De la folie. Considerations sur cette maladie.  

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De la folie. Considerations sur cette maladie. (1820) by Étienne-Jean Georget.

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DE LA FOLIE.


IMPRIMERIE DE MIGNERET, RUE DU DRAGON, N.o 20»


DE LA FOLIE.


CONSIDÉRATIONS

SVB

CETTE MALADIE:

son siège et ses symptomes ; la nature et le mode d'action de ses causes; sa marche et ses terminai- sons; LES différences QUI .LA DISTINGUENT DU DÉLIRE AIGU ; LES MOYENS DE TRAITEMENT QUI LUI CONVIEN- NENT ; SUIVIES DE RECHERCHES CADAVÉRIQUES;

Par m. GEORGET,

Docteur en Médecine de la Faculté de Paris, ancien Interne de 1," classe de la division des Aliénées de l'hospice de la Salpétrière.


A PARIS


CHEZCREVOT, LIBRAIRE

ivuE DE l'École DE MÉDECINE, N." 11 à i3.


82 Oo


A Monsieur PINEL,

PrQfesseur de la Faculté de Médecine de Paris ; Médecin en chef de la Salpétrière; membre de l'Institut, Che- valier de la Légion-d'Honneur et de l'Ordre Royal de Saint-Michel , etc.


A Monsieur ESQUIROL,

Médecin et professeur de Clinique sur les maladies men- tales à l'Hospice de la Salpétrière; Membre de la Société de l'Ecole de Médecine, Chevalier de la Légion- d'Honneur, etc. ;


Hommage de respect et de reconnaissance.


GEORGET.


AVANT PROPOS.


Trop de grands maîtres nous ont laissé des histoires complètes de Faliénation mentale , pour qu'on puisse ajouter beaucoup à ce qu'ils ont fait en ce genre. Après ce qu'ont écrit notre célèbre pro- fesseur Pinel, dans son Traité de la Manie , et M. Esquirol , dans les arti- cles dont il a enrichi le Dictionnaire des Sciences Médicales ^\q sujet paraît épuisé. Willis , Grichton , Perfect , Haslam, en Angleterre ; Ghiaruggi , en Italie; Rush, en Amérique, et plusieurs médecins allemands, ont également pu- blié les résultats de leurs recherches. Mais ces auteurs, par une circonspection extrême, ou peut-être dans la crainte de ^e trouver en opposition avec des opi- nions philosophiques ou religieuses, ont décrit les phénomènes de cette maladie , ^ans remonter à leur cause; ils ont consi-


VU] AVANT-PROPOS.

déré les troubles d'une fonction sans l'or- gane qui en est le siège , les désordres des facultés intellectuelles sans le cerveau qui est indispensable à leur manifestation ; en sorte que de cette manière ce sont les symptômes qui constituent la mala- die , au lieu du trouble organique qui leur donne naissance. Il en est de même de l'action des causes et des moyens mo- raux , qu'on n'a point regardés comme agissant sur le cerveau, à la manière des différens stimulus avec lesquels les autres organes sont en rapport. Ainsi j'ai pour but , en donnant une nouvelle histoire de la Folie , non point de la faire plus fidèle que celles qui existent, mais de chercher à fixer le siège , à remonter à la source des désordres produits, comme on le fait pour toutes les autres maladies; de faire enfin, à cette affec- tion , l'application constante des lois de la pathologie et de la thérapeutique gé- nérales.

Dans une introduction , je donne


AV AIN T-PP. OPOS. ix

quelques considérations physiologiques et pathologiques sur le système ner- veux , ainsi qu'un léger aperçu sur le siège et la nature des maladies. Vien- nent ensuite six chapitres où je traite successivement : i.^ dit siège et des symptômes de la folie ; 2.^ de ses cau- ses ; 3.^ de sa marche et de ses termi- naisons ; 4.^ des différences qui la dis- tinguent du délire aigu; 5.° des moyens de traite ment qui lui conviennent ; 6.^ du résultat des oui^ertures de corps.

Deux de ces chapitres ont déjà vu le jour : celui des causes a fait le sujet de ma Dissertation inaugurale , et celui des ouvertures de corps , le sujet d'un mémoire qui a remporté le prix proposé par M- Esquirol, en 1819.

Etant à même ^ depuis plusieurs an- nées , d'observer l'aliénation mentale dans un vaste Etablissement^ vivant^ poiu" ainsi dire , continuellement au milieu de douze cents malades , j'ai pu être témoin un grand nombre de fois de


X AVAT?T-PROPOS.

tous les faits que j'avance ; et je ne croîs émettre d'opinions que sulîisamnient motivées sur l'observation. Je dois ajou- ter, que M. Esquirol a bien voulu me permettre de consulter la collection des observations qu'il recueille depuis plus de vingt ans.


INTRODUCTIO


CONSIDERATIONS GENERALES, PHYSIOLOGIQUES ET PATHOLOGIQUES, SURLESYSTEME NERVEUX.

Uans les sciences physiques et chimiques, il existe une manière de procéder sans laquelle on ne pourrait jamais parvenir a la connais- sance des objets et de toutes leurs variétés, dont elles se composent, La marche qu'on suit, con- siste a considérer d'abord les corps dans un état simple, primitif, avant de s'occuper des transformations, des changemens qu'ils peu- vent éprouver dans des combinaisons plus ou moins multipliées, quelquefois presqu'infînies. On a ainsi des points fixes de départ auxquels on peut remonter pour se rendre compte de tous les phénomènes qui en dérivent. Qui pour- rait reconnaître du plomb dans le minium, si on ne savait que ce métal exposé à Pair, à une certaine température, prend cette forme ? Com- ment croire que l'eau se compose d'oxjgène et d'hydrogène, si l'étude séparée de ces deux corps ne vient le prouver ? A quels signes re- connaitrait-on que l'air n'est pas respirable,

1


2 ÎNTRODUCTÏOîC.

retient des corps étrangers , si on ignorait qu*il contient , quand il est pur , environ 7g parties d'azote et 1 1 d'oxygène ? Cette méthode naturelle, analytique, a permis de classer sans confusion , des milliers d'objets différens.

La médecine est aussi une science positive , d'observation : elle est fondée sur la connais- sance de l'homme -, elle a pour but la conserva- tion de la santé , la guerison des maladies 3 son étude doit donc être celle des autres sciences naturelles.

La santë , l'état sain , naturel ou ordinaire , résultent de l'exercice libre , facile, régulier et harmonique des fonctions qui constituent l'or- ganisme. On appelle maladies, les atteintes portées a cet exercice : ce sont des changemens à l'ordre naturel , des exceptions au cours ré- gulier de la vie. L'étude de l'homme sain doit toujours précéder l'étude de l'homme malade. Comment, eu effet, apprécier les changemens physiques ou d'action survenus dans les organes, si on ne connaît d'abord , leurs qualités physi- ques , les fonctions dont ils sont chargés , et la manière dont ils les exécutent ? Et vouloir agir autrement , s'occuper en premier lieu des al- térations d'organisation , des modifications , des complications d'action, ne serait-ce pas faire la même faute que le chimiste qui prétji drait


INTRODUCTION. ^

analyser une pierre précieuse sans s'être rendu familier avec les élémens qui la composent ?

Nous devons être étonnés des progi^s que la médecine a pu faire dans les temps anciens , où un respect superstitieux pour les morts forçait l'observateur a rechercher les causes et le mé- canisme de la vie dans les animaux seulement j dans ceux plus modernes où Descartes était persécuté , Galilée privé de sa liberté et Vesale mis à mort , pour avoir exposé des vérités au- jourd'hui non contestées. Les faits recueillis par Hippocrate , sont cependant encore de nos jours des modèles de perfection descriptive. Les causes premières des phénomènes y sont seules oubliées, ou exposées d'après des opinions plus ou moins erronées.

D'après ces principes, l'objet de nos recher- ches étant une maladie du cerveau , portion du système nerveux , laquelle consiste spéciale- ment en des désordres des facultés intellec- tuelles , je dois , pour faciliter l'étude des phé- nomènes qui la caractérisent , donner une idée du système nerveux en général, du cerveau en particulier , et des facultés intellectuelles , dans l'état sain.

Ces organes ;, les plus importans de l'éco- nomie , qui constituent Vame matérielle du corps , pour lesquels tous, les autres semblent

1.,


^ INTRODUCTION,

faits, sont loin cependant d'être connus d'une manière satisfaisante, tant dans leur texture, que dans la nature et le mode d'exercice de leurs fonctions. Des difficultés sans nombre , nées du sujet lui - même ou de la direction donnée aux recherches , en ont constamment entravé l'étude. J'en vais exposer les princi- pales.

1.° On a trop donné d'importance à la con- sidération-des formes du système nerveux , on a trop séparé l'anatomie de la physiologie, après avoir établi des divisions arbitraires , basées sur quelques différences physiques , on a cru pouvoir déterminer l'action de chacune de ces divisions j ensorte , qu'ici on a suivi une marche toute opposée a la seule qui puisse faire remonter à la cause véritable des phéno- mènes de la vie. Au lieu de rechercher la cause par l'observation des effets , l'usage des organes par l'action qu'ils exercent, on a cherché à expliquer l'action nerveuse , d'après la confor- mation, la distribution des nerfs. Il existe aussi eji anatomie, un mode descriptif, qui n'a pas peu contribué a induire en erreur sur l'usage de certaines parties Quand on décrit un organe, ou un système qui offre des divisions , on a coutume d'en considérer la portion principale comme le centre d'où émane tout Iç i^este >


INTRODUCTION. 5

c'est ainsi qu'on dit que le cœur donne nais^ sance k toutes les artères , par l'aorte ; que tel vaisseau nait de tel autre ; que tous les nerfs procèdent du cerveau. Cette méthode descrip- tive, vicieuse , qui n'avance en rien les con^ naissances anatomiques, a fait un tort incroyable à la physiologie. Delà est venu qu'on a regardé le système nerveux comme un tout y composé d'un centre (le cerveau) , source de toute in- fluence nerveuse , où prennent naissance des conducteurs (les nerfs) chargés de la distribuer dans toutes les parties. Mais d'abord , nos or- ganes ne procèdent nullement les uns des autres ; leurs élémens existaient dans le germe de la femelle j ils sont formés du même jet. Seulement ils communiquent plus ou moins directement entre eux , pour l'exercice des fonctions et assurer l'harm-onie , l'unité vi- tales. Ainsi l'œsophage communique avec le pharynx et l'estomac, pour recevoir les alimens du premier et les transmettre au second. Le cerveau communique- avec les sens , pour rece- voir les impressions, et avec la moelle épinière pour commander les mouvemens volontaires. Et en outre , si on eût comparé les animaux à l'homme , on aurait vu que les différens appa- reils nerveux sont en rapport avec les besoins de rorganisation des espèces, avec leurs fa-


6 INTRODUCTION.

cultes , et non avec le cerveau -, que cliez ceux qui ont une grande énergie musculaire, la moelle épinière est très-forte, que dans les ser- pens , par exemple , un renflement de cet or- gane , égale la grosseur de l'encéphale ; que dans les espèces où un des sens a une énergie très- grande-, le nerf qui en est la source , présente UJi volume très-considérable , tels sont l'olfactif du chien, l'oculaire de l'aigle.

3.° On a commencé à étudier les fonctions nerveuses , chez les êtres les plus parfaits. En m.écanique , avant de vouloir se rendre compte des mouvemens d'une machine compliquée, on prend connaissance du mode d'action de la ma- chine la plus simple, du levier. Si les physiolo- gistes , au lieu de s'adresser de suite k une or- ganisation complète dans toutes les parties , eussent considéré la vie simple des êtres infé- rieurs , et parcouru la chaîne des animaux jusqu'à rbomme, ils auraient vu la progression suivie par le système nerveux jusqu'à sa plus grande perfection j en comparant le dévelop- pement des différens appareils qui le compo- 6ent , avec l'action des autres organes , ils seraient parvenus bien plus vite à la connaissance de ces fonctions. C'est ainsi qu'en ne rencontrant que des traces du grand sympathique chez les étre^ qui n'ont que la vie intérieure et q.o reproduc-


INTRODUCTION. 7

tion , ils auraient avec raison attribué à ce nerf, la faculté d'entretenir l'action des organes qui la composent. En trouvant le développement de la moelle épinière et des nerfs qui en partent, en harmonie avec les forces musculaires ; le vo- lume du cerveau, avec les facultés intellec- tuelles •, les nerfs des sens , avec l'étendue des sensations, n'eussent-ils pas été conduits tout na- turellement à la connaissance des fonctions de chaque appareil du système nerveux ?

4.® La cause première de l'action de nos or- ganes nous est inconnue ; on ne sait ni pour- quoi , ni comment le cœur se meut, l'estomac digère -, il ne nous est donc permis que d'ob- server les phénomènes qui accompagnent , ca- ractérisent cette action , d'établir les conditions sans lesquelles elle ne pourrait avoir lieu. C'est ainsi que nous voyons dans la digestion stoma- cale, l'estomac recevoir une certaine quantité d'alimens, se contracter légèrement sur eux, les imprégner de liqueurs fournies par ses follicules et ses vaisseaux perspiratoires , les réduire enfin en une pâte homogène , appelée chyme , et les chasser alors dans le duodénum par des contractions ondulatoires ; que dans les sécrétions en général, nous voyons du san^ arriver dans l'intérieur d'organes qu'on appelle glandes, converti en partie en des liquidas


8 INTRODUCTION.

îiouyeaux , différens selon les usages auxquels ils sont destinés. Toujours nous ne pouvons qu'observer sans expliquer les phénomènes de la vie , si nous ne voulons pas risquer de nous égarer dans des liypolhèses toujours vaines, et souvent dangereuses pour la science.

Le sj^stcine nerveux est bien loin de nous inonlrer la manière dont il exerce ses fonc- tions^ aussi a découvert que le cœur ou Testomac ; d'abord il est profondément situé au milieu des autres organes, mis a couvert par des remparts osseux presqu'impénétrables , et ensuite nou- seuiement il ne se passe dans les nerfs aucuns m.ouvemens qu'on puisse apercevoir , mais encore les matériaux et les résultats de leur action, nous sont physiquement inconnus. On voit combien les physiologistes ont dû être embarrassés , sujets à l'erreur dans l'étude des fonctions nerveuses, sur- tout quand ils ont voulu en expliquer le mécanisme.

5.° Certains phénomènes nerveux ont paru si extraordinaires, si différens de tous ceux des autres organes , si incompréhensibles et dans leur nature et dans leur formation , si nobles pour être le résultat d'une action matérielle , qu'on a cru devoir les attribuer a un principe indépendant de l'organisation. Ce n'est point ici le lieu d'examiner cette question d'une ma-


INTRODUCTION. 9

ïîière particulière , je ne veux que dire un mot du principe général. Si on voulait classer les fonctions d'après le mystère qui règne dans leur mécanisme , il ne serait pas difficile d'établir une gradation presqu'insensible , de- puis la production mécanique de l'ouverture des coquilles de Phuître , jusqu'à l'intelligence de l'homme. Entre ces deux extrêmes nous rangerions la digestion du polype , et mêaie avant , le mode de nutrition des éponges , des boues de mer; nous verrions les organes diges- tifs du ver, consister en un simple canal qui s'étend de la bouche k l'anus , bien différens do ceux très- compliqués des mammifères ! N'est- ce pas le poumon vésiculaire des batraciens , de la grenouille entr'autres, qui nous a le plus éclairé sur la texture et les fonctions du pou- mon de l'homme ? Quelle différence entre la filtration de l'urine et la formation du chyle , entre la digestion dans le polype et dans l'es- pèce humaine î II y a certainement moins d'ana- logie , quant au mécanisme , entre une fonction des derniers animaux et la même chez les ani- maux supérieurs , qu'entre celle-ci et la pro- duction de l'intelligence. L'infiltration nutri- tive des éponges ressemble-t elle à la nutri- tion chez l'homme ? Si l'on peut établir une telle différence d'organisation en descendant.


ÏO ïîi T ÏIO DUCT lO'N.

pourquoi ne voudrait-on pas en reconnaître dans le sens contraire ? D'ailleurs , si la produc- tion de tous les phénomènes des corps vivans ^ ne tenait point à des causes fixes et immua- bles, pouvait dépendre de circonstances for- tuites, si le caractère et rintclîigence de l'homme n'avaient pour base l'organisation, la nature serait un véritable chaos sans lois générales ; les sciences, les lois , la morale seraient aussi variables , que les causes extérieures qui leur donneraient naissance. Mais il n'en est point ainsi : chaque membre de l'immensité des êtres qui habitent ce globe, a conservé la place qui lui a été départie , parce que son organisation n'a point changé • l'oiseau n'a cessé de voler , le serpent de ramper , l'homme de marcher sur ses deux pieds ; les facultés morales et intellec- tuelles des animaux supérieurs , n'ont jamais varié y l'espèce humaine nous offre aujourd'hui les mêmes vices et les mêmes vertus, les mêmes idées morales et scientifiques qu'autrefois.

6.* Enfin , une cause qui n'a pas peu contri- bué à embrouiller l'étude des fonctions ner- veuses , c'est que les physiologistes en ont abandonné une partie aux théologiens et aux métaphysiciens , qui , étrangers a la connais»- sanc;" des lois générales qui régissent l'économie vivante , ont aeraisonné sur les causes vérit^i^


î ÎN T R O D U C T I O N. 11

Lies de l'intelligence liufnaine. Eh î que dirait- on de quelqu'un qui voudrait connaître et vous apprendre ce que c'est que le sulfate de fer , sans notions sur la cliimie en général , et sur les sels en particulier -, qui prétendrait vous faire l'histoire d'une plante ou d'un animal , jsans savoir les caractères qui déterminent les classes , les genres ou les espèces , auxquels ces êtres appartiennent ? Aussi qu'est-il arrivé de cette étrange mutation d'attribution ? que les métaphysiciens et les théologiens , au lieu d'ob- server et de prendre la nature pour guide , se sont d'abord formé des idées sur ce que devait être l'homme moral et intellectuel , sans beau- coup s'occuper de savoir si elles étaient compa- tibles avec son organisation qu'ils ne connais- saient point ; et comme ils n'ont pu expliquer la production de ces phénomènes, ils se sont adressés à des causes étrangères, aussi incon- nues que leurs principes étaient faux. C'est donc au médecin seul , qu'il appartient de connaître toutes et chacune des fonctions de l'homme , sans aucune exception, si on veut avoir des idées saines sur leurs causes et leurs efï'ets.

Aujourd'hui , on possède beaucoup de con- naissances positives sur les fonctions du sys- tèaie nerveux, et on est sur la voie la plus


ia INTRODUCTION,

sûre pour les étendre. On doit , je pense , at- tribuer ces améliorations dans la science phy- siologique , plus particulièrement aux travaux de Bicliat et du docteur Gall.

Bichat a le premier bien distingué les deux ordres de fonctions , dont l'ensemble constitue l'homme vivant. Il a vu que les unes se font Sans le concours de la volonté , le plus souvent sans conscience , existent dans tous les êtres animés, et sont destinées à Tentretien, à la con- servation intérieure de l'individu -, et que les autres , sous l'empire de la volonté , exécutées avec conscience , appartenant exclusivement aux animaux , ont pour objet de les mettre en rapport avec les corps extérieurs. Bichat a ap- pelé l'ensemble des premières, vie organique ; on peut encore la désigner par les expressions dévie intérieure, végétative, automatique. Il a nommé Fensenible des secondes , vie animale, extérieure ou de relation. Ces considérations le conduisirent à ne plus considérer les organes nerveux , comrae un tout a action unique. 11 les partagea en deux portions , l'une , qu'il ap- pela système des ganglions , destiné à l'entre- tien de la vie intérieure, et l'autre , qui a pour fonction de présider à l'exercice de la vie ani- male. L'étude des animaux confirme pleinement ces observations , puisqu'après ceux chez les-


INTRODUCTION. l3

quels il n'y a pas de nerfs visibles , et a un dé- gré plus élevé, où l'on ne rencontre encore que la vie intérieure , il n'existe que l'appareil plus ou moins imparfait des ganglions; et qu'en- fin le système nerveux de la vie extérieure, se développe de plus en plus à mesure qu'on s'é- lève vers l'homme ^ en raison du nombre et de rimportance des relations que les animaux doi- vent avoir avec les objets qui les entourent.

M. Gall, dont on apprécie trop peu la doc- trine , parce qu'on veut la juger sans la con- naître ; doctrine qu'on cherche à livrer au ridi- cule, en la réduisant à une espèce de cranios- copie , M. Gall , dis-je , a fait des recherches très-profondes , très-instructives sur l'orgar^i- sation du système nerveux et sur ses fonctions. Je n'entrerai dans aucun détail pour les faire connaître , puisque beaucoup des idées que j'é- mets sur ce sujet , m'ont été fournies par la méditation de ses leçons ou de ses ouvrages.

C'est donc bien moins d'après ses dispositions physiques que d'après ses fonctions , qu'on doit former des divisions dans l'ensemble du système nerveux ; c'est toujours ainsi que î'a- natomie devrait suivre la physiologie. Nous voyons dans l'homme : i.** les nerfs de la vie nutritive ; ils consistent en une infinité de Çiets qui partent d'un grand nombre de corps


14; INTRODUCTION.

grisâtres ( gaiiglions ) , ou s*y rendent , situés tout le long de la colonne vei'tébrale depuis le col jvisqu*au bassin. Ces filets forment des rë»- seauxou plexus , qui entourent les artères et pé- nètrent dans tous nos organes avec elles, dans le cerveau lui-même , autour de la cérébrale an- térieure. Ils reçoivent des branches de commu- nication des nerfs rachidiens , de la sixième et cinquième paires cérébrales. Leurs usages sont très-peu connus : de ce qu'ils se répandent partout , on en infère qu'ils doivent être un des élémens essentiels à l'action organique. Du reste, comme on n'a jamais pu faire d'observa- tions directes , on ignore entièrement quelle est la nature et le mode d'exercice de leurs fonctions. Des auteurs, et Rell entr'autres, ont voulu placer dans ces nerfs , le siège des affec- tions et des passions. S'ils eussent étudié les animaux qui possèdent les uns sans les autres , l'erreur n'eût pas été de longue durée •, en trai- tant d'ailleurs des fonctions cérébrales , nous aurons des preuves positives , directes du con- traire. 2.° Les nerfs de la vie de relation : ceux- ci , se divisent en trois appareils qui ont des fonc- tions distinctes quoique étroitement unies , et dans une certaine dépendance les unes des autres. Le premier est destiné a recevoir les impres- sions des objets extérieurs , ce sont les nerfs


INTRODUCTION. l5

des sens *, le second est le siège des facultés mo- rales et intellectuelles, c'est le cerveau-, enfin, le troisième sert aux mouvemens volontaires , ce sont les nerfs de là moelle épinière. 5." On doit admettre une troisième série de nerfs ', ce sont ceux qui mettent en communication le cerveau avec certaines fonctions qui tiennent le milieu entre la vie extérieure et la vie in- térieure : dans ce cas se trouvent la digestion , la respiration et la génération. Ces fonctions sont soumises en quelques points a la volonté , et en d'autres en sont indépendantes. Elles sont animées par les nerfs des ganglions , en même- temps que par les nerfs de la vie extérieure. Le pneumo-gastrique se distribue au poumon et a l'estomac , et le Konteux fournit de nom- breuses branches aux organes génitaux.

Ces appareils nerveux , outre les fonctions particulières qui leur sont attribuées , servent tous à percevoir et à transmettre au cerveau, certains phénomènes qui se passent en nous. Tant que les organes de la vie intérieure exer- cent régulièrement leur action, nous n'en avons point conscience ; mais aussitôt qu'ils éprou- vent des dérangemens marqués, nous en sommes ordinairement avertis par un phénomène qu'on appelle douleur. Les nerfs des ganglions de- viennent, dans ce cas, tout aussi sensibles que


l6 INTRODUCTION.

les nerfs de la vie de relation. C'est sans doute de cette propriété générale des nerfs , que sont partis les magnétiseurs , pour supposer que ces organes peuvent exercer les fonctions les uns des autres , et qu'ainsi on peut , dans l'état de somnambulisme , lire açec les mains ou la région épigastrique , voir sans regarder , etc. Tant que ces messieurs feront leurs expériences dans l'ombre, avec des compères ou des com- mères , tant qu'ils n'opéreront point leurs mi- racles au milieu de l'Académie des Sciences ou de la Faculté de médecine , iis nous permettront de ne pas même prendre la peine de réfuter leurs rêveries ou leurs impostures (i).

Ces appareils nerveux , doués de facultés si différentes, doivent tous communiquer entr'eux, mais sur-tout avec le cerveau, pour les exercer^ dès qu'un nerf est séparé de cet organe par la section ou la compression , ses fonctions ces- sent. Le cerveau est donc non-seulement chargé

>■ — — "

(i) Je dois dire franchement que depuis que ce pas- sage est écrit , j'ai été témoin de plusieurs phénomènes mao^nétiques. J'ai endormi , fait parier et boire des aliénées convalescentes, sans qu'elles se rappelassent de rien en s'éveillant; seulement elles ne disaient rien de bien extraordinaire ; elles n'ont jamais vu l'intérieur de leur corps , ni les maladies des assistans; encore moins OGt-elles pu lire avec les doigts ou l'épigastre.


INTRODUCTION^ I7

de l'intelligence , mais encore il exerce un em- pire immense sur toute la vie ; son influence est nécessaire a l'action de tous nos organes, li'appareil des ganglions , indépendant chez les animaux inférieurs , ne l'est plus chez ceux, qui sont pourvus de cet organe. Combien il se* rait utile pour la physiologie et la pathologie , de déterminer quelles sont les conditions de cette dépendance , jusqu'à quel point elle peut cesser chez l'homme , sans que la vie intérieure en souffre I Je crois que nous arriverions par là , à connaître la source d'une foule de phéno- mènes , de maladies , jusqu'ici inappréciables dans leur nature ou leur siège.

Fonctions du Cerveau.

Ce qui a beaucoup retardé la connaissance des fonctions cérébrales, c'est leur multiplicité et leur importance : tous les auteurs ont re- connu que cet organe était la source de tout inllux nerveux dans les classes supérieures d'a- nimaux, ou du moins que son intégrité était nécessaire, pour que les nerfs qui communiquent tous plus ou moins directement avec lui , exer- çassent convenablement leur action. On doit soutenir aujourd'hui qu'il est une condition in- dispensable à la manifestation de l'intelligeace»

3


l8 INTRODUCTION.

Si deux organes eussent été chargés séparé- ment de l'exercice de ces deux ordres de fonc- tions , rien n'aurait été plus facile que de déter- miner l'action de chacun en particulier j mais au contraire , l'encéphale, qu'il soit simple ou composé , en est l'agent unique : et comme on a cru satisfaire à son importance dans l'écono- mie en lui attribuant l'influence nerveuse , on lui a facilement refusé toute participation k rexercice des facultés intellectuelles, qu'on a d'ailleurs regardées comme trop nobles , d'un ordre trop relevé pour devoir dépendre de Por- ganisation. Cette partie seulement de ses attri- butions va nous occuper un instant, les auteurs étant assez d'accord sur la première.

L'ensemble des facultés qui constituent Tin- telligence , apanage presqu'exclusif de l'homme, et que les animaux ne possèdent qu'imparfaite- ment et selon leurs besoins, quelle qu'en soit la cause primitive , est essentiellement liée k l'or- ganisation -, nous sommes loin d'avancer qu'elle est produite par le cerveau, comme la bile par le foie ; les connaissances positives sur cet objet, ne nous permettent de considérer cet or- gane , que comme une condition indispensable k sa manifestation, quel qu'en soit le mode d'action; Cette opinion qui n'est pas nouvelle , est pro- fessée par les physiologistes les plus recomman-


ï N T R O D tJ C T 1 O K. 19

daWes de l'époque actuelle : Le cerveau (1) dit M. le professeur Cliaussier, est l'organe de l'in- telligence* M. le professeur Rlcherand pense îioii'Seulement que le cerveau est l'organe de l'intelligence , mais que l'énergie de celle-ci dépend du volume et de la bonne organisa- tion de ce viscère. ( Elcn:ens de Physiologie p 6,^^ édition. ) M. Vagendie (2) après avoir dé- posé en faveur d'ua être immatériel, s'exprima ainsi : cependant pour nous faire une idée juste des facultés intellectuelles, nous devons les con- sidérer comme si elles étaient produites parl^ cerveau •, enfin , la doctrine entière de M. Gali çst basée sur cette manière de voir. Je ne m'amuserai donc point à la défendre des repro- ches de matérialisme qu'elle peut encourir ^ ces auteurs ont dû s'en charger ; je me hâte d'exposer plusieurs des preuves qu'on a ap- portées, soit pour l'appuyer, soit pour la com- battre.

1.° Dans les différentes classes ou espèces d'animaux , le volume du cerveau n'est en rap- port ni avec la masse du corps , ni avec le vo- lume des nerfs qui communiquent avec lui , ni avec le plus ou moins de perfection des sens*

(1) Traité de l' Encéphale^

(2) Traité de Physiologie^,

3.»


30 INTRODUCTION.

Ainsi, le bœuf qui pèse sept ou huit fois plus que riiomme , a cet organe beaucoup moins vo- lumineux j dans le serpent , Tun des renflemens nombreux de la moelle épinière a , au moins autant de volume que le cerveau lui-m.éme j le nerf olfactif du chien est presqu'aussi considé- rable que tous les nerfs des sens réunis chez l'homme, et son cerveau est beaucoup plus petit. Le développement de cet organe , et no- tamment de ses parties supérieures et anté- rieures , est relatif au degré d'intelligence. L'es- pèce humaine , seule , a cette partie de la tête qu'on nomme le front , elle seule aussi , est douée d'intelligence a un degré éminent. Presque tous les autres animaux , à l'exception de quelques singes , ont le crâne de niveau , supérieurement , avec la racine du nez.

2.° Chez l'homme , le volume du cerveau , et çn particulier du front, est presque toujours re- latif au degré de l'intelligence; presque tous les hommes à grands moyens , les vastes génies ont une grosse tête , très-bombée antérieurement ; les idiots , au contraire , l'ont quelquefois si pe- tite , si déprimée a la partie antérieure , qu'elle ressemble, plus oumoins, à celle du singe. Il est bien certain cependant que le volume de l'or- gane ne suffit pas au développement de ses fonc- tions , et qu'on doit tenir compte de l'énergie


INTRODUCTION. 21

TÎtalCjUne partie, quoique relativement petite, pourra souvent, par son activité et l'habitude de l'exercice, surpasser en énergie , celle dont les facultés restent dans un engourdissement con- tinuel ; ceci nous explique pourquoi quelques individus sont imbécilles avec un cerveau bien développé , et d'autres ont beaucoup d'intelli- gence avec cet organe d'un volume très - ordi- naire.

5.° Lesfacultés intellectuelles se manifestent, augmentent, diminuent ou s'altèrent, suivant que le cerveau se développe , se fortifie , s'affai- blit ou s'altère. Cet organe n'est encore qu'impar- faitement conformé à une époque de la vie, où d'autres, plus utiles alors que lui, le sont beau- coup mieux 3 tels sont le coeur, le foie : sa subs- tance est molle, diffluente et homogène jusqu'au septième mois de la conception. Ce n'est guère que quatre mois après la naissance , et quand l'enfant commence a entrer en relation avec les objets extérieurs , que le front commence à se développer -, quand l'homme physique est dans toute sa vigueur, depuis 2S ans jusqu'à 5o, l'en- tendement est aussi dans toute sa force-, et quand avec la vieillesse survient l'affaiblissement phy- sique, rarement il conserve long-temps l'énergie des âges précédens. Toute affection cérébrale subite , comme plaie , contusion , commotion^


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S3 INTRODUCTION,

compression , épaiichement de sang, trouble ou suspend l'exercice des facultés inl.eliectue'ies :, et si 1;^ cause n'agit pas trop long -temps, ou de niâ-» lîière à désorganiser, avec sacessatiua, elles reparaissent. On connaît les etfets des li-,' "urs alcoholiques et des narcotiques tant sur l'encé* pliale que sur ses fonctions.

Ce peu de preuves directes établît d'une manière si positive les droits de l'encépliale dans la manifestation de la pensée , que nous nous contenterons d'en reclierciier de nouvelles, dans la réfutation de ceiUs que les autevirs ont apportées dans le sens contraire,

1.° Buffon avait prétendu, que puisqvie l'ou«  rang-outaiig avait le même cerveau que l'homme, et non la même intelligence > on devait en re- cliercher la cause ailleurs qu<^ dans cet organe 31 l'observation de ce célèbre naturaliste est fausse^ le cerveau de ce singe 9 est très-loin de celui de l'homme. Son crâne offre à peine 1^ développe-» ment du crâne d'un idiot complet , ou d'un en-r faut en bas-âge. C'est cependant l'auimal dont la tête approche le plus par sa forme , de celle de l'espèce humaine -, aussi possède-t-il des quar lités morales , étrangères avix autres espèces de singes. Cette objection de Buffon , ne fait dong que confirmer la doctrine que nous soutenons, 2.'^- On a dit : il peut exister des lésions graves


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INTRODUCTION. 25

du cerveau, des pertes considérables de sa sub- stance, sans altération notable de l'intelligence. Cette objection pourrait paraître spécieuse , si on ne pouvait également l'appliquer a d'autres^ organes , dont l'action n'est pas contestée, et qui aideront ainsi k la résoudre : toutes les fonctions exercées par des organes pairs peuvent sub- sister, pourvu que l'an des deux reste sain ; la force nouvelle que celui-ci acquiert , peut sou-s- vent même remplacer lout-a-fait l'action perdue y un poumon détruit par la suppuration _, un tes- ticule enlevé, un oeil de moins, ne font pas perdre les facultés de respirer , d'engendrer et de voir -, le cerveau est composé de deux moitiés semblables , elles doivent être chargées des mêmes fonctions , et pouvoir ainsi se suppléer dans le cas de destruction ou de maladie d'un seul côté. Remarquons , en outre , que les exemples ne sont pas raï*es d'altérations consi- dérables survenues lentement , ignorées pen- dant la vie , et dont l'ouverture cadavérique seule est venue révéler l'existence. Voici , à cette occasion, un fait que j'ai entendu citer à la clinique d'iui médecin de l'Hôtel-Dieu : Une demoiselle jeune , fraîche et paraissant jouir d'une santé brillante , meurt subitement en sortant d'un bal où elle avait dansé et chante toute la nuit ^ à rouverture du. corps on trouva


34 INTRODUCTION.

ses poumons tellement détruits , qu'au premier abord on douta qu^il en eût jamais existé. Ce qui arrive ici pour les poumons , peut se pré- senter pour d'autres organes j je ne crois ce- pendant pas que le cerveau ait jamais offert d'altérations aussi considérables sans lésion de ses fonctions. L'hydrocéphale que des auteurs, Duverney entr'autres , ont considérée comme une destruction de la substance cérébrale , a sur-tout été invoquée comme preuve que le cerveau n'est pas essentiel à la production de l'intelligence. Mais depuis les recherches de M. Gall sur cette maladie, on est convaincu qu'elle consiste dans une hydropisie des ventri- cules ; que les circonvolutions sont déployées et applaties pour former les parois de la poche séreuse ; qu'il n'y a qu'un changement de forme et une distension des fibres nerveuses, opérée si lentement, qu'il n'est pas étonnant que les pro- priétés de l'organe n'en soient pas abolies 5 les individus hydrocéphales sont , d'ailleurs , presque tous imbécilles et ne vivent pas long-r temps (1).

(1) J'ai fait insérer dans le Nouveau Journal de Méde^^ cine, cahier de mars 1820, une observation qui con-> firme , outre ce que j'avance ici, d'autres vérités sur lesi fonctions nerveuses. Je tirai, au moyen d'une pono- tÎQfl 5 çaviron deux litres de liquide de l'intérieur du


INTRODUCTION. 25

5." Pour prouver que la volonté était indé- pendante du cerveau , on a cité l'exemple d'en- fans acéphales qui ont tetté et crié j Legallois


crâne, pour pouvoir terminer raccouchement. L'en- fant, du sexe féminin , vint mort, mais on reconnais- sait facilement qu'il ne faisait que cesser de vivre. Il était bien conformé et à terme ; la mère d'ailleurs l'avait toujours senti remuer : le crâne seul se trouvait déve- loppé extraordinairement. Le cerveau présentait une vaste cavité, lisse et polie, sans aucune déchirure ni éro- sion , formée par la réunion des trois ventricules anté- rieurs. Les couches optiques , les corps striés n'étaient qu'applatis et écartés antérieurement. Les parois supé- rieure et postérieure de cette cavité , étaient formées par une membrane molle , très-mince , qui résultait évidem- ment, au milieu et antérieurement, de la distension du corps calleux, sur les côtés et postérieurement, du dé- plissement des circonvolutions. Cette dernière disposi- tion était frappante , car on voyait cette membrane très- liiince vers le centre , devenir plus épaisse en s'en éloi- gnant , présenter alors des traces de circonvolutions , et enfin se continuer sans aucune espèce de séparation avec les parties cérébrales latérales et antérieures , qui n'avaient que peu souffert dans leur organisation. L'aque- duc de Sylvius , le quatrième ventricule , le cervelet, le mésocéphale , les nerfs dits cérébraux 3 le cordon ra- chidien , étaient parfaitement sains.

Cette observation prouve , 1.° que dans l'hydrocéphale îe cerveau au lieu d'être détruit, comme le pensait Duver- ney et autres, présente seulement un déplissement de


26 I N T R O D ÎJ C T I O N.

assure que des oiseaux décapités ont continué a voler. Les véritaÎDles acéphales meurent peu de temps après la naissance j mais il arrive souvent qu'il existe encore une espèce de bulbe formé par la protubérance annulaire et la moelle alongée , d'où naissent presque tous les nerfs cérébraux j dès-lors il n'est pas étoïinGBt que Tenfant vive quelque temps, et exécute quelques mouvemens réguliers ; quant aux pliénomènes observés par Legailois et d'autres auteurs, les uns me sem- blent peu probables, et les a. ères de simples mouvemens automatiques, sem^biables à ceux, qu'on peut exciter au moyen de la pile vol- ïaïque , sur des animaux nouvellement tués.

Je pense avoir établi assez positivement que le cerveau est l'organe des facultés intellec- tuelles, ou du moins qu'il est une condition in- dispensable à leur manifestation , quelle qu'en puisse être la source primitive. L'état actuel des connaissances ne nous permet pas d'en dé- terminer le mode d'action -, nous ne pouvons

ses circonvolutions, une compression lente et graduelle de sa substance , ce qui rend raison de l'action qu'il peut encore exercer dans cet état , à l'exemple de tous les organes altérés insensiblement; 2.° qu'il ne donne point naissance aux autres appareils nerveux , puisque ceux- ci sont parfaitement sains, quand il est très-endomi- magé.


INTRODUCTION. 27

qii*élablir des faits , sans en chercher PexpH- cation.

L^intelligence doit être considérée comme une fonction , qui se compose de l'exercice de facultés plus ou moins nombreuses , selon les be- soins des divers genres d'animaux , dont quel- ques-unes, qui tiennent de plus pi'ès à l'existence individuelle, se rencontrent dans toutes les es- pèces, tandis que d'autres , d'un ordre plus re- levé, n'existent que chez ceux qui, vivant en société , ont besoin d'étendre plus loin leurs relations avec les corps environnans. Tous , depuis le polype jusqu'à l'homme, peuvent ap- précier plus ou moins bien, un certain nombre de qualités des corps j le chien qui ne recom-^ mence plus une action pour laquelle il a été puni , qui caresse le maître dont il a à se louer, possède nécessairement le pouvoir de retenir et de rappeler des faits passés ; l'animal qui tend un piège , se met en embuscade pour saisir sa proie , fait sentinelle de crainte de surprise , a dû juger d'une multitude de circonstances y re-^ latives , qui prouvent qu'il est pourvu de la faculté de rapprocher des objets et d'en déduire des conséquences. Les animaux sont donc doués d'intelligence , mais beaucoup moins variée et moins étendue que celle de l'homme. Cet être privilégié 3 possède réunies 3 non-seulement le« 


^8 INTRODUCTION.

facultés qui ne se rencontrent qu'isolées et souvent médiocrement développées sur chacun d*eux, mais encore de particulières k son espèce, dont l'ensemble lui constitue un apanage qui rélève tant, au-dessus de tout ce qui l'environne. Presque touS les idéologues qui se sont oc- cupés de l'analyse de l'entendement humain , se sont tenus à des divisions générales , dans lesquelles ils ont compris des qualités morales qui se ressemblent sous certains rapports , mais aussi qui diffèrent sous beaucoup d'autres essen- tiels \ ainsi , dans le même genre, ils ont rangé la mémoire des lieux , des mots et des faits ; c'est , il est vrai , toujours représenter le passé dans le présent ; mais chacun de ces modes peut exister indépendamment des autres : tel indi- vidu rapportera avec les plus petits détails les lieux qu'il a parcourus une seule fois, qui pourra à peine retenir quelques vers j tel autre aura la mémoire exclusivement dirigée vers l'étude des faits d'observation ; il est des animaux dont certaines actions ne peuvent être expliquées , qu'en leur supposant la mémoire des lieux pro- digieusement développée ; tels sont les voyages de certains oiseaux , et en particulier des hiron- delles. Il nous serait facile de démontrer que le jugement n'est point une faculté unique, fon- damentale -y que ce n'est qu'un mode d'exercice


INTRODUCTION. 29

commun a presque toutes les facultés primi- tives ; ainsi , qu'on fasse de la peinture , de la musique , de la poésie , ou des calculs , il y a toujours rapprochement d'idées, juge- ment, mais sur des objets tout-à-fait difFé- rens.

M. le docteur Gall , dans sa physiologie da cerveau, s'est sur-tout occupé de rechercher les qualités morales primitives de l'homme , de les distinguer d'avec les résultats de l'action com- binée de plusieurs d'entr'elles, ou de leur mode d'exercice. Nous n'examinerons point s'il en admet trop ou trop peu, si quelques unes ne sont que des formes différentes que revêt une seule y un pareil examen est beaucoup trop au- dessus de nos forces , pour être entrepris ainsi en passant.

L'intelligence résulte du concours indispen- sable de l'action des objets extérieurs , perçus parles sens, et de dispositions intellectuelles primitives, propres aies apprécier et à réagir sur eux : toutes les fois que ces deux condi- tions existent séparément , la pensée est nulle. L'idiot a souvent les sens bien développés ', les objets extérieurs se présentent, mais ne font aucune impression sur une organisation vi- cieusement conformée : l'être , privé plus ou moins complètement des sens, ne vit guère qu'à


5b - INTRODUCTION.

la manière des végétaux. Ce sont ces disposî**' lions inteilectuelles fondamentales dont M. Gall a cherché par l'analyse^appliquée tant à l'homme qu'aux animaux , a fixer le nombre et les attri- butions. Parmi celles qu'il regarde comme pri- mitives , les unes sont relatives à la conserva- tion de l'individu ou de l'espèce : telles, Tamour de soi , l'amour de la progéniture, etc. -, et ont reçu le nom particulier de penchans* D'autres sont plus particulièrement destinées a l'homme social ou religieux , qui seul , parmi les autres êtres, en est doué j telles les facultés de calculer, de peindre, de faire de la musique, de s'élever jusqu'à la connaissance d'un Dieu. Il en est qui servent à rappeler les choses passées, dans le présent ; c'est la mémoire. Enfin quelques-unes constituent essentiellement le principe de l'as- sociation des idées , de la comparaison des objets entr'eux , du jugement proprement dit.

Que ces divisions soient bien ou mal fondées, il n'en est pas moins certain, malgré l'opinion de Condillac qui prétend que tout nous vient des sens , et d'Helvétius qui attribue à l'éducation le pouvoir de changer même le caractère na- turel , que nous naissons avec des dispositions plus ou moins prononcées a être ce que nous sommes , quoique l'espèce humaine soit divisée par les régions qu'elle habite , le langage qu'elle


INTRODUCTION. 5l

parle, elle est à- peu-près par-tout la même; en tout lieu, le crime est crime, et la vertu est vertu. L'éducation peut développer des facultés , cor- riger des défauts , mais ne fera jamais un poëte d'un matliéiaaticien 3 l'homme parvient quel- (|uefois à charger le cours d'un lleuve, mais ne peut le faire remonter vers sa source.

De la percepdon des objets et de leur élabo- ration par l'organe intellectuel , résultent des effets, des déterminations, que les psycologistes ont en générai regardés comme les élémens de l'entendement, tandis que ce n'est réellement que l'expression d'actions antérieures. Ce sont les formes que revêt la pensée en se manifes- tant au dehors. Il nous importe de les examiner, car le délire ne se reconnait qu'aux altérations dont elles sont susceptibles. On peut les réunir dans les cinq ordres exprimés par les noms de penchans et passions , pensée ou jugement , vo- lonté, mémoire et imagination, aifections.

L'exercice modéré de ce que nous avons ap- pelé penchans, donne lieu a ces sentimens di- vers dont le but est toujours la conservation et le bien-être de l'individu ou de l'espèce. Tels sont les résultats de l'amour-propre ou de soi , de l'amour de ses semblables ou de ses enfans, du besoin de l'union des sexes , etc. Les pas- sions ne sont autre chose que l'exaltation , je


Sa INTRODUCTION,

dirais presque le délire de ces mêmes penchans* Je pense qu'on devrait restreindre ainsi la si- gnification de ce mot , et ne point Pétendre à ce que nous appellerons affections , lesquelles dé- pendent de circonstances fortuites ; dans ce cas se trouvent la joie , le chagrin , la tristesse , la crainte , la peur, etc. Les véritables passions ont leur source en nous, naissent souvent sponta- nément 3 ce sont les penchans poussés à l'ex- trême, presque tout-a-fait indépendans de la raison. Ainsi l'amour est le besoin de l'union des sexes , devenu exclusif pour être satisfait. La colère est toujours un mouvement violent de l'amour de soi, etc.

Pensée , raisonnement , jugement , signi- fient formation , combinaison d'idées , c'est-à- dire faculté de rapprocher , comparer les objets et d'en tirer des conséquences ; c'est pour ainsi dire l'intelligence en action.

La mémoire , nous l'avons déjà dit , a pour objet de retenir les choses présentes, et de pou- voir les rappeler après un laps de temps plus ou moins long.

La volonté est cette force , qu'a l'être intelli- gent, de prendre des déterminations d'après des motifs plus ou moins bien appréciés par les autres facultés intellectuelles.

Je ne puis mieux comparer ce qu'on appelle


INTRODUCTION. 55


imagination , qu'à ce que nous nommons passion. L'imagination , en efFet , n'est autre chose que l'exercice actif d'une des facultés que l'homme possède exe lu sîtc rnei^t; par exemple, de la poésie, de la peinture, de la musique; cette comparaison est si vraie , qu'on dit presqu'indifféremment^ avoir une imagination poétique , musicale, etc. , et avoir la passion de la poésie, de la musique, du beau , etc.

Il est une condition indispensable a l'exer- cice des facultés intellectuelles, que presque tous les auteurs ont classée parmi elles , et qu'on doit, je pense , regarder comme une propriété de l'organe qui les produit , c'est l'attention : prêter attention, c'est diriger , mettre en ac- tion , éveiller le cerveau , le rendre apte à rem- plir ses fonctions -, c'est l'érection des organes génitaux, l'appétit des organes de la digestion.

Maladies du Système nerveux.

Comment donc les médecîils pouvaient-ils espérer de sortir du chaos des maladies ner- veuses, sans s'occuper auparavant de connaître ^ de rechercher les fonctions des organes qui devaient eii être le siège ? Pour quelle raison attribuer des phénomènes morbifîques au dé-


Se I N T R O B U C T I N;

rangement d'un organe dont on ne connaît point l'action? Cependant, nous verrons bien- tôt qu'une maladie ne se reconnaît, s'il n'existe une altération visible de texture , qu'aux trou- bles des fonctions-, qu'ainsi de la toux, un cra- chement de sang , de la difficulté a respirer , annoncent que le poumon est affecté ; que la perte d'appétit, du dégoût, des vomissemens , indiquent un dérangement de l'estomac. Mais on s'est trop souvent écarté de cette marche analytique j pour ne point se donner la peine de remonter a la source de certains phéno^-; mènes, on les a appelés nerveux. Est-on em- barrassé sur la nature de quelque affectioa y elle est nerveuse j avez-vous une colique vio- lente sans cause apparente , elle est nerveuse. Savez-vous ce que c'est que l'hystérie ? c'esC une maladie des nerfs de l'utérus ; et q^'esï-' ce qui vous le prouve? C'est apparemment que l'homme en est affecté comme la femme.... Cette manière si commode et si vicieuse d'ex- pliquer la cause de phénomènes inconnus , n'a pas seulement porté préjudice à la science , mais elle a eu une inilueBce pernicieuse sur le traitement d'une foule de maladies , qu'oa a? cherché a guérir par les mêmes moyens , avec de prétendus spiécifiques , parce qu'on; kiur ai supposé le mèm^ caractère. En mà^hém&r om


INTRODUCTION* 55

s'est trop souvent payé de mots pour éviter des difficultés , ou ne point avouer son igno- rance ; il est temps qu'une observation sévère remplace les systèmes hypothétiques , souvent nuisibles et toujours inutiles aux progrès des sciences.

Appliquons donc les principes de la patho- logie générale a l'étude des maladies nerveuses*, voyons à quels caractères on peut reconnaître ces affections. Je ne veux au reste que donner quelques idées sur ce sujet , me promettant de les étendre dans un mémoire particulier.

On ne doit admettre, comme maladies ner- veuses , que celles qui se manifestent dans une portion libre du système nerveux , de même <ju'on donne le nom de maladies du système sanguin , h celles seulement qui ont pour siège le cœur , les veines ou les artères. Hors de là , je ne vois que des lésions d'organes , qui peu- Tent se présenter sous différentes formes. Ainsi donc , toutes les fois que nous verrons le cer- veau ou les nerfs physiquement altérés ou dé- rangés dans leurs fonctions bien ca^iniies , nous n'hésiterons point a prononcer sur la nature des phénomènes qui en résultent. Nous ne douterons point que ce ne soient ces organes qui soient affectés , le premier , dans le délire ©u trouble des facultés intellectuelles , et les

3..


36 _ iNTRODUCTIOiNr.

seconds dans les lésions des fonctions qui leur sont départies; par exemple, le nerf oculaire dans l'amaurosis, le cordon rachidien ou les îierfs qui s'y rapportent, dans la paralysie musculaire ou les convailsions. Sans doute que ces dernières maladies pourront dépendre pri- mitivement d'une affection du cerveau , mais pour cela leur siège ne peut varier, quelqu'en soit la cause éloignée. Certaines affections du eystéme nerveux , pourront être reconnues à l'apparition de pliénomènes qui naîtront évi- demment dans ces organes •, ainsi la céphalalgie , les névralgies caractérisées par une douleur Yive qui se manifeste le long de leur trajet , ne laissent aucuns doutes sur leur nature.

Tant qu'on a affaire à des fonctions matériel- lement démontrées dans leurs causes, il n*est pas difficile d'en déterminer les altérations ; mais nous arrivons a des fonctions nerveuses plus cachées ou inconnues, et dont, par conséquent, il n'est pas aisé d'étudier les dérangemens. Nous avons dit que le cerveau n'était pas seulement le siège des facultés morales et intellectuelles , mais encore qu'il était chargé d'exercer une in- fluence immense sur le reste de l'économie. Au- tant il nous sera facile d'apprécier les moindres changemens qui surviendront dans la première ^e ces fonctions ; dont l'essence est de se mani-


INTRODUCTION. 5n

fester au dehors, autant nbus aurons de peine à connaître les altérations de la seconde , qui est cachée , intérieure j altérations qui doivent ce- pendant être d'une grande importance à la santé du reste de l'économie.

On sait d'une manière positive que la vie cesse au même instant que le cerveau perd toute communication avec le reste du corps. On connaît les effets, si prompts de certaines passions, émotions de l'âme , sur des organes ou sur l'ensqmble de l'organisme. On sait que les plaies de tête avec commotion cérébrale , trou- blent promptement les fonctions digestives. Voilà des symptômes très-graves , d'une îésioiJi évidente de l'influence encéphalique sur les or- ganes. Ne peut - il pas arriver que des effets analogues reconnaissent la même cause , quoi- qu'elle soit moins manifeste? et n'est-ce point dans le cerveau qu'on doit chercher la cause prochaine de la fièvre ataxique , de la syncope qui ne dépend point de pertes sanguines , de certaines morts subites qui surviennent sans lésion organique apparente. Outre ces phéno- mènes qui laissent peu de doutes sur leur nature, combien ne doit-il point en exister qui partent de la même source , sans qu*on les y rattache , parce qu'ils sont moins frappans ? Que de lé- sions on cherche dans des ori^anes thoraciottes


oS INTRODUCTION..

OU abdominaux , et qui peuvent n'être que sympathiques d'affections cérébrales! Je suis persuadé que certains états de faiblesse géné- rale , de consomption lente sans cause locale , de débilité de fonctions sans lésion organique apparente, tiennent souvent à l'affaiblissement de l'iniluence cérébrale. C'est une chose éton- nante , de voir qu'on ait tenu si peu compte de l'influence des fonctions du cerveau sur les autres -, on a même renversé les idées les plus naturelles a cet égard , car au lieu d'accuser les premières d'altérations qui pouvaient survenir dans l'exercice des secondes , on a toujours fait ce qu'on a pu pour trouver le contraire, c'est a-dire que dans le doute même , on a attribué les affections cérébraloé à la lésion d'organes éloignés, tandis qu'il étjit bien plus conforme aux saines idées physiologiques de juger d'une manière opposée, en attendant confirmation.

Une chose aussi importante que curieuse à fixer , ce serait l'influence de l'état du cerveau sur le caractère des maladies des autres organes. On sait combien est nécessaire le calme de l'es- prit au rétablissement de la santé, combien sont funestes les émotions de l'âme, quand l'or- ganisme n'est plus capable de résister et de réagir contre leurs effets 3 que de symptômes aggravés ; de convalescences troublées , de re-


INTRODUCTION. ag

chutes causées par l'annonce imprévue de nou- Tçlles fâcheuses ! Une plaie en voie de guérisoii se dessèclie, du délire et quelquefois la mort en peuvent être la suite. Nous aurons occasion , en traitant des maladies accidentelles des aliénés , (le faire remarquer qu'elles ont un caractère général d'asthénie, de langueur, d'insensibilité.

Nous venons de passer en revue les maladies de trois appareils nerveux ; nous n'^aurions que peu de choses à dire sur celles du quatrième, des iiprfs sympathiques ;'■ car on ne pourrait les re- connaître qu'a un désordre de fonctions, et les. fonctions de ces nerfs sont inconnues, et nous voulons nous abstenir d'émettre aucune opinion qui ne soit fondée sur des faits.

Après avoir traité la question du siège des maladies nerveuses d'une manière directe , je vais chercher à l'envisager dans un sens opposé.

Doit-on reconnaîtra dans les organes , autres qu'un appareil nerveux , des maladies ner- veuses idiopathiques, e'est-a-dire , qui ne soient pas des effets de celles que nous venons d'indi- jqver; ou en d'autres termes , peut- on admettre des maladies sj^éciales des nerfs , une fois qu'ils sont combinés avec les autres élémens de nos organes? En physiologie, car c'est toujours ainsi qu'on doit procéder dans l'étude de l'homme , ©n ne fait point ^ dans la production des £oac-


4o INTRODUCTION.

tioiis , la part qu'y prennent les divers élémens qui entrent dans la composition des organes qui en sont chargés -, et si vous demandiez au pli3'^siologiste , si ce sont les vaisseaux sanguins ou iympkatiques , les nerfs ou les follicules , le péritoine ou les fibres musculaires qui ont converti les alimens successivement en chyme , en chyle et en fécès, il vous répondrait tout simplement que ces effets appartiennent au ca- nal digestif-, si ce sont les vaisseaux ou les nerfs qui convertissent le sang en bile , en nrine ou en sperme, il vous dirait que ce sont le foie , les reins ou le testicule. Si la patholo- gie n'était pas si loin de son aînée , si elle ne conservait pas dans plusieurs points l'empreinte de vieilleries qu'on respecte , parce qu'elles ont les siècles en leur faveur , si sur-tout on n'eût pas placé le système nerveux hors des lois qui régissent l'économie , depuis long-temps la dif- iirulîe que nous cherchons à vaincre , se trou- verait résolue. Car , puisque c^'est au trouble d'une fonction qu'on reconnaît une maladie , s'il n'y a altération visible de texture, et qu'on ne peut dire quelle part prend à l'exercice de cette fonction, chaque élément de l'organe qui en est chargé , il est évident que c'est à l'or- £:;ane et non aux élémens qui le composent, que nous attribuerons le dérangement de son action.,


INTRODUCTION. Hn

Et une chose notoire , qui prouve combien souvent Phomme se contredit sans s'en aper- cevoir, c*est que ces principes ne sont nulle- ment contestés , sont admis pour la plupart des maladies. Ainsi , on dit inflammation , cancer de l'estomac , néphrite, pneumonie, hépatite, etc. j on appelle catharre , l'inflammation des- muqueuses , composées de vaisseaux , de nerfs j etc. y ce n^est que pour quelques-unes , qu'on a réservé le privilège d'être appelées nerveuses 3 examinons-les.

Les pathologistes ont rangé dans cette classe, le rebut des autres classes. Tout ce qui les a em- barrassé , tout ce qu'ils n'ont pu ranger dans les phlegmasies, les cancers, les tubercules, les hydropisies , etc. , a été appelé maladies ner- veuses; mieux il eût valu dire maladies inconnues. Ce ne sont point, comme on le voit, les fonctions des nerfs qu'on a consultées pour agir ainsi-, car , celles que nous leur avons reconnues ne sont atteintes ici que comme dans toutes les autres maladies ; mais on a trouvé fort commode de se tirer d'embarras à si bon compte. Voyons un peu quels sont les caractères de ces aifections soi-disant nerveuses. On ne voit pas de change- ment de texture : mais d'abord connaissez-vous assez bien les organes pour prononcer en toute assurance, pouvez-vous le vérifier souvent , et


4^2 INTRODUCTION.

en outre n'y a-t-il donc que les nerfs qui puis- sent être affeetés de cette manière ? On ne peut trouver de cause matérielle des phénomènes qu'elles présentent : qui vous prouve , qu'une colique que vous appelez nerveuse, n'est pas produite par la morsure de vers , la présence de matières acres , une fausse position intesîi- ïiale, que des douleurs de poitrine ne tiennent pas a une irritation tuberculeuse^ à quel qu'em- barras sanguin, etc. H y a beaucoup de dou- leur : mais ce symptôme est un élément de toutes les maladies , même de celles que vous n'avez jamais songé k appeler nerveuses. Elles irie consistent souvent qu'en des phénomènes passagers : mais un stimulus, en passant dans nos organes, ne peut-il pas en être cause ? Pincez la peau, vous éprouvez une douleur qui cesse avec la compression. Toutes ces raisons , d'ailleurs , fussent-elles bonnes, qu'elles ne prouveraient rien , si non qu'il existe des états maladifs des organes , dont nous ignorons la nature et qu'à force de recherches nous parviendrons sans doute à déterminer. M. le docteur Rostan ne vient-il pas de démontrer par un grand nombre d'observations , qvie l'asthme des vieillards est constamment produit par une lésion du cœur ou des gros vaisseaux ? Pourquoi n'en serait-il pas de même pour une foule d'autres affections.,


INTRODUCT ION. 45

Yoilà, je pense , les vrais principes qui peuvent conduire a un« étude naieux entendue , à la con- naissance plus positive des maladies diverses du système nerveux; déterminer la nature d'une fonction avant d'en rechercKer lesdérangemens, ne rien avancer au hasard , avouer plutôt soii ignorance, que de risquer de se perdre dans des explications liypotliétiques,telles sont les règles qui doivent constamment guider le patliologiste*

Quelques personnes , qui pourraient attribuer la plupart des idées que je viens d'émettre a uri esprit d'innovation, désireront peut-être ap- prendre comment elles m'ont été gug^erées ;il suffirait sans doute ée leur demander si elles ne sont pas conformes a la vérité ; mais une expli- cation, à cet égard, ne peut que jeter quelque lumière sur le suj-et.

La Salpétrière renferme en grand nombre de femmes atteintes de maladies nerveuses ; des divisions entières sont destinées à des alié* nées, des épileptiques, des liy.stériques, des para- lytiques, etc. ", on est donc a même d'en observer autant qu'on îe veut. Une de ces maladies , sur- tout, me fit promptement dauteruu siège que lui ont assigné la plupart des auteurs ; c'est l'hys- térie. Les phénomènes qui la caractérisent, notamment au troisième degré, dépendent cer- tainement d'une lésion nerveuse} ce soat^ pen« 


44 INTRODUCTiOTf.

daiit les accès qui peuvent durer depuis une , jusqu'à six et même douze heures , la perte plus ou moins totale de Pusage des sens internes et externes , de manière cependant a ce que les malades peuvent assez souvent rappeler ce qu'on a dit ou fait auprès d'elles ; des mouve- jnens convulsifs dans tout le corps , alternant avec des momens de calme j des mouvemens ppasmodiques des muscles de la partie anté- rieure du col , d'où résulte souvent un senti- ment de strangulation , assez fort pour gêner Leaucoup la respiration ; la boule hystérique ne se présente pas toujours pendant les accès con- vulsifs , la malade pousse ordinairement un cri lugubre qui s'entend de fort loin (i) ; les jeunes filles appellent souvent en pleurant , en se plai- gnant , leur maman. Lorsque l'accès général est passé, il reste, s'il a été long, une fatigue géné- rale excessive , de la pâleur, souvent une cé- phalalgie violente j il survient de l'insomnie, etc. Après avoir observé un grand nombre de fois ces phénomènes , je me suis demandé comment on avait pu en placer le siège dans l'utéras , pour

(i) Ces plaintes, qui surviennent constamment pen- dant l'accès, différencient essentiellement rh3fstérie de l'épilepsie. En outre , dans cette dernière maladie , la perte de connaissance est complète ; Taccès çst en général beaucoup moins long, etc., etc.


INTRODUCTION. 45

quelle part les fonctions de cet organe y en- traient ? Quelles sont d'abord ces fonctions ? C'est de présider à l'écoulement menstruel, de» recevoir et garder le produit de la conception ,. le mettre au jour lorsqu'il est à terme j elles ne sont nullement lésées dans l'hystérie , ou du moins , si les règles viennent à se supprimer, ce n'est qu'à la longue , et par suite du délabre- ment général des organes. Se passe-t-il quel- ques phénomènes, qu'au point d'où ils par- tent on pourrait croire produits par l'uté- rus f Pas un seul ', il n'y a ni douleur , ni gon- flement, ni aucune sensation qui puisse le faire supposer. Mais un préjugé qui n'a pas peu con- tribué à répandre cette erreur , c'est d'abord , d'avoir placé le siège des désirs vénériens dans l'utérus , et de plus , supposé que les femmes hystériques étaient très-portées aux plaisirs de l'amour, dont la privation devenait, pour ainsi dire , la seule cause de leur maladie. Ici on a confondu l'hystérie avec la nympho- manie, variété d'un genre de folie ; les désirs vénériens ne sont pas plus grands dans la pre-^ mièredeces maladies, que dans toute autre cir-, constance de la vie des femmes , et on se trom-, perait fortement si l'on croyait que chercher à les appaiser serait un moyen sûr de guérison. r S'il était ici question de dire ce que je pense


46 INTHODTieTÎO î^.

sur le siège de Tliystérie , je cherclierais à âé-^ moiîtret" qu'il doit être primitivement dans le cerveau ; beaucoup de ces malades sont très- susceptibles de caractère ; d'autres ont éprouvé des revers de fortune , des contrariétés d*amour ; quelques-unes voyent avec peine qu'elles vont rester vieilles filles. Enfin les symptômes que j'ai- indiqués viendraient fortifier mon opinion. On ne serEûl: plus étonné dès-lors , de rencontrer cette maladie , da^ns tous les âges et dans l'un et l'autre sexe.

Après cjfU^'^il me fut démontré que l'utérus^ n'était pour riew dâns^ l'affection hystérique , je clïercfeaï a étudia les névroses des autres or- ganes, et e'est alors qu'il me parut, ou qu'on lie devait les considérer que comme des effets d'une affection cérébrale, tels que tout ce que' pettveiit produire les passions ou les émotions' T*i%es^ de l'Orne , les envies de vomir , ou les vo- niissemenâ q^ii précèdent* ou aceompagnenf là syn^&pe y ou bien comme des maladies parti- (itilières dans lesquelles les fonctions des nerfs' n'étaient pas plus affeetéesf que dans la pliipart des autres états maladifs. Ceci n'empêche pas ,- tcratefois, d^admettre qu'un drgâïie malade rieP puisse sympathiquement troubler l'action ner-^ veuse; nous voyons tous les jours du délire Suî*^^ ■V^hif d^ns îes phlegmas-ies aiguës très^vi^es y


introduction; 47

hiais dans ce cas , il faut se garder de prendre la cause pour le siège de la maladie (i).

Une remarque qui me semble digne d'être faite , est relative aux effets de certaines classes de médicamens administrés dans les maladies nerveuses. L'opium et les narcotiques , sont en général eflicaces , pour combattre les douleurs qui ont leur siège dans les nerfs. L'étlier et les anti-spasmodiques conviennent sur- tout pour 'Calm<er quelques douleurs prétendues nerveuses des autres organes. On donne l'opium dans lé tétanos^, les convulsions, les névralgies, l'in-


(1) L'hypochondrie n^est, dans le principe, comme Thys- lérie , qu'une affection cérébrale. Cette foulé de phéno- mènes disparates qui la caractérisent pourraient-ils être rapprochés sous le même nom, s'ils n'avaient ùiïe source commune? Voyez d'ailleursquelles en sont les causes : e© sont toujours des affections morales vives ou, Rentes, des; chagrins prolongés ou des travaux d'esprit trop soutenus , chez des sujets faibiement constitués. Il en résulte d'abord , des effets^ passagers , qui, à force de se renouveler, delà-» brent l'organisme 5 usent les tissus, te cerveau donne presque toujours des signes locaux d'aîtératiori ; ïêsfactti-' tés intellectuelles Sont ou affaiblies ou troublées, et il êJÊ ïésuïte un délire particulier. Combien on rendrait ser-? vice à ces naalheureux , si , au lieu de tourmenter leue abdomen par des drogues de toute espèce , on les traitait comme des aliénés , si on s'occupait enfin de la vraie eâuse du mal ?


45 Introduction;

somnie j Pétber ne produit aucun effet dans ces- tnaladies. Il convient au contraire ,de l'employer quelquefois, contre les palpitations idiopa- thiques sans pléthore , dans certains étouffemens et plusieurs affections de Pestomac et des intes- tins.

SIÈGE ET NATURE DES MALADIES EN GÉNÉRAL.

Tous les phénomènes qui se passent chez l'être vivant , ont pour cause prochaine , des instrumens matériels , sans lesquels on ne pour- rait concevoir leur existence -, aucune fonction, depuis la production mécanique d'un mouve- ment , la formation du chyle jusqu'à la mani- festation de la pensée , n'est soustraite à cette loi générale de la nature •, toutes consistent dans Faction plus ou moins appréciable d'un certain nombre de ces organes; la force qui les anime, est aussi impuissante , sans eux , que le calorique sans l'eau , dans une machine à vapeur. Les phénomènes vitaux sont si mystérieux dans leur formation, que le physiologiste doit se contenter de les observer et de chercher a leur assigner une condition inséparable de leur pro- duction, sans vouloir pénétrer des secrets qui nous seront probablement toujours inconnus. Que l'observation marche toujours en première ligne ; les hypothèses viendront assez k temps


INTRODUCTION. 4g

pour satisfaire une imagination plutôt avide de merveilleuXj qu'amie de ia vérité. Quant aux phénomènes auxquels on ne peut assigner un agentparticulier,îes observer,accuser la faiblesse de nos moyens, sans les supposer hors de la loi que nous venons d'établir ; tel doit être le rôle de l'observateur éclairé. Ce n'est que depuis qu'on a ainsi commencé à considérer le corps vi- vant , que la physiologie a fait d'imm.enses pro- grès. L'étude dtis phénomènes morbifiques , ou la pathologie , qui a pour but la con- naissance des changemens qui surviennent dans l'exercice ordinaire des fonctions, n'est pas toujours a la hauteur des principes que nous venons d'émettre.

Puisqu'aucun phénomène ne peut être indé- pendant de l'organisation, tout changement dans la manifestation de ce phénomène , ou l'apparition de nouveaux , doit dépendre d'un changement dans l'organe qui leur donne naissance ;^ l'altération organique constitue essentiellement la maladie , la lésion de la fonction n'en étant que la suite, le symptôme; ainsi , dans la péripneumonie , la respiration n'est altérée , que parce que le poumon l'est lui- même. Toutes les fois donc , qu'on observe des j variations , des désordres dans l'exercice des fa- cultés de la vie , ou doit en rechercher la cause

4


5o INTRODUCTION.

immédiate dans les agens sans lesquels ces fa- cultés ne peuvent exister ; dans le plus grand nombre des cas , on rencontrera des altérations de texture , qui expliqueront suffisamment ces variations , ces désordres : et quand nous n'en apercevrons pas , nous les admettrons par analogie, accusant alors l'imperfection de nos sens, le défaut de connaissances anatomiques, et nous rappelant , que les lésions les plus lé- gères des organes très-importans , peuvent cau- ser les plus grands troubles.

La connaissance exacte de l'intérieur de tous nos organes, dans l'état sain, n'est point encore assez avancée, pour que nous puissions toujours reconnaître les changemens qui s'opèrent en eux , dans les maladies ', quelquefois , d'ailleurs , l'altération de tissu est si peu de chose , que nous ne l'apercevons pas , ou que nous ne pouvons concevoir qu'elle soit la cause des phé- nomènes que nous avons observés : quelle lé- sion de la substance cérébrale , peuvent pro- duire quelques gouttes de sang épanchées dans l'intérieur du crâne , d'où résultent cependant , des accidens qui mettent la vie en danger? Ici, la cause est matérielle , la compression dès fibres cérébrales est évidente , et cependant , l'inspection de l'organe ne nous offrira rien de distinct de l'état sain , rien qui puisse nous


INTRODUCTION. 5l

rendre raison des symptômes que nous aurons observés. Par ce seul exemple , on peut juger de la difficulté qu'on doit éprouver dans la re- cherche de la cause prochaine des maladies des organes , qui , comme le cerveau , sont très- compliqués dans leur texture, et très-caches dans l'exercice de leur action.

Quand les pathologistes , n'ont pu aperce- voir aucuns changemens de tissu dans un or- gane dont les fonctions sont altérées, ils ont supposé qu'il n'en existait pas , et ont regardé la maladie , comme affectant le principe 'vital ^ les propriétés vitales , ou même Vâme , ou ils en ont placé le siège dans les nerfs ; ils ont désigné ces maladies par les noms de lé- sioTis uitales , Lésions nerveuses. Nous avons déjà vu ce qu'on devait penser de ces dernières, voyons ce que pourraient être les premières.

Malgré toutes les théories qu'on a faites sur le principe a>ital , ne peut-on pas encore se de- mander ce'quec'est^ est-ce un être particulier, ou bien les effets (jue nous lui attribuons sont- ils inhérens à un arrangement particulier des molécules de nos organes ? si c'est un principe, connaît-on sa nature , plus que celle du prin- cipe de la chaleur ? N'est-ce pas seulement par les changemens qu'éprouvent les corps soumis à leur influence, que nous pouvons apprécier

4..


52 INTRODUCTION.

l'existence de l'un et de l'autre? Connaîtrait-on la faculté que possède le calorique , de vapori- ser certains corps , si tous lui résistaient comme le platine ? ce sera donc dans les organes que nous devrons reclierclier les altérations du prin- cipe vital, supposé qu'il en ait, puisqu'il ne manifeste son existence que par eux. Tout changement dans l'un, doit se communiquer aux autres , pour qu'il devienne sensible.

Ce que nous venons de dire du principe vital, nous pouvons l'appliquer en grande par- tie aux affections de rame j en effet, ce dernier principe, tel que l'admettent les métaphysiciens, étant immatériel , ne peut être altéré en aucune manière, et doit être intrinsèquement toujours le même dans toutes les circonstances de la vie. Mais tant que l'âme reste unie au corps/, elle ne. peut exercer ses facultés que conditionnellement et par l'intermédiaire d'organes soumis , comme tous les autres, aux lois qui régissent l'économie, susceptibles d'altérations qui les empêchent d'exercer convenablement les fonctions dont ils sont chargés : le principe est intact , sesagens seuls sont malades. Cest sous ce point de vue, qu'on doit envisager les maladies de l'âme, si l'on veut être d'accord avec la raison , sans se trouver en opposition avec les idées reçues, sur l'existence de cet être immatériel et immortel.


INTRODUCTION. 53

Sous le nom générique de propriétés futaies , on a compris la cause d'une multitude de phénomènes divers , très-différens les uns des autres , mais qui sont tous inséparables d'ap- pareils organiques. On a appelé ainsi , ou de véritables fonctions, qui ne diffèrent en rien des autres , comme la contraction muscu- laire , la faculté de recevoir des impressions -, ou la propriété qu'ont tous nos organes d'ap- précier les différens stimulus avec lesquels ils sont en rapport dans l'exercice de Itiur action , et de réagir sur eux ; double faculté , connue 60US le nom d'irritabilité , cette propriété est îa vie elle-même , résultat de l'animation de la matière, et ne peut être altérée sans un chan- gement quelconque , primitif ou secondaire , dans le tissu de nos organes. Nous renvoyons d'ailleurs a ce que nous venons de dire sur le principe vital.

On doit 4onc poser en principe, que tous les phénomènes morhifiques ne peuvent exister sans une altération quelconque de Uorgane qui en est le siège , et que les lésions purement nji^ taies sont inadmissibles Çi^.

Ceci admis, voyons ce qu'on entend par

(i) Je reviendrai sur ce sujet, dans le chapitre consa- cré aux ouvertures cadavériques , en traitant des altéi-a* tions organiques , en générai.


54 INTRODUCTION.

nature d'une maladie, et comment on parvient à en fixer le siège.

On entend par nature d'une maladie , le mode d'altération de l'organe affecté , ou de ses fonc- tions f s'il ne présente aucun changement phy- sique visible j ainsi , on dit que la pleurésie con- siste dans une inflammation de la plèvre , et i'amaurosis, dans la perte de la sensibilité du nerf optique. Si l'anatomie parvient à nous dé- Toiler tous les mystères de l'organisation , si nos sens peuvent en saisir tous les détails , re- connaître toutes les différences qu'y apportent l'âge , le sexe , les tempéramens , les affec- tions diverses, nous pourrons apprécier la na- ture positive de toutes les maladies ; en atten- dant , nous sommes obligés d'en désigner un certain nombre par le changement d'action des organes , sans cause physique apparente , cause dont la connaissance serait si essentielle pour établir des moyens rationnels de traitement.

Le siège d'une maladie , se détermine par l'observation: i.° des troubles et des phéno- mènes nouveaux qui se manifestent dans les fonctions de l'organe malade , ou dans les or- ganes avec lesquels il a des rapports sympa- thiques ', 2.° des dérangemens physiques de volume , de forme , de situation et de texture , 4e la partie affectée.


INTRODUCTION. 55

Les altérations organiques sont les signes les plus certains des maladies-, mais souvent on ne peut les reconnaître qu'après la mort; elles servent alors a confirmer ou à infirmer le jugement qu'on a porté pendant la vie , et ins- truisent pour les cas qui se présenteront avec les mêmes apparences, pourvu toutefois qu'elles aient été constatées sur plusieurs sujets aifec- té^des mêmes symptômes.

Cependant, on parvient aisément a fixer le siège de phénomènes morbifiques , si les fonc- tions déran£[ées ont des causes bien con- nues, auxquelles on puisse remonter -, ainsi , dans la paralysie musculaire, dans la goutte sereine , et nous pouvons le dire , dans la folie, le système nerveux étant le siège des facultés lésées, doit l'être aussi des désordres dont ces facultés sont atteintes.

Nous nous bornerons a l'exposition générale de ces principes, dont nous ferons, d'ailleurs, des applications particulières dans l'étude de la maladie qui fait l'objet spécial de ce travail ; cependant, auparavant d'aborder notre sujet, nous allons nous occuper d'établir, d'une ma- nière générale, quelles règles on doit suivre pour distinguer, parmi les lésions de plusieurs appa- reils organiques, celles qui sont primitives , principales , de celles au contraire qui ne §ont


56 INTRODUCTION.

que la suite de celles-là, et que pour cela on nomme sympathiques. Ces considérations nous serviront d'autant plus , qu'il s'agit peut-être bien moins de déterminer quel est le caractère et le siège des symptômes essentiels de la folie , que de savoir si leur développement est pri- mitif ou consécutif à l'altération d'autres or- ganes , cause ou effets de ces mêmes altérations. C'est réellement là que gît toute la question -, c'est à la résoudre que doivent tendre tous nos eiforts : on doit entrevoir dès-a-présent cona- bien elle offre d'intérêt, de quelle importance est sa solution , pour l'établissement de moyens rationnels de traitement. En effet, détruisez la cause primitive , et presque toujours les pbéno- mènes sympathiques disparaîtront : suhlatâ causa , tollitur effcctus (Celse.) Commencer , au contraire, par attaquer ceux-ci, c'est vouloir, pour appaiser un vaste incendie , s'amuser d'abord à éteindre les parcelles de feu lancées au loin par le vent , au lieu de porter tous ses moyens au foyer lui-même.

