Introduction to Metaphysics (essay)  

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"Si l’on compare entre elles les définitions de la métaphysique et les conceptions de l’absolu, on s’aperçoit que les philosophes s’accordent, en dépit de leurs divergences apparentes, à distinguer deux manières profondément différentes de connaître une chose. La première implique qu’on tourne autour de cette chose ; la seconde, qu’on entre en elle. La première dépend du point de vue où l’on se place et des symboles par lesquels on s’exprime. La seconde ne se prend d’aucun point de vue et ne s’appuie sur aucun symbole. De la première connaissance on dira qu’elle s’arrête au relatif ; de la seconde, là où elle est possible, qu’elle atteint l’absolu."--"Introduction to Metaphysics"

English translation by T. E. Hulme:

"A comparison of the definitions of metaphysics and the various conceptions of the absolute leads to the discovery that philosophers, in spite of their apparent divergencies, agree in distinguishing two profoundly diflferent ways of knowing a thing. The first implies that we move round the object; the second that we enter into it. The first depends on the point of view at which we are placed and on the symbols by which we express ourselves. The second neither depends on a point of view nor relies on any symbol. The first kind of knowledge may be said to stop at the relative; the second, in those cases where it is possible, to attain the absolute."

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"Introduction to Metaphysics" (French: "Introduction à la Métaphysique") is a 1903 essay about the concept of reality by Henri Bergson. For Bergson, reality occurs not in a series of discrete states but as a process similar to that described by process philosophy or the Greek philosopher Heraclitus. Reality is fluid and cannot be completely understood through reductionistic analysis, which he said "implies that we go around an object", gaining knowledge from various perspectives which are relative. Instead, reality can be grasped absolutely only through intuition, which Bergson expressed as "entering into" the object.

It was first published in Revue de métaphysique et de morale.

Contents

Publication data

  • Henri Bergson. "An Introduction to Metaphysics" (1903). Hackett Publishing Company 1999: Template:ISBN
The essay is also contained in the following collections:
  • The Creative Mind: An Introduction to Metaphysics 1923. Citadel Press 1992: Template:ISBN
  • The Creative Mind: An Introduction to Metaphysics 1923. Dover Publications 2007: Template:ISBN

See also

Full text in French[1]

VI

INTRODUCTION À LA MÉTAPHYSIQUE[1]

Si l’on compare entre elles les définitions de la métaphysique et les conceptions de l’absolu, on s’aperçoit que les philosophes s’accordent, en dépit de leurs divergences apparentes, à distinguer deux manières profondément différentes de connaître une chose. La première implique qu’on tourne autour de cette chose ; la seconde, qu’on entre en elle. La première dépend du point de vue où l’on se place et des symboles par lesquels on s’exprime. La seconde ne se prend d’aucun point de vue et ne s’appuie sur aucun symbole. De la première connaissance on dira qu’elle s’arrête au relatif ; de la seconde, là où elle est possible, qu’elle atteint l’absolu.

Soit, par exemple, le mouvement d’un objet dans l’espace. Je le perçois différemment selon le point de vue, mobile ou immobile, d’où je le regarde. Je l’exprime différemment, selon le système d’axes ou de points de repère auquel je le rapporte, c’est-à-dire selon les symboles par lesquels je le traduis. Et je l’appelle relatif pour cette double raison : dans un cas comme dans l’autre, je me place en dehors de l’objet lui-même. Quand je parle d’un mouvement absolu, c’est que j’attribue au mobile un intérieur et comme des états d’âme, c’est aussi que je sympathise avec les états et que je m’insère en eux par un effort d’imagination. Alors, selon que l’objet sera mobile ou immobile, selon qu’il adoptera un mouvement ou un autre mouvement, je n’éprouverai pas la même chose[2]. Et ce que j’éprouverai ne dépendra ni du point de vue que je pourrais adopter sur l’objet, puisque je serai dans l’objet lui-même, ni des symboles par lesquels je pourrais le traduire, puisque j’aurai renoncé à toute traduction pour posséder l’original. Bref, le mouvement ne sera plus saisi du dehors et, en quelque sorte, de chez moi, mais du dedans, en lui, en soi. Je tiendrai un absolu.

Soit encore un personnage de roman dont on me raconte les aventures. Le romancier pourra multiplier les traits de caractère, faire parler et agir son héros autant qu’il lui plaira : tout cela ne vaudra pas le sentiment simple et indivisible que j’éprouverais si je coïncidais un instant avec le personnage lui-même. Alors, comme de la source, me paraîtraient couler naturellement les actions, les gestes et les paroles. Ce ne seraient plus là des accidents s’ajoutant à l’idée que je me faisais du personnage, enrichissant toujours et toujours cette idée sans arriver à la compléter jamais. Le personnage me serait donné tout d’un coup dans son intégralité, et les mille incidents qui le manifestent, au lieu de s’ajouter à l’idée et de l’enrichir, me sembleraient au contraire alors se détacher d’elle, sans pourtant en épuiser ou en appauvrir l’essence. Tout ce qu’on me raconte de la personne me fournit autant de points de vue sur elle. Tous les traits qui me la décrivent, et qui ne peuvent me la faire connaître que par autant de comparaisons avec des personnes ou des choses que je connais déjà, sont des signes par lesquels on l’exprime plus ou moins symboliquement. Symboles et points de vue me placent donc en dehors d’elle ; ils ne me livrent d’elle que ce qui lui est commun avec d’autres et ne lui appartient pas en propre. Mais ce qui est proprement elle, ce qui constitue son essence, ne saurait s’apercevoir du dehors, étant intérieur par définition, ni s’exprimer par des symboles, étant incommensurable avec toute autre chose. Description, histoire et analyse me laissent ici dans le relatif. Seule, la coïncidence avec la personne même me donnerait l’absolu.

C’est en ce sens, et en ce sens seulement, qu’absolu est synonyme de perfection. Toutes les photographies d’une ville prises de tous les points de vue possibles auront beau se compléter indéfiniment les unes les autres, elles n’équivaudront point à cet exemplaire en relief qui est la ville où l’on se promène. Toutes les traductions d’un poème dans toutes les langues possibles auront beau ajouter des nuances aux nuances et, par une espèce de retouche mutuelle, en se corrigeant l’une l’autre, donner une image de plus en plus fidèle du poème qu’elles traduisent, jamais elles ne rendront le sens intérieur de l’original. Une représentation prise d’un certain point de vue, une traduction faite avec certains symboles, restent toujours imparfaites en comparaison de l’objet sur lequel la vue a été prise ou que les symboles cherchent à exprimer. Mais l’absolu est parfait en ce qu’il est parfaitement ce qu’il est.

C’est pour la même raison, sans doute, qu’on a souvent identifié ensemble l’absolu et l’infini. Si je veux communiquer à celui qui ne sait pas le grec l’impression simple que me laisse un vers d’Homère, je donnerai la traduction du vers, puis je commenterai ma traduction, puis je développerai mon commentaire, et d’explication en explication je me rapprocherai de plus en plus de ce que je veux exprimer ; mais je n’y arriverai jamais. Quand vous levez le bras, vous accomplissez un mouvement dont vous avez intérieurement, la perception simple ; mais extérieurement, pour moi qui le regarde, votre bras passe par un point, puis par un autre point, et entre ces deux points il y aura d’autres points encore, de sorte que, si je commence à compter, l’opération se poursuivra sans fin. Vu du dedans, un absolu est donc chose simple ; mais envisagé du dehors, c’est-à-dire relativement à autre chose, il devient, par rapport à ces signes qui l’expriment, la pièce d’or dont on n’aura jamais fini de rendre la monnaie. Or, ce qui se prête en même temps à une appréhension indivisible et à une énumération inépuisable est, par définition même, un infini.

Il suit de là qu’un absolu ne saurait être donné que dans une intuition, tandis que tout le reste relève de l’analyse. Nous appelons ici intuition la sympathie par laquelle on se transporte à l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et par conséquent d’inexprimable. Au contraire, l’analyse est l’opération qui ramène l’objet à des éléments déjà connus, c’est-à-dire communs à cet objet et à d’autres. Analyser consiste donc à exprimer une chose en fonction de ce qui n’est pas elle. Toute analyse est ainsi une traduction, un développement en symboles, une représentation prise de points de vue successifs d’où l’on note autant de contacts entre l’objet nouveau, qu’on étudie, et d’autres, que l’on croit déjà connaître. Dans son désir éternellement inassouvi d’embrasser l’objet autour duquel elle est condamnée à tourner, l’analyse multiplie sans fin les points de vue pour compléter la représentation toujours incomplète, varie sans relâche les symboles pour parfaire la traduction toujours imparfaite. Elle se continue donc à l’infini. Mais l’intuition, si elle est possible, est un acte simple.

Ceci posé, on verrait sans peine que la science positive a pour fonction habituelle d’analyser. Elle travaille donc avant tout sur des symboles. Même les plus concrètes des sciences de la nature, les sciences de la vie, s’en tiennent à la forme visible des êtres vivants, de leurs organes, de leurs éléments anatomiques. Elles comparent les formes les unes aux autres, elles ramènent les plus complexes aux plus simples, enfin elles étudient le fonctionnement de la vie dans ce qui en est, pour ainsi dire, le symbole visuel. S’il existe un moyen de posséder une réalité absolument au lieu de la connaître relativement, de se placer en elle au lieu d’adopter des points de vue sur elle, d’en avoir l’intuition au lieu d’en faire l’analyse, enfin de la saisir en dehors de toute expression, traduction ou représentation symbolique, la métaphysique est cela même. La métaphysique est donc la science qui prétend se passer de symboles.


Il y a une réalité au moins que nous saisissons tous du dedans, par intuition et non par simple analyse. C’est notre propre personne dans son écoulement à travers le temps. C’est notre moi qui dure. Nous pouvons ne sympathiser intellectuellement, ou plutôt spirituellement, avec aucune autre chose. Mais nous sympathisons sûrement avec nous-mêmes.

Quand je promène sur ma personne, supposée inactive, le regard intérieur de ma conscience, j’aperçois d’abord, ainsi qu’une croûte solidifiée à la surface, toutes les perceptions qui lui arrivent du monde matériel. Ces perceptions sont nettes, distinctes, juxtaposées ou juxtaposables les unes aux autres ; elles cherchent à se grouper en objets. J’aperçois ensuite des souvenirs plus ou moins adhérents à ces perceptions et qui servent à les interpréter ; ces souvenirs se sont comme détachés du fond de ma personne, attirés à la périphérie par les perceptions qui leur ressemblent ; ils sont posés sur moi sans être absolument moi-même. Et enfin je sens se manifester des tendances, des habitudes motrices, une foule d’actions virtuelles plus ou moins solidement liées à ces perceptions et à ces souvenirs. Tous ces éléments aux formes bien arrêtées me paraissent d’autant plus distincts de moi qu’ils sont plus distincts les uns des autres. Orientés du dedans vers le dehors, ils constituent, réunis, la surface d’une sphère qui tend à s’élargir et à se perdre dans le monde extérieur. Mais si je me ramasse de la périphérie vers le centre, si je cherche au fond de moi ce qui est le plus uniformément, le plus constamment, le plus durablement moi-même, je trouve tout autre chose.

C’est, au-dessous de ces cristaux bien découpés et de cette congélation superficielle, une continuité d’écoulement qui n’est comparable à rien de ce que j’ai vu s’écouler. C’est une succession d’états dont chacun annonce ce qui suit et contient ce qui précède. À vrai dire, ils ne constituent des états multiples que lorsque je les ai déjà dépassés et que je me retourne en arrière pour en observer la trace. Tandis que je les éprouvais, ils étaient si solidement organisés, si profondément animés d’une vie commune, que je n’aurais su dire où l’un quelconque d’entre eux finit, où l’autre commence. En réalité, aucun d’eux ne commence ni ne finit, mais tous se prolongent les uns dans les autres.

C’est, si l’on veut, le déroulement d’un rouleau, car il n’y a pas d’être vivant qui ne se sente arriver peu à peu au bout de son rôle ; et vivre consiste à vieillir. Mais c’est tout aussi bien un enroulement continuel, comme celui d’un fil sur une pelote, car notre passé nous suit, il se grossit sans cesse du présent qu’il ramasse sur sa route ; et conscience signifie mémoire.

À vrai dire, ce n’est ni un enroulement ni un déroulement, car ces deux images évoquent la représentation de lignes ou de surfaces dont les parties sont homogènes entre elles et superposables les unes aux autres. Or, il n’y a pas deux moments identiques chez un être conscient. Prenez le sentiment le plus simple, supposez-le constant, absorbez en lui la personnalité tout entière : la conscience qui accompagnera ce sentiment ne pourra rester identique à elle-même pendant deux moments consécutifs, puisque le moment suivant contient toujours, en sus du précédent, le souvenir que celui-ci lui a laissé. Une conscience qui aurait deux moments identiques serait une conscience sans mémoire. Elle périrait et renaîtrait donc sans cesse. Comment se représenter autrement l’inconscience ?

Il faudra donc évoquer l’image d’un spectre aux mille nuances, avec des dégradations insensibles qui font qu’on passe d’une nuance à l’autre. Un courant de sentiment qui traverserait le spectre en se teignant tour à tour de chacune de ses nuances éprouverait des changements graduels dont chacun annoncerait le suivant et résumerait en lui ceux qui le précèdent. Encore les nuances, successives du spectre resteront-elles toujours extérieures les unes aux autres. Elles se juxtaposent. Elles occupent de l’espace. Au contraire, ce qui est durée pure exclut toute idée de juxtaposition, d’extériorité réciproque et d’étendue.

Imaginons donc plutôt un élastique infiniment petit, contracté, si c’était possible, en un point mathématique. Tirons-le progressivement de manière à faire sortir du point une ligne qui ira toujours s’agrandissant. Fixons notre attention, non pas sur la ligne en tant que ligne, mais sur l’action qui la trace. Considérons que cette action, en dépit de sa durée, est indivisible si l’on suppose qu’elle s’accomplit sans arrêt ; que, si l’on y intercale un arrêt, on en fait deux actions au lieu d’une et que chacune de ces actions sera alors l’indivisible dont nous parlons ; que ce n’est pas l’action mouvante elle-même qui est jamais divisible, mais la ligne immobile qu’elle dépose au-dessous d’elle comme une trace dans l’espace. Dégageons-nous enfin de l’espace qui sous-tend le mouvement pour ne tenir compte que du mouvement lui-même, de l’acte de tension ou d’extension, enfin de la mobilité pure. Nous aurons cette fois une image plus fidèle de notre développement dans la durée.

Et pourtant cette image sera incomplète encore, et toute comparaison sera d’ailleurs insuffisante, parce que le déroulement de notre durée ressemble par certains côtés à l’unité d’un mouvement qui progresse, par d’autres à une multiplicité d’états qui s’étalent, et qu’aucune métaphore ne peut rendre un des deux aspects sans sacrifier l’autre. Si j’évoque un spectre aux mille nuances, j’ai devant moi une chose toute faite, tandis que la durée se fait continuellement. Si je pense à un élastique qui s’allonge, à un ressort qui se tend ou se détend, j’oublie la richesse de coloris qui est caractéristique de la durée vécue pour ne plus voir que le mouvement simple par lequel la conscience passe d’une nuance à l’autre. La vie intérieure est tout cela à la fois, variété de qualités, continuité de progrès, unité de direction. On ne saurait la représenter par des images.

Mais on la représenterait bien moins encore par des concepts, c’est-à-dire par des idées abstraites, ou générales, ou simples. Sans doute aucune image ne rendra tout à fait le sentiment original que j’ai de l’écoulement de moi-même. Mais il n’est pas non plus nécessaire que j’essaie de le rendre. À celui qui ne serait pas capable de se donner à lui-même l’intuition de la durée constitutive de son être, rien ne la donnerait jamais, pas plus les concepts que les images. L’unique objet du philosophe doit être ici de provoquer un certain travail que tendent à entraver, chez la plupart des hommes, les habitudes d’esprit plus utiles à la vie. Or, l’image a du moins cet avantage qu’elle nous maintient dans le concret. Nulle image ne remplacera l’intuition de la durée, mais beaucoup d’images diverses, empruntées à des ordres de choses très différents, pourront, par la convergence de leur action, diriger la conscience sur le point précis où il y a une certaine intuition à saisir. En choisissant les images aussi disparates que possible, on empêchera l’une quelconque d’entre elles d’usurper la place de l’intuition qu’elle est chargée d’appeler, puisqu’elle serait alors chassée tout de suite par ses rivales. En faisant qu’elles exigent toutes de notre esprit, malgré leurs différences d’aspect, la même espèce d’attention et, en quelque sorte, le même degré de tension, on accoutumera peu à peu la conscience à une disposition toute particulière et bien déterminée, celle précisément qu’elle devra adopter pour s’apparaître à elle-même sans voile[3]. Mais encore faudra-t-il qu’elle consente à cet effort. Car on ne lui aura rien montré. On l’aura simplement placée dans l’attitude qu’elle doit prendre pour faire l’effort voulu et arriver d’elle-même à l’intuition. Au contraire, l’inconvénient des concepts trop simples, en pareille matière, est d’être véritablement des symboles, qui se substituent à l’objet qu’ils symbolisent, et qui n’exigent de nous aucun effort. En y regardant de près, on verrait que chacun d’eux ne retient de l’objet que ce qui est commun à cet objet et à d’autres. On verrait que chacun d’eux exprime, plus encore que ne fait l’image, une comparaison entre l’objet et ceux qui lui ressemblent. Mais comme la comparaison a dégagé une ressemblance, comme la ressemblance est une propriété de l’objet, comme une propriété a tout l’air d’être une partie de l’objet qui la possède, nous nous persuadons sans peine qu’en juxtaposant des concepts à des concepts nous recomposerons le tout de l’objet avec ses parties et que nous en obtiendrons, pour ainsi dire, un équivalent intellectuel. C’est ainsi que nous croirons former une représentation fidèle de la durée en alignant les concepts d’unité, de multiplicité, de continuité, de divisibilité finie ou infinie, etc. Là est précisément l’illusion. Là est aussi le danger. Autant les idées abstraites peuvent rendre service à l’analyse, c’est-à-dire à une étude scientifique de l’objet dans ses relations avec tous les autres, autant elles sont incapables de remplacer l’intuition, c’est-à-dire l’investigation métaphysique de l’objet dans ce qu’il a d’essentiel et de propre. D’un côté, en effet, ces concepts mis bout à bout ne nous donneront jamais qu’une recomposition artificielle de l’objet dont ils ne peuvent que symboliser certains aspects généraux et en quelque sorte impersonnels : c’est donc en vain qu’on croirait, avec eux, saisir une réalité dont ils se bornent à nous présenter l’ombre. Mais d’autre part, à côté de l’illusion, il y a aussi un très grave danger. Car le concept généralise en même temps qu’il abstrait. Le concept ne peut symboliser une propriété spéciale qu’en la rendant commune à une infinité de choses. Il la déforme donc toujours plus ou moins par l’extension qu’il lui donne. Replacée dans l’objet métaphysique qui la possède, une propriété coïncide avec lui, se moule au moins sur lui, adopte les mêmes contours. Extraite de l’objet métaphysique et représentée en un concept, elle s’élargit indéfiniment, elle dépasse l’objet puisqu’elle doit désormais le contenir avec d’autres. Les divers concepts que nous formons des propriétés d’une chose dessinent donc autour d’elle autant de cercles beaucoup plus larges, dont aucun ne s’applique sur elle exactement. Et pourtant, dans la chose même, les propriétés coïncidaient avec elle et coïncidaient par conséquent ensemble. Force nous sera donc de chercher quelque artifice pour rétablir la coïncidence. Nous prendrons l’un quelconque de ces concepts et nous essaierons, avec lui, d’aller rejoindre les autres. Mais, selon que nous partirons de celui-ci ou de celui-là, la jonction ne s’opérera pas de la même manière. Selon que nous partirons, par exemple, de l’unité ou de la multiplicité, nous concevrons différemment l’unité multiple de la durée. Tout dépendra du poids que nous attribuerons à tel ou tel d’entre les concepts, et ce poids sera toujours arbitraire, puisque le concept, extrait de l’objet, n’a pas de poids, n’étant plus que l’ombre d’un corps. Ainsi surgiront une multitude de systèmes différents, autant qu’il y a de points de vue extérieurs sur la réalité qu’on examine ou de cercles plus larges dans lesquels l’enfermer. Les concepts simples n’ont donc pas seulement l’inconvénient de diviser l’unité concrète de l’objet en autant d’expressions symboliques ; ils divisent aussi la philosophie en écoles distinctes, dont chacune retient sa place, choisit ses jetons, et entame avec les autres une partie qui ne finira jamais. Ou la métaphysique n’est que ce jeu d’idées, ou bien, si c’est une occupation sérieuse de l’esprit, il faut qu’elle transcende les concepts pour arriver à l’intuition. Certes, les concepts lui sont indispensables, car toutes les autres sciences travaillent le plus ordinairement sur des concepts, et la métaphysique ne saurait se passer des autres sciences. Mais elle n’est proprement elle-même que lorsqu’elle dépasse le concept, ou du moins lorsqu’elle s’affranchit des concepts raides et tout faits pour créer des concepts bien différents de ceux que nous manions d’habitude, je veux dire des représentations souples, mobiles, presque fluides, toujours prêtes à se mouler sur les formes fuyantes de l’intuition. Nous reviendrons plus loin sur ce point important. Qu’il nous suffise d’avoir montré que notre durée peut nous être présentée directement dans une intuition, qu’elle peut nous être suggérée indirectement par des images, mais qu’elle ne saurait — si on laisse au mot concept son sens propre — s’enfermer dans une représentation conceptuelle.

