Final Analogies  

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Dernières Analogies

Full text[1]

DE L’ANALOGIE.

L’univers est fait sur le modèle de l’âme humaine et l’analogie de chaque partie de l’univers avec l’ensemble est telle, que la même idée se réfléchit constamment du tout dans chaque partie et de chaque partie dans le tout. schelling. Le génie a toujours de quoi surprendre ; son histoire ne se compose que de prodiges inexprimables ; il devance le temps et devine ce que la médiocrité est forcée d’apprendre. Revue musicale, juin. La vraie puissance de la France doit consister désormais à ne pas permettre qu’il existe une seule idée nouvelle qui ne lui appartienne. bonaparte. L’occupation la plus honorable comme la plus utile pour les nations, c’est de contribuer à l’extension des idées humaines. Messager, 3 juin.

L’Analogie est la plus amusante des sciences ; elle donne une âme à toute la nature. Dans chaque détail des animaux et végétaux elle dépeint les passions humaines et les relations sociales, l’intérieur de l’homme aussi fidèlement qu’un peintre nous dépeint l’extérieur, et ces tableaux sont très-piquants par la fidélité du pinceau. Par exemple, pourquoi le Lion a-t-il les oreilles coupées comme si le ciseau les avait rognées ? C’est que le Lion représente le Roi. On ne fait pas entendre la vérité aux rois ; les courtisans ne la laissent pas approcher, les souverains sont donc moralement privés de l’usage des oreilles. Ils ne connaissent pas le véritable état des choses, la misère du peuple, ses cris de détresse contre les extorsions fiscales. Ses doléances ne parviennent point jusqu’au monarque. On leur envoie pour les abuser quelques chefs d’artisans bien payés pour vanter le bonheur du peuple et les vertus des administrateurs. Telle a été la dernière scène de Charles X : on lui présenta des charbonniers endimanchés pour l’exciter aux coups d’État, lui dire que charbonnier était maître chez lui.

Pour nous dépeindre cette surdité morale dont les neuf dixièmes des rois sont affectés, la nature a coupé en rond les oreilles du Lion.

Elle n’en a pas fait de même pour l’Âne, qu’elle a pourvu d’oreilles bien amples. C’est que l’Âne représente un être qui entend plus qu’il ne veut l’auguste vérité. Chacun raille son allure pesante et grotesque et son langage trivial ; on lui reproche crûment son ignorance, ses voleries, son patelinage hypocrite. Les oisifs des villes et les laquais des seigneurs le criblent de quolibets. Le pauvre paysan est de même obligé d’entendre les plus dures vérités. Aussi le baudet, emblème du paysan, a-t-il des oreilles copieuses pour recevoir cette grêle de vérités, mais ses longues oreilles sont chancelantes ; elles semblent battues par l’orage, criblées de fatigue, tandis que celles du lièvre et du lapin, beaucoup plus longues en proportion du corps ont une pose élevée et gracieuse. Quelle est la cause de cette différence ? La-dessus, il faudrait entamer un long [] sur les analogies d’oreilles, et nous y trouverions plus d’un tableau fâcheux pour des oreilles de haute prétention qui se croient intelligentes et qui ne le sont guères.

Les savants s’accordent à soupçonner l’existence de l’analogie ; quelques-uns prétendent que l’homme est miroir de l’univers ou en d’autres termes que l’univers est fait sur le modèle de l’âme humaine. Cette présomption est fort juste. Il est certain que chaque animal, végétal et minéral, est emblème de quelque effet de nos passions, que la rose est emblème de la virginité, comme la vipère est emblème de la calomnie, (que le lion est emblème du monarque barbare et l’aigle du monarque civilisé.)

L’instinct nous a fait pénétrer quelques analogies ; mais on n’a pas songé à les étudier en système général. Ceux qui savent expliquer les emblèmes fournis par la rose et la vipère devraient nous expliquer ceux de l’œillet et du crapaud, ceux du tigre et du vautour, ceux de cent mille créatures des trois règnes qui doivent être cent mille tableaux de nos passions, s’il est vrai que l’homme est miroir de l’univers. Un cèdre et une violette, un éléphant et une puce font partie de l’univers, et réfléchissent une idée du tout, selon Schelling. Il nous manque donc une science fixe pour parcourir ce labyrinthe qu’on appelle le grand livre de la nature.

En attendant, quelques barbouilleurs s’emparent de l’idée ; on voit de petits livrets contenant des tableaux d’analogies écrites au hasard, sans aucun principe, comme celle-ci : « la tulipe, orgueil, ingratitude. » C’est bien gauchement caractériser la belle fleur qui représente la justice.

C’est surtout au sujet de l’analogie qu’on reconnaît l’esprit du XIXe siècle, incapable de faire un pas hors de sa sphère, et n’osant pas même chercher les trésors dont tout lui annonce l’existence. L’instinct en nous dévoilant un petit nombre d’analogies provoquait à la recherche de la science entière, comme le ruisseau qui charrie des paillettes d’or annonce la proximité de la mine. Souvent une mine découverte conduit à de plus riches, ainsi qu’on l’a vu dans la chaîne d’Oural, où l’on a trouvé après les mines de cuivre celles d’or et de diamant. De même la théorie de l’analogie nous aurait conduit à des sciences plus précieuses et surtout à celle du vrai progrès en mécanisme social où nous rétrogradons honteusement. Pour le prouver, débutons par un quadrille d’analogies appliqués au mouvement social.

