The Foot of Fanchette  

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-'''''Le Pied de Fanchette, ou L'orpheline Française''''' (1769, English 'The Foot of Fanchette') is a novel by [[Nicolas Restif de la Bretonne]] illustrated by Binet. In the story the protagonist is a woman who uses the charm of her [[feet]] to benefit socially. This novel is Restif's connection to [[retifism]].+'''''Le Pied de Fanchette, ou L'orpheline Française''''' (1769, English ''The Foot of Fanchette'', translated as ''Fanchette's Pretty Little Foot'') is a novel by [[Nicolas Restif de la Bretonne]] illustrated by Binet. In the story the protagonist is a woman who uses the charm of her [[feet]] to benefit socially. This novel is Restif's connection to [[retifism]].
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 +Fanchetteʼs Pretty Little Foot (originally Le Pied de Fanchette in French), a novel by Restif de la Bretonne, was first published in 1769. The story is a cross between the fairytale Cinderella, from 1697, and Samuel Richardsonʼs moral story (actually libertine novel) Pamela, or Virtue Rewarded, from 1740. Now, Cinderella, or The Little Glass Slipper was originally a folktale dating back at least 2000 years ago to a similar tale from Greece or Egypt, but it was made famous in the modern era (at least for Western audiences) with the 17th-century publication of French writer Charles Perraultʼs version of the tale, and more recently still by the 20th-century release of Walt Disneyʼs animated movie.
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 +But one does not have to be a scholar of French fairytales, Hollywood movies, or 18th-century English libertine novels to appreciate this simple, but delightful tale about a young and virtuous bourgeois girl, the daughter of a wealthy fabric merchant, whose parents die while sheʼs still a teenager, leaving her to fateʼs fortune in then-naughty Paris. She is pretty as a belle [sic] and even more virtuous, but it is her prettier little foot in especial that gets her into all kinds of trouble. Who would have thought that a girlʼs foot, embellished by a rich slipper, could be so attractive and seductive? Leave it to the French to capitalize on that. Or leave it to Restif de la Bretonne in this charming story, which is really a comedy, to bring it front and center. Interestingly, this novel was the first to give a name to a sensual preference called shoe fetishism, or "retifism" in French (after the authorʼs name).
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==Full text of part I== ==Full text of part I==
سر سر

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"Son pied, ce pied mignon, qui fera tourner tant de têtes, était chaussé d'un soulier rose, si bien fait, si digne d'enfermer un si joli pied"--Le Pied de Fanchette (1769) by Nicolas Restif de la Bretonne


"The first of my novels to have any success was Le Pied de Fanchette, published in 1769 and reprinted in 1776 with the subtitle, “Or the Pink Shoe" (one can imagine what pink shoe that was)."--My Revolution: Promenades in Paris, 1789-1794 (1970) by Alex Karmel

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Le Pied de Fanchette, ou L'orpheline Française (1769, English The Foot of Fanchette, translated as Fanchette's Pretty Little Foot) is a novel by Nicolas Restif de la Bretonne illustrated by Binet. In the story the protagonist is a woman who uses the charm of her feet to benefit socially. This novel is Restif's connection to retifism.

Blurb of 2000 English translation

Fanchetteʼs Pretty Little Foot (originally Le Pied de Fanchette in French), a novel by Restif de la Bretonne, was first published in 1769. The story is a cross between the fairytale Cinderella, from 1697, and Samuel Richardsonʼs moral story (actually libertine novel) Pamela, or Virtue Rewarded, from 1740. Now, Cinderella, or The Little Glass Slipper was originally a folktale dating back at least 2000 years ago to a similar tale from Greece or Egypt, but it was made famous in the modern era (at least for Western audiences) with the 17th-century publication of French writer Charles Perraultʼs version of the tale, and more recently still by the 20th-century release of Walt Disneyʼs animated movie.


But one does not have to be a scholar of French fairytales, Hollywood movies, or 18th-century English libertine novels to appreciate this simple, but delightful tale about a young and virtuous bourgeois girl, the daughter of a wealthy fabric merchant, whose parents die while sheʼs still a teenager, leaving her to fateʼs fortune in then-naughty Paris. She is pretty as a belle [sic] and even more virtuous, but it is her prettier little foot in especial that gets her into all kinds of trouble. Who would have thought that a girlʼs foot, embellished by a rich slipper, could be so attractive and seductive? Leave it to the French to capitalize on that. Or leave it to Restif de la Bretonne in this charming story, which is really a comedy, to bring it front and center. Interestingly, this novel was the first to give a name to a sensual preference called shoe fetishism, or "retifism" in French (after the authorʼs name).

Full text of part I

سر iEnej det ؟ LE PIED Blue DE RS FANCHETTE , OU L'ORPHELINE FRANÇAISE; HISTOIRE INTÉRESSANTE ET MORAL E. Une jeune Chinoiſe avançant un bout du pied couvert & chauffé , fera plus de ravage à Pékin , que n'eût fait la plus belle fille du mo danſant toute nue au bas du Taygete Oeuvres de 7. 7. Rouſſeau , Tom . IV . p. 268. PREMIERE PARTIE . A LA HAYE, & ſe vend A FRANCFORT, Chez J. G. ESLINGER , Librairee M. DCC. LXIX. Si je n'avais eu pour but que de plaire , le tiſſu de cet ouvrage aurait été différent : Fanchette , ſa Bonne , un on cle & ſon fils , avec un hypo crite , ſuffiſaient pour l'intri gue; le premier amant de Fanchette ſe fût trouvé fils de cet oncle ; la marche au rait été plus naturelle , le dénouement plus ſaillanc & plus vif: MAIS IL FALLAIT DIRE LA VÉRITÉ. À BL249 M A D A M E L " , Femme d’un Marchand. MADAME, En vous dédiant cet Ouvrage, c'eſt aux Graces que je le conſacre. Née dans l'état le plus proche du bon beur , vous joignez au charme ſédui ſant d'une figure aimable, les vertus & les talents : chérie , adorée de tout ce qui vous environne , vous êtes heu reuſe par les ſentiments que vous inf pirez : ils ne ſont point tyranniques ij iv EPITRE. comme ceux de l'amour ; ils n'ont pas la froideur du reſpect ; ils fontdoux & flatteurs comme ceux de l'amitié. Voilà le précieux avantage dont les Grands ne jouiſſent preſque jamais : belle I *** , la fortune vous a mieux trai tée qu'eux. On les honore, & l'on vous aime : quelle différence! Ce n'eſt pas MADAME, que je veuille , comme tant d'autres , ravaler la nobleſſe du ſang, regarder tous les rangs comme égaux , & me parant d'une fauſſe indifférence pour la for tune , inſulter de loin à ſes favoris : non ; je reconnais tous leurs avan tages : je confelle qu'ils ſont grands, & qu'ils méritent qu'on les envie. Quel bonheur de pouvoir ſervir effica cement l'Etat ; d'approcher le Pere de la Patrie ; de prétendre quelquefois à ſa confiance ; de tendre aux mal heureux une main fecourable , non pas à la maniere de ceux qui n'ont que des moyens bornés , mais en foulageant des Provinces entieres ! Eſt-il un cæur EPITRE. que de ſi glorieuſes prérogatives ne trouvent que de glace ! Ne croyezpourtantpas , MADAME, que de ce côtélà mêmele Ciel vous ait moins avantagée qu'eux : Dans ce fie cle éclairé, le Négociantjouit de l'ef time générale : comme les Grands, il ſert les Etats & l'humanité toute en tiere, mais d'une maniere différente : ce n'eſt point en remportant des vic toires , en gouvernant des Provinces, en adminiſtrant lajuſtice ou les finan ces : C'eſt en fourniſſantaux hommes l'agréable , l'utile & le néceſſaire. Quels biens ſes immenſes travaux ne procurent-ils pas à la ſociété ! Il fait jouir ſes Concitoyens des productions des deux mondes, & rapproche les Peuples les plus éloignés : C'eſt lui qui fait que des Nations autrefois barba res , connaiſent les commodités de la vie , & ſepoliſſent par degrés : ceſera par lui qu'elles deviendront à leur tour l'aſyle des Arts & des Sciences : Sans lui, l'Agriculture , cette pre iij vj EPITRE. miere fource de tous nos biens , demeu rerait languiſante & découragée : D'un bout du monde à l'autre , obei comme un Monarque , ſans troupes , ſans l'effrayant appareil des combats, Ta probite lui donne touteſa puiſſance. Madame , en quoi donc ceux que diſtingue une naiſſance illuſtre, peu vent- ils ſeflatter de l'emporter ſur vo trecondition ? Ab! s'ileſtquelque avan tage , c'eſt chez vous que je le vois : Quels biens ſont préférables à cette vie douce que l'aiſance procure ? on ne ' tremble pas devant vous ; l'on vous con ſidere, & cela ſuffit. Qu'eſt-ce; pour la plupart des hommes, que le bon heur li vanté d'être puiſſant, ſinon la triſte prérogative de pouvoir aſſou vir des deſirs déréglés , auxquels une plus humble fortune aurait mis un frein ? Oui , MADAME , ſoyez fiere de votre état: il eſt utile, il eſt néceſaire: les Ducs &les Lords n'ont pas de plus nobles titres. FANCHETTE , ainſi que vous, EPITRE. vij MADAME, eſt née dans l'ordre de Citoyens reſpectables qui s'appliquent au Commerce : cet attrait qui lui fou mit tous les cæurs, vous les poſſédez : Daignez l'introduire dans le monde : Elle nepeuty paraitre ſous une plus charmante &plus vertueuſe Conduc trice. J'ai l'honneur d'être avec le plus profond reſpect, + MADAME , - Votre très-bumble & très-obeifane Serviteur R. D. L. B. Les Notes ſont à la fin de la troiſieme Parcie. T A B L E DES CHAPITRES. C 36 42 56 HAPITRE PREMIER. Préface , page 1 CHAP. II . Très-ſingulier , 5 CHAP. III. Qui n'en impoſera pas au Lecteur, 8 CHAP. IV. Qui devrait être le premier. Oil l'on fait connaitre FANCHETTE , 15 CHAP. V. Inſtructions placées à propos , 18 CHAP. VI . Apparences trompeuſes, 26 CHAP. VII. Danger qu'on aura prévu ', 32 CHAP. VIII. Par bonheur ! CHAP. IX. Par bazard , CHAP. X. Reſſource inattendue, 50 CHAP. XI. Reviendra- t-il ? CHAP. XII. Nouvelle conquête : S'en réjouira t-on ? 63 CHAP. XIII. C'en eſt trop d'un , 70 CHAP . XIV. Où tout le monde eſt content , ſans en avoir ſujet , CHAP. XV. Comme Fanchette interroge ſon c @ ur , 84 CHAP. XVI. Oi le pied de Fanchette ſoumet88 CHAP. XVII. Quidoit avoir degrandesſuites, 96 CHAP. XVIII . Foule d'amants , IOO Chap. XIX. Où Fanchette eſt modeſte & géo néreuſe , 109 CHAP. XX. Le pied lui gliſſe : elle va tomber , 113 CHAP. XXI. Fanchette perd une de ſes mules, 120 Fin de la Table de la premiere Partie. LE 78 tout , LE PIED DE FANCHETTE, HISTOIRE INTÉRESSANTE ET MORALE. CHAPITRE PREMIER. P R É FA CE. Parturient montes , naſcetur ridiculus mus. ( 1 ) EE ſuis l'Hiſtorien véridique des con quêtes brillantes du Pied mignon d'une Belle. O vous ! l'étonnement & la ter 1. Partie. А LE PIED reur de l'Univers , Conquérants céle bres , Ninus , Séſoſtris , Alexandre , Céſar, Charlemagne , Gengiskan , ver tueux Henri IV, fougueux Charles XII , & toi-même, le Héros de mon Pays , immortel Louis XIV , pavillon bas. Vous avez regné ſur des hommes , que fit trembler votre redoutable puiſſance ; & Fanchette , jeune , ſans nom , ſans naiſſance, mais avec un minois fédui ſant , des yeux pleins de douceur, un pied .... ah Ciel ! un pied .... comme on n'en vit jamais , tant il eſt joli , re gne , par l'Amour , ſur tous les cæurs. Son triomphe eſt bien plus doux que ceux que vous procurerent tant de vic toires : pour conſerver les ſujets qu'elle a ſoumis, il ne lui faut que paraître , & faire un pas. Telle autrefois cette fa meuſe Sémiramis , en montrant aux Peuples mutinés ſes beaux cheveux épars & ſa gorge nue , calma la révolte des ſéditieux enchantés. Ou plutôt : Telle on voit de nos jours l'aimable L ***, chauffée d'une mule mignonne , DE FANCHETTE. 3 e ܕ ܪ S. e 4 S 1 2 attirer ſur ſon petit pied (2) les yeux d'une foule d'admirateurs : il n'eſt pas un jeune homme qui n'envie le fort de ſon heureux époux. Si d'un ſourire cette Belle encourageait ceux qu'elle a char més , du Militaire , elle feroit un Con DÉ ; du Poëte , un Voltaire ; du Profa teur , un Rouſſeau ; du Muſicien , un Rameau ; du Peintre , un Boucher ; de tous les Artiſtes, de grands hommes; & de tous les hommes, des Amants. Quelle emphaſe , après un tel titre , dira- t- on ? ...Mais , cher Lecteur , c'eſt l'uſage lorſqu'on écrit l'hiſtoire des perſonnes vivantes , ou dont la famille eſt en crédit : on emploie de grands mots , de grandes phraſes, pour dire de très- petites choſes. D'ailleurs , mon ſujet n'eſt pas auſſi mince qu'on pour rait ſe le figurer. L'attention des fem mes de nos jours , à relever les graces d'un joli pied , & notre expérience , ſemblent nous indiquer que ſeul il peut faire naître des paſſions. Mais je ? pourquoi me borner à notre ſiecle , que dis A ij 4 L E P I E D & ne former que des conjectures, tan dis que l'hiſtoire nous fournit des exem ples ? L'éclat de la chauſure de la belle Judith éblouit Holoferne , avantquefa beauté rendit captive l'ame du Général Affyrien. ( 3) Le pere du farouche Vi tellius ne put voir ſans émotion le joli pied de l'Impératrice Mellalline; il ob tint la permiſion de la déchauffer, s'em para d’une de ſes MULES , qu'il porta toujours avec lui , & que ſouvent il baiſait. (4) Serait- ce parce que dans les femmes , ces êtres charmants deſti nés à plaire , la nature a voulu que tout fut enchanteur & féduiſant ? Il le faut bien . Ces Magiciennes aimables font de toutes les choſes à leur uſage , un ta liſman vainqueur : tout devient fiechę de l'Amour , dès qu'elles l'ont touché, DE FANCHETTE. 5 CHAPITRE II. Très -fingulier. Sur les quatre heures du ſoir, un Jeudi, je traverſais la rue Montorgueil , pour enfiler celle de la Comédie Ita lienne. On donnait la vingt-quatrieme repréſentation des Moiſſonneurs. Une multitude de chars brillants , qui tou. chaient à peine le pavé , roulants avec fracas , éclabouſſaient les filles ſages , les hommes à talents, & le reſte de cette populace utile , dont ( heureuſe ment pour elle , ) on ne ſaurait ſe pal ſer. Moi , pauvre Heer , héritier du cyniſme de Mézeray , ( 5 ) ( mais non de ſon avarice , ) crotté juſqu'à l'é chine , je me gare ſur la porte d'une Marchande de modes. Ma figure hé téroclitementparéé , excica dans un eſ faim de jeunes filles qui la rempliſſoient, I A iij 6 L E P I E D ce rire inextinguible (6) des Dieux d'Homere. Je me retournai fans cour roux , (car j'ai la modeſtie de me croire ridicule ;) je voulais regarder toutes ces jolies rieuſes : je n'en vis qu'une , & mon cœur en treſlaille encore. On la parait. O Dieu , qu'elle était belle ! Ses cheveux , plus noirs que l'ébene, contraſtaient avec les lis de ſa peau ; ſa coëffure lui donnait un petit air 'lu tin ; fa vive & noire prunelle lançait les flammes; ſon tendre regard deman dait les cours : les ceillets & les roſes ont moins d'éclat que le coloris de ſes joues. On entrevoyoit deux globes d'une blancheur éblouillante , que fon corſet ne preſſait point encore ; une jupe courte laiſſait à découvert le com mencement d'une jambe.... A quoi la comparer? à tout ce que l'on peut ima giner de plus ſéduiſant : ſon pied , ce pied mignon , qui fera tourner tant de têtes , était chauſſé d'un ſoulier roſe fi bien fait, ſi digne d'enfermer un ſi joli pied , que mes yeux , une fois fixés + 1 DE FANCHETTE. 7 ſur ce pied charmant, ne purent s’en détourner.... Beau pied ! dis- je tout bas, tu ne foules pas les tapis de Perſe & de Turquie ; un brillant équipage ne te garantit pas de la fatigue de porter un corps chef-d'oeuvre des graces ; tu marches en perſonne : mais tu vas avoir un crône dans mon caur. L'épouvantable vacarme des carror: ſes commençait à ceſſer ; les rues deve naient libres , & je reſtais immobile. Une des compagnes de la Belle aux ſouliers roſe , preſqu'aulli jolie qu'elle , & qu'un jeune homme charmant careſ fait, me donnà ſon attention : j'enten dis qu'elle diſait : - Ah , Fanchette , comme il te regarde ! Ces mots me tirerent de marêverie ; jem'écriai , dans un enthouſiaſme plus que poétique : Oui , Fanchette , divine Fanchette ; dans les Provinces, à la Ville , à la Cour , ni Reines , niPrinceſſes , ni Ducheſſes, ni Marquiſes , ni les faſtueuſes épouſes des Héros des Finances , aucunes des Beautés anciennes , modernes, préſeni A iv 8 LE P I E D tes & futures , ne vous ont valu , ne vous valent , ni ne vous vaudront ja mais. Après cette incartade , j'allais m'é loigner , lorſqu’un Vieillard de ma con noiſſance , que depuis long- temps j'a vais perdu de vue, m’aborda : il me reconnaît ; je l'embraſſe ; il me prend la main ; m'entraîne ; entre chez la Mar chande ; & la belle Fanchette lui fit l'accueil le plus flatteur. CHAPITRE III. Qui n'en impofera pas au Lecteur. K Athégeres , ( c'eſt le nom du Vieillard , ) parla quelque temps à la fille charmante , dont le joli pied m'a vait ſi vivement frappé : leur entretien me parut court. Tel , nouvellement ar rivé de Province , un ſpectateur à l'O péra , devient tout yeux & tout oreil i DE FANCHETI E. 2 les : tantôt les décorations , les inſtru : ments , la muſique, les machines ; tan tôt les Acteurs , & fur- tout les Actri , ces; la légéreté, les gracieuſes évolu tions , les attitudes voluptueuſes, ces mouvements des Danſeuſes où l'art dif paraît , &que le ſentiment ſemble nuan cer , l'occupent , l'enlevent : le ſpecta cle eſt fini, la toile eſt baiſſée , qu'il regarde & qu'il écoute encore ; & mọi , ravi d'admiration , je conſidérais Fan chette & fa jeune compagne, que le Vieillard était déja ſorti : je m'en ap perçus, & me hâtai de le ſuivre. J'allais lui faire des queſtions; il me prévint. Vous , me dit- il , qui ne vous repaillez que de chimeres, Au teur infortuné de Romans , plus mal heureux encore , je veux vous procu rer les moyens de dire vrai au inoins une fois dans votre vie. Des affaires importantes m'occupent aujourd'hui. Il s'agit de rendre à ſon Amant , à fa Famille , à la Patrie , une jeuneperſon ne , que des voeux involontaires enſée IO LEP I E D venient toute vive dans un Couvent , & de marier mon éleve. Dans huit jours venez me trouver ; j'aides Mémoires ;... vous y verrez une hiſtoire étonnante ; des faits..... Cela fera du bruit..... Huit jours ! le terme eſt bien long, interrompis-je , pour l'impatience que vous venez de faire naître . Le Vieil lard allait me repliquer : fon Eleve pa raît, il me quitte & le joint. Je vais inſtruire mes Lecteurs de ce que c'é tait , & de l'accident qu'occafionna ce retard. A peine le huitieme jour commen çait à poindre, que je ſors du lit en treſfaillant. Je vole chezMr.Kathége tes : il n'eſt pas levé ; on l'éveille : j'en tre ; il s'habille ; il cherche le manuf crit , ne le trouve pas ; appelle un gar çon qui le ſert , gros ruſtaud nouvelle ment débarqué, lui fait une queſtion , dont la réponſe fut pour moi , cher Lecteur , un coup de poignard : ce malheureux avait donné notre hiſtoire pour en faire des papillotes ! Nous nous DE FAN CH ETT E. U écrions tous deux , le Vieillard & moi. Le Valer- de- chambre accourt ; ilavoit encore à la main quelques déplorables fragments de l'Ouvrage , triangulaire ment tailladés. Il eſt aiſé de s'imaginer quelle fut ma douleur , en les lifant. Prétendant me conſoler , le Vieillard me raconta les faits en gros. Il ne fit qu'accroître ma douleur : c'étoit l’hif toire de la jolie Fanchette ! ... Mais des détails hachés pouvoient-ils remplacer ce que j'avois perdu ? J'étais venu rem pli des plus hautes eſpérances; je m'en retournai vide , triſte , anéanti . Quinze jours s'écoulerent: j'oubliais déja quej'avais été fur le point de por ter le titre glorieux d'Hiſtorien , & prêt à devenir l'émule des R.... , des F ..., des V... , & ſur-tout des T... , dont les Héros font plus rapprochés de ceux que je devais célébrer , lorſqu'en en trant au Café , où virtus bellica gau det , j'entendis. deux jeunes Officiers diſputer auſſi chaudement que de jeu nes Bacheliers de la Faculté des Déc 12 LE PI E D pêches , * ſur l'Inoculation. Je m'appro che : ils parlaient d'un manuſcrit. Ce mot eſt intéreſſant pour un Auteur. J'é coute : l'un en niait l'authenticité , l'au tre la défendait : on me prend pour ar bitte ; je demande ( à l'imitation des Gens de Loi , ) qu'on me faiſille de la chofe contentieuſe, & quelques jours pour donner ma déciſion. Cher Lecteur , quelle dut être ma ſurpriſe , lorſqu'en jettant les yeux ſur le manuſcrit , je reconnus, dès les pre mieres lignes , l'hiſtoire qu'un malheu réux Valer - de - chambre mit en lam beaux ! l'hiſtoire du pied de Fanchet te ! ... Le maroufle avait entendu mes regrets & ceux du Vieillard ; ils lui ſug gérerent l'idée d'une fripponnerie : il fuc adroitement s'emparer de ce qu'il nous avait montré , & dont nous faiſions peu de cas , cacha les feuilles encore entieres , courut à tous ceux qu'il avait

  • C'eſt un nom fort defignatif pour la Fa

culté de Médecine. DE FANCH ETTE. 13 Ce 3. friſés , les dépapillota., rajuſta le touc comme il put , & fit copier. Le ma nuſcrit ainſi recomplété , à peu de choſe près , il alla le vendre à l'Abbé .... qui , dit-on , achete des Ouvrages tout faits, dont il a le front de ſe donner enſuite pour l'Auteur. Suivant fa méthode ce fameux Ecrivain avait défiguré ce lui- ci , ſous prétexte de le corriger, de maniere à le rendre méconnaiſlable. Un Petit- Maître entra comme il ache vait. - Encore un Ouvrage , dit- il d'un ton railleur ? - Hom ... hom ... c'eſt une bagatelle. — Voyons... l'on peut voir , mon cher? Oui , cette nore. - L'auteur a , ma foi ! raiſon ; rien de plus fot & de plus ignare qu'un Petit - Maître. – Tout en lifant , le Petit- Maître remarqua les ratures, qui ſeules étaient de la main de l'Abbé. Certains bruits courants dans le Public augmenterent ſes foupçons ; la fin de cette note qu'il venait delire , & d'au tres endroits rayés , les confirmerent : il faiſit le moment d'une viſite qui ſur . 14 LE PIED, & c . vient , s'empare du manuſcrit , court le montrer pour perdre de réputation ſon ami : il a même l'infidélité d'en faire une nouvelle copie corrigée , mutilée , augmentée , afin dela rendre plus diffé rente de celle de l'auteuromane. Il prêta ce nouvel exemplaire à une femme à vapeurs , qui le lut en entier fans bâil ler , le trouva délicieuſement écrit , & cependant raya , reftitua , embellit , & lailla le manuſcrit épuré ſur la toilette , où l'Officier le trouva. Celui- ci me le remit , comme je viens de le dire ; je lui fis connaître mes droits , qu'il ne diſputa pas. C'eſt ainſi que par un coup du ſort, l'Ouvrage revint à ſonlégitime propriétaire. Heureux le Public & moi même , ſi l'abſence du vieillard Kathé getes ne l'eût empêché de le revoir ! Fin de la Préface. 15 le 1 ce 14! 3 PREMIERE PARTIE. CHAPITRE IV. Qui devrait être le premier. Où l'on fait connaitre FANCHETTE . UNN riche Marchand de draps de cette Capitale , nommé Florangis , ha bitant des rues Saint- Denis ou Saint Honoré, (peu nous importe ) avait une vaſte boutique, où l'on ne découvrait que les quatre murs ; en récompenſe, on voyait dans le fond un large eſca lier , ſur lequel vingt perſonnes pou .. 16 LE PIE D vaient aller de front fans ſe coudoyer. On parvénait par cetee belle route dans un magaſin obſcur , dont les croiſées, garnies d'abat - jours , ne donnoient qu'un faible crépuſcule. Toutes les étoffes, tant de nos Manufactures, que d'Angleterre & des Indes , s'y trou vaient; on n'avait qu'à choiſir. Outre ce beau magaſin , cette grande bouti que , & cet eſcalier commode, ce Mar chand avait une femme, jolie comme une Payſanne Irlandoiſe coquette comme une Fille-d'affaire, ** aimant le le jeu , la table & . Malgré les moyens de fixer la for tune

>

  • L'Abbé Prévột dit que ce ſont les plus belles perſonnes de l'Europe.

Un grand homine ( M. de Voltaire ) vient de donner un petit Ouvrage, ( la Princelle de Babylone ,) dans lequel il prouve qu'on peut pommer ainſi les Filles de l'Opéra. La Dame à vapeurs a malicieuſement laiſſé dans cet endroit une petite lacune , que les Scholiaſtes des races futures ne manque ront pas de remplir par des fortiſes,

