La patte du chat  

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La patte du chat (The Cat's Paw, 1741) is a novella by Jacques Cazotte.

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LA PATTE DUU CHAT, CONTE ZINZIMOIS. A TILLOOBALAA M. DCC. XLI. " " " TOODVTV u des , TAB L E DESS CHAPITRES. CHAP. I. Ui ennuira comme Q font tous les Exor Page 1 CHAP. II. Qui ne le cede en rien au premier. IS CHAP. III. Qui n'eſt pas plus di vertiſant que les deux autres, 24 CHAP. IV . Os l'on verra bien des choſes, tant utiles qu'inutiles à l'intelligence du Conte , 35 CHAP. V. Qui ne contient rien de nouveau , 45 CHAP. VI. Qu'on trouvera trop long de moitié, 54 Hiſtoire de Blüätre , ďAndremir e de Tortillon , 63 CHAP. VII. Qui n'eft pas moins conſiderable que les précédens , 79 CHÁP. VIII. Qui donnera beats: coup à penſer , CHAP 94 . IX. Ou l'on apprendra en tre autres , comment il faut s'y prendre pour étrangler net un Conte II2 LA PATTE DU CHAT, CONTE ZINZIMOIS: CHAPITRE PREMIER Qui ennuira comme font tous les Exordes. E Royaume de Zinzim eft un de ceux que les Géographes ont perdu de vûe, je crois même qu'il a changé de continent pour teurfairepiéce. Sans douteque quel Aij 4 Lapatte du Chat. qu'Antiquairé, à force de ſuceurs pourroit en découvrir des tra ces ; mais ces Sçavans partagent leur attention entre les Epitaph s & la mitraille , & c'eſt dommage qu'une auſſi belle ſcience ſe borne d'elle -même. Tatonnet regna quelque tems dans ces contrées ; c'étoit une de ces têtes qui ne ſont pas faites pour porter la Couronne , & que le del tin qui ſe joue de tout y avoir ap pellée. Les faſtes du Pays qui ſont aſſez mal en ordre , & peut- être pour ne pas ſe charger de noms in utiles, ne diſent rien de ſes prédé ceſſeurs. Pour lui c'étoit un bon homme , imbécile , ſoupçonneux , babillard , doux par temperament , bruſque par occaſion , inais ellen tiellement foible . La Reine Filigranne étoit un pe tit compoſéde caprices aſſez bien aſſortis ; en fait de babil elle ne le La patté du Chat, “ cédoit point à ſon mari ; mais le lien étoit plus précieux; car le bel eſprit étoit ſa marotte ; elle avoit de l'humeur autant que femne qu'il y eût alors , & qu'il y aura de. puis ( quoi qu'on puiſſeſe promet fe tre des Dames de ce ſiécle ) une vivacité qui tenoit de l'emporte ment ; mais ſur-tout un air d'em pire qu'elle empruntoit de ſon ſexe, & qu'elle outroir avec tout le mong de. S'il falloit toujours juger des cau ſes par les effets , on n'imagineroit jamais qu'un couple de cette ef pêce eût pû produire un chef- d'oeu vre : néanmoins Amandine leur fille , ſurpaſſoit ce qu'on avoit vû de plus beau juſqu'alors. Les pinceaux les plus délicats, les plumes les plus legeres , & les plus flatreuſes eſſayerent vainement de faite ſon portrait ; elle effaçoit l'é clat des couleurs les plus vives, & Aiij La patte du Chat. le brillant même des phraſes orien tales ; mais on trouvoit ſon éloge au fond de tous les caurs. Les amours venoient en foule ſe fanger ſous fes loix; quelqu'entre prenans qu'ils foient, ils oublioient & les privileges de leur naiſſance , & leur libertinage : comme ils n'a yoient rien vû d'auſſi parfait, ils de meuroient dans une admiration refpectueuſe. Enfin , preſſés par des deſirs tu multueux & invincibles, ils ſe dé clarerent en foule, & furent très-mal reçus, ils faifoient trop de fracas. D'ailleurs une beauté rare doit débuter par quelque trait d'inhu. manité , & parce qu'il eſt un tems où on n'y revient pas aiſément , & parce qu'il eſt bon d'occaſionner d'abord quelque petit deſeſpoir , pour faire un nomà fa vertu . Quoiqu'une réception pareille dût fire mourir l'eſperance dans pe ? La patte du Chat 3 ? tous les coursanjoureux , le Prin . ce Amadil, dontl'amour avoit gar* dé juſques-là le ſilence , ne ceffa pas néanmoins d'eſperer, c'eſt le naturel d'un amant ; peut- être auſſi étoit -il perſuadé qu'un premier ter fus n'étoit pas unpréjugé pour an fecond , il avoit de grands avanta ges ſur fes rivaux , un eſprit déo Įicat, une phiſionomie fine , une taille accomplie : enfin on ne lui trouvoit à la rigueur qu'un ſeul défaut ; c'étoit un nez beaucoup trop long 91190 Uvod Un long nezn'effarouché pas la fimpatie, s'il ne l'occaſionne;quand le Prince eût été convaincu qu'il avoit ce défaut , il ne s'en fütque médiocrement allarmé : mais il l'ir gnoroir abſolument; il prit donc le parti d'offrirunnouveau coeur aux dédains de la Princeſſe , qui pa . toiſſoient inévitables , & ſur leſ quels néanmoins il ne comproit pas. Aiiij Za patte du Chat. Le deſſein qu'il avoit fornie de déclarer ſon amour , n'avoit rien au fond de trop hardi . Amandine étoit charmante ; pour le ſentir , pour l'aimer, pour le lui dire, il fuffifoit de l'inſtinct'; chaque jour on lui en parloit par maniere de converſation , & elle ne paroiſſoit jamais en public ſans recevoir au milieu des acclamations du peuple, des milliers d'aveux ſemblables. 1. L'important , c'eſt qu'elle n'a voit juſques-là fait attention à rien, & c'étoit de cette diſtraction qu'il falloit la tirer. Le Prince étoit info truit que tout dépendoit de fe de clarer à propos , &d'avoir fçu in tereffer un peu en fa faveurpar des regards tendres. Le langage desyeux , tout muet qu'il eſt , a une eſpece d'énergie douce , dont le cour ne ſe défie point ; il eſt plus reſpectueux pour l'objet aimé, & prépare , en cas de La patte du Chat. refus, des reſſources à la vanité d'un amant. Tandis que le Prince épioit le moment de ſe déclarer , une fan taiſie de la Reine vint à ſon ſex cours . Filigranne aſſembloit ſouvent dans ſon Palais les beaux eſprits de ſa Capitale ; ils y venoient régulie. rement deux fois par lune , admirer en chour ſes longs monologues' ; car quelque flattée qu'elle fût par les applaudiſſemens, elle ne pou voit fouffrir qu'un compliment vine après l'autre , tant elle étoit preſſée d'en recevoir de nouveaux. Il lui vint dans l'eſprit de faire aſſiſter Amandine à ces fortes de conféren ces ; elle trouvoit les lumieres de cette Princeſſe trop bornées , ſa fa çon de s'exprimer trop naturelle ; enfin elle vouloit qu'elle y prît ce qu'on appelle parmi nous le ton de la bonne compagnie. Amadil te 10 ortLa patte du Chat ģ noit ſon rang parmiles beaux ef prits , & parce qu'il étoit de qualités & parce qu'il paſſoit pour un chan fonnier médiocre , ce qui n'étoit pas un petit mérite dans une cour où on eſimoit beaucoup certains Vaudevilles doucereux, & une ef pece d'Odetirée à quatre épingles, où l'eſprit étoit compté. Dès que ce Prince ſçut qu'Aman dine devoit être de l'aſſemblée, il s'y rendit de meilleure heure qu'il l'ordinaire , ce jour-là la Reine y parloit deſes proüiefſes d'Etat. Elle avoit été au Conſeil ; car elle te noit fon coin par- tout. Elle avoir déviſagé le Chancelier , qui s'éroit aviſé de la contredire pour le bien du peuple : enfin elle avoit fait fon ner bien haut qu'elle prétendoit gouverner le Royaume comme l'intérieur de ſon Palais; c'eſt-à -dire tout faire enrager. A ce beau récit qu'elle mêloit

La patte du Chat. de pathétique, toute l'aſſiſtance té moignoir ſon admiration par ſes attitudes , tandis que Doucinet , Poëte Lyrique , traçoit fur fes ta blettes une Ode à la Reine , dont il n'eut garde de faire honneur à ſon travailni à la mémoire. fa L'impromptu parut bien- tôt , & l'Auteur en entonna la lecture d'unton emphatique & ſatisfait. L'Auditoire lui prêtoit une oreille attentive. Alors l'ainour d'Amadil voyant la circonſtance favorable , crut devoir faire le premier pas. Amandine étoit rêveuſe ; l'ou vrage de Doucinet n'avoit rien qui piquât ſon goût , niſa jalouſie , auf fi n'y donnoit- elle pas la moindre attention ; elle promenoit tour à tour ſur les objets qui l'environ-. noient des yeux ennuyés ,qui cher choient à le diſtraire , elle rencone tra par hazard un qil d'Amadil , qui diſoit les choſes du monde les j I 2 La patte du Chat. plus tendres; elle fut fixée dans le moment : qu'euſſe donc été , ſi elle les eût vû tous deux ? mais le Prin. ce étoit de profil, & la longueur de ſon nez cachoit l'autre Qil. Pouſſée par un goût involontai. re , elle ne pouvoir détourner les yeux de l'objet qui les avoit atta chés , le reſte de la nature lui pa * roiſſoit muet auprès de cet ail- là , il parloit à ſon coeur un langage aulli touchant qu'inconnu. Un plaiſir qu'on goûte mene å un autre , Amandine preſſée d'un mouvement de curiofité , & ſans preſque s'appercevoir de ce qu'elle faiſoir , voulut s'aſſurer ſi l'autre cil du Prince étoit d'intelligence avec celui qu'elle avoit vû. Il fal loit faire un mouvement conſide rable , elle ſe penchoir trop, fon fiege gliſſa ſur le parquet : enfin elle tomba. Sa chute ne fut pas dan gereuſe , le Prince qui ſembloit l'as La patte du Chat. 13 voir prévûe , s'approcha à tems pour la recevoir dans ſes bras ; mais dans le mouvement précipité que cela lui fit faire , il marcha fur la patte du char de la Reine , qui é toit auprès de lui. Grognon pouſſa un miaulement épouvantable , & tout s'en émut. Le malheur n'étoit paspetit , car on auroit peine à croire en quelle conſideration Grognon étoit à la Cour. La Reine l'aimoit unique ment, & ne prenoit conſeilque de lui ; elle le menoit par-tout avec elle , & le propoſoit ſans ceſſe à l'i dolâtrie des courtiſans, tous le flat toient , tous s'efforçoient de méri ter ſa bienveillance : heureux celui à qui il faiſoit parte de velours ! Aux clameurs de Grognon, Fi ligranne entra dans une convulſion étrange , elle dit à Amadil tout ce que ſalcolere put lại dicter, & ceque ce Prince allégua pour ſa défenſene 14 La patte du Chat, fit que l'aigrir davantage; elle lui défendit de paroître déſormais de vant elle, &courut s'enfermer pour huit jours. Amadil n'étoit pas le plus défo lé de tous les témoins de cette la mentable hiſtoire, un preſſentiment ſecret le rempliſſoit de joie. Il a voit ſurpris des regards d'Amandi ne, quin'annonçoient que de foi. bles rigueurs : il avoit reçu cette ai mable Princeſſe dans ſes bras , elle s'y étoit vûë ſans colere : enfin quand la Reine l'accabloit d'inju res , elle avoit paru partager la difficulté de fa ſituation. Mais le defaſtreux Doucinet é. toit au deſeſpoir ; à peine ſe vit-il en liberté , qu'il cria plus fort que Grognon ; & qui n'eût pas crié à la place ? Son Ode devoit lui va loir unepenſion dela Cour; on ne l'avoit luequ'à moitié, & juſtement le fel étoit à la fin La patte du Chat. 15 CHAPITRE II. Qui ne le cede en rien au premiera С وفاة fesaux Ependant Filigranne étoit dans un chagrin véritable , ſon cher Grognon étoit bleſté ; accoutumé qu'il étoit aux careſſes, ſon accident l'avoit rendu farou che , il ſe refuſoit aux empreſſe mens de la Reine, jettoit les grif aux yeux de ſes Gouvernantes, & paſſoit les jours entiers àgrom melerſous les meubles de ſon ap . partement. On tâcha d'exciter ſon appétir par tout ce quipeut piquer la frian . diſe d'un chat de qualité s on fir choiſir dans les fouriçieres de la Ville , les ſouris les plus potelées ; la Reine elle- inême ſacrifia un ſem ceiaquipartageoit les inclinations; € 6 La patte du Chat. mais il dévoroir tout en grondant , & pouſſoit desmiaulemensaffreux dès qu'on vouloit le prendre. Ace coup la Reine neput con tenir ſes inquietudes , elle manda tous les Médecins de ſa Capitale pour apporter ,s'il ſe pouvoit , du remede, & la Faculté ainſi graye ment aſſemblée , ſe rendit au Pan lais . Filigranne entama la converſa tion par le récit du deſaſtre ; fou vent elle s'interrompoit , quelque choſe étoit par là qui lui donnoit des diſtractions , & c'eſt ſur quoi - ił importe de donner des éclairciſſe mens. Que n'oſe pas l'amour ? ſçait-il enviſager le péril dès qu'il peut ſe fatter dela fatisfaction la plus le . gere ? Amadil banni de la Cour reflentoit moins les rigueurs injuſ tes de la Reine, que l'abſence d'A . mandine.Ibruloit d'envie derevoir cette Lapatte du Chat. 17 ز cette Princeſſe, & cette envie redou bloit encore par la difficulté de ſe fatisfaire. Il formoit vingt projets quiſe détruiſoienttous.Enfincomp: tant ſur l'impunité de ſa tentative , dès qu'il vit que la Reine avoit man:. dé le corps des Médecins de ſon état , comme la compagnie étrois nombreuſe ; il ſe réfolur de ſe tra veſtir comme eux , & depaſſer à la faveur du déguiſement. L'interêt de fa ſûreté exigeoit qu'il ſe cachât de ſon mieux. Fili granne étoit févere autant que bi zarre : auſſi y avoit-il apporté tous fes ſoins ; il étoit même fi para faitement déguiſé , que pour le re connoître il falloit être éclairé par l'amour ou par la vengeance . Le manteau qui l'enſeveliſoit rendoit ſa taille abſolument més connoiſſable. Une perruque énor me lui eſcamottoir les deux tiers du viſage; mais fon nez malheu . B 18 La patte du Chat: V reuſement avoit trop de relief , & c'en étoit aſſez pour le trahir. Ce nez fixoit les regards de la Princeſſe & de la Reine par de ,di ferens motifs. Amandine y pre noit un interêr ſecret dont elle ignoroit la cauſe: Filigranne plus clairvoyante , avoit toujours dé mêlé les traits du Prince en dé. pit dela bizarrerie del'ajuſtement, Dès qu'elle euc fuffiſamment vé rifié ſes conjectures, les flammerent de gina qu'il venoit tendre des em . bûches à Grognon ; car elle rap » portoit tout à fes idées. Anar » dil , s'écria t'elle , Quel démon » vous amene ici contre mes or v dres ? j'entrevois vos deſſeins » déſeſperé de n'avoir pas donné » la mort à mon Chạt que vous » haïſſez parce qu'il me plaît ; » vous venez ici conſommer vo

