How Zola Composed His Novels  

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How Zola Composed His Novels (1906, Comment Émile Zola composait ses romans) is a book by Henri Massis.

"he founded his work on a theory which is the most singular of mistakes."

Full text[1]

COMMENT

EMILE ZOLA

COMPOSAIT SES ROMANS



IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE :

.25 exemplaires numérotés su) 1 papier de Hollande.



I HENRI MAoSIS


COMMENT


EMILE ZOLA


COMPOSAIT SES ROMANS


— D'après ses Notes personnelles et inédites —



493577 Z. r \ ■

PARIS BIBLIOTHÈQUE- CHARPENTIER

EUGÈNE FASQUELLE, E'DITEUR 11, RUE DE GRENELLE, 11

1906

Tous droits réservés,


PQ


EUÊCTRONIC VERSION AVAIlAftlE

n o.


A Monsieur ABEL LEFRANC

PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE

Hommage d'affection et de dévouement.

H. M.


AVERTISSEMENT


De tous les romanciers contemporains, Emile Zola fut à la fois le plus populaire et le plus différemment jugé. 11 eut quelques admirateurs sincères : des amis, des disciples; ses détrac- teurs ont été nombreux : presque tous les criti- ques et le public lettré. Son succès fut très grand, mais il le dut à des causes diverses. On consacra d'innombrables études, sous le prétexte d'analyse, d'appréciation ou d'examen, à con- damner ses romans et à nier son talent; on voulut généralement le méconnaître ou on le comprit mal. Il fit, d'ailleurs, tout ce qu'il put pour cela. 11 fonda son œuvre sur une théorie qui est, à la vérité, la plus singulière des méprises et que personne n'essaya de juger autrement. Il prétendit établir le roman réaliste non plus seulement sur l'observation, mais sur « 1 expérimentation ». Il supposa que le roman-


vin AVERTISSEMENT

cicr peut opérer sur le caractère, sur les passions des hommes, « comme le chimiste et le physi- cien sur les corps bruts, comme le physiologiste sur les corps vivants », alors qu'il ne peut faire sur eux que des observations. Cette idée, il ne l'abandonna jamais ; il la développa et la soutint avec une ardeur et une bonne foi constantes, bien que, en fait, il lui fût heureusement infi- dèle. D'autre part, et afin de donner encore à ses ouvrages une allure scientifique, il s'avisa de l'hérédité et entendit unir les différents person- nages de ses livres par des liens tout arbitraires de parenté ou d'alliance. On ne vit dans cette Histoire naturelle d'une famille sous le second Empire, qu'un artifice littéraire assez inutile du reste, mais on s'en servit pour incriminer tous ses romans. En somme, on ne voulut pas consi- dérer ce qu'il faisait, mais ce qu'il disait vou- loir faire : de là, une équivoque surprenante, qui n'est pas encore éclaircie.

Aujourd'hui, Emile Zola appartient à l'his- toire, et un effort sérieux sera nécessaire pour dégager l'âme et le sens vrai de son œuvre; il faudra la débarrasser de tout ce dont il Fa inu- tilement affublée, la découvrir sous l'amas con- fus des théories et du système : elle vaut qu'on s'en occupe. C'est une contribution motivée à cette critique sympathique et équitable que nous


AVERTISSEMENT ix

nous proposons d'apporter ici, à L'aidé de docu- ments recueillis dans les manuscrits d'Emile Zola, déposés par les soins de sa veuve à la Bi- bliothèque Nationale. Nous espérons en tirer quelques notions intéressantes, capables de nous conduire h une conception nouvelle et plus par- faite de l'individualité de notre auteur. Là ou l'on croira trouver le théoricien, l'historien, le savant, l'expérimentateur, on sera étonné de ne voir qu'un artiste qui, en somme, travaillait et procédait comme tous les artistes, peut-être avec un peu plus de scrupules et de conscience, mais avec autant d'imagination, d'intuition et de génie personnel.

Nous possédons toutes les notes, tous les documents, tous les matériaux qu'Emile Zola recueillit patiemment pour l'édification de son œuvre colossale. Ses manuscrits nous permet- tent de suivre sa pensée depuis ses premières démarches jusqu'à son plein développement : nous avons là le témoignage de chacune des phases par lesquelles elle a passé; nous com- prenons par quels efforts et par quels degrés successifs chaque roman est parvenu à son état actuel; nous le voyons germer, naître et gran- dir.

« Quand on sait de quelle manière un ar- tiste invente, a dit Taine, on peut prévoir ses


x AVERTISSEMENT

inventions ». Notre étude sur les documents directs aura donc pour but de déterminer les moyens par lesquels sont atteints les effets de l'œuvre, d'y découvrir mille artifices de compo- sition, de technique, que la lecture du roman ne saurait révéler, d'en saisir toutes les particu- larités internes. Nous connaissions l'œuvre par le théoricien et nous la jugions mal; nous la connaîtrons par l'ouvrier, par l'artiste, et la pré- cision de nos critiques deviendra possible. Ce sera, en outre, une indication sur la nature même et l'esprit de notre auteur. Nous trouve- rons sans fard et à nu sa constitution intellec- tuelle, ses tendances, ses aptitudes, ses particu- larités saillantes. Nous prendrons sa pensée en pleine existence, en pleine activité primesau- tière ; bref, nous aurons son état psychologique, et c'est le but de la critique.

Dans une première partie, nous publierons le Plan général et les Notes que Zola rédigea en 1868 et où il arrêta, d'un coup et à l'avance, la marche et la nature de l'œuvre qu'il allait for- muler. Nous verrons par ces confessions intimes, comment il conçut ce vaste ensemble et en détermina les parties; quels matériaux il choisit pour l'édifier, sur quel terrain il entendit le placer; en résumé, ce qu'il voulait être et faire.


AVERTISSEMENT xi

Nous étudierons, dans une seconde partie, comment il composa ses romans, et nous exa- minerons spécialement ses procédés de travail. Mais ici il fallait nous borner. La collection complète des manuscrits d'Emile Zola se com- pose de 90 volumes; le dossier de Germinal, par exemple, forme quatre volumes de 500 pages. Pour ce premier essai d'enquête documentaire, nous avons cru devoir choisir le roman de Zola qui passe pour son œuvre maîtresse, ce qu'on peut penser qu'il demeurera dans l'histoire de la littérature contemporaine, Y Assommoir l .

Enfin, il était nécessaire pour l'intelligence des textes qui serviront de base à nos critiques, de les faire précéder d'une courte étude sur latr méthode de travail d'Emile Zola, et d'une notice sur la composition de V Assommoir. Ces indica- tions préliminaires sont, en effet, indispensables au lecteur pour le guider à travers les docu- ments de notre dossier; elles lui en indiqueront la nature et lui fourniront l'ordre et les disposi- tions d'après lesquels nous devrons les classer.

Nous ne pouvons terminer sans adresser nos remerciements à Madame Emile Zola, qui a bien


1. Ajoutons que le dossier de Y Assommoir avait cet avan- tage pour nous, d'être peu volumineux et de présenter néan- moins d'une façon complète les procédés de travail d'Emile

Zola.


xi! AVERTISSEMENT

voulu s'intéresser à notre travail et nous a accordé, avec une délicate complaisance, la permission de publier les nombreuses pages de Zola qui forment le fonds de cette étude. C'est un devoir pour nous, dont nous nous acquittons ici volontiers, de l'assurer de notre vive grati- tude.

Henri Massis.


Neuilly-sur-Seine, 30 janvier 1906.


COMMENT

EMILE ZOLA

COMPOSAIT SES ROMANS


PREMIERE PARTIE

CONCEPTION DU ROMAN NATURALISTE


PLAN GÉNÉRAL ET ÉTABLISSEMENT DE L'ŒUVRE (1868-1870)

" LES ROUGON-MACQUART"

(Documents inédits) 1

En 1868, Emile Zola avait produit, à part quelques conles. et des romans-feuilletons écrits pour le vivre, deux ouvrages qui, bien qu'ils n'eussent point re- cueilli un gros succès, n'en furent pas moins suivis de discussions et de remarques, Thérèse lîaquin et

1. Les documents que nous réunissons sous ce titre pour les commenter sont tirés d'un volume de Notes et extraits divers


2 COMMENT EMILE ZOLA

Madeleine /'Y-rat. Puis çà el là, dans des articles de critique ou plutôt de polémique littéraire qu'il inti- tulait superbement Mes Haines, il avait laissé con- naître quelques-unes de ses sympathies artistiques, précisé certains points de son esthétique. Il était clair que ce jeune homme avait « un tempérament ». Mais, on pouvait juger — el il en convenait lui-môme


(Bibliothèque Nationale, Don 3.988; vol. 81; Nouv. aeq. ir. 10.345). 11 se compose de 182 feuillets, et est ainsi divisé :

1° Notes générales sur la marche de l'œuvre (f os 1

2° Notes générales sur la nature de l'œuvre (f 08 9-13 ;

3° Note intitulée : Différences entre Balzac et moi (f° s 14-16 ;

4° Détenu ination générale ; f 0s 1*3-23 ;

5° Notes prises dans la Physiologie des Passions de Letour- neau (f° s 27-48);

6° Notes sur l'Histoire du seconi Empire de Taxile Delord (fos 49-56) ;

1° Analyse du Traite' de l'Hérédité naturelle du D 1 ' Lucas; et résumé des notes (f os 57-115 ;

8° Notes sur les convulsions, la chloro-anémie et rensei- gnements divers pour Une Page d'Amour; noms de person- nages; deux photographies de Paris, vu à vol d'oiseau. Liste des romans, dressée en 1868. Arbre généalogique, etc. Note placée en tête de : Une Page d'Amour (f° s 116-182 .

Nous publions ici et dans cet ordre les documents suivants :

Chapitre I. Conception générale de l'œuvre : a) Notes générales sur la marche de l'œuvre; 6) Notes sur la nature de l'œuvre; c) Différences entre Balzac et moi.

Chapitre II. Etablissement scientifique de l'œuvre et ouvrages spéciaux :

a) « Physiologie des Passions » ;

b) « Traité de l'Hérédité naturelle » (extraits;. Chapitre 111. Détermination générale et Plans.

Nous y avons ajouté quelques fragments extraits du dossi, r de la Fortune des Bougon (nouv. acq. fr. 10.303) qui se rat- tachent aux précédents et les complètent.

Chapitre IV. Plan général remis à l'éditeur Lacroix et projet primitif des romans de la série.


X


COMPOSAIT SES ROMANS 3

— qu'il n'avait encore que battu l'eau à coups de bâton et dépensé son énergie en pure perte. Or, l'auteur n'était point de ces gens qui dussent en rester là. Il lui fallait maintenant dégager de ces essais une ou deux idées — ce'a lui semblait suf- fisant — qui marqueraient la vraie mesure de son originalité, qui créeraient une formule. En somme, il sentait ou, pour mieux dire, il pressentait ce dont il était capable; ces premières expériences, bien qu'imparfaites, lui avaient révélé les qualités maî- tresses de sa nature. L'impulsion décisive restait à donner.

Fi se mit dans ce dessein avec acharnement; il y employa toute la force de sa volonté qu'il avait grande, et en six mois, délibérément, il arrêta la marche et fixa la nature d'une œuvre, à laquelle il devait consacrer plus de vingt ans de sa vie. Nous assistons à ce spectacle étonnant d'un jeune homme de vingt-huit ans, à ses débuts, qui s'engage à réaliser un programme immense et se crée aupa- ravant une pensée, un cadre, échafaude son édifice dont il distribue solidement les parties. On com- prend aisément quelle joie nous éprouvons à con- naître ces confessions d'un auteur, plein d'une généreuse audace qui ne recule devant rien et nous confie bien ingénument son ambition, ses désirs; nous voyons naître ce génie robuste et puissant qui s'essaye à trouver sa vision particulière, se cherche, se donne des ancêtres et qui se pose tout hardiment novateur, formule une poétique, un système.

Je sais bien que la plupart des idées que vous ren- contrerez ici ont été maintes fois exprimées plus tard par Emile Zola — puisqu'il n'en eut jamais d'autres,


4 COMMENT EMILE ZOLA

et qu'après tout, vous ne ferez que relire ce que vous connaissiez dès hier. C'est encore un morceau de doc- trine, mais qu'il est plus primesautieret que, comme plus naïf, il est plus sincère! On voit que nous ne nous exagérons point la valeur de nos inédits. Donc, ces textes sont publiés pour l'historien des lettres qui étudiera le mouvement des idées de 4850 à 1870; et puis, et surtout, pour le critique, curieux de détails personnels; il y prendra, dans ses tendances inti- mes, l'artiste qui sent sa vocation s'éveiller et nous exprime ses toutes premières volontés. Et cela n'est pas absolument indifférent; il est besoin qu'on s'y arrête, — aussi essaierons-nous dans quelques ré- flexions préliminaires d'expliquer un peu cet homme et ce moment.

Voici donc un auteur, très certainement doué, qui n'est plus tout à fait un inconnu et qui juge ce qu'il a écrit précédemment, insuffisant et provisoire; il est « une force », et il le sait, d'une entière con- science. 11 a une volonté de puissance qui doit être réglée, dirigée, car il est impalient d'agir. Vous pen- sez bien que lorsqu'il aura celte direction, il ne s'en écartera plus, mais, comme vous le connaissez, qu'il la suivra obstinément et n'en voudra pas d'autre. Aussi raisonne-t-il avec lui-même. « D'abord, se dit Zola, je suis romancier et je veux dominer; or, pour dominer, il faut aujourd'hui apporter une certitude, une vérité. Taine, mon maître, prétend qu'il n'y a pas de grand romancier qui ne contienne un philo- sophe 1 . C'est donc une question capitale et voilà

1. En citant cette pensée, Ton verra que Zola ajoute : « Oui, une philosophie absurde à la façon de Balzac »; mais malgré tout, son premier soin sera de se munir d'un système.



COMPOSAIT SES ROMANS

huit ans que je cherche... Je dois formuler énergi- quement l'œuvre que je vais entreprendre, chercher la loi à laquelle je me soumettrai pour affirmer et être, à mon tour, le plus grand romancier de mon pays et de mon temps. Je le veux; il n'y a rien à redire à cela, je pense. (Et vous verrez combien les expressions : je veux, Urne faut, reviennent souvent; il est tout volonté.) Eh bien, je n'aurai pas manque de philosophie; je vais m'en enquérir, par avance. Je veux un système et un système tout neuf; je dois nécessairement le tirer du mouvement général des esprits. Quel est-il? On croit à la Science. L'Avenir est là, c'est l'avis commun. De quelque côté que je me lourne, je ne rencontre que savants. Sainte- Beuve ne déclare-t-il pas, qui est très clairvoyant : <( Anatomistes et physiologistes, je vous retrouve partout! »

Or, remarquez que Zola parle raison. Le fait est alors, et s'observe généralement 1 . Lamarck et ses théories de l'hérédité et de l'évolution que Darwin renouvelle et illustre d'une façon inattendue a ap- ** porté l'hypothèse la plus féconde de la science. Après Mageridie, Claude Bernard ouvre un laboratoire de physiologie au Collège de France; absorbé par l'idée scientifique qu'il poursuit, il recherche « avec délices un filet nerveux dans les chairs puantes et livides », créant ainsi la médecine expérimentale. La doctrine qu'il enseigne, c'est le déterminisme, autrement dit, cette « liaison intime des phénomènes qui permet d'en prévoir l'apparition et de la provoquer; non seu-

1. Lire l'intéressante étude de M. Bernard Bouvier sur IQE uvre de Zobt. Genève, Eggimann, 1904.

1.


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lement il nous rend compte de la nature, mais il nous en rend maîtres ».

Environ ce temps, on invente les maladies ner- veuses, et cela suffit pour bouleverser, tout sim- plement, la psychologie et la métaphysique. Les études de Mesnil ou d'Azam, des recherches tou- chant la névropathie cérébro-cordiaque, par exem- ple, en apprennent plus long sur les éléments de la notion du « moi » que les livres de M. Joufïroy ou ceux de M. Cousin. C'est à « Pâme que la science veut se prendre », et on lit Yulpian, Flourens, au lieu des psychologues. Tainj?, l'auteur des Philosophes classiques, répand ces doctrines, dans la préface à une Histoire de la Littérature anglaise (1803). « Que les faits soient physiques ou moraux, dit-il, il n'im- porte; ils ont toujours des causes. Il y en a pour l'ambition, pour le courage, pour la véracité, comme pour la digestion, pour le mouvement musculaire, pour la chaleur animale. Le vice et la vertu sont des produits comme le sucre et le vitriol. » Et voilà une phrase, qui deviendra un credo, que l'on retrouvera au fond de toutes les œuvres des artistes contem- porains et précisément d'Emile Zola qui l'adoptera comme une devise et la codifiera.

En philosophie, Littré défend toujours avec cou- rage son maître Auguste Comte et publie les Prin- cipes de philosophie positive (1868). Dans l'art, mêmes tendances. Le poète Lecoiïte de Lisle écrit en 1852 : « L'art et la science, longtemps séparés par suite des efforts divergents de l'intelligence, doivent désormais tendre à s'unir étroitement, sinon à se confondre. L'un a été la révélation primitive de l'idéal contenu dans la nature extérieure ; l'autre



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en a été l'exposition lumineuse et raisonnée. Mais l'art a perdu cette spontanéité primitive; c'est à la science de lui rappeler ses traditions oubliées, qu'il fera revivre dans les formes qui lui sont propres. » Ainsi, à la fantaisie romantique va succéder la fantaisie scientifique. On a la curiosité des cas rares, des sujets exceptionnels que les Maury obser- vent dans les maisons de santé; des romanciers étudient les phénomènes de l'hystérie et toutes les hypertrophies et les déviations de l'être normal' on ne coupe plus en quatre les cheveux du senti- ment, on veut pénétrer dans la « clinique de l'amour ». En peinture, Courbet lance le mot : réa- lis?ne el ne craint point de proclamer : « Il faut enca- nailler l'art; il y a trop longtemps que les peintres mes contemporains font de l'art à idées et d'après des cartons. » Partout, ce ne sont que théories solennelles comme des prophéties; les savants et les artistes communient dans la foi nouvelle. Le dogme leur enseigne que la Science seule peut expliquer la vie.

Nous sommes dans la distance et l'éloignement qu'il faut pour discerner qu'elle était bien un peu puérile, cette manière d'exaltation, avec laquelle tous ces hommes qui avaient de l'esprit adoptèrent de semblables idées; une telle confiance étonne et nous déroute. Hélas, nous avons évolué; mais qu'il devait faire bon vivre en ce temps-là! Emile Zola partagea cet enthousiasme ; il se mit au service de la doctrine et se rendit à discrétion aux idées scientifiques. Et puis, la saison leur était favorable et « c'est à quoi un auteur ne doit pas moindre gartie qu'un jardi- nier». Aussi vit-il ce qu'il en pouvait tirer et prit-il le


8 COMiMENT EMILE ZOLA

parti d'y chercher son utilité. « Je suis, dit-il triom- phant, un positiviste, un évolutionniste, un matéria- liste; mon système, c'est l'hérédité. J'ai trouvé l'outil de mon époque et vous ne vous doutez pas de la puissance que cela donne à un homme, lorsqu'il le lient en main et qu'il aide à l'évolution naturelle des faits. Alors, on est porté. Je veux être peintre de la vie, je dois donc demander à la science qui l'explique, de me la faire connaître ». Et pendant six mois (fin de 1868, commencement de 1869), il fréquente la Bibliothèque Impériale, dévore de l'esprit des ouvrages de physiologie et d'histoire naturelle, car pour étudier les passions de l'homme, ce ne sont pas les psychologues, traîtres à la vérité, les moralistes, les historiens qu'il veut consulter, mais des médecins, des savants.

Il lit la Physiologie des Passions, de Letourneau, où l'on trouve des phrases comme celles-ci : « Nous ne voulons plus voir l'homme à travers les verres colorés de la métaphysique, mais comme un agrégat d'éléments hislologiques, fibres ou cellules, régis par un pouvoir uniteur, le système nerveux. » « Pour achever de battre en brèche celte forteresse gothique du libre-arbitre, adressons-nous à la cra- niologie et à l'anthropologie. » « Le jour où mourra la métaphysique, sera vraiment pour l'humanité le jour de la délivrance. » L'auteur ne conçoit que des besoins éprouvés, des désirs à satisfaire, et c'est organiquement parlant qu'il considère les mou- vements de l'âme. Ces opinions, Emile Zola se les est acquises; elles lui furent d'une ressource in- fi nie.

D'autre part, il se fit une étude d'un Traité de



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V Hérédité naturelle du D r Lucas. Il y rencontra la théorie qu'il lui fallait et en tira quelques affirma- tions, très simples, énergiques, tenaces. « Les terne raires (moi), note-t-il, enchaînent à la fatalité d'un destin qui remonte aux sources de la vie les déter- minations de l'activité libre et responsable de l'homme. » « [Un assassin] est un homme qui a du tigre et de la brute dans le sang; l'humanité a produit un loup, voilà tout » ; et, les recherches qu'il fit des combinaisons, des mélanges, des ressem- blances, de l'atavisme, de l'innéité, de l'élection des sexes, ont un bel endroit qui est de nous prouver sa bonne foi, outre que l'on y trouve la source de toutes ses idées.

<( Mon œuvre, pense-t-il, sera une conformité à cette science. Je vais peindre l'homme physiolo- gique. Ma formule est là et d'elle va naître un nouvel art, une nouvelle littérature qui sera ma littérature à moi, mon art à moi. Le naturalisme, ce sera moi, moi tout seul » — (car on sent toujours chez lui l'instinct de se faire centre et de rapporter tout à soi. Il est de tempérament conquérant ; il a une idée fixe : dominer). « Dorénavant, il y aurait quelque sottise à prétendre que je n'ai point une forte teinture phi- losophique ou que mon système est vieux et usé. Je mettrai en œuvre, le positivisme, le matérialisme, et les hypothèses les plus récentes de la science. Et je suis bien documenté : j'ai lu ceci, ceci et encore ceci. Maintenant, je prétends pouvoir échapper à ces préoccupations ; je suis quitle envers elles. Ma place est faite et voilà qui suffit pour un romancier; avant tout, je suis romancier, n'est-ce pas? »

Eh bien, me direz-vous, ne pensez-vous pas que


10 COMMENT EMILE ZOLA

cria soit Suffisant? — Si fait, je trouve cette documen- tation scientifico-philosophique très consciencieuse, car, à mon avis, it ne s'en faut de guère que le roman ne soit qu'imagination, invention, analyse ou peinture et l'on n'exige pas de système dans tout cela. .le sais des romanciers qui n'en ont pas et qui. néanmoins, me donnent beaucoup à penser. Entendons-nous bien. Lorsque Taine écrit « qu'il n'y a pas de grand romancier qui ne contienne un philosophe », l'affaire n'est point, comme Zola l'a cru jusqu'à s'y conformer, qu'un romancier doit établir son œuvre sur une théorie philosophique, non plus que l'auteur doit avoir l'esprit à philoso- pher, savoir enchaîner des concepts et conduire sa pensée dans l'abstrait; mais il entend dire que nous dégageons d'une œuvre, lorsque nous la regardons dans sa perspective totale, une philosophie que le créateur y a mise inconsciemment, malgré lui. Nous groupons les idées qui ont exigé notre soin et sollicité la réflexion, pour les rattacher à l'esprit de quelque système. Aussi la philosophie ou rensei- gnement moral qu'on peut tirer des livres d'Emile Zola ne sont-ils point liés nécessairement à cette hypothèse de l'hérédité, à ce dogme matérialiste, qu'il a été chercher hors de lui, qu'il a dû demander à des ouvrages spéciaux, lus à la hâte.

D'autre part, vous pensez bien que si Zola se fût assujetti aux traités d'hérédité, de physiologie et qu'il n'eût pas eu de génie, ses livres seraient une manière d'observations de clinique et ne formeraient point une œuvre vivante, où «s'agite tout un monde ». Mais, à vrai dire, cette philosophie matérialiste, évolutionniste convenait fort à son esprit et à sa


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nature, et je prends cette pensée pour mon compte : c< Un homme qui expose un système, c'est un homme qui explique son caractère et peut-être son tempé- rament; » Ainsi, il a besoin d'affirmer, etle bonheur veut qu'il rencontre une affirmation qui, par sa nou- veauté, sa richesse, sa « modernité », contente ses goûts de lutte et de conquête; elle donne un principe directeur à son esprit impétueux et ardent, elle lui permet de rester dans l'exceptionnel, d'étudier de « beaux cas de chair et de cerveau ». Elle lui fournit un système, tout d'une pièce, qui est simple, qui est même une simplification, ce qui aurait suffi pour le lui faire choisir. C'est bien le système qu'il lui faut. Cette philosophie qui détermine l'âme par les événe- j menls extérieurs, sensibles, devait lui plaire extrê- mement.

Enfin, il aime les classifications nettes et ordon- nées. Pensée et œuvre, il ne hasarde rien. Il dit i< i : « Je veux que mon œuvre soit telle », comme il dira plus tard : « Je veux que le roman soit ceci. » — Et le voilà qui a trouvé son chemin et celui de son temps; opiniâtre, il va le suivre stricte- ment, sans « se permettre d'aller ni à droite ni à gauche ». Il a pour lui, il le croit à tout le moins, l'autorité de la science; elle est « sa force, son régu- lateur »; et comme il possède une puissance de travail prodigieuse et une remarquable faculté con- slructive, il pense : « Maintenant, je puis écrire des romans autant qu'il me plaira », et sans plus attendre, d'un seul coup, il arrête la marche de son œuvre.

Tout à l'heure, il s'inspirait d'un mouvement général des esprits, ici, c'est d'un homme qu'il pro-


12 COMMENT EMILE ZOLA


cède, de l'homme qui fut son initiateur et son père intellectuel, d'Honoré de Balzac. Je l'entends dire : « Avant moi, il n'y a que Balzac ; le premier il assigna au roman la mission de peindre la société contem- poraine sans souci de moralité, ni de beauté; il fut l'initiateur, l'homme de science qui a tracé la voie à tout le xx c siècle. Comme Balzac, je peindrai des hommes de classes différentes : je ferai les bourgeois, les financiers, les ouvriers, les prêtres, les artistes, les tilles, etc. Il a montré la Comédie Humaine, je suivrai son exemple. » L'idée de Balzac ne le quitte point; c'est toujours à lui qu'il revient.

On sait que Balzac ne découvrit que sur le tard et après coup le plan de la Comédie Humaine; une partie de ses romans était écrite, lorsqu'il prétendit les fonder sur cette théorie de « l'animalité et de l'humanité » qu'il emprunta au naturaliste Geoffroy Saint-Hilaire. (Et n'y a-t-il pas apparence qu'Emile Zola était déjà soumis à l'influence de son maître quand il jugea nécessaire de se munir d'un système philosophique?) Il va encore prendre ses précau- tions par avance. Il n'attendra pas à placer son œuvre sous un titre général que la moitié en soit exposée. Avec un beau courage, d'un seul jet, au nom du déterminisme et de la loi d'hérédité, il conçoit un vaste ensemble, composé provisoire- ment d'une douzaine de romans, qui parcourra tous les degrés de la hiérarchie sociale, tous les « mondes », toutes les professions, Paris, la pro- vince, la campagne, pendant les vingt années du règne de Napoléon III. L'idée de Y « Histoire natu- relle et sociale d'une famille sous le second Empire » était trouvée. Il ne restait plus qu'à


COMPOSAIT SES ROMANS 13

dresser l'arbre généalogique des Rougon-Macquart 1 .

Nous devons dire aussi que Zola se portait natu- rellement à ce qui est énorme. N'est-ce pas lui, qui à vingt ans, concevait le plan d'une œuvre poétique immense, la Genèse, trilogie qui devait comprendre trois problèmes scientifiques et philosophiques: la Naissance du monde, Y Humanité , Y Homme de r Avenir, d'après les dernières découvertes de la science moderne? et, il avait déjà pris des notes dans Flourens, dans Zimmermann. Maintenant, il ne veut rien de moins qu'exprimer l'humanité moderne tout entière, comme Balzac, mais il entend se séparer de son maître et s'applique à cultiver ses différences.

Puis, il se situe dans son temps, établit et assure la place qu'il y doit avoir. Pour cela, il regarde un peu les « autres » et vous lirez ses jugements, je crois, avec bien de l'intérêt. Autour de lui, il ne voit guère que Flaubert et les Goncourt, qui soient consi- dérables et excellents. A l'égard du premier, il a une profonde admiration littéraire, mais sa nature lui échappe ; sa méthode et ses procédés de travail l'attacheront surtout". Avec les Goncourt, il se sent un point commun — car son génie est très conscient; il juge donc qu'il a comme eux, un pen- chant assez marqué pour les cas rares et excep- t tionnels; mais il sait aussi que son tempérament est d'une qualité autrement puissante que celui de ces artistes raffinés et délicats, et qu'il les écrasera sous la masse énorme de son œuvre. — Stendhal encore

t. Sur les transformations et modifications successives de ces noms. voy. plus bas p. 00). 2. Voy. 2 e partie : « Méthode de Travail », p. 79.


14 COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS

l'inquiète un peu et je vous avouerai que je n'ai jamais compris pourquoi ; d'ailleurs, je suis porté à croire qu'il l'a lu, à un point de vue très personnel.

Enfin, il se fait une poétique pour les besoins de sa nature passionnée, que le mélodramatique attire. Puis, çà et là, des idées surgissent, conseils per- sonnels, aveux intimes, qui nous renseignent curieu- sement sur les idées de l'homme. C'est ainsi que l'on peut pressentir dans ces pages de 1868, le Zola qui écrira un jour les Quatre Évangiles. Il est déjà optimiste et pour pessimiste qu'il veuille paraître, il croit au progrès, à la perfectibilité de l'humanité, à une inarche constante vers le bonheur par la science, vers la justice par la vérité. Ceux qui ont soutenu qu'Emile Zola avait changé de caractère et de point de vue, à la fin de sa vie. se sont absolument trompés ; ses conceptions de 1898 sont celles de 1808 ; elles n'ont point varié. Il ne suivit pas, comme on Ta dit, une voie nouvelle, mais alla jusqu'au bout de la large route qu'il s'était tracée.

Voilà ce que pensait et ce que, superbement, pré- tendait être et faire, ce jeune homme de trente ans, à peine, qui « avait un tempérament ». « Presque toutes les générations, en entrant dans la vie, disait Renan, ont commencé par une opinion exagérée de leur force et des destinées qu'elles se croyaient appelées à remplir. » Ajoutons « surtout les grandes générations qui ont apporté à l'humanité un idéal nouveau ». Emile Zola eut le bonheur d'appartenir à une de ces générations-là. Il eut des espérances pres- que illimitées et il réalisa une œuvre remarquable; il donna beaucoup, parce qu'il voulut plus encore.


CHAPITRE PREMIER


CONCEPTION DE L'ŒUVRE


A) NOTES GÉNÉRALES SUR LA MARCHE DE L'ŒUVRE 1

Une famille centrale sur laquelle agissent au moins deux familles. Epanouissement de cette famille dans le monde moderne, dans toutes les classes. Marche de cette famille vers tout ce qu'il y a de plus exquis dans la sensation et F intelligence. Drame dans la famille par l'effet héréditaire lui-même (fils contre père, fille contre mère). Epuisement de l'intelligence, par la rapi- dité de l'élan vers les hauteurs de la sensation et de la pensée. Retour à l'abrutissement. In- fluence du milieu fiévreux moderne sur les impatiences ambitieuses des personnages. Les


1. Voy. la préface de la Fortune des Rougon.


16 COMMENT EMILE ZOLA

milieux proprement dits, milieu de lieu et de société, déterminent la classe du personnage, (ouvrier, artiste, bourgeois; — moi et mes oncles, Paul et son père).

La caractéristique du mouvement moderne est la bousculade de toutes les ambitions, Félan démocratique, l'avènement de toutes les classes (de là, la familiarité des pères et des fils, le mélange et le côtoiement de tous les individus). Mon roman eût été impossible avant #9. Je le base donc sur une vérité du temps : la bouscu- lade des ambitions et des appétits. J'étudie les ambitions et les appétits d'une famille lancée à travers le monde moderne, faisant des etforts surhumains, n'arrivant pas à cause de sa propre nature et des influences, touchant au succès pour retomber, finissant par produire de véri- tables monstruosités morales (le prêtre, le meur- trier, l'artiste). Le moment est trouble; c'est le trouble du moment que je peins. 11 faut absolu- ment remarquer ceci : je ne nie pas la grandeur de l'effort de l'élan moderne, je ne nie pas que nous puissions aller plus ou moins, à la liberté, à la justice. Je pourrai même laisser entendre que je crois à ces mots : liberté, justice, bien que ma croyance soit que les hommes seront toujours des hommes, des animaux bons ou mau-


COMPOSAIT SES ROMANS 17

vais selon les circonstances. Si mes person- nages n'arrivent pas au bien, c'est que nous débutons dans la perfectibilité. Les hommes modernes sont d'autant plus faillibles qu'ils sont plus nerveux et plus impatients. C'est pour cela qu'ils sont plus curieux à étudier. Pour résumer mon œuvre en une phrase : je veux peindre, au début d'un siècle de vérité et de liberté, une famille qui s'élance vers les biens prochains et qui roule, détraquée par son élan lui-même, justement à cause des lueurs troubles du moment, des convulsions fatales de l'enfan- tement d'un monde.

Donc deux éléments : 1° l'élément purement humain, l'élément physiologique, l'étude scien- tifique d'une famille avec les enchaînements et les fatalités de la descendance; 2° effet du moment moderne sur cette famille, son détra- quement par les fièvres de l'époque, action sociale et physique des milieux.

C'est dire que cette famille, née dans un autre temps, dans un autre milieu, ne se serait pas comportée de la môme façon.

J'ai dit qu'il y avait un élan vers la liberté et la justice. Je crois que cet élan sera long à aboutir, tout en admettant qu'il peut conduire h un mieux. Mais je crois plutôt à une marche constante vers la vérité. C'est de la connaissance


18 GOMMENT EMILE ZOLA

seule de la vertu que pourra naître un état social meilleur.

11 est bien entendu que je mets à part la dis- cussion de l'état politique, de la meilleure façon de gouverner les hommes religieusement et politiquement. Je ne veux pas établir ou défendre une politique ou une religion. Mon étude est un simple coin d'analyse du monde tel qu'il est. Je constate purement. C'est une étude de l'homme placé dans un milieu, sans sermon. Si mon roman doit avoir un résultat, il aura celui-ci : dire la vérité humaine, démonter notre machine, en montrer les secrets ressorts par l'hérédité, faire voir le jeu des milieux. Libre ensuite aux législateurs et aux moralistes de prendre mon œuvre, d'en tirer des conséquences et de songer à panser les plaies que je montrerai. C'est ainsi que les médecins, P. Lucas, pourront parler de croiser les familles, etc.

Mon roman doit être simple. Une seule famille avec quelques membres. Tous les cas d'hérédité, soit sur les membres de cette famille, soit sur les personnages secondaires.

L'Empire a déchaîné les appétits et les ambi- tions. Orgie d'appétits et d'ambition. Soif de jouir, et de jouir par la pensée surmenée et par


COMPOSAIT SES ROMANS 19

le corps surmené. Pour le corps : poussée du commercé, folie de l'agio et de la spéculation. Pour l'esprit : érélhismede la pensée, conduite près de la folie (le prêtre pourra rêver comme Fourier). Fatigue et chute : la famille brûlera comme une matière se dévorant elle-même, elle s'épuisera presque dans une génération, parce qu'elle vivra trop vite.

Luttes intestines produites par l'action fatale de l'hérédité. Pourquoi l'ouvrier, pourquoi le bourgeois et l'homme officiel, pourquoi le riche et le pauvre.

L'élément femme pondéré avec l'élément homme. Le noir pondéré avec le blanc, la pro- vince avec Paris. Croisement de race (Italien et Français), dans le roman militaire *.

11 fallait que j'applique la force hérédité sur une direction. Cette direction est trouvée; la famille ira au contentement de l'appétit fortune ou gloire et au contentement de Vz^éiiï pensée. Le moment social est celui-là : tous désirent jouir, monter aux jouissances physiques et intel- lectuelles. De là l'éducation des enfants, le peuple mêlé des collèges.

1. Voy. plus bas. p. 69.


20 COMMENT EMILE ZOLA

D) NOTES GÉNÉRALES SUR LA NATURE DE L ŒUVRE

Comprendre chaque roman ainsi : poser d'abord un cas humain (physiologique); mettre en pré- sence deux, trois puissances (tempéraments); établir une lutte enlre ces puissances; puis mener les personnages au dénouement par la logique de leur être particulier, une puissance absorbant l'autre ou les autres.

Avoir surlout la logique de la déduction. 11 est indifférent que le fait générateur soit reconnu comme absolument vrai; ce fait sera surtout une hypothèse scientifique, empruntée aux traités médicaux. Mais lorsque ce fait sera posé, lorsque je l'aurai accepté comme un axiome, en déduire mathématiquement tout le volume, et être alors d'une absolue vérité.

En outre, avoir la passion. Garder dans mes livres un souffle un et fort qui, s'élevant de la première page, emporte le lecteur jusqu'à la dernière. Conserver mes nervosités. Taine dit cependant : « Faites fort et général. » Faire général ne m'est pas permis par la constitution même de mes livres. Mais je puis faire fort le plus possible, surtout dans certains types.

Prendre garde surtout à remettre trop sou- vent en scène le même bonhomme nerveux,


COMPOSAIT SES ROMANS 21

(Claude, Daniel, Guillaume). Trouver des tem- péraments divers.

Ecrire le roman par larges chapitres logique- ment construits; c'est-à-dire offrant par leur succession même, une idée des phases du livre. Chaque chapitre, chaque masse doit être comme une force distincte qui pousse au dénouement. Voir ainsi un sujet par quelques grands tableaux, quelques grands chapitres (douze ou quinze); au lieu de trop multiplier les scènes, en chosjr un nombre restreint et les étudier à fond et avec étendue (comme dans Madeleine Férat). Au lieu de l'analyse courante de Balzac, établir douze, quinze puissantes masses, où l'analyse pourra ensuite être faite pas à pas, mais tou- jours de haut. Tout le monde réussit en ce moment l'analyse de détail; il faut réagir par la construction solide des masses, des chapitres; par la logique, \& poussée de ces chapitres, se suc- cédant comme des blocs superposés, se mordant l'un l'antre; par le souffle de passion, animant le tout, courant d'un bout à l'autre de l'œuvre.

11 y a deux genres de personnages : Emma et Germïnie, la créature vraie observée par Flaubert et la créature grandie créée par les de Concourt 1 . Dans l'une, l'analyse est faite à froid, le type se

J . Voyez : les Romanciers naturalistes ; articles sur Gus- tave Haubert, Edmond et Jules de Goncourt et sur Stendhal.


22 COMMENT EMILE ZOLA

généralise. Dans l'autre, il semble que les ailleurs aient torturé la vérité, le type devient exceptionnel. Ma Thérèse et ma Madeleine sont exceptionnelles. Dans les études que je veux faire, je ne puis guère sortir de l'exception. Ces créations particulières sont, d'ailleurs, plus d'un artiste, ce mot étant pris dans le sens moderne . 11 semble aussi qu'en sortant du général, l'œuvre devient supérieure [Julien Sore/); il y a création d'homme, effort d'artiste. L'œuvre gagne en intérêt humain ce qu'elle perd en réalité cou- rante. 11 faudrait donc faire exceptionnel comme Stendhal, éviter les trop grandes monstruosité*, mais prendre des cas particuliers de cerveau et de chair. Quand Taine conseille de faire générai et qu'il approuve Flaubert de faire général, il est l'homme de sa théorie des milieux; d'ail- leurs, il a dit de Stendhal qu'il était « un homme supérieur » et Stendhal a pourtant créé des êtres exceptionnels, résumant une époque ou un pays, si l'on veut, mais à coup sûr, hors de la foule. Prendre, avant tout, une tendance philoso- phique non pour l'étaler, mais pour donner une suite à mes livres. La meilleure serait peut-être le matérialisme, je veux dire la croyance en des forces sur lesquelles je n'aurai jamais besoin de m'expliquer. Le mot force ne com- promet pas. Mais il ne faut plus user du mot


COMPOSAIT SES ROMANS 23

fatalité, qui serait ridicule clans dix volumes. Le fatalisme est un vieil oulil. D'ailleurs ne pas écrire en philosophe ni en moraliste. Etudier les hommes comme de simples puissances et constater des heurts. On a dit qu'il n'y avait pas de grand romancier qui ne contint un phi- losophe : oui, une philosophie absurde, à la façon de Balzac. Je préfère être seulement romancier.

Ne pas oublier qu'un drame prend le public à la gorge. 11 se fâche, mais n'oublie plus. Lui donner toujours, sinon des cauchemars, du moins des livres excessifs qui restent dans sa mémoire. Il est inutile d'ailleurs de s'attacher sans cesse aux drames de la chair. Je trouverai autre chose, d'aussi poignant.

Veiller au style. Plus d'épithètes. Une carrure magistrale. Mais toujours de la chaleur et de la passion. Un torrent grondant, mais large, et d'une marche majestueuse.

lVu de personnages: deux, trois figures prin- cipales, profondément creusées, puis deux, trois figures secondaires se rattachant le plus possible aux héros, servant de compléments ou de repoussoirs. J'échapperai ainsi à l'imitation de Balzac qui a tout un monde dans ses livres. Mes livres seront de simples procès-verbaux | Les de Concourt seront si bien écrasés par la


24 COMMENT EMILE ZOLA

niasse par la longueur des chapitres, l'haleine de passion et la marche logique), qu'on n'osera m'accuser de les imiter '.

Plus de descriptions, ou le moins possible. Le

paysage (la source) dans Madeleine Ferai est

déjà long. Le laboratoire, quoique long, est bon.

| Une continuelle analyse coupée seulement par

le drame.

C DIFFÉRENCES ENTRE BALZAC ET MOI

Balzac 2 dit que l'idée de sa Comédie lui est venue d'une comparaison entre l'humanité et L'animalité (Un type unique transformé par les milieux (G. Saint-Hilaire) : comme il y a des lions, des chiens, des loups, il y a des artistes,

1 . Il est intéressant de rapprocher ce qui précède de la conver- sation suivante, rapportée par Edmond de Goncourt {Journal, Tome 111. Samedi 27 août 1810) : « Zola vient déjeuner chez moi. — II m'entretient dune série de romans qu'il veut faire, d'une épopée en dix volumes, de l'histoire naturelle et sociale d'une famille, qu'il a l'ambition de tenter avec l'exposition des tempéraments, des caractères, des vices, îles vertus déve- loppés par les milieux et différenciés, comme les parties d'un jardin « où il y a de l'ombre ici, du soleil là ». Il me dit : après les analyses des infiniment petits du sentiment, comme cette analyse a été exécutée par Flaubert dans Madame Bovary, après l'analyse des choses artistiques, plastiques et nerveuses, ainsi que vous l'avez faite, après ces œuvres bijoux, ces volumes ciselé?, il n'y a plus de place pour les jeunes, plus rien à faire; plus à constituer, plus à construire un person- nage, une figure : ce n'est que par la quantité des volumes, la puissance de création, qu'on peut parler au public.

2. Yoy. la préface de la Maison du chat qu pelote.


COMPOSAIT SES ROMANS 25

des administrateurs, des avocats, etc.). Mais Balzac fait remarquer que sa zoologie humaine devait être plus compliquée, devait avoir une triple forme : les hommes, les femmes et les choses. L'idée de réunir tous ses romans par la réapparition des personnages lui vint. Il veut réaliser ce qui manque aux histoires des peuples anciens : l'histoire des mœurs (peintre des types, conteur des drames, archéologue du mobilier, nomenclateur des professions, enre- gistreur du bien et du mal). Ainsi dépeinte, il voulait encore que la société portât en elle la raison de son mouvement. Un écrivain doit avoir en morale, en religion et en politique une idée arrêtée ; il doit avoir une décision sur les affaires des hommes. Les bases de la Comédie sont : le catholicisme, l'enseignement par des corps religieux, principe monarchique. La Comé- die devait contenir deux ou trois mille figures.

Mon œuvre sera moins sociale que scienti- fique. Balzac, à l'aide de trois mille figures, veut faire l'histoire des mœurs : il base celte histoire sur la religion et la royauté. Toute sa science consiste à dire qu'il y a des avocats, des oisifs, etc., comme il y a des chiens, des loups, etc. En un mot, son œuvre veut être le miroir de la société_çontemporaine.

3


26 COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS

Mon œuvre à moi sera tout autre chose. Le cadre en sera plus restreint. Je ne veux pas peindre la société contemporaine, mais une seule famille, en montrant le jeu de la race modifiée par les milieux.

Si f accepte un cadre historique, c'est unique- ment pour avoir un milieu qui réagisse; de même le métier, le lieu de résidence sont des milieux. Ma grande affaire est d'être purement natura- liste, purement physiologiste. Au lieu d'avoir des principes (la royauté, le catholicisme), j'aurai des lois (l'hérédité, l'innéité). Je ne veux pas, comme Balzac, avoir une décision sur les affaires des hommes, être politique, philosophe, moraliste. Je me contenterai d'être savant, de dire ce qui est en cherchant des raisons intimes: Point de conclusion, d'ailleurs. Un simple exposé des faits d'une famille, en montrant le méca- nisme intérieur qui la fait agir. J'accepte même l'exception.

Mes personnages n'ont plus besoin de revenir dans les romans particuliers.

Balzac dit qu'il veut peindre les hommes, les femmes et les choses. Moi, des hommes et des femmes je ne fais qu'un, en admettant cependant les différences de nature et je soumets les hommes et les femmes aux choses.


CHAPITRE II


ÉTABLISSEMENT SCIENTIFIQUE DE L'ŒUVRE OUVRAGES SPÉCIAUX


Pendant huit mois (fin de 1868, commencement de 4869), Emile Zola travailla uniquement au plan de son œuvre, allant presque tous les jours à la Bibliothèque Impériale, plongé dans les livres de physiologie et d'histoire naturelle 1 . 11 lut après la préface à l'Histoire de la littérature anglaise de Taine, un ouvrage du D r Charles Letburneau 2 , la Physiologie des passions] les tendances franchement matérialistes de l'auteur ne pouvaient que lui plaire et fortifier ses préjugés contre la psychologie. Il y trouva des affirmations superbes qu'il devait arborer, comme une devise et comme un programme à la tète de ses romans. Et il est curieux de rechercher dans le résumé qu'il rédigea des trois- premiers chapitres de ce volume, l'origine des théories

1. Paul Alexis : Emile Zola, p. 86.

2. Letourneau, auteur de la Biologie (1875), de YElec irisation céphalique (1878^ ; Science et matérialisme (1879); la Sociologie d'après Y Ethnographie (1880); Y Evolution de la morale (1886).


28 COMMENT EMILE ZOLA

exposées par le romancier Sandoz, l'un des héros de Y Œuvre :

« Hein? dit-il, étudier l'homme tel qu'il est, non plus le pantin métaphysique, mais l'homme physio- logique, déterminé par le milieu, agissant sous le jeu de tous ses organes... N'est-ce pas une farce que cette étude continue et exclusive de la fonction du cerveau, sous prétexte que le cerveau est l'organe noble?... La pensée, la pensée, eh! tonnerre de Dieu! la pensée est le produit du corps entier. Faites donc penser un cerveau tout seul, voyez ce que devient le cerveau quand le ventre est malade! Non!... c'est imbécile; la philosophie n'y est plus; la science n'y est plus... Qui dit psychologue dit traître à la vérité. D'ailleurs psychologie, physio- logie, cela ne signifie rien; l'une a pénétré l'autre, tous deux ne sont qu'une aujourd'hui, le mécanisme de l'homme aboutissant à la somme totale de ses fonctions. »

Or, les idées de cette déclaration de principes, on va voir qu'Emile Zola les emprunta au livre du D l Letourneau.


A) LETOURNEAU : "PHYSIOLOGIE DES PASSIONS" {Résumée)

De la vie et des besoins.

I

La vie est un phénomène d'assimilation et de désassimilation.


COMPOSAIT SES ROMANS 29

Système nutritif donnant seulement la vie végétative.

Système nerveux donnant la vie de conr- science.

Avec le système nerveux naît le besoin, la tendance organique sentie. Donc autant de besoins que de tendances organiques senties.

Besoins nutritifs, — circulatoires, digestifs, respiratoires.

Besoins sensitifs, — du sens voluptueux et des sens spéciaux.

Besoins cérébraux, — moraux et intellectuels.

La perception cérébrale du besoin se formule par le désir indomptable de le satisfaire. Si l'on le satisfait, on éprouve une impression agréable ; si Ton ne le satisfait pas, on éprouve une impres- sion désagréable. C'est Timpressionnabilité.


II


L'homme sentant et pensant a des propriétés cérébrales (faits passifs) et des facultés céré- brales (faits actifs).

Les propriétés cérébrales sont la sensibilité générale et spéciale (action passive et indiffé- rente du monde extérieur sur les sens) et l'ww- pressionnabilité (phénomène passif, agréable ou désagréable). On met en jeu l'impressionna-

3.


30 GOMMENT EMILE ZOLA

bilité quand on contente ou qu'on gène un besoin; donc autant d'impressionnabilités que de besoins : impressionnabilités nutritives, sai- sit 1res, morales, intellectuelles. — Si l'impres- sion morale est très vive, elle prend le nom de désir.

Les facultés cérébrales sont : la volonté, nommée désir quand elle est irraisonnée, iné- luctable ; et passion quand le désir est tenace et durable ; la mémoire d'où naît Y imagination ; X entendement, d'où naissent la raison etYintei* licence. Deux ordres de faits sont produits par les facultés : les faits moraux par la volonté (désir et passion), et les faits intellectuels par la mémoire et l'entendement.

Gomme on le voit, Yimpressionnabilité, la joie ou la douleur d'un besoin contenté, est une pro- priété cérébrale. Au contraire, le désir (ou volonté), la formule de la perception cérébrale du besoin est une faculté cérébrale. Quand j'éprouve un besoin et que je désire le satisfaire, j'accomplis un acte ; quand je l'ai contenté, mon cerveau reçoit une impression. Les autres facultés cérébrales, la mémoire, Y entendement accompagnent des faits psychiques, le désir et Yimjjression.


COMPOSAIT SES ROMANS 31


III


Le besoin nutritif est l'impulsion qui nous pousse à nourrir notre être. Non contenté, il amène la mort.

Les besoins scnsitifs sont faibles.

Le besoin moral est la tendance qui nous pousse à aimer, à haïr, etc., tendance aussi organique que la tendance nutritive.

Le besoin intellectuel est également, organi- quement parlant, l'attrait qui nous pousse à combiner des idées (Vie de Mentelli).

Etude d'un besoin moral : le besoin des émo- tions religieuses. L'humanité et l'enfant passant par le fétichisme, le polythéisme, le mono- théisme et le panthéisme.

Sériation des besoins. Chez l'enfant vie végé- tative, besoins nutritifs, impressionnabilité se développant, besoins sensitifs, facultés céré- brales, mémoire, entendement, besoins intellec- tuels. — De même pour l'humanité : Esquimaux, période nutritive; Taïtiens, période sensitive ; temps historiques, période morale; présent et surtout avenir, période intellectuelle.


32 COMMENT EMILE ZOLA


Des Éléments de la passion.

1 De l'impressionnabilité. — Je sens, donc je suis.

L'impression est un sentiment de plaisir ou de douleur, abstractivement considéré et dégagé de tout autre élément psychique, cas assez rare cependant, car l'impression réagit presque tou- jours sur les facultés. Plaisir et douleur, tels sont les mobiles humains. La vie tourne autour de Timpressionnabilité.

Impressions nutritives. — Joie calme quand on se porte bien; malaise quand vient la maladie.

Impressions sensitives. — La sensation devient impression quand les libres nerveuses vibrent innormalement. Sens localisateurs : toucher, goût, odorat. Sens extériorisants : ouïe, vue. Les impressions sensitives pures nous sont données par les sens localisateurs. Puis vient comme une transition, l'ouïe qui peut donner des sensations localisées pareilles à la saveur, à l'odeur, mais qui réagit aussi sur les facultés cérébrales. Enfin vient l'œil, presque entière- ment cérébral.


COMPOSAIT SES ROMANS 33

Impressions cérébrales. — Elles ne sont pas localisées; elles ne tiennent ni à la sensibilité générale comme certaines impressions nutri- tives, ni à la sensibilité spéciale, comme les impressions sensitives. Elles se divisent en deux classes : morales, tenant au monde exté- rieur, société, famille, etc., et intellectuelles, tenant au jeu des facultés cérébrales.

Les passions, les désirs humains reposent sur l'attrait des plaisirs, la répulsion de la dou- leur, c'est-à-dire l'impressionnabilité, autant nutritive, sensitive que cérébrale. C'est le grand mobile humain.

II

Désir et volonté. — Le libre arbitre n'existe pas.

Le retentissement des besoins dans la con- science est d'autant plus fort que les besoins tiennent davantage à la nutrition. Le désir de l'élude moins senti que la faim. De cette vague formule est née l'illusion du libre-arbitre.

L'homme, sans cesse sollicité par des désirs nombreux et simultanés, obéit au plus fort, tout en ayant conscience des autres, et c'est pourquoi il se croit libre.

Le désir, c'est l'impulsion franchement irrai- sonnée: la volonté, c'est Y impulsion délibérée.


34 COMMENT EMILE ZOLA

Ou encore, la volonté c'est le désir avec accom- pagnement de faits psychiques, les facultés cérébrales interviennent, se souviennent, per- çoivent, comparent, jugent. Pour désirer, il suffit d'avoir Fimpressionnabilité; pour vouloir, il faut avoir le faisceau complet des facultés.

Lois : 1° Le désir est d'autant plus ardent que Fimpressionnabilité est plus vive ; 2° La volonté est proportionnelle à la rectitude de la raison et en sens inverse de Fimpressionnabilité.

III

De l'émotion.

I Impression morale forte, amenant une série ide faits psychiques qui sont du domaine de la mémoire, de l'imagination et surtout du désir. L'émotion est une passion de courte durée.

Les émotions sont contagieuses ainsi que certaines maladies nerveuses.

Signes physiques des émotions fortes. Elles frappent le cerveau et les organes de la circu- lation et de la respiration chez le sanguin, le système hépatique du bilieux, le fonctionne- ment nerveux et dynamique du nerveux.

Si les émotions ont un effet sur l'organisme, certains états organiques peuvent déterminer une foule d'impressions, de désirs, d'émotions.


COMPOSAIT SES ROMANS 35

L'épileptique a peur avant la crise. Les affec- tions hépatiques et gastriques engendrent la tristesse, etc. '...


B) TRAITÉ DE L'HÉRÉDITÉ NATURELLE DU D LUCAS 2

On lit dans la préface de : Une Page cï Amour : « Les curieux pourront aller chercher [dans le livre du D* Lucas . l'Hérédité naturelle, des explications sur le système physiologique qui m'a servi à établir l'arbre généalogique des Rougon-Macquart. » Or, nous possédons l'analyse qu'Emile Zola rédigea de cet ouvrage ; il résuma en une soixantaine de feuillets la substance de deux volumes de 650 pages 3 . C'est donc une manière de sommaire, nécessairement su- perficiel. — Ces notes sont prises, avec un sérieux et une gravité de profane, sur un traité qui est mani-


1. Ce résumé s'arrête au chapitre III. Il est peu probable que Zola l'ait continué pour les autres parties de l'ouvrage, car \ei idées maîtresses de l'auteur sont contenues dans les pages qu'il a analysées.