Essayons, un instant, d’en faire une multiplicité. Il faudra ajouter que les termes de cette multiplicité, au lieu de se distinguer comme ceux d’une multiplicité quelconque, empiètent les uns sur les autres, que nous pouvons sans doute, par un effort d’imagination, solidifier la durée une fois écoulée, la diviser alors en morceaux qui se juxtaposent et compter tous les morceaux, mais que cette opération s’accomplit sur le souvenir figé de la durée, sur la trace immobile que la mobilité de la durée laisse derrière elle, non sur la durée même. Avouons donc, s’il y a ici une multiplicité, que cette multiplicité ne ressemble à aucune autre. Dirons-nous alors que la durée a de l’unité ? Sans doute une continuité d’éléments qui se prolongent les uns dans les autres participe de l’unité autant que de la multiplicité, mais cette unité mouvante, changeante, colorée, vivante, ne ressemble guère à l’unité abstraite, immobile et vide, que circonscrit le concept d’unité pure. Conclurons-nous de là que la durée doit se définir par l’unité et la multiplicité tout à la fois ? Mais, chose singulière, j’aurai beau manipuler les deux concepts, les doser, les combiner diversement ensemble, pratiquer sur eux les plus subtiles opérations de chimie mentale, je n’obtiendrai jamais rien qui ressemble à l’intuition simple que j’ai de la durée ; au lieu que si je me replace dans la durée par un effort d’intuition, j’aperçois tout de suite comment elle est unité, multiplicité, et beaucoup d’autres choses encore. Ces divers concepts étaient donc autant de points de vue extérieurs sur la durée. Ni séparés, ni réunis, ils ne nous ont fait pénétrer dans la durée même.

Nous y pénétrons cependant, et ce ne peut être que par une intuition. En ce sens, une connaissance intérieure, absolue, de la durée du moi par le moi lui-même est possible. Mais si la métaphysique réclame et peut obtenir ici une intuition, la science n’en a pas moins besoin d’une analyse. Et c’est d’une confusion entre le rôle de l’analyse et celui de l’intuition que vont naître ici les discussions entre écoles et les conflits entre systèmes.

La psychologie, en effet, procède par analyse comme les autres sciences. Elle résout le moi, qui lui a été donné d’abord dans une intuition simple, en sensations, sentiments, représentations, etc., qu’elle étudie séparément. Elle substitue donc au moi une série d’éléments qui sont les faits psychologiques. Mais ces éléments sont-ils des parties ? Toute la question est là, et c’est pour l’avoir éludée qu’on a souvent pose en termes insolubles le problème de la personnalité humaine.

Il est incontestable que tout état psychologique, par cela seul qu’il appartient à une personne, reflète l’ensemble d’une personnalité. Il n’y a pas de sentiment, si simple soit-il, qui ne renferme virtuellement le passé et le présent de l’être qui l’éprouve, qui puisse s’en séparer et constituer un « état » autrement que par un effort d’abstraction ou d’analyse. Mais il est non moins incontestable que, sans cet effort d’abstraction ou d’analyse, il n’y aurait pas de développement possible de la science psychologique. Or, en quoi consiste l’opération par laquelle le psychologue détache un état psychologique pour l’ériger en entité plus ou moins indépendante ? Il commence par négliger la coloration spéciale de la personne, qui ne saurait s’exprimer en termes connus et communs. Puis il s’efforce d’isoler, dans la personne déjà ainsi simplifiée, tel ou tel aspect qui prête à une étude intéressante. S’agit-il, par exemple, de l’inclination ? Il laissera de côté l’inexprimable nuance qui la colore et qui fait que mon inclination n’est pas la vôtre ; puis il s’attachera au mouvement par lequel notre personnalité se porte vers un certain objet ; il isolera cette attitude, et c’est cet aspect spécial de la personne, ce point de vue sur la mobilité de la vie intérieure, ce « schéma » de l’inclination concrète qu’il érigera en fait indépendant. Il y a là un travail analogue à celui d’un artiste qui, de passage à Paris, prendrait par exemple un croquis d’une tour de Notre-Dame. La tour est inséparablement liée à l’édifice, qui est non moins inséparablement lié au sol, à l’entourage, à Paris tout entier, etc. Il faut commencer par la détacher ; on ne notera de l’ensemble qu’un certain aspect, qui est cette tour de Notre-Dame. Maintenant, la tour est constituée en réalité par des pierres dont le groupement particulier est ce qui lui donne sa forme ; mais le dessinateur ne s’intéresse pas aux pierres, il ne note que la silhouette de la tour. Il substitue donc à l’organisation réelle et intérieure de la chose une reconstitution extérieure et schématique. De sorte que son dessin répond, en somme, à un certain point de vue sur l’objet et au choix d’un certain mode de représentation. Or, il en est tout à fait de même pour l’opération par laquelle le psychologue extrait un état psychologique de l’ensemble de la personne. Cet état psychologique isolé n’est guère qu’un croquis, un commencement de recomposition artificielle ; c’est le tout envisagé sous un certain aspect élémentaire auquel on s’est intéressé spécialement et qu’on a pris soin de noter. Ce n’est pas une partie, mais un élément. Il n’a pas été obtenu par fragmentation, mais par analyse.

Maintenant, au bas de tous les croquis pris à Paris l’étranger inscrira sans doute « Paris » en guise de mémento. Et comme il a réellement vu Paris, il saura, en redescendant de l’intuition originelle du tout, y situer ses croquis et les relier ainsi les uns aux autres. Mais il n’y a aucun moyen d’exécuter l’opération inverse ; il est impossible, même avec une infinité de croquis aussi exacts qu’on voudra, même avec le mot « Paris » qui indique qu’il faut les relier ensemble, de remonter à une intuition qu’on n’a pas eue, et de se donner l’impression de Paris si l’on n’a pas vu Paris. C’est qu’on n’a pas affaire ici à des parties du tout, mais à des notes prises sur l’ensemble. Pour choisir un exemple plus frappant, un cas où la notation est plus complètement symbolique, supposons qu’on me présente, mêlées au hasard, les lettres qui entrent dans la composition d’un poème que j’ignore. Si les lettres étaient des parties du poème, je pourrais tâcher de le reconstituer avec elles en essayant des divers arrangements possibles, comme fait l’enfant avec les pièces d’un jeu de patience. Mais je n’y songerai pas un seul instant, parce que les lettres ne sont pas des parties composantes, mais des expressions partielles, ce qui est tout autre chose. C’est pourquoi, si je connais le poème, je mets aussitôt chacune des lettres à la place qui lui revient et je les relie sans difficulté par un trait continu, tandis que l’opération inverse est impossible. Même quand je crois tenter cette opération inverse, même quand je mets des lettres bout à bout, je commence par me représenter une signification plausible : je me donne donc une intuition, et c’est de l’intuition que j’essaie de redescendre aux symboles élémentaires qui en reconstitueraient l’expression. L’idée même de reconstituer la chose par des opérations pratiquées sur des éléments symboliques tout seuls implique une telle absurdité qu’elle ne viendrait à l’esprit de personne si l’on se rendait compte qu’on n’a pas affaire à des fragments de la chose, mais, en quelque sorte, à des fragments de symbole.

Telle est pourtant l’entreprise des philosophes qui cherchent à recomposer la personne avec des états psychologiques, soit qu’ils s’en tiennent aux états eux-mêmes, soit qu’ils ajoutent un fil destiné à rattacher les états entre eux. Empiristes et rationalistes sont dupes ici de la même illusion. Les uns et les autres prennent les notations partielles pour des parties réelles, confondant ainsi le point de vue de l’analyse et celui de l’intuition, la science et la métaphysique.

Les premiers disent avec raison que l’analyse psychologique ne découvre rien de plus, dans la personne, que des états psychologiques. Et telle est en effet la fonction, telle est la définition même de l’analyse. Le psychologue n’a pas autre chose à faire qu’à analyser la personne, c’est-à-dire à noter des états : tout au plus mettra-t-il la rubrique « moi » sur ces états en disant que ce sont des « états du moi », de même que le dessinateur écrit le mot « Paris » sur chacun de ses croquis. Sur le terrain où le psychologue se place, et où il doit se placer, le « moi » n’est qu’un signe par lequel on rappelle l’intuition primitive (très confuse d’ailleurs) qui a fourni à la psychologie son objet : ce n’est qu’un mot, et la grande erreur est de croire qu’on pourrait, en restant sur le même terrain, trouver derrière le mot une chose. Telle a été l’erreur de ces philosophes qui n’ont pu se résigner à être simplement psychologues en psychologie, Taine et Stuart Mill, par exemple. Psychologues par la méthode qu’ils appliquent, ils sont restés métaphysiciens par l’objet qu’ils se proposent. Ils voudraient une intuition, et, par une étrange inconséquence, ils demandent cette intuition à l’analyse, qui en est la négation même. Ils cherchent le moi, et prétendent le trouver dans les états psychologiques, alors qu’on n’a pu obtenir cette diversité d’états psychologiques qu’en se transportant hors du moi pour prendre sur la personne une série de croquis, de notes, de représentations plus ou moins schématiques et symboliques. Aussi ont-ils beau juxtaposer les états aux états, en multiplier les contacts, en explorer les interstices, le moi leur échappe toujours, si bien qu’ils finissent par n’y plus voir qu’un vain fantôme. Autant vaudrait nier que l’Iliade ait un sens, sous prétexte qu’on a vainement cherché ce sens dans les intervalles des lettres qui la composent.

L’empirisme philosophique est donc né ici d’une confusion entre le point de vue de l’intuition et celui de l’analyse. Il consiste à chercher l’original dans la traduction, où il ne peut naturellement pas être, et à nier l’original sous prétexte qu’on ne le trouve pas dans la traduction. Il aboutit nécessairement à des négations ; mais, en y regardant de près, on s’aperçoit que ces négations signifient simplement que l’analyse n’est pas l’intuition, ce qui est l’évidence même. De l’intuition originelle et d’ailleurs confuse, qui fournit à la science son objet, la science passe tout de suite à l’analyse, qui multiplie à l’infini sur cet objet les points de vue. Bien vite elle arrive à croire qu’elle pourrait, en composant ensemble tous les points de vue, reconstituer l’objet. Est-il étonnant qu’elle voie cet objet fuir devant elle, comme l’enfant qui voudrait se fabriquer un jouet solide avec les ombres qui se profilent le long des murs ?

Mais le rationalisme est dupe de la même illusion. Il part de la confusion que l’empirisme a commise, et reste aussi impuissant que lui à atteindre la personnalité. Comme l’empirisme, il tient les états psychologiques pour autant de fragments détachés d’un moi qui les réunirait. Comme l’empirisme, il cherche à relier ces fragments entre eux pour refaire l’unité de la personne. Comme l’empirisme enfin, il voit l’unité de la personne, dans l’effort qu’il renouvelle sans cesse pour l’étreindre, se dérober indéfiniment comme un fantôme. Mais tandis que l’empirisme, de guerre lasse, finit par déclarer qu’il n’y a pas autre chose que la multiplicité des états psychologiques, le rationalisme persiste à affirmer l’unité de la personne. Il est vrai que, cherchant cette unité sur le terrain des états psychologiques eux-mêmes, et obligé d’ailleurs de porter au compte des états psychologiques toutes les qualités ou déterminations qu’il trouve à l’analyse (puisque l’analyse, par définition même, aboutit toujours à des états) il ne lui reste plus, pour l’unité de la personne, que quelque chose de purement négatif, l’absence de toute détermination. Les états psychologiques ayant nécessairement pris et gardé pour eux, dans cette analyse, tout ce qui présente la moindre apparence de matérialité, l’« unité du moi » ne pourra plus être qu’une forme sans matière. Ce sera l’indéterminé et le vide absolus. Aux états psychologiques détachés, à ces ombres du moi dont la collection était, pour les empiristes, l’équivalent de la personne, le rationalisme adjoint, pour reconstituer la personnalité, quelque chose de plus irréel encore, le vide dans lequel ces ombres se meuvent, le lieu des ombres, pourrait-on dire. Comment cette « forme », qui est véritablement informe, pourrait-elle caractériser une personnalité vivante, agissante, concrète, et distinguer Pierre de Paul ? Est-il étonnant que les philosophes qui ont isolé cette « forme » de la personnalité la trouvent ensuite impuissante à déterminer une personne, et qu’ils soient amenés, de degré en degré, à faire de leur Moi vide un réceptacle sans fond qui n’appartient pas plus à Paul qu’à Pierre, et où il y aura place, comme on voudra, pour l’humanité entière, ou pour Dieu, ou pour l’existence en général ? Je vois ici entre l’empirisme et le rationalisme cette seule différence que le premier, cherchant l’unité du moi dans les interstices, en quelque sorte, des états psychologiques, est amené à combler les interstices avec d’autres états, et ainsi de suite indéfiniment, de sorte que le moi, resserré dans un intervalle qui va toujours se rétrécissant, tend vers Zéro à mesure qu’on pousse plus loin l’analyse, tandis que le rationalisme, faisant du moi le lieu où les états se logent, est en présence d’un espace vide qu’on n’a aucune raison d’arrêter ici plutôt que là, qui dépasse chacune des limites successives qu’on prétend lui assigner, qui va toujours s’élargissant et qui tend à se perdre, non plus dans Zéro, mais dans l’Infini.

La distance est donc beaucoup moins grande qu’on ne le suppose entre un prétendu « empirisme » comme celui de Taine et les spéculations les plus transcendantes de certains panthéistes allemands. La méthode est analogue dans les deux cas : elle consiste à raisonner sur les éléments de la traduction comme si c’étaient des parties de l’original. Mais un empirisme vrai est celui qui se propose de serrer d’aussi près que possible l’original lui-même, d’en approfondir la vie, et, par une espèce d’auscultation spirituelle, d’en sentir palpiter l’âme ; et cet empirisme vrai est la vraie métaphysique. Le travail est d’une difficulté extrême, parce qu’aucune des conceptions toutes faites dont la pensée se sert pour ses opérations journalières ne peut plus servir. Rien de plus facile que de dire que le moi est multiplicité, ou qu’il est unité, ou qu’il est la synthèse de l’une et de l’autre. Unité et multiplicité sont ici des représentations qu’on n’a pas besoin de tailler sur l’objet, qu’on trouve déjà fabriquées et qu’on n’a qu’à choisir dans un tas, vêtements de confection qui iront aussi bien à Pierre qu’à Paul parce qu’ils ne dessinent la forme d’aucun des deux. Mais un empirisme digne de ce nom, un empirisme qui ne travaille que sur mesure, se voit obligé, pour chaque nouvel objet qu’il étudie, de fournir un effort absolument nouveau. Il taille pour l’objet un concept approprié à l’objet seul, concept dont on peut à peine dire que ce soit encore un concept, puisqu’il ne s’applique qu’à cette seule chose. Il ne procède pas par combinaison d’idées qu’on trouve dans le commerce, unité et multiplicité par exemple ; mais la représentation à laquelle il nous achemine est au contraire une représentation unique, simple, dont on comprend d’ailleurs très bien, une fois formée, pourquoi l’on peut la placer dans les cadres unité, multiplicité, etc., tous beaucoup plus larges qu’elle. Enfin la philosophie ainsi définie ne consiste pas à choisir entre des concepts et à prendre parti pour une école, mais à aller chercher une intuition unique d’où l’on redescend aussi bien aux divers concepts, parce qu’on s’est placé au-dessus des divisions d’écoles.

Que la personnalité ait de l’unité, cela est certain ; mais pareille affirmation ne m’apprend rien sur la nature extraordinaire de cette unité qu’est la personne. Que notre moi soit multiple, je l’accorde encore, mais il y a là une multiplicité dont il faudra bien reconnaître qu’elle n’a rien de commun avec aucune autre. Ce qui importe véritablement à la philosophie, c’est de savoir quelle unité, quelle multiplicité, quelle réalité supérieure à l’un et au multiple abstraits est l’unité multiple de la personne. Et elle ne le saura que si elle ressaisit l’intuition simple du moi par le moi. Alors, selon la pente qu’elle choisira pour redescendre de ce sommet, elle aboutira à l’unité, ou à la multiplicité, ou à l’un quelconque des concepts par lesquels on essaie de définir la vie mouvante de la personne. Mais aucun mélange de ces concepts entre eux, nous le répétons, ne donnerait rien qui ressemble à la personne qui dure.

Présentez-moi un cône solide, je vois sans peine comment il se rétrécit vers le sommet et tend à se confondre avec un point mathématique, comment aussi il s’élargit par sa base en un cercle indéfiniment grandissant. Mais ni le point, ni le cercle, ni la juxtaposition des deux sur un plan ne me donneront la moindre idée d’un cône. Ainsi pour la multiplicité et l’unité de la vie psychologique. Ainsi pour le Zéro et l’Infini vers lesquels empirisme et rationalisme acheminent la personnalité.

Les concepts, comme nous le montrerons ailleurs, vont d’ordinaire par couples et représentent les deux contraires. Il n’est guère de réalité concrète sur laquelle on ne puisse prendre à la fois les deux vues opposées et qui ne se subsume, par conséquent, aux deux concepts antagonistes. De là une thèse et une antithèse qu’on chercherait en vain à réconcilier logiquement, pour la raison très simple que jamais, avec des concepts, ou points de vue, on ne fera une chose. Mais de l’objet, saisi par intuition, on passe sans peine, dans bien des cas, aux deux concepts contraires ; et comme, par là, on voit sortir de la réalité la thèse et l’antithèse, on saisit du même coup comment cette thèse et cette antithèse s’opposent et comment elles se réconcilient.

