Les Hermaphrodites  

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"Monfieur Bayle, dans fon Dictionaire Critique, au mot Salmacis, dit quela Defcription de l'Ifle des Hermaphrodites eſt une Satyre ingenieufe , qui fait voir les defordres de la Cour du Roy Henry III."--Les Hermaphrodites (1605) by Thomas Artus d'Embry, preface 1724 edition


"Every one of the crowned heads served as a target for obscene jest and satire, despite the extremely strict censorship. For example there is the Description de l'isle des Hermaphrodites directed against the bisexual Henry III, and the Histoire secrete des Amours d'Henri IV by Caucont de la Force , which exposes the love - life of Henri IV."--The Erotic History of France (1933) by Henry L. Marchand

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Description de l'isle des hermaphrodites (1605) by Thomas Artus d'Embry.

Its full title reads Les Hermaphrodites, ou Isle des hermaphodites nouvellement découverte, avec les mœurs, lois, coutumes et ordonnances des habitants d’icelle.

Full text

Martial PARS EST UNA PATRIS , CÆTERA MATRIS HABET CATOUS ACORDS Je ne suis male, ni Femelle Et sije fuis bien en cervelle Lequel des deux je dois choisir Mais qu'importe à qui on ressamble. Il vaut mieux les avoir ensemble, On en reçoit double plaisir. DESCRIPTION DE L'ISLE DES HERMAPHRODITES. NOUVELLEMENT DECOUVERTE, Contenant les Mœurs , les Coutumes & les Ordon nances des Habitans de cette Ifle , comme auffi le Difcours deJacophile à Limne , avecquelques autres pieces curieufes. Pour fervir de Supplement au Journal DE HENRI II I. Koninklike Bibliotheck te'sFlage. ΚΑΙ MEAAONTA LOGN Chez les Heritiers de HERMAN DEMEN. MDCCX XVI,

AVIS AU LECTEUR. MOnfieur Bayle, dans fon Dictionaire Critique , au mot Salmacis , dit quela Defcription de l'Ifle des Hermaphrodites eſt une Satyre ingenieufe , qui fait voir les defordres de la Cour du Roy Hen ry III. Cette Piece eft fort recherchée de tous les Curieux , parce qu'on y trouve effectivement une Defcription enjouée des minauderies & des ma nieres effeminées des Mignons de ce Roy. Cela fait croire qu'elle a été compofée de fon temps ; cepen dant elle n'a été imprimée qu'a près fa mort, car on a trouvé dans des Memoires manufcrits fur l'Hif

  • 2

AVIS AU LECTEUR. toire de France , que cet Ouvrage n'a paru qu'en 1605 , qu'on le vendoit à un prix exceffif, que le Roy Henry IV. fe le fit lire , & quoy qu'il le trouvât libre & trop hardi , il ne voulut pourtant pas qu'on en recherchât l'Autheur nom mé ArtusThomas , faifant confcien ce , difoit-il , de chagriner un hom me pour avoir dit la verité. Le fentiment de ce grand Prince fur cet Ouvrage , eſt une marque de fa bonté & du cas que l'on en doit faire ; ainfi on ſe diſpenſera d'en fai re l'éloge , qui ne ferviroit de rien pour en faire connoitre le merite. 135133/3813313 2250 TABLE DUCONTENU EN CE LIVRE. Moeurs, Loix, Coutumes & Ordon nances des Habitans de l'Ile des Hermaphrodites. Page 1 30 Extrait des mêmes Loix. Ordonnancesfur lefait de leur Religion. 31 Articles de Foy des Hermaphrodites. 39 La Juftice & les Officiers de cet Etat. 41 La Police de cet Etat. L'Entregent de cet Etat. Les LoixMilitaires de cet Etat. Vers contre les Hermaphrodites. Difcours fur le fouverain bien de l'Hom 117 53 66 81 me. 119 Difcours de Jacophile à Limne. 156 Lettre d'Erafte à fon Ambaffadeur Ma trope. 199 Chanfon de la Dame Seliemite. 237 Lettre de Leon à Madame Meletine. 255 Intention de Leon annoncée à toutes fortes de Chevaliers par un Heraut. 268 Sonnet adreffé à Agnocalie. Sonnet de Leon àſa Maitreſſe. Parcheminfur lequel étoit écrit une divife 273 274 bizarre. 275 TABL E. 277 279 Soupirs de Schobama pour Opadin. 276 Paroles d'Opadin. Antipoulet à la Dame Pyrine. Sonnetdes Paladins d'Aftrée donné à Agno calie avec une Bague. ibid. Versdes Paladins donnez aux Dames. 280 Portrait fur lequel eft écrit Enyalius avec des Vers. 285 Privileges , Franchifes & Libertez de la Ville Capitale de Bois-belle, pour con vier tous Financiers , Laquets , Bouf fons, Maquereaux , Forgeurs, Courtiers d'accez , Partifans , Demandeurs de dedommagement , & autres Gens d'af faires, d'y faire batir. 287 Bibliotheque de Madame de Montpenfier , mife en lumiere par l'avis de Cornac , avec le confentement du Sr. de Beaulieu fon Ecuyer. Remarquesfur la Bibliotheque de Madame 298 291 de Montpenfier. Difcours fur la Vie du Roy Henry III, par Mr. le Laboureur. 331 L'ISLE L'ISLE DES HERMAPHRODITES Nouvellement defcouverte. Avec les mœurs, loix , couftumes &ordonnan ces des habitans d'icelle. E monde eft unbouffon , l'homme uné comedie, L L'unporte lamarotte , &l'autre eft la follie. Ce font desvers , Amy, que les anciens nous ont fouvent repetez en leurs efcrits , & que nous meſmes avons tenus pour veri tables quand nous avons confideré de près les actions humaines , maisfans faire le phi lofophe, difons que la loy de Dieu exceptée, tout eft digne de rifée. Que fi quelque pau vre Cybarite trouve ces termes un peu trop rudes pour fes delicates oreilles , & qu'il y vueille apporter quelque paraphrafe Epicu rienne , qu'il life ce difcours , & paraventu re avant qu'il foit au milieu , il trouvera qu'il n'eft luy mefme autre chofe qu'un char latan. Le nouveau monde nous a produit en ce nouveau fiecle tant de chofes nouvelles , que la plufpart du monde ancien , mefprifant fon antiquité , a mieux aymé chercher, au peril de mille vies , quelque nouvelle for A tuneei 2 L'ISLE DES P tune , que fe contenter de l'ancienne & vi vre en repos & tranquillité . Et ainfi defirant les hautes avantures ils rencontrent le plus ordinairement celles qui terminent tous leurs detirs fans avoir jouydu contentement qu'ils recherchoient

mais outre leur naturelle in

clination les continuels remuemens advenus en l'Europe depuis tant d'années , en ont en core perfuadé plufieurs à quitter pour un temps leurs anciennes demeures , depeurde fervir de perfonnages ou de fpectateurs des fanglantes tragedies qui fe font jouées fur ce grand theatre . Or entre ceux cy un de nos François qui n'avoit pas moins de valeur que de prudence , mais à qui une bonté naturel le avoit ofté la puiffance & la volonté de tremper fes mains dans le fang des fiens , fit eflection de courir pluftoft tout autre danger que de forcer en cela fa nature , de forte que fe banniffant foy mefme & vivant errant par le monde , il vit en la longueur de plufieurs années , tout ce qu'un œil curieux fçauroit defirer . Mais enfin la renommée de la paix (que la France , s'eft acquife par la valeur & bonne conduite de l'invincible & tres - augu fte Monarque qui luy commande ) s'eitant refpandue par tout le monde & jufques au lieu où il eftoit pour lors , il eut une nou velle envie de voir encore une fois fa chére patrie &rendre de l'honneur & de l'obeiffan ce à celuy qui luy avoit acquis & moyenné un fi grand bien . A fon arrivée chacun de fes amis &familiers le fut vifiter autant com meje penſe pour apprendre des nouvelles comme pour fe conjouir avec luy de fon heureux retour , & me trouvant lors avec quelques uns de ceux que je viens de dire , lors qu'ils firent la refolution de le voir je fus HERMAPHRODITES. 3 1 fus ayfément perfuadé à ce voyage , n'ayant pas moins de curiofité que les autres : & mettant ma deliberation en execution nous le fufmes trouver en une fienne maifon efloignée de fort peu du lieu où nous eſtions ou après les bien-venues &bons accueils ac couftumez , & que nous eufines donné quel que tréve aux paroles de courtoifie autant amies de la fuperfluité , comme elles font le plus fouvent ennemies de la verité , cha cun l'enquette du fuccès de fes voyages & des raretez , loix & façons de vivre qu'il avoit veuës & remarquées parmy une fi grandedi verfité de nations , à quoy il fatisfit chacun enpeu de paroles auffi qu'il euft : il fallut plu fieurs journées pour en difcourir au long comme il eut pû faire joint que ce n'eſtoit que nous confirmer ce que nous en avions defia appris par les livres. Mais dit- il , laif fant toutes ces nations dont les nouvelles femblent defia triviales : Je vous veux faire un difcours d'un peuple dont peut eftre vous n'avez encore jamais ouy parler : chacun le remercia de fa bonne volonté avec prieres très - affectionnées de l'effectuer , & lors il commença ainfi. " La longueur de ma peregrination com mençoit defia à meftre ennuieufe & l'ar dante curiofité de mon efprit à fe refroidir après avoir vifité & recherché tout ce qui eſt de rare & de prix aux terres nouvelles def couvertes , & deliberois d'arreſter ma cour fe, &m'habituer en quelque ville de ce pays là , quand la nouvelle de la paix entre les Roys de France & d'Espagne eftant parvenüe jufques à nous , un mien amy avec lequel j'avois fait la plufpart de mes voyages & qui avoit une extreme envie de fe revoir encore A 2 une 4 L'ISLE DES une fois avec les fiens , me perfuada fort fa eillement le retour , fi bien qu'ayans trouvé un navire marchant qui eftoit preft de faire voile , & qui tiroit devers Lisbonne , nous re folumes incontinant de prendre cefte occa fion &de nous y embarquer : mais à peine avions nous vogué une demie journée d'un vent affez favorable : la tempefte , & l'ora ge fe levant agiterent noftre vaiffeau avec telle furie &impetuofité , qu'après avoir eſté ça & là deuxjours & deux nuicts prefque en fevelis dans les Ondes , tant la mer eftoit en flée &irritée qu'enfin noftre maſt rompu , les coftez du navire ouverts, la fentine pleine d'eau , & le pilotte maiſtriſé du vent , noftre navire alla finallement hurter contre le port d'une Ifleque nous avions defcouvert de loin d'une telle violence qu'en un moment , il fut froiffé en plus de mille pieces , & ceux qui eftoient dedans abandonnez à la mercy des ondes defquels les uns furent engloutis , les autres fe fauverent à nage , mais le Pi lotte avec lequel mon compagnon & moy avions une familiere accointance , ayant preveu de loing ce danger nous avoit faiet avec luy fauver dans l'efquif: de forte que finalement nous prifmes terrefi haraffez & fi foibles du travail que nous avions eu , qu'à peine pouvions nous cheminer , & fi trou blez , que nous n'avions fceu confiderer du premier abord la nature de la terre où nous eftions abordez . Mais après que nous euf mes un peurepris'nos efprits , &que les ge noux flechis en terre &les yeux levez vers le ciel , noftre ame eut chanté nouveaux Can tiques & actions de graces au confervateur de toutes creatures , nous vifmes que later re fur laquelle nous marchions eftoit toute HERMAPHRODITES . F > te flotante , & qu'elle erroit vagabonde fur, ce grand Ocean fans aucune ftabilité . Lors faifis de nouvelle frayeur nous ne fçavions quelle refolution prendre , trouvant le faict tant eftrange , qu'à peine pouvions nous ad joufterfoy à notre veuë

Toutesfois ne nous

pouvant pis arriver que l'eftat auquel nous eſtions nous deliberafmes de tenter le ha zard & devifiter ce nouveau vaiffeau terreftre que nous veilmes par tout fi fertile & florif fant que nous croyons la fable des champs Elifées eftre une pure verité , & queparje ne fçay quel mouvement celefte ils avoient été tranfportez en ces terres fi longuement in cogneuës . Noftre Pilote qui mouroit de faim , &qui plus accouftumé que nous à la queſte , fçavoit comme il falloit prendre fans deman der , s'en alla au pourchas des vivres , & tandis nous nous mifmes à contempler un edifice affez proche de nous , la beauté du quel ravit tellement nos efprits , que nous avions pluftoft opinion que ce fuft une illu fion qu'une chofe veritable . Le marbre , le Jafpe , le Porphire , l'or , & la diverfité des émaux , eftoit ce qu'il y avoit de moindres car l'architecture , la fculpture , & l'ordre quel'on y voyoit compaffé en toutes les par ties , attiroit tellement l'efprit en admira tion , que l'oeil qui peut voir tant de chofes en un inftant n'eftoit pas affez fuffifant pour comprendre tout le contenu de ce beau pa lais . Et comme la beauté eft une chofe qui attire ordinairement à foy ce qui en eft ( ce femble ) le plus efloigné , oubliant nos laffi tudes & les travaux que nous avions fi lon guement foufferts , nous fufmes tentez ou pluftoft forcez par la curiofité , de voir plus particulierement ce rare chef-d'oeuvre de la A 3 na: 1 6 L'ISLE DES if nature Toutesfois nous attendifmes le Pi lote , qui n'arreſta pas long temps à retour ner chargé de vivres , defquels nous raffafiaf mes la faim , qui à la verité nous preffoit , ayant efté fi long - temps fans manger

mais

après avoir fortifié nos corps & que le coura ge nous fut un peu revenu , nous difmes no ftre intention à noftre pourvoyeur , à la char ge quefi nous nous feparions par hazard les uns des autres , nous ferions au moins en forte de nous retrouver tous le lendemain au mefine lieu . Le Pilote qui avoit déjà remar qué quelques fingularitez dans l'ifle , & mef mes avoit appris qu'on l'appelloit l'ifle des Heomaphrodites , dit qu'il eltoit content , & que tandis que nous irions d'un cofté il s'en iroit de l'autre , & qu'au retour chacun rap porteroit à fon compagnon ce qu'il auroit appris . Ainfi nous nous feparames , le Pilo te vers les lieux habités de l'Ifle , & nous deux vers ce riche palais où nous arrivafmes en peu de temps , & trouvafmes de premier abord un long Peryftile ou rang de colomnes Caryatides , lefquelles avoient pour chapi teau la tefte d'une femme de là nous en trafmes dans une grande court de laquelle le pavement eftoit fi luifant & gliffant qu'à pei ne s'y pouvoit on tenir . Toutesfois l'envie de patferplus outre , nous feit aller tous chan celans au grand efcalier , au devant duquel eftoit un perron entouré de douze colomnes , accompagné d'un portail fi fuperbement en richy qu'il eftoit impoffible de le confiderer fans s'esblouyr , au-deffus de l'architrave du quel , fe voyoit une ftatuë d'albastre , fortant le corps à demy hors d'une mer , qui eftoit . affez bien reprefentée par diverfes fortes de marbres & de porphires . Cefte ftatuë eftoit au ! HERMAPHRODITES. 7 autant bien proportionnée qu'il fe pouvoit, laquelle tenoit en l'une defes mains unrou leau où eftoit efcrit ce mot Planiandrion. A peine ofions nous partir de ce lieu tant nous eftions pleins de merveille d'y voir une fi grande folitude , que nous n'avions encore rencontré perfonne depuis que nous eftions entrez. Toutesfois la curiofité nous ayant donné la hardieffe de paffer outre , nous vif mes lorsune merveilleufement grande mul titude de gens qui alloient & venoient de tous coſtez : lors nous avifames de nous fe parer avec condition toutesfois de nous re trouver à la fortie , ou pour le moins au rendez-vous que nous nous eftions defia donnez. > " Ainfi continuant mon chemin , je monté environ huic degrés de l'efcalier , au bout defquels je trouvé à main gauche une porte ouverte dans laquelle entrent quelques hommes , l'un defquels portoit un linge & une affiette dorée , un autre avoit un plat cou vert & d'autant que c'eftoit environ fur les onze heures du matin , je croyois que c'e ftoit le difner du feigneur du lieu , que je trouvois fort mecanique veu la fuperbe magnificence du logis , & la multitude de ceux qui estoient à fon fervice. Jememelay donc affez hardiment parmy ceux cy, qui ne me refuferent point l'entrée de la chambre: car à ceque j'apris depuis , elle eftoit toute libre quand il y eftoit jour , qui n'y com mençoit jamais à poindre qu'il ne fuftpour le moins dix heures : Dès que j'eus mis le pied dans la chambre, je fenty la plus fuave odeurqu'il eftoit poffible d'imaginer , & auffi toft je vy un petit vafe fait en forme d'en cenfoir à la Mofaïque , duquel fortoit la A 4 Ya 8 L'ISLE DES yapeur qui rempliffoit tout le lieu, Cefte chambre eftoit fort fuperbement tapiffée , & les meubles y eftoient fort riches & precieux: mais d'autant queje voulois voir quedevien droit ma compagnie, je ne m'amuſay pas fi particulierement à les confiderer pour l'heu re. Je vy donc qu'ils s'en alloient droit à un lict affez large & fpacieux , lequel avec l'efpace qu'il laiffoit entre luy & la muraille . tenoitunebonne partie de la chambre. Auffi toft ceux cy ayans tous la tefte nuë s'arreſte rent vers les pieds , en attendant que l'un d'entr'eux euft tiré le rideau mais celuy qui eftoit dans le lit commença à fe plain dre qu'on l'avoit réveillé en furfault , & qu'il eftoit trop matin , les fiens s'excuferent du mieux qu'ils peurent , & entrebaillant unpeu les contre feneftres luy firent voir que le So leil eftoit levé. Luy donc encore endormy fe met en fon feant , & auffi toft on luy mit fur fes efpaules un petit manteau de fatin blanc chamarré de clinquant , & doublé d'u ne eftoffe reffemblant à la pane de foye. Je n'avois encore yeu ce que c'eftoit qui eftoit dans ce lict , car on ne voyoit point encore les mains ny le vifage : mais celuy qui luy avoit mis lemanteau vint auffi tolt luy lever un linge qui luy pendoit fort bas fur le vifa ge , & à luy ofter un mafque qui n'eftoit pas des eftoffes , ny de la forme de celuy que portent ordinairement les Dames , car il eftoit commed'une toille luifante &fort fer rée , où il fembloit qu'on euft mis quelque graffe deffus , & fi il ne couvroit pas tout le vifage , car il eftoit efchancré en ondes de vers le bas de peur que cela n'offençaſt fa barbe qui commençoit à cotonner de tous. coftez après on luy ofta les gands qu'il avoit HERMAPHRODITES. 9 avoit aux mains , & qu'il y avoit toute la nuit , à ce que je pus juger , puis un des fiens qui fembloit plus faire l'entendu que les autres luy apporte une ferviette mouillée par lebout, de laquelle s'eftant frotté le bout des doigts fort delicatement , on luy prefen ta le bouillon qu'on luy avoit apporté , le quel à le yoir avoit forme de quelque preffis ou reftaurant , qu'il prit jufques à la dernie regoutte : après lequel on luy prefentadans unautre plat quelques paftes confites , fai &tes en forme de rouleaux , où il y avoit quel que apparence qu'il y euft dela viande meflée parmy, defquels après avoir mangé trois ou quatre il fe fit ofter le refte de devant luy & lors on luy rapporta une autre ferviette moüillée de laquelle s'eftant encore lavé & effuyé on luy rebailla fes gands qu'il mit en fes mains , puis le valet de chambre luy ayant remis fon mafque & baiffé fa cornette , luy ofta le manteau : je fus eftonné que mon homme fe ravala dans le lic & après l'avoir couvert on retira le rideau , difant qu'il s'en alloit tafcher à repofer encore unepetite heu re. Je croyois au commencement qu'il fuft inalade , mais voyant fa gayeté , fon bon vi fage , & comme il avoit mangé de bon appe tit , je changeay auffi toft d'opinion. Quant à ceux qui l'avoient fervy chacun fe retira pouren aller faire , peut eſtre autant que le maiftre , fi bien qu'il me falut fortir quant & eux , mais je ne demeuray gueres fans trouver gifte , car oyant parler affez près de là , je m'approchai du lieu pour voir fi j'y pouvois avoir entrée , qui ne me fut point refufée , mais à peine fus-je entré dans la chambre, queje vy trois hommes que l'on tenoit aux cheveux avec de petites tenailles que 9 10 L'ISLE DES 1 que l'on tiroit de certaines petites chauffre rettes

de forte que l'on voyoit leurs che

veux tousfumeux . Cela m'effroya du com mencement & eu toutes les peines du monde à m'empefcher de crier , penfant qu'on leur feift quelque outrage

mais quandje les euz

confiderez de plus près , je recogneu qu'on ne leurs faifoit point de mal : Car l'un lifoit dans un livre , l'autre gauffoit avec un va let , & l'autre entretenoit un qui fe difoit philofophe , vous euffiez dit que l'on vouloit faire de leurs cheveux comme de ces roul leaux d'eftamine tant ils eftoient bien entor tillés entre des tenailles , & quand toute ceſte ceremonie eftoit achevée , leurtefte reffem bloit à un temps pommelé . De cefte cham bre on entroit dans d'autres , lefquelles pour eftre ouvertes on y voyoit tout ce qui s'y fai foit , auxuns onoftoit de petites cordes avec lefquelles leurs cheveux eftoient entortillés aux autres on fecoüoit tellement la tefte qu'on euft penfé que c'eftoit quelque arbre de qui on devoit faire choir du fruit.. Il y en avoit d'autres auffi à qui vous euffiez dit qu'on avoit baillé un ceton , chacun d'eux avoit plufieurs hommes à l'entour de la chai fe où ils eftoient affis , l'un defaifant ce que l'autre avoitfait , l'autre tenant en fes mains ungrand miroir , un autre avoit en fes mains uneboifte pleine de poudre femblables à cel le de Chipre avec unegroffe houppe defoye laquelle il plongeoit dans cefte boifte,, & en faupoudroit la tefte du patient . Quand cela eftoit parachevé

il envenoit un autre ayant

en la main un petit pinceau de fer duquel il fe fervoit de tirer l'abondance des poils des Sourcils , & n'y laiffer qu'un trai & fort delié pour faire l'arcade . Quelques uns fe fervoientde HERMAPHRODITES. 11 1 de certaine gommes faictes par petits rou leaux fort deliés à peu près comme de la cire d'Espagne dont les Dames fe fervent pour cacheter leurs lettres , lefquels ils faifoient fondre à un flambeau qui eftoit pour cet ef fect fur la table & l'apliquerent après fur le fourcil autant qu'on en vouloit ofter , puis auffi toft on arrachoit cefte gomme , avec le poil , non toutesfois fi dextrement que cela ne feift beaucoup de douleur au pauvre pa tient. Durant que toute cette ceremonie fe faifoit j'en voyois un au coing de la chambre qui par un certain inftrument , qu'ils appel-, loient des fublimatoires , faifoit exhaler le mercure en une certaine vapeur , laquelle remaffée & efpoiffie il venoit appliquer fur les joues , fur le Front , & fur le Col de Hermaphrodite. J'en voyois d'autres qui ufoient de certaines eaux dont on les lavoit qui avoient telle puiffance qu'elles pouvoient d'un teintfort groffier enfaire un delicat. Il eftvray quej'ay appris depuis qu'elles avoient une autre proprieté , c'eft qu'après avoir pour un temps clarifié le teint , elles faifoient du vifage comme une mine de rubis , rendant par ce moyenun homme riche en un inftant. Je penfois que ce frottement de levres feroit la derniere ceremonie , mais je vis à l'inſtant unautre fe mettre à genoux devant luy & le prenant à la barbe , luy faifoit baiffer la maf choired'enbas , puis ayant mouillé le doigt dans je ne fçay quelle eau qu'il avoit là au près de luy dans unepetite efcuelle de verre, il prit d'une certaine poudre blanche , de la quelle il luy frotta les gencives & les dents , pais ouvrant une petite boiftelette , il tiraje ne fçay quels offements , lefquels il luy feit entrer dans la gencive les attachant avecunfer 12 . L'ISLE DES biendelié , des deux coftez où il pouvoit avoir quelque prife. Celuy qui luy avoit coloré les joues vint après avec une petite coquille , & un pinceau en la main , duquel il fe fervit pour luy changer la couleur de fa barbe qui eftoit à peu près de la couleur de feu. On apporta uneautre certaine toille affez claire, faite en forme de gands , de laquelle il fe frottoit les joües , qu'il enfloit & bourfouf floit afin de faire manger le poil qui luy croif foit en trop grande abondance. Ily en avoit auffi qui s'aydoient d'une efcarlatte mais celane leur fervoit pas de beaucoup. Après que cela eftoit fait , celuy qui luy avoit tor tillé les cheveux venoit avec un petit ferre ment qu'il mettoit dans la chaufferette , que je difois cy-deffus , qui luy relevoit ti bien le poil de deffus la bouche , que vous euffiez dit d'une gouftiere : & à la verité l'in vention n'en efloit pas mauvaiſe en hyver , à ceux principallement qui veulent obferver les reigles de la propreté. J'en voyois d'au tres aufli à qui on favonnoit la barbe avec de certaines boulettes , qu'on lavoit après , avec de certaines eaus de fenteurs. " Cefte belle & precieuſe tefte fi bien atti fée , je voulois me retirer , & penfois avoir veutout du premier coup tout ce qui eftoit de plus rare en ce lieu : mais je vy auffi toft un des fiens qui luy aportoit des chauffes ban dées &bourfoufflées aufquelles tenoient un long bas de foye , il les avoit deffus fes bras de peur de les gafter tandis qu'on luy chauf foit d'autres chauffes de toille fort deliée , pais on luy meit celles de foye , un autre vint incontinent après apporter une petite paire de fouliers fort eftroics & mignonne ment decoupez : je me mocquois en moy mefme HERMAPHRODITE. 13 mefme de voir fi petite chauffeure & nepou vois comprendre à la verité commeun grand & gros pied pouvoit entrer dans un fi petit foullier , puis que la reigle naturelle veut , que le contenant foit plus grandque le con tenu , &toutesfois c'eftoit icy le contraire: vous luy euffiez veufrapper degrands coups contre terre & faire par fon mouvement trembler tout ce qui eftoit fous luy , puis on luy baille de grands coups contre le bout du pied, cela mefaifoit retlouvenir de ceux qui veulent reprefenter quelque chofe en une comedie. Čarje voyois un homme legenoüil en terre & l'autre en l'air , fur lequel il avoit mis une jambe , & frapper de la main, tan toft le bout du pied , tantoft le talon , puis avec unecertaine peau faire entrerjuſtement la chauffure , jufques au lieu où elle devoit aller. De certains grands liens fervoient après à la faire tenir plus ferme , lefquels on façonnóit en forte qu'ils fembloient une rofe ou quelque autre fleur femblable. Cho fe merveilleufe que ce pied , qui m'avoit femblé fi grand devant que d'eftre chaufféje le trouvay après fi petit qu'à peine le pouvois je recognoiftre , & l'euffiez quafi pris pour le pied de quelque griffon . Ils difoient que tout cela fe faifoit pour la multiplication des corps , qui n'eft pas une petite fcience en la nature. Cecy achevé je vis venir unautreva let de chambre tenant enfes maius une che mife, oùj'y voyois par tout le corps & par les manches force ouvrage de poinct coupé, mais de peurqu'elle ne bleffaft la delicateffe de la chair de celuy qui la devoit mettre, car l'ouvrage eftoit empezé on l'avoit dou blée d'une toille fort deliée. Celuy qui la portoit l'approcha près du feu , que l'on fit. faire 14 L'ISLE DES faire un peu clair , où après l'avoir tenue quelque efpace de temps je vy lever l'Herma phrodite à qui on ofta une longue robbe de foye qu'il avoit , & de certaines braffieres de couleur, puis fa chemiſe qui eftoit fort blan che Mais à ce que j'ay appris ils ne laiffent pas de changer ainfi en ce pays- là de jour & denuit , encore y en ail quelques uns ( rares toutesfois ) qui ne fe fervent jamais deux fois d'une mefme chemife , ny d'autre linge qu'ils ayent , ne pouvant endurer que cela qui les doittoucher ayt eſté leſcivé. Mais ceux qui ne font pas du tout fi ceremonieux les en voyent blanchir quelques uns en des contrées loingtaines , où ils fçavent qu'on a ceſte in duftrie de bien blanchir , les autres par ne ceffité s'accommodent aux lieux où ils font : mais c'est toutesfois après s'eftre bien faict. enquerir des plus parfaicts en cet art. Ceſte chemiſe baillée de laquelle on rehauffa auffi toft le collet de forte que vous euffiez dit que la tefte eftoit en embufcade. On luy ap porta un pourpoint dans lequel il y avoit comme une forme de cuiraffine pour rendre les efpaules efgales , car il en avoit une plus haute que l'autre , & aufli toft celuy qui luy avoit baillé fon pourpoint luy vint reverfer ce grand collet de point couppé que je di fois cy- deffus , & que j'euffe prefque creu eftre de quelque parchemin fort blanc tantil faifoit de bruit quand on le manioit : Ilfail loit le renverfer d'une mefure fi certaine , qu'avant qu'il fuft à fon point on hauffoit & baiffoit ce pauvre Hermaphrodite, que vous euffiez dit qu'on luy donnoit la gefne : quand cela eftoit mis en la forme qu'ils defiroient, cela s'appelloit le don de la rotonde : Ce pourpoint eftoit un peu eſchancré par devant, " & HERMAPHRODITES. 15 & la chemife de mefme , afin de monftrer un peu la blancheur & poliffure de la gorge : mais outre cette efchancrure on n'y laiffoit pas de voir encore quelques dentelles de point couppé au travers defquelles la chair pa roiffoit , afin que cefte diverfité rendift en core la chofe plus defirable, Auffi laiffa- on quelque boutons de propos deliberé quand on le commença à bouttonner , qui nefut pas fans peine , tant cet accouftrement eftoit jufte au corps on difoit que ceux qui en ufoient ainti le faifoient pour obferver les reigles de la fobrieté & de la civile converfa tion quandils feroient aux feftins : mais d'au tres qui aymoient mieux la bonne chere que la bonne mine , fe veftoient un peu plus au large. Lors on commença de l'attacher , mais devant on luy fecoüa les jambes & les cuiffes affez rudement , & fembloit qu'on luy voulut apprendre à faire quelque gefte de pantalon , c'eftoit pour eltendre le bas fur lajambe &fur la cuiffe afin que la forme en paruft plus belle mais ce n'eftoit rien de tout cecy au pris de la peine qu'il y eut à joindre ce bas au hault : car eltant tous deux fort courts il failloit que l'efguillette fervit icy comme d'un bandage d'arbaleſtre àjalet. Il y en avoit d'autres qui fe faifoient emmail loter les jambes les unes après les autres , où il n'y avoit pas peu d'obſervation à tirer la bande efgale , afin qu'undes bouts nepaffaft point l'autre. Après qu'il fut attaché , on iuy vint renverfer de grandes manchettes d'ouvrage qui couvroient environ la qua triefme partie du bras , tandis qu'un autre accommodoit fort curieufement la dentelle du collet , car il falloit qu'elle fuſt un peu relevée afin de mieux faire la roue. Auffi avois 16 L'ISLE DES avois-je oublié à vous dire qu'au collet du pourpoint il y enavoit encore un autre atta ché d'une autre couleur que n'eftoit le pour point , fort piqué &cottonné , quife playoit & renverfoit de forte qu'alors que le col let de la chemife eftoit deffus , il eftoit fort efloigné du corps du pourpoint . Commetout cecy fefaifoit il fortit d'une garderobe là au près de certains petits Pignées , l'un portoit une affiette d'argent fur laquelle il y avoit je ne fçay quelle compofition , l'un tenoit un baffin , l'autre une efguiere , & l'autre un linge ployé fort menu : cela reffembloit la pompe de quelque facrifice à l'antique , & \ ne reftoitplus que la victime pour immoler, laquelleje n'avois point encore veue. Mais auffi toft je vis tout ce monde s'arreſter de 、 vant cefte demy femme , & chacunluyfaire une profonde reverence : Je le croyois eftre fans mains , car je ne les y avois point en coreveues , mais lors il les tira commehors d'un eftuy , & commença à les frotter avec lacompofition qui eftoit fur l'affiette , & après avoir longuementfrotté & lavé , un quel'on difoit eftre gentilhomme fervant , luy pre fenta la ferviette. Après cela on luyapporta un petit coffret qu'ils appellent une pelotte, dans lequel il y avoit force anneaux : il com mandaqu'on en prift quelques uns qu'on luy mit aux doigts. 11 fefit auffi apporter unpe tit efluy dans lequel il y avoit quelques ba gues , d'où on prit deux pendans qu'onluy pendit aux oreilles , & une petite chaifne de perles entremeflée de quelques chiffres qu'on luy mit au bras un autre luy apporta une grande chaifne qui eftoit en deux ou trois doubles degrains de mufc , entremeflez de perles &depetits grains d'or , & repriſe par ens HERMAPHRODITES. 17 endroits , avec de certaines olives taillées , à l'entour defquelles on avoit appliqué for ce petits diamans : Au milieu de la chaifne il y avoit un chaton qui brilloit de toutes parts pour la quantité des pierres precieuſes dont il eftoit couvert ; après cela on luy ap porta un miroir fait à peu près en forme d'un petit livret qu'on luy mit dans la po chette droite de fes chauffes , puis on luy mit un chappeau qui ne luy couvroit que le fommet de la tefte , de peur qu'entrantplus avant il n'euft gafté cefte belle chevelure , dont le cordon affez large & tout recamé de perles & entrelaffé de pierreries , ne fe rap portoit pas mal au cercle de tefte quenos fem mes fouloient porter , il y a quelque temps. Acofté duchappeau il yavoit un grand pen nache non deplumes , commenous les por tons ordinairement : mais de force pierre ries agencées en forme d'aigretté : auffi toft celuy qui luy avoit mis le chapeau fur la te fte , revint avec deux grands fachets de par fum , qu'il portoit les mains eſtendues , & avec uneprofonde reverence les vint prefen ter à l'Hermaphrodite , lequel faifant lever ce luy de deffus , prit un linge fort delié , & fort proprement ployé , qui eftoit deſſus l'autre, lequel il mit dans l'une de fes pochettes. Toutcecy parachevé , il en vint un qui avoit façon de maiftre d'hoftel qui faifoit apporter derriere luy deux boiftes , l'une defquelles il prit , & après l'avoir ouverte , la prefen ta à fon Seigneur & Dame , lequel y prit de certaines paſtes confites , lefquelles il fe fit envelopper dans un papier , & dans l'autre boifteil y avoit de certains petits morceaux de fuccre d'une compofition , à ce qu'on di foit , fort excellente , pour donner quelque B vis 13 L'ISLE DES vigueur à ceux qui devoient , ou quifaifoient porter le faix , defquels avec une cueillier d'argent , il fe fit mettre quelque quantité dans une petite boiftelette d'argent doré fort mignonnement élabourée , qu'on luy avoit apportée , & dans laquelle il y avoit une pe tite cueillier , de mefme eftoffe , pour les pouvoirprendre plus aifément , & fit met tre , tant ladite boifte , que le papier dans la poche , où il avoit mis fon mouchoir: puis on luy apporta une petite paire de gans fort déliez , qu'il fut fort long-temps à eſtendre fur fa main , de forte qu'après qu'il eutfait, ils fembloient y avoir efté collez , & puis on luy enbailla d'autres fort parfumez , & dé coupez àgrandes taillades par les bords , lef quelles eftoient doublées de fatin incarnadin &ratachées avec de petits cordons de foye , de mefme couleur. Ce devoit eftre ici , ce me fembloit , la derniere ceremonie: mais je vy qu'on luy mettoit à la main droicte un inftrument qui s'eftendoit , & fe replioit , en y donnant feulement un coup de doigt , que nous appellons icy un efventail ; il eftoit d'un velin auffi delicatement découpé , qu'il eftoit poffible , avec de la dentelle à l'en tour depareille eftoffe , il eftoit affezgrand : Car cela devoit fervir comme d'un parafol pourſe conferver du hafle , & pour donner quelque rafraifchiffement à ce teint delicat : Car nous eſtions désja fort avancez en la fai fon , & les chaleurs fort violentes en ce pays là . Tous ceux que je pus voir aux autres chambres en avoient un auffi de mefine eftof fe , ou de taffetas avec de la dentelle d'or , & d'argent à l'entour , lors commença à ſe remuer de luy-mefme : car jufques alors il A'avoit eumouvement , que par l'ayde d'au truy ? HERMAPHRODITES. 19 truy mais il branfloit tellement le corps , latefte , & les jambes que je croyois à tous propos qu'il deuft tomber de fon long. J'a vois opinion que cela leur arrivoit , à cauſe de l'inftabilité de l'ifle : mais j'ay appris de puis , que c'eſt à caufe qu'ils trouvent ceſte façon la plus belle que pas une autre. Ces deux que je difois auffi cy- deffus , le vindrent aborder avec le mefme gefte : & après quel ques propos communs , qui durerent quel que peu de temps , je les vy fort empefchez de leurs perfonnes , & comme gens qui ne fçavoient quefaire, ny à quoypaffer le temps : mais l'Hermaphrodite , que j'avois efté plus curieux de voir habiller que pas un des au tres , leur propofa d'aller voir celuy , en la chambre duquel j'avois entré premierement: Ce que les autres ayant trouvé bon , il en print un par la main , & auffi toft s'appuyant nonchalamment fur fon efpaule , fortirent de la chambre , commandant à leurs pages de les fuyvre , lesunsportans des manteaux tout ployez fur leurs efpaules , les autres des efpées je leur demandois fi c'eftoit la façon des pages de ce pays là d'eftre ainfi habillez , ils me dirent que cela n'eftoit point de leur accouftrement , & que c'eftoit à leurs mai ftres , lefquels portoient quelquefois leur manteau mais que pour les efpées que ce n'eftoit que pour la mine , qu'ils ne s'en fer voient point , fi ce n'eftoit quand ils vou loient faire les vaillans contre ceux qui n'ofoient , ouqui nefe fçavoient pas deffen dre: Ce queje creu facilement , veu leurs façons de faire , & auffi qu'ayant confideré les gardes , je vy bien qu'elles n'eftoient pas pourfouftenir de grands coups : elles eftoient toutesfort mignonnement faictes , les unes В 2 do 20 L'ISLE DES dorées , les autres damafquinées ; quant à la lame, elle n'eftoit guere plus large ny plus lourde qu'un foüet , & fi parfumées qu'enco re qu'elles euffent des fourreaux de cuir cou vert de velours , l'odeur ne laiffoit point de les penetrer, & de fe refpandre en dehors ; on difoit que cela eftoit cauſe que les coups en eftoient favorables : car ils n'eftoient pas fi roidement tirez qu'on en mouruft ; quefi cela arrivoit , au moins la mort eftoit fort heureuſe , qui eftoit donnée par une fi belle efpée Durant tout cecy , il vint un nombre de fuyvans , parmy lefquels je me meſlay, 'afin d'entrer en toute affeurance & liberté au lieu où ils alloient ( encore quece nefuſt point la chambre deffendue :) mais aupara vant que d'entrer, ils envoyerent querir quel ques uns , qui chantoient des mieux , & quel ques joueurs de Luth , lefquels commence rent à jouer & chanterun air , le fubjet des paroles duquel me fembloit avoir ouy dire autresfois eftre dans Petronius , aux amours de Trimalcion ; lequel ayant achevé , auffi toft la chambre leur fut ouverte , en laquel le ils entrerent en la mefme poſture qu'ils eftoient fortis de l'autre chambre. Ceft hom me s'appuyant , & fe fouftenant , tout bran flant fur l'efpaule de l'autre , & letroifiefme entrant tout fautelant , vous euffiez dit que c'eftoit quelque maſcarade , & à la veritéils eftoient désja affez defguifez : mais ils ne firent point d'autres figures , que de s'en al ler du mefme gefte à la ruelle du li&t; nous autres fuyvions après , & trouvafmes cefte chambre toutejonchée de rofes , girofiées , & autres fleurs ; mais c'eftoit avec beaucoup d'efpeffeur Car on difoit que cela foula geoit fort les pieds de celuy qui eftoit ſei gneur HERMAPHRODITES. 1 2 ፤ gneur du lieu , lefquels autrement fefuffent offenfez aux lambris de la chambre , quand il y euft marché; toutes les feneftres du co fté du couchant eftoient lors ouvertes , & les rideaux du li& tirez , de forte qu'onpou voit voir une partie de ce qui s'y faifoit. Ce lit eftoit bien l'un des plus richement parez qu'on euftfceu voir : Car le ciel eftoit fait par carrez , dont le fond eftoit de toille d'argent, rehauffez d'or , & de foye , où eftoit repre fentée l'hiftoire de l'ancien Cenée , qu'on voyoit fort naïfvement , fe transformer tan toft en femme , & incontinent après retour ner enhomme ; Les montans eſtoient d'or nuez de relief, & le double ciel car ils ne pouvoient pas dormir en ce pays-là fous une fimple couverture de carrez de point couppé. Sur le lit eftoit une grande houffe à baftons de velours vert , chamarée de clinquant, à baftons rompus qui eftoit un fecret hierogli fique du pays ; elle eftoit trainante à unpied près deterre , & au deffous fe voyoit lefouz baffement de mefme eftoffe au milieu du lict on voyoit une ftatuë d'un homme à de my horsdu lit , qui avoit un bonnet à peu près fait de la forme de ceux des petits en fans nouveaux veftus , il y avoit feulement cefte difference , qu'au lieu des bouillons qu'on a accouftumé de mettre entre les dé coupures , c'eftoit des cheveux frifez , aran gez, & poudrez; il avoit des braffieres de far tin incarnadin tout de broderie de nuances , où eftoient dépeintes lès amours d'Adrian , & d'Antonius, & toute la tapifferie de la cham bre reprefentoit fort au long la mefme hiſtoi. re enplus grands perfonnages ; auffi avoit- el le nom l'autel d'Antinous , ainfi que je l'ay pú apprendre du depuis. Le vifage eftoit fi B 3 blanc 22 L'ISLE DES blanc , fi luyfant , & d'un rouge fi esclatant, qu'on voyoit bien qu'il y avoit plus d'artifi ce que de nature , ce qui me faifoit aifé ment croire que ce n'eftoit que peinture. Il avoit une fraile empefée , & godronnée à gros godrons , au bout de laquelle il y avoit de belle & grande dentelle , les manchettes eftoient godronnées de mefme pour les braffieres elles eftoient fort amples , & s'eften doient fort largement fur le li & ; il avoit les mains , nues , & en fes doigts quelques anneaux qui avoient un merveilleux efclat ; fous fes bras , il y avoit deux oreilliers de fatin cramoifi , en broderie , afin de les luy foutenir fans peine fous le lict on voyoit un graud marchepied , & à la ruelle force fieges de mefme parure que le lit , & houf fez pour la mefme confideration : En cefte ruelle allerent les trois perfonnes que je di fox cy-deffus , & commencerent à invoquer cefte idole par des noms qui ne fe peuvent pas bien reprefenter en noftre langue , d'au tant que tout le langage, &tous les termes des Hermaphrodites font de mefmes que ceux que les Grammairiens appellent du genre com mun , &tiennent autant du mafle que de la femelle toutesfois defirant fçavoir quels dif cours ils tenoient là , un de leur fuitte , de qui je m'eftois accofté , & qui entendoit bien l'Italien , me dit qu'ils donnoient mille louanges à fes perfections , & entre autres qu'ils loüoient fort la beauté & la blancheur de fes mains : mais tous leurs difcours ne l'efmouvoient pas : car elle demeuroit muët te & immobile , jufques à ce que celuy que j'avoy veu habiller de pied en cap , luyvint paffer la mainfur le vifage , comme pour le flatter mais auffi toft ce que j'avois tenu pour HERMAPHRODITES. 23 0 1 Pour müet , & fans, vie , commença à par ler , &d'une parole toute effeminée , &tou tesfois avec deſdain & mefpris , luy dire Ha que vouseftes importun , vous megaſtez ma fraize ; l'autre incontinent avec toute l'humilité & la fubmiffion qui fe pouvoit , le fupplia de luy pardonner avec beaucoup de perfuafions que je ne pus achever d'enten dre , d'autant qu'ils y mefloient plufieurs mots de charité , &de fraternité que mes oreilles eurent en horreur : auffine voulant point interrompre leurs myfteres , & n'eftre point polu de la veuëde tels facrifices , je me retiray de cefte chambre pour entrer en une autre qui eftoit voifine de cefte- cy , que je trouvay beaucoup plus richement emmeu blée Car on y voyoit de tous coftez l'or , les perles , & les pierreries ; on difoit qu'el le avoit efté faicte à l'imitation de la falle du Roy de la Chine , qui eft enfon Palais de la ville de Suntion , ou cité celefte , que nous autres avons nommé Quinfay, en laquelle il donneaudience aux Ambaffadeurs des grands Princes. Auffi toft que je fus entré je vy un Hermaphrodite , à peu près attiffé comme l'autre , qui eftoit dans le lit de l'autre chambre , & quatre ou cinq à l'entour de luy, femblables à ceux queje venois de laiffer ; il venoit de fortir du lict , & on luy mettoitune grande robbe de chambre , d'une eftoffe fort riche , & qui n'eft point commune en ce pays, qui avoit tout à l'entour de la broderie , des perles larges d'un demypied: Je luy avois veu auffi apporter des mules de velours , brodées & parfemées de perles , & par endroits il y avoit quelques pierreries. Auffi toft qu'on eut mis fa robbe , deux de fes plus favoris le prirent par deffous les bras , & le mene B 4 rent 24 L'ISLE DES rent environ quelque vingt pas , & auffi toft je vyhauffer la tapifferie par un des autres , qui le fuyvoient , & ouvrir une porte , dans laquelle ils entroient les uns après les au tres ; je les vouloy fuivre , car il mefembloit quetout eftoit permis , & que l'entrée ne me devoit point eftre deffendue de pas un lieu , veu la facilité que j'y avois trouvée jufques icy : mais on me dit qu'ils tenoient icy leurs confeils plus fecrets , & traictoient là de leurs privez affaires : De forte que per fonne n'y avoit d'accez , que les plus fami liers: Ils appelloient cela d'un nom , pareil à celuy quenous difons icy la garderobe : de . forte que les laiffant là , je m'amufay à con fiderer la richeffe & l'excellence de la tapif ferie , qui me fembloit eftre toute d'enig mes Car en la premiere piece , fur laquel le je jettay ma veuë , je vy un homme ha billé à la Romaine , avec une robbe triom phale , & à l'entour de la tefte un Diadéme, couvert de pierreries , qui eftoit monté fur un petit enclos , à peuprès fait comme une tribune aux harangues à l'entour de luy il y avoit une grande multitude de femmes qu'il fembloit haranguer , & à l'entour def quelles il y avoit un mot latin qui veut dire en noftre langue compagnons d'armes : En un autre piece, je voyois ce mefme homme effendu tout nud fus une table , & plufieurs à l'entour de luy qui avoient diverfes fortes de ferremens , & faifoient tout ce qui leur eftoit poffible pour le faire devenir femme : Inais à ce quej'en pouvois juger par la fuitte de l'hiftoire il demeuroit du genre neutre. En une autre on voyoit des hommes liez fur plufieurs roues qui tournoient en l'eau , & à l'eau, &à l'entour eftoit efcrit en la mef me HERMAPHRODITES. 25 me langue amis Ixioniques . A la piece qui eftoit tout auprès je vis ce mefme genre d'hommes affis à table aufquels on prefen toit toutesfortes de mets , mais ils n'eftoient que de cire , de bois peint , d'yvoire , de mar bre& de pierre, & à chaque mets onleurfai foit laver les mains comme fi elles euffent efté falles. On leur apportoit auffi fort fou vent à boire, encore qu'ils n'euffent point mangé je trouvois tout cecy fort plaifant, mais l'autre piece qui eftoit auprès de celle cy eftoit d'un fubjet plus trifte : car c'eftoit plufieurs hommes affis fur des licts à la fa çon des autres , aufquels on faifoit bonné chere , jufques à les faire enyvrer , puis on oftoit les lumieres , car c'eftoit de nuit , & auffi toft on faifoit entrer des Ours , des Lyons , & des Leopards , aufquels on avoit ofté les griffes & les dents : de forte que la plufpart de ces pauvres gens mouroient de frayeur , ne fçachant pas le fecret de ce my ftere. Je voulois achever de voir tout le reſte de cefte hiftoire , mais voyant un des dome ftiques de là dedans qui mefembla d'unefa çon affez accoftable s'approcher de moy: je penfay qu'il valoit mieux apprendre que fignifioit tout cela : & jugeant qu'il enten doit la langue Latine , d'autant quej'en avois ouy dire aux autres quelques mots par cy parlà : Je le priay au mefine langage de m'expliquer ces figures qui cftoient là repre fentées , ce qu'il s'offrit de faire librement, medifant enun mot que ceſte chambre s'ap pelloit l'autel d'Heliogabale , & que c'eftoit La vie ce queje voyois là dépeint. Je le creu auffi toft , me refouvenant de ce que j'en avois autrefois leu : joint qu'en jettant ma veuë un peu plus loing je vy quelques unes des 26 L'ISLE DES des actions les plus diffolues que ceMonftre commettoit. Il vouloit paffer plus outre à m'en faire la defcription , mais je luy dy que j'enavois autrefois ouy parler, & quej'aymois mieux apprendre quelque chofe que je n'euffe point encore ouye, que ce queje fçavois defia. Lors cognoiffant que j'eftois eftranger nou vellement arrivé en cefte contrée & defireux d'apprendre chofes nouvelles ; il dit qu'il eftoit content de contenter en quelque chofe macuriofité , & medifant que je le fuyviffe il me mena à un lieu à coté de la ruelle du lict , où levant la tapifferie il ouvrit une porte dans laquelle il mefit entrer : mais enpaffant je luy demanday quelle hiftoire eftoit repre fentée au ciel du lidt , qui eftoit encore beau coup plus enrichy que le precedent. Il me dit que c'eftoit les efpoufailles de l'Empe reur Neron avec fon mignon Pythagoras. Ainfi paffant plus outre nous entraîmes en une galerie affez large , & de moyenne lon gueur , en laquelle il y avoit force tableaux de part & d'autre , entre lefquels j'y remar quay le raviffement des Sabines , les pater nefles affections d'Artarxerxes avec fa fille Atofa. Labande des Commourans avec Marc Anthoine & fa Cleopatre , l'infortune du pau vre adolefcent Altem , non de celuy qui fut tranfmué en Cerf, mais de celuy qui fut mis en pieces par fes amans. Les lafcives occupations de Sardanapale , les meditations de l'Aretin rapportées aux Metamorphofes des Dieux , & autres telles infinies reprefen tations fort vivement & naturellement re prefentées. Au bout de cefte gallerie , il y avoit un porche de menüiferie fort mignon nement ouvragé , & fouftenu par deux Sa tyres. Au deffus de l'architrave eftoit lebon pere HERMAPHRODITES. 27 pere Liber , fa tefte entourée de pampres de vigne , & force raifins qui pendoient de tous coftez: De fes deux mains fortoient deux rou leaux qui s'ettendoient de part & d'autre , & de labouche des Satyres , fortoient aufli deux efcriteaux qui regardoient ce gros degoufté, l'un luy demandoit en ces mots , Quis Li ber? & il refpondoit en fon rouleau , Cui licet ut voluit ducere vitam. L'autre Satyre luy faifoit auffi uneautre queftion ences ter mes: Qua tibi fumma boni eft ? & il luy ref pondit comme à l'autre : Uneta vixiffe pa tella nunc femper &affiduo curata cuticula Sole. Dans la frife eftoient efcrits ces mots : Con temptus perages fi vivere cumJove tendis .La le cture de tout cecy me fit penfer que je ver rois icy quelque chofe de plus rare que tout ce que j'avois veu auparavant : de forte que devenu plus curieux que jamais je fuivy ma guide avec un grand defir de voir tous les fe crets de ce lieu , puis que l'occafion s'en pre fentoit. Ainfi continuant mon cheminje vis une infinité de chofes rares " que je ferois trop long à deduire icy particulierement , car le lieu eftoit grand & tout remply de chofes plus curieufes que neceffaires , auffi n'y eftoient-elles amaffées &arrangées que pour contenter l'œil . Il y avoit là dedans plu fieurs chaires brifées qui s'allongeoient , s'ef largiffoient , fe baiffoient , & fe hauffoient par refforts , ainfi qu'on vouloit. C'eftoit ane invention Hermaphrodique nouvellement trouvée en ce pays- là : car à ce quej'ay ap pris ils s'eftudient quelquefois aux Mathe matiques , mais c'eſt pluſtoſt pour apprendre les mouvements terreftres que les celeftes , qui leur font incognus , fi ce n'eſt pour leur en gauffer. Il y avoit mille autres fortes d'in 28 L'ISLE DES d'inventions fur ce fubjet& , que je lairray , pour vous dire que je vy à un des coftez de la chambre douze Statues d'albastre repre fentées au naturel , & quafi comme revivi fiées par une tranfinigration , toutes affifes en des fieges faits en forme de chaire curru le. Il eft vray que les quatre du milieu avoient leurs fieges plus eflevez , qui repreſentoient quelque forme de throfne , car les deux eftoient encore plus eflevez , & plus proches que les deux autres : de forte que cela fai foit à peu près la figure d'un carré en per fpective. Toutes ces Statues eftoient fort ri chement decorées , & paroiffoit bien à la grande curiofité qu'on y avoit apportée qu'el les eftoient fort cheries & en grand respect; leurs accouftremens eftoient entremeflez , de l'un & de l'autre fexe , fans qu'on puit bien diftinguer lequel leur eftoit le mieux feant : Leurs noms eftoient efcrits fur leurs diadef mes , les quatre du cofté droit s'appelloient Anthonius , Neron , Othon , & Vitellius. A main gauche eftoient ces quatre autres , Ga lenus, Sporus, Demetrius , Apicius : les deux qui eftoient moins eflevez n'avoient point de diadefines , mais , l'un avoit un Aigle auprès de luy , & eftoit encore fans barbe, qui me fit juger que c'eftoit Ganimede : auffi vy je après fon nom efcrit au pied de fon fiege ; l'autre avoit comme deux vifages en un , dont l'un des coftez eftoit d'homme & l'autre de femme : A fes pieds estoit Her maphroditus genius hujus Infula , les deux au tres d'au deffus s'appelloient , l'un qui eftoit à main gauche , Sardanapalus author Her maphroditi , & fur l'autre eftoit efcrit Helioga balus PP. reftaur. ac inft . volup. Je mefoufris en moy-mefme du choix que ce peuple avoit i fait HERMAPHRODITES. 20 fait de leurs déitez , & jugeay bien que leur vie n'eftoit pas pour engendrer beaucoup de melancholie , ny pour aller prefcher la pe nitence. Et comme j'eftois en ceſte medita tion celuy qui me conduifoit me monftra à cofté dudit Heliogabale un grand livre fort proprement relie & tout efcrit en lettres d'or , qui eftoit fupporté d'un poulpitre , afin que ceux qui venoient en ce lieu puffent voir à toutes heures ce qui eftoit contenu en iceluy. Il me dit que c'eftoit le livre des loix & couftumes des habitans de l'Ifle que cet Empereur avoit inftituées , & aufquelles on avoit depuis adjoufté quelques unespar ticulieres , felon que la neceffité l'avoit re quis , & l'ouvrant je vy qu'il m'avoit dit la verité ; mais d'autant qu'il yavoitbeaucoup d'efcriture , & que je ne pouvois pas tout li re à caufe que l'heure s'approchoit dudifner; il medit que ceux de ceite Ifle favorifoient fur tous autres les eftrangers commeceux de qui ils peuvent apprendre beaucoup de fa çons nouvelles , & qui fontpar après refpan dre leur renommée par tout le monde uni verfel. Et d'autant qu'on eft bien aiſe defça voir toufiours les couftumes des pays où ils frequentent , on leur faifoit cognoiftre au paravant les fecrets meflez par cy par- là dans plufieurs livres : mais depuis on s'advifa pour plus grande facilité , & afin de fe concilier davantage leur amitié & bien-vueillance , & les attirer toufiours d'avantage en ces con trées , de leur faire faire un extrait de tou tes les loix & couftumes les plus neceffaires à fçavoir , & ce qu'on a jugé eftre le plus propre pour eftre introduit par l'univers de forte qu'il y en a toufiours plufieurs coppies toutes preftes pour ceux qui en feront cu rieux : 30 L'ISLE DES rieux: & moy qui n'eftois pas des moindres le priay fort inftamment de m'en faire part.

Ce qu'il fit , ouvrant une porte où il y avoit

un petit cabinet , dans lequel eftoient quel ques armoires , fur quelques unes defquelles il y avoit des livres , &fur les autres plufieurs papiers dans quelques uns il yavoit des Paf quins , Satyres , & autres fortes de poëfies, & fur les autres eftoient les coppies dontj'ay parlé cy-deffus , dont il m'en bailla une en Latin quej'ay depuis traduitte en noftre lan gue , comme vous pourrez voir dans ce pa pier , s'il vous plaift d'en faire la lecture. Et là-deffus faifant apporter une caffette il en ti ra un papier , où nous trouvafmes ce qui s'enfuit. EXTRAIC T Des Loix , Statuts , Couftumes & Or donnances des Hermaphrodites. I Mperator Varius , Heliogabalus , Hermaphro diticus , Gomorricus , Eunuchus , femperim pudiciffimus. Defirans remettre fus la fuperbe republi que des Hermaphrodites , qui s'eft comme aneantie durant l'Empire deTrajan , Antboi nePie, Marc Aurelle , Severus , & autres nos predeceffeurs bigots , & fans prudence. Et d'autant quetout homme bien advifé la doit tenir pour la plus polie , la plus delicieuſe, la plus corporelle , & la plus conforme aux fens exterieurs & interieurs , & qui fçait le mieux s'accommoder aux paffions humaines qui foit audemeurant du monde , l'eftimant HERMAPHRODITES. 31 à cefte occafion digne de commander à tout l'univers. Et afin qu'à l'advenir quelqueim ,pertinent voulant eſtablir fes opinions chi meriques , ne vueille un jour defraciner ce qui a efté eſtably avec tant de contentement & devolupté , avonsjugé eftre tres- neceffai rede leur donner quelques loix & ordonnan ces , afinque felon icelles ils fe puiffent con duire à perpetuité , & faire revivre &regner. au monde leur monarchie , quelques regle mens (que nos adverfaires appellent de pie té & religion ) qu'on leur vouluft mettre en avant. Nous du confeil de noftre tres-hon norée Dame & mereVaria , & de noftre tres chere & bien-aymée femme Semiamira , de l'advis de nos plus chers Hermaphrodites , gens de noftre Senat , & autres officiers & voluptueux fubjets de ceftuy noftre Empire. Et de noftre très- certaine fcience , pleine puiffance & authorité , Avons eftably, ftatué &ordonné , eſtabliffons , ftatuons & ordon nons ce qui s'enfuit. " Ordonnancesfur le faict de la Religion. Es ceremonies de Bacchus , & de Cupi don & de Venus, foient icy continuelle ment & religieufement obfervées , toute au tre religion en foit bannie à perpetuité , fi ce n'eft pour plus grande volupté. Toutesfois nous n'empefchons de s'accommoder avec les autres religions , pourveu que ce nefoit qu'en apparence & non par croyance. La plus grande volupté foit tenuepar tout ceft Empire pour la plus grande fainêteté : La confervation de la vie , en laquelle nous difons confifter le point d'honneur , pour valeur , & generofité : ce qu'on appelle pre fom 6 32 L'ISLE DES fomptueufe vanité , pour une parfaicte cog. noiffance defoy-mefine : ce que les fonge creux ont nommé effronterie , foit entre nous reputé pour gentilleffe , pourune gra ve affeurance , & pour un brave entregent. Et toutesfois à caufe des calomnies & peu plades qui fe font de nous ordinairement par toutes les contrées du monde , il eſt befoin de s'accommoder aux imperfections qui fe retrouvent parmy les peuples , afin de fe concilier la bienveillance des nations. Nous confeillons à tous nos fubjets , quand ils fe rencontreront avec ceux qui font cas de la pieté , ce qui doit eftre fort rarement , de difcourir avec beaucoup de zele de la devo tion. Quand ils feront avec ces Hercules, & ces Cefars, qu'ils foient encore plus Rodo monts en paroles , que les autres ne font braves aux effects , pourveu que ce foit lors qu'ils fe fentent appuyez & fupportez , au trement convertir tous les affronts en riſée Quant àl'effronterie , nous entendons qu'el le fe face avec difcretion , regardant à qui on s'addreffe , foit aux paroles , en actions de volupté , ou de vanité , de crainte qu'il n'en arrivaft du danger. Nous voulons & entendons que tous ces mots , de confcience , temperance, repen tance, & autres de pareil fubject , foient tenus tant en la fubftance , qu'aux termes : pour chofes vaines , & frivoles. Au con traire nous voulons que ceux- cy ayent feu lement cours parmynous; àfçavoir, deliber té , prodigalité , mefpris de religion , & au tres commeplus propres, &plus conformes à noftre Eftat. Nul n'aye aucunefouvenance de lamort, & ne fe travaille l'eſprit, s'il y doit avoir une au tre vie. Nous HERMAPHRODITES. 33 Nous reputons la bonne mine & l'appa rence entoutes chofes que ce foit , beaucoup plus que l'action , d'autant qu'elle cache beaucoup d'effects avec moins de peine. C'est pourquoy nous exhortons tous nos fubjects , de quelque eftat , qualité , ou con dition qu'ils foyent, de l'acquerir , autant diffimulée que faire fe pourra & de la prefe rer à toute autre vertu. La volonté par tout ceftay noftre Empire foit tenue pour raiſon fans qu'il foit loifible de s'enlever par deffus les fens fans leur con trarier , ou refifter , en façon que ce foit, à peine d'eftre tenu pour ennemy de foy- mef me , & de fa propre nature , & eftre privé de toute felicité. Ceux de nosfubjects qui voudront affifter auxprieres publiques : (Car cefte loy eſt vo lontaire ) pourront s'affeoir , & avoir la te ſte couverte fi bon leur femble , durant quelque myftere qu'on y puiffe traicter , fi ce n'eft que quelqu'un fe vueille defcouvrir pour chaleur , ou depeur de gafter la frifure de fa chevelure : Car lors il pourra bailler fon chapeau à quelque page où laquais. Que fi quelqu'un veut y apporter quelque refpect, & vueille adorer , nous luy defendons de ployer plus d'un genoüil , fouz lequel on mettra quelque carreau de velours , ou quel que couffinet picqué , & cottonné , de crain te qu'il ne fe bleffe contre terre : mais fur tout , qu'il y demeurefort peu de temps , car cela le lafferoit & luy empefcheroit fa devo tion. Ceux qui fe voudront tenir debout nous leur deffendons très expreffément de fe te nir en une place , ny d'une mefme poſture. Car la bienfeance des fubje&ts de cet Eftat, C c'eft 1 34 L'ISLE DES c'eft d'eftre toufiours en action , & d'avoir en eux le mouvement perpetuel , foit de la tefte , du corps & des jambes & fur tout nous tenons les façons fautelantes & brans lantes , pour les plus aggreables & mieux feantes. " Chacun aurafon livre à la main fort mi gnonnement relié , doré & marqueté , eſpais d'un demydoigt , &de la longueur d'un de my pied , ou environ , & non plus long ny plus efpais nyplus gros , de peur que cela ne pele trop à la main , & ne laffe celuy qui y voudroit lire : Lequel livre traictera le plus fouvent d'amour , ou de quelque chofe de plaifir , auquel toutesfois on regardera rare ment : mais on deviſera affez hault , les uns avec les autres , de la bonne chere , de l'a mour, & autres chofes de plaifir. Nous te nons mefme que le ris ett en cecy une partie de la bien- feance , pourveu qu'il nefoit pas continuel. Qui aura quelque maiftreffe , ou quelque ami , les pourront entretenir aux Eglifes , qui font ésautres contrées , les prier fe met tre à genoux devant elles , les perfuader pour les rendre pitoyables à leurs intentions , par toutes fortes de geftes , & deparoles , qu'ils penferont neceffaires pour ceft effect , que s'ils les trouvent favorables à leurs deuirs , pourront uferde l'occafion , fans aucunfcru pule ou reverence du lieu , auquel ils pour roient eftre , attendu que les myſteres vene riens font preferables à tous autres. Et afin d'inciter de plus en plus nos fub jects , à ce qui eft de la volupté & duplaifir, que nous tenons pour noftre fouverain bien. Nous avons par tout ceftuy noftre Empire , remis fus l'ancienne bande facrée des The bains: HERMAPHRODITES. 35 bains : mais d'autant que nous avons la vie d'un de nos fubjects plus chere , & plus pre cieufe que la mort de mille de nos ennemis, nous y avons apporté feulement ceſte diffe rence que ceux-là vouloient s'acquerir de la renommée en s'expofant à toutes fortes de dangers mais nous voulons que les noftres combattent feulement en camp clos pour eftre plus promptement fecourus aux acci dens qui leur pourroient arriver. D'autant que nous fommes toufiours nets, & purifiez detoutes fortes de devotions , eſle vations, contemplations , & autres bagatel les & inventions de nos contraires : il n'y aura point d'autre luſtration , ny d'autre eaubenifte par tous les temps fignalés de ce ftuy noftre Empire , que de belles parolles des courtòifies , & debelles promeffes qu'on fe fera les uns aux autres , fans toutesfois qu'on foit obligé de dire , ou de faire paroi Are ce qu'on adans l'ame nyd'accomplir ce qu'on aura promis , fi laforce ou la neceffité n'y contraint. Le mois de May foit celebré entre tous les mois de l'année , nul en iceluy ne face aucune œuvrefpirituelle , ny manuelle , s'il n'eſt paravanture reduit en une condition pi requ'il ne defiroit : car lors il peut eftrepri vilegié , à condition toutesfois qu'il aura continuellement en fa penſée , les myfteres de Cupidon , & Venus , & s'efforçera de les accomplir à toutes les occafions qui fe pour rontprefenter. Les feftes des Roys , & de Carefime- pre nant confacrées à Bacchus foient les plus co lebres de toute l'année , les octaves defquel les feront de femaines, & non dejours : avec permiffion toutesfois , la derniere fepmains C 2 que 36 L'ISLE DES que ceux qui font plus ruftiques , & moins entendus appellent faincte , de feindre quel quereformation , & toutesfois avec unefer me intention de ne changer jamais defaçon de vie , & deretourner aux exercices accou ftumez fi toft que leurs fuperftitions feront parachevées. Nous enjoignons auffi , & commandons très expreffément à ceux qui feront les plus eflevez en dignité , &à ceux à qui la richeffe, & l'abondance ne peut manquerde faire con tinuer chez eux , & avec leurs plus privez amis les bacchanales toute l'année. Que fi elles nefe peuvent celebrer de jour , àcaufe de leur qualité , qu'au moins elles foient fo lemnitées la nuict.

