834, à la vente Lagoy.

1. Le Louvre possède de Boucher quatre pastorales provenant d'an- ciennes collections, toutes quatre signées et dont l'une porte la date de 1743, une autre de 1753. Au Palais des Archives nationales les appar- tements renferment « le Cadeau du Bercer >'.


BOUCHER. 289

Nous citerons encore ici parmi les pastorales : Silvie dk- LivRÉE PAR Amixte, gravé par Gaillard, et faisant partie de la même suite. Elle fuit le loup qu'elle a blessé, Sylvie gukiiît

PhYLIS de la PIQURE d'uNE ABEILLE, L'AmOUR RANIME AmiNTE

DANS LES BRAS DE Sylvie .' trois compositions gravées par Lem- pereur et qui faisaient partie du cabinet du duc de Pen- thièvre.

Parmi les peintures pastorales non gravées :

En 1787, à la vente Collet passait une jeune fille recevant dans son tablier des cerises que cueillait un jardinier, avec une jeune fille à laquelle un homme, conduisant un âne charge de raisins, offrait une grappe. A la vente du duc de Stacpol, deux grands panneaux et des dessus de porte représentant des scènes pastorales, tableaux qui ornaient le grand salon du rez-de-chaussée du château de Montigny-Laucoup, bâti par Trudaine, se vendaient : les deux grands panneaux 12,600 fr.. les quatre dessus de porte 5,400 francs. A la vente du 18 mai 1852, passaient « l'Heureux Pécheur », « le Retour du Marché ». « le Bonheur au Village », la Halte à la Fontaine, quatre tableaux provenant de la décoration de l'Hôtel Richelieu. A la vente de M""^ Gentil Chavagnac les « Quatre Saisons », figurées par des scènes champêtres, étaient adjugées à 10,200 francs. En 1857, à la vente du 22 mars, « le Goûter sur Therbe », et « la Danse sur l'herbe », signés et datés 1738, se vendaient 6,700 francs.

Parmi les dessins de pastorales non gravés :

En 1770, à la vente de Boucher, au milieu d'un grand nom- bre de dessins passaient sous le no 379 « Deux bergers debout » que l'expert annonce '< comme les deux derniers morceaux du Maître ». En 1772, à la vente Huquier, un « Berger jouant de la flûte près d'un berger endormi », dessin à la pierre noire, se vendait 66 livres. En 1777, à }a vente Randon de Boisset, deux villageoises dont l'une tient un panier de fleurs, dessin au crayon noir sur papier bleu, se vendait 97 livres. En 1781, une « Bergère penchée sur son berger et tenant un agneau sur ses genoux » se vendait 42 livres. En 1783, à la vente Blondel Dazincourt, une « Jeune Bergère représentée debout dans des habits galants et tenant sa houlette », dessin à la

I. 25


290 I;aUT du XVIII' SIECLE.

pierre noire mêlée de sanguine, se vendait 36 livres. A la même vente une composition de six figures représentant de jeunes villageoises, dont l'une a une corbeille de fleurs sur la tète, se vendait 47 livres. En 1786, à la vente Bergeret, passait une « Assemblée de bergers et de bergères se reposant auprès d'une fontaine » et un groupe de cinq femmes dont l'une pèche à la ligne, dessin aux trois crayons sur papier gris.

Scènes de la vie familière.

L'Attention dangereusk, gravé par Dennel. — La Jeune Barcelonnette, gravé par Ivanofe. — La PETrrE Beurière et La Petite Ménagère, gravées par Mlle Igonet. — La Blan- chisseuse, chez Buldet. — La Belle Bouquetière, chez Joul- lain. — La Bouquetière galante, gravé par Tilliard, et à l'eau forte par M^^^ Ledaulceur. — Les Buveurs de lait, gravé par... — Les Fruits du ménage, gravé par Levasseur. — Le Calendrier des vieillards, gravé par de Larmessin, Le tableau en grisaille du conte de la Fontaine, daté de 1745 ainsi que celui du <( Magnifique », tous deux (H. 10 p. ; L. 12 p. 6 1.) passaient à la vente du peintre Aved en 1766. Ils entraient dans la collection de M. Blondel Dazincourt, dont ils sortaient à sa vente en 1770, pour faire partie du cal)inet de M. Sireul, et se vendaient à sa vente en 1781. « Le Calendrier des vieil- lards » 24 livres 19 sols, « le Magnifique « 18 livres 18 sols. — Les Caresses dangereuses, gravé par de Longueil, — Le Cheval fondu, gravé par Huquier d'après un dessin. — La Coquette, gravé par DauUé d'après un dessin. — La Confi- dence, gravé par Miger. Le tableau (H. 29 p. ; L. 24 p.) passait en 1786 à la vente Bergeret. — La Courtisane amoureuse, gravé par Larraessin. — La Belle Cuisinière, gravé par Ave- line. Le tableau original (H. 20 p. ; L. 17 p.) se vendait 125 livres, à la vente du comte de Merle en 1784. Une étude de femme très spirituellement faite pour la composition de la « Belle Cuisinière » se vendait en 1781, à la première vente d'Huquier, G livres. — Le Déjeuné, gravé par Lépicié. En 1769» à la vente du cabinet Prousteau, le tableau original, daté de 1763 (H. 2 pieds 5 p. ; L. 1 pied 11 p.) se vendait 200 livres. Dans une vente faite le 19 janvier 1778, l'étude de la femme couverte d'une pelisse prenant le chocolat dans « le Déjeuné »


BOUCHER. -^91

(II. 18 p.; L. 14 p.) se vendait 40 livres. Une étude aux deux crayons du valet apportant le chocolat est dans la collection de la baronne de Conantre. — Enfant jouant avec un chien, gravé par Glomy à Teau-forte. — Femme nue couchée sur

UN SOPHA AVEC DE GROS OREILLERS d'ÉTOFFE DE SOIE, gravé par

Demarteau, d'après un dessin du tableau fait pour le fermier général Bergeret. Le tableau original (H. 22 p.; L. 27 p.) se vendait 579 livres en 1781, chez le marquis de Ménars. — L'ne réduction peinte de la femme couchée sur le ventre et com- plètement habillée, datée de 1744, est dans la collection de M. Rothan. — Fillette traînée dans une voiture d'osier par de petits garçons, sans nom de graveur. — Homme faisant danser un chien habillé devant des enfants, dessiné d'après Boucher par Falconet, gravé par Beauvarlet avec la mention do la Ma- 7iufacture royale de Sève. — L'Innocence, terminé par Aveline sur l'eau-forte de Boucher. — La Jolie Jardinière, gravé par Lalive de Jully. — Mademoiselle de *** en habit d'Eté, gravé par Michel. Étude d'après nature d'une femme entrant au bain. — Le Magnifique, gravé par de Larmessin. — La Marchande DE modes, gravé par Gaillard. En 1769, à la vente du cabinet Prousteau, une répétition (H. 23 p. ; L. 19 p. 6 1.) se vendait 45 livres. Le tableau original daté de 1746 est aujourd'hui au Musée de Stockholm. — La Marchande d'oiseaux, gravé par Huquier et Lalive de Jully. — Le Matin, La Dame à sa toi- lette. Le Midi, La Dame réglant sa montre. Le Soir, La Dame allant au bal, gravés par Petit. — Ninette, gravé par Le Bas et Lalive de Jully. — L'Oiseau chéri, gravé par Daullé d'après un dessin. Le tableau original (H. 29 p. ; L. 24 p.) se vendait comme pendant de « la Confidence » à la vente Bergeret. — L'Oiseau privé, gravé par Flipart, — La Peinture, gravé par Mlle Igonet. Le tableau original se vendait 259 livres 19 sols à la vente Collet, repassait à la vente Lemoine, montait à 7,000 francs à la vente Pourtalès, et atteignait le prix de 14,000 francs à la vente Khalil-Bey. — La Provision tardive, gravé par Trière. — Le Réveil, gravé par Levéque. — Le Souffleur de bouteilles de savon, gravé par DauUe d'après un dessin. Le tableau original (H. 21 p. ; L. 44 p.) se vendait 80 livres en 1773 à la vente Lempereur. — La Belle Villageoise, gravé par Sou- beyran. Le groupe d'enfants de la « Belle Villageoise ■ a été gravé à part par Ravenet sous le titre de l'Heureux âge.


■:92 L'ART DU XVIII' SIECLE.

— yoiis qui dans ce mhoir consultez vos appas, gravé par M'ic Toiirnay.

Et encore des séries gravées : La petite Loterie, le Dé- GROTTEUR, sans nom de graveur. — Les Grâces naturelles, le Miroir de vérité, I'Harmonie touchante, TAmour simple, gravés par Henriquez. — Le petit Ménage, la petite Maîtresse d'École, par Huquier fils et de Felirt. — La Maîtresse d'É- cole, gravé par Henouville et Saint-Non au vernis mou. — L.*. Jardinière, la Bouquetière La Fanchonette, la Mar- chande d'œufs, La Jeune Ménagère, le Savoyard avec sa marmotte, la Vendeuse de céleri, gravés par Ingram. — La lioNNE MÈRE, l'École domestique, le Château de cartes, la Crémière, la Quêteuse de grand chemin, la Bergère labo- rieuse, gravés par Ingram et Liotard. Les dessins à la san- guine du « Château de cartes^ et de « la Bergère laborieuse », gravés par Liotard, ont été vendus 50 livres à la vente Ney- mann en 1776. — La Souffleuse de savon, le Marchand d'oiseaux, la Marchande d'œufs, la Vendangeuse, gravés par Daullé. Un dessin intitulé : « la Marchande d'œufs », se ven- dait G6 livres à la vente Jacqmin, en 1773. — Le Souffleur, LE PÊCHEUR, gravés par Duflos. Enfin ja suite des cris de Paris : Gagjie Petit, gravé par Ravenet; A racomoder les vieux sou- flets, par Le Bas ; Des noisettes au litron, par Le Bas ; Balais^ /valais, par Le Bas ; Charhoji, charbon, par Raveuet; A ramoner du haut en bas, par Le Bas; A la crème, par Ravenet; Des Pâtes, des Talmouses toutes chaudes, par Le Bas ; Chaudro)inier, chaudronnier, par Ravenet ; Des Radis, des raves, par Ravenet; La Laitière, par Le Bas; Au Vinaigre, par Ravenet. — En 1772, à la vente d'Huquier, de cette suite de douze estampes publiées chez lui, on vendait, 21 livres 10 sols, dix-huit dessins (épreuves et contre-épreuves, la plupart exécutées à la san- guine).

Parmi les scènes familières peintes non gravées :

En 1780, à la vente Trouck, une femme à demi nue, assise sur le bord de son lit, vendue 700 livres à la vente Sorbet en 1776, tombait à 340 livres. Une composition à peu près sem- blable au portrait allégorique de M^e de Pompadour de la vente Ménars, achetée par le duc de Chaulnes, et signée Bou- clier, 1759, passait dans la vente du 15 mai 1768. En 1783, à la


BOUCHKK. 293

vente ^'assal de Saint-Hubert, <^ un jeune homme jouant de la vielle -» (H. 1 pied 3 p.; L. 1 pied 3 p.) se vendait 50 livres. En 1784, à la vente du baron de Saint-Julien, passaient deux femmes à leur toilette, dont une prenait un bain de pied dans un seau de porcelaine. Ces deux toiles (H. 19 p. ; L. 15 p.), ca- taloguées sous le no 197, étaient achetées par Quesnay 1,400 li- vres. La même année, à la vente de Dubois le joaillier, deux autres femmes à leur toilette, vendues à la vente Randon de Boisset 1,250 livres, tombaient à 700 livres. En 1786, à la vente de Bergeret, passaient deux pendants de forme ronde, l'un re- présentant une jeune fille vue à mi-corps, respirant l'odeur des fleurs qu'elle tient dans sa main, l'autre une jeune fille coitfée d'un chapeau de paille et endormie.

Parmi les dessins de scènes familières non gravées :

En 17G6, à la vente du peintre Aved, passait « la Maison d'un charcvitier » (H. 8 p. 9 1.; L. 7 p. 3 1.), dessin piquant. En 1767, à la vente de M. de Julienne, « Le Bénédicité qu'une femme f;iit dire à ses enfants », dessin à la plume et au bistre, se vendait 60 livres. A la même vente, un k Marchand de chan- sons entouré de spectateurs », dessin à la plume et lavé (H. 12 p. 3 1. ; L. 8 p. 9 L), se vendait 48 livres. En 1776, à la vente Blondel de Gagny, u la Bouquetière de l'Opéra », dessin co- loré (H. 1 pied ; L. 9 p.) montait à 180 livres. A la vente Le Roy de Senneville, ce dessin tombera à 107 livres. Est-ce le dessin gravé sous le nom de « la Bouquetière galante » ? En 1777, à la vente faite par M^c du Barry après sa ilisgràce, deux dessins faisant pendant : une (( jeune dame brodant » et une « jeune fille donnant la l)ecquée à des oiseaux dans leur nid », se vendaient 480 livres. La même année, à la vente Randon de Boisset, passait une « École de fille » et une « École de gar- çons », deux dessins à: la pierre noire et au pastel (H. 10 p. 6 1.; L. 7 p. 6 L). Ces deux dessins repassaient à la vente Sireul, où ils étaient adjugés 650 livres. A cette vente était encore vendu un « Jardinier brouettant une jeune fille » et « un jeune homme prenant des oiseaux », deux dessins qui repassaient dans une vente faite à Moscou en 1800. En 1779, à une vente sans nom, « le Clistère », dessin très spirituel, lavé sur sanguine et relevé de plume. C'est le dessin qui repasse à la vente Sireul, sous le titre : « l'Apothicaire et son Malade ». Ce sujet plaisant, dit le

I. 25.


294 L'ART DU XVIII' SIÈCLE.

catalogue, ayant 9 pouces de hauteur sur 7 et demi de largeur, se vendait 30 livres. En 1779, à la vente Cayeux, « un Concert comique », dessin colorié. En 1781, à la vente Sireul, outre les dessins déjà cités, un dessin à la pierre noire et coloré au pastel, représentant une jeune dame vêtue à la française, ayant les jambes allongées sur un tabouret, se vendait, avec une « Danaé », 190 livres; un dessin à la mine de plomb d'une « jeune danseuse devant le parterre de l'Opéra » était adjugé à M. Langlier pour 30 livres, un dessin au crayon noir et blanc sur papier gris représentant une (t femme vêtue à l'espagnole », assise sur une chaise, était acheté par M. Dulac 123 livres. Ce dessin est aujourd'hui dans ma collection. En 1783, à la vente Blondel d'Azincourt, une « jeune fille vue de dos, tenant un panier de fleurs sous son bras », dessin au crayon noir et blanc mêlé de pastel, se vendait 132 livres; une « blanchisseuse ap- puyée sur son baquet », dessin aux trois crayons, 119 livres 19 sols. En 1786, à la vente Saint-Maurice, passait une « jeune fille tenant dans ses bras un lapin et refusant l'or d'une vieille ». Ce dessin à la pierre noire et au pastel s'était vendu 130 francs, à la vente Sireul. En 1814, à la vente Bruun Neergaard, un « jeune garçon vu à mi-corps, un panais à la main », morceau peint au pastel, signé Boucher 1738 (H. 6 p.; L. 9 p.}, se ven- dait 25 francs 95 centimes. En 1845, à la vente de M. de Cy- pierre, une « jeune femme debout dans un parc », pastel signé et daté 1752, se vendait 264 francs. En 1846, à la vente Saint, une « jeune fille assise, un éventail à la main », se vendait 81 francs, et « une jeune fille dans l'attitude de danser », avec son pendant une u jeune villageoise faisant une révérence », deux dessins aux trois crayons et pastellés, étaient achetés 450 francs par M. Delessert.

Sujets divers.

San'cho poursuivi par les marmitons du Duc... gravé par Aveline, d'après un dessin. C'est là, sans doute, la composition de Don Quichotte, dessin au crayon noir sur papier gris rehaussé de blanc qui se vendait 11 livres 19 sols, à la vente d'Huquier de 1781. — 1er Corps de Garde, 2"'^ Corps de garde, gravés par Huquier fils. — Guerriers, gravé par "NVatelet. — Soldat se reposant, gravé par Floding. — La Chasse au ti(;re, gravé par


BOUCHER. 295

Flipart. — La Pesca del crocodille, gravé par Moles. Dans le catalogue Paignon Dijonval, existait une eau -forte de « la Chasse à l'Autruche » dont je crois que la gravure n'a pas été terminée. — Paisanne des environs de Ferrare, gravé par Jeaurat. Cette étude fait partie d'une « Suite de Costumes de Femmes Italiennes » publiées par Weughels. — Recueil de Diverses figures Étrangères. L'Africaine, Femme de Naples, Donna Mi/tilena, Ancienne mode française , Dame de Constan- tinople, Fille de Paihmos, Contadina, Femme du Levant, Femme de Boulogne^ Femme de C/iio, Autre Contadina, Femme de Macé- doine, douze pièces gravées par Ravenet d'après les dessins de Bouclier.

Parmi les sujets divers peints et non gravés :

En 1867 à la vente de M. de Julienne, « Cassandre devant la statue de Minerve », une grisaille (H. 16 p. 6 1.; L. 21 p.), était vendue 261 livres 1 sol. En 1777 à la vente de Randou de Boisset, sous le no 200, se vendaient deux femmes en grisaille, avec, au dos du cadre, une copie du Priape de la galerie Far- nèse par Boucher. Ces deux femmes, achetées par Desmarets 229 livres à la vente Randon de Boisset, repassaient avec le Priape dans une vente de prairial an XII. En 1779, à la vente du sculpteur Cayeux passait un « Estaminet » traité par Boucher dans le fjiire de Teniers (H. 12 p. 6 1.; L. 10 p.). Enfin, eu 1786, à la vente Bergeret, était offerte aux enchères une curieuse réminiscence de Watteau, un « Voyage à Cythère » de Boucher, une composition de plus de trente figures i.

Chinoiseries.

La Foire Chinoise, gravé par Huquier fils. Le tableau origi- nal (H. 14 p. 10 1. ; L. 24 p.) passait en 1786 à la vente de Ber- geret, auquel sa liaison avec Boucher, dit l'expert, avait permis


1. Boucher a traité un très petit nombre de scènesde Ihistoire grecque et romaine; nous citerons ici, comme sujets divers dessinés et non gra" vés, un dessin à la pierre noire composé de seize tigures représentant € Scévola dans le camp de Porsenna » de la vente Gros en 1778, et une composition de » Marc-Antoine et de Cléopàtre, » de la vente de l'im- primeur Prault.


296 i;art du xviip siècle.

(le bieu choisir dans les tableaux du maître, et qui semble avoir coUectionué particulièrement les scènes chinoises de l'artiste. — L'Audience de l'Empereur Chinois, gravé par Huquier fils. Le tableau original (H. 15 p. ; L. 13 p. 61 1.) se vendait égale- ment à la vente Bergeret avec un pendant représentant « Le Repas de l'Empereur ». — La Chasse Chinoise, gravé par Huquier fils. Le tableau original se vendait à la vente Bergeret avec et comme pendant la « Danse Chinoise », composition que je ne crois pas gravée. — La Pèche Chinoise, gravé par Huquier fils. Le tableau original se vendait avec le sujet suivant. — « La Toilette Chinoise », gravé par Huquier sans titre. — On retrouve au musée de Besancon toutes ces peintures, provenant du legs Paris. Ce sont : l'Audience de l'Empereur de la Chine, la Cérémonie d'un mariage en Chine, un Festin Chinois, la Chasse au filet, pèche et promenade sur l'eau, jeune femme faisant voir une optique à un enfant, femme assise dans un jardin sous im parasol, une Danse Chinoise, Foire en Chine : neuf tableaux exécutés en tapisserie pour un salon de M™c de Pom- padour. — Femme chinoise promenée dans un traîneau, » gravé par Huquier sans titre. — « Enfant chinois porté sous un para- sol », gravé par Watelet en matière de lavis. — Livre de Chi- nois, chez Roquié. Frontispice avec cerf-volant. — La Rêveuse,

LE MÉRITE DE TOUT PaYS, LE PaQUET INCOMMODE, LE CoNCERT

chinois, les DÉLICES DE l'Enfance, l'Oiseau a bonnes for- tunes, six planches par Aveline, sauf les « Délices de l'Enfance » iiravé par Balechou. — Musique Chinoise a Clochettes, la Curiosité Chinoise, la Pâtée au petit chien, la Maîtresse DU Jardin, le Jardinier Chinois, le Jeu d'échecs Chinois : six pièces gravées par Ingram. Dans la vente Bergeret se vendaient sous le n» 61, « la Curiosité Chinoise » et « l'Oiseau à ))onnes fortunes » (H. 15 p. ; L. 7 p.). — Les Cinq Sens, représentés par des figures vêtues à la Chinoise, gravés par Huquier. — Suite de Figures Chinoises, inventées et dessinées par Boucher et gravées par Houel, 6 planches. — Recueil de Diverses Figures Chinoises du Cabinet de Fr. Boucher, Peintre du Roy. Dessinées et gravées par lui-même. Douze planches contenant des musiciens chinois, des soldats chinois, une demoiselle chi- noise, une paysanne chinoise, une « bastelleuse » chinoise, à l'adresse d'Huquier.

Une scène chinoise que je ne crois pas gravée, et qui repré-


BOUCHER. 297

sente une femme prenant le thé, composition encadrée dans des rinceaux rocaille et signée Boucher 1747, est en la possession de M. Ferai (Toile H. l"», 5. L. lm,45).

Illustrations de livres.

Pars Verna. Pars Mstiva, Pars Autiimnalis, Pars Hyemalis, quatre vignettes gravées par Petit, pour le Bréviaire de Paris 1736. — Qui fecit idraque iimim, gravé par Lépicié pour un livre de piété. — Neuf en-tétes et quatre lettres ornées, pour une « Histoire sainte ». — Le Grand Seigneur, la Mort d'Irène, Couronnement du grand Sultan, la Sultane, le Chef des Eunu- ques noirs, le Grand Vizir, le Bostangi-Bachi, le Muphti, le Chiaou-Bachi, le Capigi-Bachi, le Capitan Bâcha, avec les en- tétes de page des livres iv, v, vu, viii, ix, x, gravés par Duflos pour les Mœurs et usages des Turcs, par M. Guer, publié chez Coutelier en 1746. Le plus grand nombre des dessins ont été vendus à la vente de Lempereur en 1773. — Vingt-cinq vignettes par Baquoy et Mathey pour 1' « Histoire de France » du Père Daniel, 1722. Les dessins de ces vignettes se vendaient 72 livres à la vente Mariette.

La Jonction de l'Océan à la Méditerranée, laVigne plantée dans les Gaules, deux vignettes gravées par Le Bas pour « le Specta- cle de la Nature » par rabl)é Pluche.

Jupiter métamorpjhosé en taureau enlève Europe jusque dans l'île de Crète, gravé par Aug. de Saint-Aubin ; Diane se bai- gnant avec ses Nympjhes est aperçue par Actéon qu'elle méta- morphose aussitôt en cerf, par Aug. de Saint- Aubin ; Jupiter met au monde Bacchus, Ino l'élève en secret et le confie aux Nymphes, parLeveau; V Aurore aperçoit Céphale dont elle devient amoureuse et ienlève, par Aug. de Saint-Aubin ; Hercule esclave chez la reine Omphale se laisse désarmer et file avec elle, par Lemire ; Pygmalion devient amoureux d'une statue, qu'il avait faite, et Vénus la rend animée, par Lemire ; Vénus, appuyée sur son cher Adonis, lui conseille de ne chasser que les bêtes à qui la nature n'a pioint donné d'armes, par Massard ; Véims pleure son cher Adonis blessé à mort à la chasse par un sanglier, par Lemire ; Vertumne, métainorpliosé en vieille, rend Pomone sen- sible à S07Î amour malgré l'indifférence qu'elle affectait, par Saint-Aubin et Leveau; illustrations des Métamorphoses d'Ovide,


29« L'ART DU XVIII» SIÈCLE.

gravées sur les dessins des meilleurs peintres françois, par les soins des S^^ Lemire et Basaîi. Neuf dessins de Boucher à la pierre noire rehausses de blanc sur papier gris, parmi lesquels se trouvaient des compositions pour cette illustration d'Ovide, ])roduisaient la somme de 1,310 francs à la vente Thibeau- deau.

Vignette de la Nouvelle Septième, T. I, par Lemire ; vignette de la Nouvelle Dixième, T. II, par Lemire ; vignette de la Nou- velle Onzième, T. II, par Flipart ; vignette de la Nouvelle Pre- mière, T. III, par Aliamet; vignette delà Nouvelle Seconde, T. IV, par Flipart; vignette de la Nouvelle Dixième, T. V, par Lemire : illustration du Décamérox de 1757.

L'Étourdi, le Dépit amoureux, les Précieuses ridicules, le Cocu imaginaire, Dom Garde de Navarre, l'École des maris, les Fas- cheux, l'Ecole des Femmes, la Critique de l'École des femmes, l Impromptu de Ve7'sailles, la Princesse d'Elide, les Plaisirs de l'Ile enchantée, le Mariage forcé, Don Juan, l'Amour Médecin, le Misanthrope, le Médecin malgré luy, Mélicertc, le Sicilien, le Tartuffe, Prologue d'Amphytrio?i, Amphgtrio7i, r Avare, Georges Dandin, M. de Pourceaugnac, les Amans magnifiques, le Bour- geois Gentil-Homme, les Fourberies de Scapin, Psiché, les Femmes sçavantes, la Coyntesse d'Escarhagnas, le Malade imaginairey 33 planches gravées par Laurent Cars pour la monumentale édition des Œuvres de Molière, en 6 volumes de 1784. Les 33 dessins originaux au crayon noir se sont vendus 500 francs à la vente de Morel de Vindé, 600 à la vente de Soleinne, ont monté à 26,900 francs à la vente du baron Pichou. Ils sont aujourd'hui chez le baron de Pvothschild. Il y a en outre des premières idées de ces dessins largement traitées à la pierre noire et à la sanguine, au calnnet des Estampes à Paris et au musée de Darmstadt.

Dix grandes vignettes gravées par Chedel pour Tillustration d' Acajou et de Zirphile de Duclos, 1744.

Grand cartouche portant inscrit dans le blanc ; Guillelmi III Libertatis Anglicse Vindici Mémorise immortali, par Surugue ; cartouche avec l'inscription : Guillelmo Comiti, Cowper Cancel- lario, par Beauvais ; cartouche avec l'inscription : Joanni Chur- chill, Duci Marlboroug Forti Felici Invicto, par Laurent Cars ; cartouche avec l'inscription : Czondeleio Thovel Equiti Aurato Copiarum Navalium Magn.v Britanniœ Prefecto, par Tardieu ;


BOUCHER. 299

cartouche avec Tinscription : Dom. et Vue Memorix Joaiinis Fil- lotson, Provi(le?itia Divina Archiepiscopi Canhior., par de Lar- niessin ; cartouchs avec l'inscription : Carolo Sokrvillc Comiti de Dorset...sui Temporis Mserenoti, par Aubert ; cartouche avec l'inscription : Sycbieio comiti Godolphiii Magiio Angliœ Thcsau- rario, par Cochin ; cartouche avec l'inscription : Heipublicse Litterarix, Triumviris Boyleo Lockit et Sydenhamio, par de Larmessin. Ces huit ])lanches grand in-folio et auquel l'éditeur a joint un frontispisce de Vanloo et des reproductions des peintres italiens Credi, Ricci, Battoni, etc., composent l'illus- tration d'un livre qui coûtait une guinée, et a pour titre : Tom- beau DES Prinxes, Grands Capitaines, et autres Hommes Illustres qui ont fleuri dans la Grande-Bretagne, (jravés par les plus habiles Maîtres de Paris, et d après les tableaux et les dessins originaux des plus célèbres peintres d'Italie, tirés du cabinet de Monseigneur le Duc de Richemond et Leimox. A Paris, chez Basan et Poignant, marchands d'estampes. Les huit plan- ches de Boucher, réduites dans un format petit in-folio et débar- rassées des noms anglais dans le but de les faire servir de cadre à des actes de la vie privée, ont reparu sans noms de graveur chez Huquier, avec la mention : Boucher invenit. Ils forment un cahier sans couverture, assemblé avec une aiguillée de gros fil du temps.