Il est vrai qu’il faut procéder pour cela à un renversement du travail habituel de l’intelligence. Penser consiste ordinairement à aller des concepts aux choses, et non pas des choses aux concepts. Connaître une réalité, c’est, au sens usuel du mot « connaître », prendre des concepts déjà faits, les doser, et les combiner ensemble jusqu’à ce qu’on obtienne un équivalent pratique du réel. Mais il ne faut pas oublier que le travail normal de l’intelligence est loin d’être un travail désintéressé. Nous ne visons pas, en général, à connaître pour connaître, mais à connaître pour un parti à prendre, pour un profit à retirer, enfin pour un intérêt à satisfaire. Nous cherchons jusqu’à quel point l’objet à connaître est ceci ou cela, dans quel genre connu il rentre, quelle espèce d’action, de démarche ou d’attitude il devrait nous suggérer. Ces diverses actions et attitudes possibles sont autant de directions conceptuelles de notre pensée, déterminées une fois pour toutes ; il ne reste plus qu’à les suivre ; en cela consiste précisément l’application des concepts aux choses. Essayer un concept à un objet, c’est demander à l’objet ce que nous avons à faire de lui, ce qu’il peut faire pour nous. Coller sur un objet l’étiquette d’un concept, c’est marquer en termes précis le genre d’action ou d’attitude que l’objet devra nous suggérer. Toute connaissance proprement dite est donc orientée dans une certaine direction ou prise d’un certain point de vue. Il est vrai que notre intérêt est souvent complexe. Et c’est pourquoi il nous arrive d’orienter dans plusieurs directions successives notre connaissance du même objet et de faire varier sur lui les points de vue. En cela consiste, au sens usuel de ces termes, une connaissance « large » et « compréhensive » de l’objet : l’objet est ramené alors, non pas à un concept unique, mais à plusieurs concepts dont il est censé « participer ». Comment participe-t-il de tous ces concepts à la fois ? c’est là une question qui n’importe pas à la pratique et qu’on n’a pas à se poser. Il est donc naturel, il est donc légitime que nous procédions par juxtaposition et dosage de concepts dans la vie courante : aucune difficulté philosophique ne naîtra de là, puisque, par convention tacite, nous nous abstiendrons de philosopher. Mais transporter ce modus operandi à la philosophie, aller, ici encore, des concepts à la chose, utiliser, pour la connaissance désintéressée d’un objet qu’on vise cette fois à atteindre en lui-même, une manière de connaître qui s’inspire d’un intérêt déterminé et qui consiste par définition en une vue prise sur l’objet extérieurement, c’est tourner le dos au but qu’on visait, c’est condamner la philosophie à un éternel tiraillement entre les écoles, c’est installer la contradiction au cœur même de l’objet et de la méthode. Ou il n’y a pas de philosophie possible et toute connaissance des choses est une connaissance pratique orientée vers le profit à tirer d’elles, ou philosopher consiste à se placer dans l’objet même par un effort d’intuition.

Mais, pour comprendre la nature de cette intuition, pour déterminer avec précision où l’intuition finit et où commence l’analyse, il faut revenir à ce qui a été dit plus haut de l’écoulement de la durée.

On remarquera que les concepts ou schémas auxquels l’analyse aboutit ont pour caractère essentiel d’être immobiles pendant qu’on les considère. J’ai isolé du tout de la vie intérieure cette entité psychologique que j’appelle une sensation simple. Tant que je l’étudie, je suppose qu’elle reste ce qu’elle est. Si j’y trouvais quelque changement, je dirais qu’il n’y a pas là une sensation unique, mais plusieurs sensations successives ; et c’est à chacune de ces sensations successives que je transporterais alors l’immutabilité attribuée d’abord à la sensation d’ensemble. De toute manière, je pourrai, en poussant l’analyse assez loin, arriver à des éléments que je tiendrai pour immuables. C’est là, et là seulement, que je trouverai la base d’opérations solide dont la science a besoin pour son développement propre.

Pourtant il n’y a pas d’état d’âme, si simple soit-il, qui ne change à tout instant, puisqu’il n’y a pas de conscience sans mémoire, pas de continuation d’un état sans l’addition, au sentiment présent, du souvenir des moments passés. En cela consiste la durée. La durée intérieure est la vie continue d’une mémoire qui prolonge le passé dans le présent, soit que le présent renferme distinctement l’image sans cesse grandissante du passé, soit plutôt qu’il témoigne, par son continuel changement de qualité, de la charge toujours plus lourde qu’on traîne derrière soi à mesure qu’on vieillit davantage. Sans cette survivance du passé dans le présent, il n’y aurait pas de durée, mais seulement de l’instantanéité.

Il est vrai que si l’on me reproche de soustraire l’état psychologique à la durée par cela seul que je l’analyse, je m’en défendrai en disant que chacun de ces états psychologiques élémentaires auxquels mon analyse aboutit est un état qui occupe encore du temps. « Mon analyse, dirai-je, résout bien la vie intérieure en états dont chacun est homogène avec lui-même ; seulement, puisque l’homogénéité s’étend sur un nombre déterminé de minutes ou de secondes, l’état psychologique élémentaire ne cesse pas de durer, encore qu’il ne change pas. »

Mais qui ne voit que le nombre déterminé de minutes et de secondes, que j’attribue à l’état psychologique élémentaire, a tout juste la valeur d’un indice destiné à me rappeler que l’état psychologique, supposé homogène, est en réalité un état qui change et qui dure ? L’état, pris en lui-même, est un perpétuel devenir. J’ai extrait de ce devenir une certaine moyenne de qualité que j’ai supposée invariable : j’ai constitué ainsi un état stable et, par là même, schématique. J’en ai extrait, d’autre part, le devenir en général, le devenir qui ne serait pas plus le devenir de ceci que de cela, et c’est ce que j’ai appelé le temps que cet état occupe. En y regardant de près, je verrais que ce temps abstrait est aussi immobile pour moi que l’état que j’y localise, qu’il ne pourrait s’écouler que par un changement de qualité continuel, et que, s’il est sans qualité, simple théâtre du changement, il devient ainsi un milieu immobile. Je verrais que l’hypothèse de ce temps homogène est simplement destinée à faciliter la comparaison entre les diverses durées concrètes, à nous permettre de compter des simultanéités et de mesurer un écoulement de durée par rapport à un autre. Et enfin je comprendrais qu’en accolant à la représentation d’un état psychologique élémentaire l’indication d’un nombre déterminé de minutes et de secondes, je me borne à rappeler que l’état a été détaché d’un moi qui dure et à délimiter la place où il faudrait le remettre en mouvement pour le ramener, de simple schéma qu’il est devenu, à la forme concrète qu’il avait d’abord. Mais j’oublie tout cela, n’en ayant que faire dans l’analyse.

C’est dire que l’analyse opère sur l’immobile, tandis que l’intuition se place dans la mobilité ou, ce qui revient au même, dans la durée. Là est la ligne de démarcation bien nette entre l’intuition et l’analyse. On reconnaît le réel, le vécu, le concret, à ce qu’il est la variabilité même. On reconnaît l’élément à ce qu’il est invariable. Et il est invariable par définition, étant un schéma, une reconstruction simplifiée, souvent un simple symbole, en tout cas une vue prise sur la réalité qui s’écoule.

Mais l’erreur est de croire qu’avec ces schémas on recomposerait le réel. Nous ne saurions trop le répéter : de l’intuition on peut passer à l’analyse, mais non pas de l’analyse à l’intuition.

Avec de la variabilité je ferai autant de variations, autant de qualités ou modifications qu’il me plaira, parce que ce sont là autant de vues immobiles, prises par l’analyse, sur la mobilité donnée à l’intuition. Mais ces modifications mises bout à bout ne produiront rien qui ressemble à la variabilité, parce qu’elles n’en étaient pas des parties, mais des éléments, ce qui est tout autre chose.

Considérons par exemple la variabilité la plus voisine de l’homogénéité, le mouvement dans l’espace. Je puis, tout le long de ce mouvement, me représenter des arrêts possibles : c’est ce que j’appelle les positions du mobile ou les points par lesquels le mobile passe. Mais avec les positions, fussent-elles en nombre infini, je ne ferai pas du mouvement. Elles ne sont pas des parties du mouvement ; elles sont autant de vues prises sur lui ; elles ne sont, pourrait-on dire, que des suppositions d’arrêt. Jamais le mobile n’est réellement en aucun des points ; tout au plus peut-on dire qu’il y passe. Mais le passage, qui est un mouvement, n’a rien de commun avec un arrêt, qui est immobilité. Un mouvement ne saurait se poser sur une immobilité, car il coïnciderait alors avec elle, ce qui serait contradictoire. Les points ne sont pas dans le mouvement, comme des parties, ni même sous le mouvement, comme des lieux du mobile. Ils sont simplement projetés par nous au-dessous du mouvement, comme autant de lieux où serait, s’il s’arrêtait, un mobile qui par hypothèse ne s’arrête pas. Ce ne sont donc pas, à proprement parler, des positions, mais des suppositions, des vues ou des points de vue de l’esprit. Comment, avec des points de vue, construirait-on une chose ?

C’est pourtant ce que nous essayons de faire toutes les fois que nous raisonnons sur le mouvement, et aussi sur le temps auquel le mouvement sert de représentation. Par une illusion profondément enracinée dans notre esprit, et parce que nous ne pouvons nous empêcher de considérer l’analyse comme équivalente à l’intuition, nous commençons par distinguer, tout le long du mouvement, un certain nombre d’arrêts possibles ou de points, dont nous faisons, bon gré mal gré, des parties du mouvement. Devant notre impuissance à recomposer le mouvement avec ces points, nous intercalons d’autres points, croyant serrer ainsi de plus près ce qu’il y a de mobilité dans le mouvement. Puis, comme la mobilité nous échappe encore, nous substituons à un nombre fini et arrêté de points un nombre « indéfiniment croissant », — essayant ainsi, mais en vain, de contrefaire, par le mouvement de notre pensée qui poursuit indéfiniment l’addition des points aux points, le mouvement réel et indivisé du mobile. Finalement, nous disons que le mouvement se compose de points, mais qu’il comprend, en outre, le passage obscur, mystérieux, d’une position à la position suivante. Comme si l’obscurité ne venait pas tout entière de ce qu’on a supposé l’immobilité plus claire que la mobilité, l’arrêt antérieur au mouvement ! Comme si le mystère ne tenait pas à ce qu’on prétend aller des arrêts au mouvement par voie de composition, ce qui est impossible, alors qu’on passe sans peine du mouvement au ralentissement et à l’immobilité ! Vous avez cherché la signification du poème dans la forme des lettres qui le composent, vous avez cru qu’en considérant un nombre croissant de lettres vous étreindriez enfin la signification qui fuit toujours, et en désespoir de cause, voyant qu’il ne servait à rien de chercher une partie du sens dans chacune des lettres, vous avez supposé qu’entre chaque lettre et la suivante se logeait le fragment cherché du sens mystérieux ! Mais les lettres, encore une fois, ne sont pas des parties de la chose, ce sont des éléments du symbole. Les positions du mobile, encore une fois, ne sont pas des parties du mouvement : elles sont des points de l’espace qui est censé sous-tendre le mouvement. Cet espace immobile et vide, simplement conçu, jamais perçu, a tout juste la valeur d’un symbole. Comment, en manipulant des symboles, fabriqueriez-vous de la réalité ?

Mais le symbole répond ici aux habitudes les plus invétérées de notre pensée. Nous nous installons d’ordinaire dans l’immobilité, où nous trouvons un point d’appui pour la pratique, et nous prétendons recomposer la mobilité avec elle. Nous n’obtenons ainsi qu’une imitation maladroite, une contrefaçon du mouvement réel, mais cette imitation nous sert beaucoup plus dans la vie que ne ferait l’intuition de la chose même. Or, notre esprit a une irrésistible tendance à considérer comme plus claire l’idée qui lui sert le plus souvent. C’est pourquoi l’immobilité lui paraît plus claire que la mobilité, l’arrêt antérieur au mouvement.

Les difficultés que le problème du mouvement a soulevées dès la plus haute antiquité viennent de là. Elles tiennent toujours à ce qu’on prétend aller de l’espace au mouvement, de la trajectoire au trajet, des positions immobiles à la mobilité, et passer de l’un à l’autre par voie de composition. Mais c’est le mouvement qui est antérieur à l’immobilité, et il n’y a pas, entre des positions et un déplacement, le rapport des parties au tout, mais celui de la diversité des points de vue possibles à l’indivisibilité réelle de l’objet.

Beaucoup d’autres problèmes sont nés de la même illusion. Ce que les points immobiles sont au mouvement d’un mobile, les concepts de qualités diverses le sont au changement qualitatif d’un objet. Les concepts variés en lesquels se résout une variation sont donc autant de visions stables de l’instabilité du réel. Et penser un objet, au sens usuel du mot « penser », c’est prendre sur sa mobilité une ou plusieurs de ces vues immobiles. C’est, en somme, se demander de temps à autre où il en est, afin de savoir ce qu’on en pourrait faire. Rien de plus légitime, d’ailleurs, que cette manière de procéder, tant qu’il ne s’agit que d’une connaissance pratique de la réalité. La connaissance, en tant qu’orientée vers la pratique, n’a qu’à énumérer les principales attitudes possibles de la chose vis-à-vis de nous, comme aussi nos meilleures attitudes possibles vis-à-vis d’elle. Là est le rôle ordinaire des concepts tout faits, ces stations dont nous jalonnons le trajet du devenir. Mais vouloir, avec eux, pénétrer jusqu’à la nature intime des choses, c’est appliquer à la mobilité du réel une méthode qui est faite pour donner des points de vue immobiles sur elle. C’est oublier que, si la métaphysique est possible, elle ne peut être qu’un effort pour remonter la pente naturelle du travail de la pensée, pour se placer tout de suite, par une dilatation de l’esprit, dans la chose qu’on étudie, enfin pour aller de la réalité aux concepts et non plus des concepts à la réalité. Est-il étonnant que les philosophes voient si souvent fuir devant eux l’objet qu’ils prétendent étreindre, comme des enfants qui voudraient, en fermant la main, capter de la fumée ? Ainsi se perpétuent bien des querelles entre les écoles, dont chacune reproche aux autres d’avoir laissé le réel s’envoler.

Mais si la métaphysique doit procéder par intuition, si l’intuition a pour objet la mobilité de la durée, et si la durée est d’essence psychologique, n’allons-nous pas enfermer le philosophe dans la contemplation exclusive de lui-même ? La philosophie ne va-t-elle pas consister à se regarder simplement vivre, « comme un pâtre assoupi regarde l’eau couler » ? Parler ainsi serait revenir à l’erreur que nous n’avons cessé de signaler depuis le commencement de cette étude. Ce serait méconnaître la nature singulière de la durée, en même temps que le caractère essentiellement actif de l’intuition métaphysique. Ce serait ne pas voir que, seule, la méthode dont nous parlons permet de dépasser l’idéalisme aussi bien que le réalisme, d’affirmer l’existence d’objets inférieurs et supérieurs à nous, quoique cependant, en un certain sens, intérieurs à nous, de les faire coexister ensemble sans difficulté, de dissiper progressivement les obscurités que l’analyse accumule autour des grands problèmes. Sans aborder ici l’étude de ces différents points, bornons-nous à montrer comment l’intuition dont nous parlons n’est pas un acte unique, mais une série indéfinie d’actes, tous du même genre sans doute, mais chacun d’espèce très particulière, et comment cette diversité d’actes correspond à tous les degrés de l’être.

Si je cherche à analyser la durée, c’est-à-dire à la résoudre en concepts tout faits, je suis bien obligé, par la nature même du concept et de l’analyse, de prendre sur la durée en général deux vues opposées avec lesquelles je prétendrai ensuite la recomposer. Cette combinaison ne pourra présenter ni une diversité de degrés ni une variété de formes : elle est ou elle n’est pas. Je dirai, par exemple, qu’il y a d’une part une multiplicité d’états de conscience successifs et d’autre part une unité qui les relie. La durée sera la « synthèse » de cette unité et de cette multiplicité, opération mystérieuse dont on ne voit pas, je le répète, comment elle comporterait des nuances ou des degrés. Dans cette hypothèse, il n’y a, il ne peut y avoir qu’une durée unique, celle où notre conscience opère habituellement. Pour fixer les idées, si nous prenons la durée sous l’aspect simple d’un mouvement s’accomplissant dans l’espace, et que nous cherchions à réduire en concepts le mouvement considéré comme représentatif du Temps, nous aurons d’une part un nombre aussi grand qu’on voudra de points de la trajectoire, et d’autre part une unité abstraite qui les réunit, comme un fil qui retiendrait ensemble les perles d’un collier. Entre cette multiplicité abstraite et cette unité abstraite la combinaison, une fois posée comme possible, est chose singulière à laquelle nous ne trouverons pas plus de nuances que n’en admet, en arithmétique, une addition de nombres donnés. Mais si, au lieu de prétendre analyser la durée (c’est-à-dire, au fond, en faire la synthèse avec des concepts), on s’installe d’abord en elle par un effort d’intuition, on a le sentiment d’une certaine tension bien déterminée, dont la détermination même apparaît comme un choix entre une infinité de durées possibles. Dès lors on aperçoit des durées aussi nombreuses qu’on voudra, toutes très différentes les unes des autres, bien que chacune d’elles, réduite en concepts, c’est-à-dire envisagée extérieurement des deux points de vue opposés, se ramène toujours à la même indéfinissable combinaison du multiple et de l’un.

Exprimons la même idée avec plus de précision. Si je considère la durée comme une multiplicité de moments reliés les uns aux autres par une unité qui les traverserait comme un fil, ces moments, si courte que soit la durée choisie, sont en nombre illimité. Je puis les supposer aussi voisins qu’il me plaira ; il y aura toujours, entre ces points mathématiques, d’autres points mathématiques, et ainsi de suite à l’infini. Envisagée du côté multiplicité, la durée va donc s’évanouir en une poussière de moments dont aucun ne dure, chacun étant un instantané. Que si, d’autre part, je considère l’unité qui relie les moments ensemble, elle ne peut pas durer davantage, puisque, par hypothèse, tout ce qu’il y a de changeant et de proprement durable dans la durée a été mis au compte de la multiplicité des moments. Cette unité, à mesure que j’en approfondirai l’essence, m’apparaîtra donc comme un substrat immobile du mouvant, comme je ne sais quelle essence intemporelle du temps — c’est ce que j’appellerai l’éternité, — éternité de mort, puisqu’elle n’est pas autre chose que le mouvement vidé de la mobilité qui en faisait la vie. En examinant de près les opinions des écoles antagonistes au sujet de la durée, on verrait qu’elles diffèrent simplement en ce qu’elles attribuent à l’un ou à l’autre de ces deux concepts une importance capitale. Les unes s’attachent au point de vue du multiple ; elles érigent en réalité concrète les moments distincts d’un temps qu’elles ont pour ainsi dire pulvérisé ; elles tiennent pour beaucoup plus artificielle l’unité qui fait des grains une poudre. Les autres érigent au contraire l’unité de la durée en réalité concrète. Elles se placent dans l’éternel. Mais comme leur éternité reste tout de même abstraite puisqu’elle est vide, comme c’est l’éternité d’un concept qui exclut de lui, par hypothèse, le concept opposé, on ne voit pas comment cette éternité laisserait coexister avec elle une multiplicité indéfinie de moments. Dans la première hypothèse on a un monde suspendu en l’air, qui devrait finir et recommencer de lui-même à chaque instant. Dans la seconde on a un infini d’éternité abstraite dont on ne comprend pas davantage pourquoi il ne reste pas enveloppé en lui-même et comment il laisse coexister avec lui les choses. Mais, dans les deux cas, et quelle que soit celle des deux métaphysiques sur laquelle on s’est aiguillé, le temps apparaît du point de vue psychologique comme un mélange de deux abstractions qui ne comportent ni degrés ni nuances. Dans un système comme dans l’autre, il n’y a qu’une durée unique qui emporte tout avec elle, fleuve sans fond, sans rives, qui coule sans force assignable dans une direction qu’on ne saurait définir. Encore n’est-ce un fleuve, encore le fleuve ne coule-t-il que parce que la réalité obtient des deux doctrines ce sacrifice, profitant d’une distraction de leur logique. Dès qu’elles se ressaisissent, elles figent cet écoulement soit en une immense nappe solide, soit en une infinité d’aiguilles cristallisées, toujours en une chose qui participe nécessairement de l’immobilité d’un point de vue.

Il en est tout autrement si l’on s’installe d’emblée, par un effort d’intuition, dans l’écoulement concret de la durée. Certes, nous ne trouverons alors aucune raison logique de poser des durées multiples et diverses. À la rigueur il pourrait n’exister d’autre durée que la nôtre, comme il pourrait n’y avoir au monde d’autre couleur que l’orangé, par exemple. Mais de même qu’une conscience à base de couleur, qui sympathiserait intérieurement avec l’orangé au lieu de le percevoir extérieurement, se sentirait prise entre du rouge et du jaune, pressentirait même peut-être, au-dessous de cette dernière couleur, tout un spectre en lequel se prolonge naturellement la continuité qui va du rouge au jaune, ainsi l’intuition de notre durée, bien loin de nous laisser suspendus dans le vide comme ferait la pure analyse, nous met en contact avec toute une continuité de durées que nous devons essayer de suivre soit vers le bas, soit vers le haut : dans les deux cas nous pouvons nous dilater indéfiniment par un effort de plus en plus violent, dans les deux cas nous nous transcendons nous-mêmes. Dans le premier, nous marchons à une durée de plus en plus éparpillée, dont les palpitations plus rapides que les nôtres, divisant notre sensation simple, en diluent la qualité en quantité : à la limite serait le pur homogène, la pure répétition par laquelle nous définirons la matérialité. En marchant dans l’autre sens, nous allons à une durée qui se tend, se resserre, s’intensifie de plus en plus : à la limite serait l’éternité. Non plus l’éternité conceptuelle, qui est une éternité de mort, mais une éternité de vie. Éternité vivante et par conséquent mouvante encore, où notre durée à nous se retrouverait comme les vibrations dans la lumière, et qui serait la concrétion de toute durée comme la matérialité en est l’éparpillement. Entre ces deux limites extrêmes l’intuition se meut, et ce mouvement est la métaphysique même.