Tous nos organes , quoique distincts les uns des autres, par leur texture et leur mode d'ac- tion , se ressemblent cependant par plusieurs des élémens qui entrent dans leur composition j tous sont formés de tissu lamineux , de vais- seaux sanguins et lymphatiques, et de nerfs 5,


INTRODUCTION. 67

le cerveau lui-même reçoit avec ses artères an- térieures , des filets du tri-splanchnique. Cette trame vasculaire et nerveuse , établit une com- munication plus ou moins directe entre toutes les parties du corps , communication qui peut 'nous rendre i-aison de l'influence réciproque que nos organes ont les uns sur les autres , des sympathies de quelques-uns , du consensus général qui existe entr'eux , enfin , de l'espècie de solidarité établie entre toutes les fonctions. Il est d'observation , que deux fonctions un peu importantes, ne peuvent s*exercer en même temps , avec énergie j ainsi, pendant la diges- tion, la respiration est lente, les sens peu aptes a recevoir les impressions , les facultés intellec- tuelles peu actives, il y a tendance au repos et au sommeil : pendant une contention forte de l'esprit, les forces de la vie semblent se con- centrer vers le cerveau, la respiration se ral- lentit, Tappétit est nul , la digestion se fait mal ou pas du tout. Il nous serait facile de multiplier ces exemples, si fréquens dans l'économie j riiomme malade va nous en fournir de frap- pans. Toute lésion subite , quelquefois même lente, d'un organe important, occasionne pres- que toujours des troubles dans l'action d'un certain nombre des autres organes, quelquefois dans tous : en sorte , qu'il y a fort peu de ma-»


58 INTRODUCTION.

ladies tout-a-fait bornées a leur siège essentiel. Ainsi , dès le début de presque toutes, et après les opérations chirurgicales, il survient: perte d'appétit, chaleur, accélération du pouls, fré- quence de la respiration, etc. Dans beaucoup d'affections abdominales , il survient du délire , des convulsions , du coma j on a vu des vers in- testinaux causer l'épilepsie , des convulsions , ramaurose, etc. Ces exemples, nous suffisent , pour démontrer qu'un organe malade , peut , par réaction , troubler l'action d'un autre or- gane. Il nous reste a établir quelques règles , pour, dans un grand nombre de phénomènes morbifiques de différentes natures , distinguer ceux qui sont primitifs , essentiels , d'avec ceux qui ne sont que secondaires ou sympathiques. 1 .° On examinera si l'un des organes affectés , lie l'est pas primitivement et d'une manière assez grave , pour donner lieu aux désordres qui se ma- nifestent ailleurs , et si ceux-ci ne se présentent pas ordinairement dans les mêmes circons- tances. Ainsi, dans une maladie qui semble gé- yiérale, on reconnaît une inflammation grave des intestins , de la plèvre ou du poumon , le malade se portait bien auparavant qu'elle ne survînt , point de doute que tous les troubles ne partent de ces points-là. Ce sont aussi , les cas les plus simples, et où il est difficile de se méprendre^


INTRODUCTION. 69

2.® On ne peut distinguer par l'observation seule des symptômes, quelle série de pHéno- mènes s'est manifestée la première , et a ensuite provoqué le développement des autres : on devra alors reclierclier si Tune des maladies , ne reconnaît pas pour cause , une influence étran^ gère qui la produit souvent, et si les symptômes qui se présentent ailleurs, ne l'accompagnent pas ordinairement. L'un des organes a été vive- ment affecté , les autres n'ont rien éprouvé de la part des agens extérieurs , tout porte a croire que le premier est l'auteur des maux des seconds ; nous faisons à dessein ces supposi- tions, parce que nous aurons souvent occasion d'en faire l'application a l'étude de la folie.

3." Il est des cas embarrassans, où l'observation despliénomènesmorbifiques,et la recherche des causes extérieures, ne sont presque d'aucune uti- lité pour parvenir a reconnaître l'organe primiti- vement affecté : c'est sur-tout alors,que la sagacité du médecin doit venir au secours de l'art. L'ob- servateur éclairé , jugera du cas qui se présente , par d'autres semblables , où des circonstances , que nous venons d'indiquer , lui ont permis de porter un jugement certain. Si des observations antérieures démontrent, que l'un des organes actuellement affectés , l'est presque toujours primitivement, il est niiturel de supposer _, et


6o INTHODtJCTlON.

même d'admettre , en attendant des preuves du contraire , qu'il est encore cause des phéno- mènes sympathiques qui se passent ailleurs.

La considération de l'influence réciproque des organes actuellement malades, dans toutes les circonstances de la vie , sera souvent d'un grand secours, pour assurer le jugement ; s'il est prouvé, par exemple, que l'un d'eux exerce > en général» une grande influence sur les autres , et que ceux d ne réagissent que peu , ou même point sur lui, on sera porté a penser, à part les raisons qui pourraient prouver le contraire , que l'altération du pre- mier, est la cause de la maladie des derniers. Il se manifeste des phénomènes morbifiques, d'un coté dans le cerveau, et de l'autre dans les pou- mons, le cœur, le foie ou le canal alimentaire ; aucune circonstance ne peut nous indiquer si l'affection du premier est primitive ou secon- daire, cause ou effet de la maladie des derniers y nous ferons alors le raisonnement suivant :dans toutes les circonstances de la vie, le cerveau exerce un eiispire immense sur toute l'écono- mie ; sor? action continue , est essentielle a l'exer- cice de toutes les fonctions j quelque légère que soit une lésion de cet organe , dès qu'elle est subiieelle produit des troubles presque géné- raux : on connaît les effets des aifections de l'âme ^


ÎN TRODtJCTIOÎÎ. 6t

mliérentes k la faculté de penser, a l'exercice de laquelle , comme nous Payons vu , le cer- veau est indispensable , sur le reste de l'organir sation ; tandis que le plaisir et la joie modérée entretiennent la santé, les ckagrins , les accès décolère, la détériorent plus ou moins promp- tement j on a vu une émotion vive et subite de l'âme produire des palpitations, des défail- lances , une ictère ou même la mort. Les pou- mons , au contraire , exercent si peu d'induence sur le cerveau, que leurs fonctions, saines ou altérées, ne modifient presque jamais son ac- tion -, tous les jours, on voit des malades atteints de plitliisie , ou de péripneumonies aiguës , mourir sans dérangemens dans les facultés in- tellectuelles. Le coeur, le foie sont a-peu-près dans le même cas que les poumons -, Itîs ané- vrysmes du premier, les kystes , engorgemens ou transformations graisseuses du second , ter- minent souvent la vie des individus, en laissant l'intelligence parfaite, jusqu'à la fin de Texis- tence. Quelle apparence y a-t-il , d'après ces considérations , que les poumons , le coeur ou le foie , puissent causer souvent des affections de l'encéphale ? et dans le cas d'altérations qui pa- raissent simultanées , quoique l'une d'elles soit primitive , n'est- il pas raisonnable de supposer que ce dernier orgai^e en e§t le siège?


62 INTRODUCTION.

Le canal alimentaire, paraît avoir des rap- ports plus intimes avec Tencéphale j ce qui peut tenir k la communication directe éta- blie entre ces deux organes, au moyen des nerfs stomo-gastriques ', si les fonctions diges- tives peuvent être troublées facilement par l'in- fluence cérébrale , nous avons déjà remarqué , que pendant leur exercice , la faculté pensante perdait beaucoup de son énergie j il est un grand, nombre d'hommes de lettres ou de ca- binet , habituellement constipés , qui ne peu- vent exercer leur esprit qu'après s'être débar- rassé le reclum au moyen de lavemens j peu de maladies, causent aussi promptement du délire, que les inflammations de l'estomac et des intes- tins. L'observateur, privé de tout autre moyen que ces considérations , pour décider lequel de ces deux appareils organiques a été affecté le premier, quand ils paraissent l'avoir été en même temps , se renfermera dans le doute , at- tendra que des événemens ultérieurs viennent lui fournir des motifs de pencher plutôt d'un côté que de l'autre ; tels seraient, la disparition de la maladie de l'un , par la seule diminution de l'intensité des symptômes de l'autre 3 la gra- vité qu'acquerrait celle-ci , d'où naîtraient des |)hénomènes sympathiques dans d'autres séries d'organes , etc. C'est sur-tout dans ce^ cas


iNTRODtTCTiON. 65

embarrassans , heureusement assez rares, que la méthode expectante est indiquée j attendre et parer aux accidens du moment, telle doit être la conduite du médecin éclairé.

Je me borne à cette courte exposition d'idées générales , qui , loin de m'avoir guidé dans l'é- tude de la folie, m'ont au contraire été suggé- rées par cette étude même , et par l'observation d'un grand nombre de faits qui se trouveront épars dans les six difFérens chapitres de cet ouvrage (i).


(i) Qu'on remarque , d'ailleurs, que notre manière de voir ici , ne préjvige en rien la grande question des mala- dies regardées jusqu'à présent comme primitivement générales ; question du plus haut intérêt, et qu'il im- porte tant d'éclairer par des recherches suivies et étran- gères à tout esprit de secte ou de parti , tout aussi dan- gereux en médecine qu'en politique. Nous n'avons en- tendu parler, que des altérations qui paraissent s'être développées en même temps dans plusieurs séries d'or- ganes, mais dont l'une est réellement primitive, et cause des autres. J'aurai occasion , dans le chapitre consacré aux ouvertures de corps , d'exposer mon opinion sur ces affections qu'on appelle fièvres.


LA FOLIE.'


CONSIDÉRATIONS SUR CETTE MALADIE ,

SON SIEGE ET SES SYMPTOMES, LA NATURE ET LE MODE d'action DE SES CAUSES, SA MARCHE ET SES TERMINAISONS, DIFFERENCES QUI LA DIS- TINGUENT DU DÉLIRE AIGU , MOYENS DE TRAI- TEMENT QUI LUI CONVIENNENT ; AVEC DES RECHERCHES SUR l'ANATOMIE PATHOLOGIQUE DES» ALIÉNÉS.


DE LA FOLIE.

JA APPELONS le but essentiel de cet ouvrage, et disons la route que nous suivrons pour le rem- plir. J^ai sur-tout en vue de déterminer d'une manière positive le siège de la folie, de reclier- clier si cette affection est idiopathique ou sym- pathique , et enfin d^indiquer les moyens de traitement les plus avantageux. Les considéra- tions précédentes nous mettent sur la voie qui peut nous conduire a résoudre ces questions : 1 .° Nous verrons d^abord , quels sont les symp- tômes constans , caractéristiques de cette mala- die , c'est-a-dire , quelles fonctions , quels or- ganes sont essentiellement et toujours lésés ; et

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66 DE LA FOLIE.

quels autres ne le sont qu'accidentellement ou d'une manière peu sensible. Pour savoir si elle est idiopatliique ou sympathique , nous exami- nerons : 1.° le mode d^action , la nature des causes qui la produisent j 2.° l'importance rela- tive , la marche , l'ordre de développement et les terminaisons de ses phénomènes divers j 3.° nous établirons les différences qui existent entr'elle et le délire aigu des maladies graves , 4.° nous tâcherons de tirer parti des ouvertu- res de corps, en cherchant a distinguer parmi les altérations organiques qui se présentent après la mort , chez les aliénés , celles qui ont rapport a la folie , de celles qui ne sont que la suite des maladies accidentelles qui les font suc- comber. Enfin , nous arriverons ainsi naturel- lement à l'application des remèdes.

Auparavant d'entrer dans l'exposition particu- lière de chacun de ces chapitres , ne convient-il pas d'en faire connaître sommairement le conte- nu, pour que le lecteur, sachant d'avance les idées principales qui y sont émises , soit ainsi préparé à les mieux apprécier dans la suite -, et de trai- ter très-brièvement les questions que je viens d'énoncer , pour qu'il puisse les discuter et les juger avec nous a. mesure qu'elles se présente- ront ? Ce sera une espèce de définition , un ta- bleau tracé rapidement de la maladie elle-même


DE LA FOLIE. 67

Cette manière de procéder, YÏcieuse quand il s^agit de l'étude éiémeDtaire d'une science, où, pour ne rien avancer que d'intelligible, on doit commencer par la description des faits avant d'en venir aux résultats généraux , me semble avantageuse , toutes les fois qu'on est supposé devoir connaître en quelque point l'ob- jet dont on veut s'occuper, sur- tout s'il fait partie d'un ensemble soumis à des lois qu'on a déjà méditées. Une définition, c'est-à-dire un exposé sommaire de qualités distinctives , de caractères principaux , ne donnera aucune idée d'une maladie à l'élève, s'il ignore ce que c'est que la pathologie , et lui sera au contraire d'une grande utilité , s'il n'a plus qu'à augmenter la somme des connaissances qu'il possède déjà sur cette science, puisqu'elle lui indiquera le sujet de ses recherches, et le mettra à même d'en tirer tout le profit possible.

Je dirai d'abord quelques mots, des opinions que plusieurs auteurs ont émises sur la nature et le siège de la folie , pour qu'elles puissent être comparées avec celles que j'adopte sur le même sujet.

Jusque dans ces derniers temps , il n'a guère été possible de se faire une idée juste de cette maladie. Dès l'instant qu'on ignorait, ou qu'on Jie voulait pas reconnaître le siège , la cause mar

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6S D E L A F O L I E.

térielle des fonctions lésées , de l'inlelligence , il était tout naturel qu'on fit des lésions de ces fonctions , des affections toutes particvilières y différentes des lésions de tous les autres orga- nes -j on les plaçait ainsi hors des lois de la pa- thologie y et il n'est point alors de rêveries hy- pothétiques qu'on n'ait imaginées pour en ex- pliquer la cause. Les anciens , Platon , Démo- crite , faisaient de la folie , une maladie surna- turelle , produite par des génies , des esprits. Plus tard , sous la domination du fanatisme re- ligieux , on l'attribua à une influence divine ou diabolique : ces légions de possédés , de sorciers , de devins , d'oracles , de convulsionnaires, de ma- giciens , de faiseurs de prodiges , qui ont désole l'Europe pendant plusieurs siècles , ne se com- posaient que de malheureux aliénés dignes des petites maisons, ou d'imposteurs qui méritaient bien autre chose. Les médecins humoristes , tels que Galien , Boerhaave , Van Swiéten , Stoll ; les animistes avec Stalh , Vanhelmont, ont tous successivement bâti des systèmes selon les idées dominantes , en faisant jouer le rôle principal tantôt a la bile , au sang, à l'atrabile ou à la pi- tuite ; tantôt a l'âme ou a l'archée , au principe vital ou aux esprits vitaux. Toutes ces opinions, sont tellement éloignées des principes acr tuels de physiologie et de pathologie, que je ne


D E L A. F O î. I E. .^

m'arrêterai point à les exposer plus longue- ment.

M. Pinel , a imprimé une marche nouvelle à l'étude de la folie : ce n'est bien réellement que depuis les recherches de ce savant modeste, qu'on sait quelque chose de positif sur cette maladie. En la rangeant simplement , et sans dif- férences aucunes, au nombre des autres dé- rangemens de nos organes, en lui assignant une place dans le cadre nosographique, il fit faire un pas immense à son histoire. L'observation en devint facile dès qu'elle fut soumise aux lois générales de la pathologie -, on lui assigna des caractères propres à la faire reconnaître 5 ses causes furent plus ou moins bien appréciées dans leur mode d'action, et enfin des moyens curatifs basés sur la raison et l'expérience, purent être administrés.

Mais il est arrivé ce qui ne manque guère en pareilles circonstances : une circonspection ex- trême a remplacé la manie des explications. Tous les auteurs,, qui, comme M. Esquiroi ,OD.t marché avec succès sur les traces de M. Fine!;. se sont , en général , avec ce professeur , contentés d'observer les phénomènes, sans cher- cher à remonter a leur source , de décrire scru- puleusement les faits ^ sans vouloir les rattacher


70 D E L A F O L I E;

a une cause productrice. « Caserait (i) faire un y> mauvais choix que de prendre l'aliénation » mentale pour un objet particulier de ses re- y> clierclies, en se livrant à des discussions va- » gués sur le siège de l'entendement et la na- ■» ture de ses lésions diverses ; car rien n'est » plus obscur et plus impénétrable. Mais si on » se renferme dans de sages limites , qu'on s'en » tienne a l'étude de ses caractères distinctifs » manifestés par des signes extérieurs et qu'on » n'adopte pour principes du traitement que » des résultats d'une expérience éclairée , on y> rentre alors dans la marche qu'on suit en gé- » néral dans toutes les parties de l'histoire na- » turelle j et en procédant avec réserve dans s> les cas douteux , on n'a plus a craindre de s'é- y> garer ». Rien de plus sage et de plus philo- sophique, que ces principes émis à une époque où tout était k commencer , où rien n'existait de positif sur la folie *, c'est d'ailleurs toujours ainsi, qu'on doit procéder dans l'étude des sciences d'observation; recueillir un grand nombre de faits analogues avant d'en vouloir déduire des conséquences générales , est la seule méthode qui coj:iduise a un but sans craindre de s'égarer.

(i) Traité de ia Manie ^ Introduction à la première édition.


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Aujourd'hui j que nous avons des connaissances plus positives sur le système nerveux et sur les fonctions du cerveau , que nous possédons un grand nombre d'observations recueillies avec soinaulitdu malade, que de nombreuses ouver- tures cadavériques faites sans prévention , nous ont pu révéler la cause d'une foule de phéno- mènes, nous sommes bien plus à même de nous occuper avec quelque espoir de succès , de dé- terminer le siège et la nature de la folie , de savoir si elle est idiopathique ou sympathique. M. Pinel, a émis d'une manière générale, en passant et sans paraître y attacher beaucoup d'im- portance, quelques idées sur la cause première de cette maladie. Il dit (1) : « Les préludes de » l'invasion et du retour des attaques de manie » peuvent être très-variés ; mais il semble en » général que le siège primitif de cette aliéna- )> tion est dans la région de l'estomac et des » intestins, et que c'est de ce centre que se » propage comme par une espèce d'irradiation » le trouble de l'entendement. Il se manifeste » fréquemment dans ces parties un sentiment » de constriction, un appétit vorace ou un dé- » goût marqué pour les alimens, une coosti- » pation opiniâtre, des ardeurs intestinales


(1) Traité, etc. yS."»" édit. , page 141.


7^ B E L A F O L î E;

» (jiii font rechercher les boissons rafraîchis- î> santés , etc. » Dabord, tous ces désordres sont loin de se présenter généralement j plus souvent il ne survient que de la perte d appétit , de la soif, et quelquefois quelques autres signes d'em- barras gastrique , qui durent à peine quelques jours , rarement plusieurs semaines *, et d'ail- leurs , il nous sera facile de démontrer que ce ne sont que des effets , des symptômes consécutifs*, que toujours leur apparition est précédée par l'action directe de causes cérébrales , le déve- loppement de symptômes de même nature.

M. Esquirol, a parlé a-peu-près dans le même sens , dans ce court passage (i) : « Tantôt les ex- î^ trémités du système nerveux et les foyers de 5> sensibilité placés dans diverses régions, tan- 5> tôt l'appareil digestif, tantôt le foie et ses

  • dépendances sont le premier siège du mal » .

Comme on le voit , ces auteurs , les seuls en France dont l'autorité soit ici imposante , ont très-peu insisté sur ces explications , qu'on au- rait , ce me semble , gravement tort de consi- dérer comme des opinions positives , affirma- tives sur ce sujet j je ne dois donc pas craindre de me trouver en opposition directe avec mes maîtres j en cherchant à prouver, et en prouvant

{i)Dict. des Se- Méd. , art. FoU€>.


DELAFOLIE, 7$

effectiyement le contraire de ce qu'ils n'ont fait (pi'açancer ou indiquer, c'est-à-dire, en démon- trant que la folie est une affection cérébrale idiopathique .

Plusieurs causes , ont particulièrement con- tribué à faire conside'rer cette maladie, comme sympathique d'affections thoraciques ou abdo- minales. La première, résulte de ce que l'intel- ligence n'ayant pas été placée au rang des au- tres fonctions , on a mal apprécié le mode d'ac- tion des causes appelées morales , qu'on n'a point regardées comme agissant primitivement sur le cerveau , de même que l'ingestion d'une boisson froide excite d'abord l'estomac. La se- conde , provient de ce qu'on n'a pas fait assez attention à l'ordre de développement, à l'im- portance relative des symptômes ; ainsi , il est Lien certain que les désordres cérébraux se ma- nifestent toujours les premiers, et sont aussi les plus importans ou même souvent les seuls existans. Une troisième , vient de ce que les auteurs ont tiré de fausses conséquences du résultat des ouvertures de corps : ils n'ont point tenu compte des maladies accidentelles, nées de l'action d'influences extérieures , et qui fi- nissent par faire succomber les aliénés ; de là est venu , qu'ils ont pris toutes les altérations organiques pour des causes de la folie ; et comme


7^ L A F L I E.

le cerveau n*en présente que fort peu de bien apparentes , mais au reste comme cela arrive dans la plupart des affections nerveuses , tandis que le canal alimentaire, les poumons , le foie, etc., en offrent presque toujours , ils ont regardé ces organes comme le siège primitif de cette maladie. Enfin, le délire aigu des ma- ladies graves n'a point été distingué de la foliej comme il est presque toujours sympathique , et qu'il consiste de même dans des désordres cérébraux , on a prêté son caractère à cette ma- ladie j mais nous verrons qu'il en diffère essen- tiellement, et qu'il devient difficile dans la pres- qu'universalité des cas , de confondre ces deux modes de lésion du même organe.

M. Fodéré, dans son volumineux traité du délire, nous a voulu reporter aux siècles de Paracelse et de Galien , par ses vaines théories sur le principe vital , qu'il regarde comme le siège de la folie , sur le sang , qu'il considère comme le véhicule de ce principe vital et ainsi de la folie , et par une foule d'autres ex- plications semblables dont je ne fatiguerai pas l'attention du lecteur.

Voici maintenant, quelles sont mes opinions, ou au moins celles que j'adopte, sur le siège et la nature de la folie.

La folie est une affection du cerveau ; elle est


D E L A F O L I E. 75

îdiopathique , la nature de l'altération organi- que nous est inconnue.

La première proposition résulte des consi- dérations suivantes :

1." Le symptôme essentiel de cette mala- die, celui qui la caractérise et sans lequel elle n'existerait pas, sur qui reposent les divisions en genres, espèces et variétés, dé- pend d'une lésion des fonctions cérébrales -, il consiste en des désordres intellectuels aux- quels on a donné le nom de délire 3 il n'y a point de folie sans délire.

2." Le délire est toujours précédé , accom- pagné ou suivi de plusieurs autres désordres cérébraux ou nerveux très-importans j ce sont l'insomnie , les céphalalgies , différentes lé- sions de la sensibilité et de la contractilité , des états d'irritation inflammatoire , de conges- tion, de pléthore, etc., de l'organe encé- phalique.

5.° Les troubles des autres fonctions ne sont ni constans , ni graves 3 ce sont d'ail- leurs les mêmes que ceux qui accompagnent toute lésion subite d'un organe de quelque im- portance , comme la perte d'appétit , du dégoût, de la soif, la diminution de Fembonposnt , la suppression des règles chez les femmes ", ils se dissipent ordinairement en peu de jours ou aii


7^ D E L A F O L I E.

moins avec la période d'excitation , et laissent subsister les symptômes essentiels.

4.° Les causes agissent directement sur les fonctions du cerveau ; celles considérées comme Sympathiques , physiologiques ou pathologi- ques, ne sont que des effets , des suites de l'ac- tion ou du résultat des preijriières ; quelques autres ne doivent être regardées que comme des prédispositions, des complications ou des accidens simplement concomittans.

5." La terminaison naturelle de la folie, lorsqu'elle ne guérit point, et que l'aliéné ne meurt pas trop tôt par une maladie acci- dentelle, est un affaiblissement, une atonie du cerveau , qui se manifeste par une abolition plus ou moins complète de l'intelligence , et un état de paralysie, d'abord partiel, puis général; plus de la moitié des aliénés incurables sont pa- ralytiques j tous ceux qui approchent du terme fatal, cessent d'être furieux, et bientôt ne disent presque plus rien.

La seconde proposition résulte de ces autres considérations :

1.° Les symptômes cérébraux peuvent exis- ter seuls j il n'est pas rare de voir des alié- nés qui n'ont jamais éprouvé de déran- gemens sensibles dans les autres fonctions. Dans tous les cas ils se développent toujours


DELAFOLIE. -77

les premiers; quelques-uns même devancent souvent de plusieurs mois j de quelques années , rinvasion du délire*, tels sont l'insomnie, les céphalalgies. Le délire lui-même, comme nous verrons dans la période d'incubation, peut commencer à naître et subsister long-temps d'une manière cachée pour les assistans, et n'être aperçu que du malade, qui a bien soin de dis- simuler l'état où il se trouve.

2.° Les symptômes qui se manifestent dans les autres organes sont toujours consécutifs , sympathiques. J'ai parlé de leur importance , de leur marche et de leur durée.

3.° Les seuls cas d'une invasion subite , lorsque tous les désordres paraissent naître en. même temps , pourraient en imposer à l'obser- vateur peu attentif ; mais s'il considère qu'alors le cerveau a été primitivement ébranlé par une forte commotion morale, une émotion vive de l'âme, il en conclura facilement que cet organe est la source de tous les phénomènes qui se pré- sentent. D'ailleurs , dans ces cas même , il est bien rare que le délire ne précède pas de quel- que temps le développement des autres symp- tômes.

4.° La folie ne reconnaît donc point de causes pathologiques , les seules , cependant , qui don- nent naissance aux maladies appelées sympa-


  • 73 DE LA FOLIE,

thiques ; et les auteurs qui en ont admis, ont ainsi pris Peffet pour la cause , des symptômes pour l'affection première.

5.° Les ouvertures de corps viendront aussi à notre secours ', si elles ne nous offrent pas un grand nombre de preuves positives, en revanche elles nous serviront beaucoup négativement j c'est-à-dire , que si nous trouvons peu d'altéra- tions organiques qui aient un rapport direct avec la cause prochaine , première de la folie y nous en trouverons beaucoup qui en sont tout- à-fait indépendantes , sont nées de l'action d'in- fluences extérieures , comme il serait sans doute arrivé chez tout autre individu non aliéné, et qu'on aurait ainsi grandement tort de confondre avec cette cause. Bien plus, nous reconnaîtrons l'état cérébral d'où naît la folie , comme pou- vant produire , favoriser les maladies qui amè- nent la mort, ou au moins leur imprimer un ca- ractère particulier, de même que dans le principe nous l'avons vu devenir la cause de phénomènes sympathiques. Si la folie était mortelle par elle- même et en peu de temps , nous retirerions beaucoup plus de fruit des ouvertures de corps ', nous ne risquerions pas de nous tromper , en prenant pour ce qui lui est propre, le résultat d'affections étrangères ; nous pourrions au juste, savoir quel est l'état apparent du cer-


DELAFOLIE. 79

veau et des autres organes , qui en résulte évi- demment. Mais au lieu de cela , les malades ne m.eurent que 3, 4, 5, lo, 20 ou 3o ans après qu'ils ont perdu la tête , et ont été exposés a l'action de tous les agens destructeurs qui en- tourent continuellement les ^tres vivaus ; il faut donc , si l'on veut éviter l'erreur et tirer des conséquences justes des altérations organiques, tenir compte de la marclie, de la durée de l'alié- nation mentale, de la nature de ces agens, et des effets qui doivent en résulter naturellement sur l'économie , dans toutes les circonstances de la vie , non-seulement des aliénés, mais de tout autre classe de personnes. C'est ce que nous tâcherons de faire.

Tout en accordant que la folie est une affec- tion cérébrale , cela étant incontestable , on me reprochera peut-être de vouloir être exclusif, en la regardant , dans tous les cas , comme idiopa- thique , tandis que presque tous nos organes peuvent être lésés sympathiquement. Je ré- ponds à cela, que je ne prétends peint que les fonctions intellectuelles du cerveau ne puissent aussi l'être de cette manière j mais je dis qu'alors il n'en résulte point ce que nous appelons folie, mais bien du délire aigu, comme nous le voyons , dans toutes les maladies graves *, que c'est préci- sément \k un des principaux caractères qui dis-


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tinguent ces deux modes d'affection, que l'un soit, direct et essentiel , et l'autre indirect et symptomatique. Et ne voyons-nous pas une foule d'autres maladies qui se développent k-peu- près toujours idiopathiquement , telles que la plupart des inflammations aiguës , beaucoup de maladies chirurgicales, la pKtliisie tubercu- leuse, etc., etc. Le panaris est-il donc quelque- fois sympathique ? Pourquoi ne voudrait -on pas qu'il en pût être de même pour l'aliénation mentale ?

Nous trouverons quelquesraisons en faveur de nos opinions , jusque dans les dénominations di- "verses employées par les auteurs et le vulgaire, pour désigner cette maladie et ceux qui en sont atteints, dans les sensations qu'éprouvent et dont se plaignent les aliénés. Les expressions de ma- ladie mentale ou de V esprit , aliénation mentale, folie , manie , démence , etc. , ont rapport au cerveau. On dit des fous, qu'ils ont perdu la tête ou la raison, qu'ils sont malades de tête, que leur esprit est égaré , etc. Beaucoup de ces malades se plaignent d'avoir la tête malade ou mal à la tête , V esprit ou la tête faibles , des ah» sences d^ esprit ■i le cerveau njide , le cerceau em- barrassé y et toujours en portant la main vers cette partie , sur-tout du côté du front.

La nature de l'altération cérébrale qui donne


D E L A F O lie; 8i

naissance aux symptômes de la folie nous est inconnue, de même qu'il arrive dans une foule d'aJBfections du système nerveux; nous ne cher- cherons donc point k pénétrer un mystère aussi caché. Nous nous contenterons , sous ce rap- port j d'observer les phénomènes sans vouloir en expliquer la production. On l'a dite ner-- veuse : on a eu raison , si on a voulu dire céré- brale ; autrement , c'est apprendre par cette ex- pression a-peuprès autant que nous, c'est-k-dire rien du tout.

La connaissance de la nature , du siège d'une maladie , et du mode d'action de ses causes , est d'une haute importance pour le traitement. Si elle est idiopathique, l'organe d'où émanent tous les désordres, mérite de fixer toute l'attention du m.édecin : en rétablissant ses fonctions , le calme renaît par-tout. Mais si elle est sympathique , il faudra plus particulièrement s'adresser k sa cause , a l'affection éloignée qui l'a produite et l'entretient ; autrement on ne ferait que pallier, faire disparaître pour quelque temps, des effets qui ne manqueraient sans doute pas de x^e- naître. Le traitement de la folie doit donc être spécialement fondé sur l'état du cerveau ; les trQiubles des autres organes qui serviront d'ail- leurs, comme signes diagnostiques, pronostiques de cet état, disparaîtront d'eux-mêmes ; ils

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82 D E L A F O L I E.

pourront toutefois réclamer l'emploi de moyens particuliers, dans le cas très-rare, où ils devien- draient assez graves pour constituer une ma- ladie nouvelle, ou bien s'ils persistaient opiniâ- trement après le rétablissement des fonctions céxébi'ales.


CHAPITRE PREMIER.


SYMPTOMES DE LA FOLIE.

1j A folie j, comme toute autre maladie , a des symptômes propres , constans , distinctifs , c[ui tiennent immédiatement à l'altération des fonc- tions de Porgane encéphalique, et des symp^ tomes comm.uns k d'autres affections/dont l'ap- parition suit presque tout dérarigement subit d'un orgailé important j ceux-ci ne sont que là la conséquence des premiers y apparaissent et cessent avec eux. Tarit qii'on a Considéré cette maladie comme une lésion de l'âme, ou la ma- nifestation des facultés intellectuelles coriime pouvant avoir lieu sans le concours du cerveau> on ne s'est en générai ocetipé qu'à observer le délire dans toutes ses formes et variétés , sans beaucoup faire attention aux autres désordre^ qui l'accompagnent. On a pris ce symptôme pour la folie elle-même \ delà est venu , qu'on a fait de volumineux ouvrages sur le délire , la mélancolie, la nostalgie, la démonomanie, etc., simples variétés du même phénomène , dans lesquels on ne s'est attaché qu'aie décrire mi- nutieusement f sans faire à peine mention, ou

6..


64 SYMPTOMES

oubliant de parler de tous les autres^roubles qui "viennent de la même source, et servent cepen- dant presqu'exclusivement à fixer la nature du traitement appelé médical. C'est la partie psy- cologique qui a presque toujours le plus frappe la plupart des observateurs •, ils n'ont vu que les gestes , les propos , les cris, les actions, l'exté- rieur enfin des aliénés. Et malgré la marche im- primée à l'étude de la folie par M. Pinel, et si heureusement suivie par M. Esquirol , tous les auteurs qui ont voulu imiter ou copier ces deux médecins , ont commis cette faute grave ; ils ont plutôt fait des romans que des descriptions pathologiques. Je prendrai pour exemple , une dissertation de plus de deux cent pages m-^,° , sur la mélancolie , publiée par M. Anceaume en 1818 : c'est un véritable roman écrit avec beaucoup d'esprit , il est vrai , dans lequel il n'est absolument question que des variétés de cette forme du délire 3 c'est en vain qu'on y cherche un seul mot sur l'insomnie , la cépha- lalgie, la paralysie , la congestion cérébrale, les troubles gastriques , menstruels , l'ordre de développement et la marche de ces divers phé- nomènes , etc. L'ouvrage de M. Foderé sur le délire , est fait dans le même sens.

Je pense que le défaut d'idées positives sur le isiége de la folie, a beaucoup contribué k rendra


BE L À FOLI E, 85

difficile l'étude de ses phénomènes j il faut dire aussi, qu'on doit l'observer long-temps, vivre au m^ilieu des malades eux-mêmes , pour saisir , apprécier une foule de détails qu'ils sont inca- pables de donner sur leur état.

Je vais parler successivement, i." des symp^ tomes locaux, essentiels, idiopatliiques ou céré- braux ; 2.° des symptômes généraux, éloignés ou sympathiques. Pour éviter des répétitions , je n'entrerai point maintenant dans des détails qui se trouveront indiqués dans la suite, quand je traiterai du développement et de la marche de la folie , et des différentes indications de traitement. Ici , je considérerai ces symptômes isolément , et comme caractères de la maladie ; plus loin nous les verrons combinés , naissant , parcourant leurs périodes et se terminant d'une manière quelconque.

§. I. Symptômes locaux ou cérébraux.

Le cerveau est comme nous venons de le dire , le siège immédiat de la folie j il donne seul naissance aux symptômes qui la caractéri- sent. Tous les aliénés présentent des dérange - mens dans l'exercice de l'intelligence, ils ont du délire ; presque tous sont pris à.' insomnie ; la plupart éprouvent des mauoc de tête^ ou di-


S6 SYMPTOMES

Terses autres sensations désagréables de cha" leur, de teiision , de pesanteur dans cette partie ; les lésions de la sensibilité et de la con- tractilité musculaire sont fréquentes 3 la peau du crâne, de la façe^, offre des Yariations impor- tantes a noter , dans sa coloration , sa tempéra- ture , etc. Nous observerons certains états de ces parties , que nous désignerons par les noms de congestion , à^ irritation injlammatoire , etc.

1.° Délire.

C'est bien moins en psycologiste , idéologiste ou moraliste que nous envisagerons les lésions de l'entendement chez les aliénés , que sous le rapport des caractères que ces lésions peuvent nous fournir pour reconnaître et distinguer la folie , et de la direction à imprimer au traite- ment moral. Des détails superflus, qui ne seraient que curieux , ne trouveront point leur place ici. On pourrait faire des volumes entiers sur l'expression, \di physionomie intellectuelle des fous ", mais ce serait sans aucun but d'uti- lité pour le traitement.

Les différentes altérations qui peuvent sur- venir dans l'exercice et la manifestation des fa- cultés intellectuelles sont extrêmement nom- breuses ; elles sont en raison du nombre de


D E L A F L I E. ^7

ces facultés , des objets qui les mettent en jeu et tles déterminations qui en résultent, suscep- tibles de combinaisons a l'infini , c'est-a-dire presqu aussi variées que les individus eux- mêmes. On est cependant parvenu k classer ces désordres si divers, en plusieurs genres et es- pèces. Deux genres sont caractérisés par une nullité d'action plus ou moins absolue de l'or- gane intellectuel, ce sont l'idiotie et la démence ; ces deux affections proviennent , la première d'un vice d'organisation primitif, la seconde , de l'usure, de l'affaiblissement du cerveau par les progrès de l'âge ou des maladies acciden- telles f elles sont incurables. L'idiot et l'aliéné en démenée sont également incapables d'at- tention, de mémoire , de jugement, etc. ; nous les étudierons d'ailleurs en particulier * Les généralités que je vais donner sur le délire , ne sont applicables qu'aux trois genres qui seront plus tard désignés parles noms de manie, mono- manie et stupidité.

Je ne clierclierai point k définir le délire de l'aliénation mentale •, il est extrêmement diOi- cile de le caractériser en peu de mots , il v«ut mieux le décrire.

Les personnes qui ne vivent point avec lés fous, s'en font ordinairement une étrange idéç^ 5 ils les croient des bêtes furieuses sans idées* saraâ


88 SYMPTOMES

conscience des sensations qu'ils éprouvent , in- sensibles à tout ce qui les entoure , incapables de raisonner. Les médecins qui viennent visiter rétablissement de la Salpétrière , l'ont déjà k moitié parcouru, qu'ils demandent encore , s'ils n'y arriveront pas j ils ne peuvent prendre pour des aliénées, des malades qu'ils voient, pour la plupart, tranquilles, travailler, se promener seu- les , ou deux à deux , paraître raisonnables. C'est précisément parce qu'on a trop long-temps jugés de la sorte ces malheureux, qu'ils ont été aban- donnés , maltraités si généralement pendant des siècles. Mais nous allons voir que chez eux l'intelligence n'est point ainsi oblitérée, qu'elle n'est le plus souvent que faussée , exaltée ou affaiblie y et non abolie.

Rarement les aliénés ont perdu la faculté de percevoir les objets \ mais il arrive souvent qu'ils se méprennent sur leurs véritables qualités ou attributs \ ils ne prendront point un homme pour une femme , ils ne se trompent guère aussi grossièrement. Mais ils reconnaîtront dans un inconnu , un parent, un ami ou un ennemi, ils transformeront la maison qu'ils habitent en pa- lais ou en prison , etc. Ainsi on peut dire que chez eux les sens sont égarés , les sensations fausses. Encore en est-il beaucoup , dont ces fonctions s'exercent dans toute leur intégrité.


D E L A F O L I È. 89

Je ne sais si on doit rapporter a un vice de la perception , les sensations qu'on nomme hallu- cinations. Les malades croient entendre des voix qui leur parlent , avec lesquelles ils con- versent 3 ils s'imaginent voir des êtres qui les approchent^ s'entretiennent avec eux, leur com- mandent des actions •, des fantômes qui les effrayent , Dieu , la vierge ou quelque saint , qui viennent les inspirer. Quelques-uns sont continuellement poursuivis par ces êtres ima- ginaires , la nuit comme le jour, en repos comme en promenade ; ce sont de véritables rêves pendant la veille. Ce qu'il y a de remar- c[uabledans ces erreurs de sensation, c'est qu'on . ne peut guère persuader le malade de leur faus- seté j il échappe toujours par quelque subter- fuge, aux preuves que vous lui donnez : ouvrez la porte d'un lieu d'où lui semblent partir des voix , où il croit des personnes cachées , et il vous dira qu'elles viennent d'en partir, qu'il les entend toujours.

Les penchans, les sentimens ouïes facultés affectives, présentent presque constamment des désordres 3 souvent même dès le début de la ma- ladie , ils en deviennent les premiers indices, les aliénés sont indifférens pour les personnes qu'ils chérissaient le plus 3 la mère abandonne ou repousse ses çnfans, le mari s'éloigne de sa


go SYMPTOMES

femme, l'enfant de ses père et mère. L'amour, l'attacliement sont quelquefois remplacés par la jalousie, rindifTerence , la haine , sans motifs extérieurs . Ce sont d'autres fois les goûts qui chan- gent j delà le dégoût du travail , des plaisirs, de la promenade, de la société , etc. Ces désordres sont si constans , si inhérens a l'état de délire , qu'on ne peut pas annoncer la guérison tant qu'ils persistent , malgré toutes les apparences d'une saine raison ; c'est au contraire d'un très- hon augure quand le malade paraît s'attendrir quand on lui parle des personnes qui lui étaient chères, et désire iieaucoup les revoir ', il en est de même du retour de l'amour du travail , du désir de s'occuper , etc.

Les passions peuvent devenir d'autant plus impérieuses chez les fous , qu'elles ne sont plus comprimées par les idées de convenance ou de bienséance j elles dominent alors les autres fa- cultés et commandent les actions. Elles sont d'ailleurs quelquefois, la cause première des autres troubles intellectuels ; c'est ainsi que l'exaltation maladivie du penchant à l'union des sexes produit l'érotomanie , la nymphomanie ; que l'orgueil fait des roJ« , la vanité des reines , l'ambition des conquérants.

L3> affections proprement dites , la joie , la tristesse , la frayeur , etc. , donnent lieu à des^


B E L À FOL lE. 91

effets remarquables ; des aliénés sont toujours joyeux , chantent , dansent et rient con- stamment , rien ne peut troubler la sérénité de leur esprit; ils sont en petit nombre. D'autres, habituellement tristes , moroses , se croyent abandonnés de tout le monde, en butte à la ca- lomnie, k la haine des personnes qui les appro- chent. Quelques-uns sont effrayés de tout ; ces frayeurs peuvent même être intérieures et non suscitées par les objets environnans. Il en est qui se livrent a des accès plus ou moins fré- quens de désespoir, par des motifs erronnés ', ils pleurent, se lamentent ; l'accès passé , ils re- deviennent calmes.

La plupart des aliénés maniaques et ceux en démence , sont incapables de comparer les ob- jets et de porter un jugement sur leurs qualités respectives ; leurs idées sont incohérentes , diffuses et souvent sans aucuns rapports avec les sensations présentes. On aurait tort de croire que tous les insensés sont dans ce cas ; le plus grand çiombre , au contraire, tous les mono- maniaques, peuvent non-seulement juger, mais raisonner, c'est-à-dire émettre , suivre un cer- tain nombre d'idées concordantes sur le même sujet^ il arrive seulement que le principe , la base de leurs raisonnemens sont faux , supposés, imaginaires 3 admettez-les pour vrais, et les


93 SYMPTOMES

cotiséquences qu'ils en tirent vous paraîtront très-justes. Ainsi , le fou-roi commande a ses sujets comme s'il était réellement revêtu des pouvoirs de sa charge ^ le bigot prie pour sa conversion ou la vôtre ; l'halluciné cause , se dispute avec les êtres , les voix qu'il croit voir ou entendre ; celui qui vous prend pour un ennemi, un persécuteur, vous apostrophe comme si c'était réel. Il y a plus , des monomaniaques parlent avec tant de calme, une conviction si intime , une assurafnce telle de Pobjet de leur délire , qu'il deviendrait très-facile de se mé- prendre sur leur état mental , si l'on ignorait que ce qu'ils disent est sans fondement ; ils écrivent des lettres si bien motivées a leurs parens ou aux autorités, qu'ils en imposeraient presque toujours, si elles parvenaient k leur destination. M. Pinel cite des exemples fort re- marquables de ces folies raisonnantes ; le plus curieux est celui-ci : en 179^, des agens armés s'introduisent dans la section des fous de Bicétre \ un des reclus fixe leur attention par des propos pleins de sens et de raison , et par les plaintes les plus amères ; il défiait qu'on put lui repro- cher la moindre acte d'extravagance; c'était, ajoutait- il, l'injustice la plus révoltante ; ces étrangers , convaincus de la vérité de toutes ces raisons , et tout-puissans alors , ordonnent de


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délivrer cette victime de la tyrannie. Mais à peine fut-il en liberté , qu'il se saisit d'une arme, et aurait assommé ses libérateurs s'ils ne se fussent hâtés de le rendre à ses gardiens.

La mémoire des faits et des circonstances an- térieurs à la folie , est ou paraît perdue , au point que les malades paraissent les avoir entiè- rement oubliés ; ou bien ces faits et ces circons- tances sont dénaturés , rappelés sans cesse , et deviennent la cause ou le prétexte de tous les désordres de la pensée. La mémoire des choses qui se passent pendant toute la durée du délire se conserve intacte après la guérison. Tous les malades qui ont été de bonne foi , qui n'ont pas craint une fausse honte , m'ont assuré qu'ils se rappelaient de toutes leurs actions , des vrais motifs qui les avaient déterminées *, ils se sou- viennent souvent des plus petits détails de leur existence d'alors. Des femmes qui s'étaient livrées à des actes d'indécence et d'immoralité pendant leur délire, m'avouèrent et me donnè- rent la preuve que rien de ce qu'elles avaient fait ne leur était échappé. Beaucoup sont moins franches, feignent de ne se souvenir de rien, pour éviter qu'on leur retrace des discours ou des actions qu'elles se reprochent déjà assez.

Des auteurs ont défini le délire , de la folie , des désordres intellectuels sans que le malade en ait conscience. Ceci est vrai pour le plu§


9^ SYMPTOMES

grand nombre des malades ; presque tous , en effet , se croyent très- bien portans et sont étonnés , indignés des mesures qu'on a prises k leur égard , du traitement qu'on veut leur faire subir ; comme les autres fonctions sont ordinairement en bon état, ils vous font voir qu'ils boivent et mangent bien , qu'ils ne souf- frent de nulle part, se promènent , travail- lent ; s'ils ne dorment pas et commettent des actes qu'ils reconnaissent pour repréliensibles y cela tient, disent-ils, à la situation où on les tient forcément : il n'y a pour eux d'insensés , que ceux qui les regardent comme tels. Une chose fort remarquable, c'est que beaucoup voyent très-bien que leuris commensaux n'ont plus leur raison -, et ils se moquent ainsi les uns des autres. Il en est cependant, en petit nombre il est vrai, qui savent très-bien apprécier leur état mental, qui vous disent : j'ai la tête malade, l'esprit dé- rangé , je ne peux plus penser , je sais que je déraisonne, que j'agis mal , mais je ne puis faire autrement; il me vient des idées déraison- nables , je fais tous mes efforts pour guérir, sans pouvoir y parvenir. Presque tous après la guë- rison , ou même pendant la convalescence , re- connaissent qu'ils ont été aliénés et sont très- reconnaissans de tout ce qu'on a fait pour eux alors*, cette disposition de l'esprit est même un signe du retour à la raison 3 déliez-vous d ^uii


DELAFOLIE. gS

malade , tant qu'il ne YOiidra pas convenir de son état antérieur.

La volonté , qui n'est autre cliose que la fa- culté de prendre une détermination d'après des motifs appréciés , doit offrir de grandes anoma- lies chez l'être soustrait à l'empire de la raison, Beaucoup d'aliénés agissent sans motifs appa- rensj d'autres, dominés par leurs idées , sont entraînés plus ou moins irrésistiblement à des actes repréliensibles , qui ne trouvent d'excuse que dans l'erreur qui leur voile la vérité j quel- ques-uns savent même qu'ils font mal , sans pouvoir s'en empéclier. 11 est cependant une remarque à faire sur ces actions, dont on ignore souvent la cause véritable tant que le délire dure \, c'est que presque toujours les ma- lades les ont commises par des motifs quelcon- ques. Ainsi un aliéné se détruit parce qu'il se croit indigne de vivre, ou damné à jamais j une mère tue ses enfans pour les envoyer tout droit en paradis. Pendant une nuit , une aliénée man- qua d'assommer sa compagne : elle en donna pour raison après sa guérison, qu'elle l'avait prise pour un séducteur qui voulait abuser d'elle. Quelquefois il y a un tel abattement moral, que la volonté est nulle ; le malade n'a pas la force de se décider pour une chose plu- tôt que pour une autre.


I

g6 SYMPTOMES '

L*exercicedes facultés dont l'exaltation con- stitue l'imagination , offre plusieurs considéra- tions importantes. M. Pinel, cite des exemples d'une extrême activité intellectuelle. Un horlo- ger prétend avoir découvert le mouvement per- pétuel j il veut réaliser cette idée, et pour y parvenir, confectionne des pièces de mécanique extrêmement ingénieuses. Des. aliénés, dans la discussion, la dispute ou la fureur, s'ex- priment souvent d'une manière qui leur était étrangère avant le développement du délire.

Le plus souvent , l'imagination est affaiblie ou même nulle j les malades ont oublié ou ne savent plus qu'imparfaitement, les connaissances qu'ils ont acquises dans les sciences ou les arts. M. Esquirol pense qu'on doit faire dériver tous les troubles intellectuels d'une lésion de l'attention. Sans doute que l'attention est tou- jours lésée dans le délire ; elle est nulle ou presque nulle chez le maniaque, trop fixe chez le monomaniaque -, mais ce n'est que l'effet et non la cause du désordre , de même que la perte d'appétit suit et ne précède pas les affec- tions de l'estomac. L'attention, qui n'est autre chose que la propriété qu'a le cerveau d'exer- cer ses fonctions intellectuelles , doit donc tou- jours être dérangée en même temps que ces mêmes fonctions. Toute maladie cérébi'ale pré-


DELAFOLIE. 97

sente le même phénomène ; un apoplectique n'est plus dans le cas de diriger son esprit sur les objets environnans.

Tels sont en général , les modes d'altéra- tion de Fintelligence , qui, séparément ou plus ordinairement comljinés deux à deux, trois a trois , constituent le délire.

L'intensité et l'étendue de ces désordres peu- vent varier extrêmement. Combien de gens vi- vent dans la société avec quelques symptômes de folie ? C'est tantôt une légèreté qui a €[uel- qu'analogie avec la démence , un abrutissement qui approche de la stupidité , des passions exal- tées et dominantes qui ressemblent a la mono- manie; l'esprit brouillon de certains hommes ressemble en quelque sorte k une manie légère. Combien le médecin légiste est quelquefois embarrassé pour prononcer dans des cas sem- blables, quand d'un côté, la liberté , l'honneur, la vie d'un citoyen , de l'autre , l'intérêt , la considération d'une famille , le repos de la so- ciété, lui imposent également le devoir de peser les motifs qui doivent décider son jugement. Il faut souvent une grande habitude pour dis- tinguer le naturel , d'un état maladif^ sur-tout si celui-ci ne revient que périodiquement et passagèrement. Le délire, même intense, offre souvent des rémittences qu'une personne peu

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98 SYMPTOMES

exercée prendrait facilement pour de la raison parfaite , ou bien , comme nous venons de le •voir, le malade raisonne parfaitement bien, en partant d'un principe faux. Il vous raconte des peines , des persécutions qui n'ont jamais existé que dans sa tête; mais il le fait avec tant d'assurance , de chaleur , de sensibilité , qu'on s'y laisserait prendre assez facilement.

Le caractère du délire , la nature des nou- velles idées peuvent être : 1.° Dans le sens du caractère ordinaire de l'individu; ainsi un ambitieux qui devient fou , se croit dieu, roi , prophète, etc. ; 2.° dans un sens opposé; ainsi des femmes décentes , d'une conduite sans re- proche , deviennent sans pudeur , provoquent par des gestes et des propos obscènes à l'union des sexes , un dévot devient impie , un libertin réservé, etc. , 3.° la cause qui a produit le délire en détermine souvent le caractère ; une femme «st trahie par son amant , abandonnée de son mari , et ne voit partout que des hommes par- jures , des monstres .dignes des tourmens de l'enfer : un préfet est chassé de son départe- ment par l'ennemi , il en reçoit quelques re- proches du chef de l'état , perd la tête et en- tend constamment ces mêmes reproches repro- duits a ses oreilles ; 4.° enfin le délire peut être étranger au caractère ordinaire de l'inJi-


è D E L A F O L I E. gg

vidu, et a la cause qui l'a provoqué. Les idées les plus incoliérentes , les plus extravagantes sont reproduites sans suite , sans motifs appa- rens ; quelquefois cependant elles prennent leur source dans les circonstances présentes , dénaturées par les sensations et le jugement.

Par ce simple exposé que nous venons de faire des désordres généraux de l'intelligence , on doit voir qu'ils peuvent se présenter avec des formes extrêmement variées 3 cependant en rapprochant les altérations qui se ressemblent par leur nature _, ou l'apparence extérieure, on peut parvenir à former des divisions assez natu- relles et en faire des genres. Mais il en est ici comme de tout ce qui se compose d'une suite de phénomènes qui ont toujours quelque liaison entr'eux , de telle sorte que les plus opposés se ressemblent toujours en quelque point ; on ren- contrera . une foule d'espèces intermédiaires qui établiront un passage insensible d'un genre a un autre ; souvent même il se présentera des cas qu'il sera assez difficile de classer positive- ment ; enfin les transformations qui s'opèrent d'un genre en un autre prouvent que plusieurs de ces divisions n'ont point une base bien fixe. Quoique si peu solides, ces divisions ont cepen- dant jusqu'ici servi a-peu-près exclusivement , k établir les genres et les espèces de l'aliénation

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lOO SYMPTOMES

mentale. Ils sont, comme on le voit, fondés sur la manifestation d'un seul symptôme, le délire; aussi est-ce ici que nous les placerons. Mais quand nous en serons au traitement , aux indications curatives , nous ferons des divisions basées sur l'état organique, sur l'ensemble des phéno- mènes , de quelque source qu'ils viennent-, nous verrons même alors, que nous ne devrons guère attacher d'importance a la nature des désordres intellectuels.

M. Pinel a établi quatre genres d'aliénation mentale 3 le premier , désigné sous le nom de manie y est caractérisé par un délire général, sur tous les objets. Le second, appelé délire mélan- colique, consiste dans un petit nombre d'idées iixes , dominantes , sans lesquelles la raison paraît plus ou moins saine. Le troisième, ou la démence , comprend l'afFaiblissement sénile ou accidentel des facultés intellectuelles ; enfin il a appelé idiotisme, l'absence complète, Jialurelîe ou accidentelle, de l'entendement. M. Esquirol a adopté cette division a laquelle il a cependant iapporté quelques modifications utiles. Il a dé* signé sous le nom de monomanie, le délire mé- lancolique, parce qu'il n'est pas toujours accom*» pagné de propension k la tristesse. Il a séparé de l'idiotisme (qu'il a appelé idiotie, parce que la première expression est en même temps un


DE L iV FOLIE. lOl

terme de grammaire générale) , l'absence acci- dentelle delà pensée, qu'il a réunie à la démence, en la qualifiant alors d'aiguë. J'ai pensé que ces deux états étaient trop difFérens l'un de l'autre pour être réunis en seul genre, et qu'il était con- venable d'en faire deux j la démence aiguë n'est point incurable , c'est un trouble intellec- tuel , qui guérit aussi bien que le délire mania- que. La démence véritable , au contraire , ne guérit jamais ; le cerveau est usé par l'âge ou les maladies, et devient incapable d'exercer ses fonctions. Ce cinquième genre, que je propose d'établir, on aurait pu l'appeler imbécillité ac- quise y si ce terme ne l'eût pas trop rapproché de l'idiotie 3 on pourrait peut-être le désigner sous le nom de stupidité. Ce mot exprime assez bien l'état du malade, et ne prête à aucune équi- voque.

Nous allons donc nous occuper successive- m.ent de la manie ^ de la monom^anie , de la stu- pidité, de la démence et de Y idiotie.

Les trois premiers genres , qui ne consistent qu'en des troubles, un exercice vicieux de l'en- tendement , forment une classe qui mérite de fixer particulièrement l'attention du médecin , puisque son art pexit y remédier. Ce sont ces désordres qu'on devrait appeler et que nous appellerons particulièrement yb//^?, et auxquels


102 SYMPTOMES

s'applique a-peu-près entièrement tout ce que nous dirons de l'action des causes^ de l'invasion, de la niarclie et du traitement, à moins que l'idiotie et la démence ne soient désignées no- minativement.

PREMIER grENRE.

Idiotie (i).

Défaut de développement des facultés intel- lectuelles j peu ou point d'idées , quelques sen- sations , quelques penclians.

Depuis le manque total d'intelligence , jusqu'à lui développement extraordinaire de cette fonc- tion , il existe tant de degrés , qu'il serait peut- être facile de former une échelle dont le dernier échelon serait occupé par l'idiot complet, et le premier par le plus vaste génie. 11 n'y a guère plus de différence entre l'être presque pri- vé de la pensée et celui qui peut a peine gérer

(i) On ne devrait pas faire de l'idiotie, un genre de délire; un défaut originaire de développement n'est pas , à proprement parler, une maladie C'est tout comme si on plaçait à côté l'une de l'autre , comme semblables , l6 manque des règles par l'atrophie ou l'absence de l'utérus ^ et une suppression accidentelle de cet écoulement. Les idiots doivent être rangés parmi les monstres : c'en est de véritables sous le rapport intellectuel.


DE LA FOLIE. lo:>

quelques intérêts matériels , qu'entre ce der- nier et cet autre, dont la tête fortement orga- nisée , conçoit et résout les problêmes les plus difficiles. Si Condillac, au lieu de prendre pour e-^emple Fanimation d'une statue de marbre , eût considéré ainsi le développement de l'esprit humain , cette marche naturelle l'aurait con- duit beaucoup mieux à la découverte de la vé- rité j c'est alors qu'il aurait été convaincu qu'avec des sens bien conformés , on peut ne prendre aucune connaissance des objets exté- rieurs, si le cerveau est vicieusement organisé. On peut ranger tous les idiots, dans les quatre divisions suivantes :

1.° 11 en est qui n'ont aucune existence men- tale , qui ne satisferaient a aucuns de leurs be- soins et mourraient infailliblement , si on n'avait soin d'eux. Il a existé à la Salpétrière une petite fille de onze ans, sourde ,. muette et aveugle, qu'on avait trouvée presque mourante , à côté de sa mère qui n'existait plus depuis plusieurs jours. Ces cas sont très-rares.

2.° D'autres ont quek£ues sensations, fuient le froid, font connaître qu'ils ont besoin de manger ; mais ils ne s'attachent à rien, n'iraient pas chercher des alimens si on ne les leur appor- tait j toutes les actions auxquelles ils se livrent sont irreiléchies et sans but.


îoé SYMPTOMES

3.° Dans un troisième degré , on peut placer ridiot qui sait apprécier quelques-unes de ses sensations , qui reconnaît les personnes et les objets dont il est entouré , est susceptible de s'attacher a celles qui lui l'ont du bien 3 il a des signes plus ou moins expressifs pour faire con- naître ses besoins j ce sont ou des gestes , des cris, ou même quelques mots mai articulés. Une petite idiote de sept ans qui se trouve dans ce cas, a en outre une singulière facilité d'ap- prendre promptement, de retenir et de chanter des airs de chansons, qu'elle n'a quelquefois en- tendus qu'une seule fois.

4. Eufio on peut appeler imbécilles, ceux qui apprécient des sensations, ont de la mé- moire, peuvent juger les actes simples de la vie , travailler à des ouvrages grossiers qui de- ra^andent peu de discernement j ils ont pour s'exprimer un langage composé des expressions les plus essentielles k l'exercice des besoins or- dinaires.

Les idiots proprement dits , sont mal-pro- pres , urinent et rendent les matières fécales par-tout où ils se trouvent j beaucoup sont très- sujets a la masturbation. Les imbécilles sont propres , savent apprécier la différence des sexes. 11 n'est pas rare de rencontrer de ces iilies, qui se font faire des enfctns.


DE LA FOLIE. lo5

Les idiots et les imbécilles ont non seulement l'organe intellectuel mal conformé ( Voy. les ouvertures de corps) jmais toute leur économie participe ordinairement a cet état maladif. En général ils sont peu développés, petits^ ne vi- Tcnt guère au-delà de trente ou quarante ans, et meurent souvent plus tôt-, beaucoup sont ou ra- chitiques, ou scropliuleux, ou paralytiques , ou épileptiques, et réunissent quelquefois plusieurs de ces maladies. Ceci nous explique pourquoi le manque d'intelligence , peut se rencontrer avec une tête bien conformée ; en eiFet , l'organisa- tion du cerveau ne doit pas être meilleure dans ces cas , que celle de tous les autres organes.

II.'*"' GENRE.

Manie.

Délire général, s*étendant à tout ; sensations , idées rapides, confuses, incohérentes, avec exaltation , agitation , exprimées par des mou- vemens désordonnés, des cris , des chants, des menaces ou de la fureur.

Le maniaque semble vivre dans un autre monde j il a oublié tous les événemens de sa vie , les objets de ses affections ; s^il les rap- pelle quelquefois à son souvenir , ce n*est qu'en


I06 SYMPTOMES

passant et sans intention marquée. L'exercice des facultés inteilectuelles offre l'image du cKaos. Propos désordonnés, sans cause et sans but ; joie, tristesse , ris , pleurs, se succédant tour à tour et sans motifs apparens. Sensations erronnées , jugement faux , déterminations vagues , insouciance générale sur le présent comme sur l'avenir. Les hallucinations sontassez rares dans la manie , ou du moins les malades attachent peu d'importance a. ces fausses sensa- tions. L'exaltation , qui fait un des caractères de la manie, offre ordinairement des momens de rémission , de calme , pendant lesquels Ta- îiéné est plus tranquille et peut quelquefois prêter attention aux observations qu'on veut lui faire -, il y répond rarement directement , mais au moins il peut suivre quelque temps un raisonnement, qui ne pêche que par le sujet qui peut être mal interprété ou controuvé.

Les maniaques sont en général mal-propres, font leurs excrémens dans le premier endroit venu ; les autres désordres qu'ils peuvent of- frir , seront décrits plus loin.

Nous avons dit que les maniaques étaient sujets à la fureur j cet état qui leur est commun avec les monomaniaques , mérite que nous en expliquions les divers phénomènes.

La fureur est une exaltation des forces ner-


D E L A F O L I E. IO7

veuses et musculaires, excitée par une fausse perception, une réminiscence ou une idée fausse, caractérisée par une exaspération , une colère violente contre des objets ou des individus pré- sens ou absens , causes ou témoins de l'événe- ment. Le furieux, les yeux étincelans, la fi- gure animée, vocifère, injurie, menace et se porte souvent a des voies de fait, casse et brise tout. Les forces musculaires des aliénés sont alors augmentées à un point extrême j leurs actions sont d'autant plus téméraires , qu'ils ne peuvent apercevoir de danger. On leur en impose difficilement -, cependant s'ils voyent des obstacles trop grands , beaucoup de gens de service prêts à s'emparer d'eux, ils se rendent d'ordinaire , et se laissent conduire en lieu de sûreté. Les accès de fureur sont de véritables paroxysmes du délire , qui varient pour leur durée et la fréquence de leur retour. Ils peu- vent durer depuis quelques minutes , jusqu'à plusieurs heures ; ils se renouvellent quelquefois si fréquemment qu'on peut regarder la fureur comme continue.

A l'accès de fureur succède ordinairement de l'abattement physique et moral, de la pâ- leur, quelquefois un tremblement semblable à celui qu'on observe souvent à la suite d'un vio- lent accès de colère.


J08 SYMPTOMES

Dans la manie , la fureur n'a ni cause ni objet fixes. Dans la monomanie, au contraire, les accès de fureur sont souvent excités par les mêmes causes, provoquent les mêmes idées. Le discernement partiel qui reste a ces malades, leur permet de se rappeler les évènemens qui les ont frappés.

Les idiots ne sont point susceptibles de se mettre en fureur , à moins qu'on n'assimile à. cet état des mouvemens automatiques d'impa- tience, de colère sans sujet , quelques actes de méchanceté, ou de violences. Les aliénés en démence , incapables d*allier deux idées , in- différens à ce qui les environne, ne peuvent se mettre en fureur-, leur économie n'jest pas susceptible d'une pareille excitation. Il en est de même des aliénés stupides , chez lesquels il ïî'y aucune expression de l'intelligence.

II I.^^ GENRE.

JHonomanie,

Un petit nombre d'idées fixes , dominantes , exclusives, sur lesquelles roule le délire, et un raisonnement souvent assez sain sur tout autre objet, font le caractère de ce genre.

C'est sans contredit le genre de délire le plus


D E L A. F O L I E. 1 09

frequent. Il est primitif ou consécutif j ainsi le délire général de la manie finit souYent_, soit dans la convalescence , ou en passant à l'incu- rabilité , par consister dans une véritable mo- nomanie.

Dans beaucoup de cas, le délire n'est point borné à l'idée principale ; seulement il estmoînS général, plus caché, plus difficile a reconnâîlfë que dans la manie. Quoique l'aliéné ait pres- qu'entièrement perdu la raison , l'objet qui l'oc- cupe est toujours le même , il y pense con- tinuellement , y rapporte toutes ses sensations et toutes ses idées. Dans beaucoup d'autres cas ^ les idées déraisonnables sont très-bornées , ou paraissent naturelles , au point qu'on pourrait s'y méprendre si on n'était assuré de leur faus- seté ; les malades travaillent, paraissent tran- quilles, répondent parfaitement bien aux queS-* tions qu'on leur fait : seulement si on touche le point malade^ on s'aperçoit de la réalité du délire.

Les idées qui forment le caractère du déliré monomaniaque , sont relatives à l'action vifé d'une cause mentale, ou plus souvent tiennent aU caractère même de l'individu , ou enfin sont in* dépendantes de ces circonstances , ce qui est très-rare -, de la un grand nombre d'espèces et de variétés. L'ambition et l'orgueil chez l'homme.


JIO SYMPTOMES

layanité, l'amour et la religion chez la femme, en caractérisent un grand nombre , les princi- pales sont les suivantes : on doit rapporter à un orgueil excessif, l'idée de se croire Dieu, roi ou prophète j la vanité plutôt que l'orgueil, porte les femmes a se faire reines ou princesses; elles ont plutôt en vue dans cet état mental la parure, que le pouvoir de commander. La nos- talgie , ou regret du pays natal , la misantropie ou le mépris de ses semblables , le dégoût de la "vie, le spleen, ou le mépris de soi-même, le fa- natisme religieux ou le désir de faire triompher des idées qu'on a adoptées en religion ; l'éro- tomanie , ou l'exaltation de la passion amou- reuse ', telles sont les variétés qui tiennent a un dérangement dans les idées ordinaires de riiomme. La manie sans délire, de M. Pinel , doit former une variété de la monomanie ; elle consiste dans un penchant à la férocité , dans un désir , un besoin sans motifs de détruire des êtres vivans et même des humains ; les ail- leurs en rapportent des exemples fort remar- quables : l'histoire en consacre d'épouvanta- bles ; les Caligula, les Néron, les Louis XI , qui faisaient commettre des crimes inouis , avec tous les raffinenaens de la plus exécrable cruauté, qui s'enivraient du sang de leurs con- citoyens, ne doivent-ils pas, pour l'honneur


DE L A FOLI E. 111

même de l'espèce liumaine, être considérés comme des m^oriomaniaques de cette espèce ? La panophobie, ou la crainte des évènemens présens ou a venir, tient tantôt a. des terreurs religieuses , k des idées de damnation éternelle', d'autres fois c'est une défiance continuelle de soij des hallucinations ou des sensations erronnées qui rendent toutes les personnes qui les envi- ronnent suspectes de mauvaises intentions , en- fin des aliénés sont quelquefois pris de ces mou- vemens de terreur, sans cause connue. Presque toutes les idées exclusives peuvent être rap- portées à l'une de ces espèces ou variétés.

M. Esquirol , a divisé ce genre de folie en deux espèces : monomanie avec excitation, et monomanie avec abattement, tristesse, espèce qu'il a désignée sous le nom de lypemaniej c'est la mélancolie de tous les auteurs.

La monomanie avec excitation se rapproche beaucoup de la manie, par une agitation con- tinuelle, des cris, des injures, des accès de colère ou de fureur. La fureur est d'autant plus fréquente , que pénétrés de la réalité de leurs chimères , doués d'un raisonnement fort et sou- tenu dans le sens de leur délire , persuades qu'ils se portent bien et qu'ils sont victimes d'odieuses machinations, la cause la plus lé- gère les enflamme et les porte a souteair leurs


Ïî2 SYMPTOMES

prétentions par tous les 11103^6118 possibles.

Dans la lypemanie ou mélancolie , le* aliénés sombres , ennemis du tumulte , ab- sorbés et profondément attentifs à l'idée qui les domine, fuient leurs semblables, tantôt pour se soustraire a leur vue s'ils croyent leur déplaire , ou s'ils craignent d'en devenir vic- times , d'autres fois pour clierclier un repos qu'ils ne peuvent trouver, ou pour se fortifier a leur aise dans leur manière de voir. Quel- ques-uns qui sentent et gémissent sur leur si- tuation , en sont honteux , et pour cela s'isolent de tous ceux qui les ont connus en santé.

Toutes les variétés de la monomanie , sont également compatibles avec ces deux formes de délire. Cependant les idées qui naissent de l'orgueil exalte , de l'amour du pouvoir et de la domination , du fanatisme religieux , sont plus particulières à la monomanie avec excita- tion, et les idées nostalgiques, misaiithropiques, panophobiques , le dégoût de la vie , caracté- risent plus particulièrement la lypemanie. C'est ici le lieu de dire un mot du suicide.

La vie, quelque pénible qu'en soit souvent le cours, est rarement assez dépourvue d'at- traits , pour que l'iiomme raisonnable s'en dé- livre; c'est ou un état de folie véritable, ou des commotions morales très-fortes , suscep-


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tibles elles-mêmes de déranger l'esprit , qui causent presque tous les suicides. Le désir et l'action de se détruire, sont donc rarement pro- duits par l'ennui, le dégoût de yivre , le mé- pris de l'existence , froidement calculés, mé- dités long- temps d'avance par une tête saine. L'homme bien portant, qui par une cause morale cherche a s'ôter la vie, commet très- souvent le premier acte du délire ; c'est un moment de désespoir pendant lequel les fa- cultés intellectuelles se sont exaltées , altérées d'une manière quelconque -, beaucoup de femmes qui ont manqué leur coup , sont envoyées déli- rantes a la Salpétrière. On recommence rare- ment deux fois la même tentative, parce que l'action de la cause est ordinairement instan- tanée , et qu'une fois passée , l'esprit redeve- nant calme, reprend toutes ses forces. Le sui- cide est une véritable monomanie qui ne dure que peu de temps , parce que la pei-sonne en ■vient promptement à ses fins , ou perd tout-à- fait la tête , ou bien reprend ses sens.

Ce sont ordinairement des erreurs de sensa- tion , ou des jugemens faux , qui portent les aliénés k se détruire ; les uns se croyent odieux, insupportables, ou accusés des plus grands crimes-, d'autres prétendent en se tuant obéir à un génie ou a Dieu , qui le leur ordonnent 3

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Iï4 SYMPTOMES

quelques-uns se jettent par une fenêtre qu'ils prennent pour une porte. Les terreurs reli- gieuses , la crainte de la damnation éternelle donnent très-souvent l'idée du suicide ; les ma- lades réflëcliissent si peu alors , qu'il* ne voyent pas qu'ainsi ils accélèrent le moment du châ- timent qu'ils redoutent. Les aliénés portés au suicide , persistent long-temps dans l'exécution de leurs desseins , recommencent jusqu'à ce qu'ils y arrivent ou que leur tête revienne à la santé -, ils employent quelquefois des ruses incroyables pour gagner la confiance des per- sonnes qui les entourent , et tromper leur surveillance.

Le suicide vè^^échï , spleen des Anglais, sur- vient ordinairement de 35 k 45 ans , cliez des personnes qui ont épuisé toutes les jouissances de la vie , ou qui , après avoir acquis une cer- taine aisance par une vie active, deviennent oisifs pour en jouir. Le défaut d'idées mo- rales, qui conduit à l'athéisme, au matérialisme, au mépris de l'existence , favorise beaucoup cette tendance. Le spleen est bien plus fréquent en Angleterre qu'en France : cela tient à plu- sieurs causes. Chez les anglais , il y a un petit nombre de fortunes considérables , et des mil- lions de malheureux réduits à la mendicité , deux extrêmes qui tendent au même but , le


D E L A. F O L I E. Il5

dégoût de l'existence ; les grandes et hasar- deuses spéculations de commerce , doivent sou- vent exciter des commotions d'esprit plus ou moins fâcheuses*, enfin rimn],oralité, la débau- che , si ordinaires chez eux , sur-tout dans les classes élevées, doivent finir par dégrader l'âme , user le corps , et ainsi porter à terminer des jours qui ne seront plus que pénibles. Beaucoup, d'auteurs pensent aussi que le climat a quel- qu'influence sur cette maladie 3 on remarque par exemple , que c'est en automne , au mois de novenibre , ordinairement brumeux et humide, que les suicides sont le plus fréqueus •, et que l'atmosphère de l'Angleterre et sur-tout de la ville de Londres , a toiijours quelque chose de cet état sombre et brumeux. Les malades ennuyés de tout, fuyent la société , se retirent dans la solitude, donnent plein cours à leurs idées et finissent enfin pa.r se détruire si la médecine ne vient à leur secours.

I V."'^ GENRE.

Stupidité.

Absence accidentelle de la manifestation de la pensée , soit que le malade n'ait pas d'idées, ou qu'il ne puisse les exprimer.

Les aliénés stupides paraissent être dans un état complet d'anéantissement moral, lis sont


s l6 SYMPTOMES

iîidifFérens a tout ce qui les etitoure, insensibles à l'action des objets environnans; leur extérieur annonce une tranquillité parfaite. La sensibi- lité générale est toujours affaiblie \ les malades ne se sententpas, urinent sans s'en apercevoir. Ce n'est qu'après la guérison qu'on peut savoir d'eux quel était le véritable état mental qui lés affectait j les exemples suivans en donneront une idée. Adèle Fouchet , âgée de trente-six ans, entra a la Salpétrière le i septembre 1817, pour la cinquième fois depuis dix ans , dans l'état suivant : insensibilité générale ; elle ne répond en aucune manière aux questions qu'on lui fait -, elle ne paraît même pas les entendre , et reste dans l'endroit et la position qu'on lui fait prendre. On la couche , on la lève, on lui fait faire tous ses besoins , elle n'y penserait pas sans cela. Un séton lui fut mis à la nuque' sans qu'elle en exprimât la moindre douleur. Cet état cessa subitement au bout de trois mois par un ptyalisme et delà céphalalgie j son intel- ligence reprit toute son activité ordinaire. Elle rendit alors ainsi compte de sa situation. Elle ne pensait a rien-, quand on lui parlait, elle ne retenait que le premier mot de la phrase, et n'avait pas la force de répondre \ elle n'a- vait pas senti de douleur quand on lui mit le séton. C'est le seul exemple que j'aie vu, d'une


DE Ll FOLIE. ^117

Stupidité aussi caractérisée , et revenue a la san- té. Une jeune fillede 22 ans , à la suite d'une com- motion morale c[u'elle éprouva le 26 août 181g, perdit la tête , et entra k l'hospice avec les sym- ptômes suivans : pâleur générale, air Kébété , nulles réponses aux questions qu'on lui fait, indifférence pour les personnes et objets envi- ronnans , déjections involontaires ; depuis un peu de temps elle va m.ieux, commence a tra- vailler et peut rendre compte de l'état anté- rieur de son esprit ; elle dit qu'elle entendait bien les questions qu'on lui adressait, mais que ses idées venaient en si grand nombre et si confusément qu'il lui était impossible d'en ren- dre aucune. D'autres malades disent qu'elles ne pouvaient rien exprimer parce qu'elles a^vaient une telle défaillance d'esprit , qu'il leur était impossible d'assembler deux idées, malgré tous les efforts tentés pour cela.

Tels sont les phénomènes intellectuels que j'ai cru devoir rassembler en un genre de délire, en les séparant et de l'idiotie et de la démence ; c'est aux observateurs à juger s'il était convenable de distinguer ce mode d'altéra- tion de ces deux-là j s'il leur ressemble en apparence , combien sa nature en diffère , puis- qu'il n'y a jamais eu d'intelligence dans l'idio" tie , et qu'il n'y en aura plus dans la démence»


1 l'S SYMPTOMES

Je ne parle point des symptômes qui ac- compagnent chacun de ces trois genres de délire ; ils sont à-peu-près les mêmes pour tous , ils sont les symptômes de la folie et non ceu?: du délire , qui n'est qu'un symptôme lui-même j ce serait ainsi les répéter trois fois au lieu d'une. Ceci nous prouve encore que les divisions de cette maladie qui ne reposent que sur les dé- sordres de l'intelligence sont loin d'être fonda- mentales ', c'est sur l'état organique qu'elles doivent être Pjasées.

V.'^V G E NR!E, ■

Démence.

Affaiblissement général ou abolition des fa- cultés intellectuelles , résultat "de l'usure de l'organe qui lés produit, par suite de l'âge, ou de maladies mentales ou autres, caractérisé par le défaut de tout principe de raisonnement , l'oubli du passé, l'indifférence sur le présent et l'avenir.

L'extérieur des aliénés en démence annonce de la tranquillité ; la vie végétative est la seule active chez eux > aussi presque tous dorment-ils toujours et sont-ils gros et gras , s'ils ne sont atteints de maladies accidentelles.

Les idées des aliénés en démence n'ont au-


D E L A F O L I E. I T^

Gtine suite, ne se rapportent à rien de positif; ils parlent tour à tour des objets les plus dispa- rates ', si on leur demande une chose , ils ré- pondent à une autre ; leur esprit n'est plus susceptible d'exaltation ; aussi ne se mettent-ils jamais en fureur. Ils ne s'occupent point de leur sort, voient avec indifférence leurs parens et amis.

-La démence senile survient avec l'affaiblisse- ment physique des organes de l'économie et par conséquent du cerveau ', elle peut atteindre de bonne heure les personnes qui ont détérioré leur constitution. L'intelligence s'affaiblit peu à peu ', la mémoire disparaît , l'imagination est nulle, le principe du jugement perd de son éner- gie , et enfin le vieillard tombe , comme on le dit, 672 enfance.

La démence peut être la suite d'une maladie du cerveau, de l'apoplexie , d'inflammations ou de commotions de cet organe. Il n'est pas rare de rencontrer après ces affections des pertes de quelque faculté intellectuelle , de la mémoire , par exemple.

La démence termine toutes les folies qui de- viennent incu4;ables , pourvu que les malades existent encore assez de temps pour que cette transformation puisse avoir lieu, ce qui arrive presque toujours.


120 i SYMPTOMES

La désorganisation du cerveau , qui produit cet état mental, occasionne en même temps , dans plus de la moitié des cas , une autre ma- ladie nerveuse, la paralysie musculaire, partiel- lement ou généralement.

2.'^ Insomnie.

Les idiots et la plupart des aliénés en démence, insensibles à tout ce qui les entoure, peu affectés des maux physiques qui peuvent les affliger , dorment la plupart du temps. L'insomnie au contraire accompagne , on peut dire toujours , la manie , la monomanie et la stupidité •, ce symptôme établit une différence bien caracté- ristique entre ce dernier genre et ceux avec lesquels on l'avait confondu -, il prouve que la stupidité n'est point une affection chronique , comme l'idiotie et la démence ; qu'elle dépend, au contraire, d'un état aigu du cerveau, comme la manie et la monomanie. L'insomnie com- mence avec le débat, presque toujours pendant ce qu'on nomme l'incubation de la maladie, et continue pendant la période d'excitation, jus- qu'à la convalescence. Les malades peuvent être ainsi des mois et des années sans clore l'oeil. Diverses causes autres que la maladie même du cerveau , et qui tiennent à l'état de délire ou


DELA.FOLIE. 131

aux souffrances physiques , peuvent empécke-r le sommeil ; ainsi l'agitation , les cliants , les crisj sont de ce nombre. Les hallucinations, les ■visions nocturnes provoquent des conversa- tions , des extases , des accès de colère ou de fureur, selon leur nature ; des aliénés, dans la crainte continuelle d'être surpris par de pré- tendus ennemis qui veulent les tourmenter , se tiennent éveillés autant que possible -, k force de recommencer , l'économie s'y habitue et c'est sans effort qu'ils veillent. Les maux de tête sont une cause très-fréquente d'insomnie. Enfin beaucoup d'aliénés ne dorment pas parce- que Penvie ne leur envient pas, malgré tous les efforts qu'ils font très-souvent pour se livrer à cet acte réparateur , et d'autres ne se livrent qu'à un sommeil rendu pénible par des rêves effrayans, des réveils continuels en sursaut, etc. Le retour du sommeil avec la diminution du délire et de la tension des organes , est en gé- néral un signe certain de convalescence j son retour seul, annonce le plus souvent la termi- naison par la démence ; enfin si l'insomnie per- siste malgré un mieux très-marqué , ou si elle 68 s eoouvelle pendant la convalescence , le ma- lade n'est pas guéri , et une rechute est fort à craindre.