Monarque des Finançais, tes vertus et ta gloire, gravé par Lempereur pour le frontispice de I'Histoire des Conquêtes de Louis XV, 1759. — "Vénus couronnant Louis XV, gravé par Cochin. — Buste de Louis XV entouré de figures allégoriques, gravé par Le Bas. — Quod cogitasii? gravé par Dutlos. — Le Triomphe des Grâces, gravé par Simonet. — Quod sol atque im- bris dederant, gravé par Moreau. — Bergère tenant un ours en- chaîné, gravé par Le Bas. — Meurs libre et sois veyigé d'un traître (acte v), gravé par Le Bas. — Titre pour le Conte du Tonneau, gravé par Dufios. — Titre pour I'Abrégé des plus FAMEUX Peintres, par d'Argenville, gravé par Flipart. — Fron- tispice sans nom de dessinateur et de graveur pour la Lettre SUR l'Exposition des Ouvrages de Peinture de 1747. Ce fron- tispice représentant la Peinture devant un chevalet, entourée d'amours avec un âne qui brait dans le fond, me semble avoir ét»î gravé d'après un grand dessin de Boucher, de la vente Prault, représentant la Peinture eu butte à TEnvie. —Vignette


300 L'ART DU XVIIP SIECLE.

gravée par Le Bas pour les Prix de l'Académie royale de Chirurgie. — Vignette gravée par Chedel à l'eau-forte et par Robert au burin, pour la Concuiologie, Le dessin à la mine de plomb, sur peau vélin, se vendait à la vente d'Argenville en 1778. — Rodogl'ne, acte v, scène iv, gravé par M^^^ de Pompa- doiir à l'eau-forte avec retouche par Cochin, pour l'édition de la tragédie de Pierre Corneille, imprimée sous les yeux de la fa- vorite dans sa chambre de Versailles. Le dessin à la sanguine passait à la vente du baron de Vèze et repassait encore à la vente Greverath.

Parmi les illustrations non gravées :

En 1780, à la vente de Prault passait un frontispice pour une <( Histoire de l'homme », et à la vente Huquier, en 1781, se ven- daient des dessins de Boucher pour une continuation du « Pv.o- man comique » où Boucher avait pour collaborateurs Vanloo et Natoire.

Adresses, Dessins industriels, Pantins.

A la Pagode. Gersaiiit, marchayid joailler sur le pont Notve- Dame, vend toute sorte de Clinquaillerie nouvelle et de goût. Bijoux., Glaces, Tableaux de cabinet. Pagodes, Vernis et Porce- laines du Japoji, Coquillages et autres Morceaux d'histoire natu- relle, Cailloux, Agathes et généralement toutes Marchandises curieuses et étrangères. A Paris, 1740. Grande adresse de la plus grande rareté, sans nom de graveur, faite par Boucher pour la publicité du commerce d'art dont AVatteau avait peint l'en- seigne. Cette adresse représente un magot accroupi sur le haut d'un cabinet de laque, en bas duquel sont entassés des madré- pores, des coquillages mêlés à des bronzes et à des porcelaines du Céleste-Empire. Le dessin à la mine de plomb sur papier blanc de l'adresse de Gersaint passait à la vente d'Argenville en 1778. — Manufacture de Veron du Verger, sans nom de gra- veur, billet avec un cartouche soutenu par des Néréides. — Car- touche contenant les Armes de Madame de Pompadour. Grande pièce indiquée par Paignon-Dijonval sans nom de graveur. — Armoiries du prince de Lichtenstein, gravées par Belmonde. — Le catalogue Paignon-Dijonval indique par erreur comme gravé par Boucher : « Vue de l'illumination faite à l'Hôtel de Néle,


BOUCHER. 301

à Paris, par ordre du j)rince de Lichtenstein à l'occasion de la paix de 1739 >'. Boucher n'a gravé que les armoiries avec leurs cadres. — Livre de Cautouciies, inventé par François Boucher, peintre du Roy, à Paris, chez Huquier. — Grand cartouche, gravé par Choffart. La figure de la Charité mêlée à des attri- buts de maçonnerie a fait croire que ce devait être l'encadre- ment d'un diplôme de franc-macon. — Grand cartouche à Paris chez Huquier. Ces deux cartouches, dont l'un est en hauteur, l'autre en largeur, par le caractère de leurs attributs religieux, par la figure de femme élevant en l'air un saint-ciboire, font supposer avec quelque vraisemblance au docteur Rotli, le col- lectionneur le plus riche en Boucher, que ces deux entourages pourraient bien être des entourages de Souvenirs de Commu- nion ou de Confirmation. — Esquisse d'un Tombeau, gravé par Charpentier en fac-similé de bistre. — Monument funèbre a la MÉMOIRE DE Mi'e Sandoav DE Berlin, gravé par Ebertz. — Livre DE Tombeaux, composés et gravés par Boucher, sept pièces ovales en hauteur, citées par le catalogue Paignon Dijonval. — Nou- veaux livres de vases, composés et gravés par Bouclier, sept pièces en hauteur également citées par le catalogue Paignon Dijonval. — Feuilles de paravent : Rocaille, TriompJie de Po- mone, Hommage champêtre, Léda, Triomphe de Priape. Cinq grands panneaux décoratifs dans le goût des Arabesques de Watteau, gravés par Duflos, sauf le « Triomphe de Pomone », gravé par de Larmessin. — Recueil de fontaines, inventées par F. Boucher, peintre du Roy. Le second livre des fontaines, in- ventées par F. Boucher, peintre du Roy. Deux suites de sept planches chacune, chez Huquier. — Livre d'Ecrans, 12 pièces gravées par Huquier. Six de ces dessins d'écrans ornés de jolies petites figures de paysannes, à la pierre noire, se ven- daient 85 livres à la vente d'Huquier en 1772. — Suite de six écrans gravés en Allemagne par Engelbrecht. — Premier livre de figures dapres les porcelaines de la Manufacture Royale de France, inventées en 1757 par Boucher, six estampes en hauteur, par Falcounet. Le catalogue Paignon Dijonval cite un second livre. — Pantin et Pantine, sans nom de dessinateur et de graveur. Deux rarissimes planches, où les cuisses, les jambes, les bras détachés d'un torse d'homme et de femme, sont disposés pour être découpés. Jombert, dans son catalogue de Cochin, nous apprend que ces deux figures dessinées par Boucher, et

1. 2t)


302 I/ART DU XVIII« SIÈCLE.

dont les têtes lurent redessinées par Natoire, ont été gravées par de Poilly, et les tètes par Coehin fils. (Hauteur de la figure, sans les cuisses et les jambes, 10 pouces.)

Parmi les dessins d'art industriel non gravés :

A la vente de M. de Ménars. un projet de pendule formée par un globe soutenu par les Arts et couronné par les Amours et le Temps, marquant les heures avec sa faux, se vendait 48 livres. Sept autres dessins en feuilles, à la plume et au bistre, représentant une « Jardinière «, une « Batteuse de Beurre », une « Laitière », exécutées en pierre de Tonnerre, à Crécy, château de la favorite, se vendaient 300 livres. A la vente de M. de Sireul passait encore un projet de pendule ornée de deux figures de femmes, et six petites pastorales pour écrans se ven- daient ime trentaine de livres. A la vente Huquier passait une feuille de paravent, dessinée à la plume lavée d'encre de Chine, et à la vente Lempereur un « Enlèvement d'Europe » exécuté pour im éventail. Au musée de Besancon est conservé sous le n" 403 un éventail peint à la gouache sur taffetas, représentant « les Oies du frère Philippe » (hauteur 23 c, largeur 44 c). Il existe aussi dans la collection du docteur Piogey un éventail que M. Mantz affirme authentique, et qui représente trois têtes souriantes rattachées par de petites guirlandes oii jouent des amours.

Au Musée des Arts décoratit^s. 1880, la Manufacture des Go- belins expos;iit « Aniinthe et Sylvie » et « les Confidences », deux modèles de tapisseries sur des toiles (H. 1™,30 ; L, l'n,45); (( la Petite Oiselière, le Petit Pécheur », deux autres modèles sur de plus petites dimensions ; « la Musique, l'Astronomie, le Dessin, la Sculpture », quatre dossiers de fauteuil exécutés pour la Manufacture de Béarnais sur des toiles de 53 cent, de hauteur sur 45 de largeur. La Manufacture des Gobelins expo- sait encore une maquette de tapisserie représentant deux figures de femmes au milieu de vases do fleurs, toile (H. 60 c. L. 70 c); une autre maquette composée de trois sujets en médaillon sur fond l)leu montrant des bergeries (toile. H. 40 c., L. 80 c); une maquette de tapis également composée de trois médaillons, et où se voyait, sur un fond rose, uneVénus, un Bain de Nymjdies, un Amphion sur un dauphin (toile. H. 45 c, L. 90 c).

Enfin Grimod de la.Reynière raconte que Boucher a d.'-coré


BOUCHER. 303

quelques-uns des œufs de Pâques que l'on offrait à Louis XV la veille de la grande fête.

Sujets rustiques et Paysages.

L'Abreuvoir d'oiseaux, gravé par Cliedel. — Petit berger passant une rivière, gravé par Ryland. — Le Berger Napoli- tain, gravé par Daullé. Le tableau original, qui faisait partie du cabinet Damery, se vendait 240 livres, en 1764, à la vente du peintxe Detroy. — Les Bergers a i.a Fontaine, gravé par Fes- sard. Le tableau original (H. 20 ]).; L. 22 p.) se vendait 7(30 li- vres à la vente du comte de Vence. — Bords de Rivière. Le tableau original était dans l'appartement de Monseigneur le Dauphin, à Versailles. — Bords de rivière, gravé par Lempe- reur, d'après un dessin. — La Caravane, gravé par Huquier, d'après un dessin. — La Chasse aux Canards, gravé par Che- del. — La Colation rustique, gravé par Chedel, d'après un dessin, — Le Colombier, par Chedel. Le tableau original se vendait 96 livres, sous le n" 54, à la vente de S. A. E. de Co- logne, en 1764. — Cour de Ferme, gravé par Dazincourt au vernis mou. — Le Dévot hermite, gravé par Chedel. — Les Enfants du fermier, gravé par Halbou. — La Ferme, gravé par Benezech. — La Ferme, gravé par Chedel. — Foire de Campagne, gravé par Cochin fils. Le dessin à la pierre noire, rehaussé de blanc, se vendait, en J772, à la vente Huquier. Une peinture ou une esquisse, d'après laquelle a été exécutée la plus belle tapisserie du xviii*^ siècle, a dû être peinte par Bou- cher. — Grand paysage avec une femme péchant à la ligne, gravé par Laurent. Je crois qu'il existe un pendant gravé. — Jeannette, gravé par J. H. E., d'après un dessin. — Moulin à eau, gravé par Chedel. — Moulin à vent, gravé par Dazincourt au vernis mou. — Moulin près de Ciiatou, gravé par Basan. — Paysan passant l'eau, gravé par Ryland. — Le Pêcheur, gravé par Chedel, d'après un dessin. — Le Pescheur amoureux, gravé par Chenu. L'estampe est dédiée à M. Le Lièvre, distilla- teur ordinaire du Roi. — Le Pont rustique, gravé par Chedel, d'après un dessin. — Le Puits, gravé par Chedel, d'après un dessin. Le dessin a passé sous le n° 529 à la vente de Lempe- reur, qui en avait fait une eau-forte. Il se vendait 24 livres. — Le Raffraîchissement des Vojageuses, gravé par Daullé. — Le


304 I/ART DU XVIII' SIÈCLE. -1

Repos champêtre, gravé par Ryland. Le dessin à la plume, lavé de sanguine et de bistre, se vendait, en 1786, à la vente Bergeret. — L'agréable Solitude, gravé par Chenu. — La Vendange, gravé pav Parizeau, d'après un dessin. Le dessin, lavé sur trait de plume et connu pour un des plus beaux des- sins du maître, passait à la vente du 27 décembre 1777. — La Vie champêtre, gravé par M' Lépicié. — Les Villageois a la pèche, gravé par Gaillard. Le tableau original était dans le cabinet de M. Montullé. — Vue d'un Hermitage près de l' an- cien Port-Royal, gravé par Q., d'après un dessin. — Vue du Moulin de Vaudreuil, gravé par le baron de Thiers. — Vue d'un Pont, gravé par Ryland, d'après un dessin. — Vue du Pont des Lavandières dans le Clos Payen, gravé par Q., d'a- près un dessin. — Vue d'une Tour, près de Blois, que les bonîies gens des environs croijent habitée par les esprits; on la nomme communémeJit la Tour du Diable, gravé par Q., d'après un des- sin. — Vue Rustique, gravé par Gilbert, d'après un dessin. — Vue d'après nature dessinée par Boucher, n»* 1 et 2, deux vues gravées par Basan. — Vue d'Habitations rustiques, suite de quatre estampes gravées par Houel. — Petites Vues rustiques, six estampes gravées par Basan. — Vues près de Bercy, deux estampes, gravées par Michel. — Première veue de Charenton, seconde veue des environs de Chare?iton, deux estampes gravées par Le Bas. — Vue des environs de Charenton, deux estampes par Moitte. — Première vue de Fp^onville, deuxième de Fron- viLLE, deux estampes chez Buldet. — Vue des environs d'Or- léans, quatre estampes gravées par Basan. — Vue des envi- rons de Beauvais, Seconde vue de Beauvais, deux estampes gravées par Le Bas. — Divers Paysages, quatre estampes d'a- près des dessins de Boucher, gravées par Chedel. Et encore nombre de vues gravées par les amateurs. L'abbé de Saint-Non en a gravé plus de quarante pour sa part.

Parmi les paysages peints non gravés :

En 1773, à la vente de Jacqmin, le joaillier de la couronne, deux paysages ornés de fabriques et de jolies figures; l'un re- présentant un moulin, l'autre un pont de pierre, se vendaient 780 livres. En 1778, à la vente du peintre Natoire, passait une esquisse chaudement touchée, représentant le dehors d'une mai- son de ménage où l'on voyait une récureuse et une femme qui


BOUCIIKK. 305

allaite son enfant (H. 23 p.; L. 23 p.)- En 1779, à la vente Trouart, un paysage des environs des Gobelins (H. 27 p. ; L. 21 p.) se vendait 59 livres 19 sols. A la même vente, un inté- rieur de ferme, d'après Wouvermans, montait à 700 livres. En 1781, à la vente Sireul, « la Vue du Temple de la Concorde et du chemin qui conduit au Vatican », tableau peint par Boucher à Rome (H. 3 pieds; L. 3 pieds 1/2) se vendait 96 livres. En 1785, à la vente du bailli de Breteuil, passait un marché d'ani- maux, oii une femme, montée sur une mule et tenant un panier d'œufs, tournait la tête pour regarder un homme à cheval (H. 15 p. ; L. 12 p.). En 1786, à la vente Bergeret, quatorze paysages de Boucher sont livrés aux enchères. En 1793, à la vente Choi- seul-Praslin, passait une vue prise à côté de la petite rivière des Gobelins, la droite occupée par une chaumière servant de moulin à eau. En 1810, à la vente Villeminot, passait un paysage avec des femmes occupées à blanchir du linge. En 1822, à la vente de Robert de Saint-Victor, un paysage, que le catalogue disait un des meilleurs paysages de Boucher, ne dépassait pas le prix de 22 francs.

Pour les paysages dessinés non graves, nous n'entrerons pas pas dans le détail fastidieux de ces dessins très peu décrits et généralement très peu reconnaissables des dessins gravés ; nous renvoyons aux ventes de Boucher, Randon de Boisset, Blondel Dazincourt, JouUain, Sireul, Bergeret, et en particulier a la vente, de Lerapereur de 1773.

Études d'après l'antique. — Livres de groupes d'enfants. Académies. — Études de têtes.

Recueil de différents caractères de tètes tirés de la Colonne Trajane, dessinés par Boucher, gravés har Hutin, 12 i)lanches. — Hermaphrodite, figure antique dessinée par Boucher, gravée par Desplaces. — Livre a dessiner, par Lebas, 20 feuilles d'après le catalogue Heinecken. — Nouveau Recueil de Figures Académiques gravées par Polienith et M. Tardieu, 5 feuilles. — Etude dessinée par François Boucher, Peintre ordinaire du lioy, et t/ravée par Etienne Fessard, graveur du Roy. — Etude dessinée par François Boucher, premier peintre DU Roy, gravée par Edme Nochez dirigé par Fessard. Ces deux études sont d'après des dessins du cabinet de M. Sireul. —


306 L'ART DU XVIII» SIECLE.

Étude dessinée par François Boucher, peintre ordinaire du Roy, gj^avée par Etieiuie Fcssard. Etude d'après un dessin du cabinet Damery. — La Dormeuse, gravée par MiclieL — La Voluptueuse, gravé par Polienith. — Le Sommeil, gravé par Huquier. — Le Réveil, gravé par Huquier. — Quelques aca- démies liljres, entre autres la Laveuse, ont été gravées en manière de crayon par Petit et Bonnet, et éditées chez Bonnet. Elles sont tirées, la plupart, du cabinet de M. Darcy. — Pre- mier LIVRE de Groupes d'Enfants par Boucher, jjehitrc du Roy, (jrové par Aveline, à Paris, chez Huquier, 7 planches. Il a paru r3 livres de ces « Groupes d'Enfants » dont les autres sont gravés par Félix de la Rue, Huquier fils. — Livre de tètes, par Bou- cher et Buldet d'après le catalogue Heinecken. Je n'ai jamais vu de cette série qu'une planche composée de deux sujets dont l'un porte le n® 2. Le nom de Boucher y était gravé à la pointe. — Teste de femme, gravée par Huquier fils. — Le Désir de PLAIRE, gravé par Campion en couleur. — Buste de femme, TÈTE DE FEMME, gravés par François en matière de crayon. — Tète de femme, gravée par L. D. D. C. (le duc de Chevreuse), etc.

Et parmi les Etudes non gravées :

Une multitude de dessins répartis dans toutes les Collections,


EXPOSITIONS DE BAUDOUIN

AU SALON DU LOUVRE


1763

Tableau à g^ouache : Un prêtre catéchisaut de jeunes filles, Plusieurs portraits et autres ouvrages eu miniature sous le même numéro.

1765

Plusieurs petits sujets et portraits en miniature sous le même numéro. Plusieurs petits tal)leaux à irouache. Un confessionnal.

Les Enfants Trouvés, dans l'église Notre-Dame. Une jeime fille querellée par sa mère. Plusieurs portraits à gouasse sous le même numéro.

1767

Le Coucher de la mariée, tableau peint à gouasse.

Le sentiment de l'Amour et de la Nature cédant pour un temps à la Nécessité, tableau peint à gouasse.

Huit petits tableaux en miniature représentant une suite de la Vie de la Sainte Vierge.

Le premier feuillet du volume des Epitres et Evangiles, com- mandé pour le service de la Chapelle du Roi, i)ar M. de Fou- tanieu, conseiller xl'État, intendant général des meubles de la Couronne.


308 I/ART DU XVIIP SIECLE.

Plusieurs Portraits et autres sujets peints à gouasse et eu miniature sous le même numéro.

1769

Plusieurs feuillets du livre de TÉ pitre et de celui de l'Évangile destinés pour la Chapelle du Roi. Le Modèle honnête. Autre tableau à gouasse sous le même numéro.


œUVRE GRAVE

DE BAUDOUIN"


Portraits.


On ne connaît pas de portrait gravé.

En 1817, à la double vente de 8allé et Constantin, passait sous le n° 430 « portrait de M^^'^ Boucher son épouse », petit dessin à la mine de plomb et à la sanguine sur papier blanc.

Sujets allégoriques.

Jeune homme et jeune femme devant un autel de l'Hyménée, au-dessus duquel planent Jupiter et Junon, et au pied duquel est un amour tenant un cœur enflammé, allégorie gravée en tête de la Princesse de Navarre, représentée à Versailles, le 23 fé- vrier 1745. — Médaillon de Louis XV reposant siu* im autel votif, gravé par Chenu dans les Ètrennes Françaises. — Le Désir Amoureux, gravé par Mixelle^.

Sujets mythologiques.

Le Poète Anacréox, gravé par Delaunay. — Les Plaisirs RÉUNIS, gravé par Briceau.

1. Nous nous sommes aidés pour ce travail du conscencieux catalogue rédigé par Emmanuel Bocher.

2. Baudouin n'a pas eu de sujets religieux gravés. La gouache de Loth et de ses filles, composition de trois figures sur un fond de paysage à la gouache (H., 5 p.; L., 6 p. 6 1.). a été vendue à la vente du gra- veur Delaunay, en 1792.


310 LART DU XVIII« SIECLE.


Sujets galants.

Les Amants surpris, gravé par Choffart. — Les Amours Champêtres, gravé par Choffart. — Annette et Luhix, gravé par Ponce. — Le Baix, gravé par Regnaiilt eu couleiu*. La gouache originale (H. 8 p. ; L. 7 p. et 1/2) passait à la vente du 14 février 1783, repassait à la vente du 25 avril 1788. — Le Carquois épuisé, gravé par de Launay. — Le Catéchisme, gravé par Moitte. Les deux premières pensées du « Catéchisme » et du « Confessionnal » dessinées au crayon noir et Idanc se vendaient 17 livres 1 sol à la vente Nourri en 1785. Les deux gouaches terminées, qui ne seraient que des copies pour moi, étaient il y a une vingtaine d'années dans le cabinet de M. Galibert à Tou- louse. — Les Cerises, gravé par Ponce. La gouache des Cerises se vendait avec la gouache des « Soins Tardifs » 31 francs à la vente Bruzard. — Le Chemix de la Fortuxe, gravé par Voyez. La gouache originale se vendait 150 livres, à la vente Prault en 1780. — Le Coxfessioxxal, gravé par Moitte. — Le Coucher DE LA Mariée, eau-forte de Moreau terminéee par Simonet. La gouache originale (H. 15 p.; L. Il p.) se vendait 853 livres à la vente du marquis de Ménars. Elle repassait à la vente Beaujon en 1787, où elle tombait à 480 livres. On la retrouve encore à la vente du graveur Coclers en 1789. Une première pensée de la composition dessinée au crayon noir et blanc sur papier gris passait à la vente du 21 novembre 1785. — Le Curieux, gravé par Maleuvre. La gouache originale (H. 10 p. : L. 7 p.) passait à la vente du 11 décembre 1780, repassait à la vente du 7 jan- vier 1785, repassait à la vente du 21 avril 1788, oii elle se vendait 81 livres, et se retrouvait à la vente Pourtalès. — Le Daxger du tète-a-tète, gravé par Simonet. La gouache originale \H. 9 p.j L. 7 p. 6 1.) se vendait en 1776, à la vente de M"c Testard, dan- seuse de rOpéra. — L'Exlkvemext nocturne, gravé par Ponce. La gouache originale (H. 13 p.; L. 11 p.) se vendait à la vente du 24 avril 1786. — L'Épouse indiscrète, gravé par de Launay. La gouache originale se vendait 404 livres à la vente Xogaret en 1780 11 existe deux répétitions de cette gouache, lune chez M. Edmond de Rothschild, l'autre chez moi présentant une <liflférence avec la gravure. — Le Fruit de l'Amour secret, gravé l)ar ^'oyez. Une première pensée aux trois crayons passait à la


BOUCHER. 311

vente du le»" novembre 1782. Il existe une première pensée dans la réserve du Louvre, au crayon noir, à la sanguine, avec quelques touches d'aquarelle, et toute couverte de repentirs. C'est sans doute celle-là. La gouache originale (H. 11 p.; L. 8 p. et 1/2) passait à la vente du graveur Coclers en 1789. — Le GOUTER, gravé par Bonnet en couleur. — Le Jardinier galant, gravé par Hellman. — J'y vais, gravé par Marin en couleur. — Jusques dans la moindre chose, gravé par Masquelier. — Le Léger. Vêtement, gravé par Chevillet. — Le Lever, gravé par Massart. La gouache originale se vendait dans la vente du 7 janvier 1785. — Marche tout doux, parle tout bas, gravé par Choffard. — Marton, gravé par Pouce. — Le Matin, gravé par de Ghendt ; Le Midi, gravé de Ghendt ; Le Soir, gravé par de Ghendt; La Nuit, gravé par de Ghendt. Un croquis à la plume lavé d'aquarelle du « Matin » se vendait 41 livres à la vente de Prault eu 1780. Cette aquarelle fait partie de ma col- lection. La gouache terminée de la même composition était retirée à 300 livres à la vente après décès de M'"c Laucret en 1781. « Le Soir » passait à la vente du cabinet de Saint- Julien et à la vente du 24 avril 1786. — Le Modèle Honnête, eau-forte de Moreau terminée par Simonet. La gouache origi- nale (H. 16 p.; L. 12 p.) se vendait 100 livres, en 1780, à la vente Chardin. Elle avait été retirée à 1750 livres, quatre ans auparavant à la vente de la danseuse Testard. — Perrette, gravé par Gutenberg. — Qui est la? gravé par Marin eu couleur. — La Rencontre Dangereuse, gravé par Leveau. — « Le Rendez-vous, » gravé en couleur. Grande étude en imita- tion de pastel reproduisant le groupe amoureux des u Soins Tardifs ». — Rose et Colas, gravé par Simonet. La gouache originale se vendait 220 livres à la vente Prault, repassait à la vente du 31 mai 1760, tombait à 12 livres à la vente Basan en 1790, était jointe au « Jardinier galant» en 1810 à la vente Bruun Neergaard, où les deux gouaches originales ne dépas- ^^aient pas 25 livres. — Sa taille est ravissante, gravé par Le Beau. ~ La Sentinelle en défaut, gravé par de Launay. — «Les "Soins Tardifs », gravé par Choffart. La gouache originale (H. il p, ; L. 8 p.), achetée par de Beseuval, se vendait 138 livres à la vente du joaillier Dubois en 1784. Cette gouache Aiit partie de ma collection. — La Soirée des Tuileries, gravé par de Ghendt. La gouache originale (H. U p.; L. 8 p. et 1,2) vendue à


312 LART DU XVIII« SIÈCLE.

la vente de Chardiii 3") livres 19 sols, repassait à la vente de M. Boyer de Fonscolombe, en 1790, et repassait encore à la vente du peintre Laffitte, en 1828. — La Toilette, gravé par Ponce. La iTOuache originale avec la gouache du « Danger du téte-à-téte » se vendait 500 livres, à la vente de la danseuse Testard. « La Toilette » et « le Lever » et la « Jeune dame sortant du bain » repassaient, en 1817 sous le n° 429, à la vente réunie de Salie, dessinateur et négociant en dessins, et de Constantin, marchand et restaurateur de tableaux. Je possède une première pensée de « la Toilette •>•> légèrement lavée à l'aquarelle.

Illustrations de Livres.

Frontispice du catalogue de la vente du duc de Taillard, 1756, gravé par Huquier fils.

Parmi les compositions de toutes sortes qui n'ont pas été gravées :

La grande gouache du Salon de 1765, portant le titre suivant : « La Fille qui reconnaît son enfant à Notre-Dame parmi les Enfants-Trouvés », gouache qui semble aujourd'hui perdue.

En février 1770, à la vente après décès de Baudouin, passait un grand morceau inachevé d'après la « Jeune Mariée » de Greuze, vendu 160 livres. Il y avait encore un sujet de deux figures dans un paysage, un sujet de fantaisie dessiné à la plume et lavé sur papier blanc, et douze académies : le premier se vendait 15 livres, le second 100 livres, les académies 143 livres. En 1773, à la vente de Jacqmin, passait un portrait-miniature d'une « Dame habillée en Vestale ». En 1776, à une vente du 1er avril, un « Sommeil de la Vierge » et deux compositions de '< Loth et ses filles ». La même année, à la vente de Blondel de Gagny, une gouache de « Zéphire et Flore » se vendait 300 li- vres; une gouache de <> Jupiter et Calisto », 72 livres. En 1777, à la vente Trudaine, les grandes miniatures sur ivoire de ^< Di- butade » et de « Diane et Endymion «, faites originairement pour Mme (le Pompadour, atteignaient le prix de 1,000 livres. Ces miniatures étaient accompagnées d'une jolie curiosité : une boite d'écaillé à gorge d'or garnie de trois niiniatures de Bau- doin, représentant des femmes couchées. La même année, à la


BOUCHER. 313

vente Randon de Boisset, une piquante peinture à la gouache représentant une dame couchée sur sa chaise longue, accom- pagnée d'une autre femme, se payait 900 livres. En 1778, à la vente du 23 mars, le portrait d'une dame et d'un enfant, un de ces portraits que Diderot avoue être joliment peints. A la vente du JO décembre de la même année, une jeune fille à demi nue regardant dans une lorgnette. En 1779, à la vente Vassal Saint- Hubert, une femme avec un chien, couronnée par des amours, une femme sur un lit, une femme dans un bocage, se vendaient la première, 300 livres; la seconde, 630 livres; la troisième, 600 livres. En 1780, apparaissait, à la vente Chardin, une cu- rieuse gouache. Dans un appartement en désordre, une femme et un enfant; près d'elle, une amie, à gauche un jeune homme, la tête appuyée sur une table. On lit au bas : Fedt amor, mittit pietas, fortuna reducet. Elle se vendait 72 livres. Une première pensée de cette gouache passait à la vente du 11 décembre 1780. En 1782, à la vente du frère de M^c de Pompadour, une allé- gorie sur le mariage de M. de Marigny, représentant « l'Hy- men allumant un flambeau et couronnant deux cœurs sur un autel qu'un amour entoure de fleurs i). L'allégorie se payait 84 livres, et baissait d'une dizaine de livres à la vente Beaujon, où elle repassait en 1787. En 1783, à la vente du 24 avril, une « Nativité >», une femme environnée d'enfants qui la caressent, une femme se reposant dans un jardin, près d'un bosquet à treillage. En 1786, à la vente du joaillier Aubert, un « Sacri- fice à Vénus ». La même année, à la vente du 11 mars, une jeune fille vue à mi-corps, coiff'ée d'un bonnet de mousseline, vêtue d'un corsage rouge et portant un fichu et un tablier de gaze et la gorge ornée d'un bouquet de barbeaux. La même année, à la vente de Watelet, « l'Innocence reconnue », grand sujet à l'aquarelle d'après Deshayes. En 1788, à la vente du 3 mars^ « la Mère en colère ». En 1789, à la vente du graveur de Coclers, « la Mort de Germanicus », composition de 30 fi- gures qu'on considérait alors comme une des plus belles pro- ductions de l'artiste. La même année, à la vente du 11 mai, deux gouaches représentant des intérieurs de jardins ornés de figures. En 1794, à la vente du citoyen Regnault, « Phryné en présence de ses juges », gouache qui a été le morceau de récep- tion de l'artiste à l'Académie. En 1795, à la vente d'Anisson Duperron, onze dessins de Baudouin et de Loutherbourg, pour

1. 27


314 L'ART DU XVII 1' SIÈCLE.

une illustration des Fastes de la ynaison de Bourhon. N'oublions pas qu'en 176G, à la mort de la marquise de Pompadour, huit sujets en miniature du Nouveau Testament, une Vie de la Vierge^ miniatures sur vélin, se vendaient 320 livres.