2. Traité philosophique et physiologique de l'Uéisédité Na- turelle dans les états de santé et de maladie du système

ùx; avec l'application méthodique des lois de la procréa- tion au traitement général des affections dont elle est le prtncipe. Ouvrage où la question est considérée dans ses rap- ports avec les lois primordiales, les théories de la génération, les causes déterminantes de la sexualité, les modifications acquises de la nature originelle des êtres et des diverses formes de rtévropattfie et d'aliénation mentale, par le D r Pkospek Lucas [éd. J.-B. Baillière), 1850 (Bibl. Imp. Td 40).

\. Pages 51-115 du Dossier.


30 MMENT EMILE ZOLA

festement sans valeur. Zola, d'ailleurs, le lut non en savant qui recherche des faits, les vérifie et les con- trôle, mais en artiste un peu naïf qui veut être ou paraître savant. Il nota tout, sans critique et sans distinction, relevant çà et là une observation qui pouvait lui servir: à dire vrai, il n'y entendait pas grand'chose et n'était pas assez savant pour être sceptique. Comment, en effet, un savant peut-il ad- mettre « ces suppositions téméraires qui expliquent à l'avance le caractère de tel personnage, en combi- nant les qualités de deux ou trois ancêtres »? Dis- ciple de Taine. Zola aurait dû savoir que « les lois sur les espèces, vraies lorsqu'on considère de grandes multitudes, sont au plus haut point dou- teuses, lorsqu'on considère des individus, et qu'on discrédite son jugement en attribuant à des croise- ments de famille toutes les actions et tous les senti- ments de l'homme que ce mélange a produits 1 ».

La sincérité de ses convictions et sa bonne foi nous font néanmoins supporter le ton de dogma- tisme tranchant de ses affirmations sur un sujet où il n'y a que contradictions et incertitudes. Enfin, après avoir dépouillé les deux gros tomes incohérents et diffus du D r Lucas, il tira de son analyse un résumé de quelques pages essentielles qui lui servit à déter- miner ensuite les cas tout arbitraires d'hérédité de ses divers personnages.

Nous publions ici, pour les curieux, deux extraits*


1. Taine : Art. sur Aîichelet. Essais de critique et d'histoire, 10 ? édit.

■1. Nous ne pouvions, en effet, dans un ouvrage littéraire, reproduire intégralement ces soixante pages de notes médi- cales et scientifiques, dont le caractère très spécial eût fatigué le lecteur. Les extraits que nous en donnons, en


COMPOSAIT SES ROMANS 37

de l'analyse du Traité, de V Hérédité naturelle] puis le résumé de ces noies et la Détermination générale. Et encore que tout cela importe assez peu, il n'est point de détails inutiles pour la connaissance d'un auteur 1 . Le fragment suivant est emprunté à l'analyse du Livre premier de la deuxième partie ( Traité Hér. nat., p. 95-191, t. 1 er ) :

De la transition des deux lois primordiales

de la création dans la procréation. — Le livre consiste à montrer que dans la procréation comme dans la création, la vie obéit aux lois d'invention et d'imitation, qui dans la procréa- tion deviennent les lois d'innéité et d'hérédité.


montreront assez la nature et la valeur. On pourra, d'ailleurs, se reporter à l'ouvrage du D r Lucas.

1. Nous donnons ci-dessous les titres de quelques ouvrages médicaux ou scientifiques, consultés par Emile Zola, soit dans le même moment, soit pour des études postérieures. Ils sont d^ valeurs très inégales et nous prouvent que Zola \ se souciait assez peu de l'autorité des auteurs qu'il étudiait. [

Physiologie de l'homme à Vusage des gens du monde, par le D r Marchai. Paris, A. Levavasseur, 1841, in-12.

Structure et physiologie animales, par Ach. Comte. Ouvrage rédigé conformément au programme de l'enseignement scien- tifique des lycées. Masson, 1852, in-18.

Physiologie élémentaire de l'homme, par J.-L. Brachet. 2 e Ed. P. Germer-Baillière, 1855, 2 vol. in-8°.

Lpçojis de physiologie expérimentale appliquée à la méde- cine, faites au Collège de France par M. Claude Bernard. J.-B. Baillière, in-8°.

Résumé complet de la physiologie de l'homme ou Exposition d i jeu et des fonctions de nos organes dans la vie de l'in- dividu et dans la vie de l'espèce avec les modifications dues aux âges, sexes, tempéraments, etc.. par M. Laurencet, de Lyon. Paris, aux bureaux de l'Encyclopédie portative, 1827, ia-16, etc., etc.


38 COMMENT EMILE ZOLA

[Livre I er .] De i/Innéité. — De Tinnéilé dans la procréation du mécanisme vital, — réduction immense; il ne peut y avoir d'innéilé d'espèce; il ne reste plus que l'individu à naîlre. L'inven- tion est très variée dans l'individu. Originalité, personnalité de l'individu. Dissemblance des frères, etc., dans structure externe, structure interne, constitution et tempérament. A Rome, les plus belles courtisanes sortent du peuple. Cheveux différents, etc. Dissemblance organique. Le tempérament des enfants diffère souvent de celui des parents.

Les constitutions de la famille commencent souvent par des individus et les constitutions les plus enracinées dans le sein des familles n'y sont cependant pas celles de tous leurs membres. Un père et une mère d'une même race peuvent même produire un enfant qui sorte de la race (les chiens). Dans l'espèce humaine : famille à jambes torses, grosses jambes parmi les habitants du Galicut. Corps à poils, à écailles. Anomalie chez les individus, toujours par le fait de l'innéité.

Ch. II. De rinnéité dans la procréation du dynamisme vital. — Dans les espèces, il ne peut y avoir invention de mécanisme vital. Dans l'individu, il y a innéité de facultés vitales. Dans les oiseaux chanteurs, il y a des génies, comme


COMPOSAIT SES ROMANS 39

dans l'espèce cheval et chien il y a des imbé- ciles, des maniaques, des fous. Diversité native des caractères et des intelligences. Tout dans l'organisation peut être inné, ne pas dépendre de l'hérédité ; les faits le disent. Innéité dyna- mique, absolument comme innéité plastique. Ori- ginalité de l'individu. Un loup élevé sur une portée de loups. D'une même famille, tous les enfants peuvent différer par les attributs des sens (odorat, goût, vue, etc.), et par les attributs de la vie affective. Différence chez les Bonaparte, chez les iumeaux. Parents bornés et enfants intelli- gents. Boileau et ses frères critiques, et les parents doux. Toute une descendance autre que l'ascendance. Les hommes supérieurs naissent généralement de parents simples. En sens inverse, les enfants peuvent moins jvaloir que leurs parents. 11 y eut un religieux qui avait un si bon nez qu'il distinguait à l'odeur les femmes chastes ou non. On retrouve chez les blancs des traits physiques et moraux mongol, nègre, etc. Une famille engendrant à Bordeaux des sourds- muets et à Paris des enfants sains. Les omni- vores. Natures exquises, natures moyennes, natures brutes dans une même famille. Hommes qui ont du tigre et de la brute dans le sang, inno- cemment coupables ; il faut y ranger beaucoup de naturels, regardés comme monomanes. L'hu-


40 COMMENT EMILE ZOLA

manité produit un loup, voilà tout. Rien de la famille n'explique ces dégradations. L'idiot, de parents intelligents.

Loi : Au contraire de ce qui se passe sous le type spécifique, la génération, sous le type indi- viduel, développe spontanément sous la forme morale ainsi que sous la forme physique de \" exis- tence des variétés natives où la procréation diverge de la famille, de la race, de l'espèce même et personnifie tous les attributs des pro- duits qu'elle anime. Diversité des êtres dans l'unité d'espèce.


De F inconséquence apparente des deux

lois d'universalité et d'égalité d'action des deux auteurs, avec les principales formules empiriques de la génération' 1 . — Elles sembleraient con- clure : l'équilibre absolu des ressemblances inté- grales du père et de la mère dans la nature phy- sique et morale de l'enfant. L'être ne serait que la moyenne des deux auteurs; ce qui n'est pas. Cette moyenne existe bien, mais pas à l'état de généralité. Le médium existe (Giron, G. Saint- Hilaire, Burdach) ; en faire un type (entre espèces différentes, peu souvent; d'autres disent


1. Traité de VHèrédité Naturelle, t. II. Livre second, ch. III, pp. 177-220.


COMPOSAIT SES ROMANS 4i

très souvent). Il y a d'autant moins de médium qu'il y a plus de disparité, soit entre les espèces, quels que soient les auteurs, soit entre les auteurs quelles que soient les espèces, soit entre les parties mômes ou les moindres éléments de la nature des deux êtres, quelles que soient les espèces et les individus que Ton associe. Il y a d'autant plus de médium qu'il y a plus de parité, etc. Mais le contraire arrive encore. Souvent la moyenne n'est ni totale, ni générale.

Dès lors, nous voyons trois cas :

1° Chaque auteur faire son choix des éléments et des caractères du produit, porter son action sur un ordre différent d'organe, ou même un auteur la porter sur l'ensemble : élection, res- semblance exclusive du père ou de la mère.

2° Les auteurs adoptant les mêmes éléments du produit porter leurs .actions réunies, mais distinctes, sur les mêmes 'organes : mélange; représeniation mixte et simultanée du père et de la mère.

3° Il y a fusion, dissolution des deux auteurs dans le produit. Les types deviennent indiscer- nables; ils perdent leur double caractère; — combinaison, substitution d'un nouveau carac- tère à ceux des facteurs.

On ne peut faire un pas dans les mille varia- tions de l'hérédité et de l'innéité sans cesformules


Î2 COMMENT EMILE ZOLA

Formule cV élection. — Elle exclut la moyenne. Une des plus fréquentes expressions de la pro- création. Dans les plantes presque toujours; sur les femelles, les fleurs, les fruits. Dans les ani- maux : transport des caractères de la sexualité; la mère faisant une fille, le père un iils. Parties transmises chez les animaux, d'une façon élec- tive : les plumes, les poils, les couleurs. L'orga- nisation extérieure de l'homme subit la formule. Transmission des anomalies. Transport de la structure interne : systèmes sanguin, nerveux, lymphatique, osseux. L'autopsie de mulets a montré qu'ils tenaient le cœur, etc., du cheval ; l'estomac, etc., de l'âne. La faiblesse, la force, la fécondité, la constitution, le type du tempé- rament découlent de là. Hérédité des modes sensoriels, passionnels, intellectuels. L'élection se porte, parfois, d'un auteur sur tout Je produit. Une chienne couverte par trois chiens de races différentes met bas trois petits chiens rappelant exactement les races des trois pères. Mais l'élec- tion n'est jamais intégrale; l'autre facteur est latent dans le produit.

Formule de mélange. — Le mélange est tou- jours une agrégation simple et sans transforma- tion. La plus intime des agrégations est la/Won, lorsque les deux représentations se fondent dans une moyenne, dans une expression intermé-


COMPOSAIT SES ROMANS 43

diaire unique; — il y en a une multitude d'exemples. (La queue du bâtard du chien et de la louve). Bouilland a observé le type inter- médiaire dans le système osseux et les autres systèmes de l'homme. — Une espèce moins intime d'agrégation, mais encore profonde, est la dissémination, où les caractères transmis des deux auteurs se distribuent pêle-mêle et s'agglo- mèrent par points ou par fragments épars dans le même organe. Ainsi souvent les couleurs se reproduisent distinctes et séparées en pana- chures dans les Tulipes, etc. — Souvent des chevaux nés de mère commune et d'étalon de race offrent un mélange tellement incohérent, qu'ils valent moins que s'ils étaient de race tout à fait commune. — Mais le plus élémentaire et cependant le plus curieux des mélanges est l'agrégation, ou mieux, la jonction par entrela- cement ou juxtaposition dans le même organe, des deux facteurs. Il n'y a plus fusion ni dissé- mination, mais seulement soudure. Ainsi dans un fruit, la couleur et la forme de la mère s'unissent à la saveur et à la consistance du père. La juxtaposition peut elre complète : un mulel de chien et de chat, tenant du chien et du chat; — les hermaphrodites.

Formule de combinaison. — Composition de principes dissemblables en un nouveau prin-


44 COMMENT EMILE ZOLA

cipe, pour distinguer du mélange. En chimie; — de même dans la procréation, cette chimie des êtres. Elle prend une aussi vaste part à la com- position des corps inorganiques. Elle est l'agent des métamorphoses, etc.. Si sa loi s'est dérobée aux physiologistes, ses phénomènes sont visibles. Tout nouvel individu produit a des propriétés qui n'appartiennent qu'à lui. (Ne serait-ce pas alors Finnéité?)


Résumé des Notes.

Zola tira de l'analyse de l'ouvrage quelques remarques principales qu'il condensa sous forme de notes brèves et sans liens.

Dans le roman 1 où il y aura des nobles, parler de l'hérédité de caste et de l'affaiblissement de la race. Mauvais effets des mariages consanguins.

Hérédité dans le code. Un roman ou plu- sieurs, où l'hérédité de succession sera étudiée dans ses cas curieux.


1. Voy. plus loin, p. 66, les Projets primitifs des romans de la série. L'emploi de ces observations n'étant pas définitive- ment arrêté dans ce résumé, nous ne pouvions l'indiquer ici dune façon exacte. Dans les quelques cas où ces remarques ont été suivies, il est aisé au lecteur de les reconnaître.


COMPOSAIT SES ROMANS 43

Innéité et hérédité dans le physique et dans le moral. Les constitutions de famille com- mencent par un individu.

Dans le roman ouvrier, ou autre, faire naître une belle couriisane. A Rome, les plus belles courtisanes naissent du peuple. (Ne pas oublier l'élément lorelte.)

Donner une [place] importante aux animaux dans les romans. Créer quelques betes ; chiens, chats, oiseaux. 11 y a des fous et des imbéciles parmi les chiens, comme il y a des génies chan- teurs parmi les oiseaux.

Les enfants supérieurs naissent généralement de parents simples et vice versa.

On. retrouve chez les blancs des traits mon- gols, nègres, etc.. Un animal, un loup peut nailre dans une famille.

L'hérédité externe se déclare parfois, pas dans le bas âge, mais lorsque l'enfant atteint l'âge des parents. Elle peut n'exister qu'un instant. Chassé-croisé entre le fils et la mère, le père et la fille.


Trait originel : gros nez des Bourbons.


40 GOMMENT EMILE ZOLA

L'hérédité externe n'entraîne pas l'hérédité interne. Tous les mélanges ont lieu. Le fils ayant le physique de son père peut ressembler moralement à sa mère, quoique le contraire soit admis.

Des ouvriers, des riches, par des raisons contraires, naissent des enfants chétifs.

Les familles ont la puberté lente ou précoce. Répugnances héréditaires.

Un roman où l'on montrerait le métissage dans l'adultère.

Il existait une loi qui faisait remonter à toute une famille la faute d'un de ses membres.

On peut tenir des parents la sensibilité à la température. Les saveurs ont leur conson- nance. Un gourmand. On hérite du regard.

Effet de l'identité de l'éducation ; empire de l'exemple, force de l'habitude (à joindre au milieu).

L'hérédité donne la disposition à toutes les passions. De parents ivrognes peuvent naître des enfants fous. Hérédité de la passion sexuelle.


COMPOSAIT SES ROMANS 47

Un fils vole une maîtresse à son père et se ruine. Mère simple. — Hérédité des propensions aux crimes, — contre la propriété : voleurs ; — contre les personnes : meurtriers.

Dans mon artiste ou un autre, dire qu'étant enfant il aimait voler; plus tard, la raison com- bat cela. Femme grosse volant et passant cela à son enfant.

Ma lorette peut être voleuse. 11 pourrait y avoir une branche de la famille qui resterait stalionnaire à l'état de brute ou qui s'en déta- cherait par brusquerie nerveuse vers le mal : ouvrier, militaire, lorette, meurtrier. On ferait remonter cette branche assez loin pour que la consanguinité soit éloignée.

L'hérédité du crime faisant tuer des pères par leur fils. Le mariage des rois les amenant à la tyrannie.

De même que les Médicis ont soif de pouvoir, les Visconti soif de cruauté, ma famille aura [ soif de contenter ses appétits; abus de la jouis- \ sance physique et intellectuelle; famille lâchée dans l'assouvissement moderne.

Certaines facultés mentales dominent dans certaines familles.

Hérédité de la démarche; le fils ayant la voix du père. Effet des milieux, de l'alimentation, du climat, de l'éducation, de l'exemple.


48 GOMMENT EMILE ZOLA

Le mulet tient plus du père. Le père doiin^ les formes, d'après Giron.

Les mères transmettent aux filles, les pères aux fils. Lucas tend à croire le contraire.

Les maladies mentales viennent surtout des mères. Le système nerveux paraît devoir dériver le plus souvent de la femme.

Hérédité entre oncle et neveu, tante et nièce. Lucas doute.

Loi d'intermittence (hérédité en retour). La ressemblance manque pendant une génération. Le nègre, né d'une mère qui compte un nègre dans ses aïeux.

Discussions des ovistes et des spermistes. On a toujours tendu à donner au père l'action la plus noble...

11 arrive que le père donne le physique et la mère le moral, mais souvent aussi le contraire.

Le métis du canard sauvage et du canard domestique ayant la couleur du sauvage ne veut plus vivre en domestication. Le fils ayant le visage du père; a-t-il son âme? Parfois oui, parfois non.

Le père a-t-il une plus grande inQuence que la mère? Parfois oui, parfois non.

Plus du mâle par l'extérieur, plus de la femme par l'intérieur. D'autres... que le père domine.

Supériorité du mâle sur le produit femelle et


COMPOSAIT SES ROMANS 49

de la femelle sur le produit mâle. Le contraire aussi.

Égalité d'action des deux facteurs.

Il peut arriver que le père ait transmis les facultés mentales et la mère le principe qui en cause le trouble. Les cas d'aliénation n'ont pas tous leur point de départ dans l'intelligence.

Quel que soit le produit, il est des parties où le père domine, d'autres où c'est la mère, d'au- tres où ils se balancent, d'autres qu'il reçoit exclusivement d'un facteur.

Un exemple de l'équilibre moyen des deux facteurs dans le produit. Il y a d'autant plus de médium qu'il y a plus de parité, mais le con- traire arrive.

Un cheval né d'une mère commune et d'un étalon remarquable, ne vaudra pas la mère (mélange, dissémination, caractère mauvais et défectueux).

Prépondérance du père, de la mère ou équi- libre. L'universalité d'action serait la participa- tion du père et de la mère...

Ce qui fait influer sur le produit tel ou tel fac- teur, c'est l'énergie de l'organisation : l'âge, la santé, l'exaltation momentanée, le bien-être, la gaieté.

Le produit d'un vieux mâle ressemblera à la jeune femelle. Les jeunes mariés ont des filles.


50 COMMENT EMILE ZOLA

Coït contraint, stérile.

L'énergie momentanée d'un facteur va jusqu'à reproduire chez l'enfant, l'état du facteur, au moment du coït.

Mauvais accouplement d'âge, de tempéra- ment.

Le type le plus ardent, le plus ancien, le plus stable l'emporte. Une race en plus grand nom- bre en absorbe une autre (ce qui se passe en France, pour la noblesse). La race indigène absorbe la race exotique.

Il faut sept générations pour se renouveler.

L'assimilation d'une race exotique peut être immédiate (influence du climat seul), ou mé- diate (influence de la race indigène et du cli- mat).

Un produit né en Normandie d'une Normande est normand quel que soit le père.

Toute race qui a contre elle le nombre et le climat s'engloutit.

Le facteur qui donne le sexe au produit est le facteur prépondérant. Exaltation dans le coït; régime, âge. Plus de filles, parmi les amours illégitimes. Abus du coït chez l'homme : la fille ressemble à sa mère.

Influence du climat sur les enfants à naître. Facteurs dans leur croissance : produit chétif.


COMPOSAIT SES ROMANS 51

Facteurs dans leur vieillesse, également. La jeunesse extrême de la mère, produit d'abord joli, puis affaibli. Donc, le cadet plus chic que rainé.

L'hérédité reproduit les transformations qui viennent du climat, des lieux, de la nourriture, de l'éducation, des habitudes. La plante exotique garde l'habitude de s'ouvrir à la nuit.

L'enfant de l'homme civilisé se plie facile- ment à l'éducation, l'enfant du sauvage mal. Renard des pays où l'on chasse, plus subtils. La génération reproduit jusqu'aux effets de l'éducation des auteurs.

Hérédité des modifications accidentelles. En- fants mutilés, de parents mutilés.

Hérédité des états présents ou momentanés des auteurs. Précocité de la puberté. Violence mécanique exercée sur la mère pendant le coït, reproduite dans l'enfant. Hérédité de l'état moral pendant le coït. Ivresse. Des enfants conçus sous l'impression de certains crimes peuvent porter leur tôle sur l'échafaud. L'état momen- tané paraît très important.

lnnéité morbide. Les lieux où a lieu le coït peuvent influer sur la santé de l'enfant. La maladie peut se produire chez l'enfant par combinaison (innéité de la simple réaction ou désharmonie des facteurs), etc.


52 COMMENT EMILE ZOLA

// faut qu'il y ait dans mon œuvre des mala- dies héréditaires , tuant deux ou trois de mes personnages.

Les mariages consanguins n'ont guère d'effet qu'à la troisième génération. Il ne faut pas trop croiser les tempéraments.

I.WKITÉ

Structure interne, externe; tempérament; caractère; sens.

HÉRÉDITÉ

Structure interne, externe; tempérament: caractère; sens.

I I

Hérédité sensorielle, sentimentale, mentale, motrice.


Tout héréditaire : qualité bonne, mauvaise ou bizarre, vertus, vices, penchants, passions.

Hérédité


directe indirecte en retour d'influence

père et mère. collatéraux. aïeux. conjoints anté-

rieurs.

Équilibre dans l'hérédité du père et de la mère


Élection Mélange Combinaison

ressemblance exclu- représentation mixte substitution d'un

sive et simultanée : nouveau caractère,

(fréquente; sexe). 1° Fusion (fondu);

2" Dissémination (pêle-mêle); 3° Soudure (côte à côte).


COMPOSAIT SES ROMANS 53

Action du père et de la mère; tout est pos- sible, mère donnant les nerfs, le père le sang ou le contraire.

Il peut y avoir :

Parité de nature, inégal il é de force : lnnéité, le facteur prépondérant l'emportera; — Héré- dité, à un faible degré d'inégalité de force, le mélange se produit avec prépondérance de la force supérieure; à un haut degré, élection avec représentation exclusive du plus fort.

Disparité de nature et égalité de force : lnnéité, influence égale des deux facteurs ; — Hérédité, l'élection ou le mélange au degré de soudure, de dissémination, de fusion selon le plus ou le moins d'identité des forces et de disparité des éléments divers.

Egalité de force et parité de nature : lnnéité, influence égale, équilibre; — Hérédité, mélange égal au degré de fusion, de dissémination ou de juxtaposition, selon que les forces et les natures sont plus ou moins réunies.

Disparité de nature, inégalité de force : lnnéité, le facteur prépondérant l'emportera; — Hérédité, élection ou mélange, inégalité con- stante et générale des représentations exclu- sives ou communes à chacun des auteurs.


5.


f o4 COMMENT EMILE ZOLA

! Il résume les différents cas d'hérédité :

Hérédité externe relativement à l'externe.

Hérédité de l'ivrognerie en folie.

Hérédité des propensions aux crimes.

Hérédité du crime faisant tuer des pères par leurs fils. Faculté mentale, passions dominant.

Hérédité du père, de la mère, tout possible; — le père, le physique ; — la mère, le moral.

Hérédité entre oncle et neveu, tante et nièce.

Hérédité du père renaissant dans le sein de la mère.

Hérédité du physique entraînant le moral.

Hérédité du père sur la fille, de la mère sur le fils et vice versa. Le père domine ou la mère, ou ils se balancent, ou un seul.

Hérédité d'une moyenne.

Hérédité de dissémination. Produit plus faible que le plus faible.

Hérédité prépondérante par l'organisation, l'âge, la santé, l'excitation momentanée.

Hérédité d'un vieux mâle et d'une jeune femelle.

Hérédité d'une femelle trop jeune; produit joli, puis faible.

Hérédité de l'état du facteur au moment du coït.


COMPOSAIT SES ROMANS 55

Hérédité d'un mauvais accouplement d'âge, de tempérament.

Hérédité du type le plus ardent, le plus stable, le plus ancien.

Hérédité dans une province (en Normandie, un Normand).

Hérédité du facteur prépondérant donnant le sexe.

Hérédité des parents mutilés, enfants mutilés.

Hérédité d'une violence mécanique produite sur la mère, au moment du coït.

Hérédité de l'impression sur la mère par un crime ou un coupable.

Hérédité d'une maladie tuant deux ou trois de mes personnages.

Puis quelques notes :

Nobles. Hérédité civile. Innéité par un indi- vidu. Une courtisane, belle, fille d'ouvriers. Enfants supérieurs de parents simples et vice versa. Ressemblance dans le jeune âge, chassé- croisé. Enfants chétifs d'ouvriers ou de riches oisifs.

Education, exemple, habitude, climat, pro- fession, nourriture.


CHAPITRE III


DÉTERMINATION GÉNÉRALE


De ces études précédentes, Zola tire quelques observations principales et arrête son travail.

Combinaison sans ressemblance.

Combinaison morale, ressemblance physique au père.

Combinaison morale, ressemblance physique à la mère.

Combinaison physique, ressemblance morale au père.

Combinaison physique, ressemblance morale à la mère.

Mélange avec prédominance morale du père et ressemblance physique du père.

Mélange avec prédominance morale du père et ressemblance physique de la mère.


COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS 57

Mélange avec prédominance morale de la mère et ressemblance physique de la mère.

Mélange avec prédominance morale de la mère et ressemblance physique du père.

Ces quatre cas à Fétat de soudure, fusion, dissémination.

Election sans ressemblance.

Election du père avec ressemblance physique du père.

Election du père avec ressemblance physique de la mère.

Election de la mère avec ressemblance phy- sique de la mère.

Election de la mère avec ressemblance phy- sique du père.

Alors, il réfléchit et note :

Il me faut encore :

Dislribuer les combinaisons, mélange et élec- tions.

Faire mourir quelques personnages d'une maladie héréditaire,

Décider du sexe; des causes de la prépondé- rance des facteurs.

Trouver des cas curieux et dramatiques d'hé- rédité.


r>8 COMMENT EMILE ZOLA

Mettre chaque personnage dans son milieu. Créer les habitudes, les professions, les divergences acquises.

Appliquer quelques cas d'hérédité sensorielle. Trouver les romans.

Puis, il raisonne sur les divisions de son œuvre et consigne ses remarques :

Il y a quatre mondes :

Peuple : ouvrier, militaire.

Commerçants : Spéculateur sur les démoli- tions; industrie et haut commerce.

Bourgeoisie : fils de parvenus.

Grand monde : fonctionnaires officiels avec personnage du grand monde; politique .

Et un monde à part ; putains, meurtriers, prêtres [religion), artiste [art).

Les sciences doivent être représentées quelque part, souvent, comme une voix générale de l'œuvre.

Le roman initial pourrait résumer les symp- tômes de la fièvre d'appétit. Education des enfants au collège. L'éducation serait antérieure au coup d'Etat, Faction ne commencerait que là.


COMPOSAIT SES ROMANS 59

Enfin, il dresse une première liste de romans à faire '.

Un roman sur les prêtres (Province).

Un roman militaire (Italie).

Un roman sur l'art (Paris).

Un roman sur les grandes démolitions de Paris.

Un roman judiciaire (Province).

Un roman ouvrier (Paris).

Un roman dans le grand monde (Paris).

Un roman sur la femme d'intrigue dans le commerce (Paris).

Un roman sur la famille d'un parvenu (effet de l'influence de la brusque fortune d'un père sur ses (illes et garçons) (Paris).

Roman initial (Province).

La détermination générale de l'œuvre arrêtée dans ses grandes lignes, Zola dressa l'arbre généa-


1. Voy. plus loin. p. 66 et suiv., les projets primitifs des romans de la série.

1. Nuire dossier contieut, en outre, trois pages de notes prises dans Y Histoire du Second Empire, de Taxile Delord. C'est la copie abrégée des sommaires des six premiers cha- pitres de l'ouvrage : Comment V Empire sest fait (tome premier paru en 1869). Ces notes n'ont donc pas à être reprodu'tes ici. Les études historiques d'Emile Zola étaient d'ailleurs renouvelées pour chaque épisode qu'il abordait. Il consulta un livre de Ténot, sur l'insurrection du Var (For- tune des Rougon), etc. (Voy. les Droits du Romancier, Figaro, 6 juin 1896).


60 COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS

logique des Rougon-Macquart qu'il publia dix ans plus tard, en tête de : Une Page aV Amour. Il est inu- tile de le reproduire ici. Nous dirons cependant que les noms des différents membres de la famille ont subi quelques transformations. Les Rougon- Macquart s'appelaient primitivement les David- Richard 1 , qui devinrent ensuite les Goiraud-Mour- lière. (Dans les plans de la Fortune des Rougon, ceux-ci ne sont encore que les Goiraud ; Mourlière y est changé en Rergasse.) La branche des Mouret por- tait, d'abord, le nom de Camoins. Enfin, Macquart s'écrivait Machard et demeura assez longtemps sous cette forme. Les prénoms furent aussi modifiés \


1. Noms manifestement provisoires.

2. Voyez plus bas : projets des romans, p. 66 et suiv.


CHAPITRE IV


Les études préparatoires sont achevées. Emile Zola a provisoirement arrêté l'ensemble de son œuvre et conçu les diverses parties de son Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second Empire 1 . Il peut maintenant penser à l'entre- prendre. Mais il faut auparavant traiter avec un éditeur. Aussi s'adresse-t-il à Lacroix qui avait déjà imprimé Thérèse Raquin. Vers le mois de février 1869, il lui remet un plan général de la série de romans qu'il a établie. Il y résume les idées exprimées dans les notes intimes qu'on a lues pré- cédemment, et indique les grandes lignes de la conception principale de l'œuvre. Ce nouveau plan complète et précise par de curieuses indications les textes ci-dessus publiés et montre avec quelle sincérité Zola adopta les nouvelles découvertes scientifiques du moment.


1. Primitivement appelée : Histoire d'une famille au dix- neuvième siècle.


62 COMMENT EMILE ZOLA


PREMIER PLAN REMIS A L'ÉDITEUR A. LACROIX


Les Rougon-Machard (histoire d'une famille sous le second Empire) % grand roman de mœurs et d'analyse humaine, en dix épisodes. Chaque épisode fournira la matière d'un volume. Ces épisodes, pris à part, formeront des histoires distinctes, complètes, ayant chacune leur dénouement propre; mais ils seront, en outre, reliés les uns aux autres par un lien puissant, qui en fera un seul et vaste ensemble.

Le roman sera basé sur deux idées.

1° Etudier dans une famille les questions de sang et de milieux. Suivre pas à pas le travail secret qui donne aux enfants d'un même père des passions et des caractères différents, à la suite des croisements et des façons particulières de vivre. Fouiller, en un mot, au vif môme du drame humain, dans ces profondeurs de la vie où s'élaborent les grandes vertus et les grands crimes, et y fouiller d'une façon méthodique, conduit par le fil des nouvelles découvertes physiologiques.

1. Premier texte barré : Les Goiraud-Mourlière [Bergasse] (histoire dune famille au dix-neuvième siècle).


COMPOSAIT SES ROMANS 63

2° Etudier tout le second Empire, depuis le coup d'Etat jusqu'à nos jours. Incarner dans des types la société contemporaine, les scélérats et les héros. Peindre ainsi tout un âge social, dans les faits et dans les sentiments, et peindre cet âge dans les mille détails des mœurs et des événements.

Le roman basé sur ces deux études, — l'étude physiologique et l'élude sociale, — étudierait donc l'homme de nos jours en entier. D'un côté, je montrerais les ressorts cachés, les fils qui font mouvoir le pantin humain ; de l'autre, je raconterais les faits et gestes de ce pantin. Le cœur et le cerveau mis à nu, je démontrerais aisément comment et pourquoi le cœur et le cerveau ont agi de certaines façons déterminées, et n'ont pu agir autrement.

Par exemple, j'étudie la double famille Rougon-Machard 1 . Il se produit des rejetons divers, bons ou mauvais. Je cherche surtout/ dans les questions d'hérédité la raison de ces; tempéraments, semblables ou opposés. C'est dire que j'étudie l'humanité elle-même, dans ses plus intimes rouages; j'explique cette appa- rente confusion des caractères, je montre


i. Premier texte barré; « ... je prends la famille Goiraud que j'unis par des alliances à la famille Mourlière [Ber- gasse^ ».


64 COMMENT EMILE ZOLA

comment un petit groupe d'êlres, une famille, se comporte en s'épanouissant pour donner naissance à dix, vingt individus qui semblent au premier coup d'œil profondément étrangers, mais que l'analyse scientifique montre intime- ment attachés l'un à l'autre. La société ne s'est pas formée d'une autre façon. Par l'observation, par les nouvelles méthodes scientifiques, j'arrive à débrouiller le fil qui conduit mathématique- ment d'un homme à un autre. Et quand je tiens tous les fils, quand j'ai entre les mains tout un groupe social, je fais voir ce groupe à l'œuvre, je le crée agissant dans la complexité de ses efforts, allant au bien ou au mal; j'étudie à la fois la somme de volonté de chacun de ses membres et la poussée générale de l'ensemble. C'est alors que je choisis le second Empire pour cadre, mes personnages s'y développent selon la logique de leurs caractères, liés les uns aux autres, ayant pourtant chacun leur personnalité. Ils deviennent des acteurs typiques qui résument l'époque. Je fais de la haute analyse humaine et je fais de l'histoire.

Ne voulant donner ici que les grandes lignes de l'idée générale, je ne descends pas dans les détails de chaque épisode. La famille dont je conterai l'histoire représentera le vaste soulè- vement démocratique de notre temps; partie du


COMPOSAIT SES ROMANS 65

peuple, elle montera aux classes cultivées, aux premiers postes de l'Etat, à l'infamie comme au talent. Cet assaut des hauteurs de la société, par ceux qu'on appelait au siècle dernier les gens de rien, est une des grandes évolutions de notre I âge. L'œuvre offrira par là même une étude de la bourgeoisie conlemporaine. D'ailleurs cette marche ascendante sera notée d'une façon scien- tifique, sans parti pris démocratique, de manière à montrer certains résultats déplorables de ectle bousculade des ambitions. Je n'entends pas être socialiste, mais simplement observateur et artiste. Je ferai, à un point de vue plus métho- dique, ce que Balzac a fait pour le règne de Louis-Philippe.

Il ne faudrait pas croire, d'après ce plan, que l'œuvre sera dure et rigide comme un traité de physiologie ou d'économie sociale. Je la vois vivante et très vivante. Tout ce que je viens de dire s'applique à la carcasse intime de l'ouvrage. Chaque volume contiendra une action drama- tique, sous laquelle les penseurs pourront retrouver la grande idée de l'ensemble, mais qui aura un intérêt poignant pour tout le monde. Je compte écrire des drames comme Thérèse Raquin et Madeleine Fërat, le côté sensuel enlevé.

Je désire publier deux épisodes chaque année, de façon à terminer l'œuvre en cinq ans.

6.


66 COMMENT EMILE ZOIA

Le premier épisode » aura pour cadre histo- rique le coup d'Etat dans une ville de province, sans doute une ville du Var.

Quelques mois plus tard en remettant à Lacroix le plan de ce premier roman, sorte d'introduction à l'œuvre entière, Zola y joignit les projets sommaires des neuf autres épisodes qui formaient, dans sa pensée, la suite de la série. Il en indique sommaire- ment le cadre et pose le personnage principal; et encore que provisoires, ces plans primitifs nous renseignent utilement sur la genèse des divers romans.

Après avoir rédigé X Ébauche de la Fortune des Rougon, il ajoute :

Dans les romans qui suivront, la descendance de Tante Dide se séparera en deux branches, les enfants de Pierre Goiraud 8 et les enfants d'Antoine Bergasse 3 . Les uns se lanceront dans les fortunes rapides et peu scrupuleuses du second Empire, ils contenteront leurs appétits grâce au luxe effréné du temps, à l'étalage des jouissances et finiront par le rachitisme du cer- veau et du cœur ; les autres, gardant leur misère, souffriront du mal de l'époque, dans leur intel- ligence et dans leur corps. En outre, les deux


1. La Fortune des Rougon.

2. Rougon.

3. Macquart.


COMPOSAIT SES ROMANS 67

branches s'uniront et produiront un cas humain particulier.

Voici rapidement l'indication du cadre et des personnages de chaque roman.

Un roman 1 qui aura pour cadre la vie sol te et élégamment crapuleuse de notre jeunesse dorée, et pour héros le fils d'Auguste Goiraud 2 , Phi- lippe 3 , un de ces avortons que l'on a nommés, avec énergie, des « petits crevés ». Ces misé- rables pantins sont bien la caractéristique de l'époque. Éducation de Philippe; sa tête et son cœur vides. Il est un produit des appétits de son père et de cette fortune rapide et volée qui le met à môme, dès quinze ans, de se vautrer dans toutes les jouissances. 11 y a là un monde à peindre et a marquer d'un fer rouge. Dans l'œuvre entière, Philippe représente le produit chélif et malsain d'une famille qui a vécu trop vite et irop gorgée d'argent.

Le père est puni par le fils.

Un roman qui aura pour cadre les spécula- tions véreuses- et effrénées du Second Empire 4 ,

1. Cet épisode a été réuni au suivant en un seul roman : La Curée.

2. Aristide Rougon.

3. Maxime.

4. La Curée.


08 . COMMENT EMILE ZOLA

et pour personnage principal Aristide Rougon (Auguste Gôiraud), l'homme de Plassans (Rol- borse), qui flairait la fortune et qui a laissé assassiner Silvère, afin de débarrasser la famille d'un garçon compromettant. Venu à Paris, après la proclamation de l'Empire, il se mêle au grand mouvement d'achat et de vente de ter- rains, déterminé par les démolitions et les con- structions de M. Haussmann. L'œuvre sera le poème, ou plutôt la terrible comédie des vols contemporains. Aristide (Auguste) réalise en quelques années une immense fortune. Remarié aune poupée parisienne, il souffre par sa femme. Peinture d'un ménage parisien dans la haute sphère des parvenus.

Un roman qui aura pour cadre le monde offi- ciel et pour héros Alfred Goiraud 1 , l'homme qui a aidé au coup d'Etat. Je puis en faire soit un minisire, soit un grand fonctionnaire. L'ambition d'Alfred est plus haute que celle des autres membres de sa famille. Il a moins soif d'argent que de puissance. Mais le sens de la justice lui manque ; il est un digne soutien de l'Empire. D'ailleurs, c'est un homme de talent- Un Morny, au petit pied. Il épousera la fille

1. Son Excellence Eugène Rougon.


COMPOSAIT SES ROMANS 69

d'un comte quelconque rallié à l'Empire, ce qui introduira dans l'œuvre des types affaiblis de notre noblesse agonisante.

Un roman 1 qui aura pour cadre les fièvres religieuses du moment et pour héros Lucien' 2 , fils d'Octave Camoins 3 , frère de Silvère et d'une demoiselle Goiraud, Sophie 4 . C'est dans ce Lucien que les deux branches de la famille se mêlent. Le produit est un prêtre. J'étudierai dans Lucien la grande lutte de la nature et de la religion. Le prêtre amoureux n'a jamais été, selon moi, étudié humainement. Il y a là un fort beau sujet de drame, surtout en plaçant le prêtre sous des influences héréditaires.

Un roman qui aura pour cadre le monde mili- taire 5 et pour héros Paul, fils de Bergasse. Un épisode de la guerre d'Italie. La guerre telle qu'elle est. Rapports de l'Empire avec l'armée. Le que je désire surtout, c'est montrer de vrais champs de bataille, sans chauvinisme, et faire


1. La Faute de Vabbé Mourel.

2. Serge.

3. François Mouret.

4. Anna Rougon.

o. Ce projet, ayant été écrit avant la guerre de 1870, se trouva modifié par les événements. Iljfut remplacé par la Débâcle.


70 COMMENT EMILE ZOLA

connaître les vraies souffrances du soldai. Un roman militaire est de toute nécessité dans la série.

Un roman qui aura pour cadre le monde ouvrier 1 et pour héros, Louis Duval', marié à Laure 3 , fille de Bergasse. Peinture d'un ménage d'ouvriers à notre époque, drame intime et pro- fond de la déchéance du travailleur parisien sous la déplorable influence du milieu des bar- rières et des cabarets. La sincérité seule pourra donner une grande allure à ce roman. On nous a montré jusqu'ici les ouvriers comme les soldats, sous un jour complètement faux. Ce serait faire œuvre de courage que de dire la vérité et de réclamer, par l'exposition franche des faits, de l'air, de la lumière et de l'instruc- tion pour les basses classes.

Un roman qui a pour cadre le monde galant 4 et pour héroïne Louise Duval, la fille du ménage d'ouvriers. De môme que le produit des Goiraud , gens enfoncés dans la jouissance, est un avorton


i. L'Assommoir.

2. Lantier (aussi nommé Dulac).

3. Gervaise Macquart. Plus tard seulement (voyez la der- nière liste des romans, p. 73), Zola donna à Gervaise un mari nommé Ledoux (puis Coupeau).

4. Nana.


COMPOSAIT SES ROMANS 71

social, de même le produit des Bergasse, gens gangrenés par les vices de la misère, est une créature pourrie et nuisible à la société. Outre les effets héréditaires, il y a, dans les deux cas, une influence fatale du milieu contemporain. Louise est ce qu'on appelle une « biche de haute volée ». Peinture du monde où vivent ces filles. Drame poignant d'une existence de femme, perdue par l'appétit du luxe et des jouissances faciles.

Un roman qui aura pour cadre le monde artis- tique et pour héros Claude Dulac 1 , autre enfant du ménage ouvrier. Effet singulier de l'hérédité, transmettant le génie à un fils de parents illettrés. Influence nerveuse de la mère. Claude a des appétits intellectuels, irrésistibles et effrénés, comme certains membres de sa famille ont des appétits physiques. La violence qu'il met à satisfaire les passions de son cerveau le frappe d'impuissance. Tableau de la fièvre d'art de l'époque-, de ce qu'on nomme la décadence et qui n'est qu'un produit de l'activité folle des esprits; Physiologie poignante d'un tempéra- ment d'artiste à notre époque, et drame terrible d'une intelligence qui se dévore elle-même.

1. Premier nom de Lantier. Dans ce projet, tous les enfants de Gervaise sont d'un même père.


72 COMMENT EMILE ZOLA

Un roman qui aura pour cadre le monde judi- ciaire 1 et pour héros Etienne Dulac, troisième enfant du ménage d'ouvriers. Michelet a dit : « Il faudrait que le juge fût médecin. » Etienne est un des cas étranges de criminel par hérédité qui, sans être fou, tue un jour, dans une crise morbide, poussé par un instinct de bête. De môme que ses parents, misérables et devenus vicieux, lèguent le génie à son frère Claude, ils lui lèguent le meurtre. Il y a des cas très intéressants de pareils faits. Je désire surtout écrire un roman de Cours d'assises, comme je comprends ce genre, abandonné aux fournisseurs brevetés des feuilletons, et dont on pourrait tirer une œuvre hautement littéraire et pro- fondément émouvante.

Enfin, nous reproduisons ci-dessous une dernière liste des romans qui semble avoir été dressée deux ou trois ans plus tard, vers le commencement de 1871 peut-être. On y relèvera quelques renseigne- ments complémentaires et indispensables pour notre connaissance de la genèse des épisodes de la série.


1. Le cadre de ce dernier roman de la série primitive a été modifié par la suite. Le personnage principal Etienne ligure dans La Bête Humaine et dans Germinal.


COMPOSAIT SES ROMANS 73


LISTE DES ROMANS

La Fortune des Rougon.

La Curée.

Le Ventre : Lisa.

La Faute [Sottise. \ de l'abbé Mouret.

Le roman politique (journaux) : Eugène Rou- gon.

Le roman d'art : Claude Lantier.

Le roman sur la rente viagère : Agathe Mou- ret.

Le roman populaire : Gervaise Ledoux et ses enfants.

Le roman sur la guerre d'Italie : Jean Mac- quart 1 .

Le roman sur le haut commerce (nouveau- tés) : Octave Mouret.

Le roman sur le demi-monde : Anna Ledoux.

Le roman judiciaire [Chemins de fer] : Etienne Lantier.

Le roman sur la débâcle : Faire revenir Aristide.

Roman sur la Guerre, le Siège et la Com- mune : Faire revenir Maxime et les enfants.

Roman scientifique : Pascal, Clotilde; faire

I. Voy. page 69, note 5.


74 COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS

revenir Pierre Rougon, Félicie Macquart, etc., Pascal en face des enfants de Maxime.

Un roman, sans doute, avec François Mouret et Marthe Rougon [La Conquête de Plassansj.

Puis il ajoute en note :

Un deuxième roman sur le peuple, particu- lièrement politique. L'ouvrier de l'insurrection, de la Commune, aboutissant au 10 mai 187t. [Outil révolutionnaire.] Une photographie d'in- surgé tué en 1848 *.


1. Voy. 2 e partie, p. 94; note 2. Paul Alexis, en 1878, écri- vait encore : « L'auteur des Rougon-Macquart fera un second roman sur le peuple. V Assommoir décrit les mœurs de l'ou- vrier; il reste à étudier sa vie sociale et politique. Les réu- nions publiques, ce qu'on entend par la question sociale, les aspirations et les utopies du prolétariat y seront analysées. » C'est sans doute de ce projet qu'est sorti Germinal.


CONCLUSION


C'est dans les pages qu'on vient de lire que fut fixée, pour la première fois, cette doctrine du roman naturaliste dont Zola allait devenir le chef et le théo- ricien. Ne croyez pas que ce système si étroitement arrêté, ces idées si volontairement savantes, lui fussent une prison ;^qu'il dût être « captif d'une doc- trine, captif d'une époque, captif d'une famille, captif d'un plan ». Il se souviendra quelquefois qu'il fait une histoire naturelle, — et il consultera ses notes de physiologie, et une histoire sociale, — et il relira son manuel d'histoire, — d'une famille, — et il jettera un coup d'œil sur son arbre généalogique ; quant au plan, il le modifiera souvent et à son gré. Dans le premier volume de la série, il dira un mot du roman scientifique, et aussi dans le dernier; puis dans des articles de polémique littéraire, ou en tête d'un épisode, pour les besoins de la cause et afin qu'on n'oublie pas qu'il y a une école natu- raliste. Le reste du temps, il laisse de côté toute sa philosophie, la science et l'hérédité : il se con- tente d'être lui-même, et cela, Dieu soit loué, lui arrive le plus souvent. Aussi, ne nous attarderons-; nous pas à remarquer qu'elle est proprement anti-


76 COMMENT EMILE ZOLA

scientifique et un peu candide, celle idée de raconter l'histoire naturelle et sociale d'une famille, selon un plan arrêté par avance. Je vous dirais bien que ses théories sur l'hérédité, l'innéité, l'atavisme forment un amas d'obscurités et que je n'y entends rien. Mais, qui de nous se préoccupe de savoir à quel degré tel Rougon est allié à tel Macquart, et comment tel Macquart est parent de tel Rougon, ou pourquoi Etienne Lantier est un criminel, alors que son frère Claude est un homme de génie? Au surplus, la con- ception littéraire de l'œuvre en est-elle modifiée très sensiblement? Après tout, Zola ne fait que substituer à la Némésis antique, à la Grâce de la littérature janséniste, la fatalité héréditaire. Vous me répondrez que c'est plus scientifique. — Assurément, mais il importe assez peu. Phèdre n'a pas la grâce, et est torturée par les feux d'une passion incestueuse. Etienne a une hérédité d'alcoolique, et est un « monomane de l'assassinat ». Ne vous semble- t-il pas que c'est à peu près la même chose? Le mot seul est changé. Nous ne parlerons pas non plus du mépris que l'auteur professe à l'égard de la psycho- logie. A quoi bon répéter des objections aussi banales?

D'autre part, que nous laisse entendre Zola lui- même, lorsque nous appuyons sur ces endroits et que nous l'y poussons? « Eh! je me moque de ce mot naturalisme, et cependant je le répéterai, parce qu'il faut un baptême aux choses pour que le public les croie neuves. Voyez-vous, je fais deux parts dans ce que j'écris : il y a mes œuvres, avec lesquelles on me juge et avec lesquelles je désire être jugé ; puis il y a mon feuilleton du Bien Public, mes articles de


COMPOSAIT SES ROMANS 77

Russie, ma correspondance de Marseille qui ne me sont de rien, que je rejette et qui ne sont que pour faire mousser mes livres 1 . » Vous pouvez là-dessus tirer vos conséquences. Enfin, aujourd'hui, le natu- ralisme est mort; il nous semble aussi vieux que la « Querelle des Anciens et des Modernes ». Il ne fut pour l'œuvre que le vêtement de la saison et devait passer comme elle. Mais l'œuvre du naturaliste Zola est encore vivante, et l'on peut croire qu'elle vivra autant qu'il y aura des hommes, et qui seront curieux des choses de ce temps-ci : elles trouvèrent en lui leur plus puissant poète et l'artiste le mieux doué pour les comprendre.

î . Goncourt : Journal, VI, 314.


7.


DEUXIÈME PARTIE *


METHODE DE TRAVAIL D'EMILE ZOLA


Emile Zola reconnaissait qu'il y a « des révélations instructives qui sont du domaine de l'histoire litté- raire, à se pencher sur l'épaule d'un écrivain pour surprendre son enfantement » et étudier les procédés de son art. Il écrivait en 1880 : « Ce serait une curieuse étude que de dire comment travaillent nos grands romanciers contemporains. Ils établissent presque tous leurs œuvres sur des notes prises lon- guement. Quand ils ont étudié avec un soin scrupu- leux le terrain où ils doivent marcher, quand ils se sont renseignés à toutes les sources et qu'ils tiennent en mains les documents multiples dont ils ont besoin, alors seulement ils se décident à écrire. Le plan de l'œuvre leur est apporté par ces documents

I. Ces études ont paru résumées, dans la Revue (ancienne Revue des Revues), uuméros des 15 juin et 1 er juillet 1905. Nous leur avons conservé leur caractère primitif.


80 COMMENT EMILE ZOLA

eux-mêmes, car il arrive que les faits se classent logiquement, celui-ci avant celui-là; une symétrie s'établit, l'histoire se compose de toutes les observa- tions recueillies, de toutes les notes prises, Tune amenant l'autre, par l'enchaînement même de la vie des personnages, et le dénouement n'est plus qu'une conséquence naturelle et forcée. On voit, dans ce travail, combien l'imagination a peu de part. Nous sommes loin, par exemple, de George Sand qui, dit-on, se mettait devant un cahier de papier blanc et qui, partie d'une idée première, allait toujours sans s'arrêter, composant au fur et à mesure, se reposant en toute certitude sur son imagination qui lui apportait autant de pages qu'il lui en fallait pour faire un volume. » Ces lignes, qui justifient l'utilité de nos recherches, ne laissent pas de nous fournir des indications précieuses sur les procédés de com- position d'Emile Zola lui-même, ou plus exactement sur les tendances et l'esprit de sa méthode. .Nous n'avons pas pour le moment à en examiner la valeur, mais à les préciser par quelques renseignements complémentaires.

La méthode de travail d'Emile Zola se trouve clai- rement expliquée dans plusieurs ouvrages connus; parmi les plus importants, nous devons citer les travaux de Paul Alexis 4 , de Amicis'et du D r Tou- louse 3 . Nous nous bornerons à résumer ici les infor-


1. Paul Alexis : Emile Zola. Notes d'un ami, ch. IX, p. 158 et suiv.

2. De Amicis : Souvenirs de Paris et de Londres, trad. par M me Colomb, cité par Alexis.

3. D r Toulouse : Enquête médicopsychologique. Emile Zola, p. 269 et suiv.


COMPOSAIT SES ROMANS 81

mations que nous leur avons empruntées; nos docu- ments nous y ont révélé quelques erreurs de détail et certaines lacunes auxquelles nous nous efforce- rons de remédier.

« Emile Zola imaginant un roman, dit le D r Tou- louse, part toujours d'une idée générale. Il se pro- pose d'étudier un milieu, un mouvement , une caté- gorie d'individus. » Il commence à travailler à son roman sans s'occuper de l'intrigue, sans savoir « ni quels événements s'y dérouleront, ni quels person- nages y prendront part, ni quels en seront le com- mencement et la fin ». Il connaît seulement, et depuis longtemps, le Rougon ou le Macquart, qui doit être le personnage principal du livre. Il ne s'oc- cupe que de lui; « il médite sur son tempérament, sur la famille où il est né, sur ses premières impres- sions et sur la classe où il a résolu de le faire vivre 1 ». 11 débute donc par l'étude des milieux : il étudie « les gens avec qui son personnage aura affaire, les lieux où il devra vivre, l'air qu'il devra respirer, sa profession, ses habitudes, jusqu'aux plus insignifiantes occupations auxquelles il consa- crera ses moments perdus ». Pour cela, il s'entoure de tous les documents capables de le renseigner et de lui fournir des idées. Il admet trois sources d'in- formations : « les livres qui lui donnent le passé ; les témoins qui lui fournissent, soit par des œuvres écrites, soit par la conversation, des documents sur ce qu'ils ont vu ou sur ce qu'ils savent, et enfin l'ob- servation personnelle directe, ce qu'on va voir, entendre ou sentir sur place ». A chaque nouveau

1. Paul Alexis : Op. cit., p. 157.


COMMENT EMILE ZOLA

roman, « il s'entoure de toute une bibliothèque sur la matière traitée; il fait causer tous les personnages compétents qu'il peut approcher, il voyage, va voir les horizons, les hommes et les mœurs 1 ». Ainsi, non content d'étudier les documents imprimés et les écrits des spécialistes, il vit pendant quelque temps dans le monde où son action doit se passer; il con- naît des gens qui lui appartiennent, il entend racon- ter des faits réels et, rentré chez lui, il prend des notes sur ce qu'il a observé. 11 enregistre hâtivement, en quelques mots, des éléments de descriptions, de physionomies, de scènes vues, des fragments de dialogues qui, plus tard, serviront à éclairer ses souvenirs. « Dès ce moment, a-t-on remarqué, il commence à ne s'occuper que de -son roman et il écarte toutes les lectures qui sont inutiles à l'œuvre actuelle. » Tous ces documents sont alors classés dans des chemises, sous des légendes spéciales, et étiquetés avec soin. C'est la première partie de son travail, ce qu'il appelle la constitution d'un dossier. On peut surprendre dans cette façon de préparer un roman — et la comparaison est instructive — l'influence de G. Flaubert. Comme Flaubert, Zola part de l'observation; il n'admet pas qu'on écrive en obéissant à l'imagination, mais veut que tout ce qu'on met dans un roman « ait été pris sur le vif et noté au moment môme où il a été pris ». Si nous lisons l'étude que Zola consacra à la méthode de travail de Flaubert, l'analogie paraîtra plus curieuse encore. Le ton de l'admiration respectueuse et sou-


1. Emile Zola : « Les droits du romancier. » Figaro, G juin 1896.


COMPOSAIT SES ROMANS 83

mise y règne d'un bouta l'autre. « Gustave Flaubert, dit-il, ne procède que sur des notes prises dont il a pu vérifier lui-même l'exactitude. S'il s'agit d'une recherche dans desouvrages spéciaux, il se condam- nera à fréquenter pendant des semaines les biblio- thèques, jusqu'à ce qu'il ait trouvé le renseignement désiré. Pour écrire, par exemple, dix pages, l'épisode d'un roman où il mettra en scène des personnages s'occupant d'agriculture, il ne reculera pas devant l'ennui de lire vingt, trente volumes traitant de la matière, et il ira, en outre, interroger des hommes compétents ; il poussera les choses jusqu'à visiter des champs en culture, pour n'aborder son épisode qu'en entière connaissance de cause. S'il s'agit d'une description, il se rendra sur les lieux, il y vivra... Et, à chaque détail, c'est ainsi un souci continu du réel. Il consulte les gravures, les jour- naux du temps, les livres, les hommes, les choses... « Cette conscience est un des traits caractéris- tiques du talent de Gustave Flaubert. Il semble ne vouloir rien devoir à son imagination. 11 ne travaille que sur l'objet qui pose devant lui. Quand il écrit, il ne sacrifie pas un mot à la hâte du moment; il veut de toutes parts se sentir appuyé, poser les pieds sur un terrain qu'il connaît à fond, s'avancer en maître au milieu d'un pays conquis... Il se refuse une erreur, si légère soit-elle. Il a besoin de se dire que son œuvre est juste, complète, définitive. Une tache le rendrait très malheureux, le poursuivrait d'un remords, comme s'il avait commis une mauvaise action. Il n'est parfaitement tranquille que lorsqu'il est convaincu de la vérité exacte de tous les détails contenus dans son ouvrage. C'est là une certitude,


84 COMMENT EMILE ZOLA

une perfection dans laquelle il se repose. En toutes choses, il entend dire le dernier mot 1 . »

Il ressort clairement de la comparaison de ces deux méthodes que l'influence de Flaubert sur Zola fut considérable. « C'est dans Flaubert, a dit Emile Zola, que nous avons pris notre solidité et notre méthode exacte. » Nous retrouvons, en effet, chez le disciple toutes les tendances du chef d'école, l'em- ploi des mêmes procédés : la documentation scrupu- leuse, l'observation attentive, ces deux qualités mai- tresses du romancier réaliste. Malgré cette fidélité aux doctrines de l'auteur de Madame Bovary, Zola fut cependant très différent de lui ; mais ici, l'ascen- dant de Flaubert est incontestable, nous devions le signaler.