L’Éléphant, le Chien, la Fourmi, l’Araignée. L’Éléphant est moule ou emblème des quatre passions d’où naissent les groupes affectueux, savoir :

L’Amitié, convenance réciproque sans influence de sexe ni lien de parenté ou d’intérêt ;

L’Amour, ou affection pour l’autre sexe ;

La Paternité, ou les liens secondaires de famille, ou consanguinité ;

L’Ambition, ou ligue corporative en intérêt.

Ces quatre passions peuvent se développer en divers sens, en mode vicieux ou vertueux, la nature a dépeint dans l’éléphant la direction que doivent prendre les quatre passions pour conduire aux vertus sociales et aux liens plus étendus. Nous pouvons donc observer dans cet animal le caractère de la véritable vertu, travestie par nos préjugés philosophiques et nos hypocrisies morales.

Définissons d’abord une vertu réelle et une vertu fausse, par comparaison de l’Éléphant et du Chien dont l’un est emblème de l’amitié noble et l’autre de l’amitié fausse.

1o L’amitié. — Elle est noble chez l’Éléphant ; elle se concilie toujours avec l’honneur. Il n’a point la bassesse du chien, qui battu quelquefois sans motif, n’en garde aucun souvenir. L’Éléphant endure les corrections justes, mais ne se laisse pas maltraiter sans motif ; il ne pardonne pas des offenses ; du reste, son amitié est aussi inaltérable, aussi dévouée que celle du Chien. Cette amitié noble est celle qui conduit à des liens collectifs et corporatifs, mais l’amitié servie du chien n’est favorable qu’au despotisme, au régime civilisé et barbare qui n’est point celui où régneraient les passions nobles, telles qu’on les voit chez l’Éléphant. Les despotes exigent des peuples l’amitié du Chien qui maltraité injustement et avili, sert et aime encore celui qui l’a offensé.

2o L’amour. — Il est décent et fidèle chez l’Éléphant ; il est scandaleux et criminel chez le Chien qui est en amour le plus ignoble des quadrupèdes, alliant tous les vices à cette passion, comme les civilisés dans les amours de qui dominent l’astuce, la fraude, l’oppression.

3o La paternité. — Elle est judicieuse et honorable chez l’Éléphant. Il ne veut pas créer des enfants qui seraient dans le malheur, et il s’abstient de procréation dès qu’il est esclave. C’est une leçon qu’il donne aux civilisés, assassins de leurs enfants par la quantité qu’ils en procréent, sans être sûrs de leur procurer le bien-être. La morale ou théorie de fausse vertu les stimule à fabriquer de la chair à canon, des fourmilières de conscrits obligés de se vendre par misère. Cette paternité imprévoyante est fausse vertu, égoïsme du plaisir. Aussi la nature a-t-elle préservé de ce vice l’éléphant qui est le type des quatre passions affectives prises en sens vraiment social et convenable aux liens généraux. Le Chien, emblème des fausses vertus, est doué de cette fausse paternité qui engendre des fourmilières, des portées de onze (premier des nombres anti-harmoniques), des amas dont les trois quarts doivent périr par le fer, la dent ou la famine.

4o L’honneur — Est la quatrième vertu moulée chez l’éléphant ; mais ce n’est pas l’honneur moral qui prêche le mépris des richesses et veut qu’on boive dans le creux de la main, comme Diogène. L’éléphant veut non-seulement bonne nourriture (80 livres de riz par jour) ; il aime encore le grand luxe en vêtements, en comestibles, en vaisselle, en boisson ; il se trouve humilié par un changement de vaisselle d’argent en vaisselle de terre.

Si l’éléphant est modèle des quatre vertus sociales, il faut, pour la fidélité du tableau qu’il nous représente le sort de la vertu bafouée en Civilisation. Aussi la nature l’a-t-elle couvert de boue. Il aime lui-même à se couvrir de poussière, par image de l’homme vertueux qui se plaît à s’engager dans les voies de la pauvreté, plutôt que de rechercher une fortune où il n’arriverait que par la pratique de tous les vices, rapines, bassesses, vénalités, injustices, trafics, agiotages, accaparements, usure. La nature aurait pu donner à ce noble animal un riche manteau comme celui du tigre ; mais c’eût été un contre-sens, un faux portrait, car dans nos sociétés la vertu réelle et vraiment honorable ne conduit qu’à la pauvreté ; — je dis la vertu réelle et non pas les vertus philosophiques, sagesse de caméléon qui se prête à toutes les infamies conduisant à la fortune.

L’éléphant est un ouvrier très-coûteux ; il travaille bien, mais sa nourriture est dispendieuse. Il n’est pas l’image de nos industrieux, de nos salariés de campagne qui avec six sous et demi par jour n’ont pas même de quoi acheter du pain. Aussi leurs emblèmes sont-ils le Chameau et l’Âne, qui se nourrissent de rebuts et de mauvais traitements. L’âne est emblème du paysan et le chameau emblème de l’esclave. Ce sont les héros de la morale qui veut que l’ouvrier souffre toutes les privations et les misères pour l’honneur de la vertu et qu’il paie les impôts avec joie. La nature est d’avis contraire, elle veut que l’ouvrier vive bien : aussi a-t-elle rendu dispendieux et ami du luxe l’animal laborieux qui est l’emblème des vertus sociables. Notre peuple sera sociable quand il vivra dans l’aisance. Quant aux prétendues vertus de privation, ce sont des vertus insociables reléguées chez les plus malheureux de nos serviteurs, le chameau et l’âne, qui ne sont pas en société intellectuelle avec nous.