LA TOUR [and the rest]

LA TOUR


Quelquefois, dans ces collections d'amateurs lo- gées au quatrième étage d'une maison de Paris, et qui représentent l'occupation, la privation et la joie de toute une vie, il arrive d'apercevoir, sur un coin de mur, un petit cadre noir \ au bas duquel un bout de papier porte, d'une vieille écriture à l'encre jaunie, un nom qui se laisse à peine lire. Là-dedans, dans le châssis de sapin, sous un verre à vitre, il y a une feuille de papier quia dû être bleue autrefois, et qui a maintenant le passé du temps : elle est de travers dans le cadre, l'encadreur n'a fait que plier en quatre la grande feuille, et l'a fourrée tant bien que mal dans le bois noir. Vous regardez ce qu'il y

1. Ce petit cadre noir est le cadre dans lequel La Tour avait encadré toutes ses préparations, préparations qu'il semble avoir précieusement gardées jusqu'à sa mort, et dont il avait fait autour de lui comme un musée. C'est dans ces cadres noirs qu'on les retrouvait encore, il y a quelques années, au musée de Saint-Quentin.

I. 27.


318 LART DU XVIII» SIECLE.

a sur le papier : quelques coups de crayon de cou- leur heurtés, de larges lumières à la craie, des bala- fres de sanguine et de noir, rien que cela, — et c'est une tête. Vous regardez toujours; cette tête vient à vous, elle sort du cadre, elle s'enlève du papier, et il vous semble n'avoir jamais vu, dans aucun dessin de n'importe quelle école, une pareille représenta- tion d'une figure, quelque chose de crayonné qui fût autant quelqu'un de vivant. Et à mesure que vos yeux étudient, votre admiration croit devant cette brutalité créatrice et cette puissance d'animation, devant cette science incomparable de l'anatomie d'un visage humain, et l'armature des traits, et l'indica- tion dej'orbiculaire enchâssant les yeux, et le rendu prodigieux du sens et du lacis des muscles expres- sifs, des élévateurs du nez et de la lèvre, du ?'iso7'ius qui fait le sourire et l'ironie delà bouche... Qu'est-ce donc, cette tête dans ce mauvais cadre? Un premier jet, une ébauche, l'empoignement au premier coup dune ressemblance, ce qu'on appelle en langue d'art, une préparation de La Tour, — un de ces chefs- d'œuvre qui arrachait à Gérard ce cri d'humilité : « On nous pilerait tous dans un mortier. Gros, Giro- det, Guérin et moi, tous les G, qu'on ne tirerait pas


1. La Tour, par M. Charles Blanc. Histoire des peintres de toutes les Ecoles. Paris, Renouard.


LA TOUR. 319


II


La Tour naquit à Saint-Quentin en 1704 '. Son père était un musicien attaché au chapitre royal de la Collégiale. 11 eut l'enfance ordinaire et légendaire de presque tous les peintres : au collège, sous le principalat de Nicolas Desjardins, il couvrait ses ca- hiers grecs et latins, avec l'image de tout ce qu'il voyait, des croquis de la classe, de ses camarades, du magister et de sa férule ^ Cette vocation toucha peu son père, qui avait l'idée d'en faire un ingé- nieur, malgré sa vue courte. Cependant, en dépit des corrections, l'enfant persistait dans ses goûts, copiait à la plume toutes les estampes qu'il trouvait, mangeait son petit argent d'écolier à acheter des crayons et des modèles de dessin. Au milieu de


1. Nous donnons ici Tacte de La Tour, d'après M. Charles DesuKize [Maurice-Quentin de La Tour, 1854).

' Paroisse Saint-Jacques, année 1704.

« Le cinquième de septembre est né et a été baptisé parle soussigné, prêtre curé, Maurice-Quentin, fils légitime de M' François de La Tour, chantre, et de Reine Zanar, sa femme. Le parrain, M« Maurice Mé- niolle : la marraine, demoiselle Marie Méniolle, épouse de noble homme M-^ Jean Boutillier Tainé, ancien mayeur de cette ville, lesquels ont signé.

« Signé : M.\urick Mkmollk, Marie Méniolle, DK L\ Tour et Maillet, curé. >^

2. Les biographes parlent d'une vue de Saint-Quentin dessinée dans ce temps par le jeune homme, et offerte à Nicolas Desjardins. Le dessin conservé au musée de Saint-Quentin sous le n» 94, et attribué à La Tour père, ne serait-il pas cette vue?


3-20 L'ART DU XVIII« SIÈCLE.

ces essais, tombaient à Saint-Quentin des académies dessinées par le peintreVernansal, et apportées par un de ses élèves : le jeune La Tour les voyait, et, pris de la passion d'en faire autant, il déclarait vou- loir être peintre à son père, qui, pénétré d'idées bourgeoises, et sans nulle confiance dans ce métier hasardeux, opposait à cette fantaisie d'enfant un refus net et dur. Alors le jeune homme se sauvait à Paris : il avait à peine quinze ans.

L'intérêt de ces détails, que Ton trouve dans V Abecedario de Mariette, est de nous faire voir, con- trairement au récit du chanoine Du Plaquetetdu chevalier Bucelly d'Estrées, l'arrivée de La Tour sur le pavé de Paris, non plus en peintre déjà connu, mais en véritable échappé de collège, sans ressource, sans talent, armé déjà pourtant d'un caractère, et prêt à affronter la vie et l'avenir avec le courage des vraies vocations. Ne connaissant personne de l'art à Paris, et ayant lu sur une estampe le nom de Tardieu le graveur, il lui avait écrit pour lui deman- der aide et conseil; et Tardieu, croyant que le jeune homme voulait se faire graveur, lui avait répondu qu'il pouvait se mettre en chemin et venir le trou- ver. A son arrivée, quand le jeune homme lui eut dit qu'il voulait se faire peintre, grand embarras! Où le placer? Tardieu a l'idée dépenser à Delaunay, qui tenait boutique de tableaux sur le quai de Ges- vres. Là, La Tour est refusé. Vernansal, chez qui on le conduit, ne lui fait pas un meilleur accueil. Enfin il trouve à entrer chez Spoëde, peintre médiocre,


LA TOUR. 3>l

mais bonhomme, chez lequel il travaille avec la vo- lonté d'un homme qui a tout à apprendre et à con- quérir.

Les biographes saint-quentinois placent, tout au début de sa carrière, un voyage à Reims, où le peintre alla, disent-ils, ne se trouvant pas assez riche pour faire le voyage d'Italie, et désirant étudier les œu- vres laissées dans la ville historique par les artistes que le Sacre de nos Rois y attirait. Les détails si précis donnés par Mariette, et qui ne laissent aucun doute sur l'échappée de La Tour à Paris, nous per- mettent de reporter à une date bien plus présu- mable ce voyage du peintre à Reims. Rappelons- nous que La Tour est venu à Paris à quinze ans, c'est-à-dire vers 1719. Il y est resté quelques an- nées ^ Quelle occasion a pu vers ce temps le faire aller à Reims? N'est-ce pas le sacre de Louis XV, qui a lieu le 25 octobre 1722? La Tour a dix-huit ans ; il a reconnu la faiblesse des talents, l'insuffisance des leçons de son maître; il veut essayer sa fortune, travailler à sa guise. Quelle plus belle chance, pour les débuts d'un peintre de portraits inconnu comme lui, que le Sacre, le concours de tout ce monde, des célébrités, des étrangers, delà haute noblesse!

La même pensée, le même espoir, mêlé peut-être au désir d'étudier dans les Flandres Rubens et Van


1. L'accouchement, le Lô août 1723, d'Anne Bougier, une cousine de La Tour, eni^rossée par le peintre, indique un retour de La Tour dans sa ville natale en 1722. (Voir aux Notules Tinterrogatoire d'Anne Bougier.)


822 L'ART DU XVIII» SIECLE.

Dick, le mène, quelques années après ce séjour à Reims, à ce Congrès de Cambrai, indiqué depuis 1720 et ouvert en janvier 1724; grand congrès oui toutes les puissances de l'Europe envoyèrent pour termi- ner, entre l'Empereur et l'Espagne, les questions non réglées par la paix de Bade; grand congrès où, dans le long temps que dura l'assemblée, « les cui- siniers, au dire de Saint-Simon, eurent plus d'af- faires que leurs maîtres » ; vrai camp du Drap d'or de la diplomatie d'alors, dont le faste, la lutte rui- neuse, l'émulation folle à qui aurait le plus de car- rosses et d'équipages magnifiques, le plus de gentils- hommes, le plus de riches livrées de toutes façons, faillirent amener un règlement pour les entrées et la suite des ambassadeurs de toute l'Europe '. L'en- droit était bon pour toutes les industries de luxe qui y affluaient. Dans l'ostentation, l'entraînement de dépense, le mouvement de société de ce monde, il y avait de l'argent et de la notoriété à gagner pour un peintre. Un talent devait y être bientôt re- connu et prôné. A peine La Tour avait-il fait là quelques portraits, que leur ressemblance inspirait à chacun le désir d'être peint par le jeune peintre. Il peignait l'ambassadrice d'Espagne. L'ambassadeur d'Angleterre lui ayant offert un logement dans son hôtel à Londres, il passait en Angleterre. Le haut patronage sous lequel il se présentait le faisait réussir. Il ramassait des guinées, et, après un assez

1. Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon, 1858, vol. XVIII.


LA TOUR. 323

court séjour, il revenait à Paris avec les germes d'un vrai talent et un peu d'or qui assurait la liberté à son travail. Toutefois, craignant de perdre à Paris le bénéfice de ses succès de Londres, sachant l'ins- tinct de l'homme et du Français à admirer les ta- lents de l'étranger, le rusé Picard avait la spirituelle idée d'exploiter le commencement d'anglomanie du siècle : il se donnait et se faisait annoncer comme un peintre anglaise


III


La Tour peignait ses portraits au pastel. L'irrita- bilité de ses nerfs, la délicatesse de sa santé, l'a- vaient forcé d'abandonner la pratique de la peinture à l'huile -. En se consacrant à ce genre de peinture


1. Éloge historique de M. Maurice-Quentin de La To»;*, peintre du Roi, conseiller de l'Académie royale de peinture et de sculpture de Paris, et honoraire de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts d'Amiens, fondateur de Técole royale gratuite de dessin de la ville de Saint- Quentin, prononcé le 2 mai 1788 à l'hôtel de ville de Saint-Quentin par M. l'abbé Du Plaquet. A Saint-Quentin, F.-T. Hautoy, 1789. — Mé- moires de la Société des sciences, arts, belles-lettres et agriculture de la ville de Saint-Quentin, 1834-36. Notice historique sur Maurice-Quentin de La Tour, par M. Bucelly d'Estrées.

2. Les amateurs doivent renoncer, croyons-nous, à voir ou à acheter de la peinture à l'huile de La Tour. Il n'en existe pas un échantillon authentique qui puisse servir de morceau de comparaison. Les têtes à l'huile exposées au musée de Saint-Quentin n'ont rien qui puisse justi- fier une attribution à La Tour. Une légende du pays voudrait lui donner une peinture possédée par M. Rigault : un portrait de fenmie, en man- telet de dentelle noire sur une robe rouge, des mitaines de satin aux mains. Trois petites touches sur le petit doigt, en manière de coups de pastel, ne suffisent guère à baptiser La Tour, ce portrait qui n'a pour


324 L'ART DU XVIIP SIECLE.

aux crayons de couleur, où il devait trouver son génie, il suivait son temps. Il obéissait à cette mode qui semblait ranimer et renouveler, dans la France du xvni^ siècle, le goût des crayons français du xvi^ Et qui sait s'il n'y eut pas dans sa vocation une in- fluence de ce passage de la Rosalba à Paris, en 1750 et en 1721? La Tour avait pu assister à ce triomphe du pastel, à cette fortune des crayons de la Téni- tienne, visitée par le Régent, recherchée du plus grand monde, écrasée de commandes et d'argent, sollicitée, suppliée pour un portrait par les Para- bère et les de Prie ', les plus grandes dames de la cour, prises au charme de cet art, donnant à la femme je ne sais quelle légère vie de nuage, un souffle de ressemblance dans une fleur de couleur. Quoi qu'il en soit, La Tour bénéficiait bien vite de cette popularité faite au pastel par la Rosalba. « Il mettait peu de temps à ses portraits, dit Mariette, ne fatiguait point ses modèles, les faisait ressem- blants, n'était pas cher. La presse était grande. Il devint le peinti^e banal. »

Vers ce temps, quelques portraits qu'il avait faits pour la famille de Boullongne, étant tombés sous les yeux de Louis de Boulogne, le premier peintre du Roi, y découvrant, sous le lâché du faire, le don


lui ni signature du faire, ni la recommandation d'une tradition bien au- thentique : portrait dailleurs fort ordinaire, et dans le genre de ceux que nous voyons journellement attribuer dans les ventes à Chardin ou à Tocqué.

1. Diario degli anni MDCCXX et MDCCXXI scritto di propria laano in Parigi da Rosalba Carriera, dipintrice famosa. In Venezia, MDCCXCUÎ.


LA TOUR. 325

natif qui met la ressemblance au bout d'une main de portraitiste, voulut voir La Tour, l'encouragea, lui promit un avenir s'il voulait travailler. Et ne se- rait-ce pas la voix de Boulogne qui, au milieu des compliments unanimes donnés à un portrait ter- miné du jeune peintre, lui Jeta ce conseil sévère : « Dessinez, jeune homme, dessinez longtemps^?» Grande parole qui sauva La Tour du métier. Renon- çant au gain, aux faciles succès, il resta deux ans sans peindre, enfermé et enfoncé dans l'étude du dessin ; et de ces deux ans passés à se chercher, des années d'efforts qui les suivent, conseillées et gui- dées par l'amitié de Largillière et de Restout-, il sort ce grand dessinateur, le plus grand, le plus fort, le plus profond de toute l'école française, le dessinateur physionomiste; il sort ce pastelliste tout nouveau, s'élevant à la puissance, à la solidité, à toutes les énergies de l'effet, avec ces crayons de ten- dresse et de caresse, uniquement faits, semble-t-il, pour exprimer le pulpeux du fruit, le velouté de l'é- piderme, le «duvet» des habillements du temps; il sort ce créateur du pastel, qui de cet art de femme

1. Notice (le Du Plaquet.

2. « ... Il m'avoua qu'il devait infiniment aux conseils de Restout, le seul homme de talent qui lui ait paru vraiment communicatif ; que c'était le peintre qui lui avait appris à faire tourner une tête et à faire circuler l'air entre la figure et le fond, en reflétant le côté éclairé sur le fond et le fond sur le côté ombré; que, soit la faute de Restout, soit la sienne, il avait eu toutes les peines du monde à saisir ce principe, malgré sa simplicité; que lorsque le reflet est trop fort ou trop faible, en général vous ne rendez pas la nature ; que vous êtes faible ou dur, et que vous nêtes plus ni vrai ni harmonieux. » Le Salon de 1769, par Diderot, publié par M. Walferdin, /feuue de Paris., septembre 1847.

ï. 28


326 L'ART DU XVIIP SIECLE.

s'adressant à la femme, des dessins de la Rosalba, de cette peinture de coquetterie flottante, à demi fixée, volatile, pareille à la poussière de la grâce, tire et fait lever un art mâle, large et sérieux, une peinture d'une telle intensité d'expression, d'un tel relief et d'une telle illusion de vie, que cette pein- ture arrive à menacer, à inquiéter toute l'autre peinture, et qu'un moment, les portes de l'Acadé- mie se ferment par peur, au genre du Maître '.


IV


La Tour commence à exposer en 1737. A cette première exposition, il est remarqué, reconnu : le Mercure signale l'effet de son envoi sur le public.

L'année suivante, dans le flux et le reflux des spectateurs, la foule s'arrête, stationne devant ces

L L'Académie résout de ne plus recevoir de peintres en pastel. Zc/^re sur la peinture, la sculpture et V architecture, 1749. — Sur cette résolu- tion, un peintre en pastel, du nom de Loir, quitte le pastel pour la sculpture. C'est ce Loir, et non La Tour, qui avait déjà modelé un portrait de Vanloo et une figure du satyre Marsyas. Réflexions nouvelles d'un amateur des beaux-arts. — A mesure que les succès de La Tour grandissent, ce mouvement d'hostilité, dejalousie contre le pastel s'ac- cuse plus nettement. Le Jugement d'un amateur sur l'exposition des ta- bleaux dit en 1753 : « M. La Tour a poussé le pastel au point de faire craindre qu'il ne dégoûte de la peinture. » La même année, le Salon se plaint de ce « qu'on préfère le pastel pour les portraits » ; et le cri- tique attaque le pastel, sa crudité, sa poussière farineuse, sa touche t dure et désagréable, que l'art et le talent ne peuvent sauver. Il est vrai que la glace lui donne un vernis brillant, mais elle déguise les défauts sans les détruire. Elle n'empêche pas que le grain du crayon ne se détache par la suite, et que la fleur de la peinture ne disparaisse peu à peu. L'esprit qui anime les pastels de M. de La Tour en a imposé, •>


LA TOUR. 327

portraits frappants de vérité, dont le Mercure note brièvement et naïvement le succès, en les marquant de l'astérisque avec lequel il désigne les morceaux les plus remarqués au Salon. Le public va au Res- tout, à ce joli portrait de Mademoiselle de la Bois- sière, que nous retrouvons dans la gravure de Petit, avec son attitude aisée, naturelle, et selon le mot du temps « artistement négligée » : tête nue, en coiffure plate, à demi souriante, la mine intelligente, malicieuse, les yeux noirs et éveillés, charmant type de la laide piquante, enveloppée dans cette toilette à la polonaise, de soie, de fourrure et de dentelle, qu'aime le pastelliste, les deux coudes appuyés sur la pierre d'appui d'une fenêtre, les deux mains ca- chées dans un petit manchon qui raccommoderait, dit l'auteur de la Lettre à. la marquise S. P. /?., les femmes les plus brouillées avec ces petits man- chons '.

En 1739, le portrait populaire de l'exposition de La Tour était le père Fiacre, quêteur des PP. de Nazareth, un personnage des plus répandus dans le monde et que venaient reconnaître au Salon tous les enfants de Paris; « portrait impatientant de ressem- blance », s'écrie un critique. Un nouveau côté du talent du peintre apparaissait là : devant ce person- nage marqué de tous les symptômes de son état et de tous les signes de sa robe, commençait dans le public la reconnaissance du singulier génie de La

1. Description raisonni'e des tableaux exposés au Louvre. Lettre à M""" la marquise de S. P. R. 1738.


328 L'ART DU XVIIle SIÈCLE.

Tour à peindre le métier, l'état, le caractère social de ses personnages *. Et le succès de son Salon l'a- menait à peindre, à quelques mois de là, la maî- tresse du Roi, Madame de Mailly^

En 1740, son exposition de trois pastels est un triomphe. Les gazettes parlent d'une explosion d'ad- miration.

En 1741, le pastelliste, jaloux d'élever et d'agran- dir son genre, arrivait à l'exposition avec un portrait composé et de dimension supérieure à toutes ses autres œuvres. Il montrait dans un grand pastel, — un tableau, comme il est dit dans le livret du Salon, — le président de Rieux, vêtu d'une simarre noire et d'une robe rouge, assis dans son cabinet, sur un faufeuil de velours cramoisi, adossé à un paravent, et ayant sur sa droite une table couverte d'un tapis de velours bleu enrichi d'une crépine d'or; grand morceau qui faisait s'extasier sur chacun de ses dé- tails : la perruque, le rabat, la dentelle, la légèreté du cheveu, la finesse de la trame du linge et l'apprêt de l'ouvrière, la délicatesse et le dessin immense de la dentelle, tout cela se voyait, se sentait. Ce n'était plus du crayon, c'était de la « Saxe même; M. de la Tour avait le secret de toutes les manufactures », La tabatière sur la table, une tabatière de ces Maubols entrelasséesj et une plume un peu jaspée d'encre sur ses barbes, étaient déclarées le dernier mot de l'illu-


1. Description raisonnée des tableaux exposés au Salon du Louvre. 1739.

2. « 23 décembre 1739. L'on peint actuellement Mme de Mailly en pastel. C'est un nommé La Tour. )^ Mémoires du duc de Lwjnes, vol. III.


LA TOUR. 3-39

sion. Un chef-d'œuvre sans prix, — disaient les cri- tiques et le public, parmi lesquels courait le bruit que le cadre et la glace seuls avaient coûté cinquante louis ^

En ITl^, l'année où deux pièces de vers du Recueil de Maurepas célèbrent son beau portrait de l'ambas- sadeur turc% c'est la même affluence, la même foule devant ses pastels. On les assiège, on ne veut pas les quitter, on y revient. La curiosité ne se rassasie pas de voir le portrait de Mademoiselle Salle -, « comme elle est chez elle », un portrait d'intimité, de déshabillé familier et galant, où la célèbre dan- seuse est représentée dans la vérité et la simplicité d'une pose d'habitude, assise sur un fauteuil de da- mas vert, « les bras à côté l'un de l'autre, les mains avancées vers les coudes » , sans gants, en habit cou- leur de rose^. Et cette année-là, il y a une recru- descence, un déchaînement de vers des Pesselier en l'honneur de la Tour\

Les expositions se suivent, les envois de la Tour se succèdent, l'enthousiasme augmente; les accla- mations de l'admiration publique étouffent l'envie,


1. Lettre de M. Poiresson-Chatnarande, au sujet des tableaux exposes au Salon du Louvre. 1741.

2. Recueil manuscrit de Maurepas , vol. XXXI.

3. Ce portrait, décrit en 1741 dans le Mercure, fut sans doute exposé cette année-lk, sans être mentionné au livret, après l'impression duquel il est à présumer qu'il arriva, comme certains autres pastels de La Tour. —Voyez sur le « chez elle » des grandes danseuses et des grandes chanteuses de l'Opéra du temps les curieux détails donnés par le Code de Cythère ou Lit de Justice d'amour. A Érotopolis, 1746.

4. Mercure de France, septembre-octobre 1741,

I. 28.


î30 L'ART DU XYIII* SIÈCLE.

la jalousie, déchaînées par ce genre de peinture qui fait déjà concurrence à la peinture à l'huile, lui prend de ses clients et de sa gloire, lui enlève dep talents comme Goypel ne peignant plus qu'au crayon et devenant le charmant pastelliste du portrait de Madame de Mouchy en toilette de bal masqué.

En 1745^ par les portraits du Roi, du Dauphin, du ministre d'État, Orry, La Tour touche à la cour, à ce Versailles oii il va demain avoir ses grandes entrées et faire éclater tout haut ses caprices.

En 17i6, il donne au Salon le portrait de Mont- martel. On croirait voir le Roi de l'argent du temps, dans ce financier que nous représente la gravure de Cochin*, tranquille et majestueux, le regard hautain et froid, la bouche grande et fermée, assis pesam- ment et carrément, les jambes croisées, dans la sereine et sévère digestion du million , un peu ren- versé dans son fauteuil doré, les bas roulés, le bro- cart tendu sur un ventre arrondi, les mains au repos


l. Il faut s'arrêter ici sur uue indication qui n'a fait réfléchir aucun des biographes de La Tour. La gravure de ce portrait porte au bas la mention : « La tête seulement d'après M. La Tour, l'habillement et le fond dessinés et le tout conduit par C.-N. Cocliin. » A l'extrême rigueur, cela pourrait s'entendre d'une gravure dont la tête aurait été faite d'après l'original et le restant d'après une réduction dessinée par Cochin. Mais nous trouvons au bas d'un autre portrait en pied, celui du maréchal de Belle-Isle : De La Tour effigiem pinxit ; Moitié, sculptor régis, tabulam integram delin. et sculp. » Dans ce portrait encore, la tête seule est attribuée à La Tour. Ces deux mentions positives, si on les rapproche du peu de détail accordé k ces deux pastels par les cri- tiques de Salon, pastels perdus d'ailleurs, et sur lesquels on ne peut vé- rifier la touche de La Tour, ces deux mentions attestent sans réplique que ces deux portraits, sans doute d'une dimension semblable à ses têtes ou à ses mi-corps ordinaires, ont été ainsi agrandis et arrangés


LA TOUR. 331

dans des manchettes de Valenciennes, sur les cha- marrures superbes de son habit. Et que d'opulence l'encadre! La rocaille s'élève tout autour de lui à une espèce de somptuosité ronflante; et l'écrasante splendeur du rococo éclate dans ce cabinet, ces boiseries, ces tapisseries, ces ors, ces cuivres, ces sculptures , ces ciselures , cet éblouissement de meubles chantournés qui sont des bijoux d'art. Estampe magnifique : la Richesse n'eut jamais de plus riche portrait.

En 1747, le nouvel académicien^ envoie au Salon onze pastels que la notoriété diverse des person- nages, grands ou connus, recommande à l'intérêt. Le portrait de l'abbé Le Blanc était reconnu pour un des plus forts pastels de La Tour, celui de M. de Mondonville pour un des plus piquants. On trouvait dans ce dernier, paraissant écouter si son violon est d'accord, un admirable naturel d'attitude, une ex-


pour la gravure par des mains étrangères. Quoique nous ayons entendu dans la bouche d'une fille de M. Lebas de Courmont, le traducteur de VascuH et un des amis de La Tour, cette tradition, qu'elle tenait de son père, que La Tour ne peignait jamais que la tête et qu'il renvoyait à, un spécialiste pour les étoffes, cette terminaison de ses pastels par un autre pastelliste ou graveur n'a dû être que très accidentelle dans l'œuvre du maître. Nous en avons pour preuve Tharmonie générale, le travail d'une même main de ses pastels ordonnancés, la grande part d'éloges faite au portraitiste par le temps, pour sa science des détails, des étoffes, des accessoires dans les portraits de Rieux et de la Pom- padour, pour cette illusion de vérité des objets, des livres, des porce- laines que le grand peintre sait toucher d'une touche si personnelle, et dont il accompagne avec tant de goût ses figures.

l. La Tour avait été nommé agréé de l'Académie le 27 mai 1737. Il fut reçu académicien le 24 septembre 1746, et élu conseiller le 27 luars. 1751. Note communiquée par M. Duvivier.


332 L'ART DU XVIII' SIÈCLE.

pression parlante, une flamme des yeux où se voyait l'impatience de l'inspiration et le génie du mu- sicien ^

En 1748, La Tour avait une exposition encore plus nombreuse. Sa liste commençait comme la première page de l'Almanach royal : le Roi, la Reine, le Dau- phin. Et les portraits de la Reine, celui du duc de Belle-Isle, celui de Dumont le Romain dans sa robe de chambre rayée, étaient proclamés comparables à ce qu'il avait fait de plus beau^

En 1750, l'année où des vers du Meixure nous ap- prennent qu'il a sur le chevalet le portrait de Sylvia, le Salon est pour La Tour une victoire , et une vic- toire sur un rival que sa supériorité de dessinateur relègue d'un coup au second rang. Il y avait un agréé dont les pastels, depuis 1746, portaient ombrage à La Tour. « Il craignait, dit Diderot, que le public ne pût sentir que par une comparaison directe l'inter- valle qui les séparait. » Une idée d'assez vilaine malice vient à La Tour : il propose son portrait à peindre à son rival. Celui-ci s'y refuse par modestie. La Tour insiste, le presse, décide enfin, à force d'in- sistance, l'innocent artiste, qui peint le maître en surtout noir^. Pendant qu'il travaille, La Tour se met sournoisement de son côté à se peindre. Arrive l'exposition. Perroneau, c'était Tagréé, expose le


1. Lettre sur l'exposition des ouvrages de peinture de l'année 1747.

2. Réflexions sur quelques circonstances présentes, contenant deux lettres sur V exposition des tableaux au Louvre cette année 1748.