Ceux qui auront moins de commodité pourront celebrer tant de feftes qu'il leur plaira, & felon leur devotion , & commo dité Car les jours que les anciens appellent feftes , font condamnez par tout ceft Empi re , comme ennemis du repos du plaiſir & contentement humain. Si quelques uns font practiquez , c'eft par fouffrance , & non par commandement exprès , ains feulement pour le bien & utilité de nos pauvres fubjects , en efperance de fecoüer quelquesfois le joug de la pauvreté : Car lors nous leur deffendons très- expreffément de faire aucuns jours ou vrables , ains de tenir toute l'année comme unjour , & une fefte continuelle. Les miniftres ordinaires du temple feront chantres, baladins , comediens , farceurs, & autres de ſemblable eftoffe. Les predica teurs feront choifis entre les poëtes les plus lafcifs , fans qu'autres puiffent eftre appellez à cefte vacation. Car nous tenons pour pro phanes heretiques & fchifinatiques , tous ecux HERMAPHRODITES. 37 ceux qui efcrivent ou qui annoncent la pu dicité , la fainêteté , ou qui par leurs Satyres fe veulent gauffer de noftre façon & maniere de vivre. Les livres qui fe liront le plus commune ment , & defquels on prendra le ſubject de l'exhortation , feront Ovide , Catulle , Tibul le , Properce, traduits en plufieurs & diver fes langues , felon l'ufage des nations ; on y pourra entremefler quelquefois Ariftophane, Anacreon , Gallus , &autres traictans de pa reil fubject. Voulons que ce que lefdicts miniftres chanteront foit pris des livres intitulez mi gnardifes , follaftreries , & gayetés , fi ce n'eſt que quelqu'un pour convertir le cœur de ce luy ou decelle qu'il ayme ayt fait quelques vers reprefentant la violence de leur marty re, pour inciter l'aimé à quelque compaf 'fion: Car lors il leur fera permis de lesfaire chanterpar lefdicts miniftres la nuict , ou au treheure dujour , telle qu'ils jugerons la plus propre pour leur contentement , & felon l'humeur de celuy ou de celle qu'ils recher chent. Et encore que nous n'entendions point qu'il y ait aucune fuperiorité entre lesdits mi niftres , & que nous voulons que chacunait fi bonne opinion de foy , qu'il s'eftime au tant , ou plus habille que fon compagnon. Nous defirons , toutesfois , & exhortons tous nosfubjets qu'ils rendent plus de reve rence & d'honneur à celuy d'entre eux , qui fçaura plus mignardement , & plus lafcive ment exprimer les plus fecrets myſteres d'a mour. Et d'autant que c'eſt par eux principale ment que noftre Empire fe peut maintenir , C 3 ac 38 L'ISLE DES accroiftre & amplifier , eflant bien raifonna ble qu'ils fe reffentent de la dépouille de leurs ennemis , & des noftres : defirant liberale ment les gratifier en tout ce qui nous fera poffible , &pour aucunement les recompen fer de leur labeur. Voulons & entendons qu'outre les dons & prefens ordinaires , que chacun de nos fubjects , leur pourrafaire fe lon qu'ils feront par eux employez au foula gement de leurs paffions : Que ces benefices qu'on appelle communement Abbayes , & Prieurés, leur foient particulierement affe Aez , afin que la grandeur durevenufoit em ployé à l'accroiffement de cet Eftat , fans qu'on les puiffe rendre devolutaires fur eux, nyque ces mots d'incapacité , inhabilité , & fymonie , puiffent eftre mis en avant pour leur regard , ains feulement contre nos ad verfaires. 1 Comme auffi nous entendons qu'il y ait par tout le monde plufieurs Evefques laiz , curez de robbe courte , & autres beneficiers, ayant charge d'amefans rendre compte: mais feulement qu'ils jouyffent des benefices , fe contentans feulement d'en faire quelque pen fion à quelque pauvre malotru , fous le nom duquel ils le pourront tenir en toute affeu rance employant le furplus en leurs delices & le defpendant voluptueufement , & pro digalement , y faifant plus de dégaft en un an qu'ils les poffederont , que les vrais titu laires n'euffent en vingt ans. Par grace & privilege fpecial , nous per mettons aux Ecclefiaftiques qui fe voudront convertir à nous , & vivre felon nos loix , ftatuts , & ordonnances , de vendre à leurs diocefains , & parrochiens les chofes qu'ils tiennent pour les plus fainetes. D'aller le f moins HERMAPHRODITES. 39 moins qu'il leur fera poffible en leurs dioce fes, & autres lieux de leurjurifdiction : mais feulement defrequenter les temples plus re nommez de ceftuy noftre Empire. Leurper mettons auffi de vivre en ignorance de l'Ef criture qu'on appellefaincte , fans eftre con- › traints de donner inftruction à ceux qu'ils ont en charge. Que s'ils y font fçavans en quel que chofe , nous les exemptons de la croyan ce. Trouvons bon toutesfois qu'ils ufentde leur fçavoir feulement pour fe faireparoiftre, Voulons qu'ils puiffent renonçer en eux mef mes àtous vœux & profeffions qu'ils pour roient avoir faictes , les exhortant feulement à fe donnerdu bontemps , &paffer leur aage viril en pompes & endelices , & leur vieillef fe enbanquets & bonne chere , & autres vo lupteź furnaturelles. Defirons toutesfois qu'ils foient meflez & employez en toutes les affaires du monde, pourveu que la gran deur de leur courage , quenos contraires ap pellent ambition , les y porte , & que cela ne les prive point de leurs voluptez. Afin auffi que ceux qui voudront eftre ca techifez en noftre religion , puiffent eſtre in ftruits en peu de mots de toute la fubſtance d'icelle, nous avons redigé en huit articles les plusfommaires que nous avons peu , tout ce qu'elle peut contenir. Articles de Foy des Hermaphrodites. Ous ignorons la creation , redem ption , juftification , & damnation , fi ce n'eft en bonne mine , & en paroles , & feulement pour pipper nos adverfaires , & nous accommoder au temps. 2. Nous ignorons s'il y a aucune tempo C4 rali. 40 L'ISLE DES ralité , ou eternité au monde , ny s'il doit avoir un jour quelque fin , de crainte que cela ne nous trouble l'efprit , & nous cauſe de la frayeur. 3. Nous ignorons toute autre Divinité, que l'Amour , & que Bacchus , que nous di fons refider effentiellement dans noftre defir, auquel nous rendons tout honneur. 4. Nous ignorons une providence fupe rieure aux chofes humaines , & croyons que tout fe conduit à l'adventure. 5. Nous ignorons tout autre paradis , que la volupté temporelle , que nous diſons re cognoiftre par les fens. C'eftpourquoy nous les recherchons , &cheriffons par deſſus tou tes chofes. 6. Nous ignorons toute autre vie que la prefente, &croyons qu'après icelle tout eft mort pour nous. C'eftpourquoy nous nous efforçons jufqu'au dernier jour à nous don ner tout le plaifir que nous nous pouvons imaginer. 7. Nous ignorons tout autre efprit que ce qui nous eft perfuadé par le plaifir que nous croyons fe rendre vifible en nos paffions & affections. C'est pourquoy nous leur adhe rons autant quefaire fe peut. 8. Nousignorons que ce qui eft fur la ter repuiffe quelquefois fervir , à ce que on dit, eftre au ciel. C'est pourquoy nous tenons pour follie toute autre communion que cel le qui fe trouve ennos affemblées , que nous croyons ne pouvoir eftre maintenues quepar le moyen de l'ancienne opinion des gno ftiques. Jurons & proteftons de vivre & mouriren cefte croyance à peine d'eftre tenus pour bi gots , fuperftitieux , mal advifez , & d'eftre tou 1 HERMAPHRODITES. 41 toute noftre vie en continuelle inquietude fans aucune tranquilité. Pour ce qui concerne la juftice , & Officiers de cet Eftat. Q Uant à la juftice qui fe doit rendre entre nos fubjects , nous voulons & enten dons que ceux qui obferveront depoinct en poinct les prefentes loix & ordonnances puif fent vivre en toute liberté , franchife & affeu rance qui fe puiffe defirer , fans crainte d'e ftre repris de juftice , quoy qu'ils puiffent commettre. Auffi interdifons nous la cog noiffance de leurs actions à tous jufticiers (s'ils ne font particulierement & fpeciale ment deleguez par le fouverain , pour quel que cas fort notable , où il y aille de fa vie & defon eftat. ) 1 C'est pourquoy nous ne tenons point pour crime l'homicide , quand bien l'ennemy au roit efté pris à ſon defavantage ; au contraire nous voulons que ceux qui auront eu l'affeu rance de prendre vengeance de quelque in jure , tant petite qu'elle foit , & en quelque maniere que ce foit , puiffent marcher la tefte levée devant un chacun , avec la reputation d'un galand & vaillant Hermaphrodite. Exemptons toutesfois tous ceux qu'on tiendra pour les plus bravaches des perils & dangers de la guerre , avec permiffion de fe retirer à fauveté quand il y aura du danger , ny de n'affronter point l'ennemy quand les forces feront efgales. Les parricides , matricides , fratricides , & autres actions de telle qualité , ne feront point recherchées fur les noftres , pourveu que ce qu'ils en auront fait accroiffe leurs ri 42 L'ISLE DES richeffes &commoditez. Que fi quelques uns plus fcrupuleux s'abftiennent du fang de leurs parens , ils prieront au moins pour l'ab bregement de leurvie, n'eftimant point rai fonnable que quelque vieillard radoteux , ou quelque humeur ruftique poffede ce que me rite unde nosbraves galands. Quant aux duels nous n'entendons point qu'ils fe mettent enpractique que le plus ra rement que faire fe pourra , & feulement lors qu'on aura efté furpris ; voulant neant moins que la chofe foit fçeue en plufieurs lieux , &qu'elle parviennejuſques auxoreil les du Prince de la province où cela arri vera, afin que par amis , ou par authorité , cela fe puiffe rompre avec honneur : & que fi par hazard on tire quelques coups , qu'un hola puiffe conferver la vie. Les autres qui en uferont autrement nous les tenons pour indifcrets & fans cervelle. Voulons auffi que ce que nos contraires nomment adultere , foit en vogue , enhon neur, & reputation par tout ceftuy noftre Empire , comme chofe très-neceffaire pour lamanutention de nos fubjets , fans que les maris en puiffent en façon quelconque eftre moins eftimez , au contraire feront honorez & favorifez. D'autant que nous tenons le nom de Cornes fignifier pluftoft elevation & augmentation de dignité , ainfi que le pre noient les anciens Hebrieux , quepour abaif fement ou mefpris au contraire nous vou ions qu'on face cas d'un mary en proportion de la multitude des cornes qu'il portera , ainfi que les chaffeurs font des Cerfs . Auffi entendons nous qu'on fe demande l'un à İ'autre combien un tel porte- il ? afin qu'on luy rende l'honneur qu'il merite. Voulons auffi HERMAPHRODITES. 43 用 auffi queceux qui d'eux-mefmes fe les pour ront planter par leur induftrie , bonne con duite, & pour leur grande utilité feront te nus pour les plus adviſez. Quefiil y a quelque mary qui foit jaloux de fa femme , encore qu'il merite quelque punition pour un fi grand crime , nous leur permettons neantmoins de porter la clefde ce dont leurs femmes auront la ferrure , de les tenir renfermées leplus qu'ils pourront, pourveuqu'il y ait quelque petite ouverture par où puiffe entrer la pluye de Danae. En tendons queceux ou celles qu'ils leur bail leront pourgardes, ou pour efpies , leur fer vent des moyens pour les corrompre. Vou lons femblablement que les femmes ne s'ar reftent point à tout ce que leur pourroient dire leurfdits maris , mais fe donner toufiours dubon temps le plusqu'elles pourront ; con feillons toutesfois de s'y comporter le plus fecrettement que faire fe pourra , de crainte qu'il ne leur furvienne appoplexie acciden telle , ou quelque mal de cœur fuperna turel. Nous donnons pour armes aufdits maris trois brins de patience en chant de Coucou , avecpermiffion de porter lefdites armes tym brées en forme de maffacre de Cerf. Si quelquevieillard efpoufe quelquejeune fille , nous voulons qu'elle puiffe s'ayder de la loy de Lycurgus Lacedemonien , & celle de qui le maryfera trop lafche &poltron , pour ra fe fervir de celle de Solon. Les raviffemens , violemens , & autres galanteries feront tenues en reputation par tout cet Empire , pourveu qu'on s'addreffe à ceux qui feront de beaucoup inferieurs , & que l'offencé ayt plus de crainte de l'aggref Tear 1 44 L'ISLE DES • feur que d'efperance de juftice , quand bien il s'en viendroit plaindre. Pour le regard des inceftes du pere avec la fille , du frere avec la fœur , dugendre avec la belle mere, & autres, que les fols & mal adviſez tiennent à fi grand crime , nous vou lons & entendons qu'on en puiffe ufer avec toute franchiſe & liberté , attendu que cela concerne & augmente d'autant plus les fa milles , fi aucune confanguinité peut eftre diftinguée parmy eux. Nous permettons auffi aux peres & aux meres de traffiquer leurs enfans pour fervir de facrifice à l'amour , pourveu que ce foit à quelquegrand qui leur donne recompenfe, & fur lequel ils puiffent fonder une belle ef perance. Nous voulons & entendons que les Am baffadeurs , agens , miniftres , procureurs, & autres negociateurs pour les affaires d'a mourfoient recherchez , prifez , & eftimez par tous nosfubjects. Et pour les inciter de plus au devoir de leur charge , voulons qu'ils foient enrichis & eflevez aux dignitez les plus honorables. Et quant aux femmes qui fe mefleront de pareille vacation , voulons qu'elles ayent leur paffe-par- tout , & qu'elles foient qualifiées du nom de mere Dame d'honneur, & autres noms femblables. Com mandons à tous nos fubjects de les bien & favorablementrecompenfer, & lesfairejouyr de toutes fortes de privileges , franchiſes , & immunitez. Quefi les uns ou les autres de cefte qualité , à fçavoir hommes & femmes, paffent par la rue , ouvont en quelque lieu , deffendons à tous , de quelque qualité ou condition qu'ils foient , de leur faire piou piou, ou de leur dire autres termes de moc que HERMAPHRODITES. 45 querie , à peine d'eftre bafoüez par toutes fortes digne de rifée , & d'ettre tenus pour gens incivils & fans difcretion. Nous n'entendons point qu'il y ayt par my nos fubjects aucuns degrez de confan guinité , fi ce n'eſt en ce qui regardera les biens & poffeffions , & pour ceſte confidera tion feule nous avons voulu retenir les noms de frere , fœur , oncle , nepveu , cousin germain , & autres. Necroyans pas quepour le regard du fang on fe puiffe dire d'une famille pluftoft que d'une autre , à caufe de la multitude des peres que chacun peut avoir, & des fuppofitions quife peuvent faire. C'eſt pourquoy nous aboliffons dès maintenant & pour toufiours ces noms de pere , mere , fre re , fœur , & autres , ains voulons qu'on ufe feulement de ceux de Monfieur , Madame, ou autres de pareil honneur , felon la cou ftume des pays, Nous faifons très expreffes inhibitions & defenfes d'ufer d'orefnavant de ce nom de baftard ou fils de putain , ains les avons dès inaintenant & pour toufiours declarez pour vrays & legitimes heritiers , principalement ceux qui ont efté conceus en adultere , ainfi que nos adverfaires l'ont nommé , fans qu'ils ayent befoin de ettres de Magiftrat tant fe culier qu'Ecclefiaftique , puis que le nom du mary leur fert affez d'adveu & de legi time. Et encore que nous tenions le mariage pour une chofe ridicule & du tout contraire à nos defirs & volontez , diffipant les affe ations le plus fouvent pluftoft qu'ils ne les entretient. Toutesfois d'autant qu'il appor te des commoditez à l'amour d'un fecond, nous en avons permis l'ufage, jointquefous cefle 46 L'ISLE DE S cefte couverture les chofes fe mettent plus facilement à couver:, qui autrement feroient divulguées àtout le monde. Permettons aux plus galands d'entre les notires de fe faire braves & s'ajoliver aux defpens d'autruy , empruntant de tout le monde fans avoir aucune intention de ren dre. Que fi quelque creancier importun & de mauvaiſeforte les vouloit tourmenter par procedure & chiquaneries pour r'avoir ce qui Jeur pourroit eſtre deu , nous commandons très-expreffément à tous nos jufticiers de leur donner autant de delais qu'ils en fçauroient demander. Que fi quelquefois ils font con trains par l'importunité defdits creanciers , de les condamner dans un certain temps , & le terme expiré à faute de payement , leurs adverfes parties les vueillentfaire mettre en lieu feur & à couvert , ou ufer fur eux de main mife. Nous leur permettons de repouf fer cet outrage par rebellions violences , ruptures , & autres voyes de fait pour inti mider de plus en plus leurs ennemis , fans que pour chofe qu'ils puiffent avoirfaicte , ils doivent avoir quelque crainte d'en eſtre re cherchez à l'advenir. " Ceux qui auront ufurpé fur autruy terres, rentes , feigneuries , argent , meubles , & autres chofes , neferont point fubjets à refti tution , ains les retiendront à main forte s'ils les ont pris fur leurs inferieurs , fans queles autres s'en ofent plaindre , s'ils ne veulent donner leurbon argent aux mauvais , & met tre en danger leur propre vie après avoirper du leur bien. Pour le regard des differens que nos fub jects pourroient avoir les uns avec les autres, voulons que celuy qui aura le plus d'autho rité , HERMAPHRODITES . 47 rité , d'amis , de richeffes & de dignité , foit celuy qui gaigne fa caufe , quelque injufte que puiffe eftre fon droict

voulons que ce

que les cenfeurs de nos actions appellent fa veur & corruption , foit tenu pour juſtice par tout cet Empire . C'est pourquoy nous permettons à tous nos jufticiers &officiers , qui feront du nom bre de nos plus fidelles & affectionnez fub jects , de prendre à toutes mains , juger fur l'etiquette , feindre quelque deficit ou taire quelque chofe importante , fuppofer de faulx tiltres , ne fe fouvenir que des raifons de ceux à qui ils voudront fairejuice

c'eſt

à dire favorifer , adjoufter , & reformer les fentences ou arrefts qui auront efté donnez , declarer les fecrets & opinions de l'affemblée , obmettre aux enqueftes & interrogatoires beaucoup dechofes de propos deliberé , fai re la leçon aux faux tefimoings , prolonger le jugement ou le hafter felon l'utilité de leurs amis & autres inventions neceffaires au deu & exercice de leurs charges , fans que pour cecy ils doivent apprehender d'eftre ja mais repris , ou craindre aucune Mercuria le , d'autant qu'en toutes ces choſes nous te nons qu'on doit ufer de la proportion Geo metrique . Auffi avons nousofté les balances de noftre juſtice , & luy avons donné de bons yeux & debonnes mains . D'autant auffi que nous voulons & enten dons que leurs arrefts & fentences puiffent longuement vivre , fans que la longueur du temps y puiffe apporter de la corruptions nous confeillons aux noftres de n'efpicer pas mediocrement & felon que raisonnablement il peut appartenir pour la vacation mais qu'ils efpicent de forte que la pointe s'en • puif 48 L'ISLE DES puiffe fentir jufques au vif par ceux qui en auront tafté , voire long- temps , meſmes après qu'ils auront efté donnez. Et quant aux jufticiers qui voudront ufer de la proportion Arithmetique , ou harmo nique rendant le droit à qui il appartient , & qu'on appelle couftumierement bons Juges & gens de bien , nous les tenons pour aveu gles &fans jugement. C'eft pourquoy nous defendons de prendre leurs voix & fuffrages, au moins le plus tard que faire ce pourra , ny d'adherer à leurs opinions , fi faire.fe peut. Au contraire voulons qu'ils foient fubjets à l'oftraciſme ( ainfi que ceft idiot d'Ariftides ) à toutes les occafions qui fe pourront preſen ter, les banniffant le plus fouvent que faire fe pourra , de peur qu'ils n'efclairent trop particulierement les noftres : & les empe fchent au deu & en l'exercice de leurs char ges , comme ils defirent aboliffant pourtou fiours le crime & le nomde concuffion . Nul ne foit fi hardy , ny fi temeraire de former aucune plainte , ou d'intenter quel que action contre nofdicts juges , & officiers, pour quelque caufe que ce foit , s'il ne veut eftre rigoureusement chaftié par fa bourſe , outre la perte de ce qu'il demande , fi c'eſt matiere civile , & de patir mille affronts , & ignominies , en cas de crime : voire mef me d'y perdre l'honneur &la vie , fi le cas y efchet. Les peres & meres plaideront ordinaire ment contre leurs enfans , & les enfans con tre leurs peres , les tiendront en tutelles , ou leur feront accroire qu'ils ont perdu le fens , afin dejouyr de leur bien : Quefi quel que bonne fortune a eflevé lefdits enfans en quelque grade plus honorable , que celuy de HERMAPHRODITES. 49 de leurs peres , voulons qu'ils les defdaig nent, & les renonçent pour parens , princi palement s'ils font d'une nature fimple , & bonnace , ou s'ils veulent vivre fans cere monie. Ceux qui auront le maniement de nos fi nances , feront tenus & obligez d'entendre fur toutes chofes ces deux reigles , de fub ftraction , &demultiplication , pours'ayder de l'une enleur recepte , & de l'autre en la defpence. Auffi voulons nous qu'ils fçachent enfier les rooles : Quadrer les lignes , mon ter les fommes totales ; Suppofer voyages, & autres parties , afin qu'en leurs comptes ils puiffent dreffer un chapitre de deniers comptez, & non payez , aufquels ils com prendront auffi les parties dont ils n'auront payéque le quart , oule tiers , pour le plus, commedons, recompences , gages , acquits dedebtes , payement de rentes , mandemens, & autres natures de deniers , lefquelles tou tesfois ils coucheront tout au long en leur defpence , fuppoferont denon valeurs , tire ront fouz main des ordonnances non or données , bailleront les deniers royaux à in tereft , change , & rechange , lefquels tour neront à leur profit , & non pas à celuy du Prince , au fervice duquel ils feront. Ceux qui feront fouz eux leur ferontplu fieurs prefens , de gibbier , vin , fruits , eſpi ceries , draps defoye , pierreries , & autres: toutes lefquelles chofes fe nommeront la pa tience du recepveur , fans que pource ils doi vent craindre aucune chambre royale , ny qu'on les puiffe accufer de crimede peculat : ains leursavons mis & mettons pour l'adve nir, toutes ces parties là en fouffrances , fans qu'ils puiffent entrer en crainte d'en eftre re Ꭰ cher. fo L'ISLE DES 1 cherchez , pourveu qu'ils ayent l'induftrie d'arroufer à propos leurs adverfaires , avec de l'eau prife au fond du fleuve de Pactole , ou de la riviere de la Plate. Ceux qui feront employez aux commif fions pour lever impotts , emprunts , tailles , &autres fubfides , que les Princes & Poten tats , au fervice defquelles ils feront , pour ront mettre fur leurs fubjects

Nous vou

lons qu'ils puiffent ufer de la crue à leur pro fit , &toutesfois que les fraiz de la commif fion , & des recompences des officiers em ployez fous icelle fe montentfi haut , que le tiers de deniers levez ne reviennent pas net aux coffres du Prince

Car c'eft en celaque

fe defcouvrira la gentilleffe de leur efprit

& fur tout , fi après toutes ces chofes ils ont l'affeurance dedemander recompence deleur fidelle fervice . Nous voulons & entendons que nofdits financiers venus de bas lieu , & dont la lie de l'origine s'eft feulement clarifiée dans leurs coffres , qui fans aucun fond & reve nu " ou pour le moins avec fort peu de cho fe auront fidelement acquis en la maniere qui a efté dicte cy deffus en bien fort peu d'années de très - grandes richeffes , & par le moyen d'icelles tiré de bonnes deſcharges de leur adminiftration , puiffent porter le tiltre de Seigneurs pour les terres qu'ils au ront acquifes

avoir chez eux des meubles

très-riches , & precieux , & faire baftir plu fieurs palais , & maifons fuperbes , en toute affeurance fans qu'on feur puiffe demander où ils ont pu prendre tant d'argent , ny qu'ils puiffent eftre fubjects à aucunerevifion de compte , encore qu'on cognoiffe mani feftement que toute leur opulence ne peut Yes HERMAPHRODITES. fr venir que dela pauvreté publique : mais au contraire voulons qu'ils foient honorez & re fpectez, & que eux ou leurs defcendans foient capables de tenir les plus grands eftats des re publiques où ils fe rencontreront. Nous tenons auffi entre les particuliers financiers , ceux-là les plus habiles qui ac querront de leurs maiſtrès les meilleures ter res qu'ils ayent , quand bien ils feroient entrez chez eux avec la mandille , ou avec l'eftrille , & le bouchon, ou quelque office. de pareille qualité, & toutesfois que leurf dicts maiftres leurs foient tellement reliqua taires par la reddition de leurs comptes , que le refte du bien foit mis en criées , & vendu à vil prix , ayant reduit les enfans de leurs feigneurs en telle neceffité , qu'ils foient contraints de les venir rechercher , & leur faire la cour , fe faiſant ainfi honorer à leur tour. Que s'ils leur donnent par hazard quel que main levée , ou leur permettent de jouir de quelque peu de chofe : Nous voulons qu'ils foient tenus pour fort charitables , & recognoiffans , & voulons qu'ils puiffent di re haut &clair devant tout le monde , & fans rougir , qu'ils fe fontfaicts pauvres pour bien fervir leurs peres , & qu'ils n'en ontjamais tiré autre recompence , que beaucoup de debtes , qu'ils leur ont laiffé fur les bras. Que fi quelque Prince eftablit par deffus eux un fuperintendant , qui paraventure dé couvre leurs inventions , & vueille faire le profit de fon maiſtre : Nous voulons qu'il foit fubject à la hayne de tout le monde , par l'artifice defdits financiers , & leur permet tons de mefdire de luy à toute refte , & de tafcherpar leurs artifices de le rendre fufpect au Prince, afin qu'eftant difgracié, ils puif D2 feng 52 L'ISLE DES fent recommencer leurs anciennes & loua bles couftumes , comme ils faifoient au paravant, Quant aux officiers qui font près la per fonne du Prince , & ont cognoiffance de fes affaires plus fecrettes : Nous voulons & en tendons qu'ils foient penfionnaires & facteurs des autres Princes , leurs voifins , leur per mettons de découvrir leurs fecrets & leur donner advis de tout ce qui fe paffe , fans que pour cela ils en foyent moins cheris & careffez de leurs maiftres , ny moins recom-, pencez de leur fidelité. 2 Quant à ceux qui voudront eſtre traiftres à eux- mefmes , &faire le bien d'autruy par leurs confeils , & par leur filence : Nous voulons qu'ils foient mefprifez , comme gens ftupides , & fans efprit , & que les autres foient redoutez , à caufe que ( comme ils di fent ) ils feront mal, & ceux-cy tenus pour gens de peu , à caufe qu'ils ne le veulent pas faire. C'est pourquoy nous ordonnons que les noftres foient enrichis , & queleurs contrai res s'appauvriffent. Nous voulons auffr que les fufdicts offi ciers foient partifans afin qu'ils puiffent fai re bailler les fermes , aux rabais , & que le Prince fe puiffe vanter , que fa richeffe n'eft pas en fa bourfe , mais en celle de fes fub jects. Pourront prendre des pots de vin , & autres menus droits , & avec ce entrer au partypourun quart , ou pour autre portion , felon la fomme qu'ils y apporteront, fans que pour celails laiffent de prendre quelques pre fens , s'il en faut venir aux diminutions : car telle eft la loy de tous les officiers de ceft Em pire , quifont nos fubje&ts , de prendre à tou tes mains , quand le cas y efchet. Ронг HERMAPHRODITES. 53 Pour ce qui concerne la Police. Uant aux reformateurs & gens de poli ce, qui feront de nosfujets , ils permet tront les faux poix , faulfes mefures , dégui femens , fophiftications , & autres jolies in ventions , que nos pauvres fubjects peuvent inventer , pourveu que ceux qui uferont de telle chofe , en facent aufdits officiers , la recognoiffance qui leur eft deue. Lefdits officiers permettront auffi tous dif cours & libelles diffamatoires contre l'hon neur du Prince , & de fon Eftat : que fipour leur honneur ils font contraints d'en faire quelque recherche &qu'il arrive qu'ils pren nent les coulpables , ceux qui auront dequoy, il leur fera permis de les laiffer fortir par la porte dorée ; les autres qui feront ne ceffiteux , & ne mettront rien en leurs mains de peur qu'elles ne s'enflent , efprouveront la rigueur de juftice pour donner d'autant plus au monde une bonne impreffion de leur preud'hommie & fidelité. Que s'il ya quel que niais qui vueille faire pratiquer à la ri gueur des loix & ordonnances dupays oùil fera fans autre recompence qu'un fol & vain honneur , d'eftre tenu par nos contrai res pour homme de bien , tant en cequenous avons dit cy deffus , qu'en ce que nous di rons cy après nous voulons queles noftres courent fus telles manieres de gens , leur impofent toutes fortes de calomnies , & les accufent eux mefmes de concuffion , & leur donnent tant de traverfes , qu'ils foient en fin contraints de fe taire , s'ils ne font paraventure de la race des anciens Catons. Car alors nous confeillons à nofdits officiers D 3 de 54 L'ISLE DES de fe tenir fur leurs gardes , & de faire leurs petites affaires le plus fecrettement quefaire fe pourra. Defendons auffi très- expreffément à nof dits officiers de rechercher ceux qui paffent leur vie fans rienfaire , encore qu'ils n'ayent aucun moyen , car nous tenons tous nos fub jects pour Gentilshommes , & voulons que pour ce regard ils vivent felon la loy de Ly curgus , fans toutesfois les affuje &tir aux exer cices du corps , fi ce n'eftà ceux qui peuvent inciter à la volupté : l'oifiveté eſtant la ver tu la plus neceffaire pour la nourrir & en tretenir. " Quant aux lieux facrez de Vertumnus , Bacchus, & Venus , nous voulons qu'ils fer vent d'orefnavant d'afile & de refuge à tous ceux que nos adverfaires nomment Safra niers , Ceffionnaires , Banqueroutiers & au tres gens de bagage de noftre fuitte , fans que nofdits officiers leur puiffent faire aucun def plaifir , trop bien leur fera il permis de com pofer avec les miniftres defdits lieux & enti rer quelques cenfives & droicts feigneuriaux, pour marque qu'ils font fubjects & vaffauls de noftre Empire. Nous voulons auffi que ceux qui auront faict faute , non par neceffité, mais d'une vo lonté premeditée par unegentilleffe d'efprit fe tranfportant eux & l'argent de leurs crean ciers en quelque pays un peu efloigné , fai fant cependant par le moyen de leurs amis une compofition de prime avec leurfdits creanciers , foient tenus' pour les plus habi les & mieux entendus d'entre les noftres, quand bien ils auroient ufé cinq ou fix fois de la mefme galanterie , pourveu que l'on trouve chez eux de beaux livres de raifon & autres R 1 ' S HERMAPHRODITES. ST autres papiers journaux bien efcrits où fe puiffe voir clairement toutes leurs debtes , mais qu'ils ne facent aucune mention de ce qu'ils poffedent , ny de ce qu'on leur doit . Les années que le bled & le vin fera plus rare quede couftume , aux pays principale ment où il n'eft pas en trop grande quantité, nous permettons aux noftres d'en faire ma gazins , &ne le debiter qu'à l'extremité , afin detirer plus aifément tout le mauvais fang du public qui leur vient durant les années dé l'abondance , & par une fubtile alchimie le convertir en leur fubftance : Deffendans à nofdits officiers d'y mettre autre taux , foit aufdits bleds & vins , ou autres denrées ne ceffaires à la vie , queceux que lefdicts Chi rurgiens publics yvoudront , pourveu qu'ils les fourniffent de tout ce qui fera neceffai re à l'entretenement de leur maison & fa mille. Etd'autant que quelques uns des anciens Romains , après quelque fignalée victoire , fe faifoient conduire au fon des fluftes , vou lons renouveller cefte ancienne couftume que nous avons jugée jufte & civile , pour gratifier auffi de plus enplus ceux qui auront toufiours approuvé noftre manierede vie , & pris en main noftre party , & lefquels ont leurs demeures près des forefts & hautes fu tayes Par une grace & privilege fpecial nous leur avons permis de faire jouer des haut-bois toutes & quantesfois qu'il leur plai ra , fans que les reformateurs puiffent appor ter leurs diftinctions de bois mort & mort bois . Mais voulons que tous chablis , foit qu'on leur ait mis lefeu au pied , ou autre ment , foient bois d'ufage , noftre intention eftant telle , que pour leur regard toutes D 4 fg: 1 56 L'ISLE DES セイ foreſts foient de la nature du bois de Danaé , à fçavoir que les gruyers n'y puiffent jamais donner coup de marteau. Quant aufdits Reformateurs & autres fous-officiers de nos affectionnez fubjects , ils pourront émonder , efferrer , ou élaguer lefdictes forefts aux lieux qu'ils verront les plus commodes pour leur utilité . Et quand on leur ordonnera devendre quelque quan tité de pieds d'arbres , nous voulons qu'ils ne s'arreſtent pas au pied de la lettre , com meon le prend communément , maisfelon leur intelligence : àfçavoir de compter au tant d'arbres pour un pied , comme on com pte ordinairement de poulces pour compo fer un pied Royal , eftant bien raisonnable , puis qu'ils font officiers Royaux , qu'ils fe gouvernement auffi à la Royalle. Quantaux moindres officiers defdiates fo refts , nous leur permettons de faire toute forte de merrin , bardeau , & autre bois d'u fage foubs le nom des pauvres marchands , s'accommodans avec les pauvres maneuvres denos fubjects proches defdictes forefts. Que s'il y a quelqu'un defdicts maneuvres quiait quelque moyen &vueillefaire foncas àpart: commandons aufdits gardes de leur permet tre de prendre les plus beaux arbres & de meilleure fente , pourveu qu'ils les recom penfent de forte que les uns puiffent cou vrir leurs maifons de quart d'efcu , les au tres acheter par cemoyentoutes leurs com moditez , & tous enfemble foient fouvent careffez chez lebonpere Silenus , & n'enfor tent jamais fans faire retentir dans lefdictes forefts lefainct nom d'Evoé.

Par ceftuy noftre Edi&t & ordonnance irre vocable nous avons fupprimé dès mainte nant? HERMAPHRODITES. 57 nant , &pour toufiours , l'office de Cenfeur, voulons que tous Cenfeurs , pour quelque chofe quefe puiffe eftre , foient interdits par tout celuy noftre Empire , &commandons à tous nos fubjects de les fuir comme gens ex communiez & de mauvaiſe forte , comme ceuxqui peuvent caufer tout trouble &empe fchement , foit au defir , foit au plaifir. Que fi quelqu'un d'entr'eux eft fi temeraire defe meflerparmy les compagnies , &vueille met tre en pratique & dogmatifer fa pernicieufe doctrine , nousvoulons qu'il en foit inconti nent bannypar toutes fortes d'affronts & d'ig nominies qu'on luy pourra faire fouffrir. S'il yaquelque mary qui foit las & ennuyé defa femme , ou quelque femme qui vueille changer de mary , nous leur permettons de faire divorce , & leur bailler un libelle de re pudiation. Que s'ils font en pays oùla cou ftume ne permette point repudier , nous leur confeillons de mettre en avant l'impuiffan ce de l'une des parties , encore que cela ne foit point & qu'ils ayent des enfans l'un de l'autre ce feul mot , eftant tout puiſſant pour diffoudre toutes fortes de tels contracts & alliances. Ceux qui voudront donner quelques ad vis qu'ils diront eftre pour le public , nous . defendons très-expreffement de les ouyr, ou pour le moins s'ils font ouys nous voulons qu'ils foyent tenus en fi grande longueur fans rien effectuer de leurs intentions , qu'ils foyent enfin laffez de tant de bonnetades , & quittent là toute leur entrepriſe, quand mef mes il y en arriveroit beaucoup d'utilité au Prince de la province , où ils feront. Mais voulons & entendons que ceux là foient feu lement choifis & executez , qui apporterontde 4 $8 L'ISLE DES de la ruine & du dommage au public , & qui pourront aliener les volontez des fubjects de l'obeiffance & fidelité qui fe doit rendre au fouverain. Chacun pourra s'habiller à fa fantafie , pourveu que ce foit bravement , fuperbe ment , & fans aucune diftinction ny confide ration de fa qualité ou faculté . Que fi une eltoffe mife en œuvre , quelque precieufe qu'elle foit , n'eft enrichie avec fuperfluité de broderie d'or , d'argent , de pierreries , & de perles , & le plus fouvent fans bien - fean ce , nous tenons tels accouftremens pour vils , mefquins , & indignes d'eftre portez aux bonnes compagnies , reputans toute mo deftie en cela pour baffeffe de cœur & faute d'efprit . Auffi tenons - nous pour une reigle prefque generale parmy nous , que tels accouftremens honorent pluftoft qu'ils nefont honorez

car en ceſte Ifle l'habit fait le moi

ne , & non pas au contraire . Les accouftremens qui approcheront plus de ceux de la femme , foit en l'eftoffe ou en la façon , feront tenus parmy les nostres pour les plus riches & mieux feans , comme les plus convenables aux mœurs , inclinations & couftumes de ceux de cefte Ifle

voulons

toutesfois que les façons changent tous les moys & que ceux qui porteront plus long temps un accouftrement , foyent tenus pour tacquins , avares , & incivils , toutesfois ils pourrontbien renouveller les vieilles façons , & les mettre en credit comme fi elles eftoient nouvelles inventées , encore qu'elles ayent efté en ufage plus de foixante qu quatre vingts ans auparavant. Et afin que ces cho fes fe puiffent faire plus commodément , & qu'on recherche à loifir les inventions

Nous

con HERMAPHRODITE S. $9 confeillons à nos plus favoris d'avoir cha cun un valet de chambre tailleur avec lequel ils puiflent paffer une bonne partie dutemps à inventer de nouveaux patrons. Car outre l'utilité qu'ils en retireront , ils retiendront par ce moyen, beaucoup de termes neceffai res , pour difcourir à propos avec les Da mes , ou avec leurs femblables , quand ils fe voudront privément entretenir , com me difcours très-folides & dignes de leur verité. Les meubles des logis &maifons despar ticuliers feront en toutes chofes les plus ri ches quefaire fe pourra , voirejufques à fur paffer les facultez de ceux qui les poffede ront , fans qu'on leur puiffe mettre en avant que ce n'est pas leur qualité : Car ceux qui ont l'honneur d'eftre enroollez au nombre de nos fubjects , font affez qualifiez , tous les autres eftats , nobleffes grandeurs princi pauté , ayant efté pluftoft inventées pour la mine que pour chofe neceffaire à ſefaire va loir. Auffi permettons nous à nofdicts fub jects qui vivent en leur particulier de faire dorer les portes , feneftrages , lambris , & autres endroits de leur logis , d'avoir plu fieurs chambres tapiffées de riches tentures , rehauffées d'or & de foye ou embouties , & autres façons de broderie. Les fieges couverts defoye & chamarrés de clinquant & faire des Tableaux où il n'y aytrien de reprefenté que toutes chofes qui peuvent inciter à volupté. Deffendons très expreffément d'en avoir au cuns qui reffentent enfaçon que ce foit leur fainêteté , ou chofe qui incite à ce qu'on ap pelle vertu. Quant aux meubles de bois, nous voulons qu'ils foient tout dorez argentez , & marquetez : & que tous lefdies meubles, prin 69 L'ISLE DES principallement les chalits foient , fi faire fe peut , debois de cedre , & rofe , & autres bois odorans , fi quelqu'un n'ayme mieux en faire d'Ebeine & d'Ivoire. Et d'autant que tous les licts font autant d'Autels où nous voulons qu'il fe face un facrifice continüel à la déeffe Salambona , nous defirons qu'ils foyent auffi plus riches que le refte , houffez & caparaffonnez pour la commoditédes plus fecrets amis , fçachans auffi que les actions vulgaires fe font fous un ciel qu'on appelle lunaire. Et les myfte res de Venus eftans eflevez deux degrez au deffus ; Nous entendons que chacun ait dou ble ciel en fon lidt , & que celuy qui fera au dedans ne foit pas moins riche , que celuy du dehors , voulons que l'hiftoire en foit pri fe des Metamorphofes d'Ovide , defguife mens des Dieux , & autres chofes pareilles pour encourager les plus refroidiz. Que le derriere foit plus remarquable que le devant pour fa largeur , comme plus convenable aux Hermaphrodites, eftant le lieu le plus pro pre pour l'entretien. D'autant auffi que la terre n'eft pas digne de porter chofe fi pre cieufe , nous ordonnons qu'on eftendra fous lefdics licts quelques riches cairins , ou au tres tentures de foye. Les banquets & feftins fe feront pluftoft denuit , que de jour avec toute la fuperflui té, prodigalité, curiofité & delicateffe que fai re fe pourra, & felon que l'invention &l'o pulence des riches prefens ou advenir la pourra permettre , voulons qu'on ufe de tou tesfortes de creftes & de langues , entre au tre des Cocs de Paons , & des Roffignols , comme fort falutaires pour le mal Epilepti que. Que toutes les viandes foyent déguilées & HERMAPHRODITES. 6t & que pas une ne fe recognoiffe en fa natu re , afin que nos fubjects prennent nourri ture en pareille forme qu'ils font compofez. C'eftpourquoy nous eſtimons toutes fortes de patifferies , confitures feiches &liquides, & que tant plus elles feront apportées d'un climat efloigné de celuy où onfera , qu'elles en foyent plus eftimées , d'autant qu'elles feront plus cheres que s'ils veulent quel quefois par curiofité ufer de poiffon , nous voulons quelque diftance qu'il y ayt de la mer au lieu où il fe mangera qu'il ſoit ma riné. Et pour le regard des Omelettes vou lons qu'elles foyent faupoudrées de mufc, ambre &perles , & quelles reviennent cha cune depuis cent , jufques à cinquante efcus les moindres : en efté on aura toufiours de referve en lieux propres pour ceft effect de grands quartiers de glace , & des monts de neige , en quelque pays chaud qu'on puiffe eftre , pour mefler parmy le breuvage, quand bien cela devroit engendrer des maladies ex traordinaires. Car ceux qui font veritable ment noftres , ne doivent rien craindre pour jouir de lavolupté , ains pluftoft ils doivent s'expofer àtoutes fortes de perils pour un fi grand bien & contentement. Chacun fe pourra auffi habiller à fa fanta fie quelque bizarre que puiffe eſtre l'inven tion , pourveu que l'invention ait en luy, la vertu quenos contraires appellent effronte rie que fi celuy- là eft paraventure de nos plusfavoris , chacun de ceux qui n'ont point d'invention meilleure , l'imiteront & s'ha billeront à fa mode. Encore que nous tenions la charité pour une pure nyaiferie comme une invention qui ne fert qu'àvuider les bourfes , que nous , Vou 62 L'ISLE DES voulons que les noftres ayent toufiours plei nes , toutestois d'autant qu'elle eft en repu tation parmy le monde & que l'on fait cas de ceux qui l'embraffent : Nous confeillons aux plus fages & mieux adviſez d'entre les noftres d'affilter & prendre le party d'un pau vre contre un riche, lequei neantmoins ne fe ra pas tant appuyé & favorifé qu'eux , afin qu'en aydant à l'un , ils puiffent defpoüiller l'autre , & que de leur avarice leur revienne un renom de liberalité . Que s'ils font quel ques autres aumofnes que ce foit le plus ra rement que faire fe pourra , & qu'elles ne foyent jamais diftribuées qu'au veu & aufceu de tout le monde. Nous ordonnons auffi que les enfans des noftres foyent nourris en toute liberté fans les forcer ny contraindre pour quoy que ce foit, ny mefmes les chaftier fi ce n'est en ce qu'ils pourroient faillir à l'entregent ou à avoir bonne grace ; on leur apprendra auffi dès leur plus tendre jeuneffe , les termes de la volupté , & frequenteront le plus com munément ceux qui les y peuvent inftruire , apprenant d'eux les preceptes , enfeignemens, loix , & ordonnances neceffaires pour le ren drecapables d'eftre un jour parfai&ts Herma phrodites , &parvenir au rang des plus cheris & favorifez d'entre les noftres. Lesjeux floraux & fceniques feront en re putation parmy les noftres fans qu'il foitja mais permis à aucun de les abolir comme la plus utile & facile efcolle où fe puiffent ap prendre les premiers Rudimens de noftre do Єtrine. Les hofpitaux , maladeries , & autres lieux depareille retraite feront en reputation non pourleur bien faire , ou aumofner quelque cho HERMAPHRODITES. 163 chofe , mais pour fervir de retraite à ceux que les noftres y pourront envoyer par leur induftrie: Auffi voulons nons que les mai ftres & gardes d'iceux , ayent plus foing des baftimens que des malades & neceffiteux , car pour le regard du revenu qui leur eft dés ja tout acquis , nous entendons que lefdicts maiftres en difpofent comme de leur chofe propre & qui leur appartient de droict. Quant aux mendians , beliftres & autres de pareille eftoffe , nous deffendons à tous nos officiers de police de leur empeſcher leur gueuferie & mendicité quand bien ce feroit fansfubject & feulement pour mener une vie faineante , & de crainte de fe donner trop de peine comme auffi nous voulons qu'il leur foit permis de fe faire des ulceres & des playes artificielles fans eftre fübjects à revifitation pourveu qu'ils exerçent la mef me charité envers nofdicts officiers qu'on a pratticqué en leur endroit , leur faifant cou ler une partie dans la manche de ce qu'on leur amis en la main. Nous voulonsque tous ceux qui fçavent s'ayder du poulce , couper la corde fans faire fonner la clochette , jouer de la harpe & fe fervir de leurs ongles crochus, ceux qui font bons-chatz- huants , & chauve- fouris & ont de bonnes aifles pour la nuit foyent en feu reté, & que lors qu'ils prendront l'air d'un cofté , nofdicts fidelles Officiers tirent de l'autre, de peur de la rencontre & de quel que mauvais augure : bien eft vrayquenous leur permettons d'aller en leurs nids & 14 leur faire rendre compte du butin fans tou tesfois en faire rien rendre à ceux à qui ils appartiennent , mais partager efgallement amiablement par enfemble les chofes con qui 64 L'ISLE DES quifes , pourveu que par mal-heur lefdicts oyfeaux nocturnes & autres de leur fuittene tombent point entre les mains de ces dé loyaux officiers qui n'ont nul adveu de nous, de crainte qu'ils ne les fiffent eftre la proye des autres oyfeaux qui volent de jour , ou pour le moinsfervir de miroir pour la con templation des fecrets de la nature. 1 Quant à la calomnie & à la trahifon , nous defendons très- expreffément qu'elles foient punies nychafliées , fice n'eftoit que le Prin ce fouverain s'en vouluftmefler pour lebien de fon eftat , mais pour ce qui regarde les particuliers , nous voulons que les nostres qui auront ces deux perfections foient en honneur & reputation : les uns pour avoir un entregent, les autres une fubtilité & gen tilleffe d'efprit , que l'on recognoiftra en ce qu'ils feront larges & prodigues en paroles, & chiches en fidelité. Ils feront auffi tout enfemble ce que nos contraires appellent flatteurs & trompeurs de forte quefi leurs amis perdent par le moyen de ces deux no tables vertus , le bien , l'honneur , ou la vie, voire tous les trois enfemble , pourveu qu'il en arrive de l'utilité aux noftres foit du bien ou de l'advancement de la fortune , nous les tenons pour galands & bien adviſez Hermaphrodites. " Chacun pourra s'eftudier en l'art chimi que , felon la fubtilité de fon efprit & la commodité des lieux , & pourront appren dre aux plus riches qui voudront fe rendre maiftres en ceft art comme il faut conver tir le Sol en Venus , & la Lune en Saturne, pour puis après faire évaporer le tout en Mercure volatil : mais fur tout nous vou lons que les maiftres des monnoyes , & au tres HERMAPHRODITES. 65 tres officiers d'icelles qui font de nos fideles fubjects , foient fort verfez aux alliages poix fur cent , fur trente , fur dix , &autres pieds, façons & manieres de parler Hermaphroditi ques , qui feront toutesfois compris fous ce nom de pied de Roy : voulons auffi que ils entendent à billonner , rogner , & autres exercices de cet eftat , fans qu'ils puiffent eftre fubjets à recherche , pourveu qu'ils fa cent gliffer dans la boëtte à l'efpreuve quel ques fideles efpeces pour le contentement de leurs fuperieurs , qu'ils cognoiffent eſtre de nos plus loyaux & plus fideles officiers . Defendons à nofdicts officiers politiques d'avoir efgard fur tous les artifans qui in venteront des façons nouvelles de peu de durée & de grande defpence afin que nous puiffions voir plus ayfément le fonds du re venu de tous nos fubjects : & fur tout or donnons que les meftiers les plus inutiles foient ceux qui ayent la plus grande vogue qui s'enrichiffent plus promptement , & qui foient les plus honorez , les autres n'eftant que les valets de ceux- cy. Et d'autant que par une fcience propheti que nous fçavons qu'aux fiecles à venir il y aura bienpeu de Solons , de Lycurgues , & de Platons , qui femettent àvoyager par le mon de , foit pour prendre les meilleures loix des lieux où ils iront pour les faire prattiquer après en leur pays , foit pour enfeigner eux mefmes les peuples où ils frequenteront. Au contraire fçachans que la plufpart de ceux qui voyageront feront le plus fouvent les plus corrompus & diffolus d'entre les peuples vrais Alcibiades , & qui n'auront ny foy, ny amitié , ny façon de vie arreftée. Nous ayans confideré que toutes ces chofes font E fort Г 66 L'ISLE DES fort conformes à l'humeur des habitans de cefte Ifle qui ayment la nouveauté , avons permis à tous eſtrangers de s'y habiter , & en fort peu detemps d'obtenir les charges & jouyr des mefmes honneurs que les naturels du pays , voire bien fouvent d'eftre preferez à iceux, ainfi que le cas y efcherra , leur fai re la loy , ou tirer toute leur ſubſtance na turelle , lesrempliffant au lieu , de vices & de curiofitez pour faire voile incontinent après où ils penferont faire auffi bonne ou meilleure fortune. Pource qui concerne l'entregent. T Ous ceux des noftres qui voudront fre quenter les compagnies porteront fur le front une medaille qu'on appelle impuden ce , & fur le revers l'effronterie , afin que cela puiffe enfeigner à tous les peuples qu'ils font capables de faire & de fouffrir toutes fortes d'affronts. Chacun deux tafchera de faire le beau l'agreable , & le difcret , encore qu'ils ne foient rien de tout cela , auront beaucoup de fubmiffion & d'humilité en leurs paroles à la bien-venue ou en lafeparation , & aut occafions où il faudra ufer de fupercherie pourattrapper fon compagnon , mais en tout je refte de leurs actions feront pleins de vents de prefomption & de bonne opinion d'eux mefmes Chanteront eux- mefmes leurs louanges, & entretiendront les compagnies du recit de leurs actions , encore qu'on fut bien aiſe de ne les point ouyr. Leurlangue fera comme le reffort d'une horloge qu'on a desbandé , elle ne pourra s'arrefter tant qu'ils ayent devidé tout ce qu'ils HERMAPHRODITES. 67 qu'ils auront envie de dire , & chacun per mettra àfon compagnon de parler le moins qu'il pourra , quand ce ne feroit que pour eftouffer fa gloire & empefcher fa reputa 1 tion. Leurs difcours feront le plus fouvent de chofes controuvées , fans verité , ny fans aucune apparence de raifon , & l'ornement de leur langage fera de renier & deblafphe mer pofément, &avecgravité faire plufieurs imprecations & maledictions , & autres fleurs de noftre Rethorique pour fouftenir ou pour perfuader le menfonge , & lors qu'ils voudront perfuader une chofe faul fe ils commenceront par ces mots. La veri té eft. 97 Ceux qui n'auront pas la parole bonne , ny à commandement , feront toutesfois te nus pour habilles , pourveu qu'ils puiffent dire, un C'eft celà, un Je vous en affeure, Je vous en refpons & autres pareils termes en branflant la tefte & le corps , & qu'ils ayent ceſte induftrie deferanger toufiours du cofté des plus forts. S'il y aquelqu'un qui veuille faire l'enten du & fe faire eftimer par deffus les autres , nous trouvons fort bon que par mefpris il n'efcoute pas ce que diront ceux qui font en la compagnie , mais pluſtoſt que d'une voix plus haute que tous les autres , & toute brave, il interrompe leurs difcours par quel quegalanterie , que nos contraires appellent niaiferie : & fi de hazard les autres veulent parachever leur propos encommence, qu'ils ne laiffepas pour cela de continuer toufiours le fien. Sur tout nous confeillons aux noftres de perdre pluftoft un bon amy qu'un bon mot, E 2 & 68 L'ISLE DES & que leurs paroles foient toutes remplies de traits & de pointes fi poignantes , qu'elles puiffent percer à jour l'honneur & la repu tation , ou pour le moins qu'elles offençent toufiours celuy à qui elles font dittes , en luy reprochant couvertement fon imperfe &tion , quand bien onferoit entaché du mer me mal car c'est lors qu'on paroiſt beau coup plus habille que les autres quand on ac cufe quelqu'un de la faute dont on elt cou pable , & qu'on rejette fur autruy en fe gauf fant , les imperfections qui nous font les plus familieres. Les amitiez ne feront feulement qu'en bonne mine , & feulement pour paffer le temps , ou pour l'utilité : Que fi un amy a de la neceffité , ou s'il eft en quelque dan ger , ou bien accufé de quelque crime , nous defendons de l'affifter de commoditez , de fecours , & d'affiftance : permettons ce qu'on apelle perfidie , trahifon , & ingratitude , que nous tenons pour fageffe , bonne conduitte, & gentilleffe d'efprit. Les mieux difans d'entre les noftres mefle ront toufiours en leurs difcours quelque traict de moquerie & derifée contre les cho fes que nos adverfaires appellent Sainctes , entireront leurs comparaifons , s'il eft que ftion de faire un bon conte , afin qu'elles foient d'autant plus mefprifées , & qu'on y adjoufte moins de foy. - La mefdifance leur fera fort familiere fans aucune diftinction de parenté , focieté, ou amitié : Car fcandalizer & calomnier aux def pens de l'honneur & de la reputation de ceux avecqui on a quelque amitié fort eltroitte ment jurée , eft un precepte des plus com muns & neceffaires pour l'entregent. Nos HERMAPHRODITES. 69 Nos plus loyaux fubjects & vrais Herma phrodites fe tiendront les uns aux autres quel ques propos d'amour & de volupté ou de quelque invention nouvelle pour s'habiller. Pourront auffi difcourir de la fingularité des eaux & compofition des fards , comme il faut frifer fes cheveux : Sçauront tout ce qui eft neceffaire pour l'accouftrement des femmes pour s'en fçavoir accommoder & ajoliver, Et defendons très- expreffement à nofdits fubje&s de s'entretenir & difcourir des gra ces & perfections divines de la fainetete de vie , reformation , & autresinventions de nos adverfaires comme du tout contraires à no ftrefaçon & maniere de vivre. Que fi quel qu'un eftoit fi temeraire d'en entamer le pro pos, qu'il foit houpé , baffoué , & moqué comme fot &mal appris aux reigles de l'en tregent. Par grace & privilege fpecial nous vou lons auffiqu'il foit permis à nos fubjects d'in venter les termes , & les mots neceffaires pour la civile converfation , lefquels feront ordinairement à deux ententes ; l'une repre fentant à la lettre ce qu'ils auront envie de dire l'autre un fens mystique de voluptez, quine fera entendu quede leurs femblables, ouqui auront efté leurs legionaires , avec cefte obfervation , que le fon; en foit doux , en le prononçant , de peur d'offencer la de licateffe de leurs oreilles , avec deffences d'en ufer d'autres , quelque fubftance , pro prieté , ou fignification qu'ils puiffent avoir de ce qu'on voudra dire. Et afin que la con tinuation ne leur puiffe apporter quelque ennuy. Nous eftimons qu'il eft fort à pro pos de les changer tous les ans , afin que fi à la longue le vulgaire en vouloit ufer , ils E 3 puif 670 L'ISLE DES puiffent quant à eux avoir toufiours quelque chofe de particulier. Commandons auffi à tous les noftres , de ne dire jamais à leur Prince que chofes plai fantes , ou de ne leur parler jamais quand bien ce filence luy pourroit caufer de la rui ne: Car il vaut mieux qu'il fouffre quelque dommage qu'eux- mefmes s'expofent à l'ad venture de recevoir quelque mauvais vifage. C'eft pourquoy nous voulons qu'ils ayent la flatterie en finguliere recommandation , & qu'ils la tiennent pour une fouveraine vertu, laquelle nous tenons avoir lors atteint fa per fection , tant plus elle fera efloignée de la verité , & qu'elle perfuadera le plus à lavo lupté. D'autant que les noftres ont entre eux plu tieurs menées , confpirations , deffeins , & entrepriſes fecrettes , foit pour l'amour , foit pour l'Eftat : Nous leur avons permis & permettons d'avoir dès maintenant , & à tou fiours quelque langue , ou jargon composé à leur fantaifie qu'ils nommeront de quelque nom eftrange, commeMefapotamique , Pan Bagruelique , & autres. Uferont auffi de fignes au lieu de paroles , afin d'eftre entendus en leurs penfées plus fecrettes , par leurs con fçachans , &fans eftre defcouverts. Nous voulons auffi qu'il y en ayt quelques uns des noftres qui parlent fort fouvent con tre les vices , &voluptez. Qu'ils fe plaignent des desbordemens , tant publics , que parti culiers , & toutesfois queleur vie foit toute diffolue , voluptueufe , lafeive , & fans au cun defir , de ce qu'on appelle vertu , ce qu'ils diront en cela, n'eftant que pour pou voir mefdire avec plus d'affeurance afin qu'on penfe que ce qu'ils en diront foit plus par 1 HERMAPHRODITES. 71 " 1 parpitié, que pour offencer. Et de cefte fa çon ils pourront difcourir des actions du Prince auquel ils feront fubjets, des affaires de fon Eftat. Parleront hardiment contre fa façon de gouverner , & de fes magiftrats en toute compagnie impunément, &fans crain te. Et encore qu'ils ayent la volonté du tout efloignée de fon fervice , ils fe diront les très fideles , &affectionnez fubjects. Et que c'est la force de la douleur qu'ils reffentent de voir tout aller fi mal , qui leur fai&t tenir ce langage ; encore que leur deffein foit d'alie ner les volontez de l'obeiffance qu'on luy doit rendre , afin de s'ayder après de ceux qu'ils auront ainfi corrompus. Et d'autant que nous voulons , que nof dicts fubjects fervent de lumiere , & d'exem ple à tous les autres : Nous entendons auffi qu'ils foyent meflez pariny les fciences , afin d'en pouvoir difcourir avecceux qui n'y en tendent gueres , & feulement pour les faire admirer. Car nous ne leur confeillons pas d'employer du temps , des veilles , & de la peine mais qu'ils en prennent quelque fu perficie , comme de fçavoir les termes de l'art , avoir en main quelque exemple , ou quelque comparaifon encore ne voulons nous pas qu'ils fe travaillent en cecy. Car quelque pauvrephilofophe fera trop heureux pour quelques careffes , qu'ils luypourront faire , de leur rediger en quelques petits fueil lets depapier, cequ'ilaura apris enplufieurs années avec un grand travail , & pourveu qu'ils luy ayent dit qu'il fait bien & digne ment fatisfait , & qu'il fe tienne pourcon tent, · Leur eftude continuelle fera fur les dou ze inventions de la Cyrenienne , aux livres E4 que 72 L'ISLE DES que Leontine très-fçavante en la philofophie d'amour , efcrivit contre Theophrafte , aux ordonnances par nous faictes & decretées en plain Senat , aux fept arts liberaux rapportez en fens Mystique aux preceptes d'Epicurus , regles d'Apicius , les livres d'Antiphanes, Ariftophanes , Calliftrate , Cephalus , Alcidamus, & autres bons livres de pareille fubftance , & utiles & neceffaires , pour bien , & heu reufement vivre , comme auffi nous voulons qu'ils puiffent continuellement lire cet an cien decret du Senat Romain , inis en deux tables au temple de Venus. Et qu'ils ayent toufiours en main quelque Comedie folaftre & lafcive , afin qu'ils puiffent toufiours ap prendre quelque nouvelle rufe , pour les ren dre plus dignes du rang qu'ils tiennent , & qu'ils foient à la fin des plus braves, & galands Hermaphrodites. Car il faut qu'ils nourriffent leurs ames de ces chofes facrées , & leur en donnent une teinture , afin qu'en eftant par faictement imbues elles puiffent facillement refifter aux tentations des prophanes qui leur voudroient perfuader leurs fottifes. C'est pourquoy nous voulons que tous ceux qui auront de ces fciences qu'on ap pelle vertueufes , & qui veulent faire les Docteurs , les Philofophes , où les Cen feurs , tous ceux qui voudront faire admirer les œuvres divines , & inciter les autres à 'quelque contemplation toutes ces manieres de gens doivent eftre tenus par les nofires pour refveurs , pedans , pleins de manie , & fans raifon , veu que tous leurs difcours ne peuvent eftre fondez en la raifon humaine, puis que toutes ces chofes font fur- natu relles. Que s'il a quelqu'un àqui on vueille ren dre < HERMAPHRODITES. 73 1 dre du refpect , & qui face cas de toutes ces bagatelles , nous confeillons aux noftres de ne laiffer perdre aucune occafion pour rom pre le difcours , foit fur ce qui fe dira , foit fur ce qui fe preſentera , feront redire beau coup de fois unemefme chofe , &feindront de ne le pas comprendre , pour ennuyer, & laffer autant celuy qui parlera , feindront de fçavoir quelque chofe de nouveau , qu'ils ont crainte d'oublier , ou bien de fe trou ver mal , feront femblant de s'endormir & autres riches inventions à ce neceffaires , que les nostres rechercheront inceffament felon les occafions pour fe delivrer de tou tes ces importunitez. Nous ne trouvons point mauvais , neant moins que les noftres aillent quelquesfois aux predications publiques , par forme d'en tregent pour cüillader, carreffer , & entre tenir ceux & celles qu'ils affectionneront le plus , pour faire les beaux , & faire monftre de quelque invention nouvelle en accouftre mens , & pour fe gauffer de celuy qui aura prefché , & s'en entretenir le refte de lajour née , foit fur fes termes , ou fur fon action. Deffendons très- expreffément d'en tirer au cune inftruction , ny de changer de forme de vie , à l'advenir , pour chofe qu'ils ayent ditte. Car nous voulons que leur interieur foit tout noftre , & affectionné à noftre re ligion. Pour l'exterieur il leur fera permis d'en faire part à qui bon leur femblera , pour veu que nous en ayons les premiers , &que nous foyons toufiours preferez à tous autres, pourquelque honneur , vie & falut qu'on leur puiffe annoncer : Car telle est la Loy inviolable de cet Eftat , d'eftre faint en ap parence parmy ceux qui font cas de telles den 74 L'ISLE DES denrées , & toutesfois d'eftre toufiours lafcif en la confcience , & diffolu en toutes les actions qui fe pourroient faire fecrettement, cette vertu que nos contraires appellent hy pocrifie, eftant très neceffaire pour le repos & tranquillité de la vie humaine , pourveų qu'on s'en puiffe fervir felon les occurren ces. Cette vieille drogue d'antiquité fera tenue en fort grand mefpris , par les noftres , qui fe gaufferont de tout ce qu'elle enfeigne , commefables de vieilles, inventions à plaifir, & hors lapoffibilité de la nature , & toutes, fois en fe mocquant de fes coutumes. Ils s'enpourront fervir en ce qui fera de l'inven tion des accouftremens , des meubles , & des fciences , les convertiffans & les defgui fans , comme fi cela venoit d'eux , & deleur induftrie , que s'il ya quelque chofe affez baf fe ,&triviale ( comme cela leur fera plus or dinaire , qu'autrement ) nous voulons qu'ils puiffent dire qu'ils ont eu la conception hau te: mais quec'eft qu'ils l'ont voulu ainfi ex pliquer baffement , afin qu'en quelque façon que ce puiffe eftre on les trouve toufiours pour fort habilles , & entendus à toutes chofes. Auffi voulons nous que nos plumets , & ceux qui ont la mine relevée foyent redoub tez fur tous autres , & que chacun leur face place en quelque lieu qu'ils aillent , quand bien ils feroient vilains de quatre races & lafches poltrons comme des poules , car le panache qu'ils portent leur donnera affez de noblefle & devaleur. Nous tenons pour gens d'honneur ceux qui defpendent beaucoup plus qu'ils n'ont vaillant , & qui veulent paroifire , foit en defpen HERMAPHRODITES. 75 defpence debouche , de meubles & fumptuo fité d'habits beaucoup plus grandes qualités, & moins ils auront de commodité , & plus ils s'exerceront en cette vertu que nous ve nons de dire , nous voulons qu'ils en foyent beaucoup plus estimez : car c'eft cela que nous appellons avoir le cœur bon. Tous hiftrions , bouffons , gauffeurs , ef cornifleurs , chercheurs de repues franches, mouches de cuifine , amis detable , & autres manieres degens d'efprit & plaifans venera bles qui ne font quepour l'invention des bons mots , & des faulfes , nousleur donnons per miffion d'avoir tel entregent que bon leur femblera , s'habiller &parler à leur fantaiſie, vivre en liberté de confcience & de façons de faire , voire mefmes avec les plusgrands aufquels il fera permis de leur dire tout ce qu'ils voudront fans que pour cela on leur en face plus mauvais vifage , au contraire nous voulons qu'ils foyent recherchés com me gens de bonne compaignie , & qui fça vent debons contes pour faire rire les autres, C'eft pourquoy nous leur confeillons de remarquer & d'efplucher fort particuliere ment toutes les paroles , actions, geftes , ens tregens , vices & imperfections de ceux où on leur donnera une familiere entrée , & où on leurfera lemeilleurvifage ( commegens qui n'entrent en deffiance aucune de leur converfation) pour enfaire après leurs con tes aux lieux où ils n'auront pas tant d'accez ny d'entrée , afin que celaincite les autres à les rechercher , chacun eftant bien aife d'en tendre des nouvelles de fon compagnon pour le fcandalifer &avoir fubject de le mef prifer. Nous confeillons pareillement aux Princes f 76 L'ISLE DES ces qui voudront fçavoir particulierement des nouvelles de leurs fubjects , fans qu'ils s'en apperçoivent , &fans que leurfdictsfub jects puiffent defcouvrir comme leurs plus Tecretes affaires peuvent eftre venus à la cog.. noillance du fouverain , de leur ayder pour cet effect de nofdicts bien aymez parafites , car ils defcouvriront plus de clapiers avec ces furets , en unjour , qu'ils ne feroient en un moys avectoute leur chaffe Royalle , pour veu qu'ils permettent auffi aufdicts Hiftrions de fureter quelquesfois dans leurs bources. D'autant que le cours ordinaire de la na ture eft de faire que les chofes feiches & arides foient auffi plus fubjettes à inflammation. Nous qui voulons fuivre autant que fairefe peut les naturelles inclinations aufquelles nous fommes naturellement addonnés fans les forcer nycontraindre en forte & maniere que cefoit. Permettons à nos vieillards les plus decrepits d'eftre autant ou plus addon nez à l'amour que lajeuneffe. Mais d'autant queleur pouvoir n'eft pas pareil : Nous vou lons qu'ils ayent au moins continuellement le defir , la penfée & les attouchemens & que leurs familiers devis foient de lavolupté avec les geftes les plus lafcifs qu'ils pourront in venter pour toufiours nourrir & entretenir leur belle humeur & qu'ils puiffent au moins dire ce qu'ils ne peuvent faire. Ceux d'entre les noftres qui font d'habita tion ou d'humeur plus meridionale que les autres • nous leur permettons de fe mefler avecdes natures du tout efloignées de la leur, quand bien il en devroit fortir quelque mon fire : D'autant que nous faifons cas de ce qui furpaffe le cours ordinaire des actions vul gaires, joint qu'il n'y peut rien avoir de mon trueux, pour noftre regard. Les HERMAPHRODITES. 1 77. Lesjeux , esbatemens , & paffe-temps plus ordinaires de nos plus favoris , feront au bou te -hors , aux barres , Cheval fondu , cache cache bien fi tu las , à cubas , au reverfis , Jean deRencontre , & toutes fortes de Jeans

ex

cepté celuy de Jean qui ne peut , que nous voulons eltre banny de toute bonne compa gnie , ( comme du tout contraire à nos ita tuts & ordonnances ) à la chaffe entre deux toilles , àprendre les oyfeaux à la pipée , au tiers , au propos interrompu , courre la ba gue pourveu qu'elle foit nouvellement mife en œuvre , aux dames rabattuës , dames pouffées , autrictrac , pourveu qu'ilfoitjoué felon noltre ufage , & autres jeux qu'ils pour ront cy après inventer pour paſſer le temps . avec plus de plaifir & de contentement . Voulons auffi que tous valets & affranchis qui auront efpié les actions & deſcouvert les fecrets de leurs maiftres , ou qui auront par ticipé à leurs menées confpirations & autres actions vertueufes foient craints , honorez & reſpectez , d'iceux , advancez & enrichis com me leurs propres enfans , fans qu'ils ofent en façon quelconque les offenfer , decrain te qu'ils ne defcouvrent ce qu'on veut tenir caché , mais pluftoft que leurfdicts maiſtres leur obeïffent en tout ce qu'ils pourront de firer , afin que chaque chofe ayt fa viciffitu de & que chacun ferve à fontour . Lefdicts affranchis & autres de pareille qualité qui auront eſté tirez de la mifere & de la pauvreté par les bien- faicts de leurs Sei gneurs oublieront pour jamais le lieu deleur origine & perdront la memoire des plaifirs reçeus de forte qu'ils feront , & croiront eftre compagnons avec leurfdicts

maiftres

, quelques grands qu'ilsfoient , jufques là mef ! mes 1 28 LISLE DES mes qu'ils les pourront publiquement defdai gner &mefprifer , & les rabroüer en bonne compagnie, ce qu'ils feront &diront fans re fpect ny difcretion leurs maiftres fouffrans patiemment la reprimande , &les adouciffans le plus qu'il leur fera poffible , & avec les ter mes les plus doux qu'ils pourront choiſir. Deffendons auffi à ceux qui feront de nos fubjects plus affectionnez d'avoir jamais de refolution arreſtée , au contraire leur com mandons très-expreffément de changerd'ad vis à tous momens pour quelque occafion importante que ce foit , & quelque folidité qu'il y ait audit advis : voulons auffi qu'ils fe reprefentent auffi toft qu'ils auront mis quel que chofe à execution , & qu'ils croyent qu'ils euffent mieux faict s'ils en euffent ufé autrement , afin que toutes ces chofes leur tiennent toufiours l'efprit en cervelle , car cela le leur rendra plus fubtil , &plus prompt aux extravagances dont les noftres ont be foin d'ufer à tous propos comme choſes fort agreables & neceffaires , à l'entregent. 1 Ceux qui fçauront le mieux leur entregent s'accommoderont toufiours aux penſées, aux paffions , &aux affections de ceux de qui ils penfent tirer de l'utilité & de l'avancement ne parleront que par leur bouche & n'auront autre jugement de couleurs , degoufts nyde cognoiffance des chofes que celle qui leur plaira quandbien la penſée des autres feroit contre le fens commun : car nous tenons que les noftres ne doivent avoir autre fenti ment que l'utilité & la volupté & que bien fouvent le delectable , cede à l'utile , comme celuy quiconduit à l'autre : Trouvons fortà propos que les nostres s'enquierentfort foig neufement de toutes chofes non pour y ad jou HERMAPHRODITE S. 79% ¡ joufter foy, mais par curiofité , quefienleurs propres affaires ils ont befoin de l'advis des autres, nous leur confeillons de leur deman der mais que ce foit fans y rien croire nyfans rien faire de ce qu'on leur confeillera , au contraire qu'ils preferent toufiours leur con feil à celuyd'autruy comme meilleur , plus judicieux , & plus folide , d'autant qu'ilfera en tout & par tout plusconforme à leur vo lonté laquelle nous voulons qu'ils croyent, fe conduire mieux par fon propre mouve ment que par aucune inſtruction eſtrangere: car de dire qu'elle doit eftre illuminée par l'intelligence, &conduitte par raiſon , nous tenons que ce font vieilles refveries pedan tefques qui repugnent au fens commun , puis que tous nos fubjects fçavent par experience que c'eſt leur vouloir quiregit, & gouverne tant l'ame que le corps , que fi quelquesfois cefte raiſon adu commandement en quelque chofe, ce doit eftre par force &par contrain Єte , non par confentement , bien eft vray qu'ils effectuerontfouvent leur defir en l'ima gination que de le reduire enaction , mais ce n'eftquepourfaire d'avantage paroiſtre l'ex cellence de leur nature , le relle du monde n'eftant pas digne devoir les effects des cho fes fi haultes fi fublimes &furpaffantes la ca pacité de leurs efprits. S'ils fereconfilient les uns avec les autres hous voulons que ce ne foit qu'en bonne mi ne&en l'apparence & que toutes leurs em braffades foyent autant de liens qui eftrai gnent plus indifolublement leur inimitié que nous entendons devoir vivre eternelle ment & fe tranſporter de generation en ge neration quelque multitude de morts , qu'il y ait pu avoir de part & d'autre. C'estpour quoy 80 L'ISLE DES quoy nous permettons à ces cavaliers , qui ont perdu la marque de la vieille ſtampe , & qui ne font plus de ces angelots à la groffe efcaille , de s'ayder du boucon , & duftilet , commeinftrumens tres-propres pour execu ter leurs actes plus heroïques , & genereux, & quidefcouvrent aux yeux de tout le mon de leur hayneenracinée , ou pluftoft la con ftance immuable de leur courage. Que s'ils ne peuvent s'ayder de ces moyens , ils efpie ront les occafions pour humilier leurs en nemis lors qu'il verront que la fortune leur voudra tourner le dos , les ruinans peu à peu, afin qu'ils languiffent plus longuement , & qu'ils fe fentent mourir. Les calomnieront, fcandaliferont & jetteront à tous propos le chat aux jambes , afin qu'ils reculent au lieu d'advancer , fi par hazard ils eftoient accom pagnez du bonheur , & fuffent trop favori fez: Toutes lefquelles chofes s'appelleront leur faire de bons offices , & vivre les uns avec les autres en bonne paix & tranquilité Hermaphroditique , fe faifans toufiours bon ne mine , & s'entretenans de difcours plai fans , & pleins d'honneur , &de ceremonie, voire mefme fe loüeront les uns les autres , & chacun fera retentir les perfections defon compagnon , pourveu que ce foit en la pre fence l'un de l'autre : Car en l'abſence nous voulons qu'ils en ufent comme nous avons dit cy- deffus , principallement fi c'eft un en nemyqui foit de qualité , & qui ait de l'au thorité. Car ceux- là ne doivent eftre en fa çon du monde efpargnez. On aura toutes fois efgard devant qui ces difcours- là fe tien dront , de crainte qu'ils ne luy foient rap portez que s'il fe trouve aux compagnies, quelqu'un de fa faction , alors il fe faut plu foft HERMAPHRODITES. 8t ftoft mettre fur la loüange , que fur la ca lomnie , afin que cela luy eftant redit , il ofte toute deffiance , & que par la croyance de l'affection qu'on luy porte , il tombe plus aifément, &fans foupçon dans le piegequ'on luy aura preparé. Loix Militaires. D'Autant que nous avons plufieurs bons & loyaux fujets , entre les plus petits , qui pour leur bas lieu , & pour n'avoirpoint eſté nourris aux arts mecaniques , ne fe peu vent tirer de la mifere , fans une grace fpe ciale de nous : Defirans benignement les favorifer , comme ceux qui gardent religieu fement en leurs cœurs les loix , & ftatuts de cet Empire : D'autant auffi que laguer re eft celle qui les peut plus promptement advancer , enrichir , & honorer. Faifons commandement tres- exprès àtous Preteurs, Tribuns Militaires , Centeniers , & autres ayans chargede nous, defaire levée degens de guerre , de les choifir toufiours entre la lye des peuples , &de preferer àtous autres ceux qu'ils verront les plus enclins à noftre façon & maniere de vivre. Nevoulans point qu'il y ait aucune divi fron entre les noftres , & fçachans affez que les degrez d'honneur entre foldats cauſent de l'envie , de la jaloufie , & bien fouvent de la fedition , nous n'entendons pointqu'il y ait aucun ordre de preference entre nos Iegionaires , & avons pour toufiours fuppri mé ces rangs de Princes & Triairiens nous avons tous compris fouz le nom de Velites , qu'en d'autres païs on a accouſtumé d'appellerenfans perdus , quenous voulons eftre " que F 82 L'ISLE DES 1 eftre pluftoft nommez enfans trouvez , com me miraculeufement nez de la terre , fans origine ny genealogie. Les anciens Capitaines , nos anceſtres , s'eftans fouvent fervis des goujats , valets de camp , & autres gens defuitte , en plufieurs ftratagemes , & rufes de guerre , joint que les armées s'en monftrent plus grandes , & plus efpouventables aux ennemis

Nous

voulons que la multitude defdits goujats , & autres , foit trois fois plus grande que toute l'armée enfemble , afin que nos fol dats foient mieux fervis en l'armée , que s'ils eftoient en leurs maifons , & que tandis que les uns feront prés de leurs maiftres , les au tres foient à laprovifion , & à donner ordre à la cuifine . N'eftant pas raifonnable , que ceux qui ont l'honneur d'eftre enroollez , fous nos enfeignes , & qui combattent fous nos au fpices , fouffrent beaucoup de travaux , tan dis que leurs valets feroient en repos

Nous

voulons que lesdits goujats portent les ef pées , & autres armes de leurs maiftres , lef quels ainfi defchargez ne lairront pas de che miner àpetites journées , de peur d'eftre trop laffez , ou hors d'haleine , s'il les falloit af fronter l'ennemy. Ayans jugé que plus les armées tiennent depays , &plus elles doivent eftre grandes . Nous afin de tromper davantage nos enne mis , voulons que les noftres fe refpandent le plus qu'ils pourront par les pays , où ils doivent faire la guerre , & que deux ou trois millehommes tiennent toufiours dix ou dou ze lieuës de pays , & felogent dans les meil leurs villages , & principalement en ceux qui font le plus à leur devotion

Car nous taa

HERMAPHRODITES. 83 tenons pour barbares , & gens incivils tous ceuxqui veulent vivre fous des tentes , com me les Nomades , & croyons que ceux qui fe retranchent & s'enferment dans l'enclos des foffez , & fafcines , font plus peureux que des lievres , & meritent d'eftre pour jamais degradeż , comme indignes du nom de fol dats. Nos anceſtres ayans tenu que les perfon nes heroïques eftoient nées de quelque Dieu, & la commune opinion eftant telle qu'il n'y a perfonne d'heroïque que ceux qui manient les armes Nous voulons que tous nosfol dats foient tenus pour enfans de la Deéffe Picorée: Et lors que fon influence regnera par les champs , que les payfans cherchent le couvert à eux , & à leurs beftiaux , à pei ne d'eftre rendus de bonne prife , & d'eftré confacrez à ladite Déeffe pour paffe-temps & pour butin. L'ancienne couftume des peuples Septen trionaux eftant telle qu'ils fe ferrent les poulces , & fe les lient eftroitement. Quand ils vouloientcontracter quelque alliance qui fut de durée. Nous entendons auffi que nos foldats ayans en main quelque contadin ou marchant qu'ils ufent de la mefme façon , afin de faire une eftroicte alliance avec leur bource. Que fi cela n'eft fuffifant pour les faire condefcendre à un fi grand bien. Vou lons qu'ils leur puiffent donner le Diadéme foldatefque , ou leur chauffer les efcarpins, & les faire dancer fans bouger de leur place avec autres jolies, inventions , que la fubti lité de leur efprit , pourra rechercher. L'argent eftant le nerf de la guerre , il faut par confequent que le foldat qui en a le plus , foit le plus fort contre l'ennemi. F 2 Voilà 84 L'ISLE} DES Voilà pourquoy nous exhortons les noftres de remplir leur bourfe le plus qu'il leur fe ra poffible , & d'employer toute leur valeur, & leur induftrie, pour cet effect , & pluftoft de contracter avec les demons , & refveiller les morts pourtrouver des trefors , & faire pluſtoft la guerre à la terre , meſine comme les foldats de noftre , predeceffeur , que de n'en point avoir. D'autant qu'un camp volant eft bien plus propre aux furpriſes , qu'un qui eft arreſté en un lieu , & pefamment armé: Nous ordon nons que les nostres voleront pluftoft qu'ils ne chemineront , afin qu'ils nepuiffent don ner le loisir à leurs ennemysde mettre leurs bons amis , ( à fçavoir l'or & l'argent ) en tel lieu , qu'ils ne les puiffent voir ny ren contrer mais iront à la debandade, fans tenir corps d'armée jufques au lieu de leur rendez-vous , où lors ils fer'allieront pour lcur proffit : Car ufant de cefte façon de fai re, ils feront moins découverts. Que s'ils trouvent de la refiftance nous leur permettons d'ufer de brifemens , brufle mens , violemens , &rançonnemens , quand bien ce feroit fur nos propres fubjects (fur lefquels ils doivent le mieux faire leurs af faires. ) Car eftans nos officiers on leur doit rendre l'obeiffance auffi promptement qu'ils auront parlé. Ils n'auront point de Dieu , qu'en la bou che, lequel ils nommeront fortſouventnon par invocation , mais par derifion , fans eftre affujettis à couftumes , ny religions , en quelques pays qu'ils puiffent aller. Lefoldat qui fera des noftres ayant ce privilege de vi vre à fa fantafie , & de feforger une religion, telle que bon luy femble. La HERMAPHRODITES. 85 1 La difcipline eftant pour les enfans , & nou pourles hommes qui ont atteint un aage raifonnable , que cefte vieille radoteufe d'an tiquité faifoit cy devant obferver , permet tons aux noftres de vivre à difcretion fans autre obfervation de regles ny de loix , que leurfantaifie , ny fans autrement refpecter leur chef , fi ce n'eſt par contrainte , d'au tant que nous tenons que la crainte abbaiffe & rend lecourage plus laſche , au contraire que la liberté que nous donnons aux noftres les rend plus temeraires & hardfs , pour le moins de paroles. Ayant pris nofdits foldats en telle affe &tion, quenous tenons ceux qui leur feront contraires pour ennemis , nous voulons que celuy qui aura le plus tué de fes ennemisfoit de fang froid , de guet à pend , par ſurpriſe, ou en quelque forte & maniere que ce foit , foit craint & redouté par tous les autres qui nenous auront pas tant rendu de fervices , & ne feront pas arrivez à cette perfection . Vou lons auffi qu'il foit eftimé plus vaillant que le pere de noftre ancien fondateur , & com me tel qu'il puiffe luy- mefme chanter hau tement les nations fufdites pour preuve de fa Vaillance. Leurs exercices continuels feront deplu mer la poulle , courre la vache , battre le tambour à coup d'offelets , hauffer le gobe let, faire inventaire des biens meubles qu'ils trouveront chez leurs hoftes , jetter la barre contre les portes & les coffres des manans , combattre l'honneur des filles & des femmes, & en emporter la victoire à quelque prix que cefoit , jouer àremüermefnage fi toft qu'ils feront entrez dans un logis , & autres plaifans exercices pour pafferjoyeuſement le temps. F 3 Afin 86 L'ISLE DES ce Afin auffi que les noftres puiffent mieux faire paroiftre qu'ils n'ont en rien cedé à fte vieille antiquité , ayans affez ouy loüer les actions valeureufes des foldats d'Alexan dre le Grand: & fçachans auffi l'ordre qu'ils tindrent à leur retour des Indes , leur armée reffemblant pluftoft une comediefur un thea tre, que des gens de guerre allans par pays. Nous entendons auffi qu'alors que les no ftres marcheront en gros , ils facent revivre les anciennes Bacchanales , & qu'on fe donne l'un à l'autre plus de coups de verre quede coups de traict contre l'ennemy. Voulons auffi qu'ilsfoient quelquefois conduits aufon des fluftes comme les anciens Lacedemoniens afin d'aller plus gayement au combat , au quel toutesfois ils ne feront que la mine , de crainte de retourner plus triftement qu'ils ne font partis. ་ 9 Toutes chofes eftant fubjectes à s'anean tir & à prendre fin en peude temps par ladif folution , comme d'ailleurs elles fe confer vent & prennent nouvelle vie par la gene ration , defirans que nos foldats foient non feulement entretenus , mais auffi multipliez : joint que par ce moyennos legions font tou fiours remplies de nouveaux foldats nous voulons qu'il y ayttoufiours en noftre camp une fort grande multitude de filles de joye, afinque ceux qui en feront engendrez fe puif fent dire nez , nourris & eflevez à la guer re: joint auffi que lesfoldats ne ferontpoint contraints de fortir de leurs regimens pour ce fubject , comme le foldat de cet Empe reur Macedonien , ains auront toujours en leur departement dequoy contenter leur defir. Les noftres eviteront autant qu'il leur fe ra 7 1 HERMAPHRODITES. 87 ra poffible les charges de redoutés fentinel les perdues , avant- coureurs , & autres qui n'ont eſté inventez que pour la ruine des pau vresfoldats , trop bien pourront faire la fen tinelle qui fera proche du corps de garde , & fe tenirtoufiours vers l'arriere- garde pour la feureté de leurs perfonnes & du bagage : car ilfuffit que l'ennemy foit efpouventé de leur regard , fans qu'il foit neceffaire que ils fe mettent en plus grand peril , ains leur confeillons d'en laiffer la charge à d'autres qui font moins entendus au meſtier de la guerre , moins verfez & plus mal habiles pour vivre felon nos loix & ftatuts. Les vieux routiers qui auront couru çà & là , & vendu leur fang & leur liberté au plus offrant & dernier encheriffeur , après avoir enfariné le monde de leur corruption , gar deront le fon pour la ruine de leurs pays , fervant d'autant de flambeaux pour enflam iner le cœur de la jeuneffe à nouveaux re müemens afin de faire quelque acte memo rable au préjudice de leurs citoyens pour ac querir une renommée , que nos contraires appellent damnable , & que nous difons très recommandable à la pofterité toutes lef quelles efmotions nous difons toutesfois de voir eftre fondées fur quelque pretexteappa rent comme pour la religion , le bien pu blic , ou pour laroyauté afin que l'opinion d'Alexandre le Grand foit rendue veritable , lequel difoit que toutes les guerres du mon de fe faifoientpour avoir pluralité de Dieux, deloix , & deRois. Ne croyant point que ce foit la feureté de cet eftat de tranfporter les gens de guerre en pays eftrange , & defgarnir en ce faifant les contrées de cet Empire , nous voulons que F 4 nos 88 L'ISLE DES ་ nos foldats foient plus propres & plus habi les à la guerre civile qu'à l'eftrangere , car en ce faifant ils auront & trouveront toutes chofes plus à propos , & faris fouffrir les in commoditez que cette belle antiquité vou loit faire endurer aux fiens