DE FANCHETT E. tune qu'on vient de lire , le Marchand ſe ruina ; mais auparavant ſa femme euc une fille. On crut pendant quelques années que la jeune perſonne ferait ri che, & fon éducation fut conforme à cette faulle idée . Fanchette ( c'eſt fon nom) avait douze ans lorſqu'elle per dit fa mere , qui ne put furvivre au de faſtre de la maiſon , qu'elle avoit cau fé . A quinze ans , elle éprouva un male heur plus grand encore : fon pere , hon nête homme mais qui n'avait pu , çomme tant d'autres , réſiſter à fà fem me, tomba malade : il ſentir que la fine était proche ; & ſa fille , qu'ilabandon nait dans l'âge des paſſions & de la fe duction , fic couler des pleurs bien amers. Il l'appella , la baigna long temps de ſes larmes , & lui tinc un dif cours aufli tendre que fage , qu'on lira dans le Chapitre ſuivant, 9 1. Partie , В. 18 LE PIED CHAPITRE V. 79 Inſtructions placées à propos. , CHere Enfant,qu'allez-vousde » venir , lorſque vous n'aurez plus de » pere ! Si je vous faiſais paſſer ma fortune telle que je l'ai reçue de mes parents , je ne ferais pas fans craindre la ſéduction , quoiqu'il me fut alors facile de vous trouver un » aſyle; mais je ne laiſſe à mafille ,pour „ héritage, que ma miſere & fa beau té, deux fources d'égarements & de crimes. .... (7) O Fanchette ! c'eſt s pour vous ſeule que je defirais de vivre , depuis que j'ai perdu celle » que j'aimais .... trop peut-être; mais 7 qui d'un coup d'oeil & d'un ſourire , ramena toujours dans mon caur l'a mour & la tranquillité. Dieu tout > puiſſant , diſais-je dans toutes mes 20 DE FAN @ HET I E. 19 9 97 92 92 so prieres , permets que j'éleve ma fil le ; que je ſois ſon guide juſqu'à , ce que je l'aie remiſe entre les bras de l'époux que tu lui deſtines !... Le Ciel ne le veut pas : dès aujour d'hui peut- être il va terminer une carriere.... Hélas ! elle fut long » temps heureuſe....Je te loue , grand Dieu ! des biens donc j'ai joui ; éloi „ gne, je t'en conjure , de ma chere enfant, les malheurs de fa mere..io & ceux que j'éprouvai. Fanchette ! fille chérie , écoutez » un pere expirant : vous êtes belle , vous êtes pauvre , vous êtes inno cente : ſouvenez - vous de votre beauté, pour être toujours en garde contre les ſéducteurs ; vous les ver » rez , ma chere fille , attachés ſur vos pas, ne vanter vos attraits, que pour » pour vous rendre vile & coupable. Oh ! ſi vous ſaviez avec quelmépris 9 un homme riche regarde une fille fans bien , lorſqu'il l'a féduite !... * » Que ne puis- je vous faire palier cette 97 99 B ij LE PI E D 9 idée comme je la ſens!... Comment ſe trouve- t - il des femmes qui con fentent à lailler ravir des faveurs au w tyran ſuperbe , qui voit leur défaite d'un air inſolent & dédaigneux ! .... Ma fille , la pudeur & l'innocence font de tendres fleurs, qu'un ſouffle endommage , qu’un attouchement » ternit, & qu'une imprudence détruit irréparablement. (8 ) Souvenez -vous 9 en , ma fille , de cette innocence , tréſor que vous poſſédez , pour en connaître le prix ineſtimable & trembler au moindre danger d'y don ner la plus légere atteinte. Que vo » tre pauvreté n'abaiſſe point votre - ame ; confervez , ô ma chere Fan chette , cette noble fierté , qui voit le comble de l'aviliſſement dans le défordre & non dans l'indigence : ſoyez modeſte ; prenez des ſenti ments conformes à votre fortune ; ces arts amuſants qu'on vous enſei „ gna , ne les oubliez pas ; les talents ſemblent faits pour donner un nou > DE FAN CHETTE. * 21 92 » 27 j veau luſtre à la vertu , comme à la beauté ; mais qu'ils n'occupent dé ſormais dans votre eſprit que la ſe conde place ; un travail lucratif, & dont le produit puiſſe ſubvenir à vos , beſoins , voilà maintenant l'eſſentiel » pour vous : vous n'avez plus que ,, cette ſource , ma chere fille , où vous „ puiſſiez vous défaltérer ſans déshon > neur. Regardez, chere Fanchette , ah ! regardez toujours avec horreur , ces femmes élégantes , que le crime charge de brillants & de colifichets, bandelettes profanes, deſtinées à pa rer les victimes qu’on immole à la débauche : ces infortunées n'ont pas » un diamant, pas un bijou , qui n'a fii che leur encan , & qui ne les aviliſle » aux yeux même des libertins ; elles paſſent une vie ignominieuſe dans „ l'apparence des plaiſirs, mais dans , une calamité réelle. Dites-moi, ma fille , regarderez -vous comme heu reuſe , celle qui ne paraîtnulle part fans exciter le murmure de l'indb 77 9 92 LE PI E D » gnation parmi les gens ſenſés , les mordantes épigrammes des Petits Maîtres , & le dédain de ſon ſexe ? „ Quel ſort !... Et ce n'eſt là qu'une „ partie des angoiſſes qu'elles éprou „ vent , & peut-être la plus légere. Ah , ma fille! la poſſeſſion de tous les ,, biens du monde pourra -t-elle jamais » payer l'honneur!..... ( 9 ) ,, Hélas, ma chere enfant!... le Ciel is nous a tout enlevé.... Votre mere avait un frere , long- temps mon pre mier & mon meilleur ami: ma ruine ,, entraîna la ſienne. Il ramaſſa quel 9 ques débris, & quitta fa Patrie , avec ſa femme, & un fils au berceau , pour aller tenter la fortune ſous un autre » hémiſphere. Soit que ſon malheur, » que nous avions cauſé , l'ait aigri; ſoit que la mort l'ait enlevé , il ne nous eſt rien parvenu qui nous inf ,, truiſe de ſon ſort. Si pourtant il vi „ vait , & qu'il revînt un jour , ce ſe rait un pere que tu recouvrerais.... Mais peut- être qu'alors ſans aſyle.... 9 92 2 DE" FAN CHET TE. 92 92 97 92 27 O malheur ! tes ſuites ſont encore ,, plus cruelles que toi-même; tu dé truis juſques aux liens qui réuniſſent les fociétés & les familles ; tu jetres l'homme , après la tempête , ſur des rives déſertes & ſauvages, où per fonne ne le connaît plus.... Chere Fanchette ! le Ciel y pourvoira ſans doute..... Il changea ſon nom de Roſin , pour acquérir un nouveau crédit : c'eſt ce que j'ai ſu par ha zard ; mais ce nom qu'il a pris , je » l'ignore.... Ma fille , recevez ce bi joux ; l'infortune n'a pu m'obliger à le dépouiller des diamants qui l'em belliſſent : c'eſt le portrait de votre mere.... Joignez-y cetécrit , qu'elle » traça pour ſon frere , lorſqu'elle était prête à rendre le dernier ſoupir. S'il , nous avait haïs , il ne pourra réſiſter aux tendres ſentiments que cette let tre renferme ; & s'il nous aime en » core , vouslui ſerez plus chere : con ſervez ſoigneuſement ces dons pré cieux , les derniers préſents d'un pere » qui vous aime..... 92 92 2 - LE PIED 97 92 99 De tant d'amis qui m'accablerent des témoignages de leur affection dans des temps plus heureux , il ne me reſte qu'un homme , qui veut bien s'intéreſſer à vous. Quoiqu'ex cellivement riche , il vit ſans faſte. Je ne lui connais qu'un défaur; c'eſt d'avoir trop de cette dévotion mi nutieuſe , quiſe charge de pratiques bonnes peut- être , mais qui loin d'ê 22 tre eſſentielles & néceſſaires , empor » tent un temps qu'on pourrait mieux , employer : à cela près , la voix du Public lui donne ſans partage le ti ,, tre d'honnête homme. C'eſt entre ſes mains que je vais te remettre , 6 toi ! chere enfant, le ſeul bien done la perte fait en ce moment couler 9 mes larmes. Obéis , ma Fanchette , , comme à moi-même, à ce nouveau 29 pere , que je te donne en mourant. Le bon Marchand s'arrêta : Fan cherte fondait en larmes : elle couvrit de baiſers les mains de fon pere , qui lui dit d'une voix entrecoupée par les fanglots : 27 22 77 DE FAN CHETTE. 25 fanglots : - Ma fille , aſſure -moi que je vivrai dans ton cæur ; ... que mes leçons régleront ta conduite , &..... Cher papa ! s'écrie impétueuſement la jeunefille : ah ! quelleame me croyez vous donc , pour demeurer inſenſible à vos bontés ! .... Mon pere ! .... ja mais .... non jamais votre nom chéri , vos avis , votre tendrefTe ne ſortiront de ma mémoire , ni de mon coeur .... Les yeux du moribond s'animerent ; ſourire de la ſatisfaction vint encore le tracer ſur ce viſage hideux & dé charné ; fon cæur paternel palpita : il dut à fa fille le bonheur de ſes derniers moments. – Bénis- la , mon Dieu ! dit il à demi- bas : mon Dieu ! bénis- la cette chere enfant, le plus précieux des dons que tu m'as faits ; car elle a répandu de la douceur juſques ſur les angoiſſes de la mort. Ces mouvements étaient trop vifs & trop doux ; des organes débilités , un corps abattu ,.ne purent les ſoutenir : une faibleſſe ſurvint à Flo rangis : Celui dont il venait de parler à 1, Partie, C 26 LE PIED fa fille entre dans ce moment ; il donna quelques ſecours à ſon malheureux ami , qui r'ouvrant ſes yeux éteints , l'apper çut , & montra de la joie. -Fanchet te , ajouta -t-il , d'une voix tombante , voilà... celui ... quiveutbien ... te ſer vir de pere.... En achevant cesmots , prononcés avec peine , ſes yeux ſe re fermerent ; on n'entendit plus que quel ques ſoupirs , impuiſſants efforts de la nature qui lucte encore contre la def truction .... On arracha Fanchette d'au , près du corps de ſon pere , qu'elle ar rofait ſeule de ſes larmes : les yeux de fon ami (la jeune fille le remarqua ) refterent toujours ſecs. CHAPITRE VI. Apparences trompeuſes. Belle Fanchette Elle , calmez une douleur crop vive ; ces foupirs & cer DE FANCHETTE. 27 ſanglots ne vous rendront pas votre pe re ; j'aurai pour vous la même tendrer ſe ; mes ſoins, mes attentions à préve nir , non - ſeulement vos beſoins, mais vos deſirs, ſurpaſſeront tout ce qu'il au rait pu faire pour vous. Je ne deſire que de vous voir heureuſe ; comprez ſur moi ; diſpoſez en maîtreſſe abfolue de ma maiſon & de moi- même. — C'eſt ainſi que s'exprimait M. Apatéon , ( 10 ) pour conſoler Fanchette , huit jours après la mort de ſon pere. Les effets ſuivirent les paroles : la jeune Florangis n'écait plus miſe avec la même élégance que dans ſes pre mieres années ; ſon pere ne lui donna que des étoffes groſſieres , & confor mes à la fortune. En huit jours elle vit reparaître ſon ancienne magnificen ce : outre un deuil parant , elle eut des bijoux , une montre enrichie de bril lanes , les étoffes du meilleur goût , les modes les plus ſéantes & les plus nou velles. Malgré la légéreté de ſon âge , ces belles choſes n'effacerent pas du Cij L E P I E D cour de Fanchette la mémoire d'un pere qui la chériſſait , & n'affaiblirent. point les regrets que lui caufait ſa per te. Elle n'était pas ingrate non plus; elle était pénétrée de reſpect pour M. Apatéon ; mais elle ſe diſait quel quefois : Ah ! ſi je tenais tout cela de mes parents ; ſi c'était mon vertueux pere , que je duſſe accompagner ce ſoir à la promenade , ſous cet appareil éblouiſſant , que je ſerais heureuſe ! — Et la jeune fille pleurait. Je ne prétends pas nier qu'un petit levain d'orgueil ne contribuật à faire naître ces regrets , peut- être autant que la tendreſſe ; mais ſ'orgueil eſt une vertu , s'il éleve l'ame, & nous montre de la baſleſſe à rece voir , lorſqu'il nous eſt impoſſible de rendre de la même maniere. Chaque jour M. Apatéon procurait à fa pupille de nouveaux amuſements : il paſſait auprès d'elle les journées en cieres. La muſique, les inſtruments, la danſe , la promenade , les ſpectacles , les ſoupers fins fe fuccédaient. A la DE FAN C H ETTE. 29 1 vérité , Fanchette ne voyait d'hommes que ſes maîtres ; c'était avec M. Apa téon qu'elle danſait. Mais l'aimable fille était bien loin de s'en plaindre ; elle goûtait un genre de vie , dont le tumulte était banni, & que des plaiſirs innocents variaient. Tout le monde dans la maiſon baillait les yeux devant elle , & ne lui parlait qu'avec refpect. M. Aparéon ſoupait tête- à- tête avec el le ; mais dès qu'on avait quitté la table , il laiſſait Fanchette en liberté. - Que j'ai de graces à rendre au Ciel , dilait quelquefois la jeune Florangis , de ce que cer ami de mon pere ne l'a pas abandonné! qu'il eft digne de mon ref pect , de mon eſtime & de ma recon naiſſance ! - En ſe levant le matin , c'eſt- à - dire & dix heures, M. Apatéon , rafraîchi par un ſommeil long & paiſible , s'infor mait fi ſa pupille était habillée ; elle ne ſe faiſait pas attendre ; ils ſortaient tous deux , & fe rendaient dans un Temple , oùle dévot perſonnage donnait l'exem 1 5 C iij 30 LE PIED ple d'une piété fervente. Il ramenait enſuite Fanchette au logis : l'on déjeû . nait ; les Maîtres de danſe & de mu fique arrivaient : après les leçons , on ſe mettaità table pour dîner ; on ſe pro menait enſuite dans unjardin preſqu'auſſi délicieux que celui d'Eden , juſqu'aux Vêpres , qu'on allait entendre chez des Religieuſes : s'il faiſait beau , les Tui leries , le Luxembourg , les Boulevards , étaient , durantuneheure , le chéatre des triomphes de Fancherce : enſuite l'on allait au ſpectacle , ou l'on rentrait. J'oubliais de faire le portrait de M. Apatéon. C'était un petit homme , d'environ cinquante ans ; ni beau ni laid ; d'un embonpoint plus que mé diocre ; au teint frais & fleuri; aux yeux doux & benins ; aux regards en -deſſous; fin ſans le paraître; aimant la mollefſe , la bonne chere ; ayant toujours , en par lant, un air de bonhommie qui lui ga gnait les cours. Il nageoit dans la joie , lorſqu'aux promenades publiques , il entendait louer Fanchette de la tête DE FAN CHET T E. 31 aux pieds : il laiſſait alors tomber en tapinois ſes regards ſur le pied mignon de ſa pupille ; & par diſtraction , il di fait tout haut : Qu'il eſt charmant ! Il avait un foin particulier d'orner cette partie des attraits de la jeune Floran gis , par la chauſſure la plus élégante : il ne trouvait jamais qu'une boucle fût aſſez galante & d'aſſez bon goût ; après avoir parcouru ſucceſſivement tous les Bijoutiers, il finit par en deſſiner lui même d'une forme nouvelle , que tout Paris admira : car pour la parure du Beau - Sexe , M. Apatéon s'y entendoit mieux que perſonne au monde. On dit que dans fa jeuneffe , il avait inventé les mantelets , pour cacher un petit dé faut dans la taille d'une jolie maîtreſſe, dont il était fou : les caleches , dans une autre occaſion , furent encore une émanation de ſon cerveau : la jolie Nic *. ayant touché ſon coeur , il lui fit porter des jupes traînantes , parce que cette Belle n'avait pas la jambe fine ; & pour Fanchette , il ordonna toujours qu'on Cix LE PIED les lui fît fi courtes , que rien ne déro bât la vue de ſon joli pied. CHAPITRE VII. Danger qu'on aura prévu . F Anchette Anchette,jeunene,, innocente innocente &veraer tueuſe , était tranquille chez ſon bien faicteur Apatéon . Souvent elle s'était apperçue qu'en luiparlant, il rougif ſait, & lui preſſait la main : quelque fois, comme ſans y penſer , il achevait de boire ce qu'elle avait laiſſé : lorf qu'ils revenaient enſemble , au -lieu de lui donner la main pour deſcendre de la voiture , il la prenait dans ſes bras , & la portaic juſqu'à l'eſcalier : enmon tant , ſes pieds touchaient à peine à terre; l'obligeant Vieillard la foulevait, & parvenait hors d'haleine à la porte de fon appartement : ſous prétexte qu'une chauſſure trop juſte pouvait la DE FANCHETTE. 33 gêner , dès qu'ils étaient rentrés , lui même préſentait à Fanchette des mu les élégantes, tombait à ſespieds pour l'empêcher de ſe baiſſer , & la débar raſſait de ſon joli foulier. La jeune fille fentait au fond de fon cœur une vraie reconnaiſſance de tous ces ſoins : ce pendant quelquefois ils la firent rou gir ; mais elle regarda ce mouvement de pudeur comme un commencement d'ingratitude; elle en eut horreur. Un jour , qu'il faiſait très-chaud , le Vieillard eut des affaires : Fanchette , reſtée ſeule , ſe mit à lire les Lettres ré créatives & morales de C*****. Cette lecturel 'aſſoupit : elle était ſur un fo pha , un de ſes pieds appuyé ſur un fie ge , & l'autre tombant ſur le parquet. On découvrait le commencement de fa jambe , & ce joli pied ſur- tour , chef d'oeuvre des graces, était parfaitement en vue. Le bon M. Apatéon revient, & vole où tendent tous ſes deſirs. On entrait de ſon appartement par une porte ſecrete , dans celui de la belle Floran 34 LE PIED gis. Il apperçoit la pupille qui fom meillait. Le coeur du papelard battit avec violence : il s'approche, en treſ faillant de plaiſir ; il s'agenouille ; il baiſe mille fois ce pied charmant. Il ne voulait pas s'en tenir là : la jambe de l'aimable fille le tentait ; mais une ſecouſſe que le mouvement de ſa lourde maſſe donne au plancher , éveille Fan chette. Elle voir M. Apatéon la bou che collée ſur ſa mule : elle ſe leve en rougiſſant. Le Vieillard , à genoux & confus, prit ſur le champ ſon parti , & pouſſant un gros foupir , il dirige lan goureuſement fes regards ſur une image placée vis - à-vis de lui : Grande Sainte , s'écrie-t-il , protege cette fille aimable , donc je viens de baiſer les pieds avec humilité ; que la belle ame foit inondée des graces qui donnent le falut, comme ſon corps a toutes cel les qui font naître l'admiracion. Loué ſoit leCréateur , qui la fit fi charmante.... & fi fage! Il ſe releve en achevant ces mots , & baiſe avec feu la main de Fan DE FAN CHETI E. 35 chette , qui la retire vivement. Je vous aime en Dieu , ma chere fille , lui dit Apatéon ; nous ne ſommes pas com me ces Athées , qui n'ont en aimant, que des vues illicites ; ne craignez rien d'un homme qui n'adore en vous que le Créateur lui-même. Enſuite il s'affit auprès de la pupille , qui n'avait rien compris à ſon action & à ſes diſcours ; il prenait de temps en temps ſes belles mains, les preffait; quelquefois il pal fait ſon bras autour d'une taille fwelte & légere ; il hazarda même de lui dé rober un baiſer. Tanchette , ſans dé fiance , fouffrait cependant : elle ne ſen tait plus ſon cæur s'épanouir : la pré ſence de M. Aparéon la réjouiſſaic dans d'autres temps ; à préſent elle le fou haiterait bien loin. Elle penſait tout cela ; mais elle n'en témoignait rien. Apatéon crut fon triomphe facile : ce pendant il ne voulut rien hazarder ; il remit à la nuit ſuivante l'exécution d'un projet , formé depuis que Fanchette était en fa puiſſance. 36 LE PIED CHAPITRE VIII. Par bonheur ! ASouper , le ſenſuel Apatéon fit à ſa pupille une chere plus délicate en core que de coutume : il voulut l'en gager à boire , à ſon exemple , de ces délicieux breuvages qui portent le feu dans les veines , & dans le cœur les de firs impétueux : - Ma chere fille , di fait le dévot , toutes les choſes d'ici -bas font faites pour les Elus ; ( 11 ) el les ne les corrompent pas ; au contrai re , ce ſont eux qui les ſanctifient. - Mais Fanchette ne favait pas fanctifier la débauche ; elle n'avait appris de ſon pere qu'à aimer la fobriété. Elle aſſo cia , ſuivant la coutume, les Naïades à Bacchus. Le Vieillard ne put rien ga gner ſur ſon eſprit. Ce jour- là , il ne Le retira point auſſi- tôt après l'avoir re DE FAN C H ETT E. 37 miſe dans ſon appartement ; il voulait l'aider à ſe déshabiller. Fanchette était bien innocente ; mais une lumiere na turelle indique à fon ſexe les regles de la bienſéance : la jeune fille ſentit qu'il fallait mettre un terme à ſes complai ſances pour M. Aparéon ; elle ne vou lut jamais y confentir ; le . Vieillard fuc obligé de lui céder. Reſtée ſeule , Fanchette voulait ré fléchir ; mais il ne ſe préſenta devant elle qu'un cahos impénétrable à dé brouiller : au fond de fon cour , elle éprouva des mouvements de crainte : pour la premiere fois , cette porte qui donnoit de ſon appartement dans celui du Vieillard , & qui ſouvent l'avait raf furée contre mille perices frayeurs en fantines , lui donna de l'inquiétude: Elle alla trouver Dame Néné , gouver nante fexagénaire de M. Apatéon. Il eſt bon dedire que DameNêné, fille de la nourrice de la mere de Fancbets te , avait toujours tendrement aimé la Marchande, & que ſon affection réjail i 38 LE PIED . liſfait ſur ſa fille . La pupille de M. Apa téon pria Dame Néné de coucher dans fa chambre. - Pourquoi, Mademoi ſelle ? — C'eſt que j'ai peur. —Vous avez peur ! Eh ! de quoi ? - Je ne fais . - Je le crois bien , mais n'impor te; tout ce qu'il vous plaira ; j'y con ſens. Ma bonne ? Eh bien ! Vous viendrez ? Oui. Sans manquer au moins ? - Je vous le pro mets. Ma bonne ? ... Vous pleu rez , Mademoiſelle ? ...... Ma chere fille , qu'avez-vous? ..... - Hélas ! j'ai perdu mes parents .....Mon pere ..... il n'eſt plus ! - La pauvre enfant ! .... elle mefend le cour ! ... Paix , paix , ma mignonne : Monſieur a des bontés pour vous, & quant à moi.... - Ah ! ma bonne ! - Comment ! ceſſerait- il .... - Non ; mais.... - Mais ?..... - Il n'eſt pas mon pere ! - L'aimable pe tite ! qu'elle ſent bien ce qu'elle a per du ! ... H'faut ſe faire une raiſon ,ma chere fille .... - Je voudrais .... que M. Aparéon eût moins de bontés. DE FAN EH ETT E. 39 Vous m'étonnez , Mademoiſelle , en tenant ce langage ! Il me rend confuſe. Par exemple , je ne ſais pour quoi, lorſqu'il me porte dans ſes bras , qu'il me baiſe la main , j'éprouve une peine .... une peine que je ne ſaurais vous comparer à rien. Une pauvre or pheline ne peut , ſans honte , penſer qu'il lui rend des ſervices qu'elle ne recevrait d'une Domeſtique qu'avec répugnance. La vieille Gouver, nante ſe frotcait les yeux , & prêtait toute ſon attention . Elle ſe fit expliquer ce que c'était que ces ſervices , & fon écon nement redoubla. Dame Néné connaillait les hommes ; mais l'extérieur édifiant de fon Maître lui en avait toujours impoſé. Elle fe rendit dans l'appartement de Fanchet te , & ſe mit dans un petit lit , qu'elle approcha de celui de la jeune perſon ne, Toutes deux parlerent très- bas : Je ſuis tranquille à préſent, dit lai mable Florangis : tantôt il m'a ſurpri ſe ; j'étais endormie ; il me baiſait le 40 LE P I E D Eh ! par pied , lorſque je me ſuis éveillée.... – Vraiment ! vraiment ! le pied ! à vous ! .... il s'y connaît .'... Mais com ment ne l'avez - vous pas entendu ? vo tre porte eft rude , & fait du bruit. - Il n'eſt pas entré par- là. où donc , ſi ce n'eſt par la porte ? — Par celle qui donne de cet appartement dans le ſien . - Que voulez-vous dire ? - Ce que vous devez ſavoir. — Une porte de fon appartement dans le vôtre ! ... voilà la premiere fois que j'en entends parler. – Rien n'eſt plus vrai cepen dant ; & dès demain , ſi vous le vou lez , vous pourrez la voir. Elles en tendirent du bruit , & fe turent. Depuis long-temps , elles étaient tranquilles : le ſommeil venait de ré pandre ſes pavots ſur la jeune Floran gis , ( 12) & la Vieille s'aſſoupiſfait, ( 13) lorſqu'Apatéon, qui ne ſoupçon nait rien de l'arrangement de la pupil le ', ſe gliſſa dans ſon appartement. Il s'avance avec précaution, & retient ſon haleine gil-touche un lit ; il s'apperçoit qu'il DE FAN CHE TI E. qu'il eſt occupé : mille fois ſes mains errantes & perfides s'avancerent pour violer le dépôt facré qu’un ami ren dant le dernier ſoupir , confia à ſa bonne foi; & mille fois la crainte , non du crime , mais d'échouer , le retint. En fin , il entend ſoupirer ; il ne ſe poſſede plus : ſa bouche cherche celle de Fan chette ; ſes mains preſſent.... O Ciel ! s'écrie - t- il , en reculant d'hor reur ; que viens-je de toucher là ! Ce n'eſt pas ma jolie Fanchette , c'eſt un monſtre qui la remplace! · La Vieil le , qui venait de s'éveiller , grommele d'un ton rauque entre les dents je ne fais quoi , qui mic en fuite le ſatyre inpur. Ma fille , dit la Gouvernante , en éveillant Fanchette , j'en fais trop mais j'étais ici , par bonheur ! . I. Partie; D LE PIED CHAPITRE IX. Par hazard. Url'aurait penſé , diſait en elle même la vieille Gouvernante, le matin en s'habillant ! Il y a vingt ans que je ſuis au ſervice de M. Apatéon : je n'en avais que quarante lorſque j'en trais chez lui, & cependant jamais il ne m'a dit une parole libre , & fait un attouchement qui répugnât à la pudeur, fi ce n'eſt cette nuit..... Comme les hommes changent ! & qu'il faut peu de choſe pour faire échouer une vertu , que , peut-être, les plus rudes épreu ves n'avaient point encore ébranlée ! ... Oh ! il n'en eſt pas où il penſe. ... Le bon M. Florangis penſait bien juſte : hélas ! il ſavait que nos meilleurs amis nous trompent... Mais voyez un peu ce M. Apatéop , avec ſa mine douce DE FAN CH ETT E. 43 - rette ! Il lui faut une fille de feize ans , au teint de lis & de roſes, faite au tour, à la jambe fine , au pied le plus mignon que l'on puiſſe voir en France ! ... Il n'en râtera brin , ſur ma foi. En s'entretenant ainſi , la Vieille ſe trouve habillée , & Fancherre s'éveille. -- Ma bonne , dit la jeune Florangis , vous avez dit tancôt que vous en faviez trop ? Eh bien , Mademoiſelle, je me trompais : j'ai voulu dire que j'en favais aſſez . Mais , c'eſt la même choſe.... Que favez - vous ? ... dites moi ? — Ce que je fais ? ... Je ſais que, pour vous raſſurer , il eſt abfolumene néceſſaire que je couche toujours ici ; & que durant le jour , il ne ſera pas mal que votre porte ne ſoit jamais fer mée . - Ah ! mabonne ! ... Mais vous voyez donc bien que je n'ai pas de vai nes terreurs , & de petites peurs d'en fant ? aufli ce ne ſont pas des frayeurs que j'éprouve , c'eſt une inquiétude, un ....je ne- fais - quoi, ma bonne , lorf que M. Apatéon eft auprès de moi. Dij L E P I E D L'aimable enfant ! c'eſt ſon pere: tout revenu.... Tenez , Mademoiſelle Fanchette , je vous aime cent fois plus que jamais ...... Oh ! .... vous me..... Tenez , je pleurs .... mais c'eſt de joie .... Ah ! que toutes ces jeunes filles à mi nois frippon ne lui reſſemblent -elles! nous ne verrions pas tant de vauriens & de dévergondées!... Je m'en vais préparer le déjeûner de Monſieur ; il faut de ces choſes qui flattent une fen fuelle voracité, & provoquent l'appé tit en dépit de la nature. Ne vous ha bituez pas , ma chere fille, à cette ex ceflive délicateſſe ; car cela ne durera pas toujours.... Et s'il vous parle d'un ton .... vous entretienne de fariboles..... qu'il vous prenne la main , & veuille ſe regaillardir ; là , ferme, retirez-moivo tre main , & le regardez noir : car .. il a ſûrement deſſein de vous éprouver . Bonjour , Mademoiſelle ; n'oubliez pas ce que je vous dis, & comptez toujours, ſur moi. LaGouvernante, en courant à la cui, DE FAN CHETT E. 45 fine , diſait : Il en aura , ma foi ! le dé menei , le pénard ruſé ! & Fanchette réfléchiſſait . Il eſt impoſſible d'expri mer combien il ſerait divertiſlant de lire dans l'intérieur d'une fille de ſeize ans , innocente , vertueuſe , mais ſur tour ignorante : tout ce qu'enfante fon imagination reſſemble aux contes des Fées ; ſa confiance s'appuie ſur tout ; &cependant ſes craintes lui font voir des monſtres par- tout ; un rien les diſlipe , & la ſérénité renaît fans cauſe , comme elle s'eſt évanouie fans raiſon . Du ref te , indéciſe & timide, elle a tremblé long-temps avant de hazarder un pas : elle n'eſtpourtant pas défiante; elle ne le devient qu'après avoir été trompée: elle penſe bien de tout le monde qu'elle voit ; &fi quelquefois elle ſoupçonne des méchants , elle les ſuppoſe preſque toujours parmi ceux qu'elle ne connaît. pas. Oui, les hommes n’apperçoivent , à la vue des attraits d'une jeune per ſonne, que la moitié la plus faible de : ce qui devrait les toucher ; elle deyiens 46 LE PIED drait bien plus intéreſſante , ſi l'on pou vait lire dans ſon coeur ; y découvrir ces tréſors d'innocence , de franchiſe , d'une aimable candeur. Mais cet âge heureux paſſe vîre : environnée de traî tres & de perfides, la jeune ame en prend les vices , & parvient quelque fois dès l'adoleſcence , à ce point de dépravation , qu'elle ne croit pas mê me la vertu néceſſaire ; & voilà l'ou vrage deshommes.... Quedis-je ! ah , pardon ! Je ne ſuis point de cesmiſan thropes atrabilaires , qui cherchent à dégrader le genre-humain : non ; je me trompais; les hommes , mes ſembla bles , que je chéris, que je révere , ne font pas capables de chercher à dé. truire la vertu dans leurs aimables , leurs charmantes , leurs divines compagnes! c'eſt l'ouvrage de ces Petits-Maîtres, de ces agréables, quiportent par- tout leur inucilité & leur corruption ; de ces poupées, ſucceſſeurs des galles, ( 14) non moins déréglés, & plus dangereux ; de ces vieillards, qui, l'or à la main , DE FAN CHEITE. 47 traînent avec eux le dégoût & le liber tinage; & tous ces miſérables ſont in dignes du nom d'hommes. L'eſprit de Fanchette s'égarait dans un labyrinthe d'idées creuſes :pour s'ar racher à cette ficuation gênante , elle · s'approcha de ſon claveſſin , & lui fit rendre les fons les plus touchants. Quand on eſt mélancolique, qu’on a beaucoup penſé, l'ame eſt remplie , & cherche à s'épancher. Fanchette unic fa jolie voix à l'inſtrument ; elle ſuivic ce que ſon coeur lui dictait , & les chants ne reſpirerent que la douleur : le nom de ſes parents s'y mêlait ; des larmes coulaient le long de fes belles joues en le prononçant. Cette occupation avait des charmes pour la belle Florangis ; un rien amuſe une jeune fille : Fanchette oubliait l'u nivers ; & M. Apatéon , rempli de l'i dée des attraits naiſſants de fa pupille fort inquiet cependant ſur ceux qu'il avait palpés durant la nuit , fe levait. Dès que la toilette fut achevée , il le 48 LE P I E D rendic dans l'appartement de Fancher te ; il la conſidéra long- temps avant de l'interrompre. Elle érait en déshabillé galant : jamais la taille ne fut ſi bien deſſinée ; elle avait un ſoulier blanc comme la neige , bordé d'un cordon net d'argent ; ſon joli pied battait la meſure , & chaque mouvement qu'il faiſait , portait de nouveaux deſirs dans l'ame de M.Apatéon. Il était hors de lui , lorſqu'il s'approcha de Fanchette ; il la prit dans ſes bras , & voulut lui ravir un baiſer. La jeune fille détourna la bouche ; le Vieillard colla la ſienne fur les plus beaux cheveux du monde, & crut ne perdre pas beaucoup au chan ge. Le feu de la volupté circulait im pétueuſement dans ſes veines. Il enleve Fanchette , la porte ſur une bergere : l'aimable Florangis ne ſait ce qu'il pré tend ; mais elle ſe défend comme ſi l'expérience l'eût inſtruite. Aparéon , vieux routier , la laiſſe quelque temps ſe débattre ; gagne un poſte , puis un autre ; enfin ..... éperdue , reſpirant à peine, DE FANCHETTE. 