3. Salon de 1750.


LA TOUR. 333

portrait du maître, un La Tour en surtout noir, en gilet de brocart rose galonné d'or, la main passée dans le jabot de dentelle, — un très beau et très fin portrait qui tient aujourd'hui vaillamment sa place au Musée de Saint-Quentin, au milieu de tous les pastels de son grand rival. La Tour cependant semble avoir malignement posé pour ce portrait, un lende- main déplaisir^ relevant de fatigue; sa figure encore jeune, matoise et futée, se laisse voir là, usée et tirée, avec le teint et la paupière rougis d'un roué. Mais au beau milieu de ce succès de Perroneau, voilà le portrait de La Tour par La Tour qui paraît-. La Tour s'est entendu avec Chardin pour le placer à côté du portrait en surtout noir. Et Perroneau est tué par le voisinage. La Tour avait fait un tour de fourbe. Du reste, Perroneau s'en releva. Contraire- ment à l'assertion des biographes de La Tour, son concurrent ne s'expatria pas en Danemark. Il resta en France, et les Salons de 1751, de 1753, de 1755,


1. Un livre du temps, rare et inconnu, qui révèle un La Bruyère re- ligieux du xvm« siècle, VÉcole de l'Homme, 1752, lance à ce propos cette épigramme amère à La Tour: « Prends ton temps pour te peindre, ambitieux T aurai ; tu es en bonne humeur, tes yeux brillent, tu as le teint clair et vif. Saisis le moment; peins-toi. Une longue insomnie te rend aujourd'hui le visage terni, tu as la vue chargée par un cruel mal de tête, tu es bouffi, méconnaissable. Qu'attends-tu? Peut-il y avoir un instant plus propre pour faire faire un portrait qui ne te ressemble pas? Ne réchappe point; cours chez ton rival, aide encore l'occasion qui travaille contre lui : fais-toi peindre; paye, et largement. »

2. Ce portrait n'est point, comme le dit Diderot, le portrait de La Tour en chapeau rabattu, la moitié du visage dans la demi-teinte et le reste du corps éclairé, exposé en 1742. Ce n'est point non plus le por- trait riant exposé en 1737 et publié par Schmidt en 1713. C'est un por- trait qui figurait parmi les quatre têtes anonymes exposées en 1750.


331 L'ART DU XVIIP SIÈCLE.

nous le montrent avec une réputation vivante. Il semble le peintre officiel des demoiselles de l'Opéra, des demoisillons à noms amoureux et vagues, qui s'appellent au livret : Mademoiselle Rosalie, Made- moiselle Silanie. En même temps, des princesses, comme la princesse de Gondé, lui donnent la préfé- rence sur La Tour. Enfin, des académiciens tels que Lemoyne, Adam, Oudry, continuent à demander à ses crayons leurs portraits ou ceux de leurs femmes. Et Ton aurait tort de faire, à côté de La Tour, une si petite figure de son émule : dans ce portrait qui nous reste de lui au Louvre, d'un homme en habit gris, le ragoût des petites touches, le modelage dans le tapotage, le travail artiste, léger, spirituel, le verdâtre corrégien des demi-teintes d'où s'enlèvent des tons de santé et le rose du front, du nez, des pommettes, du menton, l'animation riante de toute la tête , nous montrent un artiste que La Tour a eu raison de redouter, et qui, en marchant derrière lui, a souvent dû l'atteindre ^

En 1753, le public, tout accoutumé qu'il était à cette féconde production de chefs-d'œuvre par le portraitiste, ne laissait pas que d'être un peu surpris en lui voyant exposer dix-huit portraits. Au milieu de cette véritable galerie, la curiosité se pressait devant un portrait de Rousseau qui avait manqué se


\. Perroneau est un coloriste supérieur à La Tour. Il y a de la lu- mineuse école anglaise, du Reynolds dans son pastel, et je ne con- nais rien d'aussi franchement charmant que son portrait de garçonnet possédé par M. Groult.


LA TOUR. 33r.

fâcher avec son peintre, dit Fréron , pour s'être trouvé trop mollement assis sur une chaise garnie de paille et dont les bâtons étaient ornés de pommes : un banc, une pierre, ou même la terre, il n'aurait voulu que cela^ La préférence des amateurs se portait sur Madame Lecomte , la maîtresse de W'a- telet, tenant un papier de musique d'une main qui semblait sortir du cadre, au bout d'un bras ayant le clair-obscur et la couleur d'un morceau peint à l'huile ^ Ils faisaient aussi grande estime du portrait de Silvestre , touché de cette façon avec laquelle La Tour semblait vouloir parler spécialement au goût des peintres. Car, presque dans toute sa longue car- rière et à toutes ses expositions, il est à noter que le pastelliste eut deux manières : l'une pour le public, l'autre pour les artistes, la première fondue, la se- conde libre et heurtée. La remarque en avait déjà été faite en 1741, lors du contraste entre le faire du président de Rieux et celui du nègre; en 1716, entre le Restout visant à l'effet presque brutal par les touches posées, non mariées, du visage, et le Pâris- Montmartel d'un travail si moelleux et si raccordé.

1. Ce portrait, dans lequel Diderot ne voyait que « l'auteur du Devin de village, bien habillé, bien peigné et ridiculement assis sur une chaise », d'abord destiné à M""* d'Épinaj', fut donné par Rousseau à la maréchale de Luxembourg. La Tour fit de Rousseau un second por- trait, que Rousseau voulut bien accepter, et duquel il remercia La Tour en lui écrivant « que cet admirable portrait lui rendait, en quelque sorte, l'original respectable ». Un de ces portraits est à Saint-Quentin ; Vautre, selon une indication de M. Mantz, serait chez M. Coindet, de Genève.

2. Observations sur les ouvrages de MM. de l'Académie de peinture et de sculpture, 1753.


336 L'ART DU XVIIP SIECLE.

A ce moment, vers cette exposition , la manière ar- tistique de La Tour commençait à dominer chez lui ; et au Salon de cette année, la critique constate l'en- traînement du pastelliste à cette touche moins ca- ressée, même dans ses portraits de femme^


La Tour est maintenant arrivé à la plus haute for- tune de l'art. Le voilà connu, célèbre, en pleine possession de sa réputation. Il est du monde, de la plus grande société, de la meilleure compagnie, des dîners du lundi de Madame Geoffrin, oii Mariette le voit \emv assidûment pendant des années. Il est de cette agréable et opéradique société de M. de la Pope- linière à sa maison de Passy'. 11 est de l'intime familiarité du ministre Orry. Il a les plus charmantes, les plus flatteuses relations, des liaisons de grands seigneurs, de littérateurs, de savants. Son atelier, dans son logement du Louvre, ce palais dont l'an- cienne monarchie avait fait l'hôtel royal de l'Art, son atelier au n° 8^ voit passer tout le siècle : NoUet, son bon voisin, Crébillon, l'abbé Hubert, dont il aimait tant la conversation; le vainqueur de Fon-


1. Sentwients d'un amateur sur l'exposition des tableaux du Louvre, 1753. — Lettre à un ami sur l'Exposition des Tableaux faite dans le grand salon du Louvre le 25 août 1753.

2. Mémoires de Marmontel .

3. Ce logement fut accordé à La Tour en 1750.


LA TOUR. 337

tenoy, auquel il lit avoir, selon une légende des bio- graphes, sa pension de 200,000 livres sur les états d'Artois; Paulmy d'Argenson , Mondonville, Buffon, la Condamine, Duclos, Helvétius, Dupuis, d'Alem- bert. Diderot, tout le personnel de l'Encyclopédie, TAcadémie des philosophes; Restout qu'il appelait <f son maître », le sculpteur Lemoyne qui a fait son buste*, Pajou, au mariage duquel, il assistait comme témoin, Gravelot, qui lui dessinait l'encadrement de ses portraits gravés, Carie Yanloo, Pigalle, Yernet, Parrocel, Greuze. Il gagne tout l'argent qu'il veut. A sa table largement servie s'asseyent tous les jours des compatriotes, des amis, dont il promène l'après- dînée avec lui dans le jardin de l'Infante-. Au milieu de cette vie de large aisance, d'une simplicité opu- lente, frottée à toutes les gloires, à tous les grands talents du temps, un billet d'ami, de l'abbé Le Blanc ^ nous montre l'artiste passant de son atelier dans les coulisses, allant perdre la fatigue de son travail dans des parties avec les comédiennes, gaies parties, fins soupers, soirées délicieuses, d'où devait sortir la passion qui remplira la vie du célibataire, et fera à l'octogénaire boire ses derniers verres de vin à la mémoire de sa maîtresse. Nommer la femme, la

1. C'est aux diners de Lemoyne, où venaient Le Kain, l'avocat Ger- bier, Grétry, que iM°« Lebrun tit connaissance de La Tour. Voyez ses Mémoires.

2. Mémoires de Diderot. Septembre 1765.

3. Lettre de l'abbé Le Blanc à La Tour, sans date. Remise au lende- main d'une partie qui n'a pu s'exécuter jeudi à cause d'une répétition dont M"« (le nom est biffe) ne pouvait se dispenser. Catalogue de La- verdet. Octobre 1862.

I. 29


338 L'ART DU XVII^ SIECLE.

chanteuse pour laquelle le poète Cahusac mourut fou dans les loges de Gharenton, du regret de ne l'avoir pas épousée^ ; la chanteuse pour laquelle le chroniqueur Grimm tomba malade de cette singu- lière maladie d'amour, de la léthargie que raconte Rousseau; la chanteuse qui créa la Golette du Devin de village y la chanteuse à la voix si légère, la chan- teuse « au timbre d'argent- » ; nommer Mademoiselle Fel, c'est expliquer ce grand et long amour de La Tour. Nous la retrouvons au Musée de Saint-Quen- tin; tête étrange, imprévue et charmante, qui semble dépaysée là, au milieu de cette galerie de femmes du xvui siècle, avec son front pur, ses beaux sour- cils , la langueur de ses grands yeux noirs veloutés de cils dans les coins, son nez grec, ses traits droits, sa bouche paresseuse, son ovale long, tout cet en- semble de physionomie exotique si bien couronnée par cette coiffure, un mouchoir de gaze liséré d'or, coupant le front de travers, descendant sur l'œil droit, chatouillant une tempe, et remontant sur le bouquet de fleurettes piqué à l'autre : ainsi l'on se figurerait une Levantine, rapportée d'Orient sur une page de l'album d'un Liotard ; ou plutôt telle on rêverait l'Haydée de Don Juan.

La Tour est riche, il est amoureux, il est heureux. Dans le portrait qu'a gravé Schmidt, où le peintre s'est représenté, dit l'annonce du Mercure de 1743, dans le négligé pittoresque de son costume d'atelier,

L Le Colporteur, par Chevrier. 2. La Bigarrure, vol. IX.


LA TOUR. 339

et OÙ son geste moque le carillonnage à la porte de Tabbé Hubert', La Tour, dans sa petite veste de travail, paraît jouir de l'existence et en respirer les joies. Une vie de bonheur rit dans l'homme, pétille dansl'éclairdesesyeux bleus, palpite dans la sensua- lité de ses traits,sur ses lèvres minces, sur sa bouche railleuse, sur son masque d'ironique gaieté. Dans cette tctc forte, carrée, spirituelle, épanouie et


1. De l'abbé Hubert, et non de l'abbé Le Blanc. Car, en dépit de l'al- légation de Bucelly d'Estrées aftirmant le goût de La Tour pour la conversation de l'abbé Hubert, il y avait des jours où le peintre en était fatigué. Nous en trouvons la preuve dans les deux descriptions que Schmidt donne, dans le catalogue de son œuvre, des deux portraits qu'il a gravés de La Tour :

« N" 50. Le portrait de La Tour. H est représenté à mi-corps, re- gardant par une fenêtre, sur laquelle il s'appuie, et montre de la main gauche une porte fermée qu'on voit dans le fond; il a lamine riante. Derrière lui il y a un chevalet. Voici l'occasion qui lui donna l'idée de se peindre dans cette attitude. M. de La Tour avait parmi ses amis un certain abbé qui venait le voir très fréquemment, et passait souvent une partie de la journée chez lui, sans s'apercevoir qu'il lincommodait quelquefois. Un jour, notre peintre, résolu de faire son propre portrait, avait fermé la porte au verrou afin d'être seul. L'abbé ne tarda pas à venir et à frapper à la porte. M. de La Tour, qui l'entendait et qui était dans l'attitude de dessiner, fit le geste de pantomime que nous voyons dans son portrait. Il semble se dire à lui-même : Voilà labbé, il n'a qu'à frapper, il n'entrera pas. Cette attitude iiyant plu au peintre, il prit le parti de s'y peindre... » — a N" 45. Le portrait du peintre de La Tour en ovale sur un chevalet. 11 est vu à mi-corps, tourné vers la gauche de l'estampe. La tête, vue de trois quarts, est coiffée d'une perruque et couverte d'un chapeau bordé, dont le bord est rabattu par devant. Vêtu simplement, il a une table devant le chevalet, sur laquelle il y a quelques livres, une boîte à pastels et des feuillets sur lesquels est écrit : Mau- rice Quentin de La Tour, peintre du roi et conseiller en son Académie royale de peinture et de sculpture. On voit encore derrière ce chevalet attaché au mur ce portrait de l'abbé, dont nous avons fait mention sous le n» 50. »

Or, quel est ce portrait? C'est le portrait de l'abbé Hubert, une figu- ration parfaitement reconnaissable du grand tableau de Saint-Quentin.


340 L'ART DU XYIIP SIÈCLE.

gouailleuse, au crâne déjà dégarni, dans cette figure de Démocrite et de Sçapin, il y a comme une félicité de cynique; et du peintre philosophe il semble qu'il se dégage la physionomie d'un Voltaire trivial, charnu, matériel, presque satyriaque.


Al


En 1755, La Tour n'exposait qu'un pastel : le por- trait en pied de Madame de Pompadour, de 5 pieds 1 /!2 de haut sur A pieds de large. C'est le pastel qu'on voit au Louvre.

Habillée d'un satin blanc où courent les bran- chages d'or, les bouquets de roses et les fleurettes, robe d'argent aux grandes manchettes de dentelles s'ouvrant au coude, au corsage enrubanné d'une échelle dont le violet pâle est tendre comme le calice d'un pavot lilas, Madame de Pompadour est assise sur un fauteuil de Beauvais, dans une attitude fami- lière qui retrousse un peu sa jupe et laisse voir un bout de jupon de dentelle, et sous le jupon deux pieds qui entre-croisent l'une sur l'autre deux mules roses au haut talon. Sa main droite appuie à peine, d'un geste qui voltige, sur le papier d'un cahier de mu- sique qu'elle tient de l'autre main, le bras plié et ac- coudé sur une console. Ses cheveux sont sans pou- dre. Son regard n'est point au cahier de musique; doucement distrait, il semble écouler, tandis qu'un


LA TOUR. 341

demi-sourire erre sur ses lèvres. Derrière elle, c'est une tenture bleue, coupée de baguettes dorées qui encadrent sur un côté un panneau de peinture : une marche de paysans dans un chemin de campagne. Auprès d'elle, sur un canapé, une guitare encore frémissante dort sur un cahier de musique. Sur la console où son coude repose, des volumes reliés en veau, comme des livres d'usage et des amis de tous les jours, montrent, à portée de sa main, la compa- gnie de son esprit : c'est le Pas(07' fido, sorti des presses d'Elzévir en 1659; la Hem-iade, vendue à sa mort sous le n° 7-21 de sa bibliothèque ; le tome III de V Esprit des lois et le tome IV de V Encyclopédie. A côté d'une sphère, un livre à couverture bleue à demi ouvert, portant sur le dos : «Pierres gravées», laisse pendre sur la console au pied d'or, une gravure au bas de laquelle on lit : Pompadour sculpsit, et ces mots : Repj'ésenlation de la situation ou est le gravew en piérides fines et des divers instruments... » Au bas, un carton noué de bleu, et armorié [aux trois tours, est le carton de l'OEuvre gravé de Madame de Pom- padour.

Dans ce portrait, qui est le grand effort de La Tour, et où il a tenté de faire son chef-d'œuvre, on peut voir toutes les ambitions du portraitiste. Au lieu de chercher, comme un Nattier, à enlever son modèle dans l'Olympe, dans une divinisation de mythologie, il travaille à l'asseoir devant l'Histoire dans une sorte d'immortalité de réalité. Il indique la virtuose avec ce papier de musique, la musique

I. 29.


342 L'ART DU XVIIP SIÈCLE.

d'un opéra des Petits Appartements, qu'il lui met k la main et dont il lui fait mourir l'harmonie aux lèvres. Il signifie la maîtresse avec cette pose, cet air distrait et occupé, cette attitude de trois quarts, ce regard « à vue perdue », cette attention à la can- tonade, ce sourire comme à un vague bruit de porte intérieure, à la venue espérée et attendue du Roi. Mais ce n'est pas assez. Rompant avec la tradition française des Rigaud et des Largillière, abandonnant les allégories flottantes, les pans de rideaux nobles, les colonnades pompeuses, les fonds tragiques et vagues inventés pour être l'atrium banal de tous les portraits solennels, La Tour ose cette révolution de mettre la personne qu'il représente dans le cadre de sa vie, dans le milieu de ses habitudes et le décor de son rôle. Pour compléter la physionomie d'un portrait, il songe à peindre autour du personnage la physionomie de ses entours et ce qu'il y a de son caractère dans les choses autour de lui. De même qu'il a représenté le président de Rieux au milieu de l'opulence du magistrat, il représente la favorite dans un appartement tout rempli d'elle, où vivent ses goûts, où sont ses livres, ses meubles, ses gra- vures, le charme et l'excuse de son règne. Dans ce mobilier, ces accessoires qui ne semblent qu'accom- pagner cette figure de la Pompadour, l'amour de l'art et la liberté d' idée s qui circulent parmi les objets autour d'elle, le grand et nouveau portrai- tiste a visiblement cherché à mettre la célébration, l'apothéose des pensées, des occupations, de l'esprit


LA TOUR, 313


et de Tàme de celle que Voltaire pleurera comme un philosophe '.


VII


Il y a sur ce portrait de la favorite une anecdote curieuse, et qui peint La Tour. Mandé à Versailles pour peindre Madame de Porapadour, il répond : « Dite^i à madame que je ne vais pas peindre en ville. » Pourtant un de ses amis le décide. Il promet donc de se rendre à la cour au jour fixé, mais à condition que la séance ne sera interrompue par personne. Arrivé chez la favorite, il réitère ses conventions, et demande la liberté de se mettre à son aise. On la lui

1. Jusqu'à cette exposition, la critique n'a guère pour La Tour que des éloges montés au ton d'enthousiasme de l'abbé Le Blanc. A peine y a-t-il un Lieudé de Septmanville pour mettre très injustement les pas- tels de La Tour au-dessous des pastels de la Rosalba et des pastels si durs, aux tons d'émail recuit, de Vivien. A ce Salon, la critique com- mence à critiquer. La Seconde Lettre à un partisan du bon goût conteste la ressemblance de la marquise, trouve que le portrait n'est i»as posé d'une manière avantageuse avec sa tête de trois quarts, ses regards perdus; que la coiffure, aux cheveux relevés par derrière et sans poudre, est peu gracieuse. La critique accuse La Tour d'avoir trop visé au portrait d'un philosophe dans un portrait de femme. Il est mécontent du dessin du col, qui, dans ses ombres fausses, ne lie pas la tête au corps, et des plis de la robe, dont on ne reconnaît pas l'étoffe, La Réponse à une lettre adressée à un partisan du bon goût reproche à La Tour d'a- voir enlevé k l'original toutes ses beautés, et place le portrait de M"" de Pompadour bien au-dessous du portrait que le peintre avait fait de lui- même, La Lettre d'un particulier à un de ses parents, revenant sur la po- sition désavantageuse de la tète, dit que si le pastelliste l'avait fait re- garder le public, il aurait évité • le désagréable de ce long et large retlet qui prend depuis Toreille jusqu'à la clavicule, et qui, caractéri- sant trop la pomme de la joue et la mâchoire inférieure, et donne des années de plus au modèle. »


344 L'ART DU XVIIP SIECLE.

accorde. Tout à coup il détache les boucles de ses escarpins, ses jarretières, son col, ôte sa perruque, l'accroche à une girandole, lire de sa poche un petit bonnet de taffetas et le met sur sa tête. « Dans ce déshabillé pittoresque, notre génie, ou, si l'on aime mieux, notre original commença le portrait. Il n'y avait pas un quart d'heure que notre excellent pein- tre était occupé, lorsque Louis XY entra. La Tour dit, en ôtant son bonnet : Vous aviez promis, madame^ que votre porte serait fermée . Le Roi rit, de bon cœur, du costume et du reproche du moderne Apelle, et l'engage à continuer : // iie m'est pas possible et obéir à. Votre Majesté^ réplique le peintre, je reviendrai lorsque madame sera seule. Aussitôt il se lève, emporte sa perruque, ses jarretières, et va s'habiller dans une autre pièce en répétant plusieurs fois : Je n'aime point à être interrompu '. )>

Telles sont les façons de La Tour. Le peintre à la mode use et abuse de la mode. Nul peintre n'a im- posé comme lui à son siècle la tyrannie de l'artiste et le bon plaisir du talent. Il faudra que le Roi, dont il est le locataire et le pensionnaire, subisse ses im- pertinences, pour avoir son portrait de sa main-. Le


\. Almanach littéraire, ou Elreunes d'Apollon pour l'année 1792.

2. Quand il est mandé pour faire le portrait du Roi, on l'introduit dans une pièce qui reçoit le jour de tous les côtés. « Ak! s'écrie La Tour, que veui-on que je fasse dans cette lanterne, quand il ne faut pour peindre qu'un seul passage de lumière? — Je l'ai choisie exprès à l'écart, répond Louis XV, pour ne pas être détourné. — Je ne savais pas. Sire, réplique Fartiste, que vous ne fussie::: pas le maître chez vous. » Un jour, il fati- guait le Roi par Téloge irritant qu'il faisait des étrangei'S. • Je vous crovais Français, dit le Roi. — Xon, Sire. — Vous n'êtes pas Français?


LA TOUR. 345

portraitiste n'achève pas les pastels des filles du Roi, de Mesdames de France, pour les punir de rendez- vous manques. LaDauphinene peut obtenir le sien, parce qu'elle a eu l'imprudence de vouloir changer l'endroit des séances, Fontainebleau, dont on était convenu, pour Versailles '. Mon talent est à )noi, disait fièrement La Tour. Avec les plus grandes da- mes, il faisait ses conditions, des espèces de traités; et manquait-on à la plus petite des clauses, il ne revenait plus; rien ne le ramenait, le portrait restait là. Consentait-il à les peindre, il était le maître ab- solu de la pose, des traits, du teint du modèle, et vengeait durement les portraitistes du siècle, du supplice d'obéir à toutes les exigences contempo- raines de la femme qui se faisait peindre -.


(lit le Roi d'un air surpris. — Xon, Sire : je suis Picard, de Saint-Quentin. - Une autre fois, raconte Chamfort, plaig'nant la France devant le Roi de n'avoir pas de marine, il s'attira cette fine riposte de Louis XV : « Kt Vernet donc? » Il disait au Dauphin, mal instruit d'une affaire qu'il lui avait recommandée : Voilà comme vous vous laissez toujours tromper par des fripons, vous autres ! C'esXÏhomme <\m se « vante de n'aller à la cour que pour dire leurs vérités à ces gens-là n ; un singulier type de don- neur de leçons au maître, dont la liberté déplacée, regardée comme une folie, amuse, fait rire et désarme. Almanach littéraire, 1792. — Salon de Diderot, 1763.

1. Abecedario de Mariette.

2, Donnons ici un amusant croquis de ce supplice des peintres de portraits d'alors : a Milord. On ne se livre pas à un artiste, on veut le diriger. — M. Rémi. On diroit, milord, que vous avez vu peindre quel- ques-unes de nos femmes. C'est une chose plaisante... Mais, monsieur. je ne suis pas pâle comme ça... Vous me faites de grands yeux bêtes, battus jusqu'au milieu du visage... J'ai la bouche moins grande, le nez pas si gros, le menton moins pointu... Voilà une clavicule excessive, des os menaçants sur la poitrine. Ensuite viennent les avis de la gale- rie, et le pauvre diable de peintre est obligé de tout écouter. — Milord. Et de tout faire. Il faut alors douner de la gorge, de petites bouches, des


••316 LART DU XVIII» SIÈCLE.

Avec la finance, son caprice va jusqu'à l'insolence. On connaît l'histoire de son poi'trait de la Reynière. Mécontent de son travail pour lequel il n'avait pas été inspiré, le peintre demande une dernière séance. Le jour fixé, le financier envoie un domestique dire à La Tour, déjà assis à son chevalet, qu'il n'avait pas le temps de venir. « Mon ami, dit La Tour au domes- tique, ton maître est un imbécile que je iiawmis jamais du peindre... Ta figure me plaît, assieds-toi là, tu as des traits spirituels, je vais faire ton portrait. Je te le i^edis, ton maître est un sot... — Mais, monsieur, vous n'y pensez pas! Si je ne retourne pas à l'hôtel, je perds ma place... — Eh bien, je te place?rii... Commençons. tt La Tour fait le portrait, M. de la Reynière chasse son domestique. La Tour alors envoie le portrait

bras ronds et potelés, du blanc à foison et du carmin surtout pour ani- mer les 3'eux, car à toute force on veut les avoir vifs. C'est un article sur lequel on ne peut jamais se relâcher; et puis les six boucles de chaque côté, ni plus, ni moins, la toque élevée, les sourcils noirs avec les cheveux blonds, les cheveux roux avec un teint de brune. — M. Fa- bretli. Je liinagine bien. Elles se voient dans leurs portraits comme elles sont, et veulent qu'on les rende comme elles seroient dans leur miroir. Aussi rien n'est dans la nature avec un teint factice, une coiffure, un habillement symétriques ; il est impossible d'avoir la vérité des Van Dick et des Rembrandt. En France, on doit trouver tout simple le costume indien : des pendants de nez, du jaune, du vert sur la figure et des des- sins à compartiments sur les bras et la gorge. — Milord. Ce devroit être. Cependant les femmes ne conçoivent pas qu'il y ait des pays dans le monde où on puisse décemment paroitre en compagnie sans l'épingle du milieu à la coiffure, sans les nœuds, le parfait contentement et autres, meubles de cette importance. On appellerait cela ici n'être pas habillée. Si j'étois peintre, je ne me prêterois point à toutes ces fantaisies. Je saurois les réduire, et il faudroit qu'après une bonne lessive on m'aban- donnât son corps tout entier pour en tirer tout le parti convenable... » Dialogues sur la peinture, 1773. A Paris, imprimé chez Tartouillis, aux dépens de l'Académie.


LA TOUR. 347

au Salon, l'anecdote s'ébruite, on veut connaître le spirituel valet d'un sot si riche, et bientôt il n'a plus que l'embarras du choix d'une place K

Y a-t-il seulement dans ce trait de La Tour l'ennui et le regret d'avoir peint un imbécile? N'y trouve- rait-on point une autre rancune contre le financier et sa richesse? Car le peintre est avide. L'estime qu'il fait de lui et de la valeur de ses œuvres le rend exigeant et âpre sur les prix qu'il en demande, et dont il semble proportionner la cherté à la fortune de ses modèles. En 17io, il se fâche presque avec son ami de cœur, Duval d'Épinoy, pour le payement de ce portrait envoyé au Salon avec ces vers qu'il avait fait graver sur la bordure :

La peinture, autrefois, naquit du tendre amoiir; Aujourd'hui, Tamitië la met dans tout son jour.

Mondonville, son ami, un de ceux chez lesquels il allait le plus familièrement, n'avait pas eu beaucoup plus à se louer de lui, à propos du portrait de sa femme. Avant de le commencer, madame de Mon- donville lui fait l'aveu qu'elle n'a que vingt-cinq louis à dépenser. Là-dessus, La Tour la fait asseoir et fait d'elle un portrait charmant. Enchantée à sa réception, madame de Mondonville tire aussitôt l'ar- gent de sa cassette, et, le mettant dans une boîte sous des dragées, l'envoie à son peintre. La Tour garde les dragées et renvoie l'argent. Madame de

1. iVo^/ee par Bucelly d'Estrées.


318 L'ART DU XVIIP SIECLE.

Mondonville imagine dans ce jeu une galanterie et se figure que La Tour veut lui faire présent du por- trait. Ne voulant pas être en reste de procédés déli- cats, elle lui fait remettre un plat d'argent man- quant, à ce qu'elle a vu, dans son buffet, et du prix de trente louis. Le nouveau présent n'est pas plus accepté que le premier; il est renvoyé, et madame de Mondonville apprend que M. de La Tour a mis à son portrait une taxe ordinaire de douze cents li- vres, et qu'il ajoute à cela qu'il ne doit avoir aucun égard pour des gens qui ne pensent pas comme lui sur le compte des Bouffons, dont la musique et les représentations comiques divisaient en ce moment tous ceux qui, à Paris, se piquaient de se connaître en musique.