Il ne peut être question de parcourir ici les diverses étapes de ce mouvement. Mais après avoir présenté une vue générale de la méthode et en avoir fait une première application, il ne sera peut-être pas inutile de formuler, en termes aussi précis qu’il nous sera possible, les principes sur lesquels elle repose. Des propositions que nous allons énoncer, la plupart ont reçu, dans le présent travail, un commencement de preuve. Nous espérons les démontrer plus complètement quand nous aborderons d’autres problèmes.

I. Il y a une réalité extérieure et pourtant donnée immédiatement à notre esprit. Le sens commun a raison sur ce point contre l’idéalisme et le réalisme des philosophes.

II. Cette réalité est mobilité[4]. Il n’existe pas de choses faites, mais seulement des choses qui se font, pas d’états qui se maintiennent, mais seulement des états qui changent. Le repos n’est jamais qu’apparent, ou plutôt relatif. La conscience que nous avons de notre propre personne, dans son continuel écoulement, nous introduit à l’intérieur d’une réalité sur le modèle de laquelle nous devons nous représenter les autres. Toute réalité est donc tendance, si l’on convient d’appeler tendance un changement de direction à l’état naissant.

III. Notre esprit, qui cherche des points d’appui solides, a pour principale fonction, dans le cours ordinaire de la vie, de se représenter des états et des choses. Il prend de loin en loin des vues quasi instantanées sur la mobilité indivisée du réel. Il obtient ainsi des sensations et des idées. Par là il substitue au continu le discontinu, à la mobilité la stabilité, à la tendance en voie de changement les points fixes qui marquent une direction du changement et de la tendance. Cette substitution est nécessaire au sens commun, au langage, à la vie pratique, et même, dans une certaine mesure que nous tâcherons de déterminer, à la science positive. Notre intelligence, quand elle suit sa pente naturelle, procède par perceptions solides, d’un côté, et par conceptions stables, de l’autre. Elle part de l’immobile, et ne conçoit et n’exprime le mouvement qu’en fonction de l’immobilité. Elle s’installe dans des concepts tout faits, et s’efforce d’y prendre, comme dans un filet, quelque chose de la réalité qui passe. Ce n’est pas, sans doute, pour obtenir une connaissance intérieure et métaphysique du réel. C’est simplement pour s’en servir, chaque concept (comme d’ailleurs chaque sensation) étant une question pratique que notre activité pose à la réalité et à laquelle la réalité répondra, comme il convient en affaires, par un oui ou par un non. Mais, par là, elle laisse échapper du réel ce qui en est l’essence même.

IV. Les difficultés inhérentes à la métaphysique, les antinomies qu’elle soulève, les contradictions où elle tombe, la division en écoles antagonistes et les oppositions irréductibles entre systèmes, viennent en grande partie de ce que nous appliquons à la connaissance désintéressée du réel les procédés dont nous nous servons couramment dans un but d’utilité pratique. Elles viennent principalement de ce que nous nous installons dans l’immobile pour guetter le mouvant au passage, au lieu de nous replacer dans le mouvant pour traverser avec lui les positions immobiles. Elles viennent de ce que nous prétendons reconstituer la réalité, qui est tendance et par conséquent mobilité, avec les percepts et les concepts qui ont pour fonction de l’immobiliser. Avec des arrêts, si nombreux soient-ils, on ne fera jamais de la mobilité ; au lieu que si l’on se donne la mobilité, on peut en tirer par la pensée autant d’arrêts qu’on voudra. En d’autres termes, on comprend que des concepts fixes puissent être extraits par notre pensée de la réalité mobile ; mais il n’y a aucun moyen de reconstituer, avec la fixité des concepts, la mobilité du réel. Le dogmatisme, en tant que constructeur de systèmes, a cependant toujours tenté cette reconstitution.

V. Il devait y échouer. C’est cette impuissance, et cette impuissance seulement, que constatent les doctrines sceptiques, idéalistes, criticistes, toutes celles enfin qui contestent à notre esprit le pouvoir d’atteindre l’absolu. Mais, de ce que nous échouons à reconstituer la réalité vivante avec des concepts raides et tout faits, il ne suit pas que nous ne puissions la saisir de quelque autre manière. Les démonstrations qui ont été données de la relativité de notre connaissance sont donc entachées d’un vice originel : elles supposent, comme le dogmatisme qu’elles attaquent, que toute connaissance doit nécessairement partir de concepts aux contours arrêtés pour étreindre avec eux la réalité qui s’écoule.

VI. Mais la vérité est que notre esprit peut suivre la marche inverse. Il peut s’installer dans la réalité mobile, en adopter la direction sans cesse changeante, enfin la saisir intuitivement. Il faut pour cela qu’il se violente, qu’il renverse le sens de l’opération par laquelle il pense habituellement, qu’il retourne ou plutôt refonde sans cesse ses catégories. Mais il aboutira ainsi à des concepts fluides, capables de suivre la réalité dans toutes ses sinuosités et d’adopter le mouvement même de la vie intérieure des choses. Ainsi seulement se constituera une philosophie progressive, affranchie des disputes qui se livrent entre les écoles, capable de résoudre naturellement les problèmes parce qu’elle se sera délivrée des termes artificiels qu’on a choisis pour les poser. Philosopher consiste à invertir la direction habituelle du travail de la pensée.

VII. Cette inversion n’a jamais été pratiquée d’une manière méthodique ; mais une histoire approfondie de la pensée humaine montrerait que nous lui devons ce qui s’est fait de plus grand dans les sciences, tout aussi bien que ce qu’il y a de viable en métaphysique. La plus puissante des méthodes d’investigation dont l’esprit humain dispose, l’analyse infinitésimale, est née de cette inversion même[5]. La mathématique moderne est précisément un effort pour substituer au tout fait ce qui se fait, pour suivre la génération des grandeurs, pour saisir le mouvement, non plus du dehors et dans son résultat étalé, mais du dedans et dans sa tendance à changer, enfin pour adopter la continuité mobile du dessin des choses. Il est vrai qu’elle s’en tient au dessin, n’étant que la science des grandeurs. Il est vrai aussi qu’elle n’a pu aboutir à ses applications merveilleuses que par l’invention de certains symboles, et que, si l’intuition dont nous venons de parler est à l’origine de l’invention, c’est le symbole seul qui intervient dans l’application. Mais la métaphysique, qui ne vise à aucune application, pourra et le plus souvent devra s’abstenir de convertir l’intuition en symbole. Dispensée de l’obligation d’aboutir à des résultats pratiquement utilisables, elle agrandira indéfiniment le domaine de ses investigations. Ce qu’elle aura perdu, par rapport à la science, en utilité et en rigueur, elle le regagnera en portée et en étendue. Si la mathématique n’est que la science des grandeurs, si les procédés mathématiques ne s’appliquent qu’à des quantités, il ne faut pas oublier que la quantité est toujours de la qualité à l’état naissant : c’en est, pourrait-on dire, le cas limite. Il est donc naturel que la métaphysique adopte, pour l’étendre à toutes les qualités, c’est-à-dire à la réalité en général, l’idée génératrice de notre mathématique. Elle ne s’acheminera nullement par là à la mathématique universelle, cette chimère de la philosophie moderne. Bien au contraire, à mesure qu’elle fera plus de chemin, elle rencontrera des objets plus intraduisibles en symboles. Mais elle aura du moins commencé par prendre contact avec la continuité et la mobilité du réel là où ce contact est le plus merveilleusement utilisable. Elle se sera contemplée dans un miroir qui lui renvoie une image très rétrécie sans doute, mais très lumineuse aussi, d’elle-même. Elle aura vu avec une clarté supérieure ce que les procédés mathématiques empruntent à la réalité concrète, et elle continuera dans le sens de la réalité concrète, non dans celui des procédés mathématiques. Disons donc, ayant atténué par avance ce que la formule aurait à la fois de trop modeste et de trop ambitieux, qu’un des objets de la métaphysique est d’opérer des différenciations et des intégrations qualitatives.

VIII. Ce qui a fait perdre de vue cet objet, et ce qui a pu tromper la science elle-même sur l’origine de certains procédés qu’elle emploie, c’est que l’intuition, une fois prise, doit trouver un mode d’expression et d’application qui soit conforme aux habitudes de notre pensée et qui nous fournisse, dans des concepts bien arrêtés, les points d’appui solides dont nous avons un si grand besoin. Là est la condition de ce que nous appelons rigueur, précision, et aussi extension indéfinie d’une méthode générale à des cas particuliers. Or cette extension et ce travail de perfectionnement logique peuvent se poursuivre pendant des siècles, tandis que l’acte générateur de la méthode ne dure qu’un instant. C’est pourquoi nous prenons si souvent l’appareil logique de la science pour la science même[6], oubliant l’intuition d’où le reste a pu sortir[7].

De l’oubli de cette intuition procède tout ce qui a été dit par les philosophes, et par les savants eux-mêmes, de la « relativité » de la connaissance scientifique. Est relative la connaissance symbolique par concepts préexistants qui va du fixe au mouvant, mais non pas la connaissance intuitive qui s’installe dans le mouvant et adopte la vie même des choses. Cette intuition atteint un absolu.

La science et la métaphysique se rejoignent donc dans l’intuition. Une philosophie véritablement intuitive réaliserait l’union tant désirée de la métaphysique et de la science. En même temps qu’elle constituerait la métaphysique en science positive, — je veux dire progressive et indéfiniment perfectible, — elle amènerait les sciences positives proprement dites à prendre conscience de leur portée véritable, souvent très supérieure à ce qu’elles s’imaginent. Elle mettrait plus de science dans la métaphysique et plus de métaphysique dans la science. Elle aurait pour résultat de rétablir la continuité entre les intuitions que les diverses sciences positives ont obtenues de loin en loin au cours de leur histoire, et qu’elles n’ont obtenues qu’à coups de génie.

IX. Qu’il n’y ait pas deux manières différentes de connaître à fond les choses, que les diverses sciences aient leur racine dans la métaphysique, c’est ce que pensèrent en général les philosophes anciens. Là ne fut pas leur erreur. Elle consista à s’inspirer de cette croyance, si naturelle à l’esprit humain, qu’une variation ne peut qu’exprimer et développer des invariabilités. D’où résultait que l’Action était une Contemplation affaiblie, la durée une image trompeuse et mobile de l’éternité immobile, l’Âme une chute de l’Idée. Toute cette philosophie qui commence à Platon pour aboutir à Plotin est le développement d’un principe que nous formulerions ainsi : « Il y a plus dans l’immuable que dans le mouvant, et l’on passe du stable à l’instable par une simple diminution. » Or, c’est le contraire qui est la vérité.

La science moderne date du jour où l’on érigea la mobilité en réalité indépendante. Elle date du jour où Galilée, faisant rouler une bille sur un plan incliné, prit la ferme résolution d’étudier ce mouvement de haut en bas pour lui-même, en lui-même, au lieu d’en chercher le principe dans les concepts du haut et du bas, deux immobilités par lesquelles Aristote croyait en expliquer suffisamment la mobilité. Et ce n’est pas là un fait isolé dans l’histoire de la science. Nous estimons que plusieurs des grandes découvertes, de celles au moins qui ont transformé les sciences positives ou qui en ont créé de nouvelles, ont été autant de coups de sonde donnés dans la durée pure. Plus vivante était la réalité touchée, plus profond avait été le coup de sonde.

Mais la sonde jetée au fond de la mer ramène une masse fluide que le soleil dessèche bien vite en grains de sable solides et discontinus. Et l’intuition de la durée, quand on l’expose aux rayons de l’entendement, se prend bien vite aussi en concepts figés, distincts, immobiles. Dans la vivante mobilité des choses l’entendement s’attache à marquer des stations réelles ou virtuelles, il note des départs et des arrivées ; c’est tout ce qui importe à la pensée de l’homme s’exerçant naturellement. Mais la philosophie devrait être un effort pour dépasser la condition humaine.

Sur les concepts dont ils ont jalonné la route de l’intuition les savants ont arrêté le plus volontiers leur regard. Plus ils considéraient ces résidus passés à l’état de symboles, plus ils attribuaient à toute science un caractère symbolique[8]. Et plus ils croyaient au caractère symbolique de la science, plus ils le réalisaient et l’accentuaient. Bientôt ils n’ont plus fait de différence, dans la science positive, entre le naturel et l’artificiel, entre les données de l’intuition immédiate et l’immense travail d’analyse que l’entendement poursuit autour de l’intuition. Ils ont ainsi préparé les voies à une doctrine qui affirme la relativité de toutes nos connaissances.

Mais la métaphysique y a travaillé également.

Comment les maîtres de la philosophie moderne, qui ont été, en même temps que des métaphysiciens, les rénovateurs de la science, n’auraient-ils pas eu le sentiment de la continuité mobile du réel ? Comment ne se seraient-ils pas placés dans ce que nous appelons la durée concrète ? Ils l’ont fait plus qu’ils ne l’ont cru, beaucoup plus surtout qu’ils ne l’ont dit. Si l’on s’efforce de relier par des traits continus les intuitions autour desquelles se sont organisés les systèmes, on trouve, à côté de plusieurs autres lignes convergentes ou divergentes, une direction bien déterminée de pensée et de sentiment. Quelle est cette pensée latente ? Comment exprimer ce sentiment ? Pour emprunter encore une fois aux platoniciens leur langage, nous dirons, en dépouillant les mots de leur sens psychologique, en appelant Idée une certaine assurance de facile intelligibilité et Âme une certaine inquiétude de vie, qu’un invisible courant porte la philosophie moderne à hausser l’Âme au-dessus de l’Idée. Elle tend par là, comme la science moderne et même beaucoup plus qu’elle, à marcher en sens inverse de la pensée antique.

Mais cette métaphysique, comme cette science, a déployé autour de sa vie profonde un riche tissu de symboles, oubliant parfois que, si la science a besoin de symboles dans son développement analytique, la principale raison d’être de la métaphysique est une rupture avec les symboles. Ici encore l’entendement a poursuivi son travail de fixation, de division, de reconstruction. Il l’a poursuivi, il est vrai, sous une forme assez différente. Sans insister sur un point que nous nous proposons de développer ailleurs, bornons-nous à dire que l’entendement, dont le rôle est d’opérer sur des éléments stables, peut chercher la stabilité soit dans des relations, soit dans des choses. En tant qu’il travaille sur des concepts de relations, il aboutit au symbolisme scientifique. En tant qu’il opère sur des concepts de choses, il aboutit au symbolisme métaphysique. Mais, dans un cas comme dans l’autre, c’est de lui que vient l’arrangement. Volontiers il se croirait indépendant. Plutôt que de reconnaître tout de suite ce qu’il doit à l’intuition profonde de la réalité, il s’expose à ce qu’on ne voie dans toute son œuvre qu’un arrangement artificiel de symboles. De sorte que si l’on s’arrêtait à la lettre de ce que disent métaphysiciens et savants, comme aussi à la matérialité de ce qu’ils font, on pourrait croire que les premiers ont creusé au-dessous de la réalité un tunnel profond, que les autres ont lancé pardessus elle un pont élégant, mais que le fleuve mouvant des choses passe entre ces deux travaux d’art sans les toucher.

Un des principaux artifices de la critique kantienne a consisté à prendre au mot le métaphysicien et le savant, à pousser la métaphysique et la science jusqu’à la limite extrême du symbolisme où elles pourraient aller, et où d’ailleurs elles s’acheminent d’elles-mêmes dès que l’entendement revendique une indépendance pleine de périls. Une fois méconnues les attaches de la science et de la métaphysique avec l’ « intuition intellectuelle », Kant n’a pas de peine à montrer que notre science est toute relative et notre métaphysique tout artificielle. Comme il a exaspéré l’indépendance de l’entendement dans un cas comme dans l’autre, comme il a allégé la métaphysique et la science de l’« intuition intellectuelle » qui les lestait intérieurement, la science ne lui présente plus, avec ses relations, qu’une pellicule de forme, et la métaphysique, avec ses choses, qu’une pellicule de matière. Est-il étonnant que la première ne lui montre alors que des cadres emboîtés dans des cadres, et la seconde des fantômes qui courent après des fantômes ?

Il a porté à notre science et à notre métaphysique des coups si rudes qu’elles ne sont pas encore tout à fait revenues de leur étourdissement. Volontiers notre esprit se résignerait à voir dans la science une connaissance toute relative, et dans la métaphysique une spéculation vide. Il nous semble, aujourd’hui encore, que la critique kantienne s’applique à toute métaphysique et à toute science. En réalité, elle s’applique surtout à la philosophie des anciens, comme aussi à la forme — encore antique — que les modernes ont laissée le plus souvent à leur pensée. Elle vaut contre une métaphysique qui prétend nous donner un système unique et tout fait de choses, contre une science qui serait un système unique de relations, enfin contre une science et une métaphysique qui se présenteraient avec la simplicité architecturale de la théorie platonicienne des Idées, ou d’un temple grec. Si la métaphysique prétend se constituer avec des concepts que nous possédions avant elle, si elle consiste dans un arrangement ingénieux d’idées préexistantes que nous utilisons comme des matériaux de construction pour un édifice, enfin si elle est autre chose que la constante dilatation de notre esprit, l’effort toujours renouvelé pour dépasser nos idées actuelles et peut-être aussi notre logique simple, il est trop évident qu’elle devient artificielle comme toutes les œuvres de pur entendement. Et si la science est tout entière œuvre d’analyse ou de représentation conceptuelle, si l’expérience n’y doit servir que de vérification à des « idées claires », si, au lieu de partir d’intuitions multiples, diverses, qui s’insèrent dans le mouvement propre de chaque réalité mais ne s’emboîtent pas toujours les unes dans les autres, elle prétend être une immense mathématique, un système unique de relations qui emprisonne la totalité du réel dans un filet monté d’avance, elle devient une connaissance purement relative à l’entendement humain. Qu’on lise de près la Critique de la raison pure, on verra que c’est cette espèce de mathématique universelle qui est pour Kant la science, et ce platonisme à peine remanié qui est pour lui la métaphysique. À vrai dire, le rêve d’une mathématique universelle n’est déjà lui-même qu’une survivance du platonisme. La mathématique universelle, c’est ce que devient le monde des Idées quand on suppose que l’Idée consiste dans une relation ou dans une loi, et non plus dans une chose. Kant a pris pour une réalité ce rêve de quelques philosophes modernes[9] : bien plus, il a cru que toute connaissance scientifique n’était qu’un fragment détaché, ou plutôt une pierre d’attente de la mathématique universelle. Dès lors, la principale tâche de la Critique était de fonder cette mathématique, c’est-à-dire de déterminer ce que doit être l’intelligence et ce que doit être l’objet pour qu’une mathématique ininterrompue puisse les relier l’un à l’autre. Et, nécessairement, si toute expérience possible est assurée d’entrer ainsi dans les cadres rigides et déjà constitués de notre entendement, c’est (à moins de supposer une harmonie préétablie) que notre entendement organise lui-même la nature et s’y retrouve comme dans un miroir. D’où la possibilité de la science, qui devra toute son efficacité à sa relativité, et l’impossibilité de la métaphysique, puisque celle-ci ne trouvera plus rien à faire qu’à parodier, sur des fantômes de choses, le travail d’arrangement conceptuel que la science poursuit sérieusement sur des rapports. Bref, toute la Critique de la raison pure aboutit à établir que le platonisme, illégitime si les Idées sont des choses, devient légitime si les idées sont des rapports, et que l’idée toute faite, une fois ramenée ainsi du ciel sur la terre, est bien, comme l’avait voulu Platon, le fond commun de la pensée et de la nature. Mais toute la Critique de la Raison pure repose aussi sur ce postulat que notre pensée est incapable d’autre chose que de platoniser, c’est-à-dire de couler toute expérience possible dans des moules préexistants.

