The Modern Public and Photography  

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"Des milliers d’yeux avides se penchaient sur les trous du stéréoscope comme sur les lucarnes de l’infini. L’amour de l’obscénité, qui est aussi vivace dans le cœur naturel de l’homme que l’amour de soi-même, ne laissa pas échapper une si belle occasion de se satisfaire. Et qu’on ne dise pas que les enfants qui reviennent de l’école prenaient seuls plaisir à ces sottises ; elles furent l’engouement du monde." --The Modern Public and Photography, Baudelaire

Translation:

"A little later a thousand hungry eyes were bending over the peepholes of the stereoscope, as though they were the attic-windows of the infinite. The love of pornography, which is no less deep-rooted in the natural heart of man than the love of himself, was not to let slip so fine an opportunity of self-satisfaction. And do not imagine that it was only children on their way back from school who took pleasure in these follies; the world was infatuated with them." tr. Jonathan Mayne


"The refuge of every would-be painter, every painter too ill-endowed or too lazy to complete his studies."

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"Le public moderne et la photographie" (The Modern Public and Photography) is an essay by Charles Baudelaire, written at the occasion of the Paris Salon of 1859. In this essay, Baudelaire shows himself quite the cultural elitist in his rejection of photography. Despite that he was a Modernist, he was not always in favour of modern technology.

In the essay, he declared that progress (photography) was the enemy of poetry and the former had to be the servant of the latter.

See also

English translation

There is a translation by Mayne in The Mirror of Art.

There is also a translation by P. E. Charvet.

Full text

II LE PUBLIC MODERNE ET LA PHOTOGRAPHIE

Mon cher M***, si j’avais le temps de vous égayer, j’y réussirais facilement en feuilletant le catalogue et en faisant un extrait de tous les titres ridicules et de tous les sujets cocasses qui ont l’ambition d’attirer les yeux. C’est là l’esprit français. Chercher à étonner par des moyens d’étonnement étrangers à l’art en question est la grande ressource des gens qui ne sont pas naturellement peintres. Quelquefois même, mais toujours en France, ce vice entre dans des hommes qui ne sont pas dénués de talent et qui le déshonorent ainsi par un mélange adultère. Je pourrais faire défiler sous vos yeux le titre comique à la manière des vaudevillistes, le titre sentimental auquel il ne manque que le point d’exclamation, le titre-calembour, le titre profond et philosophique, le titre trompeur, ou titre à piège, dans le genre de Brutus, lâche César ! « Ô race incrédule et dépravée ! dit Notre-Seigneur, jusques à quand serai-je avec vous ? jusques à quand souffrirai-je ? » Cette race, en effet, artistes et public, a si peu foi dans la peinture, qu’elle cherche sans cesse à la déguiser et à l’envelopper comme une médecine désagréable dans des capsules de sucre ; et quel sucre, grand Dieu ! Je vous signalerai deux titres de tableaux que d’ailleurs je n’ai pas vus : Amour et Gibelotte ! Comme la curiosité se trouve tout de suite en appétit, n’est-ce pas ? Je cherche à combiner intimement ces deux idées, l’idée de l’amour et l’idée d’un lapin dépouillé et arrangé en ragoût. Je ne puis vraiment pas supposer que l’imagination du peintre soit allée jusqu’à adapter un carquois, des ailes et un bandeau sur le cadavre d’un animal domestique ; l’allégorie serait vraiment trop obscure. Je crois plutôt que le titre a été composé suivant la recette de Misanthropie et Repentir. Le vrai titre serait donc : Personnes amoureuses mangeant une gibelotte. Maintenant, sont-ils jeunes ou vieux, un ouvrier et une grisette, ou bien un invalide et une vagabonde sous une tonnelle poudreuse ? Il faudrait avoir vu le tableau. — Monarchique, catholique et soldat ! Celui-ci est dans le genre noble, le genre paladin, Itinéraire de Paris à Jérusalem (Chateaubriand, pardon ! les choses les plus nobles peuvent devenir des moyens de caricature, et les paroles politiques d’un chef d’empire des pétards de rapin). Ce tableau ne peut représenter qu’un personnage qui fait trois choses à la fois, se bat, communie et assiste au petit lever de Louis XIV. Peut-être est-ce un guerrier tatoué de fleurs de lys et d’images de dévotion. Mais à quoi bon s’égarer ? Disons simplement que c’est un moyen, perfide et stérile, d’étonnement. Ce qu’il y a de plus déplorable, c’est que le tableau, si singulier que cela puisse paraître, est peut-être bon. Amour et Gibelotte aussi. N’ai-je pas remarqué un excellent petit groupe de sculpture dont malheureusement je n’avais pas noté le numéro, et quand j’ai voulu connaître le sujet, j’ai, à quatre reprises et infructueusement, relu le catalogue. Enfin vous m’avez charitablement instruit que cela s’appelait Toujours et Jamais. Je me suis senti sincèrement affligé de voir qu’un homme d’un vrai talent cultivât inutilement le rébus.