49 peine , & s'efforçanten vain d'appeller , l'innocente orpheline allait peut- être éprouver un malheur , dont jamais elle ne ſe fût conſolée , lorſque la Gouver nante accourut, pour avertir M. Apa téon , que le déjeûner courait le plus grand riſque du monde de ſe refroidir. Elle ne le trouve pas dans ſon appare tement; elle cherche la porteignorée , la découvre , & voit le tartufe infame attaché ſur la proie timide. En femme prudente , elle fort ; court , plus vîte qu'elle n'avait fait depuis trente ans , à la porte de Fanchette , & frappe à coups redoublés. Il était temps. Apatéon preſque vain queur , craint qu'on ne le ſurprenne ; il abandonne Fanchette ; lui recon mande le ſecret en menaçant , & s'é lance chez lui par la porte dérobée . La jeune fille épuiſée & tout en eau , cria d'entrer. Qu'avez -vous, Made moiſelle, dit Néne ? – Hélas ! répond Fanchette en pleurant.... - Ma chere fille , reprend la Vieille , dites-moi.... I. Partie , E - 50 LE - PIED expliquez-moi.... que s'eſt - il paſſé ? Je ne ſais ce que me veut M. Apa téon ; il vient de me tourmenter .... Il voulait , ma bonne.... Je n'en faurais douter ; il n'eſt pas ce qu'il paraît.... Je rougirais trop de vous dire ce qu'il voulait.... - Ne l'a - t - il que voulu ?.... Si vous n'euſſiez frappé.... Ah ! ma chere fille ! .... Et cependancje ne ſuis venue que par hazard. CHAPITRE X. Reſource inattendue. N déjeûna. Apatéon baiſſa d'a bord les yeux ; l'ingénue -Fanchette le mit bientôt à ſon aire. Cette aimable fille était loin d'avoir l'idée du but où tendait ſon tuteur. Elle avait ſeule ment penfé qu'il voulait faire une choſe contre la décence ; il n'en était pas venu à bout ; elle était ſatisfaite , & ſe pro DÉ FAN CHETTE. 51 1 metrait bien de ſe méfier à l'avenir de pareilles entrepriſes. Apatéon , ( qui , de même que mon Lecteur , avait cru les lumieres de Fanchette plus éten dues ,) en la voyant agir comme de coutume , conçut de nouvelles eſpé rances , qui lui rendirent ſon hypocriſie & fa gaieté. Mais la Gouvernante, qui , la nuit , en avait appris trop , à laquelle le jour en fit connaître davantage encore , avait heureuſement coute l'expérience qui manquait à la jeune Florangis. Elle vit que tôt ou tard fon maître triom . pherait de l'innocence de Fanchette ; . elle avait éprouvé plus d'une fois , qu'en bravant le péril, on y ſuccombe ; en conſéquence , elle réſolut d'y ſouſtraire une fille , ſur laquelle elle avait plus d'autorité qu'on ne penſe. Il eſt très -naturelque mon Lecteur ignore , puiſque je ne l'ai pas dit , que le pere de Fanchette mourant, ne s'é cait pas tellement fié à ſon ami M. Apa téon , qu'il n'eût pris d'ailleurs des pré E ij 52 LE PIED cautions pour préſerver ſa chere fille des embûches d'un ſéducteur. Il ſavait que de tout temps la Gouvernante du dévot Aparéon avait tendrement affec tionné ſon épouſe ; il lui connaiſſait des ſentiments d'honneur : ce fut en con ſéquence qu'il lui remit une ſomme, produit de tout ce qu'il avait fauvé de ſon déſaſtre; de quelques bijoux & des habits de Madame Florangis ; des liens même , qu'il fit vendre , dès qu'on l'af ſura qu'il ne devait plus eſpérer de vi vre : le tour formait environ deux mille écus. Par un codicile , qui devait être ſecret, il chargea la Gouvernante d'em ployer cette ſomme à placer ſa fille chez une Maîtreſſe ouvriere , à l'inſu de M. Apatéon , ſi fa bonne volonté fe refroidillait, ou que d'autres choſes, qu'il n'exprimait pas , & qui juſtement arriverent, l'y contraignaient. Le mê. me Ecrit portait , que li l'oncle de Fan chette venait à reparaître un jour , . il reprendrait ſur ſa niece tous les droits confiés à d'autres DE FAN CHET T E. 53 On était revenu de l'Egliſe ; on avait chanté , danſé , diné ; on allait aller à Vêpres : la bonne Néné dit adroite ment à l'oreille de Fanchette , de fein dre une indiſpoſition pour reſter. La jeune fille ne ſavait pas feindre; ( 15) elle dit tout uniment à M. Aparéon , qu'elle le priait de ſortir ſeul pour ce jour- là , parce qu'elle n'avait pas envie de l'accompagner. Le Vieillard inſiſta ſur la néceſſité d'aller à Vêpres ; on le pria d'en diſpenſer : il était complai ſant; il ſe rend , & ſorr. Dès que la Gouvernante s'apperçuc que Fanchette était ſeule , elle couruc à ſon appartement , & fans perdre le temps en de vaines paroles , elle lui donne cer Ecrit , qui contenait les der nieres volontés de M. Florangis. L'ai mable fille le lut en fanglotant, & le rendit à Néné , qui le renferma pré cieuſement dans la boîte d'où elle l'a vait ciré . - Eh bien ! Mademoiſelle , auriez-vous le courage de reprendre les habits que vous aviez en entrant ici ; E jij 54 LE PIED ces habits, triſtes preuves de votre in fortune , & de quitter l'aiſance dont vousjouiſſez chez un ſuborneur ? - Un ſuborneur ! Oui , Mademoiſelle ; celui qui vous a reçue des mains de ſon ami ; pour qui vous devriez être le plus ſacré des dépôts , mérite ce nom que vous venez de lire dans l'Ecrit de votre pere .: il veut vous déshonorer & vous perdre. Il n'eſt qu'un moyen d'échap per.... Votre bon pere ! oh ! quelle le rait ſa douleur !... Il l'avait prévu.... Que décidez-vous ? — Qu'il faut obéir à mon pere. Ah ! ma bonne ! je ne tiens donc plus à rien ! Perſonne ne va plus s'intéreſſer à mon fort ! Si M. Aparéon voulait me tromper , tout le monde me trompera. - Chere Florangis ! je ne ſuis qu'une pauvre femme ; mais un jour vous convaîtrez mon zele ; combien je vous aime.... Ma chere fille , je ferai l'impoſſible pour vous. Ne perdons pas de temps ; quittez ces colifichets & ces bijoux ; ils font , ſur une fille pauvre , de triſtes enſeignes, qui diſent 1 DE FANCHET I E. 55 qu'elle eſt à vendre , ou que déja peut être ils ont été le prix infame mis à ſon innocence : reprenez vos habits : les voilà , je viens de les approprier ; de parler à la plus honnête Marchande de modes de Paris , chez laquelle vous allez entrer ; de placer chez un Notaire la ſomme que me confia vetre pere : Mademoiſelle , tous les Apatéons du monde n'empêcheront pas qu'une fem me indigente , fujette , comme d'au tres , à mille défauts , ne merte fon bon heur à vous être utile . Vous allez donc me ſervir de mere , lui dit Fan chette d'un ton careffant ? - Ah ! belle Florangis , un jour vous ne douterez pas que je n'en aie pris les ſentiments, Par un commencement de bonheur , ma chere fille , ajouta Néné , la Mar chande , fans vous être parente , porte votre nom : ce trair vous rend chere à cette femme eſtimable , avant même de vous avoir vue ; & pour éviter tou tes les queſtions fur votre famille , vos connaiſſances, elle vous fera paſſer pour E iv 56 ," LE PIED fa niece. - Tout en cauſant , Fanchette ſe trouva vêtue des modeſtes habits que lui fit quitter Apatéon , & n'en fuc pas moins belle ; ils devenaient étroits & courts ; mais qu'importe ? elle ne les devait à perſonne : l'aimable fille était contente. On ſort par une porte du jardin , fans être vues des gens de la maiſon ; on ſe rend chez la Mar chande de modes: Néné préſente Fan chette , ne dit qu'un mot , & fe , hâte de retourner. Elle arrivait à peine , que le dévor Aparéon rentra. CHAPITRE XI. Reviendra - t - il. Enez , Mademoiſelle , dit la Marchande à Fanchette : je ſais qu'il ne faut pas que vous reſtiez dans ma boutique : ma fille vous tiendra com pagnie , & vous travaillerez avec elle DE FANCHETTE. 57 i dans la chambre que je vais vous don ner. – En même temps la jeune Aga the ſe leve , & court ; d'un air enjoué, prendre la main de l'aimable Floran gis. La Gouvernante avait inſtruir la Marchande de tout , & ſa pupille en devint pour cette femme honnête un dépôt plus précieux. Agathe était une blonde touchante , tendre , ſincere ; mais vive , ſémillante : elle n'avait que quatorze ans. Dès la premiere vue , Fanchette la charma: elle prit pour elle un goût vif , qui fut ſuivi d'une amitié conſtante , & les ren dit toujours inſéparables. Fanchette fit, ſous les yeux de fa jeune amie , des progrès rapides : elle avait pour le tra vail un goût décidé ; l'on apprend tou jours bien vîte ce que l'on aime. De ſon côté , la bonne Gouvernante tâcha de lui procurer tous les amuſements qui dépendirent d'elle. Comme je l'ai dit , elle avait placélesdeux mille écus , que lui remit en mourant le pere de Fánchette ; elle joignit à cette ſomme 58 LE PIED ce qu'elle avait amaſſé depuis quarante ans: le tour formait un fonds qui com poſait huit cents livres de rente : elle avait en outre gardé de quoi payer l'ap prentiſſage de Fanchette , & pour ſon entretien durant trois ans qu'il devait durer , afin que la jeune perſonne eût toujours de réſerve quelques années de ſon revenu : à foixante ans , l'on eſt économe & prévoyant. Néné lui fit préſent d'un claveſſin , lui donna les Livres qu'elle demandait ; en un mot , elle avait promis de lui ſervir de mere , & lui tint parole. Ma chere Fan chette , lui diſait- elle quelquefois , j'a vais des parents dans la miſere , mais tous , avant moi , ont payé le tribut à la nature ; vous êtes à préſent la per ſonne qui devez m'intéreſſer le plus ; recevez les bagatelles que je vous don ne , comme les préſents de l'amitié ; ils n'aviliſſent perſonne. Oh ! que j'aime cette bonne Néné ! Elle était fille d'un Laboureur : dès fa jeuneſſe, elle vint à la Ville , & fervit. DE FANCHETTE. 59 Elle apporta de fon Village de la pu deur , un caur tendre , une figure ap pétiſſante , & beaucoup de bonne foi: un Garçon de boutique , un Clerc de Procureur , un Valer- de - chambre , un Maître- d’hôtel , &c. la tromperenttour à -cour , en lui prometcant de l'épouſer , & ne lui tinrent jamais parole : elle ai ma le plaiſir, mais elle eut toujours hor reur du crime ; elle devint fage à force de manquer à l'être. Dès que le feu des paſſions fur éteint , elle reſpira : Heureuſe tranquillité, ſe diſait-elle , que vous avez tardé long- temps ! pour quoi ne fûtes- vous pas la compagne de ma jeuneſſe , ainſi que de la maturi té ! - Son coeur n'était cependant pas moins fenſible : elle aima Madame Flo rangis, enſuite Fanchette , autant qu'elle était capable d'aimer. Eh ! qui peut meſurer le ſentiment dans une ame ten dre ! La jeune perſonne était pour elle un tréſor : Evitons , ſe diſait - elle , à ma chere fille , les déchirements aux quels je fus en proie , lorſque je me i 60 LE P I E D trouvais la dupe d'un perfide : qu'elle reflente au fond de ſon coeur l'inex primable douceur d'avoir toujours été vertueuſe : hélas ! je ne puis me, le ca cher à préſent ; je ne pouvais être heu reuſe qu'avec le premier amant que j'ai favoriſé ; j'eulle rougi devant fous les autres. Cette fille ſimple, ignorante , ſavait placer ſes bienfaits ; elle aurait pu ré pandre des dons inſuffiſants ſur une centaine d'orphelins , & ne faire le bon heur d'aucun : elle s'attache à Fancher te , & l'on verra ce qu'il en fut. O vous! qu'une ame bienfaiſance & généreuſe porte à ſoulager l'indigent , retenez cette leçon que vous donne la conduite de Néné ; adoptez une famille pauvre ; rendez la ſeule à l'Etat, ſi votre fortune ne vous permet de ſoulager qu'elle : toute autre maniere de faire l'aumône eft vi cieuſe : vous pouvez donner des meurs à cette famille que vous releverez ; vous ne ferez que des vagabonds de men diants à qui vous procurerez des fecours DE FANCH ETT E. 61 trop médiocres , pour qu'ils ne dépen dent que de vous. Fanchette deſcendait rarement dans la boutique : encore était - elle voilée de maniere qu'on n'aurait pu la recon naître. Un jour elle y parut un mo ment , pour montrer ſon ouvrage à la Marchande : une caleche lui couvrait le viſage; mais ſes habits courts lail faient voir le bas d'une jambe fine & ſon joli pied.Un jeune homme, en grand deuil , entre avec ſon Gouverneur , pour faire quelques achats ; ſes yeux ſe fixent ſur Fanchette ; ſa taille dégagée ; cette jambe , & ce pied ſur- tout le frappe rent. Il s'efforçait de voir fon viſage: l'aimable Florangis s'en apperçut; elle fe hâta de demander l'avis de fa Mai treffe , & remonta dans ſa chambre avec Agathe. Les graces de la démarche acheverent d'enchanter le jeune hom me. – Ah ! qu'elle eſt bien , Madame, dit -il à la Marchande ! — Vous ne pou vez que le conjecturer, Monſieur, lui répondit- elle. L'on ne ſaurait être . 62 LE PIED laide avec .... non , Madame, jamais femme laide n'eut autant de graces : .... un li joli pied ne peut ſoutenir que la beauté même. - Cela n'était pas tout à fait exact ; mais ce jeune homme com mençait à devenir amoureux , & l'on ne doit pas chercher l'exactitude & la modération dans les expreſſions des Amants. Il fit encore quelques quef rions , auxquelles la Marchande , (qui pour le babil ne le cédait néanmoins à perſonne , ) ne répondait que par des monofyllabes. Le Gouverneur acheta , paya , ſortit ; ſon Eleve parut ne le ſui vre qu'à regrer ; & Fanchette diſait à la jeune Agache : - Mon amie , le connais-tu ? Apparemmentque c'eſt ici qu'il achete ? .... Reviendra-t- il ? DE FAN CHETTE. 63 CHAPITRE XII. Nouvelle conquête : s'en réjouira-t-on ? Anchette eſt diſparue !.... On ne l'a pas vu ſortir ! ... On ne fait ce qu'elle eſt devenue ! ... Ah , ſcélérats ! vous me la rendrez !... Mais que la foudre m'écrafe , fi.... Je veux qu'on me la trouve , ou , je jure..... Fan chette ! .... Elle étaic ſi mignonne, li fage , fi.... Je perdrai l'eſprit , ſi l'on ne me la ramene .... Un galant peut être me l'enleve ! & moi, nigayd ! dé puis ſix mois je ſoupiré..., Il fallait , morbleu ! bruſquer l'aventure .... Il au rait été ſi doux de paſſer dans ſes bras.... Je l’eſpérais : je me ſuis trompé. Ah! fije la retrouve ! ... Jolie , délicate Fan chette , quel mortel à préſent favoure ſur tes levres de roſe , des baiſers .... des baiſers ...... ab ! toutes les délices 64 L E P I E D dans leſquelles je nage , ne valent pas un de ces baiſers- là !.... Elle ne ſerait pas ſorcie ſeule ; on me l'enleve : mes gens ſont du complot.... Hola ! traî tres ! par la mort ! ſi vous ne m'avouez la vérité , je vous fais tous pendre.... Comme elle était modeſte ! ... Mais où donc était Néné ! ... Lorſqueſa jolie main ſe promenait ſur les touches de ce claveſſin ; que ſon pied ſéduiſant bat tait la meſure ; que ſa voix ſi douce , ſi touchante.... J'aurais dû la croquer mille fois.... Maudit déjeûner ! ſans toi.... Imbécille que je ſuis ! je me conſolerais du moins aujourd'hui : un autre ne cueillerait pas une roſe que j'ai fi long-temps couvée des yeux..... Ah ! - .... C'eſt ainſi que s'exprimait M. Aparéon , après qu'il ſe fut apperçu de l'évaſion de Fanchette ; qu'il eut grondé Néné , à laquelle: cependant il n'oſa faire de queſtions ſur la viſion de la nuit précédente ; qu'il eut mis tous ſes gens en campagne pour rattraper ſa jolie proie : & Ton monologue finit par DE FANCH ETT E. 65. par un cri de fureur. Tous les mou venients qu'il ſe donna furent long temps inutiles : une pauvre femme , une jeune fille tromperent , avec ſuccès , un tartufe ! Fanchette vivait heureuſe & tran quille : dès le premier jour , elle avait oublié l'abondance & la délicateſſe ; comme dès le premier inſtant , ces bi joux , ces ajuſtements , idoles cruelles auxquelles tant de femmes facrificne l'honneur & les meurs , ne lui coûte rent pas un ſoupir. Les avis de ſon pere fe retracerent à ſon ſouvenir : Je travaille , ſe diſait -elle ; je remplis les vues du cher Auteur de mes jours : le Ciel me bénira. - Et le Ciel la bé niſlait. La Marchande avait un neveu , nont mé Dolfans , jeune homme qui pro mettait beancoup ; Diſciple des Michel Ange, des Raphaël ;des Lebrun ; Emule des Vanloo , des Vernet. Il revenaic de Rome : dès la premiere viſite qu'il ren dit à ſa tante , il vit la belle Florangis, 1. Partie , 66 LE PIED Il était fête : Fanchette avait une robe neuve , peu riche , mais extrêmement parante; c'était un préſent de la bonne Néné : la beauté de fa chevelure était relevée par une friſure de goût : fon joli bonnet paraiſſait monté de la main des Gracesc'eſt , -à - dire par elle- même, ſous la direction d’Agathe. Un ſoulier verd , orné d'une fleur en or , enfermait ſon pied mignon. Elle était aſſiſe , le dos tourné, & liſait Emile, lorſque le jeune Dolfans entra . Le premier objet qui frappa ſa vue , fut le joli pied de Fan chette , poſé ſur un petit tabouret. Son ceur palpita. En embraſſant ſa tante , il le regardait : en répondant à toutes ſes queſtions, il le regardait encore. Qu'avez- vous vu de curieux à Ro me ? — Bien des choſes , ma tante. Faites-moi quelque détail. – Ah ! que ce que j'en découvre eſt ſéduiſant! Vous autres Peintres , vous vous paſſionnez pour cette Ville comme pour une maîtreſſe : tout vous y paraît mer veilleux : mafoi, je n'ai jamais vu vo DE FANCHETTE. 67 tre Rome ; mais Paris eſt bien aufli fé duiſant qu'elle. – Ma tante ! .. —Oui , mon cher neveu , ne vous en déplaiſc ; je le ſoutiendrai contre tous les Ro mains. C'eſt une merveille ! .... Merveille tant qu'il vous plaira . Elle a fon Egliſe de Sainc- Pierre , à ce qu'on m'a dit , mais Paris a ſon Louvre & fes Tuileries : des connaiſſeurs ont aſſuré devant moi , qu'aucun édifice dans le monde n'égalerait le Louvre , s'il était achevé. Je ne parle pas d'édifices ma tante. - Pour les chef-d'oeuvres de la Peinture , l'on voit dans le fal lon .... - Eh , ion Dieu ! ni de Pein ture. - Le caractere de la Nation , les mours des habitants ? ah ! pour le coup , mon neveu , tout l'univers doit mettre pavillon bas devant notre Patrie. Quelle aménité , quelle élégance dans les no tres! Je vois le monde , mon cher Dol fans ; j'entends dire à des gens de poids , que notre urbanité préſente ſervira de modele à toutes les races futures. -- Je vous accorde tout cela , ma cance , j'en Fij 68 LE PIED chérirai , s'il le faut : Paris renferme des merveilles qui ſurpaſſent tout ce que - j'ai jamais vu. — Vous voilà raiſonna ble. Nous aurons bientôt de vos ou vrages; vous ſerez ſans doute devenu parfait ? ... Vous ne me répondez rien ! (Il s'avançait pour regarder Fanchet te , qui ne s'était pas encore retournée . ) Quelquefois j'embellis la nature; mais ce que je viens de voir eſt fait pour déſeſpérer , ou pour élever au-deſſus de lui-même l'Artiſte le plus habile. Mon neveu , reprit la Marchande , en lui parlant à l'oreille ; reſtez - en là : vous me connaiſſez : malgré la tendreſſe que j'ai pour vous , une imprudence vous excluerait de chez moi. Dolfans entendit ce qu'on voulait lui dire ; il baifa les yeux : au bout d'un moment il les leva ſur le pied de Fan chette , & dans ſon cour il diſait : Ah ! fut - elle auſſi laide qu'elle m'a paru belle , ce charme inexprimable me la ferait adorer. Quelques-unes des compagnes de - DE FANCHETTE. 69 Fanchette entrerent : ſa lecture fur in terrompue : elle ſe leva : Dolfans, in terdit , immobile , la regardait ; il s'en ivrait du plaiſir de la regarder. Chaque pas de la belle Florangis faiſait éclorre de nouveaux charmes ; tout s'embellif fait ſous ſes pieds. Telle la divine Cy pris marche précédée des deſirs brû lants , accompagnée des Graces , & ſui vie des Plaiſirs. Dolfans voulut lui faire un compliment ; il ne trouva rien qui pût exprimer ce qu'il ſentait. Il garda le ſilence ; ſes yeux ſeuls parlerent ; & Fanchette peut- être n'entendit que trop ce langage . Jeunes & touchantes Beautés , tou tes les conquêtes flattent votre coeur , novice encore ; vous ne voyez que vo tre triomphe : mais le piege eſt caché ſous des fleurs ; trop ſouvent hélas ! il en eſt qui ne devraient exciter que des larmes ameres. 70 LE PIED CHAPITRE XIII. C'en eſt trop d'un. P Ardon, Mademoiſelle ,ſi j'oſe vous écrire avant de m'être fait connaître : mais je ſuis fi peu maître de mon im patience ; les occafions de vous voir naîtraient ſi difficilement , qu'il m'eſt impoſſible de les attendre. A peine vous ai-je entrevue ; vous étiez comme voi lée : l'envie que je montrai de lire mon Sort dans vos regards , ne ſervit qu'à me priver plutôt du plaiſir que me cauſait votre préſence; & cependant je ſens que mon coeur eſt à vous pour jamais. Je n'ai pas l'injuſtice de me plaindre de votre fuite ; elle ne vous rend à mes yeux que plus digne du don que je pré tends vous faire de ma foi , de ma ten drelle & de tout moi-même. Oui , je le jure par le faint Auteur de la nature , je n'aurai jamais d'autre épouſe que DE FANCHETT E. 71 vous. Je ſuis riche, & je m'en réjouis depuis que je vous aime ; auparavant, je n'y penſais ſeulement pas : je ne ſuis point d'une naiſance illuſtre ; ma fa mille eft de finance ; je m'en réjouis en core : nos conditions ſont égales , & la diſtance imaginaire des rangs , d'autant plus tyrannique, qu'elle eſt moins réel le , ne nous ſéparera pas. Je vous avoue que vos graces ſeules m'ont touché ; j'ignoreſi vous êtes auſſi belle que tout le reſte l'annonce. Oui, Mademoiſelle ; je ne ſais quoi mefic trefailliren vous voyant. Vous êtes faite au tour : cependant ce n'eſt pas votre taille : vous avez la main belle ; de bras arrondis d'une blancheur de lait ; une jambe ....ce n'eſt pas encore cela qui m'a charmé : mes yeux ſe font fixés ſur le plus joli pied que j'eufle encore vu ; je ne pouvais les en détourner , & mon cour battait avec violence. Pour acheyer l'enchantement , vous avez para lé : Dieu! quel Son de voix ſéduiſant! Non , non , il eſt impoſſible qu'avec cette 72 LE PIED 1 voix touchante , l'on n'ait pas dans l'ame un fond d'inaltérable douceur , d'inno cence , de candeur ; & voilà ce qu'il faut pour rendre un époux heureux. ... Ah , Mademoiſelle ! ſivous conſentez que mon bonheur ſoit votre ouvrage, croyez que jene négligerai rien pourfaire le vôtre. Unhomme eſtimable parſes mæurs, qui s'offre en qualité d'époux , ne doit pas être dédaigné : ſes vues ſont pures ; il préſente le don le plus précieuxpour une jeunefille, en même- temps qu'il demande pour lui le bien qui donne le prix à tous les autres , une compagne aimable & ver tueuſe. Réfléchiſſez ſur ce que je me per mets de vous écrire aujourd'hui : Je n'ai plus de parents ; je dépendrai d'un tu teur, durant quelque temps encore ; à vinge ans je ſerai maître de moi : telle fut la volonté de mon pere : je puis donc vous donner un terme fixe pour tenir ma paro- ; Le. Recevez la promeſſe que je vous fais de n'être qu'à vous, l'irai le plutôt qu'il meſera poſſible , Javoir monſort & vo tre réponſe. Je DE FAN CHETTE. 73 Je ſuis, Mademoiſelle , avec un at tachement qui ne se démentira jamais, Votre , & C . DE LUSSANVILLE. 2 C'eſt ainſi qu'écrivait à Fanchette le jeune homme qui ne l'avait qu'entre vue , & qui fut obligé de s'éloigner , lorſque ſon Gouverneur ſortit. Ce bil let fut remis , par un Laquais, à la Mar chande , qui le donnantà la jeune Flo rangis lui dit : Ma fille , voyez ce qu'on vous écrit ; ſi c'eſt ce que je ſoup çonne , j'eſpere que vous ne ferez rien ſans avoir pris mes avis & ceux de Ma dame Néné. - Fanchette avait briſé le cachet & liſait : fon teint qui s'ani ma , décélait l'émotion de ſon cour. Tenez , Madame , dit- elle en finiſ fant. - La Marchande fut touchée de la confiance que lui marquait la jeune Florangis , elle lut à ſon tour. — Ma Fanchette , reprit - elle , que penſez vous de tout ceci ? - Que les hom mes emploient , pour nous tromper , 1. Partie. G 74 LE P I E D des ſtratagêmes toujours nouveaux ; qu'il faut ne rien répondre à ce jeune homme , & l'éviter . - Belle Floran gis! que j'aime à vous voir penſer de Ja forte ! Cependant , ma chere fille , fi c'était un établiſſement folide , il ne fau drait pas le manquer par ſa fauce. Ce jeune homme eſt aimable : ne l'avez vous pas trouvé tel ? Il ne ſerait pas ſi dangereux , s'il m'avait paru moins digne de plaire. Vous ſeriez donc charmée qu'il dit vrai ? — Oui , Ma dame : mais je ſuis preſque ſûre qu'il eſt un trompeur. (Elle eſt ſincere au moins.) Ma fille , vous en rapporte rez- vous à tout ce que je ferai ? — Oui ; pourvu que ma Bonne foit de concert avec vous. Elle approuvera tout ; je puis vous en répondre. - Et la Mara chande quitta Fanchette ; qui dit à fa chere Agathe : - Il me ſemble , ma bonne amie , que mon caur prend le parti de ce jeune homme contre moi : j'entends une voix ſecrete qui me dit qu'il eſt ſincere , tendre , & qu'il ferą DE FANCHETTE. 75 mon bonheur. Que j'aurais de plaiſir à lui tout devoir ! La Marchande de modes regardait la jeune Florangiscomme digne de ſon neveu. -Une fille honnête , & fi ſa ge , ſe diſait -elle ſouvent, rendrait Dol fans le plus heureux des époux : elle n'eſt point riche ; mais elle eſt vertueu ſe, modeſte ; elle ſera dans ſon ména ge , économe, réglée ; c'eſt une belle dot que cela. Quand elle joint à la beau té , la ſageſſe & la douceur , une fille a plus que la naiſſance & les richeſ fes : ſes attraits retiennent le cour de ſon époux , ſa douceur le captive , & ſa conduite fait proſpérer ſa mai fon . Voilà comme on raiſonne parmi les gens du commun : chez les grands, c'eſt autre choſe : ces vertus que la bonne Marchande eſtimait tant , font deve . nues trop rorurieres : & c'eſt ainſi que tout a ſon fort & fon faible dans le inonde : Ah ! ſi le bonheur , la vertu , les calents ne yengeaient la médiocrité, Gij 76 LE PIED les puiſſants du ſiecle jouiraient d'un ſort trop digne d'envie ! La Gouvernante de M. Aparéon ve nait rarement . Elle craignait d'être ob ſervée. La Marchande quittait à peine Fanchette , lorſqu'elle entra. La tou chante Florangis fut enchantée de la voir ; ſon cour la deſirait : la Lettre de Luſſanville l'avait émue ; elle trou vait du plaiſir à la relire : elle venait d'embraſſer ſa bonne ; elle allait la lui montrer " , lorſque Dolfans parut : Sa tante elle -même le conduiſait. Cerce joie pure , ce ſourire de la fa tisfaction , cette rougeur timide , cette agitation délicieuſe , que cauſe la vue de ce qu'on aime , on vit fe peindre tout cela ſur le viſage de Dolfans. Fan chette baiſſait les yeux. Enhardi par ſa tante , encouragé par la préſence de la bonne Néné , dont il était connu , le jeune homme parla : il fit avec grace à la jeune Florangis les compliments les plus flatteurs ; jamais il n'avait eu tant d'eſprit , & ne s'était exprimé avec au D E FA N C H Ế T T E. 77 tant d'aiſance : l'amour rendait ſes dir. cours touchants ; le deſir d’en inſpirer leur donnait un air de vérité : ils rap pellerent à la Gouvernante ſes premie res années : elle deſira pour ſa chere fille un époux ſi parfait. De concert avec la Marchande , on les lailla ſeuls un moment. Agathe même, que Fan chette voulait retenir , ſuivit fa mere & la bonne. – Ma belle Demoiſelle, die le jeune Peintre , en tombant à ſes ge noux , vous voyez un Amant qui vous adore : une félicité fans bornes , ou le comble des malheurs , voilà ce que peuc lui faire éprouver votre réponſe. Si vous me laiſſez me flatter de l'eſpérance de vous toucher un jour, il n'eſt perſonne dans le monde à qui je porte envie : fi vous me l’ôtez , je ſuis le plus à plain dre des mortels : que faut- il que j'eſpe re ? —Fanchette rougiſſait. Elle cher chait , ſuivant la coutume , au fond de ſon coeur , la réponſe qu'elle devait faire, lorſqu'on frappa : Dolſans ſe re leve , la porte s'ouvre , & Lullan Giij 78 LE PIED ville , le jeune , l'aimable Luflanville paraît. CHAPITRE XIV. Où tout le monde eſt content, ſans en avoirſujet. WD I j'avais prévu ,,Mademoiſelle,, que le hazard me procurât aujourd'hui le bonheur de vous voir , je n'aurais pas écrit : je viens vous demander pardon de ma témérité ... l'obtiendrai-je ? les ſentiments que j'ai montrés dans mon billet , dictés par l'honneur & par l'a mour , me rendront- ils excufable ? Pour vous prouver combien ils font ſince. res , je conſens à ne plus vous parler juſqu'à leur exécution . Permettez feu lement que je m'offre quelquefois de vant vous , ſoit aux Temples , ſoit à la promenade ; & daignez me dire , li je puis eſpérer de voir un jour couronner DE FANCHE TT E. 79 ma conſtance ! .... Je ſuis injuſte de de mander que vous vous expliquiez ; je le ſens : Eh bien ! permettez ſeulement que j'interprête votre ſilence. Deux an nées ſeront un terme bien long; mais ſi l'impatience que cette acrente me cauſera était partagée , que je ſerais heureux ! ... Vous ne répondez rien ... Je me retire; & ce gage, que je vous laille de ma foi , vous prouvera.... Je ne puis le recevoir , Monſieur, interrompit Fanchette.... - Et dans le moment , la Bonne & la Marchande rentrerent. Leur ſurpriſe fut extrême, en apper cevant le jeune homme , qui , fans leur donner le temps de ſe remettre , ré pete ce qu'il venait de dire à la belle Florangis, remet entre les mains de la Gouvernante une boite fort riche , baiſe la main de la Maîtreffe , dérange quel que choſe ſur une commode , & dif paraît comme l'éclair , avant que Néné ſonge à refuſerſon préſent, ou du moins à lelui rendre. Giv 80