La nature a donné à l’éléphant des défenses d’ivoire, armes très-riches, par analogie à notre état social qui affecte le luxe à la force, à la classe improductive et dominatrice. Aussi, la trompe qui est arme et machine à la fois est-elle pauvrement vêtue parce qu’elle est productive et que l’éléphant doit représenter l’état de l’industrie et de la vertu victimes de l’injustice et de la raillerie. Pour emblème du sort de la vertu, il est risible à l’arrière par le contraste de sa croupe et de sa queue chétive et sans grâce. Ainsi que lui, la vertu est risible à l’arrière ; dès que l’homme vertueux a tourné le dos, dès qu’il est sorti d’une assemblée, on le crible de quolibets, ses vertus sont un objet de risée : « c’est, dit-on, une bête avec ses visions de probité ; il aurait pu faire ses affaires dans tel poste de finances ; il n’a pas grivelé un écu. Il déclamait contre la corruption et parlait indiscrètement de certaines particularités ; on l’a fait déguerpir avec sa vertu. C’est un de ces lourdauds qui ne peuvent pas frayer avec le monde comme il faut, c’est un imbécille qui n’aura jamais le sou. » Sur ce, les moralistes répondent que la vertu perfectibilisée par la philosophie moderne doit savoir se prêter aux convenances du monde. La nature pense tout autrement ; elle a peint les vertus accommodantes ou vertus morales dans le Caméléon, reptile méprisable, image fidèle de ces vertus du monde que Bernardin de Saint-Pierre nomme avec raison frivoles et comédiennes vertus.

Les dents de l’éléphant distribuées en 4 groupes, 2 ascendants et 2 descendants, sont l’emblème des 4 groupes formés par les 4 passions affectives dont l’éléphant dépeint l’essor vertueux : 2 groupes ascendants, amitié, ambition ; 2 groupes descendants, amour, paternité.

L’extrême petitesse de ses yeux forme un contraste choquant avec l’énorme dimension de son corps. C’est un tableau des vues rétrécies de l’homme vertueux. Il ne suffit pas de pratiquer la vertu, il faudrait savoir prendre des mesures pour la rendre dominante et heureuse. Un tel effet ne peut avoir lieu que dans un ordre social où la vertu serait plus lucrative que la vertu ; il fallait chercher et découvrir cet état social que j’indique plus loin et qui est fort différent de la Civilisation. Nos hommes vertueux, depuis Socrate jusqu’à Fénélon, n’ont pas entrevu la nécessité de cette recherche. Ce sont des aveugles en politique de vertu. Pour figurer leur cécité, le rétrécissement de leurs vues politiques, la nature donne à l’Éléphant un petit œil ridicule par sa disproportion avec un être si colossal.

Ses oreilles sont l’opposé des yeux. Leur immense volume et leur forme écrasée figurent la souffrance de l’homme de bien qui n’entend qu’un langage d’hypocrisie ou de perversité dans nos sociétés où les uns louent la vertu sans la pratiquer, les autres louent effrontément le vice heureux. L’homme juste est accablé, froissé par ce double langage de dépravation ; son oreille est écrasée de n’entendre que fausseté ; ce mal être est dépeint dans l’oreille de l’éléphant. [Note en marge] : Vit 144 ans, homme futur et parfait.

Qu’on juge par l’étendue de ce prélude fort abrégé (et qu’il faudrait augmenter d’un parallèle avec l’adversaire ou contre-moule de l’éléphant qui est le rhinocéros) de l’étendue que pourrait comporter chaque article d’analogie porté au complet, aux formes extérieures et intérieures de l’animal ou du végétal, ses habitudes et goûts, allures et instincts.

Les femmes auraient pour cette nouvelle science autant et plus d’aptitude que les hommes ; cette voie de célébrité en science fixe vaudrait bien les trophées du roman auquel jusqu’ici elles se sont limitées.


Le Chien est un vrai cloaque de vices, tel que les 12 suivants :

1o Il est l’animal le plus sujet à l’hydrophobie et le plus dangereux dans nos sociétés, par analogie à la fausse amitié, la perfidie, si fréquentes parmi nous. [Note marginale : ] cur hydrophobe ? Quià amitié vous trahit et que si non circul. par famille, par eau, homme désespère, est en guerre avec état social.

2o Le plus immonde des animaux en amour, surtout par la propriété d’accouplement prolongé qui enseigne à tous les enfants ce qu’il conviendrait de leur laisser ignorer.

3o Bourreau féroce par plaisir. L’éléphant et le cheval font aussi la guerre par obéissance, mais sans y prendre plaisir, tandis que le chien se délecte au rôle de bourreau.

4o Oppresseur du faible. Si un chien faible est poursuivi, violenté par un plus fort, on voit tous les autres chiens se réunir contre le faible.