Voilà donc les premiers matériaux de l'œuvre qui assureront la solidité du terrain sur lequel vont mar- cher les personnages et se développer les phénomènes. Quand l'observateur a ramassé ainsi les idées et les faits, l'artiste arrive, qui éprouve le besoin de tirer quelque chose de ses lectures et de ses réflexions. Il lui reste à rattacher avec un seul fil toutes ces réminiscences et ces réflexions éparses. Le travail de création commence. & Jusque-là, dit le D 1 Toulouse, Zola a agi en savant consciencieux et honnête; il cherchait. Mais le voilà dans la période de concep- tion où, comme disait Flaubert, « il faut se f... de « la conscience ». Cette création va d'ailleurs se faire toute seule. Mais il faut un forceps à l'enfantement des idées, et c'est la plume qui va être cet outil.


1. Emile Zola : Les Romanciers naturalistes : Gustave Flau- bert.


COMPOSAIT SES ROMANS 85

Zola compose alors ce qu'il appelle Y Ebauche, il raisonne avec lui-même et il « écrit ses soliloques, parole par parole, tels qu'ils lui viennent ». 11 met là tout ce qui lui passe par la tête, sans aucun souci d'art, ni même d'orthographe ; il indique l'idée géné- rale, la pensée philosophique qui doit régir le roman, et à coups de logique, de déduction en déduction, il en tire tous les personnages et toute l'affabulation. Mais cela reste encore vague et provi- soire.

Lorsque Zola est arrivé à débrouiller ses idées et à concevoir suffisamment son intrigue, il passe à ce qu'il appelle les Personnages. Il fixe, pour ainsi dire, l'état civil de chacun d'eux, il lui dresse des actes : histoire, âge, santé, aspect physique, tempé- rament, caractère, habitudes, alliances, etc.; enfin, sa conduite dans les divers incidents du roman est arrêtée.

Mais pendant ce travail, de nouveaux matériaux, des renseignements, des observations complémen- taires, rendus indispensables par le développement du roman, ont été amassés. D'ailleurs, jusqu'à l'achèvement de l'œuvre,, le plan reste toujours ouvert et les notes recueillies en chemin y sont reportées sans cesse. C'est ainsi que, les personnages tracés dans leur manière d'être physique et morale, il réunit des détails techniques sur les métiers qu'ils exerceront; l'affabulation générale du roman esquissée, il prend des notes sur le quartier où se déroulera son histoire. Puis il continue ses recherches et extrait encore quelques documents dans des ouvrages spéciaux. Le dossier est déjà volumineux. « C'est tout un paquet considérable de feuilles clas-

8


86 GOMMENT EMILE ZOLA

sées avec soin, de renseignements, qui dépassent parfois en matière le livre à écrire. Mais pourtant, il n'y a encore là que des notes. »

C'est alors que Zola fait, chapitre par chapitre, le plan de son livre; c'est un sommaire très détaillé de la conduite de l'intrigue. Ici j'emprunte une nou- velle citation à l'ouvrage de Paul Alexis, qui a très minutieusement analysé cette partie du travail de Zola : « Le plan, dit-il, ne se fait pas d'un coup. Zola ire l'obtient que peu à peu, par couches succes- sives. C'est d'abord Y Ebauche qu'il dépouille pour reporter à sa place chacun des faits principaux. Ce sont ensuite les Personnages qu'il répartit de la même façon : ici, le portrait physique de tel personnage; là, un trait saillant de son caractère; plus loin, les changements amenés par les faits dans le tempéra- ment de tel autre; plus loin encore, l'état d'âme décisif où il a voulu le conduire. Et il dépouille ainsi chaque dossier. Tout doit entrer peu à peu et à la place précise : le quartier, la maison, les lieux des grandes scènes. Non pas en bloc, certes! mais espacé, balancé, distribué, selon les exigences du récit et le besoin des situations. Voilà donc le plan arrêté dans ses grandes lignes. Seulement, tout cela n'est encore que dégrossi. Dans chaque chapitre, les matières qu'il doit contenir sont un peu jetées à la pelle, au hasard du dépouillement des dossiers partiels. Aussi, avant de se mettre à écrire, se trouve- 1- il forcé, chaque fois qu'il aborde un nou- veau chapitre, de refaire ce qu'il appelle « un plan définitif », c'est-à-dire qu'il prend, dans le plan primitif, toutes les notes amassées et qu'il les com- bine, les met en œuvre dans l'ordre nécessité parla


COMPOSAIT SES ROMANS 87

déduction des chapitres déjà écrits et par l'effet litté- raire qu'il veut tirer du chapitre à écrire. C'est un peu alors comme s'il arrêtait la mise au point et la marche d'un acte de drame, dont il n'aurait réuni d'abord que les matériaux. Et cela va d'un bout du roman à l'autre, à mesure qu'il passe d'un chapitre au suivant. »

A ce moment, il ne lui reste plus qu'à accomplir la partie la plus agréable de son travail : la rédac- tion du roman. « Il s'y met tranquillement, métho- diquement. Il écrit chaque jour trois pages d'im- pression, presque sans ratures, et dès qu'il a écrit, il les met de côté et ne les relit plus qu'imprimées. »

Comme on le voit, Emile Zola emploie pour préparer ses romans, des procédés rationnels. Il -s'entoure dès l'abord de matériaux, pour établir les constructions souterraines qui supporteront son œuvre; il s'instruit, il enquête, il observe. L'affabu- lation trouvée, les personnages créés, il dresse un plan qu'il étudie mûrement; il l'arrête dans toutes ses parties d'une façon détaillée, il y note tout ce qu'il y a d'important, même la date des épisodes. « Zola, disait Alphonse Daudet, travaille comme son père l'ingénieur; il creuse des canaux, il trace des rues, il étage des bâtisses. » En effet, tout semble se faire tranquillement, sans fièvre, comme l'édifica- tion d'une maison ou « la poursuite de recherches de laboratoire ». La méthode est bonne et logique; elle est, pour le moins, consciencieuse et honnête.

Nous connaissons maintenant les procédés de travail de Zola; nous savons sur quels principes.il se guide; mais nous en ignorons l'application et la valeur pratique. On nous a beaucoup parlé, dans ce


88 COMMENT EMILE ZOLA

qui précède, de documents exacts, de faits notés, d'observation scrupuleuse; on nous a même fait entendre qu'ainsi composé, le roman n'est plus que « le produit du classement des notes et de l'intuition qui les complète ». « Je veux écrire un roman, nous dit Zola, je commence un dossier. » Or, nous avons appris comment il constitue ce dossier, mais il nous reste à apprécier la valeur des matériaux qu'il ren- ferme. Nous avons le droit de vouloir connaître de quelle nature sont ces fameux documents, comment ces notes ont été prises, ces observations recueillies, leur classement effectué, et surtout, dans ce travail, quelle est la part de Yinluilion!

Ces renseignements précieux, la publication d'un de ces dossiers — celui de V Assommoir — va nous les fournir. Nous allons voir le théoricien à l'œuvre. Nous comprendrons, à la lecture de ce carnet de notes, comment Emile Zola se livre à son enquête « sur la nature, les êtres et les choses ». Nous sur- prendrons son observation ; nous pourrons étudier sa façon de voir, de sentir et de noter ses sensations et ses visions ; puis, nous saisirons par quels efforts et par quel travail l'artiste transpose tous ces élé- ments pour en faire de la vie; quel souffle il donne à ses personnages, comment « il crée des êtres de chair et de sang ». En un mot, nous éluciderons la part de l'imagination et du génie personnel. Enfin, tout en assistant à la génération d'un chef-d'œuvre tel que C Assommoir, nous nous efforcerons de montrer ce que cette étude peut apporter de nouveau pour la compréhension de l'auteur et de son œuvre.

Le manuscrit de V Assommoir forme deux volumes


COMPOSAIT SES ROMANS 89

(Bibliothèque Nationale, Nouvelles Acq.fr. 10270-71 '). Le tome I er renferme la rédaction du roman ; nous y avons constaté de graves lacunes : des feuillets ont été égarés ou perdus. Le tome II contient ce que nous avons convenu d'appeler le Dossier. C'est ce volume que nous publions intégralement ici. Il se compose de 233 feuillets et est ainsi divisé :

1° Plan sommaire (folios 1-3).

2° Plan détaillé (folios 3-92).

3° Notes sur l'alcoolisme (folios 93-99).

4° Les quartiers, les rues, les cabarets, bals (plans et notes, folios 99-116).

5° Les Personnages (folios 117-138).

6° Notes prises dans le Sublime de Denis Poulot et Argot (folios 140-155).

7° Ebauche (folios 156-174).

8° Notes sur les lavoirs, blanchisseuses, ouvriers zingueurs, boulonniers, chainistes (folios 175-190).

9° Renseignements divers. — Coupures de jour- naux. — Argot (folios 191-220). A la fin du volume (folios 221 233) : Ebauche de la Faute de Vabbé Mouret.

Pour rendre la publication de ces documents plus claire, nous avons cru devoir adopter les disposi- tions suivantes :

I

1° Ebaucue.

2° Les Personnages.

3° Les Milieux : a) Les quartiers, rues, cabarets,

1. Voy. Appendice 6), l'inventaire des OEuvres d'Emile Zola (œss. autographes, épreuves corrigées, et notes diverses), déposées à la Bibliothèque Nationale.


90 COMMENT EMILE ZOLA

bals; b) Les métiers, lavoirs, blanchisseuses, etc.. 4° Ouvrages spéciaux : a) Alcoolisme ; b) Notes prises dans le Sublime de Denis Poulot; c) Coupures de journaux.

II

1° Plan sommaire. 2° Plans détaillés.

Appendice : a) Notes d'argot ; b) Catalogue des manuscrits d'Emile Zola.

Nous ne pouvions, en effet, les classer suivant Tordre de leur composition : on a vu précédemment qu'Emile Zola avait déjà un grand nombre de maté- riaux, avant de savoir l'emploi qu'il en ferait (c'est- à-dire avant d'écrire l'Ebauche). D'autre part, les dispositions que nous avons adoptées sont celles que l'auteur lui-même prenait, d'après Alexis, pour répartir ses documents, avant la rédaction du Plan.

Enfin, bien qu'Emile Zola écrivît presque sans ratures, nous avons pensé que notre examen serait incomplet, si nous ne consacrions pas quelques pages à montrer, d'après ses corrections manuscrites, quelle place il accordait au travail du style. Aussi avons-nous essayé d'étudier sommairement la nature et l'objet des rares modifications, ratures, ou rema- niements que l'on relève sur le premier brouillon et sur le texte original.

Nous avons jugé inutile d'encombrer la publica- tion de ces notes de références et de renvois trop fréquents. Tous nos lecteurs connaissent V Assom- moir; il nous a semblé suffisant d'indiquer les endroits généraux (chapitres ou pages de la première


COMPOSAIT SES ROMANS 91

édition; où se trouvent le trait relevé, le passage cité. Nous avons surtout voulu rendre l'usage de ces documents pratique et facile. Le commentaire con- tinu qui les accompagne a pour objet d'en préciser le sens et la portée et de montrer ce qu'ils apportent de nouveau pour l'intelligence de l'auteur et de son œuvre. Enfin, nous essaierons de dégager de toutes les remarques, de toutes les réflexions que l'examen de ce dossier nous aura suggérées, quelques conclu- sions générales sur l'individualité littéraire d'Emile Zola. Quand notre démonstration serait incom- plète et que nous n'aurions pas su tirer de ces recherches tout le parti possible et désirable, notre tentative ne serait pas superflue, puisque cela seul aura suffi à révéler un champ d'investigations encore inexploré et riche en fructueuses découvertes.




LA COMPOSITION D'UN ROMAN NATURALISTE « L'ASSOMMOIR »


En écrivant V Assommoir, Emile Zola mit à exécu- tion une idée depuis longtemps caressée. Nous savons, en effet, par le plan général des Rougon- Macquart, dressé en 1869, qu'il se proposait, dès ce moment, de faire une étude sur les mœurs du peuple des faubourgs, dont le cadre serait la vie de Ger- vaise Ledoux (le nom de Gervaise a été changé) et de ses enfants 1 . En outre, Zola vivait à cette époque au milieu des ouvriers et des pauvres gens : il habi- tait rue Saint-Jacques, dans une de ces vastes mai- sons noires, comme il en décrivit une. Du voisinage des ivrognes, des malheureux, des familles ravagées par l'alcool et la débauche, du spectacle de toutes ces misères, il conserva une impression forte et pénible; il assista aussi, dans celte maison, à « des


l p. 70


Voy. l re partie : Le projet du « Roman sur le peuple »,


COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS 93

choses étonnantes de couleur et d'allures » qui frappèrent son imagination d'artiste : « à une mort notamment, à de grands repas joyeux, à des fêtes, à des bombances », et il pensait à tirer un jour parti de tous ses souvenirs et à peindre la vie complète du peuple avec ses douleurs, ses plaisirs et ses vices. Nous avons retrouvé dans le manuscrit de VAssom- moir cette petite esquisse qu'il composa vers 18G9 ; elle nous donne, pour ainsi dire, le premier élal du roman que Zola ne devait entreprendre que six ans plus tard.


Roman ouvrier. — Le roman aux Batignolles 1 .

Une blanchisseuse; l'atelier des repasseuses aux Balignoiles, sur l'avenue dans une boutique

— sur l'avenue, le lavoir, les laveuses, etc.. Une fête chez des ouvriers (la blanchisseuse).

Les petits plats dans les grands. — Tout l'ar- gent passe dans un dîner. — Les fenêtres ouvertes : le dehors mis dans la joie de la fête.

— Les chansons au dessert.

Les femmes allant chercher les hommes au cabaret. — Les femmes conduisent les hommes.

Ne pas oublier une photographie d'homme tué sur les barricades en 48, entretenant la haine révolutionnaire dans la famille. — La


1. Le roman est situé auxBatignolles, où Zola habitait alors (avenue de Clichy, au coin de l'ancienne rue Moncey).


9i COMMENT EMILE ZOLA

politique chez le peuple avec ses bavardages, ses récils de 48, sa misère haineuse de la richesse, ses souffrances.

Rien que des ouvriers dans le roman. — Des familles d'ouvriers avec des intérieurs diffé- ronls. — Linge aux fenêtres, etc 1 ...

Ce cadre est encore bien vague ; nous y trouvons cependant des éléments de descriptions, des indica- tions de scènes, qui seront utilisés plus tard et qui serviront à éclairer les souvenirs de Fauteur ; — Zola assigne déjà à son héroïne le métier de blan- chisseuse, il note ces descriptions d'un lavoir et d'un repas dans la boutique de Gervaise qu'il met- tra dans son roman. La politique tient une grande place dans ce premier projet. Zola se proposait, en effet, d'étudier non seulement les mœurs de l'ouvrier, mais aussi sa vie sociale et politique 2 . D'autre part, il réservait dès lors tous les rensei- gnements qui lui tombaient sous là main et dont il prévoyait l'utilité pour sa future étude : c'est ainsi qu'il recueillit dans un numéro du journal le Gaulois (8 février 1870), un article de Francisque Sarcey intitulé : A Wolf et à Richard] cette chro-


1. A peu prè* dans le même moment, Zola notait l'épisode suivant, qu'il n'utilisa d'ailleurs point plus tard : « Un père soûl dans la rue a mis son enfant, un bambin de quatre ans, à califourchon sur son cou. 11 trébuche, fait des zigzags : « Aie pas peur! » Et il tombe; l'enfant est tué. (Episode du roman sur le peuple, ».

2. Il voulut ensuite écrire un deuxième roman ouvrier, par- ticulièrement politique (voy. p. 7i, note 1).


COMPOSAIT SES ROMANS 93

nique est un essai de psychologie de l'ouvrier pari- sien. Zola s'en servit pour tracer le caractère de Coupeau et lui emprunta certains épisodes. Nous avons reproduit cet intéressant morceau au chapitre : />s Ouvrages spéciaux.

Enfin en 1875, Emile Zola se met à l'œuvre. Fidèle h sa méthode, il réunit tous les matériaux 1 néces- saires à l'édification de son roman ; il prend des renseignements sur l'alcoolisme, dont il veut mon- trer les effets; il visite les quartiers où doivent \ivre ses héros, fréquente les cabarets, les bals, les hôtels ; il étudie une forge, un atelier de chaînisle ; il prend un monceau de notes sur diverses ques- tions. Il a même en tète, un des plus touchants épisodes de son livre : le martyre de la petite Bijard 2 , qui lui a été fourni par un court extrait de V Evénement, conservé dans notre dossier et que voici :


M. Ratisbonne consacre dans V Événement un chapitre ému à l'héroïsme de jeunes enfants malheureux et il cite la triste épopée qu'on va lire :

« J'ai connu une grande sœur. — Elle avait bien douze ans. — Sa mère était morte. — Elle se fit mère des trois petits orphelins comme elle. Elle les débarbouillait, leur apprenait à lire, tenait le ménage et ne manquait pas d'aller au


1. Voyez plus loin : Les Milieux et les Ouvrages spéciaux.

2. Voy. Assommoir, ch. X., p. 423-430 et ch. XII, p. 515-518.


06 COMMENT EMILE ZOLA

chantier porter la soupe à son père. Le père était adonné à la boisson et elle avait hérité des coups qu'il distribuait à sa mère de son vivant chaque, fois qu'il revenait du cabaret. D fatigue et de peine elle tomba en langueur, mais elle ne se coucha pas. Toute malade qu'elle était, elle restait debout, couvrant toujours 1 petite nichée de sa protection et de ses soins le plus tendres. A la fin, le mal empira.

Un jour, le père entra ivre et furieux.

a — Où es-tu, malheureuse? Que je te cogne

« — Ici, dit la petite.

Et le père la voyant étendue cette fois, tout livide sur son lit, les enfants pleurant près d'elle, fut dégrisé subitement.

Il tomba à genoux :

« — Ah! ma petite mère, qu'as-tu?

« — Je vais mourir, père. Je te recommande les enfants. Aies-en bien soin, je te prie.

Et ce fut le dernier mot de cette petite mère qui avait douze ans.

Ainsi Zola a déjà de nombreux matériaux ; il a observé quelques faits, classé des documente, ramassé certains épisodes ; mais une chose lui manque encore qui le rend très perplexe : c'est ld drame même du livre, le fil qui va relier les divers documents, l'affabulation autour de laquelle il va mettre en œuvre ses notes et ses souvenirs. En un


COMPOSAIT SES ROMANS 97

mot, « il ne tient pas son drame ». Ce qu'a coûté de patience, de réflexion, d'obstination, la démonstra- tive ordonnance de V Assommoir, de quels essais et de quels tâtonnements est sorti ce roman, X Ebauche peut seule nous en donner l'idée ; elle nous apprend ce que Zola a exercé sur soi d'empire, d'énergique autorité, ce que fut la lutte opiniâtre, le combat intime qui s'éleva entre sa complexion héréditaire, ses qualités originales et fougueuses et la persis- tance absolue de sa logique; elle nous montre par quel effort de raisonnement tenace et volontaire il parvint à contraindre sa nature impétueuse à la sobriété, comment il la régla et finit par l'asservir. Enfin en nous donnant les divers états de sa pensée, en nous faisant assister au labeur opiniâtre de son esprit, elle nous révèle toute une série de particula- rités esthétiques, de tendances individuelles, dont nous nous contenterons de dégager ici les traits les plus saillants.

Zola, comme Balzac, n'a point « l'inspiration subite et heureuse 1 ». Il est, de son naturel, compliqué, obscur; ses premières idées sont troubles, incer- taines : « il n'arrive que par degrés et s'arrête en chemin ». Son tempérament l'opprime, l'alourdit, et il ne s'en « dégage qu'à force de patience, après mille démarches infructueuses et par le triomphe de la volonté ». C'est qu'il y a en Zola « deux bons- hommes distincts », comme disait Flaubert, l'un épris de mélodrame et qui semble se complaire « au même genre d'horreurs qu'Eugène Sue ou


1. Taine : Nouveaux Essais de critique et d'Histoire. Art. Balzac ».


98 GOMMENT EMILE ZOLA

d'Ennery par exemple, sans avoir toutefois leur fer- tilité d'imagination mélodramatique, ni leur habileté d'invention » ; l'autre qui s'efforce au contraire d'être réaliste, et s'acharne de tout son courage à combattre le premier, vers lequel il se sent attiré et ramené instinctivement; et c'est précisément à cette lutte perpétuelle, à ce désaccord entre ces deux hommes différents que nous assistons en lisant Y Ebauche. En effet, nous y voyons Zola, la plume à la main, débrouiller ses idées, chercher son drame, combiner son intrigue, en un mot faire œuvre d'imagination. Eh bien, qu'imagine-t-il? — « Le drame banal chez le peuple, remarque-t-il d'abord, c'est quelque jalousie brutale qui finit par jouer du couteau. Ainsi, il pourrait y avoir une bataille entre Lantier, Cou- per i et Goujet poussés les uns contre les autres, par les autres personnages. » Oh! l'affreux dénouement! Il l'avoue d'ailleurs aussitôt, et s'empresse d'ajouter : « Mais je veux rester dans la simplicité des faits, dans le courant de la vie vulgaire, tout en restant très touchant. » Et il invente un drame affreux « d'une réalité magnifiquement et audacieusement cruelle ». Certes, c'est bien là de « l'humanité complète et hideusement superbe ou superbement hideuse », de la vie en tranches palpitantes, comme on en sert à l'Ambigu. (Voy. plus bas Y Ébauche, p. 111 etsuiv.j. Et l'on reconnaît le Zola qui a écrit Renée, celui qui a machiné les drames de Thérèse Raquin et de la Bète humaine.

Mais Y Ebauche nous révèle l'autre Zola, tempéré et logique, qui réagit de toutes ses forces contre le premier, fantastique et immodéré; celui qui écrit : « Il faudra que le caractère du livre soit la simpli-


COMPOSAIT SES ROMANS 90

cité ; une histoire d'une nudité magistrale, de la réalité au jour le jour, tout droit, pas de complica- tions, très peu de scènes, et des plus ordinaires, rien absolument de romanesque ni d'apprêté» ; qui, au lieu de faire finir Gervaise comme une héroïne de mélodrame, nous la montrera « mourant à quarante et un ans, épuisée de douleur et de misère » ; le Zola qui fit-un jour cet aveu : « Je hais le romantisme pour toute la fausse éducation qu'il m'a donnée ; j'en suis et j'en enrage. » Il en est et il en enrage, et c'est bien sous ce double aspect que Y Ebauche nous le présente. « Le romantisme est à la fois son père et sa bête noire 1 », et l'on peut dire de lui comme de Flaubert que « c'est par une probité éneroique et acharnée qu'il se fit réaliste ».

1. Ju'es Letuaître : Les Contemporains (l ie série).


CHAPITRE PREMIER


"-1 L'ÉBAUCHE


Zola indique d'abord ridée générale, la pensée maîtresse qui doit ^gir son roman. Fermement attaché à ses théories de romancier « expérimenta- teur v>, il se propose d'expliquer les mœurs par le milieu social :

i v Le roman doit ôlre ceci : Montrer le milieu

"^ peuple et exp iquer par ce milieu les mœurs . .peuple ; comme quoi, a Paris, la sjaûlerie, la de-

•^^bandade de la famille, les coups, l'acceptation de toutes les hontes et de toutes les misères viennent des conditions mêmes de l'existence ouvrière, des travaux durs, des promiscuités,

-r~- des laisser-aller, etc. En un mot, un tableau très exact de la vie du peuple avec ses ordures, sa vie lâchée, son langage grossier, et ce tableau ayant comme dessous — sans thèse cependant — le sol particulier dans lequel poussent toutes


COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS 10J

ces choses. Ne pas flatter l'ouvrier et ne pas le noircir. Une réalité absolument exacte. Au bout, la morale se dégageant elle-même. Un bon ou- vrier fera l'opposition; ou plutôt non, ne pas tomber dans le Manuel. Un effroyable tableau qui portera sa morale en soi. »

Alors il cause avec lui-même sur son personnage principal, dont il retrace l'histoire :

Ma Gervaise Macquart doit être l'héroïne. Je fais donc la femme du peuple, la femme de l'ou- vrier. C'est son histoire que je conte. Son his- toire est celle-ci. Elle s'est sauvée de Plassans à Paris avec son amant Lantier, dont elle a deux enfants : Claude et Etienne. Elle se sauve en 1850. Elle a alors vingt-deux ans. Claude a huit ans et Etienne quatre ans.

Lantier, un ouvrier tanneur, l'abandonne trois mois après son arrivée à Paris, où elle a repris son état de blanchisseuse; il se marie de son côté, sans doute. Elle se met avec Coupeau, un ouvrier zingueur, qui l'épouse. Elle en a tout de suite une fille, Anna, en 1851. Je la débarrasse de Claude, dès que celui-ci a dix ou douze ans. Je ne lui laisse qu'Etienne et Anna. Au mo- ment du récit, il faut qu'Anna ait au moins qua- torze ans et Etienne dix-huit ans. Mon drame

9.


102 COMMENT EMILE ZOLA

aura donc lieu vers 1865. Je raconterai aupara- vant la vie de Gervaise.

Je pourrai prendre sans doute pour cadre, la vie d'une femme du peuple. Je prends Gervaise à Paris, à vingt-deux ans (en 1850), et je la conduis jusqu'en 1869, à quarante et un ans. Je la fais passer par toutes les crises et par toutes les hontes imaginables. Enfin, je la tue dans un drame.

L'idée générale entrevue, il en indique sommaire- ment l'exécution et note quelques premiers faits :

J'aurai donc d'abord les phases d'existence qui suivent :

Arrivée à Paris en 1850. — Abandonnée par Lantier, Gervaise resta seule avec deux enfants, l'un de huit ans, l'autre de quatre ans. (La scène

  • ï*- de l'abandon, les enfants, etc.).

La rencontre de Coupeau, quelque part, ty- pique; (Coupeau sait qu'elle était avec Lantier). Le mariage (typique aussi). Le premier temps du ménage. Les premières raclées.

La réussite de Gervaise qui parvient à s'éta- blir. Une petite boutique de blanchisseuse, à côté de son ancienne patronne. — La jalousie "f-'de celle-ci poussant à un dénouement tra- gique.


COMPOSAI! SES ROMANS 103

La vie dans la petite boutique. Coupeau ne p< faisant plus rien. Les ouvrières.

La réapparition de Lan lier. Détails sur les * tanneurs (quartier de la Bièvre). — Yie extraor- dinaire de l'amant dans le ménage. Coupeau abruti, buvant. Lantier s'expiiquant : « Les en- fants sont à moi, n'est-ce pas? Je puis bien venir les embrasser. » Ou mieux encore, c'est Cou- peau qui l'amène. Un vieil ami. Alors, peu à peu, les deux hommes se mettent à vivre sur Gervaise. Montrer celle-ci résistant, puis s'aban- * domiajr^euà peu.

Alors la ruine lente de la petite boutique. Gervaise est obligée de se remettre chez les au- tres, après avoir perdu ses pratiques une à une. , Coupeau va mettre le linge des autres au Mont- de-Piété, etc. Quand Gervaise travaille chez les autres, la misère sordide, les jours sans pain.

Là un drame pour finir. Je fais mourir Ger- vaise tragiquement, ou plutôt je la montre, mourant à quarante et un ans, épuisée de tra- \ vail et de misère l .

Le sujet exposé, il revient en arrière et réfléchit sur le caractère et le tempérament de Ge lise, qu'il


1. C'est à ce dernier parti que Zola, après bit lions, devait définitivement s'arrêter. Voy. plus Plans

(plan XIX primitif et plan XIII définitif).




ï


104 COMMENT EMILE ZOLA

précise et arrête d'une façon définitive. Il prend soin de nous renseigner sur ses antécédents hérédi- taires et personnels, antérieurs à Faction du livre :


Gervaise doit être une figure sympathique. Autrefois à Plassans, sa mère lui faisait boire de l'anisette et elle a été grosse de Lantier à quatorze ans. Expliquer ces commencements. Elle est de tempérament tendre et passionné; voilà pour la faute (Assommoir, ch. II, p. 57). '""Quant à l'ivrognerie, elle a bu parce que sa ? mère buvait. Mais, au fond, c'est une bête de ] somme, dévouée comme sa mère (Assommoir, L!i> ka).J Elle est la reproduction exacte de Fine, au moment de la conception; (môme plus tard, je la fais grossir comme sa mère). Elle est ban- cale, légèrement, ne pas oublier. Donc, à Paris, j'ai une Gervaise nouvelle. Elle ne boit plus, elle aime Lantier, elle se dévoue pour ses en- fants. Avec tout cela, il lui faut un caractère net ou je ne ferais que de la cochonnerie. D'abord, je l'ai dit, une bête de somme au tra- vail, puis une nature tendre; un fonds de femme excellent que l'éducation aurait pu développer, mais qui se perd. Chacune de ses qualités nlre elle : le travail l'abrutit, sa ten- onduit à des faiblesses extraordinaires. On peut rendre ses qualités matérielles en lui


COMPOSAIT SES ROMANS LOS

donnant un idéal. Dans les commencements, elle dit : < Moi, je voudrais un coin petit, où je serais heureuse, voir mes enfants bien établis. Manger du pain tous les jours, ne pas être battue. Mourir chez moi, etc. » Enfin, lui prêter ie désir très modeste de tout ce qu'elle n'aura pas (Assommoir, II, 49).

Ici, il s'arrête, et remarque très justement :

Je ne puis me sauver de cette platitude de l'intrigue que par la grandeur et la vérité Je mes tableaux populaires. 11 n'y a rien qui vienne en avant. Si je prends la vie bête, plate et or- durière, il faut que je donne à cela un grand relief de dessin. Le sujet est pauvre : il faudrait voir à le faire alor>. d'une vérité telle qu'il soit un miracle d'exactitude.

Il cherche alors des figures secondaires détermi- nées par le milieu.

Les personnages secondaires doivent me servir à compliquer le récit.

Ces personnages sont :

Bijard, sa fille et les deux enfants. Bijard, mauvais ouvrier ; peintre, peut-être (à trouver).

Goujet, un forgeron (lui donner une mère).


106 GOMMENT EMILE ZOLA

L'effort musculaire, un beau gars, ui. peu som- bre, aimant Gervaise. L'employer au dénoue- ment ; bon ouvrier.

Lorilleux, ouvrier parisien occupé à de petits travaux minutieux; toute la journée assis. Mé- chant. Il est marié. M me Lorilleux, sœur de Coupeau.

Un vieil ouvrier 1 , soixante-dix ans; un drame.

Puis des femmes.

La patronne de Gervaise, M mc Fauconnier, avec des ouvrières, Eugénie, Lise, etc. 2 (Voir s'il faut en faire une M mc Besançon 3 .)

.Une veuve * (sœur aînée de Coupeau), ou- vrière en quelque chose. La portière de la maison 5 . La mère de Coupeau; une impotente que Gervaise a prise chez elle et qui meurt ; (la mort . chez les ouvriers).

Je fais demeurer une grande partie de ce monde-là dans la même maison. Quelques-uns I en dehors pourtant; c'est ce qui me donne le fil. e


i. Le Père Bru. fS

2. Ici des noms d'ouvrières : Augustine, Sophie, Pauline, Virginie, Joséphine, Clémence, Alphonsine, Julie, Eugénie, Eulalie, Françoise, Antonine. S.

3. Personnage d'Eugène Sue, dans les Sept Péchés capitauj

4. M«» Lerat. ul

5. M^e Boche.


\


COMPOSAIT SES ROMANS 107


me faudra ajouter une fruitière, une charbon- nière, enfin quelques petits détaillants. Des caractères très carrés : Bijard,Goujet, Lorilleux.

Puis il raisonne avec lui-même :


Si je prends le titre : La simple vie de Ger- vaise Macquart, il faudra que le caractère du livre soit précisément la simplicité ; une his- toire d'une nudité magistrale, de la réalité au jour le j our, tout droit, pas de complications, peu de scènes et des plus ordinaires, rien absolument de romanesque ni d'apprêté. Des faits au bout les uns des autres, mais me don- nant la vie entière du peuple.


D


t ce sont de nouveaux détails


ans la maison demeurent : Gervaise, Cou- peau, Lantier, la mère de Coupeau, Anna, puis les Lorilleux. Les Bijard, Goujet et sa mère, le vieil ouvrier (Bazouge), la portière (M me Boche). Un marchand de vin.

Du dehors : la blanchisseuse, M me Fauconnier ; la sœur aînée de Coupeau, une veuve, M mc Lerat ; une petite épiciôre, dont le mari est sergent de ville, M me Poisson ; une autre détaillante char- bonnière.


108 COMMENT EMILE ZOLA

Il tâche maintenant de trouver une intrigue, que lui donne la logique des milieux et des personnages précédemment entrevus.


Voici comment les épisodes pourraient s'or- ganiser. Ma première scène dans un lavoir. L'abandon de Gervaise dramatisé, mis en scène avec quelques-uns des personnages.

La première rencontre de Gervaise et de Cou- peau ; Coupeau est l'ami de Lantier. Jl mène Gervaise chez ses parents, les Lorilleux. C'est là que je présente la maison où tous mes per- sonnages demeurent (surtout les Lorilleux).

Premiers temps du ménage. Chez M me Fau- connier. Je présente Goujet dans une promenade hors barrière. Un mot de Bijard ; il faut que la petite Joséphine (un nom à trouver) l soit toute jeune. La montrer à trois âges.

Gervaise a une boutique dans la maison, à la place d'une petite détaillante qui s'en est allée. Elle prend la mère de Coupeau. Là le retour de Lantier. Les bordées et les noces. Toute la famille à un Te pas.

Montrer les trois hommes, Lantier, Coupeau 4^et Goujet, autour de Gervaise.

Quand Gervaise est mangée, mettre la mort

1. La petite Lalie,


COMPOSAIT SES ROMAINS 109

<!<> M" Coupeau. Toute la famille se cotisant pour un enterrement. Grand épisode. Revenir aux Bijard : (second tableau).

La misère chez Gervaise. Elle va voir Cou- peau à l'hôpital. Son pressentiment qu'elle mourra là. Elle quitte la boutique. Un hiver; le chômage, le Mont-de-piété.

Un drame entre les trois hommes.

Le troisième tableau des Bijard. Mort de la petite, exténuée.

La fin : mort de Gervaise ; Lantier s'en va, Goujet, etc.

Puis quelques indications :

La politique. Les enfants (petits).

Le drame, les dettes à la fin. En un mot, l'emploi de tous les personnages.

Tout cela est déjà nettement indiqué ; le drame seul reste incertain et toute la fin de Vtibauche est employée à le combiner ; nous allons pouvoir suivre la pensée de l'auteur dans tous ses tâtonnements et ses hésitations '.

La fin ; le drame est d'abord la chose la plus


1. Ce ne sera, néanmoins,, qu'après avoir écrit les Plans que Zola arrêtera son dénouement définitif.

10


%-


110 COMMENT EMILE ZOLA

importante. Il faut y employer tous les person- nages, surtout les parents, les Poisson et les Boche. iD'auJj^^pMt^ex^alàe^jloU être le per- sonnage princi pal, central, et comme je raconte / surtout sa vie et que je veux faire d'elle un per- sonnage sympathique, je dois montrer tout le monde travaillant à sa perte d'une façon con- sciente ou inconsciente.

Les dettes sont d ' a b ord. jiécessaj r e s. Pour se nourrir et nourrir son fainéant de mari par sur- croît, elle peut emprunter de tous les côtés, au boucher, au boulanger, au charbonnier, à l'épi- cier, etc.... Puis, poussée à bout, j e puis l a

j* montrer descendant jusqu'au trottoir. Enfin, pour rendre le drame plus terrible, je peux encore la faire enceinte; (songer au suicide).

Le drame banal chez le peuple, c'est quelque jalousie brutale qui finit par jouer du couteau. Ainsi, il pourrait y avoir une bataille entre Lantier, Coupeau et Goujet, poussés les uns contre les autres par les autres personnages.

Mais je veux surtout rester dans la simplicité des faits, dans le courant vulgaire de la vie, tout en restant très dramatique et touchant. Je montre donc Gervaise tombant à une déchéance,

^s'abandonnant à la suite de Coupeau et de Lan- tier, retournant travailler chez M mc Fauconnier, glissant jusqu'à la prostitution (pas tout à fait le


COMPOSAIT SES ROMANS 111

trottoir), puis à l'ivresse. Quelle peut être alors la situation vis-à-vis de Goujet ? Celui-ci Ta aimée follement. Plus lard, quand le malheur < >t arrivé, il lui a offert de se mettre avec lui; (une scène quelque part) (Assommoir, ch. VIII, \>. 325-326). Elle : « Nous aurions été heureux, car vous êtes un bon travailleur; nous nous serions bien entendus. Pas battue et du pain, ("était mon idéal. » Mais elle refuse; elle est trop vieille, il n'est plus temps; il faut qu'il se marie. Beaucoup de bon sens, tranquille ; lui dit qu'il ne se mariera pas, et il veille sur elle; il l'empêche de tomber Irop bas.

Au fond, Gervaise aime toujours Lantier ; cet amour est nécessaire pour lui donner quelque fr caractère et la relever. Voici alors quel peut être le drame [ :

Lantier a pour maîtresse la Poisson, la femme du sergent de ville. Il mange la petite boutique d'épicerie. Alors, tous les personnages, les Loril- Icux, les Boche, pour des raisons multiples à trouver, poussent Gervaise contre la grande Adèle \. Gervaise est alors grosse de Lantier. Coupeau ne compte plus. On ménage à Ger- vaise l'occasion de trouver la Poisson et Lantier,


1. Voy. plus loin les Plans, ch. XX (1 er projet) p 301.

2. Dans le roman : Virginie Poisson. Dans les flans pri- mitifs, comme dans cette Ébauche, c'est Adèle qui reparaît.


112 COMMENT EMILE ZOLA

en flagrant délit. Elle les trouve et leur casse une bouteille de vitriol sur leur corps, dans leur lit. Alors Lantier, rendu fou par la douleur, la prend et la traîne par les cheveux dans la cour, devant les Boche. C'est là que Goujet peut arriver et engager un duel formidable avec Lan- tier dans la cour, les portes fermées ; (disposer la maison pour cela). L'attitude de Coupeau et des autres personnages. Un détail épouvantable : Lorilleux peut s'approcher de Gervaise, étendue sur le sol et râlant, et lui donner un coup de pied sournois: « Tiens, garce! » C'est de ce coup de pied dont elle meurt. La scène à la tombée du jour. On va chercher le mari, le sergent de ville (à trouver).

Pour mettre de l'équilibre dans l'œuvre, il faudrait que la grande Adèle (M me Poisson ' et Gervaise fussent en rivalité pendant toute la durée du livre. Il faudrait que ce fût avec Adèle que Gervaise se battît au premier chapitre. Cola est facile : Adèle aussi est blanchisseuse et tra- vaille chez M m * Fauconnier. C'est avec elle que Lantier couche, lorsqu'il quitte Gervaise. Plus tard, Adèle reparaît mariée à un ancien soldat qui est sergent de ville. Elle se fait craindre en menaçant tout le monde de son mari. Non, il ne faut pas qu'elle ait d'abord couché avec Lantier,

1. Voy. p. 111, note 1.


COMPOSAIT SES ROMANS 113

cY-t une de ses sœurs ; elle se trouve au lavoir et se bat pour sa sœur. Ainsi elle ne quitte jamais le quartier; la rivalité est de tous les temps avec des hauts et des bas, sans trop insister pourtant.

Ici quelques réflexions :

Ne pas oublier que je veux faire sympathique. Diviser mes personnages en bons et en mé-çàjc 5 * chants ; le plus de bons possible.

Voir s'il n'y a pas lieu de supprimer le per- sonnage de M mc Fauconnier, en transposant le caractère sur M me Boche. J'aurai lous les détails de l'atelier de blanchisseuse chez Gervaise ; je préfère cela. M mc Fauconnier ne sera plus qu'un personnage de dernier plan, à peine nommé.

Montrer un ménage où les enfants poussent comme des champignons. Le père fait des enfants coup sur coup à la mère éreintée.

Et le côté politique.

Procéder par grandes scènes typiques; ainsi les bordées des ouvriers, une seule fois, mais en plein et dramatisé.

Enfin, il s'occupe du côté politique et distribue des opinions à ses différents personnages :

Pour la politique, suivre l'historique même

10.


S*


H4 COMMENT EMILE ZOLA

de la politique sous l'Empire, dans le peuple. Le peuple laissa faire le coup d'Elat et l'ap- prouva presque, les revendications ne vinrent que plus tard; ce mouvement de réveil n'arriva qu'en 63. Je n'ai donc pas à appuyer extrême- ment; dans les commencements, rien; plus tard, l'éveil, et je mène la chose jusqu'à l'éclat do 4 869. J'indique, au dénouement, le vaste mouvement de réunions publiques qui se déclare. Plus tard, dans un roman 1 , j'étudierai ce moment curieux d'une façon complète. Le roman de Gervaise n'est pas le roman politique, mais le roman des mœurs dupeuj)le ; le côté politique s'y trouve forcément, mais au second plan, dans une limite restreinte.

Voici maintenant quelle doit être pour les personnages, la distribution des opinions. Lan- tier sera le politique par excellence; grand parleur, liseur de journaux, habitué des réunions publiques.

Coupeau se moque de la politique: l'ouvrier parisien, sceptique et ivrogne.

Lorilleux a un souvenir historique, il est pour la religion, pour le bon ordre; très aigre.

Goujet, bon ouvrier, républicain modéré ; excellent type.

1. Voy. la liste des Romans, l re partie., p. 14.


COMPOSAIT SES ROMANS 115

M me Lerat cause politique, s'en occupe beau- coup, d'une façon extraordinaire. Enfin, le ser- gent de ville Poisson (c'est là où l'intrigue poli- tique' est à trouver) est bonapartiste fatalement. Il est accusé d'être mouchard et de dénoncer. Je crois que je ferais bien d'en faire une figure de dernier plan, muette, autoritaire, ayant l'air de porter un monde de délation et pas méchant homme au fond. Le sergent de ville Poisson représente l'autorité dans le livre (le sergent de ville est une autorité supérieure pour le peuple). Tout le monde en a peur; certains pourtant le méprisent. Sa femme triomphe, effrayant le monde avec lui. C'est résolu : j'en fais un man- nequin sévère, sérieux, buvant les verres de vin qu'on lui offre d'une façon profonde, répon- dant par monosyllabes, avec une occupation quand il rentre chez lui : il est ancien ébéniste, il fait des petites boîtes. Ses conversations avec Lantier [Assommoir, YI1I, 311). Maintenant, il serait excellent de le faire finir par un coup d'horreur, le montrer brusquement terrible et tout-puissant; cela entrerait dans le drame. Il peut, soit faire usage de son épée, soit porter un faux témoignage.

L' Ebauche est terminée. Nous avons pu voir, à la lecture de ce très curieux texte, comment Zola pro-


116 COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS

cédait à la recherche d'une intrigue et au choix d'un sujet, comment il débrouillait ses idées, et nous savons maintenant ce que valent les prétentions de ce théoricien du roman expérimental qui écrivait : « L'imagination n'a plus d'emploi, l'intrigue importe peu au romancier qui ne s'inquiète ni de l'exposition, ni du nœud, ni du dénouement... On part de ce point que la nature suffit, il faut l'accepter telle qu'elle est, sans la modifier ni la rogner en rien, elle est assez belle, assez grande pour apporter avec elle un commencement, un milieu, une fin. Au lieu d'imaginer une aventure, de la compliquer, de ménager des coups de théâtre qui, de scène en scène, la conduisent à une conclusion finale, on prend simplement, dans la vie, l'histoire d'un être ou d'un groupe d'êtres dont on enregistre les actes fidèlement. » (Rom. exp., p. 123-124.)

Et qu'en devons-nous conclure, sinon que ses théories ne l'ont jamais gêné, mais qu'elles ont été, au contraire, la discipline utile, le frein nécessaire de sa nature et de son tempérament? Fausses et décevantes en soi et prises à la lettre, elles furent excellentes comme « tendances ».


CHAPITRE II


LES PERSONNAGES


Après avoir établi ces premières données, entrevu son sujet et arrêté les grandes lignes de son roman dans Y Ebauche, Zola passe à ce qu'il dénomme les Personnages.

11 n'apparaît pas, à la lecture de ces notes, qu'Emile Zola fût un psychologue très délicat et curieux de détails personnels. Mais, connaissant sa doctrine, pouvons-nous le lui reprocher ? Il serait plus exact de dire qu'il a la « psychologie de son système 2 . » Si sa sensibilité semble assez limitée, s'il ne fait aucune place à l'analyse des sentiments un peu fins, c'est que. pour lui, ce ne sont ni la volonté, ni la con- science qui déterminent les actions des individus, mais « la santé physiologique », « l'équilibre des

1. Cf. plus haut : la méthode de travail. Voyez l'ouvrage de M. Kamon, les Personnages des Rougon-Macquart (1 vol.; Fasquelle), pour lequel ces notes ont été utilisées. Il est inté- ressant de se reporter aussi à la défense de V Assommoir, publiée par Zola dans le journal la Vie littéraire (22 février !8"Ï7).

2. Cela a été très justement remarqué par M. Bernard Bou- vier, auteur d'un intéressant ouvrage sur l'Œuvre d'Emile Zola. Genève, Eggiman, 190*.


118 GOMMENT EMILE ZOIj

forces dans l'organisme ». « La névrose du vice, écrit-il, produit le vice; la névrose de la vertu produit la vertu. » « Gervaise est de tempérament tendre et passionnée, voilà pour la faute. Quant à l'ivrognerie, elle a bu parce que sa mère buvait. » Aussi la domi- nante psychologique de ses personnages réduits au seul instinct, correspond-elle presque toujours à la dominante physiologique. Enfin, il voit plutôt qu'il ne pénètre; ce qu'il observe, ce sont des traits saillants, des silhouettes, des types, des alti- tudes, des manies. Il marquera donc avec vigueur le signe particulier qui fera vivre son personnage d'une vie pittoresque et extérieure et nous le rendra merveilleusement visible. A ce point de vue, les por- traits contenus dans les Personnages sont déjà très arrêtés, et, par une foule de détails que Zola ne livrait pas au lecteur, mais dont il tirait les consé- quences, ils nous donnent la clef de tous les caractères du roman et nous fournissent un précieux commen- taire.

Comme un auteur dramatique, Zola dresse, d'abord, une liste de tous ses personnages; il indique leur âge, leur profession ou quelque autre marque caractéristique.

Gervaise Macquart, née en "18 28, mère à 14 ans; en 50, 22 ans. Blonde.

Claude Lantier, né en 42, 8 ans en 50.

Etienne Lantier, 4 ans en 50.

Anna Coupeau, née en avril 51. Blonde.

Lantier (tanneur , père à 18 ans; en 50, 26 ans. Coupeau (couvreur); en 50, 20 ans. (Cadet-Cassis).



COMPOSAIT SES ROMANS 119

Goujet (forgeron), 22 ans en 50. (La Gueule d'Or . Mai lame Goujet, 44 ans en 50. Toute blanche.

Lori lieux (article de Paris), 34 ans en 50. Madame Lorilleux sœur de Coupeau), 30 ans en 50. Queue de vache, rousse.

Bijard, 32 ans en 50 (Poil-Bleu).

Madame Bijard, 30 ans en 50, meurt à la fin de 1860, Jules sevré.

Lalie (Eulalie). 14 ans en 08, née en 54.

Les deux petits enfants: Henriette née en 57, Jules en 60.

Madame Coupeau (la mère), 62 ans en 50, meurt à 73 ans en 61.

Bazoug< croque-mort), 45 ans en 50.

Madame Fauconnier (maîtresse blanchisseuse), 36 ans en 50.

Victor Fauconnier, son fils, 4 ans en 50.

Madame Lerat (veuve, sœur de Coupeau), 40 ans en 50.

Madame Virginie Poisson (petite épicière tenant de tout), 20 ans en 50. Brune.

Poisson (sergent de ville), 26 ans en 50.

Madame Boche (la portière de la maison), 32 ans en 50.

Boche (tailleur), 46 ans en 50. Bibi-la-Grillade 1 . Pauline Boche (leur fille), née en 51. Brune.

1. Zola donna par la suite ce surnom à un autre person- nage secondaire.


i


120 COMMENT EMILE ZOLA.

Colombe (marchand de vin traiteur, garni), 40 ans en 30.

Marescot (propriétaire, ancien ouvrier), 43 à 30 ans en 30.

Kibalier, patron.

Le père Bru (vieil ouvrier indigent), 62 ans en 50.

Clémence (ouvrière blanchisseuse), 18 ans en 54.

Madame Putois, dite Madame Augustine, blan- chisseuse, femme d'un cocher.

Lise, Léontine, Léonie, Sophie 1 .

Il reprend ensuite chacun de ses personnages, dont il trace un portrait détaillé. Voici la biographie de Gervaise et de ses enfants :

Gervaise, née en 1828, vingt-deux ans en 1830, bancale de naissance, la cuisse droite déviée et amaigrie, reproduction héréditaire des bruta- lités que sa mère avait eu à endurer dans une heure de lutte et de soûlerie furieuse. Grande fille 2 , fluette, avec une joli>e petite face ronde; son infirmité est presque une grâce; a un enfant à quatorze ans, Claude, de Lantier, ouvrier tanneur, à peine âgé de dix-huit ans; — quatre ans plus tard a un autre enfant, Etienne. Se sauve à Paris dans les premiers


1. Noms d'ouvrières.

2. Cf. Assommoir, en. I, p. 1-19.


COMPOSAIT SES ROMANS 121

jours de février 1850, avec son amant. Claude a huit ans et Etienne quatre ans; est abandonnée par Lantier trois mois après son arrivée à Paris, dans les premiers jours de mai. A ce propos, voici l'histoire : Ils sont descendus à la Villette, sur le boulevard extérieur, dans un hôtel, les deux amants et les deux enfants. Lantier, très gâté par sa mère, une maîtresse et digne femme, est venu à Paris avec le petit héritage qu'elle lui a laissé, très peu de chose, dix-sept cents francs par exemple. Avec cela, il devait établir Gervaise, lui-même devait travailler non pas de son état de tanneur dont il a un peu honte, mais travailler à placer des produits du Midi. Pourtant, ils sont restés à l'hôtel où ils ont tout mangé sans savoir à quoi; après trois mois, le voyage, l'hôtel, les plaisirs, ils ont mangé les dix-sept cent francs.

Gervaise s'est tout de suite mise courageuse- ment à la besogne; elle fait tout ce qu'elle peut. Elle cherche de l'ouvrage; en attendant, elle lave le linge de la famille.

J'ouvre donc la scène, le jour où elle est allée laver le linge, le jour même de l'abandon 1 . Les ^ enfants peuvent venir dire que ci papa » a emporté la malle après avoir mis tout dedans.

1. Voy. page 208, note 1, premier projet du chapitre I er (fragment).

11


'.22 COMMENT EMILE ZOLA

Lantier s'en va avec une ouvrière de M me Fau- connier, la grande Augustine, une belle fille, qui peut venir la narguer : « Est-ce que je sais où il est, votre homme'. », ou bien, au contraire, la tranquille impudeur: « Oui, je l'ai pris, après? 1 » La bataille à coups de battoirs. Ger- vaise s'en va pleurant avec ses deux enfants, un dans chaque main.

Je fais donc de Gervaise une grande jeune femme de vingt-deux ans, non pas jolie (si, jolie), mais intéressante de figure. Je l'excuse d'avoir bu de l'anisctte avec sa mère et de s'être livrée à Lantier à quatorze ans. Une bonne nature, en somme 2 ; la reproduction de Fine. E lle aime se s enfanls e_Lelle voit série usp.mp nt. la v ie. Son idéal, ne pas être battue et manger. Une nature moyenne, qui pourrait faire une excellente femme selon le milieu. L'étude du milieu sur une femme ni bonne ni mauvaise, qui a déjà eu de tristes exemples sous les yeux, mais prête par sa nature à réagir et à travailler : un peu la bête de somme qui songe à la niche et à la pâtée. Des faiblesses naturelles ; un êlre lancé au hasard et qui tombera pile ou face [Assofnmoir, ch. II,

1. On sait que tout cela fut changé par la suite. Cf. Assommoir, ch. I, p. 2.'i et suiv.

2. « Gervaise. écrivit Zola, est la plus sympathique et la jt plus tendre des figures que j'ai encore créées; elle r.ste

bonne jusqu'au bout. » Vie Littéraire, 22 février, 1877).


COMPOSAIT SES ROMANS 123

p. 57). Comme hérédité, la fille de sa mère, une mule dévouée, dure au travail ; elle finira par grossir comme Fine. En somme, 1res sympa- thique.

Claude a huit ans en 1850. C'est à neuf ans, tout de suite après le mariage de Gervaise avec Coupeaû, que je le fais partir pour Plassans. Il va là-bas près de son oncle Pascal, qui le remet aux mains du vieux monsieur qui doit payer sou éducation artistique.