LE PI E D

Dolfans ne ſavait fi ce qu'il venait de voir & d'entendre , était un ſonge ou la réalité. — Fanchette , dit la Bon ne , comment ce jeune homme vous connaît-il ? - La Marchande expli qua tout ; la jeune Florangis donna la Lettre , qui ne fut pas lue fans éton nement : la Gouvernante ouvre ſans héſiter la boîte de Lullanville ; à l'en trée l'on trouve une promeſſe de ma riage bien lignée , enſuite une bague , un fort beau diamant, des boucles d'o reilles , un collier , & tout le reſte de la parure , le tout bien choiſi, & plus beau que les bijoux qu'Apatéon lui mêmeavait donnés. Il n'était plus por fible de rien renvoyer , puiſqu'on igno raic la demeure du jeune homme. La Marchande était inquiete ; Dolſanspa raiſſait déſeſpéré ; Fanchette réfléchir fait ; là Bonne ſe déterminait.- Ouais ſe diſaitNéné , voyons ceci: Fanchette eſt aſſez belle pour faire naître une paf fion durable : ce jeunehommeſera dans peu maître de lui - même ; il eſt riche : 9 DE FAN CHET T 2. 81 d'ailleurs , il ſe fera connaître : ma chere fille aurait un rang digne de ſon méri te : quelle gloire pour elle ! quelle joie pour moi ! quel crêve - cæur pour M. Apatéon ! ... Mais hélas! les hom mes ſont fi trompeurs ! ne m'en ont- ils pas tous promis aurant ? ... Bon ! va lais-je Fanchette , jeune , bien élevée , fage ?...- Deſon côté , la Marchande diſait : - Mon neveu peut en trouver une plus riche , auſſi vertueuſe , & qui ne balancera pas. - Et Dolfans : - L'univers entier ne m'offrira jamais une fille ſi touchante & li belle . Oh ça ! ma chere Fanchette , dit la Bonne, il s'agit ici d'un choix qui doit dépendre de vous ſeule : ni Ma dame, ni moi , ne devons parler pour ou contre aucun des deux.... -- C'eſt bien mon ſentiment , interrompit la Marchande. — Décidez - vous vous iême , reprit Néné ; l'inclinacion ne doit point être gênée : vos Amants font tous deux également aimables ; ils pa raiſſent tous deux guidés par l'honneur : 82 LE P I E D prononcez ? -- Ma bonne , répondit . Fanchette , vous me tenez lieu de mè re ; je vous obéirai. Cependant.. Parlez. Pourquoi m'obliger de prendre , ſi jeune encore , un parti d'où dépend le bonheur de mes jours ? Souf frez qu'auparavant la raiſon m'éclaire ; la lumiere de ſon flambeau eſt encore en moi faible & tremblante : un goût imprudent pourrait me décider , un faux brillant me décevoir , & me pré parerd'éternels regrets. – On convint que Fanchette avait raiſon , Dolfans même l'approuvait au fond de fon cæur. Il eſpérait beaucoup de ſes ſoins , de la protection de fa tante , & plus encore de ſon amour. La Bonne , laMarchande & Dolſans fortirent. La premiere, ra vie de joie , emportait la boîte de bi joux , dont l'aimable Florangis l'avait priée de ſe charger ; la ſeconde ſavait bien lequel de les Amants Fanchette préférait; & le jeune homme s'aban donnait à l'eſpérance. Dolfans paraiſſait vingt- quatre ans , DE FAN CHET TË. 83 Il était brun , grand ; ſes yeux avaient quelque choſe de trop vff; ſa démar che était aiſée : il avait la main belle , & ſe tenait bien. Sa phyſionomie était ſpirituelle ; fon air fin & pénétranthu miliair ceux qui l'approchaient : la con verſation était amuſante & fleurie : il ſavait beaucoup , & paraiſſait s'en tar guer un peu , quoiqu'il affectât d'être fort modeſte. Son caractere le portait à la tendreſſe ; mais ſon ſéjour en Italie l'avait rendu jaloux & défiant. Luſſanville , plus jeune , plus beau , plus riche , & non moins tendre , était fait pour aimer , & pour l'être à ſon tour. On voyait peintes ſur ſon viſage la franchiſe & la - candeur ; ſes traits étaient mâles ; ſon regard noble & doux ; de longs cheveux châtains lui defcen daient au -deſſous de la ceinture ; il avait le nez aquilin ; la bouche appétiſſante & vermeille ; le teint délicat ; la jambe fine & faite au tour. Son ame était grande & généreuſe ; l'honneur & l'a mour avaient ſeuls du pouvoir ſur elle : 84 :: LE PI E D } il ne manqua jamais à ſa parole don née : il fut ami conſtant ; amant reſpec tueux , ſoumis ; quelquefois malheu reux , mais toujours fidele. CHAPITRE X V. Comme Fanchette interroge ſon cæur. Mon pere ! jamais votre fille n'eut un plus grand beſoin de vos lu mieres & de votre rendreſle ! .. Hélas ! mon digne pere aujourd'hui choiſirait un époux à ſa fille . Il n'eſt plus..... Infortunés enfants , qui perdez les au teurs de vos jours , ah ! quelsmalheurs vous font réſervés ! Sans guides , fans amis , vous vous égarerez ; ilne ſe trou vera pas une main généreuſe qui dai gne vous ramener. Mépriſés, avilis , ce n'eſt pas encore là pour vous le com ble de la miſere : ſi vous avez quelque DE FAN CH ETTE. 85 beauté , des ſcélérats jettent ſur vous de criminels regards ; ils vous parent pour vous immoler , & déshonorer la cendre de vos vertueux & tendres pa rents. Oh ! quelle douleur , s'ils en étaient les triſtes témoins ! mais l'éter nelle nuit leur dérobe votre ignominie , & le tombeau devient pour eux un aſy le.... Et voilà quel était mon ſort, ſans unc pauvre femme, née dans la baflef ſe , & qui coula ſes jours dans la ſer vitude ! O Ciel ! Ô Dieu , qui m'avez ſervi de pere ! quelles graces ne dois je point vous rendre ! ne permettez pas , grand Dieu ! que je manque jamais de reſpect à cette bonne femme que vous m'avez donnée pour mere : celui qu'elle choiſira , fera mon époux. Si tous deux , également perfides, cherchaient à me tromper ! .... mais pourquoi Luſſanville ſerait- il un ſéduc teur ? Il ne me rendra plus de viſites , juſqu'à l'inſtant où je verrai l'effet des ſerments qu'il vient de me renouvel ler.... Comme mon coeur s'eſt ému, 86 LE PI E D lorſqu'il eſt entré ! j'éprouvais une fa tisfaction inexprimable, tandis que le fon de ſa voix frappait mon oreille.... Il ne me preſſait pas de lui répondre.... Avec quelle adreſſe il a fait parler juf qu'à mon ſilence ! ... Etces préſents ?... Il ne me les fait pas comme M. Apa téon ; il n'exige pas que je m'en pare pour lui ; que.... Il ne veut me voir , ſans m'aborder, que dans des lieux où l'innocence & la pudeur n'ont rien à craindre.... Qu'il paraît tendre ! Ah ! mon pere, ſans doute , l'aurait aimé ; il l'eût deſtiné pourfa fille.... Etpour quoi donc mon coeur ſe trouble- t- il feu lement de ſonger à lui ? ... L'aimerais je ? eſt- ce là ce qu'on nomme de l'a mour ? ... Je ne le crois pas , mais je voudrais bien l'aimer , & qu'il me fût toujours fidele .... Il ne le ſera pas : mille autres beautés plus ſéduiſantes que la mienne le coucheront; des filles adroites m'enleveront ſon cour. Il m'ou bliera.... Que j'en ſerai fâchée ! - Dolfans. ... Il ne ſaurait être aulli DE FAN CHETIE. 87 tendre que Luſſanville ...... Aimable Luſſanville ! .... Dolfans dit qu'il m'ai me.... Er s'il m'aimait de tout ſon cour ; que Luſſanville m'oubliât , ne ſerais- je pas toujours heureuſe ? ... Mon ceur ne me répond rien .... Ah , Luf ſanville ! ſoyez conſtant ! ... Mais , s'il ne l'écair pas ?... Je ſens .... je crois ſentir que je ſeraismalheureuſe.... Paú vre orpheline , abandonnée , ou plu tôt , obligée de fuir comme un monſ tre , le ſeul ami qui reſtât à mon pere , il me lied bien , de préférer le plus ai mable , & le plusriche , qui peut- être.... que ſait- on ! .. , eſt un fourbe. O Dol ſans ! la raiſon du moins eſt pour vous , & mon cæur ne inépriſa jamais ſes con ſeils.... Irréſolutions que les ſages avis de mon pere feraient ceſſer , vous me tourmenterez long- temps encore ! Ciel ! fais -moi connaître le plus digne , & , s'il ſe peut , que ce ſoit Luflanville ! Agathe revint. Profondément enfe velie dans ces idées , Fanchette oubliait qu'elle avait promis d'accompagner la 88 Σ Ε Ρ Ι Ε D Marchande & ſa fille dans une viſite : la préſence de la jeune compagne l’en fit reſſouvenir : elle ſe prépare , & veut prendre ce joli ſoulier verd que Dol ſans avait vu : elle cherche , ne trouve rien , n'y fait pas grande attention , & fort avec Agathe. CHAPITRE XVI. Où le pied de Fanchette ſoumet tout. A.Près le bonheur de voir & d'en tretenir ce que l'on aime , il n'eſt rien de ſi doux que de recevoir de fa main l'image de ſes attraits : fi ce ſoulage mentà l'abſence manque encore, l'A mant bien épris revoit ſa maîtreſſe dans ce qui fut à ſon uſage ; une piece de ſon ajuſtement lui rappelle tous les char mes de celle qu'il adore. Ce qu'il cou che n'eſt rien , mais ſon Amante l'a con ſacré , c'eſt un tréſor à ſes yeux. En DE FANCHE TTE. 89 En jurant à la belle Maîtreſſe de l'ai mer toujours , Luſlanville avait apperçu ſur une commode ſa jolie chauſſure ; en fortant , il s'en était adroitement em paré ; en ſe levant le lendemain , il écri vit ce Billet. BIL L E T du jeune LUSSANVILLE , à Mlle , FANCHETTE, JEE vous vo adore ; & pour vous le protle ver , je me condamne au fupplice le plus cruel pour un Amant , à l'abſen ce ; mais hier je volai l'ornement de ce joli pied, qui fut le premier de vos attraits qui frappa ma vue : ce n'eſt pas que j'aie beſoin de quelque choſe pour me rappeller mon vainqueur ; mais ce que je tiens a porté la divinité qu'ado rera toujours Lufanville , c'eſt le plus précieux de tous les biens. (16 ) Il ne be rendra qu'en recevant votre foi. L'exie I. Partie H go LE PIED cuſerez -vous, Mademoiſelle?... Non ; fi vous le haïſſez , & qu'un autre.... Mais ſi votre cæur vous parle pour moi , yous ne verrez , dans cette action trop libre , que le plus ardent amour. LUSSÀNVILLE, Fanchette , dit la Marchande après que la belle Florangis eut lu ce Billet , l'excuſez -vous ? — Oui,Mada me , répondit la jeune perſonne. - Et rien moins que contente , la bonne Maîtreſſe deſcendit dans ſa boutique. M. Apatéon était malade de rage de n'avoir pu retrouver Fanchette : la Gouvernante vint le jour même ap prendre à ſa pupille cette intéreſſante nouvelle. L'aimable Florangis parla de Luflanville , & montra fon Billet. - Un Billet encore , dit la bonne Néné ! Eh mais ! ... Comment ! ... En vérité .... j'ai la meilleure opinion du monde de ce jeune Lullaxaville. — Parlez - vous tout de bon , maBonne ? Oui,maig 1 DE FAN CH ETT E. 91 ne m'en croyez pas ſi vîte , les hom mes.... Eh bien ! les hommes ? Si vous ſaviez combien ils ont de finefles différentes ! - Reffemblent- ils tous à M. Apatéon ? -Ah ! vraiment , ce ne ſerait que demi-mal, s'ils ſe reſſem blaient tous ; mais l'un fait la fainte-ni touche : l'autre paraîc tendre , ſincere , de la meilleure foi du monde; vous pou vez vous fier à lui ; il ne veut rien .... & prétend tour. Celui- ci va ſe pendre , ſi vous ne l'aimez , ſe jetter dans la ri viere , ou tout au moins mourir en lan gueur, qui ... huit jours après qu'il ne defire plus rien , vous regarde avec in différence. Celui- là traite l'amour ca- , valiérement ; mais il épie l'occaſion , comme le chat fait la ſouris. L'on en voit jouer les grands ſentiments , ful miner contre les trompeurs de filles , & cela , ma chere Fanchette , pour les mieux tromper. Il en eſt qui donnent bruſquement l'affaut , & vous diſent , pour la premiere fois , qu'ils vous ai nient en montrant une audace, qui Hij 92 LE PIED prouve tout le contraire. Enfin , l'on trouve quelquefois un Amantqui prend notre rôle , & fait le précieux ; il met adroitement fous nos yeux tout ce qu'il vaut , & bien davantage encore ; c'eſt une coquette en pourpoint : croiriez vous que ces vils originaux ont l'art d'attirer dans leurs filets ? Hélas ! ma chere enfant, je ne le croirais pas ſur le rapport d'autrui; mais .... on s'inf truit à ſes dépens : ( 17) tous ſes gens là m'ont trompée. La Gouvernance avait les yeux hu mides , en achevant ces mots , rait au fond de ſon cour qu'ils ne trom peraient pas la jeune Florangis. En fuite elles fortirent enfemble , pour quelques emplettes que la bonne Néné voulait faire pour fa chere fille. Un long . mantelet , une immenſe caleche enfe veliſſaient la jeune perſonne, de ſorte qu'elle était voilée comme une femme Turque , qui ſort pour aller au bain : cependant Fanchette attirait les re gards ; tous les yeux ſe fixaient ſur ſon & ju DE FAN CHETTE. 93 joli pied : elle ne rencontra pas un hom me dont il ne touchât le cœur ; pas une femme dont il n'émût la bile ; per fonne dont il n'excitât l'admiration . Lorſqu'elles furent chez le Mar chand , les Garçons , au-lieu d'écouter la vieille Néné, regardaient le pied de Fanchette , & li les ordres du Maître de la maiſon ne les eufſent tirés de leur exraſe , peut- être la Bonne & fa chere fille n'auraient pas obtenu ſitôt qu'on leur vendît de l'étoffe. Lorſqu'ils vi rent les traits de l'aimable Florangis, leur admiration n'augmenta pas ; ils ſe diſaient : Qu'elle eſt belle !...mais elle n'en avait pas beſoin . C'était chez un Vieillard , voiſin du pere de Fanchette , que la bonneache tait. Il n'était pas moins frappé que les jeunes gens , des graces de cette aima ble perſonne. Néné lui dit qu'il voyait la fille de ſon ancien confrere. Le Vieil lard ſurpris , l'examine de plus près , dit qu'il la remet , & veut l'embraſſer: Fanchette évita l'accolade; mais il s'em . 94 LE PIED para de fa main ; il la preſſait aſſez ru dement , en lui difant tout bas , tandis que la Gouvernante choiſiſſait , rebu tait, bouleverſait , & ne trouvait rien digne de la pupille : Ma belle voi fine , je vous ai vue toute enfant; je me ſens pour vous une affection que vous pouvez mettre à l'épreuve ; toute ma maiſon eſt à vous , & je ne deſire autre choſe que devous ſervir de pere & d'a mi. -Fanchette fe rappella M. Apa téon , fit au Marchand une profonde révérence , & le remercia. Il faut accepter mes offres , ma belle enfant , vous ferez chez moi comme ma fille , & je vous marierai. Ici Fanchette fui en défaut; jamais Apacéon n'avait parlé de la marier : elle aurait été bien charmée qu'on l'eût mariée avec Luf fanville; avec cet Amant ſi tendre , qui regardait comme un tréſor , ce qu'elle avait touché : mais comme elle était prudente , elle remercia de nouveau le Marchand , & s'approcha de fa Bonne. Tandis qu'elles ſe faiſaient montrer > DE FANCHETTE. 95 des étoffes, deux jeunes Cavaliers qui les avaient ſuivies dès leur ſortie de chez la Marchande de modes , en fai ſaient auſſi déployer à côté d'elles : dans le magaſin du Marchand rien n'était à leur goût que Fanchette ; auſli ne re gardaient-ils qu'elle. Si Fanchette ref tait en place , ils admiraient ſon éblouif fante beauté ; ſi l'aimable perſonne fai fait un pas , leurs yeux ſe fixaient ſur ſon pied mignon : ils voulurent pluſieurs fois lier avec elle un entretien : Fan chette répondait avec modeſtie , mais elle ne répondait qu'un mot , & s'é loignait. Enfin , la bonne Néné ſe détermina pour un facin , que le Vieillard avait lui - inême été chercher dans un cabinet ſéparé. Jamais on ne vit rien de fi bon goût : ſur un fond blanc- perle , courait un deſlein verd & roſe , d'où s'échap paient des fleurs argent & lilas. Le prix qu'on demanda parut fi médiocre , que la belle Florangis & ſa Bonne crurent que le Marchand ſe trompait ; elles le 96 LE PIED lui firent remarquer . Mais il les affura qu'il y gagnait encore. Les deux jeu nes gens & les garçons s'écrierent com me de concert : Oh ! que cette étoffe aura de grace , lorſqu'elle l'embellira ! CHAPITRE XVII. Qui doit avoir de grandesſuites. Amais Néné n'avait été ſi contente : elle paya , ſe chargeait de l'étoffe : Fan chette avait d'autres bagatelles : mais ſoit qu'un coup d'ail du Vieillard les eûr inftruits ; ſoit d'eux -mêmes, les gar çons les en débarraſſerent malgré el les, & leur offrirent leur bras pour les remener. Que vous êtes charman te , Mademoiſelle , diſait le plus aima ble des deux , qui conduiſait Floran gis ! je m'eſtimerais heureux , ſi vous me permetriez de vous rendre quel ques viſites , & de me faire connaître : Je 1 DE FANCHETTE. 97 Je ſuis riche , de bonne famille ; mes ancêtres ſont Commerçants en draps de puis plus d'un fiecle : On m'a placé chez M. Delaunage , parce qu'on mar chande ſon fonds pourmoi : Vous voyez que c'eſt un établiſſement avantageux & tour formé : Ma mere m'adore : tou tes mes volontés feront une regle pour elle ; d'ailleurs votre nom eſt connu ; Monſieur votre pere ſe ruina , mais il ne fit tort d'un ſol à perſonne; ſon hon neur eſt entier dans le corps des Mar chands : Conſentez à devenir ma com pagne , à rentrer dans un état pour les quel vous êtes née. Ce jeune garçon parlait bien raiſon nablement , & Fanchette aimait la rai ſon . Dolfans n'avait pas un moment balancé Luffanville : Satinbourg ( c'eſt le nom du jeune Marchand ) penſa l’em porter , non par l'inclination ; mais par la convenance , la douce égalité , l'a mour d'un premier état. La jeune fille répondit fagement : - Monſieur, je ſuis reconnaiſſante des ſentiments que 1. Partie, I 98 LE P I E D ne. vous me montrez ; mais je crains un en gagement, & des raiſons fortes me font une loi de n'y pas ſonger encore : vous ne pouvez me rendre de viſites ; cela ne ſerait pas ſéant : mais voyez ma Bon Ces derniers mots fatisfirent le jeune Garçon Marchand. Celui qui conduiſaic la Gouvernante ne s'oubliait pas. Cette jeune De moiſelle dépend de vous, Madame, lui diſait- il : vous ne ſeriez pas fâchée de lui trouver un établiſſement honnête ; & je ſuis votre affaire. Un frere ainé que j'avais , vient de mourir : mon pe re , chez lequel je vais retourner , de meure rue Saint- Antoine . Sa boutique vaut au moins celle de M. Delaunage : il eſt âgé , infirme, veut ſe retirer, & va tout ine remettre : voyez , informez vous; il ſe nomme Damaſville : je pré: fere Mlle. Florangis au parti le plus ri che , & je ferai mon poſſible pour la rendre heureuſe. Vous êtes bien honnête , Monſieur , répondit la bonne Néné. - Et l'on arrive. DE FANCHETTE. 99 Tandis que la Gouvernante rendait compte à ſa pupille des propoſitions de Damaſville , les deux jeunes Cavaliers , de retour avant elles , parlaient à la Marchande de modes. L'un était le Comte d'A *** , & l'autre le Marquis C *** ; charmants, riches , maîtres d'eux mêmes. Leurs vues n'étaient pas hon nêtes commecellesde Luſſanville , mais ils étaient puiſſants ; ils offrirent touc d'un coup à la Marchande, de faire la fortune de ſa niece , & de la rendre une fille de conſéquence : Il ne s'agiſſait , diſaient-ils , que de perdre un honneur de préjugé, pour en avoir un aucre in finiment plus commode , & plus con fidéré dans le monde. La Marchande , (& de modes encore ! ) élevée chez les Oſtrogoths, ne connaiſſait pas cet hon neur- là ; elle les aſſura que jamais elle ne conſentirait à l'échange , & les prix ſérieuſement de n'y plus longer. I ij 100 LE PIED CHAPITRE XVIII. Foule d'Amants. Urant la maladie de M. Apatéon, qui fut longue , Fanchette & la Bonne ſortirent quelquefois. Néné crur bien faire de conduire la pupille chez cel les des connaiſſances de ſes parents , in connues à M. Apatéon , & qu'elle eſti mait leplus ; afin qu'à ſon retour , l'on cle de la belle Orpheline eût moins de peine à la retrouver. Les malheurs de M. Florangis avaient fait des ingrats de tous ſes amis; le joli pied de ſa fille les rendit tous criminels. Il n'y eut pas un vieillard qui ne tachât de la ſéduire , pas un jeune homme qui n'entreprît de la coucher. Luflanville n'avait pas manqué une ſeule occaſion de voir la Maîtreſle lorf qu'elle ſortait; mais il était impoflible , DE FANCHETTE. IOI de la maniere dont Fanchette était voi lée , qu'il en fût remarqué. Un jour il ne put réſiſter à l'envie de lui dire quel ques mots : il aborde timidement la Bonne , & falue ſon Amante : le cour de Fanchette treſlaille , en entendant fa voix ; elle rougit en le regardant. Le jeune Luſſanville parla de la ten dreſſe ; il était ſi vrai , ſi perſuaſif ; il s'exprimait d'une maniere ſi touchante , que Néné prenait plaiſir à l'écouter. Il offrir de les aider à marcher ; la Bonne accepta : pour la premiere fois cer · Amant paſſionné toucha le beau bras de Fanchette ; il oſa lui preller la main : la jeune fille était vivement émue , ſes genoux tremblaient , & ſon cæur di fait : Cher Amant ! feras -tu fidele ? mais fa bouche gardait le ſilence . Quel heu reux état ! li l'on en banniſſait la crainte , il ſerait moins délicieux. Dollans , non moins amoureux , voyait tous les jours Fanchette chez ſa tante : le nom de parent qu'il pre nait avec elle , ſemblait lui donner des I iij ion LE PIED droits à la familiarité : cependant il ne put jamais obtenir de l'accompagner. Il ne pouvait douter de la paſſion de Lullanville : la Marchande ne lui ca cha pas les propoſitions du Marquis de C *** : le jeune Peintre friſſonna ; il réſolut de ſuivre fa Maîtreffe dès qu'elle fortirait , pour la fecourir dans le be ſoin . Tant qu'il n'avait entendu louer Fanchette que par des inconnus , fon humeur jalouſe l'avait fait ſouffrir beau coup moins, que ſon amour n'avait été flacté ; mais lorſqu'il reconnut Luflan ville , il ne ſe poſſéda plus. En le voyanc aborder Fanchette & fa Bonne, qui le recevait d'un air familier & content , il lui paſſa dans l'eſprit mille projets fu neſtes. Inſenſé ! ignorait - il qu'on ne doir diſputer le cœur d'une Belle , qu'en s'efforçant de ſurpaſſer ſon rival , en ver tus , en talents , en amour ! Dolfans fe propoſait d'attaquer Luſſanville , dès qu'il aurait quitté la belle Florangis & Néné ; mais , pour combler fa douleur & fa jalouſie , le jeune hom DE FAN CHETTE. 103 me entra dans la maiſon avec elles. C'était chez une parente de la mere de Fanchette , que Néné conduiſait fa pupille. Cette femme les reçut froide ment d'abord ; mais lorſque Lullanville eur dit en confidence à la bonne D2 me ce qu'il ſentait pour fa pecice cou fine , & qu'il l'eut inſtruite du deſſein formé de l'épouſer , elle changea de ton , & lui fit mille carefles : la future compagne de M. de Luſſanville était toute autre choſe à ſes yeux , que la jeune & pauvre Fancherie. La Bonne exigea , lorſqu'elles voulurent ſe reti rer , que Luflanville reſtât ; elles s'en retournerent ſeules , malheureuſement. En arrivant chez la Marchande de modes , elles trouverent un eſſaim d’A mants , qui ſemblaient s'être donné le mot. Satinbourg & Damaſville accou rurent les premiers au- devant de Fan chette. Ils la prierent de décider entre eux . La jeune Florangis venait de voir Luſlanville : elle les aflura tous deux qu'elle voulait reſter libre long.cemps > I iv 104 LE PIED encore , & les pria de ceſſer leurs vifi tes. La Bonne & la Marchande , de leur côté , congédiaient un jeune Avo cat, qui commençait à ſe diſtinguer au Palais , par des Plaidoyers fleuris, en style de ruelle : un jeune Procureur , qui ſe ſentait la conſcience chargée , parce que ſon pere avait accablé de fraix injuſtes celui de Fanchette , pour avoir à vil prix une jolie maiſon de l'in fortuné Marchand , voiſine de la fien ne ; un neveu d'Aparéon , qui deſirait ardemment la mort du Vieillard volup tueux , mais qui paya plutôt que lui le fatal tribur à la nature ; un Commis , qui voulait ſe donner une jolie compagne , pour l'employer à faire la cour à ſes protecteurs, & parvenir plus rapide ment; & vingt autres, tous enfants de ceux qui virent d'un cil indifférent ou ſatisfait la ruine de M. Florangis. La bonne Néné nageait dans la joie–. Ma chere fille , diſait- elle , voici de quoi choiſir ; mais n'écoutez votre cour que lorſqu'il vous parlera de concert avec DE FAN CHETTE. 105 la raiſon . Ma bonne ? ... Luffan ville ? — Voilà celui que vous préfé rez ; il le mérite , chere Fanchette , s'il eſt fidele ; mais le fera-t- il ? — Je le crois , ma bonne. – Il ne faut rien croire , & douter de tout. – A l'ex ception de mon parfait dévouement, Madame, dit le Marquis de C *** , qui s'était approché ſans qu'elles l'apper çuſſent : J'ai un rang , des titres , des parents puiſſants; je ſuis ſincere, jeu ne , tendre ; je ne vous dis pas que j'é pouſerai Mademoiſelle , je ſerais un menteur ; mais hors cela qu'elle forme des voeux , je vais les remplir , ſans hé fiter , ſans différer ; fa fortune ne lui coûtera qu'un ſigne de tête , les goûts , ſes fantaiſies, ſes caprices feront des loix ; un équipage brillant , des dia mants , des bijoux , une petite maiſon délicieuſe , cent autres choſes dont je ne parle pas , tout cela n'eſt pas indif férent, un mot , elle va l'avoir : Il en eſt mille qui ne ſe le feraient pas répé ter deux fois ; mais vous , c'eſt autre 106 LE PI E D Eh ! ne choſe '; on attendra vos réſolutions ; huit jours ſuffiront-ils ? parlez ? on pour rait aller juſqu'à quinze : ne vous pré parez pas un repentir , en refuſant un homme aimable & l'aiſance , qui vien nent vous chercher.... Je ne demande pas de réponſe aujourd'hui; je revien drai. Adieu , mon adorable , juſqu'au revoir. - Tout cela fut prononcé avec tant de volubilité , qu'il avait été im poſſible de l'interrompre. vous donnez pas la peine de revenir , Monſieur, lui cria la Gouvernante, en le voyant diſparaître : je vous déctare dès aujourd'hui , qu'une couronne , au prix que vousnous offrez vos dons , ne nous tentera jamais. — Le Marquis feignit de n'avoir pas entendu , & s'é loigna. Un équipage s'arrête à la porte en ce moment: li en ſort un gros homme court. Fanchette fit un cri de frayeur ; elle le crut M. Aparéon. Il s'appro che ; jette un regard protecteur ſur tout ce qui l'environne , & s'aſſied en DE FAN C H ETTĖ. 109 ſoufflant. C'eſt donc à vous cette belle enfant , dit- il à la Marchande ? Elle eſt aſſez bien , ajouta-t- il, en re gardant la jeune Florangis d'un air ef fronté. Dites- moi , ma fille , ne vous ai-je pas vue quelque part ? ... Fan chette baiſſait les yeux en rougiſſant. En vérité , je lui trouve un air d'in nocence.... jem'en accommoderai.... Ah , Ciel ! ... eh ! mabelle pouponne ! quel joli bijou vous avez là ? ... Non , je me trompe , vous n'êtes pas celle que je croyais avoir déja vue au Bal de Saint-Cloud : j'aurais remarqué ce joli pied-là. Il eſt plus vrai qu'il ne le fur jamais , que 3 & 3 font fix , plus 4 font dix , que vous êtes une perfec tion .... Mais, où va-t- elle ? ... Ecou tez , écoutez , la petite ! on vous veut du bien .... Rappellez- la donc ; elle ne m'entend pas ! - La Gouvernante n'avait jamais eu d'Amant Financier ; à peine comprenait- elle quelque choſe à ce qu'il venait de dire. La Marchan de , plus connaiſſeuſe , répondit d'un 108 LE PIED air froid : Monſieur , on vous aura trompé ; ce n'eſt pas chez moi qu'on vous aura dit. Voyez ailleurs . - Sifait , parbleu ! je vous trouve plaiſance :mon Agent m'aurait trompé ! moi ! Cette jeune perſonne ne ſe nomme- t -elle pas Fanchette : ne l'avez- vous pas en ap prentiſſage ? n'eſt - elle pas jolie , orphe line , & pauvre ? & par conſéquent ce que je cherche. Eh ! pourquoi, Monſieur , la cherchez- vous, dit bon nement la Gouvernante ? - Belle de. mande ! parce qu'elle eſt jolie ; que j'aime les jolies femmes, & que je les paie.... Allez , Monſieur , repri rent à la fois la Marchande & Néné ; fortez; je ne pourrais commander da vantage à mon indignation : cherchez autre part les malheureuſes victimes de vos débauches.... - Adieu , mes bel les Dames , adieu : la jeune fille ſera peutt - être plus traitable : adieu. Vous enragez ; mais vous voyez bien que l'on ne ſaurait plus s'adreſſer à vous : votre temps eſt fait. Adieu. —Il part , en ache DE FANCHETTE. 109 vant ces mots , & laiſſe la bonne Néné très-ſcandaliſée de fa groſſiéreté brutale. CHAPITRE XIX. Où Fanchette eſt modeſte & généreufe: La pudeur venait d'obliger Fan cherte de fuir : elle s'était enfermée dans ſa chambre avec la jeune Agathe. L'aimable fille réfléchiſſait fur cette foule d'Amants qui demandaient ſa main : pour les autres, tels que l'im pudent Financier , le Comte, le Mar quis , &c. elle ne leur faiſait pas l'hon neur de s'en occuper. Elle reprit fon ouvrage , & travaillait. — Méritons d'être l'épouſe de Lullanville , ſe di fait -elle : je n'ai pas de bien ; je ne puis devenir ſon égale que par la vertu . Mon pere me traça la route que je dois ſuivre : ce n'eſt qu'en exécucant avec 110 LE PIED Un cen 133 8.80 fidélité ſes derniers ordres , que je fe € rai digne de mon Amant. dre ſoupir ſuivit cette réflexion mo deſte. Fanchette était tranquille : un cri perçant, pouſſé par la Marchande, la tira de la douce rêverie : les deux jeu nes filles friſſonnent, & volent auprès d'elle. Quel ſpectacle s'offre à leurs yeux ! Dollans, porté par quatre hom ines; ſon ſang coule d'une large bleſ ſure : Luſſanville , fondant en larmes , le ſuit ! Vous voyez un coupable , Ma demoiſelle , dit le jeune Peintre à Fan chette , dès qu'il l'apperçut, que le Ciel punit : je vous aimai, je vous adore en core à mon dernier moment .... mais j'étais indigne de vous.... puiſque j'ai pu devenir criminel.... Je viens d'ac taquer un homme que vous me préfé rez .... Je luiaurais arraché la vie ſans remords peut-être , & je le vois don ner des larmes au fort que je mérite ...- Il ſe cut ; & les ſanglots étouffaiene l'ai mable Flotangis. Ah ! Madame ! DE FAN C H ETT E. III dit- elle à la Marchande , c'eſt donc moi qui ſuis la cauſe de ſon malheur ! .... Dolfans! puiſſé-je racheter vos jours aux dépens de mon bonheur & dema vie... Oui , Madame , ajouta -t-elle , en regar dant fa Maîtreffe ; qu'il vive .... em ployez tout pour le ſauver ; & ... s'il faut ma main ... s'il ne peut ſupporter le jour qu'à ce prix , je n'écouterai point mon coeur , qui me parle pour ſon ri val; je la promets, & je la donnerai. Luflanville entendit ce cruel arrêt.... -Ah Fanchette ! lui dit- il à demi- bas , vous m'aimiez ! ... & je vous perds ! Si j'avais ſu qu'il n'y avait point de mi lieu pour moi , entre la mort & ce re vers , je n'aurais pas défendu ma vie , qu'on attaquait avec fureur. ... Mon fort eſt donc décidé.... Une main reinte de ſang ne ſe joindra jamais avec la vô tre.... Adieu. Je vais mourir, - Ne me rendez pas plus malheureuſe en core.... Je vous aimais ; je vousaime ; mais il ne me ſera plus permis de vous de dire , ni de vous voir.... Si vous II2 LE PIED éciez à la place de Dolfans, je ne vi vrais plus.... - O Ciel ! qui l'eûc penſé , que je ſerais infortuné en atten dant cet aveu flatteur! - Accablé de douleur , déſeſpéré , le jeune Amanc s'éloigne en pleurant. La bleſſure de Dolfans n'était pas auſli dangereuſe qu'on l'avait cru : fa tante , raſſurée , careflait Fanchette , en lui répétant , que bien - loin de l'accufer du malheur de ſon neveu , elle allait lui devoir fon bonheur & fa vie. La jeune Agathe fejoignait à ſa mere ; elle embraſſait l'aimable Florangis: - Que j'aurai de plaiſir à vous nommer alors tout de bon ma couſine, lui diſait -el le ! -- Fanchette verſait despleurs : mais elle ne ſe repentait point du ſacrifice ; ſon ame généreuſe faiſait une bonne action , fans ſe mettre en peine d'en ſavourer la douceur. CHA. DE FANCH ETT E. 113 1 CHAPITRE XX. Le pied lui gliſe : elle va tomber. K Athégeres ,ce vieillard reſpecta ble , Gouverneur de Luflanville , fut frappé de l'air de triſteſſe de ſon éleve. Mais il avait pour maxime , de ne faire jamais de queſtions : il prit ſeulement un air de douceur & de bonté , plus marqué qu'à l'ordinaire , afin d'excicer la confiance . Il fut plus ſurpris encore de la réſerve de Lullanville , & de fe voir preſſé d'accomplir un deſſein for mé depuis long - temps de viſiter les principaux Etats de l'Europe : le jeune homme ſemblait auparavant n'enviſa ger ce voyage qu'avec répugnance , & l'avait entiérement rompu, depuis qu'il connaiſſait la belle Florangis. M. Ka thégetes ſentir bien qu'il y avait quel que choſe d'exçraordinaire ; il remar 1. Partie K 114 LE PIED 3 qua que tout ennuyait Luſanville

qu'il

ne ſe trouvait bien nulle part. - II aime , diſait le bon -homme

... mais il

veut fuir ! je voudrais bien connaître celle qu'unAmant ſi bien fait a trouvée cruelle . La curioſité l'emporta ſur ſes principes. Qu'avez -vous, dit - il un jour à l'aimable jeune homme ? — Ah ! mon papa ! ... j'aime , je ſuis aimé .... & pourtantje ſuis malheureux ! - Vous mộtez un ſujet d'étonnement pour en faire naître un autre.... Ne m'en demandez pas davantage

ce ferait ai

grir mes maux . - Et le Vieillard le tur. Son éleve fe tourmentait

il ſe ré

pandait dans les aſſemblées

puis tout

à -coup prenant d'autres diſpoſitions , s'enfonçait dans une folitude abfolue

mais le trait était dans ſon coeur

fa

douleurle ſuivait par - tout. ( 18 ) Il ren dait ſouvent des vifites à la bonne Né. né , qui tâchait de le conſoler , en lui diſant de ne pas déſeſpérer encore . Il la pria d'accepter pour ſa pupille le préſent qu'il avait fait