5o Servile, plein de bassesse, endurant tous les affronts. On voit très-rarement un chien s’indigner d’un affront, d’un passe-droit.

6o Il est hurleur, faisant un vacarme affreux pour la moindre blessure qu’il reçoit ; c’est le contraire du cheval qui souffre sans aucune plainte.

7o Il est hargneux sans motifs, impudent sans offense, défiant sans apparence suspecte, cherchant à se faire valoir, se donner de l’importance, des airs de gardien utile, quand son tapage n’est qu’importun et déplaît ; roquet.

8o Il est jaloux du mouvement, furieux contre les roues de voiture et les chevaux au galop. (C’est une analogie avec l’Administration, que j’expliquerai ailleurs.)

9o Il adopte les vices de son maître, devient hautain chez les grands, féroce et querelleur chez le peuple, et ainsi des autres classes.

10o Il est glouton, buvant la viande plutôt qu’il ne la mange, dévorant des charognes et des ordures, lors même qu’il a le nécessaire, envahissant brutalement la portion des chats et l’avalant d’un seul trait.

11o Il insulte les pauvres ; les hommes et enfants mal vêtus n’échappent guère aux outrages gratuits du chien.

12o Il a le caractère hiéroglyphique de population illimitée. La chienne met bas onze petits d’une seule portée. (Onze est le premier des nombres affectés à la confusion en théorie générale du mouvement.)


Continuons les préludes analytiques. Il s’agit de signaler la rétrogradation sociale. Pour acheminer à ce but, j’examine deux insectes bien connus et bien mal jugés.

La Fourmi est l’héroïne des moralistes. Ardente au travail, amassant dans les bonnes saisons pour les besoins futurs, on la croirait sage ; mais quel est le fruit de sa sagesse ? La fourmi, souvent la fourmilière, périt de faim. C’est l’opposé du travail de l’abeille. C’est un amas confus de provisions, sans nulle proportion avec ses besoins et sans méthode distributive fixe ; enfin c’est l’image des travaux du peuple civilisé qui travaille confusément et prodigieusement, pour n’arriver qu’à l’extrême misère, être foulé par les grands comme la fourmi est écrasée sous les pieds de l’homme et détruit par elle-même : car cet insecte est sujet à des guerres collectives comme nous. Elle est malfaisante et improductive, dévorant nos comestibles sans nous rien produire. C’est un emblème de scandale industriel, double abus de l’industrie, misère pour l’insecte, dommage pour l’homme.

Grand sujet de réclamation ! — Vous prétendez donc, va-t-on me dire, qu’on ne doit estimer chaque animal ou végétal qu’en raison de son utilité pour l’homme, que vous érigez par là en tyran de la nature ? — Sans doute, et ce n’est pas là tyrannie, car l’homme étant le foyer de l’industrie, le centre auquel tout doit se coordonner, toute créature qui s’écarte de cette règle est nécessairement un emblème de mal, et c’est un principe dont on se convaincra pleinement par l’étude de l’analogie. Je l’appuie d’un deuxième exemple.

L’Araignée est un animal fort industrieux, mais son travail parasite ne nous produit rien et nous cause du dégoût ; il représente donc un labeur de malfaisance. En effet, l’Araignée est l’emblème du Commerce ou piège industriel, travail parasite, improductif et répugnant par la fourberie qu’on en redoute sans cesse. Le commerce, fonction la plus compliquée du système social, entremet mille agents où il n’en faudrait pas cinquante si la vérité régnait pleinement. Or, si la partie distributive du commerce, qui est la seule utile, peut s’opérer par un vingtième des agents, les dix-neuf vingtièmes sont parasites, je le prouve en note[1], et de plus rebutants, comme l’araignée l’est par sa laideur et sa saleté matérielle. C’est l’image du commerce qui est une laideur morale et une ordure politique ; ses files de marchands qui encombrent les villes, sont un ramas d’ouvriers inutiles, tendant des pièges aux passants pour duper et spolier comme l’araignée en tend aux mouches pour les dévorer. Le marchand ne dévore pas l’individu, mais seulement l’argent, et comme l’argent ou ressort de circulation, est représenté en règne animal par le sang, il faut que l’araignée, tableau du commerce, ne dévore de ses victimes que le sang pour être image fidèle du genre des rapines commerciales.


En traçant ces ébauches, mon but est de faire entrevoir que l’analogie va débrouiller tous nos préjugés sur le vice et la vertu. Nous aurons des oracles sûrs ; et c’est de leur ensemble, de leur unanimité qu’on déduira les vrais caractères de la vertu, les vraies routes du bonheur social, et bien d’autres sciences inespérées, par exemple, la médecine naturelle ou l’antidote assigné par la nature à chacune des maladies. Il en est plusieurs qui sont l’écueil de la science : hydrophobie, épilepsie, goutte, rhumatisme et autres, n’ont pas encore de spécifique, et peut-être le remède à chacun de ces maux, se trouve-t-il dans quelque végétal méprisé, foulé aux pieds, comme le café pendant 4,000 ans fut dédaigné dans les champs de Moka.

Ce n’est pas l’analyse chimique des substances qui nous dévoilera leurs propriétés cachées. On n’y parviendra que par l’analyse emblématique.