î:î2 SYMPTOMES

5.** Céphalalgies é

Les céphalalgies sont très-fréquentes dans îa folie , sur-tout chez les femmes ; les hommes s'en plaignent beaucoup moins fréquemment. C'est ce qui arrive également dans les autres circonstances de la vie ; les migraines, les maux <ie tète , affectent continuellement ou périodi- quement un grand nombre des premières , et sont très-rares au contraire chez les derniers , la dbfférence est peut-être de lo a i. Des cépha- lalgies intenses et internes ont souvent existé long-temps, des mois ou des années, avant que le délire ne soit survenu ou n'ait été provoqué par des secousses morales. Elles accompagnent presque toujours avec l'insomnie, la période d'incubation , deviennent très-fortes aux mo- mens du début et pendant l'invasion. Dans îa période d'excitation au contraire , les malades ne s'en plaignentplus, quoique leur tête chaude et brûlante , l'activité de la circulation céré- brale, indiquent assez que la cause qui les avait fait naître n'a pas diminué d'intensité j c'est le cerveau lui-même qui devient alors incapable de percevoir ses propres souffrances. Mais aussitôt que l'état d'irritation diminue, que cet organe commence à reprendre l'exercice de ses


DE LA FOLIE. 123

fonctions , les douleurs de tête se font sentir de nouveau 5 il arrive même quelquefois qu'elles n'avaient point incommodé auparavant. Elles cessent ou s'affaiblissent k mesure que la con- valescence fait des progrès , et peuvent néan- tnoins persister même après la disparition de tous les autres symptômes , ce qui n'est pas en général d'un bon augure.

La douleur de tête varie par le lieu qu'elle occupe , la sensation que le malade en éprouve^ sa dure'e , etc. Tantôt elle est tout-à-fait exté- rieure, et semble tenir a l'état de tension, de chaleur , d'injection des parties épicrâniennes ; elle est alors ressentie ver« le front, le vertex, etc., mais rarement à la région sus-orbitaire comme dans certaines affections gastriques ; le malade se plaint d'un sentiment de tension , ou de resserrement ou autre. D'autrefois elle est intérieure , profonde , cérébrale , et consistée» des battemens, des pulsations , un sentiment de <'.Iialeur ou de plénitude, augmentés par les mouvemens brusques de la tête. Ces céphalal- gies internes se présentent quelquefois d'un seul côté ', ce n'est pas non plus d'un bon au- gure, la paralysie est alors à ci'aindre. Les TQiaux de tête peuvent être continus ou ne re- venir qu'a certaines époques, comme au retour des règles, ou au temps qu'elles devraient pa-


124 SYMPTOMES

raître. Ils sont plus fréquensla nuit que le jour, le soir que le matin.

Ce symptôme disparaît, comme l'insomnie, avec le passage de la folie à la démence.

4.* Lésions de la Sensibilité cérébrale ou animale.

Je n'ai a m'occuper ici que de la perception des sensations cutanées et internes , ayant parle précédemment des fonctions des sens.

Nous trouverons chez les insensés toutes les aberrations de cette faculté vitale , depuis une insensibilité complète, jusqu'à une extrême sus- ceptibilité.

La plupart des idiots sont peu ou nullement sensibles à l'action physique des objets exté- rieurs sur la peau j ils restent au froid ou à la chaleur , sont atteints de plaies considérables , de maladies douloureuses, sans paraître en souf- frir. Les aliénés en démence approchent plus ou moins de cet état.

La période d'excitation de la manie , de la m.onomanie et de la stupidité, est presque tou- jours caractérisée par une insensibilité physique qui rend les malades peu impressionnables , plus ou moins îndifFérens à l'action du froid, des excitans qu'on peut appliquer à l'extérieur.


DE LA FOLIE. 125

et des maladies qui peuvent les atteindre. C'est alors qu'on voit des aliénées se promener volontiers au fort de l'hyver , sans bas ai souliers, en cliemises et avec une seule couver- ture sur les épaules , marcher dans l'eau ou sur la glace , rester exposées à toutes les intempé- ries de la saison 3 bien peu demandent même qu'on les en préserve *, seulement , quand on fait du feu dans le cliauffoir , la plupart y vont avec plaisir. L'habitude que prennent certaines maniaques de marcher les pieds et les jambes nus (malgré tout ce qu'on peut faire pour les en empêcher ) , leur occasionne souvent des gonllemens oedémateux, puis inflammatoires de ces parties , dont elles ne se plaignent pas j et si on n'y faisait une extrême attention, il sur- viendrait des congélations des extrémités, qu'on ignorerait si on attendait que le malade en avertit. Il est des mélancoliques qui se plaisent à se tenir couchées des heures entières sur le carreau ou sur la terre , sans avoir égard à la \ température de ces lieux. C'est à cet état de l'or- ganisme , cfu'on peut appliquer cet aphorisme d'Hippocrate , Quicumquealiquâ corporis parte dolentes dolorem ferè noîi sentiunt , his mens œgrotat. Cet affaiblissement de la sensibilité physique doit tenir non-seulement à l'affection organique du cerveau, mais il ariive sans doute


126 SYMPTOMES

ici, comme dans toute contention d'esprit, une espèce d'oubli des autres parties du corps ; les aliénés ne vivent pour ainsi dire que dans la tête, ils ne s'occupent plus du monde extérieur ; la succession rapide ou la fixité de leurs idées les absorbent presqu'entièrement.

Il est bien important de connaître cette dis- ]X)sition de l'économie des insensés pendant cette période 3 étant averti qu'ils ne se plaignent pas, on saura que ce n'est pas par leurs plaintes qu'on découvrira leurs souffrances ; on veillera pour eux a les préserver des influences perni- cieuses d'un froid extrême , de l'humidité -, on cherchera des signes de leurs maladies dans la manifestation d'autres phénomènes que la douleur , etc.

Passé la période d'excitation , lorsque la ten- sion générale a diminué ou entièrement cessé , à cet état d'insensibilité succède quelquefois une susceptibilité extrême ; les malades ne peuvent supporter les moindres impressions dé- sagréables ; le froid les fait extrêmement soufr frir ; ils recherchent avec empressement le^ lieux chauds *, si les poêles n'étaient entourés de grillages, il arriverait souvent des accidens. Ce changement ne doit point nous étonner ; toutes les fois qu'un organe a cessé ses fonc- tions depuis un certain temps, il devient en se


LA FOLIE. 127

rétablissant, très-sensible a l'action des différens stimulus avec lesquels il est naturellement en contact. L'être qu'on a tenu long-temps dans ini lieu obscur, ne peut revoir la lumière qu'avec beaucoup de ménagemens *, l'estomac privé d'alimens pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines, ne reçoit d'abord que quel- ques cuillerées de bouillon , sans en être in- commodé , etc.

5.° Lésions de la Contractilité musculaire.

Les muscles sont susceptibles de deux ordres de maladies : les unes, propres à leur vie nutri- tive, à leur constitution physique^ peuvent être appelées musculaires j ce sont les plaies , les distensions ou déchirures, les inflammations , etc ', les autres, relatives à l'exercice de la con- tractilité volontaire, dépendent primitivement d'une lésion des nerfs qui président à cette fonc- tion , sont essentiellement nerveuses ; ce n'est qu'accessoirement et comme agens des nerfs ^ que les muscles sont affectés j telles sont les affections convulsive^ , tétaniques, la paralysie, etc Les premières ne surviennent qu'acciden- tellement chez les aliénés, et comme chez les autres individus ; les secondes les atteignent plus particulièrement.


128 SYMPTOMES

Quelquefois la folie déloute par plusieurs at- taques convulsives ', néanmoins les convulsions sont en général très-rares dans tout le cours de la maladie. Beaucoup d'idiots sont épileptiques ; les autres aliénés ne présentent rien de parti- culier sous ce rapport.

On a dit que la plupart des femmes insensées étaient hystériques : les auteurs qui ont avancé cette opinion , ont confondu l'hystérie avec la nymphomanie ou fureur utérine. La première est une affection convulsive , dont les princi- paux phénomènes se passent dans la région épi- gastrique , la poitrine et la partie antérieure du col j ce n'est qu'au troisième degré qu'elle de- vient plus générale jles malades ne sont pas plus portées aux plaisirs de l'amour que dans les autres états de la vie, leur esprit est sain. La seconde consiste , au contraire , dans une exal- tation des désirs vénériens, avec une irritation particulière des organes génitaux j la raison est ici rarement intacte ; la passion dominante di- rige toutes les actions , la décence a disparu , etc j mais il n'y a jamais de mouvemens con- vulsifs biea marqués. L'Kystérie , telle qu'on doit l'entendre, est très-rare chez les aliénées •, la nymphomanie est beaucoup plus commune (i).

(i) Puisque je retrouve l'oocasion de parler encore de


DE Là folie. 12g

Pendant les premiers jours de la période d'excitation , quelques aliénés sont pris de roi- deur tétanique, rarement généralement, plus


la nature de l'hystérie , je dois dire ce que je pense sur l'un de ses phénomènes qu'on a appelé boule hysté- rique , et qui consiste dans la sensation d'un globe qui semble partir de l'abdomen , et remonter dans le thorax însqu'au col, en produisant de l'étouffement, un senti- ment de strangulation. Plus j'observe ces malades , et plus je suis convaincu que chez eux la tête est le point primitivement et essentiellement affecté. Le caractère principal et extérieur de l'hyslérie , est une affection spasmodique, convulsive, partielle ou générale du sys- tème musculaire , le plus souvent bornée , sur-tout dans le principe, aux muscles de la partie antérieure du col , des parois du thorax , et au diaphragme. Tous les autres phénomènes qui surviennent pendant les accès , sont , pour ainsi dire , le résultat d'une action mécanique exer- cée par ces organes sur les différentes parties qui les avoi- sinent; ainsi , lorsque les muscles de la paitie antérieure du col sont seuls convulsés , il n'existe qu'un sentiment de strangulation ; le passage de l'air est intercepté par la compression du canal aérien : quand les muscles du thorax sont dans cet état , les côtes , tenues fixes , ne se prêtant plus aux mouvemens de cette cavité , les pou- mons ne peuvent se dilater pour recevoir le fluide aérien ; enfin , si le diaphragme est pris de convulsions , les malades ressentent la boule hystérique. Les auteurs qui avaient placé le siège de la maladie dans l'utéius , ont voulu la faire partir de c«t organe ; mais l'observation

9


1 3a SYMPTOMES

souvent daiis les élévateurs de la mâclioire ) on parvient difficilement alors k leur faire ou- yrir la bouche , et si cet état persistait trop long-temps , on serait forcé de recourir a l'in- troduction d'une sonde par les narines , pour introduire des alimens dans l'estomac j il cesse Qrdinairement dans l'espace de quelques jours.

Nous avons vu combien l'énergie musculaire est augmentée dans la fureur.

La lésion de la contractUité musculaire la plus fréquente , c'est l'affaiblissement ^ la perte générale ou partielle du mouvement volontaire. La paralysie se montre quelquefois dès le début de la folie j cela arrive plus particulièrement

démontre que c'est dans la région épigastrique qu'elle se fait sentir ; elle remonte plus ou moins selon que ce» muscle se contracte plus ou moins violemment ; dan» les accès légers, ce ne sont que de simples ondula- tions. Les malades chez qui la boule est très-forte , sont prises , après l'accès , de maux d'estomac quelquefois très-intenses. Lorsque ces trois sortes de mnscles sont convulsés , contractés en même temps, il survient des^ suffocations effrayantes , qui peuvent durer de manière à mettre les jours en danger ; chez une jeune fille, l'at- taque persiste une demi- heure, pendant laquelle elle peut à peine, toutes les deux ou trois minutes, intro- duire un peu d'air daus les poumons; la face est injectée et violette , les yeux semblent sortir de la tête , les veine» jugulaires sont grosses comme les doigts , etc.


DE LA FOLIE. iSt

aux femmes de quarante ou quarante-cinq ans. C'est un symptôme fàclieux qui en annonce l'in- curabilité. Le plus ordinairement, c'est dans la démence, lorsque la maladie fait des progrès en mal, que les muscles se paralysent. La moitié des idiots et des aliénés en démence sont pa- ralytiques. (Nous reviendrons sur la description de ce symptôme.)

Généralement parlant , on peut dire que le système musculaire exerce bien ses fonctions chez les aliénés : presque tous peuvent se pro- mener, courir, parler, travailler, etc. Très-peu sont forcés de garder le lit , a moins qu'ils ne soient atteints d'une maladie plus ou moins grave.

6.° Lésions des ençeloppes eoctérieures du Cerp'eau ; Expression de la physionomie.

Les phénomènes qui paraissent dans ces par- ties tiennent si immédiatement a l'état du cer- veau , que je crois devoir les ranger avec les symptômes cérébraux ; je ne ferai que les in- ditjuer, parce que j'aurai souvent occasion de les rappeler en décrivant les périodes de la maladie et les indications curatives. Les vices de nutrition et de conformation du crâne seront exposés au chapitre des ouvertures ca- davériques.

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102 SYMPTOMES

Ordinairement l'irritation cérébrale qui ca- ractérise l'invasion et la période d'excitation , fait de la tête un centre de fluxion active très- remarquable.

Les artères carotides battent avec force ; leurs pulsations sont dures , fortes , vibrantes , beau- coup plus que celles des autres artères : il n'y a pas de comparaison. Elles ne sont pas plus fréquentes , et ne peuvent l'être , puisque le cœur pousse le sang en même temps par-tout. Les branches qui naissent des carotides , pré- sentent le même phénomène. Toutes les fois qu'on rencontre cette disposition de la circu la- tion cérébrale , à quelqu'époque de la maladie que ce soit , on peut être assuré qu'il y a cé- phalalgie et insomnie. Je me suis rarement trompé, en avançant le fait avant de m'en être assuré.

Les veines, et notamment les jugulaires, sont gonflées , sur-tout quand les malades se mettent en colère ou en fureur.

Les capillaires de la face , des yeux , de la peau du crâne , sont plus ou moins injectés et rendent la peau et la conjonctive rouges, brunes ou violacées, selon la coloration habituelle des individus. Le front, la face , quelquefois toute la tête offrent une chaleur plus forte que par-tout ailleurs ;,les malades s'en plaignent, ou au moins


BE LA FOLIE. l55

il est très-facile de s'en assurer par le touclier. Les yeux sont ordinairement alors brillans ^ Tifs , animés , quelquefois convulsifs.

Enfin tout annonce dans l'état de ces parties , qu'il existe près d'elles un foyer d'irritation.

Il est difficile de décrire la physionomie des aliénés *, il faut l'observer pour en conserver l'image. Les personnes sont méconnaissables alors -, les traits de la face ont changé de direc- tion, leur ensemble est tout déformé. Les phy- sionomies sont presqu'aussi différentes que les individus ; elles varient suivant les passions , les idées diverses qui les occupent ou les agitent, le caractèi^e du délire , l'époque de la maladie , etc. En général, la figure des idiots est niaise et insignifiante ; celle des maniaques , aussi agitée que leur esprit , est quelquefois crispée, convulsée ; chez les stupides, les traits sont abattus et n'ont aucune expression ; \e faciès des mélancoliques, contracté, porte l'empreinte de la douleur ou d'une préoccupation extrême 3 le monomaniaque roi , a l'air fier et haut j le dévot, humble, prie en fixant le ciel ou la terre ; Iç craintif fuit en regardant de côté , etc. Je m'en tiens a ce simple énoncé, la vue seule pouvanj: donner une idée du reste*


î34 SYMPTOMES

§. IL Symptômes GENERAUX OU SYMPATHIQUES.

Nous regarderons comme symptômes sym- pathiques de la folie , les troubles qui se mani- festent en même temps, ou peu après le déve- loppement de cette maladie. Nous éviterons ainsi de comprendre parmi eux , des lésions plus graves qui naissent évidem.ment de l'ac- tion d'iniîuences extérieures sur les malades , et dont nous parlerons plus tard.

Lés désordres qui surviennent dans l'éco- nomie , voisins du développement de la folie , et qui ne tiennent pas directement à l'altération des fonctions cérébrales , se réduisent a si peu de chose dans beaucoup de cas , ou paraissent si naturellement dépendre de l'affection primi- tive , que les auteurs qui ont écrit, même après une longue expérience sur cette maladie, ont à peine employé quelques lignes pour les indi- quer sommairement ; le Traité de la Manie n'en dit rien d'une manière spéciale, et ils occupent moins d'une page dans l'article Folicy de M. Es- quirol , (Dictionnaire des Sciences Médicales.) Tout, dans ces ouvrages, est consacré k la des- cription des troubles nerveux. La vie intérieure ne participe presque pas aux souffrances de la vie extérieure 3 les malades n'éprouvent que de légers dérangeniens dans la première, dont ils


DE LA FOLIE. l55

se plaignent peu , et qui se dissipent prompte- nieiit , à-peu-près d'eux-mêmes ; en général ^ les aliénés ne sont jamais forcés de garder le lit. Parcourons, au reste, les principales fonctions. Le canal alinientair& est tellement en rela- tion avec tous les organes, qu'il est peu d'af- fections subites , même légères , qui ne le dé- rangent dans l'exercice de ses fonctions. Il était même nécessaire que cela fut ainsi j par la le malade est averti qu'il doit laisser sa vie inté- rieure en repos, et ne point troubler le travail morbifique qui existe ailleurs. La plupart des aliénés, dans les premiers momens de leur agitation , éprouvent les incommodités djgestives suivantes : de la soif, delà perted'ap^ petit, du dégoût pour les alimens , ou au con- traire un appétit voracej la langue est blanche ou légèrement jaunâtre, mais jamais très-rouge, brune, ou noire et fuligineuse , comme cela ar- rive dans les inflammations gastro- intesti- nales très-vives j quelquefois il existe de légères douleurs d'estomac ou des intestins , et quî toutefois sont rarement assez intenses pour que les malades s'en plaignent beaucoup ; la constipation est assez fréquente , même pen- dant tout le cours de la maladie -, la diarrliée est beaucoup plus rare. Ces légers désordres durent plus ou moins, depuis quelques joura


1 36 SYMPTOMES

jusqu'à une semaine oudeux , et s'en vont d'eux- inëraes ) passe ce temps, l'appétit revient sou- vent plus fort qu'avant, la langue est belle, les épigastralgies ont disparu, etc. La consti- pation est plus opiniâtre ; beaucoup de malades aussi, qui se dessèclient la bouclie a force de crier , et sont très-agités , prennent en abon- dance des boissons rafraîchissantes , de l'eau.

Toutes les affections aiguës, et même chro- niques, apportent des cliangemens notables dans l'action du cœur. J'ai déjà parlé de la circula- tion cérébrale des aliénés : le pouls est de même fréquent , mais moins fort , moins dur que les battemens des artères cérébi^ales. Je crois qu'on peut dire que les aliénés offrent dans le commen- . cément de leur maladie , le mouvement général

  • qu'on appelle y^ècrcj ils en présentent la plu-

part des caractères, tels que fréquence et force du pouls, soif, perte d'appétit, douleur de tète , rougeur de la face. 11 manque seulement un état de faiblesse musculaire j qui oblige ordinairement le fiévreux à garder le lit j mais la fièvre est plus ou moins intense, selon la gravité de la lésion organique qui la produit ; ainsi elle est à peine sensible lors de l'éruption du vaccin , tandis qu'elle est très-forte dans une inflammation aiguë. Quelques insensés éprouvent des palpitations très-fréquentes 3 la


DELA FOLIE. l^<^

moindre émotion moraie ies renouvelle. La fréquence, la force du pouls, persistent plus long-temps que les troubles du canal alimen- taire ; tant que l'irritation cérébrale est active , l'action du cœur ne diminue point. Plus tard , je parlerai de la pléthore générale , comme formant une indication particulière de trai- tement.

La respiration ne présente point de phéno- mènes remarquables ; si la folie se développe chez des phthisiques , certainement cette fonc- tion sera troublée j mais nous ne confondrons point une complication avec les effets de la ma- ladie mentale. Des malades se plaignent quel- quefois d'étouffemens passagers j on doit , je pense , les attribuer à des troubles de la circu- lation , ou les regarder comme des désordres hystériques.

La nutrition perd plus ou moins de son éner- gie j dès Pinstant que la digestion ne fournit plus autant de sucs réparateurs , ou que même l'organisme en dépense plus qu'à l'ordinaire , et qu'il existe un mouvement fébrile, l'embon- point, la graisse, espèce de réserve pour ces sortes de situations de l'être vivant , doivent di- minuer-, c'est ce qui arrive en effet. Les traits s'affaissent , la figure s'alonge , la peau est moins épaisse, etc. L'amaigrissement est cependant


1 35 SYMPTOMES

quelquefois peu sensible : ceci a lieu loi^sque le délire est accompagné de peu d'excitation. A mesure que les forces digestives reprennent leur énergie , que ^irritation cérébrale s'amende ou cesse , les vésicules graisseuses reprennent bien- tôt leur ancien état , et les organes leurs for- mes , leur consistance.

La peau est assez souvent sèche , quelquefois âpre au toucher; les aliénés suent difficilement. Elle est souvent chaude, brûlante. Sa couleur s'altère quelquefois d'une manière remarqua- ble •, elle devient brune , cuivreuse , sans qu'on puisse attribuer ce changement à l'action du soleil, puisqu'il a également lieu l'hiver comme l'été. La couleur naturelle revient peu-k-peu avec le retour à la santé.

U utérus est destiné a recevoir, conserver et mettre au monde le résultat de la conception , et à produire mensuellement un écoulement sanguin. La première de ces fonctions n'est point troublée dans la folie-, les aliénées n'a- vortent pas plus que les autres femmes, et met- tent aussi facilement au monde un fœtus ù terme. 11 n'en est pas de même de la seconde : la suppression des règles est un effet , un symp- tôme à-peu-près constant de la maladie mentale; si elles ne sont pas supprimées , au moins vien- nent-elles moins abondamment et très-irrégu- lièrement.


tr


D E L A F O L I E. l^Q

Voila les désordres sympathiques de la folie, chez la presque totalité des malades , ils peuvent même être encore plus légers. Quelquefois l'ap- pétit n'a point cessé, la langue n'a point changé de couleur, la peau conserve sa fraîcheur, l'embonpoint est le même , et on ne se dou- terait pas que la santé est dérangée , si l'on ne tournait ses regards du côté des fonctions cérébrales. D'autres fois aussi , si l'économie d'un individu déjà délicat , a long-temps ou fortement souffert d'affections morales, causes du délire , si le délire porte le malade à une tristesse profonde et continue , au refus obstiné des alimens , les fonctions pourront être plus gravement troublées -, c'est alors qu'il survient une faiblesse , une maigreur extrêmes , quel- quefois du dévoiement , une entérite aiguë , des apparences de phthisie ou une phthisie réelle s'il y avait disposition à cette maladie; mais ce sont là des exceptions très-rares.

Si nous voulons maintenant comparer les deux ordres de symptômes de la folie , je ne pense pas qu'il reste beaucoup de doutes sur leur importance relative. Nous verrons d'un côté , quelques dérangemens circulatoires ou digestifs, qui ne sont même pas constans, dont les malades souffrent a peine ^ ou au moins pen-


l4;a SYMPTOMES

dant peu de temps 3 de l'autre, des troubles constans , très-apparens , durables ;, qui cons- tituent la maladie elle-même , et dont par con- séquent , la terminaison est la fin de cette mala- die. Et si nous devions prononcer sans autres éclaircis^emens , sur la question de savoir quels sont ceux qui ont dû exister primitivement et provoquer le développement des autres, au- rions-nous long-temps a hésiter? Ne pourrions- nous pas , sans trop de crainte de nous tromper, les regarder les uns et les autres, comme prove- nant d'une source commune , une lésion céré- brale ? Mais l'étude de l'action des causes , de la marcbe de ces divers phénomènes, ne laissera plus aucun doute sur ce point de pathologie. L'exposition des faits vaut mieux que tous les raisonnemens possibles.

Maintenant, comment se fait-il qu'une affection aussi importante de l'organe intellectuel trouble si peu les autres fonctions? Cette disposition est commune à toutes les maladies qui ont leur siège exclusif dans la vie de relation. Ainsi le sourd ^ l'aveugle par suite d'une amaurosis , n'ont perdu que les facultés d'entendre et de voir -, les épi- leptiques n'ont que très-peu ou point d'incom- modités entre leurs accès , les hystériques sont a-peu-près de mémej la plupart des paraly- tiques boivent et mangent bien jusqu'à la fin


DE LA FOLIE. l4l

de leur existence; les névralgies n'existent guère au-delà du cordon nerveux qui en est le siège; le tétanos tue presque mécaniquement, en gênant la circulation du sang par la com- pression exercée par les muscles roides et ten- dus sur les vaisseaux, et en empêchant le tho- rax de se dilater, et le canal oesophagien de communiquer avec l'estomac. Ainsi , la folie ne diffère en rien sous ce rapport , de ces affec- tions; cette ressemblance au contraire, prouve bien que cette maladie a aussi son siège primi- tif dans le système nerveux.

Il était essentiel que l'homme fût ainsi orga- nisé. En effet, les fonctions qui le mettent en rapport avec les corps extérieurs, et notamment l'intelligence , sont susceptibles d'un exercice si continu et si varié , que la machine eût été à chaque instant ébranlée , si elles eussent exercé trop d'empire sur les rouages. Comment eût-il pu sans cela, penser et réfléchir tout le temps de la veille, éprouver des émotions vives de l'âme , des contrariétés sans nombre , fatiguer son cerveau par des travaux soutenus? Cette loi de l'organisme en santé doit être toujours la même dans les divers états de la vie ; les mêmes causes produisent les mêmes effets.

On pourrait peut-être dire que le cerveau affecté d'une inflammation , ou comprimé seu-î


l42 SYMPTOMES DE LA FOLIE.

lemeiîl par quelques gouttes de sang , produit cependant des désordres très-graves dans toute l'économie ; ceci est vrai : mais le cerveau n'est pas seulement destiné à présider aux fonctions de relation , il exerce encore une influence immense sur toutes les autres. Voila pourquoi , s'il est lésé physiquement ou généralement , il n'y a pas seulement des troubles intellectuels. En outre , toutes les fois que l'organisation des parties est fortement altérée, la maladie cesse d'être locale •, tout se tient , s'enchaîne dans les êtres vivansj les organes compatissent mutuel- lement à leurs souffrances.


CHAPITRE SECOND.


CAUSES DE LA FOLIE.

il o u s venons de voir les symptômes essentiels de l'aliénation mentale tirer leur source de l'al- tération des fonctions du système nerveux en général , et notamment du cerveau. L'examen que nous allons faire de la nature des causes qui les produisent, nous convaincra de plus en plus que cette maladie est idlopatkique.

On divise les causes des maladies , relative- ment à l'action qu'elles exercent pour les \iro- duire, en prédisposantes f et efficientes ou occa- sionnelles.

Les premières ne font que rendre le corps plus apte a recevoir l'action des secondes j elles produisent rarement une maladie par elles- m.émes, à moins qu'elles n'agissent long-temps et d'une manière soutenue.

Les causes efficientes sont celles qui , à l'aide d'une prédisposition , ou a elles seules , provo- quent le développement d'une maladie. Elles peuvent agir directement sur l'organe dont les fonctions vont être troublées^ ou indirectement


l44 CAUSES

par l'intermédiaire d'un autre organe. L'inges- tion d'une boisson froide, qui occasionne une gastrite , nous fournit un exemple de cause di- recte j la suppression de la transpiration ou des règles , produisant une pleurésie , en fournit un de celles indirectes.

Les causes indirectes, qu'on pourrait appeler sympathiques , méritent de fixer un peu notre attention. Elles sont de deux sortes : les unes ne sont que des troubles momentanés d'une fonc- tion , qui ne constituent pas par eux-mêmes une maladie grave j telle est la suppression de la transpiration, des règles ou des hémorrhoïdes ; les autres constituent de véritables maladies , qui , le plus souvent , méritent exclusivement de fixer l'attention du médecin. Les affections qu'elles produisent ailleurs ne sont que des épi- pliénomènes , des accidens , etc. : telles sont la fistule à l'anus , que présentent beaucoup de plithisiques , la douleur du genou dans la luxa- tion spontanée de l'articulation coxo-fémorale. Cette distinction est extrêmement importante à établir j car les maladies produites par les pre- mières de ces causes indirectes , causes qu'on peut appeler physiologiques , à défaut d'une meilleure expression , sont assimilées aux ma- ladies produites par les causes directes , et portent ensemble le nom d^idiopathiçues. Ainsi


DE LA FOLIE. l45

oiinefait aucune différence entre une péripneu- monie qui tient à l'inspiration d'un air glacé , et celle occasionnée par une suppression de transpiratioii cutanée j le traitement est le même dans l'un et l'autre cas. On a nommé maladies sympathiques f celles qui sont produites par ces autres causes indirectes qu'on est convenu d'ap- peler pathologiques , et dont nous venons de donner des exemples. Il était important de s'en- tendre sur les choses et la valeur des mots , sur-tout dans une discussion qui nous présentera de fréquentes occasions d'en faire l'application. Je veux, bien moins donner une histoire détail- lée, complète, de toutes les causes de la folie , que faire connaître leur nature, la manière dont elles agissent sur les organes et les effets qu'elles produisent sur eux : après les avoir ainsi appréciées dans leur mode d'action , les applications se présenteront en foule , il suffira de les indiquer ; nous n'aurons pas besoin pour cela de faire unedescription poétique de l'amour, de l'amour du pays natal, des diverses passions qui peuvent agiter l'homme. Les pathologistes atta- chent trop d'importance à décrire minutieuse- m.ent des causes qui ne diffèrent que par des circonstances accessoires, et sont dans le prin- cipe , de même nature. Ne suffit - il pas , par exemple , de dire que la pleurésie résulte sou-

lO


l46 CAUSES

Tent d'une suppression de transpiration produite par une variation de température , un refroi- dissement subit, sans beaucoup s'occuper de tous les cas qui peuvent faire naître cette variation , de toutes les conditions de la vie qui exposent l'économie k ses effets ? Posez le principe, et les applications se présenteront d'elles mêmes. En médecine , ce ne sont pas les faits qui man- quent , mais bien des principes solides pour guider dans leur étude , des lois fixes pour les classer, les rattacher a leurs causes productrices. Examinons donc successivement quelle est la nature et la fréquence des causes prédispo- santes , ejfTicientes directes ou cérébrales , effi- cientes indirectes, physiologiques et pathologi- ques, dont l'action produit l'aliénation mentale. Les aL\teurs qui en ont traité n'ont point adopté tout-a-fait cette division. M, Esquiiol n'en a fait que deux classes : causes mentales et causes physiques. Mais on peut voir , par le tableau de ces dernières, que plusieurs spnt très-différentes les iines des autres , et ne peuvent être réunies ensemble. 11 en est qui ne sont que prédispo^ santés, et ne font que rendre le cerveau plus impressionnable : telles sont l'hérédité, les suites de couches j d'autres agissent directement sur le cerveaLi, comme l'apoplexie, l'insolation , les coups sur la tête ^ quelques-unes me semblent


DE L 4 FOLIE. l47

être des accideus indépendans de la folie, etc. D'ailleurs toutes ces causes se trou v<er ont dans les divisions que j^ii adoptées.

Je donne ici deux tableaux dressés par M. Es- quirol , contenant, l'un , les causes qui ont con- duit environ sept cents femmes a la Salpetrière., et l'autre près de trois. cents individus, hommes et femmes , dans son établissement , pendant les années 181 1 et 1812.

Causes morales»


Salpetrière, Etablissement de M. lLsQVfR.ot.

Çlur^rins domestiques lo5 3l

Amoiir coulraiié 46 aS

Evém.meiis politiques i4 , ,. . . . 3i

ÎTànalisme 8 , i

Prayeur. 38 , 8

J^abj^t-ie.. , i8 i4

Colère l6 . »

Misère , revers de fortune. . . 77 Bevers de fortune li

Àiiiour-propre hlessé 1 , , 16

^v.mbi-Lioa trompée -. » , ; 12

jEscèi d'étude , . , . . J> i3

^isjpthropie, . , . ... ....,..,. » 2

• ■ - ■ Total.. 323 Total ..167


iO..


'l48 CAUSÉS

Causes physiques.

Salpélrière. Etablissement de M. Esquiroi,

Hérédité io5 • t i5o

Couvulsions de la mère pendant

la gestation 1 1 4

Epilepsie ii a

Désordres menstruels 55 lo

Suites de couches. . < Sa 21

Temps critique. 27 n. , . . \\

Progrès de l'âge 60 4

Insolation 12 . . ", 4

Coups ou chutes sur la tête. . i4 4

Fièvre i3 12

Siphilis 8 i

Mercure i4 18

Vers intestinaux 24 4

Apoplexie. 60 10

ToTAi.. 426 Total 264

Voici un autre relevé des causes qu'on a dé- signées comme ayant fait entrer 1079 aliénés ai Bicêtre , de 1808 à 18 15.

Ivrognerie .106

Idiots de naissance 69

Excès de travail de corps et d'esprit 4g

Progrès de l'âge 56

Vives révolutions d'esprit • . 58

Suites de fièvres cérébrales , d'apoplexie 167

Epilepsie ' ... 118

Jeunes gens élevéspar de méchans parens ou de mauvais

maîtres ao

Vices de conformation du crâne g

Emanation de substances malfaisan tes a;;


DE L 1 ï- t T E. l^g

Onanisme 21

Religion • 55

Ambition 7^

Amour • • • «57

Infortune * . • 116

Evènemens politiques > * • 24

Chagrin • 99

ToTAi 1079


§.I. Causes prédisposantes.

Nous rangerons dans cette classe l'hérédité , les suites de couches, l'âge critique , les progrès de l'âge, qui se trouvent dans le tableau pré- cédent des causes physiques.

Uhérédité a peut-être une influence plus marquée sur la production de la folie que sur toute autre maladie. La folie héréditaire est très-fréquente j elle l'est plus chez les riches que chez les pauvres j ce qui tient à ce que les pre- miers, pour des convenances de rang ou de for- tune, s'allient souvent entre parens déjk entachés de cette m.aladie. Cette disposition est sur-tout fort remarquable dans les familles des rois, des grands, qui , dans la crainte de déroger a leur haute naissance, n'ont qu'un choix assez limité. Combien de ces familles sont dans un état dé- plorable de dégénéi'ation intellectuelle ! Les Juifs , habitués depuis des siècles par des pré ;


ïUO CAUSES

jugés religieux a ne s'unir qu*enlr'eux/qtjél<:|iTè peu nombreux qu'ils soientdansunpàys, offrent le même exemple. Il û'est pas rare de voir à la Salpétrière les deux sœurs , la mère et la fille y et quelquefois la grand-mère.

L'hérédité provoque rarement seule le déve- loppement de la folie ; elle rend seulement le cerveau beaucoup plus facile à recevoir les ef- fets fàclieux des causes excitantes. Cependant il est des cas où on ne peut contester l'empire de cette cause : iôÀ tait , par exemple , plusieurs membres d'une iïiêirie famille deVenir aliénés dans les mêmes circonstances , au lAêine âge ; etc. ; ainsi <c Un négociant suisse a vu ses deux fils devenir aliénés a dix-neuf ans *, une dame est aliénée! à vingt-cinq ans , après une côùclie j sa fille le devient aussi a cet âgé , après une couche. îl existé une famille, près de Nantes, dont sept frères et soeurs sont en détnence. » (Dict. des Se. méd. , art. Folle.) H y a en ce moment a la Salpétiière , une femme et sa pe- tite-fille , qui , a l'âge de vingt ans , ont été at- teintes de manie avec penchant au suicide ; la fille , mère de celle-ci , est à Charénton pour là même cause.

La folie héréditaire eist sfôûVent annoncée de bonne heure par des travers dans l'esprit , dès irrégularités datis le caractère > de la bizarrerie


D E 1 A F Ô LI E. i5t

dans les goûts et les habitudes , une conduite insolite et mal motivée, peu d'aptitude a l'étude des sciences exactes ou un goût désordonné pour les arts d'agrément et les charmes de l'imagina- tion j quelcp-iefois même le délire ne semble être qu'un état plus avancé des désordres inîel - lèctuels déjà existans.

A quoi attribuer cette disposition maladive héréditaire ? Tous les organôs sont responsables de l'exercice des fonctions dont ils sont chargés; s'ils lès exécutent irrégulièrement, c'est que leur organisation est vicieuse, soit primitive- ment et du moment de leur formation, ou acci- dentellement par une cause quelconque : dans l'un et l'autre cas, les maladies ont toujours ia même source, leur origine seule diffère. Ainsi , de même que la disposition à la phthisie réside dans les poumons ou uflé mauvaise confôrdmatioiï du thorax, la disposition aux calculs vésioaux dans une sécrétion vicieuse de l'urine , d'après la manière dont nous avons CTivisagé ia produc- tion de rintelligence, c'est au cerveau que nous devrons attribuer là disposition à la folie j cet o'rgane ne doit pas faire une exception aux lois générales de l'économie.

Les suites de couches prédisposent singuliè- rement les femmes à perdre la tête; cet état qui l-es rend très-impressionnables, très-susceptibks


ï52 CAUSES

de s'affecter , leur fournit en même temps a^sez souvent l'occasion ou le prétexte de se faire des cîiagrins. Cette cause de folie, considérée comme excitante par M. Esquirol > n'en pro- voque presque jamais le développement sans le concours d'une aifection morale -, sur dix-sept observations de cette nature que j'ai pu consul- ter , deux seulement m'ont paru présenter un délire sans cause directe. Et encore , ne devons- nous pas oublier qu'il n'est pas toujours facile de faire avouer certaines émotions del'âmej sur- tout aux femmes.

On a le plus souvent voulu attribuer le dé- veloppement de la folie , chez les femmes en couches, a l'inlluence que peuvent exercer les organes génitaux sur le cerveau , k la suppres- sion des lochies ou du lait. Cependant , remar- quons d'abord que les maladies de l'utérus ne troublent presque jamais les fonctions céré- brales 'y les symptômes qui les accompagnent se bornent ordinairement a la partie affectée : les malades atteintes de cancers utérins meurent en pleine connaissance. Combien d'autres altéra- tions de cet organe n'incommodent que par leur volume et leur poids, ou ne sont reconnues qu'après la mort , sans avoir été soupçonnées pendant la vie ! En second lieu , remarquons que ce n'est très-souvent que plusieurs mois


DELA.FOLIE. l53

après l'accouqîiement, et quand l'utérus est re- venu à son état naturel , que se développe le délire , et que dans tous les cas , la suppression des sécrétions que je viens d'indiquer, le gon- flement 5 l'inflammation ou la suppuration des seins , sont postérieurs à l'affection mentale qui a déterminé ou qui constitue la folie. J'ai vu un grand nombre de ces malades -, chez aucune il ne s'est manifesté de maladies génitales : pres- que toujours les seins sont de même en bon état. Il me semble évident qu'ici , comme dans beau- coup de cas de même nature, on a pris l'effet pour la cause, un symptôme pour la maladie elle-même.

Cette prédisposition peut finir par exercer beaucoup d'influence sur les fonctions céré- brales , et chaque couche qui succède a celle qui les a troublées en premier lieu , amener le développement de la folie, sans qu'alors il soit besoin de l'action d'une cause morale. Il n'est pas rare de recevoir à la Salpétrière , pour la cinquième ou sixième fois , des femnles qui sont ainsi retombées malades.

Le temps critique ne doit non plus être con- sidéré que comme une époque favorable au développement de l'aliénation mentale. A cet âge de la vie des femmes, des fonctions cessant d'exister^ l'équilibre vital se dérange facile-


1 0-t CAUSES

ment. D'un autre côté, l'âge de plaire est passé y mais le désir n'en est que plus vif-, l'extérieui* seul a perdu ses droits , le cœur a conservé ses prétentions: c'est alors sur-tout cpie la jalousie exerce son empire et devient très-souvent la cause du délire , et qu'au culte de l'amour suc- cède quelquefois une dévotion outrée cliez les femmes bien élevées, et l'ivrognerie chez celles qui n'ont reçu aucune éducation. Le temps cri- tique, par les infirmités importunes qui l'ac- compagnent souvent, ne laisse pas que de faire vivement regretter le temps passé, amène ainsi le dégoût de la vie, la mélancolie-suicide.

Mademoiselle II , âgée de soixante-huit ans,

a été extrêmement belle et très-recherchée jus- que dans un âge fort avancé. Depuis quelque temps seulement, l'embonpoint ayant disparu, des rides nombreuses ont sillonné sa peau •, elle s'en est tellement affectée , qu'elle en a tout- a-fait perdu la raison et veut se détruire ; sa vanité la porte à attribuer au scorbut ce qui n'est qu'un effet naturel des années. Cette de- moiselle est renfermée dans une maison de santé de Paris.

Les progrès de /V/^e, en affaiblissant les res- sorts de l'économie, produisent une diminution d'énergie dans l'exercice des fonctions ', le cer- veau, comine tous les autres organes, perd à<à


D E L A F O L I E. l55

sort activité ; les sens ne sont plus excités que faiblement par les objets extérieurs; les facultés intellectuelles perdent non -seulement de leur énergie, mais souvent quelques-unes disparais- sent , la mémoire du passé , par exemple ; c'est alors que sans cause extérieure , survient la dé- mence sénile. Les autres genres de folie sont très-rares dans la vieillesse : il est difficile, en effet, que des affections aiguës se développent quand récoiiomie n'est plus susceptible d'exci- tation.

C'est sur-tout certaines dispositions de l'état moral et intellectuel qu'on doit regarder comme propres a favoriser le développement de la folie ; tels sont: i.° des vices naturels de l'esprit , qui font que l'intelligence est dominée , maitriséé par des penclians exaltés ou d'autres séries d'idées j delà des passions impétueuses , une imagination vive , exclusive ou désordonnée , sans contre-poids: 2.° une éducation vicieuse qui ne tend point à subordonner les ]>enchans dont un excès d'action est toujours dangereux, aux qualités morales ou sociales , qui ont un but entièrement opposé ; qui ne détermine point la répression , la modération ou le développement d'idées qui pourraient être dangereuses , nui- sibles ou nécessaires k l'harnlonie morale et intellectuelle: 3." les travaux de l'esprit exclusi-


l56 CAUSES

veinent et fortement dirigés sur un petit nombre d'idées métapliysiques et spéculatives, scien- tifiques , religieuses , morales ou politiques : 4.° les entreprises et spéculations hasardeuses, qui par leur nature entretiennent une agitation, une inquiétude continuelles , et qui causent toujours des émotions vives , soit qu'elles réus- sissent ou qu'elles manquent : 5.° les évènemens qui éveillent la curiosité publique, les com- motions qui agitent les passions des nations , provoquent le réveil d'idées anciennes ou en excitent de nouvelles j c'est ainsi que toutes les révolutions politicjues ou religieuses , les grandes découvertes , ont produit un grand nombre d'aliénations mentales. Il ne serait pas difficile de rencontrer dans les établissemens de fous , des personnes qui ont perdu la tète à cliacun des principaux évènemens de la révo- lution française , depuis 1789 jusqu'à nos jours. Enfin, on peut dire que la folie ne survient jamais sans prédisposition quelconque, puis- que s'il en pouvait être autrement, les mêmes cau- ses efficientes produiraient toujours les mêmes effets chez tous les individus, ce qui n'a pas lieu. îl est évident au contraire, qu'une se- cousse morale qui occasionne cette maladie chez celui qui y est disposé , cause une fièvre ataxi- que chez un autre, une inflammation abdomi-


DÉ LA FOLIE, l57

iiaie chez un troisième, et rien du tout chez un quatrième assez bien constitué pour résister à son action. Je crois qu'il est des cerveaux assez malheureusement organisés pour se déranger non-seulement a la moindre cause , mais d'eux- mêmes ; j'en ai vu plusieurs exemples : la folie est alors ordinairement précédée long -temps d'avance, par de violens maux de tête accom- pagnés passagèrement de légers troubles de la raison. Je ne parle point ici de la démence sé- nile , qui arrive toujours par l'affaiblissement de l'organe intellectuel.

§. II. Causes efficientes directes ou

CÉRÉBRALES.

L'action de nos organes peut être directement troublée de deux manières très - différentes : tantôt c'est un agent physique , une force ex- térieure, étrangère, qui comprime, altère ou 4étruit la texture des parties j d'autres fois c'est . l'exercice même de l'action organique qui de- vient la cause des dérangemens qui se présentent. Je m'explique par des exemples. Le rhumatisme musculaire peut être produit par des coups , des chutes, etc., et par une fatigue excessive-, l'oph- thalmie naît également de l'introduction cïe corps étrangers sur la conjonctive, et de l'exer- cice trop soutenu du sens de la vision} l'entérite


l58 CAUSES

résulte souvent e-l'un étranglement herniaire et de digestloDîJ laborieuses. Le cerveau , heureu- sement protégé par des enveloppes solides, est moins que tout autre exposé aux injures des corps extérieurs ; mais en revanche il est chargé de fonctions si délicates , si importantes , si multipliées dans l'exercice, qu'elles deviennent très-souvent la cause de troubles, d'altérations, de maladies cérébrales. C'est sur- tout dans la production de la folie que nous allons recon- naître la multiplicité et l'énergie de ces causes directes physiologiques } Its autres, que nous ■nouivaerous physiques , sont au contraire extrê- mement rares.

1.° Causes physiques.

Toute cause qui affecte la totalité du cerveau ne produit presque jamais la folie -, ainsi les çovips, les chutes sur la tête , qui entraînent des commotions générales, des compressious par suite d'épanchemens sanguins ou purulens, occasionnent des troubles très-grave$ dans les fonctions dç cet organe , des convulsiojis , de la paralysie , un anéantissement presque com- plet de l'existence , et quelquefois du déiire , en tout comparable à celui que nous regardons comme sympathique de? maladies aiguës , délire qui prouve que la portion cérébrale qui sei^tk


DE LA FOLIE. l5g

l'intelligence est afTectée comme tout le reste. Mais a mesui^e que la compression cesse par la résorption ou l'évacuation des liquides épan- chés, tous ces accidens cessent, au moins en grande partie -, il arrive seulement quelquefois que l'organisation a tellement souffert , qu'elle ne revient qu'imparfaitement à son ancien état, d'où il s'ensuit un reste de paralysie , la perte ou l'affaiblissement d'une ou de plusieurs facultés intellectuelles. L'apoplexie produit absolument les mêmes eilfets. Je n'ai pas vu , depuis que j'observe les aliénés , de manies , monomanies ou stupidités , produites par ces causes } la dé- mence seule en est quelquefois la suite.

Si on a considéré l'apoplexie comme une cause fréquente de folie , c'est , je pense , qu'on l'a souvent confondue avec l'espèce de paralysie que nous avons appelée aiguë on apoplectique. Cette maladie, qui termine quelquefois la vie des aliénés , peut se présenter dès le début du délire, annoncer une rechute-, l'état de démence succédant a la folie aiguë , survient souvent ainsi. Ce n'est point une cause, mais un symp- tôme de l'affection cérébrale qui produit en ïaéïae temps le délire.


l6o C A^ U s E s

2.° Causes morales et intellectuelles.

Les causes qui tendent à déranger l'organisa- tion du cerv eau par l'exercic eméme de ses fonc- tions, sont les plus fréquentes , on pourrait presque dire les seules susceptibles de produire l'aliénation mentale. C'est ce que démontrent les relevés publiés par les auteurs , tels que M. le professeur Pinel, M. Esquirol , Tuek,^ et quelques autres médecins anglais , ou amé- ricains. En parcourant les nombreux exemples cités dans le Traité de la Manie , on est frappé du nombre des émotions de l'âme qui ont pro- voqué le délire. Les observations que j'ai été à même de recueillir, celles plus nombreuses en- core que j'ai été à même de consulter , m'ont convaincu que, sur cent aliénées, quatre-vingt- quinze au moins le sont devenues à la suite d'af- fections , de commotions morales ", c'est pres- que une vérité devenue populaire dans la mai- son , qu'on ne perd la tête que par des ré^-olu- tions d'esprit. La première question que fait M. Pinel à une malade nouvelle qui conserve encore un peu de raison , est celle-ci : « Est-ce que vous avez éprouvé du chagrin , de la con- trariété, etc.? » Ptarement elle est résolue néga- tivement. D'ailleurs, n'est-ce pas dans l'âge où l'esprit est susceptible d'émotions fortes, où les


DELA FOLIE. l6l

passions, dans toute leur énergie, peuvent être mues par des intérêts puissans , que se déve- loppe Taiiénation mentale? Les enfans , calmes et sans inquiétudes , incapaT>les de combinaisons fortes , non encore initiés aux peines sociales , et les vieillards , que la chute des illusions des âges précédens , jointe à l'affaiblissement phy- sique et moral, rend indifférens sur tous les évènemens , n en sont que rarement affectés. Il en est k-peu^près de même des personnes que leur consiitution rapproche des uns et des autres. /'T^h fif> ■ "><_u^ kï'iï

Si les auteurs n'ont pas admis les causes mo- raies dans cette proportion, c'est qu'ils ont', comme je l'ai déjà dit , accordé trop d'impor- tance à celles qu'ils ont appelées physiques. Déjà nous avons vu que quelques-unes de celles- ci ne doivent être considérées que comme des prédispositions rarement capables de troubler l'esprit par elles-mêmes : telles sont l'hérédité, les suites de couches, l'âge critique ; ces deuk dernières surtout rendent les affections morales plus fréquentes. Un examen attentif des autres démontrera que très-peu deviennent réellement la cause de la folie-, que presque toutes en sont un effet ou une complication. Il existe en effet presque toujours des affections de i'âme aux- quelles on peut remonter , et qui sont les au-

n


1/63 CAUSES

teurs véritables de tous les phénomènes qu*ort observe.

On ne doit pas oublier qu'il est quelquefois difficile de découvrir les peines secrètes de l'âme çbez les femmes , mais sur-tout chez les jeunes filles. Les premières éprouvent souvent des chagrins domestiques qu'elles ne veulent point avouer. Combien de jeunes filles secrètement jalouses d'un frère , d'une soeur, ou de compa- gnes plus belles et préférées ! D'autres , aimant à l'insu de leurs parens , abandonnées quelque- fois après avoir tout accordé a un amant per- fide, perdent la tête sans qu'on sache pourquoi. Le besoin de l'union des sexes , si impérieux par cela seul qu'il est plus comprimé , encore exalté par la lecture des romans ou la fréquen- tation des spectacles, s'il n'est satisfait par un m.ariage toujours viveraient désiré, occasionne souvent des mélancolies qui peuvent prendre un tout autre caractère que celui de leur véri- table cause , et par la en faire ignorer la source,. C'est alors qu'on peut prendre les effets de la maladie mentale encore cachée, pour des cau- ses du délire qui naîtra incessamment.

Les causes morales de la folie sont très-nom- breuses. Presque aussi variées que les actes de l'entendement lui-même , elles se composent particulièrement , i.*' des impressions qui


» E LA FOLÎÈ. l65

émeuvent, ébranlent subitement et fortement l'esprit , de manière à en troubler les opéra- tions sur-le-cliamp , ou dont l'action lente , mais soutenue, finit par en user les ressorts; tels sont tous les évènemeîis capables de produire une surprise extl'ême , la frayeur, la colère, la joie, la tristesse , la jalousie, la liaine,etc. 5 2." de tout ce qui contrarie, comprime, atta- que ou exalte d'une manière inattendue ^ des penchans, des passions ou des idées qui exer- cent une certaine influence sur Fliomme moral et intellectuel ; dans ee cas se trouvent Famour contrarié , l'ambition déçue , l'amour - propre blessé, tous les travers religieux. On peut voir, par le tableau qui précède, quelle est la proportion de ces diverses influences , d'abord ckez les femmes de la classe inférieure de la société , et ensuite cbez les personnes de Pun et l'autre sexe des classes aisées j l'éducation et l'aisance, le genre de vie, apportent de notables différences dans leur manière d'agir. Les femmes du peuple sont surtout en butte aux chagrins domestiques , produits par Pinconduite , la dé- bauche ou la brutalité des maris 3 à la misère qui provient de la difficulté de se procurer des jjioyens d'existence sufïisans , ou d'une dissi- pation sans prévoyance. Combien de jeunes ouvrières qui se respectent^ sont conduites à 1^

3L1..


ï64 CAUSES

Salpétrière , après s'être trouvées placées entre toutes les horreurs de la misère et de l'incon- duite ! L'ambition trompée , Pamour - propre Liesse , les excès d'étude , la misanthropie , les révers de fortune , sont plus particuliers et presque exclusifs aux gens aisés. L'amour con- trarié , le désir du mariage, font perdre la tête à beaucoup de jeunes filles. Les excès religieux produisent des effets différens , selon le carac- tère particulier des individus. La superstition unie a l'ambition , au désir de dominer , fait naître le fanatisme intolérant et persécuteur , le désir de commander au nom de Dieu , de convertir les hommes. Chez les esprits faibles, au contraire , la religion outrée produit la pa- iiophobie , la crainte des châtimens de l'autre inonde , la démonomanie. Enfin, son étrange union avec le penchant amoureux produit cet amour extatique de Dieu ou de la Vierge , de quelque saint ou sainte.

Parmi les affections de Pâme, les unes peu- vent être assez puissantes , agir sur un cerveau assez bien disposé pour provoquer le dévelop- pement du délire dès leur première action. De ce nombre sont plus particulièrement une frayeur vive , un violent accès de colère , des pertes subites de fortune ou de places, etc. etc. Plus souvent, leur action, est répétée ou soutenue


DE LA FOLIE. l55

pendant un certain temps , avant de troubler l'esprit d'une manière évidente : le cliagrin , la tristesse , la jalousie , la religion et l'amour agissent ordinairement ainsi ', le délire s'établit lentement , les idées qui le constituent se con- centrent , se fortifient , et i3nissent par éclater quand elles ne peuvent plus être comprimées par la raison qui restait encore. C'est surtout en considérant les périodes d'incubation et d'invasion de la folie que nous aurons soin d'in- diquer la marche que suivent les desordres, qui surviennent dans les facultés intellectuelles^ par suite de l'action de ces causes diverses.

Après avoir prouvé précédemment que le cerveau est l'organe de l'intelligence et dea passions , il est inutile , je pense , de cherclier ici à démontrer que les affections morales qui peuvent occasionner l'aliénation mentale, agis- sent immédiatement sur lui ; que les effets pro- duits par elles sur plusieurs autres organes ne sont que sympathiques, et causés par la réac- tion cérébrale j qu'ainsi l'expansion générale dans la joie , le resserrement épigastrique dans le chagrin , les battemens de cœur dans la sur- prise , la frayeur , l'exaltation musculaire dans la colère, sont absolument de même nature que les effets produits par une forte contention d'es- prit sur le canal alimentaire, pendant le travail digestif.


l66 CAUSES

^. m. Causes efficientes indirectes qv

SYMPATHIQUES, 1." Causes physiologiques^

Lés causes physiologiques , résultent par-i ticulièrement dç Ja suppression de sécré^ tions ou d'écoulçmens naturels , des règles , deSi liémorrhoïdes j du lait, etc., ou d'exutoires , comme cautères ou vésicatoires , de maladies établies depuis long-temps. Je ne m'occuperai guère que des irrégularités de la menstruation, parce quç leur fréquence m'a mis à même de bieù les observer , et que les autres phéno- mènes d'une nature semblable , d'ailleurs assezi rares , doivent être considérés de la même ma^ nière.

Les troubles de la menstruation sont près* que constans dans tous les cas de folie j mai& on les a trop souvent considérés comme des causes efficientes de cette maladie. Un examen attentif des malades m*a convaincu que la sup-^ pression des règles est a-peu-près toujours un ef ^- fet de l'affection morale qui produit le délire , ou de l'état de délire lui-même. Voici un exem-i pie rapporté par M. le professeur Pinel, d'une» manie produite par cette cause , et qui servira beaucoup a éclaircir cette question. Une per* IQnnç^ âgée de trente anS;, et d*une cQnstitutioA


DE LA FOLIE. i6t

faible et délicate , était depuis long-temps su- jette à des attaques d'hystérie ; elle céda aux poursuites de son amant, devint enceinte , et éleva son enfant avec la plus grande tendresse. Des évènemens malheureux se succèdent : son amant l'abandonne , son enfant meurt , et quel- que temps après on lui vole une somme d*ar-* gent qu'elle avait en réserve , et qui était sa seule ressource. Elle tombe dans le chagrin le plus profond , et son écoulement menstruel , jusqu'alors régulier , se supprime , son som- meil se dérange, etc. Certainement ici il est bien e' vident que la suppression n*est qu'un effet de la maladie mentale. Je pourrais citer un grand nombre d'observations qui prouveraient que cela arrrive presque toujours ainsi. Une jeune fille de vingt ans entra k la Salpétrière au mois de mars dernier, dans un état de mélancolie profonde *, depuis trois mois seulement ses rè- gles étaient arrêtées 3 elle n*avait guère donné de preuves de délire avant cette époque , et ce- pendant, après sa guérison, elle me prouva que le commencement de sa maladie mentale remontait a plus de quinze mois. U arrive quelquefois qu'une affection morale vive pro- voque en mêuie-teioaps la suppression des rè- gles et le développement du délire. Une jeune fille présente a un feu d'artifice, effrayée par cjuelques accidens fâcheux survenus près d'elle^


l68 CAUSES

et la femme d'ua couvreur qui vit tomber un vêtement de dessus un toit, et le prit pour sou mari, furent atteintes presque sur-le-champ , de ces deux gymptôm.es de la même maladie , l'affection cérébrale. Je ne pourrais guère citer d'exemples d'aliénations mpntales évidemment produites par la suppression des relies; pres- que toujours o;i. peut remontei* a dès causes piorales plus ou moins éloignées , à un état de délire caclié , pour expliquer .l'apparition des phénomènes morbifiques divers qui- précèdent ,rinva^ÎQn de la folie. ■

î.;Ge;que je viens de dire de l'état menstruel s'applique parfaitement a la suppression du lait, dans les folies suites de couches ,6t a toute autre sécrétion naturelle ou accidentelle. J'ai vu plusieurs fois, les suppressions! de la sueur de la tête causer du délire , mais il ressemblait plutôt a celui produit sympathiquement par une lésion organique grave , qu'à la folie. Une cuisinière , âgée de trente ans , sort d'un bal sans se couvrir la tête , et six jours après elle entre à la Saîpétrière dans l'état suivant: nulle connaissance des objets environnans , délire fugace et sans objet fixé , prostration générale des forces -, l'abdomen n'est ni gonflé ni dou- loureux. Après quinze jours de traitement, elle a recouvré la santé et l'usage de ses facultés in^ teilectuelles,


DE LA FOLIE. 169

L'action répétée des liqueurs alcokoliques sur l'estomac, ou l'ivrognerie, a été considérée comme une cause très-fréquente de folie , sur- tout par les médecins anglais. Je pense qu'on a beaucoup exagéré l'influence de cette cause , et que c'est plutôt d'après l'analogie qu'on a cru reconnaître entre les effets qu'elle produit sur l'organe intellectuel et le délire de la manie , qu'on s'est déterminé a lui faire jouer ce rôle. Rien n'a paru plus simple que de comparer un maniaque à un homme ivre , et cependant ces deux états n'ont que très-peu de points de con- tact. Cette fausse comparaison, j'en suis per- isuadé , n'a pas peu contribué h. faire considérer la folie comme une maladie sympathique d'affec- tions du canal alimentaire. Les effets de l'ivresse s'étendent a tous les organes j l'homme complè- tement ivre n'a plus ni sensations, ni intelligence, ni mouvemens : dans la manie , au contraire , l'intelligence est faussée , mais elle existe ; c'est la seule fonction gravement lésée , le malade a des sensations , marche , parle , mange , etc. Le délire de l'ivresse doit être comparé au délire sympathique des m.aladies graves ; c'est un état passager comme la cause qui le produit. 11 n'est pas rare de recevoir à la Salpétrière. des femmes ramassées dans les rues , par suite d'excès de ce genre, dans une absence complète de raison


17® CAUSES

qui ne dure ordinairement que peu de jours. L'abus des liqueurs alcoholiques, en affaiblis- sant tous les ressorts du corps vivant, et par conséquent du cerveau , finit cependant quel- quefois par causer la démence , souvent alors accompagnée de paralysie.

a.** Causes pathologiques^

Après avoir considéré la folie comme pro- duite par des causes directes , et regardé comme des effets de l'affection cérébrale les phénomènes, morbifîques qui se passent ailleurs que dans le système nerveux , il ne me reste que peu de choses à dire sur les causes pathologiques de cette maladie. Les auteurs même qui la regar- dent comme une affection sympathique , ont a peine parlé de ces causes d'une manière géné- rale. Cependant une maladie n'est sympathique que lorsqu'elle en reconnaît une autre qui lui donne évidemment naissance j tels sont , l'éry- sipèle produit par un état particulier du canaî alimentaire , le dévoiement qui accompagne la terminaison funeste de presque toutes les mala- dies chroniques. Les lésions des organes thora* ciques ou abdominaux, assez intenses pour troubler les fonctions cérébrales , ne produi- sent que le délire aigu des maladies graves, en? tout différent de celui de la folie , comme nous.


LA FOLIE. 171

le Terrons bientôt. On envoie quelquefois a la Salpétrière , comme folles , de ces femmes gra- vement malades et qui meurent au bout de peu de temps , ou dont toutes les fonctions se réta- blissent après quinze ou vingt jours de traite- ment *, ce sont des fièvres ataxiques , ou des in- flammations intestinales , que l'on prend pour l'aliénation mentale.

Parmi les maladies qu'on a quelquefois con- sidérées comme causes sympathiques de la folie, quelques-unes n*en sont que des complications ', je ne vois pas pourquoi , en effet , les individus affectés de phtliisie peu avancée, de vers intes-» tinaux, de tumeurs utérines, de kystes du foie, de plaies et de fractures , ne pourraient pas en même temps avoir l'organe intellectuel troublé idiopathiquement , sans que pour cela la maladie antérieure ait été pour rien dans ce nouvel ordre de choses^; tous les jours on voit de ces cas d'af- fections simultanées et indépendantes les unes des autres ; ainsi Tépilepsie qui accompagne si souvent l'idiotie , n'est point une cause , mais probablement l'effet du vice d'organisation de t'encéphale. D'autres maladies ne sont a mes yeux que de véritables causes morales -, telle est la sy- philis dont s'affectent quelquefois profondément de jeunes filles séduites, telles sont encore quel- ques légères incommodités dont s'occupent


172 CAUSES"

beaucoup des esprits timorés *, en général , l'homme, même quand il paraît mépriser le plus la vie , n'a jamais l'âme calme lorsqu'il se croit atteint d'une maladie mortelle. Voici iia exemple remarquable de folie produite par une

cause de cette nature. Madame G âgée

de trente - six ans , entra a la Salpétrière , le 26 septembre 181g , dans un état de mélan-. çolie avec penchant au suicide *, à la suite d'une couche qu'elle fit à l'âge de vingt-un ans , elle conserva des coliques d'estomac, qui revenaient plusieurs fois par mois et provoquaient des vc- missemens \ pendant quatorze ans consécutifs elle eut recours à tous les remèdes , k toutes les recettes, etc. Son mal, au lieu de diminuer, em- pira j alors se croyant atteinte d'un squirrhe au pylore , dont elle avait vu mourir une proche parente , désespérant de guérir , elle s'affecta vivement , se fit ainsi des chagrins soutenus et prolongés , et quelques mois après le délire éclata. Si dans ce cas l'estomac eût réagi sym- pathiquement sur le cerveau, long temps avant de déterminer le développement de la folie , il aurait fait naître , de la même manièi-e, des dé- sordres d'un autre genre , non-seulement dans cet organe, mais même ailleurs j loin delà , la tête était saine , les règles coulaient régidière- ment , etc. Une chose remarquable , c'est que


DELA FOLIE. 17^

cKez cette femme la maladie cérébrale a fait dis- paraître celle de l'estomac , la santé s'est par- tout rétablie et se soutient j une irritation en a détruit une autre. Qu'on ne s'y trompe donc pas j dans des cas de cette sorte , ce n'est point l'organe , mais la maladie dont il est atteint qui tend ktroubler les fonctions intellectuelles-, elle devient une cause de chagrin, d'inquiétude, de frayeur , à la manière d'une foule d'autres cir- constances de la vie.

C/est surtout dans les troubles du canal ali- mentaire qu'on a voulu placer le siège primitif de beaucoup d'aliénations mentales. L'influence que les organes qui le composent exercent sur toute l'économie, sur le cerveau lui-même, rend, il est vrai, leurs maladies presque gé- nérales ; les dénominations de méningo - gas~ trique f à' adéno-metiingée f imposées a quelques fièvres par M. le professeur Pinel, indiquent assez quelle en est la source. Mais il ne faut pas oublier non plus, que l'affection de presque tous nos organes s'accompagne aussi de lésions sympathiques du canal digestif. Toujours, quel- que légères qu'elles paraissent , elles débutent par la perte d'appétit, de la soif, du dégoût, de la sécheresse dans la bouche , du dévoiement ou de la constipation, etc. Ajoutez à cela que dans la folie , dont les périodes d'incubation ,


174' CAtJSËS DE LA fÔLîË*

d'invasion et d'excitation, présentent plusieurs de ces légers désordres et rarement de plus con-* sidérables , on peut remonter a une cause qui a primitivement troublé les fonctions cérébrales, et k laquelle on doit très-naturellement attri- buer tous les phénomènes qui peuvent survenir et dans le cerveau et dans les organes sur les- quels il exerce de ^influence.

En résumé , on peut , je pense , conclure de tout ce qui précède , sur les causes de la folie :

1 .** Que l'hérédité , les suites de couches , l'âge critique, ne font que disposer le cerveau à l'action des causes efficientes , et que rarement ces dispositions provoquent seules le dévelop- pement de la folie.

2.° Que les causes véritables de la folie agis- sent directement sur les fonctions intellectuelles du cerveau , et que tout ce qui tend directement ou sympathiquement k troubler toutes les fonc" tions de cet organe ne produit point cette ma- ladie, mais seulement quelquefois le délire dit des maladies graves.

5.° Que les phénomènes mofbifiques qui pré- cèdent ou accompagnent le développement de la folie , tels que la suppression des règles , àes lochies , du lait , les troubles qui surviennent dans plusieurs appareils organiques , doivent être considérés , non comme causes , mais c omme des effets de l'affection cérébrale.


CHAPITRE III.


DÉVELOPPEMENT , MARCHE , TERMI- NAISONS , TYPE ET PRONOSTIC DE LA FOLIE.

J us qu'ici, nous ne nous sommes particuliè- rement attachés qu'à considérer la nature des phénomènes qui se présentent dans la folie , sans faire aucune attention à l'ordre qu'ils suivent dans leur développement successif, a leur durée , leur terminaison , etc. Cependant si nous pouvions parvenir à saisir la maladie dans son commencement j si nous pouvions sui- vre la progression, l'enchaînement des troubles dont elle se compose , il est certain qu'il ne devrait plus rester aucun doute sur sa véri- table nature. Ainsi , après avoir démontré que les lésions des fonctions cérébrales constituent ses symptômes essentiels, que ses causes agis- sent directement sur le cerveau , si nous par- venions a faire voir que les premiers désordres partent de cet organe , que les autres fonctions ne se dérangent que postérieurement et par l'influence immense qu'il a sur leur exercice , et qu'enfin le calme se rétablit partout dès qu'il cesse d'être dans un état d'excitation , quelles preuves aurait-on a nous opposer qu'i n'est pas


176 "développement, marche, etc. le siège immédiat , primitif de IVuénation men- tale ? Et quand bien même l'apparition subite de tous les symptômes , une apparente contra- diction dans l'ordre naturel de leur dévelop- pement ne permettraient pas de les classer, ou tendraient même a induire en erreur sur leur véritable source , on parviendrait encore faci- lement , à l'aide des principes exposés précé- demment , à porter un jugement sûr. Ici comme dans toutes les sciences exactes , l'analogie of- frirait un secours puissant. Quand Newton pré- suma que le diamant était un corps combus- tible, et que l'eau devait en contenir un, ii ne s'appuyait que sur un seul fait , la propriété commune à chacun de ces corps , de réfracter fortement la lumière. Dans ces cas de folie , des motifs plus nombreux , tirés de l'intensité l'elative des symptômes , de l'action des causes extérieures , viendraient encore nous donner des moyens certains de ne point errer , des moyens qui suffiraient toujours pour faire re- connaître avec évidence l'organe primitivement lésé.

§. I. DÉVELOPPEMENT ET MARCHE,

La folie , comme toutes les autres maladies , offre a considérer , depuis l'action de la cause qui l'a produite , jusqu'à sa terminaison, plu-


D E L A F O L I E. I77

sieurs phases ou périodes qui en partagent le cours. Elle a comme elles, ses prodromes, son temps d'incubation , son époque d'invasion , un état d'excitation ou de summum d'intensité , enfin des périodes de décroissement et de con- valescence. Elis peut être continue, rémittente ou intermittente , etc.

Voyons ce qui se passe de remarquable dans chacune de ces périodes. Je ne parlerai dans ce chapitre que de leur succession régulière j nous verrons au traitement, les différens états qui peuvent les troubler dans leur marche.

1." Action des causes.

L'apparition des J^ymptômes essentiels de la folie, a lieu de deux manières, qu'il est impor- tant de connaître. Tantôt la secousse morale a été assez puissante pour troubler les idées sur le champ , et provoquer immédiatement l'ex- plosion du délire, et presqu'aussitôt après , les phénomènes qui l'accompagnent. D'autrefois , et c'est le plus souvent ainsi que cela arrive, les causes agissent plus lentement , ont besoin de répéter plusieurs fois leur action -, le déliré ne s'établit que peu-a-peu , existe déjà quand on ne s'en doute même pas. Dans le premier cas , l'invasion de la maladie est subite et il ne doit

12


I78 DÉVELOPPEMENT , MAUClËE, etC*

s'élever aucun doute sur l'ordre de dévelop^ peinent et la cause prochaine des désordres qu'on observe. Dans le second , elle est précédée d'une période d'incubation ; période qu'on a jusqu'à présent à peine indiquée, et dont cependant la connaissance exacte nous sera d'une grande utilité, puisque c'est par son étude que nous pourrons facilement remonter à la source des lésions diverses , que présentent souvent plu- sieurs appareils organiques , avant le délire dé- claré , en prouvant'que les fonctions <;érébrales peuvent être dérangées très -long -temps avant que les personnes du monde , et même les mé- decins peu exercés dans cette partie, s'en aper- çoivent ', et que dans ces cas encore , c'est à l'organe intellectuel qu'on doit attribuer ces lé- sions sympathiques.

2.** Période d'Incubation*

M. Esquirol a très-bien indiqué cette période de la maladie mentale ; <c Mais la folie , dit-il (Dict. des Se. Mëd. ) a, comme toutes les autres maladies , son temps d'incubation , ses pro- dromes, et souvent dans le coillpte que rendent les parens, on découvre que le premier acte de folie qui les a effrayés , avait été précédé de plusieurs autres qui avaient échappé à toute


i)E LAFOLIË. ij^

b^sérVatîon. Souvent lés aliénés combattent leurs idées, leurs déterminations, avant que per- sonne s'aperçoive du dé ordre de leur raison , fet de la lutte intérieure qui précède l'explosion du délire.. Long-temps avant qu'un individu soit reconnu aliéné , ses habitudes , ses goûts , les passions changent. L'un se livre à des spé- culations exagérées ; elles ne réussissent pas, ce revers n'est point cause ^ mais premier effet de la maladie. Un autre donne tput-à-coup dans la haute dévotion , assiste à une prédication d'où il sort effrayé j il se croit damné ; la prédication n'eût point produit cet effet, si la maladie n'avait (existé précédemment. Un jeune seigneur , sans inotif quelconque, part pour un voyage de plu- sieurs années, huit jours avant les couches de sa feminé ) il éprouve quelques contrariétés pen- dant son voyage , et après six mois son aliéna- tion éclate : ce voyage n'était-il pas le premier acte de folie ? Aussi , arrive-t-il souvent que le mal existé alors qu'on ne le soupçonne pas. » Combien il est étonnant qu'après avoir si bien indiqué ce mode de développement de la ma- ladie , l'auteur n'en ait pas déduit toutes les conséquences qui en découlent naturellement î Avant d'en venir là nous-même , donnons en- core quelques exemples, dont plusieurs nous présenteront des désordres de plusieurs fonc-

12.,


l8o DÉVELOPPEMENT , MARCHE , etc:

tions. Adèle L , âgée de dix-huit ans, vive- ment frappée des malheurs que venait d'éprouver sa famille , obligée par cela même de se faire ou- vrière , après avoir joui de toutes les douceurs de l'aisance , s'imagine tout-'a-coup qu'elle seule est l'auteur de tous ces malheurs \ elle se jette dans une dévotion outrée pour appaiser la co- lère de Dieu j elle ennuie son confesseur par ses fréquentes visites et les contes qu'elle lui fait \ plus tard elle croit l'aimer plus que Dieu même et s'en afflige. Elle était très-gaie , elle est si- lencieuse 5 ses règles deviennent irrégulières , puis se suppriment j le sommeil est agité , en- tremêlé de réveils avec frayeur. Cet état ne l'empêche pas de travailler très-bien pendant près de quinze mois. Les personnes qui l'en- tourent remarquent seulement que son carac- tère a changé j mais elles attribuent ce chan- gement à l'âge de raison. Après huit mois de traitement k la Salpétrière , elle est guérie , et c'est seulement alors que j'ai pu recueillir ces renseignemens. — Caroline S. . . . , âgée de dix- neuf ans , éprouva ce délire caché plus de dix mois avant qu'il n'ait éclaté , et sans que ses parens s'en soient doutés ; seulement elle n'ai- mait plus la promenade , pleurait quelquefois sans sujet apparent j elle allait tous les jours en cachette faire dire des messes pour devenir


DE LA FOLIE. iSl

meilleure. Ses parens lui deviennent indifféi ens, ce qui l'afQige beaucoup j elle maigrit , perd le sommeil , éprouve des céphalalgies , ses règleis se suppriment , et trois mois après elle est con- duite à la Salpétrière. Peu de jours auparavant elle faisait encore son état de couturière. Ce n'est de même qu'après sa guérison, qu'elle a pu me donner ceux de ces renseignemens, qui tiennent a l'état de son intelligence. — Colas , âgée de 5o ans , a déjà eu trois accès de manie 5 dans l'inter- valle elle paraît jouir de toute sa raison , tra- vaille et se conduit très-régulièrement -, cepen-r dant elle m'a assuré plusieurs fois, que ce n'est qu'avec beaucoup de peine qu'elle parvient a comprimer des idées qui la poursuivent cons- tamment y quelquefois même son ouvrage lui tombe des mains pendant des instkns très-courts où elle éprouve une sorte d'anéantissement in- tellectuel. Cette intermission , ou plutôt cette rémission dure environ six mois. — -Guillot entra a la Salpétrière k l'âge de dix-huit ans , atteinte d'une manie avec fureur, suite d'un amour con- trarié. Toute l'année précédente elle travaillait de son état , sans qu'on se doutât de la maladie qui la menaçait , ou plutôt dont elle était déjà atteinte. En effet, elle était moins gaie qu'à l'or- dinaire j le travail ne lui plaisait plus autant. Elle était par fois assez brusque » même envers


fl83 DÉVELOPPEMENT ; MARCHE , ete. ses parens. Elle sentait biçn que sa tête était affaî-^ blie , que des idées , qui lui paraissaient extraor-- dinaires ^ naissaient malgré elle ; mais sa raison, suffisait encore pour les comprimer. Environ quatre mois avant Pexplosion du délire, l'ap- pétit s'est perdu; Içs règles sont deveuues ir ré- gulières et ont fioi par se supprimier -, il est survenu de l'insomnie , des céphalalgies, etç» Il me serait facile de multiplier ainsi des ex enj- ples , car presque toutes mes observations me prouvent que la folje se développe ordinaire- ment ainsi j mais je me borne à ceux-ci,, comme les plus propres à donner une idée- juste de la période d'incubation.

Dans cette période insidieuse , de la folie ^t inappréciée de toutes les' personnes qui entou- rent le malade, les fonçtiQWS intellectuelles , les, premières atteintes par la cailse ,^ commencent aussi à se déranger. L'intelligence s'affaiblit , des idées nouvelles se développent , des pen- clîans,des passions s'exaltent ou changent de direction. Quelquefois et par instans, il survient des absences d'esprit plus ou moins complètes ,. pendant lesquelles les malades ne pensent à rien , ou bien ont les idées tellement embrouillées qu'ils ne peuvent y mettre de l'ordre. Ils con- liaissent ordinairement très-bien leur situation, çiouvelle, s'en afiligent le plus souvent, maji%


DE LÀ FOLIE. l85

ils la cachent avec soin. Ceux qui ont déjà été aliénés savent très-bien et disent souvent qu'ils vont éprouver une rechute, s'ils ressentent les mêmes incommodités qu'à la première invasion. Cependant, quoique fasse le malade pour Xie rien laisser percer des sensations intérieures qui le tourmentent , et souvent par les efforts qu'il fait pour cela , il se manifeste toujours quelque chose d'insolite dans ses actions , ses habitudes , ses affections ordinaires , qui décèle facilement l'état dans lequel il se trouve. Les moindres employées de la Salpétrière prévoient très-bien , et quelquefois long-temps d'avance, les rechutes , l'invasion des accès de manie inter- mittente. La gaîté fait place à l'ennui , aux rê^ verîes solitaires -, sous prétexte d'étude, d'ennui de la promenade , mais bien pour s'occuper des idées qui viennent l'étonner d'abord , et le do- mineront bientôt^ les combattre ou se complaire à les croire justes , l'aliéné fuit les perso^ines qu'il recherchait auparavant ^ il aime à être seul. La femme qui chérissait son mari, ses enfans , les voit avec indifférence, le négociant néglige ses affaires , rouvrière ne met plus autant d'ac- tivité à son ouvrage , les tiédes en dévotion ne quittent plus les églises ; des pleurs , des ris surviennent sans cause apparente. Mais toutes ççs actions , qui ne sont plus en harmonie avec


î84 DÉVELOPPEMENT , MARCHE , etc.

la conduite passée , avec les circonstances pré- sentes , n'étant motivées c^w* intérieurement , il est impossible aux assistans d^y rien com- prendre j et assez ordinairement , les questions qu'ils font pour s'en informer sont inutiles ; il peut même résulter du refus d'y répondre d'une manière satisfaisante, des reproches qui ne font qu'aigrir le caractère du malade. C'est ainsi qu'une jeune personne de vingt ans ^ qui, dans cet état montrait beaucoup d'indifférence pour des parens qui la chérissaient , était jour- nellement grondée par eux, persécutée même; ses sœurs l'accusaient de simuler des incommo- dités , pour ne plus se livrer à ses occupations ordinaires.