L'argent semble également avoir joué son rôle dans le portrait de la Reynière. La Tour, paraît-il, avait faitentendie qu'il voulait dix mille livres du portrait du financier et de la financière. Sur cette prétention, M. de la Reynière prit le parti de laisser au peintre les deux pastels. Cependant, au bout de plusieurs années, lassé d'avoir ces deux figures dans son ate- lier, La Tour faisait signifier par exploit à M. de la Reynière de les reprendre, et, devant la menace d'un procès, le financier se résolvait à payer à La Tour quatre mille huit cents livres, le prix auquel les artistes Silvestre et Restout avaient réduit le payement de leur ami K

1. Abecedario de Mariette.


LA TOUR. 349

Enfin, sur les exigences de La Tour pour le fa- meux portrait de madame de Pompadour, donnons ce curieux renseignement perdu dans le Journal des A7'ts du 25 nivôse an VIII :

« Serait-il hors de propos de rappeler à ces hom- mes une petite anecdote sur le peintre de portraits au pastel, La Tour? Il venait de terminer celui de la marquise de Pompadour, et avait modestement de- mandé quarante-huit mille livres. Madame la mar- quise trouva les prétentions de l'artiste exorbitantes, et lui envoya vingt-quatre mille livres en or. La Tour, furieux, se promenait dans son appartement, criant à l'avilissement de son talent, lorsque Char- din, son voisin aux galeries du Louvre, l'aborde d'un grand sang-froid, et lui demande s'il sait combien tous les tableaux qui ornaient Notre-Dame, et au nombre desquels se trouvait le chef-d'œuvre de Le- sueur, ceux de Lebrun, de Bourdon, de Testelin, ont coûté. — Non. — Eh bien, calculez : quarante ta- bleaux environ à trois cents livres, cela fait douze mille six cents livres. . . Encore, ajoute Chardin, chaque artiste donnait-il le petit tableau aux marguilliers en charge... — La Tour se tut. »


VIII

Singulier homme que ce La Tour! Nature brouil- lée, complexe, bizarre assemblage des plus dispa- rates morceaux d'humanité. Rapace, écorchant les

I. 30


350 L'ART DU XVIII« SIÈCLE.

gens, pressurant le goût du temps pour ses portraits, il est tout à côté désintéressé, généreux, charitable. Grand seigneur dans l'aumône, il ne donne que de l'argent blanc. Il est tantôt bon, tantôt irritable et fantasque. Tout se mêle en lui, de petites vanités, de beaux orgueils, de la passion et de la ruse, des côtés de charlatan et d'homme de cœur, de la bourgeoisie à la Chardin et de la gentilhommerie à la Voltaire. Il est de Saint-Quentin et du xviii^ siècle, du temps de Rousseau et de M. de Montyon. De Londres, il est revenu avec l'indépendance du citoyen libre. On le voit, sauvage à la cour, bourru avec les puissants, insolent avec les riches, montrer un type de Duclos dans un paysan du Danube. Aux princes, il apporte comme une leçon la brochure de l'abbé Coyer sur le mot : Patrie^. Au maréchal de Saxe, il reproche le sang de sa gloire. L'n touche-à-tout, grand liseur, barbouillé, indigestionné de lectures et d'études, politiqueur hardi et frondeur, réglant les destinées de l'Europe en donnant séance à ses modèles-; un homme à systèmes, se créant pour lui-même un système de l'art, de la religion, de la médecine ^ ;

\. Le rédacteur des Mémoires de Condorcet place cette anecdote en 1788, et en fait une anecdote révolutionnaire. Il se trompe. La brochure de l'abbé Coyer parut en 1755.

2. Mémoires de Marmotiiel, vol. II.

3. Donnons, sur la médecine de La Tour, cette curieuse lettre, com- muniquée par M. J. Boilly aux A)'chives de l'art français, vol. II :

« Mon cher monsieur,

« Je suis fort sensible à Vhonneur de votre souvenir et de la charmante galanterie que vous me votdes faire de votre nouvelle édition de Londres. J'ai offert à monsieur votre cousin de lui fournir ce que vous souhaiterez de


LA TOUR. 351

plein de manies, ne faisant rien comme tout le monde, voulant toujours se distinguer de tous, donnant à deviner comment il venait de Paris à Passy chez M. de la Popelinière, sans monter en voiture, ni en barque, ni à cheval, ni sur un âne, sans marcher, sans nager : — en s'accrochant à un bateau qui le remorquait ', — voilà l'original.

Soyons juste pourtant pour cette originalité de La Tour. Elle se sauve, s'excuse et s'ennoblit chez lui par l'élévation de l'âme, la personnalité du carac- tère, la hauteur des aspirations de l'homme et du peintre, le sentiment qu'il a de la dignité de l'art, les prix qu'il fonde, les charités qu'il répand -, le grand

chocolat; il me fait grand plaisir d'apprendre qu'il vous fait du bien; je voudroia qiiil vous fît appeler à présent la jeune mine, quoiqu'on soit jeune tant que l'on se porte bien. Je crois que de l'eau à jeun est un bonpréser- vatif contre les maladies: elle nettoyé l'estomac, lave les reins et prépare une bonne digestion, en s'ij accoutumant peu à peu on peut parvenir à deux pintes par jour. Ceux qui suivent mon régime yn appellent leur sauveur. L'intérêt que je prens à votre santé me fait jouer ictj le râle de médecin d'eau douce; on n'est jamais aussi sûr des autres remèdes que de celuy-là : c'était l'axiome de M. Cocchi de Florence.

« J'ay l'honneur d'être, mon cher monsieur, avec la franchise et la cor- dialité d'un Picard,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

« De La Tour. <• Aux galeries du Louvre, le 24 (tvril 1774. »

1. Mémoires de M'^^ de Genlis, vol. L

2. La Tour fondait à Paris, en 1776, trois prix: le premier d'anatomie, le second de perspective, le troisième de demi-figure peinte, pour la rente desquels il remettait, le 27 avril 1776, 10,000 francs aux notaires devant lesquels fut passé l'acte de fondation que signaient Pierre, Du- mont-le-Roniain, Coustou, Doyen, Chardin, Cochin, Renou.

Il fondait un autre prix de 10,000 francs pour une médaille de .ôOO franc» k décerner k la plus belle action ou à la découverte la plus avanta- geuse dans les arts en Picardie.

Il consacrait une trentaine de mille francs k la fondation dans sa ville


352 L'ART DU XVIII« SIECLE.

exemple de modestie superbe qu'il donne seul dans le siècle en refusant la croix de Saint-Michel et la noblesse qu'elle confère.


IX


La Tour a au Louvre une grande et magnifique place. Il y est représenté par treize pastels d'un voi- sinage écrasant pour ses prédécesseurs , pour les pastels durs et noirs de Vivien, pour les pastels aimables et légers de la Rosalba. C'est d'abord la Pompadour, son grand tableau populaire; puis son portrait par lui-même', qui ressemble dans son

natale d'un bureau de charité chargé de fournir des vêtements à l'en- t'ant pauvre qui vient de naître, des secours à la femme du peuple en couches, des secours à Tartisan infirme.

Il fondait encore à Saint-Quentin, en 1778, d'après une indication du Mercure, qu'a relevée M. Mantz, une école gratuite de dessin, sur la- quelle il appelait, par une lettre du 21 septembre 1781, datée des galeries du Louvre, la protection de l'intendant d'Amiens, en le remer- ciant de protéger « un établissement qu'il a espéré devoir être utile à tous ses concitoyens ».

L'école de dessin de Saint-Quentin était reconnue a^ec le titre d'É- cole royale, par lettres patentes du mois de mars 1782, et. au mois de mars 1783, s'ouvraient les trois cours : géométrie et architecture, figures et animaux, fleurs et ornement.

Les premiers dons de La Tour pour la fondation de cette école étaient de 18,000 francs ; mais, reconnaissant l'insuffisance de cette somme, il y ajouta tous les ans des suppléments, qui, joints aux largesses dont il grossit ses autres fondations, élevèrent, dans un compte fait le 16 thermidor an IX, le principal des libéralités du peintre à 90,17 1 livres 3 sols 4 deniers.

1. Quelle métamorphose, dans ce vieillard inculte et diabolique, du La Tour jeune, du La Tour que nous montrent le portrait de M. La- grange et le portrait même de Perroneau, pimpant, le nez au vent, portant haut, monté sur ses 5 pieds 2 pouces, bien pris dans toute sa nerveuse personne, propret, coquet, recherché dans ses habits I


LA TOUR. 353

effacement et sa fonte, à un portrait de fantôme ironique dans une aube de couleurs ; le René Fré- min à la coloration puissante; le personnage au Saint-Esprit qui étonne par le miraculeux différen- ciement des trois noirs de son habillement, se tou- chant sans se confondre : le noir du velours de l'habit, le noir du satin de la doublure, le noir de la soie des bas; le Roi, le Dauphin, le maréchal de Saxe, la Marie Leczinska, un délicieux pastel où Ton admire cette si douce et si jolie tonalité de la figure, le rendu et le modelé de cette chair douillette, de ce teint de malade et de dévote, sur lequel jouent de tranquilles lumières et que ramènent au ton géné- ral de petits badinages de jaune pur dans le bleuâtre des demi-teintes. Un admirable dessin du sourire cache la bonté aux deux coins de la bouche. La pâte du pastel arrêtée à Tombre, qui n'est pour ainsi dire qu'un glacis de crayon, donne à toute la tête la transparence de la chair. Le pastelliste a fait des merveilles d'adresse et d'exécution dans cette robe agrémentée, comme les aimait la femme de Louis XV, tout enjolivée de fanfreluches, de passequilles, de pompons, entremêlée, enlacée de chenille, de cor- donnet^ de milanaise, d'or, de dentelle frisée, que piquent, de distance en distance, des touffes de cette passementerie qu'on appelait, je crois, soucis de han- netonK Pourtant ce portrait môme de Marie Lec-


1. Cette tète de Marie Leczinska semble devenir l'eftigie consacrée de la Reine. Les Mémoires de Z'<?/«es nous apprennent qu'eu mai 1747 il y avait dans les appartements de Versailles une exposition d'un eraiid

I. 30.


351 L'ART DU XYIII^ SIÈCLE.

zinska, si achevé, si complet, n est pas au Louvre l'œuvre la plus remarquable de La Tour. Il y a de lui un meilleur morceau, bien supérieur au grand portrait de M'"^ de Pompadour, quoiqu'il n'en ait ni rimportance ni la célébrité : c'est le portrait de la dauphine de Saxe jouant avec la monture d'un éven- tail renversé, — un coquet mouvement qu affectionne le portraitiste et qu'il a déjà donné à Marie Lec- zinska. Le travail du portrait de la reine est un peu froid, un peu sage : ici, dans la dauphine, quelle li- berté s'ajoute à la finesse du faire! Qu'on se figure une vraie chair d'Allemande, une admirable lumière bleu des yeux, un teint éblouissant que vergètent de santé de petites hachures rouges, la pommette des joues avivée dans leur doux vermillon avec deux ou trois égrenures de carmin, des tremblotements de crayon friable sur le fondu du pastel, des jeux de crayon d'une autre couleur qui tournent et jouent dans le sens des muscles, brisant, diversifiant la teinte générale, lui donnant la coloration rompue et nuancée de la chair; là-dessus, un dernier travail presque imperceptible de hachures de craie, éten- dant comme la trame d'un blanc laiteux sur toutes ces teintes assemblées; et çà et là dans le portrait, des miracles de dessin, de touche, d'éclairage, le re- flet de dessous le menton, les pâleurs de la gorge où trois petits crayonnages d'azur semblent mettre le bleu de veinules; et cette main! cette main délicate,

portrait delà Reine, par Vanloo. qui avait copié la figure sur le paste^ de la Tour.


LA TOUR. 355

de l'indéfinissable rose pâle d'une main de femme à demi éclairée, avec son coup de jour nacré et ces touches de lumière qui jouent sur le satiné de la peau et le perlé des ongles... Mais tous les mots peignent mal un tel portrait : il faut le voir, aller en respirer le charme devant le pastel même.


X


Qu'est le Louvre cependant pour l'histoire et l'étude de La Tour auprès du vrai musée du pastel- liste, de son musée à Saint-Quentin? Ici, ce n'est plus quatorze pastels : c'est une salle entière, gar- nie du haut en bas, peuplée, encombrée jusque sur le retour des murs des œuvres du Maître ; une col- lection de plus de quatre-vingts portraits terminés ou préparés, finis ou ébauchés, déroulant le défilé des contemporains, les ordres et les types du temps, montrant côte à côte, dans le coudoiement de la contemporanéité, le philosophe Rousseau et le finan- cier la Reynière, la danseuse Gamargo et le marquis d'Argenson, M. de Breteuil et le directeur de théâtre Monnet, la chanteuse Favart et l'économiste For- bonnais, le bouffon Manelli et le prince Xavier de Saxe, Moncrif et Parrocel, l'abbé Le Blanc, et Sil- vestre, et le tragique Crébillon, Ticonologie presque entière de Tépoque.

Stupéfiant musée de la vie et de l'humanité d'une société I Quand vous y entrez, une singulière im-


356 L'ART DU XVIII<= SIÈCLE.

pression vous prend, et que nulle autre peinture du passé ne vous a donnée ailleurs : toutes ces têtes se tournent comme pour vous voir, tous ces yeux vous regardent, et il vous semble que vous venez de dé- ranger dans cette grande salle, où toutes les bouches viennent de se taire, le xvin" siècle qui causait.

De cette foule, de ces cadres, de toutes ces figures où La Tour, selon la remarque de Gautier Dagoty, a si bien vaincu la difficulté de garder le lumineux de la peau sans la laisser noircir par le blanc de la poudre, se dégagent et se lèvent tout d'abord une tête et un tableau.

La tête, c'est le portrait de Silvestre coiffé d'un mouchoir lilas, en robe de chambre de lampas bleu à ramages; une admirable étude où la conscience et l'art ont tout rendu d'un masque de vieillard : la clarté de carnation froide des vieilles chairs, le bini- gnoné du teint, le travail des rides, le 'pli de l'amas des années, le chiffonnement puissant du front, les boursouflures flasques des joues et du menton, la sculpture tremblée de la vieillesse sur la face de l'oc- togénaire.

Le tableau, c'est l'abbé Hubert ^ — Le bon- homme d'abbé est représenté à mi-jambes, assis de côté sur un bout de fauteuil, le coude appuyé sur


1. Cet abbé Hubert, représenté dans ce inag:nifique pastel, nest iruère connu que par l'inspiration comique donnée par lui au portrait riant de La Tour, et par les tribulations qu'il valut à Rousseau de la part de M"* de la Popelinière, enveloppant tous les Genevois dans la haine qu'elle avait vouée à cet abbé genevois qui avait failli faire manquer son mariage avec M. de la Popelinière.


LA TOUR. 357

une table couverte d'un damas vert. Devant lui, un gros in-folio, relié en veau, se dresse sur deux gros volumes jetés l'un sur l'autre, et faisant pupitre. Une de ses mains disparaît, posée sur la page ou- verte ; l'autre joue dans la tranche rouge du volume d'où sort une marque blanche. La figure de trois quarts, l'abbé lit. Penché sur la table, son large es- tomac relevant le rabat gros bleu du temps qui s'en- vole à demi, les lèvres avancées, la mine gourmande, il semble enfoncé en plein dans une jubilation ec- clésiastique et une jouissance épicurienne de béné- dictin. On le voit sucer la moelle du gros bouquin, savourer des lèvres Tépellement des lettres, des li- gnes, de la page. Juché sur un carton, un chande- lier de cabinet à deux branches porte devant le lec- teur deux bougies; une seule brûle encore, faisant flamber sur le noir sourd du fond le prisme de sa flamme à base bleue, et au bout du lumignon char- bonné de sa mèche en feu, sa langue de lumière blanche ; de l'autre bougie, creusée, ravinée par uq fumeron, et qui a laissé pendre en grappes, en sta- lactites, en cascades, sur la bobèche, les énormes coulées de sa cire, il se lève en l'air les deux ronds de fumée d'une lumière éteinte à l'instant même. C'est tout le tableau. Un abbé, un livre et deux bou- gies, — de cela, La Tour a su faire, avec l'harmonie du vrai et l'intérêt de la lum.ière, ce chef-d'œuvre où, dans un cadre à la Chardin, le pastel s'élève presque à Rembrandt. Pourtant, ce n'est point encore là, dans tous ces


3.->8 L'ART DU XVIII^ SIÈCLE.

morceaux achevés, dans tant de portraits précieux, que se trouve pour ramateur la grande révélation, renchantement du musée de Saint-Quentin. Les pré- paralions lui révèlent et lui font goûter un La Tour de premier jet, peut-être supérieur à l'autre, le La Tour de ces études prodigieuses qui mettent un vrai visage, avec son premier mouvement, derrière le verre d'un cadre. Qu'on regarde sur le mur de droite, toute cette ligne d'esquisses posées sur la cimaise, cette rangée de têtes coupées qui font songer, sans qu'on sache pourquoi, à ces portraits de la Ter- reur, au bas desquels le bourreau a arrêté la main du peintre : le procédé disparaît, le pastel s'efface, la nature apparaît présente et toute vive, sans in- terposition d'interprétation et de traduction. Sur ces visages d'hommes et de femmes on ne voit plus les couleurs qui font le teint, mais le teint môme ; ce n'est plus de l'art, c'est la vie.

Merveilleux spectacle que ces figures dont l'exis- tence et le cou s'arrêtent, sur le papier bleu, dans quelques raies du dernier pastel employé et tout sale, ou bien dans les larges hachures d'un crayon brun! Leurs cheveux ne sont qu'une espèce de tampon- nage à la diable, ayant le massé et le nuage gris de la poudre, avec une noire hachure à grands coups au-dessus d'une apparence fuyante d'oreille ; et là- dedans, dans cet encadrement brutal, il y a un'e physionomie, prise au vol, fortement, victorieuse- ment, par une main de génie et de fièvre, par un maître hardi et inspiré à froid, en lutte enragée avec


I.A TOUR. 359

la nature, oubliant les règles, les principes, ce qu'il a appris pour ce qu'il voit. Ce sont des transparences de dessous de nez faites avec des touches de pur carmin, des appuiements de blanc de Troycs rayant de lumières cassées et ressautantes la fonte et le marbre d'une teinto, des fouettages de crayon, des bleus ou des jaunes purs brisant la platitude d'un ton, des sillons dans le courant des muscles laissant comme un passage d'étrillé sur la rondeur d'une joue, toutes sortes d'audaces arrachées par la verve du moment^ la vue du modèle, et qui jettent sur le papier, bien mieux que le pinceau sur la toile, la vivacité, l'intensité d'animation, le trompe-lVril mi- raculeux des traits et de la chair.

Et ces préparations sont des ressemblances où l'historien, l'observateur, le médecin, le physiolo- giste peuvent étudier le tempérament de l'individu. Le caractère de santé, d'âge, d'esprit, la constitution de l'homme ou de la femme, les variations de co- loris du sang, de la bile, de la lymphe, la particula- rité des natures, tout est exprimé par le pastel- liste.

Dans le plaisant de cette bouche, dans cette face fine et presque simiesque, dans l'ironie de ces yeux qui brillent sans point lumineux, ne retrouve-t-on pas le mystificateur grimacier, le mime philosophe du persiflage et des imitations, — d Alembcrt tout entier?

Cette figure ramassée sous cette ébauche de che- veux battus d'un flottement d'étoffe, ces yeux écar-


360 L ART DU XVIII» SIÈCLE.

quilles, ce nez polisson, court, épaté, sensuel, ce re- troussis d'une bouche habituée à jeter des lazzis au public, cette femme, le masque effronté de la ma- lice au village, — voilà Bastienne et madame Favart.

A côté, une autre apparition de théâtre : sur un fond frotté de bleu vif, d'un bout de chevelure pou- drée sortant d'un tire-bouchonnage de crayon noir, se détache une sèche petite figure, vivement mar- telée de tons bleus et roses qui la fouettent d'une vie rosée. Elle a le front spirituellement bossue, des sourcils noirs finement arqués, de ces yeux noirs qu'on appelait des pruneaux, un nez légèrement et délicatement busqué, une bouche sardonique, des traits affinés, ciselés et presque pinces, une char- mante maigreur de l'ovale et la vivacité de teint d'un tempérament nervoso-sanguin : — c'est la Ga- margo.

Voulez-vous la Pompadour vraie, celle de l'étude et non du portrait, la favorite bourgeoise, prise à cru et à nu, avant l'idéalisation du pastel officiel? La voici, l'œil à fleur de tête, l'œil bleu de faïence, un duvet très marqué au-dessus de la lèvre supérieure, le teint sans jeunesse, brouillé, chlorotique, trans- percé de bleuissements, truite comme dit une chan- son du temps, avec du rose fané aux pommettes et du vermillon pâle sur la lèvre.

Et à côté de ces têtes connues et célèbres que d'autres têtes anonymes sur cette même ligne, jeunes ou mûres, voluptueuses ou pensives, mutines ou profondes, devant lesquelles la pensée s'attarde


LA TOUR. 361


et s'oublie, cherchant et croyant retrouver à un signe une femme des Confessions de Rousseau ou rhéroïne d'un conte passionné de Diderot!


XI


Ces têtes de La Tour ne vivent pas seulement par la vérité de leur construction, la réalité de leur des- sin, l'illusion matérielle du physique de l'individu ; le peintre observateur saisit le moral de la ressem- blance. Il fait, en prodigieux physionomiste, le por- trait du caractère dans le portrait de l'homme. Ses visages pensent, parlent, s'avouent, se livrent. A tous, La Tour donne cet esprit et cette àme des yeux, le meyis oculoriun, l'expression par où sort et jaillit la personnalité. Les contemporains disaient juste- ment : Qu'on ôte à Mondonville son violon, il res- tera la figure de l'enthousiasme musical; qu'on dé- pouille Manelli de son costume théâtral, qu'on le décoiffe de sa perruque ridicule, ce sera toujours le type du bouffon ultramontain ; et qu'on regarde le portrait de M. de la Condamine, on sentira , on verra la surdité. Diderot méconnaît ce grand côté du talent de La Tour, quand un jour il ne veut recon- naître en lui qu'un grand praticien, un machiniste merveilleux. La Tour est plus que cela. 11 disait lui- même de ses m.odèles : Ils croient que je ne saisis que les ti'aits de leurs visages, mais je descends au fond

I. 31


\f,


36-2 I/ART DU XVIII' SIECLE.

ff'eux-înènics à leur insu, et je les remporte tout entiers^ Voilà ce qui chez le portraitiste dépasse le praticien : c'est l'effort et l'ambition d'être, avec ses crayons, un confesseur d'humanité. Entrer dans la peau de ceux qu'il peint par la fréquentation et un pénétrant commerce, les sortir d'eux-mêmes par la conversa- tion, les tirer à lui, les accoucher du fond et du se- cret d'eux-mêmes, les a remporter tout entiers », comme il dit, c'est là ce qu'il veut et ce qu'il lui faut pour ses portraits : embrasser toute l'individualité d'un personnage, signifier tout l'homme par le de- dans comme par le dehors, par la pose habituelle, le mouvement de nature, le geste échappé, l'attitude révélante, caractériser jusqu'à l'homme social par les marques de l'état ou les signes du métier, tels furent la haute idée, le grand rêve poursuivis par La Tour, et qui élèvent sa vue et sa gloire d'artiste au- dessus de celle d'un simple grand ouvrier d'art. Ecoutez-le lorsqu'il en jiarle : « // ny a dans la na- ture, ni par conséquent dans Vart, aucun être oisif. Mais tout être a di( souffrir plus ou 7noins de la fatigue de son état. Il en porte remp)reinte plus ou moins warquée. Le premier point est de bien saisir cette empreinte, en sorte que s'il s'agit de peindre un roi, un général d'ar- mée, tm ministre, un magistrat, un prêtre, un philo- sophe, un portefai/^, ces personnages soient le plus de leur condition quil est possible. Mais comme toute alté- ration d'u7ïe partie a plus ou inoins d'influence sur les

I. Tableau de Paris, par Mercier, vol. II.


LA TOUR. 363

autres, le second point est de donner à chacun la Juste portion d\iltération qui lut convienne, en sorte que le roîy le magistrat, le prêtre ne soient pas seulement i^oly magistrat, prêtre de la tête ou du caractère, mais soient de leur état depuis la tête jusqu'aux pieds... \ »

Gomme l'homme, La ïour peint la femme du temps en la pénétrant. Dans les portraits qu'il fait d'elle, il exprime les pensées et les réflexions qui oc- cupent la tête de ces « liseuses de Newton >>. Il lui donne la profondeur, la diversité et la complexité de sa physionomie. Tout en lui gardant sa poudre, ses mouches et ses modes, il l'élève au-dessus de ce joli de convention dont abusent les portraitistes d'alors. Il lui ôte ces airs de poupée éveillée qui font d'elle» dans la peinture courante, le type vide, creux et fripon, qu'on imaginerait à une « caillette » d'.4?i- goia. Le peintre de Marie Leczinska et de la Dau- phine de Saxe sait donner à la femme la douceur attentive, la bonté réfléchie, le sérieux de la grâce, les plus délicates significations du visage féminin au repos. J'ai là, de lui, sous les yeux, un portiait de femme inconnue, au collier de ruban bleu, au corsage de velours et de dentelle et de cygne : dans ses yeux clairs, aux paupières un peu abaissées et presque clignotantes, il y a le plus doux recueille- ment d'idées que l'on puisse imaginer, et sur la lèvre sérieuse glisse le plus méditatif des sourires. A côté de ce pastel, voici une préparation : la Dan-

1. I,e Salon de 1769, par Diderot, publié par M. Walferdin. lievue (Jf Paris, 1" septembre 1857.


36t L'ART DU XVII^ SIÈCLK.

iieville; l'expression ici est tout autre : c'est la mys- térieuse et énigmatique expression d'une Joconde sensuelle, une Joconde des Menus-Plaisirs. Dans ce carton entr'ouverl, cette image de la Sylvia, est-ce la folâtre et piquante figure qu'on attend d'une co- médienne italienne? Non, dans ces traits fins, ce regard perçant, ce masque délicat de perspicacité, on croirait voir le portrait d'un diplomate habillé en femme. Et comparez tous les sourires de femmes de La Tour, aucun n'est banal; chacun est person- nel, appartient à la personne, dessine et souligne un peu de son caractère, de son humeur, de son in- telligence, de son àme, de son cœur. Voyez par exemple, à Saint-Quentin, l'opposition de ces deux femmes qui sourient à côté l'une de l'autre : dans l'une, madame Massé, c'est le demi-épanouissement fin, délicat, voluptueusement spirituel, de cette qua- rantaine, qui est l'âge d'accomplissement de la femme du xvin^ siècle, un sourire noyé comme dans une douce réminiscence, répandu sur tout ce visage grassouillet, se continuant dans le riant modelage des fossettes des joues, mouillant presque la tendre gaieté des yeux; et à côté, quel contraste, dans ces lèvres de jeune fille poupine, innocentes, mouton- nières, ingénues, ouvertes à l'ignorance de la vie avec un sourire qui a la pure effronterie des dix-sept ans! — Là, comme dans tous ses portraits de fem- mes, La Tour se montre le dessinateur le plus ex- quis de la plus fine expression féminine : de la bouche.


TOUK. 30-)


XII


Nul peintre du xyiii« siècle n'eut, comme La Tour, le cerveau occupé, tourmenté, obsédé par l'idée et la conception philosophicfues de l'art. Dans l'effort de son talent, « dans cette lutte avec une nature in- grate qui s'opposait à ses progrès, » il a été l'artiste le plus méditant, le plus raisonneur avec lui-même, le plus appliqué h chercher les grandes lois et les secrets de la peinture. Pour le juger, l'embrasser tout entier, il faudrait avoir ses conversations en petit comité avec Diderot qui le déclare « bon à en- tendre », et qui nous a gardé du peintre cet échan- tillon de pensée et de critique originale à propos de la Petite Fille an chien noir et de la manche de che- mise manquée par Greuze :

(( L'orifjine de ce défant, disait La Tour, l'est anssi d'une infinité d'auti^es plus essentiels. Cela vient de ce qu on prêche de trop bonne heure aux enfants d'embellir la nature, au lieu de la rendre scrupuleusement. Ils se livrent au prétendu embellissement avant de savoir ce que c'est ; en sorte que quand il s'agit d'imiter servile- ment, comme il faut s'y résoudre dans ces petites choses, ils ne savent plus oh ils en sont...

« Les professeurs de notre école, reprenait-il, f^nt

deux fautes graves : la première, c'est de parler ti^op

tôt aux enfants de ce principe; la seconde, c'est de le leur

proposer sans y attacher aucune idée. D'oh il arrive,

I. 31.


366 L'ART DU XVIIP SIECLE.

qu'entre les enfants, les uns s'assujettissent en esclaves aux pi'opoi'tions de l'antique, à la rèfjle et au compas, d'où ils ne se tirent plus, et sont à jamais faux et froids: et que les auti'es s'abandonnent à un libertinage d'ima- gination qui les jette dans le faux et le maniéré, d'oif ils ne se tirent pas davantage.»