Etienne a quatre ans en 1850 (son portrait, le bien voir). Je le fais entrer de bonne heure en apprentissage, dans l'atelier de Goujet. Puis, dès que la débâcle arrive, je le fais disparaître, je l'envoie sur une ligne de chemins de fer ou autre chose. Il quitte la maison en 1861, par exemple, à quinze ans.

Anna. Elle naît dans les premiers mois de 1851. Ellene me sert que vers uuatorze ans, quand elle commence à se promener en cheveux, avec un ruban bleu dans les cheveux, et cela ne se passe qu'en 1865; auparavant, dans la bou- tique, mauvaise éducation. C'est en 1866 que je place son épisode quand la débâcle est venue (ce sera d'ailleurs vers cette époque que je placerai les morceaux importants du livre). Elle


124 COMMENT EMILE ZOLA

est très jolie, blonde; l'ouvrière parisienne jusqu'aux moelles, se perdant dans la débâcle de la famille; mauvaise éducation; battue par le père et défendue par la mère, et vice-versa. A la fin, entretenue.

Voici maintenant le portrait de Lantier que Zola a connu en chair et en os : c'est un des caractères les plus étonnamment vrais du livre.

Lantier a eu Gervaise quand il avait dix-huit ans; l'emmène à Paris à vingt-six ans en 1850. Un beau garçon, petit, très brun, méridional {Assommoir ■, ch. I, p. 8); un Goupin 1 en joli, petites moustaches et impériale noire, portant crânement un feutre. Blagueur, amoureux, très sympathique tant qu'il est jeune, passionné pour les femmes. Il faut que je fasse là une étude d'un Provençal, tel que je les connais, sans rien oublier; la tâche d'huile [Assommoir, p. 316), de la sournoiserie, de la brutalité, tout. Quand il reparaît en 1858, il a trente-quatre ans; il s'est un peu épaissi. Alors il est l'ouvrier en paletot 3 (ibid., p. 320), sans un sou d'ailleurs; républicain très avancé qui se pique le nez proprement, parle politique, lit les journaux, achète des livres (ibid., p. 312). Il a

1. Personnage connu de l'auteur.

2. Voy. les Notes prises dans le Sublime de Denis Poulof.


COMPOSAIT SES ROMANS 125

été patron un moment, mais s'est coulé, ce qui parfois l'entraîne à dire du mal des ouvriers. Très paresseux, affectant des airs supérieurs, se taisant entretenir. L'ouvrier de province ne pouvant tenir le coup du travail à Paris. Ayant des maîtresses dans le quartier Bréda, des restantes. Racontant ses prouesses de travail. Débauchant Coupeau. L'ouvrier sous le paletot; enfin tout le portrait (ibid., ch. Y1II, p. 300 et suiv.).

Puis il passe à Couptau :

Coupeau (Cadet-Cassis). Même âge que Lantier, vingt-six ans en 1850. Le plus jeune d'une famille; M me Lorilleux, trente ans en 1850, et M me veuve Lerat, trente-six ans. Prendre pour type l'ouvrier parisien sceptique', gouailleur en politique, s'en moque, pas d'opi- nion (Assommoir, ch. III, p. 109); de taille moyenne, châtain, la mâchoire inférieure un peu proéminente, le nez écrasé, le front petit; agréable quand il est jeune, gouailleur, noceur, d'un toupet infernal, pas méchant diable, chan- tant, gai, rigolo (ibid., ch. II, p. 40 et 58) ; puis


1. Voy. aux Ouvrages Spéciaux, l'article de Francisque Sarcey.

11.


120 COMMENT EMILE ZOEA

très vite déformé par le métier, s'encanaillant rapidement, devenant malpropre et de propos obscènes, défiguré par l'ivresse, s'abèlissant, lourd, perdant sa gaieté, se noyant dans le vin. Tout ce type est celui-ci : une existence d'ouvrier (dix-neuf ans, de 1850 à 1869), roulant à l'ivresse, peu à peu perdu par le milieu, descen- dant en compagnie de Gervaise, ou plutôt entraînant celle-ci. ['ne déca nVnrft d'hommp. : le montrer gentil, généreux, bon ouvrier dès le début; puis, ^en dix-neuf ans, en faire un ,v monstre au physique et au moral par une pente à expliquer. Etudier l'effet du milieu sur lui. Comme caractère, je dois faire le pendant de Gervaise, mais avec des lâchetés en plus; c'est toujours Imjr ui descend^ un^ degré a vant elle et qui la pousse; plus vicieux, moins fort, ébranlé par toute une descendance de parents alcoolisés (elle aussi d'ailleurs). Maintenant, il faut qu'il soit poussé par sa famille; les Loril- leux, jaloux des premiers succès de Gervaise ; M me Lerat pousse de son côté Gervaise à mal faire ; elle couvre ses fautes et lui sert de para- vent, par un goût particulier pour l'ordure. Il est de famille ouvrier : son père était couvreur et s'est tué en tombant d'un toit un jour d'ivresse (ibicl., ch. II, 48). Il est né dans la rue où je mettrai mon action. Sa mère qui a


COMPOSAIT SES ROMANS 127

soixante ans en 1850, était couturière; dans les derniers temps, elle faisait des ménages, ayant perdu ses yeux, puis sa vue ayant encore tombé, elle ne fait plus rien (ibid, ch. 11, 52). Je la montrerai, lors du mariage de Coupcau, encore chez elle, faisant des ménages, vivant de rien. Gervaise la prendra plus tard, lorsqu'elle aura la boutique.

C'est ensuite le portrait de Goujet, auquel Zola craignait d'avoir prêlé des sentiments qui ne sont pas de son milieu 1 .


Goujet (la Gueule d'Or). lia l'âge de Gervaise, vingt-deux ans en 1850. Un magnifique blond du département du Nord (républicain modéré). D'une force herculéenne. Est venu avec sa mère à Paris, après un malheur dont ils ne parlent pas; son père, qui buvait, a tué un homme en


t. « Goujet dans mon plan est l'ouvrier parfait, propre, économe, honnête, adoraDt sa mère, ne manquant pas une SI journée, restant grand et pur jusqu'au bout!... Et l'avouerai-je ' môme, je" cr.iins bien d'avoir un peu menti avec Goujet, car je lui ai prêté des sentiments qui ne sont pas de son milieu. 11 y a là, pour moi, un scrupule de conscience (Emile Zola. Vie Littéraire, 22 févr. 1877). » En un mot Goujet est « le bon ouvrier qui f ait l'oppositio n », personnage que Zola av*ail repolisse dans moaucne, cfaîgnant de tomber dans le «. Manuel». Et puis n'cst-il pas aussi le «personnage sympa- thique, concep tion^àdéale , inventée de toutes pièces par l'auteur erdëstinée à compenser l'impression des personnages vrais, pris sur nature »? [Rom. Espérim., p. 127.)


428 COMMENT EMILE ZOLA

province, puis s'est tué lui-même. (Un jour, il rentre soûl et elle lui montre son père.) Elle (sa mère), est raccommodeuse de dentelles; une figure froide et sévère, presque imposante; le métier sur elle. — Goujet est le bon ouvrier dans toule l'acception du terme (voir les notes) 1 . 11 se prend d'une passion pour Gervaise, passion muette et comme honteuse, avec des énergies refoulées. Un jour, une pensée de violence. M me Goujet, une matrone (voir plus haut .

Puis les personnages secondaires : presque tous sont des souvenirs, des connaissances d'autrefois.

Lorilleux. Né à Paris, trente-quatre ans en 1850. Petit, chétif, cheveux rares. Figure allongée (Kretz) 2 , effarée et blême; ayant un tic de son métier. Passe ses journées dans une chambre tout en haut, devant son établi, à tra- vailler à un petit ouvrage, un article de Paris. Déjelé par le métier, travaillant toujours comme une mécanique; un produit de Paris. Ni vices ni vertus; un cloporte. Au fond, mauvais homme, cancanier, très jaloux surtout. Mange avec sa femme en cachette; fait une paire avec elle. Il a


1. Les Dotes prises dans le Sublime et qu'où trouvera plus loin.

2. Personnage connu de Zola.


COMPOSAIT SES ROMANS 129

un souvenir historique avec le comte de Cham- bord (Assommoir, ch. III, p. 109) : l'âge de celui-ci peut-être (à voir); il croit qu'il ferait fortune si celui-ci revenait. Légitimiste sans savoir ce que c'est.

Madame Lorilleux, trente ans en 18o0 (née 29 septembre 18201 Très laide, la femelle de son mari, petite comme lui; la paire. Mauvaise langue en diable; geignant toujours. Ils s'en- tendent très bien ensemble, se comprennent sur un coup d'œil 1 .

Bijard*. Trente ans en 1850. L'ouvrier noir, terrible, arrivé par l'ivresse à la folie furieuse. Un monomane de méchanceté. 11 a tué sa femme à force de la battre. 11 rentre gris cinq soirs sur sept, casse (dut jusqu'à ce qu'il tombe à la ren- verse et s'endorme sur le carreau. Il est ouvrier serrurier. Un seule attitude, mais féroce et ter- rible. Grand, toute sa barbe, les yeux enfoncés, le poil hérissé, la figure cuite.

Eulalie (dite Lalie). Quatorze ans quand elle meurt, mais si petite qu'on ne lui en donnerait


t. Les Lorilleux représentent les esclaves et les victimes de la petite fabrication en chambre [Vie Littéraire, ibid.). 1. Voir précédemment l'épisode de la petite Bijard.


130 COMMENT EMILE ZOLA

que dix. Ghétive, pâle, l'air sérieux, nue figure de lien du lout, très propre, résignée et active. La petite mère. Elle me donnera un épisode complè- te m eut séparé. Depuis l'âge de huit ans, elle est petite mère.

Le père Bru. Le vieil ouvrier que le travail a usé et qui meurt de misère. Une simple figure. Il a soixante-cinq ans en 1850, ne peut déjà plus travailler. Aucun secours; la machine humaine devient inutile et jetée au rebut. 11 n'a pas de retraite, n'a pu mettre à la caisse d'épargne, et n'est d'aucune association. Il a une fille quelque part qui ne lui donne jamais un sou. 11 finit par mendier. Tout blanc, cassé, déformé par le mé- tier; ancien peintre en bâtiments.

Bazoùge. Croque-mort. Une figure de fan- taisie. Un ouvrier menuisier qui s'est emporté quatre doigts de la main droite. Une figure de fantaisie sombre.

M m * Fauconnier (reporter le type à M m * Boche) , maîiresse blanchisseuse. Le type de M me B... 1 . Elle a trente-cinq ans en 1850, elle se conserve


1. II faut lire sans doute : Le type de M me Besançon, per- sonnage d'Eugène Sue (voy. à Y Ebauche).


COMPOSAIT SES ROMANS 131

longtemps. Figure ronde avec gros yeux et gros nez, grosse voix. Est née dans le quartier. Appa- rence de bonne femme. Connaît les chiens qui passent. A fait toutes sortes de places : «Quand j'étais concierge au 27... » Rend des services, garde les animaux des voisins, au fond can- canier. Femme d'énergie d'ailleurs, et gagnant sa vie. Veuve. A une maison qui boulotte. Fait de son fils un typographe. Lit des romans, parle de son instruction.

Victor Fauconnier, né en 1846. Un grand garçon de L'âge d'Etienne. L'apprenti parisien; me sert pour la jeunesse. Que fait-il? Typographe.

A/ me Levai. — Sœur de Coupeau. Vieille fille. A trente-six ans en 1850. Adèle B... 1 . Grande, sèche, masculine, parlant du nez [Assommoir, ch. III, 86). Fleuriste. Ne peut dire un mot sans y mettre une allusion obscène. Propre et rangée d'ailleurs, vivant de son travail. A échappé on ne sait comment au vice, tout en ayant une sorte de monomanie pour l'ordure [Assommoir, ch. III, p. 106). Pousse Gervaise à mal faire par un besoin instinctif. Une figure originale. Est répu- blicaine.

1. Personnage connu de Zola.


132 COMMENT EMILE ZOLA

M m ° Poisson. Une grande belle fille (M^Kretz) 1 ; trente-deux ans seulement quand je l'introduis vers 185i. « Comment peut-elle être la femme d'un sergent de ville? » Elle vient tenir "une petite épicerie où il y a de tout, dans la boutique môme que Gervaise quitte. Je la mêle au dénoue- ment. Lantier l'a eue pour maîtresse. Je noue le drame grâce à elle. Les Coupeau ont chez elle une grosse dette.

Poisson. Visage tortueux, moustache et impé- riale rouges. Sergent de ville ; ancien ébéniste. Il a été soldat. Il porte la blouse quand il n'est pas en uniforme. Petit; la moustache et l'impé- riale. Un caractère à trouver selon le drame. Voir, à la lin de Y Ebauche, le portrait.

M me Boche, concierge. Trente ans en 18o0. Très grosse. Une commère. Menant son mari, le sui- vant à la paie, le forçant à lui rendre des comptes. Très mal embouchée. Fait des enfants jusqu'à cinquante ans. Le type de la concierge, mais original 8 .

Boche (Bibi-la-Grillade). Trente-cinq ans en


1. Personnage connu de l'auteur.

2. Voir précédemment Madame Fauconnier.


COMPOSAIT SES ROMANS 133

1850. Ancien militaire, tailleur. Le type de mon portier de la rue de la Gondamine. Petit et rond, avec un collier de barbe. Sournois. A des passions cachées. Veut aller manger des lapins avec les dames. '

Pauline Boche. L'âge d'Anna, un an de plus, née en 1850. Fleuriste. Brune. A une peur ter- rible de ses parents ; ne s'en conduit pas mieux. Ses fredaines de petite fille; très vicieuse.

Colombe, marchand de vin. Un homme énorme , épais et rouge ; très vulgaire. Poussant à la con- sommation. Acceptant tout ; prêtant ses cabinets . Désireux de se mettre en règle avec la police et rien de plus. Puant le vin. Veut gagner de l'argent. Il loge en garni.

M. Marescot, le propriétaire. Soixante-cinq ans en 1850. Un ancien ouvrier, il a tourné la meule. Patron d'une importante maison de cou- tellerie.. Grosse main écartée. Pas mauvais homme, mais dur au monde (Assommoir, Y, 161).

Enfin Zola résume en un court tableau les diffé- rents caractères de ses personnages :

Goujet : le bon ouvrier, le beau forgeron.

12


434 COMMENT EMILE ZOLA

Lantier : l'ouvrier en paletot, qui se pique le uez proprement, le discuteur politique, pa- resseux, etc.; lit les livres.

Cou peau : l'ouvrier dégringolant; bon, puis médiocre, puis mauvais, puis pire.

Bijard : l'ouvrier brute, une figure noir»' el terrible.

Lorilleux : une figure parisienne; l'ouvrier maigre, délicat, blême, travaillant chez lui, rivé à son petit établi dans une chambre sans air, ayant le tic de son métier; méchant.

Boche : un ancien militaire; un type original, un sournois à passions. Sa femme le bat : Si je ne le surveillais pas. .. »

M me Goujet : la mère, une digne femme. Ne pouvant plus travailler à cause de ses yeux. La vieille ouvrière, nourrie par son fils.

M me Lorilleux : travaillant avec son mari. Disant toujours comme lui. La paire.

M mf Boche : dominant son mari, le conduisant à la baguette.

Gervaise : d'abord de l'empire sur Coupeau, puis peu à peu s'abandonnant avec lui, et roulant.




COMPOSAIT SES ROMANS 135

Puis ces quelques réflexions :

Anna me donne un atelier de fleuriste (M mc Lcrat est fleuriste).

J'ai comme jeunes gens, Anna, Pauline et Victor, avec Lalie parfois.

L'atelier des blanchisseuses : Lise, Françoise.. Léontine, Léonie.


CHAPITRE IÏI


LES MILIEUX


Nous avons dit, en parlant de la méthode de travail d'Emile Zola, que l'étude des milieux est sa première occupation et la plus importante. Zola estime, en effet, avec Taine, que l' homme ne peut pas ê tre séparé de s on milieu , qu'il laisse son empreinte « dans sa vie extérieure, dans sa maison, dans ses meubles, dans ses affaires, dans ses gestes, dans son langage », il sait que « pour l'exprimer tout entier, il faut expliquer cette multitude d'effets et que, d'autre part, il faut assembler cette multitude de causes pour l'exprimer tout entier 1 . » « Nous avons fait à la nature, au vaste monde, dit-il a , une place tout aussi large qu'à l'homme. Nous n'admettons pas que l'homme seul existe et que seul il importe, persuadés au contraire qu'il est un simple résultat, et que, pour avoir le drame humain réel et complet, il faut le demander à tout ce qui est... » « Dès lors,

1. Taine : Nouveaux essais de critique et (V-iiistoire, Balzac.

2. Emile Zola : Roman expétimental. De la description, p. 228 et suiv.


COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS 137

nous ne noterons pas un seul phénomène de son cerveau ou de son cœur sans en chercher le contre- coup dans le milieu. » Et il définit la description : ) « Un état du milieu qui détermine et complète riiornme. »

Aussi débute-t-il par visiter le quartier où se déroulera son histoire, les lieux où vivront ses per- sonnages ; il va voir le décor des grandes scènes, ici les rues, les cabarets, les bals, les hôtels ; il y passe de longues heures et prend sur place une série de croquis énumérant en un détail merveilleusement visible, tous les objets qui composeront ses tableaux. La description se complique toujours chez lui d'in- tentions symboliques et humaines : la rue Neuve de la Goutte-d'Or où les Coupeau seront heureux, doit être gaie et ensoleillée; suivant que Gervaise sera courageuse, incertaine ou défaillante, les eaux du ruisseau de la teinturerie seront « couleur de rose très tendre », ou « bleues, d'un azur profond de ciel d'été », ou noires et sales, etc...^.Et toutes ces notes minutieusement prises lui serviront plus tard à

jquer.ce qu'il a vu d'une façon grandiose et puis- ante, à revoir les horizons avec leurs lignes, à rendre ce qui l'a frappé, et à donner à son œuvre une intensité de vie extraordinaire.


12.


138 COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS



Le Quartier, les Rues, le Boulevard


La rue Neiwe-de-la-Goutte-d Or (Assommoir, ch. IV, p. 122 et 124). La me en pente à partir du milieu; étroite ; minces trottoirs manquant par endroits ; ruisseaux toujours débordant d'eau savonneuse.

Au bout, du côté de la rue de la Goutte-d'Or, en descendant. A droite, boutiques noires, cordeliers, tonneliers; à gauche, merceries, épiceries borgnes ; (boutiques fermées avec affiches). Puis, au milieu, les maisons deviennent plus basses; un seul étage; les eaux puantes. Là, à droite, le lavoir 2 : petit corps de bâtiment, dominé par trois grands cylindres, réservoir de zinc : la machine à vapeur à droite, le bureau à gauche; la porte et Tallée du lavoir au milieu; au-dessus, le séchoir avec ses persiennes. Après le lavoir, une belle maison en briques rouges; un arbre (acacia) avançant dans la rue; la gaieté de la rue. En face, uue fabrique d'eau de seltz; et plus haut, un loueur de voitures de remise, Louise. Puis, au bout de la rue, du côté du bou- levard extérieur, quatre ou cinq blanchisseuses


1. Voy. les Plans dessinés, I et III.

2. Voy. plus loin, aux Métiers, les notes sur le lavoir.






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140 COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS

dont une a une belle boutique. En face, des petites boutiques; un coiffeur avec plais à barbe en cuivre. Les maisons basses sont peintes en jaune, vert, rouge, bleu; palissades, etc..

Rue de la Goutte-cVOr. Du côté de la rue des Poissonniers, très populeux; du côté opposé, province.

Ma grande maison 1 (entre deux petites), est près de la rue des Poissonniers, à quatre ou cinq maisons. Elle a onze fenêtres de façade et six étages; toute noire, unie, sans sculptures; les fenêtres avec des persiennes noires, mangées, et où des lames manquent. La porte au milieu, immense, ronde. A droite, une vaste boutique de marchand de vin avec une salle pour les ouvriers; à gauche, la boutique du charbonnier peinte, une boutique de paraffine et la boutique que tiendra Gervaise et où se trouvait une frui- tière. En entrant sous le porche, le ruisseau coule; au milieu, vaste cour carrée, intérieure; le concierge en entrant à droite ; (la fontaine à côté de la loge). Les quatre façades avec leurs six étages, nues, trouées de fenêtres noires, sans persiennes; les tuyaux de descente, avec les

1. Pour cette première partie de la description, voyez Assommoir, ch. II, pp. 33-.j4. Cf. le plan II.






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142 COMMENT EMILE 101A COMPOSAIT SES ROMANS

plombs. En bas, des ateliers tout autour : des menuisiers, un serrurier, un atelier de teinturier avec les eaux de couleur qui coulent. Quatre escaliers, A J3 C D ; un pour chaque corps de bâ- timent. Au dedans, de longs couloirs à chaque étage, avec des portes uniformes peintes en jaune. Sur le devant, dans les logements à per- sieimes, logent des gens qui passent pour riches. Dans la cour, tous des ouvriers; les linges qui sèchent. Il y a le côté du soleil et le côté où le soleil ne vient pas, plus noir et plus humide. Cour pavée; le coin humide de la fontaine. Le jour cru qui tombe dans la cour.

En face de la maison S il y a une maréchalerie, grand mur gris, sans fenêtre; une porte béante, au milieu, montre une cour pleine de charrettes et de carrioles, les brancards en l'air. Il y a aussi une forge : on entend le ronflement du souftlet et l'on voit la lueur du fourneau ; sur le mur, des fers à cheval peints en noir, en éventail. A droite et à gauche de la porte, des échoppes, des trous à devanture peinte; un marchand de ferrailles; « A la bonne friture » ; — un horloger (« Réparations d'horlogerie ») : des coucous au fond du trou, qui marchent; à la


1. Deuxième partie de la description. Voy. Assommoir y en. V, pp. 170-172.


144 COMMENT EMILE ZOLA

vitrine, des montres montrant leur boîtier d'argent; devant le petit établi, tout plein d'outils mignons et de choses délicates sous des verres, un monsieur en redingote, proprement mis, qui travaille continuellement. (L'image de la fragi- lité, au milieu du vacarme et des secousses de la vie populacière.)

Dans la rue, il y a des marchands de vin à plafonds bas; une mercerie, lingerie et bonne- terie d'ouvriers; des traiteurs, noires et vastes salles avec des vitres, au travers de la saleté desquelles on voit le jour (rideaux sales; verdure poussiéreuse, jaunie); de l'autre côté, des épi- cières, des fruitières; il y a un remouleur dans un trou.

L'y grec, formé au fond de la rue par le pro- longement de la rue de la Goutte-d'Or et de la rue de Chartres.

Des chats accroupis et ronronnant sur les portes.

Des intérieurs entrevus par les fenêtres ouvertes : le lit défait, les guenilles traînant, les berceaux en morceaux. Un savetier; la ter- rine pleine d'eau où trempe la poix.

Plus tard, les maisons superbes, sculptées, à six étages, du boulevard Ornano, en face [Assorfo moir, ch. XI, 488).


COMPOSAIT SES ROMANS 145

La villa Poissonnière, de la rue Polonceau descendant à la rue de la Goutte-d'Or; jardins en étages; institutions. Les fontaines-bornes qui coulent et qui mouillent les rues. Le pavé, gros, bossue, avec des trous.

Rue des Poissonniers ([en 18]61). Elle montait, puis descendait vers les fortifications; assez étroite. Toujours noire et boueuse, surtout à l'entrée du boulevard. Les fontaines qui cou- laient, etc. A tous les coins, des marchands de vin.

Rue de la Nation, large, montante, dégoû- tante, à moitié pavée; les flaques d'eau qui croupissaient. Un grand chantier de bois de chauffage, immense tour carrée ; on le voit du boulevard par-dessus les maisons.

Rue Bel/iomme. Elle donne sur le boulevard ;

large, sale.

Rue Poulet, assez propre, montante.

Le Boulevard extérieur.

Avant 1860, le mur d'octroi. L'hospice était en construction en 1850; tout le gros œuvre fait.

13


146 COMMENT EMILE ZC'A

De l'autre côté, les abattoirs qui puaient. La barrière entre un hôpital et des abattoirs (.4 s- sommoir, ch. I).

Voici comment les choses sont aujourd'hui (1875). A gauche, en suivant le boulevard de la Chapelle. D'abord à gauche, l'ancien bal du Grand Balcon, puis des masures peinturlurées, basses, en ruines; un marchand de vêtements, un bureau de tabac, un petit libraire, des foules d'hôtels meublés. Par-dessus les maisons basses à un étage, on aperçoit de hautes constructions sales, des derrières d'autres maisons, avec des linges aux fenêtres et leurs intérieurs noirs. Un café abandonné qui a fait faillite (des brasseries alsaciennes), volets fermés, affiches collées, la lanterne cassée et poussiéreuse. Des hôtels meu- blés borgnes; trois à quatre chambres. Quelques hautes maisons isolées ; réclames géantes peintes. Plus loin, les maisons deviennent plus propres, plus grandes; les hôtels se touchent. Maintenant, à droite, il y a d'abord un grand chantier de démolitions avec les hautes poutres qui dépassent, les tas de ruines triées qui emplissent le terrain ; le long du mur, des trous creusés avec des échoppes : une de petits noirs ; d'autres : vieux souliers, vieux habits, crêpes, savetier, rétameur, marchand d'oiseaux.

Ensuite, après une large rue, vient l'hospice.


COMPOSAIT SES ROMANS 147

Un long mur gris ; par les côtés, on aperçoit les pavillons en éventail. De face, l'abside de la petite église au milieu; de chaque côté, une aile dans toute sa longueur, puis des constructions basses; la cuisine, la buanderie avec une haute cheminée d'usine, un petit bâtiment qu'on dit être l'amphithéâtre. La porte pour les. morts. Le soir, l'hospice éclairé. Deux bouquets d'arbres bas, dont on aperçoit à peine les sommets.

Plus loin, après une autre large rue, le pont du chemin de fer. Parapets de tôle épaisse, boulonnée, trop hauts pour voir les trains. On n'aperçoit que des bouffées de fumée blanche, quand les trains passent. Le bruit sourd des trains; les sifflets aigus, sourds, différents; le bruit des plaques tournantes, au loin ; l'odeur du charbon. Puis, sur l'horizon, du côté de Paris qu'on sent dans un trou clair, il n'y a que le grand angle écrasé, le delta du hangar de la gare, noir de charbon, au fond duquel on aper- çoit un vitrail en demi-lune. A droite, l'hospice; à gauche un tohu-bohu de constructions. En se retournant de l'autre côté, du côté de Saint- Denis, la campagne devinée au loin, au fond d'une trouée, avec de grandes maisons isolées, toutes droites, par coulisses, présentant les unes des murs noirs, les autres des façades percées de fenêtres de biais, de côté, le tout noyé dans


148 COMMENT EMILE ZOLA

une poussière de charbon. Des réclames gigan- tesques de tous les côtés. Sur le pont, il n'y a pas d'arbres (pour le jeu des enfants). La tôle du pont couverte d'affiches. Le soleil se couchant derrière l'hospice Ms-90W2.,ch. XII, p. 529 et 530)'. De l'autre côté de la barrière Poissonnière. Le boulevard Poissonnière monte; à gauche, les abattoirs (anciennement ils puaient fort). A droite, les masures et les hautes maisons alter-


1. Bien que ces suites de notes soient brèves et sans liens, qu'il n'y ait guère que des idées, puis çà et là l'indication d'une image, il nous a semblé intéressant de les rapprocher de cette première rédaction de G. Flaubert, communiquée p;ir M me Franklin-Grout à M. Albalat, qui l'a publiée. C'est l'esquisse de la description de Rouen, aperçue au loin par Emma Bovary, au moment où la diligence descend la côte :

« Toute la ville apparaissait...

« Descendant en amphithéâtre, noyée dans le brouillard. Entre deux lacs, le Ghamp-de-Mars, lac blanc à gauche, et la prairie de Bapaume à droite, tandis que, du côté de Guivelly, les maisons allaient indéfiniment jusqu'au môle, à l'horizon qui remontait. La rivière pleine jusqu'au bord. L* courbe. Les bateaux dessus. Forêts de mâts rayant le ciel gris dans hauteur de bord, aplatis, étant vus à vol d'oiseau et avec une immobilité d'estampe. Les îles sans feuilles, comme de grands poissons noirs arrêtés... Les flots blanchissants aux piles du pont, où les parapluies, tortues. La fumée des usines poussée par le vent sortait en gros flocons, décrivant de grands panaches qui s'effaçaient par le bout, tourbillonnaient et se courbaient comme des panaches avec les fumées plus minces (filets) des maisons. Les toits d'ardoises, noirs, trempés de pluie, luisant sur des plans inégaux, selon les quartiers. Les églises, le cercle jaune ou violet des boulevards, comme une couronne brisée en maints endroits. Quelquefois, un grand coup de vent d'ouest chassant les brumes contre la côte blanche de Sainte-Catherine, comme des flots légers qui se brisaient silencieusement contre la falaise. » (Albalat, Travail du style, pp. 72-73).


COMPOSAIT SES ROMANS 149

nées continuent. Ce bout du boulevard est beau- coup plus fréquenté que l'autre. C'est là que les hercules, les saltimbanques, les loteries se tien- nent.

Quatre rangs de platanes; des bancs doubles espacés.

Le Peuple sur le boulevard.

Beaucoup de femmes en cheveux; quelques- unes en bonnet, beaucoup en filet; des cara- cots, des tabliers, des jupes molles tombant droit. Une débandade d'enfants mal mouchés, quelques-uns propres, beaucoup sales (Assorti. , ch. I, p. 7). Les jeux, la corde, etc. Des femmes assises avec des enfants au bras, au sein. Des ouvrières propres, presque coquettes; lespaniers, les paquets, les crochets. Des ouvriers en blouse, en bourgeron, en paletot; les uns portent des outils, les autres vont les bras ballants ; quel- ques-uns portent des enfants. Les femmes en course pour le dîner. Des voitures, des tapis- sières rentrant à vide. Les omnibus et les iiacres plus tard.

Homme avec une échelle. Enfants jouant

avec un tas de sable. Femmes en cheveux cou- rant pour le dîner, panier sur la main ; les petites

13.


)


150 COMMENT EMILE ZOLA

filles avec un pain. Des hommes parlant fort avec des hommes marchant vite. Les ouvriers. Des femmes avec des enfants. Des hommes avec des toilettes; en paletot et casquette fumant ou non, qui courent ou qui s'arrêtent. Les maçons dans des fiacres. Les haquets, les tonneaux, du plâtre non vidé; charriots. Paris qui allume son gaz. Le cieL Les mains dans les poches. Fontai- nier avec sa trompette; tout seul ou en groupes. Des peintres avec leurs pots à peinture. Des hommes traînant des voitures avec des bretelles. Les ceintures 1 .

Les Hotels, Restaurants, Bals du boulevard.

Hôtel Boncœar, tenu par Marsoullier (Assom., ch. I, p. 3). — Deux étages; une boutique de traiteur borgne; une allée borgne. La maison peinte en rouge jusqu'au second étage. Entre les deux fenêtres du premier, écrit en lettres jaunes mangées avec le plâtre, le nom de l'hôtel. Au-dessous, la lanterne carrée en verre dépoli, avec une vitre cassée. Les persiennes noires, vermoulues, arrachées.

Rue des Poissonniers : le bal du Grand Turc,

1. Ces notes, dans le manuscrit, ne suivent pas les pré- cédentes. Elles sont jetées sur une petite feuille séparée et sont écrites au crayon.


COMPOSAIT SES ROMANS 151

plus loin, au coin de la rue Doudeauville : Au Pa/yzï/on (avec image), marchand de vins (Assom., ch. VII; 264).

Rue Poulet : bal du Petit Château-Roiuje.

A la chaussée de Clignancourt : à droite, le restaurant du Lion d'Or (Ibid., V1H, 329); à gauche, Aux deux Marronniers (restaurant). Au petit Ramponneau, au coin de la rue des Acacias. Sur le boulevard, au coin de Paris, Café du Delta, style étrange, très orné; (un œil dans un triangle orné de rayons d'or).

Impasse du Cadran : Bal Robert, très dégoû- tant. Entre Rochechouart et les Martyrs : Elysée- Montmartre. Rue des Martyrs : à gauche, maison des Lilas (restaurant) ; à droite, le bal de la Roule Noire [Assom., XII, 527). Après les Lilas, le bal de Y Ermitage ; dans un fond, estrade surélevée à jour ; (d'abord convenable : petits commis et ouvrières, puis dégoûtant).

A la rue de l'Empereur, à Montmartre : A la Ville de Bar-le-Duc, restaurant très convenable (Assom,, VIII, 329). Chez Thomas, à côté, mar- chand de vin, pieds de mouton excellents. De l'autre côté, le bal de la Reine- Rlanche (XI, 495).

Les restaurants de Montmartre ; le Moulin de la Galette; les restaurants et bals des Bati- gnolles.


152 COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS

A gauche de la rue des Poissonniers, le liai du Grand-Balcon : dix hautes fenêtres de façade ; un étage blanc; le soir, grand éclairage (Assorn.^ ch. 1, p. 1; ch. XI, p. 495).

Rue Jessaint, au coin du chemin de fer : Aux Vendanges de Bourgogne (VIII, p. 329).

Rue de la Chapelle, à gauche : Au Cadran Bleu; h droite, le Restaurant des Capucins (V, 174); plus loin, à gauche : Au grand salon de la Folie (bal), (XI, 489; XII, 527).

Enfin, nous avons trouvé à la fin du dossier, ces quelques lignes, où sont jetés les éléments de des- cription d'une salle du Mont-de-Piété. Zola, dans son plan primitif (voy. Plans, ch. XIV primitif), voulait montrer Gervaise allant emprunter pour payer ses dettes. On sait que ce projet n'a pas été exécuté.

Mont-de-Piété ; boiseries, les cadres de bois avec les affiches de vente. Les employés, aux bureaux doubles; les caissiers, avec les gros registres. Les paquets dans des casiers ; les paquets de linge dans des étoffes blanches ; les bijoux dans des boîtes grises. Le poôle. Lo papier dont les employés se servent.


CHAPITRE IV


LES MÉTIERS


Si Zola estime que l'homme est déterminé et v,* expliqué par sa maison, son logis, son quartier, sa y< ville, il pense encore, comme ïaine, que « le métier crée des variétés dans l'homme, comme le climat crée des variétés dans l'animal ; l'attitude qu'il impose à l'âme étant constante devient définitive, les facultés et les penchants qu'il comprime s'atté- nuent, l'homme naturel et primitif disparaît ; il reste un être déjeté et fortifié, formé et déformé, enlaidi, mais capable de vivre ». Aussi l'étude des milieux ne serait-elle pas complète, sans une étude spéciale et approfondie des métiers des divers personnages. Zola met donc à ce genre de recherches la plus scru- puleuse exactitude : il lit les ouvrages spéciaux, les manuels, fait parler les ouvriers de la partie et réu- nit à ce sujet tous les détails techniques qui lui sont nécessaires. Gervaise est blanchisseuse et fréquente les lavoirs; il prend des notes sur les lavoirs et les blanchisseuses. Coupeau est zingueur ; Lorilleux,


154 COMMENT EMILE ZOLA

chaînisle ; Goujet, boulonnier; il recueille sur ces différents métiers des renseignements précis, qui lui permettront de nous les montrer au travail, et Ton va voir avec quel soin il se documente.


a) Le Lavoir (Assom., ch. I, p. I0-I6).

Un grand hangar monté sur piliers de fonte, à plafond plat dont les poutres sont apparentes. Fenêtres très larges et claires. En entrant, à gauche, le bureau où se tient la dame : petit cabinet vitré, avec tablettes encombrées de re- gistres et de papiers; derrière les vitres, pains de savons, battoirs, brosses, bleu, etc. — A gauche, est le cuvierpour la lessive, un vaste chaudron de cuivre à ras de terre, avec un couvercle qui descend grâce à une mécanique. A côté est l'essoreuse (des cylindres dans lesquels on met des paquets de linge, qui y sont pressés forte- ment par une machine à vapeur). La machine est au fond (le réservoir d'eau chaude est là); elle fonctionne, tout le jour, dans le bruit du lavoir; son volant. On voit le pied rond et énorme de la cheminée dans le coin. Enfin, un escalier conduit au séchoir, vaste salle au-dessus du lavoir, fermée sur les deux côtés par des persiennes à petites lames ; on étend le linge sur des fils de laiton.


COMPOSAIT SES ROMANS 155

A l'autre bout du lavoir, sont d'immenses réservoirs de zinc, ronds (eau froide).

Le lavoir contient cent huit places.

Voici maintenant de quoi se compose une place. On a, d'un côté, une boîte placée debout, dans laquelle la laveuse se met debout pour garantir un peu ses jupes; devant elle, elle a une planche qu'on appelle la batterie et sur laquelle elle bat le linge; elle a à côté d'elle un baquet sur pieds, dans lequel elle met Feau chaude ou l'eau de lessive; puis derrière, de l'autre côté, la laveuse a un grand baquet fixé au sol, au-dessus duquel est un robinet d'eau froide ; sur le baquet, passe une planche étroite où l'on jette le linge; au-dessus, il y a deux barres pour pendre le linge et Fégoutter : cet appareil est établi pour rincer. La laveuse a encore un petit baquet sur pieds pour passer au bleu, deux tréteaux pour placer le linge, et un seau dans lequel elle va chercher l'eau chaude et l'eau de lessive.

On a tout cela pour huit sous par jour. La mé- nagère paie un sou de l'heure.

L'eau de javelle coûte deux sous le litre. Cette eau, vendue en grande quantité, est dans des jarres. Eau chaude et eau de lessive, un sou le seau. On emploie encore du bicarbonate, de la potasse pour couler. Le chlore est défendu.


136 COMMENT EMILE ZOLA


h) La Blanchisseuse.


La boutique. Le matériel (Assom., ch. V, p. 166 et suiv.).

Atelier d'une blanchisseuse dans une boutique sur la rue. Une vitrine, à droite, garnie de papier, dans laquelle du fin est en montre ; des rideaux, soulevés et retenus par des fils de laiton, cachent l'intérieur de la boutique. Des fils de laiton où sont suspendus des bonnets, traversent la vitrine. La porte est toujours ouverte. La boutique est tapissée avec un papier gris à fleurs bleues, imitant la perse, très commun; il est déchiré, vieux, enfumé. L'établi, très grand, est recouvert de couvertures, et un lambeau de perse bleue l'entoure. Des planches formant étagères, garnies de papier bleu.

La mécanique : un poêle chauffé au coke avec un appareil pour faire chauffer les fers. Le tuyau. Très chaud, dans la boutique.

Les fers : le polonais, un petit fer rond des deux bouts pour les fonds de bonnet; les coqs de toutes grosseurs ; des œufs de fer au bout d'un manche : coq rond, coq long pour bouillonner et faire les fronces ; les fers à tuyauter ou méca- niques de toutes grandeurs ; les champignons,


COMPOSAIT SES ROMANS 157

ou pieds à manche en forme longue ou oblongue, ronds ou ovales, en bois recouvert de laine et montés sur un pied. Les planches à robes, allongées, allant en se rétrécissant. Les fils de laiton, sur lesquels on tend le linge.

Le Travail (Assom., ch. Y, p. 173-187).

Trier couleur et blanc. Linge marqué, pas de remarque ; une marque au pas marqué; par catégorie de linge. M me Bijard, entreprise de lavage; deux ou trois ouvrières. Le linge sèche chez elle; une heure, l'été.

Une terrine pour l'amidon. On délaie l'ami- don peu à peu, avec un peu de bleu; on le garde jusqu'au bout, quelquefois il sent mauvais. On trempe tout dedans. Amidon cuit, tourné jusqu à ce qu'il bouille.

Le linge pas amidonné, se mouille avec des gouttes d'eau. On le prépare deux ou trois heures auparavant, puis dans un panier, sous la table, garni d'un linge.

Le mouillon, assiette creuse, pleine d'eau très propre. On frotte les parties salies en repassant. Une petite brosse, même usage.

Bonnet : le fond est repassé avec le polonais sur la table; la passe avec le bouillonné, un petit coq oblong posé sur un pied. On commence par


158 GOMMENT EMILE ZOLA

ébaucher, on détire la dentelle à la main, un petit coup de fer pas chaud; puis les brides à plat, le fond, la passe et le tuyauté sur le champignon où on le roule.

Chemise d'homme à petits plis : on passe sur le devant, on repasse l'empiècement ou pièce des épaules, puis les manches sur les deux côtés ; puis on plie le dos en deux et on repasse les deux cotés; puis les poignets et le col à l'ami- don, fers très chauds ; puis la chemise sur le dos, on relève le pan de devant et on repasse par l'ouverture de la poitrine et par le pan, on fait cinq ou six grands plis à plat; puis le corps du devant, la bannière; plis devant; on met une laine sous le devant, on repasse le devant sur la laine, le côté droit, puis le côté gauche; puis, on la plie au fer.

Une robe de mousseline blanche à fleurs : (toute amidonnée). On enfile dans la planche à robe. Un drap, par terre, pour le frôlement. Tout au fer. Les tuyautés au petit fer ; beaucoup de volants tuyautés.

Gervaise a un bonnet à neuf sur la passe; broderies, entre-deux brodés qui séparent le bouillonné; broderies repassées sur la laine [Asso?n., ch. V, p. 184).

Clémence a la chemise d'homme.

M me Putois a une paire de manches simples ; un


COMPOSAIT SES ROMANS


loi


petit tuyauté autour de la dentelle, sur un cham- pignon. Un petit bouillonné sur le champignon.

Augustine : des bas et des torchons.

Des rideaux de toute la longueur sur la table : (difficile). Une robe ; pantalon de femme ; draps ; mouchoirs: filets blancs d'homme...


Draps 40

Chemise d'homme . 35

Mouchoir 05

Serviette 05

Nappe 10

Bas 10

Chaussettes 05

Pantalon 20

Camisole 25

Jupon 40

Gilet de flanelle. . . 15

Paire de poches. . . 05

Taie d'oreiller ... 05

Tablier 05

Torchon 25

Paquet chiffon . . 10

Col 10


Faux-col 05

Bonnet 25

Bonnet de nuit ... 05

Paire de manches. . 20

Pointes 10

Jupon couleur

Chemise de femme . 20

— de nuit . . 15

Jupon 60

Pantalon de femme. 15

Paire de rideaux . . 60

Caraco 20

Une jupe 15

Une parure G0

Paire de poignets. . 10

Foulard


Les maîtresses laveuses ont plusieurs laveuses sous elles et rendent le linge mouillé.

Les blanchisseuses occupent plusieurs laveuses. Une laveuse se paie 3 fr. 50 par jour, avec café à midi et vin à 4 heures.

On garde les apprenties trois ans et on les nourrit; ou deux ans sans les nourrir.


160 COMMENT EMILE ZOLA

Les repasseuses gagnent 55 sous, avec le café à midi. Les premières, clans une maison, ont Ofr, 50 de plus.

c) Couvreur. Ouvrier zingueur (Assom., ch. IV, p. 141 et suiv.).

Outils; détails.

Le sac garni d'un ouvrier plombier-zingueur : une boîte avec un couvercle en long, munie d'une bandoulière. Dedans, il y a des cisailles de toutes formes, droites, cintrées, etc.; mar- teaux, mètre, burin ou ciseau à froid, poinçon pour percer, etc., râpe ou lime, etc. Les fers à souder pour le zinc, sont en cuivre rouge; on emploie un tiers d'étain et deux tiers de plomb, et on soude à l'acide muriatique.

Les fers à souder pour le plomb, s'appellent fers-croche et sont en fer : on soude à la bougie ou à la résine. Le fourneau s'appelle marmite ; (un étouffoir). Le soufflet, énorme.

Un établi de planches pour découper le zinc. On apprête toutes les pièces dans les cours et on les monte. Le garçon s'appelle aide; il gagne 4 fr. 50.

Les zingueurs se servent de cordes à nœuds, avec sellette. Ils travaillent sur les toits, aux


COMPOSAIT SES ROMANS 161

tuyaux de cheminée, tuyaux de descente, etc., et aux lieux d'aisance.


d) Chaîniste [Asso7ïi., ch. II, p. 67 et suiv.).

Petit atelier dans une mansardière. A terre, claie de bois pour que les déchets d'or puissent être ramassés; au fond, la forge au charbon, avec un soufflet. A gauche, un étau contre le mur avec des filières sur une étagère. A droite, devant la fenêtre, un établi à trois places avec les outils : les tenailles, carrées, plates, arron- dies, les cisailles de toutes les formes; la pince pour les chaînons; la petite scie, le mandrin pour enrouler les maillons; le petit étau; les moustaches (pinces faites avec du fil de fer); la lampe à souder, le chalumeau, le pot à borax pour souder.

Voici comment l'ouvrier chaîniste, le spécia- liste qui ne fait que la colonne, procède :

On lui livre l'or en fil, tout allié. Il le passe à la filière pour lui donner la grosseur conve- nable, (dans tous les trous d'une filière tenue dans l'étau). Il tire avec une forte tenaille dont une branche est recourbée pour emboîter la main; puis il finit, en passant le fil dans la filière-rubis qui le règle définitivement. Pendant cette opération, il fait recuire cinq ou six fois

14.


162 COMMENT EMILE ZOLA

le fil à la forge pour l'empêcher de casser; il le tourne sur un mandrin, qu'il tient à l'aide d'un petit étau; puis il donne un léger coup de scie et obtient un certain nombre de maillons. Il les soude, tout de suite, sur un charbon pris dans un morceau de plâtre; les maillons sont posés sur le charbon, et il les soude à la lampe avec le chalumeau, avec une goutte de borax ou même rien. Quand les maillons sont soudés, il les prend, les plie en deux avec la pince, serre un bout qu'il aplatit et qu'il introduit dans un bout du maillon supérieur, puis rouvre le bout aplati à l'aide d'une pointe et ainsi de suite. Quand la chaîne est finie (un bout de quatre pieds et demi, l m 50), il la dresse ou la règle (dresser ou régler la colonne), dans une filière particulière; (on la recuit avant de la dresser). Puis il la met à dérocher dans une petite casse- role de cuivre à long manche, où il y a de l'eau seconde. L'or, tant qu'on le travaille, est noir; quand il est déroché, il devient rouge; c'est ainsi que le chaîniste le livre; les fabricants le font ensuite polir par des femmes, des polis- seuses.

L'ouvrier, tant qu'il travaille, a une peau attachée sous l'établi et dont il couvre ses genoux. Avant de se lever, il a une petite patte de lièvre dont il balaie la cheville. Il travaille le


COMPOSAIT SES ROMANS 163

soir à la lampe avec une boule d'eau, dont le verre est verdâtre.

La lampe à souder a une large mèche. Quand on ne soude pas au charbon, on soude sur une perruque de fil de fer pour étendre la flamme.

Les fabricants donnent tant d'or, et il faut qu'on leur rende le même poids; ils n'admettent pas de déchet. L'ouvrier bénéficie de la soudure. L'ouvrier, chez ]ui, rainasse les bouts, brûle les ordures et les cendres, pour que rien ne soit perdu. Dans une chambre, au bout d'un mois, il peut bien y avoir huit à dix grammes, et même plus, d'or de déchet, de 2o à 30 francs.

En 1 18]50, l'homme pouvait gagner 6 francs à peu près (la journée est maintenant de 7 francs), et la femme 3 francs; en tout environ 10 francs. Des enfants (femmes), de dix à quinze ans, tra- vaillent à la colonne.

Noms de chaînes : la colonne, la gourmette, le jaseron (des ronds les uns dans les autres); le forçat ^des ovales), la corde, la chaîne Figaro, la chaîne fantaisie.

Avec du fil, on fait des maillons ; avec du plané, on fait de la charnière.

Noms d'outils : le laminoir pour le plané ; un banc à tirer les fils dans la filière.


104 COMMENT EMILE ZOLA

e) Les Boulonmers [Assom., ch. VI, p. 206 et suiv.).

La forge, au fond d'un terrain vague. Entrée fangeuse; un hangar, charpentes, briques, plâtras, sol battu; tout noir dans la forge. Des fenêtres poussiéreuses.

Gervaise entre, à la tombée du jour. La forge alimentée au charbon de terre, dans une pous- sière de grabilles. Le soufflet, la flamme blanche éclairant fortement. Le charbon dans un ton- neau. Contre le mur, les clouières; des outils noirs. On prend le bout du fer à la pince, on coupe le fer, d'un coup, au marteau. Les têtes des boulons sont rondes, à six pans ou carrées; les rondes sont les plus difficiles. Crochet pour attiser et tirer du feu. Les cisailles. Le boulon est taraudé; le rivet est noir.

Poids des marteaux; les petits 3 livres, les gros 20 livres. Un cloutier boulonnier à la main, gagnait 10 à 12 francs (aujourd'hui 10 francs).

400 petits rivets de 12 millimètres,

200 — 20 —

100 — 35 — ; les plus gros.

Deux hommes : le forgeron tient, le frappeur


COMPOSAIT SES ROMANS 163

frappe. L'étampe ronde, carrée pour arrondir ou pour rendre carré le 1er.

Les machines à rivets; des machines pour des petits rivets et des machines pour des gros. La clouière est en place; un chauffeur passe les rivets au frappeur qui les met dans la machine et la machine donne un tour; le rivet est fait. (Le jet d'eau sur la clouière pour qu'elle ne se détrempe pas.) La vis de la machine; le volant dans la clouière, et, par terre, la tache rouge du rivet.

Le ventilateur qui souffle tous les fours; la flamme élargie qui sort des fours. Les tuyaux des ventilateurs à terre.

Des cisailles mécaniques pour toutes les grosseurs. Des machines à tarauder pour les boulons, tenues par des femmes.

A terre des bourriches et des caisses pleines de rivets prêts.

Les ébarbeuses mécaniques, avec le grand volant en boule pour enlever les bavures.

Le bruit des machines; le moteur unique; les courroies en mouvement.


Enfin, nous avons trouvé sur un feuillet du manuscrit, ces notes sur un atelier d'ouvrières fleu- ristes. On sait, en effet, que M mc Lerat, sœur do Goupeau, exerce ce métier.


106 COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS

Grande pièce, rue du Caire. Deux fenôtres sur la rue; les jalousies baissées. Grand établi, au milieu, sur des tréteaux ; ouvrières de chaque côté; M me Lerat, la première. Autour, des éta- gères avec cartons, etc. Papier gris déteint ; plafond noirci par le gaz (becs de gaz qui se replient). Sur l'établi, papier vert, papier marron , fil de fer sur bobine, soie verte sur bobine; pinces pour prendre les fleurs, petit pot à gomme, outil pour gaufrer sur des pelotes, ciseaux, ouate; les pétales, les feuilles, les soies, etc. Quand la patronne n'est pas là, on muse et on dit des saletés, saletés enveloppées, allusions : on a rencontré une telle; les hommes qui suivent, sur les amoureux. On va à la fenêtre pour regarder, à l'heure du déjeuner. Elles vont déjeuner.

Des noms : Sophie, Augustine, Lisa, Léontine.


CHAPITRE V


LES OUVRAGES SPECIAUX


Enfin, le dossier de V Assommoir contient des documents extraits d'ouvrages spéciaux, auxquels Zola emprunta les renseignements qui lui furent nécessaires pour traiter certains points particuliers de son sujet. Ainsi la maladie et la mort de Coupeau sont la « reproduction textuelle d'une observation clinique faite à Sainte-Anne » dont Zola tira les indi- cations qu'on va lire 1 :


I. — Alcoolisme*. Premiers détails chez Coupeau. Ivresse d'abord


1. Emile Zola : « Les droits du romancier. » Figaro, 6 juin 1896. Nous ignorons, nos recherches sur ce point étant restées infructueuses, dans quel ouvrage se trouve cette observation clinique. Peut-être fut-elle fournie à Zola par un de ses amis. « C'est surtout des médecins et des savants que j'ai abusé, écrivait-il : je n'ai jamais traité une question de science ou abordé une maladie, sans mettre toute la Faculté en branle. »

2. Ces notes, éparses dans notre manuscrit, ont été ici


168 COMMENT EMILE ZOLA

gaie, bon appétit, cauchemars faibles. Pituite, ne mange plus, ne dort plus; tremblement léger des mains, chatouillement, etc. Picotement <!<> la peau, surtout aux pieds et aux mains, sen- sations anormales de froid et de chaud, des crampes; faiblesse des jambes et tremblement des mains. Lourdeur et pesanteur de la tête. Eblouissement, bourdonnement d'oreilles, étour- dissement, vertiges.

Première maladie (Assom., ch. X, p. 430 et suiv.). Une fluxion. On l'envoie à Sainte-Anne. Délire alcoolique passager et rapide; les mains tremblent seulement. Au bout de deux ou trois jours, il rît de ses cauchemars; mais la peur le reprend le soir, quand la nuit vient et qu'on va le coucher. Le sommeil le répare ; la continence, le guérit...

Chez lui, dans l'autre chapitre ; (alcoolisme chronique, travail lent du poison). Il conserve l'écho des hallucinations. Perte d'appétit; yeux chassieux, amaigrissement; battements de cœur, faibles; soif vive, vomissement, etc. L'immo- ralité acceptée. Il pâlit, s'affaisse, s'asseoit, reste plusieurs heures dans un état comateux, et reste ensuite paralysé d'un bras pendant un jour.


assemblées et coordonnées, d'après les indications établies par l'auteur pour son propre usage.


COMPOSAIT SES ROMANS 109

Coupeau entre cinq ou six fois à l'asile (Assotn., ch. XI, p. 498). Le corps et les organes s'im- bibent d'alcool. Affaissement intellectuel. La vue baisse. Sensiblerie, stupidité: il déchire ses vêtements. Le tremblement des membres; secousses rythmiques à oscillations courtes et rapides. Hébété après les excès. Irritable, inquiet, impressionnable; la parole devient brève, sac- cadée; la mémoire perdue; la vieillesse précoce. L'hérédité le prédisposant. Coupeau s'alite parfois; pour guérir, il reprend de la boisson; pituite. Maux de tête, étourdissements; douleurs dans les bras et dans les jambes; les jambes cassées le forcent à s'asseoir. Il recherche les aliments vinaigrés et épicés...

Enfin, la grande maladie, le grand morceau qui précède la mort (Assorti., ch. XIII, 549 et suiv.). Placer la scène la nuit; l'accès survenant après les excès de boisson. Tout le delirium tvemens...

Injection des yeux, sueur, altération des traits. Fièvre à 40°. Le désordre du mouvement, très grave. Tremblement de la face et du corps entier accompagné de secousses, de frémisse- ments et d'ondulations musculaires, même pendant le sommeil. Les cris de souffrance de la moelle, quand on applique la main (Assom., ch. XIII, 563). Travail continu et généralisé

15


170 COMMENT EMILE ZOLA

(1 13) 1 . Les ondes sur la peau. Enfin, affaiblis- sement musculaire, commencement de para- lysie. Le corps imprègne' d'alcool...