  1. tre crime ſous un habit trom ,

yeux s'en couroux

elle imao

La patte du Chat. 19 speur pour en aſſurer l'impunité. Elle eût ſans doute pourſuivi ; mais elle s'arrêta pour s'admirer,, Tout ſon dépit ne put l'empêcher d'être contente d'elle - même, az près cette harangue dont elle pres noit l'enflure pourde la majeſté. Le Prince profita de ce mo ? ment de relâche pour s'eſquiver : fa retraite fut prudente autant que prompte ; cars'il eût attendu plus tard , la Reine alloit peut-être ſe: porter à des excès contre lui. La colere commençoit chez elle ſur un ton honnête ; mais elle s'allu moit par dégré , & alloit même ſans contradiction juſqu'au derin nier periode. A peine fut-il dehors quele vac carme devint étonnant. Le Medex cin de la Reine voulut lui repré ſenter la délicateſſe rament mais de tous Biji dbranloit lampen la colere 20 Lapatte du Chat les avis ce fut le plus mal paye. Elle tourne contre lui ſa fureur » allez vieux fcelerat, lui dit- elle , » éloignez - vous de mes yeux , » vous , & la troupe qui vous v» environne , je devrois purger » mon état de vos pareils ; vous ca » chiez le plus cruel ennemi de » mon Chat, qui vouloit lui don » ner la mort; Ah ! Cen'eſt pas là » le ſeul bourreau qui ſoit parmi. » vous ! Peut-êtreen parlant ainfi avoita elle quelque eſpece de raiſon. Les Médecins de ſon pays valoient les nôtres ; quoiqu'il en ſoit, ils for tirent tous du Palais , le deuil fur le front, & le chagrin dans le coeur. Tandis que la Reine fe livroit à la colere & aux projets de ven geance que ſon humeur lui ſugge roit. Amandine n'étoit pas tran. quille, elle ne prenoit pas le chan ge ſur la démarche du Prince , il La patte du Chat. 21 > étoit incapable de ſe porter à des extrêmités contre un miſérable Char ; mais il pouvoit ſentir de l'amour , ſes yeux même depuis quelque temsen parloient intelli giblement le langage ; ce qui l'é. tonnoit elle-même, c'eſt qu'elle l'eût écouté avec plaiſir. Elle voulut rappeller toute ſa fierté pour fe défendre contre les nouveaux fentimens dont elle étoit agitée ; mais c'est une foible ref ſource quand le penchant nous trahit. Elle faiſoit des reflexions qu'elle n'eût pas voulu faire. Il n'y avoit qu'un amour violent qui eût pû déterminer Amadil à faire un pas auſſi hazardeux ; les quali tés de ce Prince , ajoutées à tant d'amour, faiſoient un total de con . féquence : ſon coeur en ſentoit tout le mérite , elle y penſoit une fois , & en voulant même n'y plus pen ſer elle y penſoit toujours; de nous La patte du Chat. velles inquiétudes ſe joignoient encore à celles que lui donnoient le défordre de ſon cour , & l'im puiſſance d'y remedier. Elle étoit fans ceffe agirée de crainte que la Reine , dont elle connoiffoit l'hui meur violente , ne fe portarà des extrênités fâcheuſes contre Ama dil. Son imagination lui retraçoit vingt tableaux ſanglants , vaines ment s'efforçoit-elle de les bannir ſemblables àces triſtes phantômess qui viennent nous effrayer pen dant le ſommeil. Plus elle vouloir les éviter , plus ils revenoient en foule. Depareilles inquiétudes n'és toient certainement pas du reſſore d'une compaſſion commune; tout y portoit le caractere d'un amour bien complet , & la Princeſſe fur très- ſurpriſe d'avoir fait tant de progrès en li peu Sielle eût eu une idée plus faz vorable de l'amour , peut- être s'y de tems. La pattedu Chat. lieu par tra n'étoit que fát-elle livrée avec moins de re flexion ; mais le préjugé contre lui étoit terrible , & il y avoit donné fa mauvaiſe conduire'; fon hiſtoire n'étoic remplie que de hiſons, de noirceurs & de débauches. A peine y trouvoit-on ( & ce dans les Romans ) quelques épiſodes délicates dont il étaloit avec foin les agrémens: dès qu'il vouloit ſéduire. Amandine combattue par ſes propres réflexions, voulut encore une fois , avant de ſe rendre, meta tre ſa raiſon aux priſes avec ſon. goût, preſque fûre de voir triom pher le dernier : car dans le fond que la raiſon pouvoit . elle dire contre Amadil? glozer ſur ſon nez ?. Encore falloit- il être bien véa tilleuſe. D'ailleurs ſi la raiſon agic dans ces occaſions, c'eſt toujours foiblement; on la prie tout hauc: de parler , & on la conjure tout bas de ſe taire, 24 La patte du Chat. CHAPITRE III. Qui n'eſt pas plus divertiſſant que les deux autres. U N homme aimé ignore ra rement le bien qu'on lui veut, & s'il ſe trompe ce n'eſt gué res que du plus au moins , ce n'eſt pas que l'amour foit bien clair voyant , c'eſt que la vanité l'aide. Amadil ne fe croyoit pas auſſi heus reux qu'il l'éroit ; mais il fe dous toit qu'il n'étoit pas haï. Tout ce qu'avoit fait la Prin ceſſe ſe retraçoit à ſon idée ; il en peſoit les circonſtances pour en ti rer des conjectures favorables. Le moindre tegard qu'elle avoit lan cé , la moindre attitude où il l'a . voit vue , tout lui paroiſſoit ſignifi catif. Tout ſembloit lui annoncer que La patte du Chat. 25 3 que ſes vdeux ſeroient ſatisfaits. En fin il ne ceſſoit de repaſſer dans ſa mémoire un million de petits riens qui ne touchent pas le vulgaire , mais qui font la fortune d'un amant délicat qui commence. Au milieu de ces heureuſes de couvertes, le chagrin que la Rei ne avoit contre lui n'auroit pas fait la moindre impreſſion ſur ſon a me s'il eût på voir Amandine ; mais il falloit qu'il s'éloignâtde la Cour , c'étoit une ſuite néceſſaire de fa diſgrace. Il falloit donc le priver de la vûë de la Princeſſe dans un temsoù il eût renoncé plus volontiers à la vie. Encore s'il n'e ûr eu à eſſuyer qu’un exil de quelques jours , peut érre fe fût-il tranquilliſé davantage; mais qui pouvoitl'aſſurer que le ca price de la Reine ne ſeroit qu'un caprice de peu de tems ? Elle en avoit quelquefois de très-longs. 26 La patte du Chat. ز C'eſt au milieu de ces idées que ce Prince arriva à fon Palais ; el les le ſuivirent en foule lorſqu'il prit le chemin de la frontiere ſur un des chevaux de ſon écurie ( qui n'étoit pas des meilleurs , comme on le verra par la ſuite. ) Sa marche fut d'abord précipi. tée , peu à peu elle ſe ralentit , en . fin il abandonna la bride de ſon cheval pour ſe donner tout entier à ſes rêveries. Il comptoir tous les momens où il avoir vû la Princeſſe , ce tems lui paroiſſoit bien court; un inſtant après il vouloit calculer combien de tems il ſeroit fans la voir : mais les heures lui paroiſſoient des an . nées, & les joursnefiniſfoient plus, bientôt il paſſoit à d'autres projets , rebutté de la difficulté du calcul, Dans le doute où il étoit ſi la Princeſſe étoit perſuadée de la vi vacité de fonamour , il s'inquietoit Za patte du Chat.. 27 déja de la façon dont il devoir en faire l'aveu dès qu'il ſeroit de re tour dans la Capitale. Cela pouvoit ſe gliſſer dans la converſation, mais il avoit trop de choſes à dire ; il é toit trop épris pour ne pas ſe dé. fier de ſon éloquence dans une cir conſtance de cette nature. Une lettre lui ſembloit plus autentique, il en forgeoit tout de ſuite cent & cent modéles; mais quelque bien tournés qu'ils fuſſent ; ils n'expri. la moitié de ce qu'il vouloit dire , il les répudioit tous & recommençoit ſur nouveaux frais. Il eût probablement recommen : cé , & avec auſli peu de fruit, tant il s'étoit rendu difficile ; mais un faux pas que fit ſon cheval , l'arra cha tout à coup, malgré lui, à la compoſition. Il ouvrir les yeux , comme au ſortir d'un profond fon meil, il ap: moient pas - Cij 28 La patte du Chat, qu'a > perçut des objets ſi nouveaux , ils le jetterent dans une diſtraction involontaire. Il avoit cru prendre le chemin de la frontiere , & ſe trouvoit , com me par enchantement , dans un jardin ſuperbe, dont il n'avoit pas même oui parler , quoiqu'il ne fût qu'à unedemi-journée de Zinzim , l'eſpace en étoit magnifique , & la diſpoſition en ſembloit parfaite ment naturelle ; des boſquets iné-. gaux , des boulingrins ſémés fans ordre & fans forme diſtincte , mais émaillés des fleurs les plus belles & les plus odoriférantes , des de rocailles d'une façon auſſi heu. reuſe quebizarre , des ſtatues d'une ſculture preſqu'animée ; elles ſem . bloient vouloir quitter ces beaux lieux, & y. reſtoient cependant pour les admirer. Une fontaine plus claire que cryſtal, fortoit d'un rocher d'aga , grottes le La patte du Chat. theilparoiſſoit vouloir la retenir en étendant au loin deux bras qui lui ſervoient de bord ; enfin elle alloit fe perdre dans une nappe d'eau , , placée preſque ſans affectation , au milieu du jardin . Mille ruiſſeaux venoient s'y repoſer après s'être jetrés quelque tems parmi les fleurs qu'ils faiſoient naître , une Sirene élevoit au - deſſus des petits flots qu'ils formoient, ſa tête humide, l'eau qui ſortoit de ſa bouche jail liſſoit juſqu'aux cieux , & ſembloic aux rayons du ſoleil, retomber en diamans. Amadil ſurpris , tranſporté par un ſpectacle auſſi gracieux , dévo roit tout avec des yeux avides ; en fin rendu peu-à- peu à lui-même, & invité par la beauté du lieu àà s'y s repoſer quelque tems , il deſcendit de cheval , & s'aſſit ſur un gazon qui bordoit le baſſin . Déja ſes idées amoureuſes fe > Ciij 30 La patte du Chat. preſfoient de revenir en foule ;ژ car le ſilence & la beauté de ces lieux les favoriſoient, quand pour la ſe conde fois un ſpectacle plus nou veau encore , le força d'y renon cer. La Sirene cella de jetter de l'eau par la bouche , elle ſortit du baſſin juſqu'à la ceinture , & après avoir rangé d'un coup de peigne d'y voire des cheveux blonds qui lui Aortoient ſur les épaules, elle chan ta lesparoles ſuivantes d’un ton de voix mélodieux, quoiqu'un peu ba roque. Amains que ſoutient l'eſperance , Que votre ſort eſt doux ? Si vous ſouffrez quelques momens dab fence , Amour vous les adoucit tous, Amants , & C. La recompenſe Qu'amour difpenſe , 1 La patte du Chat 31 Aux couts épris Eſt d'un grand prix : Mais inconftanice , Froideur , mépris En ſont les fruits , Dans l'eſperance Que n'a-t'on mis La recompenſe Qu'amour diſpenſe Aux cours épris ? Amans , &c. Les accens de la Sirene ému. rent le jardin , les ſtatues s'ani merent, les arbres formerent en tr'eux des balers ; on diſtinguoit parmi les figures qu'ils traçoient des allées à perte de vûe , des ber ceaux touffus , des étoiles , des quinconges , des labyrinthes , & la vivacité de leurs évolutions , & la diverſité de leurs combinaiſons ſur prenoient également. Les ruiſſeaux en ſerpentant ſe Ciiij 32 La patte du Chat. faiſoient de nouvelles routes à tra vers les fleurs qui s'écartoient pour les laiſſer paſſer. Ici leurs eaux qui ſe croiſoient, formoient un moſaï que ; plus loin c'étoitdes compar timens , enfin ce que l'art pourroit inventer de plus gracieux , & ce qu'il n'ébaucheroit qu'à peine , ſe voyoit là dans ſa plus grande per fection . Tant de prodiges redoublés ra viſſoient le Prince ; il étoit natu raliſte de profeſſion , & s'étonnoit par conſéquent detout : on peut donc préſumer qu'il admiroit de. bonne foi. Tandis qu'il étoit dans cette eſpece d'extaſe , un oiſeau que la muſique avoit attiré , vint ſe per cher ſur ſon nez , pour prendre plus commodément ſa leçon . Ce nez étoit long & mince , & le repoſoir tentant pour un oiſeau , mais un heros ne devoit pas être ſujet à une avanture de cette eſpece.Com La patte du Chat. 33 ne fût me il n'entendoit pas raillerie ſur le chapitre de fon nez , il alloit la prendre de tout ſon ſérieux , quand au moindre mouvement qu'il fit l'oiſeau s'envola , & la Sirene ayant ceſſé de chanter , Amadil s'ap procha d'elle. La chanſon étoit du goût de ce Prince , il falloit qu'il pas difficile . Le compliment qu'il lui fit fut aſſez bien tourné & fort neuf : c'é toit l'homine du monde qui cou roit le plus après le nouveau. La Sirene rougit de ſon mieux ; car ſous les eaux comme ſur la terre il n'eſt de la modeſtie que de con trebande. Meferez-vous, belle Si rene , ajouta-t’il, le cadeau de me donner les paroles & la muſique que je viens d'entendre. Prince lui répondit-elle, comme elles ſont faires pour vous , il eſt juſte que vous les ayez. Vous ſçaviez donc, repartir le Prince , que je devois > 34 La patte du Chat. 2 venir ici ; car vous n'auriez pas fait cela impromptu ( ce qu'il en diſoit c'étoit parjalouſie de métier ) d'ailleurs où prenez - vous que je fois dans le casd'eſperer? Je le ſçais , dit la Sirene , & puis encore vous apprendre bien des choſes qui ne vous ſeront pas inutiles. Daignez vous approcherde moi. Le Prince étoit curieux , ilobéit. La Sirene dans le moment le faiſiſſant par le bas de fa robbe , l'entraîna au fond du ballin . Amadil ſaiſi de frayeur , & faiſant un mouvement pour s'échaper , feſe retourna mal - à - propos, & fon malheureux nez contre lequel le Ciel femibloirêcre conjuré, ſe heure ta contre le bord du canal ; le ſang en ſortit avec abondance , & alla effrayer les nayades qui n'avoient jamais vû leurs eaux teintes que du pourpre des villets. La patte du Chat. 35 D CHAPITRE IV. Où l'on verra bien des choſes , tant utiles qu'inutiles à l'intelligence du Conte. Epuis le départ d'Amadil , A mandine n'étoit pas dansune ſituation bien tranquille ; laſſe enfin de lutter contre un penchantqui lui paroiſſoit raiſonnable , elle s'y étoit ( comme il étoit aſſez d'uſage) en tierement livrée , réſolue dès que ce Prince ſeroit de retour , de lui facrifier juſqu'à ces grimaces de bienſéances, que toute femnie bien née doit faire dans l'occaſion , & qu'une Princeſſe doit encore affec ter plus qu'une autre, par rapport à l'orgueil de ſa naiſſance. Mais une foule d’inquietudes qui paſſent pour des délicateſſes , vin rent prendre la place de celles dont 36 La patte du Char elle s'étoit dé vrée. Quelqu'ex preſſifs qu'euſſent été & les regards du Prince , & la hardieſſe de la dé marche , elle doutoit ou de la véx rité , ou de la orce de ſes fenti mens; un ſimple gout , mêmela vanité pouvoit être le mobile de ce qu'il avoit fait : tandis qu'elle payoit une façon de penſer, peut-être auſſi peudélicatte ,duretour le plus ten dre. Un moment après elle rendoit à fon Amant plus de juſtice , en con venantde ſa incerte. Mais il ſuffi foit qu'il für abſent pour qu'elle crût avoir des raiſons de s'allarmer. L'abſence , par elle-même, eſt un mal , pour un cour véritablement touché ; mais pour une ame un peu jalouſe , c'eſt le ſujet d'un tour ment réel. Elle ſuppofoit qu'A madil alloit paſſer dans des Cours étrangeres, il y trouveroit des Prin ceſſes aimables, elles auroient des > La patte du Chat. 37 > yeux pour lui, il en auroit , ſans doute pour elles, & ne ſe ſouvien droit que médiocrement d'une in trigue qu'il avoit à peine ébauchée, & qui lui avoit preſque été funeſte. Quand même il eût pû réſiſter à des amorcés auſſi gracieuſes , elle ne ſe flatroit pas davantage , & c'eſt alors que la difficulté d'être à lui l'inquieroit à ſon tour ; les Prin celles de Zinzim étoient des victi mes dévouées à l'Etat , on les fa . crifioit toujours ſans les conſulter , & leurs goûts que l'on ne ſatisfai ſoit jamais, ne ſervoient qu'à les rendre malheureuſes. Pluteurs des Princes dont les Etats étoient voiſins de ceux de Tatonnet , brûloient d'envie