Si tout est lié dans le système de la nature, s’il y a unité de système, il faut que les substances créées se lient au créateur. Or quelle sorte de liens une rave et un choux peuvent-ils avoir avec Dieu ? Ce lien est le tableau des passions.

Les saintes écritures nous disent que l’homme est créé à l’image de Dieu. L’homme a donc les mêmes passions que Dieu, et pour lier avec Dieu les substances créées, il a suffi de les lier avec l’homme, de représenter dans chacune quelques effets des passions et des sociétés humaines.

D’autre part si l’homme, est miroir de l’univers, ses passions doivent être miroir du système suivi dans la création ; elles doivent être analogues aux propriétés des êtres créés. On vient de le voir par l’éléphant, la fourmi et l’araignée.

Et puisque l’homme peut former différents mécanismes sociaux dont cinq sont connus sous les noms de Civilisation, Barbarie, Patriarchat, Sauvagerie et Primitive dite Eden, dont il reste des traditions confuses ; il faut que les animaux, végétaux et minéraux représentent les effets de passions dans ces diverses sociétés. La première société, dite Eden, n’a pas pu se maintenir. Il est dans l’ordre que certains animaux qui en étaient des tableaux aient péri comme elle. De là vient que le Mastodonte n’a pas pu se soutenir contre l’homme et les autres animaux, et que la giraffe, emblème de la vérité, se conserve avec peine et devient de plus en plus rare, par analogie au sort de la vérité qui décline de plus en plus dans les sociétés civilisées et barbares.

S’il a existé cinq sociétés il peut en exister une sixième, une septième, une huitième encore à naître, et dont on n’a pas su découvrir le mécanisme. Il est représenté dans quelques êtres qui nous frappent d’admiration tels que l’abeille et le paon. On a pris l’abeille pour un emblème de l’égalité. C’est tout le contraire. Chaque abeille dans son alvéole figure un effet sociétaire qui n’existe pas, un grand ménage à plusieurs degrés de fortune et de dépenses, un canton sociétaire d’environ dix-huit cents personnes très-inégales en fortune, exerçant combinément les travaux de culture, fabrique, ménage, etc., et répartissant à chacun, hommes, femmes et enfants, plusieurs dividendes affectés au capital, au travail, au talent. Cette réunion d’inégaux et d’agents sociétaires est figurée par la roue du paon.

S’il n’existait pas un système d’analogie entre les substances des divers règnes, et les passions de l’homme, la création serait donc une œuvre arbitraire et faite au hasard. Dieu lui-même ne saurait pas se rendre compte de la justesse de sa méthode ; il ne saurait pas s’il a bien ou mal fait en créant le tigre et le serpent à sonnettes, car ces productions odieuses ne peuvent être justifiées que par la nécessité d’un système d’analogie avec nos vices, tels que la férocité et la calomnie. Sans l’analogie, il y aurait, non pas unité, mais duplicité dans le système de Dieu, car il serait mathématique et juste quant aux effets, et arbitraire quant aux causes. Il serait ami de l’harmonie en mouvement matériel, et ami du chaos en passionnel.

La connaissance de l’analogie peut seule nous démontrer la justesse des œuvres de Dieu, qui, jusqu’ici a dû sembler problématique. Aussi la Civilisation grandit-elle en athéisme à mesure qu’elle grandit en science. Elle ne pourrait sortir de ce dédale que par la connaissance des périodes sociales où régneraient la justice, la vérité et l’intervention de Dieu, qui nous laisse le libre arbitre, la pleine liberté de nous diriger nous-mêmes par la fausse raison nommée philosophie, produisant les trois sociétés industrielles dites Civilisation, Barbarie, Patriarchat, ou de nous laisser diriger par la raison divine, dont l’interprète est l’attraction passionnelle, identique en système avec l’attraction matérielle dont Newton nous a donné la théorie.

C’est par continuation de ce calcul, par analyse et synthèse de l’attraction passionnelle, qu’on parvient à la connaissance des sociétés véridiques et heureuses où règnera l’industrie combinée. La même théorie explique tous les mystères de l’analogie dont nos théories philosophiques nous avaient tellement éloignés qu’on n’a jamais su discerner la plus évidente des analogies, celle du mouvement incohérent et du mouvement combiné, représentés tous deux dans les planètes et les comètes, images des deux mécanismes fondamentaux de nos sociétés, l’état juste et sociétaire, et l’état faux et incohérent.

Les savants de tous les siècles, ayant entrevu et proclamé la nécessité du système de l’analogie dans toutes les parties de l’univers, n’ont jamais su expliquer cette analogie. C’est qu’ils ne connaissaient pas la clef du calcul, la division du mouvement en sociétés fausses et en sociétés vraies. Les effets de ces deux genres de sociétés étant représentés en contraste dans les animaux antipathiques, par exemple, dans l’abeille et la guêpe qui dépeignent les résultats de l’industrie incohérente et de l’industrie combinée, nos savants, qui ne se doutent pas de la possibilité de ces deux industries, n’ont pu rien comprendre aux tableaux analogiques de la création ; tableaux qui, dans les trois règnes connus, représentent les résultats de ces deux industries.

Chez l’abeille, double bénéfice par la cire et le miel ;

Chez la guêpe, double duperie par la fainéantise de deux classes que nourrit une classe industrieuse, le tout sans aucun profit pour l’homme aux convenances de qui tout doit être coordonné.