Là est toute la question. Si la connaissance scientifique est bien ce qu’a voulu Kant, il y a une science simple, préformée et même préformulée dans la nature, ainsi que le croyait Aristote : de cette logique immanente aux choses les grandes découvertes ne font qu’illuminer point par point la ligne tracée d’avance, comme on allume progressivement, un soir de fête, le cordon de gaz qui dessinait déjà les contours d’un monument. Et si la connaissance métaphysique est bien ce qu’a voulu Kant, elle se réduit à l’égale possibilité de deux attitudes opposées de l’esprit devant tous les grands problèmes ; ses manifestations sont autant d’options arbitraires, toujours éphémères, entre deux solutions formulées virtuellement de toute éternité : elle vit et elle meurt d’antinomies. Mais la vérité est que ni la science des modernes ne présente cette simplicité unilinéaire, ni la métaphysique des modernes ces oppositions irréductibles.

La science moderne n’est ni une ni simple. Elle repose, je le veux bien, sur des idées qu’on finit par trouver claires ; mais ces idées, quand elles sont profondes, se sont éclairées progressivement par l’usage qu’on en a fait ; elles doivent alors la meilleure part de leur luminosité à la lumière que leur ont renvoyée, par réflexion, les faits et les applications où elles ont conduit, la clarté d’un concept n’étant guère autre chose, alors, que l’assurance une fois contractée de le manipuler avec profit. À l’origine, plus d’une d’entre elles a dû paraître obscure, malaisément conciliable avec les concepts déjà admis dans la science, tout près de frôler l’absurdité. C’est dire que la science ne procède pas par emboîtement régulier de concepts qui seraient prédestinés à s’insérer avec précision les uns dans les autres. Les idées profondes et fécondes sont autant de prises de contact avec des courants de réalité qui ne convergent pas nécessairement sur un même point. Il est vrai que les concepts où elles se logent arrivent toujours, en arrondissant leurs angles par un frottement réciproque, à s’arranger tant bien que mal entre eux.

D’autre part, la métaphysique des modernes n’est pas faite de solutions tellement radicales qu’elles puissent aboutir à des oppositions irréductibles. Il en serait ainsi, sans doute, s’il n’y avait aucun moyen d’accepter en même temps, et sur le même terrain, la thèse et l’antithèse des antinomies. Mais philosopher consiste précisément à se placer, par un effort d’intuition, à l’intérieur de cette réalité concrète sur laquelle la Critique vient prendre du dehors les deux vues opposées, thèse et antithèse. Je n’imaginerai jamais comment du blanc et du noir s’entrepénètrent si je n’ai pas vu de gris, mais je comprends sans peine, une fois que j’ai vu le gris, comment on peut l’envisager du double point de vue du blanc et du noir. Les doctrines qui ont un fond d’intuition échappent à la critique kantienne dans l’exacte mesure où elles sont intuitives ; et ces doctrines sont le tout de la métaphysique, pourvu qu’on ne prenne pas la métaphysique figée et morte dans des thèses, mais vivante chez des philosophes. Certes, les divergences sont frappantes entre les écoles, c’est-à-dire, en somme, entre les groupes de disciples qui se sont formés autour de quelques grands maîtres. Mais les trouverait-on aussi tranchées entre les maîtres eux-mêmes ? Quelque chose domine ici la diversité des systèmes, quelque chose, nous le répétons, de simple et de net comme un coup de sonde dont on sent qu’il est allé toucher plus ou moins bas le fond d’un même océan, encore qu’il ramène chaque fois à la surface des matières très différentes. C’est sur ces matières que travaillent d’ordinaire les disciples : là est le rôle de l’analyse. Et le maître, en tant qu’il formule, développe, traduit en idées abstraites ce qu’il apporte, est déjà, en quelque sorte, un disciple vis-à-vis de lui-même. Mais l’acte simple, qui a mis l’analyse en mouvement et qui se dissimule derrière l’analyse, émane d’une faculté tout autre que celle d’analyser. Ce sera, par définition même, l’intuition.

Disons-le pour conclure : cette faculté n’a rien de mystérieux. Quiconque s’est exercé avec succès à la composition littéraire sait bien que lorsque le sujet a été longuement étudié, tous les documents recueillis, toutes les notes prises, il faut, pour aborder le travail de composition lui-même, quelque chose de plus, un effort, souvent pénible, pour se placer tout d’un coup au cœur même du sujet et pour aller chercher aussi profondément que possible une impulsion à laquelle il n’y aura plus ensuite qu’à se laisser aller. Cette impulsion, une fois reçue, lance l’esprit sur un chemin où il retrouve et les renseignements qu’il avait recueillis et d’autres détails encore ; elle se développe, elle s’analyse elle-même en termes dont l’énumération se poursuivrait sans fin ; plus on va, plus on en découvre ; jamais on n’arrivera à tout dire : et pourtant, si l’on se retourne brusquement vers l’impulsion qu’on sent derrière soi pour la saisir, elle se dérobe ; car ce n’était pas une chose, mais une incitation au mouvement, et, bien qu’indéfiniment extensible, elle est la simplicité même. L’intuition métaphysique paraît être quelque chose du même genre. Ce qui fait pendant ici aux notes et documents de la composition littéraire, c’est l’ensemble des observations et des expériences recueillies par la science positive et surtout par une réflexion de l’esprit sur l’esprit. Car on n’obtient pas de la réalité une intuition, c’est-à-dire une sympathie spirituelle avec ce qu’elle a de plus intérieur, si l’on n’a pas gagné sa confiance par une longue camaraderie avec ses manifestations superficielles. Et il ne s’agit pas simplement de s’assimiler les faits marquants ; il en faut accumuler et fondre ensemble une si énorme masse qu’on soit assuré, dans cette fusion, de neutraliser les unes par les autres toutes les idées préconçues et prématurées que les observateurs ont pu déposer, à leur insu, au fond de leurs observations. Ainsi seulement se dégage la matérialité brute des faits connus. Même dans le cas simple et privilégié qui nous a servi d’exemple, même pour le contact direct du moi avec le moi, l’effort définitif d’intuition distincte serait impossible à qui n’aurait pas réuni et confronté ensemble un très grand nombre d’analyses psychologiques. Les maîtres de la philosophie moderne ont été des hommes qui s’étaient assimilé tout le matériel de la science de leur temps. Et l’éclipse partielle de la métaphysique depuis un demi-siècle a surtout pour cause l’extraordinaire difficulté que le philosophe éprouve aujourd’hui à prendre contact avec une science devenue beaucoup plus éparpillée. Mais l’intuition métaphysique, quoiqu’on n’y puisse arriver qu’à force de connaissances matérielles, est tout autre chose que le résumé ou la synthèse de ces connaissances. Elle s’en distingue comme l’impulsion motrice se distingue du chemin parcouru par le mobile, comme la tension du ressort se distingue des mouvements visibles dans la pendule. En ce sens, la métaphysique n’a rien de commun avec une généralisation de l’expérience, et néanmoins elle pourrait se définir l’expérience intégrale.


Cet essai a paru dans la Revue de métaphysique et de morale en 1903. Depuis cette époque, nous avons été amené à préciser davantage la signification des termes métaphysique et science. On est libre de donner aux mots le sens qu’on veut, quand on prend soin de le définir : rien n’empêcherait d’appeler « science » ou « philosophie » comme on l’a fait pendant longtemps, toute espèce de connaissance. On pourrait même comme nous le disions plus haut (p. 43), englober le tout dans la métaphysique. Néanmoins, il est incontestable que la connaissance appuie dans une direction bien définie quand elle dispose son objet en vue de la mesure, et qu’elle marche dans une direction différente, inverse même, quand elle se dégage de toute arrière-pensée de relation et de comparaison pour sympathiser avec la réalité. Nous avons montré que la première méthode convenait à l’étude de la matière et la seconde à celle de l’esprit, qu’il y a d’ailleurs empiètement réciproque des deux objets l’un sur l’autre et que les deux méthodes doivent s’entraider. Dans le premier cas, on a affaire au temps spatialisé et à l’espace ; dans le second, à la durée réelle. Il nous a paru de plus en plus utile, pour la clarté des idées, d’appeler « scientifique » la première connaissance, et « métaphysique » la seconde. C’est alors au compte de la métaphysique que nous porterons cette « philosophie de la science » ou « métaphysique de la science » qui habite l’esprit des grands savants, qui est immanente à leur science et qui en est souvent l’invisible inspiratrice. Dans le présent article, nous la laissions encore au compte de la science, parce qu’elle a été pratiquée, en fait, par des chercheurs qu’on s’accorde généralement à appeler « savants » plutôt que « métaphysiciens » (voir, ci-dessus, les p. 33 à 45).

Il ne faut pas oublier, d’autre part, que le présent essai a été écrit à une époque où le criticisme de Kant et le dogmatisme de ses successeurs étaient assez généralement admis, sinon comme conclusion, au moins comme point de départ de la spéculation philosophique.

Est-il besoin de dire que nous ne proposons nullement un moyen de reconnaître si un mouvement est absolu ou s’il ne l’est pas ? Nous définissons simplement ce qu’on a dans l’esprit quand on parle d’un mouvement absolu, au sens métaphysique du mot.
Les images dont il est question ici sont celles qui peuvent se présenter à l’esprit du philosophe quand il veut exposer sa pensée à autrui. Nous laissons de côté l’image, voisine de l’intuition, dont le philosophe peut avoir besoin pour lui-même, et qui reste souvent inexprimée.
Encore une fois, nous n’écartons nullement par là la substance. Nous affirmons au contraire la persistance des existences. Et nous croyons en avoir facilité la représentation. Comment a-t-on pu comparer cette doctrine à celle d’Héraclite ?
Surtout chez Newton, dans sa considération des fluxions.
Sur ce point, comme sur plusieurs autres questions traitées dans le présent essai, voir les beaux travaux de MM. Le Roy, Wincent et Vilbois, parus dans la Revue de métaphysique et de morale.
Comme nous l’expliquons au début de notre second essai (p. 25 et suiv.) nous avons longtemps hésité à nous servir du terme « intuition » ; et, quand nous nous y sommes décidé, nous avons désigné par ce mot la fonction métaphysique de la pensée : principalement la connaissance intime de l’esprit par l’esprit, subsidiairement la connaissance, par l’esprit, de ce qu’il y a d’essentiel dans la matière, l’intelligence étant sans doute faite avant tout pour manipuler la matière et par conséquent pour la connaître, mais n’ayant pas pour destination spéciale d’en toucher le fond. C’est cette signification que nous attribuons au mot dans le présent essai (écrit en 1902), plus spécialement dans les dernières pages. Nous avons été amené plus tard, par un souci croissant de précision, à distinguer plus nettement l’intelligence de l’intuition, comme aussi la science de la métaphysique (voir ci-dessus p. 25 à 55, et aussi p. 134 à 139). Mais, d’une manière générale, le changement de terminologie n’a pas d’inconvénient grave, quand on prend chaque fois la peine de définir le terme dans son acception particulière, ou même simplement quand le contexte en montre suffisamment le sens.
Pour compléter ce que nous exposions dans la note précédente (p. 216), disons que nous avons été conduit, depuis l’époque où nous écrivions ces lignes, à restreindre le sens du mot « science », et à appeler plus particulièrement scientifique la connaissance de la matière inerte par l’intelligence pure. Cela ne nous empêchera pas de dire que la connaissance de la vie et de l’esprit est scientifique dans une large mesure, — dans la mesure où elle fait appel aux mêmes méthodes d’investigation que la connaissance de la matière inerte. Inversement, la connaissance de la matière inerte pourra être dite philosophique dans la mesure où elle utilise, à un certain moment décisif de son histoire, l’intuition de la durée pure. Cf. également la note de la p. 177, au début du présent essai.
Voir à ce sujet, dans les Philosophische Studien de Wundt (Vol. IX, 1894), un très intéressant article de Radulescu-Motru, Zur Entwickelung von Kant’s Theorie der Naturcausalität.

Full text of T. E. Hulme translation[2]

An Introduction to Metaphysics


By


It • • *




Henri Bergson

Member of the Institute and Professor of the College de

France


Translated by T. E. Hulme


Aothorized Edition, Revised by the Author, with

Additional Material


G. P. Putnam's Sons

New York and London Zbc imfcfietbocftcr press





• •


COPTRIGHT, 191a BY

O. P. PUTNAM'S SONS


third Printing


Ube Itnldfterlwcftec fl)re00» Hew fiocft


TRANSLATOR'S PREFACE

THIS celebrated essay was first pub- liahed in the Revue de Mctaphysique et de Morale, in January, 1903. It ap- peared then after Time and Free Will and Matter and Memory and before Creative Evolution; and while containing ideas set forth in the first two of these works, it announces some of those which were after- wards developed in the last.

Though this book can in no sense be regarded as an epitome of the others, it yet forms the best introduction to them. M. Edouard Le Roy in his lately published book on M. Bergson's philosophy speaks of " this marvelously suggestive study which constitutes the best preface to the books themselves."

It has, however, more importance than a

simple introduction would have, for in it

M. Bergson explains, at greater length and

vin greater detail than in the other boobs,


291591


Preface


exactly what he means to convey by the word intuition. The intuitive method ia treated independently and not, as elsewhere in his writings, incidentally, in its appli- cations to particular problems. Por this reason every writer who has attempted to give a complete exposition of M. Bergson's philosophy has been obliged to quote this essay at length; and it is indispensable therefore to the full understanding of its author's position. Translations into Ger- man, Italian, Hungarian, Polish, Swedish, and Russian have lately appeared, but the Trench original is at present out of print.

This translation has had the great ad- vantage of being revised in proof by the author. I have to thank him for many alternative renderings, and also for a few slight alterations in the text, which he thought would make his meaning clearer. T. E. nULME. ,

St. John's College, Cambkidge.


An Introduction to Metaphysics

A comparison of the definitions of metaphysics and the various conceptions of the absolute leads to the discovery that philosophers, in spite of their apparent divergencies, agree in distinguishing two profoundly diflferent ways of knowing a thing. The first implies that we move round the object; the second that we enter into it. The first depends on the point of view at which we are placed and on the symbols by which we express ourselves. The second neither depends on a point of view nor relies on any symbol. The first kind of knowledge may be said to stop at the relative; the second, in those cases where it is possible, to attain the absolute.

I


An Introduction to


Consider, for example, the movement of an object in space. My perception of the motion will vary with the point of view, moving or stationary, from which I observe it. My expression of it will vary with the systems of axes, or the points of reference, to which I relate it; that is, with the sym- bols by which I translate it. For this donble reason I call such motion relative: in the one case, as in the other, I am placed outside the object itself. But when I speak of an absolute movement, I am attributing to the moving object an interior and, so to speak, states of mind; I also imply that I am in sympathy with those states, and that I insert myself in them by an effort of imagination. Then, according as the ob- ject is moving or stationary, according as it adopts one movement or another, what I experience will vary. And what I ex- perience will depend neither on the point of view I may take up in regard to the object, since I am inside the obj< Bor on the aymbols by which I m


Metaphysics 3

late the motion, since I have rejected all translations in order to possess the original. In short, I shall no longer grasp the move- ment from without, remaining where I am, but from where it is, from within, as it is in itself. I shall possess an absolute.

Consider, again, a character whose ad- ventures are related to me in a novel. The author may multiply the traits of his hero's character*, may make him speak and act as much as he pleases, but all this can never be equivalent to the simple and indivisible feeling which I should experience if I were able for an instant to identify myself with the person of the hero himself. Out of that indivisible feeling, as from a spring, all the words, gestures, and actions of the man would appear to me to flow naturally. They would no longer be accidents which, added to the idea I had already formed of the character, continually enriched that idea, without ever completing it. The character would be given to me all at once, in its entirety, and the thousand incidents


An Introduction to


which manifest it, instead of adding them- selves to the idea and so enriching it, would Beein to me, on tlie contrary, to detach themselves from it, without, however, ex- hausting it or impoverishing its essence. All the things I am told about the man provide me with so many points of view from which I can observe him. All the traits which describe him. and which can make him known to me only by so many comparisons with persons or things I know already, are siRns by which he is expressed more or less symbolically. Symbols and points of view, therefore, place me outside him; they give me only what he has in cominou with others, and not what belongs to him and to him alone. But that which is properly himself, that which constitutes his essence, cannot 1k^ perceived from without, being internal by definition, nor t)e expressed by Myiubols, being incom- mensurable with everything else. De- scription, history, and analysis leave me here in I he relative. Coincidence with


Metaphysics 5

the person himself would alone give me;' the absolute. !

It is in this sense, and in this sense only, \ that absolute is synonymous with perfec-r tion. Were all the photographs of a town, taken from all possible points of view, to go on indefinitely completing one another, they would never be equivalent to the solid town in which we walk about. Were all the translations of a poem into all possible languages to add together their various shades of meaning and, correcting each other by a kind of mutual retouching, to give a more and more faithful image of the poem they translate, they would yet never succeed in rendering the inner mean- ing of the original. A representation taken \ from a certain point of view, a translation ) made with certain symbols, will always / remain imperfect in comparison with the / object of which a view has been taken, op/. which the symbols seek to express. But the \ absolute, which is the object and not its representation, the original and not its


I


I

4


6 An Introduction to

translation, is perfect, by being perfectly what it is.

/ It is doubtless for this reason that th6 jl absolute has often been identified with the } infinite. Suppose that I wished to com- municate to some one who did not know Greek the extraordinarily simple impres- sion that a passage in Homer makes upon me; I should first give a translation of the lines, I should then comment on my trans- lation, and then develop the commentary; in this way, by piling up explanation on explanation, I might approach nearer and nearer to what I wanted to express; but I should never quite reach it. When you raise your arm, you accomplish a movement of which you have, from within, a simple perception; but for me, watching it from the outside, your arm passes through one point, then through another, and between these two there will be still other points; so that, if I began to count, the operation would go on for ever. Viewed from the ^ inside, then, an absolute is a simple thing;


Metaphysics 7

but looked at from the outside, that is tol say, relatively to other things, it becomes, ' in relation to these signs which express it, j the gold coin for which we never seem able ; to finish giving small change. Now, that which lends itself at the same time both to an indivisible apprehension and to an inexhaustible enumeration is, by the very ■ definition of the word, an infinite.

It follows from this that an absolute . could only be given in an intmtion^ whilst i everything else falls within the province of i analysis. By intuition is meant the kind i of intellectual sympathy by which one'^' places oneself within an object in order to coincide with what is unique in it and con- sequently inexpressible. Analysis, on the contrary, is the operation which reduces the object to elements already known, that is, to elements common both to it 'and other objects. To analyze, therefore, is to ex- press a thing as a function of something other than itself. All analysis is thus a translation, a development into symbols, a


8


An Introduction to


representation taken from auccesaive points of view from which we not« as many re- semblances &s possible between the new object which we are studying and others which we believe we know already. In its eternally unsatisfied desire to embrace the object around which it is compelled to turn, analysis multiplies without end the number of its points of view in order to complete its always incomplete representa- tion, and ceaselessly varies its symbols that it may perfect the always imperfect trans- lation. It goes on, therefore, to infinity. But intuition, if intuition is possible, is a simple act.

Now it is easy to see that the ordinary function of positive science is analysis. Positive science works, then, above all, with symbols. Even the most concrete of the natural sciences, those concerned with life, confine themfielves to the visible form of living beings, their organs and anatomical elements. They make comparisons between these forms, they i-educe the more complex


Metaphysics 9

to the more simple; in short, they study the workings of life in what is, so to speak, only its visual symbol. If there exists any means of possessing a reality absolutely in- stead of knowing it relatively, of placing oneself within it instead of looking at it from outside points of view, of having the intuition instead of making the analysis: in short, of seizing it without any expres- sion, translation, or symbolic representation — metaphysics is that means. Metaphysics^ theriy is the science which claims to dispense with symbols.



There is one reality, at least, which we \ all seize from within, by intuition and not by simple analysis. It is our own person- | / ality in its flowing through time — our self' which endures. We may sympathize in- tellectually with nothing else, but we certainly sympathize with our own selves.