d'é. pouſer la Princeſſe ſa fille , & par amour, & par ambition ; Amadil étoit Prince , mais il n'étoit pas couronné; Amandineneſe flattoit pas qu'il pût obtenir la préference 38 La patte du Chat. ſur des rivaux puiſſans : le ſeul dé. pit de la Reine ſuffiſoit mêmepour lui donner l'excluſion . Une réfle . xion aufli trifte bannifloit de ſon cæur juſqu'au plus léger rayon d'ef poir, ainſi cette Princeſſe qui con noiſſoit à peine l'amour , en épui. ſoit les rigueurs, ſans avoir gouté un ſeul de ces charmes touchans , qui ſembloient n'être faits que pour elle, Cependantquelque criſteque fût ſon état, le fort la réſervoir à des épreuves encore plus cruelles : il ſembloit que cette divinité bizarre, après l'avoir enrichi de ſes dons les plus précieux , voulût contrarier Con propre ouvrage. L'adminiſtra . tion de Tatonnet & de la Reine , avoit aliéné tous les eſprits, le de dans, le dehors de l'Etat n'étoient qu'un gros de mécontens qui ſe réuniſſoient pour fe plaindre, Mazette régnoit ſur un peuple Za patte du Chat. 39 a Amazones dont le pays étoit li mitrophe de celui de Zinzim. Elle prétendoit avoir reçu un affront de la Reine , & cela étoit fort poſſible, Je crois que Grognon étoit la ſeule créature vivante qui n'eût pas à ſe plaindre de quelque choſe de pa. reile Elle ajoutoit encore au reſſenti. ment del'injure une grande envie d'envahir des Etats qui étoient à la bienſéance. L'entrepriſe n'offroit pas de gran. des difficultés. Tous les Princes de qui Tatonnet pouvoir attendre du ſecours, étoient embarraſſés dans des guerres étrangeres , & il étoit incapable de ſe défendre propres forces. Ses troupes indiſci. plinées étoient compoſées de fol dats levés à la hâte , & mal armés, qui n'avoient pas même aſſez de férocité pour qu'elle pûr leur tenir lieu de courage ; encore man, par les 40 La patte du Chat. 2 quoient-ils de chef pour les con duire. Mazette força fa marche pour redoubler par la viteſſe de ſa cour fe l'effroi de les armes. Cette Rei ne gouvernoit deſpotiquement un petit Etat de femmes mutines, qui s'étoient ſéparées du commerce des hommes , par un dépit auquel ceux- ci avoient donné lieu, & dont nous n'expliquerons pas la cauſe. Elles avoient bâti des Villes , el les s'étoient agueries, & s'étoientfa cilement maintenues contre leurs voiſins, qui ne reſſembloient que trop à des femmes ordinaires ; ils en avoient pour le moins les airs , le vermillon , les mouches & les manchettes. L'indépendance qu' elles affectoient leur attiroit cha que jour de nouvelles Sectatrices ; mais outre cela l'Etat avoit ſes ref. ſources ; car quoique le conimer ce des hommes fût défendu parmi elles La patte du Chat. 41 elles , &même ignominieux , il n'y en avoitpasune , qui en le blamant en général , pût en particulier ſe refuſer à ſes douceurs. Elles s'éga roient dans des parties de chaſſe : rien ne reſſemble tant à des rendez vous. Enfin on croit que quand toutes les femmes s'entêteroient d'une fantaiſie ſemblable , le mon de n'y perdroit rien ; car tout ce qui fent un peu le larcin eſt bien attrayant pour ce ſexe. Mazette, elle -même, n'avoit pů s'en défendre ; elle avoit eu d'une pareille avanture un Prince nom mé Colificher , à qui la chronique donnoit un pere aſſez bizarre. C'é toit un petit bucheron d'une figure hideuſe, qui n'avoit pû conſerver l'anonyme, ſoit que les actions des Rois ſoient trop éclairées , ſoit que l'excès de bonheur eût tourné la tête au petit bon-homme , & l'eût rendu indiſcret. Quoiqu'il en ſoit, D 42 La patte du Chat. coup de ſon . l'anecdote n'étoit pas ſans vrai : ſemblance. Colificher tenoit beau. pere pour la taille , & quoiqu'il ne fût pas auſſi laid que lui, on lui trouvoit en gros beau coup de ſa phiſionomie. La Reine fa mere le faifoit éle ver ſous ſes yeux , & comme la conſtitution du Roïaume l'excluoit du Trône, elle bruloit de lui en conquerir un , & c'eſt cedeſſein qui l'avoit arnié contre Taronnet. Aux premieres nouvelles Roien eut, tout bon Prince qu'il étoit ; il en écuma de colere. Qu'. on m'aille., dit -il, chercher le Con nétable de ma Couronne : Or ce Connétable c'étoit Amadil. Sire , lui répondit-on , il a déplu à la Rei ne , en bleffant fon Chat , il eſt ban ni. Tatonnet à ce diſcoursentra dans une nouvelle fureur , & courut à l'appartement de la Reine pour lui que ce La patte du Chat. 43 laver la tête ; car , ſans doute , il s'en croyoit capable. Dès que la Reine le vit entrer,eh ! qu'a donc Votrė Majeſté, pour être dans cet état , lui dit -elle ? J'ai , Madame , repliqua-t'il , que ſi vous continuez à vous demener , com me vous faites , tout eſt perdu, nous avons les Ennemis ſur les bras , un feul homme de ma Cour eſt capa ble de conduire mes armées , & vous le banniſſez pour un Chat que Jupiter confonde. Ce Roi ne rai fonnoit pas mal pour un imbecile ; mais à tout cela il y avoit bien du hazard. Quand la Reine vit qu'il le pre le prit ſur un cinq fois plus aigre , il n'y eut o reilles de courtiſans qui y tinflent. Elle vomit un torrent d'injures inte, dignes de Sa Majeſté , traita Ta. tonner de Roi de Carreau , qu'il falloit régner pour lui , & qu'il noit ſur cetony > Dij 44 Lapatte du Chat. croyoit que fa fainéantiſe lui don noit droit de faire l'important. Que ce n'étoit pas ſans raiſon qu'elle avoit banni le Prince , & que s'il falloit conimander l'armée elle commanderoit comme une autre. Le pauvre Tatonner ſe retira confus dans ſes appartemens , & très piqué d'avoir manqué de pou mons dans une affaire de confé quence qu'il avoit entamée avec vigueur. Cependant Mazette étoit aux portesdela Capitale , elle avoit dé ja ſoumis tout le Royaume. La foi bleſſe des Zinzimois luiavoit cenu lieu d'habileté. La confternation étoit fi grande à la Cour de Tatonnet , qu'on n'y avoit pas même encore ſongé à ſe défendre. On s'épuiſoit en délibe rations, & en projets inutiles . En. fin on commença à voir clairement qu'on n'avoit de reſſources que La patte du Chat. 45 dans une paix honteufe , &on l'en voya demander à Mazette , elle l'accorda a la ſeule condition que Colificher épouſeroit Amandine &régneroit ſur les Zinzimois après la mort du Roi & de la Reine , qui crurent en être quittes à beau mar ché ; en effet ils ne vouloienr que régner , & peu leur imporcoir à tous deux qui partagea après leur mort le Trône avec leur filie . CHAPITRE. V. Qui ne contient rien de nouveau. A peine le Traité de paix fut- il figné, qu'on ſongea aux noces de la Princeſſe , & qu'on en preſſa les préparatifs. Il y avoit à Zinzim des femmes privilégiées qui avoient le droit d'inventer des inodes , avec le titre . 46 Za patte du Chat. d'ingénieuſes. Long- temps les Da mes & les petits Maîtres s'étoient ingerés à faire eux -mêmes ces fon ctions ; mais comine cela avoit in troduit dans la façon de ſe mettre, autant de varieté qu'il y avoit de caprices différens,& quepour l'in terêt des jolis viſages il importoit que la modefût une. Les Rois pré déceſſeurs de Tatonnet avoient crées des ingenieuſes , qui ſeules avoient le droit d'inventer : elles compoſoient une eſpece d'acadé mie , où rien ne paſfoit qu'à la plu ralité des voix, On ſe formoit dans des écoles pour ſe perfectionner à ce manége intereſſant. C'eſt là qu'on combi noit les rubans, les falbalas , les hannerons de toutes les nianieres imaginables, qu'on cherchoit à ſu pléer au deſagrément des tailles , & qu'on érudioit à fond les airs de viſage , & la façon de faire valoir La patte du Chati 47 des plus tour à tour la brune & la blonde pour maintenir l'équilibre. La Reine fit venir quatre fameuſes entre les femmes qui pro felloient ces art : c'étoit de celles dont les caprices durables plai ſoient encore aux yeux après deux mois d'uſage. Elles s'enfermerent dans le Palais , jalouſes d'ajouter encore , s'il ſe pouvoit, quelques agrémens à Amandine, qui lespofu fédoir tous. Cette Princeſſe étoit agitée de ſoins bien differens, elle eût voulu paroître horrible aux yeux de l'é poux qu'on lui préparoit , au ha zard de l'être eneffet : ce n'eſt pas que l'interêt de ſa beauté ne lui fût cher ; mais elle eût ſaiſi avec empreſſement tous les moyens de fe débarraſſer d'un hommequ'elle déteſtoit. Dans la circonſtance préſente, Colifichet ne deyoit guéres s'atten 48 La patte du Chat dre à faire naître des ſentimens d'u ne autre eſpece ; un époux que l'on tient des mains de la néceſlité , n'a pas coutume de paroitre aimable , & fi par malheur encore il eſt né fans niérite , & qu'il ſe trouve en concurrence avec un rival aimé , & fait pour l'être , il ne peut inſpi rer que le dégoût. Or c'écoit -là préciſément le cas où ſe trouvoie je petit Prince , qui avoit trop de préſomption pour s'en apperce voir , ilprenoit les froideurs mars quées de la Princeſſe pour le mané ge de la modeſtie, il eſperoit en triompher avec facilité. Dans cette idée il redoubloit fes empreſſe mens , & par conſéquent le cha grin d'Amandine qui ſe retraçoit ſans ceſſe qu'elle alloit у être li vrée, & qu'un devoir impérieux & ſot la contraindroit d'y répondre. Elleéprouvoit déja par avance tous les dégouts d'un himen contrarié par l'amour. > Le La patte du Chat. 49 Le jour qui devoit me tre le com ble à fon malheur , latrouva en core plongée dans ces triſtes re Alexions , ſans que rien en eût pû adoucir l'amertume. Tout éroit prêt pour ſon himen ; déja fon a juſtement éroit complet , la No bleſſe du pays s'étoit rendue à Zin zim pour orner la fête , & le tem-. ple étoit paré. L'himen ſe célébroit dans ce pais avec des coutumes differentes des nôtres. Il étoit toujours précédé d'une cérémonie qu'on traiteroic de bizarre parminous , ſi elle étoit de néceſſité , & qui s'uſite néans moins très-ſouventen fraude ; mais que l'uſage a conſacré chez eux , que la raiſon ne rejette pas . De tous les engagemens celui qu'on prend avec le moins de pré caution , c'eſt le mariage : on ſaiſic en aveugle le premier objet qui ſe fréſente, quelque défectueux qu'il E so La patte du Chat. foit, pourvû que l'interêt l'excuſe , c'eſt lui ſeul qui fait toute la con venance ; auſſi comme on ne con ſulte que lui , il eſt le ſeul qui ſe marie , & rarement le coeur & l'ef, přit ſont-ils du contrat. Les Zinzimois ſans remédier ab ſolument à cet abus , y ont appor is té quelque tempéranient; & le tout ne conſiſte chez eux que dans le bouleverſement de nos uſages, La derniere de nos cérémonies eſt la premiere des leurs ,elleprecéde d'un jour les veux folemnels , & tient lieu de fiançailles ; de cette façon l'amour femble toujours faire un . preſent à l'himen,mais fort ſouvent il ne fait qu'un larcin, L'idée des Zinzimois n'eſt pas préciſément un entêtement de chaſteté ridicule c'eſt une vertu qui fait une aſſez bonne figure parmi mais en général on la reſpecte plus qu'on ne l'aime, & elle n'a que des hon. eri La patte du Chat, SI par cette neurs fteriles. Il croient que dans un commerce intime les conve nances & les défauts qui échapent aux autres examensparoiſſentdans tout leur jour. Alors deux époux contens ou mécontens l'un de l'au . cre , ou s'en tiennent à l'ébauche , ou fe hatent de terminer. Il ſembleroit que les deſirs liber fins feroient favoriſés coutume ;i mais enmêmetemsque de pareils eſſais ſont ſoumis à de grands impôts, la loi fulmine contre ceux qui en abuſent. Le moment des fiançailles ap prochoit, Colifichet vint l'annon cer à la Princeſſe , d'un ton qui tém moignoir ſa joye : pour elle quel. que familiere qu'elle dûr être avec cette idée , elle en penſa mourir de déplaiſir. Néanmoins elle ſçut ſe contraindre pour un inſtant, & cou rur ſe réfugier dans l'endroit le plus ſecret de ſon Palais pours'y livrer Eij 52 La patte du Chat,, toute entiere à ſes larmes. Colifichet ne la ſuivit pas, il avoit d'autres affaires en tête ; il falloig qu'il fongeâr à ſon ajuſtement , & c'étoit déja beaucoup pour un pe, tit cerveau. D'ailleurs il devoit bientôt dancer en preſence de la Cour ; il falloit qu'il répétậtſes pas;; enfin dans ces momens il avoit trop de vạnité pour être Amant impor, tun. La nuit avoiràpeine répandu ſes ombres , que le Palais de Taton net brilloit déją d'illuminations. Le bruit des concerts,, les clameurs du peuple, tout annonçoit l'alliance qui s'alloit faire ; la ſeule Amandi ne n'en entendoit rien , elle ſe per doit dans le deſordre de ſon cæur, Quelquefois fon malheur lui pa roiſloit un ſonge.Unmoment après trop ſûre de ſa réalité elle cherchoit mille moyens de s'en garantir. Elle fôt ſouhaité qu'Amadil eſt pû lą La patte du Chat. 53 délivrer par une généreuſe vio-- lence , mais ce Prince étoit éloi gné ; peut-être même quand il ne l'eût pas été n'eût- il fait que des ef forts inutiles. Ses femmes qui la cherchoierit par-tout la trouverent dans cet état. Son embarras n'avoit rien que de naturel , & la circonſtance l’excu foit; on' n'y fit que peu d'attention , &on la conduiſit dans la ſalle du feſtin , où l'heureux Epoux qu'on lui deftinoit l'attendoit dans tout l'ajuſtement d'un amour. La douleur de la Princelle la ren doit plus touchante, & elle en pa fut plus aimable aux yeux de Co lificher, il nepouvoir réflechir fans tranſport au bonheur dont il alloit joüir , & dont il n'avoit pas juf ques-là fenti la valeur ; on diſtin guoit en bloc dans ſes regards l'a mour, les deſirs , & l'impatience : bientôt à ſes ſollicitations Aman. و Eiij 54 La patte du Chat. dine fut entraînée dans ſon appar tement: ſes Femmes cruellement officieuſes , la deshabillerent, & laiſſerent au pouvoir de ce Prince l'aſſemblage desperfections de la nature , qui n'avoit pas été fait pour lui. 2 P. CHAPITRE VI. Qu'on trouvera trop long de moitie : Eut-êtreſera-t'on fâché de per dre de vûe un nioment le plus intereſſant du Livre,mais il eſt tems de revenir au Prince Amadil que la ,. au fond du de ſa chu te lui eût laiſſé le tems de la réfé xion , il n'eût pas manqué de ſe re procher ſon imprudence; en effet ne devoit-il pas s'attendre à une trahiſon de la part d'une Sirene ? mais avant que d'avoir pû penſer baſi avoit e Lapatte du Chat. SS ? . $ s'il était trahi ou non , il ſe trouva dans une ſalle decryſtal ſans avoir eſſuyé d'autres diſgraces que celle d'avoir le nez un peu meurtri : car la fraîcheur de l'eau & la frayeur avoient déja arrêté le ſang. Dès qu'il ſe fut conſideré un mo ment, & qu'il ſe fût prouvé par une recherche exacte qu'il exiſtoit encore , il regarda la Sirene qui attendoit patiemment que ſes idées ſe fuſſent développées. Degrace, » Madame, lui dit - il ; car je ſuis w embarraſſé ſur les titres que je aan » dois VOLIS de . Je vous pren w drois aux merveilles que je vous ai vû faire , pour une de ces Fées puiſſantes qui ſe jouent de la na 3 ture à leur gré. Daignez m'ap » prendre quelle raiſon vous enga » ge àmeconduire dansces lieux, » & ſi je trouverai en vous une prorectrice ou une ennemie. Si » vous fçavez- mes malheurs vous رو E iiij 56 La patte du Chat. » ne pouvez me haïr ; car à qui » l'innocence peut-elle être odieu » ſe lorſqu'elle eſt perſécutée? D'ail » leurs les charines de votre figu » re n'annoncent point un caur ſauvage & infenſible à la pitié :