Quatre jours de cris et de tremblement. Le maillot, la camisole. Cellule matelassée; à terre, double couche de paillassons. Portrait à prendre ( 1 4 1 ) s ; d'abord des bourdonnements, tintements et sifflements de l'ouïe, chants confus, cloches, cris, voix tumultueuses. La vue se trouble, s'obscurcit; les images dans un nuage. Des étincelles, des flammes, des ombres (44); des animaux, des diables qui grossissent et qui rapetissent, en changeant de couleur. Loquace, incohérent, diffus; il croit qu'on a embauché des physiciens contre lui (Assom., ch. XIII, 551). Le goût sent le rat, le soufre; les aliments lui semblent renfermer du vitriol ; la tisane sent l'eau-de-vie ou le vin. Fou, s'agitant, criant, gueulant, suant. Il se croit couvert de vermine : des animaux entre chair et peau ; des vers qu'il secoue. Il se croit aussi enfermé dans des fils de fer et veut s'en dégager; il sent une bête froide et mouillée lui monter le long des cuisses. Furieux, il entend des voix, des provocations (40). Son état de couvreur, dans les hallucina-


1. Référence à l'ouvrage consulté.

2. Id.


COMPOSAIT SEî ROMANS 171

lions : il se croit sur un t>it avec des animaux qui le poussent. — Lantiei. — Gervaise est là à l'agonie. Enfin, le tremblunent qui gagne tout le corps. Raideur du cou avec grimace de la face; déviation conjuguée des yeux à droite; un peu d'écume aux lèvres. Jl ne peut plus rester debout, il s'asseoit sur le lit. Pendant le sommeil, les pieds, qui dépassent le matelas, ont un trem- blement rythmique, un peu avant la mort. Un portrait de Coupeau mort regardé par Gervaise...


II. — Notes prises diais « le Sublime » de Denis Poulot 1 .

Voulant se sentir appuyé de toutes parts, Zola recueillit quelques renseignements spéciaux sur la vie des ouvriers, dans un ouvrage de Denis Poulot intitulé le Sublime. Ses ennemis en profitèrent pour l'accuser de plagiat et de contrefaçon littéraire. Mais cette question peut être tranchée sans la moindre difficulté. Nous avons appris comment Zola travaillait ; nous l'avons vu entouré de divers documents; or, le Sublime est précisément un docu- ment. L'auteur, qui avait vécu avec des ouvriers, y raconte des anecdotes vraies, cite des faits, étudie des types, établit des statistiques, puis s'élève ensuite


1. Question sociale : Le Sublime ou le Travailleur, comme il est en 1870 et ce quil peut être, par D. P. — A. Lacroix- VerboeckKoven et C ic , éditeurs, 1870.


172


COMMENT


à des considérations sur il n'y a là « nulle imagi


EMILE ZOLA


la question sociale. Gomme lation, nul apport de créa- teur », Zola crut pouvo r y prendre quelques faits, comme l'auteur d'un d'ame historique emprunte aux historiens ses traits de couleur locale, sans être pour cela un plagiaire. lu reste, « si l'indication des sources d'un roman était :hose usitée, il eût volontiers criblé de renvois, le bas les pages de son livre » \ En utilisant les matériaux amassés par Denis Poulot, Zola n'a fait qu'exercer on droit strict de romancier consciencieux. Il a com »ulsé le Sublime la plume à- la main, dans une ledure méthodique, relevant certains épisodes, chois ssant tels passages, et ses remarques sont formules en une suite de notes classées.

Il dressa auparavant, fcur deux colonnes, ce som- maire des matières du volume qui l'intéressaient particulièrement :


Ouvrier qui arrive à êtr patron.

Ouvrier en atelier, che lui. L' ouvrière.

Le bon ouvrier (les livres;.

L'ouvrier de province à Paris.

Dispute avec patron, les jours de paie.

Le Lapin Vengeur à Bel- leville.


Un enterrement.

Le terme.

Après dix ans, l'ouvrier déformé.

La femme tenant le sac; le mari la carotte.

L'argent caché dans la vi- sière.

Ouvrier épateur.

Le célibataire vit en garni.

Le patron : un type.


1. Emile Zola : « Les Droits du romancier », Figaro (6 juin 1896). Voy. aussi la brochure de M. Edouard Rod : A propos de « r Assommoir », 1877.


COMPOSAIT SES ROMANS


173


Le propriétaire : un type.

Le « fils de Dieu » lit le journal.

L'ouvrier en paletot; [par- le] politique, etc. (Lantier).

[A unel maîtresse : cocotte ; se dit chapelier; a été patron.

Marchand de vin, tient un garni; traiteur.

Bureau de tabac.

Le forgeron; beau.

L'atelier des femmes; les types; l'atelier.

Ouvrier vivant delà honte de sa femme.

Les femmes qu'on bat; celles qui battent.

L'économie et le travail faisant les ménages.

Les réunions publiques.

Le théâtre; le Salon.

Première communion d'une fille.

Le 15 août.


Les hercules du boulevard extérieur.

Histoire d'une bordée (S. p. 65).

La scène avec la femme et les enfants, quand il n'y a plus rien à la maison.

La pose à la blouse.

Les gros mangeurs, gros buveurs et fiers-à-bras.

Ouvrier embauché pour taper sur un contremaître.

Café-concert.

Une scène de marchand de vin.

Naissances, maladies, dé- cès.

La « rouchie » chez la femme.

La femme à la paie.

Les enfants mal élevés.

Les apprentis.

Le jeune bon ouvrier; le jeune mauvais ouvrier.


Puis il reprit en détail l'analyse de ces différentes parties de l'ouvrage, qu'il condensa sous forme de notes que voici :

Le Sublime (notes) 1 . La question sociale. Le travail et les tra-

i. Nous retrouverons dans les plans des références à ces notes, indiquant soit la page du volume de Denis Poulot,

15,


174 COMMENT EMILE ZOLA

vailleurs ; question capitale qui s'impose à tous. Le travail industriel (Subi., Préamb.).

Un ouvrier qui arrive à être patron. Vingt ans de travail : ouvrier, contremaître et patron.

L'ouvrier dans l'atelier; l'ouvrière aussi. Anna fleuriste. — Dans un atelier, on dit d'un collègue : « mon compagnon » (Subi., p. H).

L'ouvrier vrai, trois cents jours de travail par an, pas de dettes; avances chez lui ou à la caisse d'épargne, aime sa femme et ses enfants et sort toujours avec eux; instruit ses enfants, achète des livres par souscription, avec montre ou pendule en prime; ne boit pas et se repose le dimanche; donne le bras à sa femme. Reste chez le même patron, fait l'ouvrage pressé en conscience, se tient propre et raisonne bien. Il a pour livres : f Histoire de la Révolution, F His- toire des Girondins , l'Histoire du Deux-Décembre, la Science pour tous, le Juif Errant (Subi., p. 21- 25; Assom.,VIU, p. 312).

Les disputes avec les patrons, les jours de paie. Les marchandages; l'association pour un travail entre ouvriers qui se partagent les béné- fices.

Le Lapin Vengeur à Belleville ; (un lapin tuant un cuisinier d'un coup de pistolet) (Subi., p. 36).

soit celle des notes personnelles que nous publions ici. Voy. les plans.


COMPOSAIT SES ROMANS 175

On chante en travaillant et au dessert ; chan- sons : Une noce à Montreuil, Tapez-moi là- dessus [Subi., 37).

Des surnoms d'ouvriers : Moule à pastilles, le Gros Grêlé, le petit Zéphir [Subi] 37).

Les bons ouvriers ne font pas de compte chez le marchand de vin, ni à la gargote.

Un enterrement. Ils sont quatorze; ils man- gent le pain et le fromage. 11 y en a trois qui ont de l'argent, les autres paieront à la paie K SuM., 37; Assom., IX, 397).

L'argent du terme mis à l'avance ; pas pos- sible de le prendre tout en une fois ; grosse question [Subi., 39).

Les réunions publiques [Subi., 42).

Le théâtre ; le drame surtout (ibid., 32).

Les ouvriers de province arrivant à Paris ; ils ne peuvent pas toujours y rester : il y a trop à masser. Paris est la ville où l'on travaille le plus. (Gervaise peut comparer son travail de province à celui de Paris.) Après vingt ans, le travailleur usé, déformé, quand il n'est pas tué ; le vieil ouvrier 1 (Subi., 45).

Saint Lundi fêté par Y ouvrier mixte. La ména- gère tient le sac, il la carotte (Subi., p. 46). La femme recevant la paie, faisant passer l'examen

1. Le père Bru.


HO COMMENT EMILE ZOLA

(48). L'argent; les cinq francs cachés dans la visière et trouvés par la femme (Subi., p. 46-48, et Assom., ch. IX, p. 416-44 7).

La première communion d'une fille dans un ménage ouvrier (Subi., 49; Assom., X, 408).

La femme donnant l'argent pour la goutte et le tabac (Subi., 49).

L'ouvrier à l'exposition de peinture : le sujet est tout (Subi., 49; Assom., ch. III, 94).

Devant les gravures des journaux illustrés, aux étalages ; c'est là que l'ouvrier apprend l'histoire.

L'ouvrier épateur [Subi., 53).

Les hercules des boulevards extérieurs (ib., 54).

Le 15 Août; l'ouvrier badaud (ibid., 55).

L'ouvrier célibataire vit en garni ; un collègue de Coupeau avant d'épouser Gervaise (Subi., 55 ; Assom., ch. I, p. 4).

Le mauvais ouvrier (1 er degré) fait 200 à 225 jours de travail par an, se soûle une fois par quinzaine ; il paie son boulanger, le mastroquet jamais (Subi., pp. 60-61) ; il loge dans d'ignobles garnis, roule son patron, carotte ses amis. Lui est un chouette, un rupin, un & attaque. 11 change de patron cinq ou six fois par an.

Cadet Cassis, un surnom d'ouvrier (Coupeau).

L'ouvrier qui arrive à la cloche de l'atelier pour travailler et qu'on emmène boire, et qui


COMPOSAIT SES ROMANS ' 177

reste la journée chez le marchand de vin. Le commencement de la bordée. Tout le passage à lire et à prendre (Subi., pp. 55 et 56; Àssom., pp. 321 et suiv.).

Une tirelire chez les ouvriers (Subi., 69).

Le patron : un type.

La scène avec la femme et les entants, quand il n'y a plus rien à la maison (Subi., 69). Le jour' de paie, quand le mauvais ouvrier n'a pas tra- vaillé (ibid., 70). Il est lugubre ainsi que le jour où il se remet au travail.

Le propriétaire : un type.

Le sublime prenant le haut du pavé (72). La pose à la blouse. L'ouvrier qui a été voleur et emprisonné (77).

Le vrai sublime; 170 jours de travail par an, trois jours et demi par semaine. Le cynisme; la vanité du vice. Toujours ivre ; avec vingt cen- times de poivre d'assommoir, il est gris. Le besoin de la ration de vitriol (Subi., 85). Me procurer un travail sur les alcoolisés 1 . La lin de Coupeau. L'eau-de-vie blanche; un poissera est le cinquième du litre. Le sublime livide ou cramoisi ; détails sur l'ivresse (Subi., 86-87).

Voici les épisodes recueillis dans ce qui précède : 1. Cf. précédemment Notes sur V alcoolisme.


GOMMENT EMILE ZOLA


Sublime.

P. 87. François était un jour tellement ivre, que les sublimes de son atelier lui scellèrent sa pipe dans la bouche avec du plâtre...


Note p. 87. François la Bouteille était le vrai su- blime qui faisait le mieux le signe de la croix des po- chards. Sur la tête, il pro- nonçait Montpernasse, sur l'épaule droite, Ménilmonte, sur la gauche, la Courtille, sur le ventre, Bagnolet et sur le creux de l'estomac, trois fois Lapin sauté...


Assommoir,

Ch. VIII, 333. Mais cet animal de Mes Bottes en ra- conta une bien drôle. Le vendredi, il était si saoul que les camarades lui avaient scellé sa pipe dans le bec avec du plâtre...

Gh. VIII, 341. Coupeau se leva pour faire le signe de la croix des pochards. Sur la tête, il prononça Montper- nasse, à V épaule droite, Ménil- monte, à V épaule gauche, la Courtille, au milieu du ventre Bagnolet. et dans le creux de Cestomac, trois fois Lapin sauté...


Le sublime bon ouvrier. Quand le patron est parti : « Il n'aurait garde de nous renvoyer » (Subi., 88). Plus un sublime se croit capable, plus il se fiche du singe. Vantard, crâneur, gueulard, épateur ; des vanteries (Subi., p. 89; Assom., ch. VIII, 332).

Le roi des Sublimes (Subi., p. 90) :


Sublime, p. 90

Ar...in fut proclamé em- pereur des pochards et roi des cochons. Son couronne-


Assommoir.

Mes Bottes venait d'être proclamé empereur des po- chards et roi des cochons pour


COMPOSAIT SES ROMANS 179


avoir mangé une salade de hannetons vivants et mordu dans un chat crevé...


ment a eu lieu au Là s il vous plaît, chez Boulanger, traiteur. Ce qui avait provo- qué ce brillant honneur, c'est qu'Ar...in avait mangé une salade de hannetons vivants et mordu dans un chat crevé.


Le sublime, très sale, — Bec-Salé, dit Boit sans soif ou la Chopine de Bois (Subi., 92; voy. Asso?n.).

Les quartiers sont Popincourt, Ménilmontant, Belleville (Swô/., 92).

Le mauvais ouvrier se fait donner de l'argent pour s'en aller.

L'admiration des ouvriers pour les gros man- geurs, les gros buveurs et les forts à bras, etc. (Subi., 94; Assom., III, 110). Les rinces-pintes, (une pinte ou 2 litres en deux minutes, à la re'ga- lade). Un pari, Chopine de bois buvait un broc de 5 litres en deux minutes (Subi., 95). Le Ver solitaire.

Le sublime en paletot, le fils de Dieu ; lit le journal ; s'il se pique le nez, il se le pique pro- prement; s'occupe de la question politique, pas de la question sociale. Livres : les Châtiments, Napoléon le Petit, pas Proudhon (Subi., p. 101- 102; voy. le portrait de Lantier, Assom. , ch. VIII, p. 299-312)...


180


COMMENT EMILE ZOLA


La langue des discours (Subi., 104).

La pose du muscle [Subi., 403)...

Un nom de blanchisseuse, la Malle des Indes, la Puce qui renifle. Autres noms (Subi., 107; Assorn., VIII, 336)*.

Les coups de poing, à la sortie d'un atelier (Subi., 108). Un ouvrier qui se fait embaucher pour batlre le contremaître : un joli sujet; même battre le patron.

Le Sublime des Sublimes, théoricien, etc. Politique étrangère (ibid., 102-123). Ce qu'il demande en politique.

Voici les traits empruntés à ce qui précède :


Sublime.

P. 120. Tant que nous n'aurons pas la liberté de la presse, le droit de réu- nion, l'organisation du tra- vail, l'égalité des salaires, la répartition des bénéfices, la suppression du milita- risme, la fraternité des peu- ples, l'abolition des privi- lèges, des titres et des


Assommoir .

Ch. VIII, p. 312:

« Je veux la suppression- du militarisme, la fraternité des peuples.... Je veux Y abo- lition des privilèges, des titres et des monopoles... Je veux ïégalité des salaires, la répar- tition des bénéfices, la glori- fication du prolétariat... Toutes les libertés, enten-


1. Assom., ch. V11I, 334 : « Goupeau demanda des nouvelles de la Malle des Indes, une blanchisseuse de Chaillot ». fîubl., 101 : « Il a pour maîtresse la Malle des Indes, une blanchisseuse de Chaillot ».


COMPOSAIT SES ROMANS


181


monopoles*' et le divorce, nous serons sur un volcan et le peuple pourrira de misère.

Si vous l'émoustillez avec un ton un peu vert, il s'a- nime : « Le travailleur n'est pas seulement autant que les citoyens, il est plus, il est le premier ; les autres sont des frelons. »

Subi, p. 113. Le sublime, fils de Dieu, est au courant de la politique intérieure et extérieure ; pour la politique intérieure, les solutions ne manquent pas; pour l'ex- térieure, il est encore moins embarrassé. D'abord, on reconstitue la Pologne et on crée un grand Etat Scan- dinave pour museler le des- pote moscovite; on fait de la Prusse et de toute l'Alle- magne une république alle- mande ; on réunit sous le nom de république hon- groise la Hongrie et toute les provinces danubiennes, on renvoie les musulmans à la Mecque et le Pape à Jérusalem. Quanta l'Angle- terre, si elle bouge, on débarque cent mille hommes dans rinde et on en fait un Etat indépendant...


dez-vous! toutes!... Et le divorce! »...


lbid., $>. 314 : « ...il dé- clama:

— Souviens-toi que le producteur n'est pas un es- clave, mais que quiconque n'est pas producteur est un frelon.

lbid.,ch. XI, 485 ; Lantier :

« — C'est bien simple : avant tout, je reconstitue la Pologne et j'établirais un grand Etat Scandinave qui tiendrait en respect le géant du Nord... Ensuite, je ferais une république de tous les petits royaumes allemands... Quant à l'Angleterre, si elle bougea il, j'enverrais cent mille hommes dans Vlnde. . . Aj outez que je reconduirais, la crosse dans le dos, le Grand Turc à la Mecque et le pape à Jéru- salem... Heiu'ï l'Europe serait vite propre...


16


182 COMMENT EMILE ZOLA

Lantier a une maîtresse dans le quartier Bréda ; à prendre et les pages suivantes [Subi., p. 115 et suiv.; voy. Assom., VIII, 304).

Le sublime des sublimes épousant sa mai- tresse (Subi., 119).

Argot de l'ouvrier en paletot (Subi., 125).

Café-concert (&#/., 427; Assom., VIII, 344).

La chapellerie. Lantier se fait ou se dit cha- pelier (Subi, 115; Assom., VIII, 301). Fils de Dieu \

Le patron sublime renvoyant quelqu'un; très curieux, à lire en entier (Subi., 133).

Conversations en argot 2 .

Lantier peut avoir été patron un moment, à prendre (Subi., pp. 133 et suiv. ; Assom. ,ch. VIII, 301).

La pièce commencée par un ouvrier n'est pas acceptée par un autre (Subi., 140). Histoire.

Le Quand est-ce (Subi., 142).

Des surnoms d'ouvriers 3 ; tout un chapitre (SubL, XI, 144 et suiv.).

Noms de marchands de vin (Subi., 148); les


\. Nom sous lequel Denis Poulot range une catégorie d'ou- vriers.

2. Voy. plus bas : Expressions d'argot empruntées au Sublime.

3. Surnoms pris dans ce chapitre : Bec-Salé; Mes Bottes; Gueule-d 1 Or ; Bibi-la-Griliade; Pied-de-Céleri (Assom., ch. V 178) {Subi, p. 140-H6).


COMPOSAIT SES ROMANS


183


Assommoirs ; distillateurs. Les tourne'es. La mine à poivre (Subi., 148; Assorti;, VIII, 332 et suiv.). Le marchand de vin où l'on donne à manger, abonné au Siècle (Subi., 149). La lecture du journal (Subi., 151) :


Traits relevés par Zola.


Sublime.

P. 151. On continue [la lecture da journal :

« On écrit de province : Les époux H..., sexagé- naires, ont été massacrés à coups de hache par leur fils, parce que le père lui refusait de l'argent pour continuer sa vie de débauche et de paresse. »

Tous ensemble : « Oh ! la crapule, quelle canaille, en voilà un qui ne l'aura pas volé, si on le raccourcit ! »

Tbid., p. 150. — Qu'est-ce qu'elle dit, ta gazette ? Ecoute ça, .ma vieille :

« M. D..., négociant ren- trant chez lui fort tard, a été attaqué par trois mal- faiteurs qui avaient com- mencé à le dévaliser; mais doué d'une force peu com- mune, muni de sa canne, il s'est défendu fort coura-


Aswmmoir.

VIII, 339 — ...Lantier se mit à lire tout haut :

« Un crime épouvantable vient de jeter l'effroi dans la commune de Gaillon (Seine-et-Marne). Un fils a tué son père à coups de bêche pour lui voler trente sous... »

Tous poussèrent un cri d'horreur. En voilà un, par exemple, qu'ils seraient allés voir raccourcir avec plaisir !...

Ibid., p. 330-340... Mais ce qui les enthousiasma, ce furent les exploits du mar- quis deT... sortant d'un bal à deux heures du matin et se défendant contre Irois mauvaises gouapes, boule- vard des Invalides ; sans même retirer ses gants, il s'était débarrassé des deux premiers scélérats avec des


184


COMMENT EMILE ZOLA


geusement; après en avoir assommé un el fait sauter l'œil au second, il a saisi le troisième qu'il a remis entre les mains des sergents de ville. ■>->

— C'est épatant, en voilà un chouette, c'est pire que Rocambole.


coups de tête dans le ven- tre, et avait conduit le troi- sième au poste par l'oreille. — Hein ? quelle poigne !


C'était noble.


embêtant qu'il fût


Le marchand de vin qui tient un garni ; c'est celui qu'il me faut L .

Tne séance chez un marchand de vin (Subi., 163).

Les forgerons vont jusqu'au marteau de 30 livres (Subi., «#9. Asmm.,2\ù).

La bouteille : « Je lui ai foutu un soufflet à la régalade... »(Subl., p. 172).

Autre séance chez le marchand de vin (Subi., 170. À$S0m.;Vm, 333 .

La femme de l'ouvrier (Subi., 183). La jeune fille et la femme dans l'atelier (S., 183). Plusieurs types â : celles qui disent de grosses saletés sans rire; la méchante, l'imbécile, etc.. La préoccupation de l'obscénité.

La femme économe et travai lieuse. 11 y en a qui font des ménages (Subi., 187).


1. Colombe.

2. Ce qui suit ne se trouve pas dans le Sublime. Ces remarques sont ajoutée» par Zola.


COMPOSAIT SES ROMANS


is:


Naissances, maladies, décès.

L'ouvrier vivant de la honte de sa femme; il reçoit un cigare, un vieux vêtement. La conver- sation (S?/M.,186). « 


Sublime.

P. 186. Elle est rudement gironde, ta femme; elLe a toujours du linge blanc et de belles bagues, on voit bien que tu fais tes affaires; tas donc trouvé la mine d'or ? Une femme comme ça et une maison de cam- pagne et je ne turbinerais pas... »


Assommoir.

XII, 552. Les camarades disaient que sa femme avait de l'ouvrage tant qu'elle voulait chez des messieurs de v sa connaissance. Une femme comme ça et une mai- son de campagne, c'est tout ce qu'on peut désirer pour embellir la vie...


Les femmes de sublimes : les laides et les jolies; bonnes ouvrières (Subi., 184). Celles qui sont sublimes elles-mêmes. Les malheureuses; celles qu'on bat. Elles cachent les bons de pain pour que les maris ne les vendent pas pour boire (Subi., 188 et Assom.\ ch. XII, 509).

La femme enceinte (Subi., 189); (voy.. Assom., ch. XII, 508-509).

Une histoire ; le mari introduisant une rou- chie avec laquelle il couche (S., 190).

Les femmes qui ont de l'ascendant sur leur mari; elles arrivent à la paie. Le mari feint de rester à l'atelier et cacihe son argent dans ses

16.


186 COMMENT EMILIE ZOLA

souliers qu'il découd. [Subi., 191 et Assom. ; ebap. X ; p. 417).

Elles vont ensuite chez le marchand de vin et se grisent avec les hommes (S., 192).

Les insolences des petites, disant à leur mère : «Vache! » (S., 193).

Une fille envoyée à l'atelier, pour faire sortir un ouvrier en racontant une histoire [Subi., pp. 200-201).

Les chansons (S., 204) voy. {Assom., VII, 283.)

Le chômage (Subi., 211 et suiv.).

Les suhlimes comptent pour 40 p. 100.

Réunion politique (Subi., 226).

Les apprentis; une scène (S., 278).

Le jeune bon ouvrier; (le menuisier que j'ai connu, Alexandre). Le jeune mauvais ouvrier (5., 281).

Les grèves (S., 295)*

Les prud'hommes.

Le résumé du mécanisme des écoles, des syn- dicats, des prud'hommes et des associations {Subi., 316).

Accidents avec les machines (S., 348).

Le règne des machines ; les machines feront un jour tout le gros ouvrage (Subi., X, 363 et Assom] ch. VI, 219).


COMPOSAIT SES ROMANS 187

Expressions d'Argot empruntées au « Surlime ».

Tournée de vitriol, tournée d'eau-de-vie (S., 11).

Contre coup de la boite, contre-maître (S., 11).

Canon, verre de vin (ibid.).

Mufe, injure (ibid.).

Il a pas chié la colonne (ib.).

Coups de massage, gros travail par saccades. (S., 24).

Tirer une loupe (ib.).

Roussin, mouchard (S., 25). Le lendemain d'une élection : « Tu as de la chance, tu es de h rousse. » (S., 28).

Quand est-ce, quand paies-tu ta bienvenue (S., 28).

Peloteur, qui s'entend avec le patron (S., 30).

Aristo (S., 137).

S acoquiner, rester avec une femme (S., 30).

La connaissance, maîtresse (S., 30).

Ilihelotter une invention (ibid.).

N'être pas à la hauteur (ib.).

Chieur d'encre, employé (S., 31).

Mo me, femme.

Le béquillard, l'entreteneur éclopé (S., 115).

Se manger le nez (S., 34).

Son maître, sa femme (elle regarde dans le


188 COMMENT EMILE ZOLA

porte-monnaie, quand elle flaire quelque chose) (S., 38).

Le torchon brûle (S., 38).

Faire sa Sophie, faire sa tête (ib.).

Quel grelot! comme il parle bien (Subi., 43).

Godailler (S., 49).

Renauder (ib.).

L épate (S., 53).

Faire un pouf (S., Gl).

Avoir un poil dans la main [S.. 01 i,

La boîte, l'atelier (S., 62).

Se foutre un coup de torchon; lutte indivi- duelle ou collective (S., 92).

fai promené ma scie, ma femme [S., 93).

Une rosse, une carne, une rouchie (S., 93).

Etre un bon (S., Wê .

Les raccrocheuses, les ambulantes (S., 30).

Marchands de coco, marchands de vin (S., 135).

Vœil est crevé, plus de crédit chez ï bistro {$., 148).

Le petit bonhomme qui tousse, nom d'un cabaret (S.,2bl).

Etre chouette (S., 142 1 ).

Ma vieille fripouille.

Roussi?!, bande à Vidocq (S., 1 543).

Une cloche (S., 180) 1 .

1. Outre les expressions prises dans le Sublime, Zola com-


COMPOSAIT SES ROMAINS


III. — Renseignements divers.

Nous avons fait remarquer précédemment qu'eu 1870, c'est-à-dire cinq ans avant la rédaction de r Assommoir, Emile Zola avait recueilli un article de Francisque Sarcey intitulé À Wolf et à Richard [Gaulois, 8 février) ', dans- le dessein de l'utiliser pour son futur « roman sur le peuple». Nous verrons, en lisant cette étude, que le romancier y releva des traits intéressants pour la psychologie de l'ouvrier parisien, et Ton peut dire qu'il y trouva la « défini- tion» même du caractère de Coupeau. Il se souvint aussi de cette noce d'ouvriers que raconte l'auteur. Certaines remarques le retinrent particulièrement; c'est ainsi qu'il souligna cette pensée et la nota dans le plan du chapitre XI : « On n'a les ouvriers que


puisa les dictionnaires spéciaux et surtout le Dictionnaire de ta langue verte de Delvau; il se fit d'autre part pour son usage personnel un petit lexique divisé par sujets, qu'il dépouillait au fur et à mesure. Nous avons publié ces notes en appendice (voy. à la fin du volume).

1. Voici dans quelles circonstances cet article fut écrit, ta reprise de Lucrèce Borgia à la Porte-Saiat-Martin, le 3 fé- vrier 1870, fut interrompue par un violent et regrettable incident :'« cinq ou six cents imbéciles » placés à l'amphi- théâtre crurent plaisant d'injurier M. Paul de Cassagnac qui se trouvait au parterre et le poursuivirent de leurs plaisan- teries grossières pendant toute la durée de la représentation. F. Sarcey commenta ce scandale le surlendemain, dans une chronique intitulée \eJoli Peuple (Gaulois, 5 fév.) : les auteurs de cette manifestation ridicule y étaient vivement traités. Wolf (Figaro 8 fév. 70) et J. Richard firent remarquer à Sarcey que ces « sinistres voyous » n'appartenaient pas au peuple, « au vrai peuple » et le morceau ci-dessous est la réponse qui leur fut faite.


190 COMMENT EMILE ZOLA

lorsqu'ils n'ont plus le sou » ; puis il résume tout le passage de l'article : « Les peintres arrivant avec leur pot à colle. Trois coups de pinceau en chantant et ils filent pour la journée. Un se faisant promener en voiture toute la journée, ouvrier rigoleur, pas éco- nome, mangeant tout. Il se f... du patron, lâche tout, ne fait jamais le travail pour l'heure fixée, etc.. » Voilà le genre d'observations, de détails que Zol.i emprunta à cette chronique, dans laquelle Sarcey trace un tableau très exact des mœurs de l'ouvrier, à Paris.

A Wolf et a Richard.

Vraiment, mes chers confrères, vous me faites l'un et l'autre un peu plus bête que je né suis. Comment! vous vous imaginez que quand je m'écrie : le joli peuple, j'entends parler du vrai et du grand peuple, celui des travailleurs qui gagnent leur vie d'un travail quotidien. Mais, de celui-là, il me semble que j'en suis aussi, et ce serait jeter des pierres dans mon jardin. Je n'ai point de goût aux niaiseries solennelles, et je n'irai point vous dire comme on faisait en 48, que vous et moi sommes des ouvriers de la pensée. Mais, ce que vous ne contesterez pas, vous qui courez la même carrière que moi, c'est que nous vivons de notre travail; un travail très dur, très absorbant et tel qu'aucun ouvrier dans aucune profession n'en fait un plus rude. Nous


COMPOSAIT SES ROMANS 191

sommes du peuple, mais nous ne prétendons pas être le peuple. Nous n'avons pas cet orgueil sau- grenu de nous dire : Nous sommes le peuple, cl, quand nous exprimons un désir, de nous écrier : le peuple veut...

Ces sinistres imbéciles, dont vous parlez, mon cher Wolf, ces polissons, comme vous les appelez, vous, mon cher Jules Richard, s'imaginent de bonne foi peut-être, qu'à eux tout seuls, ils sont le peuple, le peuple souverain. Au club, au théâtre et dans tous les lieux publics où ils se réunissent, ils prétendent exprimer la volonté du peuple. Et j'ai bien le droit de m'écrier en parlant d'eux : le joli peuple!

Vous les avez comptés et vous en savez le nombre. Vous êtes plus avancés que moi, qui n'ai pas fait cette statistique. Elle me parait assez difficile à établir. Vous croyez qu'ils ne sont que quatre cents comme vous auriez dit quatre mille, pour mettre un chiffre. Le fait est que là-dessus vous n'êtes pas mieux renseignés que je ne le suis.

Combien y en a-t-il de ces mauvais braillards, qu'on voit toujours sortir de terre au moindre signe de désordre? Je l'ignore et vous l'ignorez aussi. Peu importe, au reste î Ce sont précisément eux qui se vantent d'être le peuple, et c'est d'eux que j'ai pu dire ironiquement : le joli peuple!


192 COMMENT EMILE ZOLA

Pensez-vous, pourtant, que je sois pour cela de voir» 4 avis, et que je prête comme vous toutes sortes de vertus au peuple de Paris? Vous n'y voyez que de bons ouvriers, travailleurs, hon- nêtes, consciencieux et dignes de figurer dans ia morale en actions.

Qu'il y en ait de tels, je le crois très sérieu- sement; ce n'est pas du tout une de ces conces- sions de pure forme que l'on fait à ses adver- saires p&ur la commodité du raisonnement. Oui, l'ouvrier tel que Ta dépeint Manuel dans sa pièce des Français, travailleur infatigable, rangé, éco- nome, passionné d'instruction, qui son ouvrage fini suit les cours populaires, et veut que Je fils qu'il aura parte d'un échelon plus haut que celui d'où il s'est élevé lui-même, cet ouvrier-là existe. Il est assurément digne de toute estime, et ce n'est pas lui qui s'en va, le soir, dans les théâtres, faire de sottes et inutiles manifesla- tions. Mais il n'est pas plus le représentant de la population ouvrière que le braillard qui a poursuivi M. Cassagnac de ses huées.

L'ouvrier de Paris n'est ni si parfait, ni si mé- chant et si bête. Son grand, son premier tort, c'est d'être — pardon du mot que je vais employer, mais il faut bien, pour qualifier un vice tout parisien, une locution qui soit parisienne — c'est d'être rigoleur. il aime le travail, soit; mats il


COMPOSAIT SES ROMANS 193

adore le plaisir et dépense son argent sans prendre garde. Il n'a ni l'instinct ni l'habitude de l'économie, cette vertu domestique qui est la mère de toutes les autres.

Voyez comme les choses se passent dans la bourgeoisie. Je me sers à regret de ce terme, qui semble établir entre deux catégories de citoyens une ligne de démarcation que je ne reconnais pas. Mais, je n'en ai pas d'autre sous la main pour distinguer ceux qui travaillent en redin- gote et ceux qui travaillent sous la blouse. Je vous prie donc de bien comprendre ma pensée. Je n'établis pas en employant ces mots, de classes entre les ouvriers. Je me sers de ces termes, faute d'autres, et voilà tout. Eh bien! les plus humbles dans la petite bourgeoisie ont au plus haut degré le sentiment de l'économie. Sur leurs appointements plus que modestes, ils rognent, pour mettre de côté en cas de maladie. Us songent avant tout au ménage; ils rapportent à la femme l'argent qu'ils ont gagné, et la moindre dépense est discutée longuement à deux. Je n'oserais pas dire qu'ils ont l'amour du travail; ils en ont tout au moins le respect.

Du moment qu'ils se sont engagés à. rendre un ouvrage, ils le font consciencieusement et ne manquent guère à la parole donnée. Ils vivent ainsi, entre leur besogne et leur petite famille,

17


194 COMMENT EMILE ZOLA

paisibles et se refusant toute distraction qui n'est pas à la portée de leur bourse. Ce tableau n'est pas sans exception, je le sais, mais à prendre les choses en général, il est ressemblant.

Voyons! vous Richard, et vous Wolf, quand le journal attend la copie, est-ce que vous ne quitteriez pas tout au monde et même le plaisir le plus vif, pour faire l'article promis? Vous pesteriez contre ce chien de métier; mais vous iriez tout de même, parce qu'il faut aller, parce que c est la profession qui le veut.

Est-ce que vous retrouverez au môme degré, chez les ouvriers de Paris, ce respect de la besogne attendue, ce goût d'économie sage?

La plupart sont des rigoleurs et quand ils ont vingt francs en poche, ils n'ont rien de plus pressé que de festoyer jusqu'à la complète et définitive extermination de la pièce jaune 1 .

Un de nos confrères, et qui compte parmi les plus spirituels, a débuté par être ouvrier, inutile de spécifier en quelle partie, et il me disait un jour : « — Jamais, je ne me suis tant amusé qu'en ce temps-là. Vous n'imaginez pas ce que c'est que l'ouvrier parisien. Nous étions là, une dou-

1. Voyez Assom., VIII, 331 : « De la jolie fripouille, les ouvriers! Toujours en noce, se fichant de l'ouvrage, vous lâchant au beau milieu d'une commande, reparaissant quand leur monnaie est nettoyée », et les pages suivantes.


COMPOSAIT SES ROMANS 195

zaine à l'atelier, travaillant et sans songer à mal, quand un de nous s'arrêtait: — Qu'est-ce qui vient prendre un verre de petit blanc avec moi?

Naturellement, il n'était pas long à trouver ce partenaire. Cinq minutes après, un troisième prenait le chemin des deux autres, puis un qua- trième, et bientôt les douze avaient filé.

On payait chacun sa tournée, et, la chose faite, un des orateurs de la bande prenait la parole :

— Tenez, je sais du côté de Vincennes une maison où l'on mange des gibelottes, mais des gibelottes, je ne vous dis que ça, aux petits oignons! Voulez-vous que nous y allions casser une croûte?

Adopté à l'unanimité. On montait sur l'impé- riale de l'omnibus, on arrivait, et dame là, on faisait une noce, mais une noce!

Le lendemain, on arrivait à l'atelier, l'estomac fatigué, et avec ce mal de cheveux que nous avons tous connu. Jamais de la vie nous ne pourrons nous mettre à l'ouvrage, si nous ne buvons pas un petit verre de vieille.

Et l'on redescendait, et la scène de la veille recommençait : on filait à Saint-Mandé, celte fois, et l'ouvrage attendait toujours. L'ouvrage, on s'en souciait bien, c'était l'affaire du patron.


i% COMMENT EMILE ZOLA

On rigolait ainsi, trois ou quatre jours de suite, et l'on ne se remettait à la besogne que quand toutes les bourses étaient à sec, et que les femmes, criant la faim, venaient à la porte de l'atelier, chercher leur mari et leur part de paie 1 .

Ce tableau n'est pas malheureusement un tableau de fantaisie. Oui de nous ne sait pas que, selon l'expression consacrée, on n'a les ouvriers, que lorsqu'ils n'ont plus le sou? Ils rentrent à l'atelier par la même raison, qui fait sortir les loups du bois. J'ai eu des peintres chez moi, et j'étais stupéfait de voir comme ils se moquaient de leur besogne. Ils apportaient leur pot à colle, donnaient quelques coups de pinceau en chantant, s'en allaient déjeuner et ne reve- naient plus 2 .

Je causais avec eux : — Mais, leur disais-je, songez-vous que, si au lieu d'écrire un article, j'allais me promener, comme vous faites, on m'aurait bientôt remercié de mon journal?

Et là-dessus, ils me blaguaient, car c'étaient


1. Tout le passage ci-dessus a été utilisé pour le commen- cement de la bordée de Coupeau (voy. Assom., VIII, 331-337).

2. Traits empruntés : Assommoir, ch. V. 165 : « ... Les peintres, deux grands diables bons enfants, se montraient avec leurs pots à couleur, les posaient dans un coin, puis disparais- saient ; et on ne les revoyait plus. Ils étaient allés déjeuner; ou bien ils avaient dû finir une bricole, à côté, rue Myrrha... »




COMPOSAIT SES ROMANS 197

de bons enfants, et qui ne manquaient pas d'es- prit. Ils étaient même fort drôles, très au courant de tout ce qui se passait T et d'esprit assez juste.

Avec tout cela rigoleurs et imprévoyants, tout entiers, comme les sauvages et les singes, à la sensation présente. Le bruit d'un écu sonnant dans leurs poches, excitait chez eux toutes sortes d'envies qu'ils n'étaient pas maîtres de contenir.

L'un d'eux ma avoué que son grand plaisir était de se faire promener à l'heure en voiture 1 . Voilà des imaginations qui ne tomberaient jamais dans la cervelle d'un petit employé!

Les femmes n'ont, m'a-t-on dit, rien de plus pressé que de suivre l'exemple des hommes.

Interrogez vos mères ou vos femmes ; si elles vont comme la mienne, elles-mêmes au mar- ché, elles vous diront que les jours de paie, dans les quartiers ouvriers, il est impossible d'appro- cher d'un bon morceau. Les plus coûteux sont enlevés par les femmes des ouvriers. Elles savent bien qu'elles n'auront jamais l'argent de leur mari que par hasard; elles profitent de l'aubaine, et se paient une bonne journée.


1. Voy. Assom., VIII, 331 : « Ainsi, il avait eu un petit Picard, dont la toquade était de se trimballer en voiture ; oui, dès qu'il touchait sa semaine, il prenait des fiacres, pendant des journées. Est-ce que cétait là des goûts de travailleurs?... »

17.


198 COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS

Etonnez- vous après, si les lendemains sont quelquefois sombres et amers.

Ce mal de l'imprévoyance et de la dissipation est, si j'en crois les gens bien informés, les patrons, les juges du commerce, tous ceux que leurs fonctions appellent à frayer avec la popu- lation ouvrière, ce mal est général parmi les travailleurs de Paris.

Ils trouvent qu'on ne fait pas assez pour eux; et ces plaintes sont fondées en partie. Mais peut- être devraient-ils s'aider un peu eux-mêmes. Peut-être feraient-ils bien d'emprunter à ceux qu'ils appellent les bourgeois leur esprit d'éco- nomie, leur patience au travail et les qualités domestiques qui, trop souvent, leur font défaut.

On ne leur parle jamais que de leurs droits; ils ont aussi des devoirs que quelques-uns négligent et oublient. Il n'y a aucun inconvé- nient à les leur rappeler. Ne flattons personne, même le peuple.

Il ne se compose pas de ces braillards dont j'ai dit : le joli peuple! Mais il n'est pas formé non plus de petits saints. Il a ses défauts; je crois avoir signalé les deux plus nuisibles. S'il s'en corrige, il fera plus pour son bien-être que ne feraient jamais toutes les réformes sociales qu'il demande.

Francisque Sarcey.


II


LES PLANS


Le travail de documentation est terminé. Le Dossier est constitué. A ce moment, Zola s'occupe de rédiger les Plans : le travail de création com- mence. 11 y apporte le plus grand soin et ce sont de nouveaux efforts de patience et de volonté. 11 divise, en premier lieu, les matières du roman en un cer- tain nombre de chapitres, et écrit un Sommaire précis et détaillé de la conduite de l'action, mais très bref encore. Ensuite, il prépare la besogne pour chaque fragment, qu'il trace sous forme de plans analytiques, « rappelant les scénarios des dramatistes ou plutôt l'exécution en prose d'une tragédie ». Ces plans ne sont pas faits d'un coup, mais par développements et remaniements successifs. L'élaboration est lente et progressive. Avant tout, il dépouille YEbauche, les Personnages et les différents dossiers partiels. Les idées viennent, d'abord indécises, et il reprend sans

1. Voy. La méthode de Travail, p. 79.


200 COMMENT EMILE ZOLA

cesse ses fondations; il ne veut oublier aucun détail et ne repousse aucun projet, et ce sont çà et là des traits ou des remarques répartis comme indistincte- ment dans tel ou tel chapitre, des notes courtes et sans liens où il n'y a guère que des idées, des indica- tions de scènes ou d'images. Puis il modifie, con- dense; aussi les plans ont-ils été rédigés à plusieurs reprises et divisés de nouveau, et Ton voit les diffi- cultés qui en résultent pour les classer et les rétablir dans leur ordre. Nous essayerons de rendre la lec- ture de ces plans successifs claire et facile, tout en conservant au manuscrit sa physionomie véritable. C'est un travail extrêmement minutieux, car il n'y a parfois aucune logique dans la disposition des matières et certaines remarques ont été jetées au hasard, et introduites là où il restait du blanc. Nous ne pouvions rejeter quelques passages arbitraire- ment choisis dans des notes, au bas des pages, débar- rasser le texte de ces rapides indications qui courent entre les lignes, le nettoyer, l'apprêter, sans le muti- ler et lui ôter son caractère. Pour ne pas nuire à l'unité des plans et dégager ces notes de la rédaction suivie, nous les imprimerons entre crochets. Si la lecture en est quelquefois ralentie, elle devient beaucoup plus expressive et attrayante : nous pour- rons observer l'écrivain dans les multiples démarches de sa pensée, nous verrons ses idées nouvelles s'ajouter aux anciennes, nous assisterons au rude labeur de l'invention et voilà qui vaut bien qu'on y prête un peu d'effort.

V Assommoir était primitivement divisé en 21 cha- pitres dont nous avons le sommaire analytique et


COMPOSAIT SES ROMANS 201

les plans détaillés. Le roman fut ensuite réduit à 13 chapitres : il y a donc deux séries de plans, les premiers encore incomplets où les matériaux sont placés sans préoccupation d'ordonnance, les seconds plus détaillés où tout est prévu et combiné définiti- vement. Il ne nous est parvenu qu'une seule rédac- tion des plans des chapitres I et IV. Mais à partir du chapitre III, nous avons la preuve que Zola fit de fréquents remaniements, d'importantes refontes et récrivit ses plans. C'est ainsi que nous possédons deux projets du chapitre III. Les chapitres 2 IV, V primitifs sont fondus en un seul (chap. IV). Les chapitres VI, VII sont refaitsdans des plans définitifs qui portent les indications V, VI. Les chapitres VIII et IX sont remaniés en un chapitre VIF définitif. Le chapitrée VIII est la condensation des chapitres X, XI. Les chapitres XII et XIII sont devenus le cha- pitre IX. (L'épisode de la petite Bijard, noté d'abord dans le chap. XII primitif, est reporté au chap. X.) Le chapitre .Test sorti des chapitres XIV et XV. Les premiers projets des chapitres XVI et XVII ont servi à composer celui du chapitre XI. Le chapitre XII a été récrit avec les esquisses des chap. XVIII et XIX. Le chapitre XX où Zola cherche son drame, repro- duit la dernière partie de Y Ebauche et n'a pas été utilisé. Le chapitre XXI contient le dénouement du roman et a été recopié dans le plan définitif du der- nier chapitre (chap. XIII).


1. Sauf un fragment du chap. 1 primitif.

2. Certaines modifications (suppression de paragraphes, d'épisodes ou de descriptions, retouches de détails) sont apportées quelquefois à ces plans définitifs, dans la rédaction du roman. Nous les signalerons en notes.


202 COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS

Nous ne publierons pas séparément ces deux suites de plans ; autrement dit, nous ne reproduirons pas dune part les plans des 21 chapitres primitifs, et d'autre part les onze nouveaux plans définitifs, mais nous placerons toujours le dernier plan à la suite de celui ou de ceux dont il est formé. C'est ainsi que Zola lui-même les classait, afin de retrouver dans ses premières rédaclions des remarques ou des notes qu'il ne recopiait point dans son projet définitif, mais qu'il utilisait néanmoins. Pour distinguer aisément ces deux catégories de plans et les bien mettre en évidence, nous imprimerons en petits caractères les plans primitifs. Ainsi, Ton pourra lire les plans définitifs, en laissant de côlé les premiers canevas ou réciproquement et assister au travail de refonte et de condensation.


PLAN SOMMAIRE


Des chapitres de W pages, en moyenne ; iné- gatiXj les plus courts de 10 pages, les plus longs de 30 pages.

L<> style à toute volée.

Le roman est la déchéance de Gervaise et de Coupeau, celui-ci entraînant celle-là, dans le milieu ouvrier. Expliquer les mœurs du peuple, les vices., les chutes, la laideur morale et physique par ce milieu, par la condition faite à l ouvrier dans noire société '.

I. 1850, mois de mai. Abandon. Scène du lavoir. Retour à la maison. M rac Fauconnier,


l. Un peu plus bas, on lit ce mot : succès. On le retrouve, d'autre part, en tête du plan du chapitre I : un très grand succès, oui. Zola semble vouloir se donner de la conliance dans l'œuvre qu'il entreprend.


204 COMMENT EMILE ZOLA

M""' Boche, Adèle Poisson. (Le quartier, le malin.)

II. Rencontre de Coupeau et de Gervaise. Chez un marchand de vin (Colombe). [Elle ne veut pas de lui.] Ils se mettent ensemble. Les Lorilleux, intérieur et portrait; métier. Bazouge rencontré dans l'escalier. (Le quartier à onze heures.)

III. 1850, 29 juillet. Le mariage de Coupeau et de Gervaise. La politique 1 .

IV. 51 à 54. Trois premières années de mé- nage. Naissance d'Anna. Accident de Coupeau. Gervaise le soignant. Les Goujet exposés là.

V. 54. Une partie quelque part : La Foire aux pains cVépices. Rencontre des Goujet : con- naissance. Goujet trouvant Gervaise raison- nable. Les affaires de ménage vont bien. La po- litique 2 .

VI :! . 1855. Location de la boutique. La rue. Le père Bru. Les Boche; intérieur et portrait. Les Lorilleux fâchés. Coupeau commence à se débaucher. Le café marche. Gervaise un peu gourmande. Courage de Gervaise. Le travail


1. On remarquera que, comme dans Y Ebauche, la politique tient encore une grande place dans ce plan sommaire.

2. Ce chapitre a été supprimé dans les plans détaillés. Disons encore une fois que tout cela n'est que provisoire.

3. Réuni au chapitre IV pour donner le chapitre IV défi- nitif.


COMPOSAIT SES ROMANS 205

des blanchisseuses. Adèle reparaît. Le proprié- taire : Marescot. Un charbonnier, de l'autre côté de la porte. Les fournisseurs. Un mot de Bazouge.

VII 1 . 58. Premier épisode des Bijard. La femme Bijard est ouvrière chez Gervaise. Celle- ci inquiète en songeant à Coupeau.

VIII. 58. Goujet au travail. La forge.

IX. 58. La fête de Gervaise. Bien graduer la chute de Gervaise. Les Lorilleux raccommodés. La rue. Adèle avec son mari. Gervaise ayant glissé un peu. Les Boche. La politique. Bazouge invité. Heureuse encore, pas désir de la mort. Le père Bru.

X. 59. Lantier rentre. Tous les personnages mêlés. Coupeau parle de faire son affaire à Lan- tier. Ils vont chez Colombe. Coupeau mène Lantier. La maison : arrangement.

XI. 5!) et 60. Lantier installé. L'ouvrier en paletot. La politique. La boutique mangée. Les deux hommes chez Colombe. Anna, mauvaise éducation. Les querelles pour M me Coupeau. Goujet amoureux; propositions. Une bordée de Coupeau. Lantier reprend Gervaise qui cède. Là, le café-concert ; dans un autre chapitre, peut- -être.

i. L'accolade qui embrasse deux ou plusieurs chapitres indique la refonte en un seul chapitre.

18


20G COMMENT EMILE ZOLA

/ XII. 60. Boutique au pillage. Adèle Poisson bien avec Gervaise et guettant la boutique. Gervaise cherchant à se raccrocher. Deuxième épisode de Bijard l .

XIII. 61. Enterrement de M mc Coupeau La boutique est mangée; sale. Tous les person- nages, M mc Lerat, les Lorilleux, etc. La cession de la boutique. Los Boche. Bazouge. Le père

> Bru.

XIV. 62. Gervaise dans un petit logement. Le quartier, le soir. (Le boulevard, tel qu'il est.] Premier temps. Elle s'est remise chez M mc Fau- connier. Elle nourrit son mari.. Première com- munion d'Anna. Anna enfant. Une scène de vote. Une conversation de femmes sur leur mari.

[XV]... Un premier hiver dur à passer. Deuxième épisode des Bijard (logement voisin de Gervaise). Le propriétaire Marescot. Gervaise allant chercher Coupeau au cabaret et s'atta- blait : un nouveau degré dans la chute. Le Mont-de-Picté. Les sensations de la misère. Un mot du père Bru. Une coquinerie de Coupeau qui peut engager du linge. Coupeau à l'hôpital.

XV. Une partie de campagne avec les Goujet, ce qui fait du bien à Gervaise 2 .

1. Reporté au chap. XV primitif.

2. Chapitre supprimé.


COMPOSAIT SES ROMANS 207

XVI. 64, 65, 66. Anna fleuriste ; insolente avec ses parents; gros mots. Elle se promène avec la jeunesse. L'atelier de fleuriste : M mc Le-

irat. (La journée ouvrière : les heures.) Anna au bal, cherchée par son père.

XVII. 67. Luntier chez les Poisson. [On cher- che à mettre Gervaise à la porte.] La boutique (l'épicerie qu'il mange. Intérieur. Adèle triom- phante. (La fessée.) — La politique. Le sergent de ville (les petites boîtes). Un dimanche : le

i quartier avec le boulevard Oruano.

XVIII. 67. Hiver effroyable. Une seule scène, très large, affreuse. Pas de pain, des dettes. Les Lorilleux refusent des pièces de vingt sous. Coupeau a disparu; bordée. Anna s'est sauvée. Gervaise près de la prostitution, presque poussée par Coupeau. Elle se saoule comme lui. Goujet la rencontre sur un trottoir. [Le père Bru. Bazouge. Gervaise le désire.]

XIX. 68. Troisième épisode des Bijard. Mort i de Lalie.

XX. 68. Le drame : Coupeau, Lantier, Goujet,. les Lorilleux 1 .

XXI. 68 La dernière dégradation de Gervaise. Sa mort. Le dernier mot de Bazouge.


1. C'est encore le drame choisi dans ÏEbauche. Les som- maires de ces trois derniers chapitres sont d'ailleurs très insuf- fisants : on sent que le dénouement est encore imprécis dans la pensée de l'auteur.


II


PLANS DÉTAILLÉS


CHAPITRE J 1

Commencer par la description de la chambre. Montrer Gervaise et les enfants dans la chambre de l'hôtel garni. Lantier est là ou arrive ; il rentre après avoir découché : son portrait rapide. Fixer l'époque de la scène. Arrivée de Lantier et de Gervaise à Paris, février, premiers jours ; trois mois après : donc le 1 er mai 1850. Le bou- levard extérieur, le matin (court). Les dix-sept cents francs sont croqués. Lantier n'a plus que trois francs sur un engagement de la veille; les quelques cadeaux qu'il a faits à Gervaise sont au Mont-de-Piété : les reconnaissances. Donner à entendre qu'il prépare une fuite; la malle.

i. V<vyez Y Ebauche et les Personnages.


COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS 209

Reproches de Gervaise, mais très doux; les deux enfants; Lantier ennuyé. Il l'envoie porter au Mont-de-Piété une dernière robe de soie, quelque chose pour avoir de l'argent ; il a évidemment passé la nuit avec la femme qu'il va emmener. Il revient chercher ses nippes. Alors Gervaise va faire un savonnage; elle doit entrer chez M mo Fauconnier; Adèle et sa sœur désignées. Ce que Gervaise doit emporter au lavoir; Lantier retient ses chemises; les vêtements des petits, qu'elle laisse à la maison; elle rentrera pour faire le déjeuner. Ne pas donner dans ce premier morceau d'explications complètes sur les faits qui ont précédé l'arrivée et le séjour à Paris; cela servira pour la conversation entre Gervaise et M rae Boche dans le lavoir. Montrer Coupeau avant l'arrivée de Lantier : il paraît seulement à la porte : « Le bourgeois n'est pas là? » — « Mais non, monsieur Coupeau », et elle tâche de sourire. Il venait lui parler pour du travail; cela suffira.

Comme Gervaise va au lavoir, elle rencontre M me Boche qui y va aussi. M me Boche est con- cierge dans la rue où je placerai ma maison, mais à un autre numéro 1 . Elles y vont ensemble


1. Modifié. M me Boche est concierge dans la future maison de Gervaise, rue de la Goutte-d'Or.

18.


210 COMMENT EMILE ZOLA

^un mot de la rue , à peine; la description plus tard ) .

Le lavoir. Description * : les femmes, peut-être M me Bijard? Le bruit, l'odeur, la lumière, les places; mettre le tout en scène. M me Boche et Gervaise sont à côté Tune de l'autre ; la conver- sation tout en lavant le linge — (comment on lave le linge) ; les femmes se mêlent à la conversa- tion, M me Boche sait quelque chose; sa loge est en face de M 1U0 Fauconnier; elle a vu Lantier chez Adèle et sa sœur; elles logent ensemble; la petite est brunisseuse, Adèle est couturière (ou autre chose); pas de famille. — Adèle 2 est venue pour laver un tout petit paquet, mais elle est surtout venue pour voir ; elle arrive avant l'ar- rivée des enfants, s'installe, ricane en regardant (lervaise; c'est alors que M mt Boche donne quelques détails à mots couverts.