When I direct my attention inward to contemplate my own self (supposed for the


/


J »


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An Introduction to


moment to be inactive), I perceive at first, a» a crust solidified on the surface, all the perceptions which come to it from the material world. These perceptions are clear. distinct, juxtaposed or jiistaposable one with another; they tend to group them- selves into objects. Next, I notice the memories which more or less adhere to these perceptions and which serve to in- terpret them. These memories have been detached, as it were, from the depth of my jKjrsonality, drawn to the surface by the perceptions which I'esemble them ; they rest on the surface of my mind without being absolutely myself. I-astly, I feel the stir of tendencies and motor habits — a crowd of virtual actions, more or less firmly bound to these perceptions and memories. ' All these clearly defined elements appear more distinct from me, the more distinct they are from each other. Radiating, as they do, from within outwards, they form, col- lectively, the surface of a sphere which tends to grow larger and lose itself in the


A


J


Metaphysics 1 1

exterior world. But if I draw myself in 1 from the periphery towards the centre, if I i search in the depth of my being that which is most uniformly, most constantly, and j most enduringly myself, I find an altogether different thing.

There is, beneath these sharply cut crys- tals and this frozen surface, a continuous flux which is not comparable to any flux I^v, have ever seen. There is a succession of states, each of which announces that which follows and contains that which precedes it. They can, properly speaking, only be said to form multiple states when I have already passed them and turn back to ob- serve their track. Whilst I was experien- cing them they were so solidly organized, so profoundly animated with a common life, that I could not have said where any one of them finished or where another com- menced. In reality no one of them begins or ends, but all extend into each other. -f This inner life may be compared to the /^ unrolling of a coil, for there is no living


12


An Introduction to




being who does not feeT Limself gradually to the end of his rdle; and to live is to grow old. But it may just as well be compared to a continual rolling np, like that of a thread on a ball, for our past follows us, it swells incessantly with the, present that it picks up on ils way; ai consciousness means memory.

But actually it is neither an unrolling nor a rolling up, for these two similes evoke the idea of lines and surfaces whose parts are homogeneous and superposable on one another? Now, there are no two ideutical ■ moments in the life of the same conscious being. Take the simplest sensation, sup- pose it constant, absorb in it the entire personality: the consciousness which will accompany this sensation cannot remain identical with itself for two consecutive momenta, because the second moment al- ways contains, over and above the first, the memory that the first has bequeathed to it. A consciousueas which could experience two identical moments would be a consciousness


the

1


J


detaphysi^^


13


it.


without memory. It would die and be bom again continually. In what other way could one represent unconsciousness?

It would be better, then, to use as a \w.J

comparison the myriad-tinted spectrum, / 1

with its insensible gradations leading from/ '

one shade to another. A current of feeling

which passed along the spectrum, asnuming

in turn the tint of each of its shades, would

experience a aeries of gradual changes, each

of which would announce the one to follow

and would sum up those which preceded

Yet even here the successive shades of

le spectrum always remain external one

another. They are juxtaposed ; they

occupy space. But pure duration, on the

contrary, excludes all idea of juxtaposition, |.

liprocal externality, and extension. '

Let us, then, rather, imagine an infinitely \ I

lall elastic body, contracted, if it were ^ J

is&ible, to a mathematical point. Ijet this

drawn out gradually in such a manner

ihat from the point comes a constantly

lengthening line. Let us fix our attention


14 An Introduction to

not on the line as a line, but on the action by which it is traced. Let us bear in mind that this action, in spite of its duration, is indivisible if accomplished with- out stopping, that if a stopping-point is in- serted, we have two actions instead of one, that each of these separate actions is then the indivisible operation of which we speak, and that it is not the moving action itself which is divisible, but, rather, the station- ary line it leaves behind it as its track in space. Finally, let us free ourselves from the space which underlies the movement in order to consider only the movement itself, the act of tension or extension; in short, pure mobility. We shall have this time a more faithful image of the development of our self in duration. ^ However, even this image is incomplete, and, indeed, every comparison will be in- . sufficient, because the unrolling of our / duration resembles in some of its aspects \ the unity of an advancing movement and \in others the multiplicity of expanding


Metaphysics 15

states; and, clearly, no metaphor can ex- ^ press one of these two aspects without sacrificing the other. If I use the com- parison of the spectrum with its thousand shades, I have before me a thing already made, whilst duration is continually in the \ making. If I think of an elastic which is being stretched, or of a spring which is extended or relaxed, I forget the richness of color, characteristic of duration that is lived, to see only the simple movement by which consciousness passes from one shade to another. The inner life is all this „ at once: variety of qualities, continuity of progress, and unity of direction. It cannot be represented by images.

But it is even less possible to represent. \ it by concepts^ that is by abstract, general, / or simple ideas. It is true that no image can reproduce exactly the original feeling I have of the flow of my own conscious life. But it is not even necessary that I should attempt to render it. If a man is incapable of getting for himself the intuition of the


An Introduction to


constitutive duration of his own being, nothing will ever give it to him, concepts po more than images. Here the single aim /of the philosopher should be to promote a t certain effort, which in most men is usually \ fettered by habits of mind more useful to 'ilife. Now the image has at least this ad- Wantage, that it keeps us in the concrete. i>Io image can replace the intuition of dura- tion, Tjut many diverse images, borrowed from very different orders of things, may, by the convergence of their action, direct, consciousness to the precise point where there is a certain intuition to be seized. By choosing images as dissimilar as pos- sible, we shall prevent any one of them from usurping the place of the intuition it is intended to call up, since it would then be driven away at once by its rivals. By providing that, in spite of their differences f of aspect, they all require from the mindi the same kind of attention, and in somei sort the same degree of tension, we shall gradually accustom consciousness to a par-



Metaphysics


17


Hcnlar and clearly-defined disposition — that precisely which it must adopt in order to appear to itself as it really is, without any veil. But, then, consciouenefis must at least consent to make the effort. For it will have been shown nothing ; it will simply have been placed in the attitude it must take up in order to make the de- sired effort, and so come by itself to the intuition. Concepts on the contrary — especially if they are simple — have the disadvantage of being in reality symbols substituted for the object they symbolize, and demand no effort on our part. Ex- amined closely, each of them, it would be ^Eteen, retains only that part of the object ^Khich is common to it and to others, and ^"fecpresBes, still more than the image does, a comparison between the object and others' w hich resemble it. But as the comparison ^8 made manifest a resemblance, as the lemblance is a property of the object, and (I a pi-operty has every appearance of being Lparf of the object which possesses it, we


1 8 An Introduction to

easily persuade ourselves that by setting concept beside concept we are reconstruct- ing the whole of the object with its parts, thus obtaining, so to speak, its intellectual equivalenti'-'ni this way we believe that we ^ can form a faithful representation of dura- j tion by setting in line the concepts of \ unity, multiplicity, continuity, finite or in- \\ finite divisibility, etc. There precisely is \ the illusion. There also is the danger. Just in so far as abstract ideas can render service to analysis, that is, to the scientific study of the object in its relations to other objects, so far are they incapable of replac- . ing intuition, that is, the metaphysical in- vestigation of what is essential and unique in the object. For on the one hand these concepts, laid side by side, never actually give us more than an artificial reconstruc- tion of the object, of which they can only ' symbolize certain general, and, in a way, .

impersonal aspects; it is therefore useless

! to believe that with them we can seize a

reality of which they present to us the


Metaphysics 19

shadow alone. And, on the other hand, besides the illusion there is also a very serious danger. For the concept general- izes at the same time as it abstracts. The concept can only symbolize a particular property by making it common to an in- finity of things. It thei'cfore always more or less deforms the property by the exten- sion it gives to it. Replaced in the meta- physical object to which it belongs, a property coincides with the object, or at least moulds itself on it, and adopts the same outline. Extracted from the metaphysical object, and presented in a concept, it grows indefinitely larger, and goes beyond the object itself, since henceforth it has to con- tain it, along with a number of other objects. Thus the different concepts that we form of the properties of a thing inscribe round it so many circles, each much too large and none of them fitting it exactly. And yet, in the thing itself the properties coincided with the thing, and coincided consequently with one another. So that if we are bent


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^•'


20


An Introduction fo


on reconstructing the object with concepts, some artifice must be sought whereby this coincidence of the object and its properties can be brought about. For example, we may choose one of the concepts and try, starting from it, to get round to the others. But we shall then soon discover that ac- cording as we start from one concept or another, the meeting and combination of the concepts will take place in an altogether different way. According as we start, for example, from unity or from multiplicity, we shall have to conceive differently the multiple unity of duration. Everything will depend on the weight we attribute to this or that concept, and this weight will always be arbitrary, since the concept ex- tracted from the object has no weight, being only the shadow of a body. In this way, as many different systems will spring up as there are external points of view from which the reality can be examined, or larger circles in which it can he enclosed. Himple concepts have, then, not only the incon-


Metaphysics 21

venience of dividing the concrete unity of the object into so many symbolical expres- sions; they also divide philosophy into dis- tinct schools, each of which takes its seat, chooses its counters, and carries on with the others a game that will never end. Either metaB hJaica. is only this play of ideas, or else, if it is a serious occupation of the mind, if it is a science and not simply an exercise, it must transcend concepts in order to reach intuition. Certainly, con^/ cepts are necessary to it, for all the other sciences work as a rule with concepts, and metaphysics cannot dispense with the other sciences. But it is only truly itself when it goes beyond the concept, or at least when it frees itself from rigid and ready-made concepts in order to create a kind very dif- ferent from those which we habitually use; I mean supple, mobile, and almost fluid representations, always ready to mould themselves on the fleeting forms of intui- tion. We shall return later to this import- ant point. .Let it suffice us for the moment



22 An Introcjuction to

V

/ to have shown that otr duration can be presented to us directly in an intuition,

'i

j that it can be suggested to us indirectly

by images, but that it can never — ^if we

confine the word concept to its proper

meaning — be enclosed in a conceptual

f representation.

Let us try for an instant to consider our duration as a multiplicity. It will then be necessary to add that the terms of this multiplicity, instead of being distinct, as they are in any other multiplicity, encroach on one another; and that while we can no doubt, by an eflfort of imagination, solidify duration once it has elapsed, divide it into juxtaposed portions and count all these portions, yet this operation is accomplished on the frozen memory of the duration, on the stationary trace which the mobility of duration leaves behind it, and not on the duration itself. We must admit, therefore, that if there is a multiplicity here, it bears no resemblance to any other multiplicity we know. Shall we say, then, that dura-


Metaphysics 23

tion has unity? Doubtless, a continuity of elements which prolong themselves into one another participates in unity as much as in multiplicity; but this moving, changing, colored, living unity has hardly anything in common with the abstract, motionless, and empty unity which the concept of pure unity circumscribes. Shall we conclude from this that duration must be defined as unity and multiplicity at the same time? But singularly enough, however much I manipulate the two concepts, portion them out, combine them diflferently, prac- tise on them the most subtle operations of mental chemistry, I never obtain any- thing which resembles the simple in- tuition that I have of duration; while, on the contrary, when I replace myself in ' duration by an effort of intuition, I im- mediately perc^ve how it is unity, multi- plicity, and many other things besides^' These diflFerent concepts, then, were only so many standpoints* from which we could consider duration. Neither separated nor




24


An Introduction to


reunited have they made us penetrate inl it.

We do penetrate into it, however, and that can only be by an effort of intuition. In this sense, an inner, absolute knowledge of the duration of the self by the self is possible. But if metaphysics here demands and can obtain an intuition, science has none the less need of an analysis. Now it is a confusion between the function of analysis and that of intuition which gives birth to the discussions between the schools and the conflicts between systems.

Psychology, in fact, proceeds like all the other sciences by analysis. It resolves the self, which has been given to it at first in a simple intuition, into sensations, feelings, ideas, etc., which it studies separately. It substitutes, then, for the self a series of elements which form the facts of psy- chology. But are these elements really parts? That is the whole question, is because it has l)een evaded tl


int^H


Metaphysics 25

problem of human personality has so often been stated in insoluble terms.

It is incontestable that every psychical \ state, simply because it belongs to a per- / son, reflects the whole of a personality. Every feeling, however simple it may be, contains virtually within it the whole past and present of the being experiencing it, and, consequently, can only be separated and constituted into a " state " by an effort of abstraction or of analysis. But it is no ^ ., less incontestable that without this effort / of abstraction or analysis there would be j no possible development of the science of ' psychology. What, then, exactly, is the operation by which a psychologis t detaches a mental state in order to erect it into a

v..

more or less independent entity? He be- gins by neglecting that special coloring of the personality which cannot be ex- pressed in known and common terms. Then he endeavors to isolate, in the person already thus simplified, some aspect which lends itself to an interesting inquiry. If


26


An Introduction to


he is considering inclination, for exampi he will neglect the inexpressible shade which colors it, and which makes the in- clination mine and not jours; he will fix his attention on the movement by which our personality leans towards a certain object : he will isolate this attitude, and it is this special aspect of the personality, this snapshot of the mobility of the inner life, this " diagram " of concrete inclination, that he will erect into an independent fact. There is in this something very like what an artist passing through Paris does when he makes, for example, a sketch of a tower of Notre Dame. The tower is in- separably united to the building, which is itself no less inseparably united to the ground, to its surroundings, to the whole of Paris, and so on. It is first necessary to detach it from all these ; only one aspect of the whole is noted, that formed by the tower of Notre Dame. Moreover, the spe- cial form of this tower is doe to the group- ing of the stones of which it is composed ;


ipl^H tade '


Metaphysics 27

but the artist does not concern himself with these stones, he notes only the silhouette of the tower. For the real and internal organi- zation of the thing he substitutes, then, an external and schematic representation. So that, on the whole, his sketch corresponds to an observation of the object from a cer- tain point of view and to the choice of a certain means of representation. But ex- actly the same thing holds true of the operation by which the psychologist ex- tracts a single mental state from the whole I)ersonality. This isolated psychical state is hardly anything but a sketch, the com- mencement of an artificial reconstruction; it is the whole considered under a certain elementary aspect in which we are specially interested and which we have carefully noted. It is not a part, but an element. It has not been obtained by a natural dismemberment, but by analysis.

Now beneath all the sketches he has made at Paris the visitor will probably, by way of memento, write the word " Paris." And


N


28


^n Introduction to


as he has really seen Paris, he will be able, with the help of the original intnitiou he had of the whole, to place his sketches therein, and so join them up together. But there is no way of performing the inverse operation; it is impossible, even with an infinite number of accurate sketches, and even with the word "Paris" which indi- cates that they must be combined together, to get back to an intuition that one has never bad, and to give oneself an impi-ession of what Paris is like if one has never seen it. This is because we are not dealing here with real parts, but with mere notes of the total impression. To take a still more striking example, where the notation is more completely Rymbolic, suppose that I am shown, mixed together at random, the letters which make up a poem I am ignorant of. If the letters were parts of the poem, I could attempt to reconstitute the poem with them by trying the different possible arrangements, as a child dofs with the pieces of a Chinese puzzle. But I


Metaphysics 29

should never for a moment think of attempt- ing such a thing in this ease, because the letters are not component partSy but only partial expressions, which is quite a dif- ferent thing. That is why, if I know the poem, I at once put each of the letters in its proper place and join them up without difficulty by a continuous connection, whilst the inverse operation is impossible. Even when I believe I am actually attempt- ing this inverse operation, even when I put the letters end to end, I begin by thinking of some plausible meaning. I thereby give myself an intuition, and from this intuition I attempt to redescend to the elementary symbols which would reconstitute its ex- pression. The very idea of reconstituting a thing by operations practised on symbolic elements alone implies such an absurdity that it would never occur to any one if they recollected that they were not dealing with fragments of the thing, but only, as / it were, with fragments of its symbol. Such is, however, the undertaking of the


/


30


An Introduction to


philosophcre who Iry to reconstruct souality with psychical states, whether they confine themselves to those states alone, or whether they add a kind of thread for the purpose of joining the states together. Both empiricists and rationalists are victims of I the same fallacy. Both of them mistake partial notations for real parts, thus con- fusing the point of view of analysis and of intuition, of science and of metaphysics. The empiricists say quite rightly that psychologi<ral analysis discovers nothing more in personality than paychical states. Such is, in fact, the function, and the very definition of analysis. The psychologist has nothing else to do but analyze personality, that is, to note certain states; at the most he may put the lahel " ego " on these states in saying they are " states of the ego," juat as the artist writes the word " Paris " on each of his sketches. On the level at which the psychologist places himself, and on which he must place himself, the "ego only a sign by which the primitive,


1

they 1



Metaphysics 3'

moreover very confused, intuition which has furnished the psychologist with his subject-matter is recalled ; it is only a word, and the great error here lies in believing that while remaining on the same level we can find behind the word a thing. Such has been the error of those philosophers who have not been able to resign themselves to being only psychologists in psychology, Taine and Stuart Mill, for example. Psy- chologists in the method they apply, they have remained metaphysicians in the object they set before themselves. They desire an intuition, and by a strange inconsistency ) they seek this intuition in analysis, which/ is the very negation of it. "I They look for' the ego, and they claim to find it in psy- chical states, though this diversity of states has itself only been obtained, and could only be obtained, by transporting oneself outside the ego altogether, so as to make a series of sketches, notes, and more or less symbolic and schematic diagrams. Thus, however much they place the states side by side,


32


\n Introduction to


mijltiplying points of contact and exploring the intervals, the ego always escapes them, so that they finish by seeing in it nothing bnt a vain phantom. We might as well deny that the Iliad had a meaning, on the ground that we had looked in vain for that meaning in the intervals between the letters jof which it is composed.

' Philosophical empiricism is born here,

jthen, of a confusion between the point of , /view of intuition and that of analysis. Seeldng for the original in the translation, where naturally it cannot be, it denies the existence of the original on the ground that it is not found in the translation. It leada of necessity to negations ; but on examining the matter closely, we perceive that these negations simply mean that analysis is not intuition, which is self-evident. From the original, and, one must add, very indistinct intuition which gives positive science its material, science passes immediately to analysis, which multiplies to infinity its observations of this material from outside


Metaphysics 33

points of view. It soon comes to believe that by putting together all these diagrams it can reconstitute the object itself. No wonder, then, that it sees this object fly be- fore it, like a child that would like to make a solid plaything out of the shadows out- lined along the wall!

But rationalism is the dupe of the same illusion. It starts out from the same con- fusion as empiricism, and remains equally powerless to reach the inner self. Like empiricism, it considers psychical states as so many fragments detached from an egoi that hinds them together. Like empiricism, it tries to join these fragments together in

■order to re-create the unity of the self. Kke empiricism, finally, it sees this unity Bf the self, in the continually renewed effort It makes to clasp it, steal away indefinitely pke a phantom. But whilst empiricism,; ■freary of the struggle, ends by declaring) that there ia nothing else but the multi-( plicity of psychical states, rationalism per-) 3tB in affirming the "unity of the person.^


34 An Introduction to

It is true that, seeking this unity on the level of the psychical states themselves, and obliged, besides, to put down to the account of these states all the qualities and deter- minations that it finds by analysis (since analysis by its very definition leads always to states ) , nothing is left to it, for the unity of personality, but something purely nega- tive, the absence of all determination. The psychical states having necessarily in this analysis taken and kept for themselves everything that can serve as matter, the

" unity of the ego " can never be more than

a form without content. It will be abso- lutely indeterminate and absolutely void. To these detached psychical states, to these shadows of the ego, the sum of which was for the empiricists the equivalent of the self, rationalism, in order to reconstitute personality, adds something still more un- real, the void in which these shadows move — a place for shadows, one might say. How could this " form," which is,4tf truth form- less, serve to characterize a living, active,


Metaphysics 35

concrete personality, op to distinguish Peter from Paul? Is it astonishing that the philosophers who have isolated this " form " of personality should, then, find it insuf- ficient to characterize a definite person, and that they should be gradually led to make their empty ego a kind of bottomless re- ceptacle, which belongs no more to Peter than to Paul, and in which there is room, according to our preference, for entire hu- manity, for God, or for existence in general? I see in this matter only one difference '^^ between empiricism and rationalism. The former, seeking the unity of the ego in the gaps, as it were, between the psychi- cal states, is led to fill the gaps with other states, and so on indefinitely, so that the ego, compressed in a constantly narrowing interval, tends towards zero, as analysis is pushed farther and farther; whilst rationalism, making the ego the place where mental states are lodged, is confronted with an empty space which we have no rea- son to limit here rather than there, which


'*•


/


36


An Introduction to


goes beyond each of the successive bou! daries that we try to assign to it, which constantly grows larger, and which tends to lose itself no longer in zero, but in the infinite.