Toutesfois nous

n'entendons pas qu'ils efpargnent moins leurs plusproches , &les traittent plus dou cement que ceux qui leur feront les plus in cognus , mais que ce foit fur eux qu'ils fa cent le mieux leurs affaires & leur fortune . D'autant que tout homme qui nefçait ny obeir ny commander eft tenu pour inutile , & qu'eftre foldat eft un des premiers degrez d'honneur , & par confequent dignes de tout commandement

joint que ceux de cet Em

pire tiennent l'obeiffance pour une chofe in ventée à plaifir , & à laquelle on n'eft obligé que par la force. Nousvoulons que nofdits foldats foient toufiours plus propres pour commander que pour obeir , afin qu'eftans ennos armées chacun puiffe faire à fafantaiſie ce qu'il jugera eftre à propos pour le bien de noftre fervice , & donner enſeignement & inftruction à ceux qui pourroient avoir quelque commandement fur eux , & leur con tredire aux chofes qu'ils leur pourroient or donner , principalement fi ce qu'ils leur commandent préjudicioit en quelque forte à leur plaifir & commodité particuliere , car eftant la loy fondamentale de cet eſtat , il faut quetoute autre loy luy cede . Quant aux chefs , nous entendons qu'ils parviennent pluftoft aux dignitez par hazard que par eflection , ou par cognoiffance de leur valeur , afin qu'ils puiffent dire que les biens leur font venus en dormant , & que par aprés ils fe laiffent conduire à l'ad 7 ven HERMAPHRODITES. 89 venture fans autre confideration , que ce que la rencontre leur preſentera devant les yeux. Car nous tenons toutes ces phenome nes oumeditations pour des fottes niaiferies, qui n'apportent autre fruit que d'alambi quer la cervelle de ceux qui s'y amufent: Au contraire la precipitation fera tenue par les plus fuffifans d'entre les noftres , pour fa geffe & marque de generofité , afin que s'il leur furvient quelque defconvenuë , ils en puiffent remettre la coulpe fur la fortune, Ce qu'ils ne pourroient veritablement dire s'ils avoient executé les chofes d'une deli beration pourpenſée. Eftant plus neceffaire que leur reputation s'augmente entre les leurs fans peril quefur les ennemis avec beaucoup de danger : joint que les noftres ne prennent pas garde ordi nairement à ce qui eft de l'honneur en fon entier , mais feulement fur un point d'hon neur nous voulons qu'il y ayt force car tels de deffy les uns contre, les autres , fans toutesfois en venirjufques au fang , qui doit eftre toufiours precieufement & cherement gardé. Mais nous entendons qu'il fe trouve quelques uns qui pacifient les chofes aupara vant que d'en venir aux mains , & que par ce moyen ils foient tenus pour gens de cœur fans danger. Cependant nous trouvons bon qu'ils ayent intelligence avec l'ennemy , & qu'ils luy defcouvrent les fecrets & ftratage més , évitant par ce moyen les perils , & fai fant continuer l'exercice militaire plus lon guement avec bonne recompence , fans tou cher autrefor du Prince , mais au contraire appauvriffant toufiours fon ennemy. La promptitude & la legereté ayant efté de toute antiquité recommandable aux foldats, nous مو L'ISLE DES nous entendons que nos armées foient com pofées de paffe-volans & de foldats de nom pour faire trembler l'ennemy à la monftre, la vifteffe & agilité defquels fera telle qu'ils fe rendront incontinent invifibles lors qu'il faudra rendre combat : deforte qu'il n'y au ra que les plus lents &tardifs qui paroiftront fur le champ. Et d'autant que ce choix & cet te eflection defdits paffe-volans doit eftre faicte par les chefs qui commanderont en nos armées , avec toutesfois l'intelligence & l'industrie de nos quefteurs. Nous voulons que lesdits chefs & quefteurs leur façent la paye à difcretion , retenant pardevers eux la meilleure & plus grande partie de la monftre, eftans lefdits paffe volans trop cupides d'hon neur pour s'amufer auprofit : joint que par un privilege ſpecial nous les avons féez & rendus du tout invulnerables. Les loix de la guerre n'ayant rien de com mun avec celles de la paix , eftant mortelles ennemies & directement contraires l'une à l'autre , il ne feroit pas raifonnable que nos foldats fuffent affujectis aux ordonnances de police ny de religion. C'est pourquoy nous leur permettons d'eftre fans police & de vivre fans exercice de religion , fi bon ne leur femble : mais fur tout nous voulons que les chefs leurpuiffent donner un Calen drier à part, foit pour le prolongement des moys ou années. Leur deffendons tres-ex preffément de les accourcir &diminüer , ains voulons que l'année foit de quatorze ou quinze mois , comme le cas y efcherra & que les mois foient de quarante jours au moins. Nous voulons que tant les chefs que les fimples foldats puiffent raconter leurs vail lan 1 HERMAPHRODITES. 9t T lances , que lagrandeur de leur courage leur repreſentera dans l'imagination. Et d'autant que parmy nos contraires on fait plus de cas des chofes fpirituelles que des corporelles, nous voulons que les actes de vaillance qu'ils n'auront executez qu'en efprit , foyent en beaucoup plus grand nombre que les autres, & qu'ils foyent par eux hautement exhal tez : comme fi réellement & de faict ils avoyent eſté mis à execution. Les chofes communes eftant toufiours mefprifées , & ceux qui s'efloignent le plus des actions vulgaires eftant eftimez par les noftres , pour les plus parfaits & plus ac complis , nous fommes d'advis que les plus fignalez d'entre les chefs que nous avons eftablis pour gouverner nos armées , & qu'ils pratiquent le plus fidellement & paffionne ment les conftitutions de cet Empire , pren nent le plus fouvent l'occafion par derriere, fans fe regler fur l'opinion de ces contem plátifs , qui veulent s'arrefter à toutes cho fes , & prendre le temps comme ils difent, & enfçavoir uſer. Car en cefaifant les effects en font fi bas , & fi communs , qu'encores qu'ils reüffiffent , ils font plus dignes de mefpris , que de louange. Au contraire quand les noftres ont executé heureufement que quechofe à contre-temps , encore qu'il leur arrive plus rarement , ils en doivent neant moins faire beaucoup plus de cas , quand bien il y auroit une ruine manifefte , d'autant qu'elle leur doit apporter plus de gloire , à quoy ils doivent toufiours tendre , & lepre ferer à quelque confideration que ce puiffe eftre. Ayans advifé de baftir quantité de citadel les , pour mettre autant de fers aux pieds de la 92 L'ISLE DES la liberté , nous entendons qu'elles foyent fortifiées de retranchemens , boulevers , ra vellins , caffemates , murs , rempars , & autres fortifications pour la feureté de nos Soldats , afin qu'ils puiffent eftre toufiours reçeuz àune bonne compofition. Mais afin qu'ils y puiffent faire leurs affaires , nous confeillóns aux chefs qui y auront comman dement de les laiffer defgarnies de vivres , munitions , poudres , & autres chofes ne ceffaires pour la deffence des places , afin que fil'ennemyfait m'nede les affieger.ils ayent une legitime excufe de s'eftre rendus : mais c'eſt à condition d'en tirer fecrette ment bonne recompenfe , afin que s'ils de meurent fans pourpoin& , qu'ils puiffent au lieu avoir une bonne robbe pour leur garder du froid. Et quant aux Soldats ils pourront quitter leurs armes pourveu qu'on leur rem pliffe leurs bources. Les habitans des villes où feront lefdictės fortereffes , feront eux , &leurs biens en la mifericorde des gouverneurs eftant bien rai fonnable qu'ils puiffent ufer de ce qu'ils con fervent comme auffi les Soldats de la garni fon y pourront participer , principallement en ce qui defpendra de la vie , de l'entretien & de leurs exercices à la volupté , fans que pour ces choſes noftre fifc en foit en rien di minué. ) Nous voulons auffi puis qu'ils ont en leur protection la perfonne & les biens defdits habitans que leurs femmes , & leurs filles remettent leur honneur entre les mains defdits foldats y ayant grande apparence qu'ils en doivent eftre autant ou plus foi gneux que du refte , commandant tres-ex preffement aux peres & aux maris de paffer toutes chofes fous filence s'ils neveulent ' efprou HERMAPHRODITES. 93 efprouver ce que peut une puiffance qui n'eft retenue d'aucune crainte , ou pour le moins d'eftre accufez d'avoir entrepris con tre la Citadelle , ou contre ceux qui la gar dent. Quantauxgouverneurs de nos Provinces, d'autant que c'eft l'honneur de cet Empire, qu'ils tiennent une bonne table & foient ſuy vis &accompagnez commeRoys : ce quine fe peut faire, fans une extrémement grande defpence, à quoy noftre fifc imperial nepour roit pas fournir fans beaucoup nous incom moder. Nous voulons qu'ils fuyvent les exemples de ces excellens hommes Albinus , & Florus Gouverneurs de Judée tant recom mendables à la pofterité pour leurs faicts figna ez en ladite Province.Et qu'ils trouvent toufiours de nouveaux ſubjects de mutiner & donner quelque fubject de plainte aupeu ple , afin de faire mieux leurs affaires , ren dant par ce moyen plus portatifceux quifont trop gras , & par confequent plus prompts, & plus fouples à l'obeyffance de nos com mandemens. Pource faire ils empefcheront le trafic du marchant , le labeur du payſan , & le travail de l'Artifan , afin que chacun vivant d'une vie faineante , ilsfoient plus propres à leurs intentions , appuyans les plus foibles de leur authorité , pour avoir la raifon des plus forts, appellans revolte & rebellion , tout ce que les riches pourront faire pour leur manu tention. Et afin qu'ils foient affiftez en leurs inten tions des forces de leurs Princes ils gaigne ront le cœur de leurs Soldats par flatterie, par carreffes par prieres & par prefens , afin que fi les peuples veulent faire quelques plaintes i .18 94 L'ISLE DES à leurs Princes de leurs gouvernemens , ils ayent de bons tefmoins , complices de leurs actions qui renverfent les difcours de leurs contraires , & donnent nouveaux fubjects aufdies gouverneurs de faire meilleure for tune. Ceux defdits gouverneurs qui voudront entreprendre quelque chofe contre l'autho rité de leur fouverain , le defchargeant par charité de fes eftats , &le foulageant autant en fa charge , en prenant tout le faix , & la conduite , muguetteront les peuples avec toute l'humilité pour acquerir l'authorité de commander , & pour s'eftablir . Mais quand la crainte leur fera paffée , nous leur per mettons d'eftre imperieux , & inſupporta bles. L'honneur eftant beaucoup plus grand à un fouverain de faire des Roys quede l'eftre foy-mefme , nous voulons que ceux des gou verneurs qui fçauront le mieux vivre felon les loix & conftitutions de cette Ifle , ufent en toutes chofes de l'authorité Royalle , & foyent plus craints & redoutez que les Mo narques mefmes afin que lors qu'ils accom pagneront leur fouverain , chacun puiffe di re d'eux ce que Cineas difoit du Senat Romain. Et d'autant que nous voulons faire tous jours paroiftre noftre liberalité imperiale , & confeillons à nos fucceffeurs defaire le fem blable , & fuivre notre maniere de vie, pour eftre promptement deifiez. Et pour aucune ment recompenfer auffi les pères des bons fervices qu'ils nous auront rendus en l'exer cice de leurs charges , ainfi qu'il a efté de claré cy-deffus : Nous entendons que leurs charges foienthereditaires pour leurs enfans, quelque jeuneffe , ou incapacité qu'ils puif Lent HERMAPHRODITES. 95 fent avoir : Car l'Eftat de la republique eftant changé , qui vouloit que les magiltrats fuf fent annuels , il eft bien raisonnable que puis que le fouverain magiftrat eft immortel, (fon authorité fe continuant en fes defcen dans ) que ceux qui feront au-deffous de luy, &qui doivent commander fous fes aufpices, foient pareillement perpetuels. Que s'il arrive que quelqu'un ou de leurs defcendans ayt quelque querelle particulie re. (Pour monftrer à fon adverſaire qu'il a quelque credit extraordinaire. ) Nous vou lons qu'il feface bien accompagner de gen tils- hommes, ou foy difans , & de fe ruiner pluftoft à l'entretien d'une telle trouppe , fans tirer toutesfois autre fruit qu'une bonne mi ne: que defe contenter de la voye ordinai re. Car par ce moyen tel qui ne fera que fim ple gentil-homme, fans charge nyautre qua lité , fera toutesfois tenu pour quelque grand Seigneur , le voyant fi bien accompagné , & que pour deux efcus qu'il peut defpendre par jour, illuy en couftera trente à faire bonne chere aux compagnons tart &fi longuement quedurerafa querelle. Permettons à tous nosplus feaux confeil lers d'adjouter à tout ce que deffus ainfi que le cas y efcherra , & qu'ils jugeront les oc cafions plus à propos , voulans qu'à eux ce faifant foit obey , somme fi nous meſmes l'avions ainfi ordonnez. Telles ettoient les loix de cefte nation que nous trouvaſmes contenues en cet extraict , & lefquelles nous femblerent auffi pleines d'admiration que d'abomination pour les chofes deteftables qu'elles contenoient , de forte quevous euffiez dit que c'eftoit unpeu ple qui n'avoit autre eftude qu'à fe bander con 96 L'ISLE DES contre ce qui eftoit de la raifon , & de laver tu defquelles en toutes leurs actions & en tous leurs difcours , ils ne cherchoient que l'apparence , de crainte feulement de perdre leur credit entre les hommes , & non pour aucune particuliere inclination qu'ils y euf fent de forte qu'un chacun de nous , en core tout faifi d'eftonnement , pour les cho fes qu'il venoit d'ouyr , demeuroit en un profond filence. Quand noftre voyageur re prenant la parole nous dit : Il y avoit encore plufieurs autres loix & ordonnances que je ne me fuis point ainti mis à recueillir : car pour eftre à peu prés conformes à celles qui ont cours par le mon de , j'ay penfé que ce feroit une chofe fu perfluë de s'y arrefter , feulement mefuis- je amufé à traduire ce qui m'a femblé extraor dinaire , comme vous avez pû voir. Vrayement dit un de la trouppe en voylà une affez bonne quantité , & fi ce n'eftoit la curiofité d'apprendre & que par le mal , le bien fe fait bien fouvent paroiftre d'avanta ge, quepar luy-mefme, je dirois volontiers, que le vaiffeau n'eſt jamais que trop chargé de cette denrée ; mais puis que la divinité mefmeapermis le mal pour noftre plus grand merite , il eft à croire que nous pouvons ti rer le bon eftre des chofes les plus corrom puës , ou pluftoft la vertu peut faire comme l'huille qui nage fur toutes les liqueurs fans s'y mefler. Ainfi l'homme de bien peut eſtre porté fur cette grande mer du monde fans toutesfois eftre emporté par ces eaux ame res , ny fans s'elever contre les bancs & les efcueils d'icelle : mais ainfi que lefoleilfans fe mefler dans la fange , il void & cognoift la nature des chofes fans fe mefler dans elles, & HERMAPHRODITES. 97 & fanstirer fon habitude des chofes qui la doivent recevoir de luy. Ce beau difeur vou loit continuer le difcours de fa Philofophie &prouverpar raifons & par exemples qu'en la lecture des livres , nous devions faire com me le Geometre qui peut prendre la meſure de quelque altitude , avoir un œil au Ciel& l'autre en la terre , mais il fut interrompu par le Gentil-homme voyageur , lequel vou lant achever fon Difcours , &nous diſcou rir du refte des fingularitez de cette Ifle re prenant la parole. 7 Nous aurons ( dit-il ) du temps aſſez une autrefois pour difcourir de ce fuject , les objects ne fe reprefentant que trop fouvent pour nous les ramentevoir : mais mainte nantpour vous continuer ce que j'avois com mencé je vous diray. Que cet honnefte homme qui m'avoit monftré ces fingularitez voyant que lefoleil commençoit à tirer vers le couchant , me dit que l'heure du difner approchoit , & re cognoiffant à ma mine que mon eftomach n'eftoit point trop chargé , & qu'on mefe roit auffi grand plaifir de contenter fon de fir , commela curiofité de mon efprit. Ilme pria de venir prendre la patience d'un mau vais difner. Et à la verité cette patience m'euft efté fort agreable fi le defir de confi derer les actions de ce peuple n'euft eu plus de puiffance fur moy que le refte , ainfi je le priay de memener où difnoyent ces Sei gncurs- Dames , pour voir fi les ceremonies de ce facrifice efgaloyent celles que j'avois veües auparavant : Ce qu'il m'accorda fa cilement. Car par je ne fçay quelle fecrette puiffance de la nature qui nous rend ayma bles à ceux mefines qui nousfont incogneuz, G .98 L'ISLE DES il commençoit à me vouloir beaucoup de bien , de forte que s'avançant le premier pour me conduire , après avoir paffé dans quel ques chambres , & defcendu un petit efca lier, qui eftoit pratiqué à la defrobée pour la commodité des plus galands , nous en trafmes dans une affez grande falle quenous trouvafines toute jonchée de diverfité de fleurs. Au bout d'en bas , il y avoit unefort longue table & affez large deffus laquelle il y avoit un grand linge eftendu traifnant juf ques en terre deffus cefte table on avoit inis un petit efcalier de bois , de quatre ou cinq degret feulement , qui contenoit toute la longueur de la table , & fur lequel efcalier on avoit eſtendu un autre linge qui couvroit chacune de fes marches. J'eftois eftonné à quoy pouvoit fervir cette ceremonie : mais auffi toft on vint arranger deffus plufieurs fortes de vaiffelles d'argent comme plais , efcuelles , affietes , baffins , vafes , efguie res , & tout cela difpofé en fort bel ordre , de forte que cela avoit quelque reffemblan ce avec ces repofoirs qu'on fait en ce pays, le jour de la fefte Dieu , on fouloit , difoit mon conducteur , nommer cela autresfois le buffet, mais comme les termes ne font ja mais femblables en ce pays- là deux années confecutives , on le nommoit alors la cre dance , peut eftre que maintenant ils luy au ront encore changé de nom. Deffus cette table il y avoit quelques affjetes fur lefquel les je vis quelques petits morceaux de cris ftal , ce mefembloit. Et fur quelques autres, je nefçay quoy de blanc , queje prenois pour du Sel. Mais je me trompois : l'une eftoit de la glace , & l'autre de la neige au pied de cette table , on voyoit une grande cuvet te HERMAPHRODITES. 99 te de cuivre pleine d'eau dans laquelle il y avoit plufieurs flacons & bouteilles , ungros dodu eftoit enfentinelle là aupres pourleur garde-corps. De l'autre cofté de cette table, yavoit une grande corbeille , & dans icel le plufieurs fortes de pain , l'un faict comme ils difoyent de paſte levée , l'autre de paſte broyée , un autre avec de la leveure , l'un eftoit mollet bourfouflé & falé , l'autre tout plat , & fans fel , l'un eftoit rond , l'autre long , un autre fait à cornes , l'un plas petit l'autre un peuplus groffet. Enfin il y en avoit de tous aages , & de toutes efpeces. Ils eftoient feulement femblables en une chofe , c'eft , que pas un n'avoit fa robe naturelle. Car on les avoit tellement chappellez , qu'il n'y re ftoit plus qu'une petite croufte fort deliée , on difoit que les plus honneftes de ce païs eſtoient fort fubjets& à une certaine maladie qui leur vient , à ce qu'on dit , d'une contrée Mediterranée, laquelle leur esbranloit fi fort les dents , quandils l'avoient eüe qu'il leur falloit ainfi manger des crouftes delicates pour leur confervation , une autre petite ta ble eftoit à cofté où l'on mettoit les verres & quelques autres uftenciles. Je confiderois fort attentivement toutes ces chofes & m'ef merveillois de leur curiofité , mais mom guide s'en prit à rire , & me dit que je m'e ftonnois de peu de chofe , que cela n'eftoit rien au regard de ce qu'il me devoit mon ftrer & lors me prenant par la main , il me menaà l'autre bout de la falle où nous trou vafmes une autre table désja toute preparée, la nappe eftoit d'un linge fort mignonnement damaffé mais d'autant qu'en ce pays- là les chofes qui font én leur naturel , quelque de-, gré de perfection qu'elles puiffent avoir ac G quis , z 100 L'ISLE DES quis , ne leur font point agreables , fi elles ne font defguifées , elle avoit eſté plyće d'une certaine façon , que cela reffembloit fort à quelque riviere ondoyante qu'un petit vent fait doucement fouflever. Car parmy plufieurs petits plis on y'voyoit force bouil lons. Deffous cette nappe- cy il y en avoit enco ´re une toute unie : qui eftoit plus courteque celle de deffus , cette table eftoit bordée d'affiettes des deux coftez excepté vers le haut bout où il y avoit ungrand vuide ce fem bloit , ce qui n'eftoit pas toutesfois , ainfi queje pus voirpar après , mais c'eſtoit une petite nappe płyće d'une autre façon enco re plus mignonnement que la precedente , qui faifoit que de premier abord on jugeoit qu'il n'y avoit rien deffous : tout au bout de la table , il y avoit un affez grand vaiffeau d'argent doré , & tout cizelé fait en forme de nef, excepté qu'il avoit un pied pour le tenir ferme fur la table , & cela fervoit à ce que je pus voir par après , à mettre l'efven tail & les gands du Seigneur-Dame du lieu , quand il eftoit arrivé. Car le vaiffeau s'ou vroit & fermoit des deux coftez , en l'un eftoient les ferviettes , dont l'Hermaphrodite devoit changer, & en l'autre , fe mettoit ce que j'ay dit cy- deffus. Les autres ferviettes qui eftoient à l'entour de la table eftoient def guifées en plufieurs fortes defruits , & d'oy feaux: & comme je m'amufois à confiderer cette induftrie ( non fans admiration de la perte du temps que l'on faifoit à l'exercice d'une chofe fi yaine ) je vis entrer un hom me d'affez bonne façon avec un baſton à la main , fuivy d'un nombre de pages qui avoient tous un plat couvert , celuy qui avoit ce HERMAPHRODITES . ION. 1 1 ¡ ee baſton ſe vint camper au bout de la table, &tandis un qui eftoit là ofta cette premiere nappe , deffous laquelle je vis trois fortes d'affiettes , nonde la formedes autres

Car

il yavoit un petit rond au bout qui eftoit elle vé , &unpetit enclos en long , en façon d'un chetton d'un coffre , où on pouvoit mettre le coufteau , la fourchette , & la cuilliere

fur le reste qui eftoit vuide on y mettoit le pain , je prenois cela au commencement pour une efcritoire

car j'en avois veu de

pareilles aux practiciens de noftre pays

mais

on medit qu'en cette Ifle - là , on le nommoit un cadenas , je ne fçay pas pourquoy il luy avoient donné ce nom , au langage de leur pays , fi ce n'eſt à cauſe que toutes leurs actions fe faifant par contrainte, ils ne peu vent pas mefme manger leur pain en liberté . Auffi- toft que cette premiere nappe fut oftée , un gentil -homme fervant vint pofer les plats , tous couverts fur cette table , deforte qu'el le eftoit toute chargée de viandes , fans qu'on fceut ce qu'il y avoit , tandis je contemplay. lacizelure de cette nef , qui eftoit auboutde la table , où il y avoit plufieurs hiftoires des amours de Pan &de Bacchus . Je croiois que cette nappe feconde , qui eftoit par ondes , euft efté plyée de cetteforte pourfaire mieux voguer ce vaiffeau . Comme tous ces plats. furent difpofez par ordre , ondemeuraquel que temps engrand filence , en attendant la compagnie , qui devoit arriver

Joint qu'en

ce pays-là , à ce qu'on ne dit , la plufpart aymoient mieux leur viandefroide, que chau de. Auffi toft entrerent plufieurs , avec des inftrumens qui fe mirent à un des bouts de la fale , & d'autres , qui avec des Luths , & quelque cornet à bouquin fe mirent de l'au G 3 tre t 102 L'ISLE DES tre cofté chacun d'eux s'amufoit à accor der fes fluftes , & moyj'occupois mon efprit à regarder latapifferie du lieu , qui eftoit d'un cuir doré , entremeflé de vert , & les bordu res d'alentour reprefentoient au long l'hi ftoire, & la fobrieté de Vitellius , les retrai Etes delicieufes dubon Tybere en l'Ifle de Ca prée , celles de la maifon dorée , du debon naire Neron, & plufieurs autres antiquitez , convenables à ceux qui frequentoient ce pa lais , à quoy je prenois bien autant deplaifir, qu'a voir toutes les ceremonies qui s'eftoient faites en ce lieu : Car il me fembloit que rien n'avoit efté mis là qu'à deffein. Mais comme. je philofophois fur toutes ces chofes , j'en tendis ungrand bruit de gens qui arrivoient, qui me fit croire que c'eftoit la compagnie qui venoit difner , en quoy je ne fus point trompé Car je vis un homme qui vint en diligence , hauffer la tapifferie , & auffi-toft entrer ceux que j'avois veu habiller aupara yant , celuy en la chainbre duquel j'avois efté dés mon arrivée , en ce palais entroit le premier , avec la mefine defmarche , que j'avois remarquée aux autres , excepté qu'il fe laiffoit encoreplus negligemment pancher fur un qui avec la tefte nue , luy fouftenoit la main , deux autres le fuyvoient avec la mefme gravité après entra tout le refte de la brigade chacun felon fafantaisie. Quand tous ceux- cy furent entrez , on prit. auffi-toft à l'autel de la Credence , un grand baffin , d'argent doré avec une efguiere de, mefine eftoffe , & d'un des coftez de la nef, qui eftoit fur la table on prit une ſerviette plyée à fort petits plis. Avec tout cecy , ces trois que je viens de dire , fe laverent tous les mains puis ceux qui eftoient de cette fuit HERMAPHRODITES. 1e3 fuitte aufquels on bailla d'autres ferviettes, & auffi- toft chacun fè vint feoir. Les trois premiers dans des chaires de velours , faictes d'une façon , qu'ils appellent brifées , &fort efloignées les unes des autres. Le reste de la trouppe avoit des fieges qui s'ouvroient & fe fermoient comme un gauffrier pris à rebours, ceux- cyfe mirent affez près les uns des au tres. Quand ils furent affis , on vint lever les plats , qui couvroient toutes ces viandes , tandis que d'autres apportoient des affiettes, & des ferviettes , aux trois qui eftoient affis dans ces chaires mais ce que j'en trouvay de plaifant , c'eft qu'on vint mettre au pre mier fa ferviette , & l'attacher par derriere , prefque en la mefme façon qu'on la met en ce pays , à ceux qui veulent faire couper leur barbe , fans beaucoup de ceremonie, on me dit qu'il la faifoit mettre de cette forte , de peur de gafterfa belle fraife : Les autres n'y apporterent pas du tout tant de façon. Com me ils eurent mis leurs ferviettes , chacun d'eux repouffe un peu à colté fon cadenas pour faire place à l'affiette qu'on leur appor toit , je ne pus m'empefcher de m'eftonner de voir toutes ces particularitez. Car il me fembloit que cecy n'appartenoit qu'aux Roys, & auxgrands Princes , qui en ufent la pluf part autant pour la confervation de leur vie, principallement pour le fel , que par oftenta tion ou ceremonie ; mais celuy qui m'avoit fervy de truchement , en toutes ces chofes que j'avois dés-ja veuës , & que je n'aban donnois point , medit queje ne devois point trouver cela eft range : car telle eftoit la cou ftume de ce pays , qu'il eft permis à ceux qui ont dequoy defpendre, de faire les Roys , les Princes , & les Monarques , fans eltre G.4 re: 104 L'ISLE DES repris d'aucun. Il eftvray, dit- il , que quel ques unspour n'entendre pas bien l'analogie. de leurs facultez, avec ces dignitez- là , con vertiffent le plus fouvent leur or en faffran, dontils fe parent par apres en la plupart de leur emmeublement , & ce pour une raiſon philofophique , d'autant qu'on dit qu'il res jouyt fort , & par ainfi c'eft pour vivre tou fiours d'une humeurgaye, ce qu'ils recher chent fur toutes choles : joint que cette lile eftant toufiours flottante. Ceux qui ont le moins , ont cet avantage fur les autres qui ont tant de chofes à charier après eux , car aumoins ils ont fort promptement trouffé bagage. Ces raifons me pleurent fort , &ne me pus tenir d'en foufrire en moy- mefme ǎ bon efcient , il medit auffi que ceux- cy s'af feyoient encore à la vieille mode , & qu'à la moderne le milieu eftoit tenu pour le lieu le plus honorable. Tandis que nous difcou rions ces chofes entre nous , trois hommes fe vinrent camper tout debout devant ces Hermaphrodites ayans chacun une ferviette fur l'efpaule , & un grand cousteau en la main , avec lequel ils deftranchoient la vían de qui leur eftoit la plus aggreable : Car ils faifoient paffer tous les plats devant eux , comme une compagnie de gens de guerre , qui voudroit faire le limaçon , ils arreſtoient feulement à la paffade , ce qu'ils vouloient, & repouffoient le furplus , avec un petit coup de doigt , car ils ne vouloient pas feu lement prendre la peine de parler à ceux qui s'employoient en cet office. Les viandes de ce premier fervice eftoient fi fort hachées, defcoupées , & defguifées qu'elles en eftoient incognues , cela fut caufe que je m'arreftay pluftoft en la confideration des " actions HERMAPHRODITES. 105 actions qu'à particularifer la nature des vian des auffi apportoient- is bien autant de fa çon pour manger , comme en tout le reſte : Car premierement ils ne touchoient jamais la viande avec les mains ; mais avec desfour chettes ils laportoient jufques dans leurbou che enallongeant le col , & le corps for leur affiette , laquelle on leur changeoit fort fou vent , leur pain mefme eftoit tout deftran ché fans qu'ils euffent la peine de le couper, & croy qu'ils euffent fort defiré qu'on euft trouvé une invention qu'on n'euft point do refnavant lapeine de mafcher. Car à ce que j'en pouvois voir cela les travailloit fort auffi que beaucoup d'entre eux avoient des dents artificielles , qu'ils avoient oflées devant que fe mettre à tab e. Ayant en cepremier ſervice (comme nous difons en noftre patois ) aucunement eſtour dy leur groffe faim , on apporta la viande roftie avec la mefme ceremonie que la pre cedente ; Ils appelloient cela le fecond. Tou tes ces viandes eftoient tellement fophifti quées , foit pour les faulces foit pour l'appa reil , que je m'affeure queje vous ferois en nuyeux de vous en faire le recit , joint que j'en ay perdu la memoire , de la meilleure partie. Je remarquay feulement que quelques viandes que nous lardons par deça ne l'e ftoient point, je penfois que cefuit quelque ceremonie Judaique ; mais mon interprete me dit que ce n'étoit que curiofité , &qu'en ce pays c'eſt la coutume defaire fort grand cas des chofes nouvelles , tant au vivre qu'au veftement quand bien cela devroit préjudi cier à la fanté , de forte qu'ils mangeoient bien fouvent des chofes qui eftoient du tout contraires à leur gouft : mais elles eftoient nou 106 4 L'ISLE DES nouvelles , & fur tout estrangeres pour faire plaifir à la coustume , ils fe forçoient d'en ufer , & en faifoient grand cas en public. Parmy ces viandes il y avoit quelques patif feries aufquelles ils avoient donné des noms d'alchimie , comme excitation , erection , projection , multiplication , & autres noms fignifians la vertu, & laproprieté de chacu ne chofe , & c'estoit de cecy dont ils firent la meilleure partie de leur feftin , y entremellant parmy les coups de dent force coups de ver re , principalement ceux du bas bout : Car ces trois que je, vous ay dits qui eſtoient au bout d'enhaut y apporterent bien plus de fa çon car outre le gentil- homme fervant qui apportoit les verres & faifoit l'effay , il y en avoit encore deux autres qui apporterent les affiettes que j'avois veues à la credence où eftoit cette neige & cette glace ; defquelles Hermaphrodite prenoit tantoft de l'une & tantoft de l'autre , felon qu'il luy venoit en la fantafie , pour les mettre dans fon vin afin de le rendre plus froid , après cela il fe re muoit un peu le corps & branlant la teſte il prenoit le verre fort delicatement & beuvoit, & tandis on luy tenoit uneferviette foubs le menton de peur qu'il ne refpandift quelque chofe , puis il rendoit fon verre au gentil homme , qui faifant femblant de baifer fa main , le reportoit. Onvenoit par après luy apporter une autre ferviette fur une affiette , car ils en changent ainfi à chaque fervice , voire plus fouvent , & dès qu'ils y voyent quelque chofe de fale. Parmy ces viandesje remarquay quelques plats de poiffon , mais on difoit qu'il eftoit mariné. Il me fembloit que ce mot eftoit fuperflu , car je remarquois. bien que c'eftoit de la marée, mais ils ne le trou HERMAPHRODITES. 107 trouvoient point aggreable à leur gouft s'il n'eftoit déguisé par cet affaifonnement. Ily avoit aufli quelques plats de falade qui n'e ftoit pas comme celles que nous mangeons de deçà , car il y avoit de tant de fortes de chofes qu'à peine ceux qui les mangent les peuvent- ils diftinguer : elles eftoient dans de grands plats efiaillez qui eftoient tous faits par petites niches,, ils laprenoient avec des fourchettes , car il elt deffendu en ce pays- là de toucher la viande avec les mains , quel que difficile à prendre qu'elle foit , & ay ment mieux que ce petit inftrument fourchu touche à leur bouche que leurs doigts . Ce fervice dura un peu plus long-temps que le premier, après lequel on apporta quelques artichaux , afperges , poix & febves efcof fées , & lors cefut un plaifir de les voir man ger cecy avec leurs fourchettes : car ceux qui n'eftoient pas du tout fi adroits que les autres en laifloient bien autant tomber dans le plat , fur leurs affiettes , & par le chemin qu'ils en mettoient en leurs bouches : Après cecy on apporta le fruit , mais c'eftoit de ce qu'il y avoitde moins en fon naturel , car il eftoit prefque tout deguifé en tartinages , confitures liquides , & autres inventions: car ils difent qu'il eft fort préjudiciable à la fanté quand on le mange ainfi qu'il vient de deffus l'arbre. Plufieurs autres fortes de pa tifferies cftoient meflées parmy tout cecy , d'autant qu'en quelque forte que cefoit , & quelque petit nombre d'invitez qu'il y ayt , voire mefme quand il n'y auroit que le mai ftre du lieu , il faut que la table foit couver te , & leur raifon en cela eſt fondée en an tiquité , car ils difent que c'eft affez que Lu culus vienne difner chez Luculus. Je tenois cecy 108 L'ISLE DES ! cecy pour le dernier fervice , mais quelque peu de temps aprèsje vis apporter des boëttes dans des vaiffelles de toutes couleurs , qu'ils mirent principalement devant ces trois Syref dones. Dedans eftoient toutes fortes de con fitures feiches , mais cela dont ils faifoient plusde cas eftoit d'une certaine palle qui eftoit dans une fort grande boëtte de quatredoigts de hauteur , deffus laquelle pafte il y avoit force figures de fuccre qui reprefentoient des Cupidons , des Venus , & autres de pareille nature , tout cecy eftoit entremeflé d'or & de foye incarnate. Il eft vray que ces figures fe peuvent aiſement ofter fans toucher à la pa fe qui eftoit deffoubs , car cela n'y eftoit mis que pour contenter la veuë. Ils nommoient cette paſte marmelade , après tout cela ils prenoient un peu d'anis confit les autres du cotignat, mais il falloit qu'il fuft muſqué , au trement il n'euft point eu d'effect en leur efto mach , qui n'avoit point de chaleur s'il n'e ftoit parfumé.Duranttout ce feftin ils avoient tenu plufieurs difcours , les uns difoient que ceux eftoient heureux qui avoient des peres qui vouloient vivre à la Fabricienne car par ce moyen ils laiffoient à leurs enfans dequoy defpendre & fe faire paroiftre , & ne fe pou voient tenir de dire. Cesbonnes gens eftoient bien fots de vivre fi mécaniquement , & fe priver de toute commodité pour nous laiffer riches & à nos aifes. Quant à moy , difoit l'un je fçay bien que je feray en forte que je ne laifferay point d'autre heritier que moy mefme. L'autre difoit : Mon magazin & mon trefor , ce fera toufiours mon plaifir & ma volupté. Ils difcouroient fort auffi des myfteres fecrets de l'Ifle de Paphos & d'Erice , regrettoient fort que cela avoit esté aboly en T ! HERMAPHRODITES. 100 en public , &juroient par la mefme volupté d'employertoute leur puiffancepour les fai rereverer partoutes les nations où leur bon* ne adventure les auroit difpofez. Parmytout cecy fe faifoit de fort grandes plaintes dupeu d'induftrie de leurs cuifiniers qui n'avoient point d'invention pour le defguifement des viandes , & qu'ils leurs bailloient toufiours un mefme affaifonnement : mais à ce que j'appris c'eftoit que leurs goufts eſtoient li desbauchez , ou pluftoft fi defreglez , qu'il euft fallu une invention infinie pour leur ap pareiller les viandes & les remettre enappe tit. Leursdifcours ne continuoient pas long temps fur un mefmefubject , &quelques uns ne donnoient pas la patience aux autres de dire ce qu'ils vouloient tant ils avoient gran de envie dedeclarer ce qu'ils avoient en la fantaisie. Ils difcoururent auffi affez long temps des moyens de defpendre , non pour recompenfer leurs ferviteurs , acquiter leurs debtes , faire du bien aux neceffiteux , faire quelque œuvre neceffaire pour le bien pu blic fecourir fes amis , avancer ceux qui ont de l'esprit & de la vertu , & autres cho fes femblables , car en tout cecy its tiennent qu'eftre fort referré , fort chiche , fort ta quin , fortavare, fort mefcognoiffant , fort ingrat ce font marquesde gloire & d'hon & tefmoignage fuffifant pour faire croire que celuy qui en uſe ainfi a beaucoup d'efprit. Mais ils parloient de leur emmeu blement magnifique , de leurs accouftremens fuperbes , de leur defpence fuperflue , & de leurs voluptez defordonnées : car en ces chofes là ils tiennent l'argent pour très bien ' employé, comme en chofe qui leur doit le plus apporter de gloire & de reputation , ce leur neur , iig L'ISLE DES 1 leur femble. Cela les fit entrer en un autre difcours de defirs , où chacun faifoit des beaux chasteaux en Espagne qu'ils baftiffoient fur la croupe des monts Pyrenées , afin de commander après plus ailement à tout le pays L'un defiroit cent mille eſcus pour baftir une maifon à fa fantaiſie , un autre vouloit cent mille livres de rente pour te hir ( difbit il ) une maifon honorable & fplendide l'un defiroit avoir les yeux de linx pour penetrer dedans le cœur comme fi c'eftoit un livre pour y lire les conce ptions à defcouvert : un autre defiroit pou voir devenir petit oyfeau pour fe tranfporter en tel lieu qu'il euft voulu , & à l'inftant mefme qu'il l'euft defiré. Chacun avoit des defirs infinis , & qui feroient mal ayſez de raconter pour leur multitude & diverfité , & felon iceux ils faifoient des deffeins qui de voient autant reüffir que leurs defirs , mais cela ne laiffoit pas de leur contenter l'efprit car ils difoient que l'efperance eftoit une des chofes du monde la plus neceffaire pour avoir l'efprit contant ; parmy ces difcours , ils entremefloient plufieurs geftes & paroles lafcives qui ne font point honeftes à reci ter mais en ce pays- là , celuy n'eft pas te nupourgaland qui n'en ufe à tous propos , car c'eft cela en partie qu'ils appellent eftre de belle humeur : Il eft vray qu'il y en a quelques uns qui veulent contrefaire les dif crets mais s'ils ne prononçent les termes propres, au moins parlent-ils par equivo que. Cela les fit entrer fur les fouvenances de forte qu'un chacun difoit à fon compag hon : Souvenez-vous d'une telle rencontre, & vous d'une telle folie , & vous d'une bon ne fortune qui vous advint entel lieu : Auffi tien HERMAPHRODITES. 111 tiennent ils le fecret pour une chofe: fotte, & quifent fa beftife : & c'eft en cette chofe là feule qu'ils ne font point diffimulez , car leur vanité les force de declarer en public les faveurs qu'ils ont reçeuës de leurs dames en particulier , fans confiderer mefines fi ce la leur peut préjudicier ou non. Mais pour venir au propos que j'avois laiffé , après que chacun fe fut raffafié de ces delicateffes on commença à deffervir ceux du bas bout , car en cefte action là ils efcorchent l'anguille par la queue. Et après qu'on euft tout ofte on apporta à ceux qui eftoient demeurez à table ( d'autant que la plufpart s'eſtoient le vez ) un grand baffin d'argent doré avec un vafe de inefme eftoffe , & dedans de l'eau où avoit trempé de l'Iris , avec laquelle ils laverent leurs mains , ceux du haut bout feparément , & ceux qui eftoient au deffous enfemblement , & toutesfois elles ne de voient pas trop fentir la viande ny la greffe, car ils ne l'avoient pas touchée , ains feu lement la fourchette. Mais quoy , c'eftoit affez pour les avoirgaltées , car quant à eux, tout ce qui vient du dedans ne les fouille point , ma s feulement ce qui les touche par le dehors , puis on prit dedans cette nef les gands & les efventails des trois premiers qu'on leur alla prefenter. Après cela on ofla ces deux nappes , & puis on eftendit ungrand cairin trainant jufques à terre : car ils vou loient jouer au reverfis . Toutesfois aupara vant cette mufique de Luths &de voix que j'avois dés-ja ouye , recommença. , Mais mon conducteur qui recommençoit d'avoir appe tit , me pria d'aller difner avec luy àla table du maistre d'Hoftel : car ( difoit-il ) ces vian des creufes là ne font propres qu'à gens fouls: 112 LISLE DES T • fouls je confentis fort facilement à cette Lemonce mon eſtomach commençant à faire d'autres defirs que ceux que j'avois ouys à cette table. Ainti je fuivis fort gayement mon homme , efperant de donner encore quelque nourriture à mon efprit avec celle du corps. Ce lieu où il me menoit eftoit af fez mal propre , & où l'odeur du vin & des viandes ineflées enfemble portoient au nez un parfum affez mal agreable , mais ils y eſtoient fi accouftumez que cela ne leur eftoit point àcontrecœur. Ce lieu eftoit garny de plufieurs tables à peuprés, comme les refe atoires de nos religions : il eft vray que le filence n'y eftoit pas fi religieufement obfer vé, car ils parloient tous enfemble , & firent un tel bruit le long du difner avec leurs cris, leurs huées , & leurs rifées , queje croy que ceux quifont proches des cataractes du Nil n'en entendent pas d'avantage. Commenous fufmes arrivez là on nous bailla à laver les mains , quelques uns auffi les laverent avec nous , mais peu , & lors chacun fe mit à ta ble affez brufquement , principalement ceux des autres tables car les tables eftant affez courtes pour la multitude , chacun fe pref foit & fe pouffoit l'un l'autre pour y avoir entrée. Auffi toft qu'on fut affis ce fut de prendre chacun qui çà qui là tout ce qu'il pouvoit attrapper: de forte que les plus ad vifez garniffoient fort bien dés le comman cement leurs affiettes , car ils pouvoient s'af feurer de n'y mettre jamais la main deux fois dans un mefme plat. Ce grand remuë ment & cette façon raviffante in'eftonna un peu à l'abordée , & penfois qu'ils fuffent tous en colere , mais ce n'eftoit que contre la faim : je croy que je m'en fuffe retourné delà " HERMAPHRODITES. 113 delà à vuide , car tandis que je m'amufois à les regarder on vuidoit les plats , mais ce luy qui m'y avoit introduit y avoit pourveu, car ilen avoit pris pour deux. Ce diner dura fort peude temps, car il falloit aller auffi vi ffe des dents comme des mains : de forte que la meilleure partie de toutes ces trouppes ob ferve là les reigles de fanté , car ils fortent detable avec leur appetit , mais en recom pence ils ont fur jour de certaines retraittes Bacchiques où ils folemnifent à loifir les my fteres de Bacchus : de forte que tout cecy ne leur eft qu'on preparatif pour les mettre en gouft , ainfi que nous apprifines depuis de no ftre marinier. Nousfortifmes donc de ce lieu affez allaigres & difpos , car fans autre cere monie chacun fe retiroit où il avoit le plus affaire. Quant à moy qui n'abandonnois pointma guide , nous retournalines paffer dans une des chambres où j'avois defia efté , car il difoit qu'il avoit quelque chofe à pren dre dans la garderobe de l'Hermaphrodite , au quel il eftoit. Cette garderobbe eftoit affez fpatieufe , & accommodée tout à l'entour à peu près comme la boutique des merciers , car il y avoit des chappeaux , en un autre lieu des ceintures , icy desjartieres , ailleurs des fraifes , les unes à gros gauderons , les autres à plus petits: enun lieu la toillette & des peig nes, & dedans de certaines petites boëttes queje n'avois point encores veuës , cela me fit demander dequoy cela pouvoitfervir , on medit que quelquefois fon Seigneur & Da me enmettoit dans fa poche pour s'en fervir entemps & lieu , cela me fit enprendre une pour voir ce qui eftoit dedans , &j'y trouvay du vermeillon tout préparé qu'il s'appliquoit, fur les joues , quand celuy qu'on luy avoit H mis 114 L'ISLE DES mis le matin eftoit effacé. Auffi il y avoit de ces petites tenailles dont on les frifoit , &un peu plus loing force boëttes & petites bouteilles , les unes de verre fimples & fans façon , les autres dorées & façonnées , dans lefquelles il y avoit plufieurs fortes d'eaux, tant de fenteurs , que pour les fards ; avec tout plein de boëttelettes & de petites ef cuelles peintes de rouge par le dedans , tou tes , lefquelles eftoient fur de petites tablettes qui avoient eflé mifes là pour cet effe&t. On y voyoit auffi une grande table au deffus de laquelle il y avoit une forme de dais affez bas qui la couvroit. Sur cette table on avoit mis à l'un des bouts toutes fortes d'accou ftremens , à l'autre quelque quantité de li vres , un peu plus loing que les accouftre mens eftoit attaché contre la tapifferie une certaine forte de demies teftes , j'eftois efton né que vouloit dire cette marque de cruauté qui me fembloit merveilleufement eſtran ge : mais cet honnefte homme medit quela chofe n'eftoit pas fi cruelle queje l'eftimois, & là deffus il deftacha cela qui ne tenoit qu'à une efpingle , & fe la mit deffus la te fte , car en effect ce n'eftoit rien que des cheveux qui estoient ainfi couppez & treffez enfemblement. Je luy demanday à quoy cela pouvoit eftre propre , il me dit que c'eftoit pour ceux qui avoient la tefte un peu defgar nie , foit par contagions veneriennes , ou par nature mefme. Et d'autant qu'en ce pays là on afort fouvent la tefte defcouverte , ils foient de cette forme de calotte pour eviter la mauvaiſe rencontre du Poëte Efchylus. A l'autre bout de ce lieu il y avoitforce armes pendues qui gardoient fort religieufement leur virginité : elles eftoient fort dorées , fort HERMAPHRODITES. 115 fort legeres , & mignonnement elabourées, auffi n'eftoient elles là que pour parade & hon pour l'uſage. Car il n'y a point d'efpée qui euft ofé penetrer une chofe fi riche & fi curieufement fabriquée : de forte que les Maiftres d'icelles ne les endoffoient jamais qu'à l'extremité; encore efloit- ce plus pour marque de leur grandeur , & pour faire pa roiftre la generofité de leur courage , que pour aucun fait d'armes qu'ils efperaffent de faire reüffir par le moyen d'icelles . Il y avoit un liet au milieu de cette garderobe pour coucher le valet de chambre , & tout à l'entour d'icelle tout plein de coffres , dans l'un defquels cet honnefte homme cherchant quelque chofe dont il avoit affaire , trouva quelques papiers , lefquels en memonftrant il me dit: Voicy deux difcours qu'on pre fenta il y a quelque jours à noftre homme (ainfiappelloit-il fon Seigneur ) comme une chofe curieufe à caufe qu'on difoit qu'ils avoient efté faicts par deux heretiques en la loy des Hermaphrodites. Il eft vray qu'il y avoit quelque chofe au dernier de ces dif cours , qui luy eftoit plus agreable qu'au pre mier à caufe qu'il fe rapportoit plus à fes fens mais toutefois il difoit que c'eftoit quelque humeur frenetique , qui faute de meilleure occupation s'eftoit amufé à fanta ftiquer ces difcours : & ainfi les laiffant fur la table , comme choſe dont il nefaifoit pas grand conte , je les ferray fort curieufement, & en fis mefine faire quelques copies pour enfaire part à mes amis : car ( difoit-i ! ) en corque je fois icy fous la fubjection de gens qui mefprifent telles chofes , je ne laiffe pas toutesfois fecrettement d'embraffer & de fuivre ce qui a quelque lumiere de vertus : H 2 je 116 L'ISLE DES je prifay beaucoup fa fageffe & fa bonne in² clination , loüant Dieu d'avoir fait en luy une tant heureufe rencontre. Et après l'avoir incité le mieux qu'il me futpoffible à conti nuer en cette fainete deliberation , je lepriay de me monftrer ces difcours : Il me feroit ( dit-il ) maintenant impoffible de vous don ner letemps de les lire , car il me faut aller trouver nos gens , mais fi vous voulezje vous en feray part d'une copie que vous garderez pour l'amour de moy, & là- deffus m'enpre fenta une , je le remerciaybien humblement de tant de courtoifies qu'il me faifoit , me fentant extrémement fon obligé pour la bon ne volonté qu'il m'avoit fait désja paroiftre en beaucoup d'occafions. Laiffons ( dit- il ) toutes ces courtoifies & tous ces compli mens , qui ne font que trop communs en cette file , & ferrez ces deux papiers qu'ils ne foient d'aventure recognus quand noftre inonde fera hors d'icy , cela vous fervira d'entretien en attendant que nous foyons de retour de leurs promenades , oùje me dou te qu'ilspourrontbien toft aller , carje croy que j'auray alors le bien de vous revoir, & Vous entretenir cefoir fur quelques particu laritez que vous n'avez pas encore remar quées. Comme il achevoit de me dire ces chofes il vintun page luy dire qu'il miſt un linge à la feneftre pour voir s'il ne faifoit point de vent , je luy demanday pourquoy s'obfervoit cette ceremonie , il me dit que c'eftoit depeur que le haflenegaftaft la deli cateffe duteint , je mepris à rire à bon efcient de leur effemination mais au contraire , dit-il , ces chofes- làfont icygrandement efti inées comme marques effentielles de la vef tu; alors mettant ce linge à la feneftre & vojant HERMAPHRODITES. 117 voyant qu'il n'y avoit qu'un petit ventolin qui le faifoit legerement branfler , il me leur faut aller dire (medit-il ) en diligence. Ainfi fortant de ce lieuje le fuivis ferrant premie rement les papiers qu'il m'avoit baillez lef quels j'ay pris auffi la peine de traduire com meleurs conftitutions. Nous le fuppliafmes tous alors de nous en faire part & puis qu'il nous avoit tant favorifez jufques icy qu'il ne nous privait pas de cette fingularité. Ceque nous ayant accordé , il les alla avindre au lieu mefme d'où il avoit tiré les autres pa piers , & nous les prefentans , nous y trou vafmes les vers qui enfuyvent. CONTRE CON LES HERMAPHRO DITES. PRophane quele vice ensevelit au monde, Athée à quile Ciel estfi fort en mefpris : Pourjuger deton mal, il fautprendre lafonde, Afinde voir aufonds celuy qui t'a furpris. Le vice eft un neant un vuide puiffance, " une im Un travail fans repos , une privation, Ungrand defreglement , une aigre fouvenance, Un tourment , une mort , uneimperfection. Cette confufion , cette maffe difforme, Vient ennouspar lesfens & prendracine au cœur, L'unfournitla matiere , & cet autre laforme L'un nous enfle de vent & l'autre de rancœur. Et puisfe dilatant & croiffant en malice, Il s'exalte en l'esprit , &gafte l'intellect , Si bien que laraifon s'abisme en l'injustice Où voguefanspilote au vent de tout object. ' Son but (dit- il) ne tend qu'à chaffer la mifere, A contenterl'esprit , à charmer nos labeurs. Maiscethorrible Sphinx, cettepeau de Panthere, H 3 ? Cache 118 L'ISLE DES Cache deffous ces mots de cruelles fureurs. Car lamefe fiant en cettefoy Punique, Seduitte par les fens cede àson ennemy Mais Regule tupers tapauvre republique Etfinis par lesyeux, n'ayant veu qu'à demy. 2 D'autant que ce tyranfuperbe enfa victoire , Donne auxfens tout pouvoirdeffus les actions Si bienquefon trophée , &ja plusgrandegloire. C'eft de nous voir conduits par toutes paffions. Et voilà le confeil, le monarque , &laguide Quiconduit auxplaifirs d'un délicieux port: Maisrompez ce rofeau, cen'eft rien que du vuide, Et les chantsdece Cygne augurent une mort. Les regrets,les ennuis ,font les biens qu'il recelle, Et qu'il garde à la fin pour les plus favoris, Carle plaifir eft bref, lapeine eft immortelle , Et les plus advifez yfontfouvent furpris. Mais la vertun'eft point trompeufe , nyflat teufe , Elle enfeigne la peine à fon commencement, Mais elle donne après la vie bien-heureuſe , Le repos de l'efprit , & tout contentement. Situ veuxtefauver , rens toyfous ce Platane, Quitte tes vainsplaifirs , deviens homme debien, Caronne peut goufter de la celefte manne , Si on n'a confumé le pain Egyptien Nefois point eftonné , fi par fois tu chemines , Par des fentiers fafcheux&pleins d'adverfitez. Car c'est par les buiffons &parmy les efpines , Que Dieufepeut trouver non dans les voluptez. Quefi le bienfutur nepeutt'efmouvoir l'ame, Au moins queleprefent t'incite aucunement , L'efpreuve te ferajuger que cette flame , Peut temperer l'ardeur defon defreglement. Tufentiras en toy regner la temperance , La justicefera maiftreffe deton cœur , Tous tes confeils feront conduits par la prudence , Et tuferas enfin guidé par le bonheur. Ayme HERMAPHRODITES. 119 Aymedonc l'Eternel , adorefa nature, Tu ne peuxignorer les faits de cemoteur Carfi tu veux bien lire en chaque creature , Tu cognoiftras toufiours quel ejt ton createur. Puis chemine au Levant , laiffe cette nuict Jombre, Renonce à l'amitié du cruel Gerion , Pour jouyr du Soleil tourne l'elpaule àl'ombre Tout malheur vient toufiours de ce Septen trion. Tu nepeux àl'instant voir le Ciel & la terre , Pourrois tu bien unir l'Enfer au Paradis, Dieun'aymeque lejour, & celuy qui t'enferre Ne veut que les cachots du grand Idole Dis. Mais leve un peu ce mafque , & defcquvre fa feinte Tuperdras auffi toft le defir de l'aymer: Car fi tu goufte Dieud'une ame pure &&Sainte, Tu trouveras après le monde fort amer. A LA SUITTE DE CES VERS Il y avoit un Difcours dont le tiltre eftoit, du Souverain bien de l'homme , & commen çoit ainfi. n'eft capable de la lumiere s'il ne s'ouvre , ny l'homme de la grace divine , s'il ne s'y difpofe. Car tout ainfi que nous nejouyffons des chofes corporelles que par les fens , auffi ne pouvons- nous poffeder les fpirituelles que par la foy, & cette foy c'eft lefondement de la difpofition. Je dy le fonde ment , car cette foy fans les œuvres eftant morte il femble que nos actions nefoientpas moins neceffaires pour la vie eternelle , que l'afpirer & le refpirer en la temporelle , ces deux Poles nous conduifans fur ce grand Ocean de miferes , le long de noftre naviga H 4 tion 120 L'ISLE DES tion pour nous faire enfin furgir au port d'u ne bien-heureufe immortalité. Voylà pour quoy, il n'eft pas feulement neceffaire d'a voir lafoy pour concevoir le fouverain bien, mais il faut avoir auffi une fainteté de vie pour le pouvoir apprehender. Mais cette foy, ces œuvres , ce fouverain bien , dira quel que Athée , font des lumieres fi grandes qu'elles fervent de tenebres à nos yeux. Pour quoy voulez-vous que je recognoiffe en moy ce que je n'y reffens point ? Donnez moy quelque chofe qui me foit domeſtique', tout ce qui eft eftrange eft contraire à mana ture , je croy ce que je voy, & ce queje puis comprendre. J'appelle Eternité cette viciffi tude des chofes , & les œuvres pour mon re gard afpirent plus à la recompenſe prefente, & à quelque gloire parmy les hommes qu'à cette future beatitude. Je ne penetre point dans ces planchers eternels. La terre eft ma mere, manourrice , & mon fepulchre , elle eft ma vie , mes delices , & ma derniere fin. Ce cerele doit finir par fon principe , je ne cognois plus rien au delà. Toutes ces an ciennes refveries ne font que diminuer ma vie , me priver de contentement d'efprit , & m'ofter ce qui eft tant requis de tous les hom mes , lagloire , & la volupté. Aquel propos de fouffrir tant de peine en une fi briefve vie? Pourquoy fe fantaftiquer des chimeres d'ef perance vivons. Mais qu'eft- ce que vivre , finon d'avoir beaucoup de commoditez de vant foy , de contenter fes appetits & fes defirs ? Labeautédes femmes , la delicateffe des viandes, le delitieux gouft des fruits , la mignardife des harmonieux inftrumens , les voluptueux jardins , les dances lafcives , la converfation des compagnies plaifantes , les dif HERMAPHRODITES. 121 difcours facetieux , le mefpris des affaires , finon de celles qui peuventapporter quelque commodité , le curieux foing de fa fanté eftretoufiours magnifique en habits , paroi ftre entre les autres , & fe faire refpecter , avoir une humeur gaye , fans s'attriſter du public ny du particulier. Toutes ces chofes joinctes enfemblefont mon Paradis , vivre en cette liberté , c'eft ma fainêteté. Toutes ces fciences qui s'apprenent avec tant de la beur, ce foing continuel de la republique , & cette fujection à tant de loix , & d'or donnances, c'est mon Purgatoire. Cesjeuf nes , ces elevations d'efprit , cereglement de vie, qu'on appelle vertueufe , c'eft mon Enfer. J'appelle vertu ce qui meconferve la vie, & medonne du contentement , tout le refte m'eft vice. Oftez moy ce mot de reli gion , tant s'en faut qu'il reüniffe qu'il me divife d'avec moy mefine. C'eſt une inven tion des grands pour leur manutention : Toutes ces ceremonies , & ces Edicts , des chaifnes pour emprifonner nos volontez. Montez un degré fur cette efchelle d'eftat. Vous cognoiftrez incontinent tous ces faux vifages. Commander à foy-mefme , c'eſt ſe forcer foy-mefme , au contraire fuivre fes inclinations , c'eft cheminer par la voye Royalle de tout bonheur : Aquel propos cet te Genealogie d'efprits celeftes ou infernaus? l'an fent fa manie , l'autre fa Lycantropie ,. rien n'eftfuperieur à l'homme, tout luy fait joug, il ne s'efleve point fur les cieux , cet te contrée eft trop deferte , ny ne defcend poinct fous terre , cette demeure eft trop obfcure , mais demeurant en un eſtat il fub fifte toufiours en foy-mefme , rentrant dans la matrice de la mere qui l'a conçeu , pour pro 9 122 L'ISLE DES } produire par après de nouveaux rejettons ? Et j'appelle toutes ces chofes Foy , Efpe rance , Charité , & fouverain bien : Ce qui elt audelà m'eft infenfible , & par confequent un vuide , & un neant. Voila les difcours de l'impieté , laquelle regnant en ce temps je vous ayvoulu faire voir enfon luftre , afin que l'affaillant par les endroits mieux rem parez , fes fortifications terraffées , le refte fe rende par après à meilleure compofition : mais afin de luy refpondre particulierement, il vaudra mieux faire quelques diftinctions , de peur que la confufion ne cache la verité dans fes tenebres. Entre tous les mortels , je recognois trois fórtes de volontez , & trois differentes opi nions du fouverain bien , les premiers ont un amour, tout corporel , fans aucun defir des chofes fpirituelles qu'ils ignorent . Leur efperance auffi rampe contre terre , & de meure enfevelie dans ce qui eft de plus grof fier. Les fecondes ont un amour tout fpiri tuel , fans aucun foing des chofes corporel les , qu'ils mefprifent , leur derniere fin , auffi fe porte par deffus tous les cieux , ef purée de tout ce qui peut eftre terreftre & corrompu. Et les troifiemes participans des deux autres , ont bien quelque affection à la terre pour leur ufage , &toutesfois leur fou verain bien eſt au Ciel , auquel ils afpirent. J'appelle les premiers mondains , les feconds celeftes , les troifiemes prudens , toutes les autres opinions font conjointes à celle- cy , &bien qu'en apparence , elles foient diffem blables , eneffect elles leur font uniformes. Il les faut donc faire voir en leur nature après que j'auray definy cette fupreme feli cité. Lefouverain bien eft une infinie && perdu ra HERMAPHRODITES. 123 rable beatitude, qui comprent en elle tout ce qui Je peut defirer , & laquelle l'homme s'efforce d'acquerir pour en jouyr en toute eternité. De forte que tout homme qui met fon fouverain bien en une chofe caduque & pe riffable' , qui reço t en elle quelque deffaut, & de laquelle il ne peut jouyr que pour un temps , a plustoft l'ame remplie d'inquietu des , d'afflictions , & de mefcontentemens , que de repos , & de tranquillité , & par con fequent eft en un perpetuel aveuglement , fans fin , fans principe , & fans felicité , il me refte donc à les monftrer feparement afin qu'on en puiffe juger pius certainement , je commence par les mondains. Cette efpece d'hommes à qui l'ame ne fert que d'un fel pour empefcher le reffenti ment de leur corruption , qui noyez dans les voluptez , appellent malheur , tout ce qui les en fepare , à qui les tenebres fervent de lumiere , le defordre , d'un reglement , opt veritablement quelque raifon de mettre ici bas leur derniere fin. Car puis qu'ils n'ont vefcu que de terre , ils ne peuvent pas eftre changez en autre nature que celle de leur nourriture. Qui veut efcheler le ciel , il faut qu'il devienne celefte , cette fain&te demeure ne reçoit que ceux qui ont goulté de fon am brofie. Voyla pourquoy ceux- cy n'ont garde. d'y parvenir puis qu'au lieu de la defirer , ils la mefprifent. Mais d'autant qu'ils s'aydent de quelques apparances , & que s'arreftant en la nature il femble qu'ils ne s'efloignent pas de la raifon , je veux faire voir quelle eft la compofition de l'homme , fon origi ne , & fa fin. L'homme a deux parties effentielles en luy fans lefquelles il ne peut eftretel , à fça voir 124 L'ISLE DES } voir l'ame , & le corps , l'ame indivifible? quant à foy, & diftincte en fes effects a trois facultez , l'intelligence , la memoire , &la volonté Lecorps eft pareillement compo fé detrois principales parties , l'eftre , lavie, & lefentiment : Etbien qu'il n'ait pas origi nairement lavie , & lefens , mais feulement par participation , fi eft-ce que l'ame vege tante &fenfitive , que nous appellons , eſtant pluftoft un milieu entre l'efprit , & le corps , que chofes purement fpirituelles , & que leurs actions font corporelles , je penfe ne in'eftre point abufé de les conjoindre à la caufe de leur creation , joint que c'eſt par la fensitive , que le corps s'unit àl'ame , obeyt à l'ame & fe glorifie avec l'ame , quand elle s'eft premierement conjointe à elle par la perfuafion , comme auffi s'en feparant , elle eft caufe qu'au lieu quetoutes deux doi vent trouverune vie dans ces cendres ' ( ainſi appellay- je la mortification du corps ) elle 'faict rencontre d'un tombeau. Et comme il y a un milieu entre le corps , & l'efprit , pour la liaison de ces diftances tant efloi gnées. Ainfi y a il un moyen entre l'ame & la divinité pour l'union de ces deux extre mes : C'est ce qu'on appelle intelligence ab ftraicte ou feparée , qui n'eft autre choſe qu'une grace divine , agiffant tantoft dans l'entendement pour nous enfeigner , ores dans la volonté , pour nous exciter. Dans le premier , nous la nommons intelligence, dans l'autre fynderefe : de maniere que c'eft par elleque tout bon- heur nous arrive , quand nous la croyons : au contraire , tout mal heur nous accompagne , quand nous la ne gligeons , & d'autant quelle eſt toufiours pu re & fainete , fans fe medler dans aucune cor HERMAPHRODITES. izs Corruption , les autres fe font laiffées ém porter à leur amour propre , & à leurs deli ces, contre les inftructions , elle leur laiffe porter le repentir de leur obftination , & re tourne feule droit au lieu de fon origine. Que fid'autre cofté ils fe font eſtudiez à luy obeyr : Alors toute triomphante de gloire, pour avoir furmonté le diable , le monde , & la chair , en l'ame , au fens , & en la vie elle conduit en l'immortalité , ceux qui luy ont adjouté une fi fidelle , & volontaire croyance. Voyla pour la compofition. Quant à l'origine , c'eft l'argument que ce prophanenous a mis au commencement, & à lafin defon difcours , par lequel il veut qu'Aborigenes nous foyons fortis de la terre, commele peuple de Cadmus : Et veritable ment les dents de cet effroyable ferpent no ſtre ennemy , ne pouvoit pas produire d'au tres hommes, que ces furieux , lefquels fe bandans contre leur propre nature , fe de ftruifent eux mefines , penfans fe conferver : Eft-il croiable que la terre tant impuiffante d'elle mefme, qui a befoing à tous momens de l'influence celefte pour la generation de fes creatures fi groffiere , fi opaque , fi pleine de corruption , comprife par tous les autres Elemens foit le premier principe de l'hom me, veu qu'il eft beaucoup plus excellent, plus parfaict , & plus accomply qu'elle , n'y tous les Elemens enfemble ; Qui croiraauffi que cefoit le Ciel ou les eftoilles , puis que nous remarquons du changement , voire de l'alteration en leur mouvemens ? Confeffez vous pas que le Soleil eft plus beau , plus parfait , & plus accomply , qu'il a plus de puiffance , & de vertu que toutes les autres efloilles , voire que le ciel mefme ? Ettou tes 126 L'ISLE DES tesfois ne remarque- on pas journellement le retardement de fon cours? Ses eclypfes bien quece ne foit que pour noftre regard , n'eft ce pas un manquement de puiffance , luy de qui nous recognoiffons fenfiblement que procede la lumiere , manqueroit-il en fon principal effect ? Et neantmoins nous avons veu arriver en pleinjour des tenebres palpa bles , fans que je mette en ligne de compte cette grande & univerfelle eclypfe par tout l'univers arrivée en ce bel aftre contre tout ordre de nature en la mort du Sauveur. Et finalement pourrez vous appeller fouverain principe , ce que vous comprenez & mefu rez fi diftinctement , & fi fenfiblement ? La chofe qui comprend excede toufiours celle qui eft compriſe & ce qui peut eftre mesuré n'a pudonner lapremiere mefure , je dy ce cy, tant du ciel que du Soleil , & de toutes les eftoilles. L'experience nous apprennant tous les jours que ces mefures ne font point imaginaires , puifque nous trouvons un jufte calcul : en nos pronoftications , & que nos comprehenfions ne font point vai nes , puis qu'elles fe rapportent aux effects . Où trouverons -nous donc un principe digne de l'homme ? Après avoir parlé de toutes chofes fi excellentes , que j'ay neantmoins trouvées deffectueufes : Je ne puis me ran ger à ce qui eft moindre. Quoy donc fera ce tout l'univers enfemble? Mais ce feroit retourner en l'antique Cahos : cela eftant du tout incroyable , voire impoffible , que tant de natures fi diverfes & contraires , fe foient originairement creés d'elles- mefmes. Que ficela eftoit , il faudroit qu'il yeuft en tre elles une egalité de puiffance , autre ment , il faut confeffer une fuperiorité. Et tou HERMAPHRODITES. 127 toutesfois nous en remarquons de fort in ferieures , les unes aux autres , voire de fort viles , & abjectes. Join&t que fuyvant la maxime que j'ay mife cy- deffus , l'homme comprent encore toutes ces chofes , & fçait les diftinctions & les proprietez & qui plus eft , en ufe & en ordonne. Eft ce donc l'hom me qui eft autheur de la nature ? Pauvre crea ture tu ne fçauroys reformer la moindre de tes imperfections , tu n'as pas bien fouvent une difpofition libre de ta volonté , ( enco re que ce foit celle où tu dois avoir le plus de puiffance ) comment pourrois- tu créer? tu ne fçaurois conferver : pourrois- tu bien eftre autheur de la vie : tu ne la fçaurois rendre à ceux à qui tu l'as oftée. Que fi tes peres avoient quelquesfois eu cette puiffan ce , il t'en feroit demeuré quelque efchan tillon Mais tant s'en faut que tu reſtabliſ fes , que tu deftruits , & la plufpart de tes actions font pluftoft forcées que volontaires. Et ce que mefmes tu appelle vie , & de la quelle tu ne jouys que par emprunt , & que tu prens &laiffe fans ta volonté, n'eſt autre chofe qu'une continuelle mort. " Il faut donc venir à vous , Souveraine , Eternelle , infinie incomprehenfible Ef fence , fans fin , & fans commencement , une fimple en Trinité , Trinité en unité , fource originaire de la vie , Dieu , Createur de lumiere , l'unique beatitude & felicité des creatures raisonnables. C'eft par vous que nous recevons noftre eftre , à vous à qui nous en demandons la confervation , & en vous que nous defirons d'en faire une parfaite únion. C'est vous qui ayant tiré l'homme de neant , l'avez formé à voftre image &fem blance , & l'ornant de toutes les graces quife 128 L'ISLE DES fe pouvoient fouhaitter , luy avez affujetty toutes les creatures que vous avez creées , à fon occafion & pour fon ufage , lequel Em pire il pouvoit conferver , s'il eut voulu vous obeyr : Avous donc feul en foit l'hon heur , la gloire , & la louange à jamais , & à nous la honte & la confufion , de laquelle toutesfois voſtre grace &mifericorde infinie hous delivrera quelquefois felon fa bonté accouftumée. Et voilà noftre veritable ori gine , à laquelle il n'y a point de repartie , puis que ce principe peut tout , poffede tout, comprent tout , & beatifie tout. Quant à la fin de l'humaine nature , puis que nous luy avons trouvé une origine , il faut qu'elle finiffe quelquesfois . Etpuis que toutes chofes qui font au monde ont efté creées pour l'homme , & pour fon ufage , luy fini il faudroit que ce grand tout retour haft en un neant , mais la prefcience , & la providence divine en a ordonné autrement. Car par une vertu & fagetle ineffable , ellè a fait que l'homme tirant & convertiffant en fa nature la fubftance de toutes chofes , com me leur derniere fin , offre par après le tout comme fouverain Preftre d'icelles , avec fa propre volonté fur l'autel de la foy , &dans je brafier d'une très-ardante charité en facri fice pacifique aux pieds de la tres-faincte Trinité, laquelle les recevant d'un œil plain de mifericorde , leur donne un eftre perma nent & immuable par la conjonction d'i celles , à fa bien- heureufe Eternité : Voyla la derniere fin de l'homme , fon contente ment & fon fouverain bien. Et le vray cer cle dont ceftuy.cy fe gauffoit au commence ment de fon difcours. Mais comme la veuë d'un grand & ri che HERMAPHRODITES. 129 che threfor , eft inutile à celuy qui n'en a point l'ufage , ainfi la cognoiffance dufou verain bien eft fuperfluë , fi nous ne nous dif pofons pour en avoir la jouyffance , voyla qui m'occafionnera d'en tracer icy de tels quels enfeignemens , m'affeurant que lefens commun , voftre zele &la divinité mefme, fuppléeront mon infuffifance (joint que je vous ay promis , de vous difcourir de la di ftinction du fouverain bien ) pourveu que vous mepermettiez d'adjoufter icy quelques traits de l'immortalité. Car c'eft fur cette queue que ce dragon , attire les plus claires eftoilles , j'entends les efprits plus defliez . C'eft veritablement une defplorable choſe que l'entendement humain feparé de la Di vine intelligence. Toutes fes croyances ne font que des vanitez , fes difcours que des abfurditez. Il fe contredit à foy- mefme , & tout enflé de gloire & de présomption , il quitte volontairement la lumiere du vray bien , pour fuivre l'aveuglement d'ignoran ce & d'erreur. Voyez en l'exemple en ce ftuy-cy , il nous avoit enlevé fon hommeen apparence , par deffus toutes creatures , & tout incontinant , il nous le rend le plus mi ferable de toutes chofes creées quand vous penfez voir la fin de fa grandeur. Car f l'homme n'a point d'autre fin que ce qui eft au deffous de luy, fi quand il meurttoutes chofes ont pris fin pour fon regard , en quoy puis-je recognoiftre fon excellence & fa fu periorité? Sera-ce en la longueur de la vie? Combien y a- il d'animaux qui le furpaffent en cela ? Bien peu d'hommes arrivent juf ques à 80. ans , & toutesfois vous en trou verez entre les brutes qui vivent cent & trois cent ans. Sera-ce en la force ? Il eſt pref I que 130 L'ISLE DES que le plus foible de tous : En la fanté , it eft le plus debile & le plus imparfait. Les au tres nefont fubjets qu'à de certains maux , il s'eft trouvé tel homme qui a eu toutesfor tes de maladies , en une bien courte vie. Pour l'agilité ; il eft furpaffé prefque detous. Quant à la dexterité & l'induſtrie ? ils luy ont aprisvoire luy apprennent tous les jours, des inventions : je diray plus que tout ce qu'il fçait de meilleur pour ce regard , il l'a tiré d'eux. Quoydonc eft-ce au comman dement & en l'obeiffance que toutes choſes luy rendent, au contraire je n'y voy que de la revolte detoutes parts , les plus petits & debiles animaux font ceux qui luy font le plus fouvent laplus cruelleguerre. Où trou verai-je donc cette marque? c'eſt une choſe hors detout difcours , de dire que toutes les creatures ayent quelque reglement en elle , ayent mefmes des fuperiorités & des degrez d'excellence & de commandement, entou tes leurs efpeces , & que l'homme lequel neantmoins a l'ufage de toutes ces chofes fuft furmonté par elles en fa vie & efgallé en fa fin. Or la corruption de fes peres & la fienne propre ne luy peut acquerir fouverai nement le premier , il faut donc que le trof ne defonEmpire , foit l'immortalité. Quoy que l'ame raifonnable qui n'a rien de cor ruption Elementaire rien de corporel meu re; Que les fens qui luy ont fervi d'organes pour les fonctions & le corps d'inftrument pour les actions , demeurent dutout anean tis ? cela ne peut s'imprimer dans un enten dement bien compofé. Il faut que la premie repar effence , & les autres par participa tion & conjonction , après avoir efté repur gezde leurs defauts joüiffent tous enſemblede HERMAPHRODITES. 131 ~) de ce qui leur eft acquis dès leur creation .. Infinis argumens fe pourroient amener pour la preuve de l'immortalité de l'ame. Mais j'en prendray feulement quelques uns. Ce qui ne croift ny diminuë en fa fubftan ce doit eftre immortel , puis que nous re marquons la mort n'arriver aux creatures que par ces deux moyens. Or l'ame de l'homme a ces proprietez . Elle est donc im mortelle. Ce qui eft incorruptible eft immortel , l'aneantiffement des chofes n'arrivant que par la corruption : & cependant nous remar quons que tant plus l'ame humaine eft pref fée tant moins elle eft oppreffée. Elle eſt donc incorruptible & par confequent im mortelle. Ce qui fe monftre plus vigoureux ou quand le corps s'affoiblit, par vieilleffe , ou meurt tout à fait , eft Immortel : l'ame de P'homme fe monftre telle par le defir & plu fieurs autres de fes fonctions : elle eft done immortelle. Quipourra nier auffi que ce qui nous fait defirer de perpetuer nos enfans ne foit immortel , & où peut naiſtre ce delir finon en l'ame humaine? Et cette pluralité d'objets de diverfe ma tiere , qu'elle concerne en elle , fans chan gerfa forme fpirituelle : qu'eft- ce autre cho fe qu'une marque de fon immortalité? Brefce qui a authorité & commandement fur le corps mortel , ne peut eftre autre qu'immortel. Et c'est par ce gage precieux que noftre ame finie quant à Dieu , infinie pour le regard des creatures inferieures , def gage toutes chofes de la mortalité , & les reünit à l'unité par l'union de l'humanité à la Divinité comme je difois cy- deffus. Que 1 . 1 2 ce 132 L'ISLE DES ceftuy-cy ne nous parle donc plus de la vi ciffitude des chofes. Car tout ainfi qu'elles ont commencé leurs cours par le comman dement de l'Empereur celeite , elles le ter minent auffi par leur union , à l'Empereur terreftre. Cela foit donc tenu pour conſtant & irrevocable que l'ame humaine eft immor telle , que parfon moyen les fens & le corps font beatifiez , qu'en elle toutes les creatu res reçoivent benediction. Je vous ay fuffifamment monftré autant que la briefveté de ce difcours me l'a puper mettre que l'homme avoit eu quelquefois origine , & toutesfois qu'il eftoit immortel, & j'ay fappé autant que j'ay pû les impies propofitions que cet Athée alleguoit au con traire. Il luy faut maintenant faire voir quel que anatomie de la volupté qu'il tient pour fon fouverain bien. ( La volupté n'eft autre chofe qu'un cha touillement des appetits fenfüels à l'inftant mefme qu'ils jouiffent de la chofe defirée . Je la confidere en fa fource , en fon progrez , & en fa fin. Elle s'engendre en nous par la cognoiffance que nous avons de la beauté , & de l'harmonie , de l'odeur , de la douceur & de la delicateffe de quelque chofe quenous aymons: mais d'autant que la perfection pri fe en fon centre ne fe recognoift qu'en cer tain point , il faut que lajoüiffance de cette perfection là , foit comme un reffentiment inexplicable. C'eft pourquoy l'homme reïtes re fouvent fon action , afin d'avoir autant qu'il luy eft poffible cette jouyffance perdu rable. En vaintoutesfois pour ne la pouvoir conjoindre enfa fubftance : & bien que cela fe face en quelques chofes , il faut qu'il diffi pe premierement , & qu'il deftruiſe leur perfe HERMAPHRODITES. 133