Le Papillon, la Chenille, la Harte. Un insecte hideux et malfaisant qui dépouille nos arbres, est transformé au bout de quelques semaines en insecte charmant qui embellit nos campagnes sans leur nuire, et qui nous donne dans l’une de ses espèces le plus beau et le plus fort de tous les fils, qui est la soie.

Cette métamorphose est l’image du double mécanisme des passions, le vrai et le faux. On a vu que leur développement s’opère en mode faux dans les sociétés 2, 3, 4, 5, et en mode juste dans les sociétés 1, 6, 7, 8. Cependant les passions sont les mêmes dans ces deux mécanismes ; il n’y a de changé que les voies de développement.

Dans les sociétés 1, 6, 7, 8, on arrive à la richesse et aux plaisirs par la pratique de la vérité et de la justice ; dans les sociétés 2, 3, 4, 5, on n’arrive à ce but que par la fausseté et l’injustice. De là les moralistes concluent qu’il faut mépriser les richesses et les plaisirs et réprimer ses passions. C’est étouffer la nature ou attraction et mettre l’homme en scission avec lui-même. Pour concilier la nature et la vertu, il faut organiser les sociétés 1, 6, 7, 8, où la nature et la vertu deviennent compatibles.

Avant de pouvoir atteindre ce but, l’humanité est obligée de passer par cinq échelons ou périodes sociales. Elles sont représentées par les sommeils pendant lesquels le ver à soie se dépouille de son enveloppe et en revêt une différente. Ses quatre sommeils donnent cinq enveloppes consécutives à la chenille.

Pendant la durée des 5 périodes l’insecte a amassé de la matière soyeuse pour former le cocon. Ainsi opère l’espèce humaine qui, pendant les 5 périodes 1, 2, 3, 4, 5, amasse des matériaux, industrie et sciences, pour former une société opulente et heureuse. Il n’y a ni richesse ni bonheur dans un ordre où les trois quarts des collaborateurs n’ayant pas de quoi se nourrir et vêtir, détruiraient la société s’il n’étaient contenus par la crainte des supplices.

À la suite de ces 5 périodes, la chenille passe à l’état mixte nommé chrysalide, et de même l’état social passerait à un état mixte, formant la 6e période, celle des garanties. Nous la franchirons ainsi que la 7e ; mais sans la découverte du calcul de l’attraction, l’on aurait pu employer des siècles à parcourir les périodes 6 et 7.

La période 7 est représentée par le papillon sans parure, qui est celui de la soie.

La période 8 est celle du grand luxe ; elle est dépeinte par le papillon à grandes ailes parées de riches couleurs. Les quatre ailes parsemées d’yeux dépeignent les 4 groupes qui sont les ressorts du charme industriel et du luxe dans l’agriculture combinée.

L’insecte ne fréquente que les fleurs, ne vit que du pollen des fleurs et voltige de fleurs en fleurs. C’est un emblème des travaux attrayants de la 8e société, qui sont en séances courtes et variées, soutenues de charmes nombreux (voir au traité, les chapitres 21, 22), même dans les fonctions répugnantes pour les sens.

La nature distribue un même sujet sur plusieurs tableaux. Aussi pour nous peindre la propriété qu’aura la 8e société de donner à la fois l’utile et l’agréable, richesses et plaisirs, elle répartit le tableau de l’utile à la chenille ver à soie, et le tableau de l’agréable aux papillons brillants, mais non productifs.


La Harte ou papillon destructeur, à ailes simples, est un moule inverse des deux précédents, qui croissent et se métamorphosent pour le service de l’homme. La Harte au contraire se métamorphose pour opérer la destruction, dévorer nos vêtements, nos meubles, nos fourrures, nos magasins. C’est l’image de l’industrie pauvre et incohérente, qui détruit l’enveloppe du globe, déchausse les montagnes, tarit les sources, ensable les plaines et les mers vicinales, comme la mer Rouge de plus en plus ensablée par les dépôts de nuages de sables.

Par analogie, la harte, malgré sa petitesse, cause de grands dégâts. Il n’est guère d’insecte plus ruineux. Ainsi le petit être nommé l’homme a la propriété de déchausser le Globe, en bouleverser et dégrader la température par l’industrie incohérente qu’on nomme état civilisé et barbare, exploitant sans combinaison sociétaire, distribué par ménage de famille, c’est à-dire par la plus petite réunion possible et la plus opposée à l’économie, à la vérité et aux vues de Dieu. La harte aussi est incohérente avec nous, puisque loin de nous donner l’agréable et l’utile, elle nous cause double dommage en dégâts et en surveillance et précautions pénibles.

Ainsi la nature donne toujours les emblèmes du double jeu du mouvement, le Papillon pour emblème des sociétés d’industrie combinée, la Harte pour tableau des sociétés incohérentes qui n’aboutissent qu’à appauvrir la multitude et le globe.

On ne comprendrait rien au système du mouvement et de l’analogie si on manquait à y envisager sans cesse l’effet de dualité ou double jeu du mouvement dont nos philosophes n’ont jamais eu l’idée quoiqu’ils le voient retracé dans les planètes et comètes. Je reviendrai souvent sur cette règle pour familiariser avec elle les lecteurs qui veulent que leur Civilisation perfectionnée soit l’unique destinée du genre humain.