Je vous demande pardon de m’être diverti quelques instants à la manière des petits journaux. Mais, quelque frivole que vous paraisse la matière, vous y trouverez cependant, en l’examinant bien, un symptôme déplorable. Pour me résumer d’une manière paradoxale, je vous demanderai, à vous et à ceux de mes amis qui sont plus instruits que moi dans l’histoire de l’art, si le goût du bête, le goût du spirituel (qui est la même chose) ont existé de tout temps, si Appartement à louer et autres conceptions alambiquées ont paru dans tous les âges pour soulever le même enthousiasme, si la Venise de Véronèse et de Bassan a été affligée par ces logogriphes, si les yeux de Jules Romain, de Michel-Ange, de Bandinelli, ont été effarés par de semblables monstruosités ; je demande, en un mot, si M. Biard est éternel et omniprésent, comme Dieu. Je ne le crois pas, et je considère ces horreurs comme une grâce spéciale attribuée à la race française. Que ses artistes lui en inoculent le goût, cela est vrai ; qu’elle exige d’eux qu’ils satisfassent à ce besoin, cela est non moins vrai ; car si l’artiste abêtit le public, celui-ci le lui rend bien. Ils sont deux termes corrélatifs qui agissent l’un sur l’autre avec une égale puissance. Aussi admirons avec quelle rapidité nous nous enfonçons dans la voie du progrès (j’entends par progrès la domination progressive de la matière), et quelle diffusion merveilleuse se fait tous les jours de l’habileté commune, de celle qui peut s’acquérir par la patience.

Chez nous le peintre naturel, comme le poëte naturel, est presque un monstre. Le goût exclusif du Vrai (si noble quand il est limité à ses véritables applications) opprime ici et étouffe le goût du Beau. Où il faudrait ne voir que le Beau (je suppose une belle peinture, et l’on peut aisément deviner celle que je me figure), notre public ne cherche que le Vrai. Il n’est pas artiste, naturellement artiste ; philosophe peut-être, moraliste, ingénieur, amateur d’anecdotes instructives, tout ce qu’on voudra, mais jamais spontanément artiste. Il sent ou plutôt il juge successivement, analytiquement. D’autres peuples, plus favorisés, sentent tout de suite, tout à la fois, synthétiquement.

Je parlais tout à l’heure des artistes qui cherchent à étonner le public. Le désir d’étonner et d’être étonné est très-légitime. It is a happiness to wonder, « c’est un bonheur d’être étonné" ; mais aussi, it is a happiness to dream, « c’est un bonheur de rêver". Toute la question, si vous exigez que je vous confère le titre d’artiste ou d’amateur des beaux-arts, est donc de savoir par quels procédés vous voulez créer ou sentir l’étonnement. Parce que le Beau est toujours étonnant, il serait absurde de supposer que ce qui est étonnant est toujours beau. Or notre public, qui est singulièrement impuissant à sentir le bonheur de la rêverie ou de l’admiration (signe des petites âmes), veut être étonné par des moyens étrangers à l’art, et ses artistes obéissants se conforment à son goût ; ils veulent le frapper, le surprendre, le stupéfier par des stratagèmes indignes, parce qu’ils le savent incapable de s’extasier devant la tactique naturelle de l’art véritable.

Dans ces jours déplorables, une industrie nouvelle se produisit, qui ne contribua pas peu à confirmer la sottise dans sa foi et à ruiner ce qui pouvait rester de divin dans l’esprit français. Cette foule idolâtre postulait un idéal digne d’elle et approprié à sa nature, cela est bien entendu. En matière de peinture et de statuaire, le Credo actuel des gens du monde, surtout en France (et je ne crois pas que qui que ce soit ose affirmer le contraire), est celui-ci : « Je crois à la nature et je ne crois qu’à la nature (il y a de bonnes raisons pour cela). Je crois que l’art est et ne peut être que la reproduction exacte de la nature (une secte timide et dissidente veut que les objets de nature répugnante soient écartés, ainsi un pot de chambre ou un squelette). Ainsi l’industrie qui nous donnerait un résultat identique à la nature serait l’art absolu. » Un Dieu vengeur a exaucé les vœux de cette multitude. Daguerre fut son Messie. Et alors elle se dit : « Puisque la photographie nous donne toutes les garanties désirables d’exactitude (ils croient cela, les insensés !), l’art, c’est la photographie. » À partir de ce moment, la société immonde se rua, comme un seul Narcisse, pour contempler sa triviale image sur le métal. Une folie, un fanatisme extraordinaire s’empara de tous ces nouveaux adorateurs du soleil. D’étranges abominations se produisirent. En associant et en groupant des drôles et des drôlesses, attifés comme les bouchers et les blanchisseuses dans le carnaval, en priant ces héros de vouloir bien continuer, pour le temps nécessaire à l’opération, leur grimace de circonstance, on se flatta de rendre les scènes, tragiques ou gracieuses, de l’histoire ancienne. Quelque écrivain démocrate a dû voir là le moyen, à bon marché, de répandre dans le peuple le goût de l’histoire et de la peinture, commettant ainsi un double sacrilège et insultant à la fois la divine peinture et l’art sublime du comédien. Peu de temps après, des milliers d’yeux avides se penchaient sur les trous du stéréoscope comme sur les lucarnes de l’infini. L’amour de l’obscénité, qui est aussi vivace dans le cœur naturel de l’homme que l’amour de soi-même, ne laissa pas échapper une si belle occasion de se satisfaire. Et qu’on ne dise pas que les enfants qui reviennent de l’école prenaient seuls plaisir à ces sottises ; elles furent l’engouement du monde. J’ai entendu une belle dame, une dame du beau monde, non pas du mien, répondre à ceux qui lui cachaient discrètement de pareilles images, se chargeant ainsi d’avoir de la pudeur pour elle : « Donnez toujours ; il n’y a rien de trop fort pour moi. » Je jure que j’ai entendu cela ; mais qui me croira ? « Vous voyez bien que ce sont de grandes dames ! » dit Alexandre Dumas. « Il y en a de plus grandes encore ! » dit Cazotte.