fection auparavant que d'en pouvoir faire la converfion car bien qu'il reüniffe le tout en Dieu , c'est par la diffolution des formes &des proprietez . deforte qu'il manquetou fiours en ce qu'il fouhaite le plus. Etfi après une longue reïteration de ces chofes fon de fir eft fatisfait , alors au lieu de recevoir quelque contentement , il n'a qu'une fatieté & qu'un mefpris de ce qu'il atant recherché. Ainfi vousvoyez que la volupté n'eſt qu'un defreglement en fon principe , une defectuo fité enfon progrez , & un degouſtement en fa fin. Et puis combien reçoit on d'inquietudes devant que cet ombre de felicité arrive ? Avec combien de travaux , de folicitudes , de hai nés & d'envies parvient- on à la jouyffance de quelque chofe ; N'eft-il pas vray qu'auf fi-toft que la volupté maiftrife l'homme , au mefme inftant tous les ennuis luy pendent fur la tefte ? On dit qu'il n'y a rien fi cher que le temps , d'autant que le paffé ny le fu tur n'eft plus ennoftre puiffance , & le pre fent decoule fi promptement , que ce mo ment & cet atome eft pluftoft un rien que quelque fubfiftance. Mais je dis qu'il n'y a rien ficher quela volupté, non pource qu'el le eft conforme au temps pour la prompti tude de fon action , mais à caufe qu'elle s'a chete au peril de la vie de l'ame , & bien fouvent de celle du corps. Car qui nous apu produire cette longue genealogie de fievres ? D'où viennent tant de tumeurs , tant d'hu meurs, tant de maladies incogneuës qui naif fenttous les jours en nous , finon les excés denos peres & les noftres ? Et ces excès ne font-ils pas les fleurs de la volupté , comme les maladies en font les fruits ? Nous ref I 3 fem 134 L'ISLE DES femblons ceux qui font mordus de ces pe tits Serpents , qu'on appelle Tarentes : nous rions , nous chantons , mais ce ris Sardonien nous conduit à une eternelle fin. J'ay dit . qu'elle faifoit perdre la vie de l'ame , non. que cette ame meure par une perte ouanean tiffement de fon effence , mais à caufe que la feparation de l'autheur de la vie luy eft une eternelle mort. Or eft- il que l'ame qui confent aux voluptez du corps , fe mefle par ce confentement dans la corruption qui en arrive De là vient qu'elle eft pleine d'en nuis , de trifteffes , dejaloufies , d'efperan ces vaines , de defefpoirs , d'inconftances , & de folles imaginations , qui luy ont en gendré tant d'erreurs , decrimes , & dedef obejffance contre le fouverain , formant fes actions directement contre fa volonté. De forte qu'eftant privée de fa grace elle tombe en d'obfcures tenebres du tout contraires à fa nature , qui ne refpire que la lumiere. Et ce font les fleurs & les arbres des jardins de plaifance de ce paradis delicieux , les ruif+ feaux de larmes y fervent de fontaines , les foufpirs , les repentis , & les regrets , font les fredonnemens de fes plus mignards oy fillons. Mais accordons quelque chofe à cet in fenfé , & pofons le cas que fon fouverain bien puiffe eftre ce qu'il nous a dépeint , fi faut-il qu'ilconfeffe felon fa definition mef ine , que pour eftre bien- heureux il faut pof feder pleinement & fouverainement tout ce qu'il a defcrit par le menu. Car celuy qui ne jouyroit que d'une partie ne pourroit eſtre bien- heureux , d'autant qu'il luy manqueroit quelque chofe pour poffeder toute la volu pté ( à caufe qu'elle n'eft point dans une feu le HERMAPHRODITES. 135 le chofe , mais en toutes les choſes ) & qu'il prendroit beaucoup plus de peine pour ac querir ce qu'il n'a pas , qu'il ne recevroit de contentement en la joüiffance de ce qu'il poffede. Et qui eft celuy au monde qui ſoit arrivé à ce point : Les plus grands Monar ques à grand peine le pourroient faire. Ce monftre de la nature Heliogabale a defpoüil lé la mer & la terre , ruiné tous les hom mes , & fa nature propre , voire s'eftoit pre paré des moyens pour la goufter en la mort, &toutesfois il n'en a fceu tirer que l'ombre, puis qu'il n'a jamais efté content . Je fçay bien que quelques uns diront que la femme les contente infiniment , & que tout autant de fois qu'ils en jouyffent celeur eft une fou veraine felicité , ou plutoft , comme difoient les anciens , ils tombent autant de fois du haut mal. Mais outre ce que j'ay diſcouru cy deffus en quoy confifte la volupté , j'ad joufteray que s'ils veulent mettre en ligne de compte les defdains , les cruautez , les mefpris, les frayeurs , & les inimitiez , prin cipalement s'ils ayment en lieu defendu (car ailleurs ils ne tiennent pas cela pour volu pté ) & s'ils y conjoignent les maladies hor riblés qu'elle produit , les ulceres , les gout tes , le tremblement univerfel de tous les membres , un hebetement du cerveau , la perte dujugement & la diminution de la vie, avec un defgouftement du plaifir à l'inftant mefme de la jouyffance , ils auront beau coup plus de fubje& d'appeller cela martyre & un fleau , que bonheur & felicité . Ils di ront auffi qu'il y a des plaifirs de longue du rée, comme des chofes que nous voyons & que nous oyons , mais ils ne difent pas que ce font delices imparfaits qui tirent aprés 14 eux 136 L'ISLE DES 1 eux un defir deplus grande volupté : car pour lepremier, bien qu'il foit de quelque durée,il a neantmoins une joüiffance imparfaicte de ce qu'il void : l'autre chatouille plus , mais il engendre incontinent une fatieté , joint que s'ils ont quelque permanence par deffus les autres parties de la volupté , c'eft entant qu'ils font plus fpirituels que les autresfens, lefquels tant plus ils font groffiers & moins leurs delices font elles de durée. Ce qui de vroit fervir d'un fort argument à ces pauvres aveuglez , que puis qu'entre les chofes cor porelles ce qui a quelque degré de fpirituali té contente plus longuement ( quoy qu'avec imperfection ) qu'il faut que la beatitude fouveraine foit entierement fpirituelle , & fe raporte du tout à l'efprit. C'eft auffi ce que l'on reffent , principalement en la vo lupté , car le corps n'eft qu'un canal par le quel une eau courante paffe , le confente ment de l'ame eft ce qui caufe le plaifir. Ufez de telle volupté que vous voudrez, fi vous n'y avez la penſée vous la trouverez fans delices & bien que l'ame ne puiffe, re cevoir en elle ces matieres corruptibles , c'eſt par elle neantmoins que nous les pouvons poffeder. Or je vous ay dit qu'il falloit une converfation de fubftance pour une réelle & perdurable jouyffance. Il faut donc re chercher les chofes fpirituelles , puis que l'a me rejette les corporelles contraires à fa na ture. Envoicy les moyens. Cette infinie mifericorde qui a creé l'hom me pour fa gloire , qu'elle ayme fur tous les ouvrages de fes mains , le voulant tirer de l'abyfine de mifere où il s'eftoit luy mef me precipité , luy adonné certaines loix & de certains moyens , defquels ufant felon la for HERMAPHRODITES. 137 forme qu'il luy a baillée il fe pouroit beati fier & afin que la cognoiffance qu'il doit avoir de fon Createur , auquel il eft infini ment redevable pour tant de bien- faicts re ceus de fa liberale main , & fa debile impuif fance ne le fift entrer en quelque defefpoir , & de crainte quefa fragilité & fa corruption l'empefchaft d'entierement accomplir ce qui luy eftoit commandé ; elle a reduit toutes ces loix fous un feul precepte , qui eft le plus domestique & le plus volontaire quifoit en l'homme , afin qu'il put acquiterfa debte d'une chofe qui eftoit du tout enfa puiffance & en fa difpofition . Sçachant bien que fi nous l'aymions de tout noltre cœur , voire fi nous luy portions autant d'affection qu'aux cho fes terreftres ,tous fes commandemens nous feront doux &faciles car nous fçavors lors que noftre ame eft plus enfes actes qu'en fes puiffances , & qu'où elle ayme c'eſt là où elle faict office d'ame. C'eft pourquoytout ainfi qu'on gaigne la vie du corps en travaillant , ainfi la vie de l'ame fe gaigre en aymant & les chofes corporelles fe conjoignent & s'a prochent les unes des autres par mouvemens & paffions corporelles , nais les fpirituelles. ne fe conjoignent que par amour : auffifom mes nous tranfportez de la mort à la vie par ce que nous aymons. C'eft la verité auffi qu'aymer Dieu eft autant propre & naturel que vivre , car puis que par l'amour nous avons efté produits de Dieu , il faut auffi que par le mefme amour nous foyons re duits en luy mais d'autant que nous ne fommes pas fimplement fpirituels , ains cor porels & fpirituels enfemble , & quenousne fommes pas moins obligez à noftre Createur pour le corps que pour l'ame : il eſt bien rai 138 L'ISLE DES raifonnable que l'homme luy rende l'hom mage de tant de biens qu'il a receus & qu'il reçoit. C'est pourquoy il nous a inftitué de certaines ceremonies par lefquelles nous euffions à le recognoiftre, & proteſter exte rieurement ce que nous croyons interieure ment , lefquelles conjoinctes aux comman demens nous appellons religion à caufe que - l'union infeparable de ces deux chofes nous r'allie & nous reunit au fouverain bien , du quel nous eftions feparez par la corruption. Voila comment la religion n'eft point une chofe vaine , ny contraire à noftre contente ment, comme ceftuy-cy le nous veut faire croire , puis qu'elle a un fondement en la divinité, & qu'elle nous conduit à la joüif fance d'une eternellefelicité. Qui voudra donc jouyr de ce Royaume acquis par le prix d'un fang fi precieux , qu'il le conferve par une bonnepolice de foy- meſ me , par une temperance &un reglement de toutes fes actions felon le compas & l'ef quierre qui luy en a efté baillé par fon fau veur. Et qu'on ne s'eftonne point fi nous en durons quelque peine en cette pratique. Pour acquerir l'eternité , il n'y a rien qui ne fe doive fouffrir : Combien patiffons nousbien fouventpournous conferver une vie languif fante pleine de douleurs & de miferes pour la croyance feulement que nous avons que la vie est un grand bien. Et neantmoins nousnousvoudrions perfuader que l'immor talité fe peut acquerir fans peine : il eft im poffible je diray plus , qu'il n'eſt pas jufte. Or la divinité a toufiours balancé toutes fes actions de mifericorde & de juftice . Non que nous recevions ces chofes immediate ment par elle- mefme , mais par les mini ftres HERMAPHRODITE S. 139 ftres les uns fuperieurs pour la recompence, les autres inferieurs pour la Et vengeance. que ceftuy-cy s'en gauffe tant qu'il voudra , les chofes ont efté ainfi ordonnées par la fu preme majesté. Il y aquelque raifon de dou ter des uns , car fon aveuglement l'empefche de reffentir leurs faintes admonitions , mais s'il a tant foit peu de cognoiffance &de ju gement , il doit fort fenfiblement redouter la tyrannie des autres , nontant pour le pre fent que pour le futur s'il ne recognoift fa faute. Caralors les cruelles peines qu'ils luy feront fouffrir , luy apprendront au peril d'u nemort eternelle qu'il y aune puiffance fou veraine par deffus tout ce qu'il s'eft imaginé. Je pourrois faire une longue deduction de ces efprits & pourrois prouver par raifons na turelles &fenfioles que leursvifions nefont point des vapeurs forgées dans le cerveau, ny des maladies corporelles , comme il nous veut faire croire , Mais cela meriteroit un difcours particulier , je diray feulement que Dion & Bratus pour le paganifme , & tous deux fages , fort fains , fort prudens , & fort fçavans , Abraham , Thobie , & tous les Pro phetes pour le Judaïfme. L'Evangelifte S.Jehan , Padultere Corinthien & tous les Apoitres au Chriftianifme nous en ont laiffé des exemples fort remarquables avec l'expe rience que nous en tirons tous les jours tant chez nous , qu'aux pays eftranges . Laif fons donc cet homme mondain jouir à fon ayfe de fon fouverain bien , ou plustoft de fon extreme mifere ( car ainfi l'avez vous pu recognoiftre ) &venons à celuy de l'hom → me celefte. Je luy donne cet Epithete à bon droi car s'eſtant purifié de tout ce qui eft terreftre } & 140 L'ISLE DES & mortifié tous fes fens pour obeïr à Dieu, il demeure perpetuelement enlevé en la con templation divine ayant à fort grand mefpris les chofes corruptibles & aymant fouverai nement fon fouverain. Il s'unit fi parfaicte ment en luy que la mort mefme luy eft fort defirable pourveu qu'elle luy foit agreable. Mourirauffi pour l'honneur divin , c'eft fleu rir auprintemps Eternel, Les afflictions luy font fort plaifantes , & tient pour unemaxi me veritable , qu'une vie tranquille fans au cunes vagues , c'eftune mer morte. C'eftluy qui nous apprend que l'amour penetre fou ventoù la cognoiffance naturelle demeure dehors. Auffi ayme- il dutout celuy qui l'ay me entout & par tout. En luy nousvoyons clairement la pratique des chofes neceffaires quej'aydites cy- deffus , pour acquerir le fou verain bien. Il en jouit auffi devant le temps, puis qu'il eft vray que plus l'amour s'efiend, &plus fe multiplie & augmente la joye qui enprovient. Mais ôcombien font rares ces Hercules quifuivent cefentier efpineux? com bien peufont parvenus à cette haute contem plation ? Ily en atoutesfois. Car encore que nous foyons en un aage perdu de vices & de volupté. Si puis-je dire qu'il n'y a eu fiecle fi mefchant qui n'ait porté quelque homme d'une vertu fort fignalée , & que le nombre fe trouvera plus grand de ceux qui font par venus à la perfection d'une tres- rare faincte té , que de ceux qui ont efté mefchans en toutes extremités , Dieu faifant en cela ap paroiftre fa puiffance par deffus les efforts de fon ennemy. Quant à l'homme prudent , c'est celuy qui meflé parmy le monde , ufe de ce qui eſt au mondepour fon ufage avec quelque con ten HERMAPHRODITES. 141 tentement , qui recognoift le magiftrat , qui obeit aux loix , qui s'efforce par la cognoif fance des fciences d'eftre utile à fon pro chain. Et qui neantmoins recognoift qu'il tient toutes chofes de la liberalité de fon fou verain , auquel il rapporte toutes les actions, non toutesfois avec tant d'eflevation que le celefte : mais qui fe deftourne du malautant qu'il luy eft poffible : & faifant le bien autant qu'il peut pratiquer parmy les hommes , leur donne confeil par fa prudence , leur fert de lumiere parfon exemple : Ceftuy- cy qui ap prent aux mondains que les fciences font tres- neceffaires à lavie humaine.Que c'eſtpar elles que nous recouvrons la fanté , que nous adminiftrons la juftice , que nous eſtabliffons les polices , que nous confervons les eftats, & que nous avons cognoiffance des oracles, &de la volonté Divine. C'eſt luy qui enfei gne que les Roys , que les fuperieurs tant fpirituels quetemporels , ne font point des puiffances ufurpées. Mais ainfi ordonnées par le fouverain Monarque pournous regir & nous conduire fous fon authorité. Son object a deux fins , Dieu &le prochain , non par une affection fimple & volontaire , mais par une action réelle ( bien que nos deux fins nefoyent qu'une feule & mefme chofe, puis que l'une fe rapporte à l'autre ) auffi a il cfpoufé l'action , comme le celefte , la contemplation. Et qui toutesfois ne demeu repoint entierement attaché aux chofes mon daines ayant cette croyance qu'on n'a pas d'avantage de liberté d'efprit pour eftre en une large prifon. Auffi que plus nous avons de poffeffion en ce monde , nous fommes bien plus largement prifonniers mais non pas plustranquilles en nous mefines , fi nous Y 1 1 142 L'ISLE DES y mettons noftre affection. Heureux trois & quatre fois qui parmy ces grands tracas des affaires dumonde a toufiours devant les yeux qu'il eft plus expedient de n'eftre poinct , que d'eftre privé du bien eftre. Heureux qui peut commander à foy mefme & à fes affections, puifque non feulement de cette tyrannie (comme noftre impie la nommée ) nous ac querrons la vie glorieufe , eternelle &bien heureufe. Mais la fanté du corps par le re glement de nos actions & une tranquillité d'efprit par letemperance de nos affections, que nous pouvons nommer un fouverain bien terreftre : puis que par cette feule voye nous pouvons recevoir quelque contente ment parmy les miferes de la vie. Voylà ce que contenoit ce premier dif cours dont chacun de nous demeura fort eftonné de la hardieffe de celuy qui avoitofé diſcourir en ce lieu là de fi grandes chofes , & encore plus de ce qu'il fe trouvoit en ce pays- là, des gens qui euffent des conceptionsfi relevées , mais ce gentilhomme nous dit que nous ne nous devions efmerveiller ny de l'un ny de l'autre , d'autant que pour le premier les Hermaphrodites ne fe foucient pas detout -ce qu'on peut dire d'eux ny de leur maniere de vivre. Car il n'y a point de verité fi elo quente qui les puiffe perfuader au change ment que nous appellons de converfation. Quand au fecond ( dit-il ) encore que la meilleure partie mene la vie que vous avez pu entendre cy-deffus : fi eft- ce qu'il ya en core parmy eux un bon nombre de gens de bien & qui préferent la vertu à toutes cho fes il eft vray qu'ils ne paroiffent pas beau coup car qu'elle puiffance a la vertu aux lieux où le vice eft en fon trofne ? ils s'ay dent HERMAPHRODITES. 143 dent feulement des accidens & des rencon tres pour faire quelquesfois paroistre leur lu miere parmy de fi profondes tenebres , ainfi quevous avez pu voir par ce diſcours. Quant à cet autre cy, il fut faict fur une queſtion qui s'eftoit meüe entre ceux inefies qui font profeffion de la vertu , les uns toutesfois plus contemplatifs que les autres qui vou loient que ceux qui vivent au mondefuffent comme fans aucun foin des chofes tempo relles & les autres fouftenoyent le con traire. Vous pourrez voir par ce petit dif cours fileurs raifons ontquelque apparence, & là deffus nous defployames le papier où nous trouvafmes efcrit en ces termes. 9 Que l'ame de l'homme doit avoirfoin des cho Ses corporelles. Os penſées ne doivent nonplus s'arre fterenterreque la fleche en l'air , difoit quelqu'un. Car le fouverain bien de l'hom medurant cette vie , ne defpend qued'une tranquillité d'efprit. Orce repos nepeut eftre engendré par des chofes changeantes &perif fables , telles que font toutes les terreftres. Il faut donc s'eflever plus haut pouracque rir cette felicité. Tout cecy a beaucoup de veriffimilitude. Maisqui pourroit continüel lement fe feparer ducorps que par la mort? Et cette eflevation continüelle , qu'eft ce au tre chofe qu'unefeparation ; jefçaybienque l'ame eft la vie du corps ; & qu'il faut con ferver la vie pour avoir la vie. C'eſt à dire que cette image divine ne peut fe maintenir en foneftre parfait que par des meditations en la divinité mais qui niera que les fens ne foient le cyment & la conjonction de ces cho 144 L'ISLE DES chofes incompatibles , l'Ame & le corps, la vie & la mort, l'incorruptib e & le corrom pu ? L'ame doit commander aux fens & les fens doivent guider le corps , de forte que c'est par euxque l'aff &tion fe faict du corpo rel au fpirituel. C'eft par ce vehicule que cette terre animée fe porte jufques au tem ple de l'immortalité. Admirable moyen fi nous le fçavions bien comprendre , & enco re plus fi nous en pouvions bien ufer. Car tout ainfi que la vie de l'ame , c'eft la grace divine & la vie des fens , une affiftance de raifon. Ainfi la manutention du corps ne defpend que de la bonne conduitte des fens affiftez de ce premier mouvement. Il eſt vray que les deux derniers font pour quelque temps privez de la vie , ou pluftoft ils paf fent en un eftre plus parfaict , s'ils ont bien vefcu, ( car c'eft pluftoft une mort vivante puis qu'ils doivent incontinent après eftre vivifiez en l'Eternité . ) Mais toutesfois ils font tous deux corporels , alimentez par le corps , cognus par les chofes corporelles , & bien que l'ame foit fuperieure , fi eft elle creées au mefme temps queles deux autres font engendrez. C'est à dire qu'elle leur doit perpetuellement affifter tant qu'elle feraliée avec eux. Chofe eftrange qu'il faille que l'ef prit fe face corps pour fpiritualifer le corps. Et toutesfois il le faut , mais par raifon. Car fi elle fe vouloit contenter d'elle meſme fans travailler pour fes affociez , elle perdroit toute fa gloire , ne pouvant eftre unie à l'u nité que pour avoir merité , & fon merite ne defpend que de fon gouvernement. Car en cela confifte fon action. Or enquoypeut elle agir , ou par quelle chofe fe peut elle faire cognoiftre , fi ce n'eſt par fes facultez ? II HERMAPHRODITES. 145 Il faut donc quelle leur affifte , qu'elle les maintienne. Que fi d'ailleurs elle vouloit par trop complaire à leurs appetits & concu pifcences & qu'oubliant fon rang & fa char ge, elle fe rendift efclave de leurs volontez; alors elle meriteroit bien , pour s'eſtre laiffée, conduire au neant , d'eftre privée du fouve rain eftre puis qu'elle a rendu vaine l'in tention de fon createur qui eftoit telle, qu'el le devoit prendre le plus fubtil de ces cho fes impures & l'attirer à elle pour puis après les conjoindre en luy. Lemoyen donc qu'el le pourratenir entre ces contrarietez , ce fe ra de faire en forte que le corps , que les fens , & qu'elle mefine ne foient que raifon , j'entends qu'il faut qu'elle ne foit pas fifpi rituelle qu'elle ne penfe avoir un corps qu'il faut entretenir pour en pouvoir librement ufer, & qu'elle ne foit pas auffi fi corporel le qu'elle ne fe fouvienne de fon effence , & qu'elle eft la feconde caufe de la beatitude de tous les deux. Neme dittes donc plus qu'il fant avoir perpetuellement l'efprit tendu aux chofes celeftes. Il m'eft permis , voire il m'eft commandé de penfer à ce qui eft du corps , & pourveu que l'on puiffe toufiours remar quer en moy une raiſon incorporée , & un corps s'ellevant peu àpeu à ce qui eft de l'ef prit , je feray toufiours en la voye de la fin demacreation. J'ay dit peu à peu , car cela fe doit faire ainfi. Noftre vie courtpar des cer cles de plufieurs ans avant que d'arriver à fon tropicque. Pourquoy voulez vous donc que ce qui eft plus facile en la vie , qui eft le vivre , fe conduiſe àfon but par une longue fuitte de temps , & que ce qui eft de plus difficile , qui eft la perfection , fe parache ve en un moment ? Non l'ordre des chofes K Me 146 L'ISLE DES 1 ne le veut pas ainfi. Permettez donc que mes fens combatent un certain temps afin de me riter d'avantage. Maisje veux qu'ils comba tent , carje ne fuis point de l'Ile des Herma phrodites , ny de lafecte d'Epicure , jeneveux pas estoufer l'efprit je veux qu'il reluife en moy, qu'il agiffe , voire qu'il furmonte le corps autant queje pourray , & moyennant l'affiftance fupreme , mais par raifon , jefçay que je fuis néparmy les hommes , en un cer tain païs , & fous un eftat. C'eft à dire fous certaines loix. Pourquoy trouvez vous mau vais fi voyant ces hommes affligez , le pays ruiné, & les loix renversées , je difcours je meplains, &je medite fur les moyens du re ftabliffement. Ne fçayje pas que je fuis lié avec eux? Que fe perdans je meperds , que ce boulverfement m'acableroit fous leur rui ne? Mesfens qui par quelque espece de pro vidence jugent de la mifere future , en ont uneapprehenfion d'autant plus grande qu'ils voyent de loin le malheur arriver à grands pas & la partie vegetante qui craint fur tout la neceffité , leur caufe encore d'avantage de peine , de forte que ces Idées tant de fois re prefentées ne peuvent qu'elles n'engendrent des difcours conformes à leur premiere cau fe: Voylà pourquoy vous entendez aujour d'huy prefque tout le monde difcourir de la mifere du temps. Je fçay bien maintenant que vous penfez avoir gaigné de caufe. Car me voylà ( direz vous ) tout corporel atta ché du tout à l'utilité , & au corruptible. Mais attendez &vous trouverez queje m'es levejufques à l'Archetype: Carjerecognois les caufes de ces defordres. Je fçay que le mal procede de nous & que la punition vient d'enhaut. Il fe faut donc plaindre à nous de nos HERMAPHRODITES. 147 nosdiffolutions & demander à Dieu la mife ricorde. Voylà où tendent mesdiſcours , ne tiendrez vous pas ces deux fins là pour juftes & raifonnables ? Je ne veux pas nyer , que je ne defire le repos pour eftre plus à mon aife. Pourquoy non ; cela eft naturel à la partie corporelle , je fuiray toufiours la ne ceffité autant qu'il mefera poffible , & fi je m'incommode en quelque chofe pour rendre le corps plus prompt aux commandemens de l'efprit , c'est à dire pour fervir à Dieu ( car Dieu eftant le centre de l'ame , elle ne doit avoir effentiellement autre vouloir que celuy de fon Dieu ) je veux s'il m'eftpoffible que cefoit de volonté & non par contrainte. Maisque pourtantje vueille refifter ( entant que je le pourrois ) à lavolonté Divine ? ce la n'eftpoint encore entré dans mon imagi nation. Je fçay queje n'ay point de fuject de me plaindre de fa bonté, & que pluſtok je dois admirer fa juftice. Il m'a mis au monde pour fouffrir & en l'imitantje ne puis enhe riter que l'endurant , il faut donc que j'en dure , & non pas demeurer impaffible . Mais qui pourroit fouffrir fans fe plaindre ? Ne nous flattons point , il n'y a celuy de nous tant foide & tant conftant puiffe-il eſtre qui ne reffente des mouvemens &des paffions en fon ame, quand il fe void beaucoup incom modé, fi ce n'eft lors qu'il le fait de bonne volonté. Mais les exemples de ceux-cyfont auffi rares en ce temps comme les autresfont frequens de ceux qui le font par force. Il eft vray que l'on peut bien eftre affailly de la paf fion , mais nonpas furmonté. Et c'eft en ce cy que la prudence & la raifon doivent s'exer cer fi elles ne veulent perdre l'Empire qui leur a efté baillé fur cet Empereur Terreftre. Ka Heu 148 L'ISLE DES Heureux qui peut y parvenir , & qui fans vouloir entreprendre plus que la portée de fa nature , ufe par raifon du moyen qui luy a etté baillé pour parvenir à fa fin. 2 Nous trouvions les raifons de ce difcours accompagnez de beaucoup de verifimilitude, & commençions d'approfondir plus avant cette conception quand un de noftre trouppe plus contemplatif que les autres , fe forma lifa de beaucoup de chofes qui y eftoient con tenues , & voulant monftrer qu'il fe fondoit en raifon , il commençoit defia à repartir contre l'opinion de l'autre . Mais noftre Gen tilhomme voyageur qui voyoit que cela pre noit trop long traict , remit cette difpute à uneautre fois , & lay cependant reprenant fon difcours qui avoit efté interrompu par toutes ces lectures , il nous dit . Ayantferré ces papiers je fuivis mon con ducteur jufques dans la falle où on avoit difné , laquelle je trouvai toute pleine de monde les uns joüans encore , les autres folatrans , & les autres devifans enfemble: mais chacun d'eux s'eftoit donné des noms de mignardife comme mon petit cœur, m'amour , mon tout , & autres femblables. Quant à ceux qui joüoient & folaftroient , je ne m'y amuſay pas beaucoup , de crainte de voir quelque chofe qui ne m'euft paraventu re efté guere agreable , mais je m'arreſtay à efcouter ceux qui difcouroient , j'eftimay que jedevois plus apprendre avec tous ceux cy qu'avec le demeurant : Ainfi m'appro chant plus près , j'ouis un de cette trouppe qui fouftenoit que l'ambition eftoit une gen tilleffe d'efprit & que fe contenter de fa for tune eftoit pluſtoft faineantiſe &pareffe que fageffe. Queceluy qui ne fe vantoit point de voit HERMAPHRODITES . 149 1 1 voit eftre tout hebeté & fans fentiment , que c'eftoit par l'ambition que les plus belles in tentions fe faifoient paroiftre , & qui pou voient par après donner de la reputation , ne pouvant croire qu'un homme put eftre bien né fans cette vertu , comme celle qui avoit leplus d'eclat , & qui pouvoit le plus fe fai re, paroiftre , un autre parloit hautement des mœurs & complexions du Prince auquel il eftoit fuject , prenant en mauvaiſe part tou tes fes entrepriſes , & donnant dans fes con feils plus fecrets fans les entendre

vouloit

qu'il gouvernaft fon eftat non pas felon fes deffeins , mais felon la fantafie de luy qui dif couroit autrement. Il menaçoit de fe remüer à merveilles , principalement fi on eflevoit aux dignitez d'autres gens que ceux qui te noient fon party , ou i on introduifoit au dict eftat quelques uns qui luy fuffent à con tre cœur. Et là deffus il loüoit hautement les autres Princes voifins , admirant leur fa geffe , leur bonheur , & bonne conduitte , encore que pas un n'euft toutes ces chofes là enfemble , & qu'au contraire le fien les euft, fans comparaifon , en beaucoup plus grande perfection . Il eft vray que s'eftant un peutrop avancé pour en louer un entre les autres , les nouvelles qu'on luy en raconta fur le champ, & qu'il n'avoit pas encore entenduës , luy firent chanter auffi- toft la palinodie , l'ap pellant tacitement d'un nom que nous fou lons donner à l'Empereur des Abyffins

Ce

la fut caufe qu'un autre qui eftoit tout con tre luy commença fort à mefprifer les cou ftumes & les loix de fon pays

au contraire faifant grand cas des autres , il appelloit pru

dens ceux qui eftoient pleins de vent

fages

, ceux de qui les a&ions n'eftoient que folie

K 3 heu 150 L'ISLE DES heureux , ceux qui eftoient tyranniſez : advi fez , ceux qui eftoient ordinairement trom pez : & de bonne nature ceux qui estoient pleins de malice , fedition , ou rebellion : Bref tous les vices des autres peuples luy eftoient agreables , d'autant qu'ils avoient en leurs actions quelque apparence de ver tu. Mais la vertu du fien luy eſtoit odieuſe, à caufe que elle eftoit trop franche , trop libre , & fans artifice , & par confequent fans efclat de forte quecelà luyfaifoit fou haitter la bonnefortune des autres , quifans doute ( à ce que j'appris depuis ) euft efté le comble de fa mifere. Là auprès eftoit une autre petite trouppe affemblée , de laquelle je m'approchay, d'autant qu'en preſtant par fois l'oreille à ce qu'ils difoient , j'avois fou vent entendu le nom d'Hermaphrodite : ce qui mefit penfer qu'ils eftoient là fur quel que bon difcours , & à ce que je pus enten dre par après ils parloient de leur origine , & de la caufe de leur nom. Celuy qui faifoit cette propofition difoit que leur Dieuavoit efté engendré de Mercure , autrement dit Hermes : & de Venus . dité auffi Aphrodite, & que de ces deux noms avoit efté composé le leur , qu'à la verité ceux de leur nature avoient efté entierement de mauvais augu res , & malencontreux aux autres Romains , qui les tenoient comme une choſe mon frueufe , du temps que cette Republique eftoit encore groffiere & fans civilité : mais depuis que leurs efprits fe furent un peu po lis , & la ferocité de leurs courages un peu plus amollie , ils les eurent en plus grande eftime que tout le refte de leurs citoiens: & d'autant que cet Empire acommandé àtout le reste du monde , cela a efté caufe , difoit il, HERMAPHRODITES. 151 il , que nous avons efté ainſi diſperſez par tout le monde. Il estbien vray qu'auparavant nous n'avions pas peu de credit en la Grece & aux autres contrées de l'Orient , mais tout cela n'a rien efté au regard de la reputation que nous a acquife la grandeur de cette Mo narchie. Il parloit encore quand un autre vint à latraverfe ( car c'est une bien- feance à cette nation de s'interrompre ainfi l'un l'au tre , & de preferer fes conceptions à celles d'autruy pour la bonne opinion que chacun a de foy-mefme. ) Quant à moy , dit- il , je n'entre point en des meditations fi fublimes Je laiffe là ces difcours politiques , &fuis de l'opinion de nos adverfaires , qui tiennent que la plus neceffaire fcience c'eft celle qui apprend la cognoiffance de foy- mefme. Il eft vray qu'ils veulent que cela ſe face afin de s'humilier & de s'abaiffer , & moy je dy' qu'il faut eftudier en cette doctrine pour de plus en plus s'admirer & s'eflever , ayant tou fiours bonne eftime de foy-mefme, & ta fchantde nourir & d'entretenir cette bonne opinion , non feulement dans noftre fantai fie (par lareflexion qui fe fait dans l'interieur fur chacune de nos actions ) mais aufli dans la creance de tous ceux qui nous frequen tent , quand bien ce feroit à faux tiltre : car qu'importe de quel cofté puiffe venir la loüan ge, c'eſt un parfum qui ne fçauroit rendre qu'une très-agreable odeur , jamais cet in ftrument ne mefonne mal à l'oreille , quel que mauvaiſe main qui le puiffe toucher. C'est pourquoy je voudrois qu'un chacun de nous tendilt à cette fin à fçavoir que tous nos difcours fuffent de nos louanges propres encore que ce fut hors de propos & fans raifon , de nos perfections , bien K 4 qu'el 152 L'ISLE DES } qu'elles foient incognuës à qui que ce puiffe eftre qu'à nous-mefmes de nos vaillances imaginaires , qui font toufiours les plus bra ves & les plus hardies : de nos courtoifies , qui ne font jamais fans diffimulation , ou fans quelque deffein de plus grand profit. Et pour le regard de ce que les autres doivent dire de nous , je voudrois que fans nous ar refter à tout ce que le vulgaire fans juge ment , & fans difcretion , baragouine de toutes nos actions à noftre defavantage , que nous euffions toufiours auprès de nous ( les uns plus , les autres moins , chacunfelonfa puiffance ) quelques galands hommes tels que devoient eftre les affranchis des anciens Empereurs Romains , ces gnatons , ces pa rafites hiftrions pour louer toutes nos ver tus fpirituelles , c'eft à dire invifibles. Nos bien- faicts , principalement ceux que nous refferrons precieufement en la puiffance de noftre volonté , nos difcours qui reprefen tent le plus naïfvement les myfteres plus ca chez de Venus. Qui feront des exclamations & des admirations fur nos Rodomontades , &nous ferviront de tefmoins pour les cho fes qui n'ont jamais efté , & qu'ils n'ont ja mais veuës , ayant toufiours ces refrains fur tout ce que nous pouvons dire de ouy ouy, non , non , c'eft cela & autres femblables, car les contradictions font pour les escoles Pedantefques. En cette Ifle où on faict pro feffion de toute civilité , il faut que la com plaifance foit en pratique pluftoft que la dif pute , principalement en ces gens- là , quine font nezque pour la louange active , & in differente. Car je ne voudrois pas qu'ils fe meflaffent de controller quelque action , fi ce n'cfloit pour en exalter une autre , qui tours HERMAPHRODITES. 153 tourneroit d'avantage à noftre reputation : car c'est à ce blanc là qu'ils doivent butter , comme la chofe qui les garantit le plus de mettre coufteaux fur table, & les entretient fans aucun foing fi ce n'eft celuy de fe don nerdubontemps. Voyla l'une des induftries, queje defirerois le plus que nous miffions en pratique fans nous arrefter à tant de vains difcours , qui ne fervent qu'à alambiquer noftre efprit fans en tirer aucun contente ment. Quant àmoy , commeun brave Trafco je mevanteray toufiours de l'impoffible , & auray pour le moins ce contentement en moy-mefme , que je puis rendre mon ima gination plus puiffante que la nature , &fai re que ma perfuafion me rendeplus heureux que le mefme effect , duquel je ne pourrois jouyr fans peine , & cette-cy m'arrivera fans travail. Ceux-là font fols & frenetiques qui fe tuent le cœur & le corps pour s'acquerir de larenommée , veu qu'une parole hardie, que nos adverfaires appellent impudente , & une belle affeurance qu'ils nomment effron terie, nous en peut plus donner en un quart d'heure que les travaux en vingt cinq années ne nous en fçauroient acquerir. Toutes ces formalitez ne font que vieilles erreurs que l'ignorance entretient parmy quelques uns , que la plufpart du monde fefaict croire eftre en fort grande eftime parmy nous , mais les pauvres gens font bien abufez : car tant s'en faut qu'on en doive faire cas qu'au contraire jetiens que nous les devons bannir de noftre compagnie autant quefaire fe pourra , com me gens dutout contraires à volupté & à la vie repofée , dont nous faifons profeffion. Ceftuy-cy vouloit paffer plus avant , mais ceux qui avoient joué fe voulant retirer en leurs 354 L'ISLE DES leurs chainbres , & les autres voulans aller faire quelque vifite , cela interrompit tout le difcours , car chacunfut contraint de pren dre party , les uns monterent à cheval , ou pluftoft on les monta : car ayans mis te pied à unefirié tandis qu'un valet tenoit l'autre , un foy difant les fouflevoit jufques dans la felle , on leur bailloit après de certains cref pes , fort deliez ! qu'ils mettoyent devant leurs vifages pour les garder du hafle , on me dit auffi que quelques uns mettoyent des maf ques. Quant aux autres ils monterent en des caroffes qui n'alloient que le pas . Mais le Seigneur de mon conducteur montaen litie re où il n'yavoit pas peu de façon à luyfaire entrer , deux fouftenans le marche- pied , tan dis que luy fans fe hafter avançoit un pied devant l'autre. Tout le refte s'efcoula incon tinent les uns d'un cofté , les autres de l'au tre. Quant à moy qui n'avois point envie de les fuivre , & qui avois dés ja propofé de m'al ler promener dans un fort delicieux jardin que j'avois veu par les feneftres de cette falle, je ne fuspointtrop curieux de m'enquerir où ils alloient , cherchant feulement l'entrée de ce lieu de plaifir , laquelle ayant affez ayfé ment trouvée , plufieurs d'entr'eux s'y allant eux mefmes promener , je me trouvay dans les plus belles allées qu'il eft poffible de s'i maginer, tantpour la hauteur des palliffades qui y eftoit à perte de veuë , que pour l'in duftrieufe difpofition des cabinets & pour la mignarde invention des compartimens qui y eftoit à l'entrée. En ce lieu de volupté , je me mis à lire les difcours queje vous ay cy devant monftrez , en attendant le retour de mon homme, ce qui m'entretint une bonne partie du refte de cette après dinée : mais HERMAPHRODITES. 155 à ce queje voy , dit-il , vous nevous laffez point de m'efcouter : Non pas luy difmes nous quandvous continueriez plufieursjour nées Car qui fe pourroit ennuyer d'oüir tant de nouveautez ? He bien , dit- il , puif que vous etes infatiables nous reprendrons demain le mefme propos mais pour cette heure donnons nous quelque relafche , le difcours ne vous en fera que plus agreable. quand il aura efté quelquefois interrompu. Nous nous accordames àtout ce qu'il voulut, le remerciant avec toute la courtoifie qui nous futpoffible de fa bonnevoulonté. Ainfi le laiffant en repos , nous nous retirafmes en nos chambres , non fans faire maints difcours , fur tout ce que nous avions en tendu. DIS DISCOURS DE JACOPHILE A LIMNÉ. 206 I

Rès-cher Amy , l'Afmunde d'A vite le Damon de Pythie , mon affection me contrain& , & ma parolle m'oblige de te rendre compte de mes actions : Tu fçais quels fu rent mes regrets à noftre feparation , que le dueil d'Icaris , que l'ennuy d'Elife n'eftoient rien au prix des miens : Ainfi affligé je me refolus à la peregrination jufques au temps prefix de noftre reveuë , & choifis pour com pagnonde voyage Opadin : En cette humeur (mon amy) &tout à propos je trouvay So cher marchand de Menlay , preft à faire voile pour aller à Java : Bien aife donc d'avoir rencontré cette occafion , je me refolu de m'embarquer avec luy & defcouvry monin tention audit Opadin qui fut eftonné l'ayant entendue, tant par ce que fon naturel eft de craindre l'eau , qu'à caufe que depuis il avoit fait un voyage long & perilleux. Il n'y a nulle apparence , me difoit- il , Jacophile , d'aller fi loing fans occafion affectée , fans fujet quiapporte neceffité , faifons pluftoft noftre pourmenade vers le Catay : Bon mon amy luy difois-je , fi Angelique y eftoit enco res , mais il ne faut perdre certe commodi té: Courage Opadin nous voyagerons heu reufement , pourquoy noftre vaiffeau fera il moins favorifé des vents & des ondes , que la JACOPHILE A LIMNE. 157 la Victoria de Magellane , pourquoy non au tant que la nef du Dracq? La mer & later re n'appartiennent point à deux maiſtres , il peut nous conferver dans le liquide com me fur le fec. Ainfi mes perfuafions join tes à l'amitié qu'il m'a toufiours portée le firent refoudre , & me dit Jacophile je feray ton Pyrithoë, pourveu que nous allions pour faire & non pour meffaire , car la punition du chien à trois teftes me feroit infaillible , & à toy la gambade du rocher : Nous nous embarquafmes doncques le fixiefme de Mars, après avoir efté conduits jufques au havre! non feulement par nos parens , mais accom pagnez de plufieurs autres des entours de Meaco. Je ne te difcoureray point par le me nu les évenemens de noftre courfe , parce que cela feroit long , & me faudroit avoir recours aux memoires de noftre patron , à la fuf fance duquel nous rapportions noftre conduicte Seulement te diray- je que nous eufmes tout l'heur quenous defirions durant deux mois , car outre le calme , le Nord eft ou l'Eft-nordeft ne nous abandonnerent point, & fut noftre route fi droicte & fi com mode que le quinziefme d'Avril , nous def couvrifmes Talahan , où ayant choisi une ra de àpropos , nousjettafmes nos ancres pour prendre rafraichiffement que nous trouvaf mes fort bon, car nos Matelots qui mirent pied àterre apporterent de l'eau , dupoiffon, & de la pouldre de Chiatres excellente. Le lendemain nous hauffafmes nos voiles , & navigafmes fans aucune incommodité enco res quinzejours , mais le feizieme nous cui dafmes faire naufrage. Noftre opinion fut dès le matin que nousfouffririons une gran detourmente , car nous vifmes naiſtre une nuée 158 DISCOURS DE 1 nuée noire &fort efpaiffe entre le Levant & le midy , laquelle nous jugeafmes devoir eftre chaffée vers nous , par le vent qui def cendoit au Sueft , ce qui nefaillit à arriver , & croiffant ledit vent peu àpeu la mer fut fi grande environ le midy , la bourrafque fi for te , le temps fi extreme , que fi nous n'euffions trouvé l'abry dans la cofte de Borneo nous eftions perdus

D'oublier

à te dire la peur demoncompagnon de voyage il n'y a pas de moyen, & les regrets qu'il faifoit de fa fem ine , de fa pauvre Nekebe qu'il croyoit net voir jamais . Ma chere vie , difoit -il , mon cœur , mon ame , pourquoy t'ay-je laiffé fi mal à propos ? & tu fçais toutesfois quelles grandes careffes il luy fait eftant près d'elle

car tant s'en faut qu'il la flatte , qu'au con traire il eft de ces grondeurs avaricieux qui leur difent. 9 Arrodens Sicyon uxorfubtexe lacernan Tellement que Socher , luy difoit , je ſuis d'avis Opadin , que voftre femme trouve moyen que vous ayez tousiours peur car vous l'aimerez perpetuellement. Ainfi levou lut practiquerune de nos voifines , quand el le delibera de faire barrer les veines à fon mary , lors qu'il eftoit en bon eftat , afin qu'il demeuraft en cette forte

Cela ne l'ap

paifoit point , mais regardant les nuës il crioit Hippotade , as tu conjuré noftre ruine ? n'y a-il plus de remede pour noftre falut ? bref il fe tourmentoit de telle façon qu'il fal lut fe courroucer

Si Pyrrho eftoit icy

, luy difois -je , il te confoleroit par l'exemple de fonpourceau , il te fait beau voir d'eft re fi efperdu . L'hommede bien n'a jamais trop de Etpoureffroy ne change de couleur , peur' Et JACOPHILE A LIMNE. 159 Et les chefnes facrez quoy qu'agitezfouvent , Demeurent affeurez les fueilles vont au vent. Quand il faudroit mourir , fçais tu pas bien que , La morteàtempo è non duol marefugio , Echibenpuòmorir, non cherchi indugio. Oreft elle toufiours à temps à qui fe fie en Dieu , as-tu appris que ce fut la recompen fe de la pieté de Cleobis & Bitout le loyer de la charité, qu'ils pratiquerent envers leur mere ? La remuneration de Trophonius & Agamedes pour la conftruction du temple d'Apollo? Tacrierie eft bien efloignée de ces belles paroles de Socrates , Anytus , & Meli tus me peuvent faire inourir , mais de me porter dommage , ils ne fçauroient : & de ce gentil Capitaine qui confolant fon com pagnon de fupplice , luy difoit , Es- tu pas bien heureux de mourir avec Phocion? Tant y a que maintenant toutes les chambres de Philofophie affemblées , elles ne sçauroient prononcer un arreft quite pût affeurer , mais fçais- tu ce qui eft requis ? il faut au lieu de braire efveiller celuy qui dormoit quand fes difciples luy dirent fauve nous , le prier à bon efcient , tu verras qu'il tanfera la Mer & les vents & que tranquilité ferafaite. Addominum ut maeftis imploravêre querelis. Exaudit trepidos , opis miferatur egenos , &c. Cela commença à le remettre &les vents s'appaifans peu peu , nous difines tous avecques luy. Gratus ego Superum celebrabopatris honores Suavi modulante barbito. La crainte ayant quitté noftre vaiffeau & l'allegreffe repris fa place , tout le monde commença à caufer , & chacun difoit fa ra telée , mais entr'autres , maiftre Rophé fe mit 160 DISCOURS DE mit tellement à difcourir qu'il ennuya le pau vre Opadin , lequel eut mieux aymé repaittre pour remplir l'eftomach , qui par une agita tion émetique , s'eftoit vuidé durant l'orage, quede mettre dans fes aureilles une viande crue &de dure digeftion . Ledit Rophé l'en tretenoit de tout plein de coyonneries qui n'eftoient point de fon gibbier , luy deman doit fi c'eftoit une extraordinaire quantité d'atofies qui repouffant l'air l'euft agité fi furieufement , ou fi iceluy air avoit en foy la faculté naturelle de fe mouvoir fans l'em prunter d'ailleurs fi ce n'eftoit pas l'Encol pias des Grecs qui nous avoit fait faire tant de virevouftes : S'il eftoit vray que la pierre Gor gonia euft quelque vertu contre ces perilleux Typhons , & mille refveries femblables : De forte que le pauvre Opadin ne fçachant que dire à tout cela , luy repliqua pour toute re fponce , Mailtre Rophé vous eftes Medecin, approchez vous un peude moy , & yous en tendrés un certain borborygme, qui tefmoi gne queje n'ay que de l'air dans lesboyaux, & m'enfeigne qu'il vaut mieux repaiſtre , que vous efcouter d'avantage , cela reffembloit aux difcours de Cocodrille , & de Maftica , car l'un vouloit s'efcrimer de la langue , & l'au tre des dents. Ainfi en continuans de jour à autre nos entretiens nous arrivaſmes àJava, & ayant mis dehors noftre efquif allafmes mettre pied à terre à Sunda , oùnous demeu rafmes douze ou quinze jours , fans penfer à autre chofe qu'au repos , & quant à moy je dormi tant , que je croioy eftre au pays que veut dire Monfieur le Poëte. Ef prope Cimmerios longo fpelunca receffu , Monscavus, ignavidomus, &penetralia Somni. Tellement eftions nous affommeillez que le JACOPHILE A LIMNE. 16t le fimulachre Epidotes fe trouvoit parmy nous, fans l'ailer chercher à Sicyon l'image du fils d'Erebus , fon lit d'ebene , fes volie res de chats-huans & de chauvefouris , fes jonchées de pavot & de mandragore : Aucun denous n'avoit befoin de Malabatre , dont il y a quantité en ce pays-là , il n'eftoit pro pre qu'à noftre Medecin qui y apprit la diffe rée d'iceluy & du Nard. Mais fur tout eftoit plaifante la Mufique de nos Matelots qui ronfloient à quinze parties , parce que le Thon frais eftoit leur viande ordinaire , leur Maistre de fon cofté avoit perdu la memoire des biens de ce monde. Janon eut eu beau en voyer vers luy tous les valets & chambrieres Iris , ou quelque autre , l'amour d'Euphroné, le retenoit tellement qu'il ne fe fouvenoit plus degain ny de commerce : Or Limne je te veux bien dire que quoy que ce fut tu eftois toufiours le mets de noftre jour , l'abeche ment de noftre réveil , nous parlions ordi nairement detoy : c'eft pourquoy , puifque ce fép de noftre amitié , apporte des fruits de fibonne garde & qui fe voiturent filoing, je le veuxcultiver foigneufement , & pour le conferver de la fechereffe d'une longue ab fence , & du midy où j'ay voyagé , je l'ar rouferay de mes voeuz & de mes fervices , croyant auffi que tu preferveras de la gelée , les branches qui regardent vers ton Aqui lon , les couvriras deton bon naturel , &de l'effect de tes promeffes. Jete paye enpapier parce queje ne le puis autrement pour cette heure , & doutant auffi que noftre bien-vueil lance ne peut permettre d'arrerages , veu que tels accomplimens font de fon effence mef me: Quant aux autres genres d'amitié , ils nefont pas ainfi , car les liens du fang fubfi L ttent 162 DISCOURS DE ftent de par eux, eftans faits par les mains de la nature , & cet autre qui a un cours fans in tervalle de converfation , de focieté , de communication nage dans fon aliment, ap proche de la perfection , fi les puiffances de la nature oudes aftres agiffent , pour le no ftre que les maiftres nomment hofpitalic il fe maintient par les bons offices , par les vifi tes , par les efcrits : & eft celuy à mon gré qui a le plus d'action &de gentilleffe : Mais afin que je ne fois pointtrompé , fouvienne toy quele fils de Mnefarche difoit , ne tou che pas à tous à la main , que , comme are marqué quelque autre , l'amitié eſt une beſte de compagnie , & nonpas detroupe feparée elle devient moindre , par ainfi quoy qu'il en foit confervez en toufiours à Jacophile l'efprit & le raffinage. Je reviens à mon difcours , & te diray qu'après nous eftre repofez quelque temps , nous deliberafmes à caufe qu'il fai foit beau d'aller vifiter Sumatra refolus de voir noftre Isle , puis après à noftre aife , & parce qu'il eftoit neceffaire de faire quelques reparations à noftre vaiffeau , & auffi que Sochet avoit des affaires , nous laiffafmes tout à Sunda , affretafmes une barque pour noftre trajet , & prifmes feulement cinq ou fix hommes denoftre troupe , entre lefquels eftoit ,Machalik , le petit Ghozez quetucog nois auffi fe mefla avecques nous par im portunité mais ( à fa façon accoutumée , & à l'imitation du barbier d'Archelaus ) il nous eftourdiffoit de fon babil , tellement que noftre homme qui avoit efté importuné de Rophé n'y avoit pas long- temps , fe defef peroit: Il y en a faifoit- il de fi fubjets àleur langue qu'on peut bien dire d'eux qu'Agryp nie eft revenue , jamais homme ne fut fi af faffiné JACOPHILE A LIMNE. 163 faffiné de ces gens là que moy , je croy que le monde en eſt tout plein : c'eft grand cas qu'il fe rencontre force Anacharfis qui dor ment mais point qui en veillant ayent la droicte fur la bouche , & la gauche plus bas, force qui pour trop parler , feront entrer l'ennemy par Heptachalcon , defcouvriront la conjuration contre Neron: plufieurs fots qui à leur dam diront l'entreprife d'Augufte à leur femme, ou à Antigone de Pella leur gra ce , les mauvais deffeins qu'ils ont contre Alexandre , d'autres malheureux qui diſcou reront , pourquoy la bouteille elt vuide après le pillage du temple Calceocos ou qui par les grues defcouvriront la mort d'Ibycus : mais de ceux qui fçavent donner la bourde de l'al loüette , mettre la pierre au bec commeles oyes de Cilicie , des Ulyffes , des Antigones , ou des Metelles fages & prudens difciples d'Angerone prefque point. Je maudy ces cau feurs , & voudrois qu'ils euffent efté à l'ef chole des valets de Piſo, ou désja fai& comme Zenon ou Leane ils ne parleroient plustant, & parce que tu es de cette bande dit-il audit Ghozez , je te veux apprendre avec le Sage, qu'il faut mettre une porte &une ferrure à la bouche , Alexandre mit fon cachet fur celle d'Epheftion , & les anciens en tous leurs facrifices , gardoient pour la fin d'iceux les langues des victimes , ne les jettoient dans les feux facrez que tout le refte ne fut expe dié , pour la creance qu'ils avoient , que c'eſt la derniere partie de l'homme qui doit agir &avoir fes mouvemens plus tardifs.Cor rige donc la tienne de peur qu'il ne t'avien ne comme à celuy du meftier , qui fut fi mal accommodé à Syracufe , & à cet autre Athenes pour avoir porté la nouvelle de L 2 l'ef .164 DISCOURS DE l'efcorne receuë en Sicile ; tellement eſton na- il ce petit homme , qu'il demeura auffi muet , que celle à qui fon mary fit porter la fele le lendemain de fes nopces : or nous al lafmes tousjours , mais le jour fuivant que nous defcouvrifines la terre , comme nous penfions faire noftre defcente à Ardaqui , le vent fefortifia en telle forte que nous fufmes portez dix grands lieues plus bas en un cer tain endroit , où il yavoitun grand marais, &parce que la tourmente nous preffoit, nous fufmes contrains de nous avancer afin de nous mettre à l'abry & nous faire rouër par cinq ou fix hommes que nous mifmes dans noftre efquif , ainfi ces gens que quelqu'un a accomparé aux diffimulez , qui regardent d'un colté & vontde l'autre , nous menerent bien avant : Et d'autant que je vis devant nousune coline extremément belle je voulus faire voguerjufques- là , mais de cejour nous n'y pufmes attaindre , ains le lendemain feu lement , où nous rencontrafmes un des plus beaux lieux que la nature aye fait à mon avis car d'artifice n'y en a point. Il faut re marquer en premier lieu que ce païs eft fort chaud, mais y a cette coline qui couvre du midi l'endroit où nous eftions , bien que l'au tre bout de l'Ile foit fous l'Equino&ial : la quelle coline nous trouvafmes avoir deux lieues de long ou environ , droite , & d'é gale hauteur par tout , dont la pente de no tre cofté regardoit le Nort , & parce que laditepente eft moins affligée du Soleil que le fommet , elle eft couverte de Lauriers , de Palmes , de Citronniers &telle forte d'ar bres les plus beaux , & les plus grands deleur efpece qui fe puiffent voir , y a au- deffous une plaine de la mefme longueur qui a envi ron JACOPHILE A LIMNE. 165 ron une lieuë de large fans y comprendre certaine foreft de chefnes- verds qui l'enceint du cofté de la mer , la couvre des vents , & limite la veuë. Juftement par le milieu de cet te plaine paffe un canal dans lequel nous nous rendifmes , qui a trente toizes de large ou environ , fi droit & fi nivellé qu'on peut voir d'un bout à l'autre , entre lequel & la foreft qui eft du coſté de la mer , efl une grandeprée belle, unie & efmaillée de toutes Tortes de fleurs n'y en ayant point à monad vis unefeule de toutes celles qu'on trouve dans les plus beaux jardins de l'Afie & de 'Europe qui ne fe voye là mefmes depuis le milieu de ladite prée , vers le canal , car du cofté de la foreft les beftes fauves y vont au gaignage Sur le bord dudit canal Rophé y trouva du fucus marin dont quelques fem mes de nos contrées s'accommodent le vifa ge&non de la racine du mefmenom , com me l'a penfé , quelqu'un y trouva auffi de l'Alga qui monftre la difference qu'il y a de l'un à l'autre dela coline fortent huit fon taines d'égale distance qui font chacune un beau ruiffeau lefquels fe vont rendre dans le canal , entre lefquels ruiffeaux font de peti tes touffes de bois faites de grenadiers , d'o liviers , dejaffemins &de myrthes plus grands que les noftres , où il fe trouve des allées droites , des topiaires naturels les plus beaux qui fe voyent , de petits deftours efgarez qui conduisent à des cabinets , & des preaux les plus jolis du monde , parmi celaforce nard, force rofmarin , force marjolaine : On peut bien attribuer à ce lieu les vers du Meffer Poëte. Ne credo giàch' Amor inCipro baveffi , O in altra rivafifoavi nidi ; 43 L'aque 166 DISCOURS DE L'aqueparlan d'amore , è lora , eirami Egli angeletti , eipefci , ei ifiori, è l'herba, Tutti infiemepregando cheſempre ami. De l'autre colté de la montagne regar dant vers le Soleil fe trouve peu de grands arbres , mais y a quantité de ceux qui por tent les noix mufcades de la hauteur de nos pefchers ou environ , des poyvres plus petits , & des gingembres qui trainent s'y trouve auffi l'erythraycon que nature n'a pas produi& pour ce à quoy on l'employe com munement , car elle a tendu à bonne fin. Et pour revenir à noflre canal d'autant qu'il eft fort creux & à l'abbry , & que ces four ces vives coulent dedans , il y a une telle quantité de poiffon , foit de mer , foitd'eau douce, que jamais les pifcines de Lucullus n'en approcherent , m'affeurant que fi l'an tiquité l'euft defcouvert , elle y euft fait l'arriere boutique des Tritons & des Nereides, ç'euft efté le lieu des couches de Doris. De grands animaux de mer comme Baleines , Vivelles, Senedectes , Eftoiles , Efpaulars , & autres tels que cela , l'efpace n'eſt pas capa ble pour les contenir moins y a- il des Se raines , car Parthenope & fes compagnes ne laifferent point de pofterité , ains feulement un bel enfeignement à l'imitation d'Ulyffe de s'attacher avec le maft de la raison pour ne fe laiffer aller aux fenfualitez , eviter les pe rils efquels &les yeux & les oreilles hazar dent les hommes , boucher & l'un & l'autre fi on cognoift que ce foient des anfes par le quel le peché aye quelque prife : Pour les Dauphins il n'y en a point auffi en ce lieu - là: toutesfois les Matelots eurent quelque opi nion du contraire , & qu'il falloit quequel qu'un euft fuivy noftre vaiffeau , commeils font JACOPHILE A LIMNE. 167 font parfois en pleine mer , parce que la fe conde & troifiefme nuit de noftre fejour , ils ouyrent quelque bruit comme d'une per fonne qui fe plaignoit , ils avoient tous extre meenvie de le voir , chantoient , appelloient maiftre Simon. Opadin mefme paffoit la nui& entiere fans dormir couché fur le haut de la pouppe & avoit Ghozezpour l'entretenir qui luy faifoit les contes de celuy qui du temps d'Augufte eftant devenu amoureux d'un jeu ne garçon le portoit tous les jours à l'efcho le de Baia à Puzzoli : d'un autre de Hippo la vieia enBarbarie , & de cet autre encores qui eftoit amoureux de Hermias &plufieurs fem blables qui donnoient plus d'envie à Opadin devoir le noftre , mais ils perdirent tous leur temps s'ils ne recueillirent defdits contes un exemple de charité en ces animaux par la quelle ils font honte aux hommes. Quant aux autres diverfes fortes de poiffons de moindre grandeur qui fe voyent là , il feroit impoffible de les dire , entre les autres j'y remarqué le Poulpe mufqué comine chofe rare Auffi prindrent nos gens quelques Scolopendres qui eft un animal laid extreme ment , mais qui doit eftre imité en cecy que comme il vomit ce à quoy il eft acroché de l'hameçon pour fe defprendre , ainfi doit l'homme de bien la mauvaiſe humeur par la quelle le vice le tient attaché afin de ne le fuivre pas. Pefchoient quelquesfois des An ges & des Rayes , les feuls animaux qui ap portent exception à la regle generalle de la chafteté du peuple muet , lequel devance le terreftre enpureté , n'y ayant , entretantde fortes de poiffons que la Mer contient , un feul d'iceux qui s'apparie avec autre que de fon efpece fors lefdits Anges & Rayes qui L 4 en 168 DISCOURS DE engendrent enſemble le Rhinobatos ainti nom mé à caufe de fa qualité. Du l'Effidote du Phagre & de l'Oxirinche nous n'en avions que faire, & ne les cherchions pas en l'honneur du fexe feminin de ce païs-là qui les a en abomination depuis qu'ils mangerent le poig nard venerien dOfiris , bien plus defirions nous de rencontrer quelque bonne mere- per le , car il s'en trouve en cette Ifle autant qu'en aucun lieu d'Orient : Je n'aurois ja mais faict & mon difcours feroit infiny fi je voulois reprefenter le tout. Enun motdiray je qu'après cela, il nefaut faire eflime d'au cun lac ougardoir à poiffon qui foit au mon de, voire füffent encores en efire les pefche ries de Hyrius qui fe vendirent hu & cens mille efcus. Or fi nous avions du plaifir , lejour en celieu , la nuit ne nous en con tribuoit pas moins à caufe de la mufiquedes oifeaux , elle fourniffoit à nos oreilles ce que la lumiere donnoit à nos yeux nous y entendions de toute forte d'airs , dextere ment gais , d'autres un peu moins , & quel ques autres plus lents encores , la Lydienne la Phrigienne , la Dorienne tout joüoit: mais entre tous nos muficiens le Roffignol fe fai foit entendre , & croy à ouyr ceux- là que ce luy qui chantoit jadis fur la bouche de Stefi chore ne fut pas feulement augure qu'il fe roit bon muficien , mais fon precepteur mefme. Orpheus Euridicen cithara revocavit abOrco , Atquefuis movit faxa , nemufque jugis Pifce fuitpelagus per longum vectus Arion: Hac etiam Amphion maniaftruxitope. Ces gens-là n'eftoient rien au prix des no ftres pariny eux les cithares de Maga de tren te cordes , les anciennes contremufes de Phi len JACOPHILE A LIMNE. 169 0 e J ht lemon , les fluftes d'Ifmenius n'euffent point eu de lieu. Mais entre les autres chofes qui rendoient ces chants plus excellens quetout ce qui s'eft jamais ouy , c'eftoit la pucelle Hestaphone de laquelle les repliques fe repe toient depuis la coline jufqu'à la foreft : C'elt par les ayeuls de ce peuple aiflé fans doute quetoutes les leçons ont efté faictes , de qui tous les genres ont efté apris & l'Enharmo nic , & le Diatonic , & le Cromatic , d'où font defcendus & la grive d'Agrippine , & le Corbeau du cordonnier Romain. Et nedef plaife aux vers Peanes jadis chantez en Del phes à lalouange d'Apollon , ils n'eftoient pro, nonçez avec des airs fi agreables que les leurs mais entre les excellens oyfeaux nous y vif mes le Manucodiatta volant par plufieurs fois Or il nous rettoit d'envisager les animaux raisonnables de l'Ifle & pour cet effect deli berafmes d'aller à Adrapara , efperans auff par ce moyen de visiter quelques mines d'or; Nous nous mifmes doncques en chemin , mais iceluy faifant un homme nomméEra fte voifin de Sucher & duquel il avoit grand foing devint malade , & n'euft patience que nous ne luy euffions accordé de retourner à Sunda croyant eltre mort s'il ne voyoit Ro phé, de forte qu'à noftre grand regret nous rompifmes noftre entreprife & retournafmes trouver nos gens. Je ne veux oublier à te dire que le peuple de cette Ifle de Java eft d'une humeur bien contraire au noftre , dès que les hommes ont attaint quarante cinq ans , ils ne fe meflent plus d'affaires publi ques s'exemptant de la guerre quelques fains, quelques difpos qu'ils puiffent eftre , ne ref fentent pas mefme les injures qu'on leur fait , les ramentent à leurs enfans & vivent du 170 DISCOURS DE 1 du tout enpourceaux , & parce que comme tu fçais , cela eft fort efloigné duJapon , nos vieillards eftans courageux jufqu'en l'aage de quatre- vingts ans , je le trouvay fi eftrau ge , que je me mis à en difcourir avec eux. " Jevoulus fçavoir le fondement de leur fa çon de faire , & furquoy il eftoit appuyé à quoy ils me firent la refponfe de tous les ig norans , que leurs peres avoient fait ainfi que c'eftoit l'ancienne couftume du pays , mais je leur prouvay par eux- mefmes , que couftume fans raifon n'eftoit que vieilleffe d'erreur , en leur demandant s'ils voudroient eftre auffi idiots , que le commun peuple de l'lfle , & comme eux-mefmes eftoient au paravant le commerce qu'ils avoient eu avec les voyageurs honeftes gens , s'ils ne fe trouvoient pas bien d'avoir changé leurs anciennes mœurs avecque de plus civiles , ce qu'ils ne me purent nier. Et là deſſus un gros jofflu , ayant peu de barbe , &le neztout efcrazé, & la lévre groffe , me dict , Seigneur quand noftre couftume n'auroit pointde lieu, ce quenous faiſons eft equitable : La raiſon veut que nous ayons quelque temps de no ftre vie pour nous repofer , nous n'en pou vons moins avoir que d'une quarte part. Le cours denos jours ne s'eftend à gueres plus defoixante ans , les quinze premiers nous fouffrons beaucoup , fommes fubjects à nos peres & meres , & à toutes fortes de gens, delà en hors nous travaillons trente ans de fuitte , foit àenlever nos enfans , foit à leur laiffer dequoy vivre , voire un travail fi ar dant, pour l'amitié que nous portons à no ftre engeance , que l'efprit & le corps agif fent fans intermiffions , & en agiffant fouf frentmille fortes de paffions , on ne pent re pre - JACOPHILE A LIMNE. / 171 prefenter la fatigue d'un pere pour fon fils, la rigueur du chaud , du froid , les hazards des voyages , les inimitiez du voifinage , pour la confervation de nos biens , les veil les , les menées , les pratiques , les noiſes, & hors la maifon & dedans : bref , nous en venons jufques- là , que nous faifons fou vent comme le ramier , lequel lors que l'hy ver eft tardif , arrache fes propres plumes pour garder les petits du froid dans le nid , & puis en endure tant ainfi nud , que parfois la mort s'en enfuit. Ayant donc travaillé fi long- temps , il eft tres-jufte que nous nous repofions , & que nos enfans nous nourrif fent. Les Cigogneaux s'ils n'ont de la viande preſte pouralimenter leursperes , fe contrai gnent de vofmir , pour leur donner celle qu'ils ont dans l'eftomac. Et bien que nous ne travaillions plus fi nos enfans eftoient fi pervers de nous le reprocher , nous leur pourrions faire la refponce que fit la fefte au lendemain qui fe plaignoit d'elle , à caufe de fon oyfiveté. Elle luy repliqua enun mot, mon amy fans moy tu ne ferois point , & ainfi luy ferma la bouche : de meſme outre tout ce que j'ay dit , nos enfans fe doivent fouvenir que nous les avons engendrez les Lyons attelez au char de la grande Cybelle fignifioient. Que l'on avoitcouplé les Lyons , pour entendre Que l'enfant indompté à fes parens doit rendre Le devoir de bon fils , vaincus par leurs bien faicts. Les hommes ne fçauroient faire ſervice plus agreable aux Dieux , ont dit les anciens, que de payer gratieufement & affectueufe ment aux peres &meres , qui les ont engen drez , nourris , & ellevez , les ufures des gra 172 DISCOURS DE " > graces vieilles & nouvelles qu'ils leur ont preftées , & n'y apoint de plus certainfigne d'un Atheïlle , que de commettre quelque faute en leur endroit

Ce n'est pas ce queje

te veux debattre , luy dis -je mon bedon , que le devoir des enfans aux peres , aucon traire nous ne le fçaurions affez reprefenter , ny toy , ny moy , Dieu le leur commande , nature les y oblige

mais puis que tu enfçais

plus queje ne penfois , je te veux monftrer , foit par raifon , foit par bons exemples que vous autres eftans encore en bonne fanté , & capables de toutes chofes , faites très - mal , premierement pour vous - mefmes , feconde ment pour vos familles , &tiercement pour le public à qui vous eftes redevables d'eſtre ainfi oyfifs

Auffi faites vous très

-honteu fement & lafchement , quand vous recevez des offences d'en vouloir tirer la vengeance par la main de vos enfans , & non par les voftres , chofe qui ne peut fatisfaire un hom me de courage , lequel a encores affez de force pour maintenir fon honneur . Qu'en premier lieu , l'oyfiveté foit voftre ruine , il ne peut eftre mis en doute

La raiſon eft qu'il faut donner à l'ame quelque fujet pour agir,

elle ne peut demeurer fans prife , & fi vous ne luy en fourniffez de vertueufe , malgré vous & bien que vous vous portiez à fon en dormiffement , elle aura recours au vice , vous voulez que vostre terre foit oyfive elle pro duira mille mefchantes herbes , vous eftes perdus fij'allegue mon Latin , je vous di̟ . ray que , Neglectis urenda filix innafcitur agris , Fertilis affiduo fi non removetur aratro , Nil nifi cum fpinis gramen habebit ager Et JACOPHILE A LIMNE. 17§ Et pour le deffert encore , Adde quod ingenium longa rubigine læfum , Torpet , & eft multò quàm fuit ante minus. Eft très-vray ce que quelques uns ont dit, quecomme le fer dont on ne fe fert point , at tire à foy une moififfure relente , ainfi nos mœurs, ainfi noftre naturel fe corrompt en nefaifant rien , l'efprit s'aiguife & fe polit en faifant quelque chofe. Comme lefer eft clair & reluyfant, Tantque la main de l'homme en vaufant; 1 Mais la maisonoù ne ſe tientperfonne , Avecle temps du toit en terre donne. Hominilabor utile femper Calcar erit, fegnipigros rubiginefenfus Otia corrodunt , fopitáquepectora torpor Noxius obliquat , ferrumfi tranfit in ufus Affiduofplendore micat , vultúque nitenti Audet ad argenti decus afpirarefuperbum , At fi longa quies ierit fufcatur, &atram Vertitur infcabiem , celerique abfumitur ævo. L'arc fe gafte pour eftre trop bandé ; mais l'ame fe corrompt pour eftre trop lafchée , ainfi le difoit un bon maiſtre , & dans les preceptes du vieux Philofophe Samien eftoit ceftuy cy. Ne te fieds point fur le boiffeau : En un mot , voulez- vous devenir mefchant, foyez oifif, au contraire auffi & tout debon. Sitibiperpetua vigil est ô cura falutis , Otia perpetuo delitiofa cave. Hoftis apricantem quoties videt inferus bostem , Semper victrici currit ad arma manu, Sed timet implicitum manuumve pedumve la bore Autmentis vigili jollicitaftudio. Oifi 174 DISCOURS DE Oifiveté a enfeigné beaucoup de malice , dit la fainete parole , & le vieux proverbe dit , pareffe aneantit & corrompt la bonté de nature , & diligence de bonne nourriture en corrige la mauvaiftié : Voyla pour ce qui eft de vos perfonnes. Voyons maintenant du furplus. En quel temps eftes vous prudens mes bonnes gens, en quel temps avez vous la pratique des cho fes du monde , en quelle faifon eftes vous capables d'inftruire , de confeiller , de com mander, &en la guerre , & en la paix , fice n'eft en la vieilleffe ? Nefçavez vous pas que le jugement eft la feule chofe qui rajeunit en vieilliffant & que la prudence n'eft meure qu'en l'arriere faifon comme les fruits ? Ceuxqui ont moins d'age que vous , pour ront ils eftre auffi experimentez ? nefe trou vent ils pas embarraffez és chofes dont ils n'oyrent jamais parler , és actions qu'ils n'ont point pratiquées ? Làoù vous qui en avez veu de femblables tant de fois , & eftes memoratifs comme elles ont efté defmeflées, pouvez apporter les mefmes remedes en pa reilles occations : L'homme doit employer le cours de fa vie , premierement à appren dre , fecondement à faire tout autant queles forces & la fanté le peuvent permettre , tiercement à enfeigner. Dans les eftats bien regis , & és republiques bien policées tous confils font compofez de vieilles gens , & n'y a petit enfant qui ne fcache que le Senat de Rome venoit de la diction Senes : que Ly curgue appelloit le confeil des Atheniens , les vieillards : Ces gens là font infiniment ne ceffaires. Voyez comment Pyrrhus eut trait té l'eftat Romain , fans le bon advis d'un vieillard aveugle Comment Pifyftrate les Athe JACOPHILE A LIMNE. 175 Atheniens fans Solon chargé d'aus , & les pieux & magnanimes confeils de l'ancien Cambris, accouragerent ils pas tous les habitans de Bethulie? oyez comme il dit chez le mignon d'Uranie. Oppofons , oppofons foldats contre foldats , Boucliers contre boucliers, traits àtraits, dards à dards. Mais entrons en une autre confideration : La veritéeft , qu'il ne fe peutfaire que celuy que l'age n'aura point mortifié , qui ne fera en core confumé en la prudence , ains tout bouillant de paffions puiffe recognoistre les fautes d'autruy & les corriger. Il faut com me a dit quelqu'un , que pour juger faine ment de quelque vice , on enfoit neceffai rement privé , tout ainfi que l'humeur criſta lin de l'œil , n'a aucune couleur en foy pour pouvoir difcerner des autres : Qui doute que fi vous donnez le procès de Phryné à juger à des jeunes juges , à ces bons compagnons, qu'elle ne foit renvoyée , avec defpens con tre fa partie auffi toft qu'ils auront veu fes beautez à nud? Cela n'a que tenir , ils ont au premier fueillet de leur Code deux vifa ges , l'un d'une vieille , & l'autre d'une jeu ne , & audeffous , Juftitia & jus, c'eſt à di re , juftice pour la vieille , & le droit pour la jeune , ils n'y faillent jamais : Aufurplus afin que j'alegue encores. Quatuor illa, timor , munus , dilectio , rancor Sæpe folent hominum rectos perverterefenfus. Ce font quatre affacinateurs , lefquels les jeunes ne peuvent combattre comine les vieux , ils fe laiffent bien emporter plus ayfément. Quand 176 DISCOURS DE Quand à lamilice , nul ne peut eſtre Ca pitaine , fi ce n'eft par une longue pratiqué &ancienne experience , & parce que vosjeu nes gens ne la peuvent avoir , c'eft fans dou te qu'à la premiere fois , que vous aurez à faire àquelque peuple belliqueux fi vous leur laiffez la conduittéde vos armées , vous vos biens , & vos familles tomberez entre les mains de vos ennemis , & voyez pour exem ple , que quand il eft autresfois venu en ces contrées , tant feulement cinq ou fix vaif feaux de Portugais ils y ont fait ce qu'ils ont voulu N'avez vous jamais ouy parler d'u ne Hiftoire qui fe trouve chez un bon au theur ? C'est que les Orateurs d'Athenes un jour en la prefence de Timothée & Iphicrate habilles vieillards , dépouillerent un nom mé Chares eftant en fleur d'age fort & robu fte de fa perfonné , & difoient qu'ils defi toient que celuy qui auroit à eftre Capitaine des Atheniens , fut tel d'age , & de corpulan ce. A quoy Timothée refpondit : non pas , mais Dieu nous en gárd ouy bien fon valet qui auroit à porter fon matelas après luy : Ainfi mes amis , pluftoft quelque Agefillan , quelque Phocion , ou Maffiniffe qu'un jeune homme: Au furplus il efchoit grand'honte à eftre faineant , Eleas difoit qu'il ne differoit rien de fon palefrenier , quand il eftoit en cet eftre , Neftor qui alla à Troye , euftbien plus d'honneur que Pelcus & Laërtes , qui demeu ferent au logis , & fe fervirent de ce laſche pretexte. Les cheveuxblancs m'excufent de m'aller Deformais faire à la guerre enroller. Au lieu que jufqu'au trefpas , l'hommede JACOPHILE A LIMNE. 177 ue 21 DU. zi Cur ≡គងន់3គឺ ២.ម៉ OS les 1 Ces if Ont DO ate 01. In 15, let Y 0 $ de courage dit. Si tant eft qu'il aye jufte oc cafion de guerre. O droicte maincombien tu aurois cher Prendre lalance &t'enefcarmoucher , Maisla foibleffe empefche cette envie. Voyez en quel effime fut ce vilain , qui donna fa jument Eta à Agamernnon , pour s'exempter d'aller avecques luy : Ledi&t Agamemnon fit bien ( ce dit Ariftofte ) d'avoir preferé unebonne jument à un tel homme, car il ne vautpas un chien , nonpas un afne l'homme qui eft ainfi laſche de cœur : Au contraire , que difoit Alexandre à fon pere désja âgé , après qu'il euſt la cuiffe percée d'un coup de lance , en une bataille contre les Triballiens : Ne te foucie , dit-il , mon pere , fors hardiment en public , afin qu'à chaquepas que tuferas , tu te fouviennes de ta vertu. Quand eft de fouffrir des injures & dire àun fils vengez- moy , cela eft indigne d'unhomme de bien , & n'appartient qu'aux femmes : Latone en fit ainfi lors que Python luy voulut courre fus , comme elle menoit Apollo & Diane de Calcide en Delphos mais un cœur mafle fe fatisfait foy- mefme: De plus vous prejudiciez à vofdits enfans , en faifant quelque trait de bas courage. Quifentfon pereoufa mere coulpable , De quelque tare ou faute reprochable , Cela decœurbas &petit le rend, Combien qu'il l'euft defa nature grand. Voilamon amy , comme je fis ce que je pus pour refveiller ce peuple , mais cette canaille ne me voulut pas croire , & demeu rerent fideles imitateursdes Sybarites. Une autre nouveauté que tu trouveras bien eſtrange , eft que leurs vilaines fem mes , bien que demi mores fe fardent. De M leur 178 DISCOURS DE l " leurfaire denouvelles leçons , je n'avois gar de de leur aller alleguer S. Auguftin qui dit , Fucare figmentis , quo vel rubicundior , vel candidior, vel verecundior appareat adulterina fallacia eft : quanta amentia effigiem mutare na ture, picturam quærere : tolerabiliora prope modum in adulterio crimina funt , ibi enim pu dicitia , bic natura adulteratur. S. Ambroife encore moins Delespicturam Dei mulier, fi vultum tuum materiali candore oblinifti : Saint Cyprientout de mefme. Fœminæ manus Deo inferunt quando illud quod ille formavit reforma re contendunt. J'aimay bien mieux me taire. Ce vieux camus qui avoit parlé à moy, me fut venualleguerJunon ou quelquè autre dro leffe comme cela. Tandis que nous fufmes là , nous eufines quelques malades , & entre autres Metife. l'un de noftre compagnie. Plufieurs flots na turels le furent auffi , de forte que Rophe trouva pratique , &faifoit grandement exer cer lepetit caufeur en la Jatralepie , à caufe de labonne femme Verolle qui les tourmen toit , mais cebon Docteur me faifoit grand defplaifir , car au lieu que j'euffe defiré que ces pauvres gens euffent recognu en nous quelque liberalité , il exigeoit d'eux tout au tant d'argent qu'il en pouvoit avoir , ne fe fouvenoit point qu'Eſculape avoit efté fou droyé& envoyé aux Enfers , parce qu'il fai foit de mefme , & non pour avoir rendu la vie à Hypolite , comme les fables ontdit. Or dès que nous eftions à Sumatra , Socher qui avoit recognu les marchandiſes tant de Java, que celles defquelles les Moluques y traffiquent , jugea que s'il chargeoit pour al ler en la merdu Nort , bien que le voyage fut long , il feroit de grands profits , car la Caffe , JACOPHILE A LIMNE. 179 Caffe, le Camphre, le Poivre, le Girofle , & les Mufcades y eftoient à vil prix , & deplus enachetant il fe defaifoit de l'argent de no ftre contrée qu'il avoit apporté , lequel est de bas aloy, tellement qu'il y avoit double gain. 1 Il me fit donc entendre fa deliberation , me reprefenta que je ne pouvois rapporter que du contentement d'un fi beau voyage , & d'avantage que peut-eftre il n'iroit pas plus avant que l'Ifle faint Laurens ; car s'il trou voit là des marchands , comme il s'en reni contrefouvent de paffagers qui vont en Le vant, il pourroit faire des troques avec eux fans paffer outre : Quant à moyje ne deman dois pas mieux qu'à faire couler deuxannées, &eftois bien ayfe durant icelles , de voir la diverfité des regions non pour y admirer, foit les chofes , foit les perfonnes , celan'appar tenant qu'aux enfans eftant vray ceque dit le bon homme Pythagore , que de l'eftude de la Philofophie, il nous demeure ce frui& que hous n'avons rien en admiration , mieux encores dela Theologie , d'autant qu'après avoir confideré ce grand des grands , nous trouvons le refte bien petit : Mais j'eftois bien ayfe de me promener, la veuë ſe plai fant aux nouveaux objets , &le monde eſtant trouvé beau à caufe de fes muances. Sça chant bien du parfus , qu'il eft enfon declin voire enfon age décrepit tellement qu'il ne fe peut voireniceluy , des chofes fi rares que par le paffé : Qu'on n'y trouve point mainte hant fept nouveaux miracles , des armées d'un milion d'hommes comme celle de Xer xes, mille vaiffeaux de mer d'une feule part, comme à Salamine Des Millions comme jadis à Crotonė , fix vingts millions d'or en Mi fem > 150 DISCOURS DE femble , comme Anthoine les leva en une promenade qu'il fit en la Grece & Afie la mi neure quoy que les Indes d'Orient & d'Occi dent s'efpuifent : Des unions de fept cens cinquante mille efcus la piece , comme cel le de Cleopatre: Des vafes de cristal , com me celuy de Trulla , acheté trois millions fept cens cinquante mil efcus , des femmes auffi parées que Lollia quand elle alloit à la fefte , qu'on n'y voit point faire de feftin de vingt &deux mille tables , comme celuy de Jules Cefar, ny mefme comme d'un fimple joueur de farce , où il fe mangea pour deux ou trois cens mille efcus de perles , voire comme un autre du propre pere de celuy- là, fait d'oyfeaux chantans leur ramage , bien que cuits & prets à manger : Des funerailles où l'on dépende hui&t millions deux cens mille efcus , comme celles d'Epheftion : Les magnificences de Lucullus , fes maifons , fes jardins Des fontaines comme la Curtie , & la Cerule , qui coufterent fept cens cinquante mil efcus à Domitian. Des temples comme celuy de Salomon : Des Colifées deJules-Ce far: Des maifons comme celle de Publius Claudius , de laquelle il paya trois millions fept cens mille efcus : Des Theatres comme cet admirable de Marcus Scaurus , qui avoit trois eftages le premier de marbre où fe contoient trois cens foixante colomnes de trente huic pieds de haut , le fecond dever re, & le troifiefme de bois tout doré d'or fin , entre lefquelles colomnes des trois efta ges yavoit trois mille ftatues de bronze , pla ce pour ranger quatre vingts mille hommes dans le pourpris qui eftoit tapiffé de toille d'or & de rares tableaux , & mille autres bel les petites chofes & bien jolies comme ce la. JACOPHILE A LIMNE. 181 3 C S ES 8