Cette période d'incubation, qui peut durer des jours, des mois, et même plus d'une année, ne présente pas seulement des lésions intel- lectuelles j le cerveau offre encore d'autres dé- rangemens , et comme cet organe ne peut pas être long-temps malade sans que les autres ne s'en ressentent , plusieurs fonctions finissent par se déranger. Le sommeil , d'abord troublé par des rêves pénibles , des réveils en sursaut , finit par se perdre : il survient des maux de tête j les malades disent que le sang leur monte à la tête ; ils se plaignent de chaleurs incommodes vers cette partie. Les fonctions digestives s'altèrent 3


DELAFOLIE. ]85

l'appétit se perd , des maux d'estomac se déve- loppent quelquefois. L'embonpoint diminue ; la peau perd de sa fraîcheur ; sa couleur change par fois et devient très-brune, foncée , terreuse. Les règles deviennent d'abord irrégulières> tant pour la quantité du sang, que pour les époques auxquelles elles doivent venir , puis finissent par se supprimer entièrement. Il en est à-peu- près de même de tous les écoulemens naturels bu artificiels. C'est de même ainsi que survien- nent ces repercussions d'exanthèmes , ces dis- parutions d'affections rhumatismales, goutteuses ou autres du même genre ; ces accidens ne se présentent pas toujours y il arrive même que si le délire éclate peu de temps après l'action de la cause , il ne s'en manifeste aucun. Enfin ils ont plus ou moins d'intensité, selon l'irritabi- lité de l'individu , la nature de son délire latent, son genre de vie, l'état ordinaire de sa santé, etc. Tel est le mode de développement que suivent le plus ordinairement les symptômes qui pré- cèdent l'invasion de la folie, et dont il est très-important d'avoir une connaissance exacte, puisque nous y puiserons la faculté de remon- ter à la source des désordres qu'offre cette ma- ladie. Si les auteurs eussent ainsi analysé les dif- férens phénomènes de l'aliénation mentale , s'ils les avaient pour ainsi dire surpris en naissant ,


l86 DÉVELOPPEMENT, MARCHE , etc,

se disputerait-on encore pour savoir quels sont ceux qui ont précédé ou suivi , ont été causes ou effets ? N'est-il pas évident que s'ils eussent re- connu ce que nous venons de prouver a l'ins-' tant , qu'un organe très - important , très - in- fluent de l'économie , le cerveau , présente les premiers troubles dans ses fonctions , des trou- bles sérieux *, que ceux qui se manifestent ail- leurs sont consécutifs à ceux-là et en dépendent, ils n'auraient jamais pensé a. fixer le siège de» la folie dans le thorax ou l'abdomen, de re- garder comme des causes , la suppression des règles, du lait, quelques coliques, qui ne son^ que des effets de l'affection cérébrale ?

^° Invasion.

Nous venons de considérer l'aliéné faisant encore partie de la société, conservant, avec quelques incommodités physiques et morales ^ une apparence extérieure de santé qui lui permet dç vaquer a ses occupations, et d'enim-» poser sur sa véritable situation. Nous allons le voir maintenant au moment où il va être §onS' trait à l'empire de la raison , soumis à l'impul-* sion de ses idées nouvelles , entièrement étran- ger aux choses et aux évènemens qui Toct çwpaieiit naguère , peu capable de se njettra ei^


DE LA. FOLIE. 187

rapport avec les objets qui Pentourent, dans vin état enfin qui commande , pour son intérêt propre et le repos public , de le priver de sa liberté , et de la jouissance de ses droits civils et politiques.

L'invasion de la folie n'est le plus souvent, comme on le voit d'après ce que nous venons de dire , qu'une augmentation d'un état de dé- lire déjk existant. Très-rarement elle éclate sur- le-champ ; le cerveau conserve presque toujours assez de force poiir s'y opposer, au moins pour quelque temps. Il est des cas où le passage de- là période d'incubation à l'état de délire dé- claré, se fait insensiblement et sans être ac- compagné de phénomènes qui marquent l'in- vasion ; ceci arrive sur -tout dans le délire mélancolique', les malades, dont la raison parais- sait saine , et qui jusqu'alors n'avaient rien dit du sujet qui les occupait, finissent par laisser çchapper quelques mots , commettre quelques actions relatives a leur délire, et qui en dénotent l'existence. Loin de chercher alors a s'en dé- fendre et les cacher, l'aliéné, persuadé qu'iL pense et agit comme il le doit , s'en glorifie , et se prépare à soutenir la justesse de ses pensées, la régularité de sa conduite, par tous les moyensi tant physiques que moraux qu'il pourra mettra fR usa^e.


l88 DÉVELOPPEMENT , MARCHE / etcr

Le plus ordindirement le délire se manifeste par une explosion plus ou moins subite. Jus- qu'ici l'aliéné a pu comprimer les idées qui Font importuné , tourmenté \ l'instant arrive où , persuadé de leur réalité , ne rencontrant plus de motifs pour les repousser, ou bien n'en ayant plus la force /quoi qu'il fasse pour cela, }a folie va éclater avec tous ses symptômes. Avec quelle vérité d'expression M. Pinel a peint les pliénomènes qui précèdent et annoncent ou accompagnent cette époque de la maladie men- tale. Laissons parler l'auteur: « Il survient des agitations, des inquiétudes vagues, des ter- reurs paniques , un état constant d'insomnie ;' et bientôt après , le désordre et le trouble des idées se marquent au dehors par des gestes in- solites, par des singularités dans la contenance et les mouvemens du corps, qui ne peuvent que Tivement frapper un oeil observateur. L'aliéné tient quelquefois sa tête élevée et ses regards fixés vers le ciel ; il parle a voix basse, ou pousse des cris et des vociférations , sans aucune cause connue j il se promène et s'arrête tour- a -tour avec un air d^vne admiration réfléchie ou une sorte de recueillement profond. Dans quelques aliénés ce sont de vains excès d'une humeur joviale et des éclats de rire immodérés. Quel- quefois aussi , comme si la nature se plaisait


DE LA FOLIE. 189

dans des contrastes , il se manifeste une taci- turnité sombre, une effusion de larmes invo- lontaires , ou même une tristesse concentrée et des angoisses externes. Dans certains cas , la rougeur presque subite des yeux, une loquacité exubérante , font présager l'explosion pro- chaine de la manie et la nécessité urgente d'une étroite réclusion. Un aliéné , après de longs intervalles de calme , parlait d'abord avec volu- bilité ; il poussait de fréquens éclats de rire ^ puis il versait un torrent de larmes , et Pex- périence avait appris de le renfermer aussitôt, car ses accès étaient de la plus grande violence. C'est par des visions extatiques durant la nuit que préludent souvent les accès d'une dévotion maniaque •, c'est aussi quelquefois par des rêves enchanteurs et par une prétendue apparition de l'objet aimé, sous les traits d'une beauté ra- vissante , que la folie par amour éclate quel- quefois avec fureur, qu'elle peut prendre le ca- ractère d'une douce rêverie , ou bien ne laisser voir que la confusion la plus extrême dans les idées, et une raison entièrement bouleversée. » L'invasion de la folie, peut encore être mar- quée par des phénomènes très -remarquables^ Une jeune fille , affectée depuis long- temps de désordres intellectuels cachés, perd connais- sance, et ne revient à elle-même que dans ubl


igo DÉVELOPPEMENT, MARCHE, etC.

état d'agitation extrême, offrant tous les carac» tères d*utie manie déclarée. Une lille de trente- six ans, ressent une forte douleur de tête, croit entendre dans son cerveau, un bruit qu'elle compare a la détente d'un arc, et presque de suite tombe dans la stupidité la plus complète* J'ai vu dés malades devenir aliénés, après une attaque de convulsions.

Dans cette période comme dans l'incubation ^ les désordres des fonctions cérébrales prédo- minent essentiellement et constamment. S'ils n'existaient pas> se douterait -on jamais de la nature de la maladie qui se déclare? Ce ne sont certainement pas quelques troubles du canal digestif, si ordinaires dans toute affection, même légère , de quelque partie que ce soit, qui pour- raient la faire soupçonner. Consultez au con- traire l'état du cerveau, et difficilement vous TOUS méprendrez sur ce qui se prépare ; les cé- phalalgies , l'insomnie , tous les actes insolites de l'intelligence , annoncent suffisamment le dé- veloppement de la folie.

Voiià l'aliénation mentale déclarée^ plus de doute sur la nature des phénomènes qui se présentent. C'est alors que les symptômes tanlt essentiels que sympathiques , vont paraître dans toute leur intensité ; le délire jusqu'ici sans ca- ractère spécial 3 va revêtir l'une des formes


i) E L A. FOL î Ëi 191

que nous lui avons reconnues précédemment, La période d'excitation commence.

4." Période d'excitation,

• Le maniaque et le tnonomaniaque exaltés , dans une agitation extrême et toute extérieure , la face rouge , les yeux enflammés , le regard étincelant, les temporales batta d avec force , parlent, crient, chantent, se fâclient, entrent en fureur nuit et jour, et sans vouloir prendre de repos. Le monomaniaque mélancolique , aussi dans une agitation extrême, mais toute intérieure, va chercher dans l'ombre, un re- fuge à ses terreurs paniques, à ses idées sombres et désespérantes , des moyens de mettre à exé- cution ses funestes projets. Les aliénés stupides, incapables de rien , restent insensibles à tout ce qui les entoure , ne s'occupent même pas de satisfaire à leurs besoins les plus pressans. A cette époque de la folie, l'insomnie est con* stahte 5 les malades éprouvent souvent une ten- sion , un sentiment de chaleur dans la tête , sans s'en plaindre \ l'action nerveuse qui produit la faculté de sentir, d'apprécier certaines qua- lités des corps extérieurs , la douleur qui ac- compagne l'altération des organes , est en gé- néral affaiblie, ou dû moins elle paraît toute concentrée dans le cerveau ; voifa pourquoi les aliénés se plaignent rarement des maux qui


192 DÉVELOPPEMENT , MARCHE, etc.

peuvent les affecter , endurent l'action des ex- citans les plus forts , comme le froid , l'appli- cation de vésicatoires ou de boutons de feu , sans paraître beaucoup s'en occuper.

Les phénomènes sympathiques, qui survien- nent dans cette période , sont les mêmes que ceux que nous a présentés l'incubation , seule-- ment augmentés d'intensité. L'extérieur des malades annonce toujours une altération pro- fonde des fonctions nerveuses \ les traits de la face sont altérésj très-mobiles chez le maniaque et le monomaniaque ; fixes , chez le mélan- colique , mais avec l'expression de la souf- france ; ils sont immobiles , inexpressifs dans la stupidité. L'embonpoint est ordinairement di- minué j quelquefois cependant on ne s'en aper- çoit pas, d'autres fois aussi il existe une mai- greur extrême, La peau est sèche , quelquefois brûlante ; elle a ordinairement perdu de sa fraî- cheur 3 elle est souvent brune chez les mélan- coliques. Il y a presque toujours perte d'appé- tit , soif, et assez souvent constipation , dégoût pour les alimens , ou même des envies de vo- mir, des vomissemens. La langue est chargée d'un enduit blanc ou jaunâtre. Le pouls est en général fort, accéléré, quelquefois dur et plein. Il n'est pas rare de rencontrer des palpitations de cœur. On remarque chez quelques mélan- coliques; ces symptômes qui en imposent au


BE LA. FOLÏE. igS

point de simuler la piitliisie. Si les règles _, les lochies y la sécrétion du lait , etc. , n'ont point été supprimées précédemment , constamment ces écouleraens cessent pendant la période d'ex- citation.

La durée de cet état d'excitation est très- va- riable. La folie peut être assez peu intense pour qu'à peine il se manifeste. Le délire , quelques symptômes nerveux la constituent alors entiè- rem,ent. ïl peut durer quelques jours seule- ment, plusieurs semaineset rarement plusieurs mois. Les symptômes sympathiques ne se pré- sentent guère en grand nombre. Assez ordi- nairement le délire, même violent, ne s'accom- pagne que de €[uekjues'uns d'entr'eux-, les plus fréquens sont ceux qui résultent d'une irrita- tion gastrique.

Répéter ici ce que nous venons de dire de la nature et de la source première àe ces divers symptômes, me semble inutile et fastidieux. Le cerveau est malade , ses fonctions sont for- tement troublées \ rien de plus naturel , d'après les lois qui régissent l'économie , que tous les autres organes s'en ressentent plus ou moins , selon leurs rapports avec lui. Les symptômes essentiels de la maladie étant dans toute leur intensité , doivent nécessairement faire accroî- tre les phénomènes sympathiques.

i3


ICJ^ DÉVELOPPEMENT , MARCHE , etc. 5.° Décroissernent.

Après un certain temps de séjour dans l'hos- pice , quelquefois plusieurs jours , plus ordi- nairement après plusieurs semaines , il sur- Tient de la rémission dans l'intensité des symp- tômes j les malades, séparées de tout ce qui a pu les contrarier , mises à un régime convena- ble, se calment un peu. Le canal alimentaire reprend l'exercice de ses fonctions comme par le passé. La constipation persiste quelquefois fort long-temps chez quelques mélancoliques. Tous les autres phénomènes sympathiques dis- paraissent aussi. Les règles seulement peuvent être plusieurs mois à se rétablir ; souvent même ce n*est qu'à l'époque de la convalescence qu'elles reparaissent. L'embonpoint ne tarde pas à re- venir , à moins que la nature du délire ne dé- tériore l'économie, comme par exemple, chez les malades qui ne veulent pas manger , ou dont les idées tristes tendent continuellement a affaiblir les ressorts des organes. Enfin après un espace de temps , souvent fort court, la fo- lie ne consiste plus que dans des troubles des facultés intellectuelles , avec insomnie , de la céphalalgie , de l'excitation cérébrale *, toutes les autres fonctions s'exécutent régu- lièrement comme antérieurement. L'extérieur


DELA FOLIE. ig5

des aliénés annonce que la nutrition se fait parfaitement bien. Les organes , d'abord irri- tés par la maladie cérébrale, finissent par s'habituer à cette influence nouvelle , et bien- tôt se comportent comme si elle n'existait pas j à peu près comme il arrive après une opéra- tion chirurgicale majeure-, pendant les premiers jours , il y a fièvre générale et ensuite le travail morbifique se borne à l'endroit malade.

Cette période de décroissement, pendant la- quelle les désordres intellectuels peuvent n'a- Toir que très-peu diminué d'intensité, varie extrêmement pour la durée. Elle s'étend de- puis la fin de l*état d'excitation , jusqu'à la ter- minaison , laps de temps qu'il est très-difficile de déterminer. En effet , la guérison peut avoir lieu au bout de peu de jours , ou après deux années ou même plus d'existence de la folie j et toutes les fois qu'elle n'est pas reconnue pour être incurable dans le principe , ou dans son cours, par quelque signe propre a cela, on peut encore espérer qu'elle guérira , quelque- fois même après trois ans, comme on va le voir bientôt.

§. II. Terminaisons.

La folie se termine de deux manières : par la guérison, et par un état chronique incu-

i3..


196 DÉVELOPPEMENT , MARCHE , etc.

rabie. Examinons l'un après l'autre ces deux modes de terminaison.

1 .° Quérison , convalescence.

Le retour a la santé, comme l'invasion, peut avoir lieu subitement, soit sans cause exté- rieure et par un mouvement spontané de l'or- ganisation , ou bien par quelques comm.otions morales, comme de vives remontrances, la vue d'objets jadis affectionnés, une punition, etc. Ces cas sont rares -, l'organisme , si facile a déranger, ne revient ordinairement que lente- ment vers le rétablissement. Cette plaie avec perte de substance , faite en un instant, met des semaines ou des mois a se cicatriser. J'ai cepen- dant cité l'exemple d'une aliénée stupide , qui reprenait l'usage de son intelligence subite- ment : une jeune personne affectée du même genre de folie , se jette par une fenêtre , et , aussitôt l'effet de la commotion cérébrale passé , elle revient à la raison j peu de temps après , il est vrai, elle devint maniaque. Entr'autres exemples de ce genre, rapportés par M. Esqui- rol, je citerai les suivans: Une jeune demoiselle est plongée dans la mélancolie la plus profondcj par un amour contrarié \ elle refuse toute nourriture, tombe dans le marasme. Après quelques mois, son amant se présente à elle


DELA. FOLIE. I97

avec l'assurance d'un mariage certain ; elle est guérie. Je pense néanmoins que cette jeune personne était plutôt affectée de chagrins pro- fonds (jue d'un délire véritable j un mariage peut bien prévenir la folie, mais je ne crois pas qu'il la guérirait, une fois déclarée^ car alors le malade ayant perdu la raison, ne peut plus apprécier ce qu'on lui dit, ni les actions qu'il commet. Un aliéné refuse toute sorte de nour- riture , l'honneur lui défend de manger ; après plusieurs jours vainement employés a le per- suader qu'il est dans l'erreur, on lui apporte une patente simulée de son souverain , qui lui ordonne de manger , et qui le met a l'abri de toute atteinte contre l'honneur, s'il obéit : il prend l'ordonnance, la lit plusieurs fois. Après UQ combat moral de plusieurs heures, il cède , mange, et est rendu à la vie. Ces guérisons ar- rivées ainsi subitement , sont en général moins solides , plus sujettes aux rechutes, que lors- qu'il s'établit une période de déclin ou de con- valescence. C'est le plus souvent de cette ma- nière que se fait le retour a la santé.

La convalescence est annoncée et caractérisée par des signes , tirés de l'état moral et de l'état physique. Les malades qui étaient tout-à-fait étrangers aux objets et aux personnes qui les entouraient , s'en rapprochent 3 leur attention


198 DÉVELOPPEMENT , MABCHE , eîc.

commence à revenir , en sorte qu'on peut dis- cuter avec eux , les motifs erronnés sur les- quels ils appuient leurs raisonnemens. La sensibilité morale revient -, l'aliéné qui ne s'occupait plus de ses parens ou amis , de son sort présent, s'attendrit ou pleure quand on l'en occupe. Rien n'est d'un meilleur au- gure que ce retour aux affections naturelles, a l'amour de ses proches , de ses enfans ou de ses amis. La femme s'inquiète de l'état de son mé- nage et veut y retourner. Le travail, abandonné pendant tout le cours de la maladie , est repris d'abord avec indifférence, et bientôt avec autant d'ardeur comme par le passé. Le délire a de beaucoup diminué, mais il reste ordinairement pendant quelque temps , ou des idées fugaces et déraisonnables , ou une faiblesse d'esprit qui ne permet pas encore de porter des jugemens solides j l'aliéné est quelquefois incertain sur son état, il hésite-, ses résolutions paraissent lui être dictées plutôt par ce qui l'entoure , que pas son propre raisonnement. Enfin , les ma- lades qui n'ont point oublié les moindres détails de leur état mental, s'en rappellent quelquefois quelques-uns avec peine ', néanmoins, eu gé- néral , ils supposent qu'on ne pense pas qu'ils les aient retenus , et que dès-lors ils peuvent nier ces souvenirs , aux personnes qui auraient l'imprudence de vouloir les en entretenir.


DE LA. FOLIE. igc^.

A ces cliangemens favorables survenus dans l'exercice des fonctions intellectuelles , s'en joignent d'autres qui viennent en confirmer l'heureuse issue -, le sommeil revient. Toutes les fois que l'insomnie continue, ou que le sommeil est agité par des rêves , ou des réveils en sursaut provoqués par des frayeurs, des fantômes, la convalescence n'est pas solide, on doit craindre une rechute. Il arrive souvent que les malades, pour s'en aller plus vite chez eux , font tout ce qu'ils peuvent pour tromper sur leur situation morale j mais on se méprendra difficilement , en s'informant de cette circonstance de leur exis- tence. La sensibilité physique, émoussée par- tout ailleurs que dans le cerveau , se rétablit : c'est souvent alors seulement , que les aliénés se plaignent du mal de tête. Ils ressentent ordi- nairement une lassitude générale , des douleurs dans les membres , le thorax ou l'abdomen , ré- sultant des mouvemens auxquels ils se sont livrés pendant l'agitation. J'ai vu la céphalalgie continuer pendant cette période , et même après la guérison , mais moins vive, moins continue.

Toutes les autres fonctions qui ne se sont pas rétablies dans les périodes précédentes , repren- nent leurs cours réguliers pendant la convales- cence. Les règîles , si déjà elles n'ont paru , ne tardent pas a revenir, soit parles seuls efforts


200 DÉVELOPPEMENT , MARCHE , etc.

de la nature , ou a l'aide de quekfues moyens , en général, peu actifs. La constipation^ quel- quefois assez tenace , cède de même a un régime convenable.

L'extérieur du corps présente des change^ mens extrêmement remarquables. Les mouve- mens, naguères désordonnés ^ ne sont plus exé^ eûtes que sur des motifs raisonnes. La peau , dont la couleur , la consistance , le poli étaient altérés , reprend son état naturel ; cependant elle reste ordinairement pâle pendant plusieurs jours. Mais c'est sur-tout la figure, ce miroir fidèle d'une âme pure de toute dissimulation , qui change d'une manière étonnante. Souvent je n'ai pas reconnu , après quelque temps de convalescence, des aliénées que je voyais tous les jours depuis plusieurs mois. Les traits con- vulsifs du maniaque , les traits crispés du mé- lancolique, sont remplacés par une physio- nomie calme , quoiqu'expressivc. Voyez cette jeune fille , qui , dans son délire impudique tient les propos les plus obscènes, exprime par ses* gestes , son attitude , les désirs les plus ar- dens et le besoin de les satisfaire ; à peine le bon sens commence-t-ii a renaître, que son maintien devient celui de la décence , sa figure, l'image de la pudeur. Il ne faudrait cependant pas tou-- jours se lier sur la tranquillité exprimée par le


DE LA FOLIE, 201

faciès j on s'y tromperait j on voit assez souvent des malades^ sur-tout des monomaniaques, offrir toutes les apparences extérieures d'une intelli- gence saine , de passions calmes. Mais dans le sens contraire on ne se méprend pas facilement ; c'est-a-dire que toutes les fois que la figure n'a pas repris son expression ordinaire, on peut assurer que la folie n'est pas guérie , que le ma- lade, en apparence tranquille, est encore tour- menté par des idées insolites.

Presque tous les aliénés semblent maigrir en entrant en voie de guérison , sur-tout si le pas- sage à la convalescence se fait en peu de temps ; la figure pâlit , s'alonge j les traits sont moins sailians , les yeux moins sortans de l'orbite. Il ne faut pas se laisser tromper par ces apparen- ces ;, il n'y a pas diminution , mais affaissement des parties , par la cessation de l'état de tension et d'érétliisme ^ le sang qui n'est plus appelé vers la tête , se tient dans les gros vaisseaux. C'est absolument aussi ce qui arrive dans les autres maladies aiguës , dans un accès de fièvre iatermiltente , par exemple, le malade a très- bonne mine d'abord , et devient très-pâle après la sueur ; et quand cet affaissement n'a pas lieu chez l'aliéné , ce n'est ordinairement qu'une rémission qui survient, car l'éréthisme n'ayant

poiril; cessé , le cerveau est toujours dans un

éftit d'irritation.


202 DÉVELOPPEMENT , MARCHE , etc. |

La folie se termine-t-elle par des crises ? Et d'abord qu'est-ce qu'une crise ?

Ce mot , quelqu'acception qu'on lui donne , signifie mouvemement violent , contraire a Tor- dre établi, dont l'effet est d'amener des chan- gemens de situation prompts et marqués. Ainsi , les coups d'état dans les gouvernemens , qui tendent toujours k déplacer le pouvoir , et pour l'exécution desquels les lois sont violées ouver- tement, constituent des crises politiques. On a donné ce nom en médecine , ii l'apparition de certains pkénomènes qui accompagnent quel- quefois la terminaison des maladies. La doc- trine des crises est très-ancienne ; le père de la médecine Pa établie , on pourrait même dire qu'il a bâti le système sur lequel elle repose , et que sans Pautorité imposante de son auteur, depuis long-temps on en eût reconnu la faus- seté ; aujourd'hui on ne la soutient guère au lit des malades. Hippocrate ne s'est pas seulement borné a dire que les maladies se terminaient ou devaient se terminer par des crises *, mais il a voulu assigner des jours décrétoires où elles doivent survenir , des jours indicateurs qui les annoncent à l'avance. Ces théories m'ont tou^ jours paru fort belles dans les livres -, k la ma- nière persuasive avec laquelle des médecins les enseignaient , je supposais qu'il devait élrç fuf


DE L jV folie. 20>

cile d'en faire l'application clinique. Mais combien l'observation des malades m'a dé- trompé ; j'ai constamment vu la nature pro- céder lentement au rétablissement des organes ; la durée des maladies n'être relative qu'à l'in- tensité , a la nature de la lésion organique , à la constitution particulière du sujet, aux cir- constances extérieures propres à l'aggraver ou a la diminuer. La plupart des maladies sans virus finissent par solution , c'est-à-dire sans cliangemens très -apparens, survenus subite- ment dans l'organe malade ou dans ceux avec lesquels il a des rapports intimes. 11 reste donc quelques cas où le contraire arrive, où quel- ques sécrétions supprimées se rétablissent , ou des désordres surviennent ailleurs , à la cessa- tion des premiers. Tous ces phénomènes re- gardés comme critiques , sont des accidens, des complications de la maladie , et sur-tout des effets et non des causes des changemens favo- rables survenus dans la partie malade. Dans l'invasion et la période d'excitation , les tissus sont tendus , les sécrétions altérées , diminuées ou supprimées jil y a éréthisme. Lorsque l'exci- tation diminue ou vient à cesser , les organes glandulaires , folliculaires ou perspiratoires , avant de revenir à leur état ordinaire , sécrètent ordinairement en plus grande quantité et d'une


soé DÉVELOPPEMENT , MARCHE , efc.

qualité différente, les lluides qu'ils sont cliargés d'élaborer 5 c'est ainsi que surviennent le mucus nasal à la fin du coryza, l'expectoration pul- monaire dans les affections de poitrine , la sueur qui accompagne la fin de beaucoup de snaladies, et notamment le troisième temps d'un accès de fièvre intermittente. Cepen- dant, si telle est la terminaison des maladies ordinaires , il n'en est pas tout-à-fait de même des affections contagieuses. Dans celles-ci on peut plus naturellement supposer qu'il existe un principe qui doit être rejeté de l'économie ; ©n peut, peut-être, admettre comme critiques, les phénomènes qu'offrent les systèmes cutané et lymphatique , a certaines époques de leur cours , marquées par de la diminution dans les symptômes généraux. C'est ainsi que la fièvre cesse avec l'apparition de l'éruption cutanée , dans la variole , la rougeole , la vaccine -, que les bubons , charbons , parotides , s'accom- pagnent d'un peu de diminution dans l'état gé- néral, dans la peste, les fièvres graves, conta- gieuses. Si des phénomènes critiques se fussent montrés ainsi dans les autres maladies , on aurait pu soutenir, avec quelque raison, que tel était leur caractère ; quoiqu'il serait égale- ment permis de penser que ces y^hénomènes constituent une période delà maladie, survien-


DE LA FOLIE. 2g5

lient en même temps qu'un mieux marqué ^ sans pour eeia en être la cause.

En résumé , je ne crois ni aux crises , ni aux jours critiques -, seulement , ies maladies contagieuses me paraissent offrir quelque càose d'assez relatif au caractère des premières.

La folie ne se termine donc point par des crises j dans presque tous les cas, le rétablisse- Hient graduel des fonctions lésées caractérise cette issue. J'ai vu plus de trois cents guérisonSj, et j'affirme que sur ce nombre, il ne s'en est pas trouvé quinze ou vingt , m.arquées par des phénomènes qu'on ait pu soupçonner d'être critiques j et ils l'étaient si peu , que dans beau- coup d'autres cas leur apparition n'avait amené , aucuns cbangemens dans les symptômes céré- braux , ou bien ceux-ci avaient persisté encore très-long-temps après. Gosse, âgée de vingt ans , maniaque furieuse, est atteinte d'un dé- Toiement continuel pendant les six derniers mois de sa maladie. Cet événement ne doit-il pas être considéré comme un pliénomène sym.- pathique de l'affection cérébrale , ou un acci- dent qui a pu peut-être produire l'effet d'un moyen dérivatif. Zimmerman , âgée d'environ vingt-cinq ans , devient maniac|ue à la suite d'une couche. Le sein gauclie est dur , doulou- reux j des foyens purulensse form,ent danssoii


206 DÉVELOPPEMENT , MARCHE, etc.

extérieur -, plusieurs ouvertures donnent issue au pus. L'inflammation semble vouloir se ter- miner par induration -, des douleurs vives et lancinantes se font sentir. Le délire est tou- jours extrêmement violent. Des cataplasmes arrosés avec le laudanum, renouvelles plu- sieurs fois par jour , calment d'abord les souf- frances , ramollissent bientôt le sein, et finis- sent enfin par amener la résolution. Le délire a suivi la même marche ; il a diminué peu-à- peu, et a cessé à-peu-près au même temps. Dans ce cas, doit-on regarder comme une crise, la guérison de cette inflammation? D'abord elle ne s'est opérée que lentement j en outre , il me semble beaucoup plus conforme à la saine phy- siologie, de regarder la maladie du sein comme entretenant l'irritation cérébrale , k-peu-près comme des plaies déchirées, même légères, déterminent des convulsions , le tétanos. Une jeune fille de dix-neuf ans, maniaque depuis près d'un an , avait l'habitude de marcher sans bas ni souliers dans la cour , pendant l'hiver. Ses jambes et ses pieds se sont gonfles , d'abord sans changement de couleur à la peau , sans douleur j bientôt il s'est manifesté de la rou- geur, des phlyctènes gangreneuses. Cette ^af- fection a guéri en même- temps que la maladie mentale. C'est encore ici uu accident qui a pu


DE LÀ FOLIE. 207

agir comme moyen dérivatif. Cet accident, d'ailIeiMTs , se manifeste quelquefois chez les aliénées , sans amélioration de l'état m.en- taJ. J'ai vu chez quelques malades, avec la convalescence , survenir des éruptions de fu- roncles ou de boutons •, mais c'est si rare €|ue je ne pense pas qu'on doive en tirer de consé- quences.

Tel est le mode de terminaison de la folie par le retour à la santé , dans le plus grand nombre des cas où sa marche est régulière. A mesure que le cerveau reprend l'exercice de «es fonctions, l'ordre renaît dans tout le reste de l'économie. Cet organe, le premier et le plus gravement affecté, ne se rétablit que le dernier j déjà les autres fonctions s'exécutent parfaitement bien, l'embonpoint, la fraicheur de la peau sont revenus , que l'intelligence est encore faible , que les malades seraient très-su- jets a une rechute , si on les rendait à leurs occupations ordinaires , s'ils se trouvaient de nouveau placés en présence des influences aux- quelles ils doivent leur première maladie. La marche de la folie est donc la même que celle de toutes les autres maladies du corps humain.

Les signes qui annoncent la guérison par- faite de la folie , ne sont pas toujours assez po- sitifs pour qu'on puisse prononcer sans crain-


208 DÉVELOPPEMENT , MARCHE , CtC.

dre de se tromper •, il arrive quelquefois que le temps seul , ou l'essai que font les malades de reprendre leurs occupations accoutumées , as- surent que leur esprit est bien ou mal rétabli. Néanmoins, lorsque toutes les fonctions ont repris leur exercice régulier 3 que l'extérieur , la physionomie, expriment l'assurance, la satis- faction et la tranquillité j que l'esprit paraît, non-seulement au médecin , mais encore avi ma lade lui-même, avoir recouvré toute sa vigueur; si celui-ci convient qu'il a eu la tête dérangée, et donne assez volontiers des détails sur son état d'alors ; s^il revient avec plaisir à ses tra- vaux , à ses affections \ si tout cela dure un espace de temps , qui doit varier selon la du- rée , l'intensité , la nature du délire , on peut prononcer que la folie a cessé.

Cependant devrait-on demander toutes ces garanties , si l'on était appelé à constater juri- diquement l'état d'un individu , soit pour le faire interdire, soit pour l'exempter des peines dues au crime, pour juger enfin s'il a abusé ou pourra abuser de ses droits, sans connaissance de cause ? La question est extrêmement grave. Le médecin va prononcer presque sans appel sur la liberté , l'honneur ou la vie d'un citoyen , sur la manière dont il a géré sa fortune. Je pense que dans la plupart des cas où un individu qui a été


BELAFOLIE. 209

fou , OU paraît i'étre , commet des actions crimi- nelles : dans la crainte de punir un innocent, on nedoit que le renfermerdansunhospice. Quanta l'interdiction, comme elle n'est proi'oquée que pour empêcher de commettre des actions re- fléchies , prèjudiciabicîj d'abcrd a leur auteur, qui demandent ordinairement le concours de plusieurs personnes , on ne doit la permettre que pour des cas de folie évidente» Il faut sur-tout que des actes qu'on veut faire miiulier, parce que l'un des contractans est présuûié n'avoir pas joui de sa raison quand jJ s st en- gagé , soient par eux-mêmes des preiiyes lîiea palpables d'un dérangement intellectuel. Sans cela il pourrait s'élever des contestations sans nombre , presque toujours au profit de la mau- vaise foi.

11 est des aliénés , qui, après être guéris , con-^ servent quelque chose d'insolite dans l'esprit. Quelques-uns sont très- susceptibles, et croyent, si on leur rappelle leurs actions passées, que c'est pour les en blâmer. D'autres , très-invo- lontairement sans doute , ont pendant leur maladie, injurié leurs parens ou amis, bkssé quelquefois des intérêts de réputation ou de fortune , et en conçoivent du chagrin étant gué- ris. En outre, l'indulgence est rarement por- tée assez loin envers eux ^ comme la folie n'a pas

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2\0 DÉVELOPPEMENT , MARCHE , etc.

été toujours évidente aux yeux ordinaires, on suppose assez souvent que la méchanceté a di- rigé plusieurs actions : de-lit des reproches qui contribuent beaucoup a entretenir de l'incer- titude dans l'esprit, et peuvent amener une rechute. Ces personnes, doivent, pour conser- ver leur santé et fortifier leur tête , quitter au- tant que possible, leurs anciennes connaissances et aller vivre au milieu d'un monde nouveau. M.^^^ B...t, en devenant aliénée, perdit un état qui la faisait vivre honorablement ; elle sortit guérie de la Salpétrière , en mars 1818 , conservant seulement une susceptibilité ex- trême. Après un mois de séjour chez un frère qui lui fit éprouver des contrariétés , elle re- tomba malade. Depuis six mois qu'elle est de nouveau guérie et sortie de la Salpétrière , elle habite une petite ville des environs de Paris, où elle jouit d'une santé parfaite.

2." Des Fœchutes.

Je ne peux terminer cet article sans parler des rechutes, car aucune maladie n'en présente d'aussi fréquentes que la folie. Cependant il faut bien se garder d'appeler de ce nom, les affections mentales nouvelles , que peuvent con- tracter les aliénés j il existe en effet de certaines conditions essentielles pour caractériser les re-


DELAFOLIE. 211

çllutes des autres maladies, et qu'on doit ap-^ pliquer à Paliéiiation mentale. Il faut (]ue l'af- fection qui a précédé soit à peine dissipée , que Porgane qui a souffert, conserve encore assez de faiblesse, pour qu'une cause très-légère l'altère de nouveau j dans ces cas , la santé n'a jamais été qu'imparfaitement rétablie. Mais si après plusieui"S mois , plusieurs années d'une guérison solide , un individu redevient fou, a la suite de causes nouvelles, appellera -t- on cela une re- chute ? Alors toutes les maladies seraient bien- tôt regardées ainsi , car il arrive souvent qu'elles se succèdent à des intervalles assez rap- prochés. On doit d'ailleurs faire attention que plus un organe a été malade de fois , et plus il est sujet à le devenir-, il conserve en lui une faiblesse qui donne plus de prise aux causes. Ceci s'applique sur -tout au S3^stême nerveux j l'apoplexie pe tue guère a la première attaque j les névralgies cessent rarement pour toujours , si on n'a détruit le nerf malade , etc. Le cer- veau guéri de la folie, est aussi plus sujet a retomber dans le même état. On peut compter qu'environ un neuvième ou un dixième de per- sonnes rétablies de cette maladie , ne le sont que provisoirement et en contracteront une nou- velle , ou éprouveront une i^echute. Mais dans le premier cas il a existé des causes sans les-

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212 DÉVELOPPEMENT, MARCHE, etC.

quelles les fonctions cérébrales seraient restées saines; en sorte que les rechutes véritables, ne doi- vent guère être portées cjue pour un quinzième.

5.* Passage de la Folie à F état chronique incurable.

Nous venons de voir la marche la plus or- dinaire de la folie , lorsqu'elle a une issue heu- reuse. Nous allons maintenant jeter un coup d'œil sur l'état d'incurabilité de cette ma- ladie , primitivement annoncé par les signes que nous allons indiquer, ou reconnu seule- ment après un traitement plus ou moins long. Et d'abord , parcourons la section des aliénées incurables de la Saîpétrière, pour suivre plus facilement les transformations successives qu'é- prouve le délire dans la manie , la monoraanie et la stupidité, avant d'arriver à la démence, ternie ordinaire et naturel de la folie qui de- vient chronique.

Cettesectioo se compose i .°, d'idiotes dont l'in- telligence n'a ni augmenté ni diminué; 2.° d'a- liénées dans un état complet de démence, in- capables d'aucun acte intellectuel, et la plu- p irt , paralytiques -, 5.° d'aliénées dont la démence n'est point assez avancée, pour les empêcher de commettre quelques actions sim- ples mais raisonnées ) ces malades travaillent


DELA.FOLIE. 2l5

à quelques ouvrages grossi ors , afin de se procurer des douceurs que la maison ne donne pas; 4.° de femmes guéries jusqu'à un certaiu degré' ; on en \o!t beaucoup qui ne conservent du délire passé, que quelques idées plus ou moins fixes , devenues parties consti- tuantes de l'intelligence-, c'est un degré assez faible de la monomauie : ces personnes tra- Taillent-, plusieurs pourraient même être ren- dues à la société , si elles n'étaient obligées , pour vivre , de se livrer a des occupations incom- patibles avec des dérangemensde l'esprit, 5.° de manies intermittentes ; dans l'intervalle des accès, la raison est entière ', 6.° enfin de folles dont l'état mental n'a point changé , par l'ef- fet du traitement : le délire , les accès de fureur, n'ont en rien diminué.

La folie qui ne guérit point, se termine donc toujours par la démence, si le malade vit assez de temps. Ici, comme dans les maladies de tous les autres organes , à un état d'excitation suc- cède un affaiblissement qui entraîne la dimi- nution ou l'abolition des facultés vitales. Le cerveau, d'abord affecté presqu'exclusivemeot comme agent intellectuel, finit par être attaqué comme agent nerveux : àttlà les paralysies fré- quentés cbez les aliènes. Cette seuie circonstance devrait suffire pour fixer les idées sur le siège


2l4 DÉVELOPPEMENT , MARCHE , etc.

de la folle ■, la paralysie ne survient que dans les affections du système nerveux , et se présente dans toutes les maladies un peu graves de l'en- céphale.

La démence s'établit de deux manières , su- bitement ou lentement. Dans le premier cas , des malades qui quelquefois paraissent aller mieux, ou même être en convalescence, perdent tout à coup ou en très-peu de temps l'exercice intellectuel ', cet état est souvent précédé d'une attaque de paralysie aiguë ; presque toujours alors plusieurs parties du corps n'ont point recouvré l'usage des mouvemens. Toutes les aliénées qui, après un mieux marqué, ou une guérison équivoque , sont tombées dans cet état d'anéantissement intellectuel , même sans paralysie, sont restées incurables j aucun ex- citant n'a pu redonner de l'énergie au cerveau. Parmi beaucoup d'exemples , je citerai les deux suivans : — la femme Lempereur, âgée de trente- six à quarante ans , maniaque, après un séjour de près d'une année a l'hospice , en soi^tit sup- posée guérie ) très-peu de temps après, elle y rentra complètement insensible à tout ce qui l'entourait , sans idées j les applications du cau- tère actuel a la nuque, n'ont même pas été senties j depuis plus d'une année, elle n'a pas changé. — -Félicité S , âgée de dix-neuf ans


BE LA FOLIE. 3l5

forte et bien constituée , resta pendant l'année 1818 affectée de manie avec fareur -, au printemps de 1819, son cerveau avait repris en grande partie l'exercice de ses fonctions -, seulement il restait beaucoup de lenteur dans la formation, et l'expression des idées ; environ deux mois après cette époque, les facultés intellectuelles ont perdu toute énergie ; la maladq ne dit mot, boit, mange, dort, et offre toutes les apparences d'une vie végétative parfaite : rien ne peut la ti- rer de cet état d'abattement moral. Quand la dé- mence survient lentement , il est le plus souvent impossible de fixer au juste l'époque où elle commence -, mais bientôt les signes qui la ca- ractérisent , ne laissent plus aucun doute sur son existence -, la fureur , l'agitation disparais- sent 3 les malades sont tranquilles, ne profèrent plus que quelques mots sans suite, rient sans sujet-, ils dorment profondément, etc.

Avant que la folie n'ait ainsi dégénéré , il s'écoule quelquefois un laps de temps assez long , pendant lequel le délire a pu rester le même , ou varier dans son caractère , son in- tensité 3 c'est alors qu'il est quelquefois difficile dédire s'il existe encore de Tespoir de guèrison, ou si la maladie est incurable, a moins qu'elle ne dure depuis plus de deux années , terme ordinaire, passé lequel elle guérit rarement*


2l6 DÉVELOPPEMENT , MARCHE ^ etc.

§. Ili. Type.

La foiie est le plus souvent continue j elle peut être rémittente et intermittente.

Quoique continue , rarement ses phénomènes conservent toujours le meaie degré d'intensité. Ordinairement il survient de l'exacerbation, de véritables paroxysmes: c'est sur- tout l'après- midi, vers les 4 ou 6 heures que cette augmen- tation a lieu. Alors le pouls devient plus fort et plus fréquent , les carotides battent avec force 3 la soif est plus vive -, les joues se colorent, la tête devient trè^- chaude , douloureuse chez lin grand nombre. Pendant cesinstans de fièvre, les malades sont moins agités, moins suscep- tibles de se mettre en colère ou en fureur, et aiment plus à rester tranquilles.

Les rémittences peuvent être de plusieurs jours, de plusieurs semaines ou plus •, tous les symptômes diminuent beaucoup, la raison re- vient en partie ;?enfin , on dirait que la conva-^ lescence va swivre ce décroissement. Cependant le sommeil ne se rétablit pas bien, le mieux ne fait pas de progrès , et bientôt la maladie re- prend son état primitif.

On ne doit regarder la folie comme intermit- tente, que dans les cas où les accès ne reviennent qu'à des époques éloignées , par exemple , tous


D E L A. F O L î E. 217

les six mois ou tous les ans ; lorsque les recliules sont plus rapprocbées , ii n'existe en général qu'un état de rémittence. Chaque accès suit ab- solument la marche que nous avons décrite , et présente successivement les périodes d'incuba- tion j d'invasion , d'excitation , de décroisse - ment, de convalescence, avant que la santé ne se rétablisse. La folie intermittente est régu- lière ou irréguîière j elle est ordinairement incurable 3 les accès se rapprochent , se con- fondent , et la raison est à jamais perdue. Des malades viennent ainsi tous les ans, pendant ua certain laps de temps , passer plusieurs mois à la Salpétrière, et finissent toujours une bonne fois, par y rester jusqu'à la fin de leurs jours.

§. IV. PR0^^0STIC.

J'ai peu de données positives sur le pronostic de la folie j en général , il est difficile de déter- miner de prime abord, et souvent dans le cours du traitement , le degré d'espoir qu'on doit avoir pour la guérison , tant qu'il ne survient pas des cliangemens favorables dont j'ai par'e. La grande habitude de voir de ces malades donne bien la possibilité de faire des conjec- tures plus ou moins probables ; mais les signes sur lesquels on se fonde sont encore trop va-


2î8 DÉVELOPPEMENT , MARCHE, etC.

riables , trop peu caractéristiques pour servir à établir des règles fixes ; le temps seul , peut , dans le plus grand nombre des cas , nous don- ner la certitude de l'incurabilité. Le médecin , ainsi averti , ne devra point désespérer et aban- donner trop promptement le traitement j en persévérant, ii pourra obtenir au bout d'un an ou même deux , la fin heureuse de la maladie j passé ce temps, il n'y a pas d'inconvénient à la regarder comme non susceptible de guérir. Voyons au reste, ce que l'on sait de bien po- sitif sur ce sujet.

L'idiotie et la démence sont incurables. Quel- ques idiots et sur-tout les imbécilles , peuvent être susceptibles de recevoir quelque peu d'é- ducation. A force de leur faire répéter cer- taines actions, ils finissent par en retenir quel- que chose. Cependant, il est extrêmement diffi- cile d'habituer les premiers à la propreté-, pres- que toujours ils rendent leurs excrémens par-tout où ils se trouvent. Les aliénés en démence peu- vent, selon le degré de la maladie, exercer des actions simples , se livrer à des travaux gros- siers , qui ne demandent ni une attention sou- tenue , ni de fortes combinaisons. Il arrive néanmoins une époque, où l'esprit est telle- ment affaibli, que l'existence morale de ces individus, est de toute nullité.


DELAFOLIE. 219

Les trois autres genres d'aliénation mentale, que nous avons compris sous le nom de folie , la manie, la monomanie et la stupidité peuvent être envisagés, relativement au pronostic , sous les rapports suivans :

Il guérit un plus grand nombre d'aliénés de 20 à 5o ans , que dans les autres âges. On en guérit rarement après 5o ou 55 ans.

La folie compliquée de paralysie ne guérit jamais. Il semble que dans ce cas le système nerveux est trop gravement altéré pour reve- nir a son état primitif. L'épilepsie qui se ren- contre plus particulièrement chez les idiots , mais qu'on voit aussi quelquefois compliquer d'autres genres , est un signe certain d'incu- rabilité.

Toutes les fois que les symptômes sympa- thiques sont assez graves , pour que la folie ait quelque ressemblance avec le délire aigu , s'ils disparaissent, si îa santé physique revient sans une amélioration très-sensible dans la manifes- tation des désordres cérébraux , c'est un mau- vais signe, qui fait craindre l'incurabilité. Plu- sieurs personnes de 25 k 3o ans, dans un état de maigreur extrême ^ offrant des symptômes de phthisie , furent guéries de ces accidens au moyen de l'application du cautère actuel sur les côtés du thorax. Elles ont repris de l'eoi-


320 DÉVELOPPE^ÎENT , MARCHE , etc.

bonpoint , recouvré toutes leurs forces, etc. Mais îe délire est realé le même- et elles sont aujourd'hui évidenuDent iiK urabîes.

Les aliénés maniaques guérissent mieux que les autres. Les monomauiaques avec exaltation, présentent plus de chances de suects que les mélancoliques ou lypema!iia(|ues.

M. Pinel a fi.xé a six moi ie terme moyen de la guérison des aîiéaés. M. Esqiilroi pense qu'on peut le porter à un an. En tif t, il guérit a peii-pr-js autaat d'aucirées la seconde année que la pre^niière ; passe ce temps on doit peu espérer.

Sur 1223 femmes iriiéries : 6o4 ont recouvré la santé la première année.

5o3 la seconde.

S6 la troisième.

4i dans les sept années suivantes.

Le printemps , et ensuite l'automne, sont les saisons les plus favorables a la guérison. L'iii- ver est la saison la plus défavorable.

Le nombre des guérisons obtenues, compa- ré au nombre des aliénés mis en traitement ^ "varie selon que dans les établissemens on ad- met telle ou telle espèce de malades ', selon la bonne foi des médecins qui en ont publié des relevés. L est des asiles où on ne reçoit


DE LA. FOLIE. 221

que les aliénés qui preseuteiit évidemment des cliaiRtS de bUicôs; d'autres , où les incurables comme ies cuvahses suât admis ; si l'on ne tient pas compte de ces circoustances ^ on tombera dans i'erreur. 11 faut avoner, en outre , que les méd.*.cius Oit Sv>uve:it p.utôt consulte leur amuur-propie ou i'inlérët de l'établissement qu'ils dirigent , que la \éritéj en mettant au jour le résultat de leur pratique.

A la Saipétrière , les médecins font tous les ans desreievésdeguérisonpourl'administratioa des hôpitaux 5 dans lesquels ils ne rendent compte, bien entendu , que des cas sur lesquels l'art peut quelque cliose. Les aliénées incurables , et qui forment a peu près le tiers du total y sont d'abord mises de coté-, et pour n'être pas taxés d'agir arbitraireme.}t dans celte sépara- tion, ils sont cc>nveîRis de regarder comme in- curiibles, les idiotes , les aliénées épileptiques, paralytiques , et celles agév. s de plus de Cliquante ans. Touîes les autres sont supposées suscepti- bles de guérison. L'expérience de plus de vingt années prouve qu'on guérit îa moitié de ceiles- ci. Aucun établissement public ue présente des résultats plus avantageux.


CHAPITRE IV.

DÉLIRE AIGU, Différences qui le distinguent de la folie.

vJn a souvent repété que le délire aigu pré- sentait toutes les variétés de la folie. Je suis bien persuadé , et on en sera bientôt convaincu avec moi , que ces deux maladies ne se ressemblent qu'autant qu'elles consistent dans une altéra- tion de la même fonction , l'intelligence ; mais qu'elles diffèrent essentiellement et dans le mode de manifestation , les causes , la marclie , et dans les moyens curatifs employés pour les guérir j qu'enfin il est facile de les distinguer^ difficile de les confondre , excepté dans quel- ques-uns de ces cas intermédiaires , assez rares , qui servent , pour ainsi dire , a établir un pas- sage insensible de l'une à l'autre , comme il ar- rive si souvent pour les autres affections d'un même organe. Je vais^ pour arriver à ce but , faire une histoire rapide du délire aigu ; après quoi , ayant exposé l'histoire de la folie dans ses détails , il serait facile au lecteur d'établir lui- même les différences qui séparent ces deux, affections. Cependant, pour ne laisser aucun


DÉLIRE AIGU. 225

doute , je mettrai en regard , dans un tafeleau ^ leurs caractères respectifs.

1 ." Causes du Délire algu>

Le délire aigu, ou l'affection des fonctions intellectuelles qui le constitue , n'est ordinaire- ment qu'un symptôme d'une maladie plus grave d'un organe de l'économie ou du cerveau lui- même -, symptôme qui sert plutôt à établir le pronostic, qu'à indiquer l'administration d'au- cun remède. Nous lui reconnaîtrons trois sortes de causes ; i .° les affections graves du cerveau ; 2.° les maladies des autres organes ; 3.° l'action de certaines substances sur l'estomac.

Les affections graves du cerveau , celles qui se manifestent dans l'ensemble de ses fonctions , produisent deux symptômes constans : le dé- lire ou le coma. Le délire survient plus parti- culièrement dans l'araclinitis , la céplialite , la fièvre ataxique , mieux nommée cérébrale. La commotion cérébrale , les différentes compres- sions causées par des épancliemens sanguins , aqueux ou purulens , par l'enfoncement de pièces osseuses, produisent au contraire le coma. Toutes ces maladies reconnaissent des causes nombreuses qui ne deviennent qu'indirecte- , ment celles de ces deux symptômes. Aussi m'abstiendrai-je d'en parler.


524 DÉLIRE A ÎG U.

Le délire aigu sj'irtpalhique est extrême" ment fréquent -, peu de maladies aiguës ou chro- niques se termiiieat par la mort, sans présenter ce symptôme *, peu de malades meurent en pleine connaissance, li semble que la nature ait ainsi voulu voiler à l'iiorame i'approcîie de ce terme fatal. Pour qu'un organe produise ce désordre cérébral , il faut qu'il soit gravement affecté , et d'une manière aiguë ; les affections chroniques en sont rarement cause, excepté à leur fin, où Faltération organique semble pren- dre de l'énergie , ou bien détermine une inflam- mation vive des tissus voisins. Les maladies qui ne présentent pas l'un ou l'autre de ces carac- tères , ne troublent point l'intelligence 3 voilà pourquoi presque tous les individus affectés d'anévrysmes du cœur, be.fucoup de phthisi- ques ne perdent point l'esprit avant de mourir. Toutes nos parties ne sont pas également susceptibles d'affecter l'organe intellectuel \ elles n'agissent même pas sur lui , dans le même ordre que dans l'état sain ; ainsi , par exemple , les séreuses dont l'action, en santé , se borne à faciliter le jeu des organes , causent prorapte- ment des symptômes graves et le délire , lors- qu'elles viennent k s'enflammer vivement. Les phlegmasies aiguës du canal alimentaire , le déterminent fréquemment : elles constituent


DÉLIRE AIGU. 225

le plus souvent ce qu'on a appelé fièvres adyna- miques. Le coeur , ou la séreuse du péricarde enflammés, agissent de même promptement sur le cerveau. Les poumons paraissent avoir moins d'influence sur cet organe ; ce n'est que tard que les péripneumonies aiguës causent du dé- lire. Toutes les opérations ciiirurgicales qui deviennent funestes , s'accompagnent ordinair rement vers la fin , de ces troubles intellectuels. Les maladies chroniques de nos organes, sur- venant peu à peu, sont en général supportées sans de trop grands désordres dans l'économie. Des symptômes locaux peu intenses , l'affaiblis- sement et l'amaigrissement graduels , quelques troubles des organes digestifs , les caractérisent ordinairement c L'entendement est rarement dérangé dans tout leur cours ; voyez les piitî«!l* siques , les cancérés , les hydropiques, les scro- phuleux, minés par des abcès froids, des caries : tous ces individus conservent l'usage de leurs facultés intellectuelles jusqu'à une époque très- voisine de la mort. Seulement , quand l'éco- nomie est épuisée, le cerveau partageant cet état , s>es fonctions perdent de leur énergie. Ce n'est donc , comme je viens de le dire , que peu de temps avant de terminer leur existence , que ces malades sont pris de délire ; quelques-uns n'en sont point atteints. Les médecins qui vou-

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226 DÉLIRE AIGU.

draient faire dépendre la folie, d'affections chroniques des organes , seraient tentés d'ap- peler délire hypochondriaque , les inquiétudes que ces malheureux conçoivent et manifestent constamment sur l'état de leur santé, le besoin qu'ils ont d'en parler continuellement. Mais ici , le mal est réel , il n'y a ni erreur de sen- sation , ni faux jugement, conséquemment pas de délire. 11 est tout naturel que Phomme qui craint tant de mourir , s'effraye et cherche des consolations quand il a des raisons de se croire attaqué profondément et sans ressources ; et d'ailleurs la maladie deviendrait, dans ce cas , une véritable cause mcrale.

Plusieurs substances ingérées dans F estomac, ( indépendamment de celles qui enflamment cet organe) , produisent un véritable délire aigu ; je ne parlerai ici que des liqueurs alcoholiques , de l'opium , du tabac, de la belladone et de la pomme épineuse.

Les liqueurs alcoholiques, prises à une certaine dose, produisent Pivresse. Cet état présente plusieurs degrés , depuis une légère excitation, jusqu'à la perte de connaissance. Le premier degré est marqué par un sentiment de chaleur dans l'estomac , une excitation générale , une augmentation d'activité musculaire et intellec- tuelle j de cette dernière disposition provien-


DELIRE A ï G U. 22r.


nent des idées plus rapides, exprimées avec plus de facilité j une gaîté bruyante, etc. Mais bien- tôt , à mesure que de nouveau liquide fermenté est introduit dans l'estomac , le sang , comme on le dit , monte k la tête j la face devient rouge, les yeux sont brillans j les sens , sur-tout la vision ^ ne perçoivent qu'imparfaitement les qualités des objets •, on voit double , triple , multiple. Les idées deviennent difficiles, incohérentes, sont ex- primées avec difïiculté par une langue épaisse , et qui semble atteinte d'un commencement de paralysie. La raison , le jugement de nos actes disparaissent , on ne sait plus ce qu'on dit ni ce qu'on fait -, c'est alors que très-souvent se mon- tre le naturel de l'homme : il exprime ce qu'il pense , ou plutôt , il ne le cache plus : in 'vino âieritas. Ce second degré de l'ivresse s'accom- pagne d'accélération du pouls, de pulsations très- marquées des artères cérébrales et faciales, de soif, d'un commencement de paralysie mus- culaire, qui fait que l'homme ivre est faible sur ses jambes, chancelle en marchant, parle dif- ficilement. C'est alors que vomissent ordinai- rement les personnes qui ne sont pas habituées à ces sortes d'excès. Le troisième degré pré- sente les caractères de plusieurs maladies très- graves , comme perte complète de connais- sance , paralysie générale, insensibilité j si l'es-

i5..


228 D É L I n E AIGU.

tomac se déb^irrasse des matières qu'il contient , la face qui était rouge , devient pâle; le pouls reste toujours fort et plein. Après un espace de temps plus ou moins long, après quel- ques heures, une demi-journée, un ou plu- sieurs jours de ce sommeil apoplectique y l'in- dividu se reveille, tout étonné du lieu où il se trouve, avec un accablement général, la bouche pâteuse , empoisonnée , du dégoût , quelquefois des envies de vomir ou des vomissemens. 11 reste ordinairement une sorte de stupeur, jointe à un peu de fciiblesse musculaire, ce qui donne un air hébété. Quelquefois, a la suite d'excès de ce genre, le cerveau a tellement souffert, qu'il reste une sorte de stupeur avec délire , qu'on a appelle delirium tremens i quelques jours de repos , la diète, des délayans en amè- nent ordinairement la solution.

Les narcotiques produisent sur le cerveau , des effets assez analogues à ceux de l'ivresse. Les Orientaux s'enivrent , se procurent de grandes jouissances spirituelles avec l'opium. Chez nous , il détermine une excitation céré- brale , une espèce de congestion sanguine vers cette partie, et force ainsi au sommtil. A une dose plus forte, il cause des vomissemens, des convulsions et la mort. La belladone , la pomme épineuse , produisent un délire avec excitation , une sorte de gaieté forcée ou convulsive. Les


DÉLIRE AIGU. 22g

malades n'ont point la connaissance des objets qui les entourent-, ils sont d'ailleurs faibles, alités, finissent par vomir , avoir des convul- sions et mourir, s'ils en ont pris une dose trop forte. Le tabac , chiqué ou fumé , par une per- sonne non habituée, ou introduit dans les voles digestives, attaque promptement le cerveau; m.ais au lieu d'exciter cet organe , il semble l'engourdir-, le malade s'étourdit j, chancelle ^ vomit très -promptement.

Comment ces substances agissent -elles sur le cerveau? Est-ce directement par suite d'ab- sorption , ou indirectement en affectant d'abord l'estomac qui réagirait sur cet organe? L^une et l*autre de ces explications pourraient être soutenues ) cependant , si nous faisons atten- tion que ces mêmes substances , injectées dans la jugulaire produisent les mêmes effets f plus promptement et d'une manière plus forte, nous pencherons pour l'action directe. Les brûlures spontanées , quelquefois générales , qui sur- viennent chez des personnes adonnées à l'eau- de-vie, fortifieraient cette opinion, que Tialco- hol est absorbé, sans avoir éprouvé d'aitération dans sa composition. L'exhalation pulmonaire contient aussi une assez grande quantité de cette substance, pour qu'on la reconnaisse fo" cilement a l'odeur qui lui est propre.


2DO D É L I R E A I G U.

  • D'après ce que nous venons de dire des causes

du délire aigu^ on voit que cette affection n'est qu'un symptôme éloigné , non caractéristique de la maladie primiti ve, principale 3 que même dans les altérations graves, générales du cerveau, avec délire , ce qu'il y a de plus important , c'est la lésion du principe d'où part l'inlluence dont ont besoin tous nos organes pour exercer leur action. C'est un symptôme qui sert plutôt U établir le pronostic que le diagnostic des maladies qui le présentent.

2.° Troubles intellectuels qui constituent le U élire aigu.

Dans les différentes altérations cérébrales , idiopatliiques ou sympathiques , qui donnent naissance au délire aigu, toutes les fonctions de l'organe , sont plus ou moins lésées ; ainsi les troubles intellectuels qui le caractérisent doivent être généraux ; sensations , affections , jugement, volonté, ne doivent plus s'offrir comme dans l'état de santé. L'exercice intel- lectuel est dès le principe , gêné , altéré dans toute son étendue , et il finit par s'éteindre , d'abord partiellement, puis en totalité , si les causes continuent leur action , et tout cela , en quelques minutes ou quelques lieures. Nous avons remarqué tous ces phénomènes dans l'i-


D É L I R E A I G U. 23l

vresse j voyons un malade atteint de ce qu'on a appelle fièvres adynamique et ataxique: M. Pi- nel , décrit en ces termes l'état de l'enten- dement dans ces maladies arrivées à un certain degré. « Regard hébété ; affaiblissement de l'ouïe, de la vue, du goût et de l'odorat; dé- pravation fréquente de ces deux derniers , état de stupeur , somnolence , vertiges, rêvasseries ou délire taciturne ; réponses lentes et tardives , indifférence sur son propre état, etc. ; ( fièvre adyaamiqLie ) état obtus ou sensibilité exces- sive des organes des sens, vue égarée; insom- nie ou somnolence ; vertiges, coma, délire ou intégrité de l'entendement; nulle connaissance de ses proches ou de l'état de gravité de sa maladie ; indifférence extrême sur ce point, ou inquiétude continuelle , tristesse , terreur et désespoir. Réponses brusques et dures , voix aiguë, bégaiement ou aphonie. Agitation, car- phologie (fièvre ataxique). » Le même auteur dit de la phrénésie :


248 TRAITEMENT

suivant les localités. Quel que soit le siège d'une inflammation aiguë, d'un cancer, d'un polype, on ne guérira la première que par la méthode anti-plilogistique , et les derniers qu'en enle- vant la partie qu'ils affectent. Et quand bien même il arriverait qu'on ne connaîtrait pas au juste , le siège d'un état maladif bien caractérisé d'aii leurs , le traitement pourrait ne pas en souf- frir beaucoup-, ainsi , qu'une pKlegmasie at-«  taque le cœur, le péricarde, ou le poumon, cliez un sujet fort et robuste , des saignées gé^ néraks et locales , des boissons aqueuses abon- dantes , conviendront toujours. Qu\ui cancer af- fecte ie foie ou Pestomac , l'intestin ou l'utérus, calmer le malade , le laisser mourir tranquille- ment , c'est tout ce cju'il convient de faire.

Pour arriver a la connaissance de l'état ma- ladif d'un organe, il faut, en général, se garder d'attacher une importance trop exclusive aux dérangemens de son action j ils ne fournissent assez souvent que des renseignemens incertains ; ils annoncent qu'il y a maladie, sans indiquer laquelle. La perte d'appétit, le dégoût, les en- vies de vomir ou les vomissemens , la difficulté ou l'impossibilité de digérer , accompagnent un grand nombre d'affections de l'estomac. Com- bien de lésions diverses du cerveau présentent du délire, une perte complète de connaissance


DELÀ FOLIE. 249

OU la paralysie î La dyspnée , caractérise pres- que toutes les affections des poumons -, enfin tous les genres , espèces ou variétés de l'aliéna- tion mentale , n'ont encore pu être rapportés a aucune altération cérébrale déterminée. Ce sont les phénomènes nouveaux qui surviennent dans l'organe mallade , la douleur , les cliange- mens de texture , de poids , de volume , les dé- sordres qui se développent dans le voisinage ou au loin, qui fournissent les signes propres k conduire au but c[u'on cKerclie à atteindre.

Ces principes jîont en tout applicables a la partie rationnelle , improprement appelée mé- dicale , du traitement de la folie, qui comprend l'administration dtis moyens médicamenteux externes et internef», et dans laquelle on se pro- pose d'attaquer les difFérens vices que paraît présenter le cerveau. Il faut consulter s'il y a excitation ou asthénie , etc. , et non le genre du délire. Quant a la partie empirique , dite mo- rale , elle est fondée r»ur des principes opposés : son administration n'a presqu'aucun rapport avec l'état présumé du cerveau : les troubles intellectuels seuls , eu fournissent a-peu-près les élémens.

En quoi la connaissance des causes des mala- dies est-elle utile pour le traitement ?

Il est nécessaire de tenir compte des causes.


25o TRAITEMENT

elles influent plus ou moins sur le traitement des maladies, dans les cas suivans:

1.° Lorsqu'elles sont pathologiques et don- nent naissance à des affections sympathiques : ici , il faut détruire en même temps , sinon pri- mitivement , la cause et l'effet , pour que la guérison soit radicale.

2.° Lorsqu'elles agissent directement sur l'organe, physiquement ou physiologiquement, et d'une manière permanente: il est clair que tant qu'un intestin sera étranglé , le cerveau comprimé par une pièce osseuse , les accidens persisteront 3 que si on n'éloigne les causes mo- rales d'un grand nombre de folies , elles ne guériront point.

3.° Lorsqu'elles aident a découvrir le sie'ge et la nature des symptômes observés : ainsi , vous trouvez une personne sans connaissance, vous auriez bien de la peine à savoir ce qu'elle a , si dans sa chambre bien close , vous ne trouviez un fourneau de charbon embrasé; une autre est pâle, défaillante, a le hoquet, vomit: un reste de poison quelconque , vous apprend que l'estomac a été violemment altéré -, une troisième présente des symptômes d'apoplexie, et des vomissemens vineux , ne laissent pas de doute sur l'état d'ivresse.

Hors ces cas, et toutes les fois qu'une maladie


DE LA FOLIE. 201

est idiopathîquement produite par une cause passagère , de quelque nature que ce soit , le traitement n'en reçoit a peu près aucune mo- dijScation : qu'une pleurésie provienne d'une suppression de règles, de transpiration cutanée ou pulmonaire , ou d'un coup d'épée , elle ré- clamera toujours les mêmes moyens curatifs j et vous auriez beau vous en prendre a. la cause, chercher à rétablir les règles ou la transpi- ration , qu'elle n'en parcourrait pas moins ses périodes accoutumées. Il ne faut même pas croire, qu'en détruisant une cause persistante, pathologique ou autre , la maladie cesse aussi- tôt •, une fois altérée à un certain degré , l'orga- iiisatioai ne revient à son état naturel , que len- tement et^en suivant une marche déterminée ; et faire disparaître alors l'influence , la cause qui l'entretient, ce n'est que rendre la gué- rison possible, ramener la maladie a un état plus simple , sans empêcher ses périodes de se succéder. Un corps étranger appliqué sur la conjonctive , y occasionne et entretient une ophthalmie ; malgré que vous le retiriez , elle durera autant, que si elle tenait a. une cause pas- sagère.

\ Dans le traitement de la folie , nous n'aurons guère à éloigner , a combattre que des causes physiologiques directes, cette maladie n'en re-


sSa TRAITEMENT

connaissant que fort peu^ d'autres ', et elles se trouveront dans le domaine de la méthode em- pirique, des moyens moraux et intellectuels, pouvant seuls être opposés a des inliuences de même nature. Mais dans un grand nombre de cas , leur action ayant été passagère, Pétat du cerveau et de ses fonctions , guidera exclusi- Tement dans l'emplci des moyens curatifs.

Quelques considérations sur les modifications qu'apportent l'âge, le sexe, la constitution, etc. , dans le traitement de la folie, trouveraient sans doute leur place ici ;, mais ces dispositions in- dividuelles exerçant leur influence sur la ma- ladie elle-même, devenant assez souvent la cause qui fait varier les indications qu'elle pré- sente , et dont nous parlerons bientôt, je crois inutile de m'en occuper d'une manière spéciale.

Manière d'agir sur les organes , dans le Traitement des maladies.

Ce que nous avons dit de Faction des causes , est en tout applicable a la manière d'agir des moyens curatifs ^ qui ne sont eux-mêmes que des causes d'eifets provoqués dans un but op- , posé, pour ramener l'organe a son état ordi- naire, au lieu de l'altérer. Nous leur recon- naîtrons donc, deux voies pour exercer leur ac- tion sur l'organisme.


D E L À F O L I Ë. 255

1.* Voie directe. Tous nos organes ne sont pas sîisceptibles de recevoir l'action immédiate des moyens curatifs. Ceux, qui seulement font partie des surfaces gastro pulmonaire, génito- urétrale et cutanée , et ceux soumis a l'empire de la volonté , se trouvent dans ce cas. Ces der- niers qui comprennent les systèmes de l'intel- ligence et des mouvemens volontaires, et en partie le canal digestif, ne reçoivent guère d'in- fluences qui modifient leurs fonctions , que de la volonté. Il en résulte tantôt une diminu- tion d'activité , le repos , et d'autres fois une augmentation d'éaergie ou une direction nouvelle donnée aux facultés. Les autres, dans lesquels entre aussi le canal digestif, reçoivent immédiatement l'action d'agens destinés a agir physiquement ou pliysiotogiquement sur eux^ une plaie réunie par des emplâtres, un ban- dage , des vomitisemens produits par de l'émé- tique , sont des exemples de ces deux manières d'agir.

Les fonctions soumises a l'empire de la vo- lonté, peuvent facilement être modifiées , mo- mentanément du moins , dans leur exercice ; fermez les paupières et vous ne serez plus frappé par la lumière ; reposez-vous et vos muscles ne fatigueront plus ; éloignez- vous des personnes qui vous tourmentent, occupez-vous, au lieu


^5^ TRAITEMENT

d'être oisif, votive esprit alors reprendra sa tran- quillité, et sa vigueur ordinaires. ïl est aussi ex- trêmement facile de reposer le canal alimen- taire , par la diète , ou de modifier son action par la quantité et la qualité des alimens et des boissons.

2." F'oie indirecte. Tous nos organes sont susceptibles d'être atteints de cette manière , beaucoup ne peuvent Pêtre qu'ainsi. Trois sys- tèmes , dans un rapport immédiat avec les objets extérieurs , exerçant une très-grande inlluence sur l'économie en général , servent d'intermé- diaire à l'action des moyens destinés à agir au loin : ce sont les organes de l'intelligence et des mouvemens volontaires, la peau , et le canal digestif.

Nous n'avons pas besoin de rappeler quelle influence exerce l'intelligence sur toute l'éco- nomie , et par conséquent sur le caractère des maladies , de quelle importance peuvent être pour le médecin , les différentes émotions de l'âme qu'il pourra faire naître. N'est-ce pas en frappant fortement l'imagination de jeunes filles, que Boërhaave arrêta une affection convulsive qui devenait contagieuse parmi elles? Le calme de l'esprit est souvent une condition aussi es- sentielle à la guérison d'une maladie , que tous les médicamens possibles ; combien la conva-


DE LA FOLIE. 255

iescence n'est-elle point abrégée par des idées gaies , récréatives , et que de rechutes , causées, par des commotions morales trop \ives: la cessation dès mouveraens volontaires , le repofj, sont de rigueur dans le plus grand nombre des maladies aiguës.

Tous les moyens médicamenteux destinés à agir au loin , sont appliqués sur la peau , C;u in- gérés dans le canal digestif. Mais leur acti'on va- rie de trois manières : tantôt bornée à ces orga- nes, c'est par sympathie qu'elle s'étend ailleurs j tels agissent les dérivatifs , comme cautères , vésicatoires , purgatifs. Tantôt , le médicament absorbé se répand dans toviie l'économie^ et ainsi dans la partie malade j dans ce cas , &e trou- vent les boissons aqueuses , les bains tièdes, etc. Enfin d'autres fois, quelle que soit la voie par laquelle pénètre la substance cuirative , elle ne s'arrête à-peu-près que dans l'organe sur lequel elle exerce une action spéciale ; uu purgatif administré en frictions ^ ne produit d'effets que sur le canal intestinal -, le nitre ex- cite les reins ; le kermès , la mu queuse bron- chique _, etc.

Dans toutes les maladies où cela est possible ^ on cherche a modifier l'organe f dtéré , à le ra- mener a son état ordinaire par ces deux voies^ et souvent ce que l'on ne pvçdu} t pas d'un çoté^


556 TRAITEMENT

on PoLtîent de l'autre. Mais en général , les moyens que l'on emploie , de quelque côté que CG soit , sont destinés k produire des effets pré- v\is, déterminés d'avance, qui tendent au même but j en sorte qu'ils sont classés , dans le traite- ment d'une maladie , bien plutôt d'après leur actic»iî que d'après le lieu de leur application. Ainsi dans une gastrite aiguë , les débilitans , les ém^olliens que vous donnez , sont appliqués extérie urement , et ingérés intérieurement ; l'ac- tion qu'ils vont produire est prévue, ils ten- dront a ^diminuer l'irritation, la douleur , etc.

Dans le traitement de la foiie nous ne serons point jiussi heureux , nous ne pourrons pas tou- jours p revoir, ni déterminer d'avance , les chan- gemens'. qui devront s'opérer dans Foi-ganisa- tion v et ce seront sur-tout les moyens les plus efficaces qui nous seront ainsi inconnus dans leur manière d'agir., Nous connaîtrons bien ce que nous nous' proposerons de faire par les moyens indirects j ils' agissent sur le cerveau, à-peu-près comme sur to us les autres organes :un toniqne, un stimulant, un débilitant, fortifie, excite ou affaiblit égaîen lent toute l'économie. Quelques substances mên le, exerceront sur cet organeune action spéciale. , les narcotiques, par exemple. Mais les princî paux agens de guérison, ceux qui tendent dira, ctement a ramener l'organisa-


DELAFOLIE. 267

tioa cérébrale , en modifiant d'abord Pexercice des facultés , nous sont tout - à - fait inconnus dans leur manière d'agir , n'ayant encore rien pu saisir des changeniens de forme j de situation relative, de texture , qui accompagnent cet exercice. , ,

Voila donc deux ordres, de moyens, les.uiis indirects^ rationnels _, qui tendent à niodifiej' les facultés par l'organisation , et les autres dij- rects^ empiriques, qui tendent, au contraire, h, redresser l'organisation p^r . l'exei^xice des fa- culté^ elles-même^. Ce qui met une difFérenc^ très-grande ^ntr'eux^, ce qui, les rend to.ut-4- fait distincts, c'est qu'on est obligé de les e pi - ployer séparément , d'après des indications particulières , à chacun, sans savoir quels çf- fets ils produiront en commun , si l'action des uns ne pourra peut-être pas contrarier ,,., neutra- liser celle des autres. Ainsi , espérant calmer l'irritation cérébrale , par une évacuation de sang, des bains, des boissons abondantes , etc. , je ne suis pas sûr que les dispositions , émotions , coaimotions morales , que j'imprimerai a l'a- liéné, fortifieront cette tendance. Les signes qui prescrivent l'emploi des uns , n'ont aucun rapport avec les autres. Les moyens rationnels , indirects , sont indiqués pai* l'état patliologi- que du cerveau, et des organes sur lesqueis il

17


a58 TRAITEMENT

exerce de l'influence ^ les moyens empiriques, moraux , sont tout-à-fait relatifs à l'état des facultés intellectuelleSé

Très-certainement la science aura fait un pas immense sur ce point, et on guérira un bien plus grand nombre de malades, le jour où, pouYant apprécier la relation qui existe entre les troubles intellectuels et l'altération céré- brale, les moyens curatifs seront combinés, classés d'après le résultat de leur action sur l'organisation 3 alors ils seront tous rationnels , et l'action des uns ne sera plus dans le cas de "détruire celle des autres. Mais cette époque est sans doute encore loin de nous} jusques- ^a , on sera toujours forcé d'adopter cette divi- sion dans l'exposition qu'on en veut faire, et dans la pratique, d'en combiner l'action , sinon par le raisonnement, du moins d'après des ré- sultats positifs de l'expérience.

L'emploi de ces deux sortes de moyens cura- tifs n'est pas également avantageux. Ceux que nous appelons directs, empiriques ou moraux , toujours nécessaires, produisent des effets pres- que constans et d'une utilité bien plus constatée que les autres. Seuls , ils peuvent guérir beaucoup de folies. Les autres n'agissent ordinairement que secondairement , se bornent quelquefois à détruire des symptômes sympathiques , à rendre


DE LA FOLIE, ^69

la santé à toute rëcoDomie, excepté aux fonctions intellectuelles. On pourra peut-être se rendre un compte assez satisfaisant de cette différence d'action, si l'on examine, 1." que les premiers attaquent tout juste la source du mal, en sui- vant et pouvant atteindre les causes qui l'ont produit ; 2.° qu'il ne serait pas impossible que d'après les deux ordres de fonctions que nous avons reconnues au cerveau, l'état pathologi-* que de cet organe, qui guide dans l'emploi des moyens indirects , appartint seulement a la partie chargée de Tiniluence nerveuse , lésée sympathiquement par la portion chargée de l'intelligence , qui dans tous les cas est primiti- Tement affectée 3 nous ne serions plus étonnés d'après cela , de voir la santé de toute l'économie se rétablir , tous les troubles cesser , excepté ceux des facultés intellectuelles j nous conce- Jrrions aussi très-bien , comment le rétablisse- ment de ces mêmes facultés , entraîne en même temps presque toujours le rétablissement entier du cerveau et des autres organes^ 5.° qu'en- iin , comme nous le verrons , les indications qui se présentent à remplir, soflt bieïi plus posi- tives , bien mieux déterminées pour les moyens moraux que pour les moyens rationnels.

Je passe maintenant à l'exposition de ces moyens divers y et des cas auxquels ils convien-'

irr..


26o TRAITEMENT

nent. J'appellerai traitement cérébral direct empirique ou moral et intellectuel , celui pai le- quel on tend a modifier d*abord l'exercice des facultés intellectuelles. La plupart des auteurs l*ont appelle simplement mor«/. Je n'aime guère cette expression, parce qu'elle tend a exclure l'idée d'une action sur l'organisation , et qu'elle n'indique qu'une partie de rintelligence;je m'en servirai cependant pour éviter des répétitions ou de longues circonlocutions. Et je nommerai traitement cérébral indirect ou rationnel , celui qui comprend l'emploi des moyens qui exer- cent d'abord leur action sur des organes éloi- gnés du cerveau.

§. I. Traitement cérébral direct ,

ou MORAL ET INTELLECTUEL.

Il est entièrement physiologique : aucun agent physique ne peut exercer son action sur le cer- veau , comme moyen curatif de la folie ; et d'ailleurs, tout ce qui pourrait atteindre cet organe de cette manière , causerait toujouis des dérangemens plus graves que ceux qu'on vou- drait détruire •, tels seraient di^s coups , des chutes sur la tête. Quand bien même de tels accidens auraient produit par hasard une gué- rison , il ne s'en suivrait pas qu'on dût les


T>E tA FOLIE. 261

employer métHodiquement ; est-ce a dire que parce qu'un fou est guéri après s'être jeté par la fenêtre , il faille faire subir cette épreuve à tous les aliénés? Que ne propose-t-on aussi de mettre le feu a la maison d'un paralytique pour le faire courir , parce qu'il est arrivé à quelques-uns de recouvrer l'usage de leurs jambes , dans un pareil événement.

Voyons, en peu de mots, le but que nous nous proposons de remplir, en agissant sur le moral des aliénés , avant d'indiquer les moyens d*y parvenir.