Il terminait en confiant à Diderot « que la fuj^eur d'embellir et d'exagérer la nature s'affaiblissait à mesure qu'on acquérait plus d'expérience et d'habileté, et qu'il venait uti temps oh on la trouvait si belle, si une, si liée même dans ses défauts, qu'on penchait à, la rendre telle quon la voyait, penchant dont on n'était détourtié que par r habitude contymre et par l'extrême difficulté qu'on trouvait à être assez vrai pour plaire en suivant cette route^. »

A rouler, à retourner ainsi et dans tous les sens la pensée fixe et la méditation des moyens et du but de l'art, à chercher des principes et des théories, à vouloir trouver la règle d'idéal de son métier, La Tour perdait peu à peu la spontanéité de son talent. Son esthétique à la longue paralysait son inspira- tion. Et comme il arrive à ces vieillesses de peintres, trop réfléchies, trop théoriciennes, il en venait à perdre le feu de son travail et de ses œuvres.

« J'ai vu peindre La Tour, dit Diderot; il est tran- quille et froid; il ne se tourmente point, il ne souffre point, il ne halète point, il ne fait aucune de ces contorsions du modeleur enthousiaste sur lequel on

1. Le Salon de 1769. par Diderot.


LA TOUR. -367

voit se succéder les ouvrages qu'il se propose de rendre, et qui semblent passer de son âme sur son front, et de son front sur la terre ou sur la toile. 11 n'imite point les gestes du furieux; il n'a point le sourcil relevé de l'homme qui dédaigne, le regard de la femme qui s'attendrit, il ne s'extasie point, il ne sourit pas à son travail, il reste froid '. »

Diderot écrit cela en 1767, c'est-à-dire à cette heure même du refroidissement de La Tour. Le peintre qu'il nous montre, c'est le sexagénaire au soir de son talent. L'apogée de force et de puissance de La Tour est autour de cette année 1712, l'année du pastel de l'abbé Hubert. Depuis longtemps, le coloriste s'alourdit. On lui reproche des tons bri- quetés qu'il n'avait pas à ses premières expositions^ et un travail d'estompagc qui fatigue ses pastels. Le portrait de madame de Pompadour n'a pas répondu à tout ce qu'on en attendait. Et en effet ce morceau capital et populaire de La Tour est loin de valoir, comme exécution, ses premières productions : la ligure delà favorite est plate, sèche, découpée; son teint ne vit pas; tout le pastel est pâteux, farineux, pelucheux, écorché. relevé de lumières dures et criardes comme dans les ors de la console. L'harmo- nie aimée de La Tour, et dont il fait presque tou- jours le fond de ses portraits et de ses préparations même, l'harmonie bleuâtre, rappelée partout dans ce grand tableau, y prend je ne sais quel alfadisse-

1. Le Salon de 1767, par Diderot.

2. Lettre sur la sculpture et l'arch'dertnre, 1749.


3GS L'ART DU XVIII" SIÈCLE.

ment, quelle tonalité fausse de papier à sucre. Mais h\ n'est point encore le déclin de La Tour; on peut suivre au Louvre la décadence du grand artiste, en allant de ce beau portrait de la Heine, de ce chef- d'œuvre, la Dauphine de Saxe, à ce portrait de Char- din, si lourd, si peiné, au ton de brique, sillonnée de craie, la barbe comme frottée de suie, toute la carnation allumée sans une lumière de chair, un vrai pastel de province, justifiant toutes les critiques des ennemis et des envieux du Maître. A Saint- (Juentin même, à côté des plus belles choses, il tombe à ce détestable pastel du père Emmanuel, où il est si indignement battu dans sa lutte avec le faire de Chardin pastelliste. On ne l'a pas assez remar- qué : dans cet art si chanceux, où le mieux est si périlleux, La Tour n'a pas échappé à une inégalité qui étonne souvent. Cependant l'enthousiasme de Tabbé Le Blanc s'est tu; et, dans la critique, il se fait tout doucement ce silence dans lequel se per- dront ses dernières expositions. Encore quelques années, et les Dialogues de la peinture parleront de son talent comme d'un talent mort. C'est déjà un talent glacé, perdu par les théories, un talent ne produisant guère plus rien de neuf; un talent mor- tel, entre les mains faiblissantes du peintre, à ses œuvres anciennes. Le vieillard a la manie de les re- prendre; il veut les retoucher avec l'acquit de ses nouvelles connaissances, et il les gâte ^ « Queldom-

\. «Il ne sait pas, dit Bachaninout, s'arrester à propos. Il cherche toujours il faire mieux qu'il n'a fait, d'oùil arrive qu'à force de travail-


LA TOUR. 369

mage ' ! » cntond-il dire autour de lui à propos de ces portraits refaits et défaits, h propos de ce por-

ler et de tourmenter son ouvrage, souvent il le gaste. Il s'en dégoûte, l'efface, et recommence, et souvent ce qu'il fait, est moins bien fait que ce qu'il avoit fait d'abord. De plus, il s'est entêté d'un vernis qu'il croit avoir inventé, et qui très-souvent lui gaste tout ce qu'il a fait. » 3Ié- moires de Wille, vol. II, note de Bachaumont.

1. Donnons ici une lettre de La Tour, adressée h M"« de Zuylen, qui fut depuis Mme Charrière, lettre publiée par M. Piot {Cabinet de l'ama- teur et de l'antiquaire, 1861-62), où La Tour parle du travail de ces re- touches, et se montre comme dans le déshabillé désordonné de ses idées :

« Mademoiselle,

i< Accablé de projets qui se heurtent et se croisent, d'embarras qui se multiplient, je nç saij le plus souvent que devenir ; quelque dissipation que je pi'enne, mes torts me suivent partout, et je passe mes jours à ne rien faire de ce que je devrais et voudrais ; quand je suis dans la meilleure in- tention, des importuns rne font remettre au lendemain, suivi d'autres lende- mains. Je profite de cet instant pour me jeter à vos pieds et obtenir le pardon que je crois mériter par la vivacité de mes regrets.

M Quand on a sçu enfiii où j'étais à la campagne, on m'a envoyé le joli étuy d'Aix-la-Chapelle , garni d'un billet digne de vous, aussi prétieux que vous-même. Le cœur et l'esprit plein de vos charmes, j'ai été enlevé au plaisir de vous en témoigner ma sensibilité, ainsi que le chagrin d'avoir perdu V occasion de recevoir M. le baron de Thuyl; il n'était plus à Paris lorsque j'y suis accouru. Je 7i' ai jamais été à la campagne si à contre-temps. Je voudrais bien que la curiosité de voir les fêtes de Mgr le Dauphin pût me procurer la satisfaction de vous prouver combien je suis et serai tou- jours plein de la plus vive reconnaissance et du plus tendre attachement pour tout ce qui porte le nom de Zuylen et de Thuyl. Je vous supplie de pré- senter mes hommages et mes souhaits pour tout ce qui peut être agréable à M. le baron, votre très-honoré père, 7nessieurs vos frères et monsieur et madame votre cher oncle et chère tante, mesdemoiselles de Mars, milord et milady, et tout ce qui vous appartient.

« J'ai l'honneur d'être, avec le dévouement le plus respectueux,

  • Mademoiselle,

« Votre très-humble et très-obéissant serviteur, « Dk La Tock. <> Attx galeries du Louvre, ce u 7na)'s 1770.

u Je vais ajouter un mot à cette lettre, que je n'ai pas jugée digne de vous


370 L'ART DU XVIII-^^ SIÈCLE.

trait de llestout, son morceau de réception à l'Aca- démie, qu'il reprend et retravaille, changeant le

être envoyée, ainsi que bien d'autres jetées au feu. Vous jugerez combien jr crois avoir rempli tnes devoirs dès que je m'en suis occupe, cette tournure d'esprit m'a fait beaucoup de torts et me laisse dans un désordre pénible, et dont je ne sortirai/ peut-être jamais.

« Toujours occupé de perfections en tous genres, et par conséquent du bonheur du genre humain, je m'oublie comme un atome dans l'espace tic l'univers. Je devrois être dégoàté de ce zèle de perfection, puisqu'il m' a fait gâter tant d'ouvrages. Ce n'est point par vanité que je tes regrette, c'est qu'il prive la nature des sentiments de reconnaissance pour les talents sin- guliers qu'il luy plaît de dispenser. Les poètes, les inusiciens reviennent à ce qu'ils ont fait de )nieux, quand lew correction éteint te feu qui avoit produit le sublime; mais tout est perdu dans mon pastel quand je me suis livré à un instant qui diffère de l'instant donné: l'unité est rompue. Le pe'intre à l'huile, avec de la mie de pain et de l'esprit-de-vin, retrouve l'esprit.

« Comme je voudrois que les tableaux eussent des touches, des manières de peindre aussi différentes entre elles que les choses représentées le sont dans la nature, de même je désirerois que nos poètes eussent varié leur style suivant les personnages : de grands vers nerveux pour les hercules, pompeux pour les héros, majestueux pour les grands hommes, terri- bles pour les scélérats, doux, coulants, faciles, tendres, suivant le carac- tère des femmes mises en scène, de mesure et de rimes variées, redoublées quelquefois, ainsi que pour les sujets subalternes. C'est s'occuper de chi- mères, on ne fait ny tableaux, ny poèmes tels que je les désire. Cette per- fection est au-dessus de l'humanité ; je l'éprouve actuelllement : j'ai sur le chevalet le portrait de feu M. Jtestout, fait et donné à l'Académie en 1744 ; j'ai voulu, depuis sa mort, lui témoigner ma reconnoissance des grands principes de peinture qu'il m'a communiqués, en remaniant cet ouvrage. Après avoir fait cent changements, on me dit : « Quel dommage! » Il y avoit un mouvement qui se communiquoit à ceux qui le voyoient. Je suis encore après et ay changé jusqu'à ce jour ; je ne puis dire quand il sera fini. On attend d'autres ouvrages faits antérieurement, que j'ai eu la fantaisie de remanier ; je les renverrai si un compagnon de voyage arrive avant. Il n'y a pas d^apparence que je puisse faire ce que vous désirez pour celuy de madame d'Athlone. J'ai bien du regret que vous ne vous soyez pas amu- sée aussi agréablement dans le temps quej'avoisle bonheur d'être à Zuylen; je vous aurois conseillé de ne pas tourmenter les teintes quand elles sont justes, de passer légèrement le petit doigt, d'employer peu de couleur et de conserver le papier pur pour les couches fortes; l'ouvrage en sera aussi plus légèrement fait.

« Quant aux taches de moisissure par le sel qui est dans les jnerres


LA TOUR. 3*1

brillant habit de soie en un simple habit de couleur brune, pour obéir à ce grand et juste principe de sacrifier aux têtes tout l'éclat des accessoires •. Mais ses vieux doigts ne servent plus bien son idée; ses yeux ne voient plus la fleur des choses. Au milieu de tout cela, sur ce triste et suprême labeur, dernier effort de sa conscience, mêlé à la recherche d'un vernis- qui sauve cette peinture éphémère, qui l'em-

noirrs et ilaiis presque tous ceux en pastel, il faut eciter qu'ils fussent corps, épaisseur; simplonent frottés sur le papier, ils ne font jws tacites ; alors avec la pointe d'un couteau elles s'enlèvent ; on leur présente un fer chaud près, pour épuiser l'humidité du sel quils contiennent, et en ôter avec le couteau l'épaisseur. C'est l'essay que j'en ay fait depuis peu, ainsi que de mettre avec une brosse vue légère teinte d'ocre jaune à l'eau simple, bien délayée ensemble avec un peu de jaune d'rpuf sur du papier bleu; cela empêche le lourd, qu'il est difficile d'éviter jiar la quantité de couleurs né- cessaires pour couvrir le bleu du papier.

« rost-scriptum. — 3Ie flattant toujours pouvoir vous annoncer que mes tourments allaient finir, j'ai différé d'achever ce barbouillage d'écri- tures; les regrets de l'Académie m'obligent de tâcher de remettre le por- trait de M. Restout à peu près comme il étoit . Voilà bien du temps perdu et des efforts in vanuni. Mieux que bien est terrible! On ne se corrige pas, puisque j'ay tombé dans le cas plus de cent fois. lionne leçon pour vous, inademoiselle, qui courez cette carrière. Si vous n'avez pas l'ambition de trop bien faire, je vous estimeray bien heureuse de vous être procuré un aussi agréable amusement sans qu'il vous soit^aussi pénible qu'il me l'a été. On vietit ni enlever, je ne say quand je pourrais reprendre. J'avois mille choses à vous dire sur -tout ce que vous méritez et les bontés de votre hono- rable famille; mais la crainte de vous impatienter me force de finir par les assurances de tous les sentiments que vous a voués, madeinoiselle, le plus humble et le plus obéissant de tous vos serviteurs.

.< De la Tour. . Aux galeries du Louvre, le 14 avril 1770.

• .4 mademoiselle de Zuylen, à l'trecht. >■

1. Dictionnaire des Arts, par Watelet. Supplément.

2. La Tour chercha toute sa vie la fi.\ation du vernis. Dès 1747, l'ahhé Le Blanc, clans sa Lettre sur l'Exposition des ouvrages de pein- ture, dit II (pie lo vernis de La Tour fixe la durée du pastel sans en


372 L'ART DU XYIIP SIÈCLE.

pèche de s'en aller « moitié dispersée dans les airs, moitié attachée aux ailes du vieux Saturne », le gé- nie du pastel se débat, s'agite, expire peu à peu dans

altérer la fleur, et qu'il est à espérer que ses ouvrages dureront autant que les choses humaines peuvent durer ». La même année, Lieudé de Septmanville, dans ses Réflexions nouvelles d'un amateur, dit : • Il est vrai que M. de La Tour s'est donné la torture pour trouver un vernis qui lui a manqué totalement et qui lui a gâté totalement quantité de tableaux. On n'ignore pas qu'il a ofi'ert une somme d'argent au sieur Charmeton, qui s'est flatté d'avoir trouvé la façon de fixer le pastel. On convient qu'il a découvert par ses soins quelque corps subtil avec lequel il prétend donner plus de consistance à cette façon de peindre. » Cette fixation est, du reste, la grande recherche de tout le siècle. Dans ce goût et cette mode du pastel qui « met les crayons de couleur à la main de tout le monde », aux mains des hommes, des femmes, du chevalier de Boufflers et de M"" Charrière, qui peuple les expositions de la place Dauphine des pastels des Montjoie, élèves de La Tour, il y a une émulation d'inventions, de procédés, de secrets, pour assurer un peu de durée à cette peinture fragile. De 1708 à 1773, ce n'est, dans ï Avant-Coureur, qu'annonces de découvertes : les demoiselles Beauvais préviennent le public qu'elles ont trouvé un seci'et pour fixer le pastel sans altérer la beauté et la vivacité des couleurs ; un sieur Mauge en- tretient le public, dans une longue lettre, sur un nouveau procédé: un sieur Bréa déclare qu'on peut passer, sur les pastels fixés par lui, la main, même la pierre ponce. M. de Saint-Michel, gentilhomme piémon- tais, peintre du roi de Sardaignc, muni d'un certificat de Cochin, se vante d'être parvenu à fixer le pastel d'une manière inaltérable, et d'avoir trouvé la composition d'un pastel très-beau. Il propose son se- cret à mille souscripteurs, à raison de trois louis, en échange desquels ils recevront chacun un livre qui contiendra les fameuses recettes. On donne le procédé du prince de San-Severo, qui consistait à employer la colle de poisson. On indique un autre moyen de fixation, qui est de couvrir tout le pastel de poussière de gomme arabique passée au tamis, de dissoudre cette poussière avec de la vapeur d'eau chaude, et de re- couvrir cet enduit d'une couche de vernis ii l'huile. M. Monpetit attaque tous ces précédés, qui ont le défaut de brunir et de charger les tons du pastel, et renvoie à Tinvention de Loriot, qu'il regarde comme la meil- leure. Enfin le secret de Loriot est divulgué et publié eu 1780 par Renou, secrétaire de l'Académie royale de peinture. — Quant au secret de La Tour, dont on peut étudier l'efi'et à Saint-Quentin, il est encore enfermé dans une lettre autographe du peintre, que M. Yillot devait publier.


LA TOUR. 373


le pastelliste distrait de l'art par de plus hautes spé- culations : « Je sortais du Salon, dit Diderot, je suis entré chez La Tour, cet homme si singulier qui ap- prend le latin à cinquante-cinq ans, et qui aban- donne l'art dans lequel il excelle pour s'enfoncer dans les profondeurs de la métaphysique qui achè- vera de lui déranger la tête '. »


XIII

Malgré la délicatesse de sa complexion, la faiblesse de santé de sa première jeunesse, les dépenses d'une vie prodiguée au travail et au plaisir, La Tour ar- rive à la vieillesse, une vieillesse sans infirmités. Ses vieilles années, il va les reposer et les rafraîchir au vert de la banlieue. Presque octogénaire, il quitte les galeries du Louvre pour vivre dans sa pe- tite maison d'Auteuil, cette retraite de patriarche, où venait le visiter le maréchal de Saxe, et près de la- quelle le Roi ne passait jamais sans envoyer de- mander de ses nouvelles. Puis, lorsque ses quatre- vingts ans sont sonnés, il veut revenir pour mourir là où il est né ^ et le 21 juin 178i, l'artiste, de retour dans sa ville natale, salué par le canon, le carillon,


1. Le Salon de 1769, par Diderot. Bévue de Paris, septembre 1857,

2. Une tradition rapportée par M. DréoUe fait du retour de La Tour à Saint-Quentin une espèce d'enlèvement. Sous le prétexte de l'em- mener à la Villette pour une ascension de Montgolfier, un de ses amis et de ses compatriotes, M. Cambronne, l'aurait entraîné, avec une douce violence, jusqu'à sa ville natale.

I. 32


374 L'ART DU XVIII" SIÈCLE.

les acclamations de ses compatriotes, reçoit, à son entrée dans sa maison, une couronne de chêne avec laquelle Saint-Quentin cherche à payer les fonda- tions de son bienfaiteur et à honorer la gloire de son grand peintre.

Il survécut quatre ans à cette ovation, entouré'des soins pieux d'un frère', l'esprit et lo cœur tombés dans une sorte de douce enfance, la raison attendrie et vacillante, à demi fou, pris d'une espèce d'amour délirant de l'humanité et de la nature. Cette tête al- lumée, et qui, sous le bonnet de taffetas noir dont le peintre se coiffe dans ses portraits, ressemble à la tète fumante de Diderot, ce cerveau grisé de lec- tures, de sciencos, de mathématiques, de politique, de théologie, de métaphysique, de morale, de poésie, bourré, à éclater, de notions immenses, entassées, confuses; cette imagination généreuse et désordon- née, pleine du chaos d'une Encyclopédie et de l'uto- pie d'une Révolution, allaient aux derniers jours, chez le vieillard, à l'exaltation, à l'égarement. Ses idées se perdaient dans une cosmogonie insensée et sublime -, et un panthéisme passionné mettait en lui comme une adoration embrassante de la création et de la créature. Dans la campagne, par un beau jour vivant de printemps, il tombait à genoux, re- merciait Dieu du soleil, parlait aux arbres, et les

\. La Tour eut deux frères : i"un qui entra dans la finance, et dont il hérita; l'autre qui se fit militaire, et eut une célébrité de duel- liste. C'est Jean-François, auquel il légua, en mourant, sa fortune et ses pastels.

2. Dictionnaire des Arts, par Watelet. Supplément.


LA TOUK.


mesurant de* ses bras, en pensant à l'hiver, leur di- sait : — Bientôt tu seras bon à chauffer les pauvres^

Il mourait le 17 février 1788- , en mettant, avec les derniers moments de son agonie, des baisers sur les mains de ses domestiques.


XIV

« Un magicien, » c'est le baptême donné par Dide- rot au pastelliste. La Tour gardera ce nom. Son CEuvre est un miroir magique où, comme dans le seau de résurrection du comte de Saint-Germain,

1. Éloge de La Tour, par Du Plaquet.— Notice de Bucelly d"l!:slrées. — En 178"), une interdiction prononcée à la demande de niessire Jean de La Tour, chevalier de l'ordre de Saint-Louis, assisté de niaistre Lepère, son procureur, faisoit deffenses au vieux peintre de contracter, vendre, aliéner et hypothéquer ses biens, meubles et immeubles et k toutes personnes de quelques qualités que ce soit de passer avec lui aucuns actes de quelque nature qu'ils puissent être, k peine de nullité et de toutes pertes, dépens et dommages-intérêts. Et le sieur Jean François de La ,Tour était nommé curateur à l'interdiction de Mau- rice-Quentin de La Tour pour par lui gérer et administrer ses biens tant mobiliers qu'immobiliers.

•2. Nous donnons, d'après M. Demaze, l'acte de décès de La Tour :

« Paroisse Saint-André, année 1788.

« Cejourd'hui lundi, 18 du mois de février 1788, le corps de M. Quentin de La Tour, peintre du Roi, conseiller de l'Académie de peinture et de sculpture de Paris, et honoraire de l'Académie d'Amiens, transporté à l'église de Saint-Remy, sa paroisse, en présence de M. Jean-François de La Tour, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, son frère, et de M. Adrien-Joseph-Constant Duliége, chapelain de l'église de Saint-Quentin et vicaire de la paroisse de Notre-Dame, soussigné

« Fait double, les jour et an que dessus.

« Signé : De L\ Tour, Duméok et L\ BiTTii, curé. »


376 I/ART DU XVI II' SIÈCLE.

les morts reviennent et revivent. Il fait revoir les hommes et les femmes de son temps. De sa galerie de contemporains se dégage pour nous la physiono- mie de l'Histoire. Il nous fait entrer dans ce mer- veilleux « salon des ressemblances » qu'évoquent, d'une cour, d'une société, les grands portraitistes de vérité et de sentiment, comme Holbein et Yan Dyck. Ici ce sont les princes, les seigneurs, les gran- des dames, l'éblouissement de Versailles ; là, ce sont les têtes de la Philosophie, de la Science, de l'Art, les fronts où le peintre a vu du génie, et que ses crayons, si froids aux portraits des « imbéciles », ont peints avec amour, avec enthousiasme. Voilà ce que La Tour a fait et ce qu'il a laissé. De la pous- sière du pastel, de cette peinture tombée, pour ainsi dire, de la poudre de l'époque, il a tiré comme la fragîie et délicate immortalité, la miraculeuse illusion de survie que méritait l'humanité de son temps. Dans son œuvre, il y a le grand et charmant portrait de la France, fille de la Régence et mère de Quatre-vingt-neuf. Le Musée de La Tour, c'est le Panthéon du siècle de Louis XV, de son esprit, de sa grâce, de sa pensée, de tous ses talents, de toutes ses gloires.


NOTULES


Les registres de la Justice de Laonnous révèlent le pre- mier amour de La Tour, alors qu'il n'avait encore que dix-neuf ans. Le 15 août 1723, Anne Boug-ier, célibataire, âgée de vingt-deux ans, accouche d'un enfant moit à l'Hôtel-Dieu, où elle était admise et traitée comme hydro- pique. Sur la déclaration de la sage-femme qui dénonce le fait au lieutenant de police, et lui offre, en même temps, au nom et aux frais de la gisante, deux poulets et un din- don , la détenue, atteinte et convaincue d'avoir celé sa grossesse jusqu'au jour de ses couches, fut admonestée, en la Chambre du Conseil, à ne plus récidiver, et en trois livres d'aumônes applicables aux pauvres de l'Hopital- Général de la ville de Laon.

Dans son interrogatoire, Anne Bougier déclare qu'elle est fille de Philippe Bougier, chantre en l'église métropo- litaine de Sens, où il demeure à cause de son emploi, et d'Anne de La Tour, sa mère, avec laquelle elle demeurait précédemment à Laon, n'ayant d'autre métier que celui de tricoter des bas, que sa famille est originaire de Laon, que son aïeul paternel, Nicolas Bougier, était chantre en l'église Saint-Jean, au bourg de Laon; et que son aïeul maternel, Jean de La Tour, était maître maçon à Laon; a dit qu'elle s'était toujours bien comportée, n'avait jamais eu d'habitudes criminelles avec aucun homme ou garçon,

I. 32.


.378 L'ART DU XVIII' SIÈCLE.

à l'exception qu'elle s'était abandonnée trois fois à Quentin de La Tour, garçon de dix-neuf ans, peintre de son mé- tier, demeurant à Saint-Quentin, son cousin g-ermain, diins le temps qu'elle demeurait avec sa mère audit Saint- Quentin. Sur interpellation a répondu : qu'elle est devenue enceinte des œuvres du dit La Tour, et qu'elle est, le 15 août, accouchée d'un enfant mort, qu'elle s'est crue hydropique, parce qu'après avoir eu commeice avec son cousin, elle a eu ses purgations ordinaires, huit jours après, mais ne les a plus eues depuis. (Article de M. Charles Desmaze dans VArt du i3 février 1876.)


M. Desmaze a découvert chez M™*^ Sarazin Varluzel, une descendante de La Tour, et publié dans le Reliquaire de M. Q. de La Tour, un certain nombre de lettres adressées à La Tour. Ces lettres confirment la liaison de La Tour avec M'i*^ Fel, dont M. Desmaze publie trois lettres. Une première, qui semble adressée au peintre relativement à un dîner donné en commun, finit par ce post-scriptum : u .J'ai pris de la mane (sic) ce matin pour me délivrer de mes lanterneries, je me trouve mieux. » Une seconde lettre, adressée le o janvier 1783 au frère de La Tour, remercie le chevalier de la confirmation faite par lui de l'usufruit des meubles du peintre sa vie durant. Dans la jouissance des meubles semble comprise la jouissance des pastels ainsi que l'indique cette phrase : « M. Dorizon a dû vous mander que, d'après l'avis qu'a donné M. Paquier, pour les dan- gers et le dommage que la fumée pourrait causer aux pastels de M. de La Tour, il est instant que vous veniés faire fermer les écartements du mur. » Une troisème, datée du 5 janvier 1788, donne de tristes détails sur la folie du peintre : « Je suis charmée que la santé de votre pauvre frère se soutienne, il ne faut pas s'étonner si les forces diminuent à son âge; le temps met à tout des pro- portions; il faut compter sur cela. Je crois pourtant qu'il


LA T(>UK. 379

serait à propos de lui persuader que la lelcrte trouve mau- vais qu'il boive de son- urine ot qu'il reste deux jours sans manger. »

M. Desmaze possède une autre lettre de M'^*^ Fel, qui est une réponse de M" Fel, du reste sans intérêt biogra- phique, à une demande de renseignements de Thistorien d'Argenville.

Parmi les autres correspondants, il y a des billets de révéque de Verdun, à propos d'un cbangeinent de séance demandé par le cardinal du Tencin, des l)illets du comte d'Egmont, qui donne au peintre rendez-vous à l'Opéra- Comique pour le mener souper à Passy, sans doute chez la Popelinière, des billets du duc d'Aumont, de l'abbé Pom- myer, de l'oculiste Demours, de Voltaire, de M'^^ Thelus- son, qui, pour remercier La Tour de son poitrait, lui écrit : « Mon mari part demain matin, et vous ferez, mon- sieur, très bonne œuvre en me faisant l'amitié de venir diner avec moi. »

Dans son art, La Tour affectionnait les tours de force. Un jour ne s'imagina-t-il pas de vouloir faire, avec les dé- tails les plus minutieux, les plus fouillés, les plus précis, le portrait d'une femme habitant la province? Le curieux de ce tour de force, c'est que le portrait n'était pas le moins du monde ressemblant. (Mélanges de Siuud, t. P"".)


Un extrait d'une lettre de Ducis, donné dans le catalogue d'autographes du 18 mai i8o9, témoigne de l'intérêt pas- sionnant que ses contemporains attachaient à être peints par le grand pastelliste. Voici cet extrait :

« Je végète tristement. Je ne conçois plus même com- ment il serait possible que mon Ame se rallumât encore. 11 faut que quelque plaisir la réveille de son assoupisse- ment; et ce n'est qu'à votre j>ortrait désiré et attendu avec impatience que j'en aurai l'obligation... »


380 L'ART DU XVIIl SIECLE.

Des fragments de lettres, publiés par M. Courajod dans ses notes du Llvre-Joumal de Lazare Duvaux, indiquent riiomine impossible qu'était La Tour et tous les ennuis qu'entraînait pour le portraiture \a commande d\m pastel à l'artiste quint eux.

M. de Maripny a commandé, le 26 février 17:j2, le pastel de sa sœur, le grand pastel de M"^ do Pompadour exposé au Salon de ilôo. Il est obligé de lui écrire, le 24- juillet 1752, delà part de M""' de Pompadour, pour savoir « dé- tenninément s'il veut venir continuer son portrait ». 11 se plaint, avec une certaine amertune affectueuse, d'un post- scriptum incomprébensible, dans lequel l'artiste l'accuse d'être l'auteur, <* la cause innocente » des accidents arrivés aux deux portraits de sa sœur. 11 termine par ces mots : « Ayés agréable, monsieur, de m'écrire quels sont les griefs que vous pouvés avoir et quels sont les mo.yens que vous désirés que j'employe pour y remédier; vous devés compter sur tout le cas que je fais de vos talens et sur le plaisir que j'auray de vous le prouver en vous faisant jus- tice. Ma sœur peut-elle compter d'être peinte par vous? Elle est impatiente de voir finir son portrait. Faites bon- neur aux sentimens dont vous faites profession en venant au plus tôt terminer ce portrait pour la satisfaction de ma sœur, à qui vous devés de la reconnoissance, et pour celle de son frère, à qui vous déviés plus d'amitié. »


Un extrait d'une lettre de l'abbé Le Blanc à La Tour, datée du 12 mai 1766, donné dans le catalogue du 31 jan- vier IS.'ii-, signale un voyage de l'artiste en Hollande, dans le mois de mai de cette année. <( Il sait qu'il part demain pour la Hollande. 11 le prie de faire savoir à la cour du statliouder qu'il est à Paris, cbez M. Fortier, un beau ta- bleau du célèbre Vandeck (sic), représentant le portrait du prince bisaïeul de Son Altesse... La baute célébrité de M. de La Tour et l'eslime générale où il est par toute


LA TOUR. 381

l'Europe donneront certainement du poids à tout ce qu'il dira... »


Nous empruntons au Reli({uuirr' de M. Q. de La Tour, publié par M. Desmaze, trois curieuses lettres du peintre.