1 1a. Neantmoins je joignis fort alaigrement ma refolution avecques la fienne' , & m'en allay parler à Opadin à la mefme heure. Mon amy, luy dis-je , nous n'avons pas euencores grand contentement en noftre na vigation , il faut que nous paffions outre, de plus Socher y eft refolu & vient de me le communiquer, allons voir la merdu Nord, & infinis beaux Royaumes qui la bornent , eftans Chreftiens tu dois defirer que nous vi fitions ces païs-là , nous y pourrons profiter infiniement. Comment , medit- il , il y a plus de trois mil cinq cens lieuës d'ici , àce la n'y a nulle raiſon , c'eſt chofe que je ne puis faire quoy, fis -je , tu m'avois promis de ne m'abandonner point & maintenant tu chante la Palinodie , je te penfoy eftre mon petit Hefpide , mon Nyfe loyal , &tu meveux faire un faux bon ? il n'eft pas poffible que je le croye : Mais pour parler à bon efcient outre la confideration de ta parolle , & de noftre amitié tu te dois affeurer que nous rapporterons , & de l'honneur & du conten tement de noſtre voyage , quand nous l'au rions borné icy , où nos marchans viennent tous les jours , il ne nous en reviendroit rien , là où fi nous parachevons noftre cour fe , qui n'a jamais efté faicte par aucun du Japon nydes Royaumes voifins nous revien drons glorieux à merveilles , & en conte rons affez au Roy Voxèquixama pour acque rir fes bonnes graces. De nous accommo der par tout ne te foucie , nous ferons joyeux à Athenes , mal veftus & triftes à Lacedemone, ferons la guerre & boirons en Thrace , ainfi nous vivrons avecques tout le monde , & de plus nous entendrons un peu la langue Latine, & l'Italienne qui font communes M 3 par 182 DISCOURS DE par tous ces païs là : Davantage, monamy, Dieu nous y fera peut eftre efclorre des moyens que nous ne penfions pas , quoy qu'il arrive , tout ira bien ; ne fçais- tu point que Demetrius le Phalerien fuft banny d'A thenes & devint riche & opulent le premier en dignité auprès du Roy Ptolomée en Alexan drie? que Temistocles banni auffi fut nourri & entretenu par le Royde Perfe en qualité de Prince & difoit à fa femme nous eſtions per dusfi nous n'euffions efté perdus ? queJofeph fut vendu par fes freres ; Touspaïs font bons à l'homme difoit quelqu'un , puis que ce n'eft pas une plante qui aye fes racines fichées en terre. Non que pour tout cela je pretende que nous demeurions en ces contrées , mais quand ainfi feroit , il faudroit prendre pa tience Voy-tu pas comment les Ecclefiafti quesde ce païs la font venus au noftre & que l'aller & le venir leur eft auffi facile qu'heu reux ? nul bien fans peine. Infama nonfi vienfotto colcetta Senza laqual chi fua vita confuma Cotal veftigia in terra dife lafcia Qualfumo in are, &in aqua lafchiuma. Je Içay bien dit-il que. Fama tralhom delfepulchro , invita ilferba Mais je n'ignore pasauffi lesvers de Pre perce , j'entens le Latin comme toy. Iterates curva, &lethi quoque texite caufas taperhumanos mors venit acta manus. Terraparumfuerat , terris adjecimus undas Fortuna miferas auximus arte vias. Anchora te teneat , quam non tenuêrepenates. Quidmeritum dicas , cui fuaterraparum eft : Ventorum eft quodcumque paras , baut ulla carina Confenuit, fallit portus &ipfe fidem . Et JACOPHILE A LIMNE. 183 Et queles anciens n'ayant dit que le feu la mer, & lafemme eftoient les trois chofes de ce monde les plus dangereufes. Mon amy luydis-je , c'eftoient des refveurs, qui avoient la veuë melanthée & hayffoient tout ce qui eltoit de plus beau en la nature , & ce qu'elle a deplus propre pour maintenir & eftendre les pieces fucceffives de fon eftre : Quand à moy, bien que noftre vaiffeau fe perdit , je n'en efperois pas plus mauvais evenement que de celuy de Zenon. Utilité en l'exil com me à Platon & Diogenes. Quis Danaen noffet fi femper claufa fuiffet Inquefud turri i latuiffet anus? Voila allegué. Vousne meferiez pas croire , repliqua il que cefoitunepure folie d'aller courre les hazards de la merde gayeté de cœur ce qui nous avint en la cofte de Borneo nous en devroit faire fa ges. Et modernes & anciens ont cognu la manie des Navigeurs , dont j'appelle à tef moing celuy qui parlant du Nautonnier a dit. Quocumque afpexit nihil eft nifi mortis image, Et fi on en demande à la galerie aux an ciens preftes d'Egypte , on verra ce qu'ils en jugeront d'avantage j'honore la fepulture comme ils faifoient , ils mefprifoient les edifices des maifons , & faifoient grand cas des fepulchres , parce que nous demeurons plus en ceux-cy qu'en ceux-là , j'en fuis de mefme&nevoudrois pas que la mer fut mon tombeau, cela feroit bonpourun Cynique, je nefuis pas deces gens - là : Mais efcoute , Jaco phile,encoresunpetit mot de la langue La iale. I nunc & ventis animum committe da lato M 4 CH 184 DISCOURS DE Cunfifus ligno , digitis àmorte remotus Quattuor , aut feptemfifit latiſſima tada Voila un homme bien affeuré de fa vie mon amy , refpondi-je , fur tous fujets on trouve dequoy dire , & n'y anul qui ne fça che prefter uneraifon à fon opinion ouà fon deffein, tu es auffi prés de la mort icy que là , fujet à mille fortes d'accidens , defquels le moindre peut dans un quart d'heure te mener au cercueil. Comme nous eftions en cette difpute So cher furvint , qui s'adreffant audit Opadin luy dit de fang raffis , Seigneur je defirerois pour votre contentement pouvoir retour ner au Japon , j'ayme ma famille & fouhaitte de la voir autant qu'homine qui foit ici : mais nonobftant toutes femblables affections , nos actions branches du fep de noftre ame ont befoin quelquefois d'eftre plyées &contrain tes pour nous rapporter plus de fruits , & mes affaires , qui taillent mes volontez à la meſurede leur ftature m'obligent de faire le voyage dont j'ay parlé au SeigneurJacophile, je doy doncques demeurer excufé fi je per fifte en ma deliberation : mais Seigneur Opa din, il n'y a homme en toute noſtre troupe qui doive tant defirer ce voyage que vous , voftre âge , voftre curiofité , voftre fuffifan ce, & voftre courage nous y contraindroient quand vous l'auriez autrement arrefté : vous n'eftes pas de ces gens là à qui la fumée de leur vilage femble plus claire que le feu d'ail leurs. Il mefouvient encores du temps que monpere m'envoya à l'efcole à Meacofur le deffein qu'il avoit de me rendre Bonzez où j'appris ces vers. Si nibil infecti durus vidiffet Ulyffes Penelope fælix fedfine laudeforet Vi JACOPHILE A LIMNE. 185 1 S S 1 Victor Echioniasfi virpenetraffet in arces Forfitan Evadnem vixfua nôffet humus. Lebien l'honneur , la reputation ne viennent jamais en dormant. Nonvenit exmolli vividafamathoro. Quand àmoyveu ma profeffioń je vous dis franchement que je n'oublieray jamais les paroles que j'ay veuës chez un bon maiſtre aufquelles je m'arrefte du tout , qui font , Ce qui eft plus à l'homme defirable Eft quand le trait defonfoingprofitable Tombe à l'endroit duquelplus il amande. Et moy dit Eraste à celles qui les precedent Ce qui est plus à l'homme fouhaitable , Eft quandle traict defon foingdelectable Tombe à l'endroit , où plus il le demande. Monamy, dis -je à Opadin , Socherfe trom pe s'il croit que celuy qui a fait ces vers pour refpondre & corriger les der niers alleguez par Erafte , ait voulu parler d'un profict ou amendement qui regarde les biens que nous apellons richeffes ce n'a pas efté fon intention ains il entend de la vertu feulement : Et vois en icy trois autres que j'y ayadjoufté qui expliquent fon intention & fonttrès vrais. Ce quidoit plusà l'homme est agreable Eft quand le trait defon but honorable Tombe à l'endroit où vertu luy commande. En nos difcours furvint encores Methife tou fiours gaillard qui prit noftre party , & de tant plus courageufement que le jour prece dent il m'avoit ouy parler des bons vins qui eftoient en l'Europe. Vrayement dit-il , Opadin je vois bien que tu es venu auffi faineant que les bonnes gens decelieu : Allons mon amy, en ce bon païs là où les fruits de cegrand Dieu , dece pere 186 DISCOURS DE 8 I re libre font fi excellens : C'eft luy qui a au tresfois conquis toute cette contrée où nous fommes , qui leur a appris ce qu'ils fçavent des bonnes mœurs , qui a fait faire l'encein te de leurs villes , & qui eft tant adoré dans ces Indes , je ne doute point quand à moy que fi j'ay de cette douce liqueur à fouhait je ne devienne grand dominateur comme luy , & que quelque nouvelle Venus ne vien ne au devant de moy à noftre retour & me donne une belle couronne de roſes faite à la Langpfacide , & qui fçait compere fi le bon heur d'Egon ou celuy d'Alinome nous pour roit avenir? la bonne avanture de Cinname , d'Agathocles , du grand Tamburlan , ou de François Sforce Duc de Milan qui n'eftoit pas de fibon lieu quenous : Delogeons dès aux jourd'huy ou demain pour le plus tard , & quittons les cendres : Courage , quand mon pedant me vouloit faire lever la matinée il me difoit. Corrumpuntforti celfas cumpectore mentes Otia plumofa defidiofa thoro. Autant t'en dis-je Opadin mon amy. Prefquetoute noftre bande enfin s'affeme blaavecquenous & entre autres Eriftique qui grondoit entrefes dents à caufe de l'opinia treté dudit Opadin , lequel voyant la refolu tion generalle fut contraint d'acquiefcer. O bien, dit- il , puis que ledeftin le veut ainsi , il faut que je cale voile : Toufiours , quoy qu'il en foit , diray-je bienheureux ceux qui ne feront pas comme nous : Je n'avois onc ques remarqué la felicité des femmes , mais à cette heure queje confidere noftre mifere, je fais partyavec Hefiode. ? Le vent tranchant de labizequigele, Nepercepoint le corps de lapucelle. E JACOPHILE A LIMNEV . 187 ម្ល៉េះ ទិឱធំ!≡ថ្មី .ý សំដីនំ៖។ និ២ទីក a DODS Event cein dans moy Thail nme I Et nous fommes outre le chaud & le froid en peril continuel

Mon amy

, luy dis -jevoi cy la refponfe queje luy ayfaicte . Maisau logisfans repos nuict ne jour , Leur cœur februfle au braizierde l'amour. Lesdouleurs , les peines , l'avarice , l'am bition , l'envie , la goutte , le catharre , la pierre , tout cela nous trouve dans le logis auffi bien que dehors , & pluftoft dans le ca binet que fur Leftrapontin . OrSocherprepara tout ce qui eftoit requis pour filong voyage , & delogeafmes de la grand Java laiffant la petite à gauche & les Moluques derriere avecbonne affeurance que Dieu nous conduiroit

auffi n'eufmes nous

que de legeres incommoditez de la mer , n'en receufmes que de nous mefmes , à caufe des humeursbizares qui eftoient parmy nous , lef quelles efclaterent tellement qu'on eut dit durant quelques jours , que nous avions le laurier entier de Bebricus ennoftre vaiffeau. Entre les autres Eriftique &Methathel nous donnerent tout plein de peine , à caufe d'une difpute qui furvint parmy eux pour lejeu . Ce Methathel qui en aymoit l'exercice , y avoit accouftumé l'autre , tellement qu'ils ne fai foient que cela , & tant continuerent qu'ils entrerent en debat , & fe frotterent bien , mais Methathel' fut le plus foible , & portala peine de fon mauvais enfeignement , auffi s'eftoit- il addreffé à un quereleux & rioteux,, de ces gens , qui nepeuvent rien fouffrir de perfonne , & veulent prendre juriſdiction fur tout le monde , bien qu'ils n'en ayent point de lettres . De ceux qui ne confiderent pas que tous les hommes tant petits que grands , font l'ouvrage du mefme maiſtre , que le moindre porte la marque & la livrée de 1 • 188 DISCOURS DE de l'ouvrier , lequel il faut refpecter , que qui a donné lebien , laforce , & l'authorité, l'oftera fi elle eft mal employée , femblable àces autres qui font fages & adviſez devant les hommes qu'ils refpectent : & en la pre fence de celuy qui ne s'arrefte pas à la furfa ce feulement , mais les voir jufques dedans le cœur ne craignent point de commettre toutes fortes de vices , & en fommede ceux qui ont la queue noire , dont le Philofophe dit qu'il ne faut point goufter. Les querelles , mon Limne , procedent prefquestoutes de la colere , qui eſt une paf fion mal aifée à refrener , elle nous affaut de telle viſteffe , qu'à peine pouvons nous parer le coup, nous en fommesfaifis tout à la fois , & nonpar degrez , dès fa naiffance elle eft en fa perfection , & bien que l'amour foit une des agitations de l'ame la plus vio lente , fi vient elle peu à peune debande pas les nerfs d'une fi forte fecouffe , & nous don ne loifir d'y penfer , mais cette malheureu fe colere, preoccupe nos fens & en un bref moment enfante fa fille , ou pluftott monftre la vengeance , laquelle generative comme la mere efcloft en peu de temps la main mi fe , l'injure & le detriment de fes chers en fans. Le Prophete cognoiffoit bien combien elle alloit vifle , & qu'à peine pouvionsnous éviterfa furpriſe , quand il dit , Irafcimini fed nolitepeccare. Fra è brevefuror , è chil nol frena, E furor longo , ch' el fuo poffeffore Spello à vergogno è tal bor mena à morte. De vray, fi la raifon n'eft prefte à partir de la main , ayant à fa fuitte les deux belles pucelles , la douceur & la patience antithe tes 1 1 JACOPHILE A LIMNE. 189 tes de cette chimere & antidotes , à fon ve nin elle fait bien du ravagé. Le bon hom me S. Auguftin les fait difcourir enfemble , fort à propos &religieufement , enfon con flict des vertus &des vices : &parce queje ne te le fçaurois fi bien reprefenter en no ftre langue , je te le diray en beau pur Latin, il fait parler l'ire la premiere qui dit. Que equanimiter erga te ferri non poffunt , hæc om nino patienter tolerare peccatum eft , quia nifi eis cum magna exafpiratione refißatur contra te deinceps fine menfura cumulantur. Mais la patience luy refpond , Sed paffio redemptoris ad mentem reducitur , nihil tam durum quod non æquètoleretur , quanta enim funt hæc quæ patimurcomparatione illius ? Ille opprobria , ir rifiones , contumelias , alapas , fputa , flagella, Spineam coronam , crucemque fuftinuit , & nos miferi uno fermone fatigamur , uno verbo deji cimur. Athenodore donnoit advis à Augufte de ne faire ou dire rien en colère , que pre mierement il n'euft prononcé l'alphabet , & la verité eft qu'on gaigne mieux les hommes par douceur que par force , le foleil empor ta la gageure contre le vent & eut le man teau du meffager. Les anciens Grecs appel loient le Roy des Dieux , Milichius , c'eſt à dire doux comme miel , & noftre maiſtre Plutarque reprefente la patience admirable du premier Ptolomée , fucceffeur en partie d'Alexandre, en ce quefe moquant d'ungram mairien ignorant , il luydemanda qui estoit le pere de Peleus , lequel Peleus eitoit pere d'Achiles , à quoy le Pedant refpondit , je voudrois premierement que tu difes qui eftoit le pere de Lagus , lequel Lagus ( no-. te mon amy ( eftoit un mefchant petit fou dart chetif & malotru , & neantmoins pere de 190 DiscoURS DE de Ptolomée. A quoy fes familiers luy difant que cela nepouvoit eftre fupporté , il refpon dit froidement , s'il eftindigne d'un Roy d'e ftre moqué, auffi peu eft il digne de luy de fe moquerde moy: Il marque auffi celle de DenysleTyranqui fut bien grande , lors que demandant à Antiphon , lequel cuivre eftoit lemeilleur lerouge ou le pafle , il luy repon dit que c'eftoit celuy duquel les Atheniens fondirent des ftatues à Armodius & Ariftogi ton , lefquels avoient conjuré contre leTy ran Pifyftrate & fes enfans : car cela donnoit juſtement dans la veüe dudict Denys , qui ne fit aucune replique , & Platon s'eftant cour roucé à un merchanteſclave appella Speufip pe fon neveu, & luy dit prens moy ce mef chant & mele va foüetter , car quant à moy je fuis en colere : Architas dit à fon valet qui avoit laiffé fes terres en friche , qu'il le battroit s'il n'eftoit en cette mefme humeur: Cotys caffa toute fa belle vaiffelle de peur de fe courrouffer à qui luy en romproit une piece : Milles beaux &femblables traicts faits par Camille , Metelle , Ariftide , Socrate , & autres fe rencontrent tous les jours mon amy Mais j'approuve infiniment l'acte de ce Cotys: car il voulut courre au devant l'oc cafion. Ainfi fi ces compagnons l'euffent imité, & rompu le jeu de bonne heure , ou n'y euffent point entré du tout , ils nefuffent venus aux mains : Te jurant que fi j'eftois Roy de la febve ou d'ailleurs , je bannirois tout jeu de hazart de mon eftat , feroy ob ferver la loy Martia ribon ribaine malgré les droles : Cela cauſe des meurtres , des blaf phemes, perte de bien , & desbauche conti nuelle : Il n'y a mal que celuy qui a perdu fon argent ne face , pour en recouvrer d'au 9 tre, PO re de d JACOPHILE A LIMNE. 191 tre, & perdant , il maugrée & Dieu & foy mefme. Lesjeunes gens s'efchauffent après, &quittent, pour s'y amufer trop , les exercices de vertu le joueur s'accouſtume à la trom perie, eftant devenutrompeur, il penfeque ce n'eft pas guere de mal davantage de def rober, de larron il devient brigant , & ainfi par degrez , il va au fommet de toute mef chanceté , car depuis qu'un vice a faict jour pour entrer en l'ame , les autres le fuyvent facilement. S'il y a une conjuration , untra diment , & quelque mefchante befogne à faire , ces gens là font toufiours de la partie, teſmoin la faction du dragon Catilinales præ Etiques deMonfieur Anthoine &plufieurs au tres : quand auxgens debien , ils font ordi nairement exempts d'eftre meflez dans de femblables factions , car les troubleurs d'e ftats ne communiquent jamais leurs deffeins à ceuxqui ont l'ame bonne , bien qu'ils leur foient très-affectionnez , fçachant qu'ils ne leur preſteroient pas leur confcience , ils ont les yeux ouverts fur les mefchans pour s'en fervir, fur les desbauchez , les recherchent par tout, tellement que dès quetu vois qu'un homme capable d'entreprife , careffe telle forte de peuple , les a à fa table , fait un pre fent à l'on & en cajole quelque autre , fay refolution tres- affeurée qu'il a deffein , & queceluy qui eft bon homme loue Dieu har diment , de n'eftre pas ainfi favorifé , &tire gayement arriere , car c'eft fon falut : mais pour revenir à nos gens , on peut conclur re, eft il joueur , ergotrompeur , jureur & desbauché , cette regle generale n'a guere d'exception. Or pour reprendre le difcours de noftre navigation , nous demeuraſmes deux mois & 192 DISCOURS DE & demy fans appercevoir aucune terre ,fort laffez & tracaffez. La premiere que nous def couvrifmes, fut une petite Ifle que les Por tuguais ont appellée de Don Galopes , de dire comment les naturels la nomment , je n'en fçay rien , car je ne mis point pied à terre, bien que nous fejournafmes là huit jours , lefquels paffez nous continuafmes noftre route & demeurafmes encores trois semaines à nous rendre àMadagascar , autrement l'Iſle Saint Laurens où eftans & cherchans le long de la cofte une bonne rade , nous apperçeuf mes l'entrée d'une riviere affez large , telle ment que nous en approchafmes peu à peu, & avec noftre fonde à la main , à laquelle nous apportions lejugement du flux & reflux de ce pays là , felon les marques que nous voyons à la rive : ( car il eft divers en tou tes les mers ) nous nous advançafmes envi ron demy lieuë , &jettafmes nos ancres vis à vis d'un grand vilage au devant duquel y avoit une belle defcente , & quelques petits vaiffeaux de pefcheurs : Ayant mis pied à terre , & nous enquerans du lieu où nous eſtions , on nous dit que l'un & l'autre , & lariviere & le rivage fe nommoitBaia , qu'à une lieuë de là eftoit Turumbaia , un des principaux lieux du païs , là où les paffa gers s'arreftoient ordinairement : Mais com ment nous apprimes cela , ce fut par mira cle & par l'heureufe rencontre que nous fif mes à noftre deſcente , d'un jeune homme des Canaries qui parloit affez bon Espagnol, de forte que dès qu'il nous vit , ( bien qu'il put juger & à noftre vaiffeau & à noftre port , que nous n'eftions pas de cette nation , ) il nous falua en cette langue , parce qu'il ne paffe guere perfonne là qui n'aille ou vienne & JACOPHILE A LIMNE. 193 ne d'Espagne , ores que fort rarement depuis quelque temps : J'entendis fort bien ce qu'il difoit, à caufe de l'affinité de la langue Ef pagnole avec l'Italienne , mais Rophé encores mieux pour avoir practiqué avec les Espagnols. au Japon : Nous fufmes bien ayfes d'avoir trouvé cet homme, luy fort content de no ftre rencontre , nous avions befoin de luy für l'heure , & luy de nous par après : Ce pauvre. garçon fut tellement fatisfait ayant fçeu no ftre deffein , qu'il ne fut jamais fi ayfe , car il eftoit comme au defefpoir : il y avoit dix huit mois qu'un Espagnol allant aux Indes de Levant , & paffant par les Canaries l'a voit pris dans fon vaiffeau , luy ayant eſté re commandé par aucuns de fes parens Espagnols qui habitent là , & fingulierement par le pe re , lequel Espagnolfe relafcha en l'lflefaint Laurens, &vint moüiller aulieu mefme du quel je parle , où eftant cejeune hommefut tant &fi longuement malade , que ledit Ef pagnol fut contrainct , de le laiffer avec pro meffe de le venir reprendre dans neuf mois pour le plus tard , lefquels eftans paſſez & fix d'avantage , il necroyoit rien moins finon ou qu'il eutfaict naufrage , ou qu'il euft pris fon retour par la Mer de Zur, & le deftroit de Magellan, qui eft un chemin qu'ils font maintenant d'ordinaire : Ce pauvret de qui l'argent eftoit achevé , n'avoit rien plus pour tout , que deux pieces de vin de Canarie que fon pere luy avoit données, lefquelles il re-. tint avecques luy lors que le vaiffeau s'en al la, & euft efté à l'extremité , mais Dieu le fecourut. Or voyant que par noftre moyen il reverroit bien toft fon païs , il nous faifoit mille fervices , bien que le peuple du lieu foit affez doux , finousfut il fort utilepour N tirer 194 DISCOURS DE tirer d'eux ce que nous defirions , d'autant qu'il commençoit à entendre leur langue , tellement qu'en confideration de l'habitude' qu'il avoit prife là , nous ne voulumes pas aller à Turumbaia , auffi y eftions nous fort commodement , fi la commodité fe peut trouver entre de pauvres gens qui ont l'ame & le corps bien laid , l'ame pour eftre idola tres , le corps pour eftre demy Mores , dont je fuis eftonné, car ils font à trente degrez , pour le moins de l'Equino &tial , & ceux de Java qui n'en font pas à dix , font beaucoup plus blancs qu'eux. Ainfi obfcurs toutesfois il ne font pas de l'humeur de ceux qui font totalement noirs en Affrique , car plus ils font noirs , & plus il fe trouvent beaux , mais ceux cy ayment le blanc infiniment , & pour tes moignage de cela , il y a en ce lieu mefme ninefemine blanche , qui eft admirée de tout le monde, pour l'amour de laquelle il nous cuida arriver mille maux. Cette dite femme nommée Eraftrie eftoit fille d'un Portugais , lequel eut envie d'aller aux Indes , & y mener toute fa famille pour y habiter , d'autant qu'il eftoit pauvre , & croyoit voyant apporter , à Lysbonne plu fieurs richeffes de ce pays là faire une meil leure fortune: or advint qu'à la veuë dudit Turumbaia , le vaiffeau dans lequel il eftoit fit naufrage , toutefois luy & fa femme furent fauvez par un pefcheur , & conduits audit Turumbaia : où eftans , ils n'eurent plus le couragede fe mettre fur la Mer, à caufe du hazard qu'ils avoient couru , auffi d'ailleurs eftoient-ils fi pauvres en leurs pays , qu'ils n'y avoient que faire , tellement que peu à peu ils s'accouftumerent là, & y vefquirent quelques années & y firent & efleverent la P dite JACOPHILE A LIMNE. 195 dite Eraftrie , dont il eft queftion , laquelle eftant grandette commença à eftre bien vou luë d'un chacun , & tellement defirée , qu'o res que ces gens là ayant plufieurs femmes, il n'y en avoit un feul du païs , qui n'euſt bien voulu eftre rédui& à celle-là feulement : Tant donna elle d'amour venant en âge par fait , que fes pere & mere luy defaillans , el le fut enlevée par un certain Kanna , l'un des plus puiffans du lieu , lequel ne tarda gueres l'ayant en fa poffeffion , qu'il n'en devint extremement jaloux , voire en telle forte qu'il quitta Turumbaia , & vint baltir fa demeure fur un rocher , avancé dans la riviere tout auprès de Baia , lieu de noftre fejour. Et pour te reciter la caufe de noftre peine, la voicy commeje l'appris particulierement, depuis noftre partement du lieu , car fi je l'euffe fçeüe y eftant , nous y euffions ap porté remede de bonne heure. Je fçavois bien en gros qu'Eraftre aymoit cette femme d'où vint noffre mal , parce qu'il ne le pou voit celer , mais les fottifes qu'il faifoit qui nous conduirent au peril , cela eftoit hors de ma cognoiffance. Le faid eft , que le compagnon comme nous eufmes pris habitude en ce lieu , & y ayant demeuré quelque mois , fe licentioit (ainfi qu'un chacun ) de fe promener çà & là , &feul &en compagnie fans nulle crain te tellement qu'un matin ayant pris fon quartier vers la roche de Kanna , lequel avoit donné par hazard ce jour-là , congé à fa femme de defcendrejufques au bas , accom pagnée de deux ou trois , pour faire quelque tours de promenade & prendre le verd , le lieu eftant affez touffu , ledit Eraftre rencon N 2 tre 196 DISCOURS DE tre cette femme , & apperçevant pluſtoft qu'eftre apperçeu , euft quelque temps pour la confiderer , non toutesfois tant qu'il eut voulu , car elle l'ayant tant foit peu regardé, fut contrainte par les regles d'obeyffance , & compagnie de fes furveillans , de tourner vi fage &faire retraicte : Ce Carabin plein d'a mour de fon naturel , & privé d'objet il y avoit long temps , s'attache au premier qu'il rencontre , ayant veu quelque blancheur il s'imagine que c'eft la plus parfaicte beauté qui fut oncques ainfi que le prifonnier qui a demeuré en lafoffe quelque temps , trouve le jour qu'on l'en tire , bien qu'il foit cou vert & obfcur , le plus clair & ferain qui aye efté dès fa naiffance, ou comme peuvent fai re gli fratri e le forelle , qui ont efté longue ment fans faire fortie : Ainfi efpris il vint à moy: (Fremitando come uno stallone che àve dutala cavalla) me raconter fon adventure , & m'entretint d'un air tout autre qu'il n'avoit accouftumé , tout gay , tout mouvant , & en peine toutesfois : tellement que le voyant ainfi fait , je le jugeay de ceux qui difent qu'il faut qu'ils s'efchauffent à boire ou à l'a mour, parce qu'ils femblent à l'Encens , à qui la chaleur feule faict rendre ce qu'il a de bonne odeur, & me fouvint des petits vers dontfont pretexte ceux qui croyent que pour eſtre honneſte homme , il faut avoir de l'a mour. La maison eft àvoir plus honnorable , Oùil y afeuluifantperdurable. Si cela y faict ceftuy-là eftoit excellent , il ne laiffoit rien à dire , car Madame Rheto rique eft en la bouche de qui ayme , de qui trompe, & de qui abefoin : Il parloit tou tes langues , & m'eftonna quand pour mere JACOPHILE A LIMNE. 197 repreſenter les beautez de la pretendue , fe fervit des parolles du Petraque. il Le ftelle , elcielo , egli elementi à prona Tutte lor arti , &ogni estrema cura Pofer nelfuovivo lume , in cui natura Si fpecchia , el Sol ch'altrouve par non trouva L'opra ès altera , fi leggiadra , e nuoua Che mortalguardoin lei non s'affecura Tanta negli occhi bei for di mifura Par ch'amor, e dolceffa , egratiapioua. Elles eftoient propres pour ce qu'il vou loit dire , puis il recommençoit encores : je voudrois avoir donné beaucoup , faifoit il , & quevous l'euffiez veuë : pourquoy voya ger, fi on ne veut eftre curieux de ce qui eft rare pour cela difois-je , compere j'en fuis fatisfait d'icy en hors , non que je me mes fie de mon baton comme ceux qui di fent, Io temofi , de begli occhi l'asfalto Nequali amorfua pregione alberga Ch'iofuggelor, omnefanciulla verga. Ou comine celuy qui difoit , Chinonè di flucco , ò diBronzo non po mirarlaſenza conta minar : Non la veggo mai chio non entres in tentatione , Et libera nos à malo : Mais parce qu'il ne fe peut faire qu'en ce paï's icy une femine foit fi belle que tu te la figures , & que là où nous allons elles le font beaucoup d'avantage , je me contente de ta veüe fans y apporter la mienne: Mon enfant : AdSco lon necproficifceris ipfe , nec alterum comitaberis. Je n'y aurois proffit ne plaifir. Cet homme a la façon de tous les autres amoureux , j'entens de ceux qui en ontpris à meſure comble, car, Amourqui eft maladie de l'ame, Fatalement les amoureux enflame N 3. Mais 198 DISCOURS DE Mais non tous ceux qui en font offencez Elgalement s'en reljenient bleffez. Va baftir mille defleins & fe propofer des fins impoffibles eftant vray comme dit le di vin que , Amo is forza difturba eleva , la me moria , la mente, e la ragione , cipafet di pra mefle di gelofie, di crudeltà , di menzogne , di penfieri , d'inganni di rancori , di pravità , di dejperationi , e di pene , de tout ce que vous fçauriez dire. Et pourparvenir à fon but qui eftoit en un hot de donner de l'amour à cette femme, & en confideration de fa captivité la faire re foudre de ſe jetter dans notre vaiffeau à no ftre depart, ( car la propofition de liberté eft un bon philtre ) il penfe qu'il avoit be foin de deux perfonnes , l'un d'un porte poulet entendu en la fcience , & l'autre du Canarien qui luy mit aupied du billet , l'ex plication defon dire en Espagnol , ny ayant pas grandedifference avec le Portugais , pour le Canarien il le brigue , il le careffe , il luy donne & en peu de temps fe loge en fa bon ne grace , luyfait entendre , commeil eftoit vray, qu'il n'y avoit homme de nous que So cher maitre du Navire aymant tant queluy, & qu'il efloit très- certain qu'il approuveroit fon entreprife , laquelle il luy defcouvretout au long. Quand à l'autre il y euft plus d'af faire , toutesfois à la longue il recognoit l'humeur d'un Meffer Hipocrito habitant du lien , fe l'acquiert par prefens. Unafames auri Spartam capietſubigêtque , Se difent les clercs luy promet de l'emme ner avecque nous , & defaire tout riche , en practiquant l'ancien proverbe quidit , quela bourſe d'un amoureux eft liée avec une fueil le depoureau , auffi eft- il vray que l'avarice& } J JACOPHILE A LIMNE. 199 & la chicheté fe fondent & amoliffent par l'amour comme le fer par le feu en fom me: Lofpronedalfalire talamentestimolava il fuofianco , qu'il ne laiffoit pierre à remuer pour en venir là : Atoutes les fois qu'il m'en tretenoit ne me parloit d'autre chofe , mais en me difant fes fouhaits il taifoit les delibe rations. Or comme je le voyois ainfi alteré , je n'oubliois à l'advertir qu'il prit garde à fe comporter, & que veu le lieu où nous eſtions. il falloit avaller cette amertume fans faire une grimaffe feulement , que la defcouverte de fon mal eftoit perilleufe, & luy difois com me Promethée au Satire qui voulut baifer le feu venu du Ciel , Bouquin tu brufleras la barbe de ton menton , car il brufle quand on le touche. Ce qui eftoit de peu d'effe& d'au tant que comme a dit quelqu'un , toutes les apprehenfions communes font figurées en l'entendement avec des couleurs liquides qui fe peuvent effacer , mais les imaginations des amoureux font peintes à huille , laiffent dans la memoire des images vives & gravées , qui fe meuvent , parlent &y demeurent tous jours. Ainfi noftre homme en continuant met fon Anballadeur appellé Matrope en campagne avec lettre & creance , de laquelle lettre voicy la teneur commeil nous la don na depuis enadvojjant le tout, MADAME , quand je me reprefente que le bazard feul m'a mené en cette terre , qu'il ne s'eft point mefconté enmaconduite , m'ayantfait traverser quinze cens lieues de merpourmeren dre en cette Ifle : que des que j'yay efté, Vos beautez voilées àua chacun ont paru à mesyeux, & m'ont tellement pris & Surpris qu'il n'y a homme au monde vivant avec tant de flammes N4 que 200 DISCOURS DE quej'en aypour vous : Que je confidere auffi cet te admirable rencontre de ces beaux noms d'E rafte & d'Eraftrie. Je ne doute nullement veu tant de concurrances inopinées que ce ne foit des deffeins duCielbastis de longue main, &qu'ilne queillefaire efolorre bien toft quelque bonne fuitte de ce commencement : Ce nepeut estre qu'à vostre contentement , MADAMÉ, car vosperfections font de trop grand prixpour faire naufrage , en trop grande recommendation àqui vous les adon nezpour fouffrir leur perte ainfi le bonheur pouffera fes rayons fur noftre hemisphere malgré la nuit de lajaloufie qui veut bander les yeuxde vos beaux jours : croyez ce que cefidelle meſſager vous apporte dema part. Madame & receuez avec fa creance , le pau vre Erafte pour Voftre très- bumble ferviteur Quand à la charge du meffager elle n'e ftoit autre pour ce premier coup , quede re prefenter l'affection de l'amant , & haut louer fes perfections entre lefquelles il ne falloit oublier fa beauté avec très- humblefupplica tion de fe mettre à la feneftre de fa chambre qui regardoit fur la riviere , à tel jour & heu re qu'il luy plairoit , afin qu'il put aller pe fcher dans un efquif à fa veuë: Maftrope mu ny de bonne Gloflopetre capable de fa char ge & auquel Kanna fe fioit plus qu'à hom medu lieu ayant par ce moyen plus libre ac cès executa fort bien fa commiffion ce qui luy donna plus de peine en icel le fut qu'Erastrie avoit opinion que c'e ftoit une partie dreffée par fon mary ( s'il faut ainfi nommer ces gens qui ont tant de femmes qu'ils en veulent ) mais gentil gar çonde fon meftier , il fçeut luy ofter ce doub te , de refponfepar efcript point de nouvelles " 9 Car 4 JACOPHILE A LIMNE. 201 car le pouvoir en eftoit ofté de longue main, mais du par fus acception de bonne volonté, avec affeurance qu'elle feroit le fecond jour après à fafeneftre fur le midy: cette refpon ce contenta fort l'homme & redoubla fes efperances. Vous pouvez penfer s'il faillit au jour & heure arreftez defaire beau , prendre l'efquif de noftre vaiffeau avec deux de nos matelots & aller faire la gentilleffe fous le femblant de la pefche : Cela dura affez long temps mais non tant qu'il eut voulu d'au tant qu'elle fe retira de peur de foupçon , re venude là il eftoit fi efveillé qu'il ne fçavoit où fe mettre , auffi dit-on que les mouve mens d'un amoureux & l'argent viffe reffem blent les alchemiftes ne pouvans congeler cetuy-cy , ny Cupidon fixer ceux là , de là à quelques jours le voyant ainfi en cette hu meur gaye je me doutai qu'il briguoit quelque chofe eftant vray que : Lafronte de gli inna morati è lapiazza doue fpaffegiani lorfecretti. Et mefme des efcoliers en cette fcience comme noftre homme, je luy dis ce que j'en croyois, mais il nia tout àplat , fit plufieurs fermens, nonobftant lefquels je ne quittay pas mon opinion , car c'eft une des grandes fottifes du monde de croire aux juremens d'un amou reux, parce qu'ils fçavent tous la leçon du petit Tibulle. Necjuraretine , Venerisperjuria venti Irrita , perterras &freta longa ferunt. De luy alleguer quelque raifon pour le faire defmordre , ç'euft efté perdre fa peine, il n'eftoit temps ny à propos de luy reprefen ter autre chofe que le danger , auffi pour l'heure eftoit ce leplus important , & d'autant que nous y avions tous part je le luy mettois enavant tel qu'il pouvoit advenir : A quoy 7 202 DISCOURS DE à une des fois il me refpondit tout de fang froid

Si je n'avois égard qu'à moy

, Jaco phile , penfez vous queje fiffe compte du peril , ne fçavezvous pas bien que l'amour necraint point les armes . ArmatamviditVenerem , Lacedemone , Pallas Nunccertemus aitjudice velParide , Cui Venus , armatam tu metemeraria temnis Quequo te vici tempore nudafui . Et quels hazards ne court point pour l'a mour. C'eſt celuy qui fit , qu'Ariftogiton , qu'An tileon , que Menalippe entreprirent fur la vie deleurs Princes , & non le bien public qui leurfervit de pretexte feulement

mais

j'ay d'autres confiderations & ne fuis pas fi fou quevous penfez , il fe mit ce coup là à bon efcient fur la Rhetorique

Tant

y a qu'outre tout cela , il ne rompt point fon deffein , carnonpuò bene deliberar chinon è libe ro , & renvoyefonhomme bien toft auvoya ge fans lettres toutesfois , avec charge outre les repreſentations d'amour ordinaires dede mander une autre veüe à la pretenduë fene ftre & de plus luy propofer toufiours fa li berté , belle liberté aux mains ouvertes au veftement blanc avec toute forte de biens , d'heurs , de careffes , & de contentement

Atout cela bien que la Dame fe retint & fe contentaft de ne dire autre chofe aumeſſager que desremercimens , fi luy donna- ellebien àcognoiftre qu'elle prenoit gouft à ſa nego ciation

Aujour dit

, le compagnon retour ne à fapefche , mais le coquin s'advife d'une meſchanceté

car il fe mit nud

à fa veuë , & fe jetta dans l'eau entra & fortit du bateau deux ou trois fois comme cela , tellement que la honte la fit retirer . Pen JACOPHILE A LIMNE. 203 Pendant le cours de cette folie nous ac commodafmes noftre vaiffeau prifines nos avitaillemens neceffaires , & par l'advis de Methife n'oubliafmes pas les deux pieces du Canarien fur lesquelles furent mifes de bel les petites couronnes de Sapin , d'lf & de Lierre , de forte qu'eftans forts prefts à deflo ger noftre homme voulut hafter fa negocia tion, envoya un Diamant beau grand Ico faedre, à fa Dame qui euft valu beaucoup s'il euft efté des bonnes roches , mais mieux euft faict le pauvre de le jetter dans la mer, peut-eftre l'euft il recouvré comme celuyde Policrat. Cortefi donne hebbe l'antica tade Che le virtu, non le richeffe amaro ; Altempo noftrofi ritrovan rade Acui piu del guard agno altrofia caro. Luy mande qu'il eftoit temps de fe refou dre , que fi elle pouvoir trouver moyen nos ancres levées , de defcendre par la feneftre ou venir à la promenade au lieu où il l'avoit rencontrée il l'emmeneroit avec l'efquifqui feroit preparé à cela , & donna dix bonnes onces d'or à Mafirope pour ce dernier effort ayant apris à l'efcolle que , Aurumcuncta movet , fuperi flectuntur abauro. Dis luy , dit-il , que je fçay bien que cette nuë traverſant l'air de fon efprit le broüille ra quelque peu , mais que puis après auffi elle caufera le temps ferain & calme qu'elle doit defirer , & le congediant luy baille un Sonnet , joly , mignon , qu'il avoit fait quelques jours auparavant , car il neperdoit point temps , pourchaffoit dejour , veilloit &penfoit aux expediens la nuict , reclamoit & invoquoit fes amours à jeun , & les chan toit après boire. En ce Sonnet il parloit à fa 204 DISCOURS DE fa maiſtreffe comme à Andromède , laquelle il vouloit delivrer de ce monftre- marin dont Scaurus fift apporter les arreftes à Rome qui avoient quarante pieds de long , fous le nom duquel eftoit entendu meffier Kanna. Or voicy la rime. Les Nereides Sœurs ôfille de Cephée Nepeuvent égaler voftre rare beauté, De ce monftre marin malgré leur cruauté. Je vous délivrerayfaifant de luy trophée: Et s'ilfurvient après quelque nouveau Phinée , Qui s'oppofe envieux à mafelicité: Jelsauray mevengerle privant de clarté, Par le divin pouvoir du bouclier d'Amalthée Nous nouspourrons alors contens dire tous deux , Vous ne craindrez, mon cœur , qu'un barbare envieux Ennemy de vostre beurjaloux vous tyrannize. Moyje neproduiray le rampant Ericton , Ains baifant l'oeil , la main , la bouche Le Lampfacide oiſeaufe paiftra defa priſe. le teton Voylà bonfot, ledit Mastrophe , alla, & toufiours femblable à luy mefme , ne fit point de faute en fa charge : L'heritier de Maia n'euft pas mieux joué , mais la Dame ne fe pouvant refoudre promptement à fi haute entrepriſe , & n'ayant moyen de dif courir , demanda trois jours pourrefpondre, lefquels paffez elle le chargea de la venir re trouver : Si elle fut agitée de diverfes confi derations , je t'en laiffe lejugement : Ence cy parut- il qu'elle eftoit bien transportée , c'eſt qu'ayant mis ce Sonnet dans fon fein , elle nes'en fouvint plus , ains oublia les pa rolles pour penfer à l'effet , tellement que le foir venu , la pauvrette quittant fon ha billement pour aller au repos , l'efcrittom ba àterre en laprefence dumary,qui l'ayant amaf · 4 e a JACOPHILE A LIMNE. 205 amaffé leu & confideré avec l'explication du Canarien , après plufieurs cris & horribles tempeftes , luy donna un coup de poignard dans le bras lequel reçeu , elle demeura comme une ftatue fans proferer une parol le ny mefmes fe plaindre , bien difoit en fon ame , à mon advis , comme les enfans de Niobé. OJupiter, envoye à monfecours , Celuy qui eft mesloyales amours. Cecruel fe refout promptement à la ven geance , auffi eft- cetoufiours la fuitte : Glif cadali gli homicidi , laprigione , le crapule , gli morbi , ele bestemiefono la legitimaproledelpu tanefimo. Il depefche incontinant quatre ou cinq meffagers , & le premier eut la charge d'aller querir Maftrope , fous couleur de le vouloir envoyer quelque part , refolu de l'e ftrangler après avoir fçeu de luy le tout. Les autres devoient aller à Tutumbaïa, & és envi rons chercher des hommestoute la nuit pour nous efgorger , mais le bonheur pour ledict Maftrope , fut que le jour mefme ayant faict fon Ambaffade il eftoit allé en quelque part pour employer partie de l'or qu'on luyavoit donné , tellement qu'il fe trouvaabfent : & le noftre , que quelqu'un de fes meffagers fe defcouvrit à unde noshoftes , lequel efieu de pitié nous avertit de tout , ce fut le bon Anubis veillant pour nous : Si nous euſmes l'alarme , il n'eft befoin de le dire , & moins quelle diligence nous fifmes à gaigner noftre vaiffeau , à ce coup là ( & à la bonne heure) les Lites eurent lepied auffi bon que Ate , & fufmes guarantis de noftre terreur qui euft efté bien autre que Panique , fi nous euffions dormy jufqu'au jour , car ce malheureux nous euft fait fentir un incube d'un gouft beau 206 DISCOURS DE beaucoupplus afpre queceluy que les phan tofmes caufent. Le petit Ghozez difoit eftant tout hors d'haleine comme il fut monté dans le vaif feau , Meffieurs il eft tout vray que les ini mitiez , les playes , &les fcandales font les fruits qui fe cueillent de tout temps au jardin d'Amour , mais je fuis fi catefique queje ne puis parler. Opadin s'efforçoit de tenirbonné mine , & fembloit ceux qui paffant par les cimetieres chantent à force qu'ils ont de peur . Gli faceva ilculo lape lape , commedit Fanfa ron: Quant au Medico il me difoit à l'oreille Monfieur mon amy: Emeglio effere un afino vivo, che un Vefcovo morto. Achille difoit à Ulyffes eftant près demourir , qu'il aimeroit mieux eftre quelque gueux , oufils d'un pau vre homme qui n'auroit dequoy manger , que de regner fur tous les morts. La verité eft que tous les Mages de Perfe , les Gymno fophiftes des Indes , les Preftres d'Egypte les Philofophes de Grèce , les Sages d'Italie , & les Druïdes des Gaules , ne nous euffent pas donné meilleur advis que de plier noftre lin ge. Eriftique me difoit qu'il falloit combat tre mais nous n'avions que faire de cela , il m'excufera s'il luy plaift : Je fçay bien que nous fommes treftous vaillans & quant à moy, outre mon naturel j'ay appris dès mon enfance les vers de Pindare. 9 Qui du combat qu'on luyprefente, Sous reftive excufe s'exempte , Jette de vertu la clarté : En tenebreufe obfcurité. Je neferay jamais comme cette canaille , Qui ftrumam dibapho tegunt , fous une tenue furface de bonne mine cachent un grand corps de mauvais jeu , Car: Et JACOPHILE A LIMNE. 207 Et mihifunt vires & mea tela nocent. Mais il n'eftoit pas queſtion de cela en cet endroit. PourMonfieur l'amoureux il eftoit en ex tafe , c'eftoit le Doryphorenme de la come die, la douleur & la crainte avoit arrefté les mouvemens du pauvre , lefquels ne s'esbran lerent jufqu'à ce que nous fufmes en pleine mer , & alors comme celuy qui revient d'un endormiffement Epileptique , après avoir ti ré de grands foufpirs & eflevé les yeuxhumi des au Ciel , il prononça ces parolles. E qual cervo ferito difaeta , Colferro anvelenato dent'ral fianco , Fugge, &piu duolfi quanto piu s'affretta : Tal io con quello ftral dal lato manco, Che mi confuma, e piu non mi diletta : Di duol mijtruggo , e difugir miftanco. Auffi eftonné que Rogier lors qu'eſchapant Angelique nuë d'entre les mains il perdit fa bague &fon cheval. Il eft vray mon amy luy dis-je que tu euf fes eu envie de petrir dans la paſte charnelle de cettefemme, maisdès meshuy, c'eftpour une autrefois , la vifitation de fes fac & pie ces eft remife à un autre femeftre. Ne fcais tu pas le commun dire , Nonfi dolga daltrui nonfi lamenti , Chi dacagion à i fuoi propi tormenti. La laide Dyfophie fi elle mecroit ne l'aban donnera de dixhuit ans , que tefert- il mon enfant , d'avoir veu le monde enpapiercom me tu as fait , & eftre encore après à l'ar penter pas à pas , fi en ton ame tu n'as re gle , compas , mefure , ny nombres ? Tu me refpondras qu'il y a bien d'autres , qu'il y a trop long- temps que nous avons quitté le logis. Que: Quan 208 DISCOURS DE Quantumque debilfreno àmezo il corfo Animofo destrier Speffo racolga, Raro è però, che di ragione ilmorfo: Libidinofa furiaàdietro volga. Que, Cil qui fe fit Satyre , Or , Cigne , Aigle & Taureau: Peut excufer l'erreur d'un pauvre jouven ceau. Tu ne me diras rien de nouveau je fçay tout cela par Pratique & par Theorique , & n'ignore point que les anciens qui ne ſe pou voient deffendre de ce mal , n'ayent fait pour fe guarantir de calomnie une Deïté de la Volupté, Madame Aphrodite , la noble Cy pris laquelle les Latins nommerent Venus : parce qu'elle vient à toutes chofes , qu'ils luy donnerent Vulcan pour mary d'autant que l'amour enflamme d'une chaleur violan te. Que les Poëtes n'ont prefque chanté au tre chofe que fa force , que fon pouvoir. Quedomuille Jovem valet una , deofquefu pernos, Difoit Theocrite , tant y a mon mignon que fi ces excufes avoient lieu on ne fçauroit blafmer les pauvres pecheurs & pechereffes Cœlibatiques : Ils auroyent mefme raifon que toy. Mais fçais-tu que c'eft , comme l'homme de guerre qui n'eft affeuré de fon courage ne doit entreprendre la garde d'une place , ou quelque autre charge importante en laquelle , s'il ne fait le devoir d'homme de bien , il eft puni capitalement par les loix de la milice , bien que de foy la poltrone rie ne foit pas un peché , comme celuy qui n'eft pas affeuré de fon bafton nefe doit tel lement lier qu'il ne puiffe avoir recours au remede legitime , ainfi ne devois tu t'achemi neràfilongvoyage fi tu nete cognoiffois bien. 1 61 Mais JACOPHILE A LIMNE. 209 Maisdy vray Erafte & au logis & ailleurs tu es lemefme , tu en fais autant au domi cille qu'aux champs , au fejour qu'à la pro menade , & es le propre intemperent quidit chez Plutarque. Grace n'y a myplaifir en ce monde, Sinon avec Dame Venus la blonde , Puiffent mes yeux par mort efvanouir: Alors que plusje n'en pourrayjouir. Lapaillardife eft le principal , tout le refte je ne l'eftime qu'acceffoire , tu fembles les vautours qui volentde loing à la fenteur des charognes , des corps fains & entiers ils n'en ont point de fentiment , ainfi vas-tu auvent d'une putain relaiffée à dix lieuës detoy , de ta femme point de nouvelles. On t'a repris il y a longtemps , mais les playes du vice ont fait un cal tellement endurcy en ton ame , qu'on n'y fçauroit imprimer un cha ractere de repentance dont j'ay bien du re gret : Lyfimache pour un verre d'eau quitta fon Royaume, pour la volupté de boire un coup, fon eftat , fon authorité , fon hon neur , Tu feras encore pis , tu perdras Pa radis pourun plaifir nonneceffaire. Veux- tu fçavoir ce que dit le vieux Plau te. Ubiamoradvenit in corhominis , Et eis ufque inpectus permanavit &perma defecit , Cor, fimul res, fides fama , virtus : Decufque deferunt , homofit modò nequior. Vois en la belle lettre. As tu envie d'ouïr un bon pere: Luxuriafenfum hebetat , con fundit intellectum , memoriam obturat eva cuatfenfum , obnubilat vifum , reddit hominem pallidum acfoedum , fenectutem inducit , mor tem deniquematurat. " Sans 210 DISCOURS DE

Sans doute.

Indicat illuftri meretricem nomine Circe , Etrationem animiperdere quifquis amat. Belhomme au partir de là. En un mót il nous ofte l'honneur , la fanté & le bien, & que les meilleurs maiftres du meftier levent la main & jurent s'il n'eft pas vray : On peint Venus toute nuë , parce qu'elle rend nuds ceux qui la fuyvent , à quoy s'accorde le Sage qui fut tant fujet à l'amour , quand il dit que par la femme de joye on vient juf qu'à un morceau de pain , & nonobftant la commune opinion qui eft que cet exercice donne de l'efprit , il qualifie bien les amou reux autrement , commeje regardois à la fe neftre de ma maiſon ( dit- il ) par ma fene ftre je vy entre les fots & je croy.de vray que c'eft ettre bien tel , veu les fouffrances de qui en vient là , car : La putana che à in preda l'altrui affectione fignoregia , comanda , ordina, & veca , Onde è forzafe caccai : an darfene; fe chiama venire , fe chiede darle , è fe minaccica temere. 9 O Poltrons , Lefpalle d'un huomo da bene non debbono portare la fomma di tante injurie : Tout cela fait que la lafciveté a efté repre fentée par la chimere. Les commencemens font pleins defeu & participent du Lion , le milieu fçavoir l'effect eftord & fale comme la chevre, la fin tient du ferpent , on fent les peines de la folie , peines à chaux & à fable. Regarde Samfon il s'abandonna à une femme en Gaza & une autre fut cauſe de ſa captivité , de fa cecité , & de fa mort , auffi pour eftre bien amoureux il faut defchoir de fa vertu , devenir captif , eſtre aveugle , & puis mourir Donna mafatto , Donna ma disfatto , dira en eftendant le jarret le mala 9 heu 1 JACOPHILE A LIMNE. 211 · heureux qui en viendra là à l'imitation de l'Italien qui mouroit de la verolle. Es regnes des bons Roys Aza & Jofiás ( monamy ) tous les ruffiens furent extirpez en leurroyaume. Par les loix de Numa Pom pilius , la putain ne devoit approcher du Temple de Junon, & fi elle outrepaffoit l'or donnance , elle devoit avoir les cheveux cou pez & facrifier à la Deeffe un agneau femel le. L'Empereur Macrin faifoit brufler tous vifs attachez enfemble les pauvres confla grans : Marc Aurelle fit demembrer vif un foldat qui avoit couché avec fon hofteffe par le moyen de deux arbres joints enſembleauf quels il fit attacher les jambes : Entre les Egyptiens l'homme adultere avoit mille coups de verges , & la femme le nez coupé, par la Loy de Zeleucus , les Locrenfes leur crevoient les yeux , &en certain temps à La cedemone les parties pechereffes de l'adultere ont eftélattachées par le bourreau en public : Par la Loy mefme de Nuhamed , les adulte res font condamnez en cent coups de baſton : Si à Conftantinople le Chreftien eft pris avec ques la chreftienne , on les meine chez le Cadi , & de là on les monte , tous deux fur chafcun un afne à reculons tenans la queue au lieu de bride , & leur met on des tripes fales fur la tefte leur en barbouillant le vifa ge , & ainfi accommodez le bourreau les conduit partoute la ville , fuivis des petits enfans qui leur jettent mille vilennies , fi c'eft de Turc à chreftienne , ou de chreſtien à Turque on les fait mourir : En fommeen quelque eftat qui aye jamais efté bien policé, s'ils n'ont efté punis de mort, on les acha ftiez par quelque peine exemplaire & hon teufe pour toute leur vie : Pytagore difoit. O 2 Adul 212 DISCOURS DE k 1 Adultera offendit natalitios Deos , utquædomui &cognationi nongermanos auxiliatores fed fpu rios exhibeat : Perfida eft erga natura Deosper quos juraverat unà cum parentibus && cognatis fuis fe conjuncturam legitimè cum marito advi ta communionem & liberorum procreationem. Et in patriam quoque peccat , non perfiftens in ejus ftatutis. Hoc nefarium omni venia prorfus indignum eft. Pour le moins leur faut il la punition Termerienne , la vengeance de Neop toleme Mais perfonne n'a jamais fait le trait de Saleshe , il fejoüa avec fa belle fœur & vio lant par ce moyen la deffence d'adulterefai &te par luy enfon eftat , il vouluſt ſubir la peine indicte aux infracteurs d'icelle , qui eftoit d'eftre bruflez tous vifs. Bien qu'il fut Prince Souverain , bien que les Crotoniens fes fubjets s'oppofaffent à fon deffein , &que lefupplice fut cruel , il le vouloit endurer : Les hommes de ce temps font au contraire , ils deffendent le mal en public & le practi quent fecretement : fort à propos leur pou roit on dire comme le loup aux bergers qui les allant vifiter dans leur loge les trouva qu'ils mangeoient une brebis. Et bon Dieu dit-il , fi je faifois ce que vous faites , bien crierez vous vous autres après moy. Noftre pedagogue dit que ceux qui deffen dent ainfi une chofe de laquelle ils ne fe gar dent eux-mefmes reffemblent au Capitaine qui diroit à fes foldats qu'ils allaffent com batre un ennemyauquel il fe feroit defia ren du. Or Erafte toy qui es Chreftien te laiffes preceder aux Ethniques , l'un s'eft crevé les yeux pour obvier à ce mal , un autre s'eft ci catricé le vifage , quelque autre felon la ver tude fontemps , s'eft precipité dans la mer, & E JACOPHILE A LIMNE. 213 & plufieurs comme cela , & toy tu as voulu enlever une femme d'entre les bras de fon mary , ta continence & modeftie font bien efloignées de celles d'Alexandre : Envoye moy efcrivoit-il à Theodorus frere de Pro theas , la jeune fille muficienne que tu as pour fix mil efcus que ce porteur te donnera, fi ce n'eft quetu en fois amoureux , & com me il fe rendit épris d'une jeune fille qui joüoit fort bien de la flute , laquelle avoit eſté menée en mafque enfon logis par Anti patride il luy demanda s'il eftoit amoureux de cette garce , &comme l'autre luy refpon dit qu'ouy bien fort , il s'en abftint , & ne la voulut toucher , voilà: un Monarque qui avoit del'amour , auffi refpectueux que con tinent ; ce nefont pas de tes procedures : Tu euffes envisagé Panthée fi elle euft efté entre tes mains : La femme de Darius fa prifon niere n'en euft pas efchappé. C'eſt où la raiſon fait paroiftre fon luftre quand elle a à combattre la paffion , laver tu n'eft pas vertu fi elle n'a qui luy repugne , mais au lieu d'eftre ferme , tu t'es laiffé al ler, & n'aspas voulu faire mentir le Prover be qui dit que, Le cofe d'amore che ciecco eput to vogliono effer guidate à la faciulefca & à la ciecca. La peine d'Ixion t'eftoit deuë , mais tu en as eſté prefervé , penſe outre cela aux regrets que tu euffes eu d'avoir du mal par ta faute , car comine le chaud & le froid de la fievre qui font en nous mefme font plus mal aifez à ſupporter que celuy de l'Eté ou de l'Hyver qui font exterieurs , ainfi la peine que nous fouffrons par noftre vice eft plus violente que celle qui nous arrive acciden tellement. Il est temps , Erafte , de s'amender & quit O 3 ter 214 DISCOURS DE ter la bande de ceux defquels Platon a dit que l'ame fera tranfmife dans le corps des Afnes. Chimetti ilpiefu l'amorofapania Cerchi intrarlo è non vinuefchi l'ale Che non è in fomma Amor fe non infania Agiuditio defavi univerfale. Imite donc les Serpens , fucce le fenouil de laparolle de Dieu pour te dépouiller de la vieille peau du vice : Fay comme les Hy rondelles prends l'efclaire de la raison pour guerir le mal des yeux que le feu & la fumée d'amour t'ont fait : Tue., mon amy , tue la chimere comme Bellerophon. Et d'icy en çà parce quetu es fubject àt'engluer , évite les occafions , le petit vers dit . Non facile efuriens pofita retinebere menfa , Et multa faliens incitat undafitim Si d'aventure quelque gourgandine t'a gaffe , ( car d'eftre ravy comme Tithonus ou Buccon tu n'es pas affez beau ) n'aye point de honte , dy luy hardiment comme Creon dans la Tragedie d'Euripide , Imite Hippo lyte , & Peleus , renvoye moy Phryné com me fit Xenocrate mais en tel cas mon en fant , Hoc opus , hic labor eft. " Une autre grande precaution à ce mal eſt de n'eftre pas oyfif , & où le corps ne peut agir , donner de l'exercice à l'efprit à quoy il fe plaife , car les voluptez de l'ame eftant plus grandes, feront oublier celles du corps qui font plus petites : Regarde fi les plaifirs Alexandre n'ont pas efté d'un autre gouft que ceux de Sardanapale ? que pour en ju ger on voye feulement les tombeaux de l'un & de l'autre , on aura tantoft choifi fur ce ftuy cy, ontrouvera cette pauvre malotruë 1 rime. De JACOPHILE A LIMNE. 215 Demeuré m'eft feulement ce que j'ay Paillardé, beu, yvrongné, &mangé, Sur cet autre ces fieres paroles , Cebronze eftant d'Alexandre l'image. Tenant à moins les yeux le visage, AJupiterfemble dire , pourtoy Retien le Ciel, car la Terre eft à moy. Hors l'honneur encores , qui eft le pre mier des contentemens pour le monde , les fciences apportent une volupté indicible & de longue durée. Archimedes ( après avoir inventé le moyen pour averer combien l'Or févre avoit defrobé d'or , fur la couronne que Hieron luy avoit donnée à faire , ) fut fi ravi d'aife , que fe jettant hors du bain , il s'en alloit criant comme unfou çà & là , je l'ay trouvé, je l'ay trouvé : Ce que jamais friand ny amoureux n'ont fait. On ne les apoint ouïs crier dejoye , j'ay mangé, ou j'ay bailé. Mais le dernier , le plusgrand , & le plus falutaire remede , eft que tu dies. Tuche vedii miei mali indegni empi Re dal Cielo invifibile , immortale, Soccori àl'alma defviata efrale E'lfuo diffetto dituagratia adempi Voilà mon petit Limne , nos difcours par my les ondes , mais s'ils tombent enautres mains queles tiennes , entre gens qui ne me cognoiffent point , ils ne faudront jamais de dire queje fuis de frigidis , au fexe fœminin , beaucoup plus tributaire que bon payeur. Or entoute humilité , je les prie de n'en croire rien , & eftre advertis que je femble aux an ciens habitans de Majorque & Minorque, lef quels lors que les Pyrates leur enlevoient quelque femme , donnoient fort librement trois ou quatre hommespour, en retirer une feule , pouvant dire avec le bon jardinier. ? 04 For 216 DISCOURS DE Fortunato il ter ren , ch'al mio governo Chepiudel di vi affatigo la notte , Neper molto zappor laftate e'l verno L'invitte forze mie fon fceme o rotte, Quei che torment an l'alme nel inferno Non dancon tal potet qualiole botie. Nya eulabourage deBuzygion ou de Sciros qui ait valu le mien: Mais de vray , lalicen ce demon inclination , eft bridée par laloy, qui fait queje retire & mes yeux & mespen-. fées , de celles à qui le nombre de feize ap partient , defquelles , monamy , il y a belle quantité par tout : Nous voyons tous les jours naiftre quelque nouveau figuier dans le voifinage , profiter & eflever bien fes tiges : Cereftie ainfi jadis nommée , s'eftend main tenant de l'un Pole à l'autre. Ondonne au jourd'huy des paraphemes aux marys ſi gaye ment qu'il ne faut confulter Ulpian deJure detali en la loy Si ego , pour fçavoir fi de droit ils leur appartiennent. L'art de Theffa lie fe pratique , & touteforte d'Amblotbridions fe met enufage: Voylà l'eftat du monde. 9 Mais tu trouveras paravanture mes dif cours trop longs , la cauſe en eft , queje veux que tu ayes l'efcphrafe , le procès verbal , le difcours entier de noftre cour, Revenons à la navigation. Eftans deflogez de l'Ifle , nous finglames vers le Capde bonne efperance, & employames trente jours pour y aller , doublames ledit Cap à la veuë de terre, &iceluy doublé endurames force vent, n'eftant pas fans caufe qu'aucuns l'ont nom mé le Cap des tormentes. Dudi& Cap nous eufmestoufiours mauvais tempsjufqu'à l'Ifle Saincte Helene, & mifmes quarantefept jours ànous y rendre : A ladite Iile , nous jetta mes nos anchres & yfejournames neufjours: Ce JACOPHILE A LIMNE. 217 Cefut là, Limne , où nous fumes affafinez àprofit de l'excellent Autolecite Machalikton ancien amy , car comme il commença à fen tir que nous approchions du bout de noſtre courfe que nous pourrions bien-toft ruer en cuifine: Voila le galand enfonjeu : Tueuf fes dit que c'eftoit un des oyfeaux de Pfaphon, ouquelqu'un de ces pendars , qui avaloient les crachats de Denis à Syracufe : As tu ja mais ouy le Parafitto , qui dit au Capitan. Son Sommerfo nelpelago de le voftre argutie , Che Scampanate faran l'hiftorie de la bona memoria di vofira Seignoria , Si deven porrer in libri le manifatturede la veftra virtu , & mille coyon neries comme cela : Le compagnon faifoit de mefme , gentil Detymon bon difciple de Bion , excellent en l'art. Regardeje te prie , puis qu'il fe trouvedes gens ainfi faits dans un mefchant batteau , combien il yen doit avoir aux prifées Cours des grands Princes. Je cognoy en celle de Voxeguixama une infinité de Galbas Romains, qui faifoient femblant de dormir , fi un hom me de qui ils efperoient de l'argent , fejoüoit avecques leurs femmes , encores qu'ils le vif fent , ames viles , nouveaux Mellanthies, qui n'ontpoint de honte , d'idolatrer un malotru pour un morceau de pain , & font les glo rieux auprès des gens de bien. Ceux qui leur donnent & ayment leur chanfons agatho niennes femblent bien ( comme quelqu'un a dit ) aux arbres plantez en lieu inacceffi ble , lefquels ne rapportent de fruit que pour les Geais & pour les Pies. Au partir de là , nous paffafmes fous la ligne , & allafmes droit aux Canaries , que nous defcouvrifmes le cinquante neufiefme jour , après eftre partis defaincte Helene , du rant 218 DISCOURS DE 1 1 rant lefquels il ne fe parloit parmy nous , que de refioüiffance

Methife entre autres

, s'egayoit avec les pieces du Canarien , & tant y employa de temps avec Ghozez & fes com pagnons , quetout fut vuide , tellement qu'il falut crier Evionjufqu'à ce que nous fufmes arrivez Nous vifmes de loing le pic de Tereyre , qui eft dans la Tenerife , lequel no ftre Canariennous fit appercevoir , & par cu riofité voulans faire comparaifon de fa hau teur , à celle de Figenoiama , laiffafmes no ftre route & allafmes là qui eftoit droit à l'Ouest- Nordueft

Quelques

- uns monterent fur ladite montagne , & entre les autres , le dit Ghozez qui juroit comme un malheu reux , qu'outre les fept Canaries , il voyoit l'Ifle pretenduë de Sainct Borondon , bien que ceuxqui en ont parlé , fe l'imaginent à cent lieuës de là , Mais Sempre àquel ver ch'a faciadi menfogna , Deol'hom chiuder le labra quantopuote Però che fenza calpa fa vergogna. Quand à moy , je ne feray jamais bon Hallopante , car je n'ay pas affez de memoire . Or d'autant que noftre Canarien eftoit de Saint Chriftofle , il y fallut aller , &bien que nous euffions eu plus de plaifir en la grande Canarie, nous nous arreftames là , à caufe du bon recueil que les parens dudit Cana rien nous firent , & y eftablimes noftre fe jour entier , jufqu'à ce qu'il nous fallut le ver l'anchre , lequel fejour fut de deux mois &demy , employez affez otieufement , non par Socher qui avoit des affaires , mais de nous , n'ayant trouvé là perfonne à qui nous peuffions parler , que quelques Maiſtres d'ef cole que l'Evefque de la grand Canarie y avoitenvoyez , & quatre ou cinq femmes