D'après ce que nous avons dît de l'action des causes , de la nature des désordres intellectuels et des actions que commettent les aliénés , il est facile d'établir les indications qui en naissent : elles consistent, 1.°, k atténuer, détruire des causes , qui , après avoir provoqué le dévelop- pement du délire, l'entretiennent, tendent à le perpétuer , ou pourront le renouveler avec le retour à la raison , leur action n'ayant été suspendue que par une déraison complète. L'amour, la religion, la jalousie, une frayeux^ vive, sont plus particulièrement de nature à perpétuer, a renouveler ainsi leurs effets, à augmenter et souvent rendre la folie incurable : les sacrifices que commande un amour con- trarié, sont éternels j il faut du temps ^ de la


262 TRAITEMENT

force d'âme , pour s'y habituel. Les idées et les scrupules religieux sont d'autant plus tenaces , qu'ils sont fondés sur des motifs puissans , sans cesse commandés au nom des choses les plus saintes ; et tant que vous n'aurez pas ramené Totre malade a une indifférence religieuse pres- que complète , vous devrez craindre une gué- rison très -peu certaine, et une rechute à la moindre occasion. Il en est à peu près de m.ême de la jalousie j il est difficile d'oublier les res- sentimens qu'elle fait naître. 1." A s,éparer le malade d'objets ou de personnes qui, s'ils n'ont point causé la maladie , deviennent des motifs de délire , de fureur , soit par l'erreur des sens de l'insensé , ou par un faux jugement porté sur leurs attributs, qualités , actions, etc. S.** A le mettre dans une position telle, qu'il ne puisse commettre des actes préjudiciables à lui ou aux autres. 4.° A rectifier les fausses sensations, les erreurs des sens , d'où naissent des hallucina- tions , et une foule d'idées et d'actions bizarres. 5." A fixer l'attention du maniaque sur un petit nombre d'objets j le forcer de penser, de ré- fléchir à ce qu'il dit et fait, l'empêcher de di- vaguer sur tout , sans s'arrêter à rien. 6.° A dé- tourner l'attention des monomaniaques , trop fixée sur certains objets j détruire , faire ou- blier les idées fausses , vicieuses , qui les ob-


DE LA FOLIE. 205

sèdent, les poursuivent , les attristent , les effrayent j contre-balancer des penchans trop exaltés, leur faire diversion en cherchant a en exciter d'opposés. 7.° A exciter la faculté pensante des aliénés stupides , chez lesquels elle est nulle, ou leur donner la force de débrouiller leurs idées, d'en exprimer d'abord quelques- unes. 8.** A redonner du courage aux lypema- nlaques , les tirer de la tristesse , de l'abat- tement moral qui les accablent, g." Enfin à ra- mener tous les aliénés a leurs penchans et af- fections ordinaires , dont l'aliénation est un signe certain et presque constant de folie , et le retour annonce souvent la convalescence, et assure une guérison solide.

Pour remplir ces indications diverses , nous pouvons agir sur l'intelligence des aliénés, de deux manières: passivement , par V isolement ^ la manière de les conduire , et activement , par ce que j'appellerai V éducation médicale,

1." De V Isolement,

Séparer les aliénés des objets qui les en- tourent , les retirer des mains de leurs parens ou amis, est la première condition, une con- dition à peu près indispensable pour les guérir, et à très - peu d'exceptions près , on peut dire


264 TÎIAITEMENT

qu'ils ne recouvrent point la santé chez eux." En les isolant ainsi , on se proposé de remplir les indications suivantes : i." on les éloi^^nëdes causes qui ont pu les affecter , et pourraient réveiller des impressions passées , et ainsi on en facilite l'oubli ; 2.° on les ôte de la prëserlce de personnes de qui ils ont le plus souvent à se plaindre , la maladie ayant été méconnue pour l'ordinaire dèsle principe, et leurs actions consi- dérées comme des caprices raisonnes, ou qu'ils ont prises en aversion par suite de la maladie elle-même ; 5.° ils se trouvent soumis aux soins de personnes nouvelles , qu'ils ne connaissent point, desquelles ils n'attendent rien. Il est bien certain que celles qui servent habituel- lement le malade, ne conviennent plus pour ^étré auprès de lui. Indocile , exigeant, il com- Biandera, voudra être obéi, se fâchera, se mu- tinera , se portera peut-être à des excès si elles lui résistent , et ne leur saura aucun gré d'une obéissance qui lui est due. Il n'exigera pas la même chose d'étrangers, qni, tout en n'épar- gnant pas les soins, les complaisances même, auront l'air de les donner très-volontairement, où au moins d'après des ordres supérieurs , et 'pourront sur-tout les refuser, sans en dire les îïiotifs, quand cela sera convenable j l'aliéné, ^ë trouvera heureux de recevoir des marques


DE LA FOLÏE. a65

d'affection de pareils hôtes , et pourra , s'il con- serve ou recouvre un peu de bon sens , se ren- dre promptement aux conseils et avis qu'ils lui donneront j 4. en changeant ainsi les aliénés de leur sphère habituelle , tout de- vient nouveau pour eux , et peut opérer une prompte diversion dans leur esprit ; l'obligation de se mettre en rapport , de connaître , d'é- tudier des objets nouveaux , peut concourir puissamment à affaiblir d'anciennes impres- sions, à diminuer, ou détruire les idées du mo- nomaniaque , a rétablir l'ordre dans l'intelli- gence du maniaque.

On a reproché quelques inconvéniens a Pi- solement ; mais ils sont si loin des avantagés , se rapportent a des cas tellement exceptionnels, qu'ils ne peuvent détruire le principe d'utilité de ce moyen , comme nous le verrons sur-tout en traitant de la principale manière de l'exé- cuter, c'est -a -dire en renfermant les malades dans des maisons spécialement destinées k cet usage.

On a craint^ par exemple , que les aliénés , sé- parés des objets de leurs affections , ne s'en af- fligent et n'empirent ainsi leur état. D'abord, -ordinairement ces affections n'existent plus , et les malades ont rarement assez de connaissance . pour savoir où on les veut conduire -, en outre ,


S66 TRAITEMENT

dussent-ils réellement regretter de quitter leur maison , leurs parens ou amis , ce serait une raison pour les en éloigner; par là on produira une impression vive ; le désir de les revoir bientôt, deviendra pour eux un puissant motif de se bien conduire et d'être dociles aux avis du médecin.

On a craint que la vue d'autres aliénés , ( en les mettant dans un établissement ) ne leur fît une telle impression , que le mal n*en fût augmenté ; mais c'est une crainte chiméri- que. Ils ont rarement assez de raison pour ap- précier le lieu où ils se trouvent, les per- sonnes qui les entourent -, ce n'est même ja- mais par eux-mêmes qu'ils s'en aperçoivent, et ils ont bien le temps de se familiariser avec ces objets , pour n'en être pas affectés désagréa- blement. Loin d'en être affligés alors , ils rient avec leurs commensaux de toutes leurs erreurs, et plaignent ceux qui n'ont point été assez heureux pour recouvrer la raison.

Quelques personnes ont pensé qu'il était a craindre qu'on n'abusât , contre la liberté indi- viduelle, de la facilité de séquestrer les aliénés. Si la liberté d'action doit cesser dès l'instant que la liberté morale n'existe plus, il faut, en effet, être bien certain de ne détruire l'une que lorsque l'autre l'est déjà. Dans un établissement public.


DE LA FOLIE. 267

surveillé par une administration supérieure , un pareil abus n'est pas à craindre, et il est diffi- cile de croire que dans un établissement parti- culier , un médecin voulût se prêter a des ma- nœuvres aussi viles qu'odieuses.

Il y a trois manières d'isoler les aliénés : en les faisant voyager 3 en les plaçant dans une mai- son particulière préparée ad hoc et pour un seul individu, ou bien dans un établissement public ou particulier destiné à recevoir un certain nombre de ces malades.

Des Voyages,

Les voyages sont bien plutôt employés pour distraire les aliénés que pour les isoler 3 ils ne conviennent que dans la convalescence , et sous ce rapport nous en parlerons plus loin , ou seulement dans quelques variétés de mélanco- lies sans trop de désordres dans l'intelligence , comme le spleen, et ils agissent encore comme nous le dirons alors.

Isolement dans une Maison particulière.

Cette manière d'isoler les aliénés , d'ailleurs très-dispendieuse et ainsi peu praticable , rem- plit rarement l'intention du médecin. C'est or- dinairement une maison de campagne appar- tenant au malade , qu'on dispose à cet effet 3 on


26S THAÎTËMETfT

y place d'anciens serviteurs*, les parens, les maîtres chez eux , se Loélent de tout , ou au moins se séparent dilîiciiement entièrement de Tobjet de leurs affections. Le malade , se voyant chez lui , commande a t>es gens ; rarement il est tout-a-fait désobéi, et les ordres du médecin sont ou méconnus ou mai exécciés. En supposant même qu'on pût éviter une paitie ou la totalité de ces inconvé^iiens, on n'aura pas les avan- tages que présente une réasiion dnin certain nombre de malades qui se servent d'exem- ples mutuellement, s'égaient ensemble, se ra- content leurs infortunés , etc. L'homme n'aime rien tant, dans le malheur, qu'à rencontrer des victimes comme lui , et tandis qu'un heureux semble lui faire injure , un infortuné le con- sole.

isolement dans un Etablissement spécial.

C'est dans des établissemens consacrés spécia- lement à recevoir des aliénés , qu'on traite la folie en Europe. Il en est des considérables en France, aux frais du Gouvernement,et où l'on reçoit plus particulièrement les pauvres : tels sontà Paris, Êicétre pour les hommes , la Salpétrière pour les femmes , et Charenton pour l'un et l'autre sexe. Les Départemens sont beaucoup moins favorisés, sous ce rapport, que la Capitale, et


DE LA FOLIE* 269

à très-peu d'exceptions près , on peut dire que dans presque tous, les aliénés n'ont point en- core excité tout l'intérêt qu'ils méritent, et sont abandonnés pèle - mêle dans un mauvais quartier d'un hospice.

De pareils etablissemens offrent pour princi- paux avantages: 1.° d'être bâtis, distribués le plus favorablement possible pour isoler et con- tenir les furieux , réunir les corivalescéris , mettre ensemble ceux qui se conviennent et peuvent s'aider dans leur guérison , prévenir les accidens que doivent faire craindre le pen- cbant au suicide , les accès de fureur , les mau-^ vais desseins de quelques aliénés -, 2.° deVéunir, en nombre suffisant , des serviteurs bien enten- dus , accoutumés à soigner ces sortes de malades, faits à leurs caprices , qui ne craignent pas de se saisir des furieux; 5.^ de soustraire les malades ^ toute iniluence étrangère et de les mettre ainsi à la discrétion du médecin ; 4.° enfin , de ren- fermer tous les moyens de traitement , de dis- traction , de répression convenables. Pour don- ner un idée de ce qu'ils doivent être , je vais jeter un coup-d'œil sur celui de la Salpétrière. La division , contenant environ douze-cents individus , est formée de deux sections séparées ; l'une est destinée aux idiotes , aux imbéciles et à des aliénées en démencç , au nombre de qua-


270 TRAITEMENT

tre-cents ; Tautre renferme les maniaques , les monomaniaques et les aliénées stupides , incu- rables et en traitement. Je ne parlerai que de cette section , elle seule ayant été bâtie pour l'usage qu'elle remplit. Elle se compose: i.°de deux grands dortoirs, pouvant contenir cha- cun cent malades , destinés , l'un aux convales- centes et l'autre aux monomaniaques tranquil- les 52." de plusieurs petits dortoirs conte- nant dix ou quinze lits chacun, qui servent à loger des malades paisibles, qui ont besoin de vivre loin du tumulte 35.° enfin, d'un grand nombre de loges a un ou deux lits , pour les aliénées furieuses , sans raison , à hallucina- tions incommodes, ou pour celles dont le ca- ractère querelleur , ne peut supporter de com- pagne. Ces habitations , construites au rez-de- chaussée, excepté le dortoir des monomaniaques, qui l'est au premier, circonscrivent des cours plus ou moins spacieuses , la plupart plantées d'arbres , toutes pourvues de fontaines qui don- nent de l'eau en abondance , et dont quelques- unes sont fermées par des grilles . Les dortoirs ont des fenêtres nombreuses, larges, mais grillées avec un reseau de fil-de-fer , pour empêcher des accidens. Les loges , adossées les unes aux autres, par trois cotés , ont une porte et une petite fe- nêtre, taillées sur le quatrième resté seul libre:


D E L A F O L I E. 37 1

les lits des loges , sont solidement fixés dans le mur.

Une salle de bains est disposée dans l'emploi ', les baignoires sont pourvues d'un couvercle en bois , échancré pour recevoir le col et em- pêcher la tête de plonger dans l'eau , et d'au- tant de tuyaux propres à donner des douches.

Un vaste jardin est destiné à la promenade des aliénées tranquilles, et un atelier pour re- cevoir celles qui veulent travailler.

Ledortoir des convalescentes, une cour grillée et quelques chambres à un ou deux lits , con- tiennent les malades en traitement ; les incu- rables occupent le reste de l'établissement. Les unes et les autres ne sont pas séparées sous ce rapport.

Si l'on construisait à neuf un pareil établisse* ment , pour éviter quelques inconveniens que présente celui de la Sa Ipétrière, il faudrait , 1.° ne jamais bâtir les habitations des aliénées qu'au rez-de-chaussée; 2.° ne point faire de grands dortoirs : rarement un grand nombre de malades sont tranquilles ou peuvent se souffrir) un seul suffit pour troubler le repos de tous pendant la nuit ; 3.° séparer entièrement les incurables des malades en traitement -, 4.° avoir un quartier éloigné pour les furieux ; 5.° sé- parer les bàtimens par de grands espaces , soit


272 TRAITEMENT

cours OU jardins ; 6.° faire en sorte que les loges ne soient adossées que de deux côtés , et qu'une large fenêtre puisse être pratiquée dans le mur opposé a la porte 3 7.° enfin , avoir un réfectoire général pour tous les aliénés paisi- bles qui viendraient en commun prendre \e\it nourriture.

Cet établissement, malgré les défauts qu'il présente, est encore l'un des meilleurs, ou peut-être le meilleur de l'Europe. Déjà par les soins de M. Desportes, il a subi de nombreuses améliorations 5 et si cet administrateur philan- thrope , met a exécution les projets qu'il a de l'agrandir et de l'embellir, il restera peu de choses à désirer.

Les personnes qui voudraient plus de détails sur ce sujet , peuvent consulter l'article Hos- pice d'Aliénés, de M. Esquirol, inséré dans le Dictionnaire des Sciences Médicales , et sur- tout l'ouvrage que ce médecin doit publier in- cessamment sur le même objet.

Une pareille maison doit avoir un règlement, une hiérarchie de pouvoirs , en rapport avec Jes personnes qu'elle renferme -, des insensés ne peuvent être gouvernés comme des êtres raisonnables. Ce sont des enfans souvent fort indociles que l'on conduit d'autant plus difficilement; que dans leur déraison, ils ont la


D E L A FO L I E, 275

prétention de se bien porter et croyent que l'in- justice préside à la conduite qu'on tient envers eux , si on les contrarie. Pour avoir des idées positives sur cet objet, jettons encore les yeux,, sur ce qui se pratique a la Salpétrière.

Les médecin est le directeur de l'emploi ; rieu ne s'y fait sans ses ordres, et que d'après ses. ordres. Il est averti des mutations faites , des cor- rections infligées, etc. Toutes les réclamation^ des parens. ou des malades s'adressent à lui»

Une première surveillante , extrêmement douce et bonne , très-conciliante , ferme dans l'occasion , généralement aimée de tout ce qui a de la maison , respectée même par la plupart, des furieuses , a ladirectioii des employées in- férieures. Elle est chargée de voir si tout se passe dans l'ordre , si chacun est k son poste ,, si les malades sont traitées avec humanité ,. reçoivent leurs alimens ou médicamens, et d^ se plaindre au médecin de ce qu'il arrive, d'inconvenant sous tous ces rapports.

Plusieurs sous -surveillantes , chacune à la tête d'une sous-section , et un grand nombre de filles de service, sont destinées à donner leur^ soins aux aliénées. Ces filles sont prises parmi les convalescentes qui veulent ainsi se faire un état. Cette mesure est extrêmement avanta- geuse 3 c'est assurer l'existence a des femmes

18


^7^ TRAITE M EI^T

q|ui auraient pu , sortant sans savoir comment faire pour vivre , avoir une rechute , et qui ayant été dans le même état que celles qu'elles soignent, leur portent beaucoup plus d'intérêt, connaissent souvent ce qui peut les agiter ou les tourmenter , et la nianière de les conduire et de les satisfaire.

11 est rare que dans une réunion de gens privés , en tout ou en partie, de la raison , le bon ordre règne constamment. Les unes se querel* lent , se disputent j d'autres se battent , quel- ques-unes sont mécliantes et font souffrir les timides , etc. H faut arrêter ces disputes , ces Voies de fait, séparer , punir les coupables. Le médecin et la première surveillante devant tou- jours avoir la confiance générale , être aimés de tout le monde , ne peuvent se charger du roie de répresseurs. Une sous -surveillante occupe plus particulièrement ce poste. La nature de ses fonctions, l'habitude de les remplir, lui donnent une dureté d'expression dans la phy- sionomie et la parole , qui fait trembler les ma- lades, seulement en la voyant passer ou en l'en- tendant parler. Elle vient promptement à bout de rappeler a l'ordre celles qui s'en écartent , de séparer les querelleurs , les combattans , de faire renfermer les plus furieuses.

l;e gouvernement des fous doit être absolu ;


DELA FOLIE. 275

toutes les questions doivent être décidées sans appel par le médecin , qui pourra, si les de- mandes, réclamations des malades devenaient trop importunes , leur opposer* le règlement de la maison. S'il existait plusieurs autorités ri- vales , jalouses du pouvoir , elles ne seraient que rarement d'accord, et ne manqueraient pas de favoriser la désobéissance d'un coté ou d'un, autre. On doit se garder de reprendre les em- ployés, publiquement, de leurs fautes j les malades s'en prévaudraient, pour résister da- vantage, mépriser les ordres de ces employés. On cherchera à gagner la confiance des ma- lades , en les traitant avec douceur , à leur per- suader qu'on ne leur veut point de mal , qu'on n'est pour rien dans la mesure qui les a fait renfermer j car , ne se croyant pas malades , ils se recrient fortement contre ce qu'ils appellent une telle injustice. Il faut , sur-tout , se garder de les tromper et de ne point leur tenir les promesses qu'on leur a faites, soit de punitions, soit de récompenses , de se tirer d'affaire avec eux par des faux-fuyans , en ne faisant point une réponse positive quelconque, à leurs questions.

On a imaginé une foule de moyens pour contenir les aliénés furieux. A la Salpétrière, on ne se sert que d'un gilet de force , qui a

18.,


■^n'6 TRÀITEMEI^'T

toujours suffi. C'est une espèce de camisole en toile très- forte qu'on lace par derrière , et dont les manches assez longues, se terminent par un cordon très-fort qui sert a arrêter les bras croisés autour du corps , à fixer le malade dans quelque endroit , si on le juge convenable; le plus souvent on le laisse libre de se promener. Le tranquilliser de Rusch me paraît cependant très-avantageux dans quelques cas. C'est un fauteuil garni de courroies propres à iixer les bras , les jambes , le corps , et même la tête. Autrefois on chargeait ces malheureux de chaînes, on les laissait pourrir dans des cachots infects j loin de calmer ainsi l'agitation, on l'augmentait de beaucoup. Aujourd'hui, on n'emploie de contrainte , que tout juste pour prévenir les accidens qui pourraient résulter d'une trop grande liberté d'action.

Pour réprimer un aliéné furieux , qui com- met des actions repréhensibles, et menace d'em- ployer la force plutôt que de se rendre , il faut lui en imposer a l'instant paf le concours- d'un grand nombre de serviteurs , et sur-tout avancer sur lui sans hésiter et sans paraîti'e craindre , ou même douter qu'il puisse vouloir résister ; le plus souvent il n'oppose aucune ré- sistance. A la S^lpétrière , dans des cas pareils j


DELA FOLIE. t^f

on entoure subitement ïa tête de la malade d'un tablier ; étourdie du coup , ne voyant plus pour se défendre , pour frapper, elle cède avec beaucoup de facilité.

Si on doit employer la douceur pour cal- mer, contenir les aliénés, cependant , lorsqu'ils ne veulent point obéir, il faut les y contraindre par quelques moyens de répression ; s'ils com- mettent des actes répréhensibles , on les en pu* hira sur-le-cbamp. il en est de turbulens , qui agissent ainsi avec connaissance de cause, mé-^ cbamment -, on devra être plus rigoui'eux à leur égard. Aujourd'hui, pour remplir ce but, on n'emploie plus que des moyens avoués par rbumanité. Un cbangement d'habitation , quel^ que temps de séjour dans les cours grillées, le gilet de force, la douche, la réclusion de plu-^ sieurs heures ou d'un jour dans une loge , sont les seuls mis en usage dans la maison. On se garde sur-tout d'avoir recours aux coups ni à aucun mauvais triaitement.

On remarque qu'en général le§ hommes se soumettent plus facilement à des animes , et sur-tout les femmes à des hommes. Cela tient , je pense, à ce que l'idée d'un sexe opposé excite toujours agréablement, permet ou fait faire très-souvent de grands sacrifices j et qu'eu général les femmes n'ayant pas très -bonne opinion de leur sexe , prêtent promptement a


270 TRAITEMENT

des gouvernantes, qui leur déplaisent presque toujours > les vices les plus honteux.

2.'^ Education Médicale.

Jusqu'ici nous n'avons clierclié à agir sur Fintelligence des aliénés qu'indirectement , qu'extérieurement et tout-a-fait par les sens, en les abandonnant, pour ainsi dire, a leurspro- pres forces- Maintenant nous allons cultiver leur esprit, lui redonner, lui rendre, par une éducation nouvelle et en faisant disparaître les inégalités d'idées, de penchans ou d'affections qui le déparent ^ Fharnionie qu'il avait aupa- ravant. Ce n'est pas une tâche facile a remplir que celle de médecin de l'âme : à une connais' sance approfondie de tous les replis du cœur humain, aussi indispensable que celle de la physiologie en général pour le reste de la pa- thologie, il faut joindre une grande habitude de voir les malades , pour saisir les motifs de leurs actions , le temps, l'instant, l'occasion d'agir favorablement et avec succès sur leur esprit , sans se tromper de route pour y arri- ver. Le médecin ne doit pas seulement se mettre à même d'exercer de telles fonctions ; tous ses subordonnés doivent faire partie de lui-même, le seconder en sa présence, le sup-


BE LA FOLIE. ^279

pléer en son absence , faire continuellement ce qu'il ne peut faire que plus rarement.

L^éducatlon médicale ne peut être mise en usage dans toutes les périodes , dans toutes les les formes du délire. Ce n'est que lorsque , par l'isolement et l'administration de moyens ra- tionnels , on a diminué l'irritation générale et cérébrale , lorsque les idées ont perdu de leur iixité , de leur ténacité , que le cerveau est de- venu capable de recevoir, d'apprécier des im- pressions nouvelles ^ qu'on devra espérer d'eu retirer du succès. Ce serait bien en vain que vous vous adresseriez aux aliénés dans la période d'excitation ou dans un état conti- nuel de fureur-, ils seraient insensibles. Le&mo- nomaiîiaques vous comprendront plus promp-^ tement , seront plus vite en état de faire quel- ques actes de raison. Les maniaques doivent, pour ainsi dire , passer par cette forme de dé- lire pour arriver au. même point. Enfin , les aliénés stupides recouvrent ordinairement, pres-^ que subitement , l'exercice de leurs facultés.

La nature simple ou compliquée des impres-^ sions qu'on veut produire, l'ordre des facultés sur lesquelles on veut agir,^ offrent aussi , sous ce rapport, d'importantes considérations. Plus- les moyens d'éducation seront simples , à la portée du malade , familiarisés avec son esprit 3,


sSô TRAITE M EïîT

moins ih d«émanderont de force de combinai- son intellectuelle, et plus tôt ils pourront être mis en usage avec fruit. Le travail manuel, agreste , quelques objets réoréatlfs, remplissent a--peu-près ces conditions. Ceux aussi qui ten- dront a agir sur les pencbans , les affections , produiront des effets plus tôt et plus facilement, que ceux destinés à modifier les autres facultés de l'intelligence -, il esl; bien plus facile de sentir que d'exprimer le résultat des sensa- tions , que de raisonner- un fou pourra mani- fester le désir de voir ses proclies, ses enfans, ses amis , éprouvera le sentiment de la honte, du plaisir ou de la tristesse , long-temps avant d'être à même de vous donner le motif de ses actions, de soutenir le moindre raisonnement.

Je vais exposer les principes qu'on doit sui- vre et les moyens généraux qu'on peut em- ployer pour s'y conformer, sans entrer dans des détails de circonstance, individuels , si va- riés , que c'est au médecin a s'y attendre, et a se conduire alors comme il le jugera convenable, et d'après ces mêmes principes.

1 er Principe. Ne jamais exercer l'esprit des aliénés dans le sens de leur délire. Agir autre- ment , ce serait absolument comme si on cul- tivait une brancbe ^parasite, au lieu de la retran- cher , laquelle finirait par envalhir tous les sucs


D E L A. F OLI E. 281

nourriciers de l'arbre. Si tous laisser le dévot siaivre tous les écarts qu'un zèle scrupuleux lui suggère , l'ambitieux qui se croit roi , se com- plaire dans l'idée de supériorité , de comman- dement, ou de domination , tous les rendrez inévkablement incurables. On croit générale- ment qu'il faut unir la folle par amour à l'ob- jet de tous ses vœux-, c'est une faute : on aurait pu prévenir la maladie en la mariant, mais une fois déclarée, ce moyen , loin d'être favo- rable , pourrait devenir tout-a-fait contraire , augmenter le délire-, il arrive souvent alors que l'amant n'est plus qu'un perfide : il faut le faire oublier. Croyez -vous qu'une nouvelle Messaline recouvrerait la raison en satisfaisant ses impudiques désirs ? Loin de la , les résul- tats seraient contraires a vos espérances; l'une n'en serait que plus éloignée et les autres plus impérieux. Un excès d'épuisement serait promp- tement inévitable. D'ailleurs, n'est-ce pas un précepte de thérapeutique générale , appli- cable aux désordres des facultés intellectuelles, de »e point exercer une partie malade trop excitée ?

jl me Pri]\ïcïpe. Ne jamais attaquer de fronts ouvertement les idées , les affections et lespen- chmis exaltés des fous. Les aliénés ne se croient pas malades j et le jour où on peut leur persua-


2'83 TRA.ITEMENT

der qu'en effet ils le sont, leur guérison n'est | pas élQignée. Ils croient leurs discours et leurs ^ actioriS pleins de sens et de raison ) rien au monde ne peut les en dissuader. Dites à un dé- vot qu'il croit a des erreurs, il se cabre , TOUS ariatîiématise , vous fuit , et ne vous ac- cordera jamais sa confiance ', a un prétendu roi, qu'il ne l'est pas; il vous répondra par des invectives : à un autre qui se croit aban- donné de tout le monde, indigne de vivre, que ses parens , ses amis le chérissent toujours , iï n'en croira pas un mot -, k un halluciné , que les fantômes qu'il croit voir , les voix qui lui parlent, sont des êtres imaginaires , et vous ne le convaincrez nullement. Bien plus , en agis- sant ainsi , non-seulement vous ne gagnez point la confiance de vos malades , ou vous la perdez , mais vous les rendez plus opiniâtres dans leurs opinions •, vous les obligez de chercher les moyens de les soutenir , de même qu'on aiguise ses armes pour se préparer au combat. Une telle conduite aurait pour résultat inévitable, ou d'éloigner beaucoup la guérison , ou de la ren- dre impossible.

Ce n'est que lorsque la raison a repris en grande partie son empire , lorsque le malade «ait apprécier la plupart de ses erreurs passées ^ qu'on peut , sans ci^ainle et avec espoir de suc-


DE LiV FOLIE. 285

ces , chercher à détruire directement par le raisonnement , le peu d'idées fausses qui peu- vent persister. Une femme s'est crue enceinte , devant savoir ne point l'être; mais elle est arri- vée au point de bien concevoir qu'elle est dans la maison depuis dix ou douze mois , qu'elle n'a pas vu d'hommes , que ses règles revien- nent ; on peut alors lui faire voir tout le ridi- cule d'une pareille idée. ,

jU ma Prijxcipe, qui n'est que la conséquence des deux précédens. Faire naître , par des im- pressions diverses y des idées nouvelles f des onctions f des commotions morales , réveiller ainsi des facultés ïnactives , lesquelles auront pour objet, i.° d'occuper l'espritdumaladed'un autre côté , et lui faire oublier les idées dérai- sonnables. Nous produirons ces effets en agissant sur les facultés intellectuelles , par le travail manuel , agreste , les objets de récréation , etc. 2.° De contrebalancer et de détruire enfin, par leur opposition , les idées dominantes. Je veux plus particulièrement indiquer ici l'action des passions ', si elles deviennent souvciit des causes de folie, on peut aussi les faire servir à la gué- rison. Plus elles agissent puissamment sur le moral, et plus elles pourront, heureusement dirigées , faire une puissante diversion aux id^pes douiinaiites. 3,° De donner des motifs pour


2S4 TRAITEMENT

combattre les idées vicieuses. Au lieu , P^r exemple , de refuser a un aliéné la qualité de roi qu'il prétend avoir , prouvez-lui qu'il est sans puissance ; que vous , qui n'êtes rien moins que cela , pouvez tout sur lui ; il rétiéchira petit-ètre. qu'en efïet il pourrait bien se faire qu'il fut dans l'erreur. Ne dites point a des hallucinés , qu'ils n'entendent rien j mais entrez avec eux. dans le lieu d'où partent les voix , le bruit qui les obsède j renouvelez souvent cet expédient, et peut-être en retirerez-vous quel qu'effet j rarement cepen- dant il en produit de bien positifs. Un aliéné se croit entouré d'ennemis , est effrayé de tout ; mettez à côté de lui un serviteur, faites-le cou- clK;r dans sa chambre, et vous pourrez finir par le rassurer. 4.'* D'exciter l'action cérébrale des aliénés stupides, de certains lypemaniaques , d'émouv<ïir fortement , de rompre la chaîne des idéies vicieuses. Telles agissent quelquefois certaines affections vives de l'âme, suscitées k propos. Le sentiment de la honte , d'une sur- prise extrême, d'une joie subite , etc. , ont, dans certains cas , rétabli presque subitement l'har- monie intellectuelle ; il m'est souvent arrivé de chercher à faire apprécier à des aliénées leur situation , la nature de leurs vétemens , l'éloi- gnement de tout ce qu'elles avaient de cher ^ ieur coupable indifférence pour leurs parens ,


DE LA. FOLIE. 285

etc. Si un silence marqué , un écoulement de larmes survenaient , c'était un très-bon signe, M.'"^ M , stupide depuis près d'une an- née > était dans un état complet d'indifférence sur son sort et celui de sa famille ; tous les ma- tins, pendant près de quinze jours ^ je Texcitai ainsi avec succès , et la convalescence se dé- clara peu de temps après.

Voilà les effets que nous nous proposons dé produire sur le moral des aliénés ; voyons maintenant par quels moyens nous y arriverons. Ils consistent à-peu-près tous dans les conver- sations, les conseils du médecin, la société des aliénés convalescens , le travail manuel, agreste, les objets récréatifs , la vue des parens ou amis y dans la diminution , puis la cessation d© l'isolement, dans les voyages.

Le médecin, chef suprême de l'établissement, îçxerce une très -grande inlluence sur l'esprit des malades ; ceux qui sont encore privés de leur raison , apprennent bientôt que tout dé- pend de lui , qu'il faut l'écouter, lui obéir pour çn obtenir quelque chose ', et ceux dont la tête commence à revenir , qui conçoivent en partie leur maladie , il leur assurera facilement la confiance d'une guérison prochaine , leur re- donnera de l'espoir ; ils prendront alors tous les remèdes convenables , que jusqu'ici ils


a86 T R À I T E M E N T

avaient refusés. Un moyen qui réussit assez souvent pour prendre de l'ascendant sur cer- tains malades dès la première visite , résulte de l'information que l'on a , sans qu'ils s'en doutent , de toute leur conduite passée ; après les avoir fixés quelque temps , vous leur dites d'un ton prophétique : « vous avez de funestes desseins j vous cLercliez a vous détruire -, vous vous êtes mal conduit chez vous ; vous n'aimez plusvotre mari, vous repoussez vos enfans, etc » Etonnés de pareilles prédictions et du talent de celui qui les fait, ils confessent ordinairement la vérité , conviennent qu'ils ont eu quelques accès de /lèvre chaude , ce qui les familiarise avec l'idée de les traiter , et vous accordent promptement leur confiance. J'ai vu des résul-„ tats extrêmement heureux de ce pouvoir sur l'imagination des aliénés, Une jeune personne sortie depuis un mois de la Salpétrière , en très bon état, revient, le cœur gros, le déses- poir dans l'ame , consulter sur quelques incom- modités, qu'elle craint d'être le prélude d'une rechute -, en effet , c'était ainsi qu'avait débuté sa maladie. Après l'avoir consolée, M. Esquirol écrit au bas d'une consultation : Je réponds de

la guérison de mademoiselle Convaincue

que ce médecin ne voudrait pas compromettre sa réputation , en assurant si positivement, ce


DE XA FOLIE,, 387

dont il ne serait pas certain , elle reprit espoir, et dès -lors tous les accidens disparurent.

Le médecin exerce aussi un très-grand pou- voir sur les aliénées , en sa qualité d'homme. Il en est qui se soumettent a faire tous les sa- crifices qu'il reclame , écoutent ses conseils et les suivent , par cela seul? qu'il leur plait. Voila pourquoi on pense qu'en général , il est con- venable qu'il soit plutôt bien que mal , que sur-tout il n'ait pas de défauts physiques trop marqués , qui prêtent k la dérision.

Le médecin ne se contentera pas de voir les malades à une visite du matin -, il doit être sans cesse au milieu d'eux , étudier les motifs de leurs actions , les variations de leur caractère , les reprendre , voir s'ils exécutent les promesses qu'ils ont faites de manger , être tranquilles , travailler, etc.

Piien n'est plus favorable pour accélérer îa guérison , que les réunions d'aliénés plus ou moins convalescens. Ils sont d'autant plus con- fians entr'eux, qu'ils ont tous un intérêt com- mun , celui de sortir le plus tôt possible pour rentrer au sein de leurs familles ; qu'ils n'ont point à se défier d'anciens gardiens, qui, ayant pu les mécontenter, pourr-aient encore les tromper. Ils se servent mutuellement d'exemples ; tel qui sort aujourd'hui^ prouve a tous les autres


288 TRAITEMENT

que la mênae faveur leur sera accordée, quand ils seront guéris comme lui. Ils se donnent de^ secours , des conseils affectueux ; il arrive sou- vent qu'un aliène' bien portant,, en adopte un autre, prend à cœur de le distraire , de le ra- mener a. la raison , lui redonne de Fespoir , en se montrant à lui comme ayant été dans des conditions bien moins favorables j ces soins désintéressés, ces conversations eiitr'infortunes, sont d'une utilité si remarquable danSi le trai- tement de la folie, qu'on doit,, je pense, en grande partie attribuer le peu de succès qu'on obtient dans l'isolement particulier , à ce qu'a- lors il est impossible de les remp lacer -

Pour se procurer ces avantages, dans les asiles généraux, tout est distribué de manière k éviter la solitude. Un atelier, un jardin, un réfectoii^e communs , fournissent de nombreuses oecasious de contact. Ayez cependant soin d'éviter le rapprochement de malades trop tristes , déses- pérés, avec penchant au suicide^ ils se perdront. Divisez-les, coniiez-les a d'autres plus rassurés, plus gais.

Un travail plus corporel qu'intellectuel , a été conseillé par tous les auteurs , et notaïu- ment par M. Pinel , comme un des principaux moyens de traitement. C'est en effet, non-seu- lement un bon signe;, que le retour au désir de


DE LA. FOLIE. 289

s'occuper, mais le corps ainsi exercé, tout en. se fortifiant , détourne rattention trop fixée de certains aliénés y fixe au contraire celle des autres , habitue l'esprit à former des combinai- sons d'abord simples , combat ainsi le délire sans violence. A la Salpétrière , des ouvrages de couture et de tricot , sont k la disposition des malades , qui en retirent une légère rétri- bution ; ou les engage , paf tous les moyens possibles, à s'occuper ; c'est une condition im- posée pour obtenir des faveurs , pour pas- ser aux convalescentes , voir sa famille , sor- tir de la maison, etc. On en obtient de très- bons eïTets. Pour les hommes , on pourrait mettre a leur portée , dés travaux anàl0gues k leur genre de vie. La culture des champs , l'exercice de certains métiers , rempliraient parfaitement le méuie but.

Mais il est impossible de mettre en usage de pareils moyens dans les classes élevées •, une grande dame rie voudra pas exercer ses doigts , ni un hotnme habitué k ne rien faire, se fatiguer le corps. C'est certainement un malheur j il faudra tâcherd'obvierk cet inconvénient, par des occu- pations plus analogues k l'état des personnes , tels que des jeux d'adresse , de billard, de bagues , l'exercice de talens acquis , du chant , de la pein- ture , le jeu ti'instrumens de musique. M. Esqui-

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2gO TRAITEMENT

roi n'a retii^é aucuns bous effets des spectacles, des coacerts , comme moyens de distraction. Les premiers ont souvent prêté a des allusions fâ- chviuses^ et les seconds, fort indisposé des ma- lades qui croyaient qu'on se jouait de leur in- fortune. Cependant , je pense qu'a une époque très-avancée de la convalescence , ils pourraient récréer , agréablement l'esprit et opérer une utile diversion. La lecture ne doit non plus être permise que fort tard , et avec discerne- ment, il faut sur-tout prendre garde que \^ malade n'y trouve des opinions , des situations qui puissent l'inquiéter, augmenter son délire. On pourra quelquefois permettre l'étude de quelque branche d' histoire naturelle, de la bo- tanique, par exemple. , >

Toute maison d'aliénés , doit renfermer de grands jardins , de vastes enclos , pour servir de promenade. Que ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas travailler , puissent au moins marcher : les furieux même , contenus avec le gilet de force , doivent être laissés libres de courir , dans des enclos séparés -, rien n'aug- mente la fureur comme le repos forcé. Quils dépensent l'excès de vie qui semble agiter tout l'organisme : le corps ainsi fatigue, l'esprit p us ou moins distrait, amèneront .du repos pour la nuit, de l'abattement, sinon du sommeil.


DE LA FOLIE. 29I

Les personnes riches , trouvent un puissant moyen de distraction dans les voyages. Des ob- jets toujours nouveaux , procurent des sensa- tions agréables, toujours variées. En même temps l'organisme se fortifie, le cerveau affaibli, reprend son énergie. Je conseillerai a toute personne qui le peut, de consolider ainsi sa guérison.

La cessation de l'isolement , par les vi- sites des parens ou amis , nous mettra à même de produire des impressions très -importantes sur le moral des aliénés. Ce ne sont pas des considérations indifférentes , que l'époque de ces entrevues et la manière de les opérer. En général, on ne doit les accorder que lorsque les malades désirent eux-mêmes voir leurs parens, qu'ils les demandent depuis quelque temps. 11 faut aussi , pour prévenir des effets qui pour- raient être dangereux, annoncer d'avance au malade , le jour de la première visile , le nom des personnes qu'il verra. SM est raisonnable, se plaît avec elles sans vouloir les suivre et s'en aller, on pourra rapprocher la seconde et les suivantes. Ces conversations de famille, le ra- mèneront à ses anciennes affections , lui feront faire des efforts pour hâter sa guérison , afin d'en jouir plus à son aise ; la mère désirera soi- gner ses enfans , la femme retourner à son

iO..


- 2g2 TR A.ITEMENT

ménage. Mais tant que les malades ne deman- dent pointa revoir leurs parens, il serait a-peu- près inutile , sinon nuisible , de les amener en leur présence j ou ils ne voudraient pas les reconnaître , et ne leur parleraient pas , ou bien ils les invectiveraient. Cependant , dans certains cas d'indifférence prolongée , d'insen- sibilité morale , on pourrait , par ce moyen , susciter une affection vive de surprise , une commotion mentale qui réveillerait le cerveau , le rappellerait a son action ordinaire j il faudrait alors que l'entrevue fût inopinée.

Enfin, on ne doit pas oublier qu'il est des règles à observer , dans la convalescence de l'intelligence , comme dans celle des autres fonctions , et de même qu'on donne k un es- tomac qui commence à se rétablir, les alimens les plus légers et en petite quantité , de même aussi , il faut ménager le cerveau en voie de guérison , ne point l'exposer a des affections m^orales trop vives et trop subites , se garder de le fatiguer par des combinaisons d'esprit trop profondes , un travail trop soutenu, etc. , Et encore après le parfait rétablissement des fa- cultés intellectuelles , les causes de la maladie ayant pris naissance dans l'exercice même de ces facultés, qu'on se souvienne toujours que leur source ne cesse pas d'exister, et qu'il fatit


DE LÀ FOLÎE. ^95

soigneusement éviter toutes les circonstances , toutes les occasions qui pourraient les rappeler. Un principe général de thérapeutique très- important , et que je dois rappeler ici d'une manière spéciale , parce qu'il est trop souvent oublié, violé dans le traitement moral de la folie , est celui qui établit qu'une fonction doit rester en repos , être exercée le moins possible , lorsque l'organe qui en est chargé est dans un état d'irritation. Que dirait-on, par exemple , du médecin qui ordonnerait de faire courir un goutteux ou un rhumatisant, respirer, à grande haleine , un air glacé à un péripneumonique *, qui ferait donner abondamment k boire et à manger , à l'individu atteint d'une gastrite ? Qu'il est un insensé , et que de la sorte il aug- mentera au dernier degré les accidens déjà existans. Ne font-ils pas la même chose , ceux qui se plaisent a tourmenter un aliéné , en l'ex- citant continuellement sur l'objet de son délire , et le contrarient sans cesse , en voulant lui fdé- m^outrer, par le raisonnement, qu'il est dans l'erreur ? Voyez , en effet, ce qui résulte de ces divertissemens cruels : un redoublement d'ac- tivité cérébrale , des efforts pour sortir de la lutte , de la colère ou de la fureur , avec tous les phénomènes qui accompagnent cet état, tels que U transport du sang vers les parties supérieu-


2q4; traitement .

res , la rougeur, 1 1 chaleur de la face et du crâne , des b^tteiiicns frequens et forts des artères , etc. j et croit-Oii que par la on n'augmente pas l'ir- ritation de l'organe intellectuel? On n'a qu'à se reporter a Tétat de l'esprit chez une per- sonne raisonnable qui vient d'éprouver quel- qu'atfdctioa vive de l'âme , un accès de colère, et on sera bientôt convaincu de la vérité de cette assertion. Heureusement, qu'aujourd'hui en France, on ne fait plus voir ces infortunés au public , comme des bétes curieuses. 11 est vrai qu'il n'y a pas long -temps que cette mesure a été prise dans tous les hôpitaux de Province : j'en esterais un , vs'il n'était trop près de mou pays natiil , où cet usage barbare existait en- core il y a quelques années. On m'a assuré qu'en Angleterre il n'est pas encore aboli , même dans lesétablissemens les plus marquans*, j'ai p *ine à croire qu'une nation aussi éclairée, chez qui l'étude de la folie a fait tant de pro- grès , fasse encore un spectacle de ce malheu- reux état de l'inteiligence humaine.

§. II. Traitement cérébral indirect ou rationnel.

Il n'y a pas bien longtemps qu'il eût été ab- suriedj qualifier ainsi l'emploi des moyens mé- dicamenteux) lorsque leplusaveugîe empirisme


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présidait à leur administration , qu'ils étaient donnés sans distinction de cas , de personnes , d'âge, de sexe, de périodes, etc., qu'ainsi on saignait les maniaques jusqu'à extinction, et qu'on purgeait de même les mélancoliques, que des remèdes secrets, de prétendus spécifiques devaient guérir tous les malades , certes ils n'é- taient rien moins qu'employés rationnellement. Et comment en eût-il été autrement? puisqu'on avait mis la folie hors des lois de la patho- logie , pouvait-on consulter les principes de la thérapeutique pour la guérir? Les médecins qui en plaçaient le siège dans le sang, la bile ou l'atrabile , saignaient ou purgeaient.

M. Pinel, le premier en France, on pourrait dire en Europe , jeta les fondemens d'un trai- tement vraiment rationnel, en rangeant la folie au nombre des autres affections organiques ; il rendit hommage à la force médicatrice de la na- ture, en débarrassant la marche de la maladie , de cette foule de remèdes disparates ou opposés, qui ne tendaient qu'à l'entraver, à la pervertir, et en réservant une conduite active pour les seuls cas qui rindicjuassent positivement. C'est, sans contredit , à une méthode aussi philosophi- que que sont dus, en partie, le grand nombre de succès obtenus par ce professeur et par M. Es- quirol , tant à la Salpétricre que dans leur pra- tique particulière.


^^6 TRAITEMENT

Cependant, l'œuvre si bien commencée par ce grand maître , n'a point été continuée avec tout le succès désirable , sans doute à cause de l'obscurité qui a toujours régné sur la na- ture et le siège du mal. La plupart des auteurs qui se sont occupés de cet objet , au lieu de tracer des règles de conduite bien motivées sur l'état organique, nous ont donné une espèce de traité de matière médicale, en passant en revue toutes les classes , tous les genres de remèdes , pour y chercher des moyens de guérison. Et pourtant n'estil pas bien pi us important de déter- miner les indications qui se présentent, que de connaître tous les moyens qui peuvent les rem- plir ? d'ailleurs, la première connaissance ne con- duit elle pas nécessairement a la seconde? quand par l'observation d'une grande difficulté de res- pirer, d'une douleur profonde de poitrine, d'un pouls dur et plein , de la soif , j'aurai établi la nécessité de la méthode antiphlogistique et dé- bilitante , rien ne sera plus facile que d'arriver à mon but.

J'ouvre, pour confirmer ce que j'avance, le Traité du Délire , plein d'érudition , mais fort peu pratique, de M. Fodéré(i), publié en 1817.

Le chapitre du traitement médical consiste

(1) Tome II , page 388 , SSg, Sgo et Sgi.


DE LA. FOLIE. 2gn

dans une longue description générale et spéciale des moyens qu'il appelle i." régulateurs , sé- datifs et caïmans ; 2." révulsifs ; 5." éçacuarts des matières morhifîques ou produites par la maladie; ^° antispasmodiques , toniques , anti- périodiques ; 5." provocateurs de la fièvre ; 6.° révulsifs , perturbateurs internes , pur- gatifs drastiques , antimoniauoc , mercuriaux , etc. ; '^.'^ perturbateurs externes, submersion , chutes , etc. Une foule de remèdes fournis par le hasard , ou essayés sans sujet , y sont préco- nisésd'après des succès uniques, <jui peuvent être dus à toute autre cause-, quelques-uns sont tirés de faits fort singuliers : ainsi , l'auteur propose l'asphyxie par submersion ou pendaison , les chutes de haut , parce que « Un marchand de Londres se pend de désespoir ; la corde est coupée a temps, il est rappelé à la vie et ne veut plus recommencer. — Une femme se fait la même opération , sans le même succès •, mais j'ai appris, dit-il, que l'asphyxie n'avait pas été complète , les pulsations du coeur n'ayant cessé de se faire sentir. — Une jeune fille , maniaque , se jette de trente pieds de haut et est guérie. — Une jeune personne tombe sur le front et re- couvre la raison , etc. » Ce qui est plus surpre- nant, c'est que tous ces moyens ont toujours produit des effets presque miraculeux, et n'ont


298 TRAITEMENT

jamais été, du moins au dire des auteurs qui en sont les proneiirs , suivis de non-succès. Les uns ont guéri tous les fous avec l'émétique a haute dose , d'autres avec le vinaigre radical , etc. Comment ne pas croire , après avoir par- couru i'iîistoire de tous ces remèdes , qu'aucun cas ne dût être incurable?

Sans doute que pour e'tablir des règles ra- tionnelles de tr-îilement , il existe de grandes difficultés à vaincre , de grands obstacles à sur- monter : mais pourquoi se les dissimuler , pour- quoi voiler son ignorance par une apparence de certitude , un vain étalage de préceptes sans principes ? INe vaut -il pas beaucoup mieux , quand nous sommes obligés d'agir empirique- ment , le dire tout simplement ^ sans cher- chera nous en défendre, ce sera mettre à même, non - seulement d'éclaircir les points encore obscurs pour nous , mais d'éviter de grandes erreurs en pratique. Des moyens actifs . incon- nus dans leur action sur l'organisme , peuvent n'avoir que peu d'inconvéniens entre les mains de l'homme instruit ; mais combien de méde- cins imprévoyans pourront en abuser !

Ce qui embarrassera long temps , ce qui em- pêchera peut-être pour toujours qu'on ait une connaissance parfaite du mode d'altération du cerveau dans la folie , et des moyens qui con-


DE LÀ FOLIE. 299

viennent pour y remédier, c'est i.** que nous ne pouvons apprécier les changemens qu'il pré- sentera dans ses attributs physiques , nos sens ne pouvant pénétrer ses enveloppes , la folie n'étant pas mortelle, et ces changv^mens, d'ail- leurs, étant si peu perceptibles qu'il nous échap- pent. 2.° Qu'il nous sera quelquefois difficile ou même impossible d'établir des rapports bien précis entre les symptômes sympathiques ou locaux , et la nature de l'affection organique qui les produit , ceile-ci ne pouvant , dans la plupart des cas , être assimilée , et dans beau- coup même, être comparée, à d'autres états pa- thologiques bien connus du cerveau ; nous ne reconnaîtrons ni inflammations , ni hydropi- sies , etc. , c'est une lésion toute particulière quireste adétermuier. 3.° Que l'absence de tout autre symptôme que le délire , que nous ren- contrerons dans des cas , nous forcera ou a ne rien faire ou à agir empiriquement. 4. Que nous ne connaissons point du tout le mode d'ac- tion des médicamens , qui agissent spécialement sur le cerveau. Nous savons que l'opium porte au sommeil , mais nous ignorons comment ', en sorte que nous ne savons pas s'il augmentera ou diminuera un état donné de cet organe , à moins que l'expérience ne nous l'ait appris. 5.° Enfin, nous ne pourrons non plus que difficilement


30O TRAITEMENT

apprécier , calculer , prévoir , soit d'une ma- nière absolue ou relativement aux âges , aux tempéramens , aux cas, etc., les effets sympa- thiques des remèdes dirigés sur la peau , le canal alimentaire ou le système sanguin ) d'où, il suit que nous ne serons jamais bien certains de modifier comme nous le voudrons , l'action du cerveau ; ce qui sera produit dans un cas , pourra ne pas l'être dans un autre , qui paraîtra sem- blable. On conçoit que cet organe , principale source de la sensibilité , étant malade , les au- tres organes doivent être altérés dans leurs propriétés , ne plus être affectés, et ne plus réagir comme dans l'état de santé.

Ainsi donc , difficulté d'établir des indica- tions curatives, difficulté aussi grande de les remplir sûrement , tel est le double écueil contre lequel viendront encore échouer beau- coup d'efforts. Loin de moi la prétention d'avoir de beaucoup avancé la science sur ce point ; il faudra non seulement une expérience longue , mais de nouvelles recherches physiologiques pour y parvenir d'une manière satisfaisante. Un jour, sans doute, M. Esquirol rassemblera les nombreux matériaux qui enrichissent ses cartons , ou qui se trouvent épars dans le Dic- tionnaire des Sciences Médicales , et mettra mieux a même de remplir un pareil objet. Je


DE LA FOLIE. 5oi

crois seulement suivre la seule route qui doive conduire a des résultats heureux , par laquelle on puisse arriver à la connaissance de la vérité. C'est sur -tout ici, que, me défiant de l'expérience d'autrui , je veux me borner à n'exposer que ce dont mes yeux ont été témoins; il ne s'y trou- vera pas de miracles ', mais les miracles ne sont pas faits pour les gens raisonnables. Si je ne donne qu'un petit nombre de règles , au moins elles seront fondées sur l'observation -, rien ne sera dissimulé, tant sur les cas incertains , que sur la conduite empirique qu'on tient quelquefois. Nous ne devons pas sur-tout nous faire illu- sion sur la puissance des médicamens, sur leur utilité dans le plus grand nombre des maladies. Les praticiens de bonne foi, conviendront avec moi , qu'a l'exception d'un petit nombre de cas où l'on ne peut contester leurs effets salutaires, ils ne peuvent nous servir que faiblement à cbanger ou à modifier bien sensiblement la suc- cession des phénomènes , et que le médecin , borné au rôle de spectateur, fait déjà beaucoup pour la guérison, en éloignant les influences qui ont causé les désordres , les circonstances qui pourraient les aggraver , qu'il sera heu- reux s'il peut prévenir , lever les obstacles qui s'opposeraient à une fin heureuse. Combien de iuédicamens ont été vantés pour des vertus que


502 TRAITÉ MENT

leurs auteurs t>euls ont reconnues! Combien d'autres sont donnés pour spécifiques de mala- dies, que ia nature a guéries sans eux ou mal- gré eux .' 11 y a beaucoup à faire sur les pro- priétés des niédicamens, et la première condi- tion puur bien les apprécier , c'est de ne point oublier la force de l'organisme, de lui laisser une bonne part des effets produits , à moins que leur instantanéité n'en indique visiblement la source étrangère. Dans ces derniers temps, M. Fouquier crut trouver dans la noix vo- mique , un remède contre la paralysie, et à la Salpetrière , on n'a pas pu guérir une seule malade avec cette substance ; d'où il ne faut pourtant pas conclure contre les succès de 3M. Fouquier, mais seulement contre les vertus du médicament.

Les maladies présentent des indications cu- ratives différentes , selon que leur marche est simple , franche , régulière, avec ten- dance a une solution favorable a la santé de l'individu ( je ne dis pas seulement de l'or- gane malade), ou entravée , contrariée par des circonstances relatives ii l'âge, au sexe, aux dispositions générales, aux idiosyncrasies , et qui changent l'état maladif , l'éloig.jent du cours ordinaire qu'il faudra rétablir pour obtenir la guérison , ou donnent naissance a des espèces


DE LA FOLIE. 3o3

OU variétés qui réclament des secours spéciaux; selon, enfin , qu'il se présente au loin des effets, des symptômes sympathiques devenus assez importans , assez influe ns sur le reste de l'éco- nomie , pour fixer l'attention du médecin.

En général , c'est bien moins en embar- rassant la marche naturelle de la maladie , par l'emploi intempestif de médicamens plus ou moins énergiques , qu'en mettant le malade hors d'influences défavorables, en prévenant les accidens qui peuvent survenir , ou en favorisant une terminaison plutôt qu'une autre moins heu- reuse, qu'on conduit la plupart des maladies à à laguerison. C'est sur-tout lorsqu'elles ne pré- sentent pas actuellement ou dans l'avenir, de dangers, de signes d'une issue fâcheuse, qu'on doit se garder de chercher à troubler violem- ment la succession des périodes. On fait alors la médecine expectante j en reposant l'écono- mie , en faisant cesser tou^e fonction qui a de grands rapports avec l'organe malade, comme la digestion et l'intelligence -, en satisfaisant quelques besoins près ans , tels que la soif, en favorisant les sécrétions naturelles des selles , des urines, de la transpiration, on fait naître les circonstances les plus favorables au réta- blissement , que souvent des remèdes actifs jae pourraient que détruire. Ce serait bien en


5o4 TRAITEMENT

Tuin que \oiis employerie? pommades et on- guents, pour liâter la cicatrisation d'une plaie suppurante simple , que vous chercheriez à em- pêcher le coryza de suivre ses trois périodes d'excitation avec suppression de la sécrétion muqueuse, etc.

Au contraire, lorsque la maladie suit une marche incompatible avec la guérison , est en- travée par des accidens , qu'il y a trop ou trop peu d'excitation , qu'une terminaison fâcheuse s'annonce , que la durée dépasse ses limites or- dinaires, et fait craindre un état chronique ou d'incurahilité, le médecin alors, peut et doit agir pour rétablir l'ordre , prévenir des suites funestes: l'inaction serait coupable. Un malade ïi'avâât naguères qu'un catarrhe intense ; mais les signes d'une péripneumonie violente> d'une congestion sanguine pulmonaire surviennent -, le sujet est d'ailleul'S fort et vigoureux ; vous ne balancerez pas à le saigner copieusement , ce que vous n^aviez pas pensé a faire jusques- la. Une pleurésie qui , au lieu de cesser à l'é- poque ordinaire , semble , en se prolongeant , indiquer un état chronique , ûlie suppuration Ou une exhalation de sérosité , vous autorise à recourir a des dérivatifs énergiques. Enfin le^ maladies qui s'annoncent dès le commencement comme très-giaves ou mortel les , permettent im-


DEL^FOLÏE. Oo5

médiatement l'emploi de moyens perturbateurs , guidé toutefois par la raison et l'expérience.

La même affection peut offrir des espèces ou des variétés , qui réclament un traitement par- ticulier, tout différent même -, tandis que vous guérirez une angine essentielle par les anti- plilogistiques , vous ne pourrez faire céder l'angine vénérienne qu'aux spécifiques de la syphilis.

Si dans la plupart des cas , les symptômes sympathiques ne présentent pas d'indications caralives particulières , et disparaissent en même temps que leur cause , et par les mêmes moyens, il arrive cependant quelquefois qu'ils font exception a cette règle, qu'ils peuvent, soit par leur intensité, ou la nature de l'or- gane qui en est le siège , former une affection nouvelle distincte , et qui pourra agir k son tour désavantageusement , tant sur Péconomie en général, que sur l'organe primitivement af- fecté , entretenir ou même augmenter la mala- die principale. Un érysipèle , simple résultat de désordres du canal digestif, mérite à peine qu'on s'en occupe , mais s'il est phlegmoneux ou gangreneux , il fixera en grande partie l'at- tention du médecin.

Ces considérations , applicables à toutes les jHaladies, le sont aussi a la folie : nous avons

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5o6 TRAITEMENT

décrit précédemment sa marche simple, heu- reuse-, nous Terrons cette marche troublée, arrêtée par des étals particuliers de l'organe malade-, quelques symptômes réclameront qu'on s'en occupe spécialement, enfin plusieurs va- riétés m^ériteront d'être considérées a part. C'est aussi en suivant cet ordre , que nous allons chercher à établir les règles du traitement.

Soins hygiéniques.

Je ne parlerai point des préceptes généraux d'hygiène : on doit les connaître -et en faire l'application aux aliénés comme aux autres malades : je veux cependant dire deux mots sur Cjuelques cas qui les font varier.

La diète, qui conviendrait dans plusieurs circonstances, doit toujours être volontaire-, si l'aliéné veut manger laissez-le faire -, seulement donnez-lui des alimens appropriés. En le for- çant, vous perdriez, par la colère, la fureur et autres phénomènes que vous feriez naître, ce crue le repos des organes digestifs aurait pu procurer de calme : si au contraire l'aliéné ne veut pas manger, sans y élre porté par l'état de ses organes, et s'autorise de motifs moraux erronnés, comme la crainte d'être empoisonné, de ne pouvoir avaler , ou le désir de se laisser mourir , vous l'y contraindrez par la persuasion j, les menaces ou la punition.


DE LA FOLIE. 307

Il en est de même de l'exercice du corps. L'inaction , qui pourrait souvent être utile au repos de tous les organes , ne doit pas être forcée. Si le furieux que vous avez renfermé dans une loge obscure, persiste a vouloir en sortir^ il ne faut pas long-temps l'en empê- cher , autrement vous le rendriez bien plus indocile, bien plus méchant 3 il se défierait constamment de vous.

Beaucoup d'aliénés aiment k être peu cou- verts , même en hiver ; quelcjues uns reste- raient volontiers continuellement nus. Si la dé- cence oblige a ne pas les laisser sans vêtemens aucuns, l'expérience prouve qu'il est essentiel de ne point les contraindre de se vêtir , se serrer, s'étouffer, comme ils le disent, par des habits trop chauds. Il faut les laisser s'aérer , s'ils le désirent. Toutefois , on aura soin de les empêcher d'aller pieds nus, sur-tout en hiver, de s'exposer aux intem.péries de l'atmosphère. Le coucher demande quelques soins : on peut donner des lits ordinaires aux convalescens et aux aliénés tranquilles et propres. Mais les fu- rieux , les malpropres, C[ui déchirent et salissent continuellement , ne peuvent avoir cette faveur, sur-tout dans un établissement où l'économie^ doit entrer en ligne de compte. A la Salpétrière, de la paille d'avoine , souvent renouvellée ,

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5o8 TRAÏTEMEr^T

contenue dans une espèce d'auge en bois , lient lieu de matelas. Des couvertures et des draps couvrent ces iits. Les malades qui ne veulent pas se coucher la nuit , et préfèrent rester sur le carreau, sont tenus de force dans leurs lits.

Il est bien essentiel de veiller a ce que la propreté règne autour des aliénés , dans leurs vétemens , et dans leur habitation j comme sur- tout ils ne se gênent pas d'y faire toutes leurs or- dures , on aura soin de les en débarrasser pour qu'ils ne soient pas incommodés par l'odeur, l'humidité fétide, etc. Les loges seront lavées tous les matins.

Action des Médicameîis sur les Aliénés.

On a beaucoup répété que les médicamens agissaient plus difficilement sur les aliénés , qu'on était ainsi souvent obligé d'en augmenter la dose pour produire des effets déterminés, il faut distinguer : ceux qui agissent spécialement sur le cerveau, comme les narcotiques, éprou- vent en effet ces variations -, cet organe résiste plus ou moins , quelquefois tout-k-fait a leur action. Les autres organes sont en général affec- tés par les applications médicamenteuses , comme dans les autres circonstances de la vie -, ainsi les vésicatoires , les sétons , les moxas ,


DE LA FO LIE. Sôgj

excitent et font très-bien suppurer la peau. L*émétique h la dose ordinaire , provoque très- Lien le vomissement -, je n'en ai jamais vu em- ployer au-delà de deux grains, et toujours avec succès •, de même pour les purgatifs , etc. Mais il n'est pas probable que l'action locale pro- duise les mêmes effets sur le cerveau -, que cet organe en éprouve les mêmes modifications que dans les cas où il n'est pas spécialement malade. La raison nous le fait pressentir : et en outre , si nous nous reportons a. ce que nous venons de dire des narcotiques , si nous faisons attention que l'application des excitans externes est en général peu sentie , peu douloureuse pour beaucoup d'aliénés ; que les purgatifs , souvent long-temps continués , changent peu ou nullement le moral de ces malades , tandis que , dans toute autre circonstance de la vie , une simple purgation produit quelquefois un abatte- ment extrême , nos conjectures se changeront en conviction. Voila un point de physiologie extrêmement important a. éclairer pour la pra- tique.

Il n'est pas toujours facile de déterminer les malades a prendre des médicamens •, puisqu'ils se croient bien portans , ils n'en voient pas la nécessité. Ou fera tout son possible pour les y engager-, les promesses, les récompenses, les menaces, serviront utilement à cela.


5lO TRAITEMENT

Marche simple et régulière de la Folie.

La maladie parcourt successivement ses pé- riodes sans obstacles, jusqu'à ia convalescence et la guérisoo ; les fonciions , plus ou moins troublées dans leur exercice , reviennent peu- à-peu à leur ancien état. La nature ne réclame de nous que des secours pour ainsi dire pas- sifs , propres à mettre l'organisme a même de se rétablir par ses seules forces , en écartant les circonstances qui pourraient l'en empêcher, en favorisant les tendances heureuses qui se préparent , et sur-tout en ne troublant pas son travail réparateur par des moyens perturba- teurs. Voyons en quoi nous pouvons l'aider aux diverses époques de la maladie.

Période d' Inciihation. Rarement le médecin sera appelé à donner ses soins dès le commence- ment, presque toujours ignoré ou méconnu des parens. Ce serait alors qu'on pourrait combatire efficacement des causes lentes qui n'auraient point encore troublé la raison. Il suffirait , en effet le plus souvent , de faire cesser leur action , pour que le cerveau encore peu altéré, pût re- venir facilement a son état ordinaire. Tant que nos organes n'ont point éprouvé les change- mens <iui constituent une maladie ou la rendent im iiii nente , on peut espérer, en les SQu:,trayant


DELA FOLIE. 5ll

promptementaux inlkiences qui leur sont con- traires, cjuand elles n'agissent pas subitement, d'éviter que i'eiïet déjk produit ne fasse des progrès en mai. Si vous retirez à temps un corps étranger qui irrite la conjonctive , vous préviendrez une oplitlialmie , et l'œil n'aura presque rien éprouvé. De même , unissez deitx amans €[ui ne peuvent vivre séparés , rendez la paix a la femme tourmentée dans son ménage , reparez des injustices commises , empêchez vos filles ou vos femmes, déjà très-dévotes, de courir les prédications de missionnaires fougueux et emportés, et vous parviendrez souvent a pr/- venir le développement de la folie , quoique la raison ait déjà éprouvé quelqu'àtteinte et ne soit plus très-saine.

Mais si au lieu d'attaquer le mal dans sa source , vous allez prendre des effets pour la cause , soit qu'on vous cache les inlluences vé- ritables qui trouljlent l'économie, ou Cfue vous n'en déduisiez pas les conséquences naturelles ^ si vous vous attachez k combatti'e quelques phé- nomènes sympathiques toujours plus apparens pour le vulg^tire , vous risquerez beaucoup de tourmenter l'organisme inutilsnient, ou même d'empirer le mal. Ce n'est point avec des pur- gatifs , des narcotiques , des emménagogues , des analeptiques , que vous rappellerez i'ap-


5ia TRAITEMENT.

petit ^ le sommeil, récoulement menstruel ou Femboopoiiit ; mais c'est en faisant cesser l'ex- citation , l'exaltation des fonctions cérébrales , Cjue \ous produirez promptement ces effets, que vous rétablirez le calme et l'ordre partout. L'amante prête à descendre dans la tombe , se réveille au seul espoir de revoir son amant, et sa santé sera bientôt rétablie si vous ne trompez pas son attente.

Lorsque la marche des phénomènes annonce une invasion prochaine , si l'on est appelé a temps , on peut quelquefois la prévenir -, mais comme presque toujours on a affaire a. des re- chutes dans des cas pareils , nous indiquerons plus tard par quel^ moyens on y parvient.

Période d'Excitation. Une fois séquestrés de la sociétîé , placés dans une section relative à leur caractère, et mis dans l'impossibilité de se blesser ou de blesser les autres, leur état indi- que clairement quelle médication il convient de faire = Les signes de cette période, que nous avons donnés précédemment , annoncent de Tir- ritation , de la tension , du spasme dans le cer- veau et les organes sympathiquement altérés par lui. La chaleur, l'agitation musculaire , quelquefois convulsive, si fréquentes alors, dénotent une excitation nerveuse non douteuse. Tous les moyens qui seront employés et qui


DE LA FOLIE. 3l5

devront tendre a calmer ces désordres, appar- tiennent a ce qu'on appelle rafraîcbissans et émolUens.

Il faudra d'abord avoir soin que les malades ne reçoivent point une lumière trop vive , qui les agite toujours. Pour cela, il est bon de les placer au Nord en été , de faire en sorte qu'ils ne restent jamais long-temps exposés a Tardeur du soleil j ils peuvent bien se promener au grand air , mais dans des avenues ombragées. Si l'on peut, sans trop de contrainte , retenir les furieux dans des loges obscures, plusieurs lieures par jour , ils en éprouveront de bons elfcts ; les fonctions cérébrales seront alors moins actives , les objets extérieurs , la lumière du jour , cessant d'exciter les sens. Les mélanco- ii(|ues et les aliénés stupides devront rester le plus long-temps possible hors de leurs habita- tions •, car renfermés, les premiers n'en seraient que plus disposés à se livrer tout entiers à leurs idées, et les seconds n'en retireraient aucun avantage, puisque les objets extérieurs n'exci- tent guère l'action cérébrale chez eux.

Les cheveux seront coupés assez courts, sur- tout ceux des femmes , qui par leur longueur offrent plus d'inconvéniens. Les malades les mêlent d'une manière inextricable , et il n'est pas facile de les peigner sans les faire souffrir:


5 1 4 TRAITEMENT

ils entretiennent , fomentent une chaleur qui ne fait qu'ajouter a celle qui existe déjà par le fait de la maladie, et cela davantage si l'on n'a soin de les tenir propres. Cette opération di- minue le travail nutritif, et ainsi l'action vi- tale de la peau de la tête; enfin des applications peuvent être faites plus immédiatement sur cette partie. Les malades qui ne voudront pas mettre de bonnets ou de chapeaux , ne devront pas y être contraints -, c'est ordinairement pour exposer leur tète a l'air frais, qu'ils veulent la tenir nue.

La soif est ordinairement très-grande •, des aliénés ne cessent jour et nuit de demander à Jjoire. On leur donnera en abondance des bois- sons rafraichissantes et acidulées ou mucila- gineuses , selon leur goût et leur constitution , tels que l'orgeat, la limonade, l'émulsion, l'o- rangeade, tous les sirops rafraichissans, ou bien la décoction d'orge simple, acidulée ou tarta- risée, l'eau de gomme, etc. Ceux qui dans la crainte d'être empoisonnés , ne voudraient que de l'eau , on ne la refusera pas •, on pourra la leur édulcorer, et y ajouter un peu de vi- naigre. Il faut avoir soin que les malades aient de quoi boire la nuit ', à la Salpétrière, des veil- leuses vont tout exprès, et h. plusieurs reprises, les satisfaire sous ce rapport.


D E L A F O L I E. 3l5

L'été , on donnera a profusion des fruits aqueux et acidulés, des groseilles, des cerises, du raisin. Ils remplissent le double but de sa- tisfaire agréablement le goût et l'estomac, sans augmenter l'action de celui ci , et de ])roiluire des effets anaicgues à ceux que déterminent les boissons que je viens d'indiquer.

Le vin, la bierre fore, seront bannis du régime des aliénés dans cette période ; on pourra seulement leur donner a l'heure des repas, de i'eau, rougie avec un peu de vin.

Les bains tièdes , forment une des bases fondamentales du traitenieiit de la Salpétrière. Toutes les femmes cliez lesquelles il n'y a pas de contre-indication , sont baignées plusieurs fois la semaine , ou même tous les jours, selon le besoin. On les laisse plus ou moins de temps chaque fois, selon l'étendue des effets qu'on veut produire, et la possibilité de les sup- porter. Les aliénés vigoureux, très -agités, de quelque genre que ce soit , maniaques , mo- nomaniaques ou stupides , seront tenus tous les jours, et le plus long-temps possible dans le bain, depuis une demi-heure jusqu'à une, deux heures ou plus. Ceux au contraire qui sont faibles, dont la poitrine est étroite, les apoplec- tiques, seront baignés plus rarement et pen- dant un court espace de temps. Quelqucfori.


ûl6 TRàîTEMENT

même on ne le peut sans provoquer des étouf- femens , le crachement de sang , ou une forte tendance à l'apoplexie; on fera bien alors de cesser tout-a-falt. Le médecin jugera des cas intermédiaires à ces deux extrêmes, et variera ainsi l'emploi de ce moyen curatif , ou le suspen- dra, quand il le jugera a propos.

L\isage des bains concourt puissamment à diminuer l'excitation générale, à calmer les or- ganes nerveux , à affaiblir et faire disparaître? l'état de tension , d'agitation , d'exaltation des forces musculaires ', a redonner de la souplesse, de la fraîcheur à la peau aride et desséchée de certains mélancoliques. C'est aussi un moyen de propreté très-utile , souvent essentiel.

On aura un soin tout particulier de remé- dier aux effets de la constipation qui pourrait survenir , de prévenir la rétention de matières dures dans le canal alimentaire. Les malades en ressentent une chaleur incommode, quelquefois de la douleur, il leur faut faire des efforts consi- dérables et douloureux pour débarrasser le gros intestin. Comme ils ne rendent pas facijenient compte de leur situation , les gens de service s'assureront, s'ils vont ou non à la garde-robe; le médecin pourra connaître lui-même l'état du colon descendant, en palpant l'abdomen dans le liane et la fosse iliaque gauches. Si les bois-


DE LAl folie. 3i7

soiis rafraicîiissanles et éaioiiieiites ne sujQisent pas pour prévenir cet état intestinal, on pourra les rendre légèrement laxatlves , avec le tar- trate acidulé de potasse, les tamarins, les dé- coctions de fruits cuits, etc. On fera usage en même temps , de lavemens simplement émol- iiens j il est seulement utile, pour le moment, de faciliter la sortie des matières fécales. îl n'est pas encore temps d'attaquer la source secondaire du mal, qui disparaîtra d'ailleurs avec la principale. Nous dirons pins tard quand il convient de remédier aux causes de la cons- tipation devenue opiniâtre.

C'est avec ces moyens simples , doux , ou d'autres analogues , qu'on doit traiter la période d'excitation de la folie, tant qu'elle marclie régulièrement et sans présenter d'indications spéciales.

Mais dans une maladie où l'imagination a fait mettre empiriquement en usag€ , tant de moyens perturbateurs et extraordinaires, il est sans contredit bien plus utile de dire ce qu'il ne faut pas faire , bien plus urgent de com- battre des erreurs funestes, que d'exposer la conduite a tenir, si facile à déduire de l'étude, de la considération de la nature, et de la succes- sion des phénomènes qui la constituent.

Les moyens perturbateurs sont, ou utiles ou


5 1 8 TRAITEMENT

dangereux , il n'y a pas de milieu. Ils produisent toujours du trouble , de grands effets , dans un sens ou dans l'autre, contre ou pour la mala- die, pour ou contre la santé du malade. Prenons un exerâp'e frappant : tirez du sang dans une fièvre cérébrale pernicieuse, simulant une pneu- monie violente , et vous tuerez le malade-, don- nez lui du quiaquina , et vous le sauverez. Donnez au contraire, du quinquina dans une pneumonie franche, la mort pourra s'ensuivre: tirez du sang, et vous remplirez le vœu de la nature. Il faut donc bien prendre garde de se tromper avec de pareils moyens ^ avoir des signes non écjuivoques de leur utilité, pour les em- ployer , ou désespérer en grande partie de la vie du malade, aucjuel cas ii est permis de re- courir à des moyens extrêmes , pourvu toutefois qu'on puisse en espérer c|uelqu'tlFet salutaire, La folie ne présente pas de cas semblables ; elle n'est pas mortelle , l'existeoce de l'individu n'est pas compromise, du moins directement j elle nous offrira souvent des signes positifs pour exclure des moyens perturbateurs , et seulement de fort douteux pour en admettre quelquefois. Et c'est précisément dans cette maladie , qu'on en a fait un usage plus obstiné, plus général, contre tous les principes , toutes les règles de pathologie et de thérapeutique.


DE LÀ FOLIE. Sig

CependanI quel organe, plus que le cerveau, a besoin de ménagemens ? quelles secousses ne doit- il pas éprouver de la chute d'énormes colonnes d'eau sur le crune, quelle excitation ne doit pas lui être communiquée par l'application du feu sur la même partie, etc. ? Et combien il est urgent que de semblables moyens ne soient appliqués qu'aux cas où ils conviennent évidemment .'

Cependant, comme la raison est un bien pres- qu'aussi précieux que l'existence , nous pour- rons aussi tenter de la reconquérir par des moyens extrêmes ou empiriques , mais seule- ment après avoir vainement essayé des autres , et lorsque nos connaissances trop bornées, ne nous permettront pas de saisir la nature du mal.

Examinons plusieurs de ces moyens , qui ne doivent point être employés dans la période d'excitation, et dont on a fait beaucoup d'abus. Il sera facile ensuite , d'apprécier tous ceux de même nature. Nous vei-rons qu'en s'en servant, on a fait la médecine du symptôme, quand on n'a pas agi empiriquement.

La saignée est un de ceux dont on a le plus abusé , et qui a produit des effets extrêmement funestes. M. Pinel en fut tellement frappé , lorsque, médecin de Bicêtre , il y recevait, comme devant y terminer leur existence, les


520 T R A I T E M E N T

aliénés ti^aités à l'Hotel-Dieu et déclarés incu- rables , qu'il n'a cessé de s'élever avec force dans tous ses ouvrages , contre l'émission sanguine générale, dans les cas ordinaires. Ces malheu- reux y arrivaient ex-sanguins , exténués, dans un anéantissement moral complet, et pouvaient à peine a la longue recouvrer en partie, par un régime tonique, leurs forces physiques. Quel- ques-uns seulement étaient assez heureux pour se rétablir tout-a-fait.

C'est par de fausses notions sur les propriétés du sang, et sur le rôle qu'il joue dans les actions organiques , qu'on a été conduit à ces déplorables résultats. Celluide n'a d'autre usage que de servir de véhicule aux clémens nutritifs et sécrétoires. Les glandes , et les organes très-actifs , qui dé- pensent beaucoup, en reçoivent plus que les au- tres , et davantage , pendant l'exercice de leur action que dans le repos. Il n'est jamais le prin- cipe d'aucune action organique 3 il peut bien entrer pour quelque chose dans la production d'un phénomène , mais secondairement et à- peu-près comme les alimens servent a la diges- tion j antérieurement à son arrivée, il existe une faculté irritable , cause première de tout ce qui survient. Ce n'est pas le sang qui pro^- duit la faculté digestive , mais c'est l'estomac , qui, pour digérer, appelle le sang à son se-


D E L A. F OL I E. 321

cours. Voila pour l'état sain : la même chose arrive dans les maladies locales ( je ne parle pas de la pléthore générale. ) marquées par un abord plus considérable de ce lluide -, il existe toujours une cause organique primitive , dont ce phénomène n'est qu'un effet ; c'est un état d'ir- Vitation dans l'indammation et la congestion active ^ et de faiblesse dans la congestion pas- sive ; irritation et faiblesse qui doivent être combattues.

Il ne suit pas delà qu'il ne soit jamais utile de tirer du sang; je suis loin de penser ainsi : une fois appelé en trop grande quantité dans une partie , il peut devenir un nouvel irritant , et s'opposer au travail réparateur de la nature. Mais il faut bien distinguer les cas où l'on doit, l'extraire localement ou généralement, de ceux, où l'on ne doit que chercher à le détourner du point qui l'attire.

La saignée générale ne convient que dans les cas de pléthore , dans les maladies aiguës_, ( je ne dis pas dans toutes), dans celles du cœur et des gros vaisseaux, du poumon, et de quelques organes profonds. Ici on conçoit de suite l'effet qu'on veut produire; l'action est directe sur les organes malades : difficilement on remplirait le même but , et à moins de frais , d'une autre ma- nière,

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523 TRAITEMENT

Dans toutes les inflammations aiguës des au«  très organes , la saignée locale doit être préfé- rée. Non-seulement le plus souvent on va plus droit au but qu'on se propose de remplir , mais pour obtenir le même effet , un effet déterminé par l'autre moyen , il faudrait affaiblir beau- coup toute l'économie , rendre tributaires tous les organes de l'affection de l'un d'eux. Dans la péritonite, la pleurésie , l'arachnitls , des sangsues sur l'abdomen , sur le côté , ou à divers endroits du cou et de la tête , conviennent à-peu-près exclusivement.