Comme l’industrie photographique était le refuge de tous les peintres manqués, trop mal doués ou trop paresseux pour achever leurs études, cet universel engouement portait non seulement le caractère de l’aveuglement et de l’imbécillité, mais avait aussi la couleur d’une vengeance. Qu’une si stupide conspiration, dans laquelle on trouve, comme dans toutes les autres, les méchants et les dupes, puisse réussir d’une manière absolue, je ne le crois pas, ou du moins je ne veux pas le croire ; mais je suis convaincu que les progrès mal appliqués de la photographie ont beaucoup contribué, comme d’ailleurs tous les progrès purement matériels, à l’appauvrissement du génie artistique français, déjà si rare. La Fatuité moderne aura beau rugir, éructer tous les borborygmes de sa ronde personnalité, vomir tous les sophismes indigestes dont une philosophie récente l’a bourrée à gueule-que-veux-tu, cela tombe sous le sens que l’industrie, faisant irruption dans l’art, en devient la plus mortelle ennemie, et que la confusion des fonctions empêche qu’aucune soit bien remplie. La poésie et le progrès sont deux ambitieux qui se haïssent d’une haine instinctive, et, quand ils se rencontrent dans le même chemin, il faut que l’un des deux serve l’autre. S’il est permis à la photographie de suppléer l’art dans quelques-unes de ses fonctions, elle l’aura bientôt supplanté ou corrompu tout à fait, grâce à l’alliance naturelle qu’elle trouvera dans la sottise de la multitude. Il faut donc qu’elle rentre dans son véritable devoir, qui est d’être la servante des sciences et des arts, mais la très-humble servante, comme l’imprimerie et la sténographie, qui n’ont ni créé ni suppléé la littérature. Qu’elle enrichisse rapidement l’album du voyageur et rende à ses yeux la précision qui manquerait à sa mémoire, qu’elle orne la bibliothèque du naturaliste, exagère les animaux microscopiques, fortifie même de quelques renseignements les hypothèses de l’astronome ; qu’elle soit enfin le secrétaire et le garde-note de quiconque a besoin dans sa profession d’une absolue exactitude matérielle, jusque-là rien de mieux. Qu’elle sauve de l’oubli les ruines pendantes, les livres, les estampes et les manuscrits que le temps dévore, les choses précieuses dont la forme va disparaître et qui demandent une place dans les archives de notre mémoire, elle sera remerciée et applaudie. Mais s’il lui est permis d’empiéter sur le domaine de l’impalpable et de l’imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l’homme y ajoute de son âme, alors malheur à nous !

Je sais bien que plusieurs me diront : « La maladie que vous venez d’expliquer est celle des imbéciles. Quel homme, digne du nom d’artiste, et quel amateur véritable a jamais confondu l’art avec l’industrie ? » Je le sais, et cependant je leur demanderai à mon tour s’ils croient à la contagion du bien et du mal, à l’action des foules sur les individus et à l’obéissance involontaire, forcée, de l’individu à la foule. Que l’artiste agisse sur le public, et que le public réagisse sur l’artiste, c’est une loi incontestable et irrésistible ; d’ailleurs les faits, terribles témoins, sont faciles à étudier ; on peut constater le désastre. De jour en jour l’art diminue le respect de lui-même, se prosterne devant la réalité extérieure, et le peintre devient de plus en plus enclin à peindre, non pas ce qu’il rêve, mais ce qu’il voit. Cependant c’est un bonheur de rêver, et c’était une gloire d’exprimer ce qu’on rêvait ; mais que dis-je ! connaît-il encore ce bonheur ?

L’observateur de bonne foi affirmera-t-il que l’invasion de la photographie et la grande folie industrielle sont tout à fait étrangères à ce résultat déplorable ? Est-il permis de supposer qu’un peuple dont les yeux s’accoutument à considérer les résultats d’une science matérielle comme les produits du beau n’a pas singulièrement, au bout d’un certain temps, diminué la faculté de juger et de sentir ce qu’il y a de plus éthéré et de plus immatériel ?




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