Quant T JACOPHILE A LIMNE. 219 Quant à ceux qui aymoient à boire , ils ne s'y ennuyoient point : Nous pour tout y paffions quelquefois letemps , àunjeu qu'ils nomment les Efchets , comme auffi au tablier qui fe pratiquoit dès le temps du bonhomme Platon , car il dit , que noftre vie eft fembla ble à cejeu là , où il faut que le Dé die à propos , & que le joueur ufe bien de ce qui fera efcheu audit Dé , que de l'accident du fix ou du quatre ( qu'il compare à ce qu'il plaiſt à Dieu nous envoyer ) cela n'eft pas de noftre puiffance , mais de faire noftre profit de ces evenemens là , & iceux colloquer comme la table au jeu en lieu à propos , c'eſt à nous d'y bien avifer. Eftant ainfi de loifir : Une de fes femmes fit voir à Rophé un livret qui luy eftoit de dié , fait de nouveau par un de ſes Pedans , dont il fortit de fa rumeur à bon efcient , car ledit Rophéfemblable àPhiloxene , qui ayma mieux eftre remis dans les carrieres , que d'approuver les mefchans vers de Denys , dit à cellequi le luy avoit donné , qu'il feroit plus à propos , de voir fon image dans quel quepiece de haute lice qu'en une mefchante piece , tiffuë de mauvaiſe laine , où les nuan ces eftoient fi mal rapportées , qu'il ne la pouvoit comparer qu'aux termes chafourrez d'un jeune Peintre. Je n'ay fait eftat de voftre livre (luy dit il ) Madame que comme d'une falade que je n'avois pas entrepris de manger : C'eſt pourquoy je me fuis contenté d'en trier les lymaces&chenilles feulement , afin devous les faire voirfans efplucher par le menu les racines ameres , le gravier ou les feftus qui y font de refte : Voyez mes coftes , &jugez fi à moy à qui toutes viandes font bonnes , la 220 DISCOURS DE la chofe eft de mauvais fel : Si ne l'aiant que lechée , j'ay craché mon faoul , que pour ront faire les frians &gens de bon gouft , qui y mettront les defirs bien avant , je m'affeu re qu'ils n'ont jamais favouré d'aloës , ny de coloquinte , ayant tant d'amertume , & qu'ils donneront toutes fortes de maledictions au droguifte , qui a mis cette marchandiſe en vente : Surquoy le Pedant ( qui paraventu re defiroit que la Dame eut bonne opinion de luy) fe mit à injures & rodemontades Efpagnoles , ( pedentefques toutesfois ) fans que le pauvre Rophé refpondit jamais rien , fors qu'il luy confeilla , que pour purger fa cholere , il allaft prendre medecine en Anticyre. C'eft le vray duvray , Limne , qu'àcette heure les fleuves de Parnaffe font desbordez, que les flots debridez de la doctrine , renver fent les ponts & les efclufes d'ignorance , tout le mondefe mefle de faire des livres, & le bon eft , que bien que ces gens- là , femblent. à l'airain de Dodone , que les conceptionsde leurs ames foient fi foibles , qu'elles n'en gendrent que des moles pleines de difformi té, & qu'en broffant tous leurs difcours on n'y puiffe lancer une feule bonne piece , ils croyent toutesfois eftre fort habilles cognoiffent pas que picorant ça & là les ef corces des bons livres , pour couvrir le ver moulu , né en leur domaine , la difference du bois fait cognoiftre le larcin , deftruiſent malheureux la fente du bien dire par le ca thare de l'ignorance. " Ceux-là font pardonnables , qui pour paf fer le temps , brouillent le papier , bien aifes de faire voir à quelque amy , leurs exerci ces , & gardent tout par devers eux , mais met JACOPHILE A LIMNE. 221 mettre au jour une mefchante piece & luy donner nom d'œuvre , cela eft prevoſtal. Or voicy arriver un grand defplaifir au moins à Socher & àmoy, voilà nos affaires tou tes fans deffus deffous , il n'y eut plus moyen de regir noftre peuple , prefque tous devin- - drent infenfez , c'eftoit ( mon amy) com ment appellez vous cela , les Menades qui celebroient les Orgies. Ces pauvres gens n'a voient jamais beu de vin fors le gouft qu'ils en avoient pris des deux pieces du Canarien, tellement qu'en trouvant à fouhait du plus excellentqui foit au monde , ils nefaifoient aucun travail , aucune reparation au vaiffeau, toufiours feltes , Ofcophories. Trieterices , Mar digras , cela eftoit à tous les jours : Je ne m'eftonnay pas pour le commencement, mais quand je vis qu'ils prenoient cela en couftu me, fans intermiffion &par fi long- temps , j'eus opinion qu'ils ne s'en defferoient ja mais , & le pisfut qu'ils protefterent nepar tir , que nous ne miffions provifion de ce piot dans noltre navire , m'attendant bien fi cela eftoit , qu'il nous arriveroitfouvent de n'aller avant nyarriere , que le bon pere en tortilleroit nos voiles & cordages de lierre , comme les rames du vaiffeau , fur lequel on lemenoit en Naxeou ailleurs , je prevoyois tellement noftre incommodité , que j'euffe voulu que vigne n'euft jamais elté plantée , & quele bon afne fe fut endormy, qui ayant brouſté fes rejettons apprit qu'il la falloit tailler. Cequi me faifoit plus de peur eftoit qu'ils s'entrebattoient à tous les coups , ou nous feroient à nous mefmes , comme les pafteurs du chamattique à Carion , tellement que ces Omeftes Meneles eftoient à craindre, quant à Liens & Chorius mes bons amis , ils me 222 DISCOURS DE medonnoient du plaifir à toute refte , mais quoy que ce fut , la Clitorie s'il eft vray , ou la Dionyfias nous euffent efté bien neceffai res : Le bon pere s'appelle Nyfée , ce dit on , parce qu'il incite à la fureur , Jacche d'autant qu'il enfeigna à crier &menerbruit, l'un & l'autre eftoit bien practiqué par nos gens ; On luy allume des lampes en fes fa crifices , cela leur eftoit fort propre , car ils n'y voyoient gueres ; La Pie luy eft confa crée , cette Mufique s'accordoit avecques la leur : Et de vray difoit Methife en beuvant : Si les compagnons anges Aruth & Meruth trouverent d'auffi bon piot , il ne fe faut plus eftonner s'ils fe joüerent avec leur Hofteffe ,, &fi plufieurs ont mieux aymé devenir aveu gles , que n'en boire point. Perdere dulcius eft potando quàm ut mea fervem Erodenda pigris lumina vermiculis. Difoit Fufcus au Medecin. Voyla l'eftat où nous eftions , mais il ar rivaun bon remede , c'eft que nos biberons furent fi malades , qu'ils ne cuiderent pas s'en relever , & mieux inftruits par la dou leurque de la raiſon furent enſeignez de ne fe charger pas tant. Socher ayant pris langue du lieu oùil pour roit mieux vendre fa marchandiſe , & efté adverty que la Flandre luy feroit plus propre qu'autre païs , fe pourveut de tout ce qui luy eftoit neceffaire pour prendre cette rou te , comme auffi nous fifmes , & nous ha billames à l'Espagnole , tellement qu'ainfi pre parez nous deflogeames aupremier bon vent, Jequel nous chaffa fort bien jufqu'au Golphe de LasVegas , &ne mifmes que dixhuit jours àyaller , mais de là en hors nous eufmes le temps JACOPHILE A LIMNE. 223 temps fi mauvais , que nos pilotes quelque fcience qu'ils euffent , demeurerent quaran te trois jours fans defcouvrir aucune terre. Le quarante quatriefme nous abandon hans à l'Oueſt , nous apperceumes une coffe en laquelle trouvans de l'abry & bien haraf fez nous jettames nos anchres , tous refolus n'enpouvans plus de nous renger au premier Havre que nous trouverions. Nous fortimes noftre efquif& allames àterre , oùnous ren contrames des homines , aufquels nous nous enquimes en quelle contrée nous eſtions , mais ils ne nous entendoient point bien que Rophé & moy parlaffions à eux Eſpagnol & Italien , enfin recognoiffant par nos geftes quenous nous enquerions de retraite,ils nous dirent par plufieurs Schohama , Schohama, & nous montroient à la main gauche une pointe de Merqui s'avançoit entre deux ter res , autre chofe ne peufmes nous entendre neapprendre d'eux , tellement quenousnous en retournames au vaiffeau , & y eftant cher chaines dans nos Cartes , efquelles nous ne trouvames point de Schohama : Le lende main nous approchames noftre vaiffeau de cette pointe (où la rade eftoit fort bonne ) en laquelle ayant demeuré trois ou quatre heures feulement , nous vimes fortir de ter re un pefcheur auquel nous allames , qui en tendant à peu près ce que nous voulions di re; pratiqua ce bon enfeignement. Studifi ognungiovare altrui , che rade Volte , ilbenfarfenza il fuo premiofra. Et ayant receu denous vingt reals , nous mena à une lieuë de là , où nous recognu mes un beau Havre , dans lequel y avoit quantité de vaiffeaux , & au- devant une ville , laquelle nous n'avions peu voir de A 224 DISCOURS DE de loing, à caufe d'une ance qui la cou vroit. " Allant audit Havre , il nous paroiffoit de tous coftez un fort bon païs & agreable , mef mes quantité de vignes , à la veuë defquelles ce paillard Methife treffailloit d'aife , & com me je luy difois qu'il fe fouvint des Canaries, ce n'eft pas , faifoit-il , quej'aime tant à boi re, mais c'eſt que je crains les Amphishenes & me refiouy de ce qu'il y a moyen de les tuer en ce païs : Si vous penfiez auffi queje vouluffe faire comme Micene qui tuafafem me pour avoirgouſté du vin , ou faire mou rir de faim quelqu'un pour l'ouverture d'un celier , comme on fit jadis une Dame Ro maine, je ne le hay pas affez pour cela , mais puis qu'en fonge mefme , la veuëde la vigne eft figne debon prefage , tefinoing celle qu'A ftiages voyoit fortir du ventre de Madamefa fille , je treuve que la verité de la chofe doit infiniment resjouïr & ne ferois point marry que les raifins de cepays , ( fi nous avons à yfaire demeure ) femblaffent ceux d'Eucar pe, unfeul defquels eftoit fuffifant pour char ger une charrette , ou que lesdites vignes portaffent deux fois l'an , comme celles des coftaus de Smyrne , bien ayfe fi je trouve que la mauvaiſe couftume de Staphile , ne foit venue jufques icy. Ayant bien recogneu toutes chofes nous nous enrevinfmes au vaiſſeau , & le lende main allafmes nous ranger devant la ville , où eftant & après l'avoir faluée , mifines pied à terre en bonne compagnie , car il accourut quantité de peuple à noftre def cente. Or comme nous parlions enfemble no ftre langue naturelle , il yeuftun petit homme JACOPHILE A LIMNE. 225 me pafle, ayant la tefte longue & platte , le nez affez grand , qui s'addreſſa à nous,& nous dit en Espagnol: Vous venez de lointain païs, Meffieurs , à qui Rophé refpondit , nous ne fçaurions pas de plus loing, fi nous ne def cendions du Ciel. Je le cognois bien , dit- il , car j'entens un peu voftre langue , j'ay efté autrefois en voftre païs avec un Portugais , & ay demeuré trois mois à Finda où jetombay malade je m'offre à vous rendre tous les bons offices que vous defirerez de moy. Ce fut unbon coup d'avoir trouvé cet homme fi à propos , lequel nous fit entrer en la ville, &nous mena en une Hoftellerie , où nous le caraffafmes tant , & luy fifmes tous des prefens fi agreables , qu'il nenous abandon na plus :NoftreMelits ( ainfi fe nommoit-il ) fut touliours avecques nous , nous lny de mandafines comment fe nommoit le Royau me ou Seigneurie où nous eftions , & quel eftoit auffi le nom de la ville , à quoyil nous refpondit, que pour le regard du Royaume, il n'avoit point d'autre nomque le Royaume du grand Roy , lequel eftoit un des plus beaux du monde , compofé de grandes Pro vinces , & terres qui avoient des noms par ticuliers , que le païs où nous eſtions ſe nommoit Schoham, & la ville Schohama , bel le &riche , peuplée d'habiles Citoyens detou te qualité , foit Ecclefiaftiques , gens de Ju ftice , ou Marchands , quepour fon regard il eftoit Saliemite , à quoy Rophéluy refpon dit , vous eftes donc du païs Pacific , car fe lon les Septante , Salem fignifie paix , je ne dis pas Salemite ( repliqua-il ) mais bien Sa liemite , pays de bruit pluftoft que de filence, toutesfois contrée commode, remplie d'hon neftes gens , & de chofes rares que je vous P veux 226 DISCOURS DE • veux faire voir , laquelle fe nomme Salie me il nous apprift à peu près par le veſte ment &le port à recognoiftre les qualitez des hommes , & nous enfeigna que quant aux Ecclefiaftiques & gens de Justice , ils por toient des robbes longues , neantmoins di verfement faictes , defquelles il nous fit re marquer la difference : que les marchands ufoient demanteaux : qu'il y avoit une au tre forte de gens qu'on nommoit Gentils hommes , qui n'habitoient guerre dans les villes , defquels la plufpart eftoient veſtus de foye , mais qu'ils avoient cette marque par ticuliere , qu'ils portoient tous au col un Efcuffon , fur lequel eftoient engravées ou portraictes les armes de leur maifon ou leur devife queceux qui avoient quelque qualité remarquable faifoient de mefme, couftume toufiours fuivie depuis l'an deux cens cin quante neufiefme de la fondation de Rome, & commencée par Appius Claudius , defquels Efcuffons eftoient venus les Clyphées, ainfi nommez à caufe de leurs graveures , les rob bes à l'imitation des Romains , les manteaux venus des Grecs. Nous fifmes affez longfejour en ce lieu , parce que la demeure y eft agreable , le cli matbeau, l'air ferain , les vivres bons , quan tité de peuple , & chacun excellent en fon art, bonsTheologiens qui font le ſervice di vin en langage vulgaire , imitateurs de The mistocle, qui condamna à la mort un Heraut du Roy de Perfe , pouravoir parlé autre lan gue, que la fienne propre & naturelle : Le peuple bien inftruit & fort devot , qui tou tesfois nedonnepoint de tuilles d'or à Apol lon , gens qui ont grand foing des mœurs de leurs enfans , ont appris que par la loy falci de, JACOPHILE A LIMNE. 227 de , file fils defamille , eftoit condamné au fupplice pour quelque crime , le pere eftoit banny pour l'apparence qu'il y avoit qu'il ne l'avoit bien corrigé en fon enfance , yprenant garde comme fi elle fepratiquoit. Noftre Socher y fit la defcente de fes mar chandifes , ytrouva la vente bonne comme auffi les troques , & moyen de faire fa nou velle charge avecques grand profit, deforte qu'il s'arrefta làpour n'en partir , que nous ne repriffions la route du Japon. ner , Quant ànous , puifque nous avions Me lits, nous eftions bien aifes de nous prome auffi defiroit-il , infiniment nous me ner en fonpays, & puis ( laffez de la mer ) fur laquelle nous avions couru quatre mille fept cens lieues ou environ la terre nous eftoit fort agreable : & parce qu'en tout le chemin nous n'avions trouvé que des Mo res ou Bażanez nous croyons eſtre revenus au Jappon , en voyant du peuple blanc : & retrouvant l'air de mefine temperature que , le noftre , pour eftre les elevations prefques égalles , il nous fembloit ettre fortis de ma ladie & avoir recouvert une parfaicte fanté. Nous laiffames donc nos Gerdoens & Lous la conduite de noftre guide , primes noftre chemin vers la terre Salieme , qui pouvoit eſtre à quatre ou cinq journées de là , à la premiere defquelles eftant au logis fur les fix heures du foir , nous vifmes arriver un de ces gens qu'ils nomment Gentilhommes dont je fus bien ayfe , car nous n'en avions point rencontré encores , il entra dans l'ho ftelerie avecques trois chevaux , init pied à terre & nous falia à la façon du païs , & par ce qu'on nous fit fouper enfemble , & que nous eſtions eftrangers , il nous parla affez Pa libra 228 DISCOURS DE } librement de la fortune , laquelle neantmoins il neprit pas dès le commencement, il nons difcourat qu'il avoit efté homme de guerre defireux d'acquerir du bien , ayant pour cet effect forcé fon courage , que la fortune à la verité , luy ouvroit les bras , mais , que la magnanimité avoit ployé fous le faix, fait banqueroute au deffein , de forte que fes ef clats n'ayant pu durer , l'inclination natu relle l'avoit emporté , &advoüoit qu'il eftoit devenu Epicurien des premiers difciples d'A rifippe , de la bande de ceux qui difent qu'ils ne font bons efcrimeurs , bons Orateurs , bons Magiftrats , ne gouverneurs de peuples, mais aymans à fe donner du bon temps , bailler tout contentement & agreable cha toüillement à leur chair , fi que l'aife & le plaifir en regorge jufques à l'ame , qu'à la verité quelque chofe logeoit enfa penſée qui le tourmentoit , à caufe de certains maux qu'il avoit faits , & eu envie de faire, &fça chant bien que : Tandem juftitia obtinet , que les Dieuxconcluent chez Homere, que Ce n'eft vertu de faire œuvre illicite , Car le boiteux attrape enfin le viste. Il eftoittoufiours en doute, toufiours trem blant, &alloit en confultation pour appren dre quel feroit le fuccez de fa vie , à quoy Ropbé luy dit , fans que vous defpendiez de l'argent davantage , ne que alliez plus loin, fiez vous fur moy & ma parole , que voyla un livre qui vous dira infailliblement ce que vous defirez fçavoir : Ouvrez-le & lifez au hazard de l'ouverture : Ce que vous trouverez , ce fera la reſponſe de voftre demande , ce qu'il fit & les premie res paroles qu'il rencontra , furent cel les-cy. Chi JACOPHILE A LIMNE. 229: Chinoce altrui, tardi , òper tempo cade Il debito a fcontrar, che non s'oblia, Dice il proverbio, che à trouarfi vanno. Gli huomini fpeffo , ei monti fermift auno. Dont il fut fort eftonné , & pria Rophe qu'il fift encores un effay , ce qu'il luy ac corda & luy prefenta un autre petit volu me , où le pauvret au commencement de la page trouva. Nonpoterit fugiffe Deos qui turpia patrat, Sit licet Iphiclo multo velocior ipfo. A ce fecond coup il fut fi troublé , que fes chevaux ayans repeu , il partitfans dire gaf re , & fit untrou à lanuit. Nous deflogeafmes le lendemain & tra verfalmes unpaïs fort agreable , prenans un plaifir extréme , de voir àtoute heure quel que chofe nouvelle arrivez à un grand vil lage où nous fifmes noftre gifte , nous ren contrames encores deux Gentilshommes qui voyageoient enſemble , dont l'un portoit en fon efcu un terebynthe , & les paroles. eſtoient , ecco mi, fans autre chofe , de l'au tre la deviſe eftoit bien bizarre , car c'eftoit une ratte de quelque animal , qu'on appelle en langue Latiale Splen , & les parolles Thyr figier non Bacchus , Rophéphilofophoit fur cet te ratte & n'en pouvoit rencontrer l'expli cation , tellement que nous jugeames qu'il y avoit quelque. fens myftique là deffous. Ces deux hommes ne parloient quede com bats en gros, en detail , à cheval , & àpied, & nous vouloient bien faire entendre qu'il avoient fait dehauts exploits , bien quenous ayons fçeu depuis que l'un s'en eftoit tant foit peu mellé , & l'autre rien du tout que depa role : toutesfois ils nous euffent volontiers dit comme le Capitan. E il mondo inpericu P 3 la 230 DISCOURS DE lo quando io torcio il mufo , fugginogli piu valo rofi fi io rabuffo le ciglia , facia venire il canta ro con l'arcigno del volto , tellement que les confiderant, il mefembloit que jevoyois la vanité peinte enun tableau , que les vieilles bonnes gens ont appellée , Voluptas Aultè oftentando quefua non funt , autjactando que minimè verafint , & impudenter mentiendo , vitiumfumma ftultitia argumentum : A bon efcient , Compere, ces compagnons , Cen tones farciebant. Voyla d'eſtranges gens ( difoit Opadin) je pardonne dés meshuy à Clitus , qui pour avoir mis à fonds quelques galeres prèsd'A morge, fe fit appeller Neptune & porta letri dent , A Demetrius qui fe laiffoit nommer Jupiter & les Ambaffadeurs qu'on envoyoit vers luy Theores , à Lilymache qui difoit qu'il touchoit du bout de fa lance au Ciel , à Clear che qui porta en fa deviſe la foudre , &appel la un de fes enfans le tonnerre au jeune Denys qui fe difoit fils de Phoebus & de Doris, & au venerable Salmonée , puis que ceux- ci de qui le nom n'eft pas cogneu à deux lieuës de leur village , enfans de l'ignorance , ofent fe mettre fur la prefomption , & n'ont pas appris les pauvres que : A cader va qui trop. pofale. ? C'eft merveilles ( Limne ) de voir (com me nous avons fait en noftre voyage ) de jeunes gens , qui ne fçavent pourquoy ils font au monde , fi mal nourris qu'ils ne pourroientrendre compte de leur nom avoir auffi bonne opinion de leur perſonne autant de vanité & degloire , que les plus fuffifans du monde, faire auffi bonnemine, que s'ils fçavoient tous les fecrets de la bonne fem me Egerie ( car elle eftvieille à cette heure) appare JACOPHILE A LIMNE. 231 appaifer les foudres , tirer Jupiter du Ciel , pauvres garçons qui reffemblent à l'efpi qui tient la teſte haute , parce qu'il eft vuide de grain , aux vaiffeaux qui retentiffent , d'au tant qu'il n'y a rien dedans , de ceux dont parle ledivin , quand il dit que ; Il maestro dalle ceremonie non fa tante pretarie intorno al Papa in capella quantifanno atti col capoquando parlano è afcoitano chi favella , bons grimaf feurs. Le jour d'après nous allames difner au village de la Dame Hinckende femme curieu fe &d'efprit vif, laquelle ayant entendu qu'il y avoit des eftrangers à l'hoftellerie , des gens de l'autre monde , car quelques uns nous nommoient ainsi , elle manda à noftre hofte qu'elle defiroit nous voir , & qu'il nous fit trouver bon de l'aller vifiter , à quoy nous nevouluſmes faillir foit par devoir , foit par curiofité , car nous n'avions point envisagé encore de femmes de qualité , nous y allaf mes donc avec la conduitte de noftre Melits fans lequel nous ne pouvions entendre ny eftre entendus : Eltans chez elle , & conduits dans fa chambre , nous fufmesfort confide rez de toute la compagnie & après nous avoir receus avec honneur elle nous fit force que ftions denoftre païs , & de la fituation d'ice luy,de nos couftumes & façons de vivre & ainfi continua jufqu'à ce qu'une Dame eftrangere arriva , qu'onnous dit ce mefem ble , eftre de la terre Selieme à l'abord de la quelle nous nous retiraſmes vers une fene ftre où eftoyent quelques gens à mine do &torale qui difputoyent fur un paffage d'un certain Caelius Rhodiginus ainfi le nommoyent ils ,& parce que quand ils parloient leur lan gage je n'entendois rien , ains feulement P 4 quel 1 ་ 232 DISCOURS DE quelque mot de Latin , je ne pûs bien com prendre le fait , toutesfois il me femblaque leur queſtion eftoit fi les Cholofites ne fen toyent pas aucunement à la fleur de Harmon, & pourquoy cela fe faifoit ( matiere Phyfica le qui n'eftoit de mon gibier , c'eft pourquoy je ne m'y anufay pas. ) A peu de temps de là elle nous fit raprocher & en fa prefence il fe mut plein d'autres difputes mefmes fur le fujet de l'amour , & parce , felon mon advis qu'elle fe vouloit moquer de l'igno rance eftrangere , elle me dit fe mettantfur le bon difcours , Seigneur Japonnois je vou drois bien fçavoir deux chofés de vous , l'u ne que c'eft que cet amourdont vous autres parlcz , & l'autre s'il doit eftre fuivy ou non : car quelques uns veulent perfuader que c'eſt un Dieu qui offence quand on le mefprife , que s'oppofant à favolonté il fembleque ce foit repugner à la nature " que Venus fit ve nir furieufes les jumens de Glaucus fils de Sifyphe lefquelles le defchirerent à cette oc cafion , que Callyrée & mille autres s'en font mal trouvez , à laquelle je refpondls : Ma dame je fuis un pauvre eftranger qui n'en tens rien à ce que vous me dittes , mais el le repliqua: J'ay desja cognoiffance quevous n'eftes pas ignorant & puis c'eft une queſtion qui fe peut faire à gens de tout pays , aux brutes mefmes fi elles avoient voix articu lées pour refpondre. Puis dis-je que vous me commandez de vous rendre conte dema creancefur ce fub jet je m'efforceray de vous reprefenter ce que j'en penfe bien que voftre prefence foit ca pable d'alterer un jugementbien fain & for cer la verité en ce fubjet : Je ne m'amuferay à vous reprefenter les diverfes definitions que 1 JACOPHILE A LIMNE. 233 que chacun a donné à cette paffion : parce quevous les tenez toutes fur le doigt , moins encores à vous difcourir laquelle d'icelles je juge avoir plus d'apparence d'autant qu'il faudroit un trop long-temps , feulement vous diray-je quefelon mon opinion l'amour eſt fimplement un defir & rien autre chofe , le quel defir je ne vous veux reprefenter par des marques auffi expreffes que celles de Baptifle chez Agricola , n'eftant de la fecte du porti que pour ce regard , ains au contraire reprou vant les termes fales bien que fignificatifs : mais je le vous defigneray en cette forte , fçavoir que c'eft celuy dont les femences font en nous , & l'effet duquel le chef de la nature arendu plaifant & agreable pour une bonne & equitable fin , qui eft qu'outre la vo lonté que nous devons avoir à la continua tion de l'efpece , la delectation nous y por taft , & parce qu'en cette action une aide eftrangere &hors de nous eft neceffaire , c'eft à la quefte , & au choix de cette aide où la fantafe joue fon jeu à bon efcient , lequel choix eftant fait la chofe efleuë eft celle que nous aimons & cheriffons avec tant de paf fion : Voylà commentje tiens contre l'opi nion commune que l'amour eft fubftance & non accident , qu'en iceluy parfait ils font veritablement tous deux , mais que ceftuy cy ne peut eftre principe de ceftuy- là que feu lement il l'irrite & efchauffe jufqu'à l'infini, or de ce qui fait que nous aymons & choifif fons pluffoft un fubjet qu'un autre , je conce de volontiers au Ciel , aux complexions , &à la converfation leur pouvoir , audernier toutesfois plus qu'aux precedens : maisj'ad joufte que parfois tel s'attache à quelque ob ject , l'aime & le carreffe , qui n'y est pouffé d'au 234 DISCOURS DE d'aucune autre caufe occulte ou apparente que l'accès impetueux du defir dont j'ay par lé: & de là viennent tant de bizarres affe ctions qui fe voyent defquelles on peutjuſte mentdire quele Polype d'Agnes plait à Balbi ne: quant àceux qui ont moins d'amour rien n'altere leur jugement , ils font le triage tout à leur aife , & s'il advient quelquefois qu'o res qu'ils foyent ainfi en bonne trampe & ayent tout loifir & liberté d'opter , ils ne tournent pas les yeux vers les plusbeaux ob jects , c'est parce qu'en leur endroit les puif fances de Phyfique ou d'Aftrologie ont de quoy agir , & les attachent felon les vertus qui font en elles , & de plus d'autant que la beauté fe compofe par une convenance me furée de plufieurs bienfeances concurrantes enfemble en mefme temps , il advient que fur les diverfes opinions defdictes bienfean ces il fe commet plufieurs erreurs au juge ment d'icelle beauté. Voyla quant à l'eftre de l'amour en ge neral , mais pour fçavoir s'il doit eftre fui vy il y a bien de l'affaire : Je le vous ay dit que ce defir que j'ay maintenu amour avoit elté mis en nous a bonne fin , auffi eft il ve ritable , & celuy qui luy a logé eft cette pre miere caufe toutepuiffante , & toute juſte , de laque le nous fommes l'ouvrage , qui a voulu par fa fageffe infinie & pour mille fainctes confiderations , voire neceffaires à noftre vie &repos qu'il fut circonfcript , bor né & referré dans les limites du mariage , or cet amour- là eft fort legitime , mais tout ainfi que du boire & du manger neceffaire à la vie nous nous laiffons emporter jufques à l'ivrongnerie & gourmandife , de l'œcono mie à l'ufure , raviffement & larrecin , dela JACOPHILE A LIMNE. 235 la devotion à la fuperftition &idolatrie , de mefme paffans au-delà de ce legitime amour nous nous allons embourbér dans le baftard que l'on nomme paillardife & adultere , quel caufe , ( & plus particulierement aux femmes) la perte de l'honneur, fans mettre en compte le déchoir de la fanté & des biens qui fontdes dépendances de ce vice , &que celle qui donne cet advantage à quelqu'un de la ruiner toutesfois & quantes, il luyfem blera bon , peut dire qu'elle a perdu & l'af feurance & la lib rté : tous ces inconveniens font qu'on dit communement que les amans ayant abandonné le port de la raifon , accou plé les rames de leurs defirs , tiré les anchres de la honte , & fait voile dans les fleuves des delices n'y peuvent naviger long- temps fans faire un perilleux naufrage. Achiinamor s'invecha oltrugni pena: Si convengono i cepi , è la catena. Quant au deshonneur c'eftun nom que les anciens fages ont donné à la débauche des femmes de laquelle derivoit comme enco res, toute forte de maux , afin qu'elles l'evi taffent , parce que nous ne craignons rien tant que d'eftre deshonnorez , comme au contraire ils ont nommé leur chafteté hon neur qui eft la choſe du monde la plus defi rée , & ont pris tel pied fes qualitez que cel le eftbien mal à qui cevice eft imputé. L'altabelta ch'al mondo non àpare , Nosate fe non quanto il bel tefore: Di caftitapao che l'adorni èfregi.. Or de la cacher eft bien mal-aife car quand celle qui l'exerce pourroit unechofe impoffi ble , fçavoir ne commettrejamais fon fecret à un tiers de l'aide duquel on ala pluſpart du temps beſoing , faire ceffer tout ſoupçon, don. 236 DISCOURS DE donner un mafque à fon intention , ofter du jour toute apparence , & bref mettre ordre qu'il n'y euft que fon favori au monde qui y penfalt , encores s'enfçauroit-il des nouvel les parce que comme le fçavant veut que la fcience foit cogneuë, levaillant fes com bats publiez, ainfi l'homme d'amour quefon bonheur foit apperçeu la raiſon de cela eftant que la vaine gloire predomine toutes les autres affections de l'ame , & puis lebien n'eft pas bienfi quelqu'un ne l'admire , l'ou vrage n'eft joyeux & delectable à l'ouvrier s'il n'eft loué & cftimé par autruy. Ixion quin'avoit embraffé qu'une nuë Difoit avoirjouy de Junon toute nuë. Ainti les pauvres ont beau donner le çon à leurs amis , leur enfeigner le pre cepte. Quifapit intacito gaudeat illefinu. Tout cela ne fert de rien la chofe fe fçait, &deplus le foleil fuffit pour enfaire la def couverte & l'aller dire à Vulcan , le coq fe peut endormir. Suit encores cet autreincon venient que fouvent elles deviennent fi ef perdues d'amour que c'eft pitié , ainfi l'ef prouva une grande habille femme duJapon quelques années auparavant mourir , ainfi Lais quitta Corinthe pour fuivre Hippoloche Theffalien, voyla Madame , ce que je croy de l'amour & eftime bien- heureufes celles qui peuvent dire. Que l'on n'efperepas enmoncœurfaire brefche. Carje ne crains amour, nefon arc , ne fafleſche, J'efteins comme il meplaift fon brandonfurieux. Les aiflesje luy coupe & débande lesyeux. Cette femmene fut pas contente de mon difcours , bien qu'elle en fit la mine , ny Erafte auffi , lequel s'approcha d'elle & fai fant JACOPHILE A LIMNE. 237 fant les doux yeux luy dit que fa creance n'eftoit pas femblable à la mienne: mais que j'eftois le Momus duJapon qui cenfuroit quel quefois les plus belles actions. En ce mefme temps fe leverent de leurs fieges une troupe de jeunes Damoiſelles pour danfer aux chanfons , & comme elles nous conjurerent d'eftre de la partie , je pris la Dame Seliemite pour en eltre auffi la quelle fe mit à chanter d'un air affez tri fte , & dire ces paroles qu'elle me donna depuis. Malaifement ce qui fut variable , Peut-il après devenir immuable : Bien tardguerit une maladie Il eft aifé de tromper qui ſefie.·· " Un naturel qui le changement ayme Aveugle au bien fouvent fe haitfoy- mefme, Et ne peut pas regler fafantaisie Il eft aifé de tromper qui fe fie. Foibles efprits vous estes miferables , Vous vous forgezdes maux innumerables: Si vous fuivez le train de vostre envie , Il eft aifé de tromper quife fie. Queldoux espoir qui mene aux noires ombres , Et quels defirspleins de piteux encombres: Sergens de mort&& bourreauxde la vie, Il est aisé de tromper quife fie. Leremede eft lors qu'onfent le mal naistre De fupplierdevottement lemaistre Vouloir ofter de nous cettemanie , Qui nous incite à tromper qui fe fie. Il eftoit aifé de recognoiftre à la conte nan 238 DISCOURS DE nance de cette femmequ'elle avoit le cœur , marry , tellement que la danfe finie je dis à Melits qu'il luy demandaft de mapartpour . quoy elle eftoit trifte , & que paravantu re je luy donnerois quelque bon advis , à quoy au lieu de luy refpondre elle tourna les yeuxvers moy & me dit les paroles de Ludovico. Che dolce piu , thepiugiocondo ftato , Saria, di quel, d'un amoroso core : Che viver piufelice , &piu beato, Che itrovarf infervitu d'amore, Se non foffe ciafcuno fimulato: Da quelJofpetto rio , daqueltimore Da quel martir , daquellafrenefia , Da quella rabia dettagelazia. Bien aife de ce qu'elle entendoit l'Italien pour difcourir de la caufe de fa douleur comme nous-nous mettions en train on por ta le couvert pour le foupper de la Damedu lieu de forte qu'il fallut prendre congé dont je fus très - marry, car fa converfation eftoit agreable. Nous nous retirafmes en noftre hoftele tie , & parce que Melits reçeut ce foir- là une lettre de fa maifon par laquelle on luy mandoit qu'il eftoit neceffaire pour les af faires qu'il allaft en la cité de Canupbab, il nous fit quitter le chemin de la terre Selie me & nous inena en ce voyage qui fut une grande coruée, car il y avoit pour huit ou neufjournées de chemin : bien matin donc nous fumes à cheval pour paffer cette car riere & ayant traverſé païs une ſemaine en tiere nous nous approchafmes de la ville le lendemain , à un quart de lieuë de laquelle entre les chofes rares qui font és environs, nous en vifmes une fort remarquable fça voir JACOPHILE A LIMNE. 139 ļ voirunegarenne d'efcargots lefquelsavoient tout ainfi que les mouches à miel un Roy plus gros que les autres qui leur comman doit & portoit la mine d'un efcargot d'Eſcla vonie , mais comme le Roi des Abeilles n'a point d'efguillon ainfi celuy des efcargots n'avoitpoint de cornes : nous en voyonsde plufieurs couleurs entre lefquels nous re marquafmes que les blancs femblables à ceux de Riety eſtoient prefque tous femelles & avoient manqué d'enbonpoint. Eftonné de cette nouveauté je demandois à Melits fi nous eftions loing du territoire de Tarqui nin où j'avois appris que Fulvius Hirpinus avoit jadis dreffé une pareille eſcargotiere , mais il me dit que la diſtance eftoit de plus detrois cens lieuës. Entrans dans le fauxbourg , nous trou vafmes un homme à groffe mine qui avoit le viaire femblable aux Tons du Bofphorede Thrace, & comme je m'enquis audit Melitz quel homme c'eftoit , il me dit à l'oreille Triobolus nonvates , qui fut caufe entendant ce qu'il vouloit dire que je ne l'allay point falüer : ce que quelques uns trouverent eftrange, mais je leur dis mes beaux enfans je fais de ceux qui honnorent les chofes à caufe de ce qui eft en elles , je croy que ce qui en eft hors ne peut rien adjouter à leur prix , je regarde le dedans de l'homme & non l'habillement à l'imitation de l'arbitre du Renard & du Leopard qui jugea lequel avoit plus de tavelures par la fubtilité , & non par la peau , je l'eftime non pour fes beaux Palais , fes meubles & fes biens , ains pourfa fuffifance & pieté qui font au dedans Agefilaus difoit que le Roy de Perfe n'eftoit pas plus grand que luy s'il n'eftoit plus jutte, &t $40 DISCOURS DE & fouvent les richeffes font femblables à la robbe de Neffus elles rendent infenfez , ceux qu'elles couvrent , ainfi je n'ay point d'ef gard aux fuperficies. Comme nous fufines dans la ville plu fieurs perfonnes nous vifiterent , car chacun nous vouloit envifager , & nous trouvaſmes à force feftins : Vint mefme un jour vers nous un homme ayant la mine facerdotale qui nous dit qu'il eftoit de la part du Muph ty : lequel nous prioit d'aller difner avec luy, dont je fus fort eflonné , car cela eftoit bien eltrange en ce lieu là d'oüir parler de ce nom , & comme je luy demandois fi le peu ' ple de la ville n'eftoit pas chretien , il me refpondit qu'ouy en apparence mais qu'en effect il y avoit plufieurs Muffulmans , ce qu'il nous difoit en fecret fans qu'il fut be foing de le reveler , & qu'il nous fit cette de couverte croyant qu'eſtant Orientaux nous fuffions de ces gens là : tant y a que n'ayant qu'à paffernoftre temps , &d'aillieurs bons voifins de Miconie , nous allafmes avec luy & rencontrafmes iceluy Muphty bien ac compagné dans fa falle , ou quelque heure devant le difner fut employée en diſcours , eux às'enquerir , & nous à refpondre , mais de nous tous nul ne recevoit tant de plaifir du difcours , & de la communication que Ropbé, car il y avoit en cette troupe plufieurs Espagnols. Au difner nous fifmes fort bonne chere parce que tout y eftoit gras , & vivres , & parolles nos oreilles auffi graffement re peües que nos eftomachs : La nappe levée Muphty qui s'eftoit efchauffé à repailtre trou va bon de s'aller rafraichir dans un cabinet : Mais voici merveilles : Noftrepetit Ghozez que 1 JACOPHILE A LIMNE. 24t que perfonne ne s'amufoit à entretenir , fre tillant comme un homme de fon meſtier , prift garde où iceluy Muphty entreroit , & deloing fe mit fur fes pas , s'en alla dans un recoin obfcur qui joignoit audit, cabinet & par une commiffure regardoit ce qui fe fai foit là dedans , vit que cebonSeigneur ayant laiffé fa robe & fouftane avoit par le deffus une ceinture de cuir de levant , large & fur laquelle eftoient efcripts les petits vers La tin's. Cordi alii Sophian , alii tribuêre cerebro , Inferiora modus nec ratio alla tenet. Attentif à confiderer ce que cela vouloit dire la cameraire dudit Muphty fe mit à de nouer de gros cordons attachez à ladite cein ture , & luy olla des moules de jambes & pieds humains , de forte que demeurant nud de ladite ceinture en bas il defcouvrit que c'eftoit un Satire , non toutesfois Ægipane , ne fait comme celuy qui parla, à faint An thoine , car il n'avoit point de cornes : mais vray &parfait Satyre , autrement , fembla ble à ceux que Euphemus rencontra, ou qui fe trouvent en la contrée des Cartadules : Ĉe compagnonfait comme celuy queMidas attra pa l'ayant fait boire , fou comme un cochon, le galand fe couche , s'endort , repofe fon ci tre , & iceluy dormant ledit Ghozez peu de temps après vit entrer dans ledit cabinet une perfonne ayant le vifage fœminin , & la con tenance Lydienne , ce n'eftoit pas Echo ny Pitys , car cette- cy eftoit veſtue comme les pieds de Coquinchine , moins d'apparence y avoit-il que ce fut quelque nouvelle Pofthu mia qui vint entendre la fentence de Spurius Minutius , il eftoit bien queftion d'autre cho fe, tanty a que fans mener bruit elle s'alla Q res 242 DISCOURS DE.. repofer fur un lict de camp ? Le compa gnon vouloit bien attendre la fin de l'œuvre, mais il entendit des gens venir par une ga lerie qui luy firent quitter fon embuscade & retourner à nous qui demeurafmes longue ment dans ladite fale avecques ce peuple prefque tous Satires ou Sileines à mon ad vis : Enfin & fur le vefpre noftre homme revint , duquel nous prifmes congé parce que Melits avoit affaire , & filmes noftre re traicte au logis dont ne nous partimes de tout le jour. Le lendemain allans à lapromenade nous trouvafmes quantité de femmes veſtues au trement que le commun , &toutesfois com me laperfonne que Ghozez avoit veuë chez le Muphty , la premiere defquelles mar choit à pas mefurés & d'une contenance gra ve , avoient prefque toutes des paniers d'o zier dans le bras , que les bonnes gens du temps paffé ont nommé Caniftres , & m'en querant de leur nom on me dit que la prin cipalle d'entre elles fe nommoit Parieren, toutes les autres Jerenes ou Melierenes , or ainfi que nous marchions une bourrafque de vent furvint, un tourbillon fe renferma au lieu où nous eftions , en telle forte qu'il em porta la coiffure de trois ou quatre lefquel les nous vifmes eftre ras tondus , ce que trouvans bien eftrange mefme au fexe fœe minin qui a accouftumé de nourrir ſa che velure , nous raifonnames fort là - deffus & euffions volontiers cru s'il n'y en euft eu qu'une , que c'euft efté par ordonnance des medecins , mais elles n'avoient pas la mine d'eftre malades. Enfin chacun ayant dit fon advis nous confentifmes tous à celuy deMe its : auffi fçavoit-il mieux les couftumes du païs 1 1 1 JACOPHILE A LIMNE. 243 païs que nous , fon opinion fut que pour ofter la vanité & le courage à ces femmes on les tondoit tout ainfi que les anciens grecs couppoient le crain de leurs jumens & les menoient boire à quelque lac ou ruif feau afin que s'eftant veuës laides & diffor mes elles perdiffent le coeur & fe laiffaffent plus aifément couvrir aux afnes , gentil Me lits plus noble que Codrus : qui toutesfois n'entendoit d'offenfer perfonne. Durant noftre fejour nous ne fufmes point defpourveus de mufique : mais de gens in folens qui ne chantoient pas de bouche ju fte , comme és premiers tiecles il eftoit en joint aux joueurs de Cythre , auffi eftoient ils payez à la Dionyfine , nous leur donnions autant de plaifir en efperant qu'eux à nous en chantant , chacun n'emportoit rien de fon compagnon. Quand à moyje ferois volontiers de l'opi nion d'Euripide qui dit chez Plutarque que c'eft mal fait d'avoir des inftrumens & de la Mufique és feftins & autres lieux où on n'eft que trop en lieffe , que cela nous emporte dans l'infolence , desbauche , & volupté , & faudroit pluftoft en ufer en dueil pour nous resjouyr. Deflogeant dudit Canuphah , nous reprif mes notre chemin vers la terre de Selieme venions à grand journées , toutesfois quel ques rencontres que nous fifmes nous amu ferent un peu , & entre les autres fut cel le- cy, nous trouvafmes en traverfans païs , un certain Theatre pour des Dames fort bien accommodé , couvert , tapiffé , entouré de barrieres , il n'y manquoit rien , & une fort belle carriere preparée pour la courfe des chevaliers. Enmefme temps vifmes for Q. tir 244 DISCOURS DE 1 tir d'un parc un caroffe plein de femmesfort parées , autour duquel y avoit quantité de Nobleffe à cheval par laquelle lesdites Da mes furent conduites audit theatre où entra la premiere , la plus belle &mieux parée de la troupe , qui avoit à la ceinture un mi rouer couvert d'un amathifte enrichi de Dia mans de Rubis , & groffes perles &au milieu d'iceluy amathifte y avoit efcrit en lettres faites de brillans : Non fmaragdus , Elles n'eurent pas toutes enfemble pris place qu'il arriva deux parties de cavaliers pour courre de quatre à chafque partie. Les premiers eftoient veftus de blanc les caparaffons blancs auffi , fors quelque broderie violete fort de licate , leurs lances belles & toutes couvertes de la dixiefme lettre de l'Alphabet , 4. page Nimphes qui leur fervoient d'Efcuyers ve flues de mefme : Les autres qui venoient derriere avoient leurs habillemens tanez par femez d'efcarbots , leurs lances couvertes de la feiziefme lettre , & quatre qui mar choient à leur tefte & portoient lesdites lan ces ; tout celà en bon ordre : mais il arriva deux difputes la premiere que les Efcarbots dirent qu'il falloit courre la bague pluftoft que les Dames , celafut controverfé unpeu : La feconde bien plus grande , car les blancs premiers arrivez avoient fait planter la po tance , au lieu le plus à propos & vers le bout de la carriere qui regardoit le foleil le vant ce que les autres ne trouvoyent bon , opiniaftroient qu'il la falloit remuer au co fté oppofite qu'ils avoient toufiours accou ftumé de courre de ce biais & ne vouloient point changer de forme : Ils entrerent en grand contrafte & prefque prefts à fe battre: neantmoins bien que les blancs euffentgain de 1 1 + 1 1 JACOPHILE A LIMNE. 245 de caufe par le jugement des Dames les au tres ne voulurent point obeïr à leur ordon nance aimerent mieux quitter tout , & laif fans la place aufdits blancs allerent courre feuls avec leurs efcuyers en quelque autre lieu , dont lefdites Dames furent en fi gran de colere qu'elles invoquerent les ombres de Cratenas &Pytholaus pour leur en faire raison. Zephire avec la difque pour chaftier les fui vans mais parce que le temps nous man quoit nous n'en pufmes voir d'avantage & paffames outre. A deux journées de là , nous trouvaſmes une belle Fontaine au devant d'un Chaſteau, autour de laquelle y avoit eſcrit ; Olim, Ac cidalus , nunc Aganippe , & le lendemain par ce que Melits avoit failli le chemin , nous prifmes un guide qui pour nous conduire à une ville où il nous dit que le couché fe roit bon , nous fit prendre une traverſe hors du grand chemin en laquelle nous trouvaf mes un parc bien renfermé juftement fait comme celuy de Cinoferges à Athenes , & ainfi nous voyons tousjours quelque chofe rare. Sur les cinq heures du foir nous arrival mes à ladite ville , à l'entrée de laquelle nous fimes rencontre d'un certain petitbon homme Monocule à mine melancholique , affez pafle fa veue fixe tenant à la main droi te un baston crochu ayant au pouce de la gauche une Helitrope & au doigt annulaire une Synochite d'auffi loin que Rophé lé vit en cet equipage , il nous dit : Mes amis voicy Mitrebarfan lejeune s'il y a quelqu'un de vous autres qui aye envie d'aller aux en fers , ceftuy-cy nous y menera , voilà unjo ly petit Magicien qui en aura affaire , & nous en enquerant à l'hoftellerie on nous Q 3 dit 8 O 246 DISCOURS DE " dit qu'il eftoit vray que force malavifez luy demandoient des nouvelles du fuccez de leur vie , ce queje crus beaucoup pluftoft que fi on m'eult voulu perfuader qu'il converfoit avecques les gens de bien , lefquels ont la vraie Antipates qui deffait tous charmes & for celeries , fçavoir fiance en Dieu . A dire vray , Limne , l'homme creature de ce grand ouvrier eft bien miferable de fe mefier de luy , & ne fe repofer pas en fa bonté qui fait tout pour le mieux , tout pour fa gloire , & le falut de ceux qui le fervent, veut pauvre chetif avoir part en fes confeils , en fe's determinations pour y apporter quel que chofe du fien . Il a fait cette grace à ce malotru de luy celer les chofes futures par ce que le mal luy feroit tousjours prefent , & le bien preveu de long temps Le luy ap porteroit aucune delectation

ce neantmoins

au lieu de recognoiftre cette faveur il court le contre pied , cherche le Charadre d'Oenoé

Mon amy , ce que difent ces petits Diables eft vray ou faux , s'il eft vray il aviendra & vaut mieux l'ignorer que le fçavoir , l'ap prehenfion eft plus à craindre que le mal

s'il n'eft pas vray la fcience eft fauffe il ne s'enfautpas enquerir . ( Ces malheureux veu lent donner des precautions à autruy &n'en ^ ont pas pour eux- mefmes , ils mentent tou fiours , fi ce n'eft que Dieu vueille par fois donner efficace d'erreur à leur langage pour la condamnation de ceux qui s'adreffent à eux ainfi que jadis aux oracles diaboliques , & leur peut-on bien dire comme Menipe à Tirefias vous ne prononçates jamais rien de veritable ce petit ridé ne fera de long temps fi bon maistre que la forciere Erictho qui avoit affeuré Pompée qu'il gaigneroit la ba tail JACOPHILE A LIMNE. 247 taille de Pharfale , que les devins d'Ariovi ftus , que les forciers du Roy de Suede vain cu contre leur Prophetie par celuy de Dan nemarc, qu'Apolon qui ne devina pas qu'il tue roit fon amoureux avec une pierre , & que Daphné le fuiroit encores qu'il fut fi beau , ces fots neprevoyent pas feulement les feux, les gehennes , & les fupplices , qui les aten dent & de frefche memoire ce maitre Dia ble les Heraux mourut d'une façon à laquel le il n'avoit jamais penfé mais fi noftre homme vouloit faire parler de luy & averer fa fcience vraye , il imiteroit Actius Na vius auquel Tarquin ayant demandé fi ce qu'il penfoit fe feroit ou non , & luy ayant refpondu qu'il fe feroit , Tarquin luy dit que fa penfée eftoit qu'iceluy Navius feroit ef corché vif avec un razoüer , à quoy pour montrer qu'il eftoit maiftre & bien enten du , il s'efcorcha luy mefme en la prefence dudi& Tarquin, ce feroit un trait d'homme de courage s'il faifoit ainfi. Les gens de tel le farine veulent couvrir le plus fouvent leur impieté par l'Aftrologie , mais il eft bien ignorant celuy qui ne confidere que par l'horofcope on peut juger quelque chofe de l'humeur & difpofition naturelle du corps , des chofes accidentelles nullement , par ce que les aftres n'operent rien en cela d'au tresfois ils difent que la magie naturelle , n'eft que la pratique de la Phyfique , que leurs effects viennent de la force des plan tes , des animaux , des pierres , des mine raux, & des corps celeftes : & neantmoins en cette pretenduë magie blanche , ils vien nent toufiours aux figures , aux characte res , aux paroles qu'autre que le Diable n'en tend point, aux invocationsdes Demons ; 7 Q4 & 248 DISCOURS DE > & le tout contre la pure volonté de Dieu fe voulans fervir des chofes licites , pour donner pretexte aux illicites viennent tou fiours là , que pour neant ufe des chofes na turelles qui n'aura invoqué Satan : & pour preuve de cela qui penferoient- ils eftre fi idiots d'adjoufterfoy à plufieurs fortes de de viner , qu'ils mettent en pratique du tout niaifes & fans raifon , s'il n'y avoit quelque chofe de caché. Quel fondement peut avoir la Chiroman tie , puis quefelon les outils qu'on a accou flumé de manier, les lignes fe forment à la main que quien travaille tous les jours l'a fi ufée qu'il n'en a prefque point , qui a la peau delicate en a davantage , qui l'a plus groffe & rude en a moins ? Quel la Geo mantie & Tephramantie , faire des points par hazard & fans y penfer , fur de la terre ou fur de la cendre , & vouloir tirer de là quel que certitude ? Quel la Brotonomantie & Sycomantie , jetter la nuit des fueilles au vent , & faire jugement de quelques chofes , felon qu'elles fe rencontrent ? Ainfi l'Ono mantie & Aritmantie fondées fur des nom¬ bres , encores les lettres numerales n'eftans de la valeur du commun ufage : tout autant l'Alecryomantie , bien qu'elle aye fervy autresfois miraculeufement à punir les mef chans , car Jamblique ce grand Magicien voulant fçavoir par icelle , qui feroit Em pereur après Valens , le Coq ayant marqué quelques lettres , l'Empereur en fut adver ti qui fit mourir plus de cent forciers , & le dia Jumblique s'empoifonna luy- mefme, eftant à defirer que toutes operaffent auffi bien L'Orneomantie par le mouvement des oyfeaux: La Daphnomantie par le lau rier ,> JACOPHILE A LIMNE. 249 rier , & l'Aftragalomantie , par les dés & les offelets : Ainfi il faut qu'il y ayt du Diable par la deffous , tout ainfi qu'il paroift à def couvert en la Negromancie , Lithoman cie , Necyomantie, Sciomantie , Leccano mantie , Catoptromantie , Cephalonoman tie , Capnomantie , Xylomantie , Graftro nomantie , Onimantie, Axinomantie , Hy dromantie , Acromantie , & Pyromantie: encor malaifément peuvent ces malheureux, les mettre en ufage en la prefence d'un homme de bien ; tefmoing le Médecin de Thouloufe és Gaules grand forcier , quipar la Rabdomantie , ne pût faire baiffer deux verges , difant que ceux qui estoient pre fens , n'avoient point defoy , & le plus fou vent ils fe trouvent fi mal de leur fcience, ils font fitourmentez qu'il faut qu'ils quit tent tout , comme le Citoyen de Nurem berg, qui ufant de la Criftallomantie , fut tant & fi fouvent battu du Diable , qu'il rompit fa bague : ainfi par ce meſine efprit malin fut emporté bien loing Pomport en la region des Pictes , ainfi avec fa Doctilio mantie fut Meron Chancelier de Milan de poffedé de fon eftat : Que les pauvres fem mes qui ont penfé icr leurs amans par tel les forcelleries , & mis en ufage ce mefchant vers , Flectere fi nequeofuperos Acheronta movebo , Ne s'y abufent plus. FalliturEmoniasfi quis decurrit ad artes Datquequod àtencrifronte revellit equi. Jupiter chez Homere fe courrouce à Junon, d'en avoir ainfi ufé. Par la loy de Dieu , tous ceux qui fe mes lent de cette marchandife , doivent eftre exterminez , & ceux qui s'adreffent à eux trait 250 DISCOURS DE 9 traittez comme Bafianus qui fut pany par confifcation de tous fes biens , pour s'eftre feulement enquis à un difeur de bonne for tune , fi fa femme eftoit enceinte d'un fils ou d'une fille, Or , mon Limne , je laiffe là noftre bor gnechaffieux , pour te dire que de ladicte vil le enhors , nous allames par l'advis de Melits loger en un certain village , où eftans & commenous eufimes difné , le Seigneur du lieu nommé Leon nous envoya prier de le voir, mais comme nous tardions trop , il vint luy-mefme en l'hoftellerie , nous fit tout plein de careffe , & tira promeffe de nous , que nous coucherions en fa maiſon , en laquelle il fe retira pour faire quelques defpeches avec affeurance que deux heures après nous l'irions trouver , defquelles cour toifies toute noftre troupe demeura fort fa tisfaite , d'autant que nous n'en avions point encores reçeu de femblables , & com me nous en difcourions , Opadin me di foit. Jacophile le nom de ce Gentilhomme , me remet en memoire Leon Bizantin duquel j'ay l'image & vous diray comment : Il y a environ fix ans que j'aliay du Japon à Zeilan , & ayant trouvé là quelques vaiffeaux de la mer rouge , qui estoient venus querir de la canelle , je me mis avec eux & vinfmes à Mugora qui eft de l'Arabie , où eftant j'eus. envie d'ailer par Mer jufqu'à Mucar , pour de là en hors m'acheminer par terre à la Me¬ che, & vifiter le mont de Caph , lieu pre tendu du Sacrifice d'Abraham , par le bon Prophete Muhamed, & de là en hors meren.. dre à Medinetalnebi , ou pour mieux dire Medinat, al Nabi qui fignifie la Cité du Pro phe JACOPHILE A LIMNE. 251 phete , afin de voir fa fepulture , ayant mef me opinion , fi j'euffe pû traverser les de ferts d'Ayama , d'aller voir Bagdat la plus ancienne ville du monde , & vifiter ce beau païs , arroufé de l'Euphrate & du Tigre , où le premier homme fut creé ; mais un certain marchand d'Alcaire que je trouvay àMugora medefcouragea , mepropofant mille incom moditez, & meperfuadant fije voulois voir quelque chofe de beau de voyager à Stam bol , où eftoit la Cour de leur Empereur , avec offre fi j'en voulois faire les frais de m'y conduire , & meramener audi& lieu de Mu gora cequej'acceptay , deforte quenous na vigeafmes dans la mer de Mecca jufqu'à Po zi, à vingt lieuës plus bas que Fara ou en viron , mais de l'autre cofté de la mer , le quel Fara eft fort près de l'endroit où les Ifraelites pafferent audit Pozi nous mif mes pied àterre , & allafines au grand Cai re la cité d'Ogdous , où mon conducteur me garda trois fepmaines , lefquelles expirées nous nous acheminafmes en Alexandrie, après toutefois avoir vifité les entours du dict Caire, & veu ce qui refte des piramides & du Sphynx de Boufiri , comme auffi de l'ancien Labyrinthe , faict par Petefcus & fes fucceffeurs, qui eft à quelques journées de là. Ettans en Alexandrie , nous vifmes auffi l'Ile de Pharo, dans laquelle Ptolomée Phi ladelphe fit baftir cette belle tour de marbre , qui coufta quatre cens quatre vingts mille efcus , dont Softrate fut l'Architecte , de la quelle tous les fignals qui font aujourd'huy conftruits en mer, pour la confervation des vaiffeaux , portent encores le nom de Pha re : & après quelques jours de fejour nous nous 252 DISCOURS 1 DE nous embarquames , & finglames droitvers Archipelago , dans lequel eflant entrez , & laiffant Negrepont & Sciro tout à la gauche, nous paffames à Sio , qui a mieux confer vé fes marbres que fa chafteté , de là en hors coftoyant Metelin , nous nous rendimes à Stalimene où nous fifmes defcente , & ache tames provifion de terre figellée , fur le lieu mefine où elle fe prend , lieu auquel jadis le pauvre Valcan , fut precipité par fa mere & receu par Eurymone , lieu voifin de He phestias où par vengeance il forgea les pan toufles d'aimant à fadite mere qui tant la mi rent en peine , où il faifoit les foudres que l'Aigle de Jupiter luy portoit contremont dans les nues. De là nous allames faire eau à l'embou cheure de Simeores jadis Scamandre jufte ment à l'endroit où le defloyal Cimon , ra vit le pucelage de la pauvre Callirhoë , Sca mandre que nous trouvames plus vigoureux que lors que Vulcan le tormenta tant au fie ge d'Ilium , duquel Ilium nous vifmes l'an cienne affiete maintenant affez efloignée de la mer , d'autant qu'il s'y eft faict croiffan ce de terre , nous tranfportames au fepul chre de Protefilaus vifmes fes arbres morts. tout à faict , fans efperance de rejetter & recroiftre plus , de là nous entrames dans le Dardanelle , qui fut le deftroit d'Helefpont , paffames entre Seste & Anico jadis Abide laiffames à la main droite , l'endroit où fut la Cité du maiftre Jardinier fucceffeur en cet te charge de fa mere , comme l'a dit unbon compagnon. Ala madre d'Amor Venere bella La tutella de gli borti il mundo diede, E nonfenza ragion fi come quella. Onde JACOPHILE A LIMNE. 23 T Onde in principio d'ogni ben procede , Mapoi che queft à Dia gianovafteila Se ne portò nel cielfua riecafede Perche nonfoffe in cio da ladri offefa Lafcio degli bortial filio la diffeľa. Perçames la mer Marmora jadis Propon tis de bout à autre & eftans entrés dans l'ancien Bofphore de Thrace , arrivames audit Stambol. C'eft de là (Jacophile ) que je portay plu fieurs antiques , & entre autres celle du lict Byzantin , duquel tant de gens la ont fait de fi bons contes , que cela me l'a fait eſti mer davantage , & d'autant que les dif cours de noftre Leon ont quelque chofe de femblable , ils m'ont faict fouvenir de ce difciple de Platon , qui toutesfois ne fut pas fi bon Philofophe en fa mort , qu'ex cellent Sophifte & de bonne compagnie en fa vie. Le Difcours d'Opadin finy , nous alla mes au Chateau dudit Leon , où arrivans nous trouvames ces Vers eſcrits fur la grand porte. Quotecumquedie nil fancti egiffe videbis Hunc tibi vel penitus deperiiſſeputa. Al'entrée de la fale eftoit peint un Hip popotame & une efpée nue ayant la pointe en bas qni le perçoit d'outre en outre , fur les gardes de laquelle y avoit une Cigogne vivante & au deffus de fa tefte eftoit efcrit AvTimeλйpy , nous trouvafmes iceluy Leon , duquel nous fumes fi bien receus & careffés ce jour là , & les fuyvans qu'il ne fe peut dire , il nous adomeftique en fa maiſon , comme fi nous euffions efté fes freres , & nous obligea d'eflire chez luy noftre domi cille , d'y faire noftre retraitte , tout autant que 254 DISCOURS DE·· que nous demeurerions en ce païs- là , telle ment que c'eftoit noftre propre maiſon où nous ne dependions rien , y eltions auffi afym boles , auffi francs d'efcot que les enfans : Ledi&t Leon avoit faict mettre fur l'huis de fa chambre une plaifante peinture , dont il rendoit bon compte toutesfois , c'eftoit une Braye autour de laquelle y avoit efcrit , Ju ris non injuria, tellement que c'eftoit bras guetajuris , &fur le cabinet de fa femme eftoit une Lucine de la bouche de laquelle fortoient ces vers. Vulnus Achillao quæquondamfecerat hofti Vulneris auxilium Pelias hafta tulit. Ainfi en plufieurs lieux de fa maifon il y avoit detelles chofes , nous apprenions tout plein en fa converfation , car tantoft il nous diſcouroit de l'eftre du grand Roi & de fes vertus, tantoft des loix & police du Royau me, quelquefois il nous preftoit des livres, fouvent nous propofions des queftions & en difcourions , nous faifions auffi des exerci ces de chaffe & de bague , fi l'occaſion fe prefentoit de quelque bonne compagnie où il y euft des gens de vertu nous nous y trou vions , tellement que nous paffions fort bien le temps , & mefme Opadin , car il fit une maiftreffe à dix ou douze lieues de là , par rencontre il reçevoit des lettres dequelques Dames , qui avoient l'efprit beau , lefquel les il nous faifoit voir enſemble ſes refpon-, fes . dontje t'en envoye une feule pour te faire cognoiftre le ftile dupays. Madame Meletine tres-fuffifante , qui met bien par efcrit , difcourt en bons termes , abonde en memoire & en jugement , fçait toutes les regles de la bien-feance , eſt tres docte enl'œconomie , faifoit faire quelques ten JACOPHILE A LIMNE. 255 tentes detapifferie fur du refeul où eftoit l'i mage des plus excellentes femmes qui euf fent efté és fiecles paffez , avoit pris dudit Leon , le nom de quelques unes , & defiroit fçavoir de luy quelles actions elles avoient produit en leur temps , fur quoi il luy efcri vit celle qui fuit. MADAME , fi toutes les femmes pouvoient comme vous (mieux que Tucye & fans char me) porter le crible plein d'eau , Vous n'auriez lefoing de mettre l'image de plufieurs chaftes Matrones dans vos ouvrages , ne moy Subject de vous prier m'envoyer le nom de celles , dont l'histoire ne vous eft affez cognuë , pour vous en efclaircir commeje vous l'ay promis , mais la quantité defuburranes qu'il y a au monde , vous donne cet agreable exercice. Je vous confeille de loger avecques elles la Princeffe Jeanne imi tatrice de cette grande Valerie , femme du Conful Romain Servius , cette honorable vef ve qui a eu toufiours en memoire les paroles du Poëte. E qual fe laffa del fuo honorprivare Ne donna è piu , ne viva, èfe qual pria Appar in vifta, è tal vitaafpra èria Via piu che motte è di diu pene amare. Avous, Madame , j'apprens dignement la cigue , les tourterelles , les ramiers , & les lis , C'eft. Voftre tres-humble ferviteur , LEON. Voyla comment ils efcrivent , mais les bons maiſtres font mieux. " Or afin de n'obmettre rien , je te dirayque nous allafines vifiter la ville de Betah tou tesfois nous ne paffafmes le droit chemin ains. fifmes un grand circuit , & traverfant païs rencontrafimes une grande troupe de gens entre lefquelsje vis un hommequi eftoit ar mé 156 DISCOURS DE mé d'une cuiraffe , au derriere de laquelley avoit efcript en lettres faites avecques le bu rin , Theaginis Heccateum , tu pourras deviner ce que cela fignifie , nous demandames fort fon nom à Melits lequel il ne vouluſt dire , bien nous monftra- il au doigt l'animal repre fenté par fa nouvelle Sapho , que nous avions enviedevoir de près mais il eftoit fi hideux & puant qu'il n'y eut moyen d'en appro cher. Paffant plus outre nous trouvafmes mille beftes fauvages , & entre autres l'afne des Cumains qui traverſoit païs , accompagné d'un Tragelaphe , allames de lá en ladite vil le, fur le portail de laquelle y avoit engra vez en pierres les mefines paroles qui eftoient jadis efcriptes en lettre d'Or au Temple d'A pollo fçavoir , qui refpond paye, remarquaf mes que le peuple y adoroit beaucoup plus Camis que Fores & avoit ordinairement à la bouchelesvers d'Hefiode fur le preſt. Enriantmefme avec tonproprefrere , D'y adjousterdes tefmoins ne differe Ont toufiours en memoire ceux d'Home re. C'eftbien cas fouvent calamiteux , Que depleger les hommesfouffreteux. Ate ( medifoit l'un d'eux ) fut par Jupiter jettée du Ciel pour autant qu'elle s'eftoit trouvée prefente à la caution qu'il avoit fai &te de la naiffance de Hercules où il avoit eſté trompé: Perfeus preftant de l'argent à un fien familier le fit obliger eftroitement , & commel'autre luy dit , comment Perfeus ainfi juridiquement. Ouy dit- il afin queje le retire de toy amiablement. En toutes les actions deces gens nous y trouvafmes beaucoup d'a varice, & pour preuve de cela il yavoitentre 19 eux JACOPHILE A LIMNE. 257 eux deux hommes des plus ellevez en trous peau l'un defquels portoit pour devife la pierre Amphytane , & les paroles : Quovismo do , l'autre le ferpent Dipfas avec le penta metre. Quò plusfunt pote plus fitiunturaquæ: Ils nous montrerent mefme un hommede qualité lequel portoit dans fon Ecuffon un Brodequin& au deffous Utroque pour le defir de s'accommoder difoient- ils , pour avoir du bien , tellement que quelques uns d'en tre les Nobles ne font pas exempts de cette tache , defireroient du bon du cœur la Si fathie de Salomon , & feroient volontiers comme Phaulius pour augmenter leurs dig nitez. Abon efcient, Limne, le Phoenicien Cad mus qui trouva le premier les mines d'or & le moyen de l'affiner & fondre auprès du imont Pangaus a bien donné de l'exercice à ces gens-là & à plufieurs autres qui difent avec Pindare. Mais l'Or comme le feu qui luit, Eftincelantfe voit de nuict: Parfus toute autre choſe beau, Et parfus toute autre richelle, Qui d'honneur nous donne largeffe. Je croyqu'ils devroientfaire mettre à l'en tréede leurs maifons des maledictions à l'en contre de luy comme firent les Thebains au Roy Mimis fur la colomne quarrée, toutes fois quand il n'y auroit pas d'or l'avarice ne lairroit pas d'eftre auffi grande qu'elle eft , de la philocrife on viendroit à la philargirie & de là en hors à tout cequi peut enrichir , au fel comme à Caindu , au fer comme en Angole , au papier comme à Quinzay, aux Coquilles commeenTombotu , voire jufques R 2ux 258 DISCOURS DE aux teftes des morts comme en Batech, s'il n'y euft point eu d'Or Jupiter n'euft pas laiffé de corrompre les gardes d'Acrife par quelque autre chofe qui euft tenu fa place. C'eft pourquoy les loix de Licurgus qui abo lit l'Or & l'argent , & permit feulement la monnoye de fer feroient affez inutiles & in commodes , auffi peu ferviroit la façon de faire des Carmanes qui engouffroient en ter re ou en l'eau tous leurs mineraux. Quant à ceftuy-cy , il eft en telle eftime en la pluf part de la terre habitable , qu'on eft reduit aujourd'huy à ce quedit ledivin : Epiutrions fo l'effere anmezzofcrigno di ducati che un buo mopienodi vertu tofto chefi veggono i contanti , fi dice que gli mipotriano farfelice , quegli mi caveriano diftenti , & que gli miporrebboko in paradifo , ma nelo fcorgerfi d'uno ingegnoexcel lente nefapre la bocca. Et n'eft pas le monde de cetemps , de l'advis du bon homme Ca ron chez le compere Samofatois , car il dit qué c'eft une grande fottife des mortels de che rir de fi grand amour une chofe fi paſle & ſi pefante. Il eft vray , frere , que qui mettroit en qua tre parties égales tous les maux qui fefont au monde on trouveroit que ce vice cauſe les trois pourle moins , vice quife doit nom mer fottife fi quelqu'un ne rend conte du jufqu'à quand, &du pour qui , car il eft bien fot celuy qui tueſon ame &ſon corps , & ne fçait s'il poffedera vingt & quatre heures les fruits de fa peine , fort mal-avifé qui paffe toute fa vie en travaux & ignore fi tout ce qu'il fait ne reviendra point au proffit du plus grand ennemy qu'il aye , ou s'il n'imi tera point Blepfias , chofe qui arrive tous les jours par la permiffion de Dieu , qui veur que JACOPHILE A LIMNË. 249 que nous gouvernions ce qu'il nous donne en recepte , car la proprieté luy en appar tient , avec les regles qu'il nous a prefcrites, diftribue fes biens entre les hommes felon ce qu'il cognoift eltre neceffaire à un chacun t &fi en fon confeil il luy femble bon de di minuer quelquefois la portion de l'un &aug menter celle d'un autre , il veut que ce foit par moyens legitimes , par voyes licites , lefquelles il produit luy-mefme &fait apper cevoir à ceux en faveur defquels elles font éfclofés , entend qu'on s'en ferve avec mo deffie , avec action de graces , & qu'on n'ap proche pas la main pour les prendre fans avoir les yeux au Ciel pour benir de qui el lės viennent. Cette convoitife eft un double peché , l'un den'eftré content de ce qu'on a , eftre ingrat envers celuy qui l'adonné : l'autre de defi rer le détriment de fon prochain. Il faut que l'homme de bien fe refolve en foy- mefme, Dieu m'a- il mis tels biens entre les mains, je les poffederay avec fa benediction , enre pos & contentement , je m'en ferviray pour me maintenir avec raifon & mediocrité en l'eftat ou condition en laquelle il m'a con ftitué , je les mefnageray comme un bon ferviteur & prudent œconome , je les aug menteray en tant qu'il le permettra avecju fice , s'il les diminuë , je l'en laifferay dif pofer comme du fien , fçachant qu'il fera tout pour le mieux : celuy qui procede ainfi porte au front les marques de l'efprit de Dieu, comme au contraire les avaricieux qui courent à toute bride pour accumuler , ont le monde pour object unique , ne font jamais faouls, fefafchent lors que Dieu leur donne où plus d'enfans qu'ils ne deſirent, R 2 ou 260 DISCOURS DE ou quelques fuccès en leurs affaires autre qu'ils n'ont efperé , bien qu'ils ne puiffent juger de ce qui leur eft bon : en ceux- là në paroift aucun charactere de regeneration , & plufieurs ethniques leur font honte. Qu'on confidere Aristides , Fabritius , Epaminondas, Curius Dentatus , Valere Publicola , Menenius Agrippa . les Elies , les Tuberons & autres comme cela , on trouvera qu'ils fçavoient bien que l'avarice eftoit une maladie incura ble , que ceux que ce mal poffede ont beau boire & manger , ils font toufiours maigres, toujours affamez quoy qu'ils amaffent , & que quand à eux la raifon eftoit leur aliment, la vertu leur nourriture , qu'ils eftoyent gras & refaits quoy que leurs greniersfuffent pe tits & leur caves mal fournies , avoient apris que les biens fuffifent qui adminiftrent les chofes neceffaires à la nature , que le parfus qui nous fournit dequoy faire excès eft plus nuifible que profitable : Polixene chantre d'Athenes ne voulut pas une maiſon & force biens én Sicile parce qu'il y avoit abondance de volupté & ce gentil capitaine Phocion quand Philippe Roy de Macedoine luy envoya de grands prefens , il ne les vouluft prendre, bien qu'il enfut prié & que fes enfans en euf fent extreme befoin , s'ils me reffemblent dit-il , le petit champ de terrequeje poffede fera capable pour les nourrir , s'ils degene rent je ne veux qu'à mes defpens leur luxure & faineantife foit augmentée. Or comme le peché n'eſt volontiers fans peine occulte ou aparante il advient prefque touflours que celuy d'avarice eft puni par l'en vie , les avaricieux en ont ordinairement fur leurs voisins , ce que nous pratiquaſmes en plufieurs , & des villes & des champs , & cette JACOPHILE A LIMNE. 261 cette punition eft très-grande , car ils fouf frent double affiction , fçavoir quand il leur arrive du mal , & lors qu'il avient du bien aux autres , eftant fort à propos de leur de mander quand ils font triftes commePublius à Minutius ; As tu reçeu quelque defplaifir ou ton voiſin aucuneprofperité ; on ne fçau roit dire lequel les fafche d'avantage ; de plus ils ne difentjamais de bien de perfonne, & leurfemble que les louanges foyent dela nature de leur argent , que s'ils en donnent ils en auront moins , bref ils font en grande inquietude , car difent les clercs . Invidia eft anima tinea : hæc ceu vipera mordet. Autorifque fui vifcera prima ferit. Tant y aque cette maladie bien que com mune eft purement diabolique , l'envieux eft ennemydu genre humain , par envie mon amy, Cain tua Abel , pour l'envie que les Philiftins porterent à Ifaac ils eftouperent tous les puits qu'avoient cavez les ferviteurs Abraham , par envie les freres de Jofeph prirent confeil de le tuer , le mirent dans un puits, & le vendirent aux Ifmaelites , par en vie les facrificateurs livrerent Jefus- Chrift à Pilate , par envie les Apoftres avoient été mis en prifon , lors que l'Ange leur ouvrit les portes , par envie les Juifs efmeurent perfecution contre Paul & Barnabas en An tioche : ainfi ont été commifes les plus exé crables mefchancetez par ce vice , à la cor rection duquel les Bonzes de Betfaab n'ap portent aucan remede ny ceux qui portent pour devife des clochettes d'Or fans nom bre , faites fur le modelle de celles des Co rybantes, Or on nous dit mon amy , en ladice vil lede Betfaab qu'il y avoit quelques Amazo R 3 neg 262 DISCOURS DE nes dans le païs , & des Geans malfaifans , des freres phlegrées , mais nous n'en peuf mes jamais voir , trouvaſmes feulement le portrait d'une Geante chez un peintre le quel eftoit hideux à merveilles elle eftoit af fife fur une grande pierre platte avoit une afne auprès d'elle , & au-deffous eftoit efcrit , Onobatis , voylà un eftrange equipa ge: mais auprès de ce vilain tableau y en avoit un autre d'une belle femme toutes fois au- deffous eftoient ces vers efcrits. Des elemens ce corps eft composé, Mais toutesfois d'une façon eftrange Car chacun d'eux afonfiegepofé: Diflinctement &fans aucun melange L'air achoifi en la teste fonlieu: Laterre auxpieds,&l'eaudans lapoitrine, Le feuquiprendfa partvers le milieu : Brufle le cul lapiece voifine. De Betfaab nous promenans par le païs nous alafmes vifiter certaine maiſon où la fefte Hybrifticque fe celebre , non pas le pre mier de Hermans feulement , mais tous les jours , nous y trouvaſmes la DamePolemice galante femme au poffible qui nous fit voir tous fes exercices de chaffe de cheval , d'ar quebuſe &de traits . Je hay difoit- elle, ceux qui ne fçavent faire qu'une mefme chofe de laquelle ils parlent inceffamment & n'ont d'autres difcours , ce font des brutes quine peuvent allerqu'où lanature les guide, nous avons entre les autres en ce païs certains Promphaniens qui rompent la tefte à qui les veut efcouter ne chantent qu'une note & la difent toufiours , gens qui fe preparent eux-mefmes la fepulture des anciens Hir eaniens quand à moy j'ayme les diver fes occupations & bien qu'elles ne foyent tou; 6 1 JACOPHILE A LIMNE . 263 toutes molles & fœminines il ne m'en chaut , Arpallice è Camillaſon famoſe , Perche in battaglia erano efperte & nfe Sapho , èCorinna , perche furon dotte , Splendono illuftri , mai non veggon notte. Sur ces difcours arriva Rochil hommefort cognu en ce païs - là Rochil pourveu de nou veaux contes qui a toufiours le pafquin ou le coq à l'afne dans la poche , & Dieu fçait fi après avoir fait cognoiffance avecques nous , nous en eufimes communication , mais d'autant que je hay la medifance , je n'en voulus prendre une feule copie , j'entens la medifance celle qui touche l'honneur par une impofition fauffe qui eft la naïfve caco logie , & y comprens encor la revelation d'un mal que perfonne n'ajamais fçeu , mais de celuy qui eft defcouvert , bien que je ne doive mefprifer le fautif & recognoistre que jeferois , pis

Si lemaiftre ne me retenoit :.