Arrivée des enfants avec la clef : « Eh bien,. et papa? » Il est parti avec une voiture (une dame?). Gervaise, palissante, continue de laver, mouillée, trempée. Puis la bataille : des seaux d'eau jetés; la grande Adèle et Gervaise se pren- nent aux cheveux, puis les battoirs. Quelque chose de très énergique et de très drama- tique : à outrance.


1. Cf. précédemment les Métiers : a) Le lavoir.

2. Dans le roman, c'est la sœur dAdcle, Virginie, qui est en scène.


COMPOSAIT SES ROMANS 211

Enfin Gervaise blessée, avec son sang qui coule, s'en va tenant ses deux enfants par la main'. La chambre dévastée, une seconde des- cription; la malle enlevée, les reconnaissances prises, plus rien.


1. Nous avons retrouvé par hasard, au verso d'une note extraite du volume : Notes et renseignements divers, ce fragment de plan, antérieur à celui que nous avons publié ci-dessus. « ... voit que la malle n'est plus là. Coupeau lui avoue que Lantier vieut de la quitter. Désespoir de la jeune femme. Son amant a emporté jusqu'aux reconnaissances. Elle préfère mourir et s'avance vers la fenêtre. Mais Coupeau la retient. 11 est très tendre et très respectueux. Il lui dit d'espérer, qu'elle trouvera certainement un brave garçon qui la consolera. (Rien de brutal, finir en douceur.) »'


212 COMMENT EMILE ZOLA


CHAPITRE II


Mai 1850. La rue des Poissonniers surtout (le boulevard extérieur tel qu'il était alors avec les abattoirs anciens).

A huit jours de là, Gervaise et Goupeau en- semble dans une rue. Ils se sont rencontrés se promenant, la journée finie. Il a pu venir l'at- tendre à la sortie de chez M mc Fauconnier; les deux enfants sont là. Puis en passant : « Tenez, voilà la maison de ma sœur; je mange chez eux, mais ils ne peuvent me coucher. La maison, description avec quelques mots. De là, ils vont sur le boulevard extérieur. (Peinture du boule- vard à la sortie du travail; très complet.) Leur conversation, Coupeau est amoureux; il vou- drait coucher avec Gervaise, mais celle-ci ne veut pas. A quoi bon? Il faut qu'elle songe au sérieux. Là, l'excuser de l'anisette que sa mère lui fit boire (quand Goupeau lui offre quelque chose), et d'avoir eu un enfant à quatorze ans (quand il la presse). Tempérament tendre, sym-


COMPOSAIT SES ROMANS 213

pathique, elle était tendre et passionnée ; elle n'est point voluptueuse; très raisonnable, elle songe au travail; sa mère Fine en elle; histoire de sa famille, la question physiologique 1 .

Pourtant, il lui offre quelque chose et elle accepte. Sur la porte d'un café, sur quelque grande chaussée (chez Colombe, description de la boutique, courte). Goupeau ; sa famille, son histoire (voir son- portrait) 2 . La description; le Ilot de la foule; l'amour peuple dans ces condi- tions. Goupeau très gentil. Et là, l'idéal de Ger- vaise : ne pas être battue, travailler, manger, « mourir chez moi, bien élever mes enfants » ; tout ce qu'elle n'aura pas. Les enfants jouant.

Puis la visite aux Lorilleux, me donnant la description intérieure de la maison. Le mariage est en question. Coupeau presque décidé; faisant des tentatives cependant. Il la mène un sou- ciiez les Lorilleux, après le dîner ; il est allé la chercher après le souper. La maison aux lu- mières ; la soirée, portrait des Lorilleux, une méchanceté sur un fait divers relatif à un ma- riage. Bien les poser.

Enfin, dans l'escalier, la faire rencontrer avec Bazouge. Faire coïncider l'apparition du croque-


1. Voy. les Personnages : portraits de Gervaise et de Coupeau.

2. ma.


244 COMMENT EMILE ZOLA

mort avec une parole de bonheur. Effroi de Gervaise : « Vous y passerez tout de même ». L'apparition de Bazouge au milieu des rires (la garder pour le mariage, s'il le faut). Les Loiïl- leux, bien avec Bazouge; il leur raconte des histoires de croque-mort. Quand ils s'en vont de bonne heure : la maison; Gervaise se retourne, la regarde : comment elle est à cette heure.


COMPOSAIT SES ROMANS 2l.i


CHAPITRE III (primitif).


Le mariage de Gervaise et de Coupeau : quelque chose de très pauvre. Un pique-nique chez un mar- chand de vin. La famille : Madame Coupeau mère, les Lorilleux, Madame Lerat; puis j'ai à l'église les invités: Madame Fauconnier, Victor Fauconnier, les Boche, quelques autres personnes que j'indiquerai seulement.

Il faudra régler le mariage. Le départ à pied. Rendez-vous quelque part chez un marchand de vin. A la mairie, à l'église ; quelqu'un reste à la porte. Puis la promenade sur les fortifications 1 et le dîner. Des incidents. Les Lorilleux : « Une mariée qui n'a pas de famille. » La sœur; Madame Quenu-Gradelle' 2 {à voir). Quelque chose de très pittoresque.

Puis, quelques indications 8 .

Coupeau lâche, très bien avec les Lorilleux. (Pre- mière inquiétude de Gervaise.) La blague de Cou-


1. Devenue la visite au Musée du Louvre.

2. Personnage du Ventre de Paris, que l'on ne rencontre plus dans les plans postérieurs de {Assommoir.

3. Faisons remarquer dès à présent que tous les plans pri- mitifs sont suivis de telles notes, brèves et sans liens.


216


COMMENT EMILE ZOLA


peau, gentil. Lorilleux parle de son travail. Il déteste les enfants. L'ivresse ; le vin (légèrement pour grada- tion). Les montrer ne buvant pas beaucoup. Ce jour- là pourtant, c'est permis.

Coupeau, pas d'instruction, à peine lire et écrire.

Bazouge à la fin.


COMPOSAIT SES ROMANS 217


CHAPITRE III


Gervaisé très douce et Coupeau très gai pen- dant toute la durée du chapitre.

De toutes petites descriptions semées.]

Je passe rapidement sur la mairie et l'église. Commencer par les explications très courtes]. Gervaisé ne voulait pas de noce ; mais Coupeau insisle : on ne peut pas se marier ainsi; on man- gera un morceau ensemble, un pique-nique, quelques amis et la famille 1 . On ne s'amusera pas, et il la décide. [La question d'argent : lo marchandage de la messe. Lorilleux a fourni l'alliance. Gervaisé se charge de sa toilette; les enfants, ce qu'il faut pour les mettre propres] 2 .


1. Les Invites : Gervaisé, Coupeau, Madame Coupeau, les Lorilleux, Madame Lerat, Madame Boche, Boche, Madame Fau- connier, les deux enfants, Mademoiselle Remanjou, M. Madi nier, Madame Bougronet son mari, Bibi-la-Grillade, Mes Bottes.

2. Les frais de la noce :

Messe. . . 5 fr.

Alliance or 9 fr.

Vêtements (à crédit) ; dessus 25 fr.

Pour le dîner . • • • 10 fr.

A la mairie : certificat 1 fr.

40 fr.

19


218 COMMENT EMILE ZOLA

Le dîner est commandé chez un marchand de vin du boulevard de la Chapelle (un titre), à cinq francs par tête tout compris. Il y a un petit bal dans un étroit jardin, derrière le marchand de vin. [Ceux que Coupeau invite : Mes Bottes, j

La veille, il a été décidé que pour employer l'après-midi, on irait se promener du côté de Saint-Denis. On pourrait même prendre le chemin de fer. Le rendez-vous est donné chez le marchand de vin où Ton doit dîner. Tout le monde n'a pas besoin d'aller à la messe et à l'église.

A la mairie et à l'église. Les mariés [toilette de Gervaise et de Coupeau] 1 , les témoins : Lorilleux et Boche (pour Gervaise). M. Madinier et Bibi-la-Grillade (pour Coupeau). Madame Coupeau. Les deux enfants sont chez Madame Boche qui doit venir le soir seulement. Madame Lorilleux n'a pas voulu aller à la mairie, ni à l'église.

Le rendez-vous chez le marchand de vin Le morceau qu'on mange; c'est Coupeau qui paie :


1. Toilettes : Gervaise (gros bleu); Madame Lorilleux (soie noire) ; Madame Lerat (puce, trop large) ; Madame Fauconnier (écrue à fleurs imprimées) ; Mademoiselle Reraanjou noire brique ; Bougron (violet cru).

Coupeau (neuf, noir) ; Madinier (habit) ; Lorilleux (paletot sac); Boche (noir, pantalon gris); Bibi-la-Grillade (sans gilet).


COMPOSAIT SES ROMANS 219

« Ça me regarde. »] Tous, à arranger. Mes Bottes ne paraît pas; il est allé à Saint-Denis; je le montrerai le soir, revenant. C'est là que l'orage éclate. Les femmes ennuyées; on ne peut plus aller à la campagne. On ne devait pas s'amuser, mais il ne faut pas s'ennuyer.

Indiquer seulement les caractères et les poser. Quelqu'un offre d'aller au Musée. [Gomment ils y vont]. l Gervaise ne connaît pas ça. Alors on y va; pas tout le monde : Gervaise, Coupeau, JLorilleux, Boche, Mademoiselle Remanjou, M. Madinier, Bibi -la-Grillade, Madame Lerat, Madame Fauconnier, Madame Lorilleux, Madame Bougron* et son mari. L'attitude de ces gens; à quatre heures, on les met à la porte. [Une conversation des Lorilleux contre Ger- vaise; poser le côté dramatique (« Cette Ger- vaise n'a pas de famille... »; gueuse, l'argent, l'alliance). Partager les personnages en deux camps. Paris, l'été avec la pluie. Ce sont les Lorilleux qui expliquent la question d'argent : Coupeau a dû emprunter cent francs).


1. Itinéraire : pour aller, faubourg Saint-Denis, rue Saint- Denis, rue de Gléry, rue du Mail, place des Victoires, rue Groix-des-Petits-Champs, Louvre ; retour : Pont-Royal, les quais, le jardin des Tuileries, rue de Gastiglione, place Ven- dôme, rue de la Paix, les Boulevards, rue du Faubourg- Poissonnière.

2. Dans le roman : Madame Gaudron.


220 COMMENT EMILE ZOLA

Ils sont embarrassés; ils ont encore trois heures. Alors ils vont sur les quais (les occuper à toutes sortes de choses). Traversent les Tui- leries, vont sur la place Vendôme, montent dans la Colonne (Paris mouillé), etc., et retour- nent dîner. Coupeau lâche devant les Lorilleux. [La conversation sur l'avenir : Gervaise et Cou- peau].

Le dîner. Les enfants et Madame Boche; îles petits propres pour le mariage], Gervaise embrasse les petits à son arrivée : « Avez-vous été sages?» [Les Lorilleux ricanant]. Mes Bottes arrive quand on est à table. Le dîner; comment on se place. La conversation; là, sur la poli- tique. Lorilleux légitimiste et son histoire; Coupeau, sceptique et gouailleur : la blague. Tous les personnages. Retour sur l'ivresse, mais léger, gradué; ce jour-là, pourtant, c'est permis de boire un coup. Chacun un mot selon le carac- tère; les enfants. Lorilleux parle de son travail. (les bijoutiers portaient l'épée.) [La conversation sur l'avenir 1 .]

Pourtant la salle donne derrière, sur le bal. On s'est promis de ne pas s'amuser; mais après le dîner, on s'allume, on fait venir des liqueur-:,


1. Cette idée, notée deux fois dans ce plan, n'a pas élé poursuivie.


COMPOSAIT SES ROMANS 221

on veut chanter; seulement, les autres préfè- rent descendre danser, et un bout de bal, pas beaucoup (pour éviter les répétitions).

Puis on laisse les gens là. Madame Boche emmène les deux enfants. Goupeau et Gervaise n'ont pas encore pu louer; il rentre chez Ger- vaise, à l'hôtel Boncœur. Les Lorilleux les accompagnent, puis ils accompagnent les Loril- leux. Et l'épisode de Bazouge à la porte : Bazouge très ivre; il parle de ses morts, il effraye Gervaise qui a été très gaie jusque-là. Un mot typique : « Vous y passerez tout de môme, ma petite, et vous serez peut-être bien contente qu'on vous emporte. Nous délivrons bien du monde, allez! » (Moins philosophique).

Le soir, ils se couchent avec pas un sou.


19.


222 COMMENT EMILE ZOLA


CHAPITRE IV (1 er projet).


[Trois ans : 1851 à 1854. Naissance d'Anna, en avril 1851. La description complète de la rue Neuve- de-la-Goutte-d'Or] l .

Les trois premières années du ménage. Claude est parti. Le ménage heureux, faisant ses affaires. Ils logent dans la rue, à un numéro (pas de des- cription de la maison). Un logement petit, mais gentil. Gervaise est toujours chez M me Fauconnier. Coupeau travaillant, très convenable, ne buvant pas.

Je reprends à la naissance d'Anna. La scène de l'accouchement (fixer la date, jour pour jour ). Mettre auprès d'elle M me Boche, M me Lerat, les Lorilleux (envieux). Le baptême ; ce sont les Lorilleux qui sont parrain et marraine, ou bien ils refusent; enfin, le baptême.

A quelque temps de là [un an et plus doit être écoulé], un soir, Gervaise va au-devant de son mari. Il travaille sur une toiture. Elle tient la petite Anna qui sourit. Le travail de zingueur décrit tout au long. Coupeau veut regarder sa femme et Anna : il tombe. Une chute très dramatique [non simple]. Une civière. Gervaise ne veut pas qu'on le porte à

1. Zola note ainsi, en tête des plans, les principales scènes ou descriptions du chapitre, ou quelques réflexions générales.


COMPOSAIT SES ROMANS 223

l'hôpital ; et elle le soigne. Elle travaille pour deux ; [en somme, ce n'est pas grave]. Les amis reviennent. Finir à la convalescence, sur le courage de Gervaise.

Elle nourrissait l'espoir de pouvoir s'établir à son compte ; elle avait des économies. Dès le baptême, je parlerai de la location de la boutique ; elle l'a en vue. Mais, elle préfère tout sacrifier; (les Lorilleux haussant les épaules). L'amour de l'argent primant tout chez le peuple. Et je finis sur la convalescence de Coupeau et sur le rêve compromis de Gervaise.

Calculer l'argent des économies : 'combien faut-il pour se mettre blanchisseuse ; la location des six mois de la boutique et les instruments.


COMMENT EMILE ZOLA


CHAPITRE V (l or projet)'.


En 1854.

C'est là au commencement du chapitre, que je pré- sente les Goujet [leur histoire, la mère, le père (voir les Portraits) ; le fils, l'ouvrier vrai (voy. Sublime)]. Son père a tué un homme, ayant bu et s'est tué ensuite. Ils sont du Nord. Leur portrait, leur inté- rieur. Le bon ouvrier [propre, etc., il va jusqu'au marteau de 30 livres]. Ils demeurent sur le palier des Coupeau. Pendant la maladie de Coupeau, Goujet a vu de près Gervaise, à laquelle sa mère a rendu quelques services; (elle prend Etienne avec elle).

Les premiers rapports pendant la convalescence de Coupeau. Insister un peu sur ce commencement qui doit tenir la moitié du chapitre.

Puis Coupeau remis, commence à flâner. Il garde une rancune contre le travail. Gervaise s'est remise bravement au travail; mais, maintenant qu'elle est seule, elle désespère de jamais pouvoir refaire des économies. Son éternel sujet de conversation et son


1. Au commencement da plan, on lit : « U?i peu avant ce chapitre ». Nous avons dit, en effet, que les deux chapitres ci-dessus furent condensés en un seul eh. IV).


COMPOSAIT SES ROMANS 223

rêve : sa petite boutique. (Un morceau pour dire cela).

Alors la foire aux pains d'épice ou une fête quel- conque de banlieue *. Les plaisirs. Coupeau se lance; la première fois qu'il est gris. Gervaise l'emmène. Rencontre des Goujet. La fête. Montrer Goujet amoureux ; comment son amour se traduit : il offre de prêter son argent qu'il a à la caisse d'épargne. Sa mère lui a fait des observations : c'était pour son mariage. Enfin, faire entendre qu'il est amoureux. Le retour : Gervaise au bras de Goujet ; Coupeau saoul.

Quelques remarques pour finir :

[Goujet se chargera d'Etienne '.

L'effort musculaire ; le rude travail, l'atelier demandant le vin. L'explication du cabaret. Mettre cela quelque part, plus "loin, sans doute après une rude journée : Goujet lui-même boit.

Les machines feront un jour tout le travail 9 . (Sublime).

Le tutoiement des ouvriers : Coupeau et Goujet.

Graduer l'ivresse de Coupeau ; là, gaie].


1. Cet épisode a été complètement abandonné par la suite et réduit à une simple mention dans le récit.

2. Ces deux traits reportés plus loin : « Ainsi, dit Alexis, lorsqu'une note ne peut être employée dans un chapitre, parce qu'elle n'arrive pas à sa place, Zola la rejette dans un des chapitres suivants où elle sent qu'elle sera à sa place. »

3. Ici.


226 COMMENT EMILE ZOLA


CHAPITRE IV [définitif y.


1851 à 1854.

Ce furent trois années heureuses 2 . Un court résumé avant d'entrer dans le récit, cinq ou six lignes.

Goupeau travaillant, Gervaise aussi, ils amas- sent de l'argent. Claude part (histoire) 3 , ce qui diminue leurs frais. Ils ne peuvent aller dans la grande maison; [peur des Lorilleux] ils louent rue Neuve. Le logement; les meuhles. La des- cription de la rue quand j'explique la régularité de leur vie (description en action). Gervaise de- venue bonne ouvrière parisienne. (Court).

La naissance d'Anna; typique, courte scène. Faire revoir les Lorilleux et Madame Boche, [Maman Coupeau, Lerat, la famille]. Les Loril-


1. Ce plan bien que définitif est assez court; en effet, comme nous l'avons remarqué précédemment, beaucoup d'indications insérées dans les plans primitifs n'ont pas été transcrites ici de nouveau.

2. « Quatre années », dans le roman.

3. Voy. VQEuvre, chap. I.


COMPOSAIT SES ROMANS 227

leux faisant les doucereux en voyant le bien- être du ménage. Gervaise est aussi assiste'e de Madame Goujet : transition.

Les Goujet de l'autre côté du palier [leurs portraits]. La mère dentellière; le fils bon ou- vrier (voy. Sublime), forgeron, ne boit pas. Un drame : le père a tué après avoir bu et s'est tué. L'intérieur de ces gens très propres. Les deux ouvriers font amitié. Le baptême.

[Les économies; le rêve de la boutique. Ils n'ont plus qu'Etienne].

Arriver à Coupeau et à son travail de zin- gueur. L'hôpital terminé, mais demandant une réparation. La scène de la chute; [la civière]. Gervaise est là avec Anna dans ses bras. Elle ne veut pas qu'on le porte à l'hôpital ; elle a des économies qu'elle réservait, mais elle soignera son mari.

La maladie et la convalescence. Gervaise se dévouant. Les Lorilleux [Maman Coupeau, Le- rat], trouvant qu elle a tort ; on est très bien à l'hôpital, [L'amour de l'argent primant tout chez le peuple]. Les Goujet; là montrer Goujet s'amourachant de Gervaise : « Mais qu'est-ce qu'elle a donc pour se faire aimer? », dit la Lorilleux 1 .

1. Trait reporté au chapitre suivant.


m COMMENT EMILE ZOLA

La convalescence. Coupeau se fait dorloter, gardant une rancune au travail depuis qu'il est tombé [roulant à la paresse et à l'ivresse]. Ger- vaise s'est remise au travail. [Coupeau gris une première fois]. Gervaise triste de ne pouvoir avoir la boutique. Alors Goujet lui offrant ses économies : c'était pour son mariage. Le mon- trer amoureux ; il n'a plus envie de se marier (une petite scène en dialogue). Gervaise accepte l'argent ; (combien d'argent, juste). Cancans des Lorilleux (à voir).


COMPOSAIT SES ROMANS 229


CHAPITRE VI (1 er projet),


1855 à 58.

55, au beau temps. Description de la rue de la Goutte-d'Or].

Commencer par la maison, qui revient. Gervaise s'oceupant de l'arrangement de la boutique avec les Boche et le propriétaire. [Description de la boutique ; le derrière donnant sur Ja cour]. Une discussion pour le papier. Les Boche ayant Tair de prendre les intérêts de Gervaise. (Tout ce que je sais). Les Boche, leur intérieur, leur type; la femme surtout. Ils s'introduisent dans la boutique. Les Lorilleux sont justement fâchés à ce moment; leur envie mé- chante. Un été et un hiver 1 dans la boutique. Le travail par tous les temps. Le linge reporté par Ger- vaise, en scène]. Il faut deux ouvrières : Clémence et Eugénie 2 ; deux types à arranger; une vieille et une jeune; [le mari de la vieille est cocher, un type], plus une laveuse, Madame Bijard. [Tout ça dans une scène . Le café, les repas, etc., une apprentie peut- être.

La boutique prospérant. Le quartier autour d'elle.


1. L'été seulement dans ce chapitre.

2. Madame Putois.

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230 COMMENT EMILE ZOLA

Les fournisseurs, le charbonnier, le boulanger, etc.

Prendre comme cadre d'une scène importante, au milieu du chapitre, la réconciliation de Gervaise et d'Adèle 1 . [Adèle vient donner sa pratique]. Celle- ci a épousé un ancien ébéniste qui a été soldat et qui sort du service; il sollicite une place, tout en fabri- quant des petites boîtes. On reparle de Lantier. Gervaise triomphante dans sa boutique, heureuse, s'en moque. Là, dans sa prospérité, montrer Gervaise devenant un peu gourmande.

Tout par scènes plus ou moins longues, se sui- vant, se rattachant par des morceaux.

Montrer Coupeau se perdant. Il travaille encore, mais irrégulièrement. Il rentre gris quelquefois. Ainsi, il peut rentrer ainsi, un jour que la grande Adèle est là. Son attitude devant les ouvrières : les gros mots et les allusions obscènes. Gervaise tra- vaille pour deux, mais dans sa prospérité, elle de- vient inquiète. Coupeau commence à se montrer grossier. Gervaise a pris Madame Coupeau.

Pour finir un mot de Bazouge.

Bien arranger les scènes de ce chapitre (à revoir).

Puis, de nombreuses notes sans liens, dont quelques- unes utilisées pour ce chapitre - :

"Ouvrier embauché pour taper sur un contre- maître. La haine du patron chez Coupeau. Le patron, type. Les disputes avec un patron les jours de paie.


1. Virgiûie. En outre, toute cette partie fut reportée dans le chapitre VI définitif. Voy. aussi, note 1, p. 231.

2. Placées entre crochets.


COMPOSAIT SES ROMANS 231.

Un ouvrier qui est arrivé à être patron après vingt ans de travail \

Le bureau de tabac, dans le quartier.

Le charbonnier a une jolie femme, que Ton va pincer.

Les enfants, petits, grouillants dans la maison. Les linges aux fenêtres : la maison ouvrière, tout entière.

Le mal aux cheveux.

Toute la sottise des ouvriers dans des conversa- tions. Montrer le manque d'instruction, les préjugés de portières 2 , le milieu déplorable.

Les Lorilleux se cachant pour manger certains morceaux.

Gervaise donnant à Coupeau l'argent pour la goutte et le tabac (Subi., 3).

Mauvais ouvrier (Subi., 3).

[La tirelire d'Anna]. Anna à l'école (mauvaise école).

La facilité avec laquelle les ouvriers se lient. Le tutoiement .

Rappeler l'attitude de Madame Lorilleux au ma- riage, dans la brouille.

Les gens de la noce pour pratiques.

Madame Lerat et Madame Lorilleux se battent pour Gervaise.

[Les ouvriers travaillant au loin, mangent dehors 3 .


1. Notes extraites du Sublime.

2. A la petite Civette (Assom., V. 194),

3. Ch. VI définitif.


232 COMMENT EMILE ZOLA


CHAPITRE V {définitif en partie) 1 .


1852 au beau temps. Trois ans.

[Conversation sotte. Manque d'instruction. Préjugés absurde. Milieu déplorable] 2 .

La maison revient. Les Boche sont con- cierges; [leur intérieur, leur type; leur fille sournoise]. L'arrangement de la boutique; (description). Discussion avec le propriétaire, pour du papier. Les Boche ayant l'air de prendre les intérêts de Gervaise; ils s'introduisent dans la boutique; les cadeaux. Coupeau assistant à l'arrangement de la boutique, les mains dans les poches.

Puis fureur des Lorilleux : ils sont enragés contre Gervaise. [L'attitude de Madame Loril- leux au mariage]. — « Mais qu'est-ce qu'elle a donc pour se faire aimer? Est-ce qu'on m'aime, moi », et des insinuations obscènes. — Goujet,


1. Voy. la note 1. p. 231.

2. Surtout dans le en. VI


COMPOSAIT SES ROMANS 233

le père deGoujet. Une histoire brouillant à mort les Lorilleux et Gervaise; Coupeau, comment il agit. Les Lorilleux, parrain et marraine de la petite. Les Boche, mêlés à tout.

Enfin, le travail de blanchisseuse; la bou- tique, les outils, etc. [Les heures du travail, du repos, etc.]. Les ouvrières; Madame Putois, quarante-six ans, femme d'un cocher ; Clémence, dix-huit ans, coureuse, éreinlée, les lendemains de bal. (Deux portraits). Une apprentie, Augus- tine, très laide, recevant les claques. (A créer). La laveuse : Madame Bijard. Montrer tout ce monde grouillant, l'été avec le feu, à moitié nu. [La boutique prospère]. Et ne pas oublier la rue, les fournisseurs, la femme du charbon- nier à coté, qu'on pince, le boulanger, le bou- cherj etc. [La maison grouillant d'enfants. Montrer aussi les pratiques, les Goujet, tous les personnages de la noce. [La tirelire d'Anna; Anna à l'Ecole; Etienne avec Goujet].

C'est là que je mettrai la première ivresse sérieuse de Coupeau [ivresse gaie, mal aux cheveux]. Il rentre gris. [Portrait de Coupeau ; Gervaise riant de ses bêtises. [Portrait de Ger- vaise engraissée]. Il peut arriver à midi à l'heure du café (description du café) 1 . Gervaise


1. Plus loin, ch. VI.


21


8S4 GOMMEiNT EMILE ZOLA

le couche. Là, Gervaise doit avoir descendu un degré. Coupeau en face des ouvrières; les con- versations grossières. Gervaise travaille [pour deux] toujours beaucoup, mais elle devient gourmande.

Ici, quelques indications sur Coupeau :

[Mauvais ouvrier, travaillant loin. L'argent de la goutte et du tabac. Contre les patrons. Ouvrier patron, après vingt ans de travail. Irré- gulier. Se moquant d'être à l'heure].

Le travail des blanchisseuses, l'hiver. La rue, les pratiques. Nouveau tableau. Gervaise en repor- tant son linge [tableau], rencontre Virginie, en face. Les deux femmes se remettant. Virginie, mariée à un ébéniste qui demande à être sergent de ville; en attendant, il fabrique des petites boîtes. On reparle de Lantier et de la sœur de Virginie ; ce que fait Lantier. Gervaise heureuse, à peine un frisson; [elle doit pourtant l'aimer toujours]. Vir- ginie s'installe dans la boutique; les conversations extraordinaires autour de la mécanique. Le père Bru, Bazouge (là ou ailleurs). Les Bijard] '.

[Trois ans se passent] 2 . Enfin Gervaise prend

1. Ce plan a subi quelques modifications, au moment de la rédaction. On sait que tout l'épisode ci-dessus se trouve dans le roman au chapitre VI ; (ce premier projet réuni au chip. VII primitif, forme le chap. VI définitif).

2. D'autre part, la fin de ce plan est encore assez imprécise.


COMPOSAIT SES ROMANS 235

la mère de Coupeau. Madame Lerat se bat avec Madame Lorilleux pour Gervaise. Montrer Ger- vaise comptant le linge sale; le milieu. Finir par un peu d'avachissement. Coupeau. Les Goujet ; au bout d'un an 75 francs de rendus seulement. Finir par les Lorilleux, sans doute. Ils disent en parlant de la prospérité : « On verra, on verra... » Ils peuvent avoir fait causer Anna. Ils attirent toujours Coupeau. Ils se cachent pour manger certains morceaux 1 .

La dernière petite scène pourrait avoir lieu chez les Lorilleux, ce qui me permettrait de rappeler le travail du chaîniste. Cela briserait excellemment le cadre.

1. Traits iosérés dans les chapitres suivants.


V^


230 COMMENT EMILE ZOLA


CHAPITRE VII (1 er projet).


Un jour, la mère de Goujet se trouve indisposée. Elle veut voir son fils et c'est Gervaise qui court le chercher à la forge. Le travail de la forge, descrip- tion. Goujet superbe ; l'effort dans le travail. Un grand morceau. Etienne a 12 ans (1858); Goujet Ta pris comme apprenti. [Goujet buvant pour l'effort musculaire]. [Les machines feront un jour tout le iravai l] ! .

Ils reviennent ensemble. Ils aperçoivent Coupeau chez Colombe. Scène entre Goujet et sa mère. Celle-ci souriante : « Ce n'est rien... »

Puis comme Gervaise rentre, la tuerie des Bijard. Revenir sur la laveuse. Intérieur et portrait des Bijard. La femme éreintée, à qui son mari fait des enfants coup sur coup. Il en est mort trois, il en reste deux. On est en 58; Lalie a quatre ans, l'autre petite fille, un an. Bijard fou d'alcoolisme, tue sa femme de coups. Une scène terrible, un jour, mais rapide. Je garde une batterie pour Gervaise et


1. Dans cet espace blanc, sont jetées quelques notes. inJi- cations d'épisodes pour le plan définitif : « Bijard tombant sur sa femme mouillée. Les Lorilleux se cachant pour manger un lapin. Question argent. Ils [les Coupeau] ne mettent rien de côté. Goujet pas payé. Reporter le linge. Virginie. Les blanchisseuses, l'hiver.


COMPOSAIT SES ROMANS 237

Coupeau, à la fin. Les Boche s'en mêlent, les aufres personnages aussi.

Ici, quelques réflexions.

I /effort musculaire, le rude travail; l'atelier demandant le vin, l'explication du cabaret. La ponte fatale; Goujet lui-même boit].

L'Assommoir. Pourtant Coupeau rentre gris de chez Colombe. Dans la boutique : il bouscule et menace Gervaise; le frisson qui passe sur celle-ci ; l'avenir entrevu; graduer l'ivresse de Coupeau. Une scène plus sérieuse.


238 COMMENT EMILE ZOLA


CHAPITRE VI {définitif).


1858. Fixer la date.

Une visite de Gervaise à la forge de Goujet | trente ans]. Elle y va sous le prétexte de voir Etienne [douze ans] qui tire le soufflet. La forge. Le travail des boulons. Goujet superbe dans l'effort du travail [portrait]. Les machines un jour feront tout le travail [Sublime]. Grande scène pittoresque. Pas de détails sur l'amour de Goujet et de Gervaise.

Gervaise reportant le linge à madame Goujet. La question d'argent. Elle ne met rien de côté, elle mange tout et joint les deux bouls. Elle a d'abord rendu vingt francs par mois. Puis Goujet lui a reprêté un terme. Elle ne se fait pas payer les blanchissages; pourtant, elle en demande souvent l'argent. Enfin, la montrer en arrière. Le linge reporté, on s'extasie sur son ouvrage; c'est très bien fait. Tout le détail, le panier, etc.

Rencontre sur le palier (de son ancienne maison) de Virginie. Virginie aborde Gervaise


COMPOSAIT SES ROMANS 239

et se remet avec elle. Son histoire; elle a épousé un ouvrier ébéniste qui sort du service et qui a demandé une place de sergent de ville : il fait des petites boîtes. Gervaise peut entrer dans son ancien logement.

Le travail des blanchisseuses, l'hiver. Une scène pendant que la mécanique ronfle, avec de la neige dans la rue. C'était le quatrième hiver dans la boutique; particulièrement dur. Les heures du travail et des raisons; le gain des blanchisseuses. Le café. Clémence, Madame Putois,, Augustine; on repasse des jupes, des jupons, des rideaux, etc. Virginie vient passer ses après-midi ; (laisser entrevoir son mari qui vient la chercher). Le café. Conversation intime sur Lantier. Conversation générale bête, pleine de préjugés 1 . Le père Bru; on le fait entrer par charité pour qu'il se chauffe.

Puis le printemps vient. Gervaise va souvent à l'atelier de Goujet pour le voir travailler. Elle a une pratique à côté. Celte singulière idylle entre eux, mêlée au travail, à l'effort muscu- laire. Quand il lui parle doucement, lui, qui aplatit le fer, elle est contente. Ne pas pourtant


1. Ici ces traits rappelés et inutilisés cependant : « Les Boche, les Lorilleux se cachant pour manger certains mor- ceaux ;un lapin , attirant Anna. Les Lorilleux et Madame Lerat, vis-à-vis maman Coupeau.


240 COMMENT EMILE ZOLA

la montrer amoureuse. Faire quelque chose de très délicat et d'épuré : très haut, quoique matériel. Pourtant une offre de Goujet, peut-être ; ils auraient honte de faire ça ensemble. (Plus tard, quand il la voit sur un trottoir, ce mot : « Nous aurions dû nous mettre ensemble, ça aurait mieux valu 1 . »)

Elle y va donc souvent. Un jour, en revenant avec lui sur l'ivresse. Il boit lui aussi; la néces- sité de la boisson. Et comme ils passent, elle voit Goupeau à Y Assommoir du père Colombe. Il boit de l'eau de-vie. Grande description de la boutique pour correspondre à celle du cha- pitre II. [L'appareil à distiller] *.

Elle rentre et l'épisode des Bijard. Madame Bijard est rentrée trempée; son mari tombe dessus. Leur intérieur; la misère. Un tableau seulement, apparaissant aux yeux de Gervaise. La femme trempée, par terre, sanglotant à demi- morte. Le mari, fou dalcool tournant autour d'elle. Et dans un coin, Lalie (quatre ans), avec ses yeux noirs (portrait), consolant et faisant taire sa petite sœur (un an). Une scène terrible; courte. La maison mêlée, les Boche.


1. Assom., ch. X.

2. Cette partie a été un peu modifiée dans le roman. 1° Ger- vaise revient seule de la forge; 2° La grande description de l'Assommoir a été réservée pour un autre chapitre.


COMPOSAIT SES ROMANS 241

Quand Gervaise descend, Coupeau rentre ivre d'eau-de-vie. L'ivresse muette, sombre; debout encore. Une lutte muette; il la bouscule, la regarde terriblement, se jette sur le lit. Un degré de plus.


21


242 COMMENT EMILE ZOLA


CHAPITRE VIII {primitif).


[La rue de la Goutte-d'Or; l'horloger, etc.] [M me Fauconnier, les Boche. Les enfants, une petite table. Ils (les Coupeau) commencent à s'en- detter; pour le repas, un emprunt].

Une fête de Gervaise ou un anniversaire. L'été; grand repas. Noce chez les ouvriers. Gervaise com- mence à fléchir un peu. [Au moment de la fête, on vient réclamer du linge. Elle ment. Les ouvriers ne sont jamais prêts, quand ils ont une noce]. Elle s'épaissit, elle s'oublie à son café. Quand il y a une somme à la maison, on la mange : « Vous êtes bien bête, lui dit Adèle, puisque votre mari vous mange tout, autant que vous le mangiez vous-même. » Montrer ainsi l'effet sur Gervaise de la déchéance de Coupeau.

Donc un grand repas; [tout l'argent mis au dîner; on va même engager]. La fête tout entière. Les Lorilleux fâchés depuis l'entrée dans la boutique, se raccommodent à cette occasion. Voir si le dimanche ouvrier... Non, mettre cela au lundi. Le menu, etc.; les préparatifs. Toute la famille est invitée : les Lorilleux, madame Lerat [elle couche le soir]; madame Coupeau, Etienne, Anna. On invite aussi les Poisson, avec lesquels on est très bien;


COMPOSAIT SES ROMANS 243

Poisson vient d'être nommé sergent de ville. [Voir à la fin de V Ebauche]. Les repas, les conversations; on chante au dessert [les fenêtres ouvertes]. Un avalage de nourriture extraordinaire ; [le gâteau monté]. Une des femmes raconte ses rencontres amoureuses.

Puis le soir des gens viennent : les Goujet, les Boche, le père Bru, peut-être Bazouge (à voir). Devant les Goujet, Gervaise un peu embarrassée.


244 COMMENT EMILE ZOLA


CHAPITRE IX 1 {primitif).


[Le quartier].

Lantier reparait. On le voit d'abord tourner autour de la boutique; c'est Adèle qui Fa vu et madame Boche. Elles viennent, Tune après l'autre dans la boutique, au milieu d'une scène de repassage. Les cancans entre femmes. Lantier prétend qu'il a bien le droit de venir embrasser son enfant. Les femmes ont une peur terrible que Coupeau l'aperçoive. Tout cela au milieu des scènes de repassage; on repasse de grands rideaux ou autre chose.

Enfin Coupeau s'aperçoit que Lantier tourne autour de la boutique; (Coupeau travaille toujours un peu, le montrer). Ses paroles furibondes contre Lantier; on croit qu'il va le tuer.

Puis, un jour, les deux hommes en présence; les grands gestes dans la rue. On croit toujours qu'ils vont se bousculer. Et ils vont chez le marchand de vin; la scène qui s'y passe. Ils causent politique ou autre chose.

Et Coupeau amène Lantier. Comment il le présente. L'arrivée d'Etienne, le soir. « C'est ton père. » Alti- tude de Gervaise. Les autres femmes.

1. L'intrigue de ce chapitre fondu et condensé avec le pré- cédent pour former le chapitre VU, a été entièrement moiittïe dans le plan définitif.


COMPOSAIT SES ROMANS 243


CHAPITRE VII {définitif) 1 .


La fête de Gervaise, 19 juin. Un temps pas chaud. Un lundi. On faisait de grandes bousti- failles chez les Coupeau. Virginie disait à Ger- vaise : « Puisque votre homme boit tout, vous avez bien tort de ne pas manger. » [Effet de la déchéance de Coupeau sur Gervaise. On croque tout ce qu'on gagne]. Montrer Gervaise, avachie encore d'un degré. Elle grossit encore; elle boîle.

Alors, la fête projetée. Qui on invitera; on en cause : la famille d'abord, puis les invités. Les Coupeau se sont remis avec les Lorilleux et les Boche; l'histoire. Les Lorilleux se cachant pour manger un lapin 2 ; des détails.


1. Sauf les quelques retouches que nous signalerons plus loin.

2. Ce trait que nous avons déjà rencontré plusieurs fois, a été définitivement inséré dans ce chapitre. Il a été pris dans la note suivante, placée à la fin du dossier : « Les types de M... et R... se cachant pour recevoir, pour manger. L'his- toire du lapin piqué, les mains rouges. « C'est un petit lapin » ; il est gros comme un lièvre. Me rappeler mon oncle qui mettait une couverture devant la fenêtre, pour qu'on ne vît pas la lumière de la rue, les jours de gala. » (Voy. Assom., ch. VII, pp. 255-257).

21.


246 COMMENT EMILE ZOLA

Virginie [son mari, sergent de ville]; des cancans [M me Boche est des cancans], le samedi au beau milieu du coup de feu de Gervaise. Elle a vu Lantier; l'ennui et la légère fièvre de cela. Puis le dimanche, cancans qui continuent. 11 ne faut pas que Goupeau sache ; ça ferait un scan- dale.

Enfin, le matin de la fête. Les pratiques qui viennent chercher le linge et qui ne le trouvent pas; [elle ment]. Gervaise a tout dépensé; [ils commencent à s'endetter]. Conversation avec maman Coupeau : on va engager, [dit] la maman. — Ceux qui viennent l'après-midi : Virginie reparlant de Lantier. [Coupeau parle de Lantier avec des menaces féroces] 1 . Les derniers prépa- ratifs. [Gervaise embarrassée devant Goujet, à cause des dettes]. Coupeau disparaissant avec Poisson, l'emmenant à Y Assommoir. [Coupeau travaille toujours un peu]. Goujet allant le chercher avec Gervaise ; ils peuvent voir Lantier, [il est installé chez François, où il mange]. Coupeau grogne ; à voir.

Là une grande scène dans Y Assommoir; la machine à distiller. Coupeau peut ramener Bec-Salé, dit Boit- sans-soif'.

1. Cela a été exécuté un peu différemment. (Assoyn., ibid., pp. 258-260.)

2. Cette scèae n'est pas dans ce chapitre.


COMPOSAIT SES ROMANS 247

Le repas [la rue, les heures]; le menu, des- cription 1 . Mettre par là, la chanson du vin. La boutique changée en salle de gala; la porte ouverte et les rires au dehors. [Détails : les quatre enfants à une petite table; Victor, Pau- line, Anna, Etienne]. Attitude de chaque per- sonnage [Clémence, Boche]; Madame Goujet, grave*. Le gâteau de Savoie, avec la rose artifi- cielle. On mange et on boit énormément. Une femme raconte ses rencontres amoureuses 3 .

Au dessert, des personnes arrivent : le père Bru, madame Bijard 4 [déjà malade, grosse d'un troisième enfant ou l'allaitant] . La conversation avec le père Bru. Il cherche de l'ouvrage, mais il est trop vieux; on le repousse, il est allé peindre des ponts. Entrer dans une maison : les Invalides de l'ouvrier. Une machine cassée et inutile. L'air gris.

Cependant, Virginie est sortie plusieurs fois pour voir si Lantier est toujours chez François, et chaque fois elle a donné des nouvelles à Ger- vaise. Enfin, comme on commence les chansons,


1. Pour les détails, voir les Notes à la fin de ce chapitre.

2. On sait que dans le roman. Madame Goujet, indisposée, ne vient pas au repas. Comme on est treize à table, on invite le père Bru.

3. Trait repris dans le plan primitif, mais abandonné en- suite.

4. Madame Bijard ne paraît pas dans ce chapitre.


2*8 COMMENT EMILE ZOLA

Lantier parait de l'autre côté de la rue dans la lumière. Alors, Coupeau qui commence à être ivre, s'élance; on croit qu'il va le tuer. Les deux hommes gesticulant, se promenant; puis, Cou- peau l'amène : « Voilà ton père, Etienne 1 . »

Là, mine de Goujet et des autres. Les chansons continuent.

Apparition de Bazouge, que Lorilleux appelle pour faire peur à Gervaise. Bazouge, gai, saoul; il peut chanter une chanson. Il offre encore à Gervaise de l'emmener. Le souvenir du repas de noce. Même effet, s'en servir*.

Il y aura des gens qui coucheront dans la boutique.

Notes et détails pour ce chapitre.

Cadeaux appointés à Gervaise "par les invités :

Goujet : rosier blanc.

M me Goujet : mousseline imprimée.

M me Virginie Poisson : œillets.

Boche : pensées.

M me Boche : réséda.

Clémence : géranium.

M me Putois : héliotrope.


1. Cela a été modifié : Lantier ne voit pas son fils, ce soir-là.

2. Cet épisode a été supprimé.


COMPOSAIT SES ROMANS


2*9


Menu du repas :


Desserts


Potage

Bouilli.

Blanquette de veau

Epinée de cochon aux pommes.

Petits pois au lard

Oie rôtie. Salade : romaine, fromage à la crème, fraises, gâteau de Savoie. Six bouteilles de vin cachetées.




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Les chansonz


Gervaise : Ah ! laissez-moi dormir.

Poisson : A boire, patriotisme : Les vins de France.

M me Boche : Gondolier.


250 COMMENT EMILE ZOLA

M me Lorilleux : Le Muletier.

Lorilleux : Fatma la Danseuse.

Virginie : Mon j>ctit riquiqui ; (très forte).

Clémence : Faites un nid, avec des roulades.

Maman Coupeau : La Souris.

Goujet : Les Adieux d'Abd-el-Kader.

Coupeau : Le Vidangeur.


COMPOSAIT SES ROMANS 251


CHAPITRE X (primitif) \


1859 et 60.

[La maison; les arrangements, etc. La rue et les fournisseurs reviennent. Lantier fait changer le vin de chez François: [on va] chez Vigouroux, il pince la femme ; La Petite Civette.]

Chapitre de récit, sans tableau; peut-être un tableau à la fin; à arranger en tout cas.

Histoire de Lantier; ce qu'il a fait. 11 a été patron (Subi., 133.) On ne sait pas trop de quoi il vit (voy. note du Sublime, 116). L'ouvrier de province qui trouve le travail trop dur à Paris et que Paris perd. Il carotte sur tout, un peu sur les femmes, mais pas trop. (Mettre cela un peu en scène, en con- versation).

Son nouveau portrait : l'ouvrier en paletot, le beau parleur, qui se pique le nez proprement dans un cabinet. [Il va] au théâtre, au Salon]. Il a des restes de filles, rue La Rochefoucauld (Subi, 115). "La lecture du journal; il refait la carte de l'Europe'.


1. 11 y a déjà dans ces chapitres X et XI primitifs, dont est formé le chapitre VIII, des indications définitives et très pré- cieuses, car elles ne seront pas même recopiées dans la der- nière rédaction.


2a ■> COMMENT EMILE ZOLA

Mettre toujours en scène le plus possible ; pas d'ex- plications longues. Les portraits très nets et le reste en faits et en conversations. Lantier peut s'expliquer lui-même en agissant dans les premières visites qu'il fait chez les Coupeau 1 .

Il y vient d'abord deux ou trois fois par semaine» puis plus souvent. Les stations dans la boutique. 11 se fait aimer de toutes les femmes par ses histoires et sa complaisance ; étude du provençal; la distri- buer. Quand il est gris, c'est à peine si l'on s'en aperçoit. Son attitude devant Etienne, Anna, Madame Coupeau et Gervaise. Il emmène souvent Coupeau chez Colombe. Enfin il vient s'installer. On lui a donné congé, il cherche un logement. Alors Coupeau lui-même offre de l'installer chez eux, dans une petite pièce qui donne sur la cour; pièce où Gervaise met son linge et qu'on fait arranger. Il n'est pas difficile, quand il apporte sa malle, ce qu'il y a dedans; les livres, [les journaux, beaucoup]; pas de linge, quelque chose de typique.

Enfin, il est installé. C'est presque immédiatement après, ou même un peu auparavant qu'Etienne s'en va. L'empire qu'il prend. Il dirige tout. Il parle de faire donner de l'argent à Lorilleux et à Madame Lerat pour maman Coupeau. Les Lorilleux se brouillent encore. Lantier, en outre, s'occupe d'Anna; mauvaise éducation de celle-ci. Toujours en scènes.

Lantier a promis de payer son loyer; il finit par prendre ses repas et par promettre de les payer,


1. Dans l'espace blanc qui sépare les deux paragraphes, on lit : « Coupeau pas d'instruction ; Lantier de la fausse ins- truction. »


COMPOSAIT SES ROMANS 253

mais il ne donne pas un sou. Il mange alors la bou- tique avec Coupeau. Il va jusqu'à se faire prêter de l'argent.

Il peut coucher avec une des deux ouvrières. Pro- vençal, très coureur.

Enfin, dans une scène, je le montre voulant se remettre avec Gervaise. Celle-ci refuse (bien insister); il faut ménager l'effet de l'autre chapitre.

Cependant la boutique va de mal en pis. Une ouvrière est partie, celle qui a pu coucher avec Lan- tier. Mort de la femme Bijard en 18 60]. Le linge n'est plus bien lavé. Les pratiques quittent Gervaise; elle perd des objets. La montrer allant chez les Poisson et chez les Goujet. Chez les Poisson, elle peut emprunter de l'argent. Chez les Goujet, grande scène 4 . Madame Goujet se plaint de son linge et finalement, elle réclame son argent avec une cer- taine dureté. Goujet intervient : scène à deux, dans laquelle il lui reproche de s'être remise avec Lantier. Elle lui jure que non: « Jamais, jamais!... » Alors, il veut la prendre, il lui fait presque des offres, en la voyant tout en larmes, jolie encore. Mais elle refuse, elle se dit vieille, la montrer là encore très sage et très raisonnable. Inventer une péripétie avec Goujet pour le faire un peu agir.

Le double travail de Coupeau abruti et de Lantier affectant des airs supérieurs, très corrompu sur Gervaise (dans l'autre chapitre).

Lantier épateur. Les gros mangeurs, les gros


1. Cet épisode a été très modifié dans le plan définitif : c'est Gervaise qui va voir Goujet à la forge et la scène avec [Madame Goujet se trouve dans le chapitre suivant (chap. IX).

22


254 COMMENT EMILE ZOLA

buveurs et les fiers à bras admirés (voir notes Sublime).

Une scène d'épaté chez le marchand de vin [Subi., 163-174.) Très important.

Puis, de très nombres notes utilisées pour ce chapitre ou les suivants:

On n'a les ouvriers que lorsqu'ils n'ont plus le soU. Les peintres arrivant avec leur pot à colle. Trois coups de pinceau en chantant et ils filent pour la journée. Un se faisant promener en voiture toute la journée *.

Ouvrier rigoleur, pas économe, mangeant tout. .11 se fout du patron, lâche tout, ne fait jamais le travail pour l'heure fixe.

Quelques scènes de coups de poing, à la sortie des marchands de vin.

Lantier refaisant la carte de l'Europe (Subi., 113 2 .

Ce qu'il demande en politique [ibid., 120 .

Argot de l'ouvrier en paletot (ibid., 1 .

Noms de marchands de vin 'ibid., 148). On va tuer le ver. Pas mettre tous les détails. Les scènes de marchands de vin, dans ce chapitre; les espacer.

Colomhe peut venir réclamer de l'argent à Gervaise pour une dette de Coupeau.

Graduer l'ivresse de Coupeau. Plus sérieux encore : dans une seule scène chaque fois.

L'offre de Goujetà Gervaise pour la sauver de Lantier. Les journées de Goujet tombant; cause de gène. Les dettes de Gervaise. Gervaise s'est fait payer son lin _ elle a continué. Puis elle ne rapporte plus tout; elle égare, elle saloppe. Le linge changé, perdu, déchiré, brûlé. M mc Goujet se remettrait à laver, mais elle patiente

1. Voy. l'article de Francisque Sarey.

2. Dans le chapitre XI définitif.


COMPOSAIT SES ROMANS 255

à cause de son fils. Elle Gervaise] demande de l'argent à Goiijet 1 .

La boutique sale, le papier tombant en lambeaux à cause de l'humidité.

Reprendre la question d'argent chez Gervaise.

1. Pour !e chapitre IX.


256 COMMENT EMILE ZOLA


CHAPITRE XI {primitif) \


1860 [Les quartiers; les marchands de vin, toute la liste].

Donc Gervaise a refusé à Lantier ; [le rappeler au commencement]. Voici maintenant la scène qui amène un rapprochement.

Le dégoût venant peu à peu à Gervaise de Cou- peau. Celui-ci se saoulant de plus en plus. Alors, une bordée de Coupeau. [Une scène d'épaté] ; très détaillée, typique. Comment commence la bordée, où elle se continue, où elle mène. En scène.

Puis le soir où Coupeau doit rentrer, faire con- duire Gervaise par Lantier au café-concert (Subi, 147). Un grand tableau. Les chansons attendrissent Gervaise, avec les consommations. La soirée, en détail.

Et la rentrée à la boutique. Coupeau cuvant son vin, en travers de la porte : quelque chose d'ignoble. On le relève. Il rentre en chancelant, retombe ; il faut qu'on le couche. (C'est la première fois que je le montre comme cela, pour l'effet). Gervaise dégoûtée, ne veut pas coucher à côté de lui. Lan- tier l'embrasse dans l'oreille. Alors, peu à peu, elle

1. Voy. page 2i8, note 1.


COMPOSAIT SES ROMANS 257

va dans la chambre de Lantier et s'y oublie. Anna couchée et voyant tout peut-être. [L'éducation dans ette promiscuité : Madame Coupeau].

Encore quelques notes pour l'autre chapitre :

Quelques saletés, hontes, promiscuités, plus terribles encore, que je laisserai entrevoir à côté de mes per- sonnages ; inceste, etc..

Graduer l'ivresse de Coupeau. La première fois qu'il est par terre, ivre mort.

Embaucher un ouvrier pour taper sur le patron. Ouvrier se moquant du patron, lâchant la besogne. Un ouvrier devenu patron, après vingt ans de travail.

Le travail du blanchissage cochonné. On quitte Ger- vaise ; M me Goujet préfère ne pas se faire rendre son argent et va chez une autre blanchisseuse.


22.


258 COMMENT EMILE ZOLA


CHAPITRE VIII {définitif) \


Hiver 1858-59.

Lantier revient. Son portrait épaissi; paletot. [Gervaise, Etienne, en un mot, tout de suite]. 11 ne vient qu'aux heures où Coupeau est là ; c'est Coupeau qui l'amène 2 . Puis, en conver- sation, il donne des détails sur lui : il a été patron et coulé; [ce qu'il a fait]. L'ouvrier de province qui trouve le travail trop dur à Paris. Maintenant, il ne veut plus être que patron. Argot des ouvriers en paletot, Subi., 125]. Il ne travaille pas; on ne sait de quoi il vit, ce qu'il fait : « il loge avec un ami, par là... » Beau parleur. [Mes convictions politiques; un mol]. Il parle et il agit chez les Coupeau et c'est ainsi qu'il s'expose.

Très galant avec les ouvrières. Madame Putois conquise ; [il apporte des cadeaux]. Clémence l'a


1. Voy. la note \ p. 248.

2. L'entrevue de Lantier et d'Etienne, notée dans le chapitre précédent a été placée ici.


COMPOSAIT SES ROMANS 239

vu avec une dame 1 , rue de La Rochefoucauld; un restant de fille {Provençal coureur). Lui, faisant la cour à Clémence ; (il couchera avec elle).

Comment Gervaise le regardait, s'habituant. Lui, très poli, affectueux. Virginie. Une scène avec lui et Gervaise ; on parle d'Adèle. Lantiei fait enlendre que maintenant le cœur chez lui est mort, (la rigolade oui). Il veut se consacrer au bonheur de son fils ; il l'appelle, il l'embrasse. Virginie le trouvant très bien : « Ma chère, vous n'avez plus rien à craindre. » La conquête des Lorilleux et des Boche ; [clabaudages ; le quartier; il se fait aimerj. Alors, l'installation (printemps, 59). Il voudrait habiter le quartier, mais il ne trouve rien. Un soir, à dîner, Cou- peau a une idée : il offre la chambre; Lanlier paiera, ça sera une économie sur le loyer. Lui, fait des difficultés ; les autres personnages. Etienne le décide. Les réparations nécessaires; la porte ouverte sur la cour. Le propriétaire, les frais faits ; la porte de communication qui devait être bouchée et qui ne l'est pas. Enfin, l'installation ; on ne sait toujours pas d'où il vient. La malle apportée ; ce qu'il y a dedans ; fies livres, les journaux, pas de linge]. La poli-

1. Trait inséré un peu plus loin, dans ce chapitre.


260 COMMENT EMILE ZOLA

tique avec Poisson, qui entre par derrière boire un verre de vin. [Ce qu'il demande en politique,

1859; une année. Là, le quartier conquis par Lantier. Les Lorilleux qui commençaient à cla- bauder, conquis, ainsi que les Boche. Tout le monde trouve ça très bien. Lantier se mêle de maman Coupeau. Il fait donner dix francs par les Lorilleux. Etienne parti. Lantier se mule de Nana; mauvaise éducation de la petite; [Nana r dans la maréchaleriej. Lantier complètement installé, lisant son journal, fainéantant; [le travail dans la boutique, rappelé], arrive à prendre ses repas, [la cuisine provençale], man- geant la boutique, couchant avec Clémence,, débauchant Coupeau. [Il change les fournis- seurs ; la charbonnière qu'on pince] *. Le montrer se piquant le nez, mais proprement, avec du vin à la bouteille, sans que Ton s'en aperçoive. Il est changé vis-à-vis de Gervaise : il la regarde avec des yeux luisants, avide de la posséder de nouveau. Elle devient grave, refuse. Elle va à la forge... [Avant, Goujet vis-à-vis de Lantier].