Reste un troisième ordre de maladies dans lesquelles le sang joue un certain rôle -, ce sont les congestions sanguines actives , et par la je ne veux entendre qu'un afflux plus considé- rable de ce fluide, déterminé par l'exercice trop soutenu , exalté ou perverti de l'action de -l'organe. C'est ce qui arrive aux vaisseaux de la conjonclive, par un travail trop loog-temps prolongé à une lumière vive , avant qu'il ne se développe une inflammation j à ceux du cer- veau, dans un accès de colère, ou les travaux intellectuels trop soutenus -, et c'est aussi pré- cisément la ce qui arrive , le plus ordinaire- ment dans la folie, les cas d'un état inflammatoire étant plus rares. Le sang n'est point appelé à demeure comme dans l'inilamaiation ; il circule


DELA FOLIE. 5^5

librement , mais en plus grande quantité et plus rapidement. 11 faut alors s'adresser direc- tement à la source du mal , diminuer _, corriger l'excès ou la perversion de l'action organique. Si la saignée est employée alors , c'est comme moyen dérivatif, et pour étaJjlir un nouveau foyer d'activité. En affaiblissant outre mesure l'organe malade , vous ne ferez que suspendre les désordres qui renaîtront avec les forces , et saigner un fou pour calmer la fureur, c'est comme si on voulait , par le même moyen , empéclier un homme de se livrer à des mouve- mens de colère , ou faire usage de ses facultés intellectuelles.

A tous ces motifs d'exclusion de la saignée dans la période d'excitation de la folie , on peut ajouter , ce que l'expérience prouve , le peu d'effet qu'on retire , en général , des évacuations sanguines dans la plupart des maladies nerveu- ses. Nous exposerons dans la suite, les cas où ce moyen est utile.

Les aliénés ne dorment pas , donc il faut leur procurer du sommeil ; c'est très-bien , mais ce n'est pas avec des narcotiques que vous y par- viendrez ; ce n'est pas en irritant de nouveau un organe déjà très-irrité , que vous le calmerez. En général , c'est pour faire oublier quelques instans des souffrances continues, trop vives,

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324 TRAITEMENT

qu'on force ainsi le cerveau a suspendre une partie de ses fonctions , avec ces sortes de re- mèdes -, et encore est-ce déjà en Paffectant , qu'on y parvient ; le sommeil qui en résulte loin d'être réparateur, n'est que pénible, dé- bilitant. Mais les fous ne souffrent pas , et en outre par une telle conduite, on ne ferait qu'augmenter le mal dans sa source , sans autre résultat, car chez eux , avec de l'opium , on pro- duirait plutôt un empoisonnement que le repos. C'est enfin absolument comme si vous vouliez donner de l'appétit à un malade atteint d'une gastrite aiguë ^ avec du vin d'absynthe ou de la teinture de gentiane. Les narcotiques doivent donc être exclus , à cette époque de la maladie. Le plus souvent , dès le début de la folie , il survient des symptômes gastriques j défaut d'appétit , langue chargée , bouche sèche ou pâteuse, soif, douleur d'estomac, etc. , ce qui porte , comme nous l'avons vu , des médecins à les reconnaître pour la cause du délire , et a les traiter de suite par des vomitifs. Leur opinion fut-elle vraie , il serait encore douteux que la conséquence en fût juste , et qu'il ne fallût pas recourir d'abord a un régime rafraîchissant. Mais nous l'avons reconnue pour fausse , et c'est encore une raison de plus pour rejeter l'emploi de ce moyen perturbateur. Ne trou-


DEL\ FOLIE. 525

blez pas la marclie de la nature -, calmez la soif par des boissons abondantes, diminuez l'irri- tation cérébrale, et le canal alimentaire repren- dra bientôt l'exercice de ses fonctions.

Les purgatifs ne conviennent pas plus que les vomitifs, dans le traitement de la période d'excitation de la folie. Les uns et les autres ne seront employés que comme révulsifs ou dérivatifs dans des circonstances que nous dé- terminerons , et qui seront rarement motivées sur rétat du canal alimentaire.

Un symptôme a-peu-près constant de la folie , cbez la femme , c'est la suppression des règles. Les auteurs Pont encore pris pour une cause , et ont employé tous les moyens possibles pour la combattre. Maisd^abord nous avons vu précé- demment , qu'une maladie une fois développée , on aura beau détruire les causes qui l'ont pro- duite, a moins qu'elles ne soient pathologiques, que l'effet persistera , et ne disparaîtra qu'en suivant une marche donnée, plus ou moins ré- gulière ', qu'ainsi une pleurésie, suite de sup- pression de transpiration cutanée , ne sera pas guérie parce qu'on aura rétabli cette sécrétion. La même chose arriverait pour la folie, dans un cas semblable. Les règles reviendront pres- que toujours seules , ou aidées de queîquesi moyens, avec le rétablissement de Fordre^ avee


525 TRAITEMENT

la diminution de l'irritation cérébrale et géné- rale. Nous parlerons plus loin des cas de sup- pression opiniâtre.

Les excitans externes , tels que vésicatoires , moxas , sétons, cautères , synapismes, etc., ne conviennent pas plus que les moyens que je viens d'examiner. Plus tard ils nous seront d'une grande utilité , mais c'est lorsque nous ne craindrons plus d'établir de nouveaux centres d'excitation , capables d'augmenter encore le foyer principal.

Les bains froids, les applications froides sur la tête, la douche, ne seront jamais employés dans la période d'excitation, et de plus je suis entièrement convaincu qu'on ne doit se servir de la douche dans aucun cas, si ce n'est comme moyen de répression et pour agir moralement. Ses effets sont si grands , elle doit produire des secousses, des ébranlemens si forts du cerveau, et qui nous sont inconnus , qu'il faudrait avoir, en se décidant à l'employer, un but bien certain à remplir , sans crainte de dévier de la route à suivre pour y arriver. Déjà M. Pinel, dans son Traité de la Manie , conseille de réduire la colonne d'eau à un filet , pour arroser simple- ment la tête. A la Salpétrière , très - peu de femmes la reçoivent , et seulement pendant quelques secondes , ou au plus deux ou trois


DE LA. FOLIE. ^27

-Wiinutes. Encore , M. Esquirol est-il h-peu-près convaincu, que ce moyen n'a jamais produit de bons effets marqués , et qu'il n'en est point ré-> suite des avantages assez prompts , pour qu'on doive les lui attribuer. On peut dès-lors très-bien supposer que les cliangemens favorables, qui arrivent pendant l'administration de la douclie, surviennent sans elle, et peut-être malgré elle.

Je voudrais que les médecins qui conseillent ce moyen, en fissent d'abord Fessai sur eux- mêmes, et on ne verrait pas, je pense, assom* mer des malades par la chute d'énormes co- lonnes d'eau , pendant trois quarts d'heure ou une heure sur la tête, comme j'en ai été témoin dans un hospice de Province. Ici, le patient était garotté dans une espèce d'auge en pierre qui retenait l'eau et en baignait tout le corps, en même temps que la tête recevait le poids de la colonne j une bonne sœur se trouvait char- gée de faire ce traitement , ( on n'en faisait pas d'autres ), pendant neuf jours , après lesquels la maladie était déclarée incurable. Je l'ai vu administré à plusieurs personnes. L'une vint mourir à Charenton, deux autres n'eurent pas la peine d'aller si loin pour avoir le même sort.

Qu'on se figure une montagne de glace qui écrase par son poids, et anéantit par sa tem- pérature , qui empêche de respirer et de se


Saâ TRAITEMENT

plaindre en obstruant la bouche et les narines , et on aura une idée des effets de la douclie ; c'est par expérience que j*en parle. Ce sont des souffrances si grandes, que les aliénés les plus furieux, ont assez de raison pour deman- der instamment qu'on les leur épargne. Les premières fois , il survient ordinairement des faiblesses d'estomac , des nausées , quelquefois des vomissemens j la tête devient froide comme l'eau qu'elle reçoit, et peu après il se dé- veloppe une chaleur considérable dans cette partie. La douche doit finir par désorganiser le cerveau, et déterminer l'incurabilité de lafoiie dans bien des cas. Je pense donc qu'on doit la proscrire entièrement comme moyen médical , nous la remplacerons dans les cas où elle pourrait convenir, par des lotions, affusions^ sans craindre, du moins autant, de produire des effets tout contraires à ceux qu'on désire déterminer.

Le bain de surprise est encore un de ces moyens violerts qui peuvent produire quelques avantages, dans des cas que le hasard seul fait connaître , et qui dans une foule d'autres, empirera le mal, ou le rendra incurable. Ou doit en dire autant de la machine rotatc^ire» dont on fait usage à Best lin.

Je ne pense pas qu'il soit besoin de^ riea dii^ei


DE LA FOLIE. S29

de l'asphyxie par submersion ou pendaison , des cliutes d'un troisième ou quatrième étage , de Tope'ration du trépan, de la castration , proposées pour guérir les fous. Un simple énoncé suffit pour montrer le ridicule et l'odieux de pareils moyens. La médecine d'ob- servation, rationnelle , a fait trop de pro- grès , les véritables doctrines médicales ont jeté de trop profondes racines, pour que do- rénavant , les médecins aillent ainsi prendre des remèdes à nos m.aux , au hasard , et sans être guidés par les principes généraux de pa- thologie et de thérapeutique.

Telles sont les règles de conduite , qui doi- vent être observées dans le commencement du traitement de la folie j ce sont aussi k-peu-près celles qui sont applicables k toutes les maladies aiguës. Et pourquoi en serait- il autrement? Nous l'avons vu, c'est bien moins le siège que la nature d'une affection, qui détermine le genre de médication qui convient. Nous n'avons pas d,es remèdes pour chacun de nos organes, mais bien pour les altérations diverses dont ils peu- vent être atteints,

11 est sans doute inutile de revenir ici sur ce que j'ai précédemment exposé de la marche des phénomènes de la maladie , de la disparition ordinairement assez prom.pte des lésions sym-« 


35o TRAITEMENT

pathiques du canal alimentaire , de la diminu- tion des autres symptômes , de l'agitation mus^ eulaire, etc. , on doit avoir à l'esprit le con- tenu du chapitre précédent.

C'est ainsi qu'on prépare une issue heureuse, qu'on favorise le décjin et la convalescence.

Au lieu de m'occuper de suite des indications que peuvent présenter ces périodes, je préfère passer à l'étude des irrégularités de la folie, des obstacles qui empêchent ou éloignent le retour à la santé. Plusieurs raisons me portent à agir ainsi : parmi les modes d'affection que je Tais décrire, les uns succèdent, après un temps plus ou moins long , a la période d'excitation , ou du moins n'est-ce qu'alors , qu'en général , nous pouvons les reconnaître *, tels sont le passage a l'état chronique , ou a la démence; et les autres ont souvent des caractères qui sont presque ceux de cette période , et ne s'en dis- tinguent que par l'époque où ils sont observés, que parce que la maladie dure depuis un cer- tain temps, tels que la congestion cérébrale active, l'état inflammatoire, etc. En sorte que dans tous les cas, on devra se conduire jusrju'ici, à peu de choses près, comme nous venons de le dire, et ne pas songer auparavant , à com- battre ce qui n'existe qu'en apparence, ou ce qu'on ne reconnait pas. De plus , quelle qu'ait


DE LA FOLIE. S5ï

été la marche de la maladie , si elle gue'rit , elle doit finir par le déclin et la convalescence , comme elle a commencé par l'exciitation ; il de* vient donc naturel de placer entre ces deux extrêmes, ce qui ç'yp^csente dans l'ordre même des choses.

J'arrive à la partie la plus difficile de l'his- toire de la folie : c'est ici que va se faire sentir le défaut de connaissances positives sur la na- ture de la lésion cérébrale , d'où résulte la grande difficulté de saisir les rapports des effets avec les causes , des phénomènes avec l'altéra- tion qui les fait naître , et le besoin de nou- velles recherches , de recherches multipliées , pour éclaircirce point, et arriver au but auquel doivent tendre tous les efforts du pathologiste. D'un côté , point de symptômes locaux et phy- siques : de l'autre, l'obscurité qui règne , tant dans le mode d'exercice, que dans la nature et l'étendue des fonctions cérébrales , ne nous permettra que difficilement de tirer des in- ductions certaines, des changemens qui pour- ront survenir, sur-tout s'ils sont isolés ou en petit nombre. Une autre source d'erreur , et que l'observateur éclairé aura toujours présente a l'esprit , s'il ne veut point hasarder ses juge- mens, qui devra augmenter sa défiance, le rendre circonspect dans ses opinions , prudent


352 THAÏTEMENT

dans la pratique , provient de ce qu'une même cause organique peut produire des effets diffé- rens selon la constitution , l'idiosyncrasie , la situation présente, physique ou morale, etc. , et que des effets semblables peuvent naître de causes diverses. Une indigestion occasionne du mal de tête à l'un , de la cardialgie a l'autre , amène le vomissement ou la diarrhée , ou bien il n'en résulte aucun accident -, une plaie déchi- rée peut se borner a une suppuration indis- pensable pour la guérison , ou faire développer le tétanos chez un individu très-nerveux. Les symptômes de paralysie musculaire peuvent te- nir à une compression cérébrale , à l'affaiblis- sement ou à un état de congestion , k un ramol- lissement de cette partie , a un épanchement sanguin ou séreux dans sa substance, ou enfin à des lésions de la moelle épinière. S'il est fa- cile d'apprécier les effets , quels qu'ils soient , d'une cause aussi visible que la déchirure des parties extérieures , en peut-il être de m.ême de ceux qui tiennent a l'altération d*organes aussi mystérieux dans leur action , aussi cachés, que le cerveau et tous les nerfs en général ?

Les différens modes d'existence de la folie, que je vais exposer, ne seront pas tous égale- ment bien caractérisés , ne seront pas toujours îissez distincts poui' ne pas être quelqufois


r»E Là FOLIE. 335

confondus les uns avec les autres. Il en est que je conçois mieux que je ne puis les exprimer. Si dans Pétude des autres maladies , l'observation clinique est essentielle , dans celle-ci , il faut une bien grande habitude de Toir et de soigner les malades , pour juger de leur état •, et encore doit-on être souvent sur ses gardes pour éviter les méprises. Je tâcherai d'établir les indications curatives qui se présenteront dans ces cas , et d'indiquer les moyens les plus propres pour les remplir. Qu'on ne me reproche pas sur- tout dans le traitement de la folie, de faire trop attention à l'état du cerveau 3 puisque c'est cet organe qui est le siège essentiel , idiopa- thique du mal , c'est k lui que nous devons nous adresser. Est-ce donc l'état de la vessie ou de l'utérus que vous consulterez pour guér rir une pleurésie ? D'ailleurs tout ce que nous avons vu jusqu'ici, symptômes caractéristiques, causes essentielles, traitement moral, tout n'est- il pas cérébral ? Je crois que c'est précisément parce qu'on a trop oublié le cerveau , que les guérlsons ne sont pas en raison de la légèreté j, apparente du moins , de la maladie •, je suis per- suadé qu'un jour on rendra davantage d'aliénés à la société, lorsqu'on aura établi des règles de conduite^ d'après des principes sains de phy- jeiologie et de pathologie générales.


554 TRAITEMENT

Tous les cas que j'ai pu observer, qui en déviant la marche simple et régulière , deman- dent des soins particuliers , peuvent être rap- portés aux modes d'affection designés par les noms suivans : i.° pléthore générale ; 2.° débi- lité , atonie ; 5.° congestion cérébrale active j 4.° état inflammatoire du cerveau ; 5.° état ir- ritable ; 6." stupeur y 7.° tendance à Vétat chro- nique y 8.° folie suite de couches , g.° manie intermittente.

1." Pléthore générale.

Diagnostic, La plénitude du système san- guin n'est pas rare chez les aliénés : cet état se présente après quelque temps de repos , lors- que les fonctions digestives ont repris leur ac- tivité, et quelquefois une activité nouvelle, que des hémorrhagies arrêtées ne reparaissent plus. Les sujets jeunes , vigoureuxet naturelle- ment sanguins , les femmes vers l'âge critique, y sont plus particulièrement disposés. Il en est de même des aliénés insoucians , et qui ne s'affectent point de leur nouvelle position. La pléthore se reconnaît a la plénitude , la fré- quence du pouls , a des lassitudes spontanées , un sentiment de pesanteur dans toutes les par- ties j les veines superficielles sont gonflées, les vaisseaux capillaires injectés. 11 survient sou-


DE LA. FOLIE. 555

vent des hémorrliagies nasales, de l'ojîpression, le crachement de sang. Loin d'augmenter ou de causer la fureur , l'excès de sang diminue l'énergie nerveuse ; la turbulence diminue ; le malade devient paresseux à exécuter les mou- vemens; il cherche le repos. Il se présente quelquefois des symptômes de paralysie, de la difficulté à parler.

Indication curative. Il est évident qu'il faut diminuer la masse du sang.

Moyens curatifs. La quantité de sang a tirer en une ou plusieurs fois , varie suivant plu- sieurs circonstances que le m.édecin appréciera facilement. On consultera les forces , l'âge du malade ; on jugera , par l'effet qu'aura produit une première saignée , s'il en faut faire une seconde , une troisième, etc. On suppléera l'é- coulement menstruel des femmes qui viennent de cesser de voir , par de petites saignées répé- tées plus ou moins souvent. Chez les personnes qui ont une hémorrhagie naturelle supprimée, on pourra de préférence tirer du sang de ma- nière à rétablir son cours interrompu. Ainsi , l'ouverture des veines du pied , l'application de sangsues aux cuisses dans la suppression des règles , sera plus convenable. Cependant si le malade est méchant , ne veut pas se laisser opérer , ce sera au bras qu'il faudra le saigner.


536 TRAITEMENT

Les émissions sanguines peuvent n'avoir pour effet que de faire cesser l'état pléthorique , et laisser subsister le délire sans le diminuer en rien. Cependant j'ai vu la convalescence s'éta- blir peu de temps après la saignée.

Tant que durera l'état pléthorique , les bains tièdes devront être suspendus j ils occasionne- raient de la difficulté de respirer, peut-être le crachement de sang, ou une congestion céré- brale, ou même l'apoplexie chez les personnes qui seraient disposées à cette maladie.

Les malades qui font facilement une trop grande quantité de sang , seront nourris avec des alimens peu nutritifs , avec des végétaux très-aqueux. On leur tiendra le ventre libre avec des boissons aqueuses abondantes ou légè- rement puï'gatives. L'exercice, le travail, la promenade devront remplacer les habitudes du repos ou de la paresse.

a.** Débilité , Atonie,

Diagnostic, Affaiblissement général , pâ- leur, maigreur, pouls faible, ou petit et fré- quent. Il peut , malgré cela , exister un délire plus ou moins violent. Plus souvent, c'est ou une stupidité complète , ou une loquacité qui approche de la démence. Cet état nait dans


DE LA FOLIE. SSy

deux circonstances différentes. Tantôt il date du commencement de la folie , et Ta même précédé. C'est ce qui arrive chez des malheu- reux qui perdent la tête parce qu'ils n'ont pas de pain. Ils dépérissent de misère , et le délire n'est que la suite de l'épuisement du cerveau 3 des jeûner austères et prolongés produisent aussi ce résultat. D'autres fois il est secon- daire , et provient ou d'un mauvais traitement , ou de l'abus de moyens débilitans , comme la sai- gnée ou les purgatifs. J'ai vu des aliénées entrer a la Salpétrière, après avoir été saignées qua- torze ou dix-huit fois en moins de vingt jours : ou bien de l'obstination qu'ont certains ma- lades à ne pas prendre de nourriture , des excès que certains autres font de la masturbation.' L'habitude où on est encore dans des hôpitaux de province , de claquemurer les furieux dans des souterrains humides et infects, leur fait promptement perdre la santé. On reçoit quel- quefois dans la maison , de ces malades dont les membres décharnés portent de fortes em- preintes des liens qui ne les ont point aban- donnés.

Indications curatii^es. Les causes et les effets sont ici tellement évidens, qu'il est difficile de se méprendre sur la conduite k tenir. Relever les forces, redonner du ton aux organes, forti*

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553 TRAITEMENT

fier, nourrir l'économie, éloigner les causés , Toilà ce qu'aura en vue le médecin. 11 devra sur-tout donner tous ses soins au rétablissement des fonctions digestivesj c'est par là que les meilleurs fortifians seront introduits.

Moyens curatifs. Les aliénés chez lesquels l'épuisement et la misère amènent le délire , guérissent en général assez promptement. Ces malades ne sont pas rares à la Salpëtrière. Ou leur fait prendre un bain de propreté de peu de durée , à cause de la faiblesse j on leur fait donner des tisanes acidulées. Au bout de peu de jours, l'appétit revient; elles mangent des alimens beaucoup plus succulens que chez elles , et peu-à-peu leurs forces reviennent , l'embonpoint reparait , et le cerveau , comme tous les autres organes , recouvre l'exercice complet de ses fonctions. Les aliénés , épuisés par un grand nombre de saignées , se rétablis- sent difficilement. Ils restent long-temps pâles et décolorés , indolens , difficiles à faire de l'exercice. Si la démence ne s'ensuit pas, au moins l'intelligence ne reprend-elle que ra- rement son énergie primitive. On tiendra ces malades à un régime alimentaire succu- lent et abondant , autant que leur estomac pourra le supporter. On leur prescrira des mé- dicamens toniques ) les préparations d'ox}des


DE LA FOLIE. SSg

de fer, l'eau ferrée, peuvent être d'une grande utilité.

Les aliénés qui viennent d'hôpitaux , où on lésa laissés long-temps dépérir faute de soins hygiéniques , ne guérissent jamais de leur délire . Seulement leur nouveau genre de vie, la liberté plus grande qu'on leur laisse , les rendent bien- tôt plus calmes et capables d'exercer leurs for- ces physiques.

Les aliénés oui s'adonnent a la masturbation, se corrigent difficilement. Les femmes sur-tout s'y livrent avec une fureur incroyable. Le marasme, la phthisie , ou au moins l'incurabi- lité delà folie, la démence, en sont la suite. Il est d'autant plus difficile de s'opposer aux excès honteux de ce vice , que ces êtres n'étant que peu ou nullement accessibles a aucune affection de l'âme , n'entendent guères les représentations qu'on peut leur faire. Le gilet de force sert utilement chez les hommes , mais les femmes n'en sont point embarrassées pour commettre cet acte. On tâchera de calmer l'irritation des organes génitaux, par les bains tièdes, les bois- sons aqueuses, un régime doux , etc. Il faudra sur-tout faire promener les malades , empêcher qu'ils ne restent seuls , ou avec quelque odieux complice.

Lorsqu'un aliéné se laisse exténuer en s'obs-»

22.,


54o TRAITEMENT

tinant à ne pas prendre de nourriture , et que toute influence morale a été employée inutile- ment, on devra lui faire passer de force des alimens dans l'estomac. On lui fera facilement ouvrir la bouclie en pressant les parotides ', il résulte de cette pression une douleur si vive , que le malade ne résiste pas. S'il ne voulait pas encore avaler, on introduirait une sonde de gomme élastique dans l'œsophage , par laquelle on injecterait du bouillon , du lait , du vin , etc. On pourra en même temps donner des lave- mens semblables , et même des bains , si la for*^ tune le permet.

3.° Congestion cérébrale actiçe.

Diagnostic. L'irritation cérébrale que je désigne ici par un de ses principaux phénomè- nes , est très-fréquente : c'est la continuation de la période d'excitation , du moins du côté du cerveau. C'est l'existence de cette période après plusieurs mois , à dater du commencement de la maladie , qui fait qu'elle mérite de fixer l'at- teution pour être combattue par des moyens spéciaux. Elle est caractérisée par l'injection des capillaires de la face , des yeux , et même de la peau du crâne ; par le gonflement des veines du cou 3 les jugulaires sont quelquefois


DE Là folie; 54i

plus grosses que les doigts ; par des battemens très-forts des carotides ; les pulsations de ces artères ne sont plus en rapport avec celles du pouls ; elles sont relativement bien plus fortes. Ce phe'nomène peut être le seul qui se mani- feste ; les malades restent alors pâles et dé- colorés. Beaucoup ressentent une grande cha- ' leur vers la tête. Avec tout cela , ils mangent et courent parfaitement bien j seulement ils ne dorment pas. La congestion cérébrale n'est particulière à aucun genre de. folie *, elle se ma- nifeste tout aussi bien chez le mononianlaque que cliez le maniaque , cbez le stupide , que chez le lypemaniaque. Cet état peut durer très- long-temps , des mois et des années, et jusqu'au passage à l'état de démence.

Indications curatiçes. Nous avons à com- battre l'irritation cérébrale et l'effet qu'elle pro- duit , l'ascension en trop grande quantité du sang vers la tête ; ici l'effet est presqu'aussi im- portant a détruire que la cause elle-même , car l'habitude que ce fluide a prise de se porter au cerveau , doit entretenir et peut-être augmenter le principe du mal.

Moyens curât ifs. Les^ dérivatifs au moyen desquels on provoquera une irritation , des sé- crétions nouvelles, ou l'abord du sang vers d'autres parties , combinés avec l'usage de ré-


342 TRAITEMENT

frigérans appliqués sur la tête, seront em- ployés pour remplir ces indications.

On cessera , au moins pour quelque temps , de faire prendre des bains tièdes entiers ; ils favo- risent trop le transport du sang et le dévelop- pement de la chaleur vers les parties supérieu- res. Lorsqu'on aura , par l'usage des moyens que je vais indiquer , diminué l'irritation céré- brale y on pourra les reprendre , en ayant soin d'appliquer en même temps sur la tête des com- presses, ou des éponges, imbibées d'eau froide -, on se servira , alors , avec une égale utilité de la douche c/iYe en arrosoir. Beaucoup de malades, pour calmer ces chaleurs , se la plongent eux- mêmes dans l'eau, ou la tiennent sous le robinet ouvert d'une fontaine. On irritera le canal ali- mentaire avec des purgatifs répétés , pendant dix j quinze ou vingt jours. On ne se servira pas de drastiques j les cathartiques suffisent. L'émétique à la dose d'un ou deux grains , dans \\n pot d'orge ou de petit-lait , me paraît très- convenable j il agit d'abord sur l'estomac , comme nauséeux , et continue son action sur le reste du canal. Le mercure doux ( proto-chlo- rure de mercure), aura encore l'avantage d'a- gir en même temps comme vermifuge j mais il a l'inconvénient d'exciter quelquefois très- promptement la salivation. Les bains dg siège


DE L Al folie. 543

sont préférables aux bains entiers ) les pédi- luves irritans synapisés sont aussi très-utiles. Pendant que le malade aura la moitié du corps ou les pieds dans l'eau tiède , on lui appliquera des rafraîchissans sur la tête. Ces moyens se- ront continués un certain temps ; nous n'avons pas affaire à une maladie qui parcourt ses pé- riodes avec promptitude.

Si le sujet est jeune et fort , on pourra lui tirer du sang des parties inférieures , soit en ouvrant une veine du pied, ou en appliquant des sangsues aux jambes , aux cuisses , à l'anus , cbez les hommes, ou à la vulve chez les femmes qui n'auraient pas encore leurs règles. Dans quelques cas, on pourra les mettre au cou.

Le régime alimentaire sera doux , aqueux , jion excitant.

Si l'irritation cérébrale persiste après qu'on aura employé ces moyens pendant quelque temps , on appliquera un ou plusieurs vésica- toires aux bras ou aux jambes , plus rarement à la nuque.

4.° Etat inftammatoire du Cerveau.

Diagnostic. Je n'entends point, par cette ex- pression, désigner une inflammation véritable ; je crois que les symptômes seraient autremeht


544 TRAITEMENT

graves , si cette affection existait ; mais c'est nn état qui en approche : il est aussi très-voisin du ' précédent , dont il ne semble qu'un degré plus avancé, et qui ne s'en distingue souvent que difficilement, a moins qu'il ne soit très-carac- térisé. Heureusement que ce n'est aussi qu'alors qu'il pourrait être dangereux de les confondre , a cause des différences importantes à apporter dans le traitement. Outre les symptômes de la congestion cérébrale , l'état inflammatoire pré- sente encore les suivans : sentiment de tension dans les parties extérieures ou intérieures de la tête, quelquefois douleur;, éruption de bou- tons , de taches érysipélateuses , érosion , suin- tement derrière les oreilles , aux tempes , au front. Les yeux sont brillans , injectés , fixes ou convulsifs , chassieux. Le malade souffre -,

s'il ne le fait connaître par des plaintes , l'ex-

pression de sa physionomie, ses traits quel- quefois tirés, sa contenance, l'indiquent assez. Le pouls , les pulsations des carotides qui peu- vent être mous, ondulatoires dans la conges- tion cérébrale , sont ici plus durs , plus ser- rés j il y a ordinairement beaucoup de soif , souvent constipation. Tous ces signes se trou- vent rarement réunis chez le même individu j le médecin jugera de leur valeur, isolés ou réunis en plus ou moins grand nom:bre.


DELA FOLIE. 345

Indications curatives. Ce sont à-peu-près les mêmes, que celles de la congestion cérébrale; cependant le cerveau paraît plus matériellement affecté , il demande des soins plus locaux ; en outre , les répercussifs ne conviennent point -, ils pourraient ou augmenter le mal, ou lui faire prendre une direction vicieuse.

Moyens curatifs. Il est nécessaire de dégor- ger les vaisseaux cérébraux par l'application de sangsues, et de ventouses scarifiées au cou , derrière les oreilles , aux tempes ou à la nuque ; la saignée de la temporale ou de la veine jugu- laire, si elle n*est pas rendue trop difficile par l'opposition du malade , peut être extrêmement utile. Les saignées dérivatives des membres inférieurs , seront aussi employées avec avan- tage. Les bains tièdes entiers , les bains de siège, les pédiluves synapisés, seront mis en usage selon le besoin. Au lieu d'applications froides sur la tête, il en faudra faire d'émol- lientes pour calmer l'irritation inflammatoire 5, diminuer la tension douloureuse des parties ° des boissons laxatives ou purgatives seront données, pour exciter les sécrétions intestinales^ et opérer de ce côté une utile diversion. Enfin, en dernier lieu, on pourra avoir recours à Fap-= plication d'excitans externes pour arriver au même but»


546 TRAITEMENT

5.° Stupeur y Insensibilité,

Diagnostic. Je veux désigner ici l'inertie , l'inactivité cérébrale des aliénés stupides. Lors- que la stupidité est peu grave , elle parcourt régulièrement ses périodes , et arrive en peu de mois k la convalescence. La sensibilité géné- rale revient en rapport avec les objets exté- rieurs 5 des idées renaissent, se fortifient -, les affections reparaissent -, de l'assurance , de la force d'esprit remplacent l'incertitude , la fai- blesse passées. Les seuls moyens indiqués pour la période d'excitation, suffisent pour aider ces mouvemens salutaires, à moins que quelques signes de congestion ou autres , n'aient réclamé l'emploi de moyens convenables. Mais lorsque la maladie est plus grave , qu'elle persiste sans cliangemens en bien , après quatre ou cinq mois , si des moyens énergiques ne venaient à son secours , la guérison deviendrait impossible ^ et l'incurabilité en serait la suite inévitable. Je ne rappellerai point ici les signes de la stupi- dité, exposés précédemment.

Indications curatiçes. U est impossible de rien savoir sur le genre de lésion cérébrale, que produit cet état d'inertie nerveuse ; aussi som- mes-nous réduits a l'emploi de moyens pertur- bateurs, dont l'expérience a démontré les bons


DE LA FOLIE. 547

ctFets. Nous chercherons a déterminer une se- cousse capable de changer le mode d'action ac- tuel de l'organe, une forte excitation pour re- lever les forces , rappeler son énergie.

Moyens ciiraîifs. Ceux que j'ai vu employer avec le plus de succès , sont les excitans ex- ternes, appliqués près le siège du mal, sur- tout à la nuque. On commencera par un vési- catoire , un séton , et s'ils ne produisent aucun effet , on aura recours à l'application profonde d'un moxa ou d'un bouton de feu, dans cet endroit. Cette opération, au dire des malades qui guérissent, cause un ébranlement général, qui se propage dans tous les organes \ il leur semble qu'un liquide irritant, circule subi- tement dans tous les vaisseaux. Quand il en ré- sulte de bons effets , on voit au bout de peu de jours, la manifestation d'une sorte de fièvre générale, la figure jusqu'ici inerte , donne l'ex- pression de la souffrance, enfin peu a peu, en quinze, vingt ou trente jours , la convalescence s'établit par l'augmentation graduelle de laforce cérébrale , le retour successif des facultés in- tellectuelles. On tentera une seconde et même une troisième application , s'il en est besoin ; on les fei-a plus rapprochées du crâne. Ce moyen a produit de si bons effets, sous mes yeux, que je n'hésite pas à le recommande]?


348 TRAITEMENT

dans les cas de cette nature les plus inespérés, iics vomitifs répétés plusieurs fois a quelques jours d'intervalle , pourront être employés comme auxiliaires. La douche a quelquefois éveillé pour un instant , mais seulement pen- dant le temps de son action. En parlant de la tendance à l'état chronique et à la démence, nous indiquerons de nouveaux moyens qui se- ront aussi applicables à la stupidité qui mena- cerait de prendre ces caractères.

6..° Etat irritable. Susceptibilité nerveuse.

Diagnostic. Je ne peux encore désigner ici, que les effets d'un mode d'affection céré- brale qui m'est inconnu dans sa nature, et encore les expressions dont je me sers à cet effet , ne sont peut-être pas justes ; mais au reste c*est plutôt le fond de la chose qu'il faut con- sidérer , qu'une dénomination , espèce de défi- nition concise , qu'il est souvent difficile de trouver.

Les malades n'oflrent pas de signes de con- gestion ni d'inilamiiiation du cerveau j ils sont en général maigres; la peau a perdu sa frai- cheur, et est devenue terne 3 celle du visage est sèche, pâle, jaunâtre ou comme hâlée. Ils sont très-sensibles à Faction des cxcitans externes ,


DE LA FOLIE. 54^

du froid par exemple j l'application de vésica- toires , leur cause des douleurs très-vivesj les moindres impressions douloureuses, des incom- modités légères sont vivement ressenties , et donnent facilement des idées tristes , de déses- poir _, de crainte de ne jamais guérir. Le canal alimentaire offre souvent des dérangemens f tels que défaut d'appétit, coliques, chaleurs d'estomac, constipation opiniâtre. Les malades ne savent quelle position prendre , dans quel lieu aller : tout leur cause de la peine ou des souffrances. L'insomnie est opiniâtre.

Ce genre d'affection est plus particulier aux lypemaniaques ou mélancoliques , aux indi- vidus attaqués du penchant à se détruire, du spleen des anglais.

Indications curotîçes. L'expérience a dé- montré que le meilleur mode de traitement, après avoir vainement essayé de l'usage des moyens que nous avons indiqués pour la pé- riode d'excitation en général , consiste à déter- miner une vive irritation intestinale, et sur- tout sur les gros intestins , en même temps que par l'administration de caïmans y on ten- dra a prévenir les suites de l'action locale , et a diminuer, calmer, engourdir l'excès de sen- sibilité cérébrale. La première partie de cette méthode formait le traitement médical, à -peu-


55o TRAITEMENT

près exclusif des anciens , dans la mélancolie ^ ils envoyaient leurs malades prendre l'eliébore à Anticyre , Anticjram naviget , dit Horace. Mais les circonstances qui accompagnaient l'ad- ministration du remède , étaient bien plus effi- caces que le remède lui-même-, le voyage, les distractions diverses , la confiance qii inspirait au malade le renom du lieu, tout cela était bien propre a assurer le succès de ce moyen unique. Moyens curatifs. Parmi les purgatifs , on cboisira les drastiques, tels que la résine de jalap, l'aloës, l'ellébore, la coloquinte; on les donnera sous la forme qui conviendra le mieux . au malade •, avec la résine de jalap , on peut faire une sorte d'émulsion qui n'est pas désagréable j l'huile de ricin, a la dose de une ou deux onces, tenue en suspension dans le double de liquide, est aussi prise assez facilement. On se sert à la Salpétrière avec assez d'avantage , du petit-lait purgatif de Weisse. On les continue tous les matins pendant dix, quinze, vingt jours ou plus , en cessant cependant de temps en temps plusieurs jours , s'ils produisaient trop de ma- laise. Ils causent des évacuations séreuses abon- dantes , qui affaiblissent bientôt toute l'écono- mie , et diminuent l'action cérébrale. Les ma- lades , vivement occupés de ce qui se passe dans leur abdomen , oublient les autres souffrances.


DE LA. FOLIE. 55l

Tous les soirs on fera prendre des caïmans j l'extrait de jusquiame me parait préférable aux préparations opiacées, il provoque moins de congestion cérébrale. L'eau de fleurs d'oran- ger , à la dose de plusieurs onces avec égale quantité d'eau , et sucrée , produit d'excellens effets ; pour tisane, on donnera, en même temps que le purgatif, une boisson laxative, et le reste de la journée, une infusion de tilleul, de feuille d'oranger, etc. Les bains tièdes seront plus rares. Je pense que les excitans externes aug- mentent l'état irritable, et qu'ils ne pourraient convenir que pour détourner, occuper l'atten- tion du malade. Les effets de ce traitement sont plus ou moins prompts : dans les cas heureux , on voit survenir successivement du calme , la diminution , la cessation des maux de tête j le teint s'éclaircit, la peau reprend son élasticité, safraicheur, la figure son expression ordinaire. Le sommeil revient quelquefois difficilement.

Pour rendre plus faciles k saisir les signes de ce mode d'affection , et les effets des moyens que je viens d'indiquer , je citerai Pexemple

suivant: — Filiau, femme G âgéede S^ans,

entra a la Salpétirière au mois de septembre 1819, dans un état de mélancolie» avec penchant au suicide , suite de violens chagrins. Les trois premiers mois on mit en usage les mojrens in-


552 TRAITEMENT

diqués pour la période d'excitation en général ; il en résulta peu de changemens. A cette époque , la malade était dans Pétat suivant : mai- greur, traits tirés , teint foncé , douleurs de tête, coliques d'estomac, constipation opiniâtre -, très- sensible au froid , se plaignant toujours k la moindre douleur ou incommodité ; craintes continuelles de ne jamais guérir. Application d'un vésicatoire a la nuque : elle en ressentit des douleurs très-vives dans le col, la tête et les épaules, et s'en affecta tellement qu'on fût obligé de le supprimer alors. On lui fit prendre tous les matins, pendant quelques jours, de l'huile de ricin et ensuite du petit-lait purgatif de Weisse, et le soir une potion rendue calmante avec le sirop diacode, ou simplement de Peau de fleurs d'oranger à grande dose. Peu-a-peu, îes coliques disparurent, les maux de tête di- minuèrent et cessèrent, l'appétit revint, les traits redevinrent naturels , le teint ce qu'il était auparavant , le sommeil fut recouvré mais difficilement, et dans l'espace de trente-cinq jours que dura cette médication , la santé se rétablit entièrement et parfaitement.

' " n." Tendance à rinciirahilité.

Je ne reviendrai pas sur les signes que j'ai donnés de l'incurabilité. Lorsque jusques-là


Î3E La folie. 553

on a rempli toutes les indications qui se sont présentées, avec ou sans succès, qu'il ne s'en présente plus de nouvelles, ou que tous les dé- sordres s#nt à peu-près réduits au déiire, a l'insomnie, il n'existe plus de règles positives de traitement. Le médecin pourra employer empiriquement les moyens que j'ai indiqués dans diverses circonstances , et d'autres s'il le Tcut. Il devra toutefois avoir égard a l'état du malade, voir de quel mode d'affection il se rap- proche le plus, et essayer en conséquence , il pourra être d'autant moins circonspect , qu'il y aura moins de chances de guérison. Je per*; mets bien alors d'user à volonté des douches , des bains froids ou de surprise , ou de tous autres moyens perturbateurs , empiriques , pourvu que la vie ne soit pas compromise. J'in- dique cette restriction , pour qu'on ne mette pas a. exécution tous ceux proposés par M. Fo- déré ; il vaut encore mieux avoir quelques idées de moins, que la tête fêlée par une chute de trente ou quarante pieds , ou une attaque d'apoplexie à la suite de la pendaison ou de la. submersion.

8.° Tendance à ta Démence *

Diagnostic. Je ne veux parler ici que de la démence prématurée qui veut s'établir presque

35


554 T R M ï E Ri E N T

dès le commencement pendant le traitement , et quand on a tout lieu d'espérer la guérison , lorsqu'enfin la folie ne dure pas depuis plus / de deux ans. Toutes les fois que la démence s'annonce par des attaques de paralysie aiguë , ou qu'elle s'accompagne de paralysie chronique plus ou moins générale , elle est incurable et ne réclame aucuns secours. Néanmoins , il faut l'avouer , dans le moment que nous nous aper- cevons de ce changement de la maladie , il est déjà bien tard , et nous ne pouvons que fort peu de choses pour en arrêter les progrès , et sur-tout pour ramener la nature dans la voie de la guérison -, j'aurais bien peu d'exemples à citer : toutefois il faut ne pas encore désespérer tout-à-fait , et tenter par des moyens indiqués par la raison et l'expérience , de retenir et faire rétrograder le mouvement désorganisateur qui se prépare. On ne risque d'ailleurs rien , puis- que c'est une cause aux trois-quarts perdue qu'on entreprend de défendre.

J'ai donné ailleurs les signes qui annoncent la démence -, je ne donnerai ici que ceux , qui caractérisent deux modes d'altération qui me semblent coïncider avec ce genre d'affection mentale. Tantôt raffaiblissement des fonctions qui sont sous Tempire plus ou moins immédiat du cerveau , résulte d'une sorte de colla piïus


DE LA FOLIE. o55

nerveux ; les malades sont alors pâles, indo- lens, paresseux , donneurs; les carotides battent rarement et moilement ; les pupilles souvent dilatées , sont peu mobiles ou entièi;ement fixes. D'autres fois , cet état s'accompagne d'irritation cérébrale, on pourrait penser d'une plilegmasie chronique ; le malade paraît tranquille , mais il ne dort pas j les battemens des carotides sont fî équenset durs ; il survient quelquefois le soir de la chaleur , de la rougeur vers les joues , la peau du crâne. Le premier mode d'affection est bien plus fréquent que le second.

Jndïcalioiis curatives. On guérit rarement de ces aliénés. I^a maladie était sans doute déjà incurable, long-temps avant qu'on ne la recon- nût. Dans le collapsus , il faut en même temps relever les forces , et stimuler fortement l'action, du cerveau par des toniques, et l'application, d'excitans externes , cesser l'emploi de tout moyen débilitant, comme les bains tièdes , les boissons aqueuses, etc. Dans l'autre mode d'al- tération , on aura plus particulièrement recours aux dérivatifs ,, soit qu'ils agissent sur la peau ou le canal digestif \ il pourra aussi quelquefois convenir de faire une saignée locale , au moyeu de sangsues.

Moyens curatifs. Dans le premier cas, on donnera à l'intérieur des substances fortifiantes

33..


55G TRAITEMENT

OU excitantes , telles que le quinquina, les aro- matiques, les amers : le musc uni à l'extrait dé quinquina, les préparations d'oxyde de fer, produisent quelquefois d'assez bons effets. On appliquera des vésicatoires , des moxas, ou des boutons de feu k la nuque , ou même sur la peau du crâne. On mettra le malade au grand air, au soleil. On pourra le frictionner , le faire couclier sur des plantes aromatiques j le régime alimentaire sera celui qu'on donne aux scro- pliuleux , c'est-k-dire tonique. Dans le second cas, on appliquera de même des excitaiis ex- ternes •, mais pour détourner l'irritation céré- brale 5 et non plus pour stimuler l'organe ; on irritera dans le même but le canal intestinal , par des purgatifs.* Les pédiluves synapisés peu- vent être utiles. Du reste, j'ai si peu d'obser- vations du succès de ce ra.ode de traitement , qu'on peut le regarder plutôt comme théorique que pratique.

9.° Folie suite de couches.

La folie suite de couches , mérite de fixer particulièrement l'altention du médecin *, elle est en général plus guérissable que toute autre, sur-tout lorsqu'elle survient peu de tempsaprès l'accouchement ou le sevrage , et dans ces


DE LA FOLIE, 557

cas , elle réclame un traitement différent dans la période d'excitation. Alors des sécrétions sont supprimées, secondairement , il est vrai , mais secondairement aussi elles peuvent deve- nir une cause irritante pour le cerveau comme pour toute autre partie de l'économie. Puzos a" déjà remarqué que toutes les maladies lai- teuses , c'est- a-dire , celles qui surviennent dans ces circonstances de la vie des femmes , " revêtent en général un caractère qui leur est commun, et réclament des moyens à-peu-près semblables -, tous les tissus semblent imprégnés de iluides séreux acides : il convient générale- ment de provoquer des sécrétions cutanées ou intestinales , pour remplacer celles qui sont supprimées ou qui n'étant que passagères , doi- vent cesser peu-à-peu d'exister. C'est la ce qu'on fera dans la début de la folie , au lieu de suivre les règles prescrites pour la période d'excitation. On donnera tous les jours des boissons purgatives et sudorifiques , des lave- mens purgatifs ; M. Es quirol emploie avec beau- coup d'avantage un lavement composé de lait et de sucre ; il en résulte de$ selles abondantes sans trop d'irritation du gros intestin. Les bains tièdes conviennent, comme jouissant de celte dernière propriété. Au bout de quelque temps, de vingt-cinq ou trente jours, on établira un


558 TR^LÎTEMENT

exutoire , préférable ment un ou deux Tésica- toires aux bras , ou k la nuque et au dos s'il n'existe pas de signes de congestion cérébrale. On aura égard k Tétat des seins : s'ils sont durs et douloureux , on les couvrira de cataplasmes émolliens, et pins tard lorsqu'ils se ramolli- ront et ne causeront que peu ou point de dou- leur, on terminera la résolution par des fric- tions excitantes faites avec une llanelle impré- gnée de Uniment ammoniacal ou autre. S'il s'y forme des abcès , on les ouvrira et on les soi- gnera selon les règles de l'art. Les plaies sont queicjujfois très-douloureuses ; on les panse avec des cataplasmes ou du cérat opiacé. Je n'ai ja- mais observé d'aifections utérines -, s'il se mani- festait des signes de métrite ou de péritonite , on se conduirait d'après les règles établies pour le traitement de ces affections.

Mais lorsque la période d'excitation est pas- sée, et que malgré l'emploi de ces moyens , la folie persiste , on aura égard aux indications qui se présenteront , et on les remplira comme dans tout autre cas.

Les femmes qui tombent folles cîiaque fois qu'elles font des enfans , devront s'abstenir de celte œuvre , si elles veulent en prévenir les giiUes assurées.


DELAFOLIE. SSg

10." Folie intermittente et rémittente.

lies accès de folie intermittente parcourent leurs périodes , comme je l'ai indiqué pour la malade en général , et peuvent aussi présenter les difféi^entes indications dont je viens de par- ler. Ce n'est donc pas sous ce point de vue que je veux en dire quelque chose, mais bien sous celui de la périodicité. On ne doit considérer la folie comme intermittente , que lorsque les accès ne reviennent qu'à des intervalles assez grands , tous les six mois ou tous les ans . par exemple -, car toutes les fois qu'il n'y a que quinze jours ou un mois de calme , ce sont des rémittences. J'ai dit que la folie périodique était rarement curable , sous ce rapport qu'on ne peut guère prévenir le retour des accès dès que l'habitude en est prise. Beaucoup de femmes à la Salpétrière perdent la tête une saison ou l'autre , et après , travaillent le reste de l'an- née. C'est lorsqu'il n'y a que des rémissions très-marquées qui paraissent de courtes inter- missions , que j'ai vu employer avec succès le quinquina et quelques autres toniques amers ou aromatiques, donnés pendant le calme et peu avant le retour des symptômes ', on les continue quelque temps après l'époque présu- mée de ce retour. On pourrait tenter la plupart


p6o TRAITE M ENT

des moyens conseillés dans les maladies inter- mittentes en générai.

11.° Symptômes graves.

Le cerveau , comme centre nerveux , est quelquefois , mais rarement dans les premiers temps, affecté de manière à offrir des symp- tômes graves , et a causer des déi angemens de même nature dans différens organes. Ces phé- nomènes peuvent survenir primitivement et dès le début de la maladie, ou secondairement et par suite des progrès qu^elle a fliits, Dans le premier cas, l'invasion est marquée par des syncopes , une attaque de convulsions ; quel- quefois ce sont plusieurs des apparences d'une fièvre grave , comme faiblesse , perte d'appé- tit, bouche sèche , vomissemens, etc. ; mais en général ces accidens ne sont pas dangereux , et se dissipent ordinairement après plusieurs heu- res ou plusieurs jours d'existence , par la diète , le repos et l'emploi des boissons délayantes , aqueuses, ou de quelques autres moyens indi- qués par les circonstances. Je n'ai jamais guère VJ. la mort en être la suite. Dans le second, il peut survenir, à l'aide d'inîîuences extérieures , ou par la seule force de l'affection cérébrale , différentes maladies dont je parlerai dans le chapitre suivant.


DE LÀ FOLIE. 56l

Déclin et Convalescence.

Quelle qu'ait été la marche de la folie dans les premières périodes , nous allons mainte- nant la considérer entrant en voie de guerison , passant par le déclin pour arriver à la conva- lescence. Souvent la renaissance de l'ordre a lieu avec promptitude et régularité ; en même temps que le cerveau recouvre l'exercice de ses fonctions , tous les autres organes cessent d'offrir des phénomènes morbifiques ; un peu de lassitude, de fatigue, se dissipe en peu de jours, et seulement par l'observation des règles de l'hygiène. Mais il arrive aussi que le déclin et la convalescence ne se passent pas ainsi : dans beaucoup de cas, le cerveau ne se rétablit que lentement , conserve quelque chose de l'état antérieur, ou présente de nouveaux phéno- mènes j ou bien des symptômes sympathiques, que jusqu'ici nous n'avions point combattus directement , espérant qu'il cesseraient avec la cause qui leur donnait naissance , persistent par une sorte d'habitude maladive, de force d'i- nertie. Nous devons alors aider l'organisme a rentrer dans la plénitude de ses droits , cher- chera rétablir l'ordre partout, saïis^volr égard à répo([ue de la naissance, à la nature des phé- îiôîîlènes qui subsisteiit. En général nous au-


563 TB A. ITEMENT

roiîs affaire à un individu nouveau, qui ne res- semblera presqu'en rien , ou pourra être tout différent de l'ancien \ ainsi , tel qui était très- irritable pendant ou après la période d'excita- tion , va présenter actuellement de tout autres dispositions, deviendra pléthorique, peu sen- sible, etc. Un aliéné stupide sera très -irri- table , etc. C'est donc l'état présent , que nous considérerons sur -tout, sans beaucoup nous occuper de Pétat antérieur.

Les principaux dérangemens que j'ai obser- vés a cette époque de la maladie mentale , et auxquels il convient de remédier, peuvent être rapportés aux suivans : i.° atonie générale , ou de guelqu' appareil organique seulement ; 2.° état irritable, continuation de V insom- nie ; 3.* pléthore i 4.*' céphalalgies opiniâ- tres; 5.° suppression des règles ; 6.** consti- pation. Examinons successivement ces divers états de l'économie , et voyons quelles indi- cations ils présentent.

1.° Atonie,

A l'état général de tension, succèdent quel- quefois un abattement , une faiblesse , extrêmes dans tous les organes •, les malades sont pâles, quelques-uns bouffis, présentant des œdèmes aux jambes , aux pieds , ils n'aiment que le re-


I> E L ,V F O L 1 ïï. 563

pos , n'ont le courage de rien faire , leurs membres s'engourdissent ou plient au moindre exercice', les idées quoique.' saines, sont rares et faibles, les réponses tardives, il peut y a\ oir un commencement de paralysie, annoncée par de l'embarras dans la parole, un sentiment de formication dans les membres, la digestion est pénible ; il y a défaut d'appétit , coliques d'estomac, quelquefois dévoiement, ces ma- lades dorment ordinairement beaucoup. L'a- tonie peut être bornée a. un système. — Bigant, âgée de 32 ans , convalescente depuis plusieurs mois, se trouvait dans l'état suivant: faiblesse de l'intelligence, mouvcmens difficiles, lassi- tude facile , prononciation embarrassée , sen- timent de formication ou d'engourdissement dans tout le côté gauche, sommeil profond et prolongé. Elle mangeait bien , ne souffrait pas de la poitrine , voyait ses règles régulièrement depuis quatre mois. Le cerveau seul paraissait n'avoir point recouvré entièrement son énergie. Tantôt c'est le canal digestif, d'autres fois les poumons qui restent en arrière du rétablis- sement général. Quelques malades guéris delà folie , périssent de la plithisie pulîhonaire.

La nature des dérangemeus fait assez con- naître les indications qui se présentent, et les moyens qui convienner4 pour les remplir: on


564? TRAITEMENT

cessera l'usage des bains tièdes ; on aura re- cours aux toniques , aux aromatiques. Le vin rouge de Bordeaux ou de Bourgogne , le quin- quina , la canelle , la feuille d'oranger, les préparations ferrugineuses seront donnés sous diverses formes. Le vin ou le sirop anti-scor- butique , le vin d'absyntbe sont souvent util es. Dans l'atonie cérébrale , un vésicatoire à la nuque peut relever les forces perdues. Si les malades peuvent être envoyés respirer Pair vif de la campagne , ou faire un voyage , ils en retireront de grands avantages. On pourrait aussi, pour fortifier le système nerveux , em- ployer dans l'été les bains de mer ou d'eau courante-, les bains aromatiques produiraient de même quelques bons effets.

2.° Etat irritable y Insomnie.

Il n'est pas rare de voir une insomnie plus pu moins absolue , survivre a Teffet de délire, et persister même encore long -temps après. Le cerveau travaille malgré le malade, malgré tous les efforts qu'il fait pour se reposer ; des idées se forment sans le concours de la volonté, ou bien des visions l'interrompent dès qu'il veut clore l'oeil, des frayeurs sans causes exté- rieures l'agitent. L'insomnie est bien plus fa-


DE LA FOLIÉ* 565

liguante, a des conséquences plus grandes main- tenant que dans les autres périodes de la ma- ladie. Les malades s'en affligent , parce qu'ils savent que le sommeil accompagné de la dimi- nution des symptômes , est un signe de conva- lescence et de guérison prochaine , et qu'au contraire l'absence de cet acte réparateur, peut faire craindre une rechute. Ils deviennent ir- ritables , susceptibles \ ils ont souvent des cé- phalalgies.

11 est maintenant nécessaire de combattre cette disposition cérébrale \, il faut forcer le cerveau à reprendre ses anciennes habitudest Les bains tièdes seront très-utiiis. On fatiguera le système musculaire par des exercices plus ou moins forts. Les boissons calmantes , l'eau de lleurs d'oranger à haute dose , les préparations opiacées, de jusquiame, seront employées au besoin. Un vésicatoire au bras peut être utile pour détourner, diminuer l'irritation cérébrale, et sur -tout pour occuper l'esprit vacillant et inquiet de l'aliéné : je dirai tout-a-l'lieure com- ment on traitera la céphalalgie. )

3.° Pléthore.

Il arrive quelquefois que le retour à la santé, çst marqué par une sanguification très -active


^66 TRAITEMENT

et surabondante. Le calme renaissant dans des organes , dont un excès d'activité dépensait a profusion le principe de la vie , les pertes con- tinuelles qui en étaient la suite inévitable cessent aussi, et les parties nutritives qui les alimen- taient doivent recevoir une autre destination j les organes alors peui-ent bien en détourner pour réparer le matériel qu'ils ont perdu, mais s'ils reçoivent plus qu'ils ne dem;>ndent, il en résultera plénitude , replétion du système «anguin, jusqu'à ce que l'équilibre se rétablisse entre la clijiification et la nutrition. Ces ma- lades sont en général lourds j sommeillent beau- coup ; ils se plpignent de pesanteur de tète, de palpitations j quelquefois leur sommeil est troublé par des rêves pénibles, interrompu par des réveils en sursaut, il est inutile en outre d'énumérer ici tous les signes de la pléthore générale.

Pour remédier à ces accidens , on mettra les malades à un régime aqueux et peu nourrissant j on leur recommandera de faire beaucoup d'exer- cice -, de légers laxatifs seront employés pour entretenir la liberté du ventre. On usera avec réserve de la saignée : la pléthore peut n'être qu'apparente ou passagère , résulter momen- tanément du changement de destination des sucs nutritifs , d'ua calme subit , et se dissiper


D E L i F O L I E* 567

ainsi en peu de temps , par ces seuls moyens. Ce n'est que dans les cas où le mal ne dimi- nuerait pas, ou Tiendrait à augmenter, qu'on se déciderait à tirer du sang. Bien entendu que si la suppression des règles persistait , ce serait d'abord à rappeler cet écoulement, qu^on de- Trait donner tous ses soins.

4.° Constipation*

La constipation incommode quelquefois en- core des malades pendant la convalescence j les gros intestins paresseux , peu excitables , con- servent long-temps les matières fécales , en absorbent l'humidité, et les convertissent en petites boules plus ou moins dures. Il en ré- sulte du mal-aise , de la chaleur dans ces par- ties , de vives douleurs à chaque seile. On re- m.édiera à cet accident en cherchant à redonner du ton à l'intestin , au moyen de lavemens to- niques , d'eau froide ; en excitant son action par des lavemens irritans ou purgatifs : on pourrait avoir recours , dans quelques cas , aux drastiques employés a petite dose. J'ai d'ailleurs rarement vu la constipation être opi- niâtre et résister long-temps.

5.° Céphalalgies. Je ne répéterai point ici ce que j'ai dit ail-


568 TRAITEMENT

leurs sur les maux de tête : je rappellerai seit-» îement qu'ils sont extérieurs ou cutanés , inté- rieurs, profonds ou cérébraux , intermittens ou continus, plus ou moins intenses. Rarement le passage à la convalescence a lieu sans l'ap- pai-ition de ce phénomène. Dans la plupart des cas , la céphalalgie se dissipe spontanément par le repos ou a l'aide de moyens simples , de lé- gers caïmans , d'une infusion de tilleul ou de cailleîait jaune , de l'eau de fleurs d'oranger , de pédiluves simples ou sinapisés , de bains tièdes. Mais quelquefois ils deviennent opiniâ- tres malgré que toutes les fonctions soient entiè- rement rétablies , ils doivent fixer alors parti- culièrement l'attention , car les malades s'en affectent comme de l'insomnie. Lorsqu'ils sont extérieurs, une application de sangsues immé- diatement sur le lieu de la douleur , les fait souvent disparaître presque subitement : s'ils, se renouvellent, on usera encore du même moyen , en même temps que des bains de pieds ou de siège , tendront a opérer un mouvement dérivatif vers ces parties. Les céphalalgies in- ternes sont plus dangereuses , parce qu'elles tiennent de plus près à la source du mal. Outre les dérivatifs que je viens d'indiquer, s'il y a des signes de congestion vers la tète , on fera appliquer des sangsues ou des ventouses scari-


DE LA. FOLIE. 369

fiées aux tempes , au cou ou derrière les oreilles ; on pourra irriter le canal intestinal par des purgatifs salins , chercher a calmer les douleurs par quelques préparations opiacées. Enfin, en cas de non succès , on se décidera à mettre un Tesicatoire ou même un séton a la nuque. On a quelquefois tenté avec succès de combattre la céphalalgie périodique par le quinquina. Un auteur anglais, le docteur Royston, et Fowler avec lui , vantent beaucoup , en pareil cas , les préparations arsenicales. En Angleterre, on fait un grand usage médical de ce métal , et il est mis au-dessus de l'écorce du Pérou , comme fébrifuge. En France , on ne l'emploie que très-peu , si ce n*est dans quelques affections cutanées.

6.° Suppression des Règles.

Quoique la cause éloignée qui avait provo- qué la suppression des règles ait disparu , l'u- térus depuis long-temps habitué à ne plus opé- rer cette sécrétion sanguine , semble quelquefois oublier qu'il doit y revenir pour que l'harmo- nie soit par-tout rétablie. H en peut résulter plusieurs accidens dont j'ai plusieurs fois parlé, tels que de la céphalalgie , des signes de plé- thore générale ou cérébrale. Il arrive aussi qu'aucun dérangement n'en est la suite. Ou

24


570 TRAITEMENT

n'en doit pas moins dans tous Its cas y porter remède. Les moyens spéciaux auxquels on a recours en pareils cas, sont connus; je ne parle point des moyens généraux que pourrait indi- quer un e'tat général ou éloigné. Ce sont des excitans du système utérin , tels que le safran , Tarmoise , etc. , ou des dérivatifs, tels que les pédiluves synapisés , les bains de siège, la sai- gnée du pied, ou mieux l'application de sang^ sues a la vulve. Ces évacuations sanguines ont le double avantage de parer aux acci- dens de la pléthore, et de diriger le sang vers la route qu'il doit suivre désormais. L'emploi méthodique de ces moyens se fera ainsi : si là suppression ne date que de quelques mois , on s'informera de l'époque où venaient les règles j dans le cas contraire , on en prendra une au hasard, ou d'après quelqu'indication plus ou moins pressante, et chaque mois on y revien- dra iusqu'a ce qu'elles reparaissent. Les pédi- luves , les bains de siège précéderont toujours de six ou huit jours l'application des sangsues. Quelques malades sont sorties de la maison par- fciilement bien portantes , avant qu'on ait pu rétablir l'écoulement menstruel ; on leur a re- commandé de continuer ce traitement , ne fut-ce que pour suppléer cette fonction.


DE Là F OHE. 371

Des Rechutes.

Il s'agit ici de conserver la guérison solide , de prt^venir le retour de la maladie , ou d'en arrêter l'irruption lorsque la rechute paraît imminente.

J'ai donné ailleurs les règles hygiéniques que ces sortes de personnes doivent suivre, sur-tout reiativement a l'exercice des fonctions rétablies-, elles consistent particulièrement à éviter les causes anciennes ou de nouvelles, ou au moins les mettre dans une situation propre à en atténuer les effets. On a proposé le mariage, comme moyen préservatif dans beaucoup de cas : il peut consolider la guérison d'amans Cjui ont perdu la tête par amour j il satisfait une passion très-puissante, quoique devenue raison- nable. Mais sous tout autre rapport, je ne le crois pas utile , il peut même être dangereux. Le mariage est une source féconde de contra- riétés et de chagrins continuels , ce qui n'est rien moins que propre a raffermir une tête ébranlée, irritable. Les couches, nous l'avons vu , prédisposent beaucoup les femmes à la fo- lie , et on devra craindre que chaque grossesse ne devienne le prélude d'un accès. Une autre considération d'une haute importance , résulte de l'hérédité de cette maladie : comment ne pas


Zn2 TRAITEMENT

frémir ù la seule idée d'en donner le germe a toute une génération ?

On devra apporter la plus grande attention aux moindres phénomènes qui pourront surve- nir du côté de la tête , sur-tout s'ils ont quel- qu'analogie avec ceux qui ont précédé la pre- mière invasion , tels que de la pesanteur , des maux de tête , un sommeil agité , l'ascension du sang vers la tête, d'où résultent une rou- geur subite , vive et quelquefois persistante , un sentiment de chaleur ou de battement dans cette partie. Les dérivatifs simples , les pédiluves sina- pisés , les bains de siège ou entiers , quelques laxatifs , comme l'eau de Seltz ou de Sedlitz , seront alors mis en usage. Un cautère placé à demeure au bras , est un excellent moyen d'é- tablir une irritation qui préserve le cerveau d'un état semblable. Si des signes de congestion cérébrale persistante , se faisaient remarquer , on n'hésiterait pas a tirer du sang , sur-tout si en même temps les règles chez les femmes de- venaient moins abondantes. Dans ce cas , ce serait a la vulve qu'on appliquerait des sang- sues immédiatement après la cessation de l'é- coulement. Chez l'homme , la même opération

  • faite a l'anus produit d'excellens effets.

11 est extrêmement difficile de prévenir une rechute imminente , par la raison que pendant


DE LA FOLIE. 07^

la pédode d'incubation déjà écoulée , la mala- die a fait trop de progrès pour qu'on puisse l'arrêter subitement dans sa marche. Si l'on était appelé à temps , outre les moyens que je Tiens d'indiquer, on pourrait tenter une forte dérivation sur le canal intestinal , au moyen de purgatifs , ou une secousse stomacale , avec un vomitif répété plusieurs fois à peu d'inter- valle.


CHAPITRE VI.

RECHERCHES CADAVERIQUES.


Etude de V Anatomie pathologique.

I-^*ANAT0MIE patliologique est certainement la là partie plus importante de l'histoire des mala- dies •, elle a pour objet la connaissance et la re- clierche des lésions ou des altérations organiques qui les constituent essentiellement sans leurs symptômes , car il faut bien se garder de confon- dre ceux-ci avec celles-là, un écho avec l'élé- ment sonore qui le produit. Elle a pour but d'éclairer le diagnostic, c'est -k- dire de faire connaître le siège véritable, la cause matérielle, organique , des troubles observés pendant la vie, leur nature primitive , et de distinguer ainsi ceux qui pourraientavoir quelque ressemblance, quoique la source en fat différente. Les moyens de parvenir à ces résultats sont l'ouverture des cadavres , la dissection , l'étude des organes înaîadesou présumés tels. Objet, but, et moyens que nous allons examiner.

Le défctut d'ouvertures cadavériques, a fait que |e§ anciens ne voyant les maladies que dans


RECHEllCHES CADAVÉRIQUES. Sy^)

les symptômes qui les expriment , nous les ont offertes dans une collection plus ou moins nombreuse de ceux-ci , en faisant toujours abs- traction de la cause prochaine , cause qu'ils n'étalent point à même de découvrir. Delà sont nées de funestes erreurs, dont plusieurs se sont perpétuées même jusqu'à nous. Ils cal fait des maladies , simples modifications de la vie qu'on pourrait définir des lésions ou al- térations organiques exprimées par des sym- ptômes , des êtres réels , qu'ils ont décrits comme des objets d'histoire naturelle , pouvant se fixer sur ua organe ou sur un autre , ou sur tous en même temps ; ils ont pensé aussi que le principe vital avait ses affections propres , indépendantes des organes , delk des lésions vitales. Ainsi ils ont pris l'effet pour la cause , des sympiômes pour la maladie elle-même, des symptômes généraux pour une affectif? générale , des désordres dont iis ne reconnais saient ni ne recherchaient le siège organique, pour une lésion vitale.

Les connaissances positives sur la pathologie ne datent que du moment qu'on a pu étudier , apprécier après la mort , la cause prochaine des troubles survenus pendant la vie. Alors les faits ont commencé à remplacer les hypothèses, les recherches de Bonnet, Morgagni j. Lieu-


^7^ RECHERCHES

taud , Portai , ont fait oublier les rêveries des liiimoristes , des animistes , etc. De nos jours cette étude est devenue générale , et par les résultats îieureux qu'elle a déjà produits , nous devons espérer que la science des maladies pourra un jour être placée au rang des sciences exactes, acquérir un degré de certitude voisin de la conviction; elle nous a fait connaître des causes organicjues locales^ de maladies regardées comme générales , des causes organiques de ma- ladies prétendues nerçeuses , vitales , ou autres. C'est plus particulièrement aux travaux de Bichat, de Rayle, de MM. Portai, Corvisart, Laennec , Dupuytren , qu'on doit attribuer les étonnans progrès qu'a faits l'anatomie patholo- gique dans ces derniers temps.

S'il est donné à l'homme de pouvoir un jour connaître exactement toutes les dispositions de son organisation , l'usage et le mode d'action de tous ses organes , je suis convaincu qu'aloi'S il lui sera démontré qu'aucune maladie n'at- taque en même temps et primitivement tous les systèmes , et que toutes sont organiques , dé- pendent d'un dérangement matériel , plus ou moins appréciable dans les tissus. Aujourd'hui que nous sommes cependant loin d'être arrivés à ce degré de perfection anatomique et physio- logique, en procédant du simple au composé^


CADAVÉRIQUES. ^77

du connu a l'inconnu, de ce qui est a ce qui doit être , et considérant que les mêmes lois ré- gissent tout l'organisme, nous pouvons, nous devons encore par induction , par analogie , admettre que toutes les maladies, comme toutes les fonctions, ont un siège organique, une exis- tence matérielle.

Outre que je conçois difficilement qu'un agent quelconque, attaque en même temps tous les organes ( je ne parle point ici de vices cons- titutionnels inliérens a l'organisation , comme une atonie géne'rale , etc. ) , l'étude même de ces maladies générales, m'a toujours laissé dans un vague extrême. Ne sachant a quoi rattacher la production des phénomènes donnés comme caractéristiques , il m'était très-difficile de me les rappeler, même après les avoir observes ; plusieurs fois j'ai été obligé de les apprendre par cœur , pour les retenir plus sûrement. Il ne me paraissait pas plus essentiel de considérer d'abord les uns, plutôt que les autres, de com- mencer a explorer la tête , le thorax , l'ab- domen ou les pieds. Jamais au contraire l'étude d'une maladie primitivement locale, n'a laissé ce vide dans mon esprit , ne m'a mis dans un tel embarras. Il me suffisait de connaître ou de soupçonner l'organe affecté , pour diriger mes recherches en premier lieu sur lui , savoir pres^


378 RECHERCHES

que d'avance les désordres qu'il devait pré- senter dans sa texture et ses fonctions , et ceux qui surviendraient ailleurs.

Ce n'est pas seulement le défaut d'ouvertures de corps , qui a causé des erreurs sur l'étendue ptrimitlve des maladies -, c'est aussi le dévelop- pement et la marche des symptômes des lésions organiques.

L'organisme résulte de l'ensemble de sys- tèmes, composés eux-méme d'appareils et d'une grande quantité d'organes. Ces éiémens du tout n)ital, d'un côté, sont assez distincts pour exer- cer avec une certaine liberté, l'action, la fonc- tion dont ils sont cliargés , se trouvent en rapport avec des stimulus , des agens parti- culiers , l'œil avec la lumière , l'estomac avec des substances qu'on appelle alimens , le cceur avec le sang, la vessie avec l'urine, le cerveau avec les sensations, etc. , agissent ainsi chacun de leur côté, produisent des phénomènes qui leur sont propres. De l'autre , tous concourent au même but, la conservation et l'entretien de la A'ie , et doivent pour cela être unis, communi- quer entr'eux , s'entendre pour que l'harmonie ne cesse nulle part , ou cesse par-tout , et que ces organes soient, si je puis m'exprimer ainsi, prévenus de leurs maux respectifs , y compa' tissent et s'habituent a les supporter.


C A D .V V É R I Q U E s. J79

11 suit de-lk deux clioses. D'abord, cfue les organes ainsi isolés jusqu'c^i un certain point, dans leurs propriétés physiques comme dans leurs fonctions, ne doivent guère être atteints par des causes œorbifiques, que dans leurs at- tributs particuliers ; il n'est pas d'agent ex- térieur qui ne doive exercer primitivement son action sur une partie plus ou moins circons- crite ; ceux dont on ignore l'essence, tels que les miasmes contagieux, ne peuvent point être cités en preuve du contraire -, on ne doit tout au plus en tirer que de simples conjectures. Et qu'ensuite, presque toutes les maladies s'ac- compagnent de symptômes locaux, qui se pas- sent immédiatement et primitivement dans l'or- gane affecté , et de symptmnes généraux qui surviennent dans ceux qui sympathisent le plus avec lui, et bientôt, si le mal augmente , dans toute l'économie. Si les symptômes locaux bont intenses, circonscrits, viennent d'un organe, d'un appareil ou d'un système peu inilueiits sur les autres , il n'y a ordinairement pas de doute sur l'étendue primitive de ia maladie , on la re- garde comme locale > Dans le cas cpntraire, si l'organe, l'appareil ou le système primitive- ment affectés , le sont profondément , exercent une grande iniluence sur touî; l'organisme , pré- sident à tovis ou plusieurs de ses actes, on con-


58o RECHERCHES

çoit facilement que les désordres locaux et gé- néraux seront presque simultanés -, et de plus, si l'ouverture cadavérique ne montre point d'altération sensible là où il devrait en exister, ou même en fait voir ailleurs, on pourra, si Ton se fie aux apparences , se méprendre sur la production , l'ordre de développement des phé- nomènes observés , les croire généraux dans le principe.

Deux systèmes présentent particulièrement les conditions nécessaires pour donner lieu à ces affections générales, qu'on a encore appelées fièvres -, ce sont le canal alimentaire et le cer- veau. L'un et l'autre, et sur -tout le dernier, ont un rapport intime avec toutes les parties , exercent un empire immense sur l'exercice des fonctions. Leurs moindres dérangemens sont ressentis avec promptitude dans tout Torga- iiisme. Et une chose digne de remarque , et qui n'a pas peu contribué à induire en erreur , c'est qu'en général les maladies de ces organes sont peu ou nullement douloureuses , laissent ainsi facilement croire qu'il n'existe point un foyer morbifique principal ; il faut souvent compri- mer assez fortemeot l'abdomen pour provoquer cette sensation , quoiqu'a l'ouverture du corps on trouve queicjuefois une inflammation des plus vives et des plus étendues. Le cerveau


CADAVÉRIQUES. 58 1

malade, ne peut que rarement apprécier ses propres souffrances.

Je ne sais si celte manière de voir est ancienne ou nouvelle , mais ce dont je ne doute nul- lement, c'est qu'elle se trouve en principe, toute entière dans la Nosograpliie philosophique. Je suis même encore à me demander comment les dissidens comme les adhérens, peuvent s'ac- corder a ne point reconnaître ou proclamer la vérité de ce fait, les premiers pour paraître des novateurs , et les seconds pour se porter les défenseurs d'une cause qui se défend d'elle- m.éme. On dirait que les uns et les autres ai- guisent leurs armes et livrent le combat , sans connaître le terrain. Les nouveaux défenseurs de la doctrine des fièvres, ont, ce me semble , prêté à M. Pinel, des opinions qu'il n'a jamais écrites nulle part. Aucun auteur n'a, plus que lui, fait d'efforts pour assigner un siège orga- nique à toutes les maladies , sans exception des fièvres elles-mêmes. Une preuve évidente qu'il n'a jamais prétendu que les fièvres fussent sans siège , c'est qu'il leur a imposé des dénomina- tions tirées des organes qu'il a cru plus par- ticulièrement affectés -, c'est qu'après avoir ex- posé les principaux phénomènes, qui les carac- térisent dans leurs périodes diverses , il cherche toujours dans la nature même de ces phéao-


502 R E C îî E E. C K E s

mènes, dans les résuilats des ouvertures de corps , a remonter a la source première de tous les désordres. S'il s'est trompé quelquefois , faut -il donc en conclure qa'il n'a jamais eu raison ? Les expressions de fièvres ataxique ou nerveuse , raeningo-gastrique , adéno-mé- nyngée, adéoo- nerveu^se, indiquent positive- ment des affections d'organes ou d'appareils circonscrits, appartenant sur-tout aux systèmes nerveux et digestif. La fièvre aJyiiamique elle- même, dont le nom ne désigne qu'un symp- tôme, a été regardée par le Professeur, comme affectant plus spécialement les muscles.

Il est donc certain que M. Fine! a ckerclié à assigner des sièges a toutes les maladies, et que sur-tout il n'a jamais avance nulle purt, qu'il pût en exister sans cette condition. S'il a lgîi- servè le nom antique de fièvres a quelques-unes, ce n'est pas un mal irréparable , et en outre il les a toujours qualifiées de manière a ne pas se méprendre sur la nature qu'il leur a supposée. La dispute devient ainsi une véritable dispute de mots ; ce sont toujours les mêmes affections, soit qu'on les appelle fièvre mcnyngo gastrique, ou gastro-entérite, fièvre ataxique, ou ma- ladie cérébrale, etc.

Je n'irai pas plus loin , quoique je m'éloigne ainsi de mon sujet , sans dire un mot sur le


C A D. V É RI Q Ù É S. 383

Lien et le mal , qu'à mon avis , la doctrine de M. BroLissais a produit en palhologie. Je ne veux point examîuer au fonds les opinions de ce médecin , je ne les connais point assez pour cela-, d'un côté le professeur n'a rien écrit, et de l'autre , ses éiè ves s'entendent si peu , que sur plusieurs réunis, j'en ai rarement vu deux entièrement d'accord. Biais ce que tout le monde peut apprécier , ce sont les cliangemens qu'elles ont apportés dans la thérapeutique , véritable et seul but où doivent tendre à nous conduire toutes nos connaissances.

On doit, je pense, savoir gré à M. Broussais: 1 ," D'avoir appelé l'attention sur les affections iocûles , et notamment sur celles du canal ali- mentaire. Les organes digestifs , par la nature même de leurs fonctions, doivent être très- exposés aux maladies *, ils reçoivent plusieurs fois par jour les substances les plus différentes, souvent les plus contraires a la santé tant par leurs qualités que par la quantité. Combien sont fréquentes, la gourmandise cbez les riclies, l'ivrognerie, la mauvaise nourriture chez les pauvres ! L'ouverture des corps d'individus mortâ de fièvres adynamiques, montre pres- que toujours des inllammatiôns plus ou moins vives, quelquefois gangreneuses du conduit in- testinal;, il n'est pas douteux, selon moi, qu'elles


384 RECHERCHES

ne soient le résultat de l'afFection locale pri- mitive , qui k déterminé tous les désordres. Beaucoup de médecins les croyent secondaires, mais je pense qu'ils sont dans l'erreur.

2.° D'avoir étendu l'emploi de la méthode débilitante et des saignées locales, et fait voir le danger de l'usage intempestif des médica- mens toniques , stimulans , prétendus antispas- modiques. La diète et le repos , sont deux con- ditions essentielles à la guérison des maladies aiguës ; les médicamens n'arrivent qu'en se- conde ligne, et ne sont souvent utiles, il faut en convenir, que pour satisfaire les assistans et l'imagination du malade. Je suis bien convaincu aussi, (|ue dans ce qu'on appelle fièvres ady- namique et ataxique , on a beaucoup trop fait attention a la faiblesse , à l'abattement extrêmes indirectement produits par l'affection locale du canal alimentaire , ou d'un autre organe dans la première, et du cerveau dans la seconde. Tout , du reste , annonce dans ces maladies , une grande irritation dans un système impor- tant. Tels sont: l'état local des parties de la tête, la congestion cérébrale, la rougeur, la pulvé- rulence , le brillant des yeux , le coma ou le délire, les convulsions qui caractérisent la fiè- vre ataxique -, l'état de l'abdomen , la rougeur vive ou la noirceur et la sécheresse de la langue.


C/LDÂVÉRIQUES. 585

les douleurs épigastrlques ou d'une autre région abdominale , le ballonnement du ventre , la douleur que fait naître la pression sur cette partie, douleur qui n'est quelquefois exprimée que par un changement subit dans les traits de la face au moment de la pression , les déjec- tions fréquentes, muqueuses , sanguinolentes , fétides ou autres, qui caractérisent le plus sou- vent la fièvre adynamique. Or, je le demande, était-il bien rationnel de donner dans des cas pareils, tout ce que la matière médicale possède déplus énergique en stimulans, toniques, etc., comme quinquina, musc, camphre, ammoniaque etphosphorel Des malades s'en sont bien trouvés, me dira -t-on-, mais combien ne peuvent en dire autant. Est-il d'ailleurs un seul remède qui ne compte quelques succès? Et puis cette bonne nature n'est -elle pas toujours là pour parer autant que possible , aux erreurs de la médecine ou du médecin, amener la guérisoix avec, sans, ou malgré les efforts que nous ten- tons pour arriver au même but.

Lessaignées locales peufortes, quelquefois de quelques sangsues seulement,et souvent répétées dans les phlegmasies chroniques, plus étendues dans les phlegmasies aiguës, me paraissent offrir de grands avantages. J'ai indiqué ailleurs (i),

(i) Chapitre V.