fi eft- ce que le vice eftant à blafmer comme la vertu loüable , il eft quelquefois à propos de le dire , & il fe commettroit beaucoup. plus de maux qu'il ne fait , fi on necraignoit qu'ils fuffent publiez quand à ce qui blefle la reputation d'un homme ou d'une femme de bien , cela eft du tout abominable & ne fe peut reparer , car bien que la plaïe gue riffe avec le temps par le temoignage qu'ils donnent de leur probité à ceux qui les fre quentent , il peut demeurer quelque cicatri cedans lafantaisie de ceux qui les cognoif fent moins on dit que faint Auguftin pour bannir ce vice avoit ces vers efcrits dans la table ordinaire . Quifquis amatdictis abfentumrodere vitam , Hancmenfam indignamnoverit eſſefibi. R 4 Après 1 264 DISCOURS DE 1 Après la vifite de cette Dame , nous pri mes noftre chemin du cofté de la cité de Ha vel, ville pleine de Cercopez non encor me tamorphofez , paffames autour fans y entrer de peur de faire comme le cameleon , eftions bien aifes de vifiter la campagne , & croyons que comme les aulx & oignons plantez au près des rofes & des violettes les rendent meilleures parce qu'ils attirent tout ce qui eft de forte & puante odeur au fuc dont el lesfont nourries , ainfi nous trouverions for ce gens debien dans ce voifinage , cette bon ne ville ayant attiré tout le mauvais air des environs , mais à dire vray , nous fumesbien trompez, car nous rencontrames d'eſtrange peuple , des hommes extremes en toutes chofes , mefme en l'amitié & la haine , yen a entre autres qui ne fe contentent d'eftre Philadelphes fimplement , ains font philta todelphes fuperlatifs & exceffifs , enviſagea mes unqui portoit pour divife la perdrix , & les paroles : Non Caunius , y a auffi des ech thodelphes que nous renvoyames à Eume nes & Attalusà Xerxes & Ariamenespour pren dre leçon d'eux , à Pollux , à Athenodore , à Luculle, pour les apprendre à vivre : en cet te mefme contrée trouvaines quelques mi fogynes fauvages & defefperez , qui n'ont point debefoingde nouveaux Armozins , ſça vent bien faire la juftice eux- mefmes. Mais ( Limne) fi nous vimes du vice en cet endroit , nous rencontrames bien de la vertu ailleurs , nous vifitames Aretipolis la belle , où le bon Leon fut noftre condu Eteur. Aretipolis renduë telle par ceux à qui elle appartient , par cet excellent couple Dicajocrite & Agnocalie , dont je garderay la memoire à jamais . Dicajacrite des premiers hom 1 JACOPHILE A LIMNE. 265 · hommes du monde qui fai& bien paroiſtre par le tefmoignage qu'il en rend qu'il n'y a quantité de biens , dignité & nobleffe de fang, grandeur , d'eftat & d'office , grace ou vehe mence de parler , qui apporte tant de fere nité, calme à la vie de l'homme , que d'a voir l'ame pure & nette , detous mefchants faits , volontez & confeils , les mœurs im pollues non troublées ny infectées d'aucun vice: Dicajocrite auquel fa charge & autho rité pourroit prefter mille moyens pour en taffer richeffes fur richeffes , & fe plonger dans la volupté s'il s'en vouloit fervir maist il les refufe tous , dont je peux rendre bon tefmoignage , pour l'avoir fondé à bon ef cient: Dicajocrite fage en toutes chofes , qui ayme uniquement & cherement fon Agnoca lie: auffi en a-il jufte raifon &peut direavec contentement. E il viver d'amore Che nutrifce il mio core. Car à la verité , Camma ou Emponine, n'aymerent jamais tant leurs maris qu'elle fait le fien , ne trouve rien bon , que ce qui eft à fongouft , n'a aucune action , paffion, ou affection que par luy, & de plus eft telle que s'il y a quelque Dameau monde , de qui la Déeffe doive dire de nouveau & en ma tiere de beauté. Hæc&&cæruleis mecumconfurgere digna Fluctibus, &noftrapotuit confidere concha , C'eft de celle- là , Quante maibellefur , quantefaranno Ofonofra l'antiche è le moderne , Quantefon fra lenoftre , oquante vanno Prime d'ogni volor barbaro , efterne , Quante ne le memorie boggi deftanno adate , e vive anzi perfamaeterneTutte 266 DISCOURS DE 1 7 Tutte fonnulla al paragondi quella Ch'on , altrain terrafaparer men bella. Toutes les parties dont ce vifage eft com pofé , font fi également belles qu'on nefçait à laquelle en donner l'avantage , onnepeut attacher la veuede deffus l'une pour latranf porter fur l'autre , où elle eft premierement appliquée , elle demeure là avec admiration , avec , & fila curiofité la tranfporte ailleurs , elle trouve auffi cela fi beau , qu'elle s'y arrefte, & eft ainfi fubfecutivement detenue par les chofes plus prochaines en telle forte , qu'un jour employé à la contempler , ne dure pas une minutte

davantage entre tant de

rares beautez , prefide la chafteté qui eſt telle. Que celle de Drias , Syrite , Sophronie , Rhodogune , Baldraque , Euphrofine , Daphné, Fare , Dule , Micca , Eugenie , Biblie , Quiontfi fainctement le vice condamné Nefurpaffe l'honneur de noftre Agnocalie. Mieux à elle qu'à celle dont parle le Poc te , fe peuvent approprier ces paroles . Le gratie , l'accoglienze , wrifi &quanti Modifon di vaghezza , e leggiadria , Ilfuave parlar , gl'alti fembianti , La beltate , il valor , lacortefia El fenno , eli coftumi honeftie fanti E tuto quel che di lodatofia Con quanto di valor pioveno i Dei S'accoglie e fa fol' una lode en lei. Or Limne à Aretipolis tout le monde y court , chacun va rendre fon hommage à Dicajocrite & à fa moitié toutes fortes de gens s'y voyent , les plus beaux exercices de vertu s'ypratiquent , &pour les gentilleffes , les couremens de bague , balets , combats à la barriere , carroufels n'y manquent point, Da JACOPHILE A LIMNE. 267 Dames & Chevaliers y abordent de toutes parts , &n'y a lieu au monde plus agreable : aux premieres parties qui s'y firent , nous y vilmes un monde infiny de galans hommes & gens de qualité , eftant tres- vray qu'il fe peut mal-aiſement rencontrer de plus belle nobleffeailleurs qu'en ce païs- là. On dreffa un beau & grand theatre pour les Dames , afin qu'elles viffent courre : Si Agnocalie paroiffoit entre les bélles , faut entrer en doute. 1 il n'en Soprale altre Agnocalia bella , Si come è bello ilfol piu d'ogniftella. Sur la tefte eftoient efcrites en lettres d'or , ces paroles attachées à la couverture du theatre. Taccia chi lodaFillide , ò Nerea O Amarilli , è Galateafugace Che d'effe alcune fi bella non era Titiro & Melibeo con vostrapafce, Afon cofté auffi eftoit untableau du plus excellent efmail du monde , dans lequel y avoit une mer, fur les ondes de laquelle na geoit le nid de l'Acyone , & au deffous de ce nid eftoit efcrit Symbolum: De l'autre part & à fa gauche paroiffoit Angelie fa fille , bel le , de bon efprit & de bonne grace , ayant au lieu d'un efventail & qui luy fervoit de cela , une tablette de la pierre Hormefion faite en ovale , qui avoit une poignée d'or garnie de pierrerie fur laquelle Hormefion eftoit engravée & reprefentée naifvement, une main gauche fermée avec unefueille de pavot brifée deffus , & ces paroles Virtus caufa fortis , fur la tefte pareillement ces vers. Di cui d'hora in bora Labelta, lavirtu , lafama bonefta E 268 DISCOURS DE E la fortune, crefcera non meno Chegiovin pianta in morbido terreno. De fuitte eftoient toutes les Dames fort parées , un monde de femmes de qualité , de bonne & louable reputation. Au deffous eftoient milles & milles belles filles , entre lefquelles y en avoit bien par aventure quelqu'une de qui on pourroit dire avec le Poëte. La virginella chefafredda efola Sicomein cella un vecchiarel romitto Percioche il tempo i fioriti anni invola Cercaeffermadre e brama havermerito. Toute cette troupe affemblée , il venoit affaillans de toutes parts , tellement que Di cajocrite ordonna une partie pour leur refpon dre, & mit Leon en fon lieu. Or ledia Leon & les fouttenans , pour faire entendre leur in tention à toutes fortes de Chevaliers firent publier par un Heraut les paroles qui fuivent, Ces braves dont les amesfieres Cherchent l'honneur par les bazars, Font voir par leurs dextres guerrieres Qu'ilsfont les miniftres de Mars, Leurs bras font dumonde la foudre L'horrible effroy de l'univers . Qui met les ennemis en poudre. Etremplit d'hommes les Enfers. > D'un torrent d'armes ils ravagent Du noirPluton les regions , Les antresprofonds ils faccagent Ils efcarbouillent les demons. Ainfi fiers , ainfi pleins d'audace Ils mefprifent, les plus vaillans, Et de cepas vont prendreplace Pour recevoir tous affaillans. Par JACOPHILE A LIMNE. 269 Portoient lefdits tenans , des Ponts en leurs efcus & les paroles : Dextra &forti tudine. Et par ce que cette partie eftoit à Dicajo crite , elle luy prefenta ce Quatrain. Puis que vous avez joint dedans votre maison Pallas avecques Mars le Palais à l'efpée , Vos creatures ont unejufte raison , Defe direpartout les Paladins d'Aftrée. Et fe nommerent depuis iceux tenans les Paladins d'Aftrée comme toutes les trou pes arrivent qui Jaunes , qui Blancs , qui d'autres couleurs , je me fourray dans le dict theatre , où eftant & faifant femblant devoir courre , j'entendois un galant hom me qui difoit à la Dame du Zebub , Mada me , fi j'avois la puiffance de donner loy à l'amour , je luy commanderois non de m'exempter de fes bleffeures mais de lesfai re telles que je les puffe fupporter ; non de tüer fes feux , mais de les attiedir , non d'o fter leur clarté , ains me donner le pouvoit de l'enclorre en moy fans eftre apperçeuë, fors quand je le trouverois bon , mais bien que mes flammes foient caufées par la Divi nité elles font materielles toutesfois , &de les cacher en leur matiere n'y a point de moyen , c'est pourquoy la neceffitéveut que vous les voyez , elles ne vous peuvent eftre celées à quoy elle repliqua : Monfieur je ne vous refpondray point , comme ayant in tereft à voftre difcours , je me cognoy trop pour croire qu'il me regarde , mais en ter mes generaux je vous diray , que la maladie que les hommes nomment amour , eſt une refverie à mon advis : ce mal n'eſt qu'un defir , & defirer quelque chofe avec telle affe 270 DISCOURS DE affection que cela ofte le repos , que l'ame en foit agitée &l'efprit troublé font marques de folie parfaite , fe laiffer emporter à fes extremités , ruiner l'envie par l'envie defigne privation de fens & de raiſon. E qualè dipazziafegno piu efpreffo Cheperaltri , voler perderfe ftello. De dire que vos feux ne puiffent eftre ca chez à leur matiere , cela eft vray , mais abus d'appeller ainfi , ce que vous pourriez defirer će n'eft pas mefme la cauſe ains l'irritation feulement qui la fouffle , qui l'agrandit & la rend plus violente , le defir donc peut fub fifter fans eftre apperçeu de la chofe defirée , puis qu'ils font feparez , &vous n'eftes forcé de defcouvrir le voftre : Madame , dit-il , je vous croy la matiere de monamour , puis que je n'en ay que par vous & pour vous , vos yeux me navrent , vos beautez m'es bloüiffent , vos bonnes graces me charment, vos paroles m'enchantent , je ne puis effacer ces characteres , & moins vous les faire mef cognoiftre , puis qu'ils font de voftre impref fion, hors vous je n'apperçoy que du vuide, c'eft pourquoy je fuis forcé de vous dire mon mal , agrées mes vœux (Madame ) & je vous feray cognoiftre par mes fervices , qu'il n'y apoint de victime au monde fi digne d'e ftre mifefur voftre autel que la mienne, ne permettez que vos cheveux defquels la corde de l'arc de Cupidon eft tiffuë , pouffe les fle ches empennées de mon martyre , jufques dans l'abifme du defefpoir , entrez pour l'a mour de moy dans le jardin des amours , où eftant & cueillant les doux fruits d'iceluy, vous direz fans doute. Màchi tant alto ben s'inmaginaffe E chi lo crederiafe nolprovale. Jo JACOPHILE A LIMNE. 171 Je prenois grand plaifir à ces difcours qui n'eftoient prefts à finir , mais un cavalier fur vint, qui caufa le filence , avoit mefme def fein que le premier , car s'approchant de la belle, il voulut mettre dans une bourfe qu'el le avoit à fa ceinture un poulet, & croyant qu'il y fut il fe trompa, parce qu'il tomba à terre , de forte que je trouvay moyen de l'a maffer, en voicy les paroles. Ma belle vous ne voudrezpas Fournir aux Chelbens de pafture , Et quefur voftre cheveleure Un Scyrthe caeillit fon repas Souffrez donc le Dieu approcher. En cette faifon opportune, Puis qu'à la fille de Neptune L'efconduire couftafi cher. Or ces Cavaliers rivaux voyans qu'ils s'in commodoient l'un l'autre , allerent courre tous deux & fe rangerent dans une trouppe: La premiere baguefut courrue & gagnée par les blancs , n'y ayant des autres parties un feul qui eut dé dedans forts Leon : Ala fe conde , parce que les Paladins d'Aftrée juge rent qu'elle s'adrefferoit à Angelie, pour la quelle force galans avoient de l'amour ,foit én confideration de fon merité , foit pour Palliance du Dicajocrite , unde leurs Efcuyers prononça ces douze vers de leur part. Nous confervons de noftre chef La belle &pretienfe engeance, Etportons l'efpeé & lalance Pour la garder de tout mechef. Force braves qui dans fonfein Voyent d'amour les vives fources, Preparentpour elle des courfes Et furfes beautez ont deſſein. Mais 272 DISCOURS DÉ Mais quiconque aura entrepris Quelque effect deffus fa perfonne , Nous l'efprouverons par Bellone Devant que venir à Cypris. Cela faict , un Cartelfut prefenté à Ange lie & recommença- on à courre , mais la par tie ne fut achevée , à caufe d'une grande pluye qui furvint , & la remit- on au Diman che prochain : tout le foir fut employé à danfer & faire mille jeux , & par ce qu'Opa din qui s'en eftoit allé en pofte deux ou trois jours auparavant voir Socher, avoit fait une maiſtreffe en cette troupe , qui eftoit de mes àmies , elle me monftra une lettre qu'elle avoit reçeuë de fa part auparavant lefouper, vois en cy lateneur. C'eft affez d'appercevoir d'uneveuë loing taine , vosperfections ( ma belle ) pour fou haitter l'honneur de vosbonnes graces , avec un extreme defir , mais vous confiderer de près , voird'un ceüil arrefté , qui ne fepeut rencontrer qu'en vous , c'eft perdredu tout fa liberté n'eftre plus à foy, relafcher ce qui tire vers les autres idées pour eftre actuelle ment bandé à la contemplation de voſtre merite , je fais à bon efcient cette efpreuve, & trompé en la creance que j'avois de de meurer en l'affiette ordinaire de ceux qui pour quélqué autré fubject ont femblable deffein , je me trouve tellement au-delà & l'excez de mon affection fi extreme , que fi vous ne donnez vie à mavie, elle ne peut fubfifter : confervez-la puifqu'elle vous eft dediée , & veu que dès meshuy je n'ay au tre foing que de vous , ayez agreable que par le retour de ce porteur , j'apprenne l'e ftat de voſtre eftre , honorant de voſtre me moire celuy. Ma JACOPHILE A LIMNE. 273 Ma belle qui n'adorant que vos beautez , demeure pour jamais très-humble , très obeyffant, très- fidèle, Vostreferviteur , M'amie (luy dis-je ) il devoit avoir mis cette foubfcription. Pado , chefapervoi àpollopefto VibraMafar, quelfatto cito epresto. Vous dites toufiours des folies ( refpon dit-elle) mais ce font des licences du Japon , vous eſtiez volontiers du confeil de cet au tre infolent , qui au lieu defon nom mit au pied de fa lettre , ... C'eft Arion qui foupire Tombant avecquesfa lire Dedans la merprefque mort , Soyezfon Dauphin ( Madame) Et pour conferverfon ame, Portez-le dans l'heureux port. En ce mefme temps qu'elle achevoit de parler , nous ouymes comme un vent qui ou vroit une feneftre , par laquelle entra un An ge qui s'adreffant à Agnocalie prononça ce Sonnet. Get œiltoufiours brillant bel astre radieux Cepoiltoutfrifotté, cette main potelée. Ferit , lie, retient , d'uneforce indomptée , Lecœur, l'ame, les fens , chacun àqui mieux. mieux, Et cetrait , ce lien , ce tenon precieux, Defonpers , defon blond , defablancheur laitée , M'arrefte, m'esblouit , rendma veuë attachée , Enforte qu'autre object ne paroift àmes yeux , Et quoyferay-jedonc toufiours ainfi traité Bleffé, ferré, tenu , privé de liberté Sans reboucher, couper , on me vouloir def pendres S 1 Non, 274 DISCOURS DE Non , toutefois bel œil , beau poil , & belle main, Vous eftes fipuiflans que de cefortdeftin Le cœur, l'ame, lesfens , ne fe peuvent de fendre. Auffi-toft qu'il eut achevé, il reprit favo lée par où il eftoit venu , à quoy tout le mon de luy dit, qu'elle eftoit aymée des habitans celeftes , comme des terreftres : mais c'e ftoit l'Ange de Dicajocrite. Après les vio lons & cornemufes , les filles fe mirent à danfer aux chanfons , &tout àla fin unjeu ne Muficien qui avoit la voix fort bonne dit celle-cy. Ainfi qu'au beau Printempsfillettes. Les Arbres pouffent leurs bourgeons, Ainfi s'efmeuvent vos vegettes Et s'augmentent vos paffions. Et comme la terre defire De la pluye l'arroufement, -Ainfi filletes pour produire -Vous fouhaitez l'hume&tement. 3 V Mais filles ayezpatience Tout vient àtems &àpropos, Ilfort des fruits en abondance. Du champ qui a eu durepos. Durant lelongde la femaine , parce que Dicajocrite a charge des affaires du grand Roy, & afin de ne l'importuner , nous fif ines d'autres vifites , Leon nous mena ac compagner des amoureux , & d'autant qu'il en avoit un en main un peu Saturnien , & qui eut eu befoin de la harangue du Begue, ledit Leon demanda unebague pour luy à fa maiftreffe, & luy donna ce Sonnet, Belle ce Cavalier captif dans la priſon Où l'amour l'a conduit dont vous etes geoliere, Vous JACOPHILE A LIMNE. 275 Vous demande congé d'allerfur la carriere , Carvoulant, il ne veut qu'avec permiſſion. Tournez doncques les yeux versfon intention Efclairezfon deffein deleur belle lumiere. Afin que par l'effort defadextre guerriere Il produife l'effet defon affection. Une bague eftfon but plus beureufe conquefte, Quecelle qui porta Phrixedevers Aëte. Faites luy efperer qu'on la luy donnera , Jejure quand à moy, certain de mon addreſſe, Et m'obligeparcorps à tenir lapromeffe Quefi vous la baillez elle s'enfilera. En cette mefme maifon eftoient auffi quantité de Dames & de Cavaliers : mais de devife bizarre , j'en vis un entre autres qui portoit , Et les paroles , } Unautre , Lesparoles , Un autre , Les paroles , Un autre , Les paroles , Un autre, Lesparoles, Un autre, Les paroles , Un autre 2 Les paroles Unparchemin efcrit, Un autre , Les paroles , Sinonfufficit evincor, Un bouis , Palleat omnis amans color eft hicaptus amanti. L'oyfeanAfio, Haleci faccus. Un Erable. Nondum munusfacerdoti, Un Centaure ? Invito Propheta. Une Panthere Cothunifare. Un Belier , Moriar. 3 Une lire rompuë, Et mibi&& Chirille. S 2 Pour 276 DISCOURS DE Pour les Dame l'une d'icelle portoit. Une Pyramide racourcie, Et lesparoles , Picciola belta piccolo guadagno, Lafeconde qui fuivoit celle-là : Lapierre Enorchis , Les paroles, La troifiefme Lesparoles, La quatriefme, Lesparoles, Dulcia folatia. La Torpille , Sic &nos. Lapierre Diphris, Demptalinea, Lacinquiefme, UnCocodrille qui mange unSaule. Natura victrix. Lesparoles, Lafixiefme, Les paroles , UnPorphirion qui s'eftrangle , Nypour cela. Là dedans mefmesfaifoit fa demeure , la Dame d'Opadin qui fut caufe que de Schoba ma il s'y rendit , où eftant arrivé & faifant fort le paffionné , il fe mit à luy conter les maux qu'il avoit foufferts en fon abfence , les peines qu'il enduroit privé de fa veuë , & luy difoit en foufpirant. S'elfolfifcofta, è lafciai giorni brevi Quanto dibelhaveala terra afconde Fremono i venti , e portanghiaccienievi, Noncantaaugelnefiorfi vede ofronde: Cofiqualbor avien che da me levi. Omiobelfolletue lucigioconde Mille timori, etuti iniquifanno , Va afpro vernoinmepiù volte l'anno. Moy auffi qui reçojs un extréme plaifir à voir faire l'amour , prenois quelquefois oc cafion de parler pourmon amy , mais com me unjour en me joüant , je luy dis en la prefence d Opadin. Belle JACOPHILE A LIMNE. 277 Belle ce Cavalierfils deMars &Cyprine, Dontle feude vosyeux efchauffe la poitrine. Seproflerne àvospieds , vous demandefecours , Conjure vos beautez par les chaftes amours Qui lerendirent vôtre , attachéde cent chaînes , Pitoyable àfes cris , mettrefin àfespeines. Je recognus qu'elle jugeoit que c'eſtoient des paffions feintes , un deffein bafty pour paffer autant detemps , car elle merefpon dit froidement : fi ce Gentil-homme eft iflu de là où vous dites , il eft baftard , & bien que vous me puffiez refpondre , qu'il vaut mieux eftre tel iffu des Dieux , que legiti me des hommes , je vous diray que ce fout deux chofes que je hay extremement , que l'amour & la guerre , c'eft pourquoyfans plus long difcours je le fupplie que nous brifions là : à quoy Opadin refpondit , Madame , fi ma langue y eft forcée , elle executera vos commandemens , mais monaffection nepeut obeyr , j'effayeray par mes fervices de chan gervos volontez . Surquoy j'intervins & luy dis , Madame , puis que pour cette heure vous nous interdites la parole , pour le moins faictes nous l'honneur de nous don ner une bague , laquellenous puiffions por ter au Japon , pour y eftre confervée en vo ftre memoire &gardée perpetuellement , vo ftre Coufine en a promiſe une à Leon pour fon amy , accordez m'en une pour le mien, ce qu'elle ne me voulut refufer, & monta mes à cheval , l'ayant conduite avec les au tres Dames fur la carriere , où eftant , & ayant pris nos lances Opadin luy dit ces pa roles. Puis que pour rendre obeiſſance , Forcé j'obferve le filence, Sans montrer mon deffein aujour, S 3 n 278 DISCOURS DE Ilfaut avoir recours auxfignes , Adorer vos beautez divines , Sous lesfacremens de l'amour. Lacourfe tefmoing de l'envie , Qui rend affervie ma vie, Monstrera ma celerité, La lance maforce indomptée , Labague mon plus grand trophée , Le dedans ma felicité. Elles furent trouvées extremement bon nes de toute la compagnie , & d'elle- mefme, encores qu'elle n'en fit pas le femblant , mais pour continuer fes coups , incontinent que nous eufmes mis pied àterre , elle dit à Opadin, Monfieur , vous avez mal jugé de mon humeur jufques icy , mais fi vous me vou fez bien cognoiftre d'orefnavant , voylà qui le vous pourra apprendre , & luy prefenta un livret de prieres , ouvert à l'endroit du dernierfueillet, où il trouva efcrit de fa main. Fauxamour qui d'un Dieu veux ufurper la gloire, Je chercheunfeu plus clair , que tonfumeux tifon , Pourjamaisje te quitte affacinde raison, Scandale du bonfees , trouble de la memaire. Monfieur , dit-elle , voylà le teftament de vos affections , & la derniere volonté des miennes, ce coup là fut efchec & mat , ôbien Madame , refpondit- il , j'advouë que vous n'avez pas feulement eu la vertu du Chala fias , ainsde l'Hephetifte encore , auffi eftes vous defa couleur , mais bien que de voſtre cofté vous mefaciez tenir un flambeau ren verfé , & quede cette part. Son carquois tout brifé amour porte au coſté, Enmain l'arc tout rompu & lefeufans clarté. " II JACOPHILE A LIMNE. 279 Il mereste encores à la droite , une lam pe bien allumée , unelyrebien raiſonnante, jevous baiſe les mains , ainfifut leur fepara tion : mais voylà des chofes bien bizarres , car en cette mefme troupe &auprès de cette froideur eftoit la Dame Pyrine , cette brave Ippée fi éprife de l'agriculteur Capadocien qu'elle mouroit , & comme on luy difoit qu'il fe miten lieffe , & la carreffaft il refpon dit froidement , Μὴ πυρ ἐπὶ πῦρ je fçay bien difoit-il , delivrer les filles des ferpens , mais non pas les femmes de l'amour , & enfin pour rompreles chiens il luy mit dans le fein cet Antipoulet. ¿ J'ayfait ailleurs telle affeurance , De n'aymer point parfiction , Quefuivre voftre intention Seroit offenfer ma conftance : Mais fi d'une triple puiſſance , J'eftoisfemblable à Gerion, Nous changerions la paſſion, En une douce jouyance. Cette cy fut bien plus eftonnée qu'Opadin car l'alarme eftoit plus chaude : Or ainfi paffafmes nous la fepmaine , qui çà , qui là bien joyeuſement , jufques au Samedy que nous nous rendifmes à la bien-heureuſe Are tipolis , où le lendemain la bague d'Angelie fut achevée de courre en bonne & grande compagnie: cela fait les Paladins d'Aftrée , demafquez demanderent unebague à Agnoca lie, &luy donnerent ce Sonnet. + Rien de déguife , rien de feint , Soit en habits , foit au courage, Rien appliquéfur le visage , Que ce que l'audacey apeint. S 4 Un 280 DISCOURS DE

Undeffein plusgrandque contraint, Qui prendfur tout autre advantage? C'est le convenable equipage , Que nous menons ence lieufainct. Lieu où nous faifons facrifice, D'honneur, de devoir , de fervice, Confacrans auxpieds de l'autel. De vous auffi chafte que belle , Tout ce que peut l'ame immortelle , Par le labeur du corps mortel. Tout ce qui eftoit de la nobleffe euft per miffion de courre , tellement que plus de cinquante Gentils-hommes monterent à che val & de plus il arriva à mefme heure plu fieurs nouvelles parties , qui fut caufe que celle des Paladins envoya ces, dix vers aux Dames engeneral. Beautez cogneues, non cogneues, Beauteznues & revestues: Beautez quinousfontprifonniers , Vousattirez les Cavaliers, Ainfi que Cacias les nues. 2 Beautez tournez vers nous vos vežes , Car nosforcesparvous acrues , Nousferontjuger lespremiers, Entretous les autres guerriers : Quifentent vos pointes aigues. Et particulierement ceux-cy furent portez Angelie. Comme vos beautez infinies , Nefe peuvent pas definir ; Ainfi ne verra on finir , Nos envies qu'avec nos vies Et nos vies au Ciel ravies, Encores voudrons nous benir Ce qui caufoit noftre defir, Donnoit à nos vies envies, L'an JACOPHILE A LIMNE . 281 4 L'un des Cavaliers mefmede la Damedu Zebub luy fit tenir fecrettement par un page ce quatrain . Ne lifez mes efcrits comme chofesfrivoles , Vousavezfait laplaye & de vous je me deuz. Je demande , j'attens , jedefireje veux "Leremede d'effets non l'onguent de paroles. Forces autres en firent autant qui ne vin rent à noſtre cognoiffance . Or la bague après avoir long temps efté debatuë fut emportée par un Baronde la partie de Paulin' , lequel Paulin ce mefme jour porta un Balet.com me firent quelques autres , & de vray il fai foit bon voir les Dames aux flambeaux au tour d'Agnocalie leur capitaine , laquelleAg nocalie avoit à fes pieds unpetit Cupidon en chainé d'une chaine d'Or , frizé , potelé , & joly à merveilles , auffi beau pour le moins que l'enfant fait par Polyclet qui coufta Toixante mille efcus , lequel chanta plufieurs parolles en attendant que les balets fuffent prefts & entres autres celles cy . Da lei pigliala forma ogni beltade Daleitute legratie hanno il valore

Da leiquanta boggi fon cofe pregiate , Prendon le forze el natural vigore . Ce premier Balet fut fort bien executé & dura long - temps , & comme il finiffoit , leur mufique dit cesparoles. En Liban & en Ida , Venus faifoit fa defcente

Diane le Ciel quitta , Pour Carie eftant amante

Ainfi l'amour a pouvoir. Des Deitez efmouvoir. Rhée pour Atis mouroit , Animant les Coribantes

L'un 282 DISCOURS DE

L'un les membresfe coupoit : L'autre avoit les mainsfanglantes , Ainfi vous peut Cupidon , Efchauffer parfon brandon. Mais cefut merveilles , car la belle An gelie avec trois damoifelles de fa troupe, fit la refponfe furle champ, laquelle fut fi bien chantée , que tout le monde en fut eſtonné, auffifut ce un trait d'eſprit admirable , voicy fa replique. Ces amoursfont impuiſſans , Sur celles quinous reſemblent , Et demeurent languiſſans , Quand nos ames ils contemplent : Cupidon ne bleffe pas, Ne les Mufes ne Palas. De forte que la mufique qui n'avoit point penfé à ce repart & n'avoit point une autre Angelie avec elle , demeura muette. Ortant que cet excellent Dicajocrite &fon Agnocalie demeurerent à Aretipolis ce ne fut autre cho fe mais parce que Leon avoit efté long temps abfent de fa maifon , il nous y rame ma & faifant noftre retour , un de latrou pe fit les vers qui fuivent pour refpondre à· la Dame Bafcane , laquelle faifoit la guerre à deux ou trois de noftre bande qui avoient la barbe grife , & s'eftonnoit difoit-elle com ment ils fe trouvoient à toutes les parties de galanterie qui fe voyent dans le païs rajeu niffoient comme Jolaus , faifoient les nou veaux Vertumnes , leur replique fut, Comme le Pyraufte, l'amour Nousfait vivre dedans lesflammes: Et le lieu de noftrefejour , Eft lefejourdes belles Dames. La Deeffe de nos pays. Prom JACOPHILE A LIMNE. 283 Prompte à recevoir nos prieres , Ne manque ànousfournir d'advis , Pourtrouver les bonnes carrieres. Mais nous courrons avec lefeu , Feudont laflamme eft efpurée Feuquin'a rien de trop oupeu, Feu quinerendpoint defumée. Eftans de retour chez ledit Leon nous re çeufmes des lettres de Socher qui nous aver tiffoit denous preparer , parce que dans quin ze jours il falloit faire noftre retraitte : mais auparavant deloger nous voulufmes appren dre quelque chofe de l'eftre du grand Roy ** HenryIV. tant pour noftre contentement que pour en dire des nouvelles à Voxequixama. Or Leon nous dit que pour le regard de ce nom de grand , la vertu le luy avoit acquis & non autre chofe, n'y ayant Prince au mondequi euft rendu plus de preuve d'icelle que ce fluy-là : Quetout ainfi que les Ambaffadeurs de Perfe ayans veu Alexandre advoüerent qu'il fe devoit appeller le grand Roy , & le leur le riche auffi tous les autres Monar ques devoient conceder cela à ceftuy-cy , & particulierement fes fubjets le pouvoient bien nommertel , ny en ayant point au mon de de fi obligez à leur Prince que les fiens à luy , de tant qu'il les avoit tirez de la mifere profonde &extreme : & au lieu d'icelle leur avoit cauſé un heureux repos & tres- grande felicité. Que fi les Bactriens s'eftoient jadis batus à qui auroit les cendres de Menandre , leur Roy pour l'amitié qu'il luy avoient por tée , fes fubjets plus obligez devoient prier Dieu jours & nuits pour ne le voir jamais en cendre , employer vie & biens & tout ce qui eften eux pour l'execution de fes ordon nan

284 DISCOURS DE nances , n'honorer ne fervir pas feulement fa qualité , mais aimer & cherir avec paffion fa perfonne. Nous fit voir par les memoires de fes actes comme bien que fon eftat luy appartint juſtement , il l'avoit acquis avec prefque autant de difficultez , que s'il n'y eut point eu de droit , commefa vaillance , fon experience , fatemperance & fa clemence l'a voit trajetté au- delà d'icelles , & peut on bien raconter de luy nous difoit-il , comme d'Alexandre allant en Afie , que n'ayant vi vres ny argent ny prefque point d'hommes pour chaffer fes ennemis qui poffedoient la

  • plufpart de fon eftat , fon efperance avoit

efté en Dieu feul premiere de toutes les cau fes , & pour les fecondes en la cognoiffance qu'il avoit de foy- mefme , fuffifante de peu, continence , benefices , mefpris de la mort, magnanimité , humanité, facile accez , na turelfranc, conftance en fes confeils , prom ptitude enfes executions , vouloir d'eftre le premier en gloire , & refolution defaire tou fiours ce que le devoir commande, Nous recitoit les traverfes qu'il avoit eu par les di verfes pratiques & menées de fes ennemis, en combien de fortes ils luy avoient voulu fouftraire le cœur de fonpeuple , cacher fes vertus & mettre aujour ce qui fembloit eſtre contraire , luy reprefenter qu'il eftoit trop -chargé d'impots , bien que fa Majesté , le foulageat autant qu'il eftoit en elle , & que la neceffité de fes affaires , & les grandes debtes que fes predeceffeurs luy avoient laif fé , le pouvoyentſupporter , &bien qu'il ne fit pas comme aucuns de fes voifins qui tirent tribut de toutes chofes fur leur peuple , voi re des Sphacelles mefme , comme difoit le vieillard Athenien à Pifyftrate , & que chez " eux, JACOPHILE A LIMNE. 285 1 eux , ainfi qu'a dit quelqu'un , le vice pre nant fa courfe par la carriere de la puiffance, fit que la cholere devenoit auffi- toft meur l'avarice confifcation , ce qui n'ave noit point à ce grand Prince. Nous fit re cognoiftre quelques frvices qu'il luy avois faits , & nous montra fon portraict ſur le quel il y avoit efcrit ENYALIUS , & au deffous. Heureux , bon & bardi , actifinfatigable GrandRoy, d'efprit tres-vif, de memoire admi rable. Yvifmes auffi celuy de ce bel aftre fon fuc ceffeuraux pieds duquel eftoient ces vœux. Que d'icy àcent ans , &nonpluftoft ilpuiffe Fermer lesyeuxduPere& regner enfonlieu. Qu'ilfacefaincrement obſerver la justice, Qu'il cheriffefon peuple , &foit cheri de Dieu. Qu'il aymela vertu, qu'il baiſſe le vice , Qu'il tourne au Ciel la veuë en tout temps & faifon.

Qu'il approche les bonspour luyfairefervice Etque les mefchansfoyent bannis defamaison. Que laChreftientéfoit jointe unie &collée , Acepremier chretien , obeiffe àfes loix, Que defcendant de luy une belle lignée , Jufqu'à lafindestemps nous ayons des bons Roys. Mais pour mieux fatisfaire à noftre curio fité , il nous donna de bons & amples me moires où il fe voit les plus beaux actes du monde quetu liras , Limne , & dans lesquels il faut que tu remarques la fidelité , la fuffifan ce, & letravail de ce grand ferviteur , de ce fidelle Confeiller qui luy diftribue de fi bons avis qui a fi bien pourveu à fes finances , & à tout ce qui depend de la milice , tant apporté debien à fes affaires : Ceferme Maximilian * à

  • Duc de Sully.

qui 286 DISCOURS, &c. quitout le Royaume doit infiniment. Confi deres yauffi je te prie entre les autres , le ver tucux Dynamefoigneux de la perfonne defon maiſtremille fois plus que de la fienne , & qui. a tant debonnes parties qu'il y en a peu qui le reffemblent , Dyname qu'on ne fçauroit affez loüer. Or nous eftions tous lesjours folicitez par Socher de forte qu'il nous falluft dire à Dieu à Leon qui fut mort de regret fans la promeffe que nous luy fifines dele revoir en bref, quitter tout à fait le Japon , mener nous &nosfamilles en ce pays là, mefme af feurance donafmes nous à Dicajocrite & Agno calie de qui nous allafmes prendre congé , leur jurafmes que nous ferions bien- toft de retour, auffi eft la frequentation fi utille de ce miſtere de dire qu'il n'ignore rienfçait depuis le cedre jufque à l'hyfope , tient l'encyclo pedie foubs fon bonnet ainfi que Jupiter Mi nerve &fa compagne fi agreable à caufe de la riche memoire qui fournit tant de bons mots aux feftins de la converfation qu'il fe faut ha farder encore une fois aux perils de la mer pour aller à lui : nous revinmes donc pren dre nos gens à Schoama où nous nous embar quafmes & ne fachans la routte du Detroit de Magellan & de la merdu Sud reprimes la noftre mefme,nous fommes rendus en ce lieu enbonnefanté efperons te voir,dans unmois. Savignasfut Aretipbile , Dès qu'ilnafquit , voyla comment Il eft maintenant Jacophile Bnefe pouvoit autrement. PRI 287. PRIVILEGES , FRANCHISES , & LI Recueil de BERTEZ DE LA VILLE CAPI- Cette piece a TALE DE BOIS-BELLE , pour con- été impri vier tous Financiers , Lacquets , Bouffons , mée dans le Macquereaux , Forgeurs , & Courtiers d'ac- diverses pie cès , partiſans , demandeurs de dedommage- cesfervans à ment & autres gens d'affaires d'y faire ba- l'Hiftoire de ftir. Henry III. imprimé à Cologne UeDieu fera fervy en laditte Ville àchez Pierre la fantaifie du Prince d'icelle nonobftant Marteau le Concile de Trente , auquel quant à pre- elle a été re fent y fera derogé. 1666. mais tranchée rieures Que la foy & les ceremonies de la primi-dans les Edi tive Eglife feront bannies , comme furan-tions poft nées , ne fervant qu'à tenir le peuple enhu milité , & obeiffance , vices contraires à la reformation du temps qui court. Que l'Ecriture fainte auffy mal interpre tée , que mal entendue, fera la feule regle de falut fans prejudice des fermons du Pe re Portugais , & des douceurs du Pere Cot ton , &c. Que le livre de Du Pleffis Mornay yfera tenu pour oracle , attendant celuy de Mon fieur duPerron , fans qu'il puiffe plus eftre mis fur le tapis à Fontainebleau , &c. Qu'aucun jour de l'année n'y fera fefte, que celuy auquel le Sr. de Sancy fut degra-: dé des Finances , auquel en fera fait feux de joye , & le canon tiré comme à la St. Jean, &c. a Que tous Juifs , Musulmans , Anabapti ftes , Martiniftes , Zuingliens , Puritains , Ĉal vinistes & autres tels gens de bien y feront admis avec la liberté de conſcience tant ne ceffaire pour maintenir au monde l'indevo tion &irreligion , &c. Que 288 PRIVILEGES "' Que tous Capucins , Fueillans , Mandians & autres n'y feront receus finon en jet tant le froc aux orties pour travailler non à la vigne du Seigneur , mais à la multiplica tion dugenre humain , &c. Que tous Ecclefiaftiques , Apoftats , Fai neans , Paillars , debauchez y auront feure retraitte , fors Monfieur l'Evefque de Beau vais , lequel à cauſe deſon privilege ſera ren voyé au Parlement. Que nulle affemblée du Clergé de France ne s'y pourra faire , s'il n'eft queſtion des Comptes de Caftille & que l'Evefque de Rieux & Dame Saincte y affiftent. Que l'Inquifition ennemie jurée de l'E glife Gallicane ne pourra approcher de la ditte Ville fans permiffion de l'Avocat Ser vin. Que tous pellerinages & voyages de de votion feront deffendus aux habitans de la ditte Ville , fi ce n'eft celuy de St. Mathu rin, &c. Que tous mariages fe feront en laditte Ville à difcretion , mefmefe pourront con fommer par procureur fans procuration , &c. Que l'hiftoire fantafque du Prefident de Thou corrigée par Cafaubon fera authoriſée & fi autrement il en eft dit à Rome il en fera appellé comme d'abus , &c. Que le bon homme dedommagement, fondateur de laditte Ville , fera à perpetui té honoré en icelle , & les loix gardées tant que l'on pourra , comme falicques & fon damentales de cet eftat , &c. Que les biens acquis à fon fervice feront tenus enfemblable refpect que les chofes fa crées dont la connoiffance eft interditte au vulgaire , &c. Que DE BOIS-BELL E. 289 Que la rebellion d'Arnoult fera écritte en lettres rouges , afin que la pofterité fcache qu'il a voulu controller fans controlle les actions de fon bienfaiteur , & c. Qu'il fera loifible à tous Confeillers d'E tat , Intendants , Prefidens & Confeillers des Cours Souveraines , Maitres des Reque ftes , & Treforiers de France d'étre de tous partis , & fans qu'il leur foit befoin de dif pence , pourveu qu'il yait à gagner , & qu'ils en conferent avec Duret , &c. Qu'en laditte Villeil yaura un Parlement fans procez , defquels comme de toutes au tres chofes la connoiffance fera refervée au Confeil & feront advertis les Sieurs Fau con, Chevalier, Royffis, Boinville, Bellievre , le Gay , Mallon , & autres tels fuffifans Se nateurs du temps , que les offices dudit Par lement feront au plus offrant , fi la Prefi dente de Verdun ne l'empefche , &c. Que tous differens qui naitront en laditte Ville , feront terminez par la prudence & bonne fuffifance de Villemontée , & S. Mau peau Qu'il neferajamaisfait mention en laditte Ville de la Chambre de Juftice , & fi Man got s'en veut mefler , il y fera mal me né , &c. Que l'on pourra parler librement en ladit te Ville de toutes perfonnes même des Prin ces du fang, fi ce n'eftque la Marquifey foit prefente , à laquelle il fera deffendu de s'y trouver dorefnavant. Que l'on pourra auffi gourmander tout le monde fans refpect d'aucun , fors Conchine, qui fera refervé pour la gallerie des Mer - ciers. Que tous Financiers quoyque yffus de T fim 200 PRIVILEGES 1 .1 fimples Payfans , ou pauvres artifans , pour ront donner en mariage à leurs filles , trois cens mille livres , bien que ce fut autrefois le dot ordinaire des filles de nos Roys , pour veu qu'ils ayent œuvré leurs charges trois ans & au-deffous . Que le Comtede Schomberg fera Gouver neur de laditte Ville , & Duret & Moiffet gar des des portes d'icelle . Qu'aucuns Princes du fang ne pourront paffer fans le paffeport du Pere Gonthier. Que Defcures ne pourraioger des gens de guerre és environs de laditte Ville , à caufe du party par luy fait des impofitions , & Bil lots de Bretagne ,& c. Qu'en laditte Ville il y aura une Baftil le , en laquelle fera transferé le Cabinet , qui eft au haut de celle de Paris , & file Com te d'Auvergne le veut empefcher , il ferare mis à l'ordinaire de Numigny. Que laditte Ville fervira de paffage aux pacquets , qui feront portez de Geneve à la Rochelle pour la tranquillité de la Fran бе . Qu'en laditte Ville y aura un magafin de pieces de reformation , comme factions , monopoles , menées , entrepriſes , & au tres tels outils propres à renverfer le Royau me ,pour en fournir à qui en voudra , quel que empefchement que vueille donner le Marechal de Bouillon . Que les Almanacs de Mamiant & les pré fages portez par la Varenne , qui font eva nouir le monde , ne feront debitez en la ditte Ville fans permiffion fcellée du grand fceau. " Que la deffence d'y manger du roſty à difner n'y durera , que fix mois pour ceux qui DE BOIS-BEL LÉ. 291 qui entreront aux affaires , & quant à l'in ventaire de leurs biens , il fera mis en la Chambre , mais retiré pour le fupprimer. Et parcequ'il importe grandement pour la fanté de ceux de laditte Ville qu'elle foit tenue nette de boues , il en fera fait party à la charge des avances , & pour memoire eternelle de l'heureufe edification de laditte Ville , fera gravée fur le front d'icelle cette honorable infcription : Par l'audace d'un Ecoffois Pouffe d'un infolent merite Cette Ville a été construite Dufang le pluspur des François. de Lorraine Bibliotheque de Madame de Montpenfier ** Catherine mife en lumierepar l'avis de Cornac, 2. femme de avec le confentement du Sr. de Beaulieu Louis de fon Ecuyer. Bourbon mariée en I. LEPot poury des affaires de France, 1570. veuve en par en Duc de Montpenfier Reyne-Mere. morte en 2. Les epouvantables menaces du Duc de 1590. Mercure contre le Roy de Navarre & les heretiques de Poitou , imprimé à Nantes. 3. Poiffonnerie generalle en trois volumes par M. le Cardinal de Bourbon , illuftrée & mife en lumiere par Cornac & le Clerc fon Medecin. 4. Cent Quatrains de la vanité , par le Duc de Joyeuse , traduits de nouveau par let Sr. Lavardin. 5. Le Mirouer de bonne grace, par Mrs. les Cardinaux de Vaudemont &de Joyeuse. T & 292 BIBLIOTHEQUE 6. Les querelles amoureufes du Comte de Soiffons avec les obfervances de Madame de Rouffoy 9 7. Duel memorable des Ducs du Maine & d'Efpernon à la derniere conjuration de Pa ris,mis de Lorrain en François. 8. La grande caffade du Duc de Guiſe, avec la prife de Sedan & de Jamets par ledit Sr. imprimé à Reims. 9. Le combat civil de Meffire de Nevers trouvé dans une ferviette. 10. Lapatience des Princes du fang contre l'infolence des pedans , par M. le Cardinal Ou Bello de Vendofme & l'Abbé de Bellozence * fon zane. voyez Thuana au mot Bour bon. maitre. II . Invective contre lajaloufie,imprimée de

  • Voyez le nouveau à St.Jean par le Prince de Condé. *

Journal de 12. Continuation du grand lugubre des HenryIII.au Pages de Madame de Mercure; fur l'inégalité .Mars 1588. du fouet de Monfieur à la troupe de leur maitreffe. 13. L'Art de ne point croire en Dieu , par Monfieur de Bourges. 14. L'Execution des F ....... de la Cour, par la Ducheffe d'Uzez. 15. Le jouet du cocuage, par Combault premier Maistre d'Hoftel du Roy , avec une lamentation de n'y eftre plus employé , par le mefine. 16. La douce. & civile converfation du Marechal de Biron , nouvellement imprimée par du Haillan. 17. La nouvelle façon de faire le jaquet auprès des Grands , par le Sr. de la Guiche. 18.Lanouvelle façon d'entretenir les viel les liffes & trouver moyen d'avoir argent, par le Marechal Daumont , commentée par Ma dame de la Bourdaifiere. DE MONTPENSIER. 293 19. Secret pour depuceler les Pages , par le Sr. de Sourdis. 20. La reparation des pucelages perdus , par Madame de Simiers , avec les apparitions des lunettes de l'Abbé de Gadaignet , par Gravel. 21. Les diverfes affiettes d'amour , traduit d'Espagnol en François par Madame la Ma rechalle de Rets , imprimé par Pelage avec Privilege du Sr. de Dimé. 22. La manjere d'arpenter les prez brieve ment, par Madamede Nevers. 23. La Revelation des fecrets de la Ligue, mife d'Eſpagnol en François par Mr.de Ne vers à la louange de la Reyne Mere. 24. Le Repertoire de la proportion des V....François avec la dimenfion des C.... de Lorraine , par Madame de Narmoustiers. 25. Les reformidables regrets des Amou reux , par Madame d'Eftrées , reveus &´au gmentez par le Sr. d'Alegre. 26. Traitté de la nourriture des Poulets, par le Sr. de Rouzille Ecuyer du Roy. 27. La Rethorique des Maquerelles , par Madame de la Chatre. 28. Almanach des affignations d'amour, par Madame de Ragny. 29. Le J'en veux des Filles de la Reyne Mere en mufique, par Madamede St. Martin. 30. L'Efperance perdue du Royaume de Picardie , adreffée à Mr.d'Aumale , avec les re grets de Madame , imprimez à Dourlens. 31. L'Hiftoire veritable de Jeanne la Pu celle , par Madame de Bourdeilles, 32. La Grandmontine , Paftoralle par le Sr. de Neufvy. 33. Les Ribauderies de la Cour , recueillies par le Sr. de Rancourt à l'inftance de la Ca poche. T3 C 294 BIBLIOTHEQUE 1 34. Legrand Tripier d'Etat felon la regle d'Epicure , compofé par Mr. de Villequier. 35.Metaphifique de menfonges , par Mr. le Marechal de Rets. » Voyez Thuana au 36. Le Routier general pour naviger en mot Elbene. toutes mers , par Simier &l'Abbé d'Elbene. * Voyez les 37. LeFoutiquet des Demoifelles, de l'in notes fur le vention du petit la Roche chevaucheur or Dialogue de Marhurine dinaire de la paix. & du jeune du Perron dans la Con feffion de Sancy. 38. La Chronique des Capucins en vers he roiques , par Mr. le Comte de Bouchage. 39. Le Sommelier de Cour, illuftré par le Sr. de Mabou. 40. Confabulations des Srs. de Pieme & d'Allincourt montans à la fomme de Trente, mis en rimepar la Damoiſelle de Verthamont, imprimées en la rue de St. Thomas. 41. L'Efperance de la reunion de Mada me de Martigues avec l'Evefque de Nantes , mife en tablature. 42. Les regrets de Madame de Bueil fur la mort de Madame de Torcey fa deffunte compagne. 43. Moyen fubtil pour trouver les chofes perdues, par le Sr. des Pruneaulx le jeune en faveur des Dames. 44. L'Efta in Avuelle des Courtifans , ex trait du manufcrit de Mr. le Chancelier. 45. L'Entitude des plaifantes Comedies , par le Sr. de Bellievre , imprimé à Londres. 46. Legrand Patinotrier,traduit deFlamen en Bafque par Madame du Bouchage , avec les illuſtrations du Pere Bernard. 47. Les Lamentations de St. Lazare , par Mr.le Rhoftein. 48. L'Oriflame des Pucelles , par Melle. de la Mirande. 49. Remede fouverain contre la fievre fta DE MONTPENSIER. 295 nyene, eprouvé par le Ducde Longueville. 50. Copie du mariage du Marechal d'Hau mont & de Madame de la Bourdaifiere , écrit à la main. 51. Les Couches ayant terme de la fille du Prefident de Neully, mifes en rime fpiri tuelle par Mr. Rofe Evefque de Senlis. 52. Le Vade-mecum de Madamede Rendan, dedié au Sr. d'Alconac. 53. Les miracles de la Ligue , compofez par le Baron de Senezé. 54. L'Esperance du Comte de Briffac fur le recouvrement de l'eftinguer_fa licorne. 55. Les avis du Sr. de la Foreft Maitre d'Hotel du Roy. 56. Nouvelle & prefomptueufe façon de Cabinets fecrets à plufieurs eftages , par le Sr.de Gyvry, imprimé à Malte. 57. L'Equipage du jeune la Chatre pour fon voyage de Poitou , fait en Bifcain par Madame du Haler. 58. Les proportions demefurées de Goliat pour preſenter en perfpective par le petit d'Elbene. 59. Pitoyables regrets de la Lune fur les annonces de l'Ange Gabriel , en vers Gaf cons , par Sambole Ecuyer de Mr. d'Eper non. 60. Traittez de l'innocence , extraits du latin de Mr. Lugolis par Mr. le Grand Pre voft , pour la confolation des Martyrs. 6r. Les apprehenfions du mariage en lan gue Piemontoife , dediez à Mr. de Nevers par le Ducde Lorraine. 62. Le Trebuchet des filles de la Courtiré del'exemplaire de la Damoifelle du Tiers avec les lamentations amoureufes de Neptune. 63. UniqueRecepte pour guerir de la pu T4 naifie 96 BIBLIOTHEQUE naifie , envoyée de Calicut à Madame de la Rochepot. 64. Les Rodomontades de l'Ambaffadeur d'Espagne envoyées en pofte aux Capitaines Verdiers , &Drac, & à Madame deMontpen fier. 65. Invention tres-fubtile de Madame de Brillac pour recouvrer des cornes perdues , avec l'augmentation du Sr. de Lavardin. 66. Les grands exploits & perilleuses avantures des Quarente-cinq, recueillies par le Sr. de Challabre leur compagnon. 67.Admirable deffein pour fortifier Broua

  • OuSt Mef- ge, extrait d'un viel Bouquin du Sr. de St. mes quicom- Marc *, par Madame de St. Luc.