elle réliſta d'a

$ DE FANCHET TE. 115 bord ; enfuite elle ſe laiſſa toucher , & le tendre jeune homme ſe crut moins malheureux. Les autres Amants de Fanchette ne fe découragerent pas : M. Delaunage envoyait tous les jours de nouveaux dons qu'on refuſait; Satinbourg & Da maſville ne pouvaient obéir à l'ordre de ne plus revenir : le Marquis & le : Comte faiſaient toujours des promeſſes éblouiffantes; mais le Financier pre nait une autre route. Un jour l'aima ble Florangis fortait d'une Egliſe : un carroſſe barrait la porte. Fanchette ſe préſente pour paſſer : deux grands la quais la prennent entre leurs bras , ly placent malgré elle , ferment les por tieres , & le char vole. Lorſqu'il s'ara rêra , la jeune perſonne ſe trouva dans la cour d'une maiſon fuperbe : on la porte dans un appartement ſomptueu fement meublé : elle y était à peine , qu'elle vit entrer l'individu maſtif & rond , qui lui parla ſi cavaliérementchez h Maîtreſſe. Ma Reine , lui dit - il Kij 116 LE PIED en l'abordant , ne craignez rien ; vous eres libre ici , ce n'eſt pas mon uſage d'employer la violence avec les Bel les. Pour me prouver que vous di tes vrai, Monſieur , permettez que je me retire ſur le champ. -Mon coeur ! pas ſitôt : il faut du moins m'écouter auparavant. Pourquoi faire la bégueule & la ſauvage ? En vérité , mon enfant, ſi vous conſervez cette manie-là , vous ne percerez jamais ; & , jolie comme vous êtes , ce ſerait réellement dom mage : vous pourriez prétendre à tout.... Voulez- vous , par un mariage légitime & cérémonieux , vous enſevelir avec un malotru ? ma foi! ce n'eſt pas mon avis. Je veux vous donner des lumieres, des confeils , vous parler en ami.... Allons , petite.... Mais pourquoi ! ... Voyez qu'on lui fait grandmal.... ſoyezmoins farouche. Afleyez- vous. Non ,Mon fieur ; je veux m'en aller. - Ah ! belle pouponne , un moment. ... Eh ! laiſſez nous donc voir ce petit pied : il eſt fi joli! pourquoi le cacher ? . ,, -- Je ne DE FANCHETT E. 117 ſuis point faite , Monſieur, non, je ne le ſuis point, pour cette humiliation. -Eh ! qui prétend vous humilier ! ... Ecoutez, ma fille : cetagrément-là peut feul faire votre fortune; &je vous avoue rai, moi , que c'eſt ce qui me plaît da vantage en vous. Mon aimable enfant, ne croyez pas que je veuille vous faire vieillir avec moi : je change ſouvent ; j'ai des tréſors ; je les partage avec cel les que je quitte : on fait que je ſuis de bon goût : m'avoir eu , c'eſt un ti tre pour trouver un autre Amant. -Je ne veux , Monſieur , ni de vos richel ſes , ni d'Amant. — Je ſuis plus inſtruit de vos affaires quevous ne penſez , belle Fancherte ; vous allez épouſer un mal adroit que vous n'aimez pas , & vous vous arrachez à l’Amant que vous pré férez : Je fais tout cela ; voici la pro poſition que je vous fais. Dans huit jours vous épouſerez Luſſanville , fils de ma ſoeur , & mon pupille ; je vous. doterai richement : cela n'a- t-il rien qui vous tenté ? Hélas !.... Monſieur , TIS LE PIED . Qui , j'ai promis d'épouſer Dolfans, de me facrifier , pour lui fauver la vie , & je tiendrai ma promeſſe. - Ah ! pour le coup , ma belle, je nevous conçois plus. Quoi! .... Vousn'aimiez donc pasLuf fanville ? - Pardonnez - moi : Et vous le refuſez ? - Monſieur . - La raiſon , s'il vous plaît, de ce pro cédé rare ? — C'eſt que tôt ou tard j'occaſionnerais la mort de Dolfans , ou la ſienne , & je ne crois pas acheter trop une ſi chere vie aux dépens même de mon bonheur. —Mais où donc a- t- elle : vécu ? Ma foi, ma mignonne , les Ro mans vous ont tourné la têre. Il faut la guérir. De ſorte que , fous le ſceau du plus inviolable fecret , vous ſeriez bien loin de me rien accorder , pour rece voir la main de mon neveu, & l'allu rance de ſuccéder à toutes mes richeſ fes. Ah Ciel ! quelle horreur ! ... - Elle s'effraie ! ah ! je veux la gué rir! répétait- il en riant. Pour réuſſir à cette cure , merveil leuſe, ſelon lui , le Financier accable DE FANCHETTE. 19 Fanchette de ſa lourde maffe , & fe met en devoir de ravir des faveurs , dont la moindre était d'un prix au- def ſus de tous ſes tréſors. ( 19) L'aima ble fille , comme tant d'autres, aurait pu céder à la violence ; (20) mais elle était vertueuſe tout-de-bon : elle s'é chappe ; le peſant Midas la pourſuit: relle autrefois Syrinx fuyait devant le Dieu inventeur des chalumeaux. Fan chette , hors d'haleine , appellait de toutes ſes forces ; mais quels ſecours eſpérer dans une maiſon vendue au cri me ? Epuiſée de laſſitude , tremblante , le pied lui gliſſe , elle va tomber ; le Financier avance un canapé , qui la re çoit. Avant qu'elle puiſſe ſe relever , il eft à ſes pieds; il s'en empare ; il les baiſe un million de fois : Tous les ef forts de Fanchette pour fe débarraſſer , font inutiles. Elle fond en larmes. -O ! mon pere ! s'écrie-t-elle , votre fille tou che à la perte ; mais elle n'eſt pas ici par ſon imprudence.... Eh quoi ! un fcélérat peut donc fouiller l'ame la plus I 20 LE PI E D pure ! ... Elle finiſſait à peine ces mots , qu'on frappe -rudement : le Financier ſe releve ; il héſite , mais enfin , voyant qu'on redoublait , il ouvre lui - même : c'eſt Luſſanville qui paraît : Fanchette s'élance dans ſes bras. -Sauvez celle que vous avez aimée , s'écrie- t-elle ; arrachez -la des mains d'un barbare , que mes larmes ne touchaient pas.... Dans ce moment d'indignation & de dou leur , Luffanville colla ſa bouche ſur celle de Fanchette , qui ne la détourna pas ; il l'emporte; & l'éloigne de la de meure d'un infame. CHAPITRE XXI. Fanchette perd une deſes mules. Lus léger que Zephyr, lorſque de ſon haleine il agite doucement les tiges des fleurs , Lullanville avec ſon pré cieux DE- FANCHE ITE. I 21 cieux fardeau , gagnait ſa voiture : l'air effrayé de Fanchette fut remarqué par deux inconnus, qui dans ce moment ſe trouverent vis - à - vis - la demeure du Fi nancier. L'un d'eux ſur-tout , vivement frappé des traits de la jeune perſonne, la conſidérait avec intérêt. Ses regards vont ſe fixer ſur un petit pied , qu'une mule mignonne contenait à demi. L'é motion que lui cauſent ce pied ſédui ſant & cette mule délicate , fait palpiter ſon coeur. Egalement touchés pour une fille jeune & belle , à laquelle ils croient qu'on fait violence , tous deux ſe diſpoſent à la ſecourir : ils accourent. La belle Florangis , qui les prit pour des ſatellites du Financier , s'élance pré cipicamment dans la voiture de Lur ſanville : les deux inconnus , qui s'ima ginent qu'elle eſt contrainte , la ſaiſiſſent par ſa robe : -Cher ami ! s'écrie Fan chette ! - & ſes bras ceignent Luſſan ville. Au nom fi doux qu'elle vient de donner au charmant jeune homme, les libérateurs s'arrêtent, le regardent, & 1. Partie. L 122 LE PIED conviennent qu'avec cette figure , on n'eſt jamais réduit à forcer les filles. Mais la jolie mule de Fanchette avait tenté le plus apparent des deux incon nus: ( 21) dansle mouvement précipité que fit l'aimable fille pour ſe débarraf ſer de ſes mains , ſon pied s'embarraſ ſa ; l'inconnu ſur profiter de ſon trou ble pour faire gliſſer le bijou qui l'avait charmé ; il s'en empare adroitement , fait un compliment flatteur à la jeune beauté , explique quelles ont été leurs vues en s'approchant : on leur répond par une inclination profonde , & la voi ture part comme l'éclair. Les deux inconnus paraiſſaient étran gers : En effet , l'un était un riche ha bitant des Colonies Françaiſes en Aſie ; l'autre , le Gouverneur d'un fils unique que ce particulier avait renvoyé en France il y avait pluſieurs années. Le jeune hommeérait diſparu tout-à -coup dans un temps où il était préoccupé d'une paſſion violente:fonGouverneur s'épuiſa vainément en recherches : re DE FANCHETI E. 129 buté, déſeſpéré, il avait été lui-même porter au pere de ſon éleve la nou velle d'un ſi grand malheur. Ils étaient de retour depuis quelques jours ſeule ment. Quel tréſor ! diſait l'Aſiatique à l'Inſtituteur. Dans la poſition où je metrouve , une fille ſi belle pourrait ſeule adoucir l'amertume répandue ſur le reſte de ma vie : oui, je bénirais le Ciel de l'avoir rencontrée , li je ne lui croyais un mari.... Mais , que fait-on ? peut- être n'eſt-elle que ſa maîtreſſe ? ... Malheureuſement tous les moyens de nous en aſſurer nous manquent. De toutes manieres, répondait le Gouver vous devez en abandonner la pourſuite ; cette jeune perſonne étant ou mariée , ou indigne de vous fixer. Indigne de me fixer ! ... Voyez , mon vieux ami , voyez cette mule , & repréſentez- vous les traits de celle qui l'a portée.... mais voyez - là donc ! A quarante ans révolus, vous ! ſéduit par un pied mignon ! ah ! ah .... neur , L ij 124 LE PIED Eh ! vous-même, quiriez de fi bonne grace , y réſiſteriez-vous ? Le parti en eſt pris ; il faut découvrir ſon nom , ſa fortune : nous avons tout employé pour retrouver une malheureuſe famille que j'ai laiſſée .... dans la miſere : il ne ref tait qu'une fille ; on vous a dit à vous même qu'on ignore ce qu'elle eſt de venue.... Et voilà ce qu'a cauſé ſans doute la malheureuſe néceſſité où je me ſuis vu de faire croire ici ma mort. Mon fils ſe croyant maître de luimê me , aura mépriſé votre autorité , donné dans le déſordre , & ſe ſera perdu.... Mes parents n'auront plus compté ſur moi.... Nous allons faire de nouveaux efforts : ſi tout eſt inutile .... que cette jeune beauté ſoit libre .... quelle qu'elle ait été , je n'héſiterai pas. Combien en eſt- il, dans ce ſexe enchanteur , qui , féduites par un perfide , entraînées par l'exemple , ſouvent livrées par celle qui devait les protéger , font vertueufes au ſein du libertinage ! car , vous le ſavez , fans doute , la vertu ne conſiſte pas છેà. DE FANCHETTE. 125 garder une fleur que l'honnête - femme a du donner : tout gît donc dans la ma niere de la perdre : eh ! que reproche ra - t -on à celles dont je parlais ? Non , je ne leur fais pas un crime d'un état qu'elles n'auraient pu éviter , non .... & je n'en eſtimerai pas moins la jeune perſonne qui vient de me charmer : ma main , ma fortune , j'offrirai tout , je donnerai tout : ſon empire ſurmon caur eft abfolu .... il l'eſt , ami , il l'eſt .... & fi malheureuſement elle ſe trouve mariée .... je n'ai jamais éprouvé ce que je reſſens pour elle .... je ne ſais ſi je répondrais de ma vertu. En s'entretenant de la forte , les deux amis ſuivaient la route qu'avait priſe la voiture de Luſſanville. Ils s'arrêtent par hazard devant la maiſon qu'il occupair , & reconnaiſſent un des domeſtiques qui venait d'accompagner le jeune amant de Fanchette. Ils l'abordent pour l'in terroger : mais Luflanville était aimé de fes gens; ils ne s'entretenaient de leur maître que pour en dire du bien , & 126 LE PIED , &c. jamais pour inédire de ſes actions : ce lui- ci leur tourna le dos , fans leur ré pondre. Les inconnus n'apprirent rien dans ce moment : mais l'un d'eux ne pou vait diſſimuler la joie qu'il reſſentait d'a voir trouvé la demeure de l'heureux amant avec lequel il ne doutait pas que ne vécût la jeune fille au pied mignon. Il ſe retira , dans la réſolution de ne rien négliger pour découvrir queleſt le ſort de la belle dont il a ravi la jolie mule ( & rien de plus galant que cette mule ; elle était bleu céleſte , garnie d'un ré zeau en argent) il ne pouvait ſe laſſer. de conſidérer ce bijou , dont la vue al lait juſqu'au fond de ſon cæur réveiller les delirs. Fin de la premiere Partie. LE PIED DE B228/ FANCHETTE, OU L'ORPHELINE FRANÇAISE ; HISTOIRE INTÉRESSANTE IT MORALE. SECONDE PARTIE. A LA HAYE , & se rend A FRANCFORT, Chez J. G. ESLINGER, Libraire, M. DCC. LXIX 1 312494 iij TABLE DE LA SECONDE PARTIE. CHapitre XXII. Préſents qui des viendront fameux , Page 1 CHAP. XXIII. Toutes vérités ne ſont pas bonnes à dire , 6 Chap. XXIV. Péril qui fera trembler , IZ CHAP. XXV. Evénement fatal, 22 CHAP. XXVI. Réflexions , 27 CHAP. XXVII. Danger plus grand que tout ce qu'on a vu , 34 Chap. XXVIII. Nouveau déſeſpoir, 42 CHAP. XXIX . Il y a du remede à tout , 50 Chap. XXX. Ce qui conſole les amants affligés , 57 CHAP. XXXI. Qui ſurprendra , 65 CHAP. XXXII. Comme un dévot op prime l'innocence , 74 ij iv T A BL E. tile , CHAPITRE XXXIII. Le ſuccès ne ſuit pas toujours le crime, 79 CHAP. XXXIV. Qui n'eſt pas inu 85 CHAP. XXXV. Etrange convention , 93 CHAP. XXXVI. Secours dangereux 97, CHAP. XXXVII. Où les morts rellus citent , 104 CHAP. XXXVIII. Le calmefuit la tem pête , 114 Fin de la Table de la ſeconde Partie. 1 1 LE 1 KHU f LE PIED DE FAN CHETTE, HISTOIRE INTÉRESSANTE ET MORALE. SECONDE PARTIE. CHAPITRE XXII. Préſents qui deviendront fameux . LUSSANVILLE Lu , tranſporté dejoie d'avoir garanci ſon Amante de l'audace cynique d'un libertin opulent, la preſ II, Partie. A LE PIED fait dans les bras , & lui diſait : - Chere Fanchette , ſans le malheur qui me ban nit loin de vous , vous étiez perdue. Prêt à partir, j'ai voulu ce matin vous revoir une fois encore : j'ai remarqué que vous ſortiez'ſeule : ſi votre Bon ne , ou votre jeune compagne euſſent été avec vous , je n'aurais pas héſité de vous aborder ; mais vous étiez ſeule; j'ai craint de vous déplaire. A l'Egliſe, j'étais derriere vous. Heureuſement j'ai reconnu l'infame Agent de mon oncle, lorſqu'on vous'a enlevée. J'ai volé ſur vos pas : il a fallu faire violence à la valetaille qui le fert & l'imite dans ſes vices , avant de parvenir juſqu'à ces ap partements ſecrets , conſacrés à la lé duction & à la débauche. Je bénis mon inforcune , qui fauve ce que j'aime. Mais , hélas ! faudra - t - il vous fuir ? Mon cœur en gémit , partez : oui , cher Amant , puiſque vous l'avez ré folu ; je l’exige ; mais ne déſeſpérez plus.... - Ciel! qu'entends-je ! Belle Fanchette ! vous me rendez la vie ..... DE FANCHETTE. 3 1 Sa bouche ſe colla ſur la main de ſon Amante : enſuite il leva les yeux ſur elle : ils ne parlerent plus ; mais ils ſe regarderent.... ſi tendrement ! ... Luffanville eſſuya les larmes qui cou laient encore. On arrive chez lui. Fan chette craignait d'entrer dans la maiſon de ſon Amant; mais ſa mule était éga rée , & ſa parure dans un étrange défor dre ; elle redoutait de paraître ainſi chiffonnée aux yeux du jaloux & pé nétrant Dolfans : elle dit à Luſſanville: Je me fie à votre bonne foi ; & lui donna la main. La belle Florangis n'eut pas lieu de s'en repentir. Le ten dre Luſſanville nageait dans la joie de voir chez lui la ſouveraine de ſon ame. Pourquoi devez- vous en ſortir , lui diſait- il , de ces lieux où vous regnerez un jour ! divinité de mon caur ! c'eſt ici que vous ſerez chérie , adorée du plus tendre des époux. = Fancherte Tourir : la joie commençait à ranimer ſon ame abattue. Elle avait ſon por trait , que Dolſans venait de finir du 5 A ij 1 L E PI E D 4 rant la convaleſcence , & qu'il ſe flat tait de recevoir de la main de Fancher te ; il était dans la même boîte que ce lui de fa mere ; elle y joignit un braf felet , qu'elle- même avait tiſſu de ſes beaux cheveux ; & ce préſent fut pour Lullanville. Elle lui redemanda la jo lie chauſſure ; mais ce ne fut que pour la lui rendre. Lullanville , de ſon côté , la pria de recevoir des mules magnifi quement brodées , faites ſur le modele qu'il avait entre les mains : ce préſent était néceflaire à Fanchette ; mais il lui plut indépendamment de cela ; elle ne le déguiſa point : elle accepta de mê me la boîte de bijoux que ſon Amant avait prié la bonne Néné de garder; elle lui promit de fe parer de ſes dons. Faveurs innocentes & précieuſes ! ah que vous avez de charmes pourles cours tendres ! ... L'aimable jeune homme pénétré de reconnaiſſance , diſait à la charmante Maîtreffe : - Mon adora ble Epouſe , nous devrons le plus grand de nos biens à nos malheurs, DE FAN CHET T E. 5 Après avoir examiné le portrait de Fanchette , Luſſanville jetta les yeux ſur celui de Madame Florangis ; il fut ſurpris de le trouver ſi richement orné : Il allait le baiſer ; il poufle un cri. Quoi ! dit - il à ſon Amante , voilà l’i mage de celle qui vous a donné le jour ! .... Ô Ciel ! ... Mais vous m'en devenez plus chere .... Oui , divine Fanchette, & le pere , & le fils .... le , même pouvoir les a ſoumis. Mais la paſſion de mon pere érait illégitime, & fur aufi malheureuſe qu'extrême. S'il avait été témoin de la ruine de celle qu'il adorait , il l'eût réparée .... ſon fils va le faire.... Belle Florangis ! quel les nouvelles chaînes ne formerait pas cette découverte , ſi quelque choſe pou vait augmenter mon attachement pour vous ! ~ Luſſanville baiſa le portrait : Aimable mere de mon épouſe , di fait -il, oui , je vous adore ! on vous ac cuſe de m'avoir ravi mon pere ; mais vous me donnez une compagne qui fera ma félicité. - Fanchette écoutait Luf i ť į ] S 5 1 Aiij 6 LE PIED fanville avec étonnement ; mais elle ne l'interrogea pas. Ils ſe regarderent, & s'attendrirent ſur le fort de leurs pa rents ; ils ſe dirent combien ils les avaient aimés , & connurent que leurs cæurs honnêtes & ſenſibles, ſe reſſem blaient. Enfin , l'aimable Florangis, remiſe du cruel aſſaut qu'elle venait d'eſſuyer, ſuivie de ſon Amant , retourna chez fa Maîtreffe : ſa préſence calma les vives inquiétudes de la Marchande de mo des , & fic ceſſer les alarmes de la jeune Agathe. CHAPITRE XXIII. Toutes vérités ne ſont pas bonnes à dire. DOlſans était rétabli; &, pour obéir à fon Amante , Lullanville s'était éloi gué. Fancherte, en revoyant ſa Bonne, DE FAN CH ETTE. 5 5 lui fit part de ſes nouvelles diſpoſitions. La Gouvernante aimait Luflanville elle avait été cruellement peinée , lorſ qu'elle avait appris la réſolution géné reuſe de fa pupille , mais elle ne la com battit pas : Elle fit alors éclater toute ſa joie ; enſuite l'horrible danger que Fanchette avait couru la fit trembler. Cependant M. Apatéon commençait à ſe montrer. Il était néceſſaire que la jeune Florangis ne ſortît plus qu'avec précaution. Le Peintre ſe prometrait un bon heur ſans mêlange. Si Fanchette le re cevait avec froideur , il eſpérait tout d'une ame fi belle , lorſqu'il pourraic faire parler le devoir. Il preſla ſon union : la Marchande ſecondait ſon neveu , & la jeune Florangis fe crut perdue : ello ignorait que M. Aparéon étant ſon tu teur , nommé par le teſtament de ſon pere , & la Gouvernante fubſtituée par un codicile ſecret , on ne pouvait rien faire que de leur conſentement : elle tie vir d'autre moyen d'éyiter un malheux A iv 8 LE PI E D irréparable, que l'imprudent avea de ſon engagement avec Luſſanville : elle le fit avant de conſulter ſa Bonne. Dol fans devint furieux. Fanchette connut alors de quelles violences rend capable un caractere jaloux : elle fut obſédée , tourmentée juſqu'à l'inſtant où Néné , inſtruite de tour , ſur parler à la Mar chande avec fermeré , en la menaçant d'ôter Fanchette de chez elle , fi i'on ne voulait pas la délivrer des perſécu tions de Dolfans. — Quoi ! maman , diſait la jeune Agathe , mon couſin ſe rait cauſe que je perdrais mon amie ! ſi je le croyais , je ne l'aimerais plus. Si les fautes que fait commettre un amour malheureux n'étaient excuſables , Dolſans ſerait un monſtre. Il ſe perſua da , que s'il parvenait à ravir à Fan chetre la fleur de l'innocence , il ob tiendrait ſa main facilement : il l'ado rait ; il ſe déguiſait à lui - inême l'atrocité de l'action , par le motif qui la lui fe rait commettre. Dès qu'il ſe fur arrêté à ce coupable deſſein , il parut tran DE FAN CHETT É . 9 quille : Il voyait Fanchette , mais fans l'entretenir de ſon amour ; il le renfer mait dans ſon coeur , & fes defirs con traints n'en acquéraient que plus de violence. Un Dimanche ,Dolfans ne paraiſſait pas : Fanchette , charmée de ſon ab ſence , mit pour la premiere fois la robe achetée chez M. Delaunage , ſe para plus qu'à l'ordinaire , faiſit certe occa fion de remplir la promeſſe faite à Luf fanville , releva ſa beauté par les dia mants qu'elle tenait de lui, chauffa cette jolie mule , dont lui - même avait ima giné les ornements , (22) & commit une nouvelle imprudence. Elle nageair dans la joie : à chaque pas , elle ſe rap pellait ſon cher Luſſanville. Pour la premiere fois , elle - même admira les graces de ſon joli pied. Ah ! ſi Luf ſanville était encore ici , ſe diſait -elle , que je ſerais flattée ! Cher Amant ! puiſſé- je n'être vue de perſonne , puiſ que je ne le ſerai pas de vous ! je ne veux plaire qu'à vous ; comme mon E IO 1 LE PIED 1 ceur n'aime & ne deſire que vous ! en ſuite elle marchait ; ſon caur treſlail lait. Je ſuis toute à Luſſanville , ſe di fait -elle ; c'eſt ce cher objet de ma ten dreſſe qui m'embellit. Ces agréables idées répandaient ſur le viſage de Fan chette un air d'enjouement, quirendait fa beauté plus éblouiſſante encore , lorf que Dolfans parut. Il voit les dons de fon rival ; il pålit ; il diſſimule la rage , ( c'était encore un défaut qu'il avait apporté d'Italie , que la diſſimulation : hélas ! nous prenons les vices de nos voiſins , & nous laiſ fons leurs verrus ; voilà le triſte fruit qu'une infinité de jeunes gens retirent de leurs voyages , ) & jure que Fan cherte ne l'échappera pas. Cependant au fond de ſon cour , né vertueux , cette beauté fi touchante excitait ſes re mords : il ſe retire à l'écart : Que prétends- cu , malheureux Dolfans, ſe diſait- il ? & pourquoi vouloir contrain dre un cæur qui ne ſe donne pas ? Elle eſt belle , tendre ; je l'adore : toutdoit DE FAN CHETTE. II il donc tourner contre elle ? rendons nous à la raiſon : cédons- la : méritons ſon eſtime & ſon amitié.... C'en eſt fait : je vais.... Un autre , àmes yeux , jouira d'un bien quim'eſt plus cher que la vie ! ... qui me fut promis ! ... Elle ne le veut plus .... elle s'immolait ; je n'étais pas aimé.... -Lavertu l'em portait ; ſes yeux ſe fixent ſur ce pied féduiſant , embelli de nouveau par un chef- d'œuvre de l'art ; cette vue dé range fa raiſon. -- Eh ! je la céderais, s'écrie-t - il ! Non ; le ſort en eſt jeccé. Je ferai coupable , mais je ſerai moins malheureux , peut-être. La Marchande & ſes filles devaient aller prendre l'air à la campagne : des voitures les attendaient ; on allait par tir , lorſque la Gouvernante arriva. Son admiration , à la vue de fa chere fille , éclata de mille manieres : d’imprudents éloges acheverent de porter le poiſon dans l'ame de Dolfans. On ſort : Aga the eſt déja partie : Fanchette , quivoit que le jeune Peintre doit les accompa 12 L E P I E D 1 gner , prie fa Bonne de la diſpenſer d'ê . tre de la promenade ; & Néné feine une affaire importante, où la préſence de ſa pupille eſt néceſſaire. Elles rentrent toutes deux. Dolfans, à qui fa jalouſie donnait des yeux de lynx , lance ſur la jeune Florangis, en s'éloignant , un regard furieux , ſuivi d'un ſouris amer. CHAPITRE XXIV . Péril qui fera trembler. Es que Fanchetre fut ſeule avec ſa Bonne , Luſſanville devint le ſujet de leur entretien : l'aimable fille par lait du jeune homme avec modeſtie : La Gouvernante ſouriais ; & dans l'inf tant où Fanchette s'y attendait le moins, elle lui rend un Billet qu'elle venait de recevoir de cet Amant chéri. DE FANCHE I T E. 13 BILLET DE LUSS ANVILLE, à FANCHETTE. De Bayonne , 30 Mars 1768, Vous l'avez voulu mon adorable épouſe.... ( oui , je me crois permis de yous donner ce nom , depuis que vous même étes venue vous jetter entre mes bras , ) je quitte les lieux que vous em belliſez ; mais j'ai lu dans votre cæur ; je ſuis aimé; je jouis du bonheur qu'au cune expreſſion ne peut rendre , d'étre aimé de la divine Fanchette : quel fort enchanteur ! Elle ſouffre autant que moi, d'une abſence qu'elle ordonne. Je ne murmure point de la néceſité que vous m'en avez faite , ma belle Amante ; j'en connais le motif; qu'il vous rend chere à mon cour ! ... Ah , ma Fanchette ! ma charmante épouſe ! rappellez auprès de vous un homme , dont le ſecours vous 14 LE PIED fera peut- être néceſſaire encore .... Je ne Jais; mais je friſonne quelquefois, ſans Sujet : les fonges vous offrent en pleurs à me vue : je vous vois tremblante , éperdue , déſeſpérée , lever vers le Ciel vos belles mains.... Fanchette ! cette nuit encore , je croyais voir un traître , le poignard à la main , demander vo tre cæur. Vous pleuriez ; je voulais al ler à vous : un invincible obſtacle me retenait. Je pouſſe un cri de fureur, & je m'éveille .... Ce n'eſt qu'un ſonge 'il eſt vrai , mais un Amant , qui ne reſpire que pour vous, eft effrayé de la moindre choſe : ( 23) Au nom de notre amour , au nom du lien ſacré qui doit nous unir , chere épouſe , permets à ton mari de jouir de ta préſence : il ne peut te répondre de vivre , s'il n'obtient cette grace . Adieu . DE LUSSANVILLE. En achevant la lecture de ce Billet , Fanchette leve ſur Néné ſes yeux hu mides : - Il eſt donc parti , ma Bon DE FANCHEIT E. 15 ne ? il eſt loin de moi ! il le faut , & du moins , je ne crains plus des malheurs.... Que lui répondrons- nous , ma Bon ne ? — Ce que vous dictera votre cæur. Ah ! ... mon cæur ne deſire que lui . Marquons - lui qu'il revienne. Eh !mais ! ... ſi Dolfans. ... Cepen dant je voudrais bien le revoir. — Dé cidez - vous : je réponds à ce qu'il m'é crit en particulier : ajoutez ſeulement deux mots de votre main . BILLET de FANCHETTE , au bas de la Let tre de la Gouvernante , pour Lus SANVILLE. E prends la plume en tremblant : ma Bonne conduit ma main . ... Si yousme jurez d'éviter toujours Dolfans , reve nez.... Que je crains ! hélas ! peut-être la démarche que je fais fera fatale à mon Amant ! mais il m'en preſſe.ro i reve nez.... Cher Luffanville ! en vous écri 16 LE PI E D vant , votre épouje eſt parée de vos dons : elle a refuſé de fortir , pour ne point étre avec votre rival : toutes mes compagnes , ma chere Agathe ſur-tout , ma Bonne , ma Maitrele, m'ont trouvée belle : Je me diſais , je dois mon éclat à Luſan ville : Pourquoice cher Amant ne jouit-il pas de ſon ouvrage ? ... Quel plaiſir je goûte , à me renfermer , à me cacher à tous les yeux! je ne veux étre belle que pourmon époux. ... Revenez ; mais au paravant écrivez à ma Bonne, & jurez nous à toutes deux de vous dérober tou jours aux yeux de Dolfans. C'eft un furieux ; je le crains autant que je vous aime. Je ſuis toute à vous , FANCHETTE FLORANGIS. Il était l'heure à laquelle M. Apa téon rentrait. On cacheta cette Lettre : la Gouvernante la prit pour l'envoyer , & quicta fa chere fille , en lui promet tanc de revenir dès que le Vieillard n'au rait plus beſoin d'elle. Fanchette ne pouvait DE FAN CHETTE. 17 EL pouvait ſe laſſer de relire le Billet de Lullanville : elle le tenait encore à la main : on frappe; elle vole à la porte , croyant ouvrir à fa Bonne , & c'eſt à Dolfans. L'aimable fille pâlit , &veut ca cher l'Ecrit de fon Amant. --- Vous êtes ſeul de retour , Monſieur , dit- elle au jeune Peintre , toute troublée ? - Oui , cruelle , répond cet Amant furieux , qui venait d'écouter la converſation de Fanchette avec ſa Bonne. J'ai ſu ren dre inutile votre attention à une fuir . En parlant de la ſorte , il eut l'audace d'arracher des mains de la jeune Flo rangis le Billetde Luflanville. Indignée d'une témérité ſi grande , elle le lui re demande d'un ton ferme ; mais en vain ; il l'a déja lu ; il le déchire avec fureur. A la merci d'un Amane jaloux juf qu'à la rage , l'aimable fille friſſonna. Nous ſommes ſeuls ici , continua Dolſans : choiſiſſez ou ma main , ou.... Je me punirais du crime , auquel vous me contraindriez; mais qu'importe ? Il m'eſt plus doux de vous ſuivre dans II. Partie B 11 S I 18 LE PIED le tombeau , que de vous voir dans les bras de mon rival . Eh bien ! lui dit Fanchette, en pleurant , arrachez -moi la vie. O Ciel ! elle aime mieux mourir que d'être à moi ! Malheureux que je ſuis ! ... Belle Fanchette , ajoura t - il en tombant à ſes genoux , ne pour rai-je vous toucher ?Vous égarez ma raiſon ..... Ah ! quand je ſerai votre époux , vous ne verrez plus dans ces tranſports qui vous ſont odieux à pré fent, que l'excès de mon amour..... Mais non , cruelle , tu préferes con Amant à la vie. ... Ne crois pas qu'il m'échappe : fût- il au bout du monde , ma main teinte de ton ſang, vengera fur lui ton malheur & mon forfait. --Ciel !...arrêtez , Dolfans !... (Eh ! voilà donc ce malheur que mon Amant preſſentait !) Comment pouvez - vous penſerà de telles horreurs ! ... — Vous le demandez , Fanchette ! l'amour, l'a mour ſeul que vous outragez , me rend coupable.... - L'amour ! ... le ten dre amour!Eh ! que feriez - vous, ſi vous DE FAN CH ETTE. TO les dic Toi UX ta 112 re ces é ON aviez de la haine ! — Je ferais aſſez gé néreux pour l'étouffer. Vous vou lez mon malheur , ou ma inort. - Vo tre malheur ! Non , belle Fanchette, Vous verrez commeje fais aimer ! Reine de mon cour , daignez ſeulement exer cer votre empire , & je jure de vous rendre heureuſe. — Jemourraide dou leur, ſi je perds Luffanville. - C'en eſt trop , cruelle ; & ce mot me trace la route que je dois ſuivre : le fer , le poiſon , peu m'importe : il ne fauraie m'échapper.... - Mon ame m'aban donne : inhumain ! ... Va , tu me fais horreur ! le Ciel fauvera mon Amant , & je lui demande qu'il te punifle. Ce ne ſera du moins qu'après que je me ferai vengé. Ecoutez , Dolſans, la raiſon n'a- t - elle plus.coco Il vous Gied bien de me parler de raiſon , vous qui ne ſuivez pas ce qu'elle vous dicte dans ce danger preſſant ; vous quiman quez à ces promeſſes, qui m'ont flatté de l'eſpoir le plus doux. – Fancher's te , jeune, fans expérience , crue fon 11 ܕ2 ta it. 7 ! nt JS 15 $ 1 Bij 20 LE PIED . Amant perdu , fi dans ce moment elle ne renonçait encore à l'eſpoir d'être à lui: elle crur devoir céder. -Eh bien , dit- elle à Dolfans, il faut ſe rendre ; inais je dépends de M. Apatéon & de ina Bonne : je ne puis être à vous , fans leur aveu. - Déja trompé, reprit Dol fans , comment voulez- vous que je vous croie ? Il me faut un gage qui me ré ponde de vous , & m'aſſure le conſen tement de ceux dont vous me parlez. Que voulez-vous , dit Fanchette , avec le ton de l'ingénuité ? Une preuve que vous ne vous rétracterez point. - Exigez-la. · Vous y conſen tez ? - Il le faut bien. (Elle ne ſavait pas ce qu'on lui demandait.) Dolfans veut la prendre dans fes bras; la jeune fille le repouſſe. Il a recours à la vio lence.- perfide ! s'écrie Fanchette , je t’abhorre , & plutôt tous les mal heurs , que de te nommer mon époux. Dollans (il faut l'avouer ) n'avait pas deſſein de ſe rendre coupable des forfaits horribles dont il menaçait la DE FANCHETTE. 21 Belle & timide Florangis; il ne voulait que l'effrayer, & l'obliger à ſe rendre. Sa main s'arme d'un fer : il l'appuie ſur le ſein de Fanchette , qui dit en fer mant ſes yeux remplis de larmes : Je ne demande de toi que la mort.... O ! Luſſanville ! ſi tu voyais ton Amante ! Ces mors irriterent Dolfans : il re garde Fanchette : il s'écrie : - Et cette parure même , préſent de mon rival, augmentera le prix de ma victoire ! Perfide ! vous n'avez pas craint de pa raître trop belle : vous relevez tous vos attraits , & vous voulez que je renonce à l'eſpoir d'en être l'heureux poſſeſſeur ! Non , je le jure , rien ne peut m'arrê Tranſporté d'amour & de fu reur , il menace ; Fanchette glacée par la frayeur, reſte immobile & déſeſpé ter. rée. (24) 22 LE P I E D CHAPITRE XXV. Événement fatal. 'En érait fait ſans doute , & l'oc caſion , ſa rage ; la réſiſtance de la maî treſle allaient porter Dolfans à conſom mer un crime affreux , ſi dans ce mo mene la Gouvernante ne fût revenue. Elle appelle ſa chere fille. – Ah ! ma Bonne ! s'écrie Fanchette , à mon fe cours ! - Hors d'elle- même? Néné fait retentir la maiſon de ſes cris. Deux jeunes gens qui cherchaient l'occaſion de voir la belle Florangis , accourent en même- temps : l'un était le Comte d'A ** ; l'autre , l'amoureux Satinbourg. La porte ne put réſiſter à leurs efforts ; elle s'enfonce; mais Dolfans, l'épée à la main , forme une ſeconde barriere , plus difficile à forcer : la foule envi ronne la maiſon : le Comte d'A** s'a DE FANCH E T I E. 23 vance , Dolſans recule ; il veut périr ; mais il ne peut ſupporter l'idée que Fanchette vivra pour un autre. L'ai nable fille , mourante , éperdue , tend les bras vers la Bonne , qui bravant les menaces d'un forcené , s'élance , par vient à fa pupille , & la preſſe contre ſon coeur. Le courage de la vieille Néné fauva Fanchette : Dolfans , par un cri me , ( involontaire ſans doute , ) l'aurait peut- être immolée ; puiſqu'ayant frappé la Gouvernante , il s'offrit enſuite aux coups du Comte d'A** , de la main du quel il reçut une bleſſure mortelle. Fanchette , couverte du ſang de fa Bonne , était évanouie ; Satinbourg , effrayé , les fecourait toutes deux ; le Comte d'A ** expoſait les raiſons de fa conduite au Commandant de la Garde à cheval ; & la Marchande , ſuivie d'A gathe , arrivait chez elle. Lorſque Fan chette refuſa de les accompagner , elle avait remarquéde l'altération ſur le vi fage de ſon neveu. A la promenade , elle le perdit de vue quelques moments : 24 LE PIED on ſe divertiſſait ” de jeunes filles , vi ves & folâtres, long- temps renfermées , bondillent comme de tendres agneaux , qu'on envoie broûter l'herbe fleurie dans un beau jour de Printemps. Ce ſpectacle , d'une joie naive , le plus charmant de tous, occupait agréable ment la Marchande : Agathe ſeule qui n'avait pas ſon amie, paraiſſait trif te , & s'écarta : elle apperçue Dolfans, qui retournait à Paris. Elle en avertit ſa mere. En apprenanç l'éloignement de ſon neveu , la Marchande fut ſurpri ſe ; elle reſſentit des mouvements de crainte; ſon coeur ſe ſerra : elle voulut le ſuivre. Comment peindre quel fut ſon déſeſpoir, en rentrant dans la mai ſon ! Elle voit ſon neveu , & ſur ſon front la pâleur de la mort.... Elle pouſſe un cri perçant : ſes regards ſe détournenr , &vont tomber für Fan chette. Tous deux ! s'écrie- t- el le....- ' & ſes forces l'abandonnent; elle tombait : le Comte d'A ** la fou uint. Et la jeune Agathe , plus morte que DE FANCH ETT E. 25 que vive , ſe précipite ſur ſon amie . Cependant les Diſciples d'Eſculape accouraient par les ſoins du jeune Sa tinbourg. Leurs ſecours ſont inutiles à Dolfans; ce malheureux jeune homme vient de terminer une carriere , que ſon dernier jour ſeul avait ſouillée. La Bonne était bleſſée légérementau bras ; Fanchette rouvre ſes beaux yeux , & répond aux touchantes careſſes de la jeune Agathe ; la Marchande revient à elle. Toutes ſe regardent en ſoupi rant. O ! ma fille ! dic la Gouver nante , comment donc faire pour être vertueuſe ! - Ma Bonne , répondait Fanchette , quelle fatale journée ! Vous vivez , chere Fanchette , s'é cria la Marchande ! .... ah , ma chere fille ! on vous avait confiée à ma vigi lance ! ... celui que j'aimais , qui de vaic mę tenir lieu de fils .... on m'ap prend que par le plus odieux des for faits, ... Il mérite ſon ſort funeſte ; mais moi , avais-je donc mérité le malheur quim'accable !Ah , cruel Dolfans! vous II. Partie, с 26 PI E D étiez perdu pour moi , avant de rece voir le coup mortel!... - Le Comte d'A** & Satinbourg_pa raiſſaient également ravis de voir Fan chette & la Bonne hors de danger : le jeune Marchand ſentait au fond de ſon cæur.la joie d'avoir ſervi l'objet de la cendreſſe : On enleve Dolfans : Sacin bourg & la Bonne elle -même, raſſurent l'aimable Florangis. Qu'elle était tou chante dans ce déſordre , où venait de la mettre l'attentat du Peintre , & que fa douleur la rendait intéreſſante ! Le Comte d’A** jura de tout entrepren dre pour s'aſſurer la poſſeſſion d'une fille fi belle & fi fage ; Satinbourg ſe pro mit de l'aimer éternellement. Heureux! fe diſaient- ils en eux-mêmes , celui qui tarira ces larmes ! qui fera reparaître ſur ce minois féduiſant les ris & les amours! ... La Gouvernante ne pou vait ſe réſoudre à quitter Fanchette: cependant l'heure la rappellair. - Al lez , ma Bonne , lui dit l'aimable fille ; & pour me conſoler, répétez-moi mille DE FANCHETTE : 27 fois , que bientôt je le verrai. Néné ſeule entendit ce que la pupille voulait lui dire. Elles ſe quitterent. Le Comte d'A** ſortit , & Satinbourg remena la Gouvernante.