L’Aigle, le Vautour, l’Autruche, le Dronte. L’Aigle est nommé roi des animaux. L’instinct ne nous a pas trompés en nous le donnant pour emblème de la royauté qui se trouve dans d’autres moules, tels que le lion.

L’aigle enlève le Mouton qui est image du peuple sans défense. Ainsi que l’aigle, tout roi est obligé de dévorer son peuple par les impôts, presque toujours outrés et écrasants pour l’industrie populaire. — L’aigle élève son vol dans les plus hautes régions ; c’est encore un emblème de rang supérieur. — Il a la huppe fuyante, c’est un emblème d’alarme ; la royauté n’en est pas exempte. (J’ai dit dans la préface que les huppes et coiffures peignent les pensées et le mobilier du cerveau.)

L’aigle habite la partie froide de l’atmosphère des régions. Il semble que ce soit un contre-sens du peintre, car la cour vit dans le luxe qui a pour emblème le soleil et la chaleur. Cette propriété de vivre dans l’opulence est représentée dans les lions et les tigres, emblèmes des rois et des ministres ; ils habitent les pays chauds ; mais on a vu que la nature distribue sur divers moules les tableaux d’un même sujet.

Ainsi l’aigle est sympathique avec les régions froides par analogie au ton glacial des cours et à l’égoïsme qui y règne. L’étiquette, les intrigues, les perfidies, les faux amis sont autant de [] qui tendent à répandre de la froideur dans les relations de la cour. Ainsi l’aigle peint le monarque en sens moral et le lion en sens matériel.


Le Vautour et l’aigle, mis en parallèle, offrent un brillant tableau. Tous deux figurent les deux autorités qui s’emparent de l’homme civilisé, — le gouvernement qui envahit la partie matérielle et la superstition qui envahit la partie spirituelle ou âme. L’aigle attaque franchement les vivants, les agneaux, de même que le gouvernement exige sans détour un tribut. Le Vautour s’attaque aux cadavres par emblème de la superstition qui cerne les vieillards, les esprits faibles, pour les dévorer en captant leur succession, en leur vendant le ciel à beaux deniers. C’est dans tous pays le but auquel visent les chefs de la superstition (qu’il faut bien distinguer de l’esprit religieux), ils veulent jeter le grappin sur les héritages en affectant de solliciter pour l’Église et non pour eux.

Un caractère général des religions est la mendicité ; elles demandent sans cesse. Ne pouvant comme l’autorité imposer un tribut de vive force, elles l’imposent par astuce, quelquefois aussi par violence comme la dîme et autres prestations ; mais en général elles mendient et font retentir les plaies de l’Église. La nature a peint cette astuce dans le vautour qui a le larynx, ou organe de la parole, nu, dégarni de plumes et très pauvre. La tête, le bec, le cou, enfin toute la partie parlante est d’une nudité repoussante. C’est l’emblème de la mendicité qui en parole n’exprime que des plaintes, excite la pitié par son dénuement ; mais est-il réel ? Non, car un peu au-dessous de sa tête dépouillée, le vautour étale un fastueux collier de plumes, une sorte de couronne qu’il semble n’avoir pu loger sur sa tête. Ainsi le sacerdoce quoique privé directement de la couronne la porte de fait par son influence ; il a tout ce dont il semble manquer au premier coup-d’œil ; il se plaint de ses privations en public, et on trouve grande chère dans son domestique. Aussi le vautour, excepté les parties parlantes, est-il fourni de plumes utiles et bien aptes à prendre le vol élevé qui est l’emblème du pouvoir.

L’Autruche et le Dronte sont des tableaux des Grands incapables. L’autruche, par sa hauteur figure le rang le plus élevé, celui du monarque. C’est un grand corps sans tête (nom qu’on donne à tout homme dépourvu d’esprit et de moyens). La nature a dépeint cette absence d’esprit par l’exiguité de la tête et par les sottes idées de l’oiseau qui, pressé par le chasseur, va cacher sa pauvre tête derrière une tige d’arbre et croit n’être pas vu du chasseur, parce que lui-même ne l’aperçoit plus. — Il a des plumes précieuses à l’arrière ; on les ramasse, ità courtisans le pillent.

Le Dronte est à peu près le même tableau appliqué aux Grands ignorants et fiers. Ils ne sont élevés qu’en titres vains, comme le dronte n’est élevé qu’en hauteur, manquant des plumes d’ailes qui rempliraient la fonction d’oiseau. C’est l’image de ces grands sans esprit et sans moyens, qui ne sont grands que par le poste qu’ils occupent : grandes machines sans emploi, comme le dronte qui ne sert à rien, n’est d’aucune utilité ni par la chair ni par le plumage. Sa tête, fièrement élevée, exprime la bêtise orgueilleuse encore mieux exprimée dans ses regards. Une crête de corne et de couleur terreuse, figure les idées triviales et sottes, qui s’échappent de son cerveau.