mandoit au fiege de 68. Avantpropos de l'efperance de trois Brouage & beaux livres contre le Pleffis , par le Sr. du qui l'aban- Perron avec laforclufion de laditte eſperance. donna. 69. Pfeaumnes mis en rimes par Philippe Defportes , reveus & corrigez par Madame Patu, avec les annotations &fonnets de Ma dame d'Aigrontin. que les Li gueurs appe foientleRoy Henry III. 70. La peinture du jugement de toutes chofes , par Barthault. 71. Lieux communs des confultations & extraits politiques , par Jean de Bajance. 72. Un Indice très- ainple des maltotes. 73. Subtil moyen pour reunir les affaires de France & la mettre en paix , par l'Am baffadeur Jamet. " 74. Les remedes contre toutes tentations d'amour, par Madame de Mereglife. 75. L'Hiftoire memorable & Ouys du Roy Herodes , par le Sr. de Larchant Ca pitaine des Gardes. 76. Les Rufianeries de la Cour , par le Comte de Maulevrier , avec les Apoſtilles du Pere Hemond 77. DE MONTPENSIER. 297 77.Moyens fubtils de crocheter les finan ces, par Milon. 78. Ledenombrement des veaux de la Li gue & le moyen de les garder de baifler , par Mr.de Rennes. 79. Les grimaces racourcies du Pere Com melet , mifes en tablature par deux Devotes d'Amiens. 80. Traitté de l'alteration du cerveau , à Mr. Roze. 81. De lafainte ambition , par Mr. Seguier, augmentée par les Jefuites. 82. Sermons de Mr. Couilly Curé de St. Germain, recueillis par les Crocheteurs. 83. Difcours fur le Tableau du Parquet des gens du Roy, reprefentant la Nativité de J. C. 84. Les Regrets du Comte de Torigny fur l'abfence de fon Protecteur , enregistrez en l'Admirande. 85. L'Enclume d'ignorance du Chastelet, par Madame la Prevofte de Paris fubrogé à Champlinault. 86. Second Tome du Cocuage volontaire, parMrs. de Simirax & de Villequier. 87. Complainte & lamentation des Pou lets du Duc d'Epernon , fur la bleffure du Sr. d'Escoublieres. 88. L'Apologie des Rabins fur l'avenement du Meffie , compofée par Forget. 298 REMARQUES Remarquesfur la Bibliotheque de Madame de Montpenfier. Entre les petites Pieces Satyriques qui ont parn detemps en temps, Bibliotheque de Madame de Montpenfier , eft unedes plus vives , qui decouvre quantité d'in trigues fecrettes , & fait connoitre le caracte re de plufieurs perfonnes élevées en dignité , & d'autres prefque inconnues. Cornac , par l'avis duquel l'Autheur feint que cette Bibliotheque a été mife en lumiere, a été Abbé de Villeloin ; il étoit tout devoué au Duc de Mayenne , frere de la Ducheffe de Montpenfier; on voit dans une lettre du Car dinal d'Offat du dernier Fevrier 1596 que ce Duc l'avoit envoié à Rome pour faire con noitre au Pape les raifons qui l'avoient enga gé à s'accorder avec le Roy Henry IV. Il eft parlé de cet Abbé dans la vie du Duc d'Eper non T.1. pag.427, commed'un hommehabile &adroit, qui avoit voulu attirer ce Duc dans le party du Duc de Mayenne. Il eft parlé du même Cornac au 3. article de cette myſterieufe Bibliotheque. 2. Les épouvantables menaces &c. Ce fut en l'année 1585 que le Ducde Mer cœur ( Philippe Emanuel deLorraine ) entra en Poitou , faifant de grandes menaces contre le Roy de Navarre & les Huguenots de Poitou , qu'il fe vantoit de détruire entierement : le Prince de Condé, qui en fut informé, ramaf fa à la hafte quelques troupes difperfées , & fans donner le temps au Duc de Mercœur de fe reconnoitre , il l'approcha de fi près que ce Duc remettant à une autrefois l'execution de fes fanfaronades, trouva à propos de fe reti SUR LA BIBLIOTHEQUE. 299 rer la nuit fans tambour ny trompete en la ville de Nantes , ou il fe crut en feureté. On peut voir dans le 2. Tome des Memoires de la Ligue les circonftances de cette faite , qui ne fut pas fort honorable au Duc de Mercœur. C'est pour s'en mocquer que l'on a forgé le titre de ce livre. D'Aubigné parle auffi de cet te action livre V. chapitre 10. de fon Hiftoire univerfelle. 3. Poiffonnerie generalle , &c. Il faut mettre l'Oifonnerie generalle , pour faire voir que le Cardinal de Bourbon étoit un bon Prince, qui fe laifoit mener par le pre mier venu, comme un Oifon. 4. Cent Quatrains contre la vanité &c. Le Ducde Joyeuse & le Sr. de Lavardin é toient tous deux fi pleins de vanité , que l'on les en railleici. Le Sr.de Lavardin , dont il y eft parlé , eft Jean de Beaumanoir mort Mare chal de France en 1614. 5. Le Mirouerde bonne grace &c. Il n'eft pas difficile de juger que par le titre de ce pretendu livre , on a voulu taxer de mau vaife grace les Cardinaux de Vaudemont & de Joyeufe; le Cardinal Legat de Plaisance étoit fort laid , & il eft nommé par derifion dans la defcription de la Proceffion de la Ligue , qui fe trouve aucommencement de la Satyre Me nippée, vray Miroir de parfaite beauté. L'Au theur des notes fur cette Satyre, nous apprend que ce fut par imitation d'un livre de Morale imprimé en 1557 fous le titre de Miroir de parfaitebeauté, Sat. Menip. T. 2. pag. 69. 8. Lagrande Caffade &c. En l'année 1587 le Duc de Guiſe fit une entrepriſe fur les Villes de Sedan & de Jamets, Le Duc de Bouillon ayant ramaffé quantité de Nobleffe, luy tomba fur les bras dans le temps 300 REMARQUES qu'il étoit empêché à reconnoitre deux Forts près la Ville de Sedan , & l'obligea à une re traite precipitée , dans laquelle Mr. de Thou dit que le Duc de Guife abandonna ſon man teau , & M. de Mezeray adjoute qu'il perdit le foureau defon épée. Outre ces deux Autheurs, on peut encore voir la Notte à ce sujet au 2. Tome de la Satyre Menippée pag. 284. & le 2. Tome des Memoires de la Ligue pag. 287. & 289. 9. Le Combat civil &c. LeDuc de Nevers a eu tres-grand different pour un dementi qu'il fit donner en 1580 au Duc de Montpenfier; on en peut voir les cir conftances dans lepremier Tome des Memoi res de Neverspag. 85. & 87. & dans le 1. Tome des Memoires pour l'Hiftoire de France pag. 116.& 117. Mais comme il eft ici parlé d'une Serviette , oncroit qu'il y a unefaute dans ce titre , &qu'au lieu d'y nommer le Duc de Ne vers on a dû y nommer le Duc de Nemours , qui a eu en l'année 1587 de groffes paroles avec le Comte de St. Paul fecond fils du Duc de Longueville au fujet de la Serviette qu'ils vouloient tous deux prefenter au Roy, ce qui porta Sa Majefté à les accorder fur le champ , en leur deffendant de paffer outre , & ordon nant quedans la fuite un des Gentilshommes fervans & non autre lui prefenteroit la Serviet te , &c. On a traitté cette difpute de Combat civil, parce que la chofe fe paffa fans qu'il y eut du fang répandu , ni mefme d'épée tirée' , ce qui n'étoit pas du goût des bretteurs de ce temps. Memoires pour l'Hiftoire de France T. I. pag. 222. 10. La patience des Princes du fang &c. Le Cardinal de Vendofme dont il eft ici par lé étoit Charles de Bourbon neveu de Charles SUR LA BIBLIOTHEQUE. 30* de Bourbon Cardinal , qui a pretendu être Roy à l'exclufion du Roy Henri IV. Ce Cardinal de Vendofme nommé le jeune Cardinal de Bourbon , depuis la mort de fondit Oncle ,fe laiffoit conduire aveuglement par Jean Tou chart Abbé de Bellozane , qui avoit été fon Precepteur & par M.du Perron depuis Cardi nal ; ils l'engagerent à former un tiers parti pendant la Ligue , ce qui n'eut aucune fuite. Ste. Marthe Hiftoire Genealogique. SatyreMe nippée T. 2. pag. 126. Journal de Henri III. T. 2. pag. 121. & Thuana article dujeune Car dinal de Bourbon. 11. Invective contre la jaloufie &c. Cet article a été adjouté à cette Bibliothe que,qui a paru en 1587. Henri Prince de Condé étant mortà St.Jean d'Angeli le 5 Mars 1588. Charlotte Catherine de la Trimouille fecon de femme de ce Prince a donné lieu à ce pre tendu livre , elle fut foupçonnée d'avoir fait empoisonner fon mary pour lui cacher fa groffeffe , à laquelle on difoit qu'il ne pou voit avoir de part ; le nommé Brillaut fut pour ce fujet condamné à mort &tiré à quatre chevaux un Page , qui avoit la plus grande part à cette intrigue , prit la fuite, & fut exe cuté en effigie. Le Roy Henri IV qui n'étoit encore que Roy de Navarre , fut auffi foup çonné d'avoir eu les bonnes graces de cette Princeffe , car on trouve dans le fecond To me des Memoires pour l'Hiftoire de France pag. 289. que la Marquife de Verneuil ayant fceu que ce Roy avoit été voir en fecret à Breteuil Charlotte Catherine de Montmorency femme de Henri de Bourbon , Prince de Condé, II. de ce nom , provenu de cette groffeffe , lui avoit dit en bouffonnant , n'étes vous pas bien mechant de vouloir coucher avec la 302 REMARQUES femme de voſtre fils ? car vous fçavez bien que vous m'avez dit qu'il l'étoit : nonobftant tous ces foupçons contraires aux loix , le Prince né de cette conjonction a été toujours reconnu legitime , ainfi que fa pofterité qui a donné de fi grands Princes à la France. Me moires pour l'Hiftoire de France , T. 1. pag. 243. 13. L'art de ne point croire enDieu &c. Les hommes fuivant leurs paffions & leurs interests , canoniſent ou damnent ceux qui ne fuivent pas leurs fentimens en matiere de Re ligion il n'eft pas étonnant que ceux qui fouhaitoient paffionnement de voir le Roy Henri IV rentrer dans l'ancienne Religion de fes ancestres , ayent parlé avec eloge de Re naud de Beaune Archevefque de Bourges , ainfi que Mr. de Thou & autres ont fait : on ne doit pas auffi s'étonner que les pretendus Reformez fachez de ce que ce Prince aban donnoit leur parti , ayent fait bien des medi fances de ce Prelat , & qu'ils en ayent parlé comme d'un hommefans foy ni loy; la Cour de Rome ne s'oublia pas pour lors , ni le Pape mefme indigné de ce que l'Archevefque de Bourges avoit pretendu faire rendre àfa digni té Patriarchale l'authorité qu'il croyoit lui devoir appartenir , & qu'il s'étoit ingeré d'ab foudre le Roy fans fa permiffion ; ces actions quoy que trés-juftes & tres-innocentes ne fe pardonnent jamais à Rome , & lors qu'on ne peut pas s'en venger fur le corps , on ne man que jamais de fletrir la reputation d'un homme & de le faire regarder comme un Athée; c'eft dans cet efprit que l'Autheur de cette Biblio theque a taxé l'Archevêque de Bourges de ne pas croire en Dieu , ou peut-être pour fe moc querdes bruits que l'on faifoit courir contre la SUR LA BIBLIOTHEQUE. 303 Religion de ce Prelat. Voyez les Remarques fur le z. Chapitre de la Confeffion de Sancy , à la fuite du Journal de Henry III . Edition de 1720. pag. 74. 14. L'execution des F.... &c. La Ducheffe d'Ufez de laquelle il eft fait mention dans cet article , étoit Louife de Cler mont Tallart , mariée en premieres nopces à François Sr. DuBellay, & en fecondes à An toine Comte de Cruffol , premier Duc d'Ufez, duquel elle n'a point eu d'enfans , elle eft mor te en 1596. Mem. de Caftelnau T. 1. pag. 753. & T. 2. pag. 789. 15. Le jouet le cocuage , &c. Robert de Combaut Sr. d'Arcy fur Aube, é toit premier Maitre-d'hotel du Roy; la Reine Marguerite dit au livre 2. de fes Memoires, qu'il étoit chef du Confeil des jeunes gens , c'eft à dire des Mignons du RoyHenri III. Le repro che qu'on lui fait ici eft pour avoir épousé en 1580 Louife de la Beraudiere de Lifle Rouet , auparavant Maitreffe declarée d'Antoine Roy de Navarre mort en 1562 , tant des bleffures qu'il avoit recenes au fiege de Rouen , que de plufieurs excès faits avec cette Maitreffe , mê mependant fa derniere maladie ; elle en avoit un fils naturel nommé Charles , qui eft mort Archeveque de Rouen en 161o. Onvoit dans le premier Tome des Memoires pour l'Hiftoire de France , pag. 113. que quand on fit ce maria ge de la Rouet avec Combaut on lui promit un Eveché , c'eſt à dire les revenus d'un Eveché, ainfi qu'il fe pratiquoit lors , & on fuppofe que ce fut celui de Cornouailles en Bretagne, furquoi onfit les Vers fuivans. Pour époufer Rouet avoir un Eveche, N'est- cepas à Combaut facrilege peché. 304 REMARQUES Dontlepeuple murmure &l'Egliſe ſoupire ? Maisquandde Cornouaille on oit dire le nom , Digne du mariage on eftime le don , Et aulieu d'enpleurer chacun n'enfaitquerire. Ce mariage, ou Combaut fe mit audeffus de toute raillerie , n'a pas empêché qu'il n'ait été fait Chevalier de l'Ordre du St. Efprit en l'an née 1583. Voyez encore à ce fujet les Remar ques furla Confeffion de Sancy pag. 223. &le Catalogue des Chevaliers du St. Efprit au T. 2. de l'Hiftoire des grands Officiers de la Cou ronnepag. 1668. 17. Lanouvelle façon de faire , &c. Philibert Sr. de la Guiche étoit un des Mi gnons du Roy Henri III. Il a été grand Maitre d'Artillerie de France. Voyez leJournal de ce Roy, pag. 37.163. & 166. & l'Histoire des Of ficiers de la Couronne T. 2. pag. 1088 . Il y avoit lors un autre la Guiche , fur lequel onpourroit plutôt faire tourner le ridicule de ce titre de livre , c'étoit Louis de la Beraudiere de la Guiche , Pere de la fameufe Rouet, que Combaut a épousée, comme il eft dit à l'article precedent. Voyez la Confeffion de Sancy pag. 224. 18. La nouvellefaçon d'entretenir , &c. Jean d'Aumont dont il eft parlé dans cet ar ticle , fut fait Marechal deFrance en 1579 , il étoit né en 1522 , il avoit épousé en premie res nopces Antoinette Chabot , feconde fille de Philippe Chabot mort, Admiral de France en 1543 , de laquelle les Ducs d'Aumont font def cendus. En fecondes nopees , ce Marechal époufa Françoife Robertetfille de Florimond Robertet Secretaire d'Etat , elle étoit lors veuve de Ja ques Babou, Sr. de la Bourdaifiere , Maitredela SUR LA BIBLIOTHEQUE: 305 la Garderobe du Roy, & en avoit plufieurs enfans : elle étoit agée lors qu'elle époufa le Marechal d'Aumont , cependant elle étoit en core d'une grandebeauté. Voici comme Bran tome en parle dans le 2. Tome de fes Dames Galantes pag. 286. 99 J'ayveu Madame de la Bourdaifiere , depuis ,,en fecondes nopces Marechalle d'Aumont, ,,auffi belle en fes vieux jours, que l'on eut dit ,,qu'elle eut été en fes jeunes ans , fi bien que ,,fes cinq filles , qui ont été des belles ne l'ef ,,façoient en rien, &volontiers fi le choix eut ,,été à faire , eut-on laiffé les filles pour pren ,,dre la mere , & fi avoit-elle eu plufieurs en ,,fans ; auffi étoit- ce la Dame qui fe contre ,,gardoit le mieux , car elle étoit ennemie mor ,,telle du ferain &de la lune , & les fuyoit le ,,plus qu'elle pouvoit ; le fard commun , prati . ,,qué de plufieurs Dames, lui étoit inconnu. Les cinq filles de Madame de laBourdaifie re, dont Brantome fait ici mention , ont été Marie Babou qui a époufé Claude de Beau viliers Comte de St. Aignan. Françoife Babou époufe d'Antoine d'Eftrées Marquis de Cœuvre , &Mere entre autres en fans de François Annibal d'Eftrées Marechal deFrance , & de la belle Gabrielle. Ifabelle Babon époufe de François d'Efcou bleau de Sourdis, delaquelleil eft parlé pag. 97. de la Confeffion de Sancy , édition de 1720. Madelaine Babou mariée à Honorat Yoré Baron d'Ervaut. Et Diane Babou mariée à CharlesTurpin Sr. deMontviron , dont elle n'a point eu d'enfans. Françoife Robertet leur mere n'a point eu d'enfans de fon mariage avec le Marechal d'Aumont , & comme elle étoit riche , il y a beaucoup d'apparence que fon mari a fi bien V 306 REMARQUES amadoué fa vieille , qu'il en a retiré de bonnes bribes , ce qui a donné lieu au titre de ce livre pretendu. Voyez la Genealogie des Bochetels & des Babous de la Bourdaifiere à la fin du z. To medes Memoires de Caftelnau. 19. Secret pour depuceler , &c. François d'Escoubleau de Sourdis , dont on vient de parler , étoit en reputation de prefe rer les plaifirs ultramontains à ceux qu'il au roit pu prendre avec les Dames , au moins it en eft accufé dans le titre de ce livre , ainfi qu'il l'a encore été dans la Confeffion de San Sy pag. 92 & 98. 20. Lareparation des pucelages, &c. Madame de Simiers , dont il eft ici parlé , étoit Louife de l'Hofpital-Vitry femme de Ja ques de Simiers , qui avoit été Maitre de la Garderobe de François Duc d'Anjou; on adit qu'elle aimoit le Duc de Guife plus qu'elle n'en étoit aimée , peut- être qu'elle a eu pour lui des complaifances dont fon mary ne s'eft pas apperceu la premiere nuit de leurs nopces , & qui ont donné lieu au titre de ce livre. Il faut que Mr. de Simiers ait eu deux fem mes, puis qu'on voit dans les Memoires pour l'Hiftoire de France T. 1. pag 95. qu'au mois deJuillet 1578. Cimier favori deMonfieur, fit tuer en fon Chateau de Cimier le Chevalier de Malthe fon frere, parce qu'il étoit averti que pendant quatorze mois qui s'étoient paffez fans qu'il eut veu fa femme fille de Dangeau près Londuy, ils avoient toujours couché en femble , & même qu'elle étoit groffe de fon fait , ce qui fauva la vie à cette Dame. La Demoiselle de Vitry devoit être une fille d'efprit & hardie ; on peutvoir dans le Traitté de la Fortune de la Cour à la fuite des Memoi res de la Reine Marguerite pag. 268. qu'elle SUR LA BIBLIOTHEQUE. 307 étoit fubtile dans fes entretiens , & dans les Remarques fur la Satyre Menippée T. 2. pag. 86. que le jour que le Duc de Guife arriva à Paris peu avant les Barricades , cette Demoi felle montée fur une boutique de la rue St. Honoré, ayant ofté fon mafque , s'écriatour haut : bon Prince puifque tu es ici, nous sommes tous fauvez. Daubigné a dit la même chofe dans fon Hiftoire univerfelle , & cette circon ftance fe trouve encore dans le 1. Tome des Memoires pour l'Hiftoire de France , avec cet te difference que le nom de la Demoiſelle n'y eft pas marqué, au lieu qu'elle eft nommée dans les deux autres Autheurs ci - devant citez : on la nommeVitry, nom qu'elle portoit pen dant qu'elle étoit fille d'honneur de la Reine Catherine de Medicis comme on peut voir dans les Memoires de Gastelnau T. 1. pag. 328. tout cela fait juger, qu'elle n'a été mariée qu'environ ce temps-là. 21. Les diverfes affiettes d'amour, &c. Madame la Marechale de Rets étoit Clau dine Catherine de Clermont , tres- belle , fpiri tuelle, & même fçavante ; elle avoit épousé enpremieres nopces Jean Sgr. d'Annebaut , fils de l'Admiral d'Annebaut. La Reine Marguerite dit aupremier livre de fes Memoires , que ce Seigneur d'Annebaut étoit facheux & ne meri toit pas , aufentiment de cette Reine , depof feder un fujet fi divin & fi parfait que celui de fa femme; cependant on peut voir page 111. du 2. Tome des Memoires de Caftelnau , l'élo ge de ce Seigneur , qui étoit à la verité begue, & encor plus inquiet au fujet defon honneur, àcaufe quequantité dejeunes Seigneurs moins begues que lui , courtifoient fa femme de trop près ; étant mort en 1562, elle époufa en 1565 en fecondes nopces Albert de Gondy Duc de V z 308 REMARQUES Rets & Marechal de France ; comme il étoit fils d'Italien , peut- être a-t- il appris à fa femme des poftures aretines , quefon premier mary ne connoiffoit pas ; mais fi cela étoit , il auroit falu mettre dans le titre de ce livre traduit d'I talien & non pas d'Espagnol enFrançois. 23. Larevelation des fecrets , &c. Mr. de Nevers s'étoit joint au Cardinal de Bourbon &autres Princes liguez contre le Roy de Navarre ; ayant reconnu depuis que ce par ti avoit été fomenté par la Reine- Mere à def fein de faire tomber le Royaume au Duc de Lorraine fongendre à l'exclufion du RoyHen ri IV, il rentra dans fon devoir. On pretend qu'il revela lors toutes les intrigues de la Ligue dont il avoit penetré le fecret : on peut voir à ce fujet les Memoires de ce Duc T. 1. pag. 162.462.467. 638. &647... 24. Le Repertoire de la proportion &c. Madame de Narmoutiers , de laquelle il eft ici parlé, étoit Charlotte de Beaune de Sam blancay femme en premieres nopces de Simon de Fizes Sgr. de Sauve , Secretaire d'Etat , & en fecondes de François de la Trimouille Mar quis deNoirmoutier ; c'étoit une perfonne ca pable de plus d'uneintrigue , & qui fçavoit par faitement bien menager fes Amans; elle en tretenoit en même temps le Ducd'Alençon , & le Roy de Navarre, & reveloit tout ce qu'elle apprenoit à la Reine Catherine de Medicis & aux Princes de la Maifonde Lorraine ; c'est par allufion à ces intrigues & autres que l'on forgé le titre dece livre; furquoy onpeutvoir l'Hiftoire d'Aubigné T. 2.1.2. chap. 18. & I. 4. chap. 3. les Memoires de la Reine Marguerite pag. 83.86. 105.110. & 164. ceux de Caftelnau T. 1. pag. 322. la Satyre Menippée T. 2. pag. 215. & la Confeffion de Sancy pag. 142. SUR LA BIBLIOTHEQUE. 309 25. Les reformidables regrets , &c. La fin de Françoife Babou de laBourdaifiere, de laquelle on a déja parlé , a été fi malheu reufe, qu'il n'eft pas étonnant qu'elle ait don né lieu au titre de ce livre. Epoufe d'Antoine d'Eftrées Marquis de Cœuvres , elle abandon na fon mary & fon devoir pour s'attacher à Yves Marquis d'Allegre- Meillan , retirez à Iffoire pour y continuer leur commerce, ils y trouverent la punition de leur crime, Voici comme elle eft raportée dans les Memoires pour l'Hiftoire de France T. 1. pag. 79.75 Le 28 May 1577 Monfieur ayant affiegé , foire , elle fut le 12 Juin en parlamentant ,,prife d'affaut ; les foldats ne purent être em ,,pêchez qu'ils ne pillaffent & bralaffent la ,,ville, & tuaffent fans difcernement tout ce ,,qui fe trouva devant eux , le Seigneur de ,,Buffi le jeune & plufieurs Gentilshommes ,,furent tuez aux approches de cette ville, & ,,d'Alegre qui en avoit été quitte pour une ar ,,quebufade , fut tué de nuit en fon Chateau ,,d'Alegre à l'occafion d'une Dame qu'il aimoit. Cette Dame étoit la Marquife de Cœuvres qui fut tuée à la prife d'Iffoire , & lava par ce moyen fon crime par fon fang : on peut voir pag. 275. du Journal de Henri III. édition de 1720 une circonftance fort finguliere qui fait connoitre l'efprit voluptueux de cette Dame, 27. La Rethorique des Maquerelles , &c. Jeanne Chabot veuve en premieres nopces de René d'Anglure, & femme en fecondes de Claude dela Chatre , qui a été Marechal de France, eft nottée par le titre de ce livre ; on peut voir à ſon fujet la Confeffion de Sancy pag. 150. 152. & 163. 28. Almanachdes Affignations , &c. Madame de Ragny étoit Catherine de Mar◄ "" V.3 310 REMARQUES 3 cilly fille de Phibert Sgr. de Cypierre , elle a été fille d'honneur de la Reine Catherine de Medi cis , elle a épousé enſuite François Louis de la Magdelaine Sgr. de Ragny. Memoires de Caftelnau T. 1. pag. 324. 328. 29. Le j'en veux aux filles , &c. Ce mot fe trouve expliqué au Tome2. pag. 238. & 239. de la Satyre Menippée. La Damede St.Martin pourroit bien êtrela femme du Sgr. de St. Martin qui deffendit le Chateau de Vincennes un an contre la Ligue en 1589. Faftes des Rois de la Maifon d'Orleans & deBourbon pag. 99. 30. L'efperance perdue, &c Claudede Lorraine Duc d'Aumale ayant pris le parti de la Ligue contre le Roy Henri III. luy faifoit la guerre en Picardie, oùil tranchoit du petit Roy, il pretendoit que le Comté de Boulogne fur mer luy appartenoit , il affiegea la ville de Boulogne en 1588 dans le deffein d'y établir fa fouveraineté ; n'ayant pas reuffi dans cette entreprife , il fe retira à Dourlens qu'il livra au Roy d'Espagne, &qui ne retour na fous la domination de France qu'en 1595. Le Duc d'Aumale étant refté au Païs-bas , où zil eft mort dans l'exil. Memoires de Nevers T. 1. pag. 855. Satyre Menippée T. 2. pag. 78. 118. & 378. & Confeffion deSancy pag. 134. 31 L'Hiftoire veritable , &c. Madame de Bourdeille étoit Jaquette de Montberon , fille d'Adrien & de Marguerite d'Archias, femme d'André Vicomte de Bor deille. Memoires de Caftelnau T. 1. pag. 322. 32. La Grandmontine , &c. Il y avoit deux freres du nom de Nufvy , l'un Catholique & l'autre dela Religion pre tendue reformée , ce dernier étoit Colonel d'un Regiment d'Infanterie , ils ont été l'an 1 SUR LA BIBLIOTHEQUE. 311 contre l'autre à la bataille de Coutras. Voyez l'Hiftoire de Aubigné T. 2. pag. 35. 40.76. & 77. & les Memoires de Caftelnau Tome I. pag. 303. 34. LegrandTripier d'Etat , &c. René de Villequier Chevalier de l'Ordre du St. Efprit , étoitun des mignons du RoyHen ri III , & fi gros qu'on lui en donnoit le fur nom , abandonné à toutes fortes de vices , il ne vivoit que pour les plaiſirs , il s'eft rendu fameux en poignardant , lui- même Françoiſe de la Marck fa premiere femme, comme on peutle voir dans le 1. Tome des Dames Ga lantes de Brantome pag. 13. & dans les Memoi res de Caftelnau T. 2. pag. 818. &fuiv. où il y a plufieurs pieces curieuſes au fujet de ce meurtre & de cette Dame. 35 Metaphifiquedes menfonges, &c. Il faut que le Marechal de Rets ( Albert de Gondy) ait été un grand Politique pour s'a grandir comme il a fait; cependant l'Abbé de Tiron ( Philippe Defportes ) difoit qu'il n'avoit point d'efprit , qu'il parloit beaucoup , mais ne difoit mot. Il eſt parlé de lui d'une autre maniere dans le Traitté de la Fortune de la Cour, à la fuite des Memoires de la Reine Marguerite pag. 257. &333. où on en fait l'é loge comme du plus fage Courtilan qui fut lors à la Cour : comment accorder cela avec les menteries dont on l'accufe ici. Voyez le Perroniana & les Memoires de Caftelnau To me 2. pag. III. 36. Le Routier general , &c. Simiers dont il a été parlé fur le n. 20. é toit un politique qui s'accommodoit de tout & tachoit de complaire à tout le monde, il n'a pas cependant toujours reuffi , car n'ayant fçen garder un fecret qui lui avoit été confié V 4 312 REMARQUES par le Duc d'Anjou fon maitre , il en fut dif gracié. Voici comme il en eft parlé dans le 1. Tomedes Memoires de Caftelnau pag. 810. NL Symiers ne s'eft montré difcret , Et n'a pas bien jouéfon rolle Il afait comme Lignerolle Quand il decouvrit lefecret. " A l'égard de l'Abbé d'Elbene il avoit beau coup d'efprit & étoit un intrigant fort diffimu lé, il faifoit accroire aux Seigneurs qu'il étoit -de leur parti , mais au fond il étoit duparti du Roy. On voit dans les Memoires pour l'Hi ftoire de France T. 1. pag. 218. qu'il avoit de couvert une entreprifedu Duc de Mayennefur la perfonne du Roy & la ville de Paris , dont ce Ducfut fort en colere. Après les barricades de Paris , le Roy étant à Tours, dit publiquement que d'Elbene étoit ligueur, & il fçavoit bien ce qui en étoit dans le fond, puis qu'il lui en decouvroit les fe crets , cependant il le fit arrêter comme le foupçonnantd'infidelité, la chofe s'accommo day on peut en voird'autres circonstances dans le Thuanaau mot Elbene , il y eft appellé Abbé de Bellozane, il a eu pour fucceffeur dans cet té Abbaye Jean Touchart , duquel il a été fait mention ci- devant fur le N. 10. Voici comme -il eft parlé de la mort de cet Abbé d'Elbene dans les Memoires pour l'Hiftoire de France T.2. pag. 28. En cet an 1590 pendant le fiege de Paris mourut l'Abbé d'Elbene bon ferviteur du Roy&des Dames. Ily aeu un autre d'Elbene , dont il eftparlé dans les mêmes Memoires T. 2. pag. 312. le Dimanche L1 Septembre 1611 meurt d'Elbene auCollege de Cambray agé de 78 ans , ricbe de 8 à 10 mil livres de rente, SUR LA BIBLIOTHEQUE. 313 37. Le Foutiquet des Demoiselles , &c. Aubignédans fon Baron de Fonefte , dit que -le petit la Roche avoit été donné pour nain au Roy Henri III. &que le Roy l'ayantjugé pro pre aux negociations l'y avoit emploié ; ilfer vit utilement pendant les voyages de la Reine Mere vers le Roy de Navarre, d'où il s'en fuivit une Treve en 1586. Voiez la Confef fion de Sancy pag. 276. 38. La Chronique des Capucins , &c. Letitre de celivre n'a été fabriqué que pour railler le Comte du Bouchage ( Henri deJoyeu fe ) qui étoit entré aux Capucins en 1587 , y avoitfait fes vœux affez legerement & en étoit forti de même. Voiez la Confeffion de Sancy pag. 206. 41. L'Esperance de la reunion , &c. MadamedeMartigues étoit Marie de Beau caire , fille de Jean Sgr. de Puiguillon , elle étoit veuve de Sebaſtien de Luxembourg Vicomte deMartigues , grand ennemi des Huguenots , tué aufiege de St. Jean d'Angeli en 1562. L'Evêque de Nantes , avec lequel elle étoit en querelle , étoit Philippe du Bec, qui ayant renoncé à l'Evêché de Nantes en 1594 , eft de puis mort Archevêque de Reims en 1605. Me moires de Caftelnau T. 2. pag. 824. Argentré Hiftoire des Evêques de Nantes , & Marlot Hiftoire des Archevêques de Reims.. 42. Les regretsde Madamede Beuil, &c. Madame de Beuil étoit Catherine de Monte cler femme de Claude de Beuil Sgr.de Courcil lon , ils font morts tous deux en 1596. Madame de Torcy étoit Marie de Riants, fille de Denis de Riants Prefident à Mortier au Parlement de Paris , & femme de Jean Bleffet Sgr. de Torcy, mort Chevalier du St, Efprit en 1587. 314 REMARQUES 45. L'Entitude des plaifantes Comedies , &c. Pompone de Bellievre qui eft mort Chan celier de France, avoit été envoié en Angleter re en l'année 1586 pour interceder en faveur de MarieStuard Reine d'Efcoffe. On peut voir dans les Memoires de Caftelnau T. 1. pag. 545. & fuivantes , la Relation de la mort de cette Princeffe, dont. Brantome a fait l'éloge dans les Memoires des Dames illuftres de France. La negociation de Mr. de Bellievre étoit tres-ferieufe , mais les actions les plus inno centes font fouvent interpretées malignement par ceux qui ont intereſt à les decrier, La Reine d'Efcoffe étoit Confine de Mrs.de Guife; la Ligue étoit déja tres-forte lorfque Mr.de Bellievre paffa en Angleterre à la fin de l'année 1586 ; les Predicateurs fe déchainoient déja contre le Roy , & fes ennemis travail loient à l'envi l'un de l'autre à le rendre odieux à fon peuple, On voit dans le premier Tome des Me moires pour l'Hiftoire de France pag. 213 que le 19 Septembre 1586 un Milord Anglois ap porta au Roy Henri III. le Procès fait à cette Reine. Sur quoi le Roy depêcha Bellievre pour empêcher l'execution de l'arreft ; toutefois ceux de la Ligue eurent opinion que ce voyage étoit pourla båter. Les Ligueurs, qui donnoient un mauvais tour à toutes les actions du Roy , ont fait ex près courir ce bruit en faveur de Mrs.de Guife qui efperoient que cette Reine d'Efcoffe le de viendroit auffi d'Angleterre, ce qui fortifieroit confiderablement leur parti. Pour appuyer de pareils foupçons au defa vantage du Roy, il faudroit qu'il eut pû tirer quelque utilité de la mortde cette Reine , mais au contraire en lui fauvant la vie , il devoit SUR LA BIBLIOTHEQUE. 315 enattendre toute reconnoiffance , outre que l'on ne devoit pas s'imaginer que la Reine Elifabeth qui haiffoit la Ligue, avec raiſon , comme étant faite contre fa Religion , mour roit bien- tôt : ainfi on doit être perfuadé que quoique du Maurier ait dit dans la Preface de fes Memoires pour l'Hiftoire des Provinces Unies, que fon Pere avoit fcen de Mr. de Bellievre, qu'il avoit une inftruction fecrete de la main du Roy Henri III . pour preffer la mort de cette Reine ; c'eft une chofe inven tée à plaifir par Aubry le Pere , qui a fuivi en cela les bruits que la Ligue avoit fait courir avant que Mr. de Bellievre fut parti pour l'An gleterre. Mr. de Bellievre auroit merité la derniere punition , s'il avoit trahi le fecret , qu'on pre tend lui avoir été confié , & le Pere de du Maurier qui a dit l'avoir fceu de Mr. de Bel lievre, ne feroit gueres moins coupable , puis qu'il n'eft pas à prefumer que ce fecret lui ait été communiqué pour le divulguer. Voyez le Journal de Henri III. pag. 88. &la Confeffion de Sancy pag. 436. 46. Le grand Patinotrier , &c. Henri de Jovenfe Comte du Bouchage, qui a été Marechal de France , & eft mort Capu cin, avoit dans fa jeuneffe un penchant à la devotion & faifoit de frequentes prieres : Ca therine de Nogaret foeur du Duc d'Epernon fon épouse , étoit auffi une devote des Capu cins , comme on peut voir Tome 1. pag. 226. des Memoires pour l'Hiftoire de France : on feint dans le titre de ce livre imaginaire , que le grand Patinotrier , c'est-à-dire , le livre des Prieres de fon mari , avoit été traduit de Fla men enBafque, parce que le bon Seigneur n'y entendoit pas grand chofe ; on y feint encore 316 REMARQUES que le Pere Bernard de Montgaillart, fi connu dans la Satyre Menippée fous le nom du Petit Feuillant, & qui commençoit lors à être en vogue, y avoit fait des illuftrations pour rendre Ce livre plus intelligible : la femme duComte du Bouchage étant morte le 4 Septembre 1587. fon mary fe retira aux Capucins peu de jours après, n'ayant lors que vingt ans , y prit l'ha bit & fit les vœux, il en fortit en 1592 , y rentra en 1599, & eſt mort dans cet Ordre en 1608. Voyez l'Hiftoire des Officiers de la Cou ronne, lesMemoires pour l'Hiftoire de Fran ce T. 1. pag. 256, & la Confeffion de Sancy pag. 196. &2c6. 50. Copie du mariage , &c. Il a déja été parlé fur le N. 18. du mariage du Marechal d'Aumont & de Madame de la Bourdaifiere; on feint ici qu'il a été écrit à la main, parce qu'on a pretendu qu'il y avoit quelque chofe à redire aux actes produits à ce fujet en veue d'en tirer de l'argent. 51. LesCouches avant terme , &c. Le furieux ligueur Guillaume Roze Evê que de Senlis , tout devot & zelé Catholique qu'il vouloit paroître , n'en étoit pas moins homme, il avoit fait un enfant à la fille du Prefident de Nuilly, l'an des maffacreurs de la St. Barthelemi & des plus enragez ligueurs : c'est pour demafquer cet Evêque Tartuffe qu'on a forgé le titre de ce livre, qui nous apprend que le fruit de ce faint amour avoit paru avant les neuf mois. Voyez la Satyre Me nippée Tome2, pag. 133. & 353. & les Me moires pour l'Hiftoire de France Tome 1. pag. 146.& 248. 52. Le Vade mecum, &c. Madame de Rendan étoit Iſabelle de la Ro chefoucaud, femmede Jean Louis de la Roche SUR LA BIBLIOTHEQUE. 317 foucaud Comte de Rendan ſon Coufin , qui fe fit tuer en 1590 en voulant recouvrer la ville d'Iffoire en faveur de la Ligue , à laquelle il s'étoit furieufement livré. Voyez l'Hiftoire des Officiers de la Couronne Tome 2. pag. 1123. D. 53. Les miracles de la Ligue, &c. Le Baron de Senecey, dont il eft parlé dans cet article , étoit Claude de Beaufremont , De puté aux deux Etats tenus à Blois en 1577 & & 1588 , où il harangua pour la Nobleffe; fa harangue de 1588 eft imprimée dans le 3 . Tome des Memoires de la Ligue , il eft par lé avantageufement de luy dans le Perroniana pag. 280. 59. Pitoyables regrets de la Lune, &c. La Reine de Navarre Marguerite de Valois fe trouve defignée en deux endroits par la Lune. L'un dans l'Epitaphe de Louis de Clermont d'Amboife , dit le brave Buffy , qui ſe trouve raporté au 3. Tome des Eloges des hommes. illuftres François de Brantome, où il eft dit pag.405. Ilfut craint du Soleil , bien aimé de la Lune. Cet Eloge fe trouve raporté dans le 2. Tome des Memoires de Caftelnau pag. 540. avec cet te note , que le Roy Henri III. étoit le Soleil , &Marguerite deValois , la Lune. L'autre endroit où on defigne cette Reine fous le nom de la Lune , eft le Divorce Saty rique qui eft à la fuite du Journal de Henri III, où il eft dit pag. 176. que le Duc de Mayenne fut toujours ami de cette Reine, que cepen dant ils furent brouillez quelque temps pour une lettre écrite à la Vitry, où il promettoit de preferer le Soleil à la Lune, c'est -à-dire le RoydeFrance à laReine de Navarre. 318 REMARQUES Ce qui a donné occafion à forger le titre de ce livre eft , que le Duc d'Alençon étant mort en 1584, on tacha de faire revenir le RoyHenri IV de fes erreurs & le faire rentrer dans la Religion Catholique. Le Duc d'Epernon chargé de lui annoncer ce deffein , fit unvoiage à ce fujet, & le Roy Henri IV l'engagea à le venir voir à Nerac où il étoit pour lors. " La Reine de Navarre avoit malheureuſe ment une averfion horrible pour ce Duc, le Roy fon mary voulant cependant le recevoir agreablement , la Reine fongea à s'éloigner pour ne pas troubler la fête , ce qui n'étant pas du goût du Roy, il la pria inftanment de ne fe point retirer , &de lui aider à bien rece voir ce Duc. Cette Princeffe fut obligée de fe contrain dre , mais ce ne fut pas fans un extreme re gret d'être reduite à diffimuler en cette occa fion, elle qui n'avoit jamais pu s'abaiffer à feindre en la moindre chofe. On peut voir à ce fujet l'Eloge de cette Reine par Brantome entre ceux des Dames illuftres de France , où il raporte plufieurs circonftances de ce fait , qu'il dit avoir appris de bon lieu. Cet Eloge fe trouve raporté au devant des Memoires de cette Reine , Edition de 1713. 60. Traittez de l'innocence , &c. Lugoli étoit le Lieutenant du grand Prevoſt de l'Hoftel , on l'employoit , comme on a fait depuis Defgrais dans les affaires de la Cour & à arrêter& faire punir les criminels de con fequence, dont il étoit chargé; il étoit infor mé par ce moyen de quantité d'intrigues , par raport aux coupables qu'on lui ordonnoit d'arrêter. Voyez de lui dans la Satyre Menip pée Tome 2. pag. 117. &To. 3. pag. 5os. le SUR LA BIBLIOTHÈQUE: 319. Journal de Henri III . pag. 187. la Confeffion de Sancy pag. 149. & 168. les Memoires pour l'Hiftoire de France Tome 1. pag. 227. & 239. & Tomez. pag. 154. Il ne faut pas confondre ce Lugoli avec un autre du même nom , qui vivoit en même temps & peut-être fon frere , qui étoit Eche vin de la ville de Paris , & qui fut demis de cet Echevinage en 1588 , comme il eft dit pag. 248. du 2. Tome des Memoires pour j'Hiftoire de France. 61. Les apprehenfions dumariage, &c. Cette imaginaire Bibliotheque ayant paru en 1587, il faut que cet article y ait été ad jouté depuis , car ce titre ne peut avoir rela tion au mariage de Ludovic deGonzague avec Henriette de Cleves , fille ainée du Duc de Nevers, qui s'étoit fait en 1565 plus devingt ans auparavant ; il peut avoir relation au ma riage de Charles de Gonzague fils unique de Ludovic, qui a époufé Catherine de Lorraine fille du Duc de Mayenne ; mais comme ce Duc étoit encore fortjeune , étant né en 1580, & qu'il ne s'eft marié qu'en 1599 , cela ne peut convenir au temps que cette Bibliothe que a paru. On peut avoir eu en vene quelques propo fitions de mariage entre Catherine de Gonzague fille ainée de Ludovic avec un Prince de Lor raine, ce qui n'a pas eu de fuite , cette Prin ceffe ayant époufé en 1588 Henri Duc de Longueville. Voyez le Divorce Satyrique dans le Journal de Henri III pag. 175. les Memoi res de Nevers Tome I. pag. 75. l'Hiftoire de Nevers par Coquille , & les Dames Galantes de Brantome T.1. pag. 155. 63 Unique Recepte , &c. Madame de la Rochepot étoit Antoinette de 320 REMARQUES 4 " Pons, Marquife de Guercheville , femme en premieres nopces de Henri de Silly Comte de la Rochepot , defignée fous le nom de Scilinde dans l'Hiftoire des Amours du grand Alcan dre , qui eft à la fuite du Journal de Henri III pag. 245. Voyez ce Journal pag. 232. 247.271 . & 305. & les Memoires pour l'Hiftoire de France Tome I. pag. 90. 64. Les Rodomontades , &c. L'Ambaffadeur d'Espagne , duquel il eſt ici parlé , étoit Bernardin de Mendoce , un des arcboutans de laLigue contre le RoyHenri III; il vantoit continuellement l'enorme puiffance du Roy fon maitre , & faifoit des rodomonta des au fujet des grands preparatifs qu'il faifoit faire en 1587. La Reine d'Angleterre ayant de bons avis que ces apprêts étoient deftinez contre elle , tacha d'en prevenir l'effect en en oiant le Ca pitaine Drac avec quelques vaiffeaux armez en diligence pour croifer fur les côtes d'Espagne. Ce Capitaine outrepaffant fon pouvoir, commeon publia lors , mais ayant à ce qu'on pretend des ordres fecrets , fejetta dans le port de Cadix, où il ruina la plus grande partie des vaiffeaux qui y étoient , & en emmenaplufieurs tres- richement chargez. Strada de la Guerrede Flandre livre 9. Il eſt encore parlé d'autres grands exploits du Capitaine & depuis Vice Admiral Drac dans les Memoires de la Ligue Tome 2. p. 206. & Tome 3. p. 95. 65. Invention tres-fubtile &c. Il y a eu deux Dames de Briffac époufes de Charles de Coffe Duc de Briffac , l'une étoit Judith Dame d'Acigné, de laquelle il a laiffé pofterité , l'autre étoit Louife d'Oignies , fille de Louis Comte de Chaunes de laquelle il n'a point eu d'enfans. Hiftoire des grands Offi ciers SUR LA BIBLIOTHEQUE. 321 ciers de le Couronne , Tome 1. pag. 670. Le Sr. de Lavardin eſt le même dont il été parléfur le N. 4. 66. Lesgrands exploits &c. Les Quarante- cinq étoient une troupe de Gens determinez, que le Roy Henri III tenoit à gros gages pour la deffence de fa perfonne, & leur faire executer les coups d'Eftat , dont il les chargeoit : il en eft parlé pages 21. & 98. du libelle intitulé : Les mœurs humeurs de Henri de Valois , comme de vrais coupe- jarets & fendeurs de nazeaux ; ils avoient été levez avant l'an 1585; puis qu'on voit dans le Jour nal de Henri III pag. 77. & dans le 1. Tomedes Memoires pour l'Hift . de France, pag. 190. que Montaud Gentilhomme Gafcon , l'un d'entre euxfut decapité pour avoir accufé fauffement le Duc d'Elbeuf de l'avoir voulu corrompre pour tuer le Roy : on voit dans les mêmes Memoires que le Duc de Guife fut maſſacré par dix ou douze de ces Quarante- cinq: l'Au theur decette Bibliotheque en nommeun Cha labre. D'Aubigné pag. 24. du 2. Tome de fon Hiftoire univerfelle en nomme trois , fçavoir Loignac, Monferis , & la Baftide. On pretend que ce fut ce Loignac qui donna les premiers coupsde mort au Duc de Guife ; d'autres di fent que ce fut St. Malin , & que les autres ne firent que l'achever. Onpeut voir au fujetde ces Quarante-cinq , la SatyreMenippée To. 3. pag. 163. &412. la Vie duDuc d'Epernon T. I. pag. 242. I'Hiftoire du Marechal de Ma tignon pag. 243. le Journal de Henri II. pag. 114. & le premier Tome des Memoires pour l'Hiftoire de France , oùil eft dit pag. 279. que ceSt.Malin ayant été tué à l'attaque des faux bourgs de la Ville de Tours le 8 May 1589, le Duc de Mayenne en fit pendre le corps par X 322 REMARQUES T' les pieds, & envoia la tête à Montfaucon avec un écriteau tres- injurieux & menaçant contre la perfonne du Roy. 67. Admirable deffein &c. François d'Epinay Sgr. de St. Luc étoit Gou verneur de Brouage , & l'un des premiers mignons du Roy Henri III ; il n'eut pas plu tôt épousé Jeanne de Coffe , fille de Charles Comte de Briffac , mort Marechal de France en 1563, que cette Damepouffée , à ce qu'on a dit par la jaloufie , luy fit honte de fes proſtitutions , & ayant reconnu qu'il auroit quitté la vie libertine qu'il menoit , s'il n'a voit eu peur de nuire à fa fortune , elle luy confeilla de fe fervir d'adreffe pour retirer le Roy de fes debauches. Elle fçavoit que ce Prince avoit defrequens remords de fes crimes , fans avoir la force de les quitter , & ils convinrent enfemble qu'il falloit que les efprits s'en mélaffent , fans quoi il n'y auroit pas moyen d'y reuffir. On fit fai re une Sarbacane de cuire , laquelle on intro duifit fubtilement dans le cabinet du Roy, & au moyen de cette Sarbacane on luy fouffla aux oreilles pendant la nuit ce qu'il avoit à crain dre de la vengeance de Dieu , s'il nequittoit fa mauvaiſe vie; Saint Luc de fon côté fit fem blant d'avoir eu des fonges affreux fur le mê me fujet, lefquels il raconta au Roy, & il efperoit par ce moyen de le faire rentrer en luy même , & l'engager à changer de vie , fans perdrefa faveur , mais le Sr. d'O oule Sr. d'Ar ques qui étoit du fecret le decouvrit au Roy enluy faifant voir la Sarbacane qui avoit fervi à l'effraier; Henri III en conceut un fi grand depit contre le Sr.de Saint Luc, qu'il envoia le Sr. Lancofme pour s'emparer de Brouage , & empêcher queSaint Luc n'y fut receu ; celui- ci SUR LA BIBLIOTHEQUE. 323 le prevint & fit fi bien qu'il conferva ce Gou vernement contre l'intention du Roy. Cesfaits fe trouvent raportez pag. 1031. du premier Tome de l'Hiftoire universelle de d'Aubigné, qui dit avoir fceu ces particularitez de Mr. de Saint Luc même, dontil étoit le prifonnier. Ontrouve cette hiſtoire raportée à peu près de la même maniere dans leThuanus reftitutus pag. 40. Cependant l'autheur de la vie du Duc d'Epernon foutient pag. 41. du 1. Tome que ce recit eft une pure calomnie, dont d'Aubigné s'eftfervi pour noircir la reputation du Roy, contre lequel il étoit piqué pour en avoir été maltraité en plufieurs rencontres. Cet Autheur pretend que ce qui caufa la difgrace de Saint Luc fut , que le Roy aimoit une Dame de condition , & avoit pris pour confident de fonamour Caumontfrere du Duc d'Epernon &Saint Luc, que ce dernier eut la foibleffe de dire ce fecret à fa femme, qui le revela à la Reine , laquelle en fit des reproches au Roy, à qui elle avoua comment elle l'a voit appris , ce qui augmenta l'averfion que le Roy avoit commencé de prendre pour Saint Luc, depuis fon mariage avec la Damoiſelle de Coffe , qu'il croioit affectionnée à la Mai fon de Guife. Unautre Autheur a parlé de la difgrace de Saint Lucd'une maniere differente ; c'eft celui des Memoires pour l'Hiftoire de France To me 1. pag. 113.où il dit: En cetemps (1580.) Saint Luc mignon du Roy & Gouverneur de Bronage eft difgracié, ,,& Lancofme neveu de Lanac envoié en dili ,,gence à Brouage afin de la garder pour le Roy; le Lieutenant de Saint Luc en refuſa l'entrée ,,à Lancofme, & Saint Luc arrivant fept heures après enfit fortir cinq compagnies de foldats X 2 324 REMARQUE S 2,y étans fous la charge de Lancofme ; dequoi ,,le Roy averti , fit garder comme prifonniere ,,la femme de Saint Luc , &faifir fes coffres & ,,papiers ; quelque temps après Saint Luc fit ,,fur la Rochelle une entrepriſe qui ne fortit à ,,effect , ce qui fit croire la difgrace feinte. Peut-être que Saint Luc fit cette entrepriſe pour regagner les bonnes graces du Roy ; mais n'ayant pas reuffi à l'un, il ne reuffit pas à l'autre, &refta dans Brouage, qu'il conferva auRoy, nonobftant fa difgrace , &y ayant été affiegé en 1585. par le Prince de Condé, il dé fendit vaillanment cette place ; en forte quele Sr. de St. Mefmes, qui avoit été chargé de con tinuer ce fiege , pendant que ce Prince étoit en marche avec fon armée , dans l'efperance de prendre la Ville d'Angers , fut obligé de le lever. Voyez la Vie de Matignon pag. 173. & le 2. Tome des Memoires de la Ligue, pag. 6. 52. &198. Au refte fi l'Autheur de la Vie d'Epernon pretend avoir difculpé le Roy Henri III. des infamies , auxquelles on a dit qu'il étoit fujet, il né lui a tout au plus fait que changer de cri me, puis qu'il avoue que la difgrace de Saint Luc &fa retraite forcée à Brouage , n'eft pro venue que parce qu'il n'a pas pû garder le fe cret d'une intrigue que le Roy avoit avec une Dame de qualité , & dont la Reine fut infor mée par fon indiſcretion. 68. Avant propos de l'Esperance &c. Le livre contre lequel le Sr. de Perron , de puis Cardinal , s'étoit vanté d'écrire , étoit le Traitté de l'Eglife qui avoit paru en 1577, & que du Perron eftimoit beaucoup , fuivant le Perroniana pag 241. mais nonobftant les pro meties qu'il en avoit faites au Cardinal de Bour bon, & enfuite au RoyHenri IV, il n'y a jamais SUR LA BIBLIOTHEQUE. 32 répondu ; c'est à l'occafion de cette promeffe que le titre de ce livre a été inventé. DuPleffis a fait encore un autre ouvrage, auquel du Perron entreprit auffi de répondre ; c'eft le Traitté de l'Euchariftie qui a paru en 1598. On a dit que du Perron avoit déja fait imprimer deux volumes de fa Réponſe , & qu'il en vouloit faire un troifieme , il trouva apparenment fon ouvrage trop foible , & n'ofa pourcette raifon le faire paroitre. Voyez la vie de Du Pleffis pag. 44. 251. & 333. & la Confeſ fion de Sancy pag. 352. 69. Pfeaumes mis en rimes &c. Mr. de Thou a parlé fort avantageufement de PhilippeDes Portes à l'occafion defon para phrafe für les Pfeaumes , qui merite touteforte de louanges , comme il eft dit dans les Elo ges des Hommes Sçavans par Teiffier ; Sainte Marthedans fes Eloges des Hommes illuftres, fait celui de Des Portes & de fa Verfion des Pfeaumes , qu'il regarde comme un excellent Ouvrage, qui ne mourrajamais, Le Cardinal du Perron n'étoit pas de ce fen timent , puis qu'il eft dit dans le Perroniana, au mot DesPortes , que le moindre ouvrage que cet Abbé avoit fait , étoit fes Pfeaumes , qui fe fentoient de fa vieilleffe ; peut- être y a t-il de lajaloufie dans ce jugement , ils étoient tous deux Poëtes , Des Portes l'emportoit fur du Perron; il n'en faut pas davantage pour mettre la divifion entre deux Sçavans. Du Perron auroit cependant dû être plus moderé dans fes difcours , & fe fouvenir que c'étoit Des Portes qui avoit commencé la fortune en lefaifant connoitre , & qu'il l'avoitfoûtenuen plufieurs occafions où il avoit beſoin d'appui. 73. Subtil moyen paur reunir les affaires, &c. Dans le titre de ce livre, au lieudeJamet, il X 3 326 REMARQUES J faut lire Zamet , que le Roy Henri IV , dont il avoit été Cordonnier , employoit en intrigues fecrettes , c'eft pour cela qu'on le nomme Ambatfadeur par derifion

ce Roy le nom

moit toujours Baftien , nomfous lequel il é toit connu pendant fon premier meftier , il fe mit dans les partis & yfit une fi grande fortu ne , qu'il fe fit qualifier Seigneur de feize cens mil écus , fomme immenfe pour lors . Voyez la Satyre Menippée T. 2. pag. 128. & 188. & la Confeffion de Sancy pag . 261. & 276. 75. L'Hiftoire memorable & Ouys du Roy He rodes & c . On nefçauroit lire le titre de cette hiftoire pretendue , fans fremir d'horreur , de voir de quelle maniere indigne , les Ligueurs parloient du RoyHenri III , qu'ils appelloient commu nement le Roy Herodes , il eft ainfi traitté pag . 40. d'un libelle horrible intitulé

Les mœurs

&humeurs de Henri de Valois , imprimé pour la feconde fois en 1589. Le Sr. de Larchant , que l'on feint ici Au theur de cette Hiftoire , étoit Nicolas de Gri monville Sgr . de Larchant , Capitaine des cent Archers de la Garde du Roy Henri III , il eft mort Chevalier du St. Efprit en 1592 , fans laiffer enfans de Diane de Vivonne fa femme

comme il étoit toujours auprès du Roy , il fçavoit tout ce qu'il faifoit , & il étoit même emploié dans des expeditions fecrettes . Voyez les Memoires de la Reine Marguerite pag. 167. & 224. le Journal de Henri III pag. 314. la Confeffion de Sancy pag . 400. & l'Hiftoire des Officiers de la CouronneTome 2. pag. 1666 . 76. Les Rufianeries de la Cour & c . Charles Robert de la Marck Comtede Mau levrier , étoit l'un des Miniftres des plaiſirs du Roy Henri III

cela ne convenoit gueres

à un SUR LA BIBLIOTHEQUE. 327 homme de fa naiffance. Il eft parlé plufieurs fois de lui dans la Confeffion de Sancy, fur tout pag. 133. 170. 198. 383 & 403 comme d'un homme adonné à toutes fortes de vices. Le Pere Emond eft Emond Auger Jefuite Predicateur & Confeffeur de ce Roy, il étoit fi facile qu'au lieu d'infpirer au Roy les fenti mens d'une veritable pieté , il le tourna du côté de la bigoterie : la Reine Catherine de Medicis (qui n'étoit point affeurement fcru puleufe) enfut fi fcandalifée , qu'elle obligea les Superieurs de ce Pere à le faire fortir du Royaume, il eft mort à Come au Duché de Milan en 1590. Voyez le Journal deHenri III pag. 262. & 448. 77. Moyensfubtils de crocheter &c. Benoit Milon Sgr. de Wideville , étoit fils d'un Serrurier , s'étant mis dans les affaires, il y fit unetres- grande fortune par fes voleries; le Chevalier de Sevre les lui reprocha dure ment, dont le Roy Henri III fut fi outré , qu'il en maltraita ce Chevalier de coups de poing & depied, & auroit peut- être été plus loin fi le Ducd'Epernon n'eut arrêté le Roy, en lui faifant connoitre qu'il ne convenoit point à un grand Roy de mettre la main fur fes fujets , & qu'il devoit les faire punir par ſa Juftice. Milon étoit lors Prefident de la Chambre des Comptes, Intendant des Finances , & de l'Or dre du St. Efprit ; le Roy le congedia peu a près , & lui ordonna de refter à Paris pour y faire fes fonctions de Preſident : au lieu d'o beir il alla en Allemagne , & prit le nom de Rencour, il eft mort en 1594. C'eſt pour lui reprocher la baffeffe de fa naiffance & fes pil leries qu'on s'eft fervi dans le titre de ce livre du mot de Crocheter les Finances. Voyez la Sa X4 328 REMARQUES 1 tyre Menippée T. 2. pag. 327. le Journal de HenriIII. pag. 68. & les Memoires pour l'Hi Roire de France T. 1. pag. 69. 175. & 182. 78.Ledenombrement des veaux dela Ligue &c. Il n'étoit pas difficile à Aimar Hennequin Evêque de Rennes de connoitre tous les Li gueurs , il étoit fi fort attaché à leur parti , ainſi que tous ceux de fa famille , la plus grandede Paris , que le RoyHenri III l'appelloit la race ingrate : ce fut cet Evêque qui fit le Service pour le Duc & leCardinal de Guife. Voyez Blanchard Hiftoire des Prefidens à Mortier du Parlement de Paris , & les Memoires pour P'Hiftoire de France Tome 1. pag. 270. &To me 2 pag. 97. 80. Traitte de l'alteration du cerveau &c. Guillaume Roze Evêque de Senlis , Porte Croix dela Proceffion de la Ligue , fe dechai noit fi fouvent & fi furieufement en chaire contre le Roy Henri III , qu'on en auroit peut être fait unepunition exemplaire , fi l'on n'a voit trouvé le moyen de pallier les emporte mens par des accez de folie , auxquels on di foit qu'il étoit fujet. Voyez la Satyre Menip pée Tome 2. pag. 195. 81. De la fainte Ambition , &c. Mr. Seguier , duquel il eft ici parlé, étoit Antoine Seguier , Lieutenant Civil & enfuite Avocat general au Parlement de Paris ; les Placarts injurieux que l'on fit afficher contre lui l'obligerent à fortir de Paris ; il y fut rap pellé peu après par le Prevoft des Marchands & les Echevins , qui le prirent fous leur pro tectionfur la promeffe , qu'on dit qu'il fit lors, de faire recevoir le Concile de Trente. Il eſt mort Prefident à Mortier au Parlement de Pa ris en 1624. Blanchard a fait fon Eloge dans 'Hiftoire de ces Preſidens. Voyez à ſon ſujet SUR LA BIBLIOTHEQUE. 329 les Memoires pour l'Hiftoire de France T.I. pag. 120. 248. & 254. 82. Sermons de Mr. Couilly &c. Couilly Curé de St. Germain de l'Auxerrois n'étoit pas le feul des Predicateurs furieux de la Ligue, qui dit plus d'injures dans fes Ser mons quede paffages de l'Ecriture ſainte , auffi eft-il mis avec plufieurs autres au nombre de ceux qui étudioient la Bible des barangeres. Me moirespourl'Hiftoire de France T. 2. pag. 46. 83. Difcoursfur le Tableau du Parquet &c. Des deux Avocats generaux qui étoient lors au Parlement de Paris , Auguftin de Thou étoit le premier , il avoit été pourveu en 1567 . c'étoit un tres- habile homme & de grande pro❤ bité , il a été fait Prefident à Mortier au Par lement de Paris en 1585. Blanchard en a fait l'Eloge dans l'Hiftoire de ces Prefidens. Le fecond Avocat general étoit Jaques Faye Sgr. d'Efpeiffes , pourveu en 1580 par demif fion de Barnabé Briſſon ; il a exercé cette char ge jufques en 1590 , qu'il eft mort à l'age de 46 ans , étant lors Prefident à Mortier au Par lement de Paris; c'étoit un homme tres- actif & d'une grande vivacité ; on peut voir fon Eloge dans l'Hiftoire de ces Prefidens par Blan chard, & dans ceux des Hommes illuftres par Sainte Marthe. Le Procureur general étoit Jaques de la Guefle , fils de Jean Prefident à Mortier au Par lement de Paris. Il femble fuivant les Memoires pour l'Hi ftoire de France T. 1. pag. 235. quepar Mr.de Thou on ait voulu defigner l'afne , par Mr. d'Efpeiffes le bœuf, &par Mr. de la Guefle l'en fant; maisces applications conviennent fipeu, qu'elles ne peuvent que faire voir le ridicule de celui qui a fait le titre de ce livre, 330 REMARQUES, &c. 85. L'Enclume d'ignorance du Chatelet &c. La Prevofte de Paris étoit Anne de Barbençon, femme d'Antoine du Prat Sgr . de Nantouillet, petit- fils duChancelier de ce nom ; fon mari étant mort en 1589, elle épouſa enſuite René de Viau, Sgt. de Chanlivaut , fait Chevalier du St. Efprit en 1595. Cela fait croire qu'au lieu deChamplinault que l'on trouve dans le titre de ce pretendu livre , il faut mettre Chan livaut. 86. Second Tome du Cocuage volontaire &c. Il a été déja parlé fur le N 34. de Renéde Villequier, Chevalier du St. Elprit , il s'étoit deffait lui-même de fa premiere femme àcoups de poignard ; cependant cela ne l'empê cha pas d'en trouver & d'en prendre une fe conde, qui apparemment ne lui a pas fait plus d'honneur que la premiere ; ce fut Louiſe de Savonieres, de laquelle il a eu un fils qui n'a point laiffé de pofterité. Simirax fon compa gnon de panache, n'eft pas encore connu. 88. L'Apologie des Rabins &c. Jean Forget Baron de Maflée , fils de Pierre Forget & de Françoife de Fortia, l'une des Da mes de la Reine , a été Preſident à Mortier au Parlement de Paris , il eft mort en 1611 fort regreté, ayant fait de grands biens aux pauvres , & particulierement à l'Hôtel-Dieu de Paris ; il étoit fort fçavant , & à caufe de fa fcience on le fait ici l'Apologiſte des Rabins. Voyez les Memoires pour l'Hiftoire de France Tome 1. pag. 275. & Tome 2. pag. 356. &fon Eloge dans l'Hiftoire des Prefidens à Mortier par Blanchard. 1 DISCOURS SUR LA VIE DU ROY HENRY III Par Mr. LE LABOUREUR. E joindrai à l'Hiftoire de Charles IX un abregé de la Vie de Henri IIIfon frere & fon fucceffeur , parce qu'il fuft le dernier Roy du fang d'Orleans ou des Valois , pour parler comme le Vulgai re, & parce que Michel de Caftelnau l'Au theur des Memoires quej'ai commentez , aeu l'honneur de le fervir dans les premiers em plois defon regne. J'ay déja traité de ce Roy, comme Duc d'Anjou en quelques endroits , felon les fujets , oùl'on l'a veu vaillant , victo rieux & triomphant ; mais il faut attribuer ces qualitez à l'ambition qu'il avoit de fe fignaler, n'étant que frere du Roy, & defquelles il s'oublia tellement quand il fuft parvenu à la Couronne, qu'on peut dire qu'avec toutes les parties d'un excellent Monarque , il devint je fardeau de l'Etat , dont il avoit été le Sou tien , & duquel il fembloit devoir être le Re ftaurateur , & que fa Cour fuft le ſcandalede la Religion , qu'il avoit fi genereuſement dé fendue. C'eft une verité que je dis à regret, mais qu'il faut pourtant publier ; car ce feroit faire tort à la Juftice de Dieu , de ne la pas reconnoitre dans cette revolution étrange, qui fift perdre la Couronne à une race qui avoit fi longtemps combatu pour nos Autels , 332 DISCOURS SUR LA VIE & qui la tranfporta fur la tête d'un Prince Chef duparti heretique. Ce feroit encore pri ver le public , mais principalement les Roys , d'un exemple terrible de la vengeance divine, for ceux qui abufent de leur authorité pour être impunement vicieux , & qui deguifent leurs paffions d'un pretexte de pieté plus cri minel que l'herefie. Ce Roy quatriéme fils de Henri II. & de Catherine de Medicis , nafquit à Fontainebleau le 19 de Septembre 1551 , & euft pour Gouverneur de fa jeuneffe François Sgr. de Carnavalet , comme nous avons déja remarquez , qui cultiva heureuſement tous les principes de generofité , de valeur & d'efprit qu'il trouva en luy : & la Reine fa Mere fa vorifa d'autant plus cette noble & belle edu cation , qu'elle le voioit fi éloigné de la Cou ronne, & qu'elle previt qu'il luypourroit être neceffaire , fut- ce même pour l'opposer à Charles IXfon frere , s'il venoit à la mecon tenter. Ce fut pour cette raifon qu'elle fe le voulut acquerir , qu'elle le traita comme le mieux aimé de tous fes enfans , qu'elle le ren dit capable d'ambition , & qu'elle luy infpira les grands deffeins ; pour lefquels ils trouve renttous deux à propos de le rendre Chef du parti Catholique en qualité de Lieutenant Ge neral du Roy fon frere. Ses victorieux exploits ayans eu le fuccez qu'ils defiroient , ils ne fe defierent pas fans fujet de la jaloufie du Roy Charles , qui n'a voit point une joie entiere de tant d'avantages qui fe degouta enfin d'une fiétroite intelligen ce, & qui peut- être fe fit tort d'en avoir te moigné trop ouvertement fes fentimens ; car cela redoubla les foupçons de la Reine , qui continua d'inftruire le Duc d'Anjou fon fils dans des maximes plus étrangeres que Fran DE HENRY III. 333 goifes, &de gouverner l'Etat conformement à Jeurs interefts. C'eſt- à dire de fomenter les di vifions , d'entretenir l'efprit du Roy dans le trouble & la defiance , & de le reduire par le peu de plaifir qu'il prenoit à entendre parler de fes affaires , à en rebuter les foins & à vivre. mollement parmi les delices où on l'amufoit. Ils ne le faifoient agir que quand ils avoient befoin d'un perfonnagefurieux , afin de leren dre plus redoutable & moins aimé de fes peu ples , & qu'on ceffat de tant fouhaiter qu'il prit le Gouvernement en main. Ils s'aperceu rent neantmoins qu'il ne laiffoit pas d'être fuf ceptible des Confeils ambitieux , mais princi palement quand il écouta les propotitions que I'Amiral de Chatillon , lequella Paix avoit ra proché , luy donnoit de faire la guerre en Flan dres , pour recevoir fous fon obeïffance les Villes des Pays-bas , que la cruauté du Duc d'Albe avoit revoltées : & ce fut le plus pref fant motif qui les determina au masacre de la St. Barthelemy; pour changer tout d'un coup la face des affaires. Il y avoit longtemps que Ja Reine & fon fils avoient avec la Maifon de Guife conjuré la perte de l'Admiral ; toute fois c'étoit fans avoir convenu du temps , & de l'occafion , jufques à ce qu'ils fe defierent qu'il n'eût gagné l'efprit du Roy , qui luy donnoit de trop favorables audiences . LeDuc d'Anjou en creut être certain un jour qu'en trant dans la chambre du Roy, qui fe prome noit familierement avec l'Admiral ; il le vid changer de vifage à fon arrivée , & de ferein qu'il étoit auparavant , reprendre la fureur de fes yeux , porter la main fur la garde du poi gnard &faire des mines , qui le firent auffi- tôt retirer tout endefordre pour en porter les nou velles à la Reine. Elle lui dit alors qu'il ne fal " 334 DISCOURS SUR LA VIE loit plus marchander ; mais pour être plus af feurée, elle épia la fortie de l'Admiral , & vint avec unvifage meflé de ferieux & de gayeté de mander au Roy ce qu'il avoit appris d'une fi longue converfation ; j'ay appris lui dit- il en blafphemant , Madame , que je n'ai point de plus grands ennemis que vous & mon fre re, & fe promenant à grands pas , la laiffa là bien étourdie d'un fi dur accueil qui la fift fortir fans autrement deliberer. Comme ce changement eftoit à redouter à tous ceux quieftoient du Gouvernement , s'e ftant auffitoft affemblez au mandement de la Reine , on conclud fur le champ avec elle , qu'il fe falloit defaire de l'Admiral. Le Duc d'Anjou fe declara chef du Party , la Maiſon de Guife luy promit fervice , & d'abord on ne penfa finon de le faire affaffiner : mais n'ayant été que bleffé , le bruit qu'en firent les Hu guenots fervit infiniment à menager le con fentement du Roy fur le point de l'execution du deffein qui fut pris enfuite de faire le car nage de tous ceux dé ce Party , où le Duc d'Anjou permit tres volontiers au Cardinal de Lorraine de prefcrire non pas tous les en nemis de fa Maifon , mais quafi tous ceux qui n'en eftoient pas amis. Je ne touche que fuperficiellement ce recit pour faire connoi ftre que Henry III lors Duc d'Anjou eut la principale part à cette cruelle & fanglante tra gedie , & qu'il ne repandit tant de fang que pour les interefts. C'est ce qui obfcurcit tout Ï'éclat de fes premieres actions , & qui du Prin će de fon temps & de fon age le plus eftimé, le rendit le plus odieux. La Pologne mêmequi en ce temps-là n'avoit pas tant de commerce avec les Nations de deça , en aiant appris la nouvelle avec tant d'horreur , que ce fut le DE HENRY III. 335 plus puiffant obftacle qu'on eut à vaincre pour fon Election. Cette Royauté de Pologne fut un des plus grands mifteres du Cabinet de Ca therine de Medicis fa Mere, & ceux qui l'at tribuent à l'ambition de cette femme , font bien moins fins & moins éclairez dans fes pratiques , que ceux qui croiroient qu'elle n'y donna les mains que par addreffe , & qu'elle y travaillat à regret , afin d'oter au Royfon fils la defiance qu'il avoit de cette attache fi violente qu'elle avoit pour fon frere. Ses pre miers exploits & tous fes deffeins luy eſtoient fi fufpects , que ce n'eftoit plus jaloufie , c'e ftoit une haine implacable de fa part ; comme du coté du Duc d'Anjou , ce n'eftoit plus ny affection pour le fervice du Roy & de l'Etat, ni zele de Religion qui le portoit à la ruine des Huguenots ; mais une pure paffion de gou verner , que le pretexte de fe maintenir com mençoit à rendre fort criminelle. Il faifoit le perfonnage que le Duc de Guife prit après qu'il l'eut depouillé , & neantmoins il fut dépuis fi aveuglé de ne le reconnoistre qu'à la derniere extremité , & lors qu'un mal qu'il eut pu guerir par la prudence devint irrepara ble même à la fureur. La Reine pour temoi gner au Roy qu'elle n'avoit pour le Duc que des fentimens de grandeur innocens , & qui, n'avoient d'objet que l'honneur de fon fang, & de fa Maifon , fit mine d'avoir grande paf fion pour cette Election ; qu'elle ne croioit pas fi capable de reüffir : mais quand l'adref fe de nos Ambaffadeurs eut furpaffé les ef perances , file Roy en eut unejoye dont l'inte reft ne fe pouvoit plus diffimuler , elle en eut une fi noire affliction que toutes les couleurs qu'elle mit deffus , ny purent donner atteinte. Il parut alors tout à decouvert qu'elle s'eſtoit . $36 DISCOURS SUR LA VIE prife dans les lacs de fa prudence , où elle fe debatit en vain , & malheureuſement encore ; car leRoy fut plus perfuadé que jamais qu'elle ne craignoit rien tant que ce qu'elle feignoit auparavant de defirer avec tant d'empreffe ment. Chaque remife pour le depart de fon frere l'irritoit d'autant plus , qu'il voioit de fes yeux qu'il avoit auffi peu d'envie departir que ía Reine de le laiffer aller, & cela l'obligea même à de plus groffes paroles , après avoir dit , qu'il failloit que l'un ou l'autre allaft en Pologne. La Reine qui fe voyoit par cette ab fence reduitte à plus apprehender que ja mais d'un efprit & d'un courage de jour en jour plus redoutables , n'y pouvoit confen tir qu'elle ne creut contribuer à fa perte : & aiant cette nouvelle querelle à foutenir avec un plus foible party , elle en auguroit de mauvaiſes fuites par le branlement qu'un arrachement fi violent caufoit à la bonne for tune; après cela je ne parlerai point des con ſpirations fecrettes qu'on dit qui fe firent , & dont chacun jugera comme il lui plaira à la lecture du procez de la Molle & Coconnas , & de la lettre de Grand- Champ , que j'ai rapor tez exprés en leur entier & tout celaconfron té avec la Conduite de Catherine , & mefuré avec la Cataſtrophe de cette politique ou fauf fe fageffe tant louée par les flateurs du tems , & tant blamée des fages &.des politiques , & enfin foudroyée d'enhaut ; on penfera cequ'on voudra de la mort du Roy Charles IX arrivée quatre mois après , & des malheurs du Re gne de Henry III, au paifible retour duquel , fa Mere prepara toutes chofes d'une maniere fi concertée par le fupplice de la Molle & de Coconnas , par la prifon des Marechaux de Montmorency & de Coffe , & enfin par la de tention DE HENRY III 337 1 tention du Duc d'Alençon & du Roy de Na varre, que veritablement il faut avouer qu'el le étoit trop fçavante en la deftinée de cet eftat & de fa famille. Henry III revenant de Pologne par l'Italie , de crainte de quelque furpriſe de la part des Proteftans d'Allemagne , qui deteftoient la cruauté de la Saint Barthelemy, la beauté & la gentilleffe de fon efprit , auffi-bien que fa magnificence lui acquirent l'estime de tous les Eftats où il paffa ; mais par la defiance qu'on eut que fon union avec la Reine fa Mere con tinüeroit piutoft qu'elle ne changeroit le de fordre du Gouvernement , la joie de fon re tour fuft beaucoup temperée: & d'abord on

  • prit mauvaiſe augure de fa conduitte , qu'on

commença de decrier ; mais qui fut encore bien autrement blamée , quand on vit la Rei ne plus abfolue que jamais. Elle recommen ça la guerre qui lui fucceda mal ; elle nourit la defunion entre lui & fon frere le Ducd'A lençon , & pour mettre touttes chofes au mê me eftat qu'elles eftoient fous le regne de Charles IX, elle eut plus de joye que de con fufion de voir plonger le Roi dans les deli ces d'une Cour , dont elle entretenoit l'eclat avec grand foin & dont elle fouffroit la mol leffe pour fervir d'écüeil , je ne dirai pas feu lement au courage du Roi , mais à la repu tation de toute la Maiſon Roialle. Alors ce vaillant & ce victorieux trouvant les armes trop pefantes , ne fe refervat que le ftillet con tre ceux qui lui étoient fufpects , & au lieu des parties de guerre , il fit un de fes plai firs d'expofer jufques à ceux qu'il aimoit au hazard des embuscades qu'il leur faifoit dreffer, ou des querelles qu'il faifoit naiftre , pour fuf eiter des combats entre eux ; il fe divertiffoit X 338 DISCOURS SUR LA VIE 1 T encore de la licence qu'il donno't à fes mi d'attenter à l'honneur des Dames , gnons & fouffroit que leur indifcretion malitieuſe ou leur envie contre leur vertu les expofaffent , chaftes ou non , au mefme peril de leur repu tation. Ce qui offenfoit encore plus les yeux, c'eftoit que ce grand nombre de jeunes gens qui le gouvernoit , ne le divertiſt que de leurs honteufes debauches & qu'il recompenfat leur debordement de tout le pillage de fon Eftat. Quand ils lui venoient rendre compte deleurs entrepriſes d'amour , il louoit les heu reux , il plaignoit ceux qui avoient eftez re butez , il preferoit à tous les foins de fon Eftat , celuy de favorifer leurs paffions impu diques , & fouffroit qu'ils abufiffent de fon authorité pour des violences que je n'ofe pas defcrire. Cela lui attira la haine des femmes qui revelerent fon dereglement ;tous les peu ples le prirent en averfion en depit de tant de vices & de l'infolence de fes mignons qu'on ne pouvoit faouler de biens . La Reine mef me fa Mere , la Reine Marguerite la Sœur qu'il avoit tant aimée , enfin quafi tous ceux qui avoient part à fes affaires , & qui n'eftoient point de fes plaifirs , prevoyans un renverse ment d'Eftat , favoriferent quafi ouvertement le party le plus jufte en apparence , & par le ? 9 pag. 174. & 291. quel devoit arriver cette revolution deja an Voyez lanoncée d'en- haut par un coup de tonnerre * Confeffion qui troubla les plaifirs de ce Prince & qui lui de Sancy. tua deux de fes Compagnons de debauche. Ce party eftoit celui de la Ligue , dont le pretexte eftoit fort fpecieux dans un fi mauvais temps , fous un Prince effeminé , que la hon te de tant de defordres avoit rendu timide & & honteux , qui ne fçavoit par où le repren dre à cette reputation qu'il avoit perduë , & DE¿ HENRY III 339 quipour feindre plus de religion , fut contraint de faire des actions de foibleffe , plus capables d'accroiftre que d'appaifer le fcandale qu'il avoit caufé , & qui joignirent le reproche d'hypocrifie à celui de l'impieté. Tantque le Duc d'Anjou fon Frere vefquit, ce party ne fit pas fi grand bruit , on cacha les defauts du Roi , mais quand on le vit mort, les efprits rebutez du Gouvernement prefent, & encore plus épouvantez de la crainte du futur fous un Prince heretique , le Roi de Navarre prefomptif heritier de la Couronne , commencerent à parler haut, & à faire valoir le merire & les pretenfions de la Maifon de Lorraine. La Reine mefme croiant que le Duc de Lorraine fils de fa Fille en profiteroit, favo riſa cette faction de toutte fon authorité & de fon credit , d'autant plus que le Roi s'eftoit licentié de fa conduite , qu'il la traitoit plus mal que de coutume , & que fon Medecin l'affeura qu'il alloit devenir fol. Elle trouva auffi par ce moien une occafion de reprendre le maniment des affaires , en s'entremettant de l'accommodement de ceux de Guife , qu'elle reconcilia avec le Roi, à fon defavantage , & pour lui donner de nouvelles affaires , elle favorifa les Barricades , ou du moins en fut el le la principale caufe : étant certain qu'elle fit venir le Duc de Guiſe à Paris contre la deffence expreffe du Roi ; lui aiant mandé que ce Prince eftoit fi colere qu'un mondedegens d'importance eftoit perdu s'il ne venoit & s'il abandonnoit fes amis , & lui promettant de r'habiller les chofes en telle forte que le Roy oublieroit tout le paffé. Si je ne craignois de pecher dans la propor tion des chofes que j'ai à dire de ce Prince , je m'eftendrois fur ce traité de la Ligue, mais Y 2 340 DISCOURS SUR LA VIE parceque c'est une matiere fort curieufe & que peu de gens fçavent à fond : je crois qu'on me difpenfera de l'ordre , qu'auffi bien n'eft on point obligé de garder avec tant de féru pule quand on n'efcrit point hiftoriquement mais par memoires , & qu'on eft en liberté de choifir fes fujets & d'en paffer d'autres à difcretion.: La Ligue étoit un vieil Serpent , qui par trois fois fut coupé, plutôt par le deftin de 'Eftat , que par la prudence de Catherine de Medicis. Dans fa naiffance ce fut en apparen ce la chofe du monde la plus fainte , mais en verité la plus malitieufe ; l'art & la matiere étoient également pretieufes , & l'artifan auffi également illuftre & habile. C'étoit le Cardi nal de Lorraine, qui la trama au Concile de Trente, où il fit valoir les exploits & la pru dence , auffi bien que la valeur & la pieté du Voiez l'A- Duc de Guife fon frere , & reprefenta qu'on bregé de P'Hiftoire de nepouvoit défendre la Religion , quepar une la Ligue au Ligue de tous les Princes Chrétiens & autho devant du rifée du Pape , qui choifit un Chef dans le 1. Tome de Royaume capable d'entreprendre la ruine des la SatyreMe- heretiques pendant la minorité de nos Princes. L'Affaire étant refolue , la mort de fon frere arriva, qui ne laiffa que de jeunes enfans , & le Cardinal qui ne fongeoit qu'à la grandeur de fa Maifon pour égaler fon authorité à cel le des Rois & pour la rendre independante , fe garda bien d'en parler davantage. Il ne fon geât qu'à terminer le Concile , abregeant ex près de fa part toutes les formalitez , & paf fant par complaifance fur plusieurs articles pour rompre l'affemblée. Quand Henry de Lorraine Duc de Guife fut en age, ce Cardi nal fon Oncle, qui avoit difpofé les affaires au même état , fit connoitre au Pape & au nippée. DE HENRY III 341 Roy d'Espagne les mêmes befoins de la Re ligion , & la Ligue fut renouée ; mais fa mort la rompit encore , & il n'en reftat que le defir au Duc fon Neveu , qui conferva l'idée d'un fi grand établiffement avec impa tience d'en avoir tout l'honneur, & d'en voir naître l'occaſion , qui fe prefenta enfin l'an 1576 , quand Don Jean d'Autriche vint pour gouverner les Pais bas. Le Roy d'Espagne n'ayant point alors d'enfans mafles, ceDonJean fon frere naturel , qui penfoit à fe rendre mai tre de fon Gouvernement , ne douta point que le Duc de Guife n'eût d'auffi grands def feins en France , & il le vid fecretement à Joinville , où ils firent alliance offenfive & deffenfive. Auffi-tôt qu'il fut en Flandres , il gagna les cœurs de la Nobleffe & du peuple, qui creurent que c'étoit en leur faveur qu'il Ota les garnifons Efpagnoles des places ; mais il ne fut pas affez fin avec le Roy d'Espagne qui leprevint. On fit courirle bruit qu'ilavoit gagné fa maladie dans un lieu peftiferé , mais quoi qu'il en foit , le Duc de Guife croyoit la Ligue qu'ils avoient faite , morte avec luy, quand le Roy d'Espagne qui profitoit de tout, trouva moyen de retfufciter pour fes interêts , ce qui avoit été negotié pour fa ruine. E Il faut que Strada & ceux qui l'ont fuivi , fe trompent au temps de la mort deJean d'Efco vedo Secretaire de DonJean ; car des Memoi res que j'ay veus , & que le feu Sr. de Peirefe dreffa fur le recit qui lui en fut fait par le Sr. duVair, qui l'avoit appris dans une conver fation familiere avec Antonio Perez, fontmou rir Escovedo après fon maitre , & les confe quences en font trop grandes pour en douter. Efcovedo s'en retournant en Espagne après la mort de DonJean, remporta tous les papiers Y 3 342 DISCOURS SUR LA VIE fecrets , & fe mit au fervice du Prince d'Ebo ly , qui l'avoit nourri & élevé. Le Roy d'Ef pagne qui étoit amoureux de cette belle Prin celle d'Eboly , la feule qu'on peut dire avoir perdue un œeuil fans perdre fa beauté , fe fer voit d'Antonio Perez pour porter fes poullets : &celui- ci s'en acquittoit avec plus de joie que de fidelité dans la hardieffe qu'il eut de deve nir rival d'un maitre fi dangereux dans fes reffentimens. Cela ne pût être longtemps ca ché à Escovedo , qui lui fit reproche qu'il fe fervoit de la paffion de fon Prince pour faire fes affaires , & Perez auffi-tôt refolu de le per dre le premier , dit au Roy qu'il traverſoit ſes amours, & que c'étoit un complice des def feins de DonJean, qu'on pouvoit faire perir avec juftice , & même avec profit ; pour les grandes lumieres qu'on trouveroit dans les Memoires dont il étoit faifi. Auffi- tôt le Roy donne ordre par écrit à Fuentes de tuer Efcovedo , cela s'execute , & on trouve dans fes papiers le Traité fait entre le Duc de Guiſe & DonJean , avec une inſtruction bien ample des moyens & des amis dont le Duc preten doit de fe fervir pour venir à bout de fes pro jets. Peu après voiant que la France s'interef foit dans les affaires des Païs- bas , que le Roy de concert avec la Reine d'Angleterre entre prenoit la protection des Hollandois , & qu'on commençoit à fe declarer par celle de Cam bray: il envoia Mendozze en Francefous pre texte d'Ambaffade avec ordre de reprendre les arremens de ce traité avec le Duc de Guife, qu'il y difpofa peut- être d'autant plus qu'il lui fift apprehender qu'il ne revelaft le fecret, & lui offrit deux cent mille livres de penfion. Le Duc eut bien voulu attendre la mort du Roy Henry pour faire éclater cette Ligue , DE HENRY III. 343 mais quoi que l'Espagnol le preffat fort de pouf fer les affaires , leurs interêts étans differens , parce que l'un vouloit une diverfion prefente & un trouble d'Eftat : & l'autre tout au con traire dreffoit fa partie pour l'avenir & cachoit la flamme du feu qu'il fouffloit , à caufe de l'obftacle que lui faifoit la perfonne du Duc d'Anjou. Il effaia neantmoins de rendre ce Duc auffi fufpe&t qu'il étoit odieux pour fon peu de religion & de conduite ; & cela lui reüffit , de forte qu'on propofoit tout haut de le faire priver de fon droit de fucceffion à la Couronne: quand il mourut , les uns difent d'une maladie honteufe dont il étoit verita blement tout perdu , d'autres affurent que ce fut d'un bouquet empoisonné que lui fit fen tir une Dame de la Cour , qui alloit coucher d'un parti chez l'autre. Le Duc de Guiſe fut obligé alors d'agir de concert avec le Roy Catholique, qui pour le hafter le fit menacer par Mendozze de fe remettre en bonne intel ligence avec le Roy à fes depens , & de deli vrer tous les traitez qu'il avoit faits avec le plan de fes deffeins. La Reine Catherine en même temps voiant le Roy fans enfans , & la Race Roialle prête à perir en fa perfonne , fongea à lui procurer pour heritier le Duc de Lorraine fon petit- fils, & s'en decouvrit au Duc de Guife , qui defon côté étoit fi couvert en fes penfées , que fes freres mêmes n'en fçavoient rien. Il avoit un fecret pour chacun de ceux qui fe croyoient fes confidens , & les promeffes qu'il faifoit au Pape, auRoy d'Espagne , au Duc de Lorrai ne, & au Cardinal de Bourbon , étoient toutes differentes: fi bien qu'il ni avoit que lui qui fceut ce qu'il meditoit , & la Reine Mere mê mey fût prife ; croiant qu'il marchat de bon 1 Y 4 344 DISCOURS SUR LA VIE pied pour le Duc de Lorraine , qui prêtoit fa maifon pour les affemblées , & qui recevoit des honneurs de Roy , defigné en mêmetemps qu'on les promettoit au Cardinal de Bourbon ; qu'il voyoit tromper avec plaifir. Le Duc de Guife avoit un mot toujours prêt pour l'oreil le du Gentilhomme intereffé qui le venoit fa luer , un autre pour le Bourgeois zelé qui s'empreffoit pour le voir , & qui s'en retour noit à fa famille le cœur tout gros de l'hon neur qu'il avoit receu , qu'i ne manquoit pas d'exagerer au centuple, auffi bien que la fou le de Nobles & de Grands , qui fondoient à l'hôtel de Guife. Cela affeuroit tellement ceux du parti qu'ils faifoient mille deffeins , même fans lui, tel que fut celui de tuer le Roy & tous les Princes du fang qui l'accompagne roient à Notre Dame , où il devoit fe trou ver au fervice de la Reine d'Ecoffe. Les Li gueurs devoient fe faifir de trois portes , mais en ayans communiqué avec le Ducde Mayen me, à condition que la Maifon de Lorraine commenceroit la tragedie pour y engager le people , il eut horreur d'être foupçonné ca pable d'une fi deteftable action , & dit qu'il ni falloit point penfer. De plufieurs autres en trepriſes qu'on fit fur la perfonne du Roy, la Maifon de Lorraine & la Reine s'arrêterent enfin à la plus douce , qui fut de l'enlever un jour dans les Capucins , de le tenir comme prifonnier , regnans fous fon nom, dont ils appuieroient tout ce qui feroit par eux refolu, & de ne lui laiffer de liberté qu'avec les fem mes pour le faouler de plaifirs & lui faire ou blier fa captivité. Lesdifferens interêts du par ti faifans que ce qui fe propofoit avec paffion, ne s'executoit qu'avec lenteur & après beau Coup de remifes, Le Roy eut tout loifir defe DE HENRY II I. 345 reveiller d'un fi long fommeil & dans la fraieur de tant de perils dont il étoit environ né, étant d'ailleurs fur le point de voir fon authorité foumife aux conditions qu'on medi toit de lui impofer aux Eftats , qu'il avoit été contraint d'affembler à Blois , il ne fongea qu'à fe défaire du Duc, qu'il y fit tuer l'an 1588. Cela ne fe pût pourtant braffer en fi peude temps, que le Ducde Guife n'en fut averti trois jours auparavant , que lui- même ayant invité à fouper le Cardinal de Guife fon frere ,l'Ar chevêque de Lyon , le Prefident de Nueilly, la Chapelle Marteau Prevoft des Marchands , & Mandreville ; il leur dit que de beaucoup d'endroits on lui donnoit avis de fe defier des deffeins du Roy fur fa perfonne ; mais qu'il ne fe foucioit pas de fa vie , pouryeu que ce la ne fit point de tort à leur entrepriſe , & qu'ils lui feroient plaifir de lui donner con feil. L'Archevêque de Lyon dit franchement, que qui quitte la partie la perd , & que c'étoit quitter celle-ci fur le point de la gagner & re noncer à des avantages qu'il ne recouvreroit jamais , après avoir fait convoquer les Eftats avec tant de peines , & avec tant de bonheur, encore que d'avoir fait deputer un fi grand nombre de gens de fa faction , qu'il fe pou voit affeurer de difpofer du tiers Eftat & du Clergé , & d'avoir plus du tiers de la Nobleffe à fa devotion , & qu'enfin le Roy ne pouvoit être fi mal avifé que de fe commettre avec ſon Eftat dans une entrepriſe fi perilleuse. Nueillyla larme à l'oeil lui dit , fi vousvous perdez, nou's fommes tous perdus , je fuis bien d'avis de paffer outre , mais neantmoins que vous preniez garde à vous. Marteau foutint au contraire qu'il n'y avoit 346 DISCOURS SUR LA VIE rien à craindre , & qu'ils étoient les plusforts ; mais il demeura d'accord qu'il ne fe falloit defier du Roy, qu'afin de le prevenir. Mandreville le plus rufé & le plus determi né s'emporta dans fon fentiment, & maintint en jurant que l'Archevêque de Lyon n'y en tendoit rien , qu'il parloit du Roy comme d'un Prince le plus fage , le plus avifé , le mieux fenfé & le mieux confeillé du monde ; qu'au contraire c'étoit un fol , qu'il falloit croire qu'il feroit en fol , & n'auroit aucunes de ces prevoiances & apprehenfions ; mais executeroit fon deffein mal ou bien : & par tant qu'il fe falloit lever devant lui , & qu'au trement il n'y faifoit nullement feur. " Le Duc repondit à cela , que Mandreville avoit plus de raifon qu'eux tous ; mais que ces affaires étoient reduites en tel terme que quand il verroit entrer la mort par les fene ftres , il ne voudroit pas fortir par la porte pour la fuir. C'eſt ce qu'il fit auffi , & le Roy de fon côté ne fut pas plus prudent que Man dreville avoit predit. La Reine fa Mere lui fceut auffi bien faire entendre , quand l'étant allé voir dans fon lit , où elle étoit malade des gouttes , pour fe vanter d'avoir fait un coup d'Eftat , elle lui demanda s'il avoit vingt mille hommes tout prêts pour faire la loy au refte du parti , parce qu'autrement il avoit fur les bras la plus grande affaire qu'il eut jamais. Si elle eut été de l'entreprife , tout eut bien été d'autre forte , &elle n'auroit pas fait deux fautes capitales où il tomba. Laprincipale fut, qu'ayant une armée en Poitou contre les Hu guenots, il fe laiffa diffuader de la refolution qu'il avoit prife de mander au Ducde Nevers qui la commandoit , qu'il fit Treves & qu'il Ja ramenat; parce , lui dit-on , qu'il femble 2 DE HENRY III. 347 roit qu'il emploiat fes armes contre les Catho liques. La feconde fut , qu'au lieu de fe venir faifir d'Orleans , il fe contenta d'envoier trois ou quatre de fes gardes à la Citadelle , con tre laquelle la Ville s'étant foulevée , elle la força & donna exemple aux autres Villes de fecouer le joug. Ainfi en croiant venger fon authorité vio lée , il la commit contre un parti qui eut tout loifir de fe mettre en deffenfe , & même de marcher contre lui les armes à la main au paravant qu'il fut en état , & c'eſt tout ce qu'il put faire d'abord avec la jonction du Roy de Navarre & de fes troupes , que de refifter au Duc de Mayenne. Enfin la fortune du Prince, que le Ciel deftinoit pour fon fucceffeur , re tablit fes affaires , & lui ouvrit le paffage pour venir devant Paris avec une armée triom phante, & qui fut encore fortifié de dix mille Suiffes , que lui amena Nicolas de Harlay Sgr. de Sancy, après avoir victorieuſement forcé tous les obftacles du Duc de Savoie. Plufieurs Hiftoriens ont fort loué ce grand ſervice du Baron de Sancy , mais puifqu'il n'en receut que de l'honneur , & que la fortune renouvella en lui l'exemple du grand Bellifai re , on ne fçauroit trop louer une action de generofité & de fidelité tout enfemble que le Roi fon maiſtre ne put reconnoitre que par des larmes. J'y fuis d'autant plus obligé qu'on n'en apoint donné les particularitez , & qu'il eft important de remarquer que le Roy pro pofant le defordre de fes affaires en fon Con feil, & trouvant plus de compaffion qued'ex pediens de la part de toutte l'affemblée : Le Sr. de Sancy lors Maitre des Requettes , mais qui portoit fous une robe le cœur d'un brave gentilhomme , fit un grand difcours de tout 348 DISCOURS SUR LA VIE 1 l'eftat des chofes

qu'il conclut par une ne

ceffité abfolue d'un Corps de troupes étran geres qui ne fe pouvoit lever ny plus com modement , ny plus feurement & avec plus de diligence , qu'en Suiffe. On lui demeura bien d'accord de tout , mais ce ne fut pas fans deffein de les railler fur l'impoffibilité prefen te , tout le monde demandant qui feroit cet heureux François , ou plûtoft ce genereux qui avec des lettres du Roy luy pouroit faire une armée , ce ne devroit pas eftre moy , dit - il , deteftant en fon cœur l'ingratitude de ceux qui s'étoient enrichis avec exces des bonnes graces duRoy aux depens même de fa reputa tion , & de fa fortune

mais ce fera moipour

tant , & fur le champ il accepta la commiffion , & l'executa aux depens de tout fon bien . Eftant arrivé à la tefte de cette armée en Bourgogne, le Sr. de la Guiche qui avoit lettres de Colo nel des Suiffes , y alla pour les commander

mais il le renvoya avec cette reponſe , qu'il gardaft fon papier & qu'il garderoit les hom mes

& la choſe ne fut traittée au Confeilde guerre que pour y louer fon action & pour luy faire envoier les provifions de cettegran de charge avec plus d'honneur & d'applaudif fement. Le Roi à fon arrivée pleura en l'em braffant , &par ce que le Sr. de Sancy lui te moigna beaucoup d'étonnement d'une fi trifte reception , dans une fi grande profperité de fes affaires , je ne pleure , luy repartit- il que du regret que j'ai de n'avoir que des larmes & des promeffes pour payer un fi grand ſervice

mais

fi Dieu m'en donne le moien , je vous rendray fi grand qu'il n'y aura point de Grand dans mon Royaume qui ne vous puiffe porter en vie . Trois jours après il fut malheureuſement affaffiné par le perfide moine Jaques Clement , DE HENRY III. 349 & ainfy ce qui ne put fervir à retablir Henry III, fervit à la confervation du droit & à l'é tabliffement dans le throfne du grand Henry IV, qui en profita &qui en continua la recon noiffance au Sr. de Sancyjufques à ce qu'ayant ufé envers la Dame de Liancourt depuis Du cheffe de Beaufort , maitreffe du Roi, de cet te genereufe & franche liberté qui lui étoit naturelle , & que le Roy luy avoit toûjours foufferte comme une marque de fa candeur & de fon affection , elle luy fit ofter la for intendance des Finances. L'Hiftoire de fa dif grace fe peut dire en deux mots , c'eft qu'el le avoit pratiqué le mariage entre le Sr. Se baftien Zamet & Madelaine le Clerc , de la quelle il avoit deja eu quelques enfans qui fu rent en grande ceremonie mis fous poëfle à la veue de toutte la Cour ; afin de difpofer infenfiblement par cet exemple des gens qui n'apprennent rien que des yeux , à ne fe pas étonner des efperances qu'elle avoit. Et pour y mieux parvenir elle feignit d'eftre ignorante de la nouveauté du cas & demanda au Sr. də Sancy fi cette maniere de legitimer les enfans eftoit indubitable , il lui dit qu'ony , & lors croyant l'avoir fait donner dans le panneau , quoi dit elle avec une furprife affectée , fi par exemple le Roy m'epoufoit , nos enfans fe roient legitimes ; nenny Madame , reprit- il auffy- toft avec indignation de fon artifice & de fes deffeins , car en France les Baftards des Roys font toujours fils de putain. J'aime mieux quecette verité m'échape que de fouffrir qu'on fe laiffe perfuader de ce qu'on en trouve ef crit dans les Memoires du Duc de Sully , qui s'accufe lui- même de plufieurs differens avec le Sr. de Sancy , à la place duquel il fut mis dans les Finances : & ce ne peut etre neans 350 DISCOURS SUR LA VIE moins que fur la foy de cet Autheur un peu intereffé que le Sr. de Mezeray a laiffé cou ler dans cette belle hiftoire que nous devons à fon grand travail , que la pratique du Sr. de Sancy dans fa furintendance ne repondant pas aux beaux difcours qu'il en fçauroit faire, le Roi mit en fa place le Sr. de Rofny depuis Dac de Sully. Il ne faut point d'autres mar ques d'une integrité fans exemple pendant trois années dans cet employ , finon qu'il n'acheta pas un pouce de terre , & qu'il ne paya pas un fol de debtes : & j'atteſte pour cetteverité toute la France, qui vid avec com paffion vendre tous fes biens pour fatisfaire à ce qu'il avoit emprunté pour cette armée de dix mille Suiffes qu'il leva , & qu'il fouldoya à fes depens , & pour laquelle il mit en gage le plus beau diamant de l'Europe , depuis ache té par le Roy Jacques d'Angleterre , & qu'on appelle encore le Sancy. 1 Henry III fortifié de la jonction de ce puif fant fecours avec celuy du Roy de Navarre & des fidelles François , eftoit en eftat defor cer Paris à rentrer en fon devoir & à implo. rer fa clemence. Il y avoit auffi grand fujet d'efperer que l'experience qu'il avoit faite , changeroit fa conduite & fon gouvernement ; mais foit que lajuftice de Dieu ne fut pas en core fatisfaite , ou qu'elle vouloit un exemple de la premiere qualité , qui d'ailleurs opera un renouvellement d'eftat , elle permit qu'un malheureux poffedé de l'efprit de fuperftition, qui eft le pire de tous les demons , executaft fur luy le plus execrable de tous les parrici des par un funefte coup de couteau , dont il expira le jour fuivant 2 du mois d'Aouft 1589. Il emploia heureufement pour fon falut tout Je temps depuis fa bleffure jufques à la mort, DE HENRY II I. 351 il s'humilia fous la puiffance de Dieu , le re mercia des connoiffances qu'il luy donna de la vanité des Sceptres & des Couronnes & accompagna les regrets de fa vie paffée de tant de proteftations pour l'avenir fi fes jours lui étoient prolongez , quoy qu'il ne le fouhai tat qu'en tant qu'il feroit expedient pourfaire des fruits dignes d'une veritable penitence ; qu'il faut attribuer à un fuccez mifericordieux de la grace ; la force dont il gouta la mort , il ne la reçeut point commeun Roy, mais com me un criminel , il ne s'y diſpoſa pas comme à une neceffité de la nature , mais comme à un fupplice qu'il devoit fouffrir pour l'expia tion de fes fautes , & pour faire valoir ce qu'il avoit fait de bonnes actions dans les interval les de trente-neuf ans de vie & de quinze an nées de fon regne , affez brouillées & parta gées de vices & de vertus. Si quelques uns de fes favoris n'avoient point été plus curieux de leur intereft que de fa gloire , on pouroit dire de luy qu'il n'y eut jamais de Prince fi magni fique ny fi liberal ; mais ils empoifonnerent la fource de cette vertu royalle , & luy firent fatisfaire cette noble paffion en des prodiga litez & en des depences odieuſes , par la ne ceffité qu'il eut d'impofer fur les peuples de quoy faouler leur avarice. Sa bonté naturelle envers fes Officiers do mestiques l'en fit aimer jufques à l'adoration ; mais aucun d'eux n'a laiffé un plus grand & plus digne monument de fon affection que Charles Benift fon Secretaire du Cabinet & depuis Maitre des Comptes à Paris. Il ren dit à fa memoire ce grand office de pieté qui a plus contribué à l'honneur de Tanneguv du Chaftel que toutes les autres actions qu'il At fous le Regne de Charles III fon bon Mai 352 DISCOURS SUR HENRY III. 1 ftre il ne l'abandonna pòint ; il eut comme luy le principal foin de fes funerailles , il fit inhumer fon cœur & fes entrailles dans l'E glife de Saint Cloud , où il mourut : il luy érigea à fes depens un bel Epithaphe , &fon da en la même Eglife un fervice folemnel à perpetuité avec une depence digne de fon courage & d'eftre citée pour exemple de la reconnoiffance d'un particulier contre l'ingras titude des plus Grands. FIN.

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