  • oüi, ſans doute, votre bontéa des » deſſeins ſur moi , & c'eſt pour ne préparer des confolations , des

> avis & des reſſources que vous m'avez entraîné au fond de ce: Palais humide. » Prince , répondit la Sirene , la » nature en m'obéiſſant exécute des » ordres ſuperieurs aux miens , & auxquels je ſuis moi-même ſubora » donnée. C'eſt icil'entrée des étars » de la Fée Bluâtre, Reine des Ca mayeuls, qui honora toujours vo » tre famille d'une protection parti » culiere. C'eſt elle , qui touchée 5 des maux qui vous menaçoient , » & pour en détourner l'influence , » a conſtruit ce jardin ſuperbe où La patte du Chat. 57 x vous vous êtes arrêtez preſque » malgré vous, preſſé par l'aniorce » du plaiſir. J'ai achevé par une ruſe » innocente , de vous attirer dans » ces lieux. Je vais maintenant vous » introduire vers la Fée ; c'eſt d'elle » que vous devez attendre & des é »clairciſſemens fur vos deſtins, & » des moyens de les rendre heureux. Dans le deſordre de toilette où étoit Amadil , il n'eut pas voulu s'offrir à la Fée : l'eau qui avoit dé trempé ſes habits en découloit de toutes parts , ſes cheveux étoient dans un état qu'on peut aiſément coniprendre ; enfin tout ſon ajuſte ment n'étoit nullement propre à une viſite de ceremonie. Il témoir gna là -deſſus ſes inquiétudes à la Sirene. Ne pourrois - je , dit-il belle Sirene , trouver ici , par vo tre moyen, un habit décent ? Quel qu’empreſſé que je fois de voir une Fée auſſi bienfaiſante que Bluâ 58 La patte du Chat. 9 tre , je megarderai bien de me pré ſenter à elle dans l'état où je ſuis. Calmez vos inquiétudes là-deſſus , dit la Sirene , la Fée vous aime vé. ritablement, & dans l'audience fe cretie qu'elle veut vous donner elle ne chicanera pas ſur votre pa. rure. D'ailleurs que pourrois -je vous offrir qui fût à votre uſage ? Ma nudité fait tout nion ajuſte menc & vous ne trouveriez für ma toilette que cinq ou fix queuës de poiſſon qui ne ſont point à votre bienſéance. Pour être au fait de ce diſcours , il eſt bon de ſçavoir que les Sire nes ne portoient pas toujours la même queuë. Coquettes & conſé quemment changeantes , elles en prenoient chaque jour d'une nou velle façon ; comme on voit nos Dames varier dans leurs chevelua res & dans leurs teints. La Sirene ouvrir une porte de Lapatte du Chat. 59 cryſtal & introduiſit le Prince dans l'appartement de la Fée. Il fut ſur pris en y entrant de voir que tout yу étoit bleuë depuis le parquet juſ. qu'au plafond. Sa ſurpriſe augmen ta encore lorſqu'il vit la Sirene de venir à la maniere des Came leons , du plus beau bleuë céleſte qu'on pûr voir. » Mon changement » vous étonne ; Scachez, dit- elle au » Prince, que la Fée eſt de la cou „ leur dont je parois être , & que » vous ne verrez rien ici qui n'en foit, c'eſt une teinture univerſelle. » Un Enchanteur ennemi deBluâ. w tre & plus puiſſant qu'elle , après » avoir épuiſé pour la rendre mal. heureuſe, toutes les inventionsde ſon art , n'a pû rien imaginer de plus cruel , que de la métamor phoſer ainſi ;mais tout ſe réunir » pour l'en conſoler. Dans ces » lieux , où l'on ne connoît jamais » les rigueurs de l'hyver , la terre au כל 609 La patte du Chäf. 1 0 le mlieu de verdure , ſe couvre d'urr » gazon bleu aufli éternel que » printems; on ne voit point ici la »roſe , l'amarante , la violette ou la jonquille ſe diſputer l'éclat des » couleurs ; les prez & les parterres » ne fone émaillés que de bleuets, le 35. Ciel eſt en tout tems d'un bleu » d'azur magnifique , les fontaines

  • roulent avec leurs flots l'indigo » détrempé, le cigne renonce à la » blancheur; le paon à la dorure de » ſon pluniage'; on n'y voit que des

» oyſeaux bleus ;5 enfin tout y eſt » bleu juſqu'aux penſées , juſqu'à » l'air mêmequ'on y reſpire: mais » rien n'eſtplusbleuencore que les » courtiſans de la Fée. Mais, reprit le Prince, je ne fe rai donc pasbien ma cour à Bluâ tre , en m'offrant comme je ſuis. Apprenez -moi de gracefcomment on devient bleu. C'eſt , repric lại Sirene , le triomphe d'un courtis > La patte du Chat, 61 fan conſommé ; ſon teint reçoit toutes les couleurs qui peuvent le rendre agréable , le blanc ou le bleu , le bienſéant ou le ridicule , tout lui eſt égal, à la différence près qu'il ne peut jainais qu'affec ter le premier , tandis qu'il poffe : de preſque toujours effentielle ment le ſecond. Peut- être me de manderez - vous par quel art j'ai changé moi-même de couleur ; mais libre par ma nature de pren dre la forme que je veux , je me transforme comme il me plaît , & mon pouvoir qui ne s'étend que Lur moi ſeule , fait toute ma ſcience, D'ailleurs Bluâtre ſçait très-bien de quelle couleur vous êtes,elle ne manqueroit pas de s'appercevoir de l'effort que vous auriez fait pour lui plaire , & la facterie ne ſeroic pas délicate . Ah ! dit le Prince j'aime . mieuxne pas flatter le faire groſlierement, Amadil , que de 62 Lapatte du Chat, eur à peine fini ces mots , que la Fée Bluâtre parut, Son port étoit majeſtueux , & malgré la ſingula rité de ſes couleurs , on démêloir aiſément qu'elles cachoient des traits d'une grande beauté. Elle avoit l'air mélancolique ; mais dès qu'elle apperçut le Prince , ſon va . fage s'anima-, elle ſe précipita vers lui & le ferra tendrement dans les bras pendant un tems conſidérable; fes yeux ſe baignoient de pleurs.Ah! mon fils , mon cher fils , s'écrioica elle d'une voix tremblante , qu’in terrompoient ſes ſanglots. Amadil attendri,étonné, répon dit à ſes careſſes , emporté par des mouvemens vifs dont il ignoroic la cauſe, Enfin cette eſpéce d'en thouſiaſme , qui les tranſportoit tous les deux , fit place à des mou vemens plus moderés. Bluâtre fit aſſeoir Amadil ſur un lopha , puis après s'être remiſe de ſon trouble , 1 La patte du Chat. 63 elle prit ainli la parole. Amadil ? Von êtes fans doute étonné du nom de fils que je vous donne ? Vous devez m'avoir reconnu aux mouvemens de la nature , &yous me recon'noîtrez encore mieux lorſque je vous aurez dévoilé le myſtere de votre naiſſance. HISTOIRE DE BLUASTRE , D'ANDREMIRE ET DE TORTILLON. DAAns la jeuneſſe le choix qu'on fait d'un amant n'eſt preſque jamais éclairé ; ce n'eſt ni le plus tendre , ni le plus eſtimable qui obtient la préférence , parce que l'on ne connoît point le prix des vertus ; le clinquant féduit a lors plus que l'or même :: un étour. di ſe préſente avec le brillant de la vivacité, & on ſe livre à lui fans examen , 64 Lapatte du Chat. Voilà préciſément ce qui a oc caſionné mes malheurs & les you tres. Je connoiſſois à peine les homines lorſque je commençai à jouir de la liberté ; ce quema mere m'avoit pû dire de leur méchan ceté ne m'avoit rien appris , parce que je ne l'écoutois pas. Enfin je laperdis dans un âge rendre , elle alla prendre place dans le Firma ment , & préſider aux cours des aftres: ainli je me vis abandonnée à moi-même ſans autre guide qu'un goût pour le plaiſir, vif & indéter miné. J'avois quelques attraits , leur foible renommée artira à ma cour une foule de ſoupirans empreſſés, & entre eux tous mes yeux diſtin guérent l'enchanteur Tortillon : il avoit de ces qualités frappantes, de l'impreſſion deſquelleson nefe défend pas aiſément; ſa taille étoit noble & aiſée ;ܕ fa phiſionomie fi ne La patte du Chat. 65 ñe , fa converſation délicate , quoi. que jeune, il avoit pénetré très avant dans l'art de Féerie , & l'on parloit par-tout avec diſtinction de fés découvertes .. Malheureuſement ces heureux talens portoient avec eux leur cor rectif ſecret. Jamais caur n'eut plus de malignité que le ſien , il n'employoit la fineſſe de ſon ef prit qu'à trouverdes ridicules aux autres , & fa ſcientce qu'à nuire . Enfin il faiſoit ſervir le don qu'il avoit de plaire au triomphe de ſon indiſcretion & de fa perfidie. Je ne diſtinguai point en lui la réalitéde l'apparence , & je fús la dupe d'un dehors impoſant; enfin je l'aimai de l'amour le plus vifo Sa paffion égala la mienne pendant quelque tem's ; & je me fattois : qu'elle l'égáteroit toujours ; máis il'me fòrça bientôt de renoncer a cette illuſion agreable. E 4 66 La patte du Cachat. Il n'étoit pas né pour une paſ ſion durable , & l'habitude de l'infidelité avoit achevé d'en étein dre chez lui le goût. Bientôt il briſa la chaîne à laquelle il s'é toit offert , pour chercher des plaiſirs plus piquans dans un nou veau commerce. J'étois heureuſe, ſi le même inf tant m'eût rendu volage , mais hélas ! j'avois engagé ma liberté de bonne foi, & je ne fus pas ma în treffe de la reprendre. Je donnai des larmes ſinceres à l'ingrat que je perdois, & je mis en uſage pour le rappeller toutce que mon ef prit & ma foible experience purent me fournir. Je fis des reproches que la ten dreſſe & la vivacité caracteriſoient tour à tour. Je verſai des larmes , un moment après j'affectai de le fuir & de reſſentir pour haine mortelle ; mais mais trop inſtruit lui une La patte du Chat. 67 ) au manege d'une aniante abuſée , il nefut la dupede rien . Enfin quand je deſeſperois d'être januais ſuſceptible d'aucunes con ſolacions , Amour vint m'en of frir , & je me hâtai de les prendre. Andremir , yotre pere , preſté de la curioſité de me voir , vint alors à ma Cour , il m'aima ,il ine le dit, il étoit aimable , & je l'écoutai . Il éroit alors à l'âge où vous êtes ; votre taille eſt préciſément la ſienne , le même feu qui ani me vos yeuxbrilloir dans les liens , & l'on voyoit ſur fa bouche les mêmes agrémens qui parent la vôtre ; mais il avoit le nez moins long que vous,& parfaitementpro portionné au reſte de fon viſage. Il eſt vrai , dit le Prince interropant la Fée , qu'on dit que mon nez eſt aſſez long ; mais il ne manque ni de proportion , ni de majeſtés + en Fij 68 La patte da Chat. La Fée avoir touché la corde ſenſible ; en femmehabile elle ,re prit ſans répondre le filde ſon hiſ toire. Dès qu'Andremir m'ext fait l'aveu de ſon amour , il ſe bâta dė m'en donner des preuves preuves déciſives. Le reſpect le plus marqué, les at tentions lesplus flatteuſes,tout m'en garantiſfoie la ſincériré ,. & quel que mécontente que je fuſſe d'un premier attachement, je ne pus me refuſer au plaiſir que n'offroit le ſecond . En effet , Andremir ne languit pas long- tems , trop inge nu pour lui cacher ce qui fe paf foit au fond de mon cæur , je ne pus lui en refuſer l'aveu , & je le comblai de joye. D'abord il m'aſſura mille fois que cet aveu ſeul ſuffiroit pour le reng dre heureux ; mais bientôt après il me fit ſentir qu'il manquoit quel que choſe à fon bonheur. La pattedu Chat 69 J'avois acquis trop d'experience dans ma diſgrace pour me rendre tourd'un coup : j'avois même con çu le deſſein de ne me rendre ja- mais. Andremir lui diſois -je , que medemandez vous ? hélas ! le bonheur que vous ſouhaitez nous ſeroit fatal à l'un & à l'autre. Je cefferois de vous paroître aimable, & vous deviendriez parjure , vous qui'n'êtes pas pasfait pour l'être. It'fe jetta à mes genoux ; il s'é:

puiſa en proteſtations. &. en fer mens ; mais j'étois trop forte par mes reflexions pour quele poiſon pût faire fon effet ; ou plûtôt l'an mour n'avoit point encore décidé l'inſtant de ma défaite , inais il arriva bientôt. Un jour que je me promenois dansmés jardins, ſéparée demes femmes & de la cohüe des.cour : tiſans , je m'enfonçai dans un la byrinthe épais, pour réflechir avec 70 La patte du Chat, tranquillité. Mes pas , que condui foit le hazard , le tournerent vers un épais berceau de chevrefeuille .qui m'avoit été juſques - là incon nu , tant il étoit reculé. L'ombre & le Glence du lieu , tout ſembloit m’inviter à prendre le repos qui m'y étoit offert. Je m'aſſis , & bientôt le fonimeil s'empara de mes ſens. Un longe complaiſant n'offrit l'i mage du Prince quej'aimois ,tout meparloit en lui decet amour, qui faiſoitdepuisquelque tems le bon heur de ma vie. Pendant le fommeil c'eſt l'imagi nation ſeule qui régle nos mouve mens; elle ne connoît ni les regles de la vertu , ni celles de la raiſon ; alors nos ſens ſoulevés & abandon nés à eux -mêmes , fe hâtent de jouir de leur liberté. Que dirois je, enfin ? Dans ces momens de dé ſordre & de foibleſſe , l'image ܪ La patte du Chat. 71 mon d'un coup + d'Andremir obtenoit de cæur ces mêmes confentemens, je m'opiniâtrois de lui refuſer à lui mênie . Tandis que je nâgeois dans cet te douce illuſion , un bruit qui ſe fit à mes oreilles m'éveilla tout

c'étoit Andremir , &

fans doute l'amour guidoit ſes pas. Depuis long-tems il me cher choit dans les jardins : il avoit tou jours quelque choſe à me dire. Dès qu'il m'eut démêlé à travers les feuilles , ſon tranſport éclata par un cris de joye ; il vint ſe précipi ter à mes genoux , & ſa bouche étoit colée ſur ma main , avant que j'euſſe eu le tems de la regirer. L'émotion que m'avoir cauſe mon fonge éroit encore peinte ſer mon viſage ; je lui en parus plus aimable qu'à l'ordinaire , il en de vint plus amoureux , plus entre prenant , & le fonge avoit trop > ) 72 La pattedu Chati. tons , bien préludé, pour que je pus nie défendre. Enfin, nion fils , votre mere qui ſe croioit fi forte , fur la plus foible de toutes les femmes : J'avois cru juſques-là qu'on pou voit donner des bornesàl'amour, & luipreſcrire: dės devoirs ; mais . j'appris,, encore une fois , à mes dépensi, que que dès que nous l'écou tôt ou tard il ſçait ſe faire - béir , & que nous ne l'arrêtonsja. mais , s'il ne s'arrête de lui-même.. Loin quemes bontés eufſent ré froidi le cour d'Andremir , il ſeni. blå m'en aimec davantage ; enfin ſes empreſſemens & ma complai- fänce à y répondre furent au point que le fantaſque Tortillon en.cong çut de la jalouſie; il.me fit même des reproches , commeſi fa fidéli té lui eût.acquis le droit de m'en faire . Je le reçus affez mal*: .il chan : gea de batterie, il me parlà ce mê me La patte da Chat: il vous me langage, & ſe fervit de ces mêm mes piéges qui lui avoient réuſfi autrefois , mais l'amour que j'avois pour Andremir me rendoit infenſi. ble à tout , je le repouſſai avec mé pris , & il ſe retira la fureur dans l'ame. 0.04 Je ne ſçai fi la paſſion d'Andre mir pour moi l'avoit éclairé ſur le peu que je vallois, ou fi, pouſſé par la malignité de ſon coeur , loit m'engager de nouveau dans ſes fers pourmefaire la duppe d’us ne nouvelle infidélitées; ou ſi , enfin , il avoit aſſez de vanité pourcroiro qu'après l'avoir aimé on nepous voit ceſſer de le faire , & qu'il fal loit renoncer à tout , mais il ne ceſla de me perſécuter depuis , & vous & moi ſentons encore à l'heure qu'il eſt les effets de la vengeance. Vous vintes au monde peu de tems après , qu'ennuyé de l'inutilité de fes tentatives , il m'eût menacé G ܙ 74 Lapatte du Chat, 3 > de tout le poids de ſa fureur , & vous en portâtes dès - lors même des marques ; ce nez , mon fils , dont l'exceſſive longueur efface en quelque façon , tout l'agrément de votre figure , eſt un preſent que yous tenez de lui. Pendant que la Fée parloit ainſi Amadil de ſon nezentermes def obligeans, le Prince ſouffroit, fans ofer pour une feconde fois , l'in , terrompre , mais ſa rougeur le tra hiffoir,. Il avoit toujourslll dans ſon mis roir que ſon nez n'avoit rien de diſgracieux, il trouvoit mêmequ'il fieoit très- fort à l'air de ſon viſage ; fantil eſt vrai que l'amour-propre eft bien complaiſant. La Fée l'obſervoit, &continuois toujours ſon diſcours. Je conſul tai le deftin pour fçavoir ſi le dé faut de ce nez étoit abſolument in . Corrigible ; lesoracles du Ciel ſont . Za patte du Chat 15 obſcurs & captieux , cependant travers la nuit qui les environnoir, je vis une lueur d'eſperance ; & pour vous dédommager en atten , dant , & ſatisfaire mon caur , je vous douai de toutes les qualités qui font un caractere aimable, & un génie heureux. Tortillon en répandant un ridis culemarqué furce que j'aimoisde mieux après Andremir, n'avoit fait encore qu'un leger eſſai de fa ven geance, feilſe réſervoit àà nous en fai. re ſentir par degré toute la rigueur, & chaque jour nous en offroit de nouvelles marques. Tantôt Andrenir retenu pardes enchanțemens, diſparoiſloit à mes yeux: il falloit pour le voir que je bouleverſalſe la nature , & que j'in terrogeaſſe juſqu'aux enfers. Un charmeſuccédoit à l'autre ,àà peine l'avois-je retrouvé qu'il tomboit dans mes bras plus froid que s'il eût Gij 76 La patte du Chat: été trempé dans les eaux de l'A: cheron ; j'errois lur les montagnes pourtrouver des ſimples qui puf Sent le raniner ; à mon retour la Letargie ſe changeoit en fureurs, & les ſimples inutiles me tomboient des mains, Tant de perſécutions me ſet toient dans le dernier deſeſpoir , & j'étois,malheureuſementpour moi, condamnée àvivre ſans vengeance, j'avois eu autrefois plus de pouvoir que Tortillon ; mais mon amour pour lui l'avoit rendu maître de mes ſecrets , & il étoit devenu trop forç par mafoibleſſe. Las enfin de punir le Prince de Pamour que j'avois pour lui , il tourna fa rage contre moi. Je fus Jurpris une jour en me mirant dans le cryſtal d'une fontaine, de voir que ,mes couleurs s'étoient effa cées & que le bleu que vous voyez 1 avpit pris la placę. La patte du Chat. 72 ز Je voulus oppoſer enchantement à enchantement ; mais j'éprouvai bientôt l'inſuffiſance de mon pou voir. Je dis un dernieradieu à An dremir : Ceſſons , lui dis - je , cher Prince , de nous opiniatrer à faire mutuellement nos inalheurs. Quit tons - nous : confervez -moi un fou venir tendre ; les Dieux prendront foin de notre vengeance. Nous nous embraſlâmes les lar mes aux yeux , je vous mis entre . ſes bras,& ilpartit. Alors d'un coup de baguette j'entr'ouvris la terre & je vins enſevelir ma honte dans ces demeures ſouterraines. Bientôt Tortillon reçut le prix de fes méchancetés , la Féevengeante le métamorphoſa en char , animal dont le naturel quadroit fi bien avec le fien ; c'eſt lui qui , ſous cette fi gure ,, fait maintenant les délices de Filigranne. Quoi, Grognon ? s'écria vives S 5 G iij 78 La patte du Chat. ment le Prince ; oui, lui-mêmes pourſuivit , la Fée. Ah! reprit le Prince , je lui ai écraſé la patte ; il me prend envie de retourner pour lui tordre le col . Les deſtins, pourſuivit Bluâtre , ne permettent pas qu'il périſſe , & ils vous vengent mieux que vous ne vous vengeriez vous-même, la mort finiroit ſes ennuis , & ils ne fim niront jamais.. Pournous, mon fils , notre bon heur n'eſt peut - être pas éloigné . une ſeule de vos réfléxions ſuffit pouren amener l'inſtant; mais vous devez la faire de vous- même , & je ne dois point vous aider ; peut- être même ne l'ai - je que trop fait ? Mais , dir le Prince, vous ne an apprenez rien du fort de mon pere, je l'ai perdu ſi jeune, qu'à peine me reſſouviens-je de l'avoir jainais vû , & je n'ai reçu depuis au cun éclairciſſement ſur ſon fort . A La patte du Chat J'oubliois , répondit la Fée, de vous · dire que Tortillon le laiſſa quelque tems tranquille ; enfin pour con fommer la vengeance, il le réduiſic à languir dans une indigne méta morphofe; elle ne m'eſtpas con nue , mais elle doit finir . 10 !! Bluâtre s'arrêta dans cet endroit. Le Prince prit congé d'elle , & fe retira dans un appartement indiqué pour ſe mettreen état de paroître décemment à la Cour. 5

