Histoire de la caricature au moyen âge et sous la renaissance  

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Histoire de la caricature au moyen âge et sous la renaissance (Edouard Dentu, 1870) is a book by Champfleury on medieval caricature.

Notable engravings:

  • Sculpture de la cathédrale souterraine de Bourges, d'après un dessin communiqué par M. Bailly, architecte chargé de la restauration du monument. [1]
  • Le débat des gens d'armes et une femme contre un lymasson [2]

Contents

Full text[3]

Front matter

HISTOIRE


DE LA


\


CARICATURE

AU MOYEN AGE ET SOUS LA RENAISSANCE


/


Il


PARIS — nir, '•IMON PAÇON ET COMP., l;Ur DEIlFUhll!


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1


A CORMEILLE VILA


ARCHITECTE


1


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Preface

PRÉFACE


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Q/\^



(lire vrai, j'aurais mauvaise grâce à me plaindre du manque de sympa- thie des esprits sérieux pour cette série commencée déjà depuis long- temps ; cependant il est bon de répondre à un honorable membre

de l'Uni ver- ^sité, ému

de l'atten-



4 PRKFACF.

lai ronlro \c Bonn que, selon lui, je connnet- lais en étiulianl de près l'art satirique eliez les anciens. Préoccupé des manifestations dans le même sens expriiiK'es plus nettement an moyen âge et singéniant en diverses rai- sons ])onr me dissuader de donner suite à mes recherches, il disait, plein de mélancolie :

« Sans contester à Tart gollii(jue le mérite de son architecture, convient-il d'admirer au- tant qu'on l'a fait des bas-reliefs grotesques?... Est-ce par là que nos cathédrales ont chance d'être avec succès opposées au Parthénon?... Et sont-ce des spectacles bien agréables à l'œil, bien divertissants pour Pesprit que des carica- tures en pierre^ ? »

Le critique qui posait ces questions timorées ne me semble pas avoir une idée bien nette du but et des résultats de l'archéologie.

Personne n'a jamais « admiré » démesuré- ment les bas- reliefs satiriques des cathé- drales. 11 s'agit d'en scruter le sens, de le pé-


' Chassang, la Caricature et le grotesque dans l'art grec. [Revue conlcmporaine, 1805.)


PREFACK. 5

nétrer et d'ajouter quelques pages utiles à l'histoire des siècles antérieurs.

Que vient faire le « Parthénon » en regard des ligures satiriques des monuments reli- gieux? Existe-t-il un écolier assez naïf pour opposer Phidias à d'humbles sculpteurs qui n'avaient pour règle qu'une symbolique con- fuse, pour gouverne que les caprices de leur imagination?

Oui a présenté ces spectacles comme «agréa- bles à l'œil et divertissants pour l'esprit? »

Il est réellement trop facile de combattre le spiritualisme effarouché qui se fait jour à tra- vers les plaintes de l'honorable universitaire.

« Ce qui arrête et lixe trop nettement les formes, ajoute-t-il, n'est pas propre à l'expres- sion du ridicule, car les arts plastiques vivent de beauté et l'expression des ridicules est un commencement de laideur. La véritable place du grotesque n'est donc pas dans les œuvres de la sculpture et de la peinture, mais dans les rapides dessins d'un spirituel et malin crayon. »

1.




l'HKlMr.E.


Do nos jours, où la caricature est exclusive- ment cantonnée dans les petits journaux, je n'ai pas encore rencontré d'architecte apj)elé à bâtir une église moderne qui ornementât la lacade et les chapiteaux de magots et de figures ])ou flou nés.

L'art, tel que l'étudient les archéologues, n'a rien à voir avec le contrôle des esthéticiens. Les manifestations du Beau sontétudiées, mais avec la même balance qui pèse le Laid. L'ar- chéologue n'enseigne pas, il constate. La séré- nité, la pureté des lignes dans les œuvres d'art lui semblent sans doute préférables à l'expres- sion du grotesque ; il n'en recueille pas moins précieusement ces formes grimaçantes qui donnent peut-être une idée plus exacte et plus vive des mœurs, des coutumes et des usages du passé, qu'un pur et noble contour.


II


Depuis la fin de la Uestauration, époque à la- fjnelle l'archéologie posa ses premiers jalons,


PRÉFACE. 7

de nombreuses affirmations contradictoires et empreintes d'exagération furent portées devant un tribunal où ne devrait siéger que rimi)ar- tialité.

Je me suis efforcé de ramener à leur juste valeur les affirmations de partisans d'un sym- bolisme effréné; il fallait nettover le terrain de polémiques sans résultat entre ceux que plaisamment Voltaire appelait « antiquaires à capuchon » et d'ardents esprits qui ne regar- dent les faits qu'à travers la lunette révolution- naire.

Ce serait toutefois faire acte d'énorme vanité que de prétendre avoir raison, seul, dans les matières si controversables de svmbole.d'em- blême, d'allégorie, qui ont donné naissance à ce que les uns appellent symbolique chrétienne indirectement dogmatique; les autres, icono- graphie hiératique; certains, langage llgura- tif et populaire.

Si l'analogie était une science, elle devrait être le plus utile instrument au service de l'ar- chéologue. Les monuments des divers siècles,



8 PRÉFACE.

mis on regard, fournissent lont à conp des Inniières inattendues; mais il faut avoir beau- onj) vu, beaucoup voyagé : il est bon surtout de consulter sans cesse des cartons bourrés de dessins, car en arcbéologie Timage prime le texte.

Pour prendre un exemple, on peut compa- rer les dessins des manuscrits d'un Térence du neuvième siècle avec certaines figures du Roman de Fauvel^ du quatorzième siècle.



Figure détachée d'une miniature du Roman de Faiivel

(iiv siècle).

Il y a là certains rapprochements curieux à établir avec ces masque^ d'élément païen;


sEKyy



rriA (actca nt mj^rt ciectlucAmnTjliufAR


Miniature du Térence

de la bibliothèque du Vatican

(IX' siècle).




i


l'IlElACE. Il

mais l'inspira Lion chrétienne, quoiijne conl'nse au début, se dégagea bientôt de ces ressouve- nirs; les masques des anciens n'influencèrent que médiocrement les auteurs des mascarons des édifices gothiques. Par une sorte de géné- ration spontanée dont les produits grouillent à l'ombre des monuments comme des vers dans un coin de terre humide, ces larves informes s'agitent, dressent la tête, remuent la queue, commencent par ramper au pied des statues, et, semblables à de mauvaises herbes, enva- hissent les sommets les plus élevés des cathé- drales; elles n'ont rien de commun avec les manuscrits historiés du poëte latin.

A partir du dixième siècle, un certain dé- veloppement se fit sentir, marchant vers la réalité qui jusque-là n'avait paru qu'une lueur lointaine. C'est alors qu'il est intéres^ sant de lire la bizarre écriture que traçait le peuple sur la pierre. On démêle les pensées confuses qui emplissaient son esprit : terreur, sentiment égalitaire, raillerie qu'exprime une trilogie qui, du moyen âge, va jusqu'à la Re-


i2


put: F ACE.


naissance : le Diable, la Danse des Morts, Re- nart.

De ces héros, qui occupèrent nne si grande place dans la poésie et Tari, on })ent encore tirer quelques enseignements, quoi(|ne aujour- d'hui ils semblent archaïqnes.

Le diable est usé; le peuple n'y croit })lus depuis longtemps, et les Flamands se raillent delui,(iui lui ibnt jouer du violon avec un souf- flet de cuisine etune cuillère à pot pour archet.



D'après un manuscrit flamand de la bibliothèque de Cambrai.


L'esprit moderne l'a dépouillé de sa défroque et de ses accessoires de convention. Au diable le diable!


PREFACE. 13

]1 n'en est pas de même de la Danse des Morts; jusqu'à la lin de l'humanité elle res- tera actuelle, et plus d'un artiste reprendra le thème du grave Ilolbein.

J'ai beaucoup songé au Roman de Renart pendant la guerre de J870. Dans les manœu- vres des Allemands, dans la politique prus- sienne, je retrouvais le même esprit de ruse qui circule à travers le poënie : on comprend l'enthousiasme excessif qu'excite encore Re- nart en Allemagne.


III


Dans un ordre inférieur et cher aux archéo- logues, à commencer par Monteil, qui eût laissé un livre d'un intérêt bien plus considérable, si ses patientes études avaient été éclairées par les dessins et les monuments originaux qui passèrent sous ses yeux, toute une histoire nou- velle est à faire des mœurs et des coutumes et payera de ses efforts celui qui aura la palience

2


l'i l'HÉKACE.

lit' t'oiilï'onU'ilos rililiccs rcligiouxol civils avec les niiumscrils liisloiiés.

On pourrait presque se ])asser de science, comiiiela vieille dont jiarle Villon :

K(»mine je suis, pauvrette et ancienue, (lui riens ne sçay, onques lettres ne leuz; Au moustier voy, dont suis paroissienne, Paradis painct où sont harpes et luz Et un enfer ou dampnés sont boulluz. Lung me fait pour, rautre joye et liesse.

Toute la vie du passé se déroule vive, claire et animée, grâce à la sculpture et à la pein- ture. Il ne faut que du temps pour l'y cher- cher, beaucoup de temps. J'en ai dépensé le })lus qu'il m'était possible, en me rendant compte de la bande de desiderata que traîne après elle toute œuvre d'érudition.

Toutefois je me sentais poussé par les es- prits qui ont soif de science : « Nous avons en France, en Angleterre, en Allemagne, écrivait l'un d'eux, des savants, des académies entières qui travaillent et qui veillent dans l'espoir de découvrir le sens d'anciens caractères cunéi-


PREFACE.


ir.


foniios, runiques, etc.; mais aucun de ceux-ci, que je sache, ne s'occupe de décliiffier la pensée déposée par nos pères dans ces mil- liers de figures qui étonnent les artistes mo- dernes par leur aspect étrange et leur nature complexe \ »



D'après le inamiscrit des Comédies de Térence.


C'est au public à dire si j'ai rempli une par- tie de ce programme ; si les sotties de pierre, que quelques délicats rangent dans la classe des ineptiariim, méritaient la dépense de quelques annces.


Paris, 18G7-1S71,


^


  • César Daly, Revue de V architecture, 1S47


HISTOIRE


DE LA


CARICATURE AU MOYEN AGE



CHAPITRE PREMIER


VANITE DU SYMBOLISME


i un homme a contemplé la fa- çade des édifices consacrés au culte chrétien, sans éprouver un certain trouble en face des grimaces et des railleries de toute sorte accumulées sous les porches, il peut être déclaré de nature particulièrement flegmatique et indifférente.

2.


18 IIISTOIUE

A côli' (1(^ |»i(Uisos slalucs, doiil los belles li^-nos se rellèleiil en rayonnements hannoniques ponr les veux, S(Mil (les entrelacs de diableries et d'obscé- nilés. Vices et passions sont représentés avec une grossière brutalité ; la luxure a rejeté tout voile et apparaît bestiale et sans pndeur.

Inconipréliensible connue la décoration des mo- luunents égyptiens, cet art de pierre est prodigue de monstres fantastiques, d'borribles gnomes, de lar- ves liideuses enroulant d'étranges midités, qu'on croirait sculptées au fronton des cathédrales ponr tenter les fidèles ; même les anciens Flamands, qui ue brillent pas par la délicatesse, Jérôme Bosch, Breughel, quoiqu'ils se soient complu à de pareilles conceptions, semblent des raffinés à côté des ima- giers du moyen âge.

L'imagination s'égarerait à suivre ces débauches du ciseau si la science archéologique, qui cherclic les secrets de toute pierre ornementée, ne s'était préoccupée à juste titre de ce balbutiement de l'art (jui fut le trait d'union entre le dernier souffle de l'antiquité et les élégances de la Renaissance.

Sur cette question, il existe un certain nond)rc d'ouvrages spéciaux. L'explication delà symbolique chrétienne fut d'abord le thème sur lequel chaque archéologue brodait à sa fantaisie. Plus tard, la même thèse servit de passe-port à la poliliijue. (.es


If



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DE LA CARICATURE AU MOYEîs AGE. 51

advci'saires de l'Église saisirent avec empressement Toccasion de lutter sur un nouveau terrain contre des écrivains pieux, mais passionnés : si quelques- uns émettaient des avis sensés et rationnels, d'au- tres, et ce furent les plus nombreux, firent du symbolisme un prétexte à divagations plus trou- blantes encore que cet art troublant. Chaque scul- pture donna lieu à une controverse animée ; on voulut voir dans de naïfs imagiers des doctrinaires, des libres penseurs. La pierre devint éloquente, plus éloquente souvent que ceux qui lui prêtaient le secours de leur imagination. Elle fut déclarée tour à tour enseignante, pieuse, sceptique, croyante, révolutionnaire et sociale.

Cette argumentation, particulière à notre temps, eut pour résultat de faire négliger l'étude des faits : à bout de raisons, la plume devint fertile en dérai- sonnements. Et si je viens émettre une fois de plus mon avis à propos de ce dangereux symbolisme, c'est à titre d'homme sans attaches et sans passions politiques ou religieuses, dont la principale foi est la recherche de la réalité.

Malgré la bizarrerie confuse des motifs sculptés du moyen âge, quelques-uns offrent souvent trace d'une greffe antique. Dans les peintures des cata- combes apparaît l'aurore du culte naissant en face du coucher du soleil du paganisme. Les sirènes, les


12 HISTOIRE

siUyros se mrleiil aux ligiiros pieuses, el l'iniage d'Orpliée tioiil aiilnnl do ]ilaco (jiic celle du Christ.

Le chrislianisnie ayaiil l'ail invasion dans Fart l'oniain, l'art romain Iraverse les Alpes pour lancer sa dernière note au milieu des concerts chrétiens. Comme dans le culte idolàli'i([ue, des monstres et des animaux ranlasli(|ues s'accrochent aux chapi- teaux des églises, hàtisseni leur nid dans les modil- lons du portail et troublent la tranquillité d'un symbolisme nouycau que le christianisme avait tenté d'inaugurer dans les catacombes. Aussi, jus- qu'au seizième siècle, voit-on en France les saintes femmes marcher en compagnie des sibylles, les chérubins des sirènes, les apôtres des monstres païens, et ce n'est pas seulement sous les portails des églises que ces assemblages hybrides se remar- quent : les miniaturistes, moines pour la plupart, se sont plu à reproduire avec leurs pinceaux, dans les livres d'Heures à l'usage des princes et des digni- I a ires de l'Église, ces alliances profanes et sacrées.

Ce sont les vagues et confuses réminiscences de l'ancien culte, se mêlant aux croyances modernes, qui ont produit une grave confusion chez ceux qui, poui- juger l'art, ne remontent pas aux traditions du passé.

L'Église, au début, compi'il le danger des deux langues conh'adicloires que la sculplui'o parlai! en


DE LA GAUICATLUE Al MOVE.N ACE. jr.

loêiiic temps. Au ciiiquièiue siècle, l';iil iaiiiilier de la (lécadciicc se glissant dans le culte nouveau préoccupe saint Nil, qui écrit à Olynipiodore :

(( Vous nie demandez s'il est convenable déchar- ger les murs du sanctuaire de représenta lions ou ligures d'animaux de toute espèce, de sorte que l'on voit sur la terre des filets tendus, des lièvres, des chèvres et d'autres bètes cherchant leur salut (hnis la fuite, près de chasseurs qui s'épuisent de fatigue pour les })rendre et les poursuivent sans relâche avec leurs chiens ; et ailleurs, sur le rivage, toutes sortes de poissons recueillis par les pécheurs? Je répondrai que c'est une puérilité d'amuser ainsi les yeux des fidèles ^ »

Il faut prêter attention aux recommandations du saint personnage : Cest une puérilitc, dit-il, cV amu- ser ainsi les yeux des fidèles. De telles paroles ont une portée qiie les partisans du symbolisme à outrance devraient méditer, et si on y ajoute les graves réprimandes que, sept siècles plus tard, saint Bernard fit entendre à ceux qui avaient pour mission d'ordonner l'ornementation des églises, alors les pompeuses déclamations de nos jours, ruinées par de telles preuves, tombent comme de vieux plâtras.

Du sixième au quinzième siècle, l'art sculptural devient encore plus hiéroglyphique : il portait la

  • Maxima liihlioiheca Pafruni, t. XXYII, j). 525.


24 IIÎSTOIUE

défroque de tuniques anciennes, il s'en dépouille })our arborer des couleurs apocalyptiques.

Ce sont des corps humains surmontés de ietes d'animaux, des têtes de nature équivoque, des



Chapileau de l'abbaye de Saint-Benoit-sur-Loire (xi« siècle).

diables soufflant à plein gosier le feu sous d'é- normes chaudières, des damnés emportés par des chevaux fougueux, des femmes dont les parties sexuelles sont dévorées par des démons, des ani- maux préchant en chaire, de sauvages cavaliers traî- nant à la queue de leurs chevaux des malheureux dont le ventre déchiré laisse passer les entiailles, des dragons dont la gueule grimaçante vomit l'eau des gouttières, des singes couverts de frocs, des tètes d'hommes demi-fous, demi-prètres , de grandes dents et de plus grandes bouches encore qui avalent


DE LA CARICATUUE AU MOYEN AGE. 25

des gens tout entiers, des betes touchant de l'orgue, des faunes grimaçants qui narguent les fidèles, dos victimes que des démons empalent sur de longues broches, des ânes qui braient en pinçant de la lyre. Saint Bernard, alors abbé de Clairvaux, ému de cette licence de l'art, écrit à Guillaume, abbé de Saint-Thierry : « A quoi servent, dans les cloîtres, sous les yeux des frères et pendant leurs pieuses lectures, ces ridicules monstruosités, ces prodiges de beautés difformes ou de belles difformités? Pour- (juoi ces singes immondes, ces lions furieux, ces monstrueux centaures, ces animaux demi-hommes, ces tigres tachetés, ces soldats qui combattent, ces chasseurs qui sonnent de la trompe ? Ici une seule tète s'adapte à plusieurs corps : là, sur un seul



Modillon de Téglise de Poitiers.


corps, se dressent plusieurs tètes. Tantôt un qua- drupède porte une qaeue de serpent, tantôt une tète de quadrupède figure sur le corps d'un poisson. Quelquefois, c'est un monstre avec le poitrail d'un


'J() IllSTUiUE

cheval c[ l'aiiièio-lraiii tliiiie clièvrc. Ailleurs, un animal cornu se Icrniine eu croupe de cheval. 11 se montre parloul enfin une variété de formes étrauges si lécondc et si bizarre, que les Irères s'occupent l)lutôt à déchiffrer les marbres que les livres et pas- sent des jours entiers à contempler toutes ces ligures, bien mieux qu'à méditer sur la loi divine... Grand Dieu! si vous n'avez honte de semblables inutilités, comment au moins ne pas regretter Ténormité de la dépense^ ! »

Personne n'a donné une idée plus nette de cette liberté de bizarreries de la pierre que saint Bernard ; })ersonne n'en a mieux démontré le caprice ; aussi sa trop exacte description a-t-elle contrarié certains archéologues qui, cherchant à faire plier les faits à leurs doctrines, croient naïvement ranimer la foi par de certaines explications des figures qui, à juste titre, préoccupaient l'abbé de Clair vaux.

« Saint Bernard, mal compris dans un passage de ses écrits, lu beaucoup trop rapidement, fut vengé par un de nos contradicteurs, » dit l'abbé Aubert ^

L'admonestation de saint Bernard est d'une clarté à désespérer les ergoteurs, et, à moins de nier l'au-


  • Ceci, il ne faut pas l'oublier, est écrit au douzième siècle.

- Considéralions sur llmtoire du Symbolisme chrétien, par lal-bé Anbert. {Bulletin monumeutrd. 1857.)


J)E LA CARICATUIIK AU MOYEN AGE. 27

llionlicité de ce document, il csl posilif ([iic l'al)l)é de Clairvaux ne voyait dans ces sculptures que ce ({ui s'y trouvait, c'est-à-dire des caprices sans lUililc pour les esprits véritablement pieux. Plus impor- tante encore que celle de saint Nil, l'attestation de saint Bernard éclaire l'archéologie et prouve qu'une complète indépendance dans le détail architectu- ral était laissée aux tailleurs de pierre.

Le prétendu symbolisme religieux se résume donc en deux questions :

1° Ces sculptures bizarres étaient-elles comman dées par l'Église comme exemple et châtiment des vices?

— Non, répondent saint Nil et saint Bernard, de telles sculptures n'avaient pas qualité de symboles : l'Église laissait faire sans y prendre garde.

2° Ces sculptures étaient-elles des caprices d'ou- vriers qui se raillaient de ceux qui les faisaient tra- vailler?

— Oui, répondent les archéologues sans attaches, les tailleurs de pierre faisaient le plus souvent preuve de raillerie contre le clergé ^

  • CeUe dernière affirmation a paru si grave à certains ériulits,

qu'im savant jésuite, le P. Cahier, qui a consacré sa vie à des études arcliéologiques, m'écrivait : « Je m'inscris en faux contre la repré- sentation des moines que vous prétendez voir dans bien des sculp- tures du moyen âge. Tout le monde alors portait le capuchon : il s'agit d'établir si tous les gens encapuchonnés comptaient pour des


28 HISTOIRE

Pour ôclairor la question, il est utile de donner quelques détails sur la fondation des églises et ren- seignement prêché aux ouvriers.

Les hagiogra plies du moyen âge nous apprennent (jue, Iors([ue des abbés faisaient construire des églises dans leur monastère, ils appelaient, le soir, les peintres et les sculpteurs à la lecture pour leur donner connaissance des actes des saints et des martyrs qui devaient servir à leurs compositions. C'était une ancienne coutume. Grégoire de Tours parle de la femme de saint Namatius, neuvième évoque de Clermont, qui, faisant bâtir au cinquième siècle l'église Saint-Étienne (aujourd'hui Saint-Eu- trope), lisait aux peintres les légendes des saints. Le maître de F œuvre, c'est-à-dire le chef de l'entre- prise, habituellement prêtre ou moine, dépendait de l'abbé dirigeant lui-même les travaux sous l'in- spection de l'évêque, celui d'entre tous qui connais- sait le mieux l'exégèse et semblait le plus capable de l'interpréter.

Mais un esprit nouveau souffla à partir du on- zième siècle. Des fabliaux satiriques circulèrent, qui étaient les « petits journaux » du temps, et si les ouvriers étaient tenus d'écouter le soir une

moines. Je me charge de prouver le contraire, » Par l'ensemble des preuves gravées dans ce volume, le lecteur jugera de quel côté se trouve la vérité.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 29

pieuse lecture, ce n'était pas tant alors la vie des saints ou des martyrs, que des gausseries rimées ([ui répondaient à leur csnrit.

La plupart des grandes basiliques de France furent bâties entre le douzième et le treizième siècle, alors que des confréries maçonniques remplaçaien les confréries monacales. Le règne de l'ogive com- mence, et le style ogival, comme on l'a fait remar- quer, est le signe de la prise de possession de l'ar- chitecture religieuse par les laïques ; or, ces con- fréries maçonniques, livrées à leur propre gouverne, appliquèrent dès lors à l'art ornemental le caprice de leur imagination : un vague symbolisme pouvait s'essayer à traduire les vices et les passions, ce n'était plus le symbolisme prémédité des premiers constructeurs d'églises.

Toutefois, je ne prétends pas faire de ces ouvriers des penseurs, des révoltés, des révolutionnaires; on a trop abusé de ces qualifications.

Les tailleurs d'images avaient une idée de l'enfer et des vices qui y précipitent ; en traits naïfs, ils inscrivaient sur pierre la représentation de ces péchés et de leur châtiment, obéissant en outre aux croyances populaires du moment et aux prédictions qui avaient cours.

En l'an 1000, l'Europe tout entière crut aux pro- phéties de la fin du monde, basées sur une inter-

3.


50 IIISTOIRI'

prétalion (l'uii passage de l'Apocalypse. Lo jugement dernier seni])l;ii( proche, l'Eglise fit tourner ces terreurs à son profil ; dg nombreux prédicateurs prirent pour thème la fin prochaine du monde et remplirent d'épouvante, par une éloquence fou- droyante, les esprits timorés. Ces croyances et ces



Chapiteau de réglise Saint-Georges de Bocherville (Normandie).


terreurs se retrouvent encore sur la plupart des cathédrales du onzième siècle, traduites en scènes bizarres par les ciseaux des tailleurs de pierre.

Ce qui n'empêchait pas l'esprit satirique d'in- terpréter par de capricieuses ornementations les poëmes que les sculpteurs avaient lus ou qu'on leur contait. Témoin la légende de Renart, qui, jusqu'à la Renaissance, joua un si grand rôle dans les détails de l'oi'nementation architecturale.


1)K LA CARICATIRE AU MOYKN AGE. 7,1

J'ai (lit, dans de précédcnlos éindos, (jne i'Éj^lisc, se sentant forte, ne craignail pas ces railleries, plus violentes d'aillenrs contre les moines que contre le culte. L'Église ne pouvait prévoir les assauts ([ui, depuis, ont plissé le front de ses dignitaires et l'oiil rendu soucieux.

Certains prélats d'alors avaient l'esprit plaisant et ne le cachaient pas, à s'en rapporter à un sceau du treizième siècle cjui représente un singr encapu- chonné, tenant à la main un bâton ahhalial.

— Satire contre les gens d'Église, dira-t-on.

Ce n'est pourtant qu'ur.e facétie d'un prêtre rail- leur, le cachet imaginé par un ahhé de honne hu- meur. Le sceau fut commandé à un graveur par Guy de Munois, ahbé de Saint-Germain d'Auxerre, de 1285 à 1509, avec la légende : Abbé de singe air main cVos serre. Tel était l'esprit du temps. Un abbé était de nature assez plaisante pour se laisser représenter en singe, sans que son mandat perdît de son autorité.

Si tous les monuments étaient aussi claiis, on eût évité bien d'inutiles discussions ^


  • Un sceau en bronze à peu près semblable fut trouvé au dix-

huitième siècle dans, les démolitions de l'ancien château de Pinon eu fMcardie. Un singe en vêtement épiscopal, tenant une crosse à la main, est représenté avec cette légende : LE : SCEL : DE : LEVES- QUE : DE : LA : CYTÉ : DE : PINON.

Fnnt-il chercher dans celte légendo \m des rrhufi de Picardie si


j2 HISTOIRE

Il y cul copondiHit parfois syml)olismc de la part des confréries maçonniques, et un archéologue (lislingué Ta prouvé dans une étude concise, qui fait oublier le fatras dont on a rempli des volumes.


coiflmiins à celte époque? Doit-on y voir la représentation d'un évê- «jue des Fous? Y a-t-il là quelque satire contre un dignitaire de l'Église? Un archéologue a prétendu que ce sceau satirique avait



Sceau trouvé au château de Pinon.


été placé en vue tout exprès par un huguenot sur la dernière pierre du château de Pinon, sur le point d'être pris par les catho- liques. Le huguenot aurait ainsi raillé ses ennemis, même après la défaite de son parti. Le sceau de l'abbé de Saint-Germain d'Âuxerre témoigne qu'il n'est pas besoin de se creuser si profondément la cervelle.


DE LA CAiyCATURE AU MOYE>' AGE. 33

« Et ces figures hideuses, monstrueuses, sans nez, sans mâchoires, cornues, disloquées, déchirées par des mains railleuses ou désespérées, — sym- boles. On y verra, si l'on veut, l'image de l'esprit du mal, ou la personnification des vices et des impu- retés de l'homme. L'Église aura essayé d'effrayer par la laideur du mal ceux qu'elle ne pouvait tou- cher par la beauté du bien. Quelquefois aussi elle aura voulu donner une idée des tourments des damnés, de la rage et des grincements de dents des pécheurs.

c( L'allégorie deviendra plus saisissable encore quand certaines circonstances accessoires viendront expliquer la cause du supplice ;

« Quand le gourmand, sous la forme d'un porc, sera muselé et bridé, comme à Chef-du-Pont et à Octcvillc, dans le département de la Manche ;

« Quand des serpents ou des crapauds s'attache- ront aux seins ou aux parties génitales de la femme impudique, comme on peut le voir dans beaucoup d'églises et au musée du Mans ;

« Quand d'autres serpents s'élanceront sur l'avare affaissé sous le poids de la grande bourse qui pend à son cou, comme cela est représenté à Saint-Mar- couf, à Tallevart, à Foncarville, à Sainte-Marie-du- Mont (Manche) ;

« Quand le paresseux, presque nu, se soutiendra


54 HISTOIRE

à grancrpciiic sur les bras de deux personnes, comme il est sculpté à Saint-Marcouf ;

(( Quand l'ivrogne se plongera tout entier dans son tonneau, comme à Sainte-Marie-du-Mont^ »

De tels exemples sont innombrables à recueillir sur les monuments gothiques; mais de là à croire aux règles et aux formules des anciens hagiogra- phes, tel que le fameux Guillaume Durand dont la symbolique excessive a jeté tant de trouble dans des cerveaux mal équilibrés, il y a loin.

Tout a sa signification, suivant Guillaume Durand, dans les objets employés à l'édification des églises. Les pierres représentent les fidèles. La chaux qui entre dans le ciment reliant chaque pierre est l'image de la charité fervente ; elle se mêle avec le sahle en témoignage des « actions en- treprises pour le bien temporel de nos frères. »

Vecni qui mélange la chaux et le sable est l'em- blème de TEsprit-Saint. « Et comme* les pierres ne peuvent adhérer ensemble sans ciment, de même les hommes ne sauraient entrer sans la charité dans la construction de la Jérusalem cé- leste-. »

Et on commente encore aujourd'hui un tel sym-


  • Observations sur le Symbolisme religieux, par M. do la Sicolière.

- Guillaume Durand, nationale divinorum officiorum. 14r)9.


DE LA CAUICATL'UE AU MOYEN AGE. 55

bulisiiic, cl OU en glose; il existe une classe d'archéologues qui en font leur nourriture linbi- luelle, et voudraient donner coniinc actes de foi ces significations prétendues tliéologiques; on affirme qu'une telle langue figurative était comprise de tout le moyen âge, et cette iconographie prétendue hiératique est érigée en symbolisme chrétien et dogmatique !

Ailleurs les portails sont appelés les catlié- chismes moraux des emblèmes; dans les gaj'gouilles fantastiques du moyen âge on veut voir « Tem- blème des esprits malins qui se retirent des murs


sacrés ^ »


J'admets le caractère précis de VExplet de la pérégrination humaine, compilé par frère Guil le de Guyeville, en 1551. Chaque péché capital, décrit avec ses attributions, est dessiné sur les marges du manuscrit. Ainsi V Orgueil porte un soufflet ; les ser- pents rongent certaines parties du corps des luxu- rieux : ces figures emblématiques représentent les vices. Par de telles représentations, qui se rappro- chent des visions de Dante, Guille de Guveville montre des malheureux entourés de flammes et de crapauds, « et autres vermines nuisens, » qui s'at-

  • Voir le SyinboUsine dans les églises au moijen ûge, do MM, J. Ma -

son Neable et Benj. Webb, avec introduction par l'abbé Bourassé. Tours, Marne, in-8, 1857.


30 ilISTUlUE

taq lient à des gens ayant vécu « très-luxurieuse- mcnt^ »

Mais je ne croirai jamais que l'ogive soit la re- présentation de la Trinité, et les symbolisateurs qui interdisent l'emploi de l'ogive au culte protestant me semblent encore plus excentriques qu'intolé- rants ^ »

On voit à l'église de Poitiers des modillons qui offrent un amalgame singulier, au milieu duquel se remarquent Jésus-Christ, des animaux musiciens, les quatre évangélistes, des monstres grimaçants.



Modillon de Féglise de Poitiers.


David jouant de la harpe, de grotesques mascarons, le pape, etc. Un homme d'esprit se plaignait que la


  • Manuscrit de la bibliothèque de Metz.

^ MM. Mason Neable et Webb n'admettent pas qu'un a architecte catholique dessine une triple fenêtre, emblème reconnu de la très- sainte Trinité, * pour une secte dissidente. C'est, disent ces catho- liques anglais fanatiques, « prostituer l'architecture parlante de l'Église, » que de la « mettre au service de ses ennemis les plus acharnés. »


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 37

langue allemande fût parlée par les Allemands. Il est fâcheux que ces sculptures se trouvent à Poi- tiers : elles ont donné naissance dans le pays à une école de symbolisateurs à outrance qui en font une question de dogme.' A leur tête marche l'abbé Aubert, qui va partout prêchant la croisade contre les archéologues qui ne sont pas de son opinion. Qui discute les doctrines de l'abbé Aubert est déclaré répudiant « un spiritualisme incom- pris » et « embrouillé dans la matière. » Mécréants les savants, les écrivains qui ne se rangent pas sous sa bannière. Naturellement, l'abbé Aubert a recruté de nombreux partisans.

A propos des caprices fantastiques et des modil- Ions de l'église de Poitiers, « l'abbé Aubert a acquis la certitude de leur signification symbolique, » dit M. de Bastard.

M. de Bastard étant un sectateur du symbo- lisme à outrance, je le laisserai parler d'abord, je discuterai ensuite.

« Jusqu'ici, dit-il, les modillons ont été traités par les antiquaires avec un mépris que ces figures ne méritent certainement pas. Il importe beaucoup de dissiper l'obscurité qui les couvre et de soule- ver ainsi, en les rapprochant les uns des autres, le voile qui cache la signification de sculptures nom- breuses, éminemment symboliques, où le sacré se

4


58 HISTOIllE

mêle au profane, où le sérieux est opposé au bur- lesque, et quelquefois la moralité à l'obscénité. Tout en reconnaissant dans ces ornements architectoni- ques une transmission de l'antiquité grecque et ro- maine, tout en convenant de l'ignorance probable, en fait de symbolique chrétienne, de beaucoup d'i- magiers, il semble impossible d'admettre que les représentations où les figures, l'attitude et les gestes nous paraissent grotesques et indignes de la majesté d'un temple du Très-Haut, puissent être mises en bloc à la charge du caprice de l'artiste ; on se refuse à croire qu'une intention mystique n'ait pas présidé à une œuvre tant de fois répétée dans le monde catholique, durant le cours de plusieurs siècles. »

M. de Bastard, cherchant l'analogie entre les mi- niatures de manuscrits et les caprices des modil- Ions, produit, comme pièce de conviction, une vi- gnette tirée d'un livre d'Heures manuscrit de la fin du treizième siècle*

« Une longue expérience, ajoute-t-il, nous a donné cette conviction que les figures marginales, fort souvent inspirées par la lecture de la page môme, peuvent lui servir de commentaii^es ; souvent aussi, les passages relatifs aux miniatures, si Von sait les trouver, nous révèlent à leur tour la pensée domi- nante du peintre au moment de son travail; et, en


DE LA CARICATURE AU MOYE?^ AGE, 39

se laissant guider par l'analogie, on arrive à l'expli- cation des ôtres fantastiques qu'une intention pa- reille a fait prodiguer sur les modillons des églises, 11 n'est pas rare, en effet, de rencontrer dans les livres liturgiques des compositions également bi- zarres et monstrueuses ; il suffit d'un mot bien com^ pins, d'un rapprochement inattendu du texte et des figures, pour conduire le lecteur sur la voie du sym- bole sculpté, là où il n'avait cru voir qu'un grotes- que insignifiant. »

Cette confrontation de monuments dissemblables est certainement rationnelle. Miniatures, plombs, sculptures, poteries et serrurerie d'une époque se tiennent par les liens de l'ornementation. L'ar- clicologue ne saurait trop étudier d'arts divers pour se meubler l'esprit des formes favorites d'un siècle, et, théoriquement, M. de Bastard fait preuve de sens archéologique; cependant voyons l'appli- cation.

Dans un livre d'Heures du treizième siècle, M. de Bastard est frappé par une miniature qui repré- sente un homme décochant un trait d'arbalète à un limaçon. « On serait assurément tenté, dit-il, de prendre d'abord notre groupe pour quelqu'une de ces créations bizarres qui ne méritent aucune atten- tion sérieuse. »

Pourtant, M. de Bastard n'hésite pas à regarder


40 HISTOIRE

le caprice ci-dessous « comme le symbole du martyre et du triomphe de celui qui, le premier, a souffert la mort pour Jésus-Christ et pour l'Evangile. » Dans la ligure d'un homme décochant un trait



Caprice tiré d'un manuscrit du xiii' siècle de la bibliothèque nationale, d'après un dessin de M. de Bastard.


d'arbalète contre un limaçon, M. de Bastard voit une « figure certainement relative à la résury^ec- lion. »

Tout d'abord le « rapprochement » de l'érudit me parut non-seulement « inattendu, » mais bizarre, et je cherchai longuement dans les miniatures ce que le partisan du symbolisme affirmait qu'on de- vait trouver.

En effet, le" petit tireur d'arc se retrouve à di-


DE LA CARICATUUE AU MOYRÎ^ AGE. 41

verses reprises dans les entourages des manuscrits à miniatures : j'en compte dans un manuscrit de la Bibliotlièque, V Histoire de Saint-Graal, cinq ou six répétitions qui semblent de purs caprices, des souvenirs de chasses dans lesquelles un arba- létrier exerce son adresse contre des animaux fan- tastiques.



Le débat des gens d'armes et d'vne femme contre vn hjmasson, d'après le Grand Compost du xv' siècle.

L'affirmation de M. de Bastard n'en était pas moins restée dans mon esprit; elle aboutissait à une négation latente qui me faisait poser le pro- blème aux divers érudits que je rencontrais. Cette

4.


42 HISTOIRE

idée fixe, celte rcclicrche de lumières curent un résultat précieux. Un ami m'apporta un jour un Grand Compost du quinzième siècle, orné d'une image en bois représentant une troupe de gens armés contre un limaçon, dont la pose était iden- tique à celle de la miniature reproduite par M. de Bastard. Une légende rimée jointe à la vignette ne laissait aucun doute sur ce sujet. La colère du peu- ple contre le limaçon destructeur des fleurs et des fruits se traduisait par la mort de l'animal.

Vuide ce lieu, très orde beste,

Qui des vignes les bourgeons mange...

S'il faut admettre qu'un miniaturiste a dessiné un limaçon comme symbole du Christ, pourquoi ne pas croire avec Guillaume Durand que : « La lon- gueur de l'église est la longanimité qui supporte patiemment l'adversité, en attendant de parvenir à la patrie céleste » ;

Que « la largeur est l'amour, la charité agran- dissant le cœur, et embrassant les amis et ennemis de Dieu » ;

Que « la hauteur est l'espérance du pardon à venir » ;

Que « les solives, sous la table du toit, sont les prélats qui, par le travail de la prédication, entre- tiennent la clarté? »


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 40

Ces subtilités scolastiques, ces jeux (Fimagina- tion des moines, s'expliquent au quinzième siècle; mais les faire entrer dans la discussion en 18(30, voilà, malgré la sympathie que je porte aux belles publications de M. de Bastard, des principes sym- boliques qu'il est difficile d'admettre comme no- tions architecturales.

Pourquoi ne pas croire également avec Claude Villette, que : « Les vitres des fenêtres des églises sont les escriptures qui reçoivent la clarté du soleil en repoussant vents, neiges, grêles, hérésies et fausses doctrines que le père de division et men- songe forme » ;

Que « les barreaux de fer et clavettes qui sou- tiennent les vitres sont les conciles généraux œcu- méniques, orthodoxes, qui ont soutenu les Escri- ptures sainctes et canoniques », etc. ;

Que « les deux colonnes estroites de pierre qui soutiennent et vitres et barreaux, sont les deux préceptes de charité chrestienne : Aimer Dieu et le prochain » ;

Que si « la longueur des fenêtres des églises montre la profondité et obscurité de l'escriture, etc., la rondeur montre que l'Église ne se contredira point ^?)) etc.

1 Claude Villette, Baisons de l'Office. Paris, MDCXI.


4t HISTOIRE

Faiit-il apprendre aux élèves de l'Ecole des beaux- arts cette signification si particulièrement ingé- nieuse des vitres, des barreaux et des clavettes qui les retiennent?

Voici une miniature fort bizarre d'un très-beau livre d'Heures du quinzième siècle. Le sujet en est cru en apparence et frise l'obscénité. Qu'on tourne la page, on voit de pieuses peintures. Combien pourrait-on épiloguer à propos de la diversité de ces sujets?

Ramenons les choses à leur véritable significa- tion. Cette miniature est la svmbolisation du froid au mois de février. Un brave bourgeois et sa femme se chauffent au foyer. Rien autre chose. Seulement la pudeur du quinzième siècle n'était pas absolu- ment celle du dix-neuvième.

Il faut citer encore d'autres curieux détails de ce symbolisme effréné.

Sur le jubé de Saint-Fiacre, une église du Mor- bihan, on voit un bas-relief représentant les entre- prises du Renard^; du haut d'un donjon il guette les poules et se jette sur elles, quand elles sont à sa portée ; naturellement les poules se défendent de


  • Le sculpteur de Saint-Fiacre au Faouet a traduit sur la pierre

une variante du Roman de Reuart; on en trouvera d'autres repro- ductions découlant plus directement du poëine dans le chapitre consacré spécialement à Renart.



Miniature d'un livre d'Heures manuscrit du XV* siècle.




s


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 47

leur mieux contre le renard. Pour conclusion, le goupil, renversé, semble éventré par les poules.



Premier fragment d'un bas-relief du jubé de Uéglise Sainl-Fiacre, au Faouet (Morbihan), d'après un dessin de M. L. Gaucherel.

M. l'abbé Cousseau voit clans ces sculptures la traduction du passage de l'Écriture : « Défiez-vous des faux pasteurs qui sont des loups ravissants re- vêtus de la peau des brebis. Les brebis, ajoute-t-il, ont plus fait que de se méfier du faux pasteur, elles l'ont démasqué et vaincue »



Deuxième fragment du même bas-relief.

Une telle interprétation des Écritures offre sans doute un côté ingénieux ; mais l'explication du

  • Bidlelin monumental, 184'î.


48 HISTOIRE DE LA CARICAÏUUE AU MOYEN AGE.

bas-relief de Téglise Sainl-Fiacre se trouve ailleurs. Guillauniele Normand relate que le renard a riiabilude de contrefaire le mort pour attirer les l)oules et s'en emparer plus facilement. L'auteur du Roman de Renart a mis de son côté la même action en scène. Cette observation des mœurs des ani- maux ne vaut-elle pas Timagination de l'abbé Cous- seau, qui voit dans le bas-relief « le triomphe de la foi sur V hérésie? »



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Troisième fragment du bas-relief de l'église Saint-Fiacre, au Faouet,

d'après M. L. Gaucherel.


CHAPITRE II


LES ANIMAUX MUSICIENS



Elle est claire riiiflueiicc de riirie et des naturalistes de l'an- tiquité sur certaines sculptures du moyen âge dont vainement on a cherché le sens ailleurs. Qu'on se rappelle les peuples à têtes de chien, ceux dont le nombril est remplacé par un œil et autres monstruosités auxquelles Pline, trompé par les récits des voyageurs de son temps, accor- dait gravement croyance. De telles légendes eurent cours en Europe jusqu'au seizième siècle ; les aven- turiers qui revenaient de loin, les esprits chiméri- ques, même un Marco Polo, homme de bonne foi, prirent pour des réalités les visions des brumes et, sous le coup des récits des naturalistes de l'anti- quité, ravivèrent ces traditions tératologiques en y joignant à l'appui des images bizarres.


5


5) IIISTOIUE

Ces éli'.iiigclés étaient admises ])ar le ])eiiplc; et comme les esprits étaient particulièiement Irappés par la pompe des habits sacerdotaux des dignitaires de rÉglise, les matelots„gens pieux pour la })lupart, se souvenant dans leurs voyages des hommes qui peut-être les avaient bénis, soudaient de religieux souvenirs à ceux de monstres maritimes inconnus.



I ('5 luiliiLMils i-lc l'islc (IcScilaii Voy.r^c! de Jlnic-l'niil, miiiialiiio du iiKinuscrit des Merveilles du Monde (155G). liibliotlicquc iialioiiulc.

Au seizième siècle, on croyait au poisson-évéque, c'est-à-dire à un animal marin revêtu des princi- paux ornements épiscopaux : mitre, camaiP.

  • On trouve cette figure gravée dans noml^re d'ouvrages ; ainsij

dans Descerpz, Recueil de la diversité des habits, sous la gravure

on lit :

La terre n'a cvesque seulement Qui sont par bule en grand honneur et tiltl'e; L'evesque croist en mer semblablenient Ne parlant point, combien qu'il porte mitre;


DE LA CARICATURE AU MOYE>' AGE. 51

Si la Renaissance accepta de pareils faits, com- bien les croyances de même nature furent plus dé- veloppées et plus robustes au moyen Age ! Non- seu- lement elles avaient cours dans le peuple, mais parmi les hautes classes. Les moines, en appelant les animaux fantastiques à contribuer à l'orne- mentation des manuscrits, prouvent qu'eux aussi, quoique les plus lettres de la nation, laissaient vo- lontiers courir leur imagination vers des êtres chi- mériques auxquels de vives couleurs et une exé- cution patiente ajoutaient une sorte de caractère de


On conserve à la bibliothèque de Poitiers un ma- nuscrit où sont représentés des lévriers à tête d'ai- gle, des chimères mi-scorpion, des sauterelles à tète d'oiseau d'où sortent des défenses de sangliers. L'a- nalogie avec le bestiaire fantastique de l'antiquité est frappante. Dans un autre manuscrit de la bibliothè- que du séminaire de la même ville, on voit un loup à cheval sur un coq, poursuivant une grue effarée, qui fait penser à certaines pierres gravées antiques de la décadence ^ Ces motifs décoratifs, quoique re- tournés sous toutes leurs faces par les commenta- teurs, sont restés inexpliqués.

La pénurie intellectuelle de la plupart des artistes

  • Yoy. mon Histoire de la Caricature a^itlque, 1 vol. in-18,

2« édit., Dentu, 1872.


52 HISTOIRE

étonne comme l'absolue sincérité chez riiommc. Un penseur veut voir plus de complication dans les arts, de même qu'un être tortueux cherche les motifs cachés dans les actes d'un caractère droit.

Je tiens ces peintures de manuscrits pour de sim- ples caprices se rattachant à de confuses légendes.

L'enfantement de l'art est obscur comme la créa- tion. Ce sont d'abord, je l'ai dit déjà, des sortes de larves grouillant sur les sculptures des temps con- fus qui précèdent le moyen âge, pour être suivies jusqu'à la Renaissance d'un excès de développe- ment hybride et monstrueux. Le rêve alors a plus de part ornementative que la réalité; les croyances fantastiques, grimpant sur le corps des observa- tions qu'elles étouffent, laissent une impression semblable à celle d'un cauchemar : de l'élément chrétien soudé à l'élément païen s'échappent des courants ennemis qui se combattent et ne peuvent se fondre en un seul. Monstres fantasmagoriques, gnomes et démons rampent au onzième siècle en attendant que, sous le coup d'une révolution artis- tique, ils se transforment aux siècles qui suivront.

Après les monstres vinrent les animaux imitant certaines actions de l'homme : des truies, des san- gliers, des ours, des singes et des ânes jouant de l'orgue, de la vielle, du biniou, de la viole.

Dans ces caprices appliqués au fronton des églises,


DK LA CARICATURE AU MO\R>' AGU. 53

le reflet de l'art égyptien et de l'art romain est vi- sible. Sur les papyrus du musée de Turin comme sur les pierres gravées de la décadence romaine, les animaux singent l'homme et se font musiciens.

Ces animaux, introduits dans l'art chrétien, com- prennent certains groupes, tels par exemple que le chapiteau de l'église de Meillet, où se voit un lion jouant de la viole, tandis qu'à côté un âne pince de la lyre ; à la môme classe appartiennent les scul- ptures de l'église de Vézelay, le singe jouant du violon en face d'un âne qui tient dans ses pattes un cahier de musique.



SllWP


Chapiteau de la cathédrale de Magdebourg.

Je donne, d'après Otte S une femme nue assise sur un bouc, non loin d'un aigle tenant un hibou dans

  • Mgnuel de Varchéologie et de l'arl religieux au moyen âge

1854, in-8.


54 HISTOIRE

SCS serres, drame bizarre qui a pour orchestre un singe jouant d'une sorte de vielle.

Les Bibles historiales, les Heures latines manus- crites de nos bibliothèques doivent être consultées à ce sujet; sur chaque feuillet des animaux de toute espèce, chats, rats, loups, renards, ours, s'ébattent en compagnie de fous, et il n'est pas rare de trou- ver un De profundis ou un Miserere encadré entre des singes et des figures grotesques.

Dans la môme série peuvent être classés la truie qui joue de la vielle, de l'église Saint-Sauveur à Nevers ; la truie qui file, représentée sur un chapi- teau de l'église de Chalignac (Charente) ; le porc qui joue du biniou, sur le portail de l'église de Ploër- mel ; les cochons ou boucs tenant un violon, comme il s'en rencontre à la cathédrale de Rouen et à l'église d'Aulnay (Charente-Inférieure) ; le sanglier touchant de l'orgue, tandis que son compère, de la môme famille, fait mouvoir les soufflets. On joindrait à ces représentations le chien qui pince de la harpe de la cathédrale de Poitiers, l'ours jouant de la viole du môme monument, le singe qui, sans pincer les lèvres, sonne de la trompette, de la chapelle du château d'AmboiseS et enfin les nombreux ânes

  • « Au-dessus de l'autel de la chapelle du château d'Amboise, un

singe embouche la trompette, et nous ne sommes pas asse^ hardi pour dire de quelle manière ce sale musicien tire les sons de son


DE LA GARIC.VTrRE M MOYEN AGE, 55

qui s'accompagnent de la harpe ou de la lyre, scul- ptés sur tant d'édifices religieux.

Un archéologue distingué disait à propos de sem- blahlcs figures : « Certains ménages de basse-cour offrent l'image de la plus édifiante harmonie ; tandis que la truie file en allaitant ses petits, le porc tou- che de l'orgue pour récréer son intéressante fa- mille. Il n'est pas rare non plus de rencontrer des ours danseurs, des singes joueurs d'instruments, des guenons travaillant avec la quenouille ou le fu- seau. Quand on cherche le sens de toutes ces fi- gures bizarres, on éprouve souvent un embarras extrême à faire la part du caprice et de la fan- taisie, à réserver celles qui appartiennent au svmbolisme sérieux, à la satire ou à la carica- ture^ »

De symbolisme sérieux il ne saurait être ques- tion. Ce qui touche à la satire ou à la caricature proprement dite, dans ces représentations, me pa- raît également problématique. Ces sculptures étant de la même époque que celles dirigées contre les moines, qui eût empêché les imagiers de préciser par un détail que ces animaux personnifiaient des


instrument. » (Gustave Brunet, Sculptures des monuments reli- gieux du département de la Gironde.)

^ Baron de Guilliermy, Iconographie des Fabliaux. [Annales archéologiques, t. VI, 1847.)


56 HISTOinE

gens d'Eglise? Les tailleurs de pierre ne se gênaient pas quand ils voulaient Taffirmer*. J'incline à voir dans de semblables sculptures d'innocentes paro- dies des musiciens de profession, bohèmes vivant au jour le jour, de mœurs peu recommandables, dissipant au cabaret le peu qu'ils gagnaient.

Qui ne sait combien est contagieuse l'imitation dans les arts? Le premier sculpteur qui s'imagina



Sculpture en bois d'une maison à Malestroit (Bretagne).

de représenter un joueur de viole en porc, un souf- fleur de biniou en chien ou en àne, fit rire, par cette


- a L'âne s'est fait musicien, maître d'école, même ecclésiastique; il a pris quelquefois une tête de moine en gardant ses grandes oreilles, » dit encore M. de Guilhermy.


DE LA CARICATTRE AU MOYEN Af.K. 57

comique interprétation, le peuple du moyen âge, facile à amuser. D'autres imagiers s'emparèrent de cette idée, la propagèrent, et les animaux musi- ciens fnrent répétés à l'infini sur les murs des ca- thédrales. Aussi, à propos des singes, des ânes et des porcs parodiant des musiciens, ne saurais-jc voir avec quelques archéologues « un des sym- boles de l'orgueil qui porte l'homme à s'élever au- dessus de la position dans laquelle la Providence l'a placé. »

L'âne mérite toutefois une mention spéciale. Avec le bœuf il fait partie de la symbolique dans quel- ques monuments. C'est en mémoire de ses services qu'il est sculpté sur un des piliers de la nef de Saint-Germain, à Argentan : l'animal patient et la- borieux a transporté des pierres et des fardeaux pour la construction de l'église.

L'âne est particulièrement biblique. Au jour des Rameaux, Jésus monte une ânesse, suivant la pré- diction deZacharie : «Dites à la fille de Sion : Voici votre roi qui vient à vous plein de douceur, monté sur une ânesse et sur l'ànon de celle qui est sous le joug. »

Ces souvenirs expliquent pourquoi de tous les animaux musiciens l'âne est celui que l'on, rencon- tre le plus fréquemment sur les monuments reli- gieux, jouant de la vielle, de la harpe ou de la lyre.


58 HISTOIRE

ce (lui l'a fait appeler : Vâne qui vielle, ou Vânequi lyre ou Fane harpant *.

De ranli([uilé à la Renaissance, Tàne occupa les imagiers ; mais ce fut au treizième siècle plus parti- culièrement que l'animal joua un rôle important, étant mêlé, en qualité d'acteur principal, à la fête qui portait son nom.

Ce jour-là, revêtu d'une chape, Tàne officiait dans l'église à la place du prêtre, pour le plus grand amusement de la foule. Sous le museau on lui brû- lait des vieilles savates en guise d'encens. C'était une joie grosse et grossière, dont ne peuvent avoir idée ceux qui n'ont pas été entraînés dans les rondes des illles et des matelots de la kermesse de Rotterdam. Il s'échappe alors, dételles manifestations populaires, quelque chose d'énorme et de dangereux pour les gens des villes accoutumés à des spectacles plus po- licés. Une caresse de femme semble un coup de poing, un baiser une morsure. L'ivresse est lourde, enflammée, menaçante. Les danseurs s'élancent les uns vers les autres comme des trombes.


  • L'âne qui vielle se voit à Notre-Dame de Tournay; l'âne qui

pince de la harpe à l'église Saint-Agnan, près Cosne-sur-Loire ; même sujet à la crypte de Saint-Pariz-lc-Cliâtel, du diocèse de Ne- vers; l'âne qui joue de la lyre, à Notre-Dame de Chartres; égale- ment sur un bas-relief de la salle capitulaire de Saint-Georges de Bocherville (près Rouen), construite au douzième siècle. De nom- breux exemples pourraient être ajoutés à cette nomenclature.


DE LA CAIUCATUUE AU MOYEN AGK. 59

Je me Iruiiipe l'urt si la gaieté du moyen âge n'olïre l)as quelques analogies avec ces violentes expan- sions hollandaises, aux grandes l'êtes populaires de l'année.

L'àne étant de nature rustaude nécessitait des di- vertissements grossiers : du boudin pour mets, de vieilles chaussures pour encens, quelque terrible cau-de-vie pour rafraîchissement de ses adorateurs. C'est de la sorte que longtemps le peuple s'est amusé.

Ici, loin de manquer, les documents sont peut- être trop nombreux, les écrivains sacrés et laïques ayant tiré, chacun de leur côté, cette chape symljo- liquequi, suivant les uns, profane l'Église, et, selon les autres, la condannie.

Les écrivains qui ont des attaches étroites avec le clergé disent i a II serait bien téméraire de su})poser que les saints prélats qui ont gouverné l'Église avec tant de sagesse pendant le moyen âge, aient prêté leur concours à l'introduction de bouffonneiies et d'absurdités telles que les ennemis de la religion n'en auraient pu imaginer de plus inconvenantes et de plus burlesques ^ »

Je ne prétends pas que l'Église régla au début ces l'êtes avec le caractère licencieux qu'elles offrirent

^ Clément, le drame liturgique, [Annales archéologiques, 1856.)


00 HISTOIRE DE LA CAlUCATUllE AU MOYE.N AGE.

plus tard. 11 est presque certain que l'Église laissa faire et usa de tolérance ; mais je ne partage pas non plus la joie des voltairiens quand môme qui, à propos de Tintroduction de ràne dans les églises, veulent que cette parodie du culte annonce la révolte du peuple contre le clergé.

Ces deux opinions offrent un écart tel qu'il con- vient de remonter aux premiers siècles et d'étudier par quel enchaînement de coutumes l'Église toléra la fête de l'àne sous ses voûtes sacrées.



CHAPITRE II


LA FÊTE DE L ANE



On conserve, à la bibliothè- (|ue de Sens, un manuscrit de Pierre de Corbeil, renfermant la pi'ose de Vâne, telle qu'elle se chantait dans les églises au treizième siècle. Ce texte, les symbolisateurs en ont donné des in- terprétations si particulières, qu'on ne saurait se lasser de le remettre sous les yeux de ceux qui cher- chent la vérité historique.

L'officiant débitait les quatre premiers vers*

Orientis partibus, Adventavit asinus, Puleher et fortissimus, Sarcinis aptissimus.

Le chœur répondait :

liez, tir aille, liez.


02 IIISTOIKE

Ilic, in collibus Sichcm Eimtritus sub Ruben, Trausiit pcr Jordanem, Saliil in Bctlilceni.

liez, sir asne, liez.

Saltii vincit hinnulos, Dagmas et capreolos, Super droniedarios Yclox madiancos.

liez, sir asne, hez.

Âurum de Ârabiâ Thus et myrrham de Sabâ, Tulit in Ecclesiâ Virtus asinaria.

liez, sir asne, hez.

Dum trahit véhicula. Multà cum sarcinulà, lUius mandibula Dura terit pabula.

Hez, sir asne, hez.

Cum aristis hordeum Coraedit et carduum ; Triticura a paleà Segregat in areâ.

Hez, sir asne, liez.

Amen dicas, asine, Jain satur ex graminc. Amen, amen itéra; Aspernai'c vetera.

Hez, sir asne, hez.


Une telle litanie, si excessive et si pompeuse cil l'honneur de l'âne, offre quelque chose de hurles-


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE, Gô

que, et le refrain : liez! sir asne, hez! répété entre chaque couplet par des milliers d'assistants, indique suffisamment que le peuple poussait l'anc à faire retentir les voûtes sacrées de ses braiments.

Il s'est pourtant trouvé un archéologue, M, Clé- ment, qui a vu dans cet âne le symbole de Jésus- Christ. Un âne a-t-il droit à tant de pompeuses ima- ges? Peut-il être appelé beau et plein de courage [pulcher' et fortissimus) , la meilleure bête de somme {sarcinis aptissimiis) , dont les bonds surpassent ceux des chevreaux [saltuvincit capreolos)^'i

Le premier vers d'abord a attiré l'attention du symbolisateur : Onentis partibus. « C'est de TO- rient que nous vient la lumière, dit l'archéologue que je cite mot à mot : l'Orient est le berceau de l'humanité ; c'est aussi de l'Orient que sont venus les mages avec les présents dont l'âne était chargé ; c'est du côté de l'Orient que parut l'étoile qui les guida. Saint Bernard, dans le Patrem parit filia, autre pièce du même manuscrit, appelle Jésus- Christ Oriens in vespere. »

La liturgie et le prophète Zacharie viennent éga- lement au secours de M. Clément, qui ne s'arrête pas en si beau chemin. « Adventavit vient à'adven- tus, mot qui s'applique au temps qui précède l'avé-

  • F. Clément, l'Ane au moyen âge. [AnnaJefi archéologiques de

Didron, vol. XVetXVI.)


G4 HISTOIRE

ncmcnt du Sauveur. Asimis ne peut être ici pris qu'en bonne part. La suite de la prose prouvera avec évidence que cet âne est le symbole de Jésus- Christ. »

On doit à M. Félix Clément de curieux travaux sur la musique ancienne, et je n'oublie pas qu'il faut compter avec l'érudit qui a publié un Choix des principales séquences du moyen âge tirées des manuscrits. Dans ce choix, au numéro 4, est gra- vée la séquence qui fait partie de l'Office de la Cir- concision composé par Pierre de Corbcil, et qu'on appelle vulgairement Prose de Vâne. La mélodie de VOrientis partibus quoiqu'elle soit grave, carrée et pompeuse comme la plupart des séquences de l'é- poque, ne change rien à mon sentiment. Jusqu'à la fin du dix-septième siècle, même les mélodies des chansons à boire sont solennelles. Tout ivrogne convoite les «présents de Bacchus» sur le ton d'un chantre de cathédrale.

Les gens qui entonnaient la prose de l'âne paro- diaient les litanies saintes sur un air grave. Il n'en existait pas d'autres, d'ailleurs, et les compositeurs ne se doutaient pas des rhythmes sautillants et spirituels de nos futurs opéras-comiques; mais le principal argument dans cette question vient d'une note manuscrite écrite par Sainte-Beuve sur son exemplaire des Séquences, que j'ai sous les yeux.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 65

Sur le titre du livre le judicieux critique a écrit au crayon : « Toute musique n'est pas propre à louer Dieu et à être entendue dans le sanctuaire. » (La Bruyère, cliap. des Esprits forts,) Sainte-Beuve ju- geait donc trop profane la prose de l'âne chantée dans les églises.

D'après Pierre Louvet, auteur de V Histoire du dio- cèse de Beauvais (1635), les chanoines se rendaient au-devant de l'Ane recouvert de la chape ecclésias-



Frise archivolte de réglise Saint-Pierre d'Aulnay (xii* siècle).

tique, à la grande porte de l'église, houteille et verre en main, tenentes singidi iirnas viniplenas cum scy- fis vitreis. Les encensements se faisaient avec du houdin et des saucisses : Hâc die incensabitur cum boudiuo et saucitd.

6.


66 HISTOIRE

Demander quel symbole cache cette charcuterie semble du domaine du Tintamarre ; mais les sym- bolisateurs ne perdent jamais leur gravité docto- rale. « Quoique, continue M. Clément, il ne soit pas nécessaire de faire un grand effort d'imagination pour appliquer au Sauveur le vers de cette première strophe, toutefois nous ne serions pas éloigné de proposer une seconde interprétation. »

Voyons la seconde interprétation : « Nous pour- rions voir dans cet âne qui vient de TOrient, plein de force et de bravoure, le type de la nation juive, dépositaire de la foi au vrai Dieu. »

M. Mérimée, à qui on en faisait accroire difficile- ment en matière archéologique, étudiant les capri- ces prétendus symboliques du moyen âge, parle de « la bonhomie innocente des sculpteurs du dou- zième et du treizième siècle, qui n'entendaient pas malice quand ils représentaient un péché tout crû- ment, comme il se fait ^ »

La fête de l'âne peut être expliquée aussi simple- ment. Comme dans l'antiquité, l'Église accordait un jour de saturnales aux fidèles et ne croyait pas le temple déshonoré par l'âne qui parodiait le prê- tre ^ Il faut songer à la grossièreté de la joie à cette

  • Notes d'un voyage dans le Midi de la France. Paris, Fournier,

1^55, in-8.

2 Voy. dans le Bibliophile français, de juillet 1809, un article sur le Dyplique de Sens, de M. Coclieris qui, avec Duchalais et


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. C7

époque, et non pas raisonner avec la pruderie et la délicatesse que nous ont données sept ou huit siècles de civilisation.

Celui qui veut se rendre compte de l'état des es- prits au moyen âge devra se faire peuple, mettre son âme d'accord avec l'âme de ces siècles barbares, courber la tête, se faire petit avec les petits, simple avec les simples, croire avec le clergé d'alors qu'il n'y avait pas danger à ces divertissements, rire des symbolisateurs d'aujourd'hui et ne pas s'enfoncer avec eux dans les ténèbres du Psalterium glossatum^.

Les paysans sont moins crédules et surtout plus gausseurs que certains archéologues ; si le symbo- lisme a pénétré chez eux sous forme de catéchisme, ils en tirent une singulière interprétation. M. Jérôme Bugeau, dans son beau livre des Chansons populai- res des provinces deVOuest^, a recueilli de la bou-

Bourquelot, partage la même opinion. « Les évêques, dit également M. Viollet-le-Duc, aimaient mieux ouvrir de vastes édifices à la foule, sauf à lui permettre parfois des saturnales, plutôt que de laisser bouillonner au dehors les idées populaires, »

1 « La hauteur d'une cathédrale est l'espérance; sa largeur est la charité; sa longueur est la persévérance. Les fenêtres d'une cathé- drale sont les paroles des saints ; les piliers sont les vertus spiri- tuelles; les colonnes sont les bons évêques et les prêtres; le toit est la figure d'un intendant fidèle, » etc. Traduction d'un texte latin du dixième ou onzième siècle, inscrit sur une feuille volante en tête du Psalterium glossatum, manuscrit de la bibliothèque de Boulogne-sur-Mer.

2 >'iort. 1866, 2 vol. grand in-8.


68 HISTOIRE

che même des petits enfants de l'Angoumois les de- mandes et les réponses suivantes :

Le prêtre. — Que signifient les deux oreilles de l'àne?

Lenfant. — Les deux oreilles de l'âne signifient les deux grands saints patrons de notre \ille.

Le prêtre. — Que signifie la tête de l'àne ?

Lenfant. — La tête de l'âne signifie la grosse clo- che, et la longe fait le battant de cette grosse cloche qui est dans le clocher de la cathédrale des saints patrons de notre ville.

Le prêtre. — Que signifie la gueule de l'âne?

Lenfant. — La gueule de l'âne signifie la grande porte de la cathédrale des saints patrons de notre ville.

Le prêtre. — Que signifie le corps de l'âne?

Lenfant. — Le corps de l'âne signifie tout le bâ timent de la cathédrale des saints patrons de notre ville.

Le prêtre. — Que signifient les quatre pattes de l'âne ?

Lenfant. — Les quatre pattes de l'âne signifient les quatre grands piliers de la cathédrale des saints patrons de notre ville.

Le prêtre. — Que signifient le cœur et la pire de l'âne?

Lenfant. — La pire et le cœur de l'âne signitient


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 69

les grandes lampes qui sont au mitant de la cathé- drale des saints patrons de notre ville.

Le prêtre. — Que signifie la panse de l'âne?

Uenffnt. — La panse de l'àne signifie le grand tronc où les chrétiens vont mettre leurs offrandes aux saints patrons de notre cathédrale.

Le prêtre. — Que signifie la peau de l'âne?

Uenfant. — La peau de l'âne signifie la grande chape du bon curé de la cathédrale des saints pa- trons de notre ville.

Le prêtre. — Que signifie la queue de l'âne ?

L enfant. — La queue de l'âne signifie le goupillon du bon curé de la cathédrale des saints patrons de notre ville.


Il serait peut-être prudent de s'arrêter ici. La dernière question, qui découle logiquement de la précédente, est si gauloise, que je suis obligé d'en laisser la responsabilité aux petits enfants de l'An- goumois.

Le prêtre. Que signifie le tr.. du c. de l'âne?

Uenfant. — Le tr.. du c. de l'âne, monsieur, si- gnifie le beau bénitier de la cathédrale des saints patrons de notre ville. Amen.

La réponse de Tenfant, qui ne se pique pas de


70 HISTOIRE DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE.

science archéologique , vaut bien ce symbolisme qui se dit religieux et paraît plutôt soufflé par le diable pour remplir les esprits de trouble et de con- fusion.



D'après une miniature des Tragédies de Senèque (fin du xiii° siècle).


CHAPITRE IV


DANSES DANS LES ÉGLISES ET LES COUVENTS



De singulières réjouis- sances eurent lieu dans les cathédrales et les couvents, à propos des grandes fêtes de l'Église, pendant le moyen âge et la Renaissance. A Pâques, et à Noël surtout, ce n'était pas seulement le bas clergé qui prenait part aux chants et aux danses, mais les grands dignitaires de l'Église. Dans les cloîtres, les moines dansaient avec les nonnes des couvents voisins ; certains prélats vinrent chercher les religieuses pour se mêler à leur joie. La chro- nique de la ville d'Erfurth cite même un évêque qui se laissa entraîner à de tels excès de danse qu'il en mourut d'apoplexie.

il y aurait là beau jeu pour les adversaires de l'Église, qui, s'emparant de ces détails, en augmen-


?2 PISTOIHE

teraienl les conséquences, car quelques scandales

résultèrent naturellement de ces danses.

Si, par exemple, je détache d'une Bible liistoriale du quatorzième siècle la miniature ci-contre, qui représente un intérieur de cuisine de couvent, où des moines font ripaille en compagnie de filles de bonne humeur, il est certain qu'une telle preuve, souvent répétée dans les peintures des manuscrits de l'époque, peut sembler accablante contre des religieux trop gaillards ; mais il faut prendre garde que souvent de tels sujets ont été introduits dans les Bibles autant comme conseils que comme repré- sentations de scènes scandaleuses. Les légendes inscrites sous ces miniatures avertissent les reli- gieux qu'ils aient à se défendre de la bonne chère ainsi que de la chair fraîche. Sans doute des dés- ordres éclatèrent parfois dans l'intérieur des cou- vents ; mais l'historien, il ne faut pas se lasser de le répéter, doit faire abstraction du présent et regarder le passé dans son ensemble de mœurs et de cou- tumes.

Les danses dans les églises, à l'époque des grandes fêtes, étaient regardées comme faisant partie des pompes rehaussant le service divin.

Aux premiers siècles de l'ère chrétienne, la danse offrit une forme à la fois artistique et pieuse qui primait la peinture et la musique. Le roi David dan-



iliiiialure d'une Bible nioralisée (a" 166) de la Bibliollïèqiie nationale.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 75

sait devant FArclie sainte, et le sermon ccv, attri- bué à saint Augustiji, démontre que les premiers clirétiens suivirent son exemple : « Erat gciililium ritus inter cliristianos retentus, ut diebus festis ballationcs, id est cantilenas et saltationes exercè- rent... quia ista ballandi consuetudo de paganorum observatione remansit. »

Toutefois ces danses furent condamnées au sep- tième siècle dans un concile assemblé par Clovis 11, à Cbâlon-sur-Saône ; il fut défendu aux femmes de se divertir, les jours de fête, dans l'enceinte des églises, et d'y chanter des chansons licencieuses. Il y avait abus ; ce qui était sacré se tournait en pro- fane excessif : le peuple et même les gens d'Église dépassaient les bornes. Aussi, à diverses reprises, des bulles et des décrets canoniques interdirent de pareilles réjouissances, et Grégoire de Tours s'éleva contre les mascarades qu'on représentait dans l'in- térieur d'un couvent de Poitiers.

11 est vrai qu'à ces danses se rattachèrent bientôt les fêtes des Fous, des Innocents, de l'Ane, ani- mal que les sculpteurs semblent avoir pris pour type de l'art musical par excellence. (Voyez la figure de la page 77.)

Le peuple, peu à peu, prenait pied et mélangeait à l'élément sacré ses grossièretés particulières.

En 1212, le concile de Paris fait défense aux non-


7() HISTOIRE

nés de célébrer la fête des Fous : « A fesfis folloriim iibi baciilus accipitiir omnino abstiiieatur, idem fortiùs monacliis et moniaiibiis prohibimiis. »

La civilisation, se débarrassant des \oilcs de l'an- tiquité, n'admettait plus de tels ressouYcnirs des iupercales et des bacchanales sacrées.

L'archevêque Odon, qui visitait les couvents du diocèse de Rouen, en 1245, y apprit que les reli- gieuses se livraient à des plaisirs indécents pendant les grandes fêtes (Ejusmodi lasciviis operam dé- disse), u ?sous vous défendons, dit l'archevêque, ces amusements dont vous avez l'habitude (ludibria consueta) ; » le prélat leur interdit également de danser entre elles ou avec des séculiers (aut inter vos, seu cum secularibus chorcas ducendo).

Les religieuses se permettaient, parait-il, dans ces fêtes, des chansons un peu gaies (nimià jocosi- tate et scurrilibus cantibus utebantur, utpotè farsis, conductis, motulis, etc.).

Le trait d'union entre les cérémxonies sacrées et celles qu'imaginèrent les laïques est connu. Voici ce qu'on chantait en dansant, le jour de Pâques, dans le diocèse de Besançon :

Si si la sol la ut ut ut ut si la si

riclelium sonet vox sobria;

Si si la sol la ut ut ut ut si la si

Convertere Sion in gaudia.

Si si la sol la ut ut ut ut si la si


nnnnnnnnnnnnn



7


Chapiteau du portail de l'église de Maillet (xii" siècle).


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 79

Sit omnium una l.iutitia,

Ut rc re sol la ut si la sol fa sol

Quos unica rcdcmit gratia.


Il en était de môme, en 1291, à Amiens, où un lùjrie farci, un Gloria in excelsis, composés de lalin et de langue vulgaire, mettaient en belle humeur les assistants.

k Laon, de 1284 à 1550, on célébrait des fêtes des Innocents, qui offraient plus d'un rapport avec celles des Fous ; mais le chapitre, au seizième siè- cle, « défend absolument de rien faire dans ces fêtes qui' soit contraire à la religion, au roi et à TÉtat. »

Charles Vil promulgua, en 1450, des lettres royales à propos des gens d'Église de la cathédrale de Troyes, qui se « réunissoient pour faire la feste aux folx avec granz excez, mocqueries, spectacles, desguisemens, farces, rigmeries (chansons pro- fanes) et autres folies, par irrévérence et dérision de Dieu.... ou très grant vitupère et diffame de tout Testât ecclésiastique, » etc.

Un texte latin de 1497 montre que le chapitre de Sentis permettait « au Roi des vicaires et à ses com- pagnons de faire leurs divertissements la veille de l'Epiphanie, pourvu qu'on ne chantât point d'in- fâmes chansons, qu'on ne dit pas de paroles in- jurieuses ou impudiques, qu'on ne fît pas de dan-


80 IITSTOIRE

SCS obscènes devant le grand portail, fontes choses qui avaient eu lieu à la dernière fête des Inno- cents. »

Au quinzième siècle, les esprits sensés se scanda- lisèrent de pareils usages.

La Faculté de théologie de Paris lançait, en 1414, un décret condamnant ces fêtes qui, suivant les ex- pressions du théologal Jean Deslyons, sont « la chose la plus étrange et la plus incroyable de notre histoire ecclésiastique ^ »

Le fameux prédicateur Michel Menot blâmait les pr^^tres de danser publiquement avec des fem- mes, le jour même où ils disaient leur première messe-.

Un autre prédicateur, contemporain de Menot, Guillaume Pépin, parle également, sans trop s'en offusquer, de prêtres qui entraient en danse après avoir dépouillé leur soutane.


  • L'nmpleur et la sévérité de la lan^^^ue latine rendent mieux ces

excommunications théologiques : « Decretum theologorum parisien- sium ad detestandum, contemnendum et omninô abolondum quem- dam superstitiosum et ?candalosum ritum quem quidam fostum l;i- tuorum vocant, qui à ritu paganorum et infidelium idolatriâ initium etoriginem sumpsit... Taies paganorum reliquiae cessarunt... Solo verô sparcissimi Jani nefaria traditio hûc usquè persévérât... Si- railia ludibria in capite januarii faciebant (pagani et gentiles) in honorem Jani. »

2 Perpulcra epistolantm qiiadrageaimaliiim exposit>o. — Paris, i517.


t)E LA CARICATURE AU :JOYE>' AGE. 81

Ce qui est plus grave, c'est la peinture qu'il fait de moines qui vont dans les couvents de religieuses pour y danser nuit et jour, avec les conséquences qui s'ensuivaient : « Soient multi clcrici etiani re- ligiosi nonreformati ingredi monasteria monialiuni non reformatarum et cum cis clioreas ctiam inso- lentissimas ducere et lioc tam de die quam de noctc, tacco de reliquo, ne forsan offcndam pias


aures^ »


Cependant tous les divertissements dans les églises n'offraient pas de pareils scandales, et le seizième siècle déjà plus policé laissa faire et sub- ventionna même ces fêtes profanes, devenues plus décentes.

En 1555, le chapitre de la cathédrale d'Amiens accorde soixante sous aux grands et petits vicaires pour les célébrer. En 1525, le 12 décembre, le même chapitre permet aux vicaires de célébrer la Circoncision, à condition de ne pas dépendre les cloches, de s'abstenir d'insolences, de moqueries, et de payer eux-mêmes les frais du repas. Quelques années plus tard pourtant, le 9 avril 1558, à la fêle de Pâques, le chapitre défend aux vicaires et aux chapelains de se livrer à ces divertissements.

Jadis les chanoines et chapelains sautaient cn-

Sermones quadraginta de Bcstructione Nlnlvœ. — Paris, 1525.


82 HISTOIRE

semble en rond dans les cloîtres et les églises quand le mauvais temps les empêchait de danser sur le gazon, « ce qui ne pouvait manquer, dit Fauteur d'un mémoire publié dans le Mercure de France (septembre 1742), de donner aux assistants un spec- tacle des plus plaisants et des plus risibles^ »

La plupart de ces détails^ pourraient être aug- mentés considérablement. Ils suffisent pour montrer comment, ces fêtes, issues du paganisme, s'étaient glissées dans le sein de l'Église et comment le peu- ple se les appropria.

L'Église a toujours témoigné de l'indulgence pour certains usages et certaines traditions. Les vieillards d'aujourd'hui se rappelleront la gaieté des messes de minuit, que les farceurs de province attendaient impatiemment pour semer de pois fulminants la


  • L'auteur de ce mémoire, qu'on croit être l'abbé Eullet, cha-

noine de Besançon, trouve cependant que les anciens Rituels per- mettent ces divertissements. On lit, en effet, dans le Rituel de 1581, au jour de Pâques : « Finito prandio, post sermonem, finitâ nonà, fiunt chorse in claustro, vel in medio navis ecclesise, si tempus fue- rit pluviosum, cantondo aliqua carmina ut in Processionariis con- tinetur. Finitâ choreâ.,., lit collatio in capitule cum vino rubreo et claro, et panibus vulgô nominatis des Carpendus. »

2 Voir les excellentes dissertations de Lcber et Rigollot. Je les ai résumées de mon mieux ; mais il faut lire toutes les preuves amas- sées par ces deux archéologues sans parti pris, pour avoir la cer- titude que ces fêtes, tantôt tolérées, tantôt défendues par l'Église, se rattachaient inconsciemment à des traditions païennes bien plus qu'au symbolisme chrétien


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 85

nef des églises, barricader les bas-côtés avec des montagnes de cbaises, remplir les bénitiers d'encre et embrasser de force, dans les coins obscurs, les filles qui ne s'y prêtaient pas de bonne volonté.

ïl existe, à mon sens, une certaine relation entre les plaisanteries de nos pères et les fêtes des Fous de nos arrière-aïeux. Vouloir en tirer des armes contre le culte me paraît aussi inutile que d'en cher- cher le symbolisme confus.

Cette fétc des Fous était un usage. Nous-mêmes à quelles singulières traditions n'obéissons-nous pas ! Quelles modes étranges nous défigurent jus- qu'au jour où les vieux usages et les vieux habits * sont mis au rebut ! Et si on m'accusait de procéder par analogie, de regarder le passé avec les lunettes du présent, de vouloir que ce qui est soit la preuve de ce qui fut, des intelligences distinguées vien- draient à mon aide.

Des hommes à qui on ne saurait reprocher de s'être jetés dans des discussions aventureuses, se sont préoccupés de ces questions et ont voulu y porter la clarté de leurs déductions. Je prends pour second dans cette bataille où déjà tant d'encre a coulé, un historien plein de mesure et qui ne mar- che dans les sentiers historiques qu'à pas pru- dents. M. Yillemain, montrant comment de l'Occi- dent vinrent les fêtes licencieuses des églises à de


84 HISTOIRE DE LA CAUICATURE AU MOYEN AGE.

certains jours, me paraît avoir trouvé le vrai mot pour qualilier la Fête de l'ànc et la Procession du renard; il les appelle « des folies grossières deve- nues \d petite pièce du culte religieux. »



Chapiteau de la nef de Saiiil-llilaire de Melle (Poitou).


CliAriTRE V


LE DIAIÎLE



les diriger


Il n'existe pas depuis le commen- cement du monde de création symbo- lique qui ait autant frappé l'esprit des hommes que le diable. L'idée d'un Dieu bienfaisant ne pouvait suffire à il fallut son envers. Ainsi, à côté du Dieu bon et ravonnant, fut créé un être pervers et dissolvant, qui en devint l'antithèse.

Les premiers rayons du jour ne nous rempliraient pas d'un ineffable contentement sans la fuite de la nuit. Aussitôt que l'idée de Dieu pénétra dans les esprits, l'idée du diable se présenta immédia- tement, et ce n'est pas blasphémer de dire que Dieu sans le diable ne pourrait exister. Ce fut une néga- tion que le diable, une de ces négations aussi essen- tielles qu3 le vice opposé à la vertu, la couleur noire


8


86 IliSTOlKE

à la blanche ; auï?si le noir i'u(-il chez presque tous les peuples la livrée de cette négation. Dans la plu- part des textes anciens Satan est appelé : Éthiopien, noir, enfumé, ténébreux^.

L'histoire des religions comparées prouve que, s'il n'y a pas de peuples sans dieux, il en est peu sans diables. C'est pourquoi, dans la représentation du génie du mal, les peuples primitifs, les civilisa- tions en enfance dépensèrent une imagination sin- gulière.

Le diable affecta mille variations étranges, quand le dieu offrait un type harmonique et régulier.



Das-reliei" de l'iiùtel de ville de Sainl-Quenlin.


« Satan est le singe de Dieu, » dit Tertullien. Un sombre empereur était appelé à régner sur les

  • Dans la Perse ancienne, deux génies, Ormuzd et Alirniian, se

disputent l'empire du monde. Ormuzd, le bon génie, est lumineux


• DE LA CARICATUUE 'AU .MOYEN AGE. 87

■vices, comme une ligure douce et immatérielle devait protéger la vertu. Le diable fut Tinquisiteur chargé de châtier par le feu les pensées coupa- bles, les actes répréhensibles, les crimes, toutes les passions mauvaises qui s'agitent dans le cœur de r homme.

Pour rendre saisissante la représentation de ce mauvais génie, on en fît d'abord un composé d'homme et d'animal auquel les mythologies an- ciennes fournirent le poil, les cornes, les pattes, les griffes. Tout ce qui rappelait extérieurement des souvenirs bestiaux : le serpent, le renard, le chien, le chat, le porc, le singe, le bouc, concou- rut à la forme extérieure du « malin ; » de telle sorte qu'à la vue d'animaux vils ou malicieux, le peuple, jusqu'au seizième siècle, tremblait de voir un diable caché sous leur pelage.

Les anciens poètes ne parlent qu'avec terreur de ces légions de démons évoquant toutes les formes :

Diables d'enfer horribles et cornus, Gros et menus, aux regards basiliques. Infâmes chiens, qu'êtes -vous devenus? Baillez tout nus, vieux, jeunes et charnus, Bossus, tortus, serpens diaboliques, Aspidiques, etc., etc

et blanc. Ahriman, le mauvais génie, est noir et sombre; de même le moyen âge représenta le diable sombre et noir en opposition avec les anges blancs et illuminés.


88 HISTOIRE

Dos Bestiaires rimes, du Ireizième siècle, mon- trent rassimilation du diable et du renard :

Cils goupils (renard) ki tant fot de mal

Cest li moules Je mauvais, le diable) ki nous guei roie.

Guillaume Le ?sormand, dans son Beslialre, dit du singe :

Geste bieste

Au dyable afiert et ressanle (ressemble).

Les érudits ont cherché avec beaucoup d'atten- tion le premier monument qui, en France, repré- sente le diable ; ils ne l'ont guère trouvé avant le onzième siècle. Et qui était mieux à même d'éluci- der ce sujet obscur, que l'artiste qui, par ses études, aurait pu donner le pendant qui manque à ïlcono- graphie de Dieu?

Eu quelques pages de son Dictionnaire cVarchi- tectiire, M. Yiollet-le-Duc a esquissé une monogra- phie du diable, dont il retrace les principaux carac- tères à diverses époques : « Dans les premiers monuments du moyen âge, dit-il, on ne trouve pas de représentation du diable, et nous ne saurions dire à (juellc époque précise les sculpteurs ou peintres ont commencé à iigurer le démon dans les bas- reliefs ou peintures... Dans la sculpture du onzième siècle, en France, le diable commence à


DE LA CAIIICAÏURE AU MOYEN AGE. 89

joiicr un rolc importait : il appnrnît sur les rliapi- tcaiix, sur les tympans ; il se trouve mêlé à toutes les scènes tic l'Ancien et du Nouveau Testament, ainsi qu'à toutes les légendes de saints. Alors Ti- magination des artistes s'est plu à lui donner les figures les })lus étranges et les plus hideuses : tantôt il se présente sous la forme d'un liommc monstrueux, souvent pourvu d'ailes et de queue... Pendant la période romane, le diable est un être que les peintres ou sculpteurs s'efforcent de rendre terrible, effrayant; qui joue le rôle d'une puissance avec laquelle il n'est pas permis de prendre des libertés.

« Chez les sculpteurs occidentaux du treizième siècle, presque tous avancés comme artistes, l'esprit gaulois commence à percer. Le diable prend un ca- ractère moins terrible ; il est souvent ridicule, son caractère est plus dépravé qu'effrayant, sa physio- nomie plus ironique que sauvage ou cruelle ; parfois il triche, souvent il est dupé. Vers la fm du moyen âge le diable a vieilli; il ne fait plus ses affaires... Le grand diable sculpté sur le tympan de la porte de la cathédrale d'Autun, au douzième siècle, est un être effrayant bien fait pour épouvanter des ima- ginations naïves ; mais les diablotins sculptés sur les bas-reliefs du quinzième siècle sont plus comi- ques que terribles, et il est évident que les artistes

8.


00 IITSTOIRE

([ui les façonnaient se sonciaient assez peu des mé- chants tours de l'esprit du mal. »

Il en élail de même au théâtre, où le diable était passé à Tétat de bouffon. Dans la Faixe de V Anté- christ et (les trois femmes, le diable, pour avoir pris part à une querelle de halle, reçoit une grêle consi- dérable de coups de bâton et n'a que le temps de s'enfuir. Mille exemples de l'ancien théâtre français fourniraient des motifs semblables ; mais je dois me borner au rôle de Satan en architecture.

Des drames dans lesquels le diable est mêlé ha- bituellement, le plus caractéristique est la pèse des âmes, comédie quelquefois étrange, quelquefois grotesque. Ce fut de l'Egypte que vint cette tradi- tion, représentée si fréquemment sur les monu- ments chrétiens ^

Au moyen Age, la pèse des Ames est un jugement solennel auquel assistent les anges et les démons. L'Ame du juste et de l'injuste doit être pesée dans des balances ; sur un plateau sont placés les vices, sur l'autre les vertus, symbole matériel et visible.

  • « Le dieu visite la zone où se décide le sort des âmes relative-

ment aux corps qu'elles doivent habiter. Le juge souverain pèse les âmes à la balance fatale : Tune d'elles est condamnée, des cjTiocé- phales la fustigent à coups de verges et la ramènent sur terre; le coupab'e est représenté sous la forme d'une truie au-dessus de la- quelle on a gravé le mot gourmandise, péché capital du délin- quant. » (Nestor Lhôte, Syt7iboliyue des monuments funéraires cliez es anciens et les modernes.)


J)E LA CARICATURE \V MOYEN AGE.

Au IVonlon des calliédralcs surtout, le diable appa- raît avec un cortège de monstres menaçants; véri- tablement imposant en cette circonstance, il de- vient accusateur public, et les sculpteurs n'ont pas manqué de lui donner une apparence étrange et fantastique.

Avecla|tentation, la pèse des âmes fait partie des deux épisodes principaux que le diable joue dans la vie des mortels ; et si, dans le premjer cas, il se pré sente entouré de créatures séduisantes pour cliarmer celui dont il veut faire son sujet, la pèse des âmes évoque plus particulièrement les malices du diable, ïl est seul dans les tentations, et on n'y voit pas les anges venir au secours des saints personnages en- veloppés des séductions de la|luxure. La pèse des âmes est un tournoi dans lequel combattent l'ange avocat du défunt, le diable son accusateur, et sou- vent le malin esprit l'emporte.

Sa mission paraît facile, car de'ces âmes à juger, il en est plus d'une pétrie de boue et d'immondices. Elles n'ont pas| traversé la vie sans être souillées ])ar quelque coin; et si l'ange entreprend d'en montrer les parties saines et immaculées, le dia- ble découvrira sans peine les tacbes qui les sa- lissent.

L'accusateur a donc beau jeu ; aussi le voit-on traîner avec joie papes, empereurs, princes et


92 HISTOIRE

courtisans liés à la même chaîne dont lui, diable, est le aardc-cliiourme.

A A'ézelay, un diable tient un paquet de verges suspendu sui- la tète d'une femme et s'écrie : Time! un prêtre, au contraire, dit à la pécheresse : Spera! Dans ce monument n'éclate pas encore la tricherie ^ qui se voit ailleurs avec un grand développement sarcastique. ^

De semblables scènes sont fréquemment repré- sentées sur les monuments avec l'invention de la Danse des morts. Même esprit d'égalité, même principe, sauf les pas en avant posés dans le do- maine du réel par celui qui, le premier, peignit la Danse Macabre.

C'est dans la pès?|des|âmes que le diable justifie son titre de « malin. » A sa terrible puissance il joint la tromperie et répond à la pensée des auteurs des anciens Bestiaires qui, sous la peau du renard, laissent percer la ruse du diable.

Dans le bas-relief ci-contre de l'église du Monas- tier, le diable, sous la forme d'une truie, emporte une femme qui a sans doute beaucoup péché : la sculpture est d'un caractère très-naïf; mais l'ex- pression de défiance du diable ne s'en fait pas moins remarquer. Il incline et détourne la tête pour regar- der si l'ange qui pèse deux autres âmes ne cherche pas à le tromper.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. '.3

Avide de montrer sa puissance, le diable, quoique son cortège fût considérable, tenait encore à le gros- sir. Ce n'étaient pas cent âmes qu'il lui fallait, c'étaient mille, dix mille, cent mille, un million, des milliards d'<àmes. 11 rêvait de les accaparer toutes. Dans son orgueil, Satan n'admettait pas qu'une seule pût lui écliapper, et comme quelques- unes, bien rares, apparaissant pures dans la ter- rible balance, étaient réclamées par un ange protec- teur, le diable imitait sans vergogne les marchands qui vendent à faux poids.



Bas-relief de réglise du Monnslier (Velay).

Qu'une âme immaculée soit placée dans la balance, le diable n'hésite pas à faire pencher le plateau de son coté malgré Vadvocatie de l'ange. Une sculpture du treizième siècle, du portail


\)'t lliSTOÎllE

de réglisc de Louques (Avcyroii) , représente un ange et un diable prsant les ànies. « Le diable, dit M. Mérimée, a Tair très-fripon et cherche évidem- nienl à rendre sa part meilleure. » En effet, il pose un doigt sur le fléau de la ])alance pour la faire pencher de son côté, profitant de ce que saint Mi- chel est occupé à regarder ailleurs.

Sur un chapiteau de l'église de Chauvigny, un des suppôts du diable apporte un lézard, symbole du mal, afin d'en charger le plateau de la balance qui contient les péchés. Sous la figure sont gravés ces mots : Ecce diabolus !

Mêmes sujets à Conques, au Mans, à Bourges ^

Jacques de Voragine rapporte, dans la Lécjende dorée, que Satan fait signer un pacte à ceux qui se donnent à lui parce que ce sont des tricheurs qui ne tiennent plus leurs promesses lorsqu'ils croient pouvoir se passer de lui. Cette tricherie qui lui est familière, le démon la reproche aux autres, suivant l'habitude des. gens à conscience douteuse, et il manque rarement de l'employer dans la pèse des âmes.

Il est vrai que, dans un tableau du quinzième siècle, du musée de Cologne, on voit le diable guet- ter une âme qui sort du tombeau. La pauvrette,

  • Mérimée, Voyage en Auvergne, p. 8i. — Mc'riméo, Voyage dans

l'Ouest, p. 61. — Vitraux de Bourges, pi. 111.


QC



i i. pèse ties àineb, IrauiiieiiL d'un lius-reliei du iioiiluii de la cathédrale d'Autiui.


iv


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S.1


•i


DE LA CAKICATIKK Al MOYE.N AGE. 97

élira yéc à la vue du malin, se jette dans les bras d'un an<^e^

Mais il est rarcquclc diable ne réussisse pas dans ses enti'cprises. On voit, dans Téglise paroissiale du Bar (Var) , un tableau du commenccnient du seizième siècle, représentant des liommes et des femmes dansant au son de tambourins et de galou- bets. Au-dessus de la tète de cliaque danseur gam- bade un petit diable noir, ce qui n'empèclie pas la Mort, armée d'un arc, de décoclier ses flèches con- tre les danseurs. Un diable accourt aussitôt à la bou- che du moribond pour s'emparer de son àme et la pèsera

C'est mie des rares reproductions d'une lutte en- tre la Mort et le diable.

Quand, aux approches de la Renaissance, il fut reconnu que le diable, jusqu'alors regardé comme terrible et sauvage, était plutôt de nature perfide et malicieuse, mi-partie singe, mi-partie renard, l'o- pinion populaire en fit un représentant direct de la nature féminine. La femme, depuis l'antiquité plus reculée, n'avait-elle pas été regardée comme un être à la fois séduisant et malfaisant, qui jette la perturbation dans la vie des liommes ? Sur ce su- jet, législateurs, philosophes, auteurs sacrés et pro-

  • A. Darcel, Excursion en Alleniagne.

- U'iiUclln(h: Comilc hiiitorujue, lomeUl, 18j2.


1)8 HISTOIUE

l'.iiics, l'ùrcs de l'Eglise el liouvcrcs étaient d'accord : soiisclia((iie jupe se cachait un diable aux tentations duquel il était dil'iicile de l'ésister.

C'étaient les femmes qui déterminaient le.s ren- versements des dynasties, les guerres, les trahisons; parle pouvoir des femmes, les lions se changeaient en uKuitons, les hommes les plus loyaux en parjures. On ne })ouvait compter le nombre de telles méta- morphoses depuis le commencement du monde :



Bas-relief de l'église Saint-Fiacre au Faouet (Bretagne).

toujours la femme se tenait cachée dans quelque coin , assistant tranquillement aux crimes , aux cliutes des empires, aux massacres de peuple à peuple.

La femme ne j)ouvait donc être qu'un acolyte du diable. xVussi, plus d'une fois le démon fut-il représenté entouré de créatures dont les char- me? provocants l'aidaient à triompher de ceux (|ui résistaient à ses promesses de trésors et de puissance.

L'homme, fier de sa nature masculine, se plai-


DE LA CARICATURE AU MOYE^ AGE. 99

sait à rappeler que la femme avait été séduite la pre- mière par le serpent, et il avouait qu'il lui était difiicile de résister à l'alliance féminine avec le diable.

Ces idées et bien d'autres furent traduites par le ciseau et le pinceau sur les monuments avec de si nond}reux développements, qu'il est difficile de faire un cboix parmi ces sujets.

Un des plus finement présentés est la tentation de saint Martin, qui exerça la verve des poètes et des conteurs.

Le pieux Jacques de Voraginc conte qu'un jour, pendant que saint Martin célébrait la messe, deux commères bavardaient à cœur-joie. Le diable se mit on tête d'écrire cette conversation, dans le but de faire éclater de rire le saint et de troubler le service divin. Le moyen que le malin employa semble em- prunté à une ancienne pantomime. La loquacité des deux commères, pendant la messe, était telle que de leurs paroles on eût empli un boisseau. « Le Diable, dit Rabelais, escripvant le quaquet de deux galloises, à belles dents, allongea bien son parcliemin. »

Il est certain que si saint Martin s'était retourné pondant cette scène, il lui eût été difficile de garder son sérieux. La meule de la conversation des femmes en mouvement, ce n'était plus une feuille de par-


100 HISTOIRE

rlioniin qu'il fallnif au diable pour en noter le ba- vardage, c'était un caliier,

Notoz, on l'ecclise de IMcu, Femmes ensemble caquetoyent. Le diable y estoit en ung lieu

ê

Escripvant ce qu'elles disoyent. Son rollet plain de poinct en poinct, Tyre aux dens pour le faire croistre : Sa prinse eschappc et ne tient poinct, Au pillier s'en cobby la teste *.

Le diable avait entrepris une trop forte besogne que de vouloir noter ces caquets des femmes; son parcbemin venant à manquer, il essaya de rallon- ger et avec de si vifs efforts que, la feuille cédant, le malin vaincu alla se cogner la tête contre un des piliers de l'église.

Ce récit eut du succès, à en croire les monu- ments qui nous en sont restés sous diverses for- mes, manuscrits et tapisseries. M. Éloi Johanneau rapporte qu'on le voyait représenté encore, en 1G78, sur un tableau de l'église de Notre-Dame de Piecou- vrance, à Brest, avec une légende en bas-breton et en français.

C'est encore grâce aux accointances présumées avec le diable que les femmes, et particulièrement les vieilles, furent regardées comme des sorcières. Toute vieille délaissée dans son coin et osant à

' Pierre de Grosnct, 1553.


10



D'après une ancienne tapisser!


ot


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 103

peine regarder en dessous ceux qui la méprisaient, fut accusée de nourrir des pensées coupables, d'user de maléfices, de vivre de tromperies et de se rendre au sabbat, qu'a décrit mieux qu'avec un pinceau l'auteur de ce Mystère de la passion :

Je vois tous les diables en l'air, Plus épais que troupeaux de mouches, Qui vont faire leurs escarmouches Avec un tas de sorcières Et ont plein leurs gibecières De gros tisons et de charbons Pour faire rôtir les jambons A des tas de larrons ;^ondus.

J'ai donné dans V Histoire de V Imagerie populaire ^ la légende du fameux Lustucru indiquant aux maris une recette pour rendre leurs femmes meilleures : il s'agit d'envoyer leurs têtes au forgeron et de les réduire à coups de marteau sur l'enclume jusqu'à ce que les mauvais principes en sortent.

On voit, dans les panneaux d'une fenêtre du châ- teau de Villeneuve, en Auvergne, un bas-relief du seizième siècle, qui offre quelque analogie avec la facétie de Lustucru. Trois horribles démons forgent une tête de femme, pendant qu'à côté trois anges forgent une tête d'homme.

Les femmes diront pour leur défense que si elles se servaient du ciseau des sculpteurs, ce sciait une

» Dentu, 18G9, 1 vol. in-18.


lOi IIISTOIKE

tctc d'homme que fabriqueraient les diables , et ({u'au contraire les anges apporteraient toute leur appliealion à modeler une tète de femme.

Quelques sculpteurs se montrèrent plus galants; les compagnons qui taillaient les stalles des églises ont, à diverses reprises, représenté la femme, non plus complice du diable, mais son ennemie. Après un combat acharné, elle triomphe du méchant et, en sime de sa défaite, lui scie son oreille de bouc.



Slalle de réglise de Saint-Spire à Corbeil.

Avec la Piéforme le rôle du diable fut singulière- ment diminué, et les agitations considérables aux- qirclles il se livre dans les combats à la plume entre catlîoliques et protestants sont un signe que son pou- voir va expirer.

Les réformateurs, qui tentaient de supprimer les saints, les mystères, la papauté, jugèrent que le diable était également inutile, et celui qui se montra


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. lOo

son ennemi le plus acharné fut Luther, qui, malgré sa honne humeur, tourmenté par les démons pen- dant sa vie , cherchait à les écarter par mille moyens.

— Ce diable est un esprit triste qui ne peut souffrir une chanson joyeuse, disait-il à ses dis- ciples.

Ce fut sans doute pour ce motif que le réformateur composa des chansons et se plut à en entendre; mais le moyen était trop doux et, pour vaincre un adversaire si redoutable, Luther menaçait de traiter la séquelle diabolique avec un mépris dont elle ne se relèverait pas.

Les Propos de table font mention de la singulière prison dans laquelle le moine comptait les loger. « Un jour, Luther penchait vers l'idée qu'il avait lui-même pour adversaires deux diables qui le guet- taient de près et qu'ils étaient allés se promener avec lui dans le dortoir du couvent. Quand ils m'auront tout à fait épuisé la tête, dit-il, ils pourront m'en trer dans le c; c'est là leur place. »

Le moine ne se contentait pas d'une si désagréable incarcération ; il comptait bombarder le diable en- fermé en cet endroit et lutter avec lui d'odeurs nau- séabondes, moyen violent et grossier que les disci- ples du réformateur nous ont conservé sans paraître s'en étonner : « Si le diable s'obstine à ne pas me


100 HISTOIRE DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE.

laisser tranquille, disait Luther, je liens pour lui un pet en réserve (illi crépit u m admifto vent ris) ; il faut qu'il en reçoive beaucoup de moi. »

On pense si par de tels moyens le diable fut mis enluite, la recette d'un semblable exorcisme étant dévoilée, qu'il était si facile à tout possédé d'em- ployer.



D'après un manuscrit de la Dibliolhèque Je Cambrai (xu° siècle).


CHAPITRE VI


LA DA>'SE DES MORTS


I


Il y a dans l'art tels sujets où le symbole d'une excessive clarté est visible et parlant pour -tous. Ce sont pourtant quelquefois ces sujets mêmes sur la nature desquels les érudits s'accordent le moins. L'en- seignement donné par l'artiste n'a pas alors besoin de commentaires ; c'est autour de cet enseignement que les commen- tateurs se donnent rendez-vous. Ce qui était net, positif, il semble que certains esprits l'aient rendu obscur et trouble à (fbssein. La pensée de l'auteur se fait jour en cinquante plancbes rapidement vues; il a fallu, depuis, c^nt volumes pour les expliquer.



108 HISTOIRE

Ce qui demandait un quart d'heure au penseur pour se nourrir de graves et sérieuses réflexions, veut maintenant des années de recherches pénibles pour être élucidé. Une mince brochure suffisait, il faut une encyclopédie sj)éciale sur la question.

On se surprend à maudire la vulgarisation de l'im- primerie, et on comprend le paradoxe du socialiste qui voulait brûler les bibliothèques pour l'orcer l'es- prit à penser à nouveau, ce qui n'eût pas empêché l'hydre de l'érudition de donner sans cesse de nou- velles têtes.

La Danse des morts est peut-être le sujet qui prête le plus aux débats de la critique, ses nombreuses représentations à diverses époques ayant poussé les archéologues à indiquer les analogies et les variantes du même drame qui existent en Europe. Ces recher- ches ne furent pas sans résultats; mais quand toutes les formes furent à peu près connues, les commen- tateurs ne se tinrent pas pour satisfaits. Ils discu- tèrent la pensée de l'artiste, et comme les passions ne sont pas étrangères à l'archéologie, les uns firent de ce sujet symbolique un hommage à l'Eglise, les autres une insulte.

Il ne fut pas admis universellement que le prin- cipe d'égalité prêché par le Clft^st avait enfin trouvé sa forme définitive, que l'art s'emparait de cette doc- trine pour la rendre palpable et que sous forme sar-


DE LA CARICATURE AU MOYE.^ AGE. 109

CListiquc, le peuple recevait dès lors un enseiguc- nicnl plus direct que celui des catéchismes^ N'est-il pas probable que l'Église, en favorisant ou laissant peindre ces fresques sur les murs des cimetières, des maladreries et des monuments chrétiens, comme le fit plus tard à son imitation l'autorité civile pour les ponts et les hôtels de ville, proclamait hautement le principe égalitaire?

A mon avis, la Danse des morts reste comme un des meilleurs titres du catholicisme, qui eut con science des salutaires conséquences qu'une telle re- présentation devait exercer sur l'esprit du peuple. Et il faut rendre cette justice à l'Église qu'elle n'é- pargna p;is ses dignitaires. Tous, sans exception, prirent part à la danse : ni la tiare, ni la mitre, ni Télole ne furent protégées contre la faux de Tim- pitoyable ménétrier.

En face d'un drame si clair, les gens d'un sens droit ne pouvaient se tromper; mais, pour quelques intelligences qui raisonnent juste, combien d'ar- chéologues ont-ils voulu courber cette danse sous le poids de leurs systèmes ! Combien d'historiens ont- ils cherché dans les actes du personnage principal


  • Guillebert de Metz, parlant de la Danse Macabre du Charnier

des Innocents, dit : « lllec sont peintures notables de la Danse Ma- cabre et autres, avec cscriptures pour esniouvoir les gens à dé- votion. »

10


110 HISTOIRE

une allaqiic contre rcs})i'il du calholfcismc ! Com- bien d'auteurs de nionograpliies ont-ils trouvé ma- tière à symbolisme creux et vide !

La Danse des morts est à la fois une œuvre plii- losopbique et satirique, car toute pbiiosopbie con- tient un principe de raillerie, comme toute raillerie un principe pliilosopbique.

Celui qui le premier pensa à faire intervenir dans un drame le squelette et sa màcboirc sarcastique, fit preuve de grave ironie. Et quand, au dix-hui- tième siècle, Maupertuis, visitant un cimetière avec un de ses amis qui lui demandait de quoi riaient ces têtes de morts, répondait : « De nous autres vivants, » ce mot n'était que la réelle traduction de la pensée du peintre de la Danse Macabre primitivCi

Un tel sujet semble aujourd'hui funèbre à certains esprits ; la terreur leur mettant un bandeau sur les yeux les empêche d'en saisir l'impression forti- fiante. Ils oublient que la mort est la conséquence de la vie. Nous venons au monde pour mourir. La mort sans cesse fait sentinelle à la base du triangle dont péniblement nous gravissons un des côtés pour redescendre l'autre plus péniblement encore; C'est la loi et non la dure loi. Qu'v a-t-il là d'as- sombrissant pour l'humanité? Aussi, faut-il laisser les faibles se voiler la face et fermer les veux devant ces réconfortantes imaginations du moyen âge.



L'Évèque et !a Mort, d'après Holbein.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 113

Une autre portée de la Danse macal)re était de montrer au peuple qui souffrait que ni la pour- pre ni les richesses n'empêchent la mort de l'aire son office. Ceux qui vivaient dans le pouvoir et Topulence étaient condamnés au même dénoii- ment, on peut dire au même dénûment. Le quin- zième siècle fut persuadé qu'un pape ne valait pas plus qu'un cordonnier, un empereur qu'un paysan, une grande dame qu'une femme du peu- ple, un moine à ventre rebondi qu'un pauvre hère sans pain.

— Tout est périssable, criait la Mort. Couvrez- vous d'habits dorés, empêchez le froid de pénétrer dans vos palais, que le bon vin réconforte votre estomac, vous n'en mourrez pas moins que celui qui, à peine couvert, grelotte dans un taudis sans feu et pense en se réveillant qu'il n'a pas mangé la veille.

Tous, vous êtes égaux.

Toi, laboureur, tu pèses autant dans ma balance que le seigneur qui prélève une dime sur ton tra- vail. Toi, conquérant, par ambition tu fais mas- sacrer des armées, tu mourras. Toi, courtisan, tu es plein de morgue et de vanité ; malgré ton inso- lence, la Mort t'attend. Toi, riche, tu refuses l'au- mône aux pauvres, tu n'auras même pas l'aumône^ des larmes de ceux qui suivront ton convoi. Tes

10.


ni iiisToiu

appnrtomonts sont tendus de brillantes étoffes, elles serviront à envelopper Ion cercneil. Toi, cour- tisane, tu vends ton corps aux débauchés; ce corps qui représentait cent louis par nuit, la Mort l'aura ])our rien. Toi, juge, tu étais revêtu d'hermine, tu le seras de vermine.

Les caricaturistes de tous les temps ont bien com- pris la portée de cette satire; aussi maintes et maintes fois l'ont-ils reprise et habillée à la mode du jour, sans s'inquiéter de blesser la faiblesse d'esprit de leurs contemporains. Et depuis le quin- zième siècle nous vivons sur ce triomphe de la Mort.


II


On lit dans le Journal du règne de Charles VI et de Charles VII: a Item, l'an 1424, fut faicte la Danse Marâtre (pour Macabre) aux Innocents, et fut com- mencée environ le movs d'Aoust et achevée en ka- resme prenant... »

Yillaret, de Barante et autres, ont tiré de ce texte l'indication qu'une danse macabre aurait été dan- sée devant le duc de Bedford et le duc Philippe le Bon, auxquels Paris asservi faisait fête. Un peu d'attention démontre que si cette hypothèse était



^


Le Laboureur et la Mort, d'après Holbein.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 117

adoptée, une danse comoicncéc au mois d'aoùl el terminée en earéme suivant dorerait JuiU mois, ce qui serait fatigant.

Le spectacle donné aux Anglais était la représen- tation d'une danse, non la danse elle-même. Elle n'a\ait pas pour I)ut de divertir rennemi triom- phant qui venait de gagner la bataille de Verneuil, si désastreuse pour la France ; cette danse se pro- duisait sous la forme de fresques, sans se relier aux événements du jour.



Le Roy mort et l'Acteur,

d'après une planche de la Danse Macabre de 1485, publiée

par Guyot 31archant.

L'heure qui annonce la naissance d'une grande conception avait sonné. Rattacher cette conception à un fait particulier, y voir un symptôme positif de


il8 HISTOIRE

l'état des esprits à une époque a entraîné les gé- néralisateurs dans des sentiers pénibles. A ce compte, la Danse des morts, symbole de l'Egalité, pourrait être réclamée également par la Révolution de 1789.

La génération qui va suivre ne sera occupée qu'à enlever les prétentieux repeints dont nous sommes si fiers et qui dénaturent la plupart des événements historiques.

Un écrivain, qui a annoté récemment la Grant Danse Macabre des femmes \ voit dans cette compo- sition un rapport avec l'envahissement de la France par les Anglais et les cruelles pestes épidémiqucs de la môme époque.

Il y a en effet quelque chose de tentant dans cet aperçu, et il est commode pour un écrivain de dan- ser sur la corde de rantithése.

Paris vaincu donne des fêtes à l'ennemi triom- phant ; au charnier des Innocents, le peintre ap- prend au conquérant qu'il fmira.comme le conquis. Une peste se joint à la guerre pour éprouver la France, les rues de Paris sont pleines de cadavres : à deux pas, un imagier, dans une suite de tableaux satiriques, se nargue de la Mort. Ces sortes d'oppo- sitions plaisent aux écrivains qui aiment le cliquc-

• * Miot-Froclfot, la Grant Dancc Macabre des femmes. Bachelin- D£^florenne, 18G8.


DE LA CAIIICATIRE AU MOYEN AGE. 119

lis dramatique. Et si à ce jeu de raquettes ou joint quelques rancunes politiques ou religieuses, la iele est complète.

le même commentateur de la Danse Macabre des femmes profite de ces fresques pour juger à grands traits le quinzième siècle : « Époque de doute et de révolte même contre le sentiment religieux, contre ridée dominatrice de l'Église, elle a été pour les arts le berceau d'une de ces représentations bi- zarres les plus repoussantes, les plus terribles qui aient jamais été données en pâture à la curiosité publique. L'Église a jeté à cette misérable époque la Danse macabre comme une proie. »

Sans doute l'idée chrétienne se montre dans ces peintures ; mais est-il bien certain qu'elles furent commandées directement par l'Église ?

Noël du Fail, dans les Contes cVEiitrapel (1592), parle des mêmes fresques du cloître des Innocents à Paris, et dit : « que ce sçavant et belliqueux roi^ Charles le Quint, y fit peindre, où sont représentées au vif les effigies des hommes de marque de ce temps-là, et qui dansent en la main de la Mort. »

Admettons qu'au seizième siècle, Noël du Fail connaissait moins bien les circonstances qui pro- duisirent la Danse macabre qu'un commentateur du dix-neuvième, et laissons la parole à ce dernier: tt Quant l'Église, interprétant l'idée de la Mort; la


1-20 IIISTOIUE

irpivsciilail iiKilériclleiiiciil suus la foj'ine d'iiii si|uekile, elle exploitait les seiiliniciils populaii'cs



Frontispice de la Danse des femmes, laquelle composa maislre Marcial d'Auvergne, procureur au Parlement de Paiis.

cl se mettait ainsi à la portée de Ions. Il y avait d iiis celte conduite plus de politiipic que de charité chrétienne. »

Ici il y a progression. L'Eglise, suivant le coni- inentateur, est devenue machi.ivélique. De telles


DE LA CARICATIRE AU MOYEN AGE. l'il

affirniations sont toujours gaies quand Taulcur croit à ce qu'il dit.

Nous allons voir maintenant ce qui se cache au fond de la Danse macabre. « Dans cette peinture hideuse on sent battre le cœur de la France, de la patrie, mais de la France anéantie, de la })atrie découragée qui, dans son égarement, ne compte plus que sur la Mort, au lieu de compter sur son seul courage. »

Du moment où « on sent ballre le cœur de la France » dans la IiideuscBaû^c des morts, j'aban- donne le commentateur. Ses conceptions sont trop élevées pour moi et je me retourne vers d'autres archéologues, dont Fun, M. Leber, jugeant, il y a une trentaine d'années, de semblables imagina- tions, disait : « Nos historiens modernes ont lait bien du bruit pour peu de chose. »

Un autre érudit, un des pères de l'archéologie en France, qui passa de longues années à étudier les représentations macabres, a montré l'enchaînement naturel des idées traduites par un pinceau sarcas- tique : « Nous sommes porté à croire, écrivait Lan- ghjis, que la Danse des Morts est simplement la mise en scène du drame moral et chrétien que l'on trouve, dés le douzième siècle, dans les sermons })oi)ulaires des prédicateurs et des scolastiques, et dont le l'ond est une sorte de prosopopée dans la-

II


1-22 HISTOIRE

quelle la Mort s'adresse aux pei'souncs de chaque condition. De ces sermons, cette idée passa natu- rellement dans les poésies vulgaires et donna nais- sance à des quatrains, à des versets d'après les- quels les ligures ont dû être faites. Ces dernières étaient dues, pour ainsi dire, au développement progressif de l'esprit. 11 ne faut pas douter que le peuple, tendant toujours à s'émanciper malgré l'oppression des grands, n'ait accueilli avec en- thousiasme ces sortes de caricatures de l'époque, qui lui offraient sous une forme très-plaisante une certaine consolation en lui montrant les chefs de la société et les seigneurs traités sur le même pied que les plus misérables. »

Voilà en effet le véritable sens de la Danse des morts. Les deux érudits, qui ne se laissent prendre ni au pittoresque, ni à l'antithèse, ni aux mots à effet, admettent difficilement « toutes les .belles choses qu'on y a vues depuis. » Suivant eux un tel fait ne se produit pas instantanément, sur com- mande ou d'après l'événement du jour.

Leber et Langlois, ces vaillants chercheurs, ap- portent dans l'exposé de leurs idées un sens clair, précis, et si après eux M. Fortoul trouve dans ces peintures l'action des franciscains et des domini- cains qui prêchaient l'égalité et que le peuple res- pectait parce que ces moines vivaient pauvres; il


DE LA CARICATURE AT MOYEN AGE. 123

l'indique avec une modération et une prudence qui ne ressemblent guère à la prétendue exploitation des sentiments populaires par l'Église.

D'ailleurs, si le fait isolé dont parle le commen- tateur de la Danse Macabre des femmes était admis, la France, du moment où elle échappe à la peste et à la domination anglaise, aurait dû renoncer à ces représentations symboliques qui n'avaient plus de raison d'être. Au contraire, la Danse des morts se répand dans tout le royaume pendant plus de deux siècles.

L'Allemagne et la Suisse ne furent pas conquises par les Anglais ; cependant les Suisses et les Alle- mands peignent également des Danses des morts ^

— C'est l'Église catholique, dit-on, qui exploite cette donnée. — Comment se fait-il que la Réforme en fasse son profit?

Et les Anglais, contre qui est dirigé le macabre symbole, comment agissent-ils? Pleins d'admira- tion, ils emportent la Danse des morts dans leur île et en décorent les murs de leurs cathédrales. Naï- vement ils croient qu'ils ont mis la main sur une idée philosophique ; ils ne se doutent pas qu'ils ont emporté un battement du « cœur de la France, »

1 On a compté qnarante-lrois villes en France, en Allemagne, en Suisse et en Angleterre, où étaient représentées des Danses de morts.


12i HISTOIRE


III


On voyail jadis on Bretagne, près des églises, des constrnctions dites reliquaires^ dans lesqnelles étaient entassés les ossements des anciens cime- lières. Le même usage existait en Suisse, comme l'indique une gravure qu'on pourrait appeler le Concert de la Mort.

C'est la Mort qui appelle les morts. Une troupe de squelettes tire de la trompette des fanfares écla- tantes, et avec frénésie le chef d'orchestre frappe sur des timbales calées sur des ossements. Le pre- mier qui sort de l'ossuaire fait écho aux trompettes qui l'appellent; derrière lui les morts se dressent par milliers. C'est le prologue saisissant de la Danse. Tous ces morts aux orbites creuses, cherchant à reconnaître leurs os dans le tas, vont se répandre par le monde, dans toutes les classes, sans pitié pour personne.

Le branle est donné et excite l'imagination des peintres.

Un poëte anglais, Pierre Plowman, ayant publié au seizième siècle sa Vision, dans laquelle la Mort renverse rois, empereurs, chevaliers, papes, Geof- froy Tory s'inspirait de cette conception et en illus-



D'après un livre d'Heures, de Geoffroy Tory.


11.


\


DK LA CARICATIRK Al MOYKN A fi F. 127

liiil un (lo CCS admirables livres trileures auxquels 1 a donné son nom.

La Mort-Roi, montée sur un cheval apocalyptique et suivie de deux auties serviteurs décharnés, tous trois armés de fîiux, a])attent chaque être vivant qui se présente devant elle. Détail ingénieux, la Mort tient un pli à la main, comme si elle portait la let- tre de deuil du genre humain.

On n'a que Tembarras du choix dans les caprices macabres des manuscrits, où souvent le sujet est égayé par des encadremefits de fleurettes et de pe- tits oiseaux se détachant sur fond d'or. Plus le drame est lugubre, plus riant est l'entourage.

A la fm de la Renaissance, la Mort a quitté son aspect farouche; si elle ne s'humanise pas quant au fond, elle est devenue polie et presque enga- geante. Aussi les poètes la chantent-ils sur tous les tons et les peintres ont-ils fait assaut d'ingénieuses inventions pour faire entrer ce fantastique person- nage dans la vie habituelle, la présentant au public comme familière et bon enfant.

«Au pont deLucerne, dit M. Saint-Marc Girardin, la Mort plaisante avec nous. Faisons-nous une partie de campagne, elle s'habille en cocher et fait claquer son fouet. Les enfants rient et sautillent ; la mère se plaint que la voiture va trop vite. C'est la Mort qui conduit ; elle a hâte d'arriver. Allez-vous au


128 HISTOIRE

b:il : voici la Mort qui entre en coiffeur, le peigne à la main. Le pont de Lucerne nous montre la Mort à nos côtés et partout : à table, où elle a la serviette autour du cou, le verre à la main et porte des santés; dans la boutique où, en garçon marchand, assis sur des ballots d'étoffes, elle a l'air engageant et appelle les pratiques; au barreau, où vêtue en avocat, elle prend des conclusions : — Le seul avo cat, dit la légende, qui aille vite et gagne toutes les


causes \ »


A Bàle, où la Mort donna une de ses principales représentations, entre autres détails piquants, on la voyait emmener le cuisinier, et à la place qu'oc- cupe habituellement la faux, c'était une broche avec un poulet rôti que portait la Mort, se plaisant à rappeler à ses sujets le rôle qu'ils avaient joué pen- dant la vie.

Suivant la condition des gens avec qui elle doit lutter, la Mort emploie des armes différentes. A che- val, elle combat les cavaliers ; elle est galante avec les jeunes femmes; c'est avec un filet qu'elle prend l'oiseleur. Quand elle entre chez un méde- cin, elle lui présente une drogue de nouvelle in- vention. (( L'insatiable glouton de tous les hom- mes » met des formes suivant la clientèle , ce

1 Journal des Débats, 13 février 1835.



La Jeune Fille et la Mort, d'après une gravure allemande

de 1341.


DE LA CARICATUUÉ \V MOYEN AGE. loi

qu'a surtout compris l'admirable artiste qui, de la Danse des morts, a tracé une suite de petits chefs- d'œuvre.

Sur les cinquante-trois planches d'Ilolbcin, j'in- diquerai celles qui me frappent particulièrement et que je ne saurais me lasser de regarder.

Le roi est assis sous un dais devant une table chargée de mets. Ses serviteurs s'empressent autour de lui; mais voici qu'un bizarre échanson, plus em- pressé encore, s'approche une bouteille à la main et verse au prince le breuvage qu'il boira pour la der- nière fois. Il faut quitter le palais aux étoffes fleur- delisées, renoncer aux repas somptueux. La Mort s'est glissée dans cet endroit.

Le moine, gros et gras, trouve qu'à lire le bré- viaire la vie est agréable. Il ne pense pas que son supérieur, un évéque d'une affreuse maigreur, vien- dra le prendre par la robe et l'entraînera dans un lieu tranquille où celui qui l'habite n'a même plus h peine de tourner les pages d'un livre de prières.

Le prêteur cV argent est de bonne humeur. C'est le jour des arrérages. Il a avancé peu de monnaie, ses débiteurs lui en rendent beaucoup ; aussi son escar- celle est-elle grosse de la maigreur de celles qui se vident dans la sienne. Déjà l'usurier compte sur SCS doigts les intérêts qu'il va tirer de cet argent dé- cuplé. — Tu n'as pas payé ma dette, il faut compter


Iô2 HISTOIRE

avec moi, s'écrie la Mort qui. ])ien importunémeiit, barre la route au prêteur.

L:\jcunc /ianccc ïdïl sa toilette, souriant au son du tambourin joyeux qui annonce au deliors l'arrivée de l'époux. — 11 faut se dépécher, dit la Mort qui atta- che au cou de sa victime un riche collier de perles.

Lq prédicateur csi monté en chaire, prenant pour texte de son sermon la brièveté de la vie. Dans le feu de son improvisation, il ne remarque pas qu'un sablier a été posé sur la chaire. — A mon tour, prêtre, lui dit la Mort ; tu as été long, je serai courte. Tu conseillais à ces braves gens de mettre leur àme en paix, songe à la tienne. Tu parlais delà brièveté de la vie, tu avais raison, je vais te prendre pour exemple.

L'astrologue est occupé à regarder un globe ter- rostre. La mort so présente à lui et lui montrant un vieux crâne déterré :

— Tu dis par amphibologie Ce qu'aux aullrcs doibt advenir. Dys-moy donc par astrologie Quand lu debvras à moy venir.

Vavare dans son c:iveau entasse des lingots d'or, des bijoux, des diamants; c'est avec la rage d'un voleur forçant la boutique d'un changeur que Li Mort empoigne ses trésors, certaine d'être suivie par celui qui ne croit qu'à l'argent.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. i:.5

Le laboureur oublie ses lutigues quand le soleil, au loin, darde ses rayons derrière la vieille é'^dise. Devant la charrue se présente la mort :

A la sueur de ton visaigc Tu gaigiieras ta pauvre vie, Après long travail et usaige, Voicy la mort qui te convie.

Le chevalier a mis à mort plus d'un homme dans sa journée ; son épée est encore teinte de sang.



D'après Uolhjin.


Et cependant un nouvel adversaire se présente, n'ayant pour arme qu'un ossemcnt ramassé dans un

12


134 HISTOIRE

cimclicre. 11 semble que la lourde épéc eu ail faci- lement raison. Le chevalier, malgré son armure, n'en ira pas moins rejoindre ceux à qui il a fait mordre la poussière, et personne ne le plaindra. Les peu})les, dit la légende, s'élèveront soudain contre l'inhumain qui ordonne ces violences et ces massacres. La leçon ne nous a pas profité, et c'est le cœur serré que je corrige ces épreuves, à deux pas des violences et des massacres.

Vavcufjle remercie celui qui vient de l'aider à sortir d'un mauvais pas. — Je tiens ton bâton, lui dit la Mort, pour te mener dans un sentier plus tranquille.

Ainsi défilent devant le grand niveleur hommes et femmes de toutes les classes : pape, empereur, cardinal, grandes dames, magistrats, alchimistes, marchands, navigateurs, courtisanes, joueurs, ivro- gnes, mendiants.

Tous ceux qui, par des moyens factices, jouis- sent sur terre sont réellement empoignés par la Mort avec une joie sauvage. Les vicieux, les débau- chés, les avaricieux la remplissent de gaieté. Ca^ chéc dans un coin, derrière une porte, elle se monti'e tout à coup à eux comme une pantomime imprévue, en s'écriant : a Me voilà, voilà la Mort! » Et la terreur qu'elle excite change sa grimace ha- bituelle en une raillerie bizarre.


J)E LA CARICATURE Al MOYEN AGE. Km

Mais quand il s'agit criin pauvre, d'un cnûmt au berceau, d'une vieille revenant de la foret, courbée sous le fagot, alors la Mort s'iiumanise et témoigne une sorte de pitié. A ces pauvres êtres elle souffle de consolantes paroles : Mors melior vita.

Le drame de la Danse macabre finit avec la Re- naissance ; cependant il faut signaler , dans les dernières années du dix-septième siècle, un prédi- cateur, Honoré de Sainte-Marie, qui obtint de son vivant des succès populaires qu'eût enviés Holbein. La Danse des morts de Baie, le moine la dramatisa à sa façon, et ce ne fut pas de la faute de la leçon si ceux qui assistèrent au spectacle donné par le capucin ne revinrent pas au logis corrigés.

Dans un de ses sermons sur le jugement dernier, le père Honoré prenait dans ses mains une tète de mort :

— Parle, disait-il avec son accent méridional, parle, ne serais-tu pas la tète d'un magistrat? Tu ne réponds pas; qui ne dit mot, consent.

Il coiffait la tête de mort d'un bonnet de juge.

— N'as-tu point vendu la justice au poids de l'or? s'écriait le moine. Ne t'es-tu pas entendu avec l'avocat et le procureur pour violer la justice?

Le père Honoré jetait alors la tête de mort au fond de la chaire et en reprenait une autre àqui il disait :

— Ne serais-tu pas la tête d'une de ces ])elles


IJO HISTOIRE DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE.

(lîimcs qui ne s'occupent que de prendre les cœurs à la pipée? Tu ne réponds pas; qui ne dit mot, consent.

Le père Honoré iii'ait alors une fontange de sa poclie et en coiffait le vieux crâne.

— Eh bien, continuait-il, tète éventée, où sont ces beaux yeux qui jouaient si bien de la prunelle? Où sont ces dents qui ne mordaient tant de cœurs que pour les pouvoir faire mieux manger au diable, ces oreilles mignonnes auxquelles tant de godelu- reaux ont chuchoté si souvent, pour entrer dans le cœur par cette porte? Que sont devenues ces roses, ces lis que tu laissais cueillir par des baisers impu- diques ?

Et le père Honoré, semblable à l'Ahasvérus du poëte Sclmbart, envoyait la tête de mort de la coquette rejoindre avec un terrible fracas celle du juge prévaricateur.

Ainsi le moine parcourait toutes les conditions, affublant chaque tête de mort d'une coiffure diffé- rente; mais c'est le ton du capucin qu'il faudrait rendre, sa mimique, l'apparition fantastique de tous ces vieux crânes ornés de plumets, de cou- ronnes, de bijoux, de dentelles.


CHAPITRE VU


RENART



Les grosses constructions des ca- thédrales du moyen ao^e terminées, il fallut songer à l'ornementation extérieure. J'ai dit que les hagiogra- phes attachés à des couvents s'en- touraient d'imagiers dont toute l'in- struction gisait dans le maniement du ciseau ; chaque soir un moine lisait de pieuses légendes à ce peuple d'ornema- nistes, dont il fallait réveiller la foi. Telle était la leçon qui devait s'imprimer dans le cerveau des sculpteurs, et donner naissance à des drames dans lesquels ombres et lumières coloraient à la fois les rosaces et les portails des façades.

A ce moment le symbolisme religieux suit une

il.


158 IIISTOIUK

marche régulière et ne laisse pas de place au caprice. Du onzième au douzième siècle, sur les murs des monuments n'apparaît aucune trace de lutte entre l'État et l'Église, non plus qu'en(re les divers ordres religieux.

La cathédrale d'Autun est un des exemples les plus parfaits de l'enseignement hagiographique d'un prêtre considérahle par son savoir, l'évèquc Honorius. Les chroniques le représentent veillant sans cesse à ce que le sens de ses leçons soit tra- duit avec fidélité; cependant sur un chapiteau d'Autun se détache, sculptée en ronde-hosse, une des plus anciennes fables de l'Inde, le Renard et la Cigogne^ arrivée de Bidpaï jusqu'à Esope : ce fut dans un des fabliaux précédant le Roman de Renart que l'imagier la trouva.

Maître Renard montrait pour la première fois, je pense, le bout de l'oreille à l'église.

Qu'on s'imagine le grave Moniteur officiel, dans lequel, à la première page, au milieu des documents diplomatiques, se glisserait une facétie. Tel est l'effet produit au milieu de la^cathédrale d'Autun par cet insolite chapiteau.

L'hagiographc, qui avait conçu le plan du monu- ment, put sourire de ce détail innocent. Qu'était-ce, après tout? Le souvenir du fabliau de la cigogne enlevant une arête du gosier du renard.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 130

J'y vois Taii indépendant se livrant à ses pre- mières manifestations.

Il ne faudrait pas toutefois aller plus loin que l'imagier qui a sculpté le bas-relief, et vouloir pré" juger de ïëtat des esprits par la sculpture d'un



Chapiteau de la cathédrale d'Autun.


chapiteau; cependant, quand je constate l'immense popularité du Roman de Renart dans les années qui suivirent, il est bon de mentionner, ne fut-ce qu'à titre de curiosité, la première graine qui s'échappe du fabliau pour pousser en haut d'un pilier.

Plus tard, bien d'autres graines se répandront sur de nombreux monuments en France, en Angle- terre, en Allemagne.

Renart s'attachera surtout à la robe des gens


440 IIISTOI

dV'glisc et (les moines de toute eoulcur. Dans chaque cellule de couvent il send)le que le mali- cieux anim.il soit caelié, pour épier les actes des religieux et s'en diveilir avec le peuple. A peine le moine a-t-il ôté sa rohe que Renart s'en empare, et, encapuchonné, fait mille grimaces aux badauds, singe rofilce religieux, bénit les passants et s'écrie que si lui, Renart, semble moine, il pourrait bien se faire que le moine fût plus véritablement renard.

Et pourtant ce goupil qui ne se genc pas avec les gens d'église, FÉgiise le tolère, jugeant Renart plus amusant que dangereux. En effet, les tours de ce maître fourbe sont aussi gais que ceux de Sca- pin; s'il s'attaque aux puissants du jour, aux em- pereurs, aux rois, aux'prêtres, c'est avec une bonne humeur qui voile suffisamment ses audaces.

Renart ne semble pas plus dangereux qu'Ésope, que Phèdre : il est au moyen âge ce que les fabulis- tes furent à l'antiquité ; encore a-t-il sur les fabu- listes l'avantage de ne pas moraliser.

Ses aventures sont si plaisamment contées que le poëte ne peut véritablement avoir l'intention de se poser en critique acerbe. Il rit des moines, mais de quels moines? Ceux-ci disent que c'est de ceux- là, ceux-là de ceux-ci. Personne ne se sent atteint, et si quelque malice se-mble applicable à une cor-


\


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 141

poration religieuse, elle est présentée si gaiement qu'il eût fallu des esprits moroses pour s'en of- fenser.

Ni l'aigreur, ni ramcrtumc, ni la rancune, ni la révolte ne se sentent dans la composition du poëme primitif de Rcnart; il n'y a pas de trace de fiel, comme dans les imitations qui suivirent bientôt. Dans certains chapitres, il est vrai, l'auteur parodie l'office pieux ^; mais ces railleries étaient si inno- centes que le clergé les laissa sculpter en pleine lumière sur les façades des églises.

Seul, Gauthier de Coinsy réprimanda les gens d'église qui ornaient leur chambre à coucher des aventures d'Ysengrin et de sa femme.

En lor moustiers ne font pas fere Si tout l'image Nostre-Dame, Com font Ysengrin et sa famé En lor chambre où ilz rcponent ^.

Il est peu de poënies, de romans, de comédies dont le succès ne fasse dresser les longues oreilles

  • Voyez la a Dixième aventure » de l'ingénieux arrangement du

Pioman de Renarl donné par M. Paulin Paris, sous le titre des Aven- tures de maître lienard, 1 vol., Techener, 18G1. Cette intéressante publication dispense ceux qui veulent être amusés sans fatigue de recourir aux anciens textes.

- En leurs moustiers ne font pas faire — sitôt l'image Notre-Dame — ([u'ils font Ysengrin et sa femme — en leur chambre où ils re posent. [Miracles de la Vierge, 1523.)


t


142 HISTOIRE

d'un homme prenant en main les prétendus intérêts de la morale. Gauthier de Coinsy me paraît être en cette circonstance le Monsieur Prudhomme de son temps.

Il est présumable que les moines se divertissaient plus dans les monastères à entendre les facéties de Renart qu'à écouter les vêpres. La vue des pei^itures qui ravivaient le souvenir du poëme les intéressait davantage que les scènes bibliques ; mais sauf l'ad- monestation de Gautliicr de Coinsy, on n'a trouvé jusqu'ici aucune trace de censure quelconque exer- cée contre le malin goupil.

Le roman de Renart fit école. C'est une grande œuvre satirique, voilée et pourtant bien autrement claire que le PanfagrucL Pour en donner une idée, la critique a évoqué ÏOdyssc'e et la trilogie drama- tique de Beaumarchais; on y trouve, en effet, la variété d'aventures du poëme antique, l'esprit ingé- nieux de la comédie moderne. La ruse qui jaillissait de plusieurs sources remplissait la coupe et débor- dait, féconde en subtilités de toute espèce, tant cha- que poëte apportait sa part de malices. On ne ren- contre pas dans le roman de Renart les puissantes échappées qui ont sauvé l'œuvre de Rabelais de la destruction ; mais le même système d'allusions a présidé à la composition des deux œuvres.

La royauté, l'Église, la noblesse, les moines, les


DE LA CARICATURE AL' MOYEN AGE. 145

hauts barons, les cours de justice, les tournois, les rapines des nobles entre eux, sont indiqués satiri- quement dans le roman ; mais le véritable person- nage, c'est Renart, et, comme l'a fait remarquer un critique : « Sa malice et sa gaieté triomphent de tous les obstacles. Personnage discret, matois et prudent, il accepte le monde tel qu'il est, et se con- tente de l'exploiter à son profit. Il se confesse, porte haire et cilicc, prend la croix, chante la messe, ce qui ne rcmpèche ni de rire de l'enfer, ni de pro- faner les saints mystères, ni de croquer le milan son confesseur. Sophiste, diplomate, casuiste, dévot, hypocrite, gourmand, paillard, menteur effronté, faux ami, mauvais parent, esprit fort; à la fois Patelin, Panurge, Tartuffe, Figaro, Robert Macaire : voilà Renart. 11 a inventé le fameux distinguo; il aime, lui aussi, à voir lever Vaurore. Bohémien sans vergogne, il n'a point de préjugé de caste ni d'éducation : Il se fera tour à tour jongleur^ mé- decin, moine, voleur ; et de tous ces métiers, le dernier n'est pas le moins honnête à ses yeux^ » L'antiquité avait déjà fait du renard le type de la ruse. En égyptien être renard, c'est être rusé. Il resta le type de la ruse pour les fabulistes, les con leurs et même les hommes politiques. Aristote ap-

^ Loilicnt, la Satire française au moyen âge, 1 vol. in-18, 1850 ,


Mi HISTOIRE

pelle le renard calUdum et malcficiun (fourbe et mal- faisant). Le Physiolocjus de saint Épiphane signale la ruse du renard contrefaisant le mort pour attirer ses victimes ; et au treizième siècle Richard de Four- nival, dans le Bestiaire cV amour, allant plus au fond, donne les détails suivants sur les mœurs du malin animal : « Le goupil ne vit que de vols et de tricheries. Quand la faim le presse, il se roule sur la terre rouge et il semble être tout ensanglanté : alors il s'étend dans un lieu découvert, retenant son souffle et tirant la langue, les yeux fermés et rechi- gnant les dents comme s'il était mort. Les oiseaux viennent tout près de lui sans défiance, et il les dévore. » Idée qui est exprimée dans la gravure de la page 48.

« Les animaux, dit Machiavel, dont le prince doit savoir vêtir les formes, sont le renard et le lion. Le prince apprendra du premier à être adroit et de Tautrc à être fort. Ceux qui dédaignent le rôle de renard n'entendent guère leur métier. » Ainsi, dans l'ordre politique, le renard marche avec le lion, l'adresse avant la force.

Les anciens auteurs de blasons pensent comme les fabulistes. 11 est vrai que les grands fabulistes pensent comme la nature. Vulson de la Colombière, en sa Science héroïque, dit du renard : « Et en effet, cet animal, attendu qu'il est fin, subtil, rusé.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 145

prévoyant et dissimulé plus qu'aucun autre, j 'es- time qu'il peut représenter ceux qui ont rendu des services signalés à leur prince ou à leur patiie^ dans l'exercice de la justice ou dans les ambassades ou autres négociations, où il est plus besoin d'esprit et d'adresse que de violence et de force ouverte. »

Décrivant le blason des Schaden Leipolds, en Allemagne, où l'on voit un renard emportant un oison dans son capuchon, la Colombière ajoute « Celta ai^moirie représente ceux qui sont remplis de finesse et ruse, et qui, paillant, contrefont les gens de bien pour attraper les oisons, c'est-à-dire les niais, les innocents ou les idiots. »

Mais le rôle que joua Renart en iconologie vint surtout du succès considérable du romaii. A la suite l'animal obtint de l'art des lettres de natu- ralisation. Sculpteurs, peintres, verriers,^ avaient le Renard en grande estime, à cause de ses aven- tures plaisaixtes. Son image fut reproduite à satiété à l'extérieur des églises sur les façades, à l'inté- lieui' sur les chapiteaux, les vitraux; le symbole de 1,'aiùmal se glissa même dans le chœur des ca- thédrales, accrûché aux stalles des chanoines.

J'ai indiqué au premier chapitre la place im- portante réservée au renard sur le jubé de Saint- Fiacre auFaouet. Dans cette petite église bretonne, l'artiste s'est particulièrement signalé, car . en

13


46 HISTOIRE

France, en Angleterre, en Allemagne on dans les Flandres, l'imagination sculpturale, en ce qui touche le renard, n'est pas considérable. Autant le roman est fertile en inventions , autant les artistes pèchent par la monotonie : il leur suffit de représenter Renart prêchant les poules ou les em- portant dans sa robe de moine, ils sont satisfaits. Au contraire, le sculpteur de Saint-Fiacre témoigne de son admiration pour les tours de l'animal par les sources diverses auxquelles il puise. Ici le ro- man est renforcé par les proverbes.

Un bas-relief singulier de la même église prouve en effet que le renard, dans cette occasion, a été sculpté en témoignage de sa grande popularité, et que l'artiste n'a pas voulu en faire une machine de guerre contre le clergé.

A diverses reprises Rabelais parle d' « escorcher leregnard. » Gargantua, fréquemment^ a escorchoit le régna rd. » C'était alors une image favorite pour peindre le déboire des buveurs qui ont trop caressé la bouteille et en sont punis par de nauséabonds vomissements. Bringuenarilles ayant l'estomac trop chargé, un enchanteur, pour le débarrasser de cette accumulation de liquide, lui fit « escorcher un regnard. » Le peuple et quelquefois les gens d'es- prit abusent de ces métonymies qui, plus tard^ mettent aux abois la cervelle des commentateurs;



^Vitrail de Limoges (xiv" siècle), d'après M. de Lasteyrie.



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DE LA CARICATf¥JiP AU MOYEN AGE. ,149

_jjjc soïigQ â;;W émdit .(lu siècle qui. va suivre, >Vî<^laBt se rendre compte; dc: la signification «. d'uft j^pmme qm ,<^j m^ \ 4^revme:, dcm^ iaw^QmtQ,, \m^m

quelle suite d'inductions ne passerant-il pa« avant d'arriver à ceci i: Qu'une «iécrevissedans la tourte » remplaça, dans les vaudevilles de 1868, « raraignéè dans le plafond, )riniage, qui: a[va;it, fait son temps, ayant été considérablement employée à peindre un être dont le cerveau est rempli d'idées bizarres?.,;: ',! « Escorcher le regnard » faiifï^4r,tie de la même


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., ; Bas-relief de Saint-Fiacre au Faouèt, d'après un dessia , .

• ' de M. L. Gaucherel. ■ ' viMiuuiaq

famille de mots populaire^ ;' mais ir est aumoins^ smgulier qu un sculpteur imsigifi^. 4ç„Jç MÛ^WB

15.


150 HISTOIRE

avec le ciseau sur les murs de l'église de Saint- Fiacre. Là se voit un homme, la main appuyée sur un tonneau qu'il a vidé avec trop d'avidité, et dont les fumées amènent de désagréables et violents efforts jusqu'à ce que définitivement soit « escorclié le regnard^ »

Ne fallait-il pas, dans ces quelques pages consa- crées à Rcnart, montrer les différentes formes sous lesquelles l'animal se présentait à l'esprit des ima- giers? Cette sculpture, symbole de l'ivrognerie, ne se répète d'ailleurs, je crois, sur les murs d'aucune autre église.

Renart descendit de la façade des édifices religieux pour se mêler aux cérémonies publiques. Sous Phi- lippe le Bel, le clergé faisait des processions au milieu desquelles un renard était conduit en surplis et en tiare, croquant les poules en chemin. Phi- lippe le Bel s'amusait volontiers, et le peuple plus encore, de ces facéties contre le pape.

Louis XII également permit ces représentations satiriques sur la scène. Le clergé, en guerre avec les


  • Cette locution da quinzième siècle est évidemment la mère de

celle que les gens du peuple emploient encore aujourd'hui pour peindre la conséquence de l'ivrognerie : « Piquer un renard, » di- sent-ils. Singulière fortune de certains mots qui ne disparaissent de la langue qu'avec une profonde modification des mœurs ! Ce sont les ivrognes des basses classes qui perpétuent actuellement le souvenir du Roman de Renart.


DE LA CARICATURE AU MOYE>' AGE. 451

moines, favorisait de telles licences. Les poètes pro- fitaient de ce bon temps pour se moquer à la fois de l'Église et de la royauté. C'est ce qui explique l'audace et la vogue des divers Romans de Renart qui succédèrent au premier poëme, remplaçant malheureusement la Ijonne humeur des conteurs primitifs par des agressions plus amères que co- miques.

On voit aussi le renard f^iire partie des fêtes des Fous, entre autres à la mascarade de la Mère-Folle, à Langres; mais dans ces spectacles l'animal a perdu son caractère symbolique : en compagnie d'ànes,de singes, etc., il se livre, ainsi que le dit du TillotS à a des mimiques ridicules. »

Il semble que Renart ait voulu poser sa griffe sur chaque objet appartenant à l'Église. Au milieu des arabesques des missels l'animal s'introduit avec ses compagnons, comme dans le Missale Amhaniensis de la bibliothèque de la Haye; on y remarque des loups et des renards, habillés en robes de moines, qui chantent au lutrin, et Messire Noble Lion, assis sur un fauteuil, ayant sur la tête une couronne et dans ses mains une bandelette sur laquelle on lit : PahircUe, Orgueil, Envie, pen- dant qu'un carme et un dominicain, figurés par

  • Mémoires pour servir à la FHe des Fous, il H, in-4°.


152 ■ - ■ lîïSTOmB.^i,.Aj ^.>

im loup et uè -i^eiiardi somblcnt ilcs ,Goiirtisaiis>,

K^ry aiimHjune konQgmphic dcjïletiiavt plw^ j^r;

veloppé€ à; tenter :clarïs roi^drC: dls-^iftianiiserif^/ «i les miniatures étaient à la hauteui du poi^me ;• je me préoccupe surtout dès représentatiotis sculptées à l'extérieur et à rintérieur des église&.rnnrnrU'-r; i A Saint-Denis d'Amboise, le loup et sa femme, Ysengrin et Hersant, marchent debout, chargés de leur bagage et ^appuyés sur un. bâton. Sur un <îha- piteau du onzième siècle, dans,la;îfiefv4ç* l'église Saint-Germain des Près, on voit aussi le renard; mais l'animal s'acclimate plus volontiers dans le choeur des églises, 'C:<?ïnine à Mortemart et Eymous^ tiers où le renard joue de la flûte sur les miséricordes des stalles. ..pf^îT '^rm o^firn^fl



•(


Stalle 4*5 l'églige Sain IrTaurind'Éyreux. „. „,

rsB .rifROfrumob arr to '>ffTTRO frrr'up tfr(îf A Saint-Taurin d'Évreux , sous la miséricorde

d'une stalle du, chœur. unL,ima£:ier a sculpté Icsef-


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 155

rfetsdjQ l'éloquence du goupil i déjà. une poule est entrée dans le capuchon du froc, qui lui sert de bissac. Une seule volaille ne suffit pas à son appétit. Renart clierche à endoctriner un coq et un canard qui picorent aux pieds de la chaire. «îojjr? pojy n Ailleurs, il prêche des volaillesî.et- les emporte -pour achever leur conversion ^ A Salignae,oi( na- quit Fénelon, lesrstallcs de l'église représentent des moines à longues oreilles et dos. renards encapu- chonnés prêchant des dindonsrr^r 'nl-^^

C'est sur un modillon du toit do l'église de Notre- Dame de Nanteuil (Loir-et-Cher) , que le sculpteur a placé l'animal guettant une poule et un coq.

,Ayaîï,t ,dp terminer cette nomenclature qui pour- rait être beaucoup plus étendue, il faut signaler les analogies à l'étranger. ;rrphdo?

M. Thomas Wright^ cite dans une église du Christ^ Church (Ilamsphire) , lai sculpture d'im reriardî en chaire et derrière lui un petit coq qui semble le bqdQau. Il sigoalQégalqipent^ surlesi vitraux de rô|- - glise Saint-Martin, à Leicester, un renard, habillé cji moine, faisant, Wî sermon à , un troupeau d'oies auxquelles il (lit ^n^^Dieu m'est témoin combien

, .;. ... r ,,. r ,^r. - .

' ' ' Voir les sfàlles de Notre-Bame d'Amiens, de Cuiseau (Saône-èt-

Loire), de Sirod (Jura), de Bletteraus (Jura), de Saint-Léonai*d le

Koblac (Haute-Vienne), etc.

2 Histoire de la caricature et du grotesque dans la littérature t

dam l'art, 1 vol. grand in-8, 1867.


, .'^ I -as - '.07 I


154 HISTOIRE

je voudrais vous avoir toutes dans mes entrailles. »

Les stalles de Sainte-Marie, àBeverley (Yorkshire), de Nanlwich (Clicshire), de Boston (Lincolnshire), sont ornées de renarderies analogues.

Mêmes sujets en Allemagne et dans les Pays-Bas. Sous la chaire de Pforzheim, près Carlsruhe, un re- nard porte une volaille dans son capuchon de moine et épie toute une basse-cour, occupée à écouter pieu- sement un sermon.

M. Ch. Potvin* rapporte que les stalles de Téglisc d'East-Brent montrent une cérémonie religieuse et à côté un renard pendu par une oie.

Après de si nombreuses tournées dans les églises, le renard devait montrer son museau et continuer son rôle dans la vie civile. Il y devient tout à la fois sobriquet, marque d'imprimerie, enseigne de mar- chand.

En 1112, les bourgeois de Laon sont en lutte avec leur évéque, qui ne trouve pas de plus grave injure pour qualifier le chef des opposants que de l'appeler Isengrin.

Quelques imprimeurs du seizième siècle qui s'ap- pelaient Lecoq ou Benart, noms fort répandus en France, prenaient pour marque de leurs livres un renard enfroqué.

' Préface du Roman de Renart, mis en vers. Bruxelles, 1861^ 1 vol. in-lS.


DE LA CARICATURE AU MOYE^" AGE. 155

On voit à Strasbourg dans la rue du Renard prê- chant, une enseigne curieuse. En l'an 1600, un cer- tain Fuchs attirait les volailles de ses voisins en les alléchant au moyen de morceaux de pain, puis leur passait un nœud coulant'autour du cou. Pris en fla- grant délit, ce Fuchs fut condamné par les magis- trats de Strasbourg (du moins telle est la légende) à placer au-dessus de la porte de sa maison une ta- blette représentant l'animal prêchant des canards avec des vers satiriques et l'inscription : « Ceci s'est passé en Van 1600 lors cVune visite de niaitre Re- nard chez les canards. »

Quand le renard eut lassé le ciseau et le pinceau, rimprimerie vint lui redonner une nouvelle vie. Combien, depuis la Renaissance, de livres illustrés ont popularisé les aventures du goupil sans jamais fatiguer la curiosité des bibliophiles et du peuple ? Avec les Quatre fils Aijmon et Charleniagne, Renart partagea longtemps la faveur des pauvres gens. J'ai sous les yeux des livrets populaires que les Flamands réimpriment sans cesse ; à coté se dressent les belles éditions allemandes contenant les illustrations de Kaulbach et de Richter.

Comme toutes les œuvres qui ont une portée, le Roman de Renart a enthousiasmé plus d'un grand esprit de cette génération. Les Allemands, Jacob Grinnn, Gervinus, Rothe, Gœthe placent très-haut ce


456 HISTUIRE DE LA GAIVlGATCRE AU MOYEN AGE.

poénie, sans s'inquiéter dd la considérable vanété dans la ruse qui effrayxî quelques natures droites v Naylor y voit « la Bible profane du monde mo- derne, » ce qui est excessif; et Lautensberg a dit :• « La sagesse profane n'a pas produit de livre plus digne d'être loué que le Renart. » «^^ .mjij ..

11 faut prendre garde aux entbousiastes qui créent souvent plus de détracteurs que d'admirateurs. . -

Renart, comme Don Quichotte, Gil Bios, {julli'èsHi Roblnson, s'adresse à tous ceux qui ont réfléchi sur les passions et les vices de l'humanité, aux vérita- bles penseurs et au peuple, qui pense à sa manièrcv




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l>'aDi'és une ancienne ensekne de, Strasbourg.


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jjiib-duog ab CHAPITRE Vril ^

CONSÉQUENCES DU ROMAN DE RENART SOUS LOUIS XV \


En 1298, un iniagier que les chroniqueurs di- senta, célèbre, » s'imagina de représenter

sur le chapiteau d'une colonne de la nef de

la cathédrale de Strasbourg des ligures au inouïs singulières pour le lieu. C'était une paro- die des cérémonies de la messe, à l'imitation des scènes du Roman de Renart; le sculpteur avait osé se railler des prêtres à Jeur faca même, r Dans cette procession burlesque, un ours tenait le bénitier et le goupillon; un loup élevait la croix^ derrière lui un lièvre l'ôclairait de son flambeau; à la suite un porc et un bouc portaient sur les épaules une civière sur laquelle était couché un renard ; sous la civière marchaient un chien et un singe. L'autre face du chapiteau représentait un âne, re-



158 HISTOIRE

vêtu d'habits sacerdotaux, disant la inesse devant un autel sur lequel se voyaient un calice et FEuco- loge entr'ouvert. Le diacre chantant l'Évangile n'é- tait autre qu'un second àne auquel un singe servait de sous-diacre.

Ces figures ont été détruites. Dans une autre ville que Strasbourg le clergé les eût peut-être conservées; mais la rivalité de l'Église réformée, qui compte de nombreux pratiquants en Alsace, la publicité que la gravure donna à ces bas-reliefs, les scènes de désordre qui pouvaient en résulter, firent sans doute ordonner au dix-septième siècle la destruction de telles satires.

On a la certitude de leur conservation, en 15S0, par la relation du voyage de l'historiographe Jean Woiff qui, à cette date, étant venu à Strasbourg pour visiter les curiosités de la ville, fut conduit devant ces sculptures, dont il fait mention dans son journal.

On rencontre souvent de semblables parodies sur les églises du douzième au quinzième siècle ; mais elles n'offrent pas d'habitude un relief satirique si marqué.

A Strasbourg, leur caractère particulier était de se profiler en pleine lumière, dans la nef, vis-à-vis même du prédicateur, ce qui ne se remarque, je crois, dans aucune autre église.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 159

Suivant un ancien chroniqueur, ces figures au- raient été sculptées en souvenir de luttes intes- tines entre le clergé. « Ça été, dit-il, une zizanie et une faction fort animée entre les membres du cha- pitre de cette église, à partir desquels le graveur s'est prêté pour insulter aux autres sous la figure de différents animaux et de leurs différents natu- rels, »



Chapiteau de la cathédrale de Strasbourg détruit au xvii» siècle.

C'est-à-dire que plus tard, des gravures d'après ce motif servirent à envenimer les passions reli- gieuses, ainsi qu'un écrivain l'a montré récemment.


•160 foir. HISTOIRE )]ni^ AJ ,10

-rfrEû.jl57o, une feuille \olante ayant pour titre TlmvhUder (figurf5S;d'Aniniaux), parut à Strasbourg, qui; était la légende explicative de la gravure des bi- zarres sculptures de la sculpture. Fischart, poëte salirique, auteur de ces. commentaires, soutenait qW^^çes basrrcliefs étaient une satire?, ,des pratiques superstitieuses du passé. « L'Écriture, dit-il, avait bien prédit que dans des temps semblables, à dé- faut des hommes, les pierres elles-mêmes crie- raient. »

Un écrivain qui a étudié de près ces querelles de religion ^ ajoute : « Fischart soutenait donc que cette parodie ne pouvait être qu'une protestation de quel- ques gens éclairés contre l'idolâtrie papistique alors toute-puissante ; c[ue ce « renard infernal » était le symbole du pape ; que le loup nota^niment figurait les faux pasteurs qui s'engraissent' de leur trou- peau ; le cerf, les prêtres sans cervelle ; l'âne, les cuistres ignorants et braillards comme le francis- cain Nas, etc.

« Cette interprétation étail bien appropriée aux

.passions du temps, et fit sans doute beaucoup de

bruit, car Nas lui-niêmç crut dç>(^iivy, riposter d'In-

golstadt, par une explication contradictoire égale-

ïiiçnt rimée de ces mômes figures, qui eut aussi un

-Xi'Ernôuf, Un précurseur du socialisme en Allemagne. Johann Fischart^ sa vie et son œuvre. {Bévue de France, 1872.) oauyis


DE LA CARICATURE AU MOYEÎs AGE. 161

sculptures dans un sens tout opposé. Leurs aute^rs^ bien loin d'être des liérétiques anticipés, devenaient des fidèles que le Saint-Esprit avait fa voriséstiu don 4^:pi:RR^iétip,^|I)^^^^Cç bas-relief symbolique^, il^ avaient accumulé et flétri d'avance les abominations de la prétendue Réforme. Dans ce svstème, Iq re- nard ne représente, plus le pape, mais bieii, Luther ou^Gaïvin; le loup Qst l'emblème des hommes puisj^ sants qui ont pris parti pour le schisme afin de pou- voir accaparer les,, do.ii,iainc^, ecclésiastiques; fane, avec son livre désigne les ^ministres luthérion,s psal- modiant en langue vulgaire, ou bien encore ce livre est la Confession d'Auosbouro-. »

Qn voit à Quclle^^ intçïi:j)rétatiom;S diverses don- naient lieu, même au seizième siècle, ces figures de cathédrales qui, suivant les partis, devenaient tan- tôt injurieuses pour les catholiques, tantôt acca- blantes pour Ips luthéri^çns.jll y a là ample matièrç, à interprétation, suivant le point de vue où on se place ; chaque adversaire prend une arme égale et en tire parti à sa.conYenancc.

M.; Thomas Wright, le savant archéologue, a rap-

11'"

porté à propos des figures de Strasbourg une fable du prêtre anglais, Ûdo de Cirington, qui vivait du temps deHenri II et de Richard If, .Il est[plua,fa-j ciled.e se rapprocher de l'état des esprits d'alors par

44.


■162 HISTOIRE

analogie que de s'en rapporter aux interprétations d'adversaires passionnes.

Odo de Cirington raconte qu'un jour le loup étant mort, le lion convoqua les animaux pour célébrer ses funérailles. Le lièvre se chargea de l'eau bénite, les hérissons des cierges ; des boucs sonnèrent les cloches, des taupes creusèrent la fosse, des renards installèrent le corps sous le catafalque. Berengarius (Bérenger), l'ours, célébra l'office, le bœuf lut l'évangile et l'àne Fépître. Quand la messe fut dite et Isengrin enterré, les animaux firent un festin splcndide avec ce que celui-ci laissait, et se sépa- rèrent en exprimant le désir d'assister à un autre enterrement pareil.

« Une scène, dit M. Thomas Wright, ressemblant beaucoup à celle qu'Odo a décrite ici, et n'en dif- rant que par la distribution des rôles, a été tra- duite de quelque histoire de ce genre dans le lan- gage figuratif des anciennes sculptures ornemen- tales de la cathédrale de Strasbourg, où elle formait, paraît-il, deux côtés du chapiteau ou de Tentable- mcnt d'une colonne près du sanctuaire. Cependant comment faire concorder cette interprétation d'une fable ancienne avec les personnalités satiriques dont parle le chroniqueur? Odo de Cirington nous l'apprend par la moralité qui termine son récit.

« Ainsi il advient fréquemment, dit le fa])uliste.


^ !•


DE LA CARICATURE AU MOYEK AGE. 163

que quand meurt un homme riche, un concussion naire ou un usurier, l'abbé ou le prieur d'un cou- vent de bêtes, c'est-à dire d'hommes vivant comme des bétes, les fait assembler. D'ordinaire, en effet, dans un grand couvent de moines noirs ou blancs (bénédictins ou augustins) , il n'y a que des bêtes : lions pour l'orgueil, renards pour la ruse, ours pour la voracité, boucs puants pour l'incontinence, ânes pour la paresse, hérissons pour l'âpreté, liè- vres pour la timidité, puisqu'ils se montrent lâches (juand il n'y a pas lieu d'avoir peur, et bœufs pour la peine que leur donne la culture de leur terre ? »

Ce catalogue des vices des moines se lisait peut- être moins clairement sculpté par les tailleurs d'images que sous la plume des auteurs des fa- bliaux ; une moralité ressortait toutefois de cette langue confuse de la parodie, telle que la parlaient les sculpteurs du moyen âge. Certains vices étant particuliers à presque toute la gent monacale, il devenait facile d'en faire l'application à quelques individualités, et le peuple voulant reconnaître dans ce langage figuratif la satire de quelques moines du pays, les chroniqueurs furent amenés à conclure qu'à Strasbourg il existait des person- nalités applicables à. divers membres du chapitre.

Les témoignages de divisions cléricales si bizar- rement constatées étaient toutefois détruits depuis


404 , .. y : /..T' HISTOIRE ; ^,i

cleoloi>g\ie& années quand, ^pi): 'J,y.^$^;U^rrpiss(HiveniF des anciennes figures causa un certain, , ^caudale ^

S^f;i^§)^Qurg. , ,,^,,,,..^, ,, ,,, , ;._,: . . ;vf oh h(^>-.' .jiilpi^^vly^it obsç,nrémcnt, dans u^;qu^rtie;tj peiMi^ de„la ville, un nommé Tschcrnçin,: antiquaire de profession, qui vendait des livres el,, des estampes djCj-f-pute naturç. Ce^^ïi^rchaufl pajt le njalheur d'appartenir à l'Église réformée ; il ; ^, exerçait des fonctions correspondantes à,..celles , (Je,,, ï;ii,03 ;.. be- deaux, ,..,,, ... j, ,,. : . .,.,,.,

„j Up j^çpUerj çajtholique étant eptrç, ^le, lendemain de la Fête-Dieu de 1728,1 ,chc>^;,T^chernein, pour acheter un livre, trouva, étalées dans la boutique, des estampes diaprés Ips sculptijire5;^0ric|i^e^, dc.^a cathédrale ; il en acheta une feuille et la montra à son professeur, qui, frappé de ces représentations impies, les remit à l'ammeistre-réoïînt, dont l'indi-^ gnation fut auxomble. ^^^ ^,^ ^:nn\^Un^ ^n\.

, De^ ordres ayant été donnés, l'autorité se rendit chez le marchand, saisit divers exemplaires de ces.

yreSjfferma la boutique et emprisonna Tschernein.

Quant aux estampes incriminées, elles passèrent

des mains du procureur fiscal dans celles des nicm-

du cardinal de.Rohan, qui était venu , porter rie Saint-Sacrement à la procession de, la KètÇrDieu. de


DE LA CARICATURA AU MOYE>' AGE. 165

Strasbourg; Le cardinal envoya ces estampes à la police parisienne, qui, elle aussi, partagea l'indi- gnation gén6rale.iom e^no?

,; Cependant Tschernein, interrogé, se défendait de son mieux, disant que les images saisies étaient de fabrication ancienne, qu'il en- avait acheté le fonds d'un certain Dollhossen, son prédécesseur; que ces gravures n'avaient rien à voir avec le luthérianisme, étant la copie de sculptures exécutées deux cents ans avant: que Luther ne donnât signe de vie ; que jusqu'alors elles avaient été mises sous les yeux du public, dans un livre contenant la description des choses rares et curieuses de k cathédrale ; et qu'en- fin lui, Tschernein, quoique protestant, les vendait « sans moindre mépris ni malice pour la religion catholique., » ommoa ,otoff.3c

i ajoutes raisons excellentes; mais lîaccusé était

protestant. iTOfl ^llofrO ?r>rrpi1rFod p^. ^mb por- - 1 i lie procès s'instruisit. , L'accusation recoiinais^ait toutefois qne l'inculpé n'était ni l'auteur, ni Vm- primeur de ces « infâmes » estampes; cependant «.;Spn délit consiste à les avoir tenues dans sa bou- tiquefàîwnte et, d'en avoir débité ouvertementi et même dans un temps qui le rend extrêmement suspect d'affectation et de mauvais dessein, vu que Iqdç^it si'est.fait le lendemain môme de la proces- sion de; la Fête-Dieu, dont l'auguste solennité et


16G HISTOIRE

magnificence choque les esprits faibles parmi les luthériens. »

Une partie du réquisitoire mérite d'être conser- vée : « On ne peut considérer sans horreur le corps du délit. Y a-t-il rien de plus scandaleux, de plus in- jurieux à notre religion, de plus impie que ces es- tampes? L'accusé, tout luthérien qu'il est, devrait en avoir horreur lui-môme. L'image de la croix, qu'il doit regarder, aussi bien qu'un catholique, comme l'instrument sacré de notre rédemption ; l'image du calice, qui représente la passion et la mort de notre divin Rédempteur ; le livre de l'Évan- gile, toutes ces choses saintes et sacrées représen- tées sous les pieds des animaux vils et immondes ! Comment l'accusé pourrait-il se justifier d'avoir acheté, comme il le dit lui-même, de pareilles es- tampes, de les avoir exposées en vente, de les avoir tenues dans sa boutique? Quelle horrible impu- dence, si ce n'est pas affectation maligne et dessein prémédité de les répandre dans le public, par la vente qu'il en a faite dans une occasion où les ca- tholiques venaient de célébrer une de leurs plus augustes cérémonies et à laquelle l'inf^ime image a trait visiblement. »

Il était dit encore que Tschernein, en vendant ces estampes, avait commis un crime plus grand que s'il eût « fabriqué de la fausse monnaie. »


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 167

Avec le réquisitoire il faut donner les considé- rants du jugement. « Le grand sénat de la ville de Strasbourg, ayant pris connaissance du procès ex- traordinairement instruit à la requête du pi^ocureur fiscal, demandeur et plaignant contre Jean-Pierre Tsciiernein, accusé, a déclaré ledit Tschernein dû- ment atteint et convaincu d'avoir exposé en vente et débité des estampes scandaleuses et injurieuses à r honneur de la relioion.



Cliapiteau de la cathédrale de i^Ua.-Jjuiiitr.


« Pour réparation de quoi, Ta condamné à faire amende honorable, nu, en chemise, la corde au col,


168 HISTOIRE DE LA CARICATURE-AU MOYEN AGE.

tenant eu luaiu une torche de cire ardente du poids de deux livres, au-devant de la porte principale de la cathédrale, où il sera mené par l'exécuteur de la haute justice, et là étant nu-tète et à genoux, décla- rer qu'imprudemment et comme mal avisé il a tenu dans sa boutique, exposé en vente et débité des sus- dites eslampcs; qu'il s'en rcpent et en demande pardon à Dieu,, au roi et à la justice. Ordonné en outre que lesdites estampes seront brûlées par les mains du bourreau en la présence de l'accusé devant ladite porte de la cathédrale ; et a été, ledit Tscher- nein, banni à perpétuité de la ville et de sa juridic- tion, à lui enjoint de garder son ban sous les plus grandes peines, et condamné en tous les dépens. »

Heureux antiquaire de s'en être tiré à si peu de frais ! 11 pouvait être torturé, écartelé et brûlé vif.

Là n'est pas la question. En analysant ce procès dont je dois le texte à M. Charles Mehl, l'intelligent directeur du Bibliographe alsacien^ je suis frappé surtout par l'effet que la représentation de figures satiriques du treizième siècle produisait au dix- Iniitiéme. La licence du moyen âge dévient sacri- lège, et comme tel, traitée en crime.

Nous jouissons actuellement de i)lus de tolé- rance.


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ii'-


CHAPITRE IX


LE ROMAN DE FAUVEL



Philippe le Bel avait à lutter cou-

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tic le pape, les ordres mendiants et les Templiers. Ce fut alors et pour la première fois que la satire servit d'arme à la royauté. Un poëte, Fran- çois de Rues, composa leRomari de Fmivel, dont le type principal était un cheval K En face du noble animal tous baissaient la tête et s'hu- miliaient : les papes," les cardinaux, les princes,, les magistrats, les bourgeois et les gens du peuple. Chacun flattait, caressait le cheval, « torchait Fauvel, « car le mot devîtit proverbial.

Longtemps après la vogue du poëine on disait d'un courtisan : « 11 torche Fauvel. »

i >j ii <..iii\Ji».i Ai j J O'iilii Cuit:

De Fauvel descent flaterie . . ,

Qui du monde a la seigneurie. ■J !;•'■

' Fauvel vienl de fauve, a-t-uii dit.


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15


17U HISTUIRE

FcUivel fui donc la représciiluliou du pouvoir royal, et le poêle explique pourquoi il l'a syuibolisc tsous l'apparence d'un animal :

Car liomines sont devenus bestes.

Ailleurs il se plaint que la « bestiauté nous gou- verne. »

Comme Renart dont il semble une imitation, Fauvel s'incarne dans divers personnages ; il porte la couronne du roi et la dépose pour la tiare du pape. Cette dernière incarnation sert au héros à préciser de vives accusations contre le pape qui perçoit les dîmes au détriment de la puissance royale ; mais surtout le pamphlet fut dirigé contre les Templiers et plus d'une strophe semble avoir dicté l'acte d'accusation qui devait allumer le bûcher de. Jac* ques Molay et de ses compagnons.

Je ne veux esquisser que très à la légère la poi- tée du poëme ; le fait le plus curieux à observer tient à l'analogie et à la dissemblance des deux œuvres satiriques principales du quatorzième siècle : le Ro- man de lienart et le Roman de Fauvel. Renart a duré, Fauvel a péri.

Renart est plus libre et a moins d'attaches : sa raillerie, lors même qu'elle s'attaque à l'Église, ne ménage pas les grands ; aussi l'indépendant Renart semble-t-il avoir été moins encouragé.


DE LA CARICATURE AU MO\E^' AGE. 171

Le sujet deRenart fournissait plus de motifs aux caprices des imagiers que ce cheval dont la sil- houette prête médiocrement au comique. Et ce-



Minialuie du Roman de Fauvel, d'après un manuscrit de la Bibliothèque nationale.


pendant la représentation des aventures de Renart ne devint guère populaire que deux siècles plus tard, quand les sculpteurs des cathédrales et les ar- tistes flamands qui taillaient les boiseries des stalles firent entrer le goupil dans leur ornementation.

Je remarque, en parcourant divers manuscrits consacrés aux deux héros, que l'exécution des mi- niatures du Roman de Renart semble plus négligée et traitée avec moins d'habileté que celles du Ro- man de Fauvel. Les érudits qui s'occupent de l'his- toire des manuscrits au point de vue de l'exécution


17-2 HISTOIRE DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE.

matérielle, diront un jour si des miniaturistes de talent ne furent pas payés par la cour pour re- hausser par le coloris les aventures de ce Fauvel favorable à la royauté, quand on laissait aux classes moins riches le soin de commander les illustrations de Renart, peu soucieux de chanter les princes et les grands.

C'est une hypothèse, et je la donne pour telle ; mais combien, de tout temps, d 'œuvreset d'hommes admirés par les hommes au pouvoir sont-ils rejetés paf les petites gens, qui n'acceptent pas de mot d'ordre d'en haut pour goûter ce qui est vraiment intellectuel, c'est-à-dire ce qui s'échappe des masses et représente leurs aspirations ?



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D'apris un entourage de manuscrit du XIV* siècle. '


iKq paîoiii il. ji»'>il iii.» i-'ilt ,M.j

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CHAPITRE X

LE ISOBLE, LE MOINE, LE SERF

11 y a deux classes bien marquées au moyen âge : la société seigneuriale et féo (laie, le monde savant et scolastique ; les vilains, tenus en servage, ne comptent pas encore, et j'ai longuement cherché sur les monuments trace de leurs rapports et de leur antagonisme avec la féodalité, sans la trou- ver. C'est à l'état isolé que d!habitude le sculpteur représente le prêtre, le seigneur^lej vilain, , et, là^ l'exception des moines souvent bafoués, il ne pa- rait pas que l'art se soit préoccupé de rendre sen- sibles ces diverses classes de la société.! h j

Certains archéologues, même ceux dont je me rapr- proche le plus, et à qui je donnerais volontiers la main, c'est-à-dire les adversaires du néo-symbolisme religieux, sont tombés dan$ un ^utre travers,, le néa- symbolisme révolutionnaire,.; [ ji-imnlrro, Iq

15.



ITi HISTOIRE

J'ai commencé ces études avec l'idée que les

pierres des cathédrales étaient les témoins parlants de l'état de révolte du peuple ; je les termine sans croire à une si séditieuse éloquence. Enlever à l'art des imagiers son caractère indécis et naïf, plus in- stinctif que réfléchi, conduit à une impasse où tout homme de honne foi, s'avouant à lui-même qu'il fait fausse route, est obligé de revenir sur ses pas.

On ne saurait trop appuyer sur ce symbolisme plus inconscient qu'intentionnel. Le peuple qui a le sentiment du juste, du droit et du sain, mais à l'état latent, ne faisait encore que balbutier de timides accusations. Il souffrait sans pouvoir et sans oser exprimer ses plaintes. Toute exaction, tout scandale des hommes des castes privilégiées répondaient en lui, sans qu'il pût donner forme à ses plaintes, car c'est surtout aux siècles de dé- cadence qu'apparaissent les Juvénal et les Lucien.

Pendant ces époques sans libre examen ni libre pensée, s'il entrait un rayon de lumière dans l'es- prit du peuple, c'était à l'état du mince filet de soleil qui se glisse à travers les barreaux dans le cachot d'un condamné.

Un scandale éclatait dans quelque commune, qui ne se reliait à aucun autre fait de même nature; plus fard souleniont, l'imprimerie devait s'emparer


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 175

de ces diverses accusations pour les joindre au casier judiciaire d'une caste.

L'ensemble des plaintes n'éclata contre le clergé qu'aux époques où le pouvoir spirituel voulut pren- dre le pas sur le pouvoir temporel ; alors l'influence que durent exercer sur l'art les chroniqueurs, les poètes et jusqu'aux prêtres eux-mêmes fut con- sidérable : il n'en était pas de même au moyen


âge.


Dans le concile de Sienne, sous le règne de Char- les VII, un discours sur la dissolution du clergé fut prononcé, précis et sans réplique. « On voit aujour- d'hui, s'écriait un des orateurs, on voit des prêtres usuriers, cabaretiers, marchands, gouverneurs de châteaux, notaires, économes, courtiers de débau- che ; le seul métier qu'ils n'aient point encore com- mencé d'exercer est celui de bourreau ! . . . Les évo- ques l'emportent, en fait de volupté, sur Épicure ; c'est entre les pots qu'ils discutent de l'autorité du pape et de celle du concile. »

Ce n'est pas un satirique qui parle, c'est un reli- gieux. Le même orateur rapporte que sainte Brigitte, étant en extase dans l'église Saint-Pierre de Piome. vit tout à coup la nef pleine de cochons mitres ; elle demanda à Dieu l'explication d'une si fantasti- que vision : « Ce sont, répondit le Seigneur, les évêques et les abbés d'aujourd'hui. »


1T6 ^, HISTOIREKifH/n

^ ; Ces animaux immondes ot coiffés de mitres, don^ parle le membre du conpile, font œpiprendre: pjus> d'un caprice inexpliqué des manuscrits. De telles pa- roles, parties de si haut, devaient avoir jÇlu retentis- ^erQcnjt dc^nS|Je monde phrqtieii .i on les traduisit sur le vélin, Il y a Là également quelque cliose de particulièrement applicable aux sculptures des cathédrales du quinzième siècle.

La Luxure ne fut pas seulement mise en lu- mière par les troubadours et les poètes,; sculptée avec autant de réalité sur les monuments que les représentations priapiques des anciens, quelque-, fois un ressouvenir d'art antique se glisse dans de confuses bacchanales où s'agitent des satyre^, et des moines. 11 est difficile d'en donner une idée par la gravure, mais la traduction suivante suf- fit : (( Si j'étais mari, s'écrie le troubadour Pierre Cardinal, je me garderais de laisser approcher de ma femme ces gens-là ; car les moines ont des robes de même ampleur que celle des femmes ;. rien ne s'allume si aisément que la graisse avec le feu. »

L^ tjentation, il est vrai, était forte. Peu de payp où un couvent de nonnes n'avoisinàt une abbave de moines. Une vie sans fatigue, une nourriture, abpnc[sijij^p ('a>orisa^^nt Ips rapprochements ^ivec les religieuses dont parle Rutebœuf dans la Chanson



Miniature d'une Bible liistoriule (n° 167) de*Ia Bibliothèque nationale.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 179

des Ordres. Suivant lui, flores quêteurs, jacobins, moines de Citeaux, cordeliers, cannes,

.... Sont près des Béguines, Ke lor faut que passer la porte.

Le jugement criminel rendu à Strasbourg, au dix-huitième siècle, contre Tschernein, le libraire protestant, et dont j'ai fait l'objet d'un chapitre précédent, mentionne une porte d'airain de la ca- thédrale, construite en 1545, qui existait encore en 1728 : « On voit, dit le rapporteur, dans un petit carré en sculpture la représentation d'un couvent ; les moines en sortent avec la croix et les bannières, et vont au-devant d'un de leurs frères, qui leur ap- porte une fille qu'il tient sur ses épaules. J'ai vu moi-même cette figure. »

Érasme, qui n'aimait pas les moines et qui les connaissait bien pour avoir été lui-même au cou^ vent, a criblé cette luxure de mots spirituels. Par- lant de « moines épais dont le ventre est toujours tendu de nourriture, on les appelle pères, dit-il, et ils font souvent en sorte que ce nom leur soit bien appliquée »

Les Bibles manuscrites sont remplies de sem- blables sujets : luxure, débauche et gourmandise, et je n'ai eu que l'embarras du choix pour donner un

  • Colloque Virqo /jAràyiij.oi (la vierge ennemie du mariage.)


180 /lOA /lUWr HISTOIRE

échantillon d'un miniaturiste du quatorzième siècle, qui, à diverses reprises, glisse au milieu de pieux sujets, comme une chose naturelle, des moines en contact trop rapproché avec de jolies filles, et par conséquent exposés, aussi bien que les laïques débau- chés, à payer leur faute par les flammes de l'enfer. ' Cè3- remontrances ne s'arrêtèrent qu'à la Révolu- tion, qui poussa un dernier éclat de rire à la vue des moines sortant de leurs couvents pour rentrer dans la vie civile; elles avaient duré quatre siècles, jus- qu'à l'abolition définitive des vœux.

Il ne faut pas croire toutefois que la luxure, re- présentée sur les murailles des églises, s'attaquât seulement aux moines : hommes et femmes de toutes classes sont dévorés par cette luxure, qui, sous la forme d'un serpent, ronge les parties coupables. Nul vice n'a été indiqué si fréquemment et avec au- tant de rigueur par les imagiers '.

Il en est deux autres cependant que les sculpteurs reprochent particulièrement aux bourgeois et aux gens du peuple : l'avarice et l'ivrognerie. A l'église de Saint-Pierre sous Vézelay, sur un cul-de-lampe qui reçoit les faisceaux de colonnes portant les arcs

  • Quelquefois la luxure est traitée de moins haut et plus cynique-

nient. A Kolre-Dame de l'Épine, près de Cliàlons-sur-Marne, une sculpture de l'abside représente, me dit-on, une paysanne qui se . trousse. Le même motif se trouve sur divers monuments; d'autres symbolisent la femme de mauvaises mœurs par une lou>;ç. ^,^^^j .


DE LA GAIUCATURE AU MOYEN AGE. 181

des voûtes de la nef, on voit une figure curieuse, oeuvre des écoles des sculpteurs bourguignons des douzième et treizième siècles.



Sculpture de réglise Saint-Pierre-sous-Vézelay (fin du xu° siècle).


(( Ce cul-de-lampe, dit M. Viollet-le-Duc, repré- sente un vice, l'avarice, sous la forme d'un buste d'homme au cou duquel est suspendue une bourse pleine ; deux dragons lui dévorent les oreilles, res- tées sourdes aux plaintes du pauvre. »

Le prêt de l'argent, un métier de l'époque, a été particulièrement stigmatisé par les miniaturistes. Une Bible historiale et une Bible moralisée (manu_

10


182 HISTOIRE

scrits 11°' 166 et 167 de la Bibliothèque nationale) contiennent des représentations fréquentes du ma- niement de For, de l'usure, de la débauche engen- drée par les richesses. Quand Tor brille dans un coffre ou dans la main d'un des personnages, aussi- tôt apparaît le diable qui, comme un commissaire de police saisissant les enjeux dans un tripot, pose sa griffe sur l'épaule du riche et ouvre une large gueule pour l'avaler ; mais c'est dans les poètes qu'il faut en chercher le sens comique, comme dans les Patenôtres de Vusurier.

« Je vais à l'église, dit Thomme à sa femme; s'il vient quelqu'un pour emprunter, qu'on accoure bien vite me chercher, car il ne faut quelquefois qu'un moment pour perdre beaucoup. »

En chemin il commence sa patenôtre : « Pater Noster. Beau sire Dieu, donnez-moi donc du bon- heur et faites-moi la grâce de bien prospérer : que je devienne le plus riche de tous les prêteurs du monde.

« Qui es in cœlis. J'ai bien du regret de ne pas m'être trouvé au logis le jour que cette bourgeoise vint pour emprunter. Je peux dire que je suis fou quand je vais à l'église, où je ne gagne rien.

« Sanctificetur nonien tuiun. Je suis bien fâché d'avoir une servante si alerte à gaspiller mon ar- gent;


DE LA CARTCATrUE AU MOYEN AGE. 185

(( Advemat rerpium tuum. J'ai envie de relourner i\ la maison pour savoir ce que fait ma femme. Je parie qu'en mon absence elle se paye quelque poule ou quelque poussin.

« Fiat voluntas tua. Je me rappelle que ce che- valier qui me devait cinquante livres ne m'en a payé que la moitié.

« Sicut in ccelo. Ces damnés juifs font rudement leurs affaires en prêtant à tout le peuple. Je vou- drais bien faire comme eux.

« Et in terra. Le roi me tourmente bien en pré- levant si souvent des tailles. »

L'homme arrive à l'église, commence son Pater ; mais à peine le prédicateur est-il monté en chaire que l'usurier crie Amen et se sauve chez lui. « Je m'en veux retourner, dit-il. Le prêtre va sermonner pour traire notre argent de la bourse. »

L'ivrognerie est presque aussi fréquemment ré- pétée sur les murs des églises que l'avarice ; les sculpteurs ne manquaient pas de modèles de bu- veurs. A l'église Saint-Gille à Malestroit, on voit un bas-reliel, symbole de l'ivrognerie. Un homme introduit sa langue par la bonde d'un tonneau, comme pour le humer tout entier.

Cette représentation des vices conduit naturelle- ment aux fautes ; mais celles-ci sont traduites d'une façon familière, à la flamande : ainsi à l'église Notre-


184 HISTOIRK

Dame de Saint-Lù, dans la Maiiclio, par le niaitre d'école qui donne le fouet à un enfant, le sculjjteur a sans doute voulu symboliser la désobéissance, la paresse.



Figure de l'église Saint Gille, à .Malestroit (Bretagne).

Un artiste, M. Bouet, m'indique à l'église de la Trinité, à Falaise, un support de gargouille qu'il croit représenter la Dispute de la culotte, symbo.- lisalion suivant lui d'un vice, la Discorde. Le ([uinziéme siècle fut prodigue de ces scènes do- mestiques ; à l'imitation des conteurs de fabliaux, de nombreuses sculptures témoignent des débats de l'homme et de la femme, et le plus souvent, comme dans le bas-relief suivant, le vieil homme est con- duit pai' la jeune fille.


DE LA CARICATURE AI: MOYEN AGE. 1Sr.

M. Charles Magiiiii fait observer que, jusqu'au ([uinzième siècle « le serf difforme avait été le type grotesque de la statuaire hiératique ; par représail-



Sculpture du portail de Téglise de Ploërmel, d'après un dessin communiqué par 31. Bouet.

les, le moine fut le type bouffon de la sculpture après Luther ». De chaque côté de l'arcade du por- tail de l'abbaye de Saint-Denis sont posés des per- sonnages que M. Magnin explique ainsi : « Ces petites figures sont de véritables types ; la laidcui* de ces figures était consacrée comme celle des mas- ques des anciennes comédies grecques ; mais on ne s'aperçoit de leur caractère typique que quand on les voit invariablement reproduites sur les portes de presque toutes les abbayes des onzième et douzième siècles \ »


  • De la statue de, la reine Nantechild. {Revue des Deux-Motides,

1852.)

16.


18») HISTOIRE

Un autre archéologue, M. Saunier, force encorda note : « Dans la plupart de ces représentations, on remarque certains personnages grotesques, qu'à leur altitude pénible et à leur face grimaçante, on pour- rait prendre pour des diables, mais qu'à leur forme et à leur mise, qui n'ont rien que d'humain, on re- connaît être des serfs. La laideur de ces figures était consacrée, car on les voit invariablement reprodui- tes dans la même attitude et toujours à la même place sur les portails des abbayes des onzième et douzième siècles. Les moines s'étaient plu à ridiculiser ainsi le malheureux que sa position dans l'échelle sociale mettait sous leur dépendance, et à en faire le plas- tron des railleries de l'époque. Le quinzième siècle vient venger le serf transformé en homme libre, en bourgeois, en artiste, en produisant de satiriques représailles. C'est à cette époque que le sarcasme contre les gens d'Église et les moines prit sa place au portail, sur les murs et jusque sur les stalles de l'église elle-même. »

Chaque époque a sa façon de voir, de sentir et d'interpréter. On s'est beaucoup moqué des pein- tres et des poètes de la Restauration qui croyaient interpréter la Pienaissance : la noble dame et son blanc palefroi, les tuniques abricot à crevés, les destriers et les toques crénelées constituèrent un Iroubadourisme de convention dont ségayèrent à


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 1S7

juste titre les romantiques. J'ai peur que le serf condamné par l'Église à la situation dégradante de cariatide ne commence également à passer de mode.



Corbeau de l'église basse de Rosnay'(Aube), (xii' siècle), d'après un dessin de M. Ch. Fichot.


Dans ce personnage soutenant une voûte, faut-il vraiment plaindre le serf courbé sous le poids de l'E- glise ? On peut y perdre quelques phrases à effet ; mais ici, comme dans bien d'autres monuments, le sculpteur a tenté, je crois, de corriger l'inflexibilité de lignes géométriques par l'adjonction d'un ca- price ornementatif. Libre aux partisans du néo- symbolisme révolutionnaire de gémir à la vue de ce monument sur les souffrances de l'homme du peuple; j'y vois un cul-dc-lampe de fantaisie. Le public prononcera ayant les pièces sous les yeux.

Toutefois l'époque ne se passa pas sans représail- les du vilain contre le seigneur. Le serf était aussi


188 HISTOIRE DE LA CARICATURE AL' MOYEN AGE.

pressuré par le seigneur que par le moine, et l'es- j)rit de révolte pointait à Tégarcl des grands à la fin du moyen âge. Quand le poète du Roman de la Rose, Jean de Meung, dit des princes :

Car leur cors ne vaut une pome Plus que li cors d'un charetier,

alors un principe égalitaire est affirmé qui dénote peu de respect pour le trône. Certains monuments, mais plus rares, témoignent de semblables bar- diesses.

Quelques sculptures représentent les rois et les empereurs entraînés dans les enfers. Dans la figure ci-contre on croit que le sculpteur a voulu repré- senter sur le portail de l'église Saint-Urbain, le clergé, la noblesse et le peuple. La diablesse en- traine avec le pape, le roi et un personnage au cou duquel pend un gros sac d'écus. C'est encore une répétition du symbole de l'avarice. Ces sculp- tures contre la royauté étant rares, on en a con- clu que l'oppression civile était moins dure que l'oppression religieuse ; les cabiers de doléance du peuple aux approcbes de i 789 témoignent du con- traire.


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CHAPITRE XI


3IIiNIATURES DE MANUSCRITS



A dater du commeiicemeiit du quatorzième siècle, Tintentiou comique perce et devient lucide dans certaines miniatures de manuscrits.

Les grands dépôts publics sont pleins de richesses d'ornemen- tations grotesques, principalement dans les entou- rages de pages, et rien que ces détails fourniraient matière à un ouvrage intéressant si la rédaction des catalogues était mieux comprise.

11 arrive souvent qu'un manuscrit historié con- tient des miniatures sérieuses en regard d'entou- rages où des bamboches se livrent à mille caprices. Ces motifs, à part quelques exceptions, ne sont pas signalés dans les catalogues de nos grandes biblio- thèques. L'homme de bonne volonté qui voudrait «luimer un échantillon du Caprice aux divers siècles,


Ï9i HISTOIRE

(Ml est réduit i\ cuiiipuiser au hastird et à fatiguer le zèle des conservateurs. J'avertis donc que tout en comprenant l'importance de ces croquis, j'ai dû aller un peu à l'aventure.

Une idée plaisante, la parodie de l'homme paj- les animaux, dont on voit les premiers jalons sur les monuments, se complète dans l'esprit des |icintres. C/esl ki liiiic qui file, dont le symbole



D'après un manuscrit du xiv' siècle.

s'est perpétué pendant près de six siècles, car on en trouve encore quelques reproductions sur les en- seignes d'anciennes villes. C'est un animal, loup ou renard, brouettant un limaçon, comme dans le ina-



D'apiès un manuscrit de la bibliothèque de Canibrui.

nuscrit du quatorzième siècle, de Cambrai, dont le molif semble emprunté à une pierre gravée aiiU(|uc.


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DE LA CARICATURE AU MOYE^• AGE. 195

La chasse est en grand honneur au quatorzicinc siècle : voilà un chien qui imite ses maîtres ; seu- lement, par une bizarrerie dont, le sens est peu clair, le chien prend des lièvres avec une ligne (p. 195).

Il est regrettable que M. Champollion-Figeac à qui on doit connaissance d'un certain nombre de semblables miniatures, n'ait pas indiqué leur pro- venance ^ 'Ces peintures sont quelquefois d'une invention si particulièrement malséante, qu'il est utile de savoir si elles font corps avec un manuscrit sacré ou profane.

M. Ed. Fleurv, dans ses beaux travaux sur les manuscrits % n'a pas obéi à un tel système, et si l'auteur avait étendu ses investigations à d'autres bibliothèques que celles de l'IUe-de-France, nous aurions aujourd'hui une importante série de docu- ments à l'aide desquels les sujets des miniatures mis en regard pourraient être élucidés plus facilement.

Dans un manuscrit du quatorzième siècle de la bibliothèque de Soissons, le Missale Siiessionnense,

  • Louis et Charles d'Orléans. Leur influence sur les arts, in-S,

1844. Les planches de cet ouvrage sont troublantes pourlïrudit; 5f. Champollion-Figeac a détaché de petites figures de composi- tions de miniatures, sans y joindre aucun renseignement, et ce n'est qu'à l'aide de M. Michelin, conservateur du département des ma- nuscrits à la Bibliothèque, que j'ai pu. retrouver certaines sources où a puisé l'auteur de Louis et Cluirhs d'Orléans.

^ Les Manuscrits à miniatures des bibliothèques de Laon et de Soissons, 2 vol. in-4°, avec ligures, 1865-1805. Didron, Dumoulin.


liid IIISTONIK

oii Liuiive un spirituel caprice, qui ccrhiiucmeut contient une aiTicre-icléc de ridiculiser les tournois. Un lièvre et un coq, la lance en avant, le bouclier j)rotégeant le corps, se précipitent à toute vitesse Tun contre l'autre et s'envoient de vigoureux coups d'estoc. Le lièvre est monté sur un chien, le coq sur un renard ; à l'exemple du Bertrand de Robert-Ma- caire se sauvant sur le cheval du gendarme, les deux animaux timides ont enfourché leurs redoutables adversaires.

Ces parodies de tournois furent également sculj)- técs et peintes dans d'autres endroits. On voyait ja- dis, sur une cheminée de l'hôtel de Jacques Cœur, à Bourges, un carrousel de chevaliers montés sur des ânes. Un archéologue, qui a dessiné la cheminée avant qu'elle fût détruite, dit à propos des figures : « Malgré le respect que l'on devait avoir pour ces nobles exercices (les tournois), nous trouvons ici la tarce la plus grotesque qu'il soit possible de voir; ce ne sont pas de brillants et valeureux chevaliers, portant de pesantes armures et montés sur de l'on gueux coursiers, mais de simples paysans, sur de paisibles baudets, ayant pour rondaches des fonds de paniers et des cordes pour étriers. Les valets et les héraults d'armes sont des garçons de ferme et des porchers ; l'un porte un faisceau de bâtons ; un autre sonne du cornet à bouquin ; l'un des cham-


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DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 190

pions a la figure cachée par une espèce de camail et porte à son chapeau une plume de coq : tels étaient peut-être les délassements du peuple, car les hommes du peuple ont toujours cherché à copier les grands. Il est probable aussi que ce ne soit qu'un caprice des sculpteurs qui, à cette époque, mettaient un certain mérite à produire des objets fantastiques, propres à récréer les oisifs ^ » Ainsi les tournois perdaient de leur crédit dans l'es-



Minialure de l'Histoire de Saint -Graal (xiv siècle).

prit du peuple. L'idée de parodie n'est-ellc pas bien marquée dans un manuscrit du quatorzième siècle^.


  • Hazé, Notices pittoresques sur les antiquités cl les monuments

dulierrij, 111-4°, Bourges, 1840.

2 Histoire de Saint-Graal, jusqu'à Vcmpire de Néron, à la Biblio- thèque nationale.


200 HISTOIRE

OÙ une femme à cheval combat, avec son fnsean contre un chevalier?

On trouve également à la bibliothèque de Cam- brai, dans le Recueil de chants religieux et profanes, manuscrit flaîliand, daté de 154'2, une miniature représentant, casque en tête, bouclier au bras, des entants à cheval sur des tonneaux traînés par une bande de galopins, jouant au tournoi.

Un érudit, qui pourrait comparer les divers ma- nuscrits des grands dépôts de l'Europe, apporterai! certainement de vives lumières sur ces courants satiriques de diverses époques, si Tinitiative indi- viduelle suffisait à de pareilles recherches ; mais ne court-elle pas grand risque d'être abattue, quand elle est si peu protégée par ceux qui parlent sans cesse du développement intellectuel et ne le favo- risent qu'en paroles ?

C'en est assez des gens de cour qui ne rêvent (ju'armes et combats, et font bâtir des salles d'armes à la place de bibliothèques. Ces brutes et ces sou- daids, pour mépriser l'intelligence et ne recon- naître que la force, sont à juste titre raillés par les miniaturistes et les sculpteurs. Aux nobles coursiers des tournois le sculpteur substitue des ânes, et les chevaliers sont remplacés par des lièvres.

De semblables caprices devaient conduire natu- rc'llemcnt à l'idée du Monde renversé, un cliché


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LE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. '203

([uc les caricaturistes ont re[)rodiiit si fréqueniiiieiit. Le bœuf dirigeant une charrue, traînée par deux laboureurs, le lièvre qui emporte trioniplialeinent le chasseur au bout d'un bâton, sont des minia- tures du quatorzième siècle et on en trouve au- jourd'hui encore des redites dans la collection des images d'Épinal.



D'après une ancienne miniature.

Un manuscrit du .quatorzième siècle, de la Bi- bliothèque, renferme une miniature d'un ordre plus important qui semble le point de départ des rail- leries contre la toilette des femmes, sujet que les prédicateurs prenaient souvent pour thème.

Une noble dame donne un dernier coup à ses atours, entourée de femmes de chambre, qui ne sont autres qu'une légion de petits diables accou- rus pour la servir ; l'un présente un miroir, l'autre peigne sa chevelure. Deux diablotins relèvent la traîne de sa robe ; d'autres, nichés dans l'ouverture des manches^ soufflent dans des instruments de


t20i IIISTUIKE

musique, eu signe des plaisirs auxquels in dame esl appelée. (Voir page 209.) Cette miniature est la sym- holisation des pompes du monde auxquelles Satan convie habituellement la femme.

Dans un autre manuscrit du treizième siècle, les enfants paresseux sont représentés sous forme de singes étudiant en classe, pendant que le magistei lève un gros paquet de verges sur le plus indisci- pliné de la bande.

Pàen qu'au point de vue de Fétude des mœurs, l'érudit, le philosophe, le savant, trouvent dans l'étude des manuscrits toute une mine de détails précieux, à la condition de n'y pas attacher plus d'importance que les miniaturistes qui égayaient leur besogne par un trait plaisant.

Le meilleur commentateur en pareille matière sera le plus humble. Il devra plus dessiner qu'é- crire, et les inductions les plus ingénieuses ne vau- dront jamais le calque d'un croquis de ces peintres patients.

(juanl à ce qui louche aux choses du métier, et ([uoique le peintre se laissât aller à sa libre fantai- sie, j'imagine cependant que la besogne était di- visée comme pour les sculpteurs de cathédrales, les uns lailleurs-imagiers ou sculpteurs de statues, les autres tailleurs- folliarjers creusant dans la pierre les feuillao^es, les ornomonts et les rinceaux. H v


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DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 207

avait sans doute des miniaturistes cliargés de trai- ter les sujets pieux et d'autres ornemanistes pour égayer les sujets bibliques par des caprices. Com- ment expliquer que le même peintre qui dessinait une Annonciation, la Vierge en prières et un Ange lui annonçant la bonne nouvelle, ait pu ajouter dans l'entourage de la miniature un Fou qui se frappe sur la fesse ?

(( Le but, dit M. Le Roux de Lincy, que se propo- sait, croit-on, l'artiste, était de représenter au lec- teur pieux les vices, les mauvaises pensées aux- quels il était le plus encline » Il me parait difticile à admettre que, dans un Livre d'Heures exécuté spécialement pour la dame de Saluées, le Fou en question fût appelé à dissuader la noble dame de se frapper sur im endroit inconvenant, pour la dési- gnation duquel les Anglais ne trouveraient pas assez de circonlocutions.

Du quatorzième au quinzième siècle, époque à laquelle furent exécutées ces miniatures, l'art tou- tefois ne se pique guère de pruderie. Un pinceau naïf et innocent retrace de bouffons obscœna qui ne troublent en rien les yeux d'une grande dame ouvrant son Livre d'Heures à l'église.

Il ne faut pas porter au compte des siècles passés

  • Le Roux de Lincy, Notice sur la vente Yemeiih.


'J08 HISTOIRE DK LA CARICATURE AU MOYEN AGE.

notre science d'impuretés, qui n donné naissance à un cant hypocrite plus immoral que l'immoralité même.



I)'apièi> une lettre ornée d'ancien manuscrit.


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Manuscrit de la Bibliothèque (xiv' siècle), d'après un dessin cojnmuniquè par M. Alfred Darcei,


18.


III


CHAPITRE XII

AUCHITECTURE RELIGIEUSE — LA MAISON DES TEMPLIERS, A METZ



En 1854, un jeune archéologue lorrain avisa, dans un magasin à poudre de Metz, qui fait partie d'an- ciens bâtiments appartenant aux Templiers, des fresques sur une poutre dont à juste titre il récla- mait la conservation. Ces peintures ont été décrites par M. de Saulcy avec une telle précision, qu'en- treprendre d'en donner une meilleure indication serait la preuve d'une vanité excessive.

« Elles présentent, dit-il, tout ce que l'imagina- tion du peintre peut enfanter de plus grotesque ; c'est une longue procession d'animaux réels et fan- tastiques dans des attitudes variées. Ceux qui figu- rent les premiers, tournant le dos à la muraille



'■2\2 HISTOIRE

dans hi(|iiellc sont percées les fenêtres, sont un chat et peut (Mre un veau, dressés sur leurs pattes

de derrière : le troisième sem- ble un énorme verrat mou- cheté de noir, mais à la tête tout à fait fantastique; vieni ensuite une autruche, puis un renard dressé sur ses pieds de derrière marchant à la suite d'un coq; devant celui-ci pa- raissent trois animaux dressés sur leurs pattes, et que je ne reconnais pas. Celui du mi- lieu, qui se distingue par une queue monstrueuse , semble jouer avec un bâton.

« Ce groupe est précédé par un lièvre qui porte un trian- gle entre ses pattes de devant, puis par un griffon tenant un objet indéterminé entre ses griffes. Les deux animaux sui- vants sont fort effacés; on reconnaît cependant au premier des cornes énormes, et le second semble jouer des cymbales. Vient ensuite une licorne por- lant un paquet sous la patte droite de devant; peut-être est-ce une musette qu'elle lient ainsi.






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DE LA CAIUCATUKE AU MOYEN AGE. 21."

Un singe marche devant et jette en l'air un batoii ([u'ii s'apprête à rattraper; puis paraît un renard ((ni tient un livre onvert : nn veau lui succède et porte un ob- jet indétermin;i])lc. En avant se voit nn ours qui semble écouter avec attention un renard tourné de son coté et gesticulant dans une sorte de chaire à prêcher; mi autre animal, adossé à ce re- nard, est également placé dans une chaire et lève les pattes vers \m animal l'antastique, moitié lièvre, moitié daim, qui s'appuie sur un long bâton et })orte de la patte droite un calice élevé. Un renard qui marche derrière ce- lui-ci semble le tenir avec une double corde.

« Plus loin paraît, dans une tente et snr un lit de repos, un veau nonchalamment appuyé sur les pattes de devant, dont il se t'ait un oreiller; un léopard sem- ble adresser la bienvenue à un énf)rme chien, qui s'appuie sur un bâton de voyage et porte son pa- ({uet snr le dos. Vient ensuite un animal mai*-


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214 HISTOIRE

chant aussi à l'aide d'un bàftn et entraînant der- rièro lui avec une corde un porc, qui semble

faire les plus grands efforts pour résister etQour s'accrocher aux pattes d'un autre animal bi- zarre, qui paraît vouloir le rete- nir. Enfin un sanglier est en- chaîné à une espèce de poteau.

« Telle est la série des scènes burlesques que le peintre a tra- cées sur la poutre. Ces représen- tations avaient-elles une signifi- cation mordante, ou ne sont-elles que les fruits d'une imagination ^^C"^ I capricieuse d'artiste? Je laisse à de plus habiles le soin de le dé-



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La signification des curieux dessins que M. de Saulcy offrai à la science archéologique n'a pas été donnée, quoique la dé- couverte de ces fresques remonte à l'année 1854. Et pourtant il me semble facile de répondre aux questions que se posait l'érudit sur le caractère de parodie ou purement capricieux de telles figures.

  • Mémoires de V Académie de Melz, 1834-r>5.


DE LA CAUICATUUE AU MOÏtiN AGE. 215

Que ces sujets cl bieu d'autres de même nature qui se remarquent sur les manuscrils, le bois, la pierre, les vitraux, soient les jeux d'une imagination confuse , ce qui me frappe tout d'abord dans cette pro- cession d'animaux est l'analogie absolue avec ceux des papyrus égyp- tiens que M. Lepsius et les égyptologues ap- pellent « satiriques ».



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Certaines ligures de Metz semblent cal- quées sur celles du papyrus de Londres, ainsi le renard en voyage, un paquet sur le dos, un bâton à la main. J'ai donné dans VHisfoire de la Cari- cature antique trop de détails à ce su- jet pour y revenir.

Ici le moyen âge se rencontre avec l'Egypte an- cienne, et on se demande s'il est possible que des


l4G histoire

compositions découlant de civilisations si diverses aient pu naître, à la fois, dans deux imaginations par le seul fait du hasard. De semblables analogies ne peuvent exister sans point de jonction. Aussi à travers les arts suit-on un fil conducteur, comme à travers les langues des peuples, leurs traditions et leurs religions.

J'ai montré qu'au début l'art chrétien n'est sou- vent séparé que par un court trait d'union de l'art païen : dans l'aurore du christianisme se fondent les derniers rayons du paganisme; mais ici je re- marque un fait semblable à ceux qu'ont si souvent consignés les^physiologistes qui s'occupent d'héré- dité. L'art fait un retour en arrière et le curieux peut suivre la courbe qui du moyen âge va directe- ment à l'Egypte ancienne, ce qui s'explique par la vie agitée des Templiers, non sans rapport avec celle des Saint-Simoniens pendant sa courte période.

Les Templiers avaient beaucoup voyagé, en Orient particulièrement. L'un d'eux rapporta vrai- semblablement d'Egypte le souvenir de ces repré- sentât ons d'animaux, qu'il traduisit ou fît tra- duire par un peintre pour la décoration de la mai- son de Metz.

De symbole, je n'en vois pas. La parodie des actions de l'homme par l'animal, sur laquelle re- viennent fréquemment les anciens, suffisait à une


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 217

idée décorative. Je n'ose entrer dans les connais- sances cabalistiques des Templiers, qui auraient sondé les mystères de la religion égyptienne. Le fait de la poutre historiée me suffit, et les dessins bien plus encore que les commentaires.

De môme qu'un grain de blé conservé pendant des siècles dans le tombeau d'un Sésostris peut ger- mer et donner des épis sur une terre française, de même certains papyrus égyptiens fournirent des motifs à l'artiste du douzième siècle.



Modillon de réylise de Poitiers.


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A:


CHAPITRE XIII


ARCHITECTURE MILITAIRE — LA TOUR DESCH A METZ



C'est surtout en architec- ture militaire que les capri- ces sont rares; naturelle- meiTt peu de place était ré* serve à une ornementation dans des édifices où les li- gnes et les angles sévères de chaque pierre con- courent à une utilité immédiate. Rien ne donnait à croire que ces ouvrages de défense pussent trouver place dans une Histoire de la Caricature si mon ami, M. Lorédan Larchey, n'avait recueilli les dé- tails principaux de la tour Desch, à Metz, qui a l'ourni des dessins à son intéressante publication des Orifjines de V artillerie française K

Au commencement du seizième siècle, des sei-


» Iii-4% 18G3.


HISTOIRE DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 219

gnciirs messins, du nom de Dcscli, firent élever à leurs frais une casemate avancée pour protéger la citadelle. Cet ouvrage fortifié était percé de canon- nières dont a donné une descrii)tion exacte M. Lar- chey :

« Des trous ronds, appelés canonnières^ servaient au tir de l'artillerie renfermée dans les tours. Ces canonnières affectent en général la forme d'un en- tonnoir qui va se rétrécissant du côté des servants de la pièce comme une lorgnette dont on a tiré les tubes. Cette disposition présentait l'avantage d'élar- gir le rayon visuel en offrant moins de prise aux projectiles ennemis ; nous en avons surtout remar- qué la trace dans un petit réduit fortifié qui défen-



Canonniére de la tour Desch, à Metz, d'après un dessin de M. Lorédan Larchey.


dait les approches de la porte des Allemands à Metz, et que le génie militaire a eu la bonne pensée de conserver intact. C'est un spécimen excessivement curieux d'ailleurs des caprices artistiques qui pou- vaient, au commencement du seizième siècle, con-


220 HISTOIRE

courir aux travaux de défense d'une place. Les cinq canonnières dont le réduit en question est garni, présentent des sculptures semblables à celles dont, vers la même époque, les arcbitectes italiens enjo- livaient parfois les portes et les fenêtres. Quatre d'entre elles montrent d'effroyables ou de sata- niquôs figures, qui semblent, en roulant de gros yeux, s'efforcer de cracber encore leurs projectiles. La cinquième, d'une allégorie plus saisissante mais d'un goût moins relevé, est une émanation directe de la grosse gaieté de nos pères. Elle représente un guerrier fort cbevelu et fort déculotté, dont le der- rière menaçant se charge aussi d'annoncer la ca- nonnade à l'ennemi. »



Sculpture de la tour Desch, à Metz.


Sur une pierre d'angle de la môme casemate, un homme avale un boulet, comme pour se moquer des projectiles que lui envoie l'ennemi. (Voir figure page 218.)

On remarquera sur le cbapeau de l'homme, cl


DE LA CARICATURE AU mXEls AGE. 221

aussi sur le bas-relief du personnage sans-façon qui envoie une décharge tout à fait particulière aux assiégeants, des représentations de guimbarde, instrument de musique jadis cher aux Lorrains et aux Alsaciens. Ces guimbardes, sculptées à divers endroits sur le monument, faisaient partie du bla- son des Desch, qui, par ce détail ont voulu con- server la mémoire de la part personnelle qu'ils avaient prise à l'érection de la casemate.



La tour Desch, d'après un croquis de M. Lorédan Larchey


19.


LIL


CHAPITRE XIV


FIGURES SATIRIQUES ET FACÉTIEUSES DES MONUMENTS CIVILS



Ce fut seulement à la fin du quinzième siècle que la commune, assez riche pour élever à son tour un hôtel où s'assemblaient ceux qui s'intéressaient aux besoins de la cité, prit une certaine importance, comme le prouvent les maisons de ville du nord de la France.

Un des édifices qui me paraît un des plus curieux spécimens de l'architecture civile en France, sur- tout par les nombreux caprices de son ornementa- tion, est rhôtel de ville de Saint-Quentin. Sur- la façade courent des sujets fantasques analogues à ceux des églises.

« Les cent soixante-treize statuettes et figurines que j'y ai comptées en 1856, dit M. Didron qui étu-


223


HISTOIRE DE LA RICATURE AU MOYEN AGE.

dia le monument de près, représentent des sujets de fabliaux, des animaux qui prêchent, des coqs qui se battent, des cochons qui mangent des glands, des lapins et des chèvres qui broutent des herbes potagères et des feuilles d'arbustes, des écureuils qui épluchent des pommes, des singes montés sur des échasses et qui font mille grimaces aux pas- sants.

« La chauve-souris, le moineau, le chien, le co- chon, c'est-à-dire les oiseaux vulgaires et les bétes de basse-cour, abondent sur cet édifice. Ils répon-



Figurine fie la façade de l'hôtel de ville de Saint-Quentin

(xvi" siècle).


dent à des gens plus laids et plus grimaçants que des singes, à des bourgeois et à des bourgeoises


i2i HISTOIRE

non moins laids et qui font des actions communes ou indécentes, à des paysans plus orduriers en- core.

« Je sais bien qu'on y voit des animaux plus no- bles, des aigles et des griffons. J'y ai même noté six anges qui font de la musique ; on y trouve le Soleil et la Lune, la Sainte-Face de Véronique et la figure de Notre-Seigneur. Mais ce sont de véritables caricatures. On les voit là sculptés, comme on les trouve décrits ou mis en action dans les fabliaux recueillis par Méon et Barbazan. Si ce n'est pas. im- pie, c'est trivial et ridicule.

« D'ailleurs, ce qui domine dans cette foule, ce qui accentue tout le monument, c'est le chat et la souris, le chien et le singe, le coq et la poule, le lapin et le cochon; le gros homme ventru qui mon- tre sa bedaine quand il ne fait pas voir autre chose ; l'ivrogne qui perce un tonneau et s'enivre; la bour- geoise qui rit et se pince le nez avec des lunettes ; la femme qui accomplit en public des actes que la plus grosse indécence n'a jamais permise »

La description serait exacte si M. Didron n'avait pas exagéré la liberté des détails de l'ornementa- tion de la façade.

Qu'aurait-il dit de l'hôtel de ville de Noyon, où

  • Annales archéologi(jues, 1851.


225


DE LA CARICATURE AU MOYE>' AGE.

un fou accroupi, la culotte bas, remplit les mains d'un homme, peut-être d'un moine, d'un dépôt que les gens grossiers n'abandonnent habituellement qu'au coin des ruelles? La sculpture est d'une exécution délicate, l'idée ne l'est guère; mais si on pense aux « bons tours » de Tiel Vlespiègle, qui, à la même époque, avaient le privilège d'a- muser les nations 'les plus civilisées de l'Europe, on s'étonnera moins qu'un tel détail fasse partie de la décoration d'un hôtel de ville.




Corbeau de Thôtel de ville de Noyon (fin du xv' siècle).


Les sculpteurs n'avaient guère été plus réservés dans leur ornementation du château de Blois. Aux fenêtres de la chambre à coucher de Louis XII, à ces mômes fenêtres où le roi se plaisait, dit-on, à s'entretenir avec son premier ministre, le cardinal


226 HISTOIRE

d'Amboisc, dont Thôtel était en face, les retombées de l'encadrement supérieur sont supportées par des figurines finement ciselées, mais d'un goût dou- teux.

Les maistres des pierres vives, qui imaginaient ces ornements, ne paraissent pas avoir été arrêtés par l'idée qu'Anne de Bretagne lèverait nécessaire- ment les yeux sur de pareilles figurines.

A s'en fier aux plaisanteries scatologiques, fort goûtées à cette époque, on peut admettre toutefois que la reine souriait des deux drôleries qui se font pendant et qui montrent un bommc se bouchant le nez pour ne pas sentir les désagréables odeurs émanant d'une femme sans vergogne ; également il faut rattacher au même ordre des faits naturels, considérés comme plaisants et gais, le bas-relief du même palais représentant un galant audacieux qui relève la jupe d'une personne de bonne volonté.

Il faut cependant chercher le sens de l'ensemble de semblables sculptures. L'hôtel de ville de Saint- Quentin, par la profusion de ses images, me parait fournir une explication dont les archéologues sont appelés à juger la valeur.

Deux de ces figurines représentent des animaux en chaire, un renard et un singe, sans doute échos du Roman de Pœnart.

Sur un cul-de-lampe, un fou et un diable se sont


22.


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DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 229

emparés de la cotlc d'une jeune commère, et la chitîonncnt avec ardeur.



Détail de la façade de l'hôtel de ville de Saint-Quentin.

Les sculpteurs, en un autre endroit, font rissoler au-dessus d'un grand brasier un malheureux que des diables retournent comme une dinde à la broche (voir la figure de la page 8G).

Le caprice qui a présidé à ces compositions n'est qu'un ressouvenir des figures de même nature qui se voient aux murs des cathédrales. Les notions bibliques sont mêlées à celles des sciences natu- relles. La femme qui trompe son mari, le moine ridiculisé, la bête monstrueuse des forêts voisines, la terreur de l'enfer, le manant qui bat sa com- mère, la raillerie du riche, le bateleur qui fait dan-

20


250 HISTOIRE

ser des ours et des singes, tous ces menus événe- ments du jour trouvaient place sur les chapiteaux et sous les portails des églises. Si leur répétition au seizième siècle, sur la façade d'un monument civil tel que riiotcl de ville de Saint-Quentin, offre en- core quelque doute aux esprits précis qui veulent avoir la preuve de la signification des moindres détails, le chanoine Charles de Bovelles, par une énigme riniée qui détermine la date de la construc- tion du monument, les aidera à comprendre le sens général de ces figurines.

L'édifice terminé, une plaque de cuivre fut en- châssée dans un des piliers de la façade de l'hôtel de ville de Saint-Quentin. Sur cette plaque on lisait :


D'un mouton et de cinq chevaux

Toutes les lettres prendez, M CCCCG

Et à icelles, sans nuls travaux,

La queue d'un veau joindrez V

Et au bout adjouterez

Tous les quatre pieds d'une chatte. IllI

Rassemblez, et vous apprendrez

L'an de ma façon et ma date. M CGCCC VIIII (1509)


Ces cinq chevaux, les quatre pieds de la chatte, la queue du veau, n'offrent-ils pas de l'analogie avec les hizarres sculptures du monument? L'ar- chéologue doit y chercher moins de rime et pas plus de raison. L'esprit confus mais jovial d'alors don-


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 23 |

nait naissance à la plupart des figurines qu'à tort/ je crois, nous appelons satiriques.

J'ai déjà longuement insisté sur ce point et ne crains pas d'y revenir. L'art des tailleurs de pierre n'était pas si compliqué du côté de la conception qu'on le dit. C'est un art inconscient, naïf, auss^ innocent que l'enfant qui lève sa chemise en public.

De même que les maçons inintelligents qui re- couvrent de plâtre de délicates sculptures, nous avons entouré cet art de bandelettes symboliques ; mais le moment est venu de gratter l'épais badi- geon du symbolisme, qui lui enlève sa netteté de lignes, sa franche signification.



Figurine de la façade de l'hôtel de ville de Saint-Quentin.


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CHAPITRE XV


LES STALLES DES EGLISES



On a retrouvé à Rouen des regis- tres de comptes tenus par les fa- briciens des églises, qui détaillent, sol par sol, ce que coûtait l'œuvre de hucherie d'une cathédrale, quels étaient les maîtres liuchiers, leur pays, le salaire des ouvriers employés par eux. Vers la fin du moyen âge circulaient en France des sculpteurs en bois. Flamands pour la plupart, qui allaient offrir leurs services aux constructeurs de cathédrales. Ils entreprenaient habituellement les chaires et les stalles pour un prix fort modique, 25 sols par figure, n'étant regardés que comme des sculpteurs ([a poupées. Tel est le nom que les archi- tectes dormaient à leurs caprices ornementât ifs. Les prêtres, fatigués de se tenir debout pendant


HISTOIRE DE LA CARICATURE AU MOYE^' AGE 253

toute la durée des offices, eurent l'idée de se repo- ser sur des stalles mobiles, ingénieusement appe- lées miséricordes, offrant un banc étroit pour s'as- seoir et des accoudoirs sous les bras. Comme le chœur où siègent les prêtres est l'endroit qu'a choisi l'Église pour déployer toutes ses pompes, des planches de bois nu eussent juré avec les dallages de marbres, les vitraux éclatants, les lutrins de fer ouvragé et les richesses de l'autel : l'archi- tecte pensa naturellement à faire ornementer ces stalles.

C'est là que se donna carrière la fantaisie des tailleurs en bois.

En relevant sa stalle et en l'abaissant, plus d'un prêtre put s'y regarder comme dans un miroir, assis sur ses péchés, accoudé sur ses vices.

Au quinzième siècle, la sculpture ornementative semble ne relever que d'elle-même. Les compa- gnons flamands apportaient avec eux un répertoire de sujets profanes, sans se préoccuper du lieu sacré pour lequel ils travaillaient. Sur cinquante sujets empruntés plus liabituellement à la vie réelle, on peut en détacher une douzaine de fantasques, de cyniques et de bouffons. Le clergé ne croyait pas que quelques facéties pussent faire tort à la reli- gion : ce qu'on cherchait surtout dans l'ormenta- tion de ces stalles était la rupture d'angles trop

20.


25i HISTOIRE

austères. Des caprices se déroulèrent le long des accoudoirs formant d'agréables courbes : quant à ce que sculptait l'ouvrier sur les miséricordes, le chapitre n'y regardait pas de près.

Dans l'ensemble de ces fantasques manifesta- tions répandues sur les stalles des églises de Champagne, de Normandie, de Picardie et même de Bretagne, je vois, des sortes de clichés que les Flamands reproduisaient sans s'inquiéter si telle province était plus pieuse que telle autre ; leur répertoire n'offrant pas une extrême variété, ils le portaient aussi bien au Nord qu'au Midi, à l'Est qu'à l'Ouest.

Ces sculpteurs de « poupées, » dont l'idéal était la représentation de ce qu'ils avaient vu et ressenti, taillaient d'ordinaire sur bois l'événement du jour, la dernière apparition du démon, le mari battu par sa femme, le moine surpris causant de trop près avec une religieuse, la gausserie qui courait le pays, les croyances populaires relevées d'un grain de malice.

Parfois ces sculptures semblent un écho des sé- vères admonestations des évêques dans les con- ciles. La robe ne gare pas tous les prêtres des pas- sions. Plus d'un manqua à sa chaste mission. Qui sait môme si, en de certains cas, la façade des cathédrales ne fut pas choisie par les évêques


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Détail de stalle de la cathédrale de Saint-Pol de Léon, d'après un dessin de M. Léon Gaucherel.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 237

comme un pilori où devait éti-e exposée, tant que la pierre durerait, l'action du coupaljle !

Tout esprit sans préjugés admettra, en lisant le fait suivant, comment certains actes luxurieux purent être traduits par le ciseau sur les monu- ments de cette époque.

Dans le Poitou, à l'abbaye Chièvrjs-Faye, un moine appelé Pigière manqua un dimanche à l'heure de la messe. « Si demandoit l'en partout cellui Pigiere, et ne povoit estre trouvé. Mais toutefois tant fut quis (^t cherchié qu'il fut trouvé en l'esglise en un coingnet sur une femme, embessonné, et ne se po- voient départir l'un de l'autre. »

Tel est le texte exact du Livre du chevalier de la Tour Landry pour V enseignement de ses filles, au chapitre intitulé : « Du moine qui fist fornication en l'esglise. »

Un semblable « enseignement » donné à des filles de haute condition, dans un traité spécial d'éduca- tion, prouve que les demoiselles les plus chastes de cette époque n'ignoraient rien, qu'on pouvait tout leur dire sans les froisser, et que vraisemblablement la représentation de semblables scènes par la sculp- ture était admise comme moyen de moralisation.

Mais le chevalier de la Tour Landry ne conte pas cette histoire à ses filles pour le plaisir de conter, et il en tire la morale suivante : « Se fut moult


258 HISTOIRE

grant exemple comment l'on se doibt garder de faire mal pechié de délit de char en l'esglise, ne d'y par- ler de chose qui touche celle orde matière, ne s'y entre-regarder par amour, fors que par amour de mariaigc. »

La morale sans doute ne ressortait pas aussi visi- blement de la sculpture ou du moins ne la voyons- nous pas aujourd'hui si directe; et cependant, comme dans les Bibles manuscrites, où souvent de pareils sujets sont représentés sa^ns voiles à côté de sujets pieux, on peut dire que l'enseignement par les murs des cathédrales était le même, et que ces images de fornications, si libres qu'elles fussent, étaient une leçon à l'usage du peuple et le plus souvent des moines.

C'est dans les pays où se produisirent de pareils scandales qu'il faudrait chercher si, à l'époque où ils eurent lieu, les sculpteurs ne traduisirent pas ces légendes sur la pierre des monuments qu'ils avaient à ornementer. Qui étudierait de près les églises du Poitou du quatorzième siècle trouverait peut-être trace d'une sculpture représentant la luxure du moine Pigière, quoiqu'à la suite du scan- dale, provoqué par ses actes, il eut quitté l'abbaye de Chièvre-Faye.

D'autres motifs encore purent donner naissance à ces ornementations satiriques.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 239

Nombre d'ordres religieux se jalousaient alors entre eux. L'orgueil, la vanité, la raillerie ne sont pas exclus du cœur des hommes d'Église. Les cathédrales riaient des abbayes, les abbayes raillaient les ordres mendiants. Cela se lit quelque- fois sur la pierre et le bois.

Un archéologue qui a voulu voir clair dans ces questions, M. de la Sicotière, a analysé quelques- unes des stalles de l'église de Mortain, et parmi les sujets difficiles à expliquer, cite le suivant :

« Un individu, dont la chevelure rasée sur le front est collée sur les joues comme celle d'un moine, est assis sur le dos d'un animal monstrueux, le visage tourné vers la queue de sa monture, dans l'attitude de la frayeur ou même de la fuite. Il tient à deux mains, jeté sur son épaule, un sac pas- sablement garni; L'animal est presque entièrement couvert par les habits flottants de son cavalier; on ne distingue que deux pattes armées chacune de trois griffes et une grosse tête largement fendue comme celle d'un crocodile. De sa langue démesu- rément longue' et recourbée, il lèche le dessous d'un moulin à vent; ce moulin se compose d'un carré flanqué de quatre ailes en sautoir, avec une ouverture au milieu garnie de losanges et coiffée d'un petit chapiteau.

« Quel est le sujet de cette singulière allégorie?


240 HISTOIRE

se demande l'archéologue. Les stalles de Corbcil offrent bien un nieuiiici' (jui chemine gravement sur son àne, un sac sur la tète. Ici on dirait presque un voleur qui se sauve avec le produit de son vol, tandis que le démon de la convoitise qui l'a guidé lèche encore, en signe de regret, le moulin dé- pouillé ; mais quel serait le voleur ? (On sait que



D'après Breughel d'Enfer.


les meuniers ont depuis longtemps le privilège de servir de type aux caricatures et aux plaisanteries populaires dirigées contre les fraudeurs). Ne pour- rait-on voir aussi dans cette carie dure un trait s.i-


DE LA CARICATURE AU MOYE>' AGE. 241

liriquc contre les moines et le clergé, qui ruinaienl en dîmes et en exactions le pauvre laboureur ? »

Il est souvent dans les œuvres satiriques des dé- tails troublants autant par leur surabondance que par leur bizarrerie : le meilleur commentaire est encore la description même; j'essayerai cependant de donner une interprétation de cette stalle de Mor- tain en la mettant en regard d'un détail emprunté à une planche de la série des Vices composé par Brcugiiel d'Enfer; c'est le même sentiment baroque, la môme raillerie symbolique plus compliquée que légère, et comme il est présumable que la stalle de Mortain décrite par M. de la Sicotière est d'un scul- pteur flamand, l'analogie avec les bizarreries trou- blantes de Breughel s'en déduit facilement.

A l'église de Mortain, on voit encore sur une stalle deux tètes de Fou accolées, semblables à celles de l'ancienne église des Mathurins de Paris, têtes que Millin avait prises pour des têtes de moines. C'est le même sujet fréquemment répété dont je donne un dessin d'après une miséricorde de la collégiale de Champeaux. Trois personnages à face de bonne humeur paraissent être une sorte de traduction du dicton : trois têtes dans un même bonnet. Deux oreilles énormes sortant du coqueluchon semblent augmentées de l'étoffe de celles qui manquent aux autres personnages.

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242 HISTOIRE

D'autres miséricordes satiriques de Mortain sont égalenieut décrites par l'arcliéologuc ; mais elles



stalle de la collégiale de Champeaux (xvi' siècle).


n'ont pas l'importance de celles de Saint-Spire, dont il sera parlé plus loin. Suivant M. de la Sicotière, les stalles de Mortain sont de la môme date que celles de Rouen, sculptées en 1457, par Philippe Viart, maître huchier, qui recevait polir ce travail cinq sols dix deniers par jour, quand ses compa- gnons n'en touchaient que la moitié.

« Quel était le but que se proposaient les artistes qui sculptaient ces caricatures grossières?... Ne se- rait-ce qu'un dévergondage d'imagination, qu'une débauche d'esprit? » Telle est la question que se pose encore M. de la Sicotière. — Oui, répondrai-je^ il y a plutôt débauche d'esprit, et il serait facile de le prouver si on pouvait donner en regard les sin" gularités des diverses stalles de cathédrales.

Celle-ci, qui provient également de la collégiale


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 243

de Chnmpeaiix, n'est-elle pas déroutante par le jeu (ou plulotlc jet), que se permet ce petit bonhomme




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Miséricorde de la collégiale de Champeaux (Seine-et-Marne) (xvr siècle), d'après un dessin de M. Gh.Fichot.

à travers un van? Rembrandt seul a pu, grâce à sa pointe fantastique, dessiner de semblables croquis, et quoique le motif de cette stalle soit sans doute unique dans nos églises, il en était d'autres de même nature qui, au commencement du seizième siècle, indignaient l'abbé du monastère de Formbach, An geins Rumplerus.

Reprenant les arguments de saint Bernard, le pieux Bavarois, à propos de certains détails licen- cieux de l'église de Mûnichwald, disait : « Si une jeune fille regarde une telle peinture, est-ce que sa pensée ne va pas rêver, et ne s'ingéniera-t-elle pas à vouloir connaître ce qu'elle voit représenté sur le mur ? C'est ainsi et dans le même but qu'autrefois les peintres exposaient aux regards un Priape et un


244 HISTOIRE

Jnpilcr. Mais il serait nécessaire qu'on fît ici ce que dit Virgile : « Kloignez-voiis d'ici, chastes matro nés : — il est honteux que vous lisiez d'impudiques paroles; — (les hommes) n'y prennent pas garde et passent sans s'arrêter. — Ils savent bien ce que c'est; — mais il y a des femmes qui aiment à... »

Interprétation finale qui ne peut décemment qu'être donnée en latin :

Matronœ, procul hinc abite, castse : 'Jurpe est vos légère impudica verba ; Non assis faciunt, euntque recta : Nimirum sapiunt, videntque magnam Matronee quoque meiitulara libenter *.

« Qu'on examine nos stalles, nos vitraux, les chapiteaux de nos colonnes, les miniatures de nos manuscrits, partout le bouffon, le grotesque, l'ob- scène môme, ajoute M. de la Sicotiôrc ; partout, comme à Mortain, les monstres de masques les plus horribles qu'ait pu rêver une imagination en dé- lire, exposés avec complaisance aux regards de la foule; partout le costume monastique ridiculisé, caricaturé de la manière la plus grossière, au pied môme de l'auleP. »

  • (', Cette priapée, m'écrit le fidèle secrétaire de Sainte-Beuve qui,

plus d'une fois en compagnie de l'aimable académicien, vint à mon aide dans ces recherches, ne se trouve dans aucune édition com- plète de Virgile; elle a été recueillie dans ]'Eroiropœgnlo?i de Noël. )>

- Les stalles de l'église de Mortain (Manche). Bull, momun., 1859.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 245

Ce cosluinc monasliquc ridiculisé dans les églises mêmes, il ne faut pas cependant lui donner trop d'importance : la satire monacale entre tout au plus pour un vingtième dans l'ensemble de l'ornementa- tion de ces stalles, où sont représentés plus parti- culièrement les divers corps d'état entremêlés, je l'ai déjà dit, de diableries, de grimaces de fous, de ressouvenirs du Roman de Renart, d'allusions à quelques scandales domestiques.

A prendre pour exemple les stalles de la cathé- drale de Rouen, exécutées au quinzième siècle, si on en excepte un sujet ayant trait au célèbre Lai



Le Lai d'Aristote. — Slalle de Rouen K

cVAristote et certains caprices, tels que des femmes cliimères, qui appartiennent plutôt à la famille des

  • Le treizième siècle supposait qti'Aristote, amoureux d'une cour-

tisane, s'était Laissé seller comme un cheval, et qu'il portait à quatre pattes, jusqu'au palais d'Alexandre, la femme qui le fouettait. Ce conte, imaginé comme preuve de la diabolique puissance des femmes, est sculpté sur divers monuments religieux et civils du Moyen âge et de la Renaissance : à Lauzanne, à Lyon, à Rouen, à Paris.

21.


24!) JIÏSTOIRE

mascarons, la plupart des miséricordes se rappor- tent aux corporations de chirurgiens, de tondeurs, lameurs, épinceurs de drap,* etc.

Quelques archéologues ont pensé que les profes- sions représentées sur les stalles symholisaient les corps d'état qui avaient concouru par leurs aumônes à mener à bonne fm ces ouvrages de hucherie. J'ai moi-même cru un moment que les personnages marquants des corporations avaient droit à s'as- seoir dans le chœur sur des stalles représentant les emblèmes de leur profession : tout est hypothétique dans ces matières. En première ligne toutefois, on peut mettre sur le compte du caprice des artistes l'ornementation des miséricordes et des accoudoirs.

D'autres spécimens intéressants de monuments semblables se voient à Saint-Martin-aux-Bois, dé- crits par l'abbé Barraud.

Sur une de ces stalles « un moine se livre à de profondes contemplations; mais on s'aperçoit à l'état de son visage qu'il est saisi d'une frayeur su- bite à la vue des monstres horribles qui s'offrent à ses yeux. L'enfer n'en a jamais vomi de plus hi- deux. Celui-ci a l'échiné fortement élevée, baisse la tête, grince les dents et s'apprête à dévorer la proie qui va s'offrir à lui. Celui-là replie sous son ventre une énorme queue, qui se termine en avant par une gueule de monstre marin. Un troisième, séparé




DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 247

du précédent par une tête de femme couverte d'un long bonnet flottant, a le corps d'un quadrupède, la tète, la poitrine et les bras d'un homme : de son menton pend une barbe épaisse, qui se divise en deux touffes et qu'il saisit à deux mains. Un qua- trième, semblable à une truie, joue de la corne- muse, tandis que ses petits pendent à ses mamelles.

»

Une tète d'homme, à longue chevelure et à bonnet replié, termine cette rangée.

c( A gauche se continue la suite des animaux gro- tesques. La marche est ouverte par un quadrupède à longue queue, à la suite duquel s'avancent un singe armé d'une énorme massue et un mammifère à tète d'oiseau qui parait vouloir s'élancer vers le ciel. Puis se présentent successivement un énorme crapaud armé d'une cuillère avec laquelle il puise dans une ample soupière placée devant lui, une lourde vache jouant de la musette et un singe agi- tant ses doigts sur les touches d'une vielle, dont il fait également tourner la manivelle. Ces curieux musiciens ont à leur suite un animal chimérique qui se replie sur lui-même et se présente aux spec- tateurs dans une pose hideuse. Enfin vient la Mort, avec ses traits horribles, couverte d'un ample man- teau, et derrière elle un griffon ^ »

Comme à Saint-Spire, une fille en habit de reli-

^ Bull, monument., t. VIll, p. 0.


248 HISTOIRE

giciisc scie le diable par le milieu du corps (voy. ligure de la p. 104). Sur une autre stalle, des ours dansent aux sons d'une nuisette dans laquelle souffle un de leurs confrères.

L'abbé Barraud voit dans ces figures la personni- fication de l'oi'gueil, de la volupté, de l'amour de la table, de la liaine et des plaisirs mondains. Pour moi, je viens de feuilleter une fois de plus les Ten- tations et les Diableries du prédécesseur de Breughel, Jérôme Boscb. Les compositions du vieux maître, populaires au quinzième siècle, semblent l'alphabet dans lequel étudièrent les imagiers.

L'application à un motif déterminé n'apparaît réellement que dans les deux créations qui émurent le moyen âge et la renaissance, c'est-à-dire le Ro- man de Renart et la Folie telle qu'elle ressort des œuvres de Brandt et d'Érasme.

Habituellement, côte à côte des figures bibliques et profanes, on remarque sur ces stalles des têtes de fous à bonnets ornés de grelots ; des évoques mitres se mêlent sur les accoudoirs à des animaux, des singes, des figures grotesques. Certains archéolo- gues regardent ces singuliers assemblages comme des allusions aux vices du clergé ; le comte de Soul- trait pense, et je suis de son avis, que ces repré- sentations sont un souvenir des Fêtes de foiis^ La

  • Bull, monument., t. XVIII, p. 1 05-100.


DE LA CAUICATIRE AU MOYEN AGE. 2i9

plupart (lu temps, de petites figurines ou des bustes rappellent la mère-sotte ou quelque personnage de ces cérémonies burlesques.

Parmi les curieuse^ stalles de Saint-3j)ire de Corbcil, qu'heureusement Millin fit dessiner avant leur destruction, on voyait un évoque tenant une marotte dans la main. C'est toujours l'évéque des Fous.



Stalle de l'église Saint-Spire de Corbeil.

Sur une autre miséricorde du même monument un personnage, coiffé d'une sorte de chapeau à cor~ lies, joue avec un homme à un jeu appelé pet-en- gueule. Le mot dispense d'une analyse.

Quelques-uns de ces motifs traditionnels se re- présentent dans divers monuments. A Saint-Spire' quatre rats grignotent un globe surmonté d'une croix; d'autres rongeurs, dont on n'aperçoit (|ue


250 HISTOIRE

les tètes et les queues, ont fait de ce globe une sorte de fromage où ils se sont retirés. Dans la même série de stalles, est représenté un homme coiffé d'un bonnet de docteur et dont la figure ex- pressive exprime la trace de pensées doctorales ; ce personnage porte sur son dos un globe semblable. Millin dit qu'il existait dans l'église Saint-Jacques, à Meulan, un bas-relief absolument identique, et le consciencieux archéologue ajoute : « Sujets bizar- res, qui sont autant d'énigmes, parce qu'on n'est pas au temps où ils ont été exécutés.



Miscricorde de l'ancienne église de Saint-Spire de Corbeil.

Cet aveu de l'impuissance de l'archéologie à la fin du dernier siècle ne se reproduirait guère au- jourd'hui. Millin n'expliquait peut-être pas assez; nous expliquons trop quelquefois, dissertant à l'in- fini sur des sujets d'une médiocre importance. Ce- pendant cette stalle symbolique a besoin d'être élu-


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 251

cidée ; elle se trouve dans diverses autres églises, et je partage l'opinion de Duchalais, qui, dans un article plein de sens S voyait dans les rats grignotant le globe les vices qui rongent le monde et finissent par le détruire.

Si on ajoute à ces sujets divers des représenta- tions de métiers de l'époque : apothicaire, porteur de bois, moissonneur, berger, tailleur de pierre, boulanger, alchimiste, etc., il sera facile de se faire une idée du répertoire des tailleurs de poupées dans les églises. Presque partout, en province, les sculp- teurs en bois répètent les mêmes motifs facétieux et satiriques ayant trait aux mœurs. Paris offre seul quelques dissemblances, les ouvriers flamands n'y ayant sans doute pas exercé leur industrie.

Je note, parmi les curiosités de l'ancienne église des Matliui'ins, une stalle représentant un vieillard tournant un tournebroche qui porte un morceau de viande dont l'homme recueille la graisse avec un pochon ; sous la table est caché un enfant qui veut goûter au jus. Détail de mœurs moins comique que le suivant, décril^par Millin, qui s'étonne de le ren- contrer dans le lieu saint : « Un fabricant de par- chemin à qui le diable montre le cul. »

Les artistes du quinzième siècle n'avaient pas

  • Revue archéologique, 18 i8.


252 HISTOIRE

notre délicatesse. Luthériens et papistes ont autre- ment insulté le diable.

L'église des Saints-Gervais-et-Protais , dont les stalles offrent certaines analogies avec celles de Rouen, en possède quelques-unes d'un profane en- core plus vivement accusé.

Sur une miséricorde des basses-formes un Fou folâtre avec une femme, dont la robe est retroussée. « Triste allégorie montrant le dénûment des vertus et la bassesse des habitudes, » dit à ce propos un archéologue ^ Je crains bien que M. Troche, au- teur de cette interprétation, ne soit souvent irrité par la vue de semblables sujets dans les cathé- drales.

Une autre stalle de la même église représente une femme nue dans un bain ; un homme se déshabille, de la main caresse le menton de la femme, et sans plus de façons entre dans sa baignoire. M. Troche croit qu'il s'agit d'un mari qui, en compagnie de son épouse, se livre à un rafraîchissement hygié- nique.

Je ne sais pourquoi l'idée d'un galant s'est pré- sentée à mon esprit. Et cependant, comment l'église des Saints-Protais-et-Gervais a-t-elle pu accueillir la mise en scène d'une semblable aventure ?

  • Revue archéol., 0 année, 1855,


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 253

Des miséricordes de la môme église, les unes per- sonnifient des martyrs et des évangélistes ; les au- tres consistent en animaux et en masques capri- cieux de truie, de sirène, de chien, de vieillard, de lion, de jeune fille et d'aigle; mais, comme dans les monuments décrits plus haut, une partie des stalles est consacrée aux divers corps de métiers : cordonniers, rôtisseurs, hateliers, etc.

Cette scène de hains ne serait-elle pas la repré- sentation d'un intérieur de baigneur à la fin du quinzième siècle? C'étaient habituellement des mai- sons mal famées ; elles sont signalées par les an- ciens chroniqueurs comme des lieux de rendez-vous » semblables à ceux qui existent encore actuellement à Berne. Il se peut que les artistes inconscients, qui naïvement taillaient les stalles des églises, ayant à faire figurer le baigneur parmi les corps d'états, n'aient pas trouvé mieux, pour peindre ce qui se passait dans ces endroits, que de mettre en lumière une baignoire, une jeune dame et son heureux sou- pirant.

Le même archéologue qui a étudié particulière- ment les stalles de Saints-Gervais-et-Protais donne encore la description d'une miséricorde de la même église : « Un fou sans gêne, coiffé du capuchon à oreilles d'âne, pousse l'oubli de la décence jusqu*à venir se poser, pour satisfaire dame nature, devant


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254 HISTOIRE

la porte d'une maison habitée. A la fenêtre du rez-de- chaussée se montre un personnage indigné qui tenait probablement un objet menaçant; mais un pudique ciseau a profondément labouré cette grossière com- position due aux mains naïves de nos ancêtres ^ »



Miséricorde de Féglise Saint-Gervais-Saint-Protais.

En Angleterre, on trouve nombre de ces stalles représentant plus particulièrement des scènes d'a- nimaux imitant les actions de l'homme. Rutter, dans son livre Delineations, cite les miséricordes de l'église d'East-Brent (Somerset), de Stampford, de Saint-Pierre de ^'ortliampton -.


  • Il est fâcheux que Paris ne possède pas un musée de moulages

des principaux détails de monuments religieux du moyen âge. Les Anglais, mieux avisés, nous en ont donné rexem})le : l'administra- tion de Kensington a fait mouler en France un certain nombre de nos stalles ayant trait à l'histoire des mœurs»

2 Voir quelques anciens dessins du monastère de Sherbone, en Angleterre, dans les Spécimens de sculptures anciennes^ de Carter.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 255

Les accoudoirs et les miséricordes de la cathé- drale d'Ulm, dont les figures furent sculptées de 1469 à 147.4 par Georges Surlin (ou Syrlin), présen- tent une ornementation de végétaux, d'animaux et d'êtres plus on moins humains. De beaux ceps de vigne et des tiges de houblon se marient avec des tournesols et des chardons en fleur. A travers cette végétation luxuriante on voit ramper des dragons, courir des chiens, bondir des lions, grimper des écureuils et des singes, percher des coqs et des hiboux, voler des griffons, planer des aigles. Des escargots se traînent sur des feuilles de chou ; des faces humaines font la grimace ou tirent la lan- gue. Au milieu de tout ce monde, naturel ou fantastique, une femme échevelée lève ses jupons, un petit homme grotesque commet une saleté ; « mais, dit M. Didron, les indécences et les grimaces sont en général plus rares que dans nos stalles de France ^ »

Il est d'autres stalles plus caractéristiques. Alors qu'éclate la Réforme, l'Église sent le danger de pa- reilles doctrines et, voulant lutter avec la violence de ses adversaires, elle représente sur une stalle de Saint-Sernin de Toulouse le plus grossier des ani- maux avec le nom du père de la secte calviniste.

  • Annales archéol., t. IX.


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CHAPITRE XVI


LA CATHEDRALE AU MOYEN AGE



11 peut parnîtrc'd'iin double em- ploi de revenir une fois de plus sur les cathédrales, après les avoir étu- diées dans leur ensemble et leurs détails.

La pierre n'a pas assez clairement parlé : elle balbutie et ne tient pas le langage précis que je sou- haite. J'ai soif pour mes lecteurs comme pour moi d'affirmations et non de demi-aveux, de faits posi- tifs et moins confus. A chaque page de cet ouvrage et à mesure que j'arrivais à la conclusion, je voyais poindre de faibles lueurs, mais pas encore la lumière éclatante.

Sans fatiguer plus longtemps les lecteurs de mes


HISTOIRE DE LA CARICATURE AU MOYENS AGE. 257

inquiétudes, je note la pensée sociale qui décida de l'érection des cathédrales ; et sans donner ce sys- tème comme absolu pour toute la France, on peut regarder les cathédrales du Nord, au moyen âge, avec une piété particulière, comme le souvenir le plus vivace élevé par nos ancêtres. C'est le temple consacré à Dieu, c'est surtout la maison commune de nos pères, l'endroit où furent consacrés leurs droits civils, le tribunal épiscopal déjà plus équi- table que la juridiction seigneuriale.

« A la fin du douzième siècle, l'érection d'une cathédrale, dit M. Viollet-le-Duc, était une protesta- tion éclatante contre la féodalité. »

La cathédrale semble en effet le signe visible et réel de l'affranchissement des communes. Partout où les tours d'un monument portent de grandes ombres, c'est que la commune a secoué le joug féodal. La cathédrale, à cette époque, fut l'endroit où le peuple croyait défendre son âme contre les entreprises du démon, où il était plus certain de protéger son corps et ses biens contre les exigences féodales, monastiques et séculières.

On voit quelques monuments consacrés au culte, surmontés de tours crénelées qu'élevaient, dans de certaines circonstances, les citoyens pour se dé- fendre contre les seigneurs. Forteresse religieuse contre forteresse civile, pourrait-on ajouter, si

22.


258 HISTOIRE

on n'avait pas abusé de semblables affirmations.

Ce fut à cette époque que saint Louis, montant sur le trône, trouva de fidèles alliés dans le clergé qui acceptait le principe de l'autorité monarchique pour contre-balancer les privilèges exorbitants des seigneurs féodaux et des abbés des grands monas- tères : en toutes choses, ceux-ci réclamaient la part du lion.

L'érection des grandes cathédrales entre 1180 et 1240 fut donc, ajoute M. VioUet-le-Duc, « l'expres- sion d'un désir national irrésistible ^ »

Entre le douzième et le treizième siècle, le peuple trouva un enseignement religieux et littéraire dans les cloîtres des cathédrales, qui unissaient l'ensei- gnement à la défense, la défense au droit d'asile. De grandes pièces nues, carrées et sans ornements, s'ouvraient sur les galeries à jour qui bordaient le premier étage des nefs de certaines églises ; là le peuple emmagasinait des fourrages ; les pèlerins et les voyageurs y trouvaient asile. Le monument com- portait l'hommage à Dieu, le lieu pour abriter sa tête, l'endroit qui sert aux réjouissances ; sous les voûtes sacrées le peuple priait, se reposait et se divertissait.

c( Les cathédrales n'étaient pas seulement desti-

  • Il faudrait citer tout entier l'important chapitre Cathédrale

du Dictionnaire d'architecture.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 259

nées au culte, dit encore M. Viollet-le-Duc ; on y tenait des assemblées, on y discutait, on y ven- dait, et les divertissements profanes n'étaient pas exclus. »

Si le peuple fit acte de piété en prêtant ses bras aux architectes laïques qui élevaient ces grandioses monuments, on peut dire qu'en même temps il songea à ses propres besoins ; aussi il est illogique le système actuel de restauration qui consiste à dégager la cathédrale des ruelles et des petites maisons des alentours. On comprend mieux en voyant ces humbles constructions quel effort fit le peuple pour donner naissance à une architecture grandiose ; on sent quelle reconnaissance enflam- mait ces cœurs, qui faisait qu'à l'heure dite nais- saient du sein de petites gens de grands artistes pour élever ces colosses de pierre.


Plus d'une fois j'ai regardé les cathédrales, cher- chant le secret de leur déroutante ornementation, et chaque motif que j'en détachais pour éclairer mon texte semblait détaché d'une langue inconnue.

Que penser d'une étrange sculpture, cachée dans


20 HISTOIRE

l'ombre crun pilier de la cathédrale souterraine de Bourges? Peut-il se trouver une imagination assez paradoxale pour déterminer la relation d'une si énorme facétie avec le lieu où elle s'étale ?

Je craindrais d'affirmer que ce sujet soit unique : il est rare en tous cas et prête à penser, car quel est l'être grave qui, s'arretant devant cette singu- lière ornementation d'une église, ne réfléchira plu- tôt qu'il ne sourira?

Sans m'inquiéter des modifications produites par un fait isolé, qui plus tard pourra être éclairci par la vue d'autres sculptures du même ordre, je clas- serai le cul- de-lampe dans la famille des Caprices individuels, d'accord avec un critique, qui me sou- mettait l'explication la plus simple, c'est-à-dire une sorte de rébus provoqué logiquement par l'em- ploi architectural de cette sculpture.

La question de Caprice et de Fantaisie, de Satire et de Caricature a préoccupé d'ailleurs dans ces derniers temps les esprits chercheurs, et un ar- chéologue vendômois, M. de Salies, répondait à plus d'une question en se la posant à lui-même dans un Mémoire intéressant : La représentation satirique a-t-elle existé dans les monuments du moyen âge * ?

Un numismate, M. L. Cartier, dans un discours

' Bulletin de la Société archéologique du Vendômois. Vendôme, 1869, in-8 de 29 pages.



1(^1


Sculpture de la cathédrale souterraine de Bourges,

d'après un dessin communiqué par M. Bailly,

architecte chargé de la restauration

du monument.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 205

prononcé en 1847 au Congrès scicnlifique de France, se demandait également si, à mesure que le sym- bolisme écrit se développa, les artistes le réali- sèrent, si du langage et de l'écriture les images passèrent dans l'art. M. de Salies reprend un à un les textes des hagiograplies, les discute en les con- frontant avec les monuments, et fait remarquer avec raison que le symbolisme qui existait à l'état de doctrine n'eut qu'une faible part dans les repré- sentations peintes et sculptées au moyen âge.

Il tient ces images satiriques comme but de mo- ralisation admis par l'Église, comme un musée profane et sacré où les vertus et les vices étaient sculptés en pleine lumière.

« Qu'on ne s'étonne donc plus, dit M. de Salies, de voir le temple clirétien accueillir les représenta- tions satiriques et ces grandes masses de peuple qui se portaient sous ses voûtes. En toute occasion, il fallait parler aux gens; il fallait, parla sculpture, la fresque et le vitrail, flétrir ce qu'il y avait d'exorbitant dans tel ou tel acte saillant de l'époque ou de la localité, bafouer, stigmatiser tel ou tel per- sonnage fâcheusement connu. C'était la corrélation de ce qui se pratiquait dans un autre ordre d'idées, lorsqu'on retraçait la figure des saints, des bienfai- teurs de l'église ou de ses défenseurs. »

Quand les archives auront été fouillées plus pro-


'264 HISTOIRE DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE.

fondement, que la province aura publié un certain nombre de monograpliies, on déterminera plus nettement la signification des figures satii'iques des églises, des monastères, des couvents qui se fai- saient cette guerre d'épigrammes.

Le clergé séculier était, au treizième siècle, en lutte ouverte avec les grands monastères, qui jusque-là avaient concentré toute la puissance ecclésiastique.

« Les couvents, dit M. de Salies, qui sentaient passer dans les mains de l'épiscopat le pouvoir qu'ils lui avaient si longtemps disputé, représentèrent j usque sur les vitraux des églises des évêques em- portés par le diable. Dans les églises séculières, on leur répond en peignant ou sculptant des renards vêtus en moines et prêchant des poules. On va plus loin : on l'eprésente des scènes lubriques, dans les- quelles le moine joue le rôle principal. »

Pour citer un exemple, Adam Châtelain, évoque du Mans, fait défense à Pierre de Chàtillon, titulaire de l'abbaye de Gué-de-Launay, « de hanter ainsi que ses religieux, les cabarets, brelans et autres lieux publics, à peine d'excommunication. » Peut-être trouverait-on trace sur une église de Normandie, de la représentation de Pieri'e de Chàtillon et de ses compagnons, les moines francs-buveurs, qui atti- raient sur leur conduite les foudres de l'évêquc du


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CHAPITRE XVII


DEROUTE DU SYMBOLISME



Le premier chapitre de cet ouvrage énonçait la vanité du symbolisme. 11 est utile qu'un des derniers soit con- sacré à sa défaite. J'ai donné avec des preuves gravées les inductions et les dé- ductions si particulièrement ingénieuses des symbolisateurs ; il faut leur porter les derniers coups, montrer quelles fumées remplissent leur imagination, et s'appuyer sur le terrain de la réalité, le seul qui ne fonce pas sous les pieds.

Les défenseurs du symbolisme chrétien se trou- vant parfois en face de ligures satiriques ou ob- scènes dont le sens est trop clair, avouent alors qu'il y a « aberration de la symbolique » ; mais d'habitude ils se piquent de ne jamais être pris sans explication, et rappellent un certain Gobineau de Montluisant, gentilhomme chartrain, qui avait ap-


'25


266 HISTOIUE

})liqué aux sculptures de la façade de Noire-Dame un système, suivant lui, foi't ingénieux.

Ces sculptures étaient, disait-il, un hommage rendu à la science hermétique du moyen âge.

Le triomphe de saint Marcel écrasant le dragon, bas-relief du portail de droite, témoignait de la découverte de la pierre pliilosophale. La gueule et la queue du dragon représentaient le fixe et le vo- latil. Le Père éternel, étendant les mains vers deux anges, c'était le Créateur tirant du néant le souffle incombustible et le mercure de vie.

Voilà ce qu'avait trouvé Gobineau de Montlui- sant, à lui seul.

L'étymologie moderne, qui a fait irruption dans la langue hébraïque, donne quelquefois des résultats semblables à ceux obtenus par Go- bineau de Montluisant. Je prendrai pour exem- ple le mot magot; quoiqu'il ne soit pas employé habituellement en archéologie, les révérends Pères Cahier et Martin s'en servent pour désigner les figures grimaçantes qui se voient au haut des églises.

« Magot vient de magog, disent-ils; c'est le gog et le magog de l'Écriture sainte, mots mystérieux qui désignent les auxiliaires de Satan contre Jésus- Christ. Ce mot magog est hébraïque...

« Les commentateurs de l'Écriture au moyen âge


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 267

ont souvent observé que, décomposé clans sa signi- fication hébraïque, magog signifie du toit,

« Cette décomposition grammaticale se prêtait aux idées des architectes chrétiens sur l'exacte traduc- tion en langage architectural du double sens moral et matériel que renferme le mot église pour les peuples catholiques.

« Rapprochée d'un texte où saint Paul parle du dé- mon sous le nom de prince de Vair, cette expression hél}raïque de magog conduisit à peupler de monstres



Gargouille


de l'abbaye de Saint-Denis (xiii' siècle).

fantastiques les chéneaux et la galerie aérienne des églises. Là, ces magots, grimaçant du haut des toits ou des clochetons, figurèrent les légions de l'ennemi du salut qui planent sur la tête du fidèle pour l'é- carter du droit chemin, et contre lesquelles il n'est de vrai refuge ou de remède que dans l'Église*. »

  • Mélanges (V archéologie, d'histoire et de littérature, par Ch. Ca-

hier et A. Martin. In-4°, t. I".


268 HISTOIRE

Le malheur est que cette science étymologique tombe devant une observation faite par M. de Salies, qui a remarqué à l'église de la Couture, au Mans, des corniches intérieures garnies d'un bout à l'autre de semblables magots. (Il en est de même, d'ail- leurs, dans un certain nombre d'autres monu- ments, où le magot fait d'aussi singulières gri- maces sur les piliers, dans les nefs ou les chœurs des églises, qu'à l'extérieur.)

Un magot sculpté à l'intérieur d'un monument ne signifierait donc plus du toit; magot ne dérive- rait plus de magog. Accroc, d'un côté, à la manie hébraïsantc de notre temps. Accroc, de l'autre, au système du symbolisme néo-catholique.

La comparaison des monuments de diverse na- ture, la simplicité, le terre-à-terrc, si on veut, à la place d'imaginations compliquées, l'ingénuité plutôt que ringéniosité des artistes du moyen âge et de la Renaissance, m'empècheni de me rallier à la savante interprétation proposée par les Pères Cahier et Martin.

Le magot-^o^ me semble se rattacher au sym- bolisme quand rnème de Gobineau de Montluisant; le uidigoi-magog fait pendant au limaçon-C/i?'/s^ de M. de Bastard.

Nous avons trop vécu, depuis une cinquantaine d'années, sous l'influence des lourdes et épaisses


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 2G9

imaginations de Creutztrr. Combien de travaux ar- chéologiques sont-ils aujourd'hui déjà démodés par l'abus de troublantes interprétations? Combien d'importants ensembles négligés pour d'inutiles dé- tails? Le besoin d'expliquer, l'avidité de décou- vertes quelconques, la vanité scientifique jointe à des tendances mystiques, ont favorisé le dévelop- pement d'un symbolisme à outrance toujours aux aguets, en quête d'interprétations à tout prix.

Notre époque a soif de faits rationnels plus que de phrases. S'entêter dans le symbolisme, c'est se refuser à voir, comme ces figures de cathédrales qui se bouchent les yeux, semblant craindre la réalité, la lumière.



Blodillon du xii* siècle.


23.


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CHAPITRE XYIII


LES FOUS



Le voyageur qui débar- que à Rotterdam se trouve face à face d'une statue de savant, qui, les yeux baissés sur un livre, sem- ble n'être distrait ni par le bruit ni par le mouve- ment du port. La science a ridé le visage de Tbomme; sous sa longue houppelande on sent flotter un corps amaigri par l'étude; mais l'expression du visage est celle d'un ami de l'humanité.

Le vieux savant est Érasme de Rotterdam, à qui ses compatriotes, les marchands de poissons salés, ont élevé une statue.

Sur les lèvres de l'érudit, bien des sourires désenchanteurs souvent se sont fixés; mais cette


HISTOIRE DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 271

ombre de raillerie est dissipée par la sérieuse con- centration avec laquelle l'homme a étudié les hommes. On sent des yeux bienveillants sous ces paupières abaissées. Les mains sont d'une finesse féminine. Un corps délicat était l'enveloppe de ce penseur, qu'on voudrait compter parmi ses an- cêtres.

Il existe encore un autre portrait du vieil Érasme ; il est représenté travaillant. Érasme travaillait sans cesse. Mais, à côté du volume au fond duquel l'éru- dit poursuit la science, le graveur a placé un joli bouquet de fleurs dans une fiole de verre. C'est la nature faisant antithèse à la science, la vie en face de la lettre morte.

Érasme, au milieu de ses recherches, songea tou- jours à la vie. L'amour de l'humanité git au fond de ses écrits et c'est ce quia conservé, en même temps que sa mémoire, celle de VÉloge de la Folie, sans cesse réimprimé.

Le savant vécut à l'époque agitée où Luther rem- plissait l'Europe du bruit de ses réformes. Tous deux correspondaient ensemble ; tous deux avaient certaines parités de vues sans employer les mêmes moyens. Je pense à Mirabeau en évoquant la figure de Luther : dans cette révolution religieuse, Bailly eût été Érasme. Le Hollandais avait en partage la douceur, l'Allemand la violence. Celui-ci renversait


272 HISTOIRE

les vieilles portes du temple ; celui-là eût désiré qu'on mît de l'huile aux gonds. La grosse injure était le ton du moine ; un scepticisme épicurien faisait le fonds de l'érudit ; aussi tous deux ne s'entendaient-ils qu'à demi, l'un se gendarmant contre l'indécision et le manque d'action, l'autre effrayé des éclats de paroles qui, comme des trom- pettes, sonnaient à ses oreilles délicates Tordre de la révolte.

Et cependant la délicatesse a triomphé, tant les hommes ont besoin d'être ménagés. Les énormités allemandes contre la cour de Rome sont difficiles à faire passer sous les yeux d'aujourd'hui ; on peut mettre dans presque toutes les mains VEIoge de la Folie. Si la gent monacale n'est pas épargnée dans cette œuvre satirique, c'est avec modération qu'É- rasme a exprimé son idée tout entière.

Ce qui lit surtout la fortune du livre vint de l'heure à laquelle le savant lança une idée qui ne lui appartenait pas en propre ; mais tel est le rôle des hommes de génie : de répondre juste aux be- soins du moment, d'employer des matériaux qui n'attendaient qu'un habile architecte pour les dé- grossir et d'élever un monument là où il n'y avait que constructions grossières.

Avant d'entrer dans plus de détails touchant l'œuvre d'Érasme, il est utile de montrer les Pe-


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 275

tites-Maisons à l'intérieur desquelles le satirique était allé chercher ses Fous.

Dans les ténèbres de ce temps, qu'on appelle volontiers moyen âge pour échapper à une chrono- logie plus précise, les êtres simples d'esprit qu'on croyait penser à des choses surnaturelles, les vision- naires qui mêlaient des prédictions bizarres à un chaos de paroles sans liaison, les mélancoliques renfermés en eux-mêmes, les cerveaux diffus et mal équilibrés ne furent pas traités avec indifférence par le peuple, simple d'esprit lui-même. C'étaient des inspirés, croyait-on. Ils semblaient hantés par l'Es- prit divin. On les respectait. Quelque chose s'agitait en eux, qui devait sortir un jour et donner nais- sance à d'importants pronostics.

Il en était d'autres riant de tout, sans fiel et sans malice, dont les coins de bouche se relevaient vers des yeux ahuris. Ils restaient enfants; le peuple, qui a les caprices de l'enfance, gâta ces Fous rieurs et ne réclama d'eux aucun travail. Un mot plaisant ou railleur, qui se mêlait par hasard à leur bavar- dage habituel, faisait croire qu'il étaient des dis- ciples d'Heraclite, riant sans cesse des tourmentes des humains.

Ceux-là particulièrement furent recherchés à cause de leur insouciance et de leur bonne lunneur. On les présentait aux princes à leur passage dans


274 • HISTOIRE

les villes ; leur langue qui ne s'arrêtait pas, le peu de respect qu'ils avaient pour les grands, éton- naient ceux dont les insignes commandaient le respect. Accoutumés aux adulations et aux servi- lités, des empereurs eux-mêmes rencontraient, chose bizarre, un être qui ne fléchissait pas le ge- nou, ne se courbait pas et ne voyait sous la pour- pre qu'un homme semblable aux autres. Les riches et les puissants ont toujours été frappés par cette indépendance d'allures.

Le premier prince qui s'attacha un de ces « Fols », on l'ignore. Il est certain que son caprice trouva des imitateurs. Ce qui avait été hasard devint régie. Il y eut une charge créée de plus dans le palais; cette charge, qui en valait bien d'autres regardées comme graves, fut dévolue à un être qui, naturel- lement plaisant, n'eut pas de peine à puiser dans sa libre indépendance les railleries et les sarcasmes qu'excitent les actes de tout courtisan. Telle était la volonté du maître. L'emploi consistait à souffler sur les vices de chacun : la vie des cours y prête. Avarice, Luxure, Ambition, Perfidies, Trahisons de toute nature furent mandées à la barre de ce sin- gulier juge en habits bariolés, dont la sonnette était cousue au coqueluchon. Car un costume particu- lier désigna la qualité de celui qui, tout le jour, était appelé à rendre des arrêts « salés ». Le nou-


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 275

veau dignitaire n'était plus un fou, c'était le « Fol », celui qui devait pêcher dans les consciences des courtisans et étaler son butin devant les rois ; mais, comme il eût risqué de ne ramener le plus sou- vent dans ses filets qu'une boue nauséabonde, il eut soin de la nettoyer, d'en extraire les parties trop bilieuses qui forment le tempérament des am- bitieux; ces laideurs, il les recouvrit du sel de l'iro- nie, afin d'amener un sourire sur les lèvres de son maître. Quelque désagréables que fussent aux cour- tisans les sarcasmes d'un homme dont la langue ne respectait rien, ils déridèrent souvent la pourpre, et le Fou devint une puissance. Dès lors, partout il exerça sa verve.

Je ne vois guère qu'un monument qui prouve la défaite de la Folie.

On a découvert à Bourges, dans un des coins de l'hôtel de Jacques Cœur, une sculpture historique intéressante, qu'elle soit un symbole ou une satire. Sur un cul-de-lampe, qui supporte la retombée d'une des nervures de la salle que l'on croit avoir été le trésor de l'argentier, une femme en habit de reine^ la couronne sur la tête, étendue d'une façon provo- quante sur le gazon, fait signe à un seigneur en habit de cour de venir la trouver; mais l'homme, y mettant plus de retenue, montre dans l'eau d'une fontaine une ombre reflétée que le mauvais état de


276 HISTOIRE

cette partie replâtrée du bas-relief a fait prendre à quelques archéologues pour la figure du roi.

Un Fou avec sa marotte apparaît au second plan du bas-relief, plus grave et méditatif que de cou- tume.

On sait de quelle hauteur tomba Jacques Cœur ; la perte de sa charge, sa fortune dilapidée, son emprisonnement, sa mort, ont semblé prouver à quelques-uns que, parmi les crimes que lui repro- chait le roi, celui-là n'était pas le moindre que de l'avoir trompé avec Agnès Sorel. La légende, qui se plait au romanesque, tijoute qu'en raison de ce détail, le bas-relief fut sculpté à dessein dans un endroit mystérieux de l'hôtel, comme une preuve de la chasteté de Jacques Cœur, alors que les cour- tisans répandaient des calomnies sur le compte de l'argentier.

Agnès Sorel aurait fait des avances au riche ar- gentier : Jacques Cœur répondit en évoquant le sou- venir du roi qui les séparait. Sans doute l'aventure était tentante ; mais, pour la première fois, la Folie fut vaincue.

J'opine à croire avec MM. Leber, de Beaurepaire, Paulin Paris, Hiver', que le cul-de-lampe repré- sente une scène d'un des fabliaux, si répandus au

  • I.c bas-relief de la chambre du trésor de Jacques Cœur, à

Bourges. I11-8 de 12 p. S. D.



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DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 279

quinzième siècle, qui ne se rapportent en rien à Jacques Cœur ; il faut, toutefois, tenir compte des mœurs de la favorite, de la figure du roi et des costumes des personnages, qui apportent une cer- taine vraisemblance à la légende adoptée primiti- vement par les archéologues et les savants ^

Des dénouements si chastes ne semblent guère le partage de la Folie. Elle est moins réservée, se plai- sant davantage au scandale. La cour en fournissait à foison. Aussi, pas de fêtes, de cérémonies sans la présence du Fou. Il était attaché au palais; on le vit bientôt pénétrer dans les églises.

Le Fou joua son rôle dans les cérémonies bizarres de l'Ane, des Sots, des Innocents, de la Basoche, de la mère Folle. En pleine église, le Fou introduisit son habit de masque, ses grelots et sa vessie pleine de pois secs ; il osa même croiser sa marotte avec le bâton pastoral et devenir l'un des principaux acteurs des fêtes étranges, que la cour de Rome, les conciles et les rois autorisaient à de certaines époques et qu'ils défendirent ensuite, effrayés des suites des profanations et des travestissements de ces danses jadis sacrées.


  • Le seigneur, en surtout bordé de menu-vair, la dague au côté,

porte le costume que les portraits authentiques de Jacques Cœur nous font connaître. (Voir Hazé, Monuments du Berry; Viollet-le- Duc, Dictionnaire d'architecture.)


280 HISTOIRE

Mais les poètes, les érudits, les esprits libres tenaient pour ces divertissements populaires qui prêtaient à la raillerie. Clément Marot, sans y mettre plus de malice, a dépeint en quelques vers le tra- vestissement consacré de ces fêtes, et s'il rit des moines, c'est plutôt au point de vue du déguise- ment qu'il peint le principal acteur :

Attachez-moi une sonnette Sur le front d'un moine crotté, Un oreille à chacun côté Du capuchon de sa cahoche, Voilà un sot de la Basoche.

En lisant tant d'éloquents morceaux dirigés à ce propos par les historiens contre l'Église qui per- mettaient ces mascarades dans son sein, je me demande ce que pense un ambassadeur Japonais qui assiste pendant le carnaval à la promenade du Bœuf gras. Si, détaillant un à un les costumes divers des gens qui se tiennent sur le char, il pré- tend en tirer une conclusion, je crains que le Japo- nais ne s'égare dans un dédale de commentaires baroques.

Il en est de même de bien des usages de ces époques confuses à la suite desquelles la Renais- sance essava en vain de se débarrasser des tradi- lions des siècles précédents.

Qye cette vessie de porc dans laquelle s'agi-


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 281

taient des pois fût, comme on l'a dit, l'emblème d'une tête folle, d'un caquetage bruyant, d'un esprit évaporé et vide de sens, je le veux bien; mais de là à faire de l'arme du Fou une machine de guerre contre la religion, j'y souscris difficile- ment.

On opposera les canons de l'Église, les ordon- nances royales au sujet des fêtes dans lesquelles le Fou jouait le rôle d'archidiacre. De telles masca- rades dans les églises avaient pu paraître naturelles pendant la période de grossièreté de mœurs du moyen âge; la Renaissance apporta certaines déli- catesses, et ces travestissements sous les voûtes sacrées parurent d'autant plus dangereux que la pensée en éveil cherchait les fissures du pouvoir religieux.

Chaque époque qui arrive, bénéficiant des ensei- gnements du passé, juge dangereuse plus d'une chose qui semblait innocente. Au moyen âge, les esprits, garrotés par la confusion du passé, sont simples, naïfs et sans moyens de traduire leurs ran- cunes : on ne pressent pas la Réforme, on laisse au peuple plus de liberté dans ses plaisirs: mais quand Luther lancera ses bulles contre la papauté, le catholicisme effrayé se tiendra sur ses gardes.

Le Fou, chassé des églises, fut mêlé dès lors à d'autres questions religieuses plus palpitantes. Les

24.


282 HISTOIRE

protestants, s'emparant de ce type, le burinèrent sur des médailles pour la plus grande injure des catholiques. Ils sont [^communs, les monuments de



Médaille satirique contre la cour de Rome.

bronze sur lesquels se voit une tête de cardinal accolée à celle d'un Fou, avec la légende : Stulti aliquandi sapientes.

Il est vrai que les catholiques s'emparèrent du symbole pour en accabler le protestantisme. On s'appelait fou dans les deux camps ; ce que voyant, des sceptiques, qui ne reconnaissaient ni le pape ni Calvin, burinèrent des médailles pour se railler des deux adversaires. Murner, le poëte du Nurren- beschwerung (conspiration des Fous), publia un pamphlet contre Luther : Dji grand fou luthérien, comment le docteur Munier Va exorcisé^; en tète


  • Von dem groaacn Lulcrisschen norren, wie ?» doctor Murner

besr/iivoren liât.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 285

de l'ouvrage un frontispice représente Murner en moine franciscain serrant à Paide d'une corde le cou de Luther pour en faire sortir une quantité de petits fous.

L'injure ne semble pas aujourd'hui bien énorme. Elle suffisait alors à qualifier les cruautés les plus grandes. On sait quelle exécration causa dans les Pays-Bas le duc d'Albe. Théodore de Bry, le gra- veur, a cru venger ses compatriotes en représentant le terrible lieutenant-général de Philippe II avec cette légende : Le capitaine des Folies.

C'est là une caricature innocente ^ Il en est de même des sculptures, des manuscrits, des gra- vures. Le Fou se loge partout du treizième au seizième siècle, sur les façades des palais, au fronton des cathédrales, sur les stalles des églises, sur les frontispices des livres, grimaçant, agitant sa marotte et frappant sans cesse chacun de sa vessie. Du haut des monuments chrétiens, caché dans une gargouille, le Fou pisse sur les passants ; à la porte du temple, il tire la langue aux fidèles ; dans le chœur des basiliques, il éclate de rire au nez des chanoines, et la grande dame qui ouvre son livre d'heures, où il est représenté sur les marges, est troublée dans ses prières. A Amboise, à Blois, il

  • Voir Rigollot et Leber, Histoire numivnatique des fols de la

Picardie.


284 HISTOIRE

conte ses divagations sur les façades des palais ; on le retrouve accroché aux façades des maisons d'Orléans, de Tours, de Beauvais, où il fait la nique aux passants (voir fig. p. 270). Souvent dans l'om- bre grimace le bout d'une poutre qui remplit l'esprit de visions fantastiques : un ouvrier a terminé son œuvre en sculptant une figure de Fou.

Il ne faut pas oublier dans cette iconographie les combats de la Folie avec la Mort. Les dernières danses macabres montrent la Mort entraînant le Fou avec sa marotte ; d'anciennes gravures repré- sentent le Fou qui frappe le crâne de la Mort de sa sempiternelle vessie'.

La Folie devait triompher de sa redoutable enne- mie. Le seizième siècle ayant policé les mœurs, la Mort parut brutale et son image lugubre. Le branle macabre avait fait son temps.

La Mort morte, ce fut la Folie qui lui succéda. C'était une rieuse gaie, la plaisanterie aux lèvres, corrigeant ses leçons par une constante bonne hu- meur. L'Europe accepta facilement son empire.

Le premier qui chanta la marotte fut un Stras- bourgeois, Sébastien Brandt, érudit et moraliste. En 1494, il imprimait à Baie un vaste poëme qui ne contient pas moins de cent quinze divisions et

  • Voir Holbein, pi. LXI, Langlois, Douce.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 285

qui porte pour titre Narrenschiff, c'est-à-dire' l'^s- quif des FoiisK L'humour au quinzième siècle n'est pas toujours légère. Aussi bien Brandt ne plaisante



Fac-similé d'une figure en bois des Menus-Propos de Mère Sotte, de Pierre Gringoire (1505).


pas, quoiqu'une idée satirique découle de son sujet- Le vice, suivant lui, n'est pas haïssable à raison de l'affliction qu'il cause à la divinité, mais parce qu'il est contraire à la raison humaine. Le vice est ridicule. Brandt veut corriger l'homme en réveil- lant dans son cœur le sentiment de la dignité plu- tôt que le remords de sa conscience.

  • La Nef des Fous fut depuis le titre le plus universellement

admis par les traducteurs et commentateurs.


286 HISTOIRE

« Jamais, dit le moraliste, un sage n'a demandé à être riche sur terre, mais à se connaître lui même. »

Brandt n'est point un réformateur religieux ; s'il pressent l'orage luthérien, il le craint. Il a cependant ceci de commun avec les libres penseurs qu'il se gendarme contre les abus de-la scholastique et du mysticisme. C'est un satirique malgré lui, qu'il parle de l'astrologie, de la chiromancie, de l'alchi- mie, des superstitions et môme des dangers nou- veaux créés par l'imprimerie.

« Plus les livres augmentent, dit Brandt, et moins on a égard aux bonnes doctrines. »

Il recommande « de prêter l'oreille à la conscience et non au sifflet des Fous. »

« Les paysans autrefois, dit Brandt, étaient heu- reux sous le chaume ; maintenant ils s'adonnent à la boisson, s'endettent, ne s'habillent plus de bure, mais d'habits de lin d'un grand prix. Le bourgeois prétend être l'égal du chevalier ; le comte veut être prince, le prince aspire à une couronne. Plus d'un brave homme se ruine, s'adonne à la juiverie, ou met sa fiance dans une succession. »

Brandt critique encore l'âpreté du gain, la vénalité de la justice, et, dans cette langue bâtarde qui a causé la ruine de l'ouvrage \ on trouve de nombreux pro-

  • La pièce est écrite en dialecte particulier de Strasbourg, mé~


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 287

verbes propres à frapper les esprits : « La pauvreté, dit le moraliste, est un don de Dieu. Celui qui est nu peut nager au loin. N'a rien à perdre qui n'a rien. » Mais Brandt a des aspirations plus élevées : « La mort est un admirable niveleur, un juge incorrup- tible qui n'a jamais obéi à personne... Insensés que nous sommes de construire des pyramides, des mausolées. Toute terre est bénie de Dieu, et bien couché est celui qui est mort en paix. Les astres, qui reluisent au haut du ciel dans le plus beau lu- minaire, éclairent une immense voûte funèbre. Dieu sait retrouver en leur place les ossements et les rendre à leur corps. Celui qui meurt en Dieu a le plus sublime monument. »

M. Gervinus a comparé Brandt à Molière : c'est le placer bien haut : le plus souvent le poëte, par la gravité de ses admonestations, ressemble à un pré- dicant ; on en trouve la preuve dans les commen- taires que tira de la Nef des Fous le prédicateur Geiler de Keyserberg pour en faire la base de ses sermons, apportant plus de caprices que le mo- raliste dans la peinture des ridicules et des vices . de son temps.

Avec Brandt, Geiler de Keysersberg se moque en

langé de suisse. « En lisant les vers du ^arrenschiff, dit M. Spach, qui a commenté le poënie, on croirait souvent entendre l'inculte langage d'un paysan du Sundgau oa du Kocliersberg. »


288 HISTOIRE

chaire « des docteurs qui n'entendent pas trois mots de latin, mais se coiffent de leurs toques de velours et vantent leurs livres sans en connaître le contenu. » Ce sont des gens dignes de prendre passage sur le vaisseau des Fous : mais le prédicateur s'élève à des enseignements d'un ordre moins futile.

Le signe de la sagesse, suivant lui, c'est de peu parler et même de se taire. « Il ne faut point res- sembler à la poule qui, lorsqu'elle pond un œuf, l'annonce à toute la basse-cour.

« Les eaux profondes coulent avec lenteur ; les torrents font beaucoup de bruit. Les petits mar- chands ambulants crient leurs marchandises dans la rue ; les riches négociants trafiquent en silence.

« Un homme qui ne sait se taire ressemble à une ville sans murs et sans porte ; on y entre de jour et de nuit. »

Le prédicateur exerce également sa verve contre les femmes : « Il y a quatre choses, dit Geiler, que l'on ne peut suivre et reconnaître : l'aigle dans les airs, le serpent sur les rochers, le vaisseau au mi- lieu de la mer, le chemin de la femme qui cherche aventure. »

Il serait réellement agréable d'écouter des ser- mons si une telle humeur en faisait aujourd'hui le fond. Bien différent des prédicateurs toujours prêts à tonner contre la littérature de leur temps, Geiler


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DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 291

de Kcyserberg prêtait l'appui de sa parole et de sa verve au poëme de Brandt, qui d'ailleurs se répan- dait par toute l'Europe, traduit en latin, en fran- çais, en anglais, en néerlandais. Le Nan^enschiff avait, suivant le chemin qu'il prenait, des fortunes diverses. On le contrefaisait, on l'imitait, on le co- piait, on l'affadissait ; toutefois, on oubliait de le brûler. Il avait en outre les honneurs de l'illustra- tion, et les gravures sont bien d'accord avec le texte gothique du poëme.



D'après un livre d'Heures du xvi'= siècle.


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CHAPIITRE XIX


ERASME ET L ELOGE DE LA FOLIE


Vingt-cinq ans plus tard, un autre érudit, Érasme, re- prit l'idée pour la transfor- mer. Le Navire des Fous du vieux Brandt était trop chargé, Érasme l'allégea con- sidérablement. Le sujet était le même; pourtant le Hol- landais échappa aux repro- ches de plagiat que les éru- dits se jettent volontiers à la tête.

Brandt, quoique ayant publié diverses éditions classiques, était plutôt jurisconsulte de profession; il avait même rempli des fonctions politiques en Allemagne. La vie d'Érasme au contraire fut vouée tout entière au service des belles-lettres, et, s'il scrutait le sens d'in-folios dont le format ferait fuir



HISTOIRE DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 205

aujoiircriiiiiuii chroniqueur bien appris, c'était plus particulièrement les secrets de la langue d'Aristo- phane et de Lucien qu'il demandait aux anciens textes. Ces sortes d'études, qui marquent d'un sillon austère les traits des véritables penseurs, allègent l'esprit si elles alourdissent le corps. La parole de l'homme peut être lourde et embar- rassée, sa plume est fine et légère. Le vieil Érasme, penché sur son pupitre, les yeux plongeants entre les lignes des textes antiques, paraît sans doute aux curieux qui visitent les musées un savant grave et dogmatique ; ï Éloge de la Folie lui donne droit d'entrer dans le panthéon des humoristes où bien- tôt trônera Rabelais.

Ce fut en latin qu'Érasme cacha ses railleries contre l'humanité dont la folie est le partage. « L'homme, disait la Folie (c'est elle qui prend la parole tout le long du livre) n'est pas plus misé- rable pour être fou que le cheval pour n'être gram- mairien. » Dans la société, tous les hommes sont conduits par la Folie ; ce que la Rochefoucault plus tard rapportera à l'intéçêt, Érasme l'attribue à des grelots sonnant sans cesse aux oreilles, qui ,empêchent l'humanité d'entendre et de penser sai- nement.

La piquante humeur d'Érasme fit la fortune du livre. Le savant, dont la vie laborieuse avait chassé

25.


204 HISTOIRE

les passions et les vices, jugeait ses contemporains sans fiel ni colère : « Le singe sur la pourpre n'est jamais qu'un singe, et la femme est toujours femme, c'est-à-dire une folle. »



La Folie, d'après Holbein.


Toutefois du badinage de l'érudit se détachent quelques traits fortement accentués comme dans cette esquisse de vieillards :

« Plus ils sont près de la mort, moins ils sont ennuyés de vivre. Remerciez-moi, dit la Folie, si VOUS voyez encore tant de vieux patriarches qui ont. à peine figure d'hommes, qui bégayent, qui ra- dotent, qui n'ont plus ni dents ni cheveux ; restes hideux, rechignes, maussades, grondeurs, écourtés,


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DE LA CARICATURE AU MOYE^' AGE. 295

dont la triste machine est faite en demi- cercle... Tels qu'ils sont, ils aiment la vie, ils essayent de se rajeunir en peignant les quatre poils qui leur res- tent, ou en les cachant sous une chevelure pos- tiche. Ils empruntent les dents, peut-être d'un co- chon. Il en est même qui deviennent amoureux d'une jeune heautéet qui font auprès d'elle plus de bêtises qu'un jeune homme. »

On accuserait certainement aujourd'hui Érasme de réalisme pour son vieillard amoureux qui « em- prunte les dents d'un cochon ». La touche n'est pas moins forte dans son portrait de vieilles coquettes.

c( Tout cela n'est rien, en comparaison de ces vieux bouquins de femmes si cadavéreuses qu'on les croirait échappées des enfers, qui ne cessent de répéter 7nen de tel que de vivre ; qui brûlent, qui hennissent comme des cavales ; qui payent cher un jeune Adonis, se barbouillent le visage de céruse et de plâtre, ne quittent pas le miroir, étalent une gorge à cent replis, et, par des cris lascifs, essayent de ranimer la nature épuisée. Elles boivent, elles dansent, elles écrivent des billets doux. On se moque d'elles, on les traite d'archifolles; on a raison. »

Quoique Érasme, qui n'aimait pas, disait-il, la « vérité séditieuse », s'éloignât de Luther, les por- traits qu'il trace des moines de son temps n'en con-


296 HISTOIRE

cordent pas moins avec les violences du réforma- teur d'Eisleben contre la gent monacale.

« Après les théologiens, dit la Folie, viennent ceux qu'on appelle religieux ou moines, c'est-à-dire reclus, deux expressions fort impropres, caria plu- part n'ont pas de religion et on les trouve partout.. . Ils sont tellement en horreur, qu'on regarde comme un présage sinistre de les rencontrer sur son che- min... Leur haute piété consiste à ne savoir rien, pas même lire. Lorsqu'ils braient dans leurs églises des psaumes qu'ils ont bien comptés et jamais en- tendus, ils croient que c'est une musique qui charme la Divinité. Il en est qui s'enorgueillissent de leur crasse et de leur mendicité, qui vonf de porte en porte, dans les auberges, sur les grands chemins, sur les rivières, demander effrontément l'aumône, au grand préjudice des vrais pauvres. C'est ainsi que ces prédestinés croient qu'avec leur saleté, leur ignorance, leur grossièreté, leur impu- dence, ils sont l'image des apôtres.

« J'admire surtout leur minutieuse régularité. Ils croiraient être damnés s'ils ne soumettaient tout à la règle et au compas. Il faut tant de nœuds au soulier ; telle couleur, telle étoffe, telle largeur pour la ceinture ; la robe bigarrée de tant de pièces ; telle forme et telle capacité pour le coqueluchon ; tant de doigts pour la tonsure, etc.. Tout fiers de


DE LA CARICATURE AU MOYE>' AGE. 297

ces niaiseries, non-seulement ils méprisent les gens du monde, mais encore un ordre méprise tous les autres. Ces hommes, qui affichent la charité apostolique, font un bruit enragé pour une diffé- rence d'habit et de couleur. Pieusement fidèles à leurs statuts, il en est qui aimeraient mieux manier une vipère que de toucher de l'argent ; mais ils ne craignent pas tant le vice et les femmes. »

Ce ne sont pas seulement les moines qu'Érasme crible de ses traits :

« Quelle folie plus grande, et en même temps plus consolante, que celle de ces braves gens qui se promettent l'éternelle félicité, pourvu qu'ils récitent tous les jours sept vers du psautier... Ces extrava- gances, si pitoyables, ont pourtant l'approbation non-seulement du peuple, mais encore de nos doc- teurs. iS 'oublions pas ici que chaque pays a son saint, et chaque saint son culte et sa vertu. L'un guérit du mal de dents, etc.. »

Érasme dut être mal vu des dévots ; il ne respec- tait ni les fidèles, ni les prédicateurs : « Allez au sermon. Si c'est une pièce solide, l'auditoire s'en- nuie, bâille et s'endort. Si au contraire le crieur ou plutôt le brailleur fait, comme ils font tous, des contes de bonne femme, on ne dort pas, on écoute, on admire. »

Érasme est véritablement plus « séditieux » qu'il


298 HISTOIRE

ne le croit. Il importe peu qiril ne procède ni par colère, ni par \iolence dans ses écrits ; sous la forme pleine de ])onhomie de son style se cache un grand



Le moine, fac-simile d'un dessin d'Holbein.

mépris pour la race encapuchonnée, et, s'il est peu de conditions qui échappent à sa verve, les moines reviennent sans cesse comme dans le portrait du marchand :

« Les plus grands et les plus misérables Fous sont les marchands. S'il y a quelque chose de plus vil que leur profession, c'est la manière dont ils l'exercent : le mensonge, le parjure, le vol, l'astuce, la mauvaise foi, sont leurs moyens ; et cependant ils se croient des personnages parce qu'ils ont des


DE LA CARICATURE AU BIOYEN AGE. -200

doigts chargés d'anneaux d'or... 11 y a de petils moines qui leur rendent hommage public pour avoir quelque part à leurs voleries. »

Érasme ne s'attaque pas seulement aux petits. Courtisans, princes, rois, cardinaux et papes sont touchés de sa marotte qui, quoique tenue par la Folie, rend des sons satiriques mais graves. Sur le compte des courtisans, la Folie s'exprime ainsi, et le trait n'a guère perdu de son actualité : « Ces braves gens de cour dorment jusqu'à midi. Ils dé- jeunent. Le dîner suit de près. Au dîner succèdent le jeu, les charlatans, les bouffons, les filles de joie, les fades quolibets. Il est juste de goûter au moins une fois. Le souper vient et on passe la nuit à boire. C'est ainsi qu'ils chassent les ennuis de la vie et que s'écoulentles heures, les jours, les mois, les années, les siècles. Pour moi, leur faste me fait quelquefois soulever le cœur. »

A ce dernier trait, — leur faste me fait quelque- fois soulever le cœur, — on voit que ce n'est plus la Folie qui parle; son masque mal attaché tombe et laisse paraître Erasme lui-même.

Il n'existerait pas de courtisans sans rois. L'im- pitoyable Folie continue : « Les rois n'écoutent que leurs flatteurs. Ils croient que, pour être véritable- ment rois, il ne faut que chasser, avoir de bons chevaux, faire argent des magistratures et des gou-=


3U0 HJSTUIRE

verneineiits, inventer de nouveaux moyens de pom- per la substance du peuple en alléguant des rai- sons spécieuses pour donner couleur de justice à la vexation, et en faisant dans le préambule quel- que compliment au peuple pour Tamadouer. »

Ne semble-t-il pas qu'on lise un la Bruyère, moins épuré, mais plus libre et sans attaches?

Érasme avait été élevé par les moines. On vou- lut en faire un moine. Et c'est une remarque ba- nale de dire qu'il n'y a pas d'adversaires plus hostiles à l'Église que ceux qui, ayant été élevés dans les couvents et les séminaires pour y pronon- cer leurs vœux, déchirent tout à coup leurs robes pour rentrer dans le monde.

Érasme fut un de ces révoltés, quoique restant catholique : « J'ai toujours évité, écrivait-il à un ami, d'être l'auteur d'aucun tumulte et le prédica- teur d'aucun dogme nouveau. Je serai avec Luther, tant que Luther restera dans l'union catholique. »

Comment Érasme fait-il concorder cette décla- ration avec le portrait que la f^olie trace des papes : « Il n'y a pas d'hommes sur la terre qui mènent une vie plus délicieuse, plus exempte de soucis. Ils croient faire assez pour Jésus-Christ lorsque leur sainteté, leur béatitude étale l'appareil pontifical et presque théâtral, pour faire quelques cérémo- nies, pour donner des bénédictions ou lancer des


DE LA CAKICATUUE AU MOYEN AGE. 501

anallièmes. Faire des miracles, le temps est passé. Instruire le peuple, cela donne de la peine. Expli- quer l'Écriture sainte, c'est l'affaire de l'école. Prier, c'est perte de temps. Verser des larmes, cela ne convient qu'aux femmes. Vivre dans la pauvreté, on la méprise. Céder, c'est lâcheté; c'est indigne de celui qui n'admet que par grâce les plus grands rois à l'honneur de baiser ses bienheureux pieds. Mourir, la mort est si triste! La croix, c'est la po- tence. »

A la vivacité de ce morceau, on voit qu'Érasme ressentait une irritation contre la papauté, quoi- qu'il s'en défende.

11 faut cependant fermer le livre, pour ne pas être tenté d'y puiser encore. Détailler ki folie d'au- tres personnages est inutile. Tous les hommes ap- partiennent à la Folie et en sont tributaires, même les sages. Je veux toutefois citer un dernier frag- ment, dans lequel Érasme apparaît à chaque ligne : « La sagesse rend les hommes timides. Aussi voyons-nous les sages croupir dans la misère, dans l'oubli, dans le mépris et l'obscurité, et les Fous jouir de l'opulence, du pouvoir et de l'éclat.

(( Si vous faites consister le bonheur à plaire aux grands, à vivre avec ces dignités chamarrées d'or et chargées de pierreries, quoi de plus inutile que


la sagesse? Ils la détestent.


2(3


ÔU'2 IIISTOIKE

(( Aspii'ez-vous aux dignités et aux bénéfices de l'Égiise? Un àne, un bœuf y parviendra plutôt qu'un sage.

« Tournez et retournez tant qu'il vous plaira, adressez-vous aux papes, aux princes, aux magis- trats, à des amis, à des ennemis, aux grands et aux petits : partout, pour réussir, il faut de l'argent, et, comme c'est un métal que le sage méprise, toutes les portes lui sont fermées ^ »

N'est-ce pas lui-même, le savant rendu timide par la science, le pauvre Érasme qui s'est adressé aux grands, espérant en tirer quelque subside nécessaire pour la continuation de ses travaux, et qui a été repoussé, laissé dans l'obscurité parce qu'il était sage, parce qu'il avait le malheur de penser. Lisez ce morceau sur la sagesse, allez au Louvre revoir le portrait peint par Holbein, alors vous compren- drez ces traits émaciés, cette discrète résignation, ce détachement de toutes choses vaines, cette attache à l'étude, ce mépris de l'orgueilleuse hu- manité, ces lèvres minces amincies encore par les lunniliations venues de haut, cette mélancolie railleuse.

Dans le Salon carré où sont étalés tous les cliefs-


^ Ces citations sont empruntées à la traduction de Bai'nett, en tète de laquelle M. Désiré ^'isa^d a placé une intelligente étude d'Érasme. 1 vol. in-18, 1842, Gosselin.


DE LA CARICATURE W MOYE>' AGE. 503

d'œuvre de l'art, une modeste toile représenta ni un vieux savant éclipse les richesses de couleur qui l'environnent. Du cadre se détache une figure de pen- seur, un homme qui en apprend plus que l'étalage des pompes de la Cène de Véronèse. Celui-là est un courtisan qui, dans une scène religieuse, ne songe qu'aux habits dorés et aux colonnades de marbre des princes de son temps; Érasme a osé, du fond de son cabinet, dire la vérité aux grands. Je ne crois pas que les souverains manifestent un vif en- thousiasme en face d'un portrait si parlant.



D'après Scheible.


CHAPITRE XX


COLLABORATIO>- d'hOLBEIN ET d'ÉRASME


Aux bienheureuses époques intellectuelles sur lesquelles la civili- sation répand sa corne d'abondance , on voit des groupes de philoso- phes, d'historiens, de poètes, se mêler à d'au- tres groupes d'architec- tes, de peintres et de sculpteurs. Ils sont in- séparables, et qui dit le nom de l'un de ces hommes évoque aussitôt le souvenir d'autres esprits non moins marquants. Parfois pourtant de ces groupes se détachent des figures amies qui vont



HISTOIRE DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 305

deux à deux et s'entretiennent discrètement à l'écart d'art et de poésie.

Cliez les races germaniques particulièrement, ces associations de la plume et du crayon furent plus sensibles qu'en tout autre pays. Luther fait penser à Lucas Cranach, Érasme se relie étroitement à Holbein.

Dans ces petits coins suisses ou allemands, d'où partaient de si grosses machines de guerre philoso- phiques et sociales, on comprend quelle liaison dut unir des écrivains et des peintres qui ne pouvaient communiquer intellectuellement avec leurs conci- toyens peu éclairés. Le peintre s'intéressait aux aspi- rations de l'écrivain, l'écrivain se détendait l'esprit en allant visiter l'atelier du peintre.

D'après une inscription en tête de l'exemplaire de VÉloge de la Folie, de la bibliothèque de Bàle, qui renferme les dessins à la plume originaux d'Holbein, ces croquis furent faits en dix jours, « pour amuser Érasme. »

Il est peu d'œuvres d'imagination qui aient trouvé leur illustrateur. On a jusqu'ici négligé les Contes de Voltaire ; Lucien heureusement a été laissé de coté, et c'est presque une bonne fortune qu'Aristo- phane se présente sans vignettes en regard du texte.

VÉloge de la Folie offrait des difficultés de

26.


-.00 HISTOIRE

même nature. C'est une raillerie fuie et délicate que celle d'Erasme. Dans sa dédicace à Thomas Morus, l'écrivain n'admet le libre exercice de la raillerie qu'à condition que « la licence ne dégé- nère pas en frénésie » ; il tient également à ce que le lecteur ne le juge pas « mordant, mais biemeil- lant, plein d'indulgence et de modération ». En ceci Érasme se trompait un peu.

On sourit à voir la peine que se donne l'auteur de Y Éloge de la Folie pour prouver qu'il a fait une œuvre pie : « Bien loin de m'accuser de causticité, dit-il, des théologiens sages et éclairés louent ma modération et ma candeur pour avoir traité sans hardiesse un sujet hardi par lui-même et avoir ba- diné sans coup de dent. » De telles justifications ressemblent beaucoup à colles de Voltaire lors- qu'il jouait l'ingénuité en face de protecteurs haut placés.

c< Il ne manquera pas, écrit Érasme à Thomas Morus, de vétillcurs qui, par esprit de dénigration, diront, les uns que ce sont des bagatelles indignes d'un théologien, les autres que ce sont des méchan- cetés qui blessent la charité chrétienne, et qui répéteront à grands cris que nous ressuscitons la comédie antique, que nous copions Lucien et que nous déchirons tout à belles dents. »

Tel fut le texte, expurgé pour ainsi dire par l'écri-


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pour faire une description topographique de la ville de Rome. » •

Cette version n'est pas absolument exacte. Pe- rinde ac n'a jamais eu le sens que lui donne ici M. Lacroix. Perinde signifie quasi, comme avec; pour ren'dre le sens de la phrase latine de Rabe- lais, il faut traduire que l'érudit dépeignait de sa plume les monuments romains comme avec un crayon.

Ce passage de la lettre de Rabelais au cardinal du Bellav doit donc être retiré du débat, et il ne reste véritablement comme document, dans l'in- struction relative aux Songes drolatiques, que la mention des arts du dessin dans les chapitres sur l'éducation, ce qui n'est pas suffisant.

Je cherche d'autres moyens d'élucider la ques- tion, et c'est de l'essence même des images que je tâcherai de faire sortir la vérité. Elles offrent le fait particulier que, datées de 1565, ces figures ne paraissent se rattacher à aucune publication fran- çaise du miême ordre, et qu'elles semblent une création, une trouvaille dans l'ordre comique.

Un éditeur, M. Tross, qui a donné une bonne reproduction 'des Songes drolatiques, dit que les illustrations des Devises héroïques de Claude Para- din et de la Vita e Metamorfoseo d'Ovidio, deux ouvrages publiés à Lyon en 1557 par le libraire


522 HISTOIRE

lan de Tournes, ne furent pas sans influence sur les Songes drolatiques.

Dans les figures sur bois des Métamorphoses (VOvide, attribuées par les uns à Salomon Ber- nard, par les autres à José Amman, de Nurem berg, je ne vois que des encadrements de pages composés d'arabesques au milieu desquelles se jouent des Pygmées, qui n'offrent pas avec les Songes de Pantagruel cette « ressemblance des plus frappantes » dont parle M. Tross.

Ces figurines, en tant que jalons des caprices au seizième siècle, n'en sont pas moins curieuses ; et sur les trois entourages différents qui, à diverses reprises, sont répétés dans VOvide, j'en donne un qui sert économique- ment de frontispice aux Devises hé- roïques du même libraire Ivonnais.



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DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. ô'io

Si les figures des Songes drolatiques parurent originales en France en 15G5, date de leur publi- cation, il n'en dut pas être de même à l'étranger. Celui qui dessina ces caprices avait dû voir les images flamandes sorties du magasin de Cock, l'é- diteur breveté de toutes sortes d'estampes *.

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Un graveur, dont le monogramme ,. ^ n'a pu

l'aire découvrir le véritable nom, travaillait pour Cock et vulgarisait avec son burin les tableaux de « Hieronimus Bos » et de «P. Bruegel». Or, les diableries de Jérôme Bosch et de Pierre Breughel, surtout celles de ce dernier, popularisées par la gravure et publiées antérieurement aux Songes drolatiques^ devaient avoir une réelle inlluencc sur le dessinateur de ces caprices.

Il ne faut, pour s'en assurer, que confronter les figures attribuées à Rabelais et les compositions symboliques de celui qu'on a surnommé avec rai- son Breughel le drôle.

Le vieux maître flamand a fait preuve d'une grande imagination dans ses compositions fantas- tiques, et quoique sa pensée soit souvent obscure, elle se rattache à la symbolisation satirique des vices et des passions.

^ H. Cock excud. cum gratia et privilegio, telle est la légende reproduite au bas de la plupart des gravures de ce mai'cliandi


524 HISTOIRE

Dans les Songes drolatiques attribués à Rabelais, les personnages ne se mêlent pas à une action dé- terminée : ces types bizarres, dont quelques-uns semblent la caricature de personnages connus, ont un parfum néerlandais; en les regardant, un ressouvenir d'anciennes gravures hollandaises se présentait à mon esprit. Ce sont bien là des fantaisies du Nord, épaisses et lourdes, qui ne se rattachent qu'indirectement à l'art de la Renais- sance en France.

Je remarque combien de poissons, dans les Son- ges drolatiques, viennent se mêler aux grotesques et danser des rondes autour d'eux. Ces détails se présentent fréquemment au souvenir des vieux maîtres néerlandais, et comme les peintres, gens souvent de peu d'imagination, se servent volontiers des objets et des choses qui les entourent, le pois- son joue un grand rôle dans les accessoires des maîtres flamands et hollandais.

On ne peut guère admettre ces caprices mari- times dans les Songes drolatiques publiés à Paris, qu'en se disant qu'un graveur flamand a passé par là. Ce sont des minuties. Un juge d'instruction s'inquiète des plus petits faits, et tout commenta- teur doit contenir un juge d'instruction.

On voit souvent, dans les prétendus dessins de Rabelais, des personnages coiffés de lai'ges feutres.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 525

dans la lisière desquels sonl passés des couteaux



Fac-similé d'une planche des Songes drolatiques.


OU des cuillers à pot, détail qui se retrouve égale- ment dans mainte composition de maîtres fla-

28


32G HISTOIRE

mands. C'est ranne du paysan, du pécheur, tou- jours prêts à cventrer les quelques poissons appor- tés par les flots sur la plage : en une seconde, le poisson est jeté dans la marmite. L'homme n'a pas besoin d'un grand attirail de cuisine pour se mettre à table : une cuiller à pot lui suffit.



D'après Dreughel.


L'auteur des Songes drolatiques s'est plu à re- présenter des personnages enserrés dans des ton- neaux ou des pâtés au travers desquels ils passent leurs bras armés de couteaux et de scies pour en fendre la croûte : on retrouve certains gestes et actes analogues dans les pécheurs du maitre de Breughel, Jérôme Bosch, et dans Breughcl lui- même, qui a repi'ésenté des gens avalés par des


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 527

poissons et se frayant un passage avec leur cou- teau, en coupant à même de l'animal des tranches de chair.

Ces analogies deviennent plus marquées dans la planche InvicUa qui fait partie de la série des pé- chés capitaux peints par Pierre Breughel. Ici des détails tout à fait identiques ont été empruntés par le graveur des Songes drolatiques.



D'après les Songes drolatiques.

Breughel imagine une tente terminée par deux jambes bottées s'agitant en l'air.

Une semblable jambe avec la même botte est représentée formant le chapeau d'une des figures pantagruéliques (la cinquième du recueil).


328 HISTOIRE

Toujours dans la planche flamande : Invidia. Pe- tit personnage fantastique dont la figure est formée par un pot servant de perchoir à des oiseaux. Songes drolaliqucSj môme détail \



D'après Ureughel.

Le hasard seul a-t-il pu faire que deux détails de la môme planche se retrouvent dans les caprices atlribués à Rabelais?

Ce n'est pas tout. Au nombre des personnages symboliques qui figurent dans la composition de VAvarilia de Breughel, on remarque un homme dont la figure est entièrement cachée par un grand


  • Pot encapuchonné qui porte plusieurs plumes d'oiseau de pa-

radis, a allusion à la uiple couronne papale, » dit un commenta- teur plein d'imagination.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 329

feutre dans la lisière duquel est passé un couteau*



D'après les Songes drolatiques.


Du haut de ce chapeau s'échappent des^nuages de fumée* qui semblent avoir une relation avec un


!28.


ôj) HISTOIRE

soufflet accolé à la panse de ce fantastique person- nage. Quoique le titre, Avarifia, indique que cha- que figure doit représenter l'amour de l'argent, le sens de ce personnage m'échappe absolument. Ce ne peut être la représentation d'un alchimiste avec son soufflet. Breughel n'eût pas manqué d'y adjoin- dre soit un matras, soit une cornue.



D'après Breughel.

Quelle que soit la portée de ce symbole, le gra- veur des Songes drolatiques l'a reprise à son compte. Trait pour trait il a copié cette figure, y ajoutant seulement un essaim de mouches, une ganse de chapeau de cardinal flottant au chapeau, sur l'épaule un stylet et une coquille de pèlerin. Et c'est là que pourraient être mis au pied du mur les commentateurs] qui prétendent tout expliquer.


DE LA CARICATURE AU MOYEN AGE. 551

Sans hésiler M. Eloi Johanncau dit que « ce pcr



D'après les Songes drolatiques.


sonnage ténébreux est le|pape Jules IL Le tourbillon de llanimes et l'essaim de mouches qui lui sortent


332 HISTOIRE

de la tète, ainsi que le triple soufflet, figurent l'hu- meur de ce pape ambitieux et le feu de la guerre qu'il soufflait partout ^ »

L'éditeur a annoncé en tète de son Rabelais un nouveau commentaire; en effet, il est de toute nou- veauté.

« Quant à la scie qu'on voit ici dans un tourbil- lon de flammes, ajoutent MM. Esmangart et Johan- neau, je la crois une allusion aux malheurs de Bentivoglio, dont la scie était l'emblème, et que Jules 11 a chassé de Bologne. »

Et voilà pourquoi votre fille est muette ! Jamais ces critiques ne sont embarrassés : ce grotesque, c'est Louis XII; cet autre, Henri II; celui-ci, le car- dinal de Lorraine; celui-là, le cardinal du Bel- lay, etc.

Il n'y a que les commentateurs pour ne douter de rien. « Us ont les premiers, disent d'eux-mêmes MM. Esmangart et Johanneau, rattaché au texte de Gargantua et de Panlaqruel les caricatures des Sonçfes drolatiques, où l'on admire le cachet de l'auteur, sa folie et son originalité, jointes à l'esprit et à la malignité du burin de Callot, et où l'on voit reparaître, sous les figures les plus grotesques, tous

  • Œuvres de Rabelais, édition variorum, augmentées d'un nou-

veau commentaire historique et philologique par Esmangart et Éloi Johanneau. Dalibon, 1823, t. IX, in-8.


DE LA CARICATURE AU MOYE>' AGE. 553

les personnages tant réels qu'allégoriques de ces deux romans; ils ont prouvé que les sujets en étaient tirés, et qu'ils servaient comme de pièces justificatives à ce commentaire historique, qui ré- vèle enfin au grand jour ce qui était resté jusqu'ici couvert, sinon d'un voile épais, au moins d'incer- titudes. »

Les annotateurs de l'édition de 1825 n'eussent- ils pas rabattu fortement de leurs affirmations si on. leur eût montré les emprunts faits aux compo- sitions de Pierre Breughel?

M. Paul Lacroix, qui, dans ces dernières années, a donné une nouvelle édition des Songes drolati- ques \ est un peu moins affirmatif.

« Il y a, dit-il, dans les figures de ce recueil tant de physionomies expressives et caractérisées qu'on les reconnaîtrait sans doute parmi les con- temporains de l'auteur. Ce seraient alors des por- traits grotesques, tout à fait distincts de ceux qui forment la galerie de personnages du Gargantua et du Pantagruel.

« Ainsi la figure 106 ressemble beaucoup à Fran- çois P^

« La figure 108, qui représente un ouvrier em- prisonné dans une fontaine et taillant une pièce de

' iiv8. GenèYe, Gay, 1868.


334 HISTOIRE

bois avec une doloire, ponrrnit être Etienne Dolet ou Charles Fontaine.

(( Par des motifs analogues, nous serions disposé à reconnaître Geoffroy Tory dans la figure 78, dont la tète est coiffée d'un pot cassé, » etc.

La découverte des emprunts faits à un gra- veur de 1558^ par un graveur de 1565, l'impos- sibilité pour deux dessinateurs de se rencontrer dans l'attifement de semblables figures, la pos- sibilité pour les érudits de trouver de nouvelles traces d'imitations aussi flagrantes, me paraissent devoir arrêter les recherches des commentateurs en ce qui touche les personnages.

Le premier éditeur, du reste, avertissait les gens de ne pas trop s'en préoccuper :

« Ce sont, disait-il, figures d'une aussi estrange façon qu'il s'en pourroit trouver par toute la terre. » Suivant le libraire Richard Breton, ces inventions étaient bonnes « tant pour faire crotestes que pour établir mascarades » ; mais quant aux noms et qua- lités des personnages, l'éditeur s'en tirait habile- ment : a J'ai laissé ce labeur à ceux qui ont versé en ceste faculté et y sont plus suffisants que moy : voire pour en déclarer le sens mystique ou allégo-


' La série des Vices, d'après Brengliel, publiée par Cock, est dalée de 1558.


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Fac-similé d'api'ès les Songes drolaliques.


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DE LA GAUICATUUE AU MOYEN AGE. 537

l'ique, aussi pour leur imposer les noms qui à chacun seroicnt convenables. »

Pour qui sait lire, ceci signifie qu'il n'y a ni sens mystique ni allégorique dans ces figures; que chacun peut les baptiser à sa fantaisie, mais qu'il en résul- tera un « labeur » considérable. Ce qui est arrivé.

11 résulte toutefois de l'examen de quelques-unes de ces figures grotesques une allusion à des princes, à des dignitaires de la cour papale. On entrevoit des satires confuses, des sortes de cauchemars qui prennent une vague configuration de cardinaux. A quoi bon mettre un nom au bas de ces silhouettes grimaçantes? Toute une armée de commentateurs s'est ruée sur le texte même de Rabelais et a échoué à en faire jaillir la lumière; le crayon est resté plus mystérieux encore que le roman.

Il faut attendre la Réforme pour faire parler à ses partisans un langage plus net, plus grossier, plus cru. C'est ce que je montrerai dans le pro- chain volume. Rabelais est le plus utile trait- d'union entre le moven âge et les manifestations luthériennes. Aussi devais-je étudier avec détails quelle était la part de Rabelais dans ces caprices? J'ai donné les raisons prouvant qu'il comprenait Futilité des arts du dessin. De là à dessiner de sem- blables figures il y a un grand pas.

Celui qui, avec son crayon, a donné naissance à

'29


358 HISTOIRE

ces images burlesques était un artiste habile. Ce que le graveur rêvait a été rendu par son crayon sans hésitation, et déjà dans le harnachement bi- zarre de ces figures apparaît une certaine adresse de main. Les détails sont présentés d'une façon bur- lesque, mais ingénieuse. L'auteur n'a pas voulu rendre autre chose, et c'est déjà beaucoup que de l'énoncer "clairement avec le crayon. Sans doute les emprunts sont visibles, et je crois l'avoir montré suffisamment, mais tout en empruntant il faut avoir beaucoup dessiné pour arriver à ce résultat, et les études profondes et diverses, les connaissances mul- tiples de Rabelais, surtout sa probité de conteur, ne me semblent l'avoir prédisposé ni à acquérir une telle adresse de main, ni surtout à piller les com- positions d'un maître étranger.



D'apiès ua ancien manusciU


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TABLE ANALYTIQUE

Préface. — L'Université et l'art satirique du moyen âge. — Timi- dité des spiritualistes de profession. — Figures des comédies de Térence. — Pensée confuse du peuple. — Trilogie : le diable, la Danse des Morts, Renart. — Opinion de M. César Daly. — Utilité des ineptiarum 3


CHAPITRE PREMIER

VANITÉ DU SYMBOLISME

Trait d'union de l'art entre l'antiquité et le moyen âge. — Abus de la symbolique chrétienne. — L'imagination prête ses visées à la pierre. — Orphée et le Christ. — Lettre de saint Nil à Olympio- dore. — Art apocalyptique des premiers siècles. — Remontrances de saint Rernard. — Les sculptures des cathédrales furent-elles commandées par l'Église pour châtier les vices ou sont-elles de purs caprices d'ouvriers? — Lettre du père Cahier. — Ensei- gnement des ouvriers qui concoururent à la construction des égli- ses. — Symbolisme prémédité. — Prophéties de l'an 1000. — Le facétieux abbé de Saint-Germain d'Auxerre. — Sceau de l'évêque de Pinon. — Symbolisation des pierres, de la chaux, du sable, suivant Guillaume Durand. — L'explet de la pélég7'i?iation hu- maine, par Guille de Guyeville. — Mason Neable et Webb, fana- tiques catholiques anglais. — Ils ne permettent pas l'emploi de l'ogive aux protestants. — L'abbé Aubert et l'église de Poitiers. ^..- Ce que c'est que le symbolisme à outrance. — M. de Bastard et les miniatures. — Le Christ, le tireur d'arbalète et le limaçon. —




340 TABLE ANALYTIQUE.

Le limaçon de M. de Bastard et le lymasson du Grand-Compost. — Notions architecturales de Claude Villette sur la hauteur des fe- nêtres et leurs vitres, sur les barres de fer et les clavettes. — Singulière miniature d'un livre d'Heures ; sa réelle signification. — Le renard et les poules à l'église Saint-Fiacre, au Faouet. — Faut-il regarder ce bas-relief comme le triomphe de la foi sur riiérésie? 17


CHAPITRE II

LES ANIMAUX Ml'SICIE>"S

Pline et les naturalistes de la Pvenaissance. — Marco-Polo. — Bes- tiaire fantastique de l'antiquité. — Singulière pénurie intellec- tuelle des artistes. — Parodies des musiciens de profession. — L'àne, animal biblique. — L'âne qui vielle, l'âne qui hTe, l'âne liarpant. — Sa fête. — Analogie avec les kermesses hollandaises. Écrivains pieux, écrivains voltairiens 49

CHAPITRE m

LA FÊTE DE l'aNE

Prose de l'âne. — Manuscrit de Sens. — Opinion de M. Clément. — L'âne est-il le symbole de Jésus-Christ? — Ce que pensait Méri- mée des sculptures du moyen âge. — Le Psalterium glossa- tum. — Hauteur, largeur, longueur d'une cathédrale, c'est espé- rance, charité, persévérance. — Les enfants de l'Angoumois et leurs chansons. — Que signifient les oreilles de l'âne? — Si le toit d'une cathédrale symbolise la figure d'un intendant fidèle, pourquoi la queue de l'âne ne représenterait-elle pas le goupil- lon du curé? — Gauloise conclusion des enfants terribles de l'Angoumois 61

CHAPITRE IV

DANSES DANS LES ÉGLISES ET LES COUVENTS




î


L'évêque d'Erfurth danse trop pour sa santé. — Peintures de pieux manuscrits, accablantes pour les moines. — Instructions des con- ^


TABLTE ANALYIQUE. 341

ciles, ordonnances royales, décrets des iacultés de théologie contre les danses. — Analogie avec les gaietés provinciales des messes de minuit. — Opinion de M. Villemain 71


CHAPITRE V

LE DIABLE

Le diable, antithèse de Dieu. — >'oire livrée du diable. — Poil, cornes, pattes, griffes empruntés à l'antiquité. — Le diable et le renard. — Opinion de M. Yiollet-le-Duc. — La pèse des Ames.

— Le malin triche. — Ecce diaholus! — Diable et femme — Messe de saint Martin. — La femme, quelquefois acolyte, quel- quefois adversaire du diable. — Comment Luther recommandait d'empoisonner le diable 85

ClIAPlïRl!: VI

LA DANSE DES MORTS

Principe égalitaire, — De quoi ricanent les têtes de mort? — Ré- ponse, de Maupertuis. — Impression plus réconfortante qu'as- sombrissante. — Grave leçon aux puissants et aux riches. — Erreurs de certains historiens. — La danse des morts de 14'24.

— Rien de commun avec l'asservissement de Paris par les Anglais.

— Prétentieux repeints de l'époque actuelle. — La danse des antithèses. — Noël du Fail. — Sent-on battre le cœur de la France dans la danse des morts? — Leber et Langlois s'élèvent contre ces imaginations. — Les Anglais emportent dans leur ile un (( battement du cœur de la France ». — Reliquaires bretons.

— La mort du pont de Lucerne. — La mort de Bàle. — Sensation ' désagréable des rois, des moines, des usuriers, des avares, des

grands seigneurs, des courtisanes en voyant arriver la mort. — Le grave et satirique HoUjein. — Humanité de la mort. — Mors melior vita. — La Danse macabre du père Honoré 107

CHAPITRE VII

RENART

Fabliau du renard et de la cigogne. — Le renard s'empare du froc des moines. — Réprimande de Gauthier de Coinsy. — Aventures

29.


-,'r2 TABLE ANALYTIQUE.

de maître Renard, de M. Paulin-Paris. — M. Lenient et la Sa- tire française au moyen âge. — Observation des mœurs du r - nard, par Richard de Fournival. — Rôle du renard dans le blason.

— Admiration des sculpteurs et des peintres pour l'animal. — Ce que veut dire cscorc/ter le regnard. — ^létonymies populaires.

— Curieux bas-relief de Saint-Fiacre, au Faouet. — Tradition de la langue conservée par le peuple. — Miftsale Amhaniensis de la Haye. — Représentation du renard en France et en Angleterre.

— Enseigne du renard prêchant, à Strasbourg. — Excessif en- thousiasme des Allemands pour le Roman de Renart. . . . 157


CHAPITRE YIII

CONSÉQUEMCES DU ROMAN DE BENART SÛUS LOUIS XV

Procession burlesque, sculptée sur un chapiteau de la cathédrale de Strasbourg. — L'antiquaire Tschernein. — Fête-Dieu de 1728. — Le cardinal de Rohan et les images luthériennes. — Réquisi- toire contre d'anciennes sculptures. — Condamnation de Tscher- nein. — De la tolérance moderne . 157

CHAPITRE IX

I LE r.OMAN DE FAUVEL


[ Torcher Fauvel, proverbe. — Le courtisan Fauvel, inférieur à Re-

  • nart indépendant. — La littérature de cour et la littérature du

peuple. 169

CHAPITRE X

LE NOBF.E, LE MOINE, LE «ERF

Néo-symbolismo religieux et néo-symbolisme révolutionnaire. — Discours sur les dissolutions du clergé, au concile de Sienne. — Les cochons mitres et l'extase de sainte Brigitte. — Robes de moines et robes de femmes : graisse et feu. — Chansons des Cidres, de Rutebœuf. [ — Mot d'Erasme. — Bible historiale, peu favorable aux moines. — L'avarice à Saint-Pierre-sous-Vézelav. — Les patenôtres de l'usurier. — Svmbole de l'ivrognerie en


TABLE ANALYTIQUE. 343

Bretagne. — La dispute de la culotte. — Le serf-cariatide. — l'iiclies imaginations archéologiques. — La peau d'un prince ne vaut pas plus que celle d'un charretier. — Le Roman de la Boue. — Clergé, noblesse, peuple 173

CHAPITRE XI

MINIATURES DE MANUSCRITS

La truie qui file. — Le monde renversé. — Travaux de MM. Cham- poUion-Figeac et Ed. Fleury. — Tournois grotesques. — Manu- scrit de Soissons et hôtel de Jacques Cœur. — Étude des manu- scrits. — Libre érudition peu encouragée. — Prêches contre la toilette des femmes. — Enfants paresseux au treizième siècle. — Des croquis et des faits. — Mieux vaut dessiner qu'épiloguer. — L'Annonciation et le fou malséant. — Opinion de ^. Le Roux de Lincy 191

CHAPITRE XII

ARCHITECTURE RELIGIEUSE. — LA MAISON DES TEMPLIERS A METZ

Découverte importante de M. de Saulcy. — La poutre historiée du magasin à poudre de Metz. — Animaux parodiant les actions do l'homme. — Analogie avec certains papyrus égyptiens. — Les Templiers ont-ils rapporté d'Egypte des motifs satiriques?. 21 1

CHAPITRE XIII

ARCHITECTURE MILITAIRE. — LA TOUR DESCH

Rareté des caprices ornementatifs en architecture militaire. — Ca- nonnières de la tour Dèsch, décrites par M. Lorédan Larchey. — Le guerrier malséant. — Guimbarde des Lorrains 218

CHAPITRE XIV

FIGURES SATIRIQUES ET FACETIEUSES DES MONUMENTS CIVILS

L'Hôtel de Ville de Saint-Quentin.— Description des figurines. — Sin- gulier corbeau de l'Hôtel de Ville de Noyon. — Ce que voyait


544 TABLE ANALYTIQUE.

Anne de Bretagne aux fenêtres du château de Blois. — Fâcheuses odeurs d'une femme sans pudeur, — La morale du quinzième siècle et celle du dix-neuvième siècle. — L'ne commère de Saint- Quentin trop chiffonnée. — L'homme à la broche. — Enigme du chanoine Ch. de Bovelles. — Il est temps de gratter le badigeon du symbolisme 222


CHAPITRE XV

LES STALLES DES ÉGLISES

Ce que coûtait l'œuvre de hucherie d'une cathédrale. — Les sculp- teurs de poupées. — D'où vient le mot miséricorde, en tant qu'appliqué aux stalles? — Les compagnons flamands faisant leur tour de France. — Histoire du moine Pigiere. — Ce qu'enseignait le chevalier de La Tour Landry à ses lllles. — Recherches ar- chéologiques souliaitables dans le Poitou. — Stalles de l'église de Mortain. — Analogie de détails avec Breughel. — Stalles de la col- légiale de Champeaux. — Le Lai d'Aristote, à Rouen. — Stalles de Saint-Martin-aux-Bois. — Miséricorde de l'église de Saint- Spire de Corbeil. — Stalles de Saints-Gervais-et-Protais. — Mi- séricordes en Angleterre et en Allemagne 252

CHAPITRE XVI

LA CATHÉDRALE AU MOYEN AGE

Pensée qui décida de l'érection des cathédrales. — Protestation contre la féodalité. — Opinion de M. VioUet-le-Duc. — Destina- lion de la cathédrale. — Singulière sculpture de la cathédrale souterraine de Bourges. — Brochure de M. de Salies. — Le moine \ de l'abbaye de Gué-de-Launay fréquente les cabarets. . . 256'

CHAPITRE XVn

DÉROUTE DU SYMBOLISME

Aberration de la Symbolique. — Gobineau de Montluisant et Ja science hermétique appliquée à l'architecture. — Magoi, gog et magog. — Les pères Cahier et Martin. — Lumière et réalité. 205


TABLE ANALYTIQUE. 345

CHAPITRE XYIil

LES FOUS

Erasme et VÉloge de la Folie. — Des fous de cour et de leur uti- lité. — Cul-de-lampe sculpté de riiùtel de Jacques Cœur, à Bourges. — Légeude romanesque à ce sujet. — Le rôle des fous dans les fêtes religieuses. — Description d'un Fol par Clément îlarot. — Médailles satiriques des réformés contre la cour pa- pale. — La Folie triomphe de la Mort. — La ^ef des Fous, de Sébastien Brandt. — Sermons de Geiler de Keyserberg. . . 270

CHAPITRE XIX

ÉRASME ET l'ÉLOGE DE LA FOLIE

Le savant Érasme appelé à prendre place dans le Panthéon des hu- moristes. — Ses violentes esquisses de vieillards amoureux. — Érasme se sépare de Luther et attaque les moines avec plus de force encore. — Ce qui poussa Érasme à railler les rois, les prin- ces et les grands. — Révélations de son portrait au Louvre. 292

CHAPITRE XX

COLLABORATION d'hOLBELX ET d'ÉRASME

Holbein dessine des croquis pour amuser Érasme. — Le satirique veut prouver queson£'/o</e de la Folle est une œuvre pie.— Hol- bein embarrassé en face de ces dogmes singuliers. — La réalité supérieure à l'imagination 504

CHAPITRE XXI

RABELAIS CARICATURISTE

Obscurité dans laquelle sont enveloppés les grands hommes. — Rabelais, Shakspeare, Molière. — Première édition des Songes drolatiques attribués à Piabelais. — M. Ch. Lenormand voit un architecte dans Rabelais. — Ce que pensait Rabelais des arts du dessin. — M. Paul Lacroix voit un dessinateur dans Rabelais. —


r.4G


TAILLE AKÂLYTIQUE.


Vie et Métamorphoses d'Ovide de 1557. — Prétendue ressem- blance avec les Songes drolatiques. — Jérôme Bosch, Pierre Breugliel, et leur éditeur Cock. — Motifs d'essence néerlan- daise introduits dans les estampes attribuées à Rabelais. — Preuves en regard. — VInvidia et YAvaritia de P. Breughel.

— Imaginations des commentateurs Esmangart et Johanneau.

— Latitude d'interprétations laissée aux curieux par l'éditeur des Songes drolatiques, Richard Breton. — Rabelais lavé du reproche de plagiat 515



Modillon

de la

cathédrale de Poitiers.


TABLE DES GRAVURES

Frontispice on couleur. — Le moine à la cave, d'après un manuscrit.

Préface. — Lettre ornée. . . ô

Figure détachée d'une miniatiîTe du Roman de FauveL . . 8

Miniature de la bibliothèque du Vatican (neuvième siècle) . . U

Le diable, d'après un manuscrit

§ tlamand 12

D'après le manuscrit des Comé- dies de Térence 15

Lettre ornée, tirée du Décret um cum glossa, manuscrit du trei- zième siècle de la bibliothèque de Laon 17

Bas-relief de la voussure du por- tail de >'otre-Dame de Paris (douzième siècle) 19

Chapiteau de l'abbaye de Saint- Benoît-sm'-Loire (onzième siè- cle) 24

Modillon de la cathédrale. de Poi- tiers 25

Chapiteau de l'église Saint-Geor- ges de Bocherville (^'orman- die) 50

Sceau trouvé au château de Pi-

' non 52


Modillon de la cathédrale de Poi- tiers 50

Ci^irice tiré d'un manuscrit du treizième siècle de la Biblio- thèque, d'après un dessin de M. de Bastard 40

Le débat des gens d'atones cl d'viie femme contre vn lymas- son, d'après le Grand Compost du quinzième siècle.. . . 41

Miniature d'un livre d'Heures, manuscrit du quinzièrafe siè- cle 45

Premier fragment d'un bas-relief du jubé de l'église Saint-Fiacre, au Faouet (Morbihan). . . 47

Deuxième fragment du même bas- relief 47

Troisième fragment du même bas- relief 48

Lettre ornée, d'après un manu- scrit du quatorzième siècle. 49

Les habitants de l'ile de Seylan. Voyage de Marc-Paul, minia- ture d'un manuscrit des Mer- veilles du Monde (1550) de la Bibliothèque 50

Chapiteau de la cathédrale de Magdebourg 55


548


TABLE DES GRAVURES.


Sculpture ou bois d'une maison de Malestroit (Bretagne), 50

Cul-de-lampe, d'après un ma- nuscrit du quatorzième siè- cle 00

Lettre ornée 61

Frise archivolte de l'église Saint- Pierre d'Aulnay (douzième siè- cle 65

Cul-de-lampe, d'après une minia- ture des tragédies de Sénèque (fin du treizième siècle). 70

Lettre ornée, d'après une minia- ture des tragédies de Sénèque (fin du treizième siècle'. . 71

Miniature d'une Bible morali- sée (n" 166), de la Bibliothè- que nationale 75

Chapiteau du portail de l'église de Meillet ^douzième siècle). . 77

Chapiteau de la nef de Saint-IIi- laire-de-Melle (Poitou). . 84

Lettre ornée. Le diable, gar- gouille 85

Bas-relief de l'hùtel de ville de Saint-Quentin 86

Bas-relief de l'église du Monas- tier (Velay) 95

La pèse des âmes, fragment dun bas-relief du fronton de la ca- thédrale d'Autun 95

Bas-relief de Téglise Saint-Fiacre, au Faouct (Bretagne). . . 98

Saint .Martin, le diable et les commères, d'après une an- cienne tapisserie. . . . 101

Stalle de l'église Saint-Spire, à Corbeil lOi

Le diable, d'après un manuscrit de la bibliothèque à Cambrai (douzième siècle; '.. . . 100

' Une lacune dans mes notps m'evnjjê- clie de véiiiier si celle figure a été tirée (I un manusciit de Douai, de Cambrai ou d'Amiens.


La Mort et l'Empereur, lettre or- née, d'après Holbein. . . 407

L'Évêque et la Mort, d'après IIol- Ijein 111

La iMort et le Laboureui% d'après Holbein 115

Le Roy mort et l'Acteur, d'après une itlanche de la Danse Ma- cabre de 1485 117

Frontispice de la Danse des fem- mes, laquelle composa maître Marcial d'Auvergne, procureur au Parlement de Paris. . 120

La Mort, d'après un livre d'Heu- res, de Geoffroy Tory. . 125

La Mort et la Jeune Fille, d'a- près une gravure allemande de 1541 120

La Mort et le Chevalier, d'après Holbein 155

Lettre ornée. Le renard, d'après un manuscrit 157

La cigogne et le renard, cha- piteau de la cathédrale d'Au- tun 159

Le renard et les poules, vitrail de Limoges (seizième siècle). 147

L'ivrogne, bas -relief de Saint- Fiacre, au Faouet. . . . 149

Le renard en chaire, miséricorde de l'église Saint-Taurin d'É- vreux 152

Le renard et les canards, d'a- près une ancienne enseigne de Strasbourg . 156

Lettre ornée d'un manuscrit du i uatorzième siècle de la biblio- thèque de Laon 157

Chapiteau de la cathédrale de Strasbourg, détruit au dix- septième siècle 159

Autre chapiteau de la cathédrale de Strasb )urg 167

l,ettre ornée, d'après un manu-


TABLE DES GKAVURES.


r.49


scrit du douzième siècle de la bibliothèque de Laon.. . IGO Miniature du Roman de Fauvel, d'après un manuscrit de la Bibliothè(iuc nationale ( sei- zième siècle) 171

Cul-de-lampe, daprès un ma- nuscrit du quatorzième siè- cle 172

Lettre ornée. Manuscrit de VApo- cahjjise du quatorzième siècle, de la Bibliothèque. . . 175 Miniature d'une Bible liisto- riale (n" l()7i de la Bibliothè- que 170

Sculpture de l'église Saint-Pierre- sous-\'ézelay (fin du douzième siècle^ d'après un dessin de M. Viollet-le-Duc. . . . 181 Figure de l'église Saint-Gille, à 3Ialestroit (Bretagne). . 184 Sculpture du portail de l'église de Ploérmel, d'après un des- sin de M. Bouet 185

Corbeau de l'église basse de Ros- nay (Aube), douzième siècle, d'après un dessin de M. Cli.

Fichot ... 187

Bas-relief du portail de l'église Saint-Urbain, à Troyes. . 189 Lettre ornée, d'après un manu- scrit . . 191

La truie qui file, d'après un ma- nuscrit du quatorzième siè- cle 192

Le renard et l'escargot, d'après un manuscrit de la bibliothè- que de Cambrai 192

Le chien et les lièvres, d'après un manuscrit du quatorzième

siècle 195

Tournoi grotesque, d'après le Mmsale Siiessionncnse, manu- scrit du quatorzième siècle


de la bibliothèque de Sois- sons 197

Miniature de VHistoire de Saint- Graal, quatorzième siècle. Bi- bliothèque 199

Le bœuf dirigeant la charrue, d'après un manuscrit du qua- torzième siècle de la Biblio- thèque. 201

Le lièvre portant le chasseur, ancienne miniature. . , 205 Le maître d'école, d'après le ma- miscrit n" 95 de la Biblio- thèciLie (treizième siècle). 205' D'après une lettre ornée d'an- cien manuscrit 208

La noble dame à sa toilette, ma- nuscrit de la Bibliothèque (qua- torzième siècle^, d'après un dessin de M. A. Darcel. . 209 Lettre ornée, d'après un manu- scrit des tragédies de Sénèque (lin du treizième siècle). 211 Fres((uc de la maison des Tem- pliers, daprès un dessin de

M. de Saulcy 212

Autre fresque du même monu- ment . . 215

Autre fresque du même monu- ment 214

Papyrus égyptien du Britisli-

Museum 215

Modillon de l'église de Poi- tiers 217

Grotesque avalant un boulet. Pierre d'angle de la tourDesch,

à Metz 218

Canonnière de la tour Desch, à Metz, d'après un dessin de M. Lorédan Larchey. . . Sculpture de la toiu' Desch.

La tonr Desch 221

Lettre ornée, d'après un manu- scrit du douzième siècle de la

50


219 220


A


oo


oO


TA1]LE DES GRAVURES.


bibliothèque de Laon. . . 222 Figurine de la façade de l'hùlel de ville de Sainl-Quenliii (sei- zième siècle) 225

Corbeau de l'iiùtel de ville de Noyou (fui du quinzième siè- cle) ..... 225

Retombées des fenêtres du châ- teau de Blois 227

Détail de la façade de l'hôtel de

ville de Saint- Quentin. . 229

Figurine de l'hôtel de ville de

Saint-Quentin 231

Détail de stalle de la collégiale de Champeaux (seizième siè- cle) 252

Détail de stalle de la cathédrale de Saint-Pol de Léon, d'après un dessin de M. Léon Gauche-

rel 255

Le meunier, d'après Creughel

d'Enfer 240

Stalle de la collégiale de Cham- peaux 242

Miséricorde de la collégiale de Champeaux ( seizième siè- cle) 245

Le Lai d'Aristote, stalle de la ca thédrale de Rouen. . . . 245 Stalle de l'église Saint-Spire de

Corbeil 249

Miséricorde de l'anciemie église

de Saint-Spire 250

Miséricorde de l'église Saint- Gervais- Saint- Prolais, à Pa- ris. . ^ 254

Lettre ornée. Modillon de la ca- thédrale de Poitiers. . . 256 Sculpture de la cathédrale sou- terraine de Bourges. . . 201 Lettre ornée. Modillon de l'église

de Poitiers 265

Gargouille de l'abbaye de Saint- Denis (treizième siècle). 267


Modillon du douzième siècle. 269

Lettre ornée. Détail d'une maison de bois de Troyes (seizième siècle) 270

Sculpture intérieure de la mai- son de Jacques Cœur, à Bour- ges 277

Médaille satirique contre la cour de Rome 282

I-'ac-simile d'une figure en bois des Menus- Propos de Mère Sotte , de Pierre Gringoire (1505) 285

Fac-similé d'une gravure du Aar- renschiff. 289

Cul-de-lampe, d'après un livre d'Heures du seizième siè-

CI6* ••••••• ••• Mt/i

Lettre ornée. Portrait d'Érasme, d'après llolbein 292

La Folie, d'après Holbein. . 294

Le moine, fac-similé d'un dessin d'Holbein 298

Cul- de- lampe, d'après Schei- ble 505

Lettre ornée, fac-similé d'un des- sin d'Holbein 504

La Folie descend de sa chaire, d'après llolbein 507

Fac-similé d'un dessin d'Hol- bein 510

L'enfant et le pédagogue, d'après Holbein 511

Le diable, d'après un ancien cha- piteau 512

Lettre ornée, d'après un ma- nuscrit du quatorzième cle

Fac-similé d'une planche Songes drolatiques.. . .

Entourage des Métamorphoses d'Ovide [Ibbl) 522

Fac-similé d'une planche des Songes drolatiques. . . 525


sie- 513 des 517


TABLE DES GUAVLUES.


551


D'après Breugliel o'iG

D'après les Songes drolati- ques 0*27

D'après Breugliel 328

D'après les Songes drolati- ques 529

D'après Breugliel 550

D'après les Songes drolati- i


gués 551

Fac-siiiiile d'une planche des Songes drolatiques. . . . 555

Cul-de-Iainpe, d'après un ancien manuscrit 558

Modillon de la cathédrale de Poitiers 540



PARIS. — IMP. SIMON RAÇON ET COMP., PUli u'iiliKUlWTH, !l




I





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