La première est tirée de la collection de M. Boutron. La voici :

Monsieur, (( J'au mille remercimena à vous faire sur les bontés que vous avez pour mon bon ami Bestout et sur ce que vous avez bien voulu répondre de mon zèle à iU"ie la marquise de Pom- padour. — Il est tel que je partirois sur-le-champ si les por- traits n'avoient grand besoin d'être préparés ici pour réparer Je dommage qu'ils ont souffert; je ne sçais le temps quil me faudra, parce que le chagrin que j'en ay eu m'a furieuse- ment dérangé la cervelle; mais vous pouvez compter que je feray tous mes efforts pour me hatter. Les bontés du Roi, et la manière obligeante dont vous m'annoncez cette grâce me pénètrent de reconnoissance et de tous les sentimens que vous devez inspirer à ceux qui aspirent à Vhonneur de votre es- time, et j'ose dire amitié, comme celuy qui est très respec- tueusement,

u Monsieur,

<' Votre très humble et très obéissant serviteur. <( De La Tour. »

A Paris, ce 13 juillet 1752.

« Je ne suis plus fâché d'avoir ignoré l'heure de la poste, puisque je puis, dans cette même lettre, vous faire part de ma situation; je ne sçay si ce sont les efforts que j'ay fait hier après la lecture de votre lettre ou la complication d'idées différentes, mais je me trouve dans un abattement, un anéantissement qui me fait craindre la fièvre; la teste vuide étonnée et tout le corps brisé, je ne sçay que devenir; j'ay cru que le lit répareroit mes forces, il ua rien opéré ; je dois


382 LART DU XVIII' SIÈCLE.

essayer si l'air me fera du bien, car je suis pressé de ré- pondre au plus vite aux marques d'amitié dont vous mlio- norez. »


La seconde est un très curieux fatras k propos d'un tes- tament fait en faveur de La Tour par l'aljbé Hubert. Dans cette lettre, le sentiment picard du mien, si développé chez le pastelliste, cherche à faire revenir un co-partageanl sur un arrangement de vieille date, cela au moven d'un prêche évangélique qui se termine par l'exposition des idées de La Tour sur la vie future.

« Je partage avec la pjlus grande douleur, mon cher mon- sieur, la perte irréparable que vous venez de faire. Vous voi/ez que ion meurt à tout âge; je viens moy-mème d'essuyer deux maladies consécutives, l'une catisée pmr un accident sur l'œil, l'autre par une transpiration interceptée, et dans la- quelle il s'est meslé de la goutte, qui a monté du pied à la tête; j'ay vu deux fois mon dernier moment dans l'espace d'un mois, je vous avoue que j'éprouvois dans l'àme un re- gret bien douloureux de voir sonner ma dernière heure sans avoir eu la précaution de faire des changemens à mon testa- ment, suivant les différens événemens arrivés à ceux qui en sont V objet; je profite de ma convalescence pour donner un ordre à tous mes papiers, parmi lesquels il m'est tombé sous la main le plus cher à mon cœur : cest une copie du testament de notre ami commun, M. l'abbé Hubert; j'y vois avec éton- ncment que sa volonté est que j'aye 2,000 francs de rentes viagères bien assurées. En outre, et par dessus un contrat de rentes de 500 francs, qu'il avoit placé sur ma tête peu de tems avant le malheur de sa mort, dans le cas que je ne prenne pas la qualité d'héritier légataire universel, il charge M. son frère Pierre Hubert de me faire 1,000 francs de rente s'il accepte la calandre qu'il estime 30,000 francs, et vous, monsieur, à son refus de la vendre et de m'assurer i ,000 //•. de rente sur le produit de cette vente; vous pouvez vous rap-


LA TOUR. 383

peler comment vous m'avez engagé à ht iwcndve et ensuite à vous la céder avec tous mes droits sur le legs universel moyennant 15,000 francs. En ajoutant les oOO francs du petit contrat, vous avez cru probablement que cela étoit suffi- sant pour remplir sa volonté. Voilà, monsieur, l'étrange mé- prise que nous avons faite l'un et Vautre, car pour que j'eusse j suivant la volonté du testateur, 2,000 francs de rentes viagères bien asseurées, en outre, et par dessus le con- trat de rente de 500 francs qu'il n'avoit pu placer sur ma tète, selon mon âge alors, qu'à 8 pour 1 00, il falloit nécessai- rement que je receusse de vous vingt-cinq mille livres, et il se trouve que je n'en ay effectivement reçu que quinze mille en vous emparant de la calandre, que notre ami évaluoit à trente mille livres. Vous pensiez bien que, n'entendant rien au commerce ni à toute autre espèce d'affaire d'intérêt et étant fort négligent d'ailleurs, je ne pouvois pas la faire va- loir ny en tirer aucun profit : vous l'auriez au prix que vous voudriez. Il doit donc rester dix mille livres dont vous estes redevable avec les intérêts depuis le tems; vous estes trop équitable pour vous y refuser. Ce n'est point, monsieur, par un motif de cupidité que je vous fais ces représentations : le tien et le mien, f^ui ont tant souillé la pureté de la morale, n'ont aucun empire sur mon âme; cette cupidité, cette soif des richesses ont pu infecter des cœurs ambitieux sans en- trer dans le mien. Hé! voudrois-je me livrer aux passions factices si opposées au dessein de l'auteur de la nature et an bonheur du genre humain dans un moment où je me suis trouvé si près du terme fatal qui nous arrache à nos trésors et à toutes les passions qui nous y attachent! Non, monsieur; wi sentiment ptlus noble me porte à vous écrire : je voudrois qu'en prenant pour base V Équité naturelle, nous puissions nous juger nous-mêmes, faire nos arrangemens autant pour la paix de votre conscience que pour la sûreté de la mienne ; je dis la conscience, car je crois que cecy intéresse la vôtre et la mienne : la vôtre, suivant le principe gravé par le burin de la nature, que nous ne devons point arracher les vête-


381 L'ART DU XVIII- SIECLE.

jnem de notre frère pour nous revêtir de ses dépouilles; la mienne, par une suite de ce même principe qui nous coup', nos biens comme un dépôt sacré et nous ordonne de les tratis- mettre à ceux à qui les liens du sang en destinent la possession après nous. Ne nous y trompons pas, monsieur : enlever des biejîs par une séduction insinuante et trompeuse ou les ravir par la force, c'est toujours les ravir au p^ossesseur légitime. Je me suis restreint à quinze mille livres tant pour la ca- landre que pour le legs universel qui auroit été au delà de trente mille livres, si vous eussiez eu égard aux désirs et à la volonté de votre ami, qui étoit aussi le mien, j'en conviens. Mais pesons icy les choses au sanctuaire : vous sçavez que naturellement pour faire deux mille livres de rentes viagères à huit pour cent, il en falloit vingt-cinq mille par le legs de notre ami commun, et que je n'ay cédé tous mes droits pour quinze mille livres qu'à vos sollicitations, à vos importunitez mêmes. Vous employâtes toutes les adresses imaginables pour me séduire, et je ne consultai pour me rendre que ma faci- lité et mon désintéressement; d'après cela, vous pouvez être justifié aux yeux de la Loy, qui cependant n'admet pas les lésions cV outre-moitié; mais vous n'êtes pas justifié aux yeux de l'Être suprême, qui exige que nous aimions la vérité; comme il est la vérité même; quelquefois il nous abandonne à nos passions et à nos erreurs ; il se cache derrière le ri- deau, mais il n'en sort que plus terrible pour déchirer le voile que son œil a percé et nous livrer au désespoir d'une âme dévorée par [le remords. Je crois, monsieur, que vous êtes persuadé comme moi que tôt ou tard il arrive un moment où les possesseurs injustes éprouvent des remords bien cui- sants, et où le secret dictumen de la conscience leur fait sou- haitter d'être un peu moins riches et plus tranquilles. Au reste, monsieur, cette morale pure ne vous est point étran- gère; je l'aye puisée autant dans mon cœur que dans les ou- vrages de M. votre frère, pour qui je suis pénétré de la plus respectueuse estime. Ah! qu'il diffère bien de nos prêtres, dont le plus grand nombre ensevelit la postérité pour ne


.LA TOUR. 380

s'occuper que des moyens souvent trop tiraniques et barbarrs, et des ruses les plus propres à étendre le bandeau de la su- perstition, laquelle les maintient dans leurs funestes usurpa- tions et les favorise à frustrer pieusement de légitimes héri- tiers! Je joins ici mes remercimens aux honnêtes gens qu'il a éclairés. C'est, monsieur, à la lueur de ce flambeau que j'ose vous inviter à rapprocher votre conscience : jugez-vous, tenez vous-même la balance, m,ais tenez-la en juge impartial et sévère ; oubliez ce que j'ay fait pour ne songer qu'à ce que j'aurais pu faire et à ce que vous auriez dît faire vous- même; placez-vous pour mieux voir les objets au dernier de tous les instans, oit l'illusion des passions cesse et où l'on n'est plus qu'une ville poussière qui ne nous aveugle plus, mais qui nous échappe. S'il s'élève au dedans de vous-même une voix que réclame mes droits, ne V étouffés pas, cette voix foible, mais précieuse, et daignez Ventendre. J'abandonne le reste à vos réflexions, à vos lumières. Je crains de vous en- nuyer par la longueur de cette lettre; elle est cependant l'ou- vrage du plaisir secret que je trouve à m'entretenir avec vous, et vous seriez injuste si vous la croiez dictée par un mi- sérable intérêt. J'ay vu de bien près la demeure des morts ; les âmes des justes étaient dépouillées de toutes les passions humaines, et je proteste que la mienne n'en sera jamais souillée dans le court espace qui me reste à la parcourir; j'ay suivi ma carrière, ma plus grande sensibilité s'est partagée aux soins et fatigues à faire de mon mieux dans mon talent, et aux souhaits de devenir vertueux. Ce sont les seules pas- sions que je veux emporter au tombeau. La bouillante ardeur de ma jeunesse m'a précipité trop souvent dans les écarts dont je ne ]3mî.s assez me repentir ; je vous en fais l'aveu, mais elle ne m'a jamais inspiré cette impiété hardie qui veut entreprendre de renverser le maître de tous les êtres de des- sus son thrône, lequel thrône embrasse, couvre et discerne tout ce qui existe dans Vimmensité de Vespace et anéantir l'âme pour donner à la matière, à un atome, le sentiment, la pensée et même une intelligence sublime qui se manifeste

1. 33


386 LART DU XVIII' SIECLE.

dans les ouvrages des grands génies de tous les tems. Je croîs avec Paschal que le désir de l'immortalité est au dedans de nous-mêmes, uni avec l'amour de la vérité, de la justice et de la bienfaisance, et que ceux qui en suivent exactement toutes les impressions seront récompensés par le plaisir toujoiin nouveau de contempler la sagesse suprême dans le gouverne- ment de tant de millions de mondes et le bonheur délicieux- de pouvoir réfléchir sur les ressorts admirables et les plus: cachés de sa divine Providence. Quelle foule d'objets à par- courir dans des scènes si vastes et si variées! Je souhaite avec impatience, avant de jouir de ce spectacle si brillant^ pouvoir embrasser M. de Voltaire et le remercier de tous les services qu'il a rendus^ plus que tous les philosophes en- semble n'ont fait, à la raison, à la justice, à l'humanité, en se rendant protecteur efficace des malheureux comme les Calas, les Sirven et tant d'autres qui ont eu besoin de son se- cours contre les injustices qu'on leur faisoit ou qu'on vou- loit leur faire. Je présume, d'après cette confession de foy, (lue vous voudrez bien penser que ma croyance est toujours raisonnable, que j'aime toujours la vérité, qui sera à ja- mais ridule de mon âme, et que l'aspect de la mort ne m'a point fait tomber dans des foiblesses puériles. Les grandes vé- rités, les vérités sublimes, existaient de tous les tems et, par conséquent, bien avant nous, et elles survivront à jamais à tout ce qui nous survivra. L'équité naturelle est sans doute une de ces vérités indestructibles, et peut-être la première de toutes; c'est à elle que je vous rappelle encore, et je ne feray qu'y joindre les assurances de mon attachement, avec lequel j'ay Vhonneur d'être,

« Monsieur,

(( Votre très humble et très obéissant serviteur, «■ ])k La Tour. »

Aux fraleries du Louvre, ce 6 novembre 1770,


Dans la troisième lettre donnée par M. Desmaze, lettre


LA TOUR. 387

relative à la dunatioii du peiiiLre en faveur des artisans infirmes de sa ville natale et des pauvres femmes en cou- ches, fondation dans laquelle il me semble retrouver un souvenir d'Anne Bougier, I.a Tour s'exprime ainsi :

MONSIKUR,

« J'approuve avec satisfaction l'ordre de la distribution et V excellente application des deniers, formant la vente an- nuelle de 600 livres, au principal de 12,000 livres qu'il vous <i plu placer à ma demande sur le domaine de la ville pour être employée, suivant mes désirs, au soulagement des pau- vres femmes en couches et ii at/der pendant l'hyver des arti- sans caducs ou infirmes et de bonnes mœurs, dans l'impuis- sance de fournir par leur travail à la vie alimentaire.

« Mon intention étant de secourir les vrais pauvres, Messieurs les administrateurs, économes des biens qu'ils au- ront à distribuer, sont priés de n'avoir égard aux recomman- didions, de ne point accorder de ces bienfaits à leurs domes- tiques ou personnes employées à leur service, à moins que leur indigence ne paroisse plus grande que celle des per- sonnes qui ne les intéressent pas. Il n'y a que les vrais pau- vres de bonnes mœurs hors d'état de sei'vir pour causes dHn- firmités ou de caducité, des femmes infirmes ou en couches qui doivent participer à cette charité. Je regarde tous les hommes également frères et l'ouvrage du Créateur. La diffé- rence des opinions religieuses ne doit jamais être un motif d'expulsion; mais pour ne point favoriser le vice et le liber- tinage, f exclus les filles, ainsi que les femmes étrangères, excepté les cas particuliers qui mériteroient quelques atten- tions. Vous voudrez bien, monsieur, inspirer dans le cœur des vrais pauvres que les secours leur viennent par un effet de la Providence, qu'ils doivent à Dieu des actions de grâces, avec le désir de lui plaire et de prier pour celuy des mains duquel elle s'est sei^ie pour leur procurer ce secours. »


388 L'ART DU XVI IP SIECLE.

La lettre, écrite des galeries du Louvre, est datée du 2 mars 1778.


La Tour est plein de sollicitude pour les matières et les outils de son art. Nous trouvons dans un catalogue d'auto- graphes du 25 mars 1852 un certificat signé comme con- seiller de l'Académie de Peinture et de Sculpture, par lequel le maître pastelliste certifie avoir trouvé les crayons du sieur Nadaud très dignes de l'approbation de MM. Re- nou et Descamp^. Cette pièce est datée du 5 juillet 1781.


LES EXPOSITIONS DE LA TOUR

AU SALON DU LOUVRE


1737

Addition des agréés.

Sur la face à droite de l'escalier, à côté du portrait de Ma.-

DAME DE MONTMARTEL.

Deux portraits au pastel, l'un représentant M^e Boucher, et l'autre celui de l'auteur qui rit.

1738

Le portrait en pastel de M. Restout, professeur de l'Académie^ dessinant sur un portefeuille.

Un portrait en pastel représentant M™c de ***, habillée avec un mantelet polonais, réfléchissant un livre à la main.

Un portrait en pastel de M"cde la Boissière, ayant les mains dans un manchon, appuyée sur une fenêtre.

Autre représentant M™c Restout en coiffure.

(Le Mey^cure de France mentionne à cette exposition le por- trait de M. Mansard, architecte, non catalogué au livret.)

1739

Le portrait en pastel de M. de Fonspertuis, conseiller au Parlement. Au-dessous celui de M. Dupouch, appuyé sur un fauteuil.

I. 33.


390 LART DU XVITP SIECLE.

l'n portrait en pastel représentant le frère Fiacre de Naza- reth.

1740

Un portrait en pastel représentant M. de Bachaumont. Autre représentant M™<^ Duret dans une bordure ovale. Un portrait jusqu'aux genoux de M. de ***, qui prend du tabac.

1741

Un tableau en pastel de 6 pieds 2 pouces de hauteur sur 4 pieds 8 pouces de large, représentant M. le président de Rieu en robe rouge, assis dans un fauteuil, tenant un livre, dont il va ouvrir le feuillet, avec les attributs qui composent un cabinet, comme bibliothèque, table, paravent, et un tapis de Turquie sous les pieds.

Autre tableau représentant le buste d'un nègre qui attache le liouton de sa chemise.

1742

Le portrait de M^ie la présidente de Rieu, en halnt de bal, tenant un masque.

Celui de M'ic Salle, habillée comme elle est chez elle.

Celui de M. l'abbé ***, assis sur le bras d'un fauteuil, lisant à la lumière un in-folio.

(C'est, sans nul doute, l'abbé Hubert, conservé au musée de Saint-Quentin.)

Celui de M. Dl'mont le Romain, professeur de l'Académie royale de peinture et de sculpture, jouant de la guitare.

Un petit buste de l'auteur, ayant le bord de son chapeau ra- battu.

1743

Un portrait au pastel représentant M. le duc de Villars, gouverneur de Provence, chevalier de la Toison d'Or.

Autre représentant M***.

(Le Mercure de France nous apprend que ce portrait est celui de Parocel, peintre de l'Académie.)

Autre représentant M^'e de ***.


I-A TOUR. 391


1745


Le Rov. Le Dauphin.

M. Orry, Ministre d'ÉUat, Contrôleur général, peint en grand. M. ***, ami de l'auteur, aussi en grand.

(Mariette, dans son Abecedario, nous donne le nom de cet ami. C'est M. Duval d'Espinoy, secrétaire du Roi.) Plusieurs autres portraits sous le même numéro.

1746

Quatre portraits au pastel sous le même numéro.

{Les Réflexions sur quelques causes de l'état présent de In peinture en Franee, 1740, nomment deux de ces portraits : Le peintre Restouï et Paris de Moxtmartel.

17 4 7

Plusieurs portraits au pastel sous le même numéro.

(Le Mercure de Franre et la Lettre sur les ouvrages de pein- ture de Vannée 1746 nomment, dans l'ordre où ils sont placés du côté de l'escalier, les portraits suivants :

Mmp la comtesse de Lowendal, M. le maréchal de Saxe; de l'autre, M. le duc d'York, M™e de Montmartel; plus bas, au milieu, M. le comte de Clermont; à sa droite, M. Le Moyne. sculpteur, M. Binet, M. l'abbé Le Blanc; à sa gauche, M. Ga- briel, premier architecte du Roi, M. Cupis, M. Mondonvillk.)

1748

Portraits en pastel représentant :

Le Roi.

La Reine.

Le Dauphin.

Le prince Edouard.

AL le maréchal de Belle-Isle.

M. le maréchal de Saxe.

M. le baron de Lowendal.


392 I/ART DU XV IIP SIECLE.

M. le comte de Sassenage.

M.*".

M. "*.

(Les Réflexions sur quelques circonstfmces présentes, 17 i8, nomment ces deux derniers portraits : M. Savalette, père, M. Savalette, fils. Le portrait de M. Savalette père fut réex- posé en 1780, au Salo7i de Correspondance de la Blancherie.)

M. de MoN'CRiF, de l'Académie française.

Madame ***.

M. DucLos, de l'Académie française.

Madame ***.

M. Du Mont Le Romain, adjoint à recteur.

i7o0

Plusieurs têtes au pastel, sous le même numéro.

iTol

Plusieurs portraits au pastel sous le même numéro. (Le Mercure nous permet de nommer parmi ces portraits M. DE LA Reynière, M°ie de la Reynière, M. Dille.)

1753

Le portrait de M™" Le Comte, tenant un papier de musique.

Le portrait de Mme dk Geli.

j\ime DE MoNDONviLLE, appujée sur uu claveciu.

(Ce portrait fut exposé, avec celui de M. de Mondonville, au Salon de Correspo7idance en 1782.)

M"» Huet, avec un petit chien.

Mlle Ferrand, méditant sur Newton.

Mlle Gabriel.

M. le marquis de Yoyer, lieutenant général des Armées du Roi, Inspecteur général de la cavalerie, honoraire associé libre de l'Académie royale de peinture et de sculpture.

M. le marquis de Montalembert, mestre de camp de cava- lerie, gouverneur de Villeneuve d'Avignon, associé libre de l'Académie royale des sciences.


LA TOUR. 3'.'3

M." DK SiLVESTRE, écuyer, premier peintre du Roi de Pologne, directeur de l'Académie royale de peinture et de sculpture.

M. DE Bachaumont, amateur.

M. Watelet, receveur général des finances, honoraire asso- cié libre de l'Académie royale de peinture et de sculpture.

M. Nivelle de la Chaussée, de l'Académie francoise.

M. DucLos, des Académies francoise et des Inscriptions, his- toriographe de France.

M. l'abbé Nollet, maître de physique de M. le Dauphin, de l'Académie royale des sciences et de la Société royale de Lon- dres.

M. DE la Condamine, chevalier de Saint-Lazare, de l'Acadé- mie royale des sciences, de la Société royale de Londres et de l'Académie de Berlin.

M. Rousseau, citoyen de Genève.

M. Manelli, jouant, dans l'opéra du Maître de Musique, le rôle de l'imprésario.

1755

Le portrait de M"ic la marquise de Pompadour, peint au pastel, de 5 pieds 1/2 de haut sur 4 pieds de large.

1757

Plusieurs portraits peints au pastel sous le même numéro.

(Le Mercure nomme parmi ces portraits : le médecin Trom- CHiN, le directeur de l'Opéra-Comique, Moxnet, et la chanteuse Fel. Il mentionne encore un capucin, dont YEloge de la Tour, par Duplaquet, nous révèle le nom : c'est le père Emmanuel, capucin de Saint-Quentin, le confesseur de la jeunesse du peintre.)


Plusieurs portraits au pastel sous le même numéro.

Plusieurs tableaux au pastel sous le même numéro.

(Le Mercure de Fraiice et les Observations d'une Société d'A-


394 L'ART DU XVI1I« SIÈCLE.

mateurs nous donnent, cette année-là, les noms du comte dk LusACE, DE Crébillon le tragique, du duc de Bourgogne, de Mme LA Dauphine, de M. Bertin. Le Salon de Diderot nomme M. Laiguedive, notaire.)

1763

Portraits en pastel.

Monseigneur le Dauphin.

M™c LA Dauphine.

Monseigneur le duc de Berry.

Monseigneur le comte de Provence.

Le prince Clément de Saxe.

La princesse Christine de Saxe.

Autres portraits sous le même numéro.

(Le Mercure de France et les Descriptions des tableaux expo- sés au Salon du Louvre mentionnent dans ces portraits innom- més le portrait de Lemoyne, le sculpteur.)

1767

Le livret de l'exposition de 1767 ne mentionne rien de La Tour. Le Salon de Diderot indique de lui, cette année, Tébauche d'une tête de femme, le portrait de l'oculiste Demours et de Tabbé Lattaignant.

1769

Plusieurs têtes sous le même numéro.

(La Lettre sur le salon de peinture de 1769 parle de quatre por- traits de La Tour, parmi lesquels elle cite le portrait de Gra- velot.)

1771

<( Le livret ne mentionne rien cette année de La Tour; mais le Mercure de France parle de trois pastels dont le Dialogue sur la peinture nous apprend l'arrivée tardive au Salon, et sans doute après l'impression du livret.

1773 Plusieurs têtes sous le même numéro.


PASTELS DE LA TOUR

CONSERVÉS AU LOUVRE ET AUTRES MUSÉES


Voici la liste de ces pastels communiquée par M. Reiset, con- servateur du Louvre :

Pastels exposés.

27,611. Portrait du maréchal de Saxe. — 27,612. Portrait de Chardin. — 27,613. Portrait d'un personnage vêtu de noir portant l'ordre du Saint-Esprit, et tenant un livre sur son genou (marquis d'Argenson?). — 27,614. Portrait en pied de Madame de Pompadour. Une préparation de la tète, poussée au fini du pastel dans le visage, les cheveux frottés seulement d'une coloration de poudre, préparation mise au carreau fait partie de ma collection. — 27,615. Portrait de Louis XV. — 27,617. Portrait de Louis de France, fils de Louis XV. — 27,618 Portrait de Marie Leckzinska. — 27,621. Portrait de Louis de France, fils de Louis XV, plus âgé que dans le n" 27,617. — 27,622. Portrait de La Tour. — 27,623. Portrait de Marie-Jo- .sèphe de Saxe, dauphine de France. Un second pastel de ce portrait était possédé ces années-ci par M. Degas. — 27,624. Portrait de René Frémin.

Pastels non exposés.

27,616. Portrait de Jean Restout, eu mauvais état. — 27,619. Portrait de Dumont le Romain, en mauvais état. — Un autre


396 LART DU XVIII' SIECLE.

portrait de Marie Leckziuska, catalogué sous le n^ 27,620, n'a pu être retrouvé jusqu'à présent; peut-être faisait-il doulde em- ploi avec le n» 27,618.

La Galerie de Dresde posséderait un portrait de la dauphine Marie-Josèplie de Saxe et un portrait de Maurice de Saxe.

Le Musée de Valenciennes , montre exposés un portrait d'homme et de femme inconnus.

Le Musée de Dijon conserve, sous le no 1,192, une prépara- tion du maréchal de Saxe, aux crayons de pastel noir, rouge et blanc (H. 32 c, L. 27 c), provenant du legs His de la Salle. Et il contient en outre un portrait d'un chanoine de la cathédrale de Rheims, pastel (H. 11 c, L, 32 c), et une tête d'homme en bonnet de nuit (H. 41 c, L. 32 c.) et un portrait de La Tour, un masque ébauché, préparation au pastel (H. 37 c, L. 31 c), donné par le gouacheur Hoin, ancien conservateur du Musée.


PASTELS DE LA TOUR

CONSERVÉS AU MUSÉE DE SAINT-QUENTIN

Cette précieuse et intéressante collection de pastels de La Tour provient d'un legs fait par le frère de La Tour,- Jean- Francois, héritier et possesseur des tableaux qui gax'nissaient l'atelier du peintre, dans deux testaments remis au notaire Desains, le 20 septembre 1806, et que nous donnons d'après M. Dréolle :

« Je soussigné, Jean-François de La Tour, ancien offi- cier de cavalerie, demeurant en cette ville de Saint-Quentin, rue de La Tour, n» 657, nomme et institue mon légataire universel, mon cousin-germain maternel, Adrien-Joseph-Constant Duliège, prêtre, vicaire de la paroisse et desservant l'Hôtel-Dieu de cette ville de Saint-Quentin, à condition par lui d'acquitter et de payer, dans l'espace d'un an à partir du jour de mon décès, tous les legs ci-dessous énoncés et tous ceux que je pourrai faire à la suite du présent testament et en marge, scavoir, etc. »


LA TOUR. 397

« Je donne et lègue à l'école gratuite de dessin, au

bureau de charité des vieux pauvres infirmes, au bureau de cha- rité des pauvres femmes en couches, trois fondations faites «par mon frère Maurice-Quentin de La Tour, tous les tableaiix ci- dessous désignés, pour le produit de la vente qui en sera faite à Paris, être distribue et partagé entre les trois bureaux de la manière que je dirai ci-après :

■ 1. Le portrait de l'abbé Hubert lisant à la lumière de deux bougies.

2. Le portrait de Crébillon, poète tragique.

3. Le portrait de Duclos, de l'Académie française.

4. Le portrait de Jean- Jacques Rousseau.

5. Celui de Forbonnois, qui a écrit sur les finances.

6. Celui de l'abbé Leblanc, qui a écrit sur les Anglais.

7. Celui de l'abbé Pommyer, conseiller en la grand'chambre.

8. Celui de Mondonville, tenant son violon à la main.

9. Celui de Manelli, célèbre bouffon italien.

10. Celui de Sylvestre, peint en robe de chambre.

H. Celui de Peuche, peintre de l'Académie, maître de dessin de mon frère.

12. Celui de Lemoine, sculpteur.

13. Celui de Dion, père capucin.

14. Celui d'un frère quêteur, sa tire-lire à la main. .15. Celui d'un carme.

16. Celui de Diogène, sa lanterne à la main.

17. Celui d'un vieillard avec une barbe.

18. Celui de Monnet, ancien directeur de l'Opéra-Comique.

19. Celui de Parrocel.

20 et 21. Et deux superbes dessins du même.