1. Ici, ces indications répétées : « Noms de marchands de vin {Subi., 148. Les conversations contre les patrons et contre les ouvriers. Coupeau pas d'instruction; LaDtier fausse instruc- tion. Ouvrier embauché pour taper sur le patron. On n'a les ouvriers que quaod ils n'ont plus le sou. L'ouvrier qui se pro- mène en voiture et se fout du patron et n'est jamais à l'heure. »


COMPOSAIT SES ROMANS 201

Un jour qu'elle est seule avec Lantier et qu'il la presse (même avec un acte de violence), Goujet arrive ; ils se taisent, mais il a compris. Le lendemain, quand Gervaise va à la forge, il l'emmène dans un terrain vague, avec les usines, etc.. La proposition : elle refuse. Jamais elle ne sera à Lantier. L'herbe ; l'horizon. Une idylle dans la poussière de charbon. Là un mot de Madame Goujet, sévère, sans détail, sur l'argent.

1860; hiver (décembre). Gervaise, mal en train. [Paresse croissante; le lundi]. Les dettes croissent, la boutique s'en va. Lantier ne payant pas son loyer et mangeant ; on lui prête de l'argent. * Madame Bijard est morte (1860). Clémence s'en est allée ; [Lantier mêlé à ça]. Madame Putois seule, reste. Le commerce va mal ; (un point de repère, rien de plus). [Le dégoût de son mari, venant à Gervaise. Elle n'est plus tolérante].

Enfin, la bordée de Coupeau ; très détaillée. C'est Lantier qui le lance. [Lantier épateur. L'admiration des hommes forts; les scènes d'épaté. Subi., 163, 474]. Mes Bottes, Bec-Salé, dit Boit-Sans-Soif. Goujet refuse, est traité de roussin. Lorilleuxqui passe reporter son ouvrage, blême, ne voulant pas boire pour sa poitrine, etc. Les portraits des ouvriers ; les types. Lantier


■2l\2 COMMENT EMILE ZOLA

perd Coupeau. [Scène de coup de poing, à la sorlie des marchands de vin] *.

Décembre, 60. Le soir, Lantier a décidé Ger- vaise à aller au café-concert ; [au théâtre ; les consommations. Subi., J 27-128]. Court tableau du café-concert. Quand ils rentrent par der- rière, au milieu Coupeau ivre-mort; [portrait; cheveux frisés, gris] ; tombé dans son vomisse- ment, devant le lit. Là, scène abominable. Lantier décide Gervaise, dégoûtée, à venir coucher avec lui ; [il l'embrasse à l'oreille]. Anna, debout devant la porte vitrée, voyant sa mère entrer chez Lantier après s'être déshabillée, les yeux arrondis par une curiosité sensuelle.

1. Scène supprimée.


COMPOSAIT SES ROMANS 263


CHAPITRE XII {primitif) 1 .


Gervaise se sentant de plus en plus enfoncée. Elle doit un ou deux loyers de sa boutique. La mon- trer à bout de courage. Le métier ne va plus. Une scène avec Adèle Poisson" ; (il faut la remontrer celle-là). Faire comprendre qu'Adèle guette la bou- tique. Le sergent de ville a hérité d'une petite somme et le rêve d'Adèle est d'avoir une boutique où trôner; son mari lui monterait une boutique d'épicerie. Lantier prétend que Poisson a fait quel- ques mauvais coups, a livré des républicains, pour une grosse somme d'argent 3 . Il est pourtant très bien avec Poisson; il flaire là une nouvelle vache à lait, la blanchisseuse étant mangée.

C'est là que je place l'épisode* de la petite mère, de Lalie. Un portrait; une scène, très attendrissante. Lalie ne jouant jamais avec Anna, ni avec les autres petites filles. iMêler le père Bru que Lalie soigne


1. Combiné avec le chapitre XIII primitif pour former le IX (définitif). Mais l'épisode de la petite Lalie, qui tient presque tout le chapitre, a été reporté dans le chapitre X (définitif). L'auteur n'a gardé que le premier morceau pour la fin du chapitre IX.

2. Virginia, sœur d'Adèle. Dans les plans primitifs, elle est toujours désignée sous ce prénom.

3. Trait abandonné.

4. Voy. chapitre X.


264 COMMENT EMILE ZOLA

aussi; un épisode avec lui] *. Avec quelle sollicitude elle soigne ses deux enfants. Gervaise sent là une grande leçon pour elle; elle lâche de se raccrocher à cet exemple. Elle fait du bien à Lalie, monte la détacher; elle est attachée souvent et trouve encore le moyen de travailler. Un tableau navrant ; faire pleurer. La femme Bijard est morte en 60. Lalie a huit ans, mais des allures de petite femme. La petite sœur a cinq ou six ans et le petit frère trois.

Tout ce chapitre en deux ou trois scènes. Une scène unique s'il est possible. Les tortures inventées par Bijard : une scène de tuerie. Lalie muette sous les coups. Un fou furieux.

Puis quelques notes jetées:

La boutique bleue salie, dégoûtante.

Les dettes arrivant; le quartier; perdant de son estime. Les fournisseurs.

Anna plus grande.

Bazouge à l'enterrement. Les gens de la noce et de la fête 2 .


1. Episode supprimé.

2. Pour le chapitre suivant.


COMPOSAIT SES ROMANS 265


CHAPITRE XIII {primitif) 1


18)61]

Enterrement '(Subi., 2)] 2

Mort de madame Coupeau. La boutique est man- gée. [ Il est déjà question de la cession de la boutique. L'affaire, dans le cadre de l'enterrement].

L'enterrement avec les préparatifs. Les enfants discutant. "Le ménage de maman Coupeau réclamé ; le partage:. Les Lorilleux : « Si vous voulez faire de l'épate, c'est par orgueil », et ils ne donnent rien. Madame Lerat non plus ; [elle apporte une couronne de fleurs artificielles^ 3 .

La mort. [Gervaise peut être couchée avec Lantier quand la crise arrive. La veillée avec Madame Boche et Adèle. La matinée. Le repas, à côté de la morte. Puis le départ, l'enterrement. Lantier qui n'aime pas les choses tristes, s'en est allé ; il ne reparaîtra qu'à la fin, à la sortie du cimetière. Tout le monde à l'enterrement.

Coupeau très attendri, se saoule. Puis, c'est


i. Ce plan primitif a été repris sans modification importante dans le plan définitif (en. X). IL n'est que plus développé.

2. Page 2 des notes de l'auteur. Subi., p. 37.

3. Ajouté.

23


266 COMMENT EMILE ZOLA

chez le marchand de vin que se traite la cession. Les Lorilleux, par besoin de ne plus voir Gervaise chez elle, en boutique, poussent à la cession. Lan- lier, gagné par Adèle, également. Inventer une histoire de bail, quelque chose qui soit au désavan- tage de Gervaise. On persuade à Coupeau que sa femme gagnerait davantage si elle travaillait chez les autres, du moins elle ne perdrait rien. Ne pas oublier Bazouge, ni le père Bru.

En notes :

L'arrangement avec le propriétaire Marescot, pour avoir un logement dans la maison. Le ménage ejj Anna. Lantier a une belle chambre; à voir 1 .

1 . Pour le chapitre suivant.


COMPOSAIT SES ROMANS 267


CHAPITRE IX (définitif* '.


Commencer par maman Coupeau, malade tous les hivers; [première maladie : 'elle est bien mal, on croit qu'elle va passer.] Un asthme; elle reste couchée dans le cabinet, où on va la voir; [le cabinet décrit; la petite à côté de la moribonde]. Elle se dit très malheureuse, fait des cancans, emprunte de l'argent, etc.. Le ménage; la misère, tout se gâte. Gervaise et Coupeau contre maman Coupeau : « Ah! il est cher, le pain que je mange... Non, je ne souf- frirai pas davantage chez des étrangers. » Et elle est tantôt pour les Lorilleux, [les dix francs des Lorilleux], tantôt pour madame Lerat. Maman Coupeau s'est aperçue (au plus mal, lorsqu'on croit qu'elle va passer) que Gervaise va coucher avec Lantier, quand Coupeau ne rentre pas ou qu'il ronfle. Elle en parle à demi- mot, à madame Lerat, aux Lorilleux : « Ah ! c'est du propre, je les entends. Mon fils est joli;

1. Quelques modifications dans la disposition des détails et voyez les chapitres Xll et XIII primitifs.


268 COMMENT EMILE ZOLA

c'est du propre. La petite le sait... » Un peu, en conversation. Mais, dans tout cela, Lantier reste gobé. Flatteur, pinceur de femmes, liseur, faisant des cadeaux. Tout retombe sur Gervaise; c'est elle qui débauche Lantier. Lui, fait son métier de coq. Attitude du quartier. Les Loril- leux, parrain et marraine, font monter Nana pour la questionner.

Comment Gervaise accepte ça; elle s'y habitue et ne s'en trouve pas plus mal. Toujours com- plaisante et faible. Les autres saletés; une conversation avec maman Coupeau qui fait des allusions : « Eh bien! après? et une telle, et une telle » ^promiscuité, inceste]. Des reproches à maman Coupeau elle-même dans son lit. Atti- tude de Lantier 1 ; plus familier et plus maître. Comment il traite Coupeau abruti. Jamais un mot d'Etienne; Nana qu'il caresse. Tout cela encadré dans la première maladie de maman Coupeau.

Un jour Goujet vient. Maman Coupeau est seule; [à ce moment, elle est sauvée]. Elle ba- varde avec Goujet (qui se doute déjà). Quand Gervaise rentre, elle lui dit : « Madame Goujet t'attend pour son linge. » Gervaise sent qu'elle a bavardé. Elle va chez madame Goujet, qui

1. Tout ce paragraphe, un peu plus loin {Assom., IX, 366-367)»


COMPOSAIT SES ROMANS 269

l'attend depuis longtemps. [Madame Goujet tra- vaillant]. Le linge n'est pas bien lavé; [elle saloppe; linge changé]. Elle perd des objets, brûle les pièces, arrache les boutons. Elle ne vient plus régulièrement et ne rapporte jamais tout. [« C'est cochonné... »] Madame Goujet la quitte : « Non, je ne vous donne rien, je n'ai rien. » [Elle va se remettre à laver]. Gervaise comprend, pâlit. [Plus un sou aux Goujet. Elle n'a pas besoin de payer, du moment qu'on ne la rembourse pas]. Goujet est rentré chancelant. « Monsieur Goujet?... » timidement. Il est ma- lade. Et elle le voit allongé sur son lit, dans sa petite chambre, pâle et qui la regarde au loin. — Il sait tout. — Puis madame Goujet réclame de l'argent; les journées sont tombées de 9 à 7 francs. Sans être pauvres, ils ont besoin, etc. Goujet appelle sa mère : « Maman, à boire... » Alors, Gervaise restée seule, s'en va 1 . Quand elle rentre, un mot de maman Coupeau sur pied. Alors un morceau de milieu de chapitre, sans conversation. La dégringolade rapide en un an. Effet des deux hommes sur Gervaise, Coupeau abruti, pas d'instruction; Lanlier, fausse ins- truction; [air supérieur, très corrompu]. Etude du commencement d'alcoolisme chez Coupeau.

1. On sait que cet épisode a été un peu modifié : Gervaise ne s'en va pas, sans que Goujet lui ait parlé.

23.


270 COMMENT EMILE ZOLA

Us la dégradent et l'usent. Nouveau portrait de Gervaise grossie; son âge. Les paresses du lundi, les gouttes hues. Maman Coupeau va chercher la goulte. Elle va aussi au Mont-de- Piété. Gervaise doit partout, n'ose plus passer dans certains endroits. Ce qu'elle a acheté pour Lantier : une toilette, un lit avec la literie, 11) francs par mois; plus 100 francs de répara- tions. [Elle doit un loyer de la boutique, Mares- col . Toutes les dettes l'écrasent. La hou tique bleue dégoûtante ; papier décollé, les peintures bleues salies. Là, un mot du quartier encore. Madame Putois s'en va; ce louchon d'Augustine reste seule. Les pratiques, Madinier, etc., la maison, s'en vont.

Montrer alors Lantier bien avec les Poisson ; I

argent emprunté aux Poisson]. Il se prend d'un \

béguin pour Virginie. Gervaise jalouse (?) ; La fessée du lavoir. Les points jaunes dans les ) yeux de Virginie]. Il est toujours chez les I Poisson. Non, il n'est qu'aimable. Les petites l boîtes, un mot. Alors, quand il sent que Ger- vaise est finie, que la maison croule, il pousse Virginie à se faire céder le bail. L'héritage de I Poisson, d'une tante. {Un mauvais coup sur des I républicains]. Lantier parle aussi à Gervaise de céder, sans nommer personne. Gervaise refuse, puis acceptera.


COMPOSAIT SES ROMANS 271

(1862, hiver). Alors, deuxième hiver et nou- velle maladie de maman Cou peau. Mêler les détails de la cession à cela; Gervaise peut être couchée avec Lan lier, quand la mort arrive. Nana ; où on la met. La veillée; c'est alors que Virginie, Lantier et Poisson peuvent parler de la cession. Les cancans autour du corps. Les préparatifs de l'enterrement. Les Lorilleux pré- tendent que Gervaise veut crâner (Espacer tous les détails, pendant que le corps est là. La vieille femme peut être morte pendant la nuit ; on a alors toule la journée du lendemain et une autre nuit). Les Lorilleux réclamant l'héritage, à coté de la morte. Les jupes, l'armoire et le lit]. Les rondes dans la cour, les enfants. Les repas. Les Lorilleux. « Si vous voulez faire de l'épate, c'est par orgueil. » Enfin, le jour de l'enterre- ment. Bazouge,. Goupeau très attendri est dans une ivresse moyenne. [Les Lorilleux n'appor- tent rien : M mc Lerat, une couronne de fleurs artificielles]. Lanlier, qui n'aime pas les choses tristes, va prendre l'air. Les détails sur l'enter- rement [Subi., II) ; la bière, la levée du corps; le cortège (tout le monde), l'église, le cimetière. Puis, c'est chez le marchand de vin, que se termine l'affaire de la cession. [Goujet qui est là, s'en va]. Tout le monde est contre Gervaise. Madame Lerat et les Lorilleux persuadent à Cou-


272 COMMENT EMILE ZOLA

peau qu'elle ne perdrait pas d'argent, au moins, en travaillant chez les autres. Coupeau gueule. Les Boche sont là et parlent de la chambre. [Le ménage et Anna. Lantier garde sa chambre en bas]. Inventer une histoire de bail qui soit au désavantage de Gervaise.

Un mot de Bazouge.

Gervaise revenant dans la boutique sale. Une impression. Un mot final.


COMPOSAIT SES ROMANS 273


CHAPITRE XIV (I er projet) K


1862 et 03.

[Voir là ou à l'autre chapitre, le boulevard exté- rieur, le soir, tel qu'il est aujourd'hui ; grande des- cription \

Un chapitre de récits et de plusieurs scènes.

Gervaise dans son logement. [Elle a grossi, ou plus tard. Elle est rentrée chez M me Fauconnier ; mais elle n'est plus la même travailleuse. Cela lui est dur d'aller travailler chez les autres. Elle paresse, elle vole 3 sa patronne. Une de ses ouvrières est là avec elle (une scène)] 4 . Le logement. Le ménage.

Coupeau travaille par moments; [ses diatribes sur les patrons]. Le travail va, mais il paresse. Un mor- ceau sur la façon dont les femmes peuvent tirer la paie de leur mari. M me Boche a trouvé des pièces de cinq francs en or, dans la visière de la casquette de Boche. On conseille à Gervaise d'aller attendre son mari à la sortie de chez le patron. [Les femmes qui battent ; celles qu'on bat].

1. Ce chapitre et le suivant condensés pour former le cha- pitre X (définitif.

2. Pour le chapitre XII définitif, voy. p. 297, note 1.

3. Trait supprimé.

4. Ici.


c 27i COMMENT EMILE ZOLA

L'hiver très dur. Le Mont-de-Piété. Gervaise ne vient pas encore emprunter. Quelques dettes pour préparer l'aulre chapitre; mais on les paiera, cette fois. Anna, ce qu'elle fait. Les jours où l'on n'a que du pain. Voir si je placerai là là coquinerie de Cou- peau engageant du linge et les Poisson s'en mêlant \

Enfin la dernière scène, la principale. Gervaise allant attendre Coupeau, à la porte du patron ; puis comme Coupeau entre au cabaret avec Bijard " 2 , (quelques mots seulement prononcés par celui-ci : un loup), elle attend un instant, à la porte ; mais la pluie tombe et elle rentre. Elle y boit et s'y grise. Un degré nouveau dans la chute 3 .

Et, comme toujours, des notes à la fin du plan :

Les Hercules du boulevard extérieur (Subi., 3) Coupeau allant perdre ses après-midi, y rencontrant Anna, en cheveux, avec un ruban bleu *.

L'ouvrier devant les images (Subi., 3). La pose à la blouse sale. L'ouvrier qui n'a pas travaillé, lugubre les jours de paie (Subi., A) s . Le vrai sublime. Bec-Salé dit Boit-Sans-Soif.

Les Lorilleux doivent aboutir à quelque drame terrible. Je ne puis pas me contenter de les fâcher et de les raccommoder toujours avec Gervaise 6 .

i. Episode abandonné.

2. Bijard ne figure point dans cette scène.

3. Cette dernière scène, placée à la fin du chapitre X.

4. Pour le chapitre XI (définitif).

5. Pages 3 et 4 des notes de l'auteur. Voy. notes prises dans le Si.blime.

6. Projet abandonné dans le plan définitif; il était utile pour amener le premier dénouement (voy. ch. XX, prim.).


COMPOSAIT SES ROMANS 275


CHAPITRE XV «.


1803.

On a passé l'hiver. Quelque argent. Les dettes sont payées (de très petites dettes)! Coupeau est allé travailler un instant à la campagne, et a rapporté quelques sous. Enfin, quelque chose.

On est en juin. La première communion d'Anna (SuOL, 3). Auparavant des détails sur Anna; ses gros mots à sa mère] et sur les autres enfants. La mauvaise éducation. Le gaminage dans les rues. Puis le tableau de la première communion. (Une dernière noce, malgré la misère). Les Lorilleux : ils économisent et ne parlent jamais de l'argent). Tous les personnages. La petite Pauline Boche fait sa première communion en même temps. Une grande scène \

Puis le dimanche suivant (en rattachant les deux


1. Réuni au précédent, voy. note 1, p. 270.

2. Cette scène est la seule partie qui ait été conservée défi- nitivement. Elle forme avec les épisodes du chapitre pré- cédent, notre chapitrje X. Disons aussi qu'elle fut d'abord notée dans le chapitre XIV, puis barrée. On lisait : [Un grand morceau sur Anna; la première communion avec les antres personnages. La petite Boche fait sa première communion en même temps. Détails sur les enfants. La mauvaise éducation d'Anna.


270 GOMMENT EMILE ZOLA

scènes), une promenade à la campagne. Une échappée de verdure qui mettra là une note heureuse. Ima- giner deux sociétés qui se rencontrent. Dans l'une, Gervaise; dans Fautre, les Goujet; insister sur les Goujet qui tendent à disparaître trop longtemps. [Les Goujet sont venus habiter dans la maison. On Faccuse (Gervaise) de coucher avec Goujet. Une bataille où celui-ci la défend] *.

Ici cette remarque :

Voir si on ne pourrait pas finir par quatre années de vie cahotée, Gervaise allant au cabaret, le ménage marchant à la boue.


1. Tout cet épisode, noté dans le plan sommaire (voy. plus bas, p. 203) a été définitivement supprimé. Les Goujet ne sont plus nommés que dans le chapitre XII.


COMPOSAIT SES ROMANS


CHAPITRE X {définitif).


[1863 ; fin de l'hiver; février, mars, avril.]

L'installation dans le logement d'en haut. Une pièce et un cabinet pour Nana. Les meubles; on peut en vendre et il en reste assez. Les voi- sins : les Lorilleux, au fond; Bazouge, à côté, le père Bru avant d'arriver, les Bijard au com- mencement du corridor. Un mot de l'escalier et des locataires. [La maison revenant]. Un mot de la maison : Gervaise à la fenêtre ; la fenêtre du côté du soleil, au 5 e , où il y a des haricots à chaque saison; la teinturerie, etc..

Puis l'installation morale. Gervaise chez Madame Fauconnier. [Au bout de vingt ans, elle espérait se retirer à la campagne]. Elle retrouve Madame Putois (scène) £ . Mais elle est moins bonne ouvrière; elle paresse. Enfin, elle gagne pourtant. Coupeau va travailler à la campagne; il rapporte quelque argent. L'hiver, très dur à

1. Scène supprimée et réduite à uq trait (Assom., en. X, p. 416).


278 COMMENT ÉMÏLE ZOLA

finir, d'abord; au printemps, ça va mieux. Il paie Marescot (2G0 francs) ; elle, donne des acomptes et peut passer. Les dettes.

Au printemps. Les rapports avec les Pois- son ; — Gervaise est toujours bien avec eux. Installation des Poisson; petite boutique d'épi- cerie. Les Lorilleux, enchantés, faisant saigner Gervaise. Madame Lerat, toujours fourrée chez les Poisson, où elle flaire un amour. Le quartier trouvant que Lantier a bien fait de rompre avec Gervaise. Le quartier sur Lantier et Virginie. Poisson ne boit pas, mais il a un service de nuit. Enfin, ça paraît bien. Lantier, heureux comme un coq en pâte, bouffant l'épicerie comme il a bouffé la blanchisserie ; ça continue, etc..

La jalousie que Gervaise peut avoir contre Virginie. Il faut qu'elle existe, mais sans drame. D'autre part, la jalousie que Coupeau a pu avoir contre Lantier. C'est Coupeau qui, rigole. « Eh bien? on ne dira plus que c'est ton amoureux; il chauffe Virginie, etc.. » Une scène.

Ce fut cette année là [4863], en juin, que Nana fit sa première communion avec Pauline. [Nana a douze ans ; mauvaise éducation, — \eà gros mots]. La cérémonie. Les Lorilleux, parrain et marraine. Les robes blanches. Emotion de Coupeau. Le soir, une petite noce entre femmes. Conversations : façon de tirer de l'argent des


COMPOSAIT SES ROMANS 270

hommes; — les pièces de cinq francs dans la \ isiere de la casquette ; — aller trouver l'homme à la porte de l'atelier, etc. 1 ... [L'ouvrier qui n'a pas travaillé, lugubre les jours de paie]. — Madame Le rat prend Nana en apprentissage; arranger cela. Causer des mœurs. Les femmes qui battent, celles que l'on bat 9 .

! 1864-65. Deux hivers; la misère, la main- tenir:. Les hivers se succèdent; deux ou trois. A chaque hiver, coup terrible. [Les jours où l'on n'a que du pain]. Le terme ; insister : la plaie, l'enfoncement (Marescot). Les voisinages re- viennent; Xescalier. Ce qu'on fait autour d'eux. Le père Bru. Gervaise écoutant Bazouge; [pré- occupation de cet homme]. Une nuit, elle songe à l'appeler; puis sa terreur, son recul. Les Loril- leux pas obligeants. Coupeau, peur des Lorilleux. |C'est Coupeau, dis-je, qui a voulu le mariage 3 .]

Alors, l'épisode de la petite Lalie* [1864]. Gervaise bonne pour elle lui fait le plus de bien possible. Lalie ne joue jamais avec les autres enfants. Elle soigne toujours son petit frère et sa petite sœur. La petite mère. Gervaise voit là une leçon, tâche de se raccrocher à cet exemple.

1. Traits reportés au paragraphe suivant et intercalés dans le récit.

2. Ihid.

3. Traits insérés plus loin.

I. Voy. précis chapitre 11 primitif.


280 COMMENT ÉMILÈ ZOLA

— Bijard, un loup. Il a acheté un fouet pour battre sa fille sans quitter son lit. Il s'en va par- fois et il l'attache. Gervaise la trouve ainsi, un jour, et veut la détacher : « — Non papa serait en colère. » Elle tricote, en étant attachée ; elle surveille ses deux enfants. Ses soins, sa gravité, son activité. [Allures de petite femme, portrait!. Elle a le corps tout bleu ; elle tousse, mais elle dit que ce n'est rien. Un tableau navrant. Madame Bijard est morte en 60 ; Lalie a huit ans, sa sœur Henriette cinq, son frère Jules trois. Une scène violente pour finir. Bijard faisant chauffer des sous et envoyant sa fille chercher du pain avec; puis, la battant, parce qu'elle ne veut pas obéir et qu'elle lâche les sous. Puis, Lalie partant et se brûlant les mains.

— Puis, lui tapant dessus et la laissant sans souffle. Une bête brute, fou d'alcool, martyri- sant la fille, depuis qu'il a tué la mère.

Je rattache cette scène avec Coupeau qui, lui aussi, s'alcoolise. Etude du premier degré de l'alcoolisation. Coupeau, à l'hôpital ; [il y a tra- vaillé]. Sa maladie; — Gervaise va le voir, avec des oranges. Un court tableau.

Enfin, encore un été [65]. Voir si c'est là qu< je mettrai le boulevard extérieur l . Gervaise va s']

1. Ce n'est pas dans ce chapitre, mais dans i'avant-dernu (XII). On ne reparle des Goujet qu'à la fin.


COMPOSAIT SES ROMANS 281

Iraîner. Description du boulevard. Un jour, elle rencontre Goujet, mais elle boîte tellement, elle est si sale qu'elle se détourne pour ne pas être vue â . Elle se lâche de plus en plus ; [la question physiologique, son engraissement]. [On menace de la mettre à la porte de chez Madame Faucon- nier]. Ses bonnes résolutions s'en vont. Elle se sent lâche et se plaît à l'être. Son oisiveté ; elle se traîne partout.

Alors, un lundi, elle s'ennuie. Coupeau avait promis de la mener quelque part, mais il a dis- paru. Elle va pour le chercher. Il est à l'Assom- moir devant une petite table. Il ne veut pas sortir. Elle va un instant sur le boulevard extérieur; mais une petite pluie fine tombe et elle entre enfin à l'Assommoir. La femme atta- blée avec le mari. La conversation, en argot. [La pose à la blouse sale ; employer le reste de l'argot des soûlards] 2 . Rappel de la prune, au deuxième chapitre. La machine à soûler. Mes Bottes, Bec-Salé, dit Boit-sans-soif. Enfin Gervaise se grise. [Son goût de l'anisette; peur de la tentation].

Finir [par] le retour d'Anna, rentrant de l'ate- lier et voyant sa mère grise. Bazouge (peut-être) ;


1. Voy. la note précédente.

2. Sur l'argot, voyez plus loin p. 329.

24.


282 COMMENT EMILE ZOLA

(lervaise riant à le voir 1 ? Un regard de Lalic, aussi, ferait très bien. La petite accourt comme à une amie ; puis, en voyant le visage hébété de Gervaise, en sentant son odeur, elle recule. A trouver; (c'est trouvé).


1. Supprimé.


COMPOSAIT SES ROMANS 28:


CHAPITRE XVI {primitif) 1 .


4866, 67, 68. [Nana reprochant Lantier à sa mère].

Quatre années se sont passées ou se passent.

Les hivers très durs, les étés raccommodant un peu

la situation]. Le chapitre entièrement sur Anna. Un

degré de plus dans la chute. Le lien de la famille

rompu. A la fin, Anna se sauvant.

Anna, le dimanche, en cheveux, avec la jeunesse. (Victor Fauconnier). Les hercules. [Il commence à y avoir des claques dans le ménage : une scène mon- trant la maison intolérable].

Anna fleuriste, mise dans l'atelier de Madame Lerat. Elle y fait son apprentissage. Ses premières escapades. Madame Lérat ment parce qu'elle la cajole. Elle dit faussement aux parents qu'Anna va travailler; (a voir). Anna reste donc à l'atelier. Elle travaille parfois chez elle (Subi. 8).

Il me faut une scène d'atelier très typique. Un débauchage. Coupeau menant sa fille jusqu'à la porte et celle-ci s'échappant. Elle connaîtra aussi un monsieur que je ne ferai pas parler; d'un certain


1. Ce chapitre a donné le chap. A7, après avoir été réuni au chapitre XVII. Déjà beaucoup de netteté dans la conduite des épisodes.


284 COMMENT EMILE ZOLA

âge, avec des favoris, lair sérieux. On dit que c'est un gros négociant en quelque chose. Il rôdera autour de la maison et on pourra accuser plus tard Gervaise d'avoir vendu sa fille. Donc, la scène principale avec ce monsieur. Dans l'atelier, où Ton en cause (Madame Lérat). Dans la rue où Coupeau mène sa fille l . Un soir, elle ne rentre pas; elle s'est sauvée. Puis, le soir, une scène de brutalité; pas de coups encore. Et Gervaise dit : « Elle a bien fait, si je pouvais, je ferais comme elle ». Voir à finir le chapitre par ce mot 2 .

Mais ne pas oublier de mettre alors, auparavant, la scène où le père, de son côté, etlamère, également du sien, sont au bal et trouvent Anna avec un chapeau à plumes, dansant non pas avec le monsieur, mais avec un jeune homme. Des claques du père. Il la traîne dehors; mais elle s'échappe et c'est alors, en rentrant, que Gervaise peut dire le mot.

Les autres personnages. Les jeunes gens; surtout la petite Boche, Victor Fauconnier.


1. Toute cette première partie est reproduite au commen- cement du chapitre XI.

2. Cet épisode pour la fin du chapitre XI. Le propos de Ger- vaise a été modifié.


COMPOSAIT SES ROMANS


CHAPITRE XVII [primitif) 1 .


1867. [Le quartier tel qu'il est aujourd'hui. Boule- vard Ornano, avec ses grandes maisons sculptées].

Lantier chez les Poisson. La boutique d'épicerie qu'il mange. Intérieur. Adèle 2 triomphante; [elle menace de son mari 1. Lantier causant politique avec Poisson. Lantier refait la carte de l'Europe (Subi. 113)]. Le type du sergent de ville avec ses petites boîtes. Lantier finissant par coucher avec Adèle.

Voir si le tableau d'un dimanche ne serait pas bien là.

Il ne faut pas que Gervaise disparaisse. La mon- trer là-dedans, descendant encore. On pourrait mettre là, Coupeau à l'hôpital; elle va lui porter des oranges, avec le pressentiment qu'elle mourra là 8 . Anna revient de temps à autre, passe huit jours, puis disparaît un beau soir. On y est fait. Lantier la poursuivant presque. C'est là où Gervaise qui s'en aperçoit, peut descendre encore ; trouver comment, sans pousser les choses trop à l'ignoble. On met


1. Voy. p. 260, note 2.

2. Virginie.

3. Trait supprimé ici.


280 COMMENT EMILE ZOLA

Gervaise à la porte de chez Madame Fauconnier. Elle fait quelques maisons; puis se blesse ou autre chose, ne peut plus travailler. Voir si je ne puis pas lui faire faire là des ménages, avec les détails. Important 1 .

Le lavoir revenant. Je pourrais y mettre une scène avec Gervaise et Adèle Poisson, comme au commen- cement. Cela n'est pas absolument nécessaire; mais cela ferait bien, si je pouvais montrer Gervaise enlaidie, éreintée, rougie par l'eau ; (elle laverait donc). Madame Fauconnier l'a mise à la porte. Ne pas trop rappeler Madame Bijard 3 .

Puis des notes éparses :

Le sergent de ville, en plein. Voir à la fin de Y ébauche. Le sergent de ville est l'autorité pour le peuple, Madame Poisson effrayant le monde avec son mari 3 .

L \ grand mouvement des réunions publiques se déclare. Réunion publique {Subi. 124-240) *.

La condition faite aux ouvriers par l'Empire. Poisson dit : « L'Empereur aime l'ouvrier ». La politique. Lantier refait la carte de l'Europe [Su'-l. 113).

Lantier au théâtre, au Salon 5 .

Les lutteurs, les gros mangeurs, les épateurs

1. Toute cette partie de plan, a été condensée avec le cha- pitre précédent, pour le chapitre XI définitif.

2. Ce paragraphe supprimé complètement.

3. Trait réduit.

4. Renseignements inutilisés.

5. Traits supprimés.




COMPOSAIT SES ROMANS 287

(Subi. 51). Un ouvrier embauché pour flanquer des coups à un contremaître 1 .

Etude du provençal. Ce que fait Lantier sous pré- texte de travail.


i. ld.


28S COMMENT EMILE ZOLA


CHAPITRE XI {définitif)


[1866. Avril]..

[Le dimanche ouvrier]. Nana grandissait, devenait garce. Son portrait. Elle va avec la jeunesse [Pauline Boche]. Toilette, ruban dans les cheveux; quatre ou cinq par le bras, au milieu des gros mots des ouvriers, dans la pous- sière du faubourg. [Les rires, sur les trottoirs, en se retournant.] Elle sait tout; son regard tranquille, son effronterie, ses gros mots. L'édu- cation de la rue. Elle rencontre Coupeau avec les hercules (Subi., 52); les ronds de public. Elle se met à l'écart quand elle voit son père saoul', et des mots. Pourtant donner à entendre qu'elle est encore vierge. [Montrer où aboutit l'éducation des rues.]

Nana à l'atelier [ouvrière maintenant], rue du Caire. Elle part seule, le matin ; sa vie d'ouvrièrej son déjeuner, etc.; Madame Lerat. Une scène

1. Première partie du chapitre (voy. ch. XVI priai.) ; seconde partie (voy. ch. XVII prim.).


COMPOSAIT SES ROMANS 289

dans l'atelier par une chaude journée, les per- siennes fermées, sur les cochonneries ; [L'éduca- tion du vice]. Les allusions de Madame Lerat. On regarde par la fenêtre. Indiquer là le monsieur.

In fait quelconque instruit Goupeau . 11 conduit Nana à l'atelier, mais elle reste dans l'escalier et s'échappe. Langage ordurier de Goupeau devant elle. 11 ne veut pas qu'elle fasse la chose et il la traîne dans l'image : les suçons, les tétais, etc.; [la poudre de riz : fille de meunier.] Madame Lerat ment, parce qu'elle aime à être dans l'ordure et que Nana la cajole. Montrer encore le monsieur aux favoris autour de la maison. Les Boche, les Poisson et les Lorilleux peuvent le voir. Tl est même monté un jour; un homme bien. Là, deux morceaux pour couper et faire opposition. Le morceau sur Goupeau. Second tableau de l'alcoolisme ; toujours saoîtl pendant des six et sept mois, ne dessaoulant qu'à l'asile. Et le morceau sur Gervaise retournant chez le marchand de vin trouver son homme, se tassant, s'avachissant, s'y trouvant bien.

Entre it j $ lignes précédentes : [Voir s'il ne faut pas dire là qu'un mot et renvoyer le grand morceau pour la fin. On ne garderait que l'in- dication de Gervaise retournant au cabaret et Goupeau buvant toujours, le strict nécessaire


290 COMMENT EMILE ZOLA

pour expliquer le départ d'Anna; oui, je crois J .

Nana au milieu de cet enfer [misère, terme, maison sale; corridor et escalier. Le ménage se bat, gros mots], insolente, battue et défendue par son père et par sa mère, de plus en plus poussée au vice. Un soir, elle ne rentre pas ; elle est partie 2 . Une scène; on dit que Gervaise a vendu sa fille.

[1867]. Là, rattacher le morceau avec les Poisson. [Gervaise s'est fâchée avec madame Fauconnier; mise à la porte. Elle fait quelques maisons, devient laveuse ; (le lavoir revenant. ; Lantier a rencontré Nana ; il en parle en bon homme, avec des yeux luisants ; Gervaise craint même qu'il ne la débauche; (à indiquer déli- catement). Montrer alors Gervaise en position humble, chez les Poisson. Elle a abandonné peu à peu toutes les fiertés de la femme; elle n'est plus jalouse; elle a été quittée par Lantier et le laisse parfaitement avec Virginie. — Montrer l'inté- rieur de la boutique. Maintenent Lantier couche avec Virginie; elle vient le retrouver quand Poisson est de service, la nuit. [Lantier ne tra-


1. Zola a adopté définitivement ce parti.

2. Cet épisode a été un peu modifié dans le détail. Anna, de retour chez elle, trouve ses parents dans un état abomi- nable; sa mère lui dit un mot; puis dégoûtée de ce spectacle, elle part pour ne plus revenir.

3. Détail supprimé.


COMPOSAIT SES ROMANS 291

vaillant toujours pas; son invention. Puritain; moral en paroles (à arranger.)] Lantier mangeant la boutique; la friandise. Puis la tête du sergent de ville, muet, terreux avec sa barbe rouge; | l'œil du sergent de ville paraissant ne rien voir, mais inquiétant]. Le montrer faisant ses petites boîtes, pendant que Lantier [le provençal], mange quelque chose, installé, heureux, servi par Vir- ginie. C'est môme là qu'il raconte qu'il a vu Nana, à Gervaise qui s'occupe dans la maison, qui lave par terre. Puis la discussion politique avec Poisson sur Napoléon 111 (Badingue). Lantier refait la carte de l'Europe [Sublime, p. 113]. Ter- miner la scène par un mot encore sur Nana. ! Madame Lerat mêlée à Nana et aux amours de Lantier et de Virginie.]

Ensuite un morceau pas trop long, sur la façon dont Lantier mange la boutique et où il en est. Ensuite un morceau sur le nouveau quartier qu'on bâtit et sur la politique [Subi., 134, 240], Les réunions publiques; les discussions de Lantier et de Poisson 1 .

Le nouveau quartier et Gervaise. La misère; les loyers revenant. Goupeau attrapant des mots de politique et se plaignant des riches. Ils courent ensemble les cabarets et les bastringues.

1. Morceau supprimé. Les détails en sont dispersés dans le récit.


292 COMMENT EMILE ZOLA

La scène un soir. Coupcau et Gervaise dans un bal borgne. Coupcau faisant la pose à la blouse, parce qu'un jeune homme s'est essuyé. Gervaise attablée devant un saladier. Puis Coupeau apercevant tout d'un coup Nana sautant i avec une toilette voyante et un chapeau à plumes. (Elle danse avec le jeune homme en paletot.) Alors, la scène des claques, tout le monde s'en mêlant. Nana filant doux et renlrant.

[1868]. Puis une fin de chapitre. Nana se sauvant et revenant plusieurs fois, quand elle n'a | plus le sou; l'état dans lequel elle revient une fois. [Enumération de tous les bals du quartier. 1 ] Les Lorilîeux, parrain et marraine. Le ménage s'habiluant aux disparitions de Nana. [Gervaise ■ et Nana tapant sur Coupeau.] Nana travaille des fois chez elle [Sublime, note 8Î 2 . Elle fait plutôt semblant de travailler. Nana reprochant Lanlicr à sa mère, disant qu'elle les a vus. [Coupeau acceptant tout; l'immoralité par suite de l'alcoo- 1 lisme.] Puis une dernière disparition. [Un au s'est passé.] Et un jour chez les Poisson (descrip- tion de la boutique à peu près entièrement mangée), Lanlier, très gris, disant encore à Gervaise qu'il a vu Nana; mais cette fois, elle est très chic, elle n'a plus besoin de personne.

1. Voy. les milieux, les Bals, p. 148.

2. P?>£e 8 des notes d'Emile Zola.


COMPOSAIT SES ROMANS Ï93

Son air de cligner les yeux; jalousie de Vir- ginie. Ce que dit madame Lerat. La silhouette du sergent de ville passant raide dans la ru«*, pendant cette courte scène.

Et Gervaise remontée chez elle, peut dire à Coupeau dans une querelle : « Va, ta fille n'a plus besoin de toi. Elle est heureuse, celle-là ». Et lui répond : « Alors, on fait comme elle. Je ne te retiens pas ».


2'ô.


COMMENT EMILE ZOLA


CHAPITRE XVIII (1 er projet) 1 .


Quelques notes en tête de ce plan.

La scène de la mi- carême. Ciel triste (Gervaise crevant la faim avec le souvenir des aoces anciennes. Coupeau poussant Gervaise à la prostitution. Le père Bru. Le Mont-de-Piété; les matelas vides, etc. .

Là un chapitre effroyable. Une seule scène s'il y a moyen, très large, affreuse. Le chômage. [Elle a cherché à faire des ménages.] Pas de pain ; des dettes partout. [Là, Cidèal de Gervaise.] La dégradation, Je mépris de tous. — Anna n'est plus là. Coupeau se saoule et reste dehors. Quand il rentre, des tueries. L'intérieur épouvantable; une querelle affreuse, un massacre. Gervaise tout à fait tombée, se saoulant. [On Tamise à la porte de chez (madame Fauconnier.)] Puis un soir, Coupeau lui a dit qu'une femme devait se nourrir seule (Subi., 186), qu'elle était encore assez belle, et, il la pousse presque au trottoir. [Elle cache les bons de pain pour que Coupeau ne les


1. La mort de la petite Lalie, formant le chapitre XIX primitif, a été intercalé dans le plan ci-dessus et ces deux chapitres réunis, ont servi à la rédaction du chapitre Xll définitif.


COMPOSAIT SES ROMANS 295

vende pas; une histoire. Les Lorilleux refusent des pièces de vingt sous, avec des ricanements. (Ils cachent leurs économies et n'en parlent jamais.) [Ils ont peur que Gervaise leur vole l'or]. Alors la scène, sur les boulevards extérieurs. Personne ne veut d'elle. Elle rencontre le père Bru qui mendie. Le mendiant et la prostituée se regardent face à face. Enfin Goujet passe et la ramène chez elle; elle allait le raccrocher. Bazouge peut passer. — Le style doit êlre sombre et navré, poignant. Une scène d'effet continu. Un grand souffle, sans arrêt.

Songer au suicide. Le charbon pour elle ou pour une autre^ '.

Suivent de nombreuses indications qui seront utilisées pour le plan définitif (voy. chap. XII). Les détails sont déjà très arrêtés.

Scène lorsqu'il n'y a plus d'argent à la maison {Subi, A) \

Graduer l'ivresse de Coupeau ; là, complètement furieux et ignoble.

Le boulevard extérieur; le quartier, le soir, aux lumières, de 9 heures à minuit.

La nourriture des meurt-de-faim à Paris.

Le discours de Lalie, quand elle meurt : « Maman n'était plus là, j'ai pris sa place ». Le fouet. Bijard est abruti : « Notre petite mère, notre petite mère », dit-il. Ne pas le faire sentimental surtout, mais impressionné et dessaoulé par la mort 3 .

1. Projet abandonné. Voyez chapitre XII, note 2.

2. Référence aux notes de l'auteur. Cf. Sublime, 69.

3. Voy. ch. XIX primitif; et ch. XII définitif.


296 COMMENT EMILE ZOLA

Une description de la saleté où était tombée la chambre. Gervaise, très sale aussi.

Gervaise 1 , affamée depuis deux jours, va attendre son mari à la sortie de l'atelier (un samedi) ; il ne lui donne rien et la pousse à la prostitution. Elle cherche Coupeau et part; ne pas le trouver ou une scène dra- matique 2 . Des détails; d'autres femmes avec leur misère dans le froid; [l'ouvrier qui n'a pas travaillé, lugubre]. Un homme qui pleure parce que sa femme lui a pris sa paie; plus de goutte; un grand enfant. D'autres épisodes encore. Alors, elle rentre et Coupeau arrive. La mort de Lalie.

Les meubles vendus. Tout froid et nu. Au bout de vingt ans, elle espérait se retirer à la campagne. Son idéal. Le propriétaire.

Le boulevard extérieur 3 , tel qu'il est aujourd'hui. Grande description à l'aide de Gervaise. Elle descend le soir pour raccrocher 4 ; il fait jour encore. Le décor. Puis, la nuit qui arrive. Le retour du travail, pendant au premier chapitre, très large, par grands morceaux coupés des sensations de Gervaise. L'hôtel Boncceur n'existe plus, mettre autre chose à la place. Gervaise en raccrochant va de Y abattoir (qu\ n'existe plus, mais je pourrai le laisser) à VhôpitaL Rappel de la dernière phrase du chapitre y . Le chemin de fer,


1. Tous les traits de ce paragraphe reproduits dans le plan définitif.

2. Gervaise ne trouve pas Coupeau et ne rentre pas chez elle, mais va sur le boulevard extérieur, où elle attend la nuit pour raccrocher.

3. Ce morceau repris presque textuellement dans le ch. XII (définitif).

4. Voy. notes 3 et 4. Elle ne descend donc pas de chez elle.

5. Sur Nana.


COMPOSAIT SES ROMANS 297

au bout, avec des pensées de départ et de fuite. Puis, quand le travail harassé de Paris est rentré, la nuit qui tombe, les cabarets qui s'emplissent (Y As- sommoir du père Colombe), le vice louche qui arrive; les boulevards extérieurs jusqu'à neuf ou dix îieures.

Gervaise boitant fortement, laide, avachie ; (la question physiologique.)

Ce que mangent les pauvres ; les saletés auxquelles ils arrivent peu à peu, en descendant.


298 COMMENT EMILE ZOLA


CHAPITRE XIX (l ei projet)


1868.

Le dernier épisode des Bijard. Assez court. La mort de Lalie. Comment elle reste debout jusqu'au dernier râle. Elle ne se couche que pour mourir. La scène est celle-ci : Gervaise monte et la trouve rangeant encore et soignant son frère et sa sœur; : mais elle agonise d'un coup que son père lui a donné la veille. Gervaise auprès d'elle. Leur conversation. Bijard rentre. Lalie très douce avec lui : « Vas-tu te lever, feignante? — Mon père, je vais mourir. » Faire très grand et très poignant. Bijard écrasé, tombe et sanglotte. Mais Lalie lui pardonne, le console, lui cl i I de bien prendre soin des enfants. Et avec son dernier souffle, elle rend des comptes : « On doit ça au bou- langer. Ta soupe est sur le feu. Tu trouveras là le pain, etc.). Et elle meurt avec un dernier mot à Gervaise.


1. Voy. ch. XIX primitif, notes et ch. XI définitif.


COMPOSAIT SES ROMANS 290


CHAPITRE XII [définitif).


[La faim est le pivot].

Un samedi 
hiver de 1869 à 70]. Une première

peinture terrible de la misère où sont tombés les Coupeau. Depuis huit jours [Je chômage], la misère absolue; depuis trois jours, Gervaise ne sait plus ce qu'elle a mangé. Puis, l'état de la chambre; plus rien, les matelas vidés et les toiles vendues; tous les petits objets disparus, les der- nières choses lavées pour deux ou trois sous. [Elle cache les bons de pain que Coupeau va boire]. [Le propriétaire; l'expulsion est pro- chaine]. Le crédit tué partout; l'état de saleté où est tombée la chambre. [La dégradation, le mépris de tous. Au bout de vingt ans, retourner à la campagne!... Coupeau a des bordées de huit jours; plus d'Anna]. Ce que mangent les pauvres; à quoi ils en arrivent. Plus de travail au lavoir ; des ménages. Elle se blesse. Coupeau mettant le linge au Mont-de-Piété. Ils se mas-


300 'MENT EMILE ZOLA

sacre ni. [Voir un suicido dans la maison qui la fait songer au sien .

Description de la journée. — Le temps froid et gris ; la neige pourra prendre vers la fin. — Oui; un ciel chargé de neige, au commencement du chapitre et la neige, à la fin.

Gérvaise qui ne peut attendre la paie, va em- prunter vingt sous aux Lorilleux. Les emprunts de vingt sous et de dix sous dans la maison. Dernière description des Lorilleux. [Lorilleux qui est né le même jour (29 sept. 1820) que le comte de Ghambordi. Ils croient qu'elle veut les voler: rappeler la première entrevue. Ils refusent.

Alors Gérvaise regarde chez le père Bru; il n'est plus là. Et elle va, avec sa faim, chez les Bijard. — La mort de la petite. Le père entr< trouve couchée : « — Yas-tu te lever feignante. — Xon, mon père, je vais mourir ». Lui, écrasé :

tre petite mère, notre petite mère » Ne

pas le faire sentimental surtout, mais impi sionné et dessaoulé par la mort. Le fouet. Ce que dit Lalie : « Maman n'était plus là, j'ai pris place ». La montrer petite mère, jusque dans la mort. Elle console son père, lui pardonne. Et avec son dernier souffle, elle rend des comptes : « On doit ça au boulanger. Ta soupe est sur le

1. Projets abandonnés.


COMPOSAIT SES ROMANS 301

l'eu. Tu trouveras le pain là. Prends bien soin des enfants]'» — et son corps meurtri et maigre sous le drap. Gervaise la découvre ; elle a honte, elle se recouvre, honte de sa maigreur et des mauvais traitements de son père. Elle meurt 1 .

Gervaise, affolée, va attendre à la porte de l'atelier, pour la paie. Cou peau lui a dit qu'il travaillait. Un samedi. Elle ne le pince pas. Un tableau dans le froid; d'autres femmes qui attendent; des épisodes. L'ouvrier qui n'a pas pu travailler, lugubre. Un homme, grand enfant. qui pleure parce que sa femme lui a pris sa paie ; plus de goutte.

Elle rencontre Cou peau, mais il n'a pas le sou. Il peut lui ficher une claque [ils se mas- sacrent maintenant et il la pousse au vice, il lui dit qu'elle peut bien gagner son pain. Les hommes poussant à la prostitution (Sublime, 186 . Si ça donnait du pain, il fermerait les yeux. Un qui fait ça 2 .

Alors, Gervaise dehors, ne pensant plus à rentrer, vagabonde. Elle peut passer quelque temps dans le bureau d'un omnibus où il y a un poêle, ou ailleurs. Les boulevards extérieurs: le quartier neuf; ce quartier dont elle avait honte ;


i. Voy. p. 9j, l'arlicle de Ratisbonne. ■i. Mes bottes.




302 COMMENT EMILE ZOLA

la rentrée du travail, par opposition au commen- cement du roman. La nuit qui tombe, sale et jaune. La neige tombera plus tard. Le décor tel qu'il est aujourd'hui. La peinture du travail, coupée par les sensations de Gervaise ; (le sou- venir d'une mi-carême, des gueuletons). L'hôtel Boncœur n'existe plus, autre chose. Elle va de l'abattoir à C hôpital. Le chemin de fer, au bout, avec des pensées de départ. Puis, le jour tombe; [le travail harassé est rentré]; les cabarets s'em- plissent, Y Assommoir, le vice louche arrive. Gervaise a pu rencontrer des personnes, Clé- mence, madame Putois, madame Fauconnier 1 . Enfin, dans la nuit, elle raccroche; ce sera le dernier moment; pas longtemps, timidement; avec des ombres sous les arbres, de r abattoir à l hôpital. Elle rencontre le père Bru, qui mendie. La mendicité et la prostitution, face à face. Lue pensée à Nana. Le boulevard extérieur jusqu'à neuf ou dix heures. Un dernier portrait de Ger- vaise, laide, avachie, boitant fortement. [Ger- vaise boitant en raccrochant; son ombre qui se dandine, en tournant, chaque fois qu'elle passe devant un bec de gaz; elle la voit]. La question physiologique. [Elle est comme saoule, bien qu'elle n'ait pas bu; on a l'habitude de boire.

1. Projet abandonné.


COMPOSAIT SES ROMANS 303

Goijjet peut la croire saoule un instant. Oh ! non, dil-elle, j'ai faim].

Goujet la rencontre et l'emmène; [elle s'ap- proche et le raccroche à demi-voix]. Madame Goujet est morte. Dans la petite chambre, déjà décrite. Une pensée d'assouvissement chez Goujet. Gervaise, blanchie. Ils ne disent presque rien. Elle entre là en femme raccrochée, hon- teuse et timide. Elle peut commencer à se désha- biller; mais, ils ne font rien. 11 lui donne à manger et la regarde sans rien dire. Les larmes coulent sur son manger; elle ne peut pas avaler, (c'est là qu'aboutit la faim de la journée). Alors, elle s'échappe ; elle rentre.

La maison en rentrant. Les Boche et les Pois- son; les Lorilleux peut-être. Toute la maison revenant; [les eaux de la teinturerie, la cour, les façades, l'escalier B et les corridors]. Soti idéal d'autrefois; [l'idéal de Gervaise : au bout de vingt ans la campagne]; tout s'est écroulé. Alors, elle revoit le corps de Lalie, elle veut mourir aussi. Et comme elle trouve le père Bazouge, ivre-mort tombé devant sa porte, elle lui demande avec passion de l'emmener. Lui, toujours rigolo et galant : « Ma petite mère, ça ne peut pas se faire comme ça. Il y a une céré- monie auparavant. » Très cynique et très terrible.


304 COMMENT EMILE ZOLA


CHAPITRE XX (1" projet) *


Non pas de drame.

[1868].

Le drame. Il faut que tous les personnages re- viennent. [Les Lorilleux sont fâchés avec les Cou- peau et poussent Gervaise à une bataille; les faire Se nœud du drame].

Voici ce que j'ai imaginé en attendant mieux. Je ne voudrais pas faire trop dramatique ni trop ex- Iraordinaire. Le drame doit sortir des faits naturels.

Je donne à Gervaise un amour continu jour Lan- tier. Celui-ci est gras et fleuri de la petite boutique d'épicerie. Il n'a pas changé de milieu; les ruines qui se font autour de lui. Gervaise l'aime donc et ne peut pas supporter l'idée qu'il couche avec Adèle (Virginie). Alors tous les personnages; les Boche, les Lorilleux, la poussent à quelque extrémité. On lui raconte les amours de Lantier; on lui prépare l'oc-


1. Ce premier projet imaginé par l'auteur « en attendant mieux », a été complètement abandonné dans le plan définitif. C'est la reproduction du drame élaboré à la fin de l'Ebauche (voy. page 110). Mais Zola a voulu plus de simplicité pour le dénouement du livre. Non pas de drame, note-t-il en tête du plan, montrant ainsi son intention de rejeter cette fin qui ne le satisfait pas (Cf. p. 98; nos remarques).


COMPOSAIT SES ROMANS 305

casion de les trouver ensemble. Et elle achète une bouteille de vitriol pour la leur casser sur la figure.

On l'introduit dans son ancienne boutique qu'elle connait bien. Elle casse la bouteille sur le lit; mais, elle calcule mal son coup et les atteint de quelques gouttes, à peine. Alors Lantier sort, la prend par les cheveux, la traîne. Mais Goujet paraît. Il y aune bataille à coups de couteau ou avec des armes différentes. 'L'attitude de Coupeau]. Les Lorilleux, traîtres, lançant un mauvais coup à Gervaise. Les Boche.

Poisson, le sergent de ville, doit avoir un rôle là- dedans. [Virginie effrayant le monde, avec son mari]. Il serait curieux, après en avoir fait un mannequin, un personnage presque muet, de le montrer brus- quement terrible, perdant Lantier ou le tuant; ou bien s'attaquant à Gervaise et à Coupeau. Voir à arranger ce type ; très nécessaire. Le sergent de ville est le représentant de l'autorité.