CHAPITRE VII. Qui n'eft pas moins conſidérable que les précédens, fets e sada E's que le Prince ſe fut retiré dans ſon appartement , des génies bleus ſuivans la Fée , vinrent en foule pour le ſervir. Les uns ré pandoient ſur ſon une va D lace Giiij La patte du Chat. peur bleue, qui s'imbiboit dans la peau ; les autres poudroientſes che veux d'un aſur fin , extrêmement leger ; d'autres enfin lui ôtoient ſa robbe pour lui mettreune ſimmare d'un ſatin bleu éblouiſſant. Il étoit ſi bleu au fortir de fa toi lette , qu'à peine ſe reconnut- il lui même. Ce coloris nelui plaiſoid pas infiniment, mais dès qu'on pa . roît à la Couril faut être bleu conle me les autres , ou l'on eſt extraors dinaire ; ſur -tout parmi les Cas mayeuls. Pour donner une idée du caraço tere de ces peuples , il eſt bon de dire que ſur un fond de ridicule in variable il en naiſſoit tous les mois chez eux un nouveau qu'ils adop toient avec fureur, & qu'il falloit que tout le monde eût pour être conſideré, & ce nouveau ridicule s'appelloit le Vaudeville du jour. Le Vaudeville de ce tems-là étoit La patte ds Chat. la Philoſophie.Ons'étonnera , fans doure , de voir la grave Philoſophie traduite en ridicule . Ce n'eſt néan moins pas la premiere fois que les divinités ayent joué de petits rol. les. Un Camayeul d'une grande conſideration , & qui méritoit d'y être , avoit ainſimis la Philoſophie à la mode; c'étoit un homme digne de donner le ton à fon ſiécle , de ces génies rares que la nature n'en fante qu'avec peine , & dont elle eft long-temps à ſe remettre. Il a voit , dès ſon printemps,donné des fleurs brillantes , il en conſervoit encore dans un hyver avancé. Une carriere auſſi heureuſe pi quoir l'émulation de tout le peuple bleu , chacun s'efforçoit de lui rel ſembler ; mais de tels copiſtes n’i miterent janais des grands hom mes que leurs foibleſſes, encore les imiterent - ils imparfaitement. Le reſte füt toujours trop au - deffus de leur portée. 82 La patte du Chat Ce Camayeul avoit en effet quel ques trop bleues ſur la Philoſophie , il vouloit la faire ena trer par - tout , & par - tout où il la mettoit , comme il la manioit à for gré , elle y jouoit un rolle intéreſ. Fant; mais il eſt difficile d'imaginer combien ſon exemple fit naître de Philoſophes bizarres , & de livres bleus. On neparloit plus que de Philos fophie, cet eſprit s'étoit emparé des Dames & des petits Maîtres ; il é . toit de leurs converſations, &mês mede leursplaiſirs. Cela alloit ſi loin , que deux Cae mayeuls en ſe faluant ſe fouhai toient réciproquement des lumié res Philofophiques ; car quiconque n'en avoit pas paſſoit pour imbéci.. le , eût-il eu toute la legereté, tout l'eſprit imaginable , il falloit pour briller qu'il attendît des temps plus heureux. و > Lapatte du Chat. 83 le tra Il eſt des travers qui ne meſlient pas à tout le monde, une beauté tirera avantage de l'habillement le plus croteſque; mais pour vers d'être Philoſophe , dès qu'on le prend du mauvais côté il gâte tout. Il avoit fouflé avec lui l'eſprit de fechereſſe &deſimétrie ; les Da mes en avoient moins de graces & plus de ſuffiſance; les petits Maî tres étoient moins débraillés , ils en fembloient moins libertins, qu'à leur ordinaire & par conſéquent moins aimables : ce n'eſt pas que dans le fond la débauche eûtdimic nué: tout ce que peut faire la Philo. fophie en forme, c'eſt de corriger ceux que le tempérament a déja fortement diſpoſe ; qu'eſt -ce donc quand on n'en a que l'écorce, & que lesdiſpoſitions manquent ! Bluâtre avoit eu de Tortillon un fils qui ne reſſembloit pas à ſon pe: 84 La patte du Chat. re. Ce fils fe nonmoit Azurin ; il avoit partagé les infortunes de la mere , & cette ſenſibilité lui avoit attiré la même diſgrace qu'à elle. Il étoit donc eſſentiellement bleu , & lui reſſembloit encore parfaite ment pour la bonté du caur & l'excellence du caractere. Le Prince des Camayeuls n'étoit pas un génie qui ſe mêlât d'être vif, ni tranſcendant, il négligeoit même beaucoup les lumieres phie loſophiques ; mais en revanche il en avoit de très - raiſonnables .. Dès qu'il ſçut l'arrivée du Prince Amadil ſon frere , il accourut pour l'embraſſer. L'entrevûe füt tendre entre deux Princes qui ſetenoient de fi près , & qui étoientfaits mu tuellement pour ſe faire du bien. Comme Amadil étoit , malgré lui , mélancolique, & que le ſilen ce que Bluâtre avoit gardé ſur ſon anacur pour Amandine ( quoiqu ', Lapatte du Chat. $ elle en fût probablementinformée ) l'accriſtoit , parce qu'il ignoroit quelle en ſeroit l'iſſue; Azurin lui propoſa , pour ſe divertir, de pren dre les plaiſirs de la Cour, On eſt déja prévenu que tous les plaiſirs étoient philoſophiques,c'é toit un nouvelobtique qui piquoit pour lors la curioſité des Cama. yeuls , & c'eſt à ce ſpectacle que les Princes ſe rendirent ; tout y é toit d'un aſſez beau bleu , néan moins les nuances n'en étoient pas délicatęs , on n'aimoit alors que ce qui étoit bien bleu , & le peintre & le Machiniſte s'étoient conformés au goût du temps. Laſcenepreſentoitſucceſſivement differens obtiques aſſez variés, ce . pendant elle ne rémuoit en aucune façon ,rien n'yintereſſoitle coeur,les paſſions éroient oiſives , & l'eſprit inoccupé; s'il y avoit même quel. que choſe de flatteur pour les ſensa 2 86 La patte du Chata que les Can cela n'étoit que ſemé & fort rare . On préſume aiſément mayeuls y .couroient bien nioins par goût que par convention , aufli dèsqu'ils étoient arrivés ils ne don noient preſqu'aucune attention au ſpectacle , ils la réſervoient toute entiere au cercle des ſpectateurs dont ils faiſoient partie. Leur curioſité induſtrieuſe s'étoit appropriée l'uſage de la lorgnette, ils s'en fervoient pour entrer dans le détail d'une infinité de petites choſes qui échapent en gros, ou qui ſe perdent dans l'éloignemente Ces détails ou flattoient leurs de ſirs , ou irritoient la malignité de leur cæur, & leur penchant à la fortiſe. Le ſpectacle finiſſoit, & la toille tombante les retrouvoit tous jours abimés dans la profondeur de leurs ſpéculations. Comme l'arrivée du Prince étoit la nouvelle du jour , & que chas La patte du Chat. Cun étoit curieux de le voir , toutes les lorgnettes ſe réunirent pour ſefe braquer contre lui , commecontre un phénomene. Quoiqu'Azurin pât lui dire pour excufer une cou . tume auſſi bizarre , il ne pouvoit s'empêcher de rougir. , & les lor gnettes n'en étoient pas les ſeules cauſes; ſon nez étoit encore là pour lui faire du chagrin ; & comme il avoir les yeux perçans, & l'ouie délicate , il s'appercevoit que les Camayeuls rioient de ſa longueur , & qu'ils en badinoient tout bas. 6. Il en concevoir ſecretement une rage qui lui conſeilloit d'anéantir les mauvais plaiſans ; mais il fut agréablement guéri de ſon trang port par un tout contraire. Les Dames Camayeules trou. voientle Princeforcà leur gré,lalon gueur de ſon nez n'avoir rien qui les effrayât ; car ceux des naturels du pays leur paroiſſoient trop coli 88 'La patte du Chat. C fichets: elles s'en expliquoient à lui aſſez ouvertement par leurs re gards, & ne le cachoient pas à leurs voiſins. Amadil qui y donnoit tou te ſon attention, joviſfoit du plaiſir de les entendre , & goutoit enfin des louanges qu'il aimoit, & qui ne lui paroiſſoientpas ſuſpectes. Qu'il eſt d'un beau bleu , di ſoient-elles ? qu'il a l'air noble ? que ſa taille a de graces , d'aiſance & de majeſté ? qu'il a de feu dans les yeux ? Ah il a l'air de bien réſou . dre un problême ! Le cour d'Amadil nageoit dans la joie.Les louanges des Dames ont quelque choſe d'infiniment Alat teur ; & quoique ce Prince fùt oc. cupé d'une paſſion qui abſorboit preſque toutes les facultés de ſon ame ; il l'oublioit , pour ainſi dire , un nioment, pour ne ſe ſouvenir que de fa vanité. Ce plaiſir ſecret étoit un piége qui a 9 Lapatte du Chat 89 qui l'éloignoit de ſon véritable bon heur par uneſatisfaction paſſagere. Il eſt tems de diſſiper l'obſcurité des deſtinées de ce Prince. Il ne devoit être heureux que lorſqu'it feroit convaincu de l'exceſſive lon gueur de ſon nez. Cette conviction : n'étoit pas aiſée à acquerir; plus un défaut eſt apparent , plus l'amours propre fubtiliſe pour le cacher. Dans l'enfance , quand nos yeux peuvent à peine appercevoir unri dicule qui nous fingulariſe, ce trom peur habile commence à répandre à fur nos yeux l'illuſion quidoit nous abuſer toute la vie , nous nous fa . miliariſons avec elle , inſenſible ment elle devient plus forte , elle croit avec nos lumieres , & les of fuſque toujours Il eût été à ſouhaiter pour Ama- dil , que la nature'en tiere d'intelli gence lui eût parlé du ridicule de: fon nez : peut- être encore l'eût-elle H. 90 Lapatte du Chat. 1 aigri ſans leperſuader. On devine , aſſez ce qu'il eût fait dans ce cas en voyant de quelle façon il prenoit lespetits deſagrémens que Bluâtre lui ſuſcitoit pour l'inſtruire. Amadil reſta ainſi quelque tenis à la Cour de Bluâtre , qu'il conſo loit par ſa préſence ; mais il eut lui même beſoin de confolation. Il és toit anant délicat & tendre , il étoit éloigné de l'objet de ſa tendreſſe , ſans ſçavoirquandil lui ſeroit per mis de s'en rapprocher, & c'eſt tout dire ; il prit la réſolution de con ſulter la Fée , pour ſçavoir s'il ne devoit pas retourner à la Cour de: Tatonner. La Fée n'ignoroit ni l'état du Royaume de Zinzim , ni la ſitua. tion d'Amandine, mais elle ne vou lut pas le faire preſſentir à Amadil; c'eût été lui donner des inquiétu- des inutiles , puiſqu'il ne pouvoir s'oppoſer à rien . Elle ſe contenta i iac

La patte du Chat. 91 . Om os qu'il parsfites de lui dire que Tortillon étant tou jours auprès de Filigranne,ne nians queroit pas de lui nuire ; ſa patre n'étoit pas Zinzim à bien guérie, il reſſentoit encore ſon ancienne anly moſité ; enfin il pouvoit avoir des feſſources pour ſe venger, tout im il falloit donc attendre que le tems pût fours nir des armes contre lui. LePrince ne goûta que médio crement ces raiſons, & dansle fond elles ne valoient d'ailleurs en écoute - t'on lorſque l'on aime véritablement ? néans moins pour ne pas deſobliger la Fée il demeura encore quelque tems à ſa Cour, & pendantle peu de ſéjour qu'il y fit , il acheva de fe convaincre queles idées des Ca mayeuls étoient encore beaucoup plus bleues.que leurs figures.. Parmi ceux qui y tenoient un certain rang on ne voyoitque des pas grand chose Hij 92 La parte du Chat / originaux complets. L'un fembloit avoir hecité de la gravité d'un A. réopage , & n'en avoit que le froid & la ſuffifance , déclamateur. ennuyeux , tout retentiſſoit de ſes longs verbiages , où la mémoire travailloit beaucoup plus que l'ef prit , mais où on ne vit jamais le goût. Puriſte juſqu'à la pédanterie ; il négligeoit toujours le ſens. ponie. l'expreſſion , &facrifioit les graces d'un diſcours leger ; & l'arrondiſ fement de ſes phraſes nombreuſes. Le Prince fut forcé de convenir: qu'il n'avoit jamais oui un auſſi pompeux diſeur de rien ;; il étoit d'unbleu foncé,tirantſur le violet ; fon maintien étoit auſtere , mais. le relâchement de fa morale faiſoit. un contraſte bizarre avec la ſévéri té de ſes regards : Amadil s'appro cha pour l'écouter. Alors entouré d'un jeune audi. toire , le Camayeul s'étendoit you

La patte du Chat. 93 luptueuſement ſur les particularités tendres des commerces amoureux qui l'occupoient, puis il s'inter rompoit pour y mêler rour à tour quelqu'anecdote ſcandaleuſe , des traits de fa friandiſe , &ſes rêveries. philoſophiques. Le Prince ſe retira bientôt très à -propos pour lui; car l'école ne valoit rien , & pour l'hommebleu à qui ſon nez donnoit des diſtrac. tions . Le Prince s'approcha d'un autre Camayeul , qui avoit tout ce qu'il falloir pour être raiſonnable , mais dont la fantaiſie éroit de paroître: ſingulier. Il débitoit inceſſament une foule de paradoxes dontil n'és coit pas dupe , & qu'il ſoutenoic enſuite de toute la force de ſoner prit , il prodiguoit les ſaillies, & jouoit un rôle brillant, mais la bon ne cauſe lui marquoit toujours. Ain madilaprès avoirainſipromenéſes 94 La patte du Chat ennuis ſur differens ſujets , prit congé de Bluâtre & d'Azurin, bien réſolu de voler vers Amandine quelque riſque qu'il y eût pour lui de paroître à la Cour de Tatonner. CHAPITRE VIII. Qui donnera beaucoup à penſer. L 2 > E Prince retrouva fon ches val à la porte du Palais de Bluâtre , il traverſa les plaines azu. rées, & arriva enfin à l'entrée du ne caverne , par laquelle il falloit paſſer pour ſortir du pays des Can mayeuls.