22. Celui de La Reynière, riche financier, peint en habit de velours cramoisi brodé en or, assis dans un fauteuil, ayant une main dans sa veste et l'autre main sur sa cuisse.

23. Celui d'une dame peinte en bleu.

24. Celui de Marie Leczinska, épouse de Louis XV.

25. Celui du prince Xavier de Saxe qui vient de mourir.

26. La tête du fameux comte de Saxe.

27. Celui du marquis d'Argenson, peint en cuirasse.

28. Celui de Dachery, notre concitoyen et ami de mon frère, dans un cadre semblable à celui de Jean-Jacques Rousseau.

I. 3't


30$ L'ART DU XVIII» SIÈCLE.

29. Celui d'un Arménien.

30. Celui de Neuville, fermier général, en habit de moire.

31. Celui de Charles Maron, ancien avocat au Parlement.

•** Tous ces tableaux, en pastel, ont été peints par mon frère ; les suivants, peints à l'huile, sont de plusieurs auteurs célèbres, savoir :

32. Le portrait d'une jeune personne qui peint,

33. Une esquisse de M^ie Clairon, peinte en Médee, par Charles Tanloo.

34. Celui d'un jeune Flamand.

35. Celui d'un jeune Savoyard, par le célèbre Greuze, •36. Le portrait du maréchal comte de Saxe.

37. Une chasse au faucon, par Wouvermans.

"38. Alphée et Arethuse.

39. Le Fleuve Léthé.

40. Marc Antoine distribuant du pain à son peuple.

« J'entends et je veux que tous ces tableaux soient vendus à Paris, comme étant le lieu où on pourra en tirer un meilleur parti, surtout si les Anglais et les Russes y étaient revenus, et •que le prix de cette vente soit partagé, savoir : la moitié pour l'école gratuite de dessin, un quart pour le bureau des vieux artisans infirmes, et l'autre quart pour le bureau des pauvres femmes en couches. Je désire qu'il soit conservé sur les revenus de l'école une somme suffisante pour donner des prix d'encou- ragement et de récompense aux jeunes élèves. »

<i Je soussigné, Jean-François de La Tour,

« Je donne et lègue de plus à l'école gratuite de dessin pour rester à demeure dans la salle d'étude, sçavoir :

41. Le portrait de mon frère, peint en habit de velours noir «t en veste rouge galonnée en or, par Perronneau, et non une copie qui en a été faite.

42. Mon portrait peint à l'huile et en grand uniforme.

43. Celui d'un jeune homme qui boit.

44. Celui de Dachery en habit bleu.

45. Celui de Bertout (Restout) en habit gris.

46. Un singe qui peint.

47. Celui d'une jeune personne qui coud.


LA TOUR. 3«J9

48. Celui d'une dame hollandaise en domino.

50. Celui de Madame de la Popelinière,

51. Celui d'une jeune personne qui tient un pigeon sur son bras.

52. Celui d'une autre jeune personne à demi nue.

53. Celui d'une autre jeune personne à demi nue, qui est au- dessous de Mondonville.

54. 00, 56, 57. Quatre têtes de vieillard.

58, 59, 60. Trois figures de l'école flamande, dans des cadres dorés.

61, 62, 63, 64, 65. Cinq autres figures de l'école flamande, dans des cadres dorés.

66, 67. Deux autres tableaux flamands qui sont dans la chambre jaune, à côté de ma bibliothèque.

113. Quarante-six têtes d'étude dans de petits cadres noirs;

122. Neuf autres têtes d'étude dans de petits cadres noirs.

123. Le superbe tableau de la famille royale qui n'a pas été achevé,

124. Une petite dormeuse, toutes les figures en plâtre blanc.

125. La Vénus aux l)elles fesses.

126. 127. Le buste de Voltaire et de Jean-Jacques.

« Cependant j'autorise messieurs les administrateurs à

vendre tout ou partie desdits tableaux, même ceux que je laisse spécialement à l'école, s'ils trouvaient des occasions de vendre avantageusement.

« Fait et signé par moi, à Saint-Quentin, ce 20 septembre 1806.

« Signé : De La Tour. »

La donation de Jean-François de La Tour, mort le Umars 1807. fut acceptée par le conseil municipal de Saint-Quentin, le 15 mai de la même année. L'autorisation d'accepter ce legs fut accor- dée par un décret impérial du 5 septembre de la même année, et renouvelée par un second décret rendu le 9 mai 1808. Cette même année 1808, en exécution des testaments de Jean-François de La Tour, une vente était tentée à Paris. La feuille rarissime de cette vente, communiquée par M. Lemasle à M. Dréolle, porte l'en-téte suivant : « Catalogue des tableaux h Vhuile de différents peintres célèbres et des portraits au pastel par le ce-


400 i;art du xyiii» siècle.

lèhrc de La Tou)\ peintre du ci-devant Roi et de VAcadémie de peinture et de sniJpture, qui sont à vendre chez le frère de l'auteur à Saint-Quentin, département de l'Aisne. Tous les ta- bleaux en pastel sont fixés par l'auteur, et sojit d'une fraîcheur comme s'ils venaient d'être peints; ils sont regardés et estimés par les plus (jrands connaissew^s comme des chefs-d'œuvre U7iiques en ce genre, que l'auteur a porté au plus haut point de

la perfection » Dans cette vente, le portrait de Rousseau

ainsi annoncé : « Assis sur une chaise, dont il n'existe que deux originaux, savoir : celui qu'il a donné à M. le duc de Luxem- bourg et celui que l'auteur a gardé pour lui », montait à 3 francs! Quelques pastels étaient vendus 20 et 25 francs, parmi lesquels il y a sans doute à regretter le Mondonville « peint tenant son violon pour le mettre d'accord », que nous ne retrouvons plus dans la collection de Saint-Quentin. C'est à l'insuccès de cette vente, privée des enchères russes et anglaises, que la France et Saint-Quentin doivent la conservation et la réunion de ces pas- tels, si fort méprisés, alors qu'en 1811, à la vente Lelut, on vendait, sous un seul numéro, vingt-cinq préparations de La Tour avec quatorze dessins de La Rue.

Voici, de ce Musée de Saint-Quentin, le catalogue qui en a été rédigé par M. Meunechet, et auquel nous allons ajouter nos observations et nos annotations. Reprochons tout d'abord à M. Mennechet de n'avoir point fait de distinction entre les attri- butions provenant de la comparaison des gravures ou des pas- tels de répétition et les attributions indiquées par les testaments du frère de La Tour avec les attributions ayant pour elles l'au- thenticité du nom de la personne écrite de la main de La Tour. Regrettons encore que, dans le réencadrement, dans le passage des préparations de leur petit cadre noir original à leur nou- veau cadi'e doré, les indications de nom, écrites d'ordinaire sur une bande de papier collée sur le bois, ou bien cacliées au dos de la préparation dans un repli de la feuille, n'aient pas été reli- gieusement conservées et placées sous le verre. Par exemple pour mademoiselle Fay (Fel) la petite note d'écriture ancienne : Mademoiselle Fat/, actrice, maîtresse de La Toiir, que M. Champ- tteury vit, en 1855, collée sur le cadre du pastel; cette précieuse authentification a disparu. Et nous ne trouvons, dans la collec- tion, d'indication précise du temps ou de la main de La Tour, que sur trois figures : la Camargo, M. de Julienne, dont les


LA TOUR. 401

noms sont écrits à l'encre, et Mii« Piivigny, qui est écrit au crayon noir. Quant à ces noms de M">« Boëte de Saint-Léger, de M™e Rousse], de M™« Massé, de M™e Rougeau, ces noms qui n'ont pour eux ni la mention dans les testaments du frère, ni une indication écrite du temps, ni un rapport avec un portrait gravé, nous nous demandons sur quoi le catalogue qui doit au public la raison de ces baptêmes, a ainsi baptisé ces figures.

1. L'abbé Hubert, assis devant une table et lisant.

2. M. DE LA ReYNIÈRE.

En habit de velours cramoisi, galonné d'or, assis dans un fau- teuil, une main sur la cuisse, l'autre passée dans la veste. Carnations jaunâtres, pastel fade et passé.

3. Portrait du prince Xavier de Saxe.

En ha])it bleu, portant un grand cordon l)leu et un crachat avec la devise : Pj-o fide, lege et rege. Pastel très ordinaire.

4. Portrait de M. le marquis D'ARr,ENsoN.

Bon pastel qui nous montre le marquis avec la physionomie douce, jeunette, naïve d'un Jehan de Saintré. La cuirasse, si mauvaise dans le portrait de Louis XV, est ici admirablement réussie.

5. DioGÈNE tenant sa lanterne à la main.

Pastel fait sous l'inspiration de Rubens ou de Jordaens.

6. Portrait de Silvestre.

Peint en robe de chambre, coifte d'un mouchoir lilas, et te- nant sa palette de la main gauche. Manière du portrait de Du- mont le Romain.

7. Portrait de Vernezobre, marchand de couleurs de La Tour.

Coiffé d'un bonnet de fourrures à fond écarlate et drapé d'un manteau gros bleu.

Très vigoureux pastel jouant l'huile, mais un peu dur. et ressemblant plus à un pastel de Vivien qu'à un pastel de La Tour.

M. Dréolle nous apprend que ce portrait, désigné au testa- ment sous le nom d'un Arménien, a éfé reconnu postérieure- ment pour être le portrait d'un marchand de couleurs et de pastels du quai de la Feraille, qui fournissait La Tour.

8. M™c (le Mondonville.

Grand pastel à l'état d'esquisse. Mme ^le Mondonville est vêtue


402 L'ART DU XYIII-- SIECLE.

d'une robe rose pâle, avec un collier de rubans 1)leus au cou, une échelle de rubans bleus au corsage; accoudée sur un cla- vecin, le menton dans une main, taudis que l'autre, dans le plus élégant sentiment de dessin, essaye un accord. La tête seule est un peu avancée ; les ombres de la gorge sont faites d'un écrasis de crayon violet, les bras et les mains sont à peine colorés, gazés de pastel. Longtemps ce portrait a passé pour le portrait de M™c de la Popelinière, et l'ancienne attribution mérite quel- que considération. Le portrait de Madame de Mondonville, possédé par M. Eudoxe Marcille, et dont l'authenticité semble irrécusable par le nom de Mondonville jeté sur la partition de musique, ne ressemble pas à la Mondonville du musée de Saint- Quentin, et le clavecin sur lequel elle est appuyée, et qui doit être une des causes de sa nouvelle attribution, ne dit-il pas l'ancien état de Mme de la Popelinière, qui était chanteuse à l'Opéra?

9. Portrait de Dupeuche, maitre de dessin de La Tour.

Il est peint en veste et bonnet noir, appuyé, les bras croisés sur une chaise de brocart violet, une main froissant un mou- choir bleu.

Pastel d'une touche et d'une vigueur im peu brutales.

10. Monnet, directeur de l' Opéra-Comique.

Peint en habit noir, avec gilet à chamarrures d'or et jabot de dentelle.

Portrait parlant, portrait à l'œil noir qui a l'esprit et le per- çant de l'homme de théâtre et d'affaires qu'était Monnet.

11. M. DE LA Popelinière ^

Peint en habit de velours, gilet brodé et jabot en dentelle. Pastel fatigué qui a gardé ime belle et chaude coloration.

12. Jean-Jacques Rousseau.

Peint en habit et en gilet gris, assis sur une chaise.

Pastel d'une grande finesse, mais manquant un peu de re- lief.

14. Dachery. Peint en habit gris. Pastel supérieur au n» 19, un autre portrait du même personnage, tout barbouillé des tons

1. Un portrait au pastel de ^J. de la Popelinière, en habit de velours d'un ton rouge clair, et en jabot et en manchettes de dentelle, sa main droite passée dans l'habit, son tricorne sous le bras gauche, passait à la vente Carrier en avril 1868.


LA TOUR. 403^

noirs et durs du maquillage théâtral ; une tête d'ailleurs horri- blement ingrate.

13. Parrocel.

Je passe les numéros qui ne sont pas de La Tour ou les tétes^^ sans attribution.

16. Manelli, bouffon du Théiître-Italien.

En habit de velours bleu, soutaché de galon d'or, une cravate de soie rose dénouée au col, la perruque en pyramide, la figure ouffonnante, un rire de vieille femme dans un masque de car- aval.

17. Charles Maron, avocat au parlement. Pastel bavocheux où le dessin est perdu.

18. Rkstout, directeur de l'Académie de peinture. Pastel ordinaire.

20. De Neuville, fermier général.

Peint en habit de moire lilas : vraie figure de financier, dont le teint fleuri est admirablement rendu avec des accentuations et des lumières de pure craie.

21. DucLOS.

Peint en habit de velours bleu. Bon grand pastel poussé au fini,

22. Portrait d'un homme à longue barbe.

23. L'abbé Pommier, chanoine de Notre-Dame.

Tête jeune, vive et spirituelle figure ecclésiastique d'un faire- un peu commun.

24. L'abbé Le Blanc. Pastel dur et briqueté.

25. Le père Emmanuel, capucin, confesseur de La Tour. Mauvais et maladroit pastel.

26. Le maréchal de Saxe.

27. De Forbonxois, écrivain sur les finances.

Les deux études 28 et 29, dans lesquelles des personnes vou- laient voir une manière première de La Tour, sont des répéti- tions ou des copies de la Rosalba; l'une, la femme tenant une couronne de lauriers, est une copie dont l'original est au Louvre.

30. La présidente de Rieux.

Femme en coiffure basse, poudrée, dans un peignoir blanc, tenant un masque à la main, la tête seulement faite, tout le reste à peine frotté de couleurs. C'est le portrait indiqué au testament


404 L'ART DU XV1II« SIÈCLE.

SOUS le titre une dame hollandaise. Ne serait-ce pas plutôt le portrait de M'ie Zuylen, l'élève et la correspondante de La Tour, qui devint M'" Charrière? Pourtant, le nom de M^e de Rieux a pour lui l'autorité du livret de 1742.

31. Jeune homme buvant un verre de Champagne.

34. Préparation pour le portrait de M°ie Boete de Saint- Léger.

38. Préparation pour le portrait de Chardin, en costume de chasse, dit le catalogue.

39. Préparation pour le portrait de M^i^ Puvigny, sans doute Puvigné, la danseuse de l'Opéra, jeune figure au type bovin, ne justifiant pas les vers :

Enfant pour qui la nature Épuisa tous ses trésors,


42. Préparation pour le portrait de M™^ Roussel.

44. Préparation pour le portrait de Crébillon, le père.

46. Préparation pour le portrait de M. de Julienne.

Fine et délicate préparation, dans un ton un peu vineux, rappelant le type de la gravure de Watteau.

49. Préparation pour le portrait de M™^ Massé,

31. Préparation pour le portrait du duc de Bourgogne, petit- fils de Louis X\'.

57. Préparation pour le portrait de M. de Breteuil.

59. Préparation pour le portrait de Par.is de Montmartel. Attribution douteuse : pas la moindre ressemblance avec le

portrait gravé par Cathelin.

60. Préparation pour le portrait de la Camargo.

63. Préparation pour le portrait de M^e de la Boissière. Est-ce la mère du jeune modèle que nous montre la gravure

de Petit?

64. Étude de femme inconnue, d'après le catalogue.

Une préparation moins avancée que celle de Saiut-Quentin et que nous possédons avec le nom écrit par La Tour, nous permet d'affirmer que c'est M^e Dangeville.

68. Préparation pour le portrait de La Tour.

69. Préparation pour le portrait de Mii« Fay (M^e Fel).

73. Préparation pour le portrait de Louis XV.

74. Préparation pour le portrait de M^^ de Pompadour.


LA TOUR, 40.-,

Très sui)érieure à la préparation no 8't, répétant le même mo- dèle.

75. Préparation [)Our le portrait de René F'rémin.

Fausse attribution. Il ne ressemble nullement au grand por- trait du Louvre.

78. Préparation pour le portrait de M"ic Favart.

79. Préparation pour le portrait de Marie-Josèphe de Saxe, mère du Dauphin.

Etude pour le grand tableau n» 85.

80. Préparation du portrait de M. d'ALEMBERT. Admii-able préparation.

81. Préparation pour le portrait de M. de Lowendai.. Attribution douteuse : figure ramassée, nez court, tandis q-ie,

dans la gravure de Wille, c'est une figure oblongue, au nez très long.

82. Préparation pour le portrait de M^c Rcugeau. Détestable préparation et attribution douteuse.

83. Préparation pour le portrait de M. de Montcrif.

85. Grande esquisse représentant la Dauphine faisant l'édu- cation du duc de Bourgogne, son fils.

Immense pastel. Mauvaise ébauche des figures. Composition encombrée d'accessoires mal rangés : buste de Louis XV, con- sole, tenture, tabouret où jouent un chien et un chat, table chargée de livres à images. La Dauphine, en robe de velours rougeâtre, agrémentée de fourrures, assise, donne la main à son fils, tout vêtu de bleu, avec broderies à brandebourgs blancs, le cordon bleu en sautoir, son bonnet à plumes à la main; la tète delà Dauphine et les bras él)auchés. Admirables lumières de velours dans la robe de la mère et dans le bleu de l'enfant, mais point d'effet. Un petit fond à droite presque grotesque : silhouette de soldat montant la garde, et au-delà des remueuses promenant des enfants.

Cette préparation est intéressante, parce que la tradition veut que le tableau, terminé et ofTert par La Tour à l'hôtel de vill» de Saint-Quentin, ait été lacéré en 1793.


34.


PASTELS DE LA TOUR

DES COLLECTIONS PARTICULIÈRES


Pour compléter ce catalogue de l'œuvre de La Tour, il fau- drait indiquer tous les pastels éparpillés dans les collections, gardés dans les familles; travail presque impossible avec ce nombre de préparations, montant à quatre ou cinq pour une figure, et graduées en partant d'une première étude, où il n'y a qu'un peu de crayon noir et de craie avec un accent rouge sur les lèvres, allant de là à une seconde ébauche, rehaussée de sanguine et sabrée de crayons de couleurs, s'approchantdans une troisième des vrais tons de chair qui font presque disparaître le l)leu du papier, et dans une quatrième, une cinquième plus cou- verte, devenant presque le grand pastel définitif. Contentons- nous d'indiquer ceux que nous connaissons.

A la vente Lelut, eu 1811, se vendaient en un seul lot, avons- nous dit, vingt-cinq préparations de La Tour, mêlées à quatorze dessins de La Rue.

A la vente Gounod, en 1824, étaient livrés aux enchères vingt- trois portraits d'hommes et de femmes, morceaux au pastel, dont dix étaient seulement sous verre et le reste en feuilles.

A la vente Denon, en 1826, passait, sous le n» 817, un por- trait de Crébillon peint au pastel et vu en buste de trois quarts.

A la vente Saint, en 1846, le portrait de la Salle, la danseuse de l'Opéra, grandeur nature, se vendait 600 livres. " Elle est. dit le catalogue, en déshabillé de ville, et vue jusqu'aux ge- noux. »

A la vente de M. Boittelle, en 1866, passaient plusieurs pas- tels, dont un portrait de La Tour et de Cupis.


408 L'ART DU XVIII' SIÈCLE.

A la première vente de M, Laperlier. en avril 1867, avec un portrait d'un homme et d'une femme inconnus, se vendait le portrait de M. Dupeuche, peintre du roi de Pologne. Il est drapé dans une robe de chamhre bleue à ramages, avec un mouchoir noué autour de la tête, et tient une palette à la main. Ce pastel (H. 64 c, L. 53 c.) était acheté 225 francs.

A la vente du 8 novembre 1867 se vendait un portrait de La Tour qui avait appartenu à M. Lagrange. C'était un portrait de la jeunesse de l'artiste et oîi il s'était représenté vêtu d'un habit de velours bleu, en jabot de dentelle, en perruque poudrée. Ce portrait, d'après une note collée au revers du cadre, aurait été exécuté en 1751.

A la vente Carrier, en 1868, passaient une quinzaine de pas- tels, parmi lesquels figuraient le Dauphin, fils de Louis XV, et un M. de la Popelinière.

A une vente anonyme, faite par M. Valferdin, se vendaient plusieurs pastels, entre autres un portrait de AVatelet.

A la vente Camille Marcdle, en 1876, une préparation du por- trait de Silvestre se vendait 300 livres. 11 y avait encore un portrait de La Tour dans le mouvement de la gravure de Schmidt, et que je crois faux, et une préparation de Dumont le Romain et de Louis de Bourbon, père de Louis XVL

A la seconde vente de Laperlier, en 1879, une tête de femme inconnue se vendait 380 francs. Quant au beau portrait du gra- veur Schmidt, représenté coiffé d'nn bonnet dé velours bordé de fourrure, et vêtu d'un habit gris à ramages, et vu de face, sou- riant, le menton dans sa main droite, il atteignait le prix de 4,150 francs.

A l'exposition d'amateurs du boulevard des Italiens, en 1860, M. Didier avait envoyé un portrait de Jeaurat et un grand pastel de femme assise, vêtue d'une robe bleue, tenant un sac brodé, pastel provenant de la vente Véron, 1858.

A l'exposition du palais de l'Industrie, en septembre 1874, M. William Blodget exposait un grand pastel du notaire Lai- guedive, où il est représenté assis sur une chaise, un bras ap- puyé sur le dossier, la main gauche tenant une lettre entr'ou- verte. Il est vêtu d'une robe de chambre en brocart bleu à branchages d'or, avec un bonnet de nuit noué par un ruban semblable à l'étoffe de la robe de chambre.

Je me rappelle avoir vii à Chartres, il y a une quinzaine d'an-


LA TOUR. 409

nées, un portrait de M. Boisroger, en habit gris à brandebourgs, d'une facture large et puissante. Il y aurait aussi, chez M. Gaul- lieur, à Lausanne, un portrait de Madame Charrière. Enfin, le pastel original de Sophie Arnould, dans un cadre magnifique, aurait été possédé par un docteur Mollay, habitant la place du Marché Saint-Honoré.

Dans les collections de Tlieure présente, je citerai :

Chez Madame la comtesse de Baulaincourt, un portrait d'A- drienne Lecouvreur,

Chez Madame la princesse Mathilde, le portrait de Tabbé Nollet, maître de physique du Dauphin, le portrait terminé ex- posé au Salon de 1753, où il est représenté avec sa figure fine et colorée, en redingote ecclésiastique.

Chez M. Eudoxe Marcille, un grand pastel de M^c ,ie Mon- donville, appuyée sur un clavecin, vêtue d'un mantelet bleu garni de fourrures, et d'un corsage à coques jonquille. Sur le papier de musique ouvert sur le clavecin, on lit : Pièces de cla- vecin (le Madame de McmdonvUle; — un portrait de M™c de Grraffigny, en mantelet noir, en guimpe de dentelle sur la tête;

— deux préparations très avancées de Voltaire et de Rousseau' ;

— deux autres préparations de Chardin et de Raynal, etc.

J'ai chez moi un portrait achevé et de la plus grande finesse d'une femme inconnue, en robe de velours bleu, garnie de cygne et de dentelle; — un masque de La Tour; — une préparation de M™e de Pompadour; — une préparation de M^i^^ Dangeville;

— une préparation de Dumont le Romain.


1. Il y a aussi un pastel de Rousseau chez Mme Delessert et chez le comte de Girardin.


ŒUVRE GRAVÉ DE LA TOUR


L\ Tour (en chapeau bordé), pastel de Saint-Quentin, gravé par son ami G. -F. Schmidt, graveur du Roi en 1772, in-folio.

La Tour (coiffé d'un petit bonnet), gravé par sou ami Schmidt, 1742. In-folio.

La Tour, gravé par son ami Smith, Londres, 1751. Schmidt dit à propos de cette copie, dont le graveur anglais a cherché à enlever la vente avec une mise en scène de son cru : « On a fait en Angleterre une copie plus petite de ce portrait en ma- nière noire. Elle est assez fidèle, excepté dans les accessoires. Au lieu d'une porte fermée, elle offre une femme vue par le dos, levant sa chemise et montrant le derrière. » Nous laissons au lecteur ù juger de ce trait de satire. On aperçoit aussi sur le canevas du chevalet l'esquisse d'une femme qui lève sa che- mise et montre son devant; ce qui n'est pas l'original. »

D'Alembert, gravé par Maviez, 1788, in-S». — Gravé par Da- goty, et d'autres.

Sophie Arnould dans le rôle de Zyrphé de l'Opéra de Zélin- dor, gravé par Bourgeois de la Richardière.

Charles-Louis-Auguste Foucquet de Belle-Isle, duc de Gisors, pair et maréchal de France. De La Tour, cffigieni pmxit, Moitte sculptor régis tabiilam integram del'in. et sculp. In-folio. Ce portrait a été encore gravé par Melliug et Vange- listy.

Marie-Gabrielle-Louise de la. Fontaine Solare de la Bois- sière, gravée par Petit. In-fol.

Nivelle de la Chaussée, gravé par Ingouf Junior. In-S".

Crébillon, gravé par Moitte. In-4o. — Gravé par Cathelin et lugouf Junior, i78i.


412 L'ART DU XVIII' SIECLE.

Pierre Demours, médecin oculiste, gravé par Masquelier, 1792. I11-40.

Charles Duclos, de rAcadémie française,, gravé par Duclos. In-12.

Jacques Dumont le Romain, peintre du Roi, gravé par J.-J. FI i part. In-foL

Bernard le Bovier de Fontenelle, gravé par Dupin. Chez Odieuvre. In-S".

René Frémin, sculpteur, gravé par P. -L. Suruguele fils, 1747. In-fol.

Hubert Gravelot, gravé par Massard. In-4o. — Gravé par Gaucher. In-S».

Louis, dauphin de France, gravé par Petit. In-4o. — Gravé par Basan, Aubert, de Larmessin.

WoLDEMAR DE LowENDAL, mai'échal de France. Les orne- ments inventés par Gravelot. Gravé par Wille, 1749. In-tol. — Gravé par Lévesque et Romanet.

Marie (Leckzinska), princesse de Pologne, reine de France et de Navarre, gravé par Petit. In-4°.

De Montcrif, gravé par Cathelin. In-4o.

Marc-René de Montalemrert, gravé par A. de Saint-Aubin. In-40.

Messire Jean-Paris de Montmahtel, la tète d'après M.-Q. de La Tour, Thabillement et le fond dessinés et le tout con- duit par C.-X. Cochin le fils, gravé par L.-J. Cathelin. Gr. in-fol.

Charles Richer de Roddrs de la Morlière, gravé par Le- picié. In-fol.

L'Abbé Nollet, gravé i)ar Moles, 1771. — Gravé par Beau- varlet. In-4o.

Jean Restout, peintre ordinaire du Roi, gravé par Moitte, 1771. In-fol.

J.-J. Rousseau, gravé par A. de Saint-Aubin. In-4o. —Gravé par Ficquet. In-S".

Josèphe de Saxe, dauphine de France, gravée par Petit fils. In-40. — Gravée par Aubert.

Sylvia, actrice, gravée par Surugue le fils. In-i».

Antoine Vicentini dit Thomassin, gravé par T. Bertrand. In-fol.

Voltaire, gravé par Cathelin. In-4o. — Grave par Ficquet et d'autres.


LA TOUR. 413

Le catalogue Paignon-Dijonval mentionne encore parmi les estampes anciennes im portrait de Charles, prince de Galles, gravé par Au1)ert.

Parmi les portraits inédits gravés par des contemporains, nous citerons le portrait de Madame de Pompadour, gravé par Massard; les portraits de La Tour, de Voltaire, de Rousseau, de Chardin, de Rajnal, gravés par Jules de Goncourt; le pré- tendu portrait de M'ne de Mondonville, du Musée de Saint- Quentin, gravé par Montant, et, en première ligne, le portrait du notaire Laiguedive, gravé supérieurement par Waltner dans rArf.


FIN


TABLE


Pages.

Watteau 3

Chardin 93

Boucher 195

La Tour 317


Paris. Typ. G. Chamerot, 19, rue des Saints-Pères. 10396.


I


BIBLIOTHÈQUE CHARPENTIEi

13. RUE DE CtRENKLLE-SAINT-GERMAIX. 13. PARIS

POUR PARAITRE PROCHAINEMENT :

L'ART DU XVIir SIËCIE

DEUXIÈME SÉRIE GREUZE — LES SAINT-AUBIN - GRAVELOT — COCHIN

TROISIÈME SÉRIE EISEN — MOREAU — DEBUCOURT — FRAGONARD — PRUDHON


ŒUVRE HISTORIQUE


La. Femme au XVIIIc siècle... I

La Duchesse de Chateauroux 1

Madame de Pompadour !

La Du Barry 1

Marie- Antoinette 1

Histoire de ^^a Société française pendant la Révolution. ... 1

Histoire de la Société franc.aise pendant le Dip«.ectoire .... 1

P0RTP«.ATTi" NTTMES DU XVIHe SIÈCLE l ^0H^

La Maison d\'s Artiste ^ 2 vol.

Gavarni : L'Homme et L'Œuvre i qK


Chacun de ces ouvrages forme un volume el se vend séparémenl Prix : 3 fr. 50


Paris. — Typ. G. Chanierot. 19. rue des Saint-Pères.— I099G.


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