CHAPITRE XXVI. e Réflexions. HÉlas qu'une fille eſt infentée de ſourire à ſes attraits , lorſqu'une pa rure élégante en double l'éclat ! Elle excite contre ſon innocence une foule d'ennemis : la fineſſe , la douceur, la violence , l'amour , ils vont tout em ployer pour la perdre. Faible & fans expérience , elle ſuccombe , & devient un objet de mépris pour ceux qui l'ont ſéduite. O , mon pere ! que vous étiez ſage , lorſque vous couvrîtes votre fille d'étoffes groſſieres ! vous la dérobiez , ſous cette écorce déſagréable , aux re Cij 28 LE PI E D gards hardis des ſéducteurs. Ils dédai gnent ſouvent une victime qui n'a rien de brillant ; ſi l'on n'eſt pas admirée , fêtée , pourſuivie , l'on n'a rien de pi quant pour eux, Heureuſe mille fois la jeune fille , que n'abandonne jamais une mere prudente & chérie ! Elle cou le , au ſein de l'innocence , des jours fortunés & tranquilles : ſa maman voit pour elle ; elle lui fait éviter le danger; elle la préſerve des diſcours trompeurs; elle la défend contre les téméraires ; le vieillard hypocrite , & le jeune hom me fougueux n'oſent l'approcher:lorf qu'il en eſt temps , cette mere ſage con duit elle-même par la main , auprès de ſa fille , l'aimable époux qu'elle lui del, tine. Lui ſeul a le privilege de l'entre tenir ; elle peut ne jamais écouter que lui ſeul.... Etmoi ... triſte objet de coupables deſirs , j'ai vu le crime au dacieux , épouvantable , prêt à m'arra cher le ſeul bien qui me ſoit reſté !... Pauvre Fanchette !... hélas ! ... Ne ſuis -ję pas bien à plaindre, ma chere Agathe? DE FANCHETTE. 29 Telles étaient les réflexions de la belle Florangis, le lendemain de ce jour de trouble & d'alarmes, en ployant cette robe qui la parait ſi bien ; en ſer rant ſes jolies mules ; en remettant dans leur boîte les bijoux de fon Amant. Et ſa jeune compagne , en pleurant, lui donnait mille baiſers. Lorſque Fanchette eur ôté tous ces objets de devant ſes yeux , la Gouver nante arriva . Cette bonne femme pro fitait du premier moment de liberté , pour accourir. auprès de fa pupille. Ah ! ma Bonne , lui dit l'aimable Florangis, qui l'aurait penſé ! j'étais fi contente le matin ! j'avais eu tant de plaiſir à me parer ! Je le faiſais pour Luffánville , qui ne devait pas me voir, mais qui toujours eſt préſent à mon ef prit; & peu s'en eſt fallu , que ces dons li chers de celui que j'adore , n'aient éré les témoins de ma honte. Ma chere fanfan , lui répondit la Bonne en la careſſant, j'en friſſonne encore . Ai mable petite ! quel malheur ! &qui l'au Ciij šo LE PIED rait prévu ! Mais ton Ainant va reve nir : nos Lettres font parties.... Il ne faut pas qu'il attende les deux années ; je veux , crainte de nouveaux malheurs , vous voir mariés dès qu'il ſera de re tour. Il pourra gagner ſon tuteur. -Ma Bonne , il ne le gagnera pas. Il le faudra bien cependant : mille raiſons m'engagentà preſſer votre union : l'acci dent d'hier a fait du bruit : M. Aparéon ignore la part que j'y prends; il m'a parlé de maniere à me faire penſer , qu'il ſoupçonne ma chere Fanchette d'être l'héroïne de cette tragique aven. cure : on vous a dépeinte : vousêtes li belle , qu'on ne peut guere s'y mépren dre ; & ce pied charmant , que tout le monde regarde comme unique , on ne l'a pas oublié ; M. Apatéon l'aura re connu. Je viens de prévenir votre Maî treſle : elle ne doit plus ſouffrir que perſonne vous voie , pas même les fem mes : cependant nous en exceptons le jeune Satinbourg , auquel le ſervice qu'il nous rendit hier , ſon empreſſe DE FANCHETT E. 31 1 1 į 1 + ment à nous fecourir, & fon zele doi vent faire. accorder cette diſtinction . Sans attendre la réponſe de Fan chette , la Gouvernante ſe hâta de la quitter , pour retourner chez le volup tueux vieillard . - Ma Bonne eſt imprudente , diſaic Fanchette , en la voyant fortir : Hélas . re voit- elle pas que tous les hommes deviennent auprès de moi téméraires ou furieux ? - Ah ! mon amie , lui dig vivement la jeune Agathe , Satinbourg ne leur rellemblera pas. Tu ne les connais pas , mon Agathe , ces hom mes.... Et le jeune homme le pré ſente . La préſence d'Agathe raffurait Faq . cherte. - Me ſera - t- il permis , Made moiſelle , dit le jeune Garçon Mars chand , de montrer tout l'intérêt que je prends à ce qui vous couche. Ne voyez en moi qu'un homme qui vous eſt entiérement dévoué : Non , Made- . moiſelle , tous vos Amants ne font pas téméraires : il en eſt à qui vous inſpir Civ LE PIED rez le plus profond reſpect , auſſi-bien que le plus violent amour : tel eſt ce lui qui maintenant a l'honneur de fe préſenter devant vous. Vous êtes la fille d'un confrere ; je vous ai offert de vous rendre à l'état de vos parents : je vous fais encore la même propofition ; mais , fi vous refuſez d'être mon épou ſe, j'oſe eſpérer que vous me permet trez de vous regarder comme une ſaur chérie ; & ce qui ne me ſerait pas per mis au premier titre , je vous conjure de me l'accorder au ſecond. -- Fan chette ne fut jamais inſenſible aux bons procédés. Celui de Satinbourg la tou cha. Elle lui découvrit l'état de ſon cour , & l'honnête jeune hoinme n'en parut pas refroidi. Si jamais ajouta t- il , Mademoiſelle , le ſort vous empê chait d'être à ce mortel heureux , fou venez - vous alors qu'il eſt au monde un homme qui vous adore , dont la féli cité dépend de vous ſeule. - Et fans inlifter davantage , il ſe retira . Il eſt bien eſtimable, s'il eſt ſin DE FANCHETTE. 33 en te 11 cere , dit la jeuneAgathe. — Fanchette lui répondit : -Ah ! ſi tu voyais Luf ſanville !... comme il eſt tendre , rer pectueux , fidele , généreux! & li tu ſavais tout ce que je lui dois ! - Et l'ai mable fille fe retraçait la conduite de ſon jeune Amant , lorſqu'il l'avait ar rachée des mains du brutal Financier. Jeunes gens , ah ! daignez m'en croi re ; ce Sexe charmant , injuſtementmé priſé , plus qu'on ne le croit , eſt ami de la vertu : pour uneMeſtalline, qui cher che , par une feinte modeſtie , à faire naître l'audace , & qui mépriſe quicon que n'eſt pas téméraire , il s'en trouve mille , dont un procédé décent nous ac quiert l'eſtime , & captive le cæur. (25) ET e 2 1 ! 34 LE PIED CHAPITRE XXVII. Danger plus grand que tout ce qu'on a vu.

UNrecevant la Lettre de ſon Amati te , Luſſanville quitte Bayonne , & re prend à la hâte la route de Paris. Il courait nuit & jour; mais occupé des idées les plus riantes , il ne ſentait pas la fatigue. Je vais donc revoir ma divine Florangis , fe diſait-ilà tout mo ment. - Et ce nom de la Beauté qu'il aime lui rend toute ſa vigueur. Quel quefois il tire le portrait de Fanchet te ; ſes yeux , quis'y fixentavidement, y ſemblent collés; ils ſe rempliſſent de larmes délicieuſes ; il porte à ſa bouche le tiſſu des cheveux de fa belle Mai treſſe : quelquefois auſſi l'autre préſent de cette Amante fidelle l'occupe à ſon Ah ! que tout eſt précieux 1 1 1 tour . DE FAN CHET T E. 35 3 lorſqu'il vient de ce que l'on aime , s'écriait- il ! Adorable Fancherte , ces bijoux t'ont donc embellie ! précieux gages , vous avez porté celle que j'ado re ; vous avez preſſé le pied mignon de la divinité de mon cœur ; quelle vo lupré de vous toucher! ... quelles gra ces ils ont ! ... (26) Ah ! c'eſt de Fan chette qu'ils la tiennent. - C'eſt ainſi que Luſſanville pafla trois jours & autant de nuits. De ſon côté la belle Florangis ne s'occupait que de ce tendre Amant. Néné venait en paſſant de lui remettre ce court Billet : S Ivine Fanchette , votre époux vole à vos pieds le 15 il verra tout ce qu'il aime. DE LUSSANVILLE. (& c'était ce jour- là même , ) lorſqu'un homme chargé d'une Lettre pour Fan chette , la donne à la Marchande : celle ci la remet à la jeune Florangis , qui 36 LE PIED 1 ne put cacher ſa joie , en reconnaiſſant la main de Lullanville. Il l'inſtruiſait qu'il venait d'arriver, mais qu'une in diſpoſition ſubite l'empêchait de voler auprès d'elle. Il la conjurait de vou loir bien lui rendre une viſite avec ſa Bonne. L'aimable fille émue , trou blée , croit la maladie de ſon Amant plus ſérieuſe qu'il ne le dit , & fes lar. mes coulent. L'embarras était de faire avertir la Bonne , qui venait de retour ner chez M. Aparéon. L'aimable Aga the s'offrit de lui rendre adroitement ce ſervice. La jeune fille part ; & dans un inſtant elle revient avec la Gouver nante , qui fut de l'avis de Fanchette , de ne pas différer un moment de fe rendre auprès de Lullanville. Floran gis était parée comme le jour de la cruelle cataſtrophe de Dolfans; Aga the & la Bonne avaient eu la précau tion d'amener une voiture : elles ymon tent ; la jeune amie de Fanchette fen tait une envie démeſurée de les accom pagner ; mais elle n'ofa leur en faire la / DE FANGH ETT E. 37 1 E propoſition : elle ne les vit s'éloigner qu'avec une douleur ſecrete. Elles avaient à peine traverſé deux rues , qu'un embarras les arrêta ; les Cochers jurent , deſcendent, & ſe bat tent : au milieu d'un vacarme propre à rendre les gens ſourds , un inconnu ouvre la portiere de la voiture où Fan chette était avec ſa Bonne , l'en arra che , malgré les cris qu'elles pouſſaient toutes deux , s'élance avec elle vers un équipage leſte , dans lequel un jeune hommeles attendait , l’y place, & dans un clin d'oeil le vacarme celle , l'em barras ſe diſſipe, l'homme & ' le car roſſe diſparaiſſent. Cet indigne raviſſeur était le Mar quis de C **. Fanchette déſeſpérée , veut ſe jeteer hors de la voiture , au riſque d'être briſée ſous les roues. Le Marquis, la retenait , & tâchait de l'a doucir par les plus rendres diſcours: mais tout aigriſſait la douleur d'une Amante fidelle & paſſionnée , qu'il ar rache au plaiſir de revoir celui qu'elle ) 38 IE PIED adore. Bientôt on gagne la campagne , & Fanchette ſe trouve dans la folitu de , à la merci d'un homme aſſez peu délicat pour employer l'enlévement. Pour augmenter la terreur , on arrive devant une maiſon jolie , vaſte , iſolée , & l'on arrête : on épuiſa vainement les raiſons & les prieres , pour engager Fanchette à deſcendre ; il fallut encore employer la violence : en ſe débattant , une des mules de la belle Florangis forcit de ſon pied , & perſonne ne s'en apperçut. On la porte dans l'apparte mene le plus reculé de la maiſon . Là , fon éronnement fut extrême, en apper cevant ce même portrait dont elle avait fait préſent à ſon Amant ; la Lettre qu'elle lui avait écrite , & l'autre don qu'elle avait voulu qu'il tînt de la main. Dans ce premier moment de ſurpriſe , elle crut qu'elle allait le voir lui-mê me , & cet eſpoir eut quelque choſe de flatteur ; mais elle ne le garda guere. Le Marquis reparur : il s'approche d'un air ſoumis, & lui préſentant un DE FAN CHETI E. 39 papier , il la prie de le lire. Un coup de foudre eût été moins ſenſible pour Fanchette que ce funeſte écrir. Son Amant la cédait au Marquis , & lui promettait de la tromper par un Billet de ſa main , pour l'engager à ſortir , & faciliter l'enlevement : il ajoutait, que pour preuve d'une parfaite indiffé rence , il lui remettait les préſents qu'il tenait d'elle. Il lui parlait enſuite des plaiſirs qu'il goûtait avec une autre mai treje, & finiſſait par l'exhorter à ne pas foupirer trop long-temps. Les larmes de la tendre Florangis inonderent ſes bel les joues : - Le cruel! dit- elle en fan glotant, m'ôte fon cæur , & du même coup , il veut m'arracher l'innocence !... Eh voilà donc les hommes ! Le ſeul que j'ai cru pouvoir aimer , devient le plus criminel! ... O malheureux Dol fans! tu fus moins coupable....- Une fi rude atteinte était au - deſſus de les forces ; ſa tête ſe pencha ſur ſon ſein ; fes beaux yeux s'éteignirent; la pâleur décolora les joues de roſe ...... Ec 40 LE P 1 E D dans cet état , elle était belle encore.

On s'empreſſe autour de la belle

Florangis; les cruels qui cauſaient ſa douleur, ne purent lui refuſer des lar mes. On s'apperçut, en la ſecourant qu'il lui manquait une de ſes mules. Le Marquis la fit chercher , mais inu tilement. Fanchette rouvre enfin ces yeux , dont les regards touchants euf ſent attendri les plus féroces de tous les homines ; mais dès qu'elle a reconnu ſes ravifleurs , elle les referme triſte ment , &demande au Ciel que ce ſoit pour toujours. Quel monſtre qu'un homme qui s'a bandonne à des paſſions effrénées ! O ſévérité ſainte de nos Loix ! fans vous · l'Univers ne ſerait qu'un coupe- gorge. L'infame de C *** craint que la mort ne lui raviſle ſa victime. Il ordonne qu'on la mette au lit : des femmes ſe préſentent pour déshabiller Fanchette. Ne l'eſpérez pas , leur dit l'aima ble fille , tant qu'il me reſtera quelque force pour me défendre. nonçant En pro DE FAN CHET TË. 41 Te. elle es ces ul ces zu e nonçant ces mots , elle apperçoit, un cabinet , dont la porte était entr'ou verte : ſans qu'on prévît fon deſſein , elle s'y jetre , & parvient à s'y renfer mer. De C *** ordonne qu'on briſe cette porte : ſes ordres ne peuvent être exé cutés ſur le champ ; mais enfin ce der nier refuge eft enlevé à la malheureuſe Fanchetre. Sans avoir égard aux prie res qu'elle lui fait d'une voix éteinte ; ſans être couché de ſes larmes , qu'il brave par un ſourire .... oh ! que de vices dévoila ce cruel ſourire ! ... le Marquis emporte la jeune Florangis dans ſon appartement , & tous les gens fe recirent. S II. 'Parties LE PIED CHAPITRE XXVIII. Nouveau déseſpoir.. Anchette ne fut pas long-temps ſeule avec le Marquis. Le barbare.ſe diſpoſait à ſatisfaire ſa brutale paffion , lorſqu'un bruit épouvantable fe fit en tendre dans la cour , dont on venait d'enfoncer les portes. Des Gardes fai fiſſent les Domeſtiques du Marquis ; il accourt ; on l'arrête lui - même : la vieille Gouvernante paraît ; elle nomme fa pu. pille ; la demande à grands cris ; s'é lance de la voiture ; parcourt les ap partements. Et Fanchette , qui ne fait pas la cauſe du tumulte qu'elle entend , tâche de rappeller ſes forces , & de profiter de la liberté qu'on lui laiſſe , pour fuir , & ſe dérober à ſes raviſſeurs.. Elle fort heureuſement, & quoiqu'il Mulle une nuit obſcure,prepd au hazard D E F ÄN CHEI I E. 43 pas fait 1. 201 -11 -11 la route de Paris. Elle n'avait cent pas , qu'elle apperçoit de loin deux hommes , qui quittent leurs chevaux : ils les remettent à un troiſieme qui les éclairait , & s'avancent à pied vers la maiſon , afin de ne pas être enrendus.. Tout effrayait Fancherte' , elle veut le détourner , pour n'être point remar quée ; mais elle marchait difficilementi ſes pieds délicats étaient fans chauſſu re , & les deux hommes l'avaient en trevue . Quelle fut leur ſurpriſe & leur joie , en l'approchant , de reconnaître la belle Florangis , qui, de ſon côté , remectant Sarinbourg & ſon camarade les conjure de la ſauver ! Satinbourg était aux genoux de la ſouveraine de fon cour. Adorable Fanchette , lui diſait- il avec attendriſlement , vous, que tout l'Univers devrait reſpecter', adorer !! eſt- ce vous qu'on réduit à fuir !... Quoi!! mon bonheur permet que je vous fer ve ! - Sans perdre de temps les deux jeunes garçons font un brancard de leurs mains qu'ils joignent , & plus 16 le 1 Dij 44 L E P I E D gers que les vents ſous ce fardeau pré cieux, ils regagnent leurs chevaux ; Sa tinbourg prend Fanchette ſur le ſien , & la tient dans ſes bras ; les deux amis regagnent Paris, & remettent la jeune fille chez la Marchande. Là, Satinbourg apprit à Fanchette qu'un Biller de la Bonne venait de l'inf truire de ſon malheur , en indiquant la maiſon devant laquelle une de ſes mu les avait été trouvée. – J'ai volé , con tinua -t-il , dans la réſolution de périr ou de vous fauver. Damaſville , aufli touché que je l'étais , a voulu m’ac compagner ; & par un bonheur dont nous n'euflions ofé nous flatter , nous vous avons rencontrée. Fanchette avait beſoin de repos : Satinbourg & Damaſville , contents de la voir en ſu reté , prirent congé d'elle. -Ma chere Florangis , dit la Mar chande , dès qu'ils furent fortis , quel nouveau malheur ! fans M. de Luſſan ville , qui vient d'arriver , & qui, par liazard , a trouvé votre mule à la porte DE FAN CHETTE. 45 JS ce de l'infame retraite de vos raviſſeurs , jamais peut- être nous ne vous aurions revue. N'achevez pas de me percer le cour, Madame, reprit Fanchette ! ah ! voilà ce qui met le comble à mon in fortune ! Lullanville l'a cauſée !... Pour quoi l'ai-je connu ! ... Il n'eſt donc point de marques pour diſtinguer les perfides ! ... Qui l'eût penſé ! ... il pa raiffait fi ſincere, fi tendre ! ... - En même-temps , d'une voix entrecoupée de ſanglots, elle raconte à la Marchande ce qu'elle vient de voir.... Fanchette , pénétrée de douleur , accablée de la perfidie d'un ingrat, fit couler les lar mes de fa Maîtreſſe ſur ſon déplorable ſort. Luſſanville ! vous m'avez tra hie , diſait -elle , inhumainement livrée , vous que j'aimais ! ... Ah ! j'étais trop faible pour vous ! une fille ne doit ja mais abandonner entiérement ſon coeur qu'à ſon époux. ... C'était une faute , & le Ciel l'a punie ! O comble d'anéan çiſſement. & de douleur ! Je croyais , il y a quelques jours , avoir épuiſé les 46 LE P I E D coups du fort.... & je perds aujour d'hui aurant que l'honneur & plus que la vie ; je ceffe d'eſtimer ce que j'aime ; celui dont je croyais être bientôt l'é pouſe. Et la jeune Agathe arrive : elle ſe précipite vers ſon amie ; la preſſe dans ſes bras ; la couvre d'un million de baiſers ; & lui dit : --Ma Fanchet te , tout ce que j'aime au monde , après maman , c'eſt vous ! ... vous , ma char mante amie ! ... ah ! c'eſt vous! ... j'ai penſé mourir de douleur.... Si je vous euſſe accompagnée , j'aurais poignardé ces infames !... Si vous aviez vu les tranſports de M. Luſſanville !... Mais d'où vient ne le vois- je pas ? ... Quel bonheur ! qu'il vous ait arrachée des mains de ces ſcélérats ! - L'infortu née Florangis ſoupirait :cependant ces témoignages ſinceres de l'amitié la plus tèndre, foulageaient ſon amere douleur. La Marchande & ſa fille meccaient Fanchette au lit : des voitures s'arrê tent devant la boutique : la Gouver nante éplorée, M. Apateon & le Comte: DE FAN CHET T E. 47 Ir di d'A ** en fortent. Heureuſement la Marchande eut la prudence de dire tout bas à Néné : Nous avons Fanchet te . - La Bonne retint à peine un cri de joie , &fic ſigne de garder le ſecret. Aparéon déclamait beaucoup contre les moeurs dépravées du fiecle , s'informait de la Marchande comment Fanchette avait vécu chez elle ; demandait qui l'y avait placée ? Celle- ci lui répondait : Honnêtement, Monſieur , & com me la fille la plus aimable , la plus mo defte & la plus fage : C'eſt d'une Da me âgée que je la tiens.— Et M. Apa téon s'écriait : - Quel dommage ! ... Où la trouver à préſent ? & dans quel état ſera -t- elle ? - En prononçant cesmots , il s'en allait. Le Comte d'A ** , les yeux fixés contre terre , diſait tour haut , pour qu'on l'entendit : - Le traître de C *** ! il faut avoir bien peu de mérite , pour recourir à de tels moyens ! Que ſera- t- elle devenue ? Il n'eſt pas un coin dans la maiſon du Marquis , que je n'aie tenu : je vais avec mes 1 5 48 L E P I E D gens , paſſer la nuit à la chercher. Lorſqu'on fut débarraſſé d'Aparéon . & du Comte , Néné vole auprès de la chere Florangis. Elle ne fut d'abord ſenſible qu'à la joie de la revoir. Mais bientôt le malheur de Luſſanville , & l'impreſſion qu'il allait faire ſur Fan chette , s'offrità ſon eſprit. Les ſanglots l'étoufferent. - Ah ! ma Bonne , lui dit l'aimable fille , l'euſſiez- vous penſé , qu'il était un monſtre, plus dangereux pour moi que les Aparéons, lesFinan ciers , Dolfans, & le cruel Marquis lui-même ? Qui .... que voulez vous me dire , ma chere enfant ? -Hé las ! celui que j'aimais uniquement , & que j'aimeencore peut- être....- Ah ! qu'il en était digne !... -- Lui ! ... - Pau vre Fanchette !... - Ma bonne ! ... - IL n'eſt plus. Il n'eſt plus ! ... — Il a péri pour vous fauver. — Lui, qui me livrait ! ... - Ah ! malheureuſe Aman te ! on nous avait trompées ! le Billet n'était point de lui : un fauſſaire avait imité fon écriture : l'indigne Marquis viena DE FAN CHETI Z. 49 ܕ vient de l'avouer lui- même , en remet tant à M. Apatéon les préſents qu'il avait eu l'adreſſe de faire voler à votre Amant. Lullanville eſt mort , en vou lant vous venger tous deux. Fan chette n'entendait plus la fin de ce ter rible éclairciſſement : éperdue , anéan tie , ſon ame l'abandonnait. Eh ! pourquoi lui dire à préſent tout cela , s'écriait la jeune Agathe en pleurant ! voulez- vous donc la faire mourir ? ' L'évanouiſſement de la tendre Floran gis dura long- temps : ce ne fut qu'avec beaucoup de peine, & par des ſoins multipliés , qu'on put la rappeller à la vie. Cher Amant, s'écria -t- elle , en reprenant ſes eſprits ! que je ſuis cou pable! Ah , Luflanville ! mon Amant , mon Epoux , toi , qui regnes ſur mon cour , je t'outrageais; j'avais l'injuſtice de croire tes ennemis , & de t'accuſer ! Il ne me reſte plus qu'à mourir. — Fon dantes en larmes , la vieille Gouver nante & la ſenſible Agathe la conju . II. Parcie, E 50 L E P I E D raient de modérer fa douleur. Aie pitié de ma vieilleſle , ma chere fille , lui diſait Néné; n'empoifonne pas mes derniers jours. CHAPITRE XXIX. Il y a du remede à tout. UNrecir , quelque triſte qu'il ſoit par lui- même , ſuſpend toujours un peu le ſentiment de ſes maux dans celui qui l'écoute , & dans celui qui le fait. Néné ſans doute ignorait cette maxime: ce pendant elle agit comme ſi elle l'avait connue. (27 ) Fanchette fanglorait , &gardait le ſilence : Agache la careſſait ; & la Bonne commença deraconter ce qui s'était paſſé. - Luffanville accourait à Paris , ma chere fille ; il n'en était plus qu'à quatre lieues : le Marquis depuis la propoſicion qu'il fit à votre Maîtrelle , DE FAN CHET T E. 51 le JAS de concert avec le Comte d'A ** , épiait toutes nos démarches ; il découvrit que M. de Lullanville était aimé : il entre tenait à la ſuite de votre Amant un hom me qui ſuivait ſes démarches , & ce malheureux l'inſtruiſait de tout , de ma niere que le Marquis n'ignorait pasmê me l'heure à laquelle M. de Luſſanville devait arriver à Paris. Il fut l'attendre dans une Terre , à quatre lieues ; & lorſ qu'on l'avertit qu'il paſſait , il le fit envi ronner par ſes gens déguiſés, qui lui vo lerent les préſents qu'il tenait de vous , & juſqu'à vos Lettres : il leur était or donné de remettre le tour dans la mai ſon du Marquis , où l'on vous a con duite , & de retarder Luffanville durant quelques heures. Ce ſcélérat profitait de l'intervalle pour ſe rendre à Paris , nous attirer hors de chez votre Mai treſle par un faux Billet , & s'emparer de la proie. Il n'a réuſſi que trop faci lement, hélas ! Vous étiez entre les mains du per fide Marquis, & le temps fixé pour laiſ 1 Eij 52 LE P I E D ſer échapper Luſſanville était écoulé. Il fit tant de diligence lorſqu'il ſe vit libre , que peu s'en fallut qu'il ne ſe rencontrât avec vos raviſſeurs à la porte de la maiſon de campagne. Il avait ap perçu de loin beaucoup de monde en ce lieu ; un mouvement de curioſité fic qu'en paſſant il jetta les yeux ſur cet édifice élégamment bâti : il découvre à terre quelque choſe qui brillait ; c'é tait la broderie de la mule que vous aviez perdue. Luſſanville la fait ramal fer ; il la reconnaît , ne fait que penſer ; mais il vole toujours vers Paris . En arrivant, fans deſcendre de ſa chaiſe , il ordonne qu'on le conduiſe ici . Il m'y trouve noyée dans mes larmes , & tra çant d'une main tremblante un Biller pour M. Satinbourg : Je l'inſtruis en deux mots : il eſt hors de lui ; m'ap prend à la hâte ce que je viens de vous raconter ; & cet indice qu'il avait en tre les mains devient une certitude , dès que je l'aſſure que vous étiez for sie avec ce préſent qu'il vous a fait, Il DE FANCHETTE. 53 me promet de mereprendre , va cher cher main - forte , revient , & lorſque nous montions en voiture , j'apperçois M. Apatéon. Je n'étais plus àmoi-mê me : Suivez- nous , Monſieur , lui criai je , on vient d'enlever Fanchette ! Nous allons à toutes brides ; & le Comte d'A** , qui , par hazard , m'avait en tendue , nous ſuivait auſſi. Nous arrivons : l'on frappe vaine ment : l'on enfonce les portes : je m'é lance la premiere dans la maiſon : je vous y cherche fans ſuccès , & je m'ar rache les cheveux : M. de Luſſanville , l'hypocrite Aparéon , le Comte , tous paraiſſent deſirer également de vous re trouver. Inutile empreſſement! LeMar quis lui-même eſt ſurpris : il ſe figura pouvoir nier qu'il vous eûtvue : on l'au rait peut- être cru ; mais Luflanville trouva votre autre mule , en préſence de tout le monde , dans l'appartement du Marquis. Il devient furieux : - C'eſt fait de ta vie , s'écrie - t- il , en s'élançant ſur de C ** , fi tu ne rends celle que E iij 54 LE PIED tu as indignement ravie , & que tu nous caches encore. Le Marquis le re garde avec un ſouris amer. Il convient de ſon forfait , brave Luſſanville , en faiſant à M. Apatéon l'aveu de ſes four beries, & dit à demi- bas à votre Amant: Viens me la diſputer , cette fille ſi belle. — Apacéon ſeul entendit ce mot fatal, & n'en prévint pas l'effet ! Tous deux s'éloignent , & dans le moment , le Comte d’A ** s'écrie qu'il vient de voir Luflanville tomber. Nous accou rons tous : ſon fang .... ah ! ma chere fille ! j'en friſſonne encore ... ſon ſang rougiſſait la terre ; mais les gens du Marquis, (apparemment pour dérober la preuve du crime de leur maître , ) les ont fait diſparaître tous deux ; nous n'avons pu retrouver ni Luſſanville ni fon ennemi. Je me déſeſpere , je cours, je reviens : je trouve M. Apatéon & le Comite dansl'appartement du Marquis, tranquillement occupés à lire les Bil lets qu'on avait volés à Luſſanville. Le vieux cartufe reprenait votre portrait & ' DE FANCH ETT E. 55 ES le : 1 les autres gages que votre Amant te naic de vous. Il conſidérait votre mu Ah , la petite coquette ! diſait - il au Comte d'A ** : voyez comme elle connaît tous ſes avantages ! elle ne trouve rien de trop galant, pour orner ce qu'elle a de plus ſéduiſant & de plus mignon ! - Il eſt bien queſtion , Mon fieur, de ces plates remarques, dans ce ſéjour d'horreur , ai - je dit avec in dignation ! La pauvre enfant n'eſtpeut être plus ! ... Le compoſé Vieillard a rougi , & nous vous avons cherchée de nouveau tous deux. Enfin rebutés , ac cablés de laſſitude, nous avons donné des Gardes aux gens du Marquis , & nous ſommes revenus , en nous pro inettant de retourner le lendemain . Ma Fanchette , quelle joie pure j'euſſe reſſentie, lorſque je vous ai re trouvée dans cette maiſon , fi Luffan . ville .... Hélas ! chere Fancherce , vous êtes tout pour moi ; & je vous retrou. ve.... Au fond de mon cour, j'éprouve une ſatisfaction .... Ma fille ! ſi eu le E iv 56 LE PIED voulais, je pourrais la goûter quelques moments.... Modere ces larmes , mon adorable fille , & daigne vivre pour celle qui t'a ſervi de mere.... Ma chere pouponne , quelle main bienfaiſante t'a ramenée dans cet aſyle ? — Satin bourg & Damaſville , ma Bonne.- Sa tinbourg !... ah ! raconte- moi , chere fanfan , comment ..... par quel bon heur.... — L'aimable Florangis fit à ſa Bonne le récit de tout ce qui s'é tait paſſé , & la vieille Néné bénit cent fois le Ciel , qui fauve l'innocence. - Ce pauvre Satinbourg , s'écriait- el le ! ah , Fanchette ! ...mais je ne vous dis rien encore .... ma chere Fanchet te , le Ciel ne vous deſtinait pas à Luf fanville .... Allons .... mafille , il faut ſe ſoumettre. Combien en eſt - il de plus malheureuſes que vous ! on dit bien vrai , qu'il y a du rėmede à tout , hors à la mort.... Ah ! ma Bonne , laiſ ſez -moi pleurer , gémir , ... j'ai tout perdu ! Oui , ma chere fille ; affli geons - nous toutes deux : jamais l'on n'en eu de ſujet plus légitime. DE FANCHETT E. 57 O HAPITRE Ce qui conſole les Amants affligés. St Penfez-vous , Madame , dit la jeune Agathe à la bonne Néné ? au- lieu de la conſoler , après l'avoir déſeſpé rée , vous lui montrez toute votre dou leur! n'a - t- elle pas aſſez de la ſienne ? - Hélas ! ma chere Agathe, elle n'eſt que trop vive ; & je la partage pour la modérer. – Ah ! plût à Dieu que je puſe la diminuer par- là ; bientôt ma tendre amie n'en éprouverait plus ! Et le jour les retrouva toutes trois gé millantes & déſolées. Satinbourg , inquiet du fort de la belle Maîtreſſe , était dès le matin dans la boutique de la Marchande ; mais il n'oſait ſe préſenter à la porte de Fan chette : M. Apatéon & le Comte d'A ** retournaient à la maiſon du Marquis 58 LE PIED de C ** ; & la Gouvernante ſortait pour ſe rendre chez elle. Elle fut charmée de trouver le jeune garçon Marchand ; c'était ſur lui qu'elle fondait ſes eſpé rances & la conſolation de Fanchette , depuis la perte de Luſſanville. Elle le conduiſit elle- même auprès de la belle Florangis. Le ſenſible jeune homme fut effrayé de l'état dans lequel il la trouva . Il fit connaître toute la bonté de ſon cæur , en donnant des larmes ſinceres au ſort funeſte de ſon rival , dont Néné l'inftruifit. -- Divine Fan chette , diſait-il, j'approuve vos regrets , quoiqu'ils me déchirent le cæur :non , je vous en conjure, ne voyez plus en moi l'Amant le plus tendre , & necrai gnez pas que je vous montre un amour indiſcret : vous perdez le ſeul homme qui fur digne de vous , je ne crois pas mériter de le remplacer jamais : je n'y prétends plus; mais fouffrez que je vous laiſle voir d'autres ſentiments non moins finceres & non moins vifs : c'eſt au titre glorieux de votre ami que je DE FAN CHETTE. 59 31 1 prétends : belle Florangis , c'eſt un homme qui ne veut obtenir de vous que votre eſtime, qui vous conjure de vivre, fût-ce pour un autre. Je vous l'ai dit , Mademoiſelle , vous avez un frere dans Satinbourg : il ne vous offre pas la moitié de la fortune , que vous refu ſeriez , mais quelque choſe de plus pré cieux : c'eſt un parfait dévouement ; un reſpect qui ne ſe démentira jamais ; un attachement qu'il aura ſoin de ne pas rendre incommode , & tous les ſen timents que vous méritez.- La Gou vernante attendrie , ſe jette fans façon au colde Satinbourg , & l'embraſſe de tout ſon coeur. Fanchette , toute acca blée , toute anéantie , ſentit au fond de ſon ame un mouvement de reconnaiſſan ce , & laiſſa voir dans ſes yeux au jeune homme , qu'elle était touchée de la gé néroſité . C'en était beaucoup pour une pre miere vue , & dans un moment ſi cruel. La Gouvernante & Sarinbourg le ſen tirent : ils quitterent l'aimable Floran 60 LE PIED gis , l'une en concevant quelques idées de conſolacion , & l'autre un rayon d'ef pérance. Mon cher fils , diſait la Bonne à Satinbourg , en s'en retournant , je n'ef pere qu'en vous ; ſi vous parvenez à l'attendrir , ma fille eft fauvée .... & vous la méritez bien : honnête , tendre , fidele , généreux , vous venez de mon trer desſentiments qui ne peuventman quer leur effet ſur une amecommecelle de Fanchette. Je deſire à préſent au tant que vous de la voir votre épouſe : que vous ſerez heureux enſemble ! .... Vous voyez comme elle eſt ſage .... comme elle fait aimer ! ... Ah , mon cher fils ! Luffanville hier perdit un bien ..... plus précieux que la vie. Croyez- vous qu'un jour mon amour la couchera , répondait le jeune hom me ? Si j'ofais le croire !... Oui , Mada me , je vous le jure, ſi je ne puis obte nir ſa main , mon parci eſt pris , je re nonce à tout engagement , & je ne vi vrai jamais pour une autre que pour DE FAN C H E TTE. 61 elle.... Quel bonheur pourtant ce ſe rait de paſſer auprès de l'adorable Flo rangis tous les moments du jour ! de la voir ſourire à d'innocentes carefles !... Hier j'apperçus un voiſin , qui depuis deux ans eſt l'heureux poſſeſſeur d'une jeune Beauté , qu'il n'a obtenue qu'en ſurmontant mille obſtacles : ils étaient ſeuls; ils ſe parlaient , & ſe diſaient ap paremment les choſes les plus tendres: la jeune épouſe était aſſiſe , ſon mari de bout : il ſe panche vers elle , & lui ra vit un baiſer ; elle le regardait en fou riant , d'un air !... ah , Madame ! eſt- il des termes qui puiſſent rendre cet air enchanteur ! Son époux revient ; il rend hommage à mille appas ; ſucceſſive ment ſes levres brûlantes parcourent un front, des yeux... Elle était palpicante de plaiſir : fa- bouche demi-cloſe ſem blait attendre avec impatience celle de ſon bien- aimé , qui vint enfin s'y coller : elle le ceignit alors de ſes beaux bras.... Cet écat heureux a fait mille fois tref. faillir mon coeur, Belle Florangis ! me 62 PIED ſuis -je dit à moi-même! ah , ſi j'étais à vous ! ... plus tendre encore , s'il eſt poſſible; plus.... Vous ſeriez pourmoi plus qu'une épouſe & qu’une Amante , vous ſeriez la divinité même. Je m'é gare , Madame ; mais l'expreſſion me manque , ſitôt que je veux peindre com me je chérirais , comme j'adorerais la belle Fanchette. -Et la Gouvernante ſe trouve chez M. Apatéon. Elle ap prend que le dévot perſonnage, après avoir entendu la Meſſe , amplement dé jeûné, venait de ſortir avec le Comte d'A**. Néné veut profiter de l'occa . ' fion ; elle cherche dans l'appartement du Vieillard , trouve le portrait de Fan checte, la jolie chauffure , ſes Lettres, & s'empare du tout : ne conſultant que ſon coeur, elle veut donner à Satinbourg les préſents qui furent entre les mains de Lullanville ; mais le délicat jeune homme la pria de les rendre d'abordà Mlle. Florangis. Que je poſlede ces tréſors de ſon aveu , lui dit- il , &je fuis heureux. La Bonne convint DE FAN CHEI I E. 63 et oi qu'il avait raiſon , & Satinbourg la quitra. La Gouvernante mit à la hâte ordre aux affaires de la maiſon : tous ſes de ſirs la rappellaient auprès de Fanchet te : cette fille charmante en étaie ché rie avec la même paſſion que le furent autrefois les Amants. Il eſt bon de re marquer en paſſant, que c'eſt un tré for qu'un cour trop tendre pour celui qui l'a trouvé , & ſouvent un fardeau pour celui qui l'a : ſi l'on ignore l'art d'en contraindre quelquefois les doux épanchements , l'amour en abuſe , & l'amitié même s'endort. L'envie de fer vir Satinbourg auprès de Fanchette , était encore un motif qui preſſait Néné. Lullanville n'était plus ; la Bonne en était bien fâchée : mais enfin la douleur n'était pas comme celle de la jeune Flo rangis ; elle deſirait ardemment de le voir remplacé , & demarieravantageu ſement la pupille. En arrivant auprès d'elle , elle lui remit ce qu'elle avait repris à M. Aparéon , & débuta par le 64 LE P I E D récit de ce que le jeune Garçon Mar chand venait de lui dire. Fanchette l'é. coucair ; mais la plaie faignait encore : de ſitôt cette Amante déſolée ne pou vait ſonger à former de nouvelles chaî nes. Cependant, ſans qu'elle s'en dou tât , les larmes qu'elle répandait en abondance devenaient moins ameres , à meſure qu'on l'aſſurait qu'il ſe trou vait une main toute prête à les eſſuyer. - Lullanville ! mon cher Luffanville ! diſait- elle , je vous ai donc perdu ! Non , cher Amant , qu'on ne me parle plus d'amour, de mariage ; je n'aimai jamais que toi ; je te ſerai fidelle , même au delà du tombeau. - Et fes larmes re commençaient. Et cet état avait une douceur ſombre , cachée.... Qui la mêlait donc à de ſi ſinceres regrets ? Mon cher Lecteur , c'était l'amour du jeune Satinbourg : cet amour tendre & généreux , qui diſait à Fanchette qu'elle était adorée d'une maniere di gne d'elle ; & qui la frappait auſſi vi vement peut-être qu'elle reſſentait la perte DE FANCHETT E. 65 perte de ſon Amant. Sans connaître tout cela , la Gouvernante diſait comme fa chere fille : car cetre bonne ame ne contredit jamais perſonne. CHAPITRE XXXI. Qui ſurprendra . j Onſieur Aparéon & le Comre d'A **arrivaient à la maiſon du Mare quis de C **. Ils en trouvent les portes ouvertes , les meubles enlevés , & les poſtes abandonnés par les Gardes : un ſpectacle auſſi peu attendu rendit im mobile le dévor Apatéon : le Comte tâche de ne paraître pas moins ſurpris : ils viſitent, cherchent, examinenc: roue a diſparu ; on a ſaccagé juſqu'aux fleurs qui décoraient le jardin . Il ne leur reſte à prendre d'autre parti que de s'en re tourner , pour demander aux Gardes compte de leur conduite , & les faire II. Partie F 66 LE PIED punir , s'ils étaient coupables ; mais on leur montra ces malheureux , briſés de coups & demi-morts. Apatéon ſe ren dit enſuite chez la Comteffe de C **. La mere du Marquis , coquette autre fois , s'efforce aujourd'hui de réparer , par une dévotion haurement affichée , une conduite plus que libre ; mais ſa piété toute extérieure reſſemble à celle d'Aparéon ; au- lieu d'édifier, elle donne un ſcandale nouveau. Aparéon fur d'a bord très- mal reçu de Madame de C ** : lorſqu'il parla depetite maiſon , de fille enlevée , à peine l'écoutait- on : on ſe contenta de lui répondre qu'on ne ſa vait ce qu'il voulait dire ; mais à peine eut- il décliné ſon nom , ce nom fameux dans l'hypocrite fequelle des dévots , ce fur autre choſe : la vieille coquette joue la ſurpriſe , lorgne du coin de l'ail l'air vigoureux & prédeſtiné de frere Apa téon , promet de lui donner ſatisfaction du Marquis , le prie de la ſuivre dans le voluptueux boudoir qui lui ſert d'O gatoire.... Cetce bonne fortune p'était DE FAN CH ETTE. 67 aisc EN ( d fil pas de celles après leſquelles courait Aparéon ; mais il fallur ſe réſigner..co Le ſoir , le pauvre homme très-fatigué , retourna chez lui , avec moins d'eſpea rances que jamais de découvrir fa jolie pupille .Etde ſon côté , le Comte d'A **, plus inquiet qu'on ne penſe , cherchaic de nouveaux éclairciſſements . Durantpluſieurs jours toutes les pei nes qu'il ſe donna furent inutiles. Mais en attendant qu'il ſoit inſtruir du fort de Fanchette , & qu'il nous laiſſe pé nétrer ſes deſſeins, diſons que cette ai mable fille recouvre inſenſiblement fesi forces , & néanmoins ne s'entretenait avec la jeune Agathe que de ſon cher Luſſanville. Un jour la Gouvernante entre auprès d'elle d'un air effrayé. Ma chere fille ! lui dit- elle, nous ſommes perdues : M. Apatéon , qui, ſans doute , aura lu la Lettre que j'é crivais à Luſanville , ne m'en avaitrien ! témoigné ; mais il vient de découvrir qu'on lui à repris votre portrait , & le reſte ; il eſt - furieux :- & pour comble IN eur 67 7 Fij 68 LE PI E D . de malheur , il eſt inftruit , je ne fais comment , que vous êtes dans Paris : point de milieu ; ou retomber entre ſes mains , ou bien épouſer l'aimable Satin bourg. Il feint de ne me pas ſoupçon ner : il m'a confié qu'il allait tout em ployer pour vous ravoir en la puiſſan ce ; & s'il ne peut en venir à bout , il doit .... Machere fille , ce mot mefait frémir ... vous faire regarder comme une fugitive ', une... Le ſcélérat ! ... je dévoilerais fa conduite , s'il ofait le faire ; mais il n'a parlé de la ſorte que pourm'épouvanter.... Chere Fanchet te , déterminez- vous ; donnez la main à Satinbourg : il vient d'inſtruire fa mere , de la gagner ; elle conſent à tout. Je leur ai montré l'écrit dont vo tre pere me fit dépoſitaire dans ſa der niere maladie : la boîte qui le renfer me, faire de la forme & de la petiteſſe du foulier de votre mere , lorſqu'elle avait votre âge , a frappé Madame Sa rinbourg ; elle l'a reconnue : dans leur jeunelle , la plus tendre amitié les unif DE FANCHETTE. 69 fait , elle était de tous ſes ſecrets : Elle nous a raconté comment votre pere ayant vu ce joli ſoulier chez celui qui le faiſait , demanda le nom de la jeune perſonne qui devait le porter : il l'ap prit , vir la belle Fanchette Roſin , brûla pour elle , & réſolu de tout faire pour obtenir ſa main . Ce fut lui , qui pour conſerver toujours l'image de ce fou lier délicat , qui fut l'occaſion de ſon amour , fit faire cette boîte parfaite ment ſemblable. Voilà comme l'a vait Mlle. Roſin , a- t- elle ajouté : & ſa fille ?...- Ah ! maman , a vivement in terrompu Satinbourg ,elle eſt plus belle , encore : ſi vous voyiez le fien ! –Ma dame Satinbourg a fouri : elle ne s'eſt plus fait preſſer . Nous avons conſulté ſur la derniere diſpoſition de votre pe re : les conſeils ont dit qu'elle était ſuf fifante pour rendre votre mariage vali de , ſans l'aveu de M. Apatéon. Venez , ma fille , dans les bras de votre époux ... Vous héſitez , Fanchette ! ... Ah ! quels malheurs , mon aimable fille , tu vas 70 LE PIED attirer ſur toi !... Viens , ma chere fan fan .... Ton Amant m'aurait ſuivie , fi je ne l'en avais empêché ; mais je n'ai pas voulu qu'il fût témoin de ce pre mier moment. Fanchette troublée , émue , indéciſe , donnait des larmes à Luffanville , & tâchait de ſe détermi ner pour Satinbourg. Elle avait ces mules , préſent de ſon premier Amant; la jeune fille trouvait à s'en parer une inexprimable volupté. Elle ſe leve ; peut - être allait - elle accompagner ſa Bonne : ſes yeux ſe fixent ſur ce don de Lullanville ; fon coeur ſe ferre : elle friſſonne. Eh ! c'eſt donc pour un autre , cher Amant , s'écrie- t-elle , que tu voulus m'embellir ! ... Non , non , ma Bonne.... --Ma fille , tu veux donc m'accabler? Qu'il eſpere , s'il le faut , mais il n'eſt pas temps encore de me donner. Tource que la Gouvernante put ajou ter ne fit point changer de réſolution à la belle Florangis. Le temps ſe con ſumait : Satinbourg inquiet de ne pas DE FANCHETTE. 71 les voir arriver , craint quelqu'accident; il ſe rend chez ſa Maîtrefle ; il trouve la Gouvernante à ſes pieds , qui la con jurait de ſe laiſſer perſuader. La jeune fille embraſſait ſa Bonne , & la priait à fon tour de lui donner quelques jours encore pour ſe déterminer. Touc ce que Mademoiſelle voudra , dit Sa tinbourg : pourquoi la mortifier en la preſſant trop ? Adorable Florangis, con tinua-t-il, puis -je du moins concevoir quelqu'eſpérance ? -- Fanchette le re garda d'un ceil ſerein. Eh bien ! pour toute réponſe , ajouta -t- il , j'oſe demander une faveur : ce précieux por trait que votre Bonne vous a rendu.... Fanchette baiſſa les yeux en rougiſſant. Je ne veux plus rien , s'écria Satin bourg : mon adorable Maîtreſſe , je m'en remets à vous pour mon bonheur: vous diſpoſerez de mon ſort ; il ne fau rait être en de meilleures mains. -Je rougis, Monſieur , répondit l'aimable fille , de faire ſi peu pour mériter les ſentiments que vous me montrez ; mais 72 LE PIED j'oſe vous aſſurer , que s'il eſt quelque moyen d'occuper dans mon cour une ſeconde place , après la mémoire de Luff..., de celui que je regardais com me mon époux , c'eſt la route que vous. prenez. Je ſuis trop heureux , re prit le jeune homme. Allons, Mada me , dit- il à la Gouvernante , porter cette réponſe à ma mere ; elle lui fera connaître tout le prix du coeur de Ma demoiſelle : & nous , prenons d'ailleurs toutes les précautions pour la préſerver des malheurs qui la menacent. En ſortant, Satinbourg remarqua que la jeune Agathe avait les yeux humides. Ah , mon amie ! dit cette fille à Fanchette , je ne ſuis pas étonnée que vous aimiez ſi tendrement encore vo tre cher Luffanville : ſi M. Satinbourg m'avait recherchée , que je l'eufle per du , je ne m'en conſolerais jamais. Heu reufe celle dont il ſera l'époux ! — Ma chere Agathe , répondit l'aimable Flo rangis, l'aimerais-tu ? - Non ... car l'on n'aime pas , lorſque l'on eſt fans eſpé DE FANCHETTE. 73 eſpérance. Mais ſi tu pouvais eſ pérer ? - Si je pouvais eſpérer ? ... je préférerais M. Satinbourg à tout l'univers. ( O Ciel ! dit Fanchet te , tu m'offres un moyen de reſter li bre , ſans être ingrate & dure. C'en eſt fait, je ſuis décidée. ) Ecoute- moi , mon Agathe ; par reconnaiſſance envers ce jeune homme, par reſpect & rence pour ma Bonne , j'allais me don ner ; mais il ſera plus heureux avec toi , qu'en épouſant une fille , dont le cæur eſt rempli.... Si j'ai quelque pouvoir ſur Satinbourg.... La Marchande qui monta , interrompir cette conver ſation , qui fut fuivie de ce qu'on verra dans le Chapitre ſuivant. par défé II. Partie. G 74 LE PIED CHAPITRE XXXII. Comme un dévot opprime l'innocence, _Des gens environnent lamai ſon , ma chere Fanchette , dit la Mar chande , & le tartufe Aparéon les con duit. Tâchons , ma fille, de nous dé rober à ce nouveau danger. La jeune Florangis ſe leve ; elle allait ſui vre la Maîtreſſe : Aparéon, eſcorté de quelques Eſtafiers , le préſente. Doucement, lui dit -il, douce ment , ma chere fille .... Mais ne vous effrayez pas. Je bénis le Ciel, qui per met que je vous revoie , & que je prenne encore le ſoin de vous diriger dans un chemin für , loin desembûches des ſé ducteurs , à l'abri des écueils de ce monde corrompu. Je vous remer cie de vos ſoins, Monſieur, reprit Fan cherte d'un con ferme , & je vous dif DE FANCHE TT E. 75 penſe de me prodiguer vos bontés. -Ah ! ah ! ma chere fille , point d'hu meur : vous avez l'expérience que vous n'êtes pas ici ſûrement ; & de petites aventures allez bruyantes pour ſcanda liſer le prochain , me font un devoir de vous en ôter.... Ne m'interrompez pas, je vous prie.... Et commej'ai prévu que l'habitude d'une vie libre dans cette maiſon , vous la rendrait plus agréable que la mienne , où regne une régularité peut- être gênante ; où l'on eſt obligé d'aller aux Offices , de faire de bonnes auvres , de ſe morrifier ; que j'ai jugé que vous pourriez témoigner quelques petites répugnances à vous remettre ſous ma conduire : pour ob vier à tour , & trancher une multitude de difficultés, de débats , de menus dé tails , qu'occalionnerait l'eſprit de con tention & d'indocilité , que l'on con. tracte en fréquentant les gens dumon de, de quelque bon caractere que l'on ſoit doué , naturellement & par l'aide d'en-haut , je me ſuis muni ; non par Gij 0 76 LE PIED des vues de méchanceté , ou que je l'aie cru néceſſaire