Il y régnoit une affreuſe obſcu :

rité , on n'y pouvoit marcher qu'à l'avanture , mais un génie inviſible conduiſoit le cheval, tandis que le Prince intrépide s'abandonnoit àt . fon fort , ſans réflexion & fans in quietude. Za patte du Chat, 95 Il avoit déja fait plus de deux lieuës dans les tenebres , lorſqu'il entrevit un foible rayon de lumiere qui s'échapoit entre les trous du ro cher ; il conçut l'eſperance de re voir bientôt le jour, & en effet a meſure qu'il avançoir, l'obfcurité diminuoit peu à peu. Enfin il le trouva à l'iſſue de la caverne. Le pays qui s'offroit à ſes rez gards, lui étoit abſolument étran ger ; il ſe trouvoit au fond d'un précipice horrible ; les rochers qui le bordoient de toutes parts, le per doient dans le Ciel , qui ſemblois s'appeſantir ſur eux , & tout ce qui peut augmenter les horreurs d'un deſert, y étoit raſſemblé. Le Soleil n'éclairoit qu'à regret ces lieux ter ribles; on n'y entendoit jamais ni le : murmure des ruiſſeaux, ni les plain tes des roſſignols ; des torrens dé chainés entrainoient avec eux des Cyprez déracinés , des buiſſons des > ' . 96 Lapatte du Chat. pouillés de verdure & des rochers énormes, un vent affreux faifoit mu gir les cavernes d'alentour ; les monſtres épouvantésquittoienrdes retraites qui n'étoient plus ſures , & les hiboux funebres augmens toient par leurs cris perçants later reur que tour y inſpiroit. C'étoit là, ſans doute, que ces Ena chanteurs cruels , dévoués au ſtix , venoient former les charmes fatals qui troublent le repos du monde'; les Deinons dociles à leurs voix fe plaiſoient dans des lieux, où tour leurretraçoit l'Enfer d'où ils étoient fortis, Bluâtre , quiaimoit ſon fils, avoit exprès dirigé la route de ce côté pour éprouver ſon courage. Une grande amene s'étonne de rien : A. madil étoit auſſi paiſible que s'il eût traverſé les jardins de ſon Pa fais; il admiroit ſeulement que le Ciel voulût receler un endroit. A coupable, Pey Lapatte du Chat, 97 Peu à peu les objets devinrent moins triltes, mais ne ceſſerent pas néanmoins abſolument de l'être . Le Prince ſortit des montagnes, & ſe trouva dans un Pays couvert de neiges. Le Ciel y étoit parfaitement ſe rein ,mais l'air y étoit froid, & Ama dil , qui n'ayant point préyû cet accident,n'étoitquemédiocrement vêtu , ſouffroit beaucoup; il lutta long- tems contre cette incommo dité, mais bientôt il ſuccomba mal gré lui. Le courage & la force ne ſont pas à l'épreuve de tous les maux ; ce Prince en enduroit de cruels , à peine ſentoit -il ſes mem bres , tant ils étoient engourdis , & ſon nez à force d'être gelé , étoit devenu commeun corps étranger à ſon viſage. Dansle tenis qu'il étoit dans cet. te étrange perplexité , il aperçue une petite femme allife ſur un tas I 98 La patte du Chat. de neige , qui le regardoit avec ata tention. Il fit un dernier effortpour aller à elle ; il lui demanda du ſe cours , elle lui en offrit avec bonté, Prince, dit . elle, je ſçais qui vous êtes , & quoique vous ne m'ayiez jamais rien fait, je vous veux du bien ; on s'attache ainſi aux gens ſans ſçavoir pourquoi , mais je ne m'en repens pas , vous le meritez, Venez vous repoſer chez moi , je fuis la Fée aux glaçons , s'il fait un peu de froid dans mon Empire , nous y remedierons de notre mieux. Elle affaiſotina ce propos filar teur d'un ſourire , & dans le mièmę tems elle tendit au Prince une main plus froide que tous les glaçons d'un hyver enſemble. Ils s'achemi. nerent vers un lac qui n'étoit pas éloigné , ils deſcendirent ſur la gla. ce dont il étoit couvert ; la Fée fra . pa du pied, auſſi-tôt la glace ſe rom, La patte du Chat. ୨୨ pit, un glaçon ſe détacha, & porta. ſa Souveraine juſques dans ſon Pa lais à travers les autres glaçons, qui. ſe retiroient par reſpect pour la laiſ ſer paſſer, Le Cliquetis des dents d'Amadil exprimoit naïvement ſa ſituation ; ni le compliment de la Fée aux gla çons , ni l'obligeante main qu'elle lui avoit tendue ne l'avoient ré chauffé ; en regardant la figure de ſa bienfaitrice, il friſſona de tout ſon corps; elle étoit vieille , & ſembloit toujours violette de froid ; fes yeux étoient éteints & enfoncés, une roupie de glace lui pendoit du nez, la falive ſegeloit ſur ſes levres, dès qu'elle les ouvroit pour parler ; & la fraicheur exceffive de fon ha leine eût fait mourir les fleurs quand l'intemperie du climat ne les eût pas empêché de naître.Seschee veux déja blanchis par l'effort des ans, étoient encoreſurchargés d'une > Iij 100 La patte du Chat. neige legere.Une peau d'Ours blanc lui fervoit d'enveloppe,mais la cha leur d'un vêtement ſemblable , ne faiſoit que concentrer davantage chez elle l'humeur froide dont elle étoit paîtrie ; elle avoit néanmoins un babil qui ne finiſſoit pas ; mais у a - t'il encore rien d'aulli froid que le babil La nouveauté de fon Palais éton na le Prince ; c'étoient divers petits apartements creuſés dans un im neige, toutes les fenê . tres en étoient tournées au Nord pour mieux recevoir fon haleine rafraichiſante , & l'art induſtrieux y avoir encore , par intervalle,mé. nagé des paſſages aux vents coulis. Le Prince en voyant ce Palais , ſentit encorele froid redoublerchez lui ; & pour le coup il reſſembla mieux à une criſtaliſation, qu'à une figure vivante. LaFée quinevouloit rien négli menſetas de > La patte da Chat. TOR ger pour rendre à ſon hôte le fé jour de chez elle gracieux, le fit en velopper de peaux d'Ours , & lui fit ſervir un ambigu de ce qu'il y avoit de moins froid dans fon Em pire. En un moment une table de gla ce ſe couvrit de ſouppes froides, de tartes à la neige, de gibouléesà la fleur d'orange & de toutes eſpeces de fruits gelés. Dans l'état de néant où Amadil étoit réduit, deux degrez de froid de plus ou de moins n'étoient pas une affaire ; & comme l'apetit le preſſoit, il crut devoirmanger, au hazard d'avoir une colique; cepen dant la Reine des glaçons s'effor çoit de l'entretenir de ſon mieux , elle n'avoit pas beſoin pour parler d'y être engagée par un motifde politeſſe. Mais, vous ne mangez pas, Prin sez lui diſoit- elle , quoiqu'il man \ iij. 102 La patte du Chat, > geât toujours , je ne vous fais pas , ileſt vrai, trop bonne chere aujour d'hui , mais demain nous ſçaurons vos goûts , & tout en ira mieux. On dit que vous avez écraſé la patte d'un chat , & que c'eſt votre nez qui cauſe toutes vos diſgraces , cependant votre nez eſtun nez tout comme un autre , il eſt beaucoup trop long , mais pourquoi veut-on qu'il ſoit plus court ? les uns les ai ment d'une façon , d'autres d'une autre , & tout eſt de fantaiſie dans le monde ; mais à propos tirez-moi d'inquiétude ; voyez-vous juſqu'au boutde votre nez ? Eh ! mon nez par-cy , mon nez par-là , s'écria le Prince , à qui la patience échapoit enfin. De grace , Madame , que vous a fait mon nez pour l'accabler ainſi de mauvaiſes plaiſanteries. Ah ! répondit la Fée , ce que je vous en dis n'eſt pas que je veuille រ à 5 La patte du Chat. 103 ز vous fâcher, je vous eſtime trop pour cela . J'ai connule Prince vo . tre pere , c'étoit un galant Prince, il feroit bien aiſe s'il ſçavoit que vous avez écraſé la patte du Chat; mais parlons d'autre choſe. On dit que vous n'êtesmalheu . reux que parce que vous avez le nez trop long, cependant il n'eſt que de quatre doigts plus long que le mien ; il eſt vrai que le Roi mon mari , quand il étoit de mauvaiſe humeur, me reprochoit que j'avois le nez long comme une antiquaille. Vous paroiſſez ſurpris ? Vous ne ſçaviez pas que j'avois été mariée ? Comment donc ? J'avois épouſé le Roy Petaut, & je ſuis même un peu votre Tante , mais ce n'eſt pas mode de ce Pays -ci. Bluâtre votre mere & moiavons fait les filles en ſemble; elle ſe piquoit d'être belle parleufe, & on ne l'aimoit pas; pour moi j'écois bien venue de tout le à la I mj 104 La patte du Chat. monde à cauſe de mon ſtile naturel: D'ailleurs , je ſuis forcée d'en convenir , j'étois jeune , & je n'é tois pas laide. Un freluquet vint un jourm'en conter,je veux,pour vous amuſer ſeulement, vous faire cette hiſtoireçlà . On donnoit volontiers des bals de mon tems ; il y a bien cinq cens ans ; attendez: non,il n'y a pas cinq cens ans. J'ai paſſé depuis cinquante ans dans la Laponie, foi xante ans dans la Zamble;;; il m'ar riva inême une mauvaiſe avanture en traverſant un jour d'un Pole à l'autre , ma pantoufle tomba dans le Nil; je deſcendis pour la repren - dre, & peu s'en fallut qu’un Cro eodile ne me ſurprît, heureuſement un avanturier, qui ſe trouva par ha zard dans cet'endroit, vint à mon fe cours. Sa phiſionomie m'eſt tou . jours reſtée preſente à l'idée . Une figure avantageuſe , un oil noir, un nez aquilin ,pas à beaucoup La patte du Chat. TOS près ſifi long que le vôtre , quoique le ridicule du vôtre ne vienne pas tant encore de ſa longueur , que de ce qu'il fait un peu le dos d'âne. Pendant tout ce diſcours , qu’A madil trouvoit inſultant , & qu'un autre netrouveroit qu'ennuyeux , ce Prince n'étoit pas à fon aiſe,mais les petits mouvemens de colerequi s'élevoient chez lui, préſervoient fon ſang d'un réfroidiſſement total. La Fée néanmoins ne ceſſoir pas de lui tenir des propos amuſans. Enfin , lui diſoit- elle , vous avez donc vu le Prince votre frere ? oh ! de grace , que vous êtes- vous dit ? repétez - le-moi je vous prie ; vous ne vous étiez jamais vûs ; vous ne vous étiez pas même devinés , ah ! Bluâtre n'avoit garde de vous par ler de lui; elle eſt prudente; la bonne Dame , néanmoins elle pouvoir lêtre encore davantage,que ne l'é loignoit-elle ſur quelque prétexte 106 La patte du Chat. a a pendant votre ſéjour? qu'étoit- il beſoin qu'elle ménageâr entre vous cette fa de entrevûe? Aufonds vous n'aviez rien à vous dire,&il y abien paru ; vous vous êtes attendris com me des fots ſans ſçavoir pourquoi , cela vous a embaraſſé tous deux; & cela a ennuyé tout le monde: car je le ſçais ; votre mere pouvoit bien vous laiſſer ignorer les ſuites d'une intrigue qui ne lui fait pas honneur; ce n'eſt pas que je veuille la blâmer. Je veux bien croire qu'il n'y a eu qu'innocence dans ſa conduite : mais entre nous, fi les deſtins,com me on le croit , juſtifient un jour votre naiſſance , que deviendra le Prince Azurin ? C'eſt dommage af ſurément, ce jeune Prince donne de grandes eſpérances; il eſtun peu trop doucereux , il a la jambetrop mince & il danſe mal ; au reſte ces défauts ne font pas eſſentiels. Quel âge a- t'il ? il doit être fort jeune ;

> a La patte du Chat. 107 vous a - t'il conté quelques-unes de fes hiſtoires : la petite avanture qui lui eſt arrivée avec la Fée Kaiquet. te ; vous avez fans doute oüiparler de la Fée Kaiquette ; c'eſt une é tourdie des ſiécles paſſés, qui vou. droit bien l'être encore des liecles à venir, mais elle me reſſemble, elle eſt âgée , il eſt tems qu'elle ſoit rai ſonnable ; pour moi je l'aitoujours été, je n'ai jamais donné dans les Colifíchers ;mes compagnes ne sça voient parler qu'ajuſtemens, je vou lois parler de tout. Semble-t'il pas qu'il n'y ait que les fontanges qui foient de notre diſtrict ? Mais j'ou bliois de vous conter un ſonge que j'ai fait cette nuit. Il me fembloit que ma baguette ſe changeoit en vipere, & vouloit me piquer ; j'ai voulu crier , & n'ai pû trouver ma voix. Je ſuis toujours comme cela quand je dors , li je veux marcher , les jambes memanquent. L'autre 10: 8 La patte du Chat. تو ' . jour je m'étois fatiguée à conduire différens nuages chargés de neiges qui partoientpour le Nord. Vous fçavez que c'eſt ici que les vents , les nuages froids & tour l'attirail de l'hyver ſe forment. J'ai là une fu rieuſe Intendance ; c'eſt par moique le froid ſe fait ſentir dans lemonde; c'eſt moiquiintroduis les ventscou lis chez les ſenſuels , malgré la tri -ple doublure des apartemens; c'est moi qui réfroidis toujours les ra goûts en dépit de l'invention des réchauts. En hyver je couvre la ter re de neiges,en eré je ſeme la grêle à pleinesmains;je neſuis jamais def ouvrée , & ſi je me mêle encore de bien d'autres choſes. Dèsque deux époux s'uniſſent je fais les frais du lendemain. Je préſide aux compli mens étudiés , aux Aeurettes des doucereux, aux viſites des précieu fes & des prudes, aux intrigues de Cour , & avec tout cela jedonne La patte du Chat. encore dans le bel eſprit; j'ai tou jours eu du goût pour ce mêtier , il fait mon plus doux paſſetems, & beaucoup de vos auteurs de Zin . zin fontde mes amis ; volontiers je lis leurs pieces , j'y mets du mien. Avez vous vû deux ou trois petites Comédies nouvelles où il entre beaucoup de ma façon? J'y ai four ré tant d'eſprit qu'on s'y paſſe de yrai-ſemblance, d'intrigue, d'inte rêt, & même fort ſouvent d'acteurs; mais rien n'eſt comparable aux bel les petites pieces d'éloquence que fait un Braminede mes amis , tou, tes les phraſes en font neuves & ſin gulierement tournées. Quand on fort de lire , on a la tête pleinede ſens , & ce n'eſt pas du commun, Ce qui vous ſurprendra , c'eſt que bien des gens viennent à moi , qui comproient n'y venir jamais, & ce la par des retours ſur eux-mêmes, Delà ces Epîtres nouvelles où l'aying n I lo Lapatte du Chat, gédiescele teur ne dit que ce qu'il a déja dit , mais où tout eſt marqué pour le coup à mon coin . De là ces bro chures qui ne finiſſent plus. Ce qu' il y a de plaiſant , c'eſt que pour nous délaſſer , nous faiſons parfois des Tragédies. Oh ! pour des Tra. fort joli, & pas diffi cile. J'en ai une en tête ; il faut que vous m'aidiez, & pour vous encou rager je vaisvous réciter quelques vers frappés de ma façon mais vous baaillez , Prince ? Effectivement le Prince baail loit . La Fée lui alloit parler de ſes Operas,mais elle crut devoir refer ver fa profe & fes vers pour le len demain , && ſe retira par bienſeance pour le laiſſer dormir. Dès que la Fée eut quitté Ama dil , il s'enveloppa de ſon mieux dans ſes peaux d'Ours & ſe livra au ſommeil. Peut- être étoit- il dans les régles qu'il ſongeât quelque tems à La patte du Chat. III Amandine, mais il avoit l'iniagina tion aufli froide que le corps , & néanmoins en dépit de tant de froid il s'endormit. Il eut à peine ferméles yeux, que des fonges porpres à glacer d'effroi, vinrent s'effayer autour de lui. Tour étoit aſſorti dans le Palais de la Fée. Il vitdes monſtres bien plus laids que la chimere , mais iln'en fut que médiocrement éronné .; l'image de Grognon vint enſuite , cela ne lui fit pas plaiſir, car il n'aimoit pas ver de Chats , encore moins de Chars fâchés , & Grognon le pa roiſſoit étonnamment ; il ſecouoit fa parte ſanglante, ſes étoient ardents, ſon poilhériſſé, ſes oreilles baſſes , & il menaçoit des griffes & des dents la Princeſſe Amandine. Amadil yeux neput tenir contre cette peinture effrayante,ils'éveilla trem blant & couvert de fueur , il crut pasrê. 1 12 Lapattedu Chat. qu'Amandine étoit en danger , & que ſon longe eroit myſtérieux. A lors , ſans fonger qu'il ignoroit les chemins , qu'il étoit nuit , qu'il fai foit froid , & qu'on ne quittoit pas un hôte ſans le remercier du gîte , il partit commeun éclair. CHAPITRE IX. L Ou l'on aprendra , entre autrescho Jes, comment il faut s'y prendre pour étrangler net un conte. E Cheval d'Amadil fecon doit l'impatience de ſon maî cre .Si quelqu'un par hazard s’in-, quiétoit comment ce Cheval s'é ſoit retrouvé , qu'il fçache que les Chevaux des Princes ſont toujours tains , ſaufs, ſellés, bridés à la du Palais des Fées. Sans doute quede caurdu Prin porte ce La patte du Chat. 113 ? 1 Ce fitſur la route plus dedeux pages de Métaphyſique. Le Héros d'un Roman:moderneen eûtfait plus de quatorze à ſa place : pour lui il rêx voit ſobrement , & content de ce? qu'il apercevoit en gros des ſenti mens deſon.cậur , il ne s'amuſoit: pas .à en conſiderer ſcrupuleuſe . inent toutes les faceres, ſimplement pour l'ennui du détail.. Sa courſe fut ſi précipitée , que le jour naiſſant le trouvadéja de hors des Etats de la Fée aux gla. çons.: Aux premiers rayons du So leil la nature luiparut ſortir encore une fois du cahos, tant la varieté des: couleurs lui fit plaifir.Depuis qu'il avoit quitté la Cour de Zinzim ill n'avoit vû que du bleu & des glà çons plus triſtes encore que le bleo. D'ailleurs ſa ſurpriſe éroit'na- turelle & excufable : Il ſe trouvoitt dans les avenues du Palais de la Rée- Vengeante; l'art y avoitépuiſé К.K