586 RECHERCHES

dans quels cas généraux elles étaient préférables à la saignée veineuse, et quand au contraire on doit avoir particulièrement recours k la section d'une veine.

Je ne parle point ici de l'excellent Traité des plilegmasies chroniques, qui est bien antérieur à la nouvelle doctrine médicale.

Mais on peut reprocher à M. Broussais, comme en générai a tous les novateurs, k tous les chefs de secte , qui ne peuvent jamais convenir de la réalité des choses qui seraient dans le cas de contrarier ou de porter atteinte a leurs systèmes, a leurs doctrines , etc. , d'avoir des idées tout- a-fait exclusives , i .° sur les maladies en général, en les considérant toutes comme étant de même nature dans le principe j 2.° sur les maladies en particulier , en les voyant toutes , soit pri- mitivement, soit secondairement , dans le canal alimentaire et désignant celles de ce conduit par l'expression unique de gastro - entérite , quoiqu'elles ne soient pas de même nature ; 3.° de faire un usage k-peu-près exclusif de la méthode débilitante dans toutes les maladies.

Je ne puis rien dire des opinions de Pauteur sur la nature des maladies ; je ne sais point ce qu'il entend par irritation , iiifiammation , sub- inflammation .

11 fait de Pestomac , le foyer principal des


CADAVÉRIQUES. 38/

maladies ) il regarde cet organe comme un . sixième sens , un sens interne. Nous avons déjà dit que nous pensions en effet que le canal alimentaire offrait souvent des dérangeraens , même primitifs. Mais de ce que dans toutes les maladies il se trouve affecté, il n'en faut pas conclure que l'attention du médecin doive être exclusivement dirigée de ce côté, et nullement ver> le mal éloigné qui a provoqué les désor- dres. Parce que, dans un panaris , il surviendra de la perte d'appétit, de la soif, etc. , faudra- t-il oublier le doigt , pour donner l'émétique ou appliquer des sangsues à l'épigastre, et dans une péripneumonie , une maladie cérébrale, laisser de côté le poumon et le cerveau ?

Gastrite, entérite, gastro-entérite, signifient dans le langage médical r^çu, une inflammation plus ou moins étendue du canal intestinal. Heu- reusement pour l'humanité qu'elles ne sont pas aussi fréquentes que l'i^iiteur le ferait croire , car on sait qu'elles sont le plus souvent mor- telles. Mais M. Broussais a forcé , dénaturé la signification naturelle de ces mots, en les ap- pliquant à toutes les maladies de ces organes , depuis le simple embarras gastrique, jusqu'à la phlegmasie la plus aiguë -, voilà pourquoi , selon lui , le traitement ne varie point non plus. Je crois qu'on a beaucoup abusé des vomitifs ,


588 RECHERCHES

et qu'ils ne doivent jamais être employés quand il y a des signes prononcés d'irritation abdomi- nale , fièvre , douleur épigastrique , etc. ; mais dans ces cas même je les al vu employer quel- quefois avec succès , et sur-tout sans qu'il en soit résulté des inconvéniens marqués seule- ment une seule fois. Certes pourtant, s'il y avait gastrite , un pareil moyen devrait l'augmenter a un point extrême. La plupart de ce qu'on appelle des embarras gastriques sans lièvre, peuvent facilement disparaître à l'aide de la diète et de boissons mucilagineuses, acidulées; si on y ajoute l'application de quelques sang- sues , il n'en pourra résulter de mal. Un émé- tique produit le même effet, sans que pour cela on f\\sse comme si l'on jouait la vie du malade à té Le ou pile.

Les personnes qui ont suivi la pratiqué de M. Broussais, savent combien ce médecin a quelquefois abusé de la méthode débilitante ; ses élèves ont été encore plus loin que lui. Si plusieurs centaines de sangsues , des bains tièdes pour en augmenter l'action , une diète toujours excessivement rigoureuse pendant fort long- temps, etc. , ont diminué ou fait disparaître des inllammations , il faut avouer que ces mojens pourraient bien produire de graves incour veoiens.


CADAVÉRIQUES. 089

Il résulte nécessairement d'une pareille doc- trine , que non seulement toutes les maladies réclament a - peu - près le même traitement , mais qu'il suffit de le diriger y ers le canal ali- mentaire. S'il en est ainsi, est -il donc besoin de faire de si pénibles études médicales, de compromettre si long-temps sa santé dans des hôpitaux toujours mal-sains, pour apprendre k établir le diagnostic souvent si diflicile de cha- que affection? Les élèves peuvent se dispenser de travailler ; l'officier de santé en sait tout au- tant que le médecin le plus instruit.

Voila ce que je pense de la direction donnée à la pathologie, par M. Broussais ; les louanges et les reproches ont été faits avec franchise et bonne foi. Je peux m'étre trompé d'un coté comme de l'autre , mais c'est sans intention et avec ia volonté de rectifier les erreui^s que j'aurai commises , dès que j'en serai averti et que je les aurai reconnues.

Je viens de parler de l'étendue primitive des maladies: je devrais examiner la question de savoir si elles sont toutes organiques , s'il en existe de vitales *, mais je l'ai déjà traitée ail- leui"s (1) , et j'aurai occasion d'y revenir dans l'instant. Je vais dire un mot das altérations des humeurs.

(1) Introduction^


SqO RECHERCHES

'Que doit -on entendre par maladies humo- rales'^ Les anciens ont-iis eu tort de les ad- mettre presqu'cxciusivement , les modernes Oiit-ils raison de voir d'une manière opposée? Les humeurs que renferment les vaisseaux ou des réservoirs, sont vivantes*, une fois sor- ties du corps, tout en Conservant leurs prin- cipes chimiques, elles perdent leurs qualités animales *, le sang se coagule pour ne plus re- devenir lluide , le lait se décompose en sérum, Jait et fromage. Il est incontestable que leurs principes coastituans doivent varier selon une foule de circonstances , ne plus être en har- monie, et enfin la liqueur animale se trouver dans un état tel, qu'elle ne puisse plus remplir le but auquel elle est destinée, ou même avoir des propriétés opposées et devenir un irritant , un véritable corps étranger. Que va-t-ii en ré- sulter? Que cette humeur ne faisant plus la m^énie impression sur l'organe ou le système qu'elle parcourt, le dérangera nécessairement et pourra causer une maladie 3 maladie qui aura son siège dans Porgane, et reconnaîtra pour cause Faltei^ation iiuinorale. Je ae peux con- ce\oir autrement la chose, prenons un exemple: je suppose que de la bile séjourne en trop grande quantité, ou trop long-temps dans le duodé- num, qu'elle y acquiert des propriétés irri-


CADÀ-VÉîlîQirES. 591

tantes ; il en pourra résulter une irritation , une inflammation de cet intestin. Le liquide bilieux aura agi ici comme un corps étranger*, il n'est que cause occasionnelle de l'entérite , dont la cause prochaine réside dans l'intestin. Ainsi, je pense donc que les humeurs altérées peuvent produire des maladies. Mais ces hu- meurs sont toutes le résultat d'une action or- ganique-, le sang avant d'être artériel, rouge, nutritif, a d'abord été un liquide blanc, chy- leux , formé par l'action digestive-, ce chyle après un moment de circulation, s'est mêle au sang veineux , noir , a passé dans le cœur et delà dans le poumon pour y recevoir le reste de ses propriétés vitales. Le lait est formé par les mamelles , la bile par le foie , l'urine par les reins, etc.', c'est donc à ces organes que nous devrons attribuer les défauts de leurs oeuvres •, ce sont eux qui les premiers ne sont plus dans les conditions de la santé, et devien- nent la cause première de tous les désordres subséquens.

Pour faire des recherches d'anatomie patho- logique et en tirer des résultats propres k éclairer le siège , la nature , et le diagnostic des maladies, il ne suffit pas d'ouvrir des cadavres: il faut encore posséder des connaissances préa- lables, sans lesquelles ces recherches devien-


3g2 Px E C II E K C H E s

(Iraient inutiles ou dangereuses , pourraient égarer, induire en erreur sur la valeur des faits observés. Pour que cette partie de la pa- thologie puisse atteindre le degré de perfection que nous de\ons désirer, il est indispensable 1.° que nous connaissions exactement tous les attributs physiques des organes, leur texture, le mode d'exercice de leurs fonctions dans l'état saiuj 2.° que nous adoptions un langage ri- goureux, significatif de description pour dé- signer, décrire les altérations variées de tous les tissais -, 3.° que les ouvertures de corps soient faites avec tout le soin , toute la patience con- Tcnables. Alors seulement on pourra tirer des conséquences justes , utiles des recherches ca- davériques. Au contraire, tant que ces condi- tions né seront pas remplies , les lésions orga- niques ne pourront , en général , qu'être pro- duites à V appui d'opinions, sans les motiver exclusivement ; elles fourniront des preuves alllrmatives , mais difiicilement de négatives , c'est-à-dire qu'une altération profonde donnera bien rex-|3iication de symptômes graves, mais qu'une intégrité apparente d'organes peu con- nus dans leur texture et le mode d'exercice de leurs fonctions , ne devra point faire prononcer qu'il n'exi&te aucuns désordres physiques. Examinons en particulier, chacun de ces » -^rois points.


C A D A. Y É R I Q L E s. Sq^

Organes dans Vétat sain.

1 ." Attributs eoctér leurs des organes. Le mé- canisme de la vie , la cause première de tous les pîiénomèues nous seront probablement tou- jours inconnus , c'est un mystère impénétra- ble. Mais il n'GiiL est pas de même de ce qui est matériel, sensible, et fait partie du domaine de nos sens ^ nous pouvons apprécier le volume, la forme , le poids , la situation relative et ab- solue , la consistance , la couleur des organes *, c'est aussi la ce qu'il y a de plus facile en anatomie.

Il ne faut pas croire , néanmoins , que nos connaissances ne laissent rien a désirer sur ces attributs physiques, qu'ils soient tellement in- variables , que nous puissions reconnaître faci- lement s'ils ont changé. Des différences nota- bles apportées dans tel ou tel organe, tel ou tel système, ou dans tout l'organisme par l'âge , le sexe , le tempérament , l'idiosyncrasie, rendent la chose beaucoup plus difficile , et souvent nous avons la plus grande peine à distinguer l'état sain , de l'état malade. Prenons pour exemple le foie et la rate : certainement que ces deux or- ganes doivent jouer un grand rôle dans l'héma- tose, et par là avoir beaucoup d'influence sur la nutrition, car on ne peut pas croire qu'avec


594 RECHERCHES

un tel volume et recevant une si grande quan- tité de sang , ils soient simplement destinés k former un peu de bile , ou bien à remplir les hypochondres et se faire respectivement un contre-poids. Leur couleur est des plus varia- bles j le foie peut être blanchâtre, jaune foncé, rougeâtre , brun , verdâtre , etc. Son volume varie de même j je l'ai trouvé occupant tout le flanc droit, quoique me paraissant parfaite- ment sain. La rate peut peser quelques gros ou plusieurs livres , être livide ou rouge lie de vin , inégale dans sa couleur , molle ou ferme , etc. Est-il bien facile , maintenant , de saisir les altérations physiques de pareils organes , et devons-nous être surpris si leurs maladies sont si peu connues ^ U me serait aisé de multi- plier les exemples.

En outre , ce n'est qu'après que la vie a cessé que nous pouvons scruter l'intérieur de riiomme , et on sait que par le seul fait de la m.ort, tout devenant inanimé , rentre sous l'empire des lois générales de la nature, les tissus ne conservent plus les mêmes propriétés que pendant la vie. Le sang, refoulé dans les vaisseaux capillaires , abandonné à son propre poids, détermine , dans le premier cas , une injection particulière , une couleur rouge plus ou moins foncée dans quelques organes^ et sur-


C A. r> ,V V É R ï O U E s. ZoS

tout dans la membrane muqueuse gastro-in- testinale , souvent aussi dans le cerveau , et dans le second, des ecchymoses, des vergetures, une sorte d'engouement dans les parties dé- clives , dans la partie postérieure du poumon , par exemple , si le cadavre est placé quelque temps sur le dos. L'on se tromperait grossiè- rement f si l'on prenait ces dispositions organi- ques pour un état naturel ou de maladie. Re- m.arquons aussi que les maladies, lorsqu'elles deviennent graves s'accompagnent de symp- tômes généraux , c'est-à-dire, de désordres dans tous les organes ; et quand après la mort , nous regardons comme sain tout ce qui est éloigné du foyer principal , nous nous trompons ; quoique i'aitération doive être peu sensible , encore existe -t -elle.

Je viens de parler des varié es de coloration du foie et de la rate : on n'est guère plus d'ac- cord sur la couleur naturelle de la muqueuse gastro-intestinale ; que de discussions patlioio- giques en sonf résultées dans ces derniers temps ? Où i'un ne voyait rien de particulier , ou bien les effets presque mécaniques de l'injection des capillaires de cette mjmbrane , si or- dinaires dans les lésions du cœur et les agonies longues , l'autre y découvrait une inllam- mation m.anifeste. J'avoue même que j'ai


096 Ti E C II E E. C îî E S

été emLarrassé dans plus d'un cas semblable. 2.° Texture , organisation intérieure. C'est ici que commencent a se présenter en foule des difficultés insurmontables , pour l'anatomiste ; une fois qu'il pénètre l'intérieur des organes , les sens sont bientôt insuffisans pour apprécier une texture, une organisation plus ou moins compliquée dans ses élémens devenus homo- gènes. Vaisseaux, nerfs, tissu lamineux , pa- renchyme particulier , tout se confond et de- •vient méconnaissable. Savons - nous comment les vaisseaux artériels se terminent et commu- niquent avec les veines ? nous ne pouvons que faire des conjectures h cet égard. On pense généralement qu'il existe des réseaux capiU laires entre ces deux ordres de vaisseaux. Mais on pourrait tout aussi bien supposer que les artères finissent et déposent le sang dans des aréoles organiques où les veines viennent le reprendre. Nous pourrions peut-être mieux , par cette derriière explication, nous rendre compte de certains faits physiologiques. La moindre piqûre faite à une partie et sur- tout a la peau,, détermine la sortie d'un peu de sang ; si l'on admet les réseaux capillaires , il faudra revenir nécessairement a cette ancienne idée t que tout le corps n'est que vaisseaux, puisqu'on les trouve ainsi partout. Voilà déjà un très-


CA.DA.VÉRIOUES. OQf

grand mystère de l'organisation : et cependant combien est grand le rôle que jouent , dans beaucoup de maladies , ces vaisseaux capil- laires ? Comment pourrons-nous reconnaître s'ils sont ou non altérés; si nous ne les connais- sons pas ? Venons a des choses un peu moins cachées : voyons ce que sont nos connais- sances sur l'organisation , même apparente , de quelques tissus , du foie et du cerveau , par exemple.

Sur dix foies regardés comme parfaitement snins, vous n'en trouverez peut-être pas deux qui présentent le même aspect intérieur. La couleur de la surface incisée sera tantôt jaune clair , jaune foncé, grisâtre , rouge marrontoii très-brune , etc. , le tissu paraîtra presqu'ho- mogène ou très-granulé. On trouve souvent cet organe dépourvu de liquides , ses vaisseaux sont vides et ne laissent rien échapper j d'autres fois il s'écoule en abondance , des humeurs sanguines et noires, ou bilieuses et jaunes , très- fluides ou plus consistantes , poisseuses.

L'organisation du cerveau et des nerfs en général, est encore bien moins connue que celle du foie, il n'y a même pas long-temps qu'on étudie cet organe comme un corps qui a eu vie -, on le considérait tout simplement comme une jnasse a faces , bords et angles , sillonnée


398 RECHERCHES

par des anfractuosités , séparée en plusieurs lobes , creusée de cavités, percée d'ouvertures , diviséeeii deux substances , l'une grise et 1 autre biancke. Du reste , 00 s'occupait fort peu de la texture , de la direction des fibres nerveuses \ la dissection consistait d faire des coupes en sexis divers, sans ijutres règles que la voloiité de Panalomiste. Deputs qu enfin on a étudié l'en- céphale comme un corps organisé , on a com- mencé à découvrir qu'il est foroié d'après des lois positives, qu'il est composé défibres réu- nies en plus ou moins grand nombre pour donner naissance à des cordons, des faisceaux , des lames, des membranes, qui se portent en sei^ divers, s'anastomosent ou s'entrecroJsent, unissent ou séparent des parties , et circonscri- vent ainsi des canaux, cavités, voûtes, etc., que ces libres évidemment entrecroisées dans la moelle aîongée, deviennent plus nombreuses à mesure qu'on se dirige vers les parties supé- rieures, où elles s'épanouibsent et se transfor- ment en une large membrane plissée , adhé- rente par presque toute sa face intérieure, et figure ainsi des espèces de circonvolutions intes- tinales. Une suijstaoce molle, grisâtre, accom- pagne ces fibres partout, et sert, a ce que l'on pense, à leur fournir des matériaux nutritifs^ Nous devons la plupart de ces utiles découvertes


CADAVÉRIQUES. ogg

aux reclierches des docteurs Gall et Spurzhelm. D'après le peu que nous connaissons de l'or- ganisation encéphalique , nous devons être convaincu que nous ignorons beaucoup. 11 en est de même pour tout le système nerveux. D'ailleurs , nous rencontrerons toujours de grands obstacles dans l'ignorance où nous sommes sur les usages de chaque partie de cet organe j il n'est certainement pas probable que des fonctions si multipliées aient «ne cause unique, le cerveau doit être composé. D'après cela, je le demande , que devons nous penser de l'anatomiste qui après avoir fait quelques tranches avec le scalpel , prononce hardiment il n'y a rien , au lieu de dire je n'y 'vois rien ? IXous sommes encore probablement bien éloi- gnés d'une instruction suffisante , pour pren- dre une décision aussi affirmative.

3.° Modes d'action des organes. Nous ne pouvons jamais apprécier que les résul- tats et non le mode d'action intérieure des organes -, nous voyons les alimens se trans- former successivement en chyme , en chyle et en fèces ; le sang poussé dans toutes les par- ties et ramené au cœur , la pensée résulter de la réaction cérébrale sur les sensations , etc. 3 mais nous ne connaissons pas les mouvemens intérieurs qui doivent se passer dans le tissu


400 RECHERCHES

du canal digestif, du cœur et sur-tout du cer- veau. Les glandes reçoivent du sang , qu'elles changent en un liquide nouveau , coniiiient cela se fait-il? quels mouvemeas ont lieu dans cette opération ? Quelques expériences semblent bien prouver qu'il y a communication entre les vaisseaux sanguins et les canaux excréteurs, cela doit être ainsi-, cependant nous devons ad- mettre quelque chose d'intermédiaire pour compléter l'action de la glande. Si nous ne pou- vons avoir connaissance du mode d'action des organes , des cliangemens physiques qui l'ac- compagnent, la cause malérielle d'une foule de lésions devra nous échapper , et cela d'au- tant plus facilement qu'il régnera plus d'obs- curité dans l'exercice des fonctions.

Enfin nous sommes si peu instruits sur la cause productrice des phénomènes vivans, qu'à l'inspection d'un organe sain , nous ne poiîrrons presque jamais dire d'une manière positive , comment il devait exercer ses fonctions. Un grand volume est, en général, une présomp- tion en faveur de facultés étendues. Cependant combien de colosses sont sans énergie muscu- laire, de grosses tètes sans esprit, et au con- traire combien ne voit -on pas de petits athlètes , d'hommes spirituels , avec un front moins qu'ordinaire. Ces différences tiennent pourtant


CADAVÉRIQUES. 4oi

à l'organisation ', mais nous ne sommes point à même de les apercevoir.

Cet examen de l'homme sain doit nous convaincre que des difiicultés insurmontabies s'opposeront toujours à ce que nous puissions tirer des recherches d'anatomie pathologique, des résultats tous positifs. Voyons si ces diûi- cullés sont les seules que nous ayons à sur- monter.

altérations organiques.

Les organes sont altérés, i." d'une manière inappi-éciable à nos sens ; ce sont les lé- sions vitales, nerveuses ou autres , des auteurs ; 2.° dans quelques-uns de leurs attributs phy- siques , dans leur texture, mais sans désorga- nisation, c'est à-dire, que si la maladie est sus- ceptible de guérison , la partie reviendra a son ancien état , et que, dans le cas contraire, on reconnaît facilement son tissu , quoique dé- formé , changé en quelques points ; o.° dans toutes leurs propriétés, et transformés en des tissus nouveaux tout-à fait différens de l'orga- nisation primitive ; 4.^ enfin ils recèlent des corps étrangers à l'économie. Les trois pre- miers états pathologiques ne sont souvent que des degrés d'une même affection -, je veux dire que toutes les maladies commencent par des

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402 RECHERCHES

changemens d'organisation peu sensibles , et peuvent finir par aller jusqu'à la désorganisa- tion plus ou moins complète , si l'on n'en ar- rête le cours destructeur. Elles sont d'autant plus faciles a guérir, qu'elles sont moins avan- cées •, les tissus peu altères reviennent mieux à l'état sain *, les transformations sont incurables.

Les altérations vitales ou insensibles , de- viendront sensibles, au moins en partie, avec les progrès de l'anatomie et de la physiologie, et si l'on continue avec ardeur les recherches pathologiques. Elles ont déjà prodigieusement diminué depuis que nous pouvons ouvrir des cadavres; aujourd'hui elles sont presque relé- guées dans le système nerveux , et pourront y rester long-temps presque les mêmes, car tout doit nous faire craindre que nous n'ar- rivions jamais à la connaissance parfaite de ces organes et de leurs fonctions. Il est de ces lé- sions qui existent visibles pendant la vie et dis- paraissent avec la mort : telles sont la rougeur légère , la tension des parties; ce que nous ne pouvons observer qu'à l'extérieur, doit aussi arriver à l'intérieur , et probablement que plu- sieurs changemens organiques nous échappent de la même manière.

Lesaltérations sensibles sans désorganisation, ^ont ei^trêmement nombreuses 3 elles consistent


CA.DAVÉRIQUES. 4^5

en des cîiangeraens plus ou moins considéra- bles dans les attributs physiques, la position relative et absolue , les connexions des organes. Tels sont une augmentation ou une diminu- tion de poids , de volume, de densité, de con- sistance , des variations dans la couleur exté- rieure et intérieure , la présence de liquides sé- reux , purulens , sanguins ou gélatineux dis- séminés ou réunis en foyers, des déplacemens , des solutions de continuité , des adhérences contre-nature , des dilatations ou obstructions de canaux, réservoirs, vaisseaux, etc. Un grand nombre de ces altérations sont les sui- tes des phlegmasies aiguës ou chroniques j Pin- llammation est une maladie très - fréquente , dont sont susceptibles presque tous les tissus ; elle peut s'accompagner dans ses diverses pé- riodes selon son siège , le degré d'intensité , ses terminaisons, des phénomènes sui vans : rou- geur, injection sanguine, phlogose, tension, aug- mentation de volume, engorgement extrême des vaisseaux , d'où résultent ce qu'on appelle hépatisation , ou une extravasation sanguine , des exsudations séreuses , couënneuses , des fausses membranes , des adhérences , l'épaissis- sement , l'induration des tissus , des escharres gangreneuses, etc.

Il serait bien im,portaiît qu'on pût fixer au

a6.^


4o4! RECHERCHES

juste le sens pathologique du mot inflamma- tion ,dire où cette affection commence et jSnlt, quels sont les caractères particuliers qui peu- vent toujours la faire reconnaître, quel que soit l'organe atteint. Elle peut exister sans douleur; beaucoup de plilegmasies chroniques sont dans ce cas : sans tumeur ; on n'est pas bien sûr si les séreuses s'épaississent, on conçoit difficile- ment une augmentation de volume du cerveau: sans chaleur ; cela arrive très-fréquemment quand elle est chronique : il y a toujours, il est vrai , rougeur , injection des vaisseaux san- guins, présence du sang dans des vaisseaux qui n'en contiennent point ordinairement : mais ce phénomène ne suffit pas pour caracté- riser cette maladie , la distinguer de la conges- tion-, il faut de plus, l'un des symptômes pré- cédens , ou quelque disposition organique que nous ne connaissons pas. On voit combien on doit quelquefois être embarrassé à l'ouverture du corps pour décider si la rougeur qu'on remarque est inflammatoire, dépend d'un sim- ple état de congestion, ou même d'une injection presque mécanique survenue pendant l'agonie, ou à la suite d'une lésion du cœur ou des gros vaisseaux. J'avoue que j'ai souvent été embar- rassé dans des cas pareils; je ne savais de quelle nature étaient des taches, des plaques rouges.


CADAVÉRIQUES. 4o5

l'injection d*une partie plus ou moins étendue de la muqueuse gastro-intestinale, sur-tout du jéjunum et de l'iléon ; il ne s'était manifesté pendant la vie, rien qui dut les faire soupçon- ner -, pas de douleur , de soif, de rougeur ni de sécheresse delà langue, de dévoiement, etc. ; la membrane n'était ni épaissie ni ulcérée, je finis par douter que cela fût toujours maladif, et par croire que ce n'était point inflammatoire.

Dans les transformations organiques , la sub- stance des organes a tellement changé, qu'elle est méconnaissable ; elle est réellement devenue un tissu nouveau, qui jouit de propriétés tout- à-fait nouvelles 3 tissu qui est toujours de même nature , quelle que soit la partie qui lui donne naissance. Il y en a de deux sortes : les uns ont des analogues dans l'économie j telles sont les ossifications accidentelles de parties molles : les autres sont entièrement étrangers , e| toujours le résultat de maladies. MM. Bayle et Laennec nous en ont faite connaître quatre es- pèces bien distinctes : le tubercule , le sqiiirrhe , r encéphaloïde ou matière céréhri forme , et les mélanoses. Ces altérations ont des caractères propres , une marche régulière -, elles ne peu- vent jamais guérir que par l'ablation de la partie affectée , quand elle est possible.

Je crois qu'on doit regarder comme un tissu


4o6 RECHERCH ES

nouveau , la transformation graisseuse ou ady- pocireuse du foie tourné au gras } le foie n'est pas le seul organe qui soit susceptible de la présenter j je l'aï trouvée plusieurs fois dans le poumon gauclie -, la ressemblance était par- faite. La dégénération du tissu cellulaire dans l'élépliantiasis et quelques autres affections clironiques, a beaucoup d'analogie avec cette altération organique.

Les corps étrangers qui peuvent exister dans nos organes , sont animés ou inanimés , naissent en nous ou viennent du dehors •, telles sont les différentes espèces de vers, les cal- culs vésicaux , biliaires ou autres , des corps introduits par les ouvertures naturelles ou des plaies, etc.

Ouvertures cadavériques , leurs résultats ma- tériels , les conséquences qu'on en peut dé-


d


uire.


Si les recKerclies cadavériques ne produisent pas toujours tous les résultats désirables, on peut quelquefois en accuser la manière dont elles sont faites : non-seulement il est néces- saire d'y apporter beaucoup d'attention, d'avoir constamment l'état sain présent a l'esprit , mais il faut encore beaucoup d'habitude pour voir les choses ce qu'elles sont, n'être


CADAVÉRIQUES. 4o7

pas surpris , étonné des phénomènes les plus naturels comme les plus ordinaires *, voilà pourquoi ce n'est guère que dans les hôpitaux qu'on peut se livrer avec fruit à de pareils travaux; la facilité qu'on a, dans ces asyles, de voir souvent Ics mêmes objets^ de pouvoir les comparer, met à même de découvrir la vérité , de rectifier des erreurs nées d'un ju- gement précipité ou mal 'assuré.

Les recherches doivent être faites avec d'au- tant plus de soin que la causé que l'on cherche parait plus cachée , que les organes supposés affectes d'après l'observation des symptômes , sont moins connus dans leur organisation et leur action. Ainsi , tandis que le jx)umon laisse facilement apercevoir les changemens survenus dans ses propriétés physiques, on ne peut souvent les. découvrir dans le cerveau, que lorsque la maladie a fait de grands progrès , et qu'ils ne sont plus que les effets de l'affection primitive : c'est ce qui arrive dans la parai ,sie chronique , suite de la folie. L'anatomie patho- logique de cet organe est encore bien peu sa- tisfaisante ; outre les raisons que j'ai données pour expliquer ce fait, il en existe encore d'au- tres : d'abord, on ne l'examine point avec assez d'attention-, on se contente le plus souvent de le couper en plusieurs sens, de péneti-er dans


4o8 RECHERCHES

l'intérieur de ses cavités , etc. -, et en outre , on voudrait trouA'^er des désordres physiques pres- quVvussi appareils que dans les tissus les plus simples; oubliant ainsi que le plus léger dé- rangement de la substance cérébrale, que quel- ques gouttts de sang épanchées dans l'intérieur du crâne produisent les plus graves accidens , quoiqu'à l'ouverture l'on ne puisse rien décou- vrir de contraire a l'ordre naturel. Combien de lésions aussi légères, ou que nous regardons comme indifférentes, doivent nous échapper î

En général, on ne fait l'ouverture d'un corps, que lorsqufon a. observé pendant la vie des phénomènes dont on veut reconnaître la cause organique ; alors on commence l'examen par la partie qu'on regarde comme principale- ment affectée, et on poursuit selon ce que l'on se propose de chercher. Quelquefois , dans des cas de médecine légale, on est obligé de faire l'autopsie de cadavres sur lesquels on n'a aucuns rens;:ignemens. C'est sur-tout ici qu'il faut prendre garde de confondre des dispositions naturelles avec le résultat de maladies, des plaies qu'on uuruit faites inconsidérément avec le scalpel , pour des blessures: les conséquences de pareilles méprises peuvent être de la plus haute iaiportance.

Auparavant de chercher k tirer des consé-


C A T> A V É R I Q U E S. 4o9

quences de l'ouverture d'un corps, on doit rendre compte des résultats matériels, des al- térations organiques qu'on a cru observer. Au- trement, si vous alliez dire sans détails, que d'après vos recherches vous avez été convaincu de telle chose ou de telle autre, on serait en droit d'en douter; car, ce que vous prenez pour un état pathologique peut en être un auti'e , la route que vous avez suivie peut n'être pas botine, vous avez pu oublier d'explorer avec attention des organes importans , ce qui vous a paru indijBférent peut être d'une grande im- portance, etc. 11 faut donc d'abord décrire les faits observés et ne pas seulement les désigner par des termes qui expriment des choses con- venues •, ainsi , au lieu de dire simplement que tel organe est enflammé, bepatisé, cancéré, etc. , on donnera des détails sur ce que l'on croit être ces modes d'altération, et le lecteur, du moins, sera à même de pouvoir rectifier les er- reurs commises. Ce qui me fait insister sur ce précepte, c'est que j'ai souvent vu survenir des discussions k l'occasion des faits les plus ma- tériels-, par exemple, l'un prenait pcar une inflammation de la muqueuse iritestinale , ce que l'autre regardait comme une phlogose lé- gère , et ce qu'un troisième considérait comme l'état sain , et la même altération était appelée


4ïO RECHERCHES

inflammation, phlogose, injection des Taîsseaux sanguins , etc. En traçant le plus exactement possible ce qu'on observe, cliacun est libre à'j découvrir ce qu'il voudra.

La description exacte des altérations orga- niques n'est pas sans difficultés ; il arrive sou- vent , ou qu'on ne saisit pas bien la différence d'avec l'état sain , ou bien qu'on n'a pas d'ex- pressions justes, rigoureuses, pour indiquer en quoi consiate cette différence. Ainsi , j'ai sou- vent été embarrassé pour dire si un crâne d'a- liéné était plus ou moins épais , plus ou moins dense , plus ou moins compacte, etc. , que celui d'un autre individu ; si le cerveau était de même plus ou moins mou , décoloré ou non , offrait des différences dans le volume , la con- sistance de ses diverses parties. Aussi je me défie toujours de ces assertions affirmatives , sans aucun doute. Quand Greding avance que tous les crânes d'aliénés sont épais , je serais tenté de penser qu'il n'en a jamais vus , mais j'aime mieux croire qu'il ne les a pas comparés avec ceux des personnes qui n'ont point perdu la raison : je dirai la même chose des auteurs , qui , mettant leur imagination à la place des faits , ont cru voir tous les cerveaux des furieux, très-coiîsistans et même friables , et tous ceux des mélancoliques , plus ou moins mous.


CADAVÉRIQUES. 4l 1

Ces assertions erronnées peuvent provenir de deux causes : la première , de vouloir dé- duire des conséquences générales, s'élever s. des résultats généraux , d'après des faits peu nom- breux ou mal observés ; la seconde , de faire toujours les mêmes recherches sur un même genre de malades.

Le manie de bâtir des systèmes , de faire des théories, de fonder une doctrine nouvelle , jointe à l'aniour propre qui fait facilement naître chez l'homme l'idée de supériorité, quelquefois même d'infaillibilité , a enfanté et enfantera en- core long-temps des erreurs sans nombre. Une imagination ardente, témoin d'un phénomène , d'un fait qui lui paraissent extraordinaires , s'en empare, les généralise, pose des prin- cipes , trouve les lois de leur existence , etc. ; mais une nouvelle observation vient bientôt faire écrouler un échafaudage si peu solide. Combien avons-nous vu , dans toutes les scien- ces , même dans celles qu'on nomme physi- ques ou exactes, de théories ainsi détruites et remplacées par d'autres ! Voyez où en est la chi- mie aujourd'hui , et dites ce que deviendrait Stalh avec son phiogistique , et si Lavoisier et Fourcroy , les régénérateurs de cette science , ue paraîtraient pas un peu surannés , s'ils reve- naient dans leurs laboratoires ? Ce ne doit donc


4 1 2 RECHERCHES

être qu'avec la plus grande réserve , et toujours d'après des faits nombreux et bien constatés , que l'homme judicieux tentera de s'élever a des résultats généraux. Si en m.édecine Pou suivait cette marche sage , la science ferait des progrès réels j et nos successeurs, au lieu d'être occupés d'abord à combattre nos erreurs , n'au- raient qu'à suivre la route de la vérité.

Si l'habitude de ne voir qu'un seul genre de maladies rend plus familier avec leur étude , elle empêche aussi de faire des comparaisons toujours utiles, la science pathologique se com- posant d'objets qui ont tous des points de con- tact ; on peut finir ainsi par oublier, pour ainsi dire, qu'il en existe d'autres , et par ,rap- porter tout ce qu'on observe pendant la vie comme après la mort , à celles dont on s'oc- cupe presqu'exclusivement. Voila probable- ment comment il se fait que dans la folie , Vun a vu tous les crânes épais , l'autre , tous les cerveaux consistans et même friables, chez les furieux , etc.

Nous arrivons enfin, à travers tant de diffi- cultés et d'obstacles , au but que nous désirons atteindre, aux conséquences que nous devrons déduire des recherches cadavériques que nous avons faites *, recherches entreprises pour éclairer le sié^^e et la nature des maladies. Nous


CADAVÉRIQUES. 4l5

allons clierclier k établir les rapports des efFets et des causes, voir si les uns peuvent bien s'ex- pliquer par les autres , ce que l'on doit penser des cas qui paraissent embarrassa ns.

L'observateur, arrivé h ce point, nedoitpas oublier que la maladie d'un organe consiste dans une lésion , une altération quelconque de son tissu , dont la suite nécessaire est la mani- festation de troubles dans la fonction dont il est chargé ; ces deux choses sont, en général , In- séparables Mais il peut arriver i.° que la lé- sion organique soit assez légère ou assez peu aiguë pour ne déranger en rien l'exercice vital, ne pas donner naissance à des symptômes qui la fassent reconnaître. 2.° Que des désordres très-graves de fonctions soient produits par un dérangement organique qui nous paraît peu sensible ou même que nous ne voyons pas ; et dans ces deux cas, l'absence, pour nos sens du moins , de l'une des conditions ordinaires de l'existence de la maladie , n'empêche pas que nous n'en placions le siège dans l'organe où nous rencontrons cette seule condition ; ou en d'au- tres termes, que la lésion d'un organe sans trou- bles de la fonction dont il est chargé , et le trou- ble de cette fonction , sans lésion apparente de l'organe , constituent toujours une lésion orga- nique. D'où il résulte deux moyens d'établir le


4)4 R EC H ERCHES

siège d'une maiadie : l'observation des symp- tômes et l'ouverture du corps ; cjuand ces deux moyens fournissent des preuves égale- ment positives , il n'y a aucun doute, les con- séquences sont rigoureuses. Mais l'un des deux peut aussi conduire a des résultats satisfai- sans : et c'est , par exemple , une grande er- reur de croire que l'ouverture du corps doit toujours confirmer l'observation des symp- tômes. Je ne conçois même pas comment des médecins vîtalistes ou animistes , peuvent ad- mettre un principe si contraire à leur manière de voir 3 eu effet, les lésions qu'ils appellent axîtales , n'attaquant pas l'organisatioa , ne doi- vent pas laisser de traces de leur existence , et il deviendrait ainsi impossible de leur assigner un siège-, conséquence rigoureuse, quoique non admise. C'est cependant d'après ce prin- cipe, qu'on dit encore aujourd'hui : la folie n'est pas dans le cerveau, puisque souvent ou ne trouve rien dans cet organe , et que les lé- sions qu'il présente quelquefois , ne sont pas exclusives a cette maladie -, mais par la même raison , on serait en droit dé dire qu'elle n'est nulle part, car les autres organes ne présentent que des lésions accidentelles , et ces mêmes lé- sions se rencontrent extrêmement souvent chez des individus qui n'en n'ont pas moins


CADAVÉRIQUES. 4l5

conservé toute leur raison. La fièvre ataxique cérébrale n'est pas non pius dans le cerveau, car à l'ouverture on n'y découvre ordinaire- ment rien , et sa cause n*est pas ailleurs , car presque toujours le reste du corps est sain. Mais que d'un côté, on se reporte aux considérations que nous venons de faire sur les recherches pathologiques , et de l'autre , qu'on étudie les symptômes de ces maladies, la nature des causes qui les ont fait naître , et on n'aura pas le moindre doute sur leur siège.

Les adversaires de M. Broussais , ont quel- quefois eu beaucoup de supériorité sur lui , précisément parce qu'il a ainsi toujours voulu trouver la cause matérielle de la fièvre ataxique, et reconnaître souvent pour telle , quelques taches rouges de la muqueuse intestinale. U a été extrèmemenl facile de lui montrer des ca- davres à l'ouverture desquels on ne voyait ab- solument rien, qui pût déterminer une sem- blable maladie. Des désordres dans les fonctions cérébrales, comme ceux qui la caractérisent, ne peuvent être produits sympathiquement , que par des altérations assez graves, assez évi- dentes , pour qu'on n'ait pas besoin de les chercher ou de les créer. Si ce médecin eût été bien convaincu de cette vérité, que le cerveau peut être affecté dans l'exercice de ses fonctions^


4.6 RECHERCHES

sans en laisser de traces organiques appré- ci. blés , ii aurait beaucoup mieux défendu sa cause.

îl faut distinguer aussi le s^ége d'une ma- ladie , de celui des piienomenes niorbifiques qui la composent. Je m.'e: piique: une maladie j dabord locale, s'étend bie^t 1, pour peu quelle soit grave, a toute l'écononiie -, i'ensembie de tous ces desordres est rapporté à une même cause, qu'on nornihe son siège : ainsi nous disons que la foiie est dans le cerveau, et nous considérons comme ses dépendances, tous les troubies qui se passent ailleurs. Les phéno- mènes morbifi(jues, au contraire, toujours pris isolément et indépendamment de leur cause éloignée, reconnaissent pour cause prochaine, l'organe qui leur don le naissafice. Frenoas en- core la folie pour exemple : parmi ses symp- tômes, les principaux sont cérébraux , tels que le délire, l'insomnie, les ceplialaigies , l'accé- leretion de la circulation cérébrale , etc. j d'au- tres sont gastriques , tels que la perte d'ap- pétit, quelques coliques, etc. , quelques-uns sont utérins, la suppression des règles, etc. Cette distinction est extrêmement importante à éta- blir; car la grande difficulté n'est pas le plus souvent de découvrir le siège des phénomènes morbifiques , mais bien celui de la maladie


CADAVÉRIQUES. 4l7

q^u'ils caractérisent^ la cause première qui leur a (iouné naissance j nous j>e sommes pas em- barrassés de Siivoir que Ses troubles cérébrinux , gastriques, utérins , dépendent chacun des dé- rangemens du cerveau , du cajial alimentaire, de i'uterus •, mais ce qui noiïs iniporti à con- naître , <jt fait l'objet pri^ss|u'excîr«sif des re- cherches cariavévic[u. s , c'est lequel de ces trois appareils est le siège d;^ la maladie.

J'ai déjà traité aliieiirs (j-j, sous plusieurs rapports, la question des affections sympathi- ques; ici, je ne l'envisage que sous celui des ouvertures de corps. Dans le plus grand nom- bre de cas, on aura besoin de faire des rappro- çhemens de toutes les circonstances propres à éclairer le jugement -, les recherches cadavé- riques seules , sans notions positives sur la nature des symptômes et l'ordre de leur dé- veloppement, ia nature; des causes , etc, , pour- raient n'apprendre rien ou même tendre à in- duire en erreur.

Pour que les lésions organiques fournissent des preuve.i ■?rniti('es au siège a'uuv' mai;;idie , il faut, 1.° qu'elles soient en rapport avec les eifets produits , 2.° qu'elles se présentent con- stamment dans les mêmes circonst.iaces , et ra-

(i) Introduction.


4l8 RECHERCHES

roment dans d'autres. Mais les reclierches ca- davériques peuvent nous conduire au même but, par une voie opposée; c'est-a-dire , que par des preuves négatives de la lésion d'un organe, et en procédant par voie d'exclusion, nous finirons par remonter à celui qui doit être le siège de la maladie. Examinons ces deux sortes de preuves.

Preuves positives ou directes. Je dis que l'al- tération organique que l'on regarde comme la cause des effets produits , doit être en rapport avec l'étendue , l'importance de ces mêmes effets. Si un organe qui n'a que peu de relations avec le reste de l'économie, ne paraît que lé- gèrement lésé dans une affection très-grave , on ne devra pas douter qu'il n'y soit étranger comme cause première *, ce serait un renver- sement des lois physiologiques, que d'admettre le contraire. Ce n'est pas non plus avec quel- ques taclies rouges de la muqueuse gastro - in- testinale , qu'on pourra se rendre un compte satisfaisant et bien motivé , de ces désordres cérébraux qui s'étendent a toute la vie de re- lation -, nous devons en clierclier la source ail- leurs. Cependant, il ne faut pas oublier ce que nous avons dit de la difficulté ou de l'impossi- bilité où l'on est souvent d'apprécier les cliaa- gemens qu'éprouvent certaines parties, ieur


CÀDAVÉRiQiJES. 4l9

Oi^ganîsation ne nous étant que très-imparfai- tement connue. Le système nerveux , pour cette raison et encore par l'iiiiportance de ses fonc- tions , i'iniluence qu'il exerce sur toute l'éco- nomie . peut être ie siège de pliéisomènes ex- traordinaires, quoiqu'il n'en reste que peu ou même point de traces.

En c<utre ^ i'aiteration organique supposée la cause d'une maladie , doit se présenter cons- tamment dans les mêmes circonstances, et ra- rement dans d'autres , une même cause devant toujours produire les mêmes etïets. C'est pour cela que nous ne trouvons point dans le cer- veau des insensés, de preuves directes du siège de la folie -, en eiîet , les désordres phy- siques que nous otfre cet organe , ne sont pas couhtans chez tous ces malades ou même chez ia plupart, et se rencontrent chez d'autres individus qui n'ont pas été fous; nous pour- rons tout au plus les considérer comme des suites de la lésion première cjue nous n'avons pu apprécier , et comme des causer des affec- tions nerveuses chroniques secondaires, si fré- quentes chez les aliénés. Et alors même nous en tirerons très-bien parti , parce que nous re- marquerons que ces désordres et ces affections secondaires, ne sont aussi frèquens dans au- cune classe de malades , autre que les fous.

27..


^20 RECHERCHES

Rappelons aussi sans cesse, que puisque nos moyens d'investigation sont souvent assez bor- nés pour que nous ne puissions pas apprécier les cliangemens organiques , il devra nous ar- river d'en confondre de très-différens, quoi- que semblables en apparence. Et c'est toujours plus particulièrement au système nerveux que ceci s'applique.

Preuçes négatives ou indirectes. « Ces au- topsies, (i) sont utiles lors même qu'elles ne nous offrent aucune altération morbide, que nous puissions considérer comme la cause de la maladie qui existe. La négative, en pareil cas , est d'autant plus utile à connaître , qu'elle nous , éclaire souvent sur des erreurs qui au- raient pu nous déterminer a prescrire les re- mèdes les plus contraires-, trop heureux alors, si nous ne les avons pas commises ! » Dans ces maladies presque subitement graves et géné- rales, ou dans celles qui sont très-lentes, mal caractérisées, et semblent s'étendre a plusieurs organes voisins, il est facile de se méprendre sur leur siège primitif. Quant a l'ouverture du corps, on ne trouve que peu de désordres a l'endroit qu'on croyait être le foyer principal,

(i) Discours de M. Portai , prononcé lors de la nonù- lîation des élèves internes et externes, en 1819.


C A^ D A V É R I Q U t: s. 42 1

et qu'au contraire on en rencontre ailleurs qui peuvent suffisamment expliquer la manifesta- tion de tous les phénomènes morbifîques , le jugement porté d'avance est par la rectilié. S'il arrive qu'on ne découvre nulle part dé dérangemens orgaliiques; on se conduira d'a- près plusieurs des considérations précédentes ^

on consultera la nature des deransemens or-

o

dinaires de chacun des organes aCtueilenïent affectés , les effets qu'ils produisent , etc. ;, on soupçonnera d'abord comme', l'aiitèur' des-^feaiix des autres^ celui qui avec les moindres alté- rations, produit les plus grands troubles ; en général dans ces sortes de cas, c'est toujours au cerveau qu'il faut remontery lui seul offrant beaucoup de maladies trè^- graves et très-gé- néï'ales, sans cause apparente; ' * ' ' '

Le siège des maladies aiguës et nlortèlles par elles-mêmes , est ordinairement facile a déter- -miner d'après l'inspection cadavérique ; un seul organe est affecté, et l'est assez gravement pour qu'on ne puisse s'y méprendre -, une péripneu- monie , une gastrite, une hépatite aiguës qui causent la mort en peu de temps, laissent voir le poumon , l'estomac et le foie tellement changés dans plusieurs de leurs attributs physiques ^ que l'on n'a pas besoin de rechercher ailleurs la cause de cette issuei funeste. Il n'en est pas


^23 RECHERCHES

de même des maladies loriguts et cli ironiques , ou de celles qui ne sont qu'accidentellement mor- telles. Les preaiièi^es peuvent être peu carac- térisées des leur début , se propager dans des organes voisins, et présentera l'ouverture du corps un même degré d'intensité, de manière qu'il sera diliicile ou i ripossible de distinguer le siège primitif du mal. Dans les secondes, on peut prendre, si l'on n'y fait atlentîon , le ré- sultat des maladies qui ont amené la mort , pour la cause de l'affection antérieure. C'est la pré- cisément l'erreur commise par presque tous Jes auteurs qui se sont occupés de l'anatomie pathologique des aliénés.

Voilu pour le siège des maladies. Les re- jclierches cadavériques ont encore pour objet d'éclairer sur ieui' nature, de faire connaître la valeur des signes extérieurs ; cette par- tie de la pathologie se nomme- séméiotique. Ce n'est pas tout que d'avoir découvert l'or- gane lésé ', il faut encore , et c'est d'une grande importance > d'une absolue nécessité pour le traitement, reconnaître de quelle affection il est atteint, à quel degré est cette affection ; savoir si c'est une inilara,matiqn , un cancer ou des tubercules ; si cette inilammation , légère et commençante, ne consiste enpore qu'en un simple état de tension et d'engorgement , ou si


CADAVÉRIQUES. 425

elle tend a l'hépatisation , a la suppuration , a la gangrène , etc. L'ouverture des corps pres- que seule, a pu détermiaer la valeur des signes extérieurs qui nous annoncent ces disposi- tions souvent avec précision. L'observation des maladies externes , a aussi contribué à nous conduire à ce résultat. Je ne fais qu'énoncer sans détails , ce point de pathologie , parce qu'il est trop étranger à mon sujet.

J'ai cru devoir m^éiendre aussi longuement sur l'exposition de ces principes d'anatomie pa- thologique , parce qu'ils forment les fonde- mens de la science , et sont aussi applicables à l'étude de la folie ; cette maladie a si souvent été considérée isolément, et comme si elle n'a- Tait pas de pareilles dans l'économie , qu'il est toujours utile de ne rien négliger pour la remettre à son rang dans le cadre nosolo- gique. INous éviterons d'ailleurs ainsi d'en- tremêler le récit des faits, de rédexions qui pourraient en diminuer l'intérêt , ou de répé- titions souvent fastidieuses et peu utiles.


Résultats d'ein'iron trois cents ouvertures de corps d'aliénées mortes à L'hospice de La SaLpétrière.

Non-seulement les ouvertures cadavériques


4'24 RECHERCHES

n'ont pas jusqu'ici produit des résultats aussi avantageux pour écuÀrer le siégo et la na- ture de la folie , que dans la plupart des ma- ladies, mais eîies r nt donné lieu a des erreurs. Ce n'tbt que demi mal, quand dans la reclier- cîie de la Aerilé, on ne trouve rien qui puisse la faire découvrir, avec de la persévérance on pourra être plus heureux. Il n'en est pas de même , lorsqu'on se trompe sur la nature et i'orii^ine des cl) oses j alors il faut autant , et peut être plus d'ciforts pour revenir de la fausse route qu'on a prise , et pour faire quel- ques pas en avant; en outre^ l'esprit de l'homme par une sorte de force d'inertie presque natu- relle , aime ce qui existe pour ne pas se donner la peine de le changer , se contente souvent des plus fausses explications, dans la crainte de faire queiqu'effort pour les combattre , ou pour combler le vide qui résulterait de leur destruction; voilà pourquoi l'esprit humain fait, en général, des progrès si peu rapides , mars he si lentement vers la perfection, J'ai déjà fait entrevoir diras les considérations qui précèdent , et dans plusieurs autres endroits , ia plupart des causes qui ont pu retarder ou empfcclier les progrès de i'anatomie pathologi- que chez les aliénés et donner naissance a de fausses inductions ; je vais les récapituler suc-^


CAD A V É R ï Q U E S. 49.5

cinctement , et y ajouter celles qui ii*ont point encore trouvé leur place. Ce sera ainsi nous rendre un compte exact de ce que nous devons espérer de faire , des difficultés cjue nous ren- contrerons , et indiquer la marche qui nous paraît la plus sûre pour ne pas nous égarer.

Parmi ces causes , les unes sont relatives a l'organe affecte , à la nature de la maladie , et les autres , a la direction donnée aux reclierches. Les premières peuvent se rapportera celles-ci : 1.° Le cerveau est le siège de la folie : nous avons assez fait voir combien de difficultés et d'obstacles insurmontables s'opposent a la con- naissance de la cause prochaine des maladies de cet organe, pournous dispenser d'y revenir j 2.° On ne trouve point dans cet organe de preuves positives qui indiquent le siège de cette maladie , si ce n'est dans l'idiotie •, chez les autres aliénés , les altérations qu'il présente sont postérieures au développement de la folie, dont elles paraissent être une conséquence. Il en resuite que ce ne sont pas les altérations i mais les ailëctions secondaires qu'elles produi-

  • sent, qu'il nous faudra confronter avec la

cause prochaine de la folie, pour savoir quels rapports les unissent, si les premières survien- nent souvent a la suite de la dernière. JNous sommes ainsi réduits a chercher des preuves


426 RECHERCHES '

négatives , en arrivant au centre cérébral après avoir parcouru les autres systèmes organiques, et démontré que ceux-ci ne sont lésés que con- sécutivement à lui, soit par son influence ou par celle des agens extérieurs.

3." La folie n'est pas mortelle par elle- même; les aliénés peuvent vivre long-temps et ne succombent ordinairement qu'a une affec- tion accidentelle , restent ainsi exposés a l'ac- tion d'une foule d'influences différentes , con- tractent un grand nombre de maladies avant d'arriver a la dernière \ si on ne tient compte de ces circonstances , on prendra pour des causes, des accidens tout-à-fait étrangers. Les secondes sont a-peu-près celles-ci : 1.® En général, les auteurs ont d'abord di- rigé leurs recherches sur le cerveau 5 mais ils "voulaient trouver dans cet organe des déran- gemens incompatibles avec la nature ordinaire de ses maladies ; et comme ils ont été trompés dans leur attente , ils ont de suite faussement conclu qu'il n'était pas le siège de la folie, et que ce devait être des organes dont les altérations étaient bien plus évidentes. Ils ont, de la sorte,' non-seulement confondu le siège d'une mala- die qui est toujours la où se manifestent ses symptômes caractéristiques, avec la cause éloi- gnée qid Ta produite, mais admis en principe


CADAVÉRIQUES. ^27

que nulle affection n'existe sans qu'on n'en l'Oie la cause organique , ce qui n'est pas du tout vrai , comme nous l'avons vu précédem- ment , et en outre regardé l'aliénation comme occasionnée par des accidens qui lui sont plus ou moins étrangers.

2.° Les aliénés ne sont pas , comme tous les autres genres de malades , susceptibles d'être soumis a l'observation assidue de beau- coup de médecins. Rassemblés en grand nom.- bre dans des établissemens spéciaux , les personnes seules qui sont chargées de la direc- tion sont a même de faire des recherches ; mal- heureusement les Bonnet , les Morgagai , les Lieutaud^ les Portai, n'étaient pas dans cette position, et n'ont pu disséquer que quelques individus. 11 est des maladies qui laissent tou- jours après elles assez de traces de leur exis- tence, pour qu'un petit nombre de faits suffi- sent pour éclaircir les différeus points de leur histoire ', telles sont les inllammations , les can- cers , la phthisie , etc. Mais il n'en est pas de même de la folie , comme de la plupart des des affections nerveuses qui ne donnent que quelques preuves éparses et souvent peu pro- bantes , de leur passage j il faut ;, dans ce cas , rassembler un grand nombre de faits , avant que d'essayer d'en vouloir déduire des conté-


42:8 ' Tl, E (T: H E R C H E S

quences positives. Ce n'est donc que dans dé "Vastes maisons d'aliénés ^ qu'on pourra faire d'utiles reclierclies 5 ce n'est qu'après avoir ou- "vert plusieurs centaines de cadavres , qu'on devra s'élever a; quelques résultats généraux. '6.'^ îly a deux manières de4onner les résultats d'ouvertures Cadavériques : les observations individuelles et les observations collectives. Les premières sont plus particulièrement appli- cables aux maladies de courte durée , a celles sur-tout qui offrent toujours des preuves orga- niques positives de leur siège, dont un petit nombre d'examens cadavériques suffit pour éta- blir la conviction sur un point donné de leur histoire, etc. La folie se présente sous un jour tout différent -, elle dure très-long-temps , et cliaque ouverture cadavérique en particulier, n'apprend en général que fort peu de choses , et si l'on voulait les exposer toutes en détail , cela deviendrait aussi fastidieux que ce serait peu utile ; si l'on veut au contraire , comme les auteurs qvii oiit adopté cette marche, ne don- ner que les plus intéressantes, outre qu'elles seraient peu nombreuses, on tendrait a induire en erreur en les donnant comme modèles , ainsi isolées des autres j on croirait très faoiie- ment que toutes leur ressemblent. D'ailleurs, une difiicLiIté assez grande empêche qu'on ne


CADAVÉRIQUES. 429

fasse de ces observations individuelles très- exactes : les alieij'^s peuvent vivre long-temps après que la maladie a été déclarée incurable , et que pour cette raison ils n'excitent plus le même intérêt; il est alors impossible, dans un si grand nombre, de ne pas en perdre plus ou moins de vue, en attendant qu'ils succombent j ce ne serait donc qu'approxiraativement qu'on pourrait relater dans l'histoire de chacun , toutes les circonstances qui ont pu influer sur sa santé-, ou bien si l'on pouvait être plus exact pour quelques-uns , ce serait peut-être préci- sément chez ceux-ia, qu'on no découvrirait rien de remarquable.

4.° Un reproche plus grave qu'on peut faire à la plupart des auteurs qui se sont occupés de ce sujet, et qui n'a pas peu contribué a in- duire en erreur, a tirer de fausses conséquences des ouvertures cadavériques , c'est de n'avoir point tenu compte , dans les observations qu'ils ont rapportées , de toutes les circonstances an- térieures a la mort et même au délire , telles que le genre de vie , de traitement , la nature des influences auxquelles sont habituellement sou- mis les malades , et les maladies accidentelles qu'elles doivent produire naturellement , etc. Us se sont crus dispensés de toute explication , en annonçant des ouvertures de maniaques.


430 RECHERCHES

de mélancoliques , de nostalgiques , etc. , et nous ont laissé le soin de pénétrer la confusion qui en résulte.

D'après cela, il nous sera extrêmement facile d'expliquer les résultats contradictoires qu'a offerts jusqu'ici l'anatoniie pathologique des aliénés. H est bien évident que le riche , pré- servé de faction d'inlluences extérieures débi- litantes , jouissant de toutes les commodités de la vie , ne contractera pas les mêmes maladies que le pauvre , vivra plus long-temps que lui j que dans un établissement bien bâti , bien dis- tribué , pourvu de cours et de jardins spa- cieux, exposé à l'Est ou au Midi, on ne verra pas autant de scorbutiques que dans un autre qui sera mal aéré , humide, encombré, jamais échauffé ou séché par les rayons solaires ; que lorsqu'il surviendra des épidémies , les ma- ladies seront encore différentes, etc. , et que les lésioiis organiques , indépendantes de la folie , doivent être aussi variables que ces cir- constances elles-mêmes. C'est ce qu'a très-bien dit M. Esquirol , dans ces passages (s). « La mortalité des aliénés offre des considérations intéressantes, quoique négligées jusqu'ici. Elles sont relatives au nombre total des adénés , k la

(i) Dict. des Se. Mé,'I. , art. Folie.


CADAVÉRIQUES. 45l

saison, aux âges, au sexe, a l'espèce de folie, à la maladie à laquelle ils succombent, a l'ou- verture du corps. » Et plus loin : « La morta- lité dépend de plusieurs circonstances locales j est modifiée par la position , la distribution gé- nérale du local où on les traite j par la direc- tion, la surveillance, le régime , par l'espèce de malades reçus dans la maison -, il faut aussi tenir compte des circonstances accidentelles , etc. » Ailleurs encore : « Un autre objet ira- ]iortant consiste a bien distinguer ce qui est le produit des maladies auxquelles succombent les aliénés, d'avec ce qui appartient a l'aliéna- tion mentale. C'est pour avoir négligé cette der- nière considération, qu'on a tant déraisonné sur le siège de la folie. »

Maintenant, disons quelle route nous allons suivre pour tirer le meilleur parti possible des ouvertures de coips et tâcher de distinguer les altérations organiques qui ont rapport à la folie, d'avec celles qui lui sont étrangères ; et parmi les premières , celles qui pourraient être la cause prochaine de cette maladie , d'avec d'au- tres qui n'en seraient que les suites plus ou moins immédiates.

Je ne donnerai aucune observation particu- lière, bien convaincu qu'il n'en résulterait rien d'instructif ; c'est moi ici qui ferai seul , ce


45fî R E r il E il c H E s

que dans les cas ordinaires le lecteur est a même d'apprécier -, savoir, si les détails qu'on fait connaître , motivent bien les conséquences qu'on en déduit. Ce sont ks faits en masse , en général, que nous allons examiner. C'est en comparant les résultats généraux des ouver- tures cadavériques avec la marche naturelle de la folie, la manière de vivre des malades , la nature des agens qui tendent k détériorer leur santé , les maladies qu'ils contractent le pius fréquemment et auxquelles ils succombent , que nous pourrons arriver le plus près du but que nous nous sommes proposé d'atteindre. Je ne dis pas que nous l'atteindrons ; je ne le pense pas : mais je crois que de toute autre ma- nière nous ne i'approckerions pas autant.

11 suit delà , que puisque les ailératious or- ganiques ne peuvent être les mêmes chez tous les aliénés, varient selon une fouie de circons- tances , il ne faut pas considérer celles que l'on rencontre dans des cas particuliers , comme appartenant a cette classe de malades , mais seulement a la portion soumise k l'examen. Voila pourquoi je donne des recherches sur les aliénées delà Salpétrière, et non sur tous les aliénés -, on ne peut de la sorte se méprendre sur les faits ainsi entourés de précautions pour en faire connaître la nature, et m'opposer


CADAVÉRIQUES. 435

comme contradictoires , d'autres faits recueil- lis au Bethléem de Londres , à Bicêtre ou à Charenton.

§. I." Symptômes et marche de la Folie.

Je ne veux que rappeler ici en peu de mots , ce que j'ai exposé avec tous les détails conve- nables , dans deux chapitres précédens. Pour étaïjlir la ligne qui sépare la folie des maladies accidentelles, nous devons avoir bien présent a l'esprit où finit l'une , et où commencent les autres.

Le cerveau , ébranlé par des commotions , des secousses morales ou intellectuelles , est ' troublé dans Pexercice de ses fonctions ; il de- vient un foyer d'excitation caractérisé par des travers dans l'esprit , des maux de tête , de l'in- somnie , le transport , le raptus du sang vers la tête, etc. Le reste de l'économie reste comme indifférent aux souffrances de cet organe ; s'il survient des désordres ailleurs, à peine les ap- perçoit-on , ils ne forcent point le malade à garder le lit. Quelques dérangemens gastri- ques, qui ne consistent le plus souvent qu'en une diminution ou. la perte d'appétit , de la soif, mais sans douleur stomacale ou intestinale appréciable , sans aucuns signes qui annoncent

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434 ÏIECHERCHES

rien d'important dans ces parties. Encore est-il beaucoup de malades qui n'ont jamais cessé de manger comme par le passé. Remarquons sur- tout y que les poumons ne présentent presque jamais de symptômes d'irritation , si déjà ils n'étaient affectés avant que la folie ne survînt. C'est toujours en général, que je parle des aliénés ; on conçoit très-bien, que des individus mal constitués , entachés de quelques vices originaires ou constitutionnels, que des scorbu- tiques , des scrophuleux , etc. , pourront n'être pas aussi légèrement affectés : chez eux, la moindre cause peut donner lieu à des accidens graves ; ces cas sont rares.

Les symptômes sympathiques disparaissent ordinairement en peu de temps j au bout de plusieurs jours ou de quelques semaines au plus tard, le canal alimentaire reprend avec régularité l'exercice de ses fonctions , souvent même avec beaucoup plus d'activité qu'avant. Les malades chantent, rient, crient, courent sans se plaindre de la moindre douleur ; tout le mal est concentré dans la tête: de ce côté, des symptômes non équivoques annoncent une continuelle excitation.

Après plusieurs semaines, plusieurs mois, une année ou plus , la convalescence s'établit , la guérison se consolide , ou bien la maladie devient incurable.


CADAVÉRIQUES. 455

Les premières malades ne nous regardent plus; les dernières seules sont soumises a nos re- cherches ultérieures. Il est bien quelques cas exceptionnels , dans lesquels une maladie aiguë fait périr accidentellement une aliénée pen- dant qu'elle est soumise au traitement ; mais ils sont rares. Les secondes , au contraire , doi- vent toutes devenir habitantes de la maison, y contracter les maladies régnantes et y finir leurs jours. Nous pouvons, chez elles, étudier la terminaison naturelle de la folie incurable , l'action qu'elle produit seule, à la longue, sur les organes, et apprécier les effets d'un séjour plus ou moins prolongé , selon que l'existence dure plus ou moins long-temps.

JLia Folie considérée comme cause patholo^' gique d'autres affections , terminaison na- turelle de cette maladie devenue incurable.

Les organes sont susceptibles d'exercer une double action les uns sur les autres ; par l'exer- cice de leurs fonctions et d'une autre manière que j'appellerai plus particulièrement sympa- thique , qui dépend plutôt de l'organisation générale, du tissu entier. Je m'explique par des exemples : la digestion répare les forces quand elle est bonne, et les laisse languissantes,

28..


456 r. E C H E R C H E s

lorsqu'elle se fait mal , sans même qu'il y ait mialadie de l'estomac , car cela peut tenir ex- clusivement k la mauvaise nature des alimens ; d'un autre côté , si cet organe est affecté d'in- flammation , de cancer , etc. , non seulement son action est dérangée, mais en outre il existe une réaction dont il est le centre , sur le reste de l'économie. De même pour le foie : s'il se- crète de la bile qui ne convienne pas k la cliy- lification , ou qui irrite la muqueuse intestinale, il en résulte du troublé de ce côté j cet organe peut néanmoins être sain, ne souffrir nullement dans son organisation , faire bien sa fonction j seulement il n'est plus eu harmonie avec les organes digestifs : dans l'hépatite > avec un vice de sécrétion , il y a de plus réaction organique plus ou moins étendue. On dira peut-être que dans ces deux modes d'action , c'est toujours l'organe qui agit ^ cela est vrai, mais il n'en est pas moins évident qu'il le fait de deux ma- nières bien différentes ; dans un cas , c'est comme chargé d'une fonction, et dans l'autre comme partie de l'organisme , de même que dans la société , l'homme peut être fonction- naire et individu.

Les fonctions peuvent quelquefois être trou- blées sans de grands désordres organiques ; or- dinairement alors, l'affection est plus locale.


CADAVÉRIQUES. 4^7

moins étendue; et ce n'est que lorsqu'elle fait des progrès désorganisateurs , qu'elle étend au loin ses ravages , alors par réaction sympa- thique de l'organe. La folie nous va fournir l'occasion de nouvelles applications.

Tant que cette maladie se borne aux fonc- tions intellectuelles du cerveau , ou à la portion de cet organe qui en est chargée, elle n'existe guère que dans la tête , car nous ne devons pas tenir compte ici , de quelques symptômes sym- pathiques passagers. Dans le cas, au contraire, où elle s'étend plus loin , où l'organisation semble plus directement et plus généralement atteinte , il en résulte des désordres éloignés plus ou moins graves ', cette disposition se pré- sente dans deux circonstances différentes , a deux époques opposées, au commencement et à la fin.

Dans le principe, le cerveau trop fortement ébranlé chez un sujet mal disposé , peut donner lieu comme nous l'avons vu , à plusieurs symp- tômes plus ou moins graves.

La même chose arrive , sinon de la même manière , du moins avec des résultats analogues , chez les aliénés incurables , s'ils vivent encore assez long - temps , l'altération cérébrale , en faisant des progrès ou en changeant de nature, peut donner naissance a trois modes d'affection


4^38 RECHERCHES

que nous désignerons par les noms d'atonie générale f de paralysie aiguë et chronique , et d'irritation chronique A\x cerveau. Ce sont là les trois terminaisons de la folie incurable. Nous les décrirons avec les maladies des aliéne's. Nous les verrons non seulement constituer de véritables maladies, mais modifier la nature de celles des autres organes, leur imprimer un caractère particulier. Nous avons parlé ailleurs de l'état de l'intelligence de ces malades ar- rivés à cette période de la folie.

§. II. Genre de vie des Aliénées de la. Sàlpétrière j Influences débilitantes auxquelles elles sont soumises.

Quoique j'indique les aliénées en général, il est bon cependant de dire que celles qui sont en traitement et en voie de guérison font , sous beaucoup de rapports, classe à part. Trente tout au plus , de celles-ci , sont dans des loges *, les autres, au nombre d'environ deux cents, et qui forment le sixième du total des aliénées , couchent dans de beaux dortoirs , spacieux et bien aérés j ces malades inspirent toujours plus d'intérêt à leurs familles , et en reçoivent des soins empressés j dès que la convalescence s'é- tablit , l'aliénée tranquille d'esprit et jouissant


CADAVÉRIQUES. 45C|

à-peu-près de toutes les commodités de la vie , rentre dans la classe des individus bien porlans, et n'est pas plus susceptible qu'eux , d'être af- fectée par les agens extérieurs. Enfin , dans tous les cas , celles qui sont soumises à l'action des influences que nous ferons donnaître , n'y restant pas long -temps, n'en reçoivent ordi- nairement pas des impressions assez fortes ou assez soutenues, pour que leur santé en soit beaucoup dérangée. Il y a néanmoins des excep- tions, comme on doit bien penser. Ce sont donc plus particulièrement, ou k-peu-près exclusi- vement les incurables qui en essuyent les per- nicieux effets , elles qui , plus ou moins dé- laissées, abandonnées de leurs familles, sont obligées de finir leurs jours dans la maison, devenant de plus en plus incapables de raison , et souvent atteintes d'infirmités qui empirent encore leur position.

Parmi les influences qui tendent a détériorer la santé des aliénées , les unes proviennent de l'état mental j d'autres , de la manière de les con- duire , de les gouverner , des moyens de pro- preté qu'on doit emplayer ; souvent quelques unes sont inséparables de grandes réunions , et sur-tout composées de gens aussi peu raison- nables j enfin très - peu dépendent de défauts bien essentiels de l'établissement. Parcourons ,


44o RECHERCHES

au reste, les six chapitres de ce que l'on ap- pelle la matière de l'hygiène.


1/


Circumfusa.


Uair que respirent les malades qui couchent dans les loges , et dont le nombre est d'a-peu- près six cents, est souvent extrêmement chargé d'émanations nuisibles. Ces habitations cons- truites sur deux rangs adossés l'un à l'autre , ne sont libres que d'un seul côté où se trouvent percées la porte et la fenêtre. Il en résulte qu'il est impossible d'établir un courant d'air propre à en assainir l'intérieur, en le débarrassant des émanations vicieuses perspiratoires , fécales et autres , qui s'y rencontrent fréquemment. Tous les soirs après le coucher, on est obligé de fermer ces deux ouvertures , l'hiver pour pré- server du froid _, et en tout temps pour beau- coup d'aliénées , à cause du bruit qu'elles ne cessent de faire et qui trouble le repos des voisines. Il est bon encore de prendre cette précaution pendant les beaux clairs de lune -, quelques aliénées surprises de l'extrême clarté qui vient les surprendre au milieu des ténèbres, s'en effrayent beaucoup. Je crois avec M. Es- quirol , que c'est là le seul effet produit par cet astre sur les fous. Les anciens, comme on


CADAVÉRIQUES. 44l

sait, croyaient a une influence plus directe; delà le nom de lunatiques donné aux maniaques ; des modernes soutiennent encore cette opinion , qui me paraît tout-à-fait erronnëe.

L'humidité , sur - tout pendant l'hiver , est une des influences les plus pernicieuses à la santé d'un grand nombre d'aliénées. La propreté exige qu'on lave tous les matins a grande eau , presque toutes les cours et beau- coup de loges, pour débarrasser ces dernières des ordures de toute espèce, des matières fé- cales qu'y ont déposées les malades pendant la nuit , et les empêcher de séjourner dans le5 premières. Les infirmeries subissent la même opération et pour les mêmes raisons, plusieurs fois la semaine -, ici ce sont des malades qui urinent dans leur lit, et en arrosent le carreau. Beaucoup de femmes , loin de chercher à se soustraire aux mauvais effets de cet agetit ma- ladif, marchent continuellement dans l'eau avec leurs chaussures, s'arrosent plus ou moins largement le corps , et laissent ensuite sécher leurs vêtemens sur elles-mêmes. La fameuse Théroine de Méricourt , avait l'habitude de jeter tous les soirs plusieurs seaux d'eau dans son lit ; elle ne se serait pas couchée si on l'en eût empêchée. -

Une espèce d'humidité bien plus nuisible ,


442 RECHERCHES

provient de la malpropreté si commune chez beaucoup de malades -, les aliénées paralytiques, celles tout-a-fait en démence, quelques stupides et même d'autres, lâchent leurs urines sous elles sans s'en apercevoir ou ne voulant pas faire autrement , en imprègnent leur lit , leurs vétemens, et il deviendrait impossible de les changer aussi souvent que cela serait néces- saire. La même chose arrive pour les déjec- tions fécales , surtout dans les dévoiemens con- sidérables.

Le froid est d'autant plus dangereux pouF les aliénés, que beaucoup d'entr'eux paraissent ne pas le sentir , s'exposent même , à peine vê- tus, à toutes ses rigueurs. Il est résulté de ce fait d'observation , une erreur qui a été bien fu^ neste à ces malades ; on a cru qu'ils étaient dans un état tel de chaleur interne , qu'ils pou- vaient résister à cet agent. On n'a pas vu que leur cerveau seul , ne percevait pas les impres- sions reçues par les autres organes, mais que ces impressions étaient les mêmes chez eux que chez tout autre individu. Ils n^ sentent pas non plus le vésicatoire qu'on leur applique, et il n'en produit pas moins une plaie qui suppure. Ce sont la violence ou l'importunité des souf- frances morales qui leur font ainsi oublier les un aux physiques. Tous les jours nous voyons


CADAVÉRIQUES. 443

la même chose arriver dans les fortes conten- tions d'esprit j dans la congélation partielle ou générale, le malade ne sent pas les progrès du mal qui l'atteint, et il périt en s'élançant dans les bras d'un sommeil trompeur. On ne chauffait donc point les habitations de ces mal- heureux ', et on sait combien il en périssait pendant les hivers longs et rigoureux, com.- bien il survenait de congélations des extrémi- tés et notamment des pieds. A la Salpétrière , et en général dans tous les établissemens bien gouvernés , ces graves inconvéoiens ont dis- paru autant que possible y les malades , même furieuses, sont chauffées dans des pièces con- venables. Néanmoins, il est impossible d'y re- tenir de force celles qui n'y veulent pas rester -y en outre pendant la nuit , il en est qui pour- suivies par leurs idées chimériques, effrayées quelquefois par des visions , quittent leur lit , et on les trouve le lendemain en chemise , grelotant sur le carreau ; d'autres se vêtissent légèrement et se promènent ainsi au grand air , ou marchent sans chaussures sur la neige ou la glace j malgré une extrême surveillance a cet égard, il est souvent difficile de s'opposer à ces actions.


RECHERCHES

2.° Applicata^

Les 'vétemens des aliénées , relatifs a la sai- son, sont plus chauds en hiver et plus légers en été. Il en est a qui Pon est forcé de mettre la camisole pour les empêcher de déchirer leurs habits , ou de rester nues. Excepté en hiver , on doit leur permettre de se mettre aussi à la légère qu'elles le désirent.

Les lits se composent de matelas pour le plus grand nombre j environ deux cents qui gâtent continuellement , couchent sur de la paille d'avoine souvent renouvelée. Toutes ont des draps et des couvertures. On est obligé d'en attacher dans leur lit avec la camisole ; sans cette précaution , les paralytiques tomberaient a terre , d'autres attenteraient à leurs jours , quelques-unes se coucheraient sur le carreau. A Charenton, on se sert pendant l'hiver pour ces dernières , de grandes boîtes d'osier a- longées , remplies de paille et dans lesquelles on les enferme jusqu'au cou. J'ai vu des alié- nées vouloir rester au milieu de la paille de leur lit, s'étioler ainsi par un séjour de plu- sieurs mois •, ce n'était qu'avec beaucoup de difficulté et toujours contre leur gré qu'on les en retirait quelques heures par jour , pour les faire manger et respirer un air renouvelé.


CÀDA.VÉRIQUES. 445

3.° Ingesta.

La nourriture de la maison est saine et abon- dante j on ne refuse jamais de pain à une alié- née , même pendant la nuit j l'abstinence forcée, loin de calmer l'agitation , l'augmente. Toutes les malades ont une certaine quantité de vin tous les jours j on distribue en outre tous les matins , a celles dont la santé paraît le plus affaiblie, plusieurs onces d'un vin médicinal tonique.

Cependant les fonctions digestives devien- nent souvent la source de maladies. On dis- tribue les alimens trois fois par jour pour que les malades n'en fassent pas mauvais usage ou ne s'en gorgent pas l'estomac outre mesure ; il arrive néanmoins qu'elles se donnent quel- quefois des indigestions par cette cause. Mais ce qui est plus fréquent , c'est le refus de pren- dre de la nourriture , soit par dévotion et dans l'intention de se macérer le corps , ou parce quelles croyent qu'on veut les empoisonner , qu'elles ont le canal alimentaire obstrué, ou pour se laisser mourir, se croyant indignes de vivre , poursuivies pour des crimes , etc. Elles peuvent rester ainsi des jours et des semaines sans manger y ce n'est ordinairement qu'avec


446 RECHERCHES

beaucoup de difficulté qu'on parvient a les faire

prendre de la nourriture.

4.'* Gesta.

L'exercice musculaire n'est pas moins favo- ralDle à l'activité de plusieurs fonctions de la Tie intérieure, qu'à la santé en général. Il faut néanmoins pour en retirer d'heureux résul- tats , qu'il n'aille pas jusqu'à la fatigue , sur- tout d'une maziière soutenue j l'économie en souffrirait alorsautant que d'un repos presqu'ab- solu y ce sont deux extrêmes qu'on doit savoir éviter en se tenant , autant que possible , dans un juste milieu. Mais des êtres sans raison , ne suivent que ce que leur commande Tidée du moment j les maniaques , les furieux , toujours agités et en mouvement, faisant souvent les plus grands efforts pour vaincre des résistances plus ou moins au-desSus de leurs forces et ne se re- butant pas par un non succès , doivent néces- sairement user à profusion le principe de la Tie. Leurs cris forcenés et prolongés , leurs cliants, le babil continuel de quelques-unes, faussent promptement l'organe de la voix , au point que le son qu'il rend est rauque, enroué ou même presque nul ; les poumons ne doi- vent pas être moins fatigues que le larynx ; la faiblesse qui en résuite dispose probablement


CADAVÉRIQUES. 447

a la phtîiisie, que nous verrons très-fréquente chez ces malades j peut-être cette cause la pro- duit-elle quelquefois. Les lypemaniaques ou mélancoliques nous offrent tout le contraire de t:e que nous venons d'observer 3 la plupart resteraient dans l'inaction , si on ne les enga- geait , si on ne les forçait même à se promener , a travailler ; quelques-unes se blottissent dans un coin où elles se tiennent cactées , tant qu'on ne vient pas les en retirer j ou bien elles font quelques tours de promenade seules et lente- ment , toujours accompagnées de la tristesse , du désespoir qui ne les quittent pas un instant. Il est des fonctions de l'économie, qui ont be- isoin de jouir d'un repos particulier appelé sommeil j ce sont celles de la vie de relation 5 leur activité à-peu-près continuelle ne leur per- met pas de se reposer pendant la veille. On peut compter qu'un tiers de notre existence est consacré à cet acte réparateur j on ne s'y sous^ trait pas long-temps sans de grands efforts, e^ sans en ressentir des effets plus ou moins nuisi- bles à la santé. Hé bien ! nous avons vu que les aliénées ne dorment pas, les unes parce que leur cerveau est irrité , en souffrance , et les autres parce que des idées dominantes les stimulent assez fortement pour les tenir éveillées. Il faut dire aussi que dans un grand établissement.


448 RECHERCHES

le bruit que font pendant la nuit les plus fu- rieux , doit troubler le sommeil des voisins j il suffit, en outre, qu'un malade d'un dortoir fasse un peu de tapage pour éveiller tous les autres. Sans doute que chez ces malades , la force de l'habitude doit diminuer les mauvais effets de l'insomnie j la même chose arrive chez les personnes en santé ; néanmoins , à la longue l'économie ne peut qu'en souffrir, s'affaiblir considérablement.