The distance, then, between a so-called " empiriciam " like that of Taine and the most transcendental speculations of certain German pantheists is very much less than is generally supposed. The method is analo- gous in both cases; it consists in reason- ing about the elements of a translation as , y if they were parts of the original. But a true empiricism is that which proposes to get as near to the original itself as pos- sible, to search deeply into its life, and so, I by a kind of intellectual auscultation, to feel the throbbinga of its soul; and this tnie empiricism is the true metaphysics. It is true that the task is an extremely diffi- cult one, for none of the ready-made concep- tions which thought employs in its daily operations can be of any use. Nothing is mure easy than to aay that the ego is multi-


Metaphysics


37


Iplieity, or that it is unity, or that it is tlie

byntheslB of both. Unity and multiplicity

iare liere representations that we have no

need to cut out on tlie model of the object ;

they are found i-eady-made, and have only

I to be chosen from a heap. Thoy are stock-

l.flize clothes which do just as well for Peter

[ as for Paul, for they set ofE the form of

neither. But an empiricism worthy of the

name, an empiriciBm which works only to I

measure, is obliged for each new object that

it studies to make an absolutely fresh effort.

It cuts out for the object a concept which

■ IB appropriate to that object alone, a con-

Pcept which can as yet hardly be called a

concept, since it applies to this one thing.

It does not proceed by combining current

ideas like unity and multiplicity; hut it

leads us, on the contrary, to a simple,

unique representation, which, however once

vformed, enables us to understand easily how

pt is that we can place it in the frames

fcnity, multiplicity, etc., all much larger

an itself. In short, philosophy thus de-^


An Introduction to

fined does not consist in the choice of cer-J tain concepts, and in taking sides with i Bchool, but in the search for a unique intui- 1 tion from which we can descend with equal-l ease to different concepts, because we arftl placed above the divisions of the school8.'J

,/ That personality has unity cannot be c ^ nied; but such an affirmation teaches cm nothing about the extraordinary nature o^

I the particular unity presented by per8on,4

' ality. That our self is multiple I i agree, but then it must be understood 1 it is a multiplicity which has nothing ' common with any other multiplicity. Whi is really important for philosophy is tori know exactly what unity, what multiplicity, and what reality superior both to abstract unity and multiplicity the multiple unity of the self actually is. Now philosopl^ will know this only when it recovers poi session of the simple intuition of the 8ell|

■ by the self. Then, according to the direcl jtion it chooses for its descent from this Bnmmit, it will arrive at unity or multj


••r-


y


Metaphysics 39

plicity, or at any one of the concepts by which we try to define the moving life of the self. But no mingling of these con- cepts would give anything which at all resembles the self that endures.

If we are shown a solid cone, we see with- out any difficulty how it narrows towards the summit and tends to be lost in a mathe- matical point, and also how it enlarges in the direction of the base into an indefinitely increasing circle. But neither the point nor the circle, nor the juxtaposition of the two on a plane, would give us the least idea of a cone. The same thing holds true of the unity and multiplicity of mental life, and of the ze ro and the infinite towards which empiricism and rationalism conduct personality.

Concepts, as we shall show elsewhere, v generally go together in couples and repre- sent two contraries. There is hardly any concrete reality which cannot be observed from two opposing standpoints, which can- not consequently be subsumed under two


y


40


An Introduction to


antagonistic concepts. Hence a thesis and an antithesis which we endearor in vain to reconcile logically, for the very simple reason that it is impossible, with concepts and observations taken from outside points of view, to make a thing. But from the object, seized by intuition, we pass easily in many cases to the two contrary concepts j and as in that way thesis and antithesis can be seen to spring from reality, we grasp at the same time how it is that the two a: opposed and how they are reconciled.

It is true that to accomplish this, it_u necessary to proceed by a reversal _ of _ the usual work of the intellect. Thinking usu- ally consists in passing from concepts to Nothings, and not from things to concepts. To know a reality, in the usual sense of the word " know," is to take ready-made con- cepts, to portion them out and to mix them together until a practical equivalent of the reality is obtained. But it must he remem- bered that the normal work of the intellect is far from being disinterested. We do not


1


Metaphysics 41

aim genemlly^t knowledge for the sake of knowledge, but in order to take sides, to draw profit— in short, to satisfy an inter- est. We inquire up to what point the object we seek to know is this or that^ to what known class it belongs, and what kind of action, bearing, or attitude it should suggest to us. These different possible actions and attitudes are so many concept tual directions of our thought, determined once for all; it remains only to follow them: in that precisely consists the appli- cation of concepts to things. To try to fit a concept on an object is simply to ask what we can do with the object, and what it can do for us. To label an object with a certain concept is to mark in precise terms the kind of action or attitude the object should suggest to us. All knowledge, prop-V. erly so called, is t hen o ri ented in a cer tain 1 7 direction, or taken from a certain^ppint of / view. It is true that our interest is often/ complex. This is why it happens that our knowledge of the same object may face sev-


42 An Introduction to

ifral MucceMKive directionin and may be taken ffom varioiiH pointH of riew. It is this wbii;h cronntituteH, in the usual meaning of th(! ti^nriH, a " broad " and " comprehensive " knowli^lge of the object; the object is then brought not under one single concept, but tinder w^veral in which it is supposed to " par(-l(!!pate." IIow does it participate in all th(!H(^ (concepts at the same time? This in a qtumticm which does not concern our Iirnctical action and about which we need not trouble. It is, therefore, natural and logtttmate in daily life to proceed by the juxtaposition and portioning out of con- oopts; no {>hiIo8ophical difficulty will arise tnm\ this prtH*eiluix^, since by a tacit agree- nuMit wo shall al>8tain from philosophizing. Uut to carry this modus opeivndi into phlU>8ophy» to pass here also fn>m concepts to tht> things to us»e in order to obtain a tU»lnhvn?»tetl knowledge of an object (that th{» Uto^ ^v dess^ire to grasp as it is in itself) « uuiuner of knowing inspired by a determin- iiti^ iniii'neHSil^ eomsisting by deJinirion in an


Metaphysics 43

externally-taken view of the object, is to go against the end that we have chosen, to condemn philosophy to an eternal skirmish- ing between the schools and to install con- tradiction in the very heart of the object and of the method. Either there is no philosophy possible, and all knowledge of things is a practical knowledge aimed at the profit to be drawn from them, or else philosophy consists in placing oneself with- in the object itself by an effort of intuition.

But in order to understand the nature of this intuition, in order to fix with precision where intuition ends and where analysis I begins, it is necessary to return to what was said earlier about the flux of duration.

It will be noticed that an essential char- acteristic of the concepts and diagrams to which analysis leads is that, while being considered, they remain stationary. I iso- late from the totality of interior life that psychical entity which I call a simple sensa- tion. So long as I study it, I suppose that it remains constant. If I noticed any


44


An Introduction to



change in it, I should say that it was not a single sensation but several successive sensations, and I should then transfer to each of these successive sensations the im- mufabiiity that I first attributed to the total sensation. In any case I can, by pushing the analysis far enough, always manage to arrive at elements which I agree to consider immutable. There, and there only, shall I find the solid basis of opera- tions which science needs for its own proper development.

U~ But, then, I cannot escape the objec- tion that there is no state of mind, how- ever simple, which does not change every moment, since there is no consciousness without memory, and no continuation of a state without the addition, to the present feeling, of the memory of past moments. It is this which constitutes duration. Inner duration is the continuous life of a memory which prolongs the past into the present, the present either containing within it ; a distinct form the ceaselessly growth


Metaphysics 45

image of the past, or, more probably, show- ing by its continual change of quality the heavier and still heavier load we drag be- hind us as we grow older. Without this survival of the past into the present there would be no duration, but only instantaneity. Probably if I am thus accused of taking the mental state out of duration by the mere fact that I analyze it, I shall reply, " Is not each of these elementary psychical states, to which my analysis leads, itself a state which occupies time? My analysis," I shall say, "does indeed resolve the inner life into states, each of which is homogeneous with itself; only, since the homogeneity extends over a definite number of minutes or of seconds, the elementary psychical state does not cease to endure, although it does not change." ^

"^ But, in saying that, I fail to see that the definite number of minutes and of seconds, which I am attributing here to the elemen- tary psychical state, has simply the value of a sign intended to remind me that the psy-


46 An Introduction


eneous, is^^^


chical state, supposed homogein reality a state which changes and endures. The state, taken in itself, is a periietual becoming. I have extracted from this be- coming a certain average of quality, which I have supposed invariable; I have in this way constituted a stable and consequently schematic state. I have, on the other hand, extracted from it Becoming in general, i. e., a becoming which is not the becoming of any particular thing, and this is what I have called the time the state occupies. Were I to look at it closely, I should see that this abstract time is as immobile for me as the state which I localize in it, that it could flow only by a continual change of quality, and that if it is without quality, merely the theatre of the change, it thus becomes an immobile medium. I should see that the construction of this homogeneous time is simply designed to facilitate the comparison between the different concrete durations, to permit us to count simulta- neities, and to measure one flux of duration


Metaphysics 47

in relation to another. . . And lastly I should understand that, in attaching the sign of a definite number of minutes and of seconds to the representation of an elementary psy- chical state, I am merely reminding myself and others that the state has been detached from an ego which endures, and merely marking out the place where it must again be set in movement in order to bring it back from the abstract schematic thing it has become to the concrete state it was at first. But I ignore all that, because it has nothing to do with analysis.

This means that analysis operates always on the immobile, whilst intuition places it- self in mobility, or, what comes to the same thing, in duration. There lies the very dis- tinct line of demarcation between intuition and analysis. The real, the experienced, and the concrete are recognized by the fact that they are variability itself, the element by the fact that it is invariable. And the 1 element is invariable by definition, being a ^ diagram, a simplified reconstruction, often


48


An Introduction to


a mere symbol, in any case a motionless view of the moving reality. A^But the error consists in believing that we can reconstruct the real with these dia- grams. As we have already said and may as well repeat here — from intuition one can pass to^naljsis, but not from analyaia to intuition.

Out of variability we can make as many variations, qualities and modifications as we please, since these are so many static views, taken by analysis, of the mobility given to intuition. But these modifications, put end / to end, will produce nothing which re- \ sembles variability, since they are not parts of it, but elements, which is quite a different thing.

Consider, for example, the variability which is nearest to homogeneity, that of movement in space. Along the whole of this movement we can imagine possible stop- pages ; these are what we call the positions of the moving body, or the points by which But with these positions, even


Metaphysics 49

with an infinite number of them, we shall never make movement. They are not parts of the movement, they are so many snap- shots of it; they are, one might say, only supposed stopping-places. The moving boc^^'^^ C * * ^ is never really in any of the points : the X most we can say is that it passes through/ them. But passage, which is movement, has nothing in common with stoppage, which is immobility. A movement cannot be superposed on an immobility, or it would then coincide with it, which would be a contradiction. The points are not in the movement, as parts, nor even beneath it, as positions occupied by the moving body. They are simply projected by us under the movement, as so many places where a mov- ing body, which by hypothesis does not stop, would be if it were to stop. They are not, therefore, properly speaking, positions, . but " suppositions," aspects, or points of view of the mind. But how could we con- struct a thing with points of view?

Nevertheless, this is what we try to do j



50 An Introduction to

whenever we reason about movement, and also about time, for which movement serves

[ as a means of representation. As a result

of an illusion deeply rooted in our mind,

and because we cannot prevent ourselves

J from considering analysis as the equivalent

N^of intuition, we begin by distinguishing along the whole extent of the movement, a certain number of possible stoppages or points, which we make, whether they like it or no, parts of the movement. Faced with our impotence to reconstruct the move- ment with these points, we insert other points, believing that we can in this way get nearer to the essential mobility in the movement. Then, as this mobility still es- capes us, we substitute for a fixed and finite number of points an " indefinitely in- creasing" number — thus vainly trying to counterfeit, by the movement of a thought that goes on indefinitely adding points to points, the real and undivided motion of the moving body. Finally, we say that movement is composed of points, but that



Metaphysics 51

it comprises, in addition, the obscure and mysterious passage from one position to the next. As if the obscurity was not due entirely to the fact that we have supposed immobility to be clearer than mobility and rest anterior to movement! As if the mystery did not follow entirely from our attempting to pass from stoppages to movement by way of addition, which is im- possible, when it is so easy to pass, by simple diminution, from movement to the slackening of movement, and so to im- mobility ! It is m ovement that wemust a. custom ourselves to look upon as simplest / and clearest, immobility being only the ex- / treme limit of the slowing down of move- / ment, a limit reached only, perhaps, in / ; thought and never realized in nature. What we have done is to seek for the meaning of the poem in the form of the letters of which it is composed; we have believed that by considering an increasing number of letters we would grasp at last the ever-escaping meaning, and in desperation, seeing that it



52


An Introduction to


was useless to seek for a part of the sense in each of the letters, we have supposed that it was between each letter and the next that this long-sought fragment of the mysterious sense was lodged ! But the / letters, it must be pointed out once again, are not parts of the thing, but elements of the symbol. Again, the positions of the moving body are not parts of the move- ment; they are points of the space which is supposed to underlie the movement. This empty and immobile space which is merely conceived, never perceived, has the value of a symbol only. How could you ever manufacture_j!eality_bjmanipuiating symbols?

But the symbol in this case responds to the most inveterate habits of our thought, We place ourselves as a rule in immobility, in which we find a point of support for practical purpo.ses, and with this immo- bility we try to reconstruct motion. We only obtain in this way a clumsy imitation, a counterfeit of real movement, but this imita-


Bpoi


Metaphysics 53

tion is much more useful in life than the intuition of the thing itself would be. Now our mind haa an irresistible tendency to consider that idea clearest which is most often useful to it. That is why immobility seems to it clearer than mobility, and rest anterior to movement.

The difficulties to which the problem of movement has given rise from the earliest antiquity have originated in this way. They result always from the fact that we insist on passing from space to movement, from the trajectory to the flight, from immobile

isitions to mobility, and on passing from One to the other by way of addition. But it is movement which is anterior to im- mobility, and the relation between positions and a displacement is not that of parts to a whole, but that of the diversity of pos- sible points of view to the real indivisibility of the object.

Many other problems are born of the same illusion. What stationary points are to the movement of a moving body, concepts


\n Introduction to


■ I / of different qualities are to the qualitative I A^^ change of an object. The various concepts into which a change can be analyzed are therefore so many stable views of the in- stability of the real. And to think of an object — in the usual meaning of the word " think " — is to take one or more of these immobile views of its mobility. It consists, in short, in asking from time to time where the object is, in order that we may know what to do with it. Nothing could be more legitimate, moreover, than this method of procedure, so long as we are concerned only with a practical knowledge of reality. Knowledge, in so far as it is directed to practical matters, has only to enumerate the principal possible attitudes of the thing towards us, as well as our best possible attitude towards it. Therein lies the oi ^ nary function of ready-made concepts, thi iBtations with which we mark out the path of becoming. But to seek to penetrate with them into the inmost nature of things, is to apply to the mobility of the real a


ible ^i irdt|M

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Metaphysics 55

method created in order to give stationary points of observation on it. It is to forget that, if metaphysic is possible, it can only be a laborious, and even painful, effort to remount the natural slope of the work of thought, in order fo place oneself directly, by a kind of intellectual expansion, within the thing studied : in short, a passage from reality to concepts and no longer from con- { cepts to reality. Is it astonishing that, like children trying to catch smoke by closing their hands, philosophers so often see the object they would grasp fly before them? It is in this way that many of the quarrels between the schools are perpetuated, each of them reproaching the others with having allowed the real to slip away. ^^^

But if metaphysics is to proceed by in- \ ition, if intuition has the mobility of duration as its object, and if duration is of a psychical naturo^ shall we not be con- fining the philosopher to the exclusive contemplation of himself? Will not phi- losophy come to consist in watching oneself


/


An Introduction to


f


merely live, " ae a sleepy shepherd watches the water flow"?^ To talk in this way would be to return to the error which, since the beginning of this study, we have not ceased to point out. It would be to mis- conceive the singular nature of duration, and at the same time the essentially active, I might almost say violent, character of metaphysical intuition. It wonld be fail- ing to see that the method we speak of alone permits us to go beyond idealism, as well as realism, to affirm the existence of objects inferior and superior (though in a certain sense interior) to us, to make them co-exist together without difficulty, and to dissipate gradually the obscurities that analysis accumulates round these great problems. Without entering here upon the study of these different points, let us con- fine ourselves to showing how the intuition we speak of is not a single act, but an in- definite series of acts, all doubtless of the

> " Comme un patre assoupi regarde I'eau coaI«  —BoUa, Alfred de Musset. (Tranelator's note.) '


Metaphysics 57

same kind, but each of a very particular species, and how this diversity of acts corresponds to all the degrees of being.

If I seek to analyse duration — that is resolve it into ready-made concepts — I ara 1 compelled, by the very nature of the con- cepts and of analysis, to take two opposing views of duration- tn general, with which I then attempt to reconstruct it. This com- bination, which will have, moreover, some- thing miraculous about it — since one does not understand hiiw two contraries would ever meet each other — can present neither a diversity of degrees nor a variety of forms ; like ail miracles, it is or it is not. I shall have to say, for example, that there is on '\~ the one hand a multiplicity of successive / states of consciousness, and on the other a unity which binds them together. Duration will be the " synthesis " of this unity and this multiplicity, a mysterious operation which takes place in darkness, and in re- gard to which, I repeat, one does not see [ bow it would admit of shades or of degrees.



58 An Introduction to

In this hypothesis there is, and can only be, one single duration, that in which our own consciousness habitually works. To express it more clearly — ^if we consider duration under the simple aspect of a move- ment accomplishing itself in space, and we seek to reduce to concepts movement con- sidered as representative of time, we shall have, on the one hand, as great a number of points on the trajectory as we may de- sire, and, on the other hand, an abstract unity which holds them together as a thread holds together the pearls of a necklace. Be- tween this abstract multiplicity and this abstract unity, the combination, when once it has been posited as possible, is something unique, which will no more admit of shades than does the addition of given numbers in arithmetic. But if, instead of professing to analyze duration (i. e.^ at bottom, to make a synthesis of it with concepts), we at once place ourselves in it by an effort of intu- ition, we have the feeling of a certain very determinate tension, in which the determina-


Metaphysics 59

tion itself appears as a choice between an ^ infinity of possible durations. Hencefor- ward we can picture to ourselves as many durations as we wish, all very different from each other, although each of them, on being reduced to concepts — that is, observed externally from two opposing points of view — ^always comes in the end to the same in- definable combination of the many and the one.

Let us express the same idea with more precision. If I consider duration as a multiplicity of moments bound to each other by a unity which goes through them like a thread, then, however short the chosen duration may be, these moments are un- limited in number. I can suppose them as close together as I please ; there will always be between these mathematical points other mathematical points, and so on to infinity. Looked at from the point of view of multi- plicity, then, duration disintegrates into a powder of moments, none of which endures, each being an instantaneity. If, on the


inti


tion 1


other hand, I consider the nnity binds the moments together, this endare either, since by hypothesis ev< thing that is changing, and ererything thai is really dttrable in the duration, has been pnt to the acconnt of the muUiplidty of moments. As I probe more deeply into essence, this nnity will appear to me as soi immobile substratum of that which is mov- ing, as some intemporal essence of time ; it is this that I shall call eternity; an eter^ nitj of death, since it is nothing else the movement emptied of the mobility w! made its life. Closely examined, th e opin- jo^,Of _the opposing schools on the subject of duration would be seen to differ solely in this, that they attribute a capital import- ance to one or the other of these two con- cepts. Some adhere to the point of view i,^^.of the multiple; they set up as concrete ' ' reality the distinct moments of a time which they have reduced to powder; the unity which enables us to call the grains a powi they hold to be much more artifii


eter^^^ tha^H


Metaphysics 6i

Others, on the contrary, set up the unity of duration as concrete reality. They place themselves in the eternal. But as their eternity remains, notwithstanding, abstract, since it is empty, being the eternity of a concept which, by hypothesis, excludes from itself the opposing concept, one does not see how this eternity would permit of an indefinite number of moments coexisting in it. In the first hypothesis we have a world resting on nothing, which must end and begin again of its own accord at each in- stant. In the sefiond we have an infinity of abstract eternity, about which also it is just as difficult to understand why it does not remain enveloped in itself and how it allows things to coexist with it. But ij^J both cases, /and whichever of the two meta- physics it be that one is switched into,\ time appears, from the psychological point of view, as a mixture of two abstractions, which admit of neither degrees nor shades. / In one system as in the other, there is only one unique duration, which carries every-


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An Introduction to



thing with it — a bnttomlesB, banklese river, which flows without assignable force in a direction which could not be defined. Even then we can call it only a river, and the river only flows, because reality obtains from the two doctrines this concession, profiting by a moment of perplexity in their logic. As soon as they i-ecover from this perplexity, they freeze this flux either into an immense solid sheet, or into an finity of crystallized needles, always into ih ing which necessarily partakes of immobility of a point of viev}.