114 La patte du Chat. ſa ſcience & ſon goût , la nature y avoit raſſemblé ce qu'elle avoit de plus rare , & tout y étoit fait pour enchanter les regards. Vengeante étoit Reine des Fées. & des Enchanteurs ; ſon nom & ſa puiſſance étoient formidables,mais ce n'étoit qu'aux méchans. Elle foutenoir les foibles contre la ty rannie des Puiſſans; c'eſt elle qui puniſſoit de châtimens terribles les Enchanteurs qui abuſoient de la force de leurs ſecrets pour plier tout au ton de leurs caprices &pour fai re des malheureux ; c'eſt elle qui confondoit dans le tas des femmes vulgaires ces Fées fantaſques qui dérangent les aſtres ſur un ſimple mouvement de curioſité. Les Féesn'étoient pas , comme on voit, purement Républiquaines & indépendantes ; la Terre auroic eu trop de Tyrans . Cette ſublime Catégorie ſe raprochoit autant de Lapatte du Chat. IIS la Nature humaine par ſes foibleſ. ſes , qu'elle s'en éloignoit par les éonnoiſſances; & c'eût été confier un pouvoir ſans bornes à des mains trop fragiles. Auſſi l'Intelligence éclairéequi gouverne l'Univers , les 'avoit- elle immédiatement fou . miſes à une Fée plus parfaite , plus puiſſante qu'elles, &qui n'obéilloit qu'à la loi. C'eft chez cette auguſte Fée qu' Anadil arriva bientôt. Les livres du deſtin s'ouvroient pour elle ; elle étoit prévenue ſur toutes les avan tures de ce Prince , & dès qu'il pa rut aux portes du Palais , elle don na ordre qu'on l'introduisît. Amadil avoit lû tous les contes de Fées, depuis l'oiſeau bleu juf qu'à Tanzay;; mais il fut forcé de convenir que les Palais brillans qu' on y va nte, n'étoient point com parables à celui qu'il vie pour lors . Un globe defeu détaché du fir Kij 116 La patte du Chat. mament ſervoit de Trône à la Féej; des colonnes de lumieres foure noient des ceintres faits du plus pur: arc -en - ciel , & formoient une archi tecture li brillante , que les regards n'en pouvoient ſoutenir l'aſpect. Toutes les intelligences qui con- duiſent les différentes évolutions; de la nature , étoient au pied du Trône rangées par degrés ſelon la: nobleſſe de leur origine , & la di- gnité de leurs fonctions . Leurs: corps diaphanes recevoient toutes; " les impreſſionsde la lumiere qui les , pénétroit; ils étoient comme une: vapeur legere teinte de couleurs; fraiches , brillantes & variables . ;; mais rien n'égaloit la majeſtueuſe: beauté de la Fée. Amadil n'oſoit: ſur elle ; vingt fois ill ouvrit la bouche pour parler , & vingt fois le reſpeět la luifit ferma.. Alors la Fée prit la parole , & , lui tint , au ſujet de ſes malheurs , un

lever les yeux ܕ La pattedu Chat PIT diſcours ſi ſublime ;, que pour le répérer dignement il faudroit être inſpiré. Tout ce que l'Auteur peut enrapporter , c'eſt que Vengeante après avoir raſſuré Amadil ſur le fort d'Amandine, lui permit de ſe livrer à l'eſperance de la poſſéder: Le Prince ſeroit mort de plaiſir pour un moindreſujet, mais l'a Fée: ajouta. que ſon bonheur étoit retar dé néceſſairement par une diffi: aulté legere en apparence, mais en effet, très- difficile à lever , & de la nature de laquelle il devoitſeuls’in : ſtruire ; qu'en attendantil pourroic jouir duplaiſir de voir la Princeſſe...' Dès qu'Amadil. fçur qu'il alloit voir la: Princeſſe , il crut qu'il ſé . roit en état avec une confolation auſli: douce , d'attendre long,tems un plus grand bonheur ſans s’impa tienter ; on lui indiqua l'apparte ment où étoit la Princeſſe, il y cou. put avec précipitation ; cependant 3 $ II8 La patte du Chat. on ne lui avoit rien permis qui ne fût tacitement conditionnel, &il fe promettoit un plaiſir qu'il devoit encore acheter. On ne pouvoir entrer d'aucun côté dans l'appartement où étoit Amandine, il recevoit du jour d'u ne croiſée qui donnoir ſur la terraf fe du jardin ; une Fée de la fuite de Vengeante , qui accompagnoit A. madil , lui annonça que ce n'étoit encore qu'à travers le talc des fe . nêtres qu'il pouvoit voir la Princel fe; ce talc étoit trouble & épais ; il falloit avoir les yeux colés deſſus , pour appercevoir quelque choſe le Prince eſſaya de s'enapprocher, mais ſon nez s'oppoſoit à ſes deſ feins: en vain mit ilen Quvre tou tes les poſtures qu'il put imaginer ; la nuit le trouva plongé dans le chagrin d'être ſi près d'un bonheur dont il ne pouvoit jouir ; il la paſſa Lur la terraſſe , & attendit patiem j La patte du Chat. IT nient que le ſoleil vînt éclairer de nouveaux efforts. Il prononçoic fans ceſſe le nom d'Amandine mais cette Princeſſe que les char mes de Vengeante entretenoient dans une douce létargie , n'étoit pas en état de lui répondre. Ce n'étoit qu'après une petite fuite d'avantures , qu'Amandine ſe trouvoit dans le Palais de la Reine des Fées ; nous l'avons laiſſée dans fon appartement, livrée aux fan tailies du Prince Colifichet. Ce Prince avoit naturellement plus de deſirs que d'éloquence ; dès qu'il fe vit ſeul avec elle , il crut pouvoir jouir des privileges du pays , fans ſe donner la peine d'en détaillèr l'a grément. Amandine, qui avoit con çu le deſſein de batailler ſur tout , fut très-furpriſe de voir qu'il retran choir juſqu'aux moindres prélimi naires , & qu'elle s'étoit en vain promiſe de gagner du temps . Sa I 20 'La patte du Chak ce , ر robbe qui étoit d'étoffe legere , ne devoit pas faire une longue réſila tance; cartoutpetit que fût le Prin il.ne manquoit ni de forces , nii d'adreſſe pour s'en débarraſſer; ainſi elle ſentoit qu'elle rouchoit pref que à ce moment redouté , dont elle n'avoit pas même pû juſques , là ſuporter l'idée: Le deſeſpoir lui donna: des for ces , elle s'échapa des bras du Prin ce , qui la reſſerroient fortemente, & ſe jetta dans ſon cabinet de toi lette , qui ſe trouva ouvert comnie : par hafard .. Le cabinet de toilette avoit une: iſſue qui donnoit dans le jardin , & quiſe trouva encoreouvertepour favoriſer la fuite de la Princeſſe .. Colifichet voulur la ſuivre , mais il s'étoit , par malheur", trop paré : pour la cérémonie ; ſes cheveux ca- denarés s'embarrafferent dans le : premier. eſpalier- qu'il trouva ſur: fon : La patte du Chat. 121 ſon chemin ,& il ne fit, pourſe ti rer de là , que des efforts inutiles ; quelque incommode que fût ſa ſi tuation , il fut contraint d'y demeurer juſqu'au jour. J Il reclamoit la Princeſſe Aman dine,qui ſeule pouvoir l'entendre , caril étoit trop éloigné de toute au tre aſliſtance ; mais cette Princeffe n'étoit occupée que de fa fuite , & n'étoit pas tentée de rémédier à uig un accident qui lui étoit favorable, Colificher étoitdéfolé, il ne croioit pas qu'un Prince deſtiné à être mari dût s'attendre à tant de rigueurs , il ne ſçavoit pas encore que quand on n'a pour plaire que ce titre , on n'eſt pas trop avancé, & que ce : n'eft pas. même un préjugé heus 3 & reux. - Il ignoroit qu'il étoit en con.. currence avec unrival d'un mérite décidé , & qui avoit fçu plaire ; & par quicemyſtere lui eût-il pû être L 1 22 La patte du Chat. révélé ? Amandine & Amadil s'ai moient , il eſt vrai , mais c'écoit là le premier commerce de galan terie , où l'on ſe fût paſſé de confi dens , comme de fernens & de dé. clarations , & les deux Amans s'éc toient entendus fur de ſimples re gards équivoques pour tout autre ; qui donc eût pû les trahir ? Cependant rien ne s'étoit oppoſé à la fuite d'Amandine , le jardin même s'étoit ouvert, elle ſe jetta dans une forêt qui n'enétoit pas é loignée; tant que les forces lui mirent elle marcha toujours, enfin accablée de laſſitude elle fe coucha au pied d'un arbre , & s'endormit, ſans confiderer ni l'horreur , ni le danger du lieu. Tandisqu'elle ſe li yroit au ſommeil, elle fit, ſans s'en appercevoir , un chemin conſidé . rable. C'étoit Vengeante qui avoit tout combiné pourla fuite ; des gé nies , Miniſtres de la Fée, tranſport per Lapatte du Chati 123 terent la Princeſſe endormie dans le même appartement, où ſon ſom meil magique duroit encore , lorf. qu'Amadil eſſayoit, inutilement, de la voir ; cet amant malheureux avoit déja vû trois fois mourir le jour , trois fois il l'avoit vû renaitre , fans avoir pû ſatisfaire fon amoureuſe curioſité. On lui a reproché quel. que part de n'avoir pas caſſé les vi tres , ſans doute que cet expédient merveilleux neluivintpas à l'eſprit. Sans ceſſe il mettoit enuſagetout ce qu'il avoit d'adreſſe pour s'ap procher de ces fenêtres qui rece loient ce qu'il avoit de plus cher ; ſon nez traverſoit tous les deſſeins de fon cæur; enfin l'amour qu'il avoit pour Amandine , défilla les yeux de l'amour-propre ; il mença à s'appercevoir, que fan's la longueur de ſon nez il verroit fa cilement. Dès qu'il eut fait le pre mier pas , le reſte fut bien aiſé à faiz com Lij 424 La patte du Chat . ne fut re ; tout ce qu'on lui avoit dit fur fon ridicule lui revint à l'eſprit. Peſte ſoit du nez! s'écria -t'il; il n'eut pas le temps de prolonger l'impré cation'; le ridicule dont il ſe plai. gnoit , étoit déja tombé, parce qu'il étoit reconnu , & fon nez étoit de venu tout-à-coup beaucoup mieux fait qu'un nez ordinaire ; mais ce pas la ſeule merveille qui dûr l'étonner. Dansle momentmêmequ'il s'apperçur du changement qui s'éroit fait chez lui , le fallon s'entr'ouvrit , Amandine s'éveilla , le Prince alla fejetter à fes genoux ; il alloit , fans doute lui dire bien des choſes , qu'elle eût écouté avec plaiſir, quand tout à coup Bluâtregn à qui fon ancienne forme étoit ren due , parut dans le fonddu jardin .. Andremir ſortit tout-à -coup d'une couche de melons, où Tortillon l'avoit femié , il reconnur Bluâtre &ſon fils, il les embraſla tendre ment , La patte du Chat. Í 25 ment , il admira la beauté d'Aman dine & ſa modeſtie , & loua Ama dil de ſon choix . Amandine ne comprenoit rien à tout ce qui fe pafloit fous ſesyeux, mais elle voyoit bien qu'il y avoic dans fon hiſtoire du furnaturel, qui ne lui déplaiſoit pas. Ces deux cour ples d'amans heureux partirenc bientột pour Zinzim après avoir remercie Vengeante. La Cour deZinzim étoit pour lors en confuſion . Colificher, qu'on avoir décroché , avoic inutilement fait chercher Amandine. Mazette accuſoir tout le monde de mauvais ſe foi, & ne parloit que de ven geance : mais dès que le Char de Bluâtre parut dans le Palais , Ma zette reprit , avec ſon fils , le che min de ſes Etats , ſans s'en faire prier ; Tatonnet & Filigranne, qui ne pouvoient mieux faire , accor derent ſans peine leur fille à Ama. Lüj 126 Lapatte du Chat. dil ; les noces de ces heureux a mans ſuivirent de près , Bluâtre У joignit les ſiennes : alors Tortillon, autrement. Grognon , voyant tour le monde heureux, ſe ſauva de ra ge ſur les tuilles , & les cheminées d'alentour retentiſſent encore de ſon deſeſpoir.cgiolis gab 2100 Miove 25 F I Nostad onsVio obno sofap Dodano 105 50333 531935 paMospora Responsible -isvuse bio10 nabogboos 90 - 197 sbou Walingen ob ist 31.au Metaboteak 107 silə siz tolo978 119 1199 Siisa 2 ore lup earste 3 annon -109051091091 A sontausisaisq ansi 31-190 2009 diadmi 1 1

Lemmaga 24y to C.






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