mais , comme je vous l'ai fait ſentir , pour opérer votre bien d'une maniere plus prompte , plus efficace pour vous , moins ſujette à ex citer chez moi le trouble & l'émotion que produiſent inévitablement les al que ſait -on ? une réſiſtance abſolue

Je me ſuis , dis -je , muni d'un petit ordre , en bonne forme , du Magiſtrat , & me ſuis fait accompagner de ces Meſſieurs , pour que les choſes fe fallent fans tu multe

& que ſi quelques -uns de ceux auxquels vos dangereuſes beautés inf pirent des deſirs criminels , avaient def ſein de me troubler dans l'oeuvre pieuſe & charitable que je fais , ils en fuſſent détournés par la crainte de Dieu & celle des hommes . Vous voyez que les re tards ſeraient inutiles , il faut me ſui vre. - Que mon Lecteur ne s'en prenne point à moi , ſi le diſcours de ce ſcélé fat le révolte ; tel eſt le langage de tous DE FANĆHETTE. 77 ceux qui couvrent leurs injuſtices du voile de la Religion. Aparéon fait en lever Fanchette malgré la réſiſtance . La jeune Agathe s'attache à ſon amie ; on ne peut les ſéparer. - Laiſſez , laiſ ſez , dit Apatéon, d'un ton benin , ravi de joie d'en empaumer deux au lieu d'une : la bonne cuvre fera double, La Marchande déſeſpérée , s'écrie qu'on lui ravit ſa fille . Mais on ne l'écoute pas : l'Officier qui commandait les Sa tellites , eſt perſuadé qu'elle ſera mieux entre les mains de M. Apatéon , que chez ſa mere. Une voiture attendaic. Le ſenſuel Vieillard y monte avec Fan chette & fa compagne. Dans ce moment, les deux incon nus doncj'ai parlé , & qui , par hazard , traverſaient la rue où demeure la Mar chande de Modes , reconnaiſſenc Mon ſieur Apatéon & la belle Florangis : ils veulent les aborder ; mais les Gardes qui ſont aux portieres , les repouſſent , donnent le ſignal du départ ; on court à toutes brides. L'Aſiatique & le Gour Giij 78 LE PIED verneur de ſon fils ne pouvaient reve nir de leur étonnement : ils retrouvent la jeune Beauté qu'ils ont vainement cherchée ; ils la revoientavec Aparéon , leur ancien ami , environnée de Sbires comme une priſonniere : ils ſe regar dent : Eft- ce un fonge, fe diſent ils , ou ſommes-nous dans le Pays des Fées ? Si des raiſons particulieres , qu'on ſaura quelque jour, n'avaient empêché l'inconnu , que le petit pied de Fan chette charma , de revoir les connaiſ ſances qu'il avait à Paris , que de cour ſes pour lui , de tranſes à Néné , de pé rils à Fanchette , n'aurait - il pas évités ! Cependant le dévot Apatéon & les deux jeunes Beautés qu'il a ravies , ar rivent le ſoir dans une jolie maiſon , . fept licues de la Capitale. DE FANCHETTE. 79 CHAPITRE XXXIII. Le ſuccès ne ſuit pas toujours le crime. ' Aurait été manquer ſon but que de ſe démarquer ſur le champ. Apa téon , quoique ſûr d'être connu de Fan chette', ſe conduiſit à ſon égard de la même maniere que s'il eût eſpéré de pouvoir en impoſer encore. Il plaça d'abord les deux jeunes fil les dans une même chambre , dont il prit la clef. Enſuite il congédia ſon ef corte ; ſoupa ſobrement avec deux per dreaux , une douzaine d'alouettes , or tolans , cailles en pâté , filets de paſſe reaux en ſalade, deux bouteilles de vin bonnois : à fon deſſert, compoſé d'ex cellentes compotes , & de toutes les confitures imaginables , on dit qu'il ne ſabla qu'une bouteille d'aï : en quit tant la table , il alla reſpirer dans un Giv Ľ E P 1 E D vaſte parterre le parfum des fleurs, & méditer , en digérant , ſur ce qu'il fe rait des deux pouponnes qu'il avait eu l'adreſſe d'enlever ſous la protection des Loix . Fanchette luitenait furieuſement au caur. En voyant la Lettre de la Gou vernante à Luflanville , & le Billet de Fanchette , il s'était aſſuré de deux cho ſes également importantes: que fa pu pille avait été fenſible ; & que Néné ſeule avait favoriſé l'évaſion de la jeune Florangis ; mais comme il était content du ſervice de la Bonne , il réſolut de n'en tirer aucune vengeance : (quel ſa crifice cependant pour un dévot ! ) & de ſe contenter à l'avenir de lui cacher foigneuſement ſa jolie pupille , en la conduiſant dans cette maiſon , incon nue à la vieille Gouvernante. Il comprit bientôt combien il lui ferait difficile de réduire Fanchette : il n'ignorait aucun des affauts que l'aima ble fille avait eſſuyés; mais cette opi niître réſiſtance augmentait ſes char DE FANCHETTE. mes aux yeux du luxurieux dévot. Il fit ſervir ſomptueuſement les deux amies; leur permit de ſe promener dans le jar din ; affecta beaucoup de douceur & de bonhommie : à l'exception du pre mier ſoir , il mangea toujours avec el les. Si Fanchette avait encore eu fa premiere ignorance , elle aurait été la dupe de ce ruſé Vieillard. Dès le len demain , il lui fit rendre tous ſesatours ; & pour la forcer à s'en ſervir , il fit diſ paraître les habits qu'elle portait lorſ qu'on l'avait enlevée. Il eut les mêmes ſoins & les mêmes égards pour Aga the ; pluſieurs joursſe paſſerent ſans qu'il y eût aucun changement dans la con duite d’Aparéon & dans leur ſort. L'état de l'aimable Florangis n'avait rien de pénible : elle ſe promettait bien que le Vieillard ne gagnerait rien auprès d'elle par la rufe , & donnait à la jeune Agathe de ſages conſeils. D'un autre côté, le ſouvenir de ſon cher Luſſan ville l'occupait : elle n'était pas fâchée de ſe dérober., au moins pour quelque 82 L E P I E D temps, à l'empreſſement de Satinbourg , & même aux importunités de fa Bon ne. Tout , juſqu'à leurs traverſes mê me , tourne à l'avantage des vrais Amants. La jeune Agathe répandait aufli dans le ſein de fon amie , les ſe crets de ſon cæur. Plut à Dieu , (lui diſait-elle quelquefois , ſans pren dre garde qu'elle déchirait l'ame de Fanchette , ) que vous puſſiez encore être à votre cher Luflanville , & que moi j'euſſe touché Satinbourg ! - La belle Florangis regardait ſon innocente & naïve amie , & , les yeux remplis de larmes , fouriait pourtant encore à ſon ingénuité. Cependant la tranquillité dont elles jouiſſaient , était un calme trompeur. Un ſoir qu'elles prenaient le frais dans le jardin , elles apperçurent en l'air les fuſées d'un feu d'artifice qu'on tirait dans la cour. Curieuſes, comme le font toutes les jeunes filles, Fanchette & la vive Agathe courent vers un balcon , pour jouir plus à leur aiſe d'un ſpecta DE FANCHETTE. 83 cle inattendu. Mais à peine Fanchette y met le pied , que tout s'enfonce : elle fait un cri perçant; Agache au déſer poir , s'élance pour le précipiter après fon amie : Aparéon était derriere elle ; il la retint , & la laiſſe entre les mains de fes gens , qui l'éloignerent. Apatéon fue bientôt de retour au près de la jeune compagne de Fancher te : il ſe flattait de réparer avec elle l'affront qu'il venait d'eſſuyer ailleurs : ' il prend un air affligé , ſoupire , & dit : Aimable Agathe ! hélas ! votre amie n'eſt plus : fa chûte eſt également fu neſte pour tous trois ; jamais je ne m'en confolerai. Je l'aimais fi tendrement ! Le Ciel m'eft témoin que je ne cher chais qu'à la ramener dans la voie du falut, & que le plus doux de mes de firs était de la voir heureuſe. Ah ! pour quoi l'ai-je arrachée des lieux qu'elle avait choiſis! Malheureux ! ... - C'eſt ainſi qu'il cherchait à s'inſinuer dans l'eſprit de la jeune fille , après avoir quitté Fanchette , qu'il venait de faire 84 LE PIED conduire dans un appartement ſecret. Le déſeſpoir d'Agathe était trop vio lent pour ſe modérer. — Infame, ré pondit- elle , c'eſt vous qui cauſez fa more! vous.... Elle ne in'a que trop appris à vous connaître. ... ſcélérar ! ... je vais faire retentir ces lieux de mes cris.... Je veux être libre ; qu'on me laiſſe aller auprès de mon amie , que je l'arroſe de mes larmes , & que je meure avec elle , plutôt que de vivre à la merci d'un monſtre tel que vous , hypocrite abominable ! — Aparéon employa vai nement les careſſes ; rien ne put mo dérer l'affliction de la jeune Agathe ; elle s'arrachait les cheveux , ſe meur triſfait le ſein & le viſage. Le Vieillard qui vit que tout de bon elle voulait mourir , pour la premiere fois éprouva des remords ; il venait de commettre un forfait inucile : ſon ame dure s'é mut : il appelle les gens ; fait lier Aga the ; & s'appercevant que la préſence l'irritait de plus en plus , il ſortir. Mais tandis que cet hypocrite infa DE FAN CH ETT E. 85 CHE me, au- lieu des plaiſirs dont il ſe pro mettait de jouir dans la petite maiſon avec ſa belle proie , n'éprouve que des chagrins , la Gouvernante , Satinbourg & la Marchande étaient au déſeſpoir. Ils ſe tourmentaient en vain , pour dé couvrir quelle route avait priſe Apa téon . La Marchande recourait aux Ma giſtrats; la Bonne ſondait les connaiſ ſances des gens de la maiſon ; & Satin bourg ſe mercait en campagne. 221 CUTE site CHAPITRE XXXIV. = ; al , V Qui n'eſt pas inutile. REvenons à l'amoureux inconnu , qui s'eſt trouvé témoin de deux ſcenes frappantes arrivées à Fanchette , & que le prompt départ de Luffanville pour Bayonne , avait privé des éclairciſſe " ments qu'il eſpérait : il lui reſtait beau coup d'autres moyens de s'inſtruire , 86 LE PIED mais il n'en foupçonnait pas même l'ef ficacité. Le hazard , ce mot vague , pere pu tarif des événements auxquels on n'en connaît point d'autre , le lendemain de l'enlévement de Fanchette par Apa téon , conduiſit l'Aſiatique chez le Fi nancier , oncle de Luſſanville. En cher chant les papiers qu'il voulait montrer, il ouvrit la boîte qui renfermait la jo lie mule de lajeune Florangis. Le Finan cier l'avait vue de trop près pour ne la pas reconnaître. Il témoigna ſa ſur priſe ; & l'Aſiatique , qui le rappella que la jeune Beauté fortait de chez cer homme , lorſqu'il la vit pour la pre miere fois , lui parla de celle qu'il ai mait. — Il ne tiendrait qu'à elle d'ê tre une fille charmante , reprit le Finan cier ; mais elle eſt bégueule & fotte : elle a la manie de la vertu ... elle donne dans le ſentiment. Cependant , avec tous ces beaux ſemblants & ces gri maces , il en coûte la vie à Luſſanville , à mon pauvre neveu , qui en était fou... DE FANCHEITE. $7 Que m'apprenez-vous, Monſieur ? Une fâcheuſe nouvelle , très- fâcheu ſe ... car quoique mon neveu für un im bécille , qui ... le ſang parle , & ... que faire ? la famille de ſon ennemi a le pouvoir enmain ; & puis , lui rendrions nous la vie ? — Il eſt impoſſible de dé crire ce qui ſe paſſa dans l'ame de l'in connu pendant ce diſcours : une joie vive , pure, inéprouvée , & la douce eſpérance remplirent ſon cæur ; il fit des queſtions au Financier , qui le mit au fait de mille choſes , toutes à l'hon neur de Fanchette. - Elle a perdu fon Amant, ſe diſait l'Aſiatique; je me préſenterai pour réparer ce malheur: je tarirai ſes larmes : quel bonheur! je trouve dansmaPatrie une fille vertueule & belle ! - Inſtruit par le Financier , il fortit , alla trouver l'inſtituteur de ſon fils , pour ſe rendre enſemble chez la Maîtreſſe de la jeune Florangis. La Marchande , après avoir fait d'i nutiles démarches pour recouvrer fa fille & Fanchette , rentrait chez elle. 5 LE PIED On venait de lui dire , que M. Apatéon était un faint homme , qui n'enlevait les filles que pour mettre leur honneur en ſûreté. La Marchande de modes avait de bonnes raiſons pour n'en rien croi re ; elle commençait à dévoiler la con duite du dévot perſonnage : mais l'Of ficier ſubalterne auquel elle s'était adreſ ſée , après lui avoir fait entendre , qu'il n'était pas de fa charge d'ouir du mal d'un homme riche & conſidéré, l'avait congédiée , ſans lui laiſſer concevoir une lueur d'eſpérance. C'eſt dans cet inſtant de chagrin que l'Aſiatique l'aborde , pour s'informer plus particuliérement de celle dont il a réſolu de faire la compagne. La bonne Marchande était peu diſpoſée à lui don ner ſatisfaction : elle ne douce point que ce ne ſoit un nouvel adorateur , auſli dangereux pour Fancherte que tous les autres : 'elle congédie bruſquement l'A ſiatique & ſon ami, ſans leur rien ap prendre. L'amoureux inconnu ne fut pas moins ſurpris de cet accueil que de touc DE FANCHETTE. 89 LIT27 CHO: 10 dret qui 172/ DELİ oli tout le reſte : il rencontrait des diffi cultés , où naturellement il ne devaic point s'en trouver. Les raiſons qui l'a vaient empêché de voir ſes anciennes connaiſſances à fon arrivée à Paris , lub fiſtaient encore ; cependant il réſolut d'aller chez M. Apatéon : un malheu reux engagement que Néné venait de contracter , éloignait cette femme de la maiſon ; il ne crouva que le nou veau Domeſtique que le dévot avait laillé : ce garçon ne ſavait rien & ne put lui rien dire. L'Aſiatique ne comprenait pas grand choſe au dernier enlévement de Fanchetce , à la con duitemyſtérieuſe d’Aparéon ;ſeulement commençait à entrevoir que la beauté de celle qu'il adorait , la mettait quel quefois dans des poſicions fâcheuſes. Les réflexions qu'il fit à ce ſujet , le peu de ſuccès des peines qu'il s'étaie" données pour retrouver ſon fils , & les reites de fa famille , le confirmerend plus que jamais dans la réſolution de ces donner à Fanchette: il ne voyait qu'elle • II. Partie, HT ue er 1 أن 1 ES 1 90 LE PI E D qui pût réparer ſes pertes , en s'uniſſant à lui ; mais il fallait la trouver. Un jour qu'il était ſorti ſeul pour reſpirer hors de la Ville un air plus pur, fà rêverie fit qu'il ſuivit au hazard un chemin de traverſe : il s'écarta plus qu'il ne penſait ; il était tard lorſqu'il s'apperçut qu'il s'était égaré : une jolie maifon frappe fa vue ; il s'en approche pour demander où il eſt : deux hommes en ſortent , qui ne l'appercevant pas , s'entretiennent aflez haut. - D'A ** va nous l'amener , diſait l'un d'eux : il l'arrache à ce bélitre d'Apatéon. Ce ferait, en vérité , dommage quece vieux tartufe jouît d'un triomphe ſi beau ... a A ce nom d'Aparéon , l'Aſiatique tref faille : il aurait bien voulu en enten dre davantage ; mais il ſe trouva ſi près d'eux , qu'ils l’apperçurent. Il les pria de lui indiquer le chemin le plus court pour retourner chez lui. De C ** ( car c'était le Marquis lui-même ,) voyant un homme de bonne mine , lui dit qu'il était bien card ; qu'il ſe trouvait à deux DE FAN CHETTE. 91 CoM CS lieues de Paris ; & tout de ſuite , il le pria d'entrer dans la maiſon . Vous ſerez ſurpris , dit l'obligeantjeune hom me , de l'air de délabrement où tout eſt ici : on n'a pas encore arrangé dans les appartements , nous habitons le rez-de chauſſée. On deſcend dans une grande falle , bien éclairée , ſomptueu fement meublée : celui qui paraiſſait le maître l'engage à ſe mettre à table , d'un air ſi poli , ſi franc, ſi ouvert , qu'il n'au rait pu s'en défendre, quand d'autres raiſons ne l'euſſent pas déterminé à rer ter ; car il eſpérait d'apprendre quel- ' que choſe de fa Maîtrelle. Mais on ne dit pas un mot de ce qu'il defirait ar demment de ſavoir. En ſortant de ta ble , l'inconnu fut conduit dans un pe tit appartement fort propre , où tout ſe reſſentait du bon goût du Marquis , tableaux , ameublements , rien qui ne reſpirât la volupté. Le lendemain , l'inconnu penſait à s'en retourner : fon jeune hôre lui fit mnt d'inſtances qu'il demeura. Il prit il is ri 1 Hij LE PIED du goût aux manieres du Marquis : il le trouva généreux , obligeant , honnê te , d'un commerce agréable .... Et voilà comme ſont faits les homines : juſtes dans tout ce qui ne bleſſe pas leur paſſion favorite , ils croient racheter leurs écarts, & mériter le titre d'hon nêre homme , en pratiquant des vertus qui ne les gênentpas; mais ce ſont des ſcélérats dès qu'il s'agit de leur pen chant chéri. Le Marquis était un ai mable , un galant , un délicieux mal honnête homme, dont l'inconnu fut enchanté. Il ne lui für pas difficile de s'apper cevoir , qu'il ſe trouvait dans un de ces agréables réduits , où Bacchus & Cypris tiennent le ſceptre tour à tour : Ses meurs n'étaient pas des plus réglées; il était de ces gens qui cherchent le plaiſir , & qui font toujours contents d'eux , lorfqu'ils l'ont trouvé : il vit des femmes qui ſe vendaient elles-mêmes ; des jeunes tendrons que l'on vendait ; des filles abuſées ,, trompées, ſéduites : DE FANCHETTE. 93 il profita de cout ; mais il eſpérait tou jours d'acquérir des lumieres ſur l'ob jer de ſon amour. CHAPITRE XXXV . Étrange convention . Si le zele le plus ardent, l'amitié la plus active ne font pas éviter les fauf ſes démarches, ô Dieu ! dans quels écarts ne donneront pas de tiedes con ducteurs ! de quelles horreurs ne ſe rendront pas coupables des meres vo luptueuſes , avares, ( 28) corrompues ! Un matin le Comte d'A** était venu - Je connais la retraite de M. Apatéon , lui dit-il; je puis vous l'indiquer , & cirer Fanchette de ſes mains, mais vous ſentez combien il ſe rait ridicule à un homme comme moi, de ne travailler que pour votre petit Satinbourg : la jeune Florangis eſt trop. trouver Néné. 94 LE PIED belle , pour qu'on l'oblige fans inté rêt. ... Vous m'entendez... Je nem'op poſe pas qu'il l'épouſe : on peut s'ar ranger de façon qu'il n'en ſera pas moins heureux.... Réfléchiſſez-y... Apatéon la tient bien ; & ſans moi , je doute que jamais vous puiſſiez la revoir.... Je vous dirai de plus que je n'aurais pas beſoin de votre aveu pour enlever Fanchette ; mais j'ai horreur d'un procédé ſenibla ble à celui du Marquis de C ** : je ne veux que ce que l'on me donne : j'ef pere tout du pouvoir que vous avez ſur l'eſprit de votre pupille : vous lui ferez aiſément enviſager que dans la vie il ſe trouve des circonſtances , où l'on cede une partie , pour ſauver le tout. Je vous donne un jour pour vous décider : demain à pareille heure , je viendrai ſavoir votre réſolution . Il fort en achevant ces mots. Et qui fut bien embarraſſée , c'était la bonne Gou vernante . - Ma chere Fanchette ! diſait - elle en pleurant, quel préſent fatal le Ciel - DE FANCHETTE. 95 7 vous a fait , en vous formant ſi belle ! ... Cependant Apatéon va ravir ce que nous refuſerons au Comte , & cela , ſans fruit pour elle que la douleur..... Qu'ofé-je penſer , malheureuſe ! ... Et les voilà tous ces hommes cruels ! ils font parjures , perfides , ou nous ven dent leurs ſervices au prix de ce que nous avons de plus précieux.... Je n'en connais qu'un qui mérite d'être aimé; & c'eſt celui- là que l'on veut que je trompe.... Ah ! quand je m'y réſou drais, l'aimable Florangis , plus ver tueuſe encore qu'elle n'eſt belle , pré férerait la mort au déshonneur. - Agi. tée de mille penſées différentes, Néné ſort , pour aller conſulter Satinbourg lui-même, & prendre enſemble des meſures pour adoucir le Comte , tâcher de le piquer de généroſité , ou prévenir l'effet de ſes mauvais deffeins. Elle ne le trouva pas . ' On lui dit qu'il était parti de la veille à cheval ; & la pauvre Gouvernante, dépourvue de conſeil , l'eſprit troublé par la crainte , l'ame ac 96 Ľ E P I E D cablée par la douleur , ſe trouve dans un embarras plus grand encore. Le Comte nemanqua pas de paraître le lendemain à l'heure marquée : il preſ la Bonne de prendre un parti ; il lui fait craindre pour Fanchette des malheurs inattendus.... Il lui répete ſur-tout, que ce n'eſt que par délica tefle , qu'il veut devoir à fon conſente ment les faveurs de Mlle. Florangis . Et pour lui prouver qu'il fait parfaite ment les moyens de parvenir juſqu'à elle , il lui montre une de ſes jolies mu les , en l'aſſurant qu'il s'en eſt emparé durant le ſommeil de Fanchette. A cette vue , à ce récit , la tête tourne à la Gouvernante. Je vous promets tout ce qui dépendra de moi , s'écrie t- elle , en fondant en larmes ; mais ju rez -moi ſur votre honneur une diſcré tion à toute épreuve. Le Comte s'engagea par mille ferments. Et rien n'empêche de croire qu'ils ne fuſſent ſinceres. CHA DE FANCHETTE. 97 CHAPITRE XXXVI. 1 Secours dangereux . Il n'eſt rien à préſent que je ne furmonte , dit le Comte tour hors de lui , puiſqu'il embraſſa la vieille Néné. Nous partirons ce ſoir , & demain à pareille heure , l'aimable Florangis ſera dans vos bras , pour ſe diſpoſer à paf ſer dans les miens. — Cette derniere expectative n'avait rien de flatteur pour la Gouvernante : ſes pleurs recommen cerent à couler plus abondamment que jamais. Nous avons laiſſé la jeune Agathe, éperdue , gémiſſante , liée , enfermée ſeule par les ordres d'Aparéon. Elle ſe déſeſpérait : Ma chere Fanchette , diſait- elle , mon aimable , mon unique amie , nous ſommes donc ſéparées pour jamais .... Et le délire s'emparant de II, Partie, I 3 1 98 LE PIED ſon imagination trop vivement frappée , elle croyait la voir , voulait l'embraſſer , & s'écriait : - Attends-moi, ma Fan chette , artends, je vais te ſuivre ; je vais deſcendre avec toi dans ce gouf fre.... Ah ! ... Fanchette ! tu tombes ſans moi ! ... Je te ſuivrai .... je te fui vrai, malgré tous ces cruels qui me retiennent, &malgré toi- même. - Un état fi violent épuiſa bientôt les forces d'une fille jeune , délicate : elle tomba dans un état d'anéantillement ſembla ble à la mort. Ce fut alors qu'Aparéon oſa rentrer auprès d'elle. Si l'ame d'un hoinme accoutumé à ſe jouer de la Divinité même , à bra ver les Loix , à tromper les hommes, n'avait acquis un degré de dépravation fans remede , l'infame Apatéon aurait friſſonné , en revoyant Agathe. Il en fut bien autrement : le déſeſpoir & la douleur lui parurent un aſſaiſonnement de plus.... Mais tirons le voile , & que mon Lecteur apprenne ſeulement que le Ciel n'abandonna pas entiére DE FAN CH ETT E. 99 Indien TEAM insi Torch ,, ment l'innocence.... Non , il ne le permit pas. Tout le monde le dit ; l'amour & la vengeance trouveraient les objets qui les excitent, fullent- ils au centre de la terre. Satinbourg, ſans guides , fans in dices , parvient , après trois jours de re cherches , à la maiſon du tartufe Apa téon. Harraſſé , n'en pouvant plus , il la conſidere , fans pourtant connaître encore que c'eſt là l'objet de ſes re cherches. Il veut s'informer : il heurte à diverſes repriſes ; perſonne ne répond : il la croit inhabitée , & va ſe retirer ; mais auparavant il en fait curieuſement le cour. Il monte ſur une petite bute , & dans l'éloignement, ſur le rebord d'une croiſée , le jeune homme apper çoit quelque choſe qui reſſemblait à une chauſſure de femme. Il ne fait en core ce que c'eſt; ſeulement il préſu me par-là que quelqu'un habite dans ce réduir ſolitaire. Il était difficile d'ap procher de l'objet qu'il avait vu : la fenêtre donnait ſur un jardin étroit , Te01 éi bort nie Jon pl 1/1 I ij 100 LE PIED qu'environnaient des murs plus élevés que ceux du reſte de l'enclos. Il tâche de nouveau de ſe faire ouvrir , mais ſans ſuccès; & les ſoupçons naiſſent au fond de ſon cæur. Le jour baillait : dès que l'obſcurité lui permit d'eſcala der le mur ſans être apperçu , Satin bourg y grimpe , faute dans le jardin , & vadroit à la croiſée : il y touche à l'aide d'un eſpalier, & s'empare de ce qu'il avait apperçu. Quelle fut fa ſur priſe de reconnaître une de ces mules de fon Amante , dont Lullanville lui fit préſent ! Il ne doute plus qu'il ne ſoit chez Apatéon. Il fait de nouveaux ef forts pour parvenir juſqu'à la fenêtre ; mais en vain : d'ailleurs, elle était gar nie de barreaux qui l'euſſent empêché de s'introduire par-là. Il ne favait à quoi ſe déterminer , lorſqu'il entendit quelque mouvement au dehors de la maiſon. Il craintqu'on ne le découvre , & de ſe perdre , fans délivrer Fancher te : il remonte ſur le mur , fort du jar din , s'approche avec précaution , pout DE FANCH ETT É . IOI