It is quite otherwise if we place our- selves from the first, by an effort of intu- ition, in the concrete flow of duration. Certainly, we shall then find no logical reason for positing multiple and diverse durations. Strictly, there might well be no other duration than our own, as, for e.xample, there might be no other color in the world but orange. But just as a con- sciousness based on color, which sym- pathized internally with orange instead of


4


Metaphysics 63

perceiving it externally, would feel itself held between red and yellow, would even perhaps suspect beyond this last color a complete spectrum into which the conti- nuity from red to yellow might expand naturally, so the intuition of our duration, \ far from leaving us suspended in the void ^, as pure analysis would do, brings us into contact with a whole continuity of dura- . tions which we must try to follow, whether downwards or upwards; in both cases we can extend ourselves indefinitely by an in- creasingly violent effort, in both cases we '^^ transcend ourselves. In the first we ad- { vance towards a more and more attenu- / ated duration, the pulsations of which, being rapider than ours, and dividing our simple sensation, dilute its quality into quantity; at the limit would be pure homo- geneity, that pure repetition by which we define materiality. Advancing in the other direction, we approach a duration which strains, contracts, and intensifies itself more and more; at the limit would be '


An Introduction to


eternitj... No longer conceptual eternity, which is an eternity of death, but an eter- nity of life. A living, and therefore still moving eternity in which onr own particular duration would be included as the vibra- tions are in light; an eternity which would be the concentration of all duration, as materiality is its dispersion. Between these two extreme limits intuition moves, and this movement is the very essence of metaphysics.


There caa be no question of following here the various stages of this movement, But having presented a general view of tl method and made a first application of it may not be amiss to formulate, as pi cisely as we can, the principles on wi it rests. Most of the following pro] tions have already receive ; in short, to adopt the mobile continuity of the outlines of ihinga It is trw? that it is «mtine«l to the outline^ being oulv the science of magnitudes. It if true k1»o that it has only been able to tow its manvU^s applications by tbe mtioa of certain symboK and that if



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the intuition of which we have just spoken lies at the origin of invention, it is the symbol alone which is concerned in the application. But metaphysics, which aims at no application, can and usually must abstain from converting intuition into sym- , bo Is. Liberated from the obligation of working for practically useful results, it ill indefinitely enlarge the domain of its .Testigations. What it may lose in com- parison with science in, utility and exacti- tude, it will regain in range-and exteiisiot]. hough mathematicR is only the science of ignitudes, though mathematical processes applicable only to quantities, it must be forgotten that quantity is always quality in a nascent state; it is, we might ,. say, the limiting case of quality. It is' natural, then, that metaphysics should adopt the generative idea of our mathe- matics in order to extend it to all qualities; that is, to reality in general. It will not, by doing this, in any way be moving to- wards universal mathematics, that chimera


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An Introduction to


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of modern philosophy. On the contrary, 1 farther it goes, the more untranslatable into eymbola will be the objects it en- counters. But it will at least have begun ty getting into contact with the continuity and mobility of the real, just where this contact can be most marvelously utilized. It will have contemplated itself in a mirror which reflects an image of itself, much shrunken, no doubt, but for that reason very luminous. It will have seen with greater clearness what the mathematical processes borrow from concrete reality, and it will continue in the direction of concrete reality, and not in that of mathematical processes. Having then discounted before- hand what is too modest, and at the same time too ambitious, in the following

. fonnula, we may say that the object of metaphysics is to perform qualitative dif-

^- ferentiatioHS and integrations.

VIII. The reason why this object has been lost sight of, and why science its has been mistaken in the origin of the |


Metaphysics 73

cesses it employs, is that intuition, once attained, must find a mode of expression and of application which conforms to the habits of our thought, and one which fur- nishes us, in the shape of well-defined con- cepts, with the solid points of support which we so greatly need. In that lies the con- dition of what we call exactitude and pre- cision, and also the condition of the unlimited extension of a general method to particular cases. Now this extension and this work of logical improvement can be continued for centuries, whilst the act ghich creates the method lasts but for a moment. T hat is why we so often take the logical equipment of science for science it- self,^ forgetting the metaphysical intuition

from which all the rest has sprung.

From the overlooking of this intuition proceeds all that has been said by phi- losophers and by men of science themselves

1 On this point as on several other questions treated in the present essay, see the interesting articles by MM. Le Roy, Vincent, and Wilbois, which have appeared in the Revtie de Mitaphysique et de Morale.


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^^P about the " relativity " of scientific kuoi^^^^l '^-. edee. What is relative is the sumboUn '


about the " relativity " of scientific knoi edge. What is relative is the symbolic knowledge by pre-existing concepts, which proceeds from the fixed to the moving, and not the intuitive knowledge which instaUs itself in that which is moving and adopts^ the very life of things. This intuition aA tains the absolute. L Science and metaphysics therefore come together in intuition, A truly intuitive philosophy would realize the much-desired union of science and metaphysics. While it would make of metaphysics a positive Bcience— that is, a progressive and indel nitely perfectil)le one — it would at the time lead the positive sciences, properly so- called, to become conscious of their true scope, often far greater than they imagine. It would put more science into meti physics, and more metaphysics into 8cien«  It would result in restoring the continuity between the intuitions which the various sciences have obtained here and there in the course of their history, and whicl


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Metaphysics


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[they have obtained only by strokes of [eniuB. -^^

IX. That there are not two difEerent " ways of knowing things fundamentally, that the various sciences have their root in metaphysics, is what the ancient p hi loBO-_ '>l phers generally thought. Their error did not lie there. It consisted in their being

I always dominated by the belief, so natural to the human mind, that a variation can \ only be the expresaion and development of I what is invariable. Whence it followed that action was an enfeebled contemplation, duration a deceptive and shifting image of immobile eternity, the 8oul a fall from the Idea. The whole of the philosophy which begins with Plato and culminates in Ploti- nuB is the development of a principle which - I may be formulated thus : " There is more I in the immutable than in the moving, and ■ we pass from the stable to the unstable by \ a mere diminution." Now it is the contrary I which is true.

Modern science dates from the day when



An Introduction to


/mobility was set up as an independent I'eality. It dates from the day wUen Galileo, setting a ball rolling down an in- clined plane, finnly resolved to study this movement from top to bottom for itself, in itself, instead of seeking its principle in the concepts of high and low, two im- mobilities by which Aristotle believed he could adequately explain the mobility. And this is not an isolated fact in the history of science. Several of the great discoveries, of those at least which have transformed the positive sciences or which have created new ones, have been so many soundings in the depths of pure duration. The more living the reality touched, the deeper was the sounding.

But the lead-line sunk to the sea bottom brings up a fluid mass which the sun's heat quickly dries into solid and discontinuous grains of sand. And the intuition of dura: tion, when it is exposed to the rays of the understanding, in like manner quickly turns into -fixed, distinct, and immobile concepts.


kletapnysics


77


[ In the living mobility of things the un- I deratandiug is bent on marking real or I virtual stations, it notes departures and arrivals; for this is all that concerns the I thought of man in so far as it is simply human. It is more than human to grasp what is happening in the interval. But philosophy can only be an efEort to tran- . Bcend the human condition, I Men of science have fixed their attention mainly on the concepts with which they have marked out the pathway of intuition. The more they laid stress on these residual I products, which have turned into symbols,

  • the more they attributed a symbolic char-

acter to every kind of science. And the more they believed in the symbolic char- acter of science, the more did they indeed [•make science symbolical. Gradually they have blotted out all difference, in positive science, between the natural and the arti- ficial, between the data of immediate intu- ition, and the enormous work of analysis which the understanding pursues round


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An Introduction to


intuition. Thus they have prepared the way for a doctrine which aflfirms the relativity of all our knowledge.

But metaphysics has also labored to the Kame end.

^ow could the masters of modem philoso- phy, who have been renovators of science as well as of metaphysics, have had no sense of the moving continuity of reality? How could they have abstained from placing themselves in what we call concrete dura- tion? They have done so to a greater ex- tent than they were aware ; above all, much more than they said. If we endeavor to link together, by a continuous connection, the intuitions about which systems have become organized, we find, together with other convergent and divergent lines, one very determinate direction of thought and of feeling. What is this latent thought? How shall we express the feeling? To borrow once more the language of the Platonists, we will say- — depriving the words of their psychological sense, and g


Metaphysics 79

ing the name of Idea to a certain settling down into easy intelligibility, and that of Soul to a certain longing after the restless- ness of life — that an invisible current causes modem philosophy to place the Soul above the Idea. It thus tends, like mod3rn science, and even more so than modern science, to advance in an opposite direc- tion to ancient thought.

But this metaphysics, like this science, ^\ has enfolded its deeper life in a rich tissue ^ of symbols, forgetting something that, while . / science needs symbols for its analytical de- velopment, the main object of metaphysics is to do away with symbols. Here, again, the understanding has pursued its work of fixing, dividing, and reconstructing. It has ' pursued this, it is true, under a rather dif- / ferent form. Without insisting on a point which we propose to develop elsewhere, it is enough here to say that the understand- '^ ing, whose function it is to operate on stable elements, may look for stability either in relations or in things. In so far as it workw


7


An Introduction^i


on concepts of relations, it culminates in scientific symbolism. In so far as it works on concepts of things, it culminates in metaphysical symbolism. But in both cases the arrangement comes from the under- standing. Hence, it would fain believe itself independent. Rather than recognize at once what it awes to an intuition of the depths of reality, /it prefers exposing itself to the danger that its whole work may \te looked upon as nothing but an artificial arrange- ment of symbols. So that if we were to hold on to the letter of what metaphysicians and scientists say, and also to the material aspect of what they do, we might believe that the metaphysicians have dug a deep tunnel beneath reality, that the scientists have thrown an elegant bridge over it, but that the moving stream of things passes between these two artificial constructions without touching them.

One of the principal artifices of the -Kantian criticism consisted in taking the

metaphysician and the scientist literally,


Metaphysics


8i


forcing both metaphysics and science to the extreme limit of symbolism to which they could go, and to which, moreover, they make their way of their own accord as soon as the understanding claims an independence full of perils. Having once overlooked the-. ties that bind science and metaphysics to intellectual intuition, Kant has no diffi- culty in showing that our science is wholly i relative, and our metaphysics entirely arti-, | ficial. Since he has exaggerated the ind((- i pendence of the understanding in both cases, since he has relieved both meta- physics and science of the intellectual in- tuition which served them as inward ballast, science with its relations presents to him "" no more than a film of form, and meta- physics, with its things, no more than a film of matter. Is it surprising that the first, then, reveals to him only frames , packed within frames, and the second only phantoms chasing phantoms?

He has struck such telling blows at our science and our metaphysic that they have


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An Introduction to


not even yet quite recovered from their bewilderment. Our mind would readily re- sign itself to seeing in science a knowledge that is wholly relative, and in metaphysics a speculation that is entirely empty. It seems to us, even at this present date, that the Kantian criticism applies to all meta- physics and to all science. In reality, it applies more especially to the philosophy of the ancients, as also to the form — itself borrowed from the ancients — in which the moderns have most often left their thought. It is valid against a metaphysic which claims to give us a single and completed system of things, against a science profess- ing to he a single system of relations; in short, against a science and a metaphysic presenting themselves with the architec- tural simplicity of the Platonic theory of ideas op of a Greek temple. If meta- physics claims to he made up of concepts which were ours before its advent, if it con- sists in an ingenious arrangement of pre- existing ideas which we utilize as building



Metaphysics


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Bciei




material for an edifice, if, in short, it is anything else but the constant expansion of our mind, the ever-renewed effort to transcend our actual ldea« and perhaps also our elementary logic, it is but too evi- dent that, like all the works of pure under- standing, it becomes artificial. And if Bcieuce is wholly and entirely a work of .lysis or of conceptual representation, experience is only to serve therein as a verification for " clear ideas," if, instead of starting from multiple and diverse intu- ition — which insert themselves in the par- icular movement of each reality, hut do not .ways dovetail into each other, — it pro- fesses to be a vast mathematic, a single and closed-in system of relations, imprison- ing the whole of reality in a network pre- pared in advance,-^it becomes a knowledge purely relative to human understanding. If we look carefully into the Critique of Pure Reason, we see that science for Kant did indeed mean this kind of universal matfie- matic, and metaphysics this practically un-


\n Introduction to


altpred Platonism, In truth, the drt a universal mathematic is itself but a sur- vival nf Platonism, TJniversai mathematic is what the world of ideas becomes when we suppose that the Idea consists in a relation or in a law, and no Icmger in a thing. Kant ^ took this dream of a few modem philosophers for a reality; more than this, he believed that all scientific knowledge was only a detached fragment of, or rather a stepping-stone to, universal mathematics, Henr-e the main task of the Critique was to lay the foundation of this mathematic — that is, to determine what the intellect must be, and what the object, in order that an uninterrupted mathe- matic may bind them together. And of necessity, if all possible experience can be made to enter thus into the rigid and al- ready formed framework of our understand- ing, it is (unless we assume a pre-established ' See on thia subject a very interesting article by Radulescu-Motru, " Zur Entwickelung von Kant'a Theorie der Nature a uaali tat," in Wundt's Fhiloao- pkwehe Studien (vol, ix., 1894).


Metaphysics 85

harmony) because our understanding itself organizes nature, and finds itself again therein as in a mirror. Hence the possi- bility of science, which owes all its efficacy to its relativity, and the impossibility of metaphysics, since the latter finds nothing more to do than to parody with phantoms of things the work of conceptual arrangement which science practises seriously on rela- tions. Briefly, the whole Critique of Pure Reason ends in establishing that Platonism, illegitimate if Ideas are things, becomes le- gitimate if Ideas are relations, and that the ready-made idea, once brought down in this way from heaven to earth, is in fact, as Plato held, the common basis alike of thought and of nature. But the whole of the Critique of Pure Reason also rests on this postulate, that our intellect is incapable of anything but Platonizing — ^that is, of pouring all pos- sible experience into pre-existing moulds.

On this the whole question depends. If scientific knowledge is indeed what Ksmt supposed, then there is one simple science,


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An Introduction to


preformed and even preformulated in ture, as Aristotle believed; great discov- eries, then, serve only to illuminate, point Iiy point, the already drawn line of this logio, immanent in things, just as on the night of a f^te we light tip one by one the rows of gas-jets which already outline the shape of some building. And if meta- physical knowledge is really what Kant supposed, it is reduced to a choice between two attitudes of the mind before all the great problems, both equally possible ; its manifestations are so many arbitrary and always ephemeral choices between two solu- tions, virtually formulated from all eter- iiity ; it lives and dies by antinomies. But the truth is that rai>dern science does not present this unilinear simplicity, nor di modern metaphysics present these ii ducible oppositions.

Modern science is neither one nor simple. It rests, I freely admit, on ideas which in the end we find clear; but these idea,8 have gradually become clear through the use


not inle. I


Metaphysics 87

made of them ; they owe most of their clear- ness to the light which the facts, and the applications to which they led, have by reflection shed on them — the clearness of a concept being scarcely anything more at bottom than the certainty, at last obtained, of manipulating the concept profitably. At its origin, more than one of these concepts must have appeared obscure, not easily reconcilable with the concepts already ad- mitted into science, and indeed very near the border-line of absurdity. This means that science does not proceed by an orderly dovetailing together of concepts predestined to fit each other exactly. True and fruitful ideas are so many close contacts with cur- rents of reality, which do not necessarily converge on the same point. However, the concepts in which they lodge themselves manage somehow, by rubbing off each other's comers, to settle down well enough together. On the other hand, modem metaphysics is not made up of solutions so radical that they can culminate in irreducible oppo-


An Introduction to



sitions. It would be so, no doubt, if the were no means of accepting at the i time and on the same level the thesis i the antithesis of the antinomies. Bnf ' philosophy consists precisely in this, that by an effort of intuition one places oneself within that concrete reality, of which l Critique takes from without the two < posed views, thesis and antithesis, 1 con] never imagine how black and white inti penetrate if I had never seen gray ; bot I once I have seen gray I easily understand how it can be considered from two points of view, that of white and that of black. Doctrines which have a certain basis of in- tuition escape the Kantian criticism ex- actly in so far as they are intuitive; and these doctrines are the whole of meta- physics, provided we ignore the metaphysics which is fixed and dead in tkeaea^ and con- sider only that which is living in philoao-A pkera. The divergencies between the school! — that is, broadly speaking, between, groups of disciples formed roond


Metaphysics 89

great masters — ^are certainly striking. But would we find them as marked between the masters themselves? Something here domi- nates the diversity of systems, something, we repeat, which is simple and definite like a sounding, about which one feels that it has touched at greater or less depth the bottom of the same ocean, though each time it brings up to the surface very different materials. It is on these materials that the disciples usually work; in this lies the function of analy- sis. And the master, in so far as he formu- lates, develops, and translates into abstract ideas what he brings, is already in a way his own disciple. JBut the simple act which N started the analysis^ anid^^which gpficeals^^ itself behind the analxsiSj, .proceeds from aj


X.


faculty quite differen t from the analytical. / TfiiOs, By If 8 vei^r deflnitign^intiiS^ [ In conclusion, we may remark that there is nothing mysterious in this faculty. Every one of us has had occasion to ex- ercise it to a certain extent. Any one of us, for instance, who has attempted literary



90 An Introduction to

cMDpositiOD, kBows that wheQ the subjel hag been stadied at length, the materials all collected, and the notes all made, some- thing more is needed in order to set about the work of composition itself, and that is an often very painfal effort to place our- Belvea directly at the heart of the subject, and to seek as deeply as possible an im- pulse, after which we need only let our- selveB go. This impulse, once received, starts the mind on a path where it re- discovers all the information it had col- lected, and a thousand other details besides ; it develops aud analyzes itticlf into terms which could be enumerated indefinitely. The farther we go, the more terms we dis- cover; we shall never say all that could be said, and yet, if we turn back suddenly upon the impulse that we feel behind uSi^ and try to seize it, it is gone; for it ^s&. [not a thing, but the direction of a move- ment, and though indefinitely extensible»_it , is infinitely simple. Metaphysical inti ition seems to be something of the i


Metaphysics 91

kind. What corresponds here to the docu- ments and notes of literary composition is the sum of observations and experiences, gathered together by positive science. For , we do not obtain an intuition from reality — that is, an intellectual sympathy with the most intimate part of it — unless we have' won its confidence by a long fellowship/ j \idth its superficial manifestations. And it is not merely a question of assimilating the most conspicuous facts ; so immense a mass of facts must be accumulated and fused to- gether, that in this fusion all the precon- ceived and premature ideas which observers may unwittingly have put into their ob- servations will be certain to neutralize each other. In this way only can the bare ma- teriality of the known facts be exposed to view. Even in the simple and privileged case which we have used as an example, even for the direct contact of the self with the self, the final effort of distinct intu- ition would be impossible to any one who had not combined and compared with each


^3 An Introduction to Metaphysics


other a very large number of psychological analyses. The masters of modem phili phy were men who had assimilated the scientific knowledge of their time, the partial eclipse of metaphysics for the last half-century has evidently no other cause than the extraordinary difBcull which the philosopher finds to-day in gel ting into touch with positive science, which has become far too specialized. But meta- physical intuition, although it can be ob- tained only through material knowledge, quite other than the mere summary or syn- thesis of that knowledge. It is distin< from these, we repeat, as the motor im- pulse is distinct from the path traversed by the moving body, as the tension of the spring is distinct from the visible move- ments of the pendulum. In this sense I metaphysics has nothing in common with i a generalization of facts, and nevertheless i it might be defined as integral experience.


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AJJR 7 - 1916


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