Tous ces oiseaux qui figurent les Grands, habitent en général les pays chauds, et toutes les créations de pays chauds sont communément hiéroglyphes des usages de la classe riche et de ceux qui l’entourent. Par exemple, le crocodile ne se trouve point dans les fleuves des pays froids, parce qu’il représente le captateur d’héritages, qui ne s’attache qu’à la classe opulente. Je renvoie les détails à l’article Amphibies… [Ici s’arrête le manuscrit.]


Ces deux morceaux de Fourier sur l’irréligion et l’analogie sont extraits de la Phalange, revue de la science sociale qui a paru de 1845 à 1849, et dont le sommaire est ci-derrière.


Pour juger exactement des faussetés du commerce, recourons à l’hypothèse d’une garantie de vérité. Je suppose que les anges gardiens qui accompagnent chacun de nous, et qui, connaissant à fond nos pensées et nos actions, reçussent de Dieu l’ordre de dire à haute voix la pleine vérité dans toute affaire de commerce, de donner des démentis à tout trompeur, soit vendeur, soit acheteur : il en résulterait que le mode actuel, la concurrence mensongère deviendrait impossible ; notre mécanisme commercial serait changé, réduit en entrepôt continu. Examinons cet effet.

Tel marchand dirait à l’acheteur : Voici un beau et bon drap bleu, je vous le donne à trente-deux francs l’aune : c’est un prix d’ami ; je n’y gagne rien, en honneur ! J’y perds gros, mais c’est pour vous obliger. — Aussitôt l’ange invisible dirait : Tu mens, tu veux tromper cet homme. Ce drap est un faux teint ; tu l’as acheté à seize francs comme faux teint, et tu veux gagner dessus cinquante pour cent, en disant qu’il est bon teint, que tu y perds gros. — Sur ce, l’acheteur de dire : Ah ! ah ! vous vouliez me mystifier avec vos belles paroles. Adieu, monsieur l’ami du commerce. Merci, seigneur ange. Ah ! que les anges gardiens sont aimables depuis qu’ils disent la vérité ! — Puis le marchand, délaissé et furieux, s’écrierait : Citoyen ange, si vous ne voulez pas vous taire, il sera impossible de faire le commerce. Vous nous ruinez, vous faites manquer toutes nos ventes. — Oui, répond l’ange, tu seras confondu autant de fois que tu mentiras ; je ne te passerai pas le plus petit mensonge ! Et de même chez le marchand de vins qui dirait à l’acheteur : Voici du vrai madère, délicieux, que je vous passerai à cinq francs. Il ne m’en reste guère ; je n’en ai que pour quelques amis. Je vous en ai réservé un panier, parce que vous êtes un ami de la maison ; car je les vends six francs à d’autres. Mais avec vous je ne veux pas gagner : c’est tout d’amitié. — Puis l’ange dira à haute voix : Tu en as menti. Tu as fabriqué ce vin il y a deux jours avec du trois-six, de l’alun et autres drogues ; il ne contient pas une goutte de madère, et il ne te revient pas à un franc. Tu veux gagner quatre cents pour cent, en prétendant que tu n’y gagnes rien. — Alors l’acheteur de dénicher en disant : Vivent les anges gardiens ! Nous ne serons plus victimes des marchands. — Et le marchand de vins, abandonné, de s’écrier : Te tairas-tu, scélérat d’ange gardien ! damné chien ! ennemi du commerce ! Là-dessus les commerçants en chorus diraient : On ne peut plus vivre, si la justice ne fait pas pendre ces coquins d’anges. Mais, comment faire ? on ne les voit pas, on ne peut pas les prendre. Hélas ! le commerce est perdu ! Les anges nous assassinent ! On ne peut plus vendre la marchandise à prix d’ami. Ces monstres disent tous les secrets du métier ; c’est la mort du commerce. Ah ! maudite vérité ! maudits anges ! Vraiment le commerce serait anéanti même chez le paysan, qui débite force mensonges en venant vendre ses denrées à la Halle. On connaîtrait par les anges la valeur réelle et les défauts de tout objet mis en vente ; on n’en accorderait que le prix réel, prix de valeur intrinsèque, à bénéfice équitable et admis, plus les frais de transport. Et, dans cet état de choses, tout le commerce serait transformé en grands entrepôts, où, la valeur de chaque objet étant pleinement connue, il n’y aurait pas lieu à marchander et tromper. Les files de marchands qui tapissent les rues seraient inutiles et retourneraient aux travaux productifs, les ventes seraient promptes et faciles ; on pourrait de loin faire des demandes sans voyage d’achat. D’ailleurs les entrepôts primitifs expédieraient dans chaque pays ce qui serait de consommation assurée. Cette méthode rendrait en France au moins un million d’individus à la culture et établirait une célérité prodigieuse dans les transactions, et elles se multiplieraient considérablement ; car il est quantité d’achats et d’entreprises entravés par le risque de fraude. Supposons l’invention d’une méthode qui établirait dans toute relation de commerce la même garantie de vérité que donnerait l’intervention des anges gardiens, le mécanisme commercial sera dissous et transformé en entrepôts. C’est actuellement un échafaudage de mensonges, une complication des plus ruineuses par les entraves et la lenteur qu’apporte la fausseté. Et pourtant cet arbre de mensonges est prôné, érigé en source de vertu par nos moralistes, qui prétendent chercher l’auguste vérité. Qu’on juge par là de leur compétence en matière de vertu et de vérité.





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