)

reconnaître ce qui caufe ce bruit ſourd ; il voit deux chaiſes, des chevaux , & des gens armés , qui ſemblaient n'at tendre plus que les ordres : La voix du Comte d'A** le frappe ; il le remet parfaitement , mais il ' a la prudence de ne ſe pas découvrir. Son ame fur agi tée de mille idées différentes ; il fe de mandait : Que prétend le Comte ? Il ne fut pas long -temps dans le doute. Dès que d'A** eut donné le lignal en frappant trois fois dans les mains, tous ſes gens s'approcherent de la mai ſon. Satinbourg, ſans être connu , fe mêle avec les autres. En un clin d'oeil les portes ſont ouvertes ; l'on entre , & le jeune Garçon Marchand , guidé par ce qu'il avait vu , cherche à pénétrer dans l'appartement , dont la croiſée don nait ſur le petit jardin. Heureuſement Satinbourg n'avait pasapperçu la Gouvernante , que d’A ** avait amenée : car ignorant combien les ſecours du Comte étaient dangereux, ſans doute il fe fùt fait connaître. De po I iij 102 LE PIED ſon côté , d'A ** voyant que tout avaic réuſli, & qu'il allait enfin être le maître d'emmener la belle Fancherce , s'appro cha de la vieille Néné. - Ah ça , ma Bonne , lui dit-il, vous touchez au mo ment de voir votre chere pupille : ſon gez à nos conventions; il y aurait trop de danger pour vous & pour elle à vou loir mejouer... A ce prix , je lui rends la liberté ; elle épouſera Satinbourg quand elle voudra : je tiendrai mes pro meſſes & mes ferments ; mais vous , morbleu !ſoyez fidelle aux vôtres. Après cette exhortation , malheureuſement trop énergique , le Comte rendit à la Gouvernante la mule de Fanchette. Je ne fais que changer ceci pour quelque chofe de plus précieux, lui dit il : annoncez à cette belle enfant, que celui qui l'a fauvée , veut tenir de fa main , fon portrait & l'autre préſent qu'eur Luſſanville ; qu'en outre, il at tend avec impatience le don qu'elle doit lui faire , lorſqu'il la preſſera dans ſes bras.- Enſuite le Comte prit Néné DE FAN CHET I E. 103 QUE par la main , & la conduiſit fans bruit par un corridor ſecret ; toutes les por tes lui furent ouvertes par un traître , qui trompait Apatéon , comme ſon mai tre voulait en impoſer à Dieu , & du pait effectivement les hommes. La malheureuſe Gouvernante ſuivait ſon guide en tremblant. Qu'ai - je promis, ſe diſait- elle , & quel ſera le déſeſpoir de Fanchette ! La pauvre en fant aimera mieux mourir.... On arrive à la porte d'une chambre reculée ; mais Ciel ! quel étonnement pourle Comte ! il n'y trouve perſonne ! celui qu'il avait gagné eſt lui-même dans la conſterna tion. On cherche , on regarde ; mais ce ne fut qu'au bout d'une heure qu'on s'apperçut que deux barreaux de la croi fée étaient mobiles : la jeune Floran gis s'était- elle échappée par- là ; & com ment avait- elle fait ? JUN; Ten OLT Hit ue EM 728 I ir 104 LE PIED CHAPITRE XXXVII. Où les morts reſſuſcitent. A Pateon,au milieu du filence de la nuit , tourmenté du démon de la luxu re , était auprès de la jeune Agathe : il oſait , d'une main ſacrilege , toucher ce temple de la vertu la plus pure , & de la timide innocence. Tout-à- coup un bruit ſourd ſe fait entendre : il frif ſonne ; & le lâche croyant que ce ſont des voleurs , ne tremble que pour ſa vie. Sa terreur redouble au bout d'un moment; on approche : des gens en tu multe attaquent la porte de ce cabinet où vient de le conduire ſon goût pour les jeunes tendrons & pour le crime. Elle s'enfonce : l'on arrache Agathe de ce ſéjour d'horreur. Le Comte d'A ** & la bonne Néné , dans la premiere ſurpriſe que leur cauſa DE FAN C H ETTE. 103 VZ l'abſence de Fanchette , ſoupçonne rent Apatéon de l'avoir conduite au près d’Agache, dont le domeſtique ga gné leur peignit le déſeſpoir ; ils y vo lent , heureuſement pour la fille de la Marchande de modes. Après l'avoir délivrée , le Comte la remit entre les mains de la Gouvernanie. Cette aima ble fille crut recevoir une nouvelle vie , en revoyant la Bonne de la chere Fan chette ; mais bientôt ſe rappellant l'ac cident cruel qui la privait de ſon amie , elle s'abandonna denouveau à toute fa douleur , & racontait en ſanglotant à la vieille Néné le malheur de la belle Florangis . — Elle vit, ma chere Aga the , lui répondit la Gouvernante : c'é tait un tour du cruel Aparéon pour vous ſéparer , dont on vient de nous inſtrui re : une machine deſcend & remonte le balcon , aſſez vîte , pour faire croire qu'il s’abyme : mais Fancherce .... hé las .... dois- je m'en affligerou m'en ré jouir? ... n'en eſtpas moinsperduepour nous : on ne ſaurait la retrouver, CU le uri 2 te iner Tour nje WE Ené, Julho 106 LE PIED Agathe ouvrait des yeux que la na ture avait fait honnêtement grands , & l'on voyait ſe peindre ſur ſon viſage cet embarras , cette heureuſe perplexité que l'on éprouve , lorſque l'on com mence à douter d'un irréparable mal heur. Oui , ma fille , continua Né né , nous venons d'apprendre que le feu d'artifice était fait exprès pour vous attirer là l'une ou l'autre : l'accident qui vous ſépare était ménagé ; Fanchette en fut quitte pour la peur ; mais on voulait par-là vous ôter toute eſpérance de vous revoir. Apatéon croyait tirer parti de l'état d'abandonnement où vous vous trouveriez. Eh ! qui fait ſi ma chere fille aura pu , comme vous , éviter ſon malheur ! nous ignorons ce qu'elle eſt devenue , & quelle eſt la main qui nous l'enleve.... Et la bonne Néné pleurait à chaudes larmes. Le Comte , ſûr que la belle Floran gis n'eſt plus chez Apatéon , rentre au près de la Gouvernante & d’Agathe , qui dans ce moment étaient dans la DE FAN CH ETT E. 107 chambre que Fanchette avait occupée. Il tenait un jeune homme par la main , que mon Lecteur ne connait pas : le Comte lui - même ne le connaiſlait pas davantage : la Gouvernante fe rappella de l'avoir vu ; mais occupée de Fan chette , rien ne l'intéreflait : on ſaura mon ſecret lorſqu'il en ſera temps. - Je n'ai pas trouvé celle que je cher chais , dit-il : & voilà Monſieur à qui fûrement je ne fongeais pas , qui m'a prié de le tirer d'ici ; mais Fanchette ne faurait être loin : courons. Néné diſait : - O Dieu ! fais que ma chere fille foit en de bonnes mains : conduis la chez la Maîtreſle ; je ne ſerai plus tenue de rien faire pour le Comte , & dès demain elle épouſera Satinbourg ! Le Ciel n'exauçait que la moitié de cette priere. ( 29) Le Comte part , em menantavec lui la jeune Agathe &la vieille Néné. Aparéon ſe remet d'a bord un peu de fa frayeur , & ſe croit trop heureux de ce qu'on n'a pas mal mené ſon précieux individu : enſuite il of 108 LE PIED s'encourage; reprend un peu , d'auda ce ; regrette la belle Florangis & fa jeune amie ; rafſemble gravement ſes Domeſtiques épouvantés , & ſonge à la vengeance. Et mes Lecteurs par la ſuite , feront ſurpris de voir , qui l'hy pocrite diſculpera , ſur qui fà fureur s'exercera. Il ſe diſpoſait à retourner dans la Capitale , pour noircir l'innocence ; il méditait ſur les moyens qu'il devait em ployer pourtromper encore les Magiſ trats , & leur faire opprimer la pupille , lorſqu'il reçut une Lettre du nouveau Domeſtique laiſſé à Paris : ce garçon mandait à ſon maître , qu'un homme , qui ſe diſait connu de lui , était venu pluſieurs fois. Cet homme s'était nom mé. Le dévot pålit , & s'écrie : - Ah Ciel ! quel contretemps ! je l'avais cru mort ! ... - Ces nouvelles réglerent ſes démarches ; il différa ſon départ de quelques jours ; & lorſqu'il ſe rendit enſuite à la Ville , ce fut ſecrétement : pour tout le monde , il était encore à DE FANCHETTE. 109 la campagne. Mais laiſſons ce ſcélérat en proie aux craintes & aux remords , méditer de nouveaux crimes pour cou vrir les anciens , & retournons à l'ai mable , à la touchante Florangis. Non loin de ce Bourg fameux , où la belle d'Eſtrées reçut dans ſes bras le meilleur & le dernier des HENRIS , le jeune Satinbourg , ayant en croupe la délicate Fanchette , fut contraint de niettre pied à terre. L'aimable fille , accablée de fatigue , ne pouvait plus la ſupporter, elle était prête à s'évanouir. Il était muni de quelques rafraîchiſſe ments : il les offre à la ſouveraine de ſon ame. Belle Florangis , lui di fait-il, c'eſt une main amie qui vous les préſente : reſpirez enfin : vous êtes avec un homme qui vous adore , mais dans qui le reſpect égale l'amour; ( 30 ) qui , prêt à vous immoler juſqu'à la vie même, ne veut d'autre prix en vous fervant , que le plaiſir de vous être utile , & la certitude de vous voir heureuſe. - Monſieur , lui répondit - I10 LE PIED Fanchette , vous venez de me le prouver. Le jour commençait à devenir grand : l'aimable Florangis achevait à peine ces mots, qui firent briller la joie ſur le viſage de Satinbourg , qu'ils apper çurent une troupe qui venait droit à eux. Bientôt ils reconnurent le Comte d'A**. Satinbourg reſlentit un mou vement de crainte : Fancherte friſion na ; mais dans le moment Agathe & la Gouvernante s'étant montrées, ils ſe raſſurerent , & ſe leverent même pour aller au- devant d'elles. La jeune Aga the fe précipite de la voiture, & court à ſon amie ; la vieille Néné la ſuit. Tou tes trois s'embraflent & fe ferrent ; mais la Gouvernante inondair fa chere Fan cherte de ſes larmes ; Satinbourg les regardait avec ſatisfaction ; & le Comte d'A** ſongeait à la promeſſe de la Bonne. La vue de Fanchette rendait ſes de firs plus ardents : ſous les habits , dont autrefois Aparéon l'avait parée , ſes DE FANCHE I T E. III charmes avaient un nouvel éclat ; ſon air d'abattement & d'une douce lan gueur , la rendaic mille fois plus tou chante ; ſon pied était chauffé de ce joli ſoulier blanc qui caufa des deſirs fi vifs au laſcif Aparéon , lorſqu'elle couchait du claveſlin ; Vénus & les Graces euf ſent envié ce foulier charmant : les yeux du Comte ſe fixaient ſur le pied mignon de Fanchette , toujours la premiere cauſe des conquêtes , des malheurs & de la délivrance de la belle orpheline. Les retards le peinaient : il preſla le départ , & fic mercre ſeules dans une chaiſe l'objet de ſes criminels deſirs , & la Bonne : en y plaçant cette derniere , il lui ſignifia qu'il fallait' ſe diſpoſer à tenir la parole. Pour en commencer l'exécution , il demanda le portrait de Fanchette , & les autres bijoux ſi chers à Luflanville , d'un ton qui marquait qu'il ne fallait pas le refuſer. La belle Florangis ſe défit en pleurant de ces choſes , devenues précieules pour el le , depuis qu'elles avaient été entre les j } 112 LE PI E D mains de ſon Amant. La jeune Agathe & Satinbourg occupaient l'autre voi ture. Le Comte , ſur un ſuperbe cour lier , caracole autour de la chaiſe de Fanchette. Tout le reſte du cortege était à cheval : l'on part , & lorſqu'on eut marché quelque temps , l'on s'ap perçut que le Comte quittait la route de Paris. Hélas ! c'en eſt fait , diſait la Gou. vernante en elle- même ; nous n'échap perons pas de ce dernier péril , où j'ai moi - même précipité ma chere Fan chette. - Et les yeux remplis de lar mes , elle allait commencer l'explica tion du terrible myſtere, lorſque Satin bourg s'écria d'une voix forte :--- Com te , où nous conduiſez - vous ? n'êtes vous aufli vous- même qu'un vil raviſ ſeur ! Ecoutez- moi : Mademoiſelle Flo rangis mériterait une couronne , fi la vertu & beauté la donnaient : Je con viens que votre rang vous éleve au-del ſus de moi : Si vous l'aimez , & que vous prétendiez à ſa pollellion par une voie DE FAN CHET I E. I2I m'en croire , cherchera le bonheur , en s'attachant à toi : & moi , occupée de l'amant que j'ai perdu , je paſſerai dans cet aſyle falutaire, une vie , dont les plus beauxjours furent trop ſouvent obf curcis par le nuage du malheur. - Non ! s'écria la jeune Agathe ,non !ja mais je ne veux vous quitter ; vous m'êtes plus chere que tout au monde. - Sæur Roſe ſoupira ; & laiſſant tom ber ſur la belle Florangis & ſur ſon in nocente compagne, un regard de pitié : Que je vous trouverais à plaindre , leur dit- elle , fi , comme nous , vous étiez dans ce port qui vous paraît ſi tranquille , ſansen pouvoir ſortir. Jeu nes imprudentes ! n'allez pas vous laiſ ſer ſéduire ! Nous le crûmes ainſi que vous , lorſque n'étant pas encore enga gées , tout à nos yeux, dans les Monar teres , ſe peignait en beau. Cependant , je n'aurais jamais pris le parti de m'y renfermer de moi -même : la haine , l'ambition , une injuſte préférence dans une mere dénaturée tint lieu de voca II. Partie. L 122 L E PIED, & c. tion à la fille.... Mais il eſt inurile de vous entretenir de mes infortunes. Hélas ! reprit Fanchette! je ne ſuis donc pas la ſeule malheureuſe ! Ma ſoeur , fi cela ne vous fait pas trop de peine .... ah ! ... racontez -nous ce qui fait couler ces larmes que vous répandez .... aima ble four ! Agathe & moi , nous ſavons compatir aux chagrins d'autrui : vous , ſur-tout , m'inſpirez un penchant.... je fens tant de douceur à m'y livrer.... Ne me refuſez - pas.... — Je conſens à ce que vous exigez, reprit fæur Roſe. Je viens d'exciter votre curioſité : il eſt juſte de la fatisfaire. Fin de la ſeconde Partic. DE FAN CHETIE. 113 . 1, C. Ous FOUR S.. éns; Rová id voie légitime .... ſon bonheur m'eſt plus cher que le mien .... je vous la cede.... Mais ſi ... vous in’entendez... il faut auparavantd'aller plus loin , m’ar racher la vie. D’A ** ne peut comman der à fa colere ; il deſcend de cheval : les deux rivaux s'avançent : le Comte retient ſes gens , qui voulaient accabler Satinbourg. - Laillez , leur dit- il , & ne me déshonorez pas , en voulant me ſervir : mon bras ſuffit. Tremblan res, éperdues , Fanchette , fa Bonre , & la jeune Agathe ſe jetrent entre les combattants. Le Comte n'écoutait rien ; il allait percer Satinbourg , qu'Agathe retenait dans ſes bras. Des inconnus accourent : l'un d'eux , qu’une barbe affreuſe , & ſes cheveux en déſordre rendaient méconnaiſſable , s'écrie : Are rête , perfide, & tremble. Dans ce mo ment , le jeune homme que le Comte avait trouvé chez Apateon , arrive ſur le champ de bataille : il vole à l'adver faire du Comte : -- Ah , mon ami ! lui dit- il , en voulant l'embraſſer ! ... Le II. Partie, K 114 LE PI E D 1 terrible inconnu , quine le remet pas , le repouſſe ; & ſe jettant ſur d'A ** tous deux commencent à ſe charger avec furie. Les gens de l'inconnu met tent en fuite ceux du Comte ; les Da. mes remontent dans leur voiture ; & Satinbourg , voyant que ſon libérateur ale deſſus, reprend à la hâte , à la priere Fanchette elle- même , le chemin de Paris. ... Hélas ! elle fuyait .... qui l'eût pu croire ! ... celui qu'elle adorait. La belle Florangis s'éloignait , ſans le ſa voir , de ſon cher Lullanville. CHAPITRE XXXVIII. Le calme ſuit la tempête. AGathe & Fanchette furent re çues de la Marchande avec des tranf ports inexprimables : la Gouvernante ne ſe ſentait pas d'aiſe ; elle peſtait con tre les uſages & les loix , qui ne lui DE FANCHEIT E. 115 4 5 2 permettaient pas de conduire ſur le champ Fanchette & Satinbourg à l’Au tel pour les unir. Ne faites plus la renchérie , ma chere fille , lui diſait-el le ; vos retards ontmanquéde nous per dre tous. - L'aimable Florangis re gardait Agathe en ſouriant, & ſemblait lui dire : - Ne crains rien . - Et la bonne Néné prit ce ſourire pour un con ſentement. Après qu'on ſe fut careſſé , fêté , la Marchande fit obſerver que le témoignage de deux jeunes filles ne ſuffirait pas pour démalquer Aparéon ; que ce moyen les déshonorerait plutôt elles- mêmes , dans un pays où les hom mes dorés ont toujours raiſon. (Elle pouvait ajouter, & les jolies femmes; mais peut- être favait-elle qu'une jeune Beauté , pour rétablir fa réputation d'une maniere éclatante , & prouver ſa vertu , doit commencer par la perdre pluſieurs fois avec les ...avec le ... & même quelquefois avec l'... quoi qu'il en ſoit, elle ne dic rien des femmes.) Elle parla de la viſite des deux inconnus , Kij 116 LE PIÉ D qui s'étoient informés de Fanchette ; communiqua ſes craintes à la Gouver nante , & conclue à ce que la jeune Florangis allât ſecrétement dans un Cou vent , qui ne ſerait connu que de fa Bonne & de Satinbourg , dont elle ne fortirait que le jour où elle épou ſerait ce vertueux jeune homme. Pour éviter de nouveaux revers , on exécuta cette réſolution ſur le champ ; la jeune Agathe pria ſa maman de ne la point ſéparer de fa chere Florangis : toutes deux furent conduites aux B.... de la T.... V .... par la Marchande & la Gou vernante , qui preſcrivirent la conduite qu'on devait tenir à l'égard de ceux qui demanderaient à parler aux jolies recluſes. Dès que les deux amies furent feu les , elles ſe raconterent mutuellement ce qui leur était arrivé depuis leur ſé paration. A la peinture que la jeune Agache fit de ſon affreux déſeſpoir , l'ai mable Florangis fondait en larmes. En fuite la fille de la Marchande parla de DE FANC NET 1 E. 117 3 l'attentar du perfide Aparéon , & lui dit comment, lorſque fàns forces, fans mouvemene , & preſque ſans vie , elle allait devenir la victime de la brutalité , le Comte, la Gouvernante & leurs gens étaient venus à fon fecours. Fancherte à ſon retour fit ſon récit : Lorſque le balcon s'écroula , ma chere , diſait elle à la jeune Agache , la frayeur me fit évanouir : je revins entre les bras de ceux qui me portaient. Aparéon les précédait. Je refermai les yeux , & me doutai de quelque ſupercherie de la part de ce monſtre : on me mit ſur un lit de repos ; tout le monde fort, & lui ſeul reſte auprès de moi.... Ma chere petite .... cet abominable homme , plus méchant.encore que je ne l'aurais pen ſé , me croyant hors d'état de me dé fendre.... J'eus bientôt recouvré mon courage , & me faiſillant du couteau de- chaſſe d’Apatéon , je le menaçai de le plonger dans ſon indigne ceur, s'il ofait m'aborder. Il fortit. Je paſſai le reſte du jour & la nuit dans la plus vive 118 LE PILD 1 douleur. Le matin accablée , dans un état qui tenait plus à la mort qu'à la vie , je fencis mes yeux s'appeſantir ; je m'endormis. Lorſque je m'éveillai , il était une heure après- midi : je trouvai que l'on m'avait ôté l'une de mes mu les ; je friſſonnai : Qui peut être entré dans ce lieu , me diſais-je', ſi ce n'eſt Aparéon ? L'infame aura profité d'un ſommeil, qui ne me paraît pas naturel, pour m'approcher.... Cette réflexion me donna de mortelles inquiétudes que ma Bonne ſeule , à qui je les ai confiées , a ſu calmer. Elle m'a dit de plus que ce n'était pas lui ; mais le Com te , qui , ſecondé d'un Domeſtique , parvint juſqu'à moi. Je ne revis plus Apatéon : le Ciel m'inſpira la penſée de mettre ſur la croiſée de ma cham bre la mule qui me reſtait. Si quel. qu'un de ceux qui pourraient me cher cher apperçoivent cet indice , me di fais- je , ils connaîtront où je fuis : c'eſt un préſent de mon cher Luſſanville , qui m'a déja ſauvée ; j'en eſpere tout en DE FAN CHETTE. 119 1 core. Je ne me trompai pas : au milieu de la nuit & du tumulte , j'entends heur ter à ma porte. - Belle Florangis , diſait-on , eſt- ce vous? Je réponds : on ouvre , & je vois Satinbourg , qui me montre ce qui l'avait guidé pour me trouver. Je crus pouvoir m'abandonner à la foi de cer eſtimable jeune hom me : - Il eſt dangereux de retourner fur mes pas , me dit- il ; voyons ſi cette fenêtre peut nous donner une iſſue. Je ne ſais comme il fit ; mais il eur bientôt ébranlé deux barreaux ; il me deſcendit la premiere, à l'aide d'une échelle de cordes ; il me ſuit ; cherche la porte du jardin : celle qu'il trouve donnait ſur la campagne ; ſon cheval l'attendait ; nous partons. Tu fais le reſte, mon aimable Agathe. — Et les deux amies ſe carellerent de nouveau , comme ſi cet inſtant eût été le premier où elles échappaient au péril. Au ſortir dutumulte des enlévements, Fancherte , tranſportée tour d'un coup dans le calme des Monaſteres , crut 3 + 120 LE PIED Ah ! ma trouver dans ces maiſons une image du bonheur promis aux Elus. chere Agathe, diſait - elle à ſa compa gne , que ce ſéjour eſt charmant! & pourquoi ma Bonne ne m'y plaça- t- elle pas , lorſqu'on m'euc délivrée des mains du Marquis de C ** ? La jeune Agathe s'en étonna comme Fanchette. Sour Roſe , jeune Profeſſe de dix huit ans , au teint de lis , à la taille élé gante , & dont le coeur était encore plus tendre qu'elle n'était belle ; Sæur Roſe avait été chargée dès le premier jour par la Mere Supérieure de tenir compagnie aux deux nouvelles Pen ſionnaires. Que vous êtes heureu ſes , ma Sæur , lui dit Fanchette , après qu'elles eurent eu quelques entretiens ! vous voilà dans le Port. Ce monde cor rompu , qui ſouille , en dépit d'elle , l'innocence la plus pure , n'aura plus de pouvoir ſur vous.... Hélas!ajouta t- elle , en regardant Agathe , ma chere petite , je crois que c'eſt ici que le Ciel m'appelle : Satinbourg, s'il veur m'en 722e: h ! compa ant. & ya-t-elle esmains Agache de da T ENCONA premier| le teni s Pena heureu apres oriens e cor l'elle, plus Juca shee le Feut






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