26.


300 COMMENT EMILE ZOLA


CHAPITRE XX (i w projet) 1 .


1869.

Un dernier chapitre très court. Il ne faut pas faire mourir Gervaise par la violence. Elle est descendue plus bas encore et meurt de dégradation [et d'érein- tement]. Voir à la montrer la femme de ménage dWdèle ou autre chose. Puis son enterrement, quand Bazouge vient prendre la caisse : « Je savais bien qu'elle y passerait comme les autres. » Et le montrer comme un libérateur. « Elle est heureuse, enfin! ».

Finir les autres personnages.

Dans la mort de Coupeau, rappeler son sobriquet de Cadet-Cassis.

Faire finir les personnages. Lantier surtout avec un court drame de la part de Poisson; très rapide mais très nécessaire. Voir a .


1. Le dénouement de ce chapitre conservé et reporté à la fin du chapitre XIII définitif.

2. Trait repris daos le plan définitif (voy., page 305, note 1) .


COMPOSAIT SES ROMANS 30'


CHAPITRE XIII [définitif).


Zola esquisse d'abord la marche générale du cha- pitre et note les principaux épisodes.

Coupeau n'est pas rentré. On sait qu'il mène une bordée terrible avec Mes Bottes qui mange sa femme. Ça dure huit jours. Gervaise a reçu quelque argent de ses fils Etienne et Claude 1 . Puis elle apprend qu'on a ramassé Coupeau et qu'il est à Sainte-Anne. {Lettre imprimée.] Elle n'y va pas "tout de suite; enfin, elle se décide.

Là, trois visites de Gervaise, qui me donnent les trois jours de Coupeau; manière d'obtenir un effet continu et long. Le hurlement et le tremblement qui persistent.

Chaque fois que Gervaise rentre, je puis en un bout de récit ou de conversation, raconter la maison. Finir ainsi les Boche et les Lorilleux qui doivent s'intéresser à Coupeau. Quant à Lantier, montrer les Poisson mangés et la bou-


1 Elle ne reçoit de l'argent que d'Etienne, qui est méca- nicien dans un chemin de fer.


308 COMMENT EMILE ZOLA

tique se fermant. On parle d'une tripière que connaît Lantier. Mais il circule une histoire : Poisson ayant trouvé Lantier avec sa femme et lui ayant flanqué une trempe; même un coup crêpée'. Ce personnage muet brusquement ter- rible. Lantier avec un bandeau. Il explique tout à Poisson. A arranger.

Puis Gervaise dégringolant. Le père Bru ayant été trouvé mort, on donne son chenil à Trervaise ; elle y meurt à son tour, sans drame, de misère et de lassitude, un avachissement final. Bazouge l'emporte, et ce qu'il dit 2 .

Puis il reprend dans le détail, le récit de la der- nière maladie et de la mort de Coupeau.

| Quatre jours de cris et de tremblement.] Premier morceau : Le portrait de Coupeau, suant, agité, gueulant (141 )*. [11 s'est jeté à l'eau croyant qu'on lui barrait le passage.] [La cel- lule (163); l'accès après des excès (60). Prédis- posé par l'hérédité.] Il parle à voix basse, voit des choses agréables (76), puis ces choses tour- nent contre lui. [Le gardien impassible qui le


1. Il ne fait pas usage de son épée.

2. (Voyez plan du chapitre XXI (primitif) etEbaucJie, p. 103, note 1).

3. Références à l'ouvrage consulté. Voy. les notes sur Y Alcoolisme, p. 164, note 1).


COMPOSAIT SES ROMANS 309

garde; l'interne reste; cas 1res curieux. Le mé- decin le laisse et l'interne prend des notes ; (le petit sourire. Portrait du médecin et de l'interne. Pesanteur de tête; peau chaude. Traitement des pots de limonade et des purgations. Le faire toujours gueuler et s agiter, en augmentant. Le tremblement n'est qu'aux mains. Le tremble- ment rythmique et à oscillations courtes et rapides, s'arrête et reprend. Irritable, impres- sionnable. Mobilité des hallucinations : les cor- beilles de fleurs qui grandissent et qui se cou- vrent d'animaux (60); on a embauché des phy- siciens. Le corps entier imprégné d'alcool. Les quelques mots du chirurgien. [Dégénérescence graisseuse.] Douleurs partout.

Second morceau : Angoisse inexplicable. [Tristesse.; Supplication. Toutes les sensations perverties. Sans cesse en mouvement. La femme (56). Le tremblement, et aux mains et aux pieds. Le vin sent l'eau-de-vie, etc. . . — Pas de camisole. A très soif. Loquace, incohérent, diffus. La parole brève, saccadée. Le travail continu sur la peau; les ondes (113). Tremblements ryth- miques; prendre dans le premier.

Fièvre à 40 degrés, grave; le désordre du mouvement, très grave; les ondes, même pen- dant le sommeil, très grave.

Troisième morceau : Sur un toit avec des ani-


310 COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS

maux, il voit Lantier avec sa femme. Ses occu- pations de couvreur reviennent. Le gaveur (50). Le tremblement gagne le tronc. Les pieds qui passent et qui s'agitent dans le sommeil. (Un portrait de Coupeau mort regardé parGervaise). p]ntend des provocations (40). La nuit, les hall u- cinations plus fortes. Cadet-Cassis. Le travail généralisé (113, à lire). Les cris de souffrance de la moelle, sous la main. La résolution du corps , par le tremblement. Roideur du cou, avec gri- mace dans la face. Déviation conjuguée des yeux, à droite. Un peu d'écume aux lèvres (120). Un alcoolisé voit sortir de sa bouche une fumée épaisse qui se répand dans la chambre.


Fin des plans.


NOTES


Enfin, à la suite des Plans, notre dossier contient quelques feuillets 1 où sont jetés pêle-mêle, des notes brèves et sans liens, renseignements, faits, épisodes ou anecdotes que Zola reportait ensuite dans les chapitres où elles devaient trouver place. Nous publions ci- dessous ces derniers documents :


L'épisode où il [Lorilleux] l'accuse [Gervaisel presque de vol (chap. XII).

La Noël chez Auguste, au Moulin d'Argent.

Coupeau ne sait pas écrire ni lire.

Bazouge, troisième chambre dans le corridor avant d'arriver chez les Lorilleux (chap. X).

Le drame des Goujet (eh. IV). Madame Goujet, vêtue de noir avec sa coiffe monacale. La chambre de Gouget ; petit lit de fer, garni de rideaux, une table, une toilette, une étroite bibliothèque ; au mur des images du haut en bas, coupées dans les jour- naux illustrés (gravures coloriées). Le tambour ; l'agilité de l'aiguille refaisant la maille (ibid.).


1. Ces feuilles de papier servaient à Zola d'appuie-main.


312 COMMENT EMILE ZOLA

Les économies des Goujet mangées. Ils avaient prèle de l'argent aux Coupeau qui espéraient réussir, rendre vingt francs par mois!.

Les Goujet au théâtre [inutilisé).

Au bout de vingt ans, elle (Gervaise) espérait se retirer à la campagne ch. XIII).

Le mariage manqué de Goujet.

Les Lorilleux ayant de l'influence sur Coupeau, le prenant (ch. IV).

Coupeau vis-à-vis d'Etienne (ch. VII).

La maison revenant avec la chambre en haut, après la boutique (chap. X).

Marescot, fort, osseux, mains immenses d'ancien ouvrier. Cancans avec les concierges ; pas fier.

La loge des Boche, noire ; l'établi de tailleur devant la fenêtre.

L'appartement : chambre de Nana, lucarne ronde près du plafond. Humide et très sombre.

Le Veau à deux têtes, restaurant rue des Poisson- niers. Bétel Bôncœur, tenu par Marsoullier.

Lantier, petit, très brun, d'une jolie figure, avec minces moustaches qu'il frisait. Accent provençal. Auguste Lantier.

Charles, garçon du lavoir (ch. I .

Gervaise grossit comme sa mère. Elle boite fort à 33 ans.

V Assommoir avec la machine et les détails. La machine fait froid à Gervaise.

Madame Coupeau, ancienne giletière.

Madame Lerat, rue des Moines, aux Batignolles.

Cidel-Cassis n'est plus Cadet-Cassis. Il est né au 22, rue de la Goutte-d'Or.

Lariboisière auquel Coupeau a travaillé.


COMPOSAIT SES ROMANS ■ 313

Une femme qui chante dans la maison pendant des heures.

Le côté du soleil dans la cour. Le logement rêvé par Gervaise avec les haricots d'Espagne, au cinquième, encoignure de gauche. 300 loca- taires.

[Gervaise] autrefois pas sage, [a] couché à 14 ans; litre d'anisette.

Pas de volonté, très faible, perdue par le milieu. Peur de la tentation.

La peur que Coupeau a des Lorilleux.

Les Lorilleux, au sixième, escalier B. 1 er étage, Baudequin, dessinateur. — 2 me et 3 me plus tran- quille : Madame Gaudron, cardeuse; M. Madinier, atelier de cartonnage. — 4 m % Bernard; — au 5 m ° la famille Coquet sur le palier — au 6 me , mademoi- selle Clémence, repasseuse; mademoiselle Remanjou (ch. II).

Chez les Lorilleux, boyau en deux; rideaux laine déteinte et pièces; lit sous angle; un poêle, deux chaises; une table et une armoire entre lit et porte; corniche sciée.

Madame Lorilleux, petite, rousse, assez forte.

La première année [les Coupeau rendent' vingt francs par mois; on additionnait le livre et elle

Gervaise] ajoutait l'apport (le blanchissage, huit ou

neuf francs. Elle avait rendu la moitié de la somme quand elle avait emprunté pour loyer, deux autres fois pour des ouvrières. La dette était remontée à 425 francs. Maintenant, elle se libérait par le blan- chissage seulement; et elle reprend l'argent du blanchissage. Madame Goujet sévère pour qu'on rapporte tout et à jours fixés. Elle ne brûlait pas les

27


314 GOMMENT EMILE ZOLA

pièces, ne les déchirait pas, n'arrachait pas les bou- tons (ch. IX).

Les boîtes de Poisson; bois de boîtes à cigares; canifs; petites scies, pot à colle.

Poisson, petit héritage d'une tante. Il veut établir sa femme; elle, couturière, en attendant.

Gervaise était retournée quand elle voyait Vir- ginie, qui lui rappelait Lantier. Plus tard, quand Lantier est là, elle est calmée. La rancune de Virgi- nie pour la fessée (ch. VIII).

Gervaise et maman Coupeau, s'entendant assez bien, se disputant pourtant.

Nana chez les Lorilleux, son parrain et sa mar- raine.

La maréchalerie en face; toute la journée, les marteaux.

L'idéal de Gervaise : travailler, manger du pain, avoir un trou à soi, élever ses enfants, ne pas être battue, mourir dans son lit (càap. II).

Le portrait de Coupeau dans son vomissement; cheveux frisés, blancs (chap. VIII).

François s'était engagé à ne jamais présenter la note. Coupeau avait l'œil (inutilisé).

Madame Gaudron, neuf enfants.

Mobilier de maman Coupeau : lit, armoire noyer, dans la chambre au linge sale; on fait rempailler deux chaises.

Boulangerie Candeloup, rue des Poissonniers; boucher, le gros Charles, rue de Polonceau, épicier, Lehongre, rue de la Goutte-d'Or; vin (panier de 25 litres), François Vigouroux. Le quartier la salue, la respecte [Chap. IV]. Plus tard? Elle va chercln des portions, chez le traiteur.


COMPOSAIT SES ROMANS 315

Rue des Portes-Blanches (Ch. VI, p. 205).

Le travail de Gouget; cet homme habitué a un martellement continu, gentil pour Gervaise. Les journées de Goujet de 12 fr. à 9 fr. et ça baisse encore (ch. IX).


Fin du Dossier.


ni


LE TRAVAIL DU STYLE


Il est à peu près nul. Comme George Sand, Gau- tier, About, Emile Zola ne connaît pas la recherche et le labeur du style lui semble une duperie. « Il faut être vieux dans le métier, disait Goethe, pour s'en- tendre aux ratures. » Zola ne fait pas de brouillon et ne rature presque jamais. 11 écrit rapidement, d'un premier jet, car les coupes, l'harmonie, l'en- semble, la facture générale, tout cela est déjà réglé et voulu dans les plans. Quand il se trouve arrêté, il ne s'obstine pas ; il prend une autre feuille de papier, recopie ce qu'il a écrit sur la précédente et trouve alors, à coup sûr, le mot ou la phrase qu'il cher- chait. On peut dire de lui, comme de Balzac 8 , que l'œuvre une fois écrite, il ne se préoccupe plus ou n'est plus capable de la reprendre pour la refondre,

1. Voy. les études de M. Antoine Albalat, sur le Travail du style.

2. Mario Roques : Manuscrit et Editions du « Père Goriot. — Revue Universitaire, juin 1905.





COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS 317

l'équilibrer, la parfaire ». Nous sommes loin de Gus- tave Flaubert qui « retravaillait la page achevée, la recommençait, changeait les tournures, essayait des variantes ». Les manuscrits de Zola ne présentent aucun remaniement important. Ça et là quelques phrases sont supprimées, qui étaient inutiles à l'effet de la description. On relève aussi un certain nombre de corrections purement formelles : l'auteur abrège ou substitue au premier texte des mots plus précis, plus exacts ; mais la plupart de ces retouches sont d'ordre secondaire. Il est donc assez malaisé d'en discuter la va/eur et les motifs; renseignement qu'on en peut tirer est assez décevant. Disons cepen- dant que ces corrections semblent surtout inspirées « par le besoin de clarté » et ordinairement « elles réduisent ie texte 1 ».

Nous avons choisi pour exemple le premier cha- pitre de Y Assommoir, il nous offre en effet une grande variété de morceaux : descriptions, dia- logues, récils. Nous y relèverons scrupuleusement quelques ratures, changements d'expressions, sup- pressions, afin de montrer la façon dont Emile Zola rédigeait ses romans.

Les différents états du texte de ce chapitre sont représentés par :

1° Le manuscrit (N Mes acq. franc. 10270 ; 801 feuillets). Les feuillets n'ont d'écriture qu'au verso etprésentent très peu de ratures mais il est clair, par ce que nous savons de la méthode de travail de l'auteur, que ce n'est pas là la copie d'une rédaction antérieure. Ce

1. D r Toulouse. Emile Zola.

27.


318 COMMENT EMILE ZOLA

manuscrit servit à composer le feuilleton du Bien Public 1 .

2° Le Bien Public ; feuilletons du 13 avril au 7 juin 187G; texte très peu différent de celui du manuscrit. Zola y fît ensuite de nombreuses correc- tions, dont le résultat nous est donné par l'édition originale.

3° Edition Charpentier ; un volume in-18, 1877.


Nous prenons pour point de départ l'édition Char- pentier (1877) et nous indiquons les différences entre les deux rédactions antérieures et ce texte définitif. Nous désignons par Ms le manuscrit, par B. Pc le texte du Bien Public.

Les [ ] enferment les portions de texte du Bien Public qui manquent à la rédaction définitive ; nous imprimons en italiques les mots ou phrases du manuscrit ou du feuilleton qui ont disparu, soit par correction, soit par suppression du texte de l'édition Charpentier. Enfin nous laissons de côté quelques corrections tout à fait secondaires.


Le titre de l'ouvrage n'a jamais été modifié, mais en 1876 il est accompagné du sous-titre : Étude des mœurs 'parisiennes .

Assommoir. Chapitre 1 er .

Page 1, ligne 4 : « Depuis huit jours, au sortir


1. On sait que le Bien Public dut interrompre au milieu la publication de l'Assommoir ; la seconde partie parut dans la République des Lettres, revue dirigée par M. Catulle Mendès.


COMPOSAIT SES ROMANS 319

du Veau à deux têtes, où ils mangeaient, [il la plantait au coin du trottoir de la rue des Poissonniers et] l'envoyait se coucher avec les enfants... » (B. Pc).

Ibid. ; ligne 8 : « Ce soir-là pendant qu'elle guettait son retour, elle s'était imaginée le voir entrer au bal du Grand-Balcon,... » (B. Pc).

Page 2 ; ligne 4 : « Pour la première fois, il découchait. Elle ne s essuyait pas les yeux r elle pleurait, assise au bord du lit, sous le lambeau de perse qui pendait de la flèche... » (Ms).

Ib. ; ligne 6 : « Et lentement, de ses yeux noyés de larmes... » (Ms).

Ib. ; ligne 16: « ... tandis que, le long des murs, sur le dossier des meubles, pendaient les dernières nippes, un châle troué... » (B. Pc).

Ib. ; ligne 19. « Au milieu de la cheminée, entre deux flambeaux de zinc dont la peinture s écaillait, il y avait un paquet rose de recon- naissances du Mont-de-Piété... » (Ms).

Ib.; ligne 23 : « Claude qui avait huit ans, ses petits bras rejetés hors de la couverture... » (Ms; barré).

Ib.; ligne 30 : « Et pieds nus, sans songer à mettre ses savates tombées, elle revint s'accou- der à la fenêtre, elle reprit son attente de la nuit, interrogeant les trottoirs, à droite et à gauche, au loin. » (Ms ; barrés.)


320 COMMENT EMILE ZOLA

Page 3; ligne 3 : « L'hôtel était situé sur le boulevard de la Chapelle. » (Ms; barré.)

Ib. ; ligne 10 : « Gervaise, que la lanterne gênait, se haussait, son mouchoir toujours tam- ponné sur la bouche. » (Ms ; barrés.)

Ib.; ligne 16 : « Elle regardait à gauche, enfi- lant un long bout d'avenue s'arrêtant presque en face d'elle, à la masse grise de l'hôpital Lariboi- sière [dont le gros œuvre était à peine terminé, et dont une armée de couvreurs posaient les toitures] (B. Pc).

ïb. ; ligne 19. « Lentement, aussi loin quelle le pouvait, elle suivait le mur de l'octroi... » (Ms; barré).

Ib. ; ligne 27 : « ..., elle apercevait une grande lueur, une poussière de soleil, [toute] pleine déjà du grondement matinal de Paris. Mais c'était toujours à la barrière Poissonnière qu'elle reve- nait, le cou tendu, les [regards fixes]... » (B. Pc).

Page 4; ligne 3 : «... un défilé [compacte , sans fin, d'ouvriers allant au travail, leurs outils sur le dos, leur pain sous le bras. [Des boule- vards extérieurs, de la rue des Poissonniers, de toutes les rues voisines, débouchaient dos groupes, de ce pas régulier ej; alourdi des tra- vailleurs.] (B. Pc.)

Page 5; ligne 16 : « Par moment un ouvrier s'arrêtait [court]... » (B. Pc).


COMPOSAIT SES ROMANS 321

îb. ; ligne 20 : « ... par la rue béante du Fau- bourg-Poissonnière. [Ce défilé muet, se bouscu- lant sur les pavés, dans le froid du matin, faisait songer à une armée en marche, allant à quelque bataille dont pas un des soldats ne devait revenir. | (B. Pc.)

Ibid. ligne 18 : « Cependant... chez les deux marchands de vin qui enlevaient leurs volets, des hommes s'arrêtaient', et avant d'entrer, ils restaient par groupes sur le trottoir, avec des regards obliques sur Paris, les bras mous, déjà gagnés [par] une journée de saoùlerie. » (Ms ; barrés).

Page 6, ligne 13 : « ... pour trouver au lit un employé qui devait le raccommodage d'une redingote à son mari» (Ms ; barré).

Page 7, ligne 27: « ... toute une marmaille mal mouchée, montrant des pans de chemise, se bousculait... » (Ms ; barré).

lb., ligne 29 : « Alors Gervaise se sentit étouffer, prise d'un vertige d'angoisse... » (B. Pc).

Page 8, ligne 22: «Il l'avait écartée, d'un geste » (Ms ; barré).

lb., ligne 31 : « (îervaise [qui était) retombée sur la chaise, les mains encore tremblantes, se plaignait doucement, par courtes phrases essouf- flées, haletantes » (Ms ; barrés).

Page 9, ligne 18 : « Et elle étouffa les larmes


322 COMMENT EMILE ZOLA

des petits, en les serrant entre ses bras. Elle bai- sait leurs cheveux, elle les recouchait avec des paroles de tendresse. » (Ms ; barrés).

Page 11, ligne 5 : « Elle est propre celle-là, avec ses airs de princesse... » (B. Pc).

Iè., ligne 25 : Pendant [quelques minutes les plaintes des enfants qui s'apaisaient peu à peu, emplirent seules la chambre nue et en désordre . Leur mère... » (B. Pc).

Page 13, ligne 28 : « ... Quand il vit sur la commode, un reste de jambon dans un papier, avec un bout de pain. » [Les enfants pourraient toujours manger un morceau] (B. Pc).

Page 17, ligne 15 : « ... la concierge..., se mit à parler, d'une façon continue, sans lâcher sa besogne » (B. Pc).

Page 22, ligne 22 : « Il faisait trop chaud ; des raies de soleil... » (Ms; barré).

lb., ligne 24 : « ... ; une gaieté formidable roulait, [avec une violence brusque de tem- pête] » (B. Pc).

Page 23, ligne 27 : « Gervaise avait vivement levé la tête, [les lèvres tremblantes] » (B. Pc).

Page 26, ligne 13 : « L'enfant [battit des pau- pières], se troubla de nouveau. [11 ne se rappe- lait pas s'il y avait une dame] » (B. Pc).

Ib. , ligne 22 : « De courts frissons secouaient ses épaules » (Ms ; barré).


COMPOSAIT SES ROMANS 323

Ib., ligne 25 : « ... s'enfonçait davantage les poings dans les yeux, comme pour s'anéantir dans le noir abominable de son abandon. » (M s ; barré).

Page 27, ligne 1 : « Cette course-là, c'était une abomination, le point le plus aigu de son désespoir » (Ms ; barré).

Page 28, ligne 33 : « Si elle m'avait attrapée [avec son seau], je lui aurais joliment retroussé ses jupons » (B. Pc).

Page 29, ligne 21 : « Est-ce qu'on ne peut plus [venir] laver son linge tranquillement? » (B. Pc).

//;., ligne 25 : « ... grisée par le flot de ses injures, emportée, [ayant le besoin de gueuler encore » (B. Pc).

Page 32, ligne 5 : « Mais elle fit un saut en arrière, elle retourna se réfugier entre les deux baquets... » (Ms ; barré).

Ib., ligne 22 : « ..., trois longues égratignurcs descendant de la bouche sous le menton ; [elle eut aussi le dos criblé de coups d'ongle, des taches roses dans le duvet doré de sa nuque] (B.Pc).

Ib., ligne 24 : Gervaise visait ses oreilles, s'en- rageait de ne pouvoir les prendre ; [elle lui avait à trois reprises labouré les tempes], quand elle saisit enfin [la boucle de l'oreille droite], une poire de verre jaune; elle tira, fendit l'oreille,


324 COMMENT EMILE ZOLA

le sang coula. [Virginie eut une plainte sourde, se baissa, la serra aux cuisses, lui mangea les genoux à travers sa jupe. Gervaise fut renversée: mais elle la tenait de nouveau par la queue de son chignon, elle l'attirait à elle, enfonçait sa bouche dans ses cheveux, lui mordait le crâne. Toutes deux, par terre, se dévoraient avec des grognements étouffés de bête] ! (B. Pe).

Page 33, ligne 5 : « Des bras nus se tendaient ; trois bons soufflets retentirent » (Ms ; barré).

Page 34, ligne 10 : « Gervaise porta le pre- mier coup; son battoir [tomba sourdement! sur l'épaule de Virginie. [Elle lui cria :

— N'y a donc pas de savon que ça ne mousse pas ?

Puis [elle] 2 se jeta de côté pour éviter lei battoir de celle-ci, [et fut effleurée] à la hanche* Alors, mises en train, elles se tapèrent comme les laveuses tapent leur linge, [à coups régulier?, frappés] en cadence. Quand elles se touchaient, le coup s'amortissait, on aurait dit une claque dans un baquet d'eau. [Elles avaient un soupir, une plainte involontaire et c'était tout ; elles s'acharnaient, ne sentant pas les meurtrissures. D'ailleurs, jusque-là, elles ne s'étaient lait aucune blessure grave] (B. Pc).

1. Les mots en italiques supprimés dans le Bien Public.

2. Ce dernier trait ne figure que dans le manuscrit.


COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS 325

Page 36, ligne 16 : « Et, boitant fortement sous le poids du linge mouillé qui sêgoutlait à son épaule... » (Ms ; barré).

Ib., ligne 23 : « Les laveuses... mises en train par le coup de torchon de Gervaise et de Vir- ginie » (Ms ; barré).

Iù., ligne 24 : « Le long des baquets s'agi- laient une fureur de bras, des profils anguleux de longues marionnettes... » (B. IV.

Ib., ligne 28 : « Les robinets pissaient... » (Ms ; barré).

Page 37, ligne 15 : « Quand Gervaise franchit le pas de l'allée de 1 hôtel Boncœur, les larmes [ Tétouffèrent de nouveau] (B. Pc).

11)., ligne 22 : « En haut la chambre était ride, pleine de soleil » (Ms; barré).

Ib., ligne 23 : « Ce coup de soleil, cette nappe de poussière d'or dansante, rendait [plus: lamentables, le plafond noir, les murs au papier arraché. 11 n'y avait plus, à côté de la porte, qu'un petit fichu de femme, pendant comme une ficelle » (Ms; barrés).


CONCLUSION


Nous pouvons, dès maintenant, répondre à quel- ques-unes des questions que nous nous sommes posées au début de cette enquête. En étudiant les différentes parties du dossier de V Assommoir, nous avons suivi les étapes successives de l'édification du roman, nous avons vu comment il est né dans l'esprit de l'auteur, comment il s'y est développé et s'y est fixé; nous en avons démonté le mécanisme, nous l'avons examiné dans ses rouages; nous savons la valeur des matériaux dont il est formé; nous con- naissons la nature de l'inspiration qui l'a créé. Il nous reste à tirer de toutes ces remarques quelques conclusions générales sur l'œuvre et l'individualité littéraire d'Emile Zola.

Emile Zola n'a pas l'observation naturelle et spontanée. 11 part toujours d'une idée générale et préconçue, « sans avoir ni un fait ni un person- nage ». 4 ; il veut peindre une classe, un groupe, un milieu qu'il connaît plus ou moins sommairement. « Un fait observé, écrit le théoricien du roman


1. Un de nos romanciers naturalistes veut écrire un roman sur le monde des théâtres. Il part de cette idée générale, sans avoir ni un fait ni un personnage (Zola, Rom. Expèr.).


COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS 327

expérimenta], devra faire jaillir l'idée de l'expérience à instituer, du roman à écrire. » Or voyez comment l'artiste procède. « Mon roman, dit-il, doit être ceci: Je veux montrer le milieu peuple », et alors seule- ment, il se met en campagne pour consulter la réalité vivante et recueillir des observations qui ne lui servent guère qu'à remplir un cadre depuis long- temps préparé. Le romancier expérimentateur, pré- tend-il encore, doit « voir, comprendre, inventer »*; lui, Zola, invente, voit, puis donne aux faits observés « la flamme de sa nature et l'arrangement de son goût ». C'est donc de parti pris, par système ou, si l'on aime mieux, par volonté et par scrupule qu'il observe; mais il n'y a chez lui aucune sincérité d'émotion naïve et primesautière; au contact des choses et du monde, il semble ne jamais avoir tres- sailli. « Lorsque Zola ne voulait plus observer, dit le D p Toulouse, dans la rue, en visite, son attention tombait. Quand il préparait la Terre, il s'occupait des paysans, mais aucune observation sur les mili- taires ou les financiers ne l'aurait intéressé. »

Donc, son observation est volontaire et concertée. Veut-il faire une étude, il commence un dossier; il rassemble dans des notes tout ce qu'il a pu savoir sur son sujet, car, dit-il, « c'est là la grande force du vrai, il reste éternel; tout document apporté est incontes- table » : théoricien du naturalisme scientifique en littérature, il entend que Ton mesure la valeur d'une production littéraire à celle des documents qu'elle contient. Or si l'observation d'Emile Zola n'a rien d'un naturaliste, sa documentation n'a rien d'un sa-

1. Zola, Rom. Expérim., p. 11.


328 COMMENT EMILE ZOLA

vant : scrupuleuse jusqu'à la manie, abondante jus- qu'à la prolixité, elle est, le plus souvent, sans portée et superficielle; elle demande la vérité à des témoins presque toujours suspects : aux journaux, aux revues, aux manuels. En devons-nous conclure que l'œuvre de Zola n'ait aucune valeur? Ne confondons pas Fart avec la science : il nous est trop facile de faire porter à Zola la peine de théories qui ne sont que la façade de son œuvre, et c'est se condamner à ne la jamais comprendre que d'en chercher la nature dans les idées du romancier expérimen- tateur. « Je ne suis pas un savant, avouait Zola en 1896, je suis un romancier. Tout ce qu'on doit me demander c'est de partir du connu, d'établir solidement le terrain où j'entends me placer, et c'est pourquoi je me documente, puisant aux sources indispensables. Ma fonction ne commence qu'en- suite, et ma fonction c'est de faire de la vie avec tous les éléments que j'ai dû prendre où ils étaient. La question est uniquement de savoir si j'ai su assembler sur un sujet tout ce qui flotte [dans l'air du temps, si j'ai su, d'une main solide, choisir et nouer la gerbe, si j'ai su reprendre, résumer et recréer les choses et les êtres, à ce point de formuler l'hypothèse de demain, d'annoncer l'avenir. Ai-je donné mon souffle âmes personnages, ai-je mis sous le soleil des êtres de chair et de sang, aussi éternels que l'homme? Si oui, ma tâche est faite et peu im- | porte où j'ai pris l'argile. » ^

    • ' Et afin de savoir sur quel terrain il se trouve pour

bâtir i'hypotlïèse nouvelle qu'il apporte, nous avons vu que ce sont de longs mois d'enragées poursuites, pendant lesquels il accumule les notes et les obser-


K


COMPOSAIT SES ROMANS 329

valions avec une persévérance admirable ; mais ces notes ne sont que les moellons dont l'artiste dispose à son gré pour élever son édifice ; ces matériaux, ces documents, il les assemble, les anime, les soulève de son souffle de créateur puissant et robuste et en fait de la vie. — Il se peut que le roman soit alors « une expérience scientifique », mais c'est à coup sûr « une expérience scientifique conduite à toute volée d'imagination ». Et voilà où nous en voulions venir : Zola, encore que suffisamment documenté, invente beaucoup plus quil n observe. Par système d'école, malgré tout, il fit un immense effort pour être natu- raliste ; il mit son énergie et son opiniâtreté à éliminer ce qu'il appelle le virus romantique, à asservir sa nature à une méthode scientifique et rigoureuse, à tendre vers la simplicité; et, par là même, son œuvre se trouve au confluent des deux grands courants -du xix c siècle, « le courant d'obser- vation partant de Balzac et le courant de rhétorique savante partant d'Hugo ». D'autre part, elle nous est apparue comme le fruit d'une réflexion ordonnée et d'un travail acharné, unis à une robuste imagination créatrice et à une vision puissante et fruste de la nature des êtres et des choses.

Maintenant, que vaut l'œuvre de Zola en tant qu'oeuvre d'art? « A-t-il vraiment enfanté un monde, a-t-il mis sous le soleil des êtres de chair et de sang aussi éternels que l'homme? » Ce sont là des ques- tions que nous n'avons pas à résoudre. Nous avons fourni les matériaux qui permettront d'y répondre, et nous croyons avoir ainsi facilité la tâche au critique sincère et intègre, qui se résignera à ne s'occuper que de l'œuvre en soi, d'une façon intense,

28.


/


330 COMMENT EMILE ZOLA COMPOSAIT SES ROMANS

comme disait Flaubert, qui voudra étudier sa com- position, comprendre sa structure et pénétrer le secret des causes de ce qui en émane.

Nous espérons que la lecture de ces documents servira à modifier quelques jugements trop sévères ou trop prompts; on y puisera, à tout le moins, d'ad- mirables leçons de travail, de patience, de volonté et de persévérance, et l'on s'inclinera devant le labeur d'un homme qui fut à la fois le plus infati- gable des ouvriers de lettres et le plus honnête des artistes.


FIN


APPENDICES


Notes d'argot.


En écrivant V Assommoir, Zola dit « avoir eu la curiosité de ramasser et de couler dans un moule très travaillé la langue du peuple », et « la volonté de faire un travail philologique ». Comme l'a remarqué M. Brunot, ce n'est plus seulement « dans la bouche des personnages qu'est l'argot, mais dans celle de l'auteur. Du dialogue, il entre dans le récit... Zola fait passer l'argot du style direct au style indirect, l'étendant jusqu'aux endroits où il rap- porte, non point les dires, mais les pensées de ses gens, qui pensent partie en argot. Puis, comme il n'est guère de scène que l'auteur ne puisse considérer du point de vue des personnages, qu'il ne puisse présenter telles que ceux-ci les voient et les présenteraient eux-mêmes, la langue du milieu devient celle de l'auteur. » Il dut par conséquent se livrer à des études spéciales. Il compulsa les dictionnaires spéciaux, surtout le Dictionnaire de la langue verte de Delvau ' ; pour bien le posséder et se

1. Alfred Delvau : Dictionnaire de la langue verte, in-8°,1868.


332


APPENDICES


rafraîchir la mémoire, il en fit uti abrégé, choisissant et notant sur des fiches les termes dont les ouvriers avaient usé le plus fréquemment devant lui. Nous le reproduisons ci-dessous pour les curieux de langage populaire.


Expressions prises dans le Dictionnaire de lu Langue verte d'Alfred Delvau '.


Abatis.

Abouler.

Affutiaux.

Agonir d'injures.

Agripper.

Andouille.

Arsouille.

Asperge montée.

Atout.

Attraper (S').

Avoir avaléle pépin (enceinte .

Avaler sa cuiller (monrir).

Avoir mangé ses pieds (puer).

Baffre.

Balade.

Balancer.

Balle.

Balthazar.

Baluchon.

La Banban (boiteuse).

Baquet (blanchisseuse).

Bassin.

Battre l'œil (S'en).

Baver parler .

Bécoter.

Bedon.

Béguin.

Bligne.

Bibelot.


B'gorneau (sergent de ville).

Birbe.

Bisbille.

Blanchisseuse de tuyaux de

pipe (putain). Blouse (La) (le peuple . Blouser (Se). Bobêchon. Blonde (Sa).

Bœuf (Avoir un aplomb . Bonnichon (petite bonne). Boscot (bossu). Bosse (plaisir). Bouffer le nez (Se). Bougon-onner. Boule.

Bouler quelqu'un. Boulotter. Bourrichon. Boursicot. Bousiller. Bousin. Bousingot. Boustifaille. Boutique (Montrer ei Boyau rouge (soûlard). Braise (Abouler la). Bricole. Briser (Se la). Brossée.


1. Pour la signification de ces mots, voyez ce dictionnaire.


APPENDICES 333


Brûlé.


Comte du Gigot fin.


Bu (Il est .


Conjungo.


liai?er-Cadet.


Consolation.



Corbeau (prêtre).


Cafarde (La) ; (la lune).


Coterie.


Caisson tête).


Corvette (cousine\


Calebasse grande .


Cotillon.


Calicot.


Cotrets (jambes).


("aime et inodore (Etre).


Etre à la coule.


Caloquet (chapeau .


Coup de bouteille (rougeur du


Camard.


visage).


Camelote.


Crapoussin.


Camoufle.


Cravate de couleur arc-en-ciel.


Camphre (mauvaise eau- de-


Crêper le chignon.


vie).


Creux (Bon).


Canule- ant.


Crevaison.


Carapatter


Crever (S-).


Carotteur.


C-in.


Cas {Montrer son .


Criquet.


Casaquin.


Crocher (Se) (se battre).


Casque.


Crier comme une merluche.


Casse-gueule.


Crosser quelqu'un.


Casse-poitrine.


Crotte (Etre dans la).


Cauchemarder.


Cuire dans son jus.


Cavaler (Se).


Cuite (Une).


C'est le chat!


Culotter (Se).


Chaloupe (Femme à) [toilet'e



tapageuse].


Dalle (Se rincer la ;.


Chançard.


Danse (Une .


Chaud de la pince amoureux).


Danse (Je la .


Chausson (femme .


Débagouller.


Chelinguer.


Déballage.


Chenillon (femme .


Débine.


Chic.


Décaniller.


Chiffe.


Décarrer.


Chiffon.


Décati.


Chipette.


Dêche.


Chique.


Décoller (Se).


Chouette.


Décrocher u;i enfant (faire


Clam pin.


avorter).


Clabauder.


Décrotter un :>igot.


CocarJer.


Défiler la parade.


Coco.


Défriser.


Cœur d'artichaut.


Dégelée.


Coller un pin.


Dégommer.


33t


APPENDICES


Dégotter.

Dégouliner.

Démantibuler.

Déménager à la ficelle.

Seize ans, toutes ses dents et

pas de corset. Dépiauter. Déplumer (Se). Dépuceleur de nourrices. Dessalée (Une). Devant de gilet (Les sans). Dindon. Dindonner. Dîner par cœur. Dans l'œil (Taper). Donner de coups de pieds (Ne

pas se). Dormir en chien de fusil. Douille.

Drogue (femme). Droguer. Drôlichon. Dur à la détente. Des navets !

Eberlué (aveugle).

Echalas

Echarpelle.

Ecorche-cul (A).

Ecorcher.

Egueuler.

Emballer (S 1 ).

Embobiner.

Embrouillamini.

Empaumer.

Empêtrer (S 1 ).

Emplâtrer.

Empoté.

Emu (Etre).

Enchiffrené.

Endormir sur le rôti (S').

Engoncé.

Enlever le ballon.

Entonner (boire).

Entripailler.


Envoyer à la balançoire.

Envoyer paître.

Epate — ant.

Eponge (soûlard).

Esbigner (S 1 ).

Ergots.

Esbrouffe.

Escofûer.

Esquinter (S').

Estrangouiller.

Eta'er sa marchandise.

Et mèche!

Etre dans tous ses états.

Etre d'un bon suif.

Et ta sœur !

Eventail à bourrique (bâton),

Faire de vieux os.

Faire ramasser (Se).

Faire un pli (Ne pas).

Farfouiller.

Fendant.

Fessées.

Festonner.

Fiche (Je t'en).

Fiérot.

Fifrelin.

Fignoler.

Fil (Avoir le).

Fil-en-quatre.

Fion (Coup de).

Fiston (Mon).

Flambé (Etre).

Flanches (Tuj.

Flanocher.

Floquée de monde (Une).

Flouer.

Foire d'empoigne (La).

Folichon.

Flûter.

Fouiller : Se).

Fouille-au-pot.

Fourbi.

Fourgonner.

Fourrer dans le gilet S'en .


APPENDICES


335


«Yicasser. Fricoter. Frigousse. Frimousse. Fripe.

Frire (Rien à . Frisquet. Frottée. Frusquer.

Fusil (Se coller dans le). Fusée (vomir).

Gabéju. Gai Etre). Galopiau. Galvauder. Gambiller.

Gargariser (Se) (Se rincer). Gargoter. Gargouiller. Gaupe (611e). Gaviot ^Serrer le). Gaver (Se). Gasouiller. Gaz (Allonger son . Genre Que ça de). Gigoter. Gigue Grande. Giries. Gloria. Gnangnan. Gniaf. Gnognotte. Gnon.

Gobelotter (de cabaret en ca- baret . Gober. Goberger. Gobichonner. Goret.

Gouine (fille). Gouape. Goule (La). Goulot Ton . Gouliatfre.


Graffigner.

Grappin (Mettre le).

Gratte (La).

Greluchon.

Grenier à coups de poing

(femme). Gringuenauder. Grises ; En voir de). Grue. Guenillon. Guenon. Guette ! Gueulardise. Gueuletonner. Gueusailler. Gueuse. Guibotter. Guigne. Guimbarde.

Hallebarde (grande femme). Haria (embarras). Hôtel du rat qui pète. Huile de cottret. Humecter (S').

Il a plu sur sa mercerie. Imbiber S' . Ingurgiter. Interloquer.

Jabot.

Jabotter.

Jacasse.

Javotte.

Jeter du cœur sur du carreau,

Jigler (liquide).

Jobarde.

Jordonne (Mademoiselle).

Jouera la roufle (dormir .

Jubiler.

Jus (Avoir du).

Lâche-moi le coude. I Lâcheur.


336


APPENDICES


Laisser tomber son pain dans

la sauce. Laisser ses bottes. Lampée. Lampions (yen L interner. Lantimèche. Lerd (Sauver son . Large des épaules. Lascar.

Laver à^perte). Lever. Lésiner. Liarder. Lichade. Loir.

Loucher de la jambe. Loufiat. Loupiat. Loupe. Louper. Lune.

Macchabée.

Madame Tire-monde ou Tire- pousse (sage-femme).

Magot.

Maigre comme un cent de clous.

Main de beurre (maladroite .

Mandibules.

Manger les pissenlits par la racine (Être mort).

Mangeuse de viande crue (pu- tain).

Mannezingue.

Maqua Maquerelle),

Mardi, s'il fait chaud.

Marcher dedans.

Margot.

Marie -bon-bec.

Marie-couche-toi-là.

Mastoc.

Matou (coureur).

Mécaniser.


Mèche.

Mener les poules pisser.

Menteuse La) (la langue).

Menottes.

Merlan Le .

Miche.

Miroir à putains.

Mollasse.

Môme.

Monsieur Hardi.

Monsieur Pètesec.

Mornifle.

Morveux.

Moussier.

Moutardier le cul .

Moutard.

Muche.

Muffetou.

Nabot.

Net comme torchette. Nettoyer.

Nichons les seins . Nom d'un chien ! Nounou.

Numérote tes os, je vais te démolir.

Ongles en deuil. Orange à cochons pomme de terre .

Paffer Se .

Pain Et du .

Panais (Etre en être en

mise). Panne (misère). Pantalons rouges Les Papoter. Parti Etre,. Patagueule. Patoches (mains . Patrouiller. Panne (En). Peignée. Pelotter.


APPENDICES


337


Pelure.

Pépée (poupée).

Pet, pétard.

Pétaudière.

Petzouiile.

Piailler.

Pichenet.

Pieds à dormir debout.

Pieu (lit).

Piger.

Pimbêche.

Pioche (Tète de).

Pioneer.

Pitancher.

Piton.

Plan (être eu).

Platée.

Pleutre.

Plus fine (m...).

Pogne (La).

Pomme.

Pommé.

Pomper (boire).

Pompette.

Pomponner (Se).

Popote.

Pot-Bouille.

Potiner.

Pouf.

Pouilleux

Poulette (petite femme).

Poupon.

Poussier (lit).

Prise (Une) [puant].

Punaise (femme).

Quenottes. Queue (Faire une). Queue du chat (La). Quignon. Quibus.

Quinquets (Lesj). Quiqui.

Rabâcher.


Rabat-joie.

Rabibocher.

Râblé.

Raboter le sifflet (Se) [boire! .

Rembarrer.

Racaille.

Raclée.

Radis (Pas un).

Rafale.

Rafistoler.

Rafle-er.

Ragot.

Raide comme balle.

Ramicher (recoucher).

Ramolli.

Rappliquer.

Raser.

Rata.

Ratatouille.

Rater.

Ratisser.

Ravauder.

Ravigotter.

Rebecca.

Rebéquer (Se;.

Rebiffer (Se).

Recaler.

Recarrer (Se) [fier].

Recoquer (Se) [revenir à la

santé]. Récurer (Se). Refaire quelqu'un. Reguiser. Relécher (Se). Reluquer. Remoucher. Remplumer (Se). Renâcler. Renard. Renauder. Rencart (Au). Renifler. Repiquer. Resucée. Retaper (Se).

29


338


APPENDICES


Recaler (Se).

Recarrer (Se .

Hechanger (Se .

Ribambelle.

Rifler.

Rincée.

Rincer.

Ripatonner.

Hipopée.

Rire comme un cul,

Rire jaune.

River son clou.

Rocantin.

Rognonner.

Hogome.

Ronchonner.

Rossard.

Rosser.

Rôtir le balai.

Roublard.

Rouget (rouge).

Roulée.

Roupie.

Roupiller.

Rouscailler.

Rousse (la).

Royaume des taupes.

Ruban de queue.

Rupin.

Saboçhe (mauvais ouvrier).

Sabot.

Sabouler.

Sabrer.

Sac.

Sac-à-vin.

Sac plein (Avoir le).

Sacré chien.

Sagouin.

Saigner.

Saint-Crépin.

Saint-Difficile.

Saint-Lundi.

Salières (le cou).

Sangler (gronder).


Sapajou.

Sauoe.

Savon.

Sciant-Scie.

Sécot.

Secouer.

Sens devant dimanche.

Sent mauvais (Ça).

Serin.

Siffler.

Six-quatre-deux (A la).

Souliers à musique.

Soupe de perroquet.

Souris (baisers sur l'œil .

Sucer la pomme (Se).

Sucon.

Suée.

Suée de monde.

Suer (Faire).

Suif-fé-fard.

Système.

Tabac (Donner du).

Taf.

Tante.

Taper de vingt francs.

Tapon (En).

Tata (Faire sa).

Tatez-y, Jeannette.

Tatillon-onner.

Tatoui le.

Taudion.

Taule.

Teigne.

Temps de demoiselle.

Tétais (les seins).

Tétasser.

Tétons de satin blanc tout

neufs. Tetonnière. Tettes.

Thomas (le pot). Tic.

Tiers et le quart (Le). Tignasse.


APPENDICES


339


Timbré. Tinette. Tintouin. Tirelarigot (A). Tabatière (le cul). Tirer la langue. Titi.

Tocard-arde.

Toilette (pour reporter l'ou- vrage). Toiser.

Tomber à pic. Tomber pile (sur le dos.) Tomber une bouteille. Tonneau (D'un bon). Toper. Toquade. Toquante. Toquer (Se). Torcher le nez (S'en). Tordre le cou à une bou'eille. Torgnole.

Torse (Se velouté r le). Tortillard (boiteux). Tortillon (fille). Touche (bonne). Touiller. Toupie (fille). Toupiller. Tourlourou.

Tourner en eau de boudin. Tousse (C'est que je). Toutou. Trac.

Trac que m:. Traînée. Trait.


Trempée.

Trempette.

Trépignée.

Trifouiller.

Trimballer.

Tripoli (Coup de).

Tripotée.

Trogne.

Trognon (petite fill*).

Troix-six.

Troller (remuer).

Trompe (le nez).

Trompette (le visage).

Tronchinette (petite figure).

Trône (sur le),

Trou de balle (le cul .

TrouGgnon.

Trouvé (C'est).

Trousser.

Truc.

Truffe (nez d'ivrogne).

Turlupiner '.

Vadrouille.

Veau.

Veinarde.

Venette.

Ventrée.

Veste (Avoir la).

Veule.

Voirie (femme).

Voir trente-six chandelles.

Volaille (femme).

Y avoir passé (dépucelée).

Zinc.


1. Ici ces expressions : estomaquer, de bric et de braç, Marguerite dans la barbe (poils blancs), brûle-gueule.


340


APPENDICES


Puis quelques expressions isolées


Enquiquiner. Et le pouce. Mappemonde.

Marchand de mort subite (mé- decin).


Retirer un écu de 6 francs de

la poche du médecin. Madame Teton. A 25 francs par tête.


D'autre part, Zola se fit, pour son usage personnel, un petit lexique divisé par sujets et qu'il dépouillait au fur et à mesure. Avant de traiter telle matière, il parcourait la partie correspondante de son dictionnaire : puis, il écrivait en l'ayant sous les yeux et effaçant « chaque phrase d'un coup de plume ou de crayon rouge à me- sure qu'il la mettait dans le livre, pour éviter de la répéter ». En voici quelques exemples 1 :

Misère.


Truc.

Turlupiner.

Venette.

Taffeur.

Ventrée.

Suée.

Tante.

Taper.

Tatouille.

Teigne.

Tocard.

Donner du tabac.

Torcher le nez (S'en).

Se velouter le torse.

Touiller.

Trempette.

Tripotée.

Haridelle.


Gauchemarder.

Chançard.

Gargot.

Serrer le gaviot.

Gnognotte.

Grappin (Mettre le).

Avoir du jus.

Laver.

Dîner par cœur.

Douille.

S'empêtrer.

Floué.

Se fouiller.

Fricassé.

Frigousse.

Peignée.

Nettoyé.

Panne.


1. Voy. aussi les mots empruntés au Sublime, p. L8L





APPENDICES


34 i


Dèche.





Débine.



Pétaudière.





Dèche.



Pioneer.





Se décoller.



Magot.





Défriser.



Mandibules.





Défiler la parade.



Mollasse.





Guimbarde.



Faire passer


le


goût


du pain.


Dégommé.



Cuire dans son


jus.



Dégotter.



Promenade et Raccrochage.


Madame Téton.

Fusée.

Ah ! ouatte.

Et ta sœur.

Et mèche.

Numérote tes os, je vais te

démolir. Boche avec sa toilette. Mappemonde. Tomber pile (sur le dos). Bonne touche. Touriourou. Pieds à dormir debout. Mangeuse de viande crue

[Clémence]. Corvette. Chaloupe. Gambiller. Gaupe. Pommé. Gui gnon. Camoufle. Rincée. Rire jaune. Frottée. Sapajou. Saboche.


Gouape.

Loucher de la jambe.

Egueulé.

En avoir sa claque.

Rebrouer.

Tout de go.

A gogo.

Clampin.

Lésiner.

Pantalon rouge.

Ramona.

Engoncé.

Boursingot.

Chipette.

Criquet.

Bamboche.

Gabegie.

Des navets.

Carotteuse.

Tu flanches.

Grande calibasse.

Pétaudière.

Mouiller (Se).

Graisse d'abatage.

Rafler.

Rafle.

Fendant.


342 APPENDICES

II Catalogue des œuvres d'JÊmile Zola.


Bibliothèque nationale. XIX e siècle. Pap. 91 volumes, in-4°. Demi-rel. (Don de M me veuve Emile Zola, mss. autographes, épreuves corrigées et notes diverses. Nouvelles acquisitions françaises, 10265-10355 ».


I. — Manuscrits autographes.

I-V (10265-10269). L'Argent : 810 et 314 feuillets. V1-V1I (10270-10271). L'Assommoir : 801 et 234 feuillets. VI II-X (10272-10274). La Bête Humaine : 733 et 667 feuillets. Xl-XIV (10275-10278). Au Bonheur des Dames : 781, 248 et

280 feuillets. XV-XVI (10279-10280). La Conquête de Plassans : 459 et

64 feuillets. X\ II-XVIII (10281-10282). La Curée : 422 et 470 feuillets. X1X-XXIH (10283-10287). La Débâcle : 1033, 582, et

665 feuillets. XXIV-XXVI (10288-10290). Le Docteur Pascal : 625 et

286 feuillets. XXVII-XXVIII (10291-10292). Son Excellence Eugène Rou-

gon : 477 et 279 feuillets. XXIX-XXX (10293-10294). La Faute de l'Abbé Mouret : 414

et 165 feuillets.


1. Extrait de l'inventaire sommaire des nouvelles acquisi- tions du département des manuscrits pendant les années 190:i-1904, par Henri Omont. Paris, 1905.


APPENDICES 343

XXXI-XXXVIII (10295-10302 . Fécondité : 1.000, $54 et

577 feuillets.

XXXIX-XL (10303-10304). La Fortune des Rougon : 3! el 374 feuillets.

XU-XL1V 10305-10308 .Germinal: 835, 500 et 454 feuillets.

XLV-XLVII (10309-10311). La Joie de vivre : 583 et 394 feuillets.

XLV11I-XLIX (10312-10313 . Nanti épreuves corrigées et plan ms. : 239 et 241 feuillets.

L-LII (10314 et 10316 . L'Œuvre : 719 et 476 feuillets.

LHi-LIV 10317-10318). Une Page d'amour : 130, 236 et 526 feuillets.

LV-LV1I 10319-10321). Pot-Bouille : 685 et 444 feuillets.

LYlIl-LX (1032-2-10324). Le Rêve : 421, 311 et 418 feuillets.

LXI-LXY (10325-10329). La Terre : 426, 85, 248, 504 et 402 feuillets.

LXVI-LXX 10330-10334 . Travail : 988, 445 et 524 feuil- lets.

LXXI-LXXIV 10335-10338). Le Ventre de Paria : 454, 433 et 317 feuillets.

LXXV-LXXX 10339-10344). Vérité: 1115, 445 et 617 feuil- lets.

LXXXI 10345). Notes et extraits divers : 182 feuillets 1 .


II. — Épreuves corrigées.

LXXXII .10346). V Argent : 331 feuillets. /LXXXI1I (10347). La Débâcle : 518 feuillets. rLXXXlV LXXXV 10348-10349). Fécondité : l re et 2 e épreuves, 643 et 640 feuillets.

LXXXVI (10350). Le Rêve : 175 feuillets.


I. Les manuscrits des Trois villes Lourdes, Rome, /' qui ne figurent pas dans cette collection, ont été offerts à la Bibliothèque Méjanes (Aix-en-Provence;. le 23 janvier 1906.


344 APPENDICES

LXXXYII-LXXXVIIL (10351-10352). La Terre : 1" et

2 e épreuves; 360, 372 feuillets. LXXXIX (10353). Travail : 555 feuillets. XC-XCI (10354-10355). Vérité : l re et 2 e épreuves; 318 et

316 feuillets.


TABLE DES MATIERES


AVERTISSEME.YP


PREMIÈRE PARTIE

CONCEPTION DU ROMAN NATURALISTE PLAN GÉNÉRAL ET ÉTABLISSEMENT DE L'ŒUVRE 1868 1870)

Chapitre [ : Conception de l'œuvre 1

a) Notes générales sur la marche de l'œuvre ... 15

6) Notes générales sur la nature de l'œuvre. ... 20

c) Différences entre Balzac et moi}. , 24

Chapitre 11 : Établissement scientifique de l'œuvre.

Ouvrages spéciaux 27

a) Letourneau : Physiologie des Passions 28

b) Traité de l Hérédité naturelle du D 1 ' Lucas. . . 35

Chapitre III : Détermination générale 56

Chapitre IV : Plan général remis à 1 éditeur Lacroix

et projet primitif des romans de la série . . 62

Coinclision ~:;


34Ô TABLE DES MATIÈRES

DEUXIÈME PARTIE

MÉTHODE DE TRAVAIL D'EMILE ZOLA


I. — La composition d'un roman naturaliste " l'Assommoir "

Chapitre 1 : Ébauche 100

Chapitre II : Les personnages 117

Chapitre III : Les milieux J3

Chapitre IV : Les métiers Ia3

Chapitre V : Les ouvrages spéciaux [ft 1

a) Alcoolisme . . . . * Î.67

b) Notes prises dans le Sublime 17 i

c) Article de Sarcey

H. — Les plans

I. Plan sommaire 2o3

II. Plans successifs et détaillés 222

III. — Le travail du style 316

Cn.\r.!.L-SION ?,!"< J

APPEiNDICES

I. Notes d'argot 331

II. Catalogue des œuvres minus cri tes d"E uile Zola ... 3i2


Paris. — L. Màrethkux, imprimeur, 1, rue Cassette. — 11S3-.



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URT n


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PQ Massis, Henri

2536 Comment Sknile Zola composai"

M3 ses romans


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