5." Excréta.

Plusieurs excrétions exercent une très-grande influence sur l'état de la santé. Ce sont la trans- piration cutanée, les déjections alvines, et de plus chez la femme , l'écoulement menstruel. Les variations qui surviennent , surtout dans la première et la dernière, sont la cause d'une foule d'incommodités et de maladies , et les effets de beaucoup d'autres.

Les règles sont , comme on l'a dit , le ther- momètre de la santé des femmes. Cette fonction, qui occasionne ou s'accompagne souvent de longs et graves accidens pour s'établir , pro- duit des incommodités même quand elle est ré- gulière ; on sait combien sa cessation , ou l'épo- que de la vie qui la voit disparaître poui: toujours, est quelquefois difficile à passer.


CADAVÉRIQUES. 449

dangereuse. Je crois néanmoins cju'il ne faut pas regarder tous les phénomènes, qui survien- nent dans ces différentes circonstances , comme des effets des dérangemens menstruels. Ce sont ordinairement des ciiangemens généraux qui ont lieu dans toute l'économie , dans l'utérus comme dans les autres organes ; tous les désor- dres qui se présentent sont eoncomitans et ne dépendent point les uns des autres ; si ceux de la menstruation fixent plus particulièrement l'attention, c'est qu'ils sont plus saiilans , et qu'en outre on aime souvent a donner l'expli- cation des faits cju'on observe. Ces mêmes ciian- gemens s'opèrent aussi chez l'homme a. la pu- berté , au passage delà jeunesse à la virilité , etc. ; si chez lui on remarque moins d'accidens alors , il faut convenir que c'est a-peu-près de même dans tout le cours de la vie ', il a souvent des maladies bien caractérisées, mais moii^|^de ces incommodités anomales , qui sont si fré- quentes chez la femme. Je pense donc que si les irrégularités, la suppression accidentelle des règles sont cjuelquefois la cause d'affections, beaucoup yjlus souvent elles sont des effets de mauvaises dispositions organiques, un symp- tôme enfin.

Nous avons vu la folie produire ces désor- dres menstruels , et les règles se rétablir avec la

29


45o RECHERCHES

convalescence, ou la gaérison. Chez îes incu- rables , dès que i'irrilalion a diminué ou cessé , elles peuvent de même redevenir régulières , quoique ce soit assez rare \ en général, ces ma- lades sont mal réglées j la plupart ne le sont pas du tout j beaucoup ne le sont qu'irréguliè- rement, soit pour les époques , pour la quantité du sang qui s'écoule , ou le nombre de jours que l'écoulement persiste. Chez un grand nom- bre d'aliénées , des suppressions sont occasion- nées par les imprudences que font ces malades en s'exposant au froid , à l'humidité , ou par îes impressions morales vives qui peuvent naître de leur état mental , ou enfin par les progrès que fait l'affection cérébrale.

La transpiration cutanée doit souvent être supprimée ou altérée chez ces femmes , qui ne font aucune attention à l'état où elles se trou- vent pour s'exposer à toutes les variations de . IdSImpérature , se plonger dans l'eau froide , ou s'inonder de ce liquide -, cette fonction doit ne plus pouvoir se faire, quand avec les pro- grès de la maladie ou même dès le commence- ment, la peau se dessèche, devient âpre et comme raccornie chez quelques-unes. Ces dé- sordres, comme ceux de la menstruation, pres- que toujours effet de l'état cérébral, peuvent , comme eux , devenir à leur tour la source de


C A D A V É Px I Q U E s. 45^

nouveaux déraogemens dans l'exercice des au- tres fonctions.

Les gros intestins sont paresseux chez un grand nombre d'aliénées , sur-tout vers la fin de leur existence. La constipation qui en ré- sulte trouvera sa place plus loin.

6." Percepta et animi pathemata.

Aucune fonction ne peut, a moins d'une sus- pension , d'une perversion subite , exercer une influence aussi étendue , aussi prompte , aussi soutenue, dont les eflets puissent être aussi grands^ que l'infeiligence. Ce ne sont même pas des troubles de cette fonction, c'est son exercice naturel qui agit aussi fortement sur l'économie. Les passions , les affections de l'àme , les travaux de l'esprit deviennent peut-être les causes les plus fréquentes des ma- ladies, et des maladies les plus longues, les plus dangereuses , et d'autant moins faciles à guérir que la cause persiste le plus souvent à coté des désordres qu'elle a produits et entretient. Après la diète et le r^pos , la tranquillité de l'esprit est le meilleur moyen de guérison ; peut-être cette condition doit-elle être mise en première ligne dans beaucoup de cas. Ce ne sont certai- nement pas , du moins telle est mon opinion ,

39..


452 RECHERCHES

les dispositions organiques qu'on a appelées tempéramens , qui modifient l'exercice de l'in- telligence , la force des passions , etc ; c'est bien plutôt celles-ci qui façonnent pour ainsi dire celles-là-, et la preuve en est que les enfans ont tous un tempérament semblable , quoique.leur caractère ne soit pas le même et montre déjà ce qu'il sera par la suite ; niais ils n'oïit point encore de passions et ne connaissent guère que les affections gaies, expansives -, voilà pour- quoi ils sont tous sanguins, ileuris , toujours dispos.

La même chose a lieu cliez les femmes, qui ont en général la même tête j elles présen- tent aussi les mêmes dispositions physiques. Ces tempéramens sont si peu déterminés , que chaque individu a presque le sien. Enfin , ce qui est peut-être plus remarquable encore , c'est que les idiots n'ont aucun tempérament déterminé, ou plutôt présentent les mêmes dispositions extérieures -, c'est qu'ici comme chez les enfans, la vie nutritive' n'est point in- fluencée par la fonction intellectuelle. ]N'est-il pas étonnant qu'après avoir reconnu des preuves si frappantes et si fréquentes de l'influence im- mense de l'intelligence sur toutes les actions or- ganiques , tandis que celles-ci ne la modifient presqu'en rien, sur- tout d'une mcioicre sou-


CADAVÉRIQUES. 453

tenue , on ait toujours été contre ce que dé- montrait l'observation , pris la cause pour l'effet, fait dépendre l'énergie de l'esprit et des passions du mode d'existence du foie , des vaisseaux sanguins ou lymphatiques, etc ; et comment ne pas reconnaître que dans cette vie le cerveau est tout l'homme, et que les autres organes n*en sont que des dépendances adaptées aux besoins de ses facultés! Sans le cerveau, nous ne sommes plus absolument que des végétaux.

Les aliénés, sans jouir des avantages de l'in- telligence , peuvent en éprouver tous les mau- vais effets ; ils sont susceptibles des passions les plus fortes et les plus opiniâtres, des affections les plus vives et les plus pénibles , d'une acti- vité extraordinaire de l'esprit. Bien entendu que nous ne voulons pas parler ici ni de ceux en démence, ni des idiots; c'est particu- re- ment de la nombreuse classe des moncDiiîiiia- ques dont il s'agit; on peut y joindre ua cer- tain nombre de manies avec fureur.

Les passions sont d'autant plus dangereuses, que, sorties des bornes naturelles, déviées par des motifs erronnés , il devient impossible de les satisfaire. Vous ne pouvez ni donner uu royaume à un fou-roi, ni satisfaire le fana- tique en opérant les conversions que son dé- lirç commande , et toutçs les lois de la àé-^


454 RECHERCHES

cence se refusent à ce que vous laissiez as- souvir les désirs si impérieux de ces infor- tunées, que la nature en a doués. Cette pas- sion est d'une violence inexprimable chez certaines nj^mpliomanes, et au contraire fort rare chez les hommes. La privation des plaisirs de l'amour j porte ces malheureuses a se livrer avec une fureur extrême à la masturbation ; cette funeste habitude est au reste , presque générale chez les aliénées \ celles qui y sont le plus adonnées deviennent, en perdant leurs forces , taciturnes , aiment a être seules , à rester au lit ; quelques-unes inéme cherchent et trou- vent des complices , malgré la surveillance la plus active. Bientôt leur constitution s'affaiblit, elles maigrissent, tombent dans l'abattement, et périssent phthisiques ou scorbutiques. Les ac- cès violens de colère furieuse, sur -tout s'ils sont Kiotivés intérieurement sur quelque cir- constance grave , comme une prétendue injus- tice , la vue d'un ennemi supposé, etc. , peuvent deveair une espèce de rage ; la pâleur générale, le tremblement, l'abattement, le colîapsus qui les teratjîient , nous m.ontrent quels effets ils produisent sur toute l'économie , et ce qui doit en î exalter à la longue, s'ils se renouvellent fréquemment , comme on en voit beaucoup


exemples.


C A D A V I? R I Q U E s. '^■55

Les affections sont beaucoup plus générales que les passions. Une maison de fous n'est pas le séjour de l'indifférence morale, de la gaîté et des plaisirs , comme le croit le vulgaire, qui ne voit que l'extérieur grotesque de quelques- uns. Mais pénétrez au fond de leur cœur, et TOUS verrez les affections tristes y régner a- peu-près exclusivement, et cela, chez tous ceux qui conservent un peu de raison et apprécient leur position sociale. La joie, la gaiié . ne sont le partage que de quelques insensés en démence. Ainsi à la Salpétrière, presqu'aucune aliénée ne se croit malade de tête ; beaucoup regardent la maison comme une prison , où les tiennent injustement renfermées , des parents ou des amis qui veulent profiter de leur suc- cession , l'autorité ou des ennemis qui veulent se venger d'elles , les persécuter , etc. Elles prennent souvent leurs compagnes, ou les per- sonnes chargées de leur donner des soins, pour des agens secrets de leurs ennemis, placés Ik tout exprès pour les tourmenter. Enfin, la plu- part ne cessent de demander les motifs positifs, pour lesquels on les a privées injustement de leur liberté, et d'invoquer l'autorité des ad- ministrateurs, des lois, de la justice. On peiri; bien pendant quelque temps les calmer en leur promettant de s'occuper de leur affaire j de kur


456 r. E C II E R C H E s

donner leur sortie aussitôt qu'on le pourra ; mais à la fin , toutes ces promesses ayant été vaines , les malades rebutées de demander ce qu'elles ne peuvent obtenir, vous croyant même de connivence avec ceux qui, selon elles, ont intérêt à les tenir renfermées , concentrent ^ leur chagrin , deviennent tristes et rêveuses j (|uelqiies accès de colère ou de fureur , les tirent de temps a autre de cet état. L'abandon dans lequel se trouvent beaucoup de ces infor- tunées , ne contribue pas peu à augmenter leurs peines.

Une autre affection morale assez commune , c'est la crainte portée quelquefois jusqu'à iloe frayeur extrême , souvent sans motifs appai rens. Il est de ces malades qui se croyant en- tourés de précipices , de diables , d^ennemis , d'agens de police , de physiciens ou de magné- tiseurs , ou cVinçisihles , qui les tourmentent sans cesse, la nuit comme le jour, sont tou- jours agitées et tremblantes , et se préparent \x toutes les souffrances dont elles se prétendent menacées. Le moindre bruit , l'événement le plus ordinaire, la moindre circonstance im- prévue , causent k quelques-unes les frayeurs les plus vives.

Les combinaisons intellectuelles ont une prodigieuse activité, sont très-profondes chez


C A D .V V É ï\ ï O U F, S. 457

beaucoup de malades. Toutes celles qui ont des idées fixes , bieiï déterminées, sont quelquefois presque constamment occupées de leurs objets favoris; il n'est pas rare de les voir, ainsi con- centrées en elles-mêmes , oublier de satisfaire à leurs besoins. Cet exercice, quoique vicieux, doit produire les mêmes résultats que cliez riiomme bien portant.


Voila les nombreuses causes morbiliques qui agissent continuellement sur les aliénées de la Salpétrière. Comme on le voit, elles sont de trois sortes : progression de réiat patliologiqoe

du cerveau, action d'^acrens extérieurs , influences morales. Rien qu'a l'examen de ces causes , il est facile de'pressentir avec une certaine as- surance, la nature , sinon le siège des affections qui atteigoeiAt or; ., ,.;jnt ces malades et sont coîîiine en;'ieiii.^ÇiîÇ3 dans la maison. Ces influences sou;. esseiiiieilemeot débilitantes chez tous les indiv^ir:: , f^ daos toutes les circons- tances de la TK d 5 Taîr chargé d'émana- tions animaLs , Fhumi:âît; , les affections tristes de l'âme, l'état ciiron΀|ue du cerveau, agissent certainement de la sorte, et ne peuvent pro- duire que des maladies clironiques, atoniques , latentes. La suire nous prouvera s'il en est réel-


453 R E C ÏI E K C H E s

Quoique la folie ne soit pas néoessaireoient rsîorlelle, elle doit néanmoins abréger la vie. Tout dérangement dans l'harmonie de la ma- clîine, est une atteinte portée a sa durée ; à plus forte raison quand il a lieu dans un or- gane aussi important que le cerveau, et que sa nature environne le malade de circonstances aussi défavorables que celles que nous venons d'observer •, cette vérité , qu'en général les aliénés ne vivent pas loog-temps, est reconnue par tous les médecins qui ont observé ces ma- lades en grand nombre.

Sur loo aliénées reçues à la Salpétrière , 25 sont mortes la i/® année de leur entrée ,

20 la 2.™^ ,

18 la 3. '"S

i4 la 4.'"" ,

i4 de la 5."*^ à la 10.^' ,

7 delà 10.'" à la i5.™%

2 après 20 ans de séjour.

"^ ' S'

100.

Je dois donner une explication sur le nom- bre de celles qui sont mortes la première année ; comme il forme le quart du total, on en pour- rait conclure que la folie est très -dangereuse par elle-m me. Mais ctî quart se compose pro^- qu'entièrviaicnt de femmes qu'on envoie cotnuie


C A D A V É n I Q U £ s. 459

folîes, et qui n'oot que des affeclloiis graves avec du délire aigu. Elles meureat ordinaire- ment au bout de quelques jours , ou de plusieurs semaines d'entrée. Quek|ues aliénées faible- ment constituées , cliangeaot brusquement de genre de vie , sont atteintes de ces mêmes af- fections , dans les premiers temps de leur sé- jour dans la maison.

Voici un autre tableau qui indique bien moins, il est vrai, le temps que vivent les ma- lades depuis qu'elles sont aliénées, que l'époque \ laquelle elles peuvent le devenir.

Sur 96 aliénées ,

20 sont mortes de 20 à 5o ans ^

5 1 5o . . . 4o ,

25 4o.. .5o ,

7 5o. . .60 ,

9 60. ..70,

3 passé 80 ans.

§. III. Maladies les plus fréquentes chez

LES ALIÉr^ÉES DE LA SaLPÉTRIÈRE.

Plusieurs maladies, offrant à- peu-près tou'- jûurs le même caractère , régnent endémique- ment dans l'établissement de la Salpétrière j elles sont toutes clironiques, atoniques, et ne


4f>0 RECHERCHES

cesseiiL ordinairement , une fois qu'elles sont dé- clarées , qu'avec l'existence même des malades. î.es affections aiguës sont au contraire extrê- mement rares, et comme accidentelles , étran- gères a la maison ; elles ne se trouvent certai- nement pas aux précédentes, dans la propor- tion de une à cinquante.

Une clîose bien importante a considérer chez les aliénés, c'est le diagnosdc de leurs maladies, qui, modifié par plusieurs dispositions indivi- duelles , est quelquefois très difficile à établir, et peut devenir souvent la source de méprises graves pour le médecin peu exercé dans cette partie. L'affaiblissement de la sensibilité , sa concentration dans l'organe intellectuel , l'es- pèce d'oubli dans lequel se trouve le reste du corps 5 fait que les troubles de l'organisme , ne sont pas ou qu'imparfaitement sentis et dé- noncés par le patient. En outre, des aliénés sa plaignent de maux imaginaires, d'autres expri- ment très -mal leurs souffrances, ne donnent que peu de renseignemens utiles. En général;, ce n'est point des malades eux-mêmes, qu'on apprendra l'état de leur santé j on doit en clior- clier des indices dans des circonstances cjui sont plus ou moins étrangères à leur intelligence. On les tire principalement des dispositions pby-^ siques extérieures , de l'expression de la pby-^


CADAVÉRIQUES. 46 1

sîonomie, de l'exercice des fonctions digestives et musculaires, des cliangemens (|ui surviennent dans l'existence morale, et enfin de l'état local de la partie affectée. Lorsqu'on Toit un aliéné se calmer sans amélioration intellectuelle , évi- ter le tumulte qu'il recliercliait auparavant, aimer la solitude , le lit , perdre l'appétit , on doit l'examiner de près pour s'assurer s'il ne souffre pas de quelque part j bientôt l'augmen- tation de la faiblesse , le dégoût pour les ali- mens, l'affaissement des traits, ne laissent plus de doute sur l'altération de la santé ; une ma- ladie aiguë est prête a se déclarer, si elle ne l'est déjà. Le plus souvent, ce sont des affections gastro-intestinales plus ou moins intenses qui se présentent ainsi , elles sont les plus com- m.unes. Les maladies clironiques n'ont pas une marclie m.oins insidieuse •, elles apparaissent presque toutes, et cliez tous les individus avec le seul signe d'atonie, de faiblesse générales. Nous verrons la plitbisie parcourir souvent toutes ses périodes , sans qu'à peine on s'en doute, et la mort arriver précédée seulement d'une maigreur extrême, quelquefois de dé- voiement, et sans que jamais le malade n'ait ni toussé , ni crache , etc. Parcourons un instant les différentes maladies auxquelles siftcombent presque toutes les aliénées de l'établissement.


4G2 RECHERCHES


Maladies aiguës.


J'ai dii que les maladies aiguës étaient ex- trêmement rares. La plus fréquente est l'ia- ilammatioii du canal alimentaire *, viennent en- suite la fièvre ataxique et la péripneumonie^ l'apoplexie sanguine ne s'observe presque ja- mais. Ces aiFections ne sont en général pro- duites que dans les premiers temps de l'état de folie , quand l'économie n'est point encore affaiblie par des causes débilitantes que nous avons examinées; plus tard, aucun organe n'est capable d'une réaction de cille nature. La première ne survient ordinairement qu'après quelque temps de séjour dans la maison, par le changement subit du genre de vie habituel des mialades, et rarement plus tard, si elle fait des progrès vers une terminaison funeste , le ventre se ballonne ou plus souvent se déprime extraordiuairement et devient douloureux à la pression- quand en effet on exerce cette ac- tion, la physionomie du malade exprime la douleur. Le délire de la folie change de carac- tère et prend celui du délire aigu. Enfin tous les signes d'une fièvre adynamique se déclarent etsesuccèl^ent jusqu'à la mort. Le traitement est indiqué par la nature même de l'affection 3 il


CABAVÈRIQUES. 465

doit être debliitant ou au moins non excitant , comme elle est aiguë et inflammatoire.

La fièvre ataxique atteint les malades encore plus tôt que ia précédente; elle date quelcpiefois de l'action des causes morales. C'est dans ces cas qu'il devient souvent difficile de distinguer cette maladie de la folie , avant que la dispari- tion des symptômes graves ne laisse plus celle- ci que dans son état de simplicité. Dans la fièvre ataxique , il ne se passe rien du côté de Fabdomen -, tout est dans le cerveau. Congestion céphallque , rougeur des pommettes, des yeux, batte mens forts et fréquens des artères céré- brales et faciales , etc. Quand on s'y prend à temps , si les accidens ne sont loas encore graves , au moyen de boissons délayantes et abondantes , de dérivatifs et quelquefois de sai- gnées locales , on peut les amender et les faire disparaître en peu de temps. C'est alors cju'on voit s'il y avait folie ou non , car, dans le pre- m.ier cas , la raison ne revient pas de suite , et au contraire dans le second , la santé se rétablit par-tout en même temps.

Les péripneumonies, pleurésies, catharres aigus , sont moins fréquemmept mortels que les deux précédentes maladies. La péripneu- monie est souvent latente et ne s'annonce que par la gêne dans la respiration, l'état fé-


46-t RECHERCHES

Lrile , le défaut de résonnance du côté affecté lorsqu'on le percute , sans toux bien marquée ni cracliement de sang. Elle est néanmoins aiguë et réclame le traitement déijilitaot.

L'apoplexie sanguine est tellement rare , que je crois ne l'avoir oljservée que deux fois cliez des malades qui par leur constitution y étaient disposées ) et encore n'y avait-il pas d'épaiicliemeiit de sang dans le cerveau j il n'existait qu'un engorgement excessif des sinus de la ménynge, des veines extérieures et inté- rieures de la tête. IXous verrons tout-à-l'lieure que si Fon a cru cette maladie très - fréquente cliez les aliénés ^ c'est qu'on l'a confondue avec une autre dont la nature est toute différente , et qui ne lui ressemble c[ue par quekjues symp- tômes extérieurs.

Maladies chroniques ,

Les maladies clironiques qui surviennent a- peu-près toujours cliez les aliénées de la Sal- pétrière , sont les suivantes '.V atonie , V irrita- tion cérébrale chronique , la paralysie , le scorbut , la phthisie , V entérite chronique , Vatonie des gros intestins , quelques affections chroniques du foie et de V utérus. Ces maladies peuvent exister une a une, ou se compliquer les


CADAVÉRIQUES. 465

unes les autres ; le plus ordinairement le même individu en présente plusieurs réunies.

1.° Atonie.

Ce nom n'indique, je le sais bien , que l'effet d'une maladie. Mais tel est le vice de notre langage médical , ou plutôt le défaut de con- naissances sur la nature d'une foule d'affections, qu'on est toujours obligé de les désigner par le symptôme le plus saillant -, c'est ce que nous avons souvent fait , et ce que nous ferons en- core , faute de mieux.

L'atonie accompagne toutes les maladies chroniques des aliénées ; mais quelquefois cet état se présente sans dérangement local mani- feste , autre que celui du cerveau, qui lui- même ne présente aucun signe annonçant la paralysie ou l'irritation chronique. Les ma- lades s'affaiblissent au physique comme au mo- î'al , maigrissent ; leur peau se ternit j il serait* en général difficile de trouver une aliénée in- curable dont cette partie eût conservé son poli et sa fraîcheur ; la figure change quelque- fois au point de rendre les malades méconnais- sables , et se sillonne de manière à porter plus d'années qu'il n'en existe.

L'atonie simplement la suite de Paffection cérébrale , précède ordinairement la paralysie

5o


466 RECHERCHES

et l'irritation chronique du cerveau , et sem-

Ijle le plus souvent n'en être que le premier


degré


2.° Irritation cérébrale chrojii(jue.

Ce mode de lésion et de terminaison de la folie est assez fréquent, il est annoncé par les symptômes suivans : le délire a ordinairement diminué d'intensité, et présente les caractères de la démence •, souvent même l'exercice intel- lectuel est entièrement aboli , et les malades ne profèrent plus une seule parole -, ils devien- nent taciturnes , stupides. Le pouls est fré- quent ; les battemens des carotides sont quel- quefois très-durs et très-serrés ; chez beaucoup d'aliénés, les pupilles contractées , restent im- mobiles. Souvent il n'y a pas de sommeil • le système musculaire fait bien ses fonctions , il survient presque toujours vers le soir , un re- doublement marqué par plus de fréquence du pouls j la rougeur des pommettes, une aug- mentation de la chaleur de la tète.

Cet état d' irritation cérébrale, qui dépend assez fréquemment d'une phlegmasie chro- nique des meuynges , comme l'attestent les ou- vertures cadavériques , peut , pendant long- temps , n€ pas altérer sensiblement les autres fonctions. 11 est même rax^ement mortel) une


CAD A V É R I O U E S. ^Q-/

maladie accidentelle , la phlliisie , le scorbut Taident à amener cette issue i'uneste. Néan- moins il peut être la seule cause de la mort ^ alors les malades s'affaiblissent , tombent peu- à-peu dans le marasme, ont du dévoiement et périssent.

Je suis convaincu que l'action répétée des douches , détermine plus qu'on ne pense cette terminaison malheureuse de la folie.

5.° Paralysie.

Sous cette dénomination^ je comprends dewS: maladies bien différentes , l'une que j'appelie paralysie aiguë, et l'autre paralysie chronique. Comme je n^e tiens nullement aux mots , on peut, si l'on veut, changer l'un ou l'autre si on ne les trouve pas convenables.

La paraljsie aiguë se présente de la m^a- nière suivante : elle survient plus particuliè- rement chez les aliénées déjà en démence, ou chez celles qui sont folles depuis long-temps ou même hors de traitement : je n'ai pas iTe- marqué que la constitution du corps eût de l'inlluence sur ^a production ; je l'ai, eu effet, observée chez les femmes maigres comjnecfaez celles qui avaient de l'embonpoint 3 elle ne coïn- cide sur-tout nullement avec les disposition^

00..


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apoplectiques, comme un col court, beaucoup d'embonpoint, la rougeur de la face, etc. j au contraire , les malades sont presque toujours pâles et débiles. Quelques jours avant l'attaque, la figure semble s'animer sans néanmoins se colorer davantage , la parole s'embarrasse un peu ou bien la malade n'en fait plus usage et paraît dans la stupeur j quelquefois ces symp- tômes avant-coureurs n'existent pas , ou on ne les aperçoit pas j enfin , subitement l'aliénée perd connaissance , est tout-à-fait insensible , et dans l'impossibilité d'exécuter aucun mou- vement. Le pouls est fréquent , même dur , sur-tout celui des artères cérébrales ; il ne se fait cependant pas de congestion vers la tète , la face reste pâle, les conjonctives naturelles ; la respiration s'exécute bien et sans râle. Cet état peut persister plus ou moins , depuis quei^ ques heures jusqu'à plusieurs jours ; rarement les malades succombent au premier accès; seu- lement la démence s'établit , si elle n'existait déjà ; il peut aussi rester un peu de paralysie musculaire dans quelques parties. Presque tou- jours plusieurs accès se succèdent à des inter- Talles diversement rapprochés, et finissent par terminer l'existence.

Je ne sais quelle affection du cerveau produit ces symptômeS; l'ouverture des corps n'apprend


CADAVERIQUES.

rien de positif à cet égard ; ce qui est certain, c^est que ce n'est pas l'afllux de sang ou un éjDanclieinent de ce liquide dans cet organe , car je n'ai pas une seule fois trouvé de cas qui pussent même le faire soupçonner. Les ramol- Hssemens , que nous rencontrerons fréquem- ment dans la paralysie chronique, ne sont point ordinaires ici.

Le traitement qu'il convient d'administrer , consiste dans l'emploi des dérivatifs , des sti- mulans externes ou de la fin du gros intestin , tels que les sinapismes , les vésicatoires , les la- Temens purgatifs, etc.

J'ai vu mourir plusieurs furieuses, d'un acci- dent qui se rapproche de la paralysie aiguë. Elles étaient prises subitement d'une perte to- tale de connaissance , avec des convulsions très-fortes et continuelles , et vivaient a peine quelques heures dans cet état. L'ouverture du corps a montré tantôt une forte injection san- guine de la substance cérébrale , dont la cou- leur était presque lie de vin , d'autres fois le cerveau en apparence parfaitement sain.

La paralysie musculaire chronique est beau- coup plus fréquente , et aussi moins promp - tement funeste que la précédente. Elle se mon- tre quelquefois en même temps que le déve- loppement de la folie chez les personnes^wde 45


470 RECHERCHES

a 55 OU 60 ans , et en dénote l'Incurabilité •, le plus souvent ce n'est* que la seconde, la troi- sième année ou plus tard qu'elle se manifeste. Elle s'établit ordinairement lentement et d'a- hord partiellement , et devient ensuite générale et absolue. Ses progrès sont accompagnés delà dimii)ulion successive, et enfin de la perte to- tale de l'exercice intellectuel. On peut en diviser le cours , depuis son commencement jusqu'à la mort des malades , en trois degrés.

Premier degré. La paralysie commence pres- que toujours par se déclarer dans les muscles de la langue ;, très-souvent elle y reste même bornée pendant long-temps avant de s'étendre ailleurs. La malade éprouve de la difficulté à parler, prononce mal ou lentement les mots , balbutie plus ou moins ) la langue tirée hors de la bouche ne se porte pas plutôt d'un côté que/ de l'autre, et semble afFectée généralement. D'autres phénomènes se joignent bientôt à ce- iui-ià. Si le malade peut rendre compte de son état , il se plaint d'éprouver, soit d'un côté seu- lement ou des deux en même temps , de l'en- gourdissement dans les membres , un sentiment de picotement , de formication dans les mains , les pieds , le long des trajets nerveux , des dou- leurs de tète plus ou moins générales , quel- quefois très- circonscrites et ordinairement du


CADAVÉRIQUES. êy l

coté opposé à la paralysie , quelquefois néan- moins du même côté ; les mouvemens devien- nent moins faciles , plus lents -, le malade finit par ne plus pouvoir se servir q^ue des membres d'un côté. Toutes les autres fonctions sont ré- gulières 5 ladigestion , surtout , se fait très-bien , l'embonpoint ne diminue pas. Ce premier degré peut durer fort long-temps, plusieurs années, sans que la santé générale paraisse en souffrir. Second degré. La malade est entièrement pa- ralysée d'une moitié du corps , ou de toutes les deux ; elle ne peut plus marcher ni se tenir debout j on est forcé de la tenir couchée conti- nuellement j elle peut à peine prononcer quel- ques mots , qui du reste sont tout-à-fait insigni- iians , car l'intelligence est anéantie. L'embon- point ne diminue point encore , la digestion est excellente. Les signes que j'ai indiqués pour l'irritation chronique, se présentent ordinaire- ment à cette époque •, le pouls offre de la fré- quence, de la dureté j l'après-midi, les joues de la malade se colorent •, elle a soif j ce second degré peut durer depuis quelques mois, jusqu'à une année et plus.

Troisième degré. Ce degré comprend les derniers mois de l'existence. îl est caractérisé par l'augmentation de la paralysie, de telle sorte que les malades sont comme des masses


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inertes ; elles se décolorent , pâlissent , maigris- sent. L'appétit se perd , il survient du dévoie- ment ou une constipation opiniâtre, et enfin la mort ne tarde pas k mettre un terme a ces maux. L'intelligence est tout-à-fait nulle -, les paralytiques restent quelquefois une année ou plus sans proférer une seule parole , sans de- mander à satisfaire leurs besoins.

La paralysie chronique qui s'annonce par les signes que j'ai indiqués pour le premier degré , surtout si elle se développe d'abord d'un seul côté , dépend presque toujours d'un ramollisse- ment de la substance cérébrale j quand elle est générale dès le commencement, le principe eu est plus particulièrement dans la moelle épi- nière.

La paralysie des idiots consiste presque tou- jours dans une hémiplégie complète , qui date de ia naissance , et qui coïncide ordinairement avec l'atrophie de l'hémisphère du côté opposé.

La paralysie des aliénés est incurable. Dans les deux derniers degrés , on aura soin de mettre le malade dans un lit en forme d'auge , pour qu'il ne puisse se laisser tomber à terre.

4." Scorbut.

Lorsque l'hiver a été très-rigoureux et long , et que le printemps est humide , le scorbut fait


CADAVÉRIQUES. 47^

souvent de grands ravages dans la division des aliénées. Il s'annonce par une langueur géné- rale, le gonflement et le saignement des gen- cives , la pâleur de la face , la diminution ou la perte de l'appétit ; plus tard il se manifeste des taches plus ou moins larges , de couleur lie de vin, violacées ou livides, principalement sur les jambes et aux pieds. Si la maladie fait des progrès, les gencives se tuméfient , se ramollis- sent et sont rendues par lambeaux ; des hémor- rliagies passives , nasales , buccales ou pulmo- naires , un dévoiement colliquatif terminent la vie des malades. Si le scorbut n'a point une marcbe aussi rapide , survient chez une aliénée non encore affaiblie , par des moyens convena' blés on le fait disparaître ; la belle saison est un excellent remède pour cela.

5." Phthisie.

La phthisie fait périr plus de la moitié des aliénées de la Salpétrière. Elle n'est jamais aiguë j souvent même elle est tellement latente qu'on ne la découvre qu'à l'ouverture du corps. Dans ces cas , il n'existe pas le moindre signe d'irritation pulmonaire •, le malade ne tousse ni ne crache , ne se plaint nullement 5 il mai- grit , s'affaiblit , est pris de dévoiement ou de


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constipation , et meurt • mais ces pliénomèues se succèdent très-lentement. Une chose assez re- marquable , c'est qu'il n'y a presque jamais d'expectoration , quoique après la mort on trouve des foyers et des cavernes qui ont du fournir de la matière muqueuse et puriforme. Les malades , au lieu de les cracher , les ingè- rent peut-être dans l'estomac j ou bien ces ma- tières peuvent être résorbées.

6." Entérite chronique ,Dévoiement.

La phlegmasie chronique de la membrane muqueuse du canal alimentaire est très-fré- quente. Rarement primitive , presque toujours consécutive , elle survient chez un grand nom- bre de malades dans les derniers temps de leur existence. Le devolement en est a -peu -près le seul caractère 3 le ventre n'est point dou- loureux.

7.° Atonie des gros intestins', Constipatioji.

Toutes les aliéiiées qui sont au lit pour n'en plus sortir avant de mourir, sont prises de devolement ou de constipation. Cette dernière affection ne doit pas présenter le même carac- tère chez elles à celte époque , que pendant la période d'excitation de 1^ folie j ce sont deux


CADAVÉRIQUES. 4lj5

états bien différens de l'économie qui ne peu- vent guère produire des effets semblables. La constipation , dans le premier cas , résulte tou- jours d'une atonie du gros intestin , lequel se laisse distendre, remplir par les matières fé- cales sans pouvoir les expulser -, elles y durcis- sent, s'y amassent en grande quantité, et les malades seraient des mois sans aller à la selle , ou même il leur serait impossible d'y aller, si on n'employait des moyens convenables. J'ai eu à observer un cas de constipation assez re- marquable par l'incident qu'il a présenté , pour mériter d'être consigné ici : Une aliénée, en- ceinte de sept mois, éprouva des douleurs ex- trêmement vives dans les reins et dans l'exca- vation du bassin. En découvrant la malade , je vis le périnée très-saillant , paraissant pousse par une tumeur a chaque effort ex pulsif, et rentrant un peu lorsque la douleur cessait ', le vagin était repoussé sous l'arcade du pubis et pouvait a peine recevoir le doigt. Je crus d'a- bord que c'était la tête de l'enfant , qui , enga- gée dans une fausse route , voulait sortir par le périnée , comme j'en avais déjà vu un, exem- ple. Néanmoins , en examinant l'état de l'abdo- luen , il fat facile de voir que l'utérus n'avait point changé de place , et le doigt introduit d,ans l'anus reconnut la cause des souffrances.


4'76 RECHERCHES

Une énorme quantité de matières fécales très- dures fut extraite , et les accidens cessèrent.

La constipation étant incurable dans sa cause, on ne doit qu'en prévenir les effets. Tant que les lavemens simples ou purgatifs, pourront procurer la sortie des matières fécales , on en fera usage. Mais il arrive une époque, ou Ton est obligé de les extraire avec des cuillers ; leur dureté , Pinsensibilité complète de l'intestin , l'habitude qu'il a d'être distendu , rendent tout autre moyen de peu d'utilité, autrement que comme accessoire.

8.° jéffections du Foie»

Le foie présente a l'ouverture des corps , des altérations qu'on n'a jamais soupçonnées pendant la vie, qui n'ont été annoncées ni par de la douleur , ni par la jaunisse , etc. \ telles sont la dégénération graisseuse, des kystes, des tubercules, des inflammations chroniques.

^.'^ Affections de V Utérus et de ses dépendances.

Ces affections sont de même que les précé- dentes, reconnues seulement à l'ouverture du corps ', elles sont certainement étrangères à la cause de la mort. Je n'ai observé qu'une seule fois un cancer utérin. Les autres maladies sont des tumeurs diverses par leur volupae et leur


CADAVÉRIQUES. ^77

nature, quelques liydvopisies plus ou moins considérables des ovaires , etc.

§. IV. Altérations organiques.

La marche que nous allons suivre dans ces dernières considérations, est très-simple ; nous Terrons d'abord l'état de l'organisation des par- ties , et nous chercherons ensuite à déterminer la cause qui a pu la changer , les effets qu'elle a dû produire , ce qui nous conduira a la dis- cussion du point important qui comprend le rapport des altérations organiques avec la ma- ladie mentale. Je ne m'arrêterai guère a la description des changemens survenus dans les organes thoraciques ou abdominaux , parce que se liant a des affections bien connues, ils ont été exposés avec beaucoup de précision -, ainsi, la dégénération phthisique du poumon , la transformation graisseuse du foie , observées journellement , sont décrites aussi bien que possible , et il nous suffira de les indiquer -, la seule chose qu'il nous importe de savoir ici , c'est si ces maladies ont été pour quelque chose dans la production de la folie, ou si au con- traire elles ne pourraient pas en être quelque- fois une suite plus ou moins éloignée , et dans beaucoup de cas, dépendre entièrement de l'ac- tion des influences que nous avons examinées.


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1.° Altérations du Crâne.

- Crâne d'Idiotes,

Les idiotes ont presque toutes le crâne ■vi- cieusement conformé , sous un ou plusieurs rapports. 1.° ha. forme la plus ordinaire de cette partie , est celle-ci : le front est déprimé d'un côté a l'autre ;, aplati de haut en bas, et au lieu de s'élever plus ou moins perpendi- culairement au-dessus de la racine du nez, il s'en va très-obliquement, quelquefois pres- qu'liorizontalement en arrière, ce qui donne alors a ces êtres beaucoup de ressemblance avec les animaux. On rencontre néanmoins des fronts bien conformés. D'autres fois ils sont trop développés , et s'avancent de manière à former un angle facial de plus de quatre-vingt-dix de- grés ', la partie supérieure avance , et fait pa- raître la racine du nez et les sourcils, comme renfoncés. Les parties latérales et postérieures, sont ordinairement très-développees relative- ment au front, et souvent même absolument parlant; j'en ai rencontré dont le diamètre la- téral était plusét. ndu que l'antéro-postérieur; le front avait, chez une de ces idiotes , plus de six pouces de large. 2.° Le volume général du erâné est tr^s-variable. Il est quelquefois ex-


CADAVÉRIQUES. 47g

trémement petit; j'en al mesuré qui n'avaient pas plus de seize, dix-sept , ou dix-liult pouces de circonférence. Ceux de seize pouces ressem- blaient à peine à une tête humaine. D'autres fois il est très-volumineux 3 les liydrocépliales peuvent avoir des têtes énormes et bien ossi- fiées y on en a observé qui présentaient plus de trente-six pouces de circonférence ; je n'en ai pas vu qui en eussent plus de vingt-tx'ois. 5.° Beau- coup de crânes d'idiots sont épais; j'en ai trouvé qui avaient près d'un demi-pouce d'épaisseur. MM. Pinel, Esquirol, Gall, rapportent des exemples semblables. 4.° La capacùé delà ca' vite crânienne , doit varier en raison des cii*- constances que nous venons d'indiquer 3 elle est en général petite, sur-tout vers le front. Il faut bien se garder de vouloir la f .r autre- ment que par approximation , du Avant des individus, car on pourrait se tromper étran- gement, l'épaisseur très-grande des os pou- vant la diminue!* de beaucoup ; en outre, les idiots étant presque tous scropliuleux , la peau de la tête est engorgée et souvent très-épaisse. 5." Chez plusieurs idiotes paralytiques , dont une moitié du cerveau était atrophiée et ré- duite des deux tiers , le même côté du crâne était revenu sur lui même , d'une manière frappante.


ébo RECHERCHES

Crânes d'aliénées.

Ce n'est pas seulement en faisant l'ouTer- ture des corps , que j'ai pu examiner cette par- tie du corps ; j'ai eu encore a ma disposition la collection de M. Esquirol, qui se compose de plus de cinqcents têtes préparées avec soin-, en sorte qu'il m'a été très-facile de faire les com- paraisons les plus multipliées. Les observations que j'ai faites, m'ont conduit aux seuls résul- tats qui suivent : la moitié des crânes n'offre rien de remarquable ; ils paraissent aussi ré- guliers, aussi bien conformés que dans les autres circonstances de la vie. L'autre moitié présente des particularités dans la forme , la régularité de la boîte osseuse , dans l'épaisseur, la densité , l'organisation des os qui la com- posent. 1.° On remarque des crânes déve- loppés inégalement , l'un des côtés étant plus fort, plus bombé que l'autre ; c'est le côté droit que j'ai ordinairement rencontré avec cette disposition. Quelques-uns sont comme contournés , de manièi'e que l'une des moitiés est plus en avant, et l'autre plus en arrière. Il en est qui n'ont pas le diamètre antéro - pos- térieur plus étendu que le latéral ; leur voûte s'élève alors beaucoup , sur-tout postérieure- ment. Les cavités de la base du crâne présentent


CADAVÉRIQUES. 48l

aussi des inégalités ; celles d'un côté sont quel- quefois plus grandes que celles de l'autre. 2.° Greding et le docteur Gall , disent avoir trouve les crânes des fous beaucoup plus épais que ceux des autres individus -, l'assertion est trop générale ()n peut compter que le dixième seuleoiC it de notre moitié , ce qui ne fait que le vingt! .^me du total, offre cetle particularité. 11 en esl d'extrêmement épuis , j'en ai vus qui avaient près de cinq lignes ; sans pouvoir dé- terminer au juste l'épaisseur des autres^ il est facile de la constater. J'ai souvent observé le coronal seul, avec cette augmentation nutritive Ircs-forte , les autres os paraissant dans l'état ordinaire. 5.° Une autre altération plus fré- quente que la précédente, el <^|ui existe souvent en même temps, est la di parition du diploë ; les os sont très - durs , très -blancs , et ressem- blent à de l'ivoire; ils sont alors d'une densité très-remarquable. 4.° Quelques-uns , au con- traire , presque entièrement convertis en di- ploë , sont d'une légèreté extrême.

Ces altérations se remarquent sur-tout cliez les m.alades anciennes: elles s'observent éijaie- ment dans tous les genres de délire. M. Gall assure que tous les suicides ont le crâne épais et éburaé ; j'ai eu souvent occasion de rencon~ trer des preuves du contraire. Le docteur

3i


482 RECHERCHES

Falreta aussi très-bien démontré^ dans un mé- moire sur ce sujet, que le penchant à se dé- truire ne pouvait dépendre d'une seule cause, et variait selon une foule de circonstances.

Piéjlexions .

Chaque appareil organitjue se compose de deux parties distinctes j l'une est essentielle et destinée à l'exercice immédiat de la fonction , et l'autre n'est qu'accessoire et sert a mettre la première dans des conditions convenables pour cet exercice. C'est ainsi que le poumon est protégé , servi par le thorax , le cerveau , par le crâne et les ménynges. C'est pour la partie essentielle qu'existe la partie accessoire ; dans l'ordre naturel et sain , si celle-ci n'est pas toujours inlluencée par celle-là dans sa conformation , sa nutrition, au moins l'est-elle gouvent , tandis que la partie essentielle ne l'est jamais par ses accessoires , excepté dans l'ordre pathologique. Le crâne , loin d'exercer une action sur le cerveau , reçoit au contraire sa forme de cet organe j il n'est encore que membraneux quand celui-ci est déjà très-bien développé, et à la naissance, les os qui le constituent offrent encore entr'eux des inter- valles non ossifiés _, ils sont très-mobiles les uns sur les autres. 11 suit de-lk , que dans Pidio- lÏQf ce n'est point ie crâne qui a empêclié le cer-


CADAVÉRIQUES. 485

veau de se développer, et que c'est au contraire cet organe qui n'a point réagi sur lui. 11 pour- rait néanmoins arriver que les os venant à s'é- paissir fussent la cause primitive du défaut d'in- telligence. De même dans la folie, les altéra- tions que nous avons remarquées doivent s'être opérées lentement, par suite des progrès de l'af- fection cérébrale. Dans tous ?es cas , en met- tant de côté les causes et les efFsts, la forme, la capacité du crâne , nous indiquent la forme et le volume du cerveau ; cette rcgie ne souffre que très-peu d'exceptions.

Par la capacité , ia iorme du crâne des idiots, nous remontons facilement a la cause de l'obli- tération de l'intelligtnce chez ces individus. Tantôt le cerveau est trop petit , les parties antérieures sur-tout, siège principal des fa- cultés supérieures de l'euîendement , sont à peine développées", d'autres fois , le volume ex' cessif de cet organe compare à la faiblesse et au peu d'activité de ses fonctions , annonce assez qu'il a une constitution scrophuleuse ; ou bien enfin il est distendu , comprimé par de l'eau , chez les liydrocépiiales.

Les altérations que nous avons remarquées sur les crânes des aliénées , ne sont pas sans intérêt. On doit, je pense , les attribuer , au moins en partie, à l'influence pathologique du

3i..


484 RECHERCHES

cerveau j le changement vital qui s'est opéré dans cet organe doit nécessairement se faire sentir à la longue sur ses enveloppes, comme sur le reste de l'économie. Quand un poumon reste atrophié pendant très- long-temps , le thorax s'affaisse du même côté -, l'orbite se ré- tracte quand on en a extrait l'œil cancéreux , les alvéoles disparaissent après l'extraction des dents. Je crois donc que l'épaississement des os , leur transformation éburnéeou spongieuse, sont des suites de l'affection cérébrale; qu'il en est de même de l'affaissement d'un côté de la cavité crânienne cjui suit l'atrophie du lobe correspondant , et que Greding a commis une erreur très-grande , en considérant ces dispo- sitions osseuses comme des causes de la folie. Je ne sais si les irrégularités dans la forme gé- nérale du crâne , les inégalités de développe- ment des fosses de sa base , sont primitives ou consécutives -, si nous jugeons par induction , nous pencherons pour ce dernier avis, qu'elles résultent de la diminution lente et insensible des différentes parties cérébrales -, néanmoins , j'ai vu une rachitique présenter, dès en entrant dans l'hospice , un développement osseux bien plus considérable du côté droit que du côté gauche. Bichat pensait que les deux moitiés du cerveau devaient être tout-à-fait pareilles, pour


CAlDAVI^. RIQUES. 4^B

que i'iiiteiiigence fat énergiqu.e et saine j cet auteur ne consulta probablement qu'un petit nombre de faits pour émettre cette opinion, et sa propre organisation était une preuve bien évidente du contraire.

3.*' Altérations de [encéphale _, du prolo/ige- ment rachidlen et des ménynges.

Nous ferons à l'égard de ces organes , la même chose que pour le crâne ; nous coin- mencerons par dire que sur la moitié au moins des cadavres , on ne peut découvrir, apprécier dans leurs dispositions physiques , dans leur organisation, absolument aucun changement sensible. En général , et même presque tou- jours , ce n'est que dans les vieilles démences , dans les complications de paralysie, que nous observerons des altérations organiques \ non pas qu'elles soient constantes dans ces cas , mais elles y s,ont beaucoup plus fréquentes que dans tout autre; les aliénées qui succom- bent trop promptement , sans arriver a ces ter- minaisons de leur maladie mentale , ne pré- sentent ordinairement rien de remarquable.

Chez les malades qu'on envoyé comme alié- nées et qui meurent peu de temps après leur entrée, de fièvre ataxique, d'arachnitis ou de céphalite , on rencontre souvent des


4Ô6 RECHERCHES

traces de ces affeclions , telles que la rougeur, l'injection sangLiine de i'ar «cKnoïde , une exsu- dation séreiiStr , trouble , puruleate ou couëii- neose entre cett3 membrane et la dure-mère, la suppuration, le ramolïisseaient , l'afFaisse- ment gangséneux de quelque partie céré- brale, (jn se gardera bien de considérer ces altérations organiques, comme appartenant à des sujets aliénés.

Ményîîges.

J'ai rarement rencontré des lésions bien sen- sibles de la dure-mèrg fménynge) j quelquefois elle était extrêmement adhérente au crâne, elle paraissait plus épaisse qu'a l'ordinaire ; j'ai trouvé sur trois individus, des points d'ossifi- cation dans son grand repli ( grande faux ) 5 l'un d'eux avait dix-huit lignes de long d'avant en arrjère , environ quatre de large, et une d'é- paisseur. L'arachnoïde et la pie mère (ményn- gi oe j j sont plus souvent endommagées *, on trouve presque toujours alors , des traces de phiegmasie ^ ciiroïiique ; la surface extérieure de la première laisse voir ça et Fa des plaques rouges ou gri- sâtres et inégales, presque toujours couënneuses et légèrement adhérentes a la dure-mère , si- tuées ordinairement sur les parties supérieures et latérales de cette membrane. La seconde est très-rouge, ses vaisseaux ainsi injectés de sang


CADAVÉRIQUES. 487

semblent durs et tendus -, l'une el l'autre , très- adliérentes entr'elles , sont parfois engorgées , épaissies bien visiblement. Une autre altéra-<s; tion assez fréquente , c'est l'infiltration du tissu cellulaire qui unit ces deux membranes ', il en résulte une couche aqueuse d'une ligne ou plus sur toute la surface du cerveau, et plus particu- lièrement sur les lobes ou liéaiisplières, et qui s'étend rarement entre les circonvolutions.

Cerveau,

Nous allons examiner cet organe sous le rap- port , 1.° de sa forme et de son volume ; 2.° de sa consistance générale-, 3.° de l'état de ses cir- convolutions et de ses cavités intérieures } 4.° de son organisation.

Forme et volume. Ces deux propriétés phy- siques du cerveau n'ont été examinées que d'une manière relative , et d'après les disposi- tions du crâne j il serait très-facile de s'assurer du volume absolu , en plongeant l'organe dans un vase rempli d'eau, et gradué. Il est bien cer- tain que la masse encéphalique est moindre chez les idiots a petites téies , et doit être di- minuée avec l'épaisissement des os. Chez les aliénés , on remarque quelquefois qu'elle semble plus petite que paraît ne le comporter la cavité qui la contient. Lorsque le front


^^88 RECHERCHES

n'existe presque ])as, les lobes antérieurs sont très-minces et comme tronqués; quelque chose d'analoi^uc arrive quand le frontal seul de- Tient trcs épais, sans que le front en paraisse moins bie a conformé.

Consistance générale. Quelcjiies cerveau?^ sont très-fermes , même plusieurs jours après la mort -, on les coupe avec dilîiculté. Quelque- fois la substance blanche est comme glutioeuse , élastique, et prête long temps avant de se laisser iiiviser. Un plus grand nombre sont extrême- ment mous \ si on ôte les membranes qui les enveloppent , et qu'on les place sur leur face inférieure , ils s'affaissent , se déforment , les circonvolutions s'écartent les unes des autres , le méso lobe (corps calleux) se déchire, et il devient impossible de retrouver les dispositions des parties intérieures. Dans plusieurs de ces cas 5 la substance blanche tire sur le jaune ou le blanc sale , et la grise est blafarde , jaunâ- tre , en sorte que l'une et l'autre semblent pres- que se confondre par la couleur, et un peu par la consistance.

CirconA'ohilions . Tantôt ces plicatures cérét- brales sont larges et bien développées , et d'au- tres fois , surtout lorsque les crânes paraissent très-épais , elles sont pelltes, rapprochées. Quel- cfiiefois ces deux dispositions existent sur le


C A D A V É Px I Q T F. S. ' 489

même individu , dans des endroits différens. Je ne parle point ici du cas d'atrophie partielle du cerveau.

Cavités intérieures . Les ventricules latéraux, le plus souvent de grandeur ordinaire , paraissent néanmoins dans certains cas , ou ex- trêmement vastes , spacieux , ou bien rétrécis , diminués dans tous les sens ; quelquefois l'un est beaucoup plus grand que l'autre ; il n'est pas très - rare de les trouver oblitérés , ou au moins offrant des adhérences postérieurement, et notamment dans ce qu'on nomme cavité de la corne d'Ammon. Chez un très grand nombre de sujets, on rencontre les trois ventricules cé- rébraux remplis d'une sérosité ordinairement très-claire et très-limpide, rarement troublée par des flocons et des parcelles albuminiformes. Les deux supérieurs en contiennent fréquem- ment plusieurs onces chacun. J'ai trouvé trois ou quatre fois les feuillets de la cloison qui les sépare , distendus en avant par une petite quan- tité d'humeur aqueuse, et offrant dans cet en- droit la forme d'une grosse noisette. Je n'ai pas été a même d'ouvrir d'idiots hydrocéphales, dont le cerveau contînt davantage de sérosité. Les cas ne sont pas très -rares, où l'on en a trouve plusieurs livres.

Les plexus choroïdes sont presque toujours


490 r. E C H E R C K E s

vides de sang et décolorés •, ils contiennent sou- vent un grand nombre de vésicules hydatifor- mes remplies de sérosité , à\in volume varia- ble depuis un grain de millet jusqu'à celui d'un pois.

La glande pinéaie {conariwn) présente ra- rement des particularités remarquables ; M. Es- quiro! l'a trouvée manquante sur un cadavre. Quelquefois les graviers qu'elle contient sont nombreux , et quelques-uns plus gros que des grains de millet.

Organisation. Les altérations d'organisation , les vices de texture de la substance cérébrale que j'ai observes , se réduisent aux suivans : 1 .° PiamoUisscmens partiels : ils sont fréquens dans les paralysies •, ils existent alors toujours du côté opposé a la maladie musculaire \ ils se rencontrent soit dans les couclies optiques, les corps striés , ou dans plusieurs ou un grand nombre de circonvolutions. La partie ramollie, quelquefois réduite en putrilage, ordinairement sans altération des formes , a changé de cou- leur j la substance blanclie est devenue jaunâ- tre, blanc sale ; la grise, se rapproche de la première , et ressemble par fois presque à de la gélatine. 2.'* Atrophie partielle : c'est surtout, et presque exclusivement chez les idiots para- lytiques, qu'on observe cette lésion organique j


Cadavériques. 4oi

elle occupe presque toujours tout un liémis- plière , celui du côté opposé a la paralysie , et souvent est encore plus étendue. La portion affectée est réduite plus ou moins , depuis un tiers jusqu'à deux tiers j les circonvolutions sont alors petites, peu nourries, serrées les unes contre les autres. En général, le centre de la partie atrophiée est dur, et quelquefois comme cartilagineux, et l'extérieur est ramolli. J'ai vu le cerveau d'une idiote complète , sourde et aveugle , frappé presque généralement de cette désorganisation. 3.° Erosions , ulcéra- tions de V intérieur des 'ventricules • lorsque la sérosité que contiennent ces cavités est trouble et iloconneuse , leur surface est moins lisse , inégale , rugueuse ; j'ai observé une fois sur l'une des couches optiques , une ulcération de la largeur d'une pièce d'un franc, ressemblant assez , quant a la forme , à un ulcère vénérien. 4.° Carcinome: deux ou trois fois , j'ai trouvé des tumeurs qui avaient tout l'aspect carcino- mateux j elles étaient grosses com^me une noi- sette ou une noix , dures , difficiles a diviser , d'un blanc grisâtre , et entourées de substance ramollie presque liquide.

Mésocéphale ( Protubérance annulaire , )

Une seule fois , chez une paralytique, j'ai


492 ïl E C n E R C H E s

rencontré une altération remarquaLle de cette partie ; je ne sais si c'était un ancien épanche- inent sanguin. Le centre de l'organe, dans un rayon d'environ deux lignes, était d'un rouge livide, légèrement verdâtre, aussi consistant que le reste -, il devenait jaunâtre en s'éloignant veî's la circonférence ; il n'existait pas de sépa- ration entre cette substance et les autres parties du mésocéphale.

Cervelet,

11 est ordinairement moins consistant que le cerveau , excepté quand celui-ci est extrême- ment mou. Plusieurs fois le cervelet s'est trouve' ramolli plus ou moins généralement , et presque réduit en putrilage, sur-tout vers les extrémités de ses lobes.

Prolongement rachldien.

Cet organe est rarement altéré j on le trouve dans certains cas de paralysies qui sont surve- nues en même temps des deux côtés du corps, ramolli en quelques endroits j chez une de ces malades , j'ai observé le tiers moyen ou la por- tion dorsale, beaucoup moins consistante que les deux autres tiers , et réduite en une espèce de bouillie, qui empêchait qu'on pût suivre les dispositions fibreuses de la substance blanche.


C A D iVV É R I O U E s. ^qS

RéfLeocions.

L'observation de ces altérations organiques de l'encéphale et de ses enveloppes membra- neuses , nous conduit à l'exaueiî de ces deux questions , savoir : si eiies constituent la cause prochaine de l'aliénation mentaie , et si elles ont du rapport avec cette même cause ? L'une et l'autre me semblent faciles à résoudre-

il est hors de doute ({ue l'oblitération de l'intelligence, chez les idiots, provient du dé- faut de développement du cerveau , et notam- ment de ses parties qui sont placées au front chez les individus qui présentent ce vice de con- formation, et de la compression exercée par l'eau sur cet organe , chez les hydrocéphales. Très-probablement aussi , l'atrophie d'une moi- tié ou plus de l'encéphale qui date de la nais- sance, comme l'annonce Fetat paralytique C[uia toujours existé, est ia cause immédiate du fai- ble exercice de cette fonction. Maintenant, il n'est pas moins évident que les altérations or- ganiques que nous a offertes l'ouverture des corps des aliénées , ne constituent nullement la cause prochaine de la folie j car , i.° on ne les i'encontre jamais lorsque cette maladie ne dure que depuis peu de temps j 2.° Elles ne sont même pas constantes dans les cas qui semblent le plus


49^ RECHERCHES

favorables à leur production -, on trouve eh effet des paralytiques et de vieilles démences, où l'encéphale paraît dans un état sain- Ces deux raisons suffisent pour démontrer la vérité de notre assertion.

Reste à examiner les rapports de ces altéra- tions avec la cause organique de la folie. Quoi- que nous ne puissions pas apprécier la nature de cette cause , nous avons démontré , d'après les principes de la pathologie, qu'elle existe dans le cerveau organe d-js facultés lésées et siège des symptômes principaux et caractéris- tiques. Elle doit presque toujours consister en de bien légers dérangemeqs de l'organisation 3 car, d'un cote, l'exercice de l'intelligence se fait sans beaucoup de mouvement dans les fi- bres cérébrales, et de l'autre, s'il en était au- trement, cette maladie ne serait pas susceptible de guérison , la substance nerveuse une fois altérée à un certain degré , ne revenant que très-difficilement, ou même presque jamais à l'état sain. Il n'est donc pas étonnant que dans le principe , nous ne reconnaissions pas la cause prochaine des désordres intellectuels. Mais lorsqu'aucun traitement n'a pu la faire disparaître , si elle reste stationnaire quelque temps, elle finit toujours par fdre des progrès en mal \ c'est une loi générale de l'organisme ,


CADAVÉRIQUES. ^C)

que suivent toutes les maladies dans leur mar- che. Aux symptômes primitifs, s'en joignent d'autres, qui a eux seuls peuvent constituer des maladies nouvelles ; c'est ainsi que nous voyons naître l'atonie générale , l'irritation cérébrale chronique, la démence , la paralysie, etc. , de même que la phthisie consiste d'abord en des tubercules crus qui gênent peu la respiration , et s'accompagnent a la fin, d'irritation pulmo- naire , d'excitation de l'agent de la circulation , de phlogose et d'ulcérations intestinales.

Ainsi donc, si ces altérations n'ont pas pro- duit la folie , nous pouvons les regarder comme des suites de cette maladie, soit que le cerveau y ait été seulement dispose par elle, ou que ce ne soient que des transformations successives du dérangement organique primitif. L'une et l'autre origine sont très-faciles à concevoir j un organe affaibli par une maladie, est toujours plus facilement accessible à l'action des sgens destructeurs de la vie , et on voit beaucoup de ces transformations pathologiques*, le cancer n'a pas commencé par avoir ce caractère; il a consisté d'abord dans une irritation , qui a passé a l'état d'inflammation lente , puis d'in- duration , d'engorgement , etc. Ces altérations cérébrales sunt la cause prochaine des affec- tions secondaires qui accompagnent la fin de


Ag6 ï\ î: c H E R c îï E s

raliéiiation mentale; lesquelles affections sont extrêmement fréfjuentes cliez les aliénés, beau- coup plus que dans toute autre classe de malades.

5." Altérations des Organes thoraciques et ahdominauoc .

Plèvre et Poumons.

Ces organes sont endommagés sur plus des trois-quarts des cadavres. Les plèvres sont ou adhérentes ou revêtues de fausses membranes, ou enfin contiennent des liquides séreux ou purulens , ordinairement en petite quantité. Dans ces mêmes cas, les poumons présentent les differens degrés de la désorganisation tu- berculeuse , et quelquefois des pneumonies chroniques. Les tubercules sont gros et dissé- minés , ou bien miliaires et nombreux , for- mant presqu'à eux seuls la masse pulmonaire j ils sont durs et crus , ou ramollis et en sup- puration ; ou enfin réunis en foyers ou ca- sernes , situés le plus souvent dans le tiers supérieur de l'organe. Plusieurs fois, comme je l'ai dit précédemment, j'ai rencontré le pou- mon dégénéré en une substance analogue au foie graisseux.

Cœur et Péricarde.

Les maladies du cœur et des gros vaisseaux,


CADAVÉRIQUES. 497

qu'on a appelées organiques ne se sont ren- contrées que très-rai'ement ; et encore n'ai-je jamais observé que des distensions anévrys- matiques des cavités , sans obstacles à la circu- lation , en sorte qu'elles paraissaient provenir seulement de l'atonie dts fibres muscuieuses. Le péricarde contient assez souvent de la sé- rosité jaunâtre et claire , ou lloconoeuse et trouble; dans ces derniers cas, la membrane offre ordinairement des traces de phiegmasie clironique. UuC fois cette poche séreuse avait disparu , par l'adhérence complote de sa sur- face intérieure.

Canal alimentaire.

La membrane muqueuse de l'estomac et de l'intestin grêle , est presque constamment plus rouge, plus injectée que dans Fétat sain ; elle est quelquefois épaissie ; ces phénomènes sont sou- vent assez marqués pour constituer une phleg- masie véritable. Dans quelques sujets, on trouve des ulcérations vers la fin de l'iléon ; et dans quelques autres , le paquet intestinal a con- tracté de nombreuses adhérences , qui sont or- dinairement faciles à détruire par la moindre traction. Le gros intestin est tantôt distendu par une grande quantité de gaz ou de matières fécales plus ou moins consistantes , tantôt re-.

3a


4-gS 1\ E C II E I\ C II E s

-venu sur lui-même dans sa moitié anale , il ne forme plus qu'un cordon gros comme le doigt. J'ai trouvé plusieurs fois le rectum dilaté et rempli de matières fécales , au point d'occuper tout le bassin} en général, la muqueuse du gros intestin pi^ésente rarement des traces d'ir- ritation, je l'ai néanmoins vue épaissie et ulcérée en plusieurs endroits. Je n'ai presque jamais rencontré de vers intestinaux.

Replis du Péritoine.

Le grand épiploon n'est presque point altéré -, dans plusieurs cadavres , son bord inférieur ad- hérait aux parties antérieures du bassin. Le mésentère peut offrir un développement très- grand des ganglions lymphatiques situés entre ses deux feuillets , et un relâchement extrême qui permet au paquet intestinal de se ïoger entièrement dans le petit bassin. M. Esquirol a fait remarquer un changement de situation du colon transverse qui provient d'une cause semblable j si c'est le centre du mésocolon qui se trouve relâché, cet intestin forme une anse qui vient circonscrire la partie inférieure de la cavité abdominale, et descend mérùe dan& le bassin j si Iq relâchement existe à droite ou à gauche, l'angle du même côté descend et ar-


cadavériques; égg

rive dans la fosse iliaque , ou bien jusque dans le bassin , ce qui rend l'arc du colon très-obli- que ou presque perpendiculaire.

Foie. Vésicule biliaire.

Le foie offre de fréquentes variations dans ,{Son volume, sa couleur, sa consistance, son or- ganisation intérieure, etc. ^'^a couleur présente une foule de nuances, depuis le jaune biancliâtre, jusqu'au brun très-foncé et livide. Cet organe est quelquef ns presque réduit de moitié , cruoi- que bien organisé en apparence. Il est plutôt très-volumineux, sur -tout chez les scorbu- tiques ', son lobe gauche s'avance jusque vers la rate en passant pardessus l'estotnac, le droit descend vers la crête de l'os iliuni -, dans ces cas , ses vaisseaux sont ordinairement gorgés d'un sang noir et épais , poisseux, et de lluide bilieux approchant de la même couleur. Sur plusieurs cadavres, sa surface convexe était ad- hérente dans toute son étendue au diaphragme. Les altérations organiques en petit nombre , que j'ai observées sur le foie, sont, i.*' des tu- bercules, tantôt milialres et très - nombreux , QU bien gros comme des noisettes, des noix ou des œufs de pouie, parsemés ça et la en quelques endroits j 2.° des abcès, ou plutôt des kystes

52..


5oO EECHERCHES

GOiîtenant un pus d'un blanc jaunâtre , mêlé de bile-, 5.° la dégénération graisseuse, qui est plus fréquente que les autres altérations; le foie, plus volumineux que de coutume, est d'un blanc jaunâtre, mollasse; si on le divise, ses vaisseaux ne laissent échapper aucun li- quide, l'instrument est enduit de graisse ; 4." sur un cadavre, cet organe contenait un énorme kyste rempli d'hydatides, lequel communiquait avec une semblable poche formée dans le pou- mon gauche , et qui recelait également de ces vers.

La vésicule biliaire est tantôt distendue par une grande quantité de bile et dépasse beau- coup le bord du foie , tantôt elle ne contient qu'un peu de mucus, est revenue sur elle- même, et se trouve comme cachée dans sa fos- sette. Plusieurs fois, au lieu de bile, j'ai trouvé un liquide clairet transparent, et d'autres fois une matière blanche, crémeuse, inodore. Il n'est pas rare de rencontrer des calculs biliaires unique^ ou multiples , ronds ou multifaciés , dont la couleur varie depuis le jaune blanchâtre, jusqu'au brun foncé ; la vésicule en est quel- quefois remplie ; ils ne sont pas plus fréquens dans les suicides^ que dans les autres variétés du délire .


C À D jVV ÉRIQUES. 5oi

Rate,

Chez les scorbutiques , cet organe est sou- vent volumineux, mollasse, facile a déchirer, rouge lie de vin, ou d'un noir livide.

Utérus et Ovaires,

Lesaltérations qu'ont offertes ces organes sont quelques dégénéralions tuberculeuses des ovai- res, des kystes séreux de cette partie plus ou moins volumineux, des tumeurs utérines varia- bles par leur volume , leur nature , leur si- tuation -, presque toutes étaient extérieures , la plupart grosses comme des noisettes ou des noix-, quelques-unes seulement avaient un vo- lume plus considérable \ elles sont fibreuses , cartilagineuses ou osseuses •, une de la nature de celles-ci, grosse comme vuie hémisphère du cerveau , avait l'apparence extérieure de cet organe. Dans beaucoup de cas, l'utérus est plus volumineux qu'a l'ordinaire , quelquefois du double, sans paraître altéré dans sa texture.

Réflexions.

D'après toutes nos réftexion& précédentes , le lecteur peut certainement savoir aussi bleu que nous , comment il doit considérer les al- térations des organes thoraciques et abdomi-


502 RECHERCHES

naux. Sont -elles la cause occasionnelle, sym- pathique de la folie ? Nous poui^rions hésiter k résoudre r;< tte question , si nous n'a^^ions pas reconnu pour les véritables causes occasion- nelles de cette inaladie , ies affections morales et iateliectueiies , si nous n'avions pas suivi le développement et ia marche de ses symptômes, observé que le cerveau seul présente des dé- sordres bien marques dans le commencement, et souvent encore loog-temps après, pris con- naissance de la durée et du genre de vie , des influences auxquelles sont soumises les malades. Ces maladies que nous rencontrons à la mort, n'existaient pas dans le principe , ou bien dans un petit nombre de cas, elles n'étaient que des accidens purement concomitans 3 d'ailleurs elles existent chez un bien grand nombre d'indi- vidus qui ne perdent pas la raison. Elles ne sont donc pour rien dans la production de la folie. En sont- elles la suite, sont -ce des affections sympathiques de l'état cérébral ? 11 n'y a pas de doute que cet état ne doive influer puissam- ment sur le reste de l'organisme, détériorer l'exercice des fonctions, contribuer concurrem- ment avec ies agens extérieurs à les affaiblir, a donner à leurs désordres , ce caractère d'atonie, de chronicité qui leur est particulier. Enfin, ces altérations dépendent- elles de l'action des ia-


CADAVÉRIQUES. 5o5

fluences que nous avons examinées? Il suffirait presque de comparer leur nature, avec les effets ordinaires de celles-ci, pour se convaincre que telle est en effet leur source éloignée. Le scor- but , la plitliisie^ les débilités gastriques et in- testinales, etc., ne proviennent que de l'action de toutes les causes débilitantes dont sont en- tourées les aliénées de la Salpétrière ; cela est si vrai , que les aliénés riches , bien soignés dans des Maisons de Santé > sont loin d'être aussi sujets a ces maladies ■, le scorbut ne les atteint point. Pour dernière réilexion , je ferai cette considération, que puisque la folie n'est pas mortelle quoiqu'elle devienne incurable , il faut bien que les malades succombent à une affection quelconcjue.

CONCLUSION DE CE CHAPITRE.

i.** H faut bien distinguer le siège d'une lé- sion , de la nature de l'altération qui constitue sa cause prochaine ; le premier est suffisamment indiqué parles troubles de l'action organique, sans qu'il soit d'une indispensable nécessité d'en avoir la preuve matérielle *, la seconde n'est pas toujours facile à apprécier, nos sens n'étant point assez pénétrans pour saisir tous les changemens que peut offrir l'organisationj


5o4 RECHERCHES C A D A. VÉ R IQ U E S.

et cela sur-tout daos îe systéiue nerveux , d'où il resvilte qu'il est des maladies dont nous ne connaissons que les symptômes.

2.° Nous ne pouvons point découvrir la cause procliî^îne de la folie , qui a nécessaire- ment soa Siège dans le cerveau , organe des fonctions essentiellement lésées.

5." Toutes les altérations que nous avons observées sur les aliénées de la Salpélrière , sont consécutives au développement de la folie, excepté celles des cerveauxd'idiotes , qui sont primitives et liées a l'état intellectuel.

4." Les altérations du crâne et du cerveau , beaucoup plus fréquentes dans cette maladie que dans toute autre , dont plusieurs sont liées à la production d'affections secondaires , telles que la paralysie, l'irritation cérébrale chro- niîjiie, etc., sont très-vraisemblablement des suites plus ou moins immédiates de la cause prochaine des désordres cérébraux primitifs.

5.° Les altérations des organes thoraciques et abdominaux , ne dépendent que des cir* constances dans lesquelles se trouvent les ma- lades , circonstances produites par l'état mental, le genre de vie, les dispositions des établisse^ ïïieiis, etc.

F I N,


APPENDICE.


FIN DU CHAPITRE IV.


i$uite des caractères qui distinguent la Folie du Délire aigu.


11.

La Folie est souvent hé- réditaire ; la moitié des alié- nés éprouvent l'influence de cette cause, et beaucoup annoncent de bonne heure , par les dispositions de leur intelligence , qu'ils sont très - susceptibles de con- tracter cetle maladie,

12.

La guérison n'est pas toujours bien solide ; les rechutes sont fréquentes , et le cerveau facile à trou- bler par des causes légères,


11.

Le délire aigu n'est pas plus héréditaire que les ma- ladies dont il n'est qu'un symptôme ; ce n'est sou- vent qu'au moment où il éclate qu'on peut le recon- naître; rarement au moins est-ce plus que plusieurs heures d'avance.

12.

Une fois la santé bien rétablie , on ne pense guère à une rechute, et il n'est pas plus facile de contrac- ter une nouvelle maladie , que la première.


Ces deux caractères de la folie , l'hérédité et les re- chutes , prouvent bien évidemment que cette maladie


5o6 A P I' E XB ICE^

est essentiellement cérébrale : riiéréditu seule , ou h l'aide d'une légère cause irritante , provoque souvent le développement des désordres cérébraux; ici, aucun autre organe que le cerveau n'a pu en recevoir le germe de père en fds , et le conserver jusqu'à un certain âge : tout le reste de l'économie était d'ailleurs sain. 11 en est de même des rechutes ; cet organe conservant après la guérison une grande susceptibilité , quoique par-tout ail- leurs la santé soit parfaite , la moindre cause ou la seule disposition qui reste , produit le renouvellement de la ma- ladie mentale. Rien de tout cela n'arrive dans le délire aigu , qui est aussi passager que la cause sympathique qui le produit. L'hérédité et la facilité des rechutes , supposent toujours une disposition vicieuse constanlo dans l'organisation d'une partie.


TABLE

DES MATIÈRES.


Avant-propos Page vij

Considérations gÉ.mérales , physiologiques et pathologiques

sua LE SY STÈlvtE NEP^VEUX l

FouclioDS du cerfeau '7

Maladies du système nerveux 33

Siège et natup..e des maladies en général 48

DE LA FOLIE • 65

CHAPITRE PREMIER.

SYMPTOMES DE L\ FOLIE 83

§. I. Symptômes locaux ou cérébraux 85

1.° DÉLIRE 86

I.^' Genre. Idiotie 102

11."^^ Genre. Manie io5

III."'^ Genre. Monomanie 108

XV. me Genre. Slupidilé. 1 15

Y me Genre. Démence 118

2." lusomnie. 120

3." Céphalalgie 122

4.° Lésions de la sensibilité céréi)ra]e ou animale. . . . 124

5.° Lésions de la conlraclililé musculaire 127

6.° Lésions des enveloppes extérieures du cerveau ; ex- pression de la physionomie i3i

§. II. Symptômes généraux ou sympathiques i34

CHAPITRE II.

CAUSES DE LA FOLIE i43

§. ï. Causes prédisposantes , hérédité , suites de couches , T-^MPs critique , progrés DE l'age , etc. î4<j et suiv.


5o3 TABLE

§. II. Causes efficientes directes ou cérébrales iSy

1 .° Causes physiques 1 58

2." Causes morales et inlellecluelles i6o

§. III. Causes efficientes indirectes ou sympathiques i66

1.° Causes pliysiologiqnes Ihid.

2.° Causes pathologiques lyo

CHAPITRE Itl.

DEVELOPPEMENT, MARCHE, TERMINAISONS, TYPE ET PRONOSTIC DE LA FOLIE 175

§. I. DÉVELOPPB3IENT ET MARCHE 1 76

1.» Action des causes 177

2.° Période d'incubation 1 78

3 " Invasion j 86

4. Période d'excitation uji

5.° Décroissement igi

§. II, Terminaisons ig5

i.** Guérison , convalescence. , , nj6

2.° Des Rechutes , , . , 210

3," Passage de la Folie à l'état chronique incurable . . 212

§. ni. Type 216

§. iV. Pronostic ^ 217

CHAPITRE IV.

rÉLIRE AIGU 5 DIFFÉRENCES QUI LE DISTINGUENT DE

LA FOLIE 232

Causes du délire aigu 228

2.° Troubles intellectuels qui constituent le délire aigu. aSo 3.° Troubles généraux qiU se présentent en même temps

que le délire 233

4.° Pronostic et traitement. 235

5.° Principaux caractères qui distinguent d'une manière positive, la foiic , du délire aii;u 237

CHAPITRE Y.

TRMTEMENT DE LA FOLIE 342

Quelques principes de thérapeutique généraIjE ; • .246


D E s M A T I È R E s. 609

Manière d'agie. sur les onoANEs dans le traitement des

Maladies • 203

1 .° Voie directe 203

2.° Voie indirecte 254

§. I, Traitement cérébral direct, ou moral, et intellec- tuel . , . , ' • 200

1.0 Del'isokmenl 263

2." Education médicale 276

§. II. Traitement cérébral inoireCt ou rationnel 294

Soins hygiéniques . . . ^ 3o6

Action des médic 'meiis sur les Aliénés 3o8

Marche simple et régulière de la Folie 3io

Période dincubation Ihid.

Période d'excitation. 3ia

Marche irréguUère de la Folie 332

1 .° Pléthore générale. . . . ^ 334

2." Débilité , atonie 336

3.° Congestion cérébrale uctive 34o

4.° Etat inflammatoire du cerveau 345

5.° Stupeur, insensibilité 346

6." Etal irritable, susceptibilité nerveuse 348

7.° Tendance à l'incurabilité 353

8.° Tendance à la démence.. 353

9." FonE suite de couches, 356

10. ° Folie inlerinitLente etrémiilente 35y

11.** Symptômes graves. ........ ^ , S60

Déclin et convalescence. 36 1

1 .° A tonie 362

2." Etat irritable , insomnie 364

3.» Pléthore. 365

4." Constipation. , . .367

5.° Céphalalgie Ihid,

6.° Suppression des règles 369

Des Rechutes Syi

CHAPITRE VI.

RECHERCHES CADAVÉRIQUES 373

Etude de l' Anatomie pathologiijue , ,.,,.. S74


6io TAELE

Organes dans Félal sain SgS

Altérations organiques u 4oi

Oiiverlures cadavériques, leurs résultais matériels, les consé- quences qu'on peut en déduire 4o6

Résultats d'environ trois cents ouvertures de corps d'Alié- nées 423

§. I. SvairTÔMES ET MARCHE DE LA FoLIE 433

La Foiie considérée comme cause palliologique d'autres affections ; terminaison naturelle de cette maladie. . . 435 §. II. Genre de vie des Aliénées de lA Salpétrière ; influen- ces DÉBILITANTES AUXQUELLES ELLES SONT SODIÏISES 438

1 ."^ Circuinfusa 44o

a."* JÎppUcata 444

3." Ingesta._ 445

4." Gesta ,.....,......,,,, ............. ; 446

5.° Excréta.,. .'-. . .,.' 44<S

6." Percepta et animi patheinata. 45 1

§. ÏU. Maladies les plus fréquentes chez les Aliénées de la

Salpétrière ; 45^

Maladies aiguës. . . , , i 402

Maladies chroniques 464

■ 1.° Atonie 465

2.° Irritation cérébrale chronique 466

3.0 Paralysie ^ 467

4.° Scorbut 472

6." Phthisie 478

6.° Entérite chronique, dévoiement 474

7.° Atonie des gros intestins, constipation Ibid.

8.° Affections du foie 476

9.° Affections de l'utérus et de ses dépendances. . . .Ibid.

§. IV. Altérations organiques 477

1.° Altérations du crâne 478

Crânes d'idiotes Ibid.

Crânes d'Aliénées 48o

Tiéflexions 'iSa

2.° Altérations de l'cncéptiult; , tlu prolongement rachi- dicn et des ménynges 485


DES MATIERES. 5ii

Blénynges 486

Cerveau 48^

Mésocéphaie. (Prolubôrance annulaire. ) 491

Cervelet 492

Prolongement rachidien Ibid,

Réflexions.. 498

3.° Altérations des organes thoraciquesetabdominaiix. 496

Plèvres et Poumons ,..,...... Ihid.

Cœur et Péricarde Ibid.

Canal alimentaire 497

Keplis du Péritoine. . 4gS

Foie. Vésicule biliaire 499

Rate 5oi

Utérus et Ovaires Ibid.

Réflexions Ibid.

Conclusion de ce cHAPiirvE 3o3


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