Herculanum et Pompéi : recueil général des peintures, bronzes, mosaïques  

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Herculanum et Pompéi : recueil général des peintures, bronzes, mosaïques, etc., découverts jusqu'a ce jour, et reproduits d'après le antichità di Ercolano, il Museo borbonico, et tous les ouvrages analogues : augmenté de sujets inédits, gravés au trait sur cuivre [1] (1875-77) is a work Louis Barré (1799-1857) with engravings by H. Roux (Aîné), published in 8 volumes by Firmin-Didot. It is a description of the excavations of Pompeii, Herculaneum, and Stabiae. The work is a based on previous similar works, such as the Le Antichità di Ercolano Esposte. The eighth volume was dedicated to the Secret Museum, Naples.

Typical for its age, the authors made sure not to be accused of pandering lewdness to the masses (the poorly educated, women and children) by building safeguards in their work.

First of all some text was left untranslated and the price of the books was expensive:

"We have endeavoured to make its reading inaccessible, so to speak, to poorly educated people, as well to those whose sex and age forbid any exception to the laws of decency and modesty. With this end in mind, we have done our best to regard each of the objects we have had to describe from an exclusively archaeological and scientific point of view. It has been our intention to remain calm and serious throughout. In the exercise of his holy office, the man of science must neither blush nor smile. We have looked upon our statues as an anatomist contemplates his cadavers. --tr. (Kendrick 1987: 15)

As for the illustrations: these were altered (diminished in size or obliterated):

"Our draftsmen have obeyed an analogous rule; but instead of tacking on draperies or other accessories to their 'designs of which might have spoiled the spirit of the composition or distorted the thought of the ancient artist — they have restricted themselves to miniaturizing a few things. The truly erotic nudity of these rare subjects has thereby been stripped of the excessively crude and impertinent features that marked the originals. They have lost their importance; sometimes, without detriment, they have utterly vanished. --tr. (Kendrick 1987: 16)

Contents

Excerpts from the introduction

"D'ailleurs, le plupart des monuments dont il s'agit sont vraiment chastes dans leur obscénité même, chastes par l'intention et le style sévère de l'artiste, chastes par la sainteté des idées qu'ils devaient réveiller. Il faut soigneusement distinguer, parmi ces monuments, une partie hiératique ou religieuse, une partie purement licencieuse."
"hommes d'un âge mur; et l'on exige même de chaque visiteur qu'il ait obtenu une permission spéciale du ministre de la maison du roi des Deux-Siciles."
"Dans l'exercice d'une sainte magistrature, l'homme de la science ne doit avoir ni rougeur ni sourire. Nous avons regardé nos statues comme un anatomiste contemple ses cadavres."
Nos dessinateurs se sont fait une règle analogue; mais, au lieu d'ajouter, dans les tableaux, des draperies ou d'autres accessoires qui auraient pu détruire l'esprit de la composition et dénaturer la pensée de l'artiste ancien, ils se sont contentés de réduire à d'étroites dimensions un petit nombre de sujets d'une nudité vraiment erotique. Ainsi diminués, certains traits trop crus et trop saillants du dessin original ont perdu toute leur importance; quelquefois même ils ont pu, sans inconvénient, s'évanouir et disparaître tout à fait.

Full text of vol.8

INTRODUCTION. [2]

Il y a dans l'histoire de tous les peuples anciens une partie peu connue, quoique fort importante : c'est celle qui concerne leurs usages et leurs mœurs. Ensuite, cette partie elle-même renferme une subdivision plus mysté- rieuse encore et non moins digne d'intérêt : c'est l'exposé des rapports réguliers ou irréguliers, légitimes ou illégi- times, des deux sexes entre eux. Là se trouve le sens et comme la clef des événements les plus graves et les pi us obscurs : ce sont, pour ainsi dire, les articles secrets d'un traité, qui à eux seuls en constituent bien souvent tout l'esprit .

Or, au défaut des livres, les lacunes historiques se ré- tablissent par les monuments : les institutions sont ex- pliquées parles édifices publics; les usages privés, par la demeure du citoyen ; et les mœurs, les habitudes eroti- ques, si l'on peut s'exprimer ainsi, par les appartements Musée secret. 1


2 MUSÉE SECRET.

les plus secrets de cette demeure, par les statues, pein- tures, vases et ustensiles de toute espèce, qui ont quel- que rapporta ces habitudes.

Les monuments de cette classe, que l'on pourrait ap- peler « Monuments pornographiques, » ne sont point de nature à être exposés à tous les yeux ; mais ils intéressent au plus haut degré l'historien, l'homme de lettres, l'ar- tiste, le philosophe, et même l'homme religieux.

Ils établissent la juste valeur de ces accusations que les écrivains satiriques ont toujours jetées à la face de leur siècle, et sous le poids desquelles les partis, les sec- tes politiques et religieuses, ont tenté de s'écraser tour à tour. Toute époque, toute magistrature, toute caste, a eu sa corruption et sa souillure; mais quelle a été la tendance du mal et son degré précis, voilà ce que les mo- numents peuvent seuls nous apprendre. Ce sont comme des contrôles et des commentaires indestructibles de l'histoire. Cette grande controverse qui s'est élevée sur l'impartialité de Tacite et la réalité des vices attribués aux maîtres de l'empire, cette controverse ne peut être définitivement tranchée que par l'étude des richesses contenues dans les musées secrets : il est vrai que ces monuments, en nous révélant que le genre humain a été réellement gouverné par des monstres, nous font voir aussi qu'à cette époque le genre humain était digne de ses maîtres.

Le moraliste le plus zélé, pour peu qu'il fût poète en même temps , si on lui donnait le pouvoir d'anéantir,


MUSÉE SKCRET. 3

par lin seul effort de sa pensée, les productions licen- cieuses que nous ont léguées les anciens, oserait-il pro- noncer l'infaillible anathème, et mutiler Aristophane, Anacréon, Théocrite, Horace, Plaute, Ovide, TibuUe, Catulle, Juvénal, Martial et Pétrone? Eh bien ! j'ose le dire, ce ne serait pas un moindre sacrilège que de sou- haiter l'anéantissement des collections pornographiques ou d'en blâmer la publication, puisque ces collections complètent et expliquent tous ces écrivains.

Bien plus, ces monuments suppléent en quelque sorte aux poëmes ou aux traités licencieux qui ne sont point parvenus jusqu'à nous. Non-seulement ils nous rendent les livres d'Astyanasse, de Cyréné, de Philœnis (i) et d'Éléphantis, moites ElepJiantldos Uhellos (2), et ceux du poëte Musée, Musœi pathicissimos Uhellos (3), et ceux enfin du Sybarite Hémithéon (4); mais par eux on peut retrouver encore quel devait être l'esprit de ces petits ouvrages, attribués aux stoïciens, qui se glissaient sous les coussins de soie, chez les dames de Rome :

Nec non libelli stoici inter sericos Jacere pulvillos amant (5).

En leur présence on peut recréer par la pensée les Cinquante épîtres lascives de Chrysippe, et sa Fable de Ju-

(l)Suid.,v. 'A(7Tuoiva5(Ta; Goeller, Suet., Tiber., 43. ad Tim., fi-agm. XXXIV, p. 238; (3) M&YL,Ej)igr., XII, 96, 4.

Jacobs,^?ii/wZ.,VI,385; Aristoph., (4) Id., ihid.; Ovid., Trist., II,

Ran., 135. 417; Lucian., ripôc; àTcoei'SsuT.

(•2) Mart, Epigr., XII, 43, 4; (5) nov.,Epod. Ub., S, 15.


4 MUSÉE SECRET.

piteretde Junon, récit efïrontéau dernier point, ditDio-

gèneLaërce (i); les Dialogues de Sphaeréus (2) ; les livres

de Cléanthe sur l'Amour et l'Artd'aimer (3) ; les Exercices

amoureux d'Aristo(4); les livres d'Antisthènes intitulés

des Noces et de l'Amant (5); le Clinias d'Héraclide (6); J

l'Amoureux de Démétrius de Phalère (7) ; celui de Théo- ■

phraste (8), et enfin le traité de Straton (9).

La question philosophique du progrès est également intéressée à l'examen de ces monuments : car les pro- grès qu'il importe le plus de constater, s'il y a lieu, ce sont les pi'ogrès moraux, et, parmi ces derniers, ceux surtout qui concernent les rapports sexuels, rapports qui sont les plus importants en effet, à cause de leur influence immédiate sur la famille et la société.

Mais les défenseurs des idées et des dogmes religieux sont, parmi tous lesécrivains, ceux auxquels de pareilles collections fournissent les arguments les plus puissants en faveur d'une grande et noble cause. La suppression de l'esclavage et le rétablissement des mœurs, ces deux réformes si étroitement liées l'une à l'autre, voilà les deux faits qui prouvent le mieux à posteriori la vérité de la mission chrétienne. Aussi les anciens apologistes du chris- tianisme n'ont-ils eux-mêmes reculé devant aucune révé- lation du genre de celles que renfenne un musée secret.

(1) Diog. Laert., Chrysipp., VII, (5) Ici, Antislh., VI, 15 et 18. 187, 188. (6) Id., Heracl, V, 87.

(2) Id., ySplmr., VII, 178. (7) Id., Demetr., V, 81.

(3) Id., Cleanth., Vit, 175 . (8) Id., Theophr., V, 43.

(4) Id., Zen., VII, 163. (9) Id., Strat, V, 59.


MUSÉE SF.CRET. 6

On le verra par la multitude de citations et d'éclaircis- sements que nous leur avons empruntés. Tous ont ar- raché hardiment le voile et mis à nu les plaies les plus honteuses de la vieille société, afin de montrer, comme dit l'évêque d'Hippone : Qidd ïmimindi spiritus,'dum prodiis liabentur, in homiiuimpossent mentihui\\) ;((ce que peuvent les esprits immondes sur l'âme de ceux qui les regardent comme des dieux. » S. Jean Chrysostomea considéré cette révélation comme un des devoirs les plus sacrés du moraliste : Av [aèv yàp ceptiç, nVoç, oO ^wnc-ri x-aOï-

X£c6ai. Toù ây.ouovToç- sàv i^à [JouV/iâ-^ç /CaGat|<â39ai Gfporîpto;, (zva'yy.'iv é'yet; àTToyu[Avwcai catpaaTepov tô Tvsyoïxsvovj « car SI VOUS voulez

VOUS renfermer dans les bornes d'une froide décence , VOUS ne parviendrez pas à toucher l'auditeur : pour l'é- mouvoir fortement, il faudra lui dévoiler les faits dans toute leur nudité et sans aucune réticence. » Les hommes les plus graves et les plus pieux du dix-septième siècle, ces écrivains qui confondaient dans un même culte la religion, la science et la vertu, se sont crus suffisamment autorisés par les encouragements et l'exemple des Mi- nutius Félix, des Arnobe, des Lactance, des Clément d'Alexandrie et des Tertullien, à ne rien déguiser des monuments par lesquels l'antiquité, sortant de ses rui- nes, venait chaque jour se révéler aux modernes. Les Gemmes antiques de l'Agostini, imprimées à Rome pour la première fois, sont dédiées au souverain pontife Alexan-

(1) D. Augiist., de Oir. Dei, VI, 0.


6 MUSÉE SECRET.

(Ire Vil; elles sont publiées une seconde fois clans la même ville avec les additions de Rossi ; et Maffei, après avoir obtenu du saint-père, Clément Vil, la permission de lui dédier cette deuxième édition, ne craint pas d'en" justifier les monuments les plus obscènes en s'ap- puyant de considérations pareilles à celles que nous présentons ici (i). Le Musée romain, dédié au cardi- nal de Gesures, offre des dessins du même genre, et leur publication est défendue par les mêmes arguments dans la dissertiition intitulée : De Mutini simulacris [i). Enfin, Beger, en rédigeant d'après les ordres de l'élec- teur, ensuite roi de Prusse, son Thésaurus Brandehur- gensis, professe la même liberté et s'en excuse de la même manière. Tous ces hommes vraiment pieux et vraiment doctes semblent se guider par ces belles pa- roles de Livie (3) : « Pour une femme pudique, un homme nu n'est qu'une statue. »

Il nous a paru nécessaire de renouveler cette espèce d'apologie, à une époque oîi la science des Beger et des Maffei n'est pas fort commune; mais où, en revanche, la plus innocente nudité, imprimée ou gravée, scandalise des critiques bien autrement scrupuleux que n'étaient autrefois les cardinaux ou les papes.

D'ailleurs, la plupart des monuments dont il s'agit sont vraiment chastes dans leur obscénité même, chastes par l'intention et le style sévère de l'artiste, chastes par

(IJ Tom. III, n. 40 et 41, p. 74. (3) Dio, LVIII, 2.

(2) Tom. II, p. 95.


MUSÉE SECRET. 7

la sainteté des idées qu'ils devaient réveiller. Il faut soi- gneusement distinguer, parmi ces monuments, une partie hiératique ou religieuse, une partie purement licencieuse. Ces deux classes correspondent à deux époques difté- rentes de la civilisation, à deux états différents de l'es- prit humain. La puissance génératrice se présenta la pre- mière connue digne des adorations des hommes; elle fut symbolisée dans les organes où elle se concentre : et alors, nulle idée de volupté, même légitime, ne vint se mê- ler au culte de ces objets sacrés. Si cet esprit de pureté s'affaiblit à mesure que la civilisation se développa, que le luxe et les vices s'accrurent, toujours est-il qu'il dut rester l'apanage de quelques iimes simples; et dès loi's^ il est permis de considérer sous ce point de vue tous les monuments où la nudité se voile pour ainsi dire sous un motif religieux. Regardons ces représentations grossières du même œil que les voyaient les populations des campa- gnes du Latium, populations ignorantes et rustiques, et par conséquent encore pures et vertueuses, même dans les temps les plus polis et les plus dépravés de l'empire; considérons ainsi toutes ces grossières statues du dieu des jardins, ces phallus et ces amulettes, et rappelons-nous qu'aujourd'hui encore les simples paysans de quelques parties de l'Italie ne sont point tout h fait guéris de pareil- les superstitions. On peut penser que quand ÀvaîàW, l'Impudeur (i), recevait un culte dans Athènes, avec

(1) Suid., 8. V. ©eo'i;.


8 MUSÉE SECRET.

Ùp9av/iç (i), Kovicira'Xo; et Tu/wv (2), et toute une classe de Génies priapiques, la même innocence présidant encore à ce culte, la même rigidité de ciseau ou de pinceau de- vait rendre les images de ces divinités peu attrayantes pour les sens. Il en devait encore être ainsi par exemple de la sculpture du coffre de Cypsélus qui représentait Ulysse avec Circé (3).

Certes, ceci ne s'applique point aux monuments por- nographiques proprement dits, images produites dans le seul but de ranimer à la fois, par la licence du sujet et la liberté de l'exécution, des sens usés et un goût désor- mais insensible au simple et au vrai. Nos peines ont été té- moins, vers le milieu du dix-huitième siècle, d'une in- vasion à peu près pareille d'une fausse volupté dans le domaine de l'art; et nous savons ce qu'il en a coûté à l'art lui-même aussi bien qu'à la morale. Aristote établis- sait déjà la distinction convenable entre cette deuxième classe de monuments et la première, quand il voulait qu'on écartât de la vue des jeunes gens toute image déshonnête, sauf celles qui, dans le culte de certaines divinités, étaient permises par la loi (4). Parmi les images défendues, il faut comprendre ces tableaux licencieux qu'Euripide signale déjà (5); et ceux que réprouve le rhéteur Aristide, quoiqu'on les plaçât dans les temples (6);


(1) Scol. Lycophr., t. 538; He- (4) Aristot., Polit., VII, 15, 8. sych.; Eubul. ap. Athen. III, 108. {b) If ipjjo! y t., 1001.

(2) Strab., XIII, 588. (6) Aristid., Oraf., III, Istkm. in

(3) Pausan., V, 1 9. ^'e/ii., tom. I, p. 46.


AIUSÉE SF.CRLT.

et les Ubidines {\) que Parrhasius peignait pour se dé- lasser de ses grandes compositions : car elle était du célèbre Parrliasius cette scandaleuse Atalante crui fut lé- guée à Tibère, préférée par lui à un legs d'un million de sesterces, et placée par l'empereur même dans sa chambre à coucher (2), à côté de l'Archigallus du même maître (3). Du même genre étaient encore les images que les jeunes efféminés d'Athènes portaient dans leurs tablettes (4), et les deux cycles des amours de Vénus et de Jupiter (5), et les Àcppo^iV/i; xpoTOi (6), cy^'ixxTx, Veneris figurœij), qui, inventées par les courtisanes et les poètes dont nous avons parlé plus haut (8), ont précédé et pré- paré les sp'intriœ de Tibère (9). Des peintures de cette espèce décoraient encore certains antres, tels que ceux de l'île de Caprée, où le maître de Séjan, avec ses nym- phes et ses panisques, célébrait ses infâmes orgies; Eu- ripide parle déjà de retraites semblaliles dansun passage qui, faute de cette interprétation, était resté jusqu'ici fort obscur (10); enfin l'existence de ces cavernes, décorées de peintures obscènes, est définitivement confirmée par la découverte que M. Grasset, agent français à Egine, a faite, il y a quelques années, d'un petit souterrain dé-


(1) Plin,,.XXV, 9, ?>G. (6) AristopL, Eccles., 8.

(2) Suet., TiUr., 44. (7) Ovid., TrisL, II, 523.

(3) Plin., loc. citât. (S) Voy. pag. 3.

(4) Anaxilaiis comic. ap. Atlicn., (9) Sucton., Tilier.,Ab.

XTI, 548. (10) Hijpsqjyl., ap. scol. Aris-

(5) Plaut., MenœcJim., I, 2, 31; topli., Rati., 1356. Terent., Eunuch., III, 5, 35.

Musée secret. 2


10 MUSÉE SECRET.

pendant d'un édifice de cette île. Properce déplore l'u- sage de ces peintures, et regrette le temps où elles étaient ignorées :

Tum paries iiuUo crimiiie pictus erat (1).

« Alors les murs n'étaient point revêtus de criminelles images ! »

Ainsi, Ovide, dans sa vieillesse, blâme les préceptes l'elâchés qn'ont répandus ses premiers poëmes. Enfin, c'est fort légèrement que l'on a imputé un vice odieux à un autre poëte, à cet Horace quelquefois si moral, et du moins toujours trop insoucieux et trop sceptique pour s'adonnera ces puériles recherches de volupté. Il est im- possible de ne pas rejeter, comme une interpolation ca- lomnieuse, le prétendu passage de Suétone (2), dans lequel Horace est accusé d'avoir eu une chambre {spe- culato cubiculo ) ornée de miroirs ou de tableaux {scorta), disposés de manière à reproduire autour de lui des images lascives ; il est impossible de ne pas voir que ce passage, tiré de Sénèque, qui attribue la même recher- che de débauche à un nommé Hostius (3), a été ajouté dans la Vie d'Horace par un copiste tout à fait inexpéri- menté, ignorant la différence des styles, et rompant, sans aucun souci du sens commun, la continuité des pensées de l'auteur.

Quoi qu'il en soit de ce dernier témoignage, et quelque

(1) Propert.,11, 5, 26. (3)Senec., Nat. Qi/œsL, I, 16.

(2) Suet., .ffo?-«/. Vif., in .fin.


MUSÉE SECRET. 11

blànie que l'on doive jeter à la fois et sur les peintres de l'antiquité qui ont ainsi pi'ofané leur pinceau, et sur les riches et les puissants qui les y excitaient par l'appât de l'or, pense-t-on que ce serait aujourd'hui une découverte peu intéressante que celle de tous les produits d'art dont nous venons d'offrir une sorte de catalogue? Aurait-on quelque grâce à blâmer l'inventeur qui ne se serait pas empressé de rejeter la terre des fouilles sur la fatale dé- couverte, ou l'éditeur qui livrerait à la publicité ces mo- numents des aberi\ations de l'art antique?

Ce n'est point toutefois sans quelque précaution, que l'on montre les collections pornographiques, grecques, étrusques, romaines, égyptiennes, qui existentàFlorence, à Madrid, à Londres, à Dresde et à Berlin. Le cabinet secret du Musée royal deglistacU, à Naples, n'est ouvert qu'aux hommes d'un âge mur; et l'on exige même de chaque visiteur qu'il ait obtenu une permission spéciale du ministre de la maison du roi des Deux-Siciles.

Nous avons pris de même toutes les mesures de prudence applicables à un recueil de gravures et de texte. Nous avons tâché d'en rendre la lecture pour ainsi dire inaccessible aux personnes peu lettrées, ainsi qu'au sexe et à l'âge pour lesquels la décence et la pudeur sont des lois sans exception. Afin d'atteindre ce but, nous nous sommes efforcé de ne voir, dans chacun des objets que nous avions à décrire, que le seul point de vue archéologique et scientifique. Partout, nous avons voulu rester calme et sérieux. Dans l'exercice d'une sainte magistrature, l'homme de la science ne doit avoir ni rougeur ni sourire. Nous avons regardé nos statues comme un anatomiste contemple ses cadavres. Jamais non plus nous ne les abordons seul : c'est entouré du vénérable cortège des écrivains anciens que nous expliquons ces débris profanes de l'antiquité. C'est leur parole même que nous substituons souvent à la nôtre; et leur langue, qui dans les mots brave l'honnêteté, nous a prêté, pour les choses difficiles à rendre, ses expressions toujours graves et par conséquent toujours chastes. Dans un autre sujet, on blâmerait peut-être ce luxe d'érudition : on nous en louera sans doute dans celui-ci, comme on excuse cette exubérance de feuillages, à l'aide de laquelle le statuaire dérobe quelquefois les nudités de ses groupes.

Nos dessinateurs se sont fait une règle analogue; mais, au lieu d'ajouter, dans les tableaux, des draperies ou d'autres accessoires qui auraient pu détruire l'esprit de la composition et dénaturer la pensée de l'artiste ancien, ils se sont contentés de réduire à d'étroites dimensions un petit nombre de sujets d'une nudité vraiment erotique. Ainsi diminués, certains traits trop crus et trop saillants du dessin original ont perdu toute leur importance; quelquefois même ils ont pu, sans inconvénient, s'évanouir et disparaître tout à fait.


PEINTURES .

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M, S




EXPLICATION DES PLANCHES.

Eii^ââa m^bm"^.


PLANCHE 1.

Cette peinture estd'un excellent coloris et d'un dessin assez pur : le mouvement des deux figures est soigneu- sement étudié, bien senti, et rendu avec vérité. Un jeune faune vient de surprendre une bacchante dans un lieu désert et sauvage : c'est une enceinte de rochers escarpés, au milieu de laquelle on voit des pierres couvertes de mousse, des ruines, des broussailles, retraite favorite des nymph'^s, des faunes et des satyres aux pieds de chèvre.

Hsec loca capripedes satyi'os nymphasque tenere Finitimi fingunt, etfamios esse loquuntur (1).

Les bacchantes elles-mêmes fréquentaient les âpres sentiers des montagnes : en effet, Bacchus recevait le

(l) L\.mr^it.,de Eer. ludur., IV, 584. l


14 MUSÉE SECRET.

nom d'Oréos (de opo?, mont), et ses nymphes avaient celui d'Oréades (i). Voyez comme le poëte tragique les a peintes (2) :

àX),r,v 5' aXXoç eÎç £pr||ji{av

IlTOjiTcouaav sûvaTç àpaÉvuiv ÛTtripsTeîv, npdcpaulv (jiiv w; W, Mr,vo<oai; Ouoaxo'ouç T^QvS' 'A!(ipoS£TT,v TtpôcÔ' aysiv Toû Bax3(^iou.

tt Fuyant çà et là dans le désert, i^our échapper au lit d'un époux, on « dirait des Ménades furieuses ; mais elles célèbrent Aphrodite bien plutôt € que Bacchus. »

A l'imitation de cette armée de Ménades qui, partie de Nisa en Arabie, parcourut tout le continent avec Bac- chus pendant trois années, pour enseigner et répandre la culture de la vigne et les mystères du dieu (3), les fem- mes de l'antiquité célébraient les bacchanales , à demi nues, armées du thyrse, et parcouraient les campagnes

f

enchantant Evoë (4) :

Pectora pelle tegi, crinales solvere Tittas,

Serta coma, manilras frondentes sumere thjrsos

Quacumque iugi-ederis, clamor juvenilis et uua Femineasque voces , impulsaque tympana palmis , Conca vaque sera sonant, longoque foramine buxus.

« Leur sein n'est couvert que de la dépouille d'un habitant des bois ; elles a dénouent les bandelettes qui retenaient leur chevelure : leur tête porte

« des guirlandes, leurs mains portent des thyi-ses garnis de feuillages

« Partout des cris de jeunes gens et des voix de femmes ; partout le tympa- 4 num résonne sous les doigts qui le fi'appent ; partout on entend retentir tf l'airain creux et le buis s'allonge eu tuyaux. »

(1) Festus, s. V. Oreos. (3) Diodor., I, 22 : III, 62; lY, 2.

(2) Eurip., Bacch., 218 et seqq. (4) Ovid., Met., IV, 6 et 28.


MUSÉE SECRET. 15

Les bacchanales, dit saint Augustin, qui en parlait en- core comme contemporain (i), se célèbrent avec une telle fureur, que, selon l'expression de Varron lui-même, les acteurs de ces mystères doivent être nécessairement en démence: « a Bacchaiitlbus talia Jîeri non potuisse nisi mente commota. »

Notre peinture offre un épisode de ce grand drame religieux.

II paraît que le dieu champêtre a saisi la nymphe par la tête et sous l'épaule, en se glissant derrière les rochers sur lesquels elle était assise; puis, il l'a fait tourner sur elle- même en l'attirant à lui. Les académiciens d'Herculanum qui ont examiné cette peinture avec tout l'intérêt qu'elle mérite pensent au contraire que, dans l'intention de l'artiste, la bacchante escaladait les rochers pour échap- per au dieu pétulant qui la poursuivait : ses pieds étaient posés sur deux espèces de gradins consécutifs, à la place même oii on les Aoit encore (juand le faune l'a saisie, l'a renversée, et s'est agenouillé lui-même pour profiter de son triomphe. Cette interprétation conviendrait peut-être aussi bien que la nôtre au mouvement et à la position des deux figures; maiselle suppose que cette bacchante, qui se prête rieuse aux embrassements du jeune dieu, vient de tomber en arrière de toute sa hauteur, et non pas sur des coussins ou sur une herbe touffue! ce serait imaginer des demi-dieux tout à fait inaccessibles aux douleurs cov-

(\) De Civ.Dei,N\,^.


10 ]\IUSÉE SECRLT.

porelles, chose qui n'est guère clans le sentiment de l'an- tiqnité.

D'ailleurs, le faune a laissé tomber au hasard son bâton pastoral {pedum) et sa flûte à sept tuyaux ; mais la bac- chante avait placé pi'ès d'elle son thyrse couronné de feuilles de lierre et orné d'une bandelette rougeâtre; elle avait avissi déposé soncymbalum entouré de sonnettes, et sur le fond duquel est peint un sistre, emblème isia- que, et par conséquent bachique : le voilà encore près d'elle.

<r Ce cercle couvert d'un cuir bien tendu. »

Un cerceau sans fond, quia roulé plusloin du groupe, pouvait appartenir également aux deux acteurs de cette scène. Quelquesantiquaires ont voulu voir dans cet objet le f/iombiis, qui est désigné parmi les attributs bachi- ques dans une épigramme de l'Anthologie (a). Mais, selon nous, le rho m bus était plutôt un instrument disposé de manière à tourner comme un rouet (3) : ceci doit être simplementun de ces larges anneaux garnis de sonnettes, que les Ijacchantes portaient dans les orgies en les agitant avec bruit, ainsi qu'on le voit dans un sacrifice à Priape, rapporté parMaufaucon (4), et dans une certaine tête de,

(1) Eurip., Bacclt., 124; Buoiiar- lus; Mercurial., Art. gymn., III, 8. rôti, Cameo di Bacco, p. 486. (3) Forcellin. s. t. Blwmhus.

(2) KuBter, ap. Suid, in «ietaoç; (4) Tom. I, p. II, 1,28, pi. 181. Voss., Elym. in Trochus et Bhom-


PEINTURES




JIUSÉE SECRET. 17

faune (i). Cet attribut appiutieiidrait doue ici au faune, la nymphe ayant d'ailleurs autant d'objets qu'elle en pouvait porter; et ainsi serait désigné encore plus clai- rement un épisode des bacchanales.

Le manteau de la nymphe est rouge, couleur qui con- venait aux mystères bachif[ues (a) ; son beau torse dé- veloppe sa ligne serpentine sur ce fond qui en fait res- sortir la blancheur : sa tête blonde s'unit amoureusement à la face rude et brunie, mais animée et lascive, du faune; et ces deux carnations, l'une pleine demorbidesse et de volupté, l'autre chargée de tons chauds, vivaces et pres- que brutaux, contrastent entre elles comme la position des deux corps. Ces deux corps forment en effet la pyra- mide tant cherchée par quelques artistes. Leur posi- tion a quelque analogie avec celle qu'un poëte latin mo- derne a exprimée ainsi (3) :

Margarita tibi donec antipus evaderet : Arcticas specfcaret illa, tu rotas antarcticas.

PLANCHE 2.

Cette peinture, qui égale la précédente sous le triple rapport du coloris, du dessin et de l'invention, fut trou- vée comme celle-ci dans les fouilles de Résina : les deux

(1) Agostiii., p. I, pi. 22. (3) Thomas Rhœd., Ctjpris ana-

(2) Liician., 5tffcA. ; Clem. Alex., dijùmene, sire Epithalanuum Jaiii Pœd., II, 10. d Margaritœ.

Musée secret. 3


is MUSÉE SECRET.

tableaux étaient sans doute de la même main, et se ser- vaient mutuellement de pendant.

A l'entrée d'une grotte ou an milieu d'une enceinte de roehers, un faune barbu, robuste encore dans sa verte vieillesse, veut attirer à lui une Jeune nymphe qui lui résiste avec une expression bien prononcée de dégoût et d'effroi. Le faune cherche à la rassurer en lui disant quelques mots à voix basse et presque à l'oreille. Les deux personnages sont entièrement nus et paraissent avoir déposé l'un et l'autre la draperie qu'ils portaient : le faune est assis sur la sienne; celle de la nymphe est placée sur un siège. A côté du faune, on voit son bâton recourbé.

Les passions qui animent ces deux personnages, la lu- bricité du dieu champêtre, les craintes de la nymphe, sont exprimées avec une rare énergie; et l'action de cha- cun de leurs membres, effort sans rudesse d'une part, vive résistance de l'autre, est rendue non moins heureu- sement.

Mais ce qu'il y a de plus remarquable dans cette com- position, ce sont les formes indécises, c'est la nature bisexuelle de l'être que nous avons appelé jusf[u'iri nymphe, et qui au fond, dans la A'éritable intention tlu peintre, n'est certainement qu'un hermaphrodite, quoi- que les académiciens d'Herculanum, qui les premiers ont mis ce fait en doute, sendjjent persister à voir dans ce personnage une nymphe, remarquable seulement par une certaine difformité accidentelle.


MUSÉE SECRET. 19

11 Jie s'agit en aiicnne manière de résondre un doute physiologique ou médical, de clierclier si la nature a ja- mais pu produire un être humain qui fût réellement her- maphrodite, c'est-à-dire qui possédât complètement les deux sexes et qui eût doublement la faculté reproductive ; il ne s'agit pas non plus de savoir quel genre de mons- truosité a pu être pris pour l'hermaphroditisme véri- table, et jusqu'à quel point l'apparence approche de la réalité. Il n'y a ici qu'une question d'art et d'antiquité. Les anciens ont-ils réellement créé un pareil type? s'en sont-ils épris au point que les arts se chargeassent d'en multiplier la représentation? Enfin, dans la peinture qui nous occupe en particulier, l'intention de l'artiste a-t-elle été en effet de peindre l'être doublement complet que la philosophie symbolique, ou la Fable, ou la volupté seule, ont si sou vent rêvé ?

Quand les anciens ont saisi l'aspect physiologique de ce problème, ils paraissent l'avoir envisagé comme les modernes et s'être renfermés dans la négative. Philostrate a beau affirmer que le sophiste Favorien d'Arles, qui vi- vait sous Adrien, était hermaphrodite (i) : trop de gens étaient alors experts en ces matières de volupté, pour qu'on prît ce témoignage au sérieux. Je n'en voudrais pour preuve que l'épigramme intraduisible qui est at- tribuée à un certain Luxorius (2) :


(1) Philostr., Vi/a philos., I, 8. 123, Iii piiellam Itennajihrodilam.

(2) Priap., pars I. Vctirinn, epigr.


20 MrSÉF, SECRET.

Monstrnm feminei Limembre sexns, Qnam coacta viriim facit libido.


Illam qua mnlicrprobaris esse, Partem quiim dederis, puella tuuc sis.


Mais l'idée la plus ancienne de l'hermaphrodite véri- table appartient tout entière à la philosophie, à cette philosophie primitive dont les conceptions naïves et gra- cieuses se traduisent immédiatement en types et en sym- boles religieux. Ecoutons un critique célèbre(i): «L'her- maphrodite, dit-il, traité comme une fiction et comme le fruit de l'imagination d'un peuple qui voulait et savait tout embellir, est dès lors l'être le plus parfait qu'il soit possible de concevoir. Pandore ne réunissait que les per- fections de son sexe; l'hermaphrodite réunit les perfec- tions des deux sexes. C'est le fruit des amours de Mer- cure et de Vénus, ainsi que l'indique l'étymologie du nom. Or Vénus était la beauté par excellence : Mercure à sa beauté personnelle joignait l'esprit, les connaissan- ces et tous les talents. Qu'on se forme l'idée d'un indi- vidu en qui toutes ces qualités se trouvent rassemblées, et l'on aura celle de l'hermaphrodite tel que les Grecsont voulu le représenter; d'où l'on voit qu'il n'avait rien de commun avec les andro"vnes, êtres monstrueux et rebu- tants qui ne pouvaient sans doute faire naître une fiction si charmante. »

(1) Pierres gravées du chic cTOrlèans,!, 108.


MUSÉE SECRET. 21

Du type philosophique, (hi symljole, naît bientôt le mythe religieux proprement dit. Le comte de Caylus,cpii semble quelquefois ne reconnaître dans la création de l'hermaphrodite qu'un raffinement du libertinage, atout à fait raison contre lui-même, quand, revenant à l'ex- plication religieuse, il s'exprime en ces termes (i) : « La quantité de figures hermaphrodites que les monuments représentent, me fait croire que les anciens n'ont pas toujours représenté les androgynes comme des effets sin- guliers de la nature, ou comme des types de volupté. Le plus grand nombre de leurs images avait rapport au culte, et ce culte était souvent chargé d'allégories. » Ajou- tons que la mythologie des Grecs et des Romains n'est pas la seule qui ait personnifié de pareilles idées. Selon les annales du Nord, Freya, femme d'Odin, la Vénus des Saxons, était adorée sous la figure d'un hermaphro- dite, ce parce qu'elle était également la déesse de l'un et de l'autre sexe (2). »

Alors la poésie, imprimant toujours ses pas sur les vestiges de la religion et des rites antiques, vint dévelop- per etcommenterle mythedufils de Mercure et de Vénus. Ovide a composé un long récit tout plein de charme (3) sur 1 aventure de Salniacis et d'Hermaphrodite, récit cjue, mal- gré sa longueur, nous aurions cité et traduit tout entier, si nous espérions pouvoir le rendre comme il doit être


(1) Recueil tTanfiquités, V, 220. (3) Met, IV, 285-388.

(2) Olaûs, Fast. Danic, 55 et 5 (î.


22 MUSEE SECRET.

rendu, c'est-à-dire avec une exactitude et une simplicité parfaites : qualités dont aucun traducteur n'a trouvé jus- qu'ici le secret. Une épigramme de Martial résume en deux vers cet épisode si riche de charmants détails (i) :

Masculus iiitravit fontes : emorsit utrumque. Pars est una jiatris; cœtera matris habet.

Ap^'/jv £Îar,ÀO£ xpr^v/iV l;^).6£ TO Sicrdov. "Kv ijiEpo; £111 Trarpô;, ôotTcOa a/jTpô; î/îi (2).

« En enti'ant dans ces eaux, il était liomrae : il en sort pourvu des deux «t sexes, et ressemblant à son père en un point, à sa mère pour tout le reste. »

Les eaux de la source de Salmacis restèrent douées de la propriété d'énerver ceux qui s'y baignaient. A la vérité, le fabuliste latin a inventé une autre origine, àlaquelleil rapporte les instincts de ces hommes-femmes et de ces femmes viriles, êtres si communs dans tous les siècles : il suppose (jue Proinéthée ayant fabriqué des corps hu- mains, s'occupa d'en déterminer le sexe un soir, eu revenant de dîner chez Bacchus, et qu'il conunit ainsi luie foule de méprises (3).

Sero domuni est reversus titubanti pede : Tum seniisomno corde, et errore ebrio, Adplicuit virginale generi masculo, Et maseulina membra adplicuit feminis. Ita nunc libido pravo fruitur gaudio.


(1) Mart., Ejriffr., XIV,174, ffcr- (2) Traducf. de .Jules Scaliger.

maphroditus marmorevs. {3) Fhœdr.. Fab. j^snj'., IV, 1 1.


IMUSKE SECnKl". 23

Cependantia vieille tradition religieuse et poétique pos- sède une valeur qui manque à l'invention ingénieuse, mais comparativement toute moderne, de l'écrivain mora- liste ; et, endépitde la dénomination commune, p9oç, per- sonne ne confond l'apologue avec le fait mythologique.

Enfin, les arts de la forme, si incomplètement nom- més par nous, arts du dessin, s'enqjarèrent à leur tour du mythe perpétué par la poésie : ils multiplièrent les ligures hermaplu'otli tes, et bientôt, entre leurs iuains, sous le ciseau et le pinceau, le sujet religieux devint une image lascive faite pour exciter des sens énervés, des imaginations éteintes par l'abus des plaisirs. C'est sans doute à ce dernier et fiuieste motif qu'il faut at- tribuer la répétition si fréquente des figui^es andro- gynes, dans l'habitation des simples particuliers, et sur les meubles destinés à des usages privés. Le temps nous en a conservé un grand nombre : deux belles statues cou- chées appartenaient autrefois à la galerie de Florence; une autre plus belle encore était à la villa Borghèse (i). La villa Albani en possède une plus petite, qui est debout et qui a le bras droit posé sur sa tète, comme la figure que Ion a vue dans un de nos vases (a). Mais alors, les artistes, séduits par un sujet auquel ils pouvaient ap- pliquer leur système d'idéal, en réunissant en une seule copie les beautés de plusieurs modèles, restèrent fidè- les par cela même à la tradition primitive ; ils ne pei-

(1) Vinckelm., Hid. de. Tart, IV. (2) Voy. Bronzes, l série.


24 iMUSÉE SECRET.

}j;nirent pas l'androgyne monstre, la femme affectée d'une infirmité dont elle abuse quelquefois; ils ne re- présentèrent pas cet être nécessairement difforme, liom- masse plutôt que viril, efféminé et non pas virginal; ils n'eurent jamais d'autre type qu'Aphrodite et Mercure.

Revenons à la peinture qui doit nous occuper en par- ticulier, et faisons à ce tableau l'application des prin- cipes établis. Non, ce n'est point là un monstre, une jeune fille difforme, un sujet digne du cabinet de cu- riosités ou de l'anipithéàtre anatomique. C'est encore labelle Salmacis unie tout entière à son jeune amant : le pied mignon, les membres inférieurs arrondis comme ceux de la femme, accompagnent un genou moins ren- versé, des hanches encore moelleuses, mais moins for- tes, un bassin moins développé : le torse, le sein, les épaules, ont leurs formes virginales ; mais le bras, qui résiste à celui du faune, est tendu par des muscles pres- que virils; enfin les traits de la figure sont prononcés et expressifs, sans rudesse : la chevelure elle-même con- viendrait au jeune Hylas autant qu'à Galatée.

Si la partie masculine des formes de l'hermaphrodite ressort moins dans cette composition, c'est par le con- traste habile des membres "osseux , du torse nuiscu- leux et surtout du bras robuste du vieux faune , contraste qui exagère ce qu'il y a de féminin dans l'autre figure. Pour réduire celle-ci à sa juste valeur sexuelle, si j'ose ainsi parler, il faudrait l'isoler : ainsi près d'un grand chêne, l'arbuste, déjà fort, n'est qu'une humble brous-


PEINTURES



a. 21 ® ^,


MUSÉE SECRET. S.j

saille. Un pareil artifice de composition n'est pas le moin- dre mérite de cette excellente peinture.

PLANCHE 3.

Ce tableau, trouvé dans une maison d'Herculanum, où il décorait une des parois d'une salie, représente une femme qui reçoit les caresses d'un cygne : elle est presque entièrement nue, sauf une espèce de manteau blanc qui couvre son flanc gauche, c'est-à-dire, la partie de son corps qui n'est point exposée aux regards. Der- rière cette figure, est un lit sur lequel elle paraît se laisser aller : les pieds de ce lit sont d'or; il est couvert en partie d'une draperie rouge, et en partie d'une autre draperie blanche. Si l'attitude de cette femme qui, d'une main, tient le cou du cygne, et de l'autre, ap- puie le corps de l'oiseau contre son propre sein ; si cette attitude peut paraître un peu roide et dépourvue de grâce, en revanche, le mouvement du corps, des ailes, du cou et des pattes de l'oiseau expriment bien l'em- pressement du désir.

Ce que cette peinture a de plus remarquable, c'est le

nimbe ou l'auréole qui entoure la tête de la femme et qui

révèle une divinité. Cet attribut indique suffisamment

que le peintre n'a point voidu représenter ici une Léda

et ses amours avec Jupiter, changé en cygne, amours à

la suite desquelles elle mit au monde l'œuf d'où sortirent Musée secret. 4


SG MUSÉE SECRET.

Hélène et Pollux (i). Telle a été, sans doute, l'intention d'un autre artiste à qui l'on doit une peinture trouvée à Gragnano, et presque semblable à celle-ci, sauf le nimbe ou l'auréole. JMais comme les poètes et les mythologues racontent fort diversement la naissance de Castor et de Pollux, ainsi que d'Hélène et deClytemnestre(2) ; comme certainement Léda était mortelle et qu'elle périt même étranglée (3), ce qui ne s'accorde point avec l'auréole cé- leste, il faut recourir ici à l'opinion des écrivains de l'anti- quité qui prétendent que Jupiter, étant épris de Némésis, qui repoussait ses vœux, pria Vénus de se changer en aigle et de le poursuivre dans les airs où il vola lui-même sous la forme d'un cygne : l'oiseau poursuivi alla s'abat- tre près de Némésis, qui l'abrita dans son sein et qui s'en- dormit aussitôt, circonstance qu'indique le lit placé dans notre peinture. Jupiter profita du sommeil de Némésis; et de cette union résulta un œuf, qui fut déposé par ]\Ier- cure dans le sein de Léda, et duquel naquit Hélène. Tel eslle récitd'Hygin(4),appuyéparPausanias : celui-ciparle d'un groupe de Phidias, dans lequel Léda, nourrice d'Hélène, présentait cette enfant à Némésis, sa véritable mère (5). Callimaque ((')) , appelle Hélène, fille de la déesse Rhamnusie, c'est-à-dire, de Némésis, (pii, selon une re-


(1) Emip., Hclr/!.; Lycophr., in (SjEurip., //(•/(■«., 093. Tzetz., 87. (4) Astron. poet, II, 8.

(2) Miinker ad Hygin., Fah. 77; (5) Aftic, 33.

Stavereii ad Fulgent., JIi///iol,IÏ, {())Hyynn.i/iDktn.,232;et8i^an-

IG; Averan., în£'?<n^.,dissert. XVI. lieim, in h. 1.


PEINTURES .



Aa'iSacce^x^


A a '. H . V. 5 P . 15 5 .




i\lUSÉE SECREl". 27

iiiar(|ii(' (les scoliastes, prit ce nom d'un lien j)irs d'Atliè- lU's, oîit'llc irçnt les dangereux baisers de l'oiseau divin. Atliénagore parle ainsi d'une Hélène Adrastée, qui était adorée à Ilium; or Adrastée était encore x\n des sur- noms de Némésis.

L'aventure de Némésis ou de Léda, quelque lascive qu'en soit la représentation, est encore un des exem- ples les moins choquants de ces unions monstrueuses que la Fable attribue à ses héros ou à ses dieux. Nous ne verrons que trop de monuments des honteux efforts que tentaient les artistes pour flatter par l'image de ces vo- luptés impossibles les insatiables caprices des sens et des imaginations dépravées (i) :

Pasiphaë tauro, Plùlager arsit equa.

PLANCHE 4.

Sur un fond gris cendré, dans un cadre noir et blanc, s'offre une composition qui, comme la plupart de celles qui précèdent et qui suivent, renferme deux personnages. L'un estunjeune homme nu, sur lesépaulesduquel flotte seulement un petit manteau de couleur rougeâtre, qui peut être une peau d'animal : cetattribut et les tons bruns qui dominent dans les chairs, ont paru à cpielques anti-

(1) Voy. iil. jG; Buvmaim., Anthoh hit. iqnid Priap. veter., 110.


28 MUSÉE SECRET.

(|iiaiirs un iiiotif suffisant poui' reconnaître un faune. JNéanmoins, nous ne voyons point dans les traits de la figure cette expression sauvage que les artistes anciens ne manquaient jamais de donner à leurs divinités cham- pêtres : on n'aperçoit ni les oreilles en pointe, ni l'ap- pendice caudaire qui seuls distinguent le fiume de l'être humain; enfin, la chevelure est blonde, tandis que les dieux rustiques l'ontordinairementnoire ou brune. Sans doute, l'intention du peintre a été simplement de repré- senter un de ces serviteurs de Bacchus auxquels conve- nait également lanébride. Eux aussi, ils poursuivaient les nymphes et les bacchantes; et leur lasciveté, non moin- dre que celle des faunes et des satyres, se peint dans le mot pax/aov, qui, comme le latin ////Y)/'^ exprime la fougiu> et l'emportement des sens (i).

Ce personnage soulève d'inie main la draperie jaune qui recouvre le sein d'une blonde bacchante, et un geste de son autre main exprime l'admiration qu'il éprouve.

La nymphe, tournée vers le fond du tableau, ne songe nullement à se défendre ; mais elle soulève la tête pour regarder le jeune homme; elle est mollement couchée sur cette même draperie, qui laisse à découvert ses épaules, son dos et la chute même des reins ; une de ses jambes est repliée sous la draperie de manière à ne laisser voir que la plante du pied ; l'autre est étendue de telle sorte que le pied, de ce côté, se montre derrière la jambe droite

(1) Eurip., Phœn.y 21; Potter, ad Ljcoplir., 28 et 143.


PEINTURES


M S






M. s.


PEINTURES.



Ad'-Jo!M>^^


A. d-'H . V. 5 , S - 143




PEINTURES


M. S.



A, a H V s P . 151




MUSÉE SECRET. 29

du jeune homme. La nymphe appuie son bras droit sur un piédestal peu élevé et peint d'une couleur obscure, ainsi qu'un autre socle sur lequel pose un cymbalum d'un jaune clair.

Bien que, dans plusieurs compositions semblables, des antiquaires aient reconnu une Ariane (i), le cymbalum prouve qu'il ne faut voir ici qu'une de ces femmes de la Thrace que le poète nous peint endormies sur les frais gazons de l'Apidanus :

Nec miuus assiduis Edouis fessa clioreis Qualis in herboso concidit Apidano (2).

Cette peinture ne manque point d'habileté et de vi- gueur : le torse de la nymphe est remarquable par l'am- pleur gracieuse de ses formes arrondies, natiu-e riche, chaude et exubérante comme celle des femmes de Rubens.


PLANCHES 5, 6 ET 7.

Nous avons rapproché ces trois peintures, dont le sujet est identique, et qui furent trouvées dans le même local ; nous ne nous sommes point contenté d'en reproduire une seule et de mentionner les deux autres : en cela, notre intention a été de faire voir combien les artistes


(1) Beger, Thesaur. Braiid., tom. (2) Propert., Eley., I, o, 5.

I, p. 193.


30 MUSÉE SECRET.

anciens se plaisaient à multiplier certaines compositions favorites, ou plutôt avec quelle avidité ces sortes de co- pies étaient recherchées par les amateurs de tal)leaux : nous avons voulu aussi que l'on pût observer comment de légères différences s'introduisaient dans ces compo- sitions uniformes, par suite des divers degrés d'habileté des artistes employés à les reproduire.

Cette prédilection pour certains sujets mythologiques ne se montre pas seulement dans lesproduits de la statuaire et delà peinture : on en trouve aussi des preuves chez les poètes; et il s'en présente surtout dans Ovide un exemple qui ne manque pas d'analogie avec nos trois dessins. Le chantre des Fastes s'est plu à raconter deux fois, dans deux endroits différents du même poëme (i), comment Priape, au moment où il allait surprendre, ici, la nymphe Lotis, et là, Vesta elle-même, fut troublé dans cette en- treprise par la monture de Silène, qui fit entendre sa rude voix et réveilla la nymphe ou la déesse. C'est en punition de ce méfait qu'on immolait un âne au dieu de Lampsaque, l)ien que le choix de cette victime ait été expliqué d'une autre manière par un poète latin mo- derne (2) : nouvel exemple, pour le dire en passant, de la différence qui sépare le mythe de l'apologue (3).

On pourrait citer encore, dans ces mêmes Fastes, la méprise de Faunus, qui prit la couche d'Hercule pour

(l)^as<., I, 393et seqq.; A'I, ;j19 victor, auct. auonyiu., iu Pn'aji. et seqq. ' recentior., 140.


(2) Voy. pi. 58; Ascllus l'riajù (3) Voj, pi. 2, p. 2:


»'


MUSÉE SECRET. 31

celle d'Oinpliale (i); et Ilia, qui, s'étaiit. endormie sur le ii,a/.oa, y fut surprise par Mars (u). Chezd'autres écrivains, on trouverait Pan et Plioloé(3), Bacchus et Nicée (4), et enfin Bacchus et Aura (5). Mais nous nous bornerons aux deux premiers exemples.

Ut pictura poesis ; le rapport entre la peinture et la poésie est ici tellement frappant, la première paraît avoir été tellement inspirée par la seconde, qu'une citation de quelques vers renferme la description la plus exacte que nous puissions donner du tableau.

Nox erat, et viuo somnum focieiite, jacebaiit

Corpora diversis victa sopore loeis. Lotis iii lierbosa sub aceniis iiltima ramis,

Sicut erat Insu fessa, quievit Imino. Surgit amans , aiiimamque teueiis , vestigia furtim

Suspeiiso digitis fert taciturna gradu. Ut tetigit niveœ sécréta cubilia Nymphai,

Ipsa sui flatus ne sonet aura, cavet. . Et jam finitima corpus librabat in lierba :

Illa tanien multi plena soporis erat. Gaudet, et a pedibus tracto velamine, vota

Ad sua felici cœperat ire via. Ecce rudens rauco Sileui vector asellus

Intempestivos edidit ore sonos. Territa consurgit IS!'3^uplla


II II était nuit , le vin avait amené le repos, et çà et là gisaient des corjis vaincus par le sommeil. Lotis reposait à l'écart, parmi l'herbe toutïue et

(1) Fad., II, 331. (4) Nonn., Dioiujs., XVI, 251, et

(2) FasL, III, 19. Memn. apud Phot., cap. 43, p. 539.

(3) Stat., Sijlu. II, 3, 8. (5)Xonn.,Z'/o////s., XLVIII,(;21.


32 JIUSÉE SKCRET.

« sous les ramcniix d'un ft-able, dans le lieu même où, après ses jeux, elle « était tombée de fiUigue. Le dieu qui l'aime se lève : retenant sou haleine Œ et suspendu sur la pointe du pied, il s'avance d'un jkis furtif et silencieux. « Dès qu'il arrive à la retraite écartée où dormait la nymphe blanche « comme la neige, il tremble que le seul souffle de sa respiration ne le tra- ce hisse. Déjà son corjjs s'avance en chancelant jusque sur le gazon voisin de ft la nymphe, et pourtant elle est encore ensevelie dans le sommeil. Joyeux, « il enlève les voiles qui la couvrent, et il commence à marcher dans l'heu- « reux chemin qui conduit à l'accomplissement de ses vœux. Mais, contre- ft temps fatal! voici que l'âne, monture de Silène, fait entendre les sons « rauques de sa vois. La nymphe se lève épouvantée »


Certes, aucune des trois peintures n'est à la hauteur de cette poésie : mais bien rarement un art en inspire un autre assez lieureusement pour que la copie fasse ou- blier le modèle; et l'infériorité du produit est en quel- que sorte la preuve et le cachet de l'imitation. Nous ne citons rien du second récit d'Ovide, qui est autant in- férieur an premier que notre premier tableau et le troi- sième sont au-dessous du second.

Passons en revue quelques-unes des différences qui distinguent les trois peintures. Quant aux couleurs, d'a- bord, et en commençant par les cadres : le premier est rougeâtre, avec une bande intérieure plus foncée; le se- cond est formé de deux bandes, l'une noire en dedans, l'autre brune au dehors, et séparées entre elles par une ligue blanche; le dernier enfin est rougeâtre et garni à l'intérieur d'une bande noire. Dans la première compo- sition, la bacchante est enveloppée d'un manteau blanc sur lequel elle se trouve couchée, et dont les deux angle


MTJSÉE SECRET. 33

intérieurs, ramenés assez bizarreineiit sur sou corps, sout rassemblés et soulevés par le satyre : le cymbalum qui se trouve près d'eHe est peint en rouge clans les trois ta- ])leaux; dans la seconde composition, ainsi que dans la troisième, la draperie est jaune.

Sous le rapport du dessin, de l'attitude des figures et du travail de l'artiste, la deuxième peinture l'emporte de beaucoup sur les autres: le paysage, le ciel, les ar- ])rcs, les rochers, à peine indiqués dans le troisième tableau , et grossièrement peints dans le premier, sont traités ici avec beaucoup de vérité et de goût. \ oilà bien une de ces retraites champêtres et presque sauvages, mais où la nature déploie tout son luxe de feuillages, et de fleurs, et de fruits ; de sorte qu'on pourrait les appeler à la fois des désertset des lieux fertiles : double indication que rendait parfaitement le mot ôaya;, c'est-à-dire, un terrain propre à donner des fruits, mais qu'on laissait inculte en l'honneur de quelque dieu ou pour servir de pâturages aux animaux (i). Les orgades étaient des clairières au sein des forêts épaisses, des cirques naturels au milieu des monts, où les voix trouvaient toujours des échos pour leur répondre : àv' ôpyâfW [j-sl-erai à/w (a); «. l'écho chante dans les clairières de la forêt. » Par le radical commun op-r; ou àpsyco, ce mot est évidemment lié aux. autres dérivés, àpy/w, je suis en fureur ou je produis, et


(l) Hesjcii., Harpoor., SiiiJ., S. (2) Ântlwt., IV, 10, 2.

V. 'Of(âi.

MUice secret.


34 MUSÉE SECRET.

opyia, orgies. Un critique a même pensé que la dérivation était tout à fait directe, et il a dit : Opyà; ^ï èz-aXeiTo Sii -rà ô'pyta (i ); « les orgades étaient ainsi appelées à cause des or- gies. » Quoi qu'il en soit, de pareils sanctuaires étaient propres à redoubler le tumulte des chœurs et des danses sacrées : les initiés croyaient y entendre dans l'écho la voix de Bacchus lui-même qui répondait à leurs voix :

ubi auditu stimulant trieterica Baccho

Orgia, noctiu'nusque Tocat clamore Cithœron (2).

Outre cette supériorité dans les accessoires, le second tableau l'emporte encore par les attitudes, qui ont plus de grâce et de naturel. Peut-être la nymphe n'est-elle pas bien réellement endormie ; et ce serait de la part de l'artiste luie intention fine dont il faudrait lui savoir gré. Mais comme elle est posée avec grâce ! comme son pied gauche se replie bien sous l'autre genou, en relevant et en tendant légèrement le bord du manteau finement drapé! tandis que dans la première peinture les deux jambes sont monotonement parallèles, et que, dans la der- nière, une seule se trouve visible (espèce d'économie que tait quelquefois un peintre à la tâche). Et aussi, comme l'admiration amoureuse se peint vivement dans le geste et les traits du satyre! comme le raccourci d'un de ses bras est bien senti ! comme l'autre main tient aveclégè-


(l)Ulpian.,adDemosth.i Ohjnth.i (2) Yirg., ^Ea., IV, ;J01; et Serv.,


MUSRE SF.CRET. 35

reté les voiles qu'elle soulève! voilà bieu le Pau ou le Satyre, oilyj-ô^ry, (■îi^aocora, aô/ijr-rlEVTa (l), in UN m (2), ny/n- phariini insidiatorem (3). Cette figure offre une particu- larité telle, que les langues anciennes sont seules assez chastes pour la dire, chastes, même quand elles peignent ce qui ne l'est pas; et la nôtre, rougissons-en, nous l'a- vons faite obscène, même quand la pensée est pure. Il faut donc citer textuellement le passage de Diodore qui dit : ToO; riavàç, y.al Sârupou; àvaTiÔévat, to'j; irTiEioTOi'; èv toi; îsprjiç £VT£Ta[j.£vrjij; y.aX t7i to'j Tpayou 'p'Jcst TrapaTT7iy;cio'j;, "flflClS et

Satyros consccrari plerumquc in templis arrigentes et liirco natura simillimos.

On sait d'ailleurs que le mot carupo;, synonyme de iv-raTi; (4), vient très-vraiscmblablemeut de Gi^n, pnrs vi- rilis (5), et que de là on a fait caTupîaci;, sntyriasis (G).

Le Pan et le Satyre ne différaient entre eux que par l'âge : celui-ci était repi^ésenté comme plus jeune; mais l'autre n'était pas moins lascif en dépit des années (y). Ce personnage est ici couronné de rameaux de pin;

pinu praeciucti tempora Panes (8).


(l)ffi/mn.Ju)meric.'inPana,2et6. Casaubon, loc. cit., p. 52; Macrob.,

(2) Serv. ad ^n., VI, 775. Saturn., I, 8.

(3) Hor., Carm., III, 18; Stat., (0) Avct,, de Caus. morh., II, 12; SyJr., II, 3, 8 et 24; id., Theh., IV, Aurel., III, 19.

695;Nonn., XII, in fin.; Nemes., (7) Casaubon, f?«&r/., I, 2, p. 34;

Ed., III, 57. Theocr., Iihjïï., IV, 52, et scoliast.

(4) Hesydi., s. v. SaTupo;. l'h'il.

(5) Scoliast. Theocr., loc. cit.; (8) Ovid., JW., XIV, G37.


3(1 MUSÉE SECRKT.

OU peut-être sout-ce des roseaux : ils conviennent éga- lement ù l'amant de Syrinx et aux Faunes :

SylvicoUe fracta gcmuistis aruudine Fauiii (1).

Le même soin des accessoires, le même respect des tra- ditions mythologiques se remarque dans la coiffure de la nymphe, qui est couronnée de pampre. Les cheveux, ras- semblés par un simple nœud sur le sommet de la tête, étaient chez les Grecs l'attribut des femmes non ma- riées (u) ; et quoique les fêtes de Bacchus fussent célé- brées indistinctement par les vierges, les femmes ma- riées et les veuves (3), néanmoins le chœur des véritables bacchantes n'était composé que de jeunes filles : c'é- taient elles qui portaient le thyrse, elles qui dansaient en criant évohé ; quant aux véritables matrones, celles- ci suivaient d'un pas lent la théorie sacrée, elles accom- plissaient solennellement les rites des sacrifices et chantaient gravement les hymnes (4). Les premières compagnes de Bacchus furent les nymphes ses nour- rices ( j) : Orphée les appelle irapôîvoi ejoVïaii;, vierges par- fumées ((')), et donne à Bacchus lui-même l'épithèle de TTnX'jTTapôcvo;, accompagné d'une foule de vierges {'j). Nonnus (8) parle toujours des bacchantes comme des

(1) Sfcat., Theh., V, 582. merk., II, in Badi., 9 et 10.

(2) Pausan., X, 25. (6) Hymn. in Xymph.

(3) Eurip., Barch., G93. (7) Hymn. in Trieter.

(•1) Diodor., IV, X (8) Dionys., XIV, 3G3; XV, 81 ;

(5) Casaub., de Sal, I, 2, p. 34; XXV, 20'J. Homer., Iliacl., C, 132; Hymn. ho-


MUSÉE SECRET. 37

vierges telleiiieut jalouses de leur pudeur, (|ue, pour la garder pendaut leur sommeil, elles se ceiguaieut les reins avec un sei'pent, c'est-à-dire avec un serpent em- paillé (disent les commentateurs). On sait enfin que deux bacchantes, Eurynome et Porphyride, quittèrent, pour prendre un époux les chœurs dionysiens (i).

La nymphe de notre tableau n'est peut-être point aussi sévère, bien qu'elle porte la coiffure virginale : cette coif- fure sans bandelettesméri tait aux bacchantes les épithètes

Kvoi[x-Kuy.c.ç (a), àxpv)0£[J.vou; (J), ir'Xoyiy.oùç eîXtx.dsvTaç (4) J et C était

là sans doute le nœud vipérin dont parle Horace (5).

Nous terminerons ce que nous avions à dire de ces trois peintures, en faisant observer leur ressendjlance avec celle de la planche 4, et en priant le lecteur de se re- porter à l'explication que nous avons donnée de celle-ci.

La planche 7 est complétée au moyen d'un fragment de fresque trouvé à Pompéi, et représentant cinq Pyg- mées.

Nwêai ItuyjAaroi, dit Hésychius ; les Pygmées habitaient la Nubie, c'est-à-dire, d'après les commentateurs, le pays qu'on appelle aujourd'hui l'Ahyssinie (G). IMais Bochart démontre (7) que l'on appelait aussi Nubie une partie de l'Arabie Troglodytique, située près du golfe de la mer Rouge, dit Sinus Avalites, et que là, selon les an-


Ci) Anthoï.,Nl,2, Set 4. (5) Carm., II, 19, 19.

(2)Nonn., Diomjs., XXXV,261. (G) Strab., XVII, p. 786 et 1134.

(3)Id., ihid., XIV, 346. (7) Geogr. sacr., II, 23, p. 30. (4) Id., ibùL, XIV, 349.


38 MUSÉE SECRET.

ciens (i), le pays des Pygmées s'étendait autour d'im- menses marais dans lesquels se trouvaient les préten- dues sources du Nil (a). A la vérité, quelques écrivains ont placé les Pygmées dans l'Inde (3), et d'antres dans la Thrace, oii ils habitaient nne ville appelée Catuza (4). ]Mais si les anciens ne sont pas d'accord sur le pays qu'habitait ce peuple de nains, du moins admettent-ils tous, sanf Strabon (5), la réalité de leur existence (6), à tel point que Nonnosus (7), qni vivait sons Jnstinien, prétendait avoir vu des Pygmées.

Des écrivains du moyen âge et de la renaissance, tels quePanl Jove, Cardan, OlansMagnus, pins cnrieux col- lecteurs de faits extraordinaires que critiques judicieux, perpétuèrent la croyance antique et placèrent les Pyg- mées, les uns au Japon, les autres en Laponie.

Néanmoins, dans les temps les plus éclairés et chez les meilleurs esprits de l'autiquité, cette croyance fut plutôt un motif de caricatures et de descriptions plaisantes, qu'une notion historique sérieusement acceptée. Les combats des Pygmées étaient représentés sur les murs des tavernes ou des boutiques, è-1 twv y.oltz-OJm-j (8), on, selon la leçon de Vossius (9), sur des surfaces courbes qui les


(1) Aristot., ffist. an., Vllt, 12; (5) Strab., YII.

Pompon. Mel., 111,8; Ptolom., IV, (6) Homer., Iliad., y, C; Ctes.,

8; Plin., VI, 30. ap. Phot., p. 45.

(2) Pompon. IMe]., I, 9. (7) Apud Phot., p. G.

(3) Philostvat., Apo/!., III. 47. (8) Prohl. aristotelic, sect., X, 7.

(4) Plin., IV, 11. (9) In Mel, III, 8, -p. 854.


MUSEE SECRET. 39

grossissaient, £771 tcôv jcaiATvJXojv. Cette dernière interpré- tation n'offre guère de vraisemblance , et se concilie mal avec les lois de la physique ; car il ne suffit pas d'une surface courbe, il fiuit des miroirs ou des verres, pour grossir les objets. La première est au contraire d'accord avec les goûts de cet honnête Davus, qui admirait si naï- vement les combats dessinés à la san-ruine ou au charbon :


Prajlia rubiica picta aut carbone (1).

Et, qu'on le remarque bien, c'est dans une boutique de Pompéi que notre fragment de fresque a été trouvé. Le mot Pygniée vint évidemment de TTjyu./;', coudée, à cause de la taille attribuée à ce peuple de nains; mais 7:uy[j./i, signifie aussi Pugilat; c'est en outre la l'acine du mot latin Pitgna, synonyme de Prcelium, combat : il ne serait donc pas étonnant que dans le vers d'Horace Prœlia s'appliquât aux combats de pygmées représentés sur les murs des cabarets. C'est sans doute à cause de ce rapport étymologique que l'on représente toujours ces petits honnnes occupés de leurs combats contre les grues, leurs terribles adversaires :

PyginEeiis parvis ciirrit Ijellator iu armis (2).

C'est pour cela qu'on les peint, quittant en foule leurs demeures faites de coquilles d'œufs et de plumes, mon-


(1) Horat., Sut,, II, 7, 98; vid. et (2j .Juveii., Sut.

Cic, de Oti, II, G6 ; Quintil., YI, 5.


40 MUSEE SECRET.

tant à cheval sur des perdrix (i), ou sur de petites chè- vres, et descendant vers les bords de la mer pour y dé- truire les œufs desgruesety tuer les petits de ces oiseaux. C'est pour cela enfin qu'on nous montre les Pygmées atta- quant Hercule, comme les Lilliputiens Gulliver (2). D'où l'on peut conclure que les artistes anciens se sont servis des Pygmées pour représenter en caricature, et sous un point de vue ridicule, tous les actes de la vie ordinaire. Et pour rendre le trait de ces images satiriques encore plus mordant, plus incisif, ils ne se sont point bornés à re- présenter des hommes d'une petite taille, quoique bien proportionnés : ils leur ont donné une tête énorme, une taille assez large, mais courte, et des membres infé- rieurs tout à faits exi"us. Les caricaturistes modernes ont suivi un procédé semblable, il y a peu d'années, dans les dessins qu'ils ont appelés grotesques.

Ici, les cinq Pygmées sont couronnés de laurier : se- rait-ce quelque allusion à un triomphe, à des victoires athlétiques ou militaires, dont l'artiste a osé faire un sujet de moquerie. '^ Les deux premiers, vêtus de jaune et de vert, portent ensemble ou se disputent entre eux un vase en forme de coquille. On pourrait rappeler ici ce que dit Ctésias (3) d'un lac du pays des Pygmées, à la superficie duquel flottait, quand l'onde était tranquille, une grande quantité d'huile qu'ils recueillaient avec des


(1) Eustath. ■■ (3) Apud Phut., p. 45.

(2) Philosti-at, II, 22.


MUSÉE ShXRET. il

conques, cy,a.i<^'w.;,. Le second Pygmée porte en sautoir une espèce de cerceau : les Pygmées étaient de très-habiles archers, ccpô^pa To^o-rat (i); et peut-être ce cercle, comme celui que l'on voit à la cinquième figure, n'est-il autre chose qu'un arc. Le troisième personnage, que l'on aper- çoit seulement dans le lointain, est couvert d'une robe rouge. Le quatrième, vêtu de violet, tient de la main droite une baguette et de l'autre une petite statue dont on ne peut distinguer les attributs. Est-ce une divinité de l'Egypte, uneDiane, une Minerve égyptienne (2) ? ou bien ne serait-ce pas plutôt cette Gérane, reine des Pygmées, qui, à cause de sa beauté, fut adorée par ses sujets, mais qui devint leur plus terrible ennemie quand elle eut été changée en grue par Diane ou par Junon (3)? Enfin le cin- quième, dont le manteau est d'une étoffe changeante rouge et verte, tient à la main un lis ou une plante sem- blable, peut-être une plante afpiati(jue comme celles que baignaient les flots du Nil. Ce dernier personnage a la partie inférieure du corps entièrement nue, et l'on pour- l'ait croire que l'autre le flagelle en présence de sa petite idole. Ces deux dernières figures sont encore remar- quables par l'exagération de la grandeur du membre viril : c'est là un trait conunun à beaucoup de carica- tures antiques ; on le remarquera dans la plupart de celles que nous donnei'ons dans ce recueil, et en parti-


(• 1 ) Ctes., hc cUat. ; Pliii., VII ,3. f 3) Athen., IX, p. 593; .Elian.,

(•>} Herod., II, 83, 137 et 175. Hist. an., XV, 25.

M us^e secret. 6


42 MUSÉE SECRET.

culier dans le petit tableau qui l'eprésente Enée, Anchise et Ascagne (i) : il est étrange que les parties de la géné- ration aient été, chez les peuples, tantôt un ohjet de culte et tantôt un sujet de dérision; à la vérité, ces deux ma- nières de voir ne sont point de la même époque : l'une ap- partient à l'enfance des nations, l'autre à leur décrépi- tude. La particularité que nous venons de signaler dans notre caricature est racontée par Ctésias des Pyginées

Troglod\'teS : Alhv.rjv hï v.£ya v/vin'.-'/, (oiïTE liaus'.v twv ctp'jpwv aj-

Twv, /.al Tayj, ])iideiida autcni liabent crassiora et prœ- longa, ita ntjuncturam pcclis attingant. On assigne aux Egyptiens une monstruosité de cette espèce, qui était chez ce peuple la cause de nombreuses hernies (2).

Nos lecteurs ont entrevu déjà que nous attachons peu d'importance à toutes ces explications, qui supposent que l'artiste a voulu représenter de véritables Pygmées voisins de l'Egypte. Notre ambition aurait été de trouver dans la vie d'un des Césars une anecdote à laquelle pût s'appliquer cette composition, dans laquelle nous n'au- rions pas hésité alors à reconnaître une satire tracée de main de maître avec le pinceau, une véritable caricature politique. Malheureusement, Suétone, Pétrone et Lam- pridius, considérés comme auteurs de mémoires secrets et anecdotiques sur l'empire romain, ne sont pas encore assez complets.

(1) VoT. pi. ,jS. {■2)VmsY).\\pin.,ncj:.-Ei/i//i/.,l,l9.



CA^^^-fc ' a^i^ ^^/iy^e^i^


MUSÉE SECRET. 43


PLANCHE 8.

Ces deux peintures, trouvées à Portici, sont remarqua- ])lespar la simplicité du sujet autant que par la franchise du pinceau et la vivacité du coloris. Tontes deux repré- sentent un Satyre qui, les mains derrière le dos^ danse avec un bouc et va frapper son front cornu contre la tète également cornue de l'animal. F.e bouc de la première peinture est blanc; celui de la partie inférieure de la planche est d'une teinte obscure. Le mouvement des deux groupes est fort naturel : on remarque cependant plus de franchise et de vivacité dans le premier.

Nous avons déjà parlé assez au long du caractère lascif des Sat\res. Les Egyptiens, qui considéraient cet être fa- buleux comme le symbole de la génération, lui rendirent des honneurs divins, et Diodore rapporte que dans les temples on voyait des images de Pans et de Satyres repré- sentés de telle sorte que, par les parties inférieures de leur corps et surtout par celles de la génération, ils res- semblaient entièrement à des boucs (i). Cette particu- larité se remarque aussi dans la première de nos deux peintures.

On voit sur une gemme bien connue (a), un Pan et un


(1) Diod. Sic, I, 88. Vide supr., (2) Beger, Thés. Bniiul, p. 154.

pi. 5, 6 et 7, p. oô.


44 ^lUSRE SECRKT.

bouc représentés dans la même attitude (jiie nos deux ligu- res, et accomplissant le même acte, qui est familier aux milles de la brebis et de la chèvre, et qui consiste à entre- choquer leurs têtes, non pour coml)attre, maiscomme s'ils se procuraient ainsi une espèce de volupté ou du moins de soulagement. Et en effet, les l)éliers se livrent avec fureur à cetexercice quand ils sont attaqués d'un mal de tête, causé, dit-on, par une espèce de ver qui se loge sous leur crâne. C'est aussi un prélude à des combats plus las- cifs. Pan est i^eprésenté comme se mêlant aux jeux du troupeau, parce qu'il présidait aux occupations pasto- rales : Orphée lui donne l'épithète d'ai-o^ay;;, et Virgile l'appelle custos oviiun. Cette espèce de danse d'hommes et d'animaux a fait quelquefois partie des jeux publics chez les anciens ; etSynesius rapporte (i) que des hommes chauves paraissaient sur le théâtre pour danser et entre- choquer lem^s têtes avec des boucs livrés à cet exercice. Il y a encore quelque analogie entre cette danse et celle des Corybantes, que l'on peignait sur les murs des tem- ples de Cybèle :

Et]Cybeles pijto stat Coiybante tliolus {-2).

« Le dôme de Cybèle où sont peints les Corybantes. »

Le mot Corybante peut venir de xopJTTTeiv, agiter la tête

en sautant, ou de /.opuç, espèce de casque ou de chapeau.

Comme exemple de l'usage que le chef du troupeau,

(1) De Calvii. (-2) Martial., Eiiirjr., I, 71, 10.


PEINTURES .




MUSÉE SECRET. C

vir grcgis, capire maritas, sait fiiire de son front ponr se défendre et même pour attaquer au besoin, on connaît un fait curieux rapporté parElien(i) : un jeune sybarite, nommé Cratès, ayant montré trop d'affection pour une chèvre, excita la jalousie du bouc, qui vint l'attaquer à coupsde tèteetde cornes, lerenversaet lui brisaleci'âne,

PLANCHE 9.

Dans un champ d'azur paraissent deux personnages dont les pieds ne s'appuient point sur le sol : ils flottent au sein de l'air, sansêtre soutenus par des ailes, mais de leur propre nature, ainsi qu'il appartient;! des êtres célestes. C'est d'abord jMars portant en tête un casque d'acier, ce casquedans lequel viennent nicher les colombes quand il le dépose auprès de son amante : il a les épaules couvertes d'une draperie rouE^e, et il saisit Vénus pour l'embrasser. Cette déesse porte de chaque côté deux bracelets d'or, dont un à l 'avant-bras et l'autre au-dessus du poignet. Elle a, en outre, à chaque pied, un pied au-dessus de la cheville, un cercle d'or ou une périscélide (raptT/.e'Xt;). Tout le torse de cette figure, qui est d'une grande beauté, se montre à découvert : une grande draperie rougeâtre, enveloppant seulement les cuisses et les genoux, flotte sur le flanc gauche, et autour de la tête où, comme on

{\.)Hist.a>i., VI, 42


46 MUSÉE SF.CRET.

le voit dans beaucoup d'images de Vénus, cette draperie se gonfle pareil le à une voile, gracieusement et légèrement soutenue par la main droite de la déesse. De la gauche, elle porte un flahellum, un éventail, ou plutôt une espèce de feuille que nous avons déjà vue à la main de plusieurs prêtresses de Vénus (i), qui sert aussi d'attribut à une Vénus céleste (2), et que nous retrouverons encore comme attribut de notre Vénus mari ne (3). A la gauche de la déesse paraitun Amour qui porte l'arc et les flèches, et qui, tout en paraissant s'applaudir de sa victoire sur le dieu des combats, semble engager Vénus à se soustraire aux cu-es- ses de son amant : auprès de Mars, un autre amour porte lièrement sur son épaule l'épée et le baudrier dudieu qu'il vient de désarmer, et celui-là semljle au contraire exciter l'amant de \énus et l'encourager dans ses amoureuses tentatives. N'est-ce point là une allégorie délicieuse. le génie de l'amour masculin nesemble-t-il pas dire :

Yim licet appelles, grata est vis ista pueUis (4). « Qu'on l'appelle violence, cette violence est douce au cœur des femmes. »

Tandis que le Génie de la femme répond :

Grata mora est Veneri, masima lena mora est (5).

« Ténus aime les refus ; les refus sont de grands séducteurs. »


(1) Voy. Peintures, 0° série, pi. (3)Voy. une des pi. suiv.

90. f4) Ovid., de Art. am., I, 667.

(2)PatinjPolleni, (SV^;/;?e?«., t.II. (5) Id., ibid., 7à2.


PEINTURES.



jV^ Heic^ a-if^'.


A - d' H . V. 3 P IRT




. BIUSÉE SECRET. 47

Lesanionrs de "Slais et de Vénus ont formé le thème fa- vori des artistes et des poètes de l'antirpiité (i). Ce snjet gracieux a fourni des groupes (2), des tableaux et des gemmes(3) ; il figure même parmi les ornements du coffre de Cypsélus (4) : il a inspiré enfiu une charmante épi- gramme de l'Anthologie (5).

Remarquons encore que la Vénus ici représentée, la Vénus, femme de Vulcain et amante de !Mars, est celle que Cicéron, qui en distingue quatre, appelle la troi- sième, la fille de Jupiter et de Dioné (G). Cependant, les poètes les confondent toutes en une seule. Quant aux deux Amours, qui l'ont fait appeler Geniinoi-iini mater Amorain^ Cupidon qu'elle eut de Mercure et Jocus ou Antéros, filsde^Iars, ils sont indiqués par les deux grands poëtesmythographes, parHésiode (7) et parOvide(8).

PLAx\CHE 10.


Sur un fond de couleur grisâtre, comme un brouillard d'automne, devant un bosquet d'ormeaux mariés à la vi- gne on voit une figure de Bacchus, bien posée, dessinée


(1) Homer., O^hjss., 6, âGG ; Ovid., (4) Pansan., Y, IS. ih Art. cm., II, .561. (.5) Antliol., III, 244.

(2) Muîi. CapifoL, tom. III, tar. (6) Cic, île Kaf. xleor., III, 23. 20;J/i<s. Fiorent., tom. III, tav. 3(î. (7) TJmg., 200.

(3)il/î/.<t. Fim-ent, tom. T, Gemm., (8) Fast.. YT. 1. tav. 73, n. S.


-IS MUSÉE SECRET.

nettement et agréablement coloriée. Le dieu du vin a la tête couronnée de bandelettes, de feuillage et de fleurs :

ïuni varii flores, et trous redimita corymbis (1).

Une peau d'animal, la nébride sacrée (2), part de son épaule droite, tourne souslesdeux bras, et lui couvre la poitrine; tandis qu'une longue draperie, dont une exti'é- mité est pendante sur le bras droit, couvre l'épaule gau- che, le bras et le flanc du même côté, puis enveloppe la cuisse, le genou, toute la jambe, et cache même le pied. L'autre jambe est chaussée d'une bottine faite de la peau d'un animal, dont on voit la tête à la partie supérieure de la chaussure.

On sait que la nébride est l'attribut distinctif de Bac- chus et de ses serviteurs :

Alcides clava, Mayors tum lasit in hasta, Ai-cas tum vii-g-a, nébride tum Bromius (3).

u. Ak-ideasamassue, Mars sa lance, Mercure sa baguette, et Bromius « sa nébride. »

La nébride se formait de plusieurs peaux de faon (vsêpo;), découpées et cousues enseniljle; et comme ces peaux étaient quelquefois de teintes différentes, cette es- pèce de petit manteau méritait alors l'épithète de TCotici>.ov, 'versicolur. Les bacchantes s'en revêtaient dans leur vo-


(1) Tibull., EUg., I, 8, 32. (3) Sidou. Apoll. in Pra?f. Einth.

(2) Senec, Œdqj., 438. Rur., 26.


MUSÉE SECRET. 49

lontaire et passagère clémence : c'est pourquoi ccu\ qui étaient affligés d'une véritable folie le portaient aussi comme insigne (i). Cette espèce de vêtement avait, selon les anciens, la propriété particulière de chasser les ser- pents, de sorte qu'il était utile à des gens qui se cou- chaient et dormaient dans des lieux sauvages (a). Quant aux chaussui^es, dont l'étoffe était la même que celle de la nébride, on en trouve de pareilles dans.nne médaille de Commode (3), et Virgile donne à Bacchus le cothurne (4). Les peaux que l'on employait à cet usage étaient appe- lées parthiques, babyloniques et sarmaliques (5).

De la main gauche, Bacchus tient un long thyrse orné d'une bandelette; et dans la droite, il a une corne ou rhyton, qui offre vtne particularité remarquable : trois pointes terminé'nt sa partie la plus mince, et il n'est point percé par cette extrémité. Sans doute, ces trois pointes étaient comme trois pieds sur lesquels le vase pouvait se tenirdeboutetse poserétant plein. Telle était sans doute cette corne dont parle saint Ambroise : Cernas pocu-

lorum diversorum ordines vasaexposita aurea et ar-

gentea corna in niedio vini plénum (6). « On y voit

différentes coupes rangées par ordre ; des vases d'or et d'argent y sont exposés aux regards : au milieu est une


(1) Eurip., Bacch., 695 et 833; (4) 6e.org. II, 8.

Phœniss., 7d8 etscol. (5) L. 16, de PiihUc; L. 27, de

(2) Plin., XXVIII, 9, 42. A. et A. L.

(3) Buonarotti, Med., p. 116. (6) De Jejun., 13. Musée secret. 7


50 MUSÉE SF.CRET.

corne pleine de vin. « Athénée rapporte aussi (i) cpie, dans les fêtes de Caecliiis, le prix du vainqueur était un trépied, mais que, par trépied, il faut entendre un cra- tère : car la dénomination de trépied se donnait à tous les ustensiles qui reposaient sur une triple base. C'est sans véritable fondement que des archéologues ont cherché dans notre peinture une allusion aux trois cou- pes que l'on buvait en l'honneur de Bacchus, de Vénus et, de ITnjure (2), ou aux trois coupes dont le sage devait se contenter (3). Plus hasardeux encore, d'autres veulent voir dans ces trois pointes le foudre trisulce que quelques auteurs donnent au fils de Sémélé (\). De ce vase, qu'on pourrait appeler /7/jtort tiipode, le dieu verse du vin dans une coupe qui, tenue d'une main tremblante par un Satyre ivre, épanche luie partie de la liqueur sur la poitrine du dieu champêtre. Celui-ci est étendu par terre, déjà vaincu par le vin; et s'ap- puyant sur la main droite, il paraît faire un effort pour se relever : mais Bacchus, lui appuyant son pied droit sur le ventre, le contraint à rester immobile. Au sourire de dédain qui est empreint sur la figure du dieu, à l'igno- ble désordre et à l'expression bestiale que l'on devine dans les traits du Satyre (et malheureusement cette par- tie de la peinture a beaucoup souffert), on voit que l'in- tention de l'artiste a été toute morale : il a voulu faire


(1) Deqmos., II, 2, p. 37, (4) Cnpcr., Harjwcr., p. 98; Si-

(2) Athen., Joe. citât., 36. don. Apoll., Cariii., XXII. (3)Id., X, 11, p. 441.


MUSEE SECRET. 51

entendre que Bacchus, tout en prodiguant ses dons à ceux mêmes qui en abusent, n'a pour ces insensés qu'in- sulte et mépris : il semble se plaire à les enfoncer de pin s en plus dans leur fange. Nous avons ici mieux encore que cette leçon donnée par le poëte(i) :


Viiia parant aniinum Venc-ri ; iiisi plurima snmas,

Et stupeant nmlto corda scpulta mcro. Nutritur vento, vento restinguitur ignis :

Lenis alit flamnias, graudior aura necat.

« Le vin prépare l'esprit aux jeux de Véntis, à moins qu'on n'aille jus- ce qu'à l'abus, et que les sens, hébétés, ue s'ensevelissent dans les flots de la « liqueur perfide. Le vent nourrit un incendie; le vent peut aussi l'é- « teindre : un souffle léger anime la flamme ; plus violent, il la tue. »


De l'autre côté du tableau, vers le fond, on voit, sur une base élevée , ou sur une espèce d'autel carré , un Priape qui tient de la main droite un roseau fendu ou quelque autre ustensile semblable, et de la gauclie un autre objet que Tonne peut distinguer : peut-être est-ce, d'un côté, la faux, qui était un attribut de ce dieu, cuni falce sali- gna (?,); peut-être, de l'autre, des crotales (3), ou bien une bourse (4). Deux perches, dont une fort longue, pa- raissent être fichées sur sa tête : l'une d'elles est cerlai-


(1) Oyid., Eemcd. amor., 805; de Mut. smiil., tab. 5; Beger, Thés. vide etiam Mart. , Epiyr., I, 107; 5mw<i., tom. III, p. 264. Pétrou., 130. (4) La Chausse, loc.cifat., t^h. I;

(2) Virg., Gcorg., IV, 111. Beger, loc. cUat., p. 2CG.

(3) Priap. cann., 26; La Chausse.


52 MUSÉE SECRET.

nementplacée ainsi, et doit être destinée, selon l'usage, à effrayer les oiseaux :


. .' Nam fiires dextra coercet,

Obscenoqne ruber porrectus ad inguine palus ;

Ast importunas vcilucres in vertice arundo Terret fixa, yetatque novis considère in hortis (1).


L'attribut le plus remarquable de cette statue est cer- tainement celui qui est décrit dans le deuxième vers : nous aurons occasion de revenir sur l'obscénité du Dieu des jardins et sur les nombreuses inscriptions dans les- quelles lespoëtesont usé et abusé de toutes les allusions que ce sujet pouvait leur fournir. Ici, il y en a peut-être une que nous devons signaler : l'artiste n'a-t-il pas voulu opposer à la débilité du satyre engourdi par le vin, la vigueur constante du dieu qui, \i\nnt si/b dio, toujours exposé aux injures de l'air, ne s'abreuve en tout temps que de l'eau du ciel?

PLANCHE 11.

La partie inférieure de ce tableau, trouvé à Portici, est occupée par une corniche peinte en bleu turquin, et dont la perspective est calculée de telle sorte qu'elle pa- raît vue d'en bas : elle est surmontée de rinceaux de cou-

(1) Horat., Sat., I, 8, 4 et seqq.




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leur d'or. Plus haut, se trouve une composition dont il n'est point facile de déterminer le sujet. C'est à coup sûr une scène nuptiale, les deux époux viennent de se placer siu' un lit dont les coussins sont blancs et les draperies également blanches. Mais dans ce jeune homme cou- ronné de lierre, qui écarte les voiles dont le corps de son amante était couvert, pourquoi des imaginations trop subtiles ont-elles prétendu reconnaître un Bac- chus? Dans cette jeune fennne nue, dont la jambe droite porte un anneau, une périscélide d'or, pourquoi s'obs- tiner à voir une Ariane? — Pourquoi? C'est que, lors des noces de Bacchus et d'Ariane, y\pollon chanta l'é- pithalame : Sénèque le dit en termes exprès :

Ducitur iiiagno nova nupta cœlo : -

Solemne Phœbus carmen

Edit, infusis himiero capillis (1).

« La noiivelle épouse est amenée 'dans le vaste Olympe ; Phœbus, lais- « sant flotter sur ses épaules sa belle chevelure, chante l'hymne solennel.»

Et Nonnus parle dans le même sens de cet hymne nup- tial, vû|y.(pirjv îijxvov (2). Or, le personnage que l'on voit sur un des côtés du groupe est nécessairement Apollon, qui joue de la lyre; et l'aytre figure, qui est détruite en par- tie, portait aussi certainement sur sa tête la ciste mysti- que consacrée à Bacchus. Donc le tableau représente l'hy- men d'Ariane et de Bacchus. — Et si nous insistons, si

( 1 ) Œdip., 497. (2) Nonn., Dionys., XL VII, 464.


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nous ne reconnaissons pas l'Apollon et le cistophore, on nous répondi\i : « Ces deux personnages sont tels, parce que le groupe représente Ariane et Bacchus; et c'est Ariane et Bacchus, parce que les deux personnfiges sont Apollon et le cistophore : il n'y a pas moyen de sortir de là. Il est vrai que dans d'autres tableaux, c'est Ariane qui porte la ciste elle-même; mais ici, la ciste, qu'on ne voit pas, est évidemment portée en l'honneur d'Ariane. » Eh quoi! ne pourra-t-on jamais, en archéologie, comme dans tout exercice de l'esprit humain, demeurer simples et vrais. ^ Ce prétendu Apollon, cpii n'a rien de divin, n'est-ce pas tout uniment une joueuse de cithare, qui avant, de sortir de la chambre nuptiale, où elle a conduit les époux, entonne l'hymne nuptial? Elle doit chanter quelques-uns de ces vers brûlants, tels que Clau- dien sut en faire une fois, pour l'hymen d'Honorius et de Marie (i):

\

Adspirate novam pcctoribns fidem, Mansuramque facem tradite seusibns. Tarn junctis manibus nectite vincula Quam fi'ondens hedcra strini;-itnr aîscnlus, Qnam lento premitur palmite populus ; Et murmiir querûla blandius alite Lin^uis assidue reddite mutiiis.


« Aspirez de tous vos soupirs à une alliance nouvelle ; portez dans tous a Tos sens le flambeau d'une éternelle ardeur. Que vos mains jointes vous


(1) Claud., Fescennin. in Nupt. Aiig. honor. et Mar., 114 et seqq.


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(c ciicbaînent d'une indissoluble étreinte : comme le lierre embrasse le « chêne verdoyant; comme la vigne flexible s'enlace an peuplier : et que « vos bouches enflammées se renvoient l'une à l'autre un iiiuriimre plus « doux que les gémissements de la colombe. »

Cette femme, costumée d'une manière peu recherchée, a l'air vulgaire et semble presque jalouse du bonheur dont elle est témoin. Elle va sortir, disons-nous, par la porte qu'indique la colonnade placée derrière elle : car, selon les rites de l'hyménée, les deux époux devaient être renfermés seul à seul, soins ctim sala, tandis ([ue l'épitlialame se chantait à la porte :

Conscius ecce duos accepit lectus amantes : Ad thalami clausas, Musa, résiste fores (1 ).

« Le lit nuptial, complice du leur bonheur, a reçu les deux amants; <c Muse, arrêtons-nous à cette porte qui se ferme sur nous.

Ce n'est pas d'ailleurs ([ue la pudeur antique éloignât d'une manière absolue toute espèce de témoins des plai- sirs des amants ou des époux. Les dieux gaméliens, Ju- piter et Junon (2), et une foule de divinités subalternes n'avaient-ils point l'entrée du thalamus nuptial. Toute cette mythologie, érotiquement burlesque, a été ridicu- lisée par saint Augustin (3) avec une ironie pleine de sel et dans une latinité qui a son atticisme. Nous craindrions d'affaiblir si nous ne citions point textuellement : « Quiun


(1) Ovid., de A,i. am., II, 704, (2) Dionys. Hal., II, p. 34.

viàe etiam Catull., Fpilh. Manl.; Ci) De Civit. Dei, YJ, 9.

231, et Theocr., /</////., XVIII.


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mas etfœmina conjunguntur, adhibetur dens Jugatinus : sit hoc ferendum. Sed domuvi est diicenda quœ niibit; adhibetur et deus Domiducus. Ut inaneat cum v-iro, ad- ditiir dea Manturna. Quid ultra quœvitnr? Parcatur liumanœ verecundiœ : peragat cœtera concupiscentia carjiis et sanguinis, procurato secreto pudoris. Quidini- pletur cuhîculuin turba numiiium, quando et paranym- phl iade disceduntP... Adest dea Virginiensis^ et deus pater Snhigus, et dea mater P renia, et dea Pertunda, et Venus ^ et Priapus! »

Bien plus, rien ici n'indique précisément un mariage légitime; tout signaleraitplutôt une simplescèneérotique. Ce tableau, qui ornait les murs d'une salle à manger re- présente un des épisodes qui se passaient habituellement dans ces lieux décorés de tableaux lascifs (i). Cet homme couronné de fleurs et de feuillage (2), est un convive; ce lit, un des lits du triclinium. L'affreuse dissolution qui accompagnait les festins, chez les Etrusques, avait été transmise par eux aux Romains; et la description du Pen>igilium Priapi de Quartilla (3) ne paraît guère au- dessus de la réalité. Parmi les habitants de l'Italie, qui se serait abstenu, pour un ou plusieurs témoins, d'un acte obscène dont il lui prenait fontaisie (4)? Les Egyp- tiens, et les Grecs proprement dits, étaient les seuls


(1) Sidon. ApoU., Ë^iist., II, 2. (4) Stephan. Negr. de Luni

(2)Plm., XXI, 9;Atheu., XIV. Grœc, II; Ant. gr., tom. VIII; (3) Petron., cap. 20 et seqq. Plaut., BaccMd., III, 3.


03

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MUSÉE SF.CRET. 57

peuples de raiitiqiiitéqui, sous se rapport, respectassent au moins les temples (i) : 01 aàv yip à^'Xoi cr/ihoy tA^iz-, avGpoTcot., tîXyiv AtyjTCTiuv x.ai EV/i'/îvcov, awyjVTai èv Upotci.

PLANCHE 12.

Suspendue, pour ainsi dire, entre l'azur du ciel et l'azur des mers, une conque porte Vénus, entièrement nue et couchée sur le flanc droit. Cette peinture, dont le dessin est élégant et correct, et dans laquelle les chairs sont traitées avec beaucoup de délicatesse, a été trouvée sous le portique d'un petit viridarium ou jardin de ville. Les images de Vénus décoraient fréquemment les jardins des anciens : une inscription mentionne la Vénus des fameux jardins de Salluste (a); on voyait à Athènes la Vénus èv /.vi'ro'.; du sculpteur Alcamène (3), et ce mot y.7iTCoi, jardins, était le nom particulier d'un lieu situé hors des murai lies, où se trouvait le temple de la déesse. Le soin des jardins était d'ailleurs confié à cette divinité (4), qni est considérée comme la mère de Priape et qui présidait à tonte espèce de production ou de génération (5). Enfin, le mot /.-^Tvo; se prenait figurément (6), de manière à pro-


(1) Herod., II, 64. (4) Yaïv.,de Ling. M., V, 3; id.,

(2) Gruter, Inscr., 102, I. de Re rusfic, l, 1; Plin., XIX, 4.

(3) Plin., XXXVI, 5; Lucian., (5) Girald., Synt, XIII, p. 396. Im., 4 et G; id., Dial mer., VII; (6) Anacr., Od., 62, ubi Barnes. Pansan., 1, 10.

Musée secret. 8


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duire l'équivoque peu décente queprésentele mot /tortus dans ces deux premiers vers d'une épigramme latine (i) :

HortisHespcridum, Saljelle, cultis Nostras cultior hortus est puellae.

Les anciens ne sont guère d'accord entre eux sur ce qui concerne Vénus. On n'en admettait d'abord qu'une seule, soit qu'on la reconnût pour fdle de Jupiter et de Dioné (a), soit qu'on la fit naître du sein des mers (3). Plus tard, on distingua, d'une part, la fille de Jupiter et de Dioné, qu'on appela la Vénus vulgaire, xàvSvijxo;; et de l'autre, la Vénus céleste, Oùpavîa, que l'on supposa fille du Cie\, prolem sine matre creatam (4). Une troisième y fut ajoutée, que l'on appela Vénus marine, Tcovxia (5), ou peut-être la cause universelle, TravaixtYi ((>). Enfin, Cicéron en compte quatre (7) : la Vénus céleste, fille du Ciel et du ioviv {(lies, ■h[).i^'-j., étant du féminin); la Vénus aphrodite ou marine, née de récumQdesmers(à(ppo;); laVénus terres- tre ou vulgaire, fille de Jupiter et de Dioné; et la Vé- nus syrienne ou Astarté, l'amante d'Adonis. Les poètes les confondaient toutes ensemble : Orphée en avait donné l'exemple (8) en réunissant dans un seul person- nage la Vénus marine et la Vénus céleste : et Varron (9)

(1) Anthol. lat., tom. I, p. 686; (4) Plat., Sympos.

et Priaj). veter., 115. (5) Phuiiint., de iY. D., 2-1,

• (2) Hoin., Iliad.,Y, 380; Apoll., (6) Gai., incumd. loc.

I,-4. {l)DeNat.Deor.,lll.

(3) Hes., Theog., 1% : ffymn. ho- (8) Hymn. oiyhic.

meric. ad Yen., II. (9) De Ling, lat., IV, 61 et seqq.


MUSÉE SECRET. 59

était parti de cette confusion pour expliquer quel symbole formaient l'eau et le feu dans les cérémonies nuptiales. Igitiir causa iiascendl duplex, ignis et aqiia; ideo en nuptii in liminc adhiheiitur quod conjuugit. Hinc et mas ignis, quod ibi senien : aqua femina, quod fétus

alitur hum ore. Et lioruni viiictionis vis Venus Poctœ

de cœlo quod semen igneum cecidisse dicunt in mare ac natam è spumis Fenereni, conjunctio ignis et hu- moris quam liabet vim, signijlcant esse Feneris. « La cause de la naissance est double, l'eau et le feu : c'est pour cela que dans les cérémonies nuptiales ces deux éléments figuraient sur le seuil même où se consacre l'union. Le feu est mâle, et contient les germes; l'eau est femelle, et son humidité les nourrit. La force de leur union est Vénus même. Quand les poètes ont dit qu'un germe enllannné tomba du ciel dans la mer et que Vénus naquit de l'écume qui en jaillit, ils ont voulu marquer que tout le pouvoir attribué à cette déesse réside dans l'alliance du feu et de l'humidité (i). » Il y a encore sur la naissance de Vénus d'autres opinions excentriques, (jui méritent d'être citées, bien que, comme tant d'idées poé- tiques; elles se perdent dans l'ensendjle vaste et compli- qué des mythes : car les modernes seuls ont considéré cet ensemble comme homogène; ils en ont fait ainsi une science de collège appelée la Mythologie ou la Fable, science fausse et mutilée, qui heureusement n'a plus

(1) In euiuh Joe, Scalig. et Ciiper., Olserv., II, 1.


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cours que dans les écoles d'un ordre inférieur, science doni Dunioustier fut la dernière expression. Ainsi, Epi- niénide fait de Vénus la fille de Saturne et d'Evonynie; l'illustre traducteur d'Aratus (i) pense qu'elle est née d'un œuf qui tomba dans l'Kuphrate (a) : voilà deux dé- tails que ne donne aucun traité de mythologie.

Les Egyptiens avaient une divinité dont les attri- buts étaient à peu près les mêmes que ceux de l'A- phrodite des Gi^ecs et de la Vénus des Romains : ils lui donnaient le nom de Nefti, qui n'est pas sans ana- logie avec Nice (viV.r,, victoire), surnom que les Grecs appliquaient à leur Aphrodite, ainsi que celui deTéleuté (je1e\)t/], fin) (3).

La tradition la plus généralement admise, et certes la plus poétique, sur la naissance de la mère des Amours, est celle qui a été recueillie par Hésio.de (4) et trans- mise par lui à tous les poètes et mythographes : Sa- turne enlève à Uranus, ou à Cœlus, son père, les parties de la génération et les jette dans la mer; et de l'écume qui jaillit (âippô;), on voit naître la déesse de la reproduction et de la volupté.

L'explication de ce mythe est dans l'opinion de Varron ([ue nous avons rapportée tout à l'heure; tous les my- thographes l'avouent encore, sauf que plusieurs nom-


(1) Drusus Germanicus, Ai-afi Brancl., p. 179.

Phœnom. (3) Diod., I, 13; Plut., de Isid. et

(2) Girald., Synt., XIII, p. 386; Osirid., tom. II, p. 355. Natal. Corn., IV, 13; Beger, T'/ié's. {-i) Loc. citât.


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ment l'eau et le mouvement au lieu de désigner l'eau et le feu : ils font remarquer en outre que les germes de tous les animaux sont pareils à une espèce d'écume, âçptoS/i (i). Quelques archéologues ont émis à ce sujet luie conjecture ingénieuse (ti) : les Grecs ont pensé, disent-ils, que Vénus était sortie des flots, parce que le culte de cette déesse, pour arriver jusqu'à eux, avait traversé la mer Ionienne, venant de l'Orient et de la Phénicie, pavs où ce culte était très-répandu, et que l'on surnommait, pour cette raison, la Terre de Vénus. Et en effet, la déesse de l'amour et de la génération a un nom spécial dans tous les idiomes de la moyenne Asie (3); Aphrodite même est un motauqud on pourrait sans invraisemblance assigner une origine phénicienne, et à coup sur il serait impossible de dériver -ce nom, ouïe nom latin Venus, du sanscrit souche du grec et de toutes les langues de l'Europe: en sanscrit la Vénus indienne s'appelle Cuis (yapiç). Mais les Etrusques avaient de toute antiquité leur Venus murtia (4); les Romains n'eurent d'abord que Junonpourprésideraux unions légitimes, les seules dont ce peuple aux mœurs sévères daignât s'occuper ; ce fut aux Etrusques qu ils empruntèrent plus tard le nom et le culte de Vénus (5). Si donc, d'après une conjecture

(1) Aristot., de Gen. anim., II, 2; (3) Herodot., I, 131; Selden, de Phurnut., loc. cit.; Plutaroh., Cras.\ Diis Sijr. sijnt., II, 4.

Fulgeut., Myth., II, 4; Voss., hlol., (4) Dempster, Etrur. re.ij., IV,

II, 27; Loens., Epi}}li., VII, IG. 55; Mus. Etrusc, toni. I, p. 115 et

(2) Bniuiugs., A. G., XVII, 2, seqq.

§ 3o, n. 0. (5) Macrolj., Satwni., I, 12.


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assez vraisemljlable les Etrusques eux-mêmes étaient un peuple de la moyenne Asie, il n'y aurait rien d'absurde à faire descendre le nom toscan de celui de la Vénus as- syrienne Benoth, Benos, mot qui n'est pas sans rapport avec ce que dit Suidas, Bivo;, ôvo[xa Gsà;, et Bivaîv copu- lari. Cicéron dit aussi (i) : Cum loquimur bini obscenum est; « Le mot bini (deux à deux) a quelque chose d'ob- scène. »

Quoiqu'un peu subtiles, ces déductions sont pourtant moins foi'cées que celles des étymologistes qui tirent /^ert/« de [3aîv£tv, signifiant quelquefois, s'unir (2); ou de venire, quod venit ad omnia (3). Nous ne parlerons pas de ceux, qui, dans Venus trouvent ms ou virgo, quod sineejus vifeminavirgo esse nonpossit (4) ; ou ([ui, dans ÀçpciSiT/), veulent voir une allusion à «(ppocûv/i, folie (5).

Revenons à notre peinture. Sans doute voilà parmi les différentes Vénus, celle que l'on appelle la Vénus ma- rine. Sa coiffure est d'une élégance remarquable : ses che- veux d'un blond foncé, nuance très-recherchée parmi les anciens, se partagent sur son front en deux mèches enroulées, l'une à droite, l'autre à gauche, autour d'une bandelette d'or cjui serre le haut de la tête; ensuite ces mèches se l'eplientderrière l'oreille et l'etombent sur lecou et les épaules ; enfin le sommet de la tête est couronné par


(1) Epist. IX, 22. (4) D. August., de Oiv. D., VI, 9.

(2) Voss., Etijmol. s. v. Venuslus. (5) Eurip., Troad., 990; Aristot.,


(3) Cic, de N. D., II, p. 46, et Rhct., II, 23. III, 83.


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une espèce de diadème d'or, dont les ornements forment une dentelure ou des créneaux. Delà main cauche, elle 4ient unéventailun flabellum, formé d'une seule feuille decouleurrose-morte, ornéed'unesorted'arabesqued'un vertclair, qui enfigureles nervuresnatu relies. Nousavons déjà vu cet attribut du culte de Vénus dans diverses peintnres, sans oser nous prononcer sur l'espèce de feuille que les anciens figuraient ainsi; ici, le dessin plus correct et les couleurs mieux conservées nous font re- connaître une feuille de cette plante aquatique nommée nymplioea ou nénuphar, qui étale ses larges disques rougeâtres à la surface bleue des étangs. Peut-être celte plante rappelle-t-elle l'origine de la déesse : quelques archéologues disent que les dames romaines se servaient de feuilles de nymphoea comme d'éventails; ce cju'il y a de certain, c'est qu'aucune autorité n'en parle comme d'une plante consacrée à Vénus; on sait même que le nénuphar a des propriétés réfrigérantes; On croit, dit Pline, que le nyniph?ea est né d'une nymphe qui, étant éprise d'Hercule et se voyant dédaignée par ce héros, mourut de chagrin (i).

Une draperie que la déesse soulève délicatement du bout des doigts de la main gauche, se soulève, se gonfle, et forme autour de sa tête comme une voile demi-cir- culaire ; puis cette draperie passe autour du bras droit et s'étend sous elle jusque vers ses pieds, comme pour pré- Ci) Hisf. mit., XXV, 7, 37.


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server son corps délicat du contactde la nacre. La couleur de cette étoffe est changeante et passe du jaune doré au vert le plus sombre : on peut remarquer que la couleur del'orconvientà Vénus, à laquelle on donnait l'épithète aurea, -/puc-Ti, dorée, soit à cause de ses blonds cheveux et de l'éclat de sa beauté, soit au figuré dans le sens à'olma, bienfaisante et nourricière (i).

L'intérieur de la conque, dans lequel repose notre Vénus, est peint de couleur de chair pour les jours, et d'une teinte plombée dans les parties obscures, ce qui reproduit assez bien l'effet de la nacre; quant au dehors, ilestd'un vert blanchâtre. Plusieurs espèces de coquilles étaient consacrées à la déesse de l'amour, à savoir : une espèce de conque striée, la margaritifère, l'oreille d'A- prodite, o'jçÂpofîÎTyi;(2), et surtout celles que l'on appelle spécialement les Vénus (3). Pline dit (jue ce dernier mollusque navigue à la surface des flots, en opposant au vent, comme une voile, la partie concave de sa coquille (4), à peu près ainsi que le fait l'animal connu par les mo- dernes sous le nom de Nautile papyracé. Selon le même auteur (5), le murex, qu'il distingue soigneusement de la purpura, est une espèce du genre des Vénus : des coquillages de cette sorte arrêtèrent sous voile, en


(1) Athen., XIII, 8. de Re cibar., III, 38; Ulit. ad Grat.

(2) Hezychius. Falisc, Cijneget., 403. (3)Beger, Thés. Brancl, tom. III, (4) Hist. nat., IX, 33.

p. 269 ; Solin., p. 790 ; Voss., Idol, (5) lUd., IX, 25. IV, 35; Rondel., XIII, 12; Nonn.,


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pleine mer, le navire qui portait les envoyés chargés par Périandre de faire mutiler les jeunes gens des fiunilles nobles de l'île de Guide ; et en reconnaissance de ce ser- vice, les Gnidiens honoraient ces animaux et les avaient consacrés à Vénus. Cette fable est racontée par d'autres auteursavec des circonstances diverses (i). Du reste, que le coquillage dont il s'agit ait été consacré à Vénus à cause de cette seule tradition, ou parce que les perles passaient, comme cette déesse, pour être filles du Ciel ; ou enfin par quelque allusion obscène à la forme de la coquille, il est certain que cette consécration eut peu de crédit dans la haute antiquité, et que l'on s'avisa fort tard d'en déduire l'idée de représenter ^'énus dans une conque. Les monu- ments qui nous en offrent des exemples sont très- rares, ce qui augmente beaucoup le prix du nôtre. Dans un marbre de la villa Mattei (2), deux tritons soutiennent une coquille dans laquelle Vénus est assise, employant ses deux mains à exprimer l'eau dont sa chevelure est imprégnée. Il est plus difficile encore de trouver un poète grec qui ait décrit Vénus dans sa conque, ou qui même ait parlé d'un coquillage comme consacré à cette déesse. Parmi les Latins, Plante (3) est le premier qui ait fait une allusion ta cet attribut : il dit à la déesse, en lui re- commandant deux jeunes filles :

Te ex conclia natam esse autuniant : cave tu harmu conchas spemas.

(1) Herodot., III, 48; Plut., f/c (2) Montfaucon, tom. I, pi. 99,

fferod. maUyn., p. 858; Laert., in 5. Periandr. (3) .Swrf., 111,3, 43.

Musée secret. 9


66 MUSÉE SECRET.

Après lui, Festus (i) rapporte que Vénus, eu sortant de l'eau, fut amenée sur une conque à Cythère ; Tibulle la peint de même :

Et faveas coucha, Cj-piia, vecta tua (2).

D'autres poètes et niythographes latins copient, pour ainsi dire, ce tableau gracieux (3) : mais le seul auteur grec dans lequel on le retrouve, même parmi les prosa- teurs et les écrivains postérieurs à l'ère chrétienne, est le satirique Lucien (4).

Un dauphin, peint de ses couleurs naturelles, bondit sur les flots à côté du poéti(iue navire qui porte la déesse. On sait que les anciens consacraient à Vénus diverses espèces de poissons, peut-être à cause de leurs pro- priétés nutritives, et surtout le dauphin, auquel un écrivain latin donne le nom de Venereus (5). Sans doute ils'croyaient que les dauphins, amis de l'homme, s'épre- naient amoureusement des Jeunes gens qu'on leur avait vu, disait-on, sauver de la fureur des flots et apporter sur leur dos jusque dans le port (G). Ces traditions an- tiques ontété rappelées sans autre prétention par les aca- démiciens d'Herculanum ; et c'est fort gratuitement qu'un critique moderne leur attribue le tort d'avoir parlé de


(1) Sub Terb. Venus. (4) Dlal. Zéphyr, el Xot.

(2) Eleg., III, 3, .34; et ibi Brnck- (5) Aul. GeU., Xoct. ait., YIII, S, husius. et comment.

(3) Stat., Syh'., I, 2, 119, et III, (6) Pliii., Epist., IX, 33, ad Ca- 4, 5; Fulgent., Mi/fh., II, 4. nin.; Aiistot., ffisf. anim., IX, 48.


MUSÉE SECRET. 67

jeunes filles, comme s'ils avaient dit, ragazze au lieu de jeunes garçons, ragazzi, ajoutant à ce reproche celui de copier sérieusement une explication ridicule. Le critique dont il s'agit oublie que, dans l'explication des monu- ments, il ne s'agit point de se conformer à la vérité des faits physiques ou historiques, constatés par les lumières modernes, mais qu'il fliut consulter les traditions de Rome et de la Grèce, se pénétrer de l'esprit du temps, et pour ainsi dire se faire ancien soi-même, si l'on veut démêler l'intention des artistes de l'antiquité. Le vérita- ble archéologue acceptera volontiers le reproche d'être trop crédule, ce qui veut dire trop poëte; mais il re- douterait de paraître un mathématicien trop exact, un trop profond chimiste.

Un Amour ailé, que l'on voit à mi-corps derrière la coquille, send^le lui donner une impulsion en regardant Vénus avec admiration. La carnation de cette figure est fort animée, ce qui fait mieux ressortir la blancheur du torse gracieux et des membres arrondis de la déesse. Quelquefois la \ énus marine est portée par un cheval marin et accompagnée de plusieurs Amours : Nonnus et Claudien la décrivent fendant les flots à la nage, ou portée parun triton; enfin, elle monte souvent un char fabriqué par Yulcain et traîné par des colombes, des passereaux ou des cygnes (i). Mus la disposition de nos figures se rapporte mieux à la tradition conservée par la poésie la

(1) Apul.; Natal, Corn.


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G8 MUSÉE SECRET. i

plus antique (i), d'après laquelle la déesse fut poussée vers le rivage parle souffle du zéphyr, avec l'écume même dont elle était à peine sortie.

Priorité de la tradition, rareté du modèle, beauté des formes, harmonie des couleurs, notre peinture réunit donc tout ce qui peut la rendre précieuse aux yeux de l'artiste comme à ceux de l'antiquaire.

PLANCHE 13.

L'androgyne, ou, comme on disait plus souvent au temps de Pline (2), l'hermaphrodite, n'était pas toujours considéré par les anciens comme le chef-d'œuvre d'une nature complète, comme un être réunissant à la fois toutes les grâces, et créé pour toutes les voluptés : l'épi- tliète monstrum qui lui est donnée par les écrivains latins doit se prendre souvent en mauvaise part; témoin l'épigramm^ mordante que nous avons déjà citée (3); té- moin encore la manière dont en parle Cicéron (4) : Qteid ortus androgynl? Nonne iatale quoddam monstrum fuit? « Comment fut produit l'androgyne? N'est-ce point quelque affreux prodige envoyé par les destins? »

De même, il semble que la pensée de l'artiste, auteur de cette peinture, a été d'exprimer la répulsion naturelle


(1) Hymn. homeric. ad Vener., II. (3) PI. 2, p. 15.

(2) ffist. naf., VII, 3, 3. (4) De Div., I, 43.


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MUSÉE SECRET. 69

qu'inspire un être ambigu, plutôt que l'attrait qui naît d'une double beauté.

Dans un lieu solitaire, entouré de rochers à pic et de murs de jardins, un satyre a surpris une nymphe endor- mie : il soulève les voiles qui la couvrent, et s'aperçoit qu'il n'a point rencontré une femme, mais bien un de ces êtres qui, offrant l'apparence des deux sexes, n'ap- partiennent en effet à aucun. Le dieu champêtre se détourne avec un geste de dépit et de dégoût, et posant légèrement son pied de bouc eu arrière, il s'apprête à fuir. Mais l'androgyne le retient, et semble lui adresser des reproches, qu'il ne veut pas écouter. Ce groupe est expressif et plein de mouvement; et le satyre surtout, quoiqu'un peu petit pour une figure qui n'est que sur le second plan, est bien proportionné en lui-même , et semble animé d'une vie réelle. Les formes de l'herma- phrodite sont habilement dessinées; elles offrent les con- tours arrondis d'un torse de sexe gracieux, avec quelque chose des muscles saillants et de la charpente osseuse du sexe fort. Le sein est entièrement celui d'une femme, et l'artiste ne paraît pas avoir eu en vue un de ces Andro- gynes, voisins desNasamons et des Machlyes, qui, selon Calliphane et Aristote, avaient la mamelle gauche d'une témme et la droite aplatie comme celle d'un homme (i).

Ce qu'il y a de remarquable, c'est ([ue la prétendue nymphe est enveloppée de draperies fort larges et placée

(l)Plin.,Yn, 2,2.


70 MUSKE SKCRET.

sur un lit qui parait préparé à l'avance, et comme si elle s'était mise en embuscade dans cet endroit. Son manteau est bleu d'azur : elle est couchée sur une peau de léopard , et sa tète était tout à l'heure appuyée sur un coussin. Cela fait mieux i-essortir encore l'idée morale que l'artiste a exprimée dans les traits et l'attitude du satyre : car c'est une idée morale, nous osons le dire, pour un artiste de l'antiquité, et vu les mœurs de l'époque, que de poser des bornes aux aberrations de la volupté.

Du reste, le cachet du temps se trouve dans l'expé- dient que le peintre a choisi pour indiquer un lieu retiré, un carrefour qui doit être souvent témoin de scènes pa- reilles. Il a placé dans le fond un hermès coiffé du peta- sus, tenant d'une main \epedum ou bâton pastoral , et sou- levant de l'autre cette espèce de vase en forme de corne, que l'on nomme rhytoii. Cet hermès porte en outre l'ob- scène attribut du dieu des jardins (i); et peut-être y a-t-il quelque l'apport entre les deux figures princi- pales du tableau et cette espèce de statue panthée qui réunit Hermès, le fils d'Aphrodite et de Bacchus, avec un emblème bachique, le rliyton on rliytion (pj-w, dimi- nutif pjTiov) [-i).

Cette espèce de vase, rapprochée du pied de bouc du satyre, rappelle, sans que l'artiste y ait pensé néanmoins, une singulière épigramme de Martial (3) :


(1) Yoy. pi. 21 et 28. (3) Epigr., II, 25, ad Phœlmm

(2) Athen., X, 13; XI, 1, 5 et 26. varum.


MS



MUSEE SECRET. 71

Qiuim sint crnra tibi, simulent que cornua lunse In rhytio poteras, Phœbe, lavare pedes.


« Avec la jambe tortue comme les cornes de la lune , c'est dans un rhy- « ton, Phœbus, que tu devrais te laver les pieds, »


PLANCHE 14.

Apollon a dépose contre un rocher sa lance, son arc et son carquois : il serre entre ses bras une nymphe (pi'il vient d'atteindre dans un lieu désert. Celle-ci s'est laissée tomber à genoux devant lui ; et elle lève les mains au ciel, comme pour implorer l'assistance d'une divinité. Un arbuste, un jeune laurier, s'élève derrière ce groupe, ou peut-être même entre la nymphe et le dieu. Parmi les nombreuses amantes d'Apollon, une seule paraît lui avoir résisté ; et celle-là, qui fut changée en laui'ier, fut Daphné. On ne peut guère méconnaître, dans cette fresque nouvellementdécouverte à Pompéi, une représentation de ce trait de la Fable, un des plus célèbres dans l'antiquité, qui a été raconté en beaux vers par le chantre des Mé- tamorphoses (i), et qui a fourni le sujet de plusieurs gemmes (a). La fille du Pénée (3), ou, selon vnie version moins connue, la fille du Ladon et de la Terre (4), soit


(1) 0\'id., 3Ief., I, 450 et seqq. (3) Ond., loc. citât.; Hyg., Fah.

(2) Beger, Spic. ant.,^. 60; Maff., 203.

P. II, tav. 44. (4) Tzetz., Lycophi:, C.


72 MUSÉE SECRET.

par attachement pour Leucippe (i), soit parce que Cu- pidon, irrité contre Pliœljus, lui avait inspiré une pu- deur farouche (2), dédaigna l'amour du dieu de la lyre. Elle fuit longtemps devant lui; puis enfin, se voyant sur le point d'être atteinte, elle implora le secours de Jupiter (3) ou de la Terre, sa mère (4), ou de son père, Pénée (5); et aussitôt elle fut changée en laurier. On a élevé, contre cette explication du tableau, une objection que l'on a crue sans réplique. Apollon, a-t-on dit, porte ici une couronne de laurier; or, Ovide commence son récit par ces mots :

Nondum laurus erat

« Le laurier n'existait pas encore. »

Jl est malheureux que le docte critique se soit arrêté là : sans doute les mots qui suivent lui auraient inspiré quelques doutes :

longoque decentia criue

Tempora cingebat de qualibet arbore Phœbus.

f. « Et Phœbus prenait indifféremment le feuillage de tous les arbres pour « en ceindre ses tempes, que pare une longue chevelure. »

Nous n'écrivons pas en présence de la fresque de Pompéi; mais il nous semble que, d'après l'état général


(1) Pausan., YIII, 20. (4) Hygin., loc. citât.

(2) Ovid., loc. citât., 472. (5) Ovid., loc. citât., 545.

(3) ParLhen., &o/., 15.


MUSEE SECRET. 73

de toutes ces peintures, il doit être difficile de discerner si la couronne du dieu est formée de laurier ou des ra- meaux d'un autre arbre, tel que l'olivier ou le myrte.

Il se présente une seconde objection un peu plus forte : non-seulement le dieu n'est point fatigué ou haletant d'une longue course, ce que l'artiste a évité sagement, comme peu convenable à un dieu, mais il porte une espèce de vêtement peu commode pour une poursuite, un manteau qui tombe au moment même sur ses hanches, et qui aurait dû tomber beaucoup plus tôt. Puis, il a posé trop soigneusement ses armes contre un rocher : sur le point d'atteindre son amante, s'il n'avait pas aban- donné ces armes plus tôt, il aurait dû les jeter loin de lui.

Une explication propre à lever tous les scrupules semJjlt* pour ainsi dire renfermée dans ces derniers vers du récit d'Ovide :

Hanc quoque Phœbus araat, positaque in stipite dextra Sentit atUiuc trepidare novo sub cortice pectus : Complexusque suis ramos ut membra lacertis, Oscula dat ligno : refugit tamen oscula lignum.

« Phœbus chérit encore cet arbre : plaçant sa main sur le tronc, il sent « le cœur battre encore sous l'écorce nouvelle ; ses bras , enlacés autom* des <( rameaux, croient serrer les bras de celle qu'il aime ; il donne des baisers « à ce bois insensible ; et le bois insensible évite pourtant ses baisers. »

Ne semble-t-il pas que le pinceau de l'artiste ait voulu réaliser l'illusion que le dieu se fait à lui-même, quand il serre dans ses bras le tronc d'un laurier et qu'il croit y

presser son amante. Envisagée de cette manière, toute la

Musée secret. 10


74 MUSÉE SECRET. j

peinture s'explique : les armes du dieu sont déposées à j l'entrée de la vallée où il vient s'entretenir avec ce qui lui | reste de sa Daphné ; ce laurier, c'est peut-être ce même ' arbre daphnéen que l'on montra si longtemps près d'An- tioclie(i), cette femme enfin, c'est le fantôme de la nym- phe, vivante encore pour son amant, qui se reporte au moment où il l'a perdue , et qui croit la presser dans ses ^ bras quand il n'étreint qu'une froide écorce. |

Peut-être nous laissons-nous égarer par une conjecture trop ingénieuse; nous ne croyons pas cependant qu'elle : s'écarte du véritable esprit de l'art antique. En inter- prétant ainsi l'idée du peintre, elle nous paraît assez sé- duisante pour que nous lui pardonnions un peu de lour- deur dans le dessin, et surtout une disparité étonnante entre les proportions de la nymphe et celles du dieu. La Daphné est vraiment gigantesque : serait-ce pour marquer qu'elle n'est qu'une ombre, qui va grandir et se fondre dans l'espace ? Du reste, le coloris est assez bien entendu pour racheter aussi en partie les défauts du dessin.


PLANCHE 15.

Cette planche renferme deux sujets du genre de ceux que les Latins désignaient par les noms de sphinlria et

(1) Philostrat.,Y; Apollon., I, 12.


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1,"



MUSÉE SECRET. 75

libidines. Les planches suivantes se rangent encore dans la même catégorie. Nous ne nous arrêterons sur chacune d'elles qu'autant qu'elle nous fournira l'occasion de rappeler quelque particularité des mœurs et des usages de l'antiquité.

La première composition a quelque chose de moins licencieux que les autres : c'est le premier tête-à-tête de deux jeunes époux, au moment où l'esclave cubiculaire vient de quitter la chambi'e nuptiale. On croit le recon- naître du moins à la draperie couleur de feu, comme le flammeum, qui couvre en partie la jeune femme, et à la feuillequ'elle tient de la main droite : cette feuille, d'après sa forme et sa couleur, paraît appartenir à l'espèce de poirier appelée cognassier; or, on sait que tous les peu- ples anciens ont attribué au fruit de cet arbre une vertu aphrodisiaque, et qu'en entrant dans la chambre nuptiale on offrait un coing, probablement confit, à la nouvelle épouse, ainsi que cela avait été prescrit par Solon (i). Les amants offraient des pommes de coing à leurs fian- cées_(2), et on en plaçait au pied des statues des dieux témoins des mystères du thalamus (3), dieux dont nous parlerons plus loin.

Nous saisissons cette occasion pour résumer les notions les plus essentielles concernant les mariages des Romains : c'est le point de vue le plus convenable £oiis lequel se présente le début de cette série de tableaux.

(1) Plut., P/YffYY//. conj., toir. ]I, (2) Proiert., Elcg., III, 11, 27.

p. 138. L (3) Pin., XY, 11.


76 MUSÉE SECRET. f

A Pvome, le mariage légal se contractait de trois ma- nières différentes, appelées confarréalion, coemption et usage (i).

La première espèce de mariage se célébrait en présence de dix témoins : le grand prêtre de Jupiter, souverain pontife et flamine diale (2), consacrait, par une formule particulière, un gâteau de fleur de farine {far) offert par la fiancée, auquel les époux goûtaient ensemble, et que l'on offrait au dieu avec un agneau (3). On regardait cette sorte de mariage comme la plus solennelle, celle qui établissait entre les époux la communauté la plus parfaite (4); et, en effet, elle ne pouvait être dissoute que par une autre cérémonie également solennelle que l'on appelait f///7«r/'(?«i/o«. Unefemme mariéedecette manière était mise sous le pouvoir de son époux par la loi divine elle-même: in manum, in potestatem viri conveniebat. Si l'époux mourait sans entants et qu'il n'eût point testé, elle héritait de tous ses biens comme si elle était sa propre iîlle; s'il existait des enfants, elle entrait en partage avec eux et prenait une part égale à celle de chacun d'eux. Cette femme avait-elle commis quelque faute, son époux la jugeait en présence de ses parents à elle; puis, il pou- vait la punir à son gré (5), même de mort, pour les fautes les plus graves : et parmi ces fautes on comptait celle dont


I;


(1) Arnob., IV, 140. (4) Plin., XVIII, 8, 3.

(2) Serv. ad Virg., Georg., I, 31. (5) Plin., XIV, 13; Suet., Tiler.,

(3) Dionys., II, 25 ; Serv. ad Virg., 85; Tacit., A7m., XIII, 32. Georg.,l,Zlx^n..lN,lOi.


MUSÉE SECRET. 77

lafemmese rendait coupable en buvant du vin. Telleétait la peine portée parla loi des douze Tables; et cette dispo- sition fut en vigueur tant que les mœurs romaines se maintinrent dans leur pureté et leur sévérité primitives. Les enfants qui devaient le jour à de pareilles unions étaient légitimes par excellence, et on les appelait Pa- trimi et Matrimi (i) : ces enfants pouvaient seuls être employés dans les sacrifices (2), et surtout dans les cé- rémonies nuptiales , pour porter les flambeaux dont nous parlerons tout à l'heure. On choisissait, parmi ces enfants devenus adultes, les grands prêtres et les ves- tales (3). Dans les derniers temps de l'empire romain, les mariages par confarréation devinrent beaucoup plus rares, suite nécessaire du relâchement des mœurs (4j.

Danslacoewy^/^/o«j ou l'union par achat mutuel, les deux fiancés s'offraient réciproquement une petite pièce de monnaie, unas. En même temps, l'homme demandait à la femme si elle voulait devenir pour lui une mère de fa- mille, an sibi materfamilias esse vellet; celle-ci répon- dait qu'elle le voulait \i\en, se velle. A son tour la femme demandait à l'homme s'il voulait être pour elle un père de famille, an sibi pater familias esse vellet; et il ré- pondait de même, sevelle (5). Or le nom n^ater familias

(1) Paul. Diacon. e Festo. (4) Tit. Liv., XXXIX, 18; Plin.,

(•2) Tit. Liv., XXXYII, 3; Cic, XI Y, 13; Tacit.,4««., XIII, 32, et

Respons. Harusp., II; Tacit., Hisf., IV, IG.

IV, 53. (5) Terent., Andi:, I, 5, 61;

(3) Tacit., Aiui., IV, IG; Aiil. Serv.ad Virg., ^n., IV, 103; Cic,

GeU., I, 12. Oraf., I, 57.


78 MUSÉE SECRET.

convenait seulement ii la femme qui contractait cette es- pèce d'union, comme le terme matrona à celle qui se ma- iriait par confarréation et qui était mise au pouvoir de l'époux {in inaïuan viri conveniebat) (i). La fiancée était en outre munie de deux autres pièces de monnaie, dont l'une, qu'elle portait dans sa chaussure, devait être dé- posée sur le foyer des Lares domestiques; l'autre qu'elle -renfermait dans sa bourse, était jetée dans le carrefour Toisin delà demeure conjugale (2).

Enfin le mariage par cohabitation ou usage (iisiî) avait lieu quand une femme, du consentement de ses parents, vivait avec un homme durant une année entière, et sans faire une absence de trois nuits consécutives (3).

Outre les cérémonies léeales et essentielles dont nous avons parlé, il y avait, pour les deux premières espèces de mariages, une foule de rites et d'usages consacrés qui nous restent à décrire. On sent que, de sa nature même, le mariage par cohabitation n'était point soumis à ces formalités.

Les jeunes gens pouvaient se marier à l'âge de qua- torze ans, et les filles dès celui de douze. Le mariage légal ne pouvait avoir lieu qu'entre citoyens romains, à moins d'une permission spéciale accordée par le peuple, le sénat ou plus tard l'empereur. L'ancien usage ne permet- tait pas à un citoyen romain d'épouser une affranchie (î);


(1) Cic, TojAc, 3. (3) Aul. Gell., III, 2.

<2) Varr. ap.Non., XII, cO. (4) Tit. Liv., XXXIX, 19.


MUSÉE SECRET. 79>

niais la loi Poppœa limita cette défense : il demeura seule- ment interdit aux sénateurs, à leurs fds et à leurs petits-fils d épouser vme affranchie, une femme de théâtre, ou la fille d'un histrion (i). Les mariages avec les étrangers de- vinrent très-fréquents après le déci'et de Caracalla qui accorda lesdi'oits de citoyen à tous les habitants de l'em- pire (2) : jusque-làon avait regardé comme illégitimes les enfants nés d'un Romain et d'une étrangère, ou d'un étranger et d'une Romaine. Dans tous les cas, enfin, la loi. romaine prohibait formellement la polygamie (3).

Préalablement au mariage, le prétendant adressait sa demande au père de celle qu'il voulait épouser (4). On réunissait alors, pour la signature du contrat, tous les membres des deux familles qui y apposaient leur ca- chet (5); et dans cette fête de fiançailles; le jeune homme présentait à sa future épouse un anneau {auniihis pronu- bus), qu'elle mettait aussitôt au petit doigt de sa main droite (6). On ne célébrait point les noces sans avoir con- sulté les auspices, sans avoir offert des sacrifices au ciel et à la terre, les premiers époux, à Minerve toujours vierge, et à i nnon pronuha : dans ces sacrifices on im- molait souvent un pourceau (7), et, par wnc allégorie touchante, en ôtait toujours le fiel des victimes (8). Les

(l)Diod.Sic.,XVI;Dio,LIY,16. X, 336. (2)Tacit.,4««aZ.,XII,4etseqq. (G) Juven., Sai., YI, 27; Ma-

(3) Tacit, ch Aor. Oerm., 18; cxoh., Satimi.,NU, 15. Strab., III, 165. (7) Yarr., de Re rusfic, II, 4.

(4) Cic, Flacc, 35. (8) Plut., Fmcept. conjug.

(5) Juven., SaL, II, 119; VI, 25;


«0 MUSÉE SECRET.

mariages n'avaient lieu ni les jours néfastes, ni pendant les fêtes publiques, ni enfin pendant tout le cours du mois de mai (i) : les veuves seules pouvaient célébrer leurs noces un jour de fête, afin que ces unions, que l'on considérait jusqu'à un certain point comme scan- daleuses, eussent un plus petit nombre de témoins.

Le jour des noces étant ari'ivé, on coiffait la mariée en séparant ses cheveux en six. boucles au moyen d'un fer de lance {Jiasta connubialis)\ on posait sur sa tête une couronne de verveine qu'elle avait cueillie de ses propres mains; sa chaussure était rouge. On la parait d'une robe blanche et flottante, tunica i-ecta(-î), garnie d'une frange de pourpre ou ornée de bandelettes (3), et on fixait autour de sa taille une ceinture de laine, re- tenue par un nœud appelé nœud virginal ou nœud d'Hercule : l'époux ne devait la détacher que dans la chambre nuptiale (4). On couvrait la tête, la figure et le cou de la nouvelle épouse d'un voile de couleur sa- franée , propre à cacher sa rougeur; ce voile était ap- peléjlammeum , onflameuin, soit à cause de sa couleur approchant de celle de la flamme, soit parce qu'il était semblable au voile des flamines. C'était à cause de ce voile que l'action de se marier était désignée en latin, quant à la femme, par le verbe niibcre, qui signifie, au


(1) Plut., Quasf. rom., 25, 86 et (3) Juven.,!!, 124.

105 . (4) Ovid., Epist, II, 1 1 G.

(2) P]il^, VIIT, 4S.


MUSÉE SECRET. 81

propre, se voiler, niihere alicui, se voiler pour ([uel- qu'un; tandis que l'on disait, eu parlant de l'homme, (lacère iixurem, littéralement, conduire chez soi comme épouse. Dans les premiers siècles de Rome, les fiancés devaient courber la tête sous un joug de charrue, em- blème du mariage lui-même qui de là prit le nom de con- jiigiuni (i). Le mariage se célébrait, suivant les formes indiquées plus haut, dans la maison du père de la ma- riée ou dans celle de son plus proche parent. Le soir, on conduisait la nouvelle épouse à la demeure conjugale ; et d'abord, on faisait semblant de l'arracher violemment des bras de sa mère ou de sa tutrice, par allusion à l'en- lèvement des Sabines. Trois jeunes ^ens, patrimi et ina- trinii, comme nous l'avons dit plus haut, accompa- gnaient la jeune femme; deux d'entre eux lui donnaient le bras, et le troisième la précédait tenant un flambeau de pin, tœda pinea (2), et non, spiiiea, e spina alba, d'épine blanche, comme lisent, on ne sait pourquoi, quelques critiques; cela est d'autant plus évident que tœda seul veut dire primitivement, l'arbre résineux lui- même, l'espèce de pin dont les branches peuvent fournir des flambeaux (3), et même les planches de sapin dont on fait les bordages des vaisseaux (4). On portait encore de- vant la mariée cinq autres flambeaux, yacc^«?//^?/a/fj' (5),


(1) Serv. in Virg., ^n., IV, 16. (3) PHn., XVI, 10 et seqq.; ici.,

(2) Festus, s. T. Palrimus; Ca- XI, 21.

tull., LIX, 15 ; Pliu., XVI, 18 ; Pro- (4) Juven., XII, 57.

pert., Iv, 12, 46. (.•)) Cic, Cluent., 6.

Musée secret. 1 1


82 MUSÉE SECRET.

maritœ (i), oti legitiinœ (2). Ses femmes la suivaient^ avec une quenouille, un fuseau et de la laine [colus compta ctfusus ciiin staminé), emblèmes des travaux do- mestiques que ne dédaignèrent pas les matrones mêmes, des derniers siècles de la république; car Auguste ne porta jamais dans son intérieur que les vêtements fabri- qués par les femmes de sa famille (3). Un jeune ministre des autels, camillits, portait un vase couvert qui renfer- mait les bijoux de l'épouse et des jouets pour les enfantsù venir (4). Les parents et les amis des deux époux accom- pagnaient le cortège nuptial; et, pendant la marche, les jeunes gens adressaient mille plaisanteries à la mariée {sales et coni'icia) (5). Les portes de la maison nuptiale étaient ornées de feuillages et de fleurs, et les salles ten- dues de tapisseries. Là l'épouse, à qui l'on demandait qui elle était et pourquoi elle était venue , répondait à l'époux : Ubi ta Caiiis, ibiego Caia, Là où tu es le maître, je viens être la maîtresse. Ce nom de Cain ou Gaia fai- sait allusion à Caia C?ecilia ou Tanaquil, femme de Tar- quin l'Ancien , qui avait laissé après elle le souvenir de ses vertus domestiques, et dont la quenouille était con- servée dans le temple de Sancus ou Sanctor Sangus, di- vinité Sabine qui paraît être la même qu'Hercule ((>).


(1) OvicL, EjAst., XI, 101. lY, 4, 110.

(2) Lucan., II, 35C; Plut., Quœst. (5) Lucan., II, 3C9; Catiill., LIX, rom., 2. 127.

(3) Sueton., Au;/., 73. (6) Plin., VIII, 45.

(4) Plant., Cist., III, 1,5; Ritd.,


MUSÉE SECRET. 83

La mariée suspendait à l'entrée de sa nouvelle demeure ■des tresses de laine, et frottait les côtés de la porte avec de la graisse de porc ou de loup, afin d'écai'ter les charmes ■et les sortilèges : c'est pourquoi des étymologistes latins font venir le mot iixor du verbe ungere, oindre [quasi ■unxorah u/igendo) (i). On regardait comme d'un mauvais xiugure que, pour entrer dans cette maison, elle en tou- ■chât le seuil ; aussi le lui taisait-on franchir en la soule- vant (2), ou bien elle sautait légèrement par-dessus (3).

Au moment où elle entrait dans la maison conjugale, •on lui en remettait les clefs ; on étendait à ses pieds la toi- son d'une brebis, emblème dont le sens était le même que celui de la quenouille et du fuseau (4). Les deux époux touchaient le feu et l'eau, principe de la génération uni- verselle (5).

Le nouvel époux offrait un festin à ses parents, à ses amis et à ceux de la jeune femme. Pendant le repas, des iinusiciens chantaient l'hymne nuptial, dans lequel reve- nait le refrain imité du grec, lo Hymen, Hy menée, ou cet autre refrain plus latin, Thalassio! T/ialassio /ou plutôt Talnsio! Ta/asio (G) ! Ce dernier paraît être la répétition du datif d'un nom propre par lequel des Romains enle- vant une Sabine répondirent à ceux qui leur demandaient

(1) Serv. inVirg.,^S'rt., IV, 459; (5) Plutarcli., Quœsf. rom., I; Donat. ad Ter., Hecyr., I, 2, GO. Varr., de Liiiff. lai., IV, 10 ; "Ovid.,

(2) Plutavch., Romul; et Quœsf. Fast, IV, 792, et de Art. anutl, II, roman., 29. 598; Tide etiam supra, tab. 12.

(3) Plant., Cas!)}., IV, 4, 1. (6) ForcelL, s. y. Talasio.

(4) Plutarcli., Qu(cst.rom.,Zl.


84 ■ MIISf.E SECRET.

à qui elle était destinée. C'est poiirTalasius, dirent-ils: Talasio! Talasio {\)\ Et Hymen, chez les Athéniens, était aussi un nom propre. Selon les conjectures les plus probables, le refrain lo Hymen, Hymenee! se répétait pendant la route que suivait le cortège nuptial : le cri Talasio! était poussé trois foisau moment où l'on entrait dans la maison; et enfin l'épithalame proprement dit était chanté pendant le repas et à la porte de la chambre nuptiale. Cependant, Thalassi'o, au génitif Thalas- sionis, est aussi le nom commun de l'hymne nuptial, ou le nom d'une divinité qui présidait au mariage : il y a beaucoup de confusion dans les divers témoignages que les auteurs latins nous ont laissés à ce sujet ; et sans doute il y eut beaucoup de différence dans les rites observés, selon l'éloignement des origines et même selon le caprice des individus.

Après le repas, l'épouse était conduite dans la chambre nuptiale par Xespronuhœ, veuves ou femmes qui n'avaient eu qu'un mari : souvent la mère elle-même remplissait cet office. Cet appartement était ordinairement celui qui se trouvait à l'entrée, après le vestibule et la porte (2); celui que l'on appelait en général cavœdium, et en par- ticulier atrium, quand, découvertau milieu, où se trou- vait un bassin pour recevoir les eaux de la pluie {implu- vium)^ il était entouré d'une galerie couverte dont le toit s'appuyait sur des colonnes. Le lit nuptial, magnifique-

(1) Tit.-Liv., I, 9: SeiT. ad ^n., (2) Horat., EpisL, I, 1, 87.

I, 655.


MUSÉE SECRET. 85

ment orné, était là pour ainsi dire en plein air. JMais si ce lien avait déjà reçu une fois la même destination, on pla- çait alors le lit autre part, et souvent dans le viridariuni, petit jardin situé an fond de la maison et décoré aussi d'un portique (i) : on l'entourait des statues des dieux de l'hyménée, Suhigus, Pertunda, etc. (2). Au même mo- ment, l'époux se dérobait de son côté à ses amis, et il jetait des noix aux enfants :

Sparge, marite, nuccs, tibi jam nova dncitur uxor (3).

Par là il annonçait qu'il abandonnait les amusements puérils, et que dès lors il se conduirait en homme (4). De même, la jeune épotise avait consacré à Vénus ses jouets et ses poupées (5). Enfin, on congédiait les convives en leur offrant de petits présents, nommés apophorètes (G).

L'épouse restait seule avec son mari et l'esclave cubi- culaire, qui bientôt se retirait emportant la chaussure de la nouvelle épouse enfermée dans une cassette, et qui A^eillait toute la nuit à la porte de la chambre nuptiale.

Le lendemain des noces, il y avait encore à la maison nuptiale un repas que l'on appelait repotia (7). Alors l'épouse recevait des cadeaux de ses parents et des amis de sa famille : elle commençait à remplir ses devoirs de


(1) Propert., IV, 12, 85, et 9, 50; (4) Pers., I, 10. .Juven., X, 334. (5) Id., II, 70.

(2) Ai-nob., IV; Clément. Alex., (6) Martial., XIV, 1 ; Juren., VI, TlpoTp., p. 18 ; vid. et supra, tab. 10. 202.

(3) Vivg., Ed. (7) Horat., Sut, II, 2, CO.


S6, MUSÉE SECRET.

maîtresse de maison, en faisant les libations à table, et en accomplissant les rites sacrés (i).

Ponr revenir à notre peinture, la feuille de coing, la couleur rougeatre de la draperie de la femme, ses san- dales également rouges, un certain apprêt dans les ten- tures de l'appartement, s'accordent assez avec les parti- cularités que nous venons de rappeler.

Le groupe qui occupe le bas de la planche arrêtera moins notre attention : tout ce que nous en pouvons dire, c'est qu'il représente une attitude désignée en latin par ces expressions : Equus Iiectoreus (2) et Venus pen- dilla (3), et en grec parle mot ^repiêaciTi. Il manque à ce tableau un troisième personnage pour que l'on puisse lui appliquer ce distique de Bernard Lamonnoye (4) :

Spectat licram similis miranti ancilla, putatque, Vectam more \iri dum videt, esse viriuii.

Cette peinture licencieuse a été trouvée, il y a peu d'années, à Pompéi. Le dessin, comme celui de presque toutes ces compositions, dites lihidines ou spinthriœ, est fort peu correct et plein d'exagération dans certaines formes.


(1) Macrob., ^'a/wj-w., I, 15. 1-40.

(■2) Ovid., de Art. am., III, 775 ; (4.) Carmin. XV (rulgo sonnck),

Martial., XI, 104 ; Horat., Saf., II, latiiusdistkhis e.rpressa, anuo 1710,

7, 49. dist. 10.

(S^i ApiiL, J/f/., 2; Petron., /S'rt/.,


I


PEINTURES .



^ SE ^ 5E)mif ^ JD) 5S


MUSÉE SECRET. 87


PLANCHE 16.

Cette charmante mosaïque provient du musée de Noja. Elle a un pied de hauteur sur une largeur à peu près éi>ale.

Une jeune nymphe se tient debout, dans une attitude gracieuse, dont l'imitation pourrait être recommandée à nos danseurs de ballet, pour un de ces temps de repos qui séparentdeux mouvements rapides. Ses jambes, croi- sées l'une sur l'autre, semblent sortir de deux touffes de feuillage qui cachent ses pieds; et ses bras, qui s'arron- dissent au-dessus de sa tête comme les deux Ijranches principales d'un bel arbre, soutiennent une touffe de pampre et de raisins. Toutes les formes de ce beau corps, ainsi que les traits doux et riants du visage, indiquent la plénitude de la jeunesse et de la vie. Tant de grâces et de beautés excitent l'ardente admiration d'un satyre qui s'avance, les bras étendus, comme pour presser la nym- phe sur son sein. Cette seconde figure, non plus que la première, ne laisse rien à désirer sous le rapport de la correction et de l'élégance du dessin, de la naïveté de l'expression et de l'animation du coloris. A la distance convenable, la pierre produit complètement l'effet du pinceau .

Cela dit pour l'exécution, il nous reste à déterminer le sujet du tableau : après la part de l'artiste, celle de


88 MUSÉE SECRET.

l'archéologue et du niythographe. Avouons d'abord qu'il nous est impossible de comprendre comment un critique qui n'est point dépourvu d'érudition et de goût a pu voir dans cette mosaïque les amours de Pan et de Syrinx. Il faut remarquer que la figiu-e d'un satyre ne convient nullement au dieu Pau. Fils de Jupiter et de la nymphe Thymbris (i), ou de Mercure et de Dryope (2), ou de Pénélope qui l'eut de tous ses amants réunis (3) (c'est pourquoi il fut appelé Pau, de tov, tout); ou enfin de cette même Pénélope et de ^Mercure métamorphosé en bouc (4), Pau avait été imaginé par les Arcadiens comme le symbole de la nature matérielle. On ne peut donc pas lui donner cet air juvénile, mais bien les traits de la vi- rilité complète et de la maturité. Qui reconnaîtrait ici le dieu que l'hymne homérique a dépeint :

. , vôfxiov Gwv, iiXaéfinp'iv,

AÙ/IAI^EVÔ

kaï'fo^ S' £7ti vioTOt oocioivôv,

AuYxbi; E^Ei,

TepaTcoîtôv lîÉuôai,

Al•ji^z6Sr^^^, SixÉpwta, itoXûxpOTOv

_ Xeittev S' àpa iraïîa tiOvï),

« Ce dieu pastoral, à la longue chevelure toute hérissée. ... ; il porte

« sur ses épaules la peau sauglaute d'un Ijnx ; il est monstrueux à

« voir, aux i^ieds de chèvre, le front armé de cornes, ami du tumulte ;

« enfant, sa nourrice l'abandonna; car elle fut frappée de terreur à la vue « de cette figure terrible et couverte d'une barbe épaisse. »


( 1 ) Apollod., I, 4, 1. f 3) Tzetz., in Lyc, 702.

(2) Hymn. homeric, 0.<, nav, 49. (4) Lucian., D. D., 25.


MISÉE SECRET. 80

Certes on ne reconnaît ni le costume, ni l'apparence de notre jeune dieu. Ajoutons que Pan, à l'époque où on le prend ici, était déjèi couronné des rameaux du pin : Pitys avait précédé Syrinx (i).

Que dire maintenant de la nymphe? Est-ce donc là cette fdle farouche du Ladon, qui avait consacré à Diane Ortygienne ses flèches et sa virj^inité, et qui, poursuivie par le dieu Pan, implora le secours des ondes du fleuve, ses liquides sœurs, comme dit le poëte, et, s'étant réfu- giée dans leur sein, y fut changée en roseau? Comment, sur ce visage riant et paisible, peut-on voirie refus, l'hor- reur, l'agitation d'une fuite?

A cette explication hasardée, qu'il nous est trop aisé de détruire, nous serions heureux de substituer quelque trait aussi connu de la mythologie, qui en même temps concordât plus exactement avec la peinture. Malheureu- sement les poètes et les mythograplies ne nous fournis- sent rien qui puisse nous satisfaire à la fois sous les deux rapports. La nymphe, dont les pieds sortent d'une touffe de feuilles de vigne, dont la tête est couronnée de pam- pre et de raisins, est bien évidemment une personnifica- tion poétique de la vigne. Et en effet, d'après x\thénée (2}, Hamadryas eut de son frère Oxylus huit filles : Carya {le noyer), Balanos (le c/iene), Cranéion (le cornouiller), Oréa (Je hêtre), Aigeiros (le peuplier), Ptéléa {forme), Sykê {le figuiei), et enfin Ampélos {la vigne), qui est


(1) Ovid., Met., I, G99. (2) Detpnosoph., IlJ, 5.

Musée secret. 12


90 MUSÉE SECRET.

Ijien la joveuse et gracieuse figure de notre tableau. Ces nymphes ou semi-déesses diffèrent en quelque chose des hamadryades proprement dites, identifiées avec les ar- bres f|u'elles habitent, et dont elles sont comme l'esprit, de sorte qu'elles vivent et meurent avec ces végétaux : parmi ces dernières sont Daphné, le laurier, et Syrinx elle-même que le poète appelle l'hamadryade nonacri- nienne (de Nonacris en Arcadie) (i). Au contraire, Am- pélos, comme ses sœurs, est un être mythologique com- p et, dont peut-être les aventures ont été racontées dans quelque poème aujourd'hui perdu : il y aura eu entre cette nymphe et Faunus, ou tout autre satyre, une scène amoureuse dans laquelle Fhamadrjade aura paru sortir de son arbre chéri, ou même se réfugier sous son écorce, et c'est là ce cju'un artisteaura voulu peindre, ce cpiun mosaïste aura ensuite copié d'après le tableau.

Peut-être aussi, comme cela arrivait quelquefois, l'ar- tiste aura-t-il voulu créer une scène toute nouvelle, nue allégorie parlante : l'union, célébrée sous tant de formes, de la volupté et du vin, l'antithèse et comme le pendant de Dionysius et d'Aphrodite. Quelque immense que fût àé]'.i le champ de la mythologie, on l'agrandissait sans cesse de la sorte : chaque artiste qui ne trouvait plus rien à recueillir sur ce sol, y ajoutait un petit domaine, qu'il cultivait d'abord seul, et qui plus tard se confon- dait dans la masse commune.

(1) Ovitl., Met, I, 690; Serv. ad Vivg., £</., X, 52.



-7


MUSÉE SECRET. 91

PLANCHE 17.

De ces deux peintures imirales, la plus obscène est malheureusement celle qui offre le plus de mérite sous le rapport de l'art. Elle représente une de ces espèces de luttes que les anciens désignaient par le mot cUnopale [y.yj.rr,, lit; -ylr,, lutte); le voluptueux et cruel Domitieji aimait cette expression : Assidultatein coiicuhltus, velut cxcrcitationis gcniis, cliiiopalemvocahat (i).La nynq:)he vient de renverser son antagoniste au moyen de l'artifice que nous désignons par le mot de croc-en-jambe, et pour lequel les Latins avaient le verbe siipplantare, verbe dont nous n'avons conservé que le sens figuré. Il serait impossible de décrire ce tour de gymnastique de ma- nière à en faire sentir toute l'habileté : ledessinsenl,dont l'exécntion est parfaite, peut faire comprendre la dispo- sition de ces jambes, de ces bras qui s'entre-croisent avec un art infini. En examinant attentivement la situation actuelle des membres et du torse des deux personnages, on comprendra du même coup, quel mouvement, quelle évolutionsur eux-mêmes ont faits les deux athlètes , quelle était la situation antérieure à cet effort qui a renversé le plus robuste mais le moins adroit. C'est là le chef-d'œuvre de l'art : en rappelant dans un mouvement le mouvement

(1) SuetoD., Z)t^w»7., 22; vide et Anrel. Victor., Cas., II.


92 MUSÉE SECnET.

qui a précédé, ou en faisant pressentir celui qui va sui- vre, la peinture semble usurper un privilège de l'art d'écrire : elle qui n'exprime ordinairement qu'un des aspects de la durée, le permanent et le stable, voilà qu'elle nous offre le variable et le successif: avec le pré- sent elle nous fait voir le passé ou l'avenir. C'est aussi de la part de l'artiste un tour de force étonnant.

Est-ce pour désigner plus clairement le triomj)he d'une femme faible, mais remplie de ruse et d'adresse, sur un athlète éprouvé, que le peintre a donné à celui-ci une couronne de feuillages. ou bien cet attribut indique-t-il quelque dieu champêtre qui a surpris la nymphe dans ce lieu sauvage .Ce sont là des questions pour la solution desquelles nous n'avons aucun élément.

On en peut dire autant du sujet de la deuxième pein- ture, où l'on remarque un dessin moins habile, et quel- que chose de forcé dans la position de la tête de la nym - plie, quoique le torse et les reins de celle-ci, les bras des ' deux personnages, et le mouvement de la draperie soient assez heureusement indiqués. Quel héros, quel dieu champêtre, quel dieu-fleuve, peut-être, a su attirer dans ce désert une simple mortelle qui s'abandonne à son amour, et lui permet de dévoiler ses beautés? Sei'ait-ce ce fleuve fameux que les dieux appelaient le Xanthe, et les hommes, le Scamandre (i), dont les eaux avaient la vertu de rendre blonds les cheveux des femmes qui s'y

(1) Homer., TZ/af/., IX, 20, et XXIII, 212.


PEINTURES


,^(faÂr,





MUSÉE SECRET. 93

baignaient, et à qui les jeunes Troyennes consacraient leur virginité en se baignant dans les flots la veille de leurs noces (i)? Enfin ce tableau se rapporte-t-il à quel- que autre scène des amours mythologiques? Nous Ti- i>norons tout à fait.


PLANCHE t8.

Ces deux peintures obscènes différent peu, quant au sujet, d'un autre tableau dont nous avons déjà parlé (2); et nous n'avons rien de plus à dire de l'attitude des per- sonnages principaux de "celles-ci.

Elles sont remarquables néanmoins par la présence de l'esclave cubiculaire. Ce personnage singulier, appelé en \ahn eu biculari us , en grec, /.xTeuvacT^; et x.aTa/.o'.iJ.-.TTr;;, ser- vait les époux ou les amants dans l'intérieur de la cham- bre à coucher, et se tenait en dehors pour garder la porte, quand on ne réclamait pas ses services au dedans.

Les particuliers les plus riches avaient plusieurs es- claves de cette catégorie; et chez les empereurs on les comptait par décuries, puisqu'il est question dans Sué- tone d'uncertainSaturius, décuriondescubiculaires(3).

Il est inutile d'ajouter que dans le Bas-Empire cet es- clave était un eunuque.


(1) Strab., I et XIII; Plin., V, (2) Voy. pi. 15.

30 ; Pomp. Mel., I, 18. (3) Suet., Domit., 17.


04 MUSÉE SECRET.

Auprès des femmes, une esclave femelle, désignée par lènom decubicularla, remplissait le même office, comme le démontrent plusieurs inscriptions (i). Il ne paraît pas que cette distinction ait été fort nécessaire : chez tous les peuples, tantanciens que modernes, dont les institutions ont comporté l'esclavage, ce fut toujours une maxime en vigueur que les esclaves ne sont d'aucun sexe : le mot mancipii/m, qui signifie esclave, est du genre neutre.

Le cubiculaire de la première peinture sort en regar- dant ses maîtres; et il emporte un plat dans lequel il vient sans doute de leur servir un de ces mets aphrodi- siaques dont les anciens faisaient tant d'usage.

Dans la seconde peinture, le cubiculaire regarde les autres personnages fort tranquillement, et comme s'il assistait à un spectacle. C'est là un des traits les plus étranges des mœurs antiques. En était-il ainsi dans tous les liipanaria, seuls lieux où de pareilles scènes pussent se passer? 11 est encore permis d'en douter, quoique toute cette série de peintures semble prouver, sinon l'u- niversalité, du moins la grande généralité de cette cou- tume impudique.

Tous les Ilomains n'étaient point encore arrivés à ne point compter des esclaves conune des témoins véritables , et ta ne rougir d'aucune action devant eux : iMartial en fournit une preuve dans une de ses épigrammes les plus


(1) Gruter., Inscript., 676, 5; p. 29; Murât., 398, 1. Guasc, Mus. Capitolin., tom. I,


JIUSÉE SECRLT. 95

licencieuses, où il place les esclaves non dans la chambre, îiiais derrière la porte :

Phryfïii post ostirt servi

Hectoreo qnotius sederat uxpr equo ( 1 ).

I.a forme du lit est encore remarquable dans les deux peintures : c'est plutôt un lit de repos qu'un meuble fait pour y passer la nuit; et surtout le peintre l'a fait un peu trop court. Cependant, tel que se trouve ce dessin, il est propre à donner luie idée exacte des lits des anciens qui •étaient de bronze ou de fer : ils ressemblaient beaucoup ^nx lits de fer qui n'ont jamais cessé d'être en usage dans le sud de l'Italie, et qui commencent à être adoptés en France. Sous le lit du premier tableau, on voit une espèce <rescabeau (scabel/itm), dont la forme est assez bizarre.

La deuxième scène se passe de nuit, a la lueur d'une , lampe que l'on appelait aussi cubiculaire, Inccrna ciibi- ■cularia. Une lampe consacrée à un pareil usage a fourni il Martial l'idée de cette charmnnte épigramme (2) :

Dulcis coiiscia lectuli luceraa, Quidqi;id vis facias lieet, tacebo.

Jules Scaliger l'a traduite avec beaucoup de bonheur :

rioieîv, OTTi ttot' av ôï'Xr.ç, ciwirôi. (1) Martial, Epiijr., XI, 104, 14. (2) Epiy,:, XIV, 39.


9G MUSÉE SECRET.

Mais toute la grâce de ce joli distique disparaît dans la traduction en prose française; traduction qui, pour ne point être barbare, devient une paraphrase :

« Ta lampe est la complice des doux mystères de ta couche ; fais-y tout « ce que tu voudras ; elle sera discrète. »

La poésie française serait peut-être également inhabile ; à moins qu'elle ne fût maniée avec cet art tout moderne et ce sentiment tout antique qui furent donnés à un seul poëte, et qui brillent à un si haut degré dans les vers qu'il adressait à la lampe de son amie (i).

La jeune femme de ce second tableau est blonde : on sait combien les cheveux blonds étaient recherchés des anciens, quoique les femmes du Midi soient en général brunes, ou peut-être précisément à cause de cela. A Rome, cette fureur fut portée au point que les riches patricien- nes se faisaient raser la tête, et la couvraient de cheve- lures blondes que l'on achetait dans la Germanie et les Gaules (2).

PLANCHE 19.

Une jeune fille qui porte sa chevelure relevée sur le sommet de la tête (3) et qui tient un thyrse à la main.


(1) André Chénier, ÉJêffi'es. 501 ; Horat., Sal., I, 8, 48.

(2) Schol. in Juven., YI, 120 et (3) Voj. pi. 5, 6 et 7.


(/"t-^L



// rA, _Jii ,.


MUSÉE SECRET. 07

une bacchante sans doute, se réfugie au pied d'une espèce d'autel pour échapper aux poursuites d'un faune (i). Ce (Heu champêtre est reconnaissable à ses oreilles légère- ment pointues, à la nébride qui flotte sur ses épaules, et surtout à une particularité fort étrange de sa conforma- tion. La petite statue en gaine qui se trouve sur l'autel est sans doute une Minerve, une Hermathène : c'est du moins ce qu'indique l'attitude de son bras droit, qui de- vait supporter une lance. Mais c'est en vain que la nym- phe, vouée au culte du dieu du vin, se réfugie cette fois fj aux pieds de la Sagesse : à la mollesse de sa défense, on voit qu'elle sera vaincue.

C'est là sans doute une simple allégorie morale, ou plutôt, ici comme dans toutes les peintures de ce genre, le sujet n'est qu'un prétexte que le peintre a saisi pour étaler des nudités lascives aux yeux blasés d'un riche voluptueux. Cependant on trouve dans Apulée (2) une anecdote qui coïncide d'iine manière frappante avec la disposition de cette peinture, et qui probablement a ins- piré l'artiste.

« La belle Chromis, fille du pasteur Chrasias, alla im- plorer iMinerve dans un bois consacré, et lui demande ' la sagesse, la veille de son hymen avec le jeune Alcimède . Elle y fut surprise par Myrtil, dont elle avait rejeté les vœux, et qui la sacrifia sans pitié aux pieds de la déesse. Pour accomplir ce sacrilège, Myrtil avait pris le dégui-


(1) Senec, Œdip., 438, (2) Asirms Aureus.

IMusée secret, 13


98


MUSEE SECRET.


sèment d'un faune. Le crime ne fut pas impuni : Myrtil ne sortit pas du bois sacré, et Minerve rendit à Chromis


sa \irgniite. »


Les conjectures peuvent aller jusque-là; mais nous ne suivrons pas les écrivains qui cherchent dans cette pein- ture une parodie licencieuse du viol de Cassandre, com- mis par Ajax dans le temple de jMinerve, viol qui est ra- conté par un auteur, fort obscur dans tous les sens du mot (i), mais qui n'est nuliement indicpié par Virgile: en effet, l'Enéide, comme toutes les gemmes et les monu- ments antiques (a), représente seulement la fille de Priam traînée par les cheveux hors du temple de la déesse (3) :

Ecce trahebatur passis Priamcïa virgo Crinibus a templo Cassaiulra adytisque Minervœ, Ad cœlnm tendens ardentia lumina frustra, Lumina, nam teneras arccbaut vincula palmas.

On voit qu'il n'y a rien là qui justifie la conjecture dont nous parlions. Nous avons déjà observé qu'il faut bien se garder de prêter trop d'esprit aux artistes de l'an- tiquité; mais ce dont on doit encore plus soigneuse- ment s'abstenir, c'est de leur prêter des recherches qui ne seraient pas spirituelles du tout. Dire qu'ils se sont inspirés de Virgile, passe encore, le cas échéant; mais prétendre qu'ils ont copié Lycophron, ou confondre


(1) Lycophr., 348-358.

(2) MafFei, Gemin, anf., tom. II,


tab. 73; Tabl. iUac, n. 99. (3) ^neid., II, 403.


I


MUSEE SECRET. 99

i soi-même Lycophron et ^ irgile , voilà qui passe toutes les licences accordées à la critique.

La vignette représente encore nu de ces groupes déjà tropde fois répétés : dans celui-ci seulement, on remarque la forme plus élégante du lit et de la lampe; la pose du jeune homme est aussi plus gracieuse et plus naturelle. Mais une circonstance toute particulière, c'est qu'il n'y a point ici d'esclave cubiculaire, et que les deux amants, d'après le ir attitude et l'expression de leurs traits parais- sent être troublés tout à coup, soit par un bruit à la porte, soit, ce qui paraîtrait une idée plus ingénieuse, par une simple crépitation de la lampe qui les éclaire. Cette particularité donnerait à penser que la scène ne se passe point dans un lupanar, lieu oii sans doute on pre- nait ses précautions contre tout interrupteur, et où l'on jouissait de cette sécurité que prise tant Horace .

Parabilem amo Venerem facilemqne. . .

Depreudi miserum est (1).

« Car il ne veut risquer, ajoute-t-il, ni sa bourse, ni ses cotes, ni sa bonne renommée. » C'est ce qui arriva en effet à l'historien Salluste, surpris un jour en flagrant délit d'adultère avec Fausta, la femme de ce Milon que le meurtre de Claudius et la harangue de Cicéron ont rendu célèbre. IMilou fit administrer à son rival une centaine de coups de bâton, et lui extorqua une forte

(1) 51pmo«., I, 2, 110-134.


100 MUSEE SECRET.

somme d'argent. Horace, dans le passage qne nons ve- nons de citer, ftut sans doute allusion à cette anecdote, assez récente à l'époque où il écrivait.

C'est aussi parce que la scène ne se passe pas dans un lieu public, que les meubles ont quelque élégance : car le lupanar, institué à Athènes par Solon, comme le prouve une épigramme d'Aristophane (i), était loin d'avoir atteint dans Rome le degré de luxe auquel il parvint chez d'autres peuples anciens et modernes. Les seules courtisanes qui eussent quelque vogue à Rome, étaient celles qui ne se donnaient qu'à un seul homme, à prix d'argent à la vérité, et pendant un temps déter- miné (2) ; en quoi leur conduite différait encore de la vie des riches hétaïres de Corinthe et des antres villes de la Grèce. Les courtisanes de Rome [meretrices) étaient à peu près ce que sont les femmes entretenues des mo- dernes : elles promettaient d'être fidèles; et si elles en- freignaient leur serment, ce qui arrivait sans doute quelquefois, elles étaient exposées, comme les deux per- sonnages de notre tableau, à la crainte d'être surprises.

Les prostituées proprement dites {lupœ , fornicatrices , biistuarice), habitaient dans le quartier appelé Suburra, et mieux Subura (3) : là, parmi les ruines et les tombeaux, elles avaient d'infâmes repaires, dont les noms seuls,


(1) Antliol, XIII, 24 et 569. (3) Varr., de Ling. lat., IV, 8; ,

(2)Plaut., Trucul.,lY,2,t[,Asm., Martial., Epigr., VI, 66; XI, 61 et V, 1. 78;Pers., V, 32.


SIUSÉE SKCRET. 101

fornix, lupanar, révèlent la misère hideuse. Nous aurons occasion d'y revenir (i),

IMais, courtisanes et prostituées étaient également ohlicfées à se fiiire inscrire chez les édiles. C'étaient des affranchies ou des femmes de naissance libre (i/igc/utœ), qui ne tenaient point à une famille patricienne on éques- tre. Leur costume différait de celui des dames romaines : elles ne portaient (px'une tunique courte et une robe (toga) à peu près semblable à la toge des citoyens. Filles ne pouvaient paraître en public avec des bijoux, de l'or ou des pierreries : si elles voulaient se trouver parées dans quelque maison de la ville où elles étaient invi- tées, soit comme convives, soit comme danseuses, un esclave portait leurs bijoux dans cette maison; elles y achevaient leur toilette, et elles quittaient de nouveau leurs ornements les plus précieux avant de sortir (a). La plupart vivaient avec une mère, uue tante, on plutôt une étrangère qui", sous ce nom, remplissait auprès d'elles un rôle {leiiocliiiain) plus odieux encore que leur triste métier. Quelques-unes appartenaient à des mar- chands d'esclaves : celles-là remettaient à leur maître une portion de leur gain. Sous Galigula, elles furent sou- mises à payer un impôt. Ce qui contribua surtout à te- nir les courtisanes, même les plus élégantes et les plus recherchées, dans cet état d'esclavage et d'abjection, ce fut, sous l'empire, l'influence des dames romaines, qui ne

( 1 ) Voy. plus loin, pi. 46. (2) Ferrer., deRevestiar., 1, 3 et23.


102 MUSÉE SECRET.

rougissaient pas d'en être jalouses, et de s'appuyer sur la loi pour soutenir contre elles une espèce de lutte et de concurrence. Les empereurs les plus débauchés donnèrent quelquefois leur appui aux rivales des nobles patrones. ÎMais le règne d'Eliogabale fut surtout l'époquedutriom- phedesccurlisanes. Ce jeune insensé poussa l'impudence jusqu'à s'enrôler lui-même parmi elles; et cet exemple trouva dans l'un et dans l'autre sexe de nombreux imi- tateurs. Dans la ferveur des premiers siècles du christia- nisme, cette classe de femmes disparut presque de la scène; les asiles de la débauche ^furent fermés: mais ce ne fut point pour longtemps; la débauche et les autres vices reparurent dans toute leur grossièreté, avec le luxe grossier du moyen âge (i).

PLANCHK 20.

La première de ces deux fresques a été trouvée à Pom- péi en 182G. Les peintures dont les murs d'une des chambres étaient revêtus, ont fait supposer à quelques critiques que cette maison était nu lupanar. Mais, veuillez relire ce que nous disions tout à 1 heure de la misère et de la saleté qui régnaient ordinairement dans de pareils lieux, affreux repaires où non-seulement les


(1 ) Petron., Safijr., 40 ; Turneb., 1er. et merefr., 2. Advers.,XYI, 19; 'La\\rcnt,rleA(7i)I-


MUSIiE SECRCT. 103

c;ens du monde, mais même les hommes qui possédaient quelques moyens réguliers d'existence, n'auraient point osé mettre le pied : songez en outre qu'une seule cham- bre de cette maison est décorée d'une manière lascive, et vous conclurez que la chambre dont il s'agit est tout simplement le vciiciiuin ou vencrcum, appartement se- cret où un riche voluptueux établissait le théâtre de ses plaisirs, et dont la décoration était en harmonie avec sa destination. On a découvert dans plusieurs autres mai- sons de Pompéi des appartements que l'on ne peut mé- connaître pour des vcncrcdin (i); et plusieurs inscrip- tions attestent l'existence de ces espèces de l)oudoirs, ainsi que des esclaves, venerii ou venerci , qui en fai- saient le service (:i) .

Les fresques de cette chambre, peintures dont nous ne donnons ici qu'un fragment, représentent des jeunes gens qui se livrent avec des courtisanes aiix plaisirs de la table et du jeu. Un des convives, échauffé sans doute par le vin, poursuit une femme. jMais celle-ci, au lieu de céder à ses désirs, le saisit d'une main à la gorge et s'efforce de le repousser : elle semble même vouloir lui briser sur la tète un vase qu'elle tient de l'autre main.

Le dessin de cette peinture est incorrect : des deux bras du jeune homme, le plus éloigné du spectateur est de beaucoup le plus long et le plus gros, même en tenant


(l)Mazois, Ruities de Pompèl. 63, tab. 4 et 10.

(2) Rosini, Dissertaz. isagogic,


104 MUSEE SECBET.

compte du raccourci que présente l'autre bras. Cette néglij^ence de l'artiste est du reste bien digne du sujet , scène ignoble de colère et de luxure. Nous n'en dirons point un mot de plus : la fresque suffit et au delà pour jeter autant de joiu' ([u'il en faut sur cette partie des mœurs erotiques des anciens; et c'est là le seul but que l'on se propose dans la rédaction de cet ouvrage.

La seconde fresque est plus remarquable sous le rap- port du dessin et de la couleur. Elle représente des fu- nambules qui, en équilibre sur deux cordes ou sur deux petits fils de métal tendus, se livrentà un exercice que la plume se refuse à décrire : c'est là une de ces scènes d'orgie que des histrions venaient représenter devant les riches voluptueux, et quelquefois pendant leurs fes- tins, sous les plus mauvais règnes de l'empire : Néron et Tibère en faisaient leurs délices. Cette peinture est donc une magnifique vérification historique. On aurait pu croire que Suétone et Tacite exagéraient les infamies de ce que Tibère i\ppe\ait sella rias et sp/iint n'a (i), qu'ils calomniaient les voluptés furieuses de Néron (a) ; mainte- nant la peinture a justifié l'histoire.

Nos histrions donnent une seconde preuve de leur adresse en remplissant jusqu'au bord de grands verres de l'espèce que nous avons déjà nommée épiniptride(3),


(1) Sue ton., Tiber.,4:3,iiet4b; Tacit., Annal., XV, 37; Xipliil., Tacit., Aiuial, VI, 1; Dio, LVIII, LXIII, 13 ; LXII, 2S.

22. (3) Voy. BroBzes, lampes et vases,

(2) Sueton., Ner., 26, 27, 28; pi. 78.


PEINTURES




MUSÉE SECRET. 105

les tenant quelque temps sur la paume de leurs mains, et les vidant ensuite sans en avoir répandu une seule goutte.

Un archéologue a rapproché, sous un certain ri^)- port, cette peinture d'une épigramme célèbre de Martial que nous n'oserions même copier ici (i). En outre, il applique à ce sujet un passage trop connu d'un auteur mo- derne (2), (|iii nous paraît n'y avoir aucun rapport réel. On le jugera, et on excusera sans doute notre silence.

PLANCHE 21.

Peu d'écrivains ont raconté l'aventure de jMeicure et d'une certaine Iphthime (i^ôîrxvi), qu'un critique appelle, on ne sait pourquoi, \phtime.

Nonnus (3) seul nous apprend que Mercure ravit les faveurs (xp'jfpiotcivÛTCorsij^aç û[/.£vaiotç) d'Iphthime, fille de ce Dorus qui fut un des trois fils d'Hellen et le père de la race dorienne. Autre sujet de méprise pour les mytho- graphes modernes, qui de Dorus ont fait Doris, et par conséquent d'fphthime une Doride ou Néréide. Toute la mythologie est traitée dans ce goùt-là par les diction- naires et autres ouvrages classiques.

Les satyres sont nés de cette union de Mercure avec


(1) Epigr., XX, 105. (3) Nonn., Diomjs., XIV, 113.

(2) De Sénanconr, De Tamour.

Musée secret. 14


106 MUSKK SECRET.

Tphthinie, comme Pan était né de ce même dieu changé en bouc et de la vertueuse Pénélope, à en croire du moins un écrivain qui n'affichait pas un respect bien profond pour les dieux dont il racontait l'histoire (i).

Une aventure semblable est attribuée à Lar, Lara ou Lala, mère des Lares (2); et par conséquent on pourrait également croire qu'elle est représentée dans cette pein- ture. Cette conjecture l'emporte même sur la première, si l'on considère les autorités sur lesquelles toutes deux s'appuient : là-bas, le diffus et barbare Nonnus ; ici le bril- lant et spirituel Ovide. Nous regrettons presque de ne pouvoir pas substituer au bas de notre cuivre les mots Mercure et Lara, à ceux qu'on y lit, Mercure etiphthime. Du reste, le nom Iphthime, étant au fond une simple épi- thète, l'!j^\i):n.,forte, courageuse , a pu s'appliquera bien des femmes, et peut-être à Lara elle-même. 11 y eut une se- conde Tphthinie, sœur de Pénélope. Si l'on rapproche la naissance de Pan de celle des satyres, cette circonstance peut paraître assez singulière ; et, dans le cas oîi l'on vou- drait rejeter totalement le récit de Nonnus, on cxpli- quei'ait ainsi la confusion dans laquelle cet auteur est tombé. Dans l'Odyssée, Minerve emprunte les traits de cette autre Iphthime, fille d'fcarius et fenune d'Eumèle, roi de Phères, pour apparaître en songe à Pénélope inquiète du'départ de Télémaque (3).


a) Lucian., D. D., 25. (3) Homer., Odyss.,lY, 795.

[ (2) OvicL, FasL, II, 599 et seqq.


MUSÉR SECRET. 107

De toutes ces aventures plus que galantes, ou pour dire le vrai mot, de ces deux viols attribués à Mercure, on peut conclure que le dieu des marchands, des voleurs et de l'éloquence, était aussi une des divinités impures du paganisme. En effet, l'éloquence était quelquefois consi- dérée en lui comme un moyen de séduction amoureuse : moyen dont on reconnaissait du reste toute la pauvreté, puisque Ton supposait que le dieu avait dû y joindre la violence. Mercure, considéré sous ce point de vue, avait à Cyllène, en Élide (i), un temple où il était représenté avec des attributs que l'on ne donne ordinairement qu'au dieu des jardins. Nous avons également vu tout à l'heure un Mercure ou Hermès-Priape (a).

Le dessin de cette première figure est des plus incor- rects, et la position de la nymphe est forcée pour ne pas dire impossible : on ne peut y reconnaître, en un mot, le moindre mérite artistique. Il n'en est pas de même de la seconde fresque, dont tout le mérite consiste au con- traire dans l'exécution, dans la vérité du dessin et le naturel de la pose, ainsi que dans la vigueur du coloris, qui fait contraster habilement la carnation bronzée de l'homme, avec les chairs délicates de sa compagne. Mais cette peinture ne donne lieu à aucune recherche, à au- cune discussion archéologique : rien ne nous oblige à nous y arrêter davantage.


(1) Pausan., VI, 26 ; Artemidoi'., (2) Voy. ci-dessus, pi. 13.

I, .47.


108


MUSÉE SECRET.


PLANCHE 22.

Comme plusieurs des précédentes, la première de ces deux scènes erotiques n'est remarquable que par la pré- sence de l'esclave cubiculaire qui tient en main un de ces grands vases de verre appelés métaniptrides (i). Le vase contient probablement une boisson fortifiante on aphrodisiaque que les ancjens prenaient ordinairement chaude (2). Cet esclave semble détourner la vue par pu- deur, et quelques archéologues ont cru qu'il faisait avec les doigts le geste auquel les anciens attribuaient la vertu de chasser les mauvais sorts, et c[ui avait en même temps une signification lascive, geste dont nous parlerons bientôt plus au long (3j.

Le dessin des trois figures est peu correct : elles pè- chent surtout par les proportions. Un poète latin mo- derne semble avoir eu en vue une composition toute semblable quand il écrit ce distique :

Quod te stemat amans, ne crede, puella, superbum :

En Immorum femori subjicit ipse tuo(4;.


L'autre groupe est dans une position que le même


(1) Voy. Bronzes, Lampes et Va- (.3) PI. 32 et 53.

ses, pi. 78. (4) Bernard Lamonnoye, C«r-

(2) Freinsheim., de Calid. pot., min., XV {mlyo sonnets) latin, dis- 1, 2 et 3. tichis expressa, 1710, carm. III,




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MUSliE SECRET. 109

poëte a exprimée par les mots : craribuselatis, semi su- piiia, dans une autre épigranune qu'on nous permettra de ne pas citer tout entière (i). Nous n'avons l'ien à re- marquer dans cette peinture, si ce n'est la délicatesse avec laquelle sont travaillés les pieds et les traverses de la table qui sert de lit.

PLANCHE n.

De toutes les peintures obscènes que nous avons suc- cessivement passées en revue, celle-ci est à coup sûr la plus choquante, non sous le rapport moral, car nous avons vu pis encore ; mais principalement sous le point de vue artistique : dessin, coloris, attitude, proportions, perspective, tout est ici vicieux et absurde. Il est donc vrai, pour toutes les époques de l'histoire, ce vers que l'on a trouvé si frappant de vérité quand il n'était ap- pliqué qu'aux temps modernes :

Oui , la chute du goût suit la perte des mœurs.

Certes, l'art antique, même dans ses périodes les plus brillantes, a puisé trop souvent ses inspirations à des sources impures; mais il faut, dans ces aberrations, dis- tinguer plusieurs phases. Ce qui nous paraît aujourd'hui une obscénité calculée ne fut d'abord qu'une nudité

(1) Bernard Lamonnoyc, carBi. XV.


1 10 MUSÉE SECRET.

naïve et presque puérile : l'idée de la feuille de figuier n'arrive qu'après la perte de l'innocence primitive. En outre, des idées religieuses servirent d'excuse aux repré- sentations génésiaques : les forces mystérieuses et plasti- ques de la nature panthée furent adorées dans les orga- nes de la génération. Grâce à tout ce qu'il y avait de sainte innocence et de piété véritable au fond de ces idées, l'art ne put s'égarer, le goût ne put se dépraver en les exprimant. Mais plus tard, quand un luxe effréné eut amené le libertinage, et pour ainsi diie la promis- cuité ; quand l'idée religieuse et la sainteté de la tradi- tion eurent disparu de tous les rites sacrés, considérés désormais comme de vaines cérémonies : alors la nudité devint obscène, et l'art qui continua de marcher dans cette route, n'étant plus guidé par le sentiment public, mais par le caprice des particuliers, dut nécessairement se dépraver et s'amoindrir.

Le cidjiculaire porte une petite cassette qui doit sans doute contenir des parfums (^unguenta), ou une espèce de graisse aromatisée pour un usage mystérieux. Cette particularité, jointe à l'attitude des deux amants et à la ceinture que porte la jeune femme, porte quelques cri- tiques à croire que l'intention de l'artiste a été de re- présenter une première nuit nuptiale. Il ne paraît pas cependant que la ceinture virginale, que le nœud d'Her- cule ( I ) ait pu se placer aussi haut sur la taille ; et il est bien

{!) Ond., Epis f.,n,ur,.


MUSÉE SECRET. 111

évident que l'époux déliait ce nœud aussitôt que la porte de la chambre nuptiale s'était fermée derrière lui. D'ail- leurs, nous venons de voir (i) une ceinture toute pareille portée par une danseuse de corde que l'on ne prendra certes pas pour une jeune mariée. A la vérité, les mots LEJNTE LAIPELLE, qu'on lit au bas de la peinture, au- raient ajouté quelque poids à cette conjecture, si l'on n'avait de plus fortes raisons pour la rejeter; et, parmi ces raisons, la plus puissante de toutes, c'est que, tout en offensant ouvertement les mœurs, les Romains des premiers temps de l'empire respectaient encore jusqu'à un certain point la chasteté et la sainteté du mariage : pourcjuoi donc, à l'impureté de cette peinture, ajouter si gratuitement le sacrilège?

L'attitude des deux figures est celle qui est décrite dans ce distique (a) :

Sic duce iiatura pi-imi. . . . parentes :

Hos jungebat aiuor, tum puer artis inops.

Lucrèce, traitant des causes de la fécondité et de la stérilité, a parlé de cette attitude en beaux vers (3) que nous ne pourrions pas traduire ; et cela par beaucoup de raisons, raisons de modestie et raisons de bienséance, que nos lecteurs apprécieront facilement s'ils veulent bien se reporter à l'original.


( 1 ) PI. :^0. min. XV (viilt/o sonnets), carm. IX.

(2) Bernard Lamonnoye, Car- (3) De Rer. naf., IV, in fin.


112 MUSÉE SECRET.

Plutarque (i) en fait mention également, il dit que les Delpliiens l'appellent ÀopocîÎTr,; ap;j.a, le char de Vénus, et qu'Homère la désigne par le mot (piloV/iç.

PLANCHE 24.

Cette fresque, dont tout un côté a été détruit, s'est trouvée sous le xyste ou portique d'une maison de Pom- péi. Elle représente, au milieu d'un paysage varié et dis- posé avec goût, un petit temple de Priape.

Ce temple rustique ou sacellum, d'une construction assez bizarre, est vu par un de ses angles, de manière que l'œil embrasse deux faces à la fois. L'édifice, élevé comme une tour, est couronné d'iui fronton à rinceaux, peint de couleurs brillantes et variées, qui n'est pas d'un effet désagréable, et au-dessous duquel on voit, dans un car- touche , une peinture représentant un paysage et des ruines. Comme ce petit ornement est traité de manière à figurer, non pas l'effet d'un bas-relief, mais, si l'on doit s'exprimer ainsi, la peinture d'une peinture, nous en pouvons inférer que les anciens employaient les fresques non-seulement pour l'ornement intérieur des édifices, mais aussi pour leur décoration extérieure, ce qui de- vait être beaucoup moins dispendieux que la sculpture, et d'un effet tout aussi heureux. Voilà encore un nou-

•(1) DeAmor., 64.



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'îç'SMÎIPIL.S. Os


MUSÉE SECRET. 113

veau document pour servir à la théorie de rarchitecture peinte, théorie cpii sera bientôt complète, et qui alors, nousl'espérons, influera convenablement sur la pratique.

Sur la lace et le côté du temple s'avancent deux pro- styles à deux colonnes, qm conduisent sans doute dans l'intérieur de l'édifice, bien que la seconde porte ne soit pas indiquée par le dessin. La base des colonnes est for- mée par deux gradins, espèce de socle commun à tout l'édifice. Ces colonnes, quoique deux d'entre elles aient des dimensions fort différentes des deux autres, ont toutes le chapiteau ionique : elles portent l'architrave, la frise et la corniche à modillons, sur laquelle pose un toit incliné en avant. Pour l'un des deux vestibules, ce toit forme sur les côtés deux demi- frontons; pour l'autre, les côtés sont simplement fermés : on voit sur ce dernier deux amphores, ou diota, qui s'y tiennent en équilibre , on ne sait trop comment.

Nous disons, Xesàeyxxpi^ostyles {rj-cùln^, colonne, Trpo, en avant) ; et c'est h. dessein que nous n'employons ni le mot impropre vestibule, puisqu'il n'y a point ici de Vesta, ni l'expression /?e/v.y^j/e (ctùT^o;, colonne, liepî, autour), qui, en dépit du mauvais usage, signifie tout autre chose. Ces deux prostyles donc constituent une espèce de temple amphiprostyle, une des formes les plus remarquables des temples anciens ; bien que nous ne voyions point distinctement le pronaon et Voplsthodomc (i).

(1) Mazois, Ruines de Pompéi, c/ews, par L. Barré. 4° vol., Essai sur les kmphs an-

Musée secret. 15


114 MUSÉE SECRET.

Chacun de ces prostyles est décoré de guirlandes et de bandelettes comme pour un jour de fête : dans le premier, ces guirlandes se rattachent à un bucrâne, au milieu de l'architrave ; dans l'autre, elles tiennent à un tympanuni ou à lui bouclier, et elles attachent deux flambeaux à l'une des colonnes.

Devant le sacellum, on voit une prêtresse célébrant les cérémonies du culte : sa tête, couronnée de feuillages, porte un grand péplum blanc, qui se replie autour de sa taille et qui vient tomber sur son bras gauche : de ce côté elle porte une patère, tandis que sa main droite tient un flambeau allumé. Sous la draperie dont nous venons de parler, la prêtresse est vêtue d'une tunique jaune, l'attachée à deux hauteurs différentes, et bordée d'une bande bleu de ciel.

Dans la direction de l'angle de l'édifice, et sur un ter- rain qui paraît appartenir encore à Vhiéron, a l'enceinte sacrée, on voit un autel rond et creux sur lequel sont exposées de rustiques offrandes, des fruits et des feuilla- ges. Cet autel, que l'on peut aussi appeler une vasque, parait destiné cà contenir des liquides; car, outre que l'on voit bien clairement des bords et une large ouverture à sa surface, on aperçoit en outre vers le bas un trou rond, par lequel on faisait sans doute, écouler, au bout d'un certain temps, le liquide versé par le haut. Cette parti- cularité, fort rare, sinon tout à fait unique, dans les monuments, ajoute beaucoup de valeur à celui-ci.

Le peintre a voulu faire entendre que les habitants des


MUSÉE SECRET. 115

campagnes voisines devaient déposer sur cet autel les prémices de leurs champs et de leurs vergers; qu'ils y versaient même les premiers produits de la vendange, le premier lait de leurs brebis. Et sans doute ces offran- des étaient consacrées au dieu de Lampsaque qui, de ce sanctuaire, étendait sa protection sur tout le pays d'alentour. En effet, on voit, posé sur un socle voisin et adossé contre une espèce de pilastre, à l'entrée d'un petit jardin, un Priape grossièrement taillé et pourvu de son obscène attribut. C'est pour un de ces petits temples du dieu de l'Hellespont que Catulle semble avoir fait cette charmante inscription (i) :


Ego hîec, ego arte fabricata rustica Ego arida, ô viator, ecce pcj^ulus Agellulum hune sinistra, tute qnem vides, Herique Tilliilam hortumqiie pauperis Tueor, malasque furis arceo manus. Mihi corolla picta vere ponitiir ; Milii rubens arista sole fervido Mihi virente diilcis uva pampino, ^ .Mibique glauca duro ohva frigore. Meis capella delicata pascuis In urbem adulta lacté portât ubera ; Meisque pinguis aguus ex ovilibus Gravem domum remittit »re dexteram ; Tenerque , matre mngiente , yaccula Demu profundit ante tem^jla sanguinem.


« C'est moi, ce morceau de bois sec, ce peuplier taillé par une faucille


(1) CatulL, Carm., 20.


116 MUSÉE SECRET.

a. rustique, c'est moi, ô voyageur, qui protège le petit champ que tu vois « à ta gauche, et cette métairie et ce jardin d'un maître bien pauvre; c'est «c moi qui en éloigne les mains rapaces des voleurs. Devant moi , l'on ap- « porte au printemps de brillantes com'onnes ; dans les chalem-s de l'été, « des épis jaunissants, puis de doux raisins avec leur pampre vert, et enfin (S. de glauques olives quand viennent les rudes gelées. Mes pâturages nour- « rissent et la chèn-e choisie, qui porte à la viOe ses mamelles gonflées de « lait, et le bel agneau, gi'âce auquel le maître revient à la maison tout « chargé d'argent, et enfin la tendre génisse qui, ravie à sa mère mugis- « santé, va répandre son sang devant les temples des dieux. »


Nous ne citons pas la fin de ce délicieux morceau; car il se termine, comme toutes les priapées, par une pointe grossière : desinit inpiscem. L'attribut obscène du dieu de Lampsaque se transforme, dans la main du fermier, en une massue avec laquelle il assomme les vo- leurs.

Au reste, il n'était point rare de trouver dans la cam- pagne, non-seulement des statues de Pi^iape (il y en avait à chaqiie coin de champs), mais même des temples de ce dieu : Tibulle en a consacré un par une inscrip- tion (ij.

Nous avouons que nous ne pouvons expliquer la pré- sence de ce petit chien que l'on voit ici près de l'autel. Peut-être n'est-ce qu'un caprice du peintre. On gardait un chien à Rome dans le temple d'Esculape, et Thra- symène avait représenté ce dieu avec un chien à ses pieds (2). Cet animal était aussi consacré à Mercure.


(1) Albius Tibullus, in Priap. (2) Pausan., II, 27.

Veter., 82.


MUSÉE SECRET. 117

Pourrait-on conclure de là que ce temple est celui d'Es- culape ou de Mercure, et que le Priape n'est que le pro- tecteur du petit jardin dontonaperçoit la porte? ou bien le chien serait-il une allégorie plutôt qu'un emblème mythologique ?

Sur les gradins d'un des prostyles est assis un pêcheur tenant d'une main sa ligne et de l'autre un panier déjà plein de poissons : il parait se reposer, après les avoir péchés dans le fleuve que l'on voit sur le quatrième plan. Son costume présente une particularité remarquable : le chapeau dont il est coiffe est formé d'un disque absolu- ment plat, au milieu duquel surgit une pointe assez éle- vée : cette pointe devait servir soit à saisir le chapeau pour l'ôter ou le remettre, soit à l'accrocher quelque part ; il devait être attaché sous le cou par une espèce débride. Ce chapeau ressemble à la coiffure que portent encore aujourd'hui les cipayes ou soldats indiens à la solde de la compagnie anglaise : si l'on s'attachait à cette ressemblance, elle conduirait la pensée bien loin dans l'histoire de la filiation et des migrations des peuples.

Nous avons déjà fait remarquer que les paysagistes de l'antiquité observaient fort mal, dans le dessin des édifi- ces, les règles de la perspective linéaire, mais qu'ils pa- raissent avoir mieux connu celles de la perspective aé- rienne, la dégradation des couleurs et des ombres, la diminution de la netteté des formes, en raison de l'ac- croissement des distances. La peinture que nous venons de décrire offre encore un nouvel exemple de ce défaut et


1)8 MUSÉE SF.CRET.

de cette qualité. Il ne faut pas croire néanmoins que les anciens aient igjioré la théorie de la première espèce de ! pei'spective : Yitruve a fait voir qu'il la possédait par- faitement (i), et ([ue, du reste, elle était étal)lie long- temps avant lui. Il faut donc accuser ici, non l'ignorance de l'époque, mais l'inhabileté de l'artiste pompéien.

PLANCHE 25.

La nudité complète et même un peu monstrueuse de la première figure de cette planche est le seul motif qui ! l'ait fait classer dans le musée secret. Ce fragment de fresque est peint sur un fond blanc, où l'on voit quelques ' parties d'architecture simplement ombrées en camaïeu : il représente un jeune faune aux oreilles de chèvre, la tête ornée d'une couronne de pampre et de fleurs blan- ches dont les bandelettes retombent sur son cou, tenant i de la main droite un vase, et de la gauche le bâton pas- 1 toral (pedu/u), et portant sur l'épaule gauche une peau de lion. Ce dernier attribut est le seul qui puisse donner lieu à quelques observations. Il semblerait, après un exa- men superficiel de quelques témoignages incomplets, que| la nébx'ide, la peau de faon ou de chevreau, convient seule à Bacchus et aux divinités de sa suite, tandis que la! dépouille du lion n'appartient qu'à Hercule. En effet,

(l) De Arcli., VII, in prfef.


PïlINTUREvS



MUSÉE SECRET. 119

selon ce comique athénien qui n'épargnait guère plus les dieux que les philosophes ou les poètes de son temps, Hercule, envoyant Bacohus avec la peau de lion, s'é- crie (i) :

WV o\iy' (j\6<; t' £iu.' àTTCffcêriaai tov Ye'ojv Op(OV XeovTrjv im. xdoxwtm XcI[ji.e'vï)v,

« Je ne puis m'empêcher de rire en voyant ma peau de lion portée sur « nnerobe sali-anée. »

La robe teinte de safran, que l'on appelait crocote, était en effet un attribut de Bacchus. Un parallèle établi entre Hercule et Bacchus est encore plus explicite (a) :

'AuLCfÔTEpoi 0r,êrî9£, xai àatpotspoi TToXeuKjTai ,

Kr|X Zr,voi;' Ôûpuw Seivo;', à ôi ^OTtâXto. 'Aacpoîv oÈ (JTriXai suvTÉpaovs; , eïxeXa S' OTrXa

Neêpbi;, XeiovtîJ' xû[i6aXo( Se, T:\axi.^-r\, Hpr) o' à|ji.!poTs'poti; yaXsur) Ôeôç. Oï 3' ocot yo"'!? '

^HXôov èç àQavoiTouç, ex Trupbc; àf/'^dtepoi.

« Tons deux Tiiébains, tous deits guerriers et fils de Jupiter, l'un est re- « dontable par son thjrse, l'autre par sa massue. Tous deux s'arrêtent en « un lieu marqué par des colonnes ; ils sont revêtus, l'un de la peau d'un « faon, l'autre de celle d'un lion : ils ont le cymbalmn et les crotales. Junou « se montra sévère pour tous deux; et tous deux, en quittant la terre, « s'élancèrent du milieu des flammes vers le séjour des immortels. »

Mais des autorités non moins imposantes donnent la peau de lion à Bacchus et à ses ministres. Deux gemmes bien connues (3) représentent deux faunes qui, comme


(1) Aristoph., Ran., 45. (3) Agostin., Gemm., P. 1, 135 et

(2) AnthoL, IV, 12, 33. 136.


120 MUSÉE SECRET.

le nôtre, portent cette espèce de manteau sur l'épaule. Sur une médaille de Philippe, on voit un lion avec la ciste mystique et le thyrse (i). Ou croyait que les bac- chants et les bacchantes, dans leurs fureurs, avaient la puissance detuer, dedéchirer de leurs mains les animaux, les plus féroces et les plus redoutables : Euripide dit en termes exprès que Panthée fut déchiré par sa mère et les autres bacchantes, qui le prirent pour un lion {-ï). Non- seulement Bacchus avait revêtu la forme d'un lion dans la guerre des Géants (3), mais on lui donne même l'épi- thète de Gy;paYp£T-/iç, chasseur de bêtes féroces (4). Qu'y a-t-il donc d'étonnant que les bacchantes et les faunes se fissent inie gloire d'imiter leur maître et de se parer des dépouilles qu'ils avaient conquises? La bassaride Eurynome ne se contentait pas de la peau de l'animal : elle parcourait les campagnes en portant à la main une tête de lion (5), sans doute imitée par l'art, comme l'é- taient les serpents que les bacchantes portaient pour ceintures ((î).

La vignette qui occupe le bas de cette planche repré- sente une mosaïque de dix pouces sur huit, dont le sujet est assez bizarre. Elle est d'une seule couleur, ou mono- chrome, genre que l'on rencontre assez rarement : l'exé- cution en est pure et la conservation parfaite.


(1) Buonarotti, Med., p. 304 et (3) Horat., Carm., II, 19. 305. (4) Eurip., Bacch., 1018.

(2) Eurip., Bacch., 11 25, 1140 et (5) AnfhoL, VI, 5, 3. pass. (6) Tit.-Liv., II , 12.


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MUSÉE SECRET. 121

Elle représente un coq, placé dans une gaine comme un hernies, et muni de l'attribut du dieu de Lampsaque : trois oiseaux, ini canard, une oie et une poule, viennent adorer ce Priape des volatiles. Par une méprise difficile à concevoir, un archéologue, remarquant que la poule a un appendice rouge sous le bec, ce qui n'est pas rare pour- tant dans cette espèce, a pris cet oiseau pour un coq d'Inde : le docte écrivain oubliait que le coq d'Inde est originaire d'Amérique, et qu'il demeura par conséquent inconnu aux anciens.

Peut-être l'artiste a-t-il voulu simplement exprimer la puissance universelle du principe générateur, à qui tous les êtres animés rendent hommage. Mais nous croirions volontiers que sa pensée est un peu satirique : selon nous, il a voulu faire une allusion à ce qu'il y a de brutal, de bestial même, dans les plaisirs des sens, quand on les sépare des penchants du cœur et des jouissances de l'es- prit. L'épigramme porte juste sur les hommes de l'anti- quité ; et par conséquent on se demandera comment il s'est trouvé quelqu'un d'assez hardi pour la faire : mais, de tout temps , il s'est élevé des êtres exceptionnels qui ont jugé les mœurs contemporaines, et qui, seuls, ont té- moigné et protesté contre tous.

PLANCHE 26.

Encore un hermaphrodite ! Nous nous sommes arrêté Musée secret. 16


122 JIUSKE SECRET.

assez longtemps sur ce monstre voluptueux, en le consi- dérant, soit comme le résultat d'un caprice de la nature, soit plutôt comme le produit de l'imagination des ar- tistes anciens (i). On nous dispensera de nous étendre davantage sur ce sujet. Nous mentionnerons seulement l'opinion de Platon que nous avons négligé de rapporter: ce philosophe (2) pense que la personnification de l'an- drogyne n'a été imaginée que pour rendre raison des trois différents penchants amoureux de l'homme et de la femme, soit pour un sexe différent , selon le vœu de la nature, soit pour leur propre sexe, selon une aberration trop commune chez les anciens.

La figure dont il s'agit maintenant offre , d'une ma- nièi'e plus frappante que toutes les autres, les indices de son double sexe : c'est pour elle que semblent avoir été faits ces deux vers (3) :

Mod^où; \ih (TCfpiYOojvTaç ISEi'xvuev oïot te noûp-/), Z/^jAa cl TraGiv IpaiVE cpuTOUTvopov apcEvo; aîSoïï;.

D'une main notre androgyne soulève délicatementune draperie blanche qui, après avoir enveloppé la jambe de ce côté, laisse tout le devant du torse à découvert, se pose sur la tête, et va retomber sur l'autre bras en formant des plis gracieux et abondants. De l'autre main, il ou elle tient une feuille dont la couleur varie du jaune au rose :


(1) PI. 2 et 13. (3^ Anthol, V, 20.

(2) In Conviv.


MUSÉE SECRET. 123

nous avons déjà reconnu dans un végétal tout pareil le nvniphaîa ou nénuphar (i). Cette feuille, qui sert de flabellain ou d'éventail, indique les habitudes efféminées de l'hermaphrodite; ou plutôt cette plante aquatique rappelle la nymphe Salmacis et ses ondes qui tuent la virilité. Les femmes d'Athènes écrivaient sur les feuilles qu'elles portaient ainsi, et qui étaient leur pim^iov, le nom de la personne qu'elles aimaient (2). Les académi- ciens d'Herculanum, qui veulent trouver ici une feuille de lierre (/.wtoç), rappellent à ce propos les cissotomies des Phliasiens (3), têtes dans lesquelles on portait des guirlandes de lierre en l'honneur d'Hébé : ils rappellent encore que le mot xi^coçopo;, porteur de lierre, signifiait figurément adultère (4). A la vérité, Pline parle d'un lierre rougeâtre, cisson erythranon (5). Mais existe-t-il une espèce de lierre qui produise des feuilles de cette forme et de cette grandeur? Simple question devant la- quelle tombe tout un échafaudage d'érudition.

Notre figure est debout sur un arc de cercle dont on ne voit qu'une portion, parce que la fresque est détruite en cet endroit; elle est placée au milieu d'un portique décoré avec élégance, mais dont l'architecture n'appar- tient à aucun ordre régulier. On peut présumer que l'intention de l'artiste a été de représenter une salle de bains; peut-être voit-on aux pieds de l'hermaphrodite

(1) PL 12. (4) Plutarcli., de Lib. educand.;

(2) Scol. Aristoph., AcMrn., 144. Demosth., pro Coron. (.3) Pausan., Corinth., 13. (5) Plin., Hisf. Kat.


124 MUSÉE SECRET.

la vasque ou labrum, et au-dessus de sa tête le bou- clier d'airain qui donnait passage à la chaleur. En effet, on trouvait souvent des figures d'hermaphrodites dans les bains qui étaient communs aux deux sexes, ainsi que le prouve , entre beaucoup d'autres , cette épi- gramme (i) :

'AvSpâdiv 'Ep[AÎ)(; EÎiii , Y^vai^i SE Kûrepiç Spwjjtai"

'A|j;tpoTÉpiov Se tpspio s\i\i£oki. |ioi toxÉwv. Toûv£/.EV oùx àXoYw; jjie tov 'EpixacppôSiTOv eôsvto

'AvSpoyijvot; XouTpoTi; , itaîSa tôv à|j.'^(êo).ov.

« Pour les hommes, je suis Hermès; mais les femmes me prennent pour « Cypris : car je porte réunis les attributs des deux auteurs de mes jours. « Ce n'est donc point sans raison que l'on m'a placé dans ces bains an- « drogynes, moi l'hermaphrodite, l'enfant ambigu. »

PLANCHE 27.

Ce bas-relief de marbre est très-remarquable par la richesse de la composition, l'heureuse disposition des' groupes, et surtout le mouvement qui anime les figures. Sous le point de vue archéologique, ce monument n'est pas moins digne d'intérêt.

Il représente évidemment une scène des dionysiaques. Nous allons entrer dans quelques détails sur cette céré- monie religieuse; mais nous devons commencer par pré- venir nos lecteurs contre une erreur accueillie trop légè-

(1) Anthol, IV, 12, 42.


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MUSÉE SECRET. 125

renient par quelques critiques français, erreur qui con- siste à confondre les fêtes de Bacclius avec celles des autres dieux, lesquels, selon ces critiques, ne sont que les Dio- nysiaques déguisées, avec de légères moditîcations, sous les noms d'É le us in ies, de Lamptéries, de mystères d' J sis, des Cabîres, de Mithra, d' Adonis, de la Bonne Déesse, etc. Non, il n'y a aucun rapport, ni pour les rites, ni pour l'objet, entre la plupart de ces fêtes et les Diony- siaques.

Les Eleusinies d'abord, ou mystères de Cérès, cé- lébrées par les Athéniens tous les cinq ans (i), et du- rant neuf jours, étaient une initiation à des principes de théogonie et de morale plus rationnels et plus purs que ceux qui faisaient en général la base des croyances païennes; elles n'avaient absolument rien de commun avec les Dionysiaques (2), quoique le sixième jour fût consacré à Bacchus. Les mystères d Isis (3) ou les Isies, en Grèce, se rapprochaient beaucoup de ceux de Cérès : à la vérité, ([uand ils furent transportés en Italie, ils se confondirent avec les rites d'Osiris et de Bacchus-Sérapis ; mais ce fut là une corruption de l'institution primitive, qui était fort pure; et quand il s'y mêla des choses con- traires à la chasteté, ces impuretés se renfermèrent dans les ténèbres des sanctuaires de la déesse ; ce qui les dis- tingue encore des Dionysiaques. On sait fort peu de

(1) Philostr., Apoll., IV, 6 ; Aris- X, 2 1 .

tôt., Rhet., II, 24. (3) Diod. Sic, I.

(2) Cic, de Leg,, II, 14; Pausan.,


(1) Plut., ⣠Cupidit. divit. Virg., JEn., II, 737; Ovid., Met.,

(2) Scoliast. Eurip., Phœniss., III, 533, et IV, 391.

789; Eui-ip., Bacch., 695 et 833; (6) Eurip., Bacch., 81 et 106.

Aristoph., i?aw., 1242. (7) Philostr., /ow., I, 18 et 19;

(3) Eurip., Bacch., 80. 0\iâ.,Mef., III, 666, et VI, 587;Ho-

(4) Id. ibid., 59, 124, 156, 513 ; mer., Hymn. in Dionys. 35 et seqq. Tit. Liv., XXXIX, 8. (8) Diod. Sic, IV, 3, 45.

(5) Catull., Cam., 61, 261; (9) Periz. ad ^?îiï«., III, 18.


128 MUSÉE SECRET.

ni luxe ni splendeur : c'étaient simplement des jours con- sacrés à la joie et aux plaisirs dans l'intérieur des mai- sons. Toutes les cérémonies publiques se bornaient à une procession dans laquelle on voyait paraître un vase rempli de vin et couronné de pampre, un bouc, une cor- beille de figues et les phallus (i). Bientôt on ajouta quel- que pompe à cette théorie religieuse : le nombre des ministres de Bacchus s'accrut; les rites sacrés se compli- quèrent. Les assistants, convenablement costumés, cher- chèrent à représenter par leurs gestes quelques-unes des actions que la Fable prêtait au dieu du vin. Ils se parè- rent de nébrides ou de peaux de faon (2), et de bassarides ou de crocotes formées d'un tissu précieux. Ils se coiffè- rent d'une mitre et portèrent en main le thyrse (3), le tyni- panum (4) ou la flûte (5). Leurs têtes se couronnèrent de lierre (6), de pampre (7) et de rameaux de pin. Quelques- uns imitaient l'accoutrement et les poses bizarres de Silène, de Pan et des satyres (8); ils se couvraient les 1 i jambes de peaux de chèvre, et portaient des cornes d'a- nimaux; ils montaient sur des ânes (9), et traînaient ; 1 après eux les boucs destinés au sacrifice. Dans la ville,


"


MUSÉE SECRET. 129

cette multitude frénétique était suivie de prêtres portant des vases sacrés, dont le premier était rempli d'eau; en- suite venaient des jeunes fdles choisies dans les fomilles les plus distinguées, et appelées Canéphores (/.avy.çopoi), parce qu'elles portaient de petites corbeilles d'or rem- plies de toutes sortes de fruits : les corbeilles formaient un symbole dont le sens, tout à fait mystique, n'était intelligible, comme plusieurs autres parties de la céré- monie, que pour les seuls initiés. On cachait dans ces corbeilles, et parmi les fruits qu'elles contenaient, des serpents apprivoisés qui, s'élançant tout à coup, jetaient l'effroi parmi quelques spectateurs non prévenus, et fai- saient l'amusement du reste. Alors marchait la périphal- lie (TOpt-aX>.ta) : c'était une troupe d'hommes qui por- taient de longues perches terminées par des phallus, c'est-à-dire, par la représentation des parties génitales de l'homme : ils étaient couronnés de violettes et de lierre, et ils marchaient en répétant des chansons obscènes ap- pelées (pa^>^iy.à acjxaTa. Ccs hommes s'appelaient /;Art//eyo//o- ?-es (ça)i>.T,<prjûo'.); et il ne faut pas les confondre avec les ithyphalles'{liï\>Y-ii'klrjC), qui, dans un costume indécent, et quelquefois en habits de femme, la tête couvei'te de guir- landes, les mains chargées de fleurs, et contrefaisant l'ivresse, portaientà la ceinture des phallus monstrueux, faits de bois ou de cuir : au nombre des ithyphalles, il faut aussi compter ceux qui avaient pris le costume de Pan ou des satyres, comme nous le disions tout à l'heure.

Enfin, d'autres individus, nommés //c«o/;/iore^(>.'.>cvoçofoi), Musée secret. 17 .


130 MUSÉE SECRET.

étaient chargés du van mystique, emblème dont la pré- sence était regardée comme indispensable dans ces sortes de fêtes : c'était à cause de ce symbole que l'on donnait à Bacclnisl'épithète de licnite (>.i/.vÎTr,ç).

Hors delà ville, la procession se partageait sans doute: les personnes vraiment pieuses, amies de la décence, et sachant garder une juste mesure même dans leurs accès de gaieté, les hommes graves, les sages matrones et les vierges pudiques se séparaient du cortège. Mais le peuple de la fête, la foule innombrable des silènes, des satyres et des nymphes, des bacchants et des bacchantes, se répandait dans les clairières et les vallons, s'arrêtant dans les lieux solitaires (i) pour y former des danses (2) ou y célébrer des festins, en ffiisant retentir les rochers et les campagnes du son des tambours et des flîites, et surtout des cris sans cesse répétés, par lesquels ils invo- quaient le dieu : Evohé Sabœe ! Evohé Bacche ! ô lacche !

lo Bacche ! Eùoî 2àéot, Éùoî Baz/e, co ]ay.y£, ïoêa/i/e OU Iw

Ba)i/£(3). Le premier de ces mots rappelle les paroles par lesquelles Jupiter encouragea Bacchus lorsque, dans la guerre des Géants, celui-ci défendit le trône de son père : £'j uU, vj uîè Baicye, criait le maître des dieux. On ajoutait

aussi, ûs; àxTe?; àTxe; ûj; (4).

Ce que nous venons d'exposer s'applique principale-


(1) Eurip., ^acf/i., 222. topli., Gsuac^i., 1003; Scol. Aris-

(2) Id., ihkl, 52 et 76. toph., Av. 874.

(3) Id., ihid., 141, 576, 582 ; Avis- (4) Demosth., pro Coron.


MUSÉE SECRET. 131

nient aux grandes Dionysies ([AsyâXa) ou aux nouvelles Dionysies (vecorepa) : on comptait encore six autres fêtes de ce nom, dont les cérémonies devaient avoir beancoup de rapport avec celles-ci. C'étaient d'abord les anciennes Dionysies (àp/atoTapa), qni se célébraient à Limna et dans lesquelles figuraientquatorze prêtresses, appelées Gérères (yépaipai, vénérables), qui, avant d'entrer en fonctions, juraient qu'elles étaient pures et chastes (i). Il y avait ensuite les petites Dionysies ([;.upà) qui se célébraient en automne et dans la campagne (2); les Brauronies (Ppau- pdvia), de Hrauron, bourg de l'Attique (3); les Nyctélies (vuxrAia), dont il était défendu de révéler les mystères (4); les Tliéoïnies (Geoivia), fêtes du dieu du vin (6eoivà;); les Lénéennes (>Y)vaî«), fêtes du pressoir ().7ivoç) (5); les Omo- phagies (w[y.oçayia), en l'honneur de Bacchus carnassier (wptpayoçet (ùpaT/iî), à qui l'on avait offert autrefois des vic- times humaines (6), et dont les prêtres mangeaient de la viande crue; les Dionysies arcadiques (àp^ai^wà) , que l'on célébrait en Arcadie par des exercices dramatiques (7) ; et enfin les Triétériques (Tp'.£Tr,pix.à) qui se célébaieut tous les trois ans, en mémoire de la durée de l'expédition de Bacchus dans les Indes (8).

De la Grèce les bacchanales passèrent en Italie. Dan


(1) Thucyd., II; Demosth., in (4) Paxisan., Altic. Neœr.; Poil., VIII. (5) Hezych. s. v. \-i\^a\<x.

(2) Theophr.; Scoliast. Aristoph., (6) Plutavch., Themistocl. Acharn. (7) Polyb., IV.

(3) Scoliast. Aristoph., Pac. (8) Virg., .En., IV.


132 MUSÉE SECRET.

l'origine, elles n'y étaient célébrées que par les femmes; mais par la suite les hommes furent admis , et leur pré- sence amena les plus grands désordres. La licence fut poussée à un tel point, que le sénat porta, l'an de Rome 568, un décret qui supprimait et prohibait ces fêtes (i). Mais cette loi n'eut qu'une force momentanée; et sous l'empire les bacchanales furent célébrées [de nouveau avec plus de licence qu'auparavant.

C'était surtout dans les petites Dionysies, qui avaient lieu en pleine campagne, ou à la suite des grandes Dio- nysies, quand la procession solennelle s'était partagée en groupes plus ou moins excités par le vin, les danses et les cris ; c'était surtout alors que pouvaient se passer des scènes pareilles à celles que représente notre bas- relief. Une tourbe de fanatiques et de débauchés s'arrê- tait dans un vallon écarté, dans la clairière d'une forêt, dans un carrefour déjà marqué par la statue du dieu de Lampsaque. Là on tiraitdu coffre mystique {cista mystica) une image de Bacchus, teinte de cinabre, couverte de la nébride : on la plaçait sur un hermès ; on immolait de- vant elle un pourceau, et le sacrifice était suivi d'un repas où les chairs de la victime et la liqueur du dieu n'étaient pas épargnés. La nuit venait prêter ses voiles à la dé- bauche, et alors avaient lieu des monstruosités inouïes, que la plume se refuse à décrire, mais dont notre bas- relief donne une idée assez complète.

(l)Tit. Liv., SXXIX, 8.


MUSÉE SECRET. 133

Au milieu de notre marbre se ti'ouve un groupe formé du vieux Silène soutenu par deux jeunes faunes dont l'un porte à la main une couronne : derrière lui on voit un lampadéphore et une eanépliore ; à sa gauche se trouve une bacchante jouant des cymbales, puis un jwme gar- çon portant cpielques-uns des instruments du sacrifice qui sans doute a déjà eu lieu. Ensuite vient un groupe qui paraît au moins avoir eu la pudeur de se séparer du reste de la fête par un rideau tendu à cet effet, autant que la sculpture pouvait l'exprimer : c'est une jeune I femme déguisée en satyre femelle qui s'est agenouillée aux ^ pieds de l'Hermès-Bacchus, et y a déposé sa flûte à sept tuyaux et son bâton pastoral; derrière elle se place un satyre ithyphalle , dans une attitude qui prouve que les attributs qu'il porte sont factices, car il dénoue un cor- don qui les fixe à sa ceinture : cette circonstance indique que, dans l'intention du peintre, les personnages de cette bacchanale ne sont point véritablement des divinités champêtres, mais de simples mortels qui en ont pris le costume et les emblèmes, comme ils en affectent les mœurs. Derrière le rideau, un Amour se montre avec son arc et son flambeau, et paraît observer et encourager les deux amants. Peut-être cette figure est-elle véritablement mythologique. A la droite du Silène se trouve d'abord un petit autel contre lequel est appuyé un flambeau al- lumé, et sur lequel on voit une pomme de pin : plus loin une bacchante, dans une posture qui révèle une volup- tueuse lassitude, dort sur une couche formée de peaux


134 MUSÉE SECRET.

d'animaux; son tyinpanum est àcôté d'elle. Dans le fond on aperçoit un satyre sortant d'une petite maison qui fait partie d'une fabrique assez originale : il accourt en . criant et en gesticulant pour prendre part à la fête. En- fui, dans l'angle droit du bas-relief se passe une scène erotique qui fait le pendant de celle de l'autre coin, et qui, comme celle-ci, est séparée par lui rideau de la scène principale; une l^acchante-satyreet unPriape-Hermès en sont les acteurs. La présence de ce Priape, les chênes qui se trouvent sur les deux côtés, les maisons rustiques, et un palmier dans le fond, indiquent, pour théâtre de l'orgie, un carrefour dans la campagne.

Le deuxième bas-relief représente une scène non moins lubrique, mais beaucoup plus atroce que la première. C'est lui des rites les plus obscènes et les plus barbares du paganisme, rite cjui, du reste, n'exista qu'à des épo- ques fort reculées, et chez des peuples encore peu civi- lisés. Le fait, maintenant confirmé par le monument précieux dont nous donnons une image, n 'était appuyé jusqu'ici que de l'autorité d'un écrivain chrétien, néces- sairement un peu partial en ces matières (i). Encore ne dit-il pas positivementque les fiancées fissent, à la divinité de Lampsaque, un sacrifice complet du signe physique de leur virginité; elles devaient seulement se prêtera une cérémonie propre à blesser profondément leur pu- deur. Suivant un autre écrivain chrétien (2), les femmes

(1) Augustin., de Civ. Dei, \l, 3 ; (2) Arnob., Âdv. gent., VI, 7.

VII, 24.






m


1 ^


MUSÉE SKCRRT. 135

frappées de stérilité avaient recours à une cérémonie pa- reille. Dansnotre monument, la victime, entièrementnue, éplorée et confuse, s'appuie sur une matrone, sa mère peut-être ! qui, dans une attitude pleine d'une ti'iste éner- gie, lève vers le ciel des regards suppliants; plus loin, une jeune fille, un enfant, souffle dans une double flûte, comme pour étouffer les cris de la victime; et, tout à fait dans l'angle, une vieille femme assise paraît s'impa- tienter des détails qui retardent le sacrifice. Cette com- position est remarcpiable par la simplicité et la vérité de l'attitude de toutes les figures qui sont isolées et non groupées, et par l'unité de pensée et d'action des quatre personnages. Il y fi mi remarquable contraste entre la scène ([ui fait le sujet de ce second bas-relief, et celle qui se passe dans l'angle droit du premier.

PLANCHE 28.

Des quatre personnages que représente cette curieuse peinture sur fond noir, le premier est une femme assise sur un bloc de pierre : ses cheveux sont enveloppés d'un bandeau blanc qui lui retombe sur l'épaule; elle est vêtue d'ime tunique à manches de couleur violette, et d'un vê- tement de dessus, èizoMiç (l), cucTi? (2) ou Tzizlo; (3). Pent-


(l)Athen.,XIII,9; Poll.,VII,49. (3) Hom., //. C 289 et 442; Eus-

(2) Poil, VII, 14. tath., ad IL, p.


186 MUSÉE SECRET.

être cette femme est-elle une des quatorze Gérères (yepapal ou yepatpat) (i). Elle met devant ses lèvres l'index de sa main gauche et semble imposer silence ou recommander le secret; car ce signe était en usage dans ce sens chez les anciens comme parmi nous (2), et l'on sait avec quelle rigueur le secret et le silence étaient imposés aux initiés dans les mystères (3). Les écrivains chrétiens n'ont pas manqué de le reprocher aux païens (4) en disant : Quod tacent, pudor est (5), «s'ils se taisent, c'est pudeur; » ut nesciat populus quod colat (6), « c'est pour que le peuple ignore ce qu'on lui fait adorer. »

Le second personnage est un vieillard couronné de feuillages, sans doute de pampre, et revêtu d'une robe longue {talaiis), à longues manches, et de couleur rouge, par-dessus laquelle il porte une draperie transparente agrafée sur l'épaule droite. Il tient sa main droite fermée, et l'approche de sa poitrine, ce qui était une marque d'adoration et de respect (7).

La troisième figure, qui paraît représenter le person- nage principal de cette scène, et qui se trouve debout au milieu du tableau sur une pierre brute, est celle d'un jeune garçon, peut-être celle de Bacchus, car ce dieu j était souvent représenté comme enfant (8), puer œter-


(1) Voy. pag. 131 . (4) August., de Civ. Dei, XVIII, 5.

(2) ApuL, Met., I; Martian. Ca- (5) TertiiH., adv. Valentin., I. pel., IL (6) Lactant., Firm., V, 19.

(3) Virg., ^n., III, 112; Jus- {l)^voy.,deVet.etRec.Ador.,2\. tin., V, 1; llem&.,Eleus., 20. (8) Macrob., Saturn., I, 18.


i


MUSÉE SECRET. 137

nus (i), à5api.aTov Tiaràa (2). Couroniié de pampre et de fleurs, il tient de la main gauche un tliyrse garni de feuillages et de bandelettes, et de la droite un vase, une espèce de petit seau à anses doubles d'une forme tout à fait bizarre, car il est fait de manière à ne pouvoir pas être posé quand il est plein. C'est un vase d'une espèce toute particulière dont on se servait dans les sacrifices : il ne faut penser ici, comme l'ont fait quelques archéo- logues, ni au cotyle ou cotylistjue spécialement consacré à Bacchus (3), puisque le cotyle n'avait qu'une anse, ni au myobarbum (4), à moins que ce mot ne fût le nom même du vase dont nous parlons. La chlamyde est rouge, couleur qui convenait parfaitement au dieu du vin (5); et elle le couvre tout entier par derrière en tombant jusqu'à mi-jambe; mais par devant, elle ne voile que le haut de la poitrine, et laisse tout le reste du corps à nu :

Nec tegit exertos sed tangit palla lacertos (6).

« Le manteau ne fait que toucher ses bras nus, et ne les couvre pas. »

Bacchus est ordinairement représenté la poitrine nue, pour exprimer allégoriquement le proverbe si connu, i•^ oïvw àX-ziôeia (7) . Ici l'on a fait tout le contraire, pour indiquer qu'il s'agit d'une représentation des mystères dans les-

(1) Ovid., Mel, IV, 13. (6) Sidon. Apoll, Carm., XXII.

(2)Antiq.poet.ap.Athen., II, 1. (7) Alberic, 19; Fulgent., J/"//-

(3) Athen., XI, p. 479. tM., II, 15; Zenob., Cent, IV, 5;

(4) Auson., Epigr., XXIX. Athen., II, 2; Th^ocnt., Idyll, 29 ;

(5) Athen., V, p. 198 et 200. Plat., Sympos.

Musée secret. 18


138 MUSÉE SECRET.

quels la disciétiou et le silence étaient de rigueur. Le corps du jeune dieu est d'une carnation un peu i^ougeàtre. Cette particularité porterait à croire que l'intention de l'artiste a été de repi'ésenter non point Bacchus lui-même, mais sa statue : car on sait que l'on avait coutume de peindre avec du cinabre les statues du fds de Sémélé; on peut citer en exemple le Bacchus acratopliore de Phi- galie (i) : cependant l'absence d'un piédestal on socle taillé, et la position du thyrse en avant, contrarient un peu cette conjecture.

Enfin le membre viril de cette figure est d'une lon- gueur démesurée. Nous avons déjà parlé du rôle que jouaient les phallophores et les ithyphalles dans les cé- rémonies bachiques : quelquefois même les anciens ren- daient le même culte aux marques distinctives des deux sexes : on les exposait également dans le temple de Liber et de Libéra (a); et, dans les thesmoj:)hories en Sicile, on portait publiquement les ^.ukloi (3). Les Egyptiens avaient des statuettes de la hauteur d'une coudée, dont le phallus, presque aussi grand que, le corps, se mouvait au moyen d'une ficelle (4). Enfin, on voyait dans le temple de la déesse syrienne un petit homme d'airain portant le même

attribut, âvYip a^Mfoq ■/i'K/.iaç,, îyM^ aièVov jxgya (5). Ce qu'il y

a de particulier dans notre Bacchus, c'est l'espèce de ca- ricature que l'artiste en a faite sous le rapport qui nous

(1) Pausan., VII, 26, et VIII, 39. (4) Herod., II, 48.

(2) D. August., de Civ. Dei, VI, 9. (5) Lucian., de Dea Syria.

(3) Athen., XIV, 14.


MUSÉR SECRKT. 139

occupe; car les peintres anciens donnaient nnc pareille conformation aux êtres qu'ils voulaient présenter comme ridicules et grotesques : on en verra des exemples plus loin (i). Il paraît que ce trait distinctif se trouvait aussi quelquefois dans des sujets sérieux : les hernies, et peut- être les lîacchus-hermès (2) étaient ithjpha lies quand on les faisait d'un Age mûr; ils étaient tout le contraire quand on leur donnait la figure d'un enfant (3). Quoi qu'il en soit, cette bizarrerie vient à l'appui de l'opinion des critiques qui pensent que cette peinture ne repré- sente pas réellement Bacchus, mais seulement sa statue : on sait que, parmi les statues secrètes, il y en avait que l'on montrait aux initiés, et d'autres qui n'étaient jamais vues que par les prêtres (4).

Le dernier personnage est une femme vêtue d'une tu- nique violette, avec un grand voile blanc qui lui enve- loppe la tête et les bras, ainsi que cela était d'usage dans les sacrifices (5) : elle tient entre ses mains une couleuvre . On sait que les bacchants et les bacchantes se faisaient une ceinture avec des serpents : c[uelquefois, à la vérité, avec des serpents empaillés ou factices, mais souvent aussi avec des serpents vivants, mais sans venin et apprivoisés, auxquels on donnait le nom de Trapeial (6). Ce reptile

(1) Voy. pi. 5G. 13; Eûgeling., de 3Iysf. C'er. et

(2) Vez., Dein. Ev.pr., IV, S, § 5. i>af (7«. ; Keppiug., I, 12, § 18.

(3) Phonmt., de Nat. deor., 16; (6) Aniob., V; Plutarch., Alex. Plut., An seniadmin. Resp., 797. Demosth.,^«-o Coron.; Nonn. XIV,

(4)Procl., Comment, in Tim., II. 363, et XV, 82; Plutarch., Sym- (5) Brov., de Vet. et Rec. Apor., pos., III, 5.


140 MUSÉE SECRET.

était appelé le grand symbole, le mystère (i), l'orgie de Baechus (2) ; selon les rites sabadiens, on mettait un ser- pent de couleur d'or dans le sein des initiés, et on le tirait par le bas de leur robe, en chantant ce vers (3) :

Tatipo; îpa'xovTO; , xai Spoixiov taûpou :raTY-|p. « Le taureau est le père du dragon, et le dragon est le père du taureau. »


I


Voici l'explication édifiante de cette énigme mytholo- gique. Selon quelques traditions, Jupiter, changé en tau- reau, eut de sa sœur Cérès une fille appelée Proserpine; ensuite il prit la forme d'un serpent pour séduire cette même Proserpine, second inceste qui le constitua son propre beau-fils : et alors le taureau fut père du serpent. Or, de cette nouvelle union, naquit Baechus sous la forme d'un taureau, et ainsi le serpent Jut père du taureau (4). •

On peut conjecturer avec beaucoup de vraisemblance que l'artiste a représenté dans cette fresque les sym- boles des mystères les plus célèbres et les plus occul- tes à la fois de toute l'antiquité. Peut-être a-t-il voulu figurer l'époptisme, dernier degré qui succédait aux purifications publiques et secrètes, à l'agrégation et à l'initiation. Dans l'époptisme, l'initié participait pleine- ment aux arcanes les plus obscurs des mystères : on lui communiquait le sens de tous les symboles, à l'aide des-


(1) D. Justin., Apol, II, (4) Nonn., Dionys., V, 566; VI,

(2) Clément. Alex., Stromat., II. 156 et 164. (8) Arnob. et Clément., loc. citât.


MUSÉE SECRET. 141

quels il pouvait reconnaître ses coinitiés, et se faire distin- guer lui-même des profanes (i). On objectera peut-être que, précisément à cause de la discrétion imposée aux initiés, les cérémonies de l'époptisme ne venaient point à la connaissance du vulgaire, et que, dans tous les cas, l'artiste, en les divulguant à l'aide de son pinceau, aurait eu à craindre une vengeance d'une secte puissante. Mais d'aboi'd on sait que les Cretois avaient rendu publiques toutes les cérémonies des mystères, afin de prouver que c'était de leur île qu'ils étaient partis pour se répandre dans la Grèce et l'Italie (a) ; ensuite, il est certain que si le révélateur n'était point un initié lui-même, son indiscrétion n'attirait sur lui aucune peine : cela est dé- montré par l'exemple d'Eschyle (3). Enfin, il faut consi- dérer qu'à l'époque de la ruine de Pompéi, le respect des choses religieuses et la puissance civile des ministres du culte étaient singulièrement affaiblis dans l'empire ro- main.

Il est à remarquer que les cérémonies secrètes, les symboles, les mots mystérieux des Dionysiaques et des Eleusinies, nous ont été transmis et expliqués surtout par les écrivains chrétiens, pieusement jaloux de démontrer la frivolité ou l'obscénité même de ces formules préten- dues religieuses : ce sont eux qui nous ont expliqué le


(1) Meurs., Eleus., 8 et seqq. ; Or., V, p. 409 et seqq.

Yan Dale, Antiq. cliss., VIII, 2; Ca- (2) Meurs., Ekus., 20 .

saub., Exerc. in Baron., XVI, 43; (3) Clem. Alex., Stromat., II. Athen., VI, 15; Petau adThemist.,


142 MUSÉE SECRET.

phallus et le serpent dionysiaques, ainsi que le peigne élensinien (i). Aune époque animée d'un esprit plus im- partial, il reste à démêler ce qu'il y a d'exagération, d'une part, dans les philosophes anciens qui ont vanté la mo- rale et la théogonie des mystères, et de l'antre, dans les chrétiens qui en ont flétri les pratiques obscènes.

Peut-être le Bacchus que l'on voit ici est-il celui que l'on appelait Bassarus etSabadius ou SaJjazius. Bacchus- Bassarus est le Bacchus de Thrace; car la bassaride était un vêtement usité dans ce pays, et ainsi appelé d'un mot thrace qui signifie Benard, parce qu'on le faisait pri- mitivement avec la peau de cet animal (a). Baccluis-Sa- badius ou Sabazius paraît encore le même, vu que les Thraces appelaient Sabes (^aêol) les prêtres de ce dieu (3), D'autres transportent ces noms en Lydie et en Phrygie (4) ; mais les Lydiens et les Phrygiens étant des colons de la Thrace, ou ayant reçu de ce pays une partie de leur ci- vilisation (5), la contradiction n'estqu'appa rente. Ce qu'il y a de certain, c'est que Bacchus-Sabazius était le fils de Jupiter et de Proserpine (6), l'un des trois Bacchus que compte Diodore (7), et le troisième des cinq qu'énu- mère Cicéron (8). C'était encore le même que le Zagreus

(1) TertuU., adv. Valent., I; (3) Scol. Aristoph., Fes^., 9; Ma- Teodor., Th., VII; Aniob., V; crob., xS'rt/^/w., I, 18.

Clément. Alex., nooTpeTrr., p. U; (4) Acroii. ad Horat., Carm., I,

Firmic, 19 et 20. 1*^1, H; Poil., VII, segm. 59.

(2) Seol. Pers., Sat., I, 101; He- (5) Strab., X, 722. sydi. ; Etijmoloi/., Voss., E/i/m., (6)Diod. Sic., IV, 4. s. V. Bassarides, Piochart., Hier., (7) Id., III, 62.

I, 1, 2. (8) De Nat. deor., III, 25.


MUSÉE SECRET. 143

et riacchusdii (j" jour des Eleusinies (i). Le nom de Sa- baziiis se donnait aussi à Jupiter (a), et celui de Sabus à un fdsde Bacchus('3).

La seconde fresque de cette plandie représente, sur un fond blanc, un sacrifice ou une offrande à Priape, faite par deux personnes. La première est un jeune homme dont la peau bronzée, les cheveux crépus et les traits dif- formes révèlent un enfant de l'Afrique. Il est entièrement nu, sauf la peau d'animal fjui lui forme une ceinture : sa tête est ceinte d'une couronne de feuillage. Il porte à deux mains une corbeille de jonc, dans laquelle se trou- vent des fleurs ou de la verdure, prémices de sou humble enclos; et il se courbe pour les déposerau pied d'un petit autel sur lequel est une figurine de bronze représentant le dieu des jardins (4). Nous avons assez parlé du culte de cette divinité champêtre pour ne pas nous y arrêter de nouveau. De l'autre côté, est une femme, portant éga- lement une couronne, et vêtue d'une tunique jaune avec une draperie verte : tenant de la main gauche unepatère dorée et de la main droite un vase pareil, elle paraît ap- porter au dieu des jardins une offrande de lait :

Sinum lactis, et hœc tibi liba, Priape, quotannis Exspectare sat est : cnstos es pauperis horti (5).

(1) Xonn., V, 164; Scol. Pind., Syntaffw.,\l, p. 204, et VIII,

Isthm.,Yll,3. p. 276; Meurs., Gr. fer., in 2a-

( 2) Valer. Maxim., I, 3, § 2 ; Fir- êâcia.

mie. Matcrn. , de En: pr. reWj., (3) Harpocrat., in 2a6oî.

p. 426; Albert. Kuben., Disserf, de (4) Priap., Epigr., 85; Catull.,

Xum. Aug. As. rec, in Thés. anl. Carm.,19.

Rom., tom. II, p. 1373; Gerald., (.5) Virgil.,£'f?., VII, 33.


l


144 MUSÉE SECRET.

« C'est assez pour toi d'attendre chaque année un vase de lait et ces mo- « destes libations, ô Priape, tu n'as à protéger qu'un pauvre jardin. »

Des deux côtés de cette petite composition se trouvent deux termes ou hermès : l'un est élevé sur un monceau de pieri'es tel qu'il s'en formait au pied de ces statues, parce que chaque voyageur y jetait un caillou en pas- sant (i); l'autre pose sur un piédestal carré. Ces deux termes marquent les limites du terrain qui est protégé par la statuette du dieu. Mais celui-ci ne serait-il pas lui- même un Mercure à l'attribut priapique, cet Hermès dont parle Cicéron, et qui devint épris de Proserpine (2) P Alors les trois hermès indiqueraient un carrefour. Il y avait aussi, pour remplir ces fonctions, outre la triple Hécate (3), un Mercure tricéphale (4) céleste, maritime et souterrain, ou qui avait eu d'Hécate elle-même trois filles : Physica, Ethica et Logica (5). Tout cela est sans doute trop recherché, et il vaut mieux attribuer la réu- nion des trois hermès au caprice du peintre, quia ita pictori visum est (6).

PLANCHES 29, 30 ET 31.

Ces trois frises, peintes sur fond noir, font partie de


(1) Phornut., cap. 16. (4) Lycophr., 680; Cuper., Mo-

(2) De Nat. deor., III, p. 81. Voy. nef. anl, 206.

aussi pi. 13 et 21. (5) Eustath. in Odyss., S, p. 1504.

(3) Ovid., Fast., I, 141. (6) Senec, de Benef., I, 3.



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décorations architecturales que nous avons déjà don- nées, mais dont nous répétons iei ce détail dans des dimensions plus grandes, à cause de la finesse du dessin, de la vivacité du coloris et de l'intérêt du sujet de ces peintures. Ce sont trois fragments, faisant partie de la corniclie du même appartement, et se suivant dans l'or- dre même sous lequel nous les offrons : chacune de nos trois planches donne nn de ces fragments divisé en deux bandes, que l'on doit examiner comme si on lisait, en commençant par le haut et la gauche.

Une femme, vêtue d'une tunique jaune et d'une dra- perie rose, et la tête couronnée de feuillage, est assise sur une pierre carrée, attitude qui, chez les anciens, surtout auprès des hernies placés sur les i^outes (i), était quel- (juefois celle de la prière; elle tient en main un thyrse auquel se rattache une bandelette Ijlanche, et devant elle se tient une jeune fdle dans l'attitude d'une personne qui parle : celle-ci est vêtue de blanc et porte lui vase d'or, peut-être un vase destiné à contenir des parfums, puisque l'on parfumait les pierres viales ou termina- les (a); peut-être aussi un vase lustral, puisque l'on ré- pandait l'eau lustrale sur les routes et dans les carre- fours (3); peut-être enfin un vase qui contient du vin, puisque la cérémonie qui est représentée ici a, comme nous le verrons tout à l'heure, nn caractère bachique.


(1) A^ul, Florid-J. (3) Teoplir., Ckarad, , XYl ;

('2)Id., ibid. Otto, de DiisviaUbus, 1.

Musée secret. 13


140 MUSÉE SECRET.

Après ce premier groupe se trouve un autel de pierre blanche, orné de bandelettes jaunes, surmonté d'un terme et ombragé par un arbre. Plus loin, appuyée sur un autre autel ou sur un fragment de pilastre, est une femme qui aies cheveux blonds, un collier d'or, une tu- nique jaune avec un péplosbleu turquin,etqui tient en main un éventail ou un ustensile propre à faire les liba- tions. Ensuite on voit unPriape posé sur une pierre car- rée, contre laquelle sont appuyés deux bâtons : cette statuette paraît être de bronze, elle est coiffée d'un bon- net à deux pointes ou d'une covironne d'épis : car, une épigramme indique que l'on offrait à ce dieu des épis, etpeut-êtreluien faisait-on quelquefoisunecouronne(i):

Vere rosa, autiunno jjomis, œstate frequeutor Spicis : ima milii est horrida pestis liyems.

« Au printemps on m'ofifre des roses ; en automne, des fruits; en été, « des épis : l'hiver seul est pour moi un temble fléau. »

Le dieu champêtre a un petit manteau sur les épaules, et, placé près d'une grande l'oute, il tient un bâton à la main, pour indiquer le chemin aux voyageurs (2). De l'autre côté de cet hermès se trouve une vieille femme assise sur une pierre, portant une coiffure blanche et une tunique verte, avec une draperie rouge et blanche : elle tient en main un rameau garni de feuillage ou un


(1) Priap, vêler,, epigr. 96, Lu- Br., tom. III, p. 261. tôt., 1798 ; yid. etiam Beger. Thés. (2) Otto, de Dits viaL, 10, p. 164,


MUSÉE SECRET. 147

instrument propre à faire les libations; et derrière elle, la main appuyée sur son épaule, se tient debout une jeune fille, la tète couverte d'un voile jaune, ayant des boucles d'oreilles d'or et une robe verte avec un dessus rouge, et portant de la main gauche un disque, une corbeille jaune, dans laquelle doit se trouver une tourte ou un gâteau, offrande habituelle dans les fêtes rurales : cette offrande s'accorderait parfaitement avec les instrumjents à liba- tions que l'on croit voir dans la main des deux autres femmes, et ce monument nous mettrait pour ainsi dire sous les yeux la scène d'Aristophane où se trouve ce dialogue (i) :

KttTotOoy tÔ xovoïïv, (o 6ÛYaT£p, ïv' àirap;KjijL£9a. — 'U p-îJTêp, àvâSoç Oiïïpo rry cTvrîpuaiv , 'Iv' ?TVo; xata/éo) ToùXax^poç toutoui.

a Pose ici la corbeille, ô ma fille, afin que nous puissions ofirir la liba- « tion. — Ma mère, donne-moi la cuiller pour que je verse la farine sur « ce gâteau. »

Virgile nous apprend également que l'on offrait à Bac- chus et à Priape des gâteaux, liba (i).

Un peu plus loin, on voit par terre la ciste sacrée, une corbeille dorée, contre laquelle s'appuie un disque qui pourrait bien en être le couvercle et qui est rouge à l'in- térieur, blanc en dessus et jaune sur les bords : cette cor- beille se rapporte encore au dialogue cité plus haut. La dernière figure est debout : c'est une femme qui tient de

(1) Âckarn., 243. , (2) Georg., II, 393;^c/., VII, 33,


us MUSÉE SECRET.

la main droite un tliyrse; elle est couronnée de feuil- lage, sa robe est rouge de laque avec la draperie bleu turquin.

Passons à la planche suivante. La première figure de ce deuxième fragment est un jeune homme, peut-être déguisé en faune pour la bacchanale : ses cheveux châ- tains sont serrés par un bandeau blanc et par une guir- lande de feuillage : son corps, d'une teinte fort brune, est entièrement nu, sauf la peau d'une bête fauve qui couvre la ceinture, et une draperie verte qui pend sur le bras gauche; d'une main il tient un bâton pastoral, et de l'autre il a saisi par la corne un chevreau blanc qu'il sendjle traîner vers l'autel. Cette victime est d'accord avec tous les autres emblèmes pour indiquer une céré- monie bachique (i). Quoique le sacrifice parlait, offert à tous les dieux, se composât d'un porc, d'un chevreau et d'un bélier, ce que les Athéniens appelaient tp-.ttj;; ou d'un porc, d'un bélier etd'un taureau, ce qui constituait les suovetaurilia des Romains : il new est pas moins vrai qu'en outre chaque dieu demandait une victime spé- ciale (2), laquelle ne devait ni être boiteuse, ni fuir l'au- tel (3). Après ce faune vient une femme dont les cheveux blondssontcouvertsd'unvoileblanc, et qui est vêtue d'une robe verte tombant jusque sur les pieds, avec un dessus


(1) Virg., Georg., II, 380. nob., VII.

(2) Aristot., Eth., V, 10, et IX, (3) Plin., VIII, 45 ; Feits., Ant. 2; Macrob., iSa/î/r»., III, 10; Ar- ffomer., 1,9.


MUSEE SECRET. H9

roulée de laque : elle porte des deux mains une ciste ou corbeille couverte d'une draperie blanche que l'on ap- pelait histianide, isT-.avîî (i). L'autre femme, assise sur une pierre, représente peut-être une des pauses que di- saient les théories solennelles : elle a également des che- veux blonds, mais elle est couronnée de feuillage : sa tunique intérieure est rose, et le dessus vert; elle porte \\n thyrse orné de feuillages verts, de fleurs jaunes et d'une bandelette rouge. Plus loin est un arbre, contre lequel un chien de couleur jaunâtre s'appuie de ses deux pattes de devant, comme pour atteindre (pielf[ue objet placé surle tronc. On voit ensuite une colonne de marbre l)lanc ou une pierre terminale, ceinte, comme c'était la coutume, d'une espèce de draperie blanche : Ungiicnto, velaminihus et coronis eos ornahant{vLj. Contre cette co- lonne, on voit debout unefemme dont la chevelure blonde est relevée et nattée, et dont le costume se compose d'une robe jaune avec un manteau couleur de laque : de la main gauche elle tient un thyrse, et de la main droite elle s'appuie légèrement sur l'épaule d'une autre femme assise sur le sol même qui est partout couvert de gazon. Celle-ci est vêtue entièrement de blanc : elle a la tête ceinte de feuillages qui lui font une espèce de couronne radiée, et elle est occupée à lire un volume qui est peut- être un de ces rituels contenant les prières solennelles et les formules que les prêtres faisaient répéter aux initiés.

(1) Hezychius, apud Meurs., (2) Flacc, de Condit. agror.

Panath., 23.


ISO MUSÉE SECRET.

Plus loin, sur une pierre contre laquelle s'appuie un bâ- ton, s'élève un Hermès-Priape, placé ici, comme tous ceux que nous voyons de distance en distance, pour indi- quer que l'action se passe sur une route, ou peut-être que certains personnages doivent être considérés comme ne faisant point partie de l'action générale, mais comme renfermés dans l'enclos de leur propre jardin. Ensuite paraît une femme debout dont les cbeveux châtains sont relevés en tresse, et qui est vêtue d'une tunique jaune avec un pallium rouge : son thyrse est orné d'une ban- delette blanche. Après un petit pilastre tronqué, ce fragment est terminé par la figure d'un jeune garçon à moitié nu, n'ayant qu'une petite draperie bleu tur- quin : couronné comme tous les autres, il porte d'une main un vase d'or, et de l'autre, dans un disque dumênif. métal, des objets qu'il est impossible de reconnaître.

Enfin, dans la troisième planche, on voit d'abord un piédestal carré sur lequel est un terme, et contre lequel s'appuie un bâton pastoral. Puis vient luie jeune fille couronnée de feuillage, ayant un voile et un manteau jaune, sur une robe blanchâtre : elle porte une corbeille dans laquelle on voit de la verdure en partie recouverte par une draperie rouge. La femme qui marche ensuite paraît d'un âge plus avancé : ses oreilles sont ornées de pendants de perles, et sa tête également couronnée : elle porte une espèce de manteau blanc qui lui couvre les épaules, l'avant-bras et la poitrine, et qui descend par devant jusqu'aux genoux : ses deux poignets, qui sont à


MUSÉE SECRET. 151

découvert, sont ornés de bracelets d'or, et sa robe de dessous est d'une couleur changeante qui passe du bleu tui'quin à l'incarnat. Elle tient de la main droite une ba- guette jaune autour de laquelle s'enroule un serpent, etde la gauche, une autre baguette de la même couleur que la première. Le serpent dont nous venons de parler in- dique certainement une prêtresse de Bacchus, ainsi que le chevreau qui n'est séparé de cette figure que par un petit buisson î cet animal est de couleur fauve, et il a autour du corps une de ces bandelettes blanchâtres {yitta, tœnia), dont on ornait souvent les victimes (i). Le jeune homme qui traîne cette victime par les cornes est presque nu : seulement une draperie blanche lui ceint les reins, et une peau de couleur fauve, attachée sur son épaule droite, lui couvre l'autre épaule et retombe sur le bras qui supporte un long thyrse orné de deux touffes de pampre. Il paraît avoir une couronne d'épis, des oreilles pointues et la peau^ fort brune, ce qui indique un faune. Tout à fait au milieu de ce troisième fragment, s'élève un grand autel de porphyre, dont la table ou l'abaque forme un creux comme une vasque. Deux bâtons sont ap- puyés d'un côté contre cet autel, et de l'autre on voit un livre oblong et dont la couverture est blanchâtre : c'est un de ces rituels dont nous avons parlé tout à l'heure. Derrière l'autel s'élève une colonne blanche sur laquelle se trouvait un objet jaunâtre que l'on ne peut plus recon-

(1) Oyid., Met., XII, 151 ; Fabrett., Col. Traj., p. 166,


162 MUSEE SECRET.

naître. Ce ne pouvait être lui Priape, quoi qu'eu disent quelques archéoloçjues, qui n'apportent à l'apui de leur opinion que l'autorité de ce passage de Catulle (i) :

Sanguine hanc etiam mihi (sed tacebitis) aram Barbatus linit hirculus, cornipesque capella.

« Et même cet autel (gardez-m'en le secret) a été teint du sang d'au « chevreau barbu et d'une chèvre au pied de corne. »

La restriction sed tacebitis, gardez-men le secret, in- dique précisément qu'il y avait quelque chose d'irrégnlier dans un pareil sacrifice : il ne serait donc pas repré- senté sur un monument. Pétrone, que l'on cite encore (2), ne parle que d'un chevreau offert à Priape avec un bélier ou un porc : c'est le triple sacrifice, tûîttj; 9'j»7Îa, que l'on offrait à tous les dieux. Comme nous l'avons déjà dit, et par les raisons que nous avons indiquées, l'àne était la victime spécialement agréable au dieu de Lainpsaque (3). Il est plus vraisemblable que la coloiuie portait un Bac- cluis Céphallénien, à qui l'on offrait un chevreau : cette conjecture s'accorde avec les autres emblèmes, thvrses, serpent, ciste, que l'on a déjà remarqués dans cette com- position. JNous ne mentionnerons donc que pour mé- moire une troisième opinion, selon laquelle il faudrait voir ici le Jupiter Horien (protecteur des limites) auquel on immolait une chèvre (4).


(1) CatulL, Cann., 18. (4) Plat., de Lef/., VIII; Pull,

(2) Petr. Arbit., Saf., 133. IX, 8 ; Aristot., Elh., V, 10.

(3) Lact. Firm., 1,21.


MUSÉE SECRET. 153

La colonne est entourée d'une bandelette jaune, et derrière s'élève un arbre dont on voit une branche de chaque côté.

Un vieux prêtre à la barbe blanche, aux cheveux blancs, couronné d'une branche de lierre avec ses co- rymbes, entièrement vêtu de blanc, et tenant en main un long thyrse orné d'une batidelette de même couleur, est occupé à verser sur l'autel la liqueur contenue dans une coupe d'or. Presque à ses pieds, on voit sur le sol un instrument, un objet qui paraît de couleur d'or, niaisqu'ilest impossible de reconnaître. Serait-ce le bou- clier appelé cetra, qui se trouve avec les flûtes dans les monuments bachiques ? ou bien le psaltérion dont parle Plutarque (i)? ou plutôt encore la hache de bronze qui doit servir pour le sacrifice.^ Nous en sommes ré- duits aux conjectures.

La femme qui vient ensuite, et que l'on voit par der- rière, a la tête couronnée de feuillage, et tient des deux mains des flûtes peintes en jaune : sa robe longue (f«- laris) est rose, et elle porte par-dessus une draperie verte. Le dernier personnage est une femme blonde ; un péplos qui lui couvre le sein et le bras droit est jainie ; en outre, un manteau bleu turquin descend de son épaule gauche jusqu'à mi-jambe; et enfin, sous ces deux vête- ments, elle porte vuie robe traînante qui est rose. De la main droite elle tient un petit thyrse, et de la gauche


{\) Plwt., Anton.

Musée secret. 20


154 MUSÉE SECRET.

elle porte une corbeille jaune dans laquelle on voit deux fruits, peut-être deux figues : car les figues étaient au nombre des fruits que l'on offrait particulièrement à Bacchus(i). Enfin, toute la frise est terminée par une colonnette blanche sur laquelle est un vase jaunâtre, peut-être une urne sépulcrale, puisque les tombeaux se plaçaient sur le bord des routes : contre cette même co- lonne est appuyé un objet blanc que l'on ne peut déter- miner, et tout auprès on voit une grosse pierre.

On reconnaît facilement dans toute cette suite de pein- tures deux compositions tout à fait distinctes : c'est d'a- bord, comme nous l'avons fait voir, une offrande à Priape qui fait le sujet de la première planche, et ensuite un sacrifice à Bacchus qui occupe les deux suivantes. Si l'or- dre de ces deux dernières était renversé, on verrait en- core mieux le lien qui les unit : les chevreaux, amenés par deux différents groupes de bacchants et de bacchan- tes, marcheraient tous deux A^ers l'autel placé à peu près aumilieu de toute la composition. Cependant, on pourrait aussi voir dans le tout quatre sujets qui concorderaient parfaitement : deux priapiques et deux bachiques : l'of- frande à Priape; l'envoi d'un chevreau à Bacchus; la lec- ture près de l'autel de Priape, avant de partir pour la solennité bachique; puis enfin le sacrifice lui-même.

(1) Scol. Aristoph., AcMrn,, 240; Plutarch., IlEpî çi)to:tXcuTi'ac.


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BRONZES .




MUSÉE SECRET. 155


PLANCHES 32 ET 33.

Un des plus beaux bronzes que possède le musée royal est celui que ces deux planches représentent sous deux points de vue différents. 11 a été trouvé dans les fouilles de Portici, le i3 juillet 1754. Cette statue est celle d'un faune ou d'un Silène, et non pas d'un satyre, comme le prétendent quelques critiques (1). Ainsi que nous l'avon déjà démontré, les satyres étaient représentés avec des jambes de bouc et des cornes ; les faunes et les silènes se rapprocliaient davantage de la forme humaine, et n'a- vaient de l'animal qu'un appendice caudal, des oreilles pointues, et quelquefois les protubérances dionysiaques que l'on remarque dans ce bronze (2). Notre faune donc, ou notre Silène, est étendu sur une peau de lion qui couvre un fragment de rocher, et, se soulevant sur^ le coude gauche, il s'appuie sur une outre qu'il a presque vidée. Il a la tête ceinte de cette espèce de diadème formé d'vuie tige de lierre chargée de corymbes ou de petites grappes de fruits, qui était un des attributs des divi- nités de la suite de Bacchus (S). Ce qu'il y a de plus re- marquable dans l'attitude de cette figure, c'est la position de la main droite, indiquant cette pression du pouce

(l)M.Giovaml)atistaFinati,iJe«Z p. 16, et Praf., p. 19. Mu&eo Borhotiico, Tol. II, tav. 21. (3) Diodor. Sic, IV, 4; et ibid.,

(2) Spanh., ad Julian. Cœsar., Wesseling.


1S6 MUSÉE SECRET.

sur le doigt du milieu, à l'aide de laquelle on produit un claquement. Ce geste et ce bruit étaient employés par les anciens pour exprimer différentes choses. On s'en ser- vait pour appeler; TibuUe dit de sa Délie (i) :

Et vocet ad digiti me taciturna sonum. « Que sans parler, elle m'appelle en produisant un bruit arec les doigts. »

Saint Jérôme décrit ce même geste, et en assigne l'u- sage (2) : Duobus (Ugitulis concrepabat, hoc signo ad audienduni discipulos provocans ; « il produisait un cla- quement avec deux doigts, et par ce signe il engageait ses disciples à être attentifs. » Ovide dit avec plus de précision encore (3) :

Signaque dat digitis medio cum pollice junctis.

« Il donne un signal en faisant frapper ses doigts contre le milieu de « son pouce. » m\

Mais ce geste avait aussi quelque chose d'indécent : à peine se permettait-on de l'adresser devant témoin à ses serviteurs; et, en le répétant trop fréquemment, on ris- quait de passer pour un rustre ou pour un ivrogne (4). Cela venait sans doute de l'usage ignoble auquel les dé- bauchés l'avaient spécialement consacré dans leurs repas : car ils faisaient entendre ce claquement de leurs doigts


(1) Aul. Tibull., Eleg., I, 2., 32. (3) Fast., V, 433.

(2) Epist. al Rust. (4) Clément. Alex., Pad., II, 7.


MUSÉE SECRET. 167

pour qu'on leur apportât, dans la salle même du festin, un vase (matella) qui ne devrait jamais paraître en pareil lieu (i).

Le claquement des doigts avait encore chez les anciens une signification familière qu'il a conservée parmi nous. Digitis concrepare, digîtorum percussio, ditCicéron (2), indique une chose qui se fait avec la plus grande facilité, que l'on considère comme rien, ou dont on ne fait aucun cas. C'est par un pareil geste que l'acteur devait com- pléter ces paroles de Térence (3) :

HujuB non faciam. « J'en ferai cas tout comme de cela. »

Un des monuments les plus curieux dont parlent les auteurs anciens, est la statue de Sardanapale qu'Athénée décrit en ces termes : Non loin d'Anchiale était le tom- beau de Sardanapale, roi d'Assyrie, sur lequel on voyait la statue de marbre de ce monarque, représenté de telle sorte qu'il semblait faire un geste de la main droite, et presser ses doigts l'un contre l'autre pour les faire cla- quer contre le pouce. Sur le piédestal on lisait cette ins- cription .

lAPAANAPAAOZ . ANAKYNAAPAÏEn . PAI5 . ArxiAAHN . KAI . TAP20N . EAEIMEN . HMEPH .


(1) Petron., SaL, 27; Martial., {Z) Adelph.,ll, 1, 9; vid. et. Ca- Epigr., III, 82; VI, 89; XIV, 117. siiub. ad Strab., XIV, p. 672, n. 7,

(2) De Offic, III, 19. et ad Athen., XII, 7.


158 MUSÉE SECRET.

MIH . E20IE . PINE .PAIZE .£11. . T AAAA.TOYTOY . OYK.AÏIA.

« Moi, Sardanapale, fils d'Anacyndaraxe, j'ai bâti An- chiale et Tarse en un jour. Mangez, buvez, jouez : tout le reste ne vaut pas cela — »

C'est-à-dire, JNe vaut pas le geste que je fais, ou ne vaut rien (i).

On a deux médailles de Tarsus (2), sur lesquelles on voit vm personnage revêtu des insignes de la royauté, tenant de la main gauche une couronne et vuie coupe, et faisant de la droite le geste dont nous paillons. Quoique l'exactitude de cette description ait été contestée (3), le rapprochement ne nous paraît pas moins curieujî.

Notre faune, étendu à demi] ivre sur sa peau de lion et sur l'outre qu'il a vidée, semble répéter, bien vivant, mais à demi ivre, l'épi taphe de Sardanapale : Mangez, buvez, amusez-vous : tout le reste ne vaut pas cela.

On peut remarquer les deux espèces de glandes que ce faune a sous le menton : nous avons déjà eu occasion de nous arrêter sur cette particularité qui, transportée du bouc à ces divinités champêtres, constitue les fauni ficarii. Enfin, les yeux de ce bronze sont garnis d'un


(1) Athen., VIII, 3; Confer. Ar- IV, 95; Cic, Tiiscvl, V, 35. rian., Eip. Al., II, p. 66 ; Strab., (2) Beger., Thcs. Brand., tom. I,

XIV, 672; Stepban., s. \."kxf\ilr^; p. 505.

Suid. s. V. SapSava-rcoîXoî ; scoUast. (3) Gronov. ad Arrian., Exp,

Aristoph., Av., 1022; Tzetz., Chil, Alex., II, p. 66.


MUSÉE SECRET. 159

émail vitreux et colorés au naturel : procédé qui n'est peut-être pas avoué par les plus saines théories de l'art, et qui n'en indique pas les plus belles époques, mais qui du moins produit un grand effet, surtout dans un sujet pareil à celui-ci.

Nous avons décrit matériellement, et examiné sous le rapport archéologique, notre faune dans l'ivresse ; mais nous nen avons point encore parlé sous le rapport de l'art. Cette partie de notre tâche serait la plus difficile s'il fallait exprimer dignement, et motiver de tout point l'admiration que nous inspire un pareil chef-d'œuvre. Heureusement pour nous, quelque incomplète que soit la reproduction de la statuaire par le dessin, la double vue que donnent nos deux gravures suffira pour faire com- prendre ce qu'il y a de finesse dans la pensée de l'artiste, et de vérité dans la manière dont il l'a rendue. N'est-ce pas là ce rire imbécile, mais du moins ingénu, qui se peint sur la figure de l'homme hé])été par le yin? ne sont-ce pas ces mouvements désordonnés, mais sans vi- gueur, qui agitent ses membres? enfin, les muscles des

, extrémités ne paraissent-ils pas bien roidis par ces petites

f convulsions nerveuses qui agitent le demi-sommeil de î l'ivresse, tandis que les muscles de la poitrine et de l'ab- domen s'affaissent sur eux-mêmes, amollis et presque fluides, comme si tous les vaisseaux de ces parties du coi'ps s'étaient eux-mêmes gorgés de vin?

Nous ne parlerons pas de la cause qui nous a fait pla- cer ce bronze dans le musée secret ': elle est assez appa-


160 MUSÉE SECRET.

rente ; et elle réside dans une particularité qui exprime encore plus vivement que tout le reste l'état de complet abandon dans lequel l'artiste a voulu présenter son per- sonnage.

PLANCHE 34.

Ce groupe représente le satyre Mars}as, qui, assis sur un rocher recouvert d'une peau de lion, donne une leçon de flûte au jeune Olympe. On sait que Marsyas, ayant ; j trouvé la flûte que Minerve avait abandonnée après l'a- voir inventée, essaya d'en tirer des sons, et se crut, i \ bientôt en état de porter un défi à Phœbus : celui-ci < l'ayant vaincu, le fit écorcher vif, et remit le cadavre à i Olympe, l'élève et l'ami du satyre, qui lui donna la | sépulture. Telle est la fable racontée par les principaux j mythographes (i). Notre groupe est en désaccord sur î un point avec les traditions mythologiques et les autres monuments : au lieu d'un os percé de trous, comme celui dont Minerve avait fait une flûte d'un seul tuyau, notre artiste a mis dans les mains d'Olympe une syrinx ou flûte de Pan : ce qui porterait à confondre ensemble deux fa- bles fort différentes (2), si l'on pouvait donner à Pan quelque élève ou quelque jeune ami. Mais l'histoire d'O-


(1) Apoll., 1. 4, 5 ; Hygin., Fab., 689-705; Hygin., Fai., 274 ; Virg., 165 ; Ovid., VI, 400 ; Diod., III, 59. Ed., II, 31. (2)Plin., VII, 56 ; Ovid., Met., I,


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MUSÉE SECRET. 16>

lynipe, fils de ftléon, natif de la Mysie, disciple et favori de Marsyas, n'appartient plus tout à fait aux temps fabu- leux : on sait que ce poëte, ce musicien, vécut avant la guerre de Troie, et que ses hymnes se chantaient encore du temps d'Aristophane (i); tous ces faits sont trop connus pour qu'on cherche à notre monument une autre explication- Ce monmnent est sans contredit une copie ou une imi- tation de celui que Pausanias déclare avoir vu lui-même et qu'il décrit en ces termes (2) : Ècrxlv km TOTpaç >iaûe"Coa£vo; Mapijûa;, xal OXu[;.tco; xap aÙTov nMàoç èctIv èpaToii xal aùlsiv fîiâacx.o[j.évou ayr,ij.ot. ê'ywv : « Marsyas est assis sur une pierre, et auprès de lui est Olympe, représenté comme un en- fant plein de charmes, auquel le satyre enseigne à jouer de la flùte. »

Ce qui a fait ranger cette planche dans le musée secret, c'est la double intention du peintre : évidemment il ne s'agit pas seulement d'une leçon de musique; l'air pas- sionné et l'attitude du satyre, la physionomie craintive du jeune homme, révèlent une scène de séduction. Et c'est en même temps cette double intention qui fait le principal mérite de l'ouvrage : le jeu et l'antagonisme des passions sont les principales sources du beau et les pre- miers ressorts de l'art. Pourquoi faut-il que les artistes anciens se soient si souvent inspirés des passions les plus


( 1 ) Plat., 3Iin.; Aristot., Pol., 8 ; (2) Pausan,, X, 30.

Lucian.; Suid.

Musée secret. 21


162 MUSÉE SECRET.

ignobleset les plus contraires au vœu delà nature? Pour- quoi n'ont-ils pas toujours consacré leurs talents à ces actes de dévouement et de vertu, à ces traits d'une af- fection sainte et légitime dont l'histoire de l'antiquité est remplie? Que de chefs-d'œuvre de goût, que de beaux exemples en morale, se sont trouvés perdus de la sorte?

PLANCHE 35.

Le surnom de Callipyge, que l'on donne à Vénus, a pour étymologie les mots : -/.xlôi, beau (qui, dans la com- position, devient x.a>.>.i), etTCuyvî... (mot qu'on ne saurait traduire décemment). L'origine du culte de Vénus Calli- pyge est racontée ainsi par Athénée (i).

« Dans ces siècles reculés, on était tellement lirré aux plaisirs des sens, qu'on bâtit un temple à Vénus Callipyge. Voici à quelle occasion : Un campagnard des environs de Syracuse avait deux belles filles ; elles se dis- putaient un jour sur la beauté d'une certaine partie de leur corps et se rendirent ainsi au grand chemin. Vient à passer un jeune homme ; aus- sitôt elles se soumettent au jugement de ses yeux, et il prononce en faveur de l'aînée ; mais aussitôt il en devient si amoureux, qu'à peine arrivé à la viUe, il tombe malade , garde le lit, et raconte à son jenne frère ce qui lui était arrivé. Celui-ci vole aux champs pour contempler ces jeunes filles, et se sent pris d'amour pour la plus jeune. Le père veut en vain les en- gager à s'allier à de meilleures familles. Enfin, obligé de céder, il va trou- ver le père des deux sœurs, les fait aussitôt venir des champs, et maris

(1) Athen., Deîpnos., XII, 13; vid. et. Alciphr., Ep.. I, 39.


MARBRE .



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MUSÉE SKCRET. 163

ses fils arec elles. Cet événement fit donner aux deux jeunes épouses le nom de Callipygcs parmi leurs concitoyens, comme le rapporte Cercidas

de Mégalopolis Ces deux femmes, devenues riches, firent élever

un temple à Vénus, qu'elles appelèrent Callipyge. »


Le culte de Vénus Callipyge se répandit dans toute la Grèce, et passa en Italie, où, pendant la décadence de l'empire, ce culte et les idées qu'il amenait avec lui de- vinrent de nouveaux éléments de débauche, de nouveaux raffinements de volupté. Un critique affirme qu'il ne fut pas inouï de voir à Rome des jeux s(;énif[ues où parais^ saient de jeunes filles entièrement nues; le public jugeait entre elles certaines contestations de la nature de celle qui s'éleva entre les deux Syracusaines, et tout l'empire rece- vait comme un événement la nouvelle de cette décision. Nous avouons que ce renseignement, bien qu'il offre quelque chose de probable, ne nous paraît appuyé d'au- cune autorité contemporaine.

On a trouvé quelques jjronzes et quelques pierres gra- vées qui représentent la Vénus Callipyge (i). Sur une de ces dernières, la déesse est accompagnée de Cupidon, qui l'éclairé avec un flambeau (a).

La charmante statue dont notre planche peut donner une idée assez exacte, et dont les copies sont maintenant répandues dans toute l'Europe, a été trouvée à Rome; elle fut placée dans le palais Farnèse, appelé la Farne-

(1) RaccoU. di Stat., tav. 55; (2) Lippert., Dadijl, I, n. 258.

Thomasin. Ant. Stat, 11.


164 MUSÉE SECRET.

sina, et fut acquise par le roi de Naples avec la propriété entière de cette pallazina. Ce marbre a quatre pieds environ de hauteur. La tête a été rajustée, et l'on pense qu'elle appartient à une époque plus moderne que le reste (i).

Sil'on voit, à côté l'une de l'autre, la chaste Vénus de Médicis et la voluptueuse Callipyge, on reconnaîtra fa- cilementà quoi il faut attribuer la différence des impres- sions qu'elles font naître : une nudité complète est franche comme l'innocence primitive ; elle ne craint rien, parce qu'elle ignore le mal ; et en ce sens, on concevrait quel- que chose de plus parfait encore que la Vénus de Mé- dicis. Les jeunes Spartiates, se montrant sans voile dans la palestre, ne faisaient naître aucune idée voluptueuse dans l'esprit des spectateurs : rien, de plus modeste enfin que les Muses de Raphaël, qui semblent ignorer leur nu- dité. Mais un seul vêtement qui indique que les autres ont été mis de côté, un ruban oublié, ou la feuille de figuier qui passe pour pudique, ou enfin une draperie curieu- sement soulevée, comme dans la statue que nous exami nous, suffisent pour écarter toute idée d'innocence : les sens ne manquent point de s'enflammer dès qu'ils sont avertis.

(1) Heyne, Antiq., I, 153.


BRONZ,ES


M. S




MUSÉE SECRET. 165


PLANCHE 36.

La statuette de bronze que représente la première fi- gure a environ six pouces de hauteur. Un vieillard d'une belle figure, la barbe et les cheveux bien arrangés, se tient debout sur un petit socle rond ; ses épaules sont couvertes d'un manteau ou d'une chlamyde qui, s'agra- fant en deux endroits et formant sur la poitrine une pe- tite draperie, est relevé par derrière et replié sur le bras gauche. Le reste du corps est nu : les parties de la génération sont à découvert et dans un état de demi- excitation, que le vieillai'd semble vouloir compléter, en versant d'un petit Aase fort élégant qu'il tient de la main droite, une liqueur qui doit être un aphrodisiaque.

Les anciens faisaient un très-grand cas et un usage fréquent des essences ou des boissons excitantes. Un des ingrédients qu'ils employaient le plus fréquemment était le satyrion, plante qui donnait même son nom à la mixtion tout entière. Pliae en distingue plusieurs es- pèces (i), et attribue à l'une d'entre elles une vertu pro- digieuse : le satyrion que les Grecs appellent erjtliraicon (sans doute èpuOpatov), excite, dit-il, l'appétit vénérien, si seulement on tient sa racine dans la main, et bien plus fortement encore si l'on boit un vin sec dans lequel on l'a

(1) Hisl. Nat., XXVI, 10, 62 et C3.


166 MUSÉE SECRET.

fait infuser. Comme nous l'apprend Pétrone, le satyrion s'employait de deux manières : à l'intérieur, en infusion, et à l'extérieur, sous la forme d'un onguent dont on fai- sait des frictions. Quid ergo, inqiiit, non sumdigniisqui bibamPSolus totum medicamentum ebibisti? Et plus loin : Puellapcnicillo, quodetipsumsatyrio tinxerat, y4scyltoii opprimebat {^\). Dioscoride parle aussi fort au long des sucs propres à soutenir ou à ranimer les facultés généra- trices (2), et plusieurs auteurs rapportent des exemples merveilleux de leurs vertus, tels que soixante-dix effets successifs du seul contact d'une certaine herbe (3). Cette croyance s'est perpétuée jusqu'à nos jours, et il est cer- tain qu'en effet plusieurs tubercules, tels que la truffe, quelques champignons surtout (4), tels que l'agaric ni- véeux à lames noires, possèdent la vertu d'exciter ou de réveiller les sens engourdis : mais cette puissance est in- finiment plus bornée que ne le croyaient les anciens; et ces tristes remèdes ne feraient, dans la plupart des cas, que précipiter encore la perte totale d'une faculté qu'ils ranimeraient un moment.

Il est à remarquer que les figurines antiques du genre de celles-ci, qui sont peut-être des statuettes votives, re- présentent toutes des vieillards : on en comprend suffi- samment la raison.

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(1) T. Petron. Arb., Sahjric, Atlien., 1,15, p. 18.

p. 50 et 51, Col. Agripp., 1691; (3)Tlieophr.ap.Plin.,XXVI,10.

vid. et. Isidor., XVII, 9. (4) Descourtilz, Flore pittoresqm

(•2) Dioscor., III, 131; vide etiam des Antilles.


MUSÉE SECRET. 167

C'està ces vieillards que semble s'adresser l'épigramnie de Martial ( i ) :

Stare, Luperce, tibi jam pridem mentula desit :

Luctaris démens tu tameu arrigcre. Sed nil erucœ faciunt, bulbiqiie salaces ;

Improba nec prosunt jam satureia tibi.


Mirari satis hoc quisquam, vel credere possit, Quse non stat, magno stare, Luperce, tibi.

L'autre statuette, représentée au bas de la planche, offre un pécheur endormi. Il y a un contraste puissant, (jui a séduit les artistes aussi bien que les poètes anciens et modernes (2), entre la tranquillité du sommeil de cet enfant, et les dangers qui peuvent le menacer sur la mer, dangers qui déjà peut-être s'accumident autour de I lui, tandis que, comme dit le poëte (3),

« Une planche fragile le sépare de la mort. »

Ce qui rend cette figurine extrêmement curieuse, ce sont les attributs dont elle est ornée, et qui fournissent des rapprochements intéressants, soit avec d'autres mo-

(1) Martial., Epigr., III, 75, in 3Ius. Pio-Ckm., tom.III, tav. 33. Lupercunu (3) Arat., 300; Alciphr., Epist.,

1 (2) Theocrit., Idyll; Viecont., I, 3.


168 MUSÉE SECRET.

iiunients, soit avec des passages d'écrivains classique».

Et d'abord, cette espèce de veste à capuchon que notre pécheur a passée par-dessus une petite draperie, est faite, comme le ciseau de l'artiste l'a très-clairement indi- qué, d'une peau de bête dont le poil est tourné en dedans, ce qui se voit surtout aux bords, que dépassent quelques flocons de laine : on peut reconnaître dans ce vêtement le xôia; que Théocrite donne à ses pêcheurs (i). Quanta sa forme, c'est encore celle du surtout que portent les pêcheurs du golfe de Naples, et elle est d'accord avec la définition que Pollux donne de la diphthère : ^içôepa ^é, cTeyavoç /itcov, è-iV.pavov é/wv (2); « c'est luie tunique étroite, ayant un capuchon. » La petite draperie ou l'espèce de tablier qui devrait couvrir les Cuisses de l'enfant, s'il se trouvait dans une position moins bizarre , est encore le sevd vêtement de dessous des pauvres pêcheurs de la Mé- diterranée.

Près de l'enfant endormi est une petite corbeille d'une forme spéciale, qui se retrouve encore aujourd'hui dans la sportella.) et que les Grecs appelaient (pe'pviov.

Là se trouvent encore deux ustensiles qui, comme le çepviov, sont destinés, sans aucun doute, à des usages rela- tifs à la pêche. Le premier est une espèce de bouteille d'osier à deux anses, étroite du fond et du goulot, et large du ventre, propre à garder le fi^etin qui sert d'a- morce : c'est sans doute ce que les Grecs appelaient oTtupt;

(1) Theocr., Idyll, XXI, 11. (2)PoU.,Owmas;.,VII,segm.70.


MUSÉE SECRET. 169

ouffffupî^tov (i). Les lexicographes, anciens et modernes, paraissent confondre le çepviov ou çepv/î avec la «wjpi'; (2); mais le savant Visconti a très-bien démontré (3), d'après les médailles byzantines et d'autres monuments, que la spyris, tout à fait différente de la corbeille appelée phernion, a un long cou et un large ventre, absolument comme l'ustensile représenté ici.

Une autre corbeille, de forme ronde et renversée, de sorte que sa large ouverture est tournée vers le sol, sert d'oreiller à l'enfant endormi. Sans doute elle était égale- ment destinée à conserver du poisson, et la forme hémi- sphérique du fond, ainsi que les courroies ou filets indi- qués sur un des côtés, font voir que l'on s'en servait eu la portant à l'extrémité d'un bâton : car c'est ainsi que les pêcheurs portaient leurs poissons au marché (4). Le bâton dont on se servait pour cet effet s'appelait actXXa, et quelquefois ^eùyo; (5). Cette troisième corbeille ne se- rait-elle pas ce que Théocrite appelle çopp'î (6) :

NÉpOev tSç xE:paXôc( tpopjxô; Ppayùç, tiuaTa, ttîXoi,

« Sous sa tête, une petite corbeille, ou ses vêtements, ou seulement sa e chevelure. »


(1) Philipp., Epigr., ap. Brunck, c. 111, num. 4.

Analecf., tom. II, p. 218; Leonid., (4) Alciplir., loccitat; Simonid.

Epigr., ap. Poil, Onomast., X, 30; in Jac., Anthoh, tom. I, p. 80;

Alciphr., Epist., I, 1. Hemsterhuis ad Hesych., à(iTuiTo),£î.

(2) Hesych., s. v. ipvtov; Am- (5) Julian. Mg., ap. Brunck, mon. s. V. *l>£pvT). Anal, tom. II, p. 493.

{i)Museo Pio-Clement, iom.lU, i (6) Ugll., XXI, 13.

Musée secret. 2J


170 MUSEE SECRET.

Ce qui a fait placer cette figurine dans le Musée secret, c'est sans doute l'abandon de la pose du petit pêcheur, abandon qui, joint à la pénurie de son costume, produit une étrange nudité .Mais cette nudité est celle de l'inno- cence toujours calme, de la misère insouciante comme l'innocence. Jamais riche libertin n'achètera le pêcheur endormi pour le placer dans sa galerie pornographique.

PLANCHE 37.

Il n'y a peut-être pas, parmi tous les petits bronzes du musée royal, un morceau travaillé avec plus de délica- tesse et de fini que cette figurine que l'on voit ici sous trois aspects différents. Elle représente un personnage que plusieurs antiquaires ont pris pour un Priape, à cause de l'obscénité de son attitude et des proportions de certaines parties de son corps, et à cause surtout du bonnet phrygien, qui est un des attributs du dieu de Lampsaque. Mais ce personnage n'est autre chose, en réalité, qu'un de ces bouffons que les Latins appelaient Sannio.

Les Saunions (Sanniones) étaient des hommes qui cher- chaient à divertir, non par le sel de leurs plaisanteries ou la gaieté de leurs récits, mais en imitant, en contre- faisant d'une manière exagérée et surtout obscène, les gestes et les attitudes des individus ou des différentes classes de la société, en les caricaturant et les tournant


il




MUSÉE SECRET. 171

en ridicule. En un mot, le sannion était ce que nous appelons un grimacier. Le genre de tîilent que l'on exi- geait de pareils bouffons, plus plaisants par leur face même, ditCicéron, que par leurs facéties, était peu es- timé des graves Romains (i). Le sannion s'appelait en grec (Awxoç, d'où les Latins avaient pris mocosus (a), et d'où nous avons tiré nous-mêmes toute une famille de mots, moquer, moqueur, moquerie, etc. Quant à l'origine du mol santiio lui-même, on peut le dériver du grec aawrxç, qui, d'après les glossaires, paraît avoir été employé par Gratin us dans le sens de fou, insensé; ou du mot iSVm«/, qui serait le nom de certains peuples regardés comme stupides et barbares (3) ; selon quelques étymologistes(4), on pourrait encore recourir à l'hébreu san («d), qui si- gnifie dent. Mais la conjecture la plus vraisemblable est celle qui fait descendre ce mot de l'étrusrjue sanna, ou samna,d'o\i viendrait également le mot sanna, qui signi- fiait en latin (5) la contorsion du visage, la grimace que l'on fait pour se moquer de quelqu'un. Il esta remarquer que les bouffons du genre des saunions s'appellent en- core en italien zanni(fi).

Notre bouffon a la barbe longue et en désordre; tous


(1) Cic, Orat., II, 62; ad AtL, et ?, p. 1761.

1, 13. (4) Voss., Etym. s. v. Sanna.

(2) Qumtil., XI, 3; Salmas. ad (5) Seholiast.Pei's., *S'a/y/-., 1, 58. TertuUian., de FalL, p. 337, et ad (G) Ferrai'., de Pant. et Mim.,


PoUion., GaU.,8. p, 697.

(3) Eustath., in Odyss., x, p. 1 669,


172 MUSÉE SECRET.

ses traits sont déformés par la contorsion appelée s anna. En appliqnant l'index de sa main gauche au coin de la bouche, il incline légèrement son cou vers son bras droit qu'il tient étendu en faisant un geste obscène et dérisoire, c'est-à-dire, en réunissant le pouce et le doigt du milieu, tandis que l'index est courbé ; geste qu'il ne faut pas con- fondre avec le claquement des doigts, dont nous avons déjà parlé (i). Sans doute il s'agit ici d'uue des trois atti- tudes dérisoires que les Latins appelaient la cigogne, l'àne etlechien,et que Perse a décrites en ces termes (2) :

Jane, a tergoquem niilla ciconia pinsit, Nec manus auriculas imitata est mobilis albas, Nec linguœ, quantum sitiat canis Apjjula, tantum : Vos, ô patricius sanguis, quos virere fas est, Occipiti cœco, posticœ occurrite sannœ.

Le premier de ces trois gestes est expliqué plus clai- rement par Casaubon (3): « En dirigeant l'index recourbé vers la personne dont on voulait se moquer, et en impri- mant à ce doigt un mouvement répété, on imitait les coups de bec d'une cigogne, oiseau qui était le symbole non-seu- lement de la reconnaissance, mais aussi de la prudence et de l'habileté. « Le bruit discordant que la cigogne produit avec son bec, et que l'on rend par le verbe craqueter, était peut-être la cause qui avait fait prendre cet oiseau pour un emblème de dérision. Saint Jérôme parle aussi

. (1) PI. 32 et 33. (3)IneumdemPersiiloc.

(2) Satyr., 1, 58 et seqq.


MUSÉE SFXRET. 173

du geste dont il s'agit (i) : Nunquam posttergum meum maniis incun'arent in cîconinm : » Jamais une main ne se courberait derrière mon dos pour faire la cigogne. » Quelques érudits prétendent que les Grecs connaissaient ce geste, qu'ils appelaient du nom d'un autre oiseau, la corneille; mais ils Tondent cette allégation sur des pas- sages d'auteurs peu précis par eux-mêmes, et qui ne pa- raissent point susceptibles de cette interprétation (2).

L'inclinaison que notre personnage donne à son cou complète le geste; elle est d'accord avec l'expression de saint Jérôme (3) : Ciconiarum post te deprehendes colla cun'ari; « Vous surprendrez des cous de cigogne se cour- bant derrière vous. » L'index de la main gauche, porté k la bouche, indique une manière de siffler qui était encore une marque de mépris, de dérision, usitée dans les théâtres grecs et romains comme dans nos parteri'es, et désignée en grec par les mots aùXwT^aî^etv (4), cupiTTeiv (5), y.)vw!^£'.v (6),y_"Xe'ja!:£iv(7), ^lapHaîveiv (8), et en latin par l'ex- pression ironique pastoritia Jîstula (g).

Quelle que soit, du reste, l'énergie de toutes ces ex- pressions, on peut douter qu'elles expriment aussi bien


( 1 ) Hier, in Soph. (4) Hesych.

(2) Hésiod., Oper, et Dies, 746 ; (5) Theophr., Charad., 12, scoliast. et Tzetz., ad eumcl. loc; (6) Poil, lY, 122. Pers., V, 12 ; Aristoph., Plut, 369 ; (7) Hesych.

Pier., Hkr., XX, 30. (8) Aristoph., Vesp., 1036 ; vid.

(3) Ad Eiistic, Epist. 4; vid. et. et. Ferrar., de Vet. Accl, II, 14. Virg.,£'c/.,III,7,etcomment.;Val. (,^)CK.,ad AU., 1,13. Place, II, 154, et Avien., Fal., 13.


174 MUSÉE SECRET.

que notre statuette, toute la verve de la dérision et de la moquerie. Son attitude entière est parlante ; et, pour tout dire, on trouve dans ses traits quelque chose de la physionomie de Rabelais.

PLANCHE 38.

Dans ce bronze, d'un goût et d'un travail exquis, on peut facilement reconnaître un de ces Marsyas ou de ces vieux faunes sans queue appelés Silènes, dont on se ser- vait pour la décoration des fontaines, portatives ou sta- bles. On a trouvé à Portici, le 16 décembre 1754, une fontaine ornée de dix statues de Génies aquatiques. Celle-ci, qui faisait la onzième, était placée au centre, et l'eau jaillissait par la bouche de l'outre sur laquelle on la voit assise. Plusieurs témoignages imposants (i), et entre autres, des épigrammes antiques, indiquent que cette coutume bizarre, de prendre pour ornement des fontai- nes un serviteur de Bacclius, était très-générale : nous nous contenterons de rapporter deux de ces épigram- mes (2) :

Tôv Bpo|ji.iou SotTupov T£)(v«(TaTO SaiSaXÉa j^ei'p ,

Moûvn) ÔEfjTteji'w; 7:v£ÏÏ(/.a pa^ouffa XîSw. EîjJil Ss Ttaîi; Nû;;i!pai(jiv ô[Aé(iTio;* «vt'i Se toù itpiv

Iloptpiipéou (jle'Ouo; , Xâpov uôojp i:po;(E'i».

(1) Fabr., Descr, Uri. R., 15. (2) Anthol., IV, 12, 96 et 97.


MUSÉE SECRET. 17ft

<i Satyre de Bacchus, je fus créé par une main industrieuse, dont l'art « merveilleiLX pouvait seul donner la vie à la pierre. Je suis le compagnon « des nymphes, et au lieu du vin pourpré, je verse une onde pure. »

£I[xl [lÈv cùxspâoia (pîXo; âtpanMv Aiovûsou , Aeîêu) S' àpYupsiov ilSaxa NatâSiov.

« Je suis, à la vérité, le ministre chéri de Bacchus aux cornes superbes; c( mais je verse maintenant la liqueur argentée des Naïades, s

Notre Silène, donnant à ses traits grotesques un air grave et sérieux, le front ceint de la couronne de lierre avec sescorymbes, les moustaches et la barbe longues et partagées en grandes mèches, le corps gonflé de graisse et tout couvert de poils, est assisàcheval sur une outre. Il y a sans doute ici une allusion au proverbe grec : olvo; eîc ô^ôvÏTîTTo;, (c le vin est un cheval pour qui se met en route ; » proverbe sur lequel est fondée cette épigramme (i) :

ntVti)U.£V X«l yàp 8^ ItTlTUjJlOV , £Îç SàÔv IKIZOi

Oivoî* litet TtéÇoi; ntpaTtôî eîç ài5r)v.

<i Buvons, s'il est vrai que le vin peut nous servir de cheval ; car c'est à c( pied qu'on descend chez Pluton. »

Le même proverbe a encore suggéré la pensée d'une autre épigramme, attribuée par les uns à Nicérate (2) et par d'autres à Denys d'Halicarnasse (3) :

{l)AnlJwl., II, 47, 39. (3) Casaub., ad Athen., II, 3.

(2) Ibid., I, 59, 7.


t7C MUSÉE SECRET. <

OTvo; TOI y(^«ptevTt TttXti (*£Y«î iftoc àotSôt' 'YSojp 8È Tri'vtov xaXôv oi) texo»; éîroî.

« Le vin t'offre, ô poëte, une vigoureuse monture ; mais en buvant de « l'eau, tu ne feras pas un bon vers. »

Cette outre pleine, dont on fait ici un véritable Pégase, remplace très-convenablement la monture de Silène. Il semble la diriger par ses deux grandes oreilles, figurées par les pieds de devant de l'outre : et les grosses bot- tines de cuir dont il est chaussé paraissent lui servir d'éperons. Ces bottines, faites avec le poil en dehors, et dont on se servait l'hiver, étaient appelées àwepai (i), et répondaient sans doute aux péronés (2), ou péronés se- tosi (3) des Latins.

PLANCHE 39.

Cette planche représente, sous deux aspects différents, une statuette de bronze d'environ neuf pouces de hau- teur. C'est un vieillard à longue barbe, aux oreilles lon- gues et pointues, la tète couverte d'une barrette d'une forme toute particulière, et semblable peut-être au bonnet des prêtres hébreux, appelé mitznephet et décrit par Josèplie (4) : il est revêtu d'une robe longue et à manches

( 1 ) Poil., VII, 85 ; Lycophr., 853, (3) Sidon., EpkL, IV, 20.

et Hippon., eod. loc. ap. Tzctz. (4) Hist.Jud., XI, 4; vid. etiara

(2) Serv. ad ^neid., VII, 690; Braun, «7e Vest. Hehr.,l\,i, § 389. Isid., XIX, 34; Ters., V, 102.


M s .


Br.ONzis.


39



A d'H V 2-F 377


'^i/j/i^.


MUSÉE SECRET. 177

[talaris majiicata), telle qu'en portaient certains danseurs syriens. Cette robe est serrée à la ceinture; elle est sou- levée à la partie antérieure par le membre viril, qui est d'une grandeur et d'une grosseur extraordinaires ; et elle se trouve également relevée sur le flanc par la main gau- che, qui reste enveloppée dans ses plis. La robe appelée talaris et manicata était d'origine asiatique, et l'on sait que le culte de Priape était tout oriental ; la bassara même, qui n'était qu'une robe de cette espèce, appar- tenait à Bacchus, et par conséquent à son fils, au dieu de Lampsaque (i). Mais ce costume pouvait convenir aussi aux histrions venus de l'Asie, et la description que fait Athénée (2) des mimes appelés ithyphalles, s'ap- plique si bien à notre figurine, que nous la citerons ici tout entière.

Oî Sè 'I6ij:po(XXoi xaXouti.îvoi|, TrpoaoOTEÎov jjLEOuovTtov éyoudi, xa'i idtsefiâvwvTat, yEtpiSa; àvôivàç £^ovT£<;-yiTwai ùï ypcoMtoti [xeooXeÛxoiî, xai itEpiÉ^ojvTai TapavTii^ov xaXûiTTpov aùxoûç fi^/P' '^wv aïupwv uiy^ 8î Sià toù ttuXôIvoç EÎaeXôovxEi; , oxav xaTï fAÉar,v Tr|V opyr'otpav YÉviovTai, iTtiarpecpouaiv eÎçto GsaTpov Xe'yovteç, AvayETc, eùpuytopiav TroieÎTe xw 8êw" èÔÉXei yàp â 6eoç opôb; £(îtpupt»|j:Évoî oià [xe'îou paSîÇsiv

« Ceux que Fou appelle Ithyphalles ont un masque qui offre les traits d'un homme ivi-e ; ils portent une couronne ; ils ont des manches faites d'une étoffe à fleurs ; leur tunique est rayée de blanc, et ils se ceignent d'un calyptron de laine de Tarente qui les enveloppe jusqu'à la cherille du pied. Entrant en silence parla grande porte du théâtre, quand ils sont arrivés au milieu de l'orchestre, ils se tournent vers les sjDCctateurs et disent: « Écartez-vous, faites place au dieu; carie dieu droit, debout « SU!' ses pieds, veut passer au milieu. »

(1) Pausan., IX, 31, 2. (2) Deipnos., XIV, 4, p. 622,

Musée secret. 23


178 MUSÉE SECRET.

Il est inutile de supposer, comme l'ont fait quelques critiques (i), que les mots v.cà TOfts^ovxat Tapavxîviov xa- XuTTTpov, ont été transposés par les copistes, et qu'ils se rapportent à èiTTEçocvcdvTai. Le mot >ca>.uTCTpûv peut s'appli- quer à tout ce qui recouvi'e quelque chose, et s'en- tend naturellement ici de l'espèce de jupon qui, noué à la ceinture, devrait recouvrir le 6eo; 6p6o;. Nous ne croyons pas non plus que è(7cpuptd[yivoi; puisse se traduire, comme cesérudits l'ont rendu, par/atto a martello, fait au marteau; notre sens convient mieux à l'objet dont il s'agit, et c'est celui que le mot a dans tous les auteurs comiques.

La statuette se termine comme un hernies, par une base carrée ou gaine : les deux pieds paraissent au bas de cette gaîne, collés l'un contre l'autre et chaussés à la ma- nière étrusque ou égyptienne. En effet, on voit trois figu- rines à peu près semblables dans le musée étrusque (2). On sait en outre que les Egyptiens représentaient Osiris dans l'état del'ithyphalle (3), et Horus tenant un phallus à la main (4).

Mais ce qu'il y a de plus remarquable dans toute notre figurine, c'est l'ustensile qu'elle tient de la main droite. Descritiques, en décrivant des statuettespareilles, ont pré- tendu que cet attribut étaitune clochette (5) la clocliette


(1) Ant. d'Ercol, tom. II, Bronz., (3) Plutarch., de Is. et Os., p. 371. tav. 93. (4) Caylus, tom. III, tab. 2, fig. 1,

(2) Mus. etrusc, tom. T, tav. 57, et tab. 3, %. 1.

58 et 59. (5)Caylus,tom.IV, ab.72,p.230.


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étant consacrée à Priape. Les académiciens d'Herculanuni ont pensé, eux, que l'objet en question est un vase em- ployé au même usage que celui que noj.is avons vu tout à l'heure dans la main du vieillard (i), c'est-à-dire, qu'il contient du satyrion ou quelque autre essence aphrodi- siaque. Nous oserons émettre une conjecture qui ne s'est point présentée à l'esprit de nos devanciers : l'objet que le mime lève de la main droite nous paraît être un de ces étuis de cuir ou de bois que les ithyphalles s'atta- chaient à la ceinture pour simuler un phallus plus gros qiie nature. La forme bizarre que l'on donnait à ce membre postiche nous est indiquée par plusieurs mo- numents, et entre autres, par l'avant-dernier de ceux que nous avons décrits (2). Avec un geste qui rappelle celui d'un joueur de gobelets, et un air de physionomie goguenard et triomphant, l'ithyphalle vient de retirer l'étui pour en montrer le contenu, et il semble prêt à le remettre.

La figurine est posée sur une base hexagonale en forme de pyramide tronquée, avec un bouton allongé à chaque angle, tant de la surface supérieure que de la surface inférieure.

PLANCHE 40.

Les deux figurines de cette planche, la première vue sous un seul aspect, et la deuxième représentée sous deux

(1) Planche 36, fig. 1. ' (2) Voy. planches 37 et 40.


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points de vue différents, sont deux vases de terre cuite d'environ un pied de haut, dans lesquels on introduisait le liquide par une ouverture située au-dessus de l'anse, derrière la tête de la statuette; tandis qu'on versait ce liquide au dehors par l'espèce de robinet qui se trouve en avant, à la partie inférieui^e, et qui devait être ordinai- rement fermé par un bouchon.

Les vases de cette espèce étaient appelés drillopotes ou nrilopotes, comme le rapportent les commentateurs de ce passage de Juvénal :

Vitreo bibit ille Priapo (1).

On disait aussi phallovitrobelus ou phalloveretrobe- lus (2) ; et c'est à de pareils vases que Pline fait allusion dans cette phrase : I?i pocalïs libidlnes cœlare jiwat ; et per obscœnitates bibere (3) ; « On se plait à sculpter sur les coupes des scènes erotiques, et à boire dans des vases qui ont des formes obscènes. »

La première des deux figurines est une caricature pleine d'énergie et de sentiment, représentant un de ces insensés que les Romains appelaient/a^MMj ou morio, du grec [xwpo'ç, folie ; et que les riches tenaient à leur service pour se divertir de leur stupidité et de la naïveté gros- sière de leurs propos. Les véritables morions se ven-


(1) Satyr., II, 95. (3) Hist. Nat., XXXIII, 1.

(2) Capitolin., Comment.


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daientfort cher.; mais il se trouvait quelquefois des gens qui feignaient la stupidité pour se faire acheter, et la fraude était bientôt reconnue, carie naturel fait tout le prix delà bêtise aussi bien que de l'esprit; et quiconque se déguise, soit pour feindre plus de sens qu'il n'en tient de nature, soit pour en montrer moins, celui-là n'est jamais qu'un ennuyeux et un sot. C'est ce qu'exprime très-bien cette épigramme de Martial (i) :

Morio dictus erat : viginti millibus emi. Eedde mihi niimmos, Gargiliane : sapit.

« On le donnait pour un fou : je l'ai acheté vingt mille sesterces. Rends- « moi mon argent, Gargilianus : le drôle a de l'esprit. »

Les dames romaines avaient aussi leurs ïoUes, fatnce [2) .

Dans les pièces atellanes, le fou portait le nom de maccus (3) : de là, les titres de celles de Pomponius, /llac- cus miles, Macci geininii, etc. Ce nom est osque ou étrus- que, à moins qu'on ne le dérive du vieux mot grec \j.oly.- xoàv, être stupide, de i^.vi xoeïv, pour p, à>to'J£iv, ne pas en- tendre, ou pour [j(.vivt)£tv, ne pas comprendre (4).

Enfin on appliquait à ces insensés le nom de MapyiT/i;, titre d'unpoëme attribué à Homère, et duquel Platon (5) cite ce vers d'un excellent comique :

(l)EpigT.,YIII,13; vid.et.XIV, (3) \i\Wù&^.,ch Poem.gemr., III.

210; III, 82, et XII, 95; PKn. jun., (4) Aristoph., Equit, 62 et 395 ;

Ejpist., IX, 17; Lamprid., Alex. Se- Lucian., Lexiph., 19.

ver., 34 ; L. 4, § 3, f/e jEd. ecl. (5) Ahib., II, p. 42.

(2) Senec, E;pist, 50.


182 MUSÉE SECRET.

néXX' r,7t(aTuiT0 ÊpYa, xaxôii; S' riTTiOTOdO TCavta.

« Certe, il savait beaucoup ; mais il savait tout mal. »

Les Athéniens avait domié à Alexandre le sobriquet de Margitès. Pauvres Grecs!

Notre morion, maccus ou margitès, à la tête chauve et disproportionnée. La calvitie était considérée parles an- ciens comme un signe de la faiblesse du cerveau.

'Hv Iffi'Sï]; XEtpaXV jxaSapiv, x«i CTe'pva, xai toiiou;,

MïjSÈv IpcijTYi^rii; [jtwpbv ôp5î (paXaxpov (1).

« Si tu vois une tête chauve, une poitrine et des bras sans poils ; n'en « demande pas davantage : ton chauve n'est qu'un fou. »

Aussi les chauves étaient-ils appelés aeV/îv.a , petites lunes {p), comme nous disons lunatiques.

Une grosse tête passait pour être souvent vide, et on la comparait à une citrouille : d'oii \ Apocolocjntose de Sénèque, ou la Transformation de l'empereur Claude en citrouille. Les Toscans donnent encore à un homme inepte le sobriquet de zucca, qui veut dire potiron.

Les oreilles de notre morion sont de dimensions peu ordinaires, ainsi que la partie qui sert de goulot au vase. Les oreilles grandes et mobiles furent toujours considé- rées comme un signe de stupidité (3), et l'empei'eur Jus-


Ci) Lucian.,^«tto/., II, 3,6; vid. Hist. am'm., I, 11; Epichann. apud

et. Arnob., VII, 55. Athen., X, 1, p. 411 ; Bayle, art.

(2) Sines., Encom. Calv., p. 74. Hercule, Eem. G.

(3) Martial, VI, 39; Aristot.,


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tinien entre autres paraît avoir été largement doué sous ce rapport (i). Déplus, les fous, qui ressemblent à l'âne de ce côté, ont la réputation de lui ressembler encore par la qualité qui avait fait consacrer la monture de Silène au dieu de Lampsaque (2).

Les fous et même les sots re)Epi(jr.,XÏY, 212.

(7) Theophrast. apud Suid., et Hesych. in Na'wo;, Nâvo;.

(8) La Chausse, J/z s. ^ow., sect. VII, pi. 5 ; Beger, Thés. Br., tom. III, p. 264; Gori,i/w5. £"/««(•., tom. I, tab. 57; Lucian., Sait, 21; Suid. in IIptaTOç ; Etymolog. in 'Aêapvo;, et scholiast. Apollon.

(9) Arnob., VII, 27.



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Il danse en s'accompagnant des crotales, qui sont des espèces de castagnettes :

Narras et ipse suos breviter concretus in artus, Jactavit truncas ad cava buxa manus (1).

PLANCHE 42.

Des deux côtés de cette planche est représenté, sous deux points de vue, un de ces vases de terre cuite ap- pelés drillopotes. Nous avons épuisé (2) tout ce que nous avions à dire des ustensiles de cette espèce : seulement, celui-ci n'a point d'ouverture dans le haut, ce qui indi- que qu'on devait prendre des précautions particulières pour le remplir par le goulot même, et qu'on ne pouvait boire que par succion : nouveau raffinement d'impudeur et de niaiserie. Autre différence : dans ce drillopote, la tête ne nous paraît pas assez caractérisée pour que nous y cherchions une caricature personnelle.

Entre ces deux figures, se trouve celle du petit bronze trouvé à Portici. C'est un Priape, un Pan ou un satyre, tenant d'une main un vase et de l'autre un oiseau. Tous ces dieux champêtres aimaient le vin et la chasse, et Faune dit, en parlant de lui-même (3) :

Faunus plumoso sum deus aucupio. « Je siûs le dieu qui préside à la chasse aux oiseaux. »

(1) Propert., i;%., IV, 8, 41; (2) Planche 40.

vid. et. Lamp. de Cymbal., I, 4, 5; (3) Propert., Ele{/., IV, 2, 34,

Virgil., Copa, 2 ; Pn'ap. veter.


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PLANCHE 43.

I


C'est un monument curieux, et même unique dans les collections et les musées, que le bronze représenté ici soustroisaspectsdifferents.il est d'un dessin très-correct et d'un travail délicat, mais un peu altéré par le temps. C'est un homme déjà vieux, ou plutôt un animal qui se rapproche de l'homme : assis à terre, et entièrement ra- massé sur lui-même, il appuie à la fois sur ses genoux son menton barbu et ses mains qui tiennent deux mè- ches de sa chevelure. Sa tête est celle d'un animal, ou, si elle appartient à l'homme, on peut la supposer cou- verte de la dépouille du chef d'un lion ou d'un chien, à laquelle les oreilles et la crinière sont restées attachées. Le visage est chargé de rides qui s'étendent autour des yeux, sur le nez même, ainsi que sur les lèvres.

L'attitude de cette petite statue se rencontre souvent dans les figures égyptiennes; c'est celled'unelsisdumusée royal qui a été trouvée à Pompéi dans le temple même de cette déesse. Cette attitude indiquait un être stalale et puissant par lui même : le soleil était assis de cette ma- nière sur son propre emblème, la fleur de lotus (i). C'est à peu près ainsi que l'enfant est placé dans le ventre de sa mère; et l'on sait que le vieil Horus, image du monde,

(1) Jamblic, de Myster., VII, 2. . .


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fut engendré par Isis et Osiris, lorsque ces divinités étaient encore dans le sein de la déesse que les Grecs appellent Rliéa (i). En outre, les Egyptiens représen- taient leurs dieux, les deux jambes unies ensemble, pour exprimer qu'ils ne marchent pas comme les hom- mes, mais qu'ils se transportent à travers l'espace par la seule force de leur volonté. Jupiter lui-même resta immobile ainsi, jusqu'au jour oii il fut délivré par Isis (2); et Harpocrate ou Horus le jeune, engendré da'ns le sein d'Isis par Osiris déjà mort, vint au monde avec les membres inférieurs encore faibles et repliés sur eux-mêmes (3). De toutes ces fables égyptiennes, la plus applicable à notre monument est sans contredit celle du vieil Horus.

Cherchons si, dans un autre ordre d'idées, nous ne trouverons pas quelque chose de plus satisfaisant. On sait que les Egyptiens, qui plaçaient dans leurs hiéroglyphes un grand nombre d'animaux (4) ou d'hommes à tête cnodalomorphe, rendaient aussi un culte particulier à chacun de ces emblèmes (5). Parmi ces divinités se trou- vait le soleil, Horus-Apollon, que l'on représentait avec une tête de lion (6j, par allusion surtout à l'entrée du

(1) Plutarch., de Is. et Osir. (5) Diodor.,1,86; Tertull., Jj[;(??., p. 373. 16;Mmut. Félix, OcL, 28; Atha-

(2) Eudox. ad Plut., loc. citât., nas.. Contra Gent., p. 20; Arnob. p. 376. VI, 10; PorphjT., de Absf., IV, 7.

(3) Plut., •/i«?.,p. 377. (6) Cuper., Earp., p. 9 et 48;

(4) Lucian., Herm., 44; Lucan., Kircher, de Mvm.,-p. 34; HorapolL, III, 222; Tacit., Ami., XI, U. I, 16.


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soleil dans le signe du Lion, qui amenait les inondations du Nil. Ceci nous ramènerait encore à la même hypo- thèse.

Le lion, ou la tête de lion, était encore l'emblème du Vulcain égyptien (i); et l'on sait que Cambyse, entrant dans le temple de ce dieu à Memphis, se moqua de sa statue, comme étant semblable aux dieux tutélaires que les Phéniciens appelaient tAtm^qi, et qui n'étaient que de véritables pygmées (2), ou même des singes (3). Or, un pygmée ou un singe à tête de lion, voilà, mieux enco're qu'un Horus, ce que présente notre bronze. Remarquons cependant que l'Hercule égyptien appelé Gignone ou Gigône, était aussi au nombre des iraTamoi (4).

Mais enfin, on voit sur la table isiaque, ainsi que sur les obélisques et lesautres monuments égyptiens, un ani- mal bien plus semblable à notre bronze, avec ses joues barbues, ses oreilles en saillie, sa face grimaçante, ses bras maigres, son dos voûté, ses longues cuisses, ses lon- gues jambes et ses pieds aplatis : c'est l'espèce de singe appelée cercopithèque (")) ; et pour notre part, nous n'hésitons pas à délaisser toutes les hypothèses qui pré- cèdent, pour nous attacher à celle-là seule. L'absence de la queue ne saurait être une objection : elle a pu être attachée de telle sorte, qu'elle se soit perdue sans laisser au bronze des traces trop visibles; et enfin, il se pourrait

(1) ^lian., Hîst. anim., XII, 7. l'Acad. des Insc, toçi. I, p. 49.

(2) Herodot., III, 37. (4) Hesycli. s. v. riyvûv.

(3) Morin, Dissert., BUmoires de (5) La Chausse, sect. II, pi. 40.




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que l'artiste eût renoncé à l'exprimer, par telle ou telle raison impossible à deviner.

Nous ne nous arrêterons donc pas un instant à la con- jecture émise par quelques antiquaires qui veulent que le monument soit purement romain (comme si, depuis que l'Egypte était grecque, les artistes grecs n'avaient pu y travailler sur les idées de l'ancienne religion), et qui cherchent dans cette statuette un lare rustique (i) coiffe d'une peau de chien (2), un Sylvain domestique (3), ou enfin un des dieux Nixii (appuyés sur les genoux) (4).

Des raisons anatomiques et artistiques nous semblent préférables à tout le luxe possible d'érudition grecque ou latine : c'est pourquoi nous nous en tenons au cerco- pithèque, ou au moins à une espèce de grand singe sans queue.

PLANCHE 44.

Nous avons réuni dans cette planche quatre hermès.

Le premier est un petit bronze représentant un Mer- cure-Priape, avec le pétase, le rhyton et le péduni, que nous avons déjà vu et décrit dans une peinture de ce volume.

Le [deuxième est une simple tête de Priape avec sa


(1) Tibnll., Eleg., I, 1, 24. pro Silimnio.

(2) Plut., Quœsf. roman., p. 276. (4) Montfauc, tom. IV, pi. 136;

(3) Reines., 1, 101 et 103; Mura- Fest., in Mxii diî. tor., Inscr., 102, 7, legendo Silvano


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barbe et ses cornes, posée immédiatement sur une gaine: du milieu de celle-ei sort un phallus de petite dimen- sion, auquel l'épithète d'ithyi)halle conviendrait fort peu. La tète et le phallus sont eu bronze sur une gaine de pierre.

Le troisième est un llerméracle.

Enfin, le cpiatrième est un faune barbu et cornu, por- tant la chlainyde et le pédum, et étendant le bras comme pour indiquer la route. Il n'est cependant pas destiné à figurer sur nu grand chemin, car c'est un bronze de petite dimension. 11 porte, du reste, l'attribut priapique, et pose sur un piédestal carré.

Le nombre des statues et des figurines de Priape que produisent les fouilles est très-considérable; et l'on peut juger facilement de la quantité d'hermès de cette espèce, soit de pierre, soit de bois, que l'on devait rencontrer dans les campagnes d'Italie, par la seule inspection du recueil des Priapées. Quelle prodigieuse variété d'inscrip- tions, toutes destinées à être gi'avées sur le socle de la statue du dieu des jardins, et la plupart placées dans sa bouche même! Quelle abondance, quelle verve d'injures et d'imprécations contre l'audacieux qui bravera ses dé- fenses! Quelquefois il prie; souvent il menace. Tciils'en- orgueillitde ses armes : Pallas, Phœbus, Alcideetl'Amour ont bien les leurs! Là, de sa Lampsaque, qui certes vaut bien Dodone, etSamos, etMycènes. Plus loin, il se vante de n'être point un dieu rigide; oh! non, on peut l'appro- cher sans être pur, nigra fornicis oblitus fovilla! Puis, il


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étale ses bonnes fortunes; et celles qu'il a eues, et celles qu'ilamancpiées. Et bavard! Amants du village, ne vous y fiez pas ; ce tronc de bois vermoulu voit tout et dira tout. Dans ses révélations facétieuses, il pousse la plaisanterie jusqu'au calembour; pédant, il disserte étymologie; érudit, il entrelarde de grec ses distiques latins. Ici il se plaint: lejardin est si pauvre! les voleurs ne trouvant plus rien à prendre, emporteront le Priape lui-même. Puis il reçoit les doux vœux de Tibulle : le voilà tout pastoral et pleind'innocence, toutes fleurs confites dans du miel! Et de nouveau, voici qu'il s'emporte; il devient furieux; il menace : son arme est la massue d'Hercule; il va vous frapper tout à l'iieure... à l'aide du bras du fermier. Il est colère, il est lascif, gourmand, vantard et poltron. Quoi de plus? Il est même un peu fripon, le zélé pro- tecteur des jardins : il permet d'y voler, quand on lui paye tribut; ou du moins, il conseille d'aller prendre chez le voisin : « Il est riche celui-là; voici le chemin; tournez à gauche, au bout de l'allée! »

Le drôle de corps! l'excellent type à placera côté de Falstaff, de Polichinelle et de Sanclio! Aucun critique ]i'avait signalé cette création du génie latin; et l'on croit comprendre Plante !

PLANCHE 45.

Le premier bronze de cette planche représente un Musée secret. 25


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phalhis, auquel le modeleur semble avoir voulu douner quelque ressemblance avee un Pégase, en y ajoutant, outre deux ailes, deux pieds de derrière terminés en phal- lus, et de plus un pareil membre qui paraît appartenir à l'animal lui-même. Un jeune garçon, à cheval sur le grand phallus, pose à son extrémité une couronne d'une forme toute particulière (ccptyxr/ipoet^/i;).

On explique de deux manières l'origine du culte du phallus parmi les Grecs. Selon la plus merveilleuse de ces traditions (i), la statue de Bacchus, portée de Béotie en Attique sur un Pégase de l'espèce décrite ci-dessus, fut mal reçue des Athéniens : Bacchus, pour les punir de ce mauvais accueil, les affligea d'une maladie honteuse dont ils ne furent guéris qu'en professant publiquement le culte du dieu du vin. Dans les solennités instituées à cet occasion, ils portèrent au bout de longues perches des phallus qui furent faits d'abord de simples bois de figuier, mais qui plus tard furent recouverts d'une peau de couleur rouge. L'autre explication est rapportée par un grand nombre d'historiens (2), qui s'accordent à dire que le culte du phallus fut transmis aux Grecs par les Egyptiens; or ceux-ci l'honoraient en mémoire d'fsis : car, Osiris ayant été mis en pièces par Typhon, cette déesse retrouva tous les membres de son époux, sauf un


(l)Scholiast. Aristoph., /l<-7/arw., de Is. el Osir., tom. Il, p. 365; 242. Diod., 1,22 et88.

(2) Herodot., II, 40 ; Plutareli.,


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seul, à savoir, les parties de la génération : elle lit une image du membre absent, et exposa ce symbole à la vé- nération publique. Sans doute, les Egyptiens eux-mêmes avaient reçu ce culte des Indiens, qui adorent le même objet sous le nom de Linga; et l'idée fondamentale de toutes ces pratiques religieuses fut la vénération qu'in- spira spontanément à l'homme le spectacle des forces reproductives de la nature. Dans les Pamilies, les Egyp- tiens exposaient une statue pourvue de trois phallus (i). Osiris et Bacchus étant une même divinité, dans la pompe de Bacchus célébrée par Ptolémée Philadelphe, on pro- mena un phallus doré de cent vingt coudées de haut. Du reste, cet attribut convenait encore à Mercure, à Junon (2), et aux dieux que les Romains appelaient DU conserentes (3).

L'attitude du petit garçon sur le phallus est en rap- port avec l'objet général de cette composition : c'est cette attitude lascive que l'on désignait par les expressions eqihis, equitare, sedere equo, prises dans un sens ob- scène. Les chevaux eux-mêmes sont connus comme des animaux très-lascifs. Il y a enfin, dans la forme de la couronne, une allusion relative à un goût infâme trop répandu chez les anciens, et dont il est impossible de parler plus clairement dans un idiome moderne.

Il parait que ce bronze était un amulette que l'on por-


(1) Plutairh., loc. tikiL, p. 955 (2) Lucian., de Dm Sijria, 16.

et 365. (3 ) Aiuok, V, 18.


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tait au cou au moyen d'une chaîne attachée aux deux petits anneaux sur le cou du coursier et sur la tête de l'enfant.

La figurine de bronze qui vient ensuite représente un mime presque nu, portant l'attribut priapique d'une grosseur remarquable, mais non ithyphalle. Il paraît se balancer en étendant les bras, les deux index levés. On attribuait à ce geste, que nous retrouvons dans plusieurs statues, la valeur d'une provocation indécente.

La troisième figure offre lui charmant petit buste de femme. Il est remarquable par la beauté des traits, l'élégance de la coiffure, la netteté des contours du sein et la beauté des épaules, mais surtout par le collier au- quel sont attachés plusieurs phallus : on en peut comp- ter huit. Beaucoup de femmes portaient de pareils amu- lettes pour obtenir la fin de leur stérilité ; mais quelques- unes ne rougissaient pas d'employer ce moyen pour faire connaître pul)liquement combien de fois elles avaient reçu, dans la nuit, les caresses de leurs amants. Ainsi, Messaline offrait quelquefois, à des dieux dignes d'elle, vingt et une couronnes de myrte et de roses, emblèmes de vingt et un triomphes.

Le dernier bronze est la figure d'un vieillard chauve, à l'air languissant, couché sur la terre, le bras gauche passé sous sa tête, en donnant à sa main droite une al- titude et une occupation fort bizarres. Par suite d'une étrange confusion, on a vu à la fois dans ce personnage un Bouddha indien, un Thot égyptien et un Mercure la-



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tin. Ce n'est sans doute qu'une caricature de Narcisse, l'image d'un malheureux qui abuse de ses propres for- ces, et qu'ujie vieillesse prématurée punit déjà de ses égarements.

PLANCHE 46

Ce petit bronze, suspendu par une chaîne de ter et un anneau, représente la charge d'un Mercure, la tête cou- verte de bandelettes, par-dessus lesquelles il porte le pé- 'tasus ailé. Nous avons dessiné cette tête grotesque sous deux aspects différents, afin de montrer les glandes et ver- rues dont elle est couverte, et l'aspect aussi niais que re- poussant qu'elle offre de tous côtés. On voit que les dieux du paganisme ne sontpas moins maltraités par lesartistes qu'ils ne l'étaient déjà par quelques poètes, et qu'ils ne le furent plus tard par des satiriques tels que Lucien. Celui-ci porte un phallus énorme qui se termine par une tête de bélier; attribut convenal)le de Mercure- Priape dont nous avons déjà parlé (i); il était le même que Tychon, Tu;^(.jv (2), qui se confond avec le dieu de Lampsaque (3).

La tête de bélier se rapporte encore à Mercure, cet


(1) Plotiu., Enii., III, 6, 9 ; He- llpoip., p. (j4 ; auct. Philopatrid., 7 ; rod., II, 51 ; Martial, VII, 73. Homer., Odyss., 0, 335 et seqq.

(2)He8ych. inTû/wv; Clem. Alex., (3) Diod., IV, 6, et ibi Wesseling.


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animal étant consacré au dieu qui garde les troupeaux (i). Plusieurs monuments le représentent avec cet attribut (2) ; et il y a là quelque chose qui se rapporte encore aux mystères de Cybèle. On sait d'ailleurs combien le bélier est lascif; et les anciens pensaient qu'au temps de l'accou- plement, il choisit d'abord les brebis les plus vieilles du troupeau (3), emblème de cette volupté furieuse que n'arrêtent ni l'age ni la laideur. Il y a encore dans notre bronze une allusion au bélier considéré comme machine de guerre.

Ce personnage burlesque porte ini appendice caudal formé de trois rameaux, qui paraissent être des branches^^ de figuier : cet arbre est encore ini symbole de la généra- tion ; il était consacré à Bacchus, et par conséquent à Mercure-Priape ou Mercure-Bacchus, fils de Bacchus et de Vénus (4). Les premières figues s'offraient à Mercure, d'où le proverbe : cùxov Iç' é(p;j.À, k Une figue posée sur l'hermès «, en pai-lant d'une chose que tout le monde pouvait s'approprier.

Les Grecs appelaient, lu-A-n, <;û/.ov, cuy.(oaa, cuxwc.;, les Latins Ficus, et les Toscans de nos jours appellent encore Fico, une excroissance charnue qui se développe sur les pau- pières, la tête, le visage (comme sur les joues de notre petit Mercure), aux parties obscènes et à l'extrémité


(1) Pausan., II, 3; Homer., Iliad, (3) Aristot., Hist. an.,Y, 13 ; Plin., l, 490 ; Hesiod., Throff., iU. VIII, 47 ; Didym., Geop., XVIII, 3.

(2) Pausan., V, 27, et IX, 22; (4) Orph., Hymn. in Mercur. Bnonarotti, Med., p. 1, 28 et 41. Terr., 3.


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inférieure de l'épine dorsale, et qui, dans ees derniers endroits, est le plus souvent une suite de la débauche. Les Latins disaient aussi marisca (i), nom qu'ils don- naient d'ailleurs à une espèce de figue (a). Les grammai- riens ont longuement discuté sur la propriété de quel- (|ues-uns de ces noms (3), et même sur leurs genres et leurs déclinaisons; et cette dernière discussion a foumii à Martial la pointe de cette épigramme intraduisible (4) :

Quum dixi ficus, rides quasi barbara verba

Et dici ficos, Cœciliane, jubés. Dicemus ficus, quas scimus ab arbore nasci :

Dicemus ficos, Cœciliane, tuos.

Cette triple queue se rapporte peut-être au tripliallus des Pamilies (5).

Aux pieds du Mercure, et en divers autres endi'oits du bronze, sont suspendues par des chaînettes sept campa- nilles ou petites clochettes de bronze, pourvues de leur battant.

r/usaae civil des cloches ou* clochettes remonte beau- coup plus haut qu'on ne le croit communément. On ap- pela cet instrument en grec xc^kv , en latin tintinnahulum,


(l)Juvcn., II, 13. sycL et Suid. in lûxa.

(2) Ca.t., de Rerustic, 9. ; Colu- (4) Martial., F^pigr., I, 66, de mell, X, 415 ; Plin., XV, 48. Gêner, et déclin. ficus.; vid. et. XII,

(3) llercurial., de Excrem., I, 33 ; IV, 52 ; VII, 70 ; XIV, 86, et 11, p. 32 ; sehol. Aristoph., Ean., Piiap. veter., 49.

1278 ; Poil., IV, 200 et 203; He- (5) Voy. ci-dessus, p. 195.


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uola, ctplus tard campana elsquilla (i). Les anciens pla- çaient des cloches ou clochettes dans les places fortes, pour donner l'alarme (u) ; dans les bains (3) ; à la porte des lieux de prostitution; pour qu'on ne pût y entrer sans être entendu et découvert (i) ; aux portes des maisons (5), et dans l'intérieur même, pour réveiller les esclaves et annoncer le repas (6) ; au cou des animaux domes- tiques (7); dans les marchés^ pour annoncer la vente des denrées et spécialement du poisson (8) : ils s'en ser- vaient enfin pour annoncer qu'il fallaitarroserles rues (9). On les employait encore dans les rites religieux de la déesse Syrienne, où le prêtre, monté sur un grand phal- lus placé à la porte du temple, avant de faire la prière pour ceux qui avaient présenté une offrande en argent, sonnait une clochette (10); dans le culte de Proserpine à Athènes (i i); dans toutes les purifications et expia- tions (12); dans les mystères cabiriques, corybantiaques et bachiques (i3), dans les cérémonies magiques (i4);


(1) Magg., de Tintinn.; Rocc, de Campan.; Pacicliell., de Tintinn. Nol.; Stocks., de Campan. vsu ; Voss., Etym. in Campana ; du Cange, Ghss. grcec, in KiôSwveç , et Gloss. lat., in Campana, slcella et squilla.

(2) Parthen., Erot., 7 ; Tliucyd., IV, 135; Plut., Arat., 1030.

(3) Martial., XIV, 163.

(4) Paul., XIII, 2.

(5) Suet., Octav., 91 ; Senec, de Ira, III, 35.


(6) Luciau. , de Jlerc. cond., 24 et 30.

(7) x\ristoph.,ii;a«., 994; Strab., XVI, p. 776 ; Pha3dr., II, 7.

(8) Strab., XIV, p. 658 ; Plut., Sympos., IV, 4.

(9) Sest. Empiric, VIII, 193.

(10) Lucian., de Dea Syr., 29.

(1 1) Schol. Theocr., Idyîl, II, 36.

(12) Id., ihid.

(13) Clem. Alex., IIpoTp., p. 9; Fabr., Inscr., p. 429 ;

(14) Theocr., Jf^;/??., 11,36.


MUSÉE SECRET.


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pendant les éclipses de la lune (i ) ; dansles funérailles (2) ; pour conduire des criminels au supplice (3) ; pour chas- ser les spectres et les apparitions (4); et enfin, pourpré- server du mauvais œil [fascinus , invidia) : c'est par ce motif qu'on attachait une sonnette au char du triompha- teur avec le phallus et un fouet (5), et qu'on criait : Respice post te : hominunt te mémento ; « Regarde en ar- rière, souviens-toi que tu es homme. »

Par cette dernière raison, les Priapes qui servaient d'amulettes sont souvent, comme le nôtre, garnis de clo- chettes (6j. Mais en même temps que, comme amulette, il pouvait garantir du mauvais œil, notre bronze était aussi une lampe : c'est ce qu'indiquent le trou pour la mèche, que l'on voit sur la tête du bélier, et l'ouverture pour l'huile, qui se trouve à la partie opposée.

On a pensé qu'une lampe phallique devait appartenir à quelque débauché (7), ou servir d'enseigne à un lupanar ; car une lampe devait être allumée tout le jour devant ces sortes d'endroits (8), et il y en avait d'ailleurs dans les cellules des prostituées (9), ainsi que dans ces obscures


(1) Alex. Aplu-od., Prohl., II, 47.

(2) Schol. Theocr., loc. citât.

(3) Plant., Psmd., I, 3, 98 ; Zo- nar., Ann., II, p. 32.

{\)Q^\ii.,Fast., V, 441.

(5) Zonar., toc. cilat. ; Macrob., Satimi., I, 6 ; Plin., XXVIII, 4 ; Conf. Nonn., Diowjs., XLVIII, 460, et Buonar., Med., p. 244. Musée secret.


(6) Beger, Thés. Brand., tom. III, p. 266 ; Caylus, tom. IV, p. 72, n. 4 et 5, p. 230.

(7) Licet., de Lux., p. 580.

(8) TertuU., Apol, 35, et ad Uxor., II, 6.

( 9 ) Horat., Sat., II, 7, 48 ; Juven., VI, 121 et 131.

26


202 MUSÉE SECRET.

f or/lices (i), iatebrœ on teiiebrœ (2), que Ton n'ouvrait que fort tard, à la neuvième heure, d'où les meretrices étaient appelées nonariœ (3).

On a dit qu'elle pouvait appartenir à vui marchand en détail, se fondant sur ce que Mercure était le dieu du commerce, et sur une charmante scène d'Aristophane, où ce dieu veut se faire domestique, et dans laquelle on lui donne le surnom de Traltyy.aTC/iT.ov, revendeur de vin (4). On cite à l'appui de cette opinion les phallus qui servent d'enseigne à plusieurs boutiques de Pompéi, et notam- ment à celle de la grande rue, où l'on a trouvé tant de vases et de mesures diverses.

Pour nous, trouvant dans cette lampe phallique tous les caractères d'un amulette tracés avec une grande évi- dence, nous accorderons, si l'on veut, qu'elle appartenait à une boutique ou à un lupanar, mais nous maintien- drons en même temps que son objet spécial était d'écarter toute influence maligne du lieu où elle était placée.

PLANCHE M.

Cet autre bronze, que l'on voit ici sous deux aspects, est un amulette du même genre que celui de la planche


(\) Juven., III, 156; Sueton., (3) Pers., I, 133, et scol.

Cœs., 49 ; Petronn., 7 et 8. (-1) Aristoph., PI, V, 1, 1121 et

(2) CatulL, Carm., 56; Plaut., 1157. Bacch., III, 3, 26.


BRONZES .


M. S


47



Ad'Jou^i^


A d H . V 1 . p ? 8 7 .

4.P°


JIUSÉE' SECRET. 203


précédente; mais il est remarquable, en outre, par son sujet eu quelque sorte allégorique. C'est un gladiateur, coiffé du casque avec un cimier, l'épée ou le coutelas à la main. Le bras droit, qui tiei;t cette arme tranchante, est entièrement nu; le torse.se trouve enveloppé d'nne dra- perie, et les jambes, les cuisses, le bras gauche, sont couverts d'une armure formée de petites lames de métal.

Plusieui's corps de la milice romaine portèi'ent iine pareille armure dans les temps moyens de l'empireXi^^^; or, comme on considérait la laine et les vêtements garnis de bourre comme étant d'aussi bonne défense, et plus commodes par leur légèreté, cpieles armures de fer, il est possible qu'on en ait fait usage pour le haut du corps, tandis que les extrémités étaient revêtues de métal. L'armure de fer s appelait Thoracomacus ou Mand-yas ([7.av^ua?) (a). Peut-être les gladiateurs appelés Thraces ou Hoplomaques ont-ils quelquefois adopté le costiune que nous voyons ici. Nous avons pai'lé fort au long, dans un autre volume, des différentes espèces de gladiateul'S*;^

Notre figurine a la main gauche enveloppée dans un morceau d'étoffe, précaution que prenaient souvent les soldats avant d'en venir aux mains. Sinistras sagis iii- volvnnt, gladiosqiie distringunt (3) ; « ils enveloppent leur main gauche de leiu' sagum, et mettent l'épée hors du fourreau. »


(1) J. Lips., Mil. roman., IH, 6. _ Valer. Flacc, III, 118 ;PacuT. apud

(2) Gloss., et Suid. " Vnrr., de. Ling. lat., IV, 7 ; com-

(3) Cffis., Bell, civ., 1, 75 ; yid. et. ment, ad Petrotin., 80.


204 MUSÉE SECRET.

Le petit guerrier a pris cette disposition pour combat- tre un ennemi formidable : c'est la partie obscène de son propre corps qui, sous la figure d'un chien, la gueule ouverte, semble vouloir se jeter sur lui pour le déchirer. Le gladiateur se prépare à enfoncer sa main gauche ainsi enveloppée dans la gueule de son ennemi, et à le frapper en même temps de son glaive. Ce n'est point sans des- sein que l'artiste a mis ici le chien, symbole de l'impu- deur (i). Le mot jtuwv se prenait quelquefois pour la partie sexuelle des femmes (2); et Scylla, cet emblème d'une passion furieuse (3), est représentée ainsi (4) :

C'andida suecinctam latrantibus inguina monstris.

« Des monstres aboyants forment une ceinture autour de son corps a blanc comme la neige. »

Le verbe même /of/'<Tireexprime ordinairement l'impa- tience des désirs (5). 11 est impossible de ne pas voir dans cette petite composition une allégorie qui, présentée sous un aspect ridicule, n'en est pas moins dirigée contre les appétits brutaux ; car elle enseigne presque la néces- sité de les combattre. Les anciens nous accoutument peu à de pareilles allusions, et nous devons nous em- presser de les saisir, comme choses rares et curieuses, là où. elles se présentent.

(l)Petron., Satyr., 74. gent., Myth., II, 12.

(2) Eustath., in Odyss., p,p. 1821. (4) Virg., Ed., VI, 75.

(3) Heraclit., de Incred., 2; He- (5) Lucret., II, 16; Horat., &/., raclid.. AU. homeric, p. 49; Fui- 11,18.





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MUSÉE SECRET. 205

Cet amulette est garni de cinq clocliettes, dont nous avons expliqué lesens en décrivant la planche précédente.

PLANCHE iH.

Les deux espèces de bornes de pierre représentées aux deux côtés de cette planche, sont extrêmement curieuses sous le rapport des inscriptions qu'elles poi'tent. La plus élevée a deux pieds, et l'autre un pied huit pouces de hauteur, sans compter le piédestal qui sans doute les élevait encore.

La forme de ces bornes a donné lieu de supposer que c'étaient des phallus votifs : nous contesterons seulement cette dernière épithète; en effet, les inscriptions paraissent n'offrir aucune trace de vœu, mais renfermer bien plutôt une espèce d'annonce, quoique l'on n'y trouve pas non plus la formule rogatoire, si commune à Pompéi. La ma- tière grossière de ces espèces de petites colonnes semble indiquer que si on leur a donné sciemment une appa- rence obscène, c'est qu'elles étaient placées à l'entrée de quelque ruelle pour servir d'enseigne à un lieu suspect.

Nous avons eu l'occasion de faire, il y a peu d'années, une étude sérieuse des débris encore existants de la lan- gue osque, pour l'interprétation de plusieurs autres in- scriptions de Pompéi (i) ; et les règles, qui ont été pour nous le résultat de ces études, ont dû nous servir d'abord

(1) Mazois, Ruines de Pompéi, L. BaiTé, p. 21, 29 et 30. 4 vol., Temples et Théâtres, par


206 IMUSÉE SECRKT.

de critérium pour l'examen des nouveaux monuments qui nous étaient actuellement soumis. Au premier coup d'œil, nous l'avouerons, nous fûmes tenté de nier que ces monuments appartinssent à la même langue dont nous avions pénétré déjà quelques éléments : nous ne retrouvions point les formes les plus essentielles de la grammaire, l'ablatif singulier, masculin et neutre, en UD, comme dans l'ancien latin en OD, ni la troisième personne singulier du parfait en ED ; nous ne recon- naissions pas non plus ces formes alphabétiques déjà si nettes et si correctes, qui participent à la fois des lettres grecques et des lettres romaines, et qui indiqueraient à elles seules le caractère mixte de la langue : f\ pour D, D pour R ; N pour A ; Ml pour M ; >l pour K; ^ pour S. En outre, nous trouvions les caractères H et 0, qui n'ont point paru dans les précédentes. Nous étions donc tenté de voir dans ces inscriptions un grec inverse et incorrect, beaucoup plus qu'un osque régulier. Néanmoins, nous nous sommes rappelé que les inscriptions viales de Pom- péi,, comme celles de nos rues et de nos boutiques, n'é- taient point l'ouvrage de savants et de lettrés, mais bien d'artisans grossiers, incapables d'observer, soit les règles de la langue, soit les formes correctes des caractères. Si les maîtres d'école de Pompéi en étaient encore a faire des fautes de latin dans leurs annonces rogatoires, comme celui qui écrit : curn discentes suos, au lieu de cuindiscen- tibussuis, que d'incorrections ne devaient point renfer- mer les affiches écrites dans le dialecte populaire !


MUSÉE SECRET. 207

II finit remarquer ensuite que nous ne travaillons pas sur les lieux, en présence du monument, ou au moins de- vant un fac-similé authentique, comme celui que donne- rait, par exemple, un daguerréotype, une photographie.

Ces considérations nous ont ramené à chercher dans l'alphabet osque le moyen de lire nos deux inscriptions, et dans les formes déjà devinées de la langue osque, les formes des mots qui les composent.

Il est évident, d'abord, que la plus longue des deux inscriptions est écrite comme l'osque, en caractères inver- sés, de droite à gauche; la plus courte est en caractères semblables, mais directs, c'est-à-dire de gauche à droite. Cela s'explique en supposant que les deux petites colon- nes étaient placées des deux côtés d'une ruelle, la petite occupant la gauche de celui qui entrait, et la grande la droite : elles ne peuvent point se lire autrement.

Cela posé, voici comment nous essayerons de repré- senter la plus grande en caractères distincts.

JSOIlTITDIAIMaaO ANHAD.SII3MM0M

Dans cet assemblage de lettres, il s'offre trois mots bien distincts : un dans la première ligne et deux dans la seconde, que l'on peut représenter ainsi en caractères latins directs :


THERAIIA

MOMMEIIS. CAENA.


208


MUSÉE SECRET.


Lepremier, SOUS une forme neutreplurielle, représente sans doute ther mas , des bains, ou peut-être des boutiques de lïoissons chaudes, therniopolia. Le second est un no- mitatif singuliermascuHn, comme ^4 ad ùiis, Nitrebiis, Cil- nikiis, des grandes inscriptions, t^owy Adirius, Nitrebiits, Cinicius; c'est un nom propre qui revient à Mummeius. Le troisième peut être d'abord l'adjectif grec /.aivo; « nou- veau, )) écrit )ca/ivo;, parsuitede l'influence del'itacisme, et se rapportant à tliennia, « les bains neufs ou la taverne nouvelle ». Ce troisième mot pourrait être aussi le surnom de Mummeius, Cœna peut-être pour Cœcina., ou même Canna, en prenant F H pour un N mal fait, comme il sera nécessaire de le faire dans l'autre inscription. En admettant, sur ce dernier mot, l'une ou l'autre hypothèse, que peut-on chercher dans les lettres qui restent à lire "^ elles donnent à peu près, en caractères romains directs :

.... ICTITIIOSL.

Onpeuty chercher d'abord les prénoms de ^Mummeius ; ce sera lullas Caius Titius Lucius. Mais voilà plus de prénoms que les Romains n'en prenaient, surtout avec le Cœna ou Canna : en outre, la forme Titiios pour Titius sellait bien étrange, comparée à l'autre nominatif en /w et à la règle de grammaire déjà établie. Ce qu'il y a d'ex- primé dans ces lettres, c'est donc plutôt le verbe dont nous avons déjà le sujet et le régime ; verbe qui doit signi- fier erexit, Jîeri curavit ou habitat. Le verbe grec jctiC", je bâtis, aoriste, êxTica, a pu fournir une forme passée


MUSÉE SFXRET. 209

osque en fl3 ou ED; et il faudrait lire, au lieu des carac- tères informes de la fin de la première ligne :

J. flaiTITDI

c'est-à-dire, ICTlTiED. L., ou erexit Lucius.

Enfin on pourrait faire un mot des sept premières lettres, compris l'iota : thermiai, serait un génitif sin- gulier féminin, et le reste composerait un substantif en QV , c'est-à-dire ^'R ou or, signifiant constructeur, comme en grec xTiTcop, ainsi qu'on voit dans la grande inscription : QVTUIRV)!, KVAISSTVR,pour Quœstor. Alors la première ligne serait :

J. aOMTITD. lAIMQaO.

ou, en caractères romains directs :

THERMIAI. CTITITOR. L.

Dans tous les cas, l'inscription signifierait toujours que Lucius Mommeius (peut-être Cœna ou Canna) a fondé les bains (peut-être nouveaux).

Passons à l'inscription de la plus petite des deux bor- nes, et remarquons d'abord qu'à moins de prendre les H pour des N mal faits, il est impossible de la lire, vu que ce serait un pur assemblage de voyelles sans consonnes. La direction des lettres C, E, indique aussi qu'il ne faut plus lire à rebours, par la raison indiquée plus haut. Le premier caractère de la deuxième ligne peut être un Musée secret. 27


210 MUSÉE SECRET.

gamma, bien que nous n'en ayons point encore vu dans l'osque; mais nous soupçonnons plutôt que c'est un A (lambda) de forme ancienne, de même que la dernière lettre est un E mal fait. Nous aurions cru que c'était un sigma, si nous n'avions pas précisément au-dessus un S fort distinct. Nous avons donc :

MAINACS LENAE.

Sans doute Mainacs ou Mainax est un nom propre, et lenœ est la forme oscjue du mot leno, désignation latine de l'honnête entrepreneur qui tenait sans doute, conjointement avec les bains ou la taverne, ce que l'on appelait en bon latin un lupanar.

Avec un T au lieu de L, et en changeant un seul des H enN, un critique a lu MAIHACS TENAE d'oiiil a fait le grec Maïaç yevoç, le fîls de ÎMaïa, Mercure. Cela ne nous paraît pas soutenable.

Ces deux monuments ne pourraient être complètement discutés que dans un ouvrage spécial ; mais nous ne sau- rions regretter l'espace que nous leur avons consacré ici, car ils nous ont aidé à faire un pas de plus vers la solu- tion du problème important que nous avons posé ailleurs en ces termes : « Etant données quelques lignes écrites dans une langue totalement oubliée, refaire la gram- maire et le dictionnaire de cette langue. »

La troisième ligure représente encore une borne, qui se


BROTîZES .


O ^'C'^nKf.


M S



J^cu-J:- zr-^-d--"




MUSÉE SECRET. 214

rapproche des précédentes par la forme et les dimen- sions, mais qui ne porte ni inscription ni ornements : au moyen de cette forme, sans doute, on croyait écarter l'influence du fascinum ou mauvais œil. C'était, sans doute, une idée pareille qui avait engagé un ])oulanger de Pompéi à mettre au-dessus de sa porte le petit cadre où l'on voit un phallus, et qui lui avait dicté cette bizarre inscription : Hic habitat félicitas , comme s'il avait dit : A l'abri de ce symbole, nous bravons les magiciens, leurs enchantements, et l'influence jalouse [invidia).

Le priape-hermès à longue barbe, qui fait le sujet de la dernière figure, est une très-petite statuette remar- quable parce que la tête et le phallus sont de bronze, le reste du corps, la gaîne et la base, étant de marbre.

PLA.NCHE 49.

(3n voit encore ici quatre amulettes du genre de ceux dont nous avons déjà parlé. Les chaînesauxquellesils sont attachés, ou les anneaux destinés à retenir ces chaînes, indiquent qu'on les portait suspendus. Les femmes et les enfants (i) s'en munissaient pour échapper à l'influence du mauvais œil, oculiyenenamaligni^^). Les jeunes épou- ses les prenaient quand elles voulaient devenir fécondes.


(1) Varr., de Ling, lat., p. 80; (2) Gratiaa., CV«-) 406.

Plin., XXVIII, 4.


212 MUSKE SECRET.

On en suspendait aussi dans différeutes parties des ap- partements et à la eheminée des forges (i). L'usage des phallus remonte, comme nous l'avons fait voir, à la consécration que fit Isis de la représentation des parties sexuelles d'Osiris qu'elle n'avait pu retrouver. Mais les apologistes chrétiens (a) rattachent cette coutume à un trait mythologique qui, comme le fait observer Lar- cher (3), aurait été rejeté avec dégoût par les païens eux-mêmes. Ces auteurs supposent que Bacchus, vou- lant pénétrer aux enfers et n'en pouvant trouver le chemin, y fut conduit par un certain Prosymnus, qui mit à ce service un prix honteux. Bacchus promit de payer son guide à son retour de chez Pluton; mais alors il trouva Prosymnus mort, et ce fut pour lui accorder sur sa tombe un simtilacre de la récompense qu'il avait promise au vivant, que le dieu du vin tailla en bois de figuier un amulette du genre de ceux que nous représen- tons ici. Telle est la substance de cette fable dégoûtante et apocryphe, qui prouve que l'on peut calomnier même ce qu'il y a de plus infâme.

De ces quatre phallus, le premier est remarquable par ses ailes ainsi que par sa partie postérieure, faite comme celle d'un animal, muni lui-même d'un phallus, et ayant ses pieds terminés de la même manière. Celui qui occupe le milieu de la planche est d'une confor-


(1) PoU., VII, 108. 29; Arnob,

(2) Clément. Alex., ProtrepL, p. (3) In Herod., II, not. 167.


BRONZES


M s


50




MUSÉE SECRKT. 213

mation toute particulière, qui le fait ressembler à une face de hibou, les deux yeux étant figurés par les trous où l'on passait les chaînes pour le suspendre. Enfin, il y en a un qui est représenté sur les deux cotés, une fois de face, et une autre fois de profil.

PLANCHE 50.

Ce phallus ailé, suspendu par une chaîne de fer, et auquel sont attachés, par des chaînes pareilles, quatre grelots on soniiettes, est à peu près senililable à celui que nous avons déjà vu. La partie postérieure de cet objet fantastique estcelle d'un lion ou d'un ciiien. Or, le nom de ces animaux désignait quelquefois les parties gé- nitales de la femme (i). On peut observer aussi que le lion est le symbole de la vigilance, qualité éminemment propre à Vénus, dont on connaît \e pervigilium (2); on donnait l'épithète de vigilante à la Suburra, asile des prostituées, Vigilacis farta Sahurrcei^). Quant au second animal, son nom seul désigne l'impudicité. On remarquera encore que certain appendice caudif'orme du chien ou du lion, le phallus du phallus, si l'on peut s'exprimer ainsi, a quel- que chose de la forme d'un serpent. A-t-on vouhi expii- merici, comme dans la Chimère, parles ailes, que les


(1) Pier., Hier, 1, 20, in Martial., (2) Petr., Satyr., 21.

X, 90. (S) Propert., IV, 7, 15.


214 MUSÉE SECRET.

passions déljutent avec impétuosité ; par le quadrupède, qu'elles deviennent bientôt stupides et brutales; par le serpent, qu'elles aboutissent au repentir? Cette explica- tion d'un commentateur (i) est un peu trop subtile. Rappelons-nous simplement que le mot, oçt;, serpent, a quelquefois un sens obscène (2).

PLANCHE 51.

Deux de ces phallus sont doubles, et comme soudés par le milieu. Cette construction se rencontre fréquem- ment dans les amulettes de cette espèce (3). On voit souvent, dans les bronzes antiques, Bacchus tenant un phallus à deux têtes (|). Peut-être est-ce une parodie du thyrse à deux pointes dont le dieu est quelquefois armé. On sait d'ailleurs que les mots t/iyrsuset bipennis (hache àdeux tranchants), peuvent se prendre dans une signi- fication peu décente.

PLANCHE 52.

Ce phallus ailé, garni de quatre sonnettes, et dont la partie postérieure est celle d'un cheval muni lui-même


(l)Fanieb.inOvid.,J/e/.,YI,339. (4) Id. ihid., p. 243; la Chausse,

(2) AnfhoL, I, 80, G. 3fus. Rom., sect. Il, tab. 4 ; Licet.,

(3) Beger, Thes.Brand, tom. III, Luc, ant, p. 842. p. 427.


BRONZES.


M S



M Havu^acn^




MUSÉE SECRET. 215

d'un plialluset d'une queue à tête phallique, est remar- quable surtout par le petit appendice phalliforme qui s'élève entre ces deux ailes de l'animal fantastique : il semble que les anciens se soient fait une loi de multiplier autant que possible l'image à laquelle ils attribuaient la vertu anti-foseinatrice : comme si ladite vertu devait s'accroître en raison de cette multiplication.

Ici, les ailes et les pieds de cheval expriment l'impé- tuosité de la puissance génératrice personnifiée dans le phallus (i). C'est cette même idée que rappelle la défini- tion du mot «pàlV/i, 71 Tï£TW[ji.évvi (J/ux/i) ^'(îri^G volante, don- née par les lexicographes anciens (2), d'accord en cela avec Aristote, qui dit que l'âme existe en puissance dans la semence humaine, composée d'eau et d'étherou d'es- prit. Les ailes du phallus s'accordent encore avec la dé- nomination de (7Tpo'j6o;, strutheus (3), « passereau » qu'on lui donnait quelquefois, à cause de la lasciveté de l'oiseau ainsi nommé en grec : cette observation n'a pas échappé au docte et pieux commentateur de Catulle dans l'exa- men qu'il a fait du moineau de Lesbie (4).

A cet amulette nous en avons joint deux autres qui représentent deux bras, l'un droit, et l'autre gauche, faisant tous deux un geste que l'on considérait comme impudique, et terminés en phallus à la partie opposée.


(1) Euselj., P. E., II, 2, Diod., I, (3) Festus sub verbo Strutheus. 22 et 88. (4) Gard. Ang. Politian. inCatull.,

(2) Hesych. Bub verbo ^âXXiq. Carm., 2 et 3.


216


MUSÉE SECRET.


Beger donne trois bras phalliques de cette espèce (i) ; cependant tous les trois ont le poing fermé, et, k cause de la petitesse de ces amulettes, le docte critique pense qu'ils ont dû être portés suspendus au cou, comme les phallus que l'on donnait aux initiés dans les mystères de Vénus Cyprienne (2), et comme ceux que les dames portaient quand elles désiraient être fécondes (3). Mais la figure d'un de nos deux bronzes, l'anneau supérieur, et les trois petits trous à la partie inférieure, semblent con- venir plutôt à une boucle d'oreilles à trois pendants ou à trois perles, du genre de ceux qu'Homère donne k Ju- non, et qu'il appelle â'paaTa TpiY>./iva (4). JNous en avons vu un dans nos bronzes.

On trouve des mains phalliques de corail, de lapis- lazuli et de cristal (5) ; mais celles de bronze sont consi- dérées comme les plus rares (6).

Quant au geste des deux mains, qui est désigné aujourd'hui en Italie par lexpressionyffr le fiche, on a beaucoup discuté si l'on doit le confondre avec un autre geste qui consiste k étendre soit le doigt indicateur, comme nous le verrons plus loin, soit celui du milieu, appelé par les Grecs xaTaTiuywv (7), et par les Latins in-


(1) Thés. Brancl,tom, II, p. 427.

(2) Clem. Alexandr. , IlooTp., ji. 9 ; Arnob., V, 1 9 ; Firmic, de En: in-of. Reliff., p. 429.

(5) La Chausse, Jfus. Rom., sect. VII, tab. .3.


(4) Homer., //., \, 183, ibi Eus- tiith., p. 976.

(5) Pigiior., J/. /., p. 17.

(6) CavL, tom. lY, tab. 72, u. (! et p. 230.

(7) PoU., II, 184.


BROî^SES,



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f/^ R^iccc a^Jt^




MUSÉE SECRET. 217

famis ou împudlcus (i) : les érudits ne sont point d'ac- cord sur celui des deux signes auquel peuvent s'appliquer les expressions et a-zLvj.xKC^tvi i7'.9via"C£'.v (2). La question nous semble peu digne de cette importance scolastique : car toutce que l'on dira de l'un des deux gestes s'appliquer a nécessairement et naturellement à l'autre : tous deux sont originairement obscènes, tant le digitus iinpudicus, que le nodus gammatus que Caliguia formait avec sa main (juand il la donnait à baiser (3) ; l'un et l'autre, comme tout ce qui est obscène, ont dû devenir dérisoires dans l'occasion; et comme tout ce qui est obscène, ils ont du paraître des préservatifs contre la fascination.

PLANCHE o3.

Le geste dont nous venons de parler dans l'explica- tion de la planche précédente est précisément ce ({ni nous a fait ranger celle-ci dans le musée secret. L'atti- tude et l'expression de ce petit Silène ne laissent aucun doute sur l'obscénité de son intention.

Considéré sous le rapport de l'art, ce petit meuble, qui a environ un pied de hauteur, et qui devait sup- porter deux lampes, est un chef-d'œuvre de goût et


(1) Pers., 11,33; Martial., VI, 70. 443 ; Suid. et Hesych., siib his ver-

(2) Florent, ad Aristopli., /'., bis.

548 ; Sclioliast. ad Aristoph., Ach., (3) Lips. in Sueton., Calig., 5G.

Muiée secret. 28


ïl8 MUSÉE SECRET.

d'exécution. A partir de la base même, les petits cônes renversés qui supportent les socles circulaires sous les quatre pieds de lion, révèlent un soin particulier : plus haut des feuillai^es et des palmettes, parfaitement bien dessinés, rattachent ces quatre pieds à une base carrée formée de trois gradins. Sur cette espèce de piédestal est posée vnie charmante statuette : l'épaisseur des membres velus, l'obésité du torse, l'attitude impudente et chance- lante à la fois, le désordre pittoresque du vêtement, l'ori- ginalité des traits, révèlent le précepteur et le compagnon de Bacchus. Derrière la tête de la petite figure s'élèvent d'abord, et s'étendent ensuite à droite et à gauche deux branches sinueuses, feuillées de distance en distance, et qui paraissent être deux rameaux de figuier; à leur extrémité s'étendent deux plateaux, aux bords garnis d'oves et de perles, qui devaient soutenir deux petites lampes. §

Entre les deux branches et sur la tête même du demi- dieu, est placé un oiseau qui paraît être un perroquet, charmant emblème de la loquacité qu'inspire le vin. Il est à remarquer que chez les anciens le trait innocem- ment satirique accompagne presque toujours une image grotesque : voilà comment ils savaient donner de la gaieté au marbre et au bronze.



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MUSÉE SECRET. 219


PLANCHE 54.

Ces deux charmants bas-reliefs, qui ont près de deux pieds de hauteur, décoraient les faces principales d'un sarcophage.

L'un et l'autre offrent une allégorie quel'onpeut appli- quer à la vie de deux époux unis dès l'enfance, et ensevelis dans un même tombeau ; mais peut-être ces symboles ont-ils un sens encore plus profond, et se rap- portent-ils à l'éternelle énigme de la vie humaine.

Ici, la science médite sur un masque d'homme; elle est placée devant un tombeau où viennent de s'accomplir les rites des funérailles, et à gauche on aperçoit l'autre borne de la vie, deriùère laquelle deux jeunes époux s'em- brassent. Une vigne au tronc colossal ombrage le tom- beau, et oppose à la vie passagère et multiple de l'homme les forces toujours vivantes et uniformes de la nature végétale.

Là, un hiérophante initie deux jeunes fiancés aux se- crets de la destinée humaine : il leur a connnandé de tourner le dos à l'image impure du dieu des jardins, emblème des plaisirs grossiers; et d'un geste il écarte devant eux le voile obscur qui cache les véritables fins de l'homme : les récompenses éternelles, la complète spiritualisationde l'amour pur et delà vertu ; l'abjection


220 JIUSÉE SECRET.

matérielle, prolongée au delà du trépas, pour l'àme qui s'est vouée au culte du corps et des sens.

La vie humaine, la vertu : voilà donc les deux sujets de ces compositions.

Nous ne serions point étonné d'apprendre par quel- que nouvelle indication, que le tombeau que nous venons de décrire était celui d'un platonicien.

PLANCHE ob.

Ce bas-relief de marbre, large d'environ un pied quatre pouces sur sept pouces de hauteur, représente proba- blement une allégorie dont il serait difficile d'expliquer tous les détails.

Le lieu de la scène est \ni carrefour, borné d'un côté par un rocher sur lequel on voit un priape-hermès tenant un rhyton et une massue, comme celui pour lequel on avait composé cette inscription : « A Priape ithyphalle , porteur de massue, gardien des jardins, bourreau des voleurs (i). » Près de lui s'étend une forte vigne, aux branches de laquelle est suspendu un tympanon; et plus loin se trouvent des pierres auxquelles tient un bout de corde : peut-être un autel avec une guirlande ou ban- delette. A l'opposite s'élève un fût de colonne cannelé en spirale, sur lequel est posé un coffret ouvert. Peut-être

(l)Gniter, 95.


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MUSÉE SECRET. 221

est-ce un tronc qui attend les offrandes des voyageurs; peut-être a-t-on voulu figurer la ciste ineffable, des mystères.

Pan vient à passer dans cet endroit, monté sur un àne et accompagné d'un chien. La monture du demi-dieu s'arrête en donnant des signes de plaisir et de vénéra- tion; Pan lui-même, en faisant uu mouvement pour avancer, jette cependant du côté de l'hermès un coup (l'œil respectueux; le diien enfin jappe et veut gravir les rochers.

Cette composition se rapporte-t-elle à quelque fable populaire qui n'est point arrivée jusqu'à nous, ou bien fait-elle sinqilement allusion à un pouvoir l'econ nu par les animaux aussi bien que par l'homme. C'est ce que nous n'oserions décider.

PLANCHE 56.

Deux époux viennent faire une offrande à Priape, sans doute pour obtenir de lui le terme d'une stérilité qui les afflige. Pendant que la jeune femme adresse déjà ses supplications au dieu de la fécondité, l'époux est occupé à suspendre aux rameaux des arbres voisins une draperie qui doit dérober aux profanes les mystères du sacrifice.

Il y a, dans l'idée et l'exécution de ce petit bas-relief de marbre, quelque chose de candide et de naïf qui repose l'esprit après tant de scènes odieuses qu'il nous a fallu


222 MUSÉE SECRET.

passer en revue. Cette pureté d'intention nous dérobe prescpe certaines fautes de dessin, ou plutôt un manque d'idéal dans les formes, que le lecteur remarquera s'il en a le loisir.

Pour conserver la fraîcheur des impressions que cause ce petit morceau, nous ne dirons point un mot de la seconde figure, qui représente un groupe de marbre de Paros. D'autres se rappelleront ici le bouc Mendèsien (1), les bergers de Calabre, et deux des moins bons vers de Virgile (2), voire même un trait de Plutarque (3). Dépêchons-nous de tourner la page.

PLANCHE 57.

Ces magnifiques trépieds de bronze sont remarquables par la corbeille à jour qui forme leur partie su- périeure, ainsi que par le grand nombre d'appendices différents, au moyen desquels on peut les saisir et les transporter, à savoir : les deux anses, trois espèces d'anneaux qui se trouvent entre les trois pieds, et enfin les mains des trois panisques qui sont étendues en avant. Ces personnages, montés sur un seul pied, un peu aplati pour un pied de chèvre, sont remarquables par leur coiffure pittoresque et par la manière dont leurs queues


(1) Herodot., II, 46 (3) Plut., de Rat. anim., 17.

{2) Virg., Ecl., III.



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MUSÉE SECRET. 2J3

viennent s'enlacer autour d'un anneau au milieu du tré- pied, comme pour relier ainsi toutes les parties de l'ou- vrage. En supprimant l'attribut obscène des trois divi- nités champêtres, on aui'ait un meuble charmant.

PLANCHE 58.

La caricature était donc déjà chez les anciens mie puissance qui ne respectait ni les familles les plus illustres, ni le sang impérial, ni les vertus domestiques, ni les tra- ditions religieuses de la patrie. Voici la fuite des Troyens, voici le pieux Enée, le j^etit Ascagne, tige de la famille Julia, etlepèreAnchise avec ses Pénates; les voici livrés à la risée publique : et ce, avec une justesse d'expression, une vérité d'attributs, une fidélité à tous les détails de la tradition poétique, ([ui empêche de les méconnaître un moment ( 1 ). Voyez Enée qui regarde en arrière, sans doute pour s'assurer s'il est suivi de sa Creuse, si adroitement oubliée; servet vestigia coujiix. Voyez le petit Ascagne, qui, attaché à sa droite, marche ii pas inégaux :

Dextraî se parvus Iiilus

Implicuit, sequiturquc patrem non passibus eequis.

Anchise porte les dieux de la famille, comme l'en a prié son fils :

Tn, genitor, cape sacra manu patriosque Pénates. (1) Virg., ^«., II, 707 et seqq.


224 MUSÉE SECRET.

Mais, ô profanation ! Enée et Asoagne sont des sijiges liideux, à tête de chien, munis d'une (jueue, plus lui obscène etridicule attribut : cesontdes cercopithèques ( I ), cèbes (2), ou cynocéphales (3). Anchise, d'après la forme de ses pattes, ressemble plutôt à un vieil ours. Et ces vénérables Pénates, qu'il doit porter dans ses bras, hélas ! ce ne sont que des instruments nécesses à lui jeu de hasard : c'est la petite tour dans laquelle on fai- sait rouler les dés. Peut-être y a-t-il là un trait contre le successeur de Jules César (4), de qui l'on disait :

Aliqiiando ut vinciit, ludit assidue aleam. i< Pour vaincre au moins quelquefois, il joue toujours aux dés. »

Tjyojv, Tychon, était à la fois le dieu de la fortune, un homme stupide et une espèce de satyre (">) : est-ce à ce monstre qu'on assimile Auguste?

Mais ce n'est pas seulement contre la famille impériale que la caricature nous parait dirigée. Elle va bien plus haut : elle atteint Virgile. On sait qu'un certain Carvilius Pictor avait écrit un Enéidomastix, et que les critiques de Rome n'épargnaient guère les traits malins à l'occasion de ce qu'ils appelaient les défauts, les négligences, les anachronismes de l'Enéide, et surtout de l'imitation


(1) Martial., XIY, 202. (4) Sueton., Octav., 70 et 71.

(2) Aristot., Hisf. aiiim., II, 8. (5) Barnes., in 'Emi])., Hercfur.,

(3) Plin., YIII, r.4. 1248 ; Catull., Carm., 103, 112.


MUSÉE SECRET. ÎS25

d'Homère, que ces hommes de goût trouvaient bien servi]e(i). Or, le singe, animal essentiellement imita- teur, fut toujours l'emblème des copistes (2) : Rusticus reçut le nom de singe des stoiques (3), et Tatianns celui de singe de son temps (4). Pauvre Virgile !

Le fond de cette composition est obscur; la chlamyde d'Ascagne et celle d'Enée sont d'un rouge foncé : la cein- ture du dernier, qui est taillée à dents, est jaune ainsi que ses brodequins.

En résumé, cette charge ne manque pas de sel : nous regrettons seulement que le caricaturiste ait jugé à pro- pos de tomber sur un poète : on lui aurait abandonné plus volontiers les dieux.

Le milieu de la planche est occupé par un petit paysage où l'on voit quelques édifices, des vaisseaux allant à la rame, et dans un coin, un Priape-hermès muni de son atti'ibut obscène.

Enfin, le dernier fragment de fresque représente un âne , remarquable par un signe d'impudicité qui rend cet animal digne de son maître Silène ; il mange une botte de foin suspendue devant lui, et se trouve tout sellé ou bâté. Cette espèce de selle ou de bât est bien ce que les Grecs appelaient àcTpaê/i, aillot. x«l <ray[iàpiov (5j. Les critiques qui ont fait de Vastrabé lui h.ypopodion, un marchepied


(1) Sueton., Galhj., 34 ; Macrob., (3) Plin. juii., EpisL, I, 5. Saturn., V, 13, 17, 22. (4) Capitol, Max. jun., I, p. 222.

(2) Pier., Hitrogl, YI, 18 et 22. (5) Eustatli., Odyss., X, p. 1420. Musée secret. 29


22G MUSÉE SECRET.

attaché à la selle ou au bât (i) se sont grossièrement trompés : si les anciens avaient fait une pareille décou- verte, ils seraient passés bien vite de ce premier pas à l'invention del'étrier, qui leur a complétementéchappé.

PLANCHES 59 ET 60.

Parmi un très-grand nombre de vases qui figurent dans la collection napolitaine, nous en avons choisi neuf qui nous ont pami les plus remarqual)les. Cette classe d'ajîtiques n'entre point dans le plan de notre ouvrage, et demanderait à elle seule un recueil spécial. Leur des- cription formerait d'abord un ouvrage important, et demanderait en outre, pour être bien comprise, un traité ex professo sur la matière. Nous renvoyons à l'ex- cellent ouvrage publié sur ce sujet parle chanoine Jorio, conservateur actuel de la galerie des vases grecs du musée de Naples; et nous nous contenterons de rassembler en quelques lignes les notions nécessaires pour l'expli- cation de nos deux planches.

Ces vases de terre cuite furent appelés d'abord étrus- ques, parce que les premiers avaient été trouvés en Tos- cane ; mais on s'aperçut bientôt qu'ils étaient répandus dans toute la grande Grèce, en Sicile, et même dans la Grèce proprement dite : alors on réserva le nom de vases

(1) Vales. in Harpon:, jî. 244.


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MUSLt SECUEl. 227

étrusc|ues pour une espèce toute particulière à la Tos- cane, et dont nous n'avons pointa nous occuper ici. On réunit tous les autres sous la dénomination commune de vases grecs, et on les distingua en Grecs proprement dits, Italo-grecs et Sicnlo-grecs. Parmi les vases italo- grecs, on estime particulièrement ceux de Nola, que l'on appelle aussi Gampaniens, puis ceux de Basilicate et de la Fouille. On les trouve dans les tombeaux ; et ceux deUiGampanie sont le plus souvent intacts, parce que le couvercle des tombeaux de ce pays, étant de forme angu- laire, ne se brise pas sous la bêche quand on touille le terrain. Ou recherche les vasesde l'époque où la fabrica- tion, arrivée à son plus haut point de perfection, ne pen- chait point encore vers sa décadence; ceux-là n'ont que deux couleurs, le noir appliqué, et le rouge, couleur de la matière : fond noir et figures rouges, ou réciproque- ment. Plus tard, l'art Hgulin ajouta le blanc et différentes teintes de brun.

Quant aux formes, on distingue : le vase à cloche, à ou- verture évasée comme les quatre de la planche 69 ; le vase langelle, forme gracieuse à |deux anses, comme ceux qui occupent le bas de la planche Go; le vase nasiterne, quia une anse et un goulot ou bec, de sorte que son ou- verture estdiviséeen trois compartiments. Ilya, enoutre : le vase lucernal, qui affecte la forme d'une lampe anti- que; lecattino,qui ala formed'un sceau ; lelacrymatoire, espèce de petite fiole, etc., etc.


228 JIUSKE SECRET.

Le premier de nos vases à cloche, vu sous deux as- pects (pi. 59), a été trouvé àBasilicate ; il offre des figures rougeâtressurvuifond noir. Il est difficile d'en détermi- ner le sujet, qui est des plus obscènes. Le thyrse que porte un guerrier indiquerait le culte de Bacchus. Sur le revers, on peut voir une parodie lascive de l'histoire d'Atalante, ou simplement du jeu du ballon.

Le second représente, avec les mêmes couleurs, une offrande faite à Priape par des bacchantes et des bac- chants. Un des personnages est xni ithvphalle.

Lenasiterne d'environ un pied de haut (pi. (")o), trouvé à Nola, représente un homme nu qui, armé d'une l)a- guette, semble vouloir séparer deux chiens réunis, comme le sont quelfjuefois ces animaux après l'accou- plement : le bas de ce vase est orné d'une grecque, et tout le coté de l'anse est occtq^é par des palmettes.

La langelle élégante et svelte qui occupe le bas de la planche a été trouvée à Capoue, les figures en sont noi- res surun fond rouge, et représentent des exercices athléti- ques, une sorte de combat à la hache, puis unjeu du cer- ceau où le vainqueur semble imposer au vaincu des conditions infâmes. Le cou du vase est décoré de chaque côté de deux grues et d'un thyrse.

Enfin, le petit vase, qui est présenté sous un seul aspect, offre des figures rougeàtres surun fond noir. On croit y voir le combat d'Hercule contre les oiseaux du lac Stymphale, ce qui ne nous parait pas démontré. En effet,


MUSÉE SECRET. 229

si Apoloniiis nomme ces oiseaux nageurs, cela ne prouve pas qu'ils fussent himantopodes, c'est-à-dire échassiers, comme les grues, mais bien palmipèdes, comme les oies ou les cygnes. Or, l'oiseau ici représenté a bien l'air d'une grue ; et cette circonstance, jointeà la tournure età l'atti- tude grotesques de son adversaire, nous porterait à voir ici lecondjatd'un pygmée contre son adversaire habituel. Du reste, ces oiseaux stymphalides lançaient sur leurs ennemis leurs propres plumes, qui étaient de fer : cette circonstance merveilleuse, qui est rapportée par tous lesmytliographes(i), n'aurait-elle pointété figurée sur le vase, si tel avait été le sujet envisagé par l'artiste?


Ce n'est point sans un certain soidagement que nous nous voyons arrivé à la fin d'un travail oii l'attrait de fpielques recherches curieuses pouvait à peine vaincre le dégoût qu'inspirent à toute âme honnête certaines particularités des mœui's antiques. Eu terminant cette tâche, nous sentons le besoin de protester contre tout usage funeste que l'on pourrait faire d'un ouvrage entre- pris avec des intentions pures. Nous supplions nos lec- teurs de n'y jamais chercher que ce que nous y avons

(1) Natal. Com., Myth., VII, 1 ; Apoll. et schol., Argon., II; Plin., VI, 12.


230 ÉK SECRET.

voulu mettre, à savoir : une appréciation sévère de la dé- pravation romaine, et un sentiment profond des beautés de l'art antique : art bien puissant en effet, puisque cette dépravation même n'a pu le corrompre tout entier !


FIN.


AVIS AU RELIEUR

rOL'R LE rLACEME.NT DES PLANCHES DU HUITIÈME A'OLUJIE.


l>l;mclies. Pages. Plaiiclics. Pages.

1 vis-à-vis la page 13 3'2 et 33 vis-à-vis la page. . . l.jo

2 17 3i 160

3 25 3o 162

4 27 36 165

.■^i, 6 et 7 29 37 170

8 43 38 17-i

9 • 4o 39 176

10 47 40 179

11 52 41 184

12 57 42 187

13 68 43 188

14 71 44 191

15 74 45 193

16 87 46 197

17 91 47 202

18 93 48 205

19 96 49 211

20 102 50 213

21 105 51 et 52 .' 214

22 108 53 217

23 109 54 219

24 112 55 220

25 118 50 221

26 121 57 222

27 124 58 223

28 133 59 et 60 226

29, 30et31 144


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N 5769 B27 ^\

ï 8 (1877) c 1 Barre. Louis. 1799-1 Herculanun et Ponpel